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lundi, 22 février 2010

Bertrand de Jouvenel, analyse du pouvoir, dépassement du système: l'impact de la revue "Futuribles"

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Bertrand de Jouvenel, analyse du pouvoir, dépassement du système: l'impact de la revue Futuribles

Intervention de Laurent Schang lors de la 6ième Université d'été de "Synergies Européennes" (Valsugana/Trento, 1998)

 

BERTRAND_DE_JOUVENEL.jpgSingulier destin que celui de Bertrand de Jouvenel des Ursins, aristocrate républicain, non-conformiste des années de l'entre-deux-guerres et fédéraliste européen fondateur du Club de Rome, titulaire de chaires académiques à Paris mais aussi à Oxford, Manchester. Cambridge, Yale ou Berkeley, auteur d'une trentaine de traités théoriques en politologie et sciences économique et sociale, témoin et acteur de cinquante ans de haute diplomatie mondiale (tour à tour en tant qu'envoyé spécial puis conseiller expert auprès des principales instances dirigeantes, membre de la Commission des Comptes de la Nation et de la Commission au Plan), président-directeur général de la S.E.D.E.I.S. (Société d'Etude et de Documentation Economique, Industrielle et Sociale), directeur de revues de prospective dans lesquelles il mit en équation parmi les premiers la méthodologie de la prospection dans le domaine des ³sciences² sociales (l'art de la conjecture ou stochastique: sagesse du philosophe et prudence du politique) synthétisée en un néologisme, Futuribles, qui devait donner l'intitule d'une revue créée et dirigée par son fils, Hugues de Jouvenel, et qui sur la fin de ses jours dut intenter un procès à l'historien Zeev Sternhell, qui dans sa somme Ni Droite ni Gauche, I'idéologie fasciste en France,I'évoquait en une figure prédominante de l'intelligentsia pro-fasciste française. On se souvient que Denis de Rougemont, à qui bien des convergences doctrinales reliaient Bertrand de Jouvenel, se vit lui aussi obliger de traîner Bernard Henri Lévy devant les tribunaux pour les mêmes accusations publiées dans le livre L'idéologie française.

Singulier destin en effet pour ce fils né le 31 octobre 1903 de Henry de Jouvenel, sénateur et ambassadeur français radical-socialiste mais de tradition familiale catholique et royaliste, et de Sarah Claire Boas, fille d'un riche industriel juif et franc-maçon. Jean Mabire, dans sa bio-bibliographie Bertrand de Jouvenel, la mauvaise réputation, écrit: ³Curieux personnage qui a toujours été décalé, en avance ou en retard sur son temps, jamais en prise sur le réel, mais d'une singulière lucidité sur l'évolution du monde qu'il a regardé toute sa vie avec un mélange de scepticisme et d'enthousiasme, qui l'apparente par plus d'un trait à son vieil ami Emmanuel Berl².
 

De l'économie dirigée aux Futuribles

Solidement appuyé sur ses brillantes études de droit et sciences à l'Université de Paris, Bertrand de Jouvenel se passionne pour la politique internationale et devient reporter auprès de la Société des Nations, cependant qu'il s'attèle très tôt à relever et théoriser l'essence du pouvoir dans ses multiples expressions et échafaude sa pensée-monde. Ses reportages pour La République, un quotidien parisien, lui assure la reconnaissance de ses pairs. L 'Economie Dirigée, formule qu'il crée pour la circonstance, est publiée en 1928, Vers les Etats-Unis d'Europe en 1930. Pacifiste, ardent promoteur de la réconciliation franco-allemande, et conscient de l'étroitesse de la dichotomie Droite-Gauche, il constitue avec Pierre Andreu et Samy Béracha La Lutte des Jeunes, hebdomadaire non-conformiste à la pointe des idées planistes, personnalistes et fédéralistes où l'on peut lire Jean Prévost, Henri De Man ou Pierre Drieu la Rochelle. Peu de temps attiré par l'expérience prolétaro-fasciste du PPF, il s'en eloigne vite, et, résistant, il passe la frontière suisse en 1943, poursuivi par la Gestapo. Il reprendra après guerre ses fonctions de penseur et analyste, enseignera a l'I.N.S.E.A.D. de 1966 à 1973, à partir de quand il professera au C.E.D.E.P.. Professeur honoris causa de l'Université de Glasgow, il crée entre 1954 et 1974 deux périodiques: Analyse et Prévision, Chroniques d'Actualité et ¦uvre au sein du Comité International Futuribles et de I'Association Internationale Futuribles. Bertrand de Jouvenel s'éteint en 1987.

Mais, une fois évoqués ces quelques éléments d'éclaircissement biographique, nous n'avons encore rien dit, et tout reste à définir du monumental travail théorique, analytique et prospectif de Bertrand de Jouvenel. Ainsi sa pensée, englobant la totalité des connaissances issues des sciences humaines, doit-elle être abordée d'un point de vue politologique comme une tentative de mise en relation hiérarchique des trois partenaires de tout mouvement social: I'individu, la société, l'Etat/nation, intégrée dans la vaste perspective d'ensemble du devenir éternel de la civilisation. ³Quelle Europe voulons-nous?², cette question essentielle doit être comprise comme le fil conducteur de sa pensée critique.


L'Etat, Minotaure absolutiste

Guidé par sa volonté de puissance, I'Européen a conquis la planète, et l'histoire de l'Occident est devenue l'histoire du monde.. Comment donc expliquer ³la balkanisation² de l'Europe post-1945, son écartèlement entre les puissances asiatique et américaine, le dépérissement du citoyen libre à la base de la philosophie européenne en producteur/consommateur; comment mesurer, enfin, dans l'optique de dégagement des futurs possibles (sur lesquels nous reviendrons) la dégénérescence des structures sociales dans leur articulation organique en un Tout mécanique parasité par l'Etat, ³Minotaure² absolutiste auquel l'individu-citoyen est jeté en pâture, cellule impuissante devant la mégamachine statocratique? La réponse, pour Bertrand de Jouvenel, se trouve dans cette même volonté de puissance. Pour mobiliser les énergies et rationaliser cet appétit insatiable de supplantation de la nature par la culture, la civilisation s'est dotée de l'arme idéologique, et tout le travail des temps modernes consistera à renforcer la souveraineté nationale et l'autorité illimitée du souverain au détriment du citoyen. Ce que le Pouvoir, minoritaire, exige, la majorité nationale doit s'y soumettre.

Au centre du système, la démocratie, qui, indissociable du principe national, consacre non pas le règne de la personne et de la communauté, expression la plus directe du génie européen, mais celui d'un ³self-government² autocratique, prétendant exprimer la volonté majoritaire et modeler le genre de vie de tous ses ressortissants. Le droit se substitue à l'esprit, la liberté devient axiome.
Avec le gonflement de l'Etat, le Pouvoir s'est affirmé, droit illimité de commander au nom du Tout social par la destruction progressive (le mot a son importance) de tous les corps intermédiaires. Le passage de la monarchie à la démocratie, considéré comme un progrès dans le gouvernement des hommes, est davantage progrès dans le développement des instruments de coercition: centralisation, réglementation, absolutisme. Avec la démocratie, le serpent se mord la queue et la civilisation, de puissance, devient
impuissante, privée de ses ressources légitimes que sont la spiritualité, I'esprit d'entreprise ou l'association libre.

Que le pouvoir soit toujours égal à lui-même, indépendamment des expressions idéologiques dont il se pourvoit, seulement mené par son égoïsme ontologique et usant des forces nationales à cette fin, ne fait aucun doute pour Bertrand de Jouvenel dont l'¦uvre, magistrale et trop ignorée, peut se décomposer comme suit:
-connaissance de la politologie;
-des sociétés aristocratiques à l'avènement de la démocratie, le triomphe du Pouvoir;
-³Quelle Europe?² Thésée contre le Minotaure;
Bertrand de Jouvenel, analyse du pouvoir et dépassement du système:
 

I. Connaissance de la politologie:

La science politique est une discipline hybride,  ‹³instaurée par des immigrants de la philosophie, de la théologie, du droit et, plus tard, de la sociologie et de l'économie, chaque groupe apportant sa propre boîte d'outils et s'en servant²,‹  qui présente deux aspects complémentaires: l'efficacité, qu'incarne Bonaparte sur le pont d'Arcole, debout, prêt à charger, entraîneur exalté; la précision, magnifiée par le roi Saint Louis, assis, serein, conciliateur. (cf. De la Politique Pure, v. aussi De la Souveraineté).

Dans ses Lettres sur l'esprit de patriotisme (Letters on the Spirit of Patriotism, 1926), Bolingbroke indique quatre déterminants du politique:
1) - I'objectif patriotique;
2) - une grande stratégie mise en ¦uvre pour atteindre son but;
3) - une série de man¦uvres actives et souples destinées à mener à bien cette stratégie;
4) - le plaisir intense attaché à son exécution.
 

Dix constantes   invariables en sciences politiques

Cette conception sportive du politique, Bertrand de Jouvenel la reprend mais pour en atténuer sensiblement le caractère de noblesse: ³L'observation nous permet, malheureusement, de craindre que le plaisir de manipuler les hommes ne soit goûté pour lui-même, alors même que l'opération ne s'inspire d'aucun but élevé, ne se consacre à aucune fin salutaire²..
Jouvenel dénombre dix constantes invariables relatives aux sciences politiques:
- I'élément identifiable le plus petit dans tout évènement politique, c'est l'homme faisant agir l'homme.
- est politique, tout ce qui est accompli dans le registre ³du champ social pour entraîner d'autres hommes à la poursuite de quelque dessein chéri par l'auteur². De fait, ³la théorie politique est collection de théories individuelles qui figurent côte à côte, chacune d'elles étant impénétrable à l'apport de nouvelles observations et à l'introduction de nouvelles théories² (richesse des théories normatives et pauvreté en théories représentatives).
- faisant sienne la définition de Leibniz, Bertrand de Jouvenel considère la société comme ³complexe d'individus réunis par un modèle de comportement où l'individu exerce sa liberté².
- il convient de distinguer l' eventus opération préparée et contrôlée tout au long de son déroulement, et l' eventum, sans auteur identifiable, rencontre d'enchaînements créant un phénomène incontrôlable.
- I'Etat comporte dans sa définition deux sens antagonistes: une société organisée avec un gouvernement autonome ou chacun est membre de l'Etat; un appareil qui gouverne hors des membres de cette société.
- le problème politique, du ressort des sciences humaines, n'est pas soluble, ³il peut être réglé, ce qui n'est pas la même chose²,
- pour la même raison, ³il est particulièrement hasardeux de supposer que dans la politique les hommes agissent d'une manière rationnelle².
- I'essence même du Pouvoir tient dans sa dualité, égo-ïsme et socialisme, car le principe égo-ïste fournit au Pouvoir la vigueur de ses fonctions, le socialisme attestant la préservation de l'ascendant des dirigeants.
- par conséquent le pouvoir ne se maintient que par sa vertu à préserver l'obéissance des citoyens, et leur croyance dans sa légitimité.
- les trois valeurs cardinales de tout Pouvoir étant: légitimité, force, bienfaisance.
Il n'existe qu'une finalité au Pouvoir, se maintenir en toujours croissant. Pour ce faire, I'appareil d'Etat use de ses services rendus. Le commandement qui, en dehors de tout altruisme, se prend pour fin, est amené à veiller sur le bien commun, ayant besoin du consentement des forces sociales pour assurer son hégémonie parasitaire. Dans son Pseudo Alcibiade, dialogue entre Socrate et Alcibiade inspiré de Platon, Jouvenel fait dire à Alcibiade ces propos qui résonnent comme une profession de foi:  ³Pour le politicien qui désire obtenir d'un grand nombre de gens et dans un bref délai une certaine décision ou action, il faut absolument faire appel à l'opinion actuelle que les gens ont du bien, accepter cette opinion telle qu'elle est; et c'est elle, précisément que tu as pour but de changer. Ce que les gens considèrent aujourd'hui comme le bien, voilà la donnée sur laquelle se fonde le politicien, celle qu'il emploie pour faire agir les gens comme il le désire. Voilà la façon dont le jeu se joue².
 

Privation des libertés, recul des corps intermédaires

Or, possédant désormais les rouages de l'Etat, les grands dossiers, les représentants du Pouvoir se convainquent de leur souveraineté; de délégués du souverain, ils se muent en ³maîtres du souverain² (cf.. Proudhon, in Théories du mouvement constitutionnel au XIXième siècle). De cette situation se nourrit le dualisme du Pouvoir. Sa croissance apparaît moins aux individus comme une entreprise continuelle de privation des libertés que comme un facteur de libération des contraintes sociales. Ainsi le progrès étatique induit-il le développement de l'individualisme, et vice-versa, la nation livrée au Pouvoir, niant systématiquement toute distinction entre ses intérêts et ceux propres de la société civile.

Comment le progrès de l'intrusion étatique a-t-il coïncidé avec le nivellement de la Nation? Le fait que ce travail de sape soit dans la destinée même de l'Etat ne suffit pas à expliquer ce recul des corps intermédiaires. La raison profonde est à rechercher dans la crise ouverte par le rationalisme, philosophie du progrès qui a accompagné à partir du XVIlième siècle la technicisation de l'Occident. Déjà les rêveries platoniciennes, héritières d'utopies plus anciennes encore, avaient entretenu dans la pensée antique la confusion sur un gouvernement attaché en tout temps aux seules aspirations des gouvernés. Cette dangereuse chimère, méconnaissant la nature humaine, a entravé la constitution d'une science politique véritable et engendré toutes les révolutions qui menacent périodiquement la civilisation. A l'origine du processus, le Contrat Social, vue de l'esprit qui réduit la société à l'état d'un club de célibataires et oublie la nature fondamentalement communautaire de l'Homme, dépendant du groupe (avant d'être homo sapiens, l'individu est d'abord homo docilis), et agissant ³dans un environnement structuré²..

De l'atomisation ainsi provoquée s'impose l'obéissance au Pouvoir, la croyance dans sa légitimité, l'espoir dans sa bienfaisance. La soumission à la souveraineté, ³droit de commander en dernier ressort de la société², introduit la suprématie arbitraire d'un représentant ou groupe de représentants, titulaire de la volonté générale, laquelle est censée participer au débat à travers l'opinion, coquille vide, majorité floue n'obéissant qu'aux passions du moment, guidée par la propagande, incapable de dégager une ligne politique cohérente: ³De simples sentiments ne peuvent rien fonder en politique. Il y faut une pensée, consciente des éléments du problème, qui connaisse les limites dans lesquelles il est susceptible de solution, et les conditions auxquelles il peut être résolu² (extrait de Quelle Europe?). La partitocratie n'agit pas autrement, qui s'adresse non à l'intelligence du militant, mais à son partiotisme prosélyte, sa fidélité servile au centralisme démocratique du parti.
 

Le tandem police/bureaucratie

Pour avoir retiré au droit sa force transcendante, le rationalisme a condamné la législation à n'être plus que convention utilitariste, dénuée de morale, seule expression de la versatile volonté humaine. La Raison érigée en dogme a inauguré l'ère des despotes éclairés, sceptiques, incrédules, et convaincus de devoir corriger le peuple pour le conformer à la Raison au moyen du tandem police bureaucratie.

Ainsi, à chaque Pouvoir nouveau correspond une notion du Bien, du Vrai, du Juste aussi éphémère que lui et indéfiniment modifiable au gré des opinions de l'époque. Rien ne retient plus la machine dès lors, puisque, si l'autorité doit se conformer au droit, le droit n'est que l'ensemble des règles édictées par elle, sous couvert de représentation populaire. L'autorité législatrice ne peut qu'être juste, par définition.
 

Mise en place de la démocratie totalitaire

D'espace de liberté, le droit devient à son tour sujet du Pouvoir; I'Homme, de réalité physique et spirituelle, devient ³légal².. Consécration du monisme démocratique, ³l'exécrable unité² de Bainville, la centralisation ne connaît plus de limite: ³anéantissement des pouvoirs locaux devant le pouvoir central, développement des exigences du pouvoir central à l'égard des sujets et rassemblement entre ses mains des moyens d'action² (Du Pouvoir). Son contrôle est total: direction de l'économie nationale, direction de la monnaie nationale, contrôle du commerce extérieur, contrôle des changes, monopole de l'éducation, mainmise sur l'information.

La confusion démocratique du pouvoir et de la liberté du peuple est à la source du principe despotique moderne. Armé de l'anonymat que lui confère son identification au peuple, le Pouvoir n'en écrase que mieux l'individu sous le poids de la totalité, opprime l'intérêt particulier au nom de l'intérêt général. Le Tout veut, le Tout agit, le régent a l'autorité du Tout. La démocratie totalitaire est en place.  On le voit, la politologie selon Jouvenel ne tient aucun compte de l'armature idéologique des régimes: ³Les discussions sur la démocratie sont frappées de nullité car on ne sait pas de quoi on parle². Le discours omniprésent des philosophes camoufle à peine leur travail de justification des politiciens en place. Remontant à l'essence du Pouvoir, Jouvenel délivre la science politique de son fardeau de concepts et s'astreint à ne traiter que de Realpolitik au sens le plus pur du terme.

Et où la démocratie entend la marche de l'Histoire au sens marxiste comme un inexorable progrès vers la libération de l'individu aliéné, Jouvenel dresse le panorama de deux mille ans de régression planifiée.


 

II. Des sociétés aristocratiques à l'avènement de la démocratie, le triomphe du Pouvoir

Si la grande mutation de notre civilisation peut être datée au tournant des XVlIIième et XlXième siècles avec l'acquisition toujours accélérée de forces nouvelles qui dégagèrent l'Homme de l'emprise du Créateur, la marche du Pouvoir, elle, lui est bien antérieure, et correspond à l'émergence même d'une autorité constituée et légitimée au sein des sociétés les plus primitives.

D'origine gérontocratique et ritualiste, le Pouvoir primitif, par essence conservateur, est supplanté par l'essor de la classe guerrière, qui répond au besoin d'ébranlement social caractéristique des périodes de trouble.

Le déplacement d'influence observé engendre une nouvelle élite, l'aristocratie regroupée en une pyramide gentilice bientôt mutée en ploutocratie au fil des conquêtes. Noblesse devient synonyme de richesse du temps de la Grèce homérique.

Parallèlement, I'expansion nécessite la nomination d'un chef à l'autorité absolue, concédée par les autres chefs de gentes regroupés dans le Sénat. L'histoire conservera le souvenir de l'lmperium extra muros de Rome, où la fonction politique du dux s'associe au caractère religieux du Rex. Cette dualité historique du pouvoir royal, ³symbole de la communauté (...) sa force cohésive, sa vertu mainteneuse (...) il est aussi ambition pour soi (...) volonté de puissance, utilisation des ressources nationales pour le prestige et l'aventure².
 

Un appareil stable et permanent

Le roi, ainsi nanti, ne tarde pas à s'opposer aux gentes dont la puissance propre l'oblige à composer et pour acquérir l'autorité directe, indiscutable qui lui fait défaut, il se tourne vers les couches plébéiennes. L'appui de la plèbe transforme la royauté en monarchie, comme Alexandre le Grand soutenu par les Perses contre les chefs macédoniens.. Bureaucratie, armée, police, impôt construisent un appareil stable et permanent qui jamais plus ne sera démenti: I'Etat.

L'apport du christianisme à la souveraineté, en lui conférant un droit divin, selon la formule de Saint Paul: ³Tout Pouvoir vient de Dieu², avertit le roi qu'il est serviteur des serviteurs de Dieu, protecteur et non propriétaire du peuple. Le système médiéval fondé sur la Loi divine et la Coutume populaire incite le Pouvoir pendant de longs siècles à la modération. Saint Paul dans ses épîtres ne se réfère-t-il pas à la tradition juridique romaine, laquelle place la souveraineté dans les mains du Peuple!

Il faudra la crise de la Réforme et les plaidoyers de Luther en faveur du pouvoir temporel pour que le Pouvoir se défasse de la tutelle papale et que soit introduite la remise en cause de l'intercession de l'Eglise entre Dieu et le Roi. Au siècle suivant Hobbes déduira le droit illuminé du Pouvoir non de la souveraineté divine mais de la souveraineté du peuple. A sa suite, Spinoza dans son Traité théologico-politique rompt définitivement avec la tradition augustinienne et annonce le souverain despote. Dieu terrestre au pouvoir seulement limité par le droit accordé aux sujets. ³Est esclave celui qui obéit au seul intérêt d'un maître. Est sujet celui qui obéit aux ordres dans son intérêt². Rousseau et Kant assignent pareillement un droit illimité au commandement, mandaté par le peuple empêché de l'exercer par lui-même. Mais, à l'opposé de Montesquieu, il méconnaît la représentativité parlementaire: ³La Souveraineté ne peut être représentée (...) les députés du peuple ne sont donc et ne peuvent pas être représentants (...) Le peuple anglais pense être libre: il se trompe fort; il ne l'est que durant l'élection des membres du Parlement, sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien². (in Du Contrat Social).
 

L'Occident: un processus ininterrompu de croissance étatique

L'Occident, depuis sa segmentation en royaumes rivaux, a connu un processus ininterrompu de croissance étatique. La volonté d'agrandissements, la soif d'expansion explique l'organisation d'infrastructures toujours plus efficaces. Les périls extérieurs ont permis de démultiplier les droits de l'Etat se présentant comme étroitement lié aux intérêts du peuple. ³Ainsi la guerre accouche-t-elle de l'absolutisme², ce que magnifia Richelieu: ³ne permettre aucune division à l'intérieur, les entretenir toutes à l'extérieur, ne point souffrir de partisans de l'étranger mais avoir partout les siens².

La Nation se forme autour du Trône. Le Roi incarne les peuples agrégés en un Tout à la seule validité psychologique. Aussi la Révolution ne doit-elle être envisagée qu'en tant que rénovation et renforcement du Pouvoir de la part d'un corps social qui, de spectateur de la monarchie, entend s'approprier le commandement. Bertrand de Jouvenel écrit ³le trône n'a pas été renversé, mais le Tout, le personnage Nation, est montré sur le trône². Et d'ajouter: ³Qu'on cesse donc d'y saluer des réactions de l'esprit de liberté contre un pouvoir oppresseur. Elles le sont si peu qu'on ne peut citer aucune qui ait renversé un despote véritable². La fonction historique de la Révolution n'est pas à rechercher dans la punition morale du despote mais bien plus dans la sanction biologique de son impuissance.

Et dans ce plein essor du sentiment national, Hegel théorise le premier une doctrine cohérente du phénomène nouveau qu'est l'Etat-Nation, ³ce qui commande souverainement à nous et à quoi nous sommes incorporés². Hegel voit dans l'Etat la conception à venir de la société, être collectif, infiniment plus important que les individus, au pouvoir bureaucratique et savant, à la volonté qu'il qualifie non arbitraire mais connaissance de ce qui doit être et doit pousser le peuple dans le but que lui assigne la Raison.
 

Suffrage universel, méritocratie, droits del 'Homme

L'organicisme de Spencer et Durkheim, le positivisme de Comte et les théories transformistes de Lamarck et Darwin, héritiers de l'enthousiasme industriel du XlXième siècle, iront tous dans le sens de l'accroissement indéfini des fonctions et de l'appareil gouvernemental.

Pour se maintenir, le Pouvoir, dont les dimensions actuelle ont pris, avec le développement des moyens de communication, une importance inégalée, dispose de trois armes imparables:
- le recours au suffrage universel, ce qu'avaient déjà compris Napoléon, Bismarck et Disraeli qui consacre le césarisme, la large classe des dépendants se reposant sur l'omnipotence étatique contre l'aristocratie bourgeoise, puissance financière mais sans assise populaire;
- la ³méritocratie², très relatif renouvellement des élites qui facilite beaucoup l'extension du pouvoir en offrant à tous la perspective d'une participation au Pouvoir, complicité spécifique à la démocratie;
- les Droits de l'Homme, qui répandent l'illusion de la garantie des intérêts absolus de l'individu contre la société convention collective, mais que contourne aisément le Pouvoir, qui jouit du prestige de la Souveraineté, et de la collusion tacite liant l'individualisme social avec la philosophie politique absolutiste d'un gouvernement se réclamant des masses.

Le triomphe de la démocratie dans la cohésion opérée entre l'Etat et la Nation prend une tournure téléologique. Bertrand de Jouvenel parle d' ³incubation de la tyrannie².
 

III. Quelle Europe? Thésée contre le Minotaure.

³L'Etat moderne n'est autre chose que le roi des derniers siècles, qui continue triomphalement son labeur acharne, étouffant toutes les libertés locales, nivelant sans relâche, et uniformisant². Régulateur impérieux de toutes les existences individuelles, il ne protège pas les droits locaux, particuliers, mais réalise une ³idée², I'idée nationale et sociale mêlée. Le paradis plané. Le partisanisme agressif, I'étatisme spoliateur, le nationalisme fiévreux, I'idéalisme cynique concourent à son succès. Le pouvoir de faire concentré, ne reste plus à l'individu que celui de consommer, fonction irresponsable, le pouvoir d'achat, qui porte toutefois en germe le ferment possible d'une révolte, provoquée par la paupérisation et l'inégalité quantitative croissante des pouvoirs de consommation, derrière quoi pourrait se profiler de nouvelles revendications sociales, morales et politiques. Quelle ligne adopter? Bertrand de Jouvenel postule cinq fronts à établir en vue de restaurer la civilisation:
- nier et ¦uvrer au démantèlement de l'Etat national unitaire, monstrueuse concentration de pouvoir et unique impulsion à toutes les forces et toutes les vies de la société. ³Le mal serait en voie de guérison si l'Etat cessait d'être un appareil à travers lequel une volonté générale dicte à chacun ce qu'il doit croire, faire et sentir².

- supprimer la dichotomie producteur-citoyen, renouer avec l'antique conception de l'homme libre, I'habitant, le citoyen accompli dans sa capacité à s'affirmer comme personne, comme Etre et Devenir.

- procéder à l'étude critique des penseurs à l'origine de la Civilisation de Puissance: Hobbes, Rousseau, Kant, Bentham, Helvétius et Destutt de Tracy, conceptions fausses et mortelles de la société.

- reprendre conscience que la nation n'est pas sentiment d'association mais d'appartenance commune à une foi, une morale unanimement respectées. Un droit inviolable parce que hors d'atteinte du Pouvoir.

- instaurer une nouvelle charte des peuples, reposant sur les particularismes linguistiques, culturels, traditionnels et coutumiers. Un libertarisme féodal que Jouvenel traduit par ces mots ³le traditionalisme, I'esprit conservateur des gloires et des coutumes propres au groupe, une fierté de corps qui préfère des conduites spécifiques à d'autres qu'on lui propose comme plus rationnelles, une adhésion affective à la localité plutôt que le dévouement à l'idéologie qui transcende le cadre géographique².


 

Un libertarisme de type féodal

Une position non-conformiste éminemment proche du personnalisme, qui met l'accent sur la personne humaine, le fédéralisme, la liberté d'association spontanée, I'appartenance à la communauté contre l'omnipotence du Pouvoir. ³Il faut des hommes internationaux par croyance, comme étaient les clercs du Moyen Age² (in Quelle Europe?). Jouvenel opte pour une autorité internationale ayant une prise morale directe sur les peuples, gouvernement des gouvernements, ³ultramontanisme² fédéral à l'échelle européenne sur le modèle de la ³République chrétienne².

Nécessité historique, ce super-gouvernement européen n'aura aucune prétention à l'universalisme du type O.N.U., dont la vanité ne lui échappe pas: ³Ne commet-on pas une erreur lorsqu'on préfère un édifice universel et théorique, à un édifice plus limité, mais réalisable² (in: Quelle Europe?). C'est de la solidarité des instincts, de l'union des sentiments, du respect commun des coutumes particulières que fécondera la résistance à l'hégémonie nationale étatique, ultime rempart de la civilisation européenne.

Ainsi le régime de l'anonymat consacre-t-il non l'ère libertaire des philosophes mais l'ère sécuritaire des tyrans. L'acquisition de droits sociaux s'est accompagnée de l'abandon correspondant des droits individuels les plus élémentaires. L'envahissement de la protection sociale a pris une telle arnpleur qu'il réclame à son tour qu'on s'en protège. Si l'Utile a pris le pas sur le Bien, la faute en revient d'abord aux philosophes modernes.

³Où est donc votre fleuve que je m'y désaltère? Mirages. Il faut retourner à Aristote, Saint Thomas, Montesquieu. Voilà du tangible et rien d'eux n'est inactuel². Sachons, nous aussi nous montrer réceptifs au message anti-étatique et communautariste de Bertrand de Jouvenel. Pour que vive l'Homme Européen, responsable, citoyen, libre!


* * *

 

Avant de clore cet exposé nécessairement succinct parce que synthèse d'une ¦uvre qui s'est voulue analytique, il convient de parfaire notre connaissance de Bertrand de Jouvenel par quelques éclaircissements sur le concept des Futuribles. Plutôt qu'un historique de la revue du même nom, dirigée par son fils, Hugues de Jouvenel, voyons ensemble ce que recouvre ce terme: ³Futuribles² est un néologisme repris par Bertrand de Jouvenel à un jésuite du XVIième siècle, Molina, théologien espagnol, contraction des mots ³futurs² et ³possibles². Il désigne les différents avenirs possibles selon les différentes manières d'agir. En ce sens, Bertrand de Jouvenel publie en 1964 un essai intitulé L'art de la conjecture, traité théorique où Jouvenel expose le procédé employé par lui dans la réalisation, depuis 1961, de travaux de prospective sur les modifications structurelles du système social et politique. Prévoyance comme action de l'esprit qui considère ce qui peut advenir et non futurologie (pseudo-science proposée par Ossip Flechtheim en 1949 sur la base de la connaissance), ce à quoi il oppose le principe de la ³conjecture raisonnée².
 

Les péchés mortels de la politique

Au sortir de 1945, Jouvenel jetait les bases de cet aspect proleptique de sa réflexion: ³Si terribles qu'aient été leurs conséquences, ces erreurs sont moins coupables dans leur principe que les fautes, véritables péchés mortels de la politique, qui sont causées par l'impuissance des dirigeants à calculer les répercussions lointaines de leurs actes, par le mépris des règles établies et des maximes avérées de l'art de gouverner²..

En préface de L'art de la conjecture, Bertrand de Jouvenel ajoute: "Susciter ou stimuler des efforts de prévision sociale et surtout politique, tel est le propos de l'entreprise Futuribles, formée, grâce à l'appui de la Fondation Ford, par un petit groupe offrant un éventail de nationalités et de spécialités, assemblé par une commune conviction que les sciences sociales doivent s'orienter vers l'avenir (...) Ainsi l'avenir est pour l'homme, en tant que sujet agissant, domaine de liberté et de puissance, et pour l'homme, en tant que sujet connaissant, domaine d'incertitude. Il est domaine de liberté parce que je suis libre de concevoir ce qui n'est pas, pourvu que je le situe dans l'avenir; j'ai quelque pouvoir de valider ce que j'ai conçu (...). Et même il est notre seul domaine de puissance, car nous ne pouvons agir que sur l'avenir: et le sentiment que nous avons de notre capacité d'agir appelle la notion d'un domaine ³agissable²".
 

Les quatre règles des "Futuribles"

 

Quatre règles fondent la démarche:
1) sans représentation, pas d'action.
2) l'action suivie, systématique, s'adresse à la validation d'une représentation projetée dans l'avenir.
3) l'affirmation du futur vaut toutes choses égales d'ailleurs, selon la vigueur de l'intention.
4) l'homme qui agit, avec une intention soutenue, pour réaliser son projet, est créateur d'avenir.

Depuis, colloques, séminaires, projets soumis à la D.A.T.A.R. (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale) se sont accumulés, que renforcent depuis 1974 la revue Futuribles et la publication régulière d'actes et de livres. ³A mesure que l'avenir devient plus flou et offre une marge de liberté plus grande à nos actions² (cf. La Revue des revues, n°20), Futuribles poursuit le travail initié par Bertrand de Jouvenel et conserve en ligne de mire la mise en garde de Martin Heidegger (in: Le Tournant): Ne pas ³prendre purement et simplement en chasse le futur pour en prévoir et calculer le contour - ce qui revient à faire d'un avenir voilé la simple rallonge d'un présent à peine pensé².
 

mardi, 16 février 2010

Les visions d'Europe à la base de la "Révolution Conservatrice"

Université d'été de la F.A.C.E. (juillet 1995) - Résumé des interventions

Vendredi 28 juillet 1995 (après-midi)

 

Les visions d'Europe à la base de la “Révolution Conservatrice”

(Intervention de Robert Steuckers)

 

fidus-kyberspruch.gifPremière question: la révolution conservatrice allemande a-t-elle développé des visions d'Europe nou­velles et vraiment spé­cifiques? Réponse: pas vraiment. Des visions d'Europe très différentes se bouscu­lent dans les corpus théoriques de ceux qu'Armin Mohler compte parmi les représentants de ce courant de pensée, né au cours d'une longue “période axiologique” de l'histoire, soit une période où de nouvelles valeurs se pensent, s'insinuent (lentement) dans les esprits et s'installent dans la société et dans le con­cert des nations. Les valeurs que représente la “révolution conservatrice” sont des valeurs qui entendent remplacer celles mises en avant pas les formes involuées de christianisme anorganique et par l'idéologie des Lumières, in­duite par la révolution française. L'idéologie de la révolution conservatrice ne date donc pas de ce siècle. Elle n'est pas tombée subitement du ciel après 1918.

 

La RC consiste en un interprétation nouvelle de l'héritage nationaliste, protestant et hégélien (où la “nation” particulière, en l'occurrence la nation allemande) est l'instrument du Weltgeist); elle est une tra­duction idéologico-politique des philosophies de la Vie, mâtinée de darwinisme ou de biologisme matéria­liste (Haeckel) voire d'une interprétation vitaliste du “mystère de l'incarnation” cher à beaucoup de catho­liques populistes et/ou conservateurs; enfin, elle est un espace idéologique où l'on tente de concrétiser la vision nietzschéenne de la volonté de puissance ou la notion bergsonienne d'“élan vital”.

