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mercredi, 24 septembre 2025

Le temps de la post-démocratie. Un fétiche à dépasser avant qu’il ne soit trop tard

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Le temps de la post-démocratie. Un fétiche à dépasser avant qu’il ne soit trop tard

par Enrico Cipriani

Source: https://www.destra.it/home/il-tempo-della-post-democrazia...

Les paroles récemment prononcées par le pape Léon XIV sur la fragilité de la démocratie rouvrent un débat que la philosophie occidentale connaît en réalité depuis plus de deux mille ans. La démocratie, célébrée comme une conquête historique, a engendré une société qui confond l’égalité des droits avec l’égalité des compétences, transformant toute opinion en valeur absolue. Nous vivons dans un monde où chacun se croit autorisé à parler d’économie, de médecine, de géopolitique ou de science avec la même autorité que les experts. Mais la vérité est simple : lorsqu’on fait appel à un chirurgien ou à un ingénieur, la décision finale revient au professionnel, non au client. Pourquoi la politique devrait-elle fonctionner autrement ?

Aristote, dans sa Politique, distinguait lucidement les différentes formes de gouvernement et avertissait que la démocratie, si elle est comprise comme le pouvoir du plus grand nombre, dégénère facilement en ochlocratie, la domination de la foule. Platon, dans La République, décrivait la démocratie comme l’antichambre de la tyrannie, car la liberté sans limites conduit au chaos et au désordre, ouvrant la voie à l’homme fort.

Des siècles plus tard, Alexis de Tocqueville, dans son ouvrage monumental De la démocratie en Amérique, pressentait que l’égalité démocratique abaisserait la société, générant conformisme et médiocrité: un peuple qui prétend décider de tout finit par perdre toute grandeur et élan.

Ortega y Gasset, dans La révolte des masses, reprendra ce même thème: la démocratie remet le pouvoir entre les mains de l’homme-masse, un individu sans qualités, sans culture, qui se sent autorisé à juger de tout, bien qu’il soit dépourvu des outils intellectuels nécessaires.

Winston Churchill résumait avec ironie: «La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes celles qui ont été essayées auparavant». Une phrase souvent citée en guise d’éloge, mais qui contient en réalité un aveu d’échec dès le départ.

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La démocratie contemporaine a produit une société qui valorise la superficialité, l’apparence et le consensus immédiat. Ce n’est plus la vérité qui compte, mais l’esthétique; plus la compétence, mais la popularité. Un monde où la politique est réduite à des talk-shows et les gouvernements à des exercices de marketing. La logique du suffrage universel a rendu la connaissance insignifiante: la voix de celui qui a étudié et sacrifié sa vie à la compétence vaut exactement autant que celle de celui qui n’a jamais lu un livre.

Pendant ce temps, les pays qui ne s’identifient pas aux modèles démocratiques occidentaux se développent, se renforcent économiquement, investissent dans la recherche, exercent une influence politique et militaire. L’Occident, en revanche, demeure prisonnier d’une démocratie qui engendre la paralysie décisionnelle, où des gouvernements faibles sont contraints de plaire à une opinion publique changeante au lieu de poursuivre des stratégies à long terme, devenant ainsi une tour de Babel où tout n’est que confusion.

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Il est temps de le dire froidement: la démocratie n’est pas un dogme. La sélection des gouvernants devrait se faire sur la base de la compétence, de la préparation, de la capacité de vision et de décision, et non selon le nombre de likes récoltés ou l’approbation populaire éphémère. On ne confie pas un bistouri à un amateur, on ne confie pas l’instruction et la formation des générations futures à un ignorant. Pourquoi continuer à confier le sort du monde à quiconque sait simplement récolter des voix?

Les démocraties occidentales ont épuisé leur élan historique. Elles nous ont légué des sociétés plus fragiles, plus superficielles et plus faibles, dominées par l’illusion que chacun a le droit non seulement de parler, mais aussi de décider. Il est temps de repenser radicalement les formes de gouvernement: non plus la domination des masses, mais la direction d’élites sélectionnées; non plus la primauté de la quantité, mais celle de la qualité. Il ne s’agit pas d’un appel à la tyrannie, mais à la responsabilité: le pouvoir à qui sait l’exercer, non à celui qui crie le plus fort.

La Chine ouvre la route polaire. Destination: Europe du Nord

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La Chine ouvre la route polaire. Destination: Europe du Nord

Source: https://www.destra.it/home/la-cina-apre-la-rotta-polare-d...

La Chine a officialisé le premier service régulier de transport de conteneurs sur la Route maritime du Nord, reliant la Chine à l’Europe occidentale en seulement 18 jours. La société Haijie Shipping amorcera la nouvelle liaison avec un voyage inaugural à la fin du mois de septembre, déjà totalement réservé, en utilisant le porte-conteneurs Istanbul Bridge d’une capacité de 4890 EVP. L’itinéraire, baptisé « China-Europe Arctic Express », prévoit des départs de Qingdao, avec escales à Shanghai et Ningbo-Zhoushan, puis un transit par l’Arctique jusqu’au port britannique de Felixstowe, avec des destinations ultérieures à Rotterdam, Hambourg et Gdansk.

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Le passage par l’Arctique sera saisonnier, la fenêtre d’exploitation étant limitée de juillet à novembre, jusqu’à ce que des navires de la classe supérieure des brise-glace soient disponibles, permettant d’étendre le service à l’hiver et au printemps. L’objectif est de réduire drastiquement les délais par rapport aux 28 jours habituels que dure le voyage par Suez, de capter le pic des importations européennes liées à la saison de Noël et de soulager les goulets d’étranglement dans les principaux terminaux.

Selon la compagnie, la réduction des temps de trajet permet aux fournisseurs de livrer plus rapidement, de réduire les coûts de stockage et d’accélérer les flux de capitaux. Le choix des ports européens a également été fait en fonction de la rapidité des opérations de débarquement et de manutention. Ce nouveau service représente un tournant: jusqu’à présent, les liaisons conteneurisées via l’Arctique étaient limitées à des voyages uniques entre la Chine et la Russie, tandis que la société China-Europe Arctic Express introduit un modèle plus proche des lignes régulières, avec plusieurs escales en Asie et en Europe.

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L’intérêt chinois pour la route arctique est également confirmé par le lancement d’un nouveau service de surveillance satellitaire des glaces, développé par le ministère des Transports et l’Observatoire météorologique maritime de Tianjin, qui améliore la sécurité et la prévisibilité de la navigation.

Parallèlement, la Corée du Sud a également annoncé son intention de lancer des tests opérationnels sur la Route maritime du Nord à partir de l’été 2026, en créant une division gouvernementale spécifique dédiée à ce projet. Pour les ports méditerranéens (y compris italiens), une phase extrêmement complexe et délicate s’ouvre.

mardi, 23 septembre 2025

Pas de censure pour les amis de la censure! - Réflexions sur l’assassinat de Charlie Kirk et au-delà

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Pas de censure pour les amis de la censure!

Réflexions sur l’assassinat de Charlie Kirk et au-delà

Werner Olles

La cérémonie funéraire du militant conservateur Charlie Kirk, assassiné le 10 septembre par un « monstre d’extrême gauche » (selon le président américain Donald Trump), fut aussi émouvante qu’impressionnante. Plus de 100.000 citoyens y ont assisté, parmi lesquels Trump lui-même, le vice-président Vance et d’autres membres du gouvernement, ainsi que des représentants de premier plan du mouvement MAGA et du Parti républicain. L’assassinat de Kirk – commandité par l’élite globaliste, exécuté par un sympathisant de l’organisation terroriste d’extrême gauche « Antifa », dont l’interdiction est désormais, à juste titre, préparée par le président américain – a eu lieu selon le principe bien connu: « Punis-en un, éduque-en cent ! ».

En réaction aux commentaires haineux et écœurants dans les médias et programmes de gauche, qui ont diffamé Kirk à titre posthume en prétendant qu'il était un « prédicateur de haine », un « extrémiste de droite » et un « homophobe » – alors que celui-ci discutait ouvertement et sans réserve avec tous les courants politiques, et, en tant que chrétien évangélique profondément croyant, traitait même ceux qui étaient d’un avis radicalement opposé au sien avec respect et patience –, certaines mesures ont été prises, avec l’approbation du gouvernement américain, contre les calomniateurs et propagateurs de haine se réclamant d'une certaine gauche. Ils ont alors probablement ressenti pour la première fois de leur existence pourrie les effets de la « cancel culture » qu’ils avaient eux-mêmes inventée pour réduire à tout jamais au silence leurs adversaires classés, à tort ou à raison, à "droite".

Bien entendu, la télévision publique allemande, dont il faut payer la redevance sous contrainte, était également prise de panique voire d’effroi. On n’avait visiblement pas pu imaginer que la situation puisse un jour s’inverser si les choses changeaient comme aux États-Unis. En effet, les habituels « rats et mouches à merde » du petit univers médiatique (dixit Franz-Josef Strauß), nichés dans les médias publics, pro-antifa, ont de nouveau laissé libre cours à leur fondamentalisme hypertrophié se réclamant des "droits de l’homme" – tandis qu'ils sont soutenus par le prétendu syndicat allemand des journalistes (DJU). Un certain Elmar Theveßen accusa Kirk, contre toute évidence, d’avoir appelé ou applaudi à la combustion d’homosexuels, tandis que la célèbre Dunja Hayali feignit d’abord la compréhension avant de dénoncer Kirk, en substance, comme un «diviseur» et un «polarisateur».

Que retenir de tout cela ? L’Allemagne doit d’abord être reconstruite en reformant un peuple, une nation, un État, afin de mettre un terme à l’action de telles créatures, qui, serviteurs d’intérêts étrangers et hostiles, n’ont aucune notion de ce que signifient l’honneur, la dignité et la décence. Cette réforme de la société doit commencer par un retour planifié et énergique à la normalité, y compris la mobilisation et l’orientation de la majorité amorphe, exactement comme cela se passe aux États-Unis. La division de la société est donc nécessaire et inévitable, et elle doit surtout être sans compromis et porter sur les valeurs fondamentales.

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Lors de la cérémonie en hommage à Charlie Kirk, sa veuve Erika prit aussi la parole, et dans un discours bouleversant, elle pardonna, en tant que chrétienne croyante, au meurtrier de son mari et père de ses deux enfants. Cette grandeur d’âme rappelle, dans son humilité et sa foi profonde, la veuve de Benito Mussolini, Donna Rachele, qui, lors d’un dîner dans une trattoria romaine, fut observée par un groupe d’hommes à la table voisine. L’un d’eux finit par se lever, s’approcha d’elle et dit doucement: «Pardonnez-moi, Signora, mais en tant que partisan, j’ai été l’un des meurtriers de votre mari. Pouvez-vous me pardonner?». Donna Rachele le regarda longuement et en silence, se leva finalement, étreignit l’homme, fit un signe de croix et dit: «Je te pardonne, mon fils!».

Donald Trump, qui, contrairement à Charlie Kirk, bien qu’il l’ait admiré, n’est pas un conservateur particulièrement croyant mais plutôt un révolutionnaire conservateur, ne put se résoudre à cela lors de son discours lors de la cérémonie. Il assuma sa haine envers la gauche, les globalistes, les bandes terroristes de la mouvance Antifa, l’État profond et l’assassin de son ami Charlie. Comme pour tous les révolutionnaires et toutes les révolutions, il s’agit toujours de pouvoir, bien sûr aussi de vengeance – ce que beaucoup oublient malheureusement – et d’une transformation structurelle de la société. La métapolitique ne peut donc jamais être un but en soi, mais au mieux une des méthodes pour atteindre un objectif. Nous ignorons si Trump a lu Gramsci, Evola ou Carl Schmitt, nous pensons toutefois que c'est peu probable.

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Intuitivement, cependant, il a compris l’essentiel et refuse de mener des débats pseudo-intellectuels, qui se déroulent dans le vide au lieu de discuter et de fixer des contenus concrets et des objectifs précis. Ce qu’il envisage plutôt, c’est sans doute un État méritocratique, illibéral et basé sur la démocratie directe, une variante non totalitaire d’un autoritarisme qu'il nous faudra étudier sans la grever des virus gauchistes-libéraux et relevant de cette extrême gauche typiquement ouest-européenne, de ces maladies culturelles métastatiques en cartel avec un pouvoir dégénéré et un establishment gaucho-écolo-woke, prêt à tout crime pour conserver le pouvoir, même par la terreur, les assassinats et les trahisons de toutes sortes. Pour Trump, il semble donc évident que la droite révolutionnaire ne se laissera plus jamais imposer la censure, mais qu’elle la réservera dorénavant à ses ennemis mortels.

Après le lâche assassinat de Charlie Kirk, la situation est maintenant plus claire pour tous: la gauche et les libéraux, les globalistes et la canaille politico-médiatique à leur service sont prêts à tuer ou du moins à justifier et défendre à tout moment les meurtres commis par leurs compagnons de route. C’est bon à savoir, car – comme nous, les renégats de l'extrême-gauche, l’avons appris en 1967/68 – « Si l’ennemi nous combat, c’est bon et non mauvais ! » (Mao Tsé-Toung). Peut-on haïr cet ennemi ? Oui, car comme l’amour, la haine fait partie des émotions humaines normales. Certes, la loi chrétienne de l’amour s’applique, et Jésus lui-même haïssait le péché et non le pécheur, mais son combat visait aussi le mal personnifié. Qui ne parvient pas à la haine peut du moins mépriser nos ennemis, mais jamais les sous-estimer, car contrairement à nous, ils sont capables de commettre tout le mal imaginable.

Werner Olles

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La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon

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La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon

Alexandre Douguine

Animateur : Le sommet de l’OCS est sans doute l’événement numéro un, deux et trois, probablement, au monde aujourd’hui : du point de vue de la géopolitique, de l’économie, de la sécurité et de sa place dans l’espace médiatique. Selon vous, qu’est-ce qui prime dans ce cas, quand on commence à parler du sommet de Tianjin ?

Alexandre Douguine : Oui, c’est quelque chose de fondamental. Peut-être que ce sera précisément le point de bascule. En gros, le multipolarisme, tel qu’il est incarné dans l’OCS et les BRICS, repose sur trois piliers principaux: la Russie, la Chine et l’Inde. Trois États-civilisations incontestés. Trois pôles autonomes. Voilà ce qu’est le multipolarisme. Au départ, ce multipolarisme s’est construit prudemment, pourrait-on dire. L’idée était de le créer en dehors de l’Occident, mais pas contre l’Occident. Et si l’Occident l’avait accepté, on ne peut exclure qu’il aurait eu sa place dans ce monde multipolaire.

Mais ensuite est survenu un moment très intéressant. L’arrivée de Trump après Biden et les mondialistes, qui rejetaient catégoriquement le monde multipolaire et tentaient de préserver l’unipolarité, — Trump est arrivé avec un programme très complexe. D’un côté, il disait: je suis contre le mondialisme, je suis pour l’ordre agencé par les grandes puissances. On pouvait donc supposer qu’il s’intégrerait d’une certaine manière dans ce programme multipolaire, en essayant de maintenir le leadership des États-Unis, mais en renonçant aux plans mondialistes. Mais cela ne s’est pas produit. Trump a commencé à menacer les BRICS, à imposer de nouvelles sanctions, à poser des ultimatums à la Russie avec divers délais, à imposer des tarifs à tout le monde, et bien sûr, le point culminant a été l’imposition d’un tarif de 50% contre l’Inde parce qu'elle achetait prétendument du pétrole russe. En réalité, l’Occident achète lui-même ce même pétrole russe à l’Inde, et la Chine, qui achète également du pétrole russe, ne prête aucune attention aux menaces américaines, alors que Trump ne lui impose pas de tels tarifs élevés. Cela donne une image très contradictoire de la politique étrangère américaine. On a l’impression que l’Occident est en crise, d’autant plus qu’il y a des adversaires mondialistes qui sont contre Trump et contre le monde multipolaire, donc encore plus dangereux. Et Trump paraît osciller entre ce mal absolu et le multipolarisme. Un pas d’un côté, un pas de l’autre. Au début, il semblait qu’il accepterait, et même Marco Rubio a déclaré que nous vivions dans un monde multipolaire, que l’Amérique se fasse grande, que les autres rendent grandes l’Inde ou la Chine — on ne parlait pas de la Russie, mais en tout cas, pourquoi ne serions-nous pas de la partie? Ils se rendent grands, eux, et nous aussi, sans demander la permission à personne. Il semblait que ceci pouvait se passer pacifiquement. Mais ensuite, la situation a basculé: Trump a commencé à détruire cela, à saboter, à attaquer, à faire pression. Et là, une chose intéressante s’est produite: les tentatives de Trump — naïves, sporadiques, incohérentes — de détruire le monde multipolaire ont commencé à le renforcer.

Dans la structure du monde multipolaire, il existait des contradictions substantielles entre l’Inde et la Chine. Mais après l’introduction des tarifs contre l’Inde, que ne paient pas les Indiens eux-mêmes, mais ceux qui achètent les produits indiens en Occident, donc aux États-Unis — c’est-à-dire les contribuables américains, même si le volume des exportations va bien sûr diminuer —, l’Inde, en tant qu’État-civilisation souverain, ce que Modi souligne de toutes ses forces en parlant de la nécessité de décoloniser la conscience indienne, se voit obligée non seulement de se rapprocher de nous, ce qui se produit déjà, mais aussi de se rapprocher de son concurrent régional — la Chine. Modi n’était pas allé en Chine depuis six ans, et voilà qu’il vient au sommet de l’OCS, rencontre Xi Jinping. Il s’avère donc que Trump, en cherchant à détruire le monde multipolaire et en menaçant de nouvelles sanctions les pays qui refusent le dollar, contribue à sa formation, malgré lui. Plus il agit agressivement, plus les pays cherchant à promouvoir la multipolarité passent à des règlements dans leurs propres monnaies, plus ils se consolident. Si l’on ajoute à cela l’attitude scandaleuse de Trump envers le Brésil, on obtient un autre pôle important. Le Brésil ne participe pas à l’OCS, mais dans les BRICS c’est un pays clé. Le monde islamique et l’Afrique observent cela.

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Ainsi, le sommet de l’OCS met en lumière un détail important: la construction du monde multipolaire, la formation de nouveaux pôles civilisationnels souverains se déroule dans toutes les situations — aussi bien lorsque l’Occident n’y fait pas obstacle, en allégeant la pression, que lorsqu’il y fait obstacle. On peut comparer cela à la navigation à la voile. Ceux qui ont déjà dirigé un voilier savent qu’on peut aller vers le même but dans la même direction, quel que soit le vent. S’il est favorable, on positionne les voiles d’une façon; s’il est latéral, d’une autre; même un vent de face permet d’avancer efficacement vers l’objectif, si l’on est un bon marin.

Ainsi, Poutine, Xi Jinping et Modi démontrent une maîtrise brillante de l’art de la navigation. Quelle que soit la situation à l’Ouest, qui est déjà en train de s’effondrer, avec ses protestations internes, Trump ne donnant plus signe de vie depuis plusieurs jours — beaucoup en Amérique se demandent: que lui est-il arrivé? Lui qui ne passait jamais une journée sans publier sur les réseaux, sans prononce de discours, sans donner d'interview, et le voilà soudainement absent. L’Occident est en crise: tantôt certaines de ses composantes meurent, tantôt non, tantôt elles se tirent dessus, tantôt elles soutiennent les uns, puis les autres, créent des conflits et des guerres. Mais le voilier du monde multipolaire va vers son but, indépendamment de la tempête qui secoue cet Occident manifestement à la dérive. C’est très important d'en prendre bonne note.

Navarro1-file-sh-ml-240220_1708457652020_hpMain-1772157896.jpgAnimateur : Permettez une question en complément. Peter Navarro (photo), économiste et ancien conseiller de Trump, a récemment accusé l’Inde d’arrogance. Vous venez d’évoquer l’opposition. Il a déclaré, avec une assurance étonnante: pourquoi ne nous rejoignent-ils pas, ces Indiens? Pourquoi achètent-ils du pétrole russe? Etc. Ma question est la suivante: est-ce, selon vous, encore une incompréhension de la mentalité des Chinois, des Indiens, des Russes et de ces civilisations en général, ou bien s’agit-il d’une pression obstinée et délibérée, d’un vent contraire, quoi qu’il arrive ?

Alexandre Douguine : Si nous avions affaire à des mondialistes, c’est-à-dire à l’administration démocrate — Biden, Kamala Harris — ou aux politiciens qui tirent les ficelles en Europe, je répondrais sans hésiter: ils ne considèrent personne d’autre qu’eux-mêmes comme des sujets à part entière. Ils imposent leur propre programme, et tout ce qui s’en écarte doit, selon eux, être détruit, brisé, transformé, convaincu par la pression ou la tromperie. Tout doit se faire selon leur plan: il ne doit y avoir qu’un seul pôle — le pôle global, tous les autres doivent être dissous, les élites, surtout économiques, intégrées à la classe dirigeante globale, tout doit être monopolisé, contrôlé. Leur seule forme d’interaction avec l’Inde, avec nous, avec la Chine, est donc de dire et de répéter: "Rendez-vous!". Si vous ne vous rendez pas aujourd’hui, ce sera demain, si ce n’est pas demain, ce sera après-demain. Mais vous devez vous rendre, comprendre que, hormis l’idéologie libérale mondialiste, rien n’existe, il n’y a pas de souveraineté, pas d’intérêts régionaux, il n’y a qu’un sujet global du développement, une économie globale, le BlackRock global avec ses bulles et pyramides financières qui absorbent et détruisent l’économie réelle. C’était ainsi jusqu’à récemment, et dans une certaine mesure cela le reste.

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Mais quand Trump est arrivé, il a dit: j’agirai autrement. Lui et ses proches partisans — J.D. Vance, Elon Musk, Tulsi Gabbard, des gens du mouvement MAGA (Make America Great Again) — ont déclaré: le modèle mondialiste ne nous convient plus. Nous allons nous concentrer sur nos problèmes internes, renforcer l’Amérique comme un pôle autonome. Au début, il y avait des allusions, voire des formulations explicites: que les autres se débrouillent. S’ils veulent leur souveraineté, tant mieux, s’ils veulent mener leur propre politique, qu’ils négocient ou qu’ils s’opposent à nous. Nous saurons repousser les conflits, nous saurons apprendre à négocier. C’est un modèle tout autre. Le trumpisme, du moins au départ, reconnaissait la qualité de sujet (autonome) à l’Inde, à la Chine, à la Russie. D’où la volonté de mettre fin aux interventions, aux conflits, au financement d’organisations terroristes comme en Ukraine actuelle. Mais, à en juger par les neuf premiers mois de l’administration Trump, ils n’ont pas poursuivi cet objectif. Ils sont sans cesse ramenés à l’ancien mondialisme, via les néoconservateurs.

Par des gens comme Navarro — d’abord, il n’est pas porte-parole officiel, ensuite, Elon Musk disait qu’il n’y avait personne de plus stupide que Navarro dans l’entourage de Trump. Ils s’échangent des commentaires peu flatteurs, mais il y a des gens autour de Trump qui, sans être mondialistes, sont trop primitifs, pensent à court terme, dans l’immédiateté. Leur logique déstabilise à la fois le mondialisme et le trumpisme initial. Prenons l’anecdote du clignotant défectueux: un conducteur idiot demande à un autre, encore plus idiot, de vérifier si le clignotant fonctionne. Il répond: ça marche, ça marche pas, ça marche, ça marche pas. Navarro et ce segment de l’entourage de Trump raisonnent de la même façon — par cycles courts. S’ils étaient un peu plus intelligents, ils diraient: le clignotant fonctionne, il clignote, c’est son but. Mais eux évaluent la politique — vis-à-vis de l’Inde, de la Russie, de la Chine, du Venezuela, du Moyen-Orient, de l’Europe, du Brésil — selon le principe: ça marche, ça marche pas. Aujourd’hui amis, dans 15 minutes ennemis. Pour les mondialistes, si tu échappes à leur contrôle, tu es un ennemi, on te détruira, si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera plus tard. Les mondialistes agissent de façon cohérente, sans hésitation, cherchant à maintenir le monde unipolaire, empêchant l’émergence du multipolarisme. C’est le mal pur, une politique suicidaire, qui refuse de reconnaître la réalité. Mais au moins elle est cohérente. Les mondialistes corrompent les élites, détruisent les sujets politiques, fomentent des révolutions de couleur, déclenchent des guerres, diabolisent. Mais l’entourage de Trump n’agit de façon cohérente ni comme les mondialistes, ni comme ils l’avaient promis au départ. Cela provoque de la confusion, du désarroi, de l’embarras. Le comportement actuel de l’administration Trump, c’est de susciter de l’embarras, c'est ne faire ni l’un ni l’autre. Ni du pur mondialisme, ni le trumpisme crédible.

Animateur : Il y a donc une multipolarité interne — dans la tête de Trump.

Alexandre Douguine : Oui, cela y ressemble. De plus en plus de gens disent que cela frise le trouble psychique. Exemple du clignotant: aujourd’hui vous êtes amis, demain ennemis. À chacun on donne un délai: dans 10 jours, faites ce qu’on vous dit de faire. Dix jours passent, rien n’est fait, tout est oublié. Cela tangue, ça rappelle la bipolarité. Un pôle — le mal mondialiste, dont Trump semble se distancier, l’autre — la bonne voix: rends l’Amérique grande, cesse les interventions grossières dans les affaires internationales, comme le faisaient tes prédécesseurs. Mais ces voix se recouvrent. On a la sensation d’une personnalité divisée, d’une conscience incapable de se concentrer sur une seule ligne. Dès que Trump suit la bonne voix, la mauvaise se fait entendre, il retombe sur la ligne mondialiste. La deuxième voix dit: tu trahis tes intérêts. C’est, au fond, comme un marin débutant.

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Mais Poutine, Xi Jinping, Modi — ce sont des leaders qui pensent sur le long terme. Ils construisent non seulement la situation internationale, mais aussi les régimes politiques, les idéologies de leurs pays dans une perspective lointaine, au-delà de leur propre vie. Ils sont mortels, mais leurs actions créent un ordre mondial où il n’y aura pas d’alternative au multipolarisme et à la souveraineté civilisationnelle. Trump, lui, est un homme de passage, avec un ego immense. Il ne sait pas où mener l’Amérique, son navire. Il ne veut pas aller là où l’emmenaient les démocrates, mais il ne peut plus aller là où il l’avait promis à ses électeurs.

Animateur : Permettez une question philosophique. Le multipolarisme — si on poursuit la métaphore des navires — ce sont des navires différents. Ils sont construits différemment, ils ont des structures et des voiles différentes, tout diffère — sur le plan religieux, national, géopolitique. Selon vous, où doit se situer le point d’appui, quand on parle d’une telle union géopolitique globale de l’éléphant, de l’ours et du dragon, ces trois grandes puissances ? Sur quoi doivent-elles s’appuyer ?

Alexandre Douguine : Tout d’abord, le principe d’ennemi commun n’a jamais été aboli dans la stratégie mondiale. Et ce n’est pas tout à fait l’Amérique, c’est le mondialisme. Le monde unipolaire mondialiste est une menace concrète qui vise chacune de ces nations. Le dragon, l’ours et l’éléphant ont un ennemi commun, qui veut détruire chacun d’eux, supprimer la souveraineté civilisationnelle de ces pays, de ces civilisations. Sur ce point, face à une telle pression constante — sur nous, sans doute encore plus, puisqu’on nous a imposé une guerre contre notre propre peuple —, cet ennemi commun devient un facteur de cohésion.

De plus, nous sommes prêts à reconnaître le droit à la qualité de sujet de l’autre. Les trois pôles du monde multipolaire sont d’accord: s’il n’y a pas de christianisme en Chine, ce n’est pas grave, c’est leur tradition. Les Hindous estiment que l’absence d’hindouisme en Russie n’est pas un problème. Les Chinois sont sûrs que le confucianisme est pour un système fait pour eux, pas pour l’exportation dans le monde. C’est un aspect important de notre identité, de notre idéologie. Nous rejetons ce qui est imposé de l’extérieur, nous défendons nos paradigmes civilisationnels, mais nous ne les imposons pas aux autres. Cela nous distingue de notre ennemi commun.

L’Occident collectif et mondialiste veut imposer à la Chine, à l’Inde, à nous sa propre vision. Ils ne nous écoutent pas. Notre christianisme orthodoxe ne doit pas exister, pas plus que l’hindouisme ou le confucianisme. Il doit y avoir la promotion des LGBT (interdite en Fédération de Russie), la migration, l’individualisme, l’idéologie des droits de l’homme, Greta Thunberg, l’écologie. Et, bien sûr, BlackRock doit tout diriger. Nous rejetons cela tous ensemble, mais nous n’imposons même pas à nos ennemis notre propre modèle. C’est la différence fondamentale entre la philosophie du multipolarisme et celle du mondialisme.

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Animateur : Parlons de l’Organisation des Nations unies. Vladimir Poutine l’a évoquée dans une interview à l’agence de presse chinoise Xinhua, avant même le début du sommet de l’OCS. La Russie plaide pour une réforme de l’ONU, pour l’intégration des pays du Sud global. Première question, étant donné que le sujet est vaste: quel est, à votre avis, l’anamnèse et le diagnostic de l’état actuel de l’ONU, et une réforme globale est-elle possible dans les conditions actuelles ?

Alexandre Douguine : Il faut faire un bref retour historique. L’ONU est née à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, une époque de vainqueurs et de vaincus. Parmi les vainqueurs, il y avait des forces principales et des forces périphériques. L’ONU est une structure créée par les principaux vainqueurs. En fait, c’est ce qu’on appelle le monde de Yalta, où tous sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres, tous sont souverains, mais pas vraiment.

En réalité, deux blocs de vainqueurs étaient véritablement souverains: l’Occident capitaliste, qui a vaincu l’Allemagne nazie, et l’Est communiste. Cette structure, y compris la représentation des pays au Conseil de sécurité de l’ONU, reflète cet état de fait. Progressivement, à mesure que les blocs oriental et occidental se sont popularisés, un troisième pôle a émergé — le Mouvement des non-alignés, où l’Inde a d’ailleurs joué un rôle important. Mais la situation n’était pas équitable: le troisième pôle oscillait et naviguait entre le pôle communiste et le pôle capitaliste. En réalité, tout était déterminé par l’équilibre des forces entre le communisme et le capitalisme. Voilà ce qu’était l’ONU.

20190718-Andrej-Gromyko-100~_v-gseagaleriexl-1247489507.jpgLa structure du droit international reflétait l’équilibre des forces des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne et le Japon n’y figuraient pas du tout — ils étaient considérés comme des territoires occupés faisant partie de l’Occident capitaliste, et c’est tout. Il n’existait pas d’autres pôles. L’Union soviétique représentait un vrai pôle à part entière. On disait de Gromyko (photo), ministre des Affaires étrangères de l’URSS — qu'il était «Monsieur Non»: car à tout ce que proposaient les capitalistes, il répondait non, chez nous, socialistes, marxistes, l’avis est autre. À chaque thèse correspondait une antithèse, mais la possession de l’arme nucléaire et une certaine parité des armements, surtout stratégiques, excluaient un conflit direct. Les conflits se déroulaient via des guerres par procuration — en Corée, au Vietnam, en Afrique, en Amérique latine. Certains soutenaient un pôle, d’autres l’autre. Le droit international reflétait cet équilibre de forces.

À strictement parler, il n’existe pas de vrai droit international — c’est une illusion de le croire. Il y a ceux qui pouvaient faire quelque chose, et ceux qui ne le pouvaient pas. Entre ceux qui avaient réellement du pouvoir — les souverains —, un accord se nouait dans un système bipolaire, et tous les autres étaient contraints de s’y plier. Voilà ce qu’était l’ONU. Quand l’Union soviétique est tombée, l’un des pôles du système international s’est auto-dissous, s’est évaporé. Dans les années 1990, souvenez-vous de notre politique: nous disions que nous n’avions plus de souveraineté, que l'Occident, lui, était souverain, que nous suivions son sillage, que nous faisions partie de la civilisation occidentale, de la Grande Europe, que nous n’étions plus l'antithèse de l'Occident.

L’Occident alors envisageait de créer une Ligue des Démocraties: pourquoi maintenir ce résidu d’un monde bipolaire, cette chimère, ce membre fantôme? Construisons un système unipolaire, où nous établirons les règles de l’ordre libéral, la fin de l’histoire, l’hégémonie mondiale de l’Occident, et tous les autres devront s’y plier. C’est cela, la Ligue des Démocraties. Mais nous avons résisté un peu, et d’autres pays ne voulaient pas non plus reconnaître officiellement leur statut de vassaux dans ce modèle unipolaire, et l’ONU a ainsi survécu jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, nous avons un autre système — ni bipolaire, ni unipolaire comme dans les années 1990, mais multipolaire. C’est la troisième grande configuration. L’ONU ne nous convient plus, car elle reflète encore l’inertie du monde bipolaire et le renforcement du monde unipolaire.

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Poutine a accusé l’ONU d’avoir été prise en main par les partisans du mondialisme, qui refusent de reconnaître d’autres facteurs. L’ONU en elle-même n’est pas une panacée. Le monde multipolaire que nous construisons à travers l’OCS, les BRICS, et d’autres structures, qui sont justement polycentriques, doit devenir le prochain modèle du droit international. Dans la définition de ce qui est bien ou mal, doivent participer l’Occident, nous, les Chinois, les Indiens, les Latino-Américains, les musulmans, les Africains. Voilà ce qu’est le droit international. Si chacun de ces pôles détient une puissance suffisante — économique, militaire, idéologique, diplomatique, industrielle —, alors ce pôle pourra affirmer: je considère que c’est ainsi. Nous ne pouvons pas revenir au système de Westphalie, où chaque État reconnu est souverain — cela n’a jamais réellement fonctionné. Déjà il y a cent ans, au 20ème siècle, les pays étaient répartis en blocs. Il y avait encore le bloc fasciste, mais là non plus, les États individuels n’étaient pas souverains — ils s’effondraient dès que la main d’Hitler s’abattait sur eux. Idem pour notre bloc de l’Est et pour l’Occident global. Après la chute de l’Europe hitlérienne, il restait deux pôles, et il n’y avait plus d’États-nations. Comme l’a bien remarqué Krasner, spécialiste des relations internationales, la souveraineté est une hypocrisie.

Nous comprenons que certains États ne sont pas souverains, mais à l’ONU, leur voix pèse autant que celle de la Chine ou de l’Inde. C’est une parodie, une farce. Ceux qui sont réellement forts et capables de défendre leur souveraineté doivent établir les règles du droit international. L’Occident veut que ce soit seulement lui. Cela ne nous convient pas. Le droit international de demain doit se construire sur les principes du multipolarisme, vers quoi nous tendons. Ce sommet est lié à cet objectif. Pas à pas, d’une démarche assurée et d’acier, les trois grandes puissances bâtissent un monde multipolaire, que d’autres rejoignent. Certains courent vers l’Occident — inutile de montrer du doigt nos anciens amis qui se sont éloignés. Mais beaucoup de pays choisissent le nouveau droit international fondé sur le multipolarisme.

Animateur : D’après votre réponse, la question suivante s’impose. Nous voyons le système des grandes organisations internationales — l’UNESCO, l’AIEA, l’OMC, le CIO, l’OMS, et d’autres. Toutes montrent aujourd’hui leur inefficacité, sont critiquées, surtout l’AIEA, qui, comme on le constate, n’arrive pas à résoudre le problème nucléaire iranien et se trouve toujours à la remorque. Au final, on dirait que les organisations globales deviennent subordonnées à certains blocs. Là où le bloc Russie-Chine-Inde est fort, c’est lui qui dirige l’organisation, sans plus tenir compte de Vanuatu ou du Cap-Vert.

Alexandre Douguine : Vous avez tout à fait raison, mais le fait est que tous ces soi-disant instituts globaux que vous avez cités n’obéissent en réalité qu’à un seul bloc. Ils sont inefficaces parce que l’Occident est devenu inefficace. Ce sont des instruments de l’hégémonie occidentale. Ils ne satisfont plus ceux qui ne sont plus satisfaits par l’Occident. C’est tout. Ce ne sont pas des organisations mondiales, elles n’en ont que le nom. Ce sont des proxies occidentaux. L’Occident et ses représentants dans d’autres pays, la Banque mondiale, l’OMC — tout est construit sur la base des intérêts de l’Occident. Dès que quelque chose ne plaît pas à l’Occident, comme la Chine qui a appris à jouer selon leurs règles et les bat à leur propre jeu, ils changent aussitôt les règles, imposent de nouvelles exigences. Peut-être que Trump a été soutenu, y compris par l’État profond, parce qu’on comprend qu’il faut changer quelque chose. Mais ni les mondialistes, ni Trump ne sont d’accord pour créer un modèle multipolaire juste, et tout est donc bloqué à ce niveau.

Il est nécessaire de construire des structures internationales, des systèmes, des organisations, peut-être des centres missionnaires ou des règles de coopération économique, qui s’appuieront sur nos intérêts souverains. Les pays des BRICS, de l’OCS, les partisans du monde multipolaire ont la chance de créer de véritables systèmes internationaux, soutenus par leur propre souveraineté. C’est vers cela que nous allons. Les structures internationales existantes sont des vestiges du monde unipolaire. Il est révélateur que Trump l’ait compris, menaçant de sortir de l’ONU, de l’OTAN, de l’OMS, de l’OMC. Chaque jour, nous entendons de ce côté-là de l’océan des menaces de retrait de ceci ou de cela. C’est devenu trop évident. Quand une partie se fait passer pour le tout, c’est de la contrefaçon, de l’imposture, et la supercherie devient flagrante. Ces organisations sont le prolongement des services secrets occidentaux, et il n’est donc pas étonnant qu’on ne leur fasse plus confiance. Les nouveaux instituts doivent être créés par ceux qui partagent la vision d’un monde multipolaire.

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Et l’Occident alors ? Qu’il accepte nos règles — pas seulement celles de la Russie, de la Chine ou de l’Inde, mais des règles de consensus. Si l’Amérique veut redevenir grande, elle doit reconnaître l’inévitabilité du multipolarisme. La question est celle de la coordination et du concert de ces civilisations, où l’Amérique et l’Europe, si vous voulez, trouveraient leur place. Mais avec les dirigeants européens actuels, cela ne marchera pas. Ils seront balayés. Ursula von der Leyen, Macron, Starmer, Merz — ce sont les pions d'un gouvernement d’occupation mondial, qui ne respecte pas ses peuples. Ils les traitent pire que les autres. C’est une élite d’occupation. Je pense que les peuples d’Europe — d’Angleterre, de France, d’Allemagne —, lors de soulèvements, lascèreront littéralement ces élites, comme avant, lors des révolutions. En Amérique, la société, Trump et ses partisans montrent qu’ils comprennent la nécessité de sortir de la situation actuelle par d’autres moyens. Dans l’idéologie MAGA, il y a théoriquement la possibilité de participer au concert des pôles mondiaux. Tulsi Gabbard, chef des services de renseignement américains, a décrit à plusieurs reprises comment les États-Unis pourraient s’intégrer dans le monde multipolaire à des conditions privilégiées, en créant de nouveaux instituts internationaux justes, reflétant les intérêts de tous. Il pourrait y avoir des conflits, de la concurrence, mais la Russie, l’Inde, la Chine montrent déjà comment parvenir au consensus. C’est important.

Animateur : En partant de votre réponse, parlons d’intégration. Le sommet de l’OCS a uni le Sud global, mais il s’agit maintenant non pas tant de cela que du défilé militaire et de la célébration du 80ème anniversaire de la victoire sur le Japon. Les États-Unis étaient un acteur clé du théâtre d’opérations du Pacifique, et la capitulation fut signée à bord du cuirassé Missouri. Ils sont membres à part entière non seulement de la coalition anti-hitlérienne, mais aussi de la coalition anti-japonaise. Ma question: l’absence de Trump et de l’Amérique à cette célébration, leur exclusion, ainsi que le silence de Trump sur le sommet de l’OCS — est-ce une erreur de l’Amérique, une action délibérée de l’OCS ou, avant tout, de la Russie et de la Chine ? Comment évaluez-vous ce vide du point de vue américain ?

Alexandre Douguine : Tout d’abord, contrairement à nos adversaires, nous reconnaissons la justesse historique et la contribution de l’Amérique à la victoire sur Hitler et sur le Japon militariste. Nous ne le nions pas. Notre mémoire est juste. Nous nous souvenons que ce sont eux qui ont bombardé Hiroshima et Nagasaki, mais nous leur rendons hommage: dans ce conflit, ils étaient de notre côté. De notre côté, il n’y a eu aucune démarche agressive pour exclure les Américains. Je suis convaincu que c’est leur choix. Ils ne veulent pas avoir affaire au monde multipolaire. Ils voient la Chine, l’Inde, la Russie gagner en puissance, résister sans faiblir aux tarifs et à la pression dans la nouvelle et capricieuse manière d'agir de Trump. Il n’a rien à dire. Frapper du poing sur la table ou lancer une roquette ne marche plus, il doit donc ravaler son agressivité.

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Depuis quelques jours, on a l’impression que la santé de Trump laisse à désirer. Peut-être s’est-il surmené. Alex Jones l’a prévenu : Monsieur le Président, vous avez l’air étrange, votre discours, votre logique… C’est toujours Trump, mais un peu différent. Des rumeurs circulent sur une situation encore plus grave. Nous ne lui souhaitons pas la mort, plutôt un prompt rétablissement. Nous sommes justes même envers nos ennemis. Trump n’est pas le pire qui puisse nous arriver. Il n’a pas pu garder la confiance de beaucoup, a échoué sur de nombreux fronts. Cela pourrait tourner au cauchemar pour les relations internationales, ce n’est pas à exclure. Mais humainement, l’absence de ce vieux dirigeant ne nous réjouit pas. Qu’il se rétablisse, divertisse l’humanité et intègre l’Amérique dans le monde multipolaire, même contre sa volonté. Il est en train de le faire. Nous sommes prêts à composer avec les deux visages de Trump. Si le vent contraire continue, s’il poursuit sa politique de destruction à la façon d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, cela ne nous empêchera pas d’avancer vers notre but. S’il cesse de s’opposer, tant mieux — nous sommes prêts à tendre la main et l’intégrer aux BRICS. Si tout peut se résoudre pacifiquement — parfait. S’il faut poursuivre l’affrontement ou aller vers l’escalade, ce n’est pas notre choix, mais nous sommes prêts. Nous devons répondre à une seule question: comment garantir nos intérêts, renforcer la souveraineté et construire un monde multipolaire. Personne ne doit en douter. C’est la stratégie de notre État. Nous avons choisi cette voie fermement et nous n’arrêterons pas avant la victoire finale.

Comment se comporteront les États-Unis ou d’autres acteurs mondiaux ? — S’ils acceptent le monde multipolaire, ce sera le meilleur scénario. À Anchorage, nous étions proches d’un accord, puis nous nous sommes éloignés. S’ils ne l’acceptent pas, nous combattrons, nous défendrons nos positions. Nous combattons en Ukraine le modèle unipolaire, l’Occident collectif. Tout le monde le comprend. Nous gagnerons — par la paix, si possible, ou par la guerre, mais nous ne dévierons pas de notre chemin. L’élection même de Trump montre qu’ils doutent de la voie mondialiste. Ils ont choisi un homme qui promettait le contraire. Il n’a pas tenu ses promesses, il a reculé. Mais il lui reste trois ans. Nous pouvons voir arriver beaucoup de choses encore. L’essentiel, c’est de miser fermement sur nous-mêmes, sur la Grande Russie, sur notre victoire, notre liberté et notre indépendance.

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La misère de l’atlantisme

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La misère de l’atlantisme

Santiago Mondejar Flores

Source: https://posmodernia.com/la-miseria-del-atlantismo/

Étant donné que le plus grand consommateur de produits relevant de la «légende noire» semble être, de loin, le public espagnol, il ne devrait pas surprendre que la célèbre boutade d’Arturo Pérez-Reverte — selon laquelle les Espagnols se seraient trompés de Dieu à Trente — soit rapidement devenue, dans certains cercles, un quasi-dogme, de ceux que Roger Scruton a qualifiés d’«oikophobes» (qui répudient leur propre héritage et leur foyer ethno-géographique)¹.

Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins surprenant de constater le mélange d’indolence intellectuelle et de crédulité de ceux qui reprennent sans examen l’affirmation du romancier et académicien selon laquelle, à Trente, l’Espagne aurait choisi un Dieu autoritaire et rétrograde au lieu d’un Dieu progressiste, comme ceux du nord de l’Europe, et que ce choix nous aurait installés dans la soumission, le retard, l’analphabétisme et la répression.

Car la réalité, c’est que, tandis qu’aux Pays-Bas et en Angleterre proliféraient les techniciens, les financiers et les marchands, l’Espagne, à son âge d’or (c’est-à-dire après 1492), comptait un nombre notable d’académiciens, grâce à l’essor des universités et des collèges majeurs aux 15ème et 16ème siècles, ce qui a permis un développement remarquable des théories du droit international et du droit commercial, sans oublier les travaux fondamentaux de la disputatio métaphysique, l’un des piliers de l’apogée culturel du Siècle d’or qui a fait essaimé dans toutes l’Europe quantité d’imitateurs de la littérature espagnole, comme Molière².

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Comme l’a finement observé Miguel de Unamuno (photo) : «Cela ne sert à rien d’y revenir, notre don est avant tout un don littéraire, et tout ici, même la philosophie, devient littérature… et si nous avons une métaphysique espagnole, c’est la mystique… est-ce mauvais, est-ce bon ? Pour l’instant, je ne tranche pas, je dis seulement que c’est ainsi. … et comme il y a, et doit y avoir, une différenciation du travail spirituel tout comme du travail corporel, tant chez les peuples que chez les individus, il nous a été attribué cette tâche»³.

Bien sûr, dans un pays où la francisation est une institution nationale, il est commode et tentant de recourir à l’argumentaire de Max Weber exposé dans son «Éthique protestante et l’esprit du capitalisme», et de réciter sans y penser deux fois les louanges de l’éthique protestante et la promotion de valeurs telles que l’autodiscipline, le travail méthodique et l’accumulation rationnelle de la richesse⁴, même si, malgré le fait d’avoir choisi le même Dieu que l’Espagne à Trente, Venise et Gênes disposaient déjà, du 12ème au 15ème siècle, de systèmes financiers avancés, de réseaux commerciaux internationaux et d’une culture économique fortement développée, tout comme Florence, la Flandre, la Bavière, la Rhénanie et le Bade-Wurtemberg.

Un chapitre à part concerne le mythe de la tolérance religieuse réformée, sous l’égide duquel le principe du cuius regio, eius religio fut instauré dans les territoires luthériens du Saint-Empire romain germanique, autorisant les princes allemands à imposer leur foi à tous leurs sujets, comme ce fut le cas en Saxe et en Hesse, où les catholiques furent persécutés et leurs églises fermées après la consolidation du luthéranisme ; les ordres religieux furent supprimés et les monastères confisqués pour renforcer le pouvoir politique et financier des princes locaux.

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Pour sa part, Calvin (portrait) instaura un régime de surveillance théologique qui régulait aussi bien les actes liturgiques que la morale privée, l’intolérance doctrinale et l’élimination de la dissidence étant la norme dans sa république théocratique⁵. Et que dire d’Oliver Cromwell, leader puritain anglais, sous le Protectorat duquel eut lieu la sanglante répression religieuse en Irlande, où les biens de l’Église catholique irlandaise furent confisqués, les églises catholiques profanées et pillées (avec une brutalité qui rappelle le modus operandi de l’État Islamique à Palmyre).

Le paroxysme puritain culmina dans des massacres incluant des exécutions arbitraires de catholiques. De plus, son régime abolit les théâtres, imposa des normes morales rigoristes et subordonna la vie civile aux diktats de la religion protestante⁶.

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Pourtant, c’est bien cette variété particulière du protestantisme qui, au final, imposa sa mentalité à l’échelle globale : après avoir trouvé refuge aux Pays-Bas en 1608 à cause du rejet dans leur terre natale, la faction la plus radicale des puritains séparatistes anglais partit vers l’Amérique du Nord en 1620, s’établissant dans le Massachusetts. Ces colons, et ceux qui allaient bientôt suivre, n’étaient pas nécessairement les plus cultivés d’Europe, mais les plus audacieux : radicaux dans l’action plus que dans la réflexion, ils méprisaient le passé et vénéraient l’avenir, de sorte que cette orientation temporelle vers le futur devint progressivement l’épine dorsale du caractère national américain.

La confiance dans la nouveauté, plus qu’une vertu individuelle, est le produit d’une pression sociale : l’esprit nord-américain exige enthousiasme, adaptabilité et optimisme, et tolère peu la mélancolie, la nostalgie et l’introspection qui flottent toujours dans l’atmosphère des cafés européens.

Pourtant, cet optimisme peut devenir religieux, chargeant d’un sens quasiment sacré l’économie, la famille, les rites sociaux et même le sport : il idéalise plus qu’il ne questionne, se protégeant du doute par des certitudes fonctionnelles, reflet d’un caractère forgé dans l’immensité d’un territoire sauvage ; aussi libre qu’incertain, où l’Américain, détaché des traditions européennes, construisit son identité dans un vide physique et moral. Cette vastitude, géographique et morale, favorise l’expérimentation et le pragmatisme, mais exige l’action pour leur donner sens : sa culture de masse méprise le loisir contemplatif, privilégiant utilité, rapidité et impact.

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Les arts et la pensée se subordonnent ainsi à l’efficacité, et l’idéalisme, mesuré en résultats quantifiables, devient statistique, ce qui, à son tour, a généré un matérialisme moral valorisant le quantitatif au détriment du qualitatif. En conséquence, et faute d’une tradition spéculative, en Amérique du Nord, le spirituel est devenu fonctionnel⁷.

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Lorsque Tocqueville voyagea en Amérique dans les années 1830, il n’observa pas seulement une expérience politique nouvelle, mais une spiritualité idiosyncratique. Contrairement au modèle européen, où la religion s’entrelace avec le pouvoir politique ou fait l’objet de conflits sécularisateurs, aux États-Unis la religion se révèle comme une force sociale autonome, profondément influente dans la vie civique.

Tocqueville identifia cinq caractéristiques fondamentales de la relation entre religion et démocratie aux États-Unis: premièrement, la religion — particulièrement dans sa forme protestante, sobre et éthique — sert de fondement moral à la liberté, offrant un cadre de vertus civiques qui renforcent l’autodiscipline et limitent les excès de l’individualisme libéral; deuxièmement, la séparation entre l’Église et l’État, sans impliquer une rupture entre religion et société, permet à la foi de conserver sa vitalité sans être absorbée par le pouvoir politique ; troisièmement, le pluralisme religieux et la tolérance, loin de fragmenter le corps social, favorisent un consensus tacite sur le rôle moral de la religion ; quatrièmement, le pragmatisme spirituel, orienté vers la vie quotidienne et éloigné des disputes dogmatiques, confère à la religion un caractère fonctionnel et pratique ; et enfin, l’engagement communautaire, où les églises agissent comme des acteurs sociaux assurant un certain équilibre entre liberté individuelle, moralité publique et cohésion sociale⁸.

Pourtant, plus récemment, il a émergé dans la sphère évangélique américaine un totum revolutum, prenant la forme d’un syncrétisme théologico-politique qui amalgame le dispensationalisme eschatologique, le pentecôtisme charismatique et un nationalisme chrétien militant, constituant une matrice religieuse structurellement analogue à l’ébionisme judéo-chrétien des premiers siècles, ce qui représente un tournant dans l’imaginaire religieux américain, remplaçant en grande partie le pragmatisme moral tocquevillien par une théologie de l’anticipation apocalyptique⁹.

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Cette convergence produit une synthèse eschatologique contemporaine qui interprète l’histoire comme un combat cosmique entre le Bien et le Mal, dans lequel certaines nations sont conçues comme des instruments privilégiés de la volonté divine. Son axe central, le dispensationalisme, fut conçu au 19ème siècle par John Nelson Darby (illustration, ci-dessus) et diffusé largement par la Scofield Reference Bible, qui présente une lecture littérale de la Bible avec des interprétations partiales, divisant l’histoire en « dispensations » et accordant à l’Israël ethnique un rôle central dans l’accomplissement des temps, ce qui justifie un sionisme chrétien inconditionnel et une vision apocalyptique de la politique internationale.

De son côté, le pentecôtisme, initialement marginal et apolitique, a évolué vers des formes de néo-pentecôtisme nationaliste qui interprètent la politique comme un champ de guerre spirituelle, promouvant un littéralisme biblique radical et une morale réactionnaire⁹.

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Ces éléments convergent dans le nationalisme chrétien, une doctrine qui sacralise l’identité nationale, prône la subordination de la loi civile à la « loi de Dieu » et postule une mission eschatologique pour certaines nations appelées à conduire la bataille contre les forces du mal, retrouvant un ordre moral supposément perdu. Cette configuration théopolitique présente des analogies structurelles surprenantes avec l’ébionisme des 1er au 4ème siècles, dans des aspects tels que la centralité du messianisme littéral, la normativité de la loi religieuse, l’élection d’un peuple comme axe du plan divin, la fusion entre foi et identité nationale et le rejet de l’universalisme pluraliste.

Ainsi, bien que séparés par des siècles et des contextes doctrinaux différents, l’ébionisme ancien et ce sionisme chrétien contemporain partagent une logique commune : l’intégration de la religion, de la morale et de la nation à travers une eschatologie combative et providentialiste, qui redéfinit profondément le rôle de la foi dans la sphère publique et reconfigure le sens même de la nation, de l’histoire et du salut⁹.

Tout cela a inséré la spiritualité américaine dans un cadre théopolitique global. Si Tocqueville admirait la capacité de la religion à contenir le matérialisme, ces nouvelles interprétations évangéliques tendent à utiliser la foi comme une lentille d’interprétation de la géopolitique mondiale, en plus de donner lieu à des dérives religieuses telles que la « théologie de la prospérité » du pentecôtisme, qui renverse le rôle de la religion comme frein au matérialisme, interprétant la richesse comme un signe de bénédiction divine¹⁰.

La spiritualité nord-américaine contemporaine a donc connu une profonde métamorphose, qui constitue, au fond, une réponse à la complexité sociale, démographique et culturelle de l’Amérique contemporaine : urbanisation, migration, mondialisation, sécularisation et polarisation politique. La spiritualité n’est plus simplement un support moral de la démocratie, mais un champ de bataille symbolique où se disputent le sens du bien commun, l’identité nationale et le futur politique de la nation.

Comme nous pouvons le constater dans le cas du conflit Israël-Iran, certaines lectures et rhétoriques bibliques (par exemple, voir l’interview de Tucker Carlson avec le sénateur Ted Cruz du 18 juin 2025) peuvent agir comme des forces performatives dans la politique internationale. Il ne s’agit pas seulement du fait que les croyants attendent l’accomplissement de la fin des temps, mais aussi qu’ils peuvent agir de manière à le provoquer ou à l’accélérer. L’eschaton, ainsi compris, cesse d’être un avertissement prophétique pour devenir une directive géostratégique.

La théologie dispensationaliste et ses dérivés articulent une vision eschatologique dans laquelle le conflit entre Israël et l’Iran et la reconstruction du Troisième Temple sont des éléments fondamentaux pour l’accomplissement du plan divin. Cette vision du monde, en devenant moteur de la politique étrangère et de la défense, configure un scénario où les croyances religieuses influencent directement la géopolitique contemporaine, ce qui n’a pas seulement des conséquences de grande portée pour la stabilité régionale et globale, mais vide le volontarisme atlantiste européen du contenu qu’il a pu avoir à d’autres époques¹¹.

Bibliographie/Notes: 

(1) Scruton, R. (2004). England and the need for nations. London: Civitas.

(2) Brufau Prats, R. (1992). La Escuela de Salamanca y el nacimiento del derecho internacional moderno. Ediciones Rialp.

(3) Unamuno, M. de. (1995). En torno al casticismo. Madrid: Espasa-Calpe.

(4) Weber, M. (2001). The Protestant ethic and the spirit of capitalism (T. Parsons, Trans.). London: Routledge. (Original work published 1905).

(5) Höpfl, H. (1982). The Christian polity of John Calvin. Cambridge: Cambridge University Press.

(6) Fraser, A. (2007). Cromwell: Our chief of men. London: Phoenix.

(7) Bellah, R. N. (1991). The broken covenant: American civil religion in time of trial (2nd ed.). Chicago: University of Chicago Press.

(8) Tocqueville, A. de (2008). La democracia en América (trad. J. A. González). Alianza Editorial. (Obra original publicada en 1835).

(9) Sutton, M. A. (2014). American apocalypse: A history of modern evangelicalism. Cambridge, MA: Harvard University Press.

(10) Bowler, K. (2013). Blessed: A history of the American prosperity gospel. Oxford: Oxford University Press.

(11) Gooren, H. (2010). Religious Conversion and Disaffiliation: Tracing Patterns of Change in Faith Practices. Palgrave Macmillan.

Le 3 septembre, l’Occident s'est éteint - L’intuition d’Alexandre Douguine

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Le 3 septembre, l’Occident s'est éteint

L’intuition d’Alexandre Douguine

Carlos Javier Blanco

Source: https://www.aporrea.org/ddhh/a344711.html

Il y a une intuition juste dans la pensée d’Alexandre Douguine: la Russie, bien qu’étant une partie essentielle de l’Europe, n’a pas d’autre choix que de se tourner vers l’Asie et de s’y unir.

Qui peut nier que la Russie fait partie de l’Europe ? Qui va réfuter que l’Europe ne serait rien, et n’aurait jamais été qu'un rien, sans la nation russe?

Je l’ai déjà souvent exprimé dans mes écrits, par exemple dans mon article «Les deux empires», écrit comme préface à l’œuvre classique de Walter Schubart L’Europe et l’Âme de l’Orient (Ed. esp.: Fides, Tarragone, 2019). À l’Ouest, l’Espagne a contenu les hordes afro-asiatiques qui prétendaient plonger l’Occident chrétien dans une œcumène exclusivement islamique. L’Espagne fut le rempart contre l’Islam durant plus de dix siècles (huit siècles de Reconquista et au moins deux siècles de surveillance en Méditerranée). Ce que fit le Royaume des Asturies-Léon à partir de 722 s’est élargi sur le plan géographique avec l’Empire des Habsbourg espagnols à l’époque moderne: rempart ou katechon face à l’essor atroce et irrésistible de l’hérésie protestante, prélude du libéralisme actuel, du nihilisme et du capitalisme, idéologies et formes matérielles de dissolution de la culture classique, catholique et humaniste. Et rempart contre le Turc.

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Le katechon espagnol à l’Ouest était symétrique au katechon russe à l’Est. Ce qui, de Rome, passa à Oviedo, León, Madrid, soit un esprit impérial de résistance au Mal, fut analogue à l’esprit de Byzance (la seconde Rome) qui passa à Moscou. Cette substance spirituelle transmise fut celle d’un empire katechonique qui mit un frein aux hordes turques ou tatares et sauva également la culture classique, le christianisme (orthodoxe) et l’humanisme, en les adaptant aux peuples slaves et autres populations asiatiques voisines.

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Frein, résistance et conservation combative (katechon) à l’Ouest comme à l’Est. Des empires, et non des impérialismes, qui freinèrent et firent naître des nations. Au milieu, l’Europe et la Méditerranée plongées dans la confusion, la déchirure nihiliste et la lutte fratricide pendant des siècles.

Il est significatif que cette Europe même, déchirée par le libéralisme, le capitalisme financier le plus atroce et le plus vorace, nihiliste et anti-traditionnel, n'ait jamais cessé de donner traîtreusement des coups de pied à la Russie, à la Grande Russie. Ses mystiques, romanciers, compositeurs, ses révolutionnaires, ses athlètes, ses scientifiques sont la chair et le sang de l’Europe. Imaginez-vous une Europe sans Tchaïkovski? Je ne dirai pas qu'elle serait une excroissance, mais ce serait une Europe pauvre et grise. Cette Europe envahie par des allogènes venus de partout trouve sa réserve humaine en Russie. Malheureusement, là-bas non plus, il ne naît plus beaucoup d’enfants.

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Les nazis ukrainiens, tant appréciés par le bouffon Zelensky, aimés par l’OTAN et les Américains, n’ont été qu’un instrument conçu pour dresser tous les murs possibles entre l’Europe amputée (cette Europe d'eunuques, castrée parce que vivotant, en marge, sans la Russie), d'une part, et sa partie essentielle qu’est la Fédération de Russie et d’autres nations sœurs (l’Ukraine elle-même, la Biélorussie, et d’autres encore), d'autre part. Le sabotage du Nord Stream n’a pas été un simple «sabotage» mystérieux. Ce fut un acte imposé par l’hégémon américain, cherchant à s’assurer la domination coloniale de l’Europe, écartée de sa partie intégrale et essentielle, la Russie. Il fallait affamer (du point de vue énergétique) l’Europe, pour que la Russie se tourne vers la Chine et les autres puissances asiatiques de plus en plus lassées du comportement hooliganesque des puissances anglo-saxonnes.

La connexion énergétique russo-chinoise est d'une ampleur considérable et elle est désormais irréversible. La fringale de gaz et d’énergie de l’Europe sera chronique, et cette Europe humiliée sera dépendante d’un fournisseur cher, peu fiable, décadent et probablement non durable pour ses besoins futurs: elle sera dépendante des Américains. Plus que les nazis ukrainiens, rejetons des néonazis actuels d’Israël, d’Allemagne, de l’Anglosphère, etc., ce sont les Américains qui ont forcé la Russie à embrasser le géant chinois, à renforcer ses liens avec l’Inde, à regarder vers une Asie émergente, ne voyant à l’Ouest qu’une meute de chiens nains et dégénérés, de la taille d’une souris, excités par un maître américain qui, dans sa chute, n’a pas peur de détruire le concept qu’il a lui-meme inventé: «l’Occident».

Douguine a vu juste. Le philosophe russe n’est certes pas l’inventeur du concept d’« Eurasisme », mais il est, selon moi, celui qui l’a le mieux actualisé et qui l’a explicité de la façon la plus pédagogique qui soit. La Russie, bien qu’elle aurait dû être essentielle à l’Europe, doit se transcender elle-même et construire – de façon impériale – une réalité supérieure, l’Eurasie, c’est-à-dire un grand bloc continental destiné au sauvetage des idéaux classiques et traditionnels (valeur sacrée de la personne, respect des traditions plurielles des peuples, défense de la communauté, lutte contre le matérialisme et le nihilisme). Douguine sait que l’Europe (occidentale) n’est pas prête à participer à cette mission. Il y eut d’autres grands visionnaires d’une Eurasie : Thiriart, Faye… Peut-être pensaient-ils d’abord à une union des petits caniches européens, débarrassés du maître américain, et sauvés par le grand ours russe. Mais l’ours russe doit aussi penser à se sauver lui-même. Or la série ininterrompue de provocations subies par la nation russe semble ne jamais devoir finir.

Alors que j’écris ces lignes, en ce mois de septembre 2025, je le fais tout en étant stupéfait par les déclarations des dirigeants occidentaux appelant à la guerre, exigeant des sacrifices pour lancer un réarmement ambitieux, aboyant aux portes de leur grand voisin de l’Est. Il y a quelques heures à peine, une sorte d’état d’alerte a été déclenché suite à l’incident de prétendus drones russes tombés sur le sol polonais. De nouveau, la Pologne victimaire veut des ennuis, comme en 1939, demandant à être envahie. La Pologne agressive, en tant que tentacule des « James Bond » britanniques, entre de nouveau en action. Les citoyens européens n’apprennent jamais rien de l’Histoire. La Pologne victimaire, tout comme Israël est également victimaire, est un pays qui brandit ses lettres de créance de peuple malmené par les géants, de peuple malheureux, persécuté par les impérialistes, de peuple déguisé en enfant battu et victime d’abus intolérables. Européen: méfie-toi des victimaires ! Ils pleurent pour susciter ta pitié, mais n’hésiteront pas à te pousser dans l’abîme. La colombe polonaise est, derrière les apparences, un faucon anglo-saxon.

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L’Europe, si elle continue à rester « l’Occident », tombera dans l’abîme. Être «l’Occident», c’est être le jouet des Anglo-Saxons, un jouet qu’une fois brisé ils jetteront. Et la catastrophe s’approche inexorablement. Le lien énergétique russo-chinois est dorénavant irréversible et ambitieux; le lien russo-germanique, lui, est brisé à jamais. Il aurait été de nature énergétique et, d’une manière générale, économique, mais il aurait représenté aussi le premier pas vers un rapprochement spirituel. C’était précisément l’idéal de Walter Schubart, une Europe «johannique» que la partie russophobe du nazisme a détruite.

Cette russophobie d’origine partiellement nazie et entièrement anglo-saxonne a crû de manière inattendue ces derniers temps. Toute personne sensée aurait supposé que des nations petites et détruites par la Seconde Guerre mondiale (dont l’Allemagne ou la Pologne, mais aussi toutes les autres) aspireraient à un monde de paix et de coexistence amicale entre les peuples. Depuis 1945, sous la loi de la Guerre froide, il avait toujours été politiquement correct de se montrer pacifiste. Les enfants des écoles de notre continent ont dessiné des millions de colombes blanches de la paix et chanté des rengaines de John Lennon pendant des décennies. Maintenant, les masques sont tombés: le petit nationaliste polonais et le petit nazi allemand, qui n’est jamais mort spirituellement, reprennent consistence, avec, à la clef, une russophobie de la pire espèce, déjà que celle des nationalismes suprémacistes, rancuniers et de clocher était mauvaise.

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L’intuition de Douguine va se confirmer. L’Eurasie qui va se forger à partir du 3 septembre 2025 s’est déjà révélée au monde lors d’un grand défilé de l’armée chinoise et en entendant les paroles des dirigeants souverains qui évoquent avenir et civilisation, à l’opposé de Trump et d'Ursula, qui parlent de réarmement, de privations, de menaces et de douleur. Cette Eurasie va s’imposer, que cela nous plaise ou non. Les visionnaires occidentaux qui voulaient une Eurasie «de Lisbonne à Vladivostok» ne verront pas facilement leur rêve se réaliser, en y incluant les nations occidentales. L’Eurasie du 3 septembre 2025, celle de l’OCS et des BRICS en constante expansion, laissera hors de «la civilisation» ces chiens de rue pleins de puces (corruption, incompétence, arrogance, ignorance) qui aboient au nom de l’OTAN, de l’Union européenne et des «valeurs de l’Occident».

813cUFbZbbL._SL1500_-1597702177.jpgChine, Russie, Inde (cette dernière a encore de nombreux comptes à régler) et d’autres puissances asiatiques en voie de «déconnexion» émancipatrice (comme le dirait plus ou moins Samir Amin) à l’égard des États-Unis, sont de grands États qui formeront l’Eurasie du 21ème siècle. Les petits chiens de l’Occident, capables de mordre la jambe de ceux qu’ils ont toujours désignés comme ennemis mais désormais incapables de créer une civilisation en phase avec les impératifs de notre temps, continuent à marcher vers cet abîme: «d’un pas ferme, le regard fixé devant soi».

Le drame n’a guère de remède. En Europe, il manque «le sujet émancipateur», c'est-à-dire le peuple. Le degré d’anomie, de nihilisme, d’atonie et de dépravation mentale (qui inclut la paresse) dans les nations occidentales est tel qu’à un niveau populaire, elles ont laissé leurs élites ploutocratiques jouer avec leur vie, leur patrie et leur avenir. À l’époque de ma jeunesse, des déclarations comme celles de Merz, Macron, Starmer, Ursula ou d’autres membres de cette bande criminelle, qu’auraient-elles signifié comme conséquence? Pour la moitié de ce que ces gens-là nous disent aujourd'hui, de leurs mensonges et leurs absurdités, les capitales de notre Europe auraient été, il y a des décennies, remplies de gens en colère, pancartes à la main, exigeant leur démission, la sortie immédiate de l’OTAN, ainsi que des demandes de condamnation pour crimes de guerre présumés. Il ne faut pas oublier qu’il existe une énorme responsabilité partagée avec la Russie dans la mort d’un million et demi d’Ukrainiens.

Il manque en Europe un peuple organisé, un peuple dans la rue qui commence à contester ces criminels « européistes » qui méritent de siéger sur le banc des accusés lors d’une seconde version du procès de Nuremberg. Il manque un peuple éduqué à l’histoire récente du continent. L’Europe a été détruite à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, et la partie non libérée par les Soviétiques n’a eu d’autre choix que d’abandonner toute prétention à une véritable souveraineté, l’Union européenne (et ses institutions antérieures, comme la CEE) n’étant que de simples instruments au service des Américains et de la gouvernance néolibérale de pays dont les élites se sont, dès le départ, soumises aux diktats américains.

Les puissances européennes – toutes, sans exception – traînaient derrière elles une histoire tristement célèbre d’exploitation coloniale du «Tiers Monde». La décolonisation bâclée et criminelle qui a suivi la défaite collective de l’Europe en 1945 n’a fait que préparer la nouvelle colonisation – plus économique que gouvernementale – que les États-Unis préparaient. Il semblait que la torche de la Statue de la Liberté à New York allait éclairer le Sud global, libéré des génocidaires français, britanniques, néerlandais, etc.

Mais le « Tiers Monde » a très vite compris qu’ils n’avaient fait que changer de maîtres. Dès qu’un dirigeant ou une force politique nationaliste ou socialiste résistait aux diktats de Washington, il était rapidement éliminé par des assassinats, des enlèvements, des coups d’État, des insurrections, des invasions. La CIA, comme le MI6, le Mossad et tous les autres tueurs à gages des États occidentaux, ont proclamé depuis 1945 (si ce n’est avant) leurs «valeurs». Le Sud global sait maintenant très bien ce que signifie vraiment la «défense des valeurs occidentales».

