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mardi, 14 octobre 2025

Le Messie à la tronçonneuse vacille: l’expérience ultralibérale de Milei touche-t-elle à sa fin?

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Le Messie à la tronçonneuse vacille: l’expérience ultralibérale de Milei touche-t-elle à sa fin?

Buenos Aires. Lors de sa prise de fonction en décembre 2023, le nouveau président argentin Javier Milei fut accueilli par beaucoup comme un sauveur. Milei avait promis un programme radicalement ultralibéral qui devait bouleverser le pays en un temps record et le remettre sur pied. En très peu de temps, il a mis en œuvre plus de 300 mesures individuelles visant une vaste déréglementation, une privatisation et une réduction drastique des dépenses publiques. Les subventions à l’énergie, aux transports et aux services de base ont été supprimées, des milliers d’emplois publics supprimés et les prestations sociales massivement réduites. La recette de Milei : retrait de l’État, libération du marché.

En réalité, quelques premiers succès de prestige ont été obtenus : le taux d’inflation est passé de près de 300 % en avril 2024 à environ 34 % à l’été 2025, et le budget a été équilibré. Des bailleurs de fonds internationaux comme le FMI ont accordé des prêts de plus de 40 milliards de dollars. Mais le prix de ce succès est élevé. L’industrie argentine souffre de la libéralisation brutale ; les secteurs à forte consommation d’énergie comme l’industrie du plastique et du caoutchouc enregistrent des baisses de production allant jusqu’à 25 % par rapport au niveau d’avant la crise. Le produit intérieur brut a également diminué de près de 4 % en 2024, un sérieux revers comparé au Brésil voisin qui a connu une croissance sur la même période.

L’échec de la thérapie de choc est particulièrement flagrant dans le domaine social : le taux de pauvreté a continué d’augmenter, la situation d’approvisionnement dans les zones périurbaines s’est détériorée et la polarisation politique s’est accentuée. Le gouvernement Milei opère sans majorité propre au Congrès, ce qui complique la mise en œuvre de son programme et a conduit à un patchwork de décrets et de lois édulcorées. La renaissance promise du pays n’a pas eu lieu – au contraire, la fuite des capitaux, la désindustrialisation et la fragmentation sociale menacent.

Désormais, la cure radicale de Milei semble vouée à l’échec. Le retour de l’hyperinflation est une menace réelle. La monnaie, redevenue forte, freine les exportations et laisse affluer des importations bon marché, ce qui a entraîné une dangereuse pénurie de réserves de dollars. Les analystes jugent le peso fortement surévalué ; la banque centrale a dû dépenser 1,1 milliard de dollars en trois jours pour soutenir la monnaie. Les réserves de change librement disponibles sont tombées à environ cinq milliards de dollars.

Parallèlement, les revers politiques internes affaiblissent la position de Milei. Une lourde défaite électorale dans la province de Buenos Aires, un scandale de corruption impliquant sa sœur Karina et plusieurs défaites parlementaires, où les députés ont refusé de soutenir les coupes budgétaires, ont fait chuter sa popularité sous les 40 %. Il en résulte une fuite massive des capitaux qui met le peso sous pression malgré les interventions. Les obligations d’État sont à nouveau considérées comme « à risque », et le chômage augmente.

Face à la crise, les États-Unis, par la voix du secrétaire au Trésor Scott Bessent, signalent leur soutien. Bessent a déclaré que toutes les options étaient sur la table, y compris des lignes de swap et le rachat d’obligations argentines. Mais aux États-Unis, cette aide fait débat. La sénatrice Elizabeth Warren a averti dans une lettre qu’un sauvetage ne devait pas se faire « aux dépens du peuple américain ».

Les économistes sont également critiques envers une aide américaine, car elle empêcherait une dévaluation nécessaire du peso et ne réglerait pas les problèmes structurels. Milei tente de se maintenir à flot par des mesures d’urgence telles que des allègements fiscaux pour les exportations agricoles. Les élections de mi-mandat du 26 octobre seront un test décisif. Si Milei ne parvient pas à obtenir une majorité stable pour ses réformes et à renforcer la monnaie, l’expérience de la tronçonneuse pourrait prendre fin plus rapidement que ses partisans ultralibéraux ne l’auraient imaginé.

Source: Zu erst, Oct. 2025.

Le “thanato-capitalisme”

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Le “thanato-capitalisme”

Par Andrés Piqueras

Professeur de Sociologie, Université Jaume I de Castellón

Source: https://socialismomultipolaridad.blogspot.com/2025/10/el-...

L’avancée du capitalisme comporte un processus consubstantiel d’automatisation productive, qui entraîne deux conséquences dramatiques. L’une est la suraccumulation du capital (excès de machines ou de technologie par rapport à la valeur, traduite en profit, qui est générée). C’est la clé de l’inclination récurrente de ce système à la crise. L’autre conséquence concerne la dissolution de la relation salariale, c’est-à-dire le déclin aigu de l’emploi.

Face à ce dilemme, il resterait en principe deux voies. Soit, sous une forte pression sociale, on partage le travail tout en maintenant le salaire ; où le salaire direct (la paie) serait de plus en plus compensé par le salaire indirect (services sociaux) et différé (retraites), à partir d’une redistribution de la valeur ajoutée ou de la richesse sociale totale créée (un revenu de base universel aurait aussi sa place ici). Soit on accélère la destruction de l’emploi et la misère générale de la société.

Dans les deux cas, le mode de production capitaliste est remis en question et pourrait céder la place à un autre mode de production. Dans le premier cas parce qu’il est obligé de réaliser des réformes non réformistes, qui autonomisent la population. Dans le second parce que, sans relation salariale, il devient très difficile de continuer à parler de “capitalisme”.

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Mais les conséquences de cette seconde option sont désastreuses. Ce qu’on appelle aujourd’hui le “chômage structurel” est en réalité un chômage permanent (souvent camouflé sous des contrats précaires, de l’auto-emploi ou de “l’entrepreneuriat”) et une insécurité de l’emploi, accompagnée donc d’insécurité de revenus, de logement, de biens de consommation, etc., pour la plus grande partie de la société. Autrement dit, la fin de tout ce qui concerne la sécurité sociale.

Tout cela a un autre corollaire : la brutalisation croissante du travail pour ceux qui, d’une manière ou d’une autre, restent encore liés à la relation salariale. Le despotisme patronal ne pourra qu’augmenter avec l’accroissement déjà immense de l’armée de réserve industrielle mondiale.

Ainsi, les deux conséquences dramatiques évoquées au début conduisent probablement à l’effondrement du mode de production capitaliste. En d’autres termes, le capitalisme s’épuise lui-même. C’est pourquoi de plus en plus le capital revient à sa forme monétaire (d’où la financiarisation de l’économie), en dehors de la production. Signe évident de l’involution que subit ce système, qui marque le processus exactement inverse de sa naissance et de son développement (lorsque l’argent est devenu capital).

Jusqu’à présent, la dernière grande crise capitaliste que nous traînons depuis les années 70-80 a été détournée ou différée grâce à différentes mesures qui ont servi de “fusibles”, empêchant que des courts-circuits sectoriels ne détruisent ou ne fassent trop de dégâts au système : on a combattu les principaux syndicats, ou bien on les a détruits ou cooptés pour empêcher qu’ils n’influencent le marché du travail et le champ social ; on a adopté des politiques monétaires et financières (remplaçant le revenu salarial par un accès facile au crédit) et des politiques budgétaires (austérité-déflation pour protéger les créanciers rentiers) ; la Réserve fédérale américaine et les banques centrales d’Angleterre, du Japon et finalement de l’UE, ont littéralement inventé de l’argent sans aucun soutien matériel, dans le but de reconstituer une partie des actifs volatilisés.

Cependant, tout cela a fini par générer une économie fictive (bulles, spéculations, produits dérivés, méga-chantiers, prolifération des mafias...), qui montre l’épuisement de telles mesures et l’impossibilité de prolonger le fonctionnement capitaliste de façon “normale”, étant donné que les trois catégories fondamentales du capitalisme – le travail, la valeur et le capital – sont en crise permanente.

Dans sa dégénérescence finale, le système mute vers un thanato-capitalisme. C’est-à-dire un capitalisme terminal, foncièrement despotique, basé sur des nécro-politiques dont l’objectif est le démantèlement du social et l’eugénisme démographique (multipliant les “états d’exception”, d’“exclusion” et de “siège”), avant de déboucher sur d’autres modes de production.

C’est pourquoi la guerre de classe, économique ou militaire, devient la principale forme de régulation du système à l’échelle étatique comme globale. Le parrainage du terrorisme est une stratégie de combat en plein essor parmi les élites mondiales.

En témoignent le coup d’État en Ukraine (et peut-être bientôt en Transnistrie) pour accentuer la pression sur la Russie, l’offensive généralisée contre la Chine, la guerre sale en Syrie, le démantèlement d’États comme l’Irak, la Libye, la Somalie, l’Afghanistan, très bientôt le Nigéria, le Mali, etc., la “nouvelle” stratégie du Pentagone pour forcer les négociations du TTIP et faire avaler à la population européenne les conditions effroyables qui l’accompagnent.

Et maintenant la Grèce.

L’écrasement de ce pays, le massacre de cette société, est un indicateur clair des processus évoqués : il n’y a plus de possibilités de régénération économique ni de croissance, et donc plus d’espace pour la démocratie.

L’UE s’auto-dévore. En son sein, le pays le plus puissant, l’Allemagne, n’a depuis longtemps plus la correspondance territoriale de sa puissance économique. Pour tenter de compenser cela, la classe capitaliste allemande a déclenché une politique expansionniste dans le dernier quart du 19ème siècle et deux guerres contre l’Europe qui sont devenues “mondiales”. 100 ans après la première, elle détruit à nouveau le Vieux Continent, maintenant sous le couvert d’un prétendu projet commun, l’UE, qui est en réalité la Grande Allemagne. Sa guerre contre la Grèce ne laisse guère concevoir plus grand mépris pour les populations, la démocratie et la Vie.

Mais cela ne s’arrêtera pas à la Grèce. Bientôt, ce sera contre nous.

Dans le capitalisme post-démocratique actuel, il est donc extrêmement important, pour les formes organisées de la conscience sociale émancipatrice, de prendre conscience de cela et d’ajuster les stratégies politiques et les projets sociaux. Le capitalisme “amical”, régulé, keynésien, ne reviendra pas.

C’est pourquoi croire en des options électorales qui parlent de “régénérer” le capitalisme ou d’une sortie par la gauche à l’intérieur du capitalisme ne mène pas loin. Pas plus que de suivre des chefs qui disent avoir les recettes pour nous sortir de la crise et de l’indignité. Au contraire, les possibilités résident dans la construction de forces sociales à partir des racines mêmes de la société, dans la préparation du post-capitalisme, pour enclencher des pas irréversibles dans sa dissolution. Des sujets actifs qui génèrent une démocratie directe, une démocratie économique, une démocratie sociale, sans déléguer leur propre émancipation à d’autres. Tout ce qui vient d’en haut et nous incite à remplacer notre participation et notre rôle par le vote est voué à la frustration (qui prendra pour beaucoup la forme de “trahison”). Tsipras en est un exemple aussi inégalable que pathétique.

lundi, 13 octobre 2025

Changement de régime

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Changement de régime

par Andrea Zhok

Source: https://www.ariannaeditrice.it/articoli/regime-change

De temps à autre, quelqu’un rappelle à quel point la vie est difficile à Cuba ou au Venezuela, combien la population souffre, à quel point l’économie est en grande détresse. Souvent, ces personnes poursuivent en affirmant, ou à tout le moins en suggérant, que cela est la responsabilité de gouvernements illibéraux, qu’il serait donc souhaitable de renverser, afin de libérer enfin le peuple de la misère.

On ne sait jamais si c’est par ignorance ou par malveillance, mais ces personnes oublient toujours de mentionner un détail.

Des pays comme Cuba et le Venezuela sont sous l’emprise de sanctions internationales dévastatrices imposées par les États-Unis.

fotonoticia_20180806101622_1920-443258547.jpgCuba est sous sanctions depuis toujours, depuis qu’ils ont osé chasser le dictateur pro-américain Fulgencio Batista (1959) (photo).

Le Venezuela est sous embargo, interdit de vendre son propre pétrole et d’accéder au système de crédit international depuis 2017 (premier mandat Trump). Entre 2017 et 2024, le Venezuela a subi des pertes estimées à environ 226 milliards de dollars, à cause de cette étreinte.

Le petit jeu américain est, partout dans le monde, toujours le même : ils exercent une combinaison de chantages économiques, de menaces (ou d’interventions) militaires et de financement des forces pro-américaines à l’intérieur du pays qu’ils veulent contrôler. Cette usure se poursuit jusqu’à ce qu’un de leurs pantins parvienne au pouvoir, selon des modalités présentées comme une «expression spontanée de la volonté populaire».

Qu’il s’agisse de Pinochet au Chili ou d’Al-Jolani en Syrie, du Guatemala, du Nicaragua, de la Bolivie, de la Libye, etc., le schéma se répète avec de très légères variations.

Il n’y a là rien de mystérieux. Il s’agit de politique impérialiste ordinaire.

La seule chose dans ce tableau qui frôle le mystère, c’est la réactivité des « émancipateurs à ressort » des contrées occidentales. Il s’agit de naïfs aussi embarrassants que fréquents, pour la plupart des baizuo, qui, de temps à autre, se réveillent, par l'effet du journal du matin, dans la peau de courageux libérateurs de peuples opprimés.

La veille au soir, ils ne savaient même pas que tel ou tel terrible régime illibéral affamait son peuple, mais le lendemain, d’un coup, ils se découvrent protecteurs des campesinos et des droits civils dans quelque pays lointain où – quelle coïncidence – est justement en train de mûrir un « regime change made in USA ».

Puis, typiquement, le lendemain de la prise de pouvoir du nouveau régime « ami », ils oublient en temps réel l’existence même de ce pays, certains – on suppose – qu’à partir de ce moment le sort des peuples qui leur tenaient tant à cœur s’est définitivement redressé, au point qu’il ne vaut plus la peine de s’y intéresser.

Lecornu et les arrière-pensées du président

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Lecornu et les arrière-pensées du président

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/lecornu-e-la-frutta-del-preside...

Lecornu démissionne. L'impossibilité de former un gouvernement a pu être constatée par tous, de la Terre de Feu au Détroit de Bering.

Et Macron le renomme. Pour former le gouvernement.

Il a la confiance du président.

Cela ressemble à une pochade. Une comédie de Feydeau transposée à l'Élysée et dans ses environs.

Et pourtant, c'est la réalité.

À bien des égards, une réalité tragique.

Car Macron est désormais à bout de souffle. Au cours de consultations fébriles, il n'a trouvé personne, absolument personne, disposé à assumer la charge de former un nouveau gouvernement pour la France.

Personne n'est prêt à aller à l'abattoir.

Il a donc repêché le pauvre Lecornu (nomen est omen) qui, évidemment, ne peut pas lui dire non.

Il ira à l'abattoir, bien sûr, mais il lui accordera encore un peu de temps.

Et c'est ce que Macron veut. Du temps. Pour entraîner une France, qu'il ne contrôle plus, vers la guerre. La guerre avec la Russie, à laquelle il n'est, militairement, absolument pas préparé. Et qui, d'ailleurs, n'est pas souhaitée par la grande majorité des Français. Qui sont déjà en révolte contre les conditions économiques dans lesquelles ils se trouvent. Et qui, à coup sûr, rejetteraient un conflit qui ne les concerne pas. Qu'ils ne comprennent pas, et ne peuvent comprendre.

Mais Macron mise là-dessus. Contre toute logique saine. En espérant que l'état de guerre lui permette de suspendre les derniers vestiges de démocratie. Et de rester à l'Élysée. De survivre.

En somme, il nous dit: "Que la France meure, pourvu que je continue à vivre".

Un très beau programme gouvernemental.

D'autre part, Macron s'est retrouvé confronté à une situation dont il n'est pas vraiment responsable.

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Ses prédécesseurs, notamment Sarkozy et Hollande – mais Giscard a également sa part de responsabilité –, ont fait vivre la France au-dessus de ses moyens, en exploitant à l'extrême les vestiges de l'empire colonial. La Françafrique et le franc CFA en étaient les symboles et les instruments. Une monnaie qui permettait de tenir sous contrôle les colonies africaines, déjà pauvres.

Mais aujourd'hui, c'est fini. Du Burkina Faso à tous les pays au sud du Sahel, les Français sont chassés sans ménagement.

Macron n'a fait qu'aggraver la situation. Transformant ce retrait en un effondrement honteux.

Et la France se rebelle. Car elle n'est pas disposée, comme je le disais, à accepter une réduction drastique de ses conditions de vie.

Sans parler des banlieues. Où les « invités », islamistes et africains, sont maintenus partiellement calmes grâce à des dépenses et des dons continus. Au détriment, cependant, des citoyens français.

Donc, à tous points de vue, Macron est arrivé au bout du rouleau.

Le sérieux, un minimum de sérieux, voudrait qu'il présente sa démission.

Il ne le fera pas. Et il continuera à essayer de déclencher un conflit entre l'Europe et la Russie.

Pour sauver son siège à l'Élysée.

La métamorphose du corps humain au 21ème siècle

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La métamorphose du corps humain au 21ème siècle

par Giuseppe Sapienza

Source: https://socialismomultipolaridad.blogspot.com/2025/10/la-...

Lorsque le capital, poussé par son besoin d’expansion, rencontre le corps humain, il le modifie de trois manières : comme produit, comme moyen de production et comme marché en soi. Ce processus s’accompagne d’une marchandisation générale du corps humain et d’une métamorphose fonctionnelle : de l’être-corps à l’avoir-corps.

Le corps humain comme produit

En tant que marchandise achetée et vendue sur le marché de la production et de la consommation, le corps humain a toujours été limité par sa rigidité. Contrairement à de nombreux autres produits, le corps humain ne peut pas être modifié à volonté. Pourtant, c’est son mauvais état qui a préservé son humanité.

Aujourd’hui, la biotechnologie et l’intelligence artificielle semblent capables de franchir cette barrière.

La séparation du corps de l’identité individuelle a rendu possible la vente du corps humain non seulement aux autres, comme dans l’esclavage, la prostitution ou, en d’autres termes, le travail salarié, mais aussi à son propre propriétaire, qui, en interagissant avec lui-même, entre dans un cycle de création et de satisfaction de besoins comblés par les soins corporels, les traitements de beauté, la chirurgie, le fitness, etc. Ainsi, l’individu finit par devenir une sorte d’acheteur, d’utilisateur et de client de son propre corps. La biotechnologie peut élargir les possibilités du corps humain, compris comme produit, selon les besoins du marché, en identifiant de nouvelles parties spécifiques à améliorer, remplacer ou échanger ; et, à l’avenir, l’intelligence artificielle est capable de reproduire l’esprit de manière algorithmique, le séparant ainsi du corps. Dans cette perspective, n’importe quel esprit pourrait habiter n’importe quel corps, dans une sorte de marché immobilier du corps humain.

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Le corps humain comme instrument de production

En tant qu’instrument de production, le corps humain a montré toutes ses limites depuis la naissance de la vie sociale. La marge d’amélioration structurelle est très différente. Les machines peuvent être modifiées, améliorées et remplacées indéfiniment, tandis que les humains restent inchangés depuis le jour imaginaire où ils se sont proclamés humains.

L’incapacité du corps humain à être modifié structurellement a laissé sa capacité productive osciller entre une marchandise inestimable hors marché et, au contraire, un produit sans marché et une marchandise de faible valeur.

Le corps humain comme marché en soi

Si l’on imagine le corps humain comme un lieu géographique où l’on achète et vend des biens comme des montres, des vêtements ou des bijoux, sa plasticité limitée représente un obstacle à l’expansion du capital car, si le marché des montres exige un troisième bras, l’humain ne peut s’en doter.

Le capital a tenté de contourner cette limitation par la multiplication des individus et l’augmentation conséquente de la population mondiale.

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La façon dont, ces dernières années, le capital est allé au-delà des usages traditionnels du corps humain comme marché en soi (vêtements, mode, accessoires, produits pharmaceutiques, etc.) l’a vu s’immiscer dans le corps humain, donnant lieu à un marché du sang, des organes, et, plus récemment, du sperme et des ovules, et à la location d’utérus pour la reproduction.

Ces dernières années, les avancées technologiques ont permis la conception de médicaments personnalisés, la modification génétique, les nano-médicaments, la protéomique, les cellules souches et la biologie synthétique, qui promettent de faire du corps humain un marché aux possibilités immenses.

Le scénario le plus inquiétant est celui de l’homme du 21ème siècle totalement séparé de son corps, totalement marchandisé et soumis aux règles du marché.

Dans les perspectives les plus extrêmes de l’intelligence artificielle, le corps peut être habité, acheté et vendu comme un appartement, tandis que du point de vue de la biotechnologie, il peut être modifié à volonté, amélioré et intégré à des parties robotiques.

Dans cette perspective, la vieille phrase de Sénèque : « Celui qui est esclave de son propre corps n’est pas libre » prend un tout autre sens.

Chaos permanent en France: un mauvais présage pour l'Allemagne et l'Europe

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Chaos permanent en France: un mauvais présage pour l'Allemagne et l'Europe

Paris. Nouveau coup de théâtre chez nos voisins : après seulement 27 jours en fonction, le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé lundi sa démission. Le pays va ainsi avoir son sixième chef de gouvernement en deux ans, et le quatrième en douze mois. Lors de son entrée en fonction en septembre, Marine Le Pen, du Rassemblement national, avait prédit que Lecornu serait la « dernière cartouche » de Macron.

Comme la plupart de ses prédécesseurs, Lecornu a lui aussi échoué en raison de l'instabilité chronique qui règne à l'Assemblée nationale à Paris. Le parti du président Macron n'y représente plus qu'un petit groupe parlementaire, coincé entre les grands blocs de gauche et de droite. Le Rassemblement national de Marine Le Pen forme certes le groupe le plus puissant, mais il reste exclu de la formation du gouvernement – une réplique du « mur de feu » (ou cordon sanitaire) allemand.

Le camp de gauche est quant à lui fragile. Il dispose certes de plus de sièges que le Rassemblement National en raison du scrutin majoritaire français, mais il est fragmenté en plusieurs groupes parlementaires et exige de Macron une politique radicale de gauche qu'il ne peut soutenir.

Macron n'a désormais plus que deux options : soit il intègre le Rassemblement national de Le Pen au gouvernement, ce qui, dans l'état actuel des choses, l'obligerait à céder le poste de vice-président à Jordan Bardella, le protégé de Marine Le Pen, soit il organise de nouvelles élections, lors desquelles le Rassemblement national devrait encore renforcer sa position.

Cette crise ne marque pas vraiment un tournant dans la politique française. Le chaos est depuis longtemps institutionnalisé dans ce pays voisin. Elle est toutefois un signe avant-coureur pour l'Allemagne voisine. Elle montre en effet où mènent les « murs coupe-feu » idéologiques (les "cordons sanitaires"). Les différences entre le scrutin majoritaire français et le scrutin proportionnel allemand sont finalement négligeables : même le système électoral allemand, qui offre depuis un certain temps des résultats électoraux impressionnants à l'AfD, pourrait conduire à long terme à une situation instable si les partis traditionnels s'accrochent à leur « mur coupe-feu ». Même de légers changements dans les résultats électoraux pourraient contraindre l'Union et la SPD à former une nouvelle coalition avec les Verts. Les conséquences éventuelles en sont d'ores et déjà connues. (mü)

Source: Zu erst, octobre 2025. 

Argentine : nuages d’orage et vents de changement

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Argentine : nuages d’orage et vents de changement

Javier M. del Castillo

Source: https://euro-sinergias.blogspot.com/2025/10/argentina-nub...

I.

Le dimanche 7 septembre dernier, le gouvernement de Javier Milei a subi le choc d’une défaite retentissante lors des élections législatives et municipales qui se sont tenues dans la province de Buenos Aires : Fuerza Patria (FP), la coalition dirigée par le Parti Justicialiste, est sortie largement gagnante, s’imposant dans 6 des 8 circonscriptions électorales existantes. Elle a dépassé de plus de 13 points La Libertad Avanza (LLA), une coalition composée du parti éponyme du président argentin et de Propuesta Republicana (PRO) de l’ex-président Mauricio Macri. Ainsi, à la Chambre des députés de Buenos Aires, FP a obtenu 39 sièges, à 8 du quorum, tandis que la coalition LLA a atteint un total de 30 sièges. Parallèlement, au Sénat provincial, FP a obtenu 24 sièges, atteignant le quorum, tandis que la coalition LLA totalisait 16 sénateurs.

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Ces résultats affaiblissent non seulement gravement les positions de la LLA et de ses alliés dans l’État le plus important de la République argentine. Ils augmentent également de manière significative la probabilité d’une défaite lors des élections législatives nationales du 26/10/25. Cela s’explique par l’importance considérable de la province de Buenos Aires dans la politique argentine: elle abrite près de 40 % de la population nationale et détient 35 des 127 sièges à renouveler à la Chambre des députés de la Nation. Mais en outre, cette augmentation des probabilités est due à l’attitude adoptée par Milei lui-même face aux élections de Buenos Aires: avec un ton ouvertement triomphaliste, le président n’a pas hésité à conférer à ces élections provinciales une signification et une portée nationale.

Face à la clarté du message transmis par les électeurs de Buenos Aires, le président n’a pas tardé à reconnaître publiquement la défaite. Cependant, il a aussitôt confirmé l’orientation politique de son gouvernement, annonçant même son renforcement et son accélération. Une telle confirmation, face à la fermeté du scrutin, met en évidence une dangereuse obstination du président et alimente en parallèle les soupçons d’une forte influence occulte, dans l’agenda de son gouvernement, d’intérêts contraires à la Nation argentine.

Ces deux considérations gagnent encore en crédibilité lorsqu’on tient compte de quatre revers sévères subis par le président au Congrès national. L’un, trois jours avant les élections de Buenos Aires, et les autres, les 18 septembre et 2 octobre : par de larges majorités, les vetos présidentiels contre les lois d’urgence nationale concernant le handicap, la répartition des apports du Trésor national aux provinces, l’urgence pédiatrique et le financement universitaire, ont été rejetés. Ces vetos, malgré l’importance et la gravité des sujets concernés, avaient été annoncés publiquement par le président sur un ton vantard, provocant, voire moqueur, allant jusqu’à dénigrer les promoteurs des initiatives législatives dont question. Depuis plus de 20 ans, le Congrès national n’avait pas rejeté un veto présidentiel…

II.

Il va sans dire que le rejet du premier de ces revers, survenu quelques jours avant les élections de Buenos Aires, a fortement contribué à la défaite électorale de la LLA dans cette province. Cependant, il serait erroné d’omettre au moins deux autres facteurs qui ont également conduit à ce résultat :

1) L’échec de la politique économique :

Le gouvernement de Milei met particulièrement en avant, parmi les mérites de sa politique économique, la lutte contre l’inflation et l’excédent budgétaire primaire obtenu en 2024 (10,4 billions de pesos). Ces deux points exigent les précisions suivantes :

- Il est vrai que le processus d’inflation a ralenti. Cependant, il n’en est pas moins vrai que c’est ce même gouvernement qui, en décembre 2023, a provoqué un bond brutal de l’inflation (de 10/12 % à 25,5 % par mois) et que, depuis, celle-ci n’a cessé de croître, atteignant en juin 2025 une accumulation de 214,4 %.

- L’excédent budgétaire primaire a été obtenu grâce à un ajustement extraordinaire des comptes de l’État national (le plus dur de l’histoire argentine, selon les dires de Milei lui-même). Mais cet ajustement, loin de peser sur “la caste” comme le promettait le président pendant sa campagne électorale, a été supporté par le peuple argentin accablé (par la dévaluation des revenus et subventions dus à l’inflation ; par la paralysie massive et indiscriminée des travaux publics ; par la réduction drastique des prestations sociales ; par des hausses exorbitantes des tarifs des services publics et des impôts distorsifs, comme les “taxes sur les carburants” ; etc.). De plus, cet excédent budgétaire a finalement servi à payer une partie des intérêts de la dette publique de l’État central.

En conséquence, loin de la relance tant promise et attendue, l’économie argentine continue à montrer de nombreux signes d’alarme : contraction de l’activité industrielle, augmentation du chômage, dépréciation des salaires réels, chute de la consommation intérieure, dégradation grave de l’infrastructure logistique, insuffisance énergétique, etc. À ce sombre panorama s’ajoutent : la mauvaise santé des comptes de la banque centrale (réserves nettes négatives : entre 4 et 8 milliards de dollars US) et une augmentation hypertrophiée de la dette publique de l’administration centrale (par prise de prêts sans capacité de remboursement, acceptation ou offre de taux exorbitants, renégociation systématique, anatocisme et emprunt pour payer la dette). Il suffit de mentionner le sauvetage de 44 à 48 milliards de dollars conclu avec le FMI et d’autres entités il y a quelques mois, ou les démarches désespérées en vue d’obtenir une aide financière du Trésor américain, pour conclure que l’Argentine se trouve déjà à l’épicentre d’une nouvelle crise de la dette publique, avec un risque sérieux de défaut de paiement.

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Parallèlement, le spectre de la dévaluation du peso agite, car le gouvernement de Milei “subventionne” le taux de change avec le dollar américain par la dette publique, le maintenant artificiellement bas. Ce taux n’est pas viable, en premier lieu, à cause de son artificialité et de la volatilité de la dette qui le soutient. Mais aussi parce qu’il s’agit d’un taux de change non compétitif pour le commerce extérieur, lequel, combiné à la politique d’ouverture de Milei qui supprime les barrières à l’importation, déséquilibre la balance commerciale.

2) Scandales pour délits présumés :

Depuis le début de 2025, divers cas retentissants ont éclaboussé le gouvernement de Milei : celui de la crypto-monnaie $LIBRA ; celui du fentanyl contaminé qui a déjà causé plus de 100 morts ; celui des enregistrements attribués à l’ex-directeur de l’Agence nationale du handicap, évoquant des pots-de-vin systématiques impliquant Karina Milei, sœur du président et secrétaire générale de la présidence ; et celui de la relation du député José L. Espert, l’une des principales figures du parti au sein de la Chambre basse nationale, avec ‘Fred’ Machado, un homme d’affaires argentin assigné à résidence en attente d’extradition demandée par un tribunal texan pour trafic de drogue et blanchiment d’argent, entre autres délits (suite à ce scandale, Espert a fait l’objet d’une plainte pénale en Argentine et vient de renoncer à sa candidature au Sénat national)…

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Ces affaires ont mis à mal l’un des principaux atouts politiques du “mileisme” : le drapeau de l’honnêteté, de la transparence et de l’efficacité. Par ailleurs, ces scandales ont favorisé la réémergence d’anciennes accusations publiques contre divers dirigeants de la LLA, formulées par d’anciens partisans “mileistes” désabusés, concernant : paiement pour des réunions avec Milei, vente de candidatures et même harcèlement sexuel. Dans ce contexte inquiétant, face à une population de plus en plus lassée, certaines voix publiques commencent à affirmer que Milei consomme régulièrement des psychotropes puissants et porte des couches en raison de son incontinence. De plus, certains l’accusent publiquement d’avoir consommé et/ou diffusé de la pornographie infantile (des rumeurs qui, par leur extrême gravité, provoquent un mélange de confusion, de perplexité, d’indignation et de rejet).

III.

Inutile de dire que tout ce qui précède constitue un cocktail explosif d’une grande dangerosité, d’autant plus dans un contexte où, pour couronner le tout, l’ensemble des forces politiques est affaibli dans sa représentativité (les taux élevés d’abstention et de vote blanc en témoignent). Dans ces conditions, l’atmosphère argentine est de plus en plus imprégnée du parfum funèbre d’un possible effondrement du gouvernement Milei, ainsi que du sentiment inquiétant que le pays est à la veille de changements brusques. Ce n’est pas un hasard si, dans les milieux politiques, la presse et l’opinion publique, les diagnostics de “fin de cycle” et les pronostics d’“éclatement de la crise” résonnent de plus en plus fortement. D’ailleurs, ces présages trouvent un écho dans de nombreux médias et cercles proches ou alliés du gouvernement Milei.

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Au milieu de ce contexte sombre et préoccupant, une actrice clé se détache, dont la pertinence politico-institutionnelle semble grandir de jour en jour dans cette conjoncture difficile. Il s’agit de la vice-présidente de la nation, Victoria Villarruel (photo), qui serait appelée à assumer la présidence du pays en cas de départ anticipé de Milei. C’est une figure politique très différente de celle du président. Contrairement aux extravagances idéologiques de ce dernier, Villarruel revendique un patriotisme profond, sain et limpide, enrichi d’autres valeurs traditionnelles chères au peuple argentin. Face aux scandales qui entachent l’image de Milei, la réputation de Villarruel est exempte de tout soupçon de corruption. À l’opposé des emportements et des débordements du “manieur de tronçonneuse”, Villarruel fait preuve d’une grande prudence et de bon sens. C’est une qualité que la vice-présidente a démontrée, par exemple, par la lucidité et la fermeté avec lesquelles – dans un bel exemple de dignité personnelle et de responsabilité politique – elle a su répondre aux attaques injustifiées et acharnées de Milei à son encontre. À l’opposé de l’intransigeance radicale dont se vante ouvertement ce dernier, Villarruel a montré une remarquable ouverture au dialogue politique, une attitude qui n’a pas tardé à être remarquée et appréciée dans divers milieux politiques, favorisant le rapprochement de personnalités importantes, notamment des sénateurs nationaux et des gouverneurs de provinces.

À cela s’ajoute un facteur objectif fondamental, qui est l’Argentine elle-même. Ses immenses richesses et la résilience démontrée de ses habitants maintiennent ouverte la possibilité d’une reprise relativement rapide du pays, malgré la gravité des problèmes qui l’assaillent. Une reprise qui dépend, bien sûr, des changements de cap que la direction politique devra effectuer.

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Tout cela apporte un peu de sérénité et encourage un certain optimisme face à la tempête qui semble sur le point de s’abattre sur l’Argentine. Il convient ici de rappeler que le père de la vice-présidente, Eduardo Villarruel (photos), haut gradé de l’Armée argentine et vétéran reconnu de la guerre de l’Atlantique Sud, concluait souvent ses conférences géopolitiques destinées à la jeunesse en soulignant l’immense potentiel argentin et en appelant à un engagement patriotique actif. Peut-être la Providence divine a-t-elle prévu de confier à la fille de ce valeureux lieutenant-colonel la tâche de prendre la barre du navire national, de manœuvrer pour éviter la tempête qui s’annonce et de remettre le pays sur la voie de la grandeur.

Dans le contexte actuel, les signes se multiplient qui permettent de penser que, plus tôt que tard, les événements en Argentine vont s’accélérer de façon dramatique, et que la situation incertaine du pays sud-américain prendra une direction – pour le meilleur ou pour le pire. Pour l’instant, seul DIEU sait ce qu’il adviendra…

Javier M. del Castillo est avocat et professeur d’université argentin.

« L’Europe comme vassale » - Les mémoires de Stoltenberg

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« L’Europe comme vassale »

Les mémoires de Stoltenberg révèlent la dépendance totale de la direction de l’OTAN aux États-Unis et montrent que les politiciens ne sont que de simples gestionnaires

Arnaud Bertrand

Source: https://uncutnews.ch/europa-als-vasall-stoltenbergs-memoi...

Il est extraordinairement instructif de lire le livre de Stoltenberg sur son expérience en tant que secrétaire général de l’OTAN.

The Guardian vient d’en publier un long extrait.

Ce qu’il montre, entre autres :

ZÉRO réflexion stratégique et ZÉRO prévoyance

D’après les propres mots de Stoltenberg, il croyait en 2016 que Hillary gagnerait – cette croyance était basée sur son « intuition » – et a été « surpris » lorsque Trump a remporté l’élection.

La victoire de Trump l’a rendu très « nerveux », car Trump « avait déclaré dans une interview télévisée fin mars: "L’OTAN est obsolète"».

Réfléchissez-y deux minutes. Vous êtes le secrétaire général de la plus grande alliance militaire du monde, responsable de la sécurité de près d’un milliard de personnes. Un pays finance 80 à 90% de votre budget. Il y a une élection à deux issues possibles – et l’un des candidats a publiquement qualifié votre alliance d’«obsolète». Et pourtant, vous ne prenez aucune disposition au cas où il gagnerait, ni ne cherchez à comprendre, au-delà des déclarations médiatiques, comment il pense. Vous supposez simplement qu’il va perdre, sur la base de votre « intuition » – et quand il gagne, vous êtes « nerveux ».

Vous n’êtes en fait pas différent d’un téléspectateur ordinaire qui regarde CNN dans son salon – vous n’apportez aucune valeur ajoutée. C’est de la négligence stratégique au plus haut degré. Comme le dit le proverbe: «Gouverner, c’est prévoir» – ce qui, concrètement, signifie que la plus grande alliance militaire du monde n’était pas dirigée, et Stoltenberg l’avoue lui-même dans ses mémoires, comme si cela était tout à fait normal. C’est insensé !

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Et il ressort clairement de l’extrait que Stoltenberg n’était pas seul: personne n’était préparé, tous les dirigeants européens ne faisaient que réagir, au lieu d’agir.

Stoltenberg décrit un sommet de l’OTAN avec Trump en juillet 2018, où ce dernier menaça de quitter non seulement le sommet, mais l’OTAN elle-même si les autres membres n’augmentaient pas immédiatement leurs dépenses.

La scène, telle que la décrit Stoltenberg, est incroyablement pitoyable: le «père» annonce qu’il pourrait couper l’argent de poche, et les «enfants» se bousculent pour défendre leur cause. Merkel raconte à Trump les soldats allemands qui meurent en Afghanistan – «malgré une forte opposition dans mon pays, où beaucoup se demandent ce que l’Afghanistan a à voir avec nous». Le Premier ministre danois souligne également le «sacrifice de sang» de son pays pour les États-Unis, et sa voix «tremblait» lorsqu’il disait: «rapporté à la population, le Danemark a perdu plus de soldats en Afghanistan que les États-Unis».

Chacun rivalise pour montrer à Papa Trump quels « bons enfants » ils sont – des supplications émotionnelles depuis une position de dépendance totale. Il n’y a aucune préparation ni réponse stratégique.

Et pourtant, cela aurait pu être l’opportunité du siècle. Nous sommes en 2018, des années avant la crise ukrainienne et un an après que Macron a, pour la première fois, prôné l’« autonomie stratégique » de l’Europe. Trump offrait à l’Europe cette autonomie stratégique sur un plateau d’argent – en temps de paix, idéal ! Mais au lieu de saisir cette chance, les Européens – Macron inclus – ont gaspillé toute leur énergie à préserver le statu quo. Le résultat, nous le voyons aujourd’hui.

C’est une accusation accablante – et le pire, c’est que Stoltenberg en parle comme s’il avait bien géré une crise. Il ne se rend même pas compte qu’il vient de faire un aveu de faillite stratégique.

La colonisation des esprits

Ce qui ressort particulièrement de cet extrait, c’est à quel point l’Europe est devenue colonisée. Dès la nuit de l’élection américaine, lorsque Stoltenberg «a organisé une fête avec des amis et collègues dans sa résidence à Bruxelles. Nous avons installé une grande télévision dans le salon, et des hamburgers ont été servis».

En réalité, tout l’extrait – et probablement tout le livre – ne parle que des États-Unis : il s’agit de façon obsessionnelle de ce que pensent les Américains, de ce qu’ils veulent, de ce qu’ils pourraient faire. L’Europe n’existe pratiquement pas comme entité indépendante avec ses propres intérêts ou objectifs – ce n’est qu’un objet qui réagit aux mouvements américains. Le livre se lit comme le journal d’un eunuque nerveux à la cour impériale, qui observe l’humeur du souverain et considère comme un succès de rester dans ses bonnes grâces.

Un autre passage de l’extrait est particulièrement révélateur à cet égard. Stoltenberg décrit comment il a ordonné à tous les employés de l’OTAN de «se discipliner» vis-à-vis de Trump:

« Pas de roulements d’yeux lors des tweets ou des apparitions publiques de Trump ; pas de rires moqueurs à propos des vidéos ; pas de blagues sur le golf ou ses manières. Tolérance zéro était essentielle. Même un petit groupe qui se moque peut contaminer l’organisation. Et si Washington apprenait que des employés de l’OTAN se moquent de Donald Trump, ce serait désastreux. »

C’était son obsession : pas la planification stratégique, ni les intérêts européens, mais la peur que quelqu’un à Washington entende que les Européens ne sont pas assez respectueux envers l’« empereur ».

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C’est l’impérialisme réussi: les colonisés deviennent les exécutants les plus zélés des colonisateurs. Plus encore que dans le cœur de l’Empire – car aux États-Unis, à ma connaissance, rouler des yeux et plaisanter sur Trump est permis. À Bruxelles, en revanche, c’est interdit.

L’Europe est morte en tant qu’unité politique

À un niveau encore plus profond, le livre montre non seulement que les Européens manquent d’autonomie stratégique ou qu’ils sont mentalement colonisés – il montre qu’ils ont perdu le concept même de capacité d’action politique.

Stoltenberg et les dirigeants européens, tels qu’il les décrit, ne sont pas des hommes politiques avec un grand P, mais de simples gestionnaires, de petits bureaucrates.

Regardez comment Stoltenberg décrit son « succès » : il a empêché la réunion de s’effondrer, trouvé une formule pour sauver la face, empêché Trump de quitter la salle. Mais il ne s’occupe absolument pas du fond – à quoi tout cela sert-il ? Que veut réellement atteindre l’Europe ? Ces questions n’existent même pas dans son univers mental.

Cela va au-delà de la dépendance. Je compare souvent l’Europe actuelle à la fin de la dynastie Qing pendant le « siècle d’humiliation ». Mais malgré tous ses défauts – l’Empire Qing était conscient de son humiliation. Il comprenait que le but était la restauration nationale. La politique était vivante, même durant la colonisation.

Mais quel est l’équivalent européen ? Où est la conscience qu’il y a quelque chose de fondamentalement faux ? Les mémoires de Stoltenberg montrent un homme qui se considère comme un homme à succès – sur la base d’une définition totalement faussée du succès. Le patient ne sait même pas qu’il est malade. Les élites européennes d’aujourd’hui ont même perdu la conscience politique la plus élémentaire.

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L’historien français Emmanuel Todd a récemment évoqué un « processus de dégénérescence intellectuelle et morale », où « toutes les notions de vérité, d’honneur et de réflexion » disparaissent en Europe.

Ce livre en est l’illustration parfaite:

Un homme qui documente son propre échec politique, décrit des scènes de soumission et d’humiliation profondes – et présente tout cela comme l'histoire d'un succès.

La dégénérescence est totale, lorsqu’on l’appelle cela du « travail bien fait ».

dimanche, 12 octobre 2025

La flotille du vide

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La flotille du vide

Jordi Garriga

Nous vivons dans une sorte de simulation, c'est la chose la plus logique qui me vienne à l'esprit. Car si on me disait que tout cela n'était qu'une vaste farce, je pourrais me mettre en colère, mais je ne l'exclurais certainement pas non plus. Je veux parler de l'énième « mission humanitaire » que nos habituelles starlettes nous ont offerte: du politiquement correct, recouvert d'autopromotion de nature électoraliste, le tout avec une grande candeur. Servez chaud, svp.

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Il est clair que toute la mission de la Global Sumud Flotilla a été chorégraphiée du début à la fin. Quiconque a regardé trois journaux télévisés savait déjà qu'ils seraient interceptés avant même d'arriver ; qu'ils seraient retenus (même pas détenus) pendant deux ou trois jours maximum, et dans des conditions plutôt correctes ; et qu'ils seraient renvoyés à l'odeur de la foule (ou des journalistes). Il y avait Greta Thunberg et Ada Colau, des personnes de la caste des intouchables. Pourquoi leur arriverait-il quelque chose ? Ce voyage n'a été qu'une nouvelle plateforme de marketing personnel indéniable. Loin d'être un acte discret de solidarité, il s'est transformé en une émission de télé-réalité itinérante, où nous avons découvert une autre étoile à l'horizon, Ana Alcalde (Barbie Gaza) (photo). Pour eux, ce voyage n'était qu'un exemple de moralité, un moyen facile d'acheter l'admiration sociale sans courir de réel danger.

Ce qui m'a paru véritablement obscène, c'était la diffusion de vidéos de danse sur le pont ou de publications sur les réseaux sociaux d'une frivolité choquante, contrastant avec la tragédie évidente que ces gens étaient censés aller atténuer. Cela a donné lieu à des attaques impitoyables de notre droite sioniste espagnole, comme celles d'Isabel Díaz Ayuso : « Si l'assemblée flottante du corps enseignant croyait qu'Israël était un État génocidaire, ils ne seraient pas venus, même s'ils étaient fous.» Elle les connaît bien, car elle aussi fait partie de ce Premier Monde au sein du Premier Monde, éloignée des réalités quotidiennes du monde et du pays lui-même.

Je crains que peu de gens en Occident soient épargnés : les horreurs bien réelles des bombardements, de la faim et des décombres peuvent nous ébranler, nous poussant à la condamnation et à la solidarité, simplement pour nous sentir bien, car c’est la « religion sans religion » qu’on autorise à afficher dans nos sociétés. Celle-ci, et toute autre religion exotique, pour ne pas se sentir raciste, bien sûr…

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Les grands maîtres de cérémonie de cette démocratie émotionnelle, les politiciens de tous bords, savent exploiter ces situations pour mobiliser leurs bases, faire la une des journaux et se forger une image de « combattants antisystème » ou de « défenseurs de la civilisation », de droite comme de gauche, tout cela sans l’effort d’une diplomatie sérieuse ou de négociations complexes. L’activisme de façade est conçu pour la consommation médiatique et les prochaines urnes, plutôt que pour une solution efficace. C’est de la démocratie émotionnelle.

À Gaza, en Palestine, je ne sais pas comment ils accueillent tout cela. Ils apprécient sûrement cela d’un point de vue moral. J'espère qu'ils mesurent la différence entre ceux qui les soutiennent sincèrement et les politiciens qui, alors qu'ils pourraient agir efficacement, lorsqu'ils pourraient véritablement aider, se contentent d'agiter des mouchoirs, des drapeaux ou des paroles creuses, transformant leur souffrance en un simple spectacle, avec son créneau horaire et ses rituels consensuels d'indignation.

Sous la noble bannière de l'aide, la flottille a transporté moins de tonnes de matériel réel que de TikToks et d'ambitions politiques.

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Le pape de glace et la longue désintégration du catholicisme

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Le pape de glace et la longue désintégration du catholicisme

Par Nicolas Bonnal

Le nouveau pape américain, qui devait nous faire oublier Bergoglio, bénit les glaçons et prêche un grand remplacement plus rapide de ses ouailles blanches. Voilà où nous en sommes. Le prêchi-prêcha humanitaire évoque depuis Vatican II (au fait ses prêtres ne valent rien, découvrez ou relisez Rama Coomaraswamy pour comprendre) les abeilles, les migrants, et désire ardemment le grand remplacement de l’Europe et des pays blancs. La pauvreté pour tous est un bel objectif qui rime avec les objectifs de Fink et des mondialistes. C’est le Grand Reset pour tous mené par une poignée de manipulateurs de symboles (expression de Robert Reich) qui ont pris la place de la hiérarchie cléricale adoratrice du pauvre et du soumis. Le but reste bien catholique : pauvreté, chasteté et obéissance…

Mais je ne veux pas ici évoquer une déchéance chrétienne. Je veux évoquer un problème chrétien, que des éclaireurs courageux comme Laurent Guyénot (photo, ci-dessous) ont enfin souligné. Laurent a rejoint de grands esprits intuitifs comme Nietzsche et Céline et il a étayé leurs propos incisifs.

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L’autodestruction est devenue une obsession catholique, pendant que les sectes protestantes s’étiolent ou deviennent de plus en plus dangereuses, à commencer comme toujours par l’Angleterre. Après on accuse les juifs mais avec des chrétiens comme ça… certes on pourra toujours fonder une communauté fanatique et désireuse de résister, mais on sait que cela ne dure pas longtemps. L’Etat moderne ou la faiblesse humaine en viennent vite à bout. Et la natalité chrétienne ne tient plus depuis longtemps sur le long terme, contrairement à l’israélienne, plus en forme que jamais.

Il faut en revenir aux origines et bien comprendre qu’on est face finalement à une secte à la fois juive et antisémite qui a connu un succès incroyable. On comprend dès lors pourquoi les Juifs victimes de cet antisémitisme religieux ridicule ne supportaient pas ce cadre dans lequel ils ont survécu impeccablement et qui les a rendus plus forts. Jamais le mot de Nietzsche ne s’est mieux appliqué qu’à eux : ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. Le judéo-christianisme actuel qui rime avec judéo-crétinisme ne fait que rendre à César ce qui est à César : c’est le Dieu juif que nous adorons, assez maladroitement, depuis deux mille ans. Là-dessus Céline comme Nietzsche avaient raison. Nietzsche décrit ce Triomphe du peuple sacerdotal dans généalogie de la morale qui est passé par un prophète persécuté par les juifs eux-mêmes, et Céline regrette la défaite des dieux aryens qui annonce la « victoire des douze juifs » et l’engloutissement de l’Europe par le « lupanar afro-asiate » (Céline toujours). Mais certains dont je suis observent justement que cette invasion se produit depuis que nous ne sommes plus du tout chrétiens.

Dans le même élan les grands écrivains catholiques antimodernes se sont rendu compte de la catastrophe : Bernanos a parlé d’une administration cléricale en accord avec les diktats de l’Etat moderne (voir citations plus bas) ; Léon Bloy a parlé de la fin des agonies et de l’atrophie générale de l’esprit chrétien ; enfin Chesterton a parlé de ces idées chrétiennes devenues folles parce qu’elles l’étaient déjà au départ. Mais je mets au défi qui que ce soit de trouver dans l’enseignement de Jésus fils de Joseph un pilier pour établir une civilisation sereine et solide (refus de la famille, des élites, de l’État, de la culture, de l’argent, etc.).

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Le christianisme s’est construit ensuite et assez mal comme on a pu le constater au bout de siècles de guerres, de compromissions et d’hérésies. Enfin on ne devient pas chrétien par l’opération du Saint-Esprit mais par la propagande (mot inventé par le Vatican) et par la persécution. Il fallut attendre longtemps pour le comprendre, voyez Laurent Guyénot et quelques autres comme Ramsey MacMullen (photo, ci-dessus). Seule la Renaissance et le boom scientifique  de l’époque des Lumières nous ont arrachés (pour le meilleur et pour le pire, mais c’est une autre question) à l’arriération antérieure. Nietzsche a adoré la Renaissance mais regretté Luther et la contre-réforme.

D’un autre côté cette clochardisation chrétienne revient avec le Grand Reset, le prodigieux appauvrissement actuel et la bêtise incroyable qui règne en Occident pour des questions morales et humanitaires. Tout pourrait se terminer par cette apocalypse molle et médiocre, celle que devinait et décrivait brillamment T. S. Eliot dans son texte (texte plus que poème) sur les hommes creux. Mais l’atmosphère de croisade qui règne contre la Russie et le reste du monde ne nous garantit pas non plus un futur équitable. Cet esprit de missionnaire et de croisade morale qui est le fondement du christianisme géopolitique aura été un désastre permanent.

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A dire vrai donc la catastrophe chrétienne est ancienne : dans son grand livre sur la crise de la conscience européenne, l’historien Paul Hazard citait Swift qui avec son ironie coutumière se demandait par quoi on allait remplacer le christianisme au siècle du libertinage et du capitalisme qui commençait. On était en 1707 et toutes les Lumières liquidaient déjà le christianisme. La France des lettres persanes et de Manon Lescaut n’est plus chrétienne dès le début du XVIIIème siècle et elle attend son coup de grâce qui s’est passé sans coup férir comme l’observait le RP Bruckberger. Léon Bloy a même vu que la révolution n’avait pas produit de martyrs ; elle a juste rétréci et raccourci les hommes. Même Victor Hugo, qui est parfois un Nietzsche de gauche, remarque dans son Quatre-Vingt-Treize un rétrécissement des hommes depuis la Révolution Française.

Le christianisme écrasé et rétréci par la Révolution et l’Empire (l’agent Napoléon a détruit Espagne catholique et la Russie orthodoxe) a subsisté comme on sait ensuite mais il a été remplacé par son masque comme disait Feuerbach vers 1850. La religion déchoit. Gustave de Beaumont l’ami de Tocqueville remarque que le prêcheur a un business aux Etats-Unis. On est déjà dans un « pays juif » dont le dieu est l’argent comme dit Marx dans son texte célèbre sur la question juive : c’est Marx qui a compris que peut-être Beaumont est plus important que Tocqueville pour comprendre le monde moderne. Tocqueville est surtout important dans son tome