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Crise syrienne, paysage intellectuel français et «Grand Remplacement»
Entretien avec Robert Steuckers
Propos recueillis par Adriano Scianca pour « Primato nazionale »
1. Que pensez-vous de la manière dont l'Europe a géré la crise de l'immigration suite à la crise syrienne?
L’Europe est inexistante en tant que puissance politique qui compte dans la région hautement stratégique qu’est le Levant. Elle n’a su ni impulser une politique de stabilité qui aurait joué dans son intérêt le plus légitime ni faire face aux catastrophes que l’intervention des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région ont entraînées. Parmi ces catastrophes, la plus visible aujourd’hui en Europe, de la Grèce à l’Allemagne en passant par tous les pays des Balkans, est bien sûr cet afflux massif de réfugiés que les Etats européens ne sont pas capables d’intégrer à l’heure d’un certain ressac de l’économie européenne, perceptible même en Allemagne. L’intérêt de l’Europe aurait été de maintenir la stabilité au Levant et en Irak. C’était le point de vue du fameux « Axe Paris-Berlin-Moscou » qui s’était insurgé contre l’intervention de Bush en Irak en 2003. Les Etats-Unis, qui ne sont pas une puissance romaine au sens classique du terme et au sens où l’entendait Carl Schmitt, ne font donc pas comme Rome, ils n’apportent ni « pax romana » ni « pax americana » mais génèrent le chaos, auquel les populations essaient tout naturellement d’échapper, au bout d’une douzaine d’années voire d’un quart de siècle si l’on tient compte de la première intervention en Irak en 1990. Ces pays, jadis structurés selon les principes de l’idéologie baathiste (personnaliste, transconfessionnelle et étatiste), avaient le mérite de la stabilité et faisaient l’admiration d’un grand diplomate néerlandais, Nikolaos Van Dam, docteur en langue et civilisation arabes, qui a consacré un ouvrage en anglais à la Syrie baathiste qui mériterait bien d’être traduit en toutes les grandes langues d’Europe. Cette stabilité, maintenue parfois avec rudesse et sévérité, a été brisée : on a cassé la forme d’Etat qui finissait vaille que vaille par s’imposer dans une région, soulignait aussi Van Dam, marquée par le tribalisme et allergique à cette forme étatique et européenne de gestion des « res publicae ». L’Europe a fait du « suivisme », selon la formule d’un observateur flamand des relations internationales, le Prof. Rik Coolsaet. Elle a benoîtement acquiescé aux menées dangereuses et sciemment destructrices de Washington, puissance étrangère à l’espace européen et à l’espace du Levant et de la Méditerranée orientale. Elle paie donc aujourd’hui les pots cassés car elle est la voisine immédiate des régions où l’hegemon-ennemi a semé le chaos. Celui-ci cherche à éviter ce que j’appellerais la « perspective Marco Polo », la cohésion en marche des puissances d’Eurasie (Europe, Russie, Inde, Chine), par le truchement des télécommunications, des nouvelles voies maritimes et ferroviaires en construction ou en projet, du commerce, etc. Par voie de conséquence, l’hegemon hostile doit mener plusieurs actions destructrices, « chaotogènes » dans les régions les plus sensibles que les géopolitologues nomment les « gateway regions », soit les régions qui sont des « passages stratégiques » incontournables, permettant, s’ils sont dominés, de dynamiser de vastes espaces ou, s’ils sont neutralisés par des forces belligènes, par un chaos fabriqué, de juguler ces mêmes dynamismes potentiels. La Syrie et le Nord de l’Irak sont une de ces « gateway regions » et l’étaient déjà au moyen-âge car ce Levant, avec sa projection vers l’hinterland mésopotamien, donnait accès à l’une des routes de la soie, menant, via Bagdad, à l’Inde et la Chine. L’Ukraine est une autre de ces « gateway regions ». L’abcès de fixation du Donbass est un verrou sur la route du nord, celle empruntée, avant la première croisade d’Urbain II, par les Coumans turcs, tandis que leurs cousins seldjouks occupaient justement les points-clefs du Levant, dont on reparle aujourd’hui : cette tenaille turque, païenne au nord et musulmane au sud, barrait la route de la soie, la voie vers l’Inde et la Chine, enclavait l’Europe à l’Est et risquait de la provincialiser définitivement.
Par ailleurs, dans un avenir très proche, d’autres zones de turbulences pourront éclore autour de l’Afghanistan, non pacifié, dans le Sinkiang chinois, base de départ d’une récente vague d’attentats terroristes en Chine, en Transnistrie/Moldavie ou ailleurs. L’Europe, dans cette perspective, doit être cernée par des zones de turbulence ingérables, afin qu’elle ne puisse plus se projeter ni vers l’Afrique ni vers le Levant ni vers l’Asie centrale au-delà de l’Ukraine. L’Europe a la mémoire courte et ses établissements d’enseignement ne se souviennent plus ni de Carl Schmitt (surtout le théoricien du « grand espace » et le critique des faux traités pacifistes dictés par les Américains) ni surtout du géopolitologue Robert Strausz-Hupé (1903-2002) qui, pour le compte de Roosevelt et de Truman, percevait très clairement les atouts de la puissance européenne (allemande à son époque), que toute politique américaine se devait de détruire. Ces atouts étaient, entre bien d’autres choses, l’excellence des systèmes universitaires européens, la cohésion sociale due à l’homogénéité des populations et la qualité des produits industriels. Le système universitaire a été détruit par les nouvelles pédagogies aberrantes depuis les années 60 et par ce que Philippe Muray appelait en France l’idéologie « festiviste » ; l’homogénéité des populations est sapée par des politiques migratoires désordonnées et irréfléchies, dont l’afflux massif de ces dernières semaines constitue l’apothéose, une apothéose qui détruira les systèmes sociaux exemplaires de notre Europe, qui seront bientôt incapables de s’auto-financer. Les Européens seront dès lors dans l’impossibilité de consacrer des budgets (d’ailleurs déjà insuffisants ou inexistants) à l’insertion de telles quantités de nouveaux venus. L’Europe s’effondre, perd l’atout de son excellent système social et ne peut plus distraire des fonds pour une défense continentale efficace ou pour la « recherche & développement » en technologies de pointe. Avec le scandale Volkswagen, qui verra le marché américain lui échapper, un coup fatal est porté à l’industrie lourde européenne. La boucle est bouclée.
2. Partout en Europe des mouvements hostiles à l'immigration ont beaucoup de succès. Dans bon nombre de ces cas, cependant, ces partis n'ont pas très clairement compris qu’attaquer l'immigration sans se battre contre la vision du monde libérale et les mécanismes du capitalisme est une bataille qui ne touche pas les racines du Système. Que pensez-vous?
Votre question pointe du doigt le problème le plus grave qui soit : effectivement, les succès récents de partis ou mouvements hostiles à cette nouvelle vague migratoire, considérée comme ingérable, sont dus à un facteur bien évident : les masses devinent inconsciemment que les acquis sociaux des combats socialistes, démocrates-chrétiens, nationalistes, communistes et autres, menés depuis la fin du 19ème siècle, vont être balayés et détruits. Le paradoxe que nous avons sous les yeux est le suivant : depuis 1979 (année de l’accession au pouvoir de Thatcher en Grande-Bretagne), la vogue contestatrice de l’Etat keynésien, jugé trop rigide et mal géré par les socialistes « bonzifiés » (Roberto Michels), a été la vogue néolibérale, mêlant, en un cocktail particulièrement pernicieux, divers linéaments de l’idéologie libérale anti-étatique et anti-politique. Une recomposition mentale erronée s’est opérée : elle a injecté dans toutes les contestations des déviances et errements politiques régimistes une dose de néolibéralisme, dorénavant difficilement éradicable. Quand ces partis et mouvements anti-immigration acquièrent quelque pouvoir, même à des niveaux assez modestes, ils s’empressent de réaliser une partie du vaste programme déconstructiviste des écoles néolibérales, préparant de la sorte l’avènement d’horreurs comme le Traité transatlantique qui effacera toute trace des Etats nationaux et tout résidu d’identité populaire et nationale. On combat l’immigration parce qu’on l’accuse de porter atteinte à l’identité mais on pratique des politiques néolibérales qui vont bientôt tuer définitivement toute forme d’identité. Le combat contre le néolibéralisme et ses effets délétères doit être un combat socialiste et syndicaliste musclé (retour à Sorel et Corridoni), pétri, non plus des idées édulcorées et dévoyées des pseudo-socialistes actuels, mais des théories économiques dites « hétérodoxes », dérivées de Friedrich List, des écoles historiques allemandes et de l’institutionnalisme américain (Thorstein Veblen). Parce que ces écoles hétérodoxes ne sont pas universalistes mais tiennent compte des contextes religieux, nationaux, civilisationnels, culturels, etc. Elles ne théorisent pas un homme, un producteur ou un consommateur abstrait mais un citoyen ancré dans une réalité léguée par l’histoire. Etre en rébellion contre le système, négateur des réalités concrètes, postule d’être un hétérodoxe économique, qui veut les sauver, les réhabiliter, les respecter.
3. Que pensez-vous des positions actuelles, plus ou moins «identitaires» des intellectuels comme Zemmour, Onfray, Houellebecq, Finkielkraut, Debray?
Tous les hommes que vous citez ici sont bien différents les uns des autres : seuls les praticiens sourcilleux de la médiacratie contrôlante et du « politiquement correct » amalgament ces penseurs en une sorte de nouvel « axe du mal » au sein du « paysage intellectuel français » (PIF). Zemmour dresse un bilan intéressant de la déconstruction de la France au cours des quatre dernières décennies, déconstruction qui est un démantèlement progressif de l’Etat gaullien. En ce sens, Zemmour n’est pas un « libéral » mais une sorte de personnaliste gaullien qui estime qu’aucune société ne peut bien fonctionner sans une épine dorsale politique.
Onfray a toujours été pour moi un philosophe plaisant à lire, au ton badin, qui esquissait de manière bien agréable ce qu’était la « raison gourmande », par exemple, et insistait sur l’homme comme être de goût et non pas seulement être pensant à la façon de Descartes. Onfray esquissait une histoire alternative de la philosophie en ressuscitant des filons qu’une pensée française trop rationaliste avait refoulés ou qui ne cadraient plus avec la bien-pensance totalitaire inaugurée par Bernard-Henry Lévy à la fin des années 70, période où émerge le « politiquement correct » à la française. Plus récemment, Onfray a sorti un ouvrage toujours aussi agréable à lire, intitulé « Cosmos », où il apparaît bien pour ce qu’il est, soit un anarchiste cosmique, doublé d’un nietzschéen libertaire, d’un avatar actuel des « Frères du Libre Esprit ». Certaines de ses options le rapprochent des prémisses organicistes, dionysiaques et nietzschéennes de la fameuse « révolution conservatrice » allemande, du moins dans les aspects non soldatiques qu’elle a revêtus avant la catastrophe de 1914. D’où un certain rapprochement avec la nouvelle droite historique, observable depuis quelques jours seulement.
Houellebecq exprime, mieux que personne en Europe occidentale aujourd’hui, l’effondrement moral de nos populations, leur dé-virilisation sous les coups de butoir d’un féminisme exacerbé et délirant, ce qui explique, notamment, le succès retentissant de son ouvrage Soumission aux Etats-Unis. Houellebecq se déclare affecté lui-même par la maladie de la déchéance, qui, qu’on le veuille ou non, fait l’identité européenne actuelle, radical contraire de ce que furent les fulgurances héroïques et constructives de l’Europe d’antan. L’homo europaeus actuel est un effondré moral, une loque infra-humaine qui cherche quelques petits plaisirs furtifs et éphémères pour compenser le vide effroyable qu’est devenue son existence. Pour retrouver une certaine dignité, notamment face à ce féminisme castrateur, cet homo europaeus pourrait, pense Houellebecq, se soumettre à l’islam, le terme « islam » signifiant d’ailleurs soumission à la volonté de Dieu et aux lois de sa création. Ce passage à la « soumission », c’est-à-dire à l’islam, balaierait le féminisme castrateur et redonnerait quelque lustre aux mâles frustrés, où ceux-ci pourraient reprendre du poil de la bête dans une Oumma planétaire, agrandie de l’Europe.
Le parcours de Finkielkraut est plus étonnant, dans la mesure où il a bel et bien fait partie de ces « nouveaux philosophes » de la place de Paris, en lutte contre un totalitarisme qu’ils jugeaient ubiquitaire et dont ils étaient chargé par la « Providence » ou par « Yahvé » (Lévy !) de traquer les moindres manifestations ou les résurgences les plus ténues. Ce totalitarisme se percevait partout, surtout dans les structures de l’Etat gaullien, subtilement assimilé, surtout chez Bernard-Henri Lévy, à des formes françaises d’une sorte de nazisme omniprésent, omni-compénétrant, toujours prêt à resurgir de manière caricaturale. Ces diabolisations faisaient le jeu du néolibéralisme thatchéro-reaganien et datent d’ailleurs de l’avènement de celui-ci sur les scènes politiques britannique et américaine. Finkielkraut a été emblématique de ces démarches, surtout, rappelons-le, lors de la guerre de l’OTAN contre la Serbie. Finkielkraut avait exhumé des penseurs libéraux serbes du 19ème siècle inspirés par le philosophe différentialiste allemand Herder, pour démontrer de manière boiteuse, en sollicitant les faits de manière pernicieuse et malhonnête, que deux de ces braves philologues serbes, espérant se débarrasser du joug ottoman, étaient en réalité des précurseurs du nazisme (encore !). Ce travail de Finkielkraut était d’autant plus ridicule qu’au même moment, à Vienne, un journaliste très connu, Wolfgang Libal, également israélite mais, lui, spécialiste insigne du « Sud-Est européen », écrivait un ouvrage à grand tirage pour démontrer le caractère éminemment démocratique (national-libéral) des deux philologues, posés comme pionniers de la modernité dans les Balkans !!
Après son hystérie anti-serbe, Finkielkraut, sans doute parce qu’il prend de l’âge, s’est « bonifié » comme disent les œnologues. Son ouvrage sur la notion d’ingratitude, qui est constitué des réponses à un très long entretien accordé au journal québécois Le Devoir, est intéressant car il y explique que les malheurs de notre époque viennent du fait que l’homme actuel se montre « ingrat » par rapport aux legs du passé. J’ai lu cet entretien avec grand intérêt et beaucoup de plaisir, y retrouvant d’ailleurs une facette de l’antique querelle des anciens et des modernes. Je dois l’avouer même si le Finkielkraut serbophobe m’avait particulièrement horripilé. A partir de cette réflexion sur l’ingratitude, Finkielkraut va, peut-être inconsciemment, sans doute à son corps défendant, adopter les réflexes intellectuels des deux Serbes herdériens qu’il fustigeait avec tant de fureur dans les années 90. Il va découvrir l’« identité » et, par une sorte de tour de passe-passe qui me laisse toujours pantois, défendre une identité française que Lévy avait posée comme une matrice particulièrement répugnante du nazisme !
Debray est un penseur plus profond à mes yeux. Le début de sa carrière dans le paysage intellectuel français date des années 60, où il avait rencontré et accompagné Che Guevara en Bolivie. Cet aspect suscite toutes les nostalgies d’une époque où l’aventure était encore possible. Jean Cau, ancien secrétaire de Sartre (entre 1947 et 1956) qui, ultérieurement, ne ménagera pas ses sarcasmes à l’encontre des gauches parisiennes, consacrera en 1979 un ouvrage au Che, intitulé Une passion pour Che Guevara ; en résumé, nous avons là l’hommage d’un ancien militant de gauche, passé à « droite » (pour autant que cela veuille dire quelque chose…), qui ne renie pas la dimension véritablement existentielle de l’aventure et de l’engagement pour ses idées, fussent-elles celles qu’il vient explicitement de rejeter. Debray a donc mis, dans une première phase de sa carrière, sa peau au bout de ces idées. Peu ont eu ce courage même si d’aucuns ont cherché plus tard à minimiser son rôle en Bolivie.
Dans les années 80, Debray, devenu, plutôt à son corps défendant, faire-valoir du mitterrandisme ascendant, participera à toutes les mascarades de la gauche officielle, en voie de « festivisation » et d’embourgeoisement, où les cocottes et les bobos se piquent d’eudémonisme et se posent en « belles âmes » (on sait ce que Hegel en pensait…). Les actions qu’il mène, je préfère les oublier aujourd’hui, tant elles ont participé des bouffonneries pariso-parisiennes. Mais entre l’épisode du militant guevariste et celle du néo-national-gaulliste d’aujourd’hui, il n’y a pas eu que cette participation à la lèpre républicano-mitterrandiste, il y a eu le passage du Debray militant et idéologue au Debray philosophe et « médiologue » (une science visant à cerner l’impact des « médiations », des images, dont éventuellement celles des médias, sur la formation ou la transformation des mentalités et des aspirations politiques). C’est dans le cadre de ce statut de « médiologue », qui commence en 1993, que Debray va glisser progressivement vers des positions différentes de celles imposées par le ronron médiatique ou le « politiquement correct » des « nouveaux philosophes » (Lévy, etc.) « qui », dit-il, « produisent de l’indignation au rythme de l’actualité ». Debray, comme l’indique alors le titre d’un de ses ouvrages récents, Dégagements, se « dégage » de ses engagements antérieurs, l’espace de la gauche, de sa gauche, ayant été phagocyté par de nouveaux venus qui se disent « occidentaux » et participent à la pratique perverse de la table rase, notamment en Amérique latine : leur travail de sape serait entièrement parachevé si des hommes comme Evo Morales, qu’il qualifie positivement d’« indigéniste », ne s’étaient pas dressés contre son vieil ennemi l’impérialisme américain, appuyé par les bourgeoisies compradores.
Enfin, les révolutions socialistes (et communistes) sont d’abord des nationalismes, écrit-il en 2010 : en dépit de l’omniprésence du Front National dans la vie politique de l’Hexagone, Debray ne craint plus le mot, à l’heure où les nouvelles gauches « néo-philosophiques » perdent et ruinent tout sens historique et basculent dans la moraline répétitive et incantatoire, dans le compassionnel et l’indignation programmée. Debray se déclare aussi « vieux jeu » : ce n’est pas le reproche que je lui ferai ; cependant, l’abus, dans ses œuvres polémiques récentes, est d’utiliser trop abondamment le vocable (également incantatoire) de « République » qui, pour tout observateur non parisien, est un véhicule d’éléments délétères de modernité donc d’ignorance du véritable tissu historique et populaire. De même, sa vision de l’« Etat » est trop marquée par l’idéologie jacobine, figée au fil des décennies depuis le début du 19ème siècle. Ceci dit, ses remarques et ses critiques (à l’adresse de son ancien camp) permettent de réamorcer un combat, non pas pour rétablir la « République » à la française avec son cortège de figements et d’archaïsmes ou un Etat trop rigide, mais pour restaurer ce que Julien Freund, à la suite de Carl Schmitt, nommait « le politique ». Combat qui pourrait d’ailleurs partir des remarques excellentes de Debray sur la « représentation », sur le « decorum », nécessaire à toute machine politique qui se respecte et force le respect : Carl Schmitt insistait, lui aussi, sur les splendeurs et les fastes du catholicisme, à reproduire dans tout Etat, sur la visibilité du pouvoir, antidote aux « potestates indirectae », aux pouvoirs occultes qui produisent les oligarchies dénoncées par Roberto Michels, celles qui se mettent sciemment en marge, se dérobent en des coulisses cachées, pour se soustraire au regard du peuple ou même de leurs propres militants. Schmitt hier, Debray aujourd’hui, veulent restaurer la parfaite visibilité du pouvoir : nous trouvons là une thématique métapolitique offensive qu’il serait bon, pour tous, d’articuler en nouveaux instruments de combat. Debray est sans nul doute une sorte d’enfant prodigue, qui a erré en des lieux de perdition pour revenir dans un espace à l’air rare et vif. L’histoire des idées se souviendra de son itinéraire : nous jetterons dès lors un œil narquois sur les agitations qu’il a commises dans les années 80 dans les allées du pouvoir mitterrandien et vouerons une admiration pour l’itinéraire du « médiologue » qui nous aura fourni des arguments pour opérer une critique de la dictature médiatique et pour rendre au pouvoir sa visibilité, partageable entre tous les citoyens et donc véritablement « démocratique » ou plutôt réellement populiste. Derrière cela, les quelques « franzouseries » statolâtriques et « républicagnanates », qu’il traine encore à ses basques, seront à mettre au rayon du folklore, là où il rangeait lui-même le vieux et caduc « clivage gauche/droite », dans quelques phrases bien ciselées de Dégagements.
4. Êtes-vous d'accord avec la thèse du Grand Remplacement?
Je ne considère pas la notion de « Grand Remplacement » comme une thèse mais comme un terme-choc impulsant une réflexion antagoniste par rapport au fatras dominant, comme une figure de rhétorique, destinée à dénoncer la situation actuelle où le compassionnel, introduit dans les pratiques politiques par les nouveaux philosophes, évacue toute éthique de la responsabilité. Vous avez vous-même, en langue italienne, défini et explicité la notion de « Grand Remplacement » (http://www.ilprimatonazionale.it/cultura/grande-sostituzione-32682/ ). Vous l’avez fait avec brio. Et démontré que Marine Le Pen comme Matteo Salvini l’avaient incluse dans le langage politico-polémique qui anime les marges dites « droitières » ou « populistes » des spectres politiques européens d’aujourd’hui. Renaud Camus, père du concept, a le sens des formules, du discours (selon une bonne tradition française remontant au moins à Bossuet). Il est aussi le créateur de deux autres notions qui mériteraient de connaître la même bonne fortune : la notion de « nocence », contraire de l’« in-nocence », puis la notion de « dé-civilisation ». Renaud Camus se pose comme « in-nocent », comme un être qui ne cherche pas à nuire (« nocere » en latin). Les régimes politiques en place, eux, cherchent toujours à nuire à leurs citoyens ou sujets, qu’il haïssent au point de vouloir justement les remplacer par des êtres humains perdus, venus de partout et de nulle part, attirés par les promesses fallacieuses d’un paradis économique, où l’on touche des subsides sans avoir à fournir des efforts ni à respecter des devoirs sociaux ou citoyens. Les établis forment donc le parti de la « nocence », de la nuisance, auquel il faut opposer l’idéal, peut-être un peu irénique, de l’« in-nocence », sorte d’ascèse qui me rappelle tout à la fois le bouddhisme de Schopenhauer, le quiétisme de Gustav Landauer, but de son idéal révolutionnaire à Munich en 1919, et l’économie empathique de Serge-Christophe Kolm, inspiré par les pratiques bouddhistes (efficaces) qu’il a observées en Asie du Sud-est (cf. notre dossier : http://www.archiveseroe.eu/kolm-a118861530 ). Si la « nocence » triomphe et s’établit sur la longue durée, la civilisation, après la culture et l’éducation, s’effiloche, se détricote et disparait. C’est l’ère de la « dé-civilisation », du « refus névrotique de l’héritage ancestral », commente l’écrivain belge Christopher Gérard. Ce pessimisme n’est pas une idée neuve mais, à notre époque, elle constitue un retour du réalisme, après une parenthèse trop longue de rejet systématique et pathologique de nos héritages.
Je mettrais en parallèle la double idée de Renaud Camus d’une « dé-culturation » et d’une « dé-civilisation » avec l’idée de « dissociété », forgée par le philosophe Marcel De Corte au début des années 50. Pour De Corte, monarchiste belge et catholique thomiste, l’imposition des élucubrations libérales de la révolution française aux peuples d’Europe a conduit à la dislocation du tissu social, si bien que nous n’avons plus affaire à une « société » harmonieuse, au sens traditionnel du terme comme l’entendait Louis de Bonald, mais à une « dissociété ». L’idée, en dépit de son origine très conservatrice, est reprise aujourd’hui par quelques théoriciens d’une gauche non-conformiste, dont le Prof. Jacques Généreux qui constate amèrement que les pathologies de la dissociété moderne sont une « maladie sociale dégénérative qui altère les consciences en leur inculquant une culture fausse ». Généreux, socialiste au départ et rêvant à l’avènement d’un nouveau socialisme capable de gommer définitivement les affres de la « dissociété », quitte, déçu, le PS français en 2008 pour aller militer au « Parti de Gauche » et pour figurer sur la liste « Front de Gauche pour changer l’Europe », candidate aux élections européennes de 2009. En mars 2013, les idées, pourtant pertinentes, de Généreux ne séduisent plus ses compagnons de route et ses co-listiers : il n’est pas réélu au Bureau politique ! Preuve que la pertinence ne peut aller se nicher et prospérer au sein des gauches françaises non socialistes, bornées dans leurs analyses, sclérosées dans des marottes jacobines et résistancialistes qui ne sont qu’anachronismes ou tourneboulées par les délires immigrationnistes dont l’irréalisme foncier est plus virulent et plus maladivement agressif en France qu’ailleurs en Europe.
Ceci dit, l’idée de « Grand Remplacement » est à mes yeux un des avatars actuels d’un ouvrage écrit en 1973, le fameux récit Le Camp des Saints de Jean Raspail, où l’Europe est envahie par des millions d’hères faméliques cherchant à s’y installer. Les grandes banlieues des principales villes de France étaient déjà occupées par d’autres populations, complètement coupées des Français de souche. Dorénavant on voit la bigarrure ethnique émerger, à forte ou à moyenne dose, dans de petites villes comme Etampes, Vierzon ou Orléans, où elle semble effectivement « remplacer » les départs antérieurs, ceux de l’exode rural, ceux du départ vers les grandes mégapoles où dominent les emplois du secteur tertiaire. La France donne l’impression de juxtaposer sur son territoire deux ou plusieurs sociétés (ou dissociétés) parallèles, étanches les unes par rapport aux autres. Personne n’est satisfait ; d’abord les « remplacés », bien évidemment, dont les modes de vie et surtout les habitudes alimentaires sont dénigrées et jugées « impures » (ce qui fâche tout particulièrement les Français, très fiers de leurs traditions gastronomiques) mais aussi les « remplaçants » qui ne peuvent pas reproduire leur mode de vie et manifestent dès lors un mal de vivre destructeur. Le plan satanique du libéralisme se réalise dans cette bigarrure : la société est disloquée, livrée à la « cash flow mentality », déjà décriée par Thomas Carlyle au début du 19ème siècle. Le néolibéralisme, amplification monstrueuse de cette « mentality », étendue à la planète entière, ne peut survivre que dans des sociétés brisées, de même que les « économies diasporiques » ou les réseaux mafieux, pourfendus par les gauches intellectuelles non conformistes mais non combattus sur le terrain, dans le concret de la dissociété réellement existante.
5. Dans le parlement italien, on est en train de changer les lois sur la citoyenneté, en introduisant le principe de la citoyenneté par le lieu de naissance (jus soli) à la place de celui fondé sur la nationalité des parents (jus sanguinis). Selon vous quelles conséquences cela aura sur le tissu social de notre pays?
Le débat opposant le jus sanguinis au jus soli est ancien. Il remonte à l’époque napoléonienne. Napoléon voulait accorder automatiquement la nationalité française à toute personne vivant en France et ayant bénéficié d’une éducation (scolaire) française. Le but était aussi de recruter des soldats pour les campagnes militaires qu’il menait partout en Europe. Les rédacteurs du Code civil optent toutefois pour le jus sanguinis. Ces dispositions seront modifiées en 1889, vu l’afflux massif d’immigrés dans la France du 19ème siècle, essentiellement belges et italiens, dans une moindre mesure allemands et espagnols. Même visée que celle de Napoléon : la France de souche connait un ressac démographique, encore léger toutefois, face à une Allemagne qui, elle, connaît un véritablement boom démographique, en dépit des émigrations massives vers les Etats-Unis (plus de 50 millions de citoyens américains sont aujourd’hui d’origine allemande). Il faut à cette France angoissée devant son voisin de l’Est une masse impressionnante de soldats. De même, il faut envoyer des troupes dans un Outre-Mer souvent en révolte où les effectifs de la « Légion étrangère » ne suffisent pas. Dans Paris, sur les monuments aux morts de la première guerre mondiale, on lit plus de 10% de noms germaniques, allemands, suisses ou flamands, quelques noms italiens (ou corses ?), ce qui ne mentionne rien sur les immigrés romans de Suisse ou de Wallonie, parfois de Catalogne, dont les patronymes sont gallo-romans, comme ceux des Français de souche. La France s’est voulue multiethnique dès la fin du 19ème siècle, forçant parfois les immigrés européens, notamment en Afrique du Nord, à acquérir la nationalité française. Tant que cet apport volontaire ou forcé était le fait de peuples immédiatement périphériques, l’intégration et la fusion s’opéraient aisément. Après l’horrible saignée de 1914-18, quand les villages de la France profonde sont exsangues, une immigration plus exotique prend le relais de celle des peuples voisins. La départementalisation de l’Algérie et l’entrée, d’abord timide, de travailleurs algériens, puis subsahariens, colore la nouvelle immigration. Rien à signaler dans un premier temps. Ou rien que des broutilles. A partir du moment où certaines banlieues deviennent à 90% exotiques, le projet d’intégration et d’assimilation cafouille : pourquoi s’intégrer puisque l’environnement de l’immigré n’est en rien « Français de souche » ? Il lui est désormais possible de vivre en complète autarcie par rapport à la population d’origine. La société devient « composite » comme le déplorent les théoriciens indiens du RSS et du BJP qui estiment aussi que de telles sociétés n’ont pas d’avenir constructif, sont condamnées au chaos et à l’implosion. Pour les sociétés européennes, l’avenir nous dira si ces prophéties des théoriciens indiens s’avèreront exactes ou fausses. En attendant, l’introduction du jus soli, au détriment de tout jus sanguinis, en Italie comme ailleurs en Europe, est le signe d’un abandon volontaire de toute idée de continuité, d’héritage. Avec les théories du genre (le « gendérisme ») et les pratiques du néolibéralisme -dont la délocalisation et la titrisation soit l’abandon de toute économie patrimoniale et industrielle au profit d’une économie de la spéculation boursière- ce glissement annonce l’éclosion d’une société nouvelle, éclatée, amnésique, jetant aux orties l’éthique wébérienne de la responsabilité, pour la remplacer par des monstrations indécentes de toutes sortes d’éthiques de la conviction, prononcée sur le mode de l’hystérie « politiquement correcte » et travestie d’oripeaux festivistes et compassionnels. Bref, un Halloween planétaire et permanent.
Forest-Flotzenberg, octobre 2015.
00:10 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Entretiens, Synergies européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert steuckers, entretien, synergies européennes, crise syrienne, syrie, géopolitique, politique internationale, france, paysage intellectuel français, eric zemmour, michel onfray, régis debray, renaud camus, michel houellbecq, philosophie, jus soli, jus sanguinis, italie, adriano scianca | |
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Entretien avec Evgeny Morozov
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Evgeny Morozov à Rue 89 et cueilli sur le site Les Crises. Chercheur et essayiste, Evgeny Morozov étudie les conséquences sociales et politiques des nouvelles technologie
Morozov : « Internet est la nouvelle frontière du néolibéralisme »
Selon le chercheur et essayiste Evgeny Morozov, la technologie sert le néolibéralisme et la domination des Etats-Unis. « Il faut considérer la Silicon Valley comme un projet politique et l’affronter en tant que tel », dit-il.
