Dominique Venner, Le choc de l'histoire
jeudi, 03 octobre 2013
Michel Collon à "Algerie patriotique"
Ex: http://www.michelcollon.info
Algeriepatriotique : Comment évaluez-vous le développement de la situation en Syrie en ce moment ?
Michel Collon : Je crois que l’on assiste à un tournant historique. On voit que les Etats-Unis, qui ont été, jusqu’à présent, très arrogants et se permettaient de déclencher des guerres assez facilement, sont maintenant face à une résistance très forte en Syrie, face aussi à un refus de la Russie et face à la résistance croissante des pays du Sud. Le sentiment qui se développe en Amérique latine, en Afrique, dans le monde arabe aussi et en Asie bien entendu, est que les Etats-Unis sont une puissance déclinante, qu’ils mènent une politique égoïste visant seulement à voler les richesses pendant que les peuples restent dans la pauvreté, et qu’il est donc temps de résister à ces guerres qui sont purement économiques, des guerres du fric, et qu’il faut construire un front par rapport aux Etats-Unis et à leurs alliés européens, puisque l’Europe suit les Etats-Unis de manière très docile et hypocrite et est impliquée dans ce système.
Nous avons réalisé une série d’entretiens avec des personnalités aussi divergentes les unes que les autres, notamment Paul Craig Roberts qui fut conseiller de Reagan. Un point revient souvent : dans le monde occidental, aujourd’hui, les anti-guerre par rapport à ceux qui dénonçaient la guerre du Vietnam, par exemple, sont à droite. Pourriez-vous nous faire un commentaire à ce sujet ?
Nous avions, en Europe, un mouvement anti-guerre extrêmement puissant qui s’était développé justement pendant la guerre du Vietnam. Ce mouvement a été très affaibli. On en a vu encore une pointe en 2003 au moment où Bush a attaqué l’Irak et où nous étions des millions dans la rue, mais il faut bien constater que quand les Etats-Unis ont attaqué la Libye, quand ils sont intervenus en Yougoslavie et en Afghanistan, il n’y a pas eu de forte résistance. Je pense qu’il faut analyser le problème en se demandant comment la Gauche européenne qui avait toujours été en principe anti-guerre, anti-coloniale, anti-injustices sociales, se retrouve maintenant, à de très rares exceptions, aux côtés des Etats-Unis et de l’Otan, dans une grande alliance qui englobe Israël, l’Arabie Saoudite, le Qatar et toutes ces dictatures épouvantables qui prétendent qu’elles vont apporter la démocratie en Syrie. Et la gauche européenne marche avec ça ? C’est une comédie et il est très important d’expliquer d’où cela provient. Je pense qu’on a perdu le réflexe de se méfier du colonialisme, de refuser la guerre et de rechercher des solutions politiques aux problèmes. On a perdu cette idée que les nations ont le droit de décider de leur système social, de leur avenir, de leurs dirigeants et que ce n’est pas à l’Occident colonial de dire qui doit diriger tel ou tel pays. Nous avons un grand examen de conscience et une analyse à faire : comment se fait-il que ceux qui devraient être à gauche se retrouvent avec ceux que je considère, moi, comme l’extrême droite, à savoir Israël, l’Arabie Saoudite et le Qatar ?
D’après les informations que nous avons récoltées à travers nos entretiens et qui se confirment, Barack Obama serait otage du lobby israélien, notamment via l’Aipac et ses partisans, comme Susan Rice, Lindsay Graham, etc., et les néo-conservateurs pro-israéliens. Qu’en pensez-vous ?
C’est une thèse très répandue que les Etats-Unis sont dirigés par Israël et je ne suis pas d’accord avec cette position. Je pense, en fait, que c’est le contraire. Ce n’est pas le chien qui commande à son maître, c’est le maître. Quand vous regardez l’économie israélienne et son budget, vous voyez bien que la force est aux Etats-Unis et qu’Israël est ce que j’appelle le « porte-avions » des Etats-Unis au Moyen-Orient. Bien sûr, le lobby est un phénomène qui joue, mais le jour où l’élite des Etats-Unis décidera qu’Israël ne nous est plus utile ou qu’il nous fait du tort parce que tout le monde arabe est en train de résister et nous allons perdre notre crédit et notre marge de manœuvre au Moyen-Orient, ce jour-là, les Etats-Unis lâcheront Israël. Il y a des fantasmes sur le lobby juif qui dirigerait le monde, mais je ne crois pas à cette théorie.
L’Aipac n’est pas une vue de l’esprit…
Nous sommes dans un monde dirigé par les multinationales. Quand vous voyez qui a le pouvoir de contrôler les richesses, de décider l’économie, de contrôler Wall Street, la City, Frankfurt, etc., ce sont des multinationales. Et le fait qu’il y ait quelques patrons juifs n’est pas le problème. Je pense vraiment que l’on doit s’en prendre au système des multinationales et ne pas prendre la conséquence pour la cause.
Vous avez dit dans l’émission de Taddéï : « Vous m’inviterez un jour car ce sera au tour de l’Algérie d’être ciblée par une frappe ou une guerre. » Le pensez-vous toujours ?
Oui, je pense que ce qu’il se passe en Tunisie et au Mali et l’attaque contre la Syrie annoncent qu’effectivement les Etats-Unis sont en train d’exécuter un plan de recolonisation de l’ensemble du monde arabe et des pays musulmans – puisqu’il y a l’Iran aussi – qui ont échappé au colonialisme classique. Clairement, l’Algérie fait partie des cibles, comme l’Iran, et donc il est très important de voir qu’en défendant l’autodétermination du peuple syrien, on empêche les Etats-Unis d’attaquer les cibles suivantes. Ce que je dis dans ce cas, c’est que, en fait, il s’agit toujours de la même guerre. Nous sommes dans les différents chapitres d’une même guerre de recolonisation.
Entretien réalisé par Mohsen Abdelmoumen
Source : Michel Collon pour Algérie Patriotique
00:05 Publié dans Actualité, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, algérie, afrique du nord, afrique, affaires africaines, monde arabe, monde arabo-musulman, michel collon, entretien, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 27 septembre 2013
Entretien avec Lucien Cerise
Entretien avec Lucien Cerise auteur de "Oliganarchy"
Version revue et retouchée pour Égalité & Réconciliation du texte paru dans Rébellion, n°58 mars/avril 2013.
Ex: http://www.scriptoblog.com
Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Venant de l'extrême gauche de l'échiquier politique, je vote « Non » en 2005 au référendum sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, comme 55 % des votants. Quand je vois au cours des années 2006 et 2007 ce que le pouvoir fait du scrutin, cela me décide à m'engager dans les mouvements anti-Union européenne et antimondialistes, donc nationalistes, autonomistes et localistes. L'autogestion signifie pour moi « liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes » ainsi que « souveraineté » dans tous les sens du terme : alimentaire, énergétique, économique, politique et cognitive. Au fil du temps et des rencontres, je me suis rendu compte que le clivage politique droite/gauche est en fait complètement bidon et que la seule différence à considérer est entre la vie et la mort.
En 2010, vous faisiez paraître Gouverner par le chaos – Ingénierie sociale et mondialisation chez Max Milo. Pouvez-vous revenir sur l'origine de votre réflexion et sur votre choix de l'anonymat ?
L'origine est multiple. D'abord, comme beaucoup de monde, j'ai observé chez nos dirigeants politiques, économiques et médiatiques une telle somme d'erreurs et une telle persistance dans l'erreur que j'ai été amené à me demander s'ils ne le faisaient pas exprès. En Occident, les résultats catastrophiques des orientations prises depuis des décennies sont évidents à court terme, si bien qu'on ne peut leur trouver aucune excuse. Une telle absence de bon sens est troublante. Cela induit un vif sentiment de malaise, qui peut devenir une dépression plus ou moins larvée, qui a été mon état pendant longtemps. J'en suis sorti progressivement, mais certains éléments ont été plus décisifs que d'autres pour me faire comprendre ce qui se passait vraiment et l'origine de ce malaise.
La lecture de La Stratégie du choc, de Naomi Klein, a été un choc, justement. On comprend enfin à quoi servent ce que l'on pourrait appeler les « erreurs volontaires » de nos dirigeants. Dans un premier temps, on attribue leurs erreurs à de la stupidité, ou à de la rapacité aveugle. En réalité, ces erreurs volontaires obéissent à une méthode générale tout à fait rationnelle et maîtrisée, développée sur le long terme et qui envisage positivement le rôle de la destruction. La Stratégie du choc aborde pour la première fois dans un livre pour le grand public cette doctrine de la destruction positive, qui constitue le cœur du capitalisme depuis le XVIIIe siècle et qui repose sur des crises provoquées et récupérées. Klein met cela en parallèle avec les méthodes de torture et de reconditionnement mental du type MK-Ultra, qui procèdent de la même inspiration : détruire ce que l'on ne contrôle pas, pour le reconstruire de manière plus « rationnelle » et assujettie.
En 2003, j'avais aussi fait des recherches sur le groupe de conseillers ultra-sionistes qui entourait Georges W. Bush et qu'on appelle les néoconservateurs. Je me suis plongé dans leurs publications, A Clean Break, le PNAC, ainsi que dans leur maître à penser, Leo Strauss, lequel m'a ramené sur Machiavel et sur Kojève, et sur une approche de la politique qui ne dédaigne pas le Fürherprinzip de Carl Schmitt, l'État-total cher à Hegel, ni de faire usage de « moyens extraordinaires », selon le bel euphémisme de l'auteur du Prince. De là, je suis allé voir du côté de la synarchie, avec Lacroix-Riz, puis j'ai élargi mon étude à tous ces clubs, groupes d'influence, sociétés secrètes et discrètes qui n'apparaissent que rarement dans les organigrammes officiels du pouvoir.
Par ailleurs, au cours de ces années, j'ai été en contact de deux manières différentes avec le monde du consulting, dans ses diverses branches : management, marketing, intelligence artificielle, mémétique, ingénierie sociale, cybernétique, etc. J'ai rencontré des gens qui étaient eux-mêmes consultants professionnels mais j'ai vu également l'autre côté de la barrière car j'ai subi sur mon lieu de travail des méthodes de management négatif, du même type que celles appliquées à France Telecom. Cela m'a poussé à devenir représentant syndical dans le cadre du Comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT). Je m'étais spécialisé sur les questions de « souffrance au travail », de « burn-out », de « harcèlement moral » (cf. Hirigoyen, Dejours, Gaulejac).
À la même période, j'ai aussi commencé à m'intéresser très sérieusement à l'univers du renseignement, du lobbying, de l'influence et de la guerre cognitive, car j'envisageais de m'y réorienter pour y faire carrière (École de Guerre économique, DGSE, etc.). Pendant toute cette période, j'ai rencontré des gens et lu des publications qui m'ont beaucoup appris sur les méthodes de travail des manipulateurs professionnels, que ce soit en entreprise, en politique ou en tactique militaire, car on y rencontre les mêmes techniques et concepts : storytelling, management des perceptions, opérations psychologiques (psyops), attentats sous faux drapeau, etc.
Au début des années 2000, j'avais aussi exploré la piste du transhumanisme et du posthumanisme. J'y ai adhéré sincèrement, par déception de l'humain essentiellement, avant de comprendre que c'était une impasse évolutive. Ma formation universitaire, que j'ai débutée en philosophie et poursuivie en sciences humaines et sociales, en particulier dans la communication et la sémiotique, m'a donné les outils conceptuels pour synthétiser tout cela. Donc, pour revenir à la question « Nos dirigeants font-ils exprès de commettre autant d'erreurs ? », après vérification, je peux confirmer que oui, et que cela obéit même à une méthodologie extrêmement rigoureuse et disciplinée. Il existe une véritable science de la destruction méthodique, qui s'appuie sur un art du changement provoqué, et dont le terme générique est « ingénierie sociale ». (J'ai introduit par la suite une nuance entre deux formes d'ingénierie sociale, mais nous y reviendrons.)
Pourquoi l'anonymat ? Et j'ajoute une question : pourquoi suis-je en train de le lever plus ou moins ces temps-ci ? Pour tout dire, je me trouve pris dans une double contrainte. Je n'ai aucune envie d'exister médiatiquement ni de devenir célèbre. Une de mes maximes personnelles est « Pour vivre heureux, vivons cachés ». Je préfère être invisible que visible. En même temps, quand on souhaite diffuser des informations, on est contraint de s'exposer un minimum. Or, je veux vraiment diffuser les informations contenues dans Gouverner par le chaos (GPLC), ou dans d'autres publications qui ne sont pas forcément de moi. Je ne vois personne d'autre qui le fait, alors j'y vais. Je pense qu'il est indispensable de diffuser le plus largement possible les méthodes de travail du Pouvoir. J'ai un slogan pour cela : démocratiser la culture du renseignement.
Une autre raison à l'anonymat est de respecter le caractère collectif, ou collégial, de GPLC. Plusieurs personnes ont participé plus ou moins directement à son existence : inspiration, rédaction, médiatisation, etc. J'avoue en être le scribe principal, mais sans la contribution d'autres personnes, ce texte n'aurait pas existé dans sa forme définitive.
Que pensez-vous de la production du « Comité invisible » et de la revue Tiqqun ? L'affaire de Tarnac marque-t-elle une étape supplémentaire dans la manipulation des esprits et de la répression du système contre les dissidents de celui-ci ?
J'ai lu tout ce que j'ai pu trouver de cette mouvance situationniste extrêmement stimulante. Leurs textes proposent un mélange bizarre d'anarchisme de droite, vaguement dandy et réactionnaire, tendance Baudelaire et Debord, avec un romantisme d'extrême ou d'ultra gauche parfois idéaliste et naïf. Le tout sonne très rimbaldien. La vie de Rimbaud, comme celle d'un Nerval ou d'un Kerouac, combine des tendances contradictoires : la bougeotte du nomade cosmopolite avec la nostalgie d'un retour au réel et d'une terre concrète dans laquelle s'enraciner ; mais aussi une soif d'action immanente et révolutionnaire coexistant avec le mépris pour tout engagement dans le monde et la fuite dans un ailleurs fantasmé comme plus authentique. Une constante de ce « topos » littéraire, c'est que l'étranger est perçu comme supérieur au local. Ceci peut conduire à une sorte de masochisme identitaire, une haine ou une fatigue de soi qui pousse à rejeter tout ce que l'on est en tant que forme connue, majoritaire et institutionnelle, au bénéfice des minorités ou des marginaux, si possible venant d'ailleurs. Il y a une sorte de foi religieuse dans les « minorités », desquelles viendrait le Salut, croyance entretenue par de nombreux idéologues du Système, de Deleuze et Guattari à Toni Negri et Michael Hardt, en passant par la rhétorique des « chances pour la France ». Dans L'Insurrection qui vient, les lumpen-prolétaires animant les émeutes de banlieue en 2005 sont idéalisés de manière assez immature (et apparemment sans savoir que des agitateurs appartenant à des services spéciaux étrangers, notamment israéliens et algériens, s'étaient glissés parmi les casseurs).
Pour recentrer sur le corpus de textes en question, aujourd'hui je n'en retiens que le meilleur, le côté « anar de droite », c'est-à-dire une critique radicale et profonde du Capital, de la Consommation et du Spectacle mais qui reste irrécupérable par la gauche capitaliste, libertaire, bobo, caviar, sociétale, bien-pensante et « politiquement correcte ». De Tiqqun, je retiens donc surtout la « Théorie de la Jeune-Fille », texte absolument génial et très drôle. On y trouve des références à l'historien de la publicité Stuart Ewen, dont les recherches montrent comment le féminisme et le jeunisme furent dès les années 1920 les outils du capitalisme et de la société de consommation naissante aux USA.
En outre, je suis très travaillé par la question du rapport entre le visible et l'invisible. J'ai beaucoup « mangé » de phénoménologie pendant mes études de philo, comme tous les gens de ma génération : Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty, Michel Henry, etc. Cette dialectique visible/invisible recoupe aussi le couple « voir et être vu » des théories de la surveillance, de Jeremy Bentham à Michel Foucault, et fait également écho au champ lexical du situationnisme. Et là on revient dans l'univers du Comité invisible.
Sur l'affaire de Tarnac proprement dite. Il se trouve que j'ai croisé certaines personnes de cette mouvance en diverses occasions, sans jamais faire partie directement de leur carnet d'adresses. J'évoluais à peu près dans les mêmes réseaux et la même nébuleuse dans les années 2000-2005, entre les squats, les revues, les collectifs et l'université de Paris 8 (Vincennes/Saint-Denis). Je me suis donc senti visé par l'affaire de Tarnac, dont le seul avantage a été de faire progresser la critique de la criminologie, en particulier dans sa forme actuarielle.
La science actuarielle consiste à calculer le potentiel de dangerosité et à prendre des mesures par anticipation. Sur ce sujet, il faut lire notamment Bernard Harcourt, dont voici l'extrait d'une interview sur le sujet :
« La dangerosité, écrivait il y a plus de 25 ans Robert Castel dans un livre prémonitoire intitulé La Gestion des risques ; la dangerosité, écrivait-il, est cette notion mystérieuse, qualité immanente à un sujet mais dont l'existence reste aléatoire puisque la preuve objective n'en est jamais donnée que dans l'après-coup de sa réalisation. Le diagnostic qui est établi est le résultat d'un calcul de probabilité ; la dangerosité ne résulte pas d'une évaluation clinique personnalisée, mais d'un calcul statistique qui transpose aux comportements humains les méthodes mises au point par l'assurance pour calculer les risques. D'où une nouvelle science (et retenez bien ce mot) : la science actuarielle. »
Globalement, la présomption d'innocence est inversée en présomption de culpabilité. Ce n'est plus au procureur d'apporter la preuve que vous êtes coupable, c'est à vous d'apporter la preuve que vous êtes innocent. Votre « dangerosité évaluée » et votre « potentiel criminel » suffisent à déclencher la machine judiciaire et à faire s'abattre sur vous le GIGN ou le RAID. La « menace terroriste », dont Julien Coupat et ses amis ont été accusés, s'inscrit complètement dans ce dispositif qui permet de criminaliser à peu près quiconque ne pense pas « correctement », tel qu'un Varg Vikernes, le Norvégien établi dans un village de Corrèze (lui aussi !) avec femme et enfants et suspecté de « nazisme ».
L'accusation purement médiatique autorise parfois le Pouvoir à tuer arbitrairement et sans procès, comme on l'a vu avec Mohamed Merah, qui n'a jamais été identifié légalement et formellement comme l'auteur des meurtres de Toulouse, mais qui a été pourtant bel et bien assassiné. Dans un état de droit, la culpabilité d'un accusé émerge au cours d'un procès équitable et contradictoire pendant lequel on apporte les preuves de la culpabilité si elles existent. Il semble que cela soit devenu superflu quant au traitement des prétendus « islamistes », que ce soit en France ou à Guantanamo. Pour tous ceux qui sont tués pendant leur arrestation, nous ne saurons donc jamais s'ils étaient coupables dans le monde réel, et pas seulement dans celui des médias !
Dans la série des montages politico-médiatiques visant à terroriser la population, passons rapidement sur l'affaire Clément Méric, dont l'objectif semblait être de faire exister une « menace fasciste » émanant d'une « droite radicale » pourtant très assagie. Et pour revenir à Tarnac, si le montage s'est effondré rapidement, c'est parce que les inculpés disposaient de soutiens dans l'intelligentsia parisienne ; sans cela, il y a fort à parier qu'ils seraient passés à la postérité comme des terroristes d'ultragauche avérés. Le cauchemar de science-fiction imaginé par Philip K. Dick et transposé au cinéma dans Minority report est devenu réalité. On pense aussi au chef d'œuvre absolu de Terry Gilliam, Brazil.
Pour vous, le contrôle des masses a profondément changé avec l'apparition de l'ingénierie sociale. Que recouvre ce terme selon vous ?
Il y a plusieurs définitions de l'ingénierie sociale. On peut les trouver en tapant sur Google. Certaines universités proposent un diplôme d'État d'ingénierie sociale (DEIS) et donnent quelques descriptions sur leurs sites. Il existe aussi de nombreuses publications, des articles sur la sécurité informatique, de la littérature grise, des manuels de sociologie et de management, des rubriques d'encyclopédies, etc.
Je propose la synthèse suivante de toutes ces définitions : l'ingénierie sociale est la modification planifiée du comportement humain.
Il est difficile de fixer une date précise à l'apparition du terme. En revanche, l'intuition qui est derrière, en gros la mécanisation de l'existence, remonte probablement à l'apparition des premières villes en Mésopotamie et dans l'Égypte pharaonique, vers 3000 avant J.-C. Je pense aux premiers centres urbains rassemblant plusieurs milliers de personnes dans une structure différenciée et néanmoins relativement unifiée sous un seul nom qui en définit les contours.
L'échelle du village et de l'artisanat n'est pas suffisante pour percevoir l'existence comme un mécanisme. Le passage des sédentaires ruraux aux sédentaires urbains a fait émerger la première représentation des groupes humains comme étant des objets automates, ou du moins automatisables dans une certaine mesure. En adoptant le point de vue surplombant qui était celui des premiers oligarques du Proche-Orient, une ville ressemble assez à une grosse machine : une horloge, ou un ordinateur, au risque de l'anachronisme. Quand les intellectuels de l'époque, c'est-à-dire les prêtres, ont eu sous leurs yeux les premières villes, donc les premiers mécanismes d'organisations humaines complexes, l'idée du contrôle et de la prévisibilité de ces mécanismes a nécessairement germé en eux. Quelques siècles plus tard, Platon invente le terme de cybernétique, ou l'art du pilotage. L'alchimie et la franc-maçonnerie sont les héritières spirituelles de ces premières observations, avec leurs métaphores physicalistes et architecturales récurrentes.
Le fil conducteur de cette tradition rationaliste en politique est la réduction de l'incertitude, qui est l'objectif poursuivi par tout gestionnaire de système. Quand il s'agit d'un système vivant, cet objectif peut avoir des effets sclérosants et meurtriers. Je ne suis pas loin de partager le point de vue radical de Francis Cousin, à savoir que nos problèmes ont commencé au néolithique !
Cependant, inutile de remonter aux chasseurs-cueilleurs pour retrouver le « paradis perdu ». L'échelle rurale et villageoise, voire la petite agglomération urbaine, me paraissent suffisants pour une relocalisation autogestionnaire satisfaisante qui permette d'éviter certaines pathologies du contrôle à distance. La nouveauté au XXe siècle vient de ce que l'on passe d'un contrôle social par l'ordre à un contrôle social par le désordre. L'ordre par le chaos.
Je fais remonter le projet concret de la gouvernance par le chaos à l'invention du « capitalisme révolutionnaire » entre 1750 et 1800, c'est-à-dire un capitalisme provoquant des révolutions pour faire avancer son agenda. Mais il a fallu attendre les années 1960 pour fabriquer le consentement total des masses au capitalisme en l'introduisant dans les mœurs sous les termes de « libertarisme » ou d'« émancipation des minorités ».
En France, l'événement fondateur de cet arraisonnement complet des masses par le Capital et sa gouvernance par le chaos fut Mai 68. Il faut voir le documentaire Das Netz, de Lutz Dammbeck, qui fait la jonction entre les projets de contrôle social issus de la cybernétique dans les années 1950 et l'émergence dix ans plus tard de la contre-culture pop anglo-saxonne, comme par hasard. Les preuves existent que la contre-culture était un outil du Capital pour produire de l'entropie sociale. On pense au financement de Pollock par la CIA, ou encore à ce que rapporte Mathias Cardet dans L'Effroyable Imposture du rap. À partir des années 1960, donc, une idéologie dominante fondée sur des principes d'anarchie, d'individualisme, d'anomie, d'hédonisme et de « jouissance sans entrave » s'est diffusée dans toute la sphère culturelle occidentale, préparant le tsunami de pathologies mentales et sociales qui nous submerge depuis les années 1980 : dépressions, vagues de suicides, violences conjugales, épidémie d'avortements de confort, enfant-roi hyperactif, délinquance juvénile, toxicomanies, criminalité sociopathe, obésité, cancers, pétages de plombs divers qui finissent en bain de sang, etc.
Cette idéologie dominante individualiste et an-archique, voire acéphale, commune à la gauche libertaire et à la droite libérale, n'a qu'un but : faire monter l'entropie, c'est-à-dire le désordre et le déséquilibre dans les groupes humains, pour les disloquer, les atomiser et améliorer l'asservissement des masses en rendant leur auto-organisation impossible. Diviser pour régner. Pousser les masses à « jouer perso », les éduquer au « chacun pour soi », pour enrayer la force des collectifs. Donc dépolitiser. En effet, le geste fondateur du phénomène politique consiste à soumettre la liberté individuelle à l'intérêt collectif. En inversant les priorités par le sacrifice de l'intérêt collectif sur l'autel de la sacro-sainte liberté individuelle, l'ingénierie sociale du Capital paralyse et sape ainsi toute capacité organisationnelle concrète. Comme on le voit, le capitalisme contrôle les masses par le désordre. Le véritable anticapitalisme, c'est donc l'ordre. La rébellion, la dissidence, la résistance, la subversion, c'est l'ordre.
La psychanalyse semble avoir un rôle ambivalent dans ce phénomène. Quelle est votre opinion sur cette école (sur Freud, Jung ou Lacan) ?
La psychanalyse passe son temps à rétablir du surmoi, c'est-à-dire de l'ordre, de l'autorité morale, des limites comportementales et de la stabilité mentale. Elle est donc l'ennemie du capitalisme. Mais elle est perçue aussi comme une ennemie par les religions, car elle leur fait concurrence dans une certaine mesure. Donc, tout le monde la déteste et la passe en procès.
Le problème, c'est que ce mauvais procès fait à la psychanalyse n'est pas toujours très cohérent. On dit simultanément : « La psychanalyse ne marche pas » et « La psychanalyse détruit les êtres qui s'y adonnent ». Il faudrait choisir. Les deux accusations sont mutuellement incompatibles sur le plan strictement logique. Si elle ne marchait pas, elle n'aurait aucun effet, même pas destructeur. Ce serait un facteur nul, un zéro, ni « plus », ni « moins ». En fait, la psychanalyse marche, raison pour laquelle elle peut effectivement détruire les gens qui sont sous son influence. Ses applications excèdent le cadre de la thérapie et se retrouvent aussi beaucoup en management, en marketing et, ce que l'on sait moins, en sécurité informatique, dans sa branche ingénierie sociale, justement.
Le fait que Freud ait été chez les B'nai B'rith est une raison supplémentaire pour s'informer sur les méthodes de manipulation et de déconstruction psychologique qui nous sont appliquées. C.-G. Jung est indispensable à connaître également, mais Jacques Lacan est encore plus précis et nous propose une vraie boîte à outils permettant d'agir directement sur soi ou sur autrui. Pour user de métaphores biologiques ou informatiques, la psychanalyse lacanienne, et le structuralisme en général, donnent accès au « code génétique », ou au « code source » de l'esprit et de la société.
Par exemple, un mathème lacanien, le schéma R (pour Réalité), modélise le mécanisme de la construction de confiance, qui est exactement le même que le mécanisme de la construction de la réalité : on peut donc appliquer ce schéma pour abuser de la confiance d'autrui en lui créant une réalité virtuelle, ou à l'inverse pour empêcher la construction de confiance, en soi ou en autrui, et ainsi empêcher la construction d'une réalité viable et habitable. Si vous observez les choses de près, vous trouverez l'équation « confiance = réalité ». Quand la confiance disparaît, c'est la réalité qui s'effondre. En revanche, si vous me faites confiance, je commence à construire votre réalité.
On voit le danger : si la psychanalyse dévoile et met à nu les règles de base de la construction de la réalité, du psychisme et de la vie en société, elle peut être utilisée également pour déconstruire la réalité, le psychisme et rendre impossible la vie en société. Comment ? En jouant sur l'Œdipe, c'est-à-dire le sens dialectique. Je détaille.
Une société possède nécessairement des différences. Une société parfaitement homogène n'existe pas. Or, la gestion des différences, leur articulation fonctionnelle et organique, ne se fait pas toute seule. L'articulation des différences porte un nom : la dialectique. La dialectique, cela s'apprend. Les différences premières, fondatrices de toute société, se résument par un concept : le complexe d'Œdipe. Ce sont les différences hommes/femmes et parents/enfants (par extension jeunes/vieux). Ces différences sont néanmoins articulées et fonctionnent ensemble, de manière organique, au sein de la famille. Le schéma familial offre ainsi le modèle originel du fonctionnement de tout groupe social : des différences respectées, on ne fusionne pas, mais fonctionnant ensemble.
Si on n'intériorise pas ce premier système de différences articulées, on ne peut pas en intérioriser d'autres et on développe des problèmes d'identité et d'adaptation sociale. En effet, l'identité est à l'image du système social : dialectique. Je ne sais qui je suis que par opposition et différenciation. L'identité, la construction identitaire, repose donc sur la position d'une différence première, originelle, fondatrice. Pour que je puisse agir dans le monde et me socialiser normalement, je dois donc sortir du flou identitaire pré-œdipien, le flou fusionnel qui précède la perception des différences.
Dans sa vidéo de janvier 2013, Alain Soral et son équipe rapportent un document stupéfiant. À l'occasion d'une audition sur le projet de « mariage pour tous », l'anthropologue Maurice Godelier préconisait de remplacer les termes « père » et « mère » par le terme générique de « parents ». D'après lui, le mot « parent », qui peut désigner simultanément le père, la mère, comme le grand-père et la grand-mère, présente ce double avantage d'effacer la différence des sexes et d'effacer la différence des générations. Quiconque possède quelques éléments d'anthropologie ou de psychanalyse repère immédiatement où Godelier veut en venir : produire intentionnellement du flou identitaire, donc de la psychose, en effaçant le complexe d'Œdipe, les différences hommes/femmes et parents/enfants, donc les différences au sein de la famille, et par extension au sein de la société.
En fait, les différences persistent dans le réel, mais elles ne sont plus perçues, ni intériorisées. Si les différences ne sont plus perçues, les identités non plus. Cette incapacité à percevoir, intérioriser et gérer les différences et les identités porte un nom : la psychose, le flou identitaire. « Je ne sais pas qui je suis parce que je ne sais pas ce qui est en face de moi. » Godelier et les partisans de la théorie du genre, qu'il faudrait renommer « théorie de la confusion des genres », cherchent à produire du flou identitaire chez les enfants, et pourquoi pas chez les adultes. Ils cherchent donc à produire des handicapés mentaux, incapables de se socialiser. Ils cherchent à créer des problèmes d'identité et à générer des pathologies mentales et sociales, qui finiront en suicides, en meurtres ou en toxicomanies de compensation.
L'effacement des différences fondatrices, c'est l'effacement des limites, de toutes les limites. L'objectif, c'est la plasticité identitaire infinie, qu'on renommera « liberté identitaire infinie » pour mieux hameçonner la proie avec une accroche désirable, au prix de l'émergence de nouvelles souffrances. Toujours dans sa vidéo de janvier 2013, Soral remarquait fort justement que « la liberté, c'est la folie ». C'est bien de cette folie que Deleuze et Guattari se sont faits les chantres à partir de L'Anti-Œdipe, cette bible de l'antipsychiatrie dont le sous-titre est « Capitalisme et schizophrénie ». Publié en 1972, ce texte a profondément marqué la pensée libertaire. Il y est fait une apologie de la schizophrénie comme étant le parachèvement du capitalisme en tant que libération de toutes les structures et affranchissement de toutes les limites psychiques, comportementales et identitaires. L'alliance objective entre libertarisme et libéralisme est donc conclue officiellement et revendiquée depuis une bonne quarantaine d'années.
Une liberté sans limite rend fou et empêche donc la socialisation. À l'opposé, la psychanalyse tourne entièrement autour de cet adage : « Ma liberté s'arrête où commence celle des autres. » La limite, le surmoi dans le jargon freudien, a un effet positif et négatif en même temps. La limite réprime l'expression libre du désir. Apprendre à vivre en société, c'est apprendre qu'on ne fait pas ce qu'on veut et qu'il y a des limites à respecter. Il y a des bornes à l'expression de mon désir, il y a des règles, des lois, des structures, des cadres, des interdits à respecter et sans lesquels la société ne peut pas fonctionner. Cette répression de la liberté du désir permet donc de vivre en société, mais induit également une frustration. Cette frustration peut s'accumuler, s'enkyster, et devenir une névrose. C'était la pathologie la plus courante jusque dans les années 1970. L'ordre social exercé par une autorité morale et l'intériorisation d'une limite (un Père ou un phallus symbolique) était simultanément répressif et socialisant, frustrant et structurant, névrotique et normatif. C'était le mode de socialisation normal dans l'espèce humaine, avec des avantages et des inconvénients. C'est la gouvernance par l'ordre, par l'imposition de limites rigides à ne jamais dépasser, sous peine de punition.
Cet ordre ancien, celui de notre espèce et de ses constantes anthropologiques depuis ses origines, est aujourd'hui attaqué. L'Occident postmoderne a vu naître un « ordre nouveau », un mode de gouvernance par le chaos qui est une forme de contrôle social entièrement neuve consistant à lever toutes les limites et à laisser le désir s'exprimer librement. Dans un premier temps, on a l'impression de respirer enfin, on s'amuse, sans le surmoi phallique et surplombant. Le problème, quand on tue le Père, c'est qu'on est récupéré par la Mère, qui est en réalité tout aussi despotique que le Père. En Mai 68, Lacan disait à ses étudiants libertaires : « Vous aussi, vous cherchez un maître. » En l'occurrence, une Maîtresse, car la libre expression du désir, sans plus aucune limite ni structure, est le mode d'être hystérique, puis pervers, puis psychotique. Sans répression du désir, pas de sublimation, pas de symbolisation, pas de structuration psychique et comportementale possible, pas d'accès au langage et à la dialectique articulée.
Il existe donc une véritable ingénierie psychosociale de la levée des limites, de la transgression des interdits, des lois, des tabous et de l'abolition des frontières, donc une ingénierie de la désocialisation, de l'ensauvagement, de la déstructuration des masses et de la régression civilisationnelle provoquée, en un mot une ingénierie de la dés-œdipianisation, mise en œuvre par des gens qui savent exactement ce qu'ils font, grâce ou à cause de Freud et Lacan (Jung n'ayant pas reconnu le caractère fondateur de l'Œdipe et de la limite), qu'il s'agisse de psychanalystes à proprement parler ou d'auteurs imprégnés de psychanalyse. La théorie de la confusion des genres n'est qu'un outil de cette offensive du Capital pour transformer l'humain en une matière plastique modelable à l'infini, fluidifier toutes les structures comme le recommande l'Institut Tavistock, afin de parvenir à la « société liquide » décrite par Zygmunt Bauman.
Le résultat de cette déshumanisation, ou dés-hominisation, c'est ce que d'autres psys dénoncent, dont Julia Kristeva, dès les années 1980 dans Les Nouvelles Maladies de l'âme, ou l'Association lacanienne internationale (ALI), notamment Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun dans L'Homme sans gravité : l'explosion de ces pathologies très contemporaines, dépression, perversion, toxicomanie, hystérie banalisée, « psychoses froides », « états limites », « borderline », sociopathie, psychopathie. On lira aussi Dominique Barbier, Dany-Robert Dufour ou Jean-Claude Michéa.
Vous évoquiez dans un de vos récents textes « l'industrie du changement ». Qui sont pour vous ces « faiseurs » des bouleversements que nous subissons ? Que recherchent-ils ?
À l'occasion d'un séminaire auquel j'ai assisté, un consultant spécialisé en conduite du changement nous avait dit que son entreprise travaillait à « industrialiser la compétence relationnelle ». Les changements provoqués au moyen de crises dirigées ne servent donc pas à améliorer le fonctionnement des choses, mais à l'industrialiser, c'est-à-dire à le rationaliser, le standardiser, l'automatiser. Cela consiste à changer d'échelle de production et de contrôle. Quand on passe de l'artisanat à l'industrie, on passe aussi d'une production locale à une production globale. La production locale est décentralisée, enracinée, contextualisée, démocratique, quand la production globale est centralisée, déracinée, décontextualisée, oligarchique. L'industrie du changement consiste à transférer tout le contrôle de la production de l'échelle locale à l'échelle globale. La gouvernance par le chaos consiste à détruire le pilotage local et autonome de l'existence pour le remplacer par un pilotage global et hétéronome, toujours à distance.
En géopolitique, la transitologie est la discipline qui traite du « regime change », les changements de régime que l'Empire américano-israélien cherche à produire dans les pays arabo-musulmans, et un peu partout en fait, pour s'approprier le pilotage à distance de ces pays. En dernière instance, le but recherché est la modification de la structure générale des relations humaines : passer d'un lien social normal, fondé sur l'altruisme, l'empathie et la mutualité, à un lien social sociopathe, retravaillé par le capitalisme et le libertarisme, fondé sur la liberté individuelle. C'est ça, l'industrialisation de la compétence relationnelle. Concrètement, cela donne le « mariage homo », la GPA, soit la location du ventre des femmes, la PMA, soit le commerce des enfants, et pour finir l'euthanasie pour tous.
En fait, le « comment ? », la méthode appliquée, m'intéresse plus que le « qui ? », l'identité. En outre, la réponse au « comment ? » donne la réponse au « qui ? » Donc, qui sont les faiseurs des bouleversements pathogènes que nous subissons ? Réponse : tous ceux qui appliquent la méthode générale de bouleversement contrôlé. En gros, ce sont tous les acteurs du capitalisme et des révolutions de rupture, dont 1789 et 1917 sont les prototypes, et dont les « révolutions colorées », de Mai 68 au « printemps arabe », sont les prolongements, jusqu'en Libye et en Syrie aujourd'hui. Ces acteurs du capitalisme sont secondés par ce que l'on dénommait jadis les conseillers en propagande du Prince, et qu'on appelle aujourd'hui des spin doctors, des consultants, des influenceurs, des communicants, bref tous ceux qui travaillent à faire du storytelling et de la désinformation dans des entreprises, des think tanks, des lobbies, des médias, des services de renseignement, des sociétés de pensée plus ou moins ésotériques.
Cette stratégie du choc amène la notion de chaos que vous utilisez pour définir la logique du système. Pouvez-vous revenir sur la généalogie de cette soif de destruction de l'oligarchie mondiale ?
La pulsion de mort est largement partagée dans l'espèce humaine. Il semble néanmoins que certains groupes sociologiques l'actualisent davantage que d'autres. En termes de topologie structurale lacanienne, la destruction est une place à occuper, et en termes de psychologie archétypale jungienne, le Destructeur est un rôle à endosser. La question qui me vient tout de suite est : qui occupe cette place dans mon environnement immédiat, que je puisse m'en protéger ?
Si l'on fait une généalogie de la destruction en Occident, on arrive à un résultat qui n'est pas « politiquement correct ». Une histoire des idées impartiale montre que, sous nos latitudes monothéistes, le premier exposé d'un programme politique fondé sur la destruction est déposé dans le texte que les juifs appellent la Torah, et les chrétiens le Pentateuque. Pour certaines personnes, détruire est donc un commandement divin, consigné noir sur blanc dans des textes sacrés. Un échantillon :
Deutéronome : chapitre 20, versets 10 à 16.
« Quand tu t'approcheras d'une ville pour l'attaquer, tu lui offriras la paix. Si elle accepte la paix et t'ouvre ses portes, tout le peuple qui s'y trouvera te sera tributaire et asservi. Si elle n'accepte pas la paix avec toi et qu'elle veuille te faire la guerre, alors tu l'assiégeras. Et après que l'Éternel, ton Dieu, l'aura livrée entre tes mains, tu en feras passer tous les mâles au fil de l'épée. Mais tu prendras pour toi les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui sera dans la ville, tout son butin, et tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que l'Éternel, ton Dieu, t'aura livrés. C'est ainsi que tu agiras à l'égard de toutes les villes qui sont très éloignées de toi, et qui ne font point partie des villes de ces nations-ci. Mais dans les villes de ces peuples dont l'Éternel, ton Dieu, te donne le pays pour héritage, tu ne laisseras la vie à rien de ce qui respire. »
Cela dit, personne ne détient le monopole de la pulsion de mort. Le Japon ou la Corée du Sud connaissent des processus d'auto-génocide liés au « tout technologique ». Certaines régions d'Orient et d'Asie sont à la pointe de tous les délires post-humains et cybernétiques ; on y parle sérieusement de clonage reproductif ou de remplacement du peuple par des robots, ce genre de choses.
Je pense que la soif de destruction et d'autodestruction remonte en fait à un profil psychologique qui porte au moins trois noms : sociopathe, psychopathe, pervers narcissique. Le psychiatre polonais Lobaczewski est l'un des premiers à l'avoir étudié et il en a tiré une science, la ponérologie, ou la science du Mal. Je suis extrêmement convaincu par ce modèle ; pour ma part, je situe l'origine du Mal sur Terre dans ce profil psychologique sociopathe. Sa caractéristique est l'absence d'empathie, ce qui le conduit à traiter autrui comme un objet, un moyen, et à le chosifier. On peut rencontrer ce profil psychologique dans toutes les cultures, mais il semble néanmoins que certaines conjonctures favorisent son apparition. Notamment, les environnements socioculturels marqués par les thèmes de la destruction et du génocide sont, par excellence, des fabriques de sociopathes.
Lucien Cerise
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jeudi, 26 septembre 2013
PIERRE LE VIGAN : UN OUVRAGE EN PERSPECTIVE
Entretien avec http://metamag.fr
Propos recueillis par Jean PIERINOT
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jeudi, 12 septembre 2013
Alexander Dugin on Syria and the New Cold War
Alexander Dugin on Syria and the New Cold War
An interview with Alexander Dugin on the Syrian crisis.
Prof. Dugin, the world faces right now in Syria the biggest international crisis since the downfall of the Eastern Block in 1989/90. Washington and Moscow find themselves in a proxy-confrontation on the Syrian battleground. Is this a new situation?
Dugin: We have to see the struggle for geopolitical power as the old conflict of land power represented by Russia and sea power represented by the USA and its NATO partners. This is not a new phenomenon; it is the continuation of the old geopolitical and geostrategic struggle. The 1990s was the time of the great defeat of the land power represented by the USSR. Mikhail Gorbachev refused the continuation of this struggle. This was a kind of treason and resignation in front of the unipolar world. But with President Vladimir Putin in the early years of this decade, came a reactivation of the geopolitical identity of Russia as a land power. This was the beginning of a new kind of competition between sea power and land power.
How did this reactivation start?
Dugin: It started with the second Chechen war (1999-2009). Russia by that time was under pressure by Chechen terrorist attacks and the possible separatism of the northern Caucasus. Putin had to realize all the West, including the USA and the European Union, took sides with the Chechen separatists and Islamic terrorists fighting against the Russian army. This is the same plot we witness today in Syria or recently in Libya. The West gave the Chechen guerrillas support, and this was the moment of revelation of the new conflict between land power and sea power. With Putin, land power reaffirmed itself. The second moment of revelation was in August 2008, when the Georgian pro-Western Saakashvili regime attacked Zchinwali in South Ossetia. The war between Russia and Georgia was the second moment of revelation.
Is the Syrian crisis now the third moment of revelation?
Dugin: Exactly. Maybe it is even the final one, because now all is at stake. If Washington doesn´t intervene and instead accepts the position of Russia and China, this would be the end of the USA as a kind of unique superpower. This is the reason why I think Obama will go far in Syria. But if Russia steps aside and accepts the US-American intervention and if Moscow eventually betrays Bashar al-Assad, this would mean immediately a very hard blow to the Russian political identity. This would signify the great defeat of the land power. After this, the attack on Iran would follow and also on northern Caucasus. Among the separatist powers in the northern Caucasus there are many individuals who are supported by the Anglo-American, Israeli and Saudi powers. If Syria falls, they will start immediately the war in Russia, our country. Meaning: Putin cannot step aside; he cannot give up Assad, because this would mean the geopolitical suicide of Russia. Maybe we are right now in the major crisis of modern geopolitical history.
So right now both dominant world powers, USA and Russia, are in a struggle about their future existence…
Dugin: Indeed. At the moment there is no any other possible solution. We cannot find any compromise. In this situation there is no solution which would satisfy both sides. We know this from other conflicts, such as the Armenian-Azeri or the Israeli-Palestinian conflict. It is impossible to find a solution for both sides. We witness the same now in Syria, but on a bigger scale. The war is the only way to make a reality check.
Why?
Dugin: We have to imagine this conflict as a type of card game like Poker. The players have the possibility to hide their capacities, to make all kinds of psychological tricks, but when the war begins all cards are in. We are now witnessing the moment of the end of the card game, before the cards are thrown on the table. This is a very serious moment, because the place as a world power is at stake. If America succeeds, it could grant itself for some time an absolutely dominant position. This will be the continuation of unipolarity and US-American global liberalism. This would be a very important moment because until now the USA hasn´t been able to make its dominance stable, but the moment they win that war, they will. But if the West loses the third battle (the first one was the Chechen war, the second was the Georgian war), this would be the end of the USA and its dominance. So we see: neither USA nor Russia can resign from that situation. It is simply not possible for both not to react.
Why does US-president Barrack Obama hesitate with his aggression against Syria? Why did he appeal the decision to the US-Congress? Why does he ask for permission that he doesn´t need for his attack?
Dugin: We shouldn´t make the mistake and start doing psychological analyses about Obama. The main war is taking place right now behind the scenes. And this war is raging around Vladimir Putin. He is under great pressure from pro-American, pro-Israeli, liberal functionaries around the Russian president. They try to convince him to step aside. The situation in Russia is completely different to the situation in USA. One individual, Vladimir Putin, and the large majority of the Russian population which supports him are on one side, and the people around Putin are the Fifth column of the West. This means that Putin is alone. He has the population with him, but not the political elite. So we have to see the step of the Obama administration asking the Congress as a kind of waiting game. They try to put pressure on Putin. They use all their networks in the Russian political elite to influence Putin´s decision. This is the invisible war which is going on right now.
Is this a new phenomenon?
Dugin: (laughs) Not at all! It is the modern form of the archaic tribes trying to influence the chieftain of the enemy by loud noise, cries and war drums. They beat themselves on the chest to impose fear on the enemy. I think the attempts of the US to influence Putin are a modern form of this psychological warfare before the real battle starts. The US-Administration will try to win this war without the Russian opponent on the field. For this they have to convince Putin to stay out. They have many instruments to do so.
But again: What about the position of Barrack Obama?
Dugin: I think all those personal aspects on the American side are less important than on the Russian side. In Russia one person decides now about war and peace. In the USA Obama is more a type of bureaucratic administrator. Obama is much more predictable. He is not acting on his behalf; he simply follows the middle line of US-American foreign politics. We have to realize that Obama doesn´t decide anything at all. He is merely the figurehead of a political system that makes the really important decisions. The political elite makes the decisions, Obama follows the scenario written for him. To say it clearly, Obama is nothing, Putin is everything.
You said Vladimir Putin has the majority of the Russian population on his side. But now it is peace time. Would they also support him in a war in Syria?
Dugin: This is a very good question. First of all, Putin would lose much of his support if he does not react on a Western intervention in Syria. His position would be weakened by stepping aside. The people who support Putin do this because they want to support a strong leader. If he doesn´t react and steps aside because of the US pressure, it will be considered by the majority of the population as a personal defeat for Putin. So you see it is much more Putin´s war than Obama´s war. But if he intervenes in Syria he will face two problems: Russian society wants to be a strong world power, but it is not ready to pay the expenses. When the extent of these costs becomes clear, this could cause a kind of shock to the population. The second problem is what I mentioned already, that the majority of the political elite are pro-Western. They would immediately oppose the war and start their propaganda by criticizing the decisions of Putin. This could provoke an inner crisis. I think Putin is aware of these two problems.
When you say the Russians might be shocked by the costs of such a war, isn´t there a danger that they might not support Putin because of that?
Dugin: I don´t think so. Our people are very heroic. Let us look back in history. Our people were never ready to enter a war, but if they did, they won that war despite the costs and sacrifices. Look at the Napoleonic wars or World War II. We Russians lost many battles, but eventually won those wars. So we are never prepared, but we always win.
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dimanche, 08 septembre 2013
La bipolarisation droite-gauche n'existe plus en milieu populaire
"La bipolarisation droite-gauche n'existe plus en milieu populaire"...
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le géographe et sociologue Christophe Guilluy, publié cet été dans le quotidien Le Figaro. Christophe Guilluy est l'auteur d'un essai intitulé Fractures françaises (Bourin, 2010) qui a suscité de nombreux commentaires lors de sa publication. Cet essai, devenu introuvable, sera réédité début octobre chez Flammarion, dans la collection de poche Champs.
LE FIGARO. - Vous êtes classé à gauche mais vous êtes adulé par la droite. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Christophe GUILLUY.- Je ne suis pas un chercheur classique. Ma ligne de conduite depuis quinze ans a toujours été de penser la société par le bas et de prendre au sérieux ce que font, disent et pensent les catégories populaires. Je ne juge pas. Je ne crois pas non plus à la posture de l’intellectuel qui influence l’opinion publique. Je ne crois pas non plus à l’influence du discours politique sur l’opinion. C’est même l’inverse qui se passe. Ce que j’appelle la nouvelle géographie sociale a pour ambition de décrire l’émergence de nouvelles catégories sociales sur l’ensemble des territoires.
Selon vous, la mondialisation joue un rôle fondamental dans les fractures françaises. Pourquoi ?
La mondialisation a un impact énorme sur la recomposition des classes sociales en restructurant socialement et économiquement les territoires. Les politiques, les intellectuels et les chercheurs ont la vue faussée. Ils chaussent les lunettes des années 1980 pour analyser une situation qui n’a aujourd’hui plus rien à voir. Par exemple, beaucoup sont encore dans la mythologie des classes moyennes façon Trente Glorieuses. Mais à partir des années 1980, un élément semble dysfonctionner : les banlieues. Dans les années 1970, on avait assisté à l’émergence d’une classe moyenne, c’est la France pavillonnaire.
Vous avez théorisé la coexistence de deux France avec, d’une part, la France des métropoles et de l’autre la France périphérique.
On peut en effet diviser schématiquement la France en deux : la France périphérique, que certains ont dénommée mal à propos France périurbaine, est cette zone qui regroupe aussi bien des petites villes que des campagnes. De l’autre côté, il y a les métropoles, complètement branchées sur la mondialisation, sur les secteurs économiques de pointe avec de l’emploi très qualifié. Ces métropoles se retrouvent dans toutes régions de France. Bien évidemment, cela induit une recomposition sociale et démographique de tous ces espaces. En se désindustrialisant, les villes ont besoin de beaucoup moins d’employés et d’ouvriers mais de davantage de cadres. C’est ce qu’on appelle la gentrification des grandes villes, avec un embourgeoisement à grande vitesse.
Mais en même temps que cet embourgeoisement, il y a aussi dans les métropoles un renforcement des populations immigrées.
Au moment même où l’ensemble du parc immobilier des grandes villes est en train de se « gentrifier », l’immobilier social, les HLM, le dernier parc accessible aux catégories populaires de ces métropoles, s’est spécialisé dans l’accueil des populations immigrées. On assiste à l’émergence de « villes monde » très inégalitaires où se regroupent avec d’un côté des cadres, et de l’autre des catégories précaires issues de l’immigration. Dans ces espaces, les gens sont tous mobiles, aussi bien les cadres que les immigrés. Surtout, ils sont là où tout se passe, où se crée l’emploi. Tout le monde dans ces métropoles en profite, y compris les banlieues et les immigrés. Bien sûr cela va à l’encontre de la mythologie de la banlieue ghetto où tout est figé. Dans les zones urbaines sensibles, il y a une vraie mobilité : les gens arrivent et partent.
Pourtant le parc immobilier social se veut universel ?
La fonction du parc social n’est plus la même que dans les années 1970. Aujourd’hui, les HLM servent de sas entre le Nord et le Sud. C’est une chose fondamentale que beaucoup ont voulu, consciemment ou non, occulter : il y a une vraie mobilité dans les banlieues. Alors qu’on nous explique que tout est catastrophique dans ces quartiers, on s’aperçoit que les dernières phases d’ascension économique dans les milieux populaires se produisent dans les catégories immigrées des grandes métropoles. Si elles réussissent, ce n’est pas parce qu’elles ont bénéficié d’une discrimination positive, mais d’abord parce qu’elles sont là où tout se passe.
La France se dirige-t-elle vers le multiculturalisme ?
La France a un immense problème où l’on passe d’un modèle assimilationniste républicain à un modèle multiculturel de fait, et donc pas assumé. Or, les politiques parlent républicain mais pensent multiculturel. Dans la réalité, les politiques ne pilotent plus vraiment les choses. Quel que soit le discours venu d’en haut, qu’il soit de gauche ou de droite, les gens d’en bas agissent. La bipolarisation droite-gauche n’existe plus en milieu populaire. Elle est surjouée par les politiques et les catégories supérieures bien intégrées mais ne correspond plus à grand-chose pour les classes populaires.
Les classes populaires ne sont donc plus ce qu’elles étaient…
Dans les nouvelles classes populaires on retrouve les ouvriers, les employés, mais aussi les petits paysans, les petits indépendants. Il existe une France de la fragilité sociale. On a eu l’idée d’en faire un indicateur en croisant plusieurs critères comme le chômage, les temps partiel, les propriétaires précaires, etc. Ce nouvel indicateur mesure la réalité de la France qui a du mal à boucler les fins de mois, cette population qui vit avec environ 1 000 euros par mois. Et si on y ajoute les retraités et les jeunes, cela forme un ensemble qui représente près de 65 % de la population française. La majorité de ce pays est donc structurée sociologiquement autour de ces catégories modestes. Le gros problème, c’est que pour la première fois dans l’histoire, les catégories populaires ne vivent plus là où se crée la richesse.
Avec 65 % de la population en périphérie, peut-on parler de ségrégation ?
Avant, les ouvriers étaient intégrés économiquement donc culturellement et politiquement. Aujourd’hui, le projet économique des élites n’intègre plus l’ensemble de ces catégories modestes. Ce qui ne veut pas dire non plus que le pays ne fonctionne pas mais le paradoxe est que la France fonctionne sans eux puisque deux tiers du PIB est réalisé dans les grandes métropoles dont ils sont exclus. C’est sans doute le problème social, démocratique, culturel et donc politique majeur : on ne comprend rien ni à la montée du Front national ni de l’abstention si on ne comprend pas cette évolution.
Selon vous, le Front national est donc le premier parti populaire de France ?
La sociologie du FN est une sociologie de gauche. Le socle électoral du PS repose sur les fonctionnaires tandis que celui de l’UMP repose sur les retraités, soit deux blocs sociaux qui sont plutôt protégés de la mondialisation. La sociologie du FN est composée à l’inverse de jeunes, d’actifs et de très peu de retraités. Le regard porté sur les électeurs du FN est scandaleux. On les pointe toujours du doigt en rappelant qu’ils sont peu diplômés. Il y a derrière l’idée que ces électeurs frontistes sont idiots, racistes et que s’ils avaient été diplômés, ils n’auraient pas voté FN.
Les électeurs seraient donc plus subtils que les sociologues et les politologues… ?
Les Français, contrairement à ce que disent les élites, ont une analyse très fine de ce qu’est devenue la société française parce qu’ils la vivent dans leur chair. Cela fait trente ans qu’on leur dit qu’ils vont bénéficier, eux aussi, de la mondialisation et du multiculturalisme alors même qu’ils en sont exclus. Le diagnostic des classes populaires est rationnel, pertinent et surtout, c’est celui de la majorité. Bien évidemment, le FN ne capte pas toutes les classes populaires. La majorité se réfugie dans l’abstention.
Vous avancez aussi l’idée que la question culturelle et identitaire prend une place prépondérante.
Les Français se sont rendu compte que la question sociale a été abandonnée par les classes dirigeantes de droite et de gauche. Cette intuition les amène à penser que dans ce modèle qui ne les intègre plus ni économiquement ni socialement, la question culturelle et identitaire leur apparaît désormais comme essentielle. Cette question chez les électeurs FN est rarement connectée à ce qu’il se passe en banlieue. Or il y a un lien absolu entre la montée de la question identitaire dans les classes populaires « blanches » et l’islamisation des banlieues.
Vaut-il parfois mieux habiter une cité de La Courneuve qu’en Picardie ?
Le paradoxe est qu’une bonne partie des banlieues sensibles est située dans les métropoles, ces zones qui fonctionnent bien mieux que la France périphérique, là où se trouvent les vrais territoires fragiles. Les élites, qui habitent elles dans les métropoles considèrent que la France se résume à des cadres et des jeunes immigrés de banlieue. Ce qui émerge dans cette France périphérique, c’est une contre-société, avec d’autres valeurs, d’autres rapports au travail ou à l’État-providence. Même s’il y a beaucoup de redistribution des métropoles vers la périphérie, le champ des possibles est beaucoup plus restreint avec une mobilité sociale et géographique très faible. C’est pour cette raison que perdre son emploi dans la France périphérique est une catastrophe.
Pourquoi alors l’immigration pose-t-elle problème ?
Ce qui est fascinant, c’est la technicité culturelle des classes populaires et la nullité des élites qui se réduit souvent à raciste/pas raciste. Or, une personne peut être raciste le matin, fraternelle le soir. Tout est ambivalent. La question du rapport à l’autre est la question du village et comment celui-ci sera légué à ses enfants. Il est passé le temps où on présentait l’immigration comme « une chance pour la France ». Ne pas savoir comment va évoluer son village est très anxiogène. La question du rapport à l’autre est totalement universelle et les classes populaires le savent, pas parce qu’elles seraient plus intelligentes mais parce qu’elles en ont le vécu.
Marine Le Pen qui défend la France des invisibles, vous la voyez comme une récupération de vos thèses ?
Je ne me suis jamais posé la question de la récupération. Un chercheur doit rester froid même si je vois très bien à qui mes travaux peuvent servir. Mais après c’est faire de la politique, ce que je ne veux pas. Dans la France périphérique, les concurrents sont aujourd’hui l’UMP et le FN. Pour la gauche, c’est plus compliqué. Les deux vainqueurs de l’élection présidentielle de 2012 sont en réalité Patrick Buisson et Terra Nova, ce think-tank de gauche qui avait théorisé pour la gauche la nécessité de miser d’abord sur le vote immigré comme réservoir de voix potentielles pour le PS. La présidentielle, c’est le seul scrutin où les classes populaires se déplacent encore et où la question identitaire est la plus forte. Sarkozy a joué le « petit Blanc », la peur de l’arrivée de la gauche qui signifierait davantage d’islamisation et d’immigration. Mais la gauche a joué en parallèle le même jeu en misant sur le « petit Noir » ou le « petit Arabe ». Le jeu de la gauche a été d’affoler les minorités ethniques contre le danger fascisant du maintien au pouvoir de Sarkozy et Buisson. On a pu croire un temps que Hollande a joué les classes populaires alors qu’en fait c’est la note Terra Nova qui leur servait de stratégie. Dans les deux camps, les stratégies se sont révélées payantes même si c’est Hollande qui a gagné. Le discours Terra Nova en banlieue s’est révélé très efficace quand on voit les scores obtenus. Près de 90 % des Français musulmans ont voté Hollande au second tour.