 

En ce qui concerne les visions d'Europe, la RC a aussi des antécédents. A l'époque des Lumières, les in­tellectuels européens décrivent l'Europe comme un espace de civilisation, de “bon goût”. Mais un certain pessimisme constate que cette civilisation entre en déclin, qu'elle est inadaptée aux premières manifes­tations d'industrialisme, que le culte de la raison, qui est son apa­nage, bat de l'aile et que le modèle fran­çais, qui en est le paradigme, vient à être de plus en plus souvent contesté (hostilité à la “gallomanie”, non seulement dans les pays germaniques, mais aussi dans les pays latins).

 

Herder propose dans ce contexte une vision, une manière de voir (Sehweise), qui met en exergue le sens de l'individualité historique des constructions collectives. Contrairement à Rousseau, qui raisonne en termes d'individus, de nations et d'universalité, et qui juge, péremptoire, que l'Europe est “moralement condamnable”, Herder voit des peuples et des cultures enracinés, dont il faut conserver et entretenir les spécificités. L'Europe qu'il appelle de ses vœux est un concert de peuples différents et enracinés. L'Europe, telle qu'elle existe, n'est pas “moralement condamnable” en soi, mais il faut veiller à ne pas ex­porter, en dehors d'Europe, une européisme artificiel, basé sur les canons de la gallomanie et du culte figé d'une antiquité greco-romaine ad usum delphini. L'Europe dont rêve Herder n'est pas une so­ciété d'Etats-personnes mais doit deve­nir une communauté de personnalités natio­nales.

 

Tel était le débat juste avant que n'éclate la révolution française. Après les tumultes révolutionnaires, Napoléon crée le bloc continental par la force des armes. Ce bloc doit devenir autarcique (Bertrand de Jouvenel écrira dans les années 30 l'ouvrage le plus précis sur la question). Napoléon a à ses côtés des partisans allemands de ce grand dessein continental (Dalberg, Krause, le poète Jean-Paul). Ce bloc doit être dirigé contre l'Angleterre. A Paris, le Comte d'Hauterive décrit ce bloc autar­cique comme un “système général”, orchestrée par la France, qui organisera le continent pour qu'il puisse s'opposer effica­cement à la “mer”. Dès 1795, le Prussien Theremin, dans un ouvrage écrit en français (Des intérêts des puissances continen­tales relativement à l'Angleterre),  s'insurge contre la politique anglaise de colonisation commer­ciale de l'Europe et des Indes. Le système libre-échangiste anglais est dès lors un “despotisme maritime” (idée qui sera reprise par l'école des géopolito­logues, rassemblée autour de la personne du Général Haus­ho­fer). Le Baron von Aretin (1733-1824), revendique une “Europe celtique”, fusion de la romanité fran­çaise et de la germanité catholique de l'Allemagne du Sud, qui s'opposerait au “borussisme”, à l'“anglicisme” et au “protestantisme” particulariste. Après 1815, les “continentalistes” ne désarment pas: Welcker propose une alliance entre la Fran­ce et la Prusse pour réorganiser l'Europe; Glave, lui, propose une alliance entre la France et l'Autri­che, pour exclure la Russie et l'Empire ottoman du concert européen. Woltmann, dans Der neue Leviathan, pro­pose une Gesamteuropa  contre l'universalisme thalassocra­tique, thèses qui annoncent celles de Carl Schmitt. Bülow sug­gère l'avènement d'une “monarchie eu­ro­péenne universelle” qui procèdera à la conquête de l'Angleterre et unifiera le continent par le truchement d'un projet culturel, visant à éliminer les petits particularismes pouvant devenir autant de prétextes à des ma­nipulations ou des pressions extérieures.

 

Parmi les adversaires conservateurs et légitimistes de Napoléon, nous trouvons les partisans d'un équi­libre européen, où toutes les nations doivent s'auto-limiter dans la discipline (principe en vigueur dans l'Europe actuelle). Les Républicains natio­nalistes (Fichte, Jahn) qui se sont opposés à Napoléon parce qu'ils l'accusaient de faire du “néo-monarchisme” veulent un repli sur le cadre national ou sur de vastes confédérations de peuples apparentés par la langue ou par les mœurs. Les parti­sans de la restauration autour de Metternich plaident pour un bloc européen assez lâche, la Sainte-Alliance de 1815 ou la Pentarchie de 1822. La Restauration veut réorganiser rationnellement l'Europe sur base des acquis de l'Ancien Régime, remis en selle en 1815. Franz von Baader, dans ce contexte, suggère une “Union Reli­gieu­se” (qui sera refusée par les catholiques intransigeants), où les trois variantes du christianisme eu­ro­péen (catholicisme, protestantisme, orthodoxie) unifieraient leurs efforts contre les principes laïques de la révolution française. A cette époque, la Russie est considérée comme le bastion ul­time de la religion (cf. les textes du Russe Tioutchev, puis ceux de Dostoïevski, notamment le Journal d'un écrivain). Cette russophilie conservatrice et restauratrice explique l'Ostorientierung de la future RC, initiée par Moeller van den Bruck. Le continentaliste russophile le plus cohérent est le diplomate danois Schmidt-Phiseldeck qui plai­de, dans un texte largement ré­pandu dans les milieux diplomatiques, pour un eurocentrage des for­ces de l'Europe, contre les entreprises colonialistes; Schmidt-Phiseldeck veut l'“intégration intérieure”. Il avertit ses contemporains du danger américain et estime que la seule ex­pansion possible est en direction de By­zance, c'est-à-dire que la Pentarchie européenne doit lever un corps expéditionnaire qui envahira l'Em­pire Ot­to­man et l'incluera dans le concert européen. Cette volonté d'expansion concertée et pan­eu­ro­péenne vers le Sud-Est sera reprise en termes pacifiques sous Guillaume II, avec le projet de chemin de fer Ber­lin-Bagdad qui suscitera la fameuse “question d'Orient”. Görres, ancien révolutionnaire, voit dans l'Al­le­magne recatholicisée l'hegemon européen paci­fique, contraire diamétral du bellicisme moderne napo­léo­nien. L'Allemagne doit joue ce rôle parce qu'elle est la voisine de presque tous les autres peuples du con­tinent: elle en est donc l'élément fédérateur par destin géographique. L'universalité (c'est-à-dire l'“eu­ro­péanité”) de l'Allemagne vient de l'hétérogénéité de son voisinage, car elle peut intégrer, assimiler et syn­thé­tiser mieux et plus que les autres.

 

Constantin Frantz met en garde ses contemporains contre les fanatismes idéologiques: l'ultramontanisme ca­tholique, le parti­cularisme catholique en Bavière, le national-libéralisme prussien, le capitalisme, etc. Le Reich doit organiser la Mitteleuropa, se doter d'une constitution fédéraliste, conserver et renforcer sa pla­ce au sein de l'équilibre pentarchique européen. Mais ce­lui-ci est en danger, à cause de l'extraversion que provoquent les aventures coloniales de l'Angleterre, qui se cherche un des­tin sur les mers, et de la Fran­ce, qui s'est embarquée dans une aventure algérienne et africaine. Les Occidentaux provoquent la guer­re de Crimée, en prenant le parti d'un Etat qui n'appartient pas à la Pentarchie (la Turquie) contre un E­tat qui en est un pilier constitutif (la Russie).

 

Sous Guillaume II, les plans de réorganisation de la Mitteleuropa, plans tous parfaitement extensibles à l'ensemble de notre sous-continent, se succèdent. La plupart de ces projets évoquent une alliance et une fusion (d'abord économique) entre l'Allemagne forgée par Bismarck et l'Empire austro-hongrois. Dans l'op­ti­que des protagonistes, il s'agissait de parfaire une élargissement grand-allemand du Zollverein, en mar­che depuis le milieu du siècle. Le Français Guillaume de Molinari, “doctrinaire” du libéralisme, envisage une alliance entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Suis­se, dans un article qui connaîtra un grand retentissement dans les milieux industriels et diplo­ma­ti­ques: «Union douanière de l'Europe centrale» (in: Journal des économistes, V, 4, 1879, pp. 309-318). Paul de Lagarde, l'orientaliste aux origines intellectuelles du mouvement pangermaniste (Alldeutscher Ver­band)  et, pour certains, du national-socialisme, la “Mitteleuropa” devait se limiter aux espaces ger­ma­ni­ques et s'organiser comme un bloc contre la Russie. Paul de Lagarde est ainsi le premier homme de droi­te, élaborant des projets européens, qui est russophobe et non pas russophile. La russophobie étant une tradition de gauche au XIXième siècle. La tradition pangermaniste/pré-nationale-socialiste est donc rus­sophobe et la RC, initiée par Moeller van den Bruck, reste russophile, en dépit de l'avènement du bolche­visme. Telle est la grande diffé­rence entre les deux mouvements. En 1895, l'industriel et écono­miste au­trichien Alexander von Peez exhorte les Européens à prendre conscience des dangers du panaméricai­nisme, incarné par les actions de la Navy League de l'Amiral Mahan. Pour von Peez, l'Europe doit se constituer en un bloc pour s'opposer à la Panamérique, sinon tous les peuples de la Terre risquent de périr sous les effets de l'“américanisation universelle”. Plus tard, ce type d'argumentation sera repris par Adolf Hallfeld, Giselher Wirsing et Haushofer (dans sa dénonciation de la “politique de l'anaconda”).

 

Les libéraux de gauche Ernst Jäckh et Paul Rohrbach restent russophobes, parce que c'est la tradition dans le milieu politico-idéologique dont ils sont issus, mais suggèrent une alliance ottomane et militent en faveur du chemin de fer Berlin-Bagdad. En fait, ils reprennent l'idée d'un contrôle européen (ou simple­ment allemand) de l'Anatolie, de la Mésopotamie et de la Palestine que l'on trouvait jadis chez Schmidt-Phiseldeck. Mais ce contrôle s'effectuera dans la paix, par la coopération économique et l'aide au déve­loppement et non pas par une conquête violente et un peuplement de ces régions par le trop-plein démo­graphique russe. L'alliance entre les Empires européens et la Sublime Porte sera une alliance entre égaux, sans discrimination reli­gieuse. Paradoxalement, ce faisceau d'idées généreuses, annonciatrices du tiers-mondisme désintéressé, hérisse les Britanniques, déjà agacés par l'accroissement en puissance de la flotte allemande, créée non pas pour s'opposer à l'Angleterre mais pour faire pièce à la Navy League américaine. Ce n'est donc pas le pangermanisme, dénoncé effectivement dans les propagandes anglaise et française, qui est le véritable prétexte de la première guerre mondiale. Les discours nationa­listes et racialistes des pangermanistes ne choquaient pas fondamentalement les Anglais, qui en tenaient d'aussi radicaux et d'aussi vexants pour les peuples colonisés, mais cette volonté de coopération entre Européens et Ottomans en vue de réorga­niser harmonieusement les zones les plus turbulentes de la pla­nète.

 

Robert Steuckers n'a pu, en deux heures et demie, que nous donner une fraction infime de ce grand tra­vail sur l'Europe. A la suite des thématiques et des figures analysées, son texte écrit compte une analyse de la situation sous Weimar, les pourpar­lers entre Briand et Stresemann, la vision européenne des con­servateurs catholiques et de Hugo von Hoffmannstahl, la logique paneuropéenne dans l'école de hausho­fer et plus particulièrement chez Karl C. von Loesch, les idées de Ludwig Reichhold, celles du Prince Karl Anton Rohan (ami d'Evola), du grand sociologue Eugen Rosenstock-Huessy, de l'esthète Rudolf Pannwitz, de Leopold Ziegler, la diplomatie classique de Staline pendant la seconde guerre mondiale (qui explique la russo­philie d'une bonne part de la droite allemande, conservatrice ou nationaliste). Le texte paraîtra in extenso sous forme de livre.

lundi, 15 février 2010

Guillaume Faye et la "convergence des catastrophes"

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2006

Guillaume Faye et la “Convergence des catastrophes”

par Robert STEUCKERS

Introduction à la présentation par Guillaume Faye du livre “La convergence des catastrophes”, signé Guillaume Corvus, Bruxelles, Ravensteinhof, 21 janvier 2006

Dans l’introduction à l’une des versions italiennes du premier livre de Guillaume Faye, “Le système à tuer les peuples”, j’avais tenté de brosser succinctement son itinéraire politique, depuis ses années d’étudiant à l’IEP et à la Sorbonne. J’avais rappelé l’influence d’un Julien Freund, des thèses de Pareto, de Bertrand de Jouvenel sur ce jeune étudiant dont la vocation allait être de mener un combat métapolitique, via le “Cercle Spengler” d’abord, via le GRECE (Groupe de Recherche et d’Etudes sur la Civilisation Européenne) ensuite. J’avais insisté aussi sur son interprétation de Nietzsche, où, comme Alexis Philonenko, il pariait sur un rire sonore et somme toute rabelaisien, un rire déconstructeur et reconstructeur tout à la fois, sur la moquerie qui dissout les certitudes des médiocres et des conformistes. Je ne vais pas répéter aujourd’hui tout cet exposé, qu’on peut lire sur internet, mais je me concentrerai surtout sur une notion omniprésente dans les travaux de Faye, la notion cardinale de “politique”, oui, sur cette “notion du politique”, si chère au Professeur Julien Freund. L’espace du politique, et non pas de la politique (politicienne), est l’espace des enjeux réels, ceux qui décident de la vie ou de la survie d’une entité politique. Cette vie et cette survie postulent en permanence une bonne gestion, un bon “nomos de l’oikos” —pour reprendre la terminologie grecque de Carl Schmitt— une pensée permanente du long terme et non pas une focalisation sur le seul court terme, l’immédiat sans profondeur temporelle et le présentisme répétitif dépourvu de toute prospective.

Le bon “nomos” est celui qui assure donc la survie d’une communauté politique, d’un Etat ou d’un empire, qui, par la clairvoyance et la prévoyance quotidiennes qu’il implique, génère une large plus-value, en tous domaines, qui conduit à la puissance, au bon sens du terme. La puissance n’est rien d’autre qu’un solide capital de ressources matérielles et immatérielles, accumulées en prévision de coups durs, de ressacs ou de catastrophes. C’est le projet essentiel de Clausewitz, dont on fait un peu trop rapidement un belliciste à tous crins. Clausewitz insiste surtout sur l’accumulation de ressources qui rendront la guerre inutile, parce que l’ennemi n’osera pas affronter une politie bien charpentée, ou qui, si elle se déclenche quand même, fera de mon entité politique un morceau dur ou impossible à avaler, à mettre hors jeu. Ce n’est rien d’autre qu’une application du vieil adage romain: “Si vis pacem, para bellum”.

L’oeuvre immortelle de Carl Schmitt et de Julien Freund

D’où nous vient cette notion du “politique”?

Elle nous vient d’abord de Carl Schmitt. Pour qui elle s’articule autour de deux vérités observés au fil de l’histoire :

1) Le politique est porté par une personne de chair et de sang, qui décide en toute responsabilité (Weber). Le modèle de Schmitt, catholique rhénan, est l’institution papale, qui décide souverainement et en ultime instance, sans avoir de comptes à rendre à des organismes partiels et partisans, séditieux et centrifuges, mus par des affects et des intérêts particuliers et non généraux.

2) La sphère du politique est solide si le principe énoncé au 17ième siècle par Thomas Hobbes est honoré : “Auctoritas non veritas facit legem” (C’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi/la norme). Nous pourrions, au seuil de ce 21ième siècle, qui s’annonce comme un siècle de catastrophes, tout comme le 20ième, étendre cette réflexion de Hobbes et dire : “Auctoritas non lex facit imperium”, soit “C’est l’autorité et non la loi/la norme qui fait l’empire”. Schmitt voulait dénoncer, en rappelant la science politique de Hobbes, le danger qu’il y a à gouverner les états selon des normes abstraites, des principes irréels et paralysants, parfois vecteurs de dissensions calamiteuses pouvant conduire à la guerre civile. Quelques décennies d’une telle gouvernance et les “noeuds gordiens” s’accumulent et figent dangereusement les polities qui s’en sont délectée. Il faut donc des autorités (personnelles ou collégiales) qui parviennent à dénouer ou à trancher ces “noeuds gordiens”.

Cette notion du politique nous vient ensuite du professeur strasbourgeois Julien Freund, qui était, il est vrai, l’un des meilleurs disciples de Carl Schmitt. Il a repris à son compte cette notion, l’a appliquée dans un contexte fort différent de celui de l’Allemagne de Weimar ou du nazisme, soit celui de la France gaullienne et post-gaullienne, également produit de la pensée de Carl Schmitt. En effet, il convient de rappeler ici que René Capitant, auteur de la constitution présidentialiste de la 5ième République, est le premier et fidèle disciple français de Schmitt. Le Président de la 5ième République est effectivement une “auctoritas”, au sens de Hobbes et de Schmitt, qui tire sa légitimité du suffrage direct de l’ensemble de la population. Il doit être un homme charismatique de chair et de sang, que tous estiment apte à prendre les bonnes décisions au bon moment. Julien Freund, disciple de Schmitt et de Capitant, a coulé ses réflexions sur cette notion cardinale du politique dans un petit ouvrage qu’on nous faisait encore lire aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles il y a une trentaine d’années: “Qu’est-ce que le politique?” (Ed. du Seuil). Cet ouvrage n’a pas pris une ride. Il reste une lecture obligatoire pour qui veut encore, dans l’espace politique, penser clair et droit en notre période de turbulences, de déliquescences et de déclin.

René Thom et la théorie des catastrophes

Comment cette notion du politique s’articule-t-elle autour de la thématique qui nous préoccupe aujourd’hui, soit la “convergences des catstrophes”? Faye est le benjamin d’une chaine qui relie Clausewitz à Schmitt, Schmitt à Capitant, Capitant à Freund et Freund à lui-même et ses amis. Ses aînés nous ont quittés : ils ne vivent donc pas l’ère que nous vivons aujourd’hui. D’autres questions cruciales se posent, notamment celle-ci, à laquelle répond l’ouvrage de Guillaume Corvus: “Le système (à tuer les peuples) est-il capable de faire face à une catastrophe de grande ampleur, à plusieurs catastrophes simultanées ou consécutives dans un laps de temps bref, ou, pire à une convergences de plusieurs catastrophes simultanées?”. Au corpus doctrinal de Schmitt et Freund, Corvus ajoute celui du mathématicien et philosophe français René Thom, qui constate que tout système complexe est par essence fragile et même d’autant plus fragile que sa complexité est grande. Corvus exploite l’oeuvre de Thom, dans la mesure où il rappelle qu’un événement anodin peut créer, le cas échéant, des réactions en chaîne qui conduisent à la catastrophe par implosion ou par explosion. On connait ce modèle posé maintes fois par certains climatologues, observateurs de catastrophes naturelles: le battement d’aile d’un papillon à Hawai peut provoquer un tsunami au Japon ou aux Philippines. Les théories de Thom trouvent surtout une application pratique pour observer et prévenir les effondrements boursiers : en effet, de petites variations peuvent déboucher sur une crise ou un krach de grande ampleur.

Corvus soulève donc la question sur le plan de la gestion des Etats voire du village-monde à l’heure de la globalisation: l’exemple de l’ouragan qui a provoqué fin août les inondations de la Nouvelle-Orléans prouve d’ores et déjà que le système américain ne peut gérer, de manière optimale, deux situations d’urgence à la fois : la guerre en Irak, qui mobilise fonds et énergies, et les inondations à l’embouchure du Mississippi (dont la domestication du bassin a été le projet premier de Franklin Delano Roosevelt, pour lequel il a mobilisé toutes les énergies de l’Amérique à l’ “ère des directeurs” —ces termes sont de James Burnham— et pour lequel il a déclenché les deux guerres mondiales afin de glaner les fonds suffisants, après élimination de ses concurrents commerciaux allemands et japonais, et de réaliser son objectif: celui d’organiser d’Est en Ouest le territoire encore hétéroclite des Etats-Unis). La catastrophe naturelle qui a frappé la Nouvelle-Orléans est, en ce sens, l’indice d’un ressac américain en Amérique du Nord même et, plus encore, la preuve d’une fragilité extrême des systèmes hyper-complexes quand ils sont soumis à des sollicitations multiples et simultanées. Nous allons voir que ce débat est bien présent aujourd’hui aux Etats-Unis.

Qu’adviendrait-il d’une France frappée au même moment par quatre ou cinq catastrophes ?

En France, en novembre 2005, les émeutes des banlieues ont démontré que le système-France pouvait gérer dans des délais convenables des émeutes dans une seule ville, mais non dans plusieurs villes à la fois. La France est donc fragile sur ce plan. Il suffit, pour lui faire une guerre indirecte, selon les nouvelles stratégies élaborées dans les états-majors américains, de provoquer des troubles dans quelques villes simultanément. L’objectif d’une telle opération pourrait être de paralyser le pays pendant un certain temps, de lui faire perdre quelques milliards d’euros dans la gestion de ces émeutes, milliards qui ne pourront plus être utilisés pour les projets spatiaux concurrents et européens, pour la modernisation de son armée et de son industrie militaire (la construction d’un porte-avions par exemple). Imaginons alors une France frappée simultanément par une épidémie de grippe (aviaire ou non) qui mobiliserait outrancièrement ses infrastructures hospitalières, par quelques explosions de banlieues comme en novembre 2005 qui mobiliserait toutes ses forces de police, par des tornades sur sa côte atlantique comme il y a quelques années et par une crise politique soudaine due au décès inopiné d’un grand personnage politique. Inutile d’épiloguer davantage : la France, dans sa configuration actuelle, est incapable de faire face, de manière cohérente et efficace, à une telle convergence de catastrophes.

L’histoire prouve également que l’Europe du 14ième siècle a subi justement une convergence de catastrophes semblable. La peste l’a ravagée et fait perdre un tiers de ses habitants de l’époque. Cette épidémie a été suivie d’une crise socio-religieuse endémique, avec révoltes et jacqueries successives en plusieurs points du continent. A cet effondrement démographique et social, s’est ajoutée l’invasion ottomane, partie du petit territoire contrôlé par le chef turc Othman, en face de Byzance, sur la rive orientale de la Mer de Marmara. Il a fallu un siècle —et peut-être davantage— pour que l’Europe s’en remette (et mal). Plus d’un siècle après la grande peste de 1348, l’Europe perd encore Constantinople en 1453, après avoir perdu la bataille de Varna en 1444. En 1477, les hordes ottomanes ravagent l’arrière-pays de Venise. Il faudra encore deux siècles pour arrêter la progression ottomane, après le siège raté de Vienne en 1683, et presque deux siècles supplémentaires pour voir le dernier soldat turc quitter l’Europe. L’Europe risque bel et bien de connaître une “période de troubles”, comme la Russie après Ivan le Terrible, de longueur imprévisible, aux effets dévastateurs tout aussi imprévisibles, avant l’arrivée d’un nouvel “empereur”, avant le retour du politique.

“Guerre longue” et “longue catastrophe”: le débat anglo-saxon

Replaçons maintenant la parution de “La convergence des catastrophes” de Guillaume Corvus dans le contexte général de la pensée stratégique actuelle, surtout celle qui anime les débats dans le monde anglo-saxon. Premier ouvrage intéressant à mentionner dans cette introduction est celui de Philip Bobbitt, “The Shield of Achilles. War, Peace and the Course of History” (Penguin, Harmondsworth, 2002-2003) où l’auteur explicite surtout la notion de “guerre longue”. Pour lui, elle s’étend de 1914 à la première offensive américaine contre l’Irak en 1990-91. L’actualité nous montre qu’il a trop limité son champ d’observation et d’investigation : la seconde attaque américaine contre l’Irak en 2003 montre que la première offensive n’était qu’une étape; ensuite, l’invasion de l’Afghanistan avait démontré, deux ans auparavant, que la “guerre longue” n’était pas limitée aux deux guerres mondiales et à la guerre froide, mais englobait aussi des conflits antérieurs comme les guerres anglo-russes par tribus afghanes interposées de 1839-1842, la guerre de Crimée, etc. Finalement, la notion de “guerre longue” finit par nous faire découvrir qu’aucune guerre ne se termine définitivement et que tous les conflits actuels sont in fine tributaires de guerres anciennes, remontant même à la protohistoire (Jared Diamonds, aux Etats-Unis, l’évoque dans ses travaux, citant notamment que la colonisation indonésienne des la Papouasie occidentale et la continuation d’une invasion austronésienne proto-historique; ce type de continuité ne s’observa pas seulement dans l’espace austral-asiatique).

Si l’on limite le champ d’observation aux guerres pour le pétrole, qui font rage plus que jamais aujourd’hui, la période étudiée par Bobbitt ne l’englobe pas tout à fait: en effet, les premières troupes britanniques débarquent à Koweit dès 1910; il conviendrait donc d’explorer plus attentivement le contexte international, immédiatement avant la première guerre mondiale. Comme l’actualité de ce mois de janvier 2006 le prouve : ce conflit pour le pétrole du Croissant Fertile n’est pas terminé. Anton Zischka, qui vivra centenaire, sera actif jusqu’au bout et fut l’une des sources d’inspiration majeures de Jean Thiriart, avait commencé sa très longue carrière d’écrivain journaliste en 1925, quand il avait 25 ans, en publiant un ouvrage, traduit en français chez Payot, sur “La guerre du pétrole”, une guerre qui se déroule sur plusieurs continents, car Zischka n’oubliait pas la Guerre du Chaco en Amérique du Sud (les tintinophiles se rappelleront de “L’oreille cassée”, où la guerre entre le San Theodoros fictif et son voisin, tout aussi fictif, est provoquée par le désir de pétroliers américains de s’emparer des nappes pétrolifières).

Aujourd’hui, à la suite du constat d’une “longue guerre”, posé par Bobbitt et, avant lui, par Zischka, l’auteur américain James Howard Kunstler, dans “La fin du pétrole. Le vrai défi du XXI° siècle” (Plon, 2005) reprend et réactualise une autre thématique, qui avait été chère à Zischka, celle du défi scientifique et énergétique que lancera immanquablement la raréfaction du pétrole dans les toutes prochaines décennies. Pour Zischka, les appareils scientifiques privés et étatiques auraient dû depuis longtemps se mobiliser pour répondre aux monopoles de tous ordres. Les savants, pour Zischka, devaient se mobiliser pour donner à leurs patries, à leurs aires civilisationnelles (Zischka est un européiste et non un nationaliste étroit), les outils nécessaires à assurer leurs autonomies technologique, alimentaire, énergétique, etc. C’est là une autre réponse à la question de Clausewitz et à la nécessité d’une bonne gestion du patrimoine naturel et culturel des peuples. Faye n’a jamais hésité à plaider pour la diversification énergétique ou pour une réhabilitation du nucléaire. Pour lui comme pour d’autres, bon nombre d’écologistes sont des agents des pétroliers US, qui entendent garder les états inclus dans l’américanosphère sous leur coupe exclusive. L’argument ne manque nullement de pertinence, d’autant plus que le pétrole est souvent plus polluant que le nucléaire. Pour Corvus, l’une des catastrophes majeures qui risque bel et bien de nous frapper bientôt, est une crise pétrolière d’une envergure inédite.

La fin du modèle urbanistique américain

Les arguments de Corvus, nous les retrouvons chez Kunstler, preuve une nouvelle fois que ce livre sur la convergence des catstrophes n’a rien de marginal comme tentent de le faire accroire certains “aggiornamentés” du canal historique de la vieille “nouvelle droite” (un petit coup de patte en passant, pour tenter de remettre les pendules à l’heure, même chez certains cas désespérés… ou pour réveiller les naïfs qui croient encore —ou seraient tentés de croire— à ces stratégies louvoyantes et infructueuses…). Kunstler prévoit après la “longue guerre”, théorisée par Bobbitt, ou après la longue guerre du pétrole, décrite dans ses premiers balbutiements par Zischka, une “longue catastrophe”. Notamment, il décrit, de manière fort imagée, en prévoyant des situations concrètes possibles, l’effondrement de l’urbanisme à l’américaine. Ces villes trop étendues ne survivraient pas en cas de disparition des approvisionnements de pétrole et, partant, de l’automobile individuelle. 80% des bâtiments modernes, explique Kunstler, ne peuvent survivre plus de vingt ans en bon état de fonctionnement. Les toitures planes sont recouvertes de revêtements éphémères à base de pétrole, qu’il faut sans cesse renouveler. Il est en outre impossible de chauffer et d’entretenir des super-marchés sans une abondance de pétrole. La disparition rapide ou graduelle du pétrole postule un réaménagement complet des villes, pour lequel rien n’a jamais été prévu, vu le mythe dominant du progrès éternel qui interdit de penser un ressac, un recul ou un effondrement. Les villes ne pourront plus être horizontales comme le veut l’urbanisme américain actuel. Elle devront à nouveau se verticaliser, mais avec des immeubles qui ne dépasseront jamais sept étages. Il faudra revenir à la maçonnerie traditionnelle et au bois de charpente. On imagine quels bouleversements cruels ce réaménagement apportera à des millions d’individus, qui risquent même de ne pas survivre à cette rude épreuve, comme le craint Corvus. Kunstler, comme Corvus, prévoit également l’effondrement de l’école obligatoire pour tous : l’école ne sera plus “pléthorique” comme elle l’est aujourd’hui, mais s’adressera à un nombre limité de jeunes, ce qui conduira à une amélioration de sa qualité, seul point positif dans la catastrophe imminente qui va nous frapper.

La “quatrième guerre mondiale” de Thierry Wolton

Pour ce qui concerne le défi islamique, que Faye a commenté dans le sens que vous savez, ce qui lui a valu quelques ennuis, un autre auteur, Thierry Wolton, bcbg, considéré comme “politiquement correct”, tire à son tour la sonnette d’alarme, mais en prenant des options pro-américaines à nos yeux inutiles et, pire, dépourvues de pertinence. Dans l’ouvrage de Wolton, intitulé “La quatrième guerre mondiale” (Grasset, 2005), l’auteur évoque l’atout premier du monde islamique, son “youth bulge”, sa “réserve démographique”. Ce trop-plein d’hommes jeunes et désoeuvrés, mal formés, prompts à adopter les pires poncifs religieux, est une réserve de soldats ou de kamikazes. Mais qui profiteront à qui? Aucune puissance islamique autonome n’existe vraiment. Les inimitiés traversent le monde musulman. Aucun Etat musulman ne peut à terme servir de fédérateur à une umma offensive, malgré les rodomontades et les vociférations. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de se servir de cette masse démographique disponible pour avancer leurs pions dans cet espace qui va de l’Egypte à l’Inde et de l’Océan Indien à la limite de la taïga sibérienne. Certes, l’opération de fédérer cette masse territoriale et démographique sera ardue, connaîtra des ressacs, mais les Etats-Unis auront toujours, quelque part, dans ce vaste “Grand Moyen Orient”, les dizaines de milliers de soldats disponibles à armer pour des opérations dans le sens de leurs intérêts, au détriment de la Russie, de l’Europe, de la Chine ou de l’Inde. Avec la Turquie, jadis fournisseur principal de piétaille potentielle pour l’OTAN ou l’éphémère Pacte de Bagdad du temps de la Guerre froide dans les années 50, branle dans le manche actuellement. Les romans d’un jeune écrivain, Burak Turna, fascinent le public turc. Ils évoquent une guerre turque contre les Etats-Unis et contre l’UE (la pauvre….), suivie d’une alliance russo-turque qui écrasera les armées de l’UE et plantera le drapeau de cette alliance sur les grands édifices de Vienne, Berlin et Bruxelles. Ce remaniement est intéressant à observer : le puissant mouvement des loups gris, hostiles à l’adhésion turque à l’UE et en ce sens intéressant à suivre, semble opter pour les visions de Turna.

Dans ce contexte, mais sans mentionner Turna, Wolton montre que la présence factuelle du “youth bulge” conduit à la possibilité d’une “guerre perpétuelle”, donc “longue”, conforme à la notion de “jihad”. Nouvelle indice, après Bobbitt et Kunstler, que le pessimisme est tendance aujourd’hui, chez qui veut encore penser. La “guerre perpétuelle” n’est pas un problème en soi, nous l’affrontons depuis que les successeurs du Prophète Mohamet sont sortis de la péninsule arabique pour affronter les armées moribondes des empires byzantins et perses. Mais pour y faire face, il faut une autre idéologie, un autre mode de pensée, celui que l’essayiste et historien américain Robert Kaplan suggère à Washington de nos jours : une éthique païenne de la guerre, qu’il ne tire pas d’une sorte de new age à la sauce Tolkien, mais notamment d’une lecture attentive de l’historien grec antique Thucydide, premier observateur d’une “guerre longue” dans l’archipel hellénique et ses alentours. Kaplan nous exhorte également à relire Machiavel et Churchill. Pour Schmitt hier, comme pour Kaplan aujourd’hui, les discours normatifs et moralisants, figés et soustraits aux effervescences du réel, camouflent des intérêts bornés ou des affaiblissements qu’il faut soigner, guérir, de toute urgence.

L’infanticide différé

Revenons à la notion de “youth bulge”, condition démographique pour mener des guerres longues. Utiliser le sang des jeunes hommes apparait abominable, les sacrifier sur l’autel du dieu Mars semble une horreur sans nom à nos contemporains bercés par les illusions irénistes qu’on leur a serinées depuis deux ou trois décennies. En Europe, le sacrifice des jeunes générations masculines a été une pratique courante jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Ne nous voilons pas la face. Nous n’avons pas été plus “moraux” que les excités islamiques d’aujourd’hui et que ceux qui veulent profiter de leur fougue. La bataille de Waterloo, à quinze kilomètres d’ici, est une bataille d’adolescents fort jeunes, où l’on avait notamment fourré dans les uniformes d’une “Landwehr du Lünebourg” tous les pensionnaires des orphelinats du Hanovre, à partir de douze ans. La lecture des ouvrages remarquables du démographe français Gaston Bouthoul, autre maître à penser de Faye, nous renseigne sur la pratique romaine de l’”infanticide différé”. Rome, en armant ces légions, supprimait son excédent de garçons, non pas en les exposant sur les marges d’un temple ou en les abandonnant sur une colline, mais en différant dans le temps cette pratique courante dans les sociétés proto-historiques et antiques. Le jeune homme avait le droit à une enfance, à être nourri avant l’âge adulte, à condition de devenir plus tard soldat de dix-sept à trente-sept ans. Les survivants se mariaient et s’installaient sur les terres conquises par leurs camarades morts. L’empire ottoman reprendra cette pratique en armant le trop-plein démographique des peuples turcs d’Asie centrale et les garçons des territoires conquis dans les Balkans (les janissaires). La raison économique de cette pratique est la conquête de terres, l’élargissement de l’ager romanus et l’élimination des bouches inutiles. Le ressac démographique de l’Europe, où l’avortement remboursé a remplacé l’infanticide différé de Bouthoul, rend cette pratique impossible, mais au détriment de l’expansion territoriale. Le “youth bulge” islamique servira un nouveau janissariat turc, si les voeux de Turna s’exaucent, la jihad saoudienne ou un janissariat inversé au service de l’Amérique.

Que faire ?

L’énoncé de tous ces faits effrayants qui sont ante portas ne doit nullement conduire au pessimisme de l’action. Les réponses que peut encore apporter l’Europe dans un sursaut in extremis (dont elle a souvent été capable : les quelques escouades de paysans visigothiques des Cantabriques qui battent les Maures vainqueurs et arrêtent définitivement leur progression, amorçant par là la reconquista; les Spartiates des Thermopyles; les défenseurs de Vienne autour du Comte Starhemberg; les cent trente-cinq soldats anglais et gallois de Rorke’s Drift; etc.) sont les suivantes :

- Face au “youth bulge”, se doter une supériorité technologique comme aux temps de la proto-histoire avec la domestication du cheval et l’invention du char tracté; mais pour renouer avec cette tradition des “maîtres des chevaux”, il faut réhabiliter la discipline scolaire, surtout aux niveaux scientifiques et techniques.

- Se remémorer l’audace stratégique des Européens, mise en exergue par l’historien militaire américain Hanson dans “Why the West has always won”. Cela implique la connaissance des modèles anciens et modernes de cette audace impavide et la création d’une mythologie guerrière, “quiritaire”, basée sur des faits réels comme l’Illiade en était une.

- Rejeter l’idéologie dominante actuelle, créer un “soft power” européen voire euro-sibérien (Nye), brocarder l’ “émotionalisme” médiatique, combattre l’amnésie historique, mettre un terme à ce qu’a dénoncé Philippe Muray dans “Festivus festivus” (Fayard, 2005), et, antérieurement, dans “Désaccord parfait” (coll. “Tel”, Gallimard), soit l’idéologie festive, sous toutes ses formes, dans toute sa nocivité, cette idéologie festive qui domine nos médias, se campe comme l’idéal définitif de l’humanité, se crispe sur ses positions et déchaîne une nouvelle inquisition (dont Faye et Brigitte Bardot ont été les victimes).

C’est un travail énorme. C’est le travail métapolitique. C’est le travail que nous avons choisi de faire. C’est le travail pour lequel Guillaume Faye, qui va maintenant prendre la parole, a consacré toute sa vie. A vous de reprendre le flambeau. Nous ne serons écrasés par les catastrophes et par nos ennemis que si nous laissons tomber les bras, si nous laissons s’assoupir nos cerveaux.

dimanche, 14 février 2010

Günter Maschke: Der Fragebogen

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Günter MASCHKE: Der Fragebogen

 

◊ Wo möchten Sie jetzt am liebsten sein?

 

Ich bin, wo ich bin.

 

◊ Wofür lassen Sie alles stehen und liegen?

 

Für ein bestimmtes Antiquariat.

 

◊ Was bedeutet Heimat für Sie?

 

Die Möglichkeit, arglos zu sein.

 

◊ Was ist Ihnen wichtig im Leben?

 

Lesen.

 

◊ Was haben Ihnen Ihre Eltern mitgegeben?

 

Vom Vater hoffentlich Durchblick.

 

◊ Welches Buch hat Sie nachhaltig beeinflusst?

 

Von Adorno „Minima Moralia“ und von Carl Schmitt „Der Begriff des Politischen“.

 

◊ Welches Ereignis ist für die Welt das einschneidendste gewesen?

 

Die Entdeckung Amerikas.

 

◊ Was bedeutet Musik für Sie?

 

Der frühe Udo Lindenberg, Chansons.

 

◊ Was möchten sie verändern?

 

Die Mentalität der Deutschen.

 

◊ Woran glauben Sie?

 

An Gott.

 

◊ Welche Werte sollen wir unseren Kindern weitergeben?

 

Resistenz gegenüber der veröffentlichten Meinung.

 

◊ Welche Bedeutung hat der Tod für Sie?

 

Er wirkt im Voraus erzieherisch,und er hält zur Bescheidenheit an.

 

(Erst im Heft Nr. 24/1998 der „Jungen Freiheit“ (Berlin) erschienen).

 

Démocratie sous tutelle: entretien avec Paul Piccone

piccone.jpgArchives de Synergies Européennes - 1995

 

Démocratie sous tutelle

 

Entretien avec Paul Piccone, directeur de «Telos» (New York)

 

Dans les années 60, la plus importante des revues culturelles américaines, Telos, éditée à New York, crée le phénomène de la «Nouvelle Gauche» et ouvre la voie à la “contestation permanente” de 1968, en important aux Etats-Unis la pensée critique de l'Ecole de Francfort, d'Adorno et de Marcuse. Mais aujourd'hui, étonnant signe des temps: Telos  diffuse désormais la pensée de Carl Schmitt aux Etats-Unis, avec l'intention bien profilée de donnée une “épine dorsale” aux New Republicans, qu'on appelle aussi la New Right aux Etats-Unis. L'un des directeurs de Telos  est Paul Piccone, philosophe du politique, Italo-Américain de tempérament volcanique que j'ai rencontré lors d'un colloque à Pérouse. Il m'a parlé avec beaucoup d'enthousiasme de Gianfranco Miglio, le politologue qui a introduit Schmitt en Italie. «L'alliance entre Fini et Miglio», m'a dit Piccone, «est la véritable nouveauté, une nouveauté surpre­nante, dans votre pays. C'est le présidentialisme plus le fédéralisme. C'est l'Etat fort mais “petit”, assorti des libertés locales, des autonomies culturelles, de l'articulation des différences. C'est ce que tentent de réaliser les néo-conservateurs aux Etats-Unis».

 

Q.: Mais, cher Professeur, je vous demande un instant... Je voudrais que vous m'expliquiez comment vous êtes passé d'Adorno à Schmitt, de la nouvelle gauche à la nouvelle droite...

 

PP: Je vous dirais tout simplement que la première chose à se mettre en tête, c'est que la dichotomie gauche/droite est désormais dépassée. Aujourd'hui, le conflit politique ne passe plus par ces catégories, mais par d'autres: nous avons et nous aurons d'autres clivages: les populistes (les partisans du peuple) contre la nouvelle classe des technocrates, la démocratie contre la radicalisation de l'idéologie des Lumières.

 

Q.: Je crains de ne pas comprendre: votre populisme, c'est donc la droite; et la “nouvelle classe”, c'est la nouvelle gauche, “radicale-chic”...

 

PP: Il faut commencer par s'ôter de la tête l'idée fausse du populisme qu'a bricolée la gauche; quand elle parle de populisme, elle imagine des foules de paysans du Middle West, ignorants et armés de fourches, qui s'en vont lyncher des Noirs et molester des Juifs. Cette imagerie sert la nouvelle classe; en la manipu­lant, elle défend son pouvoir. La démocratie, pour la “nouvelle classe”, constitue un danger: parce que, pour elle, le peuple, source originelle de la souveraineté, est aussi le réceptacle d'une irrationalité invin­cible. De ce fait, le peuple a besoin de dirigeants sages et éclairés qui disent et manient les “règles” for­melles de la démocratie. Mais la démocratie représentative en vient à représenter de moins en moins les besoins de la vie réelle des gens, et de plus en plus des techniques formelles. Et sur ce champ technico-formel, seuls sont autorisés à intervenir les avocats, les bureaucrates, les intellectuels. De fait, cette conception est bien celle du progressisme de ce siècle, depuis le marxisme réel jusqu'à la sociale-démo­cratie et au Parti Démocrate américain; tous sont les versions différentes d'un centralisme bureaucra­tique qui essaie par tous les moyens de justifier son existence et de se légitimer politiquement. C'est ainsi que fonctionne le puissant appareil administratif-redistributif qui corrige les différences créées par le mar­ché. Finalement, la vie réelle du peuple, avec son organicité et son patrimoine d'expériences collectives, en vient à être entièrement dominée par un seul et unique héritage culturel, celui des Lumières qui se pro­clame frauduleusement seul “rationnel”, seul “universel(lement valable)”. Et prétend protéger le peuple contre lui-même. Les néo-républicains américains s'opposent à cette mythologie; leur lutte prend la forme d'une lutte contre la bureaucratie étatique omniprésente, qui empêche les communautés particulières de vivre comme elles l'entendent.

 

Q.: C'est donc un phénomène très américain...

 

TELOS142_MED.gifPP: C'est vrai. Très américain au sens le plus profond du terme. La démocratie américaine, en effet, a été fondée par des fanatiques religieux  —les pères pélerins du Mayflower—  qui ont fui l'Europe pour pouvoir conserver leur liberté d'être des fanatiques. Ils ont donc créé un système de liberté, où tous ont le loisir d'être fanatiques sans être troublés par personne; et spécialement sans être dérangés par les héritiers de la “démocratie jacobine” de la Révolution Française, qui prétendent imposer à chacun, au nom de la Raison, un catalogue bien délimité de valeurs auxquelles nous sommes tous priés de nous adapter. Mais je ne crois pas que cela soit un phénomène exclusivement américain: parce qu'aujourd'hui la Raison des Lumières, qui au fil des décennies s'est faite Etat, menace tout le monde. Au fait, a-t-on arrêté la Madonne en Italie?

 

Q.: Vous voulez dire la Madonne de Civitavecchia, celle qui pleure des larmes de sang? Les juges, en effet, l'ont mise sous sequestre car ils suspectaient une super­cherie, ils ont cru que l'on abusait de la crédulité populaire...

 

PP:  A qui le dites-vous... Je ne sais pas si la Madonne pleure pour du vrai, mais ce qui m'importe, moi, c'est que ceux qui y croient sont libres d'y croire sans que l'autorité de l'Etat n'ait à s'y immiscer pour dé­cider si oui ou non ces larmes de sang sont une tromperie qui abuse de la crédulité populaire. Cet incident devrait vous montrer à quoi se réduit la démocratie formelle... Elle n'est plus que l'expression d'une classe de “protecteurs” qui protègent l'ensemble des citoyens jugés incapables de se gouverner eux-mêmes. La démocratie représentative est périmée et s'est muée en une démocratie radicale (qui se dit “libérale” dans le monde anglo-saxon), où les choix démocratiques sont réduits et réservés à ce qui est parfaitement insignifiant. Déjà l'Ecole de Francfort avait démasqué cette fraude. Mon évolution de la nou­velle gauche à la nouvelle droite s'explique par une fidélité à cette démarche démasquante.

 

Q.: Mais cette démarche était de gauche...

 

PP: Si vous voulez. L'Ecole de Francfort, et tout spécialement Adorno, dans sa Critique de l'Aufklärung, nous ont expliqué comment la “rationalité instrumentale”, absoluisée, finit par exclure comme “irrationnels” tous les réflexes vitaux des gens normaux pour qui vivre est plus important que penser. La démocratie des Lumières, qui est une démocratie représentative, n'offre qu'une représentation appauvrie de la vie politique. Ce qui nous ramène au phénomène dont nous subissons aujourd'hui les effets néga­tifs: les démocraties deviennent ingouvernables, les masses sont devenues abstentionnistes, c'est le règne des intérêts particuliers. La démocratie a sombré dans le radicalisme démocratique qui rend tout gouvernement impossible.

 

Q.: Que peut-on faire pour s'y opposer?

 

PP: Il faut récupérer à notre profit la pensée de Carl Schmitt. Parce que Carl Schmitt a théorisé la contra­diction fondamentale entre ce “radicalisme libéral” (issu des Lumières) et la démocratie. Schmitt a amorcé une critique démocratique de la démocratie libérale issue des Lumières et nous a montré combien il était nécessaire de surmonter les formalismes, les “règles”, afin de restaurer les liens entre gouvernants et gouvernés, sans lesquels la démocratie n'a pas de sens.

 

Q.: Mais cette démocratie schmittienne n'est-elle pas la fameuse démocratie plébis­citaire, portée à bout de bras par un homme providentiel?

 

PP: C'est cela le nouveau populisme. Il doit conduire à l'émergence d'une politique populiste, faite par le peuple et pour le peuple. Cette politique ne sera plus l'œuvre d'une caste de professionnels, mais par des membres effectifs d'une communauté déterminée, qui font de la politique pour exprimer directement les exigences et les besoins expérimentés dans la vie quotidienne, la leur et celle de leurs électeurs.

 

Q.: Comment décririez-vous l'expérience Berlusconi?

 

PP: Berlusconi est le moindre mal, parce qu'il n'y a pas autre chose pour l'instant. Mais Berlusconi n'a pas de programme, pas de “vision”. C'est l'axe Fini-Miglio qui me semble aujourd'hui plus prometteur en Italie. A deux, ils peuvent jeter les bases d'une démocratie populiste en Italie.

 

(propos recueillis par Maurizio BLONDET; entretien paru dans Pagine Libere, Rome, juin 1995).

samedi, 13 février 2010

Jacques Sapir, économiste alternatif et souverainiste

Jacques Sapir, économiste alternatif et souverainiste

Par Laurent Pinsolle - Ex: http://fortune.fdesouche.com/

 

Après avoir lu beaucoup de livres de penseurs alternatifs (…), Jacques Sapir était le dernier grand intellectuel que je voulais étudier.

« Le nouveau 21ème siècle » [Ed. du Seuil, mars 2008], écrit avant le déclenchement de la crise économique, est un ouvrage de référence sur l’économie et l’idée nationale.

Retour sur la crise de 1997-1999

C’est un point commun de Jacques Sapir avec les deux prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman, que de donner une importance particulière à la crise qui a secoué les pays émergents à la fin des années 90. Pour lui, comme pour eux, cette crise est la conséquence d’une déréglementation excessive, notamment sur le plan financier et monétaire et elle démontre, 10 ans avant la crise des subprimes, les immenses dangers de la globalisation néolibérale.

Ce livre complète parfaitement « La grande désillusion » de Joseph Stiglitz, qui travaillait à la Banque Mondiale à cette époque.

S’il en donne une lecture plus politique, le constat économique est aussi sévère. Il montre l’absurdité d’un système où le FMI prêtait de l’argent à des pays émergents pour défendre leur monnaie, à un coût exorbitant, tout en étant voué à l’échec la plupart du temps. Il souligne que « la Malaisie et le Chili (…) ont dû leur réussite à des mesures de contrôle de capitaux ».

Bref, alors que le FMI déversait de l’argent pour lutter contre les marchés, tout en imposant des mesures d’austérité souvent violentes pour la population, la solution à cette crise était une restriction des marchés de capitaux. L’auteur souligne malicieusement : « si les Etats-Unis sont capables d’engager à perte plus de 60 milliards de dollars pour tenter d’enrayer une crise financière (…) n’eût-il pas été plus judicieux d’investir la même somme dans des actions de développement ? »

L’auteur utilise une image particulièrement brillante pour appuyer les thèses d’une « re-fragmentation des espaces financiers et commerciaux ». Il fait le parallèle avec les cales d’un cargo. Et s’il reconnaît volontiers qu’une cale sans compartiment est plus pratique, il souligne qu’en cas de tempête, elle devient un danger menaçant la stabilité du navire. Il souligne que « les architectes et constructeurs de navires le savent depuis des siècles et sacrifient l’optimalité théorique à une conception garante de robustesse ».

Un véritable tournant politique

Par-delà la grave crise économique, pour Jacques Sapir, cette crise a provoqué un changement politique majeur à l’échelle de la planète. Pour lui, « la Russie s’est reconstruite autour d’un projet national et industrialiste ». Plus globalement « la crise a aussi amené de nombreux pays à modifier leurs stratégies économiques, les conduisant à des politiques commerciales très agressives, dont l’addition provoque aujourd’hui une fragilisation générale de l’économie mondiale ».

En effet, depuis un peu plus de dix ans, de nombreux pays émergents ont adopté une stratégie économique visant à accumuler le montant le plus important possible d’excédents commerciaux, de manière à pouvoir mener une politique économique autonome, sans jamais avoir à demander de l’aide à un FMI et des Etats-Unis qui leur imposent des politiques aberrantes. Cela vaut, notamment, pour la Chine, qui accumule des excédents commerciaux colossaux depuis des années.

L’auteur souligne que depuis la fin des années 90, « ces pays ont cherché à se désendetter brutalement, afin de diminuer autant que possible leur exposition au risque financier international ». Mais « le drame, ici, vient de ce [que ce] qui est globalement insoutenable puisse, à l’échelle de chaque pays, apparaître comme une solution viable ». En clair, c’est le FMI et les Etats-Unis, suivis par le reste du monde occidental, qui ont poussé les pays émergents à adopter une stratégie économique porteuse de déséquilibres majeurs…

Pour l’auteur, cet épisode a contribué à l’avortement du siècle américain qui semblait se dessiner à partir de 1991. Il consacre également le retour des Etats-nations et d’une stratégie de défense des intérêts patriotes, que les théoriciens du marché-roi ont souvent tendance à oublier.

* * * * *

Jacques Sapir n’est pas un économiste comme les autres. Passionné de géopolitique, ses écrits offrent également une lecture politique passionnante, qui éclaire particulièrement bien les enjeux d’aujourd’hui et le « retour des nations » qu’il annonce.

L’illusion du droit d’ingérence

Dans la novlangue bien-pensante, le « droit d’ingérence » est un morceau de choix. Il faut dire que le vocabulaire a été bien choisi pour éviter toute contestation. Mais ce n’est pas ce qui arrête un Jacques Sapir, qui n’a que faire des convenances et attaque bille en tête. Il souligne que « l’ingérence humanitaire, [qui] ne peut être que le fait du fort sur le faible, alors qu’un principe de droit doit, par essence, pouvoir être appliqué tout autant au fort qu’au faible », [devient] au passage un « colonialisme humanitaire ».

Il souligne que cela « introduit une division immédiate au sein des nations, entre celles dont les moyens de défense les protègent de toute tentative d’ingérence et celles dont les moyens de défense sont suffisamment faibles pour qu’elles puissent devenir, le cas échéant, des cibles dans une guerre humanitaire ». Pire, pour lui, cela incite à « monter en puissance dans ses moyens de défense, l’échelon ultime (…) étant la possession d’armes de destruction massive »

Au contraire, c’est « en rétablissant le principe de la souveraineté dans toute sa force (…) que l’on pourra réellement s’opposer au processus de prolifération des armes nucléaires ». Il souligne que cette violation de la souveraineté suspend « les conditions rendant possibles la production et la légitimation des institutions, la possibilité d’un enracinement légitime des institutions importées devient extrêmement problématique. L’ingérence devra donc soit être renouvelée, soit être étendue dans le temps ».

L’auteur souligne que l’intervention occidentale au Kosovo a plutôt empiré les choses, dans un exposé très documenté et critique. Il affirme que « derrière le discours humanitariste (…), on retrouve la cruelle vérité de l’adage bismarckien : la force prime le droit »… Avec Guantanamo et le Patriot Act, il souligne que, pour les Etats-Unis, « la défense des libertés démocratiques n’a sa place, que si elle peut affaiblir un adversaire. Elle cesse d’être un principe d’action, si tel n’est pas le cas ».

Le siècle du retour des nations ?

Pour lui, c’est la défense des intérêts nationaux qui est la solution. Il souligne à quel point l’économie russe a réussi à se relancer à la fin des années 90, en renonçant en partie à la potion amère néolibérale qui lui avait été imposée, provoquant un effondrement de 40% du PIB, en recourant à un cocktail de dévaluation, baisse des prix de l’énergie pour les consommateurs russes, contrôle des changes et aides publiques. Ainsi, l’économie est repartie avant même la hausse du prix des matières premières.

Il cite de larges passages d’un discours de Poutine, à Munich en 2007, où celui-ci affirme que « nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d’un seul Etat, avant tout, bien entendu, des Etats-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines, dans l’économie, la politique, et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres Etats ».

Pour Sapir, il s’agit d’une « critique radicale de l’idéologie de la mondialisation ». « La souveraineté est une et indivisible » et « le droit international est nécessairement un droit de coordination, et non un droit de subordination » et « il ne peut y avoir de légalité (le droit international) sans légitimité, et que cette dernière ne saurait se construire, dans un univers structuré par des intérêts divergents et des valeurs multiples, que sur la base de la souveraineté ». Souveraineté et démocratie sont intrinsèquement liées.

Pour lui, la solution serait de construire des instances « régionales et politiques, au mieux coordonnées à l’échelle mondiale ». Mais « elles devront faire la place aux intérêts des Etats en raison de la dimension étatique des politiques économiques ». Il y a pour lui un motif d’espoir dans les discours, finalement peu orthodoxes, des principaux candidats à l’élection présidentielle de 2007, qui ont tous emprunté au discours alternatif, en dénonçant les délocalisations par exemple.

L’auteur termine par une conclusion très gaullienne, où, s’il souligne que « la grandeur nationale ne se mange pas en salade », il appelle les Français à embrasser ce nouveau 21ème siècle, qui sera celui des nations, et à préparer une alternative bienvenue pour 2012.

Source : Laurent Pinsolle (article 1 et article 2)

vendredi, 12 février 2010

Participation gaullienne et "ergonisme": deux corpus d'idées pour la société de demain

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990

Participation gaullienne et «ergonisme»:

deux corpus d'idées pour la société de demain

 

par Robert Steuckers

 

Beaucoup de livres, d'essais et d'articles ont été écrits sur l'idée de participation dans le gaullisme des an­nées 60. Mais de toute cette masse de textes, bien peu de choses sont passées dans l'esprit public, dans les mentalités. En France, une parcelle de l'intelligentsia fit preuve d'innovation dans le domaine des projets sociaux quand le monde industrialisé tout entier se contentait de reproduire les vieilles formules libérales ou keynésiennes. Mais l'opinion publique française n'a pas retenu leur message ou n'a pas voulu le faire fructifier.

 

affiche-participation.jpgOn ne parle plus, dans les salons parisiens, de la participation suggérée par De Gaulle, ni de l'idée sédui­sante d'«intéressement» des travailleurs aux bénéfices des entreprises, ni des projets «pancapitalistes» d'un Marcel Loichot ou d'un René Capitant. Lors des commémorations à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Charles De Gaulle, ces projets, pourtant très intéressants et, aujourd'hui encore, riches de possibles multiples, n'ont guère été évoqués. Couve de Murville, sur le petit écran, a simplement rap­pelé la diplomatie de «troisième voie» amorcée par De Gaulle en Amérique latine, au Québec et à Phnom Penh (1966). Si la «troisième voie» en politique extérieure suscite encore de l'intérêt, en revanche, la «troisième voie» envisagée pour la politique intérieure est bel et bien oubliée.

 

Outre les textes de René Capitant ou l'étude de M. Desvignes sur la participation (1), il nous semble op­portun de rappeler, notamment dans le cadre du «Club Nationalisme et République», un texte bref, dense et chaleureux de Marcel Loichot, écrit en collaboration avec le célèbre et étonnant Raymond Abellio en 1966, Le cathéchisme pancapitaliste. Loichot et Abellio constataient la faiblesse de la France en biens d'équipement par rapport à ses concurrents allemands et japonais (déjà!). Pour combler ce retard  —que l'on comparera utilement aujourd'hui aux retards de l'Europe en matières d'électronique, d'informatique, de création de logiciels, en avionique, etc…—  nos deux auteurs suggéraient une sorte de nouveau contrat social où capitalistes et salariés se partageraient la charge des auto-financements dans les entreprises. Ce partage, ils l'appelaient «pancapitaliste», car la possession des richesses nationales se répartissait entre toutes les strates sociales, entre les propriétaires, les patrons et les salariés. Cette diffusion de la richesse, expliquent Loichot et Abellio (2), brise les reins de l'oligo-capitalisme, système où les biens de produc­tion sont concentrés entre les mains d'une petite minorité (oligo  en grec) de détenteurs de capitaux à qui la masse des travailleurs «aliène», c'est-à-dire vend, sa capacité de travail. Par opposition, le pancapita­lisme, ne s'adressant plus à un petit nombre mais à tous, entend «désaliéner» les salariés en les rendant propriétaires de ces mêmes biens, grâce à une juste et précise répartition des dividendes, s'effectuant par des procédés techniques dûment élaborés (condensés dans l'article 33 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises si celles-ci attribuent à leur personnel des actions ou parts sociales).

 

L'objectif de ce projet «pancapitaliste» est de responsabiliser le salarié au même titre que le patron. Si le petit catéchisme pancapitaliste de Loichot et Abellio, ou le conte de Futhé et Nigo, deux pêcheurs japo­nais, dont l'histoire retrace l'évolution des pratiques économiques (3), peuvent nous sembler refléter un engouement utopique, parler le langage du désir, les théoriciens de la participation à l'ère gaullienne ne se sont pas contentés de populariser outrancièrement leurs projets: ils ont su manier les méthodes mathéma­tiques et rationnelles de l'économétrie. Mais là n'est pas notre propos. Nous voudrions souligner ici que le projet gaullien global de participation s'est heurté à des volontés négatives, les mêmes volontés qui, au­jourd'hui encore, bloquent l'évolution de notre société et provoquent, en bon nombre de points, son im­plosion. Loichot pourfendait le conservatisme du patronat, responsable du recul de la France en certains secteurs de la production, responsable du mauvais climat social qui y règnait et qui décourageait les sala­riés.

 

Deuxième remarque: qui dit participation dit automatiquement responsabilité. Le fait de participer à la croissance de son entreprise implique, de la part du salarié, une attention constante à la bonne ou la mau­vaise marche des affaires. Donc un rapport plus immédiat aux choses de sa vie quotidienne, donc un an­crage de sa pensée pratique dans le monde qui l'entoure. Cette attention, toujours soutenue et nécessaire, immunise le salarié contre toutes les séductions clinquantes des idéologies vagues, grandiloquentes, qui prétendent abolir les pesanteurs qu'impliquent nécessairement les ancrages dans la vie. Jamais les modes universalistes, jamais les slogans de leurs relais associatifs (comme SOS-Racisme par exemple), n'auraient pu avoir autant d'influence, si les projets de Loichot, Capitant, Abellio, Vallon s'étaient ancrés dans la pratique sociale quotidienne des Français. Ceux-ci, déjà victimes des lois de la Révolution, qui ont réduit en poussière les structures professionnelles de type corporatif, victimes une nouvelle fois de l'inadaptation des lois sociales de la IIIième République, victimes de la mauvaise volonté du patronat qui saborde les projets gaulliens de participation, se trouvent systématiquement en porte-à-faux, davantage en­core que les autres Européens et les Japonais, avec la réalité concrète, dure et exigeante, et sont consolés par un opium idéologique généralement universaliste, comme le sans-culottisme de la Révolution, la gloire de l'Empire qui n'apporte aucune amélioration des systèmes sociaux, les discours creux de la IIIième bourgeoise ou, aujourd'hui, les navets pseudo-philosophiques, soft-idéologiques, de la médiacratie de l'ère mitterandienne. Pendant ce temps, ailleurs dans le monde, les Allemagnes restauraient leurs associations professionnelles ou les maintenaient en les adaptant, Bismarck faisait voter des lois de protection de la classe ouvrière, les fascismes italiens ou allemands peaufinaient son œuvre et imposaient une législation et une sécurité sociales très avancées, la RFA savait maintenir dans son système social ce qui avait été innovateur pendant l'entre-deux-guerres (Weimar et période NS confondues), le Japon conservait ses ré­flexes que les esprits chagrins décrètent «féodaux»... Toutes mesures en rupture avec l'esprit niveleur, hos­tile à tout réflexe associatif de nature communautaire, qui afflige la France depuis l'émergence, déjà sous l'ancien régime, de la modernité individualiste.

 

capitant.jpgL'idée de participation est un impératif de survie nationale, identitaire et économique, parce qu'elle im­plique un projet collectif et non une déliquescence individualiste, parce qu'elle force les camarades de tra­vail d'une entreprise à se concerter et à discuter de leurs vrais problèmes, sans être doublement «aliénés»: et par les mécanismes économiques du salariat et par les discours abrutissants des médias qui remplacent désormais largement l'opium religieux, comme l'entendaient Feuerbach, Marx et Engels, dont les idées sont trahies allègrement aujourd'hui par ceux qui s'en revendiquent tout en les figeant et les dénaturant. La réalité, qui n'est pas soft  mais hard, contrairement à ce qu'affirment les faux prophètes, a déjà dû s'adapter à cette nécessité de lier le travailleur immédiatement à sa production: l'éléphantiasis tant des appareils ad­ministratifs étatisés de type post-keynésiens que des énormes firmes transnationales ont généré, à partir de la première crise pétrolières de 1973, une inertie et une irresponsabilité croissantes de la part des salariés, donc une perte de substance humaine considérable. Il a fallu trancher stupidement, avec gâchis, au nom de chimères opposées, en l'occurrence celles du néo-libéralisme reaganien ou thatchérien. Renvoyer des sala­riés sans préparation au travail indépendant. Résultat, dans les années 80: accroissement exponentiel du chômage, avec des masses démobilisées n'osant pas franchir ce pas, vu que les législations de l'ère keyné­sienne (qui trahissaient Keynes) avaient pénalisé le travail indépendant. Autre résultat, au seuil des années 90: une inadaptation des structures d'enseignement aux besoins réels de la société, avec répétition sociale-démocrate des vieux poncifs usés, avec hystérie néo-libérale destructrice des secteurs universitaires jugés non rentables, alors qu'ils explorent, souvent en pionniers, des pans entiers mais refoulés du réel; et pro­duisent, du coup, des recherches qui peuvent s'avérer fructueuses sur le long terme.

 

Les vicissitudes et les dysfonctionnements que nous observons dans notre société contemporaine provien­nent de ce désancrage permanent qu'imposent les idéologies dominantes, privilégiant toutes sortes de chi­mères idéologiques, transformant la société en un cirque où des milliers de clowns ânonnent des paroles creuses, sans rien résoudre. La participation et l'intéressement sont les aspects lucratifs d'une vision du monde qui privilégie le concret, soit le travail, la créativité humaine et la chaîne des générations. Ce re­cours au concret est l'essence même de notre démarche. Au-delà de tous les discours et de toutes les abs­tractions monétaires, de l'étalon-or ou du dollar-roi, le moteur de l'économie, donc de notre survie la plus élémentaire, reste le travail. Définir en termes politiques notre option est assez malaisé: nous ne pouvons pas nous définir comme des «identitaires-travaillistes», puisque le mot «travailliste» désigne les sociaux-démocrates anglais ou israëliens, alliés aux socialistes de nos pays qui claudiquent de compromissions en compromissions, depuis le programme de Gotha jusqu'à celui de Bad Godesberg (4), depuis les mesures libérales du gouvernement Mitterand jusqu'à son alliance avec Bernard Tapie ou son alignement incondi­tionnel sur les positions américaines dans le Golfe.

 

Jacob Sher, économiste qui a enseigné à l'Institut polytechnique de Léningrad avant de passer à l'Ouest, participationniste sur base d'autres corpus que ceux explorés par les gaulliens Loichot, Vallon ou Capitant, a forgé les mots qu'il faut   —ergonisme, ergonat, ergonaire (du grec ergon, travail)—   pour désigner sa troisième voie basée sur le Travail. Issu de la communauté juive de Vilnius en Lithuanie, Jacob Sher partage le sort de ces Israëlites oubliés par nos bateleurs médiatiques, pourtant si soucieux d'affirmer et d'exhiber un philosémitisme tapageur. Oublié parce qu'il pense juste, Sher nous explique (5) très précisément la nature éminement démocratique et préservatrice d'identité de son projet, qu'il appelle l'ergonisme. Il est démocratique car la richesse, donc le pouvoir, est répartie dans l'ensemble du corps so­cial. Il préserve l'identité car il n'aliène ni les masses de salariés ni les minorités patronales et fixe les at­tentions des uns et des autres sur leur tâche concrète sans générer d'opium idéologique, dissolvant toutes les formes d'ancrage professionnel ou identitaire.

 

La participation gaullienne et l'ergonat sherien: deux corpus doctrinaux à réexplorer à fond pour surmonter les dysfonctionnements de plus en plus patents de nos sociétés gouvernées par l'idéologie libérale saupou­drée de quelques tirades socialistes, de plus en plus rares depuis l'effondrement définitif des modèles com­munistes est-européens. Pour ceux qui sont encore tentés de raisonner en termes reagano-thatchériens ou de resasser les formules anti-communistes nées de la guerre froide des années 50, citons la conclusion du livre de Jacob Sher: «Et ce n'est pas la droite qui triomphe et occupe le terrain abandonné par la gauche, malgré les apparences électorales. Certes, la droite profite de la croissance du nombre des voix anti-gauche, mais ces voix ne sont pas pro-droite, elle ne s'enrichit pas d'adhésions à ses idées. Car la droite aussi est en déroute, son principe de société a aussi échoué. Ce sont les nouvelles forces qui montent, les nouvelles idées qui progressent, une nouvelle société qui se dessine. Non pas une société s'inscrivant entre les deux anciennes sociétés, à gauche ou à droite de l'une ou de l'autre, mais CONTRE elles, EN FACE d'elles, DIFFERENTE d'elles. TROISIEME tout simplement. Comme un troisième angle d'un triangle».

 

Robert Steuckers.

 

Notes

 

(1) Cf. M. Desvignes, Demain, la participation. Au-delà du capitalisme et du marxisme, Plon, Paris, 1978; René Capitant, La réforme pancapitaliste, Flammarion, Paris, 1971; Ecrits politiques, Flammarion, 1971; Démocratie et participation politique, Bordas, 1972.

(2) «Le catéchisme pancapitaliste» a été reproduit dans une anthologie de textes de Marcel Loichot intitu­lée La mutation ou l'aurore du pancapitalisme, Tchou, Paris, 1970.

(3) Le conte de Futhé et Nigo se trouve également dans Marcel Loichot, La mutation..., op. cit., pp. 615-621.

(4) Au programme de Gotha en 1875, les socialistes allemands acceptent les compromissions avec le ré­gime impérial-libéral. A Bad Godesberg en 1959, ils renoncent au révolutionnarisme marxiste, donc à changer la société capitaliste. Le marxisme apparaît comme un compromis permanent face aux dysfonc­tionnements du système capitaliste.

(5) Jacob Sher, Changer les idées. Ergonisme contre socialisme et capitalisme, Nouvelles éditions Rupture, 1982.

 

  

mercredi, 10 février 2010

Sousl l'oeil de Big Brother: une société sous surveillance?

Le pouvoir de l’Etat est-il devenu « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux », selon les termes de Tocqueville ? Si tel est le cas, quelle saveur ont encore concrètement les libertés ? Faut-il encourager passivement ce « pouvoir immense et tutélaire », dont le même auteur prévoyait l’avènement avec quelque inquiétude ? Grave question que les criminalités émergentes font ressurgir avec d’autant plus d’acuité qu’elles nécessitent une surveillance accrue des services publics. Souvent au détriment des honnêtes gens.

L’efficacité avec laquelle les nouvelles menaces doivent être combattues ne saurait tout justifier. La question est politique. On ne perdra pas de vue que la sécurité est l’impératif catégorique des Etats modernes. Le prétexte de leurs secrètes tentations. Aussi, prudentia oblige, cette efficacité n’implique pas que les citoyens, auxquels l’administration moderne épargne le souci de songer à leur défense personnelle, s’en remettent à l’Etat les yeux fermés. La lâcheté d’une société civile qui s’est historiquement laissé désarmer peut avoir un coût redoutable. A fortiori dans un contexte globalisé, où prolifèrent parallèlement menaces et techniques complexes de collecte de l’information. La distance cri?tique du citoyen isolé s’y réduit comme une peau de chagrin. Ignorant la réalité des menaces qui l’environnent, celui-ci tend à s’en remettre au discours officiel. Telle menace extérieure, à l’ampleur imprécise, qu’elle soit d’ordre terroriste, mafieuse ou relevant de la délinquance financière, lui en impose plus que le pouvoir immédiat, aussi prégnant que ce der?nier puisse s’affirmer dans la vie quotidienne. On le sait, l’épouvantail effraie plus les moineaux que le filet.

Ainsi, plus se développe le souci légitime de faire face aux agressions les plus diverses et les plus inédites, plus se pose le problème de la gestion des risques dans les sociétés contemporaines. Là est le lieu de toutes les illusions d’optique quant à la perception des nuisances réelles. A ce titre, les risques pesant sur la santé constituent un révélateur formidable. Le phénomène des vaccinés contre le virus de la grippe A illustre cette porosité des populations aux slogans alarmistes. Aussi, dans le cas de menaces portant sur la sécurité, autrement angoissantes, mais éventuellement surévaluées au nom de ces « sciences du danger », qui prétendent éclairer les administrations en matière de précautions, beaucoup de conditionnements sont possibles, de dérives envisageables. Un carcan de normes inédites, asphyxiant les libertés, peut alors être imposé. Un exemple extrême : le Patriot Act de 2001, arguant des nouvelles menaces terroristes pour étendre brutalement les prérogatives de l’Etat américain en matière d’investigation.

 

Souriez, vous êtes filmé !

 

Au-delà de ce cas de démesure flagrante, remis en cause de?puis, c’est le quadrillage discret de nombreux pans de la vie sociale, par les administrations du monde occidental, qui doit attirer notre attention. De la gestion des entreprises à la vie privée, en passant par le patrimoine et les déplacements des personnes et des biens. En effet, les services publics de sécurité doivent aujourd’hui s’adapter à un contexte sans précédent. Dans le monde joliment bigarré du XXIe siècle, toutes sortes d’opportunités s’offrent désormais aux cerveaux délinquants qui pensent la criminalité, l’imaginent, et plus encore la calculent mathématiquement, selon un type d’analyses parfois peu éloignées de celles des grands prédateurs légaux de l’ordre libéral. Cette criminalité déterritorialisée, dématérialisée quand elle exploite les circuits d’Internet, s’organise en réseaux structurés. Au maillage que réalisent alors certains groupes délinquants sur un espace mondialisé, et donc sur une population ciblée à l’assiette infiniment plus large, répond le maillage que mettent en place peu à peu les administrations.

On connaissait jusqu’ici le tropisme tentaculaire de ces dernières. S’y ajoute désormais, pour compléter la panoplie du monstre, la propension à se doter d’une multitude d’yeux, sans oublier les grandes oreilles. Les réseaux d’écoute et de surveillance visuelle par satellite, déployés à une échelle très vaste et d’autant moins transparente, l’illustrent avec force. Nés en 1948 du contexte de la Guerre froide, avec les cinq pays anglos-saxons du pacte UKUSA, ces réseaux se sont de?puis étendus à d’autres Etats. Mais d’une manière générale, au-delà de tels systèmes, ce que peut redouter une société un tant soit peu soucieuse de ses libertés, c’est la mémoire colossale que les administrations tentent obstinément de se greffer à coups de logiciels toujours plus puissants.

Petit coup de projecteur en France. Le 1er octobre dernier, le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux indiquait à tous les préfets, réunis à Paris pour la circonstance, ses quatre priorités concernant les moyens de la police. Outre « le développement de la police scientifique et technique de masse », était affirmée la priorité du « déploiement des outils vidéo » avec un effort particulier pour les caméras embarquées, beaucoup plus efficaces. Le même Hortefeux ouvrait ensuite en novembre la 25e édition de Milipol, le salon mondial consacré à la sécurité des Etats. 900 exposants aux techniques de pointe pour ce marché – du flicage ? – en pleine croissance (8,4 % en 2008). Véritable Eldorado pour la vidéosurveillance. Minicaméras dissimulées dans une plaque d’immatriculation, drones filmant les foules, caméras-projectiles dotées d’un angle de 360°. Les hors-la-loi n’ont qu’à bien se tenir ! Les citoyens aussi.

C’est bien le nœud du problème. L’escalade technologique, qui entraîne les délinquants et les services de sécurité dans le même vertige, a des conséquences nouvelles. La frontière entre prévention et contrôle s’amenuise. Ainsi le veut la raison technocratique sur laquelle se greffe cette logique technicienne. N’est en effet nullement en cause une improbable volonté autoritaire des gouvernements. L’air du temps n’est plus aux Etats policiers, en dépit des fantasmes de l’extrême-gauche, qui focalise grossièrement ses critiques sur de prétendues intentions répressives. Curieusement, ses membres ignorent le passage des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle, qu’ont montré les analyses des philosophes Gilles Deleuze et Michel Foucault.

 

Le monde d’Orwell en version numérique

 

Fondamentalement, sont en cause les mécanismes de con?trôle induits par le système global, condamné à miser sur un optimisme technologique. Ceci afin de concilier la marchandisation du monde et la sécurité de cette universalité errante des individus qui la mettent en œuvre. D’où la dimension planétaire du phénomène et sa logique d’intégration toujours plus étroite. On observe d’abord cette logique à travers la collaboration croissante des services administratifs à l’intérieur d’un même Etat. A ce titre, les services fiscaux, par exemple, deviennent des partenaires de choix pour les services publics de sécurité. L’information est moins cloisonnée, mise en commun. Concertation et collaboration par le rapprochement des fichiers respectifs se généralisent. Aussi voit-on les lignes traditionnelles de l’investigation ordinaire se déplacer. Au-delà, s’impose, sur un mode semblable, la coopération plus étroite entre Etats et entre organisations internationales.

Cependant, le point le plus avancé de cette intégration réside dans le transfert de plus en plus fréquent d’informations du secteur privé vers le public. Et inversement. Les perspectives ouvertes par le numérique ont fait passer la surveillance au stade d’une industrie. Au détriment de toute légitimité. La « Commission nationale de l’informatique et des libertés » (CNIL) n’a pas fini d’être dépassée. C’est l’impératif d’une véritable chaîne de la sécurité, au-delà du champ traditionnel du bien commun, qui a fait naître cette logique marchande. Quand la sécurité devient un bien commercial, on assiste alors à des liens auparavant inconcevables. Ainsi des relations privilégiées entre la National Science Agency (NSA) américaine et Microsoft. Ou de la vente d’images par Spot Image, filiale du CNES français, à Google Earth. Par ail?leurs, d’autres acteurs deviennent décisifs, comme les compagnies d’assurances, qui contrôlent désormais nombre de sociétés privées de télésurveillance.

Est-ce la préfiguration d’une ère nouvelle ? C’est, en tout cas, la rançon d’une longue fuite en avant. Sans doute la con?séquence lointaine d’un consentement séculaire, celui de la prise en charge du vivre-ensemble par une providence séculière, un Léviathan. La surveillance comme nouveau mode de régulation sociale, voilà ce qu’avait bien saisi Orwell. Ses intuitions restent valables. Seulement, aujourd’hui, Big Brother n’est plus moustachu. Dépersonnalisé, il est également dématérialisé. C’est une puissance anonyme, tapie dans les circuits de notre quotidien numérique.

Vincent Villemont

 

A lire :

Patrick Le Guyader, Les systèmes électroniques et informatiques de surveillance : contrôle de la vie privée des personnes et des biens,
Hermès science publications-Lavoisier, 2 008.

Frédéric Ocqueteau, Les défis de la sécurité privée. Protection et surveillance dans la France d’aujourd’hui, L’Harmattan, 1 997.

 

lundi, 08 février 2010

Neue Formen der Weltpolitik

spengler-vers-1913-jpg.jpgNeue Formen der Weltpolitik

Ex: http://rezistant.blogspot.com/
Der Bolschewismus in seiner ältesten Form, die man heute mit dem Namen Lenin bezeichnen darf und die mit dem Tode Lenins nach meiner Überzeugung abgeschlossen ist, hat daran nichts geändert. Der ursprüngliche Bolschewismus ist seiner ganzen Gedankenwelt nach und auch nach der Herkunft eines grossen Teils seiner Träger europäisch, das heisst westeuropäisch. Er hat nichts daran geändert, daß Asien weiterhin als Mittel zu europäischen Zwecken eingesetzt wird. An Stelle der grossen Botschafterposten, mit denen der Zar arbeitete, ist die Gruppe der grossen bolschewistischen Parteien getreten, mit denen die jetzige Regierung in Russland arbeitet, und der Gedanke der heiligen Allianz Alexanders I. ist wieder aufgelebt in dem Gedanken einer Allianz des Proletariats unter dem Sowjetstern. Es handelt sich nach wie vor darum, Westeuropa in irgend einer Form russischen Interessen zu unterstellen und russische Ideen für die Länder des westlichen Europas nutzbar zu
machen.

Oswald Spengler, Aus einem Vortrage "Neue Formen der Weltpolitik", gehalten am 28. April 1924 im Überseeclub zu Hamburg.

http://www.ueberseeclub.de/vortrag/v...1924-04-28.pdf

dimanche, 07 février 2010

Piet Tommissen: een krasse tachtiger

Piet Tommissen : Een krasse tachtiger

Peter Logghe - http://www.peterlogghe.be/

Professor dr. Em. Piet Tommissen staat helemaal achter het principe dat men nooit te oud is om actief te blijven, ook intellectueel. Op zijn 82ste presteert deze oud-academicus het om een bundeling bijdragen te publiceren. Bedenkingen en interessante achtergrondinformatie onder andere bij het ontstaan en de evolutie van een tijdschrift als Golfslag, een kort essay over Wies Moens als heraut van de ‘konservatieve revolutie’ in Vlaanderen. Een bedrage over de zogenaamde Politieke Academie als tussenoorlogs conservatief vormingsinstituut, en over ‘De Gemeenschap’ van pater Bonifaas Luykx tot de wet van Brück.

tommissenboek.jpgVoor wie professor Tommissen niet zou kennen, hij gaat de wereld rond als dé Carl Schmitt-kenner bij uitstek, die gans Europa ons trouwens benijdt. Derhalve kunnen we niet om de vaststelling heen dat zowat elke grote natie zijn Schmitt-renaissance heeft gekend, met uitzondering van dit dwergenlandje België. Terwijl juist hier…inderdaad!

Maar niet alleen de jurist Carl Schmitt behoort tot de geprefereerde onderzoeksdomeinen van Piet Tommissen. Zo behoren ook de Italiaanse topintellectueel Vilfredo Pareto tot zijn lezerslijstje. Professor Tommisssen moet trouwens ook een van de eersten zijn geweest die het Mohleriaans begrip ‘konservatieve revolutie’ in de Lage Landen binnenbracht en enkele Vlaamse en Nederlandse jongeren een fascinatie voor het onderwerp zou meegeven dat een leven lang zou blijven duren.

Op 82-jarige leeftijd publiceren en dat dan de titel “Buitenissigheden” als titel meegeven: prachtig gewoon. Met bijzondere interesse heb ik kennis genomen van de wet van Brück – waarbij het aardmagnetisme als verklaringsgrond wordt gebruikt voor het cyclische geschiedenisverloop – en van de studie over Wies Moens, die ik in een Duitse versie ook al ergens kon lezen. Vooral boeide mij zijn studie over het ontstaan van het Vlaamse tijdschrift Golfslag. Dit kwam tot stand uit de vruchtbare samenkomsten van jongeren tijdens en na de jongste Wereldoorlog. Bijeenkomsten in Knokke-Heist en later in Antwerpen en waarbij steeds dezelfde namen terugkomen: Manu Ruys, Ivo Michiels, Adriaan De Roover, Hugo en Arnold Van der Hallen. Volgens historicus Etienne Verhoeyen een “extreem rechts tijdschrift”, maar het onderzoek van professor Piet Tommissen legt toch heel wat andere accenten bloot. De doelstelling van Golfslag bijvoorbeeld had weinig of geen extreem rechtse kleur: het wilde ‘jong, durvend en gelovend’ zijn. En een van de initiatiefnemer, Hugo Van der Hallen, verwoordde het bijvoorbeeld zo: “Golfslag wilde provoceren, uitdagen, progressief, niet conservatief, niet berustend maar durvend”. Of iets verder in het gesprek liet Van der Hallen zich ontvallen: “Golfslag was dus niet een project van jongeren die zich tijdens de Tweede Wereldoorlog van de officiële VNV-koers hadden gedistanciëerd. Ik was bij mijn weten de enige van het groepje die zich tijdens de oorlog enigszins politiek had geëngageerd. Het was in eerste instantie ene project van katholieke studenten die in het achterhoofd meer aan een soort heropbloei van het AKVS dachten”.

Een oplage van ongeveer 2.000 exemplaren: niet mis voor een blad dat in de moeilijke en zware naoorlogse repressietoestand verscheen; Professor Tommissen kon meticuleus een lijst van medewerkers, losse en vaste, bijeenbrengen en daar zitten veel interessante namen bij, dat moet gezegd. Golfslag zou uiteindelijk ten onder gaan onder invloed van verschillende factoren. Verschillende kernmedewerkers werden voor opslorpende professionele taken geplaatst, de tijdsgeest verplaatste zich gedeeltelijk naar andere interessedomeinen en een louter cultureel tijdschrift bleek minder aan een behoefte te beantwoorden. In 1949 stopte de redactie er mee, maar andere initiatieven waren ondertussen al opgestart en zagen op een andere plaats het levenslicht.

Deze “Buitenissigheden” geven de geïnteresseerde zeer aangename leesmomenten, vooral omdat de stijl van professor em. Piet Tommissen zeer soepel gebleven is, ondanks (of juist door) de hoge leeftijd van de auteur. Piet Tommissen publiceerde in 2007 al over Georges Sorel en zou dit jaar een werk over Hugo Ball op de markt brengen. Nouvelle Ecole, het Franse tijdschrift (of jaarboek) van Alain de Benoist, brengt in november een speciaal nummer uit over Georges Sorel, met daarin een tekst van de onvermoeibare Piet Tommissen. Wij kijken alvast met veel interesse uit naar volgende buitenissigheden en roepen de auteur toe: ad multos annos!

Tommissen, P., “Nieuwe Buitenissigheden”, 2007, Apsis S.A., La Hulpe, 188 pag.
ISBN 2 – 9600590 – 3 – 4.

(P.L.)

samedi, 06 février 2010

Wessen Gegner?

agon_web.jpgWessen Gegner?

Ex: http://rezistant.blogspot.com/
Die Begriffe von Kapitalismus, Sozialismus, Nationalismus, Kommunismus, Faschismus usw. sind in ihren bisherigen Bedeutungen verbraucht, sie beweisen von Tag zu Tag mehr ihre Inhaltslosigkeit.

Doch diese Begriffe sind so mit Gefühlen, mit dem Lebenssinn wie mit der Feindschaft von Millionen berknüpft, dass es schon deshalb für den einzelnen, der aus der Phrase zur Einsicht in die Tatsachen zu gelangen sucht, ungeheuer schwer ist, sich hindurchzukämpfen.

Im Kampf gegen die Unklarheiten des Denkens und die Unaufrichtigkeit des Wollens will der "Gegner" den einzelnen helfen, zu weitsichtigeren übergeordneten Meinungen zu gelangen. Er bekämpft ebenso die falschen Hoffnungen der Schlagwort-Idealisten wie die Hoffnungslosigkeit, d. h. Trägheit und Müdigkeit derer, die keinen Boden mehr unter den Füssen fühlen.

In allen Lagern mehren sich die Menschen, die sich auf der Suche nach Erkenntnis der wirklichen Zusammenhänge in dem heutigen Geschehen nicht mehr mit den Parteischlagworten und der Schuld der anderen begnügen können. Der "Gegner" stellt sich denen, die auf neuen und vergessenen Wegen den Sinn dieser Zeit und die Lösung der uns brennenden Fragen zur erfahren streben, zur Verfügung.

Vielleicht sind manche Perspektiven irrig, manche Anschauungen sogar falsch. Wem schadet das?

Wir sammeln die Fragestellungen in den Bewusstsein, dass überall unter dem Chaos der Meinungen das Wissen um die Zeit, das Bewusstsein für das, was im Grunde vor sich geht, zu wachsen und zu reifen beginnt.

Man möge sich darüber beruhigen, dass der "Gegner" kein "Programm" habe, es gibt heute Wichtigeres zu entwickeln als Programme. Es gilt die Konzeption einer neuen einheitlichen Weltanschauung, die hier und dort bereits sichtbar wird. Denn erst eine neue an dem riesenhaften Wissen früherer Kulturen geschulte Sinngebung wird die bedeutenden Teilergebnisse der heutigen offiziellen Wissenschaften und die ungeheuren Wirtschaftskräfte, die diese jetzt vergehende Epoche herausgebildet hat, für Deutschland, für Europa, für alle Länder der Erde fruchtbar machen können.

Bewusst oder unbewusst - der Mythos der Zeit bildet uns bereits, und wir ihn.

Erst grosse, aus tiefen Erkenntnissen stammende Gedanken und Aufgaben werden die von den verschiedenen Grundeinstellungen zum gemeinsamen Werk vordringenden Gegner wirklich verbinden können - hierzu ist der "Gegner" eine Vorarbeit.

Der Gegner, Heft 1/2, 1932.

vendredi, 05 février 2010

Le bourgeois selon Sombart

Werner_Sombart_vor_1930.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1979

Le bourgeois selon Sombart

 

par Guillaume Faye

 

Dans Le Bourgeois,  paru en France pour la première fois en 1926, Werner Sombart, une des figures les plus marquantes de l'école économique "historique" allemande, analyse la bourgeoisie comme l'effet d'une rencontre entre un phénomène de "psychologie historique" et des faits proprement économiques. Cette analyse le sépare de la pensée libérale comme des idées marxistes.

 

Comme pour Groethuysen, le bourgeois représente d'après Sombart, "l'homme de notre temps". "Le bourgeois", écrit-il, représente la forme la plus typique de l'esprit de notre temps". Le bourgeois n'est pas seulement un type économique, mais "un type social et psychologique".

 

Sombart accorde au bourgeois l'"esprit d'entreprise"; et c'est, effectivement, de notre point de vue, une de ses caractéristiques jusqu'au milieu du XXème siècle. Mais Sombart prophétise qu'à la fin du XXème siècle, la bourgeoisie, largement "fonctionnarisée" et créatrice de l'Etat-Providence aura perdu cet esprit d'entreprise au profit de la "mentalité du rentier".

 

Cependant, elle a conservé ce que décelait Sombart à l'origine de sa puissance: "la passion de l'or et l'amour de l'argent ainsi que l'esprit de calcul", comme le note également d'ailleurs Gehlen.

 

"Il semblerait, écrit Sombart, que l'âpreté au gain (lucri rabies)  ait fait sa première apparition dans les rangs du clergé. Le bourgeois en héritera directement".

 

Sombart, décelant le "démarrage" de l'esprit bourgeois au Moyen Age, en relève une spécificité fondamentale: l'esprit d'épargne et de rationalité économique (1), caractère qui n'est pas critiquable en soi, à notre avis, mais qui le devient dès lors que, comme de nos jours, il est imposé comme norme à toutes les activités de la société (réductionnisme).

 

Il ne faut donc pas soutenir que l'esprit bourgeois ne fait pas partie de notre tradition culturelle; de même, Sombart remarque que le mythe de l'or était présent dans les Eddas et que les peuples européens ont toujours été attachés à la "possession des richesses" comme "symboles de puissance".

 

Dans notre analyse "antibourgeoise" de la civilisation contemporaine, ce n'est pas cet esprit économique que nous critiquons "en soi", c'est sa généralisation. De même l'appât des richesses ne peut être honni "dans l'absolu", mais seulement lorsqu'il ne sert qu'à l'esprit de consommation et de jouissance passive.

 

Au contraire, le goût de la richesse (cf. les mythes européens du "Trésor à conquérir ou à trouver"), lorsqu'il se conjugue avec une volonté de puissance et une entreprise de domination des éléments s'inscrit dans nos traditions ancestrales.

 

La figure mythique  -ou idéaltypique-  de l'Harpagon de Molière définit admirablement cette "réduction de tous les points de vues à la possession et au gain", caractéristiques de l'esprit bourgeois.

 

Pour Sombart, le "bourgeois vieux style" est caractérisé entre autres par l'amour du travail et la confiance dans la technique. Le bourgeois "moderne" est devenu décadent: le style de vie l'emporte sur le travail et l'esprit de bien-être et de consommation sur le sens de l'action. En utilisant les "catégories" de W. Sombart, nous pourrions dire, d'un point de vue  anti-réductionniste, que nous nous opposons au "bourgeois en tant que tel" et que nous admettons le "bourgeois entrepreneur" qui doit avoir sa place organique (3ème fonction)  dans les "communautés de mentalité et de tradition européennes", comme les nomme Sombart.

 

L'entrepreneur est "l'artiste" et le "guerrier" de la troisième fonction. Il doit posséder des qualités de volonté et de perspicacité; c'est malheureusement ce type de "bourgeois" que l'univers psychologique de notre société rejette. Par contre, le "bourgeois en tant que tel" de Sombart correspond bien à ce que nous nommons le bourgeoisisme  -c'est-à-dire la systématisation dans la société contemporaine de traits de comportements qualifiés par W. Sombart d'"économiques" par opposition aux attitudes "érotiques". Sombart veut dire par là que la "principale valeur de la vie" est, chez le bourgeois, d'en profiter matériellement, de manière "économique". La vie est assimilée à un bien consommable dont les "parties", les unités, sont les phases de temps successives. Le temps "bourgeois" est, on le voit, linéaire, et donc consommable. Il ne faut pas le "perdre"; il faut en retirer le maximum d'avantages matériels.

 

Par opposition, la conception érotique  de la vie  -au sens étymologique-  ne considère pas celle-ci comme un bien économique rare à ne pas gaspiller. L'esprit "aristocratique" reste, pour Sombart, "érotique" parce qu'il ne calcule pas le profit à tirer de son existence. Il donne, il se donne, selon une démarche amoureuse. "Vivre pour l'économie, c'est épargner; vivre pour l'amour, c'est dépenser", écrit Sombart. On pourrait dire, en reprenant les concepts de Sombart, que le "bourgeoisisme" serait la perte, dans la bourgeoisie, de la composante constituée par l'esprit d'entrepreneur; seul reste "l'esprit bourgeois proprement dit".

 

Au début du siècle par contre, Sombart décèle comme "esprit capitaliste" l'addition de ces deux composantes: esprit bourgeois et esprit d'entreprise.

 

L'esprit bourgeois, livré à lui-même, systématisé et massifié, autrement dit le bourgeoisisme contemporain, peut répondre à cette description de Sombart: "Type d'homme fermé (...) qui ne s'attache qu'aux valeurs objectives de ce qu'il peut posséder, de ce qui est utile, de ce qu'il thésaurise. Grégaire et accumulateur, le bourgeois s'oppose à la mentalité seigneuriale, qui dépense, jouit, combat. (...) Le Seigneur est esthète, le bourgeois moraliste".

 

wernerbourgeois.jpgSombart, opposant la mentalité aristocratique à l'esprit "bourgeois proprement dit" (c'est-à-dire dénué de la composante de l'esprit d'entreprise), note: "Les uns chantent et résonnent, les autres n'ont aucune résonnance; les uns sont resplendissants de couleurs, les autres totalement incolores. Et cette opposition s'applique non seulement aux deux tempéraments comme tels, mais aussi à chacune des manifestations de l'un et de l'autre. Les uns sont artistes (par leur prédispositions, mais non nécessairement par leur profession), les autres fonctionnaires, les uns sont faits de soie, les autres de laine". Ces traits de "bourgeoisime" ne caractérisent plus aujourd'hui une classe (car il n'y a plus de classe bourgeoise) mais la société toute entière. Nous vivons à l'ère du consensus bourgeois.

 

Avec un trait de génie, Werner Sombart prédit cette décadence de la bourgeoisie qui est aussi son apogée; décadence provoquée, entre autres causes, par la fin de l'esprit d'entreprise, mais également par cet esprit de "bien-être matériel" qui asservit et domestique les Cultures comme l'ont vu, après Sombart, K. Lorenz et A. Gehlen. Le génie de Sombart aura été de prévoir le phénomène en un temps où il était peu visible encore.

 

Le Bourgeois, livre remarquable, devenu grand classique de la sociologie contemporaine, se conclut par cet avertissement, dont les dernières lignes décrivent parfaitement une de nos principales ambitions: "Ce qui a toujours été fatal à l'esprit d'entreprise, sans lequel l'esprit capitaliste ne peut se maintenir, c'est l'enlisement dans la vie de rentier, ou l'adoption d'allures seigneuriales. Le bourgeois engraisse à mesure qu'il s'enrichit et il s'habitue à jouir de ses richesses sous la forme de rentes, en même temps qu'il s'adonne au luxe et croit de bon ton de mener une vie de gentilhomme campagnard (...).

 

Mais un autre danger menace encore l'esprit capitaliste de nos jours: c'est la bureaucratisation croissante de nos entreprises. Ce que le rentier garde encore de l'esprit capitaliste est supprimé par la bureaucratie. Car dans une industrie gigantesque, fondée sur l'organisation bureaucratique, sur la mécanisation non seulement du rationalisme économique, mais aussi de l'esprit d'entreprise, il ne reste que peu de place pour l'esprit capitaliste.

 

La question de savoir ce qui arrivera le jour où l'esprit capitaliste aura perdu le degré de tension qu'il présente aujourd'hui, ne nous intéresse pas ici. Le géant, devenu aveugle, sera peut-être condamné à traîner le char de la civilisation démocratique. Peut-être assisterons-nous aussi au crépuscule des dieux et l'or sera-t-il rejeté dans les eaux du Rhin.

 

"Qui saurait le dire?"

 

Guillaume FAYE.

(janvier-février 1979).

 

(1) La vie aristocratique et seigneuriale était plus orientée vers la "dépense".

 

dimanche, 31 janvier 2010

Quelle philosophie politique de l'écologie?

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990

Robert STEUCKERS

Quelle philosophie politique de l'écologie?

 

Les bons scores des Verts français à la suite des dernières campagnes électorales dans l'Hexagone, la per­sistance des Grünen  ouest-allemands et les sondages favorables aux listes écologistes en Belgique pour les prochaines élections (12% à Bruxelles!) obligent tous les militants politiques, de quelque horizon qu'ils soient, à développer un discours écologique cohérent. En effet, pour la décennie qui vient, pour les premières décennies du XXIième siècle, se dessine une nouvelle bipolarité entre, d'une part, les nationaux-identitaires, animés par une forte conscience historique, et, d'autre part, les Verts, soucieux de préserver le plus harmonieusement possible le cadre de vie de nos peuples. Cette bipolarisation est appelée à refouler graduellement dans la marginalité les anciennes polarisations entre partisans du laissez-faire libéral et par­tisans de l'Etat-Providence. C'est en tout cas ce qu'observe un professeur américain, Peter Drucker (1), dont la voix exprime des positions quasi officielles. Toutes les formes de libéralisme, malgré le sursaut tapageur des années Reagan, sont appelées à disparaître en ne laissant que les traces de leurs ravages mo­raux et sociaux; en effet, les impératifs de l'heure sont des impératifs globaux de préservation: préserver une conscience historique et préserver un cadre de vie concret contre les fantasmes de la «table rase» et contre le messianisme qui promet, avec un sourire vulgairement commercial, des lendemains qui chantent. Ces impératifs exigent des mobilisations collectives; dès lors, beaucoup de réflexes ne seront plus de mise, notamment l'engouement dissolvant pour l'individualisme méthodologique, propre du libéralisme, avec sa sainte horreur des obligations collectives structurantes qui, elles, parient sur le très long terme et ne veulent pas se laisser distraire par les séductions de l'instant (le «présentisme» des sociologues).

 

Le libéralisme politique et économique a engendré la mentalité marchande. C'est un fait. Même si d'aucuns, dans des clubs agités par une hayekite aigüe, croient pouvoir prouver que les choses auraient pu tourner autrement. On connaît le bon mot: avec des "si", on met Paris en bouteille. L'histoire est là qui montre l'involution lente mais sûre du libéralisme théorique d'Adam Smith à la déliquescence sociale to­tale que l'on observe chez les hooligans de Manchester ou de Liverpool, chez les consommateurs de crack du Bronx ou dans la déchéance ensoleillée et sidaïque de San Francisco. Le fantasme libéral de la perfecti­bilité infinie (2), qu'on lira à l'état pur chez un Condorcet, a induit les peuples à foncer bille en tête vers les promesses les plus fumeuses, dans une quête forcenée de plaisirs éphémères, de petits paradis d'inaction et de démobilisation. La jouissance hédoniste de l'instant est ainsi devenue le telos (le but) des masses, tandis que les gagneurs, plus puritains, tablaient sur la rentabilité immédiate de leurs investis­se­ments. Jouissance et rentabilité immédiates impliquent deux victimes: l'histoire (le temps), qui est ou­bliée et refoulée, et l'environnement (l'espace), qui est négligé et saccagé, alors que ce sont deux catégories incontournables dans toute société solidement assise, deux catégories qui résistent pied à pied aux fan­tasmes du «tout est possible - tout est permis» et qu'il sera toujours impossible de faire disparaître tota­lement.

 

Ce résultat navrant du libéralisme pratique, de cette vision du monde mécanique (qui a le simplisme ex­trême des mécaniques) et de ces suppléments d'âme moralisants (participant d'une morale auto-justifica­trice, d'une morale-masque qui cache l'envie intempérante de tout avoir et tout maîtriser), nous force à adopter

1) une philosophie qui tienne compte du long terme, tout en préservant

a) les ressources de la mémoire historique, laquelle est un réceptacle de réponses acquises et con­crètes aux défis du monde, et

b) les potentialités de l'environnement, portion d'espace à maintenir en bon état de fonctionne­ment pour les générations futures;

2) une pratique politique qui exclut les discours moralisants et manipulateurs, discours gratuits et a for­tiori désincarnés, blabla phatique qui distrait et endort les énergies vitales.

Enfin, l'état du monde actuel et la bipolarisation en train de s'installer nous obligent à déployer une stra­tégie précise qui empêchera 1) les rescapés du bourgeoisisme libéral d'investir le camp des «identitaires historicisés» et 2) les rescapés de l'égalitarisme caricatural des vieilles gauches, vectrices de ressentiments, d'investir le camp des «identitaires éco-conscients». Cette stratégie peut paraître présomptueuse: com­ment, concrètement, réaliser un double travail de ce type et, surtout, comment affermir une stratégie en apparence aussi détachée des combats quotidiens, aussi régalienne parce que non partisane et non mani­chéenne, aussi réconciliatrice de contraires apparemment irréconciliables? Les traditions gramsciennes et la métapolitique nous ont enseigné une chose: ne pas craindre les théories (surtout celles qui visent la coin­cidentia oppositorum), être attentif aux mouvements d'idées, même les plus anodins, être patient et garder à l'esprit qu'une idée nouvelle peut mettre dix, vingt, trente ans ou plus pour trouver une traduction dans la vie quotidienne. Organiser une phalange inflexible d'individus hyper-conscients, c'est la seule recette pour pouvoir offrir à son peuple, pour le long terme, un corpus cohérent qui servira de base à un droit nouveau et une constitution nouvelle, débarrassée des scories d'un passé récent (250 ans), où se sont mul­tipliés fantasmes et anomalies.

 

Une société de pensée a pour mission d'explorer minutieusement bibliothèques et corpus doctrinaux, œuvres des philosophes et des sociologues, enquêtes des historiens, pour forger, en bout de course, une idéologie cohérente, souple, prête à être comprise par de larges strates de la population et à s'inscrire dans la pratique politique quotidienne. Les idéologies qui nous ont dominés et nous dominent encore dérivent toutes d'une matrice idéologique mécaniciste, idéaliste, moralisante. Le libéralisme dérive des philoso­phies mécanicistes du XVIIIième siècle et de l'idéalisme moralisant et hédoniste des utilitaristes anglais. Ce bricolage idéologique libéral ne laissait aucune place à l'exploration féconde du passé: dans sa métho­dologie, aucune place n'était laissée au comparatisme historicisant, soit à la volonté de se référer à la geste passée de son peuple pour apprendre à faire face aux défis du présent, à la mémoire en tant que ciment des communautés (où, dans une synergie holiste, éléments économiques, psychologiques et historiques s'imbriquent étroitement), si bien qu'un Jacques Bude (3) a pu démontrer que le libéralisme était un obscu­rantisme, hostile à toute investigation sociologique, à toute investigation des agrégats sociaux (considérés comme des préjugés sans valeur).

 

Par ailleurs, la philosophie linéaire de l'histoire que s'est annexée le libéralisme dans sa volonté de parfaire infiniment l'homme et la société, a conduit à une exploitation illimitée et irréfléchie des ressources de la planète. Pratique qui nous a conduit au seuil des catastrophes que l'on énumerera facilement: pollution de la Sibérie et de la Mer du Nord, désertification croissante des régions méditerranéennes, ravage de la forêt amazonienne, développement anarchique des grandes villes, non recyclage des déchets industriels, etc.

 

Le marxisme a été un socialisme non enraciné, fondé sur les méthodes de calcul d'une école libérale, l'école anglaise des Malthus et Ricardo. Il n'a pas davantage que le libéralisme exploré les réflexes hérités des peuples ni mis des limites à l'exploitation quantitative des ressources du globe. En bout de course, c'est la faillite des pratiques mécanicistes de gauche et de droite que l'on constate aujourd'hui, avec, pour plus bel exemple, les catastrophes écologiques des pays naguère soumis à la rude férule du «socialisme réel». A ce mécanicisme global, qui n'est plus philosophiquement défendable depuis près d'un siècle, se substituera progressivement un organicisme global. Les pratiques politico-juridiques, l'idéologie domi­nante des établissements, notamment en France et en Belgique, sont demeurées ancrées solidement dans le terreau mécaniciste. L'alternative suggérée par le mouvement flamand, appuyée par les sociologues de la Politieke Akademie créée par Victor Leemans à Louvain dans les années 30 (4), a été soit éradiquée par l'épuration de 1944-51 soit récupérée et anémiée par la démocratie-chrétienne soit refoulée par une in­quisition têtue qui ne désarme toujours pas. Or cette alternative, et toute autre alternative viable, doit se déployer au départ d'une conscience solidissime de ses assises. Ces assises, quelles sont-elles? Question qu'il est légitime de poser si l'on veut prendre conscience de la généalogie de nos positions actuelles, tout comme les néo-libéraux avaient exhumé Adam Smith, Mandeville, Condorcet, Paine, Constant, etc. (5), au moment où ils se plaçaient sous les feux de la rampe, avec la complaisance béotienne de la médiacratie de droite. L'archéologie de notre pensée, qui conjugue conscience historique et conscience écologique, a ses propres chantiers:

1) Les textes de la fin du XVIIIième siècle, où on lit pour la première fois des réticences à l'endroit de la mécanicisation/détemporalisation du monde, portée par des Etats absolutistes/modernistes, conçus comme des machines entretenues par des horlogers (6). L'idéologie révolutionnaire reprendra à son compte le mé­canicisme philosophico-politique des absolutismes. L'hystérie des massacres révolutionnaires, perçue comme résultat négatif du mécanicisme idéologique, induit les philosophes à re-temporaliser et re-vitaliser leur vision du politique et de l'Etat. Dans sa Critique de la faculté de juger (1790), Kant, auparavant expo­sant des Lumières, opère une volte-face radicale: les communautés politiques ne sont pas des systèmes d'engrenages plus ou moins complexes, mais des Naturprodukte (des produits de nature) animés et mus par une force intérieure, difficilement cernable par la raison. Le poète Schiller prendra le relais du Philosophe de Königsberg, popularisant cette nouvelle attention pour les faits de monde organiques. Dans ce Kant tardif, l'organicisme que nous défendons prend son envol. Intellectuellement, certains libéraux, cosmopolites et universalistes qui battent l'estrade du petit monde parisien depuis quelques années, se re­vendiquent d'un Kant d'avant 1790; le philosophe de Königsberg s'était pourtant bien rendu compte de l'impasse du mécanicisme désincarné... Remarquons, par ailleurs, qu'un Konrad Lorenz a puisé énormé­ment de ses intuitions dans l'œuvre de Kant; or, ne l'oublions pas, il pourfend simultanément deux maux de notre temps, a) l'égalitarisme, stérilisateur des virtualités innombrables et «différenciantes» des hommes, et b) le quantitativisme, destructeur de l'écosystème. Notre axe philosophique part de la volte-face de Kant pour aboutir aux critiques organicistes très actuelles et pionnières de Konrad Lorenz et, de­puis son décès, de l'épistémologie biologique de ses successeurs (Rupert Riedl, Franz Wuketits). De cette façon, nous formulons une double réponse aux défis de notre fin de siècle: 1) la nécessité de replonger dans l'histoire concrète et charnelle de nos peuples, pour ré-orienter les masses distraites par l'hédonisme et le narcissisme de la société de consommation, et 2) la nécessité de prendre les mesures qui s'imposent pour sauvegarder l'environnement, soit la Terre, la Matrice tellurique des romantiques et des écolos...

 

2) La révolution épistémologique du romantisme constitue, pour nous, la carrière immense et féconde, où nous puisons les innombrables facettes de nos démarches, tant dans la perspective identitaire/nationale que dans la perspective éco-consciente. C'est un ancien professeur à la faculté des Lettres de Strasbourg, Georges Gusdorf (7), qui, dans son œuvre colossale, a dévoilé au public francophone les virtualités mul­tiples du romantisme scientifique. Pour lui, le romantisme, dans sa version allemande, est mobilisateur des énergies populaires, tandis que le romantisme français est démobilisateur, individuo-subjectif et nar­cissique, comme l'avaient remarqué Maurras, Lasserre et Carl Schmitt. En Allemagne, le romantisme dé­gage une vision de l'homme, où celui-ci est nécessairement incarné dans un peuple et dans une terre, vi­sion qu'il baptise, à la suite de Carus (8), anthropocosmomorphisme. Gusdorf souligne l'importance capi­tale du Totalorganizismus de Steffens, Carus, Ritter et Oken. L'homme y est imbriqué dans le cosmos et il s'agit de restaurer sa sensibilité cosmique, oblitérée par l'intellectualisme stérile du XVIIIième. Nos corps sont des membres de la Terre. Ils sont indissociables de celle-ci. Or, comme il y a priorité ontolo­gique du tout sur les parties, la Terre, en tant que socle et matrice, doit recevoir notre respect. Philosophie et biosophie (le mot est du philosophe suisse Troxler) se confondent. Le retour de la pensée à cet anthro­pocosmomorphisme, à ce nouveau plongeon dans un essentiel concret et tellurique, doit s'accompagner d'une révolution métapolitique et d'une offensive politique qui épurera le droit et les pratiques juridiques, politiques et administratives de toutes les scories stérilisantes qu'ont laissées derrière elles les idéologies schématiques du mécanicisme du XVIIIième.

 

3) Dans le sillage de la révolution conservatrice, le frère d'Ernst Jünger, Friedrich Georg Jünger (1898-1977), publie Die Perfektion der Technik  (1939-1946), une sévère critique des mécanicismes de la philo­sophie occidentale depuis Descartes. En 1970, il fonde avec Max Himmelheber la revue Scheidewege qui paraîtra jusqu'en 1982. Cette œuvre constitue, elle aussi, un arsenal considérable pour critiquer le fan­tasme occidental du progrès infini et linéaire et dénoncer ses retombées concrètes, de plus en plus percep­tibles en cette fin de siècle.

 

4) Enfin, dans les philosophies post-modernes, critiques à l'égard des «grands récits» de la modernité idéo­logique, le fantasme d'un monde meilleur au bout de l'histoire ou d'une perfectibilité infinie est définiti­vement rayé de l'ordre du jour (9).

 

Dans la sphère métapolitique, qui n'est pas «sur orbite» mais constitue l'anti-chambre de la politique, la tâche qui attend cette phalange inflexible des militants hyper-conscients, dont je viens de parler, est d'explorer systématiquement les quatre corpus énumérés ci-dessus, afin de glâner des arguments contre toutes les positions passéistes qui risqueraient de s'infiltrer dans les deux nouveaux camps politiques en formation. Traquer les reliquats de libéralisme et les schématisations d'un intégrisme religieux stupide­ment agressif  —qui relève davantage de la psychiatrie que de la politique—  traquer les idéologèmes dé­sincarnants qui affaiblissent en ultime instance le mouvement écologique, traquer l'infiltration des réflexes dérivés de la vulgate jusqu'ici dominante: voilà les tâches à parfaire, voilà des tâches qui exigent une atten­tion et une mobilisation constantes. Mais elles ne pourront être parfaites, que si l'on a réellement intério­risé une autre vision du monde, si l'on est intellectuellement armé pour être les premiers de demain.

 

Robert Steuckers,

Bruxelles, 15 août 1990.  

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vendredi, 29 janvier 2010

Nation et nationalisme, Empire et impérialisme, dévolution et grand espace

 

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Communication de Robert Steuckers

 

au XXIVième Colloque du GRECE, Paris, le 24 mars 1991

 

Nation et nationalisme, Empire et impérialisme, dévolution et grand espace

 

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis et camarades,

 

Le thème de notre colloque d'aujourd'hui est à la fois intemporel et actuel.

 

Actuel parce que le monde est toujours, envers et contre les espoirs des utopistes cosmopolites, un pluriversum  de nations, et parce que nous replongerons tout à l'heure à pieds joints dans l'actualité internationale, marquée par le conflit, donc par la pluralité antagonistes des valeurs et des faits nationaux.

Intemporel parce que nous abordons des questions que toutes les générations, les unes après les autres, remettent inlassablement sur le tapis. En traitant de la nation et du nationalisme, de l'Empire et de l'impérialisme, nous touchons aux questions essentielles du politique, donc aux questions essentielles de l'être-homme, puisqu'Aristote déjà définissait l'homme comme un zoon politikon, comme un être ancré dans une polis, dans une cité, dans une nation. Ancrage nécessaire, ancrage incontournable mais ancrage risqué car précisément il accorde tout à la fois profondeur, sens de la durée et équilibre mais provoque aussi l'enfermement, l'auto-satisfaction, l'installation, la stérilité.

 

Devant le retour en Europe de l'Est et de l'Ouest d'un discours se proclamant nationaliste, il est impératif de comprendre ce double visage que peut prendre le nationalisme, de voir en lui cet avantage et ce risque, cette assurance que procure l'enracinement et ce dérapage qui le fait chavirer dans l'enfermement. Quant à la notion d'empire, elle a désigné au Moyen Age le Reich centre-européen, sorte d'agence qui apaisait les conflits entre les diverses ethnies et les multiples corps qui le composait; puis elle a désigné, sous Bonaparte, le militarisme qui tentait d'imposer partout en Europe des modèles constitutionnels marqués par l'individualisme bourgeois, qui méconnaissaient les logiques agrégatrices et communautaires des corps de métier, des «républiques villageoises» et des pays charnels; ensuite, elle a désigné l'impérialisme marchand et thalassocratique de l'Angleterre, qui visait l'exploitation de colonies par des groupes d'actionnaires, refusant le travail parce que, lecteurs de la Bible, ils voyaient en lui une malédiction divine; leur aisance, leur oisivité, ils la tiraient des spéculations boursières.

 

Cette confusion sémantique, qui vaut pour le terme «nation» comme pour le terme «empire», il importe que nous la dissipions. Que nous clarifions le débat. C'est notre tâche car, volontairement, nous parions pour le long terme et nous refusons de descendre directement dans l'arène politicienne qui nous force toujours aux pires compromis. Si nous ne redéfinissons pas nous-mêmes les concepts, si nous ne diffusons pas nos redéfinitions par le biais de nos stratégies éditoriales, personne ne le fera à notre place. Et la confusion qui règne aujourd'hui persistera. Elle persistera dans le chaos et de ce chaos rien de cohérent ne sortira.

Commençons par définir la nation, en nous rappelant ce qu'Aristote nous enseignait à propos du zoon politikon  ancré dans sa cité. Le politique, qui est l'activité théorique surplombant toutes les autres activités de l'homme en leur conférant un sens, prend toujours et partout son envol au départ d'un lieu qui est destin. A partir de ce lieu se crée une socialité particulière, étayée par des institutions bien adaptées à ce paysage précis, forcément différentes des institutions en vigueur dans d'autres lieux. Nous avons donc affaire à une socialité institutionnalisée qui procure à sa communauté porteuse autonomie et équilibre, lui assure un fonctionnement optimal et un rayonnement maximal dans son environnement. Le rayonnement élargit l'assise de la socialité, crée le peuple, puis la nation. Mais cette nation, produit d'une évolution partie de l'ethnos  originel, se diversifie à outrance au cours de l'évolution historique. En bout de course, nous avons toujours affaire à des nations à dimensions multiples, qui se déploient sur un fond historique soumis à tous les aléas du temps. Toute conception valide de la nation passe par une prise en compte de cette multidimensionalité et de ce devenir. Le peuple est donc une diversité sociologique qu'il faut organiser, notamment par le truchement de l'Etat.

 

L'Etat organise un peuple et le hisse au rang de nation. L'Etat est projet, plan:  il est, vis-à-vis de la concrétude nation, comme l'ébauche de l'architecte par rapport au bâtiment construit, comme la forme par rapport à la matière travaillée. Ce qui implique que l'Etat n'a pas d'objet s'il n'y a pas, au préalable, la concrétude nation. Toutes les idéologies statolâtriques qui prétendent exclure, amoindrir, juguler, réduire la concrétude, la matière qu'est la nation, sont des sottises théoriques. Le peuple précède l'Etat mais sans la forme Etat, il ne devient pas nation, il n'est pas organisé et sombre rapidement dans l'inexistence historique, avant de disparaître de la scène de l'histoire. L'Etat au service de la concrétude peuple, de la populité génératrice d'institutions spécifiques, n'est pas un concept abstrait mais un concept nécessaire, un concept qui est projet et plan, un projet grâce auquel les élites du peuple affrontent les nécessités vitales. L'Etat  —avec majuscule—   organise la totalité du peuple comme l'état  —sans majuscule—  organise telle ou telle strate de la société et lui confère du sens.

 

Mais il est des Etats qui ne sont pas a priori au service du peuple: Dans son célèbre ouvrage sur la définition du peuple (Das eigentliche Volk,  1932), Max Hildebert Boehm nous a parlé des approches monistes du concept Etat, des approches monistes qui refusent de tenir compte de l'autonomie nécessaires des sphères sociales. Ces Etats capotent rapidement dans l'abstraction et la coercition stérile parce qu'ils refusent de se ressourcer en permanence dans la socialité populaire, dans la «populité» (= Volkheit),  de se moduler sur les nécessités rencontrées par les corps sociaux. Cette forme d'Etat coupée du peuple apparaît vers la fin du Moyen Age. Elle provoque une rupture catastrophique. L'Etat se renforce et la socialité se recroqueville. L'Etat veut se hisser au-dessus du temps et de l'espace. Le projet d'Etat absolu s'accompagne d'une contestation qui ébauche des utopies, situées généralement sur des îles, elles aussi en dehors du temps et de l'espace. Dès que l'Etat s'isole de la socialité, il ne l'organise plus, il ne la met plus en forme. Il réprime des autonomies et s'appauvrit du même coup. Quand éclate la révolution, comme en France en 1789, nous n'assistons pas à un retour aux autonomies sociales dynamisantes mais à un simple changement de personnel à la direction de la machine Etat. Les parvenus remplacent les faisandés au gouvernail du bateau.  

C'est à ce moment historique-là, quand la nation concrète a périclité, que nous voyons émerger le nationalisme pervers que nous dénonçons. Le discours des parvenus est nationaliste mais leur but n'est pas la sauvegarde ou la restauration de la nation et de ses autonomies nécessaires, de ses autonomies qui lui permettent de rayonner et de briller de mille feux, de ses autonomies qui ont une dynamique propre qu'aucun décret ne peut régenter sans la meurtrir dangereusement. L'objectif du pouvoir est désormais de faire triompher une idéologie qui refuse de reconnaître les limites spatio-temporelles inhérentes à tout fait de monde, donc à toute nation. Une nation est par définition limitée à un cadre précis. Vouloir agir en dehors de ce cadre est une prétention vouée à l'échec ou génératrice de chaos et d'horreurs, de guerres interminables, de guerre civile universelle. Les révolutionnaires français se sont servis de la nation française pour faire triompher les préceptes de l'idéologie des Lumières. Ce fut l'échec. Les nationaux-socialistes allemands se sont servis de la nation allemande pour faire triompher l'idéal racial nordiciste, alors que les individus de race nordique sont éparpillés sur l'ensemble de la planète et ne constituent donc pas une concrétude pratique car toute concrétude pratique, organisable, est concentrée sur un espace restreint. Les ultramontains espagnols se sont servis des peuples ibériques pour faire triompher les actions du Vatican sur la planète. Les banquiers britanniques se sont servis des énergies des peuples anglais, écossais, gallois et irlandais pour faire triompher le libre-échangisme et permettre aux boursicotiers de vivre sans travailler et sans agir concrètement en s'abstrayant de toutes les limites propres aux choses de ce monde. Les jésuites polonais ont utilisé les énergies de leur peuple pour faire triompher un messianisme qui servait les desseins de l'Eglise.

 

Ce dérapage de l'étatisme, puis du nationalisme qui est un étatisme au service d'une abstraction philosophique, d'une philosophade désincarnée, a conduit aux affrontements et aux horreurs de la guerre de Crimée, de la guerre de 1870, de la guerre des Boers, des guerres balkaniques et de la guerre de 1914. Résultat qui condamne les nationalismes qui n'ont pas organisé leur peuple au plein sens du terme et n'ont fait que les mobiliser pour des chimères idéologiques ou des aventures colonialistes. Inversément, cet échec des nationalismes du discours et non de l'action concrète réhabilite les idéaux nationaux qui ont choisi l'auto-centrage, qui ont choisi de peaufiner une socialité adaptée à son cadre spatio-temporel, qui ont privilégié la rentabilisation de ce cadre en refusant le recours facile au lointain qu'était le colonialisme.

Pour sortir de l'impasse où nous ont conduit les folies nationalistes bellogènes, il faut opérer à la fois un retour aux socialités spatio-temporellement déterminées et il faut penser un englobant plus vaste, un conteneur plus spacieux de socialités diverses.

 

Le Saint-Empire du Moyen Age a été un conteneur de ce type. En langage moderne, on peut dire qu'il a été, avant son déclin, fédératif et agrégateur, qu'il a empêché que des corps étatiques fermés ne s'installent au cœur de notre continent. La disparition de cette instance politique et sacrée à la suite de la fatale calamité des guerres de religion a provoqué le chaos en Europe, a éclaté l'œkoumène européen médiéval. Sa restauration est donc un postulat de la raison pratique. A la suite des discours nationalistes fallacieux, il faut réorganiser le système des Etats européens en évitant justement que les peuples soient mobilisés pour des projets utopiques irréalisables, qu'ils soient isolés du contexte continental pour être mieux préparés par leurs fausses élites aux affrontements avec leurs voisins. Il faut donc réorganiser le continent en ramenant les peuples à leurs justes mesures. Ce retour des limites incontournables doit s'accompagner d'une déconstruction des enfermements stato-nationaux, où les peuples ont été précisément enfermés pour y être éduqués selon les principes de telle ou telle chimère universaliste.

 

Le retour d'une instance comparable au Saint-Empire mais répondant aux impératifs de notre siècle est un vieux souhait. Constantin Frantz, le célèbre philosophe et politologue allemand du XIXième siècle, parlait d'une «communauté des peuples du couchant», organisée selon un fédéralisme agrégateur, reposant sur des principes diamétralement différent de ceux de la révolution française, destructrice des tissus sociaux concrets par excès de libéralisme économique et de militarisme bonapartiste.

 

Guillaume de Molinari, économiste français, réclamait à la fin du XIXième siècle la construction d'un «marché commun» incluant l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Hollande, la Belgique, le Danemark et la Suisse. Il a soumis ses projets aux autorités françaises et à Bismarck. Lujo Brentano envisage à la même époque une union économique entre l'Autriche-Hongrie et les nouveaux Etats balkaniques. L'industriel autrichien Alexander von Peez, par un projet d'unification organique de l'Europe, entend répondre aux projets américains de construire l'Union panaméricaine, qui évincera l'Europe d'Amérique latine et amorcera un processus d'«américanisation universelle». Gustav Schmoller affirme que toute politique économique européenne sainement comprise ne peut en aucun cas s'enliser dans les aventures coloniales, qui dispersent les énergies, mais doit se replier sur sa base continentale et procéder à grande échelle à une «colonisation intérieure». Jäckh et Rohrbach théorisent enfin un projet de grande envergure: l'organisation économique de l'Europe selon un axe diagonal Mer du Nord/Golfe Persique. L'objectif de la théorie et de la pratique économiques devait être, pour ces deux économistes des vingt premières années de notre siècle, d'organiser cette ligne, partant de l'embouchure du Rhin à Rotterdam pour s'élancer, via le Main et le Danube, vers la Mer Noire et le Bosphore, puis, par chemin de fer, à travers l'Anatolie et la Syrie, la Mésopotamie et le villayat de Bassorah, aboutir au Golfe Persique. Vous le constatez, on retombe à pieds joints dans l'actualité. Mais, ce projet de Jäckh et de Rohrbach, qu'a-t-il à voir avec le thème de notre colloque? Que nous enseigne-t-il quant au nationalisme ou à l'impérialisme?

Beaucoup de choses. En élaborant leurs projets d'organisation continentale en zones germanique, balkanique et turque, les puissances centrales de 1914 réévaluaient le rôle de l'Etat agrégateur et annonçaient, par la voix du philosophe Meinecke, que l'ère des spéculations politiques racisantes était terminée et qu'il convenait désormais de faire la synthèse entre le cosmopolitisme du XVIIIième siècle et le nationalisme du XIXième siècle dans une nouvelle forme d'Etat qui serait simultanément supranationale et attentive aux ethnies qu'elle englobe. L'Entente, porteuse des idéaux progressistes de l'ère des Lumières, veut, elle, refaire la carte de l'Europe sur base des nationalités, ce qui a fait surgir, après Versailles, une «zone critique» entre les frontières linguistiques allemande et russe. Nous découvrons là la clef du problème qui nous préoccupe aujourd'hui: les puissances porteuses des idéaux des Lumières sont précisément celles qui ont encouragé l'apparition de petits Etats nationaux fermés sur eux-mêmes, agressifs et jaloux de leurs prérogatives. Universalisme et petit-nationalisme marchent la main dans la main. Pourquoi? Parce que l'entité politique impérialiste par excellence, l'Angleterre, a intérêt à fragmenter la diagonale qui s'élance de Rotterdam aux plages du Koweit. En fragmentant cette diagonale, l'Angleterre et les Etats-Unis de Wilson brisent la synergie grande-continentale européenne et ottomane de Vienne au Bosphore et de la frontière turque aux rives du Golfe Persique.

 

Or depuis la chute de Ceaucescu en décembre 1989, tout le cours du Danube est libre, déverrouillé. En 1992, les autorités allemandes inaugureront enfin le canal Main-Danube, permettant aux pousseurs d'emmener leurs cargaisons lourdes de Constantza, port roumain de la Mer Noire, à Rotterdam. Un oléoduc suivant le même tracé va permettre d'acheminer du pétrole irakien jusqu'au cœur industriel de la vieille Europe. Voilà les raisons géopolitiques réelles de la guerre déclenchée par Bush en janvier dernier. Car voici ce que se sont très probablement dit les stratèges des hautes sphères de Washington: «Si l'Europe est reconstituée dans son axe central Rhin-Main-Danube, elle aura très bientôt la possibilité de reprendre pied en Turquie, où la présence américaine s'avèrera de moins en moins nécessaire vu la déliquescence du bloc soviétique et les troubles qui secouent le Caucase; si l'Europe reprend pied en Turquie, elle reprendra pied en Mésopotamie. Elle organisera l'Irak laïque et bénéficiera de son pétrole. Si l'Irak s'empare du Koweit et le garde, c'est l'Europe qui finira par en tirer profit. La diagonale sera reconstituée non plus seulement de Rotterdam à Constantza mais du Bosphore à Koweit-City. La Turquie, avec l'appui européen, redeviendra avec l'Irak, pôle arabe, la gardienne du bon ordre au Proche-Orient. Les Etats-Unis, en phase de récession, seront exclus de cette synergie, qui débordera rapidement en URSS, surtout en Ukraine, pays capable de redevenir, avec un petit coup de pouce, un grenier à blé européen auto-suffisant. Alors, adieu les achats massifs de blé et de céréales aux Etats-Unis! Cette synergie débordera jusqu'en Inde et en Indonésie, marchés de 800 millions et de 120 millions d'âmes, pour aboutir en Australie et en Nouvelle-Zélande. Un grand mouvement d'unification eurasienne verrait le jour, faisant du même coup déchoir les Etats-Unis, en mauvaise posture financière, au rang d'une puissance de second rang, condamnée au déclin. Les Etats-Unis ne seraient plus un pôle d'attraction pour les cerveaux du monde et on risquerait bien de voir s'effectuer une migration en sens inverse: les Asiatiques d'Amérique, qui sont les meilleurs étudiants d'Outre-Atlantique, retourneraient au Japon ou en Chine; les Euro-Américains s'en iraient faire carrière en Allemagne ou en Italie du Nord ou en Suède. Comment éviter cela? En reprenant à notre compte la vieille stratégie britannique de fragmentation de la diagonale! Et où faut-il la fragmenter à moindres frais? En Irak, pays affaibli par sa longue guerre contre l'Iran, pays détenteur de réserves pétrolières utiles à l'Europe».

 

La stratégie anglo-américaine de 1919, visant la fragmentation des Balkans et du Proche-Orient arabe et projetant la partition de la Turquie en plusieurs lambeaux, et la stratégie de Bush qui entend diviser l'Irak en trois républiques distinctes et antagonistes, sont rigoureusement de même essence. L'universalisme libéral-capitaliste, avatar des Lumières, instrumentalise le petit-nationalisme de fermeture pour arriver à asseoir son hégémonie.

 

Au seuil du XXième siècle comme au seuil du XXIième, la necessité d'élargir les horizons politiques aux dimensions continentales ont été et demeurent nécessaires. Au début de notre siècle, l'impératif d'élargissement était dicté par l'économie. Il était quantitatif. Aujourd'hui, il est encore dicté par l'économie et par les techniques de communications mais il est dicté aussi par l'écologie, par la nécessité d'un mieux-vivre. Il est donc aussi qualitatif. L'irruption au cours de la dernière décennie des coopérations interrégionales non seulement dans le cadre de la CEE mais entre des Etats appartenant à des regroupements différents ou régis par des systèmes socio-économiques antagonistes, ont signifié l'obsolescence des frontières stato-nationales actuelles. Les énergies irradiées à partir de diverses régions débordent le cadre désormais exigu des Etats-Nations. Les pays riverains de l'Adriatique et ceux qui forment, derrière la belle ville de Trieste, leur hinterland traditionnel, ont organisé de concert les synergies qu'ils suscitent. En effet, l'Italie, au nom de la structure stato-nationale née par la double action de Cavour et de Garibaldi, doit-elle renoncé aux possibles qu'avaient jadis concrétisé l'élan vénitien vers la Méditerranée orientale? La Sarre, la Lorraine et le Luxembourg coopèrent à l'échelon régional. Demain, l'axe Barcelone-Marseille-Turin-Milan fédèrera les énergies des Catalans, des Languedociens, des Provençaux, des Piémontais et des Lombards, en dépit des derniers nostalgiques qui veulent tout régenter au départ de Madrid, Paris ou Rome. Ces coopérations interrégionales sont inéluctables. Sur le plan de la politologie, Carl Schmitt nous a expliqué que le Grand Espace, la dimension continentale, allait devenir l'instance qui remplacera l'«ordre concret» établi par l'Etat depuis Philippe le Bel, Philippe II d'Espagne, François I, Richelieu ou Louis XIV. Ce remplacement est inévitable après les gigantesques mutations de l'ère techno-industrielle. Schmitt constate que l'économie a changé d'échelle et que dans le cadre de l'Etat, figure politique de la modernité, les explosions synergétiques vers la puissance ou la créativité ne sont plus possibles. Le maintien de l'Etat, de l'Etat-Nation replié sur lui-même, vidé de l'intérieur par tout un éventail de tiraillements de nature polycratique, ne permet plus une mobilisation holarchique du peuple qu'il n'administre plus que comme un appareil purement instrumental. Sa décadence et son exigüité appellent une autre dimension, non obsolète celle-là: celle du Grand Espace.

 

Si le Grand Espace est la seule figure viable de la post-modernité, c'est parce qu'on ne peut plus se contenter de l'horizon régional de la patrie charnelle ou de l'horizon supra-régional de l'Etat-Nation moderne. L'horizon de l'avenir est continental mais diversifié. Pour pouvoir survivre, le Grand Espace doit être innervé par plusieurs logiques de fonctionnement, pensées simultanément, et être animé par plusieurs stratégies vitales concomitantes. Cette pluralité, qui n'exclut nullement la conflictualité, l'agonalité, est précisément ce que veulent mettre en exergue les différentes écoles de la post-modernité.

 

Cette post-modernité du Grand Espace, animé par une pluralité de logiques de fonctionnement, condamne du même coup les monologiques du passé moderne, les monologiques de ce passatisme qu'est devenue la modernité. Mais elle condamne aussi la logique homogénéisante de l'impérialisme commercial et gangstériste des Etats-Unis et la monologique frileuse des gardiens du vieil ordre stato-national.

 

Pour organiser le Grand Espace, de Rotterdam à Constantza ou le long de toute la diagonale qui traverse l'Europe et le Proche-Orient de la Mer du Nord au Koweit, il faut au moins une double logique. D'abord une logique dont un volet réclame la dévolution, le recentrage des énergies populaires européennes sur des territoires plus réduits, parce que ces territoires ne seront alors plus contraints de ne dialoguer qu'avec une seule capitale mais auront la possibilité de multiplier leurs relations interrégionales. Ensuite une logique qui vise l'addition maximale d'énergies en Europe, sur le pourtour de la Méditerranée et au Proche-Orient.

L'adhésion à la nation, en tant qu'ethnie, demeure possible. Le dépassement de cet horizon restreint aussi, dans des limites élargies, celles du Grand Espace. L'ennemi est désigné: il a deux visages selon les circonstances; il est tantôt universaliste/mondialiste, tantôt petit-nationaliste. Il est toujours l'ennemi de l'instance que Carl Schmitt appelait de ses vœux.

 

Que faire? Eh bien, il faut 1) Encourager les logiques de dévolution au sein des Etats-Nations; 2) Accepter la pluralité des modes d'organisation sociale en Europe et refuser la mise au pas généralisée que veut nous imposer l'Europe de 1993; 3) Recomposer la diagonale brisée par les Américains; 4) Organiser nos sociétés de façons à ce que nos énergies et nos capitaux soient toujours auto-centrés, à quelqu'échelon du territoire que ce soit; 5) Poursuivre la lutte sur le terrain métapolitique en s'attaquant aux logiques de la désincarnation, avatars de l'idéologie des Lumières.

 

Pour conclure, je lance mon appel traditionnel aux cerveaux hardis et audacieux, à ceux qui se sentent capables de s'arracher aux torpeurs de la soft-idéologie, aux séductions des pensées abstraites qui méconnaissent limites et enracinements. A tous ceux-là, notre mouvement de pensée ne demande qu'une chose: travailler à la diffusion de toutes les idées qui transgressent les enfermements intellectuels, le prêt-à-penser.

Je vous remercie.

 

Robert Steuckers.

 

jeudi, 28 janvier 2010

Sobre el disenso como método

Sobre el disenso como método

Alberto Buela (*)

 

 

Disenso.gifLos filósofos como los científicos más que probar teorías, disponen de teorías para explicitar lo implícito en el caso de la filosofía y para ampliar los alcances de la ciencia en el caso de los científicos.

Esta verdad que resulta una verdad a plomo, que cae por su propio peso, que es evidente por sí misma ha sido y es de difícil aceptación pues, en general, se dice que se tienen teorías o se quiere probar una teoría. Lo cual no es correcto.

 

El hecho de darse cuenta, que uno puede disponer de una teoría facilita el trabajo de investigación pues la teoría se transforma allí en un medio de acceso a la verdad y no un fin en sí misma como erróneamente es tomada.

La realidad, los entes para hablar filosóficamente, son la consecuencia del proceso de investigación y las prácticas científicas que vienen a convalidar la teoría. Así, si esa teoría es  verdadera confirma esa realidad, esos entes.

 

La atribución de verdad, de realidad, de coherencia, de consistencia, de adecuación es lo que permite avanzar en el camino del conocimiento. En una palabra, no se avanza justificando teorías sino que se avanza disponiendo de teorías que las prácticas científicas en el caso de la ciencia o las prácticas fenomenológicas en el caso de la filosofía pueden atribuir verdad .

La ciencia, y la filosofía lo es, puede ser pensada en este sentido como un conjunto de representaciones que se manifiestan como teorías (Aristóteles), paradigmas (Kuhn), programas (Lakatos), modelos (Popper), tradiciones (MaIntayre) que se confirman en las prácticas y no meramente en la representación.

 

Nosotros, en nuestro caso, hemos dispuesto de una teoría: La teoría del disenso a partir de la cual intentamos explicar al hombre, el mundo y sus problemas desde una mirada no conformista y alejada del pensamiento único, típico de nuestra época.

El disenso entendido como otro sentido al dado y establecido nos ha permitido crear teoría verdaderamente crítica y no “nominalmente crítica” como ha sucedido en definitiva con la Escuela neomarxista de Frankfurt.

Recuerdo a Conrado Eggers Lan lo enojado que estaba cuando en Estados Unidos lo recibió Marcuse del otro lado de un soberbio escritorio judicial, cómodamente apoltronado y criticando al capitalismo, siendo que era un satisfecho del sistema capitalista como pocos.

La producción de teoría crítica desde el disenso exige un compromiso no solo político sino existencial. Es que el otro para la teoría del disenso no es el del ómnibus, colectivo o subte es aquel que me opugna y disiente y al que “localizo” existencialmente. En este sentido el

disenso rompe el simulacro de la mentalidad ilustrada de “hacer como si tengo en cuenta al otro” por una exigencia civilizada cuando en realidad lo que busco es distanciarme sin que se de cuenta. La filantropía, como alejada ocupación del otro (por ej. con un cheque un filántropo salva su conciencia, aun cuando ese dinero termine en los bolsillos de un sátrapa en compra de armas para matar a quienes se dice ayudar) reemplazó en la modernidad a la caridad que es la ocupación gratuita del otro, pero entendido como singular y concreto. Por ello se habla en el catolicismo de “las caridades concretas” y nuestros viejos padres criollos nos exigían incluso “tocar físicamente” aquel a quien se auxilia.

 

Es sabido que todo método es un camino para llegar a alguna parte, en este sentido el disenso como método no se agota en el fenómeno como la fenomenología sino que además privilegia la preferencia de nosotros mismos.  Parte del acto valorativo como un mentís profundo a la neutralidad metodológica, que es la primera gran falsedad del objetivismo científico, sea el propuesto por el materialismo dialéctico sea el del cientificismo tecnocrático. Rompe con el progresismo del marxismo para quien toda negación lleva en sí una superación progresiva y constante. Por el contrario, el disenso no es omnisciente, pues puede decir “no sé” y así se transforma en un método también del saber popular, que se caracteriza por no negar la existencia de algo que es o existe sino que cuando niega, sólo niega la vigencia de ese algo.

En cuanto a la preferencia de uno mismo siempre se realiza a partir de una situación dada, un locus  histórico, político, económico, social y cultural determinado. En nuestro caso el dado por la ecúmene iberoamericana. Esto obliga a pensar el disenso como un pensamiento situado que tiene como petición de principio el hic Rhodus, hic saltus (aquí está Rodas, aquí hay que bailar) de Hegel al comienzo nomás de su Filosofía del Derecho.

 

Esto nos ha permitido establecer un pensamiento de ruptura con la opinión pública, que hoy no es otra que la opinión publicada.

Este pensamiento de ruptura, o mejor, pensamientos de rupturas, nos ha permitido dar respuestas breves a esa multiplicidad de imágenes truncas que nos brinda la postmodernidad respecto de la vida hoy. A esos  analfabetos culturales locuaces (Fayerabend) que son los periodistas y locutores que hablan de todo sin decir que nada es verdadero o falso o, peor aun, cuando lo hacen siempre se encuentran del lado de la falsedad. Ello es así, porque son simples voceros del pensamiento único y políticamente correcto. De esta forma de ver y pensar las cosas y los problemas que nace desde los grandes gestores culturales (los famosos en cada disciplina) que no buscan otra cosa que la consolidación del estado de cosas tal como está. Es que la realidad tal como se da en todos los órdenes es la que les permitió ser lo que son, y la metafísica enseña que todo ente busca perseverar en su ser.

La ruptura por parte del disidente, en general rebelde y marginado, de este círculo hermenéutico (de interpretación de lo que es) se ha transformado así en una masa compacta e impenetrable pues si se atacan las teorías de los famosos (en filosofía el humanismo, en ciencia el objetivismo, en arte el subjetivismo caprichoso y arbitrario, en religión el ecumenismo de todos por igual, en política el progresismo democrático) sale uno del mundo, queda marginado, alienado, cuando no demonizado.

 

Sin embargo, la única posibilidad que se vislumbra es la creación de teoría crítica a partir del disenso como método que es quien rompe el consenso de los satisfechos del sistema tanto en las sociedades opulentas como en las otras.

 

(*) alberto.buela@gmail.com

G. Faye: L'Essai sur la violence de M. Maffesoli

maffesoli.gifArchives « Guillaume Faye » - 1985

Guillaume FAYE:

L’ “Essai sur la violence” de Michel Maffesoli

 

Michel Maffesoli n’aime pas le “devoir-être”; la sociologie qu’il a fondée, orientée vers l’analyse de la “socialité” quotidienne et imprégnée de paganisme dionysiaque, échappe autant à l’énoncé de solutions historiques et politiques pour notre temps qu’à l’alignement sur les prêts-à-penser idéologiques. “Laissant à d’autres le soin d’être utiles, note-t-il dans la préface de la deuxième édition de ses “Essais sur la violence”, il me semble possible d’envisager les problèmes sociaux sous l’angle métaphorique (…). On est loin de ce qu’il est convenu d’appeler la demande sociale ou autres fariboles de la même eau. C’est de l’esthétisme. Peut-être faut-il en accepter le risque”. Cet esthétisme donne lieu en tous cas à un travail très complet et fort sérieux: la réédition des “essais sur la violence”, publiés en 1978 dans un ouvrage maintenant épuisé (« La violence fondatrice », Ed. du Champs Urbain, Paris, avec une préface de Julien Freund) offre à la réflexion l’une des meilleurs approches sur le statut et la fonction sociale de « cette mystérieuse violence » qui est, dit l’auteur, « peut-être préférable à l’ennui mortifère d’une vie sociale aseptisée ».

 

Prenant le contre-pied de l’humanisme chrétien qui, comme la plupart des idéologies contemporaines qu’il a innervées, considère la violence  —sociale ou politique—  comme une anomalie anthropologique. Maffesoli, dans la lignée de Max Weber et de Carl Schmitt, voit dans la violence, la lutte et l’hostilité, « les moteurs principaux du dynamisme des sociétés » (p. 13). A une société « monothéiste » qui prétendrait éliminer toute violence pour uniformiser les valeurs, Maffesoli voit dans la reconnaissance de la violence comme trame du social, la marque d’un esprit polythéiste et antitotalitaire.  Analysant la « dynamique » de la violence, son « invariance », son caractère « dionysiaque » et expliquant comment une violence ritualisée et intégrée par la société civile  —par le peuple—  peut constituer un moyen de défense de la communauté organique contre les impératifs et les normes (autrement violents) de l’Etat égalitaire. Maffesoli met en lumière l’ « ambivalence » de la violence : elle est à la fois structurante  —si elle s’avère ritualisée et organique—  et déstructurante  —si elle s’éprouve comme délinquance chaotique dans une société policée et sécurisée—, libératrice et totalitaire, créatrice et destructrice à l’image du Scorpion, le signe zodiacal de Maffesoli lui-même !

 

S’appuyant parfois sur les travaux des éthologistes, Maffesoli qui échappe  —chose rare aujourd’hui—  aux angélismes et aux utopies du siècle, souligne le caractère fondateur de la violence dans la dynamique des rapports sociaux, qu’ils soient institutionnels ou privés, exceptionnels (le « débridement passionnel orgiastique ») ou ressortissant de la banalité de la vie de tous les jours.

 

essai-sur-la-violence-banale.jpgMais, quoiqu’il prétende ne pas toucher à l’idéologie politique, Maffesoli donne tout de même en cette matière une importante leçon. En refusant de légitimer ou de ritualiser la violence, en s’en arrogeant aussi le monopole sous une forme « rationnelle » et « neutre », l’Etat égalitaire moderne fonde paradoxalement « la violence totalitaire, l’abstraction du pouvoir par rapport à la socialité », comme la définit Maffesoli, qui ajoute : « ce qui se dessine (…), c’est que la maîtrise de cette menace organisée, en étant déliée d’un enracinement social, devienne le lot d’un Big Brother anonyme, contrôleur et constructeur de la réalité » (p. 17). Dès lors que la violence est « décommunalisée », abstraitement et légalement détenue par une technocratie et qu’elle n’est plus légitime au sein de la société civile qui savait la ritualiser, dès lors donc que la société est sécurisée par l’Etat, on assiste paradoxalement à l’émergence de la violence irrationnelle, « terrifiante et angoissante », celle de l’insécurité d’aujourd’hui : « La mise en spectacle rituelle de la violence permettrait que celle-ci fût en quelque sorte extériorisée. Sa monopolisation, son devenir rationnel tend au contraire à l’intérioriser » (p. 18).

 

Guillaume FAYE.

(recension parue dans « Panorama des idées actuelles », mars 1985 ; cette revue des livres et des idées était dirigée par le grand indianiste français Jean Varenne, disparu prématurément en 1997 ; avec l’aimable autorisation de l’auteur).

 

Michel MAFFESOLI, Essai sur la violence banale et fondatrice, Librairie des Méridiens, paris, 1984, 174 pages.

Carlo Gambescia - Metapolitica e potere

Carlo Gambescia. Metapolitica e potere

Susanna Dolci

Intervista Carlo Gambescia - Ex: http://www.mirorenzaglia.org/

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È di pochi giorni fa la pubblicazione del suo nuovo volume, Metapolitica. L’altro sguardo sul potere (Il Foglio Letterario Edizioni, 2009) e suo un sito web ben articolato”Carlogambesciametapolitica“ (incipit: “Senza ‘metapolitica’ si finisce sempre per fare cattiva ‘politica’ “). Lui viene definito «studioso di sociologia, propugnatore di un approccio basato sulla “metapolitica”, ovvero capace di andare al di là della dicotomie destra-sinistra e del giudizio politico, affrontando i fatti sociali attraverso una modalità esente da strumentalizzazioni ed etichettature. Il [suo] blog si propone di offrire qualche elemento di riflessione “metapolitica”, cercando di ricondurre il “particolare” (quel che accade) all’ “universale” (le costanti sociali)». Ed ancora: «La metapolitica non è una disciplina accademica. Senza ombra di dubbio il suo campo di studio rinvia alla filosofia politica. Tuttavia di rado se ne parla in enciclopedie e manuali di storia del pensiero politico. Probabilmente perché su di essa pesa tuttora l’accusa di pericoloso dilettantismo romantico dalle tentacolari propaggini totalitarie. Il che per certi versi è vero. Ma è soltanto una parte della storia. Ed è ciò che si propone di mostrare Carlo Gambescia. Per il quale la metapolitica, come altro sguardo sul potere, può rappresentare, oggigiorno, la classica boccata di aria fresca e pulita: un’analisi razionale di quel che viene “dopo” e “oltre” la politica, imperniata sulle scienze sociali e non sull’astratta ricerca dell’ “Ottimo Stato” o sulla sua abolizione rivoluzionaria». “Dove va la politica?” (Edizioni Settimo Sigillo, 2008) è il suo volume-risposta appassionante ed incalzante al disfacimento dell’appunto politica nel puzzle dell’essere degli stati che non sa più né ragionare né avere preciso potere decisionale. Una crisi di valori che rischia un irrimediabile punto di non ritorno. Contattato per un’intervista, il nostro si è subito reso disponibile a confrontarsi sulle pagine de Il Fondo con tematiche e realtà sociopolitiche spesso scomode ai più. Lo ringraziamo per questa sua squisita presenza pensando sempre alle parole di Ezra Pound «Non puoi fare una buona economia con una cattiva etica».

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Di Carlo Gambescia [nella foto] si dice (fonte: archivio900.it): ‘Italia, Sociologo, ha scritto diversi libri. Collabora a un discreto numero di riviste italiane e non. Critico di quella che definisce la «vulgata sviluppista e utilitarista, che ci presenta questo come “il migliore dei mondi possibili”», politicamente trasversale, è sostanzialmente un osservatore, un libero studioso e ricercatore’. Praticamente scomodo a “sinistra” (viene considerato un fascista) ed a “destra ed oltre” (viene considerato un antifascista), Lei non è fascista né tradizionalista. Insomma chi è?

Sono un libertario. Nel senso che se lei all’improvviso mi imponesse di scegliere tra il massimo della libertà senza alcun ordine e il massimo dell’ordine senza alcuna libertà, sceglierei, senza esitare, la libertà senza ordine. O se vuole sconfinante nel disordine. Ma non è tutto. E qui viene il bello, anzi il brutto.  Perché, come sociologo, ritengo sia irrealistico parlare di libertà assoluta: l’uomo vive “in società”;  agisce in un mondo che in buona parte non ha creato, fatto di istituzioni, se vuole, valori, idee, norme, “solidificati” in  comportamenti strutturati; istituzioni che l’uomo trova quando nasce, e che continueranno a esistere dopo la sua morte.  Certo, assumendo significati storici diversi.  Ma il punto è che, pur mutando il contenuto storico, come ogni buon sociologo sa, la forma-istituzione permane, limitando oggettivamente, nei fatti, la libertà dell’uomo. Pertanto, dentro di me si scontrano due figure: l’uomo che aspira al massimo di libertà e il sociologo che frena… E non è un bel vivere.

Per quale ragione?

Perché spesso chi ti legge e frettolosamente, come capita soprattutto in Rete, non percepisce il “dramma”. O meglio forse non vuole percepire la combattuta onestà di chi scrive… Per dirla tutta, se mi passa l’espressione, sotto questo profilo la Rete -  non mi faccia fare nomi -  è il peggio del peggio…  Presenta gli stessi vizi (invidia, perfidia, conformismo, cordate, guerra per bande, eccetera) della cosiddetta “società letteraria”,  che, pure scrivendo professionalmente, conosco molto bene.  Senza però godere della qualità e della professionalità, che tutto sommato, distingue, la “società letteraria”.  Con un’altra differenza, ovvero che “quelli” della Rete si ritengono “gli ultimi puri”. Roba da piangere o ridere. Faccia lei. Spesso penso veramente di essere un masochista perché mi ostino a tenere  ancora  “acceso” il mio blog.

Oltre all’economia anche la sociologia. Finalmente sorella tra le per me arti conoscitive o ancora brutto anatroccolo degli studi di questo mondo?

“Arte conoscitiva”… Bellissima espressione, complimenti.  Ricordo un prezioso libro di Robert Nisbet dove più o meno si sosteneva il valore dell’intuizione artistica anche nell’ambito dell’analisi sociologia. Da una parte i dati empirici e le costanti interpretative nel senso di quel che si ripete nel sociale: la “forma” sempre uguale a se stessa. Dall’altra l’intuizione bruciante, sempre diversa come capacità di vedere nell’effervescenza dei “contenuti”, ciò che sia sfuggito agli altri scienziati sociali quali politologi, economisti, eccetera.  Guardi, il più bel complimento, me lo fece qualche anno fa un amico filosofo, un appuntito “marxologo”, che a cena  mi disse: “Carlo, nei tuoi libri, si ritrova sempre quell’immaginazione sociologica, teorizzata, da Charles Wright Mills,  che va oltre i fatti sociali, pur partendo da essi”… E, purtroppo,  oggi la sociologia ha rinunciato all’immaginazione, per “certificare”  il presente, indossando abiti notarili. Come trent’anni fa,  invece, si baloccava in eskimo con l’idea di “rivoluzione”. Resta ancora tanta strada da fare.

Quanti libri al suo attivo?

Non mi piace fare della pubblica contabilità librario-culturale… Chi mi apprezza, già sa. O comunque sia, la faranno i posteri… Se ne avranno voglia… Ricordo un collega trombone, ancora in circolazione, che molti  anni fa,  in treno,  ammaestrava noi giovani leve sul fatto, che lui aveva scritto venti libri bla bla,  e che dunque era il più grande sociologo, eccetera, eccetera. Ecco, pensai: un comportamento, in futuro, da evitare…

Come non detto. Quali allora  gli argomenti trattati?

La mia ricerca, si muove lungo due filoni principali. Il primo riguarda la sociologia della cultura, con particolare riferimento all’economia come processo culturale. Il secondo concerne le relazioni, sempre sociologiche, tra economia, cultura e politica, ricerca che dovrebbe sfociare, più avanti, in una vera e propria teoria complessiva del politico.  Ne potrei aggiungere un terzo, carsico: quello dello studio storico-critico di alcune figure di sociologi e filosofi aperti al sociale che possono aiutarci ad affinare i concetti sociologici, come dire ” di pronto impiego”, per la ricerca. E qui penso, tra gli altri, a Sorokin,  Polanyi, Del Noce.

E a quale volume tiene di più?

Non ne ho uno in particolare. Diciamo che mi muovo  “metodicamente” -  e chi mi segue se ne sarà accorto – nell’alveo dei tre filoni indicati. Poi, guardi, io prima che “scrittore”, sono “lettore” accanito. Di qui una grande umiltà… Non pretendo di dire nulla di definitivo… E conosco i miei limiti.  A differenza di altri…

“Metapolitica. L’altro sguardo sul potere”, Il Foglio Letterario edizioni.  Questa la sua nuova fatica letteraria. Ce ne vuole parlare?

Diciamo subito che il libro è uno “spicchio” di quella teoria generale del politico, verso la quale in prospettiva dovrebbero confluire i diversi filoni della mia ricerca.  Ma il libro è nato anche da una constatazione: in certi ambienti non conformisti, soprattutto a destra, da decenni si parla di metapolitica, senza aver mai dato prima alcuna definizione… E soprattutto senza aver mai imparato a distinguere tra metapolitica, come ricerca filosofica o ideologica intorno allo stato ottimo, e metapolitica, come studio positivo della politica, basato sulle scienze sociali e sull’individuazione e l’uso di alcune fondamentali regolarità sociologiche. O peggio ancora: senza distinguere, tra metapolitica, come teoria (dal punto di vista chi osserva), e metapolitica come azione  (dal punto di vista di chi la pratica). Ecco il mio libro si muove intorno a queste intuizioni.

Politica e Metapolitica, per capire. Dove vanno da sole od insieme?

Dopo quanto ho detto, dovrebbe essere chiaro, per dirla telegraficamente – e come del resto lei stessa ha fatto notare nella sua introduzione – che senza metapolitica si rischia sempre  di fare cattiva politica.

Lancio dei sassi nello stagno dell’attualità italiana:

Nel 2008 ed a seguire in questo anno, il 20% delle famiglie si trovano sotto la soglia della povertà; stipendi bassi, salari da fame. L’Italia si attesta dopo la Grecia e la Spagna; da poco la decisione delle banche di bloccare i mutui per un anno alle categorie sociali in difficoltà; dubbio amletico nel lavoro: posto fisso o mobilità di assunzione; ancora la crisi economica è nera o si intravede un pur minimo spiraglio di fiduciosa ripresa?

Domande interessanti. Se però mi consente preferisco dare una risposta di metodo. Lasciando a lei e ai lettori la possibilità poi di “rispondersi da soli”. Anche questa è metapolitica… La forza del capitalismo è nel fatto che si fa al tempo stesso odiare e amare. È una via di mezzo tra il Dio dell’Antico e del Nuovo Testamento: atterrisce e consola al tempo stesso… Pertanto quei dati che lei ricorda, sono sempre suscettibili di peggiorare (il Dio che atterrisce), ma anche di migliorare (il Dio che consola). A differenza di altri sistemi storici a economia centralizzata o autarchica, il capitalismo ha una capacità di autoriformarsi, finora sconosciuta. Ma anche una capacità economica e politico-militare considerevole. Pensi, per così dire, alle battute finali dei totalitarismi, dei diversi totalitarismi che pur con sfumature diverse atterrivano senza consolare… Quelli  nazionalsocialista e  fascista sconfitti dal capitalismo sul campo, con la forza delle armi. E quello comunista, come qualcuno all’epoca scrisse, schierando invece stereo e frigoriferi… Si tratta di una plasticità, dalla forza pressoché sconosciuta, che ripeto atterrisce e consola al tempo stesso, con la quale ogni serio studioso dei sistemi socio-economici in generale, e del capitalismo in particolare, deve fare i conti.

D’accordo, ma sull’immediato?

Credo che per ora la forza sistemica del capitalismo sia tale che, anche questa volta, ce la farà… Tuttavia nessun sistema è eterno. E i due punti deboli del capitalismo attuale sono nella possibile crescita delle distanze sociali e nel degrado ambientale del pianeta. Al primo problema, si può rispondere con il welfare. Al secondo, puntando su uno sviluppo più attento all’ambiente. Tuttavia il problema è che la sicurezza sociale costa e richiede una crescita economica progressiva, in grado di garantire un altrettanto costante prelievo fiscale per coprire le finalità sociali del sistema. Ma la crescita progressiva – ecco il punto – non può andare tanto per il sottile. Di qui la possibilità, per alcuni la certezza, di sempre più gravi problemi ambientali.

Alcuni sostengono che la decrescita risolverebbe tutto…

Può darsi. Il vero problema resta però quello di trovare come conciliare la decrescita con la democrazia, in un mondo che temporalmente non potrà mai trasformarsi, tutto insieme e nello stesso momento, da capitalista in “decrescista”. Detto in altri termini: come convincere razionalmente e pacificamente i possibili refrattari interni ed esterni alla nazione o al “blocco di nazioni” decresciste ?   La tragica esperienza dei socialismi reali dovrebbe aver insegnato, una volta per tutte, che una  “riconversione economica”  non può essere una passeggiata, soprattutto in un mondo ostile.  Pensi, ad esempio, alla necessità di difendersi, dagli eventuali “nemici esterni” della decrescita… E allora che fare? Applicare la decrescita anche all’industria bellica? Un punto questo, che i “decrescisti”, almeno, a parole, pacifisti convinti, sembrano purtroppo sottovalutare.

Capisco benissimo che l’attualità italiana le  interessa fino a un certo punto…  Ma  Bruno Tremonti e Mario Draghi. Maestri, allievi o discoli?

No. Direi mestieranti… Ben pagati, però.

Confindustria e sindacati del lavoro. Pensano ai lavoratori ed al bene socialmente inteso o discettano del nulla?

Come sopra… Scherzo…Mi offre invece l’opportunità di spiegare come “funziona” la logica sociale delle istituzioni. Dal punto di vista sociologico la storia del sindacato può essere riletta come un continuo alternarsi tra movimento e istituzione. Nel XIX il sindacato era un movimento. Nel XX si è trasformato in istituzione. Di qui quel comportamento da routinier che oggi distingue il sindacato.  Ma fino alla prossima “scossa” storica e sociale. Chissà il XXI secolo potrebbe essere quello del ritorno a un comportamento movimentista. Tenga infine presente che la costante o regolarità “movimento-istituzione” contraddistingue l’agire sociale dei gruppi più diversi: dalle chiese ai partiti, dai sindacati alla coppia.  Sotto questo aspetto Trotsky aveva torto marcio:  non esistono rivoluzioni permanenti. Anche il potere rivoluzionario, proprio per un umano e innato bisogno di sicurezza, tende a istituzionalizzarsi.  Il che non significa che gli uomini non si ribellino mai. E che l’istituzionalizzazione possa andare, anche qui, oltre quel limite rappresentato dall’umana sopportazione delle ingiustizie. Insomma, neppure Stalin, teorico del socialismo in un solo paese, aveva ragione… Ma  solo che, una volta raggiunta la vittoria,  gli uomini si siedono e chiedono “normalità”… E il gioco ricomincia.

Destra e Sinistra? Destra o Sinistra? Destra vs Sinistra? Altro ed ulteriore? “Dove vanno le ideologie”, citando Enzo Erra ed Enzo Cipriano?

Destra e sinistra parlamentari possono essere anche superate. È un secolo che se ne parla… Ma il vero problema è quello di trovare un forma di rappresentanza alternativa. Come rappresentare gli interessi e i valori? Come fare in modo che tutte le posizioni vengano rappresentate? E democraticamente? Mi permetto sommessamente di ricordare che, nonostante alcuni ritengano – ed a ragione – “politicamente” sorpassate le ideologie di destra e sinistra scaturite dalla Rivoluzione Francese, in realtà all’interno di tutti i gruppi sociali tendono sempre a riproporsi “psicologicamente” e “socialmente”, le divisioni tra coloro che difendono lo status quo e quelli che vogliono cambiarlo. E infine tra questi ultimi e quelli che vogliono il ritorno allo status quo ante… Nell’ ordine: conservatori, progressisti e reazionari. Quindi, sì, fine delle dicotomie “classiche” o quasi, ma con juicio

A conclusione, qualche formula magica da proporre? Riti sciamanici? Profezie maya o curandere?

No. Per quel che mi riguarda cercherò di “applicarmi di più”. Insomma: studiare, studiare, studiare. Tutto qui.

Contre l'intégration mondialiste, pour un développement auto-centré

Archives de Synergies Européennes - 1985

Contre l'intégration mondialiste, pour un développement auto-centré

 

par Stefan Fadinger

 

 

L'héritage de Fichte

 

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fichte.gifJohann Gottlieb FICHTE, dans son "Geschlossener Handelsstaat " ("L'Etat commercial fermé"), propose à son peuple, le peuple allemand, un modèle d'économie socialiste et nationale voire communiste et nationale. Ce modèle est inspiré des idées de Jean-Jacques ROUSSEAU, qui avait déjà influencé FICHTE pour la rédaction du "Grundlage des Naturrechts nach Prinzipien des Wissenschaftlehre " de 1796. Dans ces deux ouvrages, FICHTE pose le "commun" (c'est-à-dire la "Nation") comme l'idéal, comme une société gérée par les principes de la "raison pure" et basée sur l'égalité en droit de tous les citoyens. Et comme le fondement  de la propriété humaine est le travail, chaque citoyen détient un "droit à l'activité (Tätigkeit)" et l'Etat doit veiller à ce que chacun puisse vivre du produit de son travail (FICHTE se fait ici l'avocat d'une sorte de subvention officielle pour ceux qui sont réduits au chômage). Le philosophe manifeste également son souci de créer une morale socialiste du travail. Pour lui, le travail possède une valeur morale et religieuse. L'Etat ne doit pas seulement protéger les droits de l'homme mais doit aussi veiller à encourager le libre déploiement des facultés morales et techniques des citoyens rangés sous sa protection. FICHTE, en outre, constate que vendeurs et acheteurs se livrent mutuellement une guerre incessante, guerre qui devient plus âpre, plus injuste, plus dangereuse en ses conséquences au fur et à mesure que le monde se peuple. Cette guerre commerciale, générée par l'égoïsme, l'Etat doit l'éliminer par des moyens légaux. Le gouvernement a le devoir de veiller à ce que l'économie soit correctement régulée. Il doit prendre en charge le commerce extérieur, calculer le volume global des échanges commerciaux, équilibrer la production selon les lois de l'offre et de la demande et réglementer la division du travail. Tous les capitaux doivent se trouver dans les mains de l'Etat. FICHTE, socialiste-national, exige que l'Etat se ferme totalement à tout commerce avec l'étranger, sauf pour l'échange de biens et de marchandises absolument indispensables. La condition sine qua non pour pratiquer une telle politique, c'est que les citoyens renoncent progressivement à toute espèce de besoin de consommation qui ne contribue pas réellement à leur "bien-être" (Wohlsein). En langage moderne, nous traduirions par: couverture des  besoins plutôt qu'éveil de  besoins. Donc: renoncer aux biens superflus ou nuisibles!

 

l'héritage de Friedrich List

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Friedrich LIST est considéré également, avec raison, comme l'un des principaux fondateurs de la théorie nationaliste de l'économie. Démocrate militant du "Vormärz" (1), il a lutté pour l'unité politique et économique de l'Allemagne, pour la suppression des barrières douanières internes et pour une politique nationale des chemins de fer. Le titre de son maître-ouvrage est, significativement: Das Nationale System der Politischen Ökonomie (Système national d'économie politique). Dans ce livre, LIST formule une découverte révolutionnaire: tout le bla-bla à propos de l'Homme (au singulier) et de son économie (encore au singulier) qui sert d'assise à la praxis de l'économie mondialiste n'est qu'abstraction et pilpoul intellectualiste; l'économiste doit davantage se montrer attentif au niveau intermédiaire de la réalité économique, situé entre celui de l'individu et celui des lois économiques générales. Ce niveau intermédiaire, c'est le niveau national. Et quand LIST déclare que l'arrière-plan de ses travaux, c'est la volonté de construire l'Allemagne, il exprime une perspective nouvelle qui postule qu'il n'existe aucune économie générale mondiale, mais seulement des économies nationales.

 

List.gifSelon LIST, au cours de l'histoire, les structures économiques se sont développées par paliers. Ainsi, l'Etat agraire pur se mue en Etat productiviste agricole et, finalement, quand les économies politiques atteignent un stade "supérieur", les Etats agricoles deviennent productivistes et  commerciaux. Nous dirions aujourd'hui qu'ils sont des Etats industriels et agricoles modernes. Cette évolution globale doit être dirigée par l'Etat, selon les critères d'une économie politique sainement comprise. Ce qui signifie que l'agriculture et l'industrie doivent toujours s'équilibrer à tous les niveaux.

 

Lorsque LIST s'insurge contre le processus d'intégration multinational, il s'insurge principalement contre la doctrine anglaise du libre-échange, contre le libéralisme économique préconisé par Adam SMITH, idéologie qui camoufle la conquête impérialiste des marchés/débouchés sous le slogan de la "liberté" (liberté du commerce, s'entend). A cette "science" de camouflage propagée par les économistes libéraux, LIST oppose le primat de l'industrie nationale et, au niveau politique, la création de barrières douanières protectrices (les Erziehungszölle ). Ces barrières, conçues comme des mesures temporaires limitées, doivent servir à élaborer une branche économique déterminée, à la rendre indépendante et rentable, de manière à ce qu'elle contribue à assurer la bonne marche de la Nation dans l'histoire.

 

Contrairement à ce qu'affirme la doctrine de SMITH, LIST ne reconnaît aucune autonomie à l'économie. Celle-ci a pour mission de servir les hommes et les peuples, sinon ce qui constitue la "liberté" pour les uns, ne signifie que l'exploitation pour les autres. Comparées à ces assertions sur l'économie politique, les thèses de Karl MARX à propos de cette thématique demeurent abstraites et universalistes, c'est-à-dire encore curieusement empreintes du libéralisme smithien.

 

Dieter Senghaas, avocat de la "dissociation"

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Dans l'univers des pensées étiquettées de "gauche", aujourd'hui, Dieter SENGHAAS, professeur de sciences politiques, renoue avec cette théorie économique nationale de LIST. En effet, dans son livre Weltwirtschaftsordnung und Entwicklungspolitik. Plädoyer für Dissoziation, SENGHAAS traite en long et en large de la science économique nationaliste de LIST et la déclare largement "positive".

 

Pour SENGHAAS, les idéologies dominantes en matière économique préconisent globalement une politique de libre-échange qui conduit obligatoirement à l'inclusion de l'Amérique Latine, de l'Afrique et de l'Asie dans le mode de division du travail (DIT) imposé par les métropoles. Derrière les mots "liberté" (c'est-à-dire liberté de commerce), "intégration" et "coopération", derrière cet écran de belles paroles, le capital multinational construit son One World. De la complexité des économies nationales, on passe alors, sous la pression de ces doctrines économiques fortement idéologisées, à des monocultures déformées, incapables d'auto-approvisionner leurs propres peuples, dépendantes des diktats imposés par les QG des consortiums, caractérisées par des "déformations structurelles" et des "circuits économiques défaillants". Tous les reproches que peuvent adresser les forces de gauche ou les pays en voie de développement à cette économie "one-worldiste" restent nuls et non avenus tant que l'on ne s'attaque pas au fond du problème, tant que l'on ne rejette pas le principe de l'imbrication économique multinationale, tant que l'on ne refuse pas l'intégration dans le système du One World.

 

Contre cet engouement planétaire, SENGHAAS suggère une alternative: prôner la dissociation plutôt que l'intégration, déconnecter les sociétés périphériques du système économique mondialiste/capitaliste (dans une perspective nationale), favoriser la création d'espace de développement auto-centrés plutôt que d'accepter les main-mises étrangères. L'économie contribue ainsi à asseoir la conception "nationale-révolutionnaire" du socialisme, c'est-à-dire celle du socialisme selon la voie nationale.

 

La contradiction qui oppose la "libre-économie" impérialiste aux voies nationales de développement n'a pas été levée. Au contraire, elle s'est accentuée. Le conflit entre la cause du capital multinational et la cause des peuples, entre la stratégie de l'aliénation et l'idéal d'identité culturelle et nationale, est le conflit majeur, essentiel, de notre temps. Et SENGHAAS écrit: "L'option cosmopolite de la doctrine des avantages comparés et le plaidoyer pour le libre-échange sont pareils aujourd'hui à ce qu'ils étaient du temps de LIST. Il s'agit tout simplement de l'argumentaire des profiteurs d'une division internationale du travail inégale... Sans aucun doute, la théorie de Friedrich LIST (notamment la perspective analytique et pragmatique qu'il ouvre) est tout à fait actuelle, dans la mesure où les masses des sociétés périphériques se dressent contre le système, contre l'ordre économique international que leurs "élites" contribuent à renforcer".

 

La déconnexion par rapport au marché mondial a pour objectif de mettre sur pied une économie et une société autonomes et viables, basées sur leurs propres ressources et sur leurs propres besoins. Il suffit de se rappeler les modèles historiques qu'a connus l'Europe, aux différentes stades de son développement industriel, et le développement de certains pays socialistes (La Chine de MAO ZEDONG, la République Populaire de Corée, l'Albanie) et de les imiter, dans la mesure du possible et dans le respect des identités, dans les pays du Tiers-Monde. Les critiques actuels des idéologies économiques dominantes (les "dissociationnistes") mettent avec raison en exergue les points suivants en matière de politique de développement:

- Rupture avec la division internationale du travail et rejet des modèles basés sur l'exportation et caractérisés par les monocultures;

- Rupture avec le type d'industrialisation qui fonctionne selon les substitutions à l'importation.

Cette double rupture devra simplement être temporaire. Jusqu'au moment où les lacunes structurelles contemporaines des économies politiques des pays en voie de développement (chômage, inégalités criantes dans la redistribution des revenus, pauvreté, endettements, etc.) soient éliminées grâce à une stratégie de développement auto-centré. A ce moment, les économies nationales pourront prendre, sur le marché mondial, une place équivalente à celle des pays plus développés et participer efficacement à la concurrence, selon les critères de la doctrine des coûts comparatifs. Ainsi, le modèle de la déconnexion se pose comme contre-modèle à l'endroit de la praxis dominante actuelle en matière de développement; la déconnexion rompt les ponts avec le modèle du développement associatif (connecté) qui, dans le langage journalistique, s'impose aux mentalités grâce aux vocables sloganiques de One World et d'intégration sur le marché mondial.

 

Les "théories de la dépendance" démontrent que le développement dans la périphérie est impossible dans les conditions que dictent les dépendances à l'égard des métropoles. Ces théories analysent les formes "dépendantes" de développement, telles qu'elles sont mises en pratique dans certains pays. Elles mettent par ailleurs l'accent sur le fait que le sous-développement ne constitue pas un stade en soi, que les PVD (pays en voie de développement) doivent traverser, mais est bien plutôt une "structure". Poursuivant leur raisonnement, ces théories affirment que les économies politiques déformées des PVD ne pourront sortir de leurs impasses que si elles acquièrent un certain degré d'indépendance, de libre compétence nationale dans les questions de production, de diversification, de distribution et de consommation. Dieter NOHLEN et Franz NUSCHELER ont ainsi mis en exergue les complémentarités qui pourraient résoudre les problèmes des économies des PVD: travail/emploi, croissance économique, justice sociale/modification structurelle, participation, indépendance politique et économique (in Handbuch Dritte Welt,  Hamburg, 1982).

 

Kwame Nkrumah contre le néo-colonialisme,

John Galtung, économiste de la "self-reliance"

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kwame-nkrumah-mausoleum02.jpgDans le Tiers-Monde lui-même, ces complémentarités ont été entrevues pour la première fois par le socialiste panafricain Kwame NKRUMAH dans son livre Neo-Colonialism. The Last Stage of Imperialism. L'essence du néo-colonialisme, selon NKRUMAH, consiste en ceci: l'Etat dominé par le néo-colonialisme possède théoriquement tous les attributs d'un Etat souverain, tandis qu'en réalité, son système économique et sa politique sont déterminés par l'extérieur. NKRUMAH constate de ce fait l'émergence d'une nouvelle lutte des classes, dont les "fronts" ne traversent plus les nations industrielles mais opposent les pays riches aux pays pauvres (puisque les travailleurs des pays riches profitent eux aussi du néo-colonialisme).

 

Le concept de self-reliance  (c'est-à-dire le développement selon ses propres forces) a été découvert, cerné et systématisé par John GALTUNG dans un ouvrage intitulé précisément Self-Reliance. Ce concept, né dans les polémiques adressées à l'encontre des modèles occidentaux/capitalistes de développement, sert à déterminer une économie basée sur la confiance que déployerait une nation pour ses propres forces. Une telle économie utiliserait ses propres ressources pour satisfaire les besoins fondamentaux de sa population et chercherait à atteindre cet équilibre intérieur par la mobilisation des masses, par la concentration des forces économiques sur le marché intérieur et par la participation globale de la population aux décisions politiques et ce, aux différents niveaux hiérarchiques et territoriaux. La self-reliance est liée à la recherche des traditions autochtones, des valeurs culturelles enracinées, adaptées à la voie propre de développement choisie par le pays concerné. La self-reliance peut ainsi constituer une alternative sérieuse aux stratégies de développement orientées selon les logiques de la croissance et de la mondialisation du marché. Les modèles les plus réussis d'un tel développement autonome des forces productives sont les économies de la Tanzanie, du Zimbabwe, de la Guinée-Bissau et surtout de la République Populaire de Corée.

 

Mais ces modèles "déconnectés", illustrant la théorie "dissociationniste", ne sont que des premiers pas. Il faut aller plus loin. Et il ne faut pas qu'ils ne restent qu'à la périphérie du monde. L'intégration des peuples européens dans un réseau de dépendances et de déformations structurelles (GATT, CEE, etc.) doit être arrêtée.Car cette intégration ne signifie pas seulement une mutilation économique dangereuse mais aussi et surtout une "déformation" globale de la société. Ce ne sont pas que les nations périphériques qui souffrent de ces mutilations. Nos identités européennes, nos héritages culturels risquent également d'être totalement arasés. Le développement auto-centré est aujourd'hui une tâche révolutionnaire, pour le salut de toutes les nations du globe. Et ici aussi, en Allemagne, en Europe.

 

Stefan FADINGER.

(traduit de l'allemand par R. Steuckers; texte paru dans Aufbruch  4/1985)

 

mercredi, 27 janvier 2010

Kapital als Aberglaube

Kapital als Aberglaube

Ex: http://rezistant.blogspot.com/
kapital-club-berlin-bernhard_schluga03.jpgDas Kapital ist ein Glaube, und das Schlimme an diesem Glauben ist, dass es ein unethischer Glaube ist, - dass es ein Glaube ist, der nur regiert wird von einem einzigen Instinkt des Menschen, von seinem unmittelbaren, atavistischen, vom Egoismus, und dass dieser Egoismus nur gehemmt wird durch die Furcht vor dem Egoismus der anderen. Wie ein wildes Tier arbeitet eine Firma gegen die andere, rücksichtslos bedrängt der Fiskus den Bürger, und verschlagen und rücksichtslos versucht der Bürger, der Steuer zu entgehen. Wunderschöne Namen sind dafür erfunden worden. Eine ganze Wissenschaft hat sich aufgebaut aus dem Wunsch des Bürgers, dem Staat nur so wenig Steuern bezahlen zu müssen, als es irgendwie geht, und grosse Büros mit vornehm klingenden Namen leben von diesem Wunsch. Ein Spiel um Worte, denn dass der Staat Geld braucht, das ist ja klar, und dass er eigentlich gerecht besteuern müsste, müssten wir nach allem, was wir in der Schule von Ethik gelernt haben, wohl voraussetzen. Die Praxis beweist das Gegenteil. Der Staat wird als Feind betrachtet, und der Staat betrachtet seinen Bürger, der ihm Steuern zahlt, zunächst als Betrüger.

Der Kapitalismus ist ein unmoralischer Glaube, besser gesagt, er ist ein amoralischer. Aber der erste Schritt ist bereits getan, wenn man weiss, dass der Kapitalismus eigentlich ein Aberglaube ist, ein Aberglaube, wie die Astrologie, die ja auch amoralisch ist und sich jetzt mit einem Mäntelchen der Moral umkleidet.
Der Kapitalismus ähnelt überhaupt sehr stark der Astrologie. Denn ebenso blind, wie diese Pseudowissenschaft, begünstigt und vernichtet er die Individualität des einzelnen.

Wolfgang Forell, Kapital als Aberglaube. Betrachtung über einige aktuelle Fragen in der heutigen Zeit. In: Gegner, Heft 3, 15. August 1931, S. 15-17.

L'itinéraire d'Edgar Julius Jung

EdgarJung0002.jpgArchives de Synergies Européennes - 1992

L'itinéraire d'Edgar Julius Jung

par Robert Steuckers

Né le 6 mars 1894 à Ludwigshafen, fils d'un professeur de Gymnasium, Edgar Julius Jung entame, à la veille de la première guerre mondiale, des études de droit à Lausanne, où il suit les cours de Vilfredo Pareto. Quand la guerre éclate, Jung se porte volontaire dans les armées impériales et acquiert le grade de lieutenant. A sa démobilisation, il reprend ses études de droit à Heidelberg et à Würzburg mais participe néanmoins aux combats de la guerre civile allemande de 1918-19. Engagé dans le corps franc du Colonel Chevalier von Epp, il participe à la reconquête de Munich, gouvernée par les «conseils» rouges. Jung organise ensuite la résistance allemande contre la présence française dans le Palatinat. En 1923, il doit quitter précipitamment les zones occidentales occupées pour avoir trempé dans le complot qui a abouti à l'assassinat du leader séparatiste francophile Heinz Orbis. C'est de cette époque que date son aversion pour la personne de Hitler: ce dernier, sollicité par Jung envoyé par Brüning, avait refusé de rejoindre le front commun des nationaux et des conservateurs contre l'occupation française, estimant que le «danger juif» primait le «danger français». Pour Jung, ce refus donnait la preuve de l'immaturité politique de celui qui allait devenir le chef du IIIième Reich. En 1925, Jung ouvre un cabinet d'avocat à Munich. Il renonce à l'activisme politique et rejoint la DVP nationale-libérale, un parti toléré par les Français dans le Palatinat et qui rassemblait, là-bas, tous les adversaires du détachement de cette province allemande. Quand Stresemann opte pour une politique de réconciliation avec la France, dans la foulée du Pacte de Locarno (1925), Jung se distancie de ce parti, mais en reste formellement membre jusqu'en 1930. Il consacre ses énergies à toutes sortes d'entreprises «métapolitiques» et d'activités «clubistes». En effet, entre 1925 et 1933, la République de Weimar voit se constituer un véritable réseau de clubs conservateurs qui organisent des conférences, publient des revues intellectuelles, cherchent des contacts avec des personnalités importantes du monde de l'économie ou de la politique. Après avoir eu quelques contacts avec le Juniklub  et le Herren-Klub  de Heinrich von Gleichen et Max Hildebert Boehm (dont il retiendra la définition du Volk), Jung adhère et participe successivement aux activités du Volksdeutsches Klub  (de Karl Christian von Loesch), de la Nationalpolitische Vereinigung  (à Dortmund) et du Jungakademisches Klub  de Munich, dont il est le fondateur. L'objectif de cette stratégie métapolitique est de créer une nouvelle conscience politique chez les étudiants, de manier l'arme de la science contre les libéraux et les gauches et de fonder une éthique pour les temps nouveaux. En 1927, paraît la première édition de son livre Die Herrschaft der Minderwertigen  (= La domination des hommes de moindre valeur), véritable vade-mecum de la révolution conservatrice d'inspiration traditionaliste ou jungkonservative  (que nous distinguons de ses inspirations nihiliste, nationale-révolutionnaire, soldatique comme chez les frères Jünger, nationale-bolchévique, völkische, etc.). Entre 1929 et 1932, paraissent plusieurs éditions d'une nouvelle version, comptant deux fois plus de pages, et approfondissant considérablement l'idéologie jungkonservative.  Petit à petit, pense Jung, une idéologie conservatrice et traditionaliste, puisant dans les racines religieuses de l'Europe, remplacera la «domination des hommes de moindre valeur», établie depuis 1789. Mais, secouée par la crise, l'Allemagne n'emprunte pas cette voie conservatrice: le parlementarisme libéral s'effondre, plus tôt que Jung ne l'avait prévu, mais pour laisser le chemin libre aux communistes ou aux nationaux-socialistes. Jung constate avec amertume que le noyau conservateur qu'il avait formé dans ses clubs ne fait pas le poids devant les masses enrégimentées. Pour gagner du temps et barrer la route au mouvement hitlérien, Jung estime qu'il faut soutenir le gouvernement de Brüning. Ce gouvernement prolongerait la vie de la démocratie libérale pendant le temps nécessaire pour former une élite conservatrice, capable de passer aux affaires et de construire l'«Etat organique et corporatif» dont rêvaient les droites catholiques. Pour Jung, l'avènement du national-socialisme totalitaire serait la conséquence logique de 1789 et non son éradication définitive par une «éthique de plus haute valeur». En 1930-31, il rejoint les rangs de la Volkskonservative Vereinigung,  qui soutient Brüning, et cherche à la rebaptiser Revolutionär-konservative Vereinigung  pour séduire une partie de l'électorat national-socialiste. En mai 1932, Brüning tombe. Jung décide de soutenir son successeur Papen, qu'il juge aussi falot que lui. Jung devient toutefois son conseiller. Quand Hitler accède au pouvoir en janvier 1933, Jung prépare aussitôt les élections de mars 1933 en organisant la campagne électorale du Kampffront Schwarz-Weiß-Rot, visant à soutenir l'aile conservatrice du nouveau gouvernement et à transformer la révolution nationale de Hitler, marquée par une démagogie tapageuse, en une révolution conservatrice, chrétienne, tranquille, sérieuse, décidée. Cette ultime tentative connaît l'échec. Jung continue cependant à écrire les discours de von Papen. Le 17 juin 1934, ce dernier, lors d'un rassemblement universitaire à Marbourg, prononce un discours écrit par Jung, où celui-ci dénonce le «byzantinisme du national-socialisme», ses prétentions totalitaires contre-nature, ses polémiques contre l'esprit et la raison et réclame le retour d'une «humanité véritable» qui inaugurera l'«apogée de la culture antique et chrétienne». Le régime réagit en interdisant la radiodiffusion du discours et la circulation de sa version imprimée. Papen démissionne mais cède ensuite aux pressions de la police. Jung est arrêté le 25 juin et, cinq jours plus tard, on retrouve son cadavre criblé de balles dans un petit bois près d'Oranienburg. Le destin de Jung montre l'impossiblité de mener à bien une révolution conservatrice/traditionaliste à l'âge des masses.

 

La domination des hommes de moindre valeur. Son effondrement et sa dissolution par un Règne nouveau (Die Herrschaft der Minderwertigen. Ihr Zerfall und ihre Ablösung durch ein neues Reich), 1929

 

Jung a voulu faire de cet ouvrage une sorte de «bible» de la «révolution conservatrice», une révolution qu'il voulait culturelle et annonciatrice d'un grand bouleversement politique. S'adressant aux jeunes et aux étudiants, Jung veut donner à son conservatisme  —son Jungkonservativismus—  une dimension «révolutionnaire». Il explique que l'idéologie progressiste a eu son sens et son utilité historique; il fallait qu'elle brise l'hégémonie de formes mortes. Mais depuis que celles-ci ont disparu de la scène politique, l'attitude progressiste n'a plus raison d'être. L'idéologie du progrès n'est plus qu'une machine qui tourne à vide. Pire, quand elle reste sur sa lancée, elle peut s'avérer suicidaire. A la suite de la parenthèse progressiste, doit s'ouvrir une ère de «maintien», de conservation. Le Jungkonservativismus  ne cherche donc pas à perpétuer des formes politiques dépassées. Quant aux formes sociales et politiques actuelles, pense Jung, elles ne sont plus des formes au sens propre du mot, mais des résidus évidés, balottés dans le chaos de l'histoire. Jung définit ensuite son conservatisme comme «évolutionnaire»: il vise le dépassement d'un monde vermoulu, l'inversion radicale et positive de ses fausses valeurs. Ce travail d'inversion/restauration est, aux yeux de Jung, proprement révolutionnaire.

La période qui suit la Grande Guerre est caractérisée par la crise épocale des valeurs individualistes et bourgeoises en pleine décadence. Pour les relayer, le Jungkonservativismus  jungien propose un recours à Dilthey et à Bergson, à Spengler, Tönnies, Roberto Michels, Vilfredo Pareto et Nicolas Berdiaev. La crise s'explique, en langage spenglérien, par le passage au stade de «civilisation» qui est le couronnement de l'esprit libéral. Les liens sociaux sont détruits et les peuples tombent sous la coupe d'une démocratie inorganique, gérée par les «hommes de moindre valeur». Tel est le diagnostic. Pour sortir de cette impasse, il faut restaurer les vertus religieuses. Abandonnant ses positions initiales, lesquelles reposaient sur une philosophie des valeurs tirée du néo-kantisme, Jung veut désormais ancrer son «axiome de l'immuabilité de la pulsion métaphysique» dans un discours théologisé. Deux philosophes de la religion contribuent à le faire passer du néo-kantisme au néo-théologisme: Nicolas Berdiaev et Leopold Ziegler (qui deviendra son ami personnel). Jung embraye sur l'idée de Berdiaev qui évoque le fin imminente de l'époque moderne qui a vu le triomphe de l'irreligion. Pour Jung comme pour Berdiaev ou Ziegler, l'époque qui succèdera au libéralisme moderne sera un «nouveau Moyen Age» pétri de religion, réchristianisé. Eliminant les catastrophes de l'individualisme, ce nouveau «Moyen Age» restaure une holicité (Ganzheit),  un universalisme dans le sens où l'entendait Othmar Spann, un «organicisme» historique et non biologique. Cette dernière position distingue Jung des nationalistes de toutes catégories. En effet, il rejette le concept de «nation» comme «occidental», c'est-à-dire «français» et révolutionnaire, libéral et atomiste. Dans ce concept de «nation», domine le rationalisme raisonneur de l'idéologie des Lumières. Les «nations», dans ce sens, sont les peuples malades ou morts. Les peuples qui n'ont pas subi l'emprise de l'idéologie nationale, qui est d'essence révolutionnaire et est donc perverse, sont vivants, conservent au fond d'eux-mêmes des énergies intactes et demeurent les «porteurs de l'histoire». Jung relativise ainsi au maximum la valeur attribuée à l'Etat national, fermé sur lui-même. Les concepts-clé sont pour lui ceux de peuple (Volk)  et de Reich. Cette dernière instance, supra-nationale et incarnation politique du divin sur la Terre, est une idée d'ordre fédérative, tout à fait adaptée à l'espace centre-européen. De là, elle devra être étendue à l'ensemble du continent européen, de façon à instaurer un europäischer Staatenbund  (une fédération des Etats européens). Sur le plan spirituel, l'idée de Reich est le seul barrage possible contre le processus de morcellement rationaliste et nationaliste. Les Etats-Nations reposent sur un fait figé rendu immuable par coercition, tandis que le Reich  est un mouvement perpétuel dynamique qui travaille sans interruption les matières «peuples». Pour Jung, né protestant mais devenu catholique de fait, l'idée nationale est une tradition protestante en Allemagne, tandis que l'idée dynamique de Reich  est une idée catholique. Sur le plan intérieur, ce Reich  fédératif est organisé corporativement. A la place du Parlement et du suffrage universel, Jung suggère l'introduction d'une représentation populaire corporative et d'un droit de vote échelonné et différencié. L'organisation intérieure de son Reich  idéal, Jung la calque sur les idées du sociologue et philosophe autrichien Othmar Spann. C'est le talon d'Achille de son idéologie: cette organisation corporative ne peut s'appliquer dans un Etat moderne et industriel. Son appel à l'ascèse et au sacrifice ne pouvait nullement mobiliser les Allemands de son époque, durement frappés par l'inflation, la crise de 29, la famine du blocus et les dettes de Versailles.

(Robert Steuckers).     

 

- Bibliographie: Die geistige Krise des jungen Deutschland, 1926 (discours, 20 p.); Die Herrschaft der Minderwertigen. Ihr Zerfall und ihre Ablösung, 1927 (XIV + 341 pages); Die Herrschaft der Minderwertigen. Ihr Zerfall und ihre Ablösung durch ein neues Reich, 1929 (2ième éd.), 1930 (3ième éd.) (692 pages); Föderalismus aus Weltanschauung, 1931; Sinndeutung der deutschen Revolution, 1933; une copie du mémoire rédigé par E.J. Jung à l'adresse de Papen en avril 1934 se trouve à l'Institut für Zeitgeschichte  de Munich, archives photocopiées 98, 2375/59 et chez Edmund Forschbach, ami et biographe d'E.J. Jung (cf. infra); d'après Karlheinz Weißmann (cf. infra), Jung serait l'auteur de la plupart des textes contenus dans le recueil de discours de Franz von Papen intitulé Apell an das deutsche Gewissen. Reden zur nationalen Revolution. Schriften an die Nation,  Bd. 32/33, Oldenburg i.O., 1933.

- Principaux articles de philosophie politique: 1) Dans la revue Deutsche Rundschau: «Reichsreform» (nov. 1928); «Der Volksrechtsgedanke und die Rechtsvorstellungen von Versailles» (oct. 1929); «Volkserhaltung» (mars 1930); «Aufstand der Rechten» (1931, pp.81-88); «Neubelebung von Weimar?» (juin 1932); «Revolutionäre Staatsführung» (oct. 1932); «Deutsche Unzulänglichkeit» (nov. 1932); «Verlustbilanz der Rechten» (1/1933); «Die christiliche Revolution» (sept. 1933, pp. 142-147);  «Einsatz der Nation» (1933, pp. 155-160); 2) Dans les Schweizer Monatshefte: 1930/31: Heft 1, p. 37, Heft 7, p. 321; 1932/33: Heft 5/6, p. 275; 3) Dans la Rheinisch- Westfälische Zeitung,  où Jung utilisait le pseudonyme de Tyll, voir les dates suivantes: 1/1/1930; 5/3/1930; 5/4/1930; 24/4/1930; 2/5/1930; 31/5/1930; 12/10/1930; 8/11/1930; 30/12/1930; 28/1/1931; 7/2/1931; 4/3/1931; 1/4/1931; 10/4/1931; 1/8/1931; été 1931; 15/3/1932; 4) Dans les Münchner Neueste Nachrichten,  voir les dates suivantes: 20/3/1925; 28/1/1930; 23/11/1930; 3/1/1931; 25/7/1931; 4/7/1931; 5) Dans les Süddeutsche Monatshefte:  «Die Tragik der Kriegsgeneration», mai 1930, pp. 511-534; 6) Dans Die Laterne:  «Was ist liberal?», Folge 6, 6/5/1931.

- Participation à des ouvrages collectifs: «Deutschland und die konservative Revolution», in E.J. Jung, Deutsche über Deutschland. Die Stimme des unbekannten Politikers, Munich, 1932, pp. 369-383; on signale également une contribution d'E.J. Jung («Die deutsche Staatskrise als Ausdruck der abandländischen Kulturkrise») dans Karl Haushofer et Kurt Trampler (éd.), Deutschlands Weg an der Zeitenwende, Munich, 1931; le livre signé par Leopold Ziegler, Fünfundzwanzig Sätze vom Deutschen Staat  (Berlin, 1931) serait en fait dû à la plume de Jung.

- Sur Edgar Julius Jung: Leopold Ziegler, Edgar Julius Jung. Denkmal und Vermächtnis, Salzbourg, 1955; «Edgar Jung und der Widerstand» in Civis  59, Bonn, Nov. 1959;  Friedrich Grass, «Edgar Julius Jung (1894-1934)», in Kurt Baumann (éd.), Pfälzer Lebensbilder,  Bd. 1, Spire, 1964; Karl Martin Grass, Edgar Julius Jung, Papenkreis und Röhmkrise 1933-1934,  dissertation phil., Heidelberg, 1966; Bernhard Jenschke, Zur Kritik der konservativ-revolutionäre Ideologie in der Weimarer Republik. Weltanschauung und Politik bei Edgar Julius Jung,  Munich, 1971 (avec une bibliographie reprenant 79 articles importants d'E.J. Jung); Karl-Martin Grass, «Edgar J. Jung», in Neue Deutsche Biographie, 10. Bd., Berlin, 1974; Joachim Kaiser, Konservative Opposition gegen Hitler 1933/34. Edgar Julius Jung und Ewald von Kleist-Schmenzin, Texte non publié d'un séminaire de l'Université d'Aix-la-Chapelle, 1984; Edmund Forschbach, Edgar J. Jung, ein konservativer Revolutionär 30. Juni 1934,  Pfullingen, 1984; Gilbert Merlio, «Edgar Julius Jung ou l'illusion de la "Révolution Conservatrice"», in Revue d'Allemagne, tome XVI, n°3, 1984; Karlheinz Weißmann, «Edgar J. Jung» in Criticón, 104, 1987, pp. 245-249; Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932. Ein Handbuch, 3ième éd., Darmstadt, 1989.

- Pour comprendre le contexte historique: Klemens von Klemperer, Konservative Bewegungen zwischen Kaiserreich und Nationalsozialismus, Munich/Vienne, 1957; Erasmus Jonas, Die Volkskonservativen 1928-1933,  Düsseldorf, 1965; Theodor Eschenburg, «Hindenburg, Brüning, Groener, Schleicher», in Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, 9. Jg. 1961, 1; Kurt Sontheimer, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, Munich 1962; Franz von Papen, Vom Scheitern einer Demokratie 1930-1933,  Mayence, 1968; Klaus Breuning, Die Vision des Reiches. Deutscher Katholizismus zwischen Demokratie und Diktatur, Munich, 1969; Volker Mauersberger, Rudolf Pechel und die «Deutsche Rundschau» 1919-1933. Eine Studie zur konservativ-revolutionären Publizistik in der Weimarer Republik, Brème, 1971; Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Paris, 1972; Martin Greiffenhagen, Das Dilemma des Konservatismus in Deutschland, Munich, 1977.

samedi, 23 janvier 2010

Transformer la raison économique

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1988

Transformer la raison économique

 

Peter ULRICH, Transformation der ökonomischen Vernunft. Fortschrittsperspektiven der modernen Industriegesellschaft,  Paul Haupt Verlag, Bern, 512 S., 16 Abb., SFr. 72, DM 86.

 

La dynamique de rationalisation qui a sous-tendu la société industrielle est aujourd'hui contestée car ses effets globaux se montrent pervers à l'endroit de la vie. On en arrive au paradoxe suivant: ce qui a une rationalité éco­nomique n'a plus nécessai­rement une rationalité vitale globale. Les questions qui se posent au philosophe d'abord, à l'homme politique sérieux et conscient ensuite, sont en conséquence les suivantes: comment effacer ce paradoxe? Comment éliminer l'autonomie perverse de la ra­tionalité économique? Comment retrouver une adéqua­tion fructueuse entre rationalité économique et stratégie vitale?

 

L'agir économique doit reposer désormais sur de nouveaux critères: des critères à la fois holistes et éthiques. Cela implique, bien sûr, une transformation radicale de la rationalité économique. Si cette rationalité économique reste crispée sur les vieux critères de l'école rationaliste et utilitariste, elle ne peut plus se revendiquer d'aucune raison, étant entendu, ici, que toute rai­son est équilibrante, éliminatrice de dysfonctionnements, correctrice de déviances mortifères, facteur du passage des virtuali­tés de la puissance à l'acte. A l'utilitarisme méthodologique, doit se substituer, nous dit le Prof. Peter Ulrich, une conception «communicative-éthique» de la rationalité. A l'instar du MAUSS d'Alain Caillé en France, le Prof. Ulrich procède à une cri­tique de la raison utilitaire, en rappe­lant, notamment, qu'aucun principe de rationalité économique ne peut se poser comme «pur», comme situé au-delà de la sphère de l'agir social, avec ses imprévisibilités et ses impondérables. Cela peut sembler évident, même pour le profane, mais la théorie économique du 19ième au 20ième siècle s'est comportée comme s'il exis­tait bel et bien, dans on ne sait quelle lumineuse empyrée, une sphère de l'économie pure, éthiquement neutrali­sée, soustraite aux vicissitudes de ce monde en perpétuelle effervescence. Les connotations morales de l'utilitarisme des Anglais John Stuart Mill et Bentham, leur plaidoyer pour la force socialisante que représente l'éducation, force qui corrige l'égoïsme des indivi­dus, ne débouchent pas, constate Ulrich, sur une raison com­municative-éthique, car le poids de l'hédonisme reste trop fort et finit par réduire toutes les bonnes intentions à de simples calculs d'utilité. La fiction de l'homo œconomicus débouche donc sur une impasse. D'autant plus que la manie hédoniste de maximiser son profit isole le décisionnaire dans sa tour d'ivoire et le prive, à moyen et long terme, d'informations précieuses qu'une stratégie plus collective de communication lui procurerait en toute souplesse.

 

La société contemporaine balbutie lamentablement tout un éventail de dysfonctionnements car l'homo œcono­micus la détermine démesurément; son adversaire, son négatif photographique issu des idéologies socialistes utilitaro-mécanicistes, l'homo sociologicus, est une fourmi perdue dans sa fourmilière, qui se conforme à un et un seul plan sans prendre la moindre initiative personnelle; le REMM (resourceful evaluative maximizing man),  dernier avatar et exagération de l'homo œco­nomicus, pousse l'égoïsme accapareur à l'extrême. Ces trois figures répètent une conception monologique de la respon­sa­bi­lité sociale, où l'on constate les tares suivantes: solip­sisme méthodique, élitisme détaché de tout terreau commu­nautaire, res­ponsabilité sociale comme output  d'un in­dividu isolé socialement, paternalisme, utilitarisme, technocratisme. A cette con­cep­tion monologique de la res­ponsabilité sociale, Ulrich oppose une conception dialogique, avec: apriori de la com­munauté com­municative, solidarisme, responsabilité sociale comme input  induit dans un groupe social actif, dialogue cons­truc­tif, éthique com­municative constructrice d'un consensus fécond, etc. Le passage des monologiques convention­nelles aux dia­logiques post-conventionnelles, tel est l'objet de la démarche d'Ulrich, qui vise à reconstruire la raison économique sur des bases «com­municatives». Dans un tableau concis (p.349), Ulrich montre que l'on est passé d'un découplage par rapport aux sys­tè­mes sociaux (phase I de l'autonomisation de la sphère économique) à une sur-économisation de la sphère vitale globale (pha­se II actuelle) et qu'il faut passer à un re-couplage/re-con­nectage des systèmes économiques dans la sphère vitale globale (pha­se III). Ensuite, que l'objectif, lors de la phase I, est d'accroître le bien-être en éliminant la rareté; qu'il est, lors de la pha­se II, de gérer le système en maî­trisant complexités et incertitudes; qu'il devra être, lors de la phase III, de débloquer la com­munication politico-économique, grâce à une saisie du sens global de la société, de la culture, de la communauté dans la­quelle on vit. A l'hédonisme pré-conventionnel de la phase I, dominée par l'homo œconomicus, succède le conformisme con­ven­tionnel de la phase II, où dominent le REMM et le relativisme axiologique; conformisme qui devra graduel­lement être dé­construit par une éthique post-conventionnelle, portée par une maturité intellectuelle, moins sub­jective et plus soucieuse d'harmoniser intérêts privés et intérêts collectifs. Le mode théorique de la phase I est l'arithmétique économique (une logique formelle de l'action); celui de la phase II est de déterminer (parfois de fi­ger) le comportement dans une situation don­née, afin de gérer plus facilement; celui de la phase III devra être de procéder sans discontinuité à des généalogies de nos types d'action, afin de dégager un maximum de réponses possibles à tous les défis sociaux et historiques. Les méthodes ont été succes­sivement: le calcul à la phase I, l'observation empirique à la phase II; à la phase III, ce sera le discours critique-nor­matif.

 

En modélisant ses idées sur un schéma politique, Ulrich perçoit (p. 384) une nouvelle gauche «démocratique» animée par le primat de la rationalisation communicative de la sphère vitale; une nouvelle droite «technocratique», animée par le primat de la rationalisation fonctionnelle du système économique; une vieille gauche socialiste orthodoxe, animée par le primat de la propriété étatique et, enfin, une vieille droite libérale or­thodoxe, animée par le primat de la propriété privée. Notre tierce voie correspond assez, à quelques détails près, à la «nouvelle gauche» d'Ulrich... L'avènement d'une logique d'action sociale éthique-communicative a indubita­blement des connotations que nous appelerions «communautaires». Ulrich puise ses argu­ments dans une quan­tité de corpus sociologiques, où nous avons remarqué le Tchèque Ota Sik: sa démarche doit nous inspirer dans notre réfutation des tares léguées à nos pays par les idéologies libérales et sociale-démocrates. Lecture où nous devons rester attentifs et vigilants pour éviter un écueil de taille: la dérive soft-idéologique d'un «convivialisme» vague, qui rejette toute discipline intellectuelle, tout en parlant abondamment de «communication», sans rien communiquer vraiment ou en occultant, par inflation de paroles, l'essentiel de ce qui doit être communiqué. Le livre d'Ulrich: une carrière où il faudra régulièrement retourner.

 

Robert STEUCKERS.

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vendredi, 22 janvier 2010

Les néo-socialistes au-delà de la gauche et de la droite

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987

Les néo-socialistes au-delà de la gauche et de la droite

 

par Pierre-Jean Bernard

 

 1) Les néo-socialistes: "ni droite, ni gauche", "néos" et perspectives socialistes.

 

Si la guerre de 14/18 sonne le glas du vieux monde, des vieilles choses, des idées reçues et de la morale bourgeoise, force est de constater les mutations qu'elle entraîne dans les divers courants politiques. Mutations qui s'opèrent parallèlement à l'avènement du monde moderne. Il en est ainsi du "mouvement socialiste", nous devrions plutôt dire des  socialismes qui vont éclore et parfois s'affronter. Certes le public retiendra longtemps l'impact du dernier avatar du marxisme, à savoir le bolchévisme et l'élan que suscita la Révolution d'Octobre 1917. En France, les conséquences en sont l'apparition du PCF et la scission dans le mouvement syndical de la CGT, consécutive à la déchirante révision idéologique née du congrès "historique" de Tours. Mais finalement la conception bolchévique n'est que la "radicalisation" du courant marxiste, accompagnée d'un rejet du jeu parlementaire et légaliste.

 

Or que sait-on des courants néos opposés aux vieilles barbes de la SFIO? Que sait-on des idées de ces militants que le conflit mondial -et donc l'avènement brutal de la "modernité"- a rendu visionnaires, alors que d'autres, atteints de cécité politique, veulent absolument faire croire au public à la réalité éternelle de l'affrontement droite/gauche, hypothétiques blocs hermétiques qui symboliseraient deux conceptions du monde. L'une serait celle d'une gauche porteuse d'espérance et de générosité (mythes qui recouvrent en partie les sentiments de la classe ouvrière européenne dans ces années de capitalisme en plein essor), et l'autre celle d'une droite "fascisante et réactionnaire, ennemie de la démocratie (ce qui est vrai) et bras armé du capital, celui des deux cents familles! Ce qui est aussi partiellement vrai.

 

Mais, en réalité, qui sont donc les hommes qui refusent ce schéma trop simpliste? Leurs noms sont Georges Gressent, dit Valois, Marcel Déat, Henri De Man ou encore Marquet, Lefranc, Albertini, etc. L'absurde chaos de la "Grande Guerre", où ils se sont battus courageusement, parfois comme officiers, parfois comme simples soldats (le cas d'un Drieu la Rochelle), "les joies (sic) des tranchées" et le brassage des classes jeunes (ouvrières, paysannes, bourgeoises) dans les champs sanglants de l'Est et du Nord de la France, les ont enfin décillés. Avec l'absurdité et l'horreur, ils ont aussi connu le sens du sacrifice  -car le mot "devoir" est bien trop faible pour évoquer leur cas-  le sens également de la solidarité, de la camaraderie, rendant ineptes ou dépassés les vieux termes de droite ou de gauche, sanctionnant de manière désormais si désuète les clivages de classe. Et s'ils désapprouvent  "la guerre civile européenne", selon le mot fameux de Valery, ils ont gardé au fond de leur cœur cette mystique de l'"Union sacrée" (mais pas au sens où l'entendaient les minables politiciens bourgeois de la future chambre bleue horizon). "Ni droite, ni gauche" crie le socialiste Albertini, auquel fait écho le "droitiste" Bucard. D'où une volonté de sortir du moule trop bien huilé des partis et des "systèmes", et d'essayer autre chose...

 

 Georges Valois

 

valois.jpgG. Valois  est chronologiquement le premier dans cette série de pionniers. S'il reprend du service à l'Action Française, c'est bien dans l'espoir de voir se perpétuer et s'approfondir le rapprochement des Camelots du Roy avec les cercles proud'honiens et soréliens d'avant-guerre, bref de réconcilier la monarchie des humbles, celle de la justice des peuples, avec l'anarcho-syndicalisme révolutionnaire (cf l'œuvre de Sorel, en particulier ses réflexions sur la violence, et ses matériaux d'une théorie du prolétariat). Mais l'AF, où il occupe dans le journal la place de l'économiste, est un mouvement qui, soit dit en passant, ne "croit" pas à l'économie... (l'"économie politique" est refusée au nom du célèbre postulat maurrassien du "politique d'abord"). Le "vieux maître" de Martigues est maintenant enfermé dans son système d'idées préconçues et confond par trop la "défense" (intellectuelle et morale) de la "monarchie nationale" avec les impératifs tactiques de l'Action française, au point de courtiser la vieille droite "cléricale" et sclérosée, étouffant l'idée royaliste sous un ordre moral "macmahonien", irrespirable pour un bon nombre de jeunes intellectuels (Bernanos en est le plus célèbre, avec Maulnier, Drieu...). Très rapidement, c'est la rupture et la création, par certains anciens militants, du "faisceau" (préfiguration du fascisme français) et vite rebaptisé "fesso" pour la circonstance par le talentueux polémiste L.Daudet, fils du célèbre écrivain Alphonse Daudet, tant les haines et les agressions des fidèles de Maurras et de la tendance réactionnaire du mouvement monarchiste seront virulentes.

 

Mais G. Valois, s'il se réfère au départ à la pensée mussolinienne (celle de la première période), s'écartera assez vite du "modèle" italien (la critique d'un "modèle" de régime ne date pas de l'eurocomunisme...), modèle auquel il reproche son aspect plus "nationaliste" (puis impérialiste) que "socialiste". Le "fascisme" valoisien est précisément l'union de l'"idée nationale" -réalité née de la guerre et des hécatombes meurtrières-  et du courant socialiste français, socialisme non matérialiste, mais d'une inspiration spiritualitste et volontariste, qui doit autant à Charles Péguy qu'à l'idéologie sorélienne. Le socialisme valoisien, qui ne rejette pas les notions "économiques" de profit et de propriété, s'appuie sur une vision organiciste et non-mécaniciste (à rebours du libéralisme) de la société contemporaine. Il ajoute en outre une vériatble "mystique" du travail teintée de christianisme (cf la place qu'il accorde à l'idée de rédemption) dans un culte englobant des valeurs communautaires et "viriles" (le sport comme "pratique politique").

 

Mais la lutte que mènent désormais les partisans de l'Action Française, avec l'appui sans faille des groupes financiers catholiques qui soutiennent parallèlement les ligues d'extrême-droite et les partis droitistes, ne laissera aucun répit ni à Valois, bassement calomnié et injurié par la presse royaliste, selon une technique éprouvée qui fera "florès" lors de l'affaire Salengro, ni à ses troupes isolées. Les "chemises bleues" disparaîtront vite à la fin des années 20, et Valois ira rejoindre les rangs de la SFIO, en attendant de mourir pendant le second conflit mondial dans le camp de Bergen-Belsen, condamné à la déportation par les autorités allemandes pour fait de résistance. Là aussi, dans ce "grand dégoût collecteur", la voix de Valois rejoindra celle d'un Bernanos, celui des "grands cimetières sous la lune"...

 

Henri De Man

 

L'autre personnalité marquante du néo-socialisme est celle du Belge Henri De Man, connu internationalement pour ses critiques originales des théories marxistes, idéologie qu'il connait à fond pour y avoir adhéré dans ses premières années de militantisme. La fin de la première guerre mondiale est, pour De Man, la période des remises en question et des grandes découvertes. En s'initiant aux théories psychanalytiques de Freud et aux travaux du professeur Adler sur la volonté et le "complexe d'infériorité", il fait pour la première fois le lien entre les sciences humaines, donnant une signification de type psychologique, et bientôt éthique, à l'idéologie socialiste. Il s'agit d'une tentative remarquable de dépassement du marxisme et du libéralisme, qui est à l'opposé des élucubrations d'un W. Reich ou d'un H. Marcuse!!

 

Mais dans sa volonté de dépasser le marxisme, De Man en viendra inéluctablement à un dépassement de la "gauche" et s'intéressera aux théories néo-corporatistes et à l'organisation du "Front du Travail" national-socialiste. Cela dit, De Man préconise le recours au pouvoir d'Etat dans le but d'une meilleure régularisation de la vie économique et sociale, des rapports au sein de la société moderne industrielle, et cela grâce à un outil nouveau: le PLAN.

 

DeMan_Henri_1930_15.gifLe "planisme" connaîtra longtemps les faveurs des milieux syndicalistes belges et néerlandais et une audience plus militée en France. Il est alors intéressant de noter que De Man prévoit dans ce but l'apparition d'une nouvelle "caste" de techniciens, ayant pour tâche essentielle d'orienter cette planification. Vision prémonitoire d'une société "technocratique" dans laquelle les "néos" ne perçoivent pas les futurs blocages que l'expérience des quarante dernières années nous a enseignés. On peut également signaler l'importance, à la même époque, des idées appliquées par un certain J.M. Keynes qui verra, dans les années 30, le triomphe de ses théories économiques. Enfin, le planisme de De Man prévoit une application de type corporatiste.

 

En France, à la même époque, des hommes comme Marcel Déat, H. Marquet, M. Albertini, ou encore Lefranc, se situeront résolument dans cette mouvance. Leur insistance à refuser la "traditionnelle" dichotomie entre prolétariat et bourgeoisie (N'y a-t-il pas là une préfiguration de la critique plus récente contre la "société salariale" que Marx, Proudhon et d'autres encore, avaient déjà ébauché...) les place sans aucun doute dans ce courant des néos dont nous parlons ici. Cette division est pour eux d'autant plus dépassée que le prolétariat ne joue plus que partiellement le rôle de "moteur révolutionnaire". L'évolution de la société a enfanté de nouvelles forces, en particulier les "classes moyennes" dont la plupart sont issus. Leur confiance se reportant alors sur ces dernières qui sont les victimes de la société capitaliste cosmopolite. Le "système" rejette les classes moyenes par un mouvement puissant de nivellement des conditions et de rationalisation parcellaire du travail. Taylor est alors le nouveau messie du productivisme industrialiste... Le progrès est un révélateur de ces nouvelles forces, qui participent dorénavant de gré ou de force au mouvement révolutionnaire.

 

Désormais, au sein de la vieille SFIO, déjà ébranlée par la rupture fracassante des militants favorables au mouvement bolchévique, on assiste à une lutte d'influences entre "néos" et guesdistes; parmi ces derniers apparaissent certaines figures de proue: ainsi celle de Léon Blum. Là aussi, comme dans le cas du Faisceau de Georges Valois, les "néos" sont combattus avec violence et hargne par une "vieille garde" socialiste, qui réussit à étouffer le nouveau courant en expulsant ses partisans hors des structures décisionnaires du parti. L'avènement du front populaire sonnera le glas de leur espoir: réunir autour de leur drapeau les forces vives et jeunes du socialisme français. Certains d'entre eux, et non des moindres, se tourneront alors vers les "modèles" étrangers totalitaires: fascisme et national-socialisme allemand. De leur dépit naîtront des formations "fascisantes" ou nationales, et, pour beaucoup, la collaboration active avec la puissance occupante pendant les années 40 (Remarquons au passage que de nombreux militants "néos" rejoindront la résistance, représentant au sein de cette dernière un fort courant de réflexion politique qui jouera son jeu dans les grandes réformes de la libération).

 

En effet, si la grande tourmente de 1945 sera la fin de beaucoup d'espoirs dans les deux camps, celui de la collaboration et celui de la résistance intérieure, le rôle intellectuel des néos n'est pas pour autant définitivement terminé. Sinon, comment expliquer l'idéologie moderniste de la planification "à la française", à la fois "souple et incitative", où collaborent les divers représentants de ce qu'il est convenu d'appeler les "partenaires sociaux"? (cf. le rôle essentiel accordé par les rédacteurs de la constitution de 1958 à un organe comme le "Conseil économique et social", même si la pratique est en décalage évident avec le discours). On peut aussi expliquer pour une bonne part les idées nouvelles des milieux néo-gaullistes. Celles des idéologies de la "participation" ou celle des partisans de la "nouvelle société". La recherche d'une troisième voie est l'objectif souvent non-avoué de ces milieux. Une voie originale tout aussi éloignée des groupes de la "gauche alimentaire" que de la "droite affairiste", et appuyée davantage sur un appel au "cœur" des hommes plutôt qu'à leur "ventre".

 

 2) L'après-guerre: néosocialisme et planification "à la française".

 

La grande crise des années 30 marque dans l'histoire économique mondiale la fin du sacro-saint crédo libéral du libre-échangisme, du "laisser faire, laisser passer", caractérisant ainsi le passage de l'Etat-gendarme à l'Etat-providence, en termes économistes. Et ceci, grâce en partie aux "bonnes vieilles recettes" du docteur Keynes...

L'Etat, nouveau Mammon des temps modernes, est investi d'une tâche délicate: faire pleuvoir une manne providentielle sous les auspices de la déesse Egalité... L'empirisme du "New Deal" rooseveltien fera école. En France, une partie du courant socialiste entrevoit le rôle étatique au travers d'administrations spécialisées et de fonctionnaires zélés (cf. les théories du Groupe X), en fait simple réactualisation d'un saint-simonisme latent chez ces pères spirituels de la moderne "technocratie".

 

On trouve l'amorce de cette évolution dans les cénacles intellectuels qui gravitent autour du "conseil national de la résistance". L'idée se fait jour d'une possible gestion technique et étatique de l'économie dans le cadre d'un plan général de reconstruction du pays en partie ruiné par le conflit. L'idée ne se réfère pas à un modèle quelconque (comme, par exemple, l'URSS dans les milieux du PCF), c'est-à-dire d'un dirigisme autoritaire pesant sur une société collectiviste, mais plutôt à un instrument permettant à l'Etat une "régulation" de l'économie  -dans un système démeuré globalement attaché aux principes de l'économie libérale-  grâce notamment à une planification "incitative", souple, concertée et enfin empirique. De quoi s'agit-il?

 

Pour les générations de la guerre, le traumatisme de la violence  -et des régimes dictatoriaux qui l'ont symbolisée après la défaite des fascismes-  est souvent lié à la grande dépression des années 30. L'objectif est donc de permettre au pouvoir politique, en l'occurence l'Etat comme instance dirigeante, de régulariser les flux et les rapports économiques, donc de contrôler pour une part ses évolutions, afin de favoriser un équilibre nécessaire à une plus forte croissance, mais aussi une plus juste croissance (hausse des revenus les plus défavorisés). Un indice est la création, dès la libération, des premières grandes institutions de Sécurité Sociale. La Constitution française de 1946 intègre officiellement ce souci du "social", où domine de plus en plus l'idée de redistribution égalitaire des revenus. Dans le même temps, les responsables du pays sont confrontés à la tâche écrasante de reconstruire la nation, de moderniser l'outil industriel frappé certes par la guerre, mais aussi par l'obsolescence.

 

facteurs démographiques, commissariat au plan, ENA

 

Cette tâche apparaît difficile si on tient compte que la population française vieillit. Heureusement, ce dernier point sera éliminé dans les années 50, grâce à une vitalité du peuple français assez inattendue (phénomène connu sous le nom de "baby boom"). Cette renaissance démographique aura deux effets directs positifs d'un point de vue économique: augmentation de la demande globale, qui favorise l'écoulement de la production, et croissance de la population active que les entreprises pourront embaucher grâce à la croissance du marché potentiel et réel. Sur cette même scène, s'impose le "géant américain", en tant que vainqueur du conflit (non seulement militaire mais aussi politique et surtout économique) qui se décrète seul rempart face à l'Union Soviétique. Un oubli tout de même dans cette analyse des esprits simples: le monde dit "libre" était déjà né, non pas de l'agression totalitaire des "rouges", mais de l'accord signé à Yalta par les deux (futurs) grands. Les dirigeants français doivent justifier l'aumône "généreusement" octroyée par les accords Blum-Byrnes, et surtout le plan Marshall.

 

C'est donc dans un climat politique gagné pour l'essentiel aux idéaux socialistes (pour le moins dans ses composantes "tripartite", exception faite de quelques conservateurs trop compromis dans les actes du régime de Vichy et qui vont se rassembler autour de A.Pinay), que l'idée de la planification aboutira. Il faut souligner le rôle majeur d'un Jean Monnet, créateur du "commissariat au plan", structure nouvelle composée de techniciens de l'économie, et qui fourniront aux pouvoirs publics le maximum des données indicielles nécessaires aux choix essentiels. On peut en outre noter à la même époque la création par Debré de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA), pépinière des futurs "technocrates" et point de départ d'une carrière qui ne passera plus exclusivement par les cursus des élections locales. La carrière de l'énarchie est celle des grands corps de l'Etat.

 

On assiste par ailleurs à la nationalisation des secteurs vitaux de l'économie française (chemins de fer, charbonnage, etc...), qui doivent être le soutien principal d'une politique économique nationale (à l'exception de Renault, nationalisée en régie d'Etat à cause de l'attitude "incivique" de son fondateur pendant l'occupation). Ce mouvement inspirera toutes les lois de nationalisation en France jusqu'en 81.

 

Planification certes, mais fondée sur la souplesse et l'incitation, qui exprime la volonté des pouvoirs publics de rendre plus cohérent le développement économique du pays. Cette volonté est claire: assurer les grands équilibres financiers et physiques, rechercher l'optimum économique qui ne soit pas simplement un assemblage de diverses prévisions dans les secteurs publics et privés. De plus, l'aspect humain n'est pas négligé, loin de là. Plus tard, passé le cap de la reconstruction proprement dite, les secondes étapes seront celles de l'aménagement du territoire et de la régionalisation (à la fin des années 60). Seront ensuite abordés les thèmes essentiels du chômage et de l'inflation. Priorité étant donnée aux thèmes les plus brûlants. Les administrations s'appuieront sur les services de l'INSEE, utilisant un nouvel "outil" privilégié: la comptabilité nationale réactualisée en 1976, puis les moyens plus récents que sont l'informatique et les techniques économétriques (plan FIFI (physio-financier), 6° Plan).

 

Planification concertée et empirique enfin, où les divers partenaires sociaux jouent un rôle non-négligeable au travers d'institutions spéciales telles le "Conseil économique et social". Le plan se veut une "étude de marché"  -sous l'impulsion d'un homme comme P.Massé-  à l'échelle nationale, imposant un axe de développement conjoncturel, éventuellement corrigé par des "indicateurs d'alerte", ou des clignotants (ex: les hausses de prix) dans un but de compétitivité internationale.

 

les risques du néo-saint-simonisme

 

Conclusion. On constate indubitablement une étatisation progressive de l'économie. Mais "étatisation" ne signifie pas obligatoirement, dans l'esprit des réformateurs et dans les faits, "nationalisation" de la production. La bureaucratisation est plutôt le phénomène majeur de cette étatitation. Relire à ce sujet l'ouvrage de Michel Crozier: La société bloquée. Cette "étatisation" se traduit en effet par la lutte de nouveaux groupes de pression: côteries politico-administratives, financières, patronales, syndicales enfin. Chacun de ces groupes étant axés sur la défense d'intérêts "corporatistes" plus que sur le souci d'intérêt national. Le jeu particulier de firmes "nationales" préférant traiter avec des multinationales, relève de cette philosophie de la rentabilité qui rejette le principe précédent.

 

La contestation de Mai 68 a pu jouer le rôle de révélateur de cette réalité. La société française, troublée par une urbanisation anarchique, une pollution croissante, a pris alors conscience de la perte d'une "qualité de vie". Enfin, au plan international, l'interdépendance croissante des économies, la dématérialisation progressive des relations financières victimes du dollar, ont pu montrer la relativité des objectifs poursuivis par les planificateurs français. Aidée en France par un courant saint-simonien de plus en plus puissant, cette évolution a précipité la dilution politique du pays; la collaboration entre les nouveaux gestionnaires et les puissances financières a aggravé incontestablement cette situation. N'y aurait-il pas alors une "divine surprise " des années 80: celle du rapprochement entre les derniers néosocialistes et les nationalistes conséquents (éloignés du pseudo-nationalisme mis en exergue récemment par les média) sous le signe du "Politique d'abord" ...

 

Pierre-Jean BERNARD.

mercredi, 20 janvier 2010

Mars & Hephaestus: The Return of History

mars.jpgMars & Hephaestus:
The Return of History

 
Translated by Greg Johnson

Allow me an “archeofuturist” parable based on the eternal symbol of the tree, which I will compare to that the rocket. But before that, let us contemplate the grim face of the coming century.

The twenty-first century will be a century of iron and storms. It will not resemble those harmonious futures predicted up to the 1970s. It will not be the global village prophesied by Marshall MacLuhan in 1966, or Bill Gates’ planetary network, or Francis Fukuyama’s end of history: a liberal global civilization directed by a universal state. It will be a century of competing peoples and ethnic identities. And paradoxically, the victorious peoples will be those that remain faithful to, or return to, ancestral values and realities—which are biological, cultural, ethical, social, and spiritual—and that at the same time will master technoscience. The twenty-first century will be the one in which European civilization, Promethean and tragic but eminently fragile, will undergo a metamorphosis or enter its irremediable twilight. It will be a decisive century.

In the West, the nineteenth and twentieth centuries were a time of belief in emancipation from the laws of life, belief that it was possible to continue on indefinitely after having gone to the moon. The twenty-first century will probably set the record straight and we will “return to reality,” probably through suffering.

The nineteenth and twentieth centuries saw the apogee of the bourgeois spirit, that mental small pox, that monstrous and deformed simulacrum of the idea of an elite. The twenty-first century, a time of storms, will see the joint renewal of the concepts of a people and an aristocracy. The bourgeois dream will crumble from the putrefaction of its fundamental principles and petty promises: happiness does not come from materialism and consumerism, triumphant transnational capitalism, and individualism. Nor from safety, peace, or social justice.

Let us cultivate the pessimistic optimism of Nietzsche. As Drieu La Rochelle wrote: “There is no more order to conserve; it is necessary to create a new one.” Will the beginning of the twenty-first century be difficult? Are all the indicators in the red? So much the better. They predicted the end of history after the collapse of the USSR? We wish to speed its return: thunderous, bellicose, and archaic. Islam resumes its wars of conquest. American imperialism is unleashed. China and India wish to become superpowers. And so forth. The twenty-first century will be placed under the double sign of Mars, the god of war, and of Hephaestus, the god who forges swords, the master of technology and the chthonic fires.

Towards the Fourth Age of European Civilization

European civilization—one should not hesitate to call it higher civilization, despite the mealy-mouthed ethnomasochist xenophiles—will survive the twenty-first century only through an agonizing reappraisal of some of its principles. It will be able if it remains anchored in its eternal metamorphic personality: to change while remaining itself, to cultivate rootedness and transcendence, fidelity to its identity and grand historical ambitions.

The First Age of European civilization includes antiquity and the medieval period: a time of gestation and growth. The Second Age goes from the Age of Discovery to the First World War: it is the Assumption. European civilization conquers the world. But like Rome or Alexander’s Empire, it was devoured by its own prodigal children, the West and America, and by the very peoples it (superficially) colonized. The Third Age of European Civilization commences, in a tragic acceleration of the historical process, with the Treaty of Versailles and end of the civil war of 1914-18: the catastrophic twentieth century. Four generations were enough to undo the labor of more than forty. History resembles the trigonometrical asymptotes of the “theory of catastrophe”: it is at the peak of its splendor that the rose withers; it is after a time of sunshine and calm that the cyclone bursts. The Tarpeian Rock is close to the Capitol!

Europe fell victim to its own tragic Prometheanism, its own opening to the world. Victim of the excess of any imperial expansion: universalism, oblivious of all ethnic solidarity, thus also the victim of petty nationalism.

The Fourth Age of European civilization begins today. It will be the Age of rebirth or perdition. The twenty-first century will be for this civilization, the heir of the fraternal Indo-European peoples, the fateful century, the century of life or death. But destiny is not simply fate. Contrary to the religions of the desert, the European people know at the bottom of their hearts that destiny and divinities are not all-powerful in relation to the human will. Like Achilles, like Ulysses, the original European man does not prostrate himself or kneel before the gods, but stands upright. There is no inevitability in history.

The Parable of the Tree

A Tree has roots, a trunk, and leaves. That is to say, the principle, the body, and the soul.

1) The roots represent the “principle,” the biological footing of a people and its territory, its motherland. They do not belong to us; one passes them on. They belong to the people, to the ancestral soul, and come from the people, what the Greeks called ethnos and the Germans Volk. They come from the ancestors; they are intended for new generations. (This is why any interbreeding is an undue appropriation of a good that is to be passed on and thus a betrayal.) If the principle disappears, nothing is possible any longer. If one cuts the tree trunk, it might well grow back. Even wounded, the Tree can continue to grow, provided that it recovers fidelity with its own roots, with its own ancestral foundation, the soil that nourishes its sap. But if the roots are torn up or the soil polluted, the tree is finished. This is why territorial colonization and racial amalgamation are infinitely more serious and deadly than cultural or political enslavement, from which a people can recover.

The roots, the Dionysian principle, grow and penetrate the soil in new ramifications: demographic vitality and territorial protection of the Tree against weeds. The roots, the “principle,” are never fixed. They deepen their essence, as Heidegger saw. The roots are at the same time “tradition” (what is handed down) and “arche” (life source, eternal renewal). The roots are thus manifestation of the deepest memory of the ancestral and of eternal Dionysian youthfulness. The latter refers back to the fundamental concept of deepening.

2) The trunk is its “soma,” the body, the cultural and psychic expression of the people, always innovating but nourished by sap from the roots. It is not solidified, not gelled. It grows in concentric layers and it rises towards the sky. Today, those who want to neutralize and abolish European culture try to “preserve” it in the form of monuments of the past, as in formaldehyde, for “neutral” scholars, or to just abolish the historical memory of the young generations. They do the work of lumberjacks. The trunk, on the earth that bears it, is, age after age, growth and metamorphosis. The Tree of old European culture is both uprooted and removed. A ten year old oak does not resemble a thousand year old oak. But it is the same oak. The trunk, which stands up to the lightning, obeys the Jupiterian principle.

3) The foliage is most fragile and most beautiful. It dies, withers, and reappears like the sun. It grows in all directions. The foliage represents psyche, i.e., civilization, the production and the profusion of new forms of creation. It is the raison d’être of the Tree, its assumption. In addition, which law does the growth of leaves obey? Photosynthesis. That is to say, “the utilization of the force of light.” The sun nourishes the leaves which, in exchange, produce vital oxygen. The efflorescent foliage thus follows the Apollonian principle. But watch out: if it grows inordinately and anarchically (like European civilization, which wanted to become the global Occident and extend to the whole planet), it will be caught by the storm, like a badly carded sail, and it will pull down and uproot the Tree that carries it. The foliage must be pruned, disciplined. If European civilization wishes to survive, it should not extend itself to the whole Earth, nor practice the strategy of open arms . . . as foliage that is too intrepid overextends itself, or allows itself to be smothered by vines. It will have to concentrate on its vital space, i.e., Eurosiberia. Hence the importance of the imperative of ethnocentrism, a term that is politically incorrect, but that is to be preferred to the “ethnopluralist” and in fact multiethnic model that dupes or schemers put forth to confuse the spirit of resistance of the rebellious elite of the youth.

One can compare the tripartite metaphor of the Tree with that of that extraordinary European invention the Rocket. The burning engines correspond to the roots, with chthonic fire. The cylindrical body is like the tree’s trunk. And the capsule, from which satellites or vessels powered by solar panels are deployed, brings to mind foliage.

Is it really an accident that the five great space rocket series built by Europeans—including expatriates in the USA—were respectively called Apollo, Atlas, Mercury, Thor, and Ariadne? The Tree is the people. Like the rocket, it rises towards the sky, but it starts from a land, a fertile soil where no other parasitic root can be allowed. On a spatial basis, one ensures a perfect protection, a total clearing of the launching site. In the same way, the good gardener knows that if the tree is to grow tall and strong, he must clear its base of the weeds that drain its roots, free its trunk of the grip of parasitic plants, and also prune the sagging and prolix branches.

From Dusk to Dawn

This century will be that of the metamorphic rebirth of Europe, like the Phoenix, or of its disappearance as a historical civilization and its transformation into a cosmopolitan and sterile Luna Park, while the other peoples will preserve their identities and develop their power. Europe is threatened by two related viruses: that of forgetting oneself, of interior desiccation and of excessive “opening to the other.” In the twenty-first century, Europe, to survive, will have to both regroup, i.e., return to its memory, and pursue its Faustian and Promethean aspirations. Such is the requirement of the coincidentia oppositorum, the convergence of opposites, or the double need for memory and will for power, contemplation and innovative creation, rootedness and transcendence. Heidegger and Nietzsche . . .

The beginning of twenty-first century will be the despairing midnight of the world of which Hölderlin spoke. But it is always darkest before the dawn. One knows that the sun will return, sol invictus. After the twilight of the gods: the dawn of the gods. Our enemies always believed in the Great Evening, and their flags bear the stars of the night. Our flags, on the contrary, are emblazoned with the star of the Great Morning, with branching rays; with the wheel, the flower of the sun at Midday.

Great civilizations can pass from the darkness of decline to rebirth: Islam and China prove it. The United States is not a civilization, but a society, the global materialization of bourgeois society, a comet, with a power as insolent as it is transitory. It does not have roots. It is not our true competitor on the stage of history, merely a parasite.

The time of conquest is over. Now is the time of reconquest, inner and outer: the reappropriation of our memory and our space: and what a space! Fourteen time zones on which the sun never sets. From Brest to the Bering Straits, it is truly the Empire of the Sun, the very space of the birth and expansion of the Indo-European people. To the south-east are our Indian cousins. To the east is the great Chinese civilization, which could decide to be our enemy or our ally. To the west, on the other side of the ocean: America whose desire will always be to prevent continental union. But will it always be able to stop it?

And then, to the south: the main threat, resurging from the depths of the ages, the one with which we cannot compromise.

Loggers try to cut down the Tree, among them many traitors and collaborators. Let us defend our land, preserve our people. The countdown has begun. We have time, but only a little.

And then, even if they cut the trunk or the storm knocks it down, the roots will remain, always fertile. Only one ember is enough to reignite a fire.

Obviously, they may cut down the Tree and dismember its corpse, in a twilight song, and anaesthetized Europeans may not feel the pain. But the earth is fertile, and only one seed is enough to begin the growth again. In the twenty-first century, let us prepare our children for war. Let us educate our youth, be it only a minority, as a new aristocracy.

Today we need more than morality. We need hypermorality, i.e., the Nietzschean ethics of difficult times. When one defends one’s people, i.e., one’s own children, one defends the essential. Then one follows the rule of Agamemnon and Leonidas but also of Charles Martel: what prevails is the law of the sword, whose bronze or steel reflects the glare of the sun. The tree, the rocket, the sword: three vertical symbols thrust from the ground towards the light, from the Earth to the Sun, animated by sap, fire, and blood.

mardi, 19 janvier 2010

Does Immigration Limitation Require a Police State?

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Does Immigration Limitation Require a Police State?

Says one of my critics:

“…my problem with Keith Preston’s approach is not that he suggests identifying and allying with criminalized, marginalized, or lumpen people. My problem is, first, that he has what I consider a disastrously selective view of whose criminalization and marginalization counts as legitimate libertarian concern (=). And, secondly, that he has the wrong idea about what the process of building such an alliance, and the terms on which allies might ally themselves with each other, looks like.

(=) Hence, for example, his bizarre efforts coddle pseudo-populist Right-wingers who support the immigration police state and the mass criminalization of people without papers. Whereas on my view, if you’re concerned about identifying with the most criminalized, marginalized, exploited and oppressed, it would be harder to find a better place to start than with standing up for the rights of “illegal alien” workers confronting the border Stasi without government papers.”

The first problem here is the fact that the Stasi were oriented towards keeping people inside the German Democratic Republic, rather than keeping immigrants out, and repressing political dissent among East Germany’s captive native population. Beyond that, however, is the wider question of whether immigration limitation by itself requires a police state. No doubt there are plenty of anti-immigration enthusiasts who would like nothing better than a police state hunt-down of suspected illegal immigrants. No doubt the militarization of U.S. law enforcement generated by the various “Wars on…” (pick one) drugs, crime, guns, gangs, terrorism, vice, cults, racism, sexism, poverty, urban blight, child abuse, animal abuse, et. al. ad nauseum has at times included police state tactics in immigration enforcement as well (see the shenanigans of Uber-PIG Joe Arpaio).

But is a fascist police state essential to the restriction or limitation of immigration? Iceland  and Switzerland are among the most restrictive of the European nations concerning their immigration policies. Yet both of these are widely considered to be among the most progressive and libertarian of all nations anywhere. Iceland has no standing army, and bars nuclear weapons from its territory. Neither of them maintains the death penalty, and neither will extradite fugitives to the U.S. who may face capital punishment. Some years ago, an Icelandic court refused to extradite a fugitive to the U.S. because of the conditions found in U.S prisons. Switzerland is one of the world’s most non-belligerent nations. There are certainly no signs of fascism here.

Does immigration restriction even require a state of any kind? If the Spanish anarchist militias had been triumphant in the civil war, could they not have proceeded to safeguard the borders of the Spanish territory following victory? The Hezbollah militia of Lebanon is a non-state entity, yet it is an effective fighting force. Hezbollah is not only capable of guarding the Lebanese border, but of repelling an actual Israeli occupation. Likewise, the Armed Forces of the Colombian Revolution are a non-state entity, yet they have at times successfully held substantial portions of Colombian territory. Could not the FARC also safeguard its territorial boundaries?

What about all of the different kinds of territories within the United States itself where entry is restricted? These include industrial parks, office complexes, shopping centers, schools and universities, recreational facilities, country clubs, gated communities, stadiums, private neighborhoods, airports, bars and nightclubs, and private homes. All of these territories impose at least some degree of limitations on who may or may not enter. Those who do not buy a ticket are forbidden from entering theaters and stadiums. Those who do not pay a cover charge or have an ID are refused admission to bars. Those without a membership are denied entry to private clubs. Entry into schools is typically restricted to students, parents, employees, and others with authorized business. Even ordinary commercial facilities impose some minimal requirements for entry: “Shirts and Shoes Required”; “No Smoking”; “No Playing Loud Music”; “No Pets or Animals”; “No Rude or Aggressive Behavior.”

Of course, it might be argued that all of the aforementioned are private or semi-private institutions and organizations, as opposed to public streets, sidewalks, thoroughfares, lands, waterways, and airways. Yet most of these things are currently owned not by “the public” but by the state, which anarchists and the most radical libertarians ostensibly consider to be illegitimate. If the state were to disappear, into whose hands would such “public” areas fall? The anarcho-capitalist solution is to place these in the hands of private landowners, whether individual or collective in nature. The geo-anarchists prefer land trusts. Left-anarchists and libertarian-municipalists would prefer community control on the basis of some kind of Athenian model “direct democracy.” Syndicalists might prefer that all public services be put under “workers’ control,” meaning that, for instance, public streets and highways would be under the management of the highway workers’ and street maintenance workers’ unions. Mutualists might prefer “consumer control,” meaning, for instance, airports might be managed by, say, associations of frequent flyers or consumers of airline services. Whatever model or combination of models one prefers, it is quite possible that at least some of these kinds of entities would enact entry requirements at least as restrictive as those currently in existence.

There are other possibilities. Upon the demise of the state, perhaps all public properties and areas could be ceded to “squatters’ rights.” The first person to show up and pitch a tent on a piece of land in Yellowstone Park gets to keep the lot. Perhaps all public areas could simply be declared “No Man’s Lands” akin to present day Antarctica or remote desert or mountainous regions. Perhaps these might be areas where everything is a free-for-all, and where even ordinary criminal laws do not apply. I confess that if such a proposal came up for vote in a national referendum, the nihilist in me might well take over and I might not be able to resist the impulse to vote in favor of it. But how many people really think this would be a desirable state of affairs?

Either way, from where can the principle be deduced that a stateless or near-stateless society, nation, or territory would necessarily maintain unrestricted entry? Even if public areas were “No Man’s Lands” could not a xenophobic militia simply organize and drive away unwanted migrants? In contemporary Western-model societies, much of the mass immigration we presently observe is not simply occurring according to natural patterns of population movement, but is actively encouraged, promoted, and subsidized by the state. See here and here for some examples of how this works. I suspect this trend could be reversed if the support given to mass immigration by state and corporate policies was simply ended. Much of this immigration is economic in nature. Take away the economic incentives, and the overall amount of immigration should diminish. Indeed, there are some signs that the present economic situation is having such an effect.

I’m not going to go into the problems with allowing mass immigration from the Third World into the West. I’ve already written about that in the past and have really said all I have to say about the matter. See here and here. Critics already understand the potentially rather severe consequences of this. Proponents of mass immigration generally make it clear that they don’t care about the consequences. But when Islamic revolutionary parties start becoming competitive in European elections, and there’s a replay of the Mexican War complete with good old fashioned ethnic cleansing in the U.S. Southwest, don’t say us dirty, rotten, fascist, racist, nationalist, right-wing, reactionary, xenophobic bigots didn’t warn you. 

Some interesting articles on immigration:

Le site des Archives "Guillaume Faye"

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Le site des Archives

"Guillaume Faye"

En dépit des trahisons successives que Guillaume Faye a subies de la part de son milieu néo-droitiste originel, bon nombre de ses amis ne l'abandonnent pas. Pour aider le monde entier à connaître une pensée forte, dérangeante, parfois abrupte, ils ont monté, depuis Lisbonne, un site en huit langues (français, allemand, anglais, néerlandais, suédois, portugais, italien et espagnol)

http://guillaumefayearchive.wordpress.com/

Au sommaire de ce blog déjà solidement étoffé:

El vacio intelectual (esp.)

Contro il tradizionalismo (it.)

La leçon de Carl Schmitt (avec Robert Steuckers)

Le socle des civilisations est d'abord anthropo-biologique

Le vol de la chouette de Minerve

Que e Coruja de Minerval evante voo! (port.)

Euro-Russie: bases concrètes d'une future confédération impériale!

Fran skymning till gryning (sv.)

Folkens rätt? (sv.)

Le traditionalisme, voilà l'ennemi!

Elf clichés omtrent immigratie (nl.)