Evgeny Morozov s’est imposé en quelques années comme l’un des contempteurs les plus féroces de la Silicon Valley. A travers trois ouvrages – « The Net Delusion » (2011, non traduit en français), « Pour tout résoudre, cliquez ici » (2014, FYP éditions) et « Le Mirage numérique » (qui paraît ces jours-ci aux Prairies ordinaires) –, à travers une multitudes d’articles publiés dans la presse du monde entier et des interventions partout où on l’invite, il se fait le porteur d’une critique radicale envers la technologie en tant qu’elle sert la domination des Etats-Unis.
A 31 ans, originaire de Biélorussie, il apprend toutes les langues, donne l’impression d’avoir tout lu, ne se trouve pas beaucoup d’égal et maîtrise sa communication avec un mélange de charme et de froideur toujours désarmant.
L’écouter est une expérience stimulante car il pense largement et brasse aussi bien des références historiques de la pensée (Marx, Simondon…) que l’actualité la plus récente et la plus locale. On se demande toujours ce qui, dans ses propos, est de l’ordre de la posture, d’un agenda indécelable, ou de la virtuosité d’un esprit qui réfléchit très vite, et « worldwide » (à moins que ce soit tout ça ensemble).
Nous nous sommes retrouvés dans un aérogare de Roissy-Charles-de-Gaulle, il était entre deux avions. Nous avons erré pour trouver une salade niçoise, car il voulait absolument une salade niçoise.
Rue89 : Est-ce qu’on se trompe en ayant l’impression que vous êtes de plus en plus radical dans votre critique de la Silicon Valley ?
Evgeny Morozov : Non. Je suis en effet plus radical qu’au début. Mais parce que j’étais dans une forme de confusion, je doutais de ce qu’il fallait faire et penser. J’ai aujourd’hui dépassé cette confusion en comprenant que la Silicon Valley était au centre de ce qui nous arrive, qu’il fallait comprendre sa logique profonde, mais aussi l’intégrer dans un contexte plus large.
Or, la plupart des critiques ne font pas ce travail. Uber, Apple, Microsoft, Google, sont les conséquences de phénomènes de long terme, ils agissent au cœur de notre culture. Il faut bien comprendre que ces entreprises n’existeraient pas – et leur modèle consistant à valoriser nos données personnelles serait impossible – si toute une série de choses n’avaient pas eu lieu : par exemple, la privatisation des entreprises télécoms ou l’amoncellement de données par d’énormes chaînes de grands magasins.
Cette histoire, il faut la raconter de manière plus politique et plus radicale. Il faut traiter cela comme un ensemble, qui existe dans un certain contexte.
Et ce contexte, c’est, il faut le dire, le néolibéralisme. Internet est la nouvelle frontière du néolibéralisme.
Le travail critique de la Silicon Valley ne suffit pas. Il faut expliquer que le néolibéralisme qu’elle promeut n’est pas désirable. Il faut expliquer que :
Il faut travailler à l’émergence d’une gauche qui se dresse contre ce néolibéralisme qui s’insinue notamment par les technologies.
Le travail que fait Podemos en Espagne est intéressant. Mais voir les plateformes seulement comme un moyen de se passer des anciens médias et de promouvoir un renouvellement démocratique ne suffit pas. Il faut aller plus en profondeur et comprendre comment les technologies agissent sur la politique, et ça, Podemos, comme tous les mouvements de gauche radicale en Europe, ne le fait pas.
Mais vous voyez des endroits où ce travail est fait ?
En Amérique latine, on voit émerger ce type de travail. En Argentine, en Bolivie, en Equateur, on peut en voir des ébauches.
En Equateur par exemple, où la question de la souveraineté est essentielle – notamment parce que l’économie reste très dépendante du dollar américain -,- on l’a vue s’articuler à un mouvement en faveur d’une souveraineté technologique.
Mais on ne voit pas de tels mouvements en Europe. C’est certain.
La Silicon Valley va au-delà de tout ce qu’on avait connu auparavant en termes d’impérialisme économique. La Silicon Valley dépasse largement ce qu’on considérait auparavant comme les paragons du néolibéralisme américain – McDonald’s par exemple – car elle affecte tous les secteurs de notre vie.
C’est pourquoi il faut imaginer un projet politique qui rénove en fond notre conception de la politique et de l’économie, un projet qui intègre la question des infrastructures en garantissant leur indépendance par rapport aux Etats-Unis.
Mais si je suis pessimiste quant à l’avenir de l’Europe, c’est moins à cause de son impensée technologique que de l’absence flagrante d’esprit de rébellion qui l’anime aujourd’hui.
Mais est-ce que votre dénonciation tous azimuts de la Silicon Valley ne surestime pas la place de la technologie dans nos vies ? Il y a bien des lieux de nos vies – et ô combien importants – qui ne sont pas ou peu affectés par la technologie…
Je me permets d’être un peu dramatique car je parle de choses fondamentales comme le travail, l’éducation, la santé, la sécurité, les assurances. Dans tous ces secteurs, des changements majeurs sont en train d’avoir lieu et cela va continuer. La nature humaine, ça n’est pas vraiment mon objet, je m’intéresse plus à ses conditions d’existence.
Et puis je suis obligé de constater que la plupart des changements que j’ai pu annoncés il y a quelques années sont en train d’avoir lieu. Donc je ne pense pas surestimer la force de la Silicon Valley.
D’ailleurs, ce ne sont pas les modes de vie que je critique. Ce qui m’intéresse, ce sont les discours de la Silicon Valley, ce sont les buts qu’elle se donne. Peu importe si, au moment où j’en parle, ce sont seulement 2% de la population qui utilisent un service. Il se peut qu’un jour, ce soient 20% de la population qui l’utilisent. Cette possibilité à elle seule justifie d’en faire la critique.
D’accord, mais en vous intéressant à des discours, ne prenez-vous pas le risque de leur donner trop de crédit ? Dans bien des cas, ce ne sont que des discours.
En effet, on peut toujours se dire que tout ça ne marchera pas. Mais ce n’est pas la bonne manière de faire. Car d’autres y croient.
Regardez par exemple ce qui se passe avec ce qu’on appelle les « smart cities ». Quand vous regardez dans le détail ce qui est vendu aux villes, c’est d’une pauvreté confondante. Le problème, c’est que les villes y croient et paient pour ça. Elles croient à cette idée du logiciel qui va faire que tout fonctionne mieux, et plus rationnellement. Donc si la technologie en elle-même ne marche pas vraiment, le discours, lui, fonctionne à plein. Et ce discours porte un agenda propre.
Il est intéressant de regarder ce qui s’est passé avec la reconnaissance faciale. Il y a presque quinze ans, dans la suite du 11 Septembre, les grandes entreprises sont allées vendre aux Etats le discours de la reconnaissance faciale comme solution à tous leurs problèmes de sécurité. Or, à l’époque, la reconnaissance faciale ne marchait absolument pas. Mais avec tout l’argent des contrats, ces entreprises ont investi dans la recherche, et aujourd’hui, la reconnaissance faciale marche. Et c’est un énorme problème. Il faut prendre en compte le caractère autoréalisateur du discours technologique.
Quelle stratégie adopter ?
Il faut considérer la Silicon Valley comme un projet politique, et l’affronter en tant que tel.
Ça veut donc dire qu’un projet politique concurrent sera forcément un projet technologique aussi ?
Oui, mais il n’existe pas d’alternative à Google qui puisse être fabriquée par Linux. La domination de Google ne provient pas seulement de sa part logicielle, mais aussi d’une infrastructure qui recueille et stocke les données, de capteurs et d’autres machines très matérielles. Une alternative ne peut pas seulement être logicielle, elle doit aussi être hardware.
Donc, à l’exception peut-être de la Chine, aucun Etat ne peut construire cette alternative à Google, ça ne peut être qu’un ensemble de pays.
Mais c’est un défi gigantesque parce qu’il comporte deux aspects :
Car quand on regarde comment fonctionne Uber – sans embaucher, en n’assumant aucune des fonctions de protection minimale du travailleur –, quand on regarde les processus d’individualisation des assurances de santé – où revient à la charge de l’assuré de contrôler ses paramètres de santé –, on s’aperçoit à quel point le marché est seul juge.
L’Etat non seulement l’accepte, mais se contente de réguler. Est complètement oubliée la solidarité, qui est au fondement de la sociale-démocratie. Qui sait encore que dans le prix que nous payons un taxi, une part – minime certes – sert à subventionner le transport des malvoyants ? Vous imaginez imposer ça à Uber….
Il faut lire le livre d’Alain Supiot, « La Gouvernance par les nombres » (Fayard, 2015), il a tout juste : nous sommes passés d’un capitalisme tempéré par un compromis social-démocrate à un capitalisme sans protection. C’est donc qu’on en a bien fini avec la sociale-démocratie.
Ce qui m’intrigue, si l’on suit votre raisonnement, c’est : comment on a accepté cela ?
Mais parce que la gauche en Europe est dévastée ! Il suffit de regarder comment, avec le feuilleton grec de cet été, les gauches européennes en ont appelé à la Commission européenne, qui n’est pas une grande défenseure des solidarités, pour sauver l’Europe.
Aujourd’hui, la gauche a fait sienne la logique de l’innovation et de la compétition, elle ne parle plus de justice ou d’égalité.
La Commission européenne est aujourd’hui – on le voit dans les négociations de l’accord Tafta – l’avocate d’un marché de la donnée libre, c’est incroyable ! Son unique objectif est de promouvoir la croissance économique. Si la vie privée est un obstacle à la croissance, il faut la faire sauter !
D’accord, mais je repose alors ma question : comment on en est venus à accepter cela ?
Certains l’ont fait avec plaisir, d’autres avec angoisse, la plupart avec confusion.
Car certains à gauche – notamment dans la gauche radicale – ont pu croire que la Silicon Valley était une alliée dans le mesure où ils avaient un ennemi commun en la personne des médias de masse. Il est facile de croire dans cette idée fausse que les technologies promues par la Silicon Valley permettront l’émergence d’un autre discours.
On a accepté cela comme on accepte toujours les idées dominantes, parce qu’on est convaincus. Ça vient parfois de très loin. L’Europe occidentale vit encore avec l’idée que les Américains ont été des libérateurs, qu’ils ont ensuite été ceux qui ont empêché le communisme de conquérir l’Europe. L’installation de la domination idéologique américaine – de McDonald’s à la Silicon Valley – s’est faite sur ce terreau.
Il y a beaucoup de confusion dans cette Histoire. Il faut donc théoriser la technologie dans un cadre géopolitique et économique global.
En Europe, on a tendance à faire une critique psychologique, philosophique (comme on peut le voir en France chez des gens comme Simondon ouStiegler). C’est très bien pour comprendre ce qui se passe dans les consciences. Mais il faut monter d’un niveau et regarder ce qui se passe dans les infrastructures, il faut élargir le point de vue.
Il faut oser répondre simplement à la question : Google, c’est bien ou pas ?
Aux Etats-Unis, on a tendance à répondre à la question sur un plan juridique, en imposant des concepts tels que la neutralité du Net. Mais qu’on s’appuie en Europe sur ce concept est encore un signe de la suprématie américaine car, au fond, la neutralité du Net prend racine dans l’idée de Roosevelt d’un Etat qui n’est là que pour réguler le marché d’un point de vue légal.
Il faut aller plus loin et voir comment nous avons succombé à une intériorisation de l’idéologie libérale jusque dans nos infrastructures technologiques.
Et c’est peut-être en Amérique latine, comme je vous le disais tout à l’heure, qu’on trouve la pensée la plus intéressante. Eux sont des marxistes qui n’ont pas lu Simondon. Ils se donnent la liberté de penser des alternatives.
Pour vous, le marxisme reste donc un cadre de pensée opérant aujourd’hui pour agir contre la Silicon Valley ?
En tant qu’il permet de penser les questions liées au travail ou à la valeur, oui. Ces concepts doivent être utilisés. Mais il ne s’agit pas de faire une transposition mécanique. Tout ce qui concerne les données – et qui est essentiel aujourd’hui – n’est évidemment pas dans Marx. Il faut le trouver ailleurs.
Evgeny Morozov (Rue 89, 4 octobre 2015)
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Edouard Limonov est un écrivain et dissident politique, fondateur et chef du Parti national-bolchevique (Nazbol) interdit en Russie. Célèbre pour son charisme et ses prises de position controversées, son ouvrage le plus connu paraît alors qu'il est émigré aux Etats-Unis, puis à Paris. Intitulé « C'est moi, Eddie ou Le poète russe préfère les grands nègres » (1980) et racontant ses mois d'errance et de débauche dans le New-York des années 70, il connaît un immense succès et Limonov est propulsé au sommet de la scène littéraire française durant plusieurs années. Il reste encore aujourd'hui un personnage médiatique adulé par certains, haï par d'autres. L'ouvrage de l'écrivain français Emmanuel Carrère qui retrace sa vie a obtenu le prix Renaudot.Edouard Limonov a été écrivain, voyou, poète, ouvrier d'usine, émigré, sans-abri, domestique, dissident politique... D'un tempérament volontairement provocateur, il a récemment défrayé la chronique en critiquant violemment la politique européenne qui, selon lui, a provoqué la crise migratoire qui entraînera, à terme, la mort de l'Europe. Pour RT France, il a accepté de revenir sur ce point de vue et nous livre une interview sans équivoque.
RT France : D'un côté, l'Europe se sent obligée d'accueillir les réfugiés, par solidarité, par devoir d'humanité. D'un autre côté, elle craint pour ses frontières et son patrimoine culturel et religieux. Que pensez-vous des effets de la crise migratoire sur l'Europe ?
Edouard Limonov (E.L) : Vous savez, l'Europe et les Etats-Unis on créé eux-mêmes cette situation de toutes pièces. Ils ont totalement détruit la Libye avec leur intervention en 2011. l'Irak, les Etats-Unis l'ont carrément détruit deux fois ! Regardez aujourd'hui l'Irak, regardez la Syrie. C'est de votre faute messieurs les européens ! Aujourd'hui il faut faire face à votre crime. On récolte ce que l'on sème. L'Europe et les Etats-Unis ont détruit ces pays et aujourd'hui, des réfugiés fuient ces pays par milliers pour gagner l'Europe. Qu'attendiez-vous en échange ? Cette situation était inévitable. D'un autre côté, nous sommes désormais à l'aube de changements démographiques grandioses. Et vis-à-vis de cela, je considère que l'Europe a entièrement le droit de se défendre.
Une grande majorité de réfugiés veulent se rendre en Allemagne...
E.L : Evidemment ! L'Allemagne est une cible de choix pour eux. C'est le pays le plus riche, le plus prospère d'Europe. Il est donc évident que c'est en Allemagne que les réfugiés veulent se rendre. Bien que cette richesse, dont je vous parle, est à mon avis seulement présumée car la crise n'a épargné aucun pays et l'Allemagne d'aujourd'hui, ce n'est plus l'Allemagne des années 80-90. Et cette Allemagne subit aujourd'hui une sorte d'invasion barbare, de peuples qui ont d'elle une vision totalement fantasmée. J'ai peur qu'à terme, on risque de voir apparaître une résurgence des idées nazies à cause de cette invasion incontrôlée.
L'Allemagne semble pourtant accueillir les réfugiés chaleureusement...
E.L : Oui. Cela vient d'un sentiment de culpabilité vis-à-vis du nazisme. Pour ma part j'attends depuis longtemps que l'Allemagne se relève et arrête de se cantonner à sa politique victimaire, de se flageller pour son passé. Le tribu qu'on lui fait payer commence à être beaucoup trop lourd. L'Allemagne finira par se révolter de cette situation. C'est également le cas pour le Japon à qui on fait payer depuis bien trop longtemps sa prise de position dans la Seconde Guerre Mondiale.
De nombreux pays européens et notamment certains maires français, on affirmé qu'ils ne sont prêts à accueillir que des chrétiens...
E.L : Selon moi, c'est une exigence tout à fait raisonnable. Aujourd'hui, les médias nous montrent un Islam aggressif, représenté par Daesh. Alors les gens ont peur, ils préfèrent se tourner vers des populations dont ils savent qu'elles partagent la même religion, les mêmes valeurs.
Vous aussi avez vécu l'exil et la situation de réfugié dans les années 70-80, aux Etats-Unis et en Europe...
E.L : J'ai vécu une toute autre situation. Ce n'est pas comparable. Réfugiés, nous l'étions, certes, mais nous n'étions que quelques centaines. Nous aussi nous avons fuit, mais nous faisions partie de l'Intelligentsia, nous étions des artistes, des poètes, des peintres, des écrivains. Comment peut-on comparer cela à la vague migratoire à laquelle fait face aujourd'hui l'Europe ? Ces gens fuient la terreur, la mort, ils fuient pour sauver leurs vies. Beaucoup d'entre eux n'ont pas le choix. Et l'Europe en paye les conséquences.
Comment évaluez vous cette situation de Russie, où vous vous trouvez ?
E.L : La Russie aussi a accueilli plus de 600 000 réfugiés vous savez. Seulement, voyez-vous, ceux-là sont ukrainiens. Ils parlent la même langue que nous, ils partagent notre culture. Ils ne sont absolument pas une menace pour la Russie. Je peux vous dire qu'on est bien mieux lotis que vous de ce côté là. Enfin... pour le moment.
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Entretien avec Nicole Esterolle
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Nicole Esterolle, cueilli sur Le Comptoir et consacré à l'art dit contemporain. Nicole Esterolle a récemment publié un essai intitulé La bouffonnerie de l'art contemporain (Jean-Cyrille Godefroy, 2015).
Après plusieurs années de chroniques féroces témoignant d’une saine pédagogie de l’humour orienté contre l’art contemporain, sa coterie, ses codes et ses inepties, Nicole Esterolle faisait paraitre à la fin du printemps l’essai La Bouffonnerie de l’art contemporain. Nous l’avons donc interrogée, pour compléter ou synthétiser le propos de ce très recommandable essai qui, qu’on en accepte le propos ou qu’on le trouve excessif, a le mérite d’engager au débat sur l’art d’aujourd’hui. Un art qui, en particulier en France, semble ressembler à une institutionnalisation des positions et attitudes qui furent autrefois les audaces des avant-gardes et n’apparaissent aujourd’hui que comme un académisme stérilisant.
Nicole Esterolle : Il y a des centaines d’artistes d’aujourd’hui – donc contemporains – que je connais, dont j’aime le travail et que je défends sous ma vraie identité. Il m’est arrivé en effet d’en citer quelques-uns dans mes chroniques de Nicole. Ces artistes-là sont ceux de l’intériorité sensible, de la mise en forme, du savoir-peindre et/ou dessiner, du plaisir de l’inattendu, du mystère : tous les ingrédients qui constituent pour moi la vraie substance artistique.
Et puis il y a l’aberration historique des dits “contemporains”, c’est-à-dire ceux qui se sont attribués abusivement ce qualificatif ; ceux pour qui « les attitudes sont bêtement devenues formes »[i] ; ceux de la posture, de l’extériorité spectaculaire ; ceux de la subversion et du non-sens convenus et subventionnés ; ceux de la « processualité discursive »[ii] ; ceux de la rhétorique de plus en plus délirante ; ceux dont l’énormité du discours pallie le vide intérieur, mais surtout génère de la médiatisation, du buzz, de la visibilité et du pognon au bout de l’embrouille.
Difficile d’ignorer l’occupant. Impossible d’accepter cette métastase imbécile et envahissante qui tue l’art et les artistes et occulte la vraie création actuelle. Cette boursouflure de l’art dit contemporain est d’origine psycho-patho-sociologique et est systémique. Le Diable est d’origine mécanique… et, en l’occurrence, d’une mécanique d’ordre bureaucratique et financier où fonctionnaires, professeurs, critiques d’art et spéculateurs jouent à être plus stupides les uns que les autres pour mieux servir les appareils de pouvoir et d’argent dont ils sont les rouages. Il faut flinguer la crétinerie qui met l’art en danger, mais aussi l’humanité.
Art abstrait, art figuratif : je ne vois pas pourquoi opposer l’un à l’autre quand l’un comme l’autre peuvent contenir ce qui m’intéresse, c’est-à-dire la qualité sensible, la poésie, une lumière, un mystère. Non, s’en prendre à l’art abstrait serait une grave erreur. Comment ne pas aimer Serge Poliakoff par exemple et tant d’autres ? Mais, il vrai que les Vassily Kandinsky, Kazimir Malevitch, Piet Mondrian sont, pour moi, des “abstraits” sans émotion et qui, à cause de cela, ont été les précurseurs de ce que je déteste : la rupture gratuite, l’intellectualité décérébrée, le manque d’inventivité formelle, la posture, le système, le pathos, le discours d’emballage du vide. Entre une aquarelle de Joan Miró pleine de sincérité, de nécessité intérieure et une de Kandinsky, pur exercice formel sans contenu, il y a une différence fondamentale.
Si l’art abstrait, en soi, n’est pas à l’origine de la calamité “art contemporain”, le surréalisme et le dadaïsme non plus. Car chez les dadaïstes, il y avait d’abord de la mise en forme poétique… et ensuite de la provocation “déconstructive”, qui s’appuyait sur une création préalable. Sauf que Marcel Duchamp s’est glissé parmi eux pour en faire une habile déconstruction et un foutage de gueule systématique, qui a pu ensuite être récupéré par les génies de la comm’ que sont les acteurs de l’art dit contemporain. Je ne pense pas, au contraire d’Alain Boton, qu’il y ait une énigme ou un message caché dans l’ “œuvre” maigrelette de ce vieux dandy farceur gigolo rigolo de Duchamp, ni de signification particulière. Du rien, simplement… mais bien emballé. Une belle mystification qui fonctionne encore.
Effectivement, parmi les nombreuses réactions que j’ai pu recevoir après la sortie de mon livre, il y a celle-ci qui est assez fréquente : « Bon, je suis d’accord avec vous pour fustiger un système globalement détestable, mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Au lieu de détruire, ne pourriez-vous pas essayer d’être constructive ? Et puis, c’est bien beau de vouloir la fin d’un système, mais que proposez-vous à la place ? »
Il est vrai que si la réponse à ces questions était inscrite dans mes textes, elle n’était sans doute pas assez explicite. Je vais donc essayer d’être plus claire et, pour ce faire, je dirai ceci : quand vous tentez de stopper les ravages d’une logique ou d’une mécanique incontrôlable et décérébrée, qui écrase et casse tout dans le paysage de l’art, ça n’est pas pour mettre autre chose à sa place, c’est simplement pour arrêter le carnage et faire en sorte que la nature reprenne ses droits. Quand une personne s’est fait enlever un énorme fibrome qui empoisonnait sa vie, elle ne demande pas au chirurgien de lui mettre autre chose à la place, non, ce qu’elle souhaite c’est revivre normalement et librement. Quand on dit qu’il faut arrêter l’usage des engrais, pesticides, etc., qui tuent les sols, ça n’est pas pour qu’ils soient remplacés par d’autres poisons, c’est pour permettent aux micro-organismes vivants, à la flore et à la faune de se reconstituer naturellement. Hé bien, dans le domaine de l’art, je pense que c’est la même chose. S’il faut absolument se débarrasser au plus vite de ce bulldozer bureaucratico-financier institutionnel stupide et dévastateur qui sévit depuis quatre décennies, ce n’est pas pour le remplacer. C’est simplement pour que toutes les floraisons artistiques puissent à nouveau s’épanouir naturellement et librement dans toute leur diversité.
Non , non ! Ça c’est une impression, il y a des quantités de formidables jeunes artistes qui sont victimes de l’idéologie dévastatrice “art contemporain”, bien plus que de plus-de-60-ans, pour la bonne raison qu’il y a davantage de bons artistes aujourd’hui, qu’il n’y en avait voilà quarante ans.
Il y a un travail urgent à faire là-dessus de la part des sociologues. C’est à eux d’analyser et de démonter le phénomène, qui n’est d’ailleurs pas très compliqué à comprendre. Mais c’est encore un sujet tabou qui attirerait des ennuis de carrière à ceux parmi les jeunes sociologues qui le choisiraient comme sujet de thèse, tout comme les sociologues en Union soviétique risquaient le goulag. L’art contemporain, c’est un marqueur tribal ou communautariste ; c’est un signe d’appartenance de classe ; c’est l’expression d’une puissance intellectuelle et sociale. C’est bête comme chou ! Pas besoin d’être sociologue pour comprendre ça. Mais n’empêche : ils devraient s’emparer de la question s’ils étaient un peu plus libres et courageux.
Il y aurait des centaines d’exemples à citer, car le conflit d’intérêt, la collusion privé-public, le mélange des genres, font partie du jeu et sont consubstantiels à l’art contemporain. Le cas de l’art contemporain pourrait être très vite réglé par des moyens juridiques et les cours des Comptes nationale et régionales, mais voilà : il existe une sorte de dérogation tacite à la loi dans ce domaine de non-sens et de non-droit. Ahurissante, cette histoire d’Aillagon, ex-directeur du centre Pompidou, ex-Ministre de la Culture, puis employé par le ploutocrate Pinault à sa fondation de Venise, puis directeur du Château de Versailles et qui met ce patrimoine public à disposition des appareils financiers du spéculateur Pinault pour la survalorisation des produits Koons, Mukakami, McCarthy, etc. Dans aucun autre domaine et en aucun autre pays on pourrait envisager ça ! Mais c’est ça l’exception culturelle française que l’on doit à cette vieille saucisse botoxée de Jack Lang qui sévit encore.
L’art contemporain de type français est un effet pervers de la bonne intention culturelle du socialisme mitterrandien des années 80. L’enfer est pavé de bonnes intentions merdiques, qui se retournent sur elles-mêmes puisqu’elles elles n’ont pas assez de contenu et de rigueur morale et intellectuelle. En fait la gauche culturelle a créé un appareil qui s’est mis à la remorque du grand libéralisme, de telle sorte qu’aujourd’hui le système en place allie les vertus du soviétisme et celle du capitalisme le plus débridé : c’est un comble !
En fait, l’art contemporain n’a pas de couleur ni d’odeur politique. Il est a-politique comme il est a-artistique. Il est le produit d’une logique d’appareil, et pour cela, insaisissable comme un cambouis visqueux par les élus qui s’en méfient comme de la peste, qui bottent en touche, qui ont peur de passer pour des ringards quand ils en parlent et qui laisse ça aux “spécialistes” de leur services. L’art contemporain terrifie le politique et c’est ainsi que les petits potentats locaux et nationaux de l’art contemporain font ce qu’ils veulent dans une impunité totale et dans une foire d’empoigne où l’on ne sait plus qui dirige, qui est le subalterne de qui, etc. Même le Front de Gauche, qui devrait pourtant s’emparer du sujet de cet art business, fruit de la non-régulation des flux financiers, n’en dit rien. Même les écolos, qui devraient se saisir de la question de la non-durabilité de cet art, la ferment prudemment. Et cette prudence née de la peur de faire le jeu du FN offre un boulevard justement pour ce même FN. Et c’est là qu’interviennent les hurlements à l’hitlérisme des ayatollahs du politiquement correct des Inrocks, Politis, Libé, Art Press, de la vieille gauche caviar culturocrate, burénienne[iv] et duchampiste, pour une alliance objective avec le FN que ces crétins prétendent combattre. Fachos contre fachos : même combat contre l’art et la liberté, d’une stupidité à pleurer. Honte d’être le contemporain de ces abrutis !
J’envoie régulièrement des parties de ma chronique aux 800 parlementaires de ce pays. Je n’ai jamais eu la moindre réponse. Mais je ne crois pas qu’ils s’en foutent pour autant. Je crois qu’ils n’en pensent pas moins, mais savent qu’ils n’ont pas encore les moyens de faire bouger les choses ou de mettre cela en débat à l’Assemblée. Ils n’osent même pas encore s’informer et essayer de comprendre ce dont ils sont les manipulés. Mais je pense qu’ils ne vont pas tarder à dire qu’ils en ont marre d’être pris pour des cons par tous ces pédants théoriciens d’un art d’État qui a disqualifié l’art français, exterminé 95% des artistes et ridiculisé la France sur la scène artistique internationale.
Oui, ce qui est stupéfiant, c’est de voir cet art officiel, émanation de la gauche culturelle languienne, fabriquer du produit financier spéculatif, collaborer avec le “grand capital”, comme disait feu Georges Marchais, et néanmoins, traiter de fachos ceux qui critiquent leur action, même quand ils sont de gauche. Jamais on avait, dans l’histoire de l’art, atteint un tel niveau de bêtise ! (Toutes considérations d’ordre esthétique mises à part, car là est un autre sujet…)
Dans un premier temps il faudrait que l’État cesse immédiatement tout soutien dirigé à la création artistique. Qu’il restitue aux régions l’entière autonomie de leurs politiques culturelles (ce que certains présidents de régions demandent déjà). Il faudrait aussi que le politique réfléchisse à la possibilité d’inventer de nouveaux moyens d’accompagnement de la création, qui ne soient pas directifs, d’inventer des instances d’évaluation et d’expertise intelligentes, indépendantes, et proches des réalités.
Il y en a des centaines, des milliers qui sont ignorés, méprisés par les nervis patentés des FRAC, des DRAC et autres MAC[v], tous qualifiés pour leur inaptitude, leur cécité, leur incompétence foncière et leur totale incompréhension de l’art. Et c’est bien cette volaille rhétoricienne, théoricienne, caquetante à tout va (et surtout en anglais, langue du grand marché spéculatif) qui non seulement n’achètent pas les bons artistes pour les FRAC, mais dissuade le public de les acheter, les municipalités de les exposer. Et c’est bien aussi cette même volaille aussi prétentieuse que décérébrée, qui empêche que le Centre Pompidou rende hommage à de grands artistes comme Paul Rebeyrolle, Antonio Segui, Vladimir Veličković, Jean Rustin, Pat Andrea, Marc Giai Miniet, Abraham Hadad et tellement d’autres. Quel gâchis !
Nicolle Esterolle, propos recueillis par Domenico Joze (Le Comptoir, 7 octobre 2015)
Notes :
[i] Référence à l’exposition organisée en 1969 à la Kunsthalle de Berne par le commissaire d’exposition suisse Harald Szeemann (1933-2005), « Quand les attitudes deviennent formes : vivez dans votre tête », date importante de l’art conceptuel (Joseph Kosuth, Hanne Darboven, Lawrence Weiner, etc.) et de l’art minimal (Sol LeWitt, Carl Andre, etc.).
[ii] Délibérément pompeuse et d’usage ironique, l’expression “processualité discursive” renvoie à la notion d’art processuel où le processus créatif prend le pas, en tant qu’œuvre, sur l’objet créé, comme l’explique Pauline Chevalier, maître de conférences en esthétique à l’université de Franche-Comté : « Le processus – processus de création, processus d’altération des matériaux, de développement de l’image filmé, de déploiement des gestes dansés ou d’une musique sérielle – œuvre comme une expérience primant sur l’objet et ouvrant vers la conjonction de temporalités distinctes, celle de l’atelier et celle de l’espace d’exposition ».
[iii] Ami intime de François Pinault, huitième fortune de France en 2015, Jean-Jacques Aillagon a été Ministre de la Culture de 2002 à 2004, avant de devenir administrateur délégué et directeur du Palazzo Grassi, fondation d’art contemporain sise à Venise et appartenant à M. Pinault. Nommé président de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles en juin 2007 par le Président Nicolas Sarkozy, ami de François Pinault, il exerce cette charge jusqu’en octobre 2011. Durant ce dernier mandat, il ouvre Versailles à l’art contemporain : Jeff Koons (2008-2009), Xavier Veilhan (2009), Takashi Murakami (2010) et Bernard Venet (2011), tous ayant un lien avec M. Pinault… par ailleurs détenteur des salles de ventes Sotheby’s. Comme le résumait Philippe Rillon sur son blog La Peau de l’ours en 2010 : « Il s’agit bien sûr de valorisation financière: c’est très bon pour LVMH, qui emploie Murakami à mettre sa griffe sur les sacs Louis Vuitton ; c’est aussi excellent pour la Galerie Perrotin qui diffuse les produits du japonais, ceux de Xavier Veilhan et de quelques autres artistes entrepreneurs… et pas mal non plus pour les intérêts de Monsieur Pinault qui valorise ainsi ses avoirs en collection… Sans oublier que cette valorisation financière renforce les réseaux d’influences auxquels participe tout ce beau monde ».
[iv] Il s’agit d’une référence à l’une des cibles favorites de Nicole Esterolle : le plasticien Daniel Buren, l’un des noms les plus symptomatiques de l’art contemporain français. Millionnaire aujourd’hui, il fait carrière depuis la fin des années 60 sur une proposition plastique d’une extrême pauvreté : des bandes alternées de 8,7 cm, l’une blanche, l’autre noir ou d’une même couleur, formule qu’il a déclinée depuis lors sous de nombreuses formes (sur verre, sur bâche, sur toile, en musée, en extérieur, etc.). Son travail le plus célèbre, ce sont Les Deux plateaux, plus connu sous le nom de « colonnes de Buren », situé dans la cour d’honneur du Palais-Royal de Paris.
[v] FRAC : Fonds régional d’art contemporain. DRAC : Direction régionale d’art contemporain. MAC : Musée d’art contemporain. Ces diverses institutions étatiques sont, en principe, dédiées à la diffusion et au soutien de la création contemporaine. Dans les faits, les choix opaques réalisés, l’existence d’un milieu à forte endogamie et une politique délibérée d’écartement de tout un pan de la création présente (en premier lieu : la sculpture et la peinture figuratives, qui représentent la portion congrue des acquisitions) en font des outils de diffusion d’une certaine “idéologie” ou d’une certaine “orthodoxie” de ce qu’est la création aujourd’hui, bénéficiant de lourds financements publics et d’un travail de propagande à renfort, notamment, de visites scolaires.
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Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945), l'écrivain du manque et de l'insécurité.
Subtil. Une analyse synthétique du parcours et de l’oeuvre d’un écrivain torturé et essentiel.
On a tant écrit sur Drieu. On a un peu l’impression qu’aujourd’hui, le mieux, pour l’évoquer, est encore de le relire. Il y a eu Drieu le petit-bourgeois déclassé, disséqué par François Nourissier — un expert —; il y a eu le souvenir de l’ami, par Berl dans Présence des morts (magnifique évocation d’un adolescent éternel — et c’est compliqué, signifie Berl, lorsqu’on a 50 ans… —) ; il y a eu l’ami encore, par Malraux dans ses entretiens avec Frédéric Grover, ou par Audiberti, dans Dimanche m’attend, un des rares présents aux obsèques de Drieu, en dépit du contexte et en vertu d’une fidélité amicale certaine ; il y a eu Michel Mohrt et l’évocation de Fitzgerald à propos de Drieu, son “cousin américain” (voir leurs rapports avec les femmes, l’argent et la mélancolie).
Il y a eu, aussi, ceux qui ont découvert Drieu par le film de Louis Malle, le Feu follet — bon film mais caricature figée, selon nous, de ce que peut devenir Drieu si l’on s’en tient à ce livre. Un des plus aboutis littérairement, certes, mais un des moins fidèles à ce que nous évoque l’homme Drieu, en fait. Très abouti, alors que Drieu n’est que boiterie, manque — c’est aussi sa qualité. Drieu se ressemble dans Gilles ou dans Rêveuse bourgeoisie, lorsqu’il bâcle les fins ou impose ses tunnels. Là, on a l’impression d’éprouver viscéralement, intimement, la pente de Drieu : Drieu ne s’aime pas, et le fait savoir, se sabote — et personne n’est dupe. Le prodige, le “grand-écrivain”, c’était l’autre ami, Aragon. Le Feu follet, c’est un accident de parcours, si l’on ose. Évidence : relire Aurélien et Gilles, et éprouver la virtuosité d’Aragon et la maladresse, parfois, de Drieu, sa marque et son charme.
Dans le Feu follet, le décadent morbide, le suicidaire, le “drogué”, toute cette panoplie assez génialement démontée par Bernard Frank dans la Panoplie littéraire est surlignée, pain béni pour la caricature — et on n’y a pas coupé, jusqu’à réduire Drieu au Feu follet. Et passer d’abord à côté de l’homme, puis de ses livres. Frédéric Saenen, dans une synthèse récente, analyse de concert son parcours et son oeuvre, avec un surplomb qui atteste sa connaissance intime de l’un et de l’autre — et redonne sens (pluriel) et relief à une aventure complexe et polymorphe qui est aussi un moment de la littérature du XXe siècle.
Drieu la Rochelle face à son oeuvre, de Frédéric Saenen, Infolio, 200 pages, 24,90 €.
Entretien avec Frédéric Saenen
Propos recueillis par Daniel Salvatore Schiffer
Ex: http://www.jeudi.lu
La polémique a enflé lorsque La Pléiade a publié Drieu la Rochelle, écrivain doué mais qui signa quelques-unes des pages les plus déshonorantes de la collaboration des intellectuels au temps du nazisme. C’est le bilan d’une œuvre contrastée que Frédéric Saenen tente de faire dans son livre «Drieu la Rochelle face à son œuvre»*. Pari osé mais réussi!
Le Jeudi: «L’avant-propos de votre dernier essai ne laisse planer aucun doute: « Peut-être l’heure a-t-elle sonné de tenter le bilan d’une œuvre multiforme, dont la valeur exacte est toujours occultée par les choix idéologiques de son signataire », y spécifiez-vous.»
Frédéric Saenen: «Pierre Drieu la Rochelle, écrivain français de l’entre-deux-guerres, et même l’un des plus représentatifs, avec Louis-Ferdinand Céline, de cette infâme nébuleuse que fut la collaboration, provoque encore aujourd’hui, dès que son nom est prononcé, l’opprobre, sinon le rejet, voire le scandale. Une chose, cependant, le distingue, outre son indéniable talent littéraire malgré quelques inégalités, des autres écrivains «collabos», tels Robert Brasillach ou Lucien Rebatet: c’est l’issue fatale – puisqu’il se suicida en mars 1945, alors que des poursuites judiciaires étaient lancées contre lui – de son parcours existentiel, particulièrement tortueux, difficile et conflictuel. Ainsi, sept décennies après ce suicide, ai-je pensé que l’heure était venue de se pencher de manière un peu plus approfondie, rigoureuse et nuancée à la fois, sur cette œuvre dont la qualité littéraire se voit encore contestée par les choix politiques, condamnables tant sur le plan philosophique qu’idéologique, de son auteur.»
Le Jeudi: «La tentation du suicide ne fut-elle pas une sorte de « constante existentielle », par-delà ce pénible sentiment d’échec qui l’animait vers la fin de la guerre, pour Drieu tout au long de sa vie?»
F.S.: «Drieu a toujours entretenu, dès son plus jeune âge, un rapport étroit avec la mort, et donc avec l’idée du suicide, qui l’avait en effet déjà tenté, plus d’une fois, dans sa vie. C’est là un des thèmes de prédilection, objet de fascination et de répulsion tout à la fois, des écrivains ou artistes dits « décadents », dont Drieu fut, en cette époque trouble qu’a été l’entre-deux-guerres, un des épigones. Le héros ou, plutôt, l’anti-héros d’un roman tel que Le feu follet se suicide d’ailleurs.»
Le Jeudi: «Dans quelles circonstances précises Drieu s’est-il suicidé?»
F.D.: «Le 30 août 1944, une commission rogatoire est établie contre lui. Elle sera suivie d’une procédure d’enquête, ainsi que de l’élaboration d’un dossier d’instruction contenant, entre autres documents accablants, ses articles publiés dans les journaux collaborationnistes. En février 1945, il apprend qu’un mandat d’amener a été lancé contre lui. Il risque, à l’instar de Brasillach, fusillé devant un peloton d’exécution, la peine de mort, promulguée par ce que l’on appelait, après la Libération, le « comité d’épuration ». Ainsi, se sachant parmi les « perdants » et résolu donc à se condamner par lui-même, plutôt que d’avoir à affronter ses juges, Drieu choisit-il, comme il le confie dans son Journal, cette « suprême liberté: se donner la mort, et non la recevoir ». Quelques jours après, le 15 mars 1945, il se suicide en absorbant une forte dose de médicaments, du Gardénal, qu’il associe à l’inhalation de gaz. Sur un billet laissé à sa femme de ménage, il avait écrit ces mots: « Gabrielle, laissez-moi dormir cette fois »…»
Le Jeudi: «Conclusion?»
F.S.: «Il y avait indubitablement là, quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de Drieu, une certaine grandeur d’âme. Ce fut, quoi que l’on puisse penser du suicide, un geste non seulement courageux, paré d’une réelle noblesse d’esprit, mais aussi un acte que vous pourriez qualifier d’éminemment dandy: une esthétique de la liberté individuelle doublée d’une souveraine affirmation de solitude, et qui, comme telle, contribua considérablement à édifier sa légende, fût-elle tragique!»
Le Jeudi: «Mais vous posez également, dans la foulée de ce dramatique constat, un certain nombre de questions, toutes aussi légitimes que pertinentes!»
F.S.: «Je l’espère, car, au-delà de la simple quoique embarrassante question « Pourquoi lire Drieu aujourd’hui? », s’en posent, tout naturellement, d’autres. Comment, par exemple, approcher cet auteur que tout éloigne de nos repères habituels et de nos codes actuels? Quelle place occupe-t-il au sein des lettres françaises d’aujourd’hui? Quel sens donner à son œuvre, pour nous, hommes et femmes du XXIe siècle? A-t-il encore quelque chose à nous dire, lui qui se compromit avec l’une des pires idéologies – le fascisme – du XXe siècle? Ainsi ne s’agit-il en rien, dans mon livre, de réhabiliter l’homme Drieu, mais bien, seulement, de reconsidérer l’authentique écrivain qu’il fut.»
Question de méthode
Le Jeudi: «Votre livre se présente donc comme une analyse circonstanciée de son œuvre plus que comme une biographie?»
F.S.: «Certes le rapport à la biographie, à la psychologie profonde de ce personnage éminemment complexe, parfois contradictoire et souvent ambigu, est-il indispensable afin de cerner les fantasmes directeurs de sa création fictionnelle, les axes majeurs de sa pensée, l’évolution de sa réflexion politique, mais cet aspect, quoique important, reste cependant secondaire dans mon essai, qui est, plus fondamentalement, une monographie.»
Le Jeudi: «C’est-à-dire?»
F.S.: «L’œuvre de Drieu est certes multiforme, mais lui-même s’employait sans cesse, ainsi qu’il l’affirme dans sa préface, à la réédition, en 1942, de Gilles, peut-être son roman le plus connu, à y souligner « l’unité de vues sous la diversité des moyens d’expression, principalement entre (s)es romans et (s)es essais politiques ». Ainsi la principale caractéristique de mon étude, qui, je crois, la rend originale, différente de tout ce qui a été effectué autour de la question Drieu, repose-t-elle sur le fait de ne pas dissocier l’homme de lettres et l’homme d’idées. Le romancier y est traité sur le même pied que l’essayiste. Telle est la raison pour laquelle j’ai intitulé mon avant-propos « Drieu au miroir ».»
Une «bibliothèque-miroir»
ou le paradoxal «mentir-vrai»
Le Jeudi: «Vous y parlez même de « bibliothèque-miroir »!»
F.S.: «L’une des originalités de Drieu est d’avoir pratiqué, plus que n’importe quel autre des auteurs français de l’entre-deux-guerres, une « littérature de la sincérité », franche et parfois crue, sinon cruelle, voire brutale, jusqu’à désarmer, souvent, le lecteur non averti. C’est ce que Louis Aragon, ami de Drieu, appelait, d’une formule aussi paradoxale que magistrale, le « mentir-vrai »!»
Le Jeudi: «Vous appliquez aussi à Drieu l’expression d' »homme précaire », forgée par un autre de ses amis, André Malraux »! Quelle en est la signification profonde?»
F.S.: «Drieu avait une conception du monde basée sur son vécu personnel: des expériences intenses, parfois traumatisantes, mais qui étaient aussi l’inconfortable lot de sa propre génération, de ce contexte déchiré dans lequel il vivait. C’était un écrivain de son temps, pour le meilleur et, hélas, pour le pire! Ainsi, s’il est exact qu’il avait une vision plutôt lucide de la vie, il est tout aussi vrai qu’il s’aveugla sur le plan idéologique. Ce fut donc, souvent, un individu instable et tourmenté, un écorché vif, un dépressif oscillant entre indécision caractérielle et exercice spirituel, un mélange d’idéalisme et de pessimisme, un alliage d’exaltation et de désespérance, un mixte d’élan vital et de pulsion mortifère. Bref: un être double, avec ce que cette dualité suppose de contradictions, d’incohérences, d’errances, de reniements, d’apories, d’inexcusables erreurs de jugement. C’est pour cela que j’ai tenté, dans mon livre, de le comprendre, intellectuellement, sans jamais toutefois le justifier, politiquement. Il n’y a, dans mon travail, ni complaisance ni indulgence, encore moins d’empathie suspecte, à l’égard de Drieu. J’espère, tout simplement, que Drieu redevienne ainsi, après ces années de purgatoire, sinon un être fréquentable, du moins un écrivain à redécouvrir. Car il est vrai que le seul nom de Drieu évoque, encore aujourd’hui, l’une des pages les plus sombres de l’intelligentsia française. Il continue à traîner, dans son infernal sillage, une obsédante odeur de soufre!»
Le Jeudi: «Force est cependant de constater que son entrée dans La Pléiade, n’aura pas atténué, sur ce point, la controverse.»
F.S.: «Oui, mais, en même temps, cette publication de son œuvre – ses écrits littéraires puisqu’il s’agit exclusivement là de ses romans, récits et nouvelles, et en aucun cas de son « Journal », encore moins de ses pamphlets, lettres ou articles de journaux** – aura finalement apporté un fameux démenti à sa prétendue relégation dans l’enfer de la bibliothèque du XXe siècle. Drieu, c’est, par-delà cette part maudite de son personnage, un inséparable mélange de rêve et d’action, où l’encre de l’écriture jaillit après le sang de l’existence!»
* Publié chez Infolio (Lausanne-Paris).
** Cette édition dans la «Bibliothèque de La Pléiade» (Gallimard) a pour intitulé exact: «Romans, récits, nouvelles».
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Marcel Gauchet : Deux choses dans votre question : le pourquoi de l’abstention et la grille d’explication que vous évoquez. Elle ne convainc pas sur le fond, même si elle touche à quelque chose de juste. Pourquoi voter quand l’offre ne propose plus d’opposition tranchée ? “Tous pareils”. L’Union européenne limite fortement la gamme des choix. Elle accentue l’effet de la mondialisation, en créant le sentiment que les gouvernants, de toute façon, ne peuvent pas grand-chose. “Ils causent, mais ils ne peuvent rien faire.” Enfin, cerise sur le gâteau, la politique est faite pour les gagnants de la mondialisation. Pourquoi les perdants iraient-ils approuver le fait qu’ils sont sacrifiés sur l’autel de la bonne cause? “Ils se foutent des gens comme nous.” La mondialisation, c’est l’alliance des riches des pays riches avec les pauvres des pays pauvres contre les pauvres des pays riches. Voilà les trois faits qui me semblent largement expliquer la montée de l’abstention, en particulier dans les milieux populaires. Il y a d’autres facteurs, plus diffus, comme la dépolitisation générale.
Quant au rôle du système représentatif lui-même, en le qualifiant d’“aristocratique”, vous faites sans doute allusion à l’analyse de mon ami Bernard Manin. Je ne crois pas que ce soit le mot le plus approprié. La représentation, c’est effectivement un processus de sélection de gens supposément pourvus de qualités spéciales, dont celle de la représentativité. Mais cette représentativité peut très bien s’exercer contre les privilégiés. C’était le grand argument contre le suffrage universel pendant longtemps. Il était présenté comme le moyen pour les masses de faire fonctionner le pouvoir à leur profit grâce à de dangereux démagogues. Le système représentatif a été, de fait, le moyen pour réformer socialement nos régimes en d’autres temps. Il faut se demander comment il s’est retourné sur lui-même. Le problème est ailleurs, en un mot. Il ne faut pas confondre l’instrument et les conditions de son usage.
Pas du tout. Il y a une nation de droite et une nation de gauche. Il y a une anti-nation de droite, libérale, et une anti-nation de gauche, libertaire. Il y a la nation d’hier et la nation d’aujourd’hui. La nation de 2015 n’est pas, et ne peut pas être, celle de 1915. Et puis, il y a l’Europe : nation de substitution ou autre chose, mais quoi exactement ? La vérité est que le brouillage est complet. Tout est à redéfinir.
Aucun retour d’aucune sorte ne nous sera d’une quelconque utilité – il faudrait d’ailleurs qu’ils soient possibles, ce qui, en l’état, n’est pas le cas. Nous sommes condamnés à inventer. Cela commence par nous mettre en position de comprendre ce qui nous est arrivé pour nous retrouver dans cette impasse, sans anathèmes, exorcismes et autres “dénonciations”. Qu’est devenu le politique, par exemple, et pourquoi ? C’est le genre de travail auquel l’individu “total”, comme vous dites, n’est pas spontanément très disposé. Pourtant, il va falloir qu’il s’y mette, et il s’y mettra ! Les cures de désintoxication, c’est dur. Christianisme et paganisme sont des sujets très intéressants en soi, ce n’est pas moi qui dirai le contraire, mais ils ne nous aideront pas beaucoup pour ce travail, si ce n’est indirectement, pour nous aider à mesurer ce qui nous sépare de leurs univers. C’est là qu’est le sujet principal.
« S’il n’y a que des individus et leurs droits, alors toutes les expressions culturelles émanées de ces individus se valent. »
Je ne critique pas les droits de l’Homme, je critique les applications qui en sont faites et les conséquences qu’on prétend en tirer, ce qui est fort différent. Il n’y a pas grand sens à critiquer les droits de l’Homme si on y réfléchit un peu sérieusement : ils sont la seule base sur laquelle nous pouvons établir cette chose essentielle dans une société qu’est la légitimité. Que pourrions-nous mettre d’autre à la place pour définir la norme des rapports entre les gens ou la juste source du pouvoir ? La seule alternative valable, ce sont les droits de Dieu. C’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris les fondamentalistes. Il faut donc faire avec les droits de l’Homme. La question est de savoir s’ils ont réponse à tout. C’est là qu’est l’égarement actuel. Ils ne rendent pas compte de la nature des communautés politiques dans lesquelles ils s’appliquent. Ils doivent composer avec elles. Le politique ne se dissout pas dans le droit. Ils ne nous disent pas ce que nous avons à faire en matière économique, etc. La démocratie libérale, bien comprise, consiste précisément dans ce bon usage des droits de l’Homme qui leur reconnait leur place, mais qui se soucie de les articuler avec ce qui leur échappe et ne peut que leur échapper. C’est en ce sens qu’elle est le remède au droit-de-l’hommisme démagogique.
De la même façon, cette vision de l’équilibre à respecter entre droit et politique permet d’échapper au relativisme culturel, qui fait d’ailleurs système avec le droit-de-l’hommisme. S’il n’y a que des individus et leurs droits, alors toutes les expressions culturelles émanées de ces individus se valent. Mais s’il existe des communautés historiques qui ont leur consistance par elles-mêmes, alors il est possible de les comprendre pour ce qu’elles sont, d’abord, en faisant aux cultures singulières la place qu’elles méritent et, ensuite, en les distinguant au sein d’une histoire où nous pouvons introduire des critères de jugement. C’est, de nouveau, une affaire de composition entre des exigences à la fois contradictoires et solidaires. La chose la plus difficile qui soit dans notre monde, apparemment. La conférence de l’Unesco, qui a adopté la Convention sur la protection et la promotion des expressions culturelles en 2005, souligne expressément, selon ses mots, « l’importance de la diversité culturelle pour la pleine réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».
Ne tirons pas de conclusions définitives sur l’essence des droits de l’Homme depuis ce que nous en observons aujourd’hui. Il est vrai que beaucoup de gens de par le monde trouvent grotesques les prétentions occidentales à l’universalisation des droits de l’Homme – non sans raison, étant donné les contextes sociaux où ils sont supposés s’appliquer. D’un autre côté, la débilité de nos droits-de-l’hommistes n’est plus à démontrer. Mais cela ne prouve rien sur le fond. Il a fallu deux siècles en Occident pour qu’on prenne la mesure opératoire du principe. Il est permis de penser qu’il faudra un peu de temps pour que leur enracinement s’opère à l’échelle planétaire. De la même façon, le mésusage de ce principe tel que nous le pratiquons actuellement dans nos démocraties peut fort bien n’être qu’une pathologie transitoire. C’est ce que je crois.
Je pense que les droits de l’Homme ont une portée universelle en tant que principe de légitimité. Ils représentent la seule manière de concevoir, en dernier ressort, le fondement d’un pouvoir qui ne tombe pas d’en haut et ne s’impose pas par sa seule force, à l’instar, par exemple, des dictatures arabes. Ils sont également le seul étalon dont nous disposons pour concevoir la manière dont peuvent se former des liens juste entre les personnes dès lors qu’ils sont déterminés par leur seule volonté réciproque et non par leurs situations acquises. De ce point de vue, je suis convaincu qu’ils sont voués à se répandre au fur et à mesure que la sortie de la religion, telle que je l’entends, se diffusera à l’échelle du globe – c’est en cours, c’est cela la mondialisation.
Maintenant, ce qui légitime ne peut pas se substituer à ce qui est à légitimer : l’ordre politique ou l’action historique. En Europe, c’est la folie du moment que d’être tombé dans ce panneau. C’est ce qui produit ce dévoiement que vous résumez très bien : la réduction du processus politique à la coexistence procédurale des libertés individuelles. Mais ce n’est pas le dernier mot de l’histoire, juste une phase de délire comme on en a connu d’autres. Elle est en train de révéler ses limites. Il y a un autre emploi des droits de l’Homme à définir. Ils n’ont pas réponse à tout mais ils sont un élément indispensable de la société que nous avons le droit d’appeler de nos vœux.
« Non seulement la place du politique demeure, mais plus le rôle du marché s’amplifie, plus sa nécessité s’accroît, en profondeur. »
C’est quoi au juste “libéral” ? C’est quoi “capitalisme” ? Il serait peut-être temps de se poser sérieusement la question avant de brailler en toute ignorance de cause.
Libéraux, nous le sommes en fait à peu près tous, que nous le voulions ou non, parce que nous voulons que tous soient libres de parler, de se réunir, mais aussi de créer des journaux, des radios, des entreprises pour faire fructifier leurs idées. La raison de fond de ce libéralisme qui nous embrigade, c’est que le monde moderne est tourné vers sa propre invention et que cela passe par les libres initiatives des individus dans tous les domaines. Et capitalistes, du coup, nous sommes amenés à l’accepter inexorablement parce que pour faire un journal, une radio, une entreprise, il faut des capitaux, des investissements, des emprunts, des bénéfices pour les rembourser, et ainsi de suite. Préférons-nous demander à l’État, à ses bureaucrates, et à ses réseaux clientélistes ?
Ce sont les données de base. Après, vient la question de la manière dont tout cela s’organise. Et sous cet angle, nous ne sommes qu’au début de l’histoire. Nous avons tellement été obsédés par l’idée d’abolir le libéralisme et le capitalisme que nous n’avons pas vraiment réfléchi à la bonne manière d’aménager des faits premiers pour leur donner une tournure vraiment acceptable. Voilà le vrai sujet. Il me semble que nous pouvons imaginer un capitalisme avec des administrateurs du capital qui ne seraient pas des capitalistes tournés vers l’accumulation de leur capital personnel. De la même manière, nous avons à concevoir un statut des entreprises qui rendrait la subordination salariale mieux vivable. Après tout, chacun a envie de travailler dans un collectif qui a du sens et qui marche. Mais il faut bien que quelqu’un prenne l’initiative de le créer et de définir sa direction. Arrêtons de rêvasser d’un monde où tout cela aurait disparu et occupons-nous vraiment de le penser.
« Foucault voit le pouvoir partout, Bourdieu détecte la domination dans tous les coins. Voilà du grain à moudre pour la “critique” à bon marché. »
Autonomisation de l’économie, soit. Mais jusqu’où ? Il ne faut surtout pas se laisser prendre au piège du discours libéral et de son fantasme de l’autosuffisance du marché autorégulateur. La réalité est que ce marché est permis par un certain état du politique, qu’il repose sur le socle que celui-ci lui fournit. Il en a besoin, même s’il tend à l’ignorer. Sa logique le pousse en effet à vouloir aller toujours plus loin dans son émancipation du cadre politique, mais cette démarche est autodestructrice et bute sur une limite. Elle suscite en tout cas inévitablement un conflit avec les acteurs sociaux à peu près conscients de la dynamique destructrice à l’œuvre. Nous y sommes. C’est en fonction de cette bataille inévitable qu’il faut raisonner, en rappelant aux tenants frénétiques du marché ses conditions même de possibilité. Non seulement la place du politique demeure, mais plus le rôle du marché s’amplifie, plus sa nécessité s’accroît, en profondeur. Nous ne sommes pas à la fin de l’histoire !
La réponse est dans la question ! Évidemment que les roquets qui m’ont aboyé dessus représentent la quintessence du néo-conformisme actuel, qui prétend combiner les prestiges de la rebellitude avec le confort de la pensée en troupeau. Les commissaires politiques “foucaldo-bourdivins” d’aujourd’hui sont l’exact équivalent des procureurs et des chaisières qui s’indignaient hier des outrages aux bonnes mœurs. Par conséquent, le non-conformisme, dans cette ambiance, est globalement passé du côté conservateur, vous avez raison. C’est un fait, mais ce n’est qu’un fait. Car le conservatisme n’est pas exempt pour autant de pensées toutes faites, de schémas préfabriqués et de suivisme. Le vrai non-conformisme est dans la liberté d’esprit et l’indépendance de jugement, aujourd’hui comme hier. Il n’est d’aucun camp.
« Si j’apprécie la part critique de l’idée de l’institution imaginaire de la société, je suis pourtant peu convaincu par la philosophie de l’imaginaire radical que développe Castoriadis, ce qui ne m’empêche pas d’admirer l’entreprise. »
N’exagérons pas les proportions du phénomène. Comme vous le remarquez vous-même, il reste confiné à la sphère universitaire. Contrairement au marxisme, il n’a pas le mouvement ouvrier derrière lui. Mais il a, en revanche, un relais public assez important avec la complicité de l’extrême gauche présente dans le système médiatique. Il fournit au journalisme de dénonciation une vulgate commode. Foucault voit le pouvoir partout, Bourdieu détecte la domination dans tous les coins. Voilà du grain à moudre pour la “critique” à bon marché. C’est d’une facilité à la portée des débiles, mais avec une griffe haute couture. Que demander de mieux ?
J’espère que vous avez raison sur le constat et que la pensée de Castoriadis est en train de trouver l’attention qu’elle mérite. Elle est autrement consistante que les foutaises qui occupent le devant de la scène. Cela voudrait dire que les vraies questions sont peut-être en train de faire leur chemin dans les esprits, en dépit des apparences. Je ne peux que m’en réjouir. Je dirais que nous étions fondamentalement d’accord sur la question, justement, et en désaccord sur la réponse à lui apporter. Nous étions d’accord, d’abord, sur le brouillage intellectuel et politique dans lequel nos sociétés évoluent à l’aveugle. Et au-delà de ce constat critique, nous étions unanimes sur la voie pour en sortir : il faut ré-élaborer une pensée de la société et de l’histoire – seule à même de permettre de nous orienter efficacement – en mesure de prendre la relève du fourvoiement hegelo-marxiste. De ce que les pensées antérieures en ce domaine ont erré, il ne suit pas que toute pensée en la matière est impossible, comme nous le serinent les insanités postmodernes. C’est sur le contenu de cette pensée que nous divergeons. Si j’apprécie la part critique de l’idée de l’institution imaginaire de la société, je suis pourtant peu convaincu par la philosophie de l’imaginaire radical que développe Castoriadis, ce qui ne m’empêche pas d’admirer l’entreprise. Elle ne me semble pas éclairer l’histoire moderne et ses prolongements possibles. C’est pourquoi je me suis lancé dans une autre direction en élaborant l’idée de sortie de la religion. Le but est précisément d’élucider la nature de ce qui s’est passé en Occident depuis cinq siècles comme chemin vers l’autonomie et les difficultés présentes sur lesquelles butent nos sociétés. Pour tout dire, j’ai le sentiment que l’idée d’imaginaire radical est avant tout faite pour sauver la possibilité d’un projet révolutionnaire, plus que pour comprendre la réalité de nos sociétés. Elle empêche Castoriadis de mesurer la dimension structurelle de l’autonomie qui rend possible la visée d’autonomie.
Cela dit, ces divergences de vue se situent à l’intérieur d’un même espace de questionnement et c’est pour moi ce qui compte au premier chef. La discussion a du sens, elle n’est pas une dispute avec du non-sens. C’est l’essentiel.
Entretien réalisé avec l’aide de Galaad Wilgos
Notes :
[i] « Le paradoxe impliqué par la perte des droits de l’Homme, écrit-elle, c’est que celle-ci survient au moment où une personne devient un être humain en général […] ne représentant rien d’autre que sa propre et absolument unique individualité qui, en l’absence d’un monde commun où elle puisse s’exprimer et sur lequel elle puisse intervenir, perd toute signification. » Hannah Arendt, L’impérialisme, Fayard, 1982.
[ii] « Aucun des prétendus droits de l’Homme ne s’étend au-delà de l’homme égoïste, au-delà de l’homme comme membre de la société civile, à savoir un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et son caprice privé, l’homme séparé de la communauté. » Karl Marx, À propos de la question juive, 1843.
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Greg Johnson talks to Daniel Friberg, CEO of Arktos Media and Wiking Mineral, a co-founder of the Swedish metapolitical think tank Motpol, and the author of a new book out in Swedish and English, The Real Right Returns: A Handbook for the True Opposition (London: Arktos, 2015).
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L'ouvrage est disponible sur le site des éditions du Lore : Editions du Lore
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Troy Southgate: Când şi de ce v-aţi decis să vă implicaţi în politică?
Robert Steuckers: Niciodată n-am fost implicat în politică şi nici membru al vreunui partid politic. Sunt un cetăţean interesat de teme politice, dar nu în modul obtuz şi trivial, iar cât priveşte posibilitatea participării în alegeri pentru un consiliu local sau pentru a deveni membru al Parlamentului, nici nu intră în discuţie.
Pentru mine “politica” înseamnă menţinerea unor continuităţi sau, dacă preferaţi, a unor tradiţii. Însă este vorba despre acele tradiţii care sunt înrădăcinate în istoria reală a comunităţilor umane particulare. Am început să citesc cărţi istorice şi politice la vârsta de 14 ani şi asta a dus la o respingere a ideologiilor universal acceptate şi a non-valorilor.
De la vârsta de 15 ani, cu ajutorul unui profesor de istorie, un anume domn Kennof, am realizat că oamenii ar trebui să cunoască principalele trenduri istorice şi să utilizeze constant atlasele istorice (am început să le colectez încă de atunci) pentru a înţelege într-o clipită principalele forţe care animă scena politică într-un anumit moment. Hărţile sunt foarte importante pentru politică la nivel înalt (diplomaţia, spre exemplu).
Principala idee pe care am descoperit-o la această tânără vârstă a fost că toate ideologiile, gândurile sau schemele care doresc să scape de trecut, să taie legăturile oamenilor cu propria continuitate istorică, sunt fundamental greşite. Drept consecinţă, toate acţiunile politice ar trebui să ţintească spre prezervarea şi întărirea continuităţilor istorice şi politice chiar dacă acţiunile futuristice (pro-active) sunt adesea necesare pentru a salva comunitatea de la repetiţia sterilă de obiceiuri și cutume perimate.
Discursurile majorităţii ideologiilor, incluzând expresii variate ale aşa numitei extreme dreapta, sunt în ochii mei artificiale în Occident, aşa cum comunismul a fost o abstracţie în faţa întregii istorii ruseşti în Est sau o abstracţie distructivă la adresa pattern-urilor istorice autentice ale popoarelor est-europene căzute sub dominaţia Sovietică după 1945. Ruptura continuităţilor sau repetiţia “formelor” moarte ale trecutului a condus la confuzia politico-ideologică pe care o cunoaştem în prezent, unde conservatorii nu mai sunt conservatori, socialiştii nu mai sunt socialişti ș.a.m.d.
Ideile politice fundamentale sunt mai bine slujite în opinia mea de către “Ordine” decât de către partidele politice. Ordinele asigură o educaţie continuă a afiliaților şi întăresc noţiunea de datorie. Ele se opun ambiţiilor mărunte ale simplilor politicieni. Astfel de Ordine sunt Ordinele Cavalereşti din Evul Mediu sau ale Renaşterii europene, noţiunea de fatwa în lumea islamică persană precum şi experimente ulterioare, inclusiv în secolul al XX-lea (Legiunea Arhanghelului Mihail în România, Verdinaso în Flandra etc.).
Troy Southgate: Vă rog explicaţi ce vreţi să spuneţi prin termenul “Revoluţia Conservatoare” şi, dacă este posibil, oferiţi-ne o schiţă a principalilor săi ideologi.
Robert Steuckers: Când expresia “Revoluţia Conservatoare” este utilizată în Europa, este folosită în sensul dat de către Armin Mohler în faimoasa lui carte Die Konservative Revolution in Deutschland, 1918-1932. Mohler a enumerat o lista lungă de autori care au respins pseudo-valorile anului 1789 (respinse de Edmund Burke drept simple “schiţe”), a accentuat rolul germanic-ului în evoluţia gândirii europene şi a fost influenţat de Nietzsche. Mohler a evitat, spre exemplu, “conservatorii” puri religioşi, fie aceştia catolici sau protestanţi.
Pentru Mohler principala trăsătură a “Revoluţiei Conservatoare” este o viziune non-lineară a istoriei. Însă acesta nu preia pur şi simplu viziunea ciclică a tradiţionalismului. După Nietzsche, Mohler a crezut într-o concepţie sferică a istoriei. Ce înseamnă asta? Înseamnă că istoria nu este nici o simplă repetiţie a aceloraşi pattern-uri la intervale regulate, nici un traseu linear ce conduce către fericire – către sfârşitul istoriei, către un Paradis pe Pământ, către mulțumire etc. – ci o sferă care poate merge (sau poate fi împinsă) în orice direcţie corespunzător impulsurilor pe care le primeşte de la personalităţi puternice şi carismatice. Astfel de personalităţi carismatice îndoaie cursul istoriei către căi particulare, căi care nu au fost anterior prevăzute de către nicio providenţă.
Mohler, în acest sens, nu crede niciodată în reţete sau doctrine politice universale ci numai în tendinţe particulare şi personale. Precum Jünger, acesta doreşte să lupte împotriva a tot ce este “general” şi să susţină tot ce este “particular”. În plus, Mohler şi-a exprimat propria viziune a particularităţilor dinamice utilizând terminologia oarecum ciudată a “nominalismului”. Pentru el, “nominalismul” a fost într-adevăr cuvântul care a exprimat cel mai bine voinţa personalităţilor puternice de a desena pentru ei înşişi şi pentru propriii adepţi un drum original şi nemaivăzut prin jungla existenţei.
Principalele figuri ale mişcării au fost Spengler, Moeller van den Bruck şi Ernst Jünger (precum şi fratele acestuia Friedrich-Georg). Putem adăuga acestui triumvirat pe Ludwig Klages şi Ernst Niekisch. Carl Schmitt, ca şi avocat catolic şi constituţionalist, reprezintă un alt aspect important al aşa-numitei “Revoluţii Conservatoare”.
Spengler rămâne autorul unei fresce strălucitoare a lumii civilizate care l-a inspirat pe filosoful britanic Arnold Toynbee. Spengler a vorbit despre Europa ca civilizaţie faustiană, cel mai bine exprimată de catedralele gotice, de interacţiunea luminii şi culorilor în lucrările pe sticlă, de cerul furtunos cu nori albi şi gri în majoritatea picturilor germane, engleze şi olandeze. Această civilizaţie este o aspiraţie a sufletului uman către lumină şi către auto-angajare.
O altă idee importantă a lui Spengler este aceea a “pseudo-morfozei”: o civilizaţie nu dispare niciodată complet după decadenţă sau cucerire violentă. Elementele acesteia trec în noua civilizaţie care îi ia locul şi o ghidează în direcţia originară.
Moeller van den Bruck a fost primul traducător german al lui Dostoievski. Acesta a fost profund influenţat de jurnalul lui Dostoievski, conţinând câteva judecăţi severe la adresa Vestului. În contextul Germaniei de după 1918, Moeller van den Bruck a susţinut, bazându-se pe argumentele lui Dostoievski, o alianţă germano-ruso împotriva Vestului.
Cum a putut respectabilul gentleman german, cu o imensă cultură a artei, să pledeze în favoarea unei alianţe cu bolşevicii? Argumentele sale au fost după cum urmează: în întreaga tradiţie diplomatică a secolului XIX, Rusia a fost considerată un scut de reacţie împotriva tuturor repercusiunilor Revoluţiei Franceze, a gândirii şi mentalității revoluționare. Dostoievski, fost revoluţionar rus care a admis mai târziu că opţiunile sale revoluționare au fost greşite şi simple schiţe, a considerat mai mult sau mai puţin că misiunea Rusiei în lume era să elimine din Europa ideile de la 1789.
Pentru Moeller van den Bruck, Revoluţia din Octombrie a anului 1917 în Rusia a fost doar o schimbare a mantiei ideologice, Rusia rămânând, în ciuda discursului bolşevic, antidotul la adresa gândirii liberale a Vestului. Deci Germania înfrântă ar fi trebuit să se alăture acestei fortăreţe de anti-revoluționarism pentru a se opune Vestului, care în ochii lui Moeller van den Bruck este încarnarea liberalismului. Liberalismul, afirmă Moeller van den Bruck, este întotdeauna boala terminală a unui popor. După câteva decenii de liberalism, un popor intră, inevitabil, într-o fază terminală de decadenţă.
Calea urmată de Ernst Jünger este destul de cunoscută tuturor. Acesta a început ca un tânăr şi înflăcărat soldat în Primul Război Mondial, părăsind tranşeele fără nicio armă, doar cu o grenadă sub braţ, purtată cu eleganță, precum bastonul unui tipic ofiţer britanic. Pentru Ernst Jünger, Primul Război Mondial a fost sfârşitul lumii burgheze a secolului XIX şi a “Belle Epoque,” unde toată lumea trebuia să fie “aşa cum ar trebui să fie”, adică să se comporte conform normelor prestabilite de falși profesori sau preoţi, la fel cum toţi astăzi trebuie să ne conformăm comportamental autoproclamatei reguli a “corectitudinii politice”.
Sub “furtunile de oţel” soldatul îşi poate declara lipsa de însemnătate, fragila lui fiinţă biologică, însă această stare nu poate conduce, în ochii săi, către un pesimism inept, către frică şi disperare. Experimentând cel mai crud destin în tranşee şi sub tirul miilor de focuri de artilerie, zguduind pământul, reducând totul la “elementar”, infanteristul a cunoscut cel mai bine dintre toți oamenii crudul destin uman. Toată artificialitatea vieţii civilizaţiei urbane se dovedea a fi falsă în ochii acestora.
După Primul Război Mondial, Ernst Jünger şi fratele său Friedrich-Georg au devenit cei mai buni jurnalişti şi scriitori naţional-revoluţionari.
Ernst a devenit un soi de observator pe alocuri cinic, detașat, ironic şi seren al umanităţii şi faptelor vieţii. În timpul unui raid de bombardament asupra unei suburbii pariziene, unde fabricile produceau materiale de război pentru armata germană în timpul celui de-al Doilea Război Mondial, Ernst Jünger a fost terifiat de traseul direct şi nenatural în aer al fortăreţelor americane zburătoare. Liniaritatea direcţiei avioanelor în aer deasupra Parisului exprimă negarea tuturor curbelor şi sinuozităţilor vieţii organice. Războiul modern implică distrugerea acelor spirale şi serpentine organice. Ernst Jünger şi-a început cariera de scriitor fiind un apologet al războiului. După ce a observat liniile impecabile trasate de bombardierele B-17 americane, a devenit complet dezgustat de lipsa de cavalerism a modul pur tehnic de conducere a unui război.
După al Doilea Război Mondial, fratele său, Friedrich-Georg, a scris prima lucrare teoretică ce a dus la dezvoltarea noii gândiri germane critice şi ecologice, Die Perfektion der Technik (Perfecțiunea tehnicii). Principala idee a acestei cărţi, din punctul meu de vedere, este critica “conectivităţii”. Lumea modernă este un proces ce încearcă să conecteze comunităţile umane şi indivizii la suprastructuri. Acest proces de conectare distruge principiul libertăţii. Eşti un muncitor încătuşat şi sărac dacă eşti “conectat” la o structură mare, chiar dacă câştigi 3000 lire sterline sau mai mult într-o lună. Eşti un om liber dacă eşti complet deconectat de la uriaşele turnuri de metal. Într-un anume fel, Friedrich-Georg a dezvoltat teoria pe care Kerouac a experimentat-o în mod ateoretic alegând să renunţe la viaţa modernă şi să călătorească, devenind un cântăreţ vagabond.
Ludwig Klages a fost un alt filosof al vieţii organice împotriva gândirii abstracte. Pentru el, principala dihotomie a fost între Viaţă şi Spirit (Leben und Geist). Viaţa este distrusă de spiritul abstract. Klages s-a născut în Nordul Germaniei, dar s-a mutat ca şi student la München, unde şi-a petrecut timpul liber în localuri din Schwabing, cartierul unde artiştii şi poeţii se întâlneau (şi încă se întâlnesc și astăzi). A devenit prieten cu poetul Stefan Georg şi student al uneia dintre cele mai originale figuri din Schwabing, filosoful Alfred Schuler, care se credea o reîncarnare a unui colonist roman antic în Rhineland-ul German.
Schuler avea un simț autentic al teatrului. Se deghiza în toga unui împărat roman, îl admira pe Nero şi organiza piese ce reaminteau publicului lumea antică greacă sau romană. Însă dincolo de fantezia vie, Schuler a dobândit o importanţă cardinală în filosofie accentuând spre exemplu ideea de “Entlichtung”, adică dispariţia graduală a Luminii din timpurile cetăților antice ale Greciei și Italiei romane. Nu există progres în istorie: dimpotrivă, Lumina dispare, precum şi libertatea cetăţeanului de a-şi modela propriul destin.
Hannah Arendt şi Walter Benjamin, în partea stângă sau conservator-liberală, au fost inspiraţi de această idee şi au adaptat-o pentru audienţe diferite. Lumea modernă este lumea întunericului complet, cu speranţe mici de regăsire a perioadei de “iluminare”, asta dacă personalităţi carismatice precum Nero, dedicat artei şi stilului de viaţă dionisian, nu ar fixa o nouă eră a splendorii, care nu ar rezista decât pe binecuvântata perioadă a unei primăveri.
Klages a dezvoltat ideile lui Schuler, care niciodată n-a scris o carte de sine stătătoare, după ce acesta a murit în 1923 datorită unei operaţii prost pregătită. Klages, înainte de Primul Război Mondial, a pronunţat un discurs faimos pe dealurile Horer Meisnerr din centrul Germaniei, în faţa unei adunări a mișcărilor de tineret (Wandervogel). Acest discurs a purtat titlul de “Om şi Pământ” şi poate fi considerat primul manifest organic privind ecologia, cu un background filosofic clar şi inteligibil, dar şi solid.
Carl Schmitt şi-a începutat cariera de profesor de drept în 1912 şi a trăit până la venerabila vârstă de 97 de ani. A scris ultimul eseu la 91 de ani. Nu pot enumera toate punctele importante din opera lui în cadrul acestui interviu. Vom rezuma afirmând că Schmitt a dezvoltat două idei principale, şi anume ideea deciziei în viaţa politică şi ideea de “Mare Spaţiu.”
Arta politicilor modelatoare sau a politicii bune rezidă în decizii, nu în discuţie. Liderul trebuie să decidă pentru a putea conduce, a proteja şi a dezvolta comunitatea politică de care răspunde. Decizia nu înseamnă dictatură aşa cum mulţi liberali afirmă în prezent în era “corectitudinii politice”. Dimpotrivă: personalizarea puterii este mai democratică în sensul că regele, împăratul sau liderul carismatic este întotdeauna un muritor. Sistemul pe care îl impune nu este etern, din moment ce el, conducătorul, este pieritor ca orice fiinţă umană. Un sistem nomocratic, dimpotrivă, tinde spre existenţa eternă, chiar dacă evenimentele curente şi inovaţiile contrazic normele sau principiile.
Al doilea mare subiect în lucrările lui Schmitt este ideea de Mare Spaţiu European (Grossraum). Intervenţia puterilor “din-afara-spaţiului” ar trebui să fie prevenită în cadrul acestui Mare Spaţiu. Schmitt a dorit să aplice Europei acelaşi principiu care l-a animat pe preşedintele american Monroe. America pentru americani. Ok, a spus Schmitt, dar lăsați-ne să aplicăm și “Europa pentru europeni”. Schmitt poate fi comparat cu “continentaliștii” nord-americani care au criticat intervenţia lui Roosevelt în Europa şi Asia. America Latină de asemenea şi-a dezvoltat idei continentale similare, la fel şi imperialiştii japonezi. Schmitt a conferit acestei idei de “Mare Spaţiu” un puternic fundament juridic.
Ernst Niekisch este o figură fascinantă în sensul că şi-a început cariera ca şi lider comunist al “Consiliului Republicii Bavareze” în 1918-1919, care a fost strivită de Grupurile pentru Libertate ale lui von Epp, von Lettow-Vorbeck etc. Desigur, Niekisch a fost dezamăgit de absenţa unei viziuni istorice în trioul bolşevic din München-ul revoluționar (Lewin, Leviné, Axelrod).
Niekisch a dezvoltat o viziune eurasiatică, bazată pe o alianţă între Uniunea Sovietică, Germania, India şi China. Figura ideală care ar fi trebuit să reprezinte motorul uman al acestei alianţe este cea a ţăranului, adversarul burgheziei Vestului. O anume paralelă cu Mao Zedong este evidentă aici. În jurnalele editate de Niekisch, descoperim toate tentativele germane de a susţine mişcări anti-britanice sau anti-franceze în imperiile coloniale sau în Europa (Irlanda împotriva Angliei, Flandra împotriva Belgiei francofone, naţionalişti indieni împotriva Angliei etc.).
Sper că am explicat principalele trenduri ale aşa-zisei revoluţii conservatoare în Germania între 1918 şi 1933. Fie ca cei care cunosc această mişcare multistratificată de idei să ierte introducerea schematică.
Troy Southgate: Aveţi un “unghi spiritual”?
Robert Steuckers: Răspunzând acestei întrebări risc să devin prea succint. În grupul de prieteni care au schimbat idei politice şi culturale la sfârşitul anilor 70, ne-am concentrat desigur asupra lucrării lui Evola, Revoltă împotriva lumii moderne. Unii dintre noi au respins total înclinaţiile spirituale, pentru că duceau către speculaţii sterile: ei preferau să citească Popper, Lorenz etc. Am acceptat multe din criticile lor şi îmi displac încă speculaţiile evoliene, invocând o lume spirituală a Tradiţiilor dincolo de orice realitate. Lumea reală este considerată o simplă trivialitate. Însă acesta este desigur un cult al Tradiţiilor în principal susţinut de tineri care “se simt inconfortabili în propria piele”, plastic vorbind. Visul de a trăi viaţa precum fiinţele din poveşti este o formă de refuz al acceptării realităţii.
În capitolul 7 al Revoltei împotriva lumii moderne, Evola, dimpotrivă, a accentuat importanța lui “numena”, forţele ce acţionează în interiorul lucrurilor, fenomenelor naturale sau puterilor. Mitologia romană iniţială a pus accentul mai mult pe numena decât pe divinităţile personalizate. Această subliniere este a mea. Dincolo de oameni şi de divinităţile religiilor uzuale (fie ele păgâne sau creştine), există forţe active şi omul ar trebui să fie în concordanţă cu acestea pentru a reuşi în acţiunile pământeşti.
Orientarea mea religioasă/spirituală este mai degrabă mistică decât dogmatică, în sensul că tradiţia mistică a Flandrei şi Rhineland (Ruusbroec, Meister Eckhart), dar şi tradiţia mistică a lui Ibn Arabî în zona musulmană sau Sohrawardî din lumea persană, admiră şi venerează întreaga splendoare a Vieţii şi a Lumii. În aceste tradiţii, nu există o dihotomie clară între dumnezeiesc, sacru şi divin, pe de o parte, şi lumesc, profan şi simplu, pe de altă parte. Tradiţia mistică înseamnă omni-compenetrarea şi sinergia tuturor forţelor existente în lume.
Troy Southgate: Vă rog explicaţi cititorilor noştri de ce conferiţi o astfel de importanță conceptelor precum geopolitică şi Eurasianism.
Robert Steuckers: Geopolitica este un amestec de istorie şi geografie. Cu alte cuvinte, un amestec al timpului şi spaţiului. Geopolitica este un set de discipline (nu o singură disciplină) ce conduce către o bună guvernare a timpului şi spaţiului. Geopolitica este un mix al istoriei şi geografiei. Nicio putere serioasă nu poate rezista fără continuitate, fie ea instituţională sau istorică. Nicio putere serioasă nu poate supravieţui fără dominaţia şi supunerea spaţiului şi pământului.
Toate imperiile tradiţionale au organizat la început teritoriul construind drumuri (Roma) sau stăpânind marile râuri (Egipt, Mesopotamia, China), apoi au reușit să acceadă la o istorie îndelungată, în sensul continuităţii, prin emergenţa ştiinţelor practice (astronomie, meteorologie, geografie, matematici), sub protecţia armatelor bine structurate cu coduri ale onoarei, în mod exemplar în Persia, locul de naștere al cavalerismului.
Imperiul Roman, primul imperiu pe pământ european, s-a concentrat asupra Mării Mediterane. Sfântul Imperiu Roman al Naţiunii Germane nu a putut găsi un nucleu mai potrivit şi mai coordonat decât Mediterana. Căile navigabile ale Europei Centrale duc către Marea Nordului, Marea Baltică sau Marea Neagră, dar fără nicio legătură între ele. Aceasta este adevărata tragedie a istoriei germane şi europene. Ţara a fost ruptă între forţe centrifugale. Împăratul Frederick II Hohenstaufen a încercat să restaureze tărâmul mediteranean, cu Sicilia drept piesă geografică centrală.
Încercarea acestuia a fost un tragic eșec. Doar acum emergenţa unei noi forme imperiale (chiar şi sub ideologie modernă) este posibilă în Europa: după deschiderea canalului dintre sistemul Rin-Main şi sistemul Dunării. Există acum o singură cale navigabilă între Marea Nordului, incluzând sistemul Tamisei din Anglia, şi Marea Neagră, permițând forţelor economice şi culturale ale Europei Centrale să atingă toate ţărmurile Marii Negre şi ţările caucaziene.
Cei care au o bună memorie istorică, care nu sunt orbiţi de schemele ideologice uzuale ale modernismului, îşi vor aminti de rolul ţărmurilor Mării Negre în istoria spirituală a Europei: în Crimeea, multe tradiţii străvechi, fie ele păgâne sau bizantine, au fost păstrate în grote de către călugări. Influenţa Persiei, în special valorile cavaleriei celei mai vechi din lume (zoroastriene), ar fi putut influenţa dezvoltarea unor forţe spirituale similare în Centrul şi Vestul Europei. Fără aceste influenţe, Europa este mutilată spiritual.
În consecinţă, zona mediteraneană, Rinul (de asemenea cuplat la Rhone) şi Dunărea, râurile ruseşti, Marea Neagră şi Caucazul ar trebui să constituie o singură zonă de civilizaţie, apărată de forţe militare unificate, bazate pe spiritualitatea moştenită din Persia Antică. Asta înseamnă, în opinia mea, Eurasia. Poziţia mea este un pic diferită de cea a lui Dughin însă cele două nu sunt incompatibile.
Când otomanii au deţinut controlul complet asupra peninsulei balcanice în secolul XV, drumurile terestre au fost tăiate pentru toţi Europenii. În plus, cu ajutorul hoinarilor maritimi din Nordul Africii adunaţi de turcul Babarossa stabilit în Alger, Mediterana a fost închisă pentru expensiunea comercială paşnică europeană spre India şi China. Lumea musulmană a funcţionat ca un zăvor pentru a opri Europa şi Moscova, nucleul viitorului Imperiu Rus.
Europenii şi ruşii şi-au unit eforturile pentru a distruge zăvorul otoman. Portughezii, spaniolii, englezii şi olandezii au explorat rutele maritime şi au ocolit Africa şi Asia, distrugând prima oară regatul marocan, care extrăgea aur din minele subtropicale din Africa de Vest, având pretenţia de a-şi construi o armată cu care să cucerească Peninsula Iberică încă odată. Debarcând în Vestul Africii, portughezii au obţinut aur mult mai uşor pentru sine iar regatul marocan a fost redus la o simplă superputere reziduală. Portughezii au navigat de-a lungul continentului african şi au intrat în Oceanul Indian, eludând zăvorul otoman definitiv şi dând pentru prima dată o dimensiune eurasiană reală istoriei europene.
În acelaşi timp, Rusia a respins atacurile tătarilor, a cucerit oraşul Kazan şi a distrus legăturile tătare cu lumea musulmană. Acesta a fost punctul de pornire al unei perspective geopolitice eurasiatice a Rusiei continentale.
Scopul strategiei globale americane, dezvoltat de un om precum Zbigniew Brzezinski, este să recreeze artificial acest zăvor musulam prin susţinerea militarismului turcesc şi panturanismul. Din această perspectivă, americanii susţin tacit şi încă în secret revendicările Marocului asupra Insulelor Canare şi se folosesc de Pakistan pentru a preveni orice legătură terestră între India şi Rusia. De aici şi dubla necesitate actuală a Rusiei și Europei de a-şi reaminti contra-strategia elaborată de TOŢI Europenii în secolul XV şi XVI.
Istoria europeană întotdeauna a fost concepută ca o sumă de viziuni naţionaliste mărunte. Este timpul să reconsiderăm istoria europeană punând accentul pe alianţele comune şi pe convergenţe. Acţiunile maritime portugheze şi cele terestre ruseşti sunt astfel de convergențe şi reprezintă natural Eurasia. Bătălia de la Lepanto, unde flotele veneţiene, genoveze şi spaniole şi-au unit forţele în efortul comun de a stăpâni Estul mediteranean sub comanda lui Don Juan de Austria, este de asemenea un model istoric asupra căruia trebuie să medităm şi de care să ne amintim.
Însă cea mai importantă alianţă eurasiatică a fost fără îndoială Sfânta Alianţă condusă de Eugen de Savoya la sfârşitul secolului XVII, care i-a forţat pe otomani să retrocedeze 400.000 km pătraţi de pământ în Balcani şi Sudul Rusiei. Această victorie a permis țarilor ruşi ai secolului XVIII, în special Ecaterinei a II-a, să câştige din nou bătălii decisive.
Eurasianismul meu (şi desigur întreaga mea gândire geopolitică) este un răspuns clar la strategia lui Brzezinski şi este adânc înrădăcinată în istoria europeană. Sub nicio formă nu trebuie comparată cu naivităţile unor pseudo naţional-revoluționari drogaţi sau cu schemele estetice ale aşa-numiţilor filosofi ai noii drepte. În plus, o ultimă remarcă privind geopolitica şi eurasianismul: principalele mele surse de inspiraţie sunt englezeşti. Mă refer la atlasele istorice ale lui Colin McEvedy, cărţile lui Peter Hopkirk privind serviciul secret în Caucaz, în Asia Centrală, de-a lungul Drumului Mătăsii şi în Tibet, reflecţiile lui Sir Arnold Toynbee în cele 12 volume ale A Study of History.
Troy Southgate: Care este viziunea dumneavoastră asupra Statului? Este într-adevăr esenţial să avem un sistem sau o infrastructură ca instrumente de organizare socio-politică, sau credeţi că o formă descentralizată de tribalism şi identitate etnică reprezintă o soluţie mai bună?
Robert Steuckers: Întrebarea dumneavoastră necesită o carte întreagă pentru a i se răspunde corespunzător și complet. În primul rând, aş spune că este imposibil să ai o viziunea asupra Statului, pentru că sunt multe forme statale pe glob. Fac desigur distincția între un stat, care reprezintă un veritabil şi eficient instrument de promovare a voinţei poporului şi de asemenea protecție pentru propriii cetăţeni împotriva tuturor relelor, fie acestea instrumentate de inamici externi, interni sau naturali (calamităţi, inundaţii, foamete etc.).
Statul ar trebui de asemenea proiectat pentru o singură populaţie trăind pe un teritoriu propriu. Sunt critic, desigur, cu privire la toate acele state create artificial precum cele impuse drept aşa-numite modele universale. Astfel de state sunt simple mașini create pentru exploatarea sau distrugerea unei populaţii pentru o anumită oligarhie sau stăpâni externi. O organizare a popoarelor conform criteriilor etnice ar putea reprezenta o soluţie ideală, însă, din păcate, aşa cum ne demonstrează evenimentele din Balcani, declinul şi fluxul de populaţii în istoria Europei, Africii sau Asiei a răspândit adesea grupurile etnice dincolo de graniţele naturale sau le-au reținut în teritorii anterior controlate de alţii. În astfel de situaţii nu pot fi constituite state omogene. Acesta este izvorul multor tragedii, în special în Europa Centrală şi de Est. Prin urmare, singura perspectivă posibilă astăzi este concepția în termeni de Civilizaţii, aşa cum arată Samuel Huntington în faimoasele sale articole şi carte, The Clash of Civilizations, prima oară scrisă în 1993.
Troy Southgate: În 1986, aţi afirmat că “ a Treia Cale există în Europa la nivel teoretic. Ceea ce îi lipseşte este militanţii.” [“Europa: O Nouă Perspectivă” în The Scorpion, Issue #9, p.6] Situaţia se prezintă aceeaşi sau lucrurile s-au schimbat?
Robert Steuckers: Într-adevăr, situaţia este neschimbată. Sau chiar s-a degradat pentru că, avansând în vârstă, afirm că educaţia clasică este pe cale de dispariţie. Modul nostru de gândire este oarecum spenglerian, de vreme ce se referă la întreaga istorie a omenirii.
Guy Debord, liderul mișcării situaționiste franceze de la sfârşitul anilor `50 până în anii `80, a putut observa şi deplânge faptul că “societatea spectacolului” sau “societatea de scenă” are că principal scop distrugerea întregii gândiri şi a concepțiilor în termeni de istorie şi înlocuirea acestora cu scheme construite şi artificiale sau cu simple minciuni. Eradicarea perspectivelor istorice în minţile copiilor, studenţilor şi cetăţenilor, prin acțiunea dizolvantă a mass-mediei, este o mare manipulare, conducându-ne spre o lume orwelliană lipsită de memorie. Într-o astfel de situaţie, noi toţi riscăm izolarea. Nu există trupe noi de voluntari care să preia lupta.
Troy Southgate: În final, vorbiţi-ne despre implicarea dumneavoastră cu Synergies şi planurile dumneavoastră pe termen lung privind viitorul.
Robert Steuckers: “Synergies” a fost creat pentru a aduna oamenii, în special pe aceia care publică reviste, pentru a răspândi mai repede mesajele autorilor noştri. Însă cunoaşterea limbilor trece de asemenea printr-un eşec. Fiind poliglot, după cum bine ştiţi, am fost întotdeauna uimit de repetiţia aceloraşi argumente la nivelul naţional al fiecărui stat. Marc Lüdders de la Synergon-Germany este de aceeaşi părere cu mine. Este păcat că, spre exemplu, munca uriaşă depusă în Italia nu este cunoscută în Franţa sau Germania. Şi viceversa. Pe scurt: principala mea dorinţă este să văd un asemenea schimb de texte realizat într-o manieră rapidă în următorii 20 de ani.
Traducere: Ovidiu Preda
Sursa: https://neweuropeanconservative.wordpress.com/2012/05/13/interview-with-steuckers/
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Cette semaine, Méridien Zéro a l'honneur et l'avantage de vous proposer un entretien avec la réalisatrice Cheyenne-Marie Carron, à quelques jours de la sortie de son film Patries (le 21 octobre). L'occasion pour nous d'éclairer l'oeuvre de cet auteur atypique et de revenir sur quelques aspects du cinéma français...
A la barre et à la technique Eugène Krampon et Wilsdorf.
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Ex: Deutsche Wirtschafts Nachrichten
Stephen F. Cohen von der Princeton-Universität rät Europa, eine neue Orientierung der Außenpolitik vorzunehmen: Diese müsse sich aus der Abhängigkeit der US-Politik lösen, ohne deswegen antiamerikanisch zu werden. Es wäre positiv für den Weltfrieden, wenn eine Allianz zwischen Deutschland, Russland und China entstünde.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Herr Cohen, Sie sind Professor Emeritus für Russland-Studien und Politik an der Princeton Universität, politischer Berater der US-Regierung und Mitglied im Council on Foreign Relations (CFR). Wie kommt es, dass Sie dennoch von den US-Medien gemieden werden, wenn es um eine Einschätzung zu Russland geht?
Stephen Cohen: Ich wurde in den 1980ern zweimal von Präsident George H.W. Bush nach Washington und Camp David eingeladen, um über Russlands Politik zu sprechen. Und das Council on Foreign Relations? Bei Ihnen klingt das so, als ob ich der amerikanischen Elite nahe stehe, aber das ist nicht wahr. Es ist nur der innere Kreis des CFR, der einflussreich ist und die amerikanische Elite vertritt. Ich bin seit Jahrzehnten einfaches Mitglied. Einst interessierte man sich dort für eine ausgewogene Sicht auf Russland, doch nun nicht mehr. Diese Organisation ist inzwischen so uninteressiert an Russlands Politik, dass ich nicht länger hingehe. Es gab eine Zeit in den 70ern, 80ern und teilweise in den 90ern, als ich einfachen Zugang zu den Massenmedien hatte. Das hörte Ende der 90er Jahre langsam auf. Und seit Putin an der Macht ist, wurde ich fast gar nicht mehr eingeladen. Das trifft nicht nur auf mich zu, sondern auch auf andere Amerikaner, die gegen die derzeitige US-Außenpolitik sind. Wir wurden aus den Massenmedien verbannt.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Welche politischen Fehler hat der Westen aus ihrer Sicht nach dem Zusammenbruch der Sowjetunion begangen?
Stephen Cohen: Ich denke, dass das heutige Desaster in der Ukraine und der Rückfall in einen neuen Kalten Krieg seinen Ursprung in den 90er Jahren in Washington hat. Was waren damals die größten Fehler? Einer war die Sieger-Mentalität bei beiden Parteien im US-Kongress. Es war die gefährliche Sichtweise, dass das post-sowjetische Russland eine Bittsteller-Nation für die Vereinigten Staaten sein würde. Die Idee war, dass Russland die Reformen durchführen würde, die die USA verlangten. Das ganze sollte durch den IWF, die Weltbank und unseren Verbündeten Boris Jelzin bewältigt werden. Der zweite große Fehler war die Entscheidung, die NATO östlich in Richtung Russlands Grenzen zu erweitern. Die Leute, die diese Politik bis heute verfolgen, sagen, sie sei rechtschaffen und könnten nicht nachvollziehen, wieso Russland dagegen sein könnte. Das war absolut dumm. Stellen Sie sich zum Vergleich ein russisches Militärbündnis vor, dass an den US-Grenzen in Mexiko oder Kanada auftaucht. Wenn der US-Präsident dann nicht den Krieg erklären würde, würde er auf der Stelle seines Amtes enthoben.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Dabei sah es um die Jahrtausendwende zunächst nach einer Entspannung zwischen Russland und den USA aus…
Stephen Cohen: Ja, nach den Anschlägen auf das World Trade Center tat Wladimir Putin viel, um die USA im Kampf gegen die Taliban zu unterstützen. Im Gegenzug tat George Bush jedoch etwas, was in Russland als gebrochenes Versprechen und sogar Verrat verstanden wurde. Die USA kündigten einseitig den ABM-Vertrag auf [Anti-Ballistic-Missile Treaty zur Begrenzung von Raketenabwehr-Systemen; Anm. d. Red.]. Der ABM-Vertrag war das Fundament der internationalen Nuklearsicherheit und ein Schlüsselbestandteil für Russlands Sicherheitspolitik. Und darüber hinaus setzte die Bush-Regierung die NATO-Osterweiterung in den baltischen Staaten fort. Bush versuchte sogar Georgien und die Ukraine in die NATO zu holen, was letztlich aber von Frankreich und Deutschland durch ein Veto unterbunden wurde. Die USA haben die rote Linie Russlands in Georgien 2008 überschritten und es folgte ein Stellvertreter-Krieg. Und 2013 haben sie die rote Linie in der Ukraine erneut überschritten und nun haben wir meiner Meinung nach die schlimmste internationale Krise seit der Kubakrise.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Der Auslöser für die Ukraine-Krise war das EU-Assoziierungsabkommen, dass die Ukraine enger an den Westen binden sollte. Warum war dieses Abkommen so explosiv?
Stephen Cohen: In dem Abkommen waren sowohl Regelungen zu Handelsbeziehungen, als auch Reise- und Visa-Bestimmungen enthalten. Das alles hörte sich zunächst gutmütig und großzügig an. Aber die Realität war, dass sich darin auch ein Paragraph zu militärischen und sicherheitsrelevanten Themen befand, was natürlich mit der NATO zu tun hatte. Die Ukraine wäre zwar nicht zum NATO-Mitglied gemacht worden, aber sie hätte sich der Sicherheitspolitik der EU und damit auch der NATO beugen müssen. Das machte sie de facto zu Verbündeten der NATO gegen Russland. Es war eine klare militärische Provokation gegenüber Russland. Das war hoch explosiv und wurde in den westlichen Medien nie ausreichend gewürdigt.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Wurde Russland nicht ausreichend in die Verhandlungen zum EU-Abkommen eingebunden?
Stephen Cohen: Als das Thema des EU-Assoziierungsabkommens Mitte 2012 aufkam, war die offizielle Kreml-Position, dass dies gut für alle Beteiligten sein könnte. Putin arbeitete zu dieser Zeit an einer eurasischen Wirtschaftsunion. Deshalb sagte er, dass dies ein dreiseitiges Abkommen sein sollte, zwischen der Ukraine und der EU einerseits und zwischen Russland und der EU andererseits. Die Ukraine und Russland waren geschichtlich gesehen immer enge Handelspartner. Also sagte Putin: Je mehr Handel, desto mehr Produktion und Austausch, desto besser. Er schlug die Einbeziehung Russlands in das Abkommen vor. Doch die EU lehnte diesen Vorschlag ab und stellte die Ukraine vor die Wahl: Entweder die EU oder Russland. Sie drängten damit ein Land, dass kulturell, politisch und wirtschaftlich enge Verbindungen zu Russland hat, sich wirtschaftlich nur mit der EU zu verbünden und Russland auszuschließen. Das wäre ein Desaster für die Ukraine gewesen.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Warum hat die EU ein Abkommen mit Russland boykottiert?
Stephen Cohen: Ich denke, es war eine Mischung aus Dummheit und böswilliger Absicht, die dahinter steckte. Aber als Janukowitsch dahinter kam, was dies für die Ukraine bedeuten würde, nämlich den Verlust von Milliarden Dollar an Handelsbeziehungen mit Russland und nur einige Millionen Dollar im Gegenzug durch die EU, da zögerte er mit seiner Unterschrift und erbat sich mehr Zeit. Kein ukrainischer Politiker, der noch ganz bei Verstand ist, hätte das Abkommen in dieser Form unterzeichnen können. Doch die EU wollte das Abkommen schnell zum Abschluss bringen und setzte Janukowitsch ein Ultimatum – eine Tatsache, die Putin der EU später zum Vorwurf machte.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Der CEO des privaten Nachrichtendienstes Stratfor, George Friedman, sagte kürzlich, dass die Verhinderung einer deutsch-russischen Allianz das oberste Ziel der US-Außenpolitik sei. Inwiefern hat dies die US-Politik in der Ukraine-Krise beeinflusst?
Stephen Cohen: Offiziell haben die USA in der Ukraine keine Rolle gespielt, aber hinter den Kulissen haben die USA die Lage von Anfang an kontrolliert. Die NATO und der IWF waren involviert und beide werden durch Washington kontrolliert. Ein dreiseitiges Abkommen zwischen Russland, der EU und der Ukraine wäre nicht im Sinne der US-Außenpolitik gewesen, denn die USA hätten von diesem Abkommen nicht profitiert. Ob dies, wie George behauptet, Teil eines größeren Plans ist, kann ich nicht beurteilen. Das Problem mit Georges Argument ist, dass er sehr stark durch Leute aus der CIA beeinflusst wird und dass er ein hohes Maß an Intelligenz und strategischem Denken bei westlichen Politikern voraussetzt. Ich bezweifle aber, dass die meisten US-Abgeordneten wüssten wovon wir reden, wenn wir sie morgen fragen, ob es das Hauptziel der US-Außenpolitik ist, eine Allianz zwischen Russland und Kern-Europa zu verhindern. Wir müssten die Analyse von George also auf eine kleine Gruppe hochrangiger, historisch bewanderter und gut ausgebildeter Entscheider in Washington begrenzen. Und da, denke ich, hat er recht mit seiner Aussage.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Gibt es historische Belege für seine Aussage?
Stephen Cohen: Georges Argument ist als historische Abstraktion von entscheidender Bedeutung. Ich bin der Ansicht, dass Russlands Beziehung zu den USA eine fundamental andere ist, als noch zu Zeiten des Kalten Krieges. Alles, was Russland heute von den USA benötigt, betrifft Fragen der nuklearen Sicherheit, also die Regulierung nuklearer Waffen. Alles andere, was Russland braucht, kann es von Berlin und Peking bekommen. Je nach dem wie die Ukraine-Krise verläuft – und zurzeit bin ich da sehr pessimistisch – könnten wir wieder an einen Punkt gelangen, wo Russland sich verstärkt auf seine Beziehungen zu Deutschland und China konzentriert. Ich denke, dass wäre eine gute Sache für die Sicherheit in der Welt. Es ist Zeit für Europa, dass es endlich eine Außenpolitik entwickelt, die unabhängig von den USA, aber nicht gegen sie ist. Und es könnte diese Krise sein, die Europa von den USA trennt.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Sie sind der Ansicht, dass Russland in der Ukraine-Krise nur reagiert habe. War Putins Entscheidung gerechtfertigt, die Krim an Russland anzugliedern?
Stephen Cohen: Es war eine Reaktion auf die Ereignisse vom Februar 2014 in Kiew. George Friedman bezeichnete sie als „Coup“ und genau so sahen es auch die Russen. Die gesamte politische Elite Russlands sah das als eine potentielle Bedrohung für die Krim und die russische Marinebasis dort. Außerdem sahen sie in der Rhetorik der neuen Machthaber eine Bedrohung für ethnische Russen auf der Krim. So musste Putin entscheiden, was zu tun ist. Er sagte später, dass es bis zu diesem Moment nie eine Diskussion über eine Angliederung der Krim gegeben habe und für gewöhnlich lügt er nicht in der Öffentlichkeit. Diese Entscheidung wurde Putin aufgebürdet und sie ist ein klassisches Beispiel dafür, dass er in dieser Krise nicht der Aggressor war, sondern der Reagierende.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Putin wurde von den westlichen Medien als der Hauptschuldige der Krise ausgemacht. Wie sehen Sie die Sicht des Westens auf Putin?
Stephen Cohen: Als klar wurde, dass Putin seine eigenen Ideen hatte – und das wurde in Washington spätestens mit dem Chodorkowski-Fall klar – entfaltete sich die Dämonisierung Putins in den US-Medien. Die Leute, die den Anti-Putin-Kult geschaffen haben, sahen ihr Vorhaben in Russland durch seinen Aufstieg gefährdet. Sie verstanden dabei jedoch nicht, was Putins eigentliches Mandat war, und das war dasjenige, Russland vor dem Untergang zu bewahren.
Russland stand politisch, wirtschaftlich und geografisch vor dem Kollaps. Und Putin sah sich auf einer historischen Mission, die Souveränität Russlands wiederherzustellen. Im Jahr 2007 hielt er eine vielbeachtete Rede auf der Münchner Sicherheitskonferenz. Dort sagte er vor der gesamten westlichen Politik-Elite: „Die Beziehungen zwischen Russland und dem Westen glichen seit dem Zusammenbruch der Sowjetunion einer Einbahnstraße. Wir machten Zugeständnisse, und der Westen ignorierte unsere Position. Doch nun ist die Ära von Russlands einseitigen Zugeständnissen vorbei.“ Danach wurde Putin mit haltlosen Beschuldigungen überzogen und für alle möglichen Verbrechen verantwortlich gemacht – vom Attentat auf die Journalistin Anna Politkowskaja bis zur Ermordung des Ex-FSB-Agenten Andrey Litwinenko. Die offizielle Version wurde schnell die, dass alles, was zwischen den USA und Russland schief läuft, Putins Schuld sei. In der Ukraine-Krise ging es nicht mehr um Russland, sondern nur noch um Putin. Es war die Rede von „Putins Invasion“ und „Putins Aggression“ – eine wahre „Putinphobie“ brach los (wie extrem dies sein kann, zeigt das martialische Statement der republikanischen Präsidentschaftskandidatin Carly Fiorino, Video am Anfang des Artikels; die Redaktion).
Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Wer steckt hinter dieser Entwicklung?
Stephen Cohen: Diese Kampagne wird von Organisationen befeuert, die an einem Kalten Krieg mit Russland interessiert sind. Diese Anti-Putin-Lobby verfügt über Millionen von Dollars, um die Presse mit Angriffen auf Putin zu füttern. Hillary Clinton verglich ihn mit Adolf Hitler und sagte, er habe keine Seele. Obama nannte ihn einen rüpelhaften Schuljungen, der andere in die Ecke treibt und sich ständig streiten will. Zu meinen Lebzeiten wurde nie ein russischer Politiker derart verunglimpft wie Putin, nicht einmal auf dem Höhepunkt des Kalten Krieges. Jeder rationale Diskurs wird dadurch im Keim erstickt, was eine gefährliche Entwicklung darstellt. Sogar Henry Kissinger schrieb in der Washington Post, dass die „Dämonisierung Putins keine Strategie ist, sondern ein Alibi für die Abwesenheit einer Strategie“ (Kissingers neue Sichtweise – hier). Ich denke, es ist sogar noch schlimmer, als keine Strategie zu haben. Die Dämonisierung Putins ist zum Selbstzweck geworden. Und ich denke, Kissinger weiß das, nur konnte er es nicht sagen, da er weiterhin das Weiße Haus politisch beraten möchte.
***
Stephen F. Cohen war Professor für Russistik an der Princeton University und der New York University. Er schreibt regelmäßig für das US-Magazin The Nation und ist Autor zahlreicher Bücher über Russland, darunter Failed Crusade: America and the Tragedy of Post-Communist Russia. Darüber hinaus hat er das American Committee for East-West Accord mitbegründet. Diese Organisation zählt ehemalige US-Senatoren, Botschafter und politische Berater zu ihren Mitgliedern, die sich für einen friedlichen Austausch mit Russland einsetzen. Sie fordern, dass die seit 2014 gestoppte Zusammenarbeit beider Staaten im NATO-Russland-Rat wiederaufgenommen wird und ihre Anstregnungen zur nuklearen Abrüstung fortgesetzt werden.
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Entretien avec le Prof. David Engels
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par David Engels à Atlantico et consacré à la réaction des élites européenne à la crise multiforme qui touche leur continent. Professeur d'histoire à l'Université libre de Bruxelles, David Engels a récemment publié un essai fort intéressant intitulé Le déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013).
Atlantico : En quoi des évènements majeurs comme ceux de Charlie Hebdo au mois de janvier, mais aussi la crise des migrants que l'Union européenne gère péniblement, ont-ils pu constituer un choc pour la vision qu'avaient les élites occidentales du monde ? Dans quelle mesure ces dernières se voient-elles bousculées ?
David Engels : En analysant les diverses expressions d’opinion dans les grands médias, je ne suis pas certain de la mesure dans laquelle on peut vraiment parler d’un bousculement des opinions établies au sein des élites occidentales. Certes, les nombreux drames humanitaires et sécuritaires des derniers mois ont été vécus comme extrêmement affligeants, à la fois par le grand public et par les milieux politiques et intellectuels, mais ce qui l’est encore plus, c’est l’absence totale de véritable remise en question d’une certaine vision du monde qui est à l’origine de ces drames.
Comprenons-nous bien : quand je parle ici de « responsabilité », ce n’est pas dans un sens moralisateur, mais au contraire, dans un sens pragmatique. Car il faut bien séparer deux aspects : d’un côté, le drame migratoire, la crise économique et les dangers du fondamentalisme musulman nous mettent devant des contraintes morales et nécessités pragmatiques que nous ne pouvons nier sans inhumanité ; d’un autre côté, il faudrait enfin cesser d’ignorer que ces crises sont en large part dues au dysfonctionnement politique, économique et identitaire profond de notre propre civilisation.
Il faudrait enfin accepter les nouveaux paradigmes sociaux qui s’imposent et prendre les mesures, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour arrêter la casse, au lieu de surenchérir sur nos propres erreurs. Car c’est exactement ce que nous faisons pour le moment. Le refus de mener une politique extérieure européenne digne de ce nom a-t-il laissé le champ libre aux interventions des États-Unis et provoqué un exode ethnique sans pareil ? Retirons-nous encore plus de notre responsabilité politique et cantonnons-nous à faire le ménage des autres ! La libéralisation de l’économie nous a-t-elle poussés dans une récession sans pareil ? Pratiquons encore plus de privatisations et d’austérité ! Le remplacement des valeurs identitaires millénaires de notre civilisation par un universalisme matérialiste et individualiste a-t-il créé partout dans le monde la haine de notre égoïsme arrogant ? Prêchons encore plus les vertus d’un prétendu multiculturalisme et de la société de consommation !
Dès lors, le véritable enjeu n’est pas la question de savoir s’il faut accueillir ou non les réfugiés syriens, iraquiens ou afghans – la réponse découle obligatoirement des responsabilités de la condition humaine –, mais plutôt la nécessité d’œuvrer courageusement et efficacement pour que les réfugiés puissent rapidement retourner chez eux et trouver un pays stabilisé, au lieu de rester en Europe et d’être exploités soit par une économie en recherche d’une main d’œuvre bon marché, soit par des groupuscules islamistes fondamentalistes. Le véritable enjeu, ce n’est pas l’assainissement des finances grecques, mais plutôt la réforme d’un système économique global permettant à des agences de notation privées de rendre caduques toutes les tentatives désespérées de diminuer les dettes souveraines des États avec l’argent des contribuables européens. Le véritable enjeu, ce n’est pas la question de savoir s’il faut renvoyer chez eux les nombreux étrangers nationalisés depuis des décennies, mais plutôt, comment les intégrer durablement dans notre société et maintenir le sens de la loyauté et solidarité envers notre civilisation européenne.
David Engels : La vision du monde développée par la majorité de nos élites actuelles est caractérisée, consciemment ou inconsciemment, par une profonde hypocrisie me faisant souvent penser à la duplicité du langage idéologique pressentie par Orwell, car derrière une série de mots et de figures de pensée tous aussi vaticanisants les uns que les autres, se cache une réalité diamétralement opposée. Jamais, l’on n’a autant parlé de multiculturalisme, d’ouverture et de « métissage », et pourtant, la réalité est de plus en plus caractérisée par l’hostilité entre les cultures et ethnies. Jamais, l’on n’a autant prêché l’excellence, l’évaluation et la créativité, et pourtant, la qualité de notre système scolaire et universitaire est en chute libre à cause du nivellement par le bas généralisé. Jamais, l’on n’a autant fait pour l’égalité des chances, et pourtant, notre société est de plus en plus marquée par une polarisation dangereuse entre riches et pauvres. Jamais, l’on n’a autant appelé à la protection des minorités, aux droits de l’homme et à la tolérance, et pourtant, le marché du travail est d’une dureté inouïe et les droits des travailleurs de plus en plus muselés. Jamais, l’on ne s’est autant vanté de l’excellence de nos démocraties, et pourtant, la démocratie représentative, sclérosée par la technocratie et le copinage à l’intérieur, et dépossédée de son influence par les institutions internationales et les « nécessités » de la globalisation, a abdiqué depuis bien longtemps. Force est de constater que non seulement nos élites, mais aussi les discours médiatiques dominés par l’auto-censure du « politiquement correct » sont caractérisés par un genre de schizophrénie de plus en plus évidente et non sans rappeler les dernières années de vie de l’Union soviétique avec son écart frappant entre la réalité matérielle désastreuse d’en bas et l’optimisme idéologique imposé d’en haut…
Certains intellectuels avancent l'idée que cette déconnexion découle de la fin de la guerre froide, qui les aurait contraint à penser le monde de manière pragmatique. Comment expliquer que ces élites en soient arrivées-là ?
David Engels : Oui, la fin de la Guerre Froide me semble aussi être un élément crucial dans cette équation, car la défaite de l’idéologie communiste et le triomphe du capitalisme ont fait disparaître toute nécessité de respecter l’adéquation entre discours politique et réalité matérielle afin de ne pas donner l’avantage à l’ennemi idéologique, et ont instauré, de fait, une situation de parti unique dans la plupart des nations occidentales. Certes, nous maintenons, sur papier, un système constitutionnel marqué par la coexistence de nombreux partis politiques, mais la gauche, le centre et la droite sont devenus tellement proches les uns des autres que l’on doit les considérer désormais moins comme groupements idéologiques véritablement opposés que comme les sections internes d’un seul parti.
De plus, n’oublions pas non plus l’ambiance générale de défaitisme et d’immobilisme auto-satisfait qui s’est installée dans la plupart des nations européennes depuis déjà fort longtemps : la valorisation de l’assistanat social, l’américanisation de notre culture, le louange de l’individualisme, la perte des valeurs et repères traditionnels, la déconstruction de la famille, la déchristianisation, l’installation d’une pensée orientée uniquement vers le gain rapide et la rentabilité à court terme – tout cela a propulsé l’Europe dans un genre d’attitude volontairement post-historique où l’on vivote au jour le jour tout en laissant la solution des problèmes occasionnés aujourd’hui à de futures générations, selon cette maxime inoubliable d’Henri Queuille qui pourrait servir de devise à la plupart de nos États : « Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. »
A quel point est-ce que ce décalage a pu s'observer ? Quels en sont, selon vous, les exemples les plus marquants ?
David Engels : Le potentiel d’un décalage formidable entre l’idéal et la réalité des démocraties libérales modernes s’est déjà manifesté dans l’entre-deux-guerres, période d’ailleurs non sans quelques ressemblances évidentes avec la nôtre. Mais la Guerre Froide, avec l’immobilisme de la politique étrangère qu’elle a imposée aux États et avec les avantages sociaux qu’elle a apportés aux travailleurs dans les sociétés capitalistes, a, pendant quelques décennies, endigué cette évolution. Néanmoins, au plus tard depuis le 11 septembre, il est devenu évident que l’Occident fait fausse route et va de nouveau droit dans le mur. Ainsi, en mettant délibérément de côté l’importance fondamentale des identités culturelles au profit d’une idéologie prétendument universaliste, mais ne correspondant en fait qu’à l’idéologie ultra-libérale, technocratique et matérialiste développée dans certains milieux occidentaux, l’Ouest a provoqué l’essor du fondamentalisme musulman et ainsi le plus grave danger à sa sécurité. De manière similaire, en contrant le déclin démographique généré par la baisse des salaires et l’individualisme érigé au titre de doctrine officielle par l’importation cynique d’une main d’œuvre étrangère bon marché sans lui donner les repères nécessaires à une intégration efficace, nos élites ont durablement déstabilisé la cohésion sociale du continent. De plus, en concevant l’Union européenne non comme un outil de protection de l’espace européen contre les dangers de la délocalisation et de la dépendance de biens étrangers, mais plutôt comme moyen d’arrimer fermement le continent aux exigences de ces « marchés » aussi anonymes que volatiles et rapaces, nos hommes politiques ont créé eux-mêmes toutes les conditions nécessaires à la ruine des États européens structurellement faibles comme la Grèce ainsi qu’à la prise d’influence de quelques grands exportateurs comme l’Allemagne. Finalement, en appuyant les interventions américaines en Afghanistan et en Iraq, puis en projetant, sur le « printemps » arabe, une réalité politique occidentale, l’Europe a été complice de la déstabilisation du Proche Orient et donc de l’exode de ces centaines de milliers de réfugiés dont le continent commence à être submergé. Et je pourrai continuer encore longtemps cette liste illustrant les égarements coupables de nos élites politiques et intellectuelles…
David Engels (Atlantico, 20 septembre 2015)
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Entretien avec Thomas Guénolé
Ex: http://patriotismesocial.fr
Thomas Guénolé décrypte comment la gauche du non, ignorée en 2005, est en train de revenir sur le devant de la scène, accusée de «faire le jeu du FN».
Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po, docteur en sciences politiques (Sciences Po – CEVIPOF). Il est l’auteur du Petit guide du mensonge en politique paru aux éditions First en mars 2014.
LE FIGARO. – Jacques Sapir et maintenant Michel Onfray, deux personnalités issues de la gauche, ont été récemment accusés de faire le jeu du FN. Selon vous, ces polémiques s’inscrivent dans la continuité du «Non» français au traité constitutionnel européen en 2005. En quoi ?
Thomas GUÉNOLÉ. – Après la victoire du «Non» au référendum de 2005 sur la Constitution européenne, il y avait eu alliance objective entre le «Oui de droite» et le «Oui de gauche», entre l’UMP de Nicolas Sarkozy et le PS de François Hollande, pour adopter au Parlement quasiment le même texte, rebaptisé «traité de Lisbonne».
Depuis lors, le «Non de gauche» a été repoussé en France dans les limbes du débat public, du paysage politique, et du paysage audiovisuel. Voici dix ans en effet qu’en France, les intellectuels, éditorialistes et économistes qui défendent les idées du «Non de gauche», et qui obtiennent d’être significativement médiatisés, se comptent au total à peine sur les doigts des deux mains. Pourtant, lors du référendum de 2005, selon un sondage de TNS Sofres et de Gallup, le «Non» à la Constitution européenne, en particulier à son programme économique, avait fait 70% des voix chez le «peuple de gauche».
Au bout de dix ans de purgatoire, depuis quelques mois nous assistons au contraire à la brutale réhabilitation du «Non de gauche» dans le débat public. La présence beaucoup plus prégnante d’intellectuels comme Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Michel Onfray, tous trois partisans de cette ligne politique, constitue un symptôme évident de ce retour de balancier.
Dans ce contexte, il est parfaitement cohérent que Laurent Joffrin en particulier soit monté au créneau contre Michel Onfrey : c’est la riposte du « Oui de gauche » au « Non de gauche ».
Dans ce contexte, il est parfaitement cohérent que Laurent Joffrin en particulier soit monté au créneau contre Michel Onfray: c’est la riposte du «Oui de gauche» au «Non de gauche». On avait assisté à la même chose, lors de la controverse sur le livre «Qui est Charlie?», entre le «Non de gauche» d’Emmanuel Todd et le «Oui de gauche» de Manuel Valls.
La crise politique euro-grecque de 2015 a-t-elle contribué à cette transformation du débat public français ?
Je pense même que c’est le facteur principal qui a provoqué cette transformation du paysage intellectuel. L’affrontement entre les dirigeants de l’Union européenne et le gouvernement grec a atteint un degré de violence politique proprement ahurissant: songez qu’en plein référendum grec sur les mesures d’austérité exigées par la «Troïka», la Banque centrale européenne a coupé l’arrivée de liquidités au système bancaire grec tout entier. Sauf erreur de ma part, c’est du niveau d’un acte de guerre économique pure et simple.
Obtenue avec ces méthodes et avec ces exigences en termes d’austérité radicalisée, la capitulation d’Athènes le couteau sous la gorge a sans doute agi comme révélateur sur tout un pan de l’opinion publique de gauche en France. Le révélateur de cette vérité simple: non, quand on est dans la zone euro, et quand on a signé le Pacte budgétaire européen dit «traité Merkozy», on ne peut pas faire une autre politique que celle de l’austérité. Et donc: non, quand on est dans la zone euro et quand on a signé le Pacte budgétaire européen, on ne peut pas faire une politique de gauche au sens où l’entend le «Non de gauche».
Tout au plus peut-on, comme actuellement François Hollande, être de gauche au sens très limité d’une politique socio-économique identique à celle de la droite, mais accompagnée d’une lutte rigoureuse contre les discriminations dans la société française ; discriminations qui du reste sont bien réelles, en particulier contre les femmes, les jeunes, et les Français ayant des origines arabes ou subsahariennes. Du reste, c’est toute la logique de la stratégie Terra Nova conceptualisée par feu Olivier Ferrand pour le candidat du PS à la présidentielle de 2012.
Par conséquent, la crise euro-grecque de 2015 ayant brutalement dévoilé qu’une alternative à l’austérité est interdite quand vous êtes membre de l’euro et du Pacte budgétaire européen, il est parfaitement logique qu’elle accouche de la résurrection du «Non de gauche» dans le débat public français.
Ce «Non» de gauche peut-il, non pas faire le jeu du FN, mais le concurrencer ?
Etre de gauche et dire que la France doit sortir de Schengen, pour combattre la concurrence déloyale de la main d’œuvre d’Europe centrale, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut copier le modèle canadien d’immigration par quotas de métiers, pour empêcher l’écrasement des salaires du personnel non qualifié et le dumping sur celui du personnel qualifié, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut sortir de l’euro pour ne plus se voir interdire les relances monétaires keynésiennes, ce n’est pas faire le jeu du FN. C’est, au contraire, enrayer la dynamique du FN, en faisant que la gauche se réapproprie ses propres fondamentaux socio-économiques.
Etre de gauche et dire qu’il faut sortir de l’euro pour ne plus se voir interdire les relances monétaires keynésiennes, ce n’est pas faire le jeu du FN. C’est, au contraire, enrayer la dynamique du FN, en faisant que la gauche se réapproprie ses propres fondamentaux socio-économiques.
C’est la grande contradiction dans le raisonnement d’une partie des éditorialistes, intellectuels et économistes qui défendent le «Oui de gauche»: accuser leurs homologues du «Non de gauche» de «faire-le-jeu-du-FN» en ayant un discours souverainiste de gauche. Or, au contraire, ce sont la marginalisation et l’étouffement du «Non de gauche» dans le débat public français depuis dix ans qui favorisent la montée du FN, en le mettant en monopole sur le message anti-politiques européennes d’austérité. Car, tout bien pesé, si le «Non de gauche» existait solidement dans le paysage intellectuel et politique français, alors, du jour au lendemain, la stratégie Philippot du FN, consistant à cibler les électeurs du «Non de gauche», n’aurait plus aucune chance de fonctionner.
Pour l’heure, le «Non de gauche» ne trouve pas de traduction politique…
C’est plutôt un problème d’unification qu’un problème de vide. EELV tendance Duflot, Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, Nouvelle Donne de Pierre Larrouturou, aile gauche du PS presque en rupture de ban, réseaux d’Arnaud Montebourg: sur le fond, ces courants du paysage politique incarnent tous à des degrés divers le «Non de gauche», et ils ne divergent que sur une poignée d’enjeux, secondaires face au programme européen d’austérité.
Néanmoins, aussi longtemps que cette offre politique du «Non de gauche» sera atomisée, fragmentée, balkanisée, elle n’aura aucune chance de percer. Et ce, alors que l’écroulement progressif dans les urnes du «Oui de gauche» lui donne une fenêtre de tir.
Face aux divisions de la gauche du «Non», la candidature d’une personnalité de la société civile peut-elle émerger pour la présidentielle de 2017 ?
Peut-être Michel Onfray lui-même compte-t-il, comme José Bové en son temps, concourir à l’élection présidentielle ; et après tout, l’aventure d’un candidat venu de la société civile est dans l’air du temps. Cependant, une autre possibilité m’apparaît plus solide pour porter un «Non de gauche» unifié sur les fonds baptismaux: une primaire ouverte de toute la gauche du «Non», pour ne présenter qu’un candidat au premier tour de 2017 ; et d’ici là, l’unité de liste systématique du «Non de gauche» au premier tour des élections régionales de décembre.
Source : Le Figaro
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Is ISIS Conquering Europe With Immigrants ?
Ex: http://journal-neo.org
By Witold Gadowski and Konrad Stachnio
I am talking with Witold Gadowski, a well-known Polish journalist and co-author of Insha Allah Martyrs blond. The first picture tells the story about the Islamic State and suffering of Christians. The film premiere will be held in Spain and Paris.
Whether ISIS has something to do with the current crisis of immigration in Europe?
At the moment the whole activity of the headquarters of the Islamic State is directed to export the Islamic ideology in the interpretation of Abu Bakr al-Baghdadi. Hundreds of young people trained in the Islamic State are now sent as refugees to Europe and North America. Just talk to the spokesman of Western special services to confirm this trend. The training which took place almost officially in Turkish military camps, at the moment it is held in secret. I have seen this training. Volunteers for the Islamic ‘revolution’ are currently becoming a large stream flowing from the former republics of the Soviet Union, mainly Tajikistan, Uzbekistan, Kyrgyzstan, Kazakhstan and the flow from China. It is currently the largest recruitment area. The Islamic State army no longer needs as many volunteers as it did. It does not lead such large operations on land as it did a few months ago. Of course, there are also Chechens, but they are highly valued as officers and experienced guerrillas.
Do you think that Islamic terrorism will be carried out in Europe on a solo terrorist tactics and strategies of a lone wolf?
Well-paid professionals have already built a virtual network a long time ago in different countries that are continually being infected by this ideology. So the activities of these lonely wolves who can commit suicide attacks can be carried out anywhere in Europe.
The economics of terrorism says: we attack where we can terrorize the public opinion the most, where people will be agitated about this fact for at least a week or two. While deciding to attack Charlie Hebdo they knew what they were doing because even after a month from the attack people held marches. They simply brought fear in.
What do the current terrorist networks consist of ? If we are using a bomb, but nobody talks about it, then this bomb brings no effect. If we are forcing the bomb in Baghdad where about 100 people died, it is news only for one day as there are bombs exploding daily and people are not interested in following these developments. When somewhere in the center of the “free world” we are killing women and children, then fear starts becoming a factor. The economics of the terrorism has always been the same since 1972, when the Black September attacked the Olympics in Munich. Now the terrorism acts through media. These images of violence are being copied millions of times and it is them that terrorize. It is a purpose of terrorists. Killing particular people is not bringing such effects as intimidating the public opinion.
ISIS is an extremely intelligent creature because the people in charge of the activities of ISIS learned from the operation carried out by the Americans against Taliban in Afghanistan. ISIS never creates large miliwashboard formations, and if it creases them then they are placed in civilian areas. So the greatest numbers of ISIS units are located in Mosul. Why? – because it is a 1,5 million city. Bombing ISIS units infests a humanitarian disaster on civilians. This is carnage and none of the free country governments wants to be part of. ISIS is perfectly aware of that. ISIS do not use radio communicators at all. They learned this on the case of Al-Qaeda and earlier on Chechen cases as well. Dudayev was killed because of a satellite phone so all the information is provided through few couriers. These couriers transmit information very quickly. There is no radio, Internet connections or any other electronic way that could be traced by the American system. That is why they are dangerous because they always attack under cover of darkness, turmoil, etc. Then they leave their places very quickly where they live normally. We won’t distinguish ISIS fighters from civilians. Going into every village we only see the religious police, and those people who guide street movement and so on. But we do not see the ISIS units. They are all hid in private homes. At one moment when it comes orders they can leave many places and strike in one place. This is the strategy of ISIS. Besides, they change strategy all the time. Kurds told us that t ISIS attacks differently all the time. Americans do not have a chance to win this war from the air.
Whether you think that ISIS can prepare in Europe some bigger action?
In Dabiq magazine in three articles I read about Rome, the Pope and the anticipated activities of the Islamists against the Pope and Rome. One of the covers of Dabiq is the Saint Peter’s Basilica with the black banner of the Prophet waving over it. One of the main articles of the magazine says that the Islamists want to conquer Rome. In their way of thinking today Rome stands for the West. This article is simply a call to kill the Pope, as the representative of Rome – that is one reason.
They always announce it. When they killed the Dutch filmmaker, they had earlier reported that they would kill him and they did. Considering Charlie Hebdo they also previously served the information that they would take care of them and finally killed them. The bombings in Madrid and London were also announced, in the end they did it. So I would not have played down their announcement. Yes they lead a strong propaganda war, but it goes along with a particular activity.
Konrad Stachnio is an independent Poland based journalist, he hosted a number of radio and TV programs for the Polish edition of Prison Planet, exclusively for the online magazine “New Eastern Outlook”.
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L’Europe, la guerre, le terrorisme, la crise migratoire, autant de questions auxquelles le philosophe a accepté de répondre.
Michel Onfray est docteur en philosophie. Il a publié une soixantaine d’ouvrages dont Traité d’athéologie : Physique de la métaphysique, Le Crépuscule d’une idole, Contre-histoire de la philosophie. Ses derniers ouvrages parus : Avant le silence. Haïkus d’une année, Galilée, 2014. Bestiaire nietzschéen. Les Animaux philosophiques, Galilée, 2014. Cosmos, Flammarion, 2015
On ne présente plus Michel Onfray, philosophe que l’on dit iconoclaste, grand pourfendeur devant l’Eternel (ou ce qui lui tient d’éternité) des conformismes et autres tables de lois. Il revient pour RT France sur les sujets qui ont, ces derniers temps, vrillé l’actualité.
RT France : Comment jugez-vous la façon qu’a l’Europe de traiter de cette crise migratoire ?
Michel Onfray (M.O.) : L’Europe n’existe pas, sauf par sa monnaie unique. On voit bien dans cette affaire combien elle est impuissante, nulle, désarticulée. Elle bricole, ne parle pas d’une seule voix, elle improvise. C’est pitoyable.
RT France : Quand vous dites «BHL fait partie des gens qui ont rendu possible cet enfant mort», que vouliez-vous dire par là ? Qui sont «les autres gens» ?
M.O. : Que tous ceux qui ont justifié les guerres contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, le Mali et autres pays musulmans sont responsables et coupables. Ils ont légitimé le bombardement de milliers de personnes sur place. Que la communauté musulmane soit en colère contre l’Occident me parait tout à fait légitime. L’Occident attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le terrorisme en attaquant. Quel irakien menaçait la France en 1991 ? Saddam Hussein finançait même la campagne d’un président.
L’Occident attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le terrorisme en attaquant.
RT France : Depuis la publication de la photo du petit enfant, les opinions publiques européennes semblent opérer une volte-face sur cette question, comment l’expliquez-vous ? Qu’est-ce que cela dit de nos opinions publiques ?
M.O. : Les médias ont transformé le peuple qui pensait en populace qui ne pense pas et ne réagit plus qu’à l’émotion, au pathos, à la passion. L’image d’un enfant mort interdit de penser : elle arrache immédiatement la pitié. La pitié empêche de penser. La preuve : ceux qui ont rendu possible cette mort en détruisant les pays bombardés vont répondre en bombardant plus encore.
RT France: Pourquoi cette crise migratoire semble-t-elle être traitée politiquement et médiatiquement «hors-sol», comme si elle n’avait pas de causes géopolitiques précises?
M.O. : Parce que le personnel politique est fait de gens médiocres qui n’ont aucune vision d’avenir pour le pays, aucun sens de l’histoire et qu’il n’écoute plus que les communicants qui leur donnent des recettes pour être élus ou réélus. La question n’est plus : «qu’est-ce qui est bon pour la France ?», mais «qu’est-ce qui va permettre ma réélection ?». La guerre, on le sait, hélas, booste les cotes de ceux qui les déclenchent. La testostérone fait plus en la matière que la matière grise.
RT France : François Hollande a annoncé des frappes aériennes sur la Syrie que vous avez aussitôt vivement condamnées. Pourquoi ?
M.O : Bombarder des combattants de l’Etat Islamique suppose tuer des victimes civiles innocentes, les uns vivant chez les autres, et que ça n’empêchera pas un islamiste radical vivant en France de passer à l’acte. Au contraire !
RT France : Jacques Sapir a lancé l’idée d’un mouvement rassemblant tous les souverainistes, allant même jusqu’à une alliance avec le FN. Vous avez estimé que «l’idée est bonne (…) de fédérer les souverainistes des deux bords». Pourquoi ?
M.O. : Les souverainistes sont majoritaires dans l’opinion mais inexistants parce que répartis dans des partis très hétérogènes qui comptent pour rien dans la représentation nationale. Mais jamais un électeur de Mélenchon ne soutiendra une thèse de Marine Le Pen et vice versa. Seul un tiers au-dessus des partis pourrait fédérer ces souverainistes de droite et de gauche.
RT France : Cette proposition de Sapir ne traduit-elle pas une recomposition des lignes politiques dont le pivot (ou l’axe) ne serait plus l’économie mais le rapport à l’Europe ? Comment voyez-vous cette recomposition politique du paysage français ?
M.O. : L’idée est juste, mais elle n’aboutira pas. Les souverainistes sont représentés par des politiciens qui n’ont en tête que leur ego, leur trajectoire personnel, leur narcissisme. Aucun ne sera capable de jouer la fédération sous la bannière d’un tiers en s’effaçant. Entre la France et eux, ils ne choisiront pas la France.
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La décennie d’« Europe Maxima »
Entretien avec Georges Feltin-Tracol
Bastien Valorgues : En ce 6 août 2015, le site Europe Maxima dont tu es l’un des fondateurs et le rédacteur en chef, fête ses dix ans d’existence. Peux-tu revenir sur les raisons de sa création ?
Georges Feltin-Tracol : Le lancement du site Europe Maxima, le 6 août 2005, est la conséquence directe de l’arrêt définitif, six mois plus tôt, de la revue L’Esprit européen animée par Jacques Marlaud et moi-même sous les pseudonymes respectifs d’Yves Argoaz et de Maximilien Malirois.
Après avoir animé l’antenne locale du « Collectif Non à la Guerre », collé des autocollants du C.N.G. sur les affiches électorales régimistes et manifesté à Lyon contre les bombardements de l’ignoble O.T.A.N. sur Belgrade en 1999 et Jacques Marlaud eut l’idée de relancer notre idée charnelle européenne qui est d’ailleurs la seule qui vaille. Au départ, son intention, très ambitieuse, visait à créer une fondation, nommée « Fondation Europe ». Mais, renseignements pris, la somme d’argent exigée et la complexité des démarches firent nous rabattre sur une association loi 1901, « Refondation Europe », éditrice de L’Esprit européen.
Le premier numéro sortit en hiver 1999 – 2000. D’abord trimestriel, il fut vite contraint de prendre un rythme semestriel du fait des coûts toujours plus élevés de l’impression et, surtout, des envois postaux. Cahin-caha et sans aucune aide officielle, L’Esprit européen dura cinq ans, réalisa treize numéros et publia de nombreux entretiens avec le Prix Nobel d’économie Maurice Allais, les princes Charles-Edmond de Bourbon et Charles Napoléon, l’agro-écologiste Pierre Rabhi, le régionaliste normand Didier Patte, l’écologiste indépendant Antoine Waechter, le corporatiste social-catholique Benjamin Guillemaind, les écrivains Gabriel Matzneff et Jean-Claude Albert-Weil…
C’est avec regret qu’on décida d’arrêter la parution de L’Esprit européen au treizième numéro consacré à l’Europe et aux Napoléon. Outre la lassitude, le nombre d’abonnés stagnait tandis que les hausses postales devenaient insupportables. Les abonnés furent toutefois surpris d’être remboursés pour les numéros qu’ils auraient dû recevoir. Fait rare à souligner !
La fin de L’Esprit européen ne brisait cependant pas la volonté de Jacques Marlaud, celle de Rodolphe Badinand et la mienne de promouvoir un point de vue euro-réfractaire au consensus ambiant. Un parent, spécialisé dans la conception de sites, m’évoqua Internet, sa souplesse d’utilisation et son prix modique. Rodolphe Badinand et moi-même acceptèrent de lancer le projet baptisé Europe Maxima (et non Europæ Maxima, faute latine voulue) afin de se distinguer de la défunte revue, L’Esprit européen, dont la version internautique conduite par Jacques Marlaud lui-même allait bientôt paraître.
Bien que méfiant, voire réticent envers le Web (je fus longtemps hostile à l’ordinateur et à la connexion Internet et je ne me soumets ni à Facebook, ni à Twitter, ni à d’autres « réseaux sociaux »), je dois admettre qu’Internet facilite la large diffusion des pensées hétérodoxes.
B.V. : Une décennie plus tard, le site connaît-il un succès franc et massif ?
G.F.-T. : Europe Maxima a connu trois physionomies successives. L’actuelle remonte à septembre 2009. On constate que cette année-là, le site reçut reçoit 4 001 visiteurs différents (sur les quatre derniers mois), puis en 2010, 26 77, en 2011, 26 555, en 2012, 30 674, en 2013, 41 905, en 2014, 38 140, et en 2015, à la date de la présente mise en ligne, 23 241. Le succès n’est ni franc ni massif : c’est surtout un succès d’estime.
Il faut néanmoins remarquer que depuis 2005, diverses contributions parues sur Europe Maxima ont été reprises par des sites amis tels Polémia, Vox N.-R., Euro-Synergies, Au cœur du nationalisme, Alternative Europe, Novopress, L’info nationaliste, etc., ainsi que par des blogues personnels (Yann Redekker, Jean-Marie Lebraud, etc.). Ces reprises, possibles et souhaitables du fait du caractère viral d’Internet, ont accru la réputation d’Europe Maxima même si le quidam l’ignore complètement.
Et n’oublions pas nos détracteurs ! Quelques années après son apparition, Europe Maxima fut cité en heureuse compagnie par les habituelles ligues de petite vertu. Ainsi, en novembre 2009, le M.R.A.P. sortit son rapport sur Internet, enjeu de la lutte contre le racisme. Rapport annuel, dans lequel notre site préféré était ainsi décrit : « Se veut d’un haut niveau intellectuel, parfois néo-païen, plutôt pro-israélien, admire Éric Zemmour, atypique par rapport à d’autres sites identitaires ». Plus loin, le rapport le range dans la « droite extrême ». Le 27 janvier 2012, le blogue du Monde, « Droite(s) Extrêmes(s) », mentionnait Europe Maxima et Francis Cousin parce que ce dernier fût cité par Marine Le Pen dans son Pour que vive la France. La gloire ! La réclame gratuite est toujours bonne à prendre.
Je tiens à revenir sur certains commentaires précédents. Néo-païen ? Oui, mais pas seulement ! Pro-israélien ? En 2009, une polémique opposa deux rédacteurs : André Waroch, plutôt favorable à cet État, et Claude Bourrinet, pro-palestinien. Mais Europe Maxima ne peut se résumer à ces deux personnalités. Sur ce sujet bien précis et à titre personnel, je récuse à la fois la cohabitation territoriale (l’imbrication même !) de deux États israélien et palestinien et un État unique binational. Je soutiens au contraire un ensemble étatique grand-syrien envisagé par le Libanais Antoun Saadé (1904 – 1949) et son Parti social nationaliste syrien.
B.V. : Longtemps, j’attendais chaque dimanche soir avec impatience la lettre informant la mise en ligne de deux nouveaux articles. Or, depuis février 2013, plus rien ! Pourquoi ?
G.F.-T. : Les premiers temps, les mises en ligne furent aléatoires et assez chaotiques. Mais, très vite, notre secrétaire de rédaction, Rodolphe Badinand, conscient qu’Europe Maxima se devait d’être un site de réflexions et d’analyses et non pas un diffuseur d’informations en flot continu comme le sont Fdesouche ou Le Salon beige. Après les tâtonnements initiaux, il fut décidé de mettre en ligne une fois par semaine (le dimanche, jour de repos) deux articles, plus ou moins longs.
Afin d’élargir l’audience d’Europe Maxima et aidés par des amis qui nous fournirent les premières adresses électroniques de personnes susceptibles d’être intéressées par le contenu, Badinand réalisa la fameuse lettre hebdomadaire qui fonctionna jusqu’au début de l’année 2013. Là, le nombre de retour en courriers indésirables (ou spams) devint considérable. Agacée par ces rejets, l’équipe arrêta le courriel hebdomadaire, pariant que les lecteurs intéressés auront mis Europe Maxima dans leurs favoris. N’étant pas un site marchand, refusant toute publicité et défendant la gratuité, Europe Maxima peut se permettre cette liberté qui n’a pas de prix.
B.V. : Quand on parcourt l’ensemble du site Europe Maxima, ses douze rubriques, quarante-trois sous-rubriques et leurs quelque huit cents articles, on reste surpris par la grande diversité des points de vue exposés et des sujets traités. Est-ce voulu ?
G.F.-T. : Oui ! Je soutiens l’éclectisme des références intellectuelles. Ce n’est pas sans raison que le site se place sous une citation de Dominique de Roux. Quand on consulte les deux textes fondateurs du site, ses manifestes « Pour l’Europe ! » et « Refonder l’Europe avec un esprit européen », on y relève l’apport intellectuel dela Révolution conservatrice allemande, des non-conformistes français des années 1930 (en particulier la Jeune Droite et le groupe L’Ordre nouveau), de l’Internationale situationniste, de la « Nouvelle Droite », de la Tradition pérenne (René Guénon, Julius Evola, Alain Daniélou), de l’écologie radicale, de l’ergonisme de Jacob Sher et des diverses « troisièmes voies » solidaristes et subsidiaristes. Cette variété se retrouve dans les thèmes abordés quand bien même on écarte un peu les sujets scientifiques. La diversité correspond aux contributeurs dont le parcours et l’engagement différent : quoi de commun en effet entre le traditionaliste radical païen Rodolphe Badinand, le traditionaliste évolo-guénonien Daniel Cologne, l’identitaire « de gauche » André Waroch, l’inter-collectif informel post-situationniste Gustave Lefrançais, le fin lettré classique Claude Bourrinet, le républicain grand-européen Pierre Le Vigan, l’euro-libéral néo-protectionniste Jacques Georges ou le Grand Européen dissident Tomislav Sunic, sinon la participation à un même site ? Les débats y sont parfois vifs, mais toujours souhaitables et indispensables. Aborder un problème sous des angles singuliers constitue notre marque de fabrique.
B.V. : Est-ce aussi une volonté de ta part de présenter autant de liens avec d’autres sites dont certains sont parfois rivaux avec d’autres ?
G.F.-T. : La discussion, la polémique, la disputatio – fut-ce par écran et clavier interposés – font partie de cet esprit européen qu’Europe Maxima entend promouvoir depuis une décennie. Certes, il ne s’agit pas de débattre avec nos ennemis : les discussions concernent principalement nos « milieux » qui manquent singulièrement de tonicité intellectuelle ! Europe Maxima leur donne volontiers du tonus ! C’est une école de formation permanente en ligne. Prenons toutefois garde de ne pas devenir des « Soldats 2.0 » ou des « geeks nationalistes », vecteurs plus ou moins conscients du nombrilisme et du truisme.
B.V. : Jusqu’en 2011, quelques rédacteurs du site étaient qualifiés de « Uhlans ». Pourquoi ?
G.F.-T. : Sous ce terme de « Uhlans », je désignais de façon humoristique les premiers rédacteurs d’Europe Maxima : André Waroch, Daniel Cologne, Jacques Georges, Claude Bourrinet, Tomislav Sunic. Ces amis acceptèrent rapidement que le site reprenne leurs textes parus ailleurs avant qu’ils en offrent des inédits. Pourquoi « Uhlans » ? Ce sont des clins d’œil aux fameux « Hussards » qui ne formèrent jamais un groupe littéraire homogène, et aux « chevau-légers », les députés légitimistes de l’Assemblée nationale au début de la IIIe République.
Les « Uhlans » chargeaient avec leurs lances. Leurs successeurs numériques, aux premiers temps d’Europe Maxima, contre le politiquement correct au risque parfois de s’affronter en duel… Leur qualificatif s’est estompé avec l’arrêt de la lettre dominicale. Cependant, la sensibilité uhlan perdure !
B.V. : L’existence d’Europe Maxima a-t-elle eu des retombées, positives ou négatives, pour ses contributeurs réguliers ? Pour être plus clair, le site a-t-il favorisé leurs démarches auprès des éditeurs ?
G.F.-T. : J’étais plus que sceptique devant les avantages supposés d’Internet. Je dois reconnaître mon erreur. L’existence d’Europe Maxima a vraiment facilité les contacts auprès des éditeurs amis. Le premier à en bénéficier fut Rodolphe Badinand qui publia, en 2008, chez Alexipharmaque d’Arnaud Bordes, son célébrissime Requiem pour la Contre-Révolution et autres essais impérieux. Sans la moindre publicité – Rodolphe refuse toute intervention médiatique, y compris radiophonique ! -, cet ouvrage remarquable dont je fus le premier lecteur et le premier metteur en page, est aujourd’hui épuisé et seulement disponible en format numérique.
Fort de cette bonne expérience, Rodolphe m’incita vivement à publier un premier ouvrage. En 2009, grâce aux bons soins des Éditions d’Héligoland de Gilles Arnaud parurent donc Orientations rebelles. S’enchaînèrent ensuite L’Esprit européen entre mémoires locales et volonté continentale (2011), Réflexions à l’Est (2012), Bardèche et l’Europe (2013), En liberté surveillée et Thierry Maulnier. Un itinéraire singulier (2014). Parallèlement, divers éditeurs me sollicitèrent pour participer à des recueils collectifs. En 2009, à l’initiative de Jacques Marlaud et de Pierre Le Vigan sortit La patrie, l’Europe et le monde. Éléments pour un débat sur l’identité des Européens chez Dualpha de Philippe Randa. Quatre années après la fin de L’Esprit européen, cet ouvrage se concevait comme le feu d’artifice final de l’aventure ! On y trouvait à la fois des articles d’abord publiés dans la revue et d’autres, inédits, dont mon « Patries, État et post-modernité dans le nouvel ordre de la Terre», repris plus tard dans le n° 31 (épuisé) de Krisis intitulé « Droite/Gauche » (mai 2009).
Collaborer à des ouvrages collectifs permet d’étendre notre carnet d’adresses. Ainsi l’ami Roland Hélie. Nous discutâmes un après-midi en 2012 devant la librairie Primatice de Philippe Randa. Lors de la table ronde annuelle de Terre & Peuple à Rungis quelques mois après, je revis Roland Hélie à son comptoir. Il me proposa tout de go si j’acceptais de répondre à un questionnaire sur l’Europe, ce qui donna ensuite Face à la crise : une autre Europe ! 30 points de vue iconoclastes. Enhardi, je le recontactais début 2013 pour lui soumettre l’ébauche bien avancée de Bardèche et l’Europe. Il l’accepta volontiers, l’édita rapidement et m’invita même à collaborer à la revue Synthèse nationale qui avait déjà repris quelques-unes de mes mises en ligne, d’où maintenant ma chronique « Livres au crible ». Grâce à la notoriété du site, je devins aussi l’une des plumes de Réfléchir & Agir et de Salut public.
Au delà de mon cas personnel, Europe Maxima a permis à d’autres contributeurs de se faire éditer. En 2010, André Waroch publia chez Le Polémarque Les Larmes d’Europe avec une préface de ma part. Un an plus tard, Claude Bourrinet écrivait chez Ars Magna, L’Empire au cœur que j’ai eu aussi l’honneur de préfacer, avant de donner à Pardès, trois ans plus tard, son superbe Stendhal. D’abord réticent à l’idée de rééditer son merveilleux Julius Evola, René Guénon et le christianisme (1978), Daniel Cologne accepta finalement de le ressortir en 2011, assorti d’une nouvelle préface relativisant certaines propositions initiales.
Oui, Internet nous a pour la circonstance grandement facilité le contact avec des éditeurs courageux. Il ne faut pas se contenter du seul Internet, mais soutenir l’indispensable complémentarité entre la Toile et l’édition imprimée comme le fait avec brio Synthèse nationale qui est à la fois un site régulièrement mis à jour et une revue bimestrielle. Il est évident qu’Internet comporte de grands avantages tactiques pour la guerre des idées. Mais il présente aussi de gigantesques défauts parmi lesquels sa vulnérabilité à la censure.
Le régime M.O.A. (mondialiste occidentaliste atlantiste) va de plus en plus le contrôler et, au nom du fallacieux « vivre ensemble » et de la lutte contre l’« extrémisme », proscrire non pas les sites islamistes, mais les sites mal pensants. Détenir à côté d’un site une revue, éponyme ou non, deviendra vite un atout considérable, nonobstant le coût élevé d’une formule papier à cause de l’imprimerie, de la mise en page et des tarifs postaux. Si le régime peut bloquer un site, il lui est plus difficile d’arrêter une revue surtout si elle opère de manière clandestine. Avec les techniques actuelles d’impression, il est désormais aisé d’imprimer chez soi : les faux-monnayeurs le font bien. Pourquoi pas les futurs concepteurs de samizdat de l’Occident globalitaire ? Cette éventualité n’est pas à négliger alors que s’accentue la répression étatique et para-étatique. Soyons conscients qu’il sera bientôt plus grave d’écrire ce que nous pensons que d’agresser une retraitée ou fumer un joint !
B.V. : Plus personnellement, dans Au-delà des vents du Nord, Stéphane François s’offusque de « la publication, dans ses revues [celles d’Alain de Benoist], d’articles d’auteurs très marqués à l’extrême droite, dénués de toute reconnaissance universitaire ou intellectuelle » et de te citer en compagnie d’Alexandre Douguine, de Jure Vujic et de Michel Drac. Ta réaction ?
G.F.-T. : D’abord, je suis flatté, honoré même, d’être en si bonnes compagnies (rires). Je pourrai ensuite te répondre « Me ne frego (je m’en fous !) ». Sur le site Fragments sur les temps présents, Stéphane François réagit de façon assez plaisante aux féroces et justes critiques de Michel Onfray sur les universitaires. Il signe la pétition qui condamne cette attaque en se qualifiant de « Petit homme gris ». Je souscris à son point de vue : ce sont des universitaires, c’est-à-dire des fonctionnaires du savoir convenu, du sophisme et du psittacisme. Ils représentent bien cette caste qui « rapplique quand on la siffle » (dixit le défunt « empereur de Septimanie » Georges Frêche).
Je me moque de n’avoir aucune « reconnaissance universitaire ». Faut-il vraiment être reconnu par une baraque en ruine prête à flamber ? Certes, mes travaux présentent une tournure universitaire avec un appareil de notes plus ou moins développé et des références étayées. Mais, contrairement à tout ce petit monde frelaté, je ne m’interdis rien. Si j’ai envie, un jour, de traiter de l’Amérique latine, puis le lendemain de la situation politique intérieure en Irak ou de l’histoire de tel ou tel peuple, je le ferai volontiers. J’œuvre en généraliste. Aucun champ des connaissances ne m’est a priori fermé. Je vais à rebours de la démarche universitaire qui prône l’hyper-spécialisation au point qu’on peut facilement devenir LE spécialiste planétaire des mouches en vol ultimement outragées au XXe siècle par les résistants de la vingt-cinquième heure. Je partage la conception de Rodolphe Badinand qui veut faire du site une « Encyclopédie du côté obscur », voire une somme contre-encyclopédique.
Quant à ne pas avoir de « reconnaissance intellectuelle », je rigole. Alexandre Douguine est en Russie un théoricien du néo-eurasisme qui paie chèrement ses critiques envers Vladimir Poutine puisqu’il n’enseigne plus à l’université d’État de Moscou. Jure George Vujic a publié en français trois essais dont le dernier, Nous n’attendrons plus les barbares (Kontre Kulture, 2015) est brillant. En peu de temps, Michel Drac est devenu l’un de nos penseurs les plus incisifs et des plus visionnaires. N’oublions pas qu’il a théorisé le concept salutaire de B.A.D. (bases autonomes durables).
Pour ma part, je ne cherche pas à obtenir de Stéphane François ou d’un autre universitaire du Système M.O.A. décati une quelconque reconnaissance intellectuelle. Cette reconnaissance intellectuelle, je l’ai déjà, n’en déplaise aux petits grisâtres de l’Alma Mater dégénérée. Sinon aurai-je pu collaborer dans Éléments, Krisis, Culture Normande, Le Magazine national des Seniors, L’Unité Normande, et, aujourd’hui, dans Synthèse nationale, Réfléchir & Agir et Salut public, être convié à une trentaine de conférences, participer à une quarantaine d’émissions radiophoniques sur Radio Courtoisie et à « Méridien Zéro » ? Stéphane François confond certainement notoriété médiatique qui est proche du zéro pour moi (je m’en réjouis !) et la reconnaissance effective de la part des militants et des lecteurs. C’est cette dernière qui m’importe.
B.V. : Pour revenir à Europe Maxima et à l’aune d’une actualité brûlante, n’était-ce pas outrecuidant, voire orgueilleux de nommer ainsi un site alors que l’Union européenne est encalminée dans des crises répétitives ?
G.F.-T. : Europe Maxima signifie « la Plus Grande Europe ». Cet idéal d’une Europe unie de Reykjavik à Vladivostok demeure le mien quand bien même je reconnais sa difficile faisabilité. La date du 6 août n’est pas anodine. C’est le jour de la Transfiguration. Europe Maxima peut s’appréhender comme une « Transfiguration de l’Europe » pour paraphraser un célèbre ouvrage du jeune Cioran. Cette « Plus Grande Europe » constitue surtout un mythe dans son acception sorélienne : il doit mettre sous tension tous les esprits préoccupés par les périls du premier quart du XXIe siècle. Son sous-titre, « Spiritualités – Puissance – Identités », est explicite. Le premier se réfère à notre héritage spirituel commun, ses traditions tant païennes que chrétiennes. La Puissance, au singulier, est inévitable quand le M.O.A. étatsunien, le métissage, l’immigration de peuplement, les religiosités secondaires et les défis économiques nous assaillent de toutes parts. Les identités témoignent de la naturelle variété des cultures, des peuples et des nations d’Europe qui, tous, procèdent de la même substance anthropologique, génétique et généalogique. Sans spiritualités et identités concrètes, la puissance ne saurait exister et la communauté géopolitique de destin qu’est l’œcumène européen n’aurait aucune colonne vertébrale. Spiritualités et identités sont complémentaires, ce qui suppose de clore au préalable les contentieux intra-européens comme le conflit frontalier du Donbass, la querelle de Gibraltar ou les minorités hongroises hors de Hongrie. Toutes ces divisions nous affaiblissent. Pourrons-nous relever ces enjeux exaltants quoique mortifères ? L’avenir tranchera…
B.V. : Hormis le maintien et le développement d’Europe Maxima pour les dix années qui viennent, as-tu d’autres projets ?
G.F.-T. : Outre la tenue d’Europe Maxima et la lecture quotidienne d’ouvrages et de périodiques afin d’alimenter des articles à venir, je poursuis bien sûr mes collaborations à Synthèse nationale, à Réfléchir & Agir et à Salut public. Les auditeurs de Radio Courtoisie et de « Méridien Zéro » le savent : je prépare le pendant biographique intellectuel de mon Thierry Maulnier. Un itinéraire singulier. Si je possède la plupart de ses ouvrages, je n’ai qu’une infime partie des articles parus, ce qui nécessite du temps et de nombreuses recherches. Pour la fin de cette année, je prévois de publier le troisième volume d’Orientations rebelles et L’Esprit européen entre mémoires locales et volonté continentale. Et j’ai aussi en tête des projets d’écriture sur ma conception identitaire de l’écologie radicale, les problématiques mitteleuropéenne et balkanique, l’avenir de l’Amérique latine ainsi qu’une enquête sur la Hongrie de Viktor Orban.
Est-ce s’éparpiller ? Je n’en sais rien ! En attendant qu’un oligarque me finance ou que j’épouse une vieille riche afin de capter son héritage (rires), le travail ne manque pas. Avec les orages qui s’amoncellent à l’horizon, il faut se préparer au pire. Pour l’heure, je ne suis qu’un guerrier des idées, un combattant des bibliothèques, un penseur pittbull, un factieux métapolitique. Si l’histoire s’accélère tragiquement, notre vision entrera probablement en résonance avec le public. Alors viendra le Kairos. N’oublions jamais que notre objectif fondamental est de construire une alternative totale, cohérente et radicale à cette société sordide et pourrie.
• Propos recueillis par Bastien Valorgues.
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Spécialiste du financement du terrorisme islamiste, Richard Labévière, rédacteur en chef du magazine en ligne prochetmoyen-orient.ch, dénonce « la naïveté, le machiavélisme ou l’hypocrisie » de certains Etats comme la Suisse ou la France, qui recyclent d’anciens membres du GIA (Groupes islamiques armés). Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il espère casser les faux-fuyants du politiquement correct des Nations unies et parler carrément de « takfirisme », de déviation de l’Islam, d’Islam radical salafo-jihadiste, entretenus par certains pays qui doivent être interpellés pour faire le ménage chez eux.
- El-Watan : Pourquoi, après tant de victimes, on continue à parler d’extrémisme violent au lieu de terrorisme ? A-t-on peur d’identifier le mal et ses causes ?
Richard Labévière : Nous sommes face aux faux-fuyants sémantiques du politiquement correct, liés au fonctionnement et aux contraintes formelles de ce genre de rencontres organisées sous l’égide du Conseil de sécurité de l’ONU, où l’on évite de citer nommément les pays et les responsabilités impliquées dans le phénomène terroriste. Cela débouche sur une langue de bois qui évite de « nommer un chat un chat ». Pourtant, la conférence d’Alger sur la dé-radicalisation concerne bien le terrorisme salafo-jihadiste et ses idéologies. Celles-ci nous ramènent à deux filiations principales : à la doctrine des Frères musulmans de Hassan al-Bana et Sayed Qotb, ainsi qu’à l’idéologie wahhabite, telle qu’elle est véhiculée par les médersas et les conseils d’oulémas d’Arabie Saoudite, du Qatar et l’ensemble de leurs relais internationaux… Lorsqu’on travaille sérieusement sur ces dossiers, on ne peut pas éviter d’identifier les vraies responsabilités sans nommer les Etats impliqués donc responsables de l’extension de la menace terroriste.
Les bailleurs de fonds, sur lesquels j’ai beaucoup travaillé depuis 25 ans, sont en majorité des donneurs d’ordres saoudiens, koweïtis, Emiratis, etc… Ce rappel évident ne veut pas dire qu’il faille criminaliser en bloc ces Etats. Mais, je pense qu’il faut parler vrai et nommer les idéologies et les mécanismes en cause ; remonter aux sources de financement, déconstruire leurs filiations à l’étranger, afin d’établir les chaînes de responsabilité, quitte à heurter quelques sensibilités. Le terrorisme est une technique, un mode opératoire. On ne lutte pas contre une technique et un mode opératoire, mais contre des objectifs précis et des ennemis clairement identifiés. Ce travail de traçage permet de situer les opérateurs et les organisations malfaisantes qui financent, appuient et entretiennent l’expansion du phénomène terroriste.
Il faut donc casser ce politiquement correct des Nations unies et parler plus précisément du « takfirisme », des déviations de l’Islam, d’Islam radical salafo-jihadiste entretenus par certains pays qu’il faut maintenant interpeller afin qu’ils fassent le ménage chez eux… La tenue de cette conférence, à Alger, est très importante, non pas parce que l’Algérie constitue un modèle de l’antiterrorisme, mais certainement pour sa grande expérience en la matière.
Elle s’est démenée durant les années 1985/1998, toute seule, sans appuis internationaux. Ses forces de sécurité ont combattu les précurseurs de ce que nous appelons aujourd’hui Dae’ch, puisque les GIA pratiquaient les mêmes horreurs et avaient proclamé le califat, sauf qu’à l’époque il n’y avait pas de téléphone portable, ni d’internet ; et qu’on était bien avant les attentats du 11 Septembre 2001. L’Algérie d’aujourd’hui se trouve dans un contexte géostratégique très déstabilisé depuis la guerre franco-britannique relayée par l’OTAN en Libye. Ce pays a véritablement implosé. Il est actuellement aux mains de groupes « takfiristes ». Ces derniers se sont vite redéployés en Tunisie, dans les pays de la bande sahélo-saharienne, des côtes de la Mauritanie jusqu’à la Corne de l’Afrique, avec des jonctions opérationnelless entre AQMI, Ansar Eddine, Boko Haram et les Shebab somaliens, grâce à l’argent des narcotrafiquants d’Amérique latine, qui disposent de têtes de pont aéroportuaires en Guinée Conakry, au Maroc et en Mauritanie.
El-Watan : Du Maroc jusqu’en Asie, la « politique du chaos » organisé vise la destruction d’Etats comme l’Irak, la Syrie, la Libye ou le Yémen avec l’expansion de groupes comme Dae’ch, ayant pris la succession d’Al-Qaïda et de ses héritiers Taliban en Afghanistan. Ne sommes-nous pas en présence de prestations de services négociés entre les puissants de ce monde et les groupes islamistes armés, qui apparaissent aussi bien équipés que des Etats, pour semer mort et dévastation ?
RL : Vous avez raison. Souvenez-vous, de la guerre d’Afghanistan (1979 – 1989), on estimait à 35 ou 40 000 le nombre des activistes étrangers passés dans les factions les plus extrémistes, dont la nébuleuse d’Oussama Ben Laden, le fils illégitime de la monarchie saoudienne, des Services américains et pakistanais. Dans le contexte de la Guerre froide, les Américains ont toujours utilisé l’extrémisme radical sunnite, et ce, dès l’instant où le président égyptien Nasser s’était tourné vers Moscou. Les différentes administrations américaines (républicaines et démocrates) n’ont cessé d’utiliser les Frères musulmans pour lutter contre le nationalisme arabe en Egypte, au Yémen, en Palestine, en Asie centrale et même dans le Sin-Kiang chinois....
Cette politique a culminé en Afghanistan, où les Américains ont fabriqué Ben Laden et ses émules. Après le retrait des troupes soviétiques en 1989, ils n’ont pas assuré le service après-vente et les effets induits leur sont revenus en pleine figure. L’élève s’est retourné contre ses maîtres. Le deuxième élément clef concerne l’Arabie Saoudite, partenaire stratégique des Etats-Unis depuis la signature du Pacte du Quincy (février 1945) entre Ibn Séoud (le fondateur du royaume d’Arabie saoudite) et le président Roosevelt : les Etats-Unis gèrent les premières réserves d’hydrocarbures du monde, tandis que Riyad exporte le wahhabisme jusqu’en Indonésie, en Afrique, voire en Amérique latine et en Europe.
Ce qui nous amène à cette situation d’aujourd’hui où la France, par exemple, est partie en guerre contre Bachar al-Assad pour faire plaisir au nouveau roi Salman. Les marchés d’armement avec l’Arabie Saoudite représentent quelques 35 milliards d’euros. Mieux, après les attentats du 11 Septembre 2011, les Américains ont pointé du doigt les Saoudiens, mais ils ont attendu mai 2011 pour aller tuer Ben Laden alors qu’ils connaissaient parfaitement sa villégiature pakistanaise depuis plus de cinq ans… Ils ont décidé de le tuer en mai 2011 parce qu’ils ne voulaient empêcher une jonction entre Al-Qaïda et les révoltes arabes déclenchées en janvier 2011.
Le calcul américain consistait à mettre les Frères musulmans au pouvoir partout dans les pays arabes, en Tunisie, en Egypte, etc., mais, malheureusement pour eux, cela n’a pas marché. En tout cas, l’administration Obama a décidé a ce moment de tourner la page al-Qaïda et d’utiliser le chaos en recourant à de petits groupes en Irak et ailleurs, permettant à Dae’ch de se développer et de conquérir des territoires importants en Irak et en Syrie. Lorsque les fêlés de Dae’ch ont proclamé le califat, tout le monde s’est inquiété, à commencer par les pays du Golfe. Les Saoudiens ont eu peur qu’ils ne revendiquent la gestion des Lieux saints (La Mecque et Médine).
Dae’ch est né d’une scission interne d’al-Qaïda en Syrie et en Irak. Au départ, son expansion s’est faite avec la bienveillance, sinon sous le contrôle des services américains, turcs et saoudiens. Nous sommes dans une logique d’échecs en série, mais d’échecs et de désastres prémédités. D’abord en Afghanistan avec le retour des Talibans, puis surtout avec les conséquences désastreuses de la deuxième guerre d’Irak et la chute de Bagdad du printemps 2003. Quand le proconsul américain Paul Bremer démantèle l’armée irakienne et le parti baath, il sait très bien qu’il va favoriser les divisions ethniques et contribuer à re-tribaliser, sinon détruire le grand Etat-nation arabe qu’était l’Irak. Ce faisant, il met en œuvre la prophétie d’Oded Yinon - un conseiller du ministère israélien des Affaires étrangères - qui écrivait en 1982, qu’il était dans l’intérêt stratégique d’Israël de casser les Etats-nations arabes en autant d’ethnies et de tribus qui se combattraient entre-elles. Par extension, la « fitna », jetant les Sunnites contre les minorités chi’ites constitue une véritable aubaines pour les stratèges de Washington et de Tel-Aviv : diviser pour régner…
Les attentats commis par Dae’ch, ciblant des mosquées chi’ites en Irak, en Syrie, au Pakistan ou au Koweït, illustrent parfaitement cette théorie des néoconservateurs américains, dite de l’« instabilité constructive », permettant aux Etats-Unis et à leurs alliés d’exploiter le pétrole et les richesses de ces Etats fragilisés, sinon « faillis » en toute tranquillité.
El-Watan : Pourquoi à chaque fois, comme vous le dites, l’élève dépasse le maître et les Occidentaux, notamment les Américains, n’en tirent pas les leçons ?
RL : J’ai eu l’occasion, à maintes reprises, de dire que si Dae’ch n’existait pas, il aurait fallu l’inventer. Les puissances occidentales auraient dû l’inventer… Comment expliquez-vous qu’une coalition internationale anti-Da’ech aussi importante, avec des moyens aussi colossaux, n’arrive pas à neutraliser quelque 40 000 hommes disposant de quelques blindés ? Sur le plan militaire, cela est strictement inconcevable. Pour éradiquer Dae’ch, la plupart des experts militaires savent très bien qu’il suffirait de déployer au sol un contingent d’une dizaine de milliers de forces spéciales pour engager deux ou trois confrontations définitives.
On ne le fait pas parce qu’on veut canaliser le phénomène et l’utiliser pour déstabiliser la région, pour faire fonctionner les industries militaires et maintenir un niveau de violence nécessaire aux jeux d’alliances stratégiques, afin de contenir les pays dits « méchants » comme l’Iran, la Syrie qu’on veut démanteler et le Hezbollah libanais qui, pourtant défend aujourd’hui, en première ligne, l’intégrité et la souveraineté du Liban. Nous sommes dans une logique où, d’un côté, on assiste à la démultiplication de groupes armés qui profitent des revenus des trafics de drogue, d’armes d’êtres humains, d’ivoire d’éléphants…. et, de l’autre, des réponses tactiques d’une coalition internationale hétéroclite dont les Etats membres cherchent d’abord à défendre et promouvoir leurs propres intérêts économiques et stratégiques ; le plus bel exemple étant la Turquie. Sous prétexte de lutter contre Dae’ch, ce qu’elle ne fait pas, elle en profite pour décimer les Kurdes, qui constituent pourtant les premières forces engagées au sol contre les terroristes de l’ « Etat islamique ».
En fait, les deux sont des ennemis complémentaires. Le terrorisme est un mal nécessaire qui rapporte beaucoup d’argent. On évite soigneusement de remonter aux causes, notamment financières du terrorisme parce qu’on identifierait alors ses véritables bénéficiaires. Prenons un seul exemple très actuel : naïveté ou machiavélisme de certains Etats comme la France ou la Suisse qui recyclent d’anciens terroristes des GIA dans des ONGs, spécialisées dans la défense des droits humains et de la démocratie. A défaut d’en pleurer, c’est à mourir de rire, sinon d’indignation. En mourir, c’est souvent le cas…
El-Watan : Dans cette confrontation géostratégique d’intérêts, l’Algérie est-elle la cible ou l’alliée ?
RL : Le peuple algérien a fait face au colonialisme, à la Guerre de libération, à la décennie noire (1988/1998). Quelle histoire ! Et maintenant, elle est confrontée, presque encerclée de menaces terroristes de toutes parts. Elle n’est pas forcément un « modèle », mais sa riche expérience en la matière peut être partagée. Quand les militaires parlent de « retex » (retour d’expérience), on voit très bien que les institutions algériennes fonctionnent, l’armée fait son boulot comme elle l’a fait auparavant, non seulement pour l’intégrité et la stabilité de l’Algérie, mais pour l’ensemble des autres pays de la Méditerranée, confrontés aux flux migratoires qu’ils n’arrivent pas à juguler. Sans l’Algérie, ce sont des millions et non pas des milliers d’immigrés qui se déverseraient dans les ports européens.
Mais il est clair que l’Algérie garde l’image du front du refus et qu’elle joue le rôle d’empêcheur de tourner en rond au sein de l’OPEP et d’autres institutions internationales, notamment l’Union africaine. Dans la mesure où elle a toujours revendiqué farouchement son indépendance et sa souveraineté sur les plans régional et international, elle devient un pays gênant comme l’ont été l’Irak, la Libye et la Syrie aujourd’hui ainsi que les autres Etats-nations du Proche-Orient n’acceptant pas le nouvel ordre géostratégique américano-israélo-saoudien. Il y a des pays arabes qualifiés - comme l’avait proclamé en son temps la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice - de « modérés », cautionnant l’agenda des néoconservateurs américains et ceux qui refusent cet alignement. L’Algérie refuse l’alignement. Elle reste perçue comme un obstacle à la mondialisation économique libérale, sauvage et mafieuse, qui, faut-il le souligner, est toujours allergique aux Etats-nations forts, indépendants et souverains.
C’est pour cela qu’on veut démanteler la Syrie, qu’on a cassé l’Irak, qu’on a coupé le Soudan en deux Etats, comme on veut scinder le Yémen ainsi qu’on l’a fait au Kosovo, devenu aujourd’hui un micro-Etat mafieux spécialisé dans les trafics d’organes humains, d’armes et de prostituées. On veut faire des Etats confettis qui acceptent le nouvel ordre des Américains. Lors de cette conférence d’Alger, le représentant de la Russie a déclaré que la Syrie est une ligne rouge, parce que si demain Dae’ch prend le pouvoir, l’ « Etat islamique » menacera le Caucase, à nouveau la Tchétchénie, voire directement Moscou. Heureusement que face aux pays du Golfe, qui financent et sous-traitent ces politiques destructrices, il y a des Etats comme l’Algérie et la Russie qui demeurent dans des logiques stato-nationales et régaliennes.
El-Watan : Justement, ne voyez-vous pas qu’à travers cette façon d’éviter de nommer les idéologies à l’origine de cette altération de l’Islam, il y a une volonté de protéger le Qatar et l’Arabie Saoudite ?
RL : Certainement ! Mais ces pays ne sont pas uniquement responsables de la diffusion des idéologies radicales, mais aussi, comme nous le disions, du financement de l’islamisme politique et militaire. Je travaille depuis 20 ans sur les financements des groupes islamistes terroristes, mais également sur les systèmes de medersa qui, à coups de pétrodollars, ont détruit les confréries soufies pluralistes dans toute l’Afrique subsaharienne, au Niger, au Sénégal et ailleurs afin de les remplacer par le dogme wahhabite totalement étrangers aux pratiques religieuses de ces pays.
C’est là que les choses doivent être clairement dites. Cela ne se fait peut-être pas d’une manière publique, mais dans les travaux à huis clos, les représentants du Niger, de la Fédération de Russie, du Sénégal, de l’Egypte ont exprimé des inquiétudes très claires. Il y a une prise de conscience de plus en plus générale, débouchant sur non pas la recherche de modèles « clés en main » de dé-radicalisation mais sur des « retex », des retours d’expérience propices à l’échange et à des coopérations régionales et internationales. La dé-radicalisation commence par l’école et l’éducation. Il faut être tout à fait rigoureux dans la formation des différentes instances de diffusion religieuses afin d’arriver à des pratiques modérées et respectueuses de la croyance des « autres ». Cette posture se fonde sur la connaissance de l’Autre, donc sur son acceptation. Les causes de tous ces extrémismes sont, très souvent d’abord liées à l’ignorance de l’Autre…
En Afrique subsaharienne, et même en Europe, il y a un débat sur la nécessité d’une réflexion approfondie sur l’Islam. Je ne suis pas islamologue, mais je me réfère à des spécialistes, comme le grand juriste égyptien (malheureussement disparu) Al-Ashmawi qui a lutté toute sa vie contre toutes les formes d’islamismes politiques et militaires ayant pris l’Islam en otage. Il plaidait, déjà au début des années 1980, pour un profond mouvement de réforme de l’Islam à travers des outils pédagogiques et institutionnels ad hoc, prônant notamment l’apprentissage du fait religieux dans les écoles, avec des accords et des conventions de partenariat de réciprocité entre les pays, parce que, à quoi sert-il que l’Algérie, la Tunisie, la France ou d’autres pays fassent des efforts sur l’apprentissage du fait religieux, si dans le même temps, les oulémas saoudiens continuent à affirmer que la terre est plate ?
El-Watan : Ne voyez-vous pas que l’Algérie reste victime d’une incompréhension, qui date des années 1990, et qui ressurgit aujourd’hui à travers certaines réactions internationales après les attaques terroristes de Tiguentourine et plus récemment de Aïn Defla, rappellant ainsi la logique des partisans du « qui tue qui ? » ?
RL : Je crois qu’il y a quand même une certaine évolution. Les anthropologues et les experts les plus sérieux ont tordu le cou à cette monstrueuse propagande, aux impostures intellectuelles et politiques du « qui tue qui ? ». Il y a quand même eu, rétrospectivement, une condamnation unanime de cette propagande, notamment en France, en Allemagne, en Suisse et même certains pays du Golfe, même si - nous le disions à propos des ONGs -, ces pays n’en n’ont pas tirer toutes les conséquences !
El-Watan : La Jordanie et le Bahreïn…
RL : Oui, les deux ont condamné les derniers attentats. Il est décevant de constater, néanmoins, que les pays arabes, surtout la Ligue arabe, n’assurent que le service minimum quand il s’agit de réagir aux attentats commis en Algérie. Mais quand le président du Sénat suisse tresse les louanges de la lutte antiterroriste, que le président Hollande loue les relations franco-algériennes en matière de lutte antiterroriste, que les Allemands voire les Britanniques, reconnaissent le rôle important joué par l’Algérie dans le même domaine, je pense que votre pays a fait un progrès considérable.
C’est vrai qu’il y a toujours cette réticence à son égard à cause de ses positions qui l’honorent face aux crises du Yémen, d’Irak, de Libye et de Syrie. Mais ses efforts diplomatiques dans le règlement pacifique des crises, comme celles du Mali, de Libye, du conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie, forcent le respect et une certaine reconnaissance internationale.
L’Algérie n’est pas sur la ligne américano-saoudo-israélienne. Elle gêne par sa tradition de la défense des indépendances nationales, notamment sur la Palestine, la Syrie et les autres crises proche-orientales. Ce qui la rend suspecte aux yeux de tous les pays qui ont décidé de s’aligner sur cet agenda américano-saoudo-israélien. Cet alignement a pour centralité le conflit israélo-palestinien et le règlement de la guerre en Irak et la Syrie. Nous sommes dans une logique de confrontation de deux camps, occidentalo-saoudo-israélien, et celui d’un front du refus représenté par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais ainsi que les nationalistes qui soutiennent la cause palestinienne.
El-Watan : Comment expliquer que les Algériens soient peu nombreux dans les rangs de Dae’ch, alors qu’ils constituaient le contingent le plus important au sein d’al-Qaïda ?
RL : On peut identifier trois facteurs qui expliquent ce fait. Le premier est que chaque famille algérienne garde en mémoire l’histoire extrêmement douloureuse des années 1990. Le peuple algérien a eu cette maturité du malheur qui fait qu’aujourd’hui, ses enfants ne rêvent plus du jihad en Irak ou en Syrie, parce qu’ils en connaissent les impostures spirituelles et idéologiques. Le deuxième facteur est lié au fonctionnement des institutions de l’Etat algérien. Que l’on soit d’accord ou non avec la situation politique interne, il y a une réalité que personne ne peut nier. Les institutions fonctionnent.
L’Algérie a tenu le coup seule durant dix ans, sans l’appui de la communauté internationale, et aujourd’hui elle continue à le faire en déployant ses moyens militaires et diplomatiques et cela force, on l’a dit, une certaine reconnaissance, voire une admiration certaine. Le troisième facteur nous ramène aux fondamentaux à l’héritage de la Révolution nationale de l’indépendance de l’Algérie. En Syrie par exemple, la communauté algérienne est suspectée d’être l’alliée de l’Etat syrien et du baathisme mais aussi pour avoir une conception nationale qui est contradictoire avec la oumma. Pour moi, ce sont les trois raisons qui font que les Algériens soient peu présents dans les rangs de Dae’ch. On ne sort pas indemne de ce que vous aviez subi durant les années 1990 sans un minimum de mémoire et de maturité politique.
El Watan : L’armée algérienne a fait son travail, même si ce travail doit être mieux relayé par les médias, les mosquées, les écoles, etc. De nombreux spécialistes disent que l’intégrisme, qui constitue la matrice de l’extrémisme violent, est là et n’a pas été vaincu comme l’a été le terrorisme. N’y a-t-il pas de risque de retour vers les années de violence ?
RL : Je reste très confiant par rapport aux capacités institutionnelles algériennes, même s’il y a des difficultés à gérer l’avenir et à trouver des solutions aux nouveaux défis. L’Algérie est aujourd’hui fragilisée économiquement à cause de la politique de bas prix du baril de pétrole, imposée par l’Arabie Saoudite pour mettre en difficulté ses ennemis géopolitiques membres de l’Opep, à savoir le Venezuela, la Russie et l’Algérie.
El Watan : Voulez-vous dire que la baisse des prix du pétrole est une politique de sanction?
RL : C’est une manière de sanctionner les pays qui ne sont pas sur la ligne de la mondialisation économique vue par les Etats-Unis, les pays du Golfe et Israël. On crée un contexte économique qui défavorise l’Algérie, on attise certaines revendications sociales comme celles liées au gaz de schiste par exemple, ou encore on pousse à la confrontation communautaire, comme cela s’est passé à Ghardaïa, on aide à faire remonter des groupes islamistes du sud du pays, etc. En fait, on fait tout pour que plusieurs problèmes entrent en convergence et fragilisent l’Algérie. Cependant, je reste très confiant quant à la solidité des institutions du pays et de son armée pour faire face à ces situations construites.
El-Watan : Le fait que nous soyons entourés par des pays pourvoyeurs d’éléments de Dae’ch ne suscite-t-il pas le risque d’implantation de cette nébuleuse terroriste ?
Le trio Sarkozy-Cameron-Obama n’a pas pris conscience des conséquences de la guerre qu’il a menée en Libye, suscitant une implosion politique de ce pays immense. Rappelez-vous, l’Union africaine était en discussion avec les Libyens. Elle était sur le point d’arriver à une sortie de crise en faisant évoluer les positions d’El Gueddafi. Mais la France et la Grande-Bretagne ont décidé d’intervenir et d’outrepasser la résolution 1973 de l’ONU. A ce jour, ces pays n’ont pas encore fait leur mea culpa à propos du chaos qu’ils ont créé dans ce pays.
La grande force de l’Algérie, c’est sa stabilité. Si elle sombre, ce ne sont pas des milliers mais des millions de migrants qui vont se déverser en Europe. Cela est un atout essentiel. Il ne s’agit pas de culpabiliser seulement les pays européens qui n’accueillent pas suffisamment le flux migratoire, mais aussi les politiques au Nord, qui n’ont pas eu le courage de dire ou de provoquer une réunion internationale tripartite : Union européenne-Union africaine-Ligue arabe et de faire en sorte que les millions de dollars versés par l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe, aux medersas du Niger jusqu’au Sénégal, servent au développement local de ces régions afin de fixer les population locales et de lutter contre l’émigration clandestine. L’Algérie se trouve dans cette intersection-clé du dispositif.
El-Watan : Ces préoccupations ont-elles été soulignées lors de cette conférence d’Alger ?
RL : Oui, il y a eu des interventions très pertinentes, y compris de la part de l’UE, et cela a suscité des réactions du Niger, du Sénégal et de la Russie qui ont exprimé des inquiétudes locales, mais aussi la nécessité d’échange des expériences et une réponse globale à une lutte réelle contre Dae’ch et les nouvelles formes de violence terroriste. La finalité du terrorisme, on ne le dit pas souvent, est de faire de l’argent. S’il s’étend et reconduit ses canaux, c’est parce que nous n’étudions pas suffisamment les connexions du crime organisé, des grands cartels de cocaïne et des trafiquants d’ivoire d’éléphant qui évoluent en Afrique subsaharienne. Leur principal objectif est de faire de l’argent sous couvert de défense de l’Islam… Il s’agit de déconstruire cette imposture !
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FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - D'après les révélations de Wikileaks, les trois derniers présidents auraient été mis sur écoute par la NSA. Hervé Juvin voit dans ce scandale le symbole de l'hégémonie américaine et de la naïveté des Européens.
Hervé Juvin est un écrivain et essayiste français. Il poursuit un travail de réflexion sur la transformation violente de notre condition humaine qui, selon lui, caractérise ce début de XXIè siècle. Il est par ailleurs associé d'Eurogroup Consulting. Il est l'auteur de Pour une écologie des civilisations (Gallimard) et vient de publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux Le Mur de l'ouest n'est pas tombé.
Votre livre s'intitule Le mur de l'ouest n'est pas tombé. Comment analysez-vous l'affaire Franceleaks?
Ne nous faites pas rire! L'affaire des écoutes américaines des Présidents français, dont il est promis juré qu'elles se sont arrêtées en 2012, en dit plus sur l'état de la France que sur la réalité des écoutes. Partons du principe que tout le monde écoute tout le monde, suggérons avec le sourire que les Français ne sont pas les derniers à le faire, ajoutons que l'explosion de l'espionnage de données par les systèmes américains ne leur assure pas des triomphes stratégiques bien marquants, et regardons-nous!
«L'affaire des écoutes américaines des Présidents français, dont il est promis juré qu'elles se sont arrêtées en 2012, en dit plus sur l'état de la France que sur la réalité des écoutes.»
Les Français veulent croire que nous vivons dans un monde de bisounours. L'Europe est une entreprise à décerveler les peuples européens, ceux du moins qui croiraient que les mots de puissance, de force, d'intérêt national, ont encore un sens. C'est l'étonnement général qui devrait nous étonner; oui, l'intérêt national américain n'est pas l'intérêt français! Oui, entre prétendus alliés, tous les coups sont permis, et les entreprises françaises le savent bien! Oui, les Américains ne manquent pas de complices européens qu'ils savent diviser pour mieux régner! Oui encore, l'exceptionnalisme américain leur permet d'utiliser tous les moyens pour dominer, pour diriger ou pour vaincre, et la question n'est pas de protester, c'est de combattre!
Édouard Snowden est en Russie et ces révélations servent objectivement les adversaires des États-Unis. N'est-ce pas tout simplement de la géopolitique?
Le premier fait marquant de l'histoire Snowden, c'est que des pays qui se disent attachés à la liberté d'expression et indépendants n'ont pas souhaité l'accueillir, voire se sont alignés sur l'ordre américain visant à le déférer à la justice américaine. Il n'y a pas de quoi être fiers, quand on est Français, et qu'on a été l'un des champions des non-alignés! Nous sommes rentrés dans le rang ; triste résultat de deux présidences d'intérim, avant de retrouver un Président capable de dire «non!».
Le second fait, c'est que Snowden a révélé un système de pouvoir réellement impérial, qui tend à assurer de fait un empire mondial américain. Nous sommes face au premier nationalisme global. Le point crucial est l'association manifeste d'une surpuissance militaire, d'une surpuissance d'entreprise, et d'un universalisme provincial - une province du monde se prend pour le monde et veut imposer partout son droit, ses normes, ses règles, ses principes, en recrutant partout des complices. Ajoutons que l'affaire des écoutes, celle de la livraison des frégates «Mistral», comme celle des sanctions contre la Russie, éclairent la subordination absolue de ceux que les États-Unis nomment alliés, alors qu'ils les traitent comme des pions ; est-ce la manifestation de la stratégie du «leading from behind» annoncée par Barack Obama dans un célèbre discours à West Point?
«Le second fait, c'est que Snowden a révélé un système de pouvoir réellement impérial, qui tend à assurer de fait un empire mondial américain. Nous sommes face au premier nationalisme global.»
Le troisième fait est au cœur de mon livre, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé. Les États-Unis attendent la guerre, ils ont besoin de la guerre extérieure qui seule, va les faire sortir de la crise sans fin où l'hyperfinance les a plongé. Seul, un conflit extérieur les fera sortir du conflit intérieur qui monte. D'où la rhétorique de la menace, du terrorisme, de la Nation en danger, qui manipule l'opinion intérieure et qui assure seule l'injustifiable pouvoir de l'hyperfinance sur une Amérique en voie de sous-développement.
Quel est, selon vous, le jeu américain vis-à-vis de la Russie?
La Russie est l'un des pôles de la résistance à l'ordre américain. Et c'est, à ce jour, la seule puissance militaire réellement capable de faire échec à une agression américaine. Cantonner, encercler, affaiblir la Russie, vient donc en tête de l'agenda effectif des États-Unis. Le général Wesley Clark l'a dit sans ambages ; «il faut en finir avec les États-Nations en Europe!» Voilà pourquoi, entre autres, l'idéologie américaine nous interdit toute mesure pour lutter contre l'invasion démographique qui nous menace, promeut un individualisme destructeur de nos démocraties et de notre République, veut nous contraindre à une ouverture accrue des frontières, notamment par le traité de libre-échange transatlantique, et nous interdit de réagir contre les atteintes à notre souveraineté que représente l'extraterritorialité montante de son droit des affaires.
«C'est, à ce jour, la seule puissance militaire réellement capable de faire échec à une agression américaine. Cantonner, encercler, affaiblir la Russie, vient donc en tête de l'agenda effectif des États-Unis.»
Les États-Unis réveillent le fantôme de la guerre froide pour couper le continent eurasiatique en deux. C'est le grand jeu géopolitique des puissances de la mer qui est reparti ; tout, contre l'union continentale eurasiatique! Bill Clinton a trahi les assurances données à Gorbatchev par George Bush ; l'Otan ne s'étendra jamais aux frontières de la Russie. Les États-Unis accroissent leur présence militaire dans l'est de l'Europe, dans ce qui s'apparente à une nouvelle occupation. Que font des tanks américains en Pologne et dans les pays baltes? Le jeu géopolitique est clair ; l'Eurasie unie serait la première puissance mondiale. Les États-Unis, on les comprend, n'en veulent pas. On comprend moins leurs complices européens. Et moins encore ceux qui répètent que la puissance, la force et les armes ne comptent pas!
Poutine ne cède-t-il pas au défaut (autocratie, volonté expansionniste) que l'Occident lui prête?
Critiquer la volonté impériale des États-Unis n'est pas encenser Monsieur Poutine! Quand je critique la confusion stratégique américaine, je n'écris rien que des élus américains, comme Elizabeth Warren, comme Rand Paul, comme Jeb Bush lui-même, qui vient de déclarer qu'il n'aurait jamais envahi l'Irak, ont déclaré!
Je constate simplement que les États-Unis ont eu peur du rapprochement entre l'Union européenne et la Russie, qui aurait menacé le privilège exorbitant du dollar, et qu'ils se sont employés à la faire échouer, comme ils s'étaient employés à affaiblir l'euro. Je constate ensuite que le Président Poutine a tourné la page du communisme pour renouer avec la tradition des tsars ; il a un confesseur, il favorise l'orthodoxie et redonne prestige et autorité à la troisième Rome, il discute avec le Pape François, etc. tout ceci dans un contexte où les États-Unis utilisent les droits de l'individu, sans origine, sans sexe, sans race, sans quoi que ce soit qui le distingue, sauf l'argent, pour dissoudre les sociétés constituées et en finir avec la diversité des cultures et des civilisations, qui n'est rien si elle n'est pas collective. Je salue le fait que la Russie soit un pôle de résistance à l'individualisme absolu, comme l'Inde, comme la Chine, comme l'Islam à sa manière, et qu'elle garde le sens de la diplomatie, qui est celui de reconnaître des intérêts contraires, pas d'écraser ses opposants. La France ne l'est plus. On n'est pas obligé d'être d'accord avec eux sur leur manière singulière d'écrire l'histoire de leur civilisation, pour être d'accord sur le fait que leur singularité est légitime, puisqu'ils l'ont choisie, et mérite d'être préservée!
«Le Président Poutine a tourné la page du communisme pour renouer avec la tradition des tsars ; il a un confesseur, il favorise l'orthodoxie et redonne prestige et autorité à la troisième Rome, il discute avec le Pape François.»
La chute de la diversité des sociétés humaines est aussi, elle est plus grave encore que la chute de la biodiversité animale et végétale. Car c'est la survie de l'espèce humaine qui est en danger. Il n'y aura plus de civilisation, s'il n'y a pas des civilisations. Et la Russie orthodoxe, comme l'Islam chiite, comme l'hindutva de Narendra Modi, sont des incarnations de cette merveille ; la diversité des formes que l'homme donne à son destin.
Les Russes savent aussi écouter leurs partenaires et leurs adversaires?
Un peu d'histoire. L'invention, l'entraînement, le financement d'Al Qaeda, des talibans, a enfoncé une épine dans le pied de l'URSS, dont elle ne s'est pas relevée. Brzezinski l'a dit avec une rare franchise ; «Al Quaeda a produit des dégâts collatéraux ( side effeects) sans importance dans la lutte que nous avons gagnée contre l'URSS». Partout, y compris pour justifier l'intervention armée en Europe et pour défendre l'islamisation de l'Europe, les États-Unis derrière leur allié saoudien, se sont servis de l'Islam. Ils s'en servent en Inde, en Chine, ils s'en sont servis en Tchetchénie. Et ils se préparent à renouveler l'opération au sud de la Russie, en déstabilisant les États d'Asie centrale et l'extrême-est de la Chine.
«La diplomatie française, sidérée par les néo-cons qui l'ont envahie, ne semble plus savoir lire une carte de géographie.»
Parmi les preuves multiples, regardons la prise de Palmyre par l'État islamique. Admettons qu'un vent de sable ait effectivement empêché toute intervention aérienne pour la prise de Ramadi, quelques jours plus tôt. Mais Palmyre! Dans une zone désertique, sans grand relief, Palmyre qui ne peut être atteinte que par des pistes ou des routes droites sur des kilomètres, en terrain découvert ; une armée qui dispose de l'exclusivité aérienne, comme celle de la coalition, peut empêcher toute entrée ou sortie d'un seul véhicule de Palmyre! L'inaction de la coalition est inexplicable. La diplomatie française, sidérée par les néo-cons qui l'ont envahie, ne semble plus savoir lire une carte de géographie. Mais une France devenue pauvre en monde, livrée à la confusion des valeurs et des intérêts, une France qui n'incarne plus la résistance à l'intérêt mondial dominant qu'est l'intérêt national américain, qui sera peut-être demain l'intérêt chinois, est-elle encore la France?
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De la notion de « verticalité »
Entretien avec Robert Steuckers
Propos recueillis par Xavier Deltenre
XD : Suite à votre bref article paru naguère sur « novopress.info » (
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2015/06/11/reflexions-generales-sur-les-reformes-du-college-en-france.html ) et suite aussi à la parution du numéro de juin du « Causeur » d’Elizabeth Lévy et de l’entretien que celle-ci accorde à « Figaro-Vox », votre défense des héritages classiques et renaissancistes induit-elle une défense de l’école verticale ?
RS : Cette nouvelle notion de « verticalité », posée d’emblée comme péjorative dans le cadre actuel de l’école, dérive sans nul doute du jargon « pédagogiste » qui, comme le souligne très justement Elizabeth Lévy, veut faire l’égalité tout en brouillant pistes et repères, tant et si bien qu’on débouche sur une soupe immangeable qui ne favorise certainement pas les plus démunis intellectuellement ni même les plus doués car les dons ne peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes que s’ils sont encadrés par des balises qui orientent les esprits précoces et apaisent les inquiétudes juvéniles. Revenons à la notion (bancale) de « verticalité ». La pédagogie des fondamentaux en langues (langue maternelle comprise) ou en mathématiques exige un degré de verticalité (autorité du maître d’école + nécessité de mémoriser des règles par cœur). L’approfondissement ou l’approche de textes ou de problèmes réels postulent plutôt une pédagogie horizontale, celle du séminaire (à l’allemande, dérivée de la pédagogie de Pestalozzi), comme le décrit avec tout le brio voulu Georges Gusdorf dans son livre fondamental sur l’herméneutique : autour d’une table, ou de bancs disposés en « U », le maître et les élèves (à partir de seize ans) entrent de conserve dans tous les méandres des textes (à l’instar de Heidegger en Allemagne, cf. les mémoires de Hans Jonas, ou de Léo Strauss aux Etats-Unis). Ou travaillent ensemble sur un problème physique ou mathématique. Ou, à un échelon non encore universitaire, commentent en langue maternelle ou en langue étrangère, un film documentaire ou un chef d’œuvre du 7ème art. Dans ce sens, « verticalité » et « horizontalité » se complètent. La rigueur verticale, nous disait déjà Erasme, est très nécessaire pour les jeunes enfants qui, de surcroit, aiment à participer à de petits concours qui révèlent leurs capacités à mémoriser des noms d’animaux ou de plantes, des capitales d’Etat, des dates historiques, etc. Cette rigueur verticale et ce tropisme vers le « par cœur » deviennent moins nécessaires à partir d’un certain degré de formation où l’éveil (adulte) commence à se faire. A ce niveau, s’imposent toute naturellement les techniques plus horizontales du séminaire et les méthodes plus libertaires, héritées de Pestalozzi (disciple de Rousseau), et des pédagogies alternatives, pensée dans le sillage de Nietzsche et des mouvements de jeunesse à l’époque où ceux-ci se rebellaient justement contre les rigidités mentales des « établissements d’enseignement » fustigés par le « Solitaire de Sils-Maria ».
Le problème est là : il faut de la rigueur mais non de la rigidité, non de la répétition ad nauseam, ou comme le disait si bien Montaigne : « Des têtes bien faites et non des têtes bien pleines ». Les slogans sans profondeur n’ont aucune valeur pédagogique ni civique, fussent-ils ânonnés sur le mode « soft » ou « festiviste », pour reprendre ici un terme-culte, important, très critique à l’égard des travers de notre époque et qui nous a été légué par le regretté Philippe Muray dont Elizabeth Lévy est justement une excellente disciple.
Le festivisme est purement « horizontaliste » dans ses stratégies sociales. Il entend abattre des verticalités qu’il confond allègrement avec des hiérarchies politiques mutilantes qui freinent les élans émotionnels, passionnels, sexuels, etc. Marcuse, soupçonné d’avoir été un agent de l’OSS américain, ancêtre de la CIA, voulait, dans les années 60, préludes de notre festivisme ambiant, libérer l’« Eros » des corsets soi-disant imposés par la « civilisation », donc dissoudre les balises pour laisser libre cours aux pulsions, par exemple celles d’un Cohn-Bendit, qui les avait revendiquées devant le ministre gaulliste Alain Peyrefitte, qui, lui, avait eu cette extraordinaire répartie : « Allez vous tremper le cul dans une piscine ! ». Cependant, comme le prouvent les littératures d’inspiration vitaliste entre 1880 et 1914 (ainsi que leur postérité après 1918), l’expression de ces élans, chez David Herbert Lawrence, Victor Segalen, Richard Dehmel, Oskar Panizza, etc., n’accède à la classicité littéraire que s’ils ont d’abord été disciplinés par une certaine « verticalité » pédagogique. Ces élans sont protestataires, s’opposent à des rigidités et des répétitions. Aujourd’hui, où le festivisme est dissolvant à l’extrême, le recours à certaines verticalités s’avère nécessaire. Foucault voulait un pôle de rétivité pour dissoudre les avatars de l’Etat absolu, né au 17ème siècle suite à la Fronde et à la révolte des Nus-Pieds en Normandie. Il a formulé ce vœu et tenté de générer sa propre pratique de la dissolution festiviste, à l’ère où l’Etat gaullien était déjà battu en brèche par l’ambiance consumériste des « Trente Glorieuses ». Foucault, au fond, est arrivé trop tard. Il aurait dû vivre avant 1914 où il se serait fait le compagnon de route des nietzschéens joyeux du Wandervogel allemand et des animateurs des cabarets polissons de Berlin et de Munich.
Aujourd’hui toute rétivité utile, salvatrice des acquis de notre civilisation, ne peut tabler que sur le « common sense », sur la « décence commune » d’Orwell et de Michéa. Et non plus sur les marginaux, appuyés par un pouvoir banquier et économiciste. Les festivistes stipendiés n’ont ni l’audace ni le courage ni la férocité d’un Panizza. D’où exiger le retour à une certaine verticalité pragmatique et non absoluiséeà l’école cassée est un acte de rétivité dans un monde où le pouvoir impose le spectacle festiviste. Dont acte. Face à ce pouvoir, nous devons être des « rétifs verticaux ».
Robert Steuckers,
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Free discussion in Madrid, July 18th, 2015 (English)
Charla distendida en el Hogar Social Madrid con el periodista y escritor belga Robert Steuckers, que accedió a contestar nuestras preguntas sobre temas de muy distinta índole, el sábado 18 de julio de 2015.
19:53 Publié dans Actualité, Entretiens, Synergies européennes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : robert steuckers, entretien, synergies européennes, madrid | |
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« Si Daech n’existait pas, il aurait fallu l’inventer »
Avec l'aimable autorisation de Richard Labévière
Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, écrivain et rédacteur en chef de Proche et Moyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique, analyse le changement de posture des États-Unis dans le traitement des questions liées au terrorisme.
Dans un contexte international volatile et fragmenté, marqué par la disparition progressive du leadership américain, la multiplication des acteurs et la fin des alliances stables, la configuration de la menace terroriste est de plus en plus complexe. Comment a évolué le traitement du phénomène terroriste par les puissances occidentales et leurs alliés ? Comment expliquer les contradictions entre la déclaration d'une guerre totale contre le terrorisme incarné par des organisations comme le groupe État islamique (EI ou Daech), et dans la pratique, un conflit de moyenne et basse intensité contre l'EI ? Pourquoi l'approche politique de résolution des crises a été supplantée par la logique sécuritaire du maintien, de l'entretien et de la gestion de ces situations ? Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, rédacteur en chef de Proche et Moyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique, répond à L'Orient-Le Jour.
Q : Le 27 mai 2015, à Genève, vous avez organisé un colloque sur le terrorisme dans lequel vous parlez d'« anciennes menaces » mais de « nouveaux enjeux ». Qu'entendez-vous par là?
R : Le premier point sur les anciennes menaces était de montrer la vraie filiation historique de Daech. Souvent les observateurs pressés ont l'habitude de dire que Daech est né en Irak. Mais avant l'Irak, ce groupe s'est inspiré des méthodes et de l'idéologie des islamistes armés algériens, le Groupe islamique armé (GIA), qui entre 88 et 98 ont été les terroristes de la décennie sanglante (tortures et massacres collectifs au nom de la restauration du califat). Dans les méthodes d'assassinat et dans l'idéologie, ces islamistes ont donc été les précurseurs de Daech. Maintenant en ce qui concerne les nouveaux enjeux face à la menace terroriste et ses transformations, nous sommes passés par plusieurs stades. L'isolement international de pays comme l'Algérie qui a fait face seul au terrorisme à l'époque, puis après le 11 septembre et à partir du moment où les États-Unis sont touchés sur leur sol, la guerre contre le terrorisme qui devient l'affaire du monde entier. Après les révoltes arabes et jusqu'à ce jour, la grande nouveauté que l'on peut observer est la gestion de crises. On gère la menace terroriste sans chercher à la résoudre ou à l'éradiquer. La gestion de crise est devenue un mode de gouvernance. On canalise, on oriente, on instrumentalise.
Pourquoi estimez-vous que c'est après les révoltes arabes que le changement a été initié ?
Rappelons-nous pourquoi les Américains ont décidé d'éliminer Oussama Ben Laden (chef d'el-Qaëda) en mai 2011 alors qu'ils savaient depuis 4 ans qu'il était au Pakistan et ne bougeaient pas ? Parce que les révoltes arabes de janvier 2011 avaient commencé et que l'administration américaine ne voulait surtout pas qu'el-Qaëda récupère et instrumentalise la contestation, quand la réponse thermidorienne à ces révoltes à l'époque était les Frères musulmans. En mai 2011, on mise donc sur les Frères, et cela va s'avérer une catastrophe. À partir du moment où la dernière approche des États-Unis au Moyen-Orient a échoué, il n'y a pas eu d'approche politique régionale précise face à la crise syrienne, à l'implosion de l'Irak, aux conséquences de la guerre en Libye qui a touché tous les pays voisins de la zone sahelo-saharienne des côtes marocaine à la Corne de l'Afrique.
Comment se traduit aujourd'hui la gestion du terrorisme au Moyen-Orient ?
Prenons un exemple parlant, le sommet anti-Daech organisé par François Hollande en juin à Paris. Premièrement, il n'invite pas l'Iran qui est un pays majeur pour combattre Daech. Deuxièmement, la France fait partie de la coalition qui comprend une cinquantaine de pays ; or face aux participants à la conférence, M. Hollande explique que la lutte contre Daech sera longue sur le plan opérationnel (d'où l'idée de gestion), estimant en outre qu'il ne faut pas changer de stratégie parce que celle de la coalition est la plus adaptée. Or n'importe quel militaire sait parfaitement que l'on n'éradique pas une formation comme Daech simplement avec des bombardements aériens. C'est un principe de stratégie militaire. Dans ce genre de conflit, si l'on ne déploie pas de troupes au sol pour entrer dans une confrontation directe (ce que la France a fait au Mali, combats de corps à corps entre forces spéciales et jihadistes) cela ne donnera rien. Dans le cas de Daech, nous sommes dans cette fameuse équation : on ne résout pas le problème par des décisions militaires frontales, on gère sur le long terme et d'une certaine façon on en tire profit. Sur ce point précis, un expert du Pentagone avait affirmé que si l'on voulait véritablement venir à bout de l'EI, il faut 10 mille militaires au sol, une bataille frontale décisive et l'affaire est réglée. Or aujourd'hui, près de la moitié des avions de la coalition rentrent à leur base avec leurs bombes qu'ils n'ont pas larguées.
Nous pouvons prendre également l'exemple d'el-Qaëda que l'on aide dans un pays et que l'on combat ailleurs. On les soutient en Syrie, mais on tue leur chef au Yémen à 2-3 jours d'intervalle. Tout cela révèle qu'il n'y a plus de politique proche et moyen-orientale construite parce que ce n'est plus central aujourd'hui pour les États-Unis. Il faut replacer le logiciel géopolitique à son bon niveau. Nous avons oublié qu'au début de son second mandat, Barack Obama avait rappelé la chose suivante : l'avenir des intérêts américains se situe en Asie-Pacifique et en Asie centrale. Cela ne passe plus par le contrôle du Moyen-Orient, mais par ce que Zbigniew Brzeziński appelait Eurasie, c'est-à-dire les routes de Marco Polo, de Venise à Vladivostok. C'est pour cela que la priorité, avant de résoudre au cas par cas les crises au Moyen-Orient, reste la normalisation avec l'Iran et la recherche d'un accord sur le nucléaire. L'obsession américaine est aujourd'hui de contenir la Chine et le retour de la Russie comme puissance régionale dans son accord stratégique avec Pékin. De cette priorité-là découle des postures au Moyen-Orient qui vont être différentes en fonction des situations.
En l'absence d'une approche régionale globale, y a-t-il néanmoins des lignes rouges à ne pas franchir dans la région?
Oui, il y a 4 lignes rouges qui ne bougent pas. La défense de Bagdad, parce que symboliquement après 2003 les Américains ne peuvent pas permettre que Daech prenne Bagdad. La défense et la protection de la Jordanie qui est un protectorat américano-israélien. Le Kurdistan qui reste une des dimensions essentielles de l'évolution de l'arc de crise et de la transformation à venir parce que du Kurdistan dépend la façon dont les acteurs tentent d'instrumentaliser la question kurde. Le Liban également parce que dans leur absence de vision globale encore une fois, les États-Unis et la France ne peuvent se permettre que l'on revive une instabilité générale telle que l'on a pu la vivre entre 1975 et les accords de Taëf de 1990. Même s'il y a encore des situations grises, des incursions dans la Békaa, et les conséquences que l'on connaît de la bataille du Qalamoun syrien. Aujourd'hui, il est certain que les États-Unis gèrent les crises au coup par coup. Mais surtout de la manière dont ils gèrent la criminalité chez eux. Dans les différents États les plus problématiques avec les gangs et les mafias, il y a un modus vivendi, on ne démantèle pas le crime organisé, on le canalise et on le gère. On protège les zones riches avec des sociétés militaires privées, et on laisse les criminels raqueter les parties les plus pauvres de la société américaine. Donc on instaure des sociétés à plusieurs vitesses avec des ghettos, des zones protégées, des zones abandonnées. La politique étrangère étant une extension de la politique intérieure.
Vous considérez que le « terrorisme » est devenu le stade suprême de la mondialisation, cette évolution dans le traitement du phénomène serait selon vous liée à la transformation du système capitaliste ?
Oui, le terrorisme rapporte et s'inscrit dans la logique de la mondialisation économique parce que la lutte contre le terrorisme génère des millions d'emplois dans les industries d'armement, de communication, etc. Le terrorisme est nécessaire à l'évolution du système capitaliste lui-même en crise, mais qui se reconfigure en permanence en gérant la crise. Cette idée de gestion sans résolution est consubstantielle au redéploiement du capital. Dans un brillant essai, La part maudite, Georges Bataille avait expliqué à l'époque en 1949 que toute reconfiguration du capital nécessite une part de gaspillage qu'il appelle la consumation et aujourd'hui on peut dire que le terrorisme est cette part de « consumation » organiquement liée à l'évolution du capitalisme mondialisé. Si Daech n'existait pas, il faudrait l'inventer. Ça permet de maintenir une croissance du budget militaire, des millions d'emplois de sous-traitance dans le complexe militaro-industriel américain, dans la communication, dans l'évolution des contractors, etc. La sécurité et son maintien est devenue un secteur économique à part entière. C'est la gestion du chaos constructif. Aujourd'hui des grandes boîtes, comme Google par exemple, supplantent l'État et les grandes entreprises en termes de moyens financiers pour l'investissement et la recherche dans le secteur militaire américain en finançant des projets de robots et de drones maritimes et aériens. Tout cela transforme le complexe militaro-industriel classique et rapporte beaucoup d'argent. Pour cette transformation le terrorisme est une absolue nécessité, Daech n'est donc pas éradiqué mais entretenu parce que cela sert l'ensemble de ces intérêts. Et là nous ne tombons pas dans la théorie du complot, c'est une réalité quand on examine l'évolution de l'économie.
Quelles sont les conséquences de cette logique ?
C'est surtout qu'on encourage les causes et les raisons sociales de l'émergence du terrorisme. On ne dit pas suffisamment que ceux qui aujourd'hui s'engagent dans les rangs de Daech et reçoivent un salaire proviennent des lumpen prolétariat de Tripoli ou autres zones où les gens vivent dans une extrême pauvreté parce que l'évolution du capitalisme affaiblit les États, les politiques sociales, et les classes les plus défavorisées sont dans une situation de survie de plus en plus complexe. Sans réduire le phénomène à une seule cause, le mauvais développement et la déglingue économique constituent tout de même une raison importante de l'expansion de Daech. Face à cela, les États-Unis ont entretenu la situation de faillite des États de la région sahelo-saharienne et favorisé la création de micro-États mafieux. Cette logique de traitement sécuritaire montre que l'argent est devenu le facteur principal des relations internationales aujourd'hui. La raison pour laquelle l'Arabie saoudite, le Qatar sont devenus des partenaires tellement importants pour les pays occidentaux c'est parce qu'ils ont de l'argent et dans leur logique de Bédouins, les Saoudiens pensent que l'on peut tout acheter. L'argent a supplanté l'approche politique des relations internationales, c'est la donnée principale et la direction de la gestion des crises. D'où ce poids totalement démesuré de l'Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats, du Koweït, dans la gestion des crises du Proche et Moyen-Orient. Quand on voit que les Saoudiens arrosent d'argent le Sénégal, et que ce dernier envoie 200 soldats au Yémen on sent le poids de l'argent. On voit aussi comment cette course à l'argent explique la nouvelle diplomatie française.
C'est- à-dire ?
Du temps du général de Gaulle et de François Mitterrand, on parlait d'une politique arabe de la France, aujourd'hui on parle d'une politique sunnite de la France. La diplomatie française colle aujourd'hui aux intérêts saoudiens, parce que la France vend de l'armement, des Airbus à Riyad, aux Émirats, au Koweït... Ça représente 35 milliards de dollars lourds pour le Cac 40. C'est une diplomatie de boutiquier où la vision stratégique de l'intérêt national et de la sécurité nationale est supplantée par la course à l'argent. Les élites administratives et politiques ne parlent plus de la défense de l'intérêt national mais de la défense de leurs intérêts personnels. L'argent explique leur démission et leur trahison des élites. Dans ce contexte-là, la liberté d'expression s'est réduite à une simple alternative être ou ne pas être Charlie. S'exerce aujourd'hui une « soft » censure qui fait que dans les médias mainstream on peut difficilement faire des enquêtes ou critiquer l'Arabie saoudite ou le Qatar. La diplomatie est gérée par une école néoconservatrice française qui a substitué à la politique et l'approche internationale, une morale des droits de l'homme qui est un habillage à la course à leurs intérêts financiers.
Richard Labévière
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par Robert Redeker
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le philosophe Robert Redeker, cueilli sur le Figaro Vox et consacré à la question du progrès. Robert Redeker vient de publier un essai intitulé Le progrès ? Point final. (Ovadia, 2015).
FIGAROVOX. - L'idée de progrès, expliquez-vous, n'est plus le moteur des sociétés occidentales. Partagez-vous le constat de Jacques Julliard qui explique que le progrès qui devait aider au bonheur des peuples est devenu une menace pour les plus humbles?
Robert REDEKER. - Le progrès a changé de sens. De promesse de bonheur et d'émancipation collectifs, il est devenu menace de déstabilisation, d'irrémédiable déclassement pour beaucoup. Désormais, on met sur son compte tout le négatif subi par l'humanité tout en supposant que nous ne sommes qu'au début des dégâts (humains, économiques, écologiques) qu'il occasionne. Le progrès a été, après le christianisme, le second Occident, sa seconde universalisation. L'Occident s'est planétarisé au moyen du progrès, qui a été sa foi comme le fut auparavant le christianisme. Il fut l'autre nom de l'Occident.
Aujourd'hui plus personne ne croit dans le progrès. Plus personne ne croit que du seul fait des années qui passent demain sera forcément meilleur qu'aujourd'hui. Le marxisme était l'idéal-type de cette croyance en la fusion de l'histoire et du progrès. Mais le libéralisme la partageait souvent aussi. Bien entendu, les avancées techniques et scientifiques continuent et continueront. Mais ces conquêtes ne seront plus jamais tenues pour des progrès en soi.
Cette rupture ne remonte-t-elle pas à la seconde guerre mondiale et de la découverte des possibilités meurtrières de la technique (Auschwitz, Hiroshima)?
Ce n'est qu'une partie de la vérité. L'échec des régimes politiques explicitement centrés sur l'idéologie du progrès, autrement dit les communismes, en est une autre. L'idée de progrès amalgame trois dimensions qui entrent en fusion: technique, anthropologique, politique. Le progrès technique a montré à travers ses possibilités meurtrières sa face sombre. Mais le progrès politique -ce qui était tenu pour tel- a montré à travers l'histoire des communismes sa face absolument catastrophique. Dans le discrédit général de l'idée de progrès l'échec des communismes, leur propension nécessaire à se muer en totalitarismes, a été l'élément moteur. L'idée de progrès était depuis Kant une idée politique. L'élément politique fédérait et fondait les deux autres, l'anthropologique (les progrès humains) et le technique.
Les géants d'Internet Google, Facebook, promettent des lendemains heureux, une médecine performante et quasiment l'immortalité, n'est-ce pas ça la nouvelle idée du progrès?
Il s'agit du programme de l'utopie immortaliste. Dans le chef d'œuvre de saint Augustin, La Cité de Dieu, un paradis qui ne connaît ni la mort ni les infirmités est pensé comme transcendant à l'espace et au temps, postérieur à la fin du monde. Si ces promesses venaient à se réaliser, elles signeraient la fin de l'humanité. Rien n'est plus déshumanisant que la médecine parfaite et que l'immortalité qui la couronne. Pas seulement parce que l'homme est, comme le dit Heidegger, «l'être-pour-la-mort», mais aussi pour deux autres raisons.
D'une part, parce qu'un tel être n'aurait besoin de personne, serait autosuffisant. D'autre part parce que si la mort n'existe plus, il devient impossible d'avoir des enfants. C'est une promesse diabolique. Loin de dessiner les contours d'un paradis heureux, cette utopie portée par les géants de l'internet trace la carte d'un enfer signant la disparition de l'humanité en l'homme. Cet infernal paradis surgirait non pas après la fin du monde, comme chez saint Augustin, mais après la fin de l'homme. Une fois de plus, comme dans le cas du communisme, l'utopie progressiste garante d'un paradis déboucherait sur l'enfer.
La fin du progrès risque-t-elle de réveiller les vieilles religions ou d'en créer de nouvelles?
Le temps historique des religions comme forces de structuration générale de la société est passé. Cette caducité est ce que Nietzsche appelle la mort de Dieu. La foi dans le progrès -qui voyait dans le progrès l'alpha et l'oméga de l'existence humaine- a été quelques décennies durant une religion de substitution accompagnant le déclin politique et social du christianisme. Du christianisme, elle ne gardait que les valeurs et la promesse d'un bonheur collectif qu'elle rapatriait du ciel sur la terre. Bref, elle a été une sorte de christianisme affaibli et affadi, vidé de toute substance, le mime athée du christianisme. Les conditions actuelles -triomphe de l'individualisme libéral, règne des considérations économiques, course à la consommation, mondialisation technomarchande-, qui sont celles d'un temps où l'économie joue le rôle directeur que jouaient en d'autres temps la théologie ou bien la politique, sont plutôt favorables à la naissance et au développement non de religions mais de fétichismes et de fanatismes de toutes sortes. L'avenir n'est pas aux grandes religions dogmatiquement et institutionnellement centralisées mais au morcellement, à l'émiettement, au tribalisme du sentiment religieux, source de fanatismes et de violences.
Peut-on dire que vous exprimez en philosophie ce que Houellebecq montre dans Soumission: la fin des Lumières?
Il doit y avoir du vrai dans ce rapprochement puisque ce n'est pas la première fois qu' l'on me compare à Houellebecq, le talent en moins je le concède. Ceci dit dans ma réflexion sur le progrès je m'appuie surtout sur les travaux décisifs de Pierre-André Taguieff auquel je rends hommage. Ce dernier a décrit le déclin du progrès comme «l'effacement de l'avenir». Peu à peu les Lumières nous apparaissent comme des astres morts, dont le rayonnement s'épuise. Rien n'indique qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle. Cependant, cet achèvement n'est non plus la revanche des idées et de l'univers vaincus par les Lumières. Elle n'annonce pas le retour des émigrés! Cette fin des Lumières n'est pas la revanche de Joseph de Maistre sur Voltaire!
Le conservatisme, vu comme «soin du monde» va-t-il remplacer le progressisme?
Les intellectuels ont le devoir d'éviter de se prendre pour Madame Soleil en décrivant l'avenir. Cette tentation trouvait son origine dans une vision nécessitariste de l'histoire (présente chez Hegel et Marx) que justement l'épuisement des Lumières renvoie à son inconsistance. Pourtant nous pouvons dresser un constat. Ce conservatisme est une double réponse: au capitalisme déchaîné, cet univers de la déstabilisante innovation destructrice décrite par Luc Ferry (L'Innovation destructrice, Plon, 2014), et à l'illusion progressiste. Paradoxalement, il s'agit d'un conservatisme tourné vers l'avenir, appuyé sur une autre manière d'envisager l'avenir: le défunt progressisme voulait construire l'avenir en faisant table rase du passé quand le conservatisme que vous évoquez pense préserver l'avenir en ayant soin du passé. La question de l'enseignement de l'histoire est à la croisée de ces deux tendances: progressiste, l'enseignement de l'histoire promu par la réforme du collège est un enseignement qui déracine, qui détruit le passé, qui en fait table rase, qui le noie sous la moraline sécrétée par la repentance, alors que l'on peut envisager un enseignement de l'histoire qui assurerait le «soin de l'avenir» en étant animé par le «soin du passé».
Robert Redeker, propos recueillis par Vincent Tremolet de Villers (Figarovox, 12 juin 2015)
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L'Agence Info Libre a profité du passage de Pierre Jovanovic à Lyon, pour la dédicace de son dernier livre "666", afin de s'entretenir des questions d'actualité économique.
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