La notion même de classe populaire a donc fortement évolué.
Il y a un commun des classes populaires qui fait exploser les définitions existantes du peuple. Symboliquement, il s’est produit un retour en arrière de deux siècles. Avec la révolution industrielle, on a fait venir des paysans pour travailler en usines. Aujourd’hui, on leur demande de repartir à la campagne. Toutes ces raisons expliquent cette fragilisation d’une majorité des habitants et pour laquelle, il n’y a pas réellement de solutions. C’est par le bas qu’on peut désamorcer les conflits identitaires et culturels car c’est là qu’on trouve le diagnostic le plus intelligent. Quand on vit dans ces territoires, on comprend leur complexité. Ce que le bobo qui arrive dans les quartiers populaires ne saisit pas forcément.
Christoph Guilluy (Le Figaro, 19 juillet 2013)
*Christophe Guilluy est un géographe qui travaille à l’élaboration d’une nouvelle géographie sociale. Spécialiste des classes populaires, il a théorisé la coexistence des deux France : la France des métropoles et la France périphérique. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage très remarqué : Fractures françaises.
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mercredi, 04 septembre 2013
Verso l’Eurasia da Dostoevskij a Limonov passando per i Cccp
di Luca Negri - Alfonso Piscitelli
Fonte: Barbadillo
Nell’ambito del progetto Eu-Rus vogliamo incontrare intellettuali italiani che si pongono il problema di un nuovo modello di civiltà europea, al di là del vecchio steccato tra Est ed Ovest. Il primo dialogo è con Luca Negri, firma della pagina culturale de Il Giornale, che nel suo ultimo libro (“Il ritorno del Guerin Meschino. Appunti per comprendere il nuovo Medio Evo”, Lindau) si impegna nella ricerca di quel modello. Come se fosse una post-moderna e cosciente “ricerca del Graal”.
Luca, in passato hai scritto un libro sulla curiosa vicenda di un gruppo musicale filo-sovietico. Cosa ti ha portato a interessarti alla band CCCP?
Ho scritto un libro su Giovanni Lindo Ferretti, cantante, scrittore, leader del gruppo punk chiamato CCCP – Fedeli alla linea.
Anche comico “comunista” della banda di Arbore …
No quello era Ferrini.
Ah!
Sono cresciuto con le canzoni di Ferretti ed ho affrontato un percorso simile al suo: dall’estrema sinistra al cristianesimo. La sua parabola ben illustra le interazioni tra le due grandi chiese italiane: quella cattolica e quella comunista.
In effetti anche i Brigatisti Rossi nascevano come chierichetti.
I CCCP erano interessanti perché nei primi anni ’80, quando tutti si ispiravano agli anglosassoni, preferirono guardare ad Est: un gruppo di “punk filosovietico” anche al di là del riferimento alla ideologia. Sentivano molto il fascino dell’Islam, della Cina, della Mongolia.
Cioè erano eurasiatisti ante litteram?
Sì. Il retro copertina del loro secondo album mostrava una carta geografica con al centro la Russia, a destra l’Asia e a sinistra l’appendice europea. Aggiungerei che erano affascinati dal mondo sovietico perché vedevano nella monumentalità del realismo socialista una residua traccia del Sacro ormai perso in Occidente.
Di lì a poco il sistema sovietico sarebbe crollato e sarebbe rinata la Russia delle sacre icone ortodosse.
Quella Russia non era mai morta, perché i semi gettati dai grandi pensatori russi come Dostoevskij continuavano a mettere radici sotto la terra e a influenzare la grande cultura europea.
Tu approfondisci questi autori nel tuo libro “Il ritorno del Guerin Meschino. Appunti per comprendere il nuovo medio evo”. Proprio Dostoevsky è un pensatore che affronta il problema tipicamente europeo del nichilismo. Quali le analogie e le differenze con Nietzsche?
Della questione si occupò ampiamente Julius Evola.
Certo, in Cavalcare la Tigre.
In effetti, alcuni eroi “negativi” del romanziere russo sembrano anticipare il nichilismo di Nietzsche. I “demoni” o gli “ossessi” di Dostoevskij sono, in fondo, individualità con una grossa tensione spirituale, che però si muovono in un mondo in cui Dio è morto, in un’epoca in cui l’antica concezione del Dio posto al di fuori degli uomini e non nell’interiorità, sta tramontando. Ecco perché cercano disperatamente risposte che non arrivano né dalla storia, né dalla politica. Sono martiri inconsapevoli di un nuovo cristianesimo a venire. Finiscono tragicamente, come lo stesso pensatore tedesco, perché la loro carica spirituale non riesce a risolvere le contraddizioni. Uniche soluzioni sembrano il suicidio, l’idiozia,il terrorismo, la follia.
Le tendenze più tragiche della modernità sarebbero dunque episodi di un “interregno” tra la vecchia concezione religiosa e una nuova manifestazione del Sacro?
Il nichilismo è appunto come una notte oscura dell’anima, o come un’opera al nero alchemica. Bisogna guardarlo in faccia. Non può essere eluso, come pretendono le anime belle con appelli sentimentali. Ma appunto, deve essere una, un passaggio, una verifica.
L’altro grande russo Tolstoj sembra più appartenere al mondo delle ideologie sociali ed è stato considerato per certi aspetti un precursore del comunismo.
Tolstoj ha delle responsabilità nella riduzione del cristianesimo a mera etica umanitaria. Tolstoj comprese che il Vangelo di Cristo non può essere ingabbiato dentro l’istituzione ecclesiastica (nel suo caso ortodossa) e deve diventare qualcosa di ancor più universale. Però non riuscì ad immaginare altro che una declinazione umanitaria, una vocazione sociale a stare dalla parte degli ultimi. Cosa giusta di per sé, ma c’è tutto l’aspetto mistico, oserei dire magico, che rischia di perdersi in questo discorso . Quello che servirebbe è un punto d’equilibrio fra la tensione metafisica di Dostoevskij e quella terrestre, di Tolstoj.
Un equilibrio tra vocazione celeste e terrestre. Mi viene in mente Florensky, che fu un grande mistico russo e uno dei principali scienziati del Novecento.
Pavel Florensky … anche detto il “Leonardo da Vinci” russo! La sua opera fu una sintesi di teologia, filosofia, critica d’arte, matematica, scienza applicata. È come se fosse riuscito a vedere tutto da una prospettiva superiore e unitaria. Fu sacerdote ortodosso e martire del comunismo. Avrebbe potuto scappare in Francia, come molti altri, ma preferì sopportare le stesse sofferenze del suo popolo. I comunisti si servirono di lui e gli concessero un poco di libertà proprio perché non potevano fare a meno delle sue conoscenze ed abilità tecniche. Ma alla fine lo spedirono in un Gulag e lo fucilarono.
Un pensatore europeo che intravede un grande compito per lo Spirito Russo è Rudolf Steiner, il fondatore dell’antroposofia.
Steiner vedeva ad Est, in Russia il futuro della civiltà europea e del cristianesimo. Dopo il cristianesimo romano nato con Pietro, quello luterano ispirato da Paolo, secondo Steiner arriverà il turno di quello slavo: il Cristianesimo di Giovanni …
… di Giovanni che vede in Cristo il Logos che illumina il Cosmo.
Un cristianesimo non troppo legato alle chiese, neppure a quelle ortodosse, ma vivo nelle individualità. Ecco che i nomi fatti precedentemente, Dostoevskij, Tolstoj, Florenskij ed altri come Soloviev Berdjaev, Merezkovski ci appaiono veramente come precursori di questo cristianesimo futuro.
Nel tuo libro parli anche di Drieu La Rochelle, che alla fine della seconda guerra mondiale guardava alla Russia come il polo di aggregazione di tutta l’Europa.
Drieu La Rochelle, come Berdjaev e Florenskij, auspicava un nuovo Medioevo in alternativa all’individualismo dell’Occidente illuminista. Affidò prima le sue speranze all’ideologia fascista, poi assistendo alla disfatta militare, guardò, nei suoi ultimi giorni di vita, alla Russia di Stalin.
Vi è però una grande differenza con i pensatori russi, che peraltro avevano sperimentato sulla loro pelle il bolscevismo: per loro la rinascita spirituale si sarebbe realizzata con il risveglio delle facoltà mistiche nell’umanità, a partire dai popoli slavi; Drieu invece era affascinato da un potere autoritario che imponesse dall’alto una nuova società. In questo senso, Berdjaev e Florenskij appaiono molto più moderni, maggiormente proiettati verso il futuro rispetto a Drieu che rimane legate alle soluzioni di tipo giacobino. E fa riflettere il fatto che il francese abbia alla fine scelto la strada del suicidio, come un disperato personaggio di Dostoevskij …
Per finire, mi dai un parere su Limonov?
Personaggio interessante con un trascorso a suo modo “punk” (e qui chiudiamo il cerchio aperto con Ferretti) e con una tensione metafisica che si sviluppa col passare degli anni. Può sembrare l’altra faccia di Putin: opposto e complementare. Se Putin incarna l’orgoglio nazionale, la realpolitik e il sentimento di rispetto per la tradizione religiosa, Limonov mi sembra un uomo nuovo. O quantomeno un buon punto di partenza!
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dimanche, 01 septembre 2013
Entretien avec Tracy Chamoun
Tracy Chamoun: “L'extrémisme islamiste existe aussi chez vous, dans les pays occidentaux"
Interview. Héritière d’une grande famille politique maronite brisée par la guerre civile, Tracy Chamoun déplore l’aveuglement euro-américain. Rencontre sur fond de crise syrienne. Son grand-père, Camille Chamoun, fut président de la République libanaise de 1952 à 1958.
Lire aussi:
> Syrie : des experts de l’ONU attaqués
> Quand la chimie fait la guerre
> La vérité sur les armes chimiques en Syrie
> Syrie: les options du Pentagone
Son père, Dany, fut assassiné, en octobre 1990, avec sa femme et deux de ses jeunes enfants, par d’autres chrétiens. Alors âgée de 30 ans, résidant à l’étranger, Tracy échappa au massacre. Elle en tira un premier livre passionné et déchirant, Au nom du père (JCLattès, 1992). Son nouvel ouvrage, le Sang de la paix, se veut plus serein, porteur de valeurs pour l’avenir du Liban, tout en rappelant les responsabilités libanaises ou étrangères dans le sort de son pays. Elle est particulièrement sévère pour le chrétien Samir Geagea, le chef des Forces libanaises, et pour le clan sunnite Hariri. On peut ne pas partager toutes ses colères, on peut réfuter telle ou telle de ses analyses, mais ses épreuves, son courage et sa force de conviction font de Tracy Chamoun, 53 ans, une voix qui porte. Il faut savoir l’écouter.
Que représente votre engagement ?
J’ai un héritage politique à assumer, pour sauvegarder la démocratie et la liberté au Liban. Mes valeurs sont celles de la tradition libérale de ma famille : le non-confessionnalisme, l’égalité, la diversité, la défense de cette passerelle unique que représente le Liban entre l’Orient et l’Occident.
Que signifie être libéral-démocrate au Liban ?
Aujourd’hui, pas grand-chose. On nous vole nos droits démocratiques en nous privant d’élections législatives sous de faux prétextes. On nous prive d’une loi électorale qui favoriserait la représentation des différentes communautés. Ils amendent la Constitution comme bon leur semble pour proroger les mandats de nos hauts fonctionnaires d’une façon inconstitutionnelle.
Pourquoi le camp chrétien est-il encore si divisé ?
Il a été délibérément divisé. Faire sortir Samir Geagea de prison, en 2005, fut un choix politique. Il avait été arrêté en 1994, condamné à mort puis à la prison à vie pour avoir commis des crimes contre sa propre communauté, ce qui divisa et affaiblit les chrétiens, en vue de contrer le général Aoun.
Pouvez-vous pardonner aux chrétiens qui vous ont fait tant de mal ?
Les chrétiens ne m’ont fait aucun mal. Certains chefs chrétiens, oui, en particulier Samir Geagea, lorsqu’il commandita l’assassinat de ma famille.
Comprenez-vous l’alliance entre le général Aoun et le Hezbollah chiite ?
L’alliance entre chrétiens et chiites date de l’époque de mon grand-père. Il en fut même l’instigateur. Elle devait préserver ces communautés. L’étiquette terroriste est une qualification occidentale qui sert des intérêts politiques régionaux, mais le Hezbollah est un parti politique qui représente un très grand nombre de chiites.
Le Liban peut-il s’apaiser avec ce parti qui conserve sa milice armée ?
La résistance est une composante essentielle de la défense du pays contre les agressions successives d’Israël. Tant que nous n’avons pas une armée forte, on ne pourra pas se passer de la résistance armée du Hezbollah. Son désarmement devra se faire dans un contexte plus large de dialogue national, sous l’autorité de l’État libanais.
Comment évaluez-vous la crise en Syrie ?
Les intérêts de la communauté chrétienne du Liban sont intimement liés à la survie du régime de Bachar al-Assad. Il représente la seule option laïque face à la poussée de l’extrémisme islamiste et djihadiste. Nous avons combattu les Syriens lorsqu’ils occupaient notre pays, mais ils sont partis. Nous savons que la survie de notre communauté dépend de nos alliances avec toutes les minorités dans la région.
Pourquoi dites-vous que l’avenir de l’Occident se joue au Liban ?
Parce que la formule de coexistence au Liban est aussi une référence de base pour la survie des communautés occidentales. L’extrémisme islamiste qui émerge du conflit syrien existe aussi chez vous, dans les pays occidentaux, dont la France, qui alimentent ce conflit en hommes. Le risque est de voir cet extrémisme revenir chez vous, dans vos pays.
Que dire aux amis du Liban qui désespèrent du pays du Cèdre ?
Réveillez-vous !
Le Sang de la paix, de Tracy Chamoun, JCLattès, 200 pages, 19 €.
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samedi, 31 août 2013
Les attaques chimiques sont un coup monté
Syrie :
"Les attaques chimiques
sont un coup monté"
En exil depuis 35 ans, l’opposant Haytham Manna, responsable à l’étranger du Comité de Coordination nationale pour le changement démocratique (opposition syrienne non armée), s’oppose avec force à toute intervention étrangère contre son pays.
L’utilisation d’armes chimiques en Syrie pourrait amener les Occidentaux à "punir" le régime. Qu’en pensez-vous ?
HAYTHAM MANNA : Je suis totalement contre, tout comme la coordination que je dirige. Cela ne fera que renforcer le régime. Ensuite, une intervention risque d'attiser encore plus la violence, d'ajouter de la destruction à la destruction et de démanteler un peu plus la capacité de dialogue politique. Le régime est le premier responsable car il a choisi l’option militaro-sécuritaire. Mais comment peut-on parler de guerre contre le terrorisme et donner un coup de main à des extrémistes affiliés à Al Qaeda ?
Les Occidentaux choisissent la mauvaise option, selon vous ?
Depuis le début, c’est une succession d’erreurs politiques. Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont poussé les parties à se radicaliser. Ils n’ont pas empêché le départ de djihadistes vers la Syrie et ont attendu très longtemps avant d’évoquer ce phénomène. Où est la démocratie dans tout ce projet qui vise la destruction de la Syrie ? Et pensez-vous que ce soit la morale qui les guide ? Lors du massacre d’Halabja [commis par les forces de Saddam Hussein en 1988], ils ont fermé les yeux. Je m’étonne aussi de voir que les victimes d’armes chimiques sont bien davantage prises en considération que les 100 000 morts qu’on a déjà dénombrés depuis le début du conflit.
Qui est responsable du dernier massacre à l’arme chimique ?
Je n’ai pas encore de certitude mais nos informations ne concordent pas avec celles du président Hollande. On parle de milliers de victimes, alors que nous disposons d’une liste de moins de 500 noms. On est donc dans la propagande, la guerre psychologique, et certainement pas dans la vérité. Ensuite, les armes chimiques utilisées étaient artisanales. Vous pensez vraiment que l’armée loyaliste, surmilitarisée, a besoin de cela ? Enfin, des vidéos et des photos ont été mises sur Internet avant le début des attaques. Or ce matériel sert de preuve pour les Américains !
Pensez-vous qu’une partie au conflit a voulu provoquer les Occidentaux à intervenir ?
C’est un coup monté. On sait que les armes chimiques ont déjà été utilisées par Al Qaeda. Or l’Armée syrienne libre et les groupes liés à Al Qaeda mènent en commun 80% de leurs opérations au nord. Il y a un mois, Ahmad Jarba [qui coordonne l’opposition armée] prétendait qu’il allait changer le rapport de forces sur le terrain. Or c’est l’inverse qui s’est produit, l’armée loyaliste a repris du terrain. Seule une intervention directe pourrait donc aider les rebelles à s’en sortir… Alors, attendons. Si c’est Al Qaeda le responsable, il faudra le dire haut et fort. Si c’est le régime, il faudra obtenir une résolution à l’ONU. Et ne pas laisser deux ou trois payer fédérer leurs amis, pas tous recommandables d’ailleurs.
Entre Occidentaux et Russes, quelle position vous semble la plus cohérente ?
Les Russes sont les plus cohérents car ils travaillent sérieusement pour les négociations de Genève 2 [sensées mettre autour d’une même table le régime et les opposants]. Les Américains ont triché. Deux ou trois fois, ils se sont retirés, au moment où s’opérait un rapprochement.
Une solution politique est-elle encore possible ?
Tout est possible mais cela dépendra surtout des Américains. Les Français se contentent de suivre. Une solution politique est la seule qui permettra de sauver la Syrie. Mais l’opposition armée ne parvient pas à se mettre d’accord sur une délégation.
Que deviendra Bachar al Assad?
Il ne va pas rester. Si les négociations aboutissent, elles mèneront de facto à un régime parlementaire. Si du moins on accepte de respecter le texte de base de Genève 2 qui est le meilleur texte, avec par-dessus un compromis international. Mais laissez-moi dire ceci : quand on parle de massacrer des minorités, et que le président fait partie d’une minorité, comment peut-on lui demander de se retirer ou ne pas se retirer ? Aujourd’hui, la politique occidentale a renforcé sa position de défenseur de l’unité syrienne et des minorités. Cela dit, personne ne pourra revendiquer de victoire : la violence est devenue tellement aveugle qu’il faudrait vraiment un front élargi de l’opposition et du régime pour en venir à bout.
François Janne d’Othée
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jeudi, 29 août 2013
Европа, глобализация и метаполитика
Европа, глобализация и метаполитика
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jeudi, 22 août 2013
U.S., Britain and New Big Game in Near East
U.S., Britain and New Big Game in Near East
Interview with Jeffrey Steinberg
1. Please give us a brief review of the contemporary situation in Egypt with respect to the recent government change and the recent riots, in Syria with respect to the ongoing civil war and insurgency, and in Turkey with respect to the recent socio-political crisis encountered by the Erdogan government.
The three situations must be treated as distinct but clearly all part of the same mosaic of change in the region. Regarding Egypt, more and more evidence is coming out publicly, indicating that the Morsi government was more interested in consolidating absolute Muslim Brotherhood control over the state apparatus than in governing on behalf of the entire Egyptian people. When somewhere between 10 and 22 million Egyptians turned out on the street on June 30 in a peaceful protest, demanding Morsi’s resignation, the Egyptian generals acted on that popular mandate. This is an old story in Egypt. The Army comes out of the Nasser tradition and sees itself as the guardians of the nation. They had evidence that the Muslim Brotherhood was planning a purge of the top generals, arrests of opposition leaders and a move to consolidate the “Ikhwanization” of the country. The interaction between the top leaders of the Muslim Brotherhood and the Army was intense prior to, during and after the ouster of Morsi. This is an ongoing process. Unless the Muslim Brotherhood decides to launch an all-out military campaign to take back power, they will be incorporated into the political process, including the upcoming elections. Morsi and Khayrat al-Shatar, the power behind the scenes within the Muslim Brotherhood, made the mistake of presuming that the Obama Administration would assure that they remained in power by pressuring the Army to stay in the barracks, regardless of what happened on June 30. Ultimately, the Muslim Brotherhood failed to live up to the mandate that they were given by the Egyptian people. General Martin Dempsey, the wise Chairman of the U.S. Joint Chiefs of Staff recently observed that modern history has seen very few successful revolutions. He noted that in almost every instance, except for the American Revolution, the first generation got it wrong, the next generation in power overcompensated and also got it wrong, and the third generation managed to get it mostly right. We are at the very early stages of the Egyptian revolution. Economic well-being for the vast majority of Egyptians is the ultimate test. Egypt has water, which is the most precious commodity in the region, and has the capacity to grow vast amounts of food. Development projects have been on the drawing board for a long time. This will be the measure of success of the future governments.
The Syria crisis is a tragedy in almost every respect. No one involved in the Syria events of the past two-and-a-half years is immune from some responsibility for the bloodshed and the near-total destruction of a nation. A country that was once a model of communal integration (Sunni, Shiite, Alawite, Kurd, Druze, Christian) and was a birthplace of Christianity has been thoroughly Balkanized into warring factions. Outside powers played the Syrian situation to their own interests and advantages. President Obama, declared that President Bashar al-Assad had to go almost two years ago, before receiving any intelligence or military assessments of the situation there. Saudi Arabia, Qatar and Turkey all jumped into the situation early on, promoting an armed Syrian opposition that was expected to oust President Assad in short order. Now, Syria is the epicenter of a regional sectarian conflict between Sunni and Shiites/Alawites that has spread to Turkey, Iraq, Lebanon, Jordan. The British have been promoting just such a sectarian “Hundred Years War” within the Muslim world as part of a classic Malthusian population reduction campaign. Saudi hatred for the Syrian Alawites has been exploited by London, assuring that arms and cash have been flowing into the hands of a global Sunni jihadist apparatus. Now, the Obama Administration is weighing in with covert support for a more “moderate” anti-Assad Free Syrian Army, centered in Jordan. Weapons that were confiscated after the execution of Muammar Qaddafi in Libya in late 2011 have been smuggled into the hands of Syrian rebels, including the Al Qaeda-linked Al Nusra Front since April 2012. The program has been coordinated out of the Obama White House and managed by the CIA. President Obama has his own “Iran-Contra” scandal brewing and is attempting to cover up for crimes that have been ongoing for over a year and which could lead to his impeachment. At one point, the danger of the Syrian crisis triggering a global war prompted US Secretary of State John Kerry and Russian Foreign Minister Sergei Lavrov to attempt to convene a Geneva II peace conference, as a way to avoid the situation slipping totally out of anyone’s control. That Geneva II option remains the last best hope that further destruction of the entire region, and a possible trigger for general war can be prevented.
There are some significant parallels between the Erdogan government in Turkey and the recently deposed Morsi Muslim Brotherhood government in Egypt. Since coming into power, Prime Minister Erdogan had pursued a policy of economic and political cooperation with all of Turkey’s neighbors. That policy served Turkey well for several years, building trade with Russia and Iran, settling Kurdish conflicts involving both Turkey and Syria, and building a strong economic bridge with the Kurdish Regional Government in Iraq, without damaging Ankara-Baghdad relations. When the Syrian protests erupted in early 2011, President Obama urged Prime Minister Erdogan (one of the few foreign heads of state to have any kind of personal relationship with the US President) to “take the lead” in pressing for Assad’s rapid removal from power. Erdogan presumed that Washington would make good on its demand for Assad’s removal from power. Given the US role in the overthrow and execution of Qaddafi in Libya, and given the Obama Administration’s strong promotion of humanitarian interventionism and “R2P” (“Responsibility to Protect”), post-Westphalian dogmas permitting a full range of intervention into the internal affairs of formerly sovereign states, Erdogan was not totally foolish in his expectation that Washington would run a replay of Libya in the Eastern Mediterranean and Assad’s days were numbered. That prospect never materialized, and as the result, the Turkish people are becoming disillusioned with the Erdogan AKP approach. The Turkish Army, having been a target of Erdogan purges, is becoming restless. The Turkey situation has become an important piece of the regional disintegration. Economic and political agreements with Iran, Russia, Syria and even Iraq are now in doubt. Turkey is facing a period of potential turmoil. The European economic crisis, far from being solved, will add further fuel to the fire in Turkey.
2. What is nature of the Arab Spring, and how do you see the Arab Spring developing in the future?
There are two dimensions to the Arab Spring that are generally ignored. First, a combination of economic depravations and political persecution created a “perfect storm” for popular dissatisfaction to spill over into mass action. In Tunisia, as well as Egypt, a well-educated segment of youth revolted over the fact that they had no prospect for a future in their own country. The initial impulse was that of a classic “mass strike” when a large percentage of the population concluded that they had nothing left to lose, and they seized upon a symbolic event and launched a public demand for change. Second, once events on the ground reached a critical mass, external political forces intervened for self-serving reasons. London wants a permanent war of “each against all” to reduce the population levels in the developing world. Saudi Arabia and Qatar, two rival Wahhabi monarchies, began pouring money into contending factions of the Islamist opposition and the militaries. The Obama Administration concluded that the Muslim Brotherhood were the safest representatives of “political Islam” and began backing them in both Egypt and Syria. The fact that the United States has turned Qatar into a forward-based hub of Washington power projection in the region has, up until the recent change of power in Qatar, meant a combined Doha-Washington backing for the Muslim Brotherhood as the “pragmatic” Islamists. There is a serious reassessment now underway in Washington. The outside factors made it impossible for the internal dynamics of Egypt and Syria to come to an understanding about a way forward. At no time was there adequate outside economic assistance to provide breathing room for a raw political process to evolve. The standard IMF recipes for economic starvation and “shock therapy” privatization and de-subsidization made matters worse.
3. What is the role of the Muslim Brotherhood in Syria and in Egypt?
Historically, the Muslim Brotherhood was a creation of the Sykes-Picot colonial process and of British intelligence. The organization evolved, spread, spawned a far more virulent network of more radical jihadists including Al Qaeda. A long exile in Saudi Arabia, following the Nasser crackdown against the Brotherhood beginning in the 1950s, spawned a new neo-Salafist phenomenon. When Hafez Assad launched his own harsh crackdown against the Syrian Muslim Brothers in the early 1980s, that led to a second wave migration and exile in Saudi Arabia. Under the influence of Dr. Bernard Lewis, a British intelligence “Arabist” who is also a leading Zionist, successive American administrations adopted the “Islamic Card” as a tool to bring down the Soviet Union. The Afghan War of the 1980s saw British and American intelligence deepen the alliance with the Muslim Brothers. This spawned Al Qaeda and a large number of groups that were foreign fighters brought to Afghanistan as “muhahideen” trained and armed to fight the “Godless” Soviet Red Army. The Libyan Islamic Fighting Group (LIFG), an arm of Al Qaeda created by Afghanzi fighters who returned to Libya after that Soviet withdrawal from Afghanistan, is exemplary of the spreading neo-Salafist problem that emerged out of the “Bernard Lewis Plan” to play Islam against Communism. When Communism collapsed in the early 1990s, the West in general and the United States in particular became the “New Satan” to be targeted. The Obama Administration’s belief that the Muslim Brotherhood was potential allies led to a string of policy blunders and mishaps that are still playing out. In recent weeks, Washington’s love affair with the Muslim Brotherhood has fractured. The ouster of the Emir and prime minister of Qatar has weakened the financial support for the Muslim Brotherhood. It is too early to say what the next phase of the process will look like, but the naïve presumptions about the Muslim Brotherhood are being severely challenged right now.
4. Is there a difference between the policy supported by General Dempsey and Defence Secretary Hagel on the one hand and the State Department and White House forces on the other? If yes, please explain these differences.
There are significant differences. General Dempsey is a leading figure in a war-avoidance faction inside the governing institutions of the United States. He has taken a courageous stand, opposing direct US military engagement in Syria. He wants to bring home the American troops who have been engaged for over a decade in Afghanistan, and he wants to assure that there is never again a long war that drains the armed forces and the nation’s resources of the US. He has the backing of Defense Secretary Hagel in this quest. General Dempsey believes that it is a priority to deepen cooperation with Russia and China, the other two leading world military powers. He judges all military options from a global overview. The contrasting views inside the Obama Administration are centered at the White House with people like Dr. Susan Rice and the former Special Assistant to the President Samantha Power, now the President’s nominee to replace Rice at the UN. They are extreme proponents of humanitarian interventionism. In that respect the “liberal” humanitarian interventionists are soul mates of the neoconservatives of the Bush-Cheney era. It is ironic but also not surprising that the leading war-avoidance forces in the United States are active duty and retired flag officers of the armed forces, who have lived through the hell of the post-911 long wars and want no more of it. They are painfully aware that a conflict that pits the United States against Russia and/or China could lead to thermonuclear war and extinction of mankind. They understand war as Dr. Rice and Samantha Power (and President Obama) do not.
5. What is the role of Israel and of the U.S. Israeli lobby in the contemporary upheaval in the Middle East and the Eastern Mediterranean in general?
The Revisionist Zionist Movement, founded by Jabotinsky and now ruling Israel under Netanyahu, is a British colonial creation—part of the divide and conquer strategy that the British and French imposed on the Middle East from the end of World War I. Israel and the Israeli Lobby, as such, are expendable pawns in the larger British game. To the extent that Israel has any pretence of being a sovereign state, they have been pursuing a series of tragic self-destructive policies ever since the assassination of Prime Minister Yitzhak Rabin in 1995 after his historic Oslo Agreement with Yasser Arafat and the PLO. Without a drastic change in policy, Israel is likely doomed. The Israeli Lobby is a powerful force in Washington politics but is not all-powerful. Right now, their focus is on Iran. Their primary objective is to keep up pressure on President Obama to where he will eventually take military action for regime change in Iran. That could be a trigger for all-out war, which is exactly what General Dempsey and the rest of the JCS want to avoid at all costs. Israel was, ironically, sidelined as a minor player in the unfolding events in Egypt and Syria. There is no good outcome of the Syrian mess from Israel’s standpoint. They had a truce with the Assad governments in Syria and came close on several occasions to formalizing it in a Camp David-style treaty with Damascus. Israel may appreciate the benefits of the Syrian Army being gutted, but they do not welcome a Jihadist state on their northern border. The British will sell out Israel in a heart-beat to pursue their new game of permanent brutal sectarian war within Islam.