543x840-2596355975.jpgL’Eurasie qu’a pressentie Douguine n’est plus celle de Thiriart ou de Faye, mais celle d’une communion spirituelle entre l’élément européen et l’élément asiatique, magnifiquement représentée par Russes et Chinois. Cette communauté spirituelle ne doit pas être négligée à l’avenir. Il ne s’agit pas seulement de commerce de gaz, de minerais rares, de ressources technologiques, ni seulement de coopération scientifique, militaire, etc. Tous ces aspects matériels sont fondamentaux, et ces liens matériels dont l’Europe occidentale est absente sont forts, de plus en plus forts. Mais Douguine n’oublie pas l’aspect métaphysique, sans lequel on ne construit ni civilisations ni empires. La Russie et la Chine furent des empires, en effet. Mais des empires civilisateurs, comme le fut l'empire hispanique. Il faut distinguer empire et impérialisme. Dans toute création humaine, il y a des erreurs et des boucheries, mais les deux empires qui ont subi tant d’humiliations et de morts ont le droit de se reconstruire, malgré leurs erreurs. Et c’est pourquoi, aujourd'hui, c’est l’heure de la Russie et de la Chine. Ces deux empires-nations-civilisations furent les vrais « gagnants » de la Seconde Guerre mondiale, furent les numéros un et deux sur la liste des peuples les plus massacrés: des millions de héros et de martyrs anéantis par l’impérialisme nazi-allemand et japonais. Peu après le silence des armes en 1945, le bruit de la mort se fit de nouveau entendre. Si le critère de Churchill, ce Hitler britannique qui restera à jamais une honte pour l’humanité, avait prévalu, la guerre mondiale n’aurait jamais pris fin, et la fragmentation et l’asservissement de la Russie et de la Chine auraient eu lieu. Le socialisme autoritaire et la ténacité héroïque de deux grands peuples les ont sauvés de toutes les machinations anglo-saxonnes.

Les peuples d’Europe se lèvent, très lentement, contre les élites atlantistes et soumises à l’anglosphère. Souvent, ils le font sous les habits et les modes dites de «l’extrême droite». Mettez-y l’étiquette que vous voulez: populistes, eurosceptiques, xénophobes. Dans mon pays, l’Espagne, une partie importante de ce qu’il reste de la «gauche» fait carrière universitaire ou obtient une ridicule projection sociale en «faisant le chasse aux fascistes». Ces livres aux titres et contenus aussi absurdes que « L’extrême droite 2.0 » ou « Les nouvelles outres du nationalisme » vont dans le même sens que l’antifascisme proclamé, vulgaire stratégie « anti » de la gauche libérale de Soros. Tandis que la gauche a trahi, en grande partie, le marxisme, les peuples et les travailleurs, se mettant entre les mains de gens sinistres comme Soros, Biden et, en général, les grands fonds d’investissement mortifères, leurs pions cherchent des fascistes avec un zèle inquisitorial digne de meilleures causes. Ils n’ont pas compris le changement d’époque.

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Le véritable monde socialiste, la véritable patrie des travailleurs unis, n’est possible que dans le cadre d’un grand bloc continental fortement armé (avec les armes dissuasives du plus haut niveau), doté d’énormes ressources énergétiques, humaines et technologiques. Une masse de plusieurs millions d’hommes et de kilomètres carrés. Les sottises distillées depuis mai 68 puent les machinations de la CIA de tous leurs pores, il suffit de lire un peu en dehors des pages atlantistes qui se prétendent « progressistes ». Cette masse continentale et humaine nommée Eurasie peut domestiquer et vaincre le pire bâtard du néolibéralisme, à savoir le néolibéralisme de marque et de poigne « occidentale », le néolibéralisme anglo-saxon. La cause socialiste est la cause de ce Sud global armé de fortes armées défensives, d’ouvriers et de paysans bien formés et de ressources matérielles suffisantes pour créer un nouvel ordre mondial. L’Occident, avec ses « brokers » et ses « antifascistes » (les deux faces d’un Janus), ne possède rien de tout cela. L’Occident, depuis ce 3 septembre, est mort et plus que mort.

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lundi, 22 septembre 2025

»Seul un ordre de paix paneuropéen incluant la Russie promet la stabilité«

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»Seul un ordre de paix paneuropéen incluant la Russie promet la stabilité«

L’Europe ne veut pas seulement se préparer à la guerre – elle veut également se passer de la Russie comme partenaire à l’avenir. Pourtant, la stabilité ne peut exister qu’avec la Russie.

Roberto De Lapuente s'entretient avec le politologue Stefan Luft

Source: https://overton-magazin.de/dialog/nur-eine-gesamteuropaei...

De Lapuente : Dans votre nouveau livre, vous traitez du plan d’opération qu'est désormais l'Allemagne. Cela signifie plus que simplement exploiter les ressources militaires – cela amène aussi le citoyen ordinaire au front sur le plan mental. Les médias attisent le feu. Constatez-vous dans votre quotidien que cette mobilisation mentale y parvient ?

Luft : Bien sûr. La propagande fonctionne. Ceux qui utilisent exclusivement les médias établis ne sont pratiquement jamais en contact avec des opinions divergentes. Chez les jeunes, comme les étudiants, c’est différent. Ils sont vraiment mal à l’aise à l’idée qu’ils pourraient eux-mêmes être concernés et mobilisés dans un avenir pas très lointain. De plus, leurs sources d’information sont plus diverses.

libri_9783987913303_0.jpgDe Lapuente : Voyez-vous le danger que les réflexions équilibrées de l’après-guerre disparaissent complètement de notre champ de vision? Après tout: les services civiques reviennent à la mode, une nouvelle légende du coup de poignard dans le dos existe aussi – et on ne dit plus »Plus jamais la guerre !« ... Quid?

Luft : La panique et la confusion dans le débat public ne cessent de croître. La radio Bayerischer Rundfunk relaie l’évaluation d’un collègue autrichien: »Nous sommes maintenant à 100% de probabilité que cette guerre aura lieu«. Il y aurait »une grande crise comparable au déclenchement de la Première Guerre mondiale« à venir. Même celui qui prend cette panique au sérieux devrait maintenant, alarmé, exiger un changement de cap politique. Pour la propagande, de telles projections absurdes, présentées comme des faits, n’aboutissent cependant toujours qu’à une seule chose: la mobilisation à tous les niveaux. La guerre ne pourrait être évitée »que si l’Europe se montre à nouveau prête à faire la guerre. Cela inclut non seulement l’achat d’armes, mais aussi des changements structurels, de la profondeur en personnel, des concepts de protection civile«. Nous ne marchons pas en somnambules vers la guerre, nos élites médiatiques et politiques avancent résolument vers une guerre présentée comme inévitable. Celui qui ne s’en occupe pas systématiquement ne peut que se désespérer face à la propagande omniprésente. Manifestement, cela paralyse aussi les forces de résistance – les grandes manifestations anti-guerre sont absentes.

Pour comprendre pourquoi un ordre de paix ne fonctionne qu’avec la Russie, il faut vite commander le livre de Stefan Luft, Jan Opielka et Jürgen Wendler !

De Lapuente : Vous avez écrit le livre avec les journalistes Jan Opielka et Jürgen Wendler. Ce dernier s’occupe d’un sujet que nous examinons rarement de manière sérieuse dans nos contrées – le post-colonialisme. Mais il relie ses thèses à des jugements moraux bien tranchés et à des indulgences, comme l’a récemment décrit Mathias Brodkorb: telle est la nature de l’Occident. Quels sont donc les traits essentiels qui caractérisent la soi-disant communauté de valeurs occidentale ?

»L’Occident brandit ses valeurs de manière ostentatoire«

Luft : L’Occident brandit ses valeurs de manière ostentatoire. Plus on argumente sur elles, plus il apparait probable qu’il ne s’agit pas vraiment de »valeurs« comme la liberté, la démocratie et l’État de droit, mais d’intérêts politiques et économiques. Les mensonges avec lesquels l’Occident a, rien qu'au cours de ces dernières décennies, déclenché des guerres et des changements de régime – qui étaient tous des »guerres d’agression contraires au droit international« (au Vietnam, en Irak, en Libye, en Serbie, etc.) – sont désormais bien connus. Il a toujours été affirmé que l’on faisait la guerre contre des despotes et pour empêcher des violations systématiques des droits de l’homme. Ce qui s’ensuivait était généralement une catastrophe incroyable pour les populations concernées, une situation bien pire qu’avant les guerres d’agression. À cela s’ajoutent les »doubles standards« – on ne respecte pas ses propres exigences éthiques. C’est l’une des raisons principales pour lesquelles la domination de l’Occident s’effrite de plus en plus.

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De Lapuente : Ces doubles standards dont vous parlez traversent aussi l’Occident en interne. On poursuit les dissidents, on leur impose des perquisitions – bref: l’Occident mène en fait une offensive, extérieure et intérieure, contre tout ce qui pourrait faire obstacle aux »valeurs occidentales«. Diriez-vous que la guerre culturelle à l’intérieur de l’Occident et l’opération géopolitique contre ses ennemis sont un seul et même combat?

Luft : Non. Il y a eu des époques où l’on manifestait massivement contre la remilitarisation et les guerres d’agression contraires au droit international, et où il n’y avait pas de telles mesures absurdes comme aujourd’hui. Les motifs géopolitiques de la guerre sont à mon sens une chose, les tendances de plus en plus autoritaires des États occidentaux en sont une autre. La politique aux temps de pandémie s’est montrée particulièrement emblématique à ce propos. Je n’aurais jamais imaginé que quelque chose de ce genre deviendrait réalité en Europe.

En lien avec la guerre en Ukraine, la liberté d’expression est également restreinte. En temps de guerre, il faut – c’est l’idée – que le front intérieur tienne aussi. Les États belligérants restreignent souvent la liberté d’expression pour éviter que le doute ne prenne le dessus. Ainsi, le Bundestag allemand a, en octobre 2022, renforcé presque sans bruit l’infraction qu'est l’incitation à la haine selon le paragraphe 130 du Code pénal. Jusqu’alors, la disposition concernait principalement les actes commis à l’époque du national-socialisme. Avec l’amendement, le déni des crimes de la guerre en Ukraine doit également être sanctionné. C’est une disposition vague, susceptible de restreindre la liberté de la presse et d’opinion.

Cela devient encore plus concret avec les »radios ennemies«, comme l’interdiction de la chaîne étatique russe RT par l’UE en 2022. La démocratie et l’État de droit doivent-ils ou peuvent-ils tolérer les chaînes d’un État voisin avec qui il est en guerre? Faut-il protéger la population des »radios ennemies«? Ne risque-t-on pas de ressembler peu à peu à ceux dont on veut justement se distinguer le plus possible? Le Royaume-Uni n’a pas interdit les radios ennemies allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale, mais informait la population sur leur nature.

»L’UE et l’Allemagne ont tout fait pour faire échouer un retour à la paix«

De Lapuente : Les comparaisons avec l’Empire romain sont à la mode. L’empire américain s’effrite, serre la vis pour maintenir ses vassaux sous sa coupe – au sein de l’empire, les forces de cohésion s’affaiblissent. Pensez-vous que cette comparaison avec l’Antiquité tardive est justifiée ?

Luft : C’est un sujet très complexe et je ne suis malheureusement pas spécialiste de l’Antiquité. Il y a de bonnes raisons de penser que les États-Unis ont fini de jouer leur rôle d’hégémon mondial. Le président Joe Biden déclarait encore à l’été 2024, sans détour: »Je gouverne le monde«, et: les États-Unis »sont la nation la plus importante du monde«. Cela reflétait sans doute la mentalité d’une grande partie des élites américaines. Économiquement – et géopolitiquement aussi – ce rôle n’est plus tenable. Trop d’erreurs ont été commises. Les États-Unis ont aujourd’hui surtout trop d’ennemis. La violence émanant des États-Unis se retourne de plus en plus contre eux.

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De Lapuente : Le titre de votre livre est »Avec la Russie«. Voyez-vous encore des possibilités pour que l’Occident et la Russie se rapprochent à nouveau, après tout ce qui s’est passé ces quatre dernières années ?

Luft : La politique allemande et euro-américaine a tout fait pour détruire fondamentalement la relation que nous avions avec la Russie. L’irrationalité et le fanatisme ont atteint une importance insoupçonnée. Il est difficile d’imaginer comment cela pourrait être raccommodé à nouveau. Après tout, en Allemagne et dans l’UE, presque partout ceux qui sont au pouvoir sont ceux qui portent la responsabilité de cette politique et continuent de la défendre avec vigueur. Peut-être qu’avec l'administration Trump II, un début de changement a été amorcé. Là aussi, l’UE et l’Allemagne ont tout fait pour faire échouer un retour à la paix. Cela ne change rien au fait que seule un ordre de paix paneuropéen incluant la Russie promet la stabilité. Il n’y a pas d’autre voie. Même si les conditions semblent les pires possibles, en politique rien n’est impossible – en bien comme en mal. La condition d’une catharsis est d’abord l’intérêt de percevoir les positions de l’ »ennemi« et de réfléchir de façon critique à sa propre position. Jan Opielka le fait dans notre ouvrage concernant les États d’Europe centrale et orientale – ce qui permet de mieux comprendre les contextes historiques, intellectuels et politiques de cette région. Celui qui veut la paix doit parler avec ses ennemis et non d’abord avec ses amis. En tant que catholique, je n’ai pas perdu espoir et je me réfère au Livre de la Sagesse: »À peine devinons-nous ce qui se passe sur la terre, et nous trouvons avec peine ce qui est sous la main; qui alors découvrira ce qui est dans le ciel ?«

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Qui est Stefan Luft?

Stefan Luft a étudié l’histoire moderne et la science politique à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich. En 1992, il a obtenu son doctorat en histoire. De 1999 à 2004, il a été porte-parole adjoint du Sénat de la Ville libre hanséatique de Brême. Depuis 2004, il travaille comme chercheur à l’Institut de science politique de l’Université de Brême et y a obtenu son habilitation en 2008. Depuis, il y est maître de conférences privé. Les études gouvernementales et l’analyse des politiques sont au centre de sa recherche et de son enseignement.

L’attaque israélienne à Doha: la fin des refuges sûrs dans un Moyen-Orient multipolaire

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L’attaque israélienne à Doha: la fin des refuges sûrs dans un Moyen-Orient multipolaire

par Peiman Salehi

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/31254-peim...

Le raid aérien israélien contre les dirigeants du Hamas à Doha, en septembre 2025, a été bien plus qu’une opération militaire. Il s’agit d’une rupture symbolique dans l’architecture même de la diplomatie au Moyen-Orient. Pendant des décennies, le Qatar s’est forgé une image de «médiateur neutre» en accueillant des négociations entre les talibans et Washington, ou en servant de plateforme à des pourparlers indirects entre l’Iran et les États-Unis. L’attaque israélienne a brisé cette perception: l’ère des «refuges sûrs» pour la diplomatie en Asie occidentale est terminée.

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La capitale du Qatar, Doha, a longtemps été décrite comme un pôle paradoxal. D’un côté, elle abrite la base aérienne d’Al-Udeid, la plus grande installation militaire américaine de la région. De l’autre, elle a accueilli les bureaux du Hamas et a servi de plateforme pour des négociations entre des acteurs considérés comme hostiles par Washington et Tel-Aviv. Doha a prospéré dans cet espace contradictoire, se forgeant un rôle de médiateur mondial. La décision israélienne de lancer une frappe aérienne sur Doha a brisé ce paradoxe. Elle a montré que même un allié des États-Unis, un supposé médiateur «protégé», n’est pas immunisé contre la logique qui veut l’expansion du champ de bataille. En frappant les dirigeants du Hamas alors qu’ils étaient apparemment en pourparlers avec des responsables qataris, Israël n’a pas seulement sapé la souveraineté du Qatar, mais a aussi envoyé un message glaçant aux autres acteurs du Sud global: la neutralité est une illusion dans les conflits actuels.

L’un des aspects les moins abordés de l’attaque de Doha est sa portée pour le Sud global. Pendant des années, des États comme le Qatar, Oman ou la Turquie ont cherché à affirmer leur indépendance en s’imposant comme médiateurs. Ces rôles n’étaient pas seulement diplomatiques; ils étaient aussi l’expression de la volonté des petits États de façonner la multipolarité à leur manière. L’attaque israélienne peut être interprétée comme faisant partie d’une stratégie plus vaste visant à démanteler ces espaces dédiés aux médiations indépendantes. C’est, en fait, une déclaration selon laquelle l’Occident, par le biais de ses mandataires régionaux, ne tolérera pas que des acteurs non occidentaux tentent de créer des cadres diplomatiques alternatifs. Doha n’est pas seulement une capitale attaquée; c’est un symbole de la souveraineté fragile des médiateurs du Sud global.

L’attaque révèle également une vérité plus profonde sur la géographie changeante de la résistance. En visant des dirigeants du Hamas sur le sol qatari, Israël a étendu le champ de bataille au-delà de Gaza, du Liban ou de la Syrie. Le message est clair: il n’existe plus d’«arrière» où les leaders de la résistance peuvent opérer en relative sécurité. Paradoxalement, cela pourrait avoir l’effet inverse de ce qu’Israël recherche. Au lieu d’isoler le Hamas, l’attaque pourrait encourager une coordination plus étroite entre l’Iran, le Qatar et même la Turquie, qui partagent désormais un intérêt commun à résister aux ingérences israéliennes. En ce sens, l’attaque pourrait accélérer la consolidation de ce que certains analystes appellent un «axe de résistance multipolaire».

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Du point de vue des relations internationales, l’attaque de Doha est un signe supplémentaire de l’érosion de l’ordre libéral. Les États-Unis soutiennent depuis longtemps que leurs alliances au Moyen-Orient reposent sur des règles et une certaine prévisibilité. Pourtant, lorsque Israël lance une frappe aérienne sur le territoire de l’un des partenaires les plus proches de l’Amérique, ces règles s’effondrent dans la contradiction. Si Washington a toléré l’attaque, cela révèle une complicité et une hypocrisie: proclamer le respect de la souveraineté tout en la violant via un allié. Si Washington n’a pas été consulté, cela révèle une crise encore plus profonde: l’hégémonie américaine s’est érodée au point que son allié le plus proche ignore ses intérêts. Dans les deux cas, la crédibilité de l’ordre libéral subit un nouveau coup.

L’importance de l’attaque de Doha dépasse le Moyen-Orient. Elle illustre une dynamique clé du monde multipolaire émergent: la rupture de la distinction entre «centre» et «périphérie». Dans un ordre unipolaire, les petits États pouvaient trouver protection en s’alignant sur l’hégémon. La stratégie du Qatar, pendant des décennies, a été précisément d’héberger des troupes américaines tout en jouant le médiateur en marge. Dans un contexte multipolaire, cependant, cette protection n’est plus garantie. Ce développement pousse les États du Sud global à faire un choix net: continuer à dépendre de garanties sécuritaires occidentales de moins en moins fiables, ou investir dans des alliances alternatives dans un cadre multipolaire. Le sommet BRICS+ de cette année a déjà montré un intérêt croissant pour cette dernière option. L’attaque de Doha pourrait encore accélérer ce réajustement stratégique.

D’un point de vue civilisationnel, l’attaque souligne les limites de l’universalisme occidental. Israël, en tant qu’avant-poste de l’Occident au Moyen-Orient, a clairement fait comprendre que la survie de son hégémonie prime sur le respect de la souveraineté, de la diplomatie ou du droit international. Le Sud global, cependant, considère la souveraineté comme la dernière ligne de défense contre la domination. Ce choc de priorités n’est pas seulement géopolitique, mais aussi civilisationnel. Le silence de nombreuses capitales occidentales après l’attaque de Doha contraste fortement avec l’indignation des sociétés arabes et musulmanes. Pour les élites occidentales, le calcul de la puissance l’emporte sur les principes qu’elles affirment défendre. Pour l’opinion publique du Sud global, la violation de la souveraineté du Qatar est un rappel de plus que l’ordre libéral n’est pas universel, mais appliqué de façon sélective.

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L’attaque israélienne contre Doha doit être comprise comme un tournant. Il ne s’agit pas seulement du Hamas ou du Qatar; il s’agit des fondements ébranlés d’un système international où la diplomatie bénéficiait autrefois de sanctuaires. Dans la nouvelle réalité multipolaire, même les États «neutres» deviennent des champs de bataille potentiels. Pour Israël, cela peut sembler un succès tactique. Pour la région, il s’agit d’une rupture stratégique qui pourrait avoir des conséquences inattendues: la perte de confiance dans la médiation dirigée par l’Occident, la consolidation d’une résistance multipolaire et l’accélération, pour le Sud global, de la recherche de cadres alternatifs de sécurité et de diplomatie. En résumé, la guerre est entrée à Doha non pas à coups de roquettes ou de troupes, mais parce que l’architecture même de la diplomatie a été bombardée. Le refuge sûr a disparu, et avec lui, une autre illusion colportée par le monde unipolaire.

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Nouvelles manifestations permanentes en Serbie: l’Occident prépare-t-il la prochaine «révolution de couleur»?

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Nouvelles manifestations permanentes en Serbie: l’Occident prépare-t-il la prochaine «révolution de couleur»?

Belgrade/Bruxelles. La Serbie a été l’une des victimes les plus en vue des «révolutions de couleur» organisées et financées par l’Occident après l’effondrement de l’Union soviétique. En octobre 2000, le président serbe de l’époque, Slobodan Milosevic, avait été contraint de démissionner après de longues manifestations de masse. La force motrice derrière ce renversement était l’ONG « Otpor », financée notamment par le multimilliardaire George Soros et ses réseaux « Open Society ».

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Des observateurs parlent ces jours-ci d’un sentiment de déjà-vu en Serbie. Là encore, on constate des manifestations de masse durables et bien organisées contre le gouvernement du Premier ministre Aleksandar Vucic. Les services de renseignement extérieurs russes (SWR) disent en savoir plus: selon leur analyse, l’UE serait à l’origine des troubles persistants. Selon le SWR, les manifestations de masse, auxquelles participent surtout des jeunes, «sont à bien des égards le produit des activités subversives des États membres de l’UE».

Le but affiché serait «d’amener au pouvoir, dans ce grand pays des Balkans, une direction obéissante et loyale envers Bruxelles». La vague de protestations avait commencé en novembre 2024 après l’effondrement du toit d’une gare à Novi Sad, qui avait fait 16 morts.

Les services de renseignement reconnaissent que «les élites européennes ont pu engranger de nombreux succès» et que les jeunes se radicalisent. Pourtant, le «scénario de ‘révolution de couleur’», testé avec succès par l’Occident dans de nombreux pays, «a calé en Serbie: les buts finaux de la bureaucratie européenne n’ont pas été atteints».

Comme raisons, le SWR invoque « les forts sentiments patriotiques de la population serbe », le rôle fédérateur de l’Église orthodoxe serbe, ainsi que le souvenir de l’attaque de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999.

Bruxelles tenterait maintenant d’instrumentaliser l’anniversaire de la tragédie de Novi Sad. Pour cela, on miserait sur «un lavage de cerveau de la jeunesse serbe» ainsi que sur la promotion d’un «brillant avenir européen».

Un rôle clé est joué – comme partout dans des cas comparables – par les médias, financés par des ONG. Sont nommément cités les sites d’information FoNet, RAM Network, Vreme, Juzne Vesti, Slobodna rec, Boom93, Podrinske, Freemedia, Indjija, SOinfo, FAR, Storyteller, ainsi que l’ONG «Link».

«Bruxelles compte sur le fait que, grâce à des injections financières pour les médias et les ONG, il sera possible de mobiliser l’électorat protestataire, de faire descendre les gens dans la rue et de conclure le ‘Maidan serbe’ selon un scénario maintes fois éprouvé», résume le SWR. Le terme « Maidan » fait référence aux événements de Kiev en 2014, lorsque, selon la version russe, le gouvernement ukrainien légalement élu a été renversé avec le soutien de l’Occident (mü).

Source: Zu erst, Sept. 2025.

L’Europe sous l’OTAN: Divide et Impera Comment l’OTAN a transformé l’Europe en vassale de Washington

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L’Europe sous l’OTAN: Divide et Impera

Comment l’OTAN a transformé l’Europe en vassale de Washington

par "The Otter"

The Otter avance que, depuis sa création, l’OTAN a servi à maintenir l’Europe sous la tutelle des États-Unis en bloquant ses liens avec la Russie et en imposant une vassalisation sous couvert de défense.

35616330-656074101.jpgC’est le premier secrétaire général de l’OTAN, Lord Hastings Ismay, qui déclara que le but de l’alliance était « de tenir l’Union soviétique hors (d'Europe), les Américains en Europe et les Allemands à terre ». Cet aveu franc dévoile la véritable intention de l’OTAN : non pas une alliance de défense mutuelle, mais un instrument pour subordonner l’Europe aux intérêts des États-Unis.

L’OTAN est présentée comme un rempart contre les menaces extérieures protégeant ce qu’on appelle l’Occident, mais tout au long de son histoire, elle a systématiquement réprimé l’autonomie européenne, drainé économiquement le continent et empêché la création de liens stratégiques avec la Russie. Malgré le discours actuel affirmant que l’Europe ne paie pas sa part — discours que le secrétaire général actuel, Mark Rutte, a joyeusement relayé en appelant Donald Trump « papa » — la réalité est que l’Europe a déjà payé un prix élevé tout en acceptant de devenir vassale de l’Amérique.

Charles de Gaulle avait averti que l’Europe deviendrait un protectorat des États-Unis, et rétrospectivement, cet avertissement apparaît prophétique. De la crise de Suez à Nord Stream 2, les États-Unis ont agi contre les intérêts européens via le cadre de l’OTAN. L’Union européenne s’est muée en marionnettes serviles sous la coupe d’un pays qui érode continuellement leur indépendance.

Reconstruire l’Europe à l’image de l’Amérique

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe était en ruines. Les États-Unis ont cherché à remodeler le continent selon leurs intérêts stratégiques. L’OTAN fut créée le 4 avril 1949 comme organisation de défense collective selon l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord. Son objectif, non dit, était d’empêcher le retour du militarisme allemand; cependant, sachant que le réarmement allemand était inévitable, l’Amérique a intégré l’Allemagne de l’Ouest à l’OTAN en 1955. Cela a mis fin à l’occupation alliée de l’Allemagne, mais la remilitarisation s’est faite sous un contrôle strict de l’alliance. Au lieu de réduire le nombre de bases militaires en Allemagne, le gouvernement américain les a augmentées sous prétexte de contenir l’Union soviétique, alors qu’il s’agissait en réalité de garder l’Allemagne sous son joug. Des documents déclassifiés révèlent que l’intention des États-Unis était un « double containment » de l’Allemagne et de l’Union soviétique. Ainsi commence la vassalisation de l’Europe par l’OTAN.

La pression américaine via l’OTAN a conduit rapidement à une humiliation de l’Europe en 1956. Le Royaume-Uni et la France, avec l’aide d’Israël, envahirent l’Égypte pour reprendre le contrôle du canal de Suez, que le président égyptien Gamal Abdel Nasser avait nationalisé, retirant ainsi le contrôle à la Compagnie française du canal de Suez. La crise de Suez a mis en péril l’autonomie européenne et une voie commerciale clé. Le président américain Dwight D. Eisenhower cherchait à préserver l’influence américaine dans les pays arabes, les empêchant de se rapprocher de l’Union soviétique.

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Le gouvernement américain promouvait la décolonisation, et permettre une aventure franco-britannique aurait sapé la crédibilité de l’Amérique. Eisenhower menaça de couper le soutien financier à la Grande-Bretagne, entraînant un retrait humiliant qui exposa les limites de tout pouvoir européen sans l’approbation des États-Unis. Les nations européennes furent soumises à discipline, apprenant que toute action indépendante pouvait entraîner des représailles américaines, renforçant ainsi leur dépendance vis-à-vis de Washington.

L’après-guerre froide : répression de la volonté européenne

À la fin de la guerre froide en 1990, alors que débutaient les discussions sur la réunification allemande, le secrétaire d’État américain James Baker et le chancelier allemand Helmut Kohl donnèrent à Mikhaïl Gorbatchev l’assurance que l’OTAN ne s’étendrait pas « d’un pouce vers l’est ». Or, ces promesses furent rapidement abandonnées. Dès 1999, l’OTAN avait intégré la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie, rapprochant ses frontières de la Russie, malgré les nombreux débats internes qui se déroulaient en Europe pour imaginer et prévoir d’autres cadres pour assurer la sécurité européenne.

9782802711100-475x500-1-2788139993.jpgCette expansion a étouffé toutes les propositions naissantes d’une architecture de sécurité paneuropéenne plus inclusive, qui aurait pu favoriser l’indépendance vis-à-vis de la domination américaine. La France et l’Allemagne discutaient de la revitalisation d’organisations comme l’Union de l’Europe occidentale pour créer un système de sécurité européen plus large. Les décideurs américains considéraient ces alternatives comme une menace à leur influence. Les États-Unis ont activement promu l’élargissement de l’OTAN pour maintenir l’Europe arrimée aux structures transatlantiques. Cela a non seulement aliéné la Russie, mais aussi permis que l’Europe demeure entièrement dépendante du leadership militaire et des décisions américaines.

Le mythe du « passager clandestin »

Le président américain Donald Trump a maintes fois affirmé que les membres européens de l’OTAN ne payaient pas leur « dû », suggérant que les États-Unis supportaient un fardeau financier démesuré. En réalité, l’OTAN n’impose ni « cotisation » ni « facture » — les contributions sont volontaires, basées sur la règle des 2% du PIB adoptée en 2014. Les pays européens consacrent environ 2,27% de leur PIB collectif, mais leur PIB est inférieur à celui des États-Unis, ce qui fait que leurs contributions financières sont moins élevées. Les États-Unis offrent 3,2% de leur PIB à l’OTAN, un chiffre marginalement supérieur. Les nouveaux objectifs de dépenses, fixés à 5% par État membre, exerceront une pression considérable sur des économies européennes déjà fragilisées, prouvant que l’OTAN est surtout un bâton pour contraindre les nations européennes.

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Même en payant davantage, l’Amérique bénéficie du protocole de normalisation de l’OTAN, qui garantit l’interopérabilité. Cela oblige de fait les pays européens à acheter du matériel militaire auprès de sociétés américaines. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les importations d’armes des États européens ont augmenté de 155% entre 2015-19 et 2020-24, les États-Unis fournissant 64% des importations des membres européens de l’OTAN sur cette période. Cela représente des milliards en transferts. Les ventes d’armes américaines totalisent 318,7 milliards de dollars, l’Europe en représentant 35%.

En 2024, l’Europe a dépensé environ 111,5 milliards de dollars pour des armes américaines (hors Ukraine), tandis que la contribution américaine au budget de l’OTAN s’élève à 15,9% des 4,6 milliards d’euros, soit 731 millions d’euros — ou une infime fraction (environ 0,0026%) du PIB américain.

Les affirmations de Trump selon lesquelles l’Europe abrite des « profiteurs » ne prennent en compte qu’une partie de l’équation, car les États-Unis engrangent plus de cent milliards de dollars grâce au mandat de l’OTAN.

Alors que les États-Unis tirent d’énormes profits des achats d’armes européens, les industries de défense locales stagnent à cause de cette dépendance forcée. Les pays européens de l’OTAN achètent deux tiers de leurs importations aux États-Unis, au détriment de fabricants locaux comme l’Allemand Rheinmetall ou le Français Thales. Le coût de cette réalité nuit à l’innovation européenne et à la croissance de l’emploi.

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Les prévisions de printemps 2025 de la Commission européenne avertissent qu’une augmentation des dépenses de défense pour répondre aux objectifs de l’OTAN pourrait aggraver la situation, car les industries nationales fragmentées peinent à rivaliser, entraînant des coûts plus élevés et moins d’innovation. L’Amérique vide l’Europe de sa substance tout en se plaignant de ses propres choix politiques de dépenser une part exorbitante de son PIB dans la défense.

Nous sommes entrés dans une réalité géopolitique où l’Europe dépendra davantage des armes américaines pour atteindre l’objectif de 5% du PIB d’ici 2032. L’innovation va fléchir, car les entreprises européennes devront concentrer leurs efforts sur la montée en puissance plutôt que sur la R&D. L’Europe risque de perdre encore plus d’autonomie à travers ces nouveaux objectifs de dépenses.

L’arme énergétique : empêcher les liens euro-russes

Les impératifs stratégiques de l’OTAN sont allés au-delà des alliances militaires pour perturber activement le potentiel d’intégration économique plus profonde entre l’Europe et la Russie, particulièrement dans le secteur énergétique. Les liens énergétiques euro-russes étaient perçus comme une menace pour l’hégémonie américaine, ce qui explique l’opposition farouche des États-Unis à des projets comme Nord Stream 2, contribuant à forcer l’Europe à se tourner vers des alternatives plus coûteuses. Cette ingérence a privé l’Europe du gaz russe abordable tout en enrichissant les exportateurs américains, aggravant la crise économique sur un continent déjà confronté à la hausse des prix de l’énergie.

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Les gazoducs Nord Stream, destinés à acheminer directement le gaz russe vers l’Allemagne sous la mer Baltique, représentaient une voie vers la sécurité énergétique et des coûts réduits pour l’Europe, avec la possibilité de diminuer les prix de 30 à 40% grâce à la diversification de l’offre. Les États-Unis se sont opposés avec véhémence à Nord Stream 2 dès le départ, le présentant comme un instrument d’influence russe qui contournerait l’Ukraine et saperait l’unité européenne.

En 2019, l’administration Trump a imposé des sanctions via la loi Protecting Europe’s Energy Security Act, visant les entreprises impliquées dans la construction du gazoduc. Des efforts bipartisans (Républicains + Démocrates) au Congrès ont été entrepris pour stopper le projet, invoquant le risque que la Russie « militarise » l’énergie.

Le point culminant fut le sabotage des gazoducs en septembre 2022, qui provoqua d’énormes émissions de méthane. Des allégations d’implication américaine (et ukrainienne) sont régulièrement apparues, y compris des rapports évoquant la pose d’explosifs par des plongeurs de la Navy lors de l’exercice BALTOPS 22 de l’OTAN, avec l’aide norvégienne pour obtenir la détonation. L’incident a effectivement coupé un lien clé entre l’Europe et la Russie, forçant l’Europe à une diversification hâtive qui a bénéficié aux fournisseurs américains. Les livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) américain vers l’Europe ont atteint un record de 8,5 millions de tonnes en décembre 2024. En mai 2025, l’UE importait 4,6 milliards de mètres cubes de GNL américain par mois, les États-Unis représentant 50,7% du total des importations de GNL de l’UE au premier trimestre 2025 — contre des niveaux négligeables avant 2022.

La multipolarité comme solution

Le passé est ce qu’il est, et aujourd’hui l’Europe se retrouve dans une situation où les actions de l’OTAN ont empêché des liens économiques fructueux avec la Russie — liens qui auraient pu éviter la guerre en Ukraine tout en assurant la sécurité énergétique. Ces relations pourront se rétablir à terme, mais l’Europe ne doit pas attendre indéfiniment. Elle doit se réveiller à la réalité que son potentiel est entravé par Washington et ses bases militaires qui colonisent le continent.

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Si l’Europe ne parvient pas à regarder au-delà de l’albatros étoilé accroché à son cou, elle risque de devenir un vassal permanent des États-Unis. Rétablir les relations avec la Russie n’est peut-être pas à l’ordre du jour, mais l’Europe peut regarder au-delà de l’Occident vers l’Est et l’Afrique. Le Nigeria et le Mozambique sont prêts à fournir du GNL à l’Europe, ce qui pourrait être accéléré par des investissements européens. L’Europe a la capacité d’assurer son approvisionnement énergétique et de renforcer son économie si elle a le courage de cesser d’être le chien de garde d’une puissance qui la parasite.

Les dirigeants européens prétendent rechercher une « autonomie stratégique », mais tant qu’ils ne reconnaîtront pas les dégâts causés par l’OTAN, ils ne seront jamais souverains. Le monde évolue vers la multipolarité, les droits de douane de Trump ayant bouleversé le système économique mondial comme jamais auparavant. De nouvelles alliances se forment, et d’anciens ennemis comme l’Inde et la Chine entretiennent désormais des relations chaleureuses. Des blocs commerciaux se créent, excluant les États-Unis à cause de leur imprévisibilité. Le message est écrit sur le mur; reste à savoir si les dirigeants européens sauront lire ce qui est déjà gravé dans l’avenir.

 

dimanche, 21 septembre 2025

La France de Macron: image de l’échec de l’Europe

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La France de Macron: image de l’échec de l’Europe

Antonio Terrenzio

Source: https://www.centromachiavelli.com/2025/09/12/la-francia-d...

Sébastien Lecornu est le nouveau Premier ministre français, le sixième en huit ans de gouvernements Macron. La France se réveille dans une crise qui a des racines profondes et qui vit aujourd’hui sa phase la plus aiguë, avec une dette publique à 114% et des problèmes socio-économiques qui risquent d’entraîner le pays dans un désordre irrémédiable. Après la chute du Premier ministre Bayrou, Emmanuel Macron se retrouve entouré de ses rares fidèles pour une saison politique qui annonce d'ores et déjà des coupes sombres dans les dépenses publiques, avec la suspension de la hausse des retraites, des coupes de près de 50 milliards pour une réforme financière exigée par la BCE, et qui ne sera pas acceptée par les Français qui menacent de bloquer le pays par des grèves et par la suspension des services publics.

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Mais la crise politique française est le reflet de l’état comateux et d’impuissance dans lequel se trouve toute l’Europe. La France a été le laboratoire où l'on a tenté de roder des leaders créés de toutes pièces, hologrammes des oligarchies globalistes, pour concentrer le pouvoir dans les forces centristes et isoler les souverainistes comme Le Pen, et la gauche populiste de Mélenchon. Ceci grâce à un système électoral à deux tours qui rend impossible pour le Rassemblement National de gagner les élections, même s’il est le premier parti de France. Les partis modérés se sont regroupés autour du protégé des Rothschild avec un exécutif minoritaire, mais cela n’a pas permis à la France d’éviter la crise économique avec l’urgence de réformes douloureuses, qui provoquent déjà des protestations violentes, au risque de faire voler en éclats la cohésion sociale du pays. Des affrontements avec 675 arrestations ont eu lieu dans les principales villes et dans la capitale, où les manifestants liés à des groupes d’extrême gauche réclament la tête d’Emmanuel Macron.

Mais l’état de paralysie de la France est le miroir de celui de Bruxelles, des Merz et des Starmer. Des non-élites discréditées qui gouvernent avec des exécutifs fragiles et peu de soutien populaire, sont sous pression à cause du coût de la vie devenu insoutenable, et des politiques de désindustrialisation dictées par l’idéologie écologiste, qui ont plongé des nations habituées au bien-être dans une pauvreté et des difficultés croissantes. Les politiques migratoires indiscriminées et l’échec du modèle multiculturel ont généré un sentiment d’insécurité désormais ressenti comme insupportable, accompagné d’une croissance constante des droites souverainistes.

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En France, le désastre du modèle multiethnique a atteint son apogée et Macron tente maintenant la carte de l’énième Premier ministre qui devra consulter socialistes, républicains et ce qui reste des petits partis modérés, pour former un gouvernement aussi inconsistant que ceux qui l'ont précédé, mais avec la tâche ingrate d’effectuer des coupes dans les dépenses publiques, que les citoyens français ne semblent pas prêts à accepter, même de loin. Si même le gouvernement dirigé par l’ancien ministre de la Défense devait échouer, alors ce serait un gouvernement technique, à la Monti, qui ferait office de Troïka, expérimentant quelque chose de similaire à ce que nous avons connu en Italie.

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Quoi qu’il arrive, ce sera une saignée dont on ne sait pas si Macron sortira indemne. Tant le mouvement de rue « Bloquons tout » que le Rassemblement National parlent d’une situation inacceptable et réclament à cor et à cri de nouvelles élections et le retrait définitif de Macron. Les affrontements dans la rue ont été systématiquement condamnés ainsi que la présence des «black blocs»: il n’est pas à exclure que le nouvel exécutif puisse prendre prétexte des désordres et violences pour promulguer des lois spéciales et suspendre les garanties constitutionnelles comme le fit De Gaulle en 1961.

Les « a-démocraties illibérales » ont déjà démontré à plusieurs reprises leur capacité à contourner leurs propres principes, utilisant souvent le couperet judiciaire pour éliminer des adversaires politiques gênants, comme cela s’est produit avec Le Pen, condamnée en première instance sur la base d’accusations qui ne sont que des prétextes.

Pour les révoltes de rue, on pourra toujours recourir à des lois répressives invoquant l’état d’urgence pour consolider le pouvoir macronien. Si la situation devait dégénérer et la cohésion sociale céder, si les banlieues s’enflammaient comme cela s’est déjà produit à de nombreuses reprises, on peut s’attendre à une répression des révoltes avec suspension des droits fondamentaux et de tout espace pour la dissidence.

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Comme je viens de le dire, la crise française est le reflet de la paralysie des institutions démocratiques qui n’exercent plus qu’une fonction nominale. Le système de gouvernement macronien est le plus emblématique pour montrer la sclérose des classes politiques européennes, réduites à des oligarchies auto-proclamées sans aucune légitimité populaire. L’exemple français est actuellement le plus éclatant parce que c’est le pays où la société occidentale affiche tous ses échecs, de la crise de représentation des régimes « libéraux », aux délires idéologiques de la société fluide, au manque de sécurité et à l’attaque contre l’identité européenne, des sociétés laïques et déchristianisées menacées par l’invasion et l’intégrisme des sociétés islamiques. Le cas français reflète l’état de santé du continent et de ses groupes de pouvoir qui ne représentent qu’eux-mêmes, les lobbies bancaires et ceux de l’armement dont ils sont les fiduciaires.

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Dans ce contexte s’inscrit également la rhétorique belliqueuse qui cherche l’affrontement direct avec la Russie. Les autocraties sont le spectre vers lequel diriger les tensions qui montent à l’intérieur de l’Europe, tandis qu’en interne, le danger serait représenté par les droites qui seraient au dispason des objectifs expansionnistes du "dictateur du Kremlin". Bien entendu, ces contradictions sont destinées à exploser comme une bombe à retardement et les Macron et von der Leyen prolongent la période avant d’être renversés par l’irruption d’une nouvelle phase historico-politique qui exigera des acteurs politiques plus compétents. Tout pouvoir, même celui revêtu de l’image démocratique, n’est pas intouchable, et un changement de paradigme sera déterminé par les nécessités de l’histoire.

Tous les sondages montrent un désamour, voire un véritable mépris, pour l’UE et pour les dirigeants des pays membres. Ursula von der Leyen incarne de manière frappante et emblématique l’incapacité et la corruption morale des représentants de ce projet raté appelé Union européenne. L’appel rhétorique au sens de l’unité et à « l’épreuve difficile » que l’UE doit affronter face à l’ennemi russe, qui est aux portes et qui menace de nous envahir, ne suscite plus le moindre enthousiasme, au point que même les journaux et médias de connivence sont obligés de le reconnaître. Au moment de sa plus grande faiblesse, l’UE se dirige vers une remilitarisation anti-russe pour compenser son inconsistance politique.

Des années d’indécision, de politiques post-idéologiques, de politiques d’austérité économique désastreuses et d’immigration incontrôlée, nous ont livré une Union qui est bel et bien un échec historique. Le chaos français est l’image nationale de ce qui se passe à l’échelle continentale. La France n’est pas le seul malade de l’Europe, tout au plus celui dont les métastases sont les plus avancées: la Grande-Bretagne, l’Allemagne, mais aussi l’Espagne et l’Italie souffrent des mêmes problèmes. Avec un indicateur parmi tous, celui démographique, qui sonne le glas, l’alarme principale pour l’avenir vital du continent.

Le gouvernement Macron pourra rester en place quelques mois encore, peut-être jusqu’en 2027, année des élections présidentielles, espérant s’imposer à nouveau avec une Mme Le Pen mise hors-jeu, mais les facteurs critiques subsisteront même après lui. Ce gouvernement sera la dernière carte que Macron pourra jouer et cette fois-ci, il n’est pas certain qu’il restera accroché au pouvoir. L’aspect positif sur lequel on peut espérer, c’est que la pression sur son énième gouvernement remanié augmentera jusqu’à devenir insoutenable et qu’à sa chute pourrait s’enclencher cet effet domino qui libérera l’Europe des pires élites dirigeantes de son histoire. Ce n’est qu’ensuite qu’il sera possible de reconstruire une Europe véritable, souveraine et consciente de son rôle historique et géopolitique.

antonio-terrenzio.jpegQui est Antonio Terrenzio?

Entrepreneur, diplômé en sciences politiques (UNINT) avec un Master de 1er niveau en Relations internationales avec les pays de l’Est (Université de Macerata) ; actuellement en master de Relations internationales (Université Cusano)

L'Eglise, le chagrin, la pitié, et des tonnes de larmes

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L'Eglise, le chagrin, la pitié, et des tonnes de larmes
 
Claude Bourrinet
 
Saint Jean Eudes - Le curé d'Ars - Sainte Thérèse de Lisieux... L'un des symptômes de la dégénérescence, de la décadence de l'Eglise catholique - et du christianisme en général - qui se constate par exemple parfaitement dès le XVIIIe siècle, par une baisse spectaculaire de la pratique, avant même la révolution française, ce couperet religieux, - et je ne parle pas de cause : un symptôme, c'est ce qui suit -, ce fut le basculement complet de la spiritualité dans l'affectivité, le sentimentalisme, voire l'empathie pathologique (Sainte Thérèse, déclarée sainte patronne des missions en 1927, avalait la morve des tuberculeux, par amour).
 

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Le XVIIe siècle, celui de Saint Jean Eudes et de Saint Vincent de Paul, est ce moment où, par les prêches par exemple d'un Bossuet, le mysticisme quelque peu imprégné de platonisme, mais, il est vrai, lui aussi dérivant vers une sorte d'affectivité (l'affaire du quiétisme, avec Fénelon et Madame Guyon). Il faut lire l'Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu'à nos jours (11 vol.), de l'abbé Bremond, pour prendre connaissance d'un siècle de résistance à une Eglise qui se cantonnera bientôt à la charité et à la pastorale.
 

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Car l'Eglise moderne, celle issue du XIXe siècle, au moment où l'Evangile devient un genre littéraire, ne sera plus obsédée, face à une perte croissante de pouvoir, que par la "mission", par la pastorale, (le curé d'Ars, du reste un fanatique intolérant, qui interdisait les danses dans les lieux où il avait du pouvoir); la focalisation actuelle de l'Eglise post-Vatican II sur le management et la com' appartient à cet ordre de choses : combien d'ecclésiastiques viennent des milieux des Ecoles de commerce ou de la pub ! Et c'est sans compter avec les élans du coeur, dont Lourdes est la (lourde) déclinaison, vulgaire et laide (lire Les Foules de Lourdes, de Huysmans : en parcourant cette description nauséeuse de ce phénomène spectaculaire, d'une société déséquilibrée mentalement par la dissolution moderniste, en voyant comme le sulpicianisme encadrait les hordes de pèlerins appâtés par des émotions fortes et des espoirs douteux, dans un décor inauthentique inepte et digne d'un Hollywood de supermarché, j'ai eu le sentiment d'une prémonition des thèses de Gustave Le Bon sur les masses, et du fascisme. Le phénomène totalitaire (au sens propre : la personne n'existe plus) commence dès ces mouvement de foules, dès le milieu du XIXe siècle. Huysmans, qui n'a connu ni la guerre de 14-18, ni le communisme ou les fascismes, a eu un regard de voyant. Lisez donc ce qu'il écrit là-dessus ! C'est sidérant.)
 

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Et je ne parle pas de l'Eglise actuelle, qui considère Jésus et le Bon Dieu, comme des potes, des coachs, et qui ne voit dans la religion qu'une variante de l'humanitarisme chouineur, si présent dans notre civilisation en fin de vie. La foi n'est plus évaluée que par le poids des larmes qu'on est capable de verser. Le curé de mon village a dit, lors d'un recueillement devant le Christ en croix, oeuvre réaliste et expressionniste sulpicienne, donc laide, qu'il n'y avait rien de plus beau, dans la vie, que de se sacrifier pour autrui (il n'a jamais rien lu de l'épopée des Kamikazes nippons, ni peut-être les Pensées de Pascal, qui se méfient des mouvements du coeur). C'est un adepte de la contemplation du Sacré-Cœur (que le XIXe siècle - toujours lui - a érigé comme sommet de la foi - qui était alors de tendance royaliste). Si bien que la religiosité catholique (et chrétienne) n'est plus qu'une vision humaine, trop humaine, comme dirait Nietzsche, et qui a donné du reste le ton à l'idéologie des droits de l'homme.
 
Je ne dis évidemment pas qu'il ne faut pas défendre les droits humains, ni les victimes de bourreaux scélérats.

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Ibrahim Traoré – Révolutionnaire ou nouveau vassal ?

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Ibrahim Traoré – Révolutionnaire ou nouveau vassal ?

Le Burkina Faso entre décolonisation et redéfinition géopolitique

Hanno Borchert

Source: https://wir-selbst.com/2025/09/20/ibrahim-traore-revoluti...

"Sans dignité, il n’y a pas de liberté, sans justice, il n’y a pas de paix."

Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant (1925-1961, assassiné)

"Nous ne nous battons pas seulement pour le Burkina Faso, mais pour toute l’Afrique. Notre liberté commence là où nous brisons les chaînes de la dépendance."

Ibrahim Traoré

Lorsqu’en septembre 2022, un jeune officier encore largement inconnu prit le pouvoir au Burkina Faso à la faveur d’un coup d’État militaire, peu imaginaient qu’une telle prise de pouvoir allait initier une réorientation politique pour toute l’Afrique de l’Ouest. Son nom: Ibrahim Traoré. Aujourd’hui, à peine quelques années plus tard, il est devenu la figure emblématique d’une Afrique nouvelle, radicalement anti-occidentale. Du haut de ses 37 ans, il n’est pas seulement le plus jeune chef d’État du monde, mais aussi l’un des plus controversés. Déterminé dans le ton de ses paroles, idéologiquement bien affûté dans ses discours, Traoré prend des risques dans le déploiement de sa politique car il incarne une rupture historique avec le passé colonial de son pays.

Alors que l’influence française décline visiblement au Sahel, Traoré se présente comme l’architecte d’une nouvelle Afrique – indépendante, souveraine, fière. Mais tandis que beaucoup voient dans cette évolution une libération révolutionnaire, une question demeure: le Burkina Faso est-il réellement à l’aube d’un avenir autodéterminé? Ou bien n’assiste-t-on qu’à un nouveau jeu de rôles géopolitiques – avec d’anciennes dépendances sous un nouveau visage?

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L’histoire d’Ibrahim Traoré commence dans la région des Hauts-Bassins – ou Kundumye, comme on l’appelle en mòoré, l’une des principales langues du Burkina Faso. Il a d’abord étudié la géologie, mais choisit rapidement la carrière militaire. Ses missions à l’étranger, au Mali dans le cadre de la MINUSMA, l’ont confronté à l’architecture sécuritaire internationale – et ont manifestement éveillé son ambition politique.

En 2022, après une ascension fulgurante dans l’armée, il prend la tête du deuxième coup d’État en un an. Les raisons: une situation sécuritaire catastrophique, la corruption et le sentiment largement partagé que le Burkina Faso avait perdu sa propre destinée sous l'influence occidentale. Dès le début, Traoré s’est mis en scène comme le « soldat du peuple », prêt à se battre pour la justice et l’indépendance. Sa rhétorique politique et sa symbolique rappellent sans ambiguïté un ancien héros: Thomas Sankara.

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Thomas Sankara – le « Che Guevara africain » – a dirigé l’ancienne Haute-Volta de 1983 à 1987. À 37 ans seulement, il fut victime d’un coup d’État, où des intérêts français auraient joué un rôle prépondérant. Sankara était un visionnaire, opposé au luxe importé, partisan de l’autarcie et de l’annulation de la dette africaine. Ses idéaux résonnent encore aujourd’hui – et Traoré les revendique sciemment: le béret rouge, la rhétorique nationaliste, les accusations contre les puissances impérialistes, le panafricanisme – tout fait partie d’un héritage symbolique.

Mais la politique de Traoré va au-delà du pathos symbolique. Elle est aussi une réaction à une histoire marquée par la violence coloniale, l’exploitation et le contrôle. Les troupes françaises ont conquis le pays à la fin du 19ème siècle, l’ont contraint à travailler pour elles durant les deux guerres mondiales, ont dissous arbitrairement la colonie en 1932 et réparti son territoire entre les voisins. Même après l’indépendance en 1960, l’influence française est restée profondément ancrée – dans l’administration, la langue, l’éducation. Aujourd’hui, Traoré tente de briser systématiquement cette dépendance historique.

Dans un discours, il a résumé la situation ainsi: « Dans leur tête, l’Afrique leur appartient – notre terre, notre richesse sont leur propriété. » Cette accusation traverse tout son récit – et trouve un écho profond chez nombre de ses compatriotes.

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Un des signes les plus manifestes de cette rupture est l’abolition du français comme langue officielle. À la place, des langues locales telles que le mòoré, le dioula, le fulfulde et le bissa prennent le devant de la scène dans la communication et l’éducation d’État. Même la justice change de visage: là où autrefois on portait la toge à la française, les juges apparaissent désormais en vêtements traditionnels de coton – signes visibles d’une réaffirmation culturelle.

Traoré parle ouvertement du colonialisme mental: «Par leur communication, ils ont fait en sorte que tu détestes ta propre couleur de peau». Même dans la culture du deuil, dit-il, cela se fait sentir: autrefois, le bleu était la couleur des adieux, mais « elles » – sous-entendu les influences occidentales – ont imposé le noir comme symbole de la mort, de la médiocrité et du mal. « Et nous l’avons adopté. »

Cependant, malgré toute la force des symboles, la réalité reste difficile: plus de deux millions de déplacés internes, des attaques quotidiennes de groupes islamistes, des infrastructures fragiles et une pauvreté généralisée continuent de marquer la vie quotidienne.

Alors que la France et les États-Unis se retirent progressivement, le Burkina Faso cherche de nouveaux partenaires – et les trouve en Russie et en Chine.

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La Russie soutient la sécurité: formateurs, experts militaires et même des groupes paramilitaires, issus probablement de l’ex-groupe Wagner, sont présents. Lors d’une visite à Moscou, Traoré s’est affiché ostensiblement aux côtés de Poutine et a évoqué des coopérations dans le nucléaire et l’aérospatial – des projets dont la concrétisation reste floue à ce jour, mais qui illustrent la nouvelle orientation stratégique.

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La Chine, elle, mise sur une présence économique. Les investissements dans l’énergie solaire, l’infrastructure, l’éducation et la santé augmentent. Un Institut Confucius à Ouagadougou symbolise l’influence culturelle croissante. Traoré lui-même nuance : « Nous pensions que les produits chinois étaient bon marché et de mauvaise qualité. Mais aujourd’hui nous voyons : leur technologie est avancée. Et elle nous est revendue sous des marques occidentales. »

Ainsi, la Chine et la Russie reprennent les rôles jadis dévolus à l’Occident – avec de nouvelles promesses, mais aussi de nouvelles dépendances.

Malgré une isolation internationale croissante, Traoré poursuit une ligne remarquablement autonome. Son gouvernement mise sur l’autosuffisance économique, refuse les crédits du FMI et de la Banque mondiale, nationalise les mines d’or, crée une raffinerie nationale d’or, encourage les activités qui procèdent à la transformation de la tomate et du coton. Sous sa direction, le PIB est passé d’environ 18,8 à 22,1 milliards de dollars américains – une hausse significative, même si la pauvreté persiste: plus de 6 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire selon l’ONU.

"L’Afrique n’a pas besoin de la Banque mondiale, ni du FMI, ni de l’Europe, ni de l’Amérique," déclare Traoré. Il voit le monde comme un « triangle » dont le sommet est l’« empire du Bien » – ces États occidentaux qui croient avoir le droit de façonner le monde à leur image.

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Une nouvelle étape vers l’indépendance: en août 2023, Traoré fonde, avec le Mali et le Niger, l’Alliance des États du Sahel – une alliance conçue comme un contrepoids à la CEDEAO orientée vers l’Occident. Outre la coopération militaire, une monnaie commune est même envisagée. Objectif: davantage de sécurité régionale – et un signal fort d’autonomie africaine, soutenu par des partenaires non occidentaux.

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Et l’Allemagne ? Elle reste pour l’instant en retrait. Il existe des relations diplomatiques depuis les années 1960, et des organisations telles que la GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) sont actives dans l’éducation et l’alimentation. Mais la coopération sécuritaire est suspendue, et économiquement, le Burkina Faso joue un rôle mineur dans ce contexte. Pourtant, le potentiel existe: le Burkina Faso possède des ressources telles que l’or, le manganèse et le coton – l’Allemagne, pour sa part, dispose du savoir-faire en matière de transformation, de technologie et d’agriculture durable.

Un échange d’égal à égal serait envisageable et pourrait être développé: investissements allemands durables dans l’extraction d’or, dans les terres rares et l’hydrogène vert, accès équitable au marché pour le coton burkinabé, coopérations éducatives, dialogue scientifique et culturel. À condition d’un partenariat respectueux, loin des schémas paternalistes.

Traoré lui-même reste une figure parfois énigmatique. Ascétique, idéologue, soucieux du contrôle – mais parfois accessible, charismatique, presque chaleureux. La comparaison avec Mouammar Kadhafi n’est pas infondée: révolutionnaire, anticolonial, visionnaire – mais aussi avec un côté autoritaire.

Selon les médias – tels qu’Africanews, The Africa Report et la chaîne publique RTB – son gouvernement a reporté les élections prévues pour juillet 2025. La liberté de la presse a été restreinte, les voix critiques de plus en plus réprimées. Motif invoqué: la menace persistante des groupes djihadistes qui contrôlent de vastes parties du pays.

Ainsi, France 24 a été suspendue, les journalistes locaux sont soumis à de nouvelles règles. Du point de vue occidental – par exemple celui de Reporters sans frontières – il s’agit d’une rupture flagrante avec la liberté de la presse, considérée comme un bien universel. Mais dans le contexte burkinabè, marqué par l’insécurité et un fort discours anticolonial, beaucoup considèrent ces mesures comme une protection légitime contre la déstabilisation.

On retrouve ici un dilemme bien connu des mouvements postcoloniaux: le désir d’unité et de sécurité se heurte souvent aux libertés individuelles.

Ibrahim Traoré est sans conteste une figure historique. Qu’il soit porteur d’espoir ou annonciateur de nouvelles dépendances reste à voir. Son ascension marque un tournant dans un pays qui a subi des décennies de domination coloniale et cherche désormais sa propre voie.

Sa popularité ne repose pas seulement sur des paroles fortes, mais aussi sur des choix politiques concrets: autonomie économique, ré-africanisation culturelle, réorientation sécuritaire. Mais dans un État qui ne contrôle qu’une partie de son territoire, toute vision comporte aussi un risque.

La capacité de Traoré à trouver l’équilibre entre véritable souveraineté et nouvelles dépendances géopolitiques ne se mesurera pas seulement à sa constance idéologique – mais aussi à sa capacité à améliorer réellement la vie de ses concitoyens et à conquérir durablement leurs cœurs.

Personnellement, je souhaite beaucoup de succès au Président dans sa lourde tâche et, au pays, un avenir prospère.

Lectures complémentaires :

– Burkina Faso : A History of Power, Protest and Revolution – Ernest Harsch (2017)

Burkina Faso – Pierre Englebert (2018)

Captain Ibrahim Traoré: Hope Restored or the Rebirth of a Lost Nation – Abdoul Moumouni Ouédraogo

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Qui est Hanno Borchert?

Hanno Borchert, né en 1959, enfant de Cuxhaven à l’embouchure de l’Elbe. Dès son plus jeune âge, ses voyages (Tyrol du Sud, Balkans, Scandinavie, Inde, Iran, Indonésie, etc.) ont éveillé en lui la passion pour la cause des peuples.

Artisan qualifié avec des études en sciences économiques. Lecteur assidu depuis l’enfance, il aime aussi la musique, la peinture et s’intéresse à l’art du graphisme.

« Alter Herr » de l’association étudiante « Landsmannschaft Mecklenburgia-Rostock im CC zu Hamburg ». Sans affiliation politique. Fréquente souvent des concerts de presque tous les genres. Apprécie particulièrement le bluegrass, la country, le blues et la folk irlandaise. Grand admirateur du regretté auteur-compositeur Gerhard Gundermann, trop tôt disparu.

Rédacteur de la revue « wir selbst », ancienne et nouvelle mouture, puis rédacteur de « Volkslust ».

Pour commander des numéros récents de "wir selbst": 

https://lindenbaum-verlag.de/produkt/wir-selbst-zeitschrift-fuer-nationale-identitaet-selbstbestimmungsrecht/ 

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Trump et Xi: Rapprochement par la diplomatie pragmatique

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Trump et Xi: Rapprochement par la diplomatie pragmatique

Elena Fritz

Source: https://pi-news.net/2025/09/trump-und-xi-annaeherung-durc...

L’entretien téléphonique entre Trump et Xi vendredi est plus qu’un simple contact épisodique; il signale un retour à la realpolitik dans un monde multipolaire.

L’entretien téléphonique entre Donald Trump et Xi Jinping vendredi constitue un moment marquant dans l’histoire récente des relations sino-américaines. Alors que de nombreux médias occidentaux ne l’évoquent qu’en passant, l’analyse approfondie des sujets abordés – le commerce, le fentanyl, le conflit en Ukraine et TikTok – révèle la logique sous-jacente d’une politique basée sur les intérêts concrets. Ici, il ne s’agit pas d’appels à la morale, mais d’une évaluation sobre des rapports de force et des interdépendances.

Sous les administrations démocrates, la confrontation avec la Chine était au centre des préoccupations, souvent justifiée par la référence à un "ordre international fondé sur des règles". Trump adopte une approche différente: il recherche le dialogue direct avec Pékin, sans s’enliser dans des débats idéologiques. La conversation a été qualifiée par les deux parties de "pragmatique, positive et constructive", ce qui indique une volonté délibérée de désescalade. Au fond, il s’agit de reconnaître les réalités économiques. Les États-Unis dépendent fortement des chaînes d’approvisionnement chinoises, comme l’ont montré les perturbations à propos des terres rares au printemps 2025, qui ont paralysé une partie de l’industrie automobile américaine. Trump reconnaît ces vulnérabilités et mise sur la négociation pour les gérer, plutôt que de les ignorer ou de les aggraver.

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TikTok comme élément de stratégie médiatique et politique

La discussion autour de la problématique TikTok est particulièrement révélatrice. La plateforme compte environ 170 millions d’utilisateurs aux États-Unis, principalement parmi les jeunes générations. Une éventuelle vente à des investisseurs proches de Trump pourrait changer la dynamique du paysage médiatique. Alors que X, dirigé par Elon Musk, est déjà une arène ouverte et que Facebook perd de l’influence, TikTok permettrait à Trump d’atteindre un électorat jusque-là fortement imprégné par les récits démocrates. Ce n’est pas un simple détail, mais un levier stratégique qui pourrait influencer l’équilibre politique interne et, dès lors, qui inquiète légitimement Washington.

Xi Jinping agit depuis une position de souveraineté et de supériorité économique. La Chine contrôle des secteurs clés des chaînes d’approvisionnement mondiales, investit massivement dans la technologie et les infrastructures, tandis que les États-Unis engagent leurs ressources dans le conflit ukrainien. Xi n’agit pas par complaisance, mais parce que la Chine détient les meilleures cartes. L’annonce de futures rencontres – la visite de Trump en Chine, la visite de Xi aux États-Unis, ainsi qu’une rencontre lors du sommet de l’APEC en Corée du Sud fin octobre – souligne le sérieux de ce rapprochement. Dans le même temps, Xi précise sans ambiguïté que Taïwan constitue une ligne rouge non négociable, ce qui montre les limites de ce pragmatisme.

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Message pour l’Europe

L’entretien téléphonique entre Trump et Xi vendredi est plus qu’un simple contact épisodique; il signale un retour à la realpolitik dans un monde multipolaire. Trump démontre ainsi sa capacité à relever les défis de la politique étrangère par des négociations directes tout en consolidant ses avantages internes. Xi souligne l’indispensabilité de la Chine et sa résilience face à l’isolement. Au final, il s’agit d’une réorientation des relations entre les deux principales puissances économiques mondiales – une évolution guidée par des intérêts pragmatiques, qui évite les superstructures idéologiques. En cette période d’incertitude mondiale, cela pourrait être le début d’une coexistence plus stable, quoique marquée de tensions.

Le véritable message de cet appel pour nous, Européens, est le suivant : qui ne formule pas sa propre stratégie devient l’objet de la realpolitik des autres.

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samedi, 20 septembre 2025

Les fédérations AfD d’Allemagne centrale précisent: Pas de service militaire obligatoire dans de telles conditions!

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Les fédérations AfD d’Allemagne centrale précisent: Pas de service militaire obligatoire dans de telles conditions!

Magdebourg. Contrairement aux récents rapports établis par les médias, les fédérations régionales de l’AfD d’Allemagne centrale rejettent fermement le rétablissement du service militaire obligatoire – du moins dans les conditions politiques actuelles. La conférence des présidents de groupe parlementaire des fédérations régionales d’Allemagne centrale, qui s’est récemment tenue au Landtag de Magdebourg, justifie cette position par des objections fondamentales à l’égard de la politique actuelle.

Selon eux, l’Allemagne n’agit pas de manière souveraine en politique étrangère, mais prend ses décisions dans le cadre d’alliances transatlantiques et au sein de l’UE – toutefois « contre l’intérêt de sa propre nation ». La poursuite de la guerre en Ukraine est également une raison du refus: « Après le gouvernement Scholz, le gouvernement Merz soutient aussi pleinement l’Ukraine et ne fait aucun effort pour une désescalade dans le conflit qui oppose l'OTAN à la Russie. » La CDU envisagerait « même d’envoyer des soldats allemands dans une guerre qui n’est pas la nôtre ».

L’AfD de l’Est critique sévèrement la façon dont l’État traite ses propres citoyens : « L’État fait preuve de scepticisme et de répression à l’encontre des chasseurs, des tireurs sportifs, des policiers et des soldats dès lors qu’ils manifestent de la sympathie pour l’AfD. » Parallèlement, « des millions de migrants culturellement étrangers à nos modes de vie sont autorisés à entrer dans le pays en violation du droit et de la loi, ce qui accélère la désintégration de la sécurité intérieure ».

Dans ce contexte, les fédérations régionales d’Allemagne centrale réclament d’abord des changements politiques internes: « Tant que les citoyens patriotes sont placés sous suspicion générale, que l’État n’est pas disposé à protéger ses citoyens et ne remplit pas sa mission de préserver la paix, un service militaire obligatoire est exclu pour nous. » Déjà lors de la dernière législature, le groupe AfD au Bundestag avait décidé de reporter la revendication du service militaire obligatoire – une position qui vient d’être réaffirmée (st).

Source: Zu erst, Sept. 2025. 

La place de l’Indonésie et du Kazakhstan à la porte de Tian’anmen montre l’ouverture de la Chine sur mer et sur terre

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La place de l’Indonésie et du Kazakhstan à la porte de Tian’anmen montre l’ouverture de la Chine sur mer et sur terre

L’Indonésie et le Kazakhstan symbolisent la connexion maritime et terrestre de l’Initiative "Ceinture et Route"

Brecht Jonkers

Source: https://brechtjonkers.substack.com/p/indonesia-and-kazakh...

La disposition des sièges à la porte de Tian’anmen lors du défilé de la Victoire de la Guerre populaire de résistance est quelque chose d’assez intéressant. Après tout, ce genre de symbolisme a son importance en politique ; et vous pouvez être sûr que la Chine n’a pas attribué les places au hasard dans ce sanctuaire de l’histoire chinoise, lors de l’un des événements les plus importants de ces dernières années.

Nous avons donc, à la droite et à la gauche du président Xi Jinping, le président Vladimir Poutine et le secrétaire général Kim Jong-Un, respectivement. Rien de surprenant (même si certains analystes euro-centriques ont malgré tout réussi à être surpris pour une raison ou une autre) : ce sont le principal partenaire géopolitique de la Chine à droite, et l’allié le plus ancien et le plus fidèle de la République populaire, respectivement.

Mais viennent ensuite les places d’honneur secondaires, et c’est là que cela devient intéressant. Le président Prabowo Subianto d’Indonésie d’un côté, le président Kassym-Jomart Tokaïev de l’autre. Ce sont des choix révélateurs, qui montrent sans aucun doute l’accent géopolitique de la Chine dans les années à venir.

Le Kazakhstan est un membre clé de l’Union économique eurasiatique et de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), ainsi que de l’OCS, et constitue un centre névralgique de l’Initiative "Ceinture et Route" reliant l’Est et l’Ouest de l’Eurasie. Il est également un important producteur de pétrole, de gaz, d’uranium et de terres rares.

L’Indonésie est un géant asiatique émergent, le poids lourd de l’ASEAN en Asie du Sud-Est, et elle est intrinsèquement liée aux routes commerciales maritimes dans l’important corridor stratégique entre l’océan Indien et le Pacifique en tant que « Pivot maritime mondial » – un concept avancé pour la première fois par le président Joko Widodo. L’Indonésie est aussi le plus grand producteur mondial de nickel. Et, ce qui n’est pas négligeable sur le plan du soft power, elle demeure le pays le plus peuplé du monde islamique.

En d’autres termes : un partenaire terrestre crucial et un partenaire maritime crucial, stratégiquement invités à la porte de la Paix céleste. Une représentation symbolique de l’Initiative "Ceinture et Route", en effet.

Quand l’hellénisme rencontra le bouddhisme

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Quand l’hellénisme rencontra le bouddhisme

par Odysseus Bournias Varotsis

Odysseus Bournias Varotsis montre comment le gréco-bouddhisme, né des conquêtes d’Alexandre, fusionna l’art, la royauté et la philosophie grecques avec le bouddhisme pour créer une vision universelle de la sagesse et de la compassion.

Lorsque la plupart des gens imaginent le Bouddha, ils pensent à des images sereines venant d’Inde, du Tibet ou du Japon. Peu sauraient deviner que les premières statues de Siddhārtha Gautama — le Bouddha historique — furent sculptées dans un style manifestement grec, à l’ombre de l’Hindu Kush. Moins nombreux encore sont ceux qui savent que, pendant des siècles, le bouddhisme parla grec, porta des tuniques grecques, et débattit selon la dialectique grecque.

Ce mariage culturel remarquable est ce que les historiens appellent le gréco-bouddhisme : la rencontre de la civilisation hellénistique, née des conquêtes d’Alexandre le Grand, avec les courants spirituels de l’Inde. Mais le gréco-bouddhisme fut bien plus qu’un art. Ce fut une fusion de mondes qui bouleversa l’évolution même du bouddhisme, posa les fondements du Mahāyāna et influença la façon dont des millions de personnes comprendraient la compassion, la sagesse et le cosmos.

Rencontre au carrefour des mondes

Lorsque les armées d’Alexandre atteignirent le Pendjab au IVe siècle av. J.-C., elles laissèrent derrière elles des cités, des institutions et des routes commerciales reliant la Grèce à l’Inde. Les royaumes indo-grecs de Bactriane et du Gandhāra devinrent un corridor culturel vibrant où la philosophie grecque et la spiritualité bouddhiste se rencontrèrent d’égal à égal.

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Les artistes du Gandhāra commencèrent à sculpter le Bouddha sous des formes naturalistes et hellénistiques : serein, juvénile, drapé dans les plis d’un himation de philosophe. Jusqu’alors, le Bouddha n’était représenté que par des empreintes de pas, des roues, ou des trônes vides ; soudain il devint visible en tant que theios anēr, un « homme divin » au sens hellénistique — à l’instar d’Héraclès, d’Asclépios ou de Pythagore, qui incarnaient la présence divine sous une forme humaine. Cette transformation ne fut pas un simple emprunt stylistique. Elle exprima la reconnaissance du Bouddha comme maître universel, dont le rôle pouvait être compris à travers toutes les cultures.

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Ménandre : un roi du Dharma dans la mémoire grecque et bouddhiste

Un roi indo-grec, en particulier, marqua l’imaginaire bouddhiste : Ménandre Ier (Milinda), qui régna vers 165–130 av. J.-C. Connu dans le Milindapañha (« Les questions de Milinda »), Ménandre engagea le moine Nāgasena dans une série de dialogues philosophiques aussi rigoureux que ceux de l’Académie de Platon. Ils discutèrent de la nature du soi, de la renaissance et de la libération — des questions formulées dans un style dialectique grec, mais résolues par une sagesse bouddhiste.

Ménandre fut retenu non seulement comme roi-philosophe, mais aussi comme protecteur du Dharma. Après l’usurpation anti-bouddhiste qui fractura l’Empire Maurya, Ménandre défendit à la fois ses sujets grecs et la saṅgha bouddhiste, méritant le titre de Soter, le « Sauveur ». À sa mort, les chroniques bouddhistes racontent que ses reliques furent honorées comme celles du Bouddha lui-même : divisées et enchâssées dans des stupas à travers son royaume. Cet acte extraordinaire le place aux côtés d’Aśoka parmi les grands cakravartins — rois universels qui font tourner la roue du Dharma.

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Panthéons au carrefour : héros, gardiens et bodhisattvas

Le grand panthéon du bouddhisme Mahāyāna, avec ses Bouddhas cosmiques, ses bodhisattvas rayonnants et ses origines primordiales de l’éveil, n’est pas né dans l’isolement. Il vit le jour au carrefour culturel du Gandhāra, là où les visions du monde indienne, iranienne et hellénique se rencontrèrent et fusionnèrent. Cette fusion ne fut pas symétrique : le bouddhisme absorba et transfigura les motifs extérieurs pour les intégrer à sa propre vision sotériologique.

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Des Grecs vint le modèle du héros et de l’homme divin (theios anēr) — des figures comme Héraclès et Asclépios qui faisaient le lien entre dieux et mortels. Ceux-ci trouvèrent un écho dans les bodhisattvas, qui incarnent compassion, sagesse et puissance, ponts entre le samsāra et le nirvāṇa. Des Iraniens vinrent les yazatas, gardiens angéliques de l’ordre cosmique, dont la fonction structurelle se retrouve dans les Cinq Bouddhas cosmiques, chacun présidant à un domaine de l’éveil. De l’Inde vinrent le cadre karmique et l’idéal du cakravartin, le souverain du Dharma, qui se combina à la royauté hellénistique pour façonner la figure du roi-sauveur bouddhiste.

Il en résulta un panthéon proprement bouddhiste, mais dont les formes étaient reconnaissables à travers les cultures : héros grecs, gardiens iraniens, Devas hindous et intermédiaires platoniciens, tous réinterprétés comme des émanations du Dharmakāya, la réalité ultime.

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Pyrrhon en Inde : un philosophe grec parmi les sages

La rencontre ne fut pas à sens unique. Pyrrhon d’Élis, qui accompagna Alexandre en Inde, retourna en Grèce transformé. Les récits antiques le décrivent passant du temps parmi les Σαμαναίοι (Śramaṇas) — des philosophes ascétiques, sans doute les précurseurs de la saṅgha bouddhiste qui conservaient les premiers enseignements radicaux du Bouddha. Leur rejet du dogme et des attachements mondains impressionna profondément Pyrrhon.

De ces sages, il développa la philosophie du scepticisme, prônant la suspension du jugement (epochè) et la quête de la paix intérieure (ataraxia). Son disciple Timon de Phlionte consigna ces enseignements. Certains chercheurs ont suggéré que cela représenterait le tout premier témoignage écrit d’idées directement influencées par le bouddhisme — et, fait remarquable, en grec plutôt qu’en forme indienne. Bien que spéculative, cette thèse est solidement argumentée et met en lumière combien tôt le dialogue gréco-bouddhique put entrer dans l’histoire littéraire.

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L’oikouménè d’Alexandre et le Grand Véhicule

Alexandre rêvait d’une oikouménè, un monde uni par des lois et une culture communes. Son empire s’éteignit, mais l’archétype survécut : le salut non par la fuite du monde, mais en son sein, à travers un ordre universel embrassant la diversité tout en tendant vers l’unité.

Cette vision résonna lors de l’émergence du Mahāyāna ou « Grand Véhicule » du bouddhisme. De même qu’Alexandre voulait unir des peuples divers en une seule oikouménè, le Mahāyāna conçut un vaste véhicule menant tous les êtres vers l’éveil — non pas une voie solitaire de renoncement, mais un projet universel de compassion et de libération.

Gandhāra : berceau d’une révolution savante

Au-delà de l’art et de la royauté, le Gandhāra fut aussi un centre intellectuel. C’est là que la tradition de l’Abhidharma se cristallisa — des analyses systématiques de l’esprit, de la matière et de la conscience. Les moines gandhāriens catégorisèrent les phénomènes avec la rigueur de la taxinomie aristotélicienne, mêlant méthode logique grecque et intuition bouddhiste.

Cette culture scolastique donna naissance aux grandes écoles du Mahāyāna: le Madhyamaka, avec ses déconstructions dialectiques, et le Yogācāra, avec sa psychologie de la conscience. Le bouddhisme que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Mahāyāna — philosophique, cosmologique, dévotionnel — a germé sur ce terreau gréco-bouddhique.

Un destin partagé : hier et aujourd’hui

Le gréco-bouddhisme nous montre que les civilisations ne s’épanouissent pas dans l’isolement, mais dans la rencontre. Sans l’influence grecque, le bouddhisme serait peut-être resté une voie ascétique austère et individualiste. Sans le bouddhisme, l’universalisme œcuménique grec pourrait être vu comme un impérialisme aveugle où prévaut la loi du plus fort. Ensemble, ils créent une vision de la sagesse et de la compassion qui transcende les frontières culturelles et confessionnelles.

Dans le monde hellénistique, l’Europe et l’Asie partagèrent un destin pendant un temps. La fusion de l’hellénisme et du bouddhisme créa un symbole de l’ordre universel : un Dharma capable de porter le monde, un « Grand Véhicule » pour l’humanité.

Aujourd’hui, à l’heure où l’Orient et l’Occident se rencontrent à nouveau dans un monde multipolaire fait de tensions et de convergences, cette rencontre ancienne reprend la parole. Elle n’offre pas seulement une leçon d’histoire, mais sans doute aussi un symbole primordial pour une nouvelle civilisation : la synthèse créatrice de l’esprit européen et asiatique peut donner naissance à une nouvelle aube culturelle. Pour l’Europe, cette fusion pourrait annoncer rien de moins qu’une renaissance — une résurrection inspirée par la mémoire que, il n’y a pas si longtemps, des rois issus de l’empire d’Alexandre rêvaient d’un royaume où l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie s’entremêlaient. De leur union naquirent de nouveaux horizons, tant terrestres que métaphysiques, irradiant d’une puissance numineuse et d’une inspiration audacieuse.

Bibliographie recommandée

Beckwith, Christopher I. Greek Buddha: Pyrrho’s Encounter with Early Buddhism in Central Asia. Princeton: Princeton University Press, 2015.

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Halkias, Georgios T. “The Self-Immolation of Kalanos and Other Luminous Encounters among Greeks and Indian Buddhists in the Hellenistic World.” Journal of the Oxford Centre for Buddhist Studies 8 (2015): 163–186.

Halkias, Georgios T. “When the Greeks Converted the Buddha: Asymmetrical Transfers of Knowledge in Indo-Greek Cultures.” In Religions and Trade: Religious Formation, Transformation and Cross-Cultural Exchange between East and West, edited by Peter Wick and Volker Rabens, 65–115. Leiden: Brill, 2014.

Halkias, Georgios T. “Yavanayāna: Scepticism as Soteriology in Aristocles’ Passage.” In Buddhism and Scepticism: Historical, Philosophical, and Comparative Perspectives, edited by Oren Hanner, 83–108. Hamburg Buddhist Studies 13. Hamburg: University of Hamburg, 2020.

Karttunen, Klaus. India and the Hellenistic World. Helsinki: Finnish Oriental Society, 1997.

Mairs, Rachel. The Hellenistic Far East: Archaeology, Language, and Identity in Greek Central Asia. Oakland: University of California Press, 2016.

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McEvilley, Thomas. The Shape of Ancient Thought: Comparative Studies in Greek and Indian Philosophies. New York: Allworth Press, 2002.

Mukherjee, B. N. The Rise and Fall of the Kushāṇa Empire. Calcutta: Firma KLM, 1988.

Narain, A. K. The Indo-Greeks. 2nd rev. ed. Delhi: Oxford University Press, 1980. Originally published Oxford: Clarendon Press, 1957.

Stoneman, Richard. The Greek Experience of India: From Alexander to the Indo-Greeks. Princeton: Princeton University Press, 2019.

Wenzel, Marian. Echoes of Alexander the Great: Silk Route Portraits from Gandhara — A Private Collection. Chicago: Art Media Resources, 2000.

Alexandre Douguine sur l’intégration de l’espace eurasien

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Alexandre Douguine sur l’intégration de l’espace eurasien

Je pense que nous devons restructurer les relations avec les pays de l’espace post-soviétique, c’est-à-dire avec les entités séparatistes qui se sont détachées de notre grande puissance unifiée.

Son noyau est constitué de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine, et même ce noyau est actuellement en pleine tourmente. Les autres pays font également partie de ce même grand espace. Nous n’arrivons toujours pas à trouver le ton juste pour dialoguer avec eux. Peut-être cela n’est-il pas facile après ce que nous avons nous-mêmes fait dans les années 1990. Ce que nous avons fait était terrible.

Il nous faut regarder vers l’avenir et comprendre que nous devons adopter un autre style de relations. Je pense que nous devrions établir un algorithme clair pour chaque pays : comment exactement nous encourageons les gestes amicaux à notre égard, ce que nous considérons comme tels gestes, et comment nous réagissons aux insultes, offenses et attaques. Sans parler de la trahison ouverte.

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Chaque pays nécessite une approche propre, mais il doit y avoir un système. Jusqu’à présent, nous avons agi de manière sporadique. Poutine négocie avec les dirigeants, puis tout est transmis à des parties inconnues et tout s’effondre commodément.

Actuellement, il y a des changements importants dans la partie organisationnelle de l’interaction avec l’étranger proche de notre côté. Je pense que c’est une excellente opportunité de passer du chaos au système.

Nous devons élaborer un plan stratégique d’intégration pour chaque pays. Analyser les fondements, évaluer les ressources, déterminer un calendrier. Nous devons rassembler nos terres. Assez de dispersion et de les regarder s’éloigner toujours davantage de nous, comme des plaques de glace.

Si nous voulons être un pôle dans un monde multipolaire, alors nous avons besoin de tous les pays post-soviétiques. Nous devons les rassembler et les transformer en une zone de prospérité commune.

Nous devons développer des méthodes pour réprimer toute manifestation de russophobie directe en temps réel. Il existe des milliers de façons d’exercer une influence. Nous en utilisons trois ou quatre, à peine. Nous devons établir des mécanismes d’intégration qui soient durables et efficaces.

Pour l’instant, à court terme, on pourrait dire que cela suffit. Mais dès que l’on élargit l’échelle, il devient évident que ce n’est absolument pas suffisant. Tout ce qui se passe avec l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Moldavie, et même le Kazakhstan (Dieu merci la Géorgie n’est pas en première ligne, mais à quel point c’est fiable et durable, encore une fois, il n’y a aucune garantie), est en fait une catastrophe de notre politique eurasienne. Cela ne devrait pas être ainsi. Tout doit être sérieusement changé.

C’est sur cela que les autorités travaillent à présent. Il était tout simplement impossible de retarder davantage.

Espérons que toutes les erreurs de calcul seront comprises, et que nous passerons à un travail systématique pour intégrer l’espace eurasien.

Argentine, le tango triste de Javier Milei

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Argentine, le tango triste de Javier Milei

L’économie ne décolle pas, les scandales le pénalisent et les péronistes relèvent la tête : simple coup d’arrêt ou début du déclin pour le président à la tronçonneuse?

par Giorgio Ballario

Source: https://www.barbadillo.it/124514-argentina-il-tango-trist...

À une semaine de la nouvelle du spectaculaire effondrement du président ultralibéral argentin Javier Milei lors des élections de la province de Buenos Aires, il vaut la peine d'émettre deux réflexions à froid. Malgré les liens étroits et la proximité culturelle entre les deux pays, la presse italienne s’intéresse généralement très peu à l’Argentine et ne s’en préoccupe que lorsque des dépêches internationales annoncent des nouvelles fracassantes, comme la défaite électorale de la semaine dernière. Puis c’est à nouveau le silence. La prochaine échéance sera le 26 octobre, date à laquelle les Argentins reviendront aux urnes pour renouveler la moitié du Parlement, un scrutin qui correspond peu ou prou aux « élections de mi-mandat » américaines.

Il s’agit d’élections très importantes, non seulement parce qu’elles permettent de « prendre le pouls » des électeurs deux ans après la présidentielle de 2023, mais aussi parce que Milei a, jusqu’à présent, gouverné sans majorité au Congrès, devant donc s’appuyer sur les parlementaires de centre-droit du PRO (de l’ex-président Macri), sur ce qui reste des radicaux, ainsi que sur des députés et sénateurs indépendants.

Si, le 26 octobre, son parti, La Libertad Avanza, remporte la mise, alors le président à la tronçonneuse pourra poursuivre les réformes draconiennes promises lors de la campagne électorale (elles avaient été jusqu’ici bloquées par le Parlement). En revanche, si la tendance observée dans la province de Buenos Aires – qui concentre à elle seule 40% de l’électorat argentin – se confirme, l’avenir de Milei s’annonce des plus compliqués.

Dans ce contexte complexe s’inscrit également la résurgence apparente du péronisme, qui, il y a deux ans à peine, avait subi une lourde défaite et qui aujourd’hui – du moins électoralement – semble s’être recomposé grâce à la coalition Fuerza Patria. Celle-ci a recollé les morceaux, masqué la crise d’identité de l’opposition et apaisé les vives rivalités politiques internes de ces dernières années.

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La victoire lors des élections provinciales de Buenos Aires constitue un succès avant tout pour le gouverneur Axel Kiciloff (photo), 44 ans, économiste, à la tête de la province de 15 millions d’habitants depuis deux ans. Ancien dauphin de la double présidente Cristina Fernandez Kirchner, Kiciloff a su se forger un rôle autonome et apparaît désormais comme le candidat péroniste le plus sérieux pour la présidentielle de 2027. D’ailleurs, le gouverneur est aujourd’hui en conflit ouvert avec sa « mère » politique, qui préférerait voir son propre fils biologique, Maximo Kirchner – président du parti justicialiste de la province de Buenos Aires mais détesté par une grande partie des péronistes non progressistes – lui succéder.

Revenant au président Javier Milei, les raisons de la défaite de la semaine dernière sont multiples et font craindre pour le scrutin d’octobre. D’autant plus que les prétendus grands succès économiques accumulés par l’Argentine en deux ans de présidence sont bien plus apparents que réels, même si en Italie ses alliés politiques – de Fratelli d’Italia à Forza Italia – semblent l’ignorer. Certes, grâce à sa recette ultralibérale et à ses coupes dans les dépenses publiques, l’inflation a considérablement baissé (de 140 à 36%) et le déficit budgétaire est redevenu positif, mais une politique économique aussi rigoureuse a déprimé la consommation intérieure, nui à l’industrie nationale, réduit drastiquement les budgets de l’éducation et de la santé, et fait passer le taux de pauvreté de 41 à 53%.

Selon l’économiste Guillermo Oliveto, interrogé par le quotidien pro-gouvernemental Clarín, 70% des Argentins, autour du 20 du mois, n'ont plus d’argent et doivent renoncer à tout achat durant les derniers jours. « Ce sont des pauvres intermittents », observe Oliveto.

Par ailleurs, les coupes dans la dépense publique ont provoqué le licenciement de dizaines de milliers de fonctionnaires, mais la politique économique de Milei a également de lourdes répercussions sur le secteur privé, puisqu’au cours des deux dernières années, même les entreprises privées ont supprimé des emplois, soit 44.000 postes en moins, rien que dans la province de Buenos Aires.

En somme, le chômage commence aussi à augmenter, et ce phénomène, conjugué aux coupes dans les retraites, les allocations et les programmes sociaux, risque de déclencher une dangereuse bombe sociale. Selon une enquête récente, 65% des personnes interrogées déclarent que leur situation économique s’est détériorée au cours des six derniers mois. Parallèlement, Milei a obtenu un nouveau prêt de 20 milliards du Fonds monétaire international et les agences de notation commencent à douter de la stabilité du pays.

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À cette situation économique fragile s’ajoute la chute de la popularité du président, également en raison des scandales qui l’entourent. D’abord, la promotion controversée, sur son profil officiel X, d’une cryptomonnaie qui s’est avérée être une escroquerie, faisant perdre de l’argent à des milliers d’épargnants.

Ensuite, plus récemment, une enquête sur un présumé réseau de pots-de-vin impliquant certains de ses proches et surtout sa sœur Karina, secrétaire générale de la présidence et pour beaucoup la véritable « femme forte » du gouvernement. Des enregistrements audio ont révélé que Diego Spagnuolo, ancien directeur de l’Agence des programmes sociaux pour personnes handicapées (Andis), a touché d’importants dessous-de-table sur des marchés publics, et que 3% étaient destinés à Karina Milei. L’indignation face à une affaire de spéculation sur le dos des personnes handicapées – alors même que le gouvernement Milei leur a déjà coupé de nombreux fonds – a été énorme, et il est possible que cela ait pesé sur les résultats électoraux des derniers jours.

Il y a enfin un sujet peu abordé dans la presse écrite mais omniprésent à la radio et à la télévision en ligne: l’incertitude sur l’état de santé du président. Depuis la campagne de 2023, des rumeurs courent sur la prétendue folie de Milei, rumeurs qu’il a lui-même alimentées en se faisant appeler « El loco » (= "Le Fou") et en multipliant les provocations: on se souvient qu’il a traité le pape François d’imbécile, de non présentable, de représentant du mal; qu’il a promis de faire sauter la banque centrale argentine; ou encore qu’il affirmait recevoir des ordres via une médium de son chien Conan, décédé des années plus tôt. On pensait à des excès de langage propres au personnage et à l’adrénaline de la campagne, mais même après son arrivée à la Casa Rosada, Milei a continué à donner des signes d’instabilité mentale, au point que certains adversaires politiques le qualifient explicitement de « schizophrène » et mettent en doute sa capacité à présider la nation.

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En particulier, le journaliste télévisé haut en couleur Santiago Cuneo (photo), celui-là même qui, en 2022, avait trinqué en direct à la mort de la reine Elizabeth II et s’était réjoui de la disparition de Henry Kissinger, mène depuis des mois une campagne médiatique virulente, qualifiant Milei de tous les noms: fou, schizophrène, génocidaire, imposteur, fils de pute. Il sous-entend en outre que le président ne serait qu’une marionnette droguée entre les mains de sa sœur Karina et du ministre de l’économie Luis Caputo. Et comme Cuneo se présentera aux élections du 26 octobre avec le parti Mouvement Confédéral Argentin et pourrait être élu au Parlement, il a déjà annoncé qu’il présentera alors au Congrès les preuves documentaires de la folie du président. Escarmouches pré-électorales, sans doute. Mais il est curieux que ni Milei ni les membres du gouvernement ne l’aient jamais poursuivi en justice.

vendredi, 19 septembre 2025

« La Rive Gauche » ésotérique de Georges Bataille et du Collège de Sociologie

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« La Rive Gauche » ésotérique de Georges Bataille et du Collège de Sociologie

Cette initiative fut une expérience culturelle dont l’importance est inversement proportionnelle à sa notoriété

par Luca Gallesi

Source: https://www.barbadillo.it/124690-la-rive-gauche-esoterica...

A propos d'Interroger le Sphinx. Histoire du Collège de Sociologie de Renzo Guolo, paru aux éditions Mimesis (Italie)

Vers la fin des années trente, au sein de la librairie parisienne Galeries du Livre, rue Gay-Lussac, plusieurs intellectuels de premier plan, parmi lesquels Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris, fondent le Collège de Sociologie : une association qui n’est ni un collège, ni réellement vouée à la sociologie, mais qui voudrait être une société secrète dédiée à l’étude du sacré, à la fonction des mythes et à l’action du pouvoir.

Georges Bataille, déjà reconnu comme écrivain et spécialiste de Nietzsche, considère que l’école sociologique française doit tourner son attention vers les problématiques de l’homme contemporain.

Roger Caillois, proche de René Daumal et de Georges Dumézil, estime vital d’identifier les facteurs capables de restaurer les liens entre les hommes, raison pour laquelle il oriente ses recherches vers le sacré.

Michel Leiris, comme les deux autres figures du surréalisme français, est un ethnologue très critique envers sa propre discipline, qu’il juge incapable de saisir la totalité de l’existence, contrairement à la poésie et à la littérature.

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Rapidement tombée dans l’oubli, tant à cause de sa brièveté que de l’avènement de la guerre mondiale, cette initiative fut, en réalité, une expérience culturelle dont l’importance est inversement proportionnelle à sa notoriété, comme le raconte Renzo Guolo dans son essai Interroger la Sphinx. Histoire du Collège de Sociologie (Mimesis, 376 p., 26 €). En explorant les parcours intellectuels, académiques et artistiques des fondateurs, Guolo met en lumière l’absolue singularité d’un groupe ayant courageusement mené une aventure exemplaire dans le monde politique et culturel du 20ème siècle, impliquant de nombreux protagonistes de l’époque.

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Aux trois noms déjà cités, il faut ajouter, parmi les fondateurs, Jules Monnerot, qui fut en réalité le véritable concepteur de l’initiative et celui qui en a choisi le nom, mais qui ne prit ensuite pas part aux activités ultérieures, sans doute volontairement effacé en raison de son adhésion déclarée au fascisme français, ce qui n’est pas totalement incompréhensible.

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Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris.

En effet, lorsqu’on évoque des sociétés secrètes – ou même des Ordres monastico-chevaleresques – s’opposant au matérialisme de la société de consommation, la pensée se tourne spontanément vers des mouvements et cénacles d’extrême droite, qui fleurissaient alors à travers l’Europe. Or, ici, nous sommes face à des figures de la culture et de la politique issues presque toutes de la gauche, parfois même de l’extrême gauche, fascinées par l’attrait envoûtant des zones d’ombre du pouvoir. Chez tous, on trouve l’ardent désir d’une « nouvelle aristocratie », fondée sur une grâce mystérieuse, et non sur le travail ou l’argent. Caillois va jusqu’à considérer comme sain « de désirer le pouvoir sur les âmes ou sur les corps, par prestige ou tyrannie », pour forger un nouvel « environnement ». Bataille, quant à lui, affirme que « seuls l’armée et la religion peuvent répondre aux aspirations les plus profondes des hommes ».

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Connus pour leur radicalisme anticonformiste, Bataille, Caillois et Leiris partagent une amitié et une affinité spirituelle scellées dans l’expérience artistique et littéraire du surréalisme, ainsi que dans l’aventure politico-ésotérique de revues révolutionnaires telles que Contre-Attaque et Acéphale. L’objectif affiché du Collège de Sociologie est de dépasser l’académisme de la sociologie officielle, « en réglant leurs comptes avec les gardiens académiques de cette science humaine et l’hégémonie qu’ils y exercent », qui se figent dans l’analyse des civilisations passées. Il s’agit d’affronter, au contraire, « des questions brûlantes mais urgentes à comprendre, telles que le fascisme et le communisme, avec leur emprise sur la société, leur caractère d’organisations de mobilisation totale, leur nature à la fois politique et religieuse ».

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Au final, l’histoire de ce cénacle d’intellectuels privilégiés s’achève par le retour de tous ses animateurs à la littérature, qu’ils avaient dédaigneusement quittée à la recherche d’un sens à la vie ne pouvant se trouver que dans l’action et la redécouverte du sacré. Leur aventure semble aujourd’hui à des années-lumière des préoccupations de l’intelligentsia actuelle, davantage soucieuse de ses apparitions sur les réseaux sociaux et dans les talk-shows que prête à affronter le scandale et la difficulté d’approfondir les grandes questions de l’existence humaine. Il demeure cependant la consolation de leur exemple et de leurs tentatives, qu’on les partage ou non, de s’engager pour affronter la réalité de leur temps, sans se soucier d’être, ni même de paraître, du côté des justes.

Roman Haider sur les objectifs climatiques de l’UE: “90 % de CO₂ en moins = 100 % d’autodestruction!”

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Roman Haider sur les objectifs climatiques de l’UE: “90 % de CO₂ en moins = 100 % d’autodestruction!”

Le report de la décision au Conseil européen doit être saluer

Par Roman Haider

Source: https://www.fpoe.eu/haider-zu-eu-klimazielen-90-prozent-w...

“Réduire de 90 % les émissions de CO₂ signifie en réalité pour les citoyens 100 % de coûts en plus et, de fait, zéro perspective d’avenir meilleur”, avertit le député européen de la FPÖ, Me Roman Haider. Avec le nouvel objectif pour 2040, la Commission européenne pousse délibérément des millions de personnes supplémentaires vers la pauvreté, la dépendance et le chômage.

“Déjà, l’objectif de 55% pour 2030 a fait exploser les prix de l’énergie, ruiné des entreprises et détruit des emplois. Mais cela était encore l’étape la plus facile, les économies dites ‘bon marché’. Si l’objectif de 90% est appliqué, comme proposé par la Commission, alors se chauffer deviendra un luxe, conduire une voiture sera hors de prix et des dizaines de milliers d’emplois partiront en Inde, en Chine et en Turquie”, critique sévèrement Haider.

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“Le paquet ‘Fit for 55’ est un exemple type de sur-réglementation. L’extension du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) au chauffage et au transport touche chaque citoyen, mais n’apporte aucun progrès mesurable, hormis des recettes supplémentaires pour le ministre des Finances.”

“Il faut bien se chauffer et aller travailler, ce n’est pas un loisir. S’y ajoutent la hausse des coûts pour l’industrie et l’interdiction des moteurs à combustion. Si l’on veut encore intensifier cette voie, vouée à l’échec, c’est tout simplement de la pure folie”, constate Haider.

Les conséquences sont claires: pour atteindre l'objectif de "moins 90% de CO₂", il y aura une avalanche de bureaucratie supplémentaire, des coûts énergétiques encore plus élevés et, avec pour résultat, la perte totale de notre compétitivité et une dépendance irrémédiable envers des pays tiers. “Ce n’est pas une politique climatique, c’est de la planification économique à la soviétique peinte en vert. Nous avons besoin d’innovation et de liberté, pas d’une réglementation de notre vie et de notre économie dans les moindres détails”, conclut Haider.

Alors que l’UE n’est responsable que de 7% des émissions mondiales, la Chine et l’Inde en représentent plus de 40% – sans qu'elles n'aient souscrit à des engagements contraignants. “Nous ruinons nos citoyens et notre économie, pendant que nos concurrents rient et prospèrent. L’UE se légitimait autrefois en nous protégeant à l’extérieur et en offrant plus de libertés à l’intérieur. Mais depuis que la Commission cède à tous les caprices des activistes climatiques, c’est exactement le contraire: non seulement les fondements de notre économie sont en danger, mais la poursuite de cette politique fait également exploser les fondements de l’UE. On ne peut pas longtemps agir contre ses propres intérêts juste pour briller lors des sommets climatiques internationaux”, explique Haider.

“L’Europe a besoin d’innovation et de liberté – pas de paternalisme, d’interdictions et d’économie planifiée depuis Bruxelles. Nous nous battons au Parlement pour un rejet clair de cette trajectoire destructrice et pour une fin du Green Deal dans son ensemble”, conclut Haider.

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Qui est Roman Haider?

Porte-parole du groupe FPÖ au sein de la commission des transports (TRAN) | Membre de la commission de l’environnement (ENVI)

Le gouvernement Starmer sous pression également à gauche

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Le gouvernement Starmer sous pression également à gauche

Peter W. Logghe

Source: https://www.facebook.com/peter.logghe.94 

Le gouvernement travailliste de Sir Keir Starmer ne subit pas seulement de fortes critiques de la droite, mais aussi de la gauche, d'où de lourds orages menacent. Environ 600.000 personnes manifestent de l’intérêt pour le nouveau projet de parti de Jeremy Corbyn. « Votre Parti est en train de naître ici », peut-on lire sur le site Internet du nouveau parti, même si ce nom, Votre Parti, n’est pas définitif. Mais dès le début, des tensions semblent apparaître entre l’ancien socialiste et ex-chef du Labour, Corbyn, et la jeune députée Zarah Sultana, car la création du nouveau parti de gauche au Royaume-Uni se déroule de manière assez chaotique, comme on peut le remarquer avec humour.

Dans les rangs du Labour, en revanche, personne ne rit, car la création d’un nouveau parti de gauche pourrait bien sceller la perte du vieux parti travailliste lors des prochaines élections. Lors des dernières élections législatives, le Labour n’a recueilli qu’un peu plus d’un tiers des voix britanniques, certes suffisant pour obtenir la majorité au Parlement. Depuis, la situation (économique, politique et migratoire) s’est dramatiquement détériorée pour le Labour. Corbyn a été exclu du parti par Starmer en 2020 pour des propos jugés antisémites.

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Vers une coalition de syndicalistes, d’anciens communistes et d’ennemis d’Israël ?

Le nouveau parti de gauche pourrait devenir un fourre-tout où se retrouveraient des syndicalistes, des anciens communistes, des jeunes socialistes, des pacifistes, des amis de la Palestine et des ennemis d’Israël. « Lorsque nous avons annoncé la création du site Web du nouveau parti, c’était comme une rupture de barrage », a déclaré Corbyn dans une interview au magazine britannique de gauche Jacobin. Le congrès fondateur aura lieu à l’automne. Le journal conservateur Daily Telegraph a affirmé que le nouveau parti serait « une coalition floue d’extrémistes de gauche et d’islamistes soutenant le terrorisme ».

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Zarah Sultana (photo), qui s’est retrouvée sous les feux de la rampe après avoir été exclue du groupe parlementaire travailliste, est la fille de migrants pakistanais et représente South Coventry. Elle envisage de déménager à Birmingham, où vivent de nombreux musulmans. Lors des élections de 2024, de nombreux candidats indépendants pro-palestiniens y ont remporté des sièges et soutiennent désormais le projet de Corbyn.

Le Parti travailliste britannique est profondément divisé en interne à cause du conflit à Gaza, c’est une évidence. Alex Hern, du groupe de pression Labour Against Antisemitism, espère que Sultana « restera en marge de la scène politique ». Starmer, marié à une femme juive, a longtemps adopté une position pro-israélienne, mais a récemment annoncé, sous la pression de l’aile gauche, qu’il soutenait la reconnaissance de l’État palestinien.

Les écologistes aussi pourraient menacer le Labour avec leur nouveau « programme éco-populiste ». L’éclatement de la gauche profite à Reform UK de Nigel Farage. Le journaliste de gauche Paul Mason résume la situation ainsi : « Le nouveau parti de Corbyn va ouvrir la porte du 10 Downing Street à Farage. » Mais : attendons de voir, bien sûr.

Nord Stream devant les tribunaux: 400 millions d’euros et la question allemande

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Nord Stream devant les tribunaux: 400 millions d’euros et la question allemande

Elena Fritz

Source: https://www.facebook.com/elena.fritz.10https://t.me/global_affairs_byelena/2794 

À Londres, une procédure portant sur 400 millions d’euros est sur le point de débuter. Question centrale: les explosions étaient-elles un acte militaire ou un crime ordinaire ?

Car :

- Nord Stream AG (propriétaire) réclame paiement de l’assurance.

- Les assureurs refusent en invoquant un acte de guerre – non couvert par la police.

- Désormais, le rôle du présumé saboteur Sergej K., originaire d’Ukraine, est déterminant. Ce qu’il dira devant le tribunal pourrait être décisif:

-> S’il se présente comme « activiste contre les émissions de CO₂ » → avantage pour Nord Stream AG.

-> S’il déclare avoir agi dans l’intérêt de l’Ukraine → avantage pour les assureurs.

-> S’il admet toutefois avoir agi sur ordre d’autorités étatiques, il ne s’agira plus seulement d’argent, mais de la responsabilité internationale de Kiev.

- 400 millions d’euros ne sont qu’un début. Derrière Nord Stream AG se trouvent des entreprises énergétiques européennes et des capacités industrielles allemandes, qui ont été effectivement dévalorisées par la destruction.

- Les actionnaires allemands et européens pourraient alors – sur la base des dossiers judiciaires – engager des demandes d’indemnisation se chiffrant en milliards.

La portée politique de cette procédure est explosive :

- Pour l’Allemagne, un éventuel aveu d’implication de la part de l'Ukraine signifierait qu’un « État partenaire » aurait activement attaqué la base même de la politique industrielle allemande.

- La question se poserait alors: comment Berlin peut-il continuer à transférer des milliards à un État qui aurait saboté toute l’infrastructure de l'Allemagne?

- Le chancelier Merz devrait alors répondre non seulement à des questions d'ordre juridique, mais également aux parlementaires et aux instances économiques.

La procédure est bien plus qu’un simple litige d’assurance. C’est un test décisif pour la souveraineté allemande.

Car si Berlin tolère la destruction d’installations industrielles allemandes tout en continuant à verser des milliards à l’État soupçonné d’en être responsable, le gouvernement fédéral perdra le dernier reste de crédibilité à l'extérieur – vis-à-vis de sa propre économie comme à l’international.

jeudi, 18 septembre 2025

Le « modèle finlandais » et autres scénarios possibles de l’après-guerre en Ukraine

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Le « modèle finlandais » et autres scénarios possibles de l’après-guerre en Ukraine

par Maurizio Boni

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/31233-maur...

Au cours d’un entretien accordé à The Economist, le président finlandais Alexander Stubb a de nouveau évoqué la soi-disant « victoire » de la Finlande à l’été-automne 1944, non pas pour avoir vaincu une armée sur le terrain, mais pour avoir préservé son indépendance en négociant un armistice avantageux avec l’Union soviétique. L’histoire nous rappelle que le 9 août 1944, l’offensive soviétique vers Viipuri-Petrozavodsk en Carélie prit fin. L’Armée rouge élimina la menace que la Finlande faisait peser sur Leningrad et repoussa les troupes finlandaises de la République de Carélie.

À la suite de la perte de Viipuri/Vyborg, le maréchal Mannerheim, chef des forces armées finlandaises, et le gouvernement Hackzell se tournèrent vers Moscou en acceptant des conditions très strictes: rupture avec l’Allemagne, démilitarisation, réparations, cession de territoire et dissolution des organisations pro-hitlériennes. Le traité de paix de Paris de 1947 ratifia cet accord, scellant une neutralité qui dura plus de quatre décennies.

Ce parcours historique – armistice rapide contre marge d’autonomie – est aujourd’hui proposé comme scénario possible à l’Ukraine afin qu’après la guerre avec la Russie, elle puisse reconstruire sa souveraineté sans succomber aux diktats des vainqueurs.

Cette idée, déjà avancée à Washington lors du sommet avec les dirigeants européens dans le Bureau ovale de Trump, a été davantage commentée dans le monde russe qu’en Occident, stigmatisant certains aspects de la réalité historique non cités par Stubb et que les dirigeants européens, sans parler des Américains, ignoraient probablement.

En effet, tant le ministre des Affaires étrangères Lavrov que la porte-parole du ministère Maria Zakharova ont répondu à Stubb à la télévision nationale russe, soulignant que la Finlande a combattu aux côtés de la Wehrmacht contre l’URSS de 1941 à 1944, en rappelant des épisodes comme le blocus de Leningrad et la participation finlandaise à l’Holocauste.

Le message est clair : il ne suffit pas de revendiquer aujourd’hui une « victoire » habile de cette période du passé sans affronter la mémoire des atrocités commises. De fait, les Russes ont diffusé sur la première chaîne institutionnelle les images compromettantes de ces atrocités, qui, avec d’autres documents de l’époque, avaient été secrètement archivées et écartées pour ne pas entraver le développement des relations d’après-guerre entre Moscou et Helsinki.

Selon l’historien Gilbert Doctorow, en 1944, les Finlandais avaient simplement pris acte de l’évolution de la guerre et avaient décidé de changer de camp – ce qu’ils ont fait en payant un prix considérable.

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En effet, le traité conclu entre la Russie et la Finlande en 1948 imposait des conditions que Stubb n’a pas citées, mais que Lavrov a rappelées. En particulier, Helsinki était obligée de maintenir perpétuellement la neutralité sans appartenir à aucun bloc militaire dirigé contre la Russie – aspect élégamment et opportunément dépassé près de 80 ans plus tard avec l’entrée de la Finlande dans l’OTAN.

Toutefois, Stubb avait aussi déclaré en avril dernier que son pays devait être mentalement préparé à rétablir les liens avec la Russie après la guerre en acceptant que celle-ci sera toujours son voisin.

Déclaration tempérée par des précisions ultérieures, mais qui n’a pas pu cacher l’évidence d’une nouvelle adaptation pragmatique et opportuniste d’Helsinki aux circonstances.

Cependant, Doctorow considère le cas finlandais dans un contexte européen plus large de pressions économiques et de cohérence politique. La chute du revenu par habitant et la hausse des coûts de financement poussent les petits pays européens à réévaluer les sanctions et à plaider pour la reprise des liens avec la Russie.

La Belgique, par exemple, connaît une envolée de postes vacants, la fermeture de commerces importants et une contraction significative de la consommation; des tensions analogues touchent la Finlande et d’autres États étroitement liés à l’économie allemande, aujourd’hui en récession pour le deuxième trimestre consécutif. Paris aussi, sous le poids de la dette publique, montre des signes de fragilité intérieure.

En revanche, les puissances de référence – Allemagne, France et Royaume-Uni – maintiennent une ligne dure, convaincues que tout relâchement profiterait au Kremlin. Doctorow estime néanmoins que la cohésion de l’UE sera difficile à maintenir sur le long terme: des dynamiques centrifuges et des choix bilatéraux à adopter vis-à-vis de Moscou se dessinent à l’horizon.

Le compromis à la finlandaise n’est pas un mirage, mais il risque de se transformer en partie d’échecs où chaque État joue seul. Les alliés les plus vulnérables chercheront un consensus pragmatique, tandis que les grands acteurs maintiendront le régime des sanctions. Le défi pour Bruxelles sera de gérer cette double demande de reconnexion et la crainte d’affaiblir la position stratégique face à Moscou.

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Ainsi, à la fin du conflit ukrainien, l’Europe se trouverait, selon Doctorow (photo), divisée entre ceux qui prônent la réconciliation et ceux qui exigent la fermeté. Au milieu, comme toujours, demeureront les grands héritages du passé et le calcul de chaque puissance quant à son propre avenir géopolitique.

Pour ce qui est de Moscou, derrière les écrans de la diplomatie européenne, la priorité russe reste un accord avec les États-Unis, notamment sur le non-déploiement de missiles à portée intermédiaire en Allemagne. Ce n’est qu’après avoir résolu ce point que le Kremlin pourra s’adresser ouvertement à ses partenaires européens, désormais menacés par la perspective de sanctions prolongées et de tensions économiques croissantes.

Un scénario complémentaire est présenté par Douglas McGregor, colonel à la retraite et ancien conseiller du Secrétaire américain à la Défense, qui parvient à des conclusions similaires en ajoutant la variable du rôle de Washington dans l’après-guerre, ce qui n’est nullement acquis.

Selon cet officier américain, il est absurde de penser que Washington puisse garantir l’existence future de pays comme la Pologne, les pays baltes, la République tchèque, la Slovaquie ou la Hongrie. Les Américains ne vivent pas en Europe, mais les Européens, eux, oui, selon McGregor.

De plus, l’avenir de ce qui restera de l’Ukraine ne doit pas être discuté par la France ou l’Allemagne, mais par les États directement frontaliers de la Russie. Avec le déclin du parapluie protecteur américain et la crise de l’OTAN, ces pays devront complètement redéfinir leur architecture de sécurité. Le repli stratégique des États-Unis vers leur rôle historique de puissance maritime laissera un vide que les mécanismes traditionnels de l’Alliance atlantique ne pourront combler à eux seuls.

Dans ce contexte, la situation des pays d’Europe orientale est particulièrement complexe, car ils ont basé leur stratégie de sécurité post-soviétique entièrement sur la dissuasion de l’OTAN et la garantie de l’article 5. La perte de cette certitude les obligera à envisager des options fondamentales telles que des accords bilatéraux de non-agression conclus directement avec la Russie sur le modèle finlandais.

Ces accords pourraient inclure des garanties de neutralité en échange d’engagements russes à respecter l’intégrité territoriale et l’indépendance politique; l’Ukraine représente le cas le plus emblématique de cette transition.

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Compte tenu des profondes divisions identitaires qui caractérisent le pays, avec les régions occidentales plus tournées vers l’Europe, une solution possible pourrait être une structure confédérale qui reconnaîtrait ces différences avec des garanties de sécurité différenciées selon les régions.

Ou bien, l’Ukraine pourrait obtenir des garanties de neutralité soutenues non seulement par la Russie, mais aussi par des puissances comme la Chine, l’Inde, et potentiellement une Europe en voie de réorganisation. Une alternative intéressante serait l’adoption d’un modèle de neutralité armée similaire à celui de la Suisse ou de l’Autriche pendant la Guerre froide, fondé sur un principe de neutralité garanti par la constitution, l’interdiction d’adhérer à des alliances militaires, des forces armées robustes exclusivement orientées vers la défense territoriale, des garanties internationales soutenues par la Russie et les puissances européennes, et une coopération économique sans implication militaire.

Le nouveau système de sécurité endogène, non plus dépendant des États-Unis, pourrait, selon McGregor, se matérialiser par un traité de sécurité continental, c’est-à-dire un nouveau cadre incluant la Russie, les États européens, et potentiellement la Turquie, basé sur des principes de non-agression mutuelle et de respect des sphères d’influence. L’ensemble serait complété par un système de supervision internationale des accords de limitation des armements et des activités militaires dans les zones frontalières.

Tout cela nécessiterait cependant une maturation politique significative de la part des élites d’Europe orientale (et pas seulement), qui devraient abandonner la mentalité de dépendance stratégique développée au cours des trois dernières décennies et assumer la responsabilité directe de leur propre sécurité nationale.

Après l’accomplissement inexorable par Moscou de tous les objectifs opérationnels de l’Opération militaire spéciale, l’échec désormais évident de l’approche UE-OTAN dans la conduite de la guerre, et dans l’attente de voir ce qu’il restera vraiment à gérer de l’Ukraine, la perspective d’un système multipolaire plus complexe mais potentiellement plus stable, fondé sur des équilibres régionaux et des accords de dissuasion mutuelle, pourrait constituer un modèle à suivre.

Il resterait cependant à vérifier dans quelle mesure les États-Unis sont réellement déterminés à « débrancher la prise » et à permettre à la Russie de jouer un nouveau rôle en Europe, alors que la guerre en Ukraine a précisément été déclenchée pour atteindre l’objectif inverse: déconnecter Moscou économiquement et politiquement du Vieux Continent.

En outre, la « maturité politique » européenne précédemment invoquée pourrait tarder à se manifester, à moins d’un changement radical de leadership, porteur d’une nouvelle et plus courageuse culture des relations internationales, capable d’abandonner la perspective d’une confrontation permanente avec la Russie.

À l’heure actuelle, les scénarios évoqués restent des hypothèses de travail à la concrétisation incertaine, mais leur analyse s’avère fondamentale pour combler le vide d’alternatives qui caractérise le débat stratégique européen actuel.

En tout état de cause, il existe un point de convergence fondamental : l’après-guerre en Ukraine ne pourra pas se résoudre par un retour au statu quo, mais imposera une redéfinition profonde des équilibres européens et mondiaux.

La possibilité d’un compromis pragmatique avec Moscou, la fragmentation interne de l’Union européenne, la réduction du rôle américain et l’émergence de nouvelles architectures de sécurité continentales représentent des variables qui s’entrecroisent et qui, inévitablement, façonneront l’avenir du continent tout entier, appelé à redéfinir son rôle dans le nouvel ordre mondial inévitablement multipolaire.

 

BlackRock, avec Rheinmetall, s’étend des chars aux navires de guerre. Et l’ex-dirigeant Merz plaide pour le réarmement

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BlackRock, avec Rheinmetall, s’étend des chars aux navires de guerre. Et l’ex-dirigeant Merz plaide pour le réarmement

Rédaction Electo

Source: https://electomagazine.it/black-rock-con-rheinmetall-si-e...

Des coïncidences, ce ne sont que des coïncidences. Rheinmetall, le géant allemand de l’armement qui compte, par hasard, parmi ses principaux actionnaires le fonds BlackRock—au sein duquel le chancelier Merz était, comme par hasard, un haut dirigeant—a annoncé l’accord pour l’acquisition de Naval Vessels Lürssen, la division navale militaire du groupe Lürssen.

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Ainsi, BlackRock renforce sa présence dans le secteur militaire, l’élargissant du domaine terrestre (chars, lance-grenades, véhicules de combat) à tout le domaine naval. Et cela arrive, comme par hasard, alors que son homme Merz, en tant que chancelier, insiste sur la nécessité du réarmement, de la préparation à la guerre, du retour à la conscription, car les jeunes Allemands ne semblent pas très enthousiastes à l’idée de s’engager comme volontaires pour aller se faire tuer par des Russes ou des Nord-Coréens.

Mais les jeunes Allemands ne comptent pas, pas plus que le vote régional qui a vu l’AfD tripler ses voix. Ce qui compte, c’est BlackRock, ce sont ses ordres et la promptitude de Merz à les exécuter. Mais, au moins, s'il vous plait, n’appelez pas cela une démocratie.