Avant-propos : Passionnante découverte: Alexandre Zinoviev (1922-2006), auteur russe qui décrit dans cet entretien sa vision de la réorganisation du monde devenu unipolaire et post-démocratique.
Cet entretien a lieu en 1999 ! Vous serez surpris de la pertinence de ses réflexions presque 17 ans plus tard. Il y décrit l’évolution de l’Occident libéral vers une démocratie totalitaire.
Comme la domination planétaire est unipolaire (pas de contre-poids), on peut craindre des dérives totalitaires piégeant les peuples qui ne peuvent plus s’appuyer sur une aide venue de l’extérieur. Le détricotage des acquis sociaux est alors inéluctable.
Nous pouvons ajouter à ce constat visionnaire et cinglant de Zinoviev, tout l’axe de la technologie, de la robotique et surtout du transhumanisme non abordé dans cet entretien et qui ne manque pas de nous inquiéter dans le cadre de l’ampleur potentielle des dérives attendues.
Liliane Held-Khawam

Entretien réalisé par Victor Loupan à Munich, en juin 1999, quelques jours avant le retour définitif d’Alexandre Zinoviev en Russie ; extrait de « La grande rupture », aux éditions l’Âge d’Homme.
Victor Loupan : Avec quels sentiments rentrez-vous après un exil aussi long ?
Alexandre Zinoviev : Avec celui d’avoir quitté une puissance respectée, forte, crainte même, et de retrouver un pays vaincu, en ruines. Contrairement à d’autres, je n’aurais jamais quitté l’URSS, si on m’avait laissé le choix. L’émigration a été une vraie punition pour moi.
V. L. : On vous a pourtant reçu à bras ouverts !
A. Z. : C’est vrai. Mais malgré l’accueil triomphal et le succès mondial de mes livres, je me suis toujours senti étranger ici.
V. L. : Depuis la chute du communisme, c’est le système occidental qui est devenu votre principal objet d’étude et de critique. Pourquoi ?
A. Z. : Parce que ce que j’avais dit est arrivé : la chute du communisme s’est transformée en chute de la Russie. La Russie et le communisme étaient devenus une seule et même chose.
V. L. : La lutte contre le communisme aurait donc masqué une volonté d’élimination de la Russie ?
A. Z. : Absolument. La catastrophe russe a été voulue et programmée ici, en Occident. Je le dis, car j’ai été, à une certaine époque, un initié. J’ai lu des documents, participé à des études qui, sous prétexte de combattre une idéologie, préparaient la mort de la Russie. Et cela m’est devenu insupportable au point où je ne peux plus vivre dans le camp de ceux qui détruisent mon pays et mon peuple. L’Occident n’est pas une chose étrangère pour moi, mais c’est une puissance ennemie.

V. L. : Seriez-vous devenu un patriote ?
A. Z. : Le patriotisme, ce n’est pas mon problème. J’ai reçu une éducation internationaliste et je lui reste fidèle. Je ne peux d’ailleurs pas dire si j’aime ou non la Russie et les Russes. Mais j’appartiens à ce peuple età ce pays. J’en fais partie. Les malheurs actuels de mon peuple sont tels, que je ne peux continuer à les contempler de loin. La brutalité de la mondialisation met en évidence des choses inacceptables.
V. L. : Les dissidents soviétiques parlaient pourtant comme si leur patrie était la démocratie et leur peuple les droits de l’homme. Maintenant que cette manière de voir est dominante en Occident, vous semblez la combattre. N’est-ce pas contradictoire ?
A. Z. : Pendant la guerre froide, la démocratie était une arme dirigée contre le totalitarisme communiste, mais elle avait l’avantage d’exister. On voit d’ailleurs aujourd’hui que l’époque de la guerre froide a été un point culminant de l’histoire de l’Occident. Un bien être sans pareil, de vraies libertés, un extraordinaire progrès social, d’énormes découvertes scientifiques et techniques, tout y était ! Mais, l’Occident se modifiait aussi presqu’imperceptiblement. L’intégration timide des pays développés, commencée alors, constituait en fait les prémices de la mondialisation de l’économie et de la globalisation du pouvoir auxquels nous assistons aujourd’hui. Une intégration peut être généreuse et positive si elle répond, par exemple, au désir légitime des nations-soeurs de s’unir. Mais celle-ci a, dès le départ, été pensée en termes de structures verticales, dominées par un pouvoir supranational. Sans le succès de la contre-révolution russe, il n’aurait pu se lancer dans la mondialisation.
V. L. : Le rôle de Gorbatchev n’a donc pas été positif ?
A. Z. : Je ne pense pas en ces termes-là. Contrairement à l’idée communément admise, le communisme soviétique ne s’est pas effondré pour des raisons internes. Sa chute est la plus grande victoire de l’histoire de l’Occident ! Victoire colossale qui, je le répète, permet l’instauration d’un pouvoir planétaire. Mais la fin du communisme a aussi marqué la fin de la démocratie.
Notre époque n’est pas que post-communiste, elle est aussi post-démocratique.
Nous assistons aujourd’hui à l’instauration du totalitarisme démocratique ou, si vous préférez, de la démocratie totalitaire.
V. L. : N’est-ce pas un peu absurde ?
A. Z. : Pas du tout. La démocratie sous-entend le pluralisme. Et le pluralisme suppose l’opposition d’au moins deux forces plus ou moins égale ; forces qui se combattent et s’influencent en même temps. Il y avait, à l’époque de la guerre froide, une démocratie mondiale, un pluralisme global au sein duquel coexistaient le système capitaliste, le système communiste et même une structure plus vague mais néanmoins vivante, les non-alignés. Le totalitarisme soviétique était sensible aux critiques venant de l’Occident. L’Occident subissait lui aussi l’influence de l’URSS, par l’intermédiaire notamment de ses propres partis communistes. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dominé par une force unique, par une idéologie unique, par un parti unique mondialiste. La constitution de ce dernier a débuté, elle aussi, à l’époque de la guerre froide, quand des superstructures transnationales ont progressivement commencé à se constituer sous les formes les plus diverses : sociétés commerciales, bancaires, politiques, médiatiques. Malgré leurs différents secteurs d’activités, ces forces étaient unies par leur nature supranationale. Avec la chute du communisme, elles se sont retrouvées aux commandes du monde. Les pays occidentaux sont donc dominateurs, mais aussi dominés, puisqu’ils perdent progressivement leur souveraineté au profit de ce que j’appelle la « suprasociété ». Suprasociété planétaire, constituée d’entreprises commerciales et d’organismes non-commerciaux, dont les zones d’influence dépassent les nations. Les pays occidentaux sont soumis, comme les autres, au contrôle de ces structures supranationales. Or, la souveraineté des nations était, elle aussi, une partie constituante du pluralisme et donc de la démocratie, à l’échelle de la planète. Le pouvoir dominant actuel écrase les états souverains. L’intégration de l’Europe qui se déroule sous nos yeux, provoque elle aussi la disparition du pluralisme au sein de ce nouveau conglomérat, au profit d’un pouvoir supranational.

V. L. : Mais ne pensez-vous pas que la France ou l’Allemagne continuent à être des pays démocratiques ?
A. Z. : Les pays occidentaux ont connu une vraie démocratie à l’époque de la guerre froide. Les partis politiques avaient de vraies divergences idéologiques et des programmes politiques différents. Les organes de presse avaient des différences marquées, eux aussi. Tout cela influençait la vie des gens, contribuait à leur bien-être. C’est bien fini. Parce que le capitalisme démocratique et prospère, celui des lois sociales et des garanties d’emploi devait beaucoup à l’épouvantail communiste. L’attaque massive contre les droits sociaux à l’Ouest a commencé avec la chute du communisme à l’Est. Aujourd’hui, les socialistes au pouvoir dans la plupart des pays d’Europe, mènent une politique de démantèlement social qui détruit tout ce qu’il y avait de socialiste justement dans les pays capitalistes.
Il n’existe plus, en Occident, de force politique capable de défendre les humbles.
L’existence des partis politiques est purement formelle. Leurs différences s’estompent chaque jour davantage. La guerre des Balkans était tout sauf démocratique. Elle a pourtant été menée par des socialistes, historiquement opposés à ce genre d’aventures. Les écologistes, eux aussi au pouvoir dans plusieurs pays, ont applaudi au désastre écologique provoqué par les bombardements de l’OTAN. Ils ont même osé affirmer que les bombes à uranium appauvri n’étaient pas dangereuses alors que les soldats qui les chargent portent des combinaisons spéciales. La démocratie tend donc aussi à disparaître de l’organisation sociale occidentale. Le totalitarisme financier a soumis les pouvoirs politiques. Le totalitarisme financier est froid. Il ne connaît ni la pitié ni les sentiments. Les dictatures politiques sont pitoyables en comparaison avec la dictature financière. Une certaine résistance était possible au sein des dictatures les plus dures. Aucune révolte n’est possible contre la banque.
V. L. : Et la révolution ?
A. Z. : Le totalitarisme démocratique et la dictature financière excluent la révolution sociale.
V. L. : Pourquoi ?
A. Z. : Parce qu’ils combinent la brutalité militaire toute puissante et l’étranglement financier planétaire. Toutes les révolutions ont bénéficié de soutien venu de l’étranger. C’est désormais impossible, par absence de pays souverains. De plus, la classe ouvrière a été remplacée au bas de l’échelle sociale, par la classe des chômeurs. Or que veulent les chômeurs ? Un emploi. Ils sont donc, contrairement à la classe ouvrière du passé, dans une situation de faiblesse.

V. L. : Les systèmes totalitaires avaient tous une idéologie. Quelle est celle de cette nouvelle société que vous appelez post-démocratique ?
A. Z. : Les théoriciens et les politiciens occidentaux les plus influents considèrent que nous sommes entrés dans une époque post-idéologique. Parce qu’ils sous-entendent par « idéologie » le communisme, le fascisme, le nazisme, etc. En réalité, l’idéologie, la supraidéologie du monde occidental, développée au cours des cinquante dernières années, est bien plus forte que le communisme ou le national-socialisme. Le citoyen occidental en est bien plus abruti que ne l’était le soviétique moyen par la propagande communiste. Dans le domaine idéologique, l’idée importe moins que les mécanismes de sa diffusion. Or la puissance des médias occidentaux est, par exemple, incomparablement plus grande que celle, énorme pourtant, du Vatican au sommet de son pouvoir. Et ce n’est pas tout : le cinéma, la littérature, la philosophie, tous les moyens d’influence et de diffusion de la culture au sens large vont dans le même sens. A la moindre impulsion, ceux qui travaillent dans ces domaines réagissent avec un unanimisme qui laisse penser à des ordres venant d’une source de pouvoir unique. (…)
V. L. : Mais cette « supraidéologie » ne propage-t-elle pas aussi la tolérance et le respect ?
A. Z. : Quand vous écoutez les élites occidentales, tout est pur, généreux, respectueux de la personne humaine. Ce faisant, elles appliquent une règle classique de la propagande : masquer la réalité par le discours. Car il suffit d’allumer la télévision, d’aller au cinéma, d’ouvrir les livres à succès, d’écouter la musique la plus diffusée, pour se rendre compte que ce qui est propagé en réalité c’est le culte du sexe, de la violence et de l’argent. Le discours noble et généreux est donc destiné à masquer ces trois piliers – il y en a d’autres – de la démocratie totalitaire.
V. L. : Mais que faites-vous des droits de l’homme ? Ne sont-ils pas respectés en Occident bien plus qu’ailleurs ?
A. Z. : L’idée des droits de l’homme est désormais soumise elle aussi à une pression croissante. L’idée, purement idéologique, selon laquelle ils seraient innés et inaltérables ne résisterait même pas à un début d’examen rigoureux. Je suis prêt à soumettre l’idéologie occidentale à l’analyse scientifique, exactement comme je l’ai fait pour le communisme. Ce sera peut-être un peu long pour un entretien.
V. L. : N’a-t-elle pas une idée maîtresse ?
A. Z. : C’est le mondialisme, la globalisation. Autrement dit : la domination mondiale. Et comme cette idée est assez antipathique, on la masque sous le discours plus vague et généreux d’unification planétaire, de transformation du monde en un tout intégré. C’est le vieux masque idéologique soviétique ; celui de l’amitié entre les peuples, « amitié » destinée à couvrir l’expansionnisme. En réalité, l’Occident procède actuellement à un changement de structure à l’échelle planétaire. D’un côté, la société occidentale domine le monde de la tête et des épaules et de l’autre, elle s’organise elle-même verticalement, avec le pouvoir supranational au sommet de la pyramide.
V. L. : Un gouvernement mondial ?
A. Z. : Si vous voulez.
V. L. : Croire cela n’est-ce-pas être un peu victime du fantasme du complot ?
A. Z. : Quel complot ? Il n’y a aucun complot. Le gouvernement mondial est dirigé par les gouverneurs des structures supranationales commerciales, financières et politiques connues de tous. Selon mes calculs, une cinquantaine de millions de personnes fait déjà partie de cette suprasociété qui dirige le monde. Les États-Unis en sont la métropole. Les pays d’Europe occidentale et certains anciens « dragons » asiatiques, la base. Les autres sont dominés suivant une dure gradation économico-financière. Ça, c’est la réalité. La propagande, elle, prétend qu’un gouvernement mondial contrôlé par un parlement mondial serait souhaitable, car le monde est une vaste fraternité. Ce ne sont là que des balivernes destinées aux populations.

V. L. : Le Parlement européen aussi ?
A. Z. : Non, car le Parlement européen existe. Mais il serait naïf de croire que l’union de l’Europe s’est faite parce que les gouvernements des pays concernés l’ont décidé gentiment. L’Union européenne est un instrument de destruction des souverainetés nationales. Elle fait partie des projets élaborés par les organismes supranationaux.
V. L. : La Communauté européenne a changé de nom après la destruction de l’Union soviétique. Elle s’est appelée Union européenne, comme pour la remplacer. Après tout, il y avait d’autres noms possibles. Aussi, ses dirigeants s’appellent-ils « commissaires », comme les Bolcheviks. Ils sont à la tête d’une « Commission », comme les Bolcheviks. Le dernier président a été « élu » tout en étant candidat unique.
A. Z. : Il ne faut pas oublier que des lois régissent l’organisation sociale. Organiser un million d’hommes c’est une chose, dix millions c’en est une autre, cent millions, c’est bien plus compliqué encore. Organiser cinq cent millions est une tâche immense. Il faut créer de nouveaux organismes de direction, former des gens qui vont les administrer, les faire fonctionner. C’est indispensable. Or l’Union soviétique est, en effet, un exemple classique de conglomérat multinational coiffé d’une structure dirigeante supranationale. L’Union européenne veut faire mieux que l’Union soviétique ! C’est légitime. J’ai déjà été frappé, il y a vingt ans, de voir à quel point les soi-disant tares du système soviétique étaient amplifiées en Occident.
V. L. : Par exemple ?
A. Z. : La planification ! L’économie occidentale est infiniment plus planifiée que ne l’a jamais été l’économie soviétique. La bureaucratie ! En Union Soviétique 10 % à 12 % de la population active travaillaient dans la direction et l’administration du pays. Aux États Unis, ils sont entre 16 % et 20 %. C’est pourtant l’URSS qui était critiquée pour son économie planifiée et la lourdeur de son appareil bureaucratique ! Le Comité central du PCUS employait deux mille personnes. L’ensemble de l’appareil du Parti communiste soviétique était constitué de 150000 salariés. Vous trouverez aujourd’hui même, en Occident, des dizaines voire des centaines d’entreprises bancaires et industrielles qui emploient un nombre bien plus élevé de gens. L’appareil bureaucratique du Parti communiste soviétique était pitoyable en comparaison avec ceux des grandes multinationales. L’URSS était en réalité un pays sous-administré. Les fonctionnaires de l’administration auraient dû être deux à trois fois plus nombreux. L’Union européenne le sait, et en tient compte. L’intégration est impossible sans la création d’un très important appareil administratif.
V. L. : Ce que vous dites est contraire aux idées libérales, affichées par les dirigeants européens. Pensez-vous que leur libéralisme est de façade ?
A. Z. : L’administration a tendance à croître énormément. Cette croissance est dangereuse, pour elle-même. Elle le sait. Comme tout organisme, elle trouve ses propres antidotes pour continuer à prospérer. L’initiative privée en est un. La morale publique et privée, un autre. Ce faisant, le pouvoir lutte en quelque sorte contre ses tendances à l’auto-déstabilisation. Il a donc inventé le libéralisme pour contrebalancer ses propres lourdeurs. Et le libéralisme a joué, en effet, un rôle historique considérable. Mais il serait absurde d’être libéral aujourd’hui. La société libérale n’existe plus. Sa doctrine est totalement dépassée à une époque de concentrations capitalistiques sans pareil dans l’histoire. Les mouvements d’énormes masses financières ne tiennent compte ni des intérêts des États ni de ceux des peuples, peuples composés d’individus. Le libéralisme sous-entend l’initiative personnelle et le risque financier personnel. Or, rien ne se fait aujourd’hui sans l’argent des banques. Ces banques, de moins en moins nombreuses d’ailleurs, mènent une politique dictatoriale, dirigiste par nature. Les propriétaires sont à leur merci, puisque tout est soumis au crédit et donc au contrôle des puissances financières. L’importance des individus, fondement du libéralisme, se réduit de jour en jour. Peu importe aujourd’hui qui dirige telle ou telle entreprise ; ou tel ou tel pays d’ailleurs. Bush ou Clinton, Kohl ou Schröder, Chirac ou Jospin, quelle importance ? Ils mènent et mèneront la même politique.
V. L. : Les totalitarismes du XXe siècle ont été extrêmement violents. On ne peut dire la même chose de la démocratie occidentale.
A. Z. : Ce ne sont pas les méthodes, ce sont les résultats qui importent. Un exemple ? L’URSS a perdu vingt million d’hommes et subi des destructions considérables, en combattant l’Allemagne nazie. Pendant la guerre froide, guerre sans bombes ni canons pourtant, ses pertes, sur tous les plans, ont été bien plus considérables ! La durée de vie des Russes a chuté de dix ans dans les dix dernières années. La mortalité dépasse la natalité de manière catastrophique. Deux millions d’enfants ne dorment pas à la maison. Cinq millions d’enfants en âge d’étudier ne vont pas à l’école. Il y a douze millions de drogués recensés. L’alcoolisme s’est généralisé. 70 % des jeunes ne sont pas aptes au service militaire à cause de leur état physique. Ce sont là des conséquences directes de la défaite dans la guerre froide, défaite suivie par l’occidentalisation. Si cela continue, la population du pays descendra rapidement de cent-cinquante à cent, puis à cinquante millions d’habitants. Le totalitarisme démocratique surpassera tous ceux qui l’ont précédé.

V. L. : En violence ?
A. Z. : La drogue, la malnutrition, le sida sont plus efficaces que la violence guerrière. Quoique, après la guerre froide dont la force de destruction a été colossale, l’Occident vient d’inventer la « guerre pacifique ». L’Irak et la Yougoslavie sont deux exemples de réponse disproportionnée et de punition collective, que l’appareil de propagande se charge d’habiller en « juste cause » ou en « guerre humanitaire ». L’exercice de la violence par les victimes contre elles-mêmes est une autre technique prisée. La contre-révolution russe de 1985 en est un exemple. Mais en faisant la guerre à la Yougoslavie, les pays d’Europe occidentale l’ont faite aussi à eux-mêmes.
V. L. : Selon vous, la guerre contre la Serbie était aussi une guerre contre l’Europe ?
A. Z. : Absolument. Il existe, au sein de l’Europe, des forces capables de lui imposer d’agir contre elle-même. La Serbie a été choisie, parce qu’elle résistait au rouleau compresseur mondialiste. La Russie pourrait être la prochaine sur la liste. Avant la Chine.
V. L. : Malgré son arsenal nucléaire ?
A. Z. : L’arsenal nucléaire russe est énorme mais dépassé. De plus, les Russes sont moralement prêts à être conquis. A l’instar de leurs aïeux qui se rendaient par millions dans l’espoir de vivre mieux sous Hitler que sous Staline, ils souhaitent même cette conquête, dans le même espoir fou de vivre mieux. C’est une victoire idéologique de l’Occident. Seul un lavage de cerveau peut obliger quelqu’un à voir comme positive la violence faite à soi-même. Le développement des mass-media permet des manipulations auxquelles ni Hitler ni Staline ne pouvaient rêver. Si demain, pour des raisons « X », le pouvoir supranational décidait que, tout compte fait, les Albanais posent plus de problèmes que les Serbes, la machine de propagande changerait immédiatement de direction, avec la même bonne conscience. Et les populations suivraient, car elles sont désormais habituées à suivre. Je le répète : on peut tout justifier idéologiquement. L’idéologie des droits de l’homme ne fait pas exception. Partant de là, je pense que le XXIe siècle dépassera en horreur tout ce que l’humanité a connu jusqu’ici. Songez seulement au futur combat contre le communisme chinois. Pour vaincre un pays aussi peuplé, ce n’est ni dix ni vingt mais peut-être cinq cent millions d’individus qu’il faudra éliminer. Avec le développement que connaît actuellement la machine de propagande ce chiffre est tout à fait atteignable. Au nom de la liberté et des droits de l’homme, évidemment. A moins qu’une nouvelle cause, non moins noble, sorte de quelque institution spécialisée en relations publiques.
V. L. : Ne pensez-vous pas que les hommes et les femmes peuvent avoir des opinions, voter, sanctionner par le vote ?
A. Z. : D’abord les gens votent déjà peu et voteront de moins en moins. Quant à l’opinion publique occidentale, elle est désormais conditionnée par les médias. Il n’y a qu’à voir le oui massif à la guerre du Kosovo. Songez donc à la guerre d’Espagne ! Les volontaires arrivaient du monde entier pour combattre dans un camp comme dans l’autre. Souvenez-vous de la guerre du Vietnam. Les gens sont désormais si conditionnés qu’ils ne réagissent plus que dans le sens voulu par l’appareil de propagande.
V. L. : L’URSS et la Yougoslavie étaient les pays les plus multiethniques du monde et pourtant ils ont été détruits. Voyez-vous un lien entre la destruction des pays multiethniques d’un côté et la propagande de la multiethnicité de l’autre ?
A. Z. : Le totalitarisme soviétique avait créé une vraie société multinationale et multiethnique. Ce sont les démocraties occidentales qui ont fait des efforts de propagande surhumains, à l’époque de la guerre froide, pour réveiller les nationalismes. Parce qu’elles voyaient dans l’éclatement de l’URSS le meilleur moyen de la détruire. Le même mécanisme a fonctionné en Yougoslavie. L’Allemagne a toujours voulu la mort de la Yougoslavie. Unie, elle aurait été plus difficile à vaincre. Le système occidental consiste à diviser pour mieux imposer sa loi à toutes les parties à la fois, et s’ériger en juge suprême. Il n’y a pas de raison pour qu’il ne soit pas appliqué à la Chine. Elle pourrait être divisée, en dizaines d’États.
V. L. : La Chine et l’Inde ont protesté de concert contre les bombardements de la Yougoslavie. Pourraient-elles éventuellement constituer un pôle de résistance ? Deux milliards d’individus, ce n’est pas rien !
A. Z. : La puissance militaire et les capacités techniques de l’Occident sont sans commune mesure avec les moyens de ces deux pays.
V. L. : Parce que les performances du matériel de guerre américain en Yougoslavie vous ont impressionné ?
A. Z. : Ce n’est pas le problème. Si la décision avait été prise, la Serbie aurait cessé d’exister en quelques heures. Les dirigeants du Nouvel ordre mondial ont apparemment choisi la stratégie de la violence permanente. Les conflits locaux vont se succéder pour être arrêtés par la machine de « guerre pacifique » que nous venons de voir à l’oeuvre. Cela peut, en effet, être une technique de management planétaire. L’Occident contrôle la majeure partie des ressources naturelles mondiales. Ses ressources intellectuelles sont des millions de fois supérieures à celles du reste de la planète. C’est cette écrasante supériorité qui détermine sa domination technique, artistique, médiatique, informatique, scientifique dont découlent toutes les autres formes de domination. Tout serait simple s’il suffisait de conquérir le monde. Mais il faut encore le diriger. C’est cette question fondamentale que les Américains essaient maintenant de résoudre. C’est cela qui rend « incompréhensibles » certaines actions de la « communauté internationale ». Pourquoi Saddam est-il toujours là ? Pourquoi Karadzic n’est-il toujours pas arrêté ? Voyez-vous, à l’époque du Christ, nous étions peut-être cent millions sur l’ensemble du globe. Aujourd’hui, le Nigeria compte presqu’autant d’habitants ! Le milliard d’Occidentaux et assimilés va diriger le reste du monde. Mais ce milliard devra être dirigé à son tour. Il faudra probablement deux cent millions de personnes pour diriger le monde occidental. Il faut les sélectionner, les former. Voilà pourquoi la Chine est condamnée à l’échec dans sa lutte contre l’hégémonie occidentale. Ce pays sous-administré n’a ni les capacités économiques ni les ressources intellectuelles pour mettre en place un appareil de direction efficace, composé de quelque trois cent millions d’individus. Seul l’Occident est capable de résoudre les problèmes de management à l’échelle de la planète. Cela se met déjà en place. Les centaines de milliers d’Occidentaux se trouvant dans les anciens pays communistes, en Russie par exemple, occupent dans leur écrasante majorité des postes de direction. La démocratie totalitaire sera aussi une démocratie coloniale.
V. L. : Pour Marx, la colonisation était civilisatrice. Pourquoi ne le serait-elle pas à nouveau ?
A. Z. : Pourquoi pas, en effet ? Mais pas pour tout le monde. Quel est l’apport des Indiens d’Amérique à la civilisation ? Il est presque nul, car ils ont été exterminés, écrasés. Voyez maintenant l’apport des Russes ! L’Occident se méfiait d’ailleurs moins de la puissance militaire soviétique que de son potentiel intellectuel, artistique, sportif. Parce qu’il dénotait une extraordinaire vitalité. Or c’est la première chose à détruire chez un ennemi. Et c’est ce qui a été fait. La science russe dépend aujourd’hui des financements américains. Et elle est dans un état pitoyable, car ces derniers n’ont aucun intérêt à financer des concurrents. Ils préfèrent faire travailler les savants russes aux USA. Le cinéma soviétique a été lui aussi détruit et remplacé par le cinéma américain. En littérature, c’est la même chose. La domination mondiale s’exprime, avant tout, par le diktat intellectuel ou culturel si vous préférez. Voilà pourquoi les Américains s’acharnent, depuis des décennies, à baisser le niveau culturel et intellectuel du monde : ils veulent le ramener au leur pour pouvoir exercer ce diktat.
V. L. : Mais cette domination, ne serait-elle pas, après tout, un bien pour l’humanité ?
A. Z. : Ceux qui vivront dans dix générations pourront effectivement dire que les choses se sont faites pour le bien de l’humanité, autrement dit pour leur bien à eux. Mais qu’en est-il du Russe ou du Français qui vit aujourd’hui ? Peut-il se réjouir s’il sait que l’avenir de son peuple pourrait être celui des Indiens d’Amérique ? Le terme d’Humanité est une abstraction. Dans la vie réelle il y a des Russes, des Français, des Serbes, etc. Or si les choses continuent comme elles sont parties, les peuples qui ont fait notre civilisation, je pense avant tout aux peuples latins, vont progressivement disparaître. L’Europe occidentale est submergée par une marée d’étrangers. Nous n’en avons pas encore parlé, mais ce n’est ni le fruit du hasard, ni celui de mouvements prétendument incontrôlables. Le but est de créer en Europe une situation semblable à celle des États-Unis. Savoir que l’humanité va être heureuse, mais sans Français, ne devrait pas tellement réjouir les Français actuels. Après tout, laisser sur terre un nombre limité de gens qui vivraient comme au Paradis, pourrait être un projet rationnel. Ceux-là penseraient d’ailleurs sûrement que leur bonheur est l’aboutissement de la marche de l’histoire. Non, il n’est de vie que celle que nous et les nôtres vivons aujourd’hui.
V. L. : Le système soviétique était inefficace. Les sociétés totalitaires sont-elles toutes condamnées à l’inefficacité ?
A. Z. : Qu’est-ce que l’efficacité ? Aux États-Unis, les sommes dépensées pour maigrir dépassent le budget de la Russie. Et pourtant le nombre des gros augmente. Il y a des dizaines d’exemples de cet ordre.
V. L. : Peut-on dire que l’Occident vit actuellement une radicalisation qui porte les germes de sa propre destruction ?
A. Z. : Le nazisme a été détruit dans une guerre totale. Le système soviétique était jeune et vigoureux. Il aurait continué à vivre s’il n’avait pas été combattu de l’extérieur. Les systèmes sociaux ne s’autodétruisent pas. Seule une force extérieure peut anéantir un système social. Comme seul un obstacle peut empêcher une boule de rouler. Je pourrais le démontrer comme on démontre un théorème. Actuellement, nous sommes dominés par un pays disposant d’une supériorité économique et militaire écrasante. Le Nouvel ordre mondial se veut unipolaire. Si le gouvernement supranational y parvenait, n’ayant aucun ennemi extérieur, ce système social unique pourrait exister jusqu’à la fin des temps. Un homme seul peut être détruit par ses propres maladies. Mais un groupe, même restreint, aura déjà tendance à se survivre par la reproduction. Imaginez un système social composé de milliards d’individus ! Ses possibilités de repérer et d’arrêter les phénomènes autodestructeurs seront infinies. Le processus d’uniformisation du monde ne peut être arrêté dans l’avenir prévisible. Car le totalitarisme démocratique est la dernière phase de l’évolution de la société occidentale, évolution commencée à la Renaissance.

Biographie d’Alexandre Zinoviev
Alexandre Zinoviev est né dans un village de la région de Kostroma (URSS). Ses parents (le père est peintre en bâtiment) emménagent à Moscou. Alexandre qui montre de grandes capacités entre à l’Institut de philosophie, littérature et histoire de Moscou en 1939. Ses activités clandestines de critique de la construction du socialisme lui valent d’être exclu de l’Institut. Arrêté, puis évadé, il vit une année d’errance avant de s’enrôler dans l’Armée Rouge où il finit la Seconde Guerre mondiale comme aviateur et décoré de l’ordre de l’Étoile rouge.
Entré à la faculté de philosophie de l’Université d’État de Moscou en 1946, Alexandre Zinoviev obtient en 1951 son diplôme avec mention. En 1954 il soutient une thèse de doctorat sur le thème de la logique dans Le Capital de Karl Marx, puis devient, l’année suivante, collaborateur scientifique de l’Institut de philosophie de l’Académie des sciences d’URSS.
Alexandre Zinoviev est nommé professeur et directeur de la chaire de logique de l’Université d’Etat de Moscou en 1960. Il publie de nombreux livres et articles scientifiques de renommée internationale (ses oeuvres majeures ayant toutes été traduites à destination de l’Occident). Souvent invité à des conférences à l’étranger, il décline cependant toutes ces invitations.
Après avoir refusé de renvoyer deux enseignants Alexandre Zinoviev est démis de son poste de professeur et de directeur de la chaire de logique. En 1976, pour avoir voulu publier Hauteurs béantes, un recueil de textes ironiques sur la vie en Union soviétique, il se voit proposer par les organes de sécurité le choix entre la prison et l’exil. Avec sa famille, il trouve refuge à Munich où il accomplit diverses tâches scientifiques ou littéraires.
Révolté par la participation de la France et de l’Europe occidentale aux opérations de l’OTAN contre la Serbie, Alexandre Zinoviev retourne en Russie en 1999. Dans son article « Quand a vécu Aristote ? », il soutient que les récits et écrits historiques ont toujours été de tout temps détournés, effacés, falsifiés au profit d’un vainqueur.
Source Liliane Held Khawam



On reprend donc Raskolnikoff dans ces pages immortelles :
« En un mot, je démontre que non seulement les grands hommes, mais tous ceux qui sortent tant soit peu de l’ornière, tous ceux qui sont capables de dire quelque chose de nouveau, même pas grand-chose, doivent, de par leur nature, être nécessairement plus ou moins des criminels. »
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Digg

- Pierre Joannon : Navré de vous décevoir ! Aucune goutte de sang irlandais ne coulait dans mes veines jusqu’à une date récente. En 1997, le Taoiseach(Premier ministre) de l’époque a dû sans doute estimer qu’il y avait là une lacune à combler, et il me fit octroyer la nationalité irlandaise, une reconnaissance dont je ne suis pas peu fier. On peut en tirer deux observations : que l’Irlande sait reconnaître les siens, et qu’on peut choisir ses racines au lieu de se contenter de les recevoir en héritage ! D’où me vient cette passion pour l’Irlande ? D’un voyage fortuit effectué au début des années soixante. J’ai eu le coup de foudre pour les paysages du Kerry et du Connemara qui correspondaient si exactement au pays rêvé que chacun porte en soi sans toujours avoir la chance de le rencontrer. Et le méditerranéen que je suis fut immédiatement séduit par ce peuple de conteurs disert, roublard et émouvant, prompt à passer du rire aux larmes avec un bonheur d’expression qui a disparu dans nos sociétés dites évoluées. L’histoire de cette île venait à point nommé répondre à certaines interrogations qui étaient les miennes au lendemain de la débâcle algérienne. Je me mis à lire tous les ouvrages qui me tombaient sous la main, tant en français qu’en anglais. Etudiant en droit, je consacrais ma thèse de doctorat d’Etat à la constitution de l’Etat Libre d’Irlande de 1922 et à la constitution de l’Eire concoctée par Eamon de Valera en 1937. Un premier livre sur l’Irlande, paru aux Editions Plon grâce à l’appui bienveillant de Marcel Jullian, me valut une distinction de l’Académie Française. A quelques temps de là, le professeur Patrick Rafroidi qui avait créé au sein de l’Université de Lille un Centre d’études et de recherches irlandaise unique en France, m’offrit de diriger avec lui la revue universitaire Etudes Irlandaises. En acceptant, je ne me doutais guère que j’en assumerai les fonctions de corédacteur en chef pendant vingt-huit ans. Je publiais, dans le même temps plusieurs ouvrages sur le nationalisme irlandais, sur le débarquement des Français dans le comté de Mayo en 1798, sur de Gaulle et ses rapports avec l’Irlande dont étaient originaires ses ancêtres Mac Cartan, sur Michael Collins et la guerre d’indépendance anglo-irlandaise de 1919-1921, sur John Hume et l’évolution du processus de paix nord-irlandais. J’organisais également plusieurs colloques sur la Verte Erin à la Sorbonne, au Collège de France, à l’UNESCO, à l’Académie de la Paix et de la Sécurité Internationale et à l’Université de Nice. Enfin, en 1989, je pris l’initiative de créer la branche française de la Confédération des Ireland Funds, la plus importante organisation internationale non gouvernementale d’aide à l’Irlande réunissant à travers le monde Irlandais de souche, Irlandais de la diaspora et amis de l’Irlande. Vecteur privilégié de l’amitié entre nos deux pays, l’Ireland Fund de France que je préside distribue des bourses à des étudiants des deux pays, subventionne des manifestations culturelles d’intérêt commun et participe activement à l’essor des relations bilatérales dans tous les domaines. Ainsi que vous pouvez le constater, l’Irlande a fait boule de neige dans ma vie, sans que cela ait été le moins du monde prémédité. Le hasard fait parfois bien les choses.
- C. G. :
- P. J. : Je suis bien en peine de vous répondre. Il existe tant de figures attachantes ou admirables : Parnell, Michael Collins, de Valera, John Hume aujourd’hui. Peut-être ai-je une prédilection pour Theobald Wolfe Tone, ce jeune avocat protestant qui fut, au dix-huitième siècle, « l’inventeur » du nationalisme irlandais après avoir échoué à intéresser les Anglais à un fumeux projet de colonisation. Il voulait émanciper les catholiques, mobiliser les protestants, liquider les dissensions religieuses au profit d’une conception éclairée de la citoyenneté, briser les liens de sujétion à l’Angleterre. Artisan de l’alliance franco-irlandaise il a laissé un merveilleux journal narrant ses aventures et ses intrigues dans le Paris du Directoire. On y découvre un jeune homme curieux, gai, aimant les femmes et le bon vin, fasciné par le théâtre et les défilés militaires, enthousiasmé par Hoche et beaucoup moins par Bonaparte. Capturé par les Anglais à la suite du piteux échec d’une tentative de débarquement français en Irlande, il sollicita de la cour martiale qui le jugeait la faveur d’être passé par les armes « pour avoir eu l’honneur de porter l’uniforme français ». Elle lui fut refusée : il fut condamné au gibet. La veille de l’exécution, il se trancha la gorge avec un canif et agonisa toute une semaine avant d’expirer le 19 novembre 1798.
Cinematographer Franz Lustig’s opening scenes confront even the most unsuspecting and ill-informed audience with the sight of an almost obliterated Hamburg filled with crumbling buildings. Raw footage shows, or at least intimates, that a deliberate and premeditated plan had achieved its desired effect of sending Germany back to the Stone Age. This plan, codenamed Operation Gomorrah, which was at the time the heaviest aerial assault ever undertaken, was later called “Germany’s Hiroshima” by British Bomber Command. Reel after reel offers shocking images: black-and white photo montages of the chaff-filled skies and the abhorrent results of the merciless firebombing that had raised a four-hundred-and-sixty-meter scorching-hot tornado that reached temperatures of up to eight hundred degrees Celsius, and swept over twenty-one square kilometers of the city. Carried out by Lancaster, Wellington, Stirling, and Halifax aircraft, their blockbuster bombs turned asphalt streets into rivers of flame, asphyxiating young and old alike in a sea of carbon monoxide, and as one eyewitness later recalled, it “sucked people like dry leaves into its molten heart.”
Stefan Lubert (Alexander Skarsgard), a widower, and his daughter Freda (Flora Thiemann), are the people whose palatial home Rachael has in effect invaded when it is requisitioned by the occupying forces to billet the Morgans. Rachael insists, “I want them out!”, which means in effect expelling them to the refugee camps. She also asks them difficult questions about a certain portrait that had only recently been removed from a place of honor over their fireplace and hurriedly replaced by another painting. These are petty acts of spiteful sadism that were no doubt common practice and openly endorsed by the non-fraternization code at that time, but in the context of the film’s narrative clearly signals more about Rachael’s own insecurities than it does about any misdemeanors or malicious intent on the part of those in whose home she resides.

Comme le remarqueront les lecteurs du Songe d’Empédocle, le jeune Padraig est du genre à avoir « la nuque raide », pour citer l’Ancien Testament, une fois n’est pas coutume. Je veux dire que ses origines hiberniennes et brabançonnes ne prédisposent en rien cet homme archaïque à la soumission, fût-elle grimée en divertissement festif, ni à la docile acceptation des dogmes, quelle que soit leur date de fabrication. Druide et barde à la fois, il ne peut que suffoquer dans l’étouffoir spirituel que représente son époque, définie en ces termes par le regretté Philippe Muray : « Le grand bain multicolore du consentir liquéfiant ».
J’en parle dans La Source pérenne, qui retrace mon itinéraire spirituel : en dégageant les ruines d’un sanctuaire païen du Bas Empire, en nettoyant tessons et monnaies de bronze portant la fière devise Soli invicto comiti, en reconstruisant les murs du fanum gallo-romain (car en plus d’être terrassier, j’ai aussi joué au maçon – l’archéologie comme humanisme intégral), j’ai pris conscience de mon identité profonde, antérieure. Ce paganisme ne m’a pas été « enseigné » stricto sensu puisque mon entourage était de tendance rationaliste. Je l’ai redécouvert seul… à moins que les Puissances – celles du sanctuaire ? – ne se soient servies de moi. Les lectures, les fouilles, le goût du latin puis du grec, des expériences de type panthéiste à l’adolescence dans nos forêts, tout cela a fait de moi un polythéiste dès l’âge de seize ans. Depuis, je n’ai pas dévié et n’ai aucunement l’intention de le faire : je creuse mon sillon, en loyal paganus.
En 1992, comme il n’existait aucune revue sur le paganisme qui correspondît à mes attentes de rigueur et d’ouverture, j’ai décidé de relancer Antaios, deuxième du nom, dans le but de défendre et d’illustrer la vision païenne du monde, et aussi, je le concède, de me faire quelques ennemis. Jünger m’a écrit pour m’encourager ; il me cite d’ailleurs dans l’ultime volume de ses mémoires, Soixante-dix s’efface. Pour son centième anniversaire en 1995, je lui ai fait parvenir la réplique en argent de la rouelle gallo-romaine qui servait d’emblème à Antaios.
Vous citez volontiers Ernst Jünger parmi vos maîtres, vos créanciers spirituels. Comment avez-vous rencontré son œuvre ?
Emil Cioran
A rare and stimulating combination in Cioran’s writings: unsentimental observation and intense pathos.
But fascism cannot work miracles. Politics must work with the human material and historical trajectory that one has. That is being true to oneself. To wish for total transformation and the tabula rasa is to invite disaster. Such revolutions are generally an exercise in self-harm. Once the passions and intoxications have settled, one finds the nation stunted and lessened: by civil war, by tyranny, by self-mutilation and deformation in the stubborn in the name of utopian goals. The historic gap with the ‘advanced’ nations is widened further still by the ordeal.
Mais avant cela, il faut tout d’abord revenir sur quelques caractéristiques majeurs, ainsi que quelques grands thèmes présents,pour ne pas dire constitutifs, de l’œuvre de Lovecraft. Évidemment il y a tout d’abord ces entités primordiales monstrueuses, ces abominations répondant aux noms de Yog-Sothoth, Nyarlathotep ou bien encore Cthulhu. A l’instar de nombreux éléments qui façonnent l’univers de l’auteur, son panthéon noir est sujet à l’intertextualité : le lecteur retrouvera ces monstruosités dans divers nouvelles indépendantes des unes des autres. Ces horreurs sont également citées dans des livres, le plus souvent des vieux grimoires comme le Necronomicon, les Manuscrits Pnakotiques, l’Unaussprechlichen Kulten,etc, eux-aussi présents dans la plupart des écrits de Lovecraft (et il en est de même pour certains lieux, bien réels ou imaginaires). L’intertextualité constitue une véritable toile de fond qui contribue à la création de l’univers « lovecraftien ».
Cette dialectique s’accompagne ainsi d’une atmosphère anti-moderne palpable, voir d’un véritable retour à l’archaïque (type de sculptures, d’architectures, de sociétés humaines, etc). Mais, encore une fois, H.P.Lovecraft pouvait également s’intéresser à des « tendances » de son époque, comme l’eugénisme. Certes Lovecraft était raciste et antisémite – les pseudo-journalistes et autres écrivaillons n’oublient jamais de gloser là-dessus bien évidemment – mais c’est surtout la dégénérescence atavique qui est intéressant chez lui. Les nouvelles La peur qui rode et surtout Le cauchemar d’Innsmouth mettent horriblement en avant ces thèmes, voir aussi celui du Destin.
En 1930, une expédition en Antarctique est organisée par l’Université Miskatonic. Celle-ci est composée de nombreux scientifiques et d’étudiants : biologistes, géologues, et physiciens. Ayant établi leur QG sur le mont Erebus, les premières découvertes ne tardent pas à voir le jour. Enthousiasmé, le Professeur Lake décide de poursuivre les recherches au nord-ouest. C’est en arrivant sur place qu’ils vont découvrir une chaîne de montagnes plus haute encore que l’Himalaya. Une fois leur camp installé, l’équipe met à jour une grotte abritant des restes de créatures inconnues, mi-animales, mi-végétales, que le Pr. Lake baptisera « les Anciens », en référence à la description de créatures semblables dans le Necronomicon. Une violente tempête s’abat sur la région et le contact entre les deux équipes est coupée. Le Professeur Dyer décide d’aller aider ses confrères partis au nord-ouest. Sur place, ils ne trouveront que les cadavres horriblement mutilés de l’équipe et des chiens de traîneau. Seul manque à l’appel Gedney, l’assistant de Lake, et un chien…

Yes, Elementarteilchen was an immediate sensation and a huge bestseller. 
Brod’s memoirs spoke about Kafka’s gentle serenity, describing their relationship almost as if they were lovers. He also recalled the mystical experience of both men reading Plato’s Protagoras in Greek, and Flaubert’s Sentimental Education in French, like a collision of souls.
In 1916 Brod even wrote to the Austrian philosopher Martin Buber, explaining how frustrating it was to watch his best friend’s lack of enthusiasm for his own creative process: “If you only knew his substantial, though unfortunately incomplete novels, which he sometimes reads to me at odd hours,” Brod wrote. “What I wouldn’t do to make him more active!”
As the British literary academic John R. Williams puts it rather aptly in The Essential Kafka, the Czech modernist writer frequently expressed himself through aphorism and parable, in stories that represent “remoteness, hopelessness [and] the impossibility of access to sources of authority or certainty or what in German is termed Ausweglosigkeit—the impossibility of escape or release from a labyrinth of false trails and frustrated hopes.”
The literary biography covers a wide range of topics, including an in-depth analysis of Kafka and Brod’s complex relationship. It also dissects Kafka’s rather indifferent notion towards identity and rootedness which, in turn, leads to a conversation about his Jewishness. All of this is good foundational reading for understanding the book’s central focal point, which involves a complicated legal battle in Israel that has dragged on since the mid-1970s relating to Kafka’s literary estate.

Tout a été dit sur l’indigeste pavé du tandem Taguieff-Duraffour paru au début de l’année passée ¹. En attendant la version en collection de poche, agrémentée d’une préface sur la réception critique (!), on peut maintenant y revenir avec quelque recul même si d’aucuns penseront qu’on lui accorde trop d’importance.

La phase du « Travailleur » a toutefois été très brève dans la longue vie de Jünger. Mais même après sa sortie sereine et graduelle hors de l’idéologie techniciste , Jünger refuse tout « escapisme romantique » : il rejette l’attitude de Cassandre et veut regarder les phénomènes en face, sereinement. Pour lui, il faut pousser le processus jusqu’au bout afin de provoquer, à terme, un véritablement renversement, sans s’encombrer de barrages ténus, érigés avec des matériaux surannés, faits de bric et de broc. Sa position ne relève aucunement du technicisme naïf et bourgeois de la fin du 19ème siècle : pour lui, l’Etat, la chose politique, le pouvoir sera déterminé par la technique, par la catégorie du « Travail ». Dans cette perspective, la technique n’est pas la source de petites commodités pour agrémenter la vie bourgeoise mais une force titanesque qui démultipliera démesurément le pouvoir politique. L’individu, cher au libéralisme de la Belle Epoque, fera place au « Type », qui renoncera aux limites désuètes de l’idéal bourgeois et se posera comme un simple rouage, sans affects et sans sentimentalités inutiles, de la machine étatique nouvelle, qu’il servira comme le soldat sert sa mitrailleuse, son char, son avion, son sous-marin. Le « Type » ne souffre pas sous la machine, comme l’idéologie anti-techniciste le voudrait, il s’est lié physiquement et psychiquement à son instrument d’acier comme le paysan éternel est lié charnellement et mentalement à sa glèbe. Jünger : « Celui qui vit la technique comme une agression contre sa substance, se place en dehors de la figure du Travailleur ». Parce que le Travailleur, le Type du Travailleur, s’est soumis volontairement à la Machine, il en deviendra le maître parce qu’il s’est plongé dans le flux qu’elle appelle par le fait même de sa présence, de sa puissance et de sa croissance. Le Type s’immerge dans le flux et refuse d’être barrage bloquant, figeant.


J'avais en mémoire le Charles le Téméraire décrit par Marcel Brion en 1977. Gaston Compère me le décrit sous un autre angle. Un angle que je préfère. Écrit à la première personne du singulier, Je soussigné, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne est un roman tout comme Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie de Jean Raspail est un roman Celui de Gaston Compère est aussi différent de la biographie de Marcel Brion, parue sous le titre Charles le Téméraire, que celui de Jean Raspail l’est de celle de Saint-Loup Le roi blanc des Patagons.Avec Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar avait porté le roman biographique à sa perfection ; avec Je soussigné, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, Gaston Compère fait voler en éclats la biographie romanesque. Né en Wallonie en 1929, cet écrivain s’avère visionnaire. Il investit l’âme du Téméraire, qui n’aimait pas son nom et qui eût préféré celui de Charles le Hardi.
Cela suffit peut-être mais je ne peux m’empêcher de citer ici quelques perles qui font à la fois comprendre l’esprit qui anima Charles le Téméraire et l’immense talent de Gaston Compère.

Les personnages de cet essai romanesque (le narrateur travaille sur Opera Palas – belle mise en abyme , le journaliste étatsunien Julius Wood qui fait plus que du journalisme) pratiquent à leur façon l’impersonnalité active. Toutefois, bien que mise en arrière-plan, c’est une œuvre d’art qui focalise l’attention : Le Grand Verre de Marcel Duchamp, aussi connu sous le nom de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. Réalisé entre 1915 et 1923 sur du verre (fils de plomb, feuilles et peinture), cette œuvre inachevée et fêlée présente une riche polysémie propice aux interprétations érotiques, psychanalytiques ou ésotériques. C’est dans ce dernier champ qu’intervient principalement Opera Palas.


« L’Église catholique, qui avait toujours regardé avec réticence la sexualité hors mariage, accueillit avec enthousiasme cette évolution vers le mariage d’amour, plus conforme à ses théories (« Homme et femme Il les créa »), plus propre à constituer un premier pas vers cette civilisation de la paix, de la fidélité et de l’amour qui constituait son but naturel. Le Parti communiste, seule force spirituelle susceptible d’être mise en regard de l’Église catholique pendant ces années, combattait pour des objectifs presque identiques. C’est donc avec une impatience unanime que les jeunes gens des années cinquante attendaient de tomber amoureux, d’autant que la désertification rurale, la disparition concomitante des communautés villageoises permettaient au choix du futur conjoint de s’effectuer dans un rayon presque illimité, en même temps qu’elles lui donnaient une importance extrême (c’est en septembre 1955 que fut lancée à Sarcelles la politique dite des « grands ensembles », traduction visuelle évidente d’une socialité réduite au cadre du noyau familial). C’est donc sans arbitraire que l’on peut caractériser les années cinquante, le début des années soixante comme un véritable âge d’or du sentiment amoureux – dont les chansons de Jean Ferrat, celles de Françoise Hardy dans sa première période peuvent encore aujourd’hui nous restituer l’image. »

Does this sound like it was written by an anti-Semite? Maybe it does to someone as dishonest and as blinkered as Cathy Young. Maybe it does to someone who wishes to enforce a program of mandatory philo-Semitism among the goyim. But to everyone else, it just seems like it was written by the same man who thirty years earlier told Russians they should “err . . . on the side of exaggeration” when it comes to repentance . . . but only if that repentance is mutual.
L’Etat nous détruira (Tocqueville, Nietzsche, etc.). Voici ce qu’il aurait dû être l’Etat :
Et Novalis d’attendre une résurrection de l’Europe :



Guide to Kulchur is unique in both its structure and style. Written in Pound’s folksy demotic English that at times seems more akin to Mark Twain or Joel Chandler Harris, the book is arranged in a series of very short chapters that seem to unfold in a haphazard fashion. The book’s form only becomes manifest the longer one reads, and by the end of the book one is amazed at how Pound has managed to weave seamlessly the many strands of Western and ancient Chinese thought.
Sommaire :
Faszination eines Trugbildes (The Fascination of an Illusion) by Tarmo Kunnas is an unusual book in several respects. It sets out to examine what in the subtitle to the book is described as “the European intellectual and the fascist temptation, 1919-1945.” “Here,” Kunnas explains, “the tragedy of fascism is seen through the opera glasses of the person it has captivated, and my book for its part is intended to complete a picture of the fascist movements.” (p. 9) In his Foreword, Kunnas tells us that his book deals with the relationship of more than seventy European intellectuals from fifteen nations who were “tempted” by fascism.
In his Foreword, Kunnas says his objective is to examine “why fascism in the inter-war years held such attraction for the European intelligentsia and on the people of the time.” In fact, this study does not look at the attraction fascism held for people in general; it focuses exclusively on writers. The organization of the book is unusual. Instead of covering his ground with chapters devoted to specific writers or nations, Kunnas works through chapters which revolve around given themes, and then scrutinizes in each an array of writers in relation to its theme. Here are the titles of a few of the many chapters: “Exactness is not Truth,” “Mistrust of the Good in People,” “Social Darwinism,” “Puritanism,” “The Weakness of Parliamentarianism,” and “Against Faith in Progress.” For each of these, Kunnas provides the reader with an abundance of examples of how, within the perspective of the given theme, many intellectuals inclined towards fascism and a fascist solution, or towards an interpretation of the theme. This unusual approach has the advantage that it shifts focus from a biographical account to a philosophical and theoretical one so that the reader is compelled to think about the matter at hand firstly, and about the writers and thinkers drawn to it secondly; that is to say, he looks at the subject in respect of the theme itself and how fascist thinkers and fascist thought approached and evaluated each given theme. This is an original alternative to the standard presentation in critical assessments of the relation of writers to certain themes, as in potted biographies and the organization of such books into the intellectual, political, and literary career of one writer per chapter.
Kunnas is good at highlighting contradictions and paradoxes which abound in fascist theory. How does an avowed Roman Catholic like Giovanni Papini, for example, reconcile his religious faith with the evident amoralism and ruthlessness of the militaristic foreign policy enacted by the Fascist government which he so ardently supported? By way of answer, according to Kunnas (p. 358), Papini’s early work Il tragico quotidiano (The Daily Tragic) accepts the notion that evil is a necessary part of God’s creation, and that without sin, there could be no poets, artists, or philosophers; indeed, no leaders of a people and no heroes. Vice may be the necessary condition of virtue, and evil may need to exist in order for good to do so likewise. Kunnas does not go far down the thorny and well-trodden theological path of speculation which he opens here. However, he is well aware of this and other conundra and contradictions within fascist thought, including in the writings of those intellectuals who were attracted by fascism, especially the notion that the warring poles of good and evil, war and peace, and pain and pleasure constitute the very fabric of life.


Certains de ses romans sont passés à la postérité. Une chanson de Serge Gainsbourg mentionne L’amour monstre. Louis Pauwels doit aussi sa renommée à deux essais coécrits avec Jacques Bergier, Le matin des magiciens (1960), et sa suite moins connue, L’homme éternel (1970). Le succès du Matin des magiciens lui permit de lancer, dès 1961, la revue Planète versée dans le réalisme fantastique (l’Atlantide, les extra-terrestres dans l’histoire, le Tibet mystérieux, les expériences parapsychologiques, etc.).
Ce zélateur anti-écologiste du progrès technicien s’intéressait à l’Europe. Dans son maître-livre, Le droit de parler (Albin Michel, 1981), le recueil de ses premières chroniques « révolutionnaires – conservatrices » du Figaro Magazine préfacé par Jean-Édern Hallier, il revient régulièrement sur l’avenir de notre continent. « Pour que l’Europe trouve son indépendance et assure sa sécurité, elle n’a pas d’autre voie que la volonté de puissance. Nous devons avoir le dessein de devenir l’une des grandes puissances mondiales, y compris dans le domaine militaire. Nous en avons les moyens. Nous avons le nombre. […] Nous avons à nous affirmer et à nous manifester comme union des nations du vieux monde central, communauté vivante de peuples historiques concrets, forgeant concrètement leur sécurité, conscients de leur originalité, soucieux de leur rayonnement (p. 219). »