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mardi, 28 octobre 2025

Gracq, le goût, le jugement, la littérature

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Gracq, le goût, le jugement, la littérature

par Claude Bourrinet

J'ai tenu à reproduire le texte de Gracq qui suit, et qui appartient aux entretiens accordés à Jean Carrière. Il y est question de "goût", point d'ancrage, s'il en est, de la critique littéraire depuis Montesquieu, depuis le début du XVIIIe siècle. Ce critère de valeur appartient particulièrement au monde du classicisme, ou du néoclassicisme, qui s'inscrit dans la longue tradition romaine d'une culture livresque nécessaire à la sélection des oeuvres. Certaines demeurent "classiques", illustres, donc, et destinées à être étudiées en classe.

Gracq est plus ou moins embrigadé par une certaine droite, il est vrai de moins en moins substantielle, soit qu'elle tende à s'amenuiser avec le nombre de ceux qui lisent encore, ou qu'elle tende même à constituer une minorité parmi ceux qui se contentent d'une consommation d'ouvrages produits industriellement. Gracq a la réputation d'être provincial, terne, grisâtre, sans scandales, sans cette ostentation provocatrice que prisent volontiers les entrepreneurs d'idées de notre pays, de gauche, certes, mais pas toujours. Partant, on a cru l'incorporer dans la cohorte des réactionnaires. A vrai dire, si la droite s'en est réjouie, la gauche littéraire l'a dénoncé comme tel.

C'est évidemment mal le connaître. Les exemples sont extrêmement nombreux de sa dilection à privilégier, parmi les livres qu'il a croisés, ceux qui, d'une façon ou d'une autre, ont sécrété assez de poudre pour faire exploser une ville, comme certaines oeuvres de Stendhal, de Rimbaud, de Lautréamont, des surréalistes, de Claudel et d'autres, ou qui (et ce sont du reste les mêmes) ont ouvert grand les portes sur le vent du large.

Sa conception de la littérature, du moins du roman, appartient de plain pied à la modernité. Pour lui, un roman est tout fiction : le monde supposé "extérieur", les personnages, les indices de réalité, rien n'est lié au "réel". Même la mort, qui termine invariablement ses romans, n'a de valeur qu'imaginaire. C'est-à-dire que ce qui donne consistance à un récit, c'est le verbe, le mot, la phrase. En ce qui concerne son "style", il trace un sillon d'existence avec une entière liberté d'invention, tordant, ses longues phrases, les disloquant, les nouant et les dénouant dans un jeu qui, parfois, semble nous faire perdre la piste, mais nous y ramène par des chemins de traverse. Le "sens" qui se dégage de ses romans trahit aussi une position singulièrement "rebelle", puisque, dans un premier temps, après avoir braisé l'atmosphère où se noient ses personnages dans de noires lumières, il dérive vers les lisières de l'Histoire, entre rêverie et abandon à l'instant, pour finir par choisir, avec joie et gratitude, l'appel de la Terre, non celle des paysans, comme invitait à le faire un Barrès, mais à la façon du poète, qui unifie le monde sur le point concret où s'inscrivent les pas du promeneur.

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Gracq n'est pas du tout "classique", ni passéiste, dans tous les domaines. Il se réclame ardemment du romantisme, surtout du romantisme allemand, Novalis, Hölderlin, Arnim, Kleist et d'autres, et surtout des poètes qui ont marqué les différentes ruptures de la poésie française, depuis Nerval et Baudelaire, jusqu'à Breton, en passant par Rimbaud, Lautréamont. Rappelons aussi qu'il était un fervent admirateur de Jünger. La littérature de fauteuil douillet, et la peur d'effaroucher le bourgeois (sans qu'il eût le désir de l'épater, ou de le déranger) n'étaient pas de son monde.

"L'idée de "goût" est difficilement dissociable de celle de « culture », et celle-ci de la digestion et de la longue rumination de la littérature passée. C'est avec le développement de cette culture que le goût est censé se former : plus ou moins conservateur par sa nature, il tient à une tradition, et cherche inconsciemment, peu ou prou, à la prolonger dans le tri qu'il opère de la littérature qui se fait. Pour cette raison, et pour d'autres, c'est une notion peu franche, qui ne s'avoue pas tout à fait pour ce qu'elle est, plutôt hostile à la nouveauté, et qu'il y a intérêt à utiliser le moins possible : l'idée de jugement, par exemple, paraît en matière de littérature, plus claire et plus saine que celle de goût. Le surréalisme, à mon avis, comme le romantisme autrefois, comme tous les mouvements révolutionnaires, a été parfaitement fondé à le suspecter (« Je me fais du goût l'idée d'une grande tache », a écrit à peu près Breton). C'est une idée qui tend à se rasseoir, comme s'est rassise déjà l'idée équivoque de « Beauté ».

lundi, 27 octobre 2025

La part mafieuse de l’État profond

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La part mafieuse de l’État profond

par Georges Feltin-Tracol

Commissaire général de la Police nationale, diplômé de Sciences – Po Paris, de criminologie et en droit, Jean-François Gayraud a déjà signé plusieurs ouvrages dont Le Monde des mafias : géopolitique du crime organisé (Odile Jacob, 2005) et L’art de la guerre financière (Odile Jacob, 2016). Le plus récent, paru en octobre 2023, concerne La Mafia et la Maison Blanche. Un secret si bien gardé de Roosevelt à nos jours (Plon, 574 p., 24,90 €).

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En s’appuyant sur une riche bibliographie de vingt pages, il étudie ce qu’il qualifie de « part d’ombre de la démocratie américaine », à savoir le rôle du crime organisé auprès des présidents des États-Unis d’Amérique à partir de Franklin Delano Roosevelt (1933 – 1945). Ainsi s’intéresse-t-il aux présidences de Roosevelt, de Truman, de Kennedy, de Johnson, de Nixon, de Reagan, de Clinton, d’Obama, du premier Trump et de Biden. « En revanche, avertit-il, nous n’aborderons pas 5 d’entre elles (Eisenhower, Ford, Carter, Bush père puis fils). Ce silence sur ces périodes n’est pas le fait d’un choix ou d’un oubli, mais s’explique par l’absence de sources crédibles. En effet, au fil des années, nos recherches n’ont jamais fait apparaître de traces suffisamment pertinentes. Au demeurant, ce vide doit être interprété avec prudence, puisque l’absence de preuve n’est pas toujours la preuve de l’absence ». Il souligne plus loin que « la dynastie Bush a suscité des interrogations quant à certains aspects de ses intérêts dans le monde du pétrole, de la finance ou de l’armement, aux États-Unis et à l’étranger. Cependant, rien qui ne concerne directement la Mafia ».

Jean-François Gayraud estime que « la haute criminalité est une dimension oubliée de la grande histoire ». Son « livre propose donc d’éclairer l’histoire politique visible par l’apport d’une histoire invisible et de l’invisible, cachée, au profit d’une histoire épaisse et profonde ». Son travail, très fouillé, s’accompagne en fin de volume d’un appareil critique de notes de soixante-trois pages.

Il observe que la « criminalisation aurait provoqué l’émergence d’un sixième pouvoir – après le législatif, le judiciaire, l’exécutif, la presse (quatrième) et le militaire/renseignement (cinquième) – capable d’influencer en profondeur le gouvernement, le droit, l’économie, les valeurs, les goûts, les mœurs: le crime organisé, jouant le rôle d’un “ gouvernement d’appoint ”, indépendant des autres pouvoirs ». Son expertise l’amène à analyser sa structure interne. La Mafia n’est pas un ensemble monolithique. C’est plutôt une société secrète criminelle dont l’unité de base repose sur la « Famille ». « Il ne s’agit pas d’une réalité biologique, précise-t-il, mais d’une construction par un processus d’initiation. Une Famille n’est donc pas constituée par des individus ayant tous un lien familial biologique (père, fils, cousin, oncle, neveu, etc.), mais par des hommes de sexe masculin [sic !], catholique et d’ascendance italienne, ayant été choisis pour intégrer cette nouvelle entité qui forme désormais leur nouvelle “ Famille ”. » Les groupes mafieux nord-américains se coordonnent plus ou moins avec de nombreuses nuances suivant les périodes, les objectifs visés et la personnalité de leurs chefs respectifs. Mais la figure du « Parrain » représente surtout une belle diversion. Par exemple, « la direction de la Famille de Chicago est traditionnellement collégiale. Al Capone puis Frank Nitti ne sont que des boss en titre. Le vrai pouvoir s’exerce de manière plus collective en coulisse. Ce leurre permet aux vrais chefs d’œuvrer à moindre risque. Ces boss de l’ombre sont alors Paul Ricca, Tony Accardo et Murray Humphreys ».

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Al Capone et Frank Nitti.

On croit souvent que le berceau de la Mafia italo-américaine se trouve à New York ou à Chicago. Erreur ! Les lecteurs férus des polars étatsuniens savent que son foyer originel se situe à La Nouvelle-Orléans. En raison de cette ancienneté, la Famille de cette ville dispose d’une autonomie certaine et couvre autant la Louisiane que le Texas.

Dans un long chapitre, Jean-François Gayraud revient sur l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy en 1963 à Dallas. Pour lui, l’acte est commandité par la Mafia avec l’aide technique d’agents recrutés par la CIA pour des opérations clandestines anti-castristes à Cuba. À la fin de la décennie 1950, Mafia et CIA collaborent de manière ponctuelle sous la supervision lointaine du vice-président Richard Nixon. L’auteur revient en outre sur le rôle effacé du FBI dans la lutte anti-Mafia en raison des consignes de modération ordonnées par son tout-puissant directeur de 1924 à 1972, John Edgar Hoover. Ce dernier façonne le FBI en police politique et non pas en une force destinée à combattre les malfrats. La Mafia le tenait-elle grâce à des dossiers compromettants sur ce parieur frénétique des courses hippiques et sa vie privée ?

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John Edgar Hoover.

L’action du FBI en tant que police politique répressive s’efface grâce au cinéma qui l’enjolive en institution probe et courageuse. Il faut néanmoins savoir que la Mafia contrôle l’industrie cinématographique et le divertissement de masse. Le futur 40e président des États-Unis, acteur de profession à l’origine, Ronald Reagan, fut longtemps le président du principal syndicat des acteurs, la Screen Actors Guild (SAG), noyauté par les mafieux bien qu’« en Californie, la Famille présente à Los Angeles est faible en nombre et en organisation, et elle fonctionne sous la domination de celle de Chicago. La Californie, à l’image du Nevada, a toujours été un territoire plus ou moins ouvert à toutes les Familles; là, la Mafia emploie un plus grand nombre d’avocats, de banquiers et d’investisseurs, une technique lui permettant ainsi une présence plus diffuse et surtout très intégrée aux élites économiques. Elle est en fait souvent indissociable du big business ».

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Bien que modelé par le milieu, le 7e art ose parfois évoquer certains sujets connexes tels le film de Doug Liman Barry Seal. American Traffic (2017). Pilote talentueux, Barry Seal transporte des tonnes de cocaïne aux États-Unis au profit du cartel colombien de Medellin et en liaison avec la CIA. Il fuit vite la Louisiane et s’installe en Arkansas qui « sert alors de base arrière pour les transferts d’armes orchestrés par la CIA au profit des Contras au Nicaragua, ainsi que leur entraînement militaire ». On est à l’origine du fameux scandale de l’Irangate. Jean-François Gayraud signale qu’« à partir des années 1980, l’Arkansas devient “une petite Colombie”, un épicentre du trafic international de cocaïne. L’État est miné de l’intérieur par une narco-corruption endémique, protégée aux plus hauts niveaux de responsabilité. L’expression de “narco-État” n’est pas exagérée, tant la corruption née du trafic de la drogue y est répandue (p. 395) ». Bill Clinton, futur 42e président étatsunien (1993 - 2001), y exerce d’abord la fonction de procureur général (ministre de la Justice) de 1977 à 1979, avant d’en devenir le gouverneur à cinq reprises (1979 – 1981 et 1983 - 1992).

show-photo-2162642560.jpgOn peut toutefois regretter que l’auteur ne mentionne pas les relations étroites entre la Mafia, par l’intermédiaire du cinéma, et d’une part du « cinquième pouvoir », à savoir le complexe militaro-médiatique, grand instigateur du « cinéma de sécurité nationale » (Jean-Michel Valantin). Jean-François Gayraud n’hésite pas pourtant à citer les travaux de Peter Dale Scott sur l’« État profond ». Craint-il de s’éparpiller ou de s’aventurer sur des terrains glissants et obscurs ? D’éclairer les coulisses de l’histoire apparente ?

Il évoque cependant un roman de politique-fiction paru à Chicago en 2000. On relève des similitudes troublantes avec l’ascension de Barack Obama, élu de l’Illinois et donc de… Chicago. On oublie qu’Obama fut le sénateur local de 1997 à 2004. L’auteur d’America’s First (Research Association School Times Publications, Frontline Distribution International, 351 p., Chicago)), Charles D. Edwards a alors 31 ans. Ce Noir a grandi au Queens à New York. Il déménage et travaille à la mairie de… Chicago. Ce roman raconte l’arrivée au pouvoir à 46 ans de Calvin Smart. Bon orateur et juriste noir brillant, marié à Audrey, elle-même juriste, il atteint la fonction de président pro tempore du Sénat, soit le 4e personnage de l’État. Le président des États-Unis meurt d’une attaque cardiaque. Puis son vice-président devient le 44e président. Mais il meurt aux côtés du speaker de la Chambre des représentants (le 3e personnage de l’État) dans un attentat à Londres. Calvin Smart arrive à la Maison Blanche. Depuis toujours, le nouveau président fréquente la féroce Famille Giovinci et reçoit de fortes pressions de la Mafia afin de ne pas légaliser les drogues.

Entrepreneur immobilier à New York, Donald Trump doit rencontrer pour ses affaires des membres du milieu. Il y est contraint parce que « durant trois décennies (1970 – 1990), les cinq Familles de New York disposent d’une mainmise quasi absolue sur le marché du bâtiment et de la construction (BTP) à New York. […] La Mafia contrôle tous les métiers liés au secteur: le béton évidemment, mais aussi la maçonnerie, la plomberie, les fenêtres, la peinture, la menuiserie, etc. » Père spirituel de Trump, l’avocat Roy Cohn, démocrate, juif et homosexuel, « représente un lien unique vers la Mafia et les syndicats sans qui ses projets immobiliers ne peuvent prospérer sans heurt. Il est l’homme des contacts sensibles et des pots-de-vin, celui qui achète la paix et forge les alliances politiques et mafieuses ». Faute de preuves solides, Jean-François Gayraud ne fait qu’effleurer la présence insistante de quelques membres de la pègre russophone dans la proximité de l’homme d’affaire.

La Mafia et la Maison Blanche raconte plus d’un demi-siècle d’histoire souterraine passionnante. Il confirme le caractère ploutocratique des États-Unis d’Amérique. L’auteur explique bien en note que « le système démocratique américain est devenu malade en raison du pouvoir des lobbys et de l’argent – deux phénomènes liés – qu’une décision de la Cour suprême de 2010 (Citizen United vs Federal Election Commission) a conforté. Désormais, les entreprises privées et les syndicats peuvent participer au financement des campagnes sans limitation de versements. La corruption politique a été ainsi en partie légalisée ». Du fait de sa dépendance intrinsèque aux puissances financières, les États-Unis d’Amérique, par-delà la dimension mafieuse de l’État profond, sont très certainement – et de loin ! – le principal État-voyou de la planète.  

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 171, mise en ligne le 23 octobre 2025 sur Radio Méridien Zéro.

Le "mur coupe-feu" continue d’agiter les esprits en Allemagne – quelques faits

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Le "mur coupe-feu" continue d’agiter les esprits en Allemagne – quelques faits

Peter W. Logghe

Source: https://www.facebook.com/peter.logghe.94

Le ‘mur coupe-feu’, utilisé systématiquement comme un instrument antidémocratique, choque tellement que même le SPD appelle à briser le cordon sanitaire. Face à l’augmentation des pourcentages de l’AfD dans divers sondages, des dirigeants du SPD ont demandé à la CDU de modifier sa politique du ‘mur coupe-feu’ – mais uniquement en ce qui concerne Die Linke. Le ministre de l’Intérieur de Thuringe, Georg Maier (SPD), a déclaré au quotidien allemand Handelsblatt que diverses clauses d’incompatibilité, énoncées au sein de la CDU, empêchent la formation de majorités stables. Et c’est pourquoi l’AfD gagne de plus en plus d’adhérents.

Le contexte derrière tout cela sont les récents sondages dans le Land allemand de Saxe-Anhalt: l’AfD pourrait obtenir 40 % des voix, la CDU environ 26%. Un gouvernement sans l’AfD ne peut exister qu’avec une coalition incluant Die Linke. Mais la clause d’incompatibilité de la CDU empêche une telle coopération. « Il s’agit d’une nécessité realpolitisch », disent aussi Sebastian Fiedler et Sebastian Roloff. Donc: avec Die Linke. La seule autre option, mais posée comme « impossible », serait une collaboration « avec les ennemis de la démocratie, comme le parti d’extrême droite AfD ». La ‘tolérance’ de la gauche ne fait qu’aggraver le fossé social en Allemagne.

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La base locale de la CDU voit cela autrement: le mur coupe-feu, c’est n’importe quoi !

Stefan Kerth, président du district CDU en Vorpommern-Rügen, a demandé dans une vidéo à son parti de briser le cordon sanitaire contre l’AfD. Littéralement: « Le mur coupe-feu, c’est n’importe quoi, il n’a fait que renforcer l’AfD » (dans le journal local Ostsee-Zeitung). Non, ce que la CDU doit faire maintenant, c’est établir des conditions pour une coopération avec l’AfD: « La CDU veut faire avancer les choses, mais le cordon empêche tout changement de cap. » Et il a ajouté: « Pourquoi la CDU ne formule-t-elle pas des conditions pour une coopération? Dire quelles personnes, quelles activités, quels points du programme l’AfD doit abandonner?».

La CDU doit s’ouvrir à des coalitions et des partenariats en dehors des partis de gauche, et très rapidement: «Mieux vaut le faire maintenant, tant que nous pouvons encore en définir les accents et la direction». Kerth a échangé en 2023 sa carte de membre du SPD contre celle de la CDU à cause de la politique migratoire. Il a déjà déclaré qu’aucun changement fondamental de cap sur la migration n’est possible sans l’AfD. Depuis 2015, l’Allemagne a perdu le contrôle, et les partis de gauche ne traiteront jamais la problématique migratoire en profondeur, car ils la minimisent toujours.

Kerth ne voit aucun danger dans une participation au gouvernement de l’AfD: « Dans notre proximité, gouvernent des partis de droite et des nationalistes, des collègues de l’AfD. Et pourtant, le monde ne s’est pas effondré ! Et c’est précisément l’Allemagne, très sensible à l’histoire, qui retomberait immédiatement dans des affres similaires à celle qui existaient sous le Troisième Reich s'il n'y avait pas le cordon sanitaire? Je n’y crois plus. » Par ailleurs, d’autres politiciens CDU/CSU plus éminents s’expriment également en faveur de la levée du mur coupe-feu contre l’AfD, comme l’ancien ministre de la Défense Karl-Theodor zu Guttenberg, l’ancien secrétaire général de la CDU Peter Tauber et le président du comité des valeurs de base de la CDU, Andreas Rödder.

Hongrie et Roumanie: des raffineries de pétrole russe en flammes. Était-ce les Ukrainiens?

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Hongrie et Roumanie: des raffineries de pétrole russe en flammes. Était-ce les Ukrainiens?

Budapest/Bucarest. En quelques heures seulement, deux raffineries de pétrole ont explosé en Roumanie et en Hongrie, lundi 20 octobre. D’abord, vers 11h30, la raffinerie Petrotel-Lukoil à Ploieşti, en Roumanie, a explosé, et quelques heures plus tard, un incendie majeur s’est déclaré à la raffinerie MOL à Százhalombatta, en Hongrie. Les deux installations sont alimentées en pétrole brut via le pipeline russe Druzhba. 

La proximité temporelle des incidents alimente les spéculations sur des actes de sabotage ciblés. Les deux raffineries appartiennent à des entreprises ayant des liens étroits avec la Russie – Lukoil est un géant énergétique russe, MOL continue de maintenir des relations commerciales avec Moscou malgré la guerre en Ukraine. 

Les incidents se sont produits le jour même où les ministres européens de l’énergie ont adopté une feuille de route pour mettre fin aux importations d’énergie russes d’ici 2028. Kiev tente depuis un certain temps de faire pression sur les États membres de l’UE, qui continuent de dépendre du pétrole russe. 

Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a dû rassurer la population: l’approvisionnement en carburant était assuré, et les causes des explosions seraient examinées en profondeur. Cependant, Orbán ne peut pas non plus nier que l’Ukraine a, à plusieurs reprises, attaqué des infrastructures énergétiques russes dans le passé, et en 2023, elle a décerné une distinction à un commandant de drones responsable des attaques contre le pipeline Druzhba. 

Si l’implication ukrainienne dans les explosions est confirmée, la politique européenne se retrouverait dans une impasse difficile. D’un côté, la plupart des États membres de l’UE soutiennent toujours Kiev dans sa lutte contre la Russie. De l’autre, des attaques contre des installations énergétiques dans des États membres de l’OTAN pourraient être interprétées comme hostiles. Comme on le sait, des saboteurs ukrainiens sont également considérés comme principaux suspects dans l’explosion des pipelines Nord Stream en 2022. 

Ni Bucarest ni Budapest n’ont encore officiellement exprimé de soupçons contre Kiev. Les enquêtes sur les causes des incendies se poursuivent dans les deux pays (mü).

Source: Zu erst, Oct. 2025.

samedi, 25 octobre 2025

Pourquoi les libéraux se détestent-ils eux-mêmes?

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Pourquoi les libéraux se détestent-ils eux-mêmes?

Alexandre Douguine

Dans la psychologie et les sciences politiques, il existe désormais un terme intéressant qui devient de plus en plus usité: l’oikophobie. Ce terme désigne une haine profonde et irrationnelle de tout ce à quoi on appartient — le foyer, la culture, la famille, le peuple, l’État, et finalement, on débouche sur la haine de soi.

En psychologie, la haine des objets ou des choses courantes comme les meubles et les possessions familières de la maison, ainsi que la colère envers ses proches, peuvent être une manifestation de l’oikophobie.

En politique, l’oikophobie est souvent considérée comme une caractéristique des libéraux et des gauchistes. Ils ont une vision négative de l’amour pour le foyer, la famille, le patriotisme, le respect des traditions et pour toute identité stable. Ils considèrent intrinsèquement ces éléments comme indésirables, voire comme relevant du « fascisme ».

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Dans de nombreux cas, l’oikophobie est favorable aux gauchistes et aux libéraux, car elle peut être efficace pour promouvoir une stratégie de transgression de tout, de contestation, de déplacement des frontières, d’insolence envers les lois, les normes, et en faveur de la rupture de tous les tabous.

Dans la culture post-moderne, cette caractéristique prédominante est devenue la norme — désormais, la transgression et la désobéissance à tout sont devenues la norme, alors que l’adhésion aux traditions et aux lois est condamnée comme un mal à éradiquer.

Plus tôt, Macron avait déclaré que la France n’était pas sa patrie, mais plutôt un hôtel ou un arrêt temporaire dans son itinéraire. C’est pourquoi nous assistons à un déclin esthétique comme celui qui nous a été infligé lors de l’ouverture des Jeux Olympiques 2024 — une transgression et une démesure absolues, reposant sur des versions extrêmes de l’oikophobie. Cela reflète également le profil psychologique et politique de la majorité des mondialistes, des progressistes et des soutiens du Parti démocrate américain.

L’oikophobie est largement répandue parmi les libéraux russes, ainsi que parmi certains courants de la nouvelle gauche russe, qui tendent vers une interprétation trotskyste du marxisme et rejettent la version du patriotisme qui dominait sous l’ère soviétique.

De nouvelles recherches montrent que l’oikophobie est, en son essence, une blessure psychologique, qu’elle soit congénitale ou acquise, souvent liée à d’autres traumatismes psychologiques (souvent survenus durant l’enfance).

Conclusion : les libéraux (oikophobes) doivent suivre une thérapie.

L’Inde se rapproche-t-elle de l’Afghanistan pour contenir le Pakistan?

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L’Inde se rapproche-t-elle de l’Afghanistan pour contenir le Pakistan?

Lucas Leiroz

Source: http://newsnet.fr/293967

Un récent conflit entre des nations islamiques vient de se produire dans un contexte de rapprochement entre l’Afghanistan et l’Inde.

La décision récente de l’Inde de rouvrir son ambassade à Kaboul et de recevoir officiellement le chef de la diplomatie afghane s’est produite à un moment sensible, où se déroulait un affrontement armé, qui ne fut que de courte durée, entre les forces afghanes et pakistanaises. Bien que New Delhi n’ait aucun lien direct avec ces hostilités, il est plausible d’affirmer que le pays perçoit l’environnement régional actuel comme une opportunité de revoir et d’actualiser sa stratégie régionale — en particulier vis-à-vis du Pakistan.

Récemment, les forces armées afghanes et pakistanaises se sont affrontées dans la région frontalière de Spin Boldak. Selon le gouvernement taliban, le Pakistan a lancé l’attaque avec des armes légères et lourdes, tuant 15 civils et provoquant plus de 100 blessés, y compris des femmes et des enfants. Kaboul a affirmé avoir répliqué avec fermeté, en détruisant des postes militaires et en capturant des armements ennemis.

Islamabad, pour sa part, nie la version afghane, accusant les Taliban d’avoir lancé l’attaque en ciblant un poste militaire pakistanais. Selon l’armée pakistanaise, 37 combattants talibans auraient été tués lors de l’opération de représailles. Après quelques engagements courts mais dangereux, y compris après des bombardements aériens de part et d’autre, la situation semble enfin avoir pris une tournure de désescalade. Un cessez-le-feu temporaire de 48 heures a été convenu entre les deux parties, avec l’engagement de rechercher des solutions par le dialogue.

Dans ce contexte d’instabilité régionale, l’Inde a décidé de reprendre officiellement sa présence diplomatique à Kaboul. Bien que les autorités indiennes présentent ce geste comme le volet d’une démarche humanitaire et technique, le calendrier et la symbolique ne passent pas inaperçus. À un moment où le Pakistan fait face à des pressions simultanées à ses frontières et sur la scène intérieure, l’Inde repositionne sa stratégie régionale en s’appuyant sur le principe classique de la dissuasion.

Historiquement associé à la Guerre froide, le concept de dissuasion implique l’utilisation de moyens indirects pour limiter l’expansion d’un acteur adverse. Dans le contexte sud-asiatique, l’Inde ne semble pas chercher un affrontement direct avec Islamabad, mais vise plutôt à accroître sa capacité d’influence et d’interaction avec des acteurs voisins qui peuvent servir de contrepoids régional. Dans ce cas, l’Afghanistan offre à l’Inde une alternative diplomatique — pas nécessairement hostile, mais stratégiquement utile.

Il est important de noter que l’Inde ne soutient pas officiellement le gouvernement taliban, ni ne reconnaît sa légitimité. Cependant, en décidant de rouvrir son ambassade et d’accueillir des autorités afghanes à New Delhi, elle indique sa volonté de maintenir le dialogue et une présence active dans un pays qui a historiquement été dans l'orbite pakistanaise. La nouvelle approche indienne semble moins idéologique et plus pragmatique: engagement sélectif, axé sur la stabilité, l’infrastructure et une présence stratégique.

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Pour l’Afghanistan, qui éprouve des tensions avec le Pakistan et est toujours isolé sur la scène internationale, l’intérêt que lui portent les Indiens représente une voie de diversification géopolitique. Pour Islamabad, la manœuvre de New Delhi peut être perçue comme une stratégie de dissuasion indirecte: il ne s’agit pas d’une menace militaire, mais d’une érosion progressive de l’influence pakistanaise dans son environnement immédiat.

L’Inde ne fomente pas de conflits ni n’instrumentalise des crises, mais montre une capacité à transformer des moments d’instabilité régionale en fenêtres stratégiques. En renforçant sa présence à Kaboul lors d’une crise frontalière, elle projette l’image d’une puissance autonome et pragmatique, adaptée aux circonstances d’un monde instable et en transition — où l’équilibre ne se définit plus par des alliances rigides, mais par une flexibilité diplomatique et une présence sur plusieurs terrains.

Plutôt que d'affronter directement le Pakistan, l’Inde semble miser sur la dissuasion comme mécanisme à long terme. Cette approche combine diplomatie et positionnement géographique, en investissant dans des canaux parallèles d’influence qui limitent la marge de manœuvre de son rival traditionnel. Dans un scénario post-occidental, ce type de stratégie silencieuse peut être aussi efficace que des alliances militaires formelles.

En résumé, le réalignement actuel entre l’Inde et l’Afghanistan révèle non seulement une adaptation aux nouvelles dynamiques régionales, mais aussi un exercice sophistiqué de dissuasion stratégique. Sans recourir à la force, sans provoquer de confrontations directes, l’Inde renforce son rôle de puissance régionale agissant avec autonomie, pragmatisme et attention à l’équilibre multipolaire du système international.

vendredi, 24 octobre 2025

Identité et avenir de la civilisation occidentale - Un point de vue iranien

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Identité et avenir de la civilisation occidentale

Un point de vue iranien

Docteur Hamid Parsania

Hojjat al-Islam wa Muslimin Hamid Parsania

La mondialisation – le sécularisme – et l’oubli du sacré, ainsi que l’absence de celui-ci, constituent les concepts les plus importants pour exprimer l’identité de la nouvelle civilisation et culture occidentale. Dans l’histoire, la sécularisation, c’est-à-dire la mondanisation, fut un processus continu; cependant, une approche spirituelle et sacrée a toujours occupé une place importante et prédominante dans le domaine de la culture publique ainsi que dans les institutions scientifiques et épistémologiques. C’est pourquoi la tendance vers la mondanité s’est souvent dissimulée derrière des interprétations sacrées et spirituelles. Mais la civilisation moderne de l’Occident, en raison de phénomènes historiques liés à la sécularisation, a pu transformer sa forme théorique et philosophique en un concept de sécularisme, en se présentant comme un mythe de la démythification du monde dans le cadre d’une idéologie dominante, et de nouvelles figures épistémologiques sont entrées dans le champ de l’existence humaine.

L’intellect, qui auparavant était considéré comme l’Esprit Saint, la grâce divine générale et étendue qui illuminait et révélait l’univers et l’homme, a d’abord été réduit à l’horizon de la connaissance humaine et de la compréhension conceptuelle, pour enfin devenir une chose purement mentale – subjective – et, par la suite, une phénomène intersubjectif culturel et historique.

L’empirisme et le matérialisme, qui constituent une forme de réalisme mondain, sont devenus les courants épistémologiques dominants dans ce monde. Des philosophes tels que Descartes, Bacon, Hume, Kant, Nietzsche, Foucault, ainsi que des penseurs comme Hegel, Feuerbach et Marx ont façonné cette vision du monde.

Le résultat de ces changements a été la domination d’une rationalité instrumentale. Bien que cette rationalité, appelée science, ait été le fruit de cette évolution, sa norme ultime dans les sciences naturelles et humaines ne consiste qu’en la domination sur la nature ou sur l’homme.

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Max Weber parle d’un autre type de rationalité, orientée vers le domaine des valeurs, des idéaux, et des vérités sacrées et transcendantes. Il croit que ce type de rationalité, bien qu’ayant existé dans d’autres civilisations, n’a plus de traces dans la société occidentale contemporaine.

La civilisation occidentale, en raison de son approche mondaine et de son identité épistémologique, a créé des institutions scientifiques, économiques et politiques qui ont désormais dépassé leurs frontières, marginalisant ou subordonnant d’autres civilisations. Aujourd’hui, l’Occident n’est plus une culture limitée à une région géographique, mais une culture hégémonique mondiale. Les divisions diverses ainsi que les pluralités politiques et économiques mondiales, comme celles qui ont existé entre le bloc de l’Est et l’Ouest au 20ème siècle ou la division Nord-Sud, sont toutes des divisions qui se produisent dans le cadre de la même culture et civilisation, selon ses contradictions internes. C’est pourquoi les problèmes et les dommages de cette civilisation sont des défis mondiaux. Leur résolution concerne l’humanité entière dans sa situation actuelle.

La caractéristique principale de cette civilisation est que, malgré le fait que ses dimensions civilisationnelles ont atteint une envergure mondiale et dépassent sa propre histoire, elle est en revanche plus vulnérable que jamais dans ses dimensions épistémologiques et spirituelles. Alors que la civilisation occidentale ressent plus que jamais le besoin de sens dans sa vie, elle en est dépourvue parce qu’elle ne possède pas de logique ou de méthode pour l’atteindre. En effet, bien qu’elle bénéficie plus que jamais d’un rationalisme instrumental, elle est incapable de faire la distinction entre des valeurs qui donnent un sens et une finalité à la vie et à l’existence. Selon Max Weber, la seule réponse dans ce domaine est que chacun suit son propre Satan.

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La civilisation occidentale a construit son identité sur la base de l’existence mondaine et cette vie présente. Concernant la présence du sacré dans l’espace de l’existence et sa relation avec celui-ci, si elle ne nie pas l’existence sacrée, cela témoigne uniquement de son ignorance à son sujet.

Le sacré et l’existence sacrée ne sont pas des choses qui se placent en dehors ou en deçà de la vie mondaine et terrestre. Le sacré, qui concerne l’existence infinie et sans limite, s’il existe, est avant tout une unité mêlée à la vérité de cette existence, ce qui signifie qu’il ne peut y en avoir qu’un seul, et, deuxièmement, il reconnaît les choses multiples et limitées comme des signes, des manifestations et des révélations de lui-même. En d’autres termes, la présence ou l’absence du sacré dans l’interprétation et la signification de l’identité et de la vérité des mondes pluriels influence la compréhension. Par conséquent, l’ignorance et l’ignorance du sacré et du transcendant mènent à une ignorance de la signification et de la vérité de l’être, qui se manifestent dans la vie et l’existence mondaine.

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L’oubli du sacré par la culture occidentale et l’absence du sacré dans le cœur de la compréhension de cette civilisation ne sont rien d’autre que de l’ignorance, de l’aliénation par rapport à la vérité de cette civilisation et à ses éléments constitutifs. La puissance de cette aliénation et de cette ignorance repose sur le manque de cette même rationalité que les penseurs de cette civilisation reconnaissent plus que tout au cours de l’histoire. La solution à ce problème consiste à s’éloigner des obstacles que les penseurs et philosophes de cette culture ont progressivement construits au fil des siècles.

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L’interaction entre le Créateur et l’être humain, ainsi que la relation avec l’héritage spirituel et sacré de l’humanité, peut aider l’homme contemporain et la civilisation d’aujourd’hui à surmonter ces obstacles. Dans une lettre à Gorbatchev, l’imam Khomeini a évoqué une partie de l’héritage cognitif de la culture islamique pour cette interaction. Il a parlé du potentiel de la sagesse d’Avicenne pour briser les limites de la pensée positiviste, ainsi que des innovations de la philosophie de l’illumination de Suhrawardi pour réduire l'impact de la raison humaine et le type de connaissance conceptuelle qui facilitent la subjectivation ou la suppression des dimensions transcendantes et sacrées. Il a appelé les intelligences vives de la société russe à rechercher la relation avec le Créateur et l’héritage mystique du monde islamique, afin de voir la pluralité mondaine et terrestre du monde moderne à la lumière de l’unité de l’existence sacrée divine, comme le prétendent toutes les religions monothéistes.

La biographie de Carl Gustav Jung, le grand chamane

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La biographie de Carl Gustav Jung, le grand chamane

L'auteure du volume, Paola Giovetti, dirige la revue historique Luce e Ombra, organe de la Fondation Bibliothèque Bozzano-De Boni de Bologne

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/125477-la-biografia-di-carl-gus...

giovetti-350x497.jpgLa biographie de Jung pour les Edizioni Mediterranee

Paola Giovetti est une auteure prolifique, spécialisée dans les thématiques liées à la recherche psychique. Elle dirige la revue historique Luce e Ombra, organe de la Fondation Bibliothèque Bozzano-De Boni de Bologne. Il ne pouvait donc manquer, dans sa vaste bibliographie, un volume dédié à C. G. Jung. Son dernier ouvrage, Carl Gustav Jung, le grand chamane. Une biographie, vient tout juste de paraître auprès des Edizioni Mediterranee. (Pour commander : ordinipv@edizionimediterranne.net, Tél.: ++39 6 323 54 33). Il s’agit d’un travail organique, exhaustif, qui donne au lecteur un accès approfondi, non seulement à la biographie extérieure du psychanalyste suisse, mais révèle aussi les traits saillants de sa vie intérieure et de son parcours “réalisatif”.

Mme Giovetti montre une connaissance peu commune de la bibliographie critique consacrée à Jung, dont l’interprétation est menée avec une pertinence argumentative et une force de persuasion faites d’insistances ininterrompues. Elle s’attarde, ce qui constitue le principal mérite du volume, sur des aspects jusque-là tus, de la personnalité de Jung, exposée dès l’enfance au mystère de la vie. La reconstruction biographique est minutieuse, soutenue par une documentation abondante et une prose captivante qui rend la lecture agréable, comme c’est généralement le cas dans l’historiographie biographique anglo-saxonne.

Pour parler comme Prezzolini, Jung fut vraiment “un fils du 20ème siècle” (1875-1961), dont il vécut les tragédies et les élans intellectuels. Selon moi, pour entrer dans le vif du sujet, il est utile de commencer par le récit d’un rêve d’enfance du grand intellectuel, rapporté par l’auteure. Jung vit, dans cette expérience onirique, une prairie verte où « s’ouvrait une fosse sombre très profonde [...] en laquelle on descendait par un escalier raide [...]; au fond, il trouva un drap vert pareil à celui d'une tente » (p. 27), au-delà duquel, dans une salle, se trouvait un trône doré surmonté d’un tronc de chair et de peau, avec un grand œil dans la partie supérieure. Il s’agissait du « phallus rituel, symbole de vie et de puissance, que l’on trouve à l’origine de nombreuses religions de l’antiquité » (pp. 27-28).

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Dès l’enfance, Jung, donc, pressentit sa mission “chamanique” : connaître, par la résolution de l’ombre, le Soi, auquel on accède par l’intégration de la personnalité. Les chamans, rappelle Eliade, ont toujours œuvré, dans leurs voyages périlleux dans les “multiples états de l’être”, au bénéfice de leurs semblables, révélant que, dans la physis, tout est animé, en relation perpétuelle, dans une perspective, pour le dire avec Evola, de transcendance immanente. La même tâche que Jung se fixa face à l’humanité désorientée du 20ème siècle.

Ce n’est pas un hasard si Giovetti évoque la possible filiation familiale du Suisse avec J. W. Goethe, pour lequel Carl manifesta, dès sa jeunesse, une évidente harmonie de vision, notamment pour les œuvres scientifiques du poète (appréciées, entre autres, par Rudolf Steiner).

bleuler-1571495924.pngJung aurait voulu faire une carrière en archéologie, mais des raisons familiales l’incitèrent à étudier la médecine et à se consacrer à la psychiatrie. Poussé par le professeur Bleuler (photo), il consacra sa thèse à la psychologie et à la pathologie des phénomènes occultes. Jung participa activement aux expériences médiumniques de sa cousine, H. Preiswerk. Lui-même vécut d’ailleurs des expériences paranormales dans les maisons où il habitait : il entendit des “explosions” provenant des bibliothèques et vit un couteau se briser mystérieusement en quatre parties. Cet objet fut soigneusement conservé par le savant jusqu’à la fin de ses jours. Le savant suisse était étranger à tout dogmatisme, en particulier vis-à-vis des phénomènes mentionnés, à tout préjugé positiviste, niant la possibilité de l’impossible. Il rencontra Freud, qui le choisit comme élève préféré et comme possible successeur.

Paola Giovetti reconstitue leur relation, relevant que la cause de leur dissension n’était pas uniquement d’ordre théorique. Jung ne supportait pas le pansexualisme dogmatique du père de la psychanalyse, qu’il considérait comme un échappatoire de nature compensatoire à la dimension religieuse rejetée par l’athée Freud. Toutefois, dans la rupture, un rôle important fut joué aussi par leurs “équations personnelles”. Ce fut “l’assassinat du Père” Freud qui mit Jung en confrontation directe avec l’inconscient.

jung_wolff_emma-1359858254.jpgCe moment historique fut très difficile pour le psychologue des archétypes, qui réussit à surmonter la crise grâce à une figure féminine de grande importance pour sa vie, Tony Wolff (ci-contre). Jung, avec cette patiente et élève, eut une liaison passionnée que sa femme Emma parvint à tolérer grâce à l’amour sincère qui la liait à Carl. D’ailleurs, la confrontation avec l’“éternel féminin” selon Goethe joua toujours un rôle déterminant pour Jung, comme en témoigne la relation avec Sabine Spielrein, discutée par Giovetti.

L’animus masculin et l’âme féminine doivent s’intégrer pour parvenir à la coincidentia oppositorum alchimique. L’intérêt de Jung pour l’alchimie, développé suite à la lecture du Mystère de la fleur d’or, est essentiel pour comprendre la psychologie analytique: « La nigredo des alchimistes correspond à la confrontation avec l’Ombre […] L’albedo […] correspond à la rencontre avec l’archétype de l’âme pour le mâle et l'archétype de l’animus pour la femelle […] la rubedo représente la rencontre avec l’archétype du Soi » (p. 125).

Le-Livre-rouge-edition-texte-3328007814.jpgLa lecture du Livre rouge, composé de textes écrits en calligraphie gothique et de dessins, parmi lesquels de nombreux mandalas, clarifie la dimension imaginale, loin d’être centrée sur le logos, de la pensée jungienne, et symbolise le parcours existentiel et spirituel du psychothérapeute. Jung a tout mis en évidence dans la construction de la Tour de Bollingen, à laquelle il a travaillé personnellement, témoignage architectural de son univers de référence. Un cosmos silencieux face à l’approche casuistique, mais qui se révèle par l’approche analogique et synchronicique : « Le concept de synchronicité […] désigne la correspondance significative d’événements sans relation causale entre eux » (p. 157). Jung était homo religiosus: grâce à l’intégration acquise, il put conclure une interview, dans la dernière période de sa vie: «Je n’ai pas besoin de croire, je sais!» (p. 207).

Paola Giovetti, Carl Gustav Jung, Il grande sciamano. Una biografia (= Le grand chamane. Une biographie), Edizioni Mediterraneo, 210 pages, 19,50 euros.

Parution du numéro 488 du Bulletin célinien, consacré à Roger Nimier

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Parution du numéro 488 du Bulletin célinien, consacré à Roger Nimier

Sommaire :

2025-10-BC_Cover.jpgNimier, un an avant

Hussard un jour… hussard toujours

Prince de la chronique

Entretien avec Marc Dambre et Alain Cresciucci

Esthète et solitaire. Les thébaïdes de Monsieur Nimier

Le Saint-Brieuc de Roger Nimier.

Pol et Roger

Les deux prénoms – Pol et Roger – font irrésistiblement songer au champagne que prisait tant le second. Quand Pol Vandromme m’a proposé, au mitan des années 80, d’éditer un livre sur les relations croisées entre Céline, Roger Nimier et Marcel Aymé, j’ai naturellement trouvé l’idée excellente. Cela a donné cet essai qui restitue admirablement l’amitié et l’estime qui liaient ces écrivains¹. C’est d’ailleurs Aymé qui présenta Nimier à Céline. Tout cela est connu ; ce qui l’est un peu moins, c’est l’amitié entre Pol, le hussard belge, et Roger l’Ariel, tel que le baptisa Céline.
 
Terrible chagrin que celui qui terrassa l’auteur de La Droite buissonnière à l’automne 62. Cette lettre écrite après les obsèques en témoigne : « J’étais aux funérailles de Roger Nimier. Mais j’ai quitté Garches tout de suite pour me rendre à  Saint-Brieuc (avec Philippe Héduy, Antoine Blondin, et Jacques Perret), où avait lieu l’inhumation. (…) La disparition de Roger Nimier me laisse désemparé. Je suis, pour le moment, recru de fatigue et de chagrin. Nous voilà un peu plus seuls encore, et privés du meilleur d’entre nous (du plus fidèle, du plus fervent, du plus ingénieux), – ce qui n’arrange rien. »²
 

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Témoignage poignant qui fait désormais partie de l’histoire littéraire, tout comme la fameuse dédicace  « au maréchal des logis Destouches,  qui  paie aujourd’hui trente ans de génie et de liberté, respectueusement, le cavalier de 2e classe Roger Nimier, février 1949 »³. Cent ans exactement après sa naissance – il est né un 31 octobre –, ce numéro entend rendre hommage à celui qui contribua à la réhabilitation de Céline sur la scène littéraire. Il le fit d’une double façon : par ses articles dans la presse foisonnante de l’époque et par son rôle de conseiller littéraire chez Gallimard.  
 

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Céline lui en saura gré  comme en témoigne cette autre dédicace : « Vous serez toujours mon premier critique. Bon voyage et à bientôt cher Roger, fidèlement et amicalement. » Elle figure précisément sur son exemplaire de D’un château l’autre dont la réception critique n’eut pas été la même sans son entregent. Mais Nimier ne fut pas que cet intercesseur habile. Romancier, critique, scénariste, journaliste, ses talents multiples ne pouvaient que susciter la jalousie des ratés. Ceux qui furent regroupés sous la bannière des “hussards” n’étaient pas moins talentueux. Ayant confié un jour à Vandromme que, de ce cénacle, ce sont les romans de Jacques Laurent qui avaient ma préférence, je le vis tiquer : c’est qu’il ne lui avait pas pardonné certain propos condescendant à l’égard de Nimier. La fidélité de Pol envers Roger était sourcilleuse4
 

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Et je n’ai garde d’oublier  que c’est grâce à ce dernier que parut la première monographie consacrée à Céline5. Par sa mort tragique, Nimier demeure à jamais une figure de légende. Elle ne devrait pas estomper le merveilleux écrivain qu’il est. Puisse ce numéro susciter l’envie de découvrir une œuvre souvent mentionnée mais peu lue en définitive6.
  1. (1) Pol Vandromme, Marcel, Roger et Ferdinand, Éd. de la Revue célinienne, 1984.
  2. (2) Cf. Christian Dedet, Sacrée jeunesse (Chronique des sixties), Éd. de Paris, 2003, p. 416. Lettre reprise par l’auteur dans Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit hussard, P.-G. de Roux, 2012, p. 105.
  3. (3) Dédicace sur un exemplaire des Épées envoyé au Danemark.
  4. (4) Voir Pol Vandromme, Roger Nimier, Éd. Jacques Antoine, 1977. Réédité en 2002 aux éditions Vagabonde.
  5. (5) Due à Marc Hanrez, elle parut en novembre 1961 dans la collection “La Bibliothèque idéale” de Gallimard.
  6. (6) Mon appel à célébrer Nimier a été tellement bien entendu que tous les textes reçus ne peuvent trouver place dans ce numéro ; merci à Patrick Wagner (qui va également commémorer le centenaire de Nimier) de recueillir, en décembre prochain, ces textes dans sa revue Livr’arbitres.

De la bulle de l’intelligence artificielle et de la promesse lointaine d'une superintelligence

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De la bulle de l’intelligence artificielle et de la promesse lointaine d'une superintelligence

Markku Siira

Source:  https://geopolarium.com/2025/10/20/tekoalykupla-ja-supera...

La croissance explosive du secteur de l’intelligence artificielle a suscité des attentes d’innovations révolutionnaires, mais a également créé une bulle risquée qui rappelle la bulle Internet de la fin des années 1990. Des entreprises comme OpenAI ont investi des milliards dans le développement de l’IA, mais les pertes financières sont significatives, et les attentes des investisseurs quant aux retours se sont éloignées vers le futur — pour autant qu'elles se réalisent jamais.

L’incertitude économique a poussé les entreprises à chercher de nouvelles façons d’accroître leur base d’utilisateurs, comme la décision d’OpenAI d’autoriser des applications pour adultes basées sur l’érotisme. Cette tendance soulève des questions éthiques et sociales, notamment lorsque l’IA est développée vers une intelligence artificielle générale (Artificial General Intelligence, AGI), capable d’effectuer toute tâche intellectuelle humaine.

La bulle est visible dans les investissements massifs et dans des attentes déconnectées de la réalité. Les entreprises d’IA ont promis des technologies révolutionnaires, comme des véhicules entièrement autonomes, mais ces promesses ont souvent été déçues. Par exemple, les délais pour la pleine autonomie de Tesla ont été repoussés à plusieurs reprises, ce qui augmente la méfiance. La valorisation des entreprises repose largement sur le potentiel perçu et des images de marque, sans modèles commerciaux durables.

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La ligne d’OpenAI concernant les applications pour adultes montre les tentatives désespérées de commercialisation du secteur. Récemment, le PDG Sam Altman a assuré que l’entreprise ne développait pas de robots sexuels, mais après la conférence DevDay 2025, cette ligne de conduite a changé. De même, le personnage animé à connotations sexuelles de xAI a suscité des critiques, révélant la pression financière qui pousse la technologie vers des zones douteuses.

Ces orientations augmentent le risque d’abus. Des insiders rapportent des problèmes dans la gestion de matériel explicite, comme la violence envers des enfants. OpenAI promet des restrictions d’âge et une reconnaissance de l’âge basée sur le comportement, mais l’échec des mesures de Character.AI — comme le suicide d’un adolescent en Floride à cause d’un bot de jeu de rôle manipulatif — soulève des doutes. Aux États-Unis, une loi a été proposée pour interdire l’utilisation d’applications IA interactives par les mineurs.

Les défis technologiques et environnementaux accentuent la surchauffe du secteur. Le développement de l’IA repose sur d’énormes volumes de données et une puissance de calcul considérable, ce qui augmente la consommation d’énergie et soulève des questions écologiques. La formation de grands modèles linguistiques consomme beaucoup de ressources, mais le progrès reste concentré sur des domaines étroits, comme le traitement du langage, laissant de côté la résolution de problèmes généraux. Cela limite la capacité de la technologie à répondre aux attentes et accroît les risques liés à son développement.

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L’éclatement potentiel de la bulle de l’IA entraînerait de vastes conséquences. Sur le plan économique, il pourrait entraîner des pertes d’emplois dans le secteur technologique. Politiquement, cela accélérerait la réglementation aux États-Unis et en Europe, peut-être en limitant l’innovation tout en renforçant les normes éthiques. Socialement, la méfiance envers l’IA pourrait ralentir son adoption, mais un effondrement pourrait aussi orienter le secteur vers des applications plus durables.

L’objectif central du secteur est la superintelligence, qui dépasserait les capacités intellectuelles humaines, par exemple dans l’analyse médicale ou la résolution créative de problèmes. Son développement est techniquement et philosophiquement difficile, comportant d’importants risques et enjeux éthiques. La recherche de cette superintelligence alimente la surchauffe du secteur, car les attentes stimulent les investissements.

La rhétorique des dirigeants de l’IA révèle une logique cynique: la société doit accepter les dommages causés par le progrès technologique, comme la perte d’emplois et les crises éthiques. Cela se manifeste dans l’intégration de l’IA dans l’éducation, la santé ou le divertissement.

Même si la bulle économique éclate, l’IA ne disparaîtra pas de notre société. Son développement nécessite une évaluation critique et une régulation anticipée pour qu’elle serve l’intérêt général, et pas seulement les intérêts commerciaux à court terme. Sinon, la dystopie post-humaine créée par les entreprises technologiques pourrait devenir une réalité inévitable.

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jeudi, 23 octobre 2025

Sacré & consumérisme: des célébrations de Samhain à Halloween

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Sacré & consumérisme: des célébrations de Samhain à Halloween

La comparaison entre les deux interprétations de la fête de passage met en évidence la dégénérescence des liturgies dans le calendrier de la matérialité économique

par Riccardo Mulas

Source: https://www.barbadillo.it/125538-sacro-consumismo-dalle-c...

Samhain, le Nouvel An celtique

Nous l’admettons. La “fête” d’Halloween ne nous a jamais enthousiasmés. Au contraire, nous ne cachons pas une certaine méfiance envers une date que nous n’avons jamais vraiment ressentie comme étant celle qui révèlerait une identité propre. À vrai dire, les préjugés ont toujours été nombreux. Si nous devions écrire les mots qui viennent à l’esprit en pensant au 31 octobre, ce seraient avant tout: “costumes effrayants”. Ensuite, nous penserions à des fêtes déguisées, des soirées à thème, des locaux décorés, des étagères de supermarchés envahies par des citrouilles en plastique et des déguisements. Et à peu d’autres choses.

En somme, dans l’imaginaire, Halloween s’est toujours présenté comme une sorte de carnaval automnal, peut-être plus sombre, plus macabre, mais toujours dépourvu de substance. De même que nous n’attribuons pas de signification particulière aux œufs de Pâques ou aux bas de la Befana, symboles vidés à cause de leur commercialisation excessive; nous pensons que le 31 octobre est également devenu une mise en scène de style capitaliste, réduite au spectacle et à la consommation, privée de toute valeur spirituelle originelle.

Nous utilisons volontairement le mot “dégénéré” parce qu’animés par la curiosité de comprendre ce que jusqu’alors nous avions seulement jugé, nous avons découvert que derrière Halloween se cache en réalité une célébration très ancienne, dotée d’un sens symbolique et spirituel profond: le Samhain des peuples celtes. En laissant de côté les apparences et les préjugés, nous avons approfondi ses origines et sommes tombés sur une histoire qui fascine et surprend, faite de mythes, de légendes et de rites nés dans la mystérieuse et verte Irlande. 

Les racines celtiques d’une fête de “passage”

Les Celtes, peuples de bergers intimement liés aux rythmes de la nature, fondaient leur existence sur une relation sacrée avec la terre, source de vie et de prospérité. Pour eux, chaque saison avait une signification précise, et le passage du temps coïncidait avec le renouvellement cyclique de la nature. La fin de l’été, qui tombait précisément le 31 octobre, marquait la fin des pâturages et des récoltes, ainsi que le début de l’hiver, saison d’obscurité et de repos. En gaélique, Samhuinn signifiait “fin de l’été”.

Halloween naît donc de ces fêtes de passage, où la communauté célébrait non seulement la clôture d’un cycle, mais aussi le début de la nouvelle année naturelle. C’était un temps de transition, chargé d’ambivalence, de joie et de peur, de gratitude et d’incertitude, de fête et d’introspection. Le Samhain représentait le moment où les liens sociaux et spirituels se renforçaient, et où les rites de protection et de purification servaient à conjurer les peurs collectives et à invoquer la bienveillance des dieux.

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Avec le christianisme

Avec l’avènement du christianisme, ces traditions ne disparurent pas complètement ; au contraire, elles furent en partie intégrées, superposées ou réinterprétées. Le culte des esprits et de la mort se fondit avec celui des défunts et des saints, en maintenant vive la même tension spirituelle : l’idée que la “mort de l’été” n’était pas la fin, mais le début d’un nouveau cycle vital. En hiver, en effet, la nature semble mourir, mais en réalité elle se renouvelle dans le silence de la terre, où reposent les graines et les morts. De cette analogie naît le lien profond entre Samhain et le culte des défunts : la croyance que, dans la nuit entre la vieille et la nouvelle année, les esprits pouvaient franchir le seuil entre les mondes, unissant pour un instant l’au-delà et la vie terrestre. 

Cette nuit-là, les Celtes allumaient le Feu Sacré sur les collines, symbole de purification et de protection. Pendant trois jours, on dansait, on festoyait, on se déguisait avec la peau des animaux sacrifiés pour effrayer les esprits maléfiques, et on laissait en dehors des maisons de la nourriture et du lait pour les esprits bienveillants.

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C’était une fête qui parlait de peur et d’espoir, de fin et de renaissance, de nuit et de lumière. Un moment d’unité, où la communauté retrouvait sa propre essence face au plus grand mystère : celui du temps et de la mort.

La déformation d’Halloween

Si l’on met en parallèle les deux visions de la fête en question, l’ancienne et la moderne, on voit plus clairement l’évolution, ou plutôt, la dégénérescence, de la société: d’un monde où l’esprit dominait la matière, à un monde où la matière a fini par étouffer l’esprit; d’une communauté qui, en se rassemblant autour d’un feu sacré, affirmait son unité, à la société moderne qui exploite chaque occasion pour alimenter le consumérisme et remplir les poches de la caste marchande.

Halloween représente donc le miroir de notre temps, une métaphore d’une époque perdue et d’une société, qui n'est plus communauté, une époque qui erre entre la dissolution de la tradition, du sacré et de la mémoire, et l’émergence du monde illusoire de la consommation et de la matière.

23:20 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, samhain, automne, traditions celtiques | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 22 octobre 2025

Petra Steger: «L'interdiction d'importer du gaz russe dans l'UE est un suicide économique!»

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Petra Steger: «L'interdiction d'importer du gaz russe dans l'UE est un suicide économique!»

Par Petra Steger

La députée européenne de la FPÖ autrichienne, Petra Steger, critique avec virulence l'interdiction définitive d'importer du gaz naturel russe jusqu'à fin 2027, laquelle doit être votée aujourd'hui par le Conseil des ministres de l'UE: «Une interdiction totale des importations de gaz naturel russe équivaut à un suicide économique. L'UE se dirige ainsi sciemment vers une spirale descendante de désindustrialisation, de hausse rapide du chômage et de perte irréversible de compétitivité internationale. De tels volumes d'importation ne peuvent tout simplement pas être compensés dans un avenir prévisible, et certainement pas à des conditions économiquement viables. Le gaz naturel liquéfié (GNL) est non seulement beaucoup plus cher, mais il pose également d'énormes défis logistiques et écologiques ».

Selon Mme Steger, l'industrie européenne est déjà soumise à une pression énorme: « Les prix de l'énergie, qui sont supérieurs à la moyenne depuis des années, poussent de nombreuses entreprises à délocaliser leur production hors d'Europe. Une nouvelle augmentation des coûts, provoquée par une politique énergétique motivée par des considérations idéologiques, accélérerait considérablement cet exode et détruirait des dizaines de milliers d'emplois».

Dans ce contexte, Mme Steger critique tout aussi vivement le gouvernement fédéral autrichien: «Un gouvernement qui agit dans l'intérêt de sa propre population n'aurait pas dû faire autre chose que d'opposer aujourd'hui un veto clair et net à cette question cruciale. Mais au lieu de s'engager résolument en faveur d'un approvisionnement énergétique sûr et abordable, condition indispensable à la performance économique et à la cohésion sociale, on suit aveuglément, cette fois encore, les directives irréalistes de Bruxelles».

En conclusion, la députée européenne de la FPÖ réclame un changement de cap fondamental dans la politique énergétique et les sanctions européennes: «Il faut revenir à la raison économique, respecter strictement notre neutralité et reconquérir de manière cohérente la souveraineté énergétique nationale. Ceux qui, par obstination idéologique, excluent catégoriquement l'achat de gaz russe bon marché mettent en danger non seulement la base industrielle de l'Europe, mais aussi notre prospérité, notre stabilité sociale et, en fin de compte, la paix intérieure de notre continent».

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Petra Steger

Membre de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE);

Membre suppléante de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE);

Membre suppléante de la commission de la sécurité et de la défense (SEDE).

La dangereuse dépendance de l'Europe sous perfusion technologique américaine

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La dangereuse dépendance de l'Europe sous perfusion technologique américaine

Plan-les-Quates/Suisse. La fuite des cerveaux qui dure depuis des décennies – l'exode de main-d'œuvre qualifiée et performante – et surtout la politique agressive « America first » des États-Unis ont des répercussions: une étude récente révèle aujourd'hui l'ampleur de la dépendance technologique des entreprises européennes vis-à-vis des fournisseurs américains. L'analyse du fabricant de logiciels suisse Proton montre que 58% des entreprises allemandes cotées en bourse et même 74% des entreprises européennes utilisent des systèmes centraux provenant des États-Unis, tels que des services de messagerie électronique ou de télécommunication.

Cette dépendance concerne toutes les tailles d'entreprises: 74 % des grands groupes dont la valeur marchande dépasse les dix milliards d'euros ont recours à des fournisseurs américains, et ce chiffre atteint encore 67% pour les entreprises dont la valeur marchande se situe entre 300 millions et deux milliards d'euros. Même les petites entreprises dont la valeur marchande est inférieure à 300 millions d'euros utilisent à 55% des services de messagerie électronique américains.

Certaines branches sont particulièrement touchées. Le secteur des produits d'entretien ménager et de soins corporels atteint le taux le plus élevé avec 88%, suivi par les fonds immobiliers avec 78% et les entreprises de médias et de divertissement avec 73%. Le commerce de détail et la distribution de biens de consommation ainsi que le secteur pharmaceutique et biotechnologique affichent chacun un taux de dépendance vis-à-vis des États-Unis de 70%.

Avec ses 58%, l'Allemagne se positionne plutôt bien dans le classement européen: le Royaume-Uni affiche une dépendance vis-à-vis des États-Unis de 88%, l'Irlande même de 93%. La France se situe à 66%, le Portugal à 72% et l'Espagne à 74%.

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Les experts mettent en garde contre les dangers considérables liés à l'unilatéralité technologique. L'ingénieur en systèmes informatiques et auteur du blog « Caschys Blog » met en garde : « Des perturbations dans les réseaux américains ou des tensions politiques pourraient nuire à la continuité des activités». L'Europe doit retrouver son autonomie numérique, car sa dépendance vis-à-vis des États-Unis lui a fait perdre en grande partie le contrôle des données, de l'innovation et des décisions stratégiques (mü).

Source: Zu erst (octobre 2025).

Tianxia plutôt que la Paix de Westphalie – L'OCS fait avancer l’ordre mondial multipolaire

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Tianxia plutôt que la Paix de Westphalie – L'OCS fait avancer l’ordre mondial multipolaire

Tianjin. Le sommet récemment organisé à Tianjin, en Chine, par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) marque une étape importante pour l’ordre mondial des prochaines décennies. Autrefois conçu comme un forum modeste pour les questions de sécurité entre la Chine et les États d’Asie centrale issus de l’ex-Union soviétique, l'OCS est aujourd’hui l’une des plateformes multilatérales les plus influentes au monde – et l’instrument principal de l’intégration de la grande région eurasiatique.

Créée en 2001 par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, l’organisation repose sur les principes du “Groupe de Shanghai,” fondé en 1996. Son objectif initial – la résolution des conflits frontaliers et la promotion de la stabilité régionale – a été depuis remplacé par un projet beaucoup plus ambitieux: la création d’un modèle alternatif de coopération internationale, qui s’affranchit délibérément des alliances militaires occidentales et des blocs économiques.

L’“esprit de Shanghai,” tel qu’il est inscrit dans les documents fondateurs, repose sur les principes de confiance mutuelle, de bénéfice mutuel, d’égalité, de respect de la diversité culturelle et de recherche d’un développement commun. Ces valeurs ont permis à l'OCS, au cours des dernières décennies, de devenir un acteur unique sur la scène mondiale. Alors que d’autres alliances sont souvent marquées par la rivalité stratégique ou des intérêts économiques propres, l’organisation mise sur la coopération, qui va au-delà de la simple rhétorique.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: avec l’Inde et le Pakistan, qui ont rejoint en 2017 en tant que membres à part entière ; l’adhésion de l’Iran en 2023 ; et l’intégration de la Turquie, de l’Arabie saoudite et de l’Égypte en tant que partenaires de dialogue, l'OCS rassemble aujourd’hui 40 % de la population mondiale et génère plus de 20 % du produit intérieur brut global. Cette expansion est non seulement géographiquement significative, mais aussi politiquement. Elle signale l’essor d’une nouvelle ère multipolaire, qui remplacera l’époque unipolaire menée par les États-Unis. Rien qu’à Tianjin, la Russie et la Chine ont signé plus de 20 accords de coopération dans divers domaines. Le fait que l’Inde, grande rivale de Pékin, ait rejoint l’organisation comme troisième puissance eurasiatique, a été un signal qui a inquiété de nombreux stratèges occidentaux.

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Aujourd’hui, l'OCS ne se limite plus à la politique de sécurité. Au cours des dernières années, ses activités se sont étendues à l’économie, aux infrastructures et à l’énergie. La priorité est donnée à l’intégration des technologies vertes: Tianjin, ville hôte du sommet récent, est considérée comme un pionnier dans le développement de l’énergie solaire, éolienne et autres sources renouvelables. La ville ne réduit pas seulement ses émissions, mais sert aussi de centre d’échange de solutions durables au sein de l’organisation. Ceci montre comment l'OCS aide ses membres à relier les objectifs de l’initiative chinoise “Belt and Road” à une politique environnementale moderne. Le sommet de Tianjin souligne cette dynamique. Il est plus qu’un événement diplomatique – c’est une preuve que l'OCS “fonctionne et le prouve au monde entier”, comme le déclarent les communiqués officiels.

Derrière ce succès se trouve un concept profondément enraciné dans la tradition chinoise: Tianxia (天下), littéralement “tout sous le ciel.” Originellement, dans la Chine ancienne, ce terme désignait le monde connu, mais il représentait toujours bien plus qu’une simple description géographique. Tianxia incarnait la vision d’un ordre mondial basé sur l’harmonie, la hiérarchie et l’ordre moral. L’Empire se percevait non pas comme un État parmi d’autres, mais comme un centre civilisateur autour duquel l’humanité se regroupait. Les peuples voisins pouvaient faire partie de cet ordre en reconnaissant la suprématie symbolique de l’empereur – non pas par une domination directe, mais par un respect rituel et un bénéfice mutuel. Le système tributaire, qui échangeait des avantages commerciaux contre reconnaissance politique, était la mise en pratique de cette idée. Avec la dynastie Zhou (11ème-3ème siècle av. J.-C.), Tianxia s’est étroitement lié aux notions confucéennes de justice et d’harmonie cosmique. Sous les dynasties Han, Tang et Ming, ce modèle a façonné la relation de la Chine avec le reste du monde: ceux qui acceptaient l’ordre sino-centré étaient considérés comme “civilisés,” tandis que ceux qui s’en détournaient étaient vus comme “barbares.”

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Aujourd’hui, Tianxia offre un contre-modèle au système westphalien, basé depuis 1648 sur des États-nations concurrents. Alors que ce dernier conduit souvent à des conflits et des luttes de pouvoir, Tianxia mise sur l’intégration et la responsabilité commune. L'OCS incarne cette philosophie. Elle prouve que les conflits ne peuvent être résolus par l’hégémonie, mais par la coopération. Un exemple concret en est les “Ateliers Luban,” des centres de formation initiés par la Chine qui forment aujourd’hui des spécialistes dans 30 pays, favorisant ainsi le développement local. En 2024, ce projet a reçu le “World Vocational Education Award” et a été salué par les médias internationaux comme un “centre technologique de la marque éducative mondiale”.

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Tianjin joue un rôle central dans cette dynamique. Son port (photo), le plus grand du nord de la Chine, et un nœud clé de la “Belt and Road”, constitue le cœur logistique du commerce avec les États membres de l'OCS. Par des projets d’infrastructure modernes – de chemins de fer, routes, réseaux énergétiques – l’organisation renforce non seulement la connectivité économique, mais aussi l’attractivité de la région. L’“esprit de Shanghai” montre ici sa mise en pratique: il crée des avantages communs et privilégie le dialogue plutôt que la confrontation.

Dans une époque où de nombreux formats traditionnels de coopération internationale sont sous pression, l'OCS gagne encore en importance. Elle offre surtout aux pays du Sud global une alternative convaincante: la coopération plutôt que l’unilatéralisme, les marchés ouverts plutôt que le protectionnisme. Les adhésions récentes de pays du Moyen-Orient prouvent que l’organisation peut rassembler des intérêts divers et favoriser la stabilité dans des régions incertaines.

Plus important encore: suivant l’exemple des BRICS, l'OCS a décidé à Tianjin de créer un système financier alternatif, pour se libérer de la dépendance au dollar américain. Des experts soulignent que le commerce entre les pays de l’organisation reste encore bien en deçà du commerce extérieur global. La création d’une banque de développement commune et d’un système de paiement partagé doit, à terme, offrir une protection et réduire la vulnérabilité face au système financier occidental. Le chef du Kremlin, Poutine, a proposé d’émettre des obligations communes. Il a également évoqué l’idée de mettre en place un système de paiement unifié pour le commerce, soulignant l’importance d’une infrastructure commune de compensation et de paiement.

Sur le plan géopolitique, l'OCS constitue peu à peu un “ceinture de protection” autour du “Rimland” — cette zone stratégique intermédiaire que les père fondateurs de la géopolitique, les Anglo-Saxons Halford Mackinder et Nicholas J. Spykman, avaient identifiée comme la clé de la domination mondiale. Mais, contrairement aux alliances classiques, l'OCS ne vise pas à contrôler le “Heartland” (cœur du continent), mais à créer un équilibre multipolaire.

Le message de Tianjin est clair: alors que l’Occident mise souvent sur l’idéologie et la tutelle, l'OCS privilégie le développement. Elle investit dans des projets concrets qui améliorent la vie quotidienne — que ce soit par la facilitation du commerce, la coopération en matière de sécurité ou l’échange culturel. Dans un monde en quête de nouvelles solutions, cette approche pourrait rapidement devenir incontournable, voire indispensable. L’Occident devra tôt ou tard se rendre compte s’il veut ignorer cette évolution ou mieux la soutenir. Car l'OCS ne montre pas seulement qu’elle fonctionne. Elle démontre aussi que la sagesse asiatique et les traditions occidentales ne sont pas incompatibles, mais peuvent se compléter harmonieusement (he).

Source: Zu erst, Octobre 2025.

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Les manœuvres militaires «Dacian Fall 2025» de l'OTAN maintiennent la tension en Europe de l'Est

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Les manœuvres militaires «Dacian Fall 2025» de l'OTAN maintiennent la tension en Europe de l'Est

Source: https://mpr21.info/las-maniobras-militares-dacian-fall-20...

Les relations entre l'OTAN et la Russie restent tendues, avec un climat d'incertitude en Europe de l'Est. L'OTAN n'a aucun intérêt à détendre la situation. Au contraire, elle souhaite resserrer les rangs et montrer à la Russie qu'elle est capable d'agir rapidement et de manière coordonnée dans n'importe quelle situation.

Depuis lundi, dix membres de l'Alliance participent à l'exercice «Dacian Fall 2025», déployé sur plusieurs sites en Roumanie et en Bulgarie. Ce déploiement montre que l'OTAN combine préparation militaire et stratégie politique.

Les manœuvres impliquent plus de 5000 soldats et environ 1200 véhicules, répartis dans différentes zones afin de simuler diverses situations opérationnelles.

Parmi les participants figurent les membres fondateurs de l'OTAN, la France, l'Italie et le Portugal, ainsi que des membres plus récents comme la Macédoine du Nord. L'exercice vise à tester la coordination entre les alliés et à vérifier la capacité des forces à se déplacer rapidement, tout en fournissant le soutien logistique nécessaire à des opérations complexes.

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Depuis le début de l'année, les provocations de l'OTAN à l'encontre de la Russie se sont considérablement intensifiées, sous prétexte d'incursions de drones et d'avions russes dans l'espace aérien de pays membres de l'OTAN, tels que la Pologne, la Roumanie et l'Estonie.

Ce nouvel entraînement militaire envoie un message clair: l'OTAN ne relâchera à aucun moment son emprise sur l'Europe orientale. Les scénarios testés permettent d'identifier les points faibles, d'affiner les échanges entre les unités et de garantir que tous les membres puissent agir de concert en cas d'agression.

 

De Kim Il Sung à Hölderlin et Kafka - L'itinéraire d'un révolutionnaire allemand des années 1960

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De Kim Il Sung à Hölderlin et Kafka

L'itinéraire d'un révolutionnaire allemand des années 1960

par Werner Olles

Dans les beaux jours du mouvement de protestation estudiantin de 1967/68, je fis la connaissance de KD Wolff en tant que président fédéral de l’Union des étudiants socialistes allemands (SDS), dont je suis devenu membre le Jeudi Saint 1968, le jour de l’attentat contre le responsable du SDS à Berlin, Rudi Dutschke. Le Vendredi Saint, le SDS est passé devant notre appartement à Bockenheim près de l’université à bord d’une vieille Volkswagen, et depuis notre balcon, j’ai entendu le haut-parleur qui diffusait la chanson de Joan Baez “It’s all over now, Baby blue!”. Ensuite, une invitation a été lancée pour se retrouver l’après-midi sur le campus et se rendre ensemble à l’imprimerie Societät pour empêcher la livraison du Bild Zeitung, car la presse de Springer, et en particulier le “Bild,” était jugée responsable de l’attentat contre Dutschke à cause des titres à teneur diffamatoire que ce journal grand tirage n'avait cessé d'imprimer. Les affrontements violents qui ont suivi avec la police, en partie montée, nos protestations et manifestations contre la guerre de l’impérialisme américain au Vietnam, la Conférence internationale du Vietnam en février 1968 à Berlin-Ouest, la lutte ratée contre la loi d’exception, et la recherche d’une reconstruction de la théorie révolutionnaire dans l’espace sis entre la théorie critique et la pratique activiste, visant à développer un socialisme anti-autoritaire et non stalinien, ont été durant plusieurs années les points communs qui m’unissaient à KD. Il n’y a pas de raisons pour se livrer, aujourd'hui, à des distanciations hypocrites.

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Le comité fédéral du SDS, comptant dans la fraction anti-autoritaire des “Loups Rouges” (Wolff = Loup), KD et son frère cadet Frank, prônait un modèle d’émancipation anti-autoritaire, sans réaliser que le système politique en Allemagne de l’Ouest évoluait depuis longtemps vers une société libérale et tolérante.

Contrairement à ce que prétend KD Wolff dans son autobiographie — où il évoque “un passé nazi dissimulé par le silence et une éviction de la question de la culpabilité” —, la tendance à “affronter le passé” était très faible, du moins au sein du SDS de Francfort et de Berlin. En réalité, KD a suivi une longue psychanalyse pour traiter les traumatismes liés à ses parents, qui avaient parfois sympathisé avec le national-socialisme. Il faut donc voir la rébellion de 68 aussi comme une lutte des fils contre leurs pères, où les grands-pères (Marcuse, Adorno, Horkheimer, etc.) leur venaient en aide.

Heureusement, chez les intellectuels et penseurs comme Hans-Jürgen Krahl, Rudi Dutschke et Bernd Rabehl, la tendance à s’occuper du passé était très faible, ils avaient probablement compris que “chaque peuple a connu son Hitler,” comme l’avait dit le sage président égyptien Anouar el Sadat. Leur préoccupation portait surtout sur le rôle de l’intelligentsia dans le contexte du pouvoir politique, tout en sachant clairement que l’intelligence ne se trouve pas uniquement dans la tête. KD, en revanche, était l’organisateur qui maintenait ensemble, au sein du SDS, les différentes factions, celles des antiautoritaires, des sympathisants de la DKP et de la faction maoïste en vestes de cuir.

Les premiers conflits entre KD d’une part, et Krahl et Dutschke de l’autre, ont éclaté lors de la 22ème Conférence des délégués du SDS en septembre 1967 à Francfort. La déclaration de principe des deux exprimait clairement que le modèle archaïque d’un mouvement de protestation avec des manifestations et des rassemblements, ainsi qu’une attitude purement théorique, n’était plus capable de faire bouger quoi que ce soit, mais que théorie et pratique devaient fusionner dans la revendication “Education par l’action” (Aufklärung durch Aktion)

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Dutschke parlait ouvertement d’organiser une “guérilla urbaine,” qui devait s’inspirer des mouvements révolutionnaires latino-américains. La question sensible était celle de la violence, celle qui permettrait de dépasser les limites du système. KD était littéralement atterré, il ne voulait pas aller jusque-là. Mais avec la mort d’Adorno en août 1969 et le décès tragique et accidentel de Krahl en février 1970, l’atmosphère dans le SDS a finalement basculé dans la consternation et la résignation. S’y ajoutait la conversion de nombreux activistes du SDS au néo-léninisme, leur entrée dans la DKP financée par la RDA, et la dogmatisation de la théorie marxiste en une vision du monde socialiste, qui s’est exprimée dans des sectes comme le KBW, la KPD/AO, diverses KPD/ML et groupes trotskystes.

La dissolution de l’Union fédérale du SDS, dont les actifs sont malheureusement tombés entre les mains d’un groupe mafieux qui a donné naissance plus tard au KBW, dont les membres ont même dû apporter leur patrimoine en adhérant, avec ses tendances radicales, a certes marqué la fin du mouvement étudiant, mais à Francfort, on était prêt à explorer de nouvelles voies.

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KD a fondé avec les futurs terroristes Winfried “Boni” Böse et Johannes Weinrich la maison d’édition “Roter Stern” ("Etoile Rouge") avec ses librairies éponymes à Bochum, Marburg et Mayence, et a noué, après un voyage en Corée du Nord (voir Kursbuch n° 30, “Le socialisme comme pouvoir d’État”), des liens commerciaux avec ce régime. Parallèlement, des groupes comme “Roter Gallus,” “Rote Panther,” et le “Comité de solidarité des Black Panthers” sont apparus, dont KD Wolff était au moins le “leader informel”.

Le fait que des membres de la RAF aient encore séjourné en avril 1971 dans les locaux de l’éditeur à Westend/Francfort, et aient été fournis en armes par Weinrich et Böse, n'aurait pas été remarqué par KD, selon ce qu'il nous raconte aujourd'hui. Personnellement, je pouvais parfois affranchir le courrier chez l’éditeur, et j'ai cependant pu constater que Weinrich et Böse approvisionnaient notamment des groupes terroristes grecs et italiens en armes, en les dissimulant dans les garnitures intérieures des portières de voitures, puis en les faisant passer clandestinement vers la Grèce et l’Italie.

Aujourd’hui, on sait qu’avec des pistolets livrés au groupe terroriste italien Lotta Continua, deux jeunes du MSI, la jeunesse néofasciste, qui montaient la garde devant leur siège à Rome, ont été assassinés de manière sournoise depuis des tirs venus d'une voiture. Encore aujourd’hui, à Rome, chaque année, le jour de leur assassinat, des milliers de jeunes hommes leur rendent hommage; leurs noms sont appelés, et une voix unanime s’élève alors dans la rue: “Présente !”.

Mais aussi les “Rote Panther”, les "Panthères rouges", dont j’étais membre, n’ont pas été inactifs. Après les plénières, deux ou trois camarades se retrouvaient généralement et lançaient des attaques nocturnes contre des cibles telles que la "Cité de l’Emploi" américaine, la société Hochtief, le United Trade Center ou le consulat général d’Espagne. Heureusement, aucune personne n’a été blessée lors de ces actions, et nous n’avions aucun problème à commettre des violences contre des biens. Cependant, tout cela devenait dangereux puisqu’une nuit, une terroriste de la RAF — selon mes souvenirs, il s’agissait d’Astrid Proll — a reçu une arme. Nous fûmes alors poursuivis par la police d’État, qui nous avait observés, à travers tout Francfort. Et qu’en était-il encore une fois de l’appartement secret dans la cour dans la Leipzigerstraße, dans le quartier Bockenheim de Francfort, qui aurait été loué pour cacher un agent du consulat américain à l’occasion d’une opération de kidnapping? Le fait que KD ne mentionne pas tout cela, n'en dit pas un seul mot, est totalement incompréhensible, car d’une part tout est depuis longtemps prescris, et d’autre part, il savait non seulement tout de nos actions nocturnes, mais il était aussi présent lors de la majorité d’entre elles.

Winfried Böse, (tué en 1976 à l'aéroport d'Entebbe par une unité spéciale israélienne après que les passagers juifs d'un avion détourné aient été sélectionnés — après quoi ils furent séparés du reste —), et Hannes Weinrich, (qui purge une peine de prison à vie à Berlin en tant que bras droit du tueur en série Carlos), ont ensuite fondé les Cellules révolutionnaires, qui auraient apparemment accidentellement tiré sur le ministre des Finances de Hesse, Heinz-Herbert Karry (FDP), j’ai quitté le scène parce que j'ai lutté pendant des décennies contre une maladie extrêmement grave que j’avais contractée en 1969 lors d’un camp d’entraînement de terroristes palestiniens du Fatah au Liban. En ce lieu, des membres du SDS s’entraînaient avec des terroristes de l’Armée rouge japonaise, de l’ETA basque, de l’Action directe française et de l’IRA pour acquérir les techniques de la guérilla.

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Les succès ultérieurs de KD en tant qu’éditeur de Hölderlin, Kafka, Manes Sperber et des “Fantaisies masculines” de Klaus Theweleit, ainsi que son existence de père de famille comblé de bonheur, on les lui auraient bien souhaités. En ce sens, il est effectivement un “Hans-la-chance.” On aurait toutefois pu attendre un peu de compassion pour ceux du “mouvement” qui ont ensuite eu une vie difficile et dont la trajectoire n’était pas celle qu’ils avaient imaginée. Peut-être aussi quelques mots sur les scandales antisémites que nous avions provoqués à l’époque avec notre “solidarité avec la Palestine”, laquelle était en réalité clairement antisémite, et qui dominent aujourd’hui les “universités” allemandes ruinés par les années 68, ou la cancel culture est tout sauf “libérale” et “tolérante,” menée qu'elle est par les successeurs ratés du soulèvement de l’époque, et qui se traduisent par des menaces et de la violence contre des maisons d’édition conservatrices et de droite. Malheureusement, il n’y a pas un seul mot à ce sujet, dans l'autobiographie de KD. Une chose est cependant hautement méritoire: selon ses propres dires, il n’a jamais voté pour les Verts.

Werner Olles

KD Wolff : Bin ich nicht ein Hans im Glück? Studentenrevolte - Hölderlin - Kafka (= Ne suis-je pas un Hans-la-chance ? Révolution étudiante — Hölderlin — Kafka). Klostermann Verlag. Francfort 2025. 260 pages. 28 euros

La lecture dialectique initiale de l’œuvre d’Evola selon Douguine

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La lecture dialectique initiale de l’œuvre d’Evola selon Douguine

Raphael Machado

L’étude de la dimension politique de l’œuvre du philosophe traditionaliste italien Julius Evola se heurte toujours au « mur » représenté par sa phase tardive — celle qui se définit par le célèbre (et peu lu) livre Cavalcare la Tigre (= Chevaucher le Tigre).

L’œuvre en question tire son nom d’une parabole orientale qui raconte la terreur causée par un grand tigre dans une région désertique. La seule solution, que trouve le « héros », le cas échéant, est, au lieu d’affronter directement le tigre, de sauter sur son dos, de l’agripper et de s’y tenir jusqu’à ce que la bête s’épuise. Ce n’est qu’alors qu’il devient possible de donner le « coup de grâce ».

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Ce que cela signifie politiquement, pour Evola, fait l’objet d’innombrables interprétations divergentes.

La période tardive d’Evola est habituellement décrite comme une période de «lassitude» face à l’engagement politique — surtout celui de ses «disciples», puisque lui-même n’a eu que quelques années pour tenter d'influencer positivement les régimes fascistes européens des années 30-40.

Cependant, l’Italie des années 50 et du début des années 60 représentait le nadir spirituel de la nation. Elle était occupée militairement par une puissance étrangère, culturellement corrompue par l’invasion de produits de l’industrie culturelle américaine, psychologiquement fracturée par le chaos démocratique, et dans le panorama politique intérieur, Evola voyait que même le nationalisme anti-libéral et anti-communiste s’était rendu conforme à l’ordre hégémonique de manière qui n’était pas simplement superficielle.

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En sous-main, de plus, les plus exaltés commençaient à recourir au terrorisme et à la guérilla urbaine comme tactique de déstabilisation de l’ordre libéral-démocratique. Aux yeux d’Evola, une aventure vouée à l'échec.

Dans ce contexte, la posture à adopter par « l’homme différencié » est celle de l’apolitisme (l'apoliteia).

À partir de ce point, cependant, il est possible d’offrir une vision peut-être plus profonde; la question pourrait être la suivante: dans le stade actuel du cycle civilisationnel, tout effort pour inverser ou contenir la déchéance par l’action politique serait voué à l’échec — le cycle étant trop avancé, et la pourriture intérieure du fascisme et son échec inévitable en étant la preuve évidente.

Selon cette lecture, assez répandue, aucune action politique n’est plus utile ou nécessaire jusqu’à la fin du Kali Yuga. Cavalcare la Tigre représente l’attitude de ceux qui, simplement, « vivent parmi les ruines » en attendant la Fin. D’où l’apolitisme. Naturellement, il ne s’agit pas d’une attente passive, mais d’une attente dans laquelle « l’homme différencié » entreprend le chemin de la lutte spirituelle, cherchant à atteindre sa libération — ou, selon la phase philosophique d’Evola, à devenir « l’individu absolu ».

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Certains disciples d’Evola ont toutefois compris l’apolitisme non comme un abandon de tout engagement politique extérieur, mais comme une disposition intérieure impliquant un double engagement: 1) ne pas se soumettre aux règles politiques du système hégémonique; 2) ne pas s’impliquer émotionnellement dans tout engagement politique extérieur (d’où l’appel au dialogue entre Krishna et Arjuna dans la Bhagavad Gita, comme modèle d’un ethos de l'« action désintéressée »). Pour l’« homme différencié », il restait, selon cette lecture plus radicale, le chemin de la « milice » et de la « guerre sainte ».

Ce dernier point est resté marginal dans l’école évolienne, la majorité ayant toujours interprété l’apolitisme comme une abandon total de l’engagement politique et une focalisation complète sur la « jihad intérieur », avec un autre courant adoptant une posture « modérée » à l’égard de l’engagement politique.

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Le « premier Douguine » propose une lecture particulière de cette question.

Plus récemment, Douguine s’est longuement replongé dans la pensée d’Evola et lui a consacré un livre entier — Julius Evola : Stella del Mattino (= Étoile du Matin), publié jusqu’à présent en Italie uniquement. Dans cette œuvre, notre ami russe propose une lecture essentiellement métaphysique et alchimique de la métaphore du Cavalcare la tigre, en se concentrant sur le caractère yang/yin de la métaphore (puisque Douguine fait remonter la maxime jusqu’à la Chine ancienne), où le tigre représente les forces déchaînées du yin, et le chevaucheur, qui est sous-entendu dans la parabole, n’est pas proprement le yang (qui serait, en réalité, affaibli, déchu à l’ère présente), mais le représentant terrestre du yang.

9163161-978779318.jpgMais 35 ans auparavant, en 1990, Douguine avait formulé quelques réflexions politiques significatives sur l'ouvrage Cavalcare la Tigre, qui furent peu après publiées dans son livre intitulé Révolution conservatrice (Konservativnaïa Revolioutsia). Le penseur russe le situe spécifiquement dans une sorte d’antipode apparent de l’« impérialiste païen ».

Le terme désigne le sujet hypothétique de l’ouvrage Impérialisme païen, un texte de jeunesse dans lequel Evola propose une critique programmatique du fascisme à partir de la perspective d’une pensée politique « conservatrice révolutionnaire » fondée sur une tradition impériale à la fois romaine et gibeline. Là, Evola esquisse — parfois de façon générale, parfois en détail — sa conception de l’État idéal, sa « Platonopolis ». L’œuvre représente, peut-être, le « degré maximal » de politisation de la Tradition, et c’est dans ce sens que Douguine le pose comme la contrepartie de Cavalcare la Tigre.

Tandis que la posture prônée dans Cavalcare la Tigre ressemble à celle de l’anarque jüngerien qui amorce son « Waldgang » — ou, en d’autres termes, la figure de l’« anarchiste de droite » — 30 ans auparavant, Evola offrait au monde la perspective de l’« impérialiste païen ». Changement d’avis ? Maturité ?

Douguine nie toute chose de ce genre. Au contraire, dans la lecture douguinienne, l’« homme différencié » reste toujours le même, ce qui change est le monde du devenir, constamment affecté par les mouvements cycliques et les chocs entre volontés de pouvoir.

Et dans la mesure où le monde change, l’« homme différencié » aborde le monde de différentes manières, selon la phase dans laquelle il se trouve. En ce sens, l’« impérialiste païen », le « gibelin radical », le « conservateur révolutionnaire » devient « anarchiste » et « se retire dans la forêt » lorsque les conditions deviennent défavorables, et que la lutte politique devient infructueuse. La seule chose que l’« homme différencié » a à offrir au monde dominé par les forces de la Contre-Institution est son « Non ».

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Mais dans la mesure où le monde n’est pas, encore une fois, statique, l’«anarchiste» évolien est toujours prêt à «prendre d’assaut les cieux» lorsque les conditions objectives redeviennent favorables à l’action politique (désintéressée).

En réalité, toute la période de la « jihad intérieur » est aussi une préparation à la conquête extérieure du monde, à la «jihad extérieure», «lorsque les étoiles seront alignées».

La lecture douguinienne de cette question offre la sortie la plus adaptée à l’impasse de la «scolastique évolienne» concernant les possibilités d’action dans les phases finales du Kali Yuga.

mardi, 21 octobre 2025

Trump, le découplage et la fiancée étrusque

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Trump, le découplage et la fiancée étrusque

Conversation avec Alexandre Douguine pour le programme télévisé Escalade de Sputnik TV

Alexandre Douguine

Alexandre Douguine imagine un monde arrivé à un point de rupture: l'influence d'Israël sur l'Amérique s'amenuise, Trump joue au poker nucléaire, et l'Occident dépérit comme un cadavre en décomposition, tandis que l'Eurasie prépare sa résurrection.

Présentateur Alexandre Boukarev : Commençons par le sujet le plus brûlant, puisque Donald Trump prononce en ce moment un discours devant la Knesset. On pourrait dire que cela marque une pause ou même un tournant dans le conflit entre Israël et Hamas. La première question est la suivante: dans quelle mesure l’accord entre Israël et le Hamas, que Trump qualifie pompeusement de “fin de la guerre”, est-il réellement durable et, surtout, qui en tirera le plus grand avantage, en ce qui concerne les événements en Israël et dans la bande de Gaza ?

Alexandre Douguine : Il me semble qu’objectivement, c’est une réussite pour Trump. Il a traversé une période électorale difficile. Son soutien total à Netanyahu impliquait l’étape suivante: reconnaître le démantèlement de l’État palestinien, en le reportant indéfiniment. Netanyahu et le gouvernement israélien ont demandé à l’Occident et au monde de refuser totalement de reconnaître la Palestine sous quelque frontière que ce soit, ni à Gaza ni en Cisjordanie, ainsi que le droit d’Israël à créer le “Grand Israël”. C’était leur position, et, apparemment, la cause déclencheuse de la tragédie à Gaza, un vrai génocide de la population locale.

Du point de vue de Netanyahu et de ses partisans radicaux religieux-politiques – Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et d’autres ministres – ils suivent les théories de Dov Ber et Yitzhak Shapira sur la préparation à la construction du Troisième Temple et sur le "sacrifice de la vache rouge". Les vaches rouges, entre autres, ont été amenées d’Amérique. Il s’agit d’un ancien rituel juif qui précède la venue du Messie et la construction du Troisième Temple. Pour que cela se réalise, la mosquée d’Al-Aqsa, le lieu sacré de l'Islam à Jérusalem, doit être détruite.

Récemment, Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, y a mené un rituel religieux, violant ainsi les droits des musulmans tout en préparant symboliquement la mosquée à sa démolition. Il s'agissait d'un rite d’initiation pour la venue du Messie. Trump a soutenu cette ligne pendant longtemps, contre l’avis de ses partenaires occidentaux et de sa propre base, celle du mouvement MAGA, qui est en grande partie devenu anti-israélien. En raison de la politique pro-Netanyahu de Trump, des conflits ont éclaté entre ses propres soutiens en Amérique. Il a pris des risques, mais la prochaine étape de cette politique aurait signifié occuper Gaza, expulser les Palestiniens, refuser leur statut d’État et étendre le Grand Israël aux dépens de la Syrie et du Liban. Trump a suivi Netanyahu presque jusqu’à la fin, jusqu’à la ligne rouge, empruntant ainsi la voie du sionisme chrétien. Un travail idéologique, militaire et diplomatique immense a été réalisé pour orienter l’Amérique à soutenir le projet messianique de Netanyahu.

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Mais l’accord d’aujourd’hui est tout le contraire de cette orientation. Lorsque hier, l’envoyé spécial Witkoff a parlé devant les Israéliens et a mentionné Netanyahu, la foule a protesté et l’a fait taire. Ce n’est pas là une victoire de Netanyahu. L’échange d’otages, la libération de milliers de Palestiniens des prisons et le retrait des troupes de Gaza sont désormais compromis par Netanyahu lui-même. Les conditions du Hamas et des Palestiniens – forger un État palestinien indépendant, soutenu par de nombreux pays et même par l’OTAN, à l’exception des vassaux les plus fidèles de l’Amérique – ont prévalu.

Trump a changé de cap: en soutenant Netanyahu à 99%, il s’est toutefois arrêté juste avant la dernière étape. Ce n’est plus le Grand Israël, ce n’est plus la venue du Messie, ce n’est plus la "vache rouge", ce n’est plus l'édification du Troisième Temple, ce n’est plus la destruction d’Al-Aqsa, et ce n’est plus le transfert des Palestiniens.

À quoi donc ont servi les sacrifices d'hier? Les Palestiniens reviennent à Gaza sous la supervision d'un État palestinien reconnu par l’Occident. Le Hamas aurait pu déposer les armes mais, maintenant, il assiste à son propre triomphe: ses hommes ont combattu pour l’indépendance et y étaient proches. La logique messianique de Netanyahu, qui a lancé une guerre sous la bannière du Messie, s’est effondrée. L’Iran, malgré les attaques perpétrées contre lui, reste solide. Son patriotisme a grandi; les exigences envers les femmes ont diminué: à Téhéran, on voit de plus en plus de femmes sans hijab. La majorité des pays du monde s’opposent à Netanyahu. L’Occident est divisé: les mondialistes, Soros et les Démocrates le rejettent; Trump le soutient, même si ce n’est pas inconditionnellement. Il joue cinq ou six parties en même temps, sans jamais en gagner une, mais en défendant ses propres intérêts. Mais surtout, il a montré qu’il n’était pas la marionnette d’Israël, ce dont on l’avait accusé. Il a obtenu un cessez-le-feu à Gaza, mais il ne s’agit pas d’une paix stable. Netanyahu et le lobby messianique l’accepteront difficilement: car ce serait accepter leur défaite.

Pourquoi alors gaspiller le capital moral de l’Holocauste? Le monde voit maintenant comment les actions d’Israël ont sapé sa supériorité morale. Ce n’est pas le Grand Israël. Trump, plaisantant sur son avion dans le “Paradis”, qui rappelle Biden, transmet chaque pensée sur les réseaux sociaux avec une spontanéité d'extraverti. Ce n’est pas une paix durable, que l'on vient de nous concocter, mais une nouvelle version de la même triste réalité qui pourrait bien mener à la troisième guerre mondiale. Une victoire fragile et momentanée pour Trump, mais une victoire réelle pour le Hamas et les Palestiniens, qui ont discrédité Israël et se sont rapprochés de la création d’un État qui leur serait propre. Cela déstabilise la région avec la menace de nouvelles guerres, peut-être sous des formes encore plus terrifiantes.

Présentateur : Des sondages récents aux États-Unis montrent que même les chrétiens sionistes et évangéliques, qui soutenaient autrefois le lobby israélien – en particulier les jeunes – retirent de plus en plus leur soutien. Sans parler de l’Europe et de la communauté musulmane aux États-Unis, qui fait aussi partie de l’électorat de Trump. Dans ce contexte, puisque, comme vous le dites, Trump n’a pas achevé ce jeu, que pensez-vous que l’avenir réserve à Israël, d’un point de vue politique et existentiel, s’il n’a pas réussi à atteindre l’objectif pour lequel il a tout risqué ?

Aleksandr Dugin : L’objectif pour lequel Israël a tout risqué est un phénomène métapolitique: l’attente de la venue du Messie. C’est quelque chose de plus grave que l’échec d’un complot politique ou d’une opération militaire. La seule signification d’Israël réside dans le fait d’être un projet messianique. Sans le Messie, il n’a aucune justification d’exister. En tant «qu’îlot de démocratie dans une mer islamique», il ne résistera pas. Il est confronté à un choix: intensifier la tension messianique ou s’effondrer. Tout pas en arrière signifie basculer dans le non-être.

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Aux États-Unis, une vague anti-israélienne grandit, même parmi d’anciens soutiens. Les jeunes – en particulier les Groypers, les nouveaux nationalistes qui ne sont pas des partisans de Trump – professent un antisémitisme qui va jusqu'au culte d’Hitler. C’est un phénomène de masse. Ils se demandent : « Israël d’abord ou l’Amérique d’abord ? ». Pour tout politicien, la réponse « Israël d’abord » signifierait la fin de sa carrière.

Tucker Carlson critique Israël avec prudence, s’opposant aux Groypers et faisant appel au patriotisme américain. Charlie Kirk – qui a peut-être été tué parce qu’il refusait de soutenir Israël – était une figure influente. La propagande mondialiste et liée à Soros alimente le sentiment anti-Israël, en envoyant des activistes d’Antifa et des figures du mouvement LGBT protester contre Israël. Les musulmans tentent de les mettre de côté, mais Soros utilise ces forces – tout comme il a utilisé notre opposition – pour des actions pro-palestiniennes.

La pression vient des deux côtés: de droite, des jeunes nationalistes; de gauche, des libéraux. L’Anti-Defamation League, orientée anti-Trump, perd de son influence. L’attitude de l’Amérique envers Israël a changé, et Trump le perçoit. Lui, Kushner et d’autres sionistes ont suivi Netanyahu, mais en tant que pragmatique et homme d’affaires, Trump comprend que la situation ne peut pas lui être favorablement retournée. Le facteur islamique aux États-Unis reste marginal, et le lobby juif continue de dominer la scène politique américaine. Cependant, le sentiment anti-israélien de dizaines de millions de personnes est devenu trop fort pour être ignoré.

Présentateur : Qui paiera pour la reconstruction de Gaza? La question reste sans réponse.

Aleksandr Dugin : C’est une question qui reste ouverte. Rien n’est gratuit. Détruire est facile, créer est difficile. Ils chercheront à rejeter la responsabilité sur l’Europe (qui devra payer), avec une partie seulement à charge des États-Unis. Israël ne paiera rien. Les pays islamiques pourraient participer mais Gaza deviendrait alors un pont pour les processus politiques palestiniens, ce qui menace Israël. D’un point de vue géopolitique et messianique, Israël a été vaincu. Avant que Gaza ne soit reconstruite, le Moyen-Orient traversera des moments de tension. Il est possible qu’Israël lance à nouveau une opération militaire, cette fois contre l’Iran.

Présentateur : Passons à un autre sujet international concernant Donald Trump mais qui concerne cette fois directement la Russie. Je voudrais en savoir plus non pas sur les missiles Tomahawk en soi, mais sur le dialogue indirect qui se déroule via les déclarations de Vladimir Poutine et Donald Trump. Récemment, Trump a mentionné les Tomahawk, puis Poutine a parlé d’Anchorage, soulignant que nous restons fidèles à nos accords et que cette ligne se poursuivra. Trump n’a pas commenté directement, mais a dit qu’il comptait appeler Poutine avant de prendre une décision concernant les Tomahawk. Il semble qu’il y ait deux courants: l'un, caché, invisible pour nous, et l'autre qui implique Zelensky, Macron et d’autres qui discutent des Tomahawk.

Alexandre Douguine : La situation est extrêmement grave et ne doit pas être sous-estimée. Trump, sûr de sa capacité à exercer des pressions, des chantages et à forcer les autres à accepter ce qu’il appelle la “paix”, manipule diverses parties, y compris le puissant lobby pro-israélien et Netanyahu, lobby qui est une force profondément enracinée dans la politique américaine. Ses méthodes coercitives fonctionnent souvent et c’est alarmant. D’un côté, cela le satisfait: c’est un homme des cycles courts, ce n'est pas un stratège. Il résout les problèmes instantanément, encaissant immédiatement les profits. C’est une approche entrepreneuriale: gagner tout de suite, le lendemain n’a pas d’importance. On peut tout perdre au casino, en échangeant des gains à long terme contre des gains rapides. C’est la mentalité d’un entrepreneur américain: la valeur est dans la transaction qui s'effectue ici et maintenant.

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Les conséquences? Il n’a pas de temps de s'attarder sur elles: le rythme doit s’accélèrer. Et ça, c’est dangereux, car jusqu’à présent, cela a fonctionné pour lui. Il applique maintenant cette méthode à la Russie, mais ici, ce n’est pas approprié. Il s’agit de projets à long terme, de grandes stratégies, de géopolitique, toutes choses que Trump évite. Il agit dans l'instant, et cela est forcément risqué. En tentant d’imposer un principe commercial – « Allez, Poutine, faisons la paix à mes conditions » – il entend la réponse de Poutine: « Non, ce ne sont pas mes conditions à moi ». Trump répond alors par des menaces: « D’accord, alors – nous couperons les ponts, enverrons des Tomahawks, de nouvelles armes ». Cette intimidation envers la Russie, tout comme envers la Chine, est extrêmement dangereuse et vaine.

Selon moi, Poutine agit avec la plus grande délicatesse: il ne cède pas sur les questions stratégiques, ne fait pas de compromis sur des intérêts vitaux, et les défend avec fermeté, mais il est prêt à continuer ce jeu désagréable et risqué. L’histoire des Tomahawks, c'est comme au poker. Poutine joue des stratégies complexes; Trump joue au poker, où seuls le bluff et les gestes rapides comptent. Mais si, lors de négociations difficiles, la mise monte, l’apparence de “simple jeu” de notre part disparaîtra.

Peskov l’a affirmé clairement, et nos politiciens ont dit la même chose: nous avons tracé des lignes rouges; l’Occident les a dépassées, et nous n’avons pas réagi. L’Occident croit à tort que nous ne réagirons jamais. Livrer des Tomahawks à Kiev signifie, du point de vue technique-militaire, que du personnel américain attaquera en profondeur le territoire russe: il n’y a pas d’autre moyen, comme le confirment les experts. Trump, avec son style “dur”, lance un ultimatum qui mène directement à un conflit militaire avec nous. Il refuse clairement de penser à une escalade nucléaire, en supposant que cela se déroulera comme avec l’Iran: les États-Unis attaqueront la Russie pour forcer un accord rapide sur l’Ukraine.

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Présentateur : Comme avec l’Iran ?

Alexandre Douguine: L’Iran, éloigné d’Israël, soutient les chiites. Pour l’Iran, la situation était complexe mais elle n'était pas vitale. Pour la Russie, c’est différent: cela touche nos intérêts directs. En jouant à la roulette russe avec l’escalade pour perspective, Trump joue avec le feu. Si nous cédons, si nous ne répondons pas aux attaques avec des Tomahawks sur notre territoire, et  si on ne sait pas ce qu’ils pourraient transporter dans leurs ogives, cela annulerait tous nos succès, sacrifices et souffrances. Il ne s’agit pas de la menace d’une contre-offensive ukrainienne, que nous avons à peine réussi à gérer. C’est quelque chose de bien plus grave. Si nous ne répondons pas aux attaques directes américaines, ils pourront nous faire tout ce qu’ils veulent.

Le monde est dans le chaos; chacun tire dans sa propre direction; il n'y a personne sur qui compter. Nous sommes seuls: ou nous repoussons l’agression américaine, qui pourrait commencer à tout moment, ou une guerre avec les États-Unis sera inévitable. Trump, avec son arrogance agressive, a dépassé une limite que même Biden et les mondialistes ne voulaient pas franchir. Il ne s’agit pas seulement d’Anchorage. C’est du poker géopolitique, où une partie déclare: «Maintenant, on passe à la roulette russe».

Présentateur : Directement à la roulette russe, tel est le nouveau facteur ?

Alexandre Douguine : Oui. Les Tomahawks sont un nouveau facteur dans l'escalade. Il ne s’agit pas de la victoire de l’Ukraine ou de la défaite de la Russie, mais du début d’un affrontement militaire direct entre la Russie et les États-Unis, le seuil de la troisième guerre mondiale. Nous nous sommes approchés de cette ligne à plusieurs reprises et avons fait marche arrière, mais Trump accélère les événements, alimentant les tensions.

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Melania Trump tente de réfuter les fausses informations concernant les enfants ukrainiens, tandis que Maria Lvova-Belova (photo) a démontré de manière convaincante aux Américains l’absurdité des accusations contre notre président et contre elle-même. Nous y sommes parvenus, mais nous ne pouvons arrêter cette escalade maniaque de Trump, déguisée en pacification.

Le prix Nobel de la paix a été décerné à un agent obscur de Soros pour une révolution colorée ratée au Venezuela: une honte absolue pour ce prix. Pourquoi Trump a-t-il besoin de ce prix discrédité? Son image de pacificateur est fausse, fruit de la sénilité et de l’absurdité.

La fragilité de la situation s’accroît, et les Tomahawks la rendent mortellement dangereuse. Zelensky se féliciterait si l’Amérique commençait à se battre pour lui: ce serait sa victoire à lui. Pendant quatre ans, il a cherché à entraîner l’Occident dans un conflit direct avec la Russie; il pourra ensuite se retirer, même si son pays est détruit.

L’élite mondiale se dégrade: certains sombrent dans la démence, d’autres deviennent toxicomanes, changent de sexe ou se transforment en monstres.

L’Occident perd son visage humain. Soros est un monstre; Trump en est un autre, incapable de distinguer les rêves de la réalité. L’Occident décline, entraînant dans sa tourmente notre propre guerre civile avec le mouvement Antifa, les marxistes, les transgenres, la mode furry. Ils exportent cette apocalypse zombie, infectant l’humanité avec le venin de la folie. C’est extrêmement dangereux: l’Occident possède des bases, des armes et le désir de mourir lors d’un spectacle, comme la tour de Babel qui s’effondre et secoue la terre.

Présentateur : Permettez-moi d’aborder le cadre philosophique, puisque vous avez mentionné le Prix Nobel de la Paix. Certains soutiennent que le déclin de l’Occident profite à la Russie seulement si cela se produit lentement, afin que ses effets centrifuges ne déstabilisent pas le monde entier. Comment voyez-vous cela ?

Alexandre Douguine : Ce qui compte, c’est que l’Occident pourrisse sans nous. Il existe une torture appelée «la fiancée étrusque»: attacher un cadavre à une personne vivante de façon à ce que la putréfaction pénètre dans la chair vivante. L’occidentalisme, le libéralisme, la mondialisation, la numérisation, le désir d’imiter l’Occident: c’est cela, cette «fiancée étrusque».

L’Occident est mort, et plus on s’en rapproche, plus il devient dangereux. Que son déclin soit rapide ou lent n’a pas d’importance. La clé, c’est de pratiquer sans retard le découplage, de couper tous liens avec ce monstre toxique. L’Occident a toujours eu une tendance à la dégénérescence, mais il a maintenant atteint le stade terminal, celui d’un déclin irréversible. Si cela se décompose plus rapidement, c’est peut-être même mieux. L’important, c’est d'isoler cette baraque infectée appelée «société occidentale éclairée», de mettre entre elle et nous un mur infranchissable.

L’humanité doit se sauver de l’Occident. Quiconque reste lié à cette «fiancée étrusque» en décomposition est condamné: le poison se répandra, vite ou lentement, peu importe, mais la maladie qu'il apporte est inévitable. La rupture aurait dû se produire il y a cent ans, deux cents ans. Nous repoussons toujours cela, en pensant que l’Occident ne se décomposera pas ou que son déclin sera d’une certaine manière agréable. Les élites contaminées par une pensée à court terme poursuivent le plaisir immédiat, ignorant les conséquences. La contamination a pénétré notre culture et notre sang. La question n’est pas de savoir si un déclin rapide ou lent nous avantage, mais de savoir qu’il doit se produire sans nous. Nous avons fait beaucoup pour nous en détacher, mais il reste encore beaucoup à faire: l’infection est profonde.

Présentateur : Passons maintenant à ce que nous avons fait et à ce que nous faisons, passons au dernier sujet d’aujourd’hui: le sommet des chefs d’État de la CEI au Tadjikistan et le discours de Vladimir Poutine. De nombreuses questions ont été abordées. Je voudrais demander quelles sont les perspectives de la CEI en ce qui concerne la coopération de la Russie avec les autres pays du Commonwealth. Poutine a cité la Biélorussie comme un exemple de coopération avec nos voisins géographiques et historiques. Que voulait-il dire en faisant une analogie entre la Biélorussie et les autres pays de la CEI dans le cadre de projets communs ?

Aleksandr Dugin : Poutine voulait souligner la nécessité de construire, à la place de la CEI, un État unifié de l’Union eurasiatique selon le modèle de l’Union Russie-Biélorussie. C’est notre seule voie.

Ses paroles peuvent être interprétées de plusieurs manières, mais je n’en vois qu’une seule: de ce qui a été dit et non dit, de la logique de l’histoire géopolitique, il en découle que nous devons agir ensemble comme un seul pôle – les peuples de l’Empire russe, de l’ancienne Union soviétique, partie indissociable de la civilisation eurasienne: notre peuple, notre culture, notre société – ou nous nous retrouverons entourés d’États hostiles, non souverains et marionnettes comme l’Ukraine, sous l’influence d’acteurs extérieurs, pas nécessairement occidentaux. Il pourrait s’agir du pôle islamique, de la Chine ou d’autres centres de pouvoir. La souveraineté n’est possible que pour de grands blocs civilisationnels: la Russie, la Chine, l’Inde et le monde islamique. La souveraineté du monde islamique, comme on le voit à Gaza et en Palestine, est faible. Cependant, elle pourrait se réorganiser, peut-être sous l’influence du facteur palestinien, dans un nouveau type de califat. Alors, l’Asie centrale deviendrait une zone de conflit entre le pôle islamique, la Russie et la Chine: c'est là une perspective sombre.

Poutine lance un dernier avertissement: soit la CEI se transforme en une véritable Union eurasiatique, soit le destin des États semi-souverains post-soviétiques sera tragique. Il n’est pas nécessaire d’atteindre une unification totale comme avec la Biélorussie, mais un partenariat militaire, économique, politique et culturel sous forme d’union devrait servir d’exemple à tous les États de la CEI, y compris l’Ukraine. La guerre en Ukraine est le résultat du refus de cette voie, tout comme en Moldavie et en Géorgie. Il manque encore un argument: la conquête de Kiev. Quand nous conquerrons Kiev, les paroles de Poutine auront du poids. Nous devons démontrer la nécessité de l’État de l’Union par un acte décisif et irréversible. Sinon, augmenter la tonalité de la rhétorique ne servira à rien.

Cf.: https://www.multipolarpress.com/p/trump-decoupling-and-th...

 

Voyage dans l'univers parallèle

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Voyage dans l'univers parallèle

Karl Richter

Le député de l’AfD Markus Frohnmaier est accusé par des cercles de l’Union (démocrate-chrétienne) de "trahison" nationale. Il prévoit en effet un voyage à Moscou et souhaite y rechercher le "dialogue". Une démarche attendue depuis longtemps et qui est très raisonnable. Mais: en pleine guerre en Ukraine, que l’Occident a principalement déclenchée et qu’il maintient toujours en ébullition par tous les moyens, cela ne peut évidemment pas passer. L’hypocrisie de l’Union démocrate-chrétienne appartient à cette catégorie "où l’on ne peut pas manger autant qu’on voudrait vomir". Commettre plus de trahison nationale que celle qui a été infligée aux Allemands par l’Union depuis la fondation de la République fédérale jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas possible.

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Frohnmaier (photo) veut aller à Moscou, et, moi, je viens juste d’en revenir. Après des années d’absence, cela faisait belle lurette qu’il était temps d'y retourner, et malgré la campagne médiatique, les voyages en Russie ne sont ni impossibles ni interdits. Après trois ans et demi de guerre, je voulais me faire ma propre idée de la façon dont le pays gère cela, un pays qui, selon la propagande occidentale, est au bord de l’effondrement et est isolé internationalement. Et surtout, je voulais faire la preuve, constater de visu: sommes-nous désormais, en tant qu’Allemands, haïs par les Russes à cause de la politique incroyablement stupide et dangereuse de nos dirigeants ?

Pour commencer: non, aucune trace de germanophobie. Les Russes "normaux" que l’on rencontre dans l’ascenseur, au restaurant ou au supermarché et qui savent que l’on vient d’Allemagne, savent apparemment, et aussi bien que leur gouvernement, faire la distinction entre les Allemands et leur régime dangereux, dont la haine envers l’Allemagne est effrayante. Au contraire, malgré tout, le respect pour les Allemands reste élevé, et ceux qui ont de la famille en Allemagne ou y sont déjà allés, le montrent volontiers et s'efforcent, amicalement, de prononcer à notre intention quelques mots d’allemand. Même à l’aéroport, lors du départ, je suis salué par le personnel strict qui contrôle mon passeport et mon billet d’avion avec un "Au revoir !" bien soutenu.

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Ce ne signifie pas que la guerre ne se déroule pas. À l’arrivée à Samara sur la Volga (photo), il y a, tout d'un coup, une "alerte drone", et, plus tard, il s’avère que cela fait partie du quotidien. Mais l'alerte se fait uniquement par SMS, par un avertissement sur le téléphone. En réalité, pour les gens, cela se ressent à peine, la vie continue normalement. S'il n'y avait pas, sur certains bus, le "Z" patriotique bien affiché, et s'il n'y avait pas de grandes affiches dans les rues pour faire la promotion du service dans les forces armées – pour des montants à sept chiffres en roubles –, on pourrait croire que la guerre n’est qu’une illusion. Il est évident que même le gouvernement ne la grossit pas trop et ne veut pas imposer trop de restrictions à la population. Cependant, il doit augmenter la TVA de 20 à 22 % à partir du 1er janvier 2026 pour financer la défense.

Le philosophe et géopolitologue Alexandre Douguine a récemment formulé une remarque: pour de nombreux conservateurs en Occident, la Russie représente une sorte d’idéal, celui de l’Europe d’autrefois, un idéal "meilleur", auquel l’Occident d’aujourd’hui a tourné le dos de manière systématique, tandis que la Russie – aussi officiellement – se voit comme le gardien des valeurs traditionnelles de l’Europe. En réalité, le tableau de la vie publique, pour les Européens de l’Ouest, qui, chez eux, sont déçus et irrités, est presque paradisiaque: il se présente sous un jour tranquille, aussi bien à Moscou qu’à Novossibirsk, loin en Sibérie. Dans les spots publicitaires à la télévision, on ne voit que des personnes blanches. À Samara, j’ai vu un (en chiffres: 1) Noir, à Moscou trois. Et personne ne semble se soucier du risque éventuel d’être poignardé dans le métro ou poussé sur la voie ferrée. En cette "Allemagne qui est la meilleure qui ait jamais existé" (Steinmeier), on dénombre statistiquement 80 délits à l’arme blanche par jour. Il ne faut rien exagérer. Mais, il n'en demeure par moins que le risque d’être poignardé est un indicateur de la qualité de vie.

Douguine a justement critiqué la société russe qui est en guerre, pour laquelle la guerre est, dans l’ensemble, très lointaine. Douguine a dit que, malgré l’hostilité ouverte de l’Occident, le pays se concentre encore trop peu sur sa propre identité et continue à ressembler à une simple copie d’anciennes sociétés occidentales. C’est exact. À la télévision, on voit, à l’exception d’une ou deux chaînes de musique folklorique russe ou de films patriotiques de guerre, le même genre de déchets sous-culturels qu’ici, des comédies stupides dans les programmes du soir et de la musique pop. Dans les supermarchés, on trouve de tout, et à l’exception de grandes entreprises comme Daimler ou Microsoft, qui se sont pliées aux sanctions, on peut se procurer tous les produits occidentaux, de la crème Nivea à la bière Spaten en passant par les ordinateurs Apple, tout cela reste omniprésent. Même dans les banques, on remarque que malgré l'abandon du système de paiement occidental SWIFT, on travaille encore sur des ordinateurs Dell. La "libération", celle qui aurait libéré les Russes des logiciels et des matériels américains, et qui a été annoncée il y a plusieurs années, n’a apparemment pas encore été réalisée. Sur la route, on voit aussi de plus en plus de voitures chinoises, en plus de Hyundai et Daihatsu.

La dynamique économique du pays est visible partout. Que Vladimir Poutine, qui vient de fêter son 73ème anniversaire, soit le garant principal de cette croissance, ne fait aucun doute pour mes interlocuteurs russes. L’un d’eux, le représentant de longue date du Parti démocratique libéral (LDPR), Valeri Voronine, considère que le chef du Kremlin est le chef d’État le plus compétent au monde, qui, en 25 ans de règne, a réalisé des exploits et a conféré à son pays une nouvelle influence mondiale. Tout le monde doit être d’accord avec cette évaluation, du moins tous ceux qui se souviennent de la situation de la Russie dans les années 1990. La guerre, depuis 2022, n’a pas sérieusement menacé cette reprise, au contraire.

Les sanctions ont surtout nui aux populations des pays qui les ont appliquées. En Allemagne, les prix de l’énergie domestique ont augmenté de 50,3% entre 2020 et 2024. Non, ce n’est pas de la propagande du Kremlin. Ce chiffre a été publié jeudi par l’Office fédéral de la statistique dans un communiqué. Les responsables de cette catastrophe résident à Berlin et à Bruxelles, pas à Moscou.

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La société russe fonctionne aujourd’hui comme une société parallèle. Elle n’a pas besoin de rougir face à l'Occident, surtout pas face à la société allemande devenue un "Shithole". Peut-être deviendra-t-elle, dans le cadre de la confrontation continue avec l’Occident, dans les années à venir, encore plus "russe" qu’elle ne l’est aujourd’hui – ou peut-être plus eurasiatique. Sur les aéroports, on voit partout des inscriptions en russe, en anglais et en chinois (photo). Sans aucun doute, l’Occident, par ses politiques aberrantes, a fortement favorisé l’intégration de l’espace eurasien et la multipolarisation de la politique internationale: c'est bien là le résultat patent de ses sanctions suicidaires. En plus de l’axe eurasien, d’autres "grands espaces régionaux" se développeront dans un avenir proche – Douguine en prévoit dans son livre "Mission eurasienne" (2022) pas moins de douze, dont cinq rien qu'en Asie –; leur formation est déjà alimentée par la dynamique économique du monde non occidental (BRICS!). Le reste du processus est tout simplement dû à la politique aveugle de l'Occident, qui se débat avec force contre son propre déclin.

Sur le front de la communication, la multipolarisation a déjà créé des faits concrets. Non seulement l’UE censure les médias russes et refuse à RT ou Sputnik leur licence de diffusion. La censure russe n’est pas non plus une coquille vide et touche une série de médias allemands, même relativement inoffensifs comme "Welt", qui ne peuvent pas être consultés sur Internet en Russie. Pour les personnes intellectuellement productives qui dépendent d’un flux libre d’informations, cela est tout aussi inacceptable que la répression de l’UE. De temps en temps, un serveur VPN aide le chercheur. En résumé: les déclarations répétées de l’UE sur la liberté de la presse ne sont qu’une farce. Sur le sujet de la "démocratie dirigée", l’Occident n’a rien à reprocher à la Russie. Le fait que, en Allemagne, certains candidats indésirables – comme lors des dernières élections communales en Rhénanie du Nord-Westphalie – soient systématiquement exclus et qu’on travaille ouvertement à interdire le plus grand parti d’opposition, n’échappe pas à mes interlocuteurs russes.

Lorsque, après un peu plus de deux semaines, le portillon du poste de contrôle des passeports à l’aéroport de Munich s'est refermé derrière moi, je n’ai pas eu un bon pressentiment. Tout ce qui aurait paru incongru jadis revient soudainement: des voilées complètes, des Noirs, des freaks du mouvement Antifa aux cheveux bleus. Non, je ne veux pas de ces "valeurs occidentales-là". Je ne les accepte pas. Si j’avais l’occasion de commettre une trahison nationale comme le député de l’AfD Markus Frohnmaier, je n’hésiterais pas.

lundi, 20 octobre 2025

De la Pax eurasiatica, de sa trajectoire et de son initiative plutôt que celles de Donald Trump

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De la Pax eurasiatica, de sa trajectoire et de son initiative plutôt que celles de Donald Trump

Sur le récent accord de cessez-le-feu et son contexte régional plus large 

Mehmet Perinçek

Lors de la rencontre en Égypte, le front atlantique a désigné le cessez-le-feu atteint à Gaza comme la “paix de Trump”. Mais les “actions de Trump” ne s’arrêtent pas là : nous avons aussi la “trajectoire de Trump” dans le Caucase du Sud et “l’initiative de Trump” en Syrie. Que signifient les politiques et mouvements récents des États-Unis en Asie occidentale, en Méditerranée orientale, en mer Noire et dans le Caucase du Sud ? À quoi ressemble la période à laquelle nous entrons pour les pays de la région ? Et que devrait-on faire ? L’auteur de l’UWI (United World International), historien et politologue, le professeur associé Mehmet Perinçek, a partagé avec nous une analyse complète. 

La “paix” de Trump

En regardant ce qu’on désigne comme l’accord de “paix de Trump” et les parties impliquées, on peut voir clairement qu’il s’inscrit entièrement dans un contexte atlantique et occidental. Bien sûr, la résistance du peuple palestinien et la lutte de Hamas ont contraint le front atlantique à s’asseoir à la table des négociations. C’est un résultat important. Cependant, cette soi-disant “table de paix” représente une tentative occidentale de prendre l’initiative dans la formation de l’ordre en Asie occidentale. 

Trump est là. Tony Blair est à cette “table de paix”. Les mêmes personnes qui ont ensanglanté l’Irak et l’Asie occidentale sont là. Tous les soutiens d’Israël sont assis autour de cette table. Et à côté d’eux se trouvent les forces et pays que l’on pourrait appeler “les amis de Trump” en Asie occidentale. 

L’axe Iran-Chine-Russie est exclu

Après l’éclatement de la guerre de Gaza, le 7 octobre 2023, la Chine, la Russie et l’Iran ont joué un rôle significatif dans le cours des événements. La Chine a même organisé des rencontres pour combler le fossé entre l’Organisation de libération de la Palestine et le Hamas. Israël lui-même a reconnu que la Chine a soutenu le Yémen. L’Iran, comme nous le savons, a combattu directement contre Israël lors de la guerre de douze jours, en soutenant également le Hezbollah, le Hamas, la résistance palestinienne et le Yémen. 

Pourtant, nous voyons que les pays et puissances capables d’équilibrer la menace occidentale et israélienne ont été délibérément exclus de la table des négociations de Trump. Mais cet équilibre est essentiel non seulement pour parvenir à un cessez-le-feu, mais aussi pour garantir la reconnaissance et le soutien international à un État palestinien. 

La guerre comme la paix dépendent de l’équilibre des forces entre les camps opposés. Par conséquent, exclure ces pays de l’accord n’est pas une évolution positive pour la Palestine. Dans la guerre qu'Israël a perdue sur le champ de bataille, Tel Aviv pourrait maintenant regagner un avantage grâce à la “paix de Trump”, où l’agressivité de Trump est en partie freinée ou dissimulée sous le voile de la diplomatie. 

La paix américaine durera-t-elle ?

Ce n’est peut-être pas une “paix israélienne”, mais c'est une “paix américaine”. Cependant, cela ne peut pas apporter une stabilité à long terme ni garantir la sécurité et l’intégrité territoriale de la Palestine. Cela ne sera possible que lorsqu’un pouvoir égal à l’agression israélienne, soutenue par les États-Unis et l’Europe, sera constitué pour la contrer. Sinon, ce que l’on appelle aujourd’hui la “paix de Trump” se transformera rapidement en “oppression de Trump”. 

Pression atlantique dans le Caucase, en Syrie et en Palestine

Pour l’instant, Trump a fait un pas pour reconquérir l’initiative que les États-Unis perdaient dans la région. Il tente de le faire par le biais du soi-disant mémorandum “Trump Route” dans le Caucase du Sud et en maintenant son soutien aux nouveaux détenteurs du pouvoir en Syrie. La soi-disant “paix de Trump” à Gaza fait partie de ces efforts. Tous ces mouvements sont interconnectés. 

Mais à moyen et long terme, cela n’apportera ni paix ni stabilité dans la région. Trump et Israël insistent sur la démilitarisation totale du Hamas, ce qui revient essentiellement à éliminer la force armée qui garantit l’existence d’un État palestinien. En d’autres termes, ils demandent l’abolition même de l’État palestinien. 

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En résumé, nous faisons face à une tentative d’établir un nouvel ordre en Asie occidentale façonné par les États-Unis et Israël dans le cadre de la Pax Americana. Les Accords d’Abraham ont ouvert la voie à ce que des pays qui ne reconnaissaient pas Israël auparavant l’acceptent maintenant, ce qui ne signifie en réalité rien d’autre que la soumission à l’expansion, à l’agressivité et aux occupations d’Israël. Une région soumise aux États-Unis et à Israël… 

Mais peuvent-ils vraiment le faire dans le monde multipolaire d’aujourd’hui? Nous assistons à l’émergence et à la convergence de nouveaux centres de pouvoir en Asie et en Eurasie, sur le plan militaire, économique et politique. 

Le premier Israël et le second Israël

D’après les images diffusées par les médias, on peut aussi voir qu’il s’agit d’une “paix” fausse. Le comportement de Trump sur scène, avec les autres dirigeants alignés derrière lui comme des marionnettes qu’il contrôle par gestes, révèle l’artificialité de tout le spectacle.

Même si Trump peut sembler restreindre Netanyahu et Israël pour des raisons tactiques, en essayant de se rapprocher de ses “amis” en Asie occidentale, Israël reste un partenaire stratégique que les États-Unis ne pourront jamais abandonner. L’objectif commun des États-Unis et d’Israël est de soumettre la région. Leur objectif principal est l’Iran. Mais nous devons être pleinement conscients que la Turquie est aussi dans leur viseur.

Tout comme les États-Unis ne peuvent pas abandonner Israël, ils ne laisseront pas tomber les SDF/PKK/YPG en Syrie. Il peut y avoir des gestes symboliques par-ci par-là, mais le plan fondamental ne changera pas. Les piliers immuables de ce plan sont le Premier Israël et le Deuxième Israël. Ce Deuxième Israël n’est rien d’autre qu’un État marionnette appelé “Kurdistan”.

Calmer la Turquie en Méditerranée orientale

La Méditerranée orientale doit également être analysée dans ce contexte. La souveraineté de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) est menacée non seulement par Israël, mais aussi par les États-Unis. Les États-Unis, avec leurs bases en Égée, en Thrace et en Grèce, ont clairement désigné la Turquie et la RTCN comme des cibles. 

Dans cette optique, la “paix de Trump” est un piège conçu pour calmer, neutraliser et transformer la Turquie en une marionnette, en faisant une cible facile. L’idée de “sacrifier l’Iran et de nous sauver de la menace” ne sauvera personne. 

Trump abandonne ses politiques initiales

Trump se considère maintenant comme un commandant victorieux. Bien qu’il se présente comme une colombe de la paix, il poursuit en réalité une politique qui consolide le pouvoir des États-Unis dans le Caucase du Sud, en Syrie et en Palestine, le transformant à nouveau en une force capable d’imposer sa volonté à l’échelle mondiale. 

S’il réussit, il pourrait très bien prendre une direction opposée à celle qu’il a suivie avant et pendant sa présidence dans ses relations avec la Russie, et agir de manière beaucoup plus imprudente envers l’Ukraine. En effet, ses décisions récentes, comme la livraison de missiles Tomahawk à Kiev et ses déclarations ouvertement anti-russes, montrent que Trump s’est déjà éloigné de sa position antérieure. 

Une escalade de la guerre en Ukraine aurait des répercussions négatives non seulement sur la Turquie et la Palestine, mais sur toute la région. Plus la Russie reste embourbée en Ukraine, plus son initiative ailleurs s’affaiblit. 

Liaison forte entre la mer Noire et la Méditerranée orientale

La Turquie peut jouer un rôle constructif à cet égard, en affaiblissant l’influence que les puissances européennes, et maintenant Trump, exercent sur Kiev pour intensifier la guerre. Sans briser cette influence, la paix restera inaccessible. 

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Une telle politique est importante non seulement pour l’avenir de l’Ukraine et de la mer Noire, mais aussi pour la position de la Turquie en Méditerranée orientale et en Asie occidentale. Les menaces auxquelles la Turquie et la RTCN sont confrontées sont trop grandes pour être gérées seules. Bien sûr, la Turquie s’appuiera sur ses propres forces, son peuple et son armée, mais elle a aussi besoin d’alliances. La mer Noire et la Méditerranée orientale sont profondément interconnectées: briser les plans du front atlantique sur l’Ukraine signifierait aussi briser ses plans sur la RTCN. 

Les destins de la Turquie, de la Syrie, de l’Iran, de la Russie et de l’Azerbaïdjan, en bref, de tous les pays de la région, sont liés. Leur intégrité territoriale est directement connectée. Objectivement, la coopération entre eux est donc inévitable. 

La leçon du processus du gouvernement al-Sharaa

Le processus par lequel la Syrie a traversé depuis la formation de son nouveau gouvernement l’a encore une fois clarifié. Au début, Damas pensait pouvoir apaiser les États-Unis et Israël en prenant leurs distances avec l’Iran et la Russie. Ils pensaient pouvoir ainsi échapper à leur agressivité. Mais leur propre expérience a prouvé le contraire. 

Israël a occupé des parties importantes du territoire syrien, la région habitée par les Druzes est tombée sous influence israélienne et est devenue une zone de facto autonome où Damas ne pouvait plus exercer son contrôle. L’accord du 10 mars avec les SDF a été signé mais jamais mis en œuvre. La Syrie croyait qu’adopter les politiques demandées par les États-Unis et Israël apporterait un soulagement, mais c’est le contraire qui s’est produit: en s’éloignant de l’Iran et de la Russie, elle est devenue plus faible et plus vulnérable aux attaques.

Cela nous enseigne une leçon importante: il n’est pas possible d’arrêter l’agression atlantique en la calmant ou en suivant ses diktats, mais seulement en la contrebalançant. C’est la voie qui pourrait aussi ramener Trump en ligne avec ses politiques antérieures moins agressives.

Pas un plan tactique, mais stratégique

De ces expériences, il est clair que la Syrie n’a pas d’autre choix que de coopérer avec la Russie et l’Iran. Ces deux pays ont déjà un passé et une expérience commune, la Russie dispose de bases en Syrie remontant à l’époque d’Assad. La récente visite d’Ahmad al-Sharaa à Moscou pourrait conduire à des mesures qui contrecarreraient les plans des États-Unis et d’Israël. Ce serait la bonne démarche. Ce qui importe, c’est que cette coopération ne reste pas tactique, mais devienne stratégique. Par exemple, des politiques telles que “nous faisons peur aux États-Unis avec la Russie pour qu’ils reculent sur la question des SDF”, en utilisant une partie comme levier contre l’autre, ne fonctionneraient pas. 

Il en va de même pour la Turquie. Sa politique d’équilibre déclarée officiellement n’est plus suffisante pour faire face aux problèmes. La position de la Turquie sera décisive dans la période à venir. Ankara a abandonné le processus d’Astana, et en conséquence, les États-Unis et Israël ont pris le dessus dans le Caucase du Sud, en Syrie et en Palestine. 

De tout cela, nous pouvons tirer une conclusion claire: pas la voie de Trump, mais la voie eurasienne dans le Caucase du Sud. Pas l’initiative de Trump, mais l’initiative eurasienne en Syrie. 

Et pas la paix de Trump, mais la paix eurasienne en Palestine.

Source première: 

https://unitedworldint.com/37324-eurasian-peace-route-and...

Qui commande (réellement) en Europe?

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Qui commande (réellement) en Europe?

par Alessandro Volpi

Source:  https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/31472-ales...

Qui commande en Europe ? En Allemagne, BlackRock détient des participations, directement ou par l’intermédiaire de fonds qu’il possède, comprises entre 3% et 10% dans Commerzbank, Deutsche Bank, Continental, Adidas, Bayer, Lufthansa, Sofran, Daimler, AG, Basf, Allianz, Siemens, Thyssen Krupp, Münchener Re, Rheinmetall, Hensholdt. À cet ensemble de participations s’ajoute une longue liste d’actions détenues, en dessous du seuil de 3%, dans de très nombreuses autres sociétés allemandes, notamment dans le secteur du crédit et des assurances. 

En France, la société dirigée par Larry Fink détient des parts comprises entre 3% et 9% dans Sanofi, TotalEnergies, LVMH, Schneider Electric, Société Générale, Orpea. 

Là aussi, comme en Allemagne et en Italie, BlackRock possède des participations inférieures à 3% dans de très nombreuses sociétés françaises, avec une incidence notable dans le secteur bancaire. En Angleterre, la société américaine gère une série de fonds UCITS domiciliés sur l’île, qui détiennent d’importantes participations dans des sociétés britanniques, tout en enregistrant une présence directe dans Shell, NetWest Group et Preqin. 

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Les participations de BlackRock en Espagne sont concentrées dans le système bancaire, dans BBVA, Banco Sabadell, Banco Santander, CaixaBank, où la part détenue oscille entre 6% et 8%, ainsi que dans une série d’autres secteurs où la part possédée dépasse 5%, notamment Iberdrola, Repsol, Enagas, Redeia, Telefonica, Grifols, Fluidra, Merlin et AM-Deus. 

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Une importance particulière, la société américaine y a un poids notable dans Naturgy, dont elle contrôle 10%. 

À ces données générales s’ajoutent trois autres considérations:

La première est que BlackRock est l’actionnaire principal des sociétés qui gèrent la Bourse de Londres, celle de Francfort et celle de Milan.

La deuxième, déjà évoquée pour l’Italie, concerne la présence massive dans presque tous les États européens d’un vaste circuit de vente des ETF produits par BlackRock, visant à capter l’épargne diffusée. À ce sujet, il faut souligner que le secteur des ETF connaît une croissance rapide, avec un marché européen total de plus de 2800 milliards de dollars, destiné, précisément, à « capter » une large part de l’épargne gérée, avec plus de 11 millions de plans d’épargne, uniquement en ETF. 

La troisième considération est de souligner que BlackRock n’est qu’un des trois grands fonds américains qui dominent la scène européenne, car des considérations similaires seraient possibles pour Vanguard et State Street, dont l’action, par rapport à la société présidée par Fink, repose surtout sur la production d’ETF et de fonds contenant d’importants paquets d’actions de sociétés italiennes. 

L'hebdo allemand Wirtschaftswoche: L'Europe se prépare – et marche aveuglément vers une économie de guerre

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L'hebdo allemand Wirtschaftswoche: L'Europe se prépare – et marche aveuglément vers une économie de guerre 

Elena Fritz

Source: https://t.me/global_affairs_byelena/2796  

L'hebdo économique allemand WirtschaftsWoche célèbre le patron de Rheinmetall, Armin Papperger, comme étant le «dirigeant de l'époque du tournant».

Dans le langage de l'article, cela ressemble à un succès, à une « force européenne » émergente.

Mais en réalité, WirtschaftsWoche – sans le dire expressis verbis – décrit le début d’une économie de guerre en Europe. 

L'Europe se prépare

Allemagne : 93,7 → 204,8 milliards de dollars (+119 %)

Royaume-Uni : 84,2 → 130,9 milliards de dollars (+56 %)

France : 64,5 → 103,2 milliards de dollars (+60 %)

Italie : 35,4 → 59,1 milliards de dollars (+67 %)

Pologne : 34,5 → 56,9 milliards de dollars (+65 %)

Turquie : 28,3 → 46,4 milliards de dollars (+64 %)

Pays-Bas : 21,9 → 46,0 milliards de dollars (+110 %) 

Ce n’est pas une simple impulsion visant la modernisation des armées.

C’est le doublement des dépenses européennes en armement – en seulement six ans.

L’Allemagne a pris la tête du processus.

Et ce n’est pas seulement une question d’arithmétique budgétaire.

C’est la transformation économique de l’Europe – passant de la production, d’énergie et de biens de consommation à des chaînes d’approvisionnement militaro-administrées. 

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Les indicateurs précoces silencieux

Ceux qui connaissent les cycles historiques détectent dans cette évolution une série de signaux d’alerte classiques: 

- Politique de mobilisation – le retour du service militaire, les programmes pour réservistes, les campagnes de recrutement militaire.

- Déploiements de troupes hors des routines habituelles: contingents permanents de l’OTAN dans les États baltes et en Roumanie; extension de la plus grande base de l’OTAN en Europe.

- Conditions cadres de l’économie de guerre: fabrication en série, standardisation à l’échelle de l’UE, contrats s'élevant à plusieurs milliards, priorité industrielle à la production d’armements malgré la crise énergétique.

- Protection civile et évacuations: relance des anciens programmes de protection civile, exercices en cas de crise, développement d’infrastructures pour la logistique de crise.

- Synchronisation communicative: campagnes d’information, polarisation, construction d’images d’ennemis – préparation psychologique de la population à des « conflits inévitables ».

- Érosion diplomatique: canaux bloqués vers la Russie, politique extérieure chargée de moralisme sans canaux de retour.

Tout cela, pris ensemble, ne constitue pas une « alliance de défense », mais une pré-structuration pour se livrer à l’escalade. 

La question stratégique

L’Europe aurait appris de son histoire, dit-on.

Mais que se passe-t-il si elle est en train de reproduire d’anciennes erreurs sous une nouvelle apparence ?

Un continent qui reconvertit sa base industrielle au profit de l’industrie de l’armement, qui réduit la production civile, qui déclare que ses dépenses en matière de sécurité relèvent de la croissance, – et qui, en même temps, coupe ses canaux diplomatiques – ne se dirige pas vers la paix, mais vers une nouvelle logique militaire que fait système. 

Conclusion

WirtschaftsWoche voulait décrire la montée en force de Rheinmetall – elle a involontairement lancé un signal d’alerte économique. 

Si l’économie européenne devient capable de faire la guerre d’ici 2030, mais n’est plus capable de faire la paix, ce n’est pas un signe de force – mais de désaffection stratégique. 

Les véritables risques ne résident pas à Moscou, mais à Bruxelles, Berlin et dans les bureaux des nouvelles industries de guerre. 

Le lucratif business de la guerre permanente

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Le lucratif business de la guerre permanente

Source: https://mpr21.info/el-lucrativo-negocio-de-la-guerra-perm...

Le complexe militaro-industriel américain demeure une force dominante dans la politique et l’économie mondiales. Non seulement il a perduré, mais il a évolué vers un réseau économique d’une puissance colossale, dont la dynamique favorise les guerres permanentes, souvent masquées par des prétextes « humanitaires » qui dissimulent des pertes dévastatrices en morts, disparus et mutilés.

L’industrie de l’armement est un pilier indispensable de l’économie américaine. Le budget du Pentagone avoisine les 850 milliards de dollars, un chiffre qui peut atteindre mille milliards si l’on inclut les fonds destinés aux guerres en cours. Cela représente plus de 3% du PIB et dépasse les budgets de défense combinés des dix pays suivants.

Ce gigantesque flux d’argent alimente un vaste réseau. Le secteur aérospatial et de la défense emploie directement plus de 1,1 million de travailleurs, un chiffre qui s’élève à plus de 2,2 millions si l’on prend en compte les emplois indirects de la chaîne d’approvisionnement. Des monopoles géants comme Lockheed Martin, Boeing et Raytheon (RTX) dominent le marché, avec des revenus annuels collectifs dépassant les 150 milliards de dollars, largement garantis par des commandes publiques.

Cette influence s’étend bien au-delà de l’économie productive. Les groupes de pression du secteur ont investi plus de 150 millions de dollars en contributions politiques au cours des deux dernières décennies, créant ainsi un cercle vicieux: les entreprises de défense financent des campagnes et des think tanks qui prônent des politiques étrangères agressives, ce qui perpétue à son tour la demande en armements.

Le business dépend de la guerre. Sans guerres ni menaces, réelles ou inventées, la demande d’armes diminue, mettant en danger les profits et les emplois. Depuis 1991, les États-Unis ont lancé au moins 251 interventions militaires.

Ces opérations ne sont pas gratuites; elles génèrent des contrats massifs. Rien que les guerres post-11 septembre (en Irak et en Afghanistan) ont coûté plus de 8000 milliards de dollars, un gaspillage d’argent qui a stimulé les ventes d’armes et enrichi les contractants privés. Cette dynamique crée un intérêt économique pervers au maintien d’un état de guerre permanent, qui sert à justifier des augmentations constantes du budget de la défense.

La rhétorique qui accompagne ces guerres est toujours similaire, un moralisme répugnant. Un cas emblématique est celui des sanctions contre l’Irak dans les années 1990. Imposées pour contenir Saddam Hussein, elles ont entraîné la mort d’environ 500.000 enfants irakiens de moins de cinq ans, selon des études de l’ONU, des suites de la malnutrition et de maladies évitables.

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En 1996, la secrétaire d’État de l'époque, Madeleine Albright, interrogée sur ce carnage dans l’émission « 60 Minutes », déclara que « cela en valait la peine ». Cette déclaration illustre la froideur avec laquelle on peut sacrifier des vies humaines au nom d’objectifs géopolitiques et pour les intérêts de l’industrie de l’armement.

Des interventions similaires, comme celles au Kosovo (1999) ou en Libye (2011), présentées comme la protection des populations civiles, ont souvent débouché sur des instabilités prolongées qui, à leur tour, ouvrent de nouveaux marchés pour l’armement américain. Le complexe militaro-industriel profite du chaos qu’il contribue à créer, un cercle vicieux aux conséquences dévastatrices pour des millions de personnes.

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dimanche, 19 octobre 2025

Le symbole national de la Palestine est l’orange

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Le symbole national de la Palestine est l’orange

Robina Qureshi

Source: https://mpr21.info/el-simbolo-nacional-de-palestina-es-la...

Autrefois, le symbole national de la Palestine était l’orange. Le premier agrume à apparaître dans la région, vers le IIe siècle av. J.-C., fut le cédrat, cultivé exclusivement à des fins rituelles. Les oranges amères arrivèrent huit siècles plus tard avec les conquérants arabes. Cependant, ce sont les commerçants portugais des XVe et XVIe siècles qui introduisirent les variétés douces, transformant le paysage. À la fin du XVIIIe siècle, les oranges et les citrons étaient cultivés dans toute la Palestine, et ceux de la vieille ville de Jaffa étaient particulièrement appréciés.

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Une société d’exportation appartenant aux Templiers, une société chrétienne allemande établie en Palestine au XIXe siècle, utilisa pour la première fois le nom de Jaffa en 1870. En quelques décennies, l’orange de Jaffa acquit une renommée mondiale et arriva même sur la table de la reine Victoria. Elle était appréciée pour sa douceur, son écorce épaisse et sa remarquable conservation, la rendant idéale à l’exportation. D’abord expédiée dans des sacs de jute, puis dans des caisses en bois, chaque fruit était soigneusement enveloppé dans du papier de soie pour éviter les dommages.

La culture commerciale des agrumes à grande échelle débuta dans les années 1830 et 1840 sous domination ottomane. Les grandes familles terriennes palestiniennes de Jaffa et des villages voisins, telles que les familles Abu Laban et Al Dajani, investirent massivement dans la culture des agrumes, l’irrigation et l’infrastructure d’exportation.

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À la fin du XIXe siècle, les commerçants palestiniens avaient établi des routes commerciales reliant directement le port de Jaffa aux marchés européens, notamment la Grande-Bretagne et la France. Ils organisèrent le transport, l’emballage et la promotion de la marque, faisant de l’orange de Jaffa un produit reconnu mondialement bien avant l’arrivée des colonies sionistes dans la région.

La famille Abu Laban, en particulier, fut l’une des plus influentes: ses orangeraies et ses opérations d’exportation devinrent la pierre angulaire de ce commerce. Leur marque jouissait d’une grande réputation sur les marchés européens. Après 1948, leurs terres, comme celles de milliers d’autres agriculteurs palestiniens, furent confisquées sous les lois dites de la «propriété absente».

Le port de Jaffa était l’artère de cette économie. À chaque saison de récolte, les agriculteurs livraient les fruits de leurs vergers. Dockers, fabricants de caisses, emballeurs et commerçants se pressaient sur les quais. Des barges transportaient les caisses vers des navires à destination de Londres, Marseille ou Trieste.

En 1939, les exportations d’agrumes de Palestine s’élevaient à environ 15 millions de caisses par an, Jaffa en produisant la majorité. La Grande-Bretagne était le principal importateur. Les agriculteurs palestiniens utilisaient des techniques innovantes de greffage et d’irrigation pour cultiver des variétés sans pépins et faciles à peler, qui dominaient les marchés hivernaux européens.

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Les oranges de Jaffa étaient à la fois un moteur économique et un ancrage culturel. Après 1948, les Palestiniens déportés emportèrent en exil des graines ou des écorces séchées d’orange, fragments d’une patrie volée.

Pendant la Nakba, les milices sionistes, telles que la Haganah, l’Irgoun et le Lehi, attaquèrent des villages palestiniens, expulsèrent les civils et confisquèrent leurs vergers. Le nouvel État d’Israël légalisa ce vol par des lois sur la « propriété absente », transférant terres, entrepôts et réseaux de transport à des coopératives et organisations de colons soutenues par l’État. Le Curateur des Propriétés Absentes attribua les vergers à des institutions sionistes telles que le Fonds National Juif.

Ce fut une destruction délibérée du pilier économique palestinien par la guerre, l’expulsion forcée et le vol légalisé. Le contrôle de Jaffa et de sa ceinture d’agrumes était stratégique. Contrôler cette région, c’était contrôler le flux de devises.

Le nom « Jaffa » a survécu comme marque mondiale, mais il s’agit d’un produit volé, dépouillé de ses racines palestiniennes et commercialisé sous pavillon israélien. Les clients britanniques et européens ont continué à acheter les mêmes oranges auprès des nouveaux exportateurs. Avant 1948, l’industrie était majoritairement palestinienne. Après 1948, les Palestiniens ont été exclus du commerce qu’ils avaient créé. Comme l’écrit Susan Abulhawa, ce fut une « falsification épique ».

Une petite activité de production d’oranges a survécu à Gaza et à Tulkarem, mais des décennies d’appropriation des terres, de restrictions sur l’eau et de blocus ont réduit son activité à l’ombre de son ancienne gloire. Les vergers restants sont des actes de résistance. Les agriculteurs palestiniens continuent de planter, défiant le dépouillement.

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Plusieurs écrivains, historiens et militants palestiniens ont documenté le vol des oranges de Jaffa et leur signification. En 1962, dans la nouvelle de Ghassan Kanafani, « La terre des oranges tristes », le fruit incarne l’exil et la perte. Une famille fuit avec un sac d’oranges dont la vue devient insoutenable.

Un autre écrivain palestinien, Rashid Khalidi, décrit l’industrie des agrumes comme le joyau de l’économie palestinienne avant 1948 et sa confiscation comme un vol à la fois économique et politique.

Ilan Pappé a documenté comment la ceinture d’agrumes de Jaffa fut délibérément ciblée comme un produit stratégique, et non simplement comme moyen de subsistance.

Edward Said évoquait Jaffa comme un lieu d’activité culturelle et économique effacé par la colonisation, avec des oranges « rebaptisées et revendues ».

Mahmoud Darwish utilise la métaphore de l’oranger comme symbole de la patrie. Dans « Carte d’identité », il relie l’identité aux vergers, soulignant le rôle des symboles quotidiens dans la transmission de la mémoire.

Ces voix présentent l’orange non seulement comme l’une des plus grandes pertes économiques, mais aussi, et surtout, comme symbole d’identité nationale, de mémoire et de résistance.

Le monde consomme toujours des oranges de Jaffa. Peu de gens savent qu’elles sont nées sur le sol palestinien, cultivées par des Palestiniens et volées par violence. Un ancien agriculteur, déporté en 1948, se souvient: «Nous avons planté ces arbres. Nous avons récolté ces oranges. Quand les soldats sont venus, ils ont pris la terre, les arbres et même le nom. Mais le parfum du fruit nous appartient à jamais».

Ce n’est pas seulement la perte de terres agricoles, mais aussi l’anéantissement d’une société entière: familles dispersées, travailleurs expulsés, agriculteurs privés du fruit d’une vie de labeur. L’industrie reposait sur le travail humain et l’intelligence collective; ces populations furent les premières à être dépossédées.

Cette histoire met en lumière notre complicité en tant que consommateurs. Le peuple palestinien avait fondé toute une économie sur sa terre. Les autorités sionistes la leur ont arrachée par la guerre, la déportation et le vol légalisé, pour ensuite la présenter au monde comme une réussite israélienne. Les Palestiniens ont enduré massacres, famine, blocus, occupation et exil sans fin. Aucun film hollywoodien n’a cherché à les humaniser ni à mettre fin à leur déshumanisation. Nous avons consommé les fruits du travail palestinien sans percevoir la violence sous-jacente. Chaque orange portant le label « Jaffa » symbolise notre complicité.

Robina Qureshi

https://thisisrobinaqureshi.substack.com/p/jaffa-oranges-...

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Guerre des aimants: comment la Chine freine la production d’armement occidentale avec un simple formulaire

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Guerre des aimants: comment la Chine freine la production d’armement occidentale avec un simple formulaire

Elena Fritz

Source: https://t.me/global_affairs_byelena/2796 

Sans aimants, pas de moteur, pas de radar, pas d’avion.

Et sans la Chine, pas d’aimants.

Environ 90% de la production mondiale d’aimants à terres rares provient de la République populaire. Ils sont présents dans chaque moteur électrique, chaque drone, chaque F-35. Ce qui peut sembler être un détail technique est en réalité la colonne vertébrale de l’armement moderne. Et c’est précisément là que la Chine agit désormais.

1. Ce qui se passe réellement

Depuis octobre, de nouvelles licences d’exportation s’appliquent en Chine pour les métaux et technologies issus des terres rares.

Quiconque souhaite désormais importer du néodyme, du samarium ou du dysprosium de Chine doit prouver que le produit final sera exclusivement civil.

Une part de seulement 0,1% peut suffire à rendre une autorisation obligatoire.

Sur le papier, il s’agit d’une simple régulation technique.

Dans la pratique, c’est un contrôle sur la production mondiale d’armes.

Car presque tous les systèmes d’armes occidentaux – des missiles aux sous-marins – utilisent précisément ces matériaux.

2. Pas une riposte, mais une stratégie

L’Occident parle par réflexe de « guerre commerciale ». Mais c’est une vision réductrice.

La Chine ne répond pas par des droits de douane ou des sanctions, mais par quelque chose de bien plus efficace: le temps.

Une licence peut être retardée, annulée ou renégociée.

Et chaque retard ralentit les programmes d’armement occidentaux.

Au lieu de bloquer les armes, Pékin en ralentit la production.

Ce n’est pas une guerre économique – c’est un frein asymétrique à l’armement.

3. Effet miroir de l’Occident

Les États-Unis ont instauré ces dernières années des contrôles à l’exportation sur les puces électroniques et certaines technologies – au nom de la «sécurité nationale».

La Chine applique désormais la même logique, mais la retourne contre ses initiateurs.

Alors que Washington décide qui peut livrer des puces à la Chine, Pékin décide qui peut utiliser les métaux chinois pour fabriquer des armes contre la Chine.

Il en résulte une stratégie miroir:

Les rôles dans l’économie mondiale de la sécurité commencent à s’inverser.

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4. Dépendance de l’Europe – le maillon aveugle

L’Europe évoque «l’autonomie stratégique» et la «Readiness 2030».

Mais elle ne possède quasiment aucune capacité propre pour extraire ou traiter ces matériaux.

Même le recyclage et la fabrication d’aimants dépendent des chaînes d’approvisionnement chinoises.

Cela signifie:

Même si Bruxelles mobilise des milliards pour l’armement, c’est finalement Pékin qui décide du flux des matériaux.

Un goulot d’étranglement remplace toute rhétorique politique.

5. Le pouvoir d'une stratégie délibérée de "ralentissement"

Dans la logique classique du pouvoir, il s’agit d'asseoir de la supériorité.

La Chine choisit une autre voie: contrôler le rythme.

Elle ne freine pas l’armement lui-même, mais la rapidité de sa production.

Et dans un monde où la préparation à la guerre dépend des rythmes de production, le temps devient la nouvelle ressource stratégique.

Tandis que l’Occident parle de réarmement, la Chine positionne l’interrupteur en mode attente.

Pas d’embargo, pas de menace – juste un formulaire.

6. Le moment décisif

Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, ce n’est plus Washington mais Pékin qui détermine les goulets d’étranglement de la production occidentale d’armement.

C’est là le véritable changement de paradigme:

Du réarmement à la limitation de l’armement comme instrument de puissance.

La Chine n’impose pas de sanctions.

Elle instaure des autorisations.

Et parfois, un simple formulaire d’autorisation s’avère être l’arme la plus puissante du monde.

17:22 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, chine, terres rares | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook