samedi, 06 mars 2021
Les sectes de l'Occident et leurs liens avec Trump, Biden et la géopolitique
Les sectes de l'Occident et leurs liens avec Trump, Biden et la géopolitique
Par Cristiano Puglisi
Ex : https://blog.ilgiornale.it/puglisi/
Quelles sont les sectes religieuses de l'Occident? Et quelle est leur influence au niveau géopolitique? C'est le sujet du dernier numéro, le 62ème, de Eurasia - Rivista di studi geopolitici, récemment publié et dont le titre est précisément "Les sectes de l'Occident". D'autre part, le ton utilisé récemment par certaines personnalités du monde politique et religieux de l'Occident sont apparus exaspérants et, d'une certaine manière, carrément sectaires. Un exemple est celui des lettres envoyées, en juin puis en octobre 2020, par Monseigneur Carlo Maria Viganò, ancien nonce apostolique du Saint-Siège aux États-Unis, au président américain de l'époque, Donald Trump. Lettres dans lesquelles ils parlent, en relation, pour ceux qui suivent ce blog, avec la conception désormais bien connue d'un "Grand Reset" : on, y évoquait un affrontement entre les "enfants de la Lumière" et les "enfants des Ténèbres", ces derniers s'identifiant à la faction mondialiste soutenant un retournement de type numérique et écologique dans le sillage de la pandémie de la Covid-19. Des tons tout aussi apocalyptiques sont souvent apparus dans la communication d'une partie notable des partisans de l'entrepreneur de New York, qui se réunissent autour d'acronymes tels que "Qanon".
"La propagande trompeuse - explique le directeur d'Eurasia, le professeur Claudio Mutti - n'a fait que raviver et relancer le motif de l'affrontement entre les enfants de la Lumière et les enfants des Ténèbres, qui est un leitmotiv bien ancré dans la mythologie politique américaine. Les enfants de la Lumière et les enfants des Ténèbres est en fait le titre d'un pamphlet écrit en 1944 par un théologien réformé pour représenter le duel existentiel alors en cours entre les États-Unis et l'Europe. Le thème était d'origine biblique, mais il avait déjà eu une large diffusion grâce à la Theosophical Society (fondée en 1875 à New York) et à la production littéraire du célèbre magicien Aleister Crowley, qui s'était installé à New York à la veille de la Première Guerre mondiale. La formule du "Grand Réveil", présentée par les trumpistes américains et les milieux pro-trumpistes européens comme désignant la force des idées alternative au projet mondialiste de la "Grande Restauration" (« Great Reset »), est également née dans les milieux sectaires nord-américains. Au XVIIIe siècle déjà, le pasteur Jonathan Edwards, en rappelant au "nouvel Israël" américain l'alliance conclue avec Yahvé, avait déclenché une vague de fanatisme millénariste dans toute la Nouvelle-Angleterre avec ses sermons enflammés: le mouvement du Grand Réveil (lequel, rappelons-le, fut suivi d'un deuxième, d'un troisième et d'un quatrième "Grand Réveil")".
Dans le nouveau numéro d'Eurasia, l'accent est mis tout particulièrement sur les États-Unis d'Amérique. En fait, dès ses origines, dans ce pays aux dimensions continentales qui est considéré comme "la plus grande démocratie du monde" et la patrie de la technologie, les sectes semblent se développer sans relâche. Il est donc naturel de supposer qu’existe un lien avec le protestantisme.
"Le principe fondamental du luthéranisme - observe Mutti - est le libre examen des Écritures, seule source et seule norme de la foi. Il est inévitable que la faculté attribuée au croyant individuel d'interpréter les Écritures et le rejet d'un magistère religieux imposé de l'extérieur donnent lieu à une pluralité de doctrines divergentes. Mais plus qu'en Europe, cette conception individualiste, anti-autoritaire et anti-hiérarchique trouve son environnement dans cette "demeure de la liberté" (Amérique) que Thomas Jefferson oppose à la "demeure du despotisme" (Europe). Dans un environnement dépourvu d'histoire et de traditions, où les populations indigènes ont pu être facilement exterminées, le protestantisme pouvait librement développer sa tendance congénitale au fractionnement et produire cette multitude de "dénominations" confessionnelles qui caractérise le panorama religieux américain".
Des sectes de nature confessionnelle, donc, qui, comme prévu, ont acquis au fil du temps une pertinence géopolitique.
Il a été observé", poursuit le directeur d'Eurasia, "que les "nouveaux mouvements religieux" les plus diffus - comme on appelle modestement de nombreuses sectes, des Mormons à la Scientologie - sont nés, pour la plupart, aux États-Unis, tandis que d'autres groupes sectaires, nés en Europe ou en Asie, accroissent considérablement leur influence mais uniquement après le débarquement de leurs "maîtres" en Amérique. C'est le cas de l' « Association internationale pour la conscience de Krishna », de la secte du révérend Moon, des adeptes, vêtus d'oripeaux de couleur orange, de Rajneesh ou de quelque branche dégénérée de l'ésotérisme islamique. L'importance du phénomène sectaire, d'un point de vue géopolitique, est évidente si l'on considère que l'influence exercée par les Etats-Unis a souvent pour intermédiaire les sectes qui sont nées aux Etats-Unis ou qui sont suivies par les milieux politiques américains. Suite à la victoire électorale de Bolsonaro (qui a été baptisé dans les eaux du Jourdain selon une cérémonie évangélique et a pris le nom de "Messias"), Eurasia a publié une étude sur l'influence prédominante exercée au Brésil par la secte évangélique, née du "Grand Réveil" nord-américain. Mais on retrouve une influence similaire de la même secte aux États-Unis, où, en son temps, Trump a été béni par des pasteurs évangéliques et présenté comme un messie, ou un "nouveau Cyrus" qui allait libérer le peuple d'Israël, c'est-à-dire les "vrais chrétiens" américains, de la captivité babylonienne".
L'actuel président Joe Biden se dit catholique. Pourtant, même dans son cas, les relations avec le monde sectaire ne manquent pas.
En 2014, conclut le Prof. Mutti, "en participant en tant que vice-président des États-Unis à l'allumage de la Menorah nationale et en exaltant "l'héritage juif, la culture juive, les valeurs juives" comme une partie essentielle de l'identité américaine, Joe Biden a explicitement fait référence à l'enseignement du rabbin Menachem Mendel Schneerson, chef de la secte Chabad Lubavitch, à qui il a souhaité "Que vous croissiez tous en force, toujours en force". De plus, la secte des Lubavitcher a de nombreux adeptes dans l'environnement politique américain. En 1983, le Congrès et le président des États-Unis ont décerné au rabbin Schneerson la décoration de l'honneur nationale et ont décrété que le jour de sa naissance serait proclamé "Journée de l'éducation et du partage". En 1994, à l'occasion de l'anniversaire de la déclaration Balfour (2 novembre), les deux chambres des États-Unis ont approuvé à l'unanimité l'attribution posthume de la médaille d'or du Congrès américain à Rebbe Schneerson, en reconnaissance de ses "contributions exceptionnelles à l'éducation mondiale, à la morale et à ses importantes actions caritatives". Lors de la cérémonie de remise de la médaille, le président Bill Clinton a déclaré : "L'éminence de feu Rebbe en tant que leader moral de notre nation a été reconnue par tous les présidents depuis Richard Nixon". Dans la lignée de ses prédécesseurs, l'actuel président américain peut se targuer d'une longue familiarité avec les Lubavitcher. Dès 2008, David Margules, président de Chabad Lubavitch du Delaware, a exprimé l'enthousiasme de la secte pour les positions pro-sionistes de Biden en ces termes : "Il a acquis la réputation d'être un fervent défenseur d'Israël".
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vendredi, 05 mars 2021
Le projet « Océan Transparent »
Le projet « Océan Transparent »
Par Giovanni Caprara
Ex : https://www.eurasia-rivista.com
Le scénario géopolitique contemporain a obligé les décideurs à augmenter les ressources consacrées à la lutte anti-sous-marins. Les sous-marins opèrent dans des environnements critiques, tels que les eaux profondes, peu profondes et troubles, parfois en l'absence totale de spécifications sur les relevés qu'ils surveillent. Pour permettre au submersible de fonctionner dans un silence absolu, les sonars classiques ne sont pas suffisants, mais il est nécessaire d'utiliser des solutions basées sur les sonars bistatiques. Afin de garantir les plus hauts niveaux d'efficacité, le projet BiSS (Bistatic Sonar System) est désormais opérationnel. La caractéristique des sonars bistatiques est qu'ils ont une source et un récepteur séparés, alors que les sonars "traditionnels" sont monostatiques, c'est-à-dire que l'émetteur et le récepteur sont dans la même position. Le BiSS est le développement d'une solution basée sur des algorithmes innovants, capable d'identifier un objet immergé dans des environnements critiques, qui peut surmonter les réflexions, les distorsions et le bruit des signaux, hostiles à la bonne exécution de la mission d'un sous-marin. Le BiSS permet la reconstruction d'environnements submergés en 3D avec une représentation claire et réaliste, grâce à la technique d'apprentissage automatique des systèmes informatiques embarqués. Fondamentalement avec un signal de transmission "ping", l'augmentation de la distance de détection passive est améliorée, augmentant ainsi l'efficacité des applications de la tactique ASW, la guerre anti-sous-marine (Anti Submarine Warfare). Cette innovation rend l'arme submergée encore plus meurtrière, il était donc nécessaire d'améliorer la capacité de la lutte ASW.
Le système de découverte et de surveillance acoustique ULISSES, conçu par Leonardo, offre des capacités supérieures pour la guerre sous-marine, car il est capable de contrôler simultanément jusqu'à 64 bouées sonores opérationnelles, qui, associées au sonar de profondeur, améliorent la fonctionnalité multistatique. ULISSES est un système acoustique innovant optimisé pour tous les types de plates-formes à voilure fixe et tournante, y compris les aéronefs sans pilote. Un premier test des capacités du nouveau système acoustique ULISSES pour la recherche et le suivi des sous-marins a eu lieu au large des côtes italiennes, avec des résultats positifs. Des bouées acoustiques, ou bouées sonores, ont été mises à l'eau par un navire de guerre et le système a identifié rapidement et précisément l'ensemble des cibles sous-marines représentées par un simulateur de cible acoustique. Le système a automatiquement marqué les coordonnées de l'objet cible sur la console de l'opérateur à bord du navire, fournissant un scénario en temps réel de l'environnement sous-marin, à la fois en eau peu profonde et en eau "bleue", c'est-à-dire océanique. Un autre essai a permis de tester la fonctionnalité d'ULISSES en conjonction avec le sonar de profondeur HELRAS, ce qui a permis d'augmenter la portée de la découverte et de la gestion des cibles sous-marines. Tout cela a permis de terminer la phase de développement, et de commencer la production, notamment pour le marché international. Le système ULISSES (Ultra-LIght SonicS Enhanced System) s'est révélé être un système performant et fiable, capable de fonctionner de manière transparente avec une résolution maximale, en utilisant des sources d'informations acoustiques pour fournir des données précises sur les unités sous-marines potentiellement hostiles. Le système ULISSES a été développé sur la base du succès du système acoustique OTS-90, qui a été conçu et développé pour les hélicoptères NH90 italiens et néerlandais.
Ce nouveau produit pose le problème de la vulnérabilité des sous-marins SSBN, armés de missiles balistiques nucléaires. Actuellement, en attendant que les missiles supersoniques soient régulièrement mis en ligne, les SSBN représentent à la fois la dissuasion et la principale arme pour d'éventuelles représailles. Les sous-marins américains de la classe Ohio, semblent être les plus silencieux de la planète, et lorsqu'ils naviguent en patrouille, ils sont pratiquement indétectables, et il n'y a aucune menace crédible connue pour leur survie. Il ne semble pas en être de même pour les sous-marins lance-missiles des autres pays : la flotte russe de SSBN est plus bruyante que son homologue américaine ; pire encore, les SSBN chinois, de type 094, restent assez bruyants. En fait, leur survie dans des environnements hautement conflictuels peut être mise en doute. La future génération de SSBN américains, la classe Columbia, devrait être encore plus silencieuse que celle de l'Ohio, car au lieu d'utiliser les engrenages mécaniques plus bruyants des sous-marins actuels, ils seront entraînés par un moteur électrique. Cela rendra les unités submersibles non seulement plus silencieuses, mais aussi plus durables. Les systèmes d'entraînement électrique ont une plus grande redondance intégrée, ce qui rend moins probable qu'une seule arme puisse désactiver tout le système d'entraînement. Un propulseur ultra silencieux est déjà opérationnel : il s’appelle AIP, Air Independent Propulsion, mais il semble avoir quelques limites. Il est basé sur des cellules utilisant de l'oxygène et de l'hydrogène liquides stockés dans une poudre d'hydrure métallique. L'AIP est enfermé dans un conteneur isolé et suspendu de manière à rendre la transmission des vibrations et du bruit pratiquement nulle, car il n'y a pas de pièces mobiles. Le nouveau système AIP, en réduisant la signature acoustique et en augmentant la portée des sous-marins conventionnels, améliore donc leurs capacités de combat. Le propulseur obligera les décideurs militaires à une analyse plus minutieuse pour les missions impliquant un contrôle côtier, où la supériorité des AIP vaudrait la peine d'approcher les eaux territoriales adverses sans être détectées. Au contraire, les nouveaux bateaux à pile à hydrogène ne sont pas utilisables dans les océans, où les SSBN ou SSN confirment leur validité.
Le précurseur du système ULISSES, est l'US SOSUS : un ensemble de postes d'écoute sous-marins pour la surveillance acoustique passive. Ils sont situés entre le Groenland et le Royaume-Uni, dans une zone appelée "GIUK gap" (Greenland Iceland United Kingdom Gap). Il est composé d'une série d'hydrophones placés au fond de l'océan, et est, théoriquement, capable d'écouter le passage des sous-marins russes, mais depuis la fin de la guerre froide, il est utilisé à des fins de recherche pour les naturalistes. À l'heure actuelle, les États-Unis sont le seul pays à disposer d'une capacité de guerre sous-marine telle qu'elle rend la plupart des navires adverses vulnérables. En fait, la défense de l'Amérique du Nord peut rendre l'océan "transparent". L'importance des routes à suivre pour arriver dans la zone d'opérations est fondamentale pour assurer la sécurité d'une unité immergée. Les sous-marins américains, lorsqu'ils quittent leurs ports, sont capables d'opérer de manière relativement incontestée, étant donné la présence de ports alliés et l'absence de goulots d'étranglement territoriaux qui limiteraient leurs voies de patrouille. En revanche, les SSBN chinois sont fortement entravés par des limitations géographiques et ne peuvent pas se mettre à portée des États-Unis, espace continental, sans passer par des points d'étranglement dangereux actuellement contrôlés par la marine américaine. En cas d'attaque visant à éliminer la menace des sous-marins lance-missiles américains, il est prouvé que l'attaquant ne coulerait que 6 des 14 SSBN, puisque huit ou neuf d'entre eux sont constamment en route, et quatre ou cinq dans des ports en alerte permanente, et prêts à réagir. Même si un attaquant était capable de localiser avec précision l'emplacement de chacune de ces unités, les sous-marins d'attaque nécessaires pour les détruire seraient confrontés à des défis logistiques importants représentés par les bulles de défense maritime américaines composées d'avions, de satellites et d'unités de surface et immergées. De plus, l'attaquant ne serait probablement pas encore dans l'enveloppe d'attaque avant que les SSBN américains ne lancent leurs missiles nucléaires de défense.
Malgré le fait que les lanceurs hypersoniques sont destinés à modifier la dissuasion en leur faveur, les États-Unis ont accordé à Northrop Grumman la somme de 13,3 milliards de dollars pour développer un nouveau missile balistique intercontinental afin d'améliorer la triade nucléaire, c'est-à-dire ceux qui peuvent être lancés depuis la terre, la mer et les avions. Le nouveau concept d'océan "transparent" a, en fait, déplacé les besoins des États-Unis vers l'acquisition de nouveaux missiles, afin de compenser ceux qui pourraient être perdus lorsqu'une de leurs unités immergées est découverte et détruite.
Plusieurs pays veulent mettre en place une capacité anti-sous-marine.
L'Inde a posé sur le fond marin entre l'île de Sumatra et l'archipel Andaman/Nicobar, une série de capteurs pour capter les signaux acoustiques et magnétiques des sous-marins qui vont traverser cette zone. La chaîne de capteurs est longue de 2300 kilomètres et ils sont reliés par un câble à fibre optique capable de transporter des informations à 100 Gb/s. On peut supposer que les principales cibles sont les unités sous-marines chinoises, pour les empêcher de s'approcher de la zone économique exclusive indienne.
Le Japon, en collaboration avec les États-Unis, a mis en place un système de détection acoustique et magnétique sur les fonds marins qui part de la Corée du Nord et atteint Bornéo, en passant par les Philippines et Taïwan, pour surveiller l'activité des sous-marins de la marine de Pékin dans la mer de Chine méridionale et le long des accès vers le Pacifique occidental. Le système, qui est actif depuis 2005, comprend un ensemble d'hydrophones et de détecteurs magnétiques d'anomalies sur le fond marin, travaillant en coordination avec les avions de reconnaissance maritime pour obtenir une capacité ASW multicouche. Il est probable que la chaîne de détection indienne sera intégrée au réseau japonais/américain Sosus existant, appelé Fish Hook. Ce dernier est exploité par le centre de recherche océanographique du Jmsdf, la force d'autodéfense maritime du Japon et le personnel de la marine américaine. Une telle décision, de la part de l'Inde, pourrait provoquer une dure réaction chinoise au point de prévoir de nouvelles "bulles" A2/AD, des zones d'interdiction spécifiques, dans leurs propres zones exclusives qui existent dans le bassin de l'Océan Indien et insérées dans la Nouvelle Route de la Soie : de Djibouti au port pakistanais de Gwadar, jusqu'à celui de Hambantota au Sri Lanka.
La Chine a également développé son propre réseau de surveillance sous-marine. Le système évalue les informations sur l'environnement sous-marin, en particulier la température et la salinité de l'eau, afin de détecter et de suivre les unités navales sous-marines adverses et, par conséquent, d'améliorer la capacité de ses propres sous-marins à les poursuivre. Le projet, réalisé par l'Institut d'océanologie de la mer de Chine méridionale sous l'égide de l'Académie des sciences chinoise, s'inscrit dans la mise en place d'un armement voulu par Pékin, pour contraster l'hégémonie navale américaine.
La mise en œuvre de la guerre anti-sous-marine démontre sans équivoque que les unités immergées restent les meilleures plates-formes de dissuasion.
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jeudi, 04 mars 2021
Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis
Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis
Par Salman Rafi Sheikh
Ex : https://geopol.pt
Alors que les liens entre la Turquie et les États-Unis se sont tendus ces dernières années et qu'un divorce stratégique n'est plus complètement irréaliste, la politique étrangère de la Turquie continue de tourner autour de la question de l'équilibre entre l'Ouest et l'Est. Alors que sa situation géographique aux frontières de l'Asie et de l'Europe semble déterminer en grande partie son orientation désormais plus large en matière de politique étrangère, la Turquie sous Erdogan a également acquis, ou du moins essaie d'acquérir, un statut de grande puissance qui lui permettrait d'agir comme un "équilibreur" entre les deux grands pôles de puissance du monde. Mais le positionnement stratégique particulier de la Turquie, inspiré par la volonté de se rétablir en tant qu'empire "néo-ottoman", capable de mener une politique étrangère véritablement indépendante et d'agir comme une grande puissance, a surtout provoqué une scission entre la Turquie et ses alliés de l'OTAN, en particulier les États-Unis. Les États-Unis ont expulsé la Turquie du programme de développement des F-35, et leurs relations bilatérales n'ont jamais été aussi tendues qu'aujourd'hui. Si la principale motivation de la Turquie pour améliorer ses relations avec la Russie était de diminuer sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et d'acquérir ainsi une meilleure position de négociation, elle s'est clairement retournée contre elle ; d'où les tentatives de la Turquie pour rétablir l'équilibre.
Si la Turquie réussit à acquérir les avions F-35 en tant que membre de l'OTAN, cela renforcera considérablement sa capacité de défense aérienne. À cette fin, elle a récemment engagé un cabinet d'avocats basé à Washington pour faire pression en faveur de sa réadmission dans le programme américain d'avions de chasse F-35. Ankara avait commandé plus de 100 chasseurs furtifs et a fabriqué des pièces pour leur production, mais a été retirée du programme en 2019 après avoir acheté des systèmes de défense anti-missiles russes S-400, qui, selon les Etats-Unis, pourraient menacer les F-35.
L'embauche par la Turquie d'une société chargée de représenter ses intérêts démontre qu'une transition politique à la Maison Blanche n'a pas conduit à une transition automatique dans les relations bilatérales entre les deux pays. Cette démarche confirme que leurs désaccords sont fondés sur des différences politiques qui vont bien au-delà des présidents en exercice. Par conséquent, les tentatives de la Turquie de recalibrer ses liens avec les États-Unis ne porteront probablement pas leurs fruits pour une raison : leurs différences ne sont pas politiques ; elles sont stratégiques, et leur convergence théorique, en tant qu'alliés au sein de l'OTAN, est sans cesse mise en balance avec leurs divergences.
Le 23 février, le Pentagone l'a confirmé :
"Il n'y a pas eu de changement dans la politique de l'administration concernant les F-35 et les S-400″. Une fois de plus, nous demandons instamment à la Turquie de ne pas aller de l'avant avec la livraison des S-400".
La position américaine reste inchangée malgré l'allusion récente du ministre turc de la défense, Hulusi Akar, à la possibilité de trouver une "solution gérable" pour le système S-400.
La position stratégique de la Turquie en tant qu'acteur indépendant, positionné à l'intersection de l'Ouest et de l'Est, est la raison principale de la position inchangée des États-Unis.
D'une part, la rivalité américano-russe est très ancrée dans la ‘’pensée à somme nulle’’, issue de la concurrence de la guerre froide. La Turquie, en revanche, avec sa position géographique très particulière, couplée à sa quête pour traduire les effets de cette localisation en politique étrangère, ne sert pas le jeu à somme nulle des États-Unis contre la Russie.
Le fait que la Turquie ait établi des liens politiques et militaires forts avec la Russie montre que les États-Unis et la Turquie ont des perceptions fondamentalement différentes de la menace. Par conséquent, alors que la Turquie semble croire que le système international actuel n'est plus aussi centré sur l'Occident et dominé par les États-Unis qu'il l'était antérieurement, et que la Turquie devrait poursuivre ses intérêts par un équilibrage géopolitique plus varié, Washington, obsédé qu'il est par la nécessité de trouver remède à la chute des États-Unis en tant que seule superpuissance, considère cette interprétation turque des affaires internationales comme anormale et irréelle. Pour Erdogan et les responsables politiques turcs à Ankara, il s'agit d'un ajustement à la nouvelle normalité de la politique mondiale.
Ces divergences ont également engendré certains points de tension politique, dont la manifestation la plus importante est la crise de longue date entre la Turquie et le Commandement central américain (CENTCOM) à propos de la crise syrienne et de la manière dont les États-Unis continuent à soutenir militairement les milices kurdes, en particulier le GPJ.
Dans ce contexte, l'administration Biden, qui a promis d'œuvrer au rétablissement de la domination américaine au niveau mondial, sera très probablement en mesure de résister aux tentatives de la Turquie d'opérer en tant qu'acteur indépendant au sein de l'OTAN, une organisation qui reste bloquée dans la pensée stratégique propre à la guerre froide et qui continue à s'imaginer inamovible et à se réinventer pour toujours et encore faire la guerre à la Russie en Europe.
Par conséquent, alors que les États-Unis voudraient rétablir les liens avec la Turquie si celle-ci abandonne le système S-400 et retourne à l'OTAN, la Turquie veut effectuer ce rétablissement d'une manière qui amène les États-Unis à l'idée d'accepter la nouvelle réalité géopolitique dans le voisinage de la Turquie, y compris le rôle de la Turquie en Syrie, et les changements plus généraux dans les affaires internationales.
Si un idéaliste préconise de trouver un "terrain d'entente" pour rapprocher les deux pays, il n'en reste pas moins que les États-Unis n'ont aucune raison impérieuse de redéfinir leur vision centrale du monde pour satisfaire la Turquie. Dans l'état actuel des choses, la Turquie n'est pas un allié indispensable de l'OTAN. C'est ce qui ressort du fait que les États-Unis préparent déjà des plans pour déplacer leur base aérienne d'Incirlik en Turquie vers l'île grecque de Crète.
Bien que cette relocalisation constitue un revers majeur pour la Turquie, elle servirait tout de même les intérêts américains dans la région. D'autre part, si la Turquie décide d'abandonner les S-400, cela restera un revers stratégique très important pour son positionnement en tant qu'acteur international majeur capable d'influencer des régions bien au-delà de ses frontières territoriales, et pour son image d'empire "néo-ottoman".
Si la Turquie a proposé de trouver une formule de compromis et de fixer les conditions dans lesquelles les S-400 peuvent être rendus opérationnels et utilisés, l'avenir de cette offre reste tributaire de la manière dont l'administration Biden l'interprète et y répond, ce qui dépend à son tour de la manière dont cette formule peut préserver et renforcer les intérêts américains au niveau régional et mondial.
00:51 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : turquie, états-unis, russie, europe, affaires européennes, géopolitique, asie mineure, méditerranée, levant, proche-orient | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 02 mars 2021
Occident/Russie : déconnexion totale
Occident/Russie : déconnexion totale
par Alain RODIER
Ex: https://cf2r.org
Les néoconservateurs américains, suivis par leurs homologues européens, ont gagné. Il semble que les liens entre l’Union européenne et la Russie sont désormais bien coupés. Il reste bien le projet North Stream II, qui doit approvisionner l’Allemagne en gaz russe, mais nul doute que les lobbies vont tenter de le torpiller en imposant des sanctions aux entreprises qui y participent. Résultat, l’Allemagne risque de finir par être dépendante des énergies ayant reçu le blanc-seing des écologistes radicaux. En résumé, fourniture d’électricité par les centrales au charbon, appel au gaz de schiste américain et à divers apports extérieurs dont le nucléaire français.
L’inflexion de la politique étrangère américaine
Il convient de constater que la nouvelle administration en place à la Maison-Blanche applique la maxime : « America is back ! ». En attendant de s’attaquer au « dur » de sa politique étrangère – les relations avec la Chine et l’Iran -, Joe Biden a en tout cas trouvé là un slogan censé rompre avec son prédécesseur et indiquer la marche à suivre pour les prochaines années. Il convient que les États-Unis soient à nouveau « prêts à diriger le monde, pas à s’en éloigner, prêts à affronter nos adversaires, pas à rejeter nos alliés, et prêts à défendre nos valeurs. ».
Le programme est le suivant : le retour à l’ordre international tel que les États-Unis l’ont défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À la doctrine du désengagement de guerres au faible rapport coût/efficacité voulue par Donald Trump, Biden propose une ancienne doxa modifiée à l’aune des « valeurs » progressistes dont il s’est fait le champion lors de sa campagne : le monde se porte mieux quand l’Amérique en assume la direction. Plus néoconservateur, on ne fait pas ! En premier lieu, il a pris le contre-pied de l’alliance passée par son prédécesseur avec l’Arabie saoudite emmenée par le prince Mohammed Ben Salman. La décision la plus spectaculaire a été le gel des livraisons d’armes à Riyad, engagé dans une longue guerre contre les insurgés houthis au Yémen. Il s’agit de « faire en sorte que les ventes d’armes par les États-Unis répondent à nos objectifs stratégiques » a souligné un porte-parole du département d’Etat, tout en qualifiant cette mesure de « routine administrative typique de la plupart des transitions. » le nouveau président a toutefois réaffirmé, le 26 janvier dernier, l’engagement de Washington « à aider notre partenaire, l’Arabie saoudite, à se défendre contre les attaques sur son territoire. » C’est que derrière l’effet d’annonce, le montage diplomatique bâti par Trump autour de la reconnaissance d’Israël et incluant désormais les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, mérite probablement d’être prolongé. D’autant plus que les Russes sont embuscade en mer Rouge, région éminemment stratégique où ils font les yeux doux au Soudan afin de trouver un point d’appui pour leur flotte.
Joe Biden a également décidé de prendre le contre-pied de son prédécesseur concernant l’OTAN et, en particulier concernant la présence militaire américaine en Allemagne. Trump, qui avait de mauvaises relations avec la chancelière Angela Merkel, avait annoncé en 2020 vouloir diminuer d’environ 9 000 hommes ce contingent qui compte près de 35 000 militaires. Cette décision avait été présentée comme une sanction envers Berlin – mais aussi indirectement à l’encontre des autres pays membres de l’OTAN – accusé de ne pas mettre assez la main à la poche.
Le retour de l’« ennemi » russe
Surtout, Joe Biden semble décidé à remettre les pendules à l’heure avec la Russie suspectée d’ingérences multiples, lors des élections américaines et dans bien d’autres pays. Ce n’est pas le retour à la Guerre froide mais cela y ressemble furieusement avec une nuance que ne soulignent généralement pas les experts : le Kremlin ne veut plus envahir l’Europe pour la convertir au marxisme-léninisme. Pour Washington, le temps des « indulgences » est fini. Lors de son premier appel à Vladimir Poutine, Biden n’a pas hésité à aborder les sujets qui fâchent : le sort de l’opposant Alexeï Navalny et de ses partisans, le piratage d’institutions fédérales américaines, les récompenses offertes aux talibans afghans tueurs de soldats américains – selon des informations dont une partie est, au moins sujette à caution. Il y est même allé d’un avertissement à peine voilé : « J’ai clairement dit au président Poutine, d’une façon très différente de mon prédécesseur, que le temps où les Etats-Unis se soumettaient face aux actes agressifs de la Russie, l’ingérence dans nos élections, les piratages informatiques, l’empoisonnement de ses citoyens, est révolu. Nous n’hésiterons pas à en augmenter le coût pour la Russie et à défendre nos intérêts vitaux et notre peuple ». Ce discours est à l’évidence à usage interne car il n’a aucune chance d’être entendu puisque, pour les responsables russes, l’agresseur, c’est Washington.
Les médias pro-Biden – en particulier européens – ont applaudi, insistant beaucoup sur le soutien apporté aux « démocrates » russes. Vladimir Poutine a, comme d’habitude, gardé son calme, préférant se féliciter d’un accord ouvrant possiblement l’extension pour cinq ans du dernier traité de réduction des arsenaux nucléaires (New START), mais rien n’est encore signé : « Prenons d’abord connaissance de ce que les Américains proposent et nous ferons ensuite un commentaire » a tempéré, le porte-parole du président russe. Il sait qu’en dépit de l’enthousiasme quasi unanime affiché lors de la victoire de Biden, nombre d’Européens ne sont pas encore totalement soumis à Washington.
Plus grave encore, il semble, selon Moscou, que les néoconservateurs ont décidé d’exploiter l’affaire Navalny dans l’ambiance explosive crée par la pandémie de la Covid-19. Ces derniers espèrent, en jetant des milliers de manifestants dans la rue – chiffres pour le moment invérifiables -, provoquer une situation de chaos en Russie, dans le but de renverser le pouvoir en place qui ne leur convient pas car il n’est pas « aux ordres ». Cette manière de procéder est loin d’être nouvelle pour les États-Unis qui prennent toujours garde d’intervenir par proxiesinterposés.
La Russie est ainsi redevenue, que l’on le veuille ou non, l’« ennemi conventionnel » suite aux mesures prises par Washington.
Selon Arnaud Dubien, fin connaisseur de la Russie, « 2014 avait marqué la fin des illusions sur la convergence entre la Russie et l’Occident, processus généralement compris comme l’adoption par Moscou du modèle et des règles du jeu édictées à Bruxelles et Washington ». Autant dire un asservissement aux règles édictées par ces entités. Il est compréhensible que les Russes, de culture orthodoxe et encore imprégnés d’un héritage marxiste, aient été réticents à adhérer aux systèmes de pensée occidentaux jugés décadents et pervers.
Alors que doit répondre Moscou ? Toujours selon A. Dubien « ce qui s’est passé à l’occasion de la visite de Josep Borrell au début février à Moscou indique que la Russie n’est pas demandeuse de dialogue politique, en tout cas pas selon l’agenda et les modalités voulues par Bruxelles. Le Kremlin se sent fort, laissera venir et avisera ».
En résumé sur le plan politique, économique, culturel, etc. la Russie n’attend plus rien de l’Union européenne, considérée comme étant en train de se saborder, à tous points de vue. Peu à peu, ce qui était acheté en Europe est fourni localement ou, à défaut, importé d’autres pays, comme la Chine. Il ne pas se faire d’illusions, les agriculteurs européens en général et français en particulier ne vendront plus rien en Russie dans les années à venir.
Sur le plan militaire, les jeux de « gros bras » se poursuivent, l’OTAN et la Russie continuant à se tester mais sans intention de conquête de part et d’autre. La Pologne et les Etats baltes ont beau agiter la menace représentée par l’Ours russe – qui certes a récupéré la Crimée jugée comme vitale par le Kremlin -, la Russie ne va pas envahir ces pays. Par contre, il n’est pas exclu que Moscou agisse comme le fait Washington, en procédé à des « révolutions de couleur », en y organisant des troubles via des tiers (ONG, sympathisants) afin de maintenir les pouvoirs politiques locaux dans l’incertitude voire l’inquiétude.
Le Grand Nord, nouvel enjeu ?
Sans évoquer sur les opportunités économiques – en partie liées au réchauffement climatique – que beaucoup citent, jusqu’à présent, le Grand Nord était le terrain de jeu quasiment exclusif des bombardiers stratégiques russes.
Mais les forces américaines ont récemment montré leur intérêt pour cette région qui ne peut plus être considérée comme une « zone tampon » pour les États-Unis. En 2020, pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, l’US Navy a envoyé quatre navires (USS Donald Cook, Porter, Roosevelt et USNS Supply) en mer de Barents, point de départ des sous-marins russes opérant dans l’espace océanique appelée GIUK (Groenland/Iceland/United Kingdom), d’une importance capitale pour les liaisons maritimes entre l’Europe et l’Amérique du Nord.
De son côté, l’US Air Force a mené plusieurs exercices dans la région, notamment en y dépêchant des bombardiers B-1 Lancer (qui n’ont plus de capacité nucléaire) qui ont survolé la Norvège et la Suède. En 2021, l’armée de l’air américaine a l’intention de déployer quatre de ces appareils en Norvège. Ils seront stationnés sur la base aérienne d’Ørland. Cette mission devrait officiellement améliorer l’interopérabilité avec les alliés et les partenaires de Washington en Europe et habituer les forces aux opérations dans le Grand Nord. « La disponibilité opérationnelle et notre capacité à soutenir nos alliés et nos partenaires et à réagir rapidement sont essentielles au succès », a déclaré le général Jeff Harrigian, commandant des forces aériennes américaines en Europe et en Afrique. « Nous apprécions le partenariat durable que nous avons avec la Norvège et attendons avec impatience les opportunités futures pour renforcer notre défense collective », a-t-il ajouté.
*
Force est de constater que la rupture Occident/Russie est consommée. Elle était prévisible. Il y a déjà longtemps que Moscou a retiré ses observateurs de l’OTAN. Le divorce est également acté avec l’Union européenne, suite au récent voyage de Josep Borell à Moscou et au les prochaines sanctions prévisibles suite à l’affaire Navalny.
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lundi, 01 mars 2021
Du "Monde harmonieux" au "rêve chinois" - La Chine et sa stratégie de sécurité
http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/f-vrier/du-mon...
Du "Monde harmonieux"
au "rêve chinois"
La Chine et sa stratégie de sécurité
par Irnerio Seminatore
Texte reparti en deux sous-titres:
I. La Chine et sa stratégie de sécurité.Un nouvel équilibre entre défense modernisée, guerre asymétrique et stratégie militaire
(première partie)
II. La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?
(deuxième partie, à paraître le 7 mars prochain)
****
TABLE DES MATIÈRES
I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)
Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence
De la "défense passive en profondeur"(Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)
La puissance nationale comme stratégie
"Vaincre le supérieur par l'inférieur"
Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive
Conditions pour l'emporter dans un conflit limité
L'asymétrie, son concept et sa définition
L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"
II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE ? (deuxième partie)
Normalisation et "diplomatie asymétrique"
De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)
Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations
Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?
De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?
Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique
Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues
L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine
Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises
L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"
***
I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)
Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence
La rivalité entre Beijing et Washington, en raison du Covid 19, a pris un tour plus idéologique et oppose désormais deux modèles politiques, autocratique et autoritaire et pluraliste/libéral. Cette opposition impressionne le monde entier et révèle un regain d'attraction pour les régimes d'ordre, d'efficacité et de décision. Elle offre l'exemple d'une volonté qui obéit à un principe premier, celui de la sécurité et à un grand dessein, celui de la renaissance nationale et de l'avenir.
La montée en puissance de la Chine, depuis la fin de la guerre froide, en termes économiques, politiques, diplomatiques et militaires, fera de celle-ci, selon nombre d' observateurs, le plus grand protagoniste de l'histoire mondiale.
Cette émergence est susceptible de produire une inversion du rapport de prééminence entre les États-Unis, puissance dominante établie et premier empire global de l'histoire et la Chine," Empire du milieu" ou État-civilisationnel, vieux de trois mille cinq cents ans et fort d'un milliard-quatre cents millions d'hommes.
De la "défense passive en profondeur" (Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)
La Chine, dans le cadre d'un système international multipolaire concentre ses ressources sur le développement de capacités asymétriques, dans le but de les moderniser et de devenir un joueur de premier plan dans la sécurité régionale de l'Asie Pacifique, de l'Asie Méridionale et de l'Indo-Pacifique. En particulier et conformément à sa tradition philosophique et combattante, à penser et agir différemment des adversaires pour acquérir une plus grande liberté d'action. Ceci s'est traduit par l'adoption d'une doctrine de modernisation de l'APL, à l'époque de la menace d'affrontement avec les deux superpuissances de la bipolarité, les États-Unis et l'Union Soviétique, qui a eu pour but de se préparer à mener une guerre totale, émergente et nucléaire afin d'assurer la survie de la nation. Plus tard, l'approche stratégique a évolué et s'est définie comme capacité de mener et de vaincre des "guerres locales", conçues comme des guerres limitées, en conditions d'informatisation et de haute technologie. Au lieu de la "défense passive" en profondeur, qui fut celle énoncée par Mao, dans la période de la " guerre du peuple" et dictée par une infériorité en capacités et ressources, la Chine de Deng Tsiao Ping, passa à la formulation d'une "défense active" dans des "zones de guerre" vers les frontières. Pour se préparer à ce type de conflit contribuèrent singulièrement les observations de la guerre du Golfe en 1991, de l'attaque de l'Otan contre Belgrade, en 1999 et de l'invasion américaine de l’Afghanistan en 2001. La direction politique et militaire de la République Populaire de Chine conclut de ces observations que l'attribution des ressources du pays pour tous les scénarios de guerre possibles était insoutenable et devait être déterminée par la spécificité du contexte international. Conformément à l'idée que le meilleur système pour vaincre est de gagner par des stratagèmes, la conception du pouvoir chinois comme "faisceaux stratégique", imposa à la Chine d'analyser sérieusement les forces et les faiblesses de son adversaire principal, afin d'établir sa propre stratégie en termes de guerre asymétrique.
La puissance nationale comme stratégie
Le point-clé de cette conception du pouvoir repose dans la conception de la "puissance nationale", en terme de capacités d'élaboration stratégique en fonction des diverses éventualités historiques. La puissance ne peut résulter de ce fait que de la spécificité entre stratégie et environnement de sécurité. Historiquement ceci s'est traduit par une défense fixe, la Grande Muraille, face à la cavalerie nomade et mobile qui attaquait la Chine du Nord et de l'Ouest. Ce choix a renforcé la puissance relative de la Chine de l'époque, en termes de fortification et d'organisation logistique. Aujourd'hui la stratégie de "défense active" repose sur la création d'une "force de dissuasion" allégée et efficace (facteur stabilisant à l'image de la Grande Muraille) et sur l'utilisation flexible d'autres moyens dissuasifs, de prévention, d'arrêt ou de projection, ce qui exige une coordination très étroite entre lutte militaire et lutte politique, diplomatique,économique et culturelle. Il s'agit d'assurer la constitution d'une combinaison de moyens et de ressources, en vue du façonnement d'un environnement de sécurité fiable. Ainsi les stratégies mises en œuvre, détermineraient -selon Sun Tzu, les résultats escomptés, selon une série de stratagèmes de situation, avantageux ou désavantageux (d'attaque, de proximité, de défaite ou de chaos..) C'est pourquoi l'étude de l'environnement est primordial.
"Vaincre le supérieur par l'inférieur"
La conclusion fut que, vis à vis de l'Amérique, le concept chinois le plus approprié était de "vaincre le supérieur avec l'inférieur". L'étude de l'adversaire parvint au résultat d'identifier sa faiblesse, là même où se trouvait sa force et à saisir ses points vitaux, en sa dépendance des systèmes d'information. Ainsi, pour gagner ce type de guerre, la Chine se devait d'exceller dans des opérations conjointes intégrées, impliquant le système de commandement, le système de formation, le soutien inter-armées et la composition des forces. Ces opérations exigeaient une coordination entre lutte militaire et efforts politiques, diplomatiques, économiques et culturels et prévoyaient d'assumer, pour la modernisation de l'armée, la mécanisation comme fondement et l'informatisation comme objectif. Par ailleurs la Chine, poursuivant une compétition acharnée vis à vis des États-Unis, ne s'est jamais détournée des enseignements de Sun Tzu, pour lequel un concept capital impose de se connaître soi même, afin de connaître son adversaire. Concrètement il s'agissait d'identifier les facteurs qui aident à déterminer l'issue de la guerre et ces facteurs reposaient sur la vulnérabilité des avantages de l'ennemi. Pour le neutraliser il fallait une combinaison et un lien interactif entre trois types d'asymétrie, celle de la guerre totale prolongée, de la stratégie asymétrique de la guerrilla et de l'organisation logistique des combats. Dans la phase actuelle, et, pour éviter l'épuisement et la faillite d'un pays aux ressources limitées, s'engageant dans une course aux armements tous azimuts, comme le fit l'Union Soviétique, la clé du succès se trouve dans le principe de "vaincre le supérieur par l'inférieur", autrement dit, dans l'acquisition de la supériorité par l’information, avant d'acquérir la supériorité des airs et de la mer. En contrôlant certains secteurs-clés des opérations militaires l'Armée de Libération Populaire, inférieure en capacités, pourrait neutraliser la supériorité de son antagoniste principal, par la dissuasion ou encore par la destruction de ses forces de combat.
Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive
En conditions de crise aggravée, une attaque préventive par l'acteur inférieur contre les centres nerveux et logistiques de l'acteur étatique supérieur,neutralise les avantages de ce dernier, en renversant la situation et la donne.La saisie des points vitaux du système d'information de l'adversaire demeure en somme l'idée de base de la "guerre d’acupuncture", qui vise à neutraliser l'avantage de l'ensemble des systèmes. La guerre d'information asymétrique d'acupuncture ne connaît pas de frontières, militaires, économiques et sociales. Elle est "of limits". Chaque aspect de cette guerre dépend strictement de l'information et celle-ci des satellites spatiaux, des systèmes d'alerte aériens rapides, d'avions de guerre électroniques et de sites de commandement au sol. Selon le recours à l'image de la guerre d’acupuncture, ces points d'information cruciaux constituent des "points d'énergie vitaux". Ils dépendent tous de réseaux informatiques. Ainsi, au delà de l'espace traditionnel de combat, aérien, terrestre et naval, les nouveaux espaces de la victoire, se situent dans le cyberespace et dans l'espace électromagnétique, où il faut disposer des armes à laser, des armes à faisceaux de particules, des armes à très haute fréquence, des armes d'ondes ultrasoniques, subsoniques, furtives, à radiation, de virus informatiques puissants, de robots intégrants des nanotechnologies, de telle sorte que, pour gagner dans l'espace eso-atmosphérique, il faut disposer d'un concept de guerre intégrée en réseau électronique. Ces nouvelles dimensions de la guerre et ces nouveaux moyens d'attaque ont des implications décisives dans le combat terrestre, aérien et maritime, car l'issue du combat vient par le haut. Seul le combat éso-atmosphérique permet d’acquérir et de maintenir la supériorité au niveau inférieur. La Chine en a tiré un enseignement ferme, consistant à développer, de manière accélérée ces secteurs-clés, comme centres névralgiques des guerres locales ou totales et a investi massivement dans trois secteurs: les armes antisatellites, les opérations de réseau informatiques et les missiles anti-navires. Dans un contexte stratégique en pleine évolution, la Chine a testé une arme d'ascension directe antisatellite, lui permettant de dissuader l'ennemi de recourir au combat, de frapper d'importantes sources d'information et d'ébranler la structure de son système d'information.
Conditions pour l'emporter dans un conflit limité
Après la fin de guerre froide la Chine a déployé un système de défense antimissiles stratégiques, qui représente un défi pour la dissuasion nucléaire américaine, sur laquelle se fonde la crédibilité du parapluie nucléaire étasunien, recouvrant une trentaine de pays alliés. En dehors de la recherche de supériorité, visant à refuser l'accès aux informations essentielles, pour mener des actions de combat dans une guerre locale et, éventuellement dans le détroit de Taïwan, une autre capacité cruciale des États-Unis est concernée. Il s'agit de leur principale plate-forme de projection de puissance, les porte-avions. D'où l'effort de la Chine de développer des missiles balistiques anti-navires, dont l'opérationnalité bouleverserait le calcul des conflits potentiels entre la République Populaire de Chine et les États-Unis. Un changement significatif dans l'équilibre des pouvoirs en résulterait dans toute l'aire du Pacifique. Au niveau local, le test de ce nouveau missile anti-navires rajoute une pièce essentielle à la stratégie de déni, ou anti-accès. Ainsi l'espoir de neutraliser les avantages acquis par la Chine dans un domaine-clé, s'accompagne de la possibilité de l'emporter dans un conflit limité, par la dissuasion, la négation d'accès ou la destruction des capacités de l'adversaire. Or, les efforts de modernisation poursuivis, se focalisant sur la capacité de saisir la supériorité dans l'information, concrétisent la conception de l'asymétrie du programme de défense de la Chine, dans le domaine opérationnel, plus que doctrinal. Cette conception de l'asymétrie commande à une appréciation psycho-politique de la force relative entre la Chine et ses adversaires ou rivaux, seuls ou coalisés, et est susceptible de pencher vers un excès de confiance. Un excès qui constitue un frein, pour parvenir à des solutions négociées. De façon générale l'acquisition de la supériorité dans la stratégie de contrôle des secteurs-clés repose sur le principe d'initiative, comme facteur de vie ou de mort dans les guerres de hautes technologies, dans lesquelles la frappe inattendue et en premier, exige de dissimuler les véritables intentions des deux parties.
L'asymétrie, son concept et sa définition
Puisque l'asymétrie touche au domaine des différences sur le terrain de l'organisation, de l'équipement et de la doctrine, le concept opératoire d'asymétrie va de la différence à une "opposition diagonale", par rapport aux capacités de l’adversaire. Or lorsque l'écart de capacités militaires est considérable, l'acteur le plus faible adopte des stratégies et des méthodes militaires non conventionnelles, qui diffèrent significativement du mode d'opposition et de combat attendus. L'asymétrie de conception et de forces doit se traduire en une plus grande liberté d'action et être politico-stratégique, opérationnel ou mixte, comportant des perspectives temporelles et opératoires différenciées, appliquées délibérément ou par défaut. Suivant cette définition, très générale, l'asymétrie opérationnelle rendue possible par l'interaction de technologies et d'organisations, conditionne l'asymétrie stratégique et sa traduction doctrinale. En venant à la politique de sécurité d'un acteur étatique, celle-ci dépend de sa lecture et de sa perception de l'environnement et donc du type de guerre destiné à assurer la survie de la nation (guerre totale) ou, en revanche une victoire périphérique ou locale dans un conflit limité, où la survie nationale n'est pas en cause.
L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"
En son pur concept l'asymétrie a affaire à la théorie, aux pratiques stratégiques et à ses formes historiques. Dans le "Livre des mutations" de la deuxième moitié du du VIIIème siècle av.J.C. et dans les écrits sur les guerres irrégulières du IVème siècle de Sun Tzu, l'asymétrie apparaît comme l'action violente d'une force irrégulière contre une force majeure établie, qui a pour but l'effondrement d'un système de pouvoir et de pensée. Elle frappe par la surprise, la brutalité et l'imprévisibilité. Elle affecte, par son impact psychologique, la volonté, la capacité d'initiative et la liberté d'action. En ses conséquences, elle produit l'effondrement de l'ennemi, par la déstabilisation de son dispositif et le renversement de ses paradigmes, dans la quête d'une issue. Elle se situe sur la ligne de jonction névralgique entre points faibles et points forts, qui lie la tradition à l'innovation. L'asymétrie n'a de sens que comme inversion du risque et n'a de symbole que dans le déséquilibrage, la paralysie et la chute. En termes de rupture, elle comporte un arbitrage historique sur la pérennité de l'autorité ou du pouvoir systémique et un arbitrage politique, dans l'orientation des opinions et des masses. L'asymétrie oppose, en tant que concept, l'ordre institutionnel au désordre insurrectionnel. et consacre l'effondrement du crédit de la force militaire au nom de la transformation du cadre stratégique et de la mutation du visage de la guerre. Paradoxalement, la fin de la guerre froide a fait apparaître un décalage de puissance entre les États-Unis et les autres acteurs, réguliers et irréguliers, de la scène internationale et cet écart capacitaire, culturel et politique, a été à l'origine de la résurgence de l'asymétrie. Le déplacement de la logique de l'affrontement vers le champ où la force militaire classique n'est plus le facteur décisif, fait découvrir que l'ennemi ne combat plus avec nos règles. Il est "hors limites" et il adopte d'autres modalités d'affrontement. Il apparaît dès lors à tous les analystes que la supériorité absolue est devenue une vulnérabilité et un objectif de combat. En réponse les États-Unis découvrent qu'une modification du visage de la guerre entrave le rendement optimal de l'appareil militaire classique et que, à côté de nos sociétés, démilitarisées,apparaissent trois phénomènes parallèles, "les conflits hybrides", "les insurgés innovants" et un autre "rapport à la mort". Quelles sont alors les guerres probables? Quelles sont les structures capacitaires et stratégiques défendables et praticables? Quel est le nouveau visage de la guerre?
Puisque le modèle de la stratégie dominante des deux derniers siècles a été celui de Clausewitz, la puissance de la terre qu'est Chung Kuo' se prépare à une politique d'affrontement par une logistique, qui peut adopter Clausewitz sur terre, en cas de guerre conventionnelle, Mahan, sur les deux Océans, Pacifique et Indo-Pacifique, et Sun Tzu dans l'hypothèse d'un double front de combat, terrestre et maritime. Dans ce contexte la logistique du système "One Belt, One Road" devient l'élément décisif de l'épreuve de force probable entre les puissances de la terre et les puissances de la mer, au Nord, au Sud et à l'Ouest du continent européen. Mais dans cette lutte à mort pour la survie historique, les Américains ont compris que les chinois ont lancé un "défi stratégique de l'intérieur" de l'Eurasie et qu'ils devaient porter le "défi des régimes" à l'intérieur du système géopolitique et du monde des idées chinois (Hong-Kong ,Taïwan, Ouïgours). "Double spirale des défis" sur lesquels reposera le "duel du siècle" et l'histoire de l'avenir.
Bruxelles, le 1er février 2021
(deuxième partie, à paraître le 7 mars prochain)
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dimanche, 28 février 2021
Britanniques et Saoudiens au Yémen
Britanniques et Saoudiens au Yémen
Par Marco Ghisetti
Ex : https://www.eurasia-rivista.com
La guerre civile yéménite a éclaté en 2014, lorsque les insurgés houthi, rassemblant autour d'eux le mécontentement populaire généralisé causé par la "double" et continue ingérence américaine et saoudienne (1) dans leurs affaires intérieures, ont conquis la capitale yéménite Sanaa, incitant le président Hadi à se rendre en Arabie Saoudite et à demander au gouvernement de Riyad d'intervenir militairement contre les rebelles. Le 26 mars 2015, encouragée par le consentement tacite des États-Unis, l'Arabie saoudite a lancé la campagne de bombardement massif appelée "Storm of Resolve", qui est toujours en cours. Actuellement, les forces sur le terrain sont divisées en trois groupes : les Houthi, dirigés par Ansar Allah et soutenus par l'Iran (qui gagne de plus en plus de terrain), le gouvernement en exil de Hadi, soutenu par l'Arabie Saoudite, et le Conseil de transition du Sud, de moindre poids et soutenu par les Émirats. La guerre au Yémen a jusqu'à présent entraîné la mort violente de 100 000 à 250 000 personnes, selon les estimations, en plus des 4 millions de personnes déplacées et des 24 millions de personnes ayant besoin d'une aide humanitaire. La guerre au Yémen est considérée comme la plus grave catastrophe humanitaire en cours, "dont il est presque interdit de parler et d'écrire pour le moment"(2). Le silence du cirque médiatique et du clergé journalistique s'explique peut-être par l'insistance sur l'importance stratégique du Yémen et le rôle que jouent deux alliés des Etats-Unis - l'Arabie Saoudite et le Royaume-Uni - dans le conflit et, par conséquent, leur responsabilité plus ou moins directe dans la tragédie qui gangrène la population yéménite.
***
Quelle que soit l'ampleur des bombardements contre les forces houthi, il ne fait désormais aucun doute que le Royaume-Uni a joué un rôle d'accompagnement aux côtés des Saoudiens depuis le début de la campagne aérienne. Depuis 2015, "le Royaume-Uni a accordé au régime saoudien des licences d'armes d'une valeur d'au moins 5,4 milliards de livres sterling. 2,7 milliards de livres ont été dépensés pour les licences ML10, y compris les avions, les hélicoptères et les drones, et 2,5 milliards pour les licences ML4, y compris les grenades, les bombes, les missiles et les contre-mesures. En juin 2020, l'ONU a rapporté que plus de 60 % des morts de civils au Yémen sont causés par des frappes aériennes dirigées par les Saoudiens. BAE Systems - la plus grande société d'armement du Royaume-Uni - a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 15 milliards de livres sterling en ventes et services à l'Arabie saoudite depuis 2015" (3).
John Develler, un ancien employé du ministère britannique de la défense en Arabie Saoudite, a déclaré que "les Saoudiens sont complètement dépendants de BAE Systems. Ils ne pouvaient rien faire sans nous". Le soutien britannique aux Saoudiens va au-delà de la simple vente d'armes et d'équipements de guerre : on estime qu'il y a actuellement 6300 forces britanniques en Arabie Saoudite qui fournissent un soutien logistique continu, auquel il faut ajouter environ 80 soldats de la RAF. Un employé de BAE a déclaré : "Sans nous [les Britanniques], il n'y aurait pas un seul jet [saoudien] dans le ciel d'ici sept ou quatorze jours"(4).
L'aide britannique à l'Arabie Saoudite n'a pas été sans susciter des critiques internes. En raison de l'illégalité, au regard du droit international, de l'intervention saoudienne au Yémen, en 2019, un tribunal britannique a ordonné l'arrêt immédiat des ventes d'armes car elles étaient également utilisées contre la population civile. Toutefois, cette décision a été de facto annulée l'année suivante par la secrétaire d'État au Commerce national, Liz Truss : elle a déclaré qu'elle pouvait être rétablie après avoir "constaté" que de telles armes n'avaient pas été utilisées contre des civils, confirmant ainsi la volonté du Royaume-Uni de continuer à soutenir l'Arabie saoudite.
L'importance du Yémen
Le choix des Britanniques et des Saoudiens d'intervenir au Yémen est dû au fait suivant : ces deux acteurs doivent maintenir leur relation privilégiée avec le géant nord-américain, ils doivent partager les "responsabilités" qui leur ont été confiées par les Etats-Unis alors que ces derniers s’occupent de l'Asie. Par exemple, la "nécessité de créer un espace d'action pour Londres" a incité le Royaume-Uni à "renforcer les liens qui existent déjà entre les deux côtés de l'Atlantique" (5), afin de cultiver et de raviver la "relation spéciale" qu'il entretient avec le géant d'outre-mer après s'être séparé de l'Union européenne. Et de ce point de vue, si la guerre par procuration contre le Yémen est en fait une des "responsabilités" que Riyad doit assumer tandis que les Etats-Unis se concentrent sur l'Asie, la guerre et le soutien logistique britanniques à Riyad est une des "responsabilités" qui incombent à Londres.
La République du Yémen est stratégiquement positionnée pour dominer les voies maritimes qui, comme l'indique la stratégie navale américaine pour la décennie 2020-30, détermineront l'équilibre des pouvoirs au XXIe siècle (6). Selon cette stratégie, les États-Unis doivent maintenir leur domination sur les mers qu'ils ont acquise grâce à leur victoire lors de la Seconde Guerre mondiale, mais doivent également la partager et la placer partiellement sur les épaules de leurs "alliés" afin de tenir tête aux acteurs qui érodent leur suprématie navale (principalement: la Chine, la Russie et l'Iran). Le détroit de Bab al-Mandeb, qui sépare la péninsule arabique de la Corne de l'Afrique, peut être facilement fermé par une puissance qui exploite le Yémen comme un pivot terrestre ; c'est, avec le détroit de Gibraltar, le point terminal qui relie la route maritime qui, en passant par la Méditerranée, le canal de Suez et la mer Rouge, relie l'océan Atlantique à l'aire maritime indo-pacifique. Celui qui est maître de ces centres névralgiques de la mer est donc aussi maître d'une des principales routes maritimes mondiales.
Plus précisément, le rival des États-Unis que l'Arabie saoudite et le Royaume-Uni combattent au Yémen est l'Iran. En fait, si la République islamique devait obtenir, par l'intermédiaire des rebelles houthi qu'elle soutient, un accès direct au détroit de Bab al-Mandeb, "l'équilibre des forces dans la région changerait considérablement" (8) au détriment des États-Unis, car la suprématie américaine dans ces eaux serait grandement renforcée en faveur de son rival iranien. En outre, "un Yémen contrôlé par des Houthi serait un client potentiel pour les compagnies pétrolières russes ou chinoises" (9).
En tout cas, "si l'Arabie Saoudite est jusqu'à présent le grand perdant de la guerre" et que le Royaume-Uni a beaucoup perdu en termes d'image, "la population yéménite est sans aucun doute la grande victime de ce conflit" (10). Le rôle joué par l'Arabie Saoudite et le Royaume-Uni, deux des principaux alliés des Etats-Unis, au Yémen - et donc leur responsabilité plus ou moins directe dans la tragédie qui se déroule dans ce pays - explique pourquoi les médias occidentaux restent silencieux sur ce que les Nations Unies ont qualifié de crise humanitaire des plus graves en cours.
Notes :
- (1) Haniyeh Tarkian, La guerra contro lo Yemen, in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 3/2019, p. 142
- (2) Marco Pondrelli, Continente eurasiatico. Tra nuova guerra fredda e prospettive di integrazione. Prefazione di Alberto Bradanini, Anteo, 2021, p. 89.
- (3) Gabrielle Pickard-Whitehead, UK urged to follow Biden’s lead and end Yemen war support, leftfootforward.org, 8 febbraio 2021
- (4) Arron Merat, ‘The Saudis couldn’t do it without us’: the UK’s true role in Yemen’s deadly war, theguardian.com, 18 giugno 2019
- (5) Andrea Muratore, Il tramonto della “global Britain”?, eurasia-rivista.com, 3 luglio 2020
- (6) Pour une analyse de la nouvellestratégie navale américaine, voir : Marco Ghisetti, “Advantage at Sea”: la nuova strategia navale statunitense, 26 dicembre 2020, eurasia-rivista.com
- (7) Haniyeh Tarkian op. cit., p. 142
- (8) Angelo Young, War In Yemen: Tankers Moving Unimpeded Through Bab Al-Mandeb Oil Shipment Choke Point, Says Kuwait Petroleum Corporation, 29 marzo 2015, ibtimes.com
- (9) William F. Engdahl, Yemen Genocide About Oil Control, 20 novembre 2018, williamengdahl.com
- (10) Massimiliano Palladini, Cinque anni di guerra in Yemen, in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 4/2020, p. 196
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samedi, 27 février 2021
Biden veut détacher les États-Unis des terres rares de Chine
Biden veut détacher les États-Unis des terres rares de Chine
Paolo Mauri
Ex : https://it.insideover.com
Hier, le président américain Joseph Biden a signé un décret concernant la "chaîne d'approvisionnement" des biens essentiels et critiques pour la sécurité du pays.
La déclaration officielle de la Maison Blanche indique que "ces dernières années, les familles, les travailleurs et les entreprises américaines ont de plus en plus souffert de pénuries de produits essentiels, des médicaments aux aliments en passant par les puces électroniques. L'année dernière, la pénurie d'équipements de protection individuelle (EPI) pour les travailleurs de la santé de première ligne au début de la pandémie de Covid-19 était inacceptable. La récente pénurie de puces à semi-conducteurs pour l'industrie automobile a entraîné des ralentissements dans les usines de fabrication, ce qui montre à quel point cette pénurie peut nuire aux travailleurs américains".
Il est souligné que les États-Unis doivent veiller à ce que les pénuries de produits manufacturés, les perturbations commerciales, les catastrophes naturelles et les actions potentielles des concurrents et des adversaires étrangers ne rendent plus jamais les États-Unis vulnérables.
Le décret de la Maison Blanche lance un examen complet de la chaîne d'approvisionnement des biens américains essentiels et charge les ministères et agences fédérales d'identifier les moyens de la protéger contre un large éventail de risques et de vulnérabilités. La mise en place d'un ensemble de chaînes d'approvisionnement résistantes ne protégera pas seulement le pays contre les pénuries de produits essentiels, elle facilitera également les investissements nécessaires pour maintenir l'avantage concurrentiel des États-Unis et renforcer la sécurité nationale.
L'ordonnance fixe un délai de 100 jours pour effectuer un examen immédiat dans les agences fédérales afin d'identifier les vulnérabilités de quatre produits clés.
Outre la production de principes actifs pharmaceutiques, dont 70 % ont été transférés à l'étranger, et les semi-conducteurs, qui ont été négligés par les investissements ayant entraîné la perte du leadership manufacturier américain, les deux secteurs les plus intéressants sur le plan géopolitique que l'administration entend mettre en œuvre sont les batteries de grande capacité (utilisées dans les véhicules électriques) et les terres rares, désignées comme "minéraux critiques" car elles constituent "une partie essentielle des produits de défense, de haute technologie et autres". Ces ressources minérales particulières - ainsi que le lithium, le cobalt et les métaux du groupe du platine (Pgm) - sont en fait nécessaires pour construire des éoliennes, des panneaux solaires et des batteries pour le stockage de l'électricité nécessaire aux véhicules électriques et le stockage de l'énergie alimentant le réseau. Les terres rares en particulier sont des éléments essentiels pour la défense, car elles sont utilisées, par exemple, dans les composants des radars de nouvelle génération, dans les systèmes de guidage et dans l'avionique des avions de chasse de dernière génération.
Actuellement, malgré le fait que les États-Unis disposent d'importantes réserves minérales, la Chine est le premier pays dans la production et le traitement de ces éléments. Il est en effet bien connu que Pékin, outre qu'elle possède l'un des plus grands gisements de ces minéraux, fournit 97% du total mondial de cette ressource, dans la mesure où la Chine est capable aujourd’hui de retraiter le minéral brut, le transformant en matière exploitable, ce qui lui confère pratiquement un monopole ; elle est suivie, en ce domaine, à très grande distance, par les États-Unis.
On comprend donc aisément quelles pourraient être les conséquences de cette domination sur le plan stratégique : la Chine pourrait décider, comme elle l'a déjà laissé entendre en mai 2019, de réduire la production ou l'exportation de ces minéraux vers les États-Unis, ce qui deviendrait une arme fondamentale, dans l’arsenal chinois, pour une guerre hybride menée contre Washington ou serait simplement une carte avec laquelle, les Chinois pourraient faire chanter les États-Unis et leur politique d’opposition systématique à l'expansion chinoise.
Un autre facteur est le changement de cap "vert" de la nouvelle administration. Le président Biden a inscrit à son ordre du jour la relance de l'économie verte, et cette domination chinoise sur les terres rares pourrait très facilement l'entraver. A la Maison Blanche, ils ont donc réalisé que les plans du nouveau président pour un secteur énergétique zéro carbone d'ici quinze ans, se heurtent à la faiblesse des entreprises américaines dans le domaine de l'approvisionnement en minerais et dans la chaîne de transformation. En fait, les États-Unis importent actuellement 100 % de la vingtaine de minéraux clés, nécessaires à l'énergie verte, et sont presque aussi dépendants des importations de ces minéraux particuliers.
L'ordonnance prévoit également un examen plus approfondi, sur une année, d'un ensemble plus large de chaînes d'approvisionnement qui couvrira des secteurs clés tels que la base industrielle de la défense, la santé publique, les technologies de l'information et de la communication, les secteurs des transports et de l'énergie ainsi que la chaîne d'approvisionnement agroalimentaire.
Toutefois, cette activité ne sera pas limitée à une courte période de temps. La révision des chaînes d'approvisionnement, action qui identifie simultanément, outre les risques et les lacunes, les nouvelles orientations et les politiques spécifiques de mise en œuvre, durera tout au long du mandat présidentiel de quatre ans dans un travail constant d'interaction entre les ministères, les agences fédérales et l'exécutif qui impliquera également le monde de l'industrie, les universités et les organisations non gouvernementales.
Le président Biden a donc lancé une nouvelle politique pour mettre fin à la dépendance américaine vis-à-vis de la Chine, non seulement en vue de relancer l'économie nationale et de soutenir sa vision "verte", mais surtout pour une raison stratégique : en effet, il n'est pas possible de contrer l'expansionnisme économique, commercial et militaire de la Chine tout en dépendant d’elle, dans des secteurs clés tels ceux de l'industrie de haute technologie, intimement liés à la Défense. Il s'agit donc d'un plan de sécurité nationale qui libérera Washington des liens commerciaux qu'elle entretient avec Pékin, mais qui pourrait avoir des conséquences néfastes en ce qui concerne "l'exportation de la démocratie". Les ressources minérales, les gisements, ne sont pas mobiles, et il n'y a que deux façons de s'en emparer : resserrer les liens avec les nations qui possèdent de grands gisements, ou intervenir manu militari pour pouvoir contrôler la production. Quelque chose qui se passe aujourd'hui en République démocratique du Congo, où, ce n'est pas un hasard, des hommes du groupe russe Wagner sont présents, et quelque chose qui s'est déjà produit en Afghanistan, un pays qui, avec la Bolivie, le Chili, l'Australie, les États-Unis et la Chine, possède les plus grandes réserves de lithium au monde.
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Premier raid de l'ère Biden : frapper les milices en Syrie
Premier raid de l'ère Biden : frapper les milices en Syrie
Lorenzo Vita
Ex : https://it.insideover.com
L'ère de Joe Biden à la Maison Blanche commence au niveau international avec un premier raid en Syrie. Comme l'a confirmé le Pentagone, le président américain a ordonné un raid de bombardement contre des sites qui, selon les renseignements américains, sont utilisés par des miliciens pro-iraniens dans la partie orientale du pays. "Ces raids ont été autorisés en réponse aux récentes attaques contre le personnel américain et de la coalition en Irak et aux menaces continues contre ce personnel", a déclaré le porte-parole de la Défense John Kirby, qui a précisé que l'attaque avait été spécifiquement menée "sur ordre du président", visant des sites "utilisés par divers groupes militants soutenus par l'Iran, dont le Kaitaib Hezbollah et le Kaitaib Sayyid al-Shuhada". Pour Kirby, le raid "envoie un message sans équivoque qui annonce que le président Biden agira dorénavant pour protéger le personnel de la coalition liée aux Etats-Unis. Dans le même temps, nous avons agi de manière délibérée en visant à calmer la situation tant en Syrie orientale qu'en Irak".
La décision de Biden intervient à un moment très délicat dans l'équilibre des forces au Moyen-Orient. Une escalade contre les forces américaines en Irak a commencé le 15 février et a conduit à plusieurs attaques contre les troupes américaines. L’avertissement est destiné aux forces pro-iraniennes présentes en Irak, qui a toujours constitué un véritable talon d'Achille pour la stratégie américaine au Moyen-Orient. Le pays qui a été envahi par les Américains en 2003 est devenu ces dernières années l'un des principaux partenaires de l'adversaire stratégique de Washington dans la région, Téhéran. Et il ne faut pas oublier que c'est précisément en Irak que le prédécesseur de Biden s'est manifesté. Donald Trump, en effet, avait ordonné le raid qui a tué le général iranien Qasem Soleimani. Une démarche que Bagdad avait évidemment condamnée, étant donné que le territoire sous autorité irakienne est devenu un champ de bataille entre deux puissances extérieures.
Cette fois, c'est la Syrie qui a été touchée. Et cela indique déjà une stratégie précise de la Maison Blanche. Pour le Pentagone, frapper la Syrie en ce moment signifie frapper un territoire avec une autorité qu'ils ne reconnaissent pas et qu'ils ont tenté de renverser. Une situation très différente de celle de l'Irak, où les États-Unis veulent éviter que le pays ne se retourne contre les forces étrangères présentes sur place et où il existe un gouvernement que l'Amérique reconnaît comme interlocuteur. Le fait que le raid ait eu lieu en Syrie mais en réponse aux attaques en Irak, indique qu'ils ne veulent pas créer de problèmes pour le gouvernement irakien.
L'attaque confirme également un autre problème pour l'administration américaine. La présence de milices pro-iraniennes en Syrie et en Irak est un nœud gordien qui est loin d’avoir été tranché. Les généraux américains ont longtemps demandé à la Maison Blanche, sous Trump, d'éviter un retrait des troupes de Syrie, précisément pour exclure la possibilité que les forces liées à Téhéran reprennent pied dans la région. Trump, même s’il était récalcitrant, a néanmoins accepté, en fin de compte, les exigences du Pentagone (et d'Israël) et a évité un retrait rapide des forces américaines. Pour la Défense américaine, il y avait également le risque d'un renforcement de la présence russe (Moscou a condamné l'attaque en parlant d'"une action illégitime qui doit être catégoriquement condamnée"). Ce retrait ne s'est jamais concrétisé, se transformant en un fantôme qui erre depuis de nombreux mois dans les couloirs du Pentagone et de la Maison Blanche et niant la racine de l'une des promesses de l’ex-président républicain : la fin des "guerres sans fin".
Le très récent raid américain n'indique en aucun cas un retour en force de l'Amérique en Syrie. Le bombardement a été très limité et dans une zone qui a longtemps été dans le collimateur des forces américaines au Moyen-Orient. Mais le facteur "négociation" ne doit pas non plus être oublié. Les Etats-Unis négocient avec l'Iran pour revenir à l'accord sur le programme nucléaire : mais pour cela, ils doivent montrer leurs muscles. Comme le rapporte le Corriere della Sera, Barack Obama avait l'habitude de dire : "vous négociez avec votre fusil derrière la porte". Trump l'a fait en se retirant de l'accord, en tuant Soleimani et en envoyant des bombardiers et des navires stratégiques dans le Golfe Persique. Biden a changé la donne : il a choisi de limiter les accords avec les monarchies arabes pour montrer clairement qu'il ne s'alignait pas sur la politique de Trump, en gelant les F-35 aux Émirats et les armes aux Saoudiens qui se sont attaqué au Yémen. Mais en même temps, il voulait envoyer un signal directement à l'Iran en frappant des milices à la frontière entre l'Irak et la Syrie. Tactiques différentes, stratégie différente, mais avec une cible commune : l'Iran.
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vendredi, 26 février 2021
L'implication de la Turquie dans le conflit ukrainien va-t-elle conduire à l'intégration du Donbass par la Russie?
L'implication de la Turquie dans le conflit ukrainien va-t-elle conduire à l'intégration du Donbass par la Russie?
En décembre 2020, la Turquie et l'Ukraine ont passé un accord militaire concernant la production commune de drones de combat avec transfert de technologie. Et en attendant la mise en route de cette production, l'Ukraine se disait prête à acheter des drones Bayraktar TB2, ces mêmes drones qui ont fait la différence dans le conflit du Haut-Karabakh. Il semblerait, selon certains experts, que la Turquie ait été aidée par les Etats-Unis à prendre la "bonne décision", celle d'une implication active dans le conflit ukrainien, suite à des sanctions imposées à ses entreprises de production d'armes. Cette délicate incitation expliquerait certainement le prix de vente incroyablement bas. En février 2021, l'information tombe d'une vente de 6 drones de combat à l'armée ukrainienne à un prix 16 fois inférieur à celui du marché.
L'intensification de l'activité des forces armées ukrainiennes, en violation directe des Accords de Minsk, oblige effectivement à poser la question d'une reprise "finale" du conflit. De son côté, la Russie appelle les Occidentaux à dissuader l'Ukraine de se lancer dans une folie guerrière, tout en soulignant que l'armée ukrainienne est soutenue, armée et entraînée par ces mêmes Occidentaux. Aucun conflit armé ne peut être contrôlé, il sort toujours des limites initialement prévues et entraîne des conséquences imprévisibles. Les Occidentaux ont-ils réellement envie de se battre pour l'Ukraine ? L'on peut sérieusement en douter. Mais s'ils laissent faire, comme ils le font actuellement, ils pourront être embarqués dans un conflit qui mettra à genoux une Europe, déjà triste fantôme d'elle-même.
La situation est ici extrêmement complexe (voir notre texte ici). Le Donbass n'est pas le Haut-Karabakh, en cas d'affrontement militaire, la Russie ne peut pas se permettre de rester en retrait. Certes moralement, comme le déclare Kourguiniane, la question du choix entre les néo-nazis de Kiev et les Russes et Ukrainiens du Donbass ne se pose pas : "Personne en Russie ne se permettrait de faire un autre choix, même s'il le voulait". Et le clan dit libéral, présent dans les organes de pouvoir, le voudrait fortement, espérant ainsi enfin entrer dans la danse occidentale, répétant à satiété le choix de 1991 et les erreurs qui l'ont accompagné.
Mais surtout, la situation est complexe sur le plan de la sécurité internationale, car la reprise dans le sang du Donbass par l'OTAN, sous drapeau turco-ukrainien, remettrait totalement en cause, au minimum, la stabilité sur le continent européen. Ce qui, in fine, servirait le fantasme globaliste.
D'un autre côté, la menace d'une intervention de la Russie, doublée d'une intégration du Donbass dans la Fédération de Russie, pourraient être le seul élément qui fasse réfléchir à deux fois avant de lancer les troupes. Car il y a une différence entre faire la guerre à LDNR et faire la guerre à la Russie.
Cette option de l'intégration avait longtemps été écartée par la Russie pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le scénario de Crimée était unique et n'illustrait pas une vision expansionniste. Ensuite, la Russie n'avait pas la volonté de remettre en cause la stabilité internationale, ce que démontre ses appels incessants à exécuter les Accords de Minsk, qui inscrivent le Donbass dans le cadre de l'état ukrainien, soulignant que dans le cas contraire, l'Ukraine pourrait définitivement perdre le Donbass comme elle a perdu la Crimée. Enfin, car elle espérait, à terme, voir réintégrer l'Ukraine post-Maïdan au Donbass, c'est-à-dire pacifier l'Ukraine, la rendre à elle-même.
Or, la situation géopolitique a changé. L'intensification de la confrontation entre le clan atlantiste et la Russie modifie la donne sur de nombreux points. Si de toute manière des sanctions sont adoptées en chaîne contre la Russie, si de toute manière la rhétorique anti-russe continue à prendre de l'ampleur, si de toute manière les Atlantistes veulent faire de la Russie un état-terroriste, un paria, pourquoi alors ne pas réagir ? Les réactions asymétriques sont les plus efficaces et l'intégration du Donbass peut être l'une d'elles. Puisque de toute manière, avec ou sans lui, le combat entre dans une phase finale, une raison sera toujours trouvée (voir notre analyse ici) pour combattre la Russie, tant que l'obéissance ne sera pas totale, tant que la Russie ne se reniera pas sur la place publique.
Soit les globalistes n'ont plus le choix, ils doivent gagner ou périr, soit ils n'apprennent pas de leurs erreurs : le Maîdan, cette erreur de trop, qui a conduit à l'intégration de la Crimée, au retour de la Russie, décomplexée, sur la scène internationale, avec la Syrie ou le Venezuela. Dans tous les cas, la Russie a les cartes en main, elle aussi doit faire un choix stratégique, avec toutes les conséquences existentielles que cela implique.
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jeudi, 25 février 2021
Pourquoi l'Europe est-elle hostile à la Russie?
Pourquoi l'Europe est-elle hostile à la Russie?
Par Igor Ivanov
Ex : https://moderndiplomacy.eu
Dans son ouvrage phare de 1871, Russie et Europe, le célèbre intellectuel russe et slave Nikolay Danilevsky a exposé sa théorie selon laquelle "l'Europe reconnaît la Russie comme quelque chose d'étranger à elle-même, et pas seulement d’étranger, mais aussi d’hostile", et que les intérêts fondamentaux de la Russie devraient servir de "contrepoids à l'Europe".
Cent cinquante ans se sont écoulés depuis la publication de cet ouvrage. Le monde a changé. Quoi qu'en disent les antimondialistes, le développement rapide des technologies modernes et leur utilisation dans notre vie quotidienne nous ont obligés à réévaluer nombre de nos convictions concernant les relations entre les États et les peuples. L'échange d'informations, de découvertes et de connaissances scientifiques, et le partage de nos richesses culturelles rapprochent les pays et ouvrent des possibilités de développement qui n'existaient pas auparavant. L'intelligence artificielle ne connaît aucune frontière et ne différencie pas les utilisateurs selon leur sexe ou leur nationalité. Parallèlement à ces nouvelles possibilités, le monde est également confronté à de nouveaux problèmes de plus en plus supranationaux, dont la résolution exige des efforts combinés de notre part. La pandémie du coronavirus en est le dernier exemple en date.
C'est dans le contexte de ces changements rapides qui, pour des raisons évidentes, ne peuvent se dérouler sans certaines conséquences, que l'on peut parfois entendre cette même théorie selon laquelle "l'Europe est hostile à la Russie". Bien que les arguments avancés pour soutenir cette affirmation semblent aujourd'hui beaucoup moins nuancés que ceux de Nikolay Danilevsky.
Nikolay Danilevsky
Il n'en demeure pas moins qu'il est impossible d'ignorer cette question, car cela rendrait extrêmement difficile l'élaboration d'une politique étrangère sérieuse à long terme, étant donné le rôle prépondérant que joue l'Europe dans les affaires mondiales.
Avant de nous plonger dans le sujet, je voudrais dire quelques mots sur la question qui nous occupe. Pourquoi l'Europe devrait-elle aimer ou détester la Russie ? Avons-nous des raisons de croire que la Russie a des sentiments forts, positifs ou négatifs, à l'égard d'un autre pays ? C'est le genre de mots qui sont utilisés pour décrire les relations entre les États dans le monde moderne et interdépendant. Mais ils sont, pour la plupart, tout simplement inacceptables. Les concepts de politique étrangère de la Russie se concentrent invariablement sur la garantie de la sécurité, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du pays et sur la création de conditions extérieures favorables à son développement progressif.
La Russie et l'Europe ont une longue histoire qui remonte à plusieurs siècles. Et il y a eu des guerres et des périodes de coopération mutuellement bénéfique tout au long de cette histoire. Quoi qu'on en dise, la Russie est une partie inséparable de l'Europe, tout comme l'Europe ne peut être considérée comme "complète" sans la Russie.
Il est donc essentiel d'orienter le potentiel intellectuel non pas vers la destruction, mais plutôt vers la formation d'un nouveau type de relation, qui reflète les réalités actuelles.
À l'aube du XXIe siècle, il était clair pour tout le monde que, pour des raisons objectives, la Russie ne pourrait pas devenir un membre à part entière des associations militaires, politiques et économiques qui existaient en Europe à l'époque, c'est-à-dire l'Union européenne et l'OTAN. C'est pourquoi des mécanismes ont été mis en place pour aider les parties à établir des relations et à coopérer dans divers domaines. Les relations bilatérales se sont ainsi considérablement développées en quelques années seulement. L'Union européenne est devenue le principal partenaire économique étranger de la Russie, et des canaux de coopération mutuellement bénéfiques dans de nombreux domaines se sont créés.
Cependant, les relations UE-Russie se sont enlisées ces dernières années. En fait, une grande partie des progrès qui avaient été réalisés sont maintenant annulés. Et les sentiments positifs ou négatifs à l'égard l'un de l'autre n'ont rien à voir avec cela. Cela est dû au fait que les parties ont perdu une vision stratégique de l'avenir des relations bilatérales dans un monde en rapide évolution.
S'exprimant lors du Forum économique mondial de Davos, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a déclaré que la Russie faisait partie de l'Europe et que, culturellement, la Russie et l'Europe ne faisaient qu'une seule et même civilisation. C'est la prémisse de base - qui ne repose pas sur des émotions - qui devrait sous-tendre la politique de la Russie dans ses relations avec l'Europe.
La Russie et l'Union européenne sont en désaccord sur de nombreux points, mais la seule façon de surmonter les malentendus et de trouver des possibilités d'aller de l'avant est le dialogue. Dans ce contexte, la récente visite du Haut Représentant de l'UE à Moscou a été un pas nécessaire dans la bonne direction, malgré les critiques que cette démarche a reçues de la part de la partie européenne. Personne ne s'attendait à des "percées" de la part de la visite, car les animosités et les malentendus entre les deux parties étaient trop profonds. Pourtant, les visites et les contacts de ce type devraient devenir la norme, car sans eux, nous ne verrons jamais de réels progrès dans les relations bilatérales.
Outre les questions qui figurent actuellement à l'ordre du jour des deux parties, l'attention devrait se concentrer sur l'élaboration d'une vision stratégique de ce que devraient être les relations UE-Russie à l'avenir, ainsi que sur les domaines d'intérêt mutuel. Par exemple, il est grand temps que l'Europe et la Russie abordent le sujet de la compatibilité de leurs stratégies énergétiques respectives, ainsi que les conséquences possibles de l'introduction de l'"énergie verte" en Europe en termes de coopération économique avec la Russie. Sinon, il sera trop tard, et au lieu d'un nouvel espace de coopération mutuellement bénéfique, nous aurons encore un autre problème insoluble.
Dans son ouvrage La Russie et l'Europe, Nikolay Danilevsky, tout en reconnaissant le bien que Pierre le Grand avait fait pour son pays, lui reprochait de "vouloir à tout prix faire de la Russie l'Europe". Personne ne ferait de telles accusations aujourd'hui. La Russie est, a été et sera toujours un acteur indépendant sur la scène internationale, avec ses propres intérêts et priorités nationales. Mais la seule façon de les réaliser pleinement est que le pays mène une politique étrangère active. Et l'une des priorités de cette politique est les relations avec l'Europe.
00:20 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : russie, europe, affaires européennes, géopolitique, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 24 février 2021
La mission impossible de l’OTAN
La mission impossible de l’OTAN
Par Finian Cunningham
(revue de presse : Information Clearing House – 18/2/21)*
Ex: http://www.france-irak-actualite.com
Il semblerait que les ministres de la défense de l’OTAN se soient réunis cette semaine pour chercher à redéfinir et actualiser la mission de l’alliance militaire. Dit plus simplement, l’organisation cherche désespérément une raison d’être pour son existence.
Ce bloc militaire de 30 nations dispose d’un budget annuel de plus de mille milliards de dollars, dont les trois quarts sont versés par les Etats-Unis, soit $740 milliards dépensés sur sa propre force.
La visioconférence qui s’est tenue cette semaine représentait la première prise de contact officielle de l’administration Biden avec les alliés de l’OTAN. Lloyd Austin, le secrétaire américain de la Défense s’est adressé au forum en insistant sur la priorité donnée par le président Biden au renforcement des relations avec les alliés, relations qui s’étaient largement dégradées sous l’administration Trump.
C’est la même vielle rengaine maintes fois rabâchée par Washington dans le passé : les alliés de l’OTAN doivent dépenser toujours plus pour contrer les prétendues menaces de la Russie et de la Chine. Le même vieux disque rayé.
La seule différence tient dans le style et non le contenu. Alors que Trump demandait de façon rude et acerbe que les membres de l’OTAN injectent plus d’argent, l’administration Biden opte pour une rhétorique plus polie, caressant dans le sens du poil l’importance ‘du partenariat transatlantique’ et promettant d’être plus inclusif dans la prise de décision stratégique.
Mais, c’est essentiellement la même escroquerie : les Etats-Unis exhortent les états européens à dépenser plus d’argent pour soutenir le complexe militaro-industriel qui maintient artificiellement en vie le défunt système capitaliste. Les Américains ont besoin que les Européens leur achètent des avions de guerre et des systèmes balistiques pour que le capitalisme américain puisse continuer à vivre.
C’est une position difficilement tenable en ce moment, alors que les difficultés économiques se font ressentir et d’énormes défis sociaux apparaissent. Comment justifier une dépense annuelle de mille milliards de dollars sur des machines de guerre improductives ?
Il va de soi que les soutiens de l’OTAN, essentiellement les Américains, se doivent de réinventer des ennemis comme la Chine et la Russie pour justifier l’existence d’une économie militaire aussi extravagante, sans quoi elle serait vue comme une utilisation insensée et préjudiciable des ressources d’un pays. Ce qu’elle est.
Cela dit, ce petit jeu de l’épouvantail a de sérieux défauts conceptuels. Le tout premier est que ni la Russie ni la Chine ne sont des ennemis cherchant à détruire les pays occidentaux. Deuxièmement, cette histoire ne tient pas logiquement. Le budget militaire total de l’OTAN est quatre fois supérieur aux budgets combinés de la Chine et de la Russie. Et on voudrait nous faire croire que ces deux pays menacent un bloc de 30 nations alors qu’ils ne dépensent qu’une fraction du budget de l’OTAN en dépenses militaires.
Autre problème conceptuel pour les VRP de l’OTAN : l’organisation est née il y a huit décennies, au début de la guerre froide. Aujourd’hui, le monde est très différent et reflète une intégration multipolaire croissante tant économique que politique, ou au niveau des communications.
Les chiffres du commerce publiés cette semaine montre que la Chine a surpassé les Etats-Unis en devenant le premier partenaire commercial de l’Union Européenne.
La Chine, la Russie, et cette tendance à la coopération économique eurasienne représentent le futur du développement mondial. Malgré leur complaisance occasionnelle envers Washington, les Européens le savent. A la fin de l’année dernière, l’Union Européenne a conclu un accord d’investissement historique avec la Chine, et ce en dépit des objections de Washington.
Cela sonne en effet le glas du harcèlement américain, qui voyait les Etats-Unis exhorter ses alliés de l’OTAN en inventant des histoires effrayantes d’ennemis étrangers. Le monde ne peut plus se permettre ce gâchis éhonté de ressources face à des besoins sociaux bien plus importants. Il devient de plus en plus difficile de vendre politiquement cette escroquerie qu’est l’OTAN.
Ce “monde du Mal” dépeint par les conspirationnistes américains ne correspond en rien à la réalité que perçoivent la majorité des gens. Oui, il y a encore des irréductibles de la guerre froide qui rodent encore en Europe, tel que le secrétaire général de l’OTAN le général Jens Stoltenberg et les politiciens russophobes polonais et baltes, mais ils représentent des minorités à la marge.
La plupart des citoyens est consciente que l’OTAN est une relique du passé, qu’elle n’a plus de raison d’être dans le monde d’aujourd’hui, et face à tous les besoins sociaux pressants, la France et l’Allemagne, les moteurs les plus puissants de l’économie européenne, ont de moins en moins d’inclination vers Washington, même dirigé par un président démocrate apparemment plus amical.
L’administration Biden peut paraitre plus crédible et cordiale que celle de Trump, mais demander aux autres de dépenser plus militairement et d’antagoniser des partenaires commerciaux vitaux que sont la Chine et la Russie est mission impossible pour une OTAN menée par les Etats-Unis.
Finian Cunningham a beaucoup écrit sur les relations internationales, et a été publié en plusieurs langues. Pendant près de 20 ans, il a travaillé comme éditeur et rédacteur pour les médias d’information les plus importants, y compris The Mirror, Irish Times et l’Independent.
Source : Information Clearing House
Traduction et Synthèse: Z.E
10:59 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, otan, atlantisme, occidentalisme, géopolitique, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 23 février 2021
Extraterritorialité du droit américain: que doit faire l’Europe?
Extraterritorialité du droit américain: que doit faire l’Europe?
19:42 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Droit / Constitutions, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : extra-territorialité, europe, affaires européennes, états-unis, géopolitique, politique internationale, droit | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 18 février 2021
Eurocrate et atlantiste : Draghi dicte la nouvelle politique étrangère de l'Italie
Eurocrate et atlantiste : Draghi dicte la nouvelle politique étrangère de l'Italie
Par Lorenzo Vita
Ex : https://it.insideover.com
Un gouvernement eurocratique et atlantiste. Avec ces mots, Mario Draghi définit la politique étrangère de son gouvernement et envoie un message adressé non seulement aux alliés du gouvernement, mais aussi à ceux qui se trouvent hors d'Italie. Il y a un pays, l’Italie, qui, pour Draghi, doit confirmer les lignes directrices qui ont caractérisé la diplomatie de Rome depuis des décennies. Et Draghi répond aux attentes d'un exécutif qui est clairement né avec la bénédiction de Washington et de Berlin (et de Bruxelles). Les deux capitales de l'Occident politique, celle de l'Amérique et celle de l'Europe, regardent très attentivement ce qui se passe au Palazzo Chigi, conscientes que l'Italie est un pays que personne ne peut ou ne veut perdre. Les États-Unis pour des questions stratégiques, l'Allemagne pour des raisons économiques et donc politiques.
Ces dernières années, l'Italie est apparue très erratique sur les questions clés de sa politique étrangère. Ce n'est pas nécessairement un défaut, mais ce n'est pas non plus une vertu. Très souvent, le fait d'être ambigu est pris pour une forme de politique non alignée ou pour un signe d'indépendance. Cependant, ce qui semble presque être un appel à une diplomatie de type "primo-public" cache très souvent (et dissimule) l'incapacité à suivre une certaine voie qui conduirait à des avantages évidents. Giuseppe Conte, en changeant de majorité, a certes modifié profondément sa façon de faire de la politique étrangère : mais cela n'a pas suffi à donner des garanties aux pouvoirs qui se portent garants de l'Italie sur la scène internationale. Une question qui a pesé comme un roc dans la politique d'un gouvernement déjà miné par des problèmes internes.
Draghi est arrivé au Palazzo Chigi avec un arrière-plan précis. Et les lignes qu'il dicte révèlent encore plus la faveur avec laquelle il est revenu à Rome. L'axe entre le Palazzo Chigi et le Quirinal, qui a façonné ce gouvernement né des cendres de la coalition jaune-rouge, repose sur une ligne programmatique qui s'articule autour de trois éléments clés : l'OTAN, l'Union européenne et l'idée d'un pays qui représente ces blocs en tant que pilier méditerranéen. Les propos du Premier ministre confirment cette ligne par une phrase qui ne laisse aucun doute : "Dans nos relations internationales, ce gouvernement sera résolument pro-européen (eurocratique) et atlantiste, en accord avec les ancrages historiques de l'Italie : l'Union européenne, l'Alliance atlantique, les Nations unies".
Sur le front européen, il est clair que le gouvernement Draghi est né dans un système profondément lié à la vision unitaire de l'Europe. Le curriculum de Draghi, dans ce sens, ne peut certainement pas être sous-estimé étant donné qu'en tant que président de la Banque centrale européenne, il a sauvé l'euro d'une crise potentiellement explosive et a répété, dans son discours au Sénat, qu’il fallait considérer l'euro comme irréversible. Ces orientations économiques et financières vont également de pair avec une politique étrangère au sein de l'UE qui apparaît immédiatement très précise, et qui ne doit pas être sous-estimée. L'idée d'affirmer que la France et l'Allemagne sont les premiers référents au sein du continent, en distinguant clairement Paris et Berlin des autres gouvernements méditerranéens (expressément l'Espagne, Malte, la Grèce et Chypre) construit une frontière bien définie du réseau stratégique italien. Avec la France et l'Allemagne, on a l'impression qu'ils veulent créer des canaux sûrs et directs qui impliquent une entrée progressive de l'Italie dans les choix communautaires, ce que le politologue Alain Minc, conseiller de Macron, a également rappelé dans son interview au journal La Repubblica. En effet, Minc a également lancé une blague sans surprise sur la déception espagnole face à l'arrivée de Draghi, étant donné que l'objectif de Madrid est de saper la position de Rome en tant que troisième capitale de l'UE.
Ces piliers européens, ainsi que les piliers atlantiques, représentent la position diplomatique du gouvernement lancée ces dernières semaines. Des lignes rouges qui ouvrent la porte à un scénario de repositionnement également vis-à-vis de la Chine, jamais mentionnée dans le texte alors même qu’elle est un partenaire fondamental du pays. La Russie et la Turquie ont certes été mentionnées – mais une seule fois pour parler des tensions dans leurs environnements et en Asie centrale. Un choix qui ne peut pas être seulement dialectique : pour Draghi, l'Italie n'a qu'une seule appartenance, qui est celle de l'aire atlantique et de l'Europe eurocratique. La Chine est un partenaire commercial inévitable, mais en évitant d'en parler dans son discours programmatique, il montre aussi clairement qu'elle n'a aucune valeur stratégique au contraire de l'Amérique, de l’Union européenne et de pays avec lesquels l'Italie a une profonde connaissance économique, politique, d'intelligence et de contrôle de la Méditerranée.
Par conséquent, s'il est clair que, pour Rome, les relations avec Berlin et Paris restent essentielles pour renforcer un projet européen qui implique également notre gouvernement, en évitant qu'Aix-la-Chapelle ne dicte totalement la ligne sur les changements en Europe, l'Italie se tourne également vers la Méditerranée, étant donné que le Premier ministre a affirmé au Sénat qu'il voulait "consolider la collaboration avec les États avec lesquels nous partageons une sensibilité méditerranéenne spécifique".
Cette question est particulièrement importante car elle permet également de comprendre comment la géopolitique italienne évolue dans une période de transition aussi complexe dans la zone euro-méditerranéenne. Pour les États-Unis et l'Union européenne, la Méditerranée représente une ligne de faille qui divise un monde occidental affaibli par la crise et une zone de chaos (la revue géopolitique Limes la définit notamment comme Chaoslandia) qui comprend une grande partie de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et où plusieurs puissances moyennes et grandes sont impliquées. L'Italie est au centre, la dernière bande d'un bloc en quête de sa nouvelle vocation après l'effondrement de l'URSS et avec une Amérique qui tente de se recentrer sur la Chine tout en évitant d'abandonner le théâtre européen et moyen-oriental. Cette condition implique que Rome doit choisir ses meilleurs alliés avec le plus grand soin, car il est clair que dans ce jeu il n'y a pas de tirage au sort : il y a des gagnants et des perdants, qu'ils soient entrants ou sortants. L'axe pro-européen et atlantiste défini par Draghi dirige l'Italie dans le sillage de ceux qui la considèrent comme la tranchée creusée face à cette frontière brûlante de l'ordre libéral international. Et cela implique clairement aussi un rôle précis cadrant dans ce schéma : à partir de la Méditerranée élargie elle-même. La Libye, le Levant et les Balkans sont des régions vers lesquelles l'Italie ne peut pas refuser de tourner les yeux. Et en attendant des gestes précis de l'administration Biden, qui a déjà fait savoir qu'elle appréciait les nouvelles orientations de l’Italie, on a l'impression que le Palazzo Chigi, le Quirinal et la Farnesina (qui est en fait "commandée" par la ligne Draghi-Mattarella) ont désormais un horizon parfaitement en ligne avec les mouvements de l'OTAN et de l'UE.
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lundi, 15 février 2021
La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu
La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu
Irnerio Seminatore
Un dépassement du concept militaire de guerre?
Si dans la tradition occidentale la guerre comme "poursuite de la politique par d'autres moyens" (Clausewitz), associe à la finalité, conçue par la politique (Zweck), des actes de violence pour imposer à l'autre notre volonté, le concept décisif de la violence étatique et de l'action guerrière sont-ils toujours essentiels à la rationalité politique du conflit belliqueux dans la pensée militaire chinoise?
Avec le concept stratégique de "guerre sans limites" et de défense active, élaboré par les deux Colonels chinois Qiao et Wang en 1999, avons nous surmonté le concept militaire de guerre? Avons nous touché au "sens" même de la guerre, comme soumission violente de l'un par l'autre? Sommes nous passés d'une civilisation de la guerre violente et sanglante, à une ère dans laquelle l'importance de l'action non guerrière influence à tel point la finalité de la guerre comme lutte (kampf) que l'esprit, dressé contre les adversités parvient à remplacer la force par la "ruse" et à atteindre ainsi le but de guerre (Zweck)? A ce questionnement il faut répondre que, dans le manuel des Colonels Qiao-Wang nous sommes restés au niveau de la méta-stratégie et donc à l'utilisation d'armes et de modalités d'action qui distinguent en Occident, la défense passive de la défense active. Une posture stratégique n'est au niveau géopolitique qu'un mode asymétrique pour ne pas céder et ne pas se soumettre et, au niveau opérationnel et doctrinal, de mettre en œuvre un stratégie anti-accès.
Le Général Qiao Liang.
Le livre des deux colonels de l'armée de l'air a été reçu par les analystes occidentaux comme un examen des failles de la force américaine de la part des spécialistes chinois et comme la recherche de ses talons d' Achille, à traiter par les biais de la "ruse". La "guerre hors limites" inclut, dans une conception unitaire, la guerre militaire et la guerre non-militaire et comprend tout ce qu’on a pu parfois désigner sous le terme d’opérations autres que la guerre. Dans une acception très extensive, la guerre économique, financière, terroriste, présentées avec une vision prémonitoire et anticipatrice. La guerre informatique et médiatique y fait figure de champs d'innovation ouvrant à de nouveaux théâtres d’opération, qui nécessitent d'un dépassement des objectifs de sécurité traditionnels. Dans cette "guerre omnidirectionnelle", la guerre ne sera même plus la guerre classique, car "ni l’ennemi, ni les armes, ni le champ de bataille ne seront ce qu’ils furent". Le jeu politique et militaire a changé. Dans cette situation aux incertitudes multiples, il va falloir définir une nouvelle règle du jeu (…), un produit hybride…" (Qiao-Wang), seule certitude, l’incertitude. Une recommandation toutefois pour tous! Savoir combiner le champ de bataille et le champ de non bataille, le guerrier et le non guerrier. Les préceptes de cette réflexion sont-ils encore valables aujourd’hui? (février 2021)
Du point de vue général, en aucun cas les conseils dispensés à l'époque n'ont conduit à une remise en cause de la notion de pouvoir/puissance, puisque la doctrine et la stratégie militaires de la Chine demeurent, depuis la parution de ce manuel, celles de ses principaux rivaux et visent la maîtrise de secteurs-clés des technologies avancées pour acquérir la supériorité dans une guerre locale et parvenir à une solution négociée, évitant que le risque assumé ne dégénère en conflit ouvert. Or le succès de la stratégie chinoise de contrôle des "secteurs clés" d’une campagne militaire repose sur un principe décisif: l’initiative. Cependant une succincte conclusion conduit à la considération que le "concept d'asymétrie" de la pensée et du programme de modernisation militaire chinois se situe sur le plan opérationnel et se concentre sur la capacité de saisir la supériorité dans le domaine de l'information et de l'exploitation du réseaux informatique et guère au niveau de la théorie politique ou militaire. En effet le centre de gravité des interrogations repose sur la question de fond pour la défense et la sécurité chinoise. Comment faire face à la superpuissance américaine La modernisation de l'Armée Populaire de Libération n'a pas débuté après les réformes économiques de Deng Tsiao Ping et elle n'a pas concerné la dissuasion nucléaire, qui structure étroitement la relation entre stratégie et pouvoir, mais sur les réponses à donner à la modernisation des armées, en vue d'un combat conventionnel et fut conçue comme un moyen de combler le retard et les lacunes accumulés à partir de la première guerre du Golfe (1991). Ce livre reflète les idées d'un des courants, le plus radical, qui s'est imposé dans le débat sur la modernisation des forces armées comme expression d'un pouvoir unique.
Pouvoir unique et plusieurs théâtres
Il prôna l'inutilité de songer à rattraper les États-Unis dans le domaine conventionnel et il est parvenu à la conclusion de concevoir une stratégie asymétrique et sans règles (ruse conceptuelle), pour s'opposer et réagir à la supériorité des moyens et des forces des États-Unis. La multiplication des foyers de conflit, des théâtres de confrontation et des alliances militaires dans un monde à plusieurs pôles de pouvoir, assure-t-elle encore la pertinence d'une telle analyse? Le concept de défense active, jugé insuffisant, n'a t-il pas infléchi le deux notions de Soft et de Hard Power et, par voie de conséquence, la rigidité ou la souplesse interne et extérieure du régime? Par ailleurs, dans une vision non militaire du rapport mondial des forces ne faut il pas prendre en considération, comme potentiel de mobilisation, les nouvelles routes de la soie, comme extension des moyens et d'emploi d'une autonomie stratégique globale et dépendante d'un pouvoir unique, utilisant la force et la ruse, la séduction et l'autorité? Et comment une philosophie et une culture de l'esquive à la Sun-Tzu peut elle se traduire en posture et doctrine active, de pensée et d'action dans un contexte d'hypermodernité technologique? En revenant à l'analyse des deux Colonels chinois, la modernisation de l'ALP, envisagée dans l'hypothèse d'une confrontation avec les États-Unis, a exigé une observation attentive des avancées militaires et des talons d'Achille de la superpuissance américaine. Considérant que l'évolution de l'art de la guerre s'étend bien au delà du domaine de la pure technologie et de ses applications militaires, sur lesquelles tablent les américains, le domaine de la guerre est devenu le terrain d'une complexité brownienne, qui combine plusieurs enjeux et plusieurs objectifs, différenciant ainsi les buts de guerre. La frontière entre civil et militaire s'efface, de telle sorte que les composantes et les formes non militaires de l'affrontement, sont intégrées et annexées dans un effort beaucoup plus important, qui modifie non pas le "sens" ou la "logique (politique) de la guerre, mais sa "grammaire".
Liu Mingfu et le"Rêve Chinois" (Zhongguo meng)
Ce livre est par ailleurs l'illustration d'un courant nationaliste, qui n'exclut aucune hypothèse, y compris une confrontation avec les États-Unis. Cette hypothèse s'inscrit d'une part dans l'analyse des tendances stratégiques contemporaines et de l'autre dans le débat sur le destin national chinois, permettant d'accorder, au moins théoriquement, la "montée pacifique" du pays, avec la conception d'un "monde harmonieux"(ou d'un ordre politique juste et bienveillant) Cependant son point d'orgue repose sur l'idée de profiter d'une grande "opportunité stratégique", à l'ère post-américaine, dont témoigne le texte le "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, prônant la consolidation de la puissance chinoise et le rattrapage de l'Occident. En effet le rétablissement du rôle central de la Chine dans les affaires internationales, régionales et mondiales, opère dans une période d'affaiblissement des États-Unis (années 2010). Dans ce début de millénaire, l'Amérique ne serait plus "un tigre un papier", comme à l'époque de Mao Zedong, mais "un vieux concombre peint en vert" (Song Xiao JUn), de telle sorte que la Chine ne peut plus se contenter d'une "montée économique" et a besoin "d'une montée militaire".
Ainsi elle doit se tenir prête à se battre militairement et psychologiquement, dans un affrontement pour la "prééminence stratégique". C'est "le moment ou jamais", pour le Colonel Liu Mingfu, puisque le but de la Chine est de "devenir le numéro un dans le monde", la version moderne de sa gloire ancienne, une version exemplaire, car "les autres pays doivent apprendre de la Chine- dit Liu Mingfu dans une interview en 2017 au New York Times, mais la Chine a également besoin d'apprendre d'eux. D'une certaine manière, tous les pays sont les professeurs de la Chine!
Le Colonel Liu Mingfu.
Depuis 1840, la Chine est la meilleure élève du monde. Nous avons analysé la Révolution française ; la dynastie Qing a mené de grandes réformes en suivant l'exemple du Royaume-Uni ; nous avons étudié le marxisme de l'Occident, le léninisme et le stalinisme de l'Union soviétique ; nous avons également regardé de très près l'économie de marché des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. C'est grâce à cette soif d'apprendre que, à terme, la Chine dépassera les États-Unis. Les États-Unis, eux, ne cherchent pas à s'inspirer des autres pays... et surtout pas de la Chine. Ma conviction c'est que les États-Unis manquent d'une grande stratégie et de grands stratèges. J'ai écrit sur ce sujet, de 2017, un livre intitulé "Le Crépuscule de l'hégémonie", qui a d'ailleurs été traduit en anglais. Le New York Times m'a interviewé à ce moment-là. Voici ce que j'ai dit au journaliste qui m'interrogeait." De façon générale, la revendication d'un statut de puissance mondiale de la part de la Chine, s'accompagne, depuis le livre "La Guerre hors limites" des Colonels Quiao et Wang, jusqu'au "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, du sentiment historique d'un "but grandiose", celui d'une grande mission à poursuivre contre un ordre politique international injuste et amoral.
Bruxelles 15 février 2021
Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/f-vrier/la-gue...
10:09 Publié dans Actualité, Géopolitique, Polémologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, polémologie, guerre, chine, asie, affaires asiatiques, géopolitique, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 14 février 2021
Pourquoi la Russie rend l’Occident fou
Pourquoi la Russie rend l’Occident fou
Le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie a un air d’inévitabilité historique qui met les États-Unis et l’UE à l’épreuve.
Les futurs historiens pourraient l’enregistrer comme le jour où le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, habituellement imperturbable, a décidé qu’il en avait assez :
« Nous nous habituons au fait que l’Union Européenne tente d’imposer des restrictions unilatérales, des restrictions illégitimes et nous partons du principe, à ce stade, que l’Union Européenne est un partenaire peu fiable ».
Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, en visite officielle à Moscou, a dû faire face aux conséquences.
Lavrov, toujours parfait gentleman, a ajouté : « J’espère que l’examen stratégique qui aura lieu bientôt se concentrera sur les intérêts clés de l’Union Européenne et que ces entretiens contribueront à rendre nos contacts plus constructifs ».
Il faisait référence au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UE qui se tiendra le mois prochain au Conseil européen, où ils discuteront de la Russie. Lavrov ne se fait pas d’illusions : les « partenaires peu fiables » se comporteront en adultes.
Pourtant, on peut trouver quelque chose d’immensément intrigant dans les remarques préliminaires de Lavrov lors de sa rencontre avec Borrell : « Le principal problème auquel nous sommes tous confrontés est le manque de normalité dans les relations entre la Russie et l’Union Européenne – les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique. C’est une situation malsaine, qui ne profite à personne ».
Les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique (mes italiques). Que cela soit clair. Nous y reviendrons dans un instant.
Dans l’état actuel des choses, l’UE semble irrémédiablement accrochée à l’aggravation de la « situation malsaine ». La chef de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait échouer le programme de vaccination de Bruxelles. Elle a envoyé Borrell à Moscou pour demander aux entreprises européennes des droits de licence pour la production du vaccin Spoutnik V – qui sera bientôt approuvé par l’UE.
Et pourtant, les eurocrates préfèrent se plonger dans l’hystérie, en faisant la promotion des bouffonneries de l’agent de l’OTAN et fraudeur condamné Navalny – le Guaido russe.
Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, sous le couvert de la « dissuasion stratégique », le chef du STRATCOM américain, l’amiral Charles Richard, a laissé échapper avec désinvolture qu’il « existe une réelle possibilité qu’une crise régionale avec la Russie ou la Chine puisse rapidement dégénérer en un conflit impliquant des armes nucléaires, si elles percevaient qu’une perte conventionnelle menaçait le régime ou l’État ».
Ainsi, la responsabilité de la prochaine – et dernière – guerre est déjà attribuée au comportement « déstabilisateur » de la Russie et de la Chine. On suppose qu’elles vont « perdre » – et ensuite, dans un accès de rage, passer au nucléaire. Le Pentagone ne sera qu’une victime ; après tout, affirme STRATCOM, nous ne sommes pas « enlisés dans la Guerre froide ».
Les planificateurs du STRATCOM devraient lire le crack de l’analyse militaire Andrei Martyanov, qui depuis des années est en première ligne pour expliquer en détail comment le nouveau paradigme hypersonique – et non les armes nucléaires – a changé la nature de la guerre.
Après une discussion technique détaillée, Martyanov montre comment « les États-Unis n’ont tout simplement pas de bonnes options actuellement. Aucune. La moins mauvaise option, cependant, est de parler aux Russes et non en termes de balivernes géopolitiques et de rêves humides selon lesquels les États-Unis peuvent, d’une manière ou d’une autre, convaincre la Russie « d’abandonner » la Chine – les États-Unis n’ont rien, zéro, à offrir à la Russie pour le faire. Mais au moins, les Russes et les Américains peuvent enfin régler pacifiquement cette supercherie « d’hégémonie » entre eux, puis convaincre la Chine de s’asseoir à la table des trois grands et de décider enfin comment gérer le monde. C’est la seule chance pour les États-Unis de rester pertinents dans le nouveau monde ».
L’empreinte de la Horde d’Or
Bien que les chances soient négligeables pour que l’Union européenne se ressaisisse sur la « situation malsaine » avec la Russie, rien n’indique que ce que Martyanov a décrit sera pris en compte par l’État profond américain.
La voie à suivre semble inéluctable : sanctions perpétuelles ; expansion perpétuelle de l’OTAN le long des frontières russes ; constitution d’un cercle d’États hostiles autour de la Russie ; ingérence perpétuelle des États-Unis dans les affaires intérieures russes – avec une armée de la cinquième colonne ; la guerre de l’information perpétuelle et à grande échelle.
Lavrov affirme de plus en plus clairement que Moscou n’attend plus rien. Les faits sur le terrain, cependant, continueront de s’accumuler.
Nord Stream 2 sera terminé – sanctions ou pas – et fournira le gaz naturel dont l’Allemagne et l’UE ont tant besoin. Le fraudeur Navalny, qui a été condamné – 1% de « popularité » réelle en Russie – restera en prison. Les citoyens de toute l’UE recevront Spoutnik V. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine continuera de se renforcer.
Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à ce gâchis russophobe malsain, une feuille de route essentielle est fournie par le Conservatisme russe, une nouvelle étude passionnante de philosophie politique réalisée par Glenn Diesen, professeur associé à l’Université de la Norvège du Sud-Est, chargé de cours à l’École supérieure d’Économie de Moscou, et l’un de mes éminents interlocuteurs à Moscou.
Diesen commence en se concentrant sur l’essentiel : la géographie, la topographie et l’histoire. La Russie est une vaste puissance terrestre sans accès suffisant aux mers. La géographie, affirme-t-il, conditionne les fondements des « politiques conservatrices définies par l’autocratie, un concept ambigu et complexe de nationalisme, et le rôle durable de l’Église orthodoxe » – impliquant une résistance au « laïcisme radical ».
Il est toujours crucial de se rappeler que la Russie n’a pas de frontières naturelles défendables ; elle a été envahie ou occupée par les Suédois, les Polonais, les Lituaniens, la Horde d’Or mongole, les Tatars de Crimée et Napoléon. Sans parler de l’invasion nazie, qui a été extrêmement sanglante.
Qu’y a-t-il dans l’étymologie d’un mot ? Tout : « sécurité », en russe, c’est byezopasnost. Il se trouve que c’est une négation, car byez signifie « sans » et opasnost signifie « danger ».
La composition historique complexe et unique de la Russie a toujours posé de sérieux problèmes. Oui, il y avait une étroite affinité avec l’Empire byzantin. Mais si la Russie « revendiquait le transfert de l’autorité impériale de Constantinople, elle serait forcée de la conquérir ». Et revendiquer le rôle, l’héritage et d’être le successeur de la Horde d’Or reléguerait la Russie au seul statut de puissance asiatique.
Sur la voie de la modernisation de la Russie, l’invasion mongole a non seulement provoqué un schisme géographique, mais a laissé son empreinte sur la politique : « L’autocratie est devenue une nécessité suite à l’héritage mongol et à l’établissement de la Russie comme un empire eurasiatique avec une vaste étendue géographique mal connectée ».
« Un Est-Ouest colossal »
La Russie, c’est la rencontre de l’Est et de l’Ouest. Diesen nous rappelle comment Nikolai Berdyaev, l’un des plus grands conservateurs du XXe siècle, l’avait déjà bien compris en 1947 : « L’incohérence et la complexité de l’âme russe peuvent être dues au fait qu’en Russie, deux courants de l’histoire du monde – l’Est et l’Ouest – se bousculent et s’influencent mutuellement (…) La Russie est une section complète du monde – un Est-Ouest colossal ».
Le Transsibérien, construit pour renforcer la cohésion interne de l’empire russe et pour projeter la puissance en Asie, a changé la donne : « Avec l’expansion des colonies agricoles russes à l’est, la Russie remplace de plus en plus les anciennes routes qui contrôlaient et reliaient auparavant l’Eurasie ».
Il est fascinant de voir comment le développement de l’économie russe a abouti à la théorie du « Heartland » de Mackinder – selon laquelle le contrôle du monde nécessitait le contrôle du supercontinent eurasiatique. Ce qui a terrifié Mackinder, c’est que les chemins de fer russes reliant l’Eurasie allaient saper toute la structure de pouvoir de la Grande-Bretagne en tant qu’empire maritime.
Diesen montre également comment l’Eurasianisme – apparu dans les années 1920 parmi les émigrés en réponse à 1917 – était en fait une évolution du conservatisme russe.
L’Eurasianisme, pour un certain nombre de raisons, n’est jamais devenu un mouvement politique unifié. Le cœur de l’Eurasianisme est l’idée que la Russie n’était pas un simple État d’Europe de l’Est. Après l’invasion des Mongols au XIIIe siècle et la conquête des royaumes tatars au XVIe siècle, l’histoire et la géographie de la Russie ne pouvaient pas être uniquement européennes. L’avenir exigerait une approche plus équilibrée – et un engagement avec l’Asie.
Dostoïevski l’avait brillamment formulé avant tout le monde, en 1881 :
« Les Russes sont autant asiatiques qu’européens. L’erreur de notre politique au cours des deux derniers siècles a été de faire croire aux citoyens européens que nous sommes de vrais Européens. Nous avons trop bien servi l’Europe, nous avons pris une trop grande part à ses querelles intestines (…) Nous nous sommes inclinés comme des esclaves devant les Européens et n’avons fait que gagner leur haine et leur mépris. Il est temps de se détourner de l’Europe ingrate. Notre avenir est en Asie ».
Lev Gumilev était sans aucun doute la superstar d’une nouvelle génération d’Eurasianistes. Il affirmait que la Russie avait été fondée sur une coalition naturelle entre les Slaves, les Mongols et les Turcs. « The Ancient Rus and the Great Steppe », publié en 1989, a eu un impact immense en Russie après la chute de l’URSS – comme je l’ai appris de mes hôtes russes lorsque je suis arrivé à Moscou via le Transsibérien à l’hiver 1992.
Comme l’explique Diesen, Gumilev proposait une sorte de troisième voie, au-delà du nationalisme européen et de l’internationalisme utopique. Une Université Lev Gumilev a été créée au Kazakhstan. Poutine a qualifié Gumilev de « grand Eurasien de notre temps ».
Diesen nous rappelle que même George Kennan, en 1994, a reconnu la lutte des conservateurs pour « ce pays tragiquement blessé et spirituellement diminué ». Poutine, en 2005, a été beaucoup plus clair. Il a souligné :
« L’effondrement de l’Union soviétique a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle. Et pour le peuple russe, ce fut un véritable drame (…) Les anciens idéaux ont été détruits. De nombreuses institutions ont été démantelées ou simplement réformées à la hâte. (…) Avec un contrôle illimité sur les flux d’information, les groupes d’oligarques ont servi exclusivement leurs propres intérêts commerciaux. La pauvreté de masse a commencé à être acceptée comme la norme. Tout cela a évolué dans un contexte de récession économique des plus sévères, de finances instables et de paralysie dans la sphère sociale ».
Appliquer la « démocratie souveraine »
Nous arrivons ainsi à la question cruciale de l’Europe.
Dans les années 1990, sous la houlette des atlantistes, la politique étrangère russe était axée sur la Grande Europe, un concept basé sur la Maison européenne commune de Gorbatchev.
Et pourtant, dans la pratique, l’Europe de l’après-Guerre froide a fini par se configurer comme l’expansion ininterrompue de l’OTAN et la naissance – et l’élargissement – de l’UE. Toutes sortes de contorsions libérales ont été déployées pour inclure toute l’Europe tout en excluant la Russie.
Diesen a le mérite de résumer l’ensemble du processus en une seule phrase : « La nouvelle Europe libérale représentait une continuité anglo-américaine en termes de règle des puissances maritimes, et l’objectif de Mackinder d’organiser la relation germano-russe selon un format à somme nulle pour empêcher l’alignement des intérêts ».
Pas étonnant que Poutine, par la suite, ait dû être érigé en épouvantail suprême, ou « en nouvel Hitler ». Poutine a catégoriquement rejeté le rôle pour la Russie de simple apprentie de la civilisation occidentale – et son corollaire, l’hégémonie (néo)libérale.
Il restait néanmoins très accommodant. En 2005, Poutine a souligné que « par-dessus tout, la Russie était, est et sera, bien sûr, une grande puissance européenne ». Ce qu’il voulait, c’était découpler le libéralisme de la politique de puissance – en rejetant les principes fondamentaux de l’hégémonie libérale.
Poutine disait qu’il n’y a pas de modèle démocratique unique. Cela a finalement été conceptualisé comme une « démocratie souveraine ». La démocratie ne peut pas exister sans souveraineté ; cela implique donc d’écarter la « supervision » de l’Occident pour la faire fonctionner.
Diesen fait remarquer que si l’URSS était un « Eurasianisme radical de gauche, certaines de ses caractéristiques eurasiatiques pourraient être transférées à un Eurasianisme conservateur ». Diesen note comment Sergey Karaganov, parfois appelé le « Kissinger russe », a montré « que l’Union soviétique était au centre de la décolonisation et qu’elle a été l’artisan de l’essor de l’Asie en privant l’Occident de la capacité d’imposer sa volonté au monde par la force militaire, ce que l’Occident a fait du XVIe siècle jusqu’aux années 1940 ».
Ce fait est largement reconnu dans de vastes régions du Sud global – de l’Amérique latine et de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est.
La péninsule occidentale de l’Eurasie
Ainsi, après la fin de la Guerre froide et l’échec de la Grande Europe, le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie ne pouvait qu’avoir un air d’inévitabilité historique.
La logique est implacable. Les deux pôles géoéconomiques de l’Eurasie sont l’Europe et l’Asie de l’Est. Moscou veut les relier économiquement en un supercontinent : c’est là que la Grande Eurasie rejoint l’Initiative Ceinture et Route chinoise (BRI). Mais il y a aussi la dimension russe supplémentaire, comme le note Diesen : la « transition de la périphérie habituelle de ces centres de pouvoir vers le centre d’une nouvelle construction régionale ».
D’un point de vue conservateur, souligne Diesen, « l’économie politique de la Grande Eurasie permet à la Russie de surmonter son obsession historique pour l’Occident et d’établir une voie russe organique vers la modernisation ».
Cela implique le développement d’industries stratégiques, de corridors de connectivité, d’instruments financiers, de projets d’infrastructure pour relier la Russie européenne à la Sibérie et à la Russie du Pacifique. Tout cela sous un nouveau concept : une économie politique industrialisée et conservatrice.
Le partenariat stratégique Russie-Chine est actif dans ces trois secteurs géoéconomiques : industries stratégiques/plates-formes technologiques, corridors de connectivité et instruments financiers.
Cela propulse la discussion, une fois de plus, vers l’impératif catégorique suprême : la confrontation entre le Heartland et une puissance maritime.
Les trois grandes puissances eurasiatiques, historiquement, étaient les Scythes, les Huns et les Mongols. La raison principale de leur fragmentation et de leur décadence est qu’ils n’ont pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.
La quatrième grande puissance eurasiatique était l’empire russe – et son successeur, l’URSS. L’URSS s’est effondrée parce que, encore une fois, elle n’a pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.
Les États-Unis l’en ont empêchée en appliquant une combinaison de Mackinder, Mahan et Spykman. La stratégie américaine est même devenue connue sous le nom de mécanisme de confinement Spykman-Kennan – tous ces « déploiements avancés » dans la périphérie maritime de l’Eurasie, en Europe occidentale, en Asie de l’Est et au Moyen-Orient.
Nous savons tous à présent que la stratégie globale des États-Unis en mer – ainsi que la raison principale pour laquelle les États-Unis sont entrés dans la Première et la Seconde Guerre mondiale – était de prévenir l’émergence d’un hégémon eurasiatique par tous les moyens nécessaires.
Quant à l’hégémonie américaine, elle a été conceptualisée de façon grossière – avec l’arrogance impériale requise – par le Dr Zbig « Grand Échiquier » Brzezinski en 1997 : « Pour empêcher la collusion et maintenir la dépendance sécuritaire entre les vassaux, pour garder les affluents souples et protégés, et pour empêcher les barbares de se rassembler ». Le bon vieux « Diviser pour mieux régner », appliqué par le biais de la « domination du système ».
C’est ce système qui est en train de s’effondrer – au grand désespoir des suspects habituels. Diesen (photo) note comment, « dans le passé, pousser la Russie en Asie reléguait la Russie dans l’obscurité économique et éliminait son statut de puissance européenne ». Mais maintenant, avec le déplacement du centre de gravité géoéconomique vers la Chine et l’Asie de l’Est, c’est un tout nouveau jeu.
La diabolisation permanente de la Russie-Chine par les États-Unis, associée à la mentalité de « situation malsaine » des sbires de l’UE, ne fait que rapprocher la Russie de la Chine, au moment même où la domination mondiale de l’Occident, qui dure depuis deux siècles seulement, comme l’a prouvé Andre Gunder Frank, touche à sa fin.
Diesen, peut-être trop diplomatiquement, s’attend à ce que « les relations entre la Russie et l’Occident changent également à terme avec la montée de l’Eurasie. La stratégie hostile de l’Occident à l’égard de la Russie est conditionnée par l’idée que la Russie n’a nulle part où aller et qu’elle doit accepter tout ce que l’Occident lui offre en termes de « partenariat ». La montée de l’Est modifie fondamentalement la relation de Moscou avec l’Occident en permettant à la Russie de diversifier ses partenariats ».
Il se peut que nous approchions rapidement du moment où la Russie de la Grande Eurasie présentera à l’Allemagne une offre à prendre ou à laisser. Soit nous construisons ensemble le Heartland, soit nous le construisons avec la Chine – et vous ne serez qu’un spectateur de l’histoire. Bien sûr, il y a toujours la possibilité d’un axe inter-galaxies Berlin-Moscou-Pékin. Des choses plus surprenantes se sont produites.
En attendant, Diesen est convaincu que « les puissances terrestres eurasiatiques finiront par intégrer l’Europe et d’autres États à la périphérie intérieure de l’Eurasie. Les loyautés politiques se déplaceront progressivement à mesure que les intérêts économiques se tourneront vers l’Est et que l’Europe deviendra progressivement la péninsule occidentale de la Grande Eurasie ».
Voilà qui donne à réfléchir aux colporteurs péninsulaires de la « situation malsaine ».
Traduit par Réseau International
***
«Qui veut la paix prépare la guerre»: la Russie annonce être prête en cas de rupture des relations avec l'UE
La Russie est prête à rompre ses relations diplomatiques avec l’Union européenne si cette dernière adopte des sanctions créant des risques pour les secteurs sensibles de l‘économie, a déclaré ce vendredi le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, sur la chaîne YouTube Soloviev Live.
« Nous y sommes prêts. [Nous le ferons] si nous voyons, comme nous l’avons senti plus d’une fois, que des sanctions sont imposées dans certains secteurs qui créent des risques pour notre économie, y compris dans des sphères sensibles. Nous ne voulons pas nous isoler de la vie internationale mais il faut s’y préparer. Qui veut la paix prépare la guerre ».
De nouvelles sanctions en vue
Cette semaine, le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell a annoncé, après sa visite à Moscou, la possibilité de nouvelles sanctions. Il s’est dit préoccupé par les « choix géostratégiques des autorités russes ».
Condamnant les autorités pour avoir emprisonné en janvier l’opposant Alexeï Navalny et les qualifiant de « sans pitié », Josep Borrell a notamment indiqué dans son blog que sa visite avait conforté son opinion selon laquelle « l’Europe et la Russie s’éloignaient petit à petit l’une de l’autre ».
Les propos tenus à Moscou
Lors de sa visite dans la capitale russe du 4 au 6 février, Josep Borrell avait vanté le vaccin Spoutnik V, le qualifiant de « bonne nouvelle pour l’humanité ». Il avait en outre espéré que l’Agence européenne pour les médicaments l’enregistrerait.
Il avait également dit qu’il y avait des domaines dans lesquels la Russie et l’UE pouvaient et devaient coopérer, et que Bruxelles était favorable au dialogue avec Moscou, malgré les difficultés.
Anastassia Verbitskaïa - Sputnik
- Source : Asia Times (Thaïlande)
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samedi, 13 février 2021
De Mao au monde multipolaire : l'évolution de la doctrine militaire chinoise
De Mao au monde multipolaire: l'évolution de la doctrine militaire chinoise
Par Lorenzo Ghigo
Ex : https://geopol.pt
Suite à la crise du modèle international unipolaire et à son énorme croissance économique et technologique, la République populaire de Chine (RPC) est le grand prétendant à l'hégémonie internationale aujourd’hui exercée par les États-Unis. Cette volonté chinoise s’exprime également au niveau militaire. La présence croissante des États-Unis en Asie, la crise persistante à Hong Kong et les relations avec Taïwan ont conduit le gouvernement chinois à abandonner l'isolationnisme qui caractérisait sa politique étrangère au début des années 2000, au profit d'une politique plus affirmée.
La stratégie de la Chine est basée sur la défense et la poursuite des intérêts nationaux, en assurant la sécurité intérieure et extérieure, la souveraineté nationale et le développement économique. Sous le gouvernement de Xi Jinping, le progrès technologique est considéré comme une occasion importante de relancer la nation chinoise et son rôle sur la scène internationale. Au cœur du projet du dirigeant chinois se trouve la création d'un nouvel ordre sinocentrique fondé, au moins formellement, sur des relations d'égalité avec les autres États et visant à la constitution d'"une Asie harmonieuse".
La nouvelle doctrine militaire chinoise est à toutes fins utiles une redécouverte et une extension des théories de L'Art de la guerre de Sun Tzu. L'objectif tactique est de conditionner l'esprit et la volonté de l'ennemi dans un cadre stratégique en constante évolution en profitant de situations favorables grâce à divers stratagèmes et tromperies. La pensée militaire chinoise se caractérise par une approche indirecte, il existe chez les Chinois une vision holistique des objectifs qui, contrairement à l'Occident, ne se concentre pas sur une cible spécifique mais sur l'ensemble du système, et le recours à la force doit être utilisé dans le cadre d'une stratégie à long terme en intégrant les sphères militaire et civile, en utilisant la guerre hybride et la cyberguerre dans la conduite des opérations de guerre traditionnelles. L'Armée populaire de libération est en effet en train de développer des capacités opérationnelles et technologiques incroyables dans le cyberespace, non seulement en ce qui concerne l'espionnage et l'acquisition d'informations sensibles, mais aussi en ce qui concerne les attaques sur les infrastructures critiques pendant les conflits armés. La RPC considère le contrôle du cyberespace comme une prérogative essentielle pour affirmer son pouvoir national.
L'armée n'est plus appelée à préparer des guerres menées à grande échelle sur le territoire chinois, mais plutôt des guerres limitées, tant sur le plan de l'entité des objectifs politiques que sur celui de l'intensité de la violence, soit des guerres à mener dans des zones périphériques et circonscrites, principalement des conflits régionaux à forte informatisation.
L'approche maoïste de la guerre semble avoir été définitivement abandonnée, les forces armées sont dépolitisées et, bien que l'influence du parti communiste chinois soit encore forte, on ne peut plus parler d'une armée populaire, mais d'une armée d’élite spécialisée et professionnelle dans les opérations militaires. De plus, en consolidant ses frontières, la Chine a renoncé à une défense stratégique en profondeur, en utilisant une stratégie de projection de forces sur les mers, et d'influence politique dans d’autres pays asiatiques.
Le texte Unristricted Warfare publié par les colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui a apporté une contribution notable à la nouvelle doctrine stratégique de la RPC. Cet ouvrage, qui dans l'édition américaine prend le sous-titre de China's Master Plan to Destroy America, prescrit les règles et les stratégies de conduite des conflits contemporains dans le but de défendre les intérêts nationaux en exploitant les nouvelles possibilités offertes par la mondialisation et l'évolution technologique. Le concept de guerre sans restriction prévoit une multiplication de nouveaux types d'armes et que chaque endroit peut devenir un champ de bataille. L'armée, pour faire face aux nouveaux conflits, doit mener des batailles adaptées à ses armes et adapter ses armes à la nouvelle bataille.
Dans le manuel Zhànlüè xué (Science de la stratégie), compilé par le département de recherche stratégique de l'Académie des sciences militaires, il est affirmé que "les champs de bataille sur terre, sur mer, dans les airs, dans l'espace extra-atmosphérique, dans l'espace électromagnétique ne font qu'un ; les combats et les opérations sur chaque champ de bataille sont des conditions pour les combats et les opérations sur les autres".
Cette vision est basée sur des actions de guerre hybride, qui impliquent non seulement des capacités militaires mais aussi l'application d'un concept holistique de défense nationale par la coopération des secteurs civil et militaire. Les stratèges chinois développent également la doctrine Shashou Jian ("club de fer"), qui vise à dominer l'espace physique et cybernétique en désarmant l'ennemi et en l'empêchant d'être une menace pour l'intérêt national. Ce concept repose sur la nécessité de développer une capacité militaire capable de désarmer l'adversaire avant qu'il ne puisse frapper. L'utilisation d'armes hautement technologiques, de missiles, de cyberarmes, de bombes intelligentes, de drones, est finalisée pour annuler la puissance de feu ennemie.
Toujours à la lumière des conséquences dramatiques de la récente pandémie, la Chine doit se préparer à un scénario international incertain et indéterminé, caractérisé par de nouveaux types de conflits, de nouvelles menaces, de nouvelles technologies, de nouveaux champs de bataille et de nouvelles stratégies.
Publié à l'origine dans Osservatorio Globalizzazione
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L'Iran, Biden sur les traces de Trump, pas d'Obama
L'Iran, Biden sur les traces de Trump, pas d'Obama
par Alberto Negri
Sources : Il Manifesto et https://www.ariannaeditrice.it
Dans une interview télévisée, le nouveau président confirme les mesures restrictives contre Téhéran, voulues par Trump. Elles demeureront donc. Après tout, Biden a été un ardent exportateur de "démocratie" pour qui la République islamique reste le sacrifice à offrir aux Saoudiens et aux Israéliens.
Aux prises avec l'Iran, et aussi avec la Chine et la Russie (le dossier le plus épineux des affaires étrangères), Biden confirme l'ordre du jour de Trump et prend même un peu de recul par rapport à Obama. Sa recette est la suivante : d'abord, l'habituel double standard du pacte d'Abraham, hérité du tycoon malgré sa seconde mise en accusation. Nous verrons très bientôt le suite.
Dans l’échange qui a eu lieu avec le Guide suprême Khamenei, qui a demandé la levée, au moins partielle, des sanctions avant de négocier sur le nucléaire, le nouveau président américain n'a pas hésité : il a choisi de dire "non" et durement.
La médiation européenne avancée par l'omniprésent Macron semble hésitante et encore à venir. Hésitante parce que la France, qui dans ses investissements a écarté le Qatar, sponsor des Frères musulmans, au profit des Saoudiens, était la puissance européenne qui en 2015, précisément à cause de ses affaires en cours avec Riyad, a soulevé les plus grandes objections à l'accord américain avec l'Iran : il suffit de demander à Mogherini et à Zarif des informations sur les négociations qui se tinrent à l'époque.
La substance est toujours la même : les Européens vendent des armes à Israël, aux Emirats, aux Saoudiens, au Qatar, à l'Egypte et à la Turquie, et non à l'Iran des ayatollahs. Ils sont donc des membres non déclarés mais super actifs du Pacte d'Abraham et de l'"OTAN arabe" avec les États-Unis, Israël, les Émirats, Bahreïn, le Soudan et le Maroc.
Sans oublier qu'Israël vient de rejoindre le CentCom (Commandement central) avec les Arabes, c’est-à-dire le commandement militaire américain au Moyen-Orient. Avec son inclusion dans le CentCom et le déploiement d'Iron Dome sur des bases américaines, Israël devient une autorité déléguée que Washington utilisera pour gérer la région, même à distance.
C'est pourquoi le sénateur Renzi, à qui l'on attribue des ambitions car il vise le poste de secrétaire général de l'OTAN, clame que Mohammed bin Salman est comme Laurent le Magnifique, le prince héritier d'une nouvelle renaissance dans les sables de la péninsule arabique, où, toutefois, les journalistes sont littéralement taillés en pièces et les opposants pourrissent en prison.
Nous aimerions savoir, un jour, ce que Draghi en pense. Mais nous le soupçonnons déjà : avec l'élection de Biden, la "fenêtre américaine" s'est ouverte en novembre et le bulldozer Renzi, à commencer par l'attentat contre la délégation de services aux mains de Conte, a ouvert la voie au "sauveur de l'euro", très estimé par l'establishment américain où il a été l'élève de Stanley Fisher, ancien député de la Fed et ancien directeur de la Banque centrale d'Israël.
Les Iraniens ne peuvent pas mordre à l'hameçon que constituent les propos doucereux de Biden qui se distancie de la guerre saoudienne et émiratie au Yémen et retire les Houthis de la liste noire des groupes terroristes. A Téhéran, ils se penchent sur le fond et lors de la prochaine élection présidentielle, si les choses restent en l'état, on peut imaginer que l'aile la plus dure de la République islamique pourrait prendre le dessus sur des modérés comme le président sortant Hassan Rohani.
L'année dernière, les Américains et les Israéliens ont éliminé un de leurs généraux, Qassem Soleimani, et un éminent scientifique comme Mohsen Fakrizadeh. Les États-Unis et l'État juif n'ont jamais cessé de bombarder les Pasdaran iraniens en Syrie et sont prêts à brouiller encore les eaux libanaises déjà passablement boueuses pour porter quelques coupssupplémentaires aux alliés du Hezbollah pro-iranien qu'ils voudraient expulser du Levant et du Moyen-Orient.
Sans compter que les États-Unis, dans la panoplie de leurs sanctions et par l'embargo pétrolier sur Téhéran, continuent à maintenir des dizaines de milliards de dollars gelés sur les comptes étrangers de l'Iran, au point d'empêcher la République islamique de négocier récemment un approvisionnement en vaccins anti-Covid avec la Corée du Sud.
Mais les Etats-Unis, insiste M. Biden, sont une démocratie et l'Iran n’en est pas une, donc ils peuvent punir qui ils veulent, comme ils veulent. Un argument un peu brutal, car la façade démocratique brillante des États-Unis a certainement été ternie par l'assaut contre le vénérable bâtiment du Congrès.
Mais Biden est un exportateur convaincu de la démocratie américaine, ce n'est pas pour rien qu'il a voté en 2003 en faveur de l'attaque contre l'Irak et qu'il s'est maintenant lancé dans d’agressives diatribes contre la Russie de Poutine sous prétexte de l'affaire Navalny.
Biden est un peu moins virulent contre la Chine car avec Xi Jinping, qu'il connaît bien, il est convaincu de s'entendre alors que les banques d'investissement de Wall Street, qui l'ont soutenu dans la campagne électorale, débarquent en force à Pékin. Bref, chacun a ses propres banquiers, qui ont très souvent travaillé pour le même maître.
Il est dommage que le visage démocratique de Biden, si impétueux avec l'Iran des ayatollahs, disparaisse lorsqu'il s'agit d'examiner les relations avec les satrapes du Golfe, les monarchies absolues et les ennemis des droits de l'homme, ou les dictateurs comme Al Sissi qui reçoit l'aide militaire américaine et peut faire ce qu'il veut sans la moindre objection de Washington.
Le gel temporaire des fournitures militaires américaines à Riyad vise en fait non pas tant à montrer que les États-Unis ont l'intention de s'entendre avec Téhéran qu'à convaincre les Saoudiens d'accélérer la reconnaissance d'Israël et, par suite logique, d'adhérer au Pacte d'Abraham. Puis la boucle sera bouclée avec la célébration du sanguinaire Laurent le Magnifique, Prince des sables.
11:54 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joe biden, états-unis, levant, moyen-orient, proche-orient, géopolitique, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 10 février 2021
Le monde change, la diplomatie s'adapte
Le monde change, la diplomatie s'adapte
Quelques jours avant la Journée des diplomates russes, le Centre russe de Bruxelles a organisé ce 4 février une discussion intitulée « Les défis de la diplomatie au XXIe siècle » dans le cadre du projet « Точка соприкосновения » (« Totchka soprikosnovenia », littéralement « point de contact »). Plusieurs spécialistes ont participé à cette discussion, dont Irnerio Seminatore, président de l’IERI (l’Institut européen des relations internationales de Bruxelles) et Sergueï Outkine, chef du groupe d’évaluation stratégique et directeur de recherches du Centre d’analyse situationnelle de l’IMEMO (l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales) E. M. Primakov de l’Académie des sciences de Russie.
Vera Bounina, directrice du Centre russe de Bruxelles, a ouvert la discussion. Dans son discours, elle a parlé des origines de la Journée des diplomates russes et a souligné les dates importantes de l’histoire de la diplomatie russe. La Journée des diplomates, qui est célébrée en Russie le 10 février depuis le décret présidentiel de 2002, « témoigne de la grande reconnaissance de la profession de diplomate ». Vera Bounina a également rappelé que l’école diplomatique russe est reconnue dans le monde entier et que beaucoup de brillants diplomates, d’actuels ministres de différents pays et de présidents de gouvernements étrangers sont diplômés de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou auprès des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et de l’Académie diplomatique du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.
Les spécialistes ont discuté des systèmes internationaux et de la fonction de la diplomatie, de la numérisation des relations internationales et des nouvelles sphères que les diplomates doivent maîtriser. Ils ont également discuté du moment opportun pour ouvrir un compte sur TikTok et du développement de leurs connaissances sur l’agenda climatique et le développement durable, des solutions pour survivre à l’époque de la guerre du numérique, de la « diplomatie publique », de Greta Thunberg, de la visite de Josep Borrell en Russie, et de bien d’autres sujets.
Irnerio Seminatore a donné un aperçu du développement de la diplomatie du point de vue des relations internationales et des intérêts nationaux. En parlant de la relation entre la diplomatie et la politique, il a rappelé que « un bon diplomate aide à prendre des décisions politiques, qui seront approuvées par les hommes politiques ».
Le rapport de Irnerio Seminatore se trouve ci-dessous.
Sergueï Outkine a présenté les nouveaux défis auxquels la diplomatie est confrontée : la numérisation de notre espace, le besoin de nouvelles compétences pour les diplomates, la « transparence » de l’environnement diplomatique et de l’accès aux données, le rôle changeant des chefs d’Etat, qui deviennent des ministres des Affaires étrangères à part entière au vu de leur agenda international actif, ainsi que le nombre grandissant de négociations internationales et de rencontres au sommet. Sergueï Outkine a souligné « le monde change, mais la diplomatie s’adapte à ces changements. »
En étudiant l’avenir des relations entre la Russie et l’Europe, Irnerio Seminatore a conclu que l’Europe et tous les pays indépendants de l’Europe occidentale sont intéressés par la possibilité de réaliser l’autonomie stratégique et l’indépendance politique du continent, ce qui est possible grâce à l’implication de la Russie dans ce processus.
Vera Bounina a remercié tous les participants pour cette intéressante discussion et pour la participation du public. Elle a ensuite paraphrasé les mots du patron de la diplomatie russe, le Prince Alexandre Nevski, dont nous célébrons le 200èmeanniversaire cette année : « La diplomatie non pas dans la force, mais dans la vérité ». Elle souhaité à tous de réussir dans leurs projets et a de nouveau souhaité une bonne fête à toutes les personnes concernées par la Journée des diplomates.
Le thème de cette discussion s’est révélé très populaire et a attiré un grand nombre de participants. De nombreuses personnes de Belgique et d’autres pays européens ont participé à cette discussion. Une interprétation simultanée, nouveauté importante, a été mise en place lors de cette réunion. Les événements du Centre russe sont désormais plus accessibles.
Vous pouvez visionner l’enregistrement de la réunion sur le site du Centre russe. Nous avons hâte de vous retrouver lors d’autres événements du Centre russe.
10:54 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diplomation, politique internationale, europe, affaires européennes, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Guerre économique sur le gaz russe
Guerre économique sur le gaz russe
par Pierre-Charles Hirson
Ex: https://www.ege.fr
Les Etats-Unis sont en train de mener une guerre économique sans merci contre la Russie sur l’approvisionnent en gaz de l’Europe, avec pour cible le projet Northstream 2 et l’Europe comme champ de bataille. Les américains n’hésitent à piétiner la souveraineté européenne en appliquant l’extraterritorialité de leur droit sur le territoire européen, aux entreprises européennes qui participent à ce projet. C’est un gazoduc reliant la Russie (Vyborg) à l’Allemagne (Greifswald) en passant par la mer Baltique traversant les eaux finlandaises, suédoises et danoises. Projet avoisinant 10 milliard d’euros. Il est financé à 51% par Gazprom et le reste entre ENGIE (France), OMV (Autriche), Shell (anglo-néerlandais), Uniper (groupe E.ON - Allemagne) et Wintershall Dea (groupe BASF - Allemagne) allant de 9% à 15%.
L’enjeu ici porte sur l’influence et l’accroissement de puissance via la dépendance de la relation Client / Fournisseur, avec l’Europe dans le rôle du client. La Russie est un partenaire incontournable car elle fournit la plus grande partie du gaz européen, presque 40% en 2018. L’Europe, entre recherche de dépendance énergétique et sécurité d’approvisionnements va tantôt pousser les américains à exporter leur gaz GNL (Gaz Naturel Liquifié) par méthanier, tantôt financer et autoriser des projets de gazoduc entre la Russie et l’Europe : Yamal-Europe, Northstream 1 et 2, Turkistream. Cependant la politique énergétique européenne est largement tributaire des choix politiques nationaux et individualistes de ses Etats membres. C’est ainsi que l’Europe se trouve divisée entre pays favorables et opposants au projet. Les acteurs européens majeurs sont l’Allemagne, seule grande bénéficiaire de ce projet, la Pologne, l’Ukraine et les Pays Baltes comme principaux opposants. Profitant des dissensions européennes, les Etats-Unis vont trouver des relais intra-européens pour justifier leur ingérence. Ils réclament l’annulation le projet Northstream 2 dans le but de protéger l’Europe et d’empêcher la Russie d’utiliser le gaz comme moyen coercitif. Nous allons voir comment se mets en place le piège américain et comment l’étau va se resserrer progressivement sur les entreprises européennes participant au projet.
Un enjeu de puissance américain
Les raisons de l’acharnement américain pour stopper le projet germano-russe Northstream 2 peut être vu de deux angles. L’un économique et l’autre sous une politique d’influence.
Economique, car rappelons-le, c’est bien L’Europe qui sollicite les Etats-Unis pour diversifier son approvisionnement. En 2015, un « paquet » de la Commission Européen lance les bases d’une « Union de l’Energie » qui trace un axe de diversification des fournisseurs de gaz via un recourt accru au GNL. La livraison de GNL par méthanier a l’avantage d’être flexible et présente une grande diversité de fournisseur, mais est plus cher que le gaz russe par gazoduc. Le rapport préconise également que la Commission fasse son possible pour « lever les obstacles aux importations de GNL en provenance des Etats-Unis ». Cela sera réalisé en 2015 et les premières exportations de GNL américain vers l’Europe se feront en 2016. Proche de l’autosuffisance grâce la révolution du gaz et pétrole de schiste amorcée en 2007, les Etats-Unis ont détrôné en 2009 la Russie en tant que premier producteur de gaz, et l’Arabie Saoudite depuis 2018 en tant que premier producteur de pétrole. La sécurité énergétique du pays est assurée et les sociétés privées américaines peuvent maintenant se lancer à l’assaut des marchés internationaux, avec la bénédiction de leur gouvernement, quitte à leur donner quelques coups de pouce.
Politique d’influence, car une Europe dépendante et sous emprise Russe, notamment la première puissance européenne qu’est l’Allemagne et nation cadre de l’OTAN qui plus est, serait une perte d’influence inacceptable pour Washington. La réorientation de la politique énergétique américaine se fait au service de sa politique de puissance, car livrer du gaz à l’Europe permet de réduire le déficit de la balance commerciale américaine vis-à-vis de celle-ci, de desserrer l’étau russe sur le marché du gaz européen, d’augmenter son potentiel d’influence dans la région comme fournisseur d’énergie.
Stratégie et ciblage des lois américaines à porter extraterritoriales
L’enchainement des sanctions américaines suit une gradation étonnante. Les premières datent de 2014, sous la mandature du président Obama suite à la crise de Crimée et elles se poursuivent sous le président Donald Trump notamment en 2017 avec le « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act » (CAATSA) (contrer les adversaires de l’Amérique par des sanctions) qui visent l’Iran, la Corée du Nord et la Russie.
Le début des sanctions contre la Russie :
Les différents trains de sanctions entre 2014 et 2018 sont de portés larges en visant des hommes politiques, des hommes d’affaires, des secteurs stratégiques comme l’énergie ou la défense, des restrictions financières et l’exportation de matériel technologique. L’objectif global est de pénaliser le développement de secteurs stratégiques russes. Cependant, le projet Northstream 2 et les sociétés européennes ne sont pas encore visées directement. Comme un pied de nez à l’administration américaine, le consortium signe en avril 2017 l’accord de financement. Washington est de plus en plus critique vis-à-vis du projet et se fait menaçant envers les européens. Lors du sommet de l’OTAN en juillet 2018, le président Trump déclare que « l’Allemagne est prisonnière de la Russie » et lui demande d’abandonner le projet. La pose des premiers tuyaux commence en septembre 2018 et par cet acte les Européens montrent qu’ils n’ont pas l’intention de laisser les Américains s’ingérer dans leurs affaires.
Les contraintes américaines entravent le développement des projets gaziers russes au sens large, mais le Northstream 2 avance et le développement d’usines de liquéfaction de gaz dans l’Arctique russe se font en partie avec des financements chinois. Les sanctions américaines manquent d’efficacité. Ils doivent revoir leur stratégie en visant des objectifs précis pour torpiller le Northsteam 2. Une course contre la montre s’enclenche avant que la pose des canalisations soit complète.
L’arme extraterritoriale niveau 1 : cible européenne – la société « Allsea »
La pièce maitresse du projet Northstream 2 est son bateau de pose de canalisation, le « Pioneering Spirit » de la société Suisse Allsea. Sans bateau d’installation, pas de pose de tuyaux au fond de l’eau et le projet s’arrête. Les Américains vont appliquer l’extraterritorialité de leur droit à une société européenne, dans les eaux européennes. C’est une première et cela va marcher. Le vote en décembre 2019 dans la loi du “Protecting Europe’s Energy Security Act of 2019 (PEESA) (Protéger la sécurité énergétique européenne) vise directement la société Allsea en « imposant des sanctions sur les bâtiments de constructions sur les pipelines d’exportation russe, et pour d’autres utilisations ». La société suisse s’exécute en suspendant son activité en décembre 2019 par crainte de sanctions américianes éventuelles.
L’arme extraterritoriale niveau 2 : cibler les sociétés russes de la pose de tuyaux
Les Etats-Unis anticipent le fait que la pose de canalisation reprendra tout ou tard avec des sociétés russes, hors de portées des lois américaines actuelles. C’est la raison pour laquelle le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompéo annonce en Juillet 2020 un durcissement des sanctions en incluant le projet Northstream 2 dans le « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act (Caatsa) » de 2017. Cela permet de poursuivre les sociétés russes participant à la construction de ce projet.
Effectivement, loin de renoncer au projet, les Russes travaillent sur la modification et l’achat de bateau de pose via les sociétés russes KVT-RUS pour le « Fortuna » et Gazprom avec le « Akademik Tscherski » pour reprendre l’activité abandonnée par la société suisse. Le chantier reprendra le 11 décembre 2020, soit après un an d’arrêt, afin de finir la pose des 6% de tuyaux restant soit 120 km dans les eaux danoises et 30 km dans les eaux allemandes.
L’arme extraterritoriale niveau 3 : Cibler les activités de support à la pose de canalisation
C’est une première victoire pour les Américains et leurs alliés européens. Le projet a été retardé d’un an. Ce temps précieux gagné va permettre aux Américains de préparer la suite. En anticipant les activités de pose par des sociétés russes, il faut trouver un autre angle d’attaque pour les empêcher de travailler. La stratégie est de cibler les sociétés en assistances de ces bateaux. Depuis Juin 2020 des sénateurs américains se penchent sur le sujet. Un « Act » est préparé et sera intégré au « National Defense Autorization Act » voté le 1er Janvier 2021. Celui-ci sanctionne toutes sociétés ou individus qui fourniraient des services et assurances à tout bateau de pose, des installations de soudage, des services de test et d’inspection pour les pipes du projet Northstream 2. En d’autres termes, c’est un encerclement juridique de sanction sur toutes activités et services liés aux bateaux russes. Le 13 Janvier 2021, le gouvernement américain avertit officiellement les entreprises européennes concernées en leur enjoignant de se retirer avant qu’il ne soit trop tard…. Le groupe norvégien de certification DNV GL se retire début Janvier 2021, et le groupe Zurich Insurance Group aurait lui aussi jeter l’éponge.
La stratégie américaine est pensée, redoutable, et les sanctions chirurgicales car ciblant des activités critiques à chaque fois. Les entreprises européennes abandonnent les unes après les autres de peur de sanctions, mais aussi peut-être par manque de soutien et de solutions judiciaires européennes les protégeant. Le champ des sanctions américaines s’adapte au fur et à mesure que les Russes et les Européens trouvent des solutions. Preuve pour ceux qui en doutaient de l’extraterritoriale du droit américain comme une arme de guerre économique, au service de la politique de puissance étatsunienne.
Le projet s’enlise mais continue toujours, l’Allemagne et la Russie poursuivant le projet malgré les contraintes. Mais le coup fatal pourrait bien venir d’ailleurs : de l’échiquier politique et sociétal Allemand. La nécessité du projet est de plus en plus critiquée ainsi que les violations répétées des droits de l’hommes du partenaire Russe.
Guerre informationnelle et encerclement cognitif en Allemagne
Depuis Obama en passant par Trump, les Etats-Unis n’ont fait qu’accroitre les sanctions sur la Russie en exploitant les affaires Skripal et Navalny. Il faut se remémorer qu’Alexeï Navalny, opposant au Kremlin, a été transporté de Russie en Allemagne pour y être soigné en août 2020. Cela s’est fait grâce à la médiation d’une petite ONG allemande « Cinema for peace» dont il serait intéressant d’étudier les ramifications. Cette affaire va être utilisée comme biais cognitif pour diviser la société et la classe politique allemande. Lier deux affaires visiblement sans rapport : le projet Northstream 2 et l’affaire Navalny en y incluant son arrestation dès son retour en Russie en Janvier 2021 et la répression des manifestants qui s’ensuivit. Le biais pourrait être résumé ainsi : l’Allemagne doit-elle et peut-elle faire confiance à la Russie, qui empoissonne ses opposants et réprime avec violence ses manifestants, en lui confiant une large part de sa sécurité énergétique. L’idée fait son chemin dans la classe politique allemande, mais la chancelière refuse de lier les deux affaires pour le moment, mais n’exclut pas des sanctions européennes à l’égard de la Russie. Cependant la question a été posée, et la graine a germé : droit de l’homme contre projet politico-économique.
Un autre relais d’influence puissant en Allemagne est le lobby écologique. C’est un puissant relais d’opinion qui est mobilisé depuis le départ contre le projet, mais au nom de la protection de l’environnement. Si le projet est suffisamment retardé, le sujet sera au menu des prochaines l’élections fédérale allemande de septembre 2021, dont le parti des verts d’Annalena Baerbock, de plus en plus populaire, sera certainement un membre influent du nouveau gouvernement. Il y aura fort à parier que cela se fera au détriment du projet. Annuler le projet pour des raisons écologiques pourrait être une porte de sortie honorable pour l’Allemagne, sans remettre en cause l’autorité américaine et l’extraterritorialité de son droit.
Intérêts divergents et divisions européennes
La Russie souhaite avec ce projet pérenniser ses parts de marché en Europe face à la concurrence du GNL, et ainsi maintenir son modèle économique de rente gazière. Elle souhaite aussi se positionner sur le marché européen du gaz dont les importations sont prévues à la hausse pour faire face à la baisse de la production intra-européenne. La Russie développe également une offre GNL, avec ses champs gaziers arctiques, pour diversifier ses débouchés vers l’Asie, mais aussi pour offrir à l’Europe mode de livraison plus souple et moins contraignant qu’un tuyau physique. Cependant l’Europe, qui capte la majeure partie des exportations russes, reste son premier marché (90% en 2016), tandis que le développement vers l’Asie est très concurrentiel. C’est un projet politique pour le Kremlin, mais aussi économique car c’est une rentrée d’argent importante pour une économie russe toujours fragile.
L’Allemagne a fait le choix politique, quoi qu’en disent ses dirigeants, de réaliser ce projet malgré les réticences de ses partenaires, malgré les alternatives possibles, malgré l’intérêt économique discutable et malgré les deux récents gazoducs la reliant à la Russie : Yamal-Europe en 2006 et Northstream1 en 2012. Est-ce une conséquence de l’ « Ostpolitk » allemande, axe politique repris par le chancelier Gerald Schröder qui est à l’origine des deux projets Northstream ou une dérive d’une partie de la classe politique et industrielle allemande ? On peut se poser la question lorsqu’on retrouve à la tête de Nord Stream AG, le "reconverti" Gerald Schröder, à la tête du consortium Nord Stream AG 2 Matthias Warnig ancien de la Stasi et proche du Kremlin, et nos deux compères au comité exécutif de Rosneft. De même pour la finance et l’industrie allemande. On va retrouver la Deutsche Bank, le KfW (Établissement de crédit pour la reconstruction) et la Dresdner Bank. La Dresdner Bank avec Matthias Warnig pour conseiller Gazprom lors des grandes manœuvres de consolidation des entreprises énergétiques russes dans les années 2000. Il serait intéressant d’étudier les liens entre les sociétés allemandes E.ON, RWE, BASF et Gazprom avec le jeu des actions par filiales et les nominations à ces conseils d’administration et voir s’il existe des liens unissant ses acteurs en montrant les intérêts communs pour ces projets. Un jeu d’acteurs et d’intérêts troubles pas forcement au profit de l’Allemagne, ni de l’Europe.
L’Allemagne a fait un choix individualiste qui pouvait paraitre stratégiquement intéressant sur le long terme. En se positionnant comme hub gazier régional avec un afflux de gaz russe pour accroitre sa puissance. Un hub, c’est une rente sur le transit gazier assurée et c’est avoir la main sur le robinet. De quoi avoir des arguments autour d’une table de négociation en face de ses partenaires européens. Cette stratégie se retourne contre elle par la force des événements, et explique certainement le manque de solidarité de ses autres partenaires.
L’Europe s’indigne, proteste et conteste, vigoureusement certes, de l’ingérence américaine. L’UE avait cru bien trouver un compromis tout technocrate pour calmer le courroux américain en Février 2019 en incluant le projet Northstream 2 dans « la réglementation européenne du gaz ». Cela oblige Gazprom et ses associées de dissocier les activités de fournisseur et producteur, et aussi de partager les installations avec d’autres fournisseurs / producteurs potentiels. C’est une perte de rentabilité énorme pour le consortium. Cependant le texte laisse la porte ouverte à des exemptions, et rien n’a été encore fait pour s’y conformer. Les Américains, ne se laissant pas noyer dans les méandres de la législation européenne, restent cohérents avec leur ligne de départ en exigeant l’arrêt pur et simple du projet. La Pologne aussi utilise son droit comme une arme économique pour infliger une amende de 6,5 milliards d’euro à Gazprom et sanctionne les cinq autres partenaires. De son côté Paris a appelé Berlin, début février à stopper le projet et ce malgré l’implication d’Engie.
Le GNL russe et sa montée en puissance dans l’arctique dans le collimateur américain
La Russie développe ses champs gaziers arctiques de Yamal et Gydan ainsi que des technologies liées au GNL. Les acteurs majeurs de ce développement sont la société privée russe Novatek, et des sociétés européennes (Total, Technip, Saipem, autres), chinoises (CNPC, Silk Road Fund, CNOOC) et japonaises. La Russie ambitionne de devenir un acteur majeur dans le GNL au vu de ses ressources, mais aussi de développer un savoir-faire de ces technologies. Cela lui permettrait de diminuer les risques de sanctions occidentales sur l’importation de technologie, car les sanctions américaines incluent déjà l’entreprise Novatek, ainsi que l’exportation de technologie et service pour des activités offshore dans l’Arctique.
Le réchauffement climatique rend possible l’exploitation de ces ressources et la navigation via la route du nord, malgré les conditions extrêmes. Cette route offre un avantage stratégique car elle est plus courte de 15 jours pour relier l’Atlantique au Pacifique sans passer par le canal de Suez. L’autre avantage stratégique est l’énorme avance russe avec ses 39 brise-glaces. Les Etats-Unis n’en possèdent qu’un en état de fonctionnement. Un volet de la stratégie américaine est de limiter le développement russe en Arctique en déployant des mesures coercitives sur la navigation via les organismes internationaux au nom de la protection de l’environnement. En novembre 2020, « L’International Maritime Organizations » (IMO) interdit la navigation des navires transportant du mazout lourd en Arctique, visant ainsi la flotte russe.
Les Etats-Unis sont devenus le troisième exportateur de GNL derrière l’Australie et le Qatar. La Russie est le quatrième et à de nombreux projets pour augmenter ses capacités, en exploitant les ressources importantes de l’Arctique qui repose sur la navigabilité de la route du nord. Les Etats-Unis essayent de contenir un compétiteur sur le marché du GNL, mais aussi la monté stratégique russe en Arctique, région qui est d’ores et déjà un enjeu géopolitique.
Implications et conséquences
Au-delà du bien-fondé ou non du projet Northstream 2, ou de l’intérêt américain de fournir du GNL aux européens, l’enjeu s’est maintenant déplacé sur la souveraineté européenne. Les Etats-Unis ont franchi le Rubicon. C’est au cœur de l’Europe, sur le territoire européen, que les Etats-Unis veulent sanctionner les entreprises européennes grâce à l’extraterritorialité supposée de leur droit. Le changement de locataire à la Maison Blanche qui déclare que l’Amérique est de retour et qu’elle est prête à conduire le monde, ne rassure en rien. De plus, faut-il y voir un hasard du destin lorsque Joe Biden choisit Anthony Blinken comme nouveau secrétaire d’Etat, lui qui a écrit « Ally versus ally », dont le sujet est la crise de 1982 entre la France, l’Allemagne, l’URSS et les Etats-Unis au sujet … d’un gazoduc sibérien. Les Etats-Unis avaient alors infligé des mesures de rétorsions aux Européens et à leurs entreprises, mais ils avaient su réagir en prenant des contre-mesures. Les sanctions seront abandonnées et le projet se fera. Preuve que l’Europe est capable de faire plier le géant américain pour défendre ses intérêts. Les ingérences américaines dans la vie européenne ne sont pas nouvelles, y compris dans le domaine de l’énergie, mais en revanche l’utilisation de leur droit sur le territoire européen en est une. C’est une complète violation de la souveraineté européenne qu’il faut voir comme les prémices de l’affrontement Chine / Etats-Unis. Si elle est piétinée par notre allié dans une période encore relativement calme, alors quel traitement nous attendra dans les zones de turbulences à venir... De l’autre côté, la Chine ne sera certainement pas plus enclin à respecter ni la souveraineté et ni les valeurs européennes.
Pierre-Charles HIRSON
Auditeur de la 35ème promotion MSIE
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dimanche, 07 février 2021
Ce qui se passe au Myanmar
Ce qui se passe au Myanmar
Par Daniele Perra
Ex : https://www.eurasia-rivista.com
Le 1er février, le Tatmadaw (les forces armées du Myanmar) est intervenu pour destituer la direction politique du pays suite à la crise générée par les accusations d'irrégularités électorales que l'armée elle-même a formulées après les élections de novembre. Le président Win Myint et la conseillère d'État Aung San Suu Kyi (une icône démocratique pour laquelle l'"Occident", depuis le début des années 2000 et plus précisément depuis l'ère Obama, avait investi des ressources considérables pour désengager le pays de l'orbite chinoise) ont été placés en état d'arrestation avec d'autres membres de la Ligue nationale de la démocratie (parti majoritaire) et de la "société civile". Il convient de rappeler que ce qui a été décrit dans les médias occidentaux comme un "coup d'État militaire" est en fait une opération menée conformément à l'article 417 de la Constitution de 2008, qui prévoit la possibilité de déclarer un "état d'urgence" pour une période d'un an (après coordination entre le Bureau et le Conseil de défense et de sécurité nationale) si des conditions se présentent qui menacent l'intégrité de l'Union, la solidarité nationale ou la pleine souveraineté de celle-ci[1]. Dans cette analyse, on tentera de mettre en évidence les raisons qui ont conduit à l'intervention militaire, le rôle potentiel des agents extérieurs et l'importance stratégique et géopolitique du pays asiatique.
Le 12 janvier 2021, le ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine, Wang Yi, a rencontré le chef des forces armées du Myanmar, Min Aung Hlaing, l'homme qui a assumé le rôle de chef du gouvernement après la déclaration de l'état d'urgence. Au cours de la réunion, les deux hommes ont défini la relation entre les deux pays en utilisant le terme "pankphaw" qui indique une relation d'amitié fraternelle[2]. En plus de remercier Pékin pour le soutien apporté au Myanmar dans la crise sanitaire générée par la pandémie et de garantir le soutien birman à la cause de la "Chine unique", Min Aung Hlaing a également soutenu la nécessité d'accélérer la construction du CMEC - China Myanmar Economic Corridor : le projet d'interconnexion des infrastructures entre les deux pays qui représente l'un des carrefours cruciaux de la nouvelle route de la soie.
Le CMEC, comme la branche sino-pakistanaise tout aussi fondamentale du projet d'infrastructure eurasien (CPEC), évite le transit commercial par les zones contestées de la mer de Chine méridionale et du détroit de Malacca, ouvrant à Pékin un accès direct à l'océan Indien et la possibilité d'établir des relations géopolitiques et géoéconomiques directes entre l'Asie et l'Afrique : c'est-à-dire le long de cet axe Sud-Sud (en opposition à l'hégémonie du Nord) déjà théorisé par le maoïsme et repris aussi, à une époque plus récente, par certains stratégistes sud-américains (comme dans le cas du "méridionalisme" du Brésilien André Martin). La valeur stratégique du CMEC est d'ailleurs donnée par la possibilité de connexion (et de contournement du rival indien) entre le port de Sittwe au Myanmar, celui de Hambantota au Sri Lanka et le port pakistanais de Gwadar[3]. C'est un projet qui inclut également la volonté de Pékin d'étendre le corridor sino-pakistanais vers l'Afghanistan. C'est pourquoi des forces multipolaires (de l'Iran au Pakistan, en passant par la Russie et la Chine) poussent à une pacification rapide du pays d'Asie centrale (par opposition à l'Inde qui continue à travailler sous le radar, non seulement pour maintenir un contingent nord-américain à Kaboul, mais aussi pour la déstabilisation de la région).
Le rôle de l'Inde, également au Myanmar, ne peut en aucun cas être sous-estimé. S'il est vrai qu'Aung San Suu Kyi (à la déception de ses partisans "occidentaux") n'a pas particulièrement affecté les excellentes relations traditionnelles entre le pays et la Chine et le programme de coopération avec cette dernière, il est tout aussi vrai que durant ses années de gouvernement, le pays, outre l'ouverture au circuit des ONG "sorosiennes", a connu un rapprochement substantiel avec New Delhi: une relation qui s'est intensifiée ces derniers mois avec le blocage de l'achat du vaccin anti-Covid chinois, auquel a été préféré celui de l'Inde.
Par ailleurs, New Delhi, qui n'est pas étrangère à la production de fausses informations pour discréditer ses rivaux [4], affirme depuis longtemps que la Chine soutient le trafic d'armes le long de la frontière indo-birmane en apportant un soutien logistique à certains groupes armés opérant à l'intérieur du Myanmar (l'armée d'Arakam et l'armée de l'État Wa) [5] : une stratégie d'information visant non seulement à aigrir les relations entre Pékin et Naypyitaw, mais aussi, compte tenu du rôle attribué à l'Inde par les États-Unis, à accélérer la déstabilisation d'un pays déjà profondément divisé selon des lignes ethniques-sectaires.
L'une des raisons qui auraient pu pousser les militaires à intervenir directement, outre le prétexte des irrégularités électorales, est l'observation du fait que l'institutionnalisation potentielle de la division de fait de l'Union aurait pu entraîner la création de nouveaux potentats locaux, susceptibles d'être cooptés par des puissances extérieures pour des raisons ouvertement contraires à l'intérêt national. En ce sens, le Tatmadaw, une institution farouchement nationaliste, aurait agi dans le respect de la Constitution de 2008 et de la défense de l'unité nationale[6]. L'un des souhaits exprimés par Wang Yi à Min Aung Hlaing lors de la réunion susmentionnée était en fait d'œuvrer à une "revitalisation nationale" du Myanmar.
Il n'est donc pas surprenant qu'avant même l'intervention des militaires (dont les dirigeants, parmi lesquels Min Aung Hlaing, il faut le dire, ont déjà fait l'objet de sanctions de la part de Washington et de Londres suite aux actions entreprises pour réprimer les troubles dans l'Etat de Rakhine entre les bouddhistes et une minorité musulmane que le gouvernement central estime être des descendants d'immigrants bengalis), les Etats-Unis ont menacé de punition sévère le Tatmadaw [7].
Pour être juste, certains ont avancé l'idée que la longue main des services nord-américains était à l'origine de l'action de l'armée. Cet aspect mérite une enquête plus approfondie. Tout d'abord, il faut noter que la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, surtout après avoir échoué à prendre position en faveur de ce qui est présenté en "Occident" comme le peuple Rohingya, a perdu une partie de sa "crédibilité démocratique", construite sur des apparitions en compagnie de Barack Obama et de la famille Soros. A cela s'ajoute le fait qu'elle n'a pas pu développer une politique étrangère en totale discontinuité avec le passé, en partie à cause d'un partage du pouvoir avec des appareils militaires historiquement liés (bien qu'avec des hauts et des bas) à la Chine et à la Russie [8]. Cependant, en prétendant qu'Aung San Suu Kyi aurait été déposée en relation avec l'extension birmane de la nouvelle route de la soie, on oublie que sur les 38 projets prévus au sein du CMEC, seuls 9 ont été approuvés à l'heure actuelle et que le Tatmadaw lui-même, en tant que corps militaire, est historiquement difficile à infiltrer par des appareils extérieurs. Il est beaucoup plus probable que les militaires eux-mêmes ont considéré que la figure du "champion du pacifisme" n'était plus consommable à l'extérieur et qu'elle était considérablement nuisible à l'intérieur.
Cela ne signifie pas que l'événement (attribuable, je pense, à une dynamique interne claire) ne peut pas, cependant, être utilisé par ceux qui, au fil des décennies, ont fondé leur stratégie géopolitique sur la création du chaos. Les réactions internationales à l'intervention militaire en ce sens sont emblématiques. Si la Chine et la Russie, parfaitement conscientes du rôle crucial de l'armée au Myanmar, ont maintenu une attitude diplomatique de non-ingérence dans les processus politiques internes, l'"Occident" a immédiatement avancé des critiques, des intimidations et des menaces, étant donné le constat de l'échec du programme d'exportation de la démocratie libérale.
Le nouveau secrétaire d'État américain, le "faucon démocratique" Antony Blinken, a ordonné aux militaires de revenir immédiatement sur leurs décisions. Le nouveau président américain Joe Biden a demandé l'intervention de la "communauté internationale" pour condamner l'action militaire. "Les États-Unis, a déclaré M. Biden, ont levé les sanctions contre la Birmanie au cours de la dernière décennie sur la base des progrès réalisés en matière de démocratie [...] l'annulation de ces progrès nécessiterait, selon le nouveau président américain, un examen immédiat des lois et autorités en matière de sanctions, suivi d'une action appropriée"[9].
Plus ou moins sur la même longueur d'onde, les déclarations du sénateur démocrate Bob Menendez, qui a appelé à l'imposition de nouvelles "sanctions économiques strictes"[10] et du diplomate Daniel Russel (l'homme qui a construit la relation entre l'administration Obama et Aung San Suu Kyi), qui a souligné que le "coup d'État" était une atteinte sérieuse portée aux intérêts régionaux des États-Unis, car cette intervention des militaires birmans a retiré le principal outil de l'Occident des leviers du pouvoir[11]. De plus, l'organe de la CIA en Asie, Radio Free Asia, a immédiatement servi de porte-voix pour la protestation d'Aung San Suu Kyi.
Il reste donc à voir comment les États-Unis peuvent exploiter la situation à leur avantage. Outre la possibilité susmentionnée d'utiliser l'Inde comme instrument de guerre hybride contre le Myanmar, une autre solution pourrait être la création d'un "scénario vénézuélien" (ou biélorusse) en ne reconnaissant pas le fait de la situation politique interne et en continuant à accorder une légitimité à un gouvernement sans pouvoir réel, dans l'espoir de déclencher un processus rapide de déstabilisation et de "balkanisation".
Dans ce contexte, le rôle de la Chine et de la Russie ne peut être que celui-ci : accompagner le Myanmar vers un processus politique qui garantisse la stabilité interne (également par le maintien des canaux commerciaux qui seront compromis par le nouveau régime de sanctions occidental éventuel) et l'absence d'intrusions extérieures non seulement à Naypyitaw mais aussi dans l'espace eurasien le plus large.
NOTES :
[1] On peut consulter le texte de la Constitution du Myanmar sur le site : www.constituteproject.org.
[2] Wang Yi meets with Myanmar’s Commander in Chief of Defense Services Min Aung Hlaing, www.fmrc.gov.cn.
[3] Le port sri-lankais d’Hambantota, fut en son temps mis en exergue comme exemple du caractère agressif du projet infrastructurel chinois dans un célèbre article de Georges Soros, publié dans la Financial Review. Le spéculateur international bien connu, dans sa contribution au titre révélateur, “Xi Jinping is the most dangerous enemy”, soutient la thèse que la Chine, par le « piège de la dette » chercherait à stranguler les pays inclus dans la « nouvelle route de la soie ». Toutefois quelques études émanant de la John Hopkins University et de l’Université de Boston ont démontré que la corrélation entre le problème de la dette des pays, dont question, et les travaux infrastructurels proposés est ténu.
[4] Emblématique en ce sens est la vaste campagne de désinformation produite par les médias indiens et amplement répercutée en Occident, contre le Pakistan. Voir, par exemple, The dead professor and the vast pro-India disinformation campaign, www.bbc.com; EU NGO report uncovers Indian disinformation campaign, www.aljazeera.com
[5] India accuses China of helping rebel groups on its Myanmar border, www.scmp.com.
[6] Il est bon de rappeler que la Constitution de 2008 prévoit que 25% des sièges au Parlement birman doivent appartenir de droit au Parti de l’Union, Solidarité et Développement, (organe politique du Tatmadaw) et qu’il faut garantir aux militaires le contrôle des affaires intérieures et, bien sûr, de la défense. Il va de soi que l’Armée (selon une modalité semblable à celle en vigueur en Egypte) jouit d’une substantielle autonomie en matière de gestion des investissements.
[7] US warns Myanmar’s military it’all be punished for coup, www.politico.com.
[8] Le 29 juin 1954, la Chine et la Birmanie ont scellé un Traité d’amitié basésur cinq principes de coexistence pacifique : a) le respect réciproque de l’intégrité et de la souverainté nationales ; b) non-agression mutuelle ; c) non ingérence réciproque dans les affaires intérieures des signataires ; d) avantages mutuels et égalité ; e) coexistence pacifique.De la fin des années 60 aux années70 du 20ème siècle, les rapports entre lesdeux paysse sont détériorés, suite aux révoltes antichinoises en Birmanie. Toutefois, pendant l’ère Deng, lesrapportsse sont améliorés, surtout suite à la signature de divers accords de coopération commerciale, à partir de la fin des années 80.
[9] Si veda Myanmar’s Army Chief challenges Biden, bets big on China, www.bloomberg.com.
[10] Ibidem.
[11] Si veda, Myanmar Army pledges new elections after one year state of emrgency; Suu Kyi urges public to protest, www.straitstimes.com.
[12] Aung San Suu Kyi urges protests to reject Myanmar miltary coup, 1-year state of emergency, www.rfa.org.
14:08 Publié dans Actualité, Eurasisme, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : birmanie, myanmar, asie, affaires asiatiques, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 06 février 2021
Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux
Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux
Mikhail Khazin
Traduction de Juan Gabriel Caro Rivera
Ex: https://www.geopolitica.ru
A propos du capitalisme « inclusif »
Je dois dire à tous ceux qui défendent les théories du complot qu'ils ne devraient pas lire ce texte : je n'écrirai rien qui ait un rapport avec la création du capitalisme inclusif qui est promu par le pape, les Rothschild et les Rockefeller (1). Pour cela, il vaut mieux lire la presse officielle.
Mais, et il est très important de le souligner, l'existence même d'un tel projet ne nous dit rien sur son propre contenu : les déclarations officielles sont souvent faites pour ne pas révéler la vérité et visent plutôt à cacher le contenu réel du projet.
Mais les gens sont très intéressés par ce sujet et écrivent beaucoup. Nous allons donc essayer de comprendre le problème en nous basant sur la façon dont nous comprenons nous-mêmes ce problème. Mais ce que nous écrivons ici est précisément une tentative et non une réponse à la question de savoir ce qui se passe. Notre perspective est donc la suivante : il existe un système de projets mondiaux, qui sont décrits de manière très détaillée dans notre livre Bridge to the Future. Nous avons fait valoir que face à ces projets mondiaux, il existe un certain nombre de projets civilisationnels qui n'ont pas encore atteint un niveau mondial, bien qu'ils tentent parfois de devenir une alternative.
Nous avons décrit ces six projets dans notre livre. Trois de ces projets sont mondiaux :
- Le projet juif global (le "Plan Salomon", le "Nouveau Londres") ;
- Le projet mondial "occidental" (également connu sous le nom de Finintern, dont le centre est à New York et dont le point focal est le FMI et Wall Street) ;
- Le projet islamique mondial (aujourd'hui défendu par la Turquie).
Et les trois autres projets sont de nature civilisationnelle et visent à prendre le pouvoir ou à devenir des projets au niveau mondial. C'est le cas :
- L'une d'elles est la relance du projet capitaliste classique qui est coordonné par le Vatican ("L'Internationale noire", l'aristocratie européenne, les francs-maçons, etc ;)
- Le projet chinois qui a abandonné (peut-être temporairement) le projet global "Rouge" et qui est mené par une série de clans militaires ;
- La Russie en tant que projet de civilisation qui hésite entre plusieurs options telles que l'"Internationale noire" (suivant l'idée que "Moscou est la troisième Rome"), le retour au projet global "Rouge" ou la création d'un centre de civilisation régional avec la Chine et est connu sous le nom de "Nouvelle Horde".
Par exemple, qu'est-ce que Brexit ? C'est une alternative à 1936 (lorsque le projet global "occidental" a réussi à remplacer le roi Edward VIII par le père de l'actuelle Reine et a ainsi vaincu les groupes qui appartenaient à l'élite dirigeante de l'Angleterre), c'est-à-dire au coup d'État que les banquiers ont fini par perdre.
Très probablement, jusqu'en 1936, Londres était dirigée par des représentants du projet juif (des représentants de "l'aristocratie noire" de Venise, qui, par l'intermédiaire de la Hollande, ont réussi à prendre le pouvoir en Grande-Bretagne pendant la "Glorieuse Révolution" de 1688). Cela explique le fait que tous les empires d'Europe continentale se sont effondrés à la suite de la Première Guerre mondiale et que les Britanniques sont les seuls à être restés intacts. Eh bien, Londres a toujours eu une relation difficile avec le Vatican.
Gardons à l'esprit que la "vieille" aristocratie (c'est-à-dire l’aristocratie continentale) d'Europe occidentale a tenté de se venger après la défaite de 1918 et pour cela, elle a soutenu Hitler, car elle considérait l'Angleterre comme son principal ennemi. Mais ils ont échoué et ont été contraints de se tourner vers l'Est et nous en connaissons les résultats. Soit dit en passant, toute la campagne antisémite que le NSDAP a encouragée à ses débuts visait à chasser les Juifs de Palestine, c'est-à-dire qu'elle était dirigée contre l'Angleterre elle-même.
Signalons quelque chose d'important. Depuis les années 1920, le projet juif se sent menacé par les banquiers, c'est-à-dire par l'élite du projet "occidental" qui, après la création du système de la Réserve fédérale aux États-Unis, a fini par s'installer dans ce pays. Et c'est pourquoi, depuis la fin des années 1920, ce projet a cherché à se connecter avec la NSDAP. Eh bien, à la suite de l'Holocauste, les principales victimes ont été les Juifs d'Europe de l'Est, dont une partie importante s’était installée sur ce territoire en provenance de l'ancienne Babylone et de la Khazarie. En d'autres termes, ils n'avaient rien à voir avec l'histoire de l'Empire romain et de l'Europe médiévale et, en général, étaient porteurs d'une notion du sacré complètement différente.
Au fait, le gendre de Trump représente les Hassidim, il a des ancêtres qui viennent de Khazarie. Cela nous permettrait d'approfondir l'histoire très complexe des relations que les Juifs du monde ont avec toutes les distinctions de la judaïté, et c'est un sujet que nous n'aborderons pas ici. Je ne tirerai qu'une seule conclusion de tout cela: en général, Trump, malgré son alliance avec le Vatican contre le projet global "occidental", ne constitue pas un tout en soi, lié au seul projet juif. Il est possible que si le projet de "Nouvelle Horde" (également connu sous le nom de "Grande Eurasie") réussit, Trump se joigne à ce projet, puisque la Khazaria fait partie de la zone des Grandes Steppes.
En ce moment, l'"Internationale noire" tente de mener sa deuxième revanche (elle a sa base d'opérations en Allemagne et a également un accord avec le Vatican), mais cette deuxième offensive a une faiblesse : il lui manque un modèle économique complet et cohérent qui lui donnerait les moyens nécessaires pour un projet de grande envergure. L'Allemagne et l'UE "vivent" aujourd'hui exclusivement sur le potentiel d'émission du dollar, qui est contrôlé par l'élite qui est à la tête du projet "occidental". Et comment agir dans une telle situation ? Les modèles économiques du projet capitaliste mondial sont désespérément dépassés et personne n'est capable de les adapter à la modernité : tous les experts sur lesquels ils comptent ont été formés selon les modèles du libéralisme. Le projet capitaliste est donc entré dans la phase de création d'un réseau et est principalement soutenu par les nationalistes. Et en Europe continentale, les nationalistes ne sont au pouvoir que dans quelques très petits pays.
Gardons à l'esprit que nous, les Russes, comprenons que ces ressources existent, mais que, de leur point de vue, nous devrions, au mieux, devenir un partenaire junior (et tout cela nous a été démontré de manière très dure par la Grande guerre patriotique). En Russie, la "cinquième" colonne se développe, mais pas la libérale, mais la "troisième colonne" comme le Tsarevich Hosha, toutes sortes de princes et autres marginaux que même pas 3% de la population soutient. Mais à mesure que la situation en Russie s'aggrave et, si aucune alternative n'est créée, ils finiront par accroître leur influence.
La situation à Londres s'est améliorée ! En fait, ils ont pu placer leur candidat aux Etats-Unis en 2016 (dans le cadre de la même logique nostalgique du "vieux" capitalisme), mais, l'important, c'est que maintenant il a perdu ! Le projet "occidental" a pris sa revanche sur les États-Unis et toutes les autres forces en présence doivent d'une manière ou d'une autre décider de ce qu'elles vont faire maintenant ! Gardons à l'esprit que le projet "occidental" a ses propres problèmes, tout d'abord : son principal outil, celui avec lequel ils ont pris le contrôle du monde entier à la fin des années 80, l'émission de dollars, a complètement épuisé son utilité. Mais, pour l'instant, les dollars peuvent être imprimés en n'importe quelle quantité et Trump n'est plus en mesure de l'empêcher.
Londres a donc recommencé à jouer. Ils ont un problème : le projet "occidental" domine dans l'UE, aux États-Unis et, de plus, on ne sait pas exactement quel rôle la Russie joue dans tout cela (car la Russie est sous le contrôle du projet "occidental" sur le plan financier et économique). La Russie a besoin de ressources propres (sa propre zone monétaire) dont elle ne dispose pas encore. Et Londres (sous le contrôle du projet juif) a commencé à promouvoir l'une des nombreuses factions qui existent dans le réseau du projet islamique mondial. Non pas Daesh, qui était auparavant promu par le projet "occidental", mais un autre, que l'on peut conditionnellement appeler le "califat rouge" dont le centre se trouve en Turquie (à Istanbul). L'objectif est de créer sur la base du monde arabe une zone monétaire avec Londres comme centre.
D'où, soit dit en passant, le conflit avec Israël. Londres n'a pas besoin d'Israël dans la nouvelle version du Moyen-Orient qu'elle crée (car Israël interfère avec son projet de califat rouge). Le projet "occidental" n'a pas non plus besoin d'Israël, car dans le cadre de cette confrontation interne entre Juifs, les sionistes ne sont pas en bons termes avec le secteur financier. Mais l'aristocratie européenne et le Vatican ont réellement besoin des Juifs (tant qu'Israël existera, les intérêts séculiers de l'État juif prévaudront sur les intérêts sacrés du projet juif). À l'époque, Clinton était prêt à capituler devant Israël et Trump y était prêt aussi.
Eh bien, maintenant, comme promis, je vais parler un peu du capitalisme "inclusif". Le pape, comme on peut le constater, fait partie de l'"Internationale noire" et est l'un des éléments moteurs de ce projet de réseau capitaliste. Les Rothschild font partie du projet juif qui a pris le pouvoir à Londres, mais ils se trouvent dans une situation extrêmement précaire : la menace d'un nouveau Trump se profile à l'horizon.
Les Rockefeller sont la partie américaine du projet qui anime ce réseau capitaliste. Et qui est l'ennemi commun de tous ? L'élite à la tête du projet "occidental". Et pourquoi ont-ils besoin d'une alliance ? Selon la logique que nous avons exposée, la réponse est évidente : ils ont besoin d'un nouveau modèle de croissance économique qui soit différent de la question du dollar ! Ils doivent d'abord détruire le projet "occidental", puis s'occuper des autres projets. Et le projet "occidental" n'a pas encore été battu.
Notons que le Pape a longtemps essayé d'aller dans cette direction, il y a quelques années un fonds spécial d'environ 100 millions a été créé qui était censé financer un certain nombre de recherches pertinentes (j'ai même publié un document sur la création de ce fonds qui existe quelque part et était ouvert aux investissements) ... Mais l'astuce n'a pas fonctionné, ils n'ont pas trouvé de spécialistes capables de mettre en œuvre un tel programme. Et maintenant, ils font la deuxième tentative. La tâche principale de cette coopération est de trouver un mécanisme de développement qui permettra de vaincre enfin le projet global "occidental".
Et tous les autres projets, où en sont-ils ? La Chine s'attend à une crise inévitable, l'arrivée de Biden lui permet de retarder cet effondrement pour un certain temps, c'est-à-dire d'accumuler toutes sortes de réserves. Xi a déjà annoncé une transition pour lancer une série d'activités étatiques (sinon la Chine ne survivra pas du tout car elle ne pourra pas s'orienter vers le marché intérieur), mais il manque à la Chine un projet global ! La Chine est mal comprise au-delà de ses propres frontières, elle ne dispose pas de ce que l'on a récemment appelé le "soft power". Elle peut essayer de revenir au projet "Rouge", mais elle doit encore former un personnel important pour pouvoir le développer et la crise n'a pas encore commencé. Dans l'ensemble, ils ont encore des options, mais ils se trouvent dans un moment assez difficile.
Le projet juif a également été réactivé après le "Brexit", mais ils ont peu de ressources et sont confrontés à une inévitable guerre éclair. Soit ils remporteront une victoire rapide, soit ils subiront une défaite inévitable. Cela explique l'activité que Londres développe en Transcaucasie : elle a choisi la Turquie comme bélier et comme instrument, j'ai déjà écrit à ce sujet. Et ils doivent remporter une victoire rapide (c'est-à-dire qu'ils pourront former leur propre zone monétaire) ou la Grande-Bretagne, dans le cadre de l'histoire mondiale, cessera d'être considérée comme une grande puissance. Certes, le projet juif peut être relancé, mais la Grande-Bretagne va disparaître.
Le projet capitaliste a déjà perdu une de ses Blitzkriege et il lui est maintenant très difficile de manœuvrer politiquement, aussi espère-t-il, par ses récentes démarches politiques, s'allier à la Russie. Le seul obstacle sur son chemin est Poutine. C'est pourquoi une attaque très agressive contre Poutine se développe, qui est non seulement soutenue par le projet "occidental" (on comprend bien pourquoi l'élite de ce projet craint tant que Poutine n'entame une purge illibérale dans leur pays), mais qui trouve également un écho auprès de toute l'élite européenne. La seule différence est que les premiers détestent totalement la Russie (avec Poutine), tandis que les seconds sont tout à fait disposés à accepter la Russie, même en tant que partenaire junior, mais sans Poutine.
En fait, j'ai presque entièrement décrit le rapport de force. Seule la Russie a été exclue de ce scénario. Mais ici, je ne dirai rien pour l'instant, puisque Poutine n'a pas encore fait son choix. Plus précisément, je veux dire que la Russie manœuvre dans un scénario très difficile sans montrer à personne son véritable plan. Ici, comme lorsque l'on fait du vélo, il est beaucoup plus facile de rouler que d'être surpris par la façon dont on le fait. On ne peut donc qu'admirer le talent de Poutine, ce sera une autre affaire quand il prendra sa décision et il ne fait aucun doute qu'à ce moment-là, les partisans des autres projets finiront par détester cette décision.
Note :
- https://katehon.com/ru/article/zakulisa-snimaet-maski
12:45 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, poutine, géopolitique, vladimir poutine, politique internationale, russie, mondialisme, globalisation | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 05 février 2021
Europe et Russie, Schröder parle
Europe et Russie, Schröder parle
Par Emanuel Pietrobon
Ex : https://it.insiderover.come
Gerhard Schröder, titulaire de la chancellerie allemande de 1998 à 2005, restera dans les mémoires comme le dernier porte-drapeau de l’Ostpolitik. Architecte de Nord Stream, adepte de la thèse sur la soi-disant "Gerussia", intolérant à l’endroit de l'hégémonie américaine et l'un des plus grands critiques de la politique étrangère d'Angela Merkel, Schröder peut vraiment être considéré comme le dernier penseur politique eurasiatique résidant à Berlin.
Bien qu'il soit sorti de la politique depuis plus de quinze ans, l'ancien chancelier continue à être actif en coulisses de la scène internationale et à défendre ardemment ce qui était, et est toujours, sa Weltanschauung. Interviewé récemment par un journal allemand, le Rheinischer Post, M. Schröder a parlé de l'état actuel des relations russo-allemandes, de Nord Stream 2 et d'Aleksei Navalny, et a expliqué pourquoi il est dans l'intérêt de l'Allemagne (et de l'Europe) de traiter la Russie à l'amiable et de s'efforcer de comprendre ses aspirations et ses revendications.
Des partenaires, pas des adversaires
L'interview de l'ancien chancelier allemand a été publiée par le Rheinischer Post le 30 janvier et mérite d'être révélée au public italophone du moins dans ses parties essentielles. Schröder est catégorique et sa position intransigeante: la Russie "ne doit pas être traitée comme un adversaire, mais comme un collaborateur potentiel", et l'Allemagne doit la laisser se développer et mûrir véritablement, sans contraintes et/ou pression extérieure, "sa propre identité et sa propre force économique".
Une Russie forte suscite la crainte à première vue, en raison également de son passé historique vis-à-vis des puissances européennes et de ses immenses dimensions géographiques, mais Schröder croit fermement à la nécessité historique de transformer en réalité l’axe symbiotique entre Berlin et Moscou, un lien basé sur la parfaite complémentarité entre le complexe technologico-industriel allemand et les richesses infinies du sous-sol russe et qui aurait le potentiel de recentrer les relations internationales en faveur de l'Europe.
Les Allemands, selon l'ancien chancelier, seraient conscients de l'erreur politique et historique de Merkel d'amalgamer l'agenda étranger européen à l’égard Moscou avec celui des Etats-Unis : "Les attaques contre la Russie ne reflètent pas l'opinion de la majorité".
Achever le Nord Stream 2
L'achèvement du Nord Stream 2 fait partie de la construction de la Gerussie, une union entre l'Allemagne et la Russie. La modernisation du gazoduc, affirme M. Schröder, doit être réalisée à tout prix, au-delà de la pression des États-Unis et d'une partie de l'Union européenne elle-même, car "elle garantira l'approvisionnement énergétique des prochaines générations" et facilitera la transition verte.
L'Allemagne "couperait la branche sur laquelle elle est assise" en se soumettant à la campagne de lobbying lancée par l'administration Trump, qui est toujours en cours ; de plus, poursuit l'ancien chancelier, l’Allemagne ferait une très mauvaise affaire si elle acceptait de remplacer le gaz russe par du gaz liquéfié américain. Ce dernier, selon M. Schröder, serait "nuisible à l'environnement, plus cher et de mauvaise qualité’’.
N'intervenez pas
L'interview s'est concentrée sur des questions d'actualité. L'ancien chancelier a donc également été interrogé sur Aleksei Navalny. Schröder se montre totalement indifférent au sujet et au personnage, se disant plus intéressé par "les questions fondamentales que par les discussions éphémères". Contournant l'obstacle, ou plutôt le traitant à sa manière, l'ancien chancelier a rappelé au public l'une des règles de base des relations internationales: le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres.
La leçon de Schröder, résumée dans cette réponse brève mais éloquente, est d'une importance fondamentale: c'est précisément à cause de ce que le politologue Samuel Huntington a appelé "l'arrogance occidentale", c'est-à-dire la propension innée du bloc euro-américain à s'immiscer dans les sphères d'influence des autres, que les relations entre l'Occident et la Russie sont au plus bas, et l'affaire Navalny en est une des nombreuses manifestations.
Si l'Allemagne et l'Europe acceptaient le caractère naturel et inévitable des différences, un redémarrage concret et durable avec la Russie serait possible. L'alternative à la reconnaissance (et à la valorisation) des différences mutuelles - c'est une évidence - est une relation articulée sur un antagonisme anti-économique, sur un endiguement éternel intrinsèquement dangereux pour la paix mondiale et, enfin, sur la perpétuation de la condition de dépendance du système européen vis-à-vis des États-Unis.
19:52 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gehrhard schröder, allemagne, europe, russie, affaires européennes, géopolitique, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 04 février 2021
Comment la Turquie, l'Iran et le Pakistan se connecteront dans le "Bri" chinois
Comment la Turquie, l'Iran et le Pakistan se connecteront dans le "Bri" chinois
par Giuseppe Gagliano
La Turquie, l'Iran et le Pakistan ont annoncé qu'ils allaient relancer la ligne ferroviaire Istanbul-Téhéran-Islamabad (Iti). Une étude approfondie dusujet par Giuseppe Gagliano.
Hier comme aujourd'hui, le développement des infrastructures ferroviaires constitue un aspect fondamental pour le développement économique. Ce n'est pas un hasard si la Turquie, l'Iran et le Pakistan ont annoncé qu'ils allaient relancer la ligne ferroviaire Istanbul-Téhéran-Islamabad (Iti), un projet qui avait déjà été mis en place en 2009. Malgré de nombreux essais, la liaison ferroviaire n'était pas encore pleinement opérationnelle. En fait, certains problèmes d'infrastructure doivent encore être résolus avant que cet important axe ferroviaire puisse être mis en place dans le cadre de l'initiative chinoise "Ceinture et route" (Bri – Belt & Road Initiative).
Une fois pleinement opérationnel, le chemin de fer pourra promouvoir le commerce dans d'autres pays, notamment l'Afghanistan, l'Azerbaïdjan et cinq États d'Asie centrale, dans le cadre de l'Organisation de coopération économique, une plateforme de développement, de commerce et d'investissement fondée en 1985 par l'Iran, la Turquie et le Pakistan. Le train pourra parcourir les 6500 km qui séparent le Pakistan de la Turquie en seulement 11,5 jours, contre 45 jours habituellement par voie maritime.
Selon de récents rapports des médias, le service pourrait également être relié au Xinjiang en Chine par la ligne ferroviaire Mainline-1 du Pakistan. En fait, l'un des projets les plus importants du corridor économique Chine-Pakistan (Cpec) est le projet ML-1, dans le cadre duquel les lignes ferroviaires existantes du Pakistan seront modernisées pour permettre aux trains de circuler deux fois plus vite qu'aujourd'hui.
Ce projet, approuvé par le principal organe économique du Pakistan en août 2020, coûtera 6,8 milliards de dollars, la Chine apportant 90 % du financement. Le projet devrait être achevé à la fin de l'année 2026.
Tout à l'heure, nous avons parlé des problèmes qui ont empêché l'achèvement de ce projet dans les délais voulus. Eh bien, premièrement, le retard de cette importante infrastructure ferroviaire a été causé par les sanctions économiques contre l'Iran ; deuxièmement, seuls les trajets de trains de marchandises ont été testés, même si l'itinéraire a été reconnu par les Nations unies comme un corridor international.
Troisièmement, les liaisons ferroviaires du Pakistan doivent être modernisées pour être reliées aux lignes internationales. Le chemin de fer pakistanais sera relié à la ligne de chemin de fer Iti via Quetta, dans la province du Baloutchistan, au sud-ouest du pays. La ligne ferroviaire Quetta-Taftan, qui sera utilisée pour le train Iti, a été construite il y a un siècle et doit être modernisée.
En août dernier, le ministre pakistanais des chemins de fer a annoncé qu'une étude de faisabilité pour la modernisation proposée avait été réalisée et que 694 millions de dollars seraient dépensés pour les réparations nécessaires. Ce processus devra être achevé rapidement afin que le train Iti puisse être mis en service dans les délais prévus.
En ce qui concerne l'Iran, cette infrastructure est très pertinente car elle peut contribuer à relancer l'économie du pays frappé par les sanctions américaines. Pour Téhéran, il s'agit d'une route commerciale alternative attrayante car les pays de l'OCDE commercent en monnaie locale et donc, en temps de crise et de guerre, ces routes commerciales alternatives sont très précieuses et rentables.
En outre, le projet ferroviaire Iti peut également promouvoir d'importants axes ferroviaires dans le cadre de l'initiative chinoise "Belt and Road". En effet, la Chine considère que les liaisons de transport iraniennes font partie de l'initiative et donc de sa projection de puissance.
Pour se rendre compte de l'importance réelle de cette infrastructure, pensons au fait que le 4 décembre, un train d'exportation en provenance de Turquie est parti pour la Chine et est arrivé à Xian, dans la province de Shaanxi, le 19 décembre, devenant ainsi le premier train à relier la Turquie à la Chine.
Le train a suivi l'itinéraire de transit international de la mer Caspienne via la ligne ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars. La route Iti est désormais beaucoup moins compliquée et, en reliant Pékin à l'Iran et à la Turquie via le Pakistan, elle peut devenir un élément important de l'initiative chinoise "Belt and Road".
Bien sûr, le tracé du train ITI va également accroître l'importance stratégique et économique du Pakistan, mais cela ne sera possible que si Islamabad est en mesure de renforcer son infrastructure ferroviaire.
Avec cette nouvelle ligne ferroviaire, la Turquie, l'Iran et le Pakistan se positionneront sans aucun doute comme une plaque tournante importante entre l'Europe et l'Asie. Mais cette nouvelle ligne de fret augmentera également la connectivité et les échanges entre les trois pays. Le commerce régional est limité. Par exemple, seulement 1,26% des exportations du Pakistan sont destinées à la Turquie et moins de 0,1% à l'Iran.
Pour que cela soit rentable, le Pakistan, l'Iran et la Turquie devront nécessairement mieux coordonner leurs politiques économiques afin que les entreprises locales utilisent cette nouvelle ligne.
Cette ligne permettra aux entreprises étrangères d'accroître leurs échanges commerciaux avec la Turquie, l'Iran et le Pakistan. Les entreprises européennes pourront alors trouver de nouveaux marchés dans les trois pays afin de créer de nouvelles relations économiques.
18:06 Publié dans Actualité, Eurasisme, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : liaisons ferroviaires, turquie, iran, pakistan, chine, asie, affaires asiatiques, géopolitique, routes de la soie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 03 février 2021
Karl Haushofer en het nationaal-socialisme: tijd, werk en invloed door Perry Pierik
Bespreking van: Karl Haushofer en het nationaal-socialisme: tijd, werk en invloed door Perry Pierik
Björn Roose
Wie zich ook maar voor een uurtje in geopolitiek verdiept – en dat zijn er sinds die tak van de wetenschap de laatste decennia weer enigszins gededouaneerd is geraakt toch niet weinig –, komt hoe dan ook bij de naam Karl Haushofer terecht. Het is dan ook enigszins spijtig dat Perry Pierik het woord “geopolitiek” niet eens vernoemt op de cover van dit boek, zodanig dat wie nog nooit gehoord heeft van geopolitiek niet door dat woordje kan aangetrokken worden om het boek ter hand te nemen. Nah ja, “nationaal-socialisme” zal een belangrijker verkoopsargument geweest zijn en Pierik is per slot van rekening niet alleen schrijver, maar ook uitgever (dit boek is uitgegeven bij Aspekt, waarvan hij de eigenaar is) en boeken over het nationaal-socialisme en aanverwanten zijn zo’n beetje de specialiteit van zijn uitgeverij. “Als de nationaal-socialisten niet hadden bestaan, dan hadden ze ze moeten uitvinden”, zei een Franstalige kennis van me wel eens en hij had voor de wereld van uitgevers, documentairemakers en cineasten zeker gelijk.
Nu, los daarvan, dit Karl Haushofer en het nationaal-socialisme is een redelijk sterk boek. Ook voor wie meer wil weten over geopolitiek, want Pierik gaat uitgebreid op het vakgebied in in het derde hoofdstuk Geopolitik: de mores van het vak. De ideeën van Friedrich Ratzel, Rudolf Kjellén, Halford Mackinder en uiteraard Karl Haushofer en de andere geopoliticus in de familie, zijn zoon Albrecht passeren, samen met die van een aantal mindere goden, uitgeverijen, begunstigers, enzovoort, de revue. Bovendien zijn in het boek 35 bladzijden aan voetnoten opgenomen en 20 bladzijden aan literatuurregister. Daarin zit héél veel over de geopolitiek, zodat wie zich verder wil verdiepen in die wetenschap zich nog lang niet zal gaan vervelen.
Maarreuh, geopolitiek, was dat niet iets van de nationaal-socialisten? Was dat niet de semi-wetenschappelijke uitleg die ze gaven aan hun drang naar Lebensraum (en nach Osten)? Zou zoiets niet beter in de hoek blijven liggen waarin het na WOII geschopt is? Wel, dat soort vragen zal allicht ook de reden geweest zijn waarom Pierik dit boek geschreven heeft.
Mijn mening: politici (en dat zijn nationaal-socialisten net zo goed al communisten en “democraten”) maken altijd, net zoals “gewone” burgers (én een groot deel van de wetenschappelijke wereld), misbruik van die conclusies die de wetenschap (tijdelijk) trekt en stofferen er hun eigen aannames mee. Dat dat zal gebeuren, mag geen reden zijn om niet verder te streven naar kennis. En als iemand streeft naar kennis, zal hij doorgaans niet zoveel zelfbeheersing aan de dag leggen dat hij die voor zich houdt tot ze “volledig” is. Wetenschappers hebben een ego, willen niet dat een ander hen vóór is, en verdienen óók graag hun boterham.
Dat er zelfs in de definitie van geopolitiek nogal verschillen zitten van persoon tot persoon, van instelling tot instelling, maakt het er uiteraard niet makkelijker op. Dat er héél veel factoren meespelen óók niet. En dat iedereen er mee doet wat hem zint al evenmin. David Criekemans definieerde geopolitiek in 2005 als “het wetenschappelijk studieveld behorende tot zowel de Politieke Geografie als de Internationale Betrekkingen, die de wisselwerking wil onderzoeken tussen de politiek handelende mens en zijn omgevende territorialiteit (in haar drie dimensies; fysisch-geografisch, menselijk-geografisch en ruimtelijk)”, wat het wel zo’n beetje samenvat, maar ook meteen duidelijk maakt dat geopolitiek over álles kan gaan en overal heen kan.
Is het dan eigenlijk wel een wetenschap, kan je je afvragen? En, weerom mijn mening, dat is het en dat is het niet. Is filosofie een wetenschap? Is psychologie een wetenschap? Is economie een wetenschap? Die eerste twee vragen zullen veel mensen meteen met een “nee” beantwoorden, al zullen de beoefenaars van de wetenschap in kwestie daar wellicht een andere mening over hebben, maar economie wordt algemeen gezien als wetenschap. Ik, als economist, zeg dat het dat niet is. Op basis van de economische “wetenschap” zijn systemen gevestigd die zo ver uiteenlopen als communisme en kapitalisme, verdedigt de ene een “miljardairstaks” en de andere een “flat tax”, is de ene in crisistijden voor zware overheidsinvesteringen terwijl de andere pleit voor het buiten de economie blijven van de staat. En elke politicus én elke economist heeft “wetenschappelijke” bewijzen die zijn gelijk staven. En stuk voor stuk zijn ze van oordeel dat hun tegenstanders onwetenschappelijke klungelaars zijn. Of ze negeren die tegenstanders volkomen. Ergo: als we economie als een wetenschap beschouwen, kunnen we geopolitiek óók als een wetenschap beschouwen.
Sterker nog: er is eigenlijk véél meer overeenstemming in de geopolitieke wereld dan er in de economische wereld is. Zonder dat die overeenstemming met de macht van de straat afgedwongen wordt (cfr. de zogenaamde consensus in de wetenschappelijke wereld over klimaatopwarming, afgedwongen door activistische politieke instellingen en dito van mediatieke roeptoeters voorziene burgers). Er zijn een aantal verschillende verklaringsmodellen, geen daarvan is volledig, en er is sprake van voortschrijdend inzicht, maar de voorlopige conclusies gaan geen radicaal verschillende richtingen uit. Én het is ook gewoon een razend interessant kennisdomein, zeker in tijden waarin grotendeels gedaan wordt alsof grenzen voor eeuwig vastliggen, handels- en andere oorlogen zich bedienen van flauwe excuses, en gedateerde internationale instellingen hun leven proberen te rekken.
Nu, ook los van de rol van Karl Haushofer in de geopolitiek – een rol die eigenlijk nauwelijks kan overschat worden – is dit een interessant boek. De naam van Haushofer zal namelijk zelden genoemd worden zonder ook die van Rudolf Hess te noemen. Rudolf Hess, de gevangene en gehangene van Spandau, de plaatsvervanger van Adolf Hitler, de man met een vredesmissie, is ondanks alle literatuur die over hem gepleegd is nog steeds een van de enigma’s van de twintigste eeuw (daar kom ik bij een latere boekbespreking nog op terug). En hij was jaren een leerling en vriend van Karl Haushofer en diens zoon Albrecht. Hij had hun naamkaartje op zak toen hij naar Schotland vloog. De Haushofers wisten (de zoon in verschillende hoedanigheden) naar alle waarschijnlijkheid van zijn plannen. Al die zaken komen aan bod in Karl Haushofer en het nationaal-socialisme – Tijd, werk en invloed, wat toch veel meer is dan wat Wikipedia ter zake vermeldt. Dat spreekt namelijk alleen van Hess die Haushofers ideeën zou geïntroduceerd hebben bij Hitler en van Hess die Haushofers “joodse familie” (Haushofers vrouw was joods) beschermde tegen diezelfde Hitler, maar vertikt het het ook maar met een woord te hebben over de invloed die de Haushofers (zowel Karl als Albrecht) gehad hebben op zijn “vlucht”.
En dan is er natuurlijk ook nog Karl als vader van Albrecht. De twee kwamen na de “vlucht” van Hess in een neerwaartse spiraal terecht (het nationaal-socialistische regime was zich wél bewust van het feit dat er een samenhang was tussen Hess en de Haushofers die véél verder ging dan het promoten van geopolitieke ideeën), maar zelfs binnen die spiraal bleven ze een merkwaardig evenwicht bewaren. Een evenwicht tussen afkeuring en goedkeuring van de Führer, tussen conservatisme en nationaal-socialisme, tussen oost en west, tussen esoterisme en wetenschap. Een evenwicht dat kennelijk heel moeilijk te begrijpen is in hysterische tijden als de onze en dat daarom steeds weer afgedaan wordt als onzin. Een evenwicht dat Karl Haushofer niet kon redden van een gevangenschap in Dachau en Albrecht Haushofer van executie in de nasleep van het conservatieve von Stauffenberg-complot. Een evenwicht dat Karl Haushofer en zijn echtgenote Martha definitief verloren toen ze zich op 10 maart 1946 achtereenvolgens vergiftigden en ophingen (al lijkt me dat, in combinatie met het lot van Hess, sowieso ook weer een eigenaardigheid).
Voeg aan dit alles een een hoofdstuk toe over de Duitse Sonderweg, een gedegen uitleg over de revolutionaire toestand die uiteindelijk Hitler aan de macht bracht, een stavaza van de geopolitiek op het moment van publicatie (2006) en zelfs – al hoefde dat voor mij niet – een hoofdstuk over wat er van Karl Haushofer gemaakt is in de esoterische literatuur, en je weet dat dit boek van Perry Pierik een aanrader is. Lezen dus !
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mardi, 02 février 2021
Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir
Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir
par Manlio Dinucci
Source : Il Manifesto et https://www.ariannaeditrice.it
L'OTAN se tourne vers l'avenir. C'est pourquoi le secrétaire général Jens Stoltenberg a invité des étudiants et de jeunes dirigeants des pays de l'Alliance à proposer "de nouvelles idées pour l'OTAN 2030". Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'implication croissante des universités et des écoles, avec également un concours sur le thème : "Quelles seront les plus grandes menaces pour la paix et la sécurité en 2030 et comment l'OTAN devra-t-elle s'adapter pour les contrer ?
Pour réaliser ce thème, les jeunes ont déjà le manuel : "OTAN 2030 / Unis pour une nouvelle ère". Ce rapport est présenté par un groupe de dix experts nommés par le Secrétaire général. Parmi eux, Marta Dassù qui, après avoir été conseillère en politique étrangère du Premier ministre D'Alema pendant la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, a occupé des postes importants dans les gouvernements successifs et a été nommée par le Premier ministre Renzi au conseil d'administration de Finmeccanica (aujourd'hui Leonardo), la plus grande industrie de défense italienne.
Quelle est la "nouvelle ère" que le groupe d'experts envisage ? Après avoir défini l'OTAN comme "l'alliance la plus réussie de l'histoire", qui a "mis fin à deux guerres" (celles contre la Yougoslavie et la Libye, mais que l'OTAN a déclenchées), le rapport brosse le tableau d'un monde caractérisé par "des États autoritaires cherchant à étendre leur pouvoir et leur influence", posant aux alliés de l'OTAN "un défi systémique dans tous les domaines de la sécurité et de l'économie".
Retournant les faits, le rapport affirme que si l'OTAN a tendu une main amicale à la Russie, celle-ci a répondu par une "agression dans la zone euro-atlantique" et, en violant les accords, a "provoqué la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires". La Russie, soulignent les dix experts, est "la principale menace à laquelle l'OTAN doit faire face au cours de cette décennie".
En même temps, affirment-ils, l'OTAN est confrontée à des "défis sécuritaires croissants de la part de la Chine", dont les activités économiques et les technologies peuvent avoir "un impact sur la défense collective et la préparation militaire dans la zone de responsabilité du commandant suprême des alliés en Europe" (qui est toujours un général américain nommé par le président des États-Unis).
Après avoir tiré la sonnette d'alarme sur ces "menaces" et d'autres, qui viendraient également du Sud, le rapport des dix experts recommande de "cimenter la centralité du lien transatlantique", c'est-à-dire le lien de l'Europe avec les États-Unis dans l'alliance sous commandement américain.
Dans le même temps, il recommande de "renforcer le rôle politique de l'OTAN", en soulignant que "les Alliés doivent renforcer le Conseil de l'Atlantique Nord", le principal organe politique de l'Alliance qui se réunit au niveau des ministres de la défense et des affaires étrangères et au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Puisque, selon les règles de l'OTAN, il prend ses décisions non pas à la majorité mais toujours "à l'unanimité et d'un commun accord", c'est-à-dire fondamentalement en accord avec ce qui est décidé à Washington ; renforcer encore le Conseil de l'Atlantique Nord signifie affaiblir encore plus les parlements européens, en particulier le parlement italien, qui sont déjà privés de réels pouvoirs de décision en matière de politique étrangère et militaire.
Dans ce cadre, le rapport propose de renforcer les forces de l'OTAN, en particulier sur le flanc Est, en les dotant de "capacités nucléaires militaires adéquates", adaptées à la situation créée par la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (traité déchiré par les États-Unis). En d'autres termes, les dix experts demandent aux États-Unis d'accélérer le déploiement en Europe non seulement des nouvelles bombes nucléaires B61-12, mais aussi des nouveaux missiles nucléaires à moyenne portée similaires aux euro-missiles des années 80.
Ils demandent en particulier de "poursuivre et de revitaliser les accords de partage nucléaire", qui permettent à des pays officiellement non nucléaires, comme l'Italie, de se préparer à l'utilisation d'armes nucléaires sous le commandement des États-Unis. Les dix experts rappellent enfin qu'il est essentiel que tous les alliés maintiennent l'engagement, pris en 2014, d'augmenter leurs dépenses militaires d'ici 2024 d'au moins 2% du PIB, ce qui signifie pour l'Italie de les faire passer de 26 à 36 milliards d'euros par an. C'est le prix à payer pour profiter de ce que le rapport définit comme "les avantages d'être sous l'égide de l'OTAN".
13:28 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : otan, alliance atlantique, atlantisme, europe, affaires européennes, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook