Gay Pride « Sans doute quelques innocents ignorent encore ce qu'est le queer. Et force est de constater qu'ils vivent très bien dans cet obscurantisme crasse. A moins qu'on ne les débusque comme représentants d'un ordre ancien suspect d'archaïsme nostalgique. Ami lecteur, pour vous éviter cet outrage, nous allons de ce pas vous initier à cette nouvelle entité à l'origine d'une discipline universitaire (avec les postes, les bourses et les vacances qui l'accompagnent). L'adjectif queer désigne en anglo-américain quelque chose d'étrange, de tordu, d'inclassable. Il s'oppose au straight, qui est droit, normal, normé. Il est devenu dans les années 80 l'adjectif par lequel se désignaient ceux qui ne se reconnaissaient pas dans la différence des sexes telle que la construisent nos sociétés occidentales. De ce qu'ils vivaient comme une insulte, ils en ont fait un drapeau. (...)


Les queer studies sont aujourd'hui un bastion militant au sein des sciences humaines, et le transgenre est devenu l'étalon à l'aune duquel on mesure la conformité du réel à l'idéologie dominante (dominante non pas dans la population, ni même dans les discours, mais dans cette partie de l'élite intellectuelle qui se considère comme représentante du Bien, du Bon et du Moderne, et qui détient certains relais d'opinion comme certains quotidiens nationaux). La Marche des fiertés lesbiennes bi, gay et trans est le 14 Juillet de ces nouveaux combattants, et la pénalisation des propos homophobes (et bientôt "transphobes") leur arme de destruction massive de toute pensée libre - et de toute vie non aseptisée. (...)


Tout un courant du féminisme contemporain, ce courant culturaliste, qui a décidé que la différenciation sexuée n'existe que dans les diktats d'une société misogyne et phallocrate, s'inscrit dans la droite ligne de ce mouvement et s'associe à ses combats. (...) Etrange tentation, au demeurant, que d'abandonner le féminisme, c'est-à-dire la réflexion sur les rapports hommes-femmes, à celles qui vivent le rapport aux hommes sur un mode problématique, comme on confierait la critique gastronomique à des anorexiques. Sous l'égide de pasionarias qui ne voient la relation hétérosexuelle que comme l'instrument de la domination masculine, le féminisme dérive donc vers une remise en cause des catégories même de sexe et de genre, et l'affirmation d'un combat commun contre cette norme oppressante qu'est l'hétérosexualité dont se rendent coupables la majorité des êtres humains, et sur laquelle est structurée la société occidentale. (...)


Le courant queer relève donc de la pure idéologie, au sens où le réel n'est accepté comme donnée que lorsqu'il permet de justifier le système de pensée et l'ordre coercitif qui en découle. Pour le reste, dans l'esprit de ces idéologues forcenés, quiconque s'imagine que le fait, pour un enfant, de découvrir qu'il a un pénis ou qu'il n'en a pas est en soi un élément constitutif de sa personnalité est à la limite du fascisme. (...) La question n'est pas, pour les queer studies, de modifier l'idée qu'on se fait d'un garçon ou d'une fille, mais de criminaliser la pensée de la différenciation. Pour accepter la différence, nions-la. (...)


Le phénomène queer, dans ses excès comme dans son principe même, est une forme de dictature des minorités qui n'a rien à voir avec l'aspiration démocratique légitime d'individus écrasés par une majorité intolérante et sûre de ses droits et de sa supériorité. L'enjeu n'est pas d'amener la société et les individus qui la composent à repenser la différence sexuelle comme un enrichissement culturel, pendant de l'enrichissement génétique, mais bien d'imposer un ordre nouveau où l'humain, peu à peu détaché de toute référence à son inscription corporelle dans le monde, pourrait enfin flotter dans la vacuité virtuelle du bonheur narcissique et de l'autocontemplation. Plutôt que d'assumer la différence, universaliser le rien au nom de la détestation de ses origines. »



Natacha Polony, L'Homme est l'Avenir de la Femme, J-C Lattès, 2008, p.51-58


Du même auteur :
LE NÉO-FÉMINISME EST-IL UNE HAINE DE L’HOMME ?