dimanche, 08 juin 2025
Les conséquences de la rupture «pacifique» entre Trump et Musk
Les conséquences de la rupture «pacifique» entre Trump et Musk
par Alessandro Volpi (*)
Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/30615-ales...
La rupture « pacifique » entre Trump et Musk, qui a conduit à la démission du créateur de Starlink, constitue un élément très important du paysage politique et économique américain.
Du point de vue de Musk, son exposition politique le place dans une situation de tension constante; il a été lâché par les grands fonds, qui sont en conflit ouvert avec Trump et qui ont vendu des actions Tesla, tandis que ses nombreuses affaires avec l'administration américaine l'exposent à de vives critiques pour des conflits d'intérêts sur lesquels les tribunaux américains, de plus en plus hostiles à Trump, peuvent le coincer. À cela s'ajoute l'hostilité des ministres de Trump envers le Sud-Africain et la méfiance croissante de personnalités telles que Peter Thiel, notamment en ce qui concerne la grande bataille pour les fonds fédéraux dans le domaine de l'intelligence artificielle.
À la lumière de tout cela, Musk, qui a été contourné par une partie de l'appareil d'État et a jugé le Big Beautiful Bill trop conciliant, a pensé que se retirer, tout en conservant une relation informelle mais étroite avec Trump, était le meilleur moyen de subir moins de pressions et de retrouver visibilité et autonomie, en cohérence avec l'image qu'il s'est construite, celle d'un génie indiscipliné, même par rapport au président le plus atypique des États-Unis. Pour Trump, la rupture avec Musk s'inscrit dans une stratégie d'imprévisibilité qui apparaît de plus en plus évidente. Ses changements de position constants et son caractère insaisissable sont des outils qui lui permettent de ne donner aucun repère identifiable à sa personne.
Grâce à cette stratégie, il peut déterminer l'évolution des cours à sa guise, réussissant à les influencer plus que tout autre acteur public ou privé, même plus que les Big Three, et favorisant le transfert des économies vers l'immensité des « marchés parallèles » et vers la création et le financement de multiples stable coins, utilisées pour couvrir la dette publique américaine.
Il est clair qu'une telle stratégie est extrêmement dangereuse et Trump tente de la modérer en recourant, une fois de plus, à des choix tout à fait personnels et autoréférentiels: des négociations avec la Chine et la Russie, qui se traduisent par des contacts directs avec les dirigeants, au choix des « favoris » en termes économiques et financiers, démontrant précisément avec l'affaire Musk que personne ne bénéficie de garanties, jusqu'aux relations avec le Congrès.
Mais le vrai problème est ailleurs: ce système de pouvoir ne peut tenir que si Trump parvient réellement à incarner directement « l'esprit » du peuple américain, ou du moins d'une partie de celui-ci, prêt à le suivre jusqu'au bout. Trump n'aspire pas à être un chef politique ni même le point de référence des intérêts des puissants, mais à jouer le rôle du grand prêtre d'une religion pour laquelle la foi compte plus que toute dimension réelle. Ceux qui l'ont choisi ne doivent pas essayer de le comprendre, mais doivent se fier à sa capacité divinatoire, posée comme « supérieure »: une religion qui s'enracine certainement dans un contexte social et culturel où trente ans de mondialisation ont généré une fragmentation tragique et un isolement brutal des individus, désormais prêts à croire au salut apporté par une appartenance de type fidéiste.
Le capitalisme financier a produit le capitalisme religieux, toujours et exclusivement au nom de l'argent.
(*) Post Facebook du 31 mai 2025.
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« Poutine veut toute l'Ukraine »: Douguine décortique la déclaration de Trump
« Poutine veut toute l'Ukraine »: Douguine décortique la déclaration de Trump
Alexandre Douguine
Ce que Trump a écrit dans son message et qui n'a pas été souvent cité chez nous, en Russie, contenait des mots importants : "Poutine veut toute l'Ukraine".
Mais il faut comprendre qu'il veut libérer toute l'Ukraine du régime naziste qui s'y est installé avec la complicité de l'Occident "anti-fasciste". C'est dans ce sens qu'il veut toute l'Ukraine. Pour qu'il ne reste aucune trace, aucune chance pour le groupe néonaziste, terroriste et extrémiste qui a illégalement pris le pouvoir sur le territoire de cette partie historique de notre espace culturel, géopolitique et politique unique. C'est donc notre affaire interne.
Trump souhaite sincèrement mettre fin à la guerre et, à mon avis, il n'y a là aucune fourberie ni mensonge. Mais il ne sait pas de quelle guerre il s'agit. Au début, il l'appelait « la guerre de Biden », maintenant il dit que c'est « la guerre de Biden, Zelensky et Poutine ». Mais surtout, il comprend que ce n'est pas sa guerre. Cependant, il y participe. De plus, divers cercles mondialistes et néoconservateurs le poussent à continuer de participer à cette guerre « qui n'est pas la sienne » et qui ne lui apportera rien d'autre que des problèmes.
C'est pourquoi il souhaite sincèrement mettre fin à cette guerre, mais ne sait pas comment s'y prendre. Et lorsqu'il se plonge dans l'analyse de ce problème, en essayant de comprendre qui se bat contre qui, pourquoi, quels sont les plans de chacun – au-delà de la propagande –, il découvre une image qui ne ressemble en rien aux sentiments et aux formes sous lesquels ce conflit lui est présenté en Occident. Il comprend que l'affaire est très sérieuse et qu'il existe effectivement des « lignes rouges » que nous, les Russes, ne franchirons jamais. L'Ukraine doit être libérée du régime naziste, elle doit devenir différente. Et tant qu'elle ne sera pas fondamentalement différente, la guerre ne prendra pas fin.
Mais Trump souhaite mettre fin à la guerre le plus rapidement possible et subit une pression énorme de toutes parts. En premier lieu, de la part des personnes qui le détestent. Macron, Starmer, les dirigeants canadiens (le nouveau Premier ministre élu Carney est aussi libéral que Trudeau), Merz, le Parti démocrate américain, tous les mondialistes, le « deep state » veulent que Trump participe à cette guerre, qu'il s'engage dans une escalade avec la Russie. Et ainsi les aider à porter un coup à leurs principaux adversaires: c'est-à-dire à Poutine et... à Trump lui-même.
Bien sûr, Trump ne peut pas ne pas comprendre cela. Mais il se retrouve entre le marteau et l'enclume. Il veut arrêter une guerre qu'il est actuellement impossible d'arrêter. Mais il n'est pas encore prêt à accepter nos conditions, car il n'est tout simplement pas encore « mûr », il n'a pas encore «compris». Et comme il est attaqué de toutes parts sur d'autres questions — les tarifs douaniers, la politique intérieure, le blocage de toutes ses décisions par la coterie des juges, qui s'est avérée être simplement le réseau de Soros — et qu'il voit qu'il ne réussit en rien sur aucun de ces fronts, il s'en prend à nous.
Au final, personne dans notre direction n'a particulièrement insisté sur cette déclaration désagréable, dure et peu diplomatique de Trump à l'égard de la Russie, la considérant comme une simple crise de nerfs. Oui, à première vue, il s'agissait bien d'une crise de nerfs. Mais en même temps, il comprend parfaitement que nous avons besoin de toute l'Ukraine, mais il n'est absolument pas prêt à nous céder toute l'Ukraine. Voilà le problème.
Mais le temps guérit tout. Je pense que le sommet prévu entre Trump et Poutine guérira beaucoup de choses. Et dans cette conversation privée, la question de l'Ukraine pourrait même passer d'une position centrale à une position périphérique. Nous avons des choses bien plus importantes à régler et des problématiques communes à résoudre. La Russie, les États-Unis et la Chine, trois États-civilisations, doivent répartir de manière définie leurs zones d'influence dans le nouveau monde multipolaire. C'est de cela, me semble-t-il, que Trump et Poutine doivent discuter. L'Ukraine n'est pas un sujet qui doit être sérieusement abordé à un tel niveau.
Je ne prêterais donc tout simplement pas attention à ces déclarations virulentes, comme le fait très judicieusement, sagement et efficacement notre président. Ne faisons pas tout un scandale à cause des propos lourdauds de Trump. Nous sommes une grande puissance qui connaît sa valeur, et les autres la connaîtront aussi.
Nous devons maintenant nous préparer à mener cet été une campagne militaire convaincante et efficace, en libérant autant de terres russes ancestrales que possible, tout en empêchant l'ennemi d'envahir notre territoire. Et si nous y parvenons, Trump commencera progressivement à nous traiter différemment. Mais pour commencer, nous avons besoin d'une victoire militaire: éclatante, réussie, puissante, à grande échelle. Et alors, le discours changera.
Quant aux menaces de Trump, nous avons déjà entendu cela à maintes reprises. De la part de Biden, de l'Union européenne. En fait, il veut dire qu'en cas de problème, la Russie pourrait subir une frappe nucléaire de la part des États-Unis. Mais l'Amérique peut aussi subir une frappe nucléaire de la part de la Russie. C'est donc un mauvais discours, et je ne voudrais pas que ces menaces continuent à être proférées. Ce n'est pas là un discours sérieux. Trump n'est pas là pour simplement suivre le pire scénario de la politique mondialiste de Biden, dictée par le « deep state ». Je pense qu'il faut clore ce sujet et ne pas y répondre.
Mais si vous voulez vraiment une escalade, eh bien, nous sommes prêts à tout, y compris à une escalade. Mais mieux vaut garder le silence.
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Lumpenpopulisme ministériel
Lumpenpopulisme ministériel
par Georges Feltin-Tracol
Dans leurs écrits, Karl Marx et Friedrich Engels distinguent le prolétariat sur qui ils fondent l’espoir de la révolution communiste du Lumpenproletariat. Ce terme allemand signifie le sous-prolétariat et désigne les éléments du bas-peuple constitués de canailles, de malfrats et d’indicateurs de police – provocateurs. Un ministre de l’actuel gouvernement Bayrou incarne parfaitement cette tendance qui, sous couvert de discours populiste, cache une vraie tonalité populacière.
Ce « lumpenpopuliste en chef » a fait la couverture du n°65 de Synthèse nationale en hiver 2023 - 2024 au titre percutant : « Le liberticide ». À l’instar de son sinistre mentor Nicolas Sarközy, il a été l’un des pires ministres de l’Intérieur. Responsable principal de l’ensauvagement de l’Hexagone malgré les filtres et les inévitables corrections des données brutes, Gérald Darmanin cumule avec un zèle culotté le ministère de la Parole inutile et celui de l’Inaction officielle. Le seul domaine où il a montré son intransigeance concerne les nombreuses dissolutions de mouvements identitaires, nationalistes et patriotes qui représentent l’authentique opposition à un régime maboule pendant que la racaille gauchiste interlope poursuit ses méfaits en toute impunité.
À 43 ans, Darmanin présente déjà un palmarès politicien impressionnant: maire de Tourcoing de 2014 à 2017 et en 2020, il reste un an conseiller départemental du Nord (2021 – 2022), conseiller régional en Nord – Pas-de-Calais entre 2010 et 2014 avant de siéger de 2016 à 2020 au conseil régional des Hauts-de-France après la fusion avec la Picardie en 2015. Adhérent dès 16 ans au RPR (Rassemblement pour la République) de Jacques Chirac, il assiste un bref temps le député européen Jacques Toubon.
En 2004, il devient l’assistant parlementaire de Christian Vanneste, député RPR de 1993 à 1997, puis élu UMP de 2002 à 2012. Partisan d’une ligne conservatrice et favorable à l’alliance électorale avec le FN, Christian Vanneste incline vers le souverainisme. Est-ce sous son influence que Gérald Darmanin collabore en 2008 à la revue royaliste proche de l’Action française Politique Magazine ? Élu député en 2012, Darmanin vote contre le Pacte budgétaire européen. Dans le même temps, il fricote avec la Droite populaire de Thierry Mariani, l’un des courants de l’UMP.
Hormis sa proximité avec Xavier Bertrand, le futur homme fort des Hauts-de-France à compter de 2015, Gérald Darmanin adopte un positionnement que la médiacratie qualifie de « droite dure ». Il entre dès lors en compétition avec un surdoué sarközyste, Laurent Wauquiez… Une telle étiquette n’empêche pas finalement Darmanin de rallier Emmanuel Macron pendant l’entre-deux-tours de 2017. En récompense, il reçoit le ministère de l’Action et des Comptes publics. Il y restera plus de trois ans. On dit que Sarközy l’aurait menacé de ne plus jamais lui adresser la parole s’il n’acceptait pas un maroquin ministériel. Cette nomination interroge, car, au cours de la campagne électorale, il fustigeait en janvier 2017 dans les colonnes de L’Opinion « le bobo-populisme de M. Macron ».
Vite exclu des Républicains, Darmanin rejoint La République en marche en novembre 2017. À son ministère, il met en place la réforme du prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source lancée par l’inénarrable François « Flamby » Hollande. C’est toujours à Bercy qu’il assiste à l’immense crise sociale des Gilets jaunes qu’il traite de « peste brune ». Cette sortie montre que la sympathie affichée pour le peuple est factice chez cet opportuniste qui rêve de suivre les traces de Sarközy.
Ministre de l’Intérieur, son attitude de matamore fait merveille auprès du système médiatique d’occupation mentale. Or son échec est patent; il s’aggrave même en Outre-mer ravagé par des violences systémiques en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, en Guyane et en Martinique. Ses échecs répétés ne l’empêchent nullement de considérer l’Italie de Giorgia Meloni comme « l’ennemi de la France ». Ne revenons pas sur sa bourde gigantesque à propos de ses accusations infondées envers les supporteurs anglais devant le stade de France en 2022. Il exonère en revanche les bandes allogènes du 9-3. Ce n’est que récemment qu’il a reconnu son erreur. Il a enfin fait adopter en juillet 2021 la loi scélérate sur le séparatisme qui interdit de fait la scolarité à domicile, renforce le contrôle sur les associations et restreint la liberté des cultes au nom de la défense des valeurs insipides d’une république dégénérée.
Non reconduit à un ministère sous Michel Barnier, Gérald Darmanin reste six mois au Palais-Bourbon où il exprime toute sa frustration contre le nouveau gouvernement. Spectateur de ce manège grotesque digne des caprices d’un enfant gâté, François Bayrou le nomme dans son gouvernement en décembre 2024 au rang de ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Son arrivée à ce ministère, place Vendôme, aiguise son ambition élyséenne. Sa participation à l’émission de Karine Le Marchand sur M6, « Une ambition intime », le dimanche 1er juin, en est une preuve manifeste. Or il n’est pas le seul au sein du fameux « socle commun gouvernemental » : Édouard Philippe, Gabriel Attal, peut-être François Bayrou, sans oublier son collègue et successeur à l’Intérieur, Bruno Retailleau, Xavier Bertrand, David Lisnard, Laurent Wauquiez, voire Michel Barnier lui-même… La compétition va être rude, surtout en l’absence d’élections primaires honnies.
Afin de se démarquer de tous ses potentiels concurrents, il entend marquer l’opinion publique par des propositions – chocs. Il suggère la constitution de prisons de haute sécurité réservées aux chefs des cartels de drogue dont une s’érigerait non loin du Surinam en Amazonie guyanaise. Par ailleurs, le Conseil d’État annule sa décision d’arrêter les activités ludiques en détention.
Ses deux plus récentes saillies sont encore plus problématiques. Le 4 mai 2025, il déclare : « Si vous voulez une société sécure [sic !], il faut la reconnaissance faciale. » L’anglicisme persistant de cette phrase signale qu’en 2021, l’actuel garde des Sceaux avait été l’excellent lauréat de l’Académie de la Carpette anglaise. La nouvelle carte nationale d’identité en format de carte bancaire comporte des indications en anglais. Une autre honte ! En 2022, il affirmait devant les parlementaires son hostilité à la reconnaissance faciale. Une fois encore, l’opportuniste revient au galop.
Le 23 mai dernier, il propose tout bonnement de mettre fin à la circulation de l’argent liquide afin d’assécher les trafics. « Une fois, dit-il, que l’argent est traçable comme le sont parfois et souvent les crypto-actifs, c’est plus compliqué pour le consommateur comme le revendeur de pouvoir échapper à un circuit de financement. » L’argument éculé depuis des années ne change pas, mais on discerne mieux maintenant que la fin de cette liberté de paiement couplée à la reconnaissance faciale, au fichage légal des opinions et des croyances, à l’utilisation de drones pendant les manifestations et à la fermeture abusive du compte en banque indique une entrée probable dans une ère de surveillance généralisée au profit d’un pouvoir dépassé. Dès le lendemain, à la radio RTL, il revenait sur son propos en regrettant que « nous n’en avons pas les moyens politiques ». On sait bien qu’avec une majorité absolue, cette mesure se serait appliquée comme le démontre le précédent covidien de limitation des libertés publiques et privées.
Sur l’argent liquide, Gérald Darmanin se trouve à contre-courant de l’actualité. Phare en matière de disparition des espèces, la Suède invite désormais sa population à détenir des pièces de monnaie et des billets parce que les transactions numériques révèlent une trop grande sensibilité aux cyberattaques venues, selon elle, de l’Ours oriental… Signalons aussi que les achats s’effectuent encore en liquide à 69% en Allemagne et à 73% en Autriche.
Souhaitant instrumentaliser pour son seul profit la vague populiste qui secoue pour l’heure le monde occidental, Gérald Darmanin fonde en septembre 2024 son propre micro-parti, Populaires, qui s’essaie à la synthèse instable du sarközysme et du macronisme. Plutôt que cette récupération grotesque qui caractérise le lumpenpopulisme de son fondateur, il aurait mieux valu que cet énième mouvement politicard s’appelât Vulgaires.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 159, mise en ligne le 3 juin 2025 sur Radio Méridien Zéro.
18:39 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, france, europe, affaires européennes, gérald darmanin | |
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Trump au Moyen-Orient
Trump au Moyen-Orient
Abbès Tégrarine
La visite du président Donald Trump en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis du 13 au 16 mai a été sa première visite officielle depuis son investiture le 20 janvier 2025. Cette visite revêt sans aucun doute une importance particulière à plusieurs égards. Les médias arabes le qualifient d'historique, car il a précédé la visite du président américain chez les alliés traditionnels de son pays en Europe, chez ses voisins les plus proches ou chez son allié stratégique au Moyen-Orient, Israël. La première de ces conséquences concerne « l'importance économique et stratégique de ces pays pour les États-Unis », comme l'a souligné le représentant spécial adjoint des États-Unis au Moyen-Orient.
De plus, il ne faut pas négliger l'influence considérable des pays du Golfe Persique sur le marché mondial de l'énergie, sans oublier, bien sûr, les impératifs économiques urgents des États-Unis au niveau national et les événements géopolitiques mondiaux. Les États-Unis ont également commencé à compter sur le rôle croissant des trois États du Golfe Persique sur la scène internationale.
Bien que la tournée de Trump dans les pays du Golfe ait porté sur plusieurs questions économiques, politiques et stratégiques importantes pour les deux parties, les plus importantes étant le partenariat économique entre les pays du Golfe et les États-Unis, la politique énergétique, les négociations nucléaires entre les États-Unis et l'Iran, les accords de défense et les garanties de sécurité, la guerre à Gaza, le dossier syrien, les accords d'Abraham, la guerre en Ukraine, etc. Ces questions ont également été abordées lors du cinquième sommet entre les États-Unis et le Conseil de coopération du Golfe, qui s'est tenu le 14 mai à Riyad. Cela a donné un élan puissant au partenariat stratégique entre les deux parties :
L'importance du contexte économique international de la visite de Trump dans le Golfe Persique
Plusieurs facteurs façonnent le contexte international et déterminent la réalité économique mondiale qui coïncide avec la visite du président Trump dans la région du Golfe Persique, ce qui rend cette visite extrêmement importante. Le protectionnisme, qui a atteint des niveaux records, entraîne un affaiblissement correspondant des règles de la mondialisation et a des conséquences particulières sur la crise de la dette souveraine et le maintien des pressions inflationnistes dans le monde.
Les médias arabes ont concentré leur attention sur les accords économiques majeurs annoncés entre les pays du Golfe Persique et les États-Unis.
Les accords saoudo-américains les plus importants :
Dans le cadre des plans plus larges d'investissement de l'Arabie saoudite à hauteur de 600 milliards de dollars dans la production, les produits et les services américains, annoncés en janvier 2025, les accords économiques les plus importants signés lors de la visite de Trump en Arabie saoudite, outre les accords militaires que nous présentons ci-dessous, sont les suivants :
- Nvidia a conclu un accord pour la fourniture de ses puces IA.
- AMD a conclu un partenariat similaire d'une valeur de 10 milliards de dollars avec une société saoudienne, et Amazon s'est engagé dans la « Zone d'intelligence artificielle » avec un plan d'une valeur de plus de 5 milliards de dollars.
- Google soutient un nouveau fonds d'intelligence artificielle de 100 millions de dollars, ainsi qu'un accord de 20 milliards de dollars avec la société américaine Supermicro.
Les accords qataro-américains les plus importants :
Après que le Qatar a annoncé un engagement d'investissement de 1200 milliards de dollars, des accords d'une valeur totale de plus de 243,5 milliards de dollars ont été conclus lors de la visite de Trump au Qatar, à savoir:
- Qatar Airways a signé un accord de 96 milliards de dollars pour l'achat de 210 avions auprès de Boeing, ce qui représente la plus grande commande d'avions à fuselage large de l'histoire et la plus grande commande de 787 de l'histoire.
- L'Autorité de gestion des investissements du Qatar prévoit d'investir 500 milliards de dollars supplémentaires au cours de la prochaine décennie dans les secteurs de l'intelligence artificielle, des centres de données et de la santé aux États-Unis, conformément à son programme de relance aux États-Unis.
Accords entre les Émirats arabes unis et les États-Unis :
La société Emirates Global Aluminium, basée en Oklahoma, réalise un projet de construction d'une usine de production d'aluminium primaire d'une valeur de 4 milliards de dollars, en plus des investissements de la société et du Conseil économique des Émirats arabes unis Tawazun dans un projet de production de gallium afin de soutenir l'approvisionnement en métaux essentiels aux États-Unis.
Dans le domaine des technologies, la société américaine Qualcomm a annoncé son intention de contribuer au développement d'un nouveau « centre d'ingénierie mondial » à Abu Dhabi, axé sur l'intelligence artificielle et les centres de données.
Conséquences politiques et stratégiques de la visite de Trump dans le golfe Persique
Négociations nucléaires entre les États-Unis et l'Iran :
Les médias ont souvent rapporté que les États-Unis avaient présenté à l'Iran une proposition de nouvel accord nucléaire lors du quatrième cycle de négociations à Mascate (11 mai 2025).
À Doha (le 15 mai), le président Trump a annoncé que l'Iran avait globalement accepté les conditions de la proposition américaine et a annoncé la conclusion prochaine d'un accord.
La guerre à Gaza :
Bien que le président Trump n'ait pas soulevé la question du déplacement des habitants de Gaza, auquel les États du CCG s'opposent fermement, ni celle de la création d'une administration américaine « temporaire » ou « transitoire » pour Gaza après la guerre lors du sommet entre les pays du Golfe et les États-Unis, il a réaffirmé, lors d'une réunion de travail à Doha le 15 mai, son souhait que les États-Unis « prennent le contrôle » du secteur de Gaza et le transforment en « zone libre ». Auparavant, Trump avait déclaré vouloir transformer Gaza en « Riviera du Moyen-Orient » en expulsant ses habitants. Cette question restera une pomme de discorde entre les États du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG), qui soutiennent le plan arabe de reconstruction du secteur de Gaza sans déplacement de sa population, et les États-Unis.
Le dossier syrien :
La question de la réintégration de la Syrie sous la direction du président Ash-Sharaa dans le système régional et international, initiée par les États du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite, ainsi que la normalisation des relations américano-syriennes figuraient à l'ordre du jour de la visite de Trump à Riyad. La déclaration « très, très importante » que Trump avait promis de faire en Arabie saoudite était probablement liée à la levée des sanctions contre la Syrie et à sa rencontre avec le président syrien, à laquelle ont également participé le prince héritier d'Arabie saoudite et le président turc Recep Tayyip Erdogan (par vidéoconférence). Lors de sa rencontre avec Ash-Sharaa, Trump a promis de normaliser les relations de son pays avec la Syrie et a discuté avec lui d'un certain nombre de questions, notamment la lutte contre le « terrorisme ». Cela concerne en particulier l'EIIL, la question des combattants étrangers en Syrie (leur départ de Syrie), l'expulsion des membres de la résistance palestinienne et la sécurité des Kurdes. Selon l'agence de presse saoudienne, la déclaration du président Donald Trump sur la levée de toutes les sanctions contre la Syrie a surpris certains membres de son administration.
Guerre en Ukraine :
Lors de sa visite en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis, Trump a cherché à utiliser l'efficacité de la diplomatie du golfe Persique pour servir de médiateur dans la fin de la guerre russo-ukrainienne ou, au moins, faire preuve de bonne volonté pour convaincre les parties russe et ukrainienne de cesser le feu et de poursuivre les négociations directes afin de régler le conflit qui les oppose. Cela est particulièrement pertinent compte tenu des tentatives infructueuses des États-Unis pour obtenir un cessez-le-feu, sans parler de la fin de la guerre. Alors que le temps presse, Trump considère les pays du Golfe Persique, en particulier l'Arabie saoudite, comme un canal utile pour communiquer avec Moscou. L'Arabie saoudite a déjà mené des négociations secrètes entre les États-Unis et la Russie, renforçant ainsi sa position de médiateur neutre.
Influence chinoise :
Dans le cadre de la visite de Trump dans la région, les Américains ont cherché à faire pression sur les États du Golfe Persique, non seulement sur les Émirats arabes unis, le Qatar et l'Arabie saoudite, mais aussi sur les six États du Conseil de coopération des États arabes du Golfe Persique, afin qu'ils prennent leurs distances avec Pékin.
17:51 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, donald trump, états-unis, arabie saoudite, qatar, émirats arabes unis, moyen-orient, politique internationale, monde arabe, monde arabo-musulman | |
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samedi, 07 juin 2025
Un antidote au nihilisme contemporain - Les incessants petits miracles poétiques de Ernst Jünger !
Un antidote au nihilisme contemporain
Les incessants petits miracles poétiques de Ernst Jünger !
Frédéric Andreu
L’imaginaire est le seul espace qui ne soit pas mécanisable; c’est par lui que la vie peut retrouver sens et saveur. Le regard « micro-cosmique » qui hante les pages du journal et des romans allégoriques d'Ernst Jünger (cf. Les Affiches n°101/102, déc. 2023) contribue à nous faire comprendre les grandes choses par les petites. Entre les échelles, l’œuvre de Jünger est puissance vibratoire; elle poétise aussi bien les êtres que les enjeux philosophiques. Penché sur l’irisation d’une aile de Cicindèle, le balancement d’un arbre au vent ou la réverbération d’un rêve, Jünger explore les prismes du visible que le scientifique rejette par procédure ou aveuglement. « La lune s’était levé et dans sa clarté je m’abandonnais aux pensées qui nous assaillent quand nous nous enfonçons dans l’incertain » écrit-il dans les Falaises de Marbre. Éloge de la rêverie associative !
L’œil de Jünger est celui d’un aigle quand sa prose est une maraude d’abeilles qui investit sans cesse les mondes contenus dans le monde; l’univers visible, mais aussi les ultraviolets et les infrarouges que la distanciation intérieure rend palpable, cette forêt où seules les abeilles poétiques peuvent s’aventurer. On comprend dès lors pourquoi certaines phrases de Jünger vous grimpent dessus, parfois à votre insu, pour voyager avec vous comme des insectes sur votre veston et devenir autant de broches d’or de la pensée. La prose de Jünger peut être qualifiée de « magnétique ».
Enchanté et enchanteur, Ernst Jünger n’en est pas moins lucide son temps. Le patriote, le soldat, l’écrivain et le voyageur sont d’une extrême lucidité. La technophilie exacerbée de Jünger laisse peu à peu place au retrait souverain. En effet, Jünger comprend que la technique, loin de servir l’homme, se sert en réalité de lui. Jünger n’est donc pas un « doux rêveur ». Quand il prend conscience que l’homme moderne est arrivé après la bataille, il prend recours dans les « forêts ». Ce retrait peut prendre des formes diverses, le voyage, l’imaginaire, la lecture, la méditation. « Nous nous absorbions de plus ne plus profondément dans le mystère des fleurs et leurs calices nous apparaissaient plus grands, plus radieux que jamais ».
En fait, la modernité réduit l’homme a être un ouvrier spécialisé de forces qui le dépassent. « Nous vivons en des temps qui ne sont pas dignes de l’œuvre d‘art » (Le Problème d’Aladin). « Le tissu des peuples est devenu fragile ». En effet, « des forces titanesques, sous un déguisement technicien, sont ici à l’œuvre. Où Zeus ne trône plus, les couronnes, les sceptres et les frontières n’ont plus de sens » s’écrit-il encore.
Comme le rêve qu’il habite et la beauté qu‘il courtise, Jünger est parfois un auteur mystérieux et insaisissable. Militaire exalté de la Première Guerre Mondiale, il est anti-nazi dès l’arrivée de Hitler et « sa bande » au pouvoir. Au cours d’une mission dans le Caucase, il apprend l’existence des meurtres de masse de civil, il écrit dans son journal : « Je n’éprouve alors plus que dégoût pour les uniformes et les décorations dont j’avais tant aimé l’éclat ».
Son amitié avec les mythes anciens pourrait faire de lui un « païen », pourtant, au temps le plus oppressant de la guerre, il ne quitte pas la Bible des yeux; sur le tard, il se convertira même au catholicisme. Mais ne devient pas pour autant une grenouille de bénitier: « Mon église », c’est l’œuvre d’art et ses « suprêmes trouvailles ». En fait, le nihilisme (la tristesse de nos âmes faites pour la joie) lui apparaît comme l’effet d’une guerre métaphysique, celle que livrent les titans aux dieux.
Jünger constate que nos libertés et nos arts sont devenus carcéraux. A l’endroit des titans et des cyclopes, il parle de « déguisement ». Ces derniers occupent le sacré, le vivant et l’espace quotidien des hommes. La mythologie grecque les décrit comme des entités primales, brutales et mécaniques échappés du Tatare où les avaient enfermé les dieux, d’où la guerre qu’ils livrent contre toute présence divine.
Grâce à Jünger, on prend donc conscience du pouvoir technocratique des titans quand on mesure l’entrisme de l’Art Conceptuel dans les instances officielles du pouvoir. Les « installations » d’œuvres bidulaires et logotypiques, basées sur le slogan, la sidération et la confusion cognitive, prennent d’assaut nos places publiques et transforment certains de nos musées, « temples des muses », en gymnases pour titans déchaînés. Les lois de l’harmonie et de la raison, les limites naturelles, sont clairement ciblées, investies, retournées. Le terme de « déguisement » parodique n’est pas usurpé quant à ces artefacts subversifs qui n’ont d’art que le nom. « Là où même Aphrodite pâlit, on tombe à des mélanges sans foi ni raison »...
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Genèse de la pensée unique
Genèse de la pensée unique
Claude Bourrinet
« Il n’y eut plus de rire pour personne » (Procope de Césarée).
Polymnia Athanassiadi, professeur d’histoire ancienne à l’Université d’Athènes, spécialiste du platonisme tardif (le néoplatonisme) avait bousculé quelques certitudes, dans son ouvrage publié en 2006, « la lutte pour l’orthodoxie dans le platonisme tardif », en montrant que les structures de pensée dans l’Empire gréco-romain, dont l’aboutissement serait la suppression de toute possibilité discursive au sein de l’élite intellectuelle, étaient analogues chez les philosophes « païens » et les théologiens chrétiens. Cette osmose, à laquelle il était impossible d’échapper, se retrouve au niveau des structures politiques et administratives, avant et après Constantin. L’État « païen », selon Mme Athanassiadi, prépare l’État chrétien, et le contrôle total de la société, des corps et des esprits. C’est la thèse contenue dans une étude éditée en 2010, Vers la pensée unique. La montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive.
Un basculement identitaire
L’Antiquité tardive est l’un de ces concepts historiques relativement flous, que l’on adopte, parce que c’est pratique, mais qui peuvent susciter des polémiques farouches, justement parce qu’ils dissimulent des pièges heuristiques entraînant des interprétations diamétralement apposées. Nous verrons que l’un des intérêts de cette recherche est d’avoir mis au jour les engagements singulièrement contemporains qui sous tendent des analyses apparemment « scientifiques ».
La première difficulté réside dans la délimitation de la période. Le passage aurait eu lieu sous le règne de Marc Aurèle, au IIe siècle, et cette localisation temporelle ne soulève aucun désaccord. En revanche, le consensus n’existe plus si l’on porte le point d’achoppement (en oubliant la date artificielle de 476) à Mahomet, au VIIe siècle, c’est-à-dire à l’aboutissement désastreux d’une longue série d’invasions, ou aux règnes d’Haroun al-Rachid et de Charlemagne, au IXe siècle, voire jusqu’en l’An Mil. Ce qui est en jeu dans ce débat, c’est l’accent mis sur la rupture ou sur la continuité.
Le fait indubitable est néanmoins que la religion, lors de ce processus qui se déroule quand même sur plusieurs siècles, est devenue le « trait identitaire de l’individu ». L’autre constat est qu’il s’éploie dans un monde de plus en plus globalisé – l’orbis romanus – dans un empire qui n’est plus « romain », et qui est devenu méditerranéen, voire davantage. Une révolution profonde s’y est produite, accélérées par les crises, et creusant ses mines jusqu’au cœur d’un individu de plus en plus angoissé et cherchant son salut au-delà du monde. La civilisation de la cité, qui rattachait l’esprit et le corps aux réalités sublunaires, a été remplacée par une vaste entité centralisée, dont la tête, Constantinople ou Damas, le Basileus ou le calife, un Dieu unique, contrôle tout. Tout ce qui faisait la joie de vivre, la culture, les promenades philosophiques, les spectacles, les plaisirs, est devenu tentation démoniaque. La terre semble avoir été recouverte, en même temps que par les basiliques, les minarets, les prédicateurs, les missionnaires, par un voile de mélancolie et un frisson de peur. Une voix à l’unisson soude les masses uniformisées, là où, jadis, la polyphonie des cultes et la polydoxie des sectes assuraient des parcours existentiels différenciés. Une monodoxie impérieuse, à base de théologie et de règlements tatillons, s’est substituée à la science (épistémé) du sage, en contredisant Platon pour qui la doxa, l’opinion, était la source de l’erreur.
Désormais, il ne suffit pas de « croire », si tant est qu’une telle posture religieuse ait eu sa place dans le sacré dit « païen » : il faut montrer que l’on croit. Le paradigme de l’appartenance politico-sociale est complètement transformé. La terreur théologique n’a plus de limites.
Comme le montre Polymnia Athanassiadi, cet aspect déplaisant a été, avec d’autres, occulté par une certaine historiographie, d’origine anglo-saxonne.
Contre l’histoire politiquement correcte
La notion et l’expression d’« Antiquité tardive » ont été forgées principalement pour se dégager d’un outillage sémantique légué par les idéologies nationales et religieuses. Des Lumières au positivisme laïciste du XIXe siècle, la polémique concernait la question religieuse, le rapport avec la laïcité, le combat contre l’Église, le triomphe de la raison scientifique et technique. Le « récit » de la chute de l’Empire romain s’inspirait des grandes lignes tracées par Montesquieu et Gibbon, et mettait l’accent sur la décadence, sur la catastrophe pour la civilisation qu’avait provoquée la perte des richesses antiques. Le christianisme pouvait, de ce fait, paraître comme un facteur dissolvant. D’un autre côté, ses apologistes, comme Chateaubriand, tout en ne niant pas le caractère violent du conflit entre le paganisme et le christianisme, ont souligné la modernité de ce dernier, et par quelles valeurs humaines il remplaçait celles de l’ancien monde, devenu obsolètes.
C’est surtout contre l’interprétation de Spengler que s’est élevée la nouvelle historiographie de la fin des années Soixante. Pour le savant allemand, les civilisations subissent une évolution biologique qui les porte de la naissance à la mort, en passant par la maturité et la vieillesse. On abandonna ce schéma cyclique pour adopter la conception linéaire du temps historique, tout en insistant sur l’absence de rupture, au profit de l’idée optimiste de mutation. L’influence de Fernand Braudel, théoricien de la longue durée historique et de l’asynchronie des changements, fut déterminante.
L’école anglo-saxonne s’illustra particulièrement. Le maître en fut d’abord Peter Brown avec son World of late Antiquity : from Marcus Aurelius to Muhammad (1971). Mme Athanassiadi n’est pas tendre avec ce savant. Elle insiste par exemple sur l’absence de structure de l’ouvrage, ce qui ne serait pas grave s’il ne s’agissait d’une étude à vocation scientifique, et sur le manque de rigueur des cent trente illustrations l’accompagnant, souvent sorties de leur contexte. Quoi qu’il en soit, le gourou de la nouvelle école tardo-antique étayait une vision optimiste de cette période, perçue comme un âge d’adaptation.
Il fut suivi. En 1997, Thomas Hägg, publia la revue Symbolae Osbenses, qui privilégie une approche irénique. On vide notamment le terme le terme xenos (« étranger ») de son contenu tragique « pour le rattacher au concept d’une terre nouvelle, la kainê ktisis, ailleurs intérieur rayonnant d’espoir ». Ce n’est pas un hasard si l’inspirateur de cette historiographique révisionniste est le savant italien Santo Mazzarino, l’un des forgerons de la notion de démocratisation de la culture.
La méthode consiste en l’occurrence à supprimer les oppositions comme celles entre l’élite et la masse, la haute et la basse culture. D’autre part, le « saint » devient l’emblème de la nouvelle société. En renonçant à l’existence mondaine, il accède à un statut surhumain, un guide, un sauveur, un intermédiaire entre le peuple et le pouvoir, entre l’humain et le divin. Il est le symbole d’un monde qui parvient à se maîtriser, qui se délivre des entraves du passé.
Polymnia Athanassiadi rappelle les influences qui ont pu marquer cette conception positive : elle a été élaborée durant une époque où la détente d’après-guerre devenait possible, où l’individualisme se répandait, avec l’hédonisme qui l’accompagne inévitablement, où le pacifisme devient, à la fin années soixante, la pensée obligée de l’élite. De ce fait, les conflits sont minimisés.
Un peu plus tard, en 1999, un tome collectif a vu le jour: Late Antiquity. A Guide to the postclassical World. Y ont contribué P. Brown et deux autres savants princetoniens : Glen Bowersock et Oleg Grabar, pour qui le véritable héritier de l’empire romain est Haroun al-Rachid. L’espace tardo-antique est porté jusqu’à la Chine, et on met l’accent sur vie quotidienne. Il n’y a plus de hiérarchie. Les dimensions religieuse, artistique politique, profane, l’écologique, la sexuelle, les femmes, le mariage, le divorce, la nudité – mais pas les eunuques, sont placées sur le même plan. La notion de crise est absente, aucune allusion aux intégrismes n’est faite, la pauvreté grandissante n’est pas évoquée, ni la violence endémique, bref, on a une « image d’une Antiquité tardive qui correspond à une vision politiquement correcte ».
La réaction a vu le jour en Italie. Cette même année 1999, Andrea Giardina, dans un article de la revue Studi Storici, « Esplosione di tardoantico », a contesté « la vision optimiste d’une Antiquité tardive longue et paisible, multiculturelle et pluridisciplinaire ». Il a expliqué cette perception déformée par plusieurs causes :
- la rhétorique de la modernité,
- l’impérialisme linguistique de l’anglais dans le monde contemporain (« club anglo-saxon »),
- une approche méthodologique défectueuse (lecture hâtive).
Et, finalement, il conseille de réorienter vers l’étude des institutions administratives et des structures socio-économiques.
Dans la même optique, tout en dénonçant le relativisme de l’école anglo-saxonne, Wolf Liebeschuetz, (Decline and Fall of the Roman City, 2001 et 2005), analyse le passage de la cité-État à l’État universel. Il insiste sur la notion de déclin, sur la disparition du genre de vie avec institutions administratives et culturelles légués par génie hellénistique, et il s’interroge sur la continuité entre la Cité romaine et ses successeurs (Islam et Europe occidentale). Quant à Bryan Ward-Perkins, in The fall of Rome and the End of Civilization, il souligne la violence des invasions barbares, s’attarde sur le trauma de la dissolution de l’Empire. Pour lui, le déclin est le résultat de la chute.
On voit que l’érudition peut cacher des questions hautement polémiques et singulièrement contemporaines.
Polymnia Athanassiadi prend parti, parfois avec un mordant plaisant, mais nul n’hésitera à se rendre compte combien les caractéristiques qui ont marqué l’Antiquité tardive concernent de façon extraordinaire notre propre monde. Polymnia Athanassiadi rappelle, en s’attardant sur la dimension politico-juridique, quelles ont été les circonstances de la victoire de la « pensée unique » (expression ô combien contemporaine !). Mais avant tout, quelle a été la force du christianisme?
La révolution culturelle chrétienne
Le christianisme avait plusieurs atouts à sa disposition, dont certains complètement inédits dans la société païenne.
D’abord, il hérite d’une société où la violence est devenue banale, du fait de la centralisation politico-administrative, et de ce qu’on peut nommer la culture de l’amphithéâtre.
Dès le IIe siècle, en Anatolie, le martyr apparaît comme la « couronne rouge » de la sainteté octroyée par le sens donné. Les amateurs sont mus par une vertu grecque, la philotimia, l’« amour de l’honneur ». C’est le seul point commun avec l’hellénisme, car rien ne répugne plus aux esprits de l’époque que de mourir pour des convictions religieuses, dans la mesure où toutes sont acceptées comme telles. Aussi bien cette posture est-elle peu comprise, et même méprisée. L’excès rhétorique par lequel l’Église en fait la promotion en souligne la théâtralité. Marc Aurèle y voit de la déraison, et l’indice d’une opposition répréhensible à la société. Et, pour une société qui recherche la joie de vivre, cette pulsion de mort paraît bien suspecte.
Retenons donc cette aisance dans l’art de la propagande – comme chacun sait, le nombre de martyrs n’a pas été si élevé qu’on l’a prétendu – et cette attirance morbide qui peut aller jusqu’au fond des cœurs. Le culte des morts et l’adoration des reliques sont en vogue dès le IIIe siècle.
Le leitmotiv de la résurrection des corps et du jugement dernier est encore une manière d’habituer à l’idée de la mort. Le scepticisme régnant avant IIIe siècle va laisser place à une certitude que l’on trouve par exemple chez Tertullien, pour qui l’absurde est l’indice même de la vérité (De carne christi, 5).
L’irrationalisme, dont le christianisme n’est pas seul porteur, encouragé par les religions orientales, s’empare donc des esprits, et rend toute manifestation surnaturelle plausible. Il faut ajouter la croyance aux démons, partagée par tous.
Mais c’est surtout dans l’offensive, dans l’agression, que l’Église va se trouver particulièrement redoutable. En effet, de victimes, les chrétiens, après l’Édit de Milan, en 313, vont devenir des agents de persécution. Des temples et des synagogues seront détruits, des livres brûlés.
Peut-être l’attitude qui tranche le plus avec le comportement des Anciens est-il le prosélytisme, la volonté non seulement de convertir chaque individu, mais aussi l’ensemble de la société, de façon à modeler une communauté soudée dans une unicité de conviction. Certes, les écoles philosophiques cherchaient à persuader. Mais, outre que leur zèle n’allait pas jusqu’à harceler le monde, elles représentaient des sortes d’options existentielles dans le grand marché du bonheur, dont la vocation n’était pas de conquérir le pouvoir sur les esprits.
Plotin, l’un des derniers champions du rationalisme hellène, s’est élevé violemment contre cette pratique visant à arraisonner les personnes. On vivait alors de plus en plus dans la peur, dans la terreur de ne pas être sauvé. L’art de dramatiser l’enjeu, de le charger de toute la subjectivité de l’angoisse et du bon choix à faire, a rendu le christianisme particulièrement efficace. Comme le fait remarquer Mme Athanassiadi, la grande césure du moi, n’est plus entre le corps et l’âme, mais entre le moi pécheur et le moi sauvé. Le croyant est sollicité, sommé de s’engager, déchiré d’abord, avant Constantin, entre l’État et l’Église, puis de façon permanente entre la vie temporelle et la vie éternelle.
Cette tension sera attisée par la multitude d’hérésie et par les conflits doctrinaux, extrêmement violents. Les schismes entraînent excommunications, persécutions, batailles physiques. Des polémiques métaphysiques absconses toucheront les plus basses couches de la société, comme le décrit Grégoire de Nysse (ill.) dans une page célèbre très amusante. Les Conciles, notamment ceux de Nicée et de Chalcédoine, seront des prétextes à l’expression la plus hyperbolique du chantage, des pressions de toutes sortes, d’agressivité et de brutalité. Tout cela, Ramsay MacMullen le décrit fort bien dans son excellent livre, Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle.
Mais c’est surtout l’arme de l’État qui va précipiter la victoire finale contre l’ancien monde. Après Constantin, et surtout avec Théodose et ses successeurs, les conversions forcées vont être la règle. À propos de Justinien, Procope écrit : « Dans son zèle pour réunir l’humanité entière dans une même foi quant au Christ, il faisait périr tout dissident de manière insensée » (in 118). Des lois discriminatoires seront décrétées. Même le passé est éradiqué. On efface la mémoire, on sélectionne les ouvrages, l’index des œuvres interdites est publié, Basile de Césarée (vers 360) (ill.) établit une liste d’auteurs acceptables, on jette même l’anathème sur les hérétiques de l’avenir !
Construction d’une pensée unique
L’interrogation de Polemnia Athanassiadi est celle-ci : comment est-on passé de la polydoxie propre à l’univers hellénistique, à la monodoxie ? Comment un monde à l’échelle humaine est-il devenu un monde voué à la gloire d’un Dieu unique ?
Son fil conducteur est la notion d’intolérance. Mot piégé par excellence, et qui draine pas mal de malentendus. Il n’a rien de commun par exemple avec l’acception commune qui s’impose maintenant, et dont le fondement est cette indifférence profonde pour tout ce qui est un peu grave et profond, voire cette insipide légèreté contemporaine qui fuit les tragiques conséquences de la politique ou de la foi religieuse. Serait intolérant au fond celui qui prendrait au sérieux, avec tous les refus impliqués, une option spirituelle ou existentielle, à l’exclusion d’une autre. Rien de plus conformiste que la démocratie de masse !
Dans le domaine religieux, le paganisme était très généreux, et accueillait sans hésiter toutes les divinités qu’il lui semblait utile de reconnaître, et même davantage, dans l’ignorance où l’on était du degré de cette « utilité » et de la multiplicité des dieux. C’est pourquoi, à Rome, on rendait un culte au dieu inconnu. Les païens n’ont jamais compris ce que pouvait être un dieu « jaloux », et tout autant leur théologie que leur anthropologie les en empêchaient. En revanche, l’attitude, le comportement, le mode de vie impliquaient une adhésion ostentatoire à la communauté. Les cultes relevaient de la vie familiale, associative, ou des convictions individuelles : chacun optait pour un ou des dieux qui lui convenaient pour des raisons diverses. Pourtant les cultes publics concernant les divinités poliades ou l’empereur étaient des actes, certes, de piété, mais ne mettant en scène souvent que des magistrats ou des citoyens choisis. Ils étaient surtout des marques de patriotisme. À ce titre, ne pas y participer lorsqu’on était requis de le faire pouvait être considéré comme un signe d’incivisme, de mauvaise volonté, voire de révolte.
En grec, il n’existe aucun terme pour désigner la notion de tolérance religieuse. En latin, l’intolérance : intolerentia, est cette « impatience », « insolence », « impudence » que provoque la présence face à un corps étranger. Ce peut être le cas pour les païens face à ce groupe chrétien étrange, énigmatique, considéré comme répugnant, ou l’inverse, pour des chrétiens qui voient le paganisme comme l’expression d’un univers démoniaque. Toutefois, ce qui relevait des pratiques va s’instiller jusqu’au fond des cœurs, et va s’imprégner de toute la puissance subjective des convictions intimes.
En effet, il serait faux de prétendre que les païens fussent ignorants de ce qu’une religion peut présenter d’intériorité. On ne s’en faisait pas gloire, contrairement au christianisme, qui exigeait une profession de foi, c’est-à-dire un témoignage motivé, authentique et sincère de son amour pour le dieu unique. Par voie de conséquence, l’absence de conviction dûment prouvée, du moins exhibée, était rédhibitoire pour les chrétiens. On ne se contentait pas de remplir son devoir particulier, mais on voulait que chacun fût sur la droite voie de la « vérité ». Le processus de diabolisation de l’autre fut donc enclenché par les progrès de la subjectivisation du lien religieux, intensifiée par la « persécution ». Au lieu d’un univers pluriel, on en eut un, uniformisé bien que profondément dualiste. La haine fut érigée en vertu théologique.
Comment l’avait décrit Polymnia Athanassiadi dans son étude de 2006 sur l’orthodoxie à cette période, la première tâche fut de fixer le canon, et, par voie de conséquence d’identifier ceux qui s’en écartaient, à savoir les hérétiques. Cette classification s’élabora au fil du temps, d’Eusèbe de Césarée, qui procéda à une réécriture de l’Histoire en la christianisant, jusqu’à Jean Damas, en passant par l’anonyme Eulochos, puis Épiphane de Salamine.
Néanmoins, l’originalité de l’étude de 2010 consacrée à l’évolution de la société tardo-antique vers la « pensée unique » provient de la mise en parallèle de la politique religieuse menée par l’empire à partir du IIIe siècle avec celle qui prévalut à partir de Constantin. Mme Athanassiadi souligne l’antériorité de l’empire « païen » dans l’installation d’une théocratie, d’une religion d’État. En fait, selon elle, il existe une logique historique liant Dèce, Aurélien, Constantin, Constance, Julien, puis Théodose et Justinien.
L’édit de Dèce, en 250, est motivé par une crise qui faillit anéantir l’Empire. La pax deorum semblait nécessaire pour restaurer l’État. Aussi fut-il décrété que tous les citoyens (dont le nombre fut élargi à l’ensemble des hommes libres en 212 par Caracalla), sauf les Juifs, devaient offrir un sacrifice aux dieux, afin de rétablir l’unité de foi, le consensus omnium.
Deux autres persécutions eurent lieu, dont les plus notoires furent celles en 257 de Valérien, en 303 de Dioclétien, et en 312, en Orient, de Maximin. Entre temps, Aurélien (270 – 275) conçut une sorte de pyramide théocratique, à base polythéiste, dont le sommet était occupé par la divinité solaire.
Notons que Julien, le restaurateur du paganisme d’État, est mis sur le même plan que Constantin et que ses successeurs chrétien. En voulant créer une « Église païenne », en se mêlant de théologie, en édictant des règles de piété et de moralité, en excluant épicuriens, sceptiques et cyniques, il a consolidé la cohérence théologico-autoritaire de l’Empire. Il assumait de ce fait la charge sacrale dont l’empereur était dépositaire, singulièrement la dynastie dont il était l’héritier et le continuateur. Il avait conscience d’appartenir à une famille, fondée par Claude le Gothique (268 – 270), selon lui dépositaire d’une mission de jonction entre l’ici-bas et le divin.
Néanmoins, Constantin, en 313, lorsqu’il proclama l’Édit de Milan, ne saisit probablement pas « toute la logique exclusiviste du christianisme ». Était-il en mesure de choisir ? Selon une approximation quantitative, les chrétiens étaient loin de constituer la majorité de la population. Cependant, ils présentaient des atouts non négligeables pour un État soucieux de resserrer son emprise sur la société. D’abord, son organisation ecclésiale plaquait sa logique administrative sur celle de l’empire. Elle avait un caractère universel, centralisé. De façon pragmatique, Constantin s’en servit pour tenter de mettre fin aux dissensions internes génératrices de guerre civile, notamment en comblant de privilèges la hiérarchie ecclésiastique. Un autre instrument fut utilisé par lui, en 325, à l’occasion du concile de Nicée. En ayant le dernier mot théologique, il manifesta la subordination de la religion à la politique.
Mais ce fut Théodose qui lança l’orthodoxie « comme concept et programme politique ». Constantin avait essayé de maintenir un équilibre, certes parfois de mauvaise foi, entre l’ancienne religion et la nouvelle. Pour Théodose, désormais, tout ce qui s’oppose à la foi catholique (la vera religio), hérésie, paganisme, judaïsme, est présumé superstitio, et, de ce fait, condamné. L’appareil d’État est doublé par les évêques (« surveillants » !), la répression s’accroît. À partir de ce moment, toute critique religieuse devient crime de lèse-majesté.
Quant au code justinien, il défend toute discussion relative au dogme, mettant fin à la tradition discursive de la tradition hellénique. On élabore des dossiers de citations à l’occasion de joutes théologiques (Cyrille d’Alexandrie, Théodoret de Cyr, Léon de Rome, Sévère d’Antioche), des chaînes d’arguments (catenae) qui interdisent toute improvisation, mais qui sont sortis de leur contexte, déformés, et, en pratique, se réduisent à de la propagande qu’on assène à l’adversaire comme des coups de massue.
La culture devient une, l’élite partage des références communes avec le peuple. Non seulement celui-ci s’entiche de métaphysique abstruse, mais les hautes classes se passionnent pour les florilèges, les vies de saints et les rumeurs les plus irrationnelles. L’humilité devant le dogme est la seule attitude intellectuelle possible.
Rares sont ceux, comme Procope de Césarée, comme les tenants de l’apophatisme (Damascius, Pseudo-Denys, Évagre le Pontique, Psellus, Pléthon), ou comme les ascètes, les ermites, et les mystiques en marge, capables de résister à la pression du groupe et de l’État.
Mise en perspective
Il faudrait sans doute nuancer l’analogie, la solution de continuité, entre l’entreprise politico-religieuse d’encadrement de la société engagée par l’État païen et celle conduite par l’État chrétien. Non que, dans les grandes lignes, ils ne soient le produit de la refonte de l’« établissement » humain initiée dès le déplacement axiologique engendré par l’émergence de l’État universel, période étudiée, à la suite de Karl Jaspers, par Marcel Gauchet, dans son ouvrage, Le désenchantement du monde. Le caractère radical de l’arraisonnement de la société par l’État, sa mobilisation permanente en même temps que la mise à contribution des forces transcendantes, étaient certes contenus dans le sens pris par l’Histoire, mais il est certain que la spécificité du christianisme, issu d’une religion née dans les interstices de l’Occident et de l’Orient, vouée à une intériorisation et à une subjectivité exacerbées, dominée par un Dieu tout puissant, infini, dont la manifestation, incarnée bureaucratiquement par un organisme omniprésent, missionnaire, agressif et aguerri, avait une dimension historique, son individualisme et son pathos déséquilibré, la béance entre le très-haut et l’ici-bas, dans laquelle pouvait s’engouffrer toutes les potentialités humaines, dont les pires, était la forme adéquate pour que s’installât un appareil particulièrement soucieux de solliciter de près les corps et les âmes dans une logique totalitaire.
La question de savoir si un empire plus équilibré eût été possible, par exemple sous une forme néoplatonicienne, n’est pas vaine, en regard des empires orientaux, qui trouvèrent un équilibre, un compromis entre les réquisits religieux, et l’expression politique légitime, entre la transcendance et l’immanence. Le néoplatonisme, trop intellectuel, trop ouvert à la recherche, finalement trop aristocratique, était démuni contre la fureur plébéienne du christianisme. L’intolérance due à l’exclusivisme dogmatique ne pouvait qu’engager l’Occident dans la voie des passions idéologiques, et dans une dynamique conflictuelle qui aboutirait à un monde moderne pourvu d’une puissance destructrice inédite.
Il faudra sans doute revenir sur ces questions. Toutefois, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce que nous sommes devenus. De plus en plus, on s’aperçoit que, loin d’être les fils de l’Athènes du Ve siècle avant le Christ, ou de la République romaine, voire de l’Empire augustéen, nous sommes dépendants en droite ligne de cette Antiquité tardive, qui nous inocula un poison dont nous ne cessons de mourir. L’Occident se doit de plonger dans son cœur, dans son âme, pour extirper ces habitus, ces réflexes si ancrés qu’ils semblent devenus naturels, et qui l’ont conduit à cette expansion mortifère qui mine la planète. Peut-être retrouverons-nous la véritable piété, la réconciliation avec le monde et avec nous-mêmes, quand nous aurons extirpé de notre être la folie, la « mania », d’exhiber la vérité, de jeter des anathèmes, de diaboliser ce qui nous est différent, de vouloir convertir, persuader ou contraindre, d’universaliser nos croyances, d’unifier les certitudes, de militariser la pensée, de réviser l’histoire, d’enrégimenter les opinions par des lois, d’imposer à tous une « pensée unique ».
13:11 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, religion, christianisme, paganisme, antiquité tardive, christianisme primitif, paganisme tardif, empire romain, bas empire, antiquité | |
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Gustave de Beaumont et le féminisme américain
Gustave de Beaumont et le féminisme américain
Nicolas Bonnal
Le féminisme américain est le mieux équipé et le plus dangereux du monde. La victoire de Trump l'a empêché de mettre fin à la question sexuelle (dixit Philippe Muray) qui est son obsession depuis des lustres. Abolir l’homme et la femme au passage est son rêve. Après il faut mener une croisade d’extermination à travers le monde. Comme disait la candidate démocrate: abortion ! Ce serait comique si l’industrie éducative et tous les médias occidentaux n’étaient obsessionnellement aussi AUX ORDRES.
Tant pis, on y passera.
Rappelons Todd encore :
« Le conflit entre le monde anglo-saxon et le monde arabo-musulman est profond. Et il y a pire que les prises de position féministes de Mmes Bush et Blair concernant les femmes afghanes. L'anthropologie sociale ou culturelle anglo-saxonne laisse apparaître quelques signes de dégénérescence (…). Si une science se met à distribuer des bons et des mauvais points, comment attendre de la sérénité de la part des gouvernements et des armées ? ».
J’ai déjà cité le compagnon de voyage de Tocqueville qui passionne plus Karl Marx que Tocqueville ! Dans sa célèbre étude sur la question juive le grand Karl cite le passage suivant (c’est comme ça que j’ai découvert Beaumont) :
« …tout individu peut, sans aucune préparation ni étude préalable, se faire homme d'église. Le ministère religieux devient une carrière dans laquelle on entre à tout âge, dans toute position et selon les circonstances.
Tel que vous voyez à la tête d'une congrégation respectable a commencé par être marchand ; son commerce étant tombé, il s'est fait ministre ; cet autre a débuté par le sacerdoce, mais dès qu'il a eu quelque somme d'argent à sa disposition, il a laissé la chaire pour le négoce. Aux yeux d'un grand nombre, le ministère religieux est une véritable carrière industrielle. »
Mais Beaumont est un humaniste progressiste et il voit la vérole partout dans la vieille civilisation ; voici ce qu’il raconte (au sens propre) à propos du mariage à l’européenne, à la française notamment, qui débouche sur le cocuage (on le savait depuis Molière…) :
« En Europe, dit le voyageur, tout est souillure et corruption !... Les femmes y sont assez viles pour se vendre, et les hommes assez stupides pour les acheter. Quand une jeune fille prend un mari, ce n'est pas une âme tendre qu'elle cherche pour unir à la sienne, ce n'est pas un appui qu'elle invoque pour soutenir sa faiblesse ; elle épouse des diamants, un rang, la liberté : non qu'elle soit sans cœur ; une fois elle aima, mais celui qu'elle préférait n'était pas assez riche. On l'a marchandée ; on ne tenait plus qu'à une voiture, et le marché a manqué.
Alors on a dit à la jeune fille que l'amour était folie ; elle l'a cru, et s'est corrigée ; elle épouse un riche idiot... Quand elle a quelque peu d'âme, elle se consume et meurt. Communément elle vit heureuse. Telle n'est point la vie d'une femme en Amérique. Ici le mariage n'est point un trafic, ni l'amour une marchandise ; deux êtres ne sont point condamnés à s'aimer ou à se haïr parce qu'ils sont unis, ils s'unissent parce qu'ils s'aiment. »
Mais venons-en à la femme américaine :
« Le trait le plus frappant dans les femmes d'Amérique, c'est leur supériorité sur les hommes du même pays. »
Beaumont va opposer le matérialisme masculin à l’idéalisme féminin (qui va déboucher sur un féminisme éradicateur) :
« L'Américain, dès l'âge le plus tendre, est livré aux affaires: à peine sait-il lire et écrire qu'il devient commerçant ; le premier son qui frappe son oreille est celui de l'argent ; la première voix qu'il entend, c'est celle de l'intérêt ; il respire en naissant une atmosphère industrielle, et toutes ses premières impressions lui persuadent que la vie des affaires est la seule qui convienne à l'homme.
Le sort de la jeune fille n'est point le même ; son éducation morale dure jusqu'au jour où elle se marie. Elle acquiert des connaissances en histoire, en littérature ; elle apprend, en général, une langue étrangère (ordinairement le français) ; elle sait un peu de musique. Sa vie est intellectuelle ».
Le mariage US n’est pas un rêve du tout :
« Ce jeune homme et cette jeune fille si dissemblables s'unissent un jour par le mariage. Le premier, suivant le cours de ses habitudes, passe son temps à la banque ou dans son magasin; la seconde, qui tombe dans l'isolement le jour où elle prend un époux, compare la vie réelle qui lui est échue à l'existence qu'elle avait rêvée. Comme rien dans ce monde nouveau qui s'offre à elle ne parle à son cœur, elle se nourrit de chimères, et lit des romans. Ayant peu de bonheur, elle est très religieuse, et lit des sermons. Quand elle a des enfants, elle vit près d'eux, les soigne et les caresse ».
Sans télé et sans frigo, on en est déjà au couple QUI NE SE PARLE PAS (vive Ionesco finalement…) :
« Ainsi se passent ses jours. Le soir, l'Américain rentre chez lui, soucieux, inquiet, accablé de fatigue; il apporte à sa femme le fruit de son travail, et rêve déjà aux spéculations du lendemain. Il demande le dîner, et ne profère plus une seule parole; sa femme ne sait rien des affaires qui le préoccupent; en présence de son mari, elle ne cesse pas d'être isolée. L'aspect de sa femme et de ses enfants n'arrache point l'Américain au monde positif, et il est si rare qu'il leur donne une marque de tendresse et d'affection, qu'on donne un sobriquet aux ménages dans lesquels le mari, après une absence, embrasse sa femme et ses enfants; on les appelle the kissing families… ».
L’Américaine est plus philosophe et aussi plus manipulatrice et éveillée que la Française. Victorien Sardou, idole et modèle oublié de Hitchcock (voyez mon livre sur la femme chez Hitchcock) l’a génialement montré dans son théâtre. Gare aux belles Américaines !
Beaumont sur ces différences (la Française va rattraper son retard, revoyez la scène d’A bout de souffle avec Melville-Parvulesco…) :
« En France, une jeune fille demeure, jusqu'à ce qu'elle se marie, à l'ombre de ses parents: elle repose paisible et sans défiance, parce qu'elle a près d'elle une tendre sollicitude qui veille et ne s'endort jamais; dispensée de réfléchir, tandis que quelqu'un pense pour elle; faisant ce que fait sa mère; joyeuse ou triste comme celle-ci, elle n'est jamais en avant de la vie, elle en suit le courant: telle la faible liane, attachée au rameau qui la protège, en reçoit les violentes secousses ou les doux balancements. »
L’Américaine est libre donc éveillée :
« En Amérique, elle est libre avant d'être adolescente ; n'ayant d'autre guide qu'elle-même, elle marche comme à l'aventure dans des voies inconnues. Ses premiers pas sont les moins dangereux ; l'enfance traverse la vie comme une barque fragile se joue sans périls sur une mer sans écueils. »
La raison devient une arme féminine :
« Mais quand arrive la vague orageuse des passions du jeune âge, que va devenir ce frêle esquif avec ses voiles qui se gonflent, et son pilote sans expérience ?
L'éducation américaine pare à ce danger: la jeune fille reçoit de bonne heure la révélation des embûches qu'elle trouvera sur ses pas. Ses instincts la défendraient mal: on la place sous la sauvegarde de sa raison; ainsi éclairée sur les pièges qui l'environnent, elle n'a qu'elle seule pour les éviter. La prudence ne lui manque jamais. »
Ceci dit après le grand amour la condition féminine est à désespérer (revoyez les Oiseaux en ce sens, l’extraordinaire personnage de Susan Pleshette):
« Aux yeux de l'Américain, la femme n'est pas une compagne, c'est une associée qui l'aide à dépenser, pour son bien-être et son confort, l'argent gagné par lui dans le commerce.
La vie sédentaire et retirée des femmes, aux États-Unis, explique, avec les rigueurs du climat, la faiblesse de leur complexion ; elles ne sortent point du logis, ne prennent aucun exercice, vivent d'une nourriture légère ; presque toutes ont un grand nombre d'enfants ; il ne faut pas s'étonner si elles vieillissent si vite et meurent si jeunes.
Telle est cette vie de contraste, agitée, aventureuse, presque fébrile pour l'homme, triste et monotone pour la femme ; elle s'écoule ainsi uniforme jusqu'au jour où le mari annonce à sa femme qu'ils ont fait banqueroute ; alors il faut partir, et l'on va recommencer ailleurs la même existence. »
Cela produit des caractères d’airain et républicains :
« Cette liberté précoce donne à ses réflexions un tour sérieux, et imprime quelque chose de mâle à son caractère. Je me rappelle avoir entendu une jeune fille de douze ans traiter dans une conversation et résoudre cette grande question : « Quel est de tous les gouvernements celui qui de sa nature est le meilleur ? » -- Elle plaçait la république au-dessus de tous les autres…. ».
Voyez la fillette des Oiseaux toujours, jouée par la géniale Veronica Cartwright (Alien, les Sorcières d’Eastwick…) : elle défie les codes et attaque le modèle démocratique !
Le mariage est plus une prison en Amérique qu’en France:
« En Amérique, cette liberté, sitôt donnée à la femme, lui est tout-à-coup ravie. Chez nous, la jeune fille passe des langes de l'enfance dans les liens du mariage; mais ces nouvelles chaînes lui sont légères. En prenant un mari, elle gagne le droit de se donner au monde; elle devient libre en s'engageant. Alors commencent pour elle les fêtes, les plaisirs, les succès. En Amérique, au contraire, la vie brillante est à la jeune fille; en se mariant, elle meurt aux joies mondaines pour vivre dans les devoirs austères du foyer domestique. »
Beaumont souligne la vertu de la femme américaine, moins entraînée à la bagatelle que la française pour des raisons diverses qui n’ont rien à voir avec le puritanisme dénoncé par tous nos ilotes :
« En Amérique, tout le monde travaille, parce que nul n'apporte en naissant de grandes richesses, et l'on n'y connaît point la funeste oisiveté des garnisons, parce que ce pays n'a point d'armée.
Les femmes échappent ainsi aux périls de la séduction: si elles sont pures, on ne saurait dire qu'elles sont vertueuses; car elles ne sont point attaquées.
Il est d'ailleurs un élément de corruption, puissant dans les sociétés d'Europe, et qui ne se rencontre point aux États-Unis: ce sont les oisifs nés avec une grande fortune, et les militaires en garnison. Ces riches sans profession et ces soldats sans gloire n'ont rien à faire: leur seul passe-temps est de corrompre les femmes… ».
Prude, cultivée, pessimiste, la femme US est une dangereuse machine de guerre humanitaire qui va se déchaîner lors de la guerre de Sécession (et avant bien sûr).
On se consolera avec notre Balzac qui écrit dans la Femme de trente ans :
« Vous honnissez de pauvres créatures qui se vendent pour quelques écus à un homme qui passe, la faim et le besoin absolvent ces unions éphémères; tandis que la société tolère, encourage l’union immédiate bien autrement horrible d’une jeune fille candide et d’un homme qu’elle n’a pas vu trois mois durant; elle est vendue pour toute sa vie. Il est vrai que le prix est élevé ! «.
Le mâle blanc était mal parti…
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Victorien_Sardou
https://classiques.uqam.ca/classiques/beaumont_gustave_de...
https://www.amazon.fr/Hitchcock-femmes-Nicolas-Bonnal/dp/...
https://www.dedefensa.org/article/le-feminisme-us-par-del...
https://www.dedefensa.org/article/balzac-et-la-rebellion-...
11:49 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gustave de beaumont, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, féminisme, féminisme américain | |
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vendredi, 06 juin 2025
Alasdair MacIntyre est mort. Hommage
Alasdair MacIntyre est mort. Hommage
par Roberto Pecchioli
Source: https://telegra.ph/In-morte-di-Alasdair-Mc-Intyre-06-02
Si nous pensons à la phrase qui a le plus marqué notre formation personnelle, nous citons volontiers José Ortega y Gasset et son formidable « Je suis moi et mes circonstances », la prise de conscience que chaque individualité est marquée par le lieu, le temps, l'environnement et la culture dans lesquels elle s'est formée. Si nous devions citer le texte contemporain qui nous a le plus influencés dans une vie de lectures voraces, variées, irrégulières, contradictoires, entre fiction, poésie, histoire, art, sociologie et philosophie, nous n'aurions aucun doute : il s'agit de Après la vertu d'Alasdair MacIntyre, Écossais expatrié aux États-Unis, marxiste dans sa jeunesse, puis philosophe aristotélo-thomiste qui a embrassé la foi catholique à maturité.
Il y a quelques jours, le vieil Alasdair – né en 1929 – est décédé, atteignant le but résumé dans la phrase placée en exergue de son œuvre majeure : Gus am bris an la, une expression que l'on trouve sur de nombreuses tombes celtiques: « en attendant que le soleil se lève et que les ombres de la nuit se dissipent ». En gaélique, pour souligner les origines et l'enracinement tenace du penseur né à Glasgow.
MacIntyre a remis la philosophie morale au centre du débat, il a redonné de la force au débat sur les fins, sur la « bonne » vie, sur les principes premiers – et donc ultimes – à la base de l'aventure de la vie, sur le concept de vertu, abandonné par l'Occident en décomposition au profit des droits, du relativisme, du nihilisme, résultat inévitable de la mort de Dieu. Le philosophe écossais a été hâtivement classé (dans la frénésie postmoderne à fabriquer de la taxonomie, à procéder à l'attribution d'étiquettes) parmi les penseurs « communautaristes », une manière précipitée et restrictive de juger son œuvre. Lui, philosophe moral, a toujours rejeté l'association à l'école communautariste – plus politico-sociologique que métaphysique – apparue dans les années 80 aux États-Unis. Non pas que McIntyre ne soit pas aussi un communautariste – c'est-à-dire un critique de l'individualisme libéral et de l'homogénéisation culturelle qui rejette les identités et les racines – mais il était bien plus que cela : un philosophe qui a remis au centre la métaphysique, l'idée du bien commun, la recherche des fins de l'existence (le telos) et les moyens de les atteindre.
Nous nous souvenons avec gratitude de ce géant de la pensée contemporaine dont le seul tort fut de ne pas adhérer à l'orthodoxie marxiste, libérale et progressiste, et qui s'est mis à la recherche d'une philosophie pérenne. Nous sommes convaincus que l'abandon de la grande leçon de Thomas d'Aquin (et d'Aristote, son père et maître) est à l'origine des défaites culturelles de la tradition dans la contemporanéité.
Après la vertu n'est pas un texte académique, un livre pour philosophes qui discutent entre eux dans une foire d'obscurité linguistique qui cache la pauvreté du contenu. La philosophie morale et politique, en récupérant la tradition des vertus mise à l'écart par l'exaltation des droits, grâce à MacIntyre, remet au centre l'homme concret et son existence, au-delà des abstractions. Elle constitue une piste, un repère pour un projet alternatif à la modernité rationaliste-empiriste d'origine illuministe et au nihilisme libertaire de la postmodernité haletante. MacIntyre travaille « à de nouvelles formes de communauté au sein desquelles la vie morale puisse être soutenue, afin que la civilisation et la morale aient la possibilité de survivre à l'époque naissante de barbarie et d'obscurité ».
Une position aussi claire, son opposition au libéralisme triomphant et sa critique des professeurs de philosophie verbeuse l'ont conduit à l'isolement culturel, dans un milieu universitaire intoxiqué par le wokisme, les déchets de l'Ecole de Francfort et le nihilisme des « déconstructivistes » que l'on appelle aux États-Unis la « French Theory ». Une contribution spécifique de MacIntyre est la révélation de l'émotivisme contemporain, la tendance à vivre d'émotions immédiates qui ne deviennent pas des sentiments partagés, la conviction que le jugement moral n'est qu'un choix personnel, une préférence individuelle qui ne débouche jamais sur des jugements de valeur généraux. Un élément du relativisme qui homologue tout et soumet tout à la souveraineté subjective. Sans jugement global, cependant, sans ancrage dans des principes communs et solides, sans distinction entre le bien et le mal, le juste et l'injuste, la vertu et le vice, il n'y a ni communauté ni société.
Des convictions acquises grâce à la lecture quotidienne des textes et des idées de Thomas d'Aquin et d'Aristote, mais aussi d'Edith Stein, puissant esprit philosophique au destin tragique. Une armure idéale qui permet à MacIntyre de rejeter tant l'individualisme libéral que l'économisme et le déterminisme marxistes. Tous deux manquent d'un principe d'évaluation rationnel, « élevé », rendant impossible la construction d'un projet communautaire existentiel. Il n'existe pas de morale abstraite et universelle, mais des coutumes spécifiques et des pratiques inscrites dans un horizon culturel précis. Pour paraphraser Ortega, « nous et nos circonstances ». Les coutumes, les spécificités, les valeurs d'une communauté ne naissent pas de rien ; elles surgissent, se construisent et vivent pour répondre aux défis et aux questions de sens de l'humanité concrète.
Toutes les morales du passé, contrairement à l'émotivisme inconsistant, possèdent une conception commune de la vertu, c'est-à-dire du bien et de la bonne vie morale. Selon MacIntyre, le moi émotif « manque de tout critère d'évaluation rationnel ». Cela rend impossible la fondation d'une communauté, d'un système partagé, d'un critère de jugement qui résolve les angoisses des hommes, « animaux rationnels dépendants » (le titre d'un de ses ouvrages) à la recherche d'une « éthique dans les conflits de la modernité », thème de son dernier ouvrage. Un passage de ce texte extrême de MacIntyre est éclairant: "nous avons tendance à nous tromper (...) parce que nous sommes trop enclins à être séduits par le plaisir, l'ambition et l'amour de l'argent. La bonne vie peut être décrite comme la capacité à faire de bons choix entre les biens et les vertus nécessaires à la fois pour surmonter et dépasser les adversités, et pour accorder la place qui leur revient (et pas plus) au plaisir, à l'exercice du pouvoir et au gain d'argent". Des mots indigestes tant pour l'homme contemporain en compétition sur le marché, gladiateur du néant, que pour l'homme-masse qui se conforme aux mots d'ordre du pouvoir, dans lesquels la vertu n'est que le conformisme de la consommation et des dépendances, détaché de tout jugement moral, de toute question éthique.
Le thème d'Après la vertu est comment mener une « bonne » vie, à quels principes s'en tenir, ce qui peut être appelé vertu à une époque qui a détrôné la vertu. MacIntyre est également communautariste (même s'il s'en défend), un proche du mouvement philosophico-politique qui reproche au libéralisme d'avoir créé une société individualiste, composée d'individus atomisés et déracinés, dépourvus de liens et de traditions sociales; une société condamnée à l'amoralité, car la moralité est un ensemble de critères socioculturels non individuels qui encadrent la bonne vie. MacIntyre, contrairement aux libéraux et aux progressistes, est très critique à l'égard de la modernité. Sa vision s'appuie sur les contributions de l'aristotélisme et du thomisme et intègre certains points de la critique marxiste de l'individualisme et du libéralisme. Il prévient que, même si le marxisme peut aider à identifier certaines lacunes de la modernité, sa critique n'est pas adéquate, car elle est issue du même contexte et repose sur les mêmes prémisses.
Pour MacIntyre, Aristote et Thomas d'Aquin représentent l'alternative la plus appropriée pour critiquer l'ordre social et culturel de la modernité. La tradition aristotélicienne-thomiste implique une conception de la nature humaine qui exige des préceptes inhérents à l'éthique rationnelle, c'est-à-dire aux vertus; c'est une vision de la nature humaine qui implique un telos, une fin, la bonne vie. Le philosophe écossais conclut que les Lumières ont échoué dans leur tentative de fonder une moralité rationnelle en raison de l'absence de fondements spirituels et d'une conception finaliste de l'existence humaine. Nietzsche a marqué l'apogée du projet de la modernité: la moralité n'était plus une question de raison, mais de volonté. La culture morale de la modernité est une succession de désaccords, de conflits de volontés, dont le résultat est l'émotivisme. Les jugements moraux ne sont que l'expression de sentiments personnels et subjectifs qui rejettent toute prétention d'objectivité, dont le fondement est un « moi démocratisé » dépourvu d'identité sociale.
L'éthique moderne – si elle existe – est laïque, irréligieuse, universelle, indépendante des contextes sociaux et culturels: abstraite. La société moderne repose sur deux aspects apparemment contradictoires, mais en réalité complémentaires: la bureaucratie et l'individualisme. Tous deux garantissent que le sujet se comporte selon des paramètres « émotivistes ». Les personnages caractéristiques de la modernité sont l'esthète riche, dont l'objectif est le triomphe de ses intérêts matériels ; le manager axé sur l'efficacité ; le thérapeute qui doit transformer les symptômes névrotiques en énergie hétérodirigée ; le moraliste conservateur, un libéral prudent qui cache ses intérêts derrière une rhétorique pompeuse. À tout cela s'ajoutent, dans le cadre moral moderne, les « droits de l'homme » sans fondement, produits de l'absence d'un modèle rationnel parmi les différentes modalités de l'éthique moderne.
Sur la base de ce diagnostic, MacIntyre est très critique à l'égard de la réalité sociale et politique occidentale. La démocratie libérale est le royaume des forces économiques, un système dans lequel le pouvoir est réparti de manière terriblement inégale. Bien qu'un principe d'égalité soit affirmé (un individu, une voix), les alternatives ne sont pas déterminées par la majorité. L'influence des groupes de pression, des experts, des médias et de l'argent est décisive. Comme alternative, MacIntyre propose la tradition néo-aristotélicienne-thomiste, fondée sur trois prémisses fondamentales: le bien commun, le raisonnement pratique et le bonheur.
Le bien commun exclut la compétition extrême pour la réussite personnelle. Il implique une éthique communautaire dans laquelle la morale fait partie de la politique: l'homme est avant tout un « animal politique » (Aristote) et non un individu. En ce sens, le « raisonnement pratique » suppose que ce n'est pas le jugement subjectif qui a le dernier mot, mais l'éducation aux vertus qui corrigent les tendances négatives de la nature humaine.
Le bonheur n'est pas lié aux intérêts individuels, mais à un mode de vie dans lequel les capacités physiques, morales, esthétiques et intellectuelles de la personne se développent de manière à atteindre son but, une vie bonne et vertueuse. Dans cette conception philosophico-politique, l'éthique est enracinée dans des contextes sociaux et culturels distincts. Pour MacIntyre, le patriotisme est une vertu parce que les hommes ont besoin d'appartenir à des communautés historiques, tant pour la formation de leur identité personnelle et culturelle que pour leur développement moral. À gauche , l'approche de MacIntyre semble réactionnaire. À droite, elle est largement méconnue, car l'individualisme libéral et l'amoralisme commercial y dominent. Son œuvre reste essentielle pour construire une alternative morale – avant même d'être sociale, économique ou politique – aux contradictions d'une société atomisée, sans centre ni colonne vertébrale.
On cite souvent une phrase symbolique d'un auteur, qui résume toute son œuvre. Pour Alasdair MacIntyre, le dernier paragraphe de Après la vertu reste inégalé. « Si la tradition de la vertu a pu survivre aux horreurs de la dernière période sombre, nous ne sommes pas totalement dépourvus de fondements pour espérer. Cette fois-ci, cependant, les barbares n'attendent pas au-delà des frontières: ils nous gouvernent déjà depuis longtemps. Et c'est notre inconscience de ce fait qui constitue une partie de nos difficultés. Nous n'attendons pas Godot, mais un autre Saint Benoît, sans doute très différent ».
18:13 Publié dans Hommages, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alasdair macintyre, philosophie, philosophie politique, théorie politique, politologie, sciences politiques, aristotélo-thomisme, vertu | |
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Le langage comme instrument de domination dans la post-démocratie
Le langage comme instrument de domination dans la post-démocratie
Entre souveraineté interprétative et interdiction de penser, Frank-Christian Hansel met l'accent sur le pouvoir des formules de langage. Il montre comment les concepts politiques influencent notre perception et ce qui se passe lorsque nous les remettons en question.
Frank-Christian Hansel
Source: https://www.freilich-magazin.com/politik/ueber-die-sprach...
Avec les mesures qu'elle a prise contre ses détracteurs, l'ancienne ministre fédérale de l'Intérieur Nancy Faeser (SPD) a suscité plusieurs fois l'émoi au cours de ces derniers mois.
À l'ère de l'ordre discursif hégémonique et de l'interconnexion totale des médias, ce n'est plus la parole libre, mais la formule langagière contrôlée qui est le vecteur du pouvoir. Le langage n'est plus seulement le vecteur des pensées, il les façonne. Il ne régule pas ce qui est dit, mais ce qui peut être pensé. Celui qui domine les concepts domine aujourd'hui la réalité.
Une des clés de la déformation idéologique du débat politique réside dans la novlangue moderne, cette forme de langage manipulatrice anticipée par George Orwell dans 1984 et qui contrôle aujourd'hui, sous de nouveaux auspices, ce qui peut être dit en politique. Ce qui était autrefois un concept utilisé pour décrire le contrôle totalitaire du langage est aujourd'hui devenu le langage normal et invisible de nos dirigeants. Trois ensembles de concepts illustrent parfaitement ce phénomène :
« Haine et incitation à la haine »: le verrouillage sémantique de la liberté d'expression
L'expression « haine et incitation à la haine » fonctionne comme une condamnation de toute position divergente. Sa fonction n'est pas descriptive, mais exorcisante: elle bannit la divergence de l'espace légitime. Ce qui relevait autrefois de la liberté d'expression est aujourd'hui pathologisé et criminalisé par cette expression. La liberté d'expression subit ainsi un recodage silencieux: toutes les opinions ne sont plus protégées, mais seulement celles qui s'inscrivent dans la ligne officielle. Le pluralisme apparent masque une exclusion en profondeur des discours challengeurs.
« Notre démocratie » – la revendication morale de la propriété du politique
L'expression « notre démocratie » n'est pas une profession de foi inclusive, mais un marqueur identitaire exclusif. Quiconque s'oppose à « notre démocratie » – que ce soit en critiquant les institutions, les processus à l'oeuvre ou les acteurs de la scène politique – n'est pas considéré comme un démocrate en dissidence, mais comme un fasciste. Le démocratisme devient ainsi une idéologie autoritaire qui déclare que toute opposition politique est une dégénérescence morale. Il en résulte une délégitimation profonde du débat politique, au profit d'un consensus moralisateur qui ne tolère plus aucune alternative.
« Racisme » et question migratoire: l'obligation de silence au nom de la morale
Aujourd'hui, il ne s'agit plus de prôner la supériorité biologique, mais d'abord de remettre en question le statu quo en matière de politique migratoire. Le raciste est désormais celui qui pose des questions. L'antiraciste est celui qui croit. La migration, en tant que phénomène, est soustraite au débat rationnel et confiée à l'espace sacré de l'intangibilité. La dépolitisation d'un sujet politique par une charge morale est l'une des stratégies les plus efficaces du pouvoir postmoderne.
La remigration – l'antithèse sémantique de l'idéologie migratoire
Dans cet univers linguistique restreint, un terme fait irruption comme une bombe qui explose: le terme de "remigration". Cette expression n'est pas seulement un terme administratif et technique, mais constitue aussi une puissante contre-écriture face à l'ordre linguistique post-migratoire. Elle formule la possibilité d'un retour – non pas individuel, mais structurel – et viole ainsi le premier dogme du présent: que la migration ne connaît qu'un aller, jamais un retour.
La remigration est donc la contre-position métapolitique explicite que d'aucuns opposent au fondement du récit postnational. Antonio Gramsci y aurait vu une tentative d'établir de manière positive un nouveau concept d'hégémonie culturelle. Il marque l'altérité de l'ordre actuel. C'est pourquoi ce concept suscite des réactions si violentes. Il n'est pas réfuté de manière rationnelle, mais brûlé moralement – dans un rituel idéologique qui trouve son origine dans la crainte qu'il puisse devenir efficace. Son pouvoir n'est pas dans sa mise en œuvre immédiate, mais dans la remise en question de l'ensemble du cadre sémantique. Il rend dicible ce qui ne pouvait plus être pensé – et ouvre ainsi une brèche dans l'armure du consensus moralement intouchable. Dans cette interprétation, la remigration devient un code stratégique pour la souveraineté – territoriale, culturelle, linguistique.
Ces exemples le montrent clairement : le langage n'est pas un moyen de communication neutre, mais un instrument de domination épistémique. Ceux qui ne parlent pas comme l'exige le discours perdent leur légitimité en tant que citoyens, intellectuels ou êtres humains. Mais ceux qui comprennent le pouvoir du langage peuvent commencer à dépasser son ordre, à le transcender.
La tâche de la critique métapolitique ne consiste pas en une simple protestation, mais en la création de nouveaux concepts qui démasquent et transcendent l'ancien ordre. Le concept de « remigration » est un tel point de rupture. Le penser, c'est ramener l'impensable dans l'espace politique – comme un défi à une forme de domination qui croit pouvoir contrôler l'avenir par le truchement de concepts.
Qui est Frank-Christian Hansel?
Frank-Christian Hansel, né en 1964, est membre de la Chambre des députés de Berlin pour l'AfD depuis 2016. Originaire de Hesse, il a étudié les sciences politiques, la philosophie et suivi des cours en études latino-américaines.
17:33 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, langage, langage politique, sémantique, manipulation sémantique | |
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L'Europe et l'âme de l'Est – une critique littéraire
L'Europe et l'âme de l'Est – une critique littéraire
par Werner Olles
Source: https://wir-selbst.com/2025/05/17/europa-und-die-seele-de...
À une époque où, à l'est et au sud de l'Ukraine, deux peuples slaves frères – la Russie et l'Ukraine – sont engagés dans une guerre cruelle et impitoyable qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts dans les deux camps, des livres tels que « L'Europe et l'âme de l'Est » de Walter Schubart constituent un véritable appel à l'humanité, dont l'intensité spirituelle contraste fortement avec la guerre et les souffrances atroces qu'elle engendre. Une fois de plus, il convient de mettre en évidence la vulnérabilité du simple soldat dans ces massacres physiques qui ont dégénéré en une confrontation métaphysique entre les civilisations. Mais l'œuvre de Schubart ne traite pas des dommages physiques et psychologiques d'une guerre terrible. Comme il l'écrit dans son introduction, son principal sujet de préoccupation réside plutôt « dans l'expérience élémentaire du contraste qui existe entre l'homme occidental et l'homme oriental. Elle n'est pas placée sous le signe de la fin, mais sous celui du renouveau de la vie. Elle n'est pas ressentie par l'Occident menacé, mais par l'Orient en plein éveil. Elle est née en dehors des peuples romano-germaniques, spatialement et spirituellement, à un endroit d'où l'on pouvait embrasser du regard l'Occident dans son ensemble ».
Walter Schubart, L'Europe et l'âme de l'Orient. Vous pouvez commander cette nouvelle édition allemande ici: https://lindenbaum-verlag.de/produkt/schubart-europa-und-... !
Le regard de Schubart ne se porte toutefois pas uniquement sur la Russie, après avoir découvert que l'Occident recèle quelque chose de monstrueux, à savoir qu'il impose la suprématie de la matière sur l'esprit, c'est-à-dire la relativité postmoderne de toutes les valeurs, car il s'est détourné de celles-ci, tout en s'imposant aussi à l'Europe. Il s'agit toutefois d'une Europe vue depuis l'Orient, dans laquelle il voit déjà se profiler « la lutte mondiale et l'équilibre entre l'Occident et l'Orient, ainsi que la naissance d'une culture mondiale à la fois orientale et occidentale », grâce à l'émergence de l'homme johannique – qui remplacera l'homme prométhéen que Schubart voit déjà marqué par la mort. Grâce au « rassemblement des meilleurs », un nouvel élément de l'esprit fera son apparition dans le monde, dans lequel les traditions de pensée orientales entreront en dialogue harmonieux avec les philosophies occidentales, ce que cet expert des deux mondes considère comme une loi du développement qui, en ces temps difficiles, ne se contente pas d'éclairer les problèmes de l'Occident en déclin avec son vide constitué par les activités fébriles induites par la modernité et la technique, accompagné d'une déchristianisation complète de la culture occidentale. Schubart formule, dans une « rythmique cohérente des événements mondiaux » au-delà des nations et des races, un nouvel espoir de guérison de l'humanité occidentale grâce à l'âme russe, qui met un frein au matérialisme capitaliste flagrant et effréné et ramène l'Europe de sa doctrine destructrice du progrès à la foi en l'éternel et la tradition. Sans les Russes, selon Schubart, cela est impossible !
Walter Schubart (1897-1942)
Né le 5 août 1897 à Sonneberg, Walter Schubart, docteur en droit, fait partie de ces auteurs dont l'humanisme conservateur s'opposait farouchement au positivisme et au naturalisme. Si son œuvre majeure n'a été connue en Allemagne qu'après la Seconde Guerre mondiale, c'est grâce à Heinrich Böll qui, pendant la guerre froide, a fait l'éloge des livres de Schubart, malgré le fait qu'ils étaient différents l'un de l'autre à bien des égards, notamment par la nature même de l'oeuvre de Böll. Böll a cependant reconnu dans l'élan inspirateur de Schubart, qui puisait avec maestria dans l'héritage des formes occidentales anciennes et antiques pour brosser un tableau pessimiste d'une culture occidentale qui avait perdu son chemin, et dont les tendances vers le mysticisme des valeurs traditionnelles russes étaient indéniables, une impartialité envers « l'âme de l'Orient » qui le fascinait au premier regard. Même le communisme sans âme n'avait pas réussi à établir une hiérarchie négative et hostile à Dieu qui, par sa stupidité et sa volonté agressive de détruire l'esprit et la pensée, était la négation de toute spiritualité.
Les contacts de Schubart avec Oswald Spengler dans les années 1920 à Munich, son mariage avec la lettone Vera Englert, de confession israélite, mais surtout son déménagement à Riga après la prise du pouvoir par les nazis en 1933, qui ont mis ses livres à l'index comme relevant d'une « littérature indésirable et nuisible », sont autant de vicissitudes de son existence qui laissent clairement entrevoir la problématique d'une époque qui était étrangère aux vérités ouvrant sur le monde et qui se représentait les mondes occidental et oriental comme une arène ravagée par les violences, alors que l'homme aurait dû préserver sa dignité même sous la pression du contexte de la guerre, en ne se bornant pas à ne propager que des solutions timides.
En 1939, Walter Schubart publie « Dostoïevski et Nietzsche », où la relation spirituelle entre la Russie et l'Allemagne, issue de l'ontologie, joue également un rôle important ; un an plus tard, « Geistige Wandlung. Von der Mechanik zur Metaphysik » (Transformation spirituelle. De la mécanique à la métaphysique) est publié, comme son œuvre principale, par la maison d'édition suisse en exil Vita Nova à Lucerne. Il y décrit le destin de l'existence humaine dans sa lutte contre le matérialisme, le progressisme, la « vision scientifique du monde » et toutes les formes de dégénérescence occidentale.
En 1941, « Religion und Eros » (Religion et Éros) est le seul de ses ouvrages à être publié en Allemagne par la maison d'édition C. H. Beck et est immédiatement démoli par les critiques professionnels issus du cercle des sorcières nazies.
Le 19 juillet 1941, le Kulturphilosoph Walter Schubart est arrêté à Riga par la police secrète soviétique, la GPU, et est déporté dans un camp de prisonniers au Kazakhstan. Il y meurt le 15 septembre 1942 dans des circonstances inexpliquées. À ce jour, on ne sait toujours rien de la mort de sa femme, qui avait été arrêtée et déportée avec lui.
En 1997, la première traduction russe de « L'Europe et l'âme de l'Orient » a été publiée, suscitant dans un premier temps des débats très controversés. Aujourd'hui, cet ouvrage est considéré comme fondamental pour la renaissance spirituelle nationale russe, loué par des philosophes tels qu'Alexandre Douguine et reconnu internationalement pour ses descriptions précises des personnes et des événements, son rythme sensible et la richesse des images qu'il utilise pour illustrer la problèmatique Ouest-Est, qui fait de Schubart un excellent connaisseur des deux mondes. Le fait que Walter Schubart compte aujourd'hui parmi les « auteurs oubliés » en Allemagne en dit long sur la nature spirituelle et intellectuelle de notre industrie culturelle. Celle-ci décerne désormais des « prix littéraires » à presque toutes les œuvres médiocres traitant d'un prétendu changement climatique, d'une « pandémie » qui n'a pas eu lieu et de l'agenda pathologique LGTB et à leurs auteurs. Il est d'autant plus méritoire que les éditions Lindenbaum aient intégré l'œuvre principale de Schubart à leur programme, la rendant ainsi accessible à un lectorat qui comprend mieux les prophéties du moine Phileteus de 1520 : « Souvenez-vous que les deux Rome sont tombées, la troisième, Moscou, est toujours debout, et il n'y en aura pas de quatrième ! ».
Walter Schubart : « Europa und die Seele des Ostens » (L'Europe et l'âme de l'Orient). Lindenbaum Verlag, Beltheim-Schnellbach 2025. 324 pages.
Qui est Werner Olles?
Werner Olles, né en 1942, a été actif politiquement jusqu'au début des années 1980 dans diverses organisations de la nouvelle gauche (SDS, Rote Panther, Jusos). Après des divergences fondamentales avec la gauche, il s'est converti au conservatisme et au catholicisme traditionaliste et a mené une activité journalistique intense dans des journaux et magazines de cette mouvance. Employé dans la bibliothèque d'une école supérieure jusqu'à sa retraite, il est depuis lors journaliste indépendant.
Lecture complémentaire (en français):
Walter Schubart, Dostoïevski et la problématique Est/Ouest, https://vouloir.eklablog.com/dostoievski-a48275383 (avec Robert Steuckers, Chatov, personnage de Dostoïevski).
Giovanni Sessa, La relation Europe-Orient vue par le philosophe Walter Schubart - http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/08/28/l...
Lecture complémentaire (en anglais):
Kerry Bolton, Walter Schubart's Messianic-Promethean Synthesis,
Lecture complémentaire (en espagnol):
Manuel Fernàndez Espinosa, Sobre 'Europa y el alma de Oriente", de Walter Schubart, http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/11/08/sobre-europa-y-el-alma-de-oriente-de-walter-schubart.html
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Le stratège de l'ombre au Kremlin
Le stratège de l'ombre au Kremlin
Bernard Lindekens
Source: Knooppunt Delta - Nieuwsbrief n°200 - Mai 2025
À une époque où même le prodige de notre Limbourg — Willy Claes, pour les intimes — nous assomme, dans un épisode embarrassant de l'émission TV « De Afspraak », en citant nul autre qu'Alexandre Douguine, le diable incarné lui-même, il est peut-être grand temps de s'intéresser à Vladislav Sourkov. L'une des figures les plus mystérieuses et les plus influentes de la politique russe moderne. En tant qu'architecte de la « démocratie contrôlée » de Poutine et maître de la manipulation politique, il a déterminé pendant des années le cap de la Russie, souvent dans l'ombre.
De l'école de théâtre à la politique de pouvoir
Sourkov est né en 1962 et a suivi un parcours atypique pour arriver au sommet. Il a étudié le théâtre, la littérature et la technologie, mais s'est ensuite orienté vers le monde des affaires, puis vers la politique.
En 2009, Sourkov aurait publié sous un pseudonyme un roman apparemment autobiographique. Cette satire cynique, intitulée Almost Zero (Околоноля), raconte l'histoire d'Egor, un jeune homme désabusé qui s'installe à Moscou dans les années 1980.
Egor voit clair dans l'idéologie hypocrite de l'Union soviétique et se retrouve dans la scène underground de Moscou, où il se lance dans le théâtre d'avant-garde. Dans les années 1990 postcommunistes, il devient un cynique, spécialiste des relations publiques, prêt à promouvoir n'importe quoi pour n'importe qui, tant qu'il y a de l'argent à gagner. Dans le roman, Egor est comparé à Hamlet : quelqu'un qui voit clairement le vide et la superficialité de son époque, mais qui ne croit en rien et ne ressent presque rien. La vie de Sourkov présente des similitudes frappantes. À la fin des années 1990, il s'occupait des relations publiques de l'oligarque Mikhaïl Khodorkovski, mais en 1999, il a choisi le camp de Poutine et est devenu un grand maître de la politique moderne.
L'architecte de la « démocratie contrôlée »
Lorsque Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir au début des années 2000, il avait besoin d'un stratège capable de modeler le paysage politique à sa guise. Sourkov a conçu un système dans lequel les partis d'opposition, les médias et les mouvements sociaux étaient strictement contrôlés. Il fallait donner l'impression qu'il y avait une démocratie, mais en réalité, tout était contrôlé par le Kremlin.
Sourkov a imaginé une manière moderne et innovante de diriger le nouveau système démocratique, mais selon ses détracteurs, il a ainsi mis la voix du peuple hors jeu et sapé la véritable démocratie. Pour y parvenir, Sourkov a créé un spectacle politique en constante évolution.
Il n'était pas seulement l'un des architectes du parti de Poutine, Russie unie, mais aurait également contribué à la création de partis d'opposition que le Kremlin pouvait ensuite utiliser à sa guise. Il a également imité l'écrivain et homme politique Edouard Limonov (1943-2000) en fondant un mouvement de jeunesse quasi militaire et nationaliste : Nashi.
Nashi se qualifie lui-même de « mouvement anti-oligarchique et antifasciste », mais il semblerait que le Kremlin l'utilise pour s'en prendre physiquement aux journalistes d'opposition.
Eduard Limonov et Vladislav Sourkov ont toujours été des ennemis jurés, mais ils se ressemblent à bien des égards, car tous deux sont convaincus que la démocratie occidentale n'est qu'une imposture. Tous deux tentent de créer des alternatives politiques à ce qu'ils considèrent comme la deuxième vague de stagnation qui a frappé la Russie dans les années 1990, conséquence de la corruption engendrée par la tentative ratée d'imposer les idées capitalistes et démocratiques occidentales au pays.
Sourkov estime que la démocratie restera toujours une illusion et que toutes les démocraties, qu'elles soient occidentales ou orientales, sont en réalité des « démocraties dirigées ». Sa solution ? Un État fort qui manipule les gens afin qu'ils aient le sentiment d'être libres, alors qu'ils sont en réalité contrôlés. L'approche de Limonov est exactement à l'opposé. Il veut ramener le peuple sur la scène de l'histoire et en faire des participants actifs dans la construction d'un nouvel avenir. Selon lui, le moyen d'y parvenir est la propagande révolutionnaire et l'utilisation d'idées spectaculaires d'avant-garde — afin de réveiller les masses et de les sortir de leur passivité.
Parallèlement, Sourkov écrit des paroles pour le groupe de rock Agata Kristi et des essais sur l'art conceptuel. Le journaliste de télévision Peter Pomerantsev, qui a travaillé pour la télévision soviétique, a écrit un article passionnant sur Sourkov (1). Il y affirme que Sourkov a transformé la politique russe en un théâtre postmoderne absurde. Tout comme Limonov, Sourkov utilise des idées avant-gardistes pour façonner cette nouvelle réalité politique.
De l'Ukraine au philosophe attitré de Poutine
Sourkov a également joué un rôle clé dans la stratégie russe à l'égard de l'Ukraine. Il a contribué à l'annexion de la Crimée en 2014 et a soutenu les séparatistes dans l'est de l'Ukraine. Cela lui a valu d'être inscrit sur la liste des sanctions de l'UE et des États-Unis.
Parallèlement, il a écrit des essais et des articles dans lesquels il exposait sa vision de la Russie et du monde. Il décrivait la Russie comme un « État profond » ayant une mission historique unique et prédisait que Poutine resterait au pouvoir pendant plusieurs décennies encore. Ses idées, mélange de cynisme, de nationalisme et de machiavélisme, étaient admirées par certains et redoutées par d'autres.
Grâce à ces idées, Sourkov a contribué au développement d'une approche flexible et adaptative des conflits géopolitiques, qui va au-delà de la guerre linéaire traditionnelle.
Dans son livre Without Sky (Без неба), publié en 2014 sous le pseudonyme de Natan Doebovitski, il dépeint un monde dystopique sans ciel. Ce ciel, ou plutôt son absence, symbolise une société dépourvue d'idéaux ou d'objectifs supérieurs. L'histoire offre une réflexion profonde sur la condition humaine et notre quête de sens dans un monde apparemment dénué de sens.
L'intrigue tourne autour d'un village fictif où le ciel est choisi comme lieu d'une bataille cruciale entre quatre coalitions, en raison de sa sérénité et de son absence de nuages. Cette œuvre fait écho à l'idée de « guerre non linéaire » de Sourkov, une stratégie conçue pour perturber les démocraties occidentales par des attaques informationnelles constantes et en semant la confusion. Il décrit comment une « guerre hybride permanente » est la nouvelle norme dans la géopolitique moderne.
La vision de Sourkov montre comment la guerre traditionnelle s'estompe. Il préconise l'utilisation de différentes méthodes, telles que la désinformation et la pression économique, pour atteindre des objectifs politiques sans déclarer officiellement la guerre. Ces stratégies visent à créer le chaos et à saper les adversaires, ce qui s'inscrit parfaitement dans le concept de guerre hybride.
En 2017, il a publié Ultranormality (Ультранормальность). Ce roman offre un regard critique sur la société et la politique russes. Il relie l'agitprop soviétique à l'esthétique patriotique de l'ère Poutine, suggérant que la Russie a essayé tous les systèmes de gouvernement possibles. Le mélange actuel de monarchie impériale, de domination socialiste de l'État et de démocratie post-totalitaire est présenté comme le seul moyen de poursuivre l'existence « ultranormale » de la Russie. L'histoire se déroule en 2024, lorsque le président démissionne sans désigner de successeur.
Le personnage principal, un étudiant en métallurgie, se retrouve par hasard mêlé à des événements qui le propulsent au sommet, où il devient impliqué dans la détermination du destin du pays.
Retour dans l’ombre, mais toujours proche ?
En 2020, Sourkov quitte officiellement le Kremlin, soi-disant pour se consacrer à des « projets personnels ». Pourtant, des rumeurs circulent selon lesquelles il exercera encore une influence en coulisses. Ses stratégies, idées et méthodes perdurent dans le paysage politique russe et dans la tendance mondiale à la guerre hybride.
À peine deux ans plus tard, Giuliano da Empoli publie son roman Le Mage du Kremlin (Il mago del Cremlino) (2) et connaît rapidement un succès international. Dans Le Mage du Kremlin, l’influence de Sourkov se transpose de plusieurs façons sur le personnage principal, Vadim Baranov. Tous deux partagent une fascination pour la combinaison art/politique ; Sourkov, avec son parcours dans le théâtre et la littérature, utilise la créativité dans ses stratégies politiques, tandis que Baranov, un ancien metteur en scène de théâtre, met son talent à créer des illusions en politique, considérant tous deux la politique comme une forme d’art, de performance.
De plus, Sourkov est connu pour sa manipulation postmoderne, où il crée une réalité politique dans laquelle vérité et mensonge se confondent, ce que Baranov reproduit également dans le livre en créant des récits contradictoires et en jouant avec la perception. En outre, Sourkov est une figure clé de la guerre hybride russe, tout comme Baranov est dépeint comme l’homme derrière ces stratégies. Enfin, il y a le cynisme et l’ironie qui caractérisent à la fois Sourkov et Baranov ; tous deux adoptent une vision distante et sceptique des structures de pouvoir, malgré leur rôle crucial dans ce système.
Évidemment, Da Empoli a écrit un roman, donc le personnage n’est pas une copie littérale de Sourkov, mais les similitudes sont si frappantes que beaucoup de lecteurs établissent immédiatement le lien.
On peut dire, en quelque sorte, que Sourkov évoque à certains égards la figure de l’Anarch de Ernst Jünger. Dans Eumeswil, le concept prend sa forme la plus aboutie. Ce qui rend l’Anarch si particulier, c’est qu’il reste totalement détaché, sans se couper du monde. Il participe à la vie, observe le pouvoir, y travaille même — mais ne s’y identifie nulle part vraiment.
Cette combinaison d’engagement et d’indépendance radicale fait de l’Anarch une figure presque stoïcienne, mais aussi quelqu’un qui se place en dehors de toute mouvance idéologique ou politique. Ce dernier point n’est pas le cas de Sourkov: il en fait une farce postmoderne…
Notes:
(1) https://www.lrb.co.uk/the-paper/v33/n20/peter-pomerantsev/putin-s-rasputin
(2) Giuliano Da Empoli, Le Mage du Kremlin: https://www.amazon.fr/Mage-Du-Kremlin-Roman/dp/2073003915
14:23 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vladislav sourkov, kremlin, russie, guerre hybride | |
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jeudi, 05 juin 2025
Fernand Kartheiser, député européen luxembourgeois: l'UE s'est isolée elle-même, pas la Russie
Fernand Kartheiser, député européen luxembourgeois: l'UE s'est isolée elle-même, pas la Russie
Source: https://www.sott.net/article/499913-Luxembourg-MEP-The-EU...
Fernand Kartheiser a critiqué la posture conflictuelle adoptée par Bruxelles concernant l'Ukraine, appelant à une reprise de la diplomatie avec Moscou.
Le député européen luxembourgeois Fernand Kartheiser a soutenu que l'approche conflictuelle de l'UE envers la Russie durant le conflit en Ukraine l'a conduite à son propre isolement.
Il a formulé ces remarques dans une interview avec RT, publiée mardi, lors d’un voyage en Russie qu’il a été contraint de financer personnellement en raison des restrictions imposées par le Parlement européen.
« Certaines personnes au Parlement européen... ont une attitude envers la Russie qui identifie celle-ci comme une grande menace », a déclaré Kartheiser. « Elles pensent que si nous exerçons des pressions sur la Russie et l’isolons diplomatiquement, cela pourrait aider à trouver des solutions dans le contexte du conflit en Ukraine... ce n’est pas le genre de discussion que nous devrions avoir. »
Kartheiser a noté que toute l’approche de l’UE envers le conflit en Ukraine et la Russie a été contre-productive.
« Ce que nous avons maintenant à l’échelle internationale, c’est que pratiquement tout le monde parle à la Russie. Même les États-Unis reviennent et ont des contacts de haut niveau... la position anti-Russie e réduit », a-t-il déclaré. « Donc cette politique d’isolement de la Russie a essentiellement échoué. Les seuls qui sont en quelque sorte isolés, ce sont les dirigeants de l’UE elle-même ».
La visite de l’eurodéputé à Moscou, sur invitation de la Douma d’État russe, visait à discuter des relations bilatérales et de la situation en Ukraine. Cependant, cette visite a suscité des critiques de la part de députés européens plus bellicistes. Le groupe des Conservateurs et Réformistes européens a menacé d’expulser Kartheiser, affirmant qu’il avait « franchi une ligne rouge ». Le député a qualifié cette menace de « partie regrettable du tableau » et a déploré que certains parlementaires de l’UE restent opposés à la réouverture des liens avec Moscou.
« La discussion que nous devrions avoir est la suivante: quel type de relation voulons-nous avec la Russie à l’avenir ? Nous devons rouvrir le dialogue. C’est ce qu’il y a de plus important, » a-t-il déclaré, ajoutant que certains politiciens changent d’avis sur la Russie, et que beaucoup d’Européens ordinaires aimeraient également voir les liens restaurés.
Le député a souligné que si l’UE « veut être prise au sérieux en tant qu’acteur dans les relations internationales », elle doit abandonner la politique anti-Russie et, à nouveau, « avoir une sorte de relation » avec Moscou.
« Si nous, les Européens occidentaux, devons assumer une plus grande responsabilité pour notre propre sécurité, une façon d’y parvenir est de négocier un accord avec la Russie, garantissant en même temps notre sécurité en tant qu’Européens occidentaux et assurant la sécurité de la frontière occidentale de la Russie. Donc il faut placer la négociation et la diplomatie avant le réarmement et la course aux armements, » a-t-il conclu.
19:48 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diplomatie, fernand kartheiser, luxembourg, europe, actualité, affaires européennes, russie | |
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La coalition aux Pays-Bas a été dissoute
La coalition aux Pays-Bas a été dissoute
Source: https://unzensuriert.de/299570-koalition-in-den-niederlan...
Le politicien néerlandais Geert Wilders (PVV) a quitté la coalition gouvernementale avec son parti. Le politicien, qui critique l'islam, l'a annoncé aujourd'hui, mardi, sur la plateforme X (anciennement Twitter) en ces termes: « Pas de signature sous nos plans d'asile. Pas d'ajustement de l'accord de principe. Le PVV quitte la coalition ».
Projets de durcissement de la politique d'asile
Lors d'une réunion avec les quatre partis de la coalition, Wilders avait une nouvelle fois insisté sur un durcissement significatif de la politique d'asile. «Si cela ne se produit pas, il y aura un sérieux problème», avait-il déclaré à cette occasion. Entre-temps, les médias grand public tels que t-online ont également repris le sujet, non sans qualifier Wilders de «populiste de droite». Selon ce média, Wilders avait «présenté la semaine dernière un plan en dix points visant à durcir la politique d'immigration» et avait notamment exigé «la fermeture des frontières aux demandeurs d'asile, des contrôles frontaliers plus stricts et l'expulsion des criminels condamnés ayant la double nationalité». En outre, «des dizaines de milliers de Syriens devraient retourner dans leur pays».
On ignore pour l'instant pourquoi ses partenaires de coalition n'ont pas voulu soutenir cette initiative. Nous savons seulement qu'à La Haye, les dirigeants des partis PVV, VVD, NSC et BBB se sont réunis en crise et que les trois autres partis se sont montrés « verbijsterd », c'est-à-dire stupéfaits, par la décision du président du PVV.
« Notre patience est à bout »
Pour être réellement stupéfait, il faudrait toutefois être d'abord surpris. Or, la décision de Wilders ne devrait pas être une surprise, car il avait déjà posé un ultimatum au gouvernement le 27 mai. Lors d'une conférence de presse convoquée à la dernière minute, il avait alors présenté le plan en dix points, que nous venons de mentionner, quant à la politique d'asile et d'immigration. « Notre patience est à bout », avait-il déclaré à cette occasion, ajoutant que si son plan n'était pas mis en œuvre, le PVV « disparaîtrait ».
Le PVV était devenu la première force politique lors des élections législatives de novembre 2023, avec 37 sièges. Après de longues négociations, Wilders avait renoncé au poste de chef du gouvernement afin de permettre la formation d'une coalition avec le parti libéral VVD, le parti agricole BBB et le mouvement anti-corruption NSC. C'est alors l'ancien chef des services secrets Dick Schoof, sans affiliation politique, qui est devenu Premier ministre. L'accord de coalition prévoyait un durcissement de la politique migratoire, mais restait manifestement bien en deçà des attentes du PVV. Avec le retrait du parti de Wilders, la coalition gouvernementale néerlandaise est désormais au bord de la rupture et de nouvelles élections pourraient bientôt avoir lieu.
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Myanmar, le pays qui ne semble pas trouver la paix
Myanmar, le pays qui ne semble pas trouver la paix
Peter W. Logghe
Quelle: Knooppunt Delta - Nieuwsbrief N° 200 - Mai 2025
Les violents séismes qui ont frappé fin mars (avec environ 2000 victimes à ce jour), dont l'épicentre se trouvait dans le pays d'Asie du Sud-Est qu'est le Myanmar, ont brièvement ramené ce pays particulièrement fermé sous les feux de l'actualité mondiale. Ainsi, le journal flamand Het Laatste Nieuws a annoncé le 30 mars 2025 que le groupe rebelle People's Defense Force (PDF) avait déclaré suspendre pendant deux semaines sa lutte contre la junte birmane afin de faciliter les opérations de secours. Le groupe rebelle affirme qu'il coopérera avec les Nations unies et les ONG afin d'assurer « la sécurité, le transport et la mise en place de camps d'aide et de soins médicaux temporaires » dans les zones qu'il contrôle.
Vous ne trouverez pas davantage d'informations sur les conflits (ethniques) qui durent depuis des décennies en Birmanie dans nos médias grand public. Qu'est-ce que le PDF ? Vous n'entendrez pas non plus parler du fait qu'une précédente catastrophe dans l'ancienne Birmanie (un cyclone) a fait environ 100.000 victimes. La Birmanie compte 56 millions d'habitants, dont 4% sont chrétiens et 4% musulmans. 89% sont bouddhistes. Au cours des dernières décennies, le Myanmar a souvent été gouverné par des juntes, après que les militaires aient pris le pouvoir à la suite d'un coup d'État. Depuis des décennies, divers groupes ethniques et divers peuples (Karen, Arakan, Kachin) mènent une guérilla contre le gouvernement central. Les drogues jouent un rôle important dans ce conflit. Le magazine français de géopolitique Conflits a récemment publié une interview d'Adam Benna, conseiller en médias à Chiang Mai, en Thaïlande. Il connaît assez bien la situation au Myanmar et souligne les éléments géopolitiques du dossier « Myanmar-Birmanie ».
Le régime semble en chute libre
Fin octobre 2023, plusieurs groupes rebelles, réunis pour l'occasion sous le nom de Three Brotherhood Alliance, ont lancé une grande campagne militaire contre la junte militaire, l'opération 1027. L'alliance rebelle était composée de l'Arakan Army, de la Myanmar National Democratic Alliance MNDAA et de la Ta'ang National Liberation Army. L'armée de libération Kachin, la milice d'un autre peuple combatif sur le territoire du Myanmar, ne fait pas partie de la coalition. L'armée régulière de la junte a été prise de vitesse et a dû céder beaucoup de terrain.
Mais outre cette action militaire, il y a aussi l'opposition de l'ancienne femme d'État Aung San Suu Kyi, le gouvernement d'unité nationale, avec sa milice, la Force de défense populaire (PDF). Cette armée s'est également impliquée dans les combats, aux côtés de la Three Brotherhood Alliance. Tous aspirent au renversement de la junte militaire, mais leur unité s'arrête là. Les Arakan, les Kachin et d'autres groupes aspirent à l'indépendance. Il reste difficile, voire impossible, d'aligner tous les groupes rebelles sur un même objectif.
Sous la pression de la Chine, un cessez-le-feu temporaire a été négocié. Le régime tente de se maintenir au pouvoir, mais il est clair pour de nombreux commentateurs que la junte est en train de perdre la partie. Beaucoup dépendra de qui prendra finalement les rênes, une fois que toutes les troupes auront regagné leurs casernes. Beaucoup considèrent le retour du NUG d'Aung San Suu Kyi comme la seule alternative réaliste. Mais les autres groupes ethniques, qui souffrent beaucoup du chauvinisme des Bamar (le groupe majoritaire en Birmanie, 68% de la population), seront-ils disposés à suivre cette voie ? Comment le vide sera-t-il comblé une fois que la junte militaire aura quitté le pouvoir ? Pour être complet, précisons que la junte recrute pour l'armée du Myanmar (presque) exclusivement parmi la population Bamar.
Aung San Suu Kyi (également de l'ethnie Bamar) est aujourd'hui âgée de 79 ans et jouit d'une grande crédibilité auprès des différents groupes ethniques. Elle est toujours détenue par le régime militaire. Le NUG affirme soutenir une démocratie de type fédéral, ce qui signifie que les différents groupes ethniques pourraient bénéficier d'une autonomie importante une fois le changement de pouvoir effectué.
Question clé : le trafic de drogue
Depuis des décennies, le Myanmar est un important producteur d'opium, après l'Afghanistan, il a même longtemps été le plus important. L'agence des Nations unies contre la drogue et le crime a constaté une forte augmentation de la production au Myanmar. De nombreux groupes rebelles dépendent financièrement du trafic de drogue, en particulier dans la région nordique de Shan, l'épicentre du Triangle d'Or (où se rejoignent les frontières du Myanmar, du Laos et de la Thaïlande). Presque toutes les milices de cette région sont soupçonnées de financer leurs activités grâce au trafic de drogue. Dans le cas de la soi-disant « armée de l'État Wa », on suppose même une confusion totale entre le trafic de drogue et les actions militaires (et une confusion entre les activités criminelles et les actions de guérilla).
Cette « armée de l'État Wa » dispose de plusieurs dizaines de milliers de soldats bien entraînés et est fortement influencée par la Chine qui, selon des sources bien informées, aurait le pouvoir d'interdire au groupe rebelle de développer davantage sa production et son commerce de drogue. Jusqu'à présent, la Chine n'a pas mis de bâtons dans les roues de l'armée de l'État Wa.
Il est clair que le trafic de drogue en Birmanie fait partie de l'économie de guerre du pays. La question se pose naturellement de savoir ce qu'un nouveau gouvernement NUG fera dans ce domaine. Il est peut-être révélateur qu'un précédent gouvernement dirigé par Aung San Suu Kyi, au pouvoir entre 2016 et 2021, n'ait démantelé aucun réseau de trafic de drogue. Il y a eu quelques tentatives, mais rien de plus. Certaines milices annexées à des gangs de trafiquants de drogue se moquent probablement de savoir qui dirige la capitale Naypyidaw, tant que celle-ci ne s'immisce pas dans le domaine des gangs...
Des alternatives économiques devront être trouvées, et la géopolitique entre également en jeu, explique Adam Benna dans le magazine français. La Thaïlande, la Chine, le Bangladesh et l'Inde devront être convaincus de fermer les routes de contrebande et de sévir contre les infractions. Une fois de plus, le rôle crucial de la Chine dans ce conflit est frappant: les initiés supposent une forte influence chinoise sur des milices telles que la MNDAA, la TNLA et l'UWSA (l'armée de l'État Wa). Si la junte militaire birmane ne répond pas aux souhaits (principalement économiques et stratégiques) de la Chine, le changement de régime pourrait bien se produire plus rapidement que prévu. La Chine souhaite avant tout la stabilité dans la région et joue actuellement un double jeu : elle négocie avec la junte tout en soutenant certaines factions rebelles dans leurs actions militaires.
Le scénario dans lequel le NUG parvient à chasser la junte et à prendre le contrôle de certaines régions du Myanmar (Chin, Karenni et la région centrale de Bamar) semble réaliste. D'autres régions, notamment dans le nord, n'en feraient pas partie et deviendraient ou resteraient semi-indépendantes, jusqu'à ce que des négociations changent (peut-être) la donne. Mais cela ne signifie pas pour autant que le trafic de drogue aura disparu de cette partie de l'Asie.
La situation est grave, mais pas désespérée, selon Adam Benna.
13:28 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, myanmar, birmanie, asie, affaires asiatiques | |
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Pourquoi les guerres sont-elles nécessairement inévitables
Pourquoi les guerres sont-elles nécessairement inévitables
En réalité, il y aura toujours une tension entre centre et périphérie, et par conséquent, des conflits seront toujours en cours, et l’histoire continuera de se dérouler.
Jan Procházka
Source: https://deliandiver.org/proc-se-valky-deji-nutne/
Si tous les États du monde déployaient leurs activités dans les mêmes conditions, si leurs citoyens avaient tous le même pouvoir d’achat, s'ils étaient ancrés dans la même géographie, avaient la même population, un accès égal à l’océan, au commerce international, aux ressources, aux minéraux et aux corridors de transport, et si tous les États avaient une superficie, une position, des frontières naturelles, un réseau de rivières navigables et une histoire similaires, il n’y aurait aucune autre raison pour la violence que la pure malveillance. Le problème est que les continents, les océans, les ressources et les corridors sont et seront toujours répartis de manière inégale sur la Terre.
En conséquence, chaque État aura toujours des intérêts différents, et ces intérêts entreront en conflit en raison de la distribution même des terres. Le devoir du dirigeant est d’assurer la prospérité et la sécurité de son État — et ici, le dirigeant se trouve inévitablement en conflit avec d’autres États. Cela n’a aucun sens d'émettre des jugements moraux sur le fait que les dirigeants font la guerre, aussi tragique que cela soit ; aucun être humain sur cette planète (hormis quelques exceptions pathologiques) n’agit de manière immorale, mû par une pulsion intérieure et pathologique de faire du mal aux autres. Si nous voulons expliquer la marche du monde en disant qu’un dirigeant est bon et un autre mauvais, il faut nécessairement conclure que tous les dirigeants, sauf celui dont le Royaume n’est pas de ce monde, sont intrinsèquement mauvais. Ne cherchons pas dans la dynamique de l’histoire des bons ou des mauvais, car chaque dirigeant fait simplement ce qu’il considère comme bon pour son État, malgré toutes ses erreurs et ses fautes, selon sa conviction la plus sincère.
Ce qui est cependant difficile à supporter pour moi, c’est la conviction totalement débridée de l’Hégémon, selon laquelle ce qui est bon pour lui-même est bon pour le monde entier ; une conviction qui se mue en hypocrisie extraordinaire. Dans la théologie de l’Hégémon, le monde depuis Reagan se divise en « l’Empire du Bien » et « l’Empire du Mal ». Qu’exprime d’autre la notion d’« axe du Mal », forgée par George Bush ? (1). La mentalité de l’Hégémon ne diffère en principe pas de celle de l’État islamique de sinistre réputation, dont l’idéologie divise le monde en dar al-islam — le pays où le régime wahhabite est déjà établi — et dar al-harb, là où il doit encore l’être (peut-être est-ce pour cette raison que les Américains s'entendent si bien avec les Saoudiens).
L’Hégémon voit les relations internationales comme une équation à somme nulle. Dès que le Bien quitte un espace — par exemple l’Afghanistan ou l’Irak — le vide est immédiatement comblé par le Mal selon la conception de l’Hégémon. C’est pourquoi le Bien ne doit à aucun moment faiblir; il doit soit triompher glorieusement comme en Yougoslavie ou au Koweït, soit envenimer les conflits avec le Mal jusqu’à la menace d’une guerre nucléaire. Et dès que le Mal vacille dans un espace, par exemple en Géorgie, le Bien est obligé d’y sauter immédiatement.
Dans ce contexte, on peut aussi se demander pourquoi l’Hégémon hait autant l’Iran, alors qu’il n’a aucune raison objective de le faire. Peut-être s’agit-il de cette mentalité de philatéliste maniaque qui, dans les années 1990, a rassemblé presque tous les États de la planète dans sa collection, sauf ce dernier pays, qui l'empêchait de la compléter. Ce sont précisément ces « États voyous » — un terme qui mérite réflexion— qui sont rétifs à la fringale du collectionneur. Les États voyous commettent leurs méfaits « intentionnellement », affirme l'Hégémon. Surtout parce que leur simple existence « menace la paix mondiale ». La paix mondiale ou la domination du monde par quelqu’un de bien précis ?
La religion de l’Hégémon est l’économie libérale, une doctrine imposée avec une autorité lourde et ubiquitaire dans les années 1990, que ses adeptes considèrent comme une infaillible science de la nature, comme lorsque les anciens Aryens appelaient leur religion pleine de rituels sacrificiels compliqués et de formules magiques la Veda — c’est-à-dire la Science ou la Loi. Selon le dogme du parti libéral planétaire, l’hégémonie mondiale ou plutôt la hiérarchie prédatrice mondiale avec l’Amérique au sommet, est naturelle et nécessaire, car ce qui se produit selon la nature, doit nécessairement arriver. En même temps, c’est bon et moral, parce que, selon l'éthique protestante, ce qui est « en accord avec la nature » est considéré comme moral. Cette religion a sa propre eschatologie — les enseignements de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire et l’avènement du millénaire du libéralisme éternel. Dans les années 1990, il ne manquait qu’un pas pour atteindre le nirvana et l’ascension céleste — mais il y avait toujours un État qui « nuisait intentionnellement » à la "bonne marche" des choses.
En réalité, il y aura toujours une tension entre le centre et la périphérie, et par conséquent, des conflits se produiront toujours, et l’histoire continuera de se dérouler. Les souverains des États seront toujours à la tête de leurs intérêts, encadrant nos agitations et nos frénésies sur la planète. Je crois qu’en beaucoup de cas, ces conflits peuvent aussi être résolus pacifiquement — par des accords, par la location de ports, la construction de canaux ou de corridors ferroviaires, ce qui devrait aujourd’hui être plus facile qu’avant grâce aux progrès technologiques. Cependant, le rêve de l’Hégémon de maintenir une domination mondiale par des guerres sans fin complique considérablement ces louables tentatives.
Note :
(1) « Je vous exhorte à éviter dans vos débats les propositions de gel des armes nucléaires, la tentation (…) d’ignorer les intentions agressives de l’Empire du Mal (…) et ainsi de vous soustraire à la lutte qui se déroule entre le bien et le mal », déclara Ronald Reagan en 1983.
Note de Délský potápěč:
Sur ce sujet, Carl Schmitt a également écrit dans La théorie du partisan et La notion de politique. Nous résumons ici de manière simple et succincte ses propos :
Le droit de la guerre classique fait la distinction claire entre l’ennemi et le criminel, entre les combattants et les non-combattants, la guerre entre États est dès lors menée comme une guerre entre armées régulières. La guerre entre les détenteurs souverains du jus belli, qui se respectent en tant qu’ennemis dans la guerre et ne se discriminent pas mutuellement comme criminels, se déroule selon le droit international et selon la politique post-guerre de Genève. L’agresseur, en droit international, devient alors ce qu’est un délinquant ou un criminel en droit pénal. Cette criminalisation et cette attribution d’un statut criminel à l’attaque et à l’attaquant ont été considérées comme un progrès juridique par les juristes de la politique post-guerre de Genève. Mais un sens plus profond à toutes ces tentatives de définir l’agresseur et de préciser la nature de l’attaque consiste à construire l’ennemi… le criminel. La criminalisation de l’ennemi permet ensuite la formulation que nous entendons depuis plusieurs années contre la Russie, que des idiots (au sens politique) répètent à satiété.
Voilà pourquoi, aujourd’hui, les institutions invoquent toujours le « droit » plutôt que la « loi »; quant aux différences entre légalité et légitimité, Schmitt en a également parlé.
En fin de compte, l’hypocrisie libérale commence par le renommage du « ministère de la Guerre » de Louis XVI en « ministère de la Défense. »
12:59 Publié dans Polémologie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carl schmitt, polémologie, théorie politique, guerre, politologie, sciences politiques | |
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L’île de Chypre, point stratégique pour l’équilibre en Méditerranée
L’île de Chypre, point stratégique pour l’équilibre en Méditerranée
Il y a eu une évolution du statu quo chypriote, car le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan ont enfin officiellement reconnu la République (grecque) de Chypre, y ouvrant leurs propres ambassades.
par Giorgio Arconte
Source: https://www.barbadillo.it/121708-globalia-lisola-di-cipro...
Une cartographie de Limes sur les divisions à Chypre:
Bien que l’on en parle peu, sauf lorsque l'on évoque de magnifiques vacances et rarement pour des questions financières, Chypre est une île stratégique dans les scénarios géopolitiques, non seulement en raison de sa position privilégiée en Méditerranée orientale qui en a déjà fait un carrefour riche en cultures et un point de rencontre entre Orient et Occident. L’histoire de Chypre a été marquée par de nombreux conflits jusqu’à la seconde moitié du 20ème siècle, lorsque l’île a été divisée en deux États. Moins connu est le fait que la partition est en réalité une division en trois zones: en plus du mur à Nicosie qui sépare la partie grecque de la partie turque, existent aussi deux portions méridionales du territoire occupées par les Britanniques qui y disposent de bases militaires. La question chypriote reste donc l’un des problèmes les plus complexes et irrésolus en Méditerranée, impliquant directement l’Union Européenne.
Au cours des derniers mois, le statu quo à Chypre a évolué, car le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan ont enfin reconnu officiellement la République (grecque) de Chypre, y ouvrant ainsi leurs propres ambassades. La nouvelle est passée inaperçue mais elle a une grande valeur géopolitique, car ces trois pays font partie de l’Organisation des États turcs (OET) et relèvent du « Grand Turan », c’est-à-dire du rêve turc de réunir tous les peuples turcs. La Turquie n’a pas commenté cette décision, mais il est difficile d’imaginer qu’Erdogan et son entourage néo-ottoman aient digéré cette décision, probablement induite par l’UE. Il semble que la décision des trois pays d’Asie centrale de reconnaître la Chypre grecque, et de condamner la Turquie en tant que puissance occupante, soit le fruit d’une série d’investissements européens d’environ 12 milliards d’euros à utiliser dans divers secteurs. Il ne faut pas se faire d’illusions : les technocrates européens ne prennent pas à cœur les racines grecques et chrétiennes de l’Europe, leur ingérence étant motivée par le besoin de renforcer les liens avec des pays riches en uranium et en pétrole, ce qui pourrait aussi expliquer la non-réaction d’Ankara.
Malgré la complexification croissante du contexte mondial et l’apparition de nouveaux conflits, la Turquie a su jouer habilement, en étendant notamment sa présence militaire jusqu’en Afrique, notamment sur la côte libyenne, ainsi qu’au niveau économique, en se positionnant comme un nouveau hub logistique et énergétique stratégique pour l’Occident. La recherche européenne de ressources supplémentaires et de diversification favorise cette perspective turque, qui doit toutefois adopter une attitude diplomatique équilibrée et mesurée, parfois contradictoire mais toujours stratégique pour ses intérêts nationaux, comme dans le cas de la reconnaissance de la Chypre grecque par les trois « états ». Les investissements de Bruxelles devront forcément passer aussi par Ankara, et dans une période de crise économique comme celle que traverse la Turquie, cela représente plutôt une opportunité qu'une contrariété conflictuelle.
La Turquie n’est donc qu' « égratignée » mais non pas affaiblie, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour l’Italie, car comme le disait D’Alema : « L’Italie, c’est la Méditerranée ou ce n’est rien. » La Turquie est désormais notre voisine en Libye et nous évince pratiquement des Balkans, régions qui devraient être sous notre influence stratégique mais où notre présence diminue progressivement au profit de la Turquie (mais aussi de la Russie en Libye et de la Chine dans les Balkans). Pourtant, il n’y a aucun signe de réaction : au contraire, la société turque Baykar (active dans la technologie et la défense) a récemment acquis Piaggio Aerospace et a signé un accord de coopération avec Leonardo, une entreprise italienne. Des signaux inquiétants.
11:28 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, chypre, méditerranée, europe, affaires européennes, géopolitique | |
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Ceux qui ne veulent pas de trêve. Attaques ukrainiennes, piste britannique
Ceux qui ne veulent pas de trêve. Attaques ukrainiennes, piste britannique
par Gian Micalessin
Source: https://www.destra.it/home/chi-non-vuole-la-tregua-attacc...
Les négociations russo-ukrainiennes qui ont débuté récemment à Istanbul ne se présentent pas sous les meilleurs auspices. Mais elles risquent désormais d’échouer définitivement. L’aggravation provient aussi des attaques spectaculaires contre au moins quatre bases aériennes russes importantes. Ces attaques ont été lancées hier par des escadrons de drones ukrainiens qui ont détruit un nombre indéterminé d’avions russes stratégiques – notamment les coûteux avions radar A-50 et divers bombardiers Tu-95 et Tu-22 M3. Selon les informations diffusées par le service de renseignement ukrainien SBU, l’« opération Spiderweb » aurait permis la « destruction de 41 avions » avec des « pertes totales de plus de 2 milliards de dollars ». Un coup dur survenu à quelques heures des attentats contre trois avions civils russes, qui ont coûté la vie à au moins sept personnes. Hier soir, une conversation téléphonique a eu lieu entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov et le secrétaire d’État américain Marco Rubio, concernant la situation en Ukraine.
Les attaques ont mis à rude épreuve la crédibilité de l’appareil militaire russe. Car – comme le soulignent sur Telegram le site Rybar et de nombreux blogueurs – les bombardiers stratégiques n’étaient pas abrités dans des hangars protégés. Une erreur impardonnable déjà commise à l’été 2023, lorsque l’aéroport de Soltsy, dans la région de Novgorod, a été attaqué. Une erreur qui n’a pas été corrigée en deux ans. Et le pire pourrait encore venir. À Moscou, peu croient à la responsabilité exclusive du service secret ukrainien SBU, qui a revendiqué l’opération contre les bases militaires de Belaya, Diaghilev, Olenya et Ivanovo. Beaucoup pointent plutôt du doigt la Grande-Bretagne ou les nations européennes liées à ce qu’on appelle l’« axe des volontaires ». Un soupçon pouvant pousser le Kremlin à cibler des objectifs européens ou des cibles potentielles relevant de l’OTAN. Pour comprendre pourquoi l’attaque signée SBU est particulièrement grave et, à terme, dangereuse, il faut partir des modalités des attaques et de la liste des bases visées.
Les modalités – identiques pour toutes les attaques – évoquent un film d’action. Comme en témoignent certains films qui ont été tournés avec des téléphones, tout commence par l’ouverture automatique des conteneurs en bois alignés sur les caissons d’un camion, puis par la libération des avions télécommandés. Ce qui surprend, c’est la distance à laquelle l’opération est menée. La base de Belaya se trouve dans l’oblast d’Irkoutsk, en Sibérie orientale, à environ 4300 kilomètres de l’Ukraine. Et Mourmansk est à plus de 3400 kilomètres de Kiev. C’est pourquoi beaucoup se demandent comment le renseignement ukrainien a pu piloter les drones vers leur cible sans satellites de contrôle à distance.
Plus spectaculaire encore sont les attaques contre la base navale de Severomorsk et la base aérienne d’Olenya, situées dans une région de Mourmansk considérée comme essentielle pour le contrôle des routes de l’Arctique et des ressources énergétiques enfouies dans ses fonds marins. Ce contrôle est exercé par la Flotte du Nord, stationnée dans la ville fermée de Severomorsk, et par les bombardiers de la base d’Olenya, utilisés depuis des mois pour pilonner des villes ukrainiennes avec des missiles.
Mais à Moscou, on se demande aussi comment ces camions et ces drones ont traversé des territoires fortement surveillés et ont pu rester stationnés le temps nécessaire pour permettre l’évacuation des agents ukrainiens qui les avaient amenés jusque-là. Il ne s’agissait pas d’une opération simple en territoire ennemi, mais d’un vrai et coûteux affront. Un affront que le Kremlin ne peut se permettre d’ignorer.
10:53 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, ukraine, russie | |
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mercredi, 04 juin 2025
Le Chinatown de Polanski et le dévoilement de l’Amérique
Le Chinatown de Polanski et le dévoilement de l’Amérique
Nicolas Bonnal
« Le désert croît. Malheur à qui recèle des déserts ! » (Zarathoustra).
Mère de toutes les images et de tous les vices de la planète ciné-télé Los Angeles est une ville-simulacre qui n’aurait pas dû naître, pas dû pousser sur un désert. Elle l’a fait quand même, et de quelle manière ; et sa récente punition inexplicable et terrifiante à la fois marque comme pour Hawaï (autre terre du rêve et du cinéma) une énième descente aux enfers et au désert. Mais cette ville qui est une anti-ville peut descendre plus bas et le fera sans doute.
A propos du Chinatown de Polanski, film le plus important sans doute du cinéma (tout y est voile de la Maya, sauf cet enfant mexicain à cheval venu d’un autre monde, celui de la licorne de Ridley Scott et d’un moyen âge chrétien), on rappellera que le film explique comment ce monstre tératologique, la ville du cinéma donc (voir le quatrième partie de ma Damnation des stars publiée chez Filipacchi il y a trente ans déjà) est venue au monde. Car le film tourne autour de ça, des eaux, de la terre et du ciel sec.
On y découvre un personnage (l’une des victimes, la plus importantes), inspiré par William Mulholland qui a donné son nom à deux chefs-d’œuvre du cinéma postmoderne comme on dit : Mulholland Drive de David Lynch et l’excellent Mulholland Falls du maori Tamahori qui reprend une thématique proche d’Aldrich (celui d’En quatrième vitesse of course) : les inventions démoniaques (la bombe nucléaire) créent des monstres non pas physiques (ce serait trop facile…) mais psychologiques. C’est aussi cela qui aussi a créé ce Deep State indéracinable dont on connait les intentions globales et locales depuis le Covid. Le film de Polanski reprend la thématique de Rosemary : le Diable (celui de Baudelaire) va prendre le monde en charge, et directement encore. De Manhattan (revoyez Ghostbusters et les révélations qui y sont faites par Harold Ramis) à Los Angeles l’Amérique est « couverte ».
Sur Mulholland autant savourer Wikipédia :
« Dans les années 1880-90, Frederick Eaton et William Mulholland comprennent que l'obstacle principal à l'extension de la ville de Los Angeles est son approvisionnement en eau. Ces derniers se rendent compte que la vallée de l'Owens possède un trop-plein d'eau provenant de la Sierra Nevada et qu'un aqueduc pourrait conduire cette eau jusqu'à Los Angeles.
Au 20ème siècle la vallée de l'Owens (photo) devient la scène d'affrontement où corruption et manipulation opposent les résidents locaux et la ville de Los Angeles pour obtenir les droits sur l'eau… »
Le film fait allusion à une guerre caïnite de l’eau :
« Les guerres de l'eau en Californie (anglais : California Water Wars) désignent les différends entre la ville de Los Angeles et les fermiers de la vallée de l'Owens en Californie concernant les droits de l'eau. Les conflits découlent principalement de l'emplacement dans une zone semi-aride de Los Angeles et la disponibilité de l'eau de la Sierra Nevada dans la vallée de l'Owens. »
Enfin voyons pour le grand homme au bilan génial mais contestable :
« William Mulholland (Belfast, Irlande, 11 septembre 1855 – Los Angeles, Californie 22 juillet 1935) (photo) est un ingénieur américain d'origine irlandaise qui travailla en Californie et fut une figure marquante de l'histoire de Los Angeles.
Il a dirigé la construction du premier aqueduc de Los Angeles, qui a permis à la cité de devenir l'une des plus grandes villes du monde. L'exploitation de l'aqueduc a conduit cependant aux conflits connus sous le nom de guerres de l'eau en Californie, et à un désastre écologique dû à l'assèchement du lac Owens et de la vallée du même nom. En mars 1928, sa carrière prend fin lorsque, 12 heures après que lui et son assistant y ont effectué une inspection de sécurité, le barrage de St. Francis s'effondre, causant un grand nombre de morts et des dégâts considérables… ».
Le double de Mulholland refuse de « commettre la même erreur ». C’est là que les moutons interviennent (dans le film…). Bientôt on va lui envoyer les égorgeurs.
J’ai déjà dit que le film noir sert à dénoncer ou simplement dévoiler un monde criminel, un monde si dystopique qu’il débouche en univers de SF. Le monde criminel en Occident est invincible et le sait ; il n’aime pas être dénoncé mais il aime bien être révélé parfois. Ici le scénariste Robert Towne (Robert Bertram Schwartz, auteur aussi de Bonnie & Clyde et de l’exceptionnel Shampoing d’Hal Ashby) se surpasse et se défoule même.
Le méchant du film, qui a violé sa fille, lui a fait une enfant et tue finalement son associé et gendre, est joué par John Huston. Il se nomme Noah Cross et on voit comme un règlement de comptes se profiler là. Après tout on est à l’époque où l’inspecteur Columbo (présumé italien) envoie tous les riches Wasp en prison. Le film évoque sèchement une atmosphère antisémite: notamment dans la maison des retraités qui servent de prête-noms au groupe d’oligarques mêlés à cette opération de confiscation des eaux (Nicholson évoque la prostration des populations en pleine sécheresse, il est donc assuré que JAMAIS NOUS NE NOUS REVEILLERONS).
C’est une des données du film noir: on dénonce un monde taré qu’on ne peut renverser (on a juste remplacé les élites Wasp, voir McDonald ou Todd). Le film réveille et rendort: on reste dans le chaos de ce quartier auquel le flic ne comprend rien, Chinatown donc, surtout quand à la fin la police abat la victime (Faye Dunaway) et laisse le méchant (le père autoritaire d’Adorno, vicieux et intouchable) s’échapper. A la même époque l’exceptionnel directeur de la photo Alonso (premier mexicain ou presque respecté à Hollywood) éclaire – c’est le cas de le dire – l’Adieu ma jolie de Mitchum (il vole la vedette au réalisateur inconnu) et confère une aura magique à ce retour de bâton historique. La crise du pétrole passe par là, les Reset à venir et le Vietnam passent facture. On est définitivement sortis de l’innocence rooseveltienne dont parlait ma prof Denise Artaud à sciences-po. Mais y eut-il jamais un âge innocent pour l’Amérique, ce pays créé par l’esprit et non par la nature, comme dit Dostoïevski dans les Possédés ? Née de la sédition, de la Traite, du refus oligarque de payer des impôts, du dieu maçonnique, de la rage de faire du fric et de nuire à l’Europe, l’Amérique n’a pas d’innocence à nous vendre. Et « son air d’innocence ne reviendra plus » (Debord) : voir l’excellent livre de Zinn. Le projet immobilier de Gaza promu par Trump et ses acolytes nous rappelle très bien ce bref passage de Tintin en Amérique : voici vingt-cinq dollars, vieil hibou ; on prend ton territoire et on construit une ville nouvelle. Quant à la vieille civilisation hispanique et catholique de Mexique ou de Californie, on la retape pour les touristes et les thésards.
Comme dit Guillaume Faye dans son Système à tuer les peuples (c’est pourquoi l’enfant mexicain est un fantôme, les Mexicains ne reviennent que comme consommateurs obèses et péons du « cheap labor » du Donald) :
« L'humanisme apolitique, en revanche, comme tout ce qui relève de la raison égalitaire, s'avère obscène et castrateur. Los Angeles : monstrueuse verrue du bout de l'Occident, modèle de la future civilisation mondiale et californienne, où le mode de vie remplacera le politique. Rien d'étonnant, dans de telles conditions, que nous assistions à une dépolitisation de la classe politicienne bien plus, contrairement aux plaintes des politiciens qui ne connaîtront décidément jamais leur peuple, qu'à une dépolitisation de la société civile. »
C’est la Kali fournie qui dévore le monde, un peu comme l’araignée géante Ungoliant de Tolkien (voyez mon livre), qui se dévore en même temps – et sans complexes.
Le pire est que le film bien léché offre un panel d’images splendides héritées de l’Espagne coloniale ou du Spanish Revival architectural où Columbo déniche ses coupables Wasp. La beauté recyclée et muée en simulacre de Los Angeles (les annales gelées…) se retrouvera dans L. A. Confidential (film adoré par Jean Parvulesco qui me l’avait recommandé) ; Curtis Hanson explique que ce film lui fut inspiré par ce drame avec Bogart tourné dans un patio espagnol, qui montre un scénariste de cinéma massacrer et torturer son monde. Le cinéma c’est Nicholas Ray…
Venons-en à Nicholson. Dans le film il s’appelle Guittes et on nous dit que le nom fut inspiré par un ami de Jack. Je veux bien mais il se trouve que je vérifie, que Guittes veut dire divorce en hébreu et que ce détective pourchasse les maris pour obtenir de généreuses pensions : on le lui reproche pendant tout le film. Le Klein d’œil si j’ose dire est énorme ; je trouve ceci sur le site passionnant des Chabad (voir lien) :
« Parmi les lois détaillées dans la paracha de Ki Tetsé, il y a une section traitant du divorce. Le Rabbi analyse dans ce discours le concept de divorce tel qu’il s’applique entre les époux, et entre l’homme et D.ieu. Il examine certains paradoxes dans le traité talmudique sur le divorce (Guittine) et dans le nom donné, dans la loi juive, au document qui consomme la séparation. Ces paradoxes ont en commun de suggérer que bien que le divorce soit, extérieurement, une séparation, ce n’est pas là sa véritable nature. La pensée ‘hassidique, avec l’accent qu’elle met sur la découverte de l’essence de D.ieu et de l’homme, se fait devoir de percer le cœur de cette question : dans la mesure où l’essence de l’univers est l’unité de D.ieu, la séparation peut-elle être réelle et définitive ? »
Il y a bien divorce d’avec Dieu, le monde créé par le capital américain (voir Zinn, toujours) s’avérant infernal. Qui nous dit d’ailleurs que ce fantôme d’enfant que l’on voit n’a pas été emporté par les eaux ?
Sur la machine américaine à divorcer (et à déplacer l’argent finalement) je me suis rappelé ce splendide passage de Francis Parker Yockey :
« La vie familiale américaine a été profondément désintégrée par un régime déformant la culture. Dans un foyer américain classique, les parents ont en réalité moins d'autorité que les enfants. L'école, tout comme les églises, n'impose aucune discipline. La fonction de formation de l'esprit des jeunes a été abandonnée par tous au profit du cinéma. »
Todd croit que les Wasp ont été dépossédés vers 1965 ; rude erreur, car comme l’explique Yockey toujours :
« En Amérique, le mariage a été remplacé par le divorce. Ceci est dit sans intention paradoxale. Dans les grandes villes, les statistiques montrent qu'un mariage sur deux se termine par un divorce. À l'échelle nationale, ce chiffre est d'un sur trois. Cette situation ne peut plus être qualifiée de mariage, car son essence réside dans sa permanence. Le commerce du divorce est un vaste marché qui fait prospérer avocats, détectives privés et autres charlatans, et qui nuit aux valeurs spirituelles de la nation, comme en témoigne l'indifférence émotionnelle des enfants américains. »
L’enfant prostré (penser à Shining) est une constante en effet du cinéma américain et ce avant la télé et le popcorn. Yockey enfonce son clou :
« L'érotisme occidental, ancré dans la chevalerie de l'époque gothique, et l'impératif d'honneur qui en découle, hérité de siècles d'histoire occidentale, ont été bannis. L'idéal de Wedekind, le déformateur culturel qui prônait la bohème obligatoire en Europe au tournant du XXe siècle, a été réalisé par le régime déformateur culturel américain. Un puritanisme inversé a émergé. » Avec wokisme et transsexualisme au bout de la route…
Je rappelle que le premier à avoir évoqué le problème du couple et de la famille américaine (la femme philosophe, l’homme affairiste) est Gustave de Beaumont (portrait, ci-dessus), compagnon de voyage de Tocqueville. Pour Beaumont (cité par Marx), le prêcheur américain exerce un business comme un autre. Il n’y a pas eu d’innocence américaine, et « l’Amérique n’a pas eu d’enfance mystérieuse » (voir notre texte et surtout Marie, ou de l’esclavage).
Chinatown mériterait un chapelet d’articles et sans doute un livre – comme tous les grands films de Roman Polanski. On rappellera ces lignes de Joseph Kessel, juif rebelle qui comme Stefan Zweig (qui aurait pu faire fortune à Hollywood) refuse cette américanisation du monde :
« Mais dans les plus grandes artères, il n’y a pas de passants. Les automobiles roulent, roulent sans arrêt les unes derrière les autres, comme les anneaux d'une chaîne sans fin, entre les trottoirs déserts. C'est la seule ville au monde où l'on voit les camelots vendre les journaux au milieu de la rue, aux carrefours où les signaux lumineux et les bras mécaniques arrêtent, pour quelques secondes, le flux des voitures. »
Ce monde récolte la distance (on se rapproche de Debord…) :
« Mais pour voir un ami, pour acheter un grapefruit- dans ces marchés aux piles rigoureuses qui ressemblent à des halls d'usine -, il faut faire des kilomètres et des kilomètres. »
Il ajoute :
« Vitesse, rendement, précision, correction : voilà les caractéristiques essentielles de l'existence. »
Mais ce monde va s’exporter et s’imposer rapidement. Le phénoménal Daniel Boorstin explique quelque part que la conversation mondaine tourne autour des autoroutes et du réseau routier dans les dîners mondains à L.A., mais le modèle aberrant bien sûr triomphe.
Il ne manquerait que ça.
Dans son Colloque entre Monos et Una Poe, aristocrate virginien élevé en Angleterre, se déchaîne :
« Hélas ! nous étions descendus dans les pires jours de tous nos mauvais jours. Le grand mouvement, – tel était l’argot du temps, – marchait ; perturbation morbide, morale et physique. »
Il relie très justement et scientifiquement le déclin du monde à la science:
« Prématurément amenée par des orgies de science, la décrépitude du monde approchait. C’est ce que ne voyait pas la masse de l’humanité, ou ce que, vivant goulûment, quoique sans bonheur, elle affectait de ne pas voir.
Mais, pour moi, les annales de la Terre m’avaient appris à attendre la ruine la plus complète comme prix de la plus haute civilisation. »
Quelques sources :
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2025/05/16/l...
https://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/3761610/jew...
https://www.dedefensa.org/article/le-feminisme-us-par-del...
https://www.amazon.fr/damnation-stars-Nicolas-Bonnal/dp/2...
https://www.boervolkradio.co.za/boeke/Imperium.pdf
https://files.libcom.org/files/A%20People%27s%20History%2...
14:34 Publié dans Cinéma, Film | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : cinéma, film, roman polanski, nicolas bonnal | |
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Inde, Pakistan et Cachemire
Inde, Pakistan et Cachemire
Raphael Machado
Une nouvelle escalade au Cachemire pourrait conduire à une guerre nucléaire. Qu'est-ce qui se cache derrière cela ?
Le fait que les tensions entre l'Inde et le Pakistan ne s'apaisent pas montre que la phase actuelle de ce conflit qui dure depuis des décennies est, à tout le moins, suffisamment importante pour mériter une brève analyse.
La cause immédiate de l'escalade actuelle entre l'Inde et le Pakistan (qui a déjà entraîné l'expulsion de citoyens des deux pays, la rupture de traités et de relations commerciales, la mobilisation de troupes, ainsi que quelques escarmouches) a été un attentat terroriste perpétré par un groupe appelé « Front de résistance », qui serait une ramification du groupe salafiste Lashkar-e-Taiba, basé au Pakistan. L'attentat en question a causé la mort de près de 30 touristes qui visitaient le Cachemire, pour la plupart des Indiens.
Le conflit n'est toutefois pas récent. En pratique, dans une certaine mesure, il semble avoir été fomenté dès le début par les Britanniques. Lors de la préparation de la partition après la fin de la domination britannique dans l'Hindustan, la question de la fragmentation de cet ensemble en au moins deux parties s'est posée. Comme il était impossible de transformer une région aussi complexe du monde en deux États-nations à base ethnique, les Britanniques ont préparé le terrain pour ce qui s'en rapprocherait le plus, à savoir deux États-nations dont la prétention à l'« homogénéité » était fondée sur la religion.
Au départ, l'intérêt était de courtiser l'élite islamique du Bengale afin de l'instrumentaliser contre les hindous, mais cela a semé à long terme les graines d'un conflit qui s'est avéré inévitable, car pour des raisons historiques, les deux pays comptaient des populations appartenant à la religion majoritaire de l'autre pays. C'est d'ailleurs dans l'élite islamique qui cherchait à s'occidentaliser que se trouve la racine du « séparatisme islamique » en Inde, comme en témoignent les idées de Sayyed Ahmad Khan, qui ont ensuite été dépassées par les idées plus « traditionalistes » de Muhammad Iqbal et Muhammad Ali Jinnah.
Le Cachemire se trouvait en plein milieu de la fracture hindoustani, et malgré une population majoritairement islamique, son élite dirigeante était hindoue. Au départ, le Cachemire a donc refusé de s'intégrer au Pakistan ou à l'Inde, et a prétendu s'établir comme un État indépendant. Les Pakistanais ont jugé cette décision absurde et, dans leur irrédentisme, ont tenté de s'emparer du Cachemire par la force, ce qui a conduit son gouvernement à demander son annexion à l'Inde en échange d'une protection. L'Inde, quant à elle, était disposée à absorber le Cachemire, considérant qu'il était la patrie de tous les Indiens, dans une vision impériale supra-religieuse. Le Cachemire a donc été le théâtre de trois conflits entre l'Inde et le Pakistan, en 1947, 1956 et 1999.
Au-delà des questions religieuses qui ont entrées en jeu, la région a revêtu une importance géostratégique propre. De par sa position géographique (située au carrefour de l'Inde, du Pakistan, de la Chine et de l'Afghanistan, au pied de l'Himalaya), le Cachemire est l'axe du sous-continent indien. Ses fleuves constituent d'excellentes frontières défensives naturelles pour les deux parties, et ses terres sont extrêmement fertiles.
Pour le Pakistan, aujourd'hui, le Cachemire revêt une importance encore plus grande en raison du projet de corridor sino-pakistanais reliant le Xinjiang au port pakistanais de Gwadar. Cependant, le projet traverse une partie du Cachemire administrée par le Pakistan, de sorte qu'un conflit généralisé dans la région enterrerait le projet et couperait probablement le Pakistan de la Chine. Le corridor est fondamentalement nécessaire pour réduire la dépendance du Pakistan vis-à-vis des États-Unis et de l'Arabie saoudite.
C'est dans ce contexte d'intérêt pakistanais pour le Cachemire qu'il faut également lire la politique étrangère du pays sur ce sujet depuis les années 1980. Après avoir été vaincu militairement par l'Inde, l'ISI (les services de renseignement pakistanais, qui constituent presque un État parallèle) a commencé à utiliser l'Afghanistan pour former des insurgés destinés à être utilisés au Cachemire dans le but de déstabiliser la région et, avec un peu de chance, de la séparer de l'Inde. Tel a été la constante de la projection de puissance du Pakistan non seulement au Cachemire, mais aussi en Afghanistan même et dans le reste de la région.
Pour l'Inde, quant à elle, outre l'importance propre du Cachemire pour des raisons historiques et géoéconomiques, il y a la volonté de Modi de laver l'honneur de l'Inde après la débâcle honteuse au Bangladesh, lorsque l'Inde a simplement assisté à la perte de son principal allié régional au profit d'une révolution colorée, sans réagir (même face à la persécution des hindous dans ce pays voisin).
Il est impossible de savoir si ces tensions déboucheront sur un conflit important, mais il existe des indices forts de préparation de ressources militaires des deux côtés. Le point important ici est que le Pakistan a pour doctrine de « frapper en premier » avec des armes nucléaires si l'existence de son État est menacée par une défaite militaire. L'Inde, quant à elle, n'utiliserait des armes nucléaires qu'en réponse à l'utilisation d'armes nucléaires par le Pakistan.
Il est important de souligner ici que ces deux pays sont des partenaires importants de la Russie et qu'ils jouent tous deux un rôle dans la stratégie méridionale par laquelle la Russie a compensé la perte de ses partenariats européens et occidentaux. Un conflit au Cachemire entre les deux pays n'intéresserait donc que l'Occident.
Le mieux dans ce cas serait que la Russie, la Chine et l'Iran agissent directement pour apaiser les esprits et pacifier la situation, car ces pays ont beaucoup à perdre dans ce conflit et, dans la pratique, si la situation dégénère, les répercussions pourraient finir par affecter la planète entière.
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Immigration massive et suicide de la gauche
Immigration massive et suicide de la gauche
par Moreno Pasquinelli
Bron: https://socialismomultipolaridad.blogspot.com/2025/05/inm...
Les dernières données indiquent qu'au cours des six premiers mois de 2015, environ un demi-million d'immigrants ont demandé l'asile politique à l'Union européenne, contre 600.000 au cours des douze mois précédents. [N. de T. : l'article date d'il y a 10 ans, mais il n'a pas pris une ride; de toute évidence, les chiffres de l'émigration extra-européenne vers notre continent ne font qu'augmenter].
Nous reviendrons bientôt avec une fiche d'information spécifique sur le thème particulier des demandeurs d'asile et des réfugiés. Il est clair que les véritables persécutés politiques sont une infime minorité et que la grande majorité des immigrants sont plutôt des « réfugiés économiques ». Ces chiffres objectivement impressionnants, selon tous les analystes, sont destinés à rester constants, voire à augmenter. Pourquoi sont-ils destinés à augmenter ? Parce que la mondialisation et les politiques de vol inhérentes aux mécanismes impérialistes accentueront les écarts entre riches et pauvres et entre pays oppresseurs et nations opprimées.
Il va sans dire que pour mettre réellement fin aux exodes massifs, la solution consiste à mettre fin à cette mondialisation impérialiste. Contrairement à ce qu'affirment les apologistes de l'ordre établi, c'est donc là le problème, et non la solution. Une solution qui semble lointaine dans le temps car elle implique une révolution mondiale, un renversement du système économique et politique international.
Ce n'est pas un hasard si les apologistes de la mondialisation, qui ont le monopole des médias, qualifient ces flux migratoires de « transcendants » et d'« imparables ». Ce qu'ils nous disent en réalité, c'est que la mondialisation doit être considérée comme irréversible, que ceux qui commandent aujourd'hui commanderont toujours et que les pratiques économiques néolibérales actuelles sont irrévocables.
Les défenseurs de la mondialisation sont, à leur manière, cohérents lorsqu'ils attendent et louent les exodes économiques d'un côté et, par conséquent, l'« accueil » de l'autre : les exodes et l'accueil sont les deux faces d'une même médaille.
L'exode économique venu de la périphérie pauvre pour se dirigier vers le centre « opulent » est fonctionnelle pour les dominants à bien des égards. Pour cinq motifs en particulier:
(1) injecter dans le centre des millions de personnes désespérées, prêtes à vendre leur force de travail pour presque rien, renforce, dans le centre, la tendance à une baisse générale des salaires et à une concurrence sauvage entre les travailleurs, au profit du capital ;
(2) l'exode massif contribue à la désertification des pays d'où émigrent les populations et sert les classes dominantes de ces pays car, en désamorçant les tensions sociales endogènes, il consolide leur domination ;
(3) à l'inverse, l'immigration massive contribue de manière décisive à détruire le tissu social ou le demos des pays d'accueil. Ce demos constitue non seulement le substrat matériel, juridique et spirituel des États-nations (sans lequel ils sont destinés à se dissoudre dans le magma social ou faire émerger le creuset dans lequel de petites oligarchies transnationales pourront régner), mais aussi le lieu où le mouvement ouvrier s'est historiquement constitué en tant que communauté de classe opposée au capital ;
(4) Dans ce creuset impérial, la démocratie et les droits fondamentaux des citoyens sont voués à disparaître à leur tour, pour laisser place à des États policiers et à des relations néo-féodales de servitude et d'asservissement, à l'exception des droits cosmétiques et formels accordés aux « minorités » et des espaces communautaires inoffensifs que sont les ghettos. L'espace juridique et étatique impérial, de par sa nature, ne peut être démocratique.
(5) Enfin, permettons-nous d'avancer une cinquième raison spécifique concernant l'Union européenne.
L'arrivée de dizaines de millions d'immigrants est stratégiquement utile au projet délirant de supprimer les États-nations actuels et de transformer l'Union en un empire. Pour dissoudre les communautés nationales et les remplacer par la communauté européenne, les élites dirigeantes ont besoin d'introduire un élément désintégrateur externe, qui dissolve les différentes identités historiques et nationales. Selon l'élite européenne dominante, l'immigration massive doit également servir cet objectif.
Nous ne sommes pas aveugles. Nous savons qu'il existe de nombreuses autres raisons éthiques plus nobles qui poussent beaucoup de gens, tant à gauche que dans le monde catholique, à demander que tous les immigrants soient accueillis. Ils veulent une société « inclusive », capable d'accueillir tous les êtres humains qui demandent l'asile et le droit de séjour. Nous avons essayé d'expliquer qu'au moins en ce qui concerne notre pays, l'Italie, dans les conditions concrètes dans lesquelles il se trouve, l'immigration massive n'est pas viable. Une exigence éthique et morale peut être correcte dans l'abstrait, mais elle peut être pratiquement irréalisable, pour ne pas dire absolument désastreuse. Faire d'un principe éthique un impératif politique catégorique (comme dans ce cas l'objectif « d'accueillir tout le monde ») provoque en réalité deux désastres aujourd'hui : le premier est que nous nous rallions aux élites mondialistes qui s'entraident ainsi au lieu de se battre ; le second est la conséquence du premier, à savoir qu'il s'éloigne du prolétariat, le laissant à la merci de la montée des forces xénophobes et racistes.
Nous ressentons comme nôtres les valeurs solidaires du socialisme, ainsi que la piété chrétienne qui nous commande d'aimer notre prochain. Il existe cependant une limite insurmontable: aimer l'autre ne peut conduire à la haine de soi, à sa propre annihilation.
Aimer son prochain comme soi-même, si cela n'est pas une déclaration vide et hypocrite, si ce n'est pas l'invocation d'une pauperitas mystique universelle, implique de garantir aux hôtes arrivants les mêmes droits et avantages dont jouit l'hôte autochtone. Il n'existe aucune condition dans ce système pour étendre ces droits et avantages ; l'immigration, en réalité, contribue à les retirer à ceux qui les ont conquis au prix de décennies de sacrifices et de luttes. Est-ce vraiment de l'amour pour son prochain que de favoriser les exodes en sachant que ces millions d'êtres humains vivront comme des « rebuts », dans l'exclusion et la misère ? N'est-ce pas plutôt un jeu pour le capitalisme néolibéral vorace qui aspire en fait à la pauvreté générale ?
Il ne semble donc pas que ce soit par amour chrétien pour son prochain qu'un certain parti de gauche prône l'acceptation de tous. Il y a ceux qui sont idéologiquement fascinés par le cosmopolitisme libéral et antinational et ceux qui, au nom d'un internationalisme mal compris, en viennent à haïr leur propre pays, ce qui, au fond, est une haine d'eux-mêmes et de leur propre peuple, accusé d'avoir oublié ses idéaux, d'avoir répudié, rejeté et isolé le meilleur de ses enfants, ceux qui n'ont jamais renoncé à ces idéaux.
Ce sont des chemins différents, mais tous deux mènent au suicide.
Source : https://sollevazione.blogspot.com/2015/09/immigrazione-di...
13:23 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : immigration, réfugiés, europe, actualité, affaires européennes | |
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Le christianisme faustien
Le christianisme faustien
Carlos X. Blanco
Les anciennes sociétés « patriarcales » pouvaient considérer la femme comme un « morceau de viande », si elle était belle, comme un objet à consommer (tout comme les éphèbes, ces jeunes garçons désirables en Grèce ou dans le monde musulman). De même, ces sociétés – différentes et antérieures à la faustienne – avaient tendance à considérer la femme comme une simple reproductrice, comme un système végétatif et passif.
Selon Spengler, en revanche, la culture faustienne procède à une hyper-spiritualisation de la femme. Au-delà des questions théologiques, la Vierge Marie apparaît symboliquement comme la reine des cieux et la dame de l'univers, symbole profond de la continuité (en tant que Mère, Mère de Dieu et Mère des hommes). Cette projection de la Vierge vers les cieux et vers les profondeurs les plus lointaines est un élément symbolique essentiel du catholicisme (germano-latin), inconnu sous d'autres latitudes et à d'autres époques (le christianisme primitif de la pseudomorphose, encore « magique » et non faustien, le christianisme d'Orient, etc.).
L'intronisation de Marie, sa projection céleste, son élévation au-dessus des anges et sa condition divinisée, « très proche » du Christ et de Dieu le Père lui-même, sont des aspects clés pour comprendre la culture classique qui, dans sa vigueur juvénile, se développe dans le nord de l'Espagne et de l'Europe peu avant l'an 1000:
« Dans l'art religieux occidental, il n'y a cependant pas eu de thème plus sublime que celui de la mère avec l'enfant. Le gothique naissant transforme la Marie Theotokos des mosaïques byzantines en Mater dolorosa, en mère de Dieu, en mère par antonomase. Dans le mythe germanique, la mère apparaît — sans doute pas avant l'époque carolingienne — sous les figures de Trigga et Frau Holle. Le même sentiment réapparaît dans les belles expressions des minnesinger, telles que Frau Sonne, Frauwelte, Frau Minne.
Une émotion maternelle, attentionnée, résignée, plane sur le monde de l'humanité gothique ; et lorsque le christianisme germanique et catholique prend pleinement conscience de lui-même, avec la conception définitive des sacrements et, simultanément, du style gothique, il ne place pas au centre de son image cosmique le Sauveur souffrant, mais la mère qui souffre.
En 1250, dans la cathédrale de Reims, grande épopée de pierre, la place d'honneur au milieu du portail principal n'est plus occupée par l'image du Christ, comme à Paris et à Amiens, mais par la Vierge mère. Et à la même époque, l'école toscane d'Arezzo et de Sienne — Guido da Siena — commence à insinuer dans le type byzantin de la Theotokos l'expression de l'amour maternel. Viennent ensuite les Madones raphaëliennes, qui servent de transition vers le type baroque, ce mélange de l'aimée et de la mère que l'on retrouve chez Ophélie et Marguerite, dont le secret est révélé dans la transfiguration, à la fin du deuxième Faust, dans la fusion avec la Marie gothique. » [DdO, I, 385-386].
La beauté féminine de la statuaire antique est d'un tout autre genre. On pourrait même dire qu'elle ne rivalise pas avec la beauté masculine, presque laissée de côté, travaillée de manière si impressionnante et éphémère par la sculpture hellénique du nu :
« L'imagination hellénique, en revanche, a créé des déesses qui étaient soit des Amazones comme Athéna, soit des hétaïres comme Aphrodite. Tel est, en somme, le type antique de la féminité parfaite, qui trouve ses racines dans le sentiment fondamental d'une fertilité végétative » [ibid.].
Spengler considère que le nu classique « antique », symbole très puissant, est incompatible avec l'art faustien, spiritualisé à son plus haut degré. Dans la sculpture gothique, qui peuple abondamment nos cathédrales, le nu est purement accessoire, imposé par le thème traité (Ève au Paradis, les âmes des défunts, etc.). C'est un nu qui sert de symbole et d'allégorie d'une réalité différente de lui-même : la chair comme symbole de l'âme, le corps comme péché, l'innocence face à la vie artificielle du monde, etc. Au contraire, le nu hellénique est lui-même un symbole. Ses statues (mais aussi les vases peints) exposent directement une culture : ces corps nus ne renvoient pas à quelque chose de transcendant ; ils nous disent simplement : c'est ainsi que nous voulons être.
La beauté de Marie dans l'art chrétien faustien est une beauté spirituelle : un visage doux et noble qui protège et regarde avec amour l'Enfant, mais aussi tous ces enfants que sont les hommes mortels, les croyants qui aspirent non seulement à la protection d'une grotte, comme celui qui rentre chez lui par une nuit d'orage et remercie les toits de sa maison de le protéger des éclairs déchaînés. Ce n'est pas la « grotte » de l'âme magique, mais l'infinité d'un ciel bleu qui, au-delà des nuages déchirés et dramatiques (tels sont souvent les nuages du Septentrion, contrairement aux nuages cotonneux de la Méditerranée), est peuplé d'étoiles.
Selon Spengler, il n'existe pas un seul christianisme. Dans les régions d'Europe occidentale, alors que celle-ci se défendait encore farouchement contre les musulmans, en Asturies et dans l'Empire carolingien, une protestation sourde et cachée contre le christianisme « magique » a commencé, une sorte de rédemption spirituelle des peuples germaniques et celtiques. Le royaume d'Oviedo accueille les Mozarabes qui portent encore en eux des gouttes de sang gothique et des instincts pré-faustiens, mais sous la domination des Maures, ceux qui se sentent déjà « magiques » comme eux décident de rester. A partir de Tolède vers le sud, dans les deux tiers de l'Espagne, restent les chrétiens « magiques » de la pseudomorphose, de plus en plus arabisés, soumis à une acculturation croissante, victimes de moqueries et condamnés à disparaître. Les implacables chevaliers asturiens, quant à eux, les premiers hommes faustiens d'Espagne, finiront par passer au fil de l'épée - au fil des siècles - non seulement les Berbères, les Syriens et les Arabes - envahisseurs - ou leurs descendants, mais aussi les anciens frères hispaniques, anciens chrétiens de la pseudomorphose et à l'âme « magique », depuis longtemps renégats et convertis. Dans l'Empire également, les Carolingiens avaient affaire à des survivances « arabes » dans le Midi qui, sous des apparences dualistes ou strictement unitaristes, presque mahométanes, résistaient à recevoir l'air froid et nouveau du Nord. Un nouveau Dieu s'imposait dans les cœurs.
« Le christianisme occidental est au christianisme oriental ce que le symbole de la perspective est au symbole du fond doré. Et le schisme définitif se produit presque simultanément dans l'Église et dans l'art. Le paysage commence à être conçu comme fond de scène ; et simultanément, les âmes religieuses commencent à comprendre l'infinité dynamique de Dieu. Et lorsque les fonds dorés disparaissent des tableaux religieux, disparaissent également des conciles occidentaux ces problèmes ontologiques, magiques, concernant la divinité, ces problèmes qui ont profondément ému tous les conciles orientaux, celui de Nicée, celui d'Éphèse, celui de Chalcédoine. » [LDO, I, 365].
Une âme dynamique, la faustienne, a cherché un Dieu dynamique. Et elle l'a trouvé. La scolastique, avec ses précieuses réflexions sur l'infinité de Dieu, a préparé le terrain à l'infinité mathématique et cosmologique que l'on retrouvera plus tard chez Nicolas de Cues ou Leibniz. L'« infinité dynamique de Dieu », et non l'Être éternel et statique « qui est », s'impose dans la chrétienté germano-catholique.
Le Dieu du chrétien faustien est irreprésentable. Mais il ne l'est pas au sens iconoclaste de l'Orient (Byzance, Islam), par crainte du blasphème, par crainte de sa lumière aveuglante, par le caractère même, terrible – et pas seulement fascinant – de la divinité (Rudolf Otto: mysterium tremendum et fascinans). Il est irreprésentable en raison de l'infinité dynamique de l'Être qui est Lui-même son Être. Nous « avons » tous un être (participé de Dieu), mais Lui est l'Être et est puissance infinie :
« La pluralité des corps dans lesquels se manifeste et s'exprime le cosmos antique exige un monde de dieux qui lui soit égal ; tel est le sens du polythéisme antique. En revanche, l'espace cosmique unique, qu'il s'agisse de l'univers comme caverne ou de l'univers aux amplitudes infinies, exige un Dieu unique, celui du christianisme magique ou celui du christianisme faustien. Athéna et Apollon peuvent être représentés par une statue. Mais la divinité de la Réforme et de la Contre-Réforme ne peut se « manifester » — cela fait longtemps que cela se ressent — que dans la tempête d'une fugue pour orgue ou dans l'exécution solennelle d'une cantate ou d'une messe. » [LDO, I, 280].
Par « correspondance » ou analogie, nous pouvons trouver cette mutation de l'âme dans les arts: les figures plastiques en relief de la civilisation antique se retrouvent dans l'idolâtrie catholique médiévale: les processions « de saints » (généralement sculptés dans le bois) typiques de l'Espagne pendant la Semaine Sainte ne sont en aucun cas faustiennes. La mystique musicale du Maestro Guerrero ou de Tomás Luis de Victoria l'est. La Summa de Saint Thomas et l'Escorial de Philippe II sont du même côté, du côté faustien, que le Walhalla, la quête du Graal ou les tableaux de Friedrich.
Ce n'est pas que la mythologie et la sensibilité nordiques se soient christianisées, comme on le dit si souvent. Une autre idée se dégage du livre de Spengler: le christianisme germanique catholique et le « paganisme » nordique sont les fruits d'une même époque et d'une même âme. Les mêmes sensibilités, intuitions et aspirations habitent les récits et les dogmes bénis par l'Église que la poésie et l'art transmis par les troubadours et les bardes. Intérieurement, on peut parler d'opposition entre la cathédrale et le château, mais c'est la même âme faustienne qui vibre gravement lorsqu'elle s'adresse à Dieu, chantant en latin d'Église, ou qui le fait de manière mondaine lorsqu'elle s'adresse au destin, dans un ancien dialecte germanique.
Cependant, l'Europe a perdu de sa cohérence théologique: sa quête de « la nuit » (magnifiquement exprimée dans le romantisme) a représenté une nouvelle ère iconoclaste.
« La hiérarchie céleste magique, que l'Église a maintenue dans le domaine de la pseudomorphose occidentale avec tout le poids de son autorité et qui, depuis les anges et les saints, s'élève jusqu'aux personnes de la Trinité, perd peu à peu de sa consistance, de ses couleurs. Insensiblement, le diable, cet autre grand protagoniste du drame gothique de l'univers, disparaît également des possibilités du sentiment faustien. Le diable, sur lequel Luther jeta autrefois son encrier, est depuis longtemps l'objet d'un silence embarrassé de la part des théologiens protestants. La solitude de l'âme faustienne ne s'accorde pas avec un dualisme des puissances cosmiques. Dieu lui-même est le Tout » [LDO, I,278].
L'Europe méridionale a conservé plus longtemps son caractère charnel en matière théologique et métaphysique : le culte des saints (« sortis » en procession idolâtre), les reliques, ainsi qu'une adoration régressive de la Vierge, aimée parfois à la manière des anciennes déesses païennes. L'âme de l'Europe protestante, avec son rigorisme iconoclaste, est restée plus solitaire dans cette aspiration à l'infini, comme un naufragé dans l'océan sans repères, et tout cela pour avoir éliminé les médiateurs après la Réforme: ni image, ni prêtre, ni Marie. Il n'est pas étonnant que, ayant perdu ou oublié l'infini théologique, cette Europe soit retombée dans une version judaïsante du christianisme: un Dieu sans intermédiaire, un Dieu lointain et sévère, un Dieu moraliste. Une sorte de maître d'école aigre, toujours prêt à abattre sa baguette sur la chair de l'élève indiscipliné. Le vrai Dieu infini, dynamique, l'Être qui est Lui-même son être, le Dieu catholique faustien a disparu d'Europe. Dans le sud, on l'a paganisé. Dans le nord, on l'a judaïsé.
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mardi, 03 juin 2025
La Chine est-elle moderne ou traditionnelle?
La Chine est-elle moderne ou traditionnelle?
Raphael Machado
Lorsque l'on débat de la Chine aujourd'hui, l'une des questions qui se pose est de savoir si le pays a complètement embrassé la modernité ou s'il reste attaché à la tradition.
L'un des principaux débats actuels sur la Chine est de savoir si elle est « capitaliste » ou « socialiste », avec de bons arguments des deux côtés (et même de bons arguments qui vont dans le sens du "ni l'un ni l'autre").
Une discussion moins populaire, mais plus intéressante, porte sur la question de savoir si la Chine contemporaine correspond à une « société traditionnelle » ou si elle s'inscrit déjà pleinement dans les repères de la modernité.
Par « société traditionnelle », nous entendons ici l'adhésion sociopolitique à des principes considérés comme intemporels et inconditionnels, qui renverraient à une dimension transcendante et sacrée et qui irradieraient la totalité sociale. Le contenu de cette principologie dépendrait naturellement de la manière dont un peuple s'est structuré historiquement (raison pour laquelle la « tradition » a une nature kaléidoscopique – elle est une éternité instanciée). Par modernité, nous faisons bien sûr essentiellement référence aux croyances des Lumières dans la primauté de la raison, le constitutionnalisme, la séparation entre l'État et la religion, la conception négative de la liberté, le principe de légalité, etc.
D'une manière générale, les arguments en faveur de la catégorisation de la Chine contemporaine comme pleinement moderne soulignent la persécution religieuse menée par le maoïsme, le contrôle des religions par l'État, le pragmatisme technique et pratique dont font preuve les Chinois dans leurs affaires et leurs relations, sans oublier, bien sûr, le fait que le PCC interdit officiellement à ses membres d'avoir une religion.
La réalité est cependant infiniment plus complexe.
Tout d'abord, parce que la conception chinoise de la « religion » est totalement différente de la perception occidentale. Pour les Chinois, « religion » (zongjiao) désigne exclusivement les sectes organisées et institutionnelles dotées d'une doctrine et d'un dogme. Cela exclut d'emblée tant la spiritualité populaire (appelée plus récemment « shénisme » ou « shénxianisme ») que le confucianisme. Pour le PCC (et pour la plupart des Chinois), adhérer aux rites traditionnels chinois et aux pratiques et croyances confucéennes n'équivaut pas à avoir une « religion ». Il est donc possible de participer au culte des ancêtres, de pratiquer le feng shui, d'allumer de l'encens pour l'Empereur Jaune et de participer aux rites confucéens sans être considéré comme ayant une « religion ».
Guénon est, à proprement parler, un auteur qui rejette classiquement l'attribution du mot « religion » (telle qu'elle est comprise lorsqu'on parle de christianisme, de judaïsme et d'islam) aux traditions orientales, y compris le taoïsme et le bouddhisme (qui sont considérés comme des « religions » en Chine), car Guénon affirme qu'elles sont dépourvues des éléments sentimentaux, moraux et dévotionnels qui sont plus typiques de ces religiosités moyen-orientales.
C'est dans ce sens qu'il faut interpréter les statistiques religieuses de la Chine, où « identification religieuse » et « pratique religieuse » ne sont pas confondues. En d'autres termes, les statistiques indiquent que 90% de la population chinoise n'a pas de religion, mais que 80% de la population chinoise adopte régulièrement des pratiques religieuses traditionnelles. Cela inclut les membres du PCC. Une statistique du Pew Research Center, par exemple, indique que 79% des membres du PCC se rendent au moins une fois par an au cimetière pour vénérer leurs ancêtres. Ce taux est supérieur à celui de la population chinoise moyenne.
Il est intéressant de noter qu'en ce qui concerne les autres pratiques religieuses, les non-membres du PCC ont tendance à être plus religieux que les membres. Mais l'explication est très simple: la plupart des membres du PCC n'ont pas de religion... mais sont confucéens. Ils célèbrent tous les rites et fêtes confucéens, vénèrent leurs ancêtres, se rendent probablement dans les temples confucéens (qui sont d'ailleurs subventionnés par l'État) et cultivent les vertus confucéennes. En d'autres termes, le confucianisme « pur » semble être très populaire parmi les membres du Parti, tandis que le reste de la population est plus adepte du shénisme mélangé à des éléments confucéens, à du bouddhisme et du taoïsme. Néanmoins, 40% des membres du PCC pratiquent le feng shui, et au moins 18% d'entre eux brûlent de l'encens plusieurs fois par an pour Bouddha ou les dieux.
En ce qui concerne les relations entre l'État et la religion, il est important de souligner que l'État chinois s'est toujours attribué le droit de contrôler, de placer sous tutelle, d'influencer et de supprimer les différentes sectes, écoles et doctrines qui ont tenté de se répandre en Chine. Ainsi, le fait que le PCC cherche à exercer une influence sur le christianisme, le taoïsme, le bouddhisme, etc. par le biais d'institutions alignées sur l'État signifie simplement que le PCC s'inscrit dans la continuité de la relation typique entre ces sphères en Chine.
En outre, on parle beaucoup du « contrôle négatif » imposé par la Chine, mais on mentionne rarement que la Chine vise à limiter la croissance des religions étrangères en particulier, alors qu'elle subventionne et encourage depuis plusieurs années l'ouverture de nouveaux temples et la formation de nouveaux prêtres bouddhistes, taoïstes, confucéens et shénistes. Il en résulte, par exemple, une augmentation de 300% de la fréquentation des temples bouddhistes depuis 2023, la majorité des fidèles étant des jeunes.
Pour en revenir au confucianisme, l'État a récemment commencé à rétablir le guoxue dans les écoles, c'est-à-dire l'étude des classiques confucéens, qui était autrefois une condition préalable à la réussite des examens impériaux. En outre, il existe un courant intellectuel fort qui défend l'institutionnalisation du confucianisme et sa transformation en religion civile officielle. Bien que cela semble lointain, dans la pratique, la pensée de Xi Jinping représente déjà une synthèse entre le maoïsme et le confucianisme, ce qui est très explicite dans la manière non dualiste dont la Chine aborde aujourd'hui la question des classes sociales.
Laissant de côté l'adhésion et la pratique religieuses, nous pourrions nous détourner vers l'observation des valeurs traditionnelles chinoises. Le « communisme » a-t-il fondamentalement déraciné ou déstructuré les valeurs traditionnelles de la Chine ?
Pour cela, nous devons comprendre quelles sont ces valeurs. L'intellectuel russe Nikolai Mikhailov a énuméré une série de concepts, de principes et d'affections qui composent la vision traditionnelle chinoise du monde; nous pouvons en citer quelques-uns: « Le monde comme harmonie intrinsèquement parfaite entre le Ciel et l'Homme, comme un équilibre naturel et harmonieux des contraires, dont la violation implique la détérioration de la nature et de l'homme », « Rapidité, responsabilité, pragmatisme, religiosité quotidienne », « Perception de la société comme une « grande famille », où les intérêts de l'individu sont subordonnés aux intérêts de la famille, les intérêts de la famille aux intérêts du clan et les intérêts du clan aux intérêts de l'État », « paternalisme et tutelle des aînés sur les plus jeunes », « hospitalité », « modération », « dignité, humilité, obligation, respect des traditions et des canons, respect de la hiérarchie sociale, piété filiale, vénération des ancêtres, patriotisme, soumission aux supérieurs, sens du devoir et justice sociale ».
Ainsi, lorsqu'un anticommuniste sinophobe disqualifie la Chine contemporaine en la qualifiant de « collectiviste » ou critique les Chinois pour leur « soumission à la famille et au gouvernement », attribuant tout cela à la « Révolution », il ne fait que décrire des caractéristiques chinoises qui ont pourtant été cultivées depuis des millénaires. Même cette question de « faire payer le prix de la balle aux proches de la personne exécutée pour avoir été condamnée à mort » est typiquement chinoise. La tradition chinoise croit en des punitions collectives pour les familles suite aux crimes d'un de leurs membres, et considère cela comme une question évidente et habituelle.
Passant des coutumes à une dimension plus métaphysique, même le Tianxia (c'est-à-dire l'idée de la Chine comme centre du monde, gouvernée par un Mandat Céleste, imprégnée de la mission d'apporter l'harmonie et l'équilibre aux « terres barbares ») reste vivante dans la pensée de Xi Jinping, dans la conception du multipolarisme selon Jiang Shigong (photo), qui envisage la Chine occupant le centre du cosmos dans une structure planétaire harmonieuse, bien que décentralisée. L'initiative « Belt & Road » n'est donc rien d'autre que l'application pragmatique et technique de l'idée métaphysique de « Tout sous le ciel ».
Il est toutefois indéniable que les Chinois ont souffert des mêmes dilemmes et fardeaux liés à l'urbanisation, au technocratisme, au consumérisme et à la société du spectacle – même si c'était peut-être d'une manière différente et dans une moindre mesure que les Occidentaux, les Européens, etc. La Chine a clairement connu une « modernisation » très rapide, même si elle n'était peut-être que partielle.
La meilleure catégorie pour décrire la condition chinoise est donc le concept douguinien d'« archéomodernité ». Selon Douguine, l'archéomodernité est « un système dans lequel tout est très moderniste à l'extérieur, mais profondément archaïque à l'intérieur ». Dans les pays archéomodernes, c'est comme s'il y avait deux niveaux existentiels contradictoires et concomitants: une sorte d'ordre officiel moderniste, tandis que la population reste profondément immergée dans le monde traditionnel.
Douguine utilise ce terme pour expliquer les contradictions russes et, à mon avis, il convient bien pour décrire la Chine, où coexistent gratte-ciel, méga-ponts, IA et drones, avec le culte religieux de Mao (et des dieux traditionnels), la pratique quotidienne de la médecine chinoise et l'utilisation du feng shui pour organiser les espaces publics et privés.
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L'Être et l'Avoir, Vieille France versus Jeune Amérique
L'Être et l'Avoir, Vieille France versus Jeune Amérique
Claude Bourrinet
Un expert yankee aurait lu sur les lèvres de la baffeuse Brigitte, et elle aurait proféré la suprême insulte : "Tu n'es qu'un looser !"
Authentique ou non, cette giclée de venin est vraisemblable. Outre qu'un terme anglo-saxon est employé (on sait que Brigitte a passé plusieurs années aux Etats-Unis), nous sommes là dans le champ lexical de l'Amérique profonde, celle du dollar, du matérialisme le plus crasse, et d'une éthique d'épicier.
Hier, je conversais avec mon voisin, qui est d'origine australienne, mais qui est aussi français (ah ! le Grand Remplacement !), et qui, du reste, possède le manoir d'à-côté. Après avoir parlé de la cathédrale de Chartres, de Julien Gracq, nous sommes convenus, par je ne sais par quel glissement du dialogue, que la différence essentielle entre les Français et les Américains, était celle de la conception du bonheur. Lui qui a travaillé à l'ONU, et en tant qu'Anglo-Saxon, il a eu tout le loisir de fréquenter des Yankees, et il a trouvé, chez eux, une constante : celui qui reste (ou devient) pauvre à cinquante ans, a raté sa vie. Être riche, c'est réussir. Et, nous avons admis que les Français, en général (nous sommes, il est vrai dans les archétypes nationaux, qui souffrent des exceptions), ne se préoccupent pas de cette situation pécuniaire pour juger des personnes.
Bien sûr, il y a, chez nous, des riches, des nécessiteux, et parfois, nous ne sommes pas tendres avec les "cassos", accusés de profiter de l'aubaine de la manne étatique, et de ne rien foutre. Le bourgeois, du fait qu'il sait compter, peut aussi profiter d'un préjugé favorable quand il s'agit de gérer une collectivité. Dans mon village, c'est le cas quand on élit un maire. Il n'en demeure pas moins, au grand dam des libéraux américanisés que notre nation chie parfois, que l'argent, en soi, ne jouit pas d'une réputation élogieuse, qu'en gagner abondamment paraît toujours un peu suspect, qu'à sa puissance est rattachée l'idée de tricherie, de perversion, d'abus et de vol, et que les riches sont souvent haïs, au nom de l'égalité de tous, et de la justice.
Il faut ajouter que la conception de la vie, chez nous, traditionnellement, historiquement, "culturellement" - je parle de la France, non de la Hollande, de la Grande Bretagne, ou de l'Allemagne (ndlr: notre ami Claude semble oublier le solide ruralisme de la Bavière catholique ou du Slesvig-Holstein luthérien, terre de la grande révolte paysanne contre l'usure qui séduisit tant Ernst Jünger) - (mais cela pourrait être le cas en Espagne ou en Italie), est substantiellement liée à l'idée de bonheur gratuit. J'adjoins au substantif "bonheur" l'épithète "gratuit", car l'Amérique aussi, redevable des idées des Lumières, a placé le bonheur comme dessein de l'homme. Mais pour elle, elle n'est pas sans s'unir à l'idée d'avoir. Tandis que pour nous, être heureux, c'est être. L'amour, le loisir contemplatif, la dilection pour le plaisir simple, pour le beau, pour la civilité, les liens familiaux et sociaux, pour l'art de la conversation, par exemple, et d'autres billevesées que les utilitaristes de l'économie hard jugeraient superfétatoires, tiennent une place centrale.
Certes, du moins en surface, notre peuple, tant les hautes et moyennes classes que les basses couches de la population, a subi, ces dernières décennies l'infestation de la sous-culture américaine, qui a changé quelque peu les habitudes de vie, et même, parfois, les rêves. Il arrive que l'on s'imagine plus, comme Bardella, à Miami, que visitant la cathédrale de Chartres. On sait aussi que notre "élite" a changé sa peau pour troquer celle du Yankee, et que, chez elle, les aller-venues Paris New York (ou Los Angeles) sont fréquents. On n'ignore pas non plus que cette élite dégénérée cherche à nous convertir à l'économie du fric, et sa mentalité utilitariste et fonctionnaliste (et néanmoins pourrie) ressemble à celle d'un Evangéliste conditionnant le "croyant" à la culture du travail, de la rentabilité, de la productivité, de l'enrichissement.
En 1983, la gauche "moderne" américanisée, à la Fabius, à la Rocard, a "réconcilié" le "peuple de gauche" avec la Bourse. Un Macron propose aux jeunes un destin de milliardaire. On sait aussi que celui qui ne possède pas une Rolex à cinquante ans a raté sa vie. Et que celui qui ne gagne pas au moins 5000 euros par mois (sans doute plus, depuis !, disons 6000) n'est qu'un looser. Mais les gens qui affichent ces âneries méprisables ne sont pas français.
Plusieurs raisons tiennent sans doute à l'existence d'une mentalité aussi hostile au culte de l'argent. Pour ce qui concerne le Nouveau Monde, la mentalité de parvenus, l'origine des migrants, bandits, miséreux voulant s'"en sortir", rapaces avides, ont rejeté loin des considérations aussi futiles que l'amour de l'art, la politesse, le loisir cultivé, le jardinage, la gastronomie, la lecture, etc., et ont focalisé toute l'attention sur le pillage d'un immense continent, où l'horizon civilisationnel est bien simple, et se réduit à travailler pour consommer, et à consommer pour travailler.
Notre Vieille Europe a eu toute une durée de plusieurs dizaines de millénaires pour, comme d'antiques habitants d'un terroir bichonné par d'innombrables générations de paysans, savourer la vie, comme des propriétaires heureux de contempler le ciel qu'encadre leur domaine. Gracq faisait remarquer qu'en Amérique, nulle part on ne trouvera un endroit qui paraisse "fini". Tout y semble provisoire, en instabilité et transformation fébrile. Ces gens sont pressés, l'action est leur raison d'être, mais c'est celle des Affaires, du business. Tout ce qui ne se vend pas ne vaut rien, y compris un chef-d'oeuvre.
L'attachement à l'Ancien Testament a été sans doute comme une onction divine, comme un acquiescement de Dieu pour cet état mental. Nous sommes, dans le fond, catholiques et païens, et c'est peut-être ce qui nous sauve encore. Pour combien de temps ?
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La rhétorique d’escalade de Merz est un signe de faiblesse stratégique
La rhétorique d’escalade de Merz est un signe de faiblesse stratégique
Elena Fritz
Source: https://pi-news.net/2025/05/merz-eskalationsrhetorik-ist-...
Les déclarations de Merz concernant la levée des restrictions quant à la portée balistique des armes livrées par l'Occident à l’Ukraine indiquent la continuité d’une simulation politique qui joue la militarisation.
Les propos récents du chancelier fédéral Friedrich Merz concernant la levée des restrictions quant à la portée balistique des armes livrées par l'Occident à l’Ukraine ne constituent pas un changement de cap, mais la poursuite d’une simulation politique qui joue la fermeté militaire. Ceux qui connaissent la réalité opérationnelle savent que l’Europe est au bout de ses capacités logistiques et politiques. La livraison de missiles SCALP et Storm Shadow franchissait déjà une ligne rouge. Il est probable, de surcroît, que les missiles Taurus aient déjà été livrés en secret à Kiev.
L’explication de Merz n’est avant tout qu’un signal à Washington. Car l’UE ne mène pas une politique étrangère indépendante, mais agit en réaction aux mouvements impulsés par les États-Unis. En l’absence de leadership stratégique propre, elle se contente de répétitions – même si la situation sur le champ de bataille n’est plus décidée par des systèmes d’armes, mais par le temps, la persévérance et la clarté politique.
L’initiative stratégique appartient désormais clairement à la Russie. Moscou a – malgré l’aide occidentale à Kiev – déterminé le rythme de l’escalade en cours. La Russie reste calme, augmente progressivement la pression et attend l’épuisement des soutiens européens. Car une chose est indiscutable: la soi-disant « coalition pour l’Ukraine » à l’Ouest montre des signes de dissolution. Le désaccord sur les objectifs, les ressources et les risques paralyse la capacité de décision.
Inévitable réaction russe
Mais le point essentiel est : si l’Allemagne devient réellement partie prenante et directe du conflit – par exemple en utilisant offensivement les missiles Taurus contre des cibles à l'intérieur du territoire russe – une réaction russe sera inévitable. Et cette réaction ne se limitera plus au territoire ukrainien. Une contre-attaque limitée mais symbolique contre les infrastructures occidentales en Europe serait militairement et politiquement logique – notamment pour dissuader et envoyer un signal à Washington.
Encore une chose: en laissant Berlin décider de la portée des armes et en autorisant Kiev à choisir les cibles, l’Allemagne cède le dernier reste de sa souveraineté militaire à l’Ukraine. C’est une irresponsabilité sécuritaire et un danger extrême pour l’État allemand. Aucun État souverain ne peut tolérer que son propre destin soit décidé par des tiers sur le champ de bataille.
Conclusion
Ce qui aujourd’hui ressemble à un soutien bien arrêté à l’Ukraine pourrait demain devenir l'étincelle d’une catastrophe paneuropéenne. Le gouvernement allemand doit faire un choix: continuer à jouer la carte de l’escalade symbolique ou enfin agir dans l’intérêt de sa propre population ? La diplomatie, et non la rhétorique de guerre, est la seule voie praticable et raisonnable. Tout le reste mènera à une dynamique que l’Allemagne ne pourra plus contrôler.
* * *
Annexe:
Elena Fritz, juriste russo-allemande et analyste politique, est l’une des rares voix dans la politique allemande qui n’hésite pas à dire ce que la majorité sait mais tait : l’Allemagne est devenue une colonie américaine, l’UE est un marécage bureaucratique sans souveraineté, et la seule manière pour les peuples européens de sortir de cette gadoue est de rejeter la dictature centralisée de Bruxelles et de revenir à des relations bilatérales authentiques.
Elena Fritz, sans compromis, analyse la situation qui règne aujourd'hui en Allemagne, les relations de ce pays avec la Russie, la guerre en Ukraine et la crise migratoire, révélant notamment combien Berlin a perdu son indépendance et comment la Serbie, la Slovaquie et la Hongrie pourraient justement devenir des modèles de résistance face à toute pression extérieure.
Qui est Elena Fritz et pourquoi sa voix est-elle importante ?
Née au Kazakhstan, Elena Fritz a grandi entre deux cultures – la russe et l'allemande. En tant qu’enfant de migrants, sa famille est arrivée en Allemagne en 1999; elle a personnellement poursuivi ses études et est devenue juriste. Initialement engagée politiquement au sein de la SPD, elle a quitté le parti lorsqu’elle a compris que la politique n’était plus dirigée par Helmuth Schmidt ou Willy Brandt, mais par une politique dictée depuis Washington.
Elle a rejoint l'Alternative pour l’Allemagne (AfD), où elle participe activement aux commissions pour la politique étrangère et la défense. Elle critique les sanctions contre la Russie, soutient le renforcement de la souveraineté des États européens et prône la fin de l’immigration sans restriction, qu’elle considère comme une arme clé dans la déstabilisation de l’Allemagne et de l’Europe.
L’Allemagne n’est plus un État souverain, dit-elle.
Elena Fritz affirme qu’après 2014, Berlin a complètement remis les clés du pays au département d’État américain. La perte d’indépendance énergétique, l’effondrement de l’industrie en raison des sanctions contre la Russie, et la transformation de la Bundeswehr en une unité expéditionnaire de l’OTAN ne sont que quelques exemples du statut colonial de l’Allemagne.
Selon elle, le chancelier allemand Olaf Scholz a mené une politique de vassal obéissant, tandis que Washington utilise l’Ukraine comme un appât géopolitique pour épuiser la Russie et pour provoquer l'effondrement de l’Europe. « On nous a dit que les sanctions affaibliraient Moscou, mais tout ce qu’elles ont réussi à faire, c’est parachever l’autodestruction économique de l’Allemagne », souligne Elena Fritz.
Elle critique particulièrement le fait que l’Allemagne ait renoncé à sa possibilité d’être un pont entre l’Est et l’Ouest. Au lieu de cela, elle suit aveuglément une stratégie très conflictuelle, sans réaliser qu’un nouvel ordre multipolaire se forme déjà dans le monde, dans lequel les BRICS+ et l’Organisation de coopération de Shanghai se dirigent vers la domination globale.
"Ceux qui autorisa la livraison et l'utilisation des missiles Taurus, doivent aussi nous expliquer comment ils pourront empêcher une riposte contre des cibles sur le territoire allemand. La politique extérieure n'est pas un jeu de rhétoricien, mais une question de responsabilité nationale".
13:18 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, allemagne, friedrich merz, affaires européennes, missiles taurus, bellicisme | |
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Entretien avec Christopher Gérard sur La Source pérenne
Entretien avec Christopher Gérard sur La Source pérenne
Propos recueillis par Robert Steuckers
En 25 ans, en un quart de siècle, votre dernier ouvrage, avec ses trois éditions successives, est bel et bien inscrit dans la durée. Doit-on attribuer cette résilience à la mission que s’était assignée jadis un jeune philologue classique qui refusait que sa discipline reste confinée aux musées, à une vulgate ad usum Delphini ou subisse les moqueries des utilitaristes claironnant que l’étude des langues anciennes « est une perte de temps » ? Quid de l’enseignement des humanités gréco-latines aujourd’hui, véhicules théoriques, avec d’autres, de la transmission des sources (pérennes) ? Leur défense n’est-elle pas un combat parallèle tout aussi essentiel que l’évocation littéraire et poétique des traditions vernaculaires partout en Europe ?
En effet, lors de mes études, j’ai perçu une double menace sur les langues anciennes : celle de leur disparition annoncée au nom de fariboles à prétentions égalitaristes (« privilège bourgeois », donc à supprimer d’office au lieu de le proposer à tous) ; celle de leur muséification qui pouvait aboutir à la neutralisation de notre héritage plurimillénaire par le biais d’une forme de relativisme, illustrée par la déclaration d’un celtisant qui, affolé par la puissance des mythes qu’il étudiait, m’affirma piteusement : « J’aurais tout aussi bien pu dédier ma vie à l’étude de l’Islam ».
Si l’on réfléchit bien, tout a été dit par les Anciens : Thucydide et Marc Aurèle, Tacite et Cicéron, tant d’autres, ont donné de l’expérience humaine un tableau exhaustif. La force d’un Platon ou d’un Sénèque pulvérise d’emblée les discours convenus, les propagandes les plus insidieuses, que les études gréco-latines, qui forment à la connaissance approfondie de la rhétorique, permettent de décoder, ou, pour parler post-moderne, de « déconstruire ». Défendre cet accès direct à l’héritage, cette formation de l’esprit dès le plus jeune âge relève du combat culturel au sens le plus noble du terme. Pas de plus puissant vaccin contre le virus de l’idéologie, quelle qu’elle soit. Pas de meilleure potion contre les ravages de l’amnésie collective. L’effondrement de la lecture, les mutations à marche forcée de l’enseignement vers un nivellement toujours plus intégriste, le triomphe de l’image (authentique ou non) et des écrans (avec la chute dramatique de la capacité de concentration) constituent de fameux défis pour les tenants d’une culture traditionnelle. Mais, pour paraphraser certain poète provençal, le désespoir en métapolitique est une sottise absolue, tant les cerveaux, notamment européens, possèdent une capacité d’adaptation, une créativité qui nous étonneront.
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Quel est l’impact d’une œuvre comme celle de Walter Otto, que vous avez souvent cité mais qui reste trop peu connu, à mon sens, quand on aborde les thématiques de la « source pérenne » ?
En effet, vous avez raison, W. F. Otto est, comme Friedrich Georg Jünger, trop méconnu dans le domaine francophone, faute de traductions. Ce n’est pas à vous que je dois faire remarquer la paresse du monde éditorial francophone par rapport à l’intense activité des Italiens ou des Anglo-Saxons. C’est grâce à Marcel Detienne, anthropologue et historien des religions d’origine belge, que j’ai découvert Otto à l’âge de dix-neuf ans, en première candi ! Il s’agissait de sa magistrale préface à la traduction française de Les Dieux de la Grèce, chez Payot, où Detienne soulignait que ce professeur de grec, muté en 1934 à l’université de Königsberg par le nouveau pouvoir, professait « sa foi en Zeus l’Olympien ». L’apport d’Otto, outre une désespérante connaissance des sources dans la plus pure tradition de la Quellenforschung , est sa volonté, étayée avec rigueur, de comprendre le monde ancien avec les yeux d’un Grec. D’où ses portraits saisissants d’Apollon ou d’Hermès. Le même Otto avait aussi étudié le conflit entre monde antique et chrétienté, et l’obstacle épistémologique que constitue l’habitus judéo-chrétien, qui empêche de « voir » ces dieux grecs. Mon travail de dilettante s’inscrit dans cette prestigieuse lignée.
Votre démarche est-elle forcément plus héraclitéenne que parménidienne voire socratique ?
Je suis plus sensible à Héraclite qu’à Parménide, qui me reste encore hermétique. Je n’abandonne pas la partie ; j’attends la retraite pour retravailler tout ce pan de la pensée grecque. Le polémos héraclitéen, sa vision cosmique d’un univers éternel obéissant à des cycles cadencés est d’une totale poésie, et relève de l’inspiration pure, quasi divine. Socrate, lui, reste le père de la maïeutique et le maître de l’ironie, découvertes extraordinaires de la pensée européenne.
Sans Socrate, nous ne serions pas aussi libres que nous ne le sommes (potentiellement). Et sans les Grecs, nous n’existerions pas. Imagine-t-on l’Europe, ne fût-ce que sans le théâtre, la tragédie et la comédie ? Socrate nous exhorte à la recherche de la vérité par-delà les faux-semblants ; il nous pousse à vouloir nous perfectionner sans cesse - le propre d’un maître.
Le récit de sa mort volontaire par Platon est saisissant ; il a marqué en profondeur tous les Bons Européens depuis vingt-cinq siècles. Avec Antigone, avec Ulysse et Hector, Socrate demeure l’une des figures les plus lumineuses de notre tradition.
Qu’en est-il de la tradition platonicienne. Peut-on oser vous placer dans les habits d’un nouveau Pléthon ?
Que serait l’Europe sans les grands mythes platoniciens, comme le mythe de la caverne, que le philosophe Jean-François Mattéi a étudié de manière magistrale ? Et la théorie de la connaissance, l’image de la montée du char ailé ? Le détachement des réalités sensibles pour découvrir le Monde des Idées ? Que dire de l’influence dans toute l’Europe d’un livre comme Le Banquet ? Et des visions cosmiques du Timée, qui inspirèrent sa théorie des atomes à Heisenberg ? Certes, Nietzsche s’oppose à Platon, de manière frontale… mais le défi n’est-il pas de penser Platon et Nietzsche de concert ?
Si je puis me permettre un conseil de lecture platonicienne, outre les textes du philosophe lui-même, il y a l’excellent roman du Roumain Vintila Horia, La Septième Lettre.
Lors de mes études à l’ULB, j’ai découvert chez un grand libraire de Bruxelles que vous avez aussi connu, Alain Ferraton, la biographie monumentale du philosophe byzantin Georges Gémiste Pléthon par François Masai, Pléthon et le platonisme de Mistra (Belles Lettres, 1956), dont la lecture me transporta.
L’auteur était un dominicain défroqué qui avait enseigné dans mon université et dirigé un département à la Bibliothèque royale. Il avait côtoyé de grands savants belges qui avaient chacun étudié l’ancien paganisme : Joseph Bidez, le biographe et l’éditeur de l’empereur Julien ; Franz Cumont, le spécialiste du culte de Mithra ; le byzantinologue Henri Grégoire… La Belgique de la première moitié du XXème siècle a été un carrefour des recherches sur le paganisme, par exemple à l’Université de Liège pour ce qui est du courant pythagoricien. Toute une génération libérée des carcans catholiques a pu s’épanouir et creuser un sillon très profond dans une zone sensible du savoir.
Plusieurs de mes professeurs avaient bien connu Masai ; l’homme détonnait par son immense érudition et aussi, comme plusieurs anciens ecclésiastiques qui avaient quitté les ordres, par son platonisme clairement paganisant - qui heurtait ces positivistes pur sucre (dont je ne fus jamais).
Vous comprenez donc que, dans mon premier roman, Le Songe d’Empédocle, j’ai tenu à célébrer Pléthon et ses disciples, réunis dans la société secrète qu’il avait créée pour défendre l’hellénisme menacé par les Ottomans, La Phratrie des Hellènes. Un chercheur français, Claude Bourrinet, qui a écrit sur Jünger et Stendhal (ce qui est bon signe), vient de livrer une étude sur Pléthon, Zoroastre et Sparte, à laquelle je renvoie.
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2025/04/29/plethon-sparte-et-zarathoustra.html
Rappelez-nous les raisons de votre engouement pour la figure d’Empédocle ?
Empédocle d’Agrigente, penseur à la vie mystérieuse, devin errant, a exercé sur la pensée européenne une influence énorme, notamment par sa théorie des Quatre Eléments. Nietzsche disait de lui qu’il était « la figure la plus bariolée de la philosophie ancienne » et qu’il définissait comme « l’homme agonal ».
Le Zarathoustra de Nietzsche doit beaucoup à cette figure fascinante qu’il décrit comme « le philosophe tragique par excellence », dont il loue « le pessimisme actif et non quiétiste ». Empédocle a aussi influencé Platon, Aristote, Lucrèce et Plotin, avant de laisser une empreinte sur l’hermétisme arabe et persan. Enfin, Hölderlin et Schopenhauer, Freud et Bachelard ont cheminé à ses côtés. Empédocle préférait créer des énigmes que dicter des solutions ; il a été mal compris pendant des siècles, déformé même, et ce au nom du principe du tiers exclu, qui exige qu’un philosophe ne peut en aucun cas se doubler d’un mystique. Or, chez Empédocle mythe et raison s’harmonisent dans une quête tant intérieure qu’extérieure. Mieux : un courant empédocléen se mêle au pythagorisme pour survivre bien plus tard que prévu dans le soufisme et chez nos alchimistes. Vous voyez qu’il s’agit d’une de ces figures souterraines de la culture européenne, dans l’ombre mais essentielle.
Votre position de philologue classique, qui parle de plein droit du paganisme grec, vous immunise contre tout un kitsch pseudo-païen, de la Wicca américaine aux druidismes de pacotille. Quel message adressez-vous à ceux qui risquent de tomber dans ce piège ?
Si je n’ai guère d’intérêt pour la Wicca, qui se développe surtout en terre anglo-saxonne et protestante, où la tradition du carnaval est moins enracinée que chez nous, catholiques (je parle en païen post-catholique ; je serais né protestant ou orthodoxe, mon discours varierait sans doute), le druidisme, lui, mérite plus d’attention car il a beaucoup évolué depuis trente ans. De loin, je suis l’un ou l’autre nouveau druide et je dois avouer que cela se décante et que leur travail me semble sérieux. Il y a bien sûr dans nombre de groupes un kitsch wiccan ou néo-celtique, avec tatouages et tutti quanti, qui m’horrifie à cause de leur mauvais goût, et de leur confusionnisme qui n’évite pas les génuflexions « correctes ».
Le message ? Retour aux textes, lecture rigoureuse, rejet de toute dérive mercantile, de tout délire confusionniste.
Aujourd’hui, en ce jour de mai 2025, quelles pistes explorez-vous ou quelles pistes suggérez-vous d’emprunter à vos lecteurs ?
Une piste me vient à l’esprit, à développer dans le cadre d’un monde multipolaire : le filon taoïste, en pleine renaissance dans la Chine contemporaine, future puissance hégémonique. Un mode de pensée païen, polythéiste et non dualiste, me paraît une façon de nouer un dialogue avec les taoïstes et aussi les confucéens, dont nous avons beaucoup à apprendre en termes de longue mémoire. Idem avec les Indiens et les Japonais, chez qui le fait de ne pas se présenter comme chrétien ou « occidental » (donc « supérieur ») facilite le dialogue. Il y a là un capital de sympathie, une possibilité d’entrer dans d’autres logiques qui me paraissent importantes dans le cadre d’une stratégie globale.
Christopher Gérard
Ixelles, Calendes de juin MMXXV.
Lectures complémentaires:
D'un auteur francophone à un autre auteur francophone et à une langue inconnue en Europe:
"Maugis" de Christopher Gérard: plus vrai que le vrai:
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/02/11/m...
Maugis ou l'autre armée des ombres
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2020/09/30/m...
Entretien avec Christopher Gérard
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2019/03/15/e...
Entretien sur "Le Prince d'Aquitaine": trois questions à Christopher Gérard
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2019/01/08/e...
"Le Songe d'Empédocle" de Christopher Gérard
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2015/05/09/l...
12:03 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : entretien, christopher gérard, hellénisme, antiquité grecque, lettres, lettres belges, littérature, littérature belge, humanités gréco-latines, philologie classique, paganisme | |
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