6. Which is the strategy of Netanyahu and the Zionist political forces in general in the fields of geopolitics and geoeconomics?
The Netanyahu Zionists want to maintain the status quo of gradual absorbtion of the entirety of the West Bank into a Jewish state. They will exploit so-called peace negotiations with the Palestinians to stall, as new settlement expansion accelerates by the day. As pawns of larger forces, including the British, they do not really have a strategic vision. They have integrated their high-tech aerospace and electronics sector into the United States economy to such an extent that they are defacto the 51st state. Most Israeli high-tech companies have their stock traded on the NASDAQ exchange in New York. A majority of Israeli Jews are so fed up with the madness dominating Israeli politics that they would prefer to live in the United States.
Interviewed by Dr Nicolas Laos (member of the faculty of International Relations at the University of Indianapolis, Athens Campus (Greece) and a columnist of the Greek political daily newspaper "Ellada").
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jeudi, 11 juillet 2013
Ernst Jünger et la révolution conservatrice
Dominique Venner, Le choc de l'histoire
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dimanche, 07 juillet 2013
Entretien avec Pierre Le Vigan
« J’ai écrit jeune dans des revues ou bulletins de la droite radicale.
J’y ai toujours un peu fait figure d’atypique, mais en fait, il y a bien plus d’atypiques qu’on ne le croit dans ce milieu »
Entretien avec Pierre Le Vigan, auteur du Front du Cachalot (éditions Dualpha)
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Né en 1956, Pierre Le Vigan a grandi en proche banlieue de Paris. Il est urbaniste et a travaillé dans le domaine du logement social. Collaborateur de nombreuses revues depuis quelque 30 ans, il a abordé des sujets très divers, de la danse à l’idéologie des droits de l'homme, en tentant toujours de s'écarter des pensées préfabriquées. Attentif tant aux mouvements sociétaux ou psychiques qu'aux idées philosophiques, il a publié, notamment dans la revue Éléments, des articles nourris de ses lectures et de ses expériences et a été un des principaux collaborateurs de Flash Infos magazine.
Pour quoi avoir réuni vos carnets sous ce titre ?
C’est le mystère que j’ai voulu exprimer, le mystère de nos destinées, de notre présence terrestre. D’où mon allusion au front « chaldéen », donc difficilement déchiffrable, et toujours polysémique, du cachalot, front plein de traces, de griffures, de vestiges. Cet animal, un cétacé et un mammifère, est un peu notre frère et notre double. C’est le miroir de notre force et de notre fragilité. C’est pourquoi Philippe Randa a mis une photo de cachalot sur la couverture de mon livre.
Racontez-nous votre itinéraire…
En deux mots, j’ai écrit jeune dans des revues ou bulletins de la droite radicale, dirigés par Maurice Bardèche, François Duprat et Jean-Gilles Malliarakis, notamment. J’y ai toujours un peu fait figure d’atypique, mais en fait, il y a bien plus d’atypiques qu’on ne le croit dans ces milieux. Très vite, je me suis intéressé à la Nouvelle droite en étant malgré tout un peu allergique à certains de ses aspects, jusqu’en 1975/1980. Après, je me suis retrouvé de plus en plus en phase avec les gens d’Éléments, qui est d’ailleurs le magazine qui a accueilli une partie de mes carnets avant leur publication dans Le Front du Cachalot.
De quoi parlez-vous dans Le Front du Cachalot ?
De politique, de l’amour, de l’art, des doutes… C’est un peu une maïeutique. Elle est à usage collectif. Le moi n’est pas important. Ce qui compte, c’est le « nous » : comment allons « nous » construire quelque chose ensemble ? Comment allons-nous « nous » libérer de ce monde gris et moche de la marchandise, de la « pub », de la non-pensée, des slogans ?
Vous parlez de maïeutique à propos de vos carnets, c’est donc un peu une histoire de réminiscence ?
Oui, le chaldéen auquel je faisais allusion, c’est une langue, c’est l’araméen, cela remonte loin. Je pars du principe suivant : nous en savons toujours plus que nous ne le croyons, plus sur nous et plus sur le monde. Seulement, cela nous encombre un peu, ce que nous savons. Cela nous fait peur, alors nous travaillons à oublier ce que nous savons.
Le Front du Cachalot de Pierre Le Vigan, éditions Dualpha, collection «À nouveau siècle, nouveaux enjeux», dirigée par Philippe Randa, 578 pages, 35 euros.
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vendredi, 05 juillet 2013
Les enjeux écologiques et énergétiques par Laurent Ozon
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jeudi, 04 juillet 2013
Dominique Venner: entretien sur la chasse
Dominique Venner: entretien sur la chasse
Ex: http://archaion.hautetfort.com/
Voici, datant de 2001, un entretien avec Dominique Venner, publié à l’occasion de la parution de son Dictionnaire amoureux de la chasse. Il me paraît convenir, pour un dernier adieu, de laisser parler Dominique Venner.
Christopher Gérard: Qui êtes-vous ? Comment vous définissez-vous ? Un loup-garou, un gerfaut ?
Je suis un Français d’Europe, un Européen de langue française, d’ascendance celtique et germanique. Par mon père, je suis d’une ancienne souche paysanne et lorraine, venue de Suisse alémanique au XVIIe siècle. La famille de ma mère, où l’on était souvent militaire, est originaire de Provence et du Vivarais. Moi-même je suis né à Paris. La généalogie a donc fait de moi un Européen. Mais la naissance serait une qualité insuffisante sans la conscience d’être ce que l’on est. Je n’existe que par des racines, une tradition, une histoire, un territoire. J’ajoute que, par destination, j’étais voué à l’épée. Il en est sûrement resté quelque chose dans l’acier de ma plume, instrument de mon métier d’écrivain et d’historien. Faut-il ajouter à ce bref portrait l’épithète de loup-garou ? Pourquoi pas ? Effroi des bien-pensants, initié aux mystères de la forêt, le loup-garou est un personnage en qui je peux me reconnaître.
Dans Le Cœur rebelle (Belles Lettres, 1994), vous évoquez avec sympathie “ un jeune homme intolérant qui portait en lui comme une odeur d’orage ” : vous-même au temps des combats militaires en Algérie puis politiques en France. Qui était donc ce jeune Kshatriya, d’où venait-il, quels étaient ses maîtres, ses auteurs de prédilection ?
C’est ici que l’on retrouve l’allusion au “ gerfaut ” de votre première question, souvenir d’une époque grisante et dangereuse où le jeune homme que j’étais croyait pouvoir inverser un destin contraire par une violence assumée. Cela peut paraître extrêmement présomptueux, mais, à l’époque, je ne me reconnaissais pas de maître. Certes, j’allais chercher des stimulants et des recettes dans le Que faire? de Lénine ou dans Les Réprouvés d’Ernst von Salomon. J’ajoute que des lectures enfantines avaient contribué à me forger une certaine vision du monde qui s’est finalement assez peu démentie. En vrac, je citerai Éducation et discipline militaire chez les Anciens, petit livre sur Sparte qui me venait de mon grand-père maternel, un ancien officier, La Légende de l’Aigle de Georges d’Esparbès, La Bande des Ayaks de Jean-Louis Foncine, L’Appel de la forêt de Jack London, en attendant de lire beaucoup plus tard l’admirable Martin Eden. Il s’agissait là des livres formateurs de ma dixième ou douzième année. Plus tard, vers vingt ou vingt-cinq ans, j’étais naturellement passé à d’autres lectures, mais les librairies étaient alors peu fournies. C’était une époque de pénurie intellectuelle dont on n’a pas idée aujourd’hui. La bibliothèque d’un jeune activiste, même dévoreur de livres, était mince. Dans la mienne, en plus d’ouvrages historiques, figurait en bonne place Réflexions sur la violence de Georges Sorel, Les Conquérants de Malraux, Généalogie de la morale de Nietzsche, Service inutile de Montherlant ou encore Le Romantisme fasciste de Paul Sérant, révélation des années soixante. On voit que cela n’allait pas très loin. Mais si mes idées étaient courtes, mes instincts étaient profonds. Très tôt, alors que j’étais encore soldat, j’avais senti que la guerre d’Algérie était bien autre chose que ce qu’on en disait ou que pensaient les naïfs défenseurs de l’“ Algérie française ”. J’avais perçu qu’il s’agissait pour les Européens d’un combat identitaire puisqu’en Algérie ils étaient menacés dans leur existence même par un adversaire ethnique. J’avais senti également que nous défendions là-bas — très mal — les frontières méridionales de l’Europe. Contre les invasions, les frontières se défendent toujours au-delà des mers ou des fleuves.
Dans ce même livre, qui est un peu votre autobiographie, vous écrivez : “ Je suis du pays de l’arbre et de la forêt, du chêne et du sanglier, de la vigne et des toits pentus, des chansons de geste et des contes de fées, du solstice d’hiver et de la Saint-Jean d’été ”. Quel drôle de paroissien êtes-vous donc ?
Pour dire les choses de façon brève, je suis trop consciemment européen pour me sentir en rien fils spirituel d’Abraham ou de Moïse, alors que je me sens pleinement celui d’Homère, d’Epictète ou de la Table Ronde. Cela signifie que je cherche mes repères en moi, au plus près de mes racines et non dans un lointain qui m’est parfaitement étranger. Le sanctuaire où je vais me recueillir n’est pas le désert, mais la forêt profonde et mystérieuse de mes origines. Mon livre sacré n’est pas la Bible, mais l’Iliade (1), poème fondateur de la psyché occidentale, qui a miraculeusement et victorieusement traversé le temps. Un poème qui puise aux mêmes sources que les légendes celtiques et germaniques dont il manifeste la spiritualité, si l’on se donne la peine de le décrypter. Pour autant, je ne tire pas un trait sur les siècles chrétiens. La cathédrale de Chartres fait partie de mon univers au même titre que Stonehenge ou le Parthénon. Tel est bien l’héritage qu’il faut assumer. L’histoire des Européens n’est pas simple. Après des millénaires de religion indigène, le christianisme nous fut imposé par une suite d’accidents historiques. Mais il fut lui-même en partie transformé, “ barbarisé ” par nos ancêtres, les Barbares, Francs et autres. Il fut souvent vécu comme une transposition des anciens cultes. Derrière les saints, on continuait de célébrer les dieux familiers sans se poser de grandes questions. Et dans les monastères, on recopiait souvent les textes antiques sans nécessairement les censurer. Cette permanence est encore vraie aujourd’hui, mais sous d’autres formes, malgré les efforts de prédication biblique. Il me semble notamment nécessaire de prendre en compte l’évolution des traditionalistes qui constituent souvent des îlots de santé, opposant au chaos ambiant leurs familles robustes, leurs enfants nombreux et leur groupement de jeunes en bonne forme. La pérennité de la famille et de la patrie dont ils se réclament, la discipline dans l’éducation, la fermeté dans les épreuves n’ont évidemment rien de spécifiquement chrétien. Ce sont les restes de l’héritage romain et stoïcien qu’avait plus ou moins assumé l’Église jusqu’au début du XXe siècle. Inversement, l’individualisme, le cosmopolitisme actuel, le culpabilisme sont bien entendu les héritages laïcisés du christianisme, comme l’anthropocentrisme extrême et la désacralisation de la nature dans lesquels je vois la source d’une modernité faustienne devenue folle et dont il faudra payer les effets au prix fort.
Dans Le Cœur rebelle, vous dites aussi “ Les dragons sont vulnérables et mortels. Les héros et les dieux peuvent toujours revenir. Il n’y a de fatalité que dans l’esprit des hommes ”. On songe à Jünger, que vous avez connu, qui voyait à l’œuvre Titans et Dieux…
Tuer en soi les tentations fatalistes est un exercice qui ne tolère pas de repos. Quant au reste, laissons aux images leur mystère et leurs radiations multiples, sans les éteindre par une interprétation rationnelle. Le dragon appartient de toute éternité à l’imaginaire occidental. Il symbolise tour à tour les forces telluriques ou les puissances malfaisantes. C’est par la lutte victorieuse contre un monstre qu’Héraclès, Siegfried ou Thésée ont accédé au statut de héros. A défaut de héros, il n’est pas difficile de reconnaître dans notre époque la présence de divers monstres que je ne crois pas invincibles même s’ils le paraissent.
Dans votre Dictionnaire amoureux de la chasse (Plon, 2000), vous dévoilez les secrets d’une passion fort ancienne et vous décrivez à mots couverts les secrets d’une initiation. Que vous ont apporté ces heures de traques, en quoi vous ont-elles transformé, voire transfiguré ?
Malgré son titre, ce Dictionnaire amoureux n’a rien d’un dictionnaire. Je l’ai conçu comme un chant panthéiste dont la chasse est le prétexte. Je dois à celle-ci mes plus beaux souvenirs d’enfance. Je lui dois aussi d’avoir pu survivre moralement et de m’être rééquilibré dans les périodes de désespoir affreux qui ont suivi l’effondrement de mes espérances juvéniles. Avec ou sans arme, par la chasse, je fais retour à mes sources nécessaires : la forêt enchantée, le silence, le mystère du sang sauvage, l’ancien compagnonnage clanique. A mes yeux, la chasse n’est pas un sport. C’est un rituel nécessaire où chacun, prédateur ou proie, joue la partition que lui impose sa nature. Avec l’enfantement, la mort et les semailles, je crois que la chasse, si elle est vécue dans les règles, est le dernier rite primordial à échapper partiellement aux défigurations et manipulations mortelles de la modernité.
Toujours dans ce livre, vous évoquez plus d’un mythe ancien, plus d’une figure de panthéons encore clandestins. Je pense au mythe de la Chasse sauvage et à la figure de Mithra. Que vous inspirent-ils ?
On pourrait allonger la liste, notamment avec Diane-Artémis, Déesse des enfantements, protectrice des femmes enceintes, des femelles pleines, des enfants vigoureux, de la vie à son aurore. Elle est à la fois la grande prédatrice et la grande protectrice de l’animalité, ce que sont aussi les meilleurs chasseurs. Sa figure s’accorde avec l’idée que les Anciens se faisaient de la nature, tout à l’opposé de l’image douceâtre d’un Jean-Jacques Rousseau et des promeneurs du dimanche. Ils la savaient redoutable aux faibles et inaccessible à la pitié. C’est par la force qu’Artémis défend le royaume inviolable de la sauvagerie. Elle tue férocement les mortels qui, par leurs excès, mettent la nature en péril. Ainsi en fut-il de deux chasseurs enragés, Orion et Actéon. En l’outrageant, ils avaient transgressé les limites au-delà desquelles l’ordre du monde bascule dans le chaos. Le symbole n’a pas vieilli, bien au contraire.
S’il est une figure omniprésente dans votre livre, c’est la forêt, refuge des proscrits et des rebelles…
Toute la littérature du Moyen Age, chansons de geste ou roman du cycle breton, gorgée qu’elle est de spiritualité celtique, brode invariablement sur le thème de la forêt, univers périlleux, refuge des esprits et des fées, des ermites et des insoumis, mais également lieu de purification pour l’âme tourmentée du chevalier, qu’il s’appelle Lancelot, Perceval ou Yvain. En poursuivant un cerf ou un sanglier, le chasseur pénétrait son esprit. En mangeant le cœur du gibier, il s’appropriait sa force même. Dans le Lai de Tyolet, en tuant le chevreuil, le héros devient capable de comprendre l’esprit de la nature sauvage. Je ressens cela très fortement. Pour moi, aller en forêt est beaucoup plus qu’un besoin physique, c’est une nécessité spirituelle.
Pouvez-vous conseiller quelques grands romans de chasse toujours disponibles ?
Je pense d’emblée aux Veillées de Saint-Hubert du marquis de Foudras, recueil de nouvelles qui vient d’être réédité par Pygmalion. Foudras était un merveilleux conteur, comme son compatriote et successeur Henri Vincenot — dont il faut lire naturellement La Billebaude. Il était à l’univers des châteaux et de l’ancienne vénerie ce que Vincenot est à celui des chaumières et de la braconne. Parmi les grands romans qui font accéder aux mystères de la chasse, je place très haut Le Guetteur d’ombres de Pierre Moinot, qui va au-delà du récit littéraire bien ficelé. Dans l’abondante production de Paul Vialar, rendu célèbre par La grande Meute, j’ai un faible pour La Croule, nom qui désigne le chant nuptial de la bécasse. C’est un joli roman assez rapide dont le héros est une jeune femme comme on aimerait en rencontrer de temps en temps, et que possède la passion du domaine ancestral. Je suggère aussi de lire La Forêt perdue, bref et magnifique roman médiéval dans lequel Maurice Genevoix fait revivre l’esprit de la mythologie celtique à travers la poursuite impossible d’un grand cerf invulnérable par un veneur acharné, en qui l’on découvre une jeune et intrépide cavalière à l’âme pure.
Equinoxe de printemps MMI
(1) Dominique Venner précise que la traduction âpre et scandée de Leconte de Lisle (vers 1850) a sa préférence. Cette version de l’Iliade et de l’Odyssée est disponible en deux volumes aux éditions Pocket.
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mercredi, 03 juillet 2013
Entretien accordé à Manuel Quesada
Robert Steuckers:
Entretien accordé à Manuel Quesada
1.
Monsieur Steuckers, vous avez passé de nombreuses années à circuler dans l’espace défini comme “identitaire” voire “nationaliste” ou “néo-nationaliste”, de tendance “nouvelle droite”. Nous avons un ami commun, le Britannique Troy Southgate. Qu’est-ce qui vous a incité à choisir cet espace culturel et politique?
Au départ, rien, mais absolument rien, ne me prédestinait à aller circuler dans ce milieu, qui a précédé puis fondé l’espace politico-culturel de la “nouvelle droite”. Aucune tradition familiale ne m’a incité à aller chercher du sens dans un tel espace: en effet, les agitations politiciennes relevaient, pour mon père, issu du paysannat limbourgeois-hesbignon, de la “folie des villes”. Sa devise était: “pour vivre heureux, vivons caché” et il la citait volontiers en français, qui n’était pas sa langue maternelle. Quant à ma mère, elle était issue d’une famille qui entendait vivre en parfaite autarcie par rapport à une société que mon grand-père, ancien combattant de 14-18, méprisait, quelles qu’en aient été les facettes. Quand on évoquait des grands problèmes sociaux, irrésolus, ma mère disait, en flamand: “’t is ver van mijn bed!” (“C’est loin de mon lit!”), sous-entendu, “je n’ai pas à m’en occuper”. Mon père a travaillé de 1938 à 1944, et de 1952 à 1978 pour le Comte Guillaume de Hemricourt de Grünne, l’oncle de Rodolphe de Hemricourt de Grünne, le héros de l’aviation franquiste pendant la guerre d’Espagne, où ce jeune et fringant aristocrate, issu du Collège Saint-Louis de Bruxelles, s’était porté volontaire pour s’affranchir d’une vie de dandy qui ne le satisfaisait plus. Les frères de Guillaume de Grünne, Eugène et Xavier, étaient eux aussi des héros militaires. Eugène, chantre du sacrifice du soldat chrétien (catholique), a d’ailleurs été tué à la guerre, aux côtés du beau-frère de mon père, à Maldegem, en mai 1940, fidèle aux préceptes qu’il énonçait, volontaire de guerre en première ligne à 57 ans! Xavier, alpiniste chevronné, puis sénateur rexiste, puis adversaire de Degrelle, puis fondateur d’une “Phalange belge” hostile tant aux Anglais qu’aux Allemands, mourra en déportation à Mauthausen, fidèle à la neutralité belge jusqu’à son dernier souffle, en dépit de tous les rapports de force! Un idéalisme d’une pureté inouïe qui s’est fracassé contre le “granit du pragmatisme”, comme aurait dit le regretté Dominique Venner!
Mais l’option catholique intransigeante, qui n’avait plus aucune représentation politique en Belgique dans les années 50, 60 et 70, était totalement refoulée, à l’époque bénie de mon enfance, sous l’impact du consumérisme, de la modernité, des modes un peu canailles (existentialisme sartrien, hédonisme à la Françoise Sagan, Beatles anglais, hippies, etc.). On ne parlait plus de politique. On cherchait d’autres choses, sans les trouver vraiment ou alors très furtivement, car ces “choses” étaient démodées déjà avant qu’on ne les ait comprises, tant dans leur aspect subversif que dans leur aspect superficiel de pure fabrication médiatique. Bref les adages que répétaient mes parents, à satiété, semblaient parfaitement de mise: mieux vaut ne pas s’occuper des folies modernes, mieux vaut s’occuper de ses propres affaires, gérer sa vie selon les principes immémoriaux (ma mère: “Ne t’occupe pas du chapeau de la gamine, pousse ta voiture!”), bref selon une forme modeste de “mos majorum”. Je ne me suis pas révolté contre cette limitation volontaire: je l’ai acceptée. Je n’avais pas le loisir de me payer le luxe d’une révolte fracassante comme les gamins des bourgeois nantis. Les modes et les chansonnettes m’horripilaient et j’aime toujours à regarder cette planche désopilante de Franquin, le créateur de “Gaston Lagaffe”, où le chef de bureau Prunelle, excédé par la niaiserie des paroles chantées, canarde à la carabine de chasse, suite à une maladresse technique de l’inénarrable gaffeur, les disques virevoltants qui reproduisaient bruyamment les chansonnettes ineptes et qui appartenaient à la vieille Tante Hortense de Lagaffe: c’est ce sentiment de Prunelle excédé que je partageais quand les filles passaient de tels disques lors de mes vacances franc-comtoises. Mais j’ai estimé, dès l’âge de quatorze ans, qu’on ne pouvait pas toujours vivre caché et qu’il y avait bien des choses passionnantes loin de mon lit...
En fait, vous me demandez un travail d’anamnèse un peu harassant: quels ont été chez moi les déclics qui, cumulés, ont provoqué le rejet du pandémonium dominant? D’abord, oui, cet univers cucu-la-praline des chansonettes des années 60, aussi navrantes que celles des années 30 (dont se rappelait ma mère, qui les écoutait en français à Bruxelles, sa ville natale); ensuite, le basculement du catholicisme sociologique vers des choses qui me paraissaient tout-à-fait inintéressantes; ce nouveau catholicisme abandonnait ce que la religion dominante avait auparavant d’exaltant: art, cathédrales somptueuses (qui, avec leurs rosaces, me fascinent toujours, me rappellent un culte michaélien et zoroastrien du soleil et de la lumière), esprit de croisade, etc. Nous vivions dans un porte-à-faux permanent en ce milieu belge du catholicisme sociologique dans les années 60, en pleine mutation, en plein passage d’un virilisme latin à la liquéfaction para-hippy. Certains instituteurs exaltaient le passé médiéval et bourguignon de la Belgique. D’autres n’avaient aucune vision historique. Un jour, quand une formidable bataille s’était déclenchée à la cour de récréation de mon école primaire, et que les élèves encourageaient les combattants comme autour d’un ring de boxe, le vicaire-aumônier B., pourtant haut en couleurs, est arrivé, en criant et en levant les bras au ciel: “Mais enfin, les enfants, est-il chrétien de se battre comme ça?”. J’ai répondu: “Et les croisés, monsieur l’Abbé?”. Le vicaire B. est resté sans voix et a tourné les talons. Deux ans plus tard, quand, pour rire et pour faire les malins devant les filles, nous nous bagarrions comme de vrais sauvageons dans l’autobus qui nous ramenait du prieuré où nous avions fait retraite quelques jours avant notre communion solenelle, le successeur du vicaire B., le frêle et triste abbé G., tentait de nous ramener à la raison, en posant la même question. J’ai eu exactement la même réponse. J’ai fait ma communion solenelle avec le front maquillé, enduit de fond de teint, car il était d’un bleu violacé, tout en laideur: un condisciple, Yves M., m’avait atteint le front d’un maître coup de catapulte tiré quasi à bout portant, alors que je donnais l’assaut à sa position, perché qu’il était au sommet d’une cage à poules. Ces joyeusetés étaient devenues tout-à-coup tabou. Interdites. On nous pressait de rentrer dans un moule étriqué, dans un monde aseptisé, sans joie, sans couleurs, tout de retenue, avec pour consolation, on allait le voir, des musiques et des glapissements fabriqués aux Etats-Unis et, avec mai 68, un an plus tard, une “libération sexuelle” sérialisée, sans danger ni piment dans la mesure où veillaient la pilule et la capote anglaise
Même glissement dans le mouvement scout. J’étais louveteau, selon les rituels de Baden-Powell, à huit ans sous l’autorité d’un Akéla extraordinaire, le fils de la famille Biswall des chocolats Côte-d’Or. On s’amusait comme des petits fous. On arpentaient les sentiers de la Forêt de Soignes. On se distribuait, dans la joie et sans rancune, moults horions et maîtres coups de bâton. Akéla-Biswall est parti à l’université, pour y étudier le droit, et a été remplacé par le fils compassé d’un gargotier du quartier, prolo mental, style démo-crétin, totalement coincé, qui a interdit tous les jeux collectifs un peu vigoureux, a supprimé les sorties dans la Forêt de Soignes. Un emmerdeur, pire, un emmerdeur compassé, car les tenants de l’idéologie dominante sont finalement tous des emmerdeurs. Il nous fallait, tout un après-midi, alors que le soleil était là, qu’une belle hêtraie verdoyante était à 300 m, mimer, à l’intérieur du local sans lumière, le vol de la petite abeille Maya. Je me suis enfui. Plus tard, grâce à une émission de la VRT ou de la RTBF, j’ai appris que l’animal qui avait voulu rendre le mouvement scout “politiquement correct” —ante litteram— n’était autre que le futur premier ministre Jean-Luc Dehaene, le patapouf qui a ruiné la Belgique, contracté des dettes pharamineuses, mis par terre la banque Dexia, endetté le pays et ses familles pour de nombreuses générations. Non seulement ces gens sont des emmerdeurs mais ils sont aussi des incapables.
Réflexion faite, je pense toutefois que c’est l’immersion dans l’univers héroïque du “De Viris Illustribus” simplifié que nous utilisions en deuxième année de latin en 1968-69 qui m’a conduit sur la voie d’une adhésion aux tréfonds de la culture européenne. J’ai racheté, il y a deux ou trois ans, un exemplaire quasi neuf de cette vieille méthode d’enseignement du latin, jetée bien sûr aux orties par les nouveaux pédagogues qui croient avoir trouvé la clef qui ouvrira aux élèves tous les secrets de l’univers. J’ai été stupéfait de constater combien de phrases, de règles, de schémas, d’exercices me revenaient à l’esprit en feuilletant cette méthode du Prof. Van Rijckevorsel. Il y avait là les Horaces et les Curiaces, l’enlèvement des Sabines, les oies du Capitole, Mucius Scaevola (mon préféré!) et surtout Cincinnatus, qui sauvait les “res publicae” et retournait tranquillement à sa charrue. La maturation politique, qui germait dans l’intériorité du pré-adolescent que j’étais, venait incontestablement de ces modèles: on ne pouvait être homme, “vir”, on ne pouvait faire de la politique, oeuvrer dans la Cité, que si l’on prenait ces héros de la Rome antique comme exemples! Après venaient les quelques copains —une toute petite minorité— qui, eux aussi, rejetaient et les niaiseries à la mode des années 60 —les stupides chansonnettes françaises prisées par la “Tante Hortense”— et l’esprit de la revue branchée “Salut les copains” que nous abominions au profit, bien sûr, tradition locale oblige, du journal “Tintin”, parce qu’il y avait notamment, dans ses pages, l’univers antique d’Alix, avec la Reine Adréa de Sparte et le sage commandant de sa “Garde Noire”, Astyanax... Les “modes” ne nous intéressaient pas, nous les détestions et dans le mot “mode”, il y a la racine du terme “moderne”. Est “moderne” au départ, celui qui ne prête plus attention aux fondements (politiques, religieux, philosophiques, ethnologiques, anthropologiques), ceux des “Anciens”, et s’entiche des dernières créations en vogue, toujours artificielles, toujours éphémères et vite remplacées par de nouveaux engouements: pérenniser cette succession ininterrompue d’historiettes et de radotages bricolés, dépourvus de fondements, est l’objectif de la modernité, est le noyau même de la démarche moderne qui fait de la disparition des fondements, des assises de toute civilisation, un “progrès”, accompagné du relativisme et des “petits récits” sans continuité de la postmodernité (qui n’a pas su prendre révolutionnairement le relais de la modernité libérale).
A notre pré-adolescence, donc, il fallait, nous semblait-il, penser en termes de fondements donc cultiver la “longue mémoire”, procéder par la méthode “généalogique” ou “archéologique”, qu’une lecture assez rapide de Nietzsche, vers quinze ans, aller conforter: certes, cette lecture peut s’avérer dangereuse et destructrice pour un jeune esprit, faire de lui un être hostile à la religion en général —à toute religion— ou un être dépourvu de tout sens moral ou éthique, s’estimant autorisé à commettre sans scrupules les actes les plus répréhensibles. On a pu relever, quelques fois, des dérapages dus à une lecture mal digérée de textes ou de citations de Nietzsche, non pas tant dans un quelconque espace politisé mais dans des bandes “à la mode” (encore!) qui se donnaient un style agressif, avec des oripeaux ou des coiffures de grande laideur, destinés à faire peur ou à se démarquer de toute bienséance, se marginalisant du même coup, rendant impossible la transposition de leurs quelques vagues idées “nietzschéennes” dans la réalité concrète des citoyens actifs de la Cité, ceux qui, avec abnégation et persévérence, affrontent en permanence les défis qui se présentent, dans toute leur concrétude. Les “sub-cultures”, qu’elles soient de gauche ou de droite, qu’elles se donnent des allures soft, comme les hippies, ou hard, comme les “blousons noirs” ou les “skinheads”, participent du système qui génère les modes parce que les modes font oublier les fondements de notre culture européenne (et japonaise au Japon, chinoise en Chine, etc.) et aussi et surtout parce qu’elles permettent, adroitement, de marginaliser les contestations puis de les récupérer ou de les diaboliser, justement parce qu’elles ont été “montées en spectacle”, visibilisées sous les feux de rampe médiatiques, par ce système aliénant moderne que Guy Debord, le situationniste, nommait la “société du spectacle”.
Cela nous ramène à l’actualité, quand l’historienne américaine des idées Susan Jacoby publie en 2008 son ouvrage de référence indispensable à assimiler pour bien gérer le combat métapolitique de la mouvance identitaire européenne actuelle, “The Age of American Unreason – Dumbing Down and the Future of Democracy” (Old Street Publishing, London, 2ème éd.). Dans ce livre, Susan Jacoby dénonce la culture populaire actuellement dominante, issue des fabriques à ahurir basées aux Etats-Unis. C’est une culture de la déraison totale, de la non-raison, que proposent paradoxalement une société et une superpuissance qui prétendent que leurs racines résident dans les “Lumières” du 18ème siècle, dans le savoir rationnel et pragmatique que ces “Lumières” ont induit pour contrecarrer les effets permanents et anciens d’une “tradition” (tout à la fois aristotélicienne et religieuse), tradition qu’elles posaient derechef comme irrationnelle et obscurantiste. Or, en bout de course, la superpuissance-guide de l’Occident “éclairé” générait chez elle et exportait partout dans le monde un “junk thought”, une “pensée-détritus” qui ne tenait plus compte de la pondération, de la rationalité, du bon sens, pour produire, via les médias, via le fondamentalisme religieux le plus stupide et via l’enseignement américain à la dérive, via, aussi, la crédulité entretenue du grand public, une sous-culture de l’“infotainment” (des loisirs via l’information médiatisée), qui ne mobilisait plus du tout l’esprit critique, nécessaire en permanence pour ne pas s’enliser dans les répétitions, pour être apte à répondre à tous les défis qui pourraient se présenter. Ce “junk thought” a-critique n’est pas vraiment assimilable aux irrationalismes d’antan ou aux formes philosophiques d’anti-intellectualisme ou d’anti-rationalisme: la “non-raison” qu’il répand à grande échelle engendre un déclin bien perceptible, d’abord dans l’enseignement et la transmission (devenue, sous toutes ses formes, “politiquement incorrecte” et sabotée par les pédagogues officiels, fonctionnaires des ministères); ensuite, cette “non-raison” s’infiltre dans le vaste public, toujours plus ignorant des tenants et aboutissants réels du monde passé et présent, un public devenu “reality-denier”, “négateur du réel”, et répétant des banalités sans fondements dans un langage codé par les médias. Susan Jacoby constate l’impasse dans laquelle les “Lumières” se sont fourvoyées en pariant, non pas, à terme, sur le despotisme éclairé des monarques politiques, mais sur le “moderne” (donc sur les “modes” inventées puis oubliées et remplacées). Il fallait qu’au nom d’une “liberté” faussement comprise, il débouche immanquablement sur le “junk thought”.
En 1975, je découvre le livre de Pierre Chassard, “La philosophie de l’histoire dans la philosophie de Nietzsche”, publié par le GRECE à Paris. J’ai passé l’été 1975 à lire non seulement ce livre mais à me référer à toutes les oeuvres de Nietzsche lui-même, citées dans les pages de Chassard. C’est ainsi que j’ai reçu ma formation nietzschéenne. Au même moment, Bernard Garcet, qui avait été cadre de “Jeune Europe” à l’Université de Louvain au début des années 60 avait réanimé, chez lui, une “école des cadres”, cette fois non politisée, et très “sciences po” dans ses exigences: il m’a forcé à lire Burke, Mannheim, Rougier et à structurer mes notes de lecture, à les couler dans un exposé cohérent. Etonnant personnage que ce Garcet, professeur de religion catholique, agréé par le vicariat diocésain, tout en se réclamant d’un catholicisme irlando-écossais du haut moyen âge en rupture de ban avec les dogmes habituels de l’Eglise et avec Vatican II sans adhérer au lefébvrisme, percevant le christianisme de Scot Erigène comme la continuation du druidisme païen... Un Garcet qui parlait d’Orwell dans son cours... Un Garcet qui sera aussi un redoutable professeur de “Thaï Boxing”, célèbre à Schaerbeek et environs. Un Garcet quinquagénaire qu’on avait muté dans une école de sages jeunes filles pour terminer sa carrière car il avait secoué un élève violent... le directeur avait ri sous cape...
Sur cette note un peu nostalgique, je termine tout de même ma réponse à votre question: c’est l’école primaire, puis l’école secondaire et l’université qui m’ont formé. C’est toujours dans leur cadre que j’ai appris les fondamentaux qui font aujourd’hui ma vision du monde. Si j’ai eu entre les mains le livre de Chassard et si j’ai fréquenté l’“école des cadres” de Garcet, c’est parce que des professeurs m’avaient mis sur la voie: comment ne pas évoquer avec tendresse le patriotisme bourguignon de l’instituteur M., très sévère et fils d’un résistant royaliste ardennais, et les cours de littérature allemande d’Albert D. (dont je narrerai un jour l’époustouflante biographie... qui fera jaser les “Vigilants”...).
2.
Vous défendez l’idée eurasienne. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’elle est, ce qui en tient lieu de fondement, pour vous? Quelles sont de votre point de vue les racines de l’eurasismecontemporain?
J’ai toujours souligné, surtout dans l’introduction que j’ai rédigée pour le livre du géopolitologue croate Jure Vujic, que ma perspective “eurasienne” (et donc “eurasiste”), provient d’une lecture ancienne, celles des atlas historiques du Britannique Colin McEvedy. Cet historien, géographe et cartographe avait écrit de nombreux atlas historiques pour les écoles du Royaume-Uni. Dans son introduction au premier de ces précieux volumes, McEvedy ne réduit pas l’histoire proto-historique et antique d’un point de vue exclusivement européen actuel, donc euro-centrique au mauvais sens du terme, dans la mesure où il serait limité aux seuls pays européens actuels: pour lui, l’espace de déploiement des peuples européens (indo-européens) englobe certes l’ensemble du sous-continent européen mais aussi l’espace nord-africain, parce Rome s’y est imposé suite aux guerres puniques, le Levant jusqu’à la Mésopotamie, parce que les Empereurs romains y ont mené leurs légions. McEvedy va même plus loin: l’espace des peuples européens s’étend jusqu’aux montagnes du Pamir, là où ont buté les peuples cavaliers de souche européenne au seizième siècle avant l’ère chrétienne. Il inclut également l’Ouest de l’Iran actuel, là où les cavaliers indo-européens venus soit des hauts plateaux de l’Iran soit de l’aire mésopotamienne ont rencontré les peuples élamo-dravidiens. Je rappelle notamment que Dominique Venner, dans “Histoire et tradition des Européens – 30.000 ans d’identité” estimait que l’identité de nos peuples trouve ses racines dans ce lointain passé, dans ces quelques vingt-huit millénaires de proto-histoire et de haute antiquité. McEvedy dans la première édition de son Atlas historique du monde antique posait l’hypothèse d’une origine des peuples européens dans l’espace dit de la “culture swiderienne”, une culture préhistorique, datant de 12 ou 13 millénaires avant l’ère chrétienne. Cet espace se situait en lisière de la banquise glaciaire de l’époque, sur une bande territoriale d’une profondeur maximale de 250 km, située approximativement entre le Sud de la Finlande et la Thuringe. A partir de ce territoire matriciel, les pré-Européens auraient essaimé vers l’Est et l’Ouest, de l’Irlande au Pamir et de l’Espagne à l’Indus.
L’épopée des peuples cavaliers, de souche européenne, fait partie intégrante de notre héritage le plus ancien. Le chercheur ukrainien Iaroslav Lebedynsky publie la plupart de ses ouvrages en français à Paris, où il enseigne à l’“Institut national des langues et civilisations orientales”: on lui doit de remarquables monographies sur les Scythes, les Sarmates, les Saces, les Cimmériens, les Iazyges et les Roxolans, les Alains, etc. qui nous procurent un regard absolument inédit sur l’aventure extraordinaire de ces peuples de souche européenne sur un espace que l’on qualifie un peu vite d’ “asiatique” dans les atlas d’écoles primaires. Il n’y a pas de frontières naturelles entre l’Europe orientale et l’Asie sibérienne, expliquait le Général Heinrich Jordis von Lohausen dans son fameux traité de géopolitique de l’année 1979, que j’allais résumer dans le tout premier numéro des revues parues sous ma houlette. Les Monts Ourals ont une hauteur maximale de 1600 m, pas davantage que le Chasseral dans le Jura suisse. De la plaine hongroise, la Puszta, à la Mandchourie, il n’y a pas d’obstacles majeurs, si l’on évite les massifs montagneux du Pamir et de l’Altaï, du Danube pannonien au Don, de celui-ci à la Caspienne et de celle-ci à la Mer d’Aral et au Lac Balkach. C’est la future route de la soie menant d’Europe en Chine. Jusqu’à l’irruption des Huns, sur le Don face aux Goths, puis dans la plaine hongroise puis jusqu’aux Champs Catalauniques de Champagne, cet immense espace a été déterminé par des cultures de souche européenne, comme le prouvent aussi les momies du Tarim, découvertes par des archéologues il y a une trentaine d’années.
L’histoire européenne depuis les Champs Catalauniques est l’histoire d’un long et gigantesque combat pour reprendre l’initiative. Le Prof. Lebedynsky, suite sans doute aux ouvrages du professeur français René Gousset, le rappelle dans son dernier volume sur les peuples cavaliers de souche européenne, consacré aux Cosaques. Ce sont eux qui ont repris le contrôle de la Sibérie et empêché la réémergence de coalitions irrésistibles de cavaliers turco-mongols dans cet espace nomade. En Méditerranée, la flotte de Don Juan à Lépante en 1571, les armées de hussards ailés du Roi Jean III Sobieski en 1683 et les techniques militaires du Prince Eugène de Savoie-Carignan jusqu’en 1718 ont contenu définitivement les Ottomans, comme nous l’a très bien expliqué, dans plusieurs livres clairs, l’historien français, ancien officier de la Légion étrangère, Dominique Farale. A partir de ce moment-là seulement, quand les Ottomans étaient contenus en Méditerranée et dans les Balkans, et que les Cosaques surveillaient le territoire initial des Mongols en lisière de la Mandchourie, l’Europe a pu maîtriser le monde. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante: vit-on à nouveau un ressac de la puissance européenne? Plusieurs historiens en vue dans le monde anglo-saxon, dont notamment John Darwin, auteur de “After Tamerlan” (2007), estiment d’ailleurs que la suprématie européenne de ces deux ou trois cents dernières années pourrait bien être une anomalie passagère de l’histoire, l’Inde et la Chine ayant constitué plus de 35% du commerce mondial dans la seconde moitié du 18ème siècle. Un autre historien britannique, Ian Morris, pense lui, au contraire, que la suprématie européenne, qui a certes connu des hauts et des bas, est un fait historique inscrit dans une assez longue durée et qu’elle explique la survie de la culture européenne, capable de réagir vite, même au bord du gouffre (cf. Ian Morris, “Why the West Rules – For Now – The Patterns of History and What They Reveal about the Future”, Profile Books, London, 2010-2011). Le débat est ouvert...
Dès les victoires autrichiennes du Prince Eugène et de ses successeurs contre les Ottomans dans les Balkans, l’Europe pense, avec la Russie désormais maîtresse de la Sibérie jusqu’aux côtes pacifiques, à avoir une frontière commune, favorisant les échanges directs, avec l’autre môle d’impérialité sur la masse continentale eurasienne, la Chine. Le philosophe, diplomate et mathématicien allemand Leibniz raisonnera en de tels termes et couchera sur le papier des réflexions géopolitiques qui conservent, en leur noyau, fraîcheur et actualité. Un peu plus tard, au 18ème siècle, nous avons une alliance tacite, eurasienne avant la lettre et assez conforme aux vues de Leibniz, entre la France de Louis XVI (réconcilié avec l’Autriche par son mariage avec Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine), l’Autriche de Marie-Thérèse puis de Joseph II et la Russie de Catherine II la Grande. Cette alliance tacite, étayée par les meilleurs diplomates (Vergennes par exemple), offrait un espace stratégique de la Bretagne atlantique, voire de l’Espagne des Bourbons éclairés notamment sous le règne de Carlos III, jusqu’aux confins pacifiques de la Sibérie orientale. Cette alliance eurasienne a permis, entre l’avènement de Louis XVI en 1774 et la révolution française, d’esquisser une unité géostratégique entre les trois principales puissances continentales européennes (où la France avait acquis une supériorité navale dans l’Atlantique Nord suite à la guerre d’indépendance des Etats-Unis).
En 1815, la Sainte-Alliance a voulu répéter cette unité, en y ajoutant l’Angleterre et la Prusse protestantes. La Prusse jouera le jeu jusqu’à l’éviction de Bismarck, qui rendra caduque l’alliance Berlin-Pétersbourg. L’Angleterre —en détachant progressivement la France de cette Sainte-Alliance, une France qui ne s’était pas vraiment guérie de son fondamentalisme jacobin et de ses folies révolutionnaires— fera émerger l’exception occidentale dès la guerre de Crimée, comme le constatera avec pertinence Dostoïevski dans son “Journal d’un écrivain”. L’espace stratégique eurasien s’étendra désormais du Rhin au Pacifique et non plus de l’Atlantique au Pacifique. L’Union des Trois Empereurs (Russie, Allemagne, Autriche) prendra le relais de la Sainte-Alliance, dont la puissance potentielle, et la présence sur le continent américain, en Alaska (jusqu’en 1867) et dans les Caraïbes (à Cuba jusqu’en 1898), avait contraint le Président américain Monroe à proclamer sa célèbre doctrine de “l’Amérique aux Américains”, visant d’abord à chasser l’Espagne du Nouveau Monde, pour être sûr que, dans son sillage, et au nom d’une unité “eurasienne”, les autres puissances européennes, unies dans leurs visées stratégiques, n’interviennent en Amérique, au départ d’une quelconque possession espagnole ou au départ de l’Alaska, russe à l’époque. Cette logique géopolitique nord-américaine a été tout de suite dénoncée par le ministre autrichien Hülsemann, qui a vu, avant tout le monde, émerger, sur l’autre rive de l’Atlantique, une puissance négatrice de l’excellence européenne, une “puissance-antipode”. D’autres verront également clair: le diplomate allemand Constantin Frantz constate, après la guerre de Crimée, que la Sainte-Alliance a péri et que l’Occident anglo-français est tout prêt à importer en Europe des querelles nées bien loin en dehors du sous-continent, matrice géographique des peuples européens. Ces querelles risquent de susciter des guerres en Europe pour des raisons étrangères à l’indispensable équilibre de l’Europe. Sans cet équilibre, l’Europe risque l’implosion. Et, privée de cet équilibre, elle a effectivement implosé dès 1914.
La Doctrine de Monroe, par la pression constante qu’elle a exercée, a conduit à l’effondrement définitif de l’Espagne impériale en 1898 et à la crise morale qui s’en est suivie. L’Espagne est, en ce sens, la première victime européenne de la Doctrine de Monroe. Tarabustée par une “légende noire” fort tenace, inventée par les fondamentalistes protestants hollandais et par l’Angleterre élizabéthaine, puis reprise par les Français de Richelieu, l’Espagne a été paralysée, depuis la fin du 16ème jusqu’à nos jours, par une légende négative, colportée ad infinitum: c’est là une technique de déstabilisation de l’adversaire, qu’ont utilisé les propagandistes protestants hier, les tenants de la “correction politique” et des vérités médiatiques aujourd’hui; cette technique propagandiste sera reprise et affinée pour éliminer et affaiblir en permanence l’Allemagne, suite aux deux guerres mondiales du 20ème siècle, tant et si bien que l’hebdomadaire britannique “The Economist” pouvait sortir un dossier récent (début juin 2013), consacré à l’Allemagne d’Angela Merkel; ce dossier, assez copieux, campait la superpuissance économique germanique en plein milieu de notre Europe comme un nain politique, à cause de son incapacité à surmonter sa propre “leyenda negra”. La Russie, à son tour, même après le communisme, est victime d’une autre “légende noire”, colportée et amplifiée depuis les diatribes du Marquis de Custines et la propagande anglaise lors de la Guerre de Crimée. Il conviendrait donc de réfléchir à annuler les effets de toutes les “leyendas negras”, par des efforts coordonnées, à l’échelle globale, dans tous les Etats européens, en Iran, au sein de toutes les puissances du BRICS.
L’eurasisme, à mon sens, doit être la reprise actualisée de l’alliance austro-franco-russe du 18ème, de la Sainte-Alliance (surtout telle qu’elle fut envisagée par Hülsemann) et de l’Union des Trois Empereurs, voire une résurrection des projets d’alliance franco-germano-austro-russe de Gabriel Hanotaux (1853-1944), avant 1914. On ne parle pas assez de ce Gabriel Hanotaux, qui deviendra ministre des affaires étrangères en France en 1894. Nationaliste de coeur, il a soutenu le programme de colonisation française en Afrique, en Algérie et à Madagascar, tout en s’opposant à la pénétration britannique au Soudan, où il a été un partisan de la fermeté au moment de la fameuse affaire de Fachoda en 1898, quand des forces françaises et britanniques s’étaient affrontées pour le contrôle du Nil soudanais. Selon certaines sources, qu’aimait citer l’eurasiste européiste Jean Parvulesco, malheureusement décédé en 2010, Hanotaux ne souhaitait pas l’alliance britannique, préférait à coup sûr l’alliance russe et aurait envisagé une réconciliation franco-allemande.
3.
Nous aimerions que vous nous révéliez vos idées sur l’éventuelle résolution des facteurs raciaux au sein de l’Eurasie, car celles-ci contient effectivement des peuples ethniquement et racialement très différents...
Mon concept d’Eurasie est synonyme d’une confédération solidaire de peuples de souche européenne qui devront, éventuellement, occuper des territoires où vivent d’autres peuples, pour des raisons essentiellement stratégiques. J’ai oublié de dire, en répondant à votre deuxième question, que l’idée eurasienne provient également du géopolitologue allemand Karl Haushofer, pour qui les puissances d’Europe et le Japon devaient unir leurs forces pour organiser en parallèle, selon des “corridors Nord-Sud” —des corridors eurafricain, russo-irano-indien, nippo-micronésien, sino-indochinois, tous bien délimités— la masse continentale entre Atlantique et Pacifique: il appelait cela la troïka germano-russo-japonaise, puis, après la consolidation en 1938 de l’Axe Rome-Berlin, le quadrige germano-italo-russo-japonais. Mis à part le Japon —qui devait se développer de préférence en direction du Sud et dans l’espace pacifique (après avoir hérité à Versailles de la Micronésie jadis espagnole puis devenue allemande), sans meurtrir la Chine— les autres puissances de la troïka ou du quadrige étaient européennes dans leur esprit, dérivé de Rome ou de la Troisième Rome byzantine (que représente la Russie). La vision ethno-différentialiste postule que les peuples non européens ne soient pas obligés de singer les Européens, de modifier leurs substrats naturels, que ce soit par fusion, par mixage ou par aliénation culturelle. Il me semble que l’URSS de Brejnev, dans sa constitution modifiée de 1977, ait quelque peu répondu à votre question, sans que nous ne soyons obligés, à l’heure actuelle, de reprendre en compte les archaïsmes et les schématismes communistes que cette constitution soviétique véhiculait.
La pensée des “autres Lumières” (celles que ne sont plus jugées “politiquement correctes” par la pensée dominante actuelle), notamment les “Lumières” qui ont promu la vision ethno-différentialiste de Herder, a donné le mouvement slavophile des “narodniki” en Russie, que le communiste n’a jamais pu éradiquer, tant et si bien, que, dès les années soixante, la culture soviétique, contrairement à l’Occident, retourne timidement, et parfois plus audacieusement, vers le passé slavophile. On a pu parler, fin des années 70, avec le dissident occidentaliste Yanov, réfugié en Californie, d’une “nouvelle droite” soviétique, bien ancrée dans les cercles académiques de l’URSS, déjà en phase d’implosion. Cet esprit herdérien a permis, même sous Staline (mutatis mutandis) de créer des républiques ethniques, parfois, hélas, avec des tracés aberrants. Généralement, les républiques ethniques finno-ougriennes et indo-européennes (comme les Ossètes), sont restées fidèles à l’URSS, puis à la Fédération de Russie. Certaines républiques turcophones ou tatars (ouralo-altaïques) aussi. On sait que la Doctrine Brzezinski visait à soulever tout le ventre mou de l’URSS, dès 1978, quand l’Afghanistan officiel avait opté pour une alliance afghano-soviétique. Pour soulever ce “ventre mou”, il fallait utiliser un levier: le seul levier possible était l’islam fondamentaliste, lequel pouvait évidemment bénéficier de la manne financière saoudienne.
Toutefois, cette stratégie a échoué, comme l’avoue Brzezinski lui-même dans son dernier ouvrage de mars 2012, intitulé “Strategic Vision”. Pour le théoricien de la conquête de la “Route de la Soie” (“Silk Road”) et de l’inclusion de l’Ukraine dans l’OTAN, pour l’homme qui a suggéré l’armement des talibans contre les Soviétiques en Afghanistan, toutes ces strtatégies, qu’il a préconisées, ont échoué. Selon le regard nouveau qu’il propose de jeter sur l’échiquier international, il ne faut donc plus fragmenter la Russie à l’infini mais s’allier à elle, dans une sorte de grande alliance de l’hémisphère Nord, avec l’Amérique du Nord, l’Europe (Turquie comprise) et la Russie! Au soir de sa vie, à 84 ans, cet homme avoue sans état d’âme, sans s’effondrer mentalement, que ses projets n’ont pas abouti! Et propose exactement ce que propose un théoricien néo-droitiste français, tout à fait inclassable, comme Guillaume Faye! Ou que proposent aussi beaucoup de théoriciens nationalistes américains, partisans d’une “unité du monde blanc”! Brzezinski est devenu “Amereurasiste”! Apparemment, il n’est guère écouté Outre-Atantique, où l’“Administration Obama” poursuit les guerres de Bush et le contrôle des esprits dissidents ou contestataires aux Etats-Unis mêmes, avec une acribie encore plus frénétique.
Personnellement, pour moi, il faudrait que l’Amérique du Nord revienne à une pensée aristotélicienne, renaissanciste (au sens où l’ntendait Julien Freund), débarrassée de tous les résidus de ce puritanisme échevelé, de cette pseudo-théologie fanatique où aucun esprit d’équilibre, de pondération et d’harmonie ne souffle, pour envisager une alliance avec les puissances du Vieux Monde. Le biblisme nord-américain s’exporte en Amérique ibérique, disloquant souvent les sociétés ibéro-améridiennes de ce continent. Cette propension à s’exporter vient de la nature messianique de cette pseudo-théologie, parfois laïcisée et transformée en une vulgate médiatique particulièrement nocive. Le Vieux Monde comprend trois ou quatre pôles civilisationnels: l’Europe (Russie comprise), car je ne retiens pas, pour l’Europe, le clivage entre, d’une part, un Occident catholico-protestant (où règnerait d’office la “bonne gouvernance”) et, d’autre part, une zone russo-byzantino-orthodoxe (où se maintiendraient des résidus d’autoritarisme) comme le faisait Samuel Huntington dans son “Choc des civilisations”; l’Inde et la Chine (ou le complexe sino-nippon bouddhisto-confucéano-taoisto-shintoïste). Ian Morris en voit deux, nés dès la fameuse période axiale de l’histoire, selon Karl Jaspers et Karen Armstrong: l’espace européen, ultérieurement marqué par Rome qui l’a unifié “impérialement”, et la Chine, unifiée et transformée en empire dès les Qing. Pour moi, aujourd’hui, il y en a quatre voire cinq: l’Europe, héritière de Rome et de la germanisation, par Prétoriens et Foederati interposés, dès le Bas Empire et pendant le haut moyen-âge (en Espagne, on peut parler de la “wisigothisation”); l’Iran post-avestique, pré-islamique, zoroastrien et islamisé selon un mode très différent de l’espace arabophone ou turcophone, avec une composante mystique et nationale; l’Inde, qui a retrouvé son identité grâce au mouvement métapolitique du RSS, né sous le “Raj” britannique en tant que mouvement contestataire de la colonisation et de l’exploitation sauvage du sous-continent indien; la Chine, monde en soi, rejetant tout messianisme, tout esprit de conversion et toute forme d’immixtion dans les affaires intérieures d’entités politiques tierces; le Japon, cinquième pôle, animé par la spiritualité shintoïste, également non messianique car intransmissible aux non Japonais. Ces entités ne constituent pas une menace pour l’Europe car elles ne sont pas animées par le messianisme américano-bibliste ou par l’effervescence wahhabite-salafiste, qu’elles considèrent comme de dangereuses aberrations, bouleversant équilibres et harmonies.
Il y a d’ailleurs alliance implicite du messianisme nord-américain bibliste et du messianisme saoudien, wahhabitico-salafiste. Ces anomalies dangereuses doivent être contrées par l’idée équilibrante et harmonieuse de l’auto-centrage des aires civilisationnelles.
4.
Ne serait-il pas plus correct de procéder à une extension du fait politique européen sur l’échiquier eurasiatique, en englobant la “Russie blanche” dans un ensemble européen homogène, plutôt que de parler d’Eurasie?
De toutes les façons, dans un cas comme dans l’autre, la Russie actuelle, la Fédération de Russie, présidée par Poutine ou Medvedev, est pour l’essentiel, de souche européenne: les autres ethnies, minoritaires, sont neutralisées par l’idéologie herdérienne, post-narodnikiste. Y compris les Tatars du Tatarstan et les Bachkirs du Bachkirtostan, dont les imams se sont farouchement opposés aux menées wahhabites, virulentes du temps où Brzezinski espérait encore disloquer la Russie en utilisant le levier wahhabite et saoudien. La seule exception semble être le Nord-Caucase tchétchène et daghestanais, travaillé par la propagande wahhabite. Nous avons là le seul front “chaud”, résidu de l’ancienne stratégie Brzezinski. Par ailleurs, le Président kazak Nazarbaïev n’a pas succombé aux tentations, auxquelles les Américains auraient bien voulu qu’il succombe: ni au fondamentalisme wahhabite ni aux sirènes du panturquisme/pantouranisme du temps du premier ministre turc Türgüt Özal. La géopolitique kazak actuelle est la négation même du “brzezinskisme”, la preuve vivante de sa faillite, la preuve que le tronçon central de la “Route de la Soie” n’est pas assimilable à la géostratégie offensive et disloquante de Washington sur l’échiquier eurasiatique. Et la preuve aussi qu’une géopolitique, portée par un peuple turcophone, asiatique et non européen, peut s’harmoniser parfaitement avec l’idée d’une troïka ou d’un quadrige haushoférien —et, partant, européen et euro-nippon— réactualisé.
5.
Quel est votre opinion sur l’Europe des ethnies?
Il y a deux visions de l’Europe des ethnies: celle qui veut la fragmentation du continent ad infinitum, de manière à le rendre aussi “invertébré” que l’Espagne après 1898, phénomène de dissolution dénoncé par Ortega y Gasset dans son fameux ouvrage “España invertebrada”, livre de chevet de Jean Thiriart, en même temps que “La révolte des masses”. Cette vision “invertébrée” ne retient pas l’idée impériale, pourtant respectueuse des diversités qui composent les grands ensembles transnationaux ou transethniques. La Suisse et l’Allemagne fédérale, tout comme l’Autriche, sont des entités fédérales, respectueuses des diversités régionales, sans que personne, au sein de ces Etats fédéraux, ne songe à ruiner l’unité. A côté des “ethnistes fragmenteurs”, il y a ce que je nommerais les “ethnistes impériaux”, qui couplent l’idée impériale-européenne au souci herdérien de l’enracinement des peuples dans leur propre culture. Quand on prend en compte les oeuvres politiques des mouvements ethnistes, on doit pouvoir distinguer entre, d’une part, les “fragmenteurs”, qui commettent un “politicide” dans la mesure où ils participent à la balkanisation de notre sous-continent au bénéfice des superpuissances hégémoniques et où ils prennent le relais des “petits-nationalismes” étriqués qui ont précipité l’Europe dans les guerres fratricides qui l’ont ruinée; et, d’autre part, les “impériaux” qui cherchent à unir les hommes réels, de chair et de sang, dans un vaste projet commun, où les réalités charnelles ne seront ni gommées ni oblitérées.
Certains mouvements ethnistes peuvent contribuer à ruiner des polities ou des républiques qui ont tendance, systématiquement, à se replier sur elles-mêmes et à se placer en position antagoniste, contre le reste du continent, contre leur propre aire civilisationnelle, au nom d’un égoïsme à courte vue ou d’un messianisme laïque complètement ridicule. C’est, au fond, l’opposition du 16ème siècle entre Charles-Quint, Impérial et soucieux du destin de l’Europe face au danger ottoman, et François I, qui s’allie à ces derniers pour satisfaire des appétits égoïstes, hostiles à l’harmonie de notre aire civilisationnelle. Dans cette même optique, toute velléité ethniste, dans un pays européen quelconque, qui vise à se détacher d’une forme ou l’autre d’Etat, dont l’existence est en contradiction avec le “testament de Charles-Quint” et qui aurait annexé des territoires ayant un jour fait partie, ou ayant un jour voulu faire partie, de la “Grande Alianza” (Bourgogne + Habsbourg + Castille-Aragon), est bien évidemment légitime: un peuple, ou un fragment de peuple, qui souhaite revenir dans le giron de la “Grande Alianza”, après en avoir été détaché par la force ou la contrainte, pose là une démarche “impériale” et non une démarche “fragmenteuse”. Je rappelle ici que Sud-Néerlandais, Autrichiens, Hongrois, Croates, Allemands, Espagnols, Italiens du Nord ne sont “vertébrés” politiquement, au sens où l’entendait José Ortega y Gasset, que s’ils gardent en tête le “testament de Charles-Quint”, base inamovible de toute véritable démarche européenne. S’ils n’ont pas ce “Testament” en tête, ils sont vecteurs de folie, de dissensus, de conflits civils, ils participent à la ruine de notre civilisation.
6.
Dans un entretien que vous avez naguère accordé aux animateurs du “Mouvement International Eurasiste” (“International Eurasian Movement”), vous évoquez la vision d’un monde multipolaire. Y a-t-il une possibilité réelle de faire émerger un tel monde, alors que la globalisation a déjà tout envahi? Cette multipolarité ne serait alors que le cache-sexe d’une globalisation parachevée, où le monde entier serait soumis aux intérêts de la haute finance...
Après l’effondrement de l’Union Soviétique suite à la perestroïka de Gorbatchev, que le dissident et philosophe Alexandre Zinoviev nommait la “catastroïka”, le monde semblait basculer vers l’unipolarité, centrée sur la seule “américanosphère”. Le penseur nippo-américain Francis Fukuyama annonçait la fin de l’histoire et l’entrée du monde dans l’ère de la parousie néo-libérale. Pour lui, avec l’avènement d’Eltsine suite à un putsch paléo-communiste avorté qui entendait chasser Gorbatchev du pouvoir, l’ex-URSS allait se fondre à son tour dans la “Globalia” néo-libérale. Eltsine plonge alors la Russie dans le marasme, Poutine l’en sortira. Moralité: les prévisions de Fukuyama se sont avérées fausses. L’histoire est revenue, d’abord avec les néo-conservateurs américains, trotskistes recyclés qui ont remplacé la “révolution permanente” théorisée par leur maître initial par la “guerre permanente” que doivent mener les Etats-Unis, instance étatique élue par Dieu (?) pour faire triompher le Bien sur la Terre, contre le reste du monde, y compris contre leurs propres alliés qu’ils espionnent avec ECHELON et, très récemment, avec le système d’écoute “Prism” de la NSA ou “Tempora” de leurs homologues britanniques. Les théoriciens néo-conservateurs comme Robert Kagan ont annoncé “le retour de l’histoire” et non pas son terminus, et, surtout, “la fin des rêves” (cf. R. Kagan, “The Return of History and the End of Dreams”, 2008). Evidemment, pour Kagan, seuls les Etats-Unis sont autorisés à retourner au chantier de l’histoire, à quitter le monde onirique des idéologies iréniques. Ils doivent combattre les môles de puissance irréductibles que sont la Russie, la Chine et l’Iran, tout en se méfiant de l’Inde. Ils considèrent l’Europe comme un espace neutralisé, gouverné par des pitres sans envergure (seul Poutine est considéré comme un “chien dangereux” selon les documents révélés par Assange lors de l’affaire “Wikileaks”), un espace émasculé que l’on peut piller à qui mieux-mieux via les systèmes d’espionnage satellitaires. Dans un ouvrage plus récent, un autre néo-conservateur américain, Robert D. Kaplan, rappelle qu’un empire —en l’occurrence, pour lui, l’empire américain— doit en permanence se souvenir des impératifs de la géographie (cf. R. D. Kaplan, “The Revenge of Geography – What the Map Tells Us about Coming Conflicts and the Battle Against Fate”, Random House, New York, 2012) quand il façonne ses stratégies. Dans cet ouvrage qui réhabilite complètement les démarches géopolitiques et passe en revue les fondements géographiques de chaque puissance eurasienne, avouant implicitement qu’il y a, de facto, une multipolarité, mais une multipolarité que les Américains, selon Kagan ou Kaplan, doivent affronter, dont ils doivent réduire les môles de puissance, contenir leurs éventuelles expansions.
Kaplan est également l’auteur d’un ouvrage de géopolitique capital pour comprendre le monde d’aujourd’hui et les intentions de l’hyperpuissance américaine: ce livre est consacré à l’Océan du Milieu, en d’autres termes, l’Océan Indien. Il s’intitule “”Monsoon – The Indian Ocean and the Future of American Power” (Random House, 2010, 2nd ed., 2011). Kaplan rejette la projection géographique usuelle aux Etats-Unis, où l’hémisphère occidental, c’est-à-dire les deux Amériques, est placé au centre des cartes, escamotant du même coup l’Océan Indien, alors que cet espace océanique est véritablement central, qu’il offre à qui le contrôle la domination sur le “rimland” asiatique des moussons. Cette “Asie des moussons” a donné aux Britanniques la puissance la plus déterminante sur l’échiquier européen et mondial, dès la seconde moitié du 18ème siècle. Au 21ème siècle, il en sera de même, il faudra, pour détenir l’hyperpuissance sur la planète, contrôler l’espace de l’Océan des Moussons: les Etats-Unis, pour Kaplan, ont intérêt à contrôler ou à contenir rapidement les puissances, petites ou moyennes, de l’arc de l’Asie des moussons, soit l’Inde, le Pakistan, la Chine, l’Indonésie, la Birmanie/Myanmar, Oman, le Sri Lanka, le Bengla Desh et la Tanzanie. Car c’est là, précise Kaplan, dans cet espace fragmenté, bigarré, sans homogénéité raciale ou culturelle, vaguement rassemblé dans une “Association des pays riverains de l’Océan Indien pour une coopération régionale” (IOR-ARC), que la lutte planétaire pour la “démocratie” (évidemment!), pour l’indépendance énergétique (américaine) et pour la “liberté religieuse” (?) sera gagné ou perdu. La diplomatie américaine doit concentrer tous ses efforts sur cette partie du monde si Washington veut continuer à garder un certain hégémonisme sur la Terre. Les pères fondateurs de la géopolitique, Mackinder et Haushofer ne disaient rien d’autre... L’Océan Indien baigne un espace à pôles multiples: il est l’espace même d’une multipolarité divergente.
La mondialisation/globalisation procède certes par le truchement d’un mode de société toujours plus consumériste. Les Chinois commencent à consommer avec la même frénésie que les Américains et les Européens. La délocalisation de bon nombre d’industries manufacturières, qui ont quitté l’Amérique du Nord et l’Europe pour l’Asie et surtout pour la Chine, provoquant un chômage endémique dans nos pays, sanctionne finalement une “division du travail”, générant plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il n’empêche que cette fusion apparente dans le creuset d’une globalisation économique laisse intacte les desseins géopolitiques et géostratégiques des “pôles” de la multipolarité.
Les sphères émergentes contestent l’hégémonisme américain, contestent aussi l’idéologie que cet hégémonisme véhicule. Le point commun de tous les pôles, sauf l’Europe, totalement neutralisée, est de refuser l’immixtion permanente des Etats-Unis, notamment par le biais de l’idéologie dite des “droits-de-l’homme”, inventée, ou plutôt ré-inventée, à l’époque de la Présidence de Jimmy Carter, pour subvertir l’Iran du Shah et l’URSS de Brejnev (à l’époque, la Chine maoïste était exemptée de tout immixtionnisme américain puisqu’elle venait de sceller une alliance anti-soviétique avec Washington). Les cibles demeurent les mêmes: l’Iran, la Russie, la Chine qui retrouve le rôle négatif qu’on lui avait attribué dans les années 50 et 60. L’Inde —qui, explique Kaplan dans “Monsoon” (op. cit.), cherche à s’étendre “horizontalement” (vers l’Est et vers l’Ouest) et non pas “verticalement” (du Nord vers le Sud) comme le fait au contraire la Chine qui, en outre, cherche à devenir une puissance bi-océanique, d’où la condamnation de ses stratégies par Washington aujourd’hui— est tantôt ménagée, parce qu’elle doit participer à l’endiguement (“containment”) de la Chine, tantôt fustigée, quand elle affirme son caractère hindou (avec le BJP) ou qu’elle conserve ses liens étroits avec la Russie. L’Inde se définit comme “un pont entre différents mondes”, sans se reconnaître dans aucun groupe d’Etats (sous-entendu, elle garde ses distances avec le fameux “Groupe de Shanghai”). Malgré le poids de leur hyperpuissance militaire, les Etats-Unis seront toujours incapables d’absorber et de neutraliser les pôles asiatiques ou eurasiatiques comme ils ont brisé l’Europe, en détruisant l’Allemagne d’abord, en contrôlant totalement l’UE ensuite, par l’importation d’un néo-libéralisme qui a empêché l’Europe de consolider ses velléités d’autarcie, d’ordo-libéralisme (de capitalisme patrimonial rhénan ou, au Japon, “samourai”) ou de socialisme bien conçu, disons de facture bismarcko-keynesienne, comme le voulaient ses pères fondateurs ou encore un Jacques Delors. L’Europe, que nous espérions voir devenir un pôle à part entière dans un monde recomposé et enfin sorti du bipolarisme figé du temps de la Guerre Froide, enfin émancipé complètement de la tutelle américaine, est, aujourd’hui plus que jamais, un espace neutralisé, au tissu industriel mité, aux sociétés disloquées par toutes sortes de facteurs au départ exogènes, un espace d’amnésie historique, un espace totalement “invertébré”, un espace qui vénère benoîtement la “norme” sans oser se doter de force (Zaki Laïdi); ces dernières semaines de juin 2013 nous apportent une preuve éloquente de cette déliquescence de tout un continent potentiellement puissant mais paralysé, quand la Commissaire à la justice Viviane Reding, qui avait capitulé sans condition devant les Américains et les Britanniques qui espionnent, avec les systèmes d’écoute “Prism” et “Tempora”, les autres Européens, au mépris des règles diplomatiques et internationales les mieux établies, tout en promettant, la pauvre bougresse, de prendre des “mesures”, qui ne viendront évidemment jamais ou resteront au stade de voeu pieux...
L’Europe-croupion, que nous avons devant les yeux, est une victime consentante de la globalisation voulue par l’hegemon américain. Les autres pôles ne le sont pas. Ils ont encore tous une pensée “vertébrée”, des traditions orthodoxes, hindouistes ou confucéennes intactes. En ce sens, l’Europe actuelle, sans “épine dorsale”, est effectivement soumise aux diktats de la haute finance internationale. Comme l’avait réclamé dans son recueil “Von rechts gesehen” (“Vu de droite”), Armin Mohler, théoricien de la “révolution conservatrice” allemande et ancien secrétaire de l’écrivain Ernst Jünger, écrivait que, pour se dégager des tutelles exogènes, l’Allemagne devait opter pour une alliance avec la France gaullienne —à l’époque une réalité, aujourd’hui disparue sous l’effet délétère des politiques aberrantes de Sarközy et de Hollande— et ne jamais hésiter à entretenir des relations avec les Etats que la propagande américaine nommait déjà les “Rogue States”. Armin Mohler et Jean Thiriart étaient au fond sur la même longueur d’onde. L’actualisation de leurs injonctions politiques postule évidemment, pour nous, de privilégier les rapports euro-BRICS ou euro-Shanghaï, de façon à nous dégager des étaux de la propagande médiatique américaine et du banksterisme de Wall Street, dans lesquels nous étouffons. La multipolarité pourrait nous donner l’occasion de rejouer une carte contestatrice à la Mohler et à la Thiriart en matières de politique extérieure.
7.
Aujourd’hui, 10% de la population vivant en Europe est musulmane et à ces 10% il faut ajouter l’installation en Europe de toute une série d’autres populations non indigènes; sans entrer dans les détails, je ne citerai qu’un exemple: la population européenne (de souche, toutes nationalités confondues) ne totalise qu’un tiers de la population de Londres aujourd’hui, elle est donc en état d’infériorité numérique par rapport aux autres “races” qui, de plus, ont un taux de natalité bien supérieur, le triple de la moyenne européenne. A quel phénomène faisons-nous face? Et comment le résoudre?
Vous savez bien qu’il est interdit de parler sereinement de ces phénomènes, surtout en France ou en Belgique où la liberté d’expression n’existe plus en ce domaine bien particulier. Vous pouvez blasphémer à qui mieux-mieux contre les religions autochtones, surtout le catholicisme lorsque des “femens” déchaînées et camées s’attaquent à Bruxelles à un archevêque qui, très timidement, veut ramener un tout petit peu de bon sens dans une église à la dérive depuis un demi siècle, vous pouvez vous moquer avec la plus extrême des méchancetés de toutes les traditions européennes, religieuses ou culinaires, historiques ou littéraires, artistiques ou philosophiques, vous pouvez fabriquer la pornographie la plus outrancière et la plus perverse, mais vous ne pouvez souffler mot sur le phénomène que certains polémistes français comme Renaud Camus appellent le “grand remplacement”. Depuis les émeutes de Paris et des grandes villes françaises en novembre 2005, depuis les émeutes de grande ampleur à Londres en août 2011, depuis les récentes émeutes de Suède en mai 2013, on sait que la situation va devenir très difficilement gérable dans la décennie à venir, surtout sur fond de crise économique et financière car la gestion de ces populations, précarisées du fait de leur non intégration, va coûter de plus en plus cher et l’argent n’est plus là, tout simplement. Ces installations irréfléchies de populations hétéroclites dans les grands centres urbains de l’Europe va, à terme, provoquer l’effondrement du système de sécurité sociale, laborieusement mis en place pendant les “Trente Glorieuses” et maintenu vaille que vaille durant les “Trente Piteuses”, effondrement dont pâtiront et les autochtones les plus précarisés et les migrants intégrés ou non, sans distinction.
Ce n’est évidemment pas ce seul phénomène “migratoire” qui va faire s’effondrer le système, bon dans ses principes organisationnels et dans ses intentions premières, mais malheureusement bâti sur du sable et non sur le réalisme politique et économique de la tradition aristotélicienne, bâti, hélas, sur le sable mouvant des “nuisances idéologiques” (Raymond Ruyer), qui sont nuisances justement parce qu’elles ignorent tout principe d’harmonie et d’équilibre, toute limite et toute pondération; parmi elles, il y a surtout l’emballement que provoque la forme dominante du néo-libéralisme, imposé depuis l’ère Thatcher & Reagan, depuis les années 1979 à 1982. Le néo-libéralisme en place est principalement une forme de capitalisme financier, et non industriel et patrimonial, qui a misé sur le court terme, la spéculation, la titrisation, la dollarisation, plutôt que sur les investissements, la recherche et le développement, le long terme, la consolidation lente et précise des acquis, etc. La crise de l’automne 2008 et la période de ressac que nous connaissons tous depuis lors, surtout dans les pays méditerranéens, en Grèce et en Espagne, sont l’aboutissement d’une idéologie fumeuse, inapplicable car irréelle, que mes amis et moi-même dénonçons depuis le moment même de son avènement: nous avons été des “voces clamantes in deserto”.
Cette crise va fragiliser les phénomènes connexes à cette globalisation néo-libérale, dont l’immigration-peuplement, surtout qu’il y a eu, en plus, “délocalisation” du tissu industriel donc perte massive d’emplois pour travailleurs peu qualifiés. Bon nombre d’auteurs, même en dehors du microcosme dit “identitaire”, ont pourtant tiré la sonnette d’alarme.
Je pense notamment au Français Jean-Paul Gourévitch qui, en 2007, énumérait quatre défis majeurs auxquels les pays accueillant de fortes minorités immigrées allaient être confrontés:
1) le vieillissement de la population européenne, observable déjà depuis les années 60, notamment par un historien comme Pierre Chaunu (père de l’“histoire sérielle”), est un phénomène très préoccupant d’implosion et de ressac qui n’a jamais été contré par une politique nataliste et volontariste, semblable à celle que Poutine tente de mettre en place en Russie; le recul des naissances, dans la logique d’une société de consommation, où le quantitatif prime le qualitatif, oblige à faire appel à des migrations comme palliatifs, des migrations d’abord bien encadrées, quand la bonne conjoncture des “Trente Glorieuses” le permettait encore, puis déversées dans nos villes de manière anarchique et incontrôlée;
2) la lutte difficile contre les inévitables discriminations, lutte amorcée en vue de faciliter l’intégration; ces difficultés sont dues, notamment, entre beaucoup d’autres pierres d’achoppement, à l’impossibilité d’étendre à l’infini le marché public du logement social, lequel se compose, notamment en France, d’appartements de quatre pièces, insuffisants pour abriter des familles extrêmement nombreuses, parfois polygames; le parc immobilier, mis à la disposition des plus démunis, exige des frais d’entretien énormes que les municipalités ne peuvent plus financer; les volontés de “mixité” sociale, exprimées par les pouvoirs publics, se heurtent tout à la fois à l’hostilité des autochtones, qui quittent les villes pour les périphéries, et des immigrés qui veulent rester entre eux, sans immixtion constante de fonctionnaires municipaux, dénués de raison vitale et adeptes de toutes les niaiseries idéologiques; les discriminations à l’emploi continuent à frapper les immigrés, en dépit de plus de deux décennies de propagande massive en faveur de l’intégration; on doit donc en conclure que les politiques d’intégration ont partout fait faillitte car elles ne sont acceptées ni des autochtones, qui restent silencieux et fuient les villes pour constituer une nouvelle catégorie démographique, celle des “néo-ruraux”, ni des immigrés, qui manifestent parfois bruyamment leur mécontentement, quand les subsides qui leur sont pourtant généreusement alloués leur semblent trop chiches (voir les récents événements de Suède).
3) Les Etats hôtes d’Europe occidentale n’ont pas pu maîtriser l’immigration clandestine qui, par le flux ininterrompu qu’elle représente, précarise, bien au-delà du simple regroupement familial préconisé depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, les strates immigrées déjà présentes ou anciennes; elles rendent encore plus hétéroclites les masses non intégrées, créant de la sorte, en ce début de 21ème siècle, la situation aberrante que narre le mythe biblique de la “Tour de Babel”, où tous finissent pas fuir parce que s’instaure la confusion générale. Les flux hétérogènes, différents des premières vagues migratoires légales vers l’Europe, génèrent, de par leur illégalité, une exploitation cruelle, assimilable à une forme d’esclavage, n’épargnant pas les mineurs d’âge (50% des nouveaux esclaves!) et basculant largement dans une prostitution incontrôlable. A laquelle s’ajoutent aussi les trafics d’organes. Cette “économie” parallèle contribue à corrompre les services de police et de justice. Autre horreur: la réapparition de “murs” (après la disparition de celui de Berlin) le long de la frontière américano-mexicaine, en lisière des villes espagnoles de Ceuta et Melilla, et de murs “virtuels” sous forme de radars et de détecteurs en Mer du Nord et en Méditerranée, dispositifs chimiques pour détecter l’émission des gaz carboniques émis par les corps humains dissimulés, etc. Toutes ces infrastructures de dissuasion coûtent fort cher et mobilisent des budgets qui rognent sur ceux, utiles, de la sécurité sociale, de la recherche et du développement, du réarmement de l’Europe, de l’enseignement, etc. Ils contribuent ainsi à l’affaiblissement généralisé de l’Europe, citadelle aujourd’hui assiégée de toutes parts. Tous ces problèmes horribles, inouïs, et le sort cruel des exploités, des enfants réduits à une prostitution incontrôlée, les pauvres hères à qui on achète les organes, les travailleurs sans protection qu’on oblige à prester des travaux dangereux ne font pas sourciller les faux humanistes, qui se donnent bonne conscience en défendant les “sans papiers” mais qui sont, par là même, les complices évidents des mafieux —également “sans papiers” pour échapper à toute poursuite et à toute localisation. Ceux-ci peuvent ainsi tranquillement poursuivre leurs activités lucratives: en tant qu’“idiots utiles”, les humanistes à faux nez sont complices et donc coupables, co-auteurs, des crimes commis contre ces pauvres déracinés sans protection et que ne protègeront pas, bien entendu, les fameux “papiers” qu’on réclame pour eux. Nos angélistes aux discours tout de mièvrerie sont donc complices des forfaits commis, au même titre que les proxénètes, les négriers et les trafiquants. Sans la mobilisation des “bonnes consciences”, ces derniers ne pourraient pas aussi aisément poursuivre leurs menées criminelles.
4) Le quatrième défi, mis en évidence par Gourévitch, est celui de l’économie informelle, phénomène antérieur aux flux migratoires, mais que ceux-ci ont amplifiés, tout en alimentant la fraction, de plus en plus nombreuse, des populations migrantes qui ne parviennent pas à s’insérer dans le tissu social, en dépit des dispositifs d’intégration mis en place depuis trois bonnes décennies. La France a beau avoir mis en place la DILTI (“Délégation Interministérielle à la Lutte contre le Travail Illégal”), l’OCDE a eu tout aussi beau jeu de tirer à son tour la sonnette d’alarme, l’ethnic business et l’économie souterraine, les recels et les locations de taudis insalubres, bref la totalité de l’économie informelle aurait brassé, selon l’enquête menée par Gourevitch en 2007 à plus de 300 milliards d’euro, soit 17 à 18% du PIB français. L’ampleur de cette économie informelle et l’opacité du milieu qui la génère rend les services de police et la justice totalement impuissants.
Nous faisons donc face à cette économie informelle, qui génère des “sociétés parallèles” (qu’appuie un certain Erdogan en Europe centrale, avec tout le poids de la diplomatie turque...) et à la démultiplication quasi à l’infini des frais sociaux, prévus par l’Etat-Providence. Cette démultiplication va entraîner très vite, dans les cinq à dix ans à venir, l’assèchement des caisses municipales (et autres...) et à l’impossibilité de lever de nouveaux impôts sur une classe moyenne considérablement appauvrie par la crise. La démesure babelienne que les intellos écervelés et les “croyeux” naïfs ont prise pour du “progressisme”, à grand renfort de propagande médiatique, va se muer en un bel éventail de facteurs non niables de “régressisme”, de régression sociale, de détricotage de tous les acquis sociaux et syndicaux. Selon l’adage: qui veut faire l’ange, fait la bête... Les négateurs de balises et de limites, qui voulaient tout bousculer au nom du “progrès” (qu’ils imaginaient au-delà de tout empirisme), vont provoquer une crise qui rendra leurs rêves totalement impossibles pour au moins une dizaine de générations, sauf si nous connaîtrons l’implosion totale et définitive... Quant aux solutions que nous pourrions apporter, eh bien, elles sont nulles car le système a bétonné toute critique: il voulait poursuivre sa logique, sans accepter le moindre correctif démocratique, en croyant que tout trouverait une solution. Ce calcul s’est avéré faux. Archi-faux. Donc tout va s’effondrer. Devant notre lucidité. Nous rirons de la déconfiture de nos adversaires mais nous pleurerons amèrement sur les malheurs de nos peuples.
8.
Si nous prenons en considération l’avancée profonde du matérialisme et de l’individualisme dans les pays occidentaux, ne devons-nous pas craindre d’être poussé vers une perte totale de spiritualité?
Nous avons déjà perdu toute spiritualité. Les traditionalistes, qui s’inspirent de Guénon et d’Evola, évoquent une ère de “Kali Yuga”, d’âge sombre, telle que l’entrevoit la tradition hindoue. C’est bien l’époque que nous vivons car Evola a signalé qu’en fin de cycle, les phénomènes de dégénérescence et de déclin vont en s’accélérant, plongeant les Empires et les Etats dans la déliquescence totale. En Europe, où nous n’avons même plus un Kagan ou un Kaplan pour nous rappeler quelques recettes élémentaires pour tenir un Empire, même à une époque de ressac. Le “Kali Yuga” est donc bien palpable de nos jours: la France, depuis Sarközy et Hollande (dit “Holl’andouille”) n’est plus que la caricature d’elle-même, et la négation de sa propre originalité politico-diplomatique gaullienne; l’Allemagne se cramponne à des idées fixes et n’ose pas s’affirmer, sous le règne d’une Angela Merkel qui n’a bien entendu ni le tonus ni la clairvoyance de ses prédécesseurs socialistes, d’un Schroeder ou d’un Schmitt. Votre question, si j’y répondais de manière exhaustive, exigerait la rédaction d’un livre tout entier. Je ne peux dire en quelques lignes ce qu’Evola, Schuon, Guénon ou d’autres traditionalistes ont dit en plusieurs dizaines de volumes, car, souvent, il n’y a pas grand chose à ajouter à leurs diagnostics, si ce n’est les traduire en un langage plus quotidien.
L’histoire de mon pays, la Belgique, nous fait entrevoir le désastre, rien que dans l’involution de la famille politique catholique, puis “démocrate-chrétienne”. Notre histoire politique montre donc que l’exigence morale des tenants de la “Jeune Droite” de Henry Carton de Wiart au début du 20ème siècle, puis des militants de l’ACJB (“Action Catholique de la Jeunesse Belge”), quelles qu’aient été leurs options ultérieures après l’émergence du rexisme de Léon Degrelle, que le souci éthique que le Prof. Marcel Decorte avait encore voulu réveiller dans les années 50, se sont bien vite évanouis au profit d’un technocratisme sans épaisseur éthique, importé par Paul Van Zeeland avant-guerre et poursuivi par toute une série de politiciens sans envergure ou sans scrupules après 1945 ou au profit d’un démocratisme du “je-ne-sais-quoi” et du “presque-rien” qui a débouché sur la mascarade puante d’un parti dirigé par des festivistes écervelés qui se donnent désormais l’étiquette d’“humanistes”. On se demande en quoi leurs salades sont “humanistes”: Erasme, qui était hypocondriaque mais un véritable humaniste renaissanciste, doit galoper plein tube vers un bassinet pour y vômir sa soupe aux légumes quand, du haut de son empyrée céleste, il jette un regard sur le spectacle que nous donne en permanence cette brochette de connards et de connasses qui ont galvaudé le terme même d’humanisme puis transformé, par leurs sottises, la principale force politique de la Belgique, en un parti estropié et minoritaire, à la remorque des socialistes, qui titubent d’une corruption à l’autre, pour chavirer ensuite dans une autre perversité. En Flandre, les excès de technocratisme, tourné en “plomberie” du temps de Dehaene, ont également ruiné le pôle démocrate-chrétien au profit d’une forme de pseudo-nationalisme, centré sur la vacuité et la vanité d’un gros bonhomme qui a maigri pour faire jacasser les médias, une formation idéologiquement filandreuse à relents festivistes, avec laquelle personne ne veut gouverner. Bref, l’absence d’éthique dans le pôle politique qui, précisément, entendait l’incarner, du moins jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, a provoqué l’implosion du pays. L’Europe et le reste du monde occidental présentent la même implosion, parfois en moins ridicule mais toujours sur un mode aussi navrant, aussi impolitique, aussi incapable de sortir notre aire civilisationnelle de l’ornière où elle s’est enlisée.
La disparition de toute épine dorsale éthique dans le monde occidental, le plus touché par la décadence, entraîne toute une série de maladies psycho-sociales, dont quelques universitaires dressent la cartographie, tout en étant complètement ignorés des “décideurs” politiques qui, comme on le sait, préfèrent la politique de l’autruche. Parmi ces universitaires, je ne citerai que le Flamand Dirk De Wachter, professeur à la KUL de Louvain, et l’Allemand Manfred Spitzer, directeur de la clinique psychiatrique de l’Université d’Ulm (cf. Dirk De Wachter, “Borderline Times – Het einde van de normaliteit”, Lannoo Campus, Tielt, 2012; Manfred Spitzer, “Digitale Demenz – Wie wir uns und unsere Kinder um den Verstand bringen”, Droemer, München, 2012).
Le Prof. De Wachter voit disparaître toute forme de “normalité” et glisser nos populations vers ce qu’il appelle, en jargon de psychiatrie, le “borderline”, la “limite” acceptable pour tout comportement social intégré, une “borderline” que de plus en plus de citoyens franchissent malheureusement pour basculer dans une forme plus ou moins douce, plus ou moins dangereuse, de folie: en Belgique, 25% de la population est en “traitement”, 10% ingurgitent des anti-dépresseurs, de 2005 à 2009 le nombre d’enfants et d’adolescents contraints de prendre de la rilatine a doublé rien qu’en Flandre (de 15.000 à 30.000...); en 2007, la Flandre est le deuxième pays sur la liste en Europe quant au nombre de suicides par million d’habitants (161/un million). C’est là, on en conviendra, une brillante réussite de la politique régimiste! Bilan désastreux pour nos “progressistes” qui croyaient avoir trouvé toutes les formules pour faire le bonheur des masses! Pour le Prof. De Wachter, la solution réside dans un renouveau culturel, littéraire et artistique, basé sur des principes radicalement différents de ceux appliqués aujourd’hui dans les établissements d’enseignement: l’effondrement du niveau, où le prof doit se mettre au niveau des élèves et capter leur attention “no matter what” et la négligence des branches littéraires, artistiques et musicales, qui permettent à l’enfant de tenir compte d’autrui, font basculer les nouvelles générations dans une déshumanisation problématique, constate le Prof. De Wachter, en se réclamant du philosophe conservateur britannique Roger Scruton et de la “communautariste” américaine Martha Nussbaum, vigoureuse avocate du retour aux humanités classiques, à nos racines grecques et aristotéliciennes. Guérir notre société malade passe donc par une révolution culturelle, soit par un retour, par un “revolvere” aux fondements sûrs de notre civilisation, aux humanités classiques et aux bases identitaires. Sans identité, sans tradition, sans “centre” intérieur (Frithjof Schuon), on devient fou: tel est notre constat, schématisé ici de manière certes un peu abrupte, et il est corroboré par l’une des plus grandes sommités de la médecine psychiatrique de la célèbre université de Louvain. Ceux qui nous contrarient au nom de leurs chimères et de leurs délires, sont, par voie de conséquence, sans trop solliciter les faits, des fous qui veulent précipiter leurs contemporains au-delà de la “borderline”, où on ne survit qu’à grands renforts d’anti-dépresseurs ou d’euphorisants, à moins de passer dans la catégorie des 161 infortunés sur un million d’habitants qui recourent au suicide.
Quant à ce spécialiste des recherches sur le fonctionnement du cerveau qu’est le Prof. Manfred Spitzer, il s’est penché tout spécialement, dans son dernier livre (op. cit.) sur la “démence digitale”, où il dénonce l’utilisation abusive de médias digitalisés dans l’enseignement. Son ouvrage est une riposte à une dangereuse élucubration de la “Commission d’enquête” du Bundestag allemand, qui avait prévu d’offrir un “notebook” à tous les écoliers et de promouvoir la “pédagogie par jeux informatiques”: il paraît d’après ces délirants germaniques que cette bimbeloterie high tech et cette pédagogie de cornecul vont offrir “un meilleur avenir pour nos enfants” (gnagnagna...). Pour le Prof. Spitzer, nobelisable, ce délire témoigne d’une méconnaissance totale du fonctionnement du cerveau humain (surtout au stade de l’enfance et de l’adolescence) et d’un commercialisme sans scrupules (car les marchands d’ordinateurs et de logiciels ont sûrement graissé la patte des politicards et des pédagogogues). Pourtant, bon nombre d’études scientifiques ont prouvé que les médias digitalisés ne donnaient que de piètres résultats sur le plan pédagogique. Pire, ils endommagent les corps et les cerveaux, dans la mesure où la mémoire et la concentration en pâtissent. On entraîne ainsi les nouvelles générations dans la superficialité, dans l’a-socialité (les amis virtuels de “Facebook” ou de “Twitter” ne sont pas des amis de chair et de sang), dans la dépression (cf. De Wachter), due notamment à l’absence de sommeil cumulée sur des mois voire des années. Et dans les pages 276 à 281 de son livre, Spitzer pointe du doigt les coupables: les politiciens, tous partis confondus; citation: “Lors de conférences et de débats, on m’a souvent demandé d’aller parler aux hommes politiques. Je l’ai fait, à plusieurs reprises, notamment, il y a quelques années, lors d’un audit d’experts mandé par la Commission de la jeunesse du Bundestag. Cet audit a duré deux fois plus de temps que prévu et les députés ont trouvé formidable tout ce que nous leur disions. Après environ six semaines, on a pondu un long protocole qui concluait... qu’il n’y avait aucune raison d’agir... Le lobby médiatique, entretemps, n’avait pas perdu son temps”. Mieux: “Le sort des enfants n’est pas pris au sérieux par les responsables politiques. Ils les perçoivent plutôt comme du bétail et non pas comme des êtres en pleine croissance, comme de petits diamants que l’on doit traiter raisonnablement et avec respect”. Voilà donc l’avis de deux experts, issus de facultés de médecine prestigieuses, un avis que les politiciens ignorent... Et peuvent ignorer en toute tranquillité parce qu’il n’y a pas de structures de combat métapolitique dans nos quartiers pour contrer leurs agissements criminels et anti-sociaux dans nos assemblées municipales, dans nos écoles, dans nos comités de voisinage, etc. Il y a des dizaines de savants irréprochables, comme De Wachter et Spitzer, qui ne peuvent pas faire entendre leur voix parce qu’ils n’ont aucun relais dans la société civile, aucune association métapolitique pour leur venir en aide et faire triompher, dans chaque quartier, dans chaque bourg, leurs idées justes et bonnes.
9.
Quelles est votre opinion sur la montée ou sur les avatars des partis dits “nationalistes” en Europe aujourd’hui?
A partir de la perestroïka de Gorbatchev, au moment de la chute du Mur de Berlin, au début des années 90 du 20ème siècle, tous les espoirs étaient quasi permis: le communisme disparaissait en tant que partie prenante du duopole de Yalta. Sa fonction de croquemitaine pour imposer le libéralisme manchestérien à l’Europe occidentale s’évanouissait. On pouvait envisager ce que nous appellions, à l’ère du duopole, une “troisième voie” (Jean-Gilles Malliarakis à Paris) ou un “solidarisme” (Lothar Penz et Ulrich Behrenz à Hambourg). Rien n’est arrivé. Nos espoirs ont été totalement déçus. Les partis dits “nationalistes” sont apparus à la même époque: Le Pen prend son envol, grâce aux efforts de Stirbois à Dreux, dès 1984, un an avant l’accession de Gorbatchev au pouvoir. D’autres partis sortent de la marginalité ailleurs en Europe: le bilan de cette effervescence nouvelle à l’époque, je l’ai dressé, encore assez enthousiaste, avec le regretté Roland Gaucher, dans un numéro spécial sur les “nouveaux nationalistes” du célèbre mensuel parisien “Le Crapouillot” en 1994. C’était là une enquête minutieuse que j’avais pu mener allègrement, grâce, surtout, à la formidable documentation qu’avaient compilée Peter Dehoust, Heinz-Dieter Hansen et Wolfgang Strauss en Allemagne dans les colonnes de revues ou de bulletins comme “Nation Europa”, “DESG-Inform” ou “Staatsbriefe” (du Dr. Hans-Dieter Sander). Deux écueils expliquent la stagnation actuelle de toutes ces formations politiques, stagnation assortie par d’interminables querelles entre personnes: 1) le mirage du néo-libéralisme, dont ces formations ne se sont pas assez démarquées au profit d’un solidarisme nouveau, c’est-à-dire d’un socialisme comme aux temps héroïques, comme au temps de Georges Sorel ou de Roberto Michels, d’un socialisme débarrassé de toutes corruptions mais demeurant inébranlablement au service du peuple, ce qui n’est plus le cas d’un socialisme “diroupetté” ou “hollandouillé”; 2) l’incapacité à s’unir dans le domaine de la politique étrangère; on a vu certains partis faire l’apologie de Bush et du néo-conservatisme new-yorkais, au nom d’une islamophobie qui confondait l’islam avec les dérapages inacceptables du wahhabisme saoudien ou du salafisme nord-africain. Position aussi imbécile que celles des socialistes (corrompus) des vieilles sociales-démocraties usées d’Europe qui croyaient qu’Obama allait nous apporter une ère de paix diamétralement différente du bellicisme néo-conservateur! Alors qu’Obama poursuit, opiniâtre, le programme guerrier et pétrolier du père et du fils Bush!
Seule la FPÖ autrichienne offre, dans sa presse, des articles anti-impérialistes bien argumentés et documentés, dus à la plume d’un véritable héros contemporain de l’européisme sainement conçu, un héros modeste et effacé, le Dr. Bernhard Tomaschitz, que j’ai le vif plaisir de traduire assez souvent. En Italie, le quotidien de la “Lega Nord”, “La Padania”, offrait aussi de fructueuses analyses en politique étrangère et je me souviens, avec nostalgie, de ma coopération avec Archimede Bontempi, lors de la guerre de l’OTAN contre la Serbie. En dehors des partis représentés dans les hémicycles, le quotidien romain “Rinascita”, organe d’une “gauche nationale” offre chaque jour, grâce à un excellent réseau de correspondants dispersés dans le monde entier, des analyses de politique internationale qui devraient servir d’exemples à tous et faire honte à tous les cancres qui ne s’en inspirent pas...
En tant qu’admirateur de la clarté conceptuelle de Jean Thiriart, j’ai donc été déçu de ne pas voir les analyses de Tomaschitz, de Bontempi (et de ses amis) et de la formidable équipe de “Rinascita” être traduites en un militantisme offensif, tous azimuts, mobilisant les universités (si c’est encore possible, à l’heure de la démence digitalisée stigmatisée par le Prof. Spitzer...), les cercles culturels, para-politiques et métapolitiques, les débats parlementaires en commission des affaires étrangères, de manière à s’opposer systématiquement aux diktats de l’hegemon, non pas par une politique frontale, car nous n’en avons pas (encore) les moyens, mais par une stratégie des petits coups d’épingle constants et incessants, une stratégie dont les partis dits “nationalistes” auraient dû se faire le fer de lance, faute d’autres combattants représentatifs et à cause des scléroses mentales des formations d’extrême-gauche, pourtant plus férues de politique étrangère... Beaucoup n’ont pas opté pour ce combat constant et nécessaire... En attendant, l’Europe des tartuffes constate qu’elle est espionnée, que l’Oncle Sam a des yeux et des oreilles partout, jusque dans les chiottes du Parlement européen (pour parler comme Poutine...), grâce au système Prism et que John Bull fait de même, avec “Tempora”. Les cocus magnifiques... Nous n’avons pas attendu un tel scandale ni les révélations de Julian Assange ou d’Edward Snowden pour réagir, pour organiser un mini-pôle de rétivité. Une fois de plus, nous avons eu raison, mille fois raisons. Notre politique de refus de l’américanisme était la bonne. La seule qui soit politiquement rationnelle face à un hegemon malhonnête.
10.
Pour terminer cet entretien, je voudrais que vous expliquiez aux néophytes que nous sommes ce qu’a été le rôle de “Synergies Européennes”?
Vous pourrez consulter l’entretien que j’ai accordé au site scandinave “Oskorei” pour comprendre ce qu’a été “Synergies Européennes”. L’objectif était de faire travailler ensemble des Européens lucides et enracinés dans leur culture par des colloques, conférences et universités d’été communes et par une politique de traduction tous azimuts. Lors de mon intervention sur les ondes de la radio libre “Méridien Zéro” en juin 2012, l’animateur de service ce jour-là m’a bien avoué qu’il manque aujourd’hui en Europe une association “baldaquin” du genre que celle que j’ai animée jusqu’en 2004, avant de passer au virtuel comme tout le monde —ce qui n’est pas la même chose, hélas, que les rapports directs et personnels entre confrères— sur les sites http://euro-synergies.hautetfort.com puis http://vouloir.hautetfort.com et http://archiveseroe.eu . Mes textes personnels se trouvent sur http://robertsteuckers.blogspot.com . Si d’aucuns estiment opportune la renaissance d’une telle structure souple et ouverte, d’un tel baldaquin, que les volontaires se présentent au bureau de recrutement, avec leurs références, prouvant qu’ils savent travailler dans la constance et la détermination. Et tout redémarrera comme au premier jour.
11.
Merci d’ajouter les quelques mots de la fin pour nos lecteurs...
Méditez l’adage tiré de la fable de Lafontaine, “Le laboureur et ses enfants”: “Travaillez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins”.
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lundi, 01 juillet 2013
Entretien avec Gilbert Sincyr
« Le Paganisme est une Vue du monde
basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme.
Il est fondé sur le sens de l’honneur
et de la responsabilité de l’Homme,
face aux évènements de la vie »
Entretien avec Gilbert Sincyr, auteur du livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe
Propos recueillis par Fabrice Dutilleul
Votre livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe est un succès. Pourtant ce thème peut paraître quelque peu « décalé » à notre époque.
Bien au contraire : si les églises se vident, ce n’est pas parce que l’homme a perdu le sens du sacré, c’est parce que l’Européen se sent mal à l’aise vis-à-vis d’une religion qui ne répond pas à sa sensibilité. L’Européen est un être qui aspire à la liberté et à la responsabilité. Or, lui répéter que son destin dépend du bon vouloir d’un Dieu étranger, que dès sa naissance il est marqué par le péché, et qu’il devra passer sa vie à demander le pardon de ses soi-disant fautes, n’est pas ce que l’on peut appeler être un adulte maître de son destin. Plus les populations sont évoluées, plus on constate leur rejet de l’approche monothéiste avec un Dieu responsable de tout ce qui est bon, mais jamais du mal ou de la souffrance, et devant qui il convient de se prosterner. Maintenant que l’Église n’a plus son pouvoir dominateur sur le peuple, on constate une évolution vers une aspiration à la liberté de l’esprit. C’est un chemin à rebours de la condamnation évangélique, originelle et perpétuelle.
Alors, qu’est-ce que le Paganisme ?
C'est d’abord un qualificatif choisi par l’Église pour désigner d’un mot l’ensemble des religions européennes, puisqu’à l’évidence elles reposaient sur des valeurs communes. C’est donc le terme qui englobe l’héritage spirituel et culturel des Indo-européens. Le Paganisme est une Vue du monde basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme. Il est fondé sur le sens de l’honneur et de la responsabilité de l’Homme, face aux évènements de la vie. Ce mental de combat s’est élaboré depuis le néolithique au fil de milliers d’années nous donnant une façon de penser, une attitude face au monde. Il est à l’opposé de l’assujettissement traditionnel moyen-oriental devant une force extérieure, la volonté divine, qui contrôle le destin de chacun. Ainsi donc, le Paganisme contient et exprime l’identité que se sont forgés les Européens, du néolithique à la révolution chrétienne.
Vous voulez donc remplacer un Dieu par plusieurs ?
Pas du tout. Les temps ne sont plus à l’adoration. Les Hommes ont acquit des connaissances qui les éloignent des peurs ancestrales. Personne n’a encore apporté la preuve incontestable qu’il existe, ou qu’il n’existe pas, une force « spirituelle » universelle. Des hommes à l’intelligence exceptionnelle, continuent à s’affronter sur ce sujet, et je crois que personne ne mettrait sa tête à couper, pour l’un ou l’autre de ces choix. Ce n’est donc pas ainsi que nous posons le problème.
Le Paganisme, qui est l’expression européenne d’une vue unitaire du monde, à l’opposé de la conception dualiste des monothéismes, est la réponse spécifique d’autres peuples aux mêmes questionnements. D’où les différences entre civilisations.
Quand il y a invasion et submersion d’une civilisation par une autre, on appelle cela une colonisation. C’est ce qui s’est passé en Europe, contrainte souvent par la terreur, à changer de religion (souvenons-nous de la chasse aux idoles et aux sorcières, des destructions des temples anciens, des tortures et bûchers, tout cela bien sûr au nom de l’amour). Quand il y a rejet de cette colonisation, dans un but de recherche identitaire, on appelle cela une libération, ou une « Reconquista », comme on l’a dit de l’Espagne lors du reflux des Arabes. Et nous en sommes là, sauf qu’il ne s’agit pas de reflux, mais d’abandon de valeurs étrangères au profit d’un retour de notre identité spirituelle.
Convertis par la force, les Européens se libèrent. « Chassez le naturel et il revient au galop », dit-on, et voilà que notre identité refoulée nous revient à nouveau. Non pas par un retour des anciens Dieux, forme d’expression d’une époque lointaine, mais comme un recours aux valeurs de liberté et de responsabilité qui étaient les nôtres, et que le Paganisme contient et exprime.
Débarrassés des miasmes du monothéisme totalitaire, les Européens retrouvent leur contact privilégié avec la nature. On reparle d’altérité plutôt que d’égalité, d’honneur plutôt que d’humilité, de responsabilité, de volonté, de défi, de diversité, d’identité, enfin de ce qui constitue notre héritage culturel, pourchassé, rejeté et condamné depuis deux mille ans.
S’agit-il alors d’une nouvelle guerre de religion ?
Pas du tout, évidemment. Les Européens doivent dépasser ce qui leur a été imposé et qui leur est étranger. Nous devons réunifier sacré et profane, c’est-à-dire réaffirmer que l’homme est un tout, que, de ce fait, il est le maître de son destin car il n’y a pas dichotomie entre corps et esprit. Les Européens ne doivent plus s’agenouiller pour implorer le pardon de fautes définies par une idéologie dictatoriale moyen-orientale. Ce n’est pas vers un retour du passé qu’il nous faut nous tourner, gardons-nous surtout d’une attitude passéiste, elle ne serait que folklore et compromission. Au contraire des religions monothéistes, sclérosées dans leurs livres intouchables, le Paganisme, comme une source jaillissante, doit se trouver de nouveaux chemins, de nouvelles expressions. À l’inverse des religions du livre, bloquées, incapables d’évoluer, dépassées et vieillissantes, le Paganisme est l’expression de la liberté de l’homme européen, dans son environnement naturel qu’il respecte. C’est une source de vie qui jaillit de nouveau en Europe, affirmant notre identité, et notre sens du sacré, pour un avenir de fierté, de liberté et de volonté, dans la modernité.
Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europede Gilbert Sincyr, éditions de L’Æncre, collection « Patrimoine des Religions », dirigée par Philippe Randa, 232 pages, 25 euros.
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samedi, 29 juin 2013
Les guerres d'Afrique
Des origines à nos jours
Entretien avec Bernard Lugan
Africaniste renommé, récemment auteur entre autres ouvrages d'une Histoire de l'Afrique, d'une Histoire de l'Afrique du Sud et d'une Histoire du Maroc, expert auprès du TPI-Rwanda et éditeur de la lettre d'information L'Afrique Réelle, Bernard Lugan signe aujourd'hui une nouvelle somme.
Son livre est très logiquement divisé selon un plan chronologique en quatre grandes parties : "Guerres et sociétés guerrières en Afrique avant la colonisation", "Les guerres de conquête coloniale", "Les guerres de la période coloniale" et "Les guerres contemporaines, 1960-2013", tous conflits dont il fait le récit chronologique et factuel. On voit bien l'ampleur du sujet et Bernard Lugan nous fait plusieurs fois traverser le continent de part en part au fil des époques. La grande région sahélienne, celle des Grands Lacs et l'Afrique australe reviennent bien sûr à plusieurs reprises et certaines situations résonnent en écho jusqu'à aujourd'hui. Tous les chapitres, agrémentés d'encarts qui précisent des situations locales ou des données chiffrés, sont intéressants et l'on ne retiendra à titre d'exemple que quelques titres de la dernière partie (sait-on que pour la période 2000-2010 70% des décisions de l'ONU sont relatives aux conflits africains ?) : "La guerre civile algérienne (1992-2002)", "Les guerres de Somalie : clans contre clans (depuis 1977)", "Nigeria : de la guerre du Biafra au conflit ethno-religieux Nord-Sud", "La deuxième guerre du Kivu (depuis 2007)" : autant de coups de projecteur extrêmement utiles et souvent pertinents sur des zones crisogènes dont l'Europe ne peut pas se désintéresser (même si elle le voulait, de toute façon).
L'ensemble de ces chapitres, rédigés d'une plume alerte et toujours référencés, est complété par un cahier central d'une soixantaine de cartes en couleurs, parfaitement lisibles et pédagogiques, et le livre se termine sur un index complet et une bibliographie significative. Ceux qui connaissent déjà tel ou tel engagement pourront regretter que certaines campagnes ne soient pas traitées davantages en détail, mais aborder autant d'opérations et de combats en 400 pages témoigne d'un bel esprit de synthèse. Au total, un ouvrage appelé à devenir très rapidement de référence et que liront avec le plus grand intérêt les étudiants et tous ceux qui soit s'intéressent à l'histoire du continent, soit se préoccupent de l'avenir.
Editions du Rocher, Monaco, 2013, 403 pages, 32 euros.
ISBN : 978-2-268-97531-0.
Bernard Lugan a bien voulu répondre à quelques questions pour nos lecteurs :
Question : Votre livre dresse un impressionnant tableau des conflits en Afrique de la plus haute Antiquité aux guerres actuelles. Par grande période, une introduction présente un résumé des évolutions, mais vous ne tentez pas d'en tirer des enseignements généraux en conclusion. Pourquoi ?
Réponse : Parce que nous ne devons par parler de l’Afrique, mais des Afriques, donc des guerres africaines. Mon livre est construit sur cette multiplicité, sur ces différences irréductibles les unes aux autres et sur leur mise en perspective. Dans ces conditions, il est vain de faire une typologie, sauf pour les guerres de la période contemporaine, ce que j’ai fait, et encore moins une classique conclusion de synthèse.
Question : La grande région saharienne-Sahel est présente dans chaque partie, des "Origines de la guerre africaine" aux "Guerres contemporaines". Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce qui semble bien être une zone de conflits quasi-permanents ?
Réponse : Cette zone qui court de l’Atlantique à la mer Rouge en couvrant plus de dix pays, est un véritable rift racial et ethnique en plus d’être une barrière géographique. Ce fut toujours une terre convoitée car elle fut à la fois le point de départ et le point d’arrivée -hier du commerce, aujourd’hui des trafics transsahariens, une zone de mise en relation entre l’Afrique « blanche » et l’Afrique des savanes, un monde d’expansion des grands royaumes puis de l’islam.
Aujourd’hui, cette conflictualité ancienne et résurgente tout à la fois est exacerbée par des frontières cloisonnant artificiellement l’espace et qui forcent à vivre ensemble des populations nordistes et sudistes qui ont de lourds contentieux. Le tout est aggravé par le suffrage universel fondé sur le principe du « un homme, une voix », qui débouche sur une ethno mathématique donnant automatiquement le pouvoir aux plus nombreux, en l’occurrence les sudistes. Voilà la cause de la guerre du Mali, mais ce problème se retrouve dans tout le Sahel, notamment au Niger et au Tchad. Au Mali, le fondamentalisme islamiste s’est greffé sur une revendication politique nordiste de manière récente et tout à fait opportuniste. Or, comme le problème nord-sud n’a pas été réglé, les causes des guerres sahéliennes subsistent.
Question : On a dit beaucoup de choses sur le retentissement de l'échec italien lors de la première tentative de conquête de l'Ethiopie à la fin du XIXe siècle. Si les conséquences en politique intérieure à Rome sont compréhensibles, ces événements ont-ils un écho réel dans les autres capitales européennes et sur le sol africain lui-même ?
Réponse : L’originalité de la défaite d’Adoua est qu’elle a, sur le moment, mis un terme au projet colonial italien. Ce fut une défaite stratégique. Français, Anglais et Allemands connurent eux aussi des défaites, les premiers, notamment au Sahara, mais cela n’interrompit pas la prise contrôle de ces immensités ; les Britanniques furent battus à Isandhlawana, ce qui n’empêcha pas la conquête du royaume zulu ; quant aux Allemands, ils subirent plusieurs déconvenues contre les Hehe et les Maji Maji, mais l’Est africain fut néanmoins conquis. Le désastre italien fut d’une autre nature, d’une autre échelle, alors que, à l’exception d’Isandlhawana, Anglais, Français et Allemands ne perdirent en réalité que des combats à l’échelle d’une section, au pire, d’une compagnie. Quant aux Espagnols, même après leurs sanglantes déroutes lors de la guerre du Rif, leur présence dans le Maroc septentrional ne fut pas remise en cause et, dès qu’ils décidèrent d’utiliser leurs troupes d’élite comme le Tercio et non plus des recrues tant métropolitaines qu’indigènes, ils reprirent le contrôle de la situation. Il faut cependant remarquer qu’avant son éviction par Pétain, Lyautey avait, comme je le montre dans mon livre, rétabli la situation sur le front de l’Ouergha et de Taza, ce qui enlevait toute profondeur d’action aux Riffains.
Autre conséquence, auréolée par sa victoire de 1896, puis par sa résistance sous Mussolini, l’Ethiopie eut un statut particulier d’Etat leader du mouvement indépendantiste et ce fut d’ailleurs pourquoi, dès sa création en 1963, le siège de l’Organisation de l’unité africaine fut établi à Addis-Abeba.
Question : Vous décrivez "Un demi-siècle de guerres au Zaïre/RDC", et l'on a finalement le sentiment qu'une amélioration de la situation reste très hypothétique. Comment l'expliquez-vous ?
Réponse : Ici le problème est sans solution car il n’est pas économique mais ethnique et politique. Nous sommes en effet en présence d’un Etat artificiel découpé au centre du continent à la fin du XIX° afin de retirer le bassin du Congo à la convoitise des colonisateurs et cela afin d’éviter une guerre européenne pour sa possession. Cet Etat artificiel, désert humain en son centre forestier, englobe sur ses périphéries de vieux Etats comme le royaume Luba, l’empire Lunda ou encore le royaume de Kongo. Ces derniers ont une forte identité et leurs peuples ne se reconnaissent pas dans l’artificielle création coloniale qu’est la RDC. Quant à l’impérialisme rwandais qui s’exerce au Kivu, il entretient un foyer permanent de guerre dans tout l’est du pays. La raison en est claire : étouffant sous sa surpopulation, le « petit » Rwanda doit trouver un exutoire humain s’il veut éviter le collapsus. De plus, comme 40% du budget du pays provient de l’aide internationale et le reste, à plus de 90% du pillage des ressources du Congo, pour le Rwanda, la fin de la guerre signifierait donc la mort économique du pays. Appuyé par les Etats-Unis qui en ont fait le pivot de leur politique régionale, le Rwanda exploite avec habileté ce que certains ont appelé la « rente génocidaire » pour dépecer sans états d’âme la partie orientale du pays.
Question : Vous intitulez la partie dans laquelle vous traitez de la décolonisation : « Des guerres gagnées, des empires perdus », pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Réponse : Parce que la parenthèse coloniale fut refermée sans affrontements majeurs, sans ces combats de grande intensité qui ravagèrent l’Indochine. En Afrique, les guérillas nationalistes ne furent jamais en mesure de l’emporter sur le terrain, pas plus en Algérie où les maquis de l’intérieur n’existaient quasiment plus en 1961, qu’au Kenya où les Britanniques avaient éradiqué les Mau Mau, ou encore que dans le domaine portugais -à l’exception de la Guinée Bissau-, où, et mes cartes le montrent bien, l’armée de Lisbonne était maîtresse du terrain. En Rhodésie, la pugnace et efficace petite armée de Salisbury avait réussi à tenir tête à une masse d’ennemis coalisés, massivement aidés par l’URSS et la Chine avant d’être trahie par l’Afrique du Sud qui pensa naïvement acheter son salut en abandonnant les Blancs de Rhodésie. Partout, la décolonisation fut un choix politique métropolitain ; elle ne fut nulle part imposée sur le terrain. Les combats de grande intensité apparurent après les indépendances, dans le cadre de la guerre froide, et je les décrits dans mon livre : Angola, South African Border War, Corne de l’Afrique, Congo etc.
Merci très vivement pour toutes ces précisions et plein succès pour votre ouvrage. A très bientôt.
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mardi, 25 juin 2013
P. Scholl-Latour: “L’Occident s’allie avec Al-Qaeda”
“L’Occident s’allie avec Al-Qaeda”
Peter Scholl-Latour, le grand expert allemand sur le Proche et le Moyen Orient s’exprime sur la guerre civile syrienne, sur le rôle de l’Europe et des Etats-Unis, sur le programme nucléaire iranien qui suscite bien des controverses...
Entretien avec Peter Scholl-Latour
Q.: En Syrie, l’armée vient de reprendre un bastion des rebelles, la ville de Qussayr et a enregistré d’autres succès encore. Ces victoires représentent-elles un tournant dans cette guerre civile atroce, cette fois favorable à Bechar El-Assad?
PSL: Jamais la situation n’a vraiment été critique pour le Président El-Assad, contrairement à ce qu’ont toujours affirmé nos médias. Il y a bien sûr des villages qui sont occupés par les rebelles; des frontières intérieures ont certes été formées au cours des événements mais on peut difficilement les tracer sur une carte avec précision. La Syrie ressemble dès lors à une peau de léopard. Aucun chef-lieu de province n’est tombé aux mains des rebelles, bien que bon nombre d’entre eux soient entourés de villages hostiles à El-Assad. Il est tout aussi faux d’affirmer que tous les Sunnites sont des adversaires d’El-Assad, et la chute d’une place forte stratégique aussi importante que Qussayr est bien entendu le fruit d’une coopération avec le Hizbollah libanais.
Q.: Le Liban sera-t-il encore plus impliqué dans la guerre civile syrienne qu’auparavant?
PSL: Le Liban est profondément impliqué! Quand j’étais à Tripoli dans le Nord du pays, il y a trois ans, des coups de feu s’échangeaient déjà entre les quartiers alaouites et sunnites. La ville de Tripoli a toujours été considérée comme le principal bastion au Liban de l’islam rigoriste et, pour l’instant, on ne sait pas encore comment se positionneront vraiment les chrétiens. On peut cependant prévoir qu’ils en auront bien vite assez de la folie des rebelles syriens, dont le slogan est le suivant: “Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites au cimetière!”.
Q.: L’UE vient encore de prolonger l’embargo sur les armes contre la Syrie, vu que l’Europe ne montre aucune unité diplomatique ou stratégique. Peut-on considérer cette posture comme un prise de position inutile de la part de l’UE?
PSL: Les Européens montrent une fois de plus une image lamentable, surtout les Français et les Anglais. Cette image lamentable, à mes yeux, se repère surtout dans la tentative maladroite des Français de prouver que le régime d’El-Assad utilise des gaz de combat, affirmation purement gratuite car il n’y a pas l’ombre d’une preuve. Cependant, les seuls qui auraient un intérêt à utiliser des gaz, même en proportions très limitées, sont les rebelles, car Obama a déclaré naguère que l’utilisation de telles armes chimiques constituerait le franchissement d’une “ligne rouge”, permettant à l’Occident d’intervenir.
Q.: L’Occident pourra-t-il encore intervenir, surtout les Etats-Unis, même sans utiliser de troupes terrestres et en imposant militairement une zone interdite aux avions d’El-Assad?
PSL: Les Américains ne sont pas prêts, pour le moment, à franchir ce pas parce qu’ils ne veulent pas s’impliquer encore davantage dans les conflits du Proche Orient et surtout parce qu’ils en ont assez du gâchis libyen. L’Occident a certes connu une forme de succès en Libye, en provoquant la chute de Khadhafi, mais le pays est plongé depuis lors dans un inextricable chaos dont ne perçoit pas la fin. En Cyrénaïque, plus précisément à Benghazi, où l’on a cru naïvement qu’un soulèvement pour la démocratie avait eu lieu, l’ambassadeur des Etats-Unis a été assassiné. On aurait parfaitement pu prévoir ce chaos car la Cyrénaïque a toujours été, dans l’histoire, la province libyenne la plus travaillée par l’islamisme radical.
On a cru tout aussi naïvement que des élections allaient amener au pouvoir un gouvernement modéré et pro-occidental, mais on n’a toujours rien vu arriver... Les luttes acharnées qui déchirent la Libye sont organisées par les diverses tribus qui ont chacune leurs visions religieuses propres.
Q.: L’Occident soutient les rebelles en Syrie tandis que la Russie se range derrière El-Assad. Peut-on en conclure que, vu les relations considérablement rafraîchies aujourd’hui entre l’Occident et la Russie, la guerre civile syrienne est une sorte de guerre russo-occidentale par partis syriens interposés?
PSL: Bien sûr qu’il s’agit d’une guerre par partis syriens interposés: les Russes se sont rangés derrière El-Assad, comme vous le dites, de même que l’Iran et le premier ministre irakien Nouri Al-Maliki. La frontière entre la Syrie et la Turquie est complètement ouverte, ce qui permet aux armes, aux volontaires anti-Assad et aux combattants d’Al Qaeda de passer en Syrie et de renforcer le camp des rebelles. De plus, en Turquie, on entraîne des combattants tchétchènes, ce qui me permet de dire que l’Occident s’est bel et bien allié à Al-Qaeda.
Q.: Quelles motivations poussent donc les Turcs? Sont-ils animés par un rêve de puissance alimenté par l’idéologie néo-ottomane?
PSL: Selon toute vraisemblance, de telles idées animent l’esprit du premier ministre turc Erdogan. Mais, depuis peu, des troubles secouent toute la Turquie, qu’il ne faut certes pas exagérer dans leur ampleur parce qu’Erdogan est bien installé au pouvoir, difficilement délogeable, ne peut être renversé. Mais les événements récents égratignent considérablement l’image de marque de la Turquie, telle qu’elle avait été concoctée pour le public européen, celle d’un pays à l’islam tolérant, exemple pour tout le monde musulman. Cette vision vient d’éclater comme une baudruche. Mais les véritables inspirateurs des rebelles syriens sont les Saoudiens, dont la doctrine wahhabite est précisément celle des talibans.
Q.: L’Autriche va retirer ses casques bleus du Golan. On peut dès lors se poser la question: la mission de l’ONU dans cette région pourra-t-elle se maintenir? Si la zone-tampon disparaît, ne peut-on pas craindre une guerre entre Israël et la Syrie?
PSL: Pour les Israéliens, ce serait stupide de déclencher une guerre, ce serait une erreur que personne ne comprendrait car depuis la fin de la guerre du Yom Kippour, il y a près de quarante ans, il n’y a pas eu le moindre incident sur la frontière du Golan. J’ai visité là-bas les casques bleus autrichiens et ils ne m’ont pas mentionné le moindre incident. Aujourd’hui toutefois les échanges de tirs ont commencé et les groupes islamistes extrémistes s’infiltrent; il vaut donc mieux que les Autrichiens, qui ont l’ordre de ne jamais tirer, se retirent au plus vite.
Q.: Mais alors une guerre entre Israéliens et Syriens devient possible...
PSL: Israël a une idée fixe: la grande menace viendrait de l’Iran, ce qui est une interprétation totalement erronée. Si les rebelles ont le dessus en Syrie, Israël aura affaire à des islamistes sunnites sur les hauteurs du Golan. Bien sûr, on me rétorquera que le Hizbollah chiite du Liban est, lui aussi, sur la frontière avec Israël, mais il faut savoir que le Hizbollah est une armée disciplinée. Sa doctrine est aussi beaucoup plus tolérante qu’on ne nous l’a dépeinte dans les médias occidentaux: par exemple, dans les régions tenues par le Hizbollah, il n’y a jamais eu de persécutions contre les chrétiens; les églises y sont ouvertes et les statues mariales y demeurent dressées. Toutes choses impensables en Arabie Saoudite, pays qui est un de nos chers alliés, auquel l’Allemagne ne cesse de fournir des chars de combat... Nous vivons à l’heure d’une hypocrisie totale.
Q.: Vous venez d’évoquer l’Iran: un changement de cap après les présidentielles est fort peu probable, surtout si la figure de proue religieuse demeure forte en la personne de Khamenei...
PSL: On a largement surestimé Ahmadinedjad. Il a certes dit quelques bêtises à propos d’Israël mais dans le monde arabe il y a bien d’autres hommes politiques qui ont dit rigoureusement la même chose, sans que les médias occidentaux n’aient jugé bon de lancer des campagnes d’hystérie. Certes, le zèle religieux est bien repérable chez les Chiites d’Iran et, dans les villes surtout, le nationalisme iranien est une force politique considérable. Si un conflit éclate, l’Iran n’est pas un adversaire qu’il s’agira de sous-estimer.
Q.: Le programme nucléaire iranien, si contesté, est aussi et surtout l’expression d’un nationalisme iranien...
PSL: On ne peut prédire si l’Iran se dotera d’un armement nucléaire ou non. Mais on peut émettre l’hypothèse qu’un jour l’Iran deviendra une puissance nucléaire. Cela ne veut pas dire que l’Iran lancera des armes atomiques contre ses voisins car Téhéran considèrera cet armement comme un atout dissuasif, comme tous les autres Etats qui en disposent. L’Iran, tout simplement, est un Etat entouré de voisins plus ou moins hostiles et aimerait disposer d’un armement atomique dissuasif.
Propos recueillis par Bernhard Tomaschitz.
(entretien paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°24/2013).
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mardi, 18 juin 2013
D. Venner: Kein zweiter Faschismus
Kein zweiter Faschismus
Ein Interview mit Dominique Venner (2010)
Ex: http://www.sezession.de/
Dominique Venner ist Historiker, Schriftsteller und Chefredakteur der Pariser Zeitschrift Nouvelle Revue d’Histoire. Zuletzt erschien von ihm die Monographie Ernst Jünger. Un autre destin européen (Le Rocher, Monaco 2009). Zu seinen wichtigsten Buchveröffentlichungen zählen die Großessays Histoire et tradition des Européens (Le Rocher, Monaco 2002/2004) und Le Siècle de 1914 (Pygmalion, Paris 2006), in denen Venner die Grundlagen der europäischen Identität und die europäische Geschichte des 20. Jahrhunderts neu interpretiert. Zudem veröffentlichte er Le coeur rebelle (Belles Lettres, 1994), eine persönliche Reflexion über seine radikale Jugend, den Algerienkrieg, seine Haftzeit, die Bewegung »Europe Action« und die Ursprünge der »Nouvelle Droite«. Sein erstes zeitgeschichtliches Werk (Baltikum, 1974) befaßte sich mit den Freikorps. Die deutsche Ausgabe erschien unter dem Titel Söldner ohne Sold (Paul Neff Verlag, Wien 1974).
Kontakt: www.dominiquevenner.fr
Sezession: Herr Venner, in Deutschland hat man nur eine recht vage Vorstellung von den Entwicklungen im Frankreich der fünfziger und sechziger Jahre. Welche Kräfte bestimmten das Schicksal Ihres Landes zwischen Dien Bien Phu und dem Ende der Algérie française?
Venner: Die »patriotische« Strömung im Denken und Handeln zur Zeit des Algerienkriegs läßt sich nicht isoliert von einer sehr viel breiteren historischen Bewegung betrachten. Um jene Epoche ebenso wie unsere eigene zu verstehen, muß man die europäische Geschichte des 20. Jahrhunderts deuten lernen. Bis 1914 vermochte eine »europäische Ordnung« Traditionen und Moderne zu versöhnen. Der Erste Weltkrieg zerstörte diese Ordnung, die von dynamischen Aristokratien errichtet worden war. Auf den Trümmern dieser Zivilisation spielten sich ab 1920 gewaltige sozialistische und nationalistische Revolutionen ab. Daß diese Revolutionen, der italienische Faschismus ebenso wie der Nationalsozialismus, scheiterten und einen neuen Weltkrieg und weitere Katastrophen auslösten, lag vor allem an ihrem aggressiven Nationalismus und der Brutalität, mit der sie gegen ihre Gegner vorgingen. Allmählich beginnt sich die Erkenntnis durchzusetzen, daß Europa zwischen 1914 und 1945 einen zweiten »Dreißigjährigen Krieg« erlebte. Er endete mit dem überwältigenden Sieg der USA und der Sowjetunion. Diese beiden Mächte teilten Europa zwischen sich auf und zwangen ihm ihre jeweilige Ideologie auf. Gebrochen von einem halben Jahrhundert erst des Gewaltwahns, dann des Schuldgefühls, ist Europa daraufhin in tiefen Schlaf gefallen. Die »patriotischen« und militärischen Bewegungen, die in Frankreich zwischen Dien Bien Phu (1954) und dem Ende des Algerienkriegs (1962) entstanden, lassen sich als instinktive Revolten gegen diese Erniedrigung Europas deuten, die in Frankreich durch die Dekolonisierung schmerzhaft spürbar wurde.
Sezession: Sie haben damals die Herausforderung gesucht. Mit zwanzig kämpften Sie in Algerien, um die französische Herrschaft dort zu verteidigen. Zu Zeiten des Budapester Volksaufstands kämpften Sie gegen die Kommunisten. Sie waren am Putsch der Generäle vom April 1961 beteiligt, dem Versuch, Staatspräsident Charles de Gaulle zu stürzen. Für Ihre Beteiligung am Kampf der Untergrundbewegung Organisation de l’ Armée Secrète (OAS) verbüßten Sie eine Gefängnisstrafe. Was war der Anstoß, daß Sie zu einem »rebellischen Herzen« wurden?
Venner: Ich hatte damals ein sehr ausgeprägtes Lebensgefühl. Gemeinsam mit einer Handvoll Kameraden bekämpfte ich das politische und intellektuelle Hundepack, das wir für unseren Niedergang verantwortlich machten. Unsere Ideen waren kurzlebig, unsere Instinkte aber tief. In tollkühnen Aktionen riskierten wir Kopf und Kragen. Dieses Engagement hatte wenig mit dem gemein, was man landläufig als »politisch« bezeichnet. Wir träumten weniger davon, eine »Partei« zu gründen als vielmehr einen mystisch-militärischen Orden. Unsere Vorbilder waren die spanischen Falangisten von 1936 oder ein Mann wie Oberst Nasser 1952.
Sezession: Wenn Sie von der damaligen Zeit sprechen, bezeichnen Sie sich selber als einen »Nationalisten«. Warum?
Venner: Wir nannten uns damals »nationalistisch «, um zuvorderst unsere Radikalität zu betonen und uns von der bürgerlichen Rechten abzugrenzen, die sich als »national« bezeichnete. Scherzeshalber pflegten wir zu sagen: »Der Nationale verhält sich zum Nationalisten wie das Rindfleisch zum Stier.« Zudem verstanden wir uns als europäische Nationalisten. Wir waren unserer Zeit voraus.
Sezession: Später verfaßten Sie eine »positive Kritik « des Nationalismus. Was hat sich verändert?
Venner: Das Manifest Pour une critique positive habe ich im Gefängnis geschrieben, Ende 1962, nachdem der Kampf für die französische Kolonialherrschaft in Algerien gescheitert war. Es entstand als Antwort auf die Herausforderung einer historischen Niederlage und wollte neue Denkansätze und Stoßrichtungen für den Kampf formulieren. Die Situation, in der wir uns heute befinden, ist eine radikal andere. Damals mußte alles wiederaufgebaut werden, ohne daß irgendeine Grundlage vorhanden gewesen wäre. Der kraftvolle Gestaltungswille der zwei Jahrzehnte zwischen 1920 und 1940 war durch den Sieg des Kommunismus und des amerikanischen Demokratismus gebrochen, zu schweigen von den antifaschistischen »Säuberungen«. Der Algerienkrieg bewirkte zwar eine patriotische Erneuerung, die jedoch, statt Impulse für ein neues Denken zu geben, große Verwirrung stiftete. Nach 1962 war unsere Ideenwelt dementsprechend verödet. Der Veröffentlichung von Pour une critique positive folgte 1963 die Gründung der Zeitschrift Europe Action, die sich in vielerlei Hinsicht spürbar auswirkte. Wenngleich Europe Action nicht alle in sie gesetzten Erwartungen erfüllen konnte, gelang es doch, Grundlagen zu schaffen. Dazu zählt die Öffnung des Nationalismus für die europäische Dimension, die Befreiung vom Christentum, die Fruchtbarmachung sämtlicher Forschungsergebnisse aus der Philosophie und Geschichtswissenschaft. Dies bildete die Vorlage für das spätere intellektuelle Wirken der Nouvelle Droite.
Sezession: Im Januar 2010 sind seit dem »Barrikadenputsch « in Algier genau fünfzig Jahre vergangen. Wie denken Sie heute über Ihren damaligen Hauptfeind: General de Gaulle?
Venner: Ich habe ein Buch über diese komplexe Figur geschrieben: De Gaulle. La grandeur ou le néant? (Le Rocher, Monaco 2004). Der Titel »De Gaulle. Die Größe oder das Nichts« unterstreicht die Ambivalenz seiner Persönlichkeit. De Gaulle verfügte über große politische Fähigkeiten. Er hätte sie zugunsten der europäischen Einigung und unserer Loslösung von den USA einsetzen können. Leider blieb er zeitlebens der Logik des antifaschistischen Bürgerkriegs verhaftet, auf die er in zwei Schicksalskämpfen gesetzt hatte: 1940/45 und erneut 1958/62. Das Ergebnis ist bekannt. Im Mai 1958 kam de Gaulle an die Macht zurück, getragen von einer breiten Bewegung der nationalen Erneuerung. Zehn Jahre später hatte er dieser Bewegung so sehr das Rückgrat gebrochen, daß ihr politisches Gegenteil triumphierte: der Geist vom Mai ’68, der heute noch dominant ist.
Sezession: Armin Mohler, der von 1953 bis 1960 als Korrespondent für Schweizer und deutsche Zeitungen in Paris arbeitete, schrieb 1958 in der Zeit, Frankreich sei das einzige Land, in dem der Faschismus eine »zweite Chance« hatte. Warum, glauben Sie, entwickelte sich aus dem Nationalismus, der OAS und den Bewegungen der pieds-noirs, der Algerienfranzosen, nie eine neue Form des Faschismus?
Venner: Aus soziologischer Sicht läßt sich die Existenz eines allgemeinen Phänomens namens »Faschismus« feststellen, einschließlich des freilich sehr anders gearteten deutschen Nationalsozialismus. Dabei handelt es sich um eine einmalige historische Erscheinungsform, die nur in einer bestimmten Epoche auftrat. Entgegen den Vorstellungen der Antifaschisten ist der Faschismus weder räumlich noch zeitlich übertragbar. Ohne den Ersten Weltkrieg, ohne den Tod der vormaligen europäischen Ordnung hätte es keinen Faschismus gegeben. Seine Entstehung verdankt er den verzweifelten Umständen sowie dem Aufkommen einer Ersatz-Elite innerhalb der Kriegsgeneration. Er ist im übrigen nur eine Reaktion auf die bolschewistische Bedrohung. Hinzu kommen die Auswirkungen eines verwundeten Nationalismus. Nach 1945 und der historischen Niederlage einer neuen, aus den »Stahlgewittern« hervorgegangenen Elite bestand niemals irgendeine Chance für einen anderen »Faschismus«. Eine Wiederkehr des Faschismus wird es genausowenig geben wie eine neue Reformation. Die Geschichte der großen Bewegungen wiederholt sich nicht. Wir leben längst in einer anderen Zeit, nämlich jener des Zusammenpralls der Zivilisationen und ihres Wiederauflebens – und nicht zu vergessen: Europas.
Sezession: Herr Venner, wir bedanken uns für das Gespräch.
Das Interview führte Karlheinz Weißmann
Article printed from Sezession im Netz: http://www.sezession.de
URL to article: http://www.sezession.de/18118/kein-zweiter-faschismus.html
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[1] pdf der Druckfassung: http://par5.sezession.de/wp-content/uploads/2010/07/Venner_Kein-zweiter-Faschismus.pdf
[2] Image: http://www.sezession.de/heftseiten/heft-34-februar-2010
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dimanche, 16 juin 2013
Romain Lecap: Manipulations médiatiques
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vendredi, 14 juin 2013
M. Drac : Enjeux géopolitiques pour l'avenir
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jeudi, 13 juin 2013
Europe, Globalization and Metapolitics
Robert Steuckers:
Europe, Globalization and Metapolitics
Questions by Leonid Savin (April/May 2013)
Ex: http://www.geopolitca.ru/
Mr. Steuckers, we would like to start our interview by describing the current situation in the EU, especially in its North-West region. What could you tell us about it?
Interviewed by Leonid Savin
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Richard Millet im Gespräch
„Wächter des Niedergangs“
Richard Millet im Gespräch
Benedikt Kaiser
Ex: http://www.sezession.de/
SEZESSION: Der Freitod Dominique Venners vollzog sich in einem nervösen Frankreich. Demonstrationen und Ausschreitungen begleiten die Installierung der „Lex Taubira“, die homosexuellen Paaren Heirat und Adoption erlaubt. Wie gestaltet sich die Lage vor Ort?
MILLET: Dominique Venner wollte einen symbolischen Freitod. Ich befürchte, daß er unter diesem Gesichtspunkt „gescheitert“ ist: er hat weder die spektakuläre Wirksamkeit eines Mishima noch die diskrete, sehr römische Größe eines Montherlant. Man muß sich nicht in Notre-Dame umbringen, dann schon eher vor dem Pariser Rathaus, dieser Hochburg der sozialistisch-homosexuellen Lobby.
SEZESSION: Wie reagierten die Medien?
MILLET: Die gesamte Presse (und rechts wie links ist es dieselbe politisch korrekte, unwahre Einheitspresse), stellt nur die Tatsache fest, daß ein Historiker der extremen Rechten verzweifelt ist: Sie verschweigt die Gründe für diese Handlung, sie spricht nicht darüber. Wie mehrere Millionen weitere Franzosen wurde Venner vom Gesetz über die Homo-Ehe geschockt, das in der Tat eine Unsinnigkeit und ein politischer Schlag ist, der zum Unterdrückungsarsenal der antirassistischen Religion hinzutritt. Der Tod von Venner erfolgt in einem Zustand der Verzweiflung und einer tiefen Depression in Frankreich wie in vielen weiteren europäischen Ländern, die durch eine massive, nichteuropäische – häufig muslimische – Einwanderung zermürbt werden.
SEZESSION: Zermürbt durch Zustände, die bald an Bürgerkriege erinnern lassen?
MILLET: Europa kennt einen mehr oder weniger latenten Bürgerkrieg: ethnische Unruhen im schwedischen Paradies; Durchschneiden der Kehle eines Soldaten im belebten London durch einen islamistischen Schwarzen; Versuch des Durchschneidens der Kehle eines französischen Soldaten in einer Station der Pariser U-Bahn durch einen Mann mit „dunkler Haut und langen schwarzen Bart“; und ich erinnere gar nicht an Breivik und Merah, ans Bostoner Attentat. Frankreich ist in die post-histoire eingetreten: Es hat Probleme, sich wiederzuerkennen. Das Nachgeschichtliche (nachchristlich, nachkulturell, nachidentitär) trifft auf die Wirtschaftskrise. Es ist unvermeidlich, daß Voraussetzungen für eine Verzweiflung entstehen, von der man nicht weiß, wie die Franzosen, die nicht bereit sind, sich zu bewegen, ihr entkommen sollen. Sie sind gelähmt durch die mediale und politische Propaganda, terrorisiert durch die Gesetze Gayssot und Taubira…
SEZESSION: Nun sieht man aber hunderttausende Menschen demonstrieren, die nicht gelähmt sind. Wieso sorgt ausgerechnet das Gesetz über die Homo-Ehe für eine solche Protestbewegung?
MILLET: Die Demonstranten sind größtenteils französische Katholiken, aber auch andere Menschen guten Willens, die über etwas entrüstet sind, das eine rein geschlechtliche Angelegenheit ist und daher im Privatleben bleiben müßte, obwohl es die sozialistische Propaganda als „sozialen Fortschritt“ präsentiert hat. Wir sahen, wie die erste „homosexuelle Ehe“ spektakulär durch die im Solde der Macht stehenden Medien vermarktet worden ist. Das reicht, um zu begreifen, daß man dabei ist, die Kultur zu verändern.
SEZESSION: Ist die Bewegung „Manif pour tous“ thematisch breiter angelegt als die Fokussierung auf homosexuelles Adoptionsrecht und auf das Unmittelbare, das damit zusammenhängt, erahnen läßt?
MILLET: Es ist bedauernswert, daß diese Demonstranten bei der Homo-Ehe halt machen und es nicht für richtig gehalten haben, ihre Überlegungen auf den gesamten Vorgang auszudehnen: den unwiderruflichen Austausch der europäischen Völker durch andere, die aus nichteuropäischen Kulturkreisen stammen und diese nicht ablegen, oft indes die Maske der amerikanischen Subkultur tragen – als Weichensteller für den Islam. Zwischen der Homo-Ehe und der Islamisierung Europas gibt es also eine objektive Komplizenschaft, eine Zusammenkunft von Interessen, die mit der Globalisierung und dem kulturellen und geistigen Defizit Europas zusammenhängen.
SEZESSION: Umtriebige Verteidiger der „westlichen Zivilisation“ werfen aber doch gerade islamischen Glaubensrichtungen vor, rückständig zu sein und die Rechte sexueller Minderheiten – etwa Homosexueller – nicht zu respektieren. Die „offene“, postmoderne Gesellschaft als Komplize des Islam, der seinerseits ausschließlich die Ehe zwischen Mann und Frau anerkennt – beißt sich das nicht?
MILLET: Es hat bei bestimmten Demonstrationen auch Muslime gegeben, die neben den Katholiken marschiert sind (mit arabisch-sprachigen Spruchbändern, versteht sich!). Es existiert für mich allerdings keine Frontlinie zwischen moderner Sexualität und archaischer Religion. Ich wiederhole es: Sex ist eine private Angelegenheit und Homosexuelle sind keine politische Minderheit …
Die tatsächliche Frontlinie verläuft im Krieg zwischen einem abendländischen und einem islamisiertem Europa, das als angeschlossenes Terrain an das fungiert, was man das arabisch-amerikanische oder muslimisch-amerikanische Kondominium (weil Pakistan eingeschlossen werden muß) nennen kann. Für Europa ist dies bereits ein verlorener Krieg, wenn man die Rolle bedenkt, die Katar, die Vereinigten Arabischen Emirate und Saudi-Arabien, ja selbst die Türkei einnehmen: Der Islamismus spielt vor Ort mit, und zwar als Akteur des Kapitalismus (demnach wirkt er post-kulturell; Kultur hier als höchster Wert des judeochristlichen Europas verstanden).
Der Terrorismus ist nur ein etwas vulgäres Verhandlungselement, das glauben lassen soll, daß es jenseits von ihm einen „guten Islam“ gebe. Aber es gibt keine „gute“ Religion, sobald sie sich in die Politik einmischt. All das ist nicht widersprüchlich: Es ist eher ein Zeichen des Zusammenbruchs innerhalb jener so „offenen“ Gesellschaften, die als solche doch schon längst nicht mehr bestehen.
SEZESSION: Ist die Selbstaufgabe und freiwillige Preisgabe Europas ein Zeichen der Wehrlosigkeit einer gegen die Realität konstruierten, nun untergehenden offenen Gesellschaft? Hat sich Venner vielleicht auch deshalb umgebracht, weil der Okzident dabei ist, sich selbst umzubringen?
MILLET: Es ist tatsächlich diese Verweigerung vor der unmittelbaren Realität, die mich am meisten überrascht, diese geistige Konstruktion, justiert durch die medienpolitische Macht: diese von Toleranz, von Transparenz, von universeller Demokratie träumenden Konzepte; die offene Gesellschaft, alternative Gesellschaft, Globalisierung, Ablehnung der Grenzen, das allgemeine Rassenmischungsprogramm, die Dekonstruktion jeder Metaphysik, der Haß auf den Katholizismus, der Ersatz des „Mannes“ durch ein entladenes, transsexuelles, erratisches und metamorphes Subjekt undsoweiter. All das wird zu einer vielförmigen Ideologie vermengt, die der hedonistischen Knechtung des Individuums gewidmet ist, das alsdann nicht mehr in der Lage ist, etwas selbst zu schaffen.
Sie sprechen richtigerweise von Wehrlosigkeit, denn sie ist charakteristisch für den europäischen Menschen, der zwar weiß, daß die Propaganda ihn belügt, aber der meistens ignoriert, wie diese Lüge, die Umkehrung von Wahr in Falsch, zu entziffern ist. Der europäische Mensch geht in der Wehrlosigkeit auf, die ihm die Schuld aufzwingt; er kann nur in der unendlichen nachkolonialen, nachgenozidalen, nachkulturellen Sühne verschwinden.
SEZESSION: Sie schreiben in ihrem fulminanten Essay Antirassismus als Terror gegen die Literatur, der bald in deutscher Fassung erscheinen wird, trotz dieser Zustandsbeschreibung des gegenwärtigen Abendländers, daß Sie „die Waffen nicht strecken“ können, und führe es auch zu der von Ihnen ebenfalls erwähnten „einsamen Nacktheit“. Venner hat die Waffen auf seine Art und Weise gestreckt und doch nicht gestreckt; die Hoffnung auf folgende Generationen hat er letztlich doch in sich getragen. Haben Sie noch Hoffnung?
MILLET: Das größte Vergnügen, das wir unseren Feinden machen könnten, bestünde darin, zu verstummen. Die Propaganda will die Schriftsteller ruhigstellen, sie einschüchtern. Es ist politischer Terror, vor dem ich mich weigere, das Handtuch zu werfen – trotz der Versuchung der etwaigen Stille. Um jeden Preis weiterzuschreiben, koste es, was es wolle, ist eine Notwendigkeit und zugleich eine Frage der Ehre (Ehre! – eine vergessene Kategorie der Neuen Weltordnung). Besser noch: man kann durchaus eine Art Hoffnung in dieser Haltung des Letzten sehen – letzter Schriftsteller, letzter „Mann“ undsoweiter. Nun: Wir werden wir bis zum Ende die Wächter des Niedergangs sein.
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mercredi, 12 juin 2013
Chute programmée du système financier
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mardi, 04 juin 2013
Turkish revolution
Turkish revolution
An interview with Claudio Mutti
Natella Speranskaya: The national revolution has started in Turkey. What are the forces behind it? Who is fighting whom?
Claudio Mutti: The slogans about "human rights" and "democracy", the Femen's performances, the solidarity expressed by Madonna and other hollywoodian stars, the antifa rhetoric peppered with "Bella ciao" as its soundtrack are the symptoms of an "orange revolution" or a "Turkish spring", rather than of a national revolution. At present it is impossible to know if the troubles have broken out in a spontaneous way, or if really foreign agents have provoked the troubles, as pretended by Erdogan. But we must consider that US Ambassador Francis Ricciardone has repeated twice in two days his message in favour of protesters and that John Kerry has made a declaration about the right of protesting. Certainly, among the protesters there are also militants and activists of national, anti-Atlantist and also pro-Eurasian movements (as, for example, the Workers' Party, İşçi Partisi); but I don't think that they are in the position to direct a so heterogeneous mass towards the goal of a national revolution.
Natella Speranskaya: How is the Turkish revolution related to the geopolitical opposition of Eurasianism (Russia, Iran, Syria) and atlantism (NATO, USA, EU)?
Claudio Mutti: It is true that many people have been troubled by Turkey's envolvement in the Syrian conflict. Nevertheless, when the protesters claim "We are the children of Ataturk", they express a concern related to secularistic and laicistic beliefs, not to a Eurasianistic position. Unfortunately I don't see a significant anti-Atlantic trend in the present revolt.
Natella Speranskaya: Your prognosis of the development of events in Turkey and how it will effect the situation in Syria?
Claudio Mutti: It is probable that the Turkish revolt will induce Erdogan to think about the saying "sow the wind and reap the whirlwind" and to devote himself more to Turkish affairs than to Syrian ones; probably he will take note of the fact that Americans are always ready to oust their collaborators, after making use of them. Two months ago his Foreign Minister Ahmet Davutoglu has signed a protocol of agreement with the SCO. If the Turkish government wants to be consistent with this decision, it must drop that kind of "neo-Ottomanism" which conceals a subimperialistic role, useful to North American interests. Even better, if Turkey really wants to be a point of reference for muslim peoples of Mediterranean Sea and Middle East, it must break off its ties with NATO and with the Zionist regime. It is schizofrenic to destabilize Syria and at the same time to accuse Zionism and Israel of being, according Erdogan's words, "a crime against humanity" and "a threat to regional peace".
17:36 Publié dans Actualité, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claudio mutti, entretien, turquie, révolution turque, proche orient, asie mineure, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook