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lundi, 27 février 2017

En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

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En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

par Francis Richard

Ex: http://www.francisrichard.net 

Michel Houellebecq a 25, 26 ou 27 ans - l'âge importe peu - quand il emprunte, dans une bibliothèque, Aphorismes sur la sagesse dans la vie d'Arthur Schopenhauer: en quelques minutes tout a basculé... Il cherche alors, et trouve, un exemplaire du Monde comme volonté et comme représentation.

Depuis, Houellebecq a évolué - il est devenu positiviste après avoir découvert dix ans plus tard un autre philosophe, Auguste Comte. Cependant l'attitude intellectuelle de Schopenhauer reste pour lui un modèle pour tout philosophe à venir. C'est pourquoi il éprouve à son égard un profond sentiment de gratitude.

Pour exprimer cette gratitude Houellebecq a achevé cet essai entrepris en 2005, où il commente ses passages favoris de Schopenhauer, qu'il a traduits lui-même. Sa préfacière, Agathe Novak Lechevallier, a raison de dire que, ce faisant, il fait apparaître l'oeuvre du philosophe comme une formidable machine à penser.

Il est vrai qu'il n'est pas besoin d'être d'accord avec quelqu'un pour que ce qu'il dit donne à penser. Ainsi Houellebecq n'a-t-il pas de mots assez durs contre le libéralisme. Ce n'est pas une raison pour ne pas s'intéresser à ce qu'il a pensé à un moment de sa vie et à ce qu'il pense aujourd'hui, d'autant que cela éclaire son oeuvre.

Houellebecq relit peu Comte et ne connaît pas de lecture de philosophe aussi immédiatement agréable et réconfortante que celle de Schopenhauer. Ce n'est certainement pas le fait de son art d'écrire: Nietzsche parle à raison de son espèce de bonhommie bourrue qui vous donne le dégoût des élégants et des stylistes.

Quand Schopenhauer commence un livre par: Le monde est ma représentation, Houellebecq commente: L'origine première de toute philosophie est la conscience d'un écart, d'une incertitude dans notre connaissance du monde. Pour devenir le philosophe de la volonté, Schopenhauer utilise l'approche, inhabituelle chez un philosophe, de la contemplation esthétique:

Le point originel, le point générateur de toute création consiste dans une disposition innée - et, par là même, non enseignable - à la contemplation passive et comme abrutie du monde. L'artiste est toujours quelqu'un qui pourrait tout aussi bien ne rien faire, se satisfaire de l'immersion dans le monde, et d'une rêverie associée.

Ainsi le poète se singularise-t-il: L'accessoire est que le poète est semblable aux autres hommes (et, s'il était vraiment original, sa création aurait peu de prix); l'essentiel, c'est que, seul parmi les hommes faits, il conserve une faculté de perception pure qu'on ne rencontre habituellement que dans l'enfance, la folie, ou dans la matière des rêves.

Ainsi la beauté n'est-elle pas une propriété appartenant à certains objets du monde, à l'exclusion des autres; ce n'est donc pas une compétence technique qui peut produire son apparition; elle suit par contre toute contemplation désintéressée. Ce qu'il [Schopenhauer] exprime, encore plus brutalement par la phrase:

"Dire qu'une chose est belle, c'est exprimer qu'elle est l'objet de notre contemplation esthétique."

L'absurdité de l'existence? Ce n'est pas seulement, ce n'est même pas surtout l'activité de l'homme qui porte le signe du néant: la nature entière est un effort illimité, sans trêve ni but; "tout n'est que vanité et poursuite du vent". Et il cite un passage de Schopenhauer qui l'illustre, qu'il dédie aux écologistes, et qui se termine ainsi:

"Pourquoi ces scènes d'épouvante? À cela il n'y a qu'une seule réponse: ainsi s'objective le vouloir-vivre."

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Selon Schopenhauer, qui emploie souvent des métaphores théâtrales pour faire comprendre ses propos, il est trois méthodes employées par un poète pour décrire la survenance d'un grand malheur, le seul élément indispensable à la tragédie:

- l'exceptionnelle méchanceté d'un personnage artisan de ce malheur

- le destin aveugle qui frappe les personnages

- la simple situation des personnages l'un à l'égard de l'autre.

C'est cette dernière méthode qui a sa préférence: Elle ne nous montre pas le malheur le plus extrême comme une exception, ni comme quelque chose qui est amené par des circonstances exceptionnelles ou des caractères monstrueux, mais comme une chose qui provient aisément, comme de soi-même, presque nécessairement, de la conduite et du caractère des hommes, et par là nous le rend effroyablement proche.

Comment conduire son existence dans un tel monde, absurde, où le malheur n'épargne personne et où toutefois existent des petits moments de bonheur imprévu, des petits miracles?

Dans Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Schopenhauer trouvait l'énergie nécessaire pour énoncer des banalités et des évidences, lorsqu'il les croyait justes; il a systématiquement placé la vérité au-dessus de l'originalité; pour un individu de son niveau, c'était loin d'être facile.

Schopenhauer fait ainsi ce constat fataliste: Les jouissances les plus élevées, les plus variées et les plus durables sont celles de l'esprit, bien que nous nous y trompions tellement pendant notre jeunesse; celles-ci dépendent surtout de la puissance innée de notre esprit; il est donc facile de voir à quel point notre bonheur dépend de ce que nous sommes, alors qu'on ne tient compte le plus souvent que de notre destin, de ce que nous avons ou de ce que nous représentons.

Il précise: Le destin peut s'améliorer; et, lorsqu'on possède la richesse intérieure, on n'attendra pas grand-chose de lui; mais jusqu'à sa fin un benêt reste un benêt, un abruti reste un abruti, fût-il au paradis et entouré de houris.

Est-ce bien certain?

Francis Richard

En présence de Schopenhauer, Michel Houellebecq, 96 pages L'Herne

Livres précédents chez Flammarion:

Soumission (2015)

Configuration du dernier rivage (2013)

La carte et le territoire (2010)

mercredi, 22 février 2017

Houellebecq et l’art de la guerre

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Houellebecq et l’art de la guerre

par Romain d'Ignazio

Ex: https://anthropart.com

Ils se comptent sur les doigts d’une main les écrivains français jouissant d’une aura extranationale. Le paysage littéraire français ayant été formaté et émasculé, rare sont les romanciers contemporains nationaux dont l’œuvre n’a pas à rougir de ses illustres prédécesseurs. Houellebecq est un des rares écrivains de premier plan dont les romans ont une portée s’inscrivant dans la marche de l’histoire, ce n’est donc pas fortuit si un Cahier de l’Herne qui lui est consacré sort en ce début d’année. L’homme trouvant la matière dans notre monde occidental qu’il donne à lire avec une cruauté féroce et dénonciatrice. A l’heure où le livre est relégué à être un simple objet de consommation et les écrivains des « imbéciles utiles » d’un système, il a su instrumentaliser avec maestria « la société du spectacle » et les rouages du libéralisme en les prenant à leur propre piège.

Né en 1958, il connut un succès quasi-immédiat lors de la sortie de son premier roman encensé qu’il fut par la branchitude : Extension du domaine de la lutte. Un clin d’œil à Céline, volontaire ou non, lui fera choisir comme nom de plume celui de sa grand-mère. N’étant pas né dans un milieu bourgeois, n’ayant pas baigné dès son plus jeune âge dans la culture, n’étant pas rentier, ayant été confronté à la réalité du monde du travail, n’ayant pas un physique de jeune premier, ce sont en partie tous ces handicaps qui sont à la source de son succès. Cet ingénieur en agronomie puis informaticien est sorti du rang et de la masse pour nous parler de nous, ce « nous » qu’il connaît si bien puisqu’il en fit partie.

Ce fut une longue route qui le mena à l’édition de ce roman culte, plus d’une dizaine d’années à fréquenter le petit monde littéraire parisien et écrire pour des revues, notamment pour Perpendiculaire avec qui il sera en procès par la suite et L’Idiot International créé par le fantasque Jean-Edern Hallier… Ses influences littéraires sont révélatrices de son œuvre et le démarquaient déjà de ses confrères de l’époque comme Nabe, Besson, Dantec ou encore Dutertre. Lovecraft et Aldous Huxley viennent en tête, on y retrouve les mêmes marottes : la science et ses déflagrations sur l’Homme, le scientisme, la dictature ostentatoire ou malicieusement dissimulée, l’instrumentalisation des consciences, l’eugénisme, les mutations sociales et leurs répercussions sur les rapports humains, etc… Ensuite, lorsqu’il s’adonne à la poésie il faut aller chercher du côté de Baudelaire et, ma foi, de Lautréamont ; pour le dernier, pas tant dans la forme mais du fait de la haine qui habite ses vers. Chez les philosophes à qui il empreinte des concepts qu’il réinjecte ensuite dans une trame romanesque, on peut citer Schopenhauer et Kant qui ont aussi ensemencé son œuvre. Chose certaine, l’altruisme, l’amour de son prochain, ne sont pas de mise chez lui. C’est le rejet, la haine de l’autre et de notre monde qui prédominent. On en fera souvent le reproche à Houellebecq qui, outre le fait qu’il nous plonge dans la noirceur, ne nous donne pas un halo de lumière en guise d’espoir… Cioran étant un plaisantin en comparaison et, justement, parce qu’il manque une dimension sociale propre à l’homme du quotidien. Il est injuste de dire qu’il est misogyne, même s’il est vrai que les femmes sont particulièrement écornées dans ses romans, le mâle viril ou émasculé par la société de consommation, perverti et stipendié, en prenant aussi largement pour son grade, il est certes moins « chosifié ».

carte-et-le-territoire.jpgAprès un essai sur Lovecraft paru en 1991, auteur qui sur bien des points est le père spirituel de Houellebecq, il n’essuie que des refus des grandes maisons d’édition pour la publication de son premier roman qui paraîtra malgré tout trois ans plus tard. C’est grâce à son ami et écrivain respecté dans le milieu, Dominique Nogez, qu’il trouva refuge chez Maurice Nadeau qui bien que ne disposant pas d’un budget comm’ pharaonique jouissait d’une respectabilité notoire du fait du prestige de son créateur. A la manière d’un Zola il nous parle du monde du travail contemporain avec son lots de maux propres et marqueurs de notre époque. Ce ne sont plus les laminoirs mais l’enfer du « métro-boulot-dodo » où l’aliénation qui nous guette par le vide existentiel que le néolibéralisme génère. Déjà le décor est dressé tant sur le fond que sur la forme. Pour le fond, il s’inscrit comme un observateur et narrateur des travers de notre époque ; pour la forme, il rompt avec une certaine tradition littéraire française où le style et les envolées lyriques sont absentes : c’est clair, dépouillé, limpide… Pas d’artifices, pas de verbiage, une écriture blanche et lapidaire. On s’interroge encore sur ce choix, est-il incapable de prouesses stylistes comme par exemple Nabe (qui fut par le plus grand des hasards son voisin de palier alors qu’il était encore inconnu de tos) ou est-ce un postulat ? Tout critique littéraire est un jour taraudé par cette fameuse question… Est-ce le style qui fait l’homme ou l’homme qui fait le style ? Chose certaine, avec Houellebecq les deux ne font qu’un.

D’un commun accord, après un succès d’estime et pas encore commercial, quoique vendu à près de 20 000 exemplaires, Houellebecq et Nadeau se quitteront bons amis ; l’ambition de l’auteur pour rayonner dans un premier temps sur la France nécessitant une plus grosse maison d’édition. Ce sera par le biais de Raphaël Sorin, qui jouera le rôle de plénipotentiaire, qu’il intègrera Flammarion. Sorin ayant du nez et du goût et s’étant fait connaître pour imposer en France des auteurs devenus majeurs comme Bukowski. Parait alors en 1994 Les Particules élémentaires, c’est un succès colossal : 500 00 exemplaires, trente traductions et déjà les premiers procès (étant sommé de changer le nom d’un camping cité dans le livre). Il devient alors un habitué des plateaux télé. Houellebecq n’a pourtant rien pour attirer les lumières des projecteurs tant par son physique que par sa vélocité verbale : pas vraiment hâbleur ni charismatique de prime abord, limite sous alitement, diaphane, ressemblant à « Monsieur tout le monde » et incarnant le mal être de l’homme occidental bourré d’antidépresseurs et un brin alcoolique pour anesthésier sa dépression chronique. Sa dégaine plébéienne à faire pleurer est aussi une forme de travestissement lui permettant d’amadouer et d’endormir ses interlocuteurs afin de frapper là et au moment où on ne l’attend pas ; très intelligemment il sait de manière très asiatique manier le double discours lors de ses saynètes, entre deux onomatopées brouiller les pistes, semer le doute voire le trouble d’une interview à l’autre ; prenant la société du spectacle à son propre jeu et la manipulant en redéfinissant les règles du showman. Il traîne avec lui plusieurs polémiques et casseroles qui, nourrissant sa légende, suscitèrent l’attrait du « grand public » qui ne lit en moyenne guère plus d’un livre par an… Bien qu’il connaisse le succès avec le roman, il n’en oublie pas pour autant la poésie, trois recueils sortent : La Peau, La Ville et Le Sens du combat pour lequel il aura le très people Prix de Flore. Une trilogie en soi… Il s’essaiera aussi à la photographie avec Lanzarotte.

Il quitte alors la France pour l’Irlande, autant pour fuir la médiatisation que le niveau d’’imposition français. En 2000 il sort un album, Présence humaine, avec la complicité de Bertrand Burgalat mettant en musique sa poésie singulière. S’ensuit un an plus tard Plateforme qui lui aussi n’est pas exempt de polémique. Cette fois-ci ce seront ses déclarations sur l’Islam qui accompagneront la sortie du roman et en feront le Salman Rushdie français. Dans le magazine Lire il déclare que « L’Islam est la plus con des religions », ce qui est d’ailleurs bien timoré quand dans le roman, où déjà dans le récit il insérait un attentat revendiqué par des islamistes,  par le biais de son narrateur il lui fait tenir des propos qui ont de quoi choquer. Il s’excusera, et comme toujours de manière houellebecquienne, en indiquant entre autres qu’il n’est pas raciste et « qu’il fait n’a jamais fait l’amalgame entre les arabes et les musulmans ». Ces démêlées lui vaudront de passer dans les plus grandes émissions du PAF, il aura les honneurs du journal de 20 heures et lui apportera le soutien de la majorité de la « communauté » littéraire, Philippe Sollers  en tête… Toujours pour le même roman, égratignant Le Guide du routard, ce sera là aussi des démêlées judiciaires puisque l’auteur les accusant indirectement de faire la promotion du tourisme sexuel. Quoi qu’il en soit, comme toujours, il sortit au final gagnant de cette promotion semi-involontaire puisque les exemplaires se vendant par fourgons entiers… Un braquage en bonne et due forme ! Attirant sur lui les louanges, les honneurs tout comme l’indignation et la détestation. Encarté à ses débuts dans la mouvance de gauche, adoubé qu’il fut par les Inrockuptibles, il est désormais considéré par certains comme réactionnaire voire néofasciste. Il semblerait qu’il y ait eut méprise sur l’homme tout comme ce fut le cas avec Céline lors du Voyage au bout de la nuit. Communiste durant sa jeunesse, Houellebecq sera par la suite chevènementiste et dernièrement a laissé entendre qu’il n’est pas plus hostile que cela à Marine Le Pen. Trop lucide pour être utopiste, trop clairvoyant pour ne pas être cynique.

Possibilit_ d'une Ile..jpgEn 2005 sort La possibilité d’une île, avant sa parution on fit grand bruit de son transfert digne des pratiques du mercato où les champions se négocient en millions. Champion de la littérature incontestable qu’il est, pour plus d’un million d’euro il passera de l’écurie Flammarion à Fayard alors que le roman n’était même pas encore en chantier ! Comme toujours la sortie du livre sera accompagnée par son classique scandale, cette fois-ci ce sera son rapprochement avec Claude Vorilhon alias Raël suspecté avec sa secte de clonage « sous le manteau ». Il est vrai qu’au regard de la teneur du roman qui aborde entre autres le clonage, ce pouvait être ô combien de circonstance de nouer des liens avec le gourou… Il devra encore patienter pour le Goncourt mais récolte en guise de consolation le Prix Interallié. Trois ans plus tard, sort l’adaptation cinématographique dont il est le réalisateur mais n’a pas (et de loin) le succès du roman, enfin par reconnaissance lors de ses démêlées judiciaires passées, je ne vois pas d’autre raison, il associe son nom à celui de Bernard-Henri Lévy avec Ennemis Publics, donnant à lire leurs échanges. Le livre fera un flop, les invendus ayant été recyclés vraisemblablement… En 2009, lui qui s’est travesti en chanteur voit Iggy Pop sortir un album inspiré de La Possibilité d’une Ile. Consécration en soi quand on sait l’aura dont dispose celui que l’on surnomme « l’iguane ».

En 2010, après un quinquennat d’absence il revient avec La Carte et le Territoire. Il dévorera la Rentrée littéraire à lui seul et obtiendra la récompense tant convoitée : Le Goncourt. Le livre prend pour protagoniste un artiste français faisant la rencontre de Houellebecq et sous une semi forme policière traite du marché de l’art contemporain et de ses excès.  Cela tombe bien, six ans plus tard le Palais de Tokyo lui consacrera une exposition agencée par lui-même: Rester vivant composée de photos, d’installations et de films. Nous ne nous attarderons pas sur l’album de Jean Louis Aubert mettant en musique certains de ses poèmes. Le chanteur de Téléphone peinant à donner vie et voix aux textes de Houellebecq… Il endosse aussi pour un téléfilm l’habit d’acteur, interprétant son propre rôle dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq réalisé par Guillaume Nicloux où il démontre qu’il sait être férocement drôle. Le calme avec la tempête car son roman à venir ne donnera pas dans le comique.

Cinq ans après La Carte et le Territoire, humant les maux que traverse la France sort Soumission qui décrit une France gouverné en 2022 par un président musulman. Certains y voient dans cette fiction le devenir de la France, un brûlot anti islam. Les attentats viendront donner un triste relief moins d’un an plus tard au roman. Relançant les ventes du roman, Houellebecq se verra de nouveau invité sur les plateaux de télévision eu égard au contexte, au même titre qu’un représentant de l’Etat on le questionne sur la situation que traverse le pays. Lors des interviews, une fois de plus il brouille les cartes avec un discours tout sauf islamophobe ; ses diatribes étant plutôt tournées vers ceux rendant possible dans le réel la fiction développée dans le roman.

Artiste multiple, romancier, poète, cinéaste, parolier, metteur en scène, un temps chanteur, c’est à défaut avec la littérature, qu’il ne vénère pas plus que ça puisqu’il se serait bien vu cinéaste, qu’il est rentré dans l’époque. Houellebecq c’est finalement l’histoire d’un homme que personne n’attendait, que rien ne prédestinait sous ses allures de fantoche à être le chef de file des lettres françaises. Qui après avoir été manipulé sut manipuler le sérail et se retourner contre certains de ses maîtres ou compagnons de route une fois qu’il fut statufié. L’apostasie n’étant pas un problème pour lui… Il a avec la démarche d’un sociologue analysé, disséqué de manière clinicienne notre segment historique, compris son époque comme peu et en a tiré la moelle afin de bâtir les univers de ses romans. Univers de semi-fiction anticipant les convulsions à venir de notre temps comme s’il était malgré lui devin, son œuvre étant peut-être d’ordre eschatologique…

Romain d’Ignazio

George Orwell: l’intégrité de la pensée

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George Orwell: l’intégrité de la pensée

Orwell fait partie de ces écrivains qui avec une acuité rare sut ne pas tomber dans les pièges qui bernèrent les plus grands et causèrent des montagnes de morts sacrifiés sur l’autel de l’idéologie. Il eut l’instinct de ne pas s’enliser dans les couloirs de l’utopie et le courage de dénoncer les travers des grands courants de pensée de son époque ; à l’heure où tant d’intellectuels, par complaisance ou par lâcheté, se font les serviteurs d’un système mystificateur, il est de bon ton de rappeler l’intégrité de cet homme pour qui l’engagement rimait avec honnêteté. Bien que disparu depuis plus d’un demi-siècle, il a toujours des choses à nous dire…

George Orwell de son vrai nom Eric Arthur Blair nait le 25 juin 1903   à Motihari dans les Indes britanniques, son père est fonctionnaire colonial chargé de la régie de l’opium, à l’époque monopole d’Etat. Il est issu de la petite bourgeoisie, sa famille bien que désargentée jouissant du prestige de l’Empire colonial. Orwell est intrinsèquement britannique, même clochard il conservait en toutes circonstances sa prestance british. Bien « qu’en bas de la bourgeoisie » son statut familial lui permettra de rentrer au collège d’Elton (il écrira sur ces années dans Le Ventre de la baleine), en contact avec l’élite anglaise de l’époque il est victime de brimades et se sent à l’écart car déclassé par rapport à ses camarades faisant partie du sérail. Durant ses études il se plonge dans Shakespeare, Lord Byron et surtout Dickens. Sa personnalité se fondera par la suite, il se cherche…Ses études étant un fiasco, ses parents n’ayant pas les moyens de l’envoyer à Cambridge, il va alors choisir de servir dans la gendarmerie nationale en Birmanie. Bien que très critique envers son pays, il est patriote et le sera durant toute sa vie. Il commence à écrire des poèmes, quelques récits mais ce ne sont encore que ses balbutiements…

Désillusionné, il se morfond en Birmanie, et est heurté par l’injustice du système colonial ; il a une fonction de répression et de maintien de l’ordre sans pour autant donner dans le manichéisme. Il a la dent dure tant pour les birmans que pour les colonisateurs, il critique l’avilissement subi par les birmans et les anglais installés qu’il juge déliquescents. Un sentiment de culpabilité voire d’expiation suscitant l’ordalie nait alors chez lui, celui d’être issu d’une famille ayant exploité les indigènes. Il y restera cinq années puis revient en 1927 en Grande-Bretagne, il découvre alors la plèbe et son sous-prolétariat qui le révulse et lui inspire de la compassion. Face à cette réalité qui écorne le mythe de son pays, ses valeurs se sont effondrées ; conscient qu’il participe à un système fondé sur les classes sociales.  Il éprouve alors le besoin de parcourir le monde pour se trouver et se ressourcer.

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Il choisit alors Paris, passage obligé pour tout intellectuel ou artiste de l’époque, et se même au milieu populaire de la capitale. Il survit grâce à de petits boulots (plonge, cours d’anglais) et écrit dans quelques journaux… C’est la débrouille et une période de clochardisation difficile. Il fréquente un temps les milieux espérantistes, les milieux littéraires mais surtout cherche sa voie en écriture quand son ventre n’est pas vide. Cette expérience parisienne commence à le forger politiquement et devient socialiste ; il en profite pour choisir son nom de plume. Il est étranger aux avant-gardes de son époque bien qu’il croise quelques futures grandes personnalités littéraires de son époque. Son premier roman (largement autobiographique) est alors édité, bien que Dans la dèche à Paris et à Londres ne rencontre pas un succès commercial il suscite l’intérêt des mouvements de gauche pour qui il écrira quelques papiers. On lui colle alors l’étiquette d’écrivain de gauche bien que les nuances de sa pensée le mettent en marge. Son second roman Une histoire birmane est une critique acerbe du colonialisme qu’il a bien connu.

A la demande de son éditeur il est envoyé dans le nord de l’Angleterre où il côtoie les gens du peuple, au bas de l’échelle sociale, laminés par le chômage. Sa conscience politique s’affine avec Le Quai de Wigan où il traite de l’exploitation des bassins miniers par le milieu ouvrier pour qui il se prend d’amour, touché par sa grandeur malgré l’adversité. Durant toute sa vie, il y aura chez lui une fascination pour les corps suppliciés, des prolétaires ou celui des exclus. Composée de deux parties, la première sous forme journalistique et la seconde sous forme de pamphlet, il a la dent dure envers les institutions politiques œuvrant pour socialisme, créant une ligne de démarcation entre les intellectuels déversant leur idéologie et le milieu ouvrier en prise avec le réel. Son éditeur se désolidarise alors de lui, Orwell se dit socialiste, réceptif à l’anarchisme et se détache déjà très clairement des cerveaux staliniens ou trotskistes. Orwell partage la notion « d’Etat providence » ayant pour mission de subvenir aux besoins de ses citoyens, en termes de santé, d’éducation et d’emploi.

Il gagne alors l’Espagne en pleine guerre grâce à ses réseaux et  s’engage dans le POUM (parti ouvrier d’extrême gauche) récusé par les communistes aux ordres de l’Union Soviétique. Plusieurs camps s’affrontant en effet au sein des opposants à Franco, il est témoin des luttes intestines menées par les communistes. Hommage à la Catalogne racontera cette période de sa vie avec amertume… Il découvre alors le pouvoir de la propagande et les manipulations de la presse. Cela aura une incidence sur la création de 1984. Blessé sur le front, assistant aux basses besognes des milices communistes pour exterminer les anarchistes sous l’ordre de Staline, il regagne l’Angleterre une fois la victoire de Franco. Il prend alors conscience que la guerre n’est pas noble même si ceux qui sont sur le champ de bataille combattent souvent pour un idéal. Il est le premier à dénoncer les exactions et les trahisons des staliniens préférant détruire les groupes dissidents de gauche plutôt que de les triompher des franquistes. Il découvre la pureté tout autant que les salissures des idéologues. Lui qui nomme par « esprit de cristal » le meilleur de l’homme, découvre la noirceur de l’âme humaine bien que continuant à croire en l’homme en tant qu’individualité.

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Un peu d’air frais sort en 1937 décrit avec nostalgie l’Angleterre des débuts de XXème siècle et de la nocivité du progrès tel que conçu par les idéologues. Une certaine forme de refus de la modernité nait alors chez lui car il pressent la naissance des totalitarismes et de l’aliénation des masses. Pacifiste, patriote et révolutionnaire à la fois, anarchiste dans sa méfiance envers les élites, conservateur car hostile à ce qui est présenté à tort comme le progrès, Orwell se singularise des mouvements intellectuels de sa génération. Orwell se débat avec ses contradictions, aime les femmes tout en étant misogyne, aime l’Humanité mais est habité par un  brin d’antisémitisme et de nationalisme.

Durant la seconde guerre mondiale, il officie pour la BBC. Souvent censuré pour ses opinions et ses critiques envers l’Union Soviétique alors alliée de la Grande-Bretagne, il démissionne fin 1943 pour rejoindre le journal travailliste de gauche The Tribune. Après la guerre, sachant que la tuberculeuse ne lui laisse que quelques années à vivre, c’est une course contre la montre pour parachever son œuvre politico-littéraire. Il écrit les deux ouvrages qui le consacreront : La Ferme des animaux publiée en pleine guerre froide, critique du stalinisme mais aussi d’une analyse peu flatteuse envers le capitalisme, et bien sûr le prophétique 1984 où il déploie sa haine du totalitarisme au nom du socialisme, dénonçant la manipulation des masses par le langage via sa simplification afin de réduire la capacité d’analyse (la fameuse novlangue). Pour rappel, Orwell était polyglotte, parlant couramment le français, à la recherche de la pureté et du mot juste dans ses écrits. Les mots n’ayant pas qu’une vocation fonctionnelle mais la mission de véhiculer la pensée sans distorsion. Il nous décrit dans 1984 un homme réduit à sa fonction où sévit une surveillance technologique liberticide des citoyens. Il décèdera à seulement 47 ans le 21 janvier 1950, seul dans son lit sans personne pour lui prendre la main, sa seconde femme fanfaronnant avec un de ses amants alors qu’il agonise.

Sa pensée heuristique restant d’actualité, un grand nombre d’écrivains ou intellectuels revendiquent son influence. En France, son plus grand représentant est sans nul doute le philosophie Jean-Claude Michéa. Messianique malgré lui, Orwell est toujours un grain de sable dans l’engrenage des puissants. Pour preuve, une campagne de presse diffamante relayée par nombre de grands quotidiens sur un Orwell qui en fin de vie aurait donné au Foreign Office les noms de compagnons de route potentiellement espions de l’Union Soviétique. Il n’en est rien, alors en fin de vie une amie et belle-sœur de son ami Arthur Koestler vint lui rendre visite au sanatorium où il était soigné afin de lui demander des noms d’intellectuels ou journalistes susceptibles d’écrire sur les exactions du régime soviétique à la demande d’un service gouvernemental anglais. Il lui donnera effectivement des noms… Parmi ces noms, il nommera des personnalités inutiles de contacter car peu enclins à saper le régime stalinien du fait de leur obédience politique. De là à en faire un délateur, il y a un monde ! On chercha donc à salir l’image de cet homme…Comme quoi il dérange toujours, son rayonnement étant une épine dans le pied des totalitarismes contemporains. Totalitarismes insidieusement cachés dans notre société dont nous portons les bacilles, qui ont su se travestir et sont toujours à l’ouvrage.

L’homme et l’écriture ne faisant qu’un, son œuvre puisa dans les expériences qui jalonnèrent sa vie. Eclairant le présent et le futur à la lumière du passé, méfiant vis-à-vis des idéologies d’où qu’elles viennent.  Orwell, témoin engagé de son Temps, ne tomba pas dans les pièges de son époque comme Céline, Drieu La rochelle, Sartre ou encore Aragon. Il sut ne pas se laisser berner par les endoctrinements et des luttes de salon, son intégrité l’amena à se faire des ennemis de son vivant mais le plus bel ami une fois quitté ce monde… Le jugement de l’Histoire.

Romain d’Ignazio.

lundi, 20 février 2017

Henry de Montherlant: Tiermenschen

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Henry de Montherlant: Tiermenschen

 
Vor 90 Jahren erschien Henry de Montherlants Klassiker „Tiermenschen“ über den adligen Alban, der in den spanischen Stierkampf zu Beginn des 20. Jahrhunderts eintaucht.

Es gibt kaum eine Tradition, die heute stärker kritisiert, verachtet und bekämpft wird, als der Stierkampf. Die blutige Tötung eines Stieres mutet als archaisches Überbleibsel einer vergangenen Zeit an – gerade aus mitteleuropäischer Sicht. Der typische Stierkampf existiert so nur noch in Spanien, einigen ehemaligen Kolonien und im Süden Frankreichs. Doch auch in Spanien tobt ein moralischer Kampf um den „corrida de toros“. Vor einigen Jahren wurde in der Provinz Katalonien der Stierkampf gesetzlich verboten. Im Oktober 2016 kassierte diesen Beschluss das spanische Verfassungsgericht jedoch wieder. Nach mehrjähriger Abstinenz dürfen wieder Stierkämpfe veranstaltet werden.

Emotionale Tradition gegen rationale Postmoderne

Doch auch in anderen Gefilden kämpft die Tradition gegen die rationale Postmoderne .Kirchen, Glaube, Nation, Gefühl, Schönheit, Eros. Das sind alles Kategorien, die nicht gemessen und nicht gekauft werden können und rücken deshalb ins Hintertreffen. Die wenigsten Leute verstehen die Anhänger solcher Paradigmen, belächeln und hassen sie. Und wenn dabei noch Blut fließt, ein Tier, das größer als eine Mücke ist, sein Leben lässt, ist es mit der Toleranz schnell vorbei. Der Tierschutz wird auf den Plan gerufen und verstärkt das Unverständnis gegenüber einer Tradition mit ideologischer Aufladung.

Henry de Montherlant (1895-1972) verfasste 1926 den Roman Tiermenschen mit autobiographischen Zügen über die Erlebnisse des jungen adligen Albans, der aus dem wohlbehüteten, aber langweiligen Frankreich in die andalusische Welt der Stierkämpfe aufbricht,  um … Ja, warum eigentlich? Die Motivation des jungen Helden ist so vielschichtig und unerklärlich, und doch zieht sie ihn mit stählernem Zwang in den Staub der Arena zu seinen geliebten Stieren. Nur wenige Autoren schaffen es, eine andere Zeit und eine fremde Welt so unglaublich nah und vollkommen plausibel erscheinen zu lassen, dass der Kampf gegen den „Bösen Engel“, einen tückischen und unberechenbaren Kampfstier, die logische Konsequenz für den unerfahrenen, aber ehrenhaften Alban bedeutet.

Nach der Anti-Stierkampf-Demo geht’s zu Burger King

Das gesamte Buch arbeitet auf diese mystische und religiöse Katharsis hin, die dem Leser die Bedeutung des Stierkampfes immer klarer hervortreten lässt, bis man sich wünscht auch an diesen Spektakeln teilzunehmen. Die greifbare Spannung des Finales des Buches ist von unvorstellbarer Brillanz. Man vermutet, dass der Autor Montherlant an den Corridas selbst teilgenommen haben muss, um diese Fülle von Emotionen und Gedanken zu schreiben und dem Leser plausibel erscheinen zu lassen. Auch auf die Vorbehalte vieler Stierkampfgegner geht Montherlant in seinem Buch ein und lässt seinen Helden vieles erklären. Zwar kann er einem Außenstehenden nicht den „Sinn“ der Corridas erklären, da man diesen fühlen müsse, doch ist die Kritik vieler Gegner heuchlerisch, wie Alban ausführt:

„Welche Partei findet heute bei uns das Gemetzel der Stierkämpfe skandalös? Die gleiche, die mit allen Mitteln die eine Hälfte der Nation zum Gemetzel der anderen aufstachelt. […] Sie erhebt Protest gegen den Pferdemord in der Arena, aber sie würden nicht protestieren, wenn man in der Arena Andersdenkende vor die Hörner schicken würde.“

Auch das Leben eines Kampfstieres ist alles anders als schrecklich. Früher, wie auch heute, sind die meisten Kampfstiere schon einige Jahre alt, bevor sie in die Arena gebracht werden. In ihrem Leben vor dem Stierkampf bewegen sie sich frei über das spanische Land, da Zäune oder Ställe sie ihrer Fähigkeiten als gute Kampfstiere berauben würden. Ein derartiges Leben, mit einem anschließenden Kampf, sollte jeder Massentierhaltung vorzuziehen sein. Doch betrachten Kritiker und Aktivisten nur das blutige Finale und lassen nicht weiter mit sich reden. Meist sind es diejenigen, die nach der Stierkampf-Demo noch schnell bei Burger King vorbeischauen.

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Urinstinkt und große Literatur

Zurück zu Albans Erlebnissen auf dem Weg zu seinem großen Kampf. Auch die Liebe zu Soledad, der Tochter des ebenfalls adligen Stierzüchters, gerät im Hinblick auf den spirituellen Zweikampf immer weiter ins Hintertreffen und sinkt in die Bedeutungslosigkeit. Sie, die Alban an seiner Ehre packte und ihn zwang gegen den „Bösen Engel“ zu kämpfen, wird im Zeichen Albans Bestimmung nicht einmal mehr bedacht, geschweige denn in das Ende des Buches einbezogen. Der junge Held hat mehr erlebt und gelernt, als sich weiterhin von dieser verzogenen Frau abhängig zu machen.

Dieser Urinstinkt, der Alban etwas Größeres, Spiritistisches erkennen lässt, ist Balsam auf die geschundene Leserseele, die in den letzten Jahren immer mehr von belangloserer Literatur geplagt wurde. Die zeitgenössischen Bücher à la Darm mit Charme, Feuchtgebiete oder dem restlichen Gewäsch drittklassiger Schreiber, die das 21. Jahrhundert nur noch durch Tabubrüche und feminisierte Lebensgeschichten entwürdigen, verlieren im Wettkampf mit Montherlants staubigen Stierabenteuer gänzlich an Wert.

Männlichkeitsideale und Gesellschaftskritik

Spannend ist ebenfalls das Gesellschaftsbild während der Auflösungserscheinungen des alten, snobistischen Adels, den Alban verachtet, da dieser nur aufgrund der gesellschaftlichen Bedeutung den Stierkämpfen beiwohnt. Generell kommen Adlige und die spanische „High-Society“ schlecht weg. Selbst sein ihn protegierender adliger Ziehvater, der ihm den Kampf vermittelt, wird gelegentlich von Alban verachtet. Montherlant sucht längst einen neuen Adel mit anderen Attributen, dessen Eigenschaften er teilweise im andalusischen Volk, aber generell im noch nicht verdorbenen Charakter der südländischen Menschen erkennt. Nur im Stierkampf können diese vergessenen Ideale noch hervortreten. Selbst der kleine Jesús, ein verarmter spanischer Junge, der als Helfer am entscheidenden Kampf teilnimmt, hat mehr „Rasse“ und Ehrgefühl, als die Loge der Blaublüter und die „Schattenseite“ der Arena zusammen. (Die schattigen Plätze in der Arena konnten sich nur die reicheren Bürger leisten.)

Man ist keineswegs befriedigt nach dem Ende dieses großartigen Buches. Stattdessen will man mehr erfahren über den Brauch des Stierkampfes, uralte Ideale und die Jahre vor dem ersten großen Krieg. So schafft es Henry de Montherlant mit seiner stimmungsvollen Erzählung, dass man sich wünscht Spanier zu sein, um den Stierkampf zu verstehen, und Franzose zu sein, um den Roman in seiner Originalsprache lesen zu können. Wo wir gerade beim Wünschen sind. Man wünscht sich ebenfalls auf ein derartiges Buch zu stoßen, das unserer Zeit entspringt. Bis es soweit ist, kann man ja in der Vergangenheit kramen.

Für die Jünger-Fans eine abschließende Anekdote: Beide Autoren, aufgrund ähnlichen Alters und geistiger Nähe, waren gute Bekannte. Montherlant, vom Leid gezeichnet und schwer an Krebs erkrankt, beendete sein Leben im Zeichen seiner eigenen, konsequenten Ideale. Er verhinderte den fortschreitenden körperlichen und geistigen Verfall, indem er sich am 21. September 1972 in seiner Wohnung in Paris in den Kopf schoss und gleichzeitig mit Zyankali vergiftete. Das Blut seines zerschossenen Gehirnes tropfte auf ein zuvor niedergeschriebenes Zitat Ernst Jüngers: „Le suicide fait partie du capitalde lhumanite“ (Der Selbstmord ist Teil des Kapitals der Menschheit.)

Henry de Montherlant: Tiermenschen. Zuletzt erschienen 1998 im Steidl-Verlag. Erstmals auf Deutsch 1929 im Insel-Verlag. Auf Amazon ab 0,01 Euro erhältlich!

jeudi, 16 février 2017

Le manifeste censuré de Camus

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Un manifeste inédit d’Albert Camus sur la liberté de la presse

Le manifeste censuré de Camus

Ex: http://www.zejournal.mobi 

En 1939, peu après le déclenchement de la guerre, et alors que la presse est déjà souvent censurée, l’écrivain veut publier dans le journal qu’il dirige à Alger un texte vibrant qui invite les journalistes à rester libres. Ce texte fut interdit de publication. Il est inédit. Et il reste très actuel:

« Il est difficile aujourd’hui d’évoquer la liberté de la presse sans être taxé d’extravagance, accusé d’être Mata-Hari, de se voir convaincre d’être le neveu de Staline.

Pourtant cette liberté parmi d’autres n’est qu’un des visages de la liberté tout court et l’on comprendra notre obstination à la défendre si l’on veut bien admettre qu’il n’y a point d’autre façon de gagner réellement la guerre.

Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut-il qu’elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd’hui à la liberté de pensée, nous avons d’ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu’il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir républicain – le journal, publié à Alger, dont Albert Camus était rédacteur en chef à l’époque – , par exemple. Le fait qu’à cet égard un journal dépend de l’humeur ou de la compétence d’un homme démontre mieux qu’autre chose le degré d’inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d’une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d’un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n’est plus aujourd’hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n’intéresse plus la collectivité. Il concerne l’individu.

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Et justement ce qu’il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l’ironie et l’obstination. La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l’histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu’elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu’il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. Il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d’opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu’un esprit un peu propre accepte d’être malhonnête. Or, et pour peu qu’on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s’assurer de l’authenticité d’une nouvelle. C’est à cela qu’un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s’il ne peut dire tout ce qu’il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu’il ne pense pas ou qu’il croit faux. Et c’est ainsi qu’un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l’on sait la maintenir. Car elle prépare l’avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l’origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l’uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu’elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu’aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

Nous en venons ainsi à l’ironie. On peut poser en principe qu’un esprit qui a le goût et les moyens d’imposer la contrainte est imperméable à l’ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, utiliser l’ironie socratique. Il reste donc que l’ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu’elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d’illusions sur l’intelligence de ceux qui l’oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l’homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l’est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l’intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Merleou Le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l’on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu’elles ont peu d’amants.

Cette attitude d’esprit brièvement définie, il est évident qu’elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d’obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d’expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l’effet contraire à celui qu’on se propose. Mais il faut convenir qu’il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l’inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L’obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l’objectivité et de la tolérance.

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu’au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu’il croit vrai et juste, s’il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l’abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c’est souvent à son corps défendant qu’un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l’homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer dans vingt-cinq ans la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s’expriment que dans des coeurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces coeurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c’est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l’homme indépendant. Il faut s’y tenir sans voir plus avant. L’histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

Albert Camus

Cet article devait paraître le 25 novembre 1939 dans  » Le Soir républicain « , un quotidien limité à une feuille recto verso que Camus codirige à Alger. L’écrivain y définit ”les quatre commandements du journaliste libre » : lucidité, refus, ironie et obstination. Notre collaboratrice Macha Séry a retrouvé ce texte aux Archives nationales d’outre-mer, à Aix-en-Provence (Lire son texte plus haut). Camus dénonce ici la désinformation qui gangrène déjà la France en 1939. Son manifeste va plus loin. Il est une réflexion sur le journalisme en temps de guerre. Et, plus largement, sur le choix de chacun, plus que celui de la collectivité, de se construire en homme libre.

dimanche, 05 février 2017

MICHEL HOUELLEBECQ CONTRE LES MÉDIAS DOMINANTS FRANÇAIS

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MICHEL HOUELLEBECQ CONTRE LES MÉDIAS DOMINANTS FRANÇAIS

Ex: http://www.ojim.fr 

AU TOUT DÉBUT DE L’ANNÉE, L’ÉCRIVAIN FRANÇAIS DONNAIT UNE CONFÉRENCE EN ARGENTINE DONT LA CAPTATION EST AUJOURD’HUI DISPONIBLE SUR LE COMPTE YOUTUBE DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ARGENTIN, SUR LE THÈME DES INTELLECTUELS FRANÇAIS.

Abordant d’emblée la question de leur déclin telle que formulée dans la presse anglo-saxonne, et citant un article emblématique du Guardian sur la supposée « dérive » des intellectuels français, Michel Houellebecq a montré rapidement que ceux-ci étaient essentiellement accusés d’avoir déserté la gauche depuis une vingtaine d’années, gauche dont le monopole en partie indu mais à peu près exhaustif s’était affirmé après la seconde guerre mondiale.

À travers un panorama rapide et brillant de la vie intellectuelle française du dernier demi-siècle, Houellebecq explique comment la perte de pouvoir du Parti Communiste a entraîné peu à peu une révolte des élites contre le peuple, en France, l’apparition du mot « populisme » comme la multiplication de l’adjectif « nauséabond » revenant à reprocher en fait au peuple, et beaucoup plus littéralement qu’on le prétend, de « sentir mauvais ». « Tout ça pour vous situer qu’entre la population et les élites en France, le mot « incompréhension » est à mon avis beaucoup trop faible. Ce à quoi on a affaire, c’est tout simplement à de la haine. », a résumé l’écrivain avant d’enchaîner, au sujet des médias français, des déclarations fracassantes.

CHASSE AUX SORCIÈRES

« La violence du débat public, en France, enfin de qu’on appelle le « débat public » mais qui est tout simplement une chasse aux sorcières, n’a cessé d’augmenter, et le niveau des insultes n’a cessé d’augmenter. », a remarqué Michel Houellebecq avant de rappeler qu’un cap avait été franchi avec la mort, en juin dernier, de l’écrivain Maurice Dantec. En effet, la presse française n’aurait alors même plus eu le souci du respect des morts. Imaginant que sa propre mort déchainerait encore davantage les médias, Houellebecq a dit ne pas désespérer d’assister cela dit à la faillite de plusieurs titres. « Ce sera très difficile, regrette-t-il, parce qu’en France, les journaux sont financièrement soutenus par l’État. Au passage, ça me paraît l’une des dépenses publiques les plus injustifiées et scandaleuses dans ce pays. (…) Tous les médias de gauche, c’est-à-dire presque tous les médias français, sont dans une situation difficile faute de lecteurs. » Le règne de François Hollande aura inauguré un degré supplémentaire dans la tension et la censure, assure-t-il ensuite, Alain Finkielkraut et Michel Onfray se voyant traités « d’abjects » après qu’ils eurent rejoint le camp de la population et abandonné celui des élites. Un autre événement est selon lui très significatif : « Il y a deux ans, il s’est passé une chose très surprenante : plusieurs personnalités de gauche de premier plan : un ministre et le président de l’Assemblée Nationale (…) ont déclaré que les idées défendues par Éric Zemmour étaient inacceptables et qu’il devrait être privé de toute tribune publique pour les exprimer. Déjà, c’était surprenant comme déclaration. Mais le plus stupéfiant, c’est que les médias, pourtant des médias privés, ont obéi au pouvoir. I-Télé, la chaîne où il tenait son émission, a bien renvoyé Éric Zemmour. »

COMMISSAIRES POLITIQUES

Houellebecq est enfin revenu sur le fameux libelle du commissaire politique Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre, qui lança, en 2002, l’affaire des « Nouveaux réactionnaires ». Remarquant que tous les intellectuels et écrivains alors attaqués avaient des visions du monde parfois très divergentes, il rappela aussi que tous s’étaient sentis honorés d’être ainsi intégré au même groupe, Alain Finkielraut allant jusqu’à parler de « dream team ». Que ces intellectuels français entreprirent alors un mouvement salutaire de libération de la pensée, contre la dictature médiatique de la gauche et du politiquement correct, voici qui témoigne justement de la vitalité des intellectuels français, explique alors Houellebecq, tout en concluant son intervention par un très émouvant hommage à ses confrères disparus : Philippe Muray et Maurice Dantec. Que cette lutte contre la propagande et l’intolérance médiatiques françaises, à laquelle se vouent notamment des sites comme l’OJIM, se voit menée de front, et avec courage et intelligence par l’écrivain français vivant le plus connu au monde, ne peut que nous encourager à approfondir nos analyses et à les accentuer.

samedi, 04 février 2017

Entretien avec Gilles de Beaupte des Etudes rebatiennes

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Entretien avec Gilles de Beaupte des Etudes rebatiennes

 
Ex: http://www.oragesdacier.info 
 
Vous êtes le président-fondateur des Etudes Rebatiennes, pouvez-vous les présentez brièvement à nos lecteurs ? Comment sont-elles nées ? Quels sont les objectifs, à court et plus long terme de votre association ?

Les Etudes rebatiennes sont nées fin 2008, quelques mois seulement après la lecture des Deux Etendards ; elles ont été crées avec un autre professeur de lettres, Nicolas Degroote, captivés également par cette découverte. L'éblouissement qu'ont été pour moi Les Deux Etendards est tout de suite allé de paire avec l'étonnement devant cette lacune évidente de l'histoire littéraire. Cinq livres seulement ont été écrits sur Rebatet. Un silence assourdissant entoure donc ce chef d'œuvre. Prenant acte de mon émerveillement, je décide de fonder une association afin de contribuer au rayonnement de l'œuvre littéraire de Lucien Rebatet.

Le travail risque d'être long et difficile. Les mécompréhensions ont d'ores et déjà commencées puisque je reçois aussi bien des lettres d'insultes que, pire, des lettres d'admiration pour de mauvaises raisons... Heureusement certaines sont d'authentiques amoureux de littérature : ceux-là même à qui nous nous adressons. Mais la rigueur et le discernement finiront par l'emporter !

Nous aurons accompli notre tâche lorsque Les Deux Etendards seront publiés à la fois en poche et en Pléiade. A moins long terme, nous souhaitons faire paraître un Dossier H sur Rebatet. A très court terme - et c'est ce à quoi nous nous attachons surtout aujourd'hui - nous cherchons à élargir la liste des écrivains, historiens, critiques littéraires, etc. susceptibles d'écrire sur Rebatet ; ce qui ne va pas sans difficulté tant l'œuvre est méconnue.

Pourquoi ne pas vous être appelé « Les amis de Lucien Rebatet » ?
 
Je vous répondrais d'abord que je me fais une assez haute idée de l'amitié. Rebatet étant mort deux ans avant que je ne naisse, la question ne se pose pas. Mais admettons, pour les besoins de la conversation, qu'on fasse abstraction de la chronologie, qu'en aurait-il été ? Des paroles de Jean Dutourd répondent à cette question lorsqu'il avertit : « Si j'avais rencontré Lucien Rebatet en 1943, je lui aurais tiré dessus à coup de revolver » et, quelques lignes plus loin, ajoute : « Il avait écrit dans sa cellule de condamné un des plus beaux romans du XXème siècle : Les Deux Etendards que j'admirais avec fanatisme ». Mutatis mutandis (car il est aisé de se prendre pour Jean Moulin avec 60 ans de retard), les Etudes rebatiennes s'alignent sur cette position. Autrement dit, chez Lucien Rebatet coexistent « une barbarie explicite et la création d'une œuvre d'art classique, imaginative et ordonnée [...] un des chefs d'œuvre secrets de la littérature moderne ». Il est pour le moins difficile de lier amitié avec Lucien Rebatet dont la plume dénonça et provoqua l'arrestation de résistants.

Je précise aussi qu'en répondant à vos questions, je ne vous présente qu'une lecture de Rebatet, même si cette lecture se veut documentée et argumentée. Le conflit des interprétations, qui fait la vie de la critique, n'a pas encore véritablement commencé. Les Etudes voudraient en être le terrain privilégié.

Sur la dénomination, précisons encore que l'emploi du terme « études » indique le registre universitaire des participants. (Et, pour tout dire, « rebatiennes » plutôt que « rebatetiennes » car, par delà la laideur de l'expression, le « t » final du nom étant muet, l'élision était possible).

LR-2entr.jpgLes Etudes rebatiennes se structurent de la manière suivante : 1) Inédits 2) Entretiens et témoignages 3) Articles (critique littéraire) ; actualité rebatienne ; vie de l'association. Toutes les contributions sont les bienvenues à condition qu'elles soient œuvres de qualité. Le premier numéro devrait sortir dans un an. J'appelle les collaborateurs et souscripteurs (on peut être l'un et l'autre). En adhérant à l'association, vous souscrivez au n°1 des Etudes rebatiennes tout en contribuant à leur publication. Pour nous faire connaître un site a d'ores et déjà été créé (www.http//:etudesrebatiennes.overblog.com). Il livre de passionnants témoignages, une bibliographie, des critiques, etc.

Vous évoquez des inédits. De quoi s'agit-il ? Sont-ils importants ? Que pensez-vous publier ? 
 
Cela ne peut se faire sans l'accord de l'ayant droit, Nicolas d'Estienne d'Orves, avec qui nous entretenons de très cordiales relations. Nous faisons partie de la même génération et la littérature nous importe davantage que la liste noire du CNE [Comité National des Ecrivains chargé de l'épuration dans le monde de la presse et de l'édition NDLR]. Que publier ? Au regard de la production contemporaine, je me dis souvent que toute l'œuvre littéraire mériterait de l'être ! Mais on ne peut le faire n'importe où et les éditeurs semblent encore ignorer sa grandeur.

Pour vous donner une idée de l'importance des inédits, faisons un détour par Gide qui écrivit, selon Genette, « le seul ''journal de bord'' entièrement et exclusivement consacré à la genèse d'une œuvre » : le Journal des Faux-monnayeurs. Gide décrivait ainsi son projet : « au lieu de me contenter de résoudre, à mesure qu'elle se propose, chaque difficulté [...], chacune de ces difficultés, je l'expose, je l'étudie. Si vous voulez, ce carnet contient la critique continue de mon roman ; ou mieux : du roman en général. Songez à l'intérêt qu'aurait pour nous un semblable carnet tenu par Dickens, ou Balzac ; si nous avions le journal de L'Education Sentimentale, ou des Frères Karamazov ! L'histoire de l'œuvre, de sa gestation ! mais ce serait passionnant... plus intéressant que l'œuvre elle-même ». Eh bien, il existe un autre journal de ce type et il est fascinant ! C'est l'Etude sur la composition. Au travers de trois cents pages, nous pénétrons dans l'atelier invisible de l'écrivain : non pas seulement ses brouillons mais mieux : l'atelier lui-même avec tous ses outils. Rebatet y expose ses conceptions littéraires au travers des difficultés rencontrées au cours des différents stades de la création. La simple existence de l'Etude sur la composition en fait, en soi, un aérolite de l'histoire de la littérature.

Par ailleurs, la masse de documents inédits est considérable. On y trouve un journal fleuve et rien moins que deux romans ! Margot l'enragée et La Lutte Finale. C'est un chantier immense. Existe également toute la masse non pas inédite mais dispersée des plusieurs milliers d'articles de critique littéraire, cinématographique, musicale... dont on attend une sélection prochainement. Déjà dans Les Deux Etendards on trouve grâce aux réflexions des personnages, « intoxiqués de littérature », des pages de critiques acerbes et sagaces « qui valent bien un manuel entier et qui confirment les qualités de critique de Rebatet ».

Le postulat qui sous-tend votre démarche signifie-t-il qu'il est possible de faire une césure absolue entre le Rebatet écrivain et le Rebatet politique comme certains en font une entre le Céline du Voyage et celui des pamphlets ?

Il ne s'agit pas de faire une « césure » - et encore moins « absolue » - entre l'écrivain et le politique puisque chez Rebatet l'écrivain n'est jamais tout à fait apolitique et le politique souvent écrivain. Ce qu'il s'agit de dissocier méthodologiquement, c'est l'engagement politique d'un homme d'avec la qualité d'une œuvre littéraire. Comment faire ce partage ? En faisant de la critique littéraire !

Pour bien aborder Les Deux Etendards, il faudrait donc oublier le collaborateur ? Cela signifie-t-il que Les Deux Etendards soit une œuvre apolitique ? 

Entendons-nous bien. Avec la proclamation de l'autonomie des Deux Etendards en tant qu'œuvre d'art, je n'entends pas réhabiliter en sous-main la haine rebatienne. Il s'agit donc, non pas de cacher l'homme par l'œuvre - ni a fortioriL'Emile malgré l'abandon de ses enfants par Jean-Jacques. de cacher l'œuvre par l'homme - mais d'étudier l'œuvre qui se soutient d'elle-même. L'étude littéraire doit pouvoir s'élaborer en mettant méthodologiquement la biographie de l'auteur entre parenthèses comme il faut étudier la philosophie rousseauiste de l'éducation.

On a pu écrire qu'« il n'est pas question de politique dans Les Deux Etendards ». A l'inverse, certains ont affirmé : « Si Les décombres a été la chronique de la mort annoncée des Juifs, Les Deux Etendards instruit le procès du dieu chrétien et de l'homme qui se voient également condamné à mort, au nom de la lutte contre les valeurs judéo-chrétiennes et la démocratie. Dans cet ouvrage, Rebatet prône l'avènement d'une morale substitutive, le paganisme vitaliste, un sacré abâtardi dont les fascismes se sont également inspirés, pour tenter de liquider des références judéo-chrétiennes de la civilisation occidentale. Le mode d'expression a changé, mais le message demeure ». C'est aller de Charybde en Scylla.

Les Deux Etendards ne sont pas une « parabole fasciste » : ils ne constituent pas la contrepartie romanesque d'une quelconque « fidélité au national-socialisme ». Car ils ne sont pas une œuvre politique mais, primordialement, une œuvre d'art. Cela signifie-t-il que la politique en soit absente ? Non ; elle y tient bien une place puisqu'on peut y déceler une présence d'antidémocratisme, d'antisémitisme, de racisme, de mépris du peuple, d'anticommuniste, d'antibourgeoisisme... mais cela ne fait pas partie des thèmes centraux du roman.

De surcroît, il convient de rappeler qu'« il n'est de toute façon pas question de condamner l'ouvrage pour les idées de ses acteurs, quand bien même celles-ci occuperaient une place beaucoup plus importante, puisque la valeur d'une œuvre n'est certainement pas proportionnelle à la qualité morale de ses protagonistes. De même qu'un roman qui a pour personnage central un meurtrier ne préconise pas nécessairement le meurtre, celui de Rebatet, dont certains acteurs et même le narrateur penchent clairement vers l'extrême-droite, ne fait pas nécessairement l'apologie de leurs idées ». Bref, n'ensevelissons pas Les Deux Etendards sous Les Décombres !

S'il y a une continuité à établir entre les deux ouvrages, c'est surtout dans la stylistique qu'on la trouvera. En laissant de coté les catégories impropres de forme et de fond, se présentent bien un style pour deux thèmes (et non deux styles pour un thème). « Si la passion change d'objet des Décombres aux Deux Etendards, elle ne change pas de ton : c'est la même véhémence, la même jubilation jusque dans la grossièreté, la même volonté de se servir de tous les moyens, la même rage de convaincre, la même violence exaspérée ». D'un livre à l'autre, Rebatet suivait son plan : d'abord « témoigner, militer par un livre, puis en entreprendre aussitôt après un autre, qui serait enfin une œuvre d'imagination. [...]. J'avais maintenant un adversaire d'une tout autre taille avec qui polémiquer : Dieu ». A son habitude, Rebatet bourre son ouvrage d'explosifs en tous genres, et « le fracas de cette explosion remplit le livre, comme le déchirement du patriotisme remplissait Les Décombres. D'ailleurs, le génie est le même : la même puissance lyrique, même déferlement de l'image et du verbe, même amertume. Mais ce qui distingue Rebatet parmi d'autres polémistes, parmi Bloy, Péguy, Daudet, Bernanos, c'est la volonté de convaincre. Pour lui, tous les arguments sont bons. ''Quand on se bat, dit son héros, on ne songe pas à se demander si les armes ont déjà servi''. Tantôt il trace une satire extraordinaire des jésuites, tantôt il se lance dans d'interminables analyses de textes, tantôt il descend aux critiques les plus vulgaires, mais aussi les plus frappantes. Nos seules épopées sont des œuvres individuelles et des œuvres de protestation : ce sont Les Châtiments, Les Tragiques. Voici l'épopée de l'athéisme ».

Mais de quoi parle au juste Les Deux Etendards ?
 
D'amour ! Il n'y a pas moins original mais pas plus essentiel. Le thème des Deux Etendards se trouve magnifiquement énoncé dans le roman lui-même lorsque Michel reçoit sa vocation de romancier : « L'amour, feu central, avait embrasé cette matière inerte du passé, du présent, de l'avenir, du réel, de l'imaginé, que Michel portait au fond de lui ; l'amour l'avait fondue, et grâce à lui seul elle prendrait forme. L'amour serait célébré dans tous ses délices et toutes ses infortunes. Mais le livre dirait aussi la quête de Dieu, les affres de l'artiste. La poésie, les secrets des vices, les monstres de la bêtise, la haine, la miséricorde, les bourgeois, les crépuscules, la rosée des matins de Pâques, les fleurs, les encens, les venins, toute l'horreur et tout l'amour de la vie seraient broyés ensemble dans la cuve ».

LR-3.jpgComment Rebatet/Michel s'y prendra-t-il pour réussir une telle gageure ? Il va « refaire du Proust sur nature » comme Cézanne refit du Poussin sur nature. Qu'est-ce à dire ? Pour le dire brutalement, Rebatet a transposé « certaines méthodes de l'analyse proustienne à une histoire, à des sentiments plus consistants que les sentiments, les histoires du monde proustien (on peut tout de même prétendre qu'une grand expérience religieuse, par exemple, est humainement plus importante que les snobismes et contre-snobismes d'un grand salon) ». Ainsi, « les modernes s'étaient forgés des instruments d'une perfection, d'une souplesse, d'une nouveauté admirables. Mais ils ne les employaient guère qu'à disséquer des rogatons, à décrire des snobismes, des démangeaisons du sexe, des nostalgies animales, des affaires d'argent, des anatomies de banquiers ou de perruches mondaines. Michel connaissait leur scalpels, leurs microscopes, leurs introspections, leurs analyses, mais il s'évaderait des laboratoires. Le premier, il appliquerait cette science aux plus grandioses objets, à l'eternel conflit du Mal et du Bien, trop vaste pour ne point déborder les petits encéphales des physiologistes ». Par delà la caricature proustienne, retenons la mobilisation d'un art d'écrire contre la foi, une croisade antireligieuse.

D'un point de vue narratif, le roman « raconte la maturation, l'amitié profonde, puis la séparation de deux jeunes gens dans la France de l'entre-deux-guerres. Ils sont épris de la même jeune femme, qui, par sa plénitude de vie, son rayonnement physique et psychologique, est une créature comparable à la Natacha de Tolstoï. L'articulation de cette relation à trois et de la grande fugue de l'accomplissement érotique sur laquelle s'achève le roman sont de grands actes de l'imagination. [...] le roman de Rebatet a l'autorité impersonnelle, la beauté formelle pure de l'art classique ». En effet, le roman se présente d'abord comme un Bildungsroman (éducation sentimentale) dans la lignée de la trilogie balzacienne ou du Rouge et Noir. Deux amis Régis, l'amant mystique, et Michel, l'amoureux éperdu, engagent une guerre fratricide dont Anne-Marie sera la victime principale. Il serait très éclairant que quelqu'un entreprenne un jour une lecture girardienne des Deux Etendards. La médiation interne qu'est Régis pour Michel, de modèle se mue en obstacle. La rivalité mimétique s'exacerbe au détriment de ce que furent tour à tour les objets du désir : Dieu et Anne-Marie. Le mensonge romantique est-il dénoncé et la vérité romanesque dévoilée dans le roman ? Quoi qu'il en soit, nous avons là une des plus grandes analyses de la passion amoureuse.

Rebatet parvient-il à ses fins avec son « épopée de l'athéisme » ? Triomphe-t-il de toute croyance ? 

Rebatet s'emporte facilement sur le sujet sans plus faire aucune distinction : « Je hais les religions à mort. Je vois quelquefois, les égyptiennes, les babyloniennes, les tibétaines, les aztèques, l'Islam, le catholicisme médiéval, le puritanisme yankee, comme des spectres grotesques et dégoulinants de sang. Ce sont les plus atroces fléaux de l'humanité ». Toutefois, on trouve de temps à autre sous sa plume une sensibilité plus amène : « il est assez difficile de se trouver l'avant vielle ou la vieille de Pâques sans se rappeler que le Christ est le grand patron de tous les condamnés à mort. Je l'avoue, je n'écouterais pas très volontiers ce soir les stoïques et autres philosophes qui ont moqué les angoisses du jardin des oliviers ».

La question de Dieu n'est pas si simple et pauvre pour qu'on puisse la laisser à l'opinion de chacun. Par exemple, il n'est pas du tout certain que l'athéisme soit l'ennemi de la foi. Si l'athéisme combat la piété vouée aux dieux mythiques des religions archaïques et sacrificielles, alors l'athéisme peut être enrôlé dans la lutte contre l'idolâtrie. En ce sens Levinas écrivait : « Le monothéisme marque une rupture avec une certaine conception du sacré. Il n'unifie ni ne hiérarchise ces dieux numineux et nombreux ; il les nie. A l'égard du divin qu'ils incarnent, il n'est qu'athéisme. [...]. Le monothéisme dépasse et englobe l'athéisme, mais il est impossible à qui n'a pas atteint l'âge du doute, de la solitude, de la révolte »

LR-4.jpegMais tournons-nous plutôt vers le roman. Je ne crois pas que Les Deux Etendards soient une apologétique athée, non plus qu'une épopée. Michel y fait bien une tentative de conversion qui tourne en « déconversion ». Mais celle-ci n'est pas une inversion pure et simple, elle n'est pas du « Michel-Ange inversé » puisque Michel se défend d'être athée. D'ailleurs, n'était l'homophonie avec Le Diable et le Bon Dieu, le roman se fut appelé Ni Dieu ni Diable. L'agnostique Michel ne s'épuise pas plus à toujours nier, qu'il ne cherche en gémissant. L'aporie de la confrontation finale ferait-elle alors signe vers un néo-paganisme ? Plus précisément : vers la désolation que laisserait l'impossibilité d'un retour du sacré ? Michel ne se ferait-il pas parfois une plus juste idée du Christianisme qu'il ne le laisse paraître, idée au nom de laquelle il déboulonne les idoles ? Ces questions restent ouvertes. 

Toutefois, avec ces problèmes théologiques, il ne faudrait pas laisser penser qu'on aurait affaire à un roman, à thèse et encore moins un manuel d'athéologie. Blondin notait bien : « On a qu'un voyage pour sa nuit. Celle de Lucien Rebatet est somptueusement agitée. Elle ravit aux professeurs travestis, et avec quel éclat, le monopole de l'inquiétude métaphysique et [...] rend le Diable et le Bon Dieu à une vie quotidienne passionnante, passionnée. [...]. Il va chercher Dieu sur son terrain qui est celui de la crainte, de l'espérance, du tremblement, de la passion titubante. Sous cette forme romanesque, le problème de la religion recouvre ses plus chauds prestiges ». Un grand roman, « non de la démonstration d'une thèse : des êtres s'affrontent, non des allégories. Il reste que Les Deux Etendards constituent un arsenal d'armes de tous calibres contre le christianisme. Il y a des armes les plus savantes : critiques des textes sacrés, interpolations, interprétations douteuses, dogmes tirés de textes peu sûrs ou trop sollicités, etc. Il arrive que Régis perde pied devant des coups inattendus. Nous avons des exégètes qui répondent très bien, dit-il, quand il se reprend. Réponse trop facile, peut-être, mais moins faible qu'on ne pourrait le croire. On ne peut passer sa vie dans la controverse, et pour Régis, la foi ne dépend pas de tel ou tel point de dogme. Elle est au-delà des constructions intellectuelles auxquelles elle impose d'adhérer. La discussion entre les deux garçons ne peut jamais avancer. Michel ne néglige pas, à coté de cela, des armes plus vulgaires, instinctives, grosses plaisanteries. Ce roman compte une étonnante galerie de prêtres tous obtus, libidineux, hypocrites. Avec tout cela, cette partie polémique date : le moralisme étroit, inhumain, qui encolère Michel n'est plus aujourd'hui le défaut d'une Eglise qui s'est beaucoup débridée [Rebatet en viendra même dans son Journal à se considérer ironiquement comme le dernier catholique !] Si l'on se passionne pour cette controverse, c'est parce que l'on se passionne pour les trois héros ». Sur cette lancée, ira-t-on jusqu'à affirmer que Les Deux Etendards « pourrait ainsi passer à force de vie et de vérité, gonflant des héros en tous points admirables, pour une apologie du spiritualisme » ? Le dernier mot du roman est laissé au jésuite. Il est même probable qu'il ait raison quand il affirme que lui, au moins, laissera un souvenir lumineux à Anne-Marie, jeune fille fichue, laissée à une tristesse infinie. Bien évidemment, c'est une victoire à la Pyrrhus : il vaut mieux avoir tort avec Michel que raison avec Régis. Car depuis bien longtemps nous avons quitté le débat théologique pour rejoindre le tragique de l'existence.

L'antichristianisme virulent ne s'exprime pas tant dans les arguments, bons ou mauvais, opposés à Régis que dans la simple description de la vie du futur jésuite. Les Deux Etendards ont l'immense mérite de mettre en scène, non pas seulement la foi et l'incroyance mais, plus fondamentalement, comme le dit avec raison Rebatet lui-même : le « conflit entre l'amour et Dieu. Un grand thème je crois. Il me semble qu'il n'y en a pas de plus grand : l'homme devant l'amour, l'homme devant Dieu ». Puisque l'amour seul est digne de foi, Les Deux Etendards s'en prennent au cœur du christianisme. « Qu'as-tu fais de ton amour ? ». Telle pourrait être la question centrale du roman. La force de Rebatet c'est de retourner l'amour contre ceux qui s'en réclament. Mais si l'arme est l'amour, quelle portée peut-elle bien avoir devant un Dieu qui se définit par l'amour (I Jean 4, 8) ?

Pourriez-vous nous dire un mot du style des Deux Etendards ?
 
Disons-le d'emblée, Rebatet ne fut pas un créateur de style comme Proust ou Céline. Les Deux Etendards. Rebatet se plaçait résolument dans la catégorie des écrivains qui clarifient une matière compliquée sans recherche de l'innovation technique pour elle-même. Il écrivait : « J'aurais aimé que l'ont pût me faire l'honneur de quelques procédés nouveaux de narration. Je m'y sentais peu porté par nature, à moins que ce ne fût le métier qui me manquait. Mon roman n'était pas une forme singulière, imprévue, conçuea priori, et que je voulais remplir avec un thème et des personnages plus ou moins adéquats. C'était une histoire touffue, que je voulais raconter aussi complètement et clairement que possible. Je m'affirmais - un peu pour calmer mes regrets de ne pas suivre l'exemple de Joyce - que cette histoire était suffisamment complexe pour que je ne m'ingéniasse pas à la rendre indéchiffrable par des complications de forme. Mon esthétique, au cinéma, en littérature, comme en peinture et en musique, a d'ailleurs toujours été hostile aux procédés qui ne sont pas commandés par une nécessité intérieure ». appartiennent plutôt à la lignée des grands romans classiques du XIX

Il y a pourtant bien une originalité stylistique du roman : elle réside dans la concomitance du sublime et de la fange. « Dans son projet d'ensemble, le roman est un pur produit du classicisme NRF et il n'est littérairement pas surprenant que Gallimard en ait été l'éditeur. Quand elle le veut bien, la langue n'y déroge jamais et nombreux y sont les passages où s'entend en quelque sorte la voix de Gide, dans l'économie des moyens et la pureté néoclassique du style. [...] Mais à l'intérieur même de cette épure stylistique, de ce dessin d'ensemble qui est comme le continuo du livre, l'écrivain loge tout autre chose : un véritable baroque célinien, l'usage de tous les registres de la langue à commencer par l'argot et, par-dessus tout peut-être, une crudité récurrente à la mesure de la présence d'Éros dans le récit. Car dans Les deux étendards, l'amour s'exprime sur tous les registres et si l'analyse du sentiment amoureux (selon une formule classique du roman français) n'est nullement étrangère à Rebatet, le lecteur retient surtout les nombreux passages érotiques qui sont ressentis comme autres sans que la perfection littéraire en soit moindre ».

Vous ne tarissez pas d'éloges sur le roman, mais comment pouvez-vous être certain qu'il soit un chef d'œuvre au regard du silence qui l'entoure ? Cela n'indiquerait-il pas plutôt que la non reconnaissance depuis 50 ans est méritée ? N'êtes vous pas fasciné par le mythe romantique de l'écrivain maudit ? 
 
Voici comment Rebatet décrivait Pound : « Ezra Pound rejoint Villon, Rabelais pourchassé, demi-clandestin, Balzac dans sa turne, Stendhal ignoré dans son trou, Nerval le vagabond pendu, Dostoïevski le forçat, Baudelaire trainé en correctionnelle, Rimbaud le voyou, Verlaine le clochard, Nietzsche publié à compte d'auteur, Joyce sans feu ni lieu, Proust cloitré dans un garni, moribond, mais la plume à la main, Brasillach écrivant ses Bijoux les chaines aux pieds, Céline foudroyé à sa table dans son clapier du Bas-Meudon. Après tant d'exemples, comment douter que Pound est dans le bon camp, le vrai camp, le seul qui compte, celui qui enrichit les hommes, survit dans leur mémoire ? ». Cette présentation de Pound en est une, à peine voilée, de Rebatet lui-même. Elle est romantique. Rebatet se prête facilement à cette mythologie quand on sait que Les Deux Etendards furent écrit par un condamné à mort dont les chaînes retentissaient dans une cellule où l'eau gelait nuit et jour.

Sans nous laisser obnubiler sur le soi-disant « seul camps qui compte », il faut bien reconnaître que Rebatet n'a pas la place qu'il mérite. Les Deux Etendards sont un chef d'œuvre car c'est un classique. Un classique de premier ordre même, puisque Les Deux Etendards sont à mes yeux la poursuite de l'œuvre nietzschéenne par d'autres moyens. Le niveau d'un tel affrontement entre l'homme et Dieu trouve son équivalent dans Les Frères Karamazov. Mais la question rejaillit : comment sait-on que c'est un classique me direz-vous ? Pour répondre plus amplement à votre question, il est nécessaire de refaire un peu de philosophie de la littérature.

Une œuvre littéraire - une œuvre d'art en général - transcende par définition ses propres conditions psychosociologiques de production. Elle s'ouvre ainsi à une suite illimitée de lectures. Celles-ci sont elles-mêmes situées dans des contextes socioculturels différents. Ainsi l'œuvre se décontextualise et se recontextualise. Si elle ne le faisait pas, si une œuvre n'était que le reflet de son époque, alors elle ne se laisserait pas recontextualiser et ne mériterait donc pas le statut d'œuvre d'art. La capacité d'échapper à son temps fait la contemporanéité de l'œuvre. Ecoutons Gadamer : « Entre l'œuvre et chacun de ses contemplateurs existe vraiment une contemporanéité absolue qui se maintient intacte malgré la montée de la conscience historique. On ne peut pas réduire la réalité de l'œuvre d'art et sa force d'expression à l'horizon historique primitif dans lequel le contemplateur de l'œuvre était réellement contemporain de son créateur. Ce qui semble au contraire caractériser l'expérience de l'art, c'est le fait que l'œuvre possède toujours son propre présent [...] l'œuvre d'art se communique elle-même ». Ainsi, à la question « qu'est-ce qu'un livre classique ? », on peut répondre, avec Sainte-Beuve : une œuvre « contemporain[e] de tous les âges ». Echappant au contexte qui l'a vu naître, sans prétendre illusoirement à l'intemporalité, le classique traverse les modes et les aléas de l'histoire. Or, aux questions soulevées par Rebatet est inhérent un surcroît de sens permanent.

Quant au peu de critiques et à l'ignorance du public cultivé, on a pu avancer plusieurs raisons plus ou moins légitimes : le prix du roman, sa longueur, sa complexité, le rejet de certains libraires, l'importance donnée à la question religieuse, etc. Mais « l'indiscutable vérité est que Les Deux Etendards continue à être ignoré aujourd'hui à cause du black-out qui le frappe et que ce black-out a été imposé pour des raisons politiques. [...]. L'on veut surtout espérer que notre époque est suffisamment mûre et suffisamment affranchie des passions déclenchées par les événements de la seconde guerre mondiale pour enfin considérer objectivement et du seule point de vue littéraire un roman aussi important que celui de Rebatet, et ce d'autant plus qu'elle est particulièrement pauvre en chefs-d'œuvre ».

Les deux étendards sont donc un roman à la fois classique et méconnu du fait de la conspiration du silence engendrée par les opinions politiques de l'auteur. Rappelons simplement qu'Etiemble s'est fait exclure des Temps Modernes par Sartre au prétexte de la reconnaissance du génie littéraire de Rebatet. En sommes-nous encore à ce point ? La situation est peut-être pire car la conspiration du silence a fonctionné et s'est depuis muée, le relativisme aidant, en indifférence. En plus d'amoureux de la littérature, il nous faut trouver des esprits libres !

Gilles de Beaupte, merci et longue vie à votre association !

Mais nous n'avons pas encore évoqué Les Epis Mûrs ou Une Histoire de la musique !
 

samedi, 28 janvier 2017

Parviz Amoghli: Ernst Jünger und wir - Der Waldgang heute

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Parviz Amoghli: Ernst Jünger und wir - Der Waldgang heute

Der Berliner Publizist und Filmemacher Parviz Amoghli formulierte am 25. Februar 2016 seine Sicht von Ernst Jüngers Buch „Der Waldgang“ für die heutige Zeit: „Der Waldgang weist dem freien Einzelnen einen Weg aus dem Dilemma. Und der führt ihn immer weiter zurück in Richtung Ursprung, also genau entgegengesetzt zum Zug der Zeit.“

vendredi, 20 janvier 2017

Drieu, petit cousin de Werther

 
par Dominique Borde
 
Ex: http://www.oragesdacier.info
 
     « Il n’y a pas d’arts sans société et sans assez vaste société », écrivait Drieu La Rochelle dans « le Français d’Europe ». Dire que cette petite phrase lapidaire résume les ambiguïtés de l’écrivain pris dans le mouvement de son temps serait hâtif. Mais elle image assez nettement l’une des dualités qui habitèrent Drieu pendant toute sa vie.
 
     Ecrivain, penseur politique ou dandy ? Chercher à définir Drieu à travers son œuvre, riche et éparse, n’est déjà pas si aisé, mais essayer de le saisir et de le retenir dans son action politique découragerait plus d’un dogmatique. C’est que Drieu fut toute sa vie une pensée pure perdue parmi son siècle. Un regard lucide sur le monde et l’humanité qui l’entourait mais aussi un acteur aveuglé des mouvements de son époque dont il ne se privait pourtant pas de dénoncer les erreurs et d’annoncer les espérances.
 
 pdlr70298457-fr.jpg    Ce vieux jeune homme au physique fragile et nonchalant, à l’allure d’éternel adolescent, long et mince, impose déjà une séduction qui échappe à tous les âges. Il a le front haut et bosselé des intellectuels où des cheveux rares forment comme une couronne ou un halo tandis que ses yeux clairs tour à tour moqueurs ou perdus semblent regarder au-delà de ce qu’on leur montre. L’homme est élégant sans recherche, à l’aise sans forfanterie, aristocrate sans avoir les titres. C’est un hobereau des lettres descendu de sa tour d’ivoire pour regarder le monde de plus près. Engagé très jeune dans la guerre de 1914, il a trouvé dans les combats un terrain exceptionnel à ce dépassement du moi qui l’obsédera toute sa vie : « Tout d’un coup je me connaissais, je connaissais ma vie. C’était donc moi, ce fort, ce libre, ce héros » écrit-il dans « La comédie de Charleroi ». Etre un héros, voilà ce qui manquera à Drieu revenu à la vie civile. Les femmes occuperont l’intellectuel en recherche de sensations fortes qui passera des unes aux autres, avec vertige ; mais l’homme d’action restera les mains vides.
 
La tentation du néant
 
     Heureusement, une grande idée va se faire jour : l’Europe que Drieu prend à bras le corps. Ce visionnaire y voit l’unique solution pour enrayer l’hégémonie des peuples. L’idéaliste y décèle le remède aux déchirements qu’il a connus. Mais cette vision globale ne l’empêche pas de ressentir et de traduire les malaises intimes. A la suite du suicide de son Jacques Rigaut, il écrit comme dans un souffle « Le feu follet » (sa première œuvre à avoir été portée à l’écran par Louis Malle en 1964). Ce roman d’un suicide ressemble autant à l’écrivain qu’à son modèle. L’homme en quête d’action – l’homme à cheval – y nie l’essence même de celle-ci et sa lucidité débouche sur le néant. Une tentation qui le fascine qui l’effraie. Il lui faut tuer la mort par l’action et s’engager. Le Congrès de Nuremberg fournit au penseur la réponse du concret qui le rassure. Drieu se donne au fascisme comme seule force de progrès puis confirme son engagement en s’inscrivant au PPF de Doriot. Plus tard, il en démissionnera puis y reviendra, toujours acteur d’un dernier combat. Son retour avec Doriot en 1942 il l’explique sans détour à Pierre Andreu : « Alors qu’il y a tant de gens qui me haïssent, j’ai voulu leur donner une raison bien claire de me haïr et de me tuer ». Sans plus y croire il ira au bout de son choix alors que son regard se dirige vers Moscou et un totalitarisme que cet impénitent croit plus parfait. Mais il est trop tard, l’intellectuel doit payer pour le politique. Drieu choisit de s’en aller sans se livrer à ses ennemis. Mort par trop forte dose de véronal et de gaz ou par excès d’idéalisme ?

     Il est très symbolique que l’œuvre de Drieu soit restée sur un roman inachevé (« Mémoire de Dirk Raspe ») et tout aussi révélateur que son action politique soit demeurée à l’état de projet avorté.
 
Mal à l’aise dans le siècle, trop à l’étroit dans les règles littéraires, Drieu, prophète de l’impossible et poète des profondeurs, est le contraire d’un carriériste ou d’un militant. Comme l’a noté Pol Vandromme : « Il s’est appliqué à être Fabrice, c’était un petit cousin de Werther ».
 
     Drieu s’est inventé un champ de bataille pour y livrer sa propre guerre. Vaincu par le doute, il a péri des certitudes du monde. Mais cet homme de l’échec a laissé des traces profondes, car ce sont ses hésitations et son malaise qui nous remuent encore. Aujourd’hui, on se replonge dans « Gilles », « Rêveuse bourgeoisie », « Une femme à sa fenêtre » ou « Feu follet » pour y retrouver une empreinte de l’écrivain en oubliant les errances du politique. Le temps a effacé ce dernier pour ne révéler qu’un homme en quête de lui-même et des autres.
 
     Sa grande victoire est d’être entré dans l’éternité par la porte du doute.
 
Dominique Borde 

jeudi, 19 janvier 2017

Les Visages pâles, roman de cire et de types

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Les Visages pâles, roman de cire et de types

Après Enjoy en 2012, Nous sommes jeunes et fiers en 2014, Solange Bied-Charreton a fait paraître en 2016, toujours chez Stock, Les Visages pâles. Dans ce troisième roman, l’auteur conserve sa volonté de dépeindre la société avec un regard attentionné, rappelant ainsi le dessein qu’avait Balzac dans La Comédie humaine, d’écrire « l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs ». Zone Critique revient pour vous sur le troisième livre de cette jeune romancière.

sbc-vp.jpegDans Les Visages pâles, il s’agit de mœurs précis, ceux de la famille Estienne implantée à Paris, composée de Jean-Michel et Chantal, divorcés, ainsi que de leurs enfants, Hortense, Alexandre et Lucile, ayant chacun son propre mode de vie, son travail et son appartement. Il s’agit en fait d’une famille sans toit, où chaque membre est exilé de la nation primaire désormais vide et abandonnée. Dès le début du roman est présentée une scansion fondamentale entre la ville, lieu d’un « exil permanent » et la Banèra, espace des liens originels et maison du père de Jean-Michel, Raoul. La mort de ce dernier déclenche une lutte pour la conservation du « bastion à défendre ». La famille, dont les valeurs sont en perdition, étouffées sous le poids d’une vie moderne, est représentée par deux entités : Jean-Michel voulant vendre la maison pour faire table rase d’un passé inutile, et la loi Taubira en faveur du mariage homosexuel. Le roman suit donc chacun de ces modes de vie selon une tension entre deux valeurs : l’intimité et la communauté, l’individu et la famille, l’enjeu étant de comprendre comment le personnage se dégage du déterminisme qui lui est assigné pour mieux le transgresser, le modifier, lui donner une renaissance, c’est-à-dire pour mettre au monde une histoire.

Le scepticisme, vide fictionnel

Solange Bied-Charreton présente l’histoire commune d’une bourgeoisie anti-mariage homosexuel, qui cultive la religion du confort et de l’utilité et qui, s’inquiétant pour l’avenir de ses valeurs, opte davantage en faveur de la suspension de jugement que de l’héroïsme.

L’histoire d’un roman trouve son épaisseur dans ses personnages et leur psychologie. Une psychologie stéréotypée produit une histoire banale. Au contraire, une psychologie dense et subtile donne une histoire singulière, aussi commune soit-elle. Solange Bied-Charreton présente une histoire commune, celle d’une bourgeoisie de 2013, anti-mariage homosexuel, prônant l’importance du travail, de la famille et de l’argent, cultivant la religion du confort et de l’utilité et qui, s’inquiétant pour l’avenir de ses valeurs, opte davantage en faveur de la suspension de jugement que de l’héroïsme. Hortense, par exemple, « femme d’ordre [qui] ne laissait jamais aucune place au hasard», n’est occupée qu’à éviter toute interférence possible avec sa carrière trop précieuse ; Hubert, son mari et père de ses deux enfants, affirme que « la suspension de jugement […] est notre bien le plus précieux » ; Chantal, à l’idée de se faire entendre dans la rue, est rongée par le « scepticisme » et Jean-Michel, lui, « vieux soixante-huitard de merde », a déjà réussi, il a déjà vécu dans un « monde libre » et prépare sa retraite loin de racines trop encombrantes. Seuls deux personnages pourraient être porteurs d’histoire et de fiction : Alexandre et Lucile, tous deux se distinguant par le rapport, en eux, de l’intimité et de la communauté, c’est-à-dire de l’intérieur et de l’extérieur.

Lucile, ou la possibilité d’une histoire

En effet, Alexandre, « plus lucide, mais plus incontrôlable, croyait à la violence » comme unique moyen de défendre la famille et plus généralement les valeurs qui sont au fondement d’une France puissante. Il serait alors possible de l’imaginer futur terroriste, transgressant les valeurs qu’il soutient au nom de leur conservation, si seulement il n’était pas trop éduqué. Pour Alexandre, qui « avait été pensé », la communauté se positionne à la source de l’intimité, si bien qu’elle prend le rôle d’une substance divine à la fois cause et effet de l’individu : si sa lucidité l’encourage à croire en la violence, le jeune homme n’en est pas moins un bourgeois, pour qui l’engagement ne va pas plus loin que « sous un porche rue Monsieur-le-Prince, pour finalement échouer dans un bar à sangria à l’ambiance amicale et aux prix imbattables, et qui autorisait ses clients à fumer malgré la législation en vigueur ». En somme et malgré tout, pour Alexandre, digne héritier de la famille Estienne, « une importance toute particulière était accordée au confort ».

Ni déchirure ni humour chez Alexandre, aussi sérieux que l’auteur qui le met en page. Ceci n’est pas un personnage mais une trajectoire sociale.

Un personnage est avant tout construit par la rencontre, en lui, de l’intérieur et de l’extérieur, si bien qu’il ne peut devenir ce qu’il est qu’en étant « déporté au-delà des frontières du monde connu ». Si cela est le cas des romans de Balzac, où Lucien Chardon par exemple, quitte sa ville natale pour Paris où l’attendent ses « destinées », ça ne l’est pas d’Alexandre qui défend son confort domestique au nom d’une idéologie de trottoir, déterminée par un traumatisme lié à l’enfance. Il pourrait donc être rapproché de Frédéric dans L’Éducation sentimentale ou de Lucien dans L’Enfance d’un chef, si seulement il ne lui manquait pas la verticalité de l’ironie, la nuance de la mauvaise foi ou la sensualité d’un style : ni déchirure ni humour chez Alexandre, aussi sérieux que l’auteur qui le met en page. Ceci n’est pas un personnage mais une trajectoire sociale.

Lucile, au contraire, dont « la personne était en désordre, sa cohérence tenait du hasard », est amenée à rompre avec le reflet de l’extérieur dans l’intérieur grâce à sa rencontre avec Charles Valérien, jeune homme rentier, nihiliste fragile et désabusé qui, sans famille ni origine, jouit d’une souffrance toute particulière : la liberté. Lucile est finalement le seul personnage du roman qui ne vit ni dans le passé ni dans l’avenir mais dans un présent absolu et charnel, un maintenant infini appelé à grossir jusqu’à mettre au monde une histoire. Avortée malheureusement. La rupture de Lucile et de Charles est consommée, et Lucile, désespérée quant à la possibilité de l’Amour, retrouve « l’indifférence généralisée » comme refuge à une douleur trop réaliste ; elle retrouve l’espace familial en somme, qui, ne pouvant préserver son homogénéité sans une forte dose de scepticisme, se doit de douter de tout, de la politique et de l’amour, de sacrifier l’intimité au nom d’une communauté pâle, et surtout de s’en tenir au doute. Avec Hortense et Alexandre, Lucile enferme sa jeunesse dans les méandres de la Banèra pour mieux fermer les yeux devant un monde « morne et démesuré ». « Morne et démesuré », deux mots qui pourraient proposer un résumé de ce qu’est la modernité s’ils ne leur manquaient pas deux lettres, le « i » et le « t », pivots d’une absence qui rend boiteux le roman : celle de l’intimité.

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Sociologie du pessimisme

Roman de l’enfermement et de l’incarcération de l’individuel par la communauté, Les Visages pâles présente des personnages qui n’abritent aucune déchirure, aucune complexité intérieure, aucune suggestion à la possibilité d’un devenir fictionnel, aucune vie en somme.

Effectivement, Solange Bied-Charreton met sur papier des entités sociales qui préexistent au roman et pour qui chaque nouvelle page n’est pas une nouveauté qui s’agrège soudainement à un ensemble en construction, mais bien plutôt la confirmation de stéréotypes que tout le monde connaît. Son roman pourrait passer pour pessimiste ou cynique, si seulement il ne réutilisait pas la vision que chacun se fait de ces deux modes de pensée : Charles Valérien fait presque rire, Alexandre n’est même pas ridicule, Hortense finit logiquement par coucher avec son patron et Lucile se confond avec cette fille ratée parce que sensible, que chacun imagine. Alors que le premier disparaît du roman sans manière, les autres personnages se retrouvent pour recomposer ce qu’ils croient être une famille, à la manière d’automates qui cultivent un « mode de vie », mais non pas une « vie ». Ici est présente la contradiction dans le discours de l’auteur, qui, voulant porter un regard attentionné sur ces individus, ne trouve pas d’autre moyen que de les peindre, non pas tels qu’ils sont, mais tels qu’ils sont conçus par l’opinion commune : si lisant le roman, le lecteur y retrouve les préjugés dont il essaye de se débarrasser, ne serait-il pas davantage bénéfique pour lui de le refermer et d’aller marcher dans les rues ?

Roman de l’enfermement et de l’incarcération de l’individuel par la communauté, Les Visages pâles présente des personnages construits par une histoire sociale et qui, lorsqu’ils s’en émancipent, n’abritent aucune déchirure, signe de l’intimité, aucune complexité intérieure, aucun espace cryptique dissimulé derrière les apparences, aucune suggestion à la possibilité d’un devenir fictionnel, aucune vie en somme : ils sont morts-nés et nous regardons leur trajectoire comme nous lisons un livre de sociologie. On n’y croit pas.

Lucas Dusserre

L’Alsace est une fête

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L’Alsace est une fête

par Lucien Rabouille

Ex: http://zone-critique.com 

Animateur du Cercle Cosaque aux côtés de l’ébouriffé Romaric Sangars, franc-buveur à la hussarde, anar’ de droite comme Marcel Aymé et satiriste comme Scarron : Olivier Maulin, auteur – entre autres – de Gueule de bois ou des Lumières du ciel, faisait paraître en juin dernier La Fête est finie aux éditions Denoël. L’un de nos chroniqueurs vous entretient avec gouaille de ce roman truculent, politique et alsacien.

Relevant le nez de la tambouille politicienne, une grande âme s’étonnait de voir que parmi les nombreux postulants à la prochaine élection présidentielle, aucun ne propose de transformer la France en : «  un puy du fou géant ». L’argument serait pourtant porteur. Imaginons : au doux pays de France, le bon peuple festoie au milieu des troubadours et des cathares. Moines soldats, dames de cour, bas clergé alcoolique, renégats et guérisseuses rivalisent de fantaisie au cœur d’une mise en scène son et lumière honorant les temps de jadis. Embaumer le pays réel en un sanctuaire protecteur, le peupler de jean-foutres et de nobles édentés redoutant les jacqueries paysannes comme les adorateurs de fées… Le projet n’a encore séduit que les touristes, si l’on compare le succès commercial du Puy du Fou aux anorexiques résultats électoraux de son fondateur. La Grande âme n’a donc pas tord : on ne trouve cette mesure dans aucun programme d’aucun postulant à la primaire d’aucun parti. Mais le projet aura un autre (et meilleur) destin qu’électoral. On rencontre encore des cerveaux malades pour songer à transformer la France en un gigantesque Puy du Fou. Parmi eux : un romancier. Olivier Maulin livre avec son dernier exploit, La fête est finie, un hilarant cri de guerre contre les barbaries éclairées au gaz et ses thuriféraires progressistes.

Fable foutraque du pays réel

Totor, jean-foutre génialement con, n’aime rien tant qu’écouter Bach en se grattant la galle ; son comparse survit de petits boulots, fort d’un CV en peau de lapin et d’une expérience pluriannuelle de chômeur longue durée.

Ses personnages traînent leur existence misérable aux marges des marges de la société. Surnageant dans la nasse, un duo de choc se débat. Totor, jean-foutre génialement con, n’aime rien tant qu’écouter Bach en se grattant la galle ; son comparse survit de petits boulots, fort d’un CV en peau de lapin et d’une expérience pluriannuelle de chômeur longue durée. L’échec professionnel est un emploi à temps plein dans lequel ils excellent, sans RTT, congés payés ou arrêts maladie. Par nécessité alimentaire, ils s’improvisent la nuit gardiens de camping-cars haut de gamme et après quelques combines, embauchent comme pit-bull des chiens domestiques rencontrés la veille à la SPA ou chez la voisine sénile. Sans traîner, la première nuit de travail est interrompue par un cambriolage. Moins ambitieux que les voleurs mais plus négligents, les compères avaient dérobé l’alcool du patron pour s’endormir avec dans l’engin.

Le malfaiteur est un ridicule parvenu d’Europe de l’Est répondant au nom de « Sarközi ». Il file à la roumaine vers la mère patrie pour tirer un bon prix du véhicule. Les personnages obtiennent leur salut par quelques péripéties branquignolesques qui les entraînent dans une cavale policière imprévue. Poursuivant leur route nulle part, c’est à dire en Alsace, ils découvrent un pays où l’Ubu-Renne, souverain des forêts, est un cerf alcoolique et vulgaire alors que des batailles rangées opposent gendarmes et résistants autonomistes.

Quoique bienvenus en Maulinie, les personnages ne s’y sentent pas immédiatement chez eux. Et si elle se passe de brochures promotionnelles, la destination tient toutes ses promesses de dépaysement. Habitués à la routine et à la galère, ils ne voient que folie, démence, excès et réjouissances bucoliques. Le dernier des clochards célestes sera premier chez les anthropologues : virtuose de grands concepts et de bonnes bouteilles, le personnage maulinien est sujet à la radicalisation éthylique. Passé le digestif, il cause clandestinité, attentat et stratégie de la tension. Leur créateur a tout d’un terroriste paralysé par le style. Passé la blague, il s’enflamme et obligatoirement dérape. L’intrigue lui en donne le prétexte ; une décharge s’installe dans la vallée. Casus belli pour les protagonistes, déterminés à ne pas laisser entrer ici le monstrueux « progrès », ni son funeste cortège.

Politique d’abord

La theoria maulinienne a l’odeur d’une potée alsacienne où s’harmonisent les ingrédients d’une soupe bien à droite.

Politique d’abord, le roman est le prétexte pour une typologie (inédite en histoire des idées) de programmes baroques et fatigants. La theoria maulinienne a l’odeur d’une potée alsacienne où s’harmonisent les ingrédients d’une soupe bien à droite. Talent oblige, cette droite se révèle dans ses variétés les plus anarchisantes. On rencontre très vite la plus triviale, qui est aussi la plus populaire : un anarchisme de vauriens et de demi-crapules, se foutant de tout ou presque et surtout de l’Ordre. Cet anarchisme sert d’éthique sommaire au gugusse maulinien de base. Indifférent à tout souci politique, il se contente de rejouer l’éternel duel entre gendarmes et voleurs. Il rappelle Audiard ou les entrepreneurs en activisme révolutionnaire de L’aventure c’est l’aventure. Larcins malgré eux, Totor et son comparse ont autant de conscience politique qu’un vers de terre moyen.

Probablement anarchiste de naissance, l’auteur sait aussi raffiner. Refuser une autorité ne revient pas toujours à ignorer la nécessité d’un ordre. Régionalisme, traditionalisme, localisme, décroissance… l’Alsace maulinienne formule une proposition originale d’organisation politique et sociale. Nostalgiques d’une harmonie originelle, ses habitants rêvent de libérer leur province de l’administration centrale pour la remplacer par une association libre de cellules sociales protectrices. Ils idéalisent un royaume franc du XIIIe siècle, hérissé de libertés, dans lequel pays, provinces, communes pouvaient se nantir de privilèges libérateurs. Rêvant d’un grand bordel providentiellement ordonné, ils vomissent l’État et aspirent à se passer de lois, protocoles, ordonnances, normes ou administration. Résurgence du légitimisme libertaire de Chateaubriand et de l’organicisme réfractaire de Barbey d’Aurevilly, ils sont les ultimes héritiers d’une intemporelle fronde contre la légalité, ne respectant un droit que surnaturel et désobéissant au reste.

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L’État est toujours désigné comme l’ennemi. Empêcheur de tourner en bourrique, il envoie sa police courser les renégats et surtout, crime de lèse-ébriété, entend réglementer la distillation de l’eau de vie. On entend donc bien se passer de lui et de son autorisation pour être bourré du matin au soir. Alors on chouanne, zade et résiste par tous les moyens, même légaux. Les personnages brûlent de consumer le plus froid des monstres froids et pour ce fait, discourent eux aussi sur la méthode. Abattre l’État certes, mais comment s’y prendre ? D’une Theoria, le maulinisme déduit une Praxis. Proudhon et Sorel ne sont pas loin. Pour ne pas se laisser duper par la fable démocratique, le roman glose les Réflexions sur la violence entre deux caravanes de camping et légitime la violence prolétaire comme mythe mobilisateur après trois apéritifs. Vivre et s’achever à l’alcool dans une caravane n’empêche pas de maîtriser l’exercice de la dissertation philosophique. L’ouvrage fourmille d’énoncés théoriques : l’auteur s’y révèle très habile et manie la dialectique comme le tire-bouchon. Introduisant la thèse démocratique par sa réfutation marxiste, il offre alors un supplément d’âme au traditionalisme et conclue sur l’appel à une grève majestueuse, instituant le peuple en nouvelle aristocratie.

Quand le patriarche disserte sur la grande stratégie révolutionnaire, sa fille veille à sa mise en œuvre tactique. Le roman annonce le Grand Soir, le point de non retour. Les personnages s’y préparent et s’improvisent Lysandre ou Hannibal. Être armé est une garantie d’indépendance ; l’assurance de pouvoir résister au Léviathan. Là encore, l’auteur innove et enrichit son avant-garde réactionnaire d’une mention allusive à l’idéal libertarien américain, souvent mal compris et caricaturé en France.

Quête ontologique

Le langage maulinien est l’expression d’un être désinhibé qui aspire à vivre une existence libre et affranchie. Il malmène tous les poncifs linguistiques et idéologiques ; comme l’ont fait avant lui Rabelais, Céline, Frédéric Dard ou ADG.

S’il est accidentellement théorique et praxiologique, le roman ne se prend pas non plus trop au sérieux. Jünger, Sorel, Spengler, Maurras ou Heidegger peuvent se faire comprendre d’alcooliques incultes. La trivialité des personnages résume en deux ou trois grossièretés, des pensées ardues et bien souvent soporifiques. On les en remercie. Au cœur de l’intrigue maulinienne, Heidegger nous révélait la technique moderne comme « mode de dévoilement de l’étant »,  Maulin la décrit comme mode de dévoiement de l’étang. La rhétorique se déploie en quelques cris de guerre bien sentis : « merde au progrès qui pue ». On goûte à cette âpreté conceptuelle comme à ses coups de massue, à peine plus délicats qu’une hallebarde de lansquenet généreusement enfoncée dans le crâne.

Comme rançon du génie, ces gauloiseries éloignent nos héros des gens de bonne compagnie. Démesurés dans leur courage, leur imbécillité, leur facétie, leur ivrognerie ou même ponctuellement leur érudition ; ils se voient opposés à la faune de tous les cuistres demi-habiles, intelligents sans être géniaux, courageux mais pas téméraires, diplomatiquement ordinaires pour ne pas dire simplement médiocres. Seuls comptent les caractères extrêmes. Mais il faut encore en être pourvu, cette qualité n’est pas universelle.

Le grand remplacement des fous par les demi-habiles permet l’invasion d’une langue étrangère. Sans qu’elle n’ait été vraiment conviée, la phraséologie s’invite ponctuellement en Pays d’Alsace où la barbarie douce a de nouveau franchi le limes du Rhin. Un séminaire d’entreprise parle « de relever les défis à venir ». Presque aussitôt, tout discours sincère se dilue dans un magma pseudo-métaphorique. L’auteur ne fait que citer les brochures d’une parole qui n’a même pas besoin d’être caricaturée pour apparaître vide. Par son expression la plus réaliste, le lecteur comprend immédiatement qu’elle ne vaut rien.

Le langage maulinien acquiert alors une plus haute dignité et devient autre chose qu’un amas de gugusseries pour la poilade. Il est l’expression d’un être désinhibé qui aspire à vivre une existence libre et affranchie. Il malmène tous les poncifs linguistiques et idéologiques ; comme l’ont fait avant lui Rabelais, Céline, Frédéric Dard ou ADG. Mais les thèmes de la banlieue des années 1930 comme du conformisme gaullien de la France industrielle ont vécu. Il est difficile d’entretenir aujourd’hui une familiarité avec ces proses, sauf à posséder une très bonne connaissance du contexte historique. Moderne, absolument moderne, le langage maulinien en est spontanément drôle.

Une farce mélancolique

Témoin brutal et nostalgique d’un passé qui ne sera jamais plus,  Maulin pourrait être à l’Alsace un Faulkner ou un Barbey d’Aurevilly.

Farce mélancolique d’un univers qui se défait, le roman nous offre bien des rires  et aussi un peu de tristesse. Tel Alsacien a connu « les fromageries au bourg, les charcuteries, des confiseries, des merceries, une chapelle même ! Et des tanneurs, des cordonniers, des bourreliers, un tonnelier, un ferblantier, un forgeron, et un cordier ». « Une épicerie, une pizzeria et un moloch en tôle, horrible hypermarché à l’entrée de la vallée » les ont remplacés. On songe à l’âge d’or, au paradis perdu et on a soudain envie de dire avec le vieux fermier « merde au petit con de sociologue qui viendra m’expliquer que ce n’était pas mieux avant ».

Passé le coup de gueule, le roman pose un sévère diagnostic : la société a vécu sur le rêve sinistre d’un progrès indéfini et d’un mouvement linéaire de l’histoire, ce dernier devait renvoyer aux vieilles lunes moyenâgeuses tous les sceptiques qui chercheraient à lui faire obstacle. On entend sa complainte : « Le progrès est passé par là ». Le présent n’est qu’un inépuisable sujet de déploration quand le passé est toujours objet de regrets. Libres artisans, érudits locaux, aspirants renégats, clochards célestes… tout le peuple maulinien regrette l’intimité des sociétés villageoises en employant le verbe généreux et trivial des parlers de jadis.

Témoin brutal et nostalgique d’un passé qui ne sera jamais plus,  Maulin pourrait être à l’Alsace un Faulkner ou un Barbey d’Aurevilly. Après les premiers chapitres, sa prose se localise à la manière d’un honnête récit pastoral. Un hobereau normand ou un patricien dixie en pleine vallée du Rhin, remplaçant le coton et le cidre par le schnaps ? Le roman est un peu plus fin que cela. Le pathos à foin a vécu… Chez Maulin, la nostalgie n’a pas fondamentalement divorcé de l’espoir. Sans péage mais sans déviation, le camping-car maulinien emprunte l’autoroute de l’héroïsme chevaleresque. « Elevé en Mythe, le temps d’avant n’est jamais très éloigné du rêve ». Atteints des vertiges d’un âge d’or imaginaire, les personnages s’intéressent pourtant moins à sa forme qu’à son principe. L’intimité sociale, l’autorité de la coutume, les baises gauloises sont plus qu’une fresque mythologique. Elles existent de manières bien réelles, bien charnelles, dans ce que les sociologues appellent la postmodernité. Celle-ci devient involontairement passéiste et se retourne contre l’édifice moderne quand son infrastructure étatique et sa superstructure idéologique s’enfoncent dans une muabilité incertaine. Quand il discourt, le roman détaille le mouvement cyclique de l’histoire et se plonge, quoiqu’un peu sommairement, dans la mythologie des siècles. Aucun « progrès » n’est inéluctable, aucune décadence non plus. Comme tout ce qui est humain, elle porte en elle les racines de sa propre critique. Son kitsch consumériste devient prophétique. Même en camping-car, le temps des chevaliers peut renaître, mais seulement de manière moderne, baroque et bien sûr inattendue. Les camping-cars resteront et avec eux la poudre, les armes à feu et les machines à distiller. Nul individu, sensé ou insensé, ne songera à y renoncer et probablement pas l’auteur. Mais cet apparent futurisme ne suffit pas à en faire un moderne.

Son dieu cerf alcoolique empereur de la forêt a fière allure et ressemble fort peu à celui de  Princesse Monokoké. Dans la fable de Myiazaki, le majestueux protecteur de la Physis se révèle être l’ultime obstacle à « l’exploitation totale de ce qui se trouve entre le ciel et la terre ». Dominer, exploiter, arraisonner semble être, chez le nippon comme chez l’alsacien, le projet même de la modernité. Myiazaki décrit un monde en train de se défaire quand Maulin voit un monde déjà défait. Le myiazakisme comme le maulinisme ne sont guère des optimismes ; mais leur mélancolie sait être consolante. Même quand l’homme semble menacé en son humanité, elle éveille des émotions libératrices. L’art sait encore dire certaines choses, de celles qui ne peuvent demeurer enfouies trop longtemps. Par-delà le dieu cerf, elles sont immortelles et leur « principe ne peut pas mourir car il est le mouvement même de la vie », sauf peut-être après que le dieu cerf ait déménagé en Alsace maulinienne pour succomber à une cirrhose du foie. En attendant, que la fête recommence.

Lucien Rabouille

  • La fête est finie, Olivier Maulin, Denoël, 240 p., juin 2016, 18,90 euros.

Dominique de Roux, Rouergat intégral

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Dominique de Roux, Rouergat intégral

par Georges FELTIN-TRACOL

En 1983 paraissait un ouvrage posthume d’Alexandre Vialatte, L’Auvergne absolue. Le comte Dominique de Roux (1935 – 1977) ne serait-il pas, pour sa part, un Rouergat intégral ? C’est la question qu’on se pose une fois refermé Les châteaux de glace de Dominique de Roux écrit par Rémi Soulié en 1999. À cette date, l’auteur n’avait publié qu’un seul ouvrage, deux ans plus tôt (De la promenade), et ne traitait pas encore de Nietzsche, de Boutang, d’Aragon, de Péguy, du Curé d’Ars et de Benny Lévy. Rédigé entre juin et juillet 1998 au moment où l’Hexagone s’entichait pour une équipe de footeux bariolés aidée par quelques substances exceptionnelles et des services très secrets afin de remporter une compétition de paillettes et de pognon, ce court essai revient sur l’écrivain – éditeur – journaliste – baroudeur Dominique de Roux.

Rémi Soulié vient du Rouergue où se trouvait l’un des châteaux de glace de Dominique de Roux, « la propriété de [son] arrière-grand-mère […] ! Le lieu même, où, enfant, il passait les vacances (p. 21) » : les Bourines. Antique ferme fortifiée héritée par Madame Antoine Aubaret, le lieu jouxte l’Aubrac qui, « sur le plan ontologique, est l’espace des burons… (p. 67) ». Les Bourines se situent donc en Aveyron, ces terres toutes proches du Cantal, ce département – volcan endormi dont la forme géo-administrative ressemble à s’y méprendre à la Toison d’Or bourguignonne.

SouliéDdR.jpegDans un monde littéraire et éditorial déjà bien chloroformé par la bien-pensance, Dominique de Roux tranchait par son dynamisme, ses fulgurances et – surtout – son incroyable impertinence. Son style acéré et altier ne pouvait (devait ?) que cliver. Tout le contraire de ses sinistres contemporains. « Du plat, du mou, du fade, du terne, du neutre, le triomphe du Marché est à ce prix. Qu’un écrivain pointe le bout de la mine, les chiens de garde de l’antifascisme se chargent de le broyer sous leurs vigilantes mâchoires morales (p. 47). » Il faut préciser que, ceci expliquant cela, « Chirac est au pouvoir; il gagne un à un, patiemment, ses galons de guignol cosmo-planétaire (p. 50) » et, sous ce déplorable septennat, le palais de l’Élysée devint « le Salon de l’agriculture mâtiné de Grand Stadium (p. 76) ».

Une chape de plomb s’abattait sur la spécieuse « République des Lettres », une expression grotesque qui masque un bagne intellectuel. « Les idiots du village planétaire sont en effet aux commandes, la Censure veille à ne désespérer la Banque en fourguant aux gogos les héros positifs du réalisme démocratique (p. 12). » Dans ce contexte éprouvant, « malheur aux hérétiques ! Malheur aux dissidents ! Les anathèmes laïques prospèrent, les bûchers progressistes ne manquent pas de fagots, les nouveaux cagots inquisitionnent (p. 14) ». Rémanence d’outre-tombe, l’incisive œuvre de Dominique de Roux n’en finit pas d’être décriée, pourchassée, vilipendée par d’insignifiants cloportes dénonciateurs de salon germanopratin. Sous le binôme Chirac – Jospin, « le hideux libéralisme reprend vie grâce à la social-trahison, en vertu d’une constante historique, celle de l’éternelle imposture – au sens bernanosien du mot – ontologiquement véhiculée par les chapons réformistes (p. 60) ». Rien de neuf sous l’astre de feu ! Certes, « comme tous les grands écrivains, le comte n’avait pas la tête politique (p. 27) ». Quoique… Dominique de Roux « résiste, dans son fortin assiégé par les démocrateux calamistrés (p. 66) ». Mieux, il y manifeste un idéal plus que littéraire, ontologique : « Tout écrivain est un chevalier errant en quête d’absolu; son combat pour la Dame Beauté prend toutes les formes extrêmes, politiques, religieuses, physiques. La laideur, c’est la tiédeur (p. 74) ». Et Roux n’est ni tiède, ni fade !

Rémi Soulié souligne avec justesse que « Dominique de Roux était un ultra historique – étymologique : ultra gauche et ultra droite à la fois, au-delà, de l’autre côté, plus loin, en avant, ailleurs (p. 80) ». Il sait, lui aussi, que « la tragédie repose sur la terreur et la piété donc le sacré; la parodie que nous vivons sur le comique troupier (p. 83) ». Certains y excellent : Chirac, Sarközy, Hollande… Le phénomène depuis s’aggrave : voyons les prestations lamentables des nouveaux « humoristes » de France Inter ou des chaînes de télévision. Ces histrions qui ne font rire personne sont de véritables propagateurs d’obscénités, de suffisance et de conformisme bêlant. Inévitable mutation, car « en régime de dictature libérale, la liberté se filtre. Vous pouvez tout dire, tout écrire, à condition de ne pas contrevenir aux articles fondamentaux de la Médiocratie (p. 75) ».

Par l’intermédiaire de l’auteur d’Ouverture de la chasse, « rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous ! Plus de sociaux-démocrates ni de démocrates-chrétiens, plus de libéraux sociaux ni de sociaux libéraux ! La politique enfin restaurée en mystique par quelques royalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révolutionnaires intacts à la Fajardie ! (p. 11) ». « Dominique de Roux […] préparait l’avènement du Surhomme dans la démesure et l’excès (p. 29). » Était-ce seulement de l’excès ? Très certainement en littérature, dans l’édition et par son style ciselé. Probablement aussi avec ses passions et cette « certitude de l’aventurier : les destinations n’oblitèrent pas la destinée (p. 23) ».

Dominique de Roux et Rémi Soulié sont deux reîtres en cavalcade contre l’immonde modernité. L’auteur n’hésite pas à s’enflammer et à faire part d’une intense conviction, apte à effrayer tous les vigilants du consensus. « Mon credo : la littérature comme Weltanschauung. […] À l’inverse des vertueux, je n’hésite pas à dire que j’aurais été stalinien sous Staline, mussolinien sous Mussolini, franquiste sous Franco, salazariste sous Salazar, pétainiste sous Pétain, castriste sous Castro; j’aurais été de tous les totalitarismes et je préviens, je serai du prochain (p. 77). » Faut-il comprendre qu’il serait susceptible de se rallier au libéral-mondialisme bankstériste 2.0 de ce début de XXIe siècle ? Les titres qui suivront après Les châteaux de glace de Dominique de Roux démontreront au contraire que Rémi Soulié appartient à une autre race, celle immarcescible des bretteurs de haute tenue.

Georges Feltin-Tracol

• Rémi Soulié, Les châteaux de glace de Dominique de Roux, Les Provinciales – L’Âge d’Homme, 1999, Saint-Victor-de-Morestel – Lausanne, 93 p., livre épuisé, sauf chez quelques bouquinistes.

mardi, 17 janvier 2017

The Epic of Human Evolution: Johannes V. Jensen’s The Long Journey

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The Epic of Human Evolution:
Johannes V. Jensen’s The Long Journey

Johannes V. Jensen cannot be called a forgotten writer — he won the Nobel Prize in Literature for 1944 and is still remembered in his native Denmark — yet his name will probably be unfamiliar to most of my readers. He was born in 1873, the second of eleven children of a veterinary surgeon in the village of Farsø in Northern Jutland. To help finance his medical studies at the University of Copenhagen, he began writing “cliffhanger” newspaper serials. After three years, he switched to full-time writing and journalism. 

Johannes-Vilhelm-Jensen_6378.jpegJensen’s first success in the realm of serious literature was a series of sketches set in his native region, the Himmerland Stories. While still in his twenties, he produced The Fall of the King, a historical novel about Christian II of Denmark (reigned 1513–1523); the novel remains a classic of Danish literature, and in 1999 was named Denmark’s greatest twentieth-century novel by two separate newspapers. Jensen also wrote poetry and introduced the prose poem to Denmark. His travels in America inspired one of the most famous poems in Danish literature: “At Memphis Station.”

Both his rural background and his scientific training gave Jensen a strong interest in the natural world, and he turned to the study of evolution. Never a religious man, he was interested in the question of whether and how science and evolution might provide a worldview and hierarchy of values such as religions have traditionally provided. As a novelist, he undertook to recreate the evolutionary history of mankind in imaginative form. Between 1908 and 1923 he published a series of short works devoted to significant steps in mankind’s rise to civilization, with an emphasis on explorers and discoverers. These were then collected into a single epic work called The Long Journey, which was the work cited by the Swedish Academy in awarding Jensen the Nobel Prize.

The Long Journey is divided into three principal parts: “Fire and Ice,” “The Cimbrians,” and “Christopher Columbus.” The first part is set in prehistory and concerns anthropogenesis, the process by which apes of the genus Homo became recognizable human beings. The story also involves the differentiation of humans into distinct races and the issue of relations between races.

At the start of The Long Journey, the climate is warm and primeval hominids wander the forests in bands, competing with the other animals for food. To other species, the proto-humans are distinguished mainly by their restlessness and continual vocal noises. Hominid bands do not get along well, and try to stay out of each other’s way, although there are occasional exchanges of females.

Anything small enough to be held in the hand is food: not everyone can tell the difference between a berry and a spider, so they are eaten indifferently. When a band exhausts the foodstuffs in one place, they simply move on to another. An outside observer could have observed that they were following an annual course synchronized with the seasons, but the still apelike creatures themselves are unaware of this. Indeed, they have little memory at all. Dusk is a new crisis every twenty-four hours, for the previous night has already been forgotten. Band members huddle together on the forest floor, keeping as still as possible. Higher ranking males occupy the protected center along with the more fertile females; wild animals are left free to pick off the children or the aged from the margins until daylight returns.

Fear is the most common state of mind. Hominids fear the water, the night-time, other bands, larger animals such as elephants and big cats—but most of all they fear the occasional outbreaks of fire. When fire appears, there is nothing to do but run until one drops. Looming high above the forest is a mysterious mountain that is seen to spit fire from its top from time to time; it is the presumed source of the fires which periodically spread panic through the forest. No one dares approach it.

Each band is led by a dominant male known simply as “the Man.” He is larger and usually somewhat older than most of the rest, with a more powerful voice and a woollier and more fearsome head of hair. Most importantly, he has a rudimentary memory, which tells him the proper course of action when dangerous situations recur.

The narrative begins with fire breaking out in the forest. The Man has seen fire stopped in its tracks by water, so he leads the band to a swampy area. Only the greater fear of fire could induce primeval men to enter the water; even so, the Man must encourage a few recalcitrants with well-aimed rocks. Crouching in terror with their nostrils barely above water, the band waits out the fire. One female is so frightened that she goes into labor during the blaze; she names the boy Fyr (fire).

The band survives to marvel at the destruction wrought by the fire. Fyr grows up to be more restless and more courageous than most of his fellows, early on learning to wander far from the band, exploring the world around him. Eventually, as an adolescent, he finds his way up the lower slopes of the fire mountain. Although the nights are cold there, the ground is always warm, and predatory animals keep their distance. He takes to spending whole nights on the mountain by himself. As he ventures farther up, he sees veins of reddish fire half-hidden inside the ground. Poking around in one of these spots one day, the end of his stick catches fire. Frightened, he runs away. But eventually he comes back to find the fire gone out and the stick blackened. He learns that the behavior of fire is not random; it obeys certain rules, such as that when there is nothing left to burn, it goes out. Soon, he is going about with lit branches: primitive torches. He learns that fire cannot spread as long as he does not let it come into contact with anything flammable.

Eventually, Fyr brings his new discovery back to the band. At first, they flee as usual. But they notice that the wayward explorer is not afraid. He sets up the first hearth, where the fire can be tended and kept from spreading. Gradually, his fellows return and he finds himself recognized as the big man of the band: the tamer of fire.

The band has less to fear at night now, for the fire keeps dangerous animals away and allows them to see one another. It is a great day when they make the accidental discovery that animal flesh tastes better after it has been in the fire for a time. Soon they are bringing regular “offerings” to the Fire God of the tribal hearth, and a primitive religion is born.

In Jensen’s view, however, fire is not the decisive step which separates man from the other animals; the decisive step is the contest with ice.

After the passing of many ages, the fire mountain goes into a long sleep and the forest turns cool and rainy. Floods wash away the remains of once-lush vegetation, and the ground becomes a morass of decaying wood and naked stones. Blackened trunks are all that remain of the palms. As edible plants become scarce, the weaker animals die and the stronger start heading south where warmth and food are still to be found. (There are a few exceptions: pachyderms who remain in the north to become woolly mammoths, bears who prefer to sleep until the warmth comes back.)

The hominids go south as well. With their short memories, most are hardly aware that they are doing so. Each winter finds them one more valley farther south, and most assume it has always been so. One obstinate fellow, however, remembers each retreat and resents having to constantly give way to the encroaching ice. A descendant of Fyr, he belongs to the priestly class which tends the sacred fire. But like his ancestor, he is a rebel and a curious man who likes to wander far from his tribe. His name is Carl, and he will become the first human being.

He followed his tribe, gave ground with it from one valley to another, but it was against his humor. There was coercion in it, and that hardened his heart. How long was the retreat to be kept up, was it to go on forever? Must they not one day turn and face the cold, set their teeth against this silent power that had begun to make everything whither and stiffen?

It was not a matter of rational decision:

fallking.jpgHe was a primitive man, with mighty impulses but no reflective mind. He simply did not turn aside for anyone or anything, and this savage strength that blindly revolted against any kind of compulsion was the cause which sundered his fate from that of his tribe.

The tribe occasionally sends out search parties: to the south, of course, but also back to the north to scavenge any foodstuffs that may remain. On one such northward journey, Carl is tending the fire for his sleeping companions. Feeling pity for them, he rebels against his sedentary duties and determines to go out to do battle with the common enemy, Cold. He prepares the fire as best he can to go on burning until his return, and quietly steals away. He heads up the slope of a nearby mountain until the trees disappear and the rocky ground is covered by nothing but moss. There are outlandish sights to behold here: the rain has become white, and the surfaces of puddles are hard and unyielding. Yet he finds the atmosphere oddly congenial:

Carl sniffed with wide nostrils and drank in the pungent frosty air which sharpened his sense of smell to the utmost, but brought him no message either of plants or beasts. Instead he had a keener feeling of himself, of his blood and his breath, the singing purity and sweetness of the air made him more alive, he snorted like a horse and shook himself violently.

From the top, the valley below is a confused mass of uprooted trees lying like sticks and the bloated carcasses of drowned animals. The devastation of the rains shows like channels which a finger has drawn through the carpet of the forest. But Cold is nowhere to be found. Looking out toward the north, he finds that climbing the mountain has only gained him a view of yet higher mountains trailing off into the distance: “Ah, then the pursuit might be long, then it would be hard indeed to reach the Mighty One who sent down cold into the valleys.”

When he returns to camp, the fire has gone out and his companions have left. When he catches up with them, they are hostile. They do not understand that he had set out on his mad chase for their sake; they believe he has betrayed them, and are determined to kill him if he approaches them again.

Carl survives from day to day by hunting, gorging himself on the blood and raw flesh of the animals he catches and pressing himself against their carcasses to enjoy the last warmth ebbing out of their bodies. He learns to cover himself with bearskins. As his search for the Great Spirit of Cold continues to prove fruitless, “the foundation was laid in his mind of the first heathenism, the consciousness of the impersonal forces of nature.” He begins to feel that “merely to be alive was a victory.”

Turning to the north, Carl decides to seek out the fire mountain he barely remembers from his earliest youth, from before his tribe began their annual southward trek. After many days he finds it, still with plenty of traces of the old fire upon it. But it is cold all the way to the top. Carl will not be able to recover fire in this way, and he weeps with despair.

Soon after, however, an unexpected development occurs. He chances upon an isolated member of his own kind and determines to hunt it down. The chase goes on for hours, but Carl perseveres until his quarry drops from exhaustion. When he comes close to examine the catch, he is strangely charmed by it and decides to keep it alive. “Thus arose monogamy,” observes Jensen deadpan.

Carl’s new mate follows him farther north, where he gradually improves as a hunter and maker of clothes. All he has to remind him of fire is the flint he uses to make axes. He realizes that fire is somehow contained in the flint, for each time he flakes off a bit of it, he detects the scent of fire. Soon he is flaking flint just to recover the sense of the warm element he has lost. For hours on end he pounds the flint with various stones, but no fire appears.

One day he accidentally comes upon a yellow (i.e., sulfurous) rock. When he pounds the flint with it, generous sparks fly out. Trembling with excitement, Carl gathers dry wood into a pile and contrives to let the sparks fall upon it. Within minutes, a huge bonfire is blazing. Carl and his mate are beside themselves with joy; their lives have been changed forever.

Children start arriving and Carl becomes the patriarch of a growing clan. Soon his children are plentiful enough to hunt even mammoths. After Carl’s death, the sacred fire stone is passed down through his eldest line. His grave becomes the shrine where it is kept.

Life is still not easy for the men of the north, and the land of eternal warmth becomes a beckoning racial memory to them, “the imperishable legend of the Garden of Paradise”:

Legends more and more romantic were told of the lovely dusky daughters of the jungle, but the few specimens it was still possible to procure in the flesh smelt of civet and were not to the taste of the Icemen. A dream that makes your mouth water is one thing, the unappetizing reality another. And when at last distance and time had entirely sundered the two races, any propensity for the savage women came to be regarded as indecent.

jvj.gifThus the gulf between the two races parted by the ice became a profound eternal chasm. They were no longer each other’s like. The division between them was fateful in its effect. The primitive people who continually gave ground remained the same, whereas Carl, who could not yield, had become another and had passed on his changed nature to his descendants.

Carl’s race remained settled in the North and adjusted itself to ever more difficult conditions, which necessitated progress at home. They no longer resembled the naked and forgetful savages from whom they were originally descended, they were other men.

One should bear in mind that Jensen wrote this tale between 1908 and 1923, whereas the theory of cold selection did not enter the scientific literature until 1931.

[Carl’s tribe] had lost the forest man’s way of going slap-dash at a thing and then stopping to scratch himself; their life had taught them to take good thought and strike home when the time came. They did not live exclusively in the moment, the eternal summer of the jungle; they had to remember and think ahead if they were to survive the seasons. In place of the passion, harmless enough, of primitive man, they had assumed a self-command which might have an air of coldness; the wider range of their activities compelled them to think twice and hesitate. This made them introspective and apparently joyless; there was no sound of chirruping about their dwellings as in the leafy booths of the forest.

The sobriety of Carl’s descendants could be misleading, however:

Impulsiveness and joy of life lay deep in their nature, and had acquired added strength. In this they took after Carl, whose lifelong calm was legendary, but of whom it was also related that on two or three occasions he had used his primitive strength with all the violence of rage. It was said that none had seen Carl laugh, and yet there was proof that he had enjoyed existence more hugely than anyone alive.

Many generations pass and the sons of Carl multiply greatly. Parallel to the story of human evolution runs that of human inventions and discoveries: the snow sledge, the boiling of food, the consumption of milk, the domestication of the dog, baked clay pottery, and so on. Carl’s eldest line evolves into a corrupt priesthood whose power is based on possession of the yellow fire stone and superstitious fear in the minds of others. They do no hunting, getting fat on the quarry brought home by others. One little boy named White Bear marvels to see his tall, strong father cringe before a puny priest who arrogantly orders him around.

When White Bear comes of age, he kills a priest in a fight over a girl and is banished from the tribe. He and his mate May journey many days to the south until they reach the coast and can go no further. He learns to build rafts to travel across the rivers and lakes of his new homeland, and dreams of one day crossing the open ocean in such a craft.

May makes an offering of corn to the gods of the earth, and is surprised when the earth returns her gift many times over. Each spring thereafter she makes a more generous offering. Thus agriculture is born, and White Bear’s family enjoys an improved diet.

But the climate is getting warmer again, and the melting glaciers to the north begin to flood their lowland home. Nature forces White Bear’s hand; he builds the largest raft he can and sets sail with his family across the waters to the south. After several days of terror and near despair, the family reaches a new land which they name Lifeland. The climate is mild and food plentiful; horses roam the grassy plains, and the family begins to tame them. Fatefully, the land is already inhabited:

In Lifeland White Bear met with the primitive folk. It never occurred to him that the scurvy little savages who infested the thickets like vermin were the beautiful naked people he had dreamt of finding in the southern forests; and yet it was they. They were directly descended from the same people who long ago had thrust out Carl and left him at the mercy of the winter.

White Bear names them “Badgers.” They are frightened of the newcomers, and it takes a long time for him to get a good look at them. He makes many signs of friendship and goes about with green boughs in his hand in place of weapons—the first racial liberal, as it were. Eventually the Badgers understand that he does not intend to eat them, and a mutually beneficial trading relationship grows up between the two peoples.

The Badgers do not build themselves houses, sleeping on the bare ground or in the bushes. The lot of their women is miserable. Monogamy is unknown, and thievery their only way of obtaining property. They have fire, but have made no progress in its use since the days of Fyr. They have never noticed that there is such a thing as corn, though they are wading to their necks in it. The Badgers consider themselves elevated in a positively transcendental degree above all that bore the name of beast.

They were altogether unfeeling towards animals, in a way that struck White Bear as both foreign and revolting; not content with killing them in the chase, they tortured them in cold blood for their amusement. They only knew of killing horses; they had no notion of taming them.

The only new thing to which they introduce White Bear is music, developed from plucking the bowstrings they use to hunt. White Bear is astonished at the capacity of the Badgers’ music to awaken previously unsuspected emotions within him.

The easy availability of food leaves White Bear much leisure for building. Soon he is traveling around in rafts and canoes of his own construction, and the Badgers begin to take an interest in his projects:

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They showed a certain constancy as far as watching White Bear’s work and copying him went. They developed a peculiar sidelong look through always stealing with their eyes without a word of thanks to the owner. They showed a surprising capacity for imitation, learning in a twinkling how to clothe themselves and boil and drive a sledge and sail on the water and everything White Bear could do. In fact, they assimilated all this so well that it was not long before they began to hint among themselves that they had really been well acquainted with all these things beforehand. They were not far from jeering at the Firebeard who gave himself out to be the originator of the most obvious things. All the same they never got any further with the new things they had learned until they had gone and pried on White Bear’s fingers while he was at work.

Seeing that sledges are of little use in his new environment, White Bear ponders other means of transportation. The use of log rollers soon leads him to the discovery of the wheel. White Bear eventually builds a cart with wooden wheels and axles, but his first horse-drawn test drive ends in a smoky crash as the axles catch fire. The Badgers erupt in laughter at the sight, perceiving nothing but a man taking a tumble and getting singed. For White Bear the experience provides a new method of obtaining fire and reveals the need for lubricants.

White Bear’s greatest project is a large ship, now for the first time with a keel and held together with nails. The Badgers look on, and their attitude to White Bear imperceptibly begins to change:

The Badgers knew very well that the white men were no more supernatural than themselves. And truly it was no longer with abject wonder that they looked at the great masterpiece of a ship that White Bear had under construction on the beach; it rather weighed on them like a burning sickness from which they were suffering.

Who did this man think he was? His experiments were a challenge to the very gods!

One day, White Bear lets slip an unfortunate jest, telling the Badgers it was after all a lucky thing that had occurred to him at the start to propel a ship end-on, otherwise they might have sailed broadside to the end of time. White Bear quickly forgets the remark, but the Badgers remember, and the shame of it seems to burn more strongly as time goes on. White Bear sees that something is bothering the Badgers and tries to cheer them, but nothing seems to work.

Soon White Bear is ready to load his family on his new ship and sail for the distant horizon. A few supplies are still wanting, so he drives his cart inland after game.

When White Bear had been gone some hours, the Badgers come creeping up to the settlement from different sides, surrounding it and hiding themselves, while three or four of them openly go towards White Bear’s house.

May is at home with her three daughters, the youngest of whom is still a little child, and a half-grown boy called Worm. To him the Badgers address themselves, and they talk for a while of this and that. Worm knows them well, as they were in the habit of coming to the settlement and asking favors of White Bear. This time they only want to borrow a clay pot, and as Worm turns his back to fetch one, they throw straps around his arms and legs and pull him down. Worm defends himself desperately, but more Badgers come to help and Worm is overpowered.

The confusion brings May out with the little girl. The two grown-up daughters stay below, in the stone house. Not a word is spoken between May and the Badgers, but when she looks around at them and sees Worm lying bound, she takes up a heavy piece of wood, lifts the little girl up on her arm, and begins to fight for her life and the children’s. She fights for as long as she can still see, raging like a she-bear, till she can feel no more.

The settlement is thick with Badgers, as whole armies of them have swarmed up from the grass and undergrowth; they are so many that they press each other backwards and forwards like a tideway, swaying in and out, almost too numerous to get anything done. But that only happens after a while. Some of them make for the ship, while others split White Bear’s sledges to pieces and kill the domestic animals. The daughters are brought up, shrieking, from the house, but soon their cries are stifled by skins thrown over their heads and die away as they are carried off.

One group takes Worm and leads him to a tree to be tortured.

Deep inland on his hunting excursion, White Bear sees smoke rising from the horizon and hurries back. It is his ship burning.

Outside his house, White Bear sees things even worse. Here, the Badgers had spent at least an hour amusing themselves at their ease, and the whole settlement is bespattered with blood. May is dead; in her arms, she holds the unrecognizable body of the little girl. Dying and bound to a tree, White Bear finds his son Worm. They have cut his back open and torn the lungs from his living body.

The chapter that describes these events is entitled “The Call of the Blood.”

s-l300.jpgWhite Bear takes plenty of revenge upon the Badgers, of course, but he gradually realizes both that their numbers are inexhaustible and that they no longer have any idea why he is killing them. They have already forgotten the attack on the settlement and sincerely believe that White Bear is the aggressor. So the killing comes to seem pointless to White Bear, and he leaves off.

It is not always easy to identify the exact races or geographical areas depicted in Fire and Ice. The land of ice is probably the Scandinavian mountain ridge; Lifeland is at one point said to be Russia, and is obviously a steppe area. But who are the Badgers? They seem to combine the traits of Black Africans and American Indians, and their attack on White Bear’s settlement may well have been based on accounts of North American Indian raids. Jensen had both artistic and scientific reasons for leaving some of the details of his account vague; he wished to produce a narrative that would not lose its value after another generation of paleo-anthropological discoveries.

The second volume of The Long Journey follows a skald, or traveling poet and storyteller, as he wanders north into Jutland toward the author’s own native region of Himmerland. In this Iron Age society, there are two kinds of person: free men and thralls. The thralls are darker-haired, shorter, and sturdier; the free population are tall, blond, and lithe. Repeated flooding forces them to pull up stakes and wander southward, repeating collectively the earlier journey of White Bear. Here, prehistory melds into history as the Jutlanders run into not Badgers, but Romans. The narrative becomes the story of the Cimbric Wars (113–101 BC), which gave the Republic its greatest fright since Hannibal. The narrative ends with the luckless Cimbric survivors living as slaves in Rome and contributing their blood to the servile class. Of course, five hundred years later, their cousins who remain in the north will attack Rome once again with a very different result.

The third volume of The Long Journey focuses on the first journey of Columbus, whose story is presented as another reprise of the northerner’s return, under the influence of unconscious racial memories, toward the south from which he had first emerged.

Christopher Columbus came from Genoa, a Ligurian by birth, but we shall understand the roots of his nature if we regard him as a descendant of the Longobards, of people who had moved from Lombardy to the coast. As by virtue of his nature and his surroundings he was compelled to develop, [Columbus] may be taken as the type of that flaring up of the faculties and that profound bewilderment which mark the Northerner when he is transferred to the South.

Once again, northern man is brought face to face with his remote cousins, and the meeting is fateful for all of his future development. The last chapter of this story, of course, has yet to be written.

Jensen closes his epic with a brief vignette of Charles Darwin on his journey past Tierra del Fuego through the Beagle Channel. Darwin’s significance, of course, is that he revealed to men their primitive kinship—and, by implication, the different histories which separated them as well; in Jensen’s words, “he drew the despised ‘savage’ up to the breast of civilization as the distant kinsman who stands between the white man and the beast.” In Darwin, man became conscious of the long journey which had made him what he is.

Jensen lived until 1950, continuing to write prolifically, but never again producing a work of prose fiction. His epic of human evolution was his ultimate message for mankind.

The Long Journey has not been reprinted in the English-speaking world since 1961. As Jensen’s Wikipedia entry sagely observes, “his often dubious racial theories have damaged his reputation.”

Source: The Occidental Quarterly, vol. 15, no. 1, Spring 2015

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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mercredi, 11 janvier 2017

BOUALEM SANSAL - Discours remise des Prix Varenne aux Journalistes 2016

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BOUALEM SANSAL - Discours remise des Prix Varenne aux Journalistes 2016

Discours de BOUALEM SANSAL, President de la cérémonie de remise des prix aux journalistes 2016 de la Fondation Varenne du 13 décembre 2016. L'écrivain algérien a livré son regard sur l’islamisme et les drames qui ont touché la France récemment. « Personne ne peut mieux qu’un Algérien comprendre ce que vous vivez, ce que vous ressentez, l’Algérie connaît l’islamisme, elle en a souffert vingt années durant ». Sa prise de recul sur les événements, sa mise en perspective historique, beaucoup dans son discours a pu rappeler aux participants les lignes de force d’un article de fond.

samedi, 31 décembre 2016

Sous les Sabots des poneys sauvages

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Sous les Sabots des poneys sauvages

Jean-Pierre Brun

Ex: http://synthesenationale.hautetfort.com

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En ce mercredi 29 décembre nous apprenons l’ultime cavalcade du dernier des « Hussards », Michel Déon. Comme le furent les trois mousquetaires de Dumas, ils auraient été prétendument quatre. Mais que vient faire ce « prétendument » dans notre propos ?

poneys.jpgPour des raisons qui nous restent obscures, Bernard Frank avait cru bon de rassembler sous un même étendard Nimier, Blondin et Laurent avant de leur adjoindre un certain Déon. Cette affectation collective à un régiment de tradition devait sans doute énormément au fameux « Hussard Bleu » que l’ami Roger avait troussé en son temps au travers d’un roman on ne peut plus « non conformiste ».

Mais voilà, elle ne reçut jamais pour autant l’aval des intéressés. Certes, un solide dénominateur commun pouvait conforter les tenants d’une mathématique idéologique, mais c’était méconnaître les individualismes trop bien trempés des solistes de ce quatuor improbable.

Il fallut attendre les derniers mois de l’Algérie française pour que le tocsin national les rassemblât autour de Philippe Héduy et du toujours discret Roland Laudenbach, sous la bannière de la revue L’Esprit Public.

Pour le coup, nos francs-tireurs, ayant endossé l’uniforme régimentaire auquel ils devaient indûment une partie de leur réputation, se lancèrent à corps perdu dans la bataille, taillant des croupières aux piétons de l’armée gaullienne.

Alors que d’Artagnan Nimier, Porthos Blondin, Athos Laurent frappaient d’estoc leurs adversaires, Aramis Déon pratiquait une escrime plus subtile qui n’en touchait pas moins au cœur ses cibles préférées. N’est-ce pas lui qui dans ses Poneys sauvages dévoila les turpitudes élyséennes de l’affaire Si Salah ?

Qui se souvient de son perfide Supplément aux voyages de Gulliver et ce saisissant Mégalonose qui estomaqua les critiques littéraires et autres chroniqueurs politiques de l’époque ?

En guise d’adieu à notre frère dans la Résistance, je me contenterai de citer un extrait de cette œuvre qui, hélas !, n’a rien perdu de son actualité : «… Je suis dans l’opposition et je refuse la civilisation inhumaine de mon pays. Si des policiers entraient à cette heure dans ma maison et me voyaient utiliser des lampes à huiles, ils me tortureraient pour me faire avouer un complot contre l’État […] Les lampes à huile et la marine à voile sont des crimes contre le progrès, des atteintes à l’esprit nouveau. Peut-être auriez-vous été condamné seulement aux travaux forcés si l’on s’était aperçu que vous ne vous sépariez pas de la boîte noire qui diffuse à longueur de journée de la musique obsessionnelle et le discours de Mégalonose, parce que la possession de ces boîtes que nous appelons “orteffs” est obligatoire et que tout citoyen conscient et respectueux des lois de son pays doit en avoir une à côté de lui, jour et nuit, prêt à toute éventualité, c’est-à-dire à obéir aux ordres de Mégalonose qui parle deux fois par jour en période de calme et jusqu’à vingt fois en période de guerre… »

Va en paix Michel !, mais là-haut, avec l’aide de ton Saint Patron qui est aussi celui des parachutistes, fais en sorte que tu ne sois pas le dernier des hussards et que, dans un élan invincible, une charge de tes cadets reprenne hardiment et consolide méthodiquement nos positions perdues.

vendredi, 30 décembre 2016

Un message de Michel Déon à l'Action française (2012)

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Un message de Michel Déon à l'Action française (2012)

Pour les 60 ans de la mort de Charles Maurras

Page Facebook de: Action Française Étudiante - La Rochelle

Hommage à Michel Déon, enfant du 6 février 1934, ancien secrétaire de rédaction de l'Action française, resté fidèle à ses engagements. #RIP

En 2012, l'AF organisait un colloque pour les 60 ans de la mort de Maurras. Michel Déon nous avait fait l'honneur de nous envoyer un message introductif :

" Chers amis,
En recevant la liste des interventions prévues pour « Maurras soixante ans après » il m’a semblé que les principaux thèmes seront éclairés par plus doctes que moi et que, s’il reste quelque chose à dire, c’est peut-être sur l’Homme - Maurras que j’ai approché à une cruciale époque de son existence où tout ce qu’il avait bâti durant sa vaillante jeunesse et sa maturité risquait de s’effondrer. En politique il y a ceux qui assument au péril de leurs vies et ceux qui prennent la fuite. En 1940 Maurras misa sur une politique à grands risques qu’il soutint jusqu’à la dernière heure.


A Lyon où on m’avait démobilisé en 1942, j’ai vu un Maurras se battre sur tous les terrains même les plus dangereux, pour sauver ce qui pouvait encore l’être dans des temps confus. Pied à pied, il a défendu un gouvernement dont il était loin de toujours partager les sentiments politiques, mais il n’en était pas d’autre pour lui si enraciné dans cette terre de France qu’il aimait au-dessus de tout. Nous savons ce que, des années après, le slogan de l’Action Française pouvait présenter d’ambiguïté : « La France, la France seule », mais c’était la mise en garde contre les concessions et les perches tendues par l’ennemi installé au coeur même du pays vaincu.

Ces deux années passées près de Maurras je les considère encore, soixante-dix ans après, comme les plus riches et les plus passionnantes de ma vie. J’étais là, comme dans une citadelle dont la garnison ne se rendrait jamais et notre commandant en chef, avant de tirer le canon sur les hérétiques, arrêtait un instant la bataille pour se rire des mauvais poètes ou se griser de Racine et réciter un poème qu’il venait de composer.


Dans les derniers mois, après les virgulages des dépêches du matin à la rédaction du journal, je suis souvent allé chercher moi même son article rue Franklin dans un modeste logis horriblement meublé mais où une gouvernante montrait assez d’autorité pour veiller un peu sur lui. Elle tirait les rideaux de sa chambre pour y laisser entrer le jour et s’en allait discrètement, me laissant seul avec lui qui avait, selon son habitude, travaillé jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Dormant au fond d’une alcôve, il fallait habituer mes yeux pour découvrir, dans le fouillis des couvertures et de l’édredon, son mince visage triangulaire si beau dans sa jeunesse et maintenant creusé par l’âge, les veilles et les brûlants soucis de la vie. Il dormait sur le dos en paix sans un tressaillement, les mains à plat sur le drap, la chemise de nuit au veston rouge boutonné sur son cou impérieux.

Il m’est arrivé de rester ainsi un moment sans oser le réveiller quand l’actualité ne pressait pas. Son éditorial était prêt sur la table devant la fenêtre, un vingtaine de pages, vraiment difficiles à lire, arrachées à un cahier d’écolier parcouru d’une écriture quasi illisible. Au bout d’un moment je touchais sa main et il se réveillait d’un coup comme ces dormeurs sans rêves qui retournent à la réalité. Nous parlions de grands tout(s) et de petits rien, il jetait un coup d’oeil sur l’édition du matin, corrigeait un article pour l’édition de l’après-midi. Je me demandais quelles forces transcendantes habitaient cet homme, en apparence grêle – je dis, « en apparence » puisqu’il s’est battu je ne sais combien de fois en duel, en passant sans une faiblesse les jours les plus sombres de sa vie et renaissant de cendres comme le Phénix. A l’Académie, ne participant pas aux débats intérieurs et au travail du dictionnaire, il a peu marqué. Son successeur fut le Duc de Lévis-Mirepoix qui a écrit sur la vie singulière et en somme assez tragique de Charles Maurras ces lignes que je veux citer:

« Il connut sans fléchir les pires vicissitudes et la plus cruelle de toutes. Un nom vient naturellement à mes lèvres. Il eut à subir comme Socrate la colère de la cité.
Sans sortir, messieurs, de la sérénité qui s’impose en ce lieu sans se mêler aux luttes intestines au-devant lesquelles il s’est lui-même toujours jeté, on ne pourrait loyalement évoquer la mémoire de cet homme sans apercevoir au-dessus de tous ces tumultes son brûlant civisme, son indéfectible amour de la patrie. »

Michel Déon, de l’Académie française

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Petit hommage à Michel Déon

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Petit hommage à Michel Déon

par Michel Dejus

LE MAUVE ET LE VERT

 

D’Erin à Spetsai l’auguste filon des îles.

La pluie mouille un peu le soleil au balcon.

Un zeste de Madère en floraison pianote.

Le rhum bluffe Saint-Germain-des-Près.

Les gens de la nuit à la chasse aux regrets.

Le tourbillon d’une robe qui vient de l’Italie.

La tendre saignée des genoux dévoilée.

L’étoile d’un prince pour déjouer le néant.

Les promenades du voyageur qui voit.

Des amours ibériques à l’ombre d’un cigarillo.

Des jeunesses sous brisants balnéaires.

Des souvenirs ressuscités des cendres.

La catharsis ambrée d’un malt osseux.

L’arborescence de la plume du peintre.

Le beau bâton noueux pour la montée du soir.

La chouette pudique cligne des yeux.

La fleur de lys pleure au creux du shamrock.

Une élégance de perdue zéro de retrouvée.

dimanche, 11 décembre 2016

Céline: un si mauvais exemple?

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Céline: un si mauvais exemple?

par Pierre Lalanne

Ex: http://celinelfombre.blogspot.com

Ah! Céline, bien sûr! Mais, Céline! Il pue un peu, non? Il sent le soufre pour ne pas dire autrement. Il dérange. Damné… Qui a dit : s’il y avait une seule personne en enfer, ce serait lui? Céline, un spectre qui se tient dans un coin du miroir et, chaque matin, nous rappelle notre petitesse et notre extrême fragilité; nous rappelle, avec un grand rire, que tout est vanité.

Un mort qui ne veut pas mourir, c’est embêtant, surtout un écrivain qui se plait à nous montrer si finement notre altruisme, avec un talent si mal utilisé, perdu à tout jamais. Alors, depuis, on s’échine à l’enfouir profondément au fond de tombeau, cercueil de plomb au couvercle scellé et vissé de mensonges. Jusqu’à présent, les résultats sont douteux, beaucoup d’énergie et de temps perdu, il en ressort plus aérien, même la terre n'est pas assez lourde pour le retenir, pas suffisamment acide pour le réduire en poussière.

Céline n’en est pas à un paradoxe près, marqué du signe de la bête hideuse, son spectre s’obstine et conserve pourtant la fluidité de son style. Il s’infiltre partout et gêne par la seule évocation de son souvenir. Présence indésirable, influence néfaste à éloigner à tout prix du commun, surtout des jeunes, qui pourraient bien tomber sur ses livres, sans aucune mise en garde. D’ailleurs, c’est bien ce qui arriva en ce jour d’automne 1932, personne ne s’attendait à cela et pas un pour prévenir du danger, des conséquences. Les dégâts qu’il provoqua alors, nous en ressentons encore aujourd’hui les secousses.

Hélas, il est, depuis, incontournable d’où la nécessité de l’aborder avec une quantité impressionnante de mises en gade, que le danger croît avec l’usage. Tellement, qu’ils réussissent à nous convaincre que nous allons manipuler un produit excessivement dangereux et hautement toxique et cela risque d’amplifier notre jugement, affiner notre esprit critique et anéantir nos valeurs séculaires en moins de temps qu’il en faut pour lire trois lignes. Faut bien avouer qu’ils n’ont pas entièrement tort et, l’effet, est assez instantané.

Il n’y a qu’à constater les faussetés et les avertissements aux étudiants, lorsqu’un texte de Céline est à l’étude dans un cours de littérature (voir les Années Céline qui en font annuellement la nomenclature)… Nazi! Collabo! Haineux! Défaitiste! Pacifiste! Tout y passe. Cela montre bien que dès le départ, il est impératif de fixer l’image de Céline à l’intérieur d’un concept idéologique parfaitement au point qui bloquera toutes nouvelles perspectives originales d’interprétation du phénomène célinien, unique en soi. Céline est bel et bien un phénomène qui va bien au-delà de ce à quoi l'on voudrait le réduire.

Le mouvement réductionniste est général et bien implanté, même ceux, qui osent avouer leur admiration, les spécialistes, sont conscients d’avancer en terrain miné, de marcher sur des œufs lorsqu’ils prennent la parole. Ils sont conscients que chaque mot sera interprété, analysé et un jugement moral confirmé : tampon des officiels, approbation des censeurs, mais gaffe, on vous tient à l’œil. Il est fascinant de remarquer que la majorité de ses défenseurs, de ses admirateurs sont tenus par cette autocensure absolument rodée et admise, celle d’analyser, en s’excusant, et y mettant les bémols habituels, une autocritique justifiant les valeurs à la mode. Cet état d’esprit, qu’on le veuille ou non, pose des limites à la nature de l’œuvre, à son interprétation et à sa compréhension.

Le chercheur, l’admirateur, qu’importe son état, craint par-dessus tout d’être taxé des mêmes péchés que l’écrivain et aussitôt mis demeure de se rétracter au risque de tout perdre, jugement, réputation, emploi, notoriété et sans parler qu’on finira par s’interroger sur sa santé mentale. Les bonnes vieilles méthodes soviétiques ne sont pas perdues pour tout le monde… d’une pathologie l’autre.

Cinquante ans après la mort de Céline, il demeure malsain d’admettre, naïvement, une passion exagérée envers un personnage si encombrant. Malheureusement, cette attitude, compréhensible en soi devant la puissance de «l’opinion», ne peut que conforter ses détracteurs. Au nom de leurs certitudes qui s’insèrent parfaitement dans l’idéologie dominante et du type d’humanisme bêlant qu’ils défendent, les inquisiteurs des temps modernes seront encore plus nombreux à hurler au crime de lèse-majesté.

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Entendons-nous bien, chacun de ces prêtres de la rectitude est tout à fait conscient que cette idéologie n’est en fait qu’un leurre posé sur une réalité sociale et économique bien pire que celle qu’ils affirment vouloir défendre.

Le plus grand danger qui guette Céline, ne vient pas de ses écrits en tant quel tel, ils ne sont qu’un prétexte à des haines bien plus pernicieuses, mais de leur appropriation par des experts qui, tout en démontrant son génie littéraire, portent des jugements moraux sur une partie de ses œuvres et qui, fondamentalement, n’ont rien à voir avec la nature de leurs recherches.

En fait, le plus grand danger qui guette Céline, c’est de l’arracher à ses lecteurs et d’en limiter la lecture afin qu’il ne devienne qu’un simple objet d’études entre gens sérieux et non plus, tout d’abord, un écrivain du «peuple», qui sait comment l’atteindre, avec des éclats de rire à répétition et un plaisir sans cesse renouvelé. Céline n’a jamais écrit pour les intellectuels, il est probablement le seul écrivain «reconnu» qui n’appartient pas à une élite littéraire ou une école.

Céline est seul et appartient à ceux qui sont seuls et ne se reconnaissent pas dans un monde entièrement déshumaniser et qui subit lourdement le poids de l’injustice et du mensonge. À ceux-là, qui voient en Céline une bouffée d’air pur, sont accusés bêtement d’êtres de vils réactionnaires, uniquement parce que pas dupes du tout sur la nature et la longueur des couleuvres à avaler.

C’est ainsi, l’on voudrait bien, d’une manière ou d’une autre, régler définitivement le «cas Céline»; c’est-à-dire, de le classer, au mieux en tant qu’écrivain de la nostalgie et au pire comme le pire des antisémites, le figer définitivement dans des articles de dictionnaires et d’encyclopédies afin de bien insister sur la l’ambigüité et la dangerosité du personnage.

En effet, pour les générations qui se succèdent, il est important d’établir hors de toute contestation que le XXe siècle fut celui de la folie meurtrière où la hiérarchisation des massacres est plus importante que ces véritables causes; que Céline a bien marqué la littérature de son temps, mais, reste isolé parce que son temps marque un arrêt brusque dans l’avancé de la civilisation humaine. Céline représente le symbole de ce siècle de barbarie, comme si tout le mal contenu en l’homme passait nécessairement par sa plume.

Pourtant, un problème demeure pour ceux qui cherchent à l’enfermer dans une idéologie, c’est que Céline se situe bien au-dessus de toutes les idéologies de son siècle et bien peu se risquent à approfondir cette question pourtant fondamentale. On s’acharne à vouloir le définir avec des préjugés propres à nos propres valeurs et prénotions élaborées en fonctions d’évènements qui répondent essentiellement aux conditions politiques de l’après-guerre; fallait bien éduquer l’opinion et dénicher des boucs émissaires responsables de tout ce gâchis.

Un personnage tel que Céline ne s’explique pas seulement en fonction de la «banalité» des évènements politiques de son temps. Céline surplombe son époque et la transcendent et c’est ce qui est impossible à admettre, car, il s’agit de remettre en question l’ensemble des schèmes de références à son égard et une certaine relecture «objective» de l’histoire en relativisant l’ensemble des évènements et, surtout, ne pas les isoler de leur contexte.

Toujours, lorsque l’on évoque Céline, le premier concept à retenir devrait être l’importance absolue de l’imaginaire sur la réalité; la réalité étant seulement un support à cet imaginaire qu’il amplifie jusqu’à la faire exploser; ce qui peut donner des résultats, avouons-le, assez fascinants.

Pour Céline, la réalité est vulgaire et l’imaginaire raffiné, ce n’est pas autre chose qu’il tente d’expliquer dans ses «Entretiens avec le professeur Y» ou par les différentes entrevues qu’il accorde dans ses dernières années de vie. Dans «bagatelles pour un massacre», ce n’est pas pour rien qu’il oppose farouchement l’imaginaire et la beauté des ballets, à la vulgarité du matérialisme de la société dans lequel il vit, symboliquement représenté par le «l’esprit juif».

Fondamentalement, Céline n’est pas plus violent envers les juifs que les communistes ne le sont avec les bourgeois… Souvenons-nous : «l’humanité ne connaîtra le bonheur que lorsque le dernier curé aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste» Violence pour violence… appel au meurtre pour appel au meurtre tout cela, dans le fond, se vaut, mais inutile de revenir là-dessus, le jugement est définitif et pour des lustres.

Pour Céline, c’est la lutte de l’imaginaire contre la réalité des choses qui compte, le reste demeure conjoncturel et c’est pour cela qu’il échappe à toute tentative de banalisation et l’acharnement des uns et des autres à vouloir comprendre. La seule évocation de son nom, n’a pas fini de déchainer les passions, les affrontent qui s’emportent d’un extrême à l’autre, haine ou engouement ou raison contre l’instinct.

«La vraie haine, elle vient du fond, elle vient de la jeunesse, perdue au boulot sans défense. Alors celle-là qu’on en crève. Y en aura encore si profond qu’il en restera tout de même partout. Il en jutera assez sur la terre pour qu’elle empoisonne, qu’il pousse plus dessus que des vacheries, entre des morts, entre des hommes.» «Mort à Crédit» dans «Céline en verve» de Pierre Horay 1972. p.101

Alors, un si mauvais exemple, notre Ferdinand Bardamu, ballotté dune tempête à l’autre jusqu’à épuisement, jusqu’à la mort? Peut-être bien, peut-être pas. C’est selon! Après tout, les bons exemples courent les rues, nous n’avons qu’à nous édifier à voir s’épuiser nos élites dans un sens et dans un autre pour s’en convaincre.

Pierre Lalanne

dimanche, 04 décembre 2016

Chant de la Tatenokai ( Société du bouclier), fondée par Yukio Mishima

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Chant de la Tatenokai ( Société du bouclier), fondée par Yukio Mishima

起て!紅の若き獅子たち (高音質ハイレゾ)

起て!紅の若き獅子たち (楯の會の歌) 昭和45年5月

作  詞 三島 由紀夫
作編曲 越部 信義 
歌 唱 三島由紀夫と楯の會


夏は稲妻 冬は霜
富士山麓に 鍛え来し
若きつはもの これにあり
われらが武器は 大和魂
とぎすましたる刃こそ
晴朗の日の 空の色
雄々しく進め 楯の會
 
憂いは隠し 夢は秘め
品下りし世に 眉上げて
男とあれば 祖國を
蝕む敵を 座視せんや
やまとごころを 人問わば
青年の血の燃ゆる色
凛々しく進め 楯の會
  
兜のしるし 楯ぞ我
すめらみくにを守らんと
嵐の夜に逆らひて
よみがえりたる 若武者の
頬にひらめく曙は
正大の気の旗の色
堂々進め 楯の會

jeudi, 01 décembre 2016

Henry Williamson, George Orwell, & the Pigs

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Henry Williamson, George Orwell, & the Pigs

Henry_Williamson_by_Charles_Tunnicliffe (1).jpgToday is the birthday of Henry Williamson (Dec. 1, 1895 – Aug. 13, 1977)—ruralist author, war historian, journalist, farmer, and visionary of British fascism.

Two rather incongruous points of Williamson’s life stand out. One is that he achieved fame with what is usually regarded as a children’s book, Tarka the Otter (originally published 1927, with a movie version in 1979).

The other is that he was a friend of Lawrence of Arabia; and that it was on his way back from posting a letter to Williamson that T. E. Lawrence was mysteriously killed in a motorcycle accident. This was 1935. The matter under discussion in the correspondence was a request by Williamson that Lawrence join Sir Oswald Mosley in a campaign for European peace. Reportedly, Lawrence agreed.

Williamson was a prolific, compulsive writer (over 50 books, including posthumous volumes). Sometimes he is described as an author whose fame was consigned to “the memory hole” on account of his fascist associations and enthusiasm for National Socialism.

But this is very misleading. Even as an old man in the 1960s, Williamson was called upon by one of his old papers, the Evening Standard, to revisit and recount the 1914-18 battlefields of the Western Front [2], and ten years later he was engaged to draft a scenario for a long-delayed film version of Tarka. When he died in 1977 he merited a 1700-word obit in The Times [3] that described his great output and scarcely mentioned his “Fascist sympathies.”

Henry Williamson.jpgBlackshirt sympathies are really a side-note with Williamson, as they are with Yeats, Belloc, and Wyndham Lewis. If he is largely forgotten today, this is not because he went to Nuremberg rallies (nobody forgets the Mitfords, after all), but rather because of the peculiar nature of his output. Apart from his war memoirs, most of his writing consists of highly detailed close observation, with little direct commentary on the world at large. (The newspaper column at the end of this article is a good example of Williamson’s work. Taken in large doses, such detail tends to become tedious.)

A good contrast with Williamson is the case of George Orwell, whose pose as “a man of the Left” was purely for literary viability in the 1930s. From his social attitudes and military bearing, to his patriotic pronouncements (England, Your England) and anti-Stalinism—even his funny mustache—Orwell was a most unlikely “man of the Left.” Yet that is how he styled himself. Orwell even shared with Williamson a fondness for nature-writing, though their differences in approach are striking, as I will come back to.

First, though, I want to say a few words about Williamson’s ruralist books and journalism. He wrote in a time when nature-writing was a popular genre, and a mainstay of daily newspapers, particularly in England, much as wine columns seem to be today. I guess these “countryman” columns in London papers functioned as “breathers,” giving tram and Underground riders a break from the usual Fleet Street headlines and Oxo adverts. And maybe editors and press-lords believed thought that throwing in a bit of farming, foxes and foliage would raise the overall tone of their newspapers.

The most famous example of these “countryman” columns is the one Evelyn Waugh made up for his satirical novel, Scoop (1938). In Scoop, a newspaper tycoon wants to hire a fashionable young novelist named Boot to cover a civil war in Africa. By mistake he gets the wrong Boot. Not society star John Courtney Boot, but his impoverished hick cousin, William.

Shy, befuddled William Boot lives in deepest Devon where he writes a column called “Lush Places,” for the vulgar London newspaper The Daily Beast. (The title has since been repurposed for an even more vulgar webzine).

We get only one snippet of this impenetrably rhapsodic column, “Lush Places,” but that leaves us gasping for no more: “Feather-footed through the plashy fen passes the questing vole.”

Henry Williamson, you might say, was the real “Boot of The Beast” in Scoop. He was unworldly. He wrote “countryman” columns. He described, close-up, the behavior of the salmon and the otter, the “feather-footed vole” in the “plashy fen.” He lived out in Devon, later in north Norfolk, worked a countryman writer and farmer.

What a contrast with Orwell, who was not only a sort of war correspondent in the Spanish Civil War (for the Tribune, and in his memoir Homage to Catalonia) but made a special point of joining an eccentric faction, the POUM, that opposed Stalin but supported the Spanish Loyalists.

But Orwell’s mindset was not that far off from Williamson’s. They were near-contemporaries (Williamson: 1895-1977, Orwell: 1903-1950), and Orwell too often wrote about nature and farming.

One of Orwell’s best known essays, “Some Thoughts on the Common Toad,” is a mystical-whimsical contemplation on toad-spawning as an annual rite of spring:

Frequently one comes upon shapeless masses of ten or twenty toads rolling over and over in the water, one clinging to another without distinction of sex. By degrees, however, they sort themselves out into couples, with the male duly sitting on the female’s back. You can now distinguish males from females, because the male is smaller, darker and sits on top, with his arms tightly clasped round the female’s neck. After a day or two the spawn is laid in long strings which wind themselves in and out of the reeds and soon become invisible. A few more weeks, and the water is alive with masses of tiny tadpoles which rapidly grow larger, sprout hind-legs, then forelegs, then shed their tails: and finally, about the middle of the summer, the new generation of toads, smaller than one’s thumb-nail but perfect in every particular, crawl out of the water to begin the game anew.

I mention the spawning of the toads because it is one of the phenomena of spring which most deeply appeal to me, and because the toad, unlike the skylark and the primrose, has never had much of a boost from poets. [2]

Orwell constantly fantasized about living in the countryside, and even talked of becoming a farmer someday. Around 1936 he got as far as living in North Hertfordshire country store beside an estate called Manor Farm—a name he borrowed some years later when he penned a fantasy about a farm where all the animals, led by smart pigs, take control and rename the place Animal Farm.

roman-1984,M113634.jpgThe romance of the country permeates his other fiction. In one novel after another, Orwell’s human characters rouse themselves, suddenly and unaccountably, to go tramping through meadows and hedgerows. In A Clergyman’s Daughter the title character gets amnesia and finds herself hop-picking in Kent. The superficially different stories in Nineteen Eighty-Four and Keep the Aspidistra Flying both have romantic episodes in which a couple go for long hikes through idyllic woods and fields, where they marvel and fornicate amongst the wonders of Mother Nature. The middle-aged narrator of Coming for Air spends much of the novel dreaming of fishing in the country ponds of his youth, but when he finally takes his rod and seeks down his old haunts, he finds that exurbia has encroached and his fishing-place is now being used as a latrine and rubbish-tip by a local encampment of beatnik nature-lovers.

For Orwell, fauna and flora are never just interesting specimens by themselves. They are always somehow political and anthropomorphized, tied up with human associations. Toads having sex are like tiny people performing The Rite of Spring. The wild is a place where you can escape to make love safely, far away from the eyes and ears of your landlady or The Party (although Winston Smith does worry that there may be microphones hidden in the trees!). Despoiling your fishing hole is a Bad Thing not because of pollution or dead fish but because it insults your inner picture of the world.

In his abbreviated career, Orwell remained very much the urbanized literary man, never the countryman. He saw natural phenomena as things that had to be justified and rationalized in a utilitarian way, so they could fit into his world view. Or at least have some literary usefulness.

For Williamson, literary usefulness was pretty much beside the point. He received commissions and royalties from his columns and books, but basically he earned his living from the soil. For him, toads were toads and pigs were pigs. This was reality, and the important thing about his little piggies was that they were starving and needed to be fed, or else they would die.

Here, then, is a Henry Williamson column from the Evening Standard, early 1940. He is describing a scene on his north Norfolk farm. The column is followed by its then-worldly (but now extremely obscure) adjoining headline. Williamson’s agony over his hungry piglets describes a situation that could very well have occurred a millennium before.

Cold Comfort

Come with me into the open air this afternoon, and help me saw up logs for the hearths in the farmhouse below. It’s frosty, the pipes in the cow-house are frozen. 

Take this Norwegian saw, with its razor-thin serrated band, which will cut through a two-inch green bough in four strokes – or would, before someone used it for four-hundred-year-old oak posts. 

It’s pretty hard work, you say, using it now? Well, carry on, it will get you warm, anyway! 

Half an hour later, we are warm and glowing, although when we touch the blade of either saw with a finger, it sticks to the steel. That will tell how keen the frost is. 

It’s as cold as it was in the High Pyrenees, years ago with old Kit, when we climbed up all day stripped to the waist, and skied down at night, when the stars were flashing and the frosty snow-flakes glinted in the flashes of Sirius. 

Down there, before a typewriter, one shivers, although a rug is round the knees; out here, it’s grand, and the pile of logs grows higher. Forgotten for the moment are the problems of farming: the delay in delivery of the deep-digger plough; the pigs below which are being fed on sugar-beet tops and crushed oats, because there is no proper food available. 

Twenty-four little pigs – and for weeks I have not been able to buy any proper food for them. I can’t send them to market, either, for the market is closed to ‘stores’, owing to swine fever in the district. 

The food-merchants tell me they get supplies only with the greatest difficulty, and then in small quantities. 

Meanwhile my little pigs are half-starved, and I only hope that the R.S.P.C.A. won’t prosecute me for cruelty. 

However, let’s forget it for a while and saw some more wood. And when the arm is tired we’ll enjoy the view. Isn’t everything quiet? The gold of the sunshine seems frozen, immingled with the frosty air; hardly a sound. 

Even the sea is silent on the distant sands, where the geese wait until twilight to come in and feed on the clover in the fields. Let’s hope they leave some for hay next summer. Shoot them? You’ll be lucky to get within two hundred yards of them. They have sentinels out, watching with raised heads. 

Twilight comes suddenly, with purple-red afterglow of the sun hiding coldly behind the frosty fog creeping up the valley with still layers of cottage chimney smoke. The nip comes back to ear and finger-tips. The old car slithers over the rimed grass, drawing the trailer. And suddenly five airplanes roar overhead, low, from their vigil across the North Sea. One lags behind, the engines spluttering. It lurches through the air, so low that we can see one of the crew be- hind the crystal dome. 

Are they very cold in there? They fly on, and we go down to the farm to look at the little pigs. This is the age of endurance – for a better future, we hope.  

Wednesday, 17 January 1940  

Notes

1.  http://www.henrywilliamson.co.uk/hw-and-the-first-world-war [2]

2. Originally published in Tribune and The New Republic, 1946. Collected in In Front of Your Nose: The Collected Essays, Journalism and Letters of George Orwell, Vol. 4.New York, San Diego, London: Harcourt Brace Jovanovich,  1968.

 

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2015/01/HenryWilliamsonPainting.jpg

[2] recount the 1914-18 battlefields of the Western Front: http://www.henrywilliamson.co.uk/hw-and-the-first-world-war

[3] The Times: https://groups.google.com/forum/#!topic/alt.obituaries/fGODnHy747M

vendredi, 25 novembre 2016

Lennart Svensson’s Science Fiction Seen from the Right

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Lennart Svensson’s Science Fiction Seen from the Right

Lennart Svensson

Science Fiction Seen from the Right [2]
Manticore Books, 2016

“Ursula Le Guin wrote about socialist utopias. Heinlein fought against them. There you have Science Fiction Seen from the Right in a nutshell.”

LS-SF-.jpgReaders of Counter-Currents will be familiar — and likely agreeable to — the notion that despite what you heard in school, most all the truly great writers of the XXth century were “men of the Right.” This has been the theme of books like Kerry Bolton’s Artists of the Right: Resisting Decadence,[1] or Jonathan Bowden’s Western Civilization Bites Back.[2]

Bowden also gave us Pulp Fascism,[3] with its subtitle “Right-Wing Themes in Comics, Graphic Novels, and Popular Literature” and including coverage of Anthony Burgess’ A Clockwork Orange, George Orwell’s Nineteen Eighty-Four, Sarban’s The Sound of His Horn, and Brian Aldiss’ Moreau’s Other Island; why not then SF as a genre, tout court?

As if in response, comes now this book; with a title like Science Fiction from the Right, one can consider this an automatic purchase for anyone on the “Alt Right.” If you’re looking for a well-informed study of the SF genre that’s decidedly not from the hard or soft Left perspective that seems de rigueur for both academics and SF writers themselves, this book is for you. Svensson, however, has grander ambitions, and that’s where the book begins to be a bit of a disappointment.

Despite its title, Svensson is not really interested in “the Right” as such; he is interested in tradition, or, as he sometimes spells it, Tradition. And therein lies a perhaps unconscious indication of the problem: is it tradition, or Tradition?

LS-Portr.JPGSvensson is certainly straightforward from the start:

My definition of “right,” “a man of the right,” is “a man adhering to traditional, eternal values.”

These eternal values can be exemplified as: duty, honor, honesty, accountability, selflessness, modesty, fidelity, faith, courage, justice, mercy, clemency, compassion, magnanimity, equanimity — values that are in harmony with the eternal natural law, with Dharma and Tao, with Physis and Lex Nauralis.[4]

And to clarify: to merely advocate limited government, personal responsibility, moral values and productivity . . . is not to be a traditionalist. It’s a start, but it’s not enough. There has to be an esoteric element present, a connection with the causal realm in which all of existence can be anchored in the Platonic World of Ideas. Here, ultimately, the eternal values have their footing.

To vindicate these ideals is what I do as a man of the right. I honor Tradition. To systematically embrace eternal values within a spiritual framework of Christianity, Hinduism and the Ancient way of the West, of esoteric strains in Greek, Roman and Norse thought, is called traditionalism. . . . There you have my outline of traditional values and their sources.

And if that’s not clear enough, he adds that

For a textbook rendering of the Perennial Thought intimated above, see René Guénon, . . . the Crisis of the Modern World, Julius Evola, . . . Revolt Against the Modern World, or Shri Dharma Pravartaka Acharya, . . . The Dharma Manifesto. Another lion of traditionalism currently alive, is Seyyed Hossein Nasr.[5]

He is equally forthright about his intentions in what follows:

My focus in this book is on conservative, right-wing SF and fantasy, of fantastic stories having the character of being based in eternal values as the ones sketched above, fantastic literature having some discernable relationship to Tradition.

Putting all this together, we get, as an example:

Frank Herbert’s Dune, dealing with meditation, courage and honoring your fathers, in the framework of this study, is an SF story of “the right-wing” kind, a story rooted in Tradition.

Now, it’s interesting that Svensson chooses Dune as his exemplar. It’s not the first book/author he looks at; that’s Heinlein, who is, as he says, the “most iconic right-wing SF author ever.” But it is the first — and pretty much the only — book/author that fits the notion of “having some discernable relationship” to capital-T Traditionalism.[6]

See, Svensson is operating with two rather different notions of tradition, which we might call majuscule and miniscule. Miniscule tradition — what he derisively calls “the Conservapedia definition” — could indeed be “exemplified” by that list of virtues but it, and them, have nothing in particular to do with majuscule Tradition.

Now, I’m not saying Guénon, for example, would reject those virtues, not at all; but they would be merely “finite,” pertaining only to social organization in the Kali Yuga. They may be necessary for a society in which Tradition is preserved and handed down; they may also be a necessary first step in moral training for the path of Realization; but no more than that. The “Perennial Thought” is a matter of metaphysics, not morals.[7]

To illustrate my point, consider that both Mike Hammer and his creator, Mickey Spillane, are certainly “men of the Right” in Svensson’s small-t traditional sense; Hammer, as even Ayn Rand perceived,[8] is, however violent and brutal, a man with a solid ethical code that he deviates from not one whit, and uses any means, however violent or illegal, to make sure no one else does either. And his creator was, to a remarkable degree, essentially the same man.[9]

But — to make the contrast clear – the film version of Kiss Me Deadly is, however accidentally, and despite being conceived as an attack on everything Hammer and Spillane represented, a work embodying and bodying forth Traditional themes, while The Girl Hunters, though written and even starring Mickey Spillane himself, is just another thriller, though an excellent exemplar of Hammer’s sadistically chivalrous values.[10] By contrast, Svensson would have a hard time defending Kiss Me Deadly as even small-t traditionalist, since the filmmakers portray Hammer not as a White Knight[11] but as a moronic sadist.

Svensson needs his two kinds of tradition, because unless he can shift from one to the other, he doesn’t have much of a book left.[12] It would be extremely interesting to find Traditional themes in SF;[13] but that’s because it seems, on the face of it, unlikely.

starship_troopers_03.jpgSo mostly, Svensson falls back on miniscule tradition; Heinlein, for example, is hardly a Traditional thinker, even before his ’60s-hippie phase, but he certainly meets the “right-wing” criterion.

Svensson has also given himself another arrow for his quiver. Those who fail or refuse to acknowledge eternal values are defined here as “nihilists.” Those who stand against them, however, fall into two classes: those who passively observe their effect on society, and those who take up arms and by opposing (sometimes) end them.[14] The latter are praised, the former chided or condemned. Thus, authors as different as Heinlein and Lewis can be bracketed together for praise of their stand against nihilism.

The reader might think I’m condemning the book outright, but that’s not really the case. It has the virtue of its vice; with so broad a canvas, the value here rests in whatever Svensson can find to say about some book or author, and if the reader persists, he will find much value here.

Take this bracing insight on Ray Bradbury, which applies to many other areas of the Right:

We all know that Ray Bradbury (1920-2012) was a man longing for years gone by, for the American 1920s with T-Fords, striped cotton suits and icecream sundaes. But this kind of sentimentality can’t be tolerated in a study like this. Tradition isn’t about being sentimental, it’s about acknowledging Eternal Values, values that still can lift us, inspire us and guide us, offering an alternative to the current materialism and nihilism. For in essence, sentimentality is a form of nihilism.

Again, while J. G. Ballard is clearly an “active nihilist,” who, by “not putting up a credible counter-image to the forces of evil” has “superficially, nothing … to say to a radical conservative,” he is praised for at least being an honest skeptic, seeing through and rejecting the clichés of the liberal order. Svensson “gets” Ballard where so many don’t, seeing how Ballard goes on to find the creepy beauty of the new; Cambridge is just “a bicycle rack in front of Gothic backdrop”; the real action is at the US air base nearby, “with its concrete runways and landing lights.”

There’s beauty in the Ballardian urban landscapes and the Jüngerian Marble Cliffs.[15] This we sorely need, anything except the left-liberal chewing of General Buzzword No. 1: pity the weak.

Symbols abound, arresting hieroglyphs. Like the burnt-out shell of a B-29, its tailfin like a billboard advertising its own squadron. And the incomparable haze over the pale fields, antitank ditches and mounds, the same light seen after the dropping of the bomb, heralding the end of the war and the beginning of the next.[16]

So, another WWII story? No, not by far. This is the new kind of SF the 1960s sometimes gave us: “speculative fiction,” a free rendering of the modern world with all its symbols and attitudes, condensed into a more urgent narrative. . . . By 1964 his literary attitude had gained a sense of necessity and tragedy not reached by any other contemporary author, inside or outside the field.

One positive feature of this omnium-gatherum approach is that the reader finds himself introduced to new names and new books. For example, Karin Boye, and her novel Kallokain, apparently considered a Swedish modern classic for all to read, like our To Kill a Mockingbird, perhaps.[17] Svensson, in his brief chapter, makes me want to read this work of a Swedish poet/Valkyrie.

Another book/author unknown to me is Robert Holdstock’s Mythago Wood (1985), where the protagonist finds a primeval forest which is “a dimensional crossroads” where mental intentions interact with mythic energy, “co-creating” the intended results.

By contrast, the following chapter on the expected Orwell, Huxley, Zamyatin, and (perhaps less expectedly, the Metropolis of) von Harbou, really has nothing to say, although students will appreciate the suggestion that they need only read Chapter Three of Brave New World to get the gist of it. But by and large, the hits outnumber the misses.

One major misstep here is that Svensson seems to swerve from his basic theme and give in to the desire to present a kind of encyclopedia of SF matters. A chapter on SF illustration seems pointless without illustrations, and one on the origins and history of SF publishing delves into such thrilling matters as the evolution of pulp magazine binding techniques. The author would have been well advised to leave such matters aside and follow his own taste in the novella format,[18] concentrating on a few major figures and making his arguments tighter.

One has the impression that Svensson started with a list of authors — some essential, like Heinlein, some not that well known, like Boye, some ringers, like Marinetti or Castaneda — along with some topics, like war and nihilism; then he set to work writing something about each one, sometimes finding something to say on their literary or esoteric value, sometimes not.

In the end, one wonders why Svensson burdens his book, and himself, by bringing up the whole Traditionalist business. SF, as already intimated, doesn’t on the surface seem very “Traditionalist” at all.[19] I think the answer is hinted at here:

The ideal of SF, according to Holmberg, is this: man exploring nature with science and technology, thus conquering and understanding his universe, and in the process gaining insights leading to some kind of transcendence. As an esotericist I fully embrace this definition of SF. It’s about venturing out Beyond the Beyond and Within the Within.

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Nor are the Beyond and the Within merely two, distinct aspects; Svensson notes several times his agreement with SF master Norman Spinrad, that the key motif of SF in space travel, but adds that to really travel in space requires inner transformation; otherwise, one may travel to the moon but only bring back some rocks.[20]

The Apollo project went to the moon, a much sought-after event, only to bring home a sample of rocks. In his diary Jünger wrote about this: “the only found a desert because they had the desert inside.”

But while SF may think of space exploration as requiring inner transformation, the Traditionalists themselves refuse to see any such link. Indeed, they are infamous for their contempt for mere technology or even science itself; Traditional societies, says Guénon in the book Svensson directs us to, had better things to do than waste their time with such toys. “Exploring nature with science and technology” and “thus conquering and understanding his universe” is nothing but “dispersion into the horizontal realm” rather than vertical ascent to the Beyond.[21]

So the connection Svensson sees between SF and Traditionalism is at best one-way. If SF leans toward something like Traditionalism, what’s really going on?

We find a clue here in a kind of reflex that Svensson retains from the Traditionalists: the use of the term “titanic” or “titanism” as a derogative, as in fact a synonym for nihilism. Lewis is praised for battling it, while Heinlein is rebuked for yielding to it. That should tell you something’s off here; isn’t Heinlein the “iconic” SF writer? Isn’t SF essentially Promethean, from Frankenstein (“The Modern Prometheus”) on, and even further back, to the various utopias that take inspiration from Plato’s Myth of Atlantis (the realm of Atlas)?

I suppose the Titans are “nihilists” not because they deny any “connection with the causal realm” but because they boldly reach out and grasp it for themselves, “storming Heaven” and “winning the Grail by violence.” The process of self-transformation that Svensson refers to is not so much a matter of Traditionalism as it is of Hermeticism, as even Evola admits.[22]

This “Ancient way of the West, of esoteric strains in Greek, Roman and Norse thought,” finds its “framework” not with Traditionalism but with something along the lines of Jason Reza Jorjani’s Prometheus and Atlas, where both science and SF are confronted and assimilated in the Titanic mode of the West.[23]

Periodically, Svensson drops the ill-fitting Traditionalist garb and promotes a doctrine of Will-Power as something against which SF authors are evaluated (the shift from the one to the other is eased because remember, one must not only diagnose nihilism but fight it!). This emphasis on the training of the Will so as to develop the ability to bring about changes in accordance with will (as Crowley would say) justifies the publisher’s reference to Colin Wilson.[24]

NG-.jpgIndeed, interviewed elsewhere, Svensson sounds an awful lot like that modern exponent of the Hermetic Tradition Neville Goddard himself:

[Q] Man’s life is short. The border is always near. How can be a man educated in such a short period of time to understand the main things of life?

[A] Indeed, life is short. But any man can learn the two words, “I AM”. Christ said them seven times in the Gospel of Joh (“I am the light of the world, I am the door into the sheep, I am the good shepherd” etc.), as such a mirror of the” I Am That I Am”– saying of God in the burning bush of Exodus fame. And if the individual does the same, says “I am”, he acknowledges his eternal, divine nature, of being a spark of the eternal light. This I touch upon in Borderline[25] and this is the succinct summation of my creed: I AM. Modern man, if he so chooses, can reach spirituality this way. The I AM-saying is my formula for a more spiritual life, taught to “the man in the street.”[26]

To stay on the “man in the street” level of physical detail: the book has the quality we’ve come to expect from a Manticore publication; nicely proofread and typeset, with a sturdy binding and an atmospheric wrap-around cover illustration. The translation is serviceable, but another pass or two might have smoothed things out more and made it read a bit less like, well, a translation. Also, in a work of this sort, covering many names and topics, an index would have been appreciated.

In the end, one wishes Svensson would trust his Titanic instincts more, and liberate himself from his Olympian chains. Nevertheless, the reader will find much here that is provocative and truly thought-provoking; a book which not just looks at literature “from the Right” but raises questions about what, ultimately, is the Right itself.

Notes

1. Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2012.

2. Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2014.

3. Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2015.

4. To anticipate a bit, I must point out that “natural law” has little or nothing to do with Tradition; it originates in Stoicism, which Evola, in the book Svensson later cites, dismisses as an “oriental” current alien to Aryan culture, and in its Christian form results from a further misunderstanding of the Greek concept of law as equivalent to “YHVH’s command.” The Stoic advising “live according to nature’s law” is more like our life coaches counselling “You should eat more organic” than a Bible-thumper screaming about da fegz. For more on this, see my essay “A Review of James Neill’s The Origins and Role of Same-Sex Relations in Human Societies” (Amazon.com Kindle Single, 2013).

5. For more on Nasr as a “lion of traditionalism,” see my review of Al-Rawandi’s Islamic Mysticism, “The Bad Samaritan: A Glance at the Mohammed Mythos,” here [3].

6. Guénon would no doubt approve of its Sufi elements, but ultimately dismiss it as mere “syncretism;” Evola might have approved the emphasis on jihad. One must also point out that C. S. Lewis, whose works Svensson also considers exemplars of tradition, would surely have condemned Traditionalism as a blasted heresy and one of the worst tricks of the Devil.

7. Traditionalist would point to a similar mistake made by Jung and others who try to assimilate Tradition to psychoanalysis: the Path is not a method mental healing, but rather assumes an undivided and controlled mind as a starting point.

8. “Despite their apparent differences, Rand admired Spillane’s literary style, and Spillane became, as he described it, a “fan” of Rand’s work.” See McConnell, Scott, ed., “Mickey Spillane,” 100 Voices: An Oral History of Ayn Rand (New York: New American Library, 2010), pp. 232-39.

9. See my “A Hero Despite Himself: Bringing Mike Hammer to the Screen,” here [4].

10. See, of course, my essay “ ”Mike Hammer, Occult Dick: Kiss Me Deadly as Lovecraftian Tale,” here [5] and reprinted in The Eldritch Evola … & Others (San Francisco: Counter-Currents, 2014); for comparison of the films, see my “Essential Films . . . & Others,” here [6].

11. Svensson approves the use of plate armor in the Lord of the Rings films, since it recalls the image of “knights in shining armor.”

12. “But I also admit that there are SF authors in this study hard to categorize. For instance, J. G. Ballard isn’t an author you would think of as a traditionalist. Rather, he’s some kind of modernist. But he isn’t explicitly Marxist.” Later, Ballard’s “The Atrocity Exhibition hasn’t got much to say about Tradition, the theme of this study. But taken for itself this is a great read.” Again, “It’s true that the praising of Tradition and the virtues of old don’t occupy center stage in Michael Moorcock’s novels.” Again, “Karin Boye was a left-leaning intellectual. But she still fits into this survey. Why? Because she wasn’t expressly anti-tradition.”

13. As the reader will know, or have inferred by now, I myself have done a bit of such exploring, mostly in the realm of fantasy — see the essays collected in The Eldritch Evola. . . & Others: Traditionalist Meditations on Literature, Art, & Culture (Ed. Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2014) — but also in SF, such as the works of Olaf Stapledon — see “A Light Unto the Nations: Reflections on Olaf Stapledon’s The Flames” in The Eldritch Evola, and “‘The Wild Boys Smile’: Reflections on Olaf Stapledon’s Odd John” in Green Nazis in Space! New Essays on Literature, Art, & Culture (Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2015). Oddly enough, Stapledon does not appear in Svensson’s book. Stapledon was of course a parlor pink, but — and admittedly it’s an ironic point — his novels are filled with traditional and even Traditionalist themes, illustrating my point about the return of the Traditional in popular culture.

14. “Nihilists! Fuck me. I mean, say what you like about the tenets of National Socialism, Dude, at least it’s an ethos.” Walther Sobchak, The Big Lebowski (Coen Bros, 1998).

15. Svensson has written a biography of Jünger: Ernst Jünger — A Portrait (Manticore, 2014). The chapter on Jünger here seems like a condensed version, but it does make me want to see the full text.

16. To anticipate a bit, cf. Jason Reza Jorjani, “Promethium Sky over Hiroshima,” Right On, Nov. 3, 2016, here [7].

17. Amazon tells me that the University of Wisconsin put out an edition in 1966, in its dourly titled “Nordic Translation Series,” and a paperback in 2002 in its flashier “Library of World Fiction.”

18. Constant Readers will recall many occasions when I have joined with Henry James in praising “the dear, the blessed nouvelle” format. Writing of Moorcock’s Elric novels, that originally appeared as slim volumes but now comprise 400 page collections, “Having the Eternal Champion books as separate, slim volumes make the saga into a random access myth, an epic where you can begin where you want, merely reading one book or two and then leave it with the sense of having seen an aspect of Multiverse, the whole mirrored in a facet, as it were…. Otherwise, the ideal of the fantasy novel is always ‘thick as a brick’ and this will not engender classics in itself.” He also praises Ballard’s “The Terminal Beach” as “an embryoic condensed novel” with a “condensed, urgent narrative.”

19. Svensson gives himself another free pass by including the clearly more traditional if not Traditionalist genre of fantasy in his definition of SF; like the SF authors, his coverage varies from interesting – Tolkien, Lewis – to just going through the motions in the urge to completeness – Clark Ashton Smith, Lord Dunsany. I tend to agree with Kingsley Amis in New Maps of Hell; the two are best studied apart. Amis’s classic study – arguably the first truly serious critical work on SF – is not in Svensson’s bibliography, though he tells us that he intends his book to be “mapping out new lands,” and the publisher explicitly compares his book to Amis’s, as well as Colin Wilson’s The Outsider; possibly the first time both have ever been invoked at the same time.

20. The key work here is 2001: A Space Odyssey, which Svensson calls “absolutely unique in the history of cinema” and scores as 60% Kubrick, but a necessary 40% Clarke. This point about “inner space” was often made by William Burroughs, who’ mentioned but whose works — Nova Express, for example — are curiously absent.

21. “[But to Traditionalists like Nasr] the events that produced the modern world are not signs of life in contrast to the cadaverous rigidity of Islam but signs of a Promethean betrayal that refuses the demands of heaven.” Al-Rawandi, op. cit.

22. See, of course, his The Hermetic Tradition: Symbols and Teachings of the Royal Art (Rochester, Vt.: Inner Traditions, 1995), especially Chapter One on the myth of Eden.

23. Prometheus and Atlas (London: Arktos, 2016). See also the same author’s “Against Perennial Philosophy,” Right On, Oct. 21, 2016, here [8]. On the other hand, Prof. Jorjani might appreciate Svensson’s discussion of Heinlein’s use of parapsychological themes to challenge both science and SF.

24. It also may explain the bizarre inclusion of Carlos Castaneda among the authors discussed; Carlos’ first wife was a disciple of Neville.

25. Borderline: A Traditionalist Outlook for Modern Man (Numen Books, 2015).

26. “Lennart Svensson: ‘The I AM-saying is my formula for a more spiritual life, taught to “the man in the street”’,” here [9]. Compare Neville, basically in any of his books or lectures; here [10], for example. On Neville and both Hermeticism and Traditionalism see “Magick for Housewives: The Not-so New (and Really Rather Traditional) Thought of Neville Goddard” in Aristokratia IV (Manticore Press, 2017) and my afterword to Neville’s Feeling is the Secret (Amazon Kindle, 2016).

 

 

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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[2] Science Fiction Seen from the Right: http://amzn.to/2gjzNuy

[3] here: http://www.counter-currents.com/2016/11/the-bad-samaritan/

[4] here: http://www.counter-currents.com/2016/06/bringing-mike-hammer-to-the-screen/

[5] here: http://www.counter-currents.com/2014/02/mike-hammer-occult-dick-kiss-me-deadly-as-lovecraftian-tale/

[6] here: http://www.counter-currents.com/2015/02/essential-films-and-others/

[7] here: https://www.righton.net/2016/11/03/the-promethium-sky-over-hiroshima/

[8] here: https://www.righton.net/2016/10/21/against-perennial-philosophy/

[9] here: http://www.radikaliai.lt/radikaliai/3263-lennart-svensson-the-i-am-saying-is-my-formula-for-a-more-spiritual-life-taught-to-the-man-in-the-street

[10] here: http://realneville.com/txt/you_can_never_outgrow_i_am.htm

lundi, 21 novembre 2016

Wyndham Lewis, Ernst Jünger & Italian Futurism - Paul Bingham

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Wyndham Lewis, Ernst Jünger & Italian Futurism - Paul Bingham

Robert Stark and co-host Alex von Goldstein talk to Paul Bingham. This show is a continuation of our discussion about Aleister Crowley and Aristocratic Individualism



Topics include:

How Wyndham Lewis, Ernst Jünger, Aleister Crowley, and the Italian Futurist, were individuals who existed outside the liberal reactionary/traditionalist paradigm, and viewed the world in a realist way unbiased by ideology
The cult of Positivism
Italian Futurism, how it was marginalized due to it’s ties to Mussolini, but made a major impact on the arts
How Ayn Rand was influenced by Italian Futurism
Robert Stark’s talk with Rabbit about Italian Futurism
Wynham Lewis’s Vorticist movement, his magazine Blast, and his Rebel Art Centre
The philosophy of the Vortex, which views everything as energy constantly in motion
The rivalry between Italian Futurist Filippo Marinetti and Wyndham Lewis, and how Lewis critiqued Italian Futurism for putting to much emphasis on technology
Wynham Lewis’s The Art of Being Ruled, which made the case that the artist was the best to rule, and that capitalism and liberal democracy suppressed genuine cultural elites
How the book addresses Transsexualism, and anthropological findings on the Third Sex
Kerry Bolton’s essay on Wyndham Lewis
Lewis’s relationship with fascism, how he published the book Hitler (1931), which presented Adolf Hitler as a “man of peace,” but latter wrote an attack on antisemitism: The Jews, are they human?( 1939)
The influence of war and violence on Italian Futurism
The Manifesto of Futurism
The Futurist Cookbook
Futurism is about testing what works, and rejecting traditions that don’t work
The futurist believed that every generation should create their own city, and futurist Antonio Sant’Elia’s Plan for Città Nuova (“New City”)
Paul worked on a book that was never published, “The Motor City and the Zombie Apocalypse,” about how the motor city is incompatible with human nature
The effects of global technological materialism on culture, and how technology needs the right people and culture to work
Jean Baudrillard point that the Italians have the best symbiosis between culture and technological progress
The Transhumanist concept of Cybernetics, which is rewiring the brain, and how the futurist used poetry as a precursor to cybernetics
Paul’s point that futurist movements such as cyberpunk, and Neoreaction are more focused on Live action role-playing, but are not serious about pushing the limits
The intellectual and transcendental value of LSD and DMT, Ernst Jünger’s experimentation with acid, but they are only effective if the right people use them
Paul’s point that the only real futurist are underground, and experimenting in third world countries
Aristocratic individualism, and Paul’s opinion that Ernst Jünger is the best example, and Jünger’s concept of the Anarch
Ernst Jünger’s science fiction novel The Glass Bees
Ernst Jünger’s “The Worker”

dimanche, 20 novembre 2016

Petit monarque et catacombes de Olivier Maulin

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Petit monarque                        
et catacombes
de Olivier Maulin
 

Critique de Pascal Magne

Ex: http://www.larevuecritique.fr

Olivier Maulin, né en 1969, est écrivain. Il a été sacré "Prince des poètes" en novembre 2009. Il a publié récemment  En attendant le roi du monde (L’Esprit des Péninsules, 2006), Les évangiles du lac (L'Esprit des Péninsules, 2008), Derrière l'horizon (L'Esprit des Péninsules, 2009).

maulinmoncat7361.jpgOlivier Maulin, Petit monarque et catacombes,  Paris, Balland, L'Esprit des péninsules, octobre 2009, 286 pages.


Présentation de l'éditeur.

Palais de l'Elysée, 1992. Le président Mitterrand est malade, le régime usé. Rodolphe Stockmeyer, jeune dilettante, y effectue son service militaire, entouré d'une galerie de personnages hauts en couleur. Tandis qu'éminences grises et autres chargés de mission se débattent dans les affres de la basse politique, les couloirs du palais bruissent bientôt d'une surprenante nouvelle, celle du retour imminent du roi... Après En attendant le roi du monde et Les Evangiles du lac, Petit Monarque et Catacombes mêle avec brio humour féroce, satire politique et nostalgie d'un monde antérieur à la grande catastrophe, celle du désenchantement généralisé.

La critique de Pascal Magne. - Le choc du mois, n°35, novembre 2009. 

Maulin l'enchanteur. En attendant le roi du monde, son premier roman, avait réuni dans un même élan enthousiaste les critiques littéraires Jean-Claude Lebrun de L’Humanité et Christian Authier du Figaro Magazine, avant de remporter le prix Ouest France/Étonnants Voyageurs, en 2006. Autre exploit qui n’est pas près de se reproduire : Olivier Maulin avait réussi le prodige de réconcilier Points de vue et la revue Éléments ! Chapeau bas pour quelqu’un dont le manuscrit fut tout d’abord oublié dans un tiroir par Éric Naulleau, le patron des éditions L’Ésprit des Péninsules, l’alter ego d’Eric Zemmour dans l’émission « On n’est pas couché ». Il fallut une lettre d’insultes maulinesque en diable pour réveiller l’homme de lettres de sa torpeur, qui s’exécuta ensuite de bonnes grâces après avoir reconnu le talent du bonhomme. La publiera-t-on un jour cette lettre ? Il y a prescription.

À l’heure de clore (définitivement ?) sa trilogie avec la parution le mois dernier de Petit monarque et catacombes, toujours aux éditions L’esprit des Péninsules, et de partir vers d’autres horizons littéraires, notamment le roman policier, Olivier Maulin a eu la gentillesse de bien vouloir nous livrer quelques clés pour que les lecteurs du Choc du mois ne tombent pas tous de leur chaise en le lisant pour la première fois. Avis de tempête aux lecteurs distraits : la lecture de Maulin l’enchanteur est fortement déconseillée aux pisse-vinaigre et autres fesse-mathieu, qui se piquent de littérature. Scandales, cris d’orfraies et hululements moralisateurs assurés dès la troisième page… Faut reconnaître, c’est du brutal!

Maulin, c’est la puissance de feu d’une grosse farce poétique avec des personnages échappés de Voyage au bout de la nuit, et les flingues de concours d’un A.D.G. ou d’un Michel Audiard. Avec en prime, le goût des solstices païens, des bacchanales romaines et des banquets grecs à faire rougir les zombies de la gay-pride et tous les « mutins de Panurge » du Marais et de San Francisco réunis. La quarantaine venue, notre satiriste a fait sienne la remarque de l’écrivain colombien Nicolas Gomez Davila, auteur du trop peu connu Le Réactionnaire authentique : « Dans la société qui s’esquisse, même la collaboration enthousiaste du sodomite et de la lesbienne ne nous sauvera pas de l’ennui ». Comme dirait Suzy Fuchs : « Tu sais, il faut que tu comprennes une chose, c’est qu’on n’est pas des hippies pourris qui pensent que les esprits sont tous gentils. Nous, on sait qu’ils peuvent être terribles. Pigé ? » À l’instar de Lucien, le héros qui inspire ce triptyque anarchiste et royaliste, Maulin prône dans ses romans l’harmonie dans la débauche. C’est un symposiarque qui veut bien utiliser ses vices dans ses romans pour accéder à un état qui les transcende. « Il faut mettre du rite partout, sinon on est foutus », ne cesse d’affirmer ses personnages dans ses romans.

Comme ses illustres devanciers, Olivier Maulin n’a pas le cœur sec ni le cul serré quand il écrit. Il a la plume drôle, voire acide, et un talent de dialoguiste indéniable, que lui reconnaissent même ses détracteurs les plus acharnés. Ses héros ressemblent à s’y méprendre aux clochards célestes et aux perdants magnifiques, chers à l’ami Blondin. Ils ont d’ailleurs l’insulte abondante et le coup-de-poing facile devant la connerie contemporaine, surtout quand ils ont ingurgité quelques ballons de gentiane et pintes de bière. Mais pas que… Certains de ses personnages les plus exaltés ne répugnent pas aussi à passer à l’action directe contre les marchands du temple, aux coups d’État qui finissent mal et aux restaurations royales fantasmées. Il faut dire que Maulin est ouvert à tous les fanatismes pour la résurrection du Grand Pan. Chez cet Alsacien particulièrement attachant, l’ogre rabelaisien a décidé une fois pour toutes d’écraser le cartésien. Sa famille littéraire a des racines profondes qui plongent au cœur de l’Europe buissonnière : de l’anarcho-communiste tchèque Jaroslav Hasek, écrivant le burlesque Brave Soldat Chvéïk, à l’anarcho-païen finlandais Arto Paasilinna, inoubliable auteur du Lièvre de Vatanen. Comme eux, Maulin redoute par-dessus tout le désenchantement généralisé de la société occidentale. Son remède ? « Le retour du sacré et de l’oint royal ».

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Maulin n’a jamais caché son inclination pour l’imaginaire et la langue médiévale. Qui est-il au juste? « Un chrétien paillard médiéval à la Léon Bloy, aimant le guignol et le grand style », nous a-t-il avoué après avoir vidé une bouteille d’un honnête picrate. Sous le sceau de la confidence, il a même parlé de la décadence de l’Europe, qu’il date du xve siècle, « à peu près l’époque où le peuple a cessé de danser dans les cimetières », amorçant selon lui une longue descente « vers l’ennui mortel et la civilisation bourgeoise ». Pourquoi pas, après tout… La littérature contemporaine ne l’inspire guère. Dans un récent entretien accordé à la revue Éléments, il avait même lâché, comme soulagé, qu’il n’en lisait plus pour se consacrer à présent exclusivement à la lecture de vieux ouvrages de fabrication de cloches d’églises, de livres pratiques sur l’élevage de porc et de vieux traités d’équitation à l’usage de la cavalerie française. Dont acte. Que dire de ses romans ? Il ne voit que cette phrase, de Davila toujours : « Le pur réactionnaire n’est pas un nostalgique qui rêve de passés abolis, mais le traqueur des ombres sacrées sur les collines éternelles ».

« C’est elle qui avait eu cette idée foireuse. Elle était d’origine portugaise et comme les choses n’allaient pas brillamment à Paris, elle avait pensé “rentrer au pays”. Cette conne m’avait transformé en immigré ». Le ton est donné. Avec son premier roman, En attendant le roi du monde, Maulin explorait les dédales de la tradition lusitanienne. En toile de fond ? Dom Sébastien, le roi caché qui restaurera le destin du Portugal pour établir le cinquième empire. Mais avant de se mettre en quête d’un roi qu’ils n’avaient d’ailleurs jamais eu l’idée de chercher auparavant, Romain et Ana vont échouer dans une pension de famille miteuse de Lisbonne. Rencontrer Dulce, une pétulante nymphomane, et Cécile qui aboie quand on la baise. Faire la connaissance de Pépé, un ancien colon d’Angola cloué sur son fauteuil roulant qui tape des fados à faire pleurer des bars entiers. Puis tomber sur Lucien, un grutier qui se prend pour un chaman, et parle en direct et sans intermédiaire avec le baron Roman Fédorovitch von Ungern-Sternberg. Lui, il voyage dans le monde des esprits dès qu’il fait l’amour. Le lecteur ne s’étonnera donc pas de croiser des anges pourchassés par une meute de cavaliers bouriates ni George Bush manquer de s’étrangler en avalant un bretzel. En le lisant, les puceaux pourront toujours apprendre quelques positions originales dans la partouze finale.

Prévenons les prudes derechef de jeter un voile pudique sur les pages décrivant la rencontre avec les esprits de la forêt dans le deuxième opus, Les Évangiles du Lac. Paru en 2008, ce roman d’initiation burlesque suit les pérégrinations d’un publicitaire trentenaire parisien, lassé par la vie de bureau, qui fait l’apprentissage du recours aux forêts le temps d’un week-end à Kruth, une petite bourgade des Vosges alsaciennes. Il y a aussi l’abbé Nonno, un curé de choc, en rangers, qui pensent que « c’est cuit depuis ce laïcard de Philippe le Bel », Suzy la païenne qui jette des crapauds dans les bûchers de la Saint-Jean en criant : « Tournez, tournez, cabus. Devenez aussi gros que mon cul », Fifty-Fifty « sept générations sur les rails dont trois dans le contrôle », disciple de Fourrier et mystiques du rail, un Grec, un écureuil et un simple d’esprit. Troisième et dernier tome, Petit monarque et catacombes nous plonge dans la mitterrandie finissante. Nous sommes en 1992. Rodolphe Stockmeyer, appelé deuxième classe, fils de vigneron, effectue son service militaire comme loufiat au vestibule d’honneur, au Palais de l’Élysée. La planque est bonne: il observe le président Mitterrand traîner son cancer dans un château à la dérive, en éclusant quelques bouteilles de Romanée Conti. Reste le point d’orgue, une scène qu’on lit et relit, une fois, deux fois en riant, dix fois en rêvant qu’elle se produise un jour :

« – Agence France Presse, bonjour, a dit une voix.

– Bonjour Monsieur, a répondu Pierrot. Je vous appelle pour vous communiquer une information de la plus haute importance.

– Je vous écoute.

– Alors voilà. Ce matin très tôt, il y a eu un coup d’État à l’Élysée…

Quelques secondes de silence du côté de l’AFP…

– Un coup d’État à l’Élysée ?

– C’est ça.

– Ne quittez pas.

Au bout du fil, des bruits de combiné et des murmures étouffés pendant une minute…

– Un coup d’État, donc… Vous pouvez m’en dire plus.

– Bien sûr. Avec la complicité de la garde républicaine, un petit commando dont j’ai l’honneur de faire partie a rétabli le roi sur le trône de France, à l’aube, sans tirer un seul coup de feu ni verser une goutte de sang.

– Bonne nouvelle, a dit le type. C’est une super info, les gars. Et comment il s’appelle votre roi ? Louis XXVI ?

– Bois-Bois Ier.

– Bois-Bois… Ier ? »       

 

Erik L'Homme, Des pas dans la neige

Chronique de livre :

Erik L'Homme, Des pas dans la neige

(Gallimard)

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

erik-l-homme-des-pas-dans-la-neige.gifGallimard jeunesse vient de publier une nouvelle édition de l'ouvrage d'Erik l'Homme, Des pas dans la neige. L'occasion de se replonger dans ce roman d'aventure qui détonne dans la bibliographie de son auteur.

Erik L'Homme s'est spécialisé dans la littérature jeunesse et a publié en particulier Le livre des étoiles, un succès de librairie vendu à plus de 600000 exemplaires, primé au Festival de géographie de Saint-Dié-les-Vosges et traduit en plusieurs langues. Son récit au Pakistan n'est pas, à l'inverse de ses autres publications, à classer dans le fantastique, bien que le moteur de l'histoire mobilise une créature imaginaire : l'homme sauvage.

Erik, son frère Yannick, photographe, et leur ami Jordi Magraner (aujourd'hui décédé), s'envolent il y a une vingtaine d'années à la recherche de l'homme sauvage. Celui-ci serait un hominidé autre que Sapiens et qui n'aurait pas connu notre évolution. On le retrouve dans le mythe du Yéti ou en Amérique du nord de « Big foot » mais il ne faut pas confondre le Yéti de Tintin et l'homme sauvage dont il est question ici, appelé barmanou par les Chitrali, une population du Pakistan avec laquelle l'auteur et ses acolytes vont nouer de nombreux contacts.

Le livre se dévore tellement il est passionnant. Je ne sais pas pour autant si il est tellement adapté aux jeunes lecteurs étant donné qu'Erik L'Homme décrit des territoires inconnus et s'autorise des digressions un peu complexes autant sur la géopolitique, la décroissance ou notre regard occidental sur le monde. Il sera assez adapté à des lycéens ou à des collégiens déjà éveillés. Les adultes ne s'ennuieront pas bien que certains critiques semblent trouver le récit un peu trop descriptif.

L'ouvrage nous rappelle d'emblée que « […] tout est affaire de regard, du regard qu'on porte sur le monde. » et c'est de cela dont il est question ici. D'une aventure qui peut paraître assez folle mais qui va pourtant permettre à nos trois protagonistes de découvrir qui ils sont. Ces trois Occidentaux, isolés dans des territoires hostiles, souvent à une haute altitude, à l'écart du confort moderne et confrontés à des populations aux langues, aux traditions et donc aux représentations très différentes nous adressent une leçon d'humilité. Loin de vanter un monde gris et sans âme, Des pas dans la neige nous narre un monde fragile où la diversité des cultures enracinées fait la richesse de notre planète. Une diversité souvent fragile et conflictuelle, en particulier en raison de l'islam. La survie du peuple Kalash par exemple, auquel Jordi Magraner va ensuite dédier sa vie avant d'être tué le 2 août 2002 par les talibans, se pose clairement dans l'ouvrage.

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L'esprit qui anime les trois protagonistes nous rappellera Sylvain Tesson, c'est à dire ce type d'hommes qui vivent en marge de l'aventure. Comme l'écrit Erik L'Homme, « c'est aujourd'hui dans les marges, j'en suis persuadé, que se dissimulent les derniers hommes libres. ». Les chemins noirs de Tesson dans notre hexagone vont dans le même sens que les pas dans la neige d'Erik L'Homme.

Que sont ces pas ? Ceux d'un « homme sauvage » insaisissable, nous rappelant qu'au final, l'homme n'a pas simplement domestiqué la faune et la flore depuis le néolithique mais qu'il s'est domestiqué lui-même. Le barmanou, si il existe, mais les témoignages récoltés plaident en faveur de cette thèse un peu loufoque, incarne cette liberté sauvage des premiers hominidés. Nos plus lointaines origines, bien avant les impôts ou le recensement et plus encore avant les supermarchés et les bouchons sur les autoroutes. Cette quête est celle d'une liberté retrouvée, mais cette liberté a un prix : la fragilité de l'existence. Les conditions de vie difficile, l'absence de la médecine, se font ressentir et nos amis en sauront quelque chose.

ErikLHomme.jpgL'ouvrage d'Erik L'Homme nous prouve qu'il est encore possible de faire des choix, de vivre une autre existence, une existence qui n'est accessible qu'à quelques uns. Mais l'ouvrage ne saurait se résumer à cela et il s'agit d'une enquête menée avec sérieux, notamment par Jordi Magraner. Ce dernier va d'ailleurs publier un mémoire, Les hominidés reliques d'Asie centrale (http://daruc.pagesperso-orange.fr/hominidesreliquesasiece...). Certains de ses croquis représentant le barmanou sont dans l'ouvrage. Le livre peut sonner comme un hommage à ce grand défenseur du peuple Kalash. Un peuple qui n'intéresse pas grand monde dans notre Occident pourtant si plein de bonnes âmes, toujours promptes à verser une larme pour les malheureux du « tiers-monde »...

On n'a pas de mal à deviner qu'il n'a pas du être facile pour Erik L'Homme de recomposer le puzzle de sa mémoire et de faire remonter à la surface les souvenirs enfouis, les bons comme les mauvais. Le récit est en tous les cas d'une grande cohérence, sans longueurs inutiles, sans apitoiement, sans moraline et avec une vraie dose de lucidité. La vie, la vraie, se forge dans l'épreuve, et dans toutes les aventures que nous pouvons traverser. Celles-ci démarrent souvent par un pas de côté et sont une affaire de regard. Il n'est peut-être pas nécessaire de partir au Pakistan pour vivre des aventures et être libre, mais il n'est pas possible de vivre des aventures et d'être libre si on regarde le monde en captif.

Jean/ C.N.C.

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vendredi, 18 novembre 2016

George Orwell: A Life in Pictures Full Documentary

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George Orwell: A Life in Pictures Full Documentary 

George Orwell: A Life in Pictures is a 2003 BBC Television docudrama telling the life story of the British author George Orwell. Chris Langham plays the part of Orwell. No surviving sound recordings or video of the real George Orwell have been found.



Awards:
International Emmy 2004 for Best Arts Programme
Grierson Award 2004 for Best Documentary on the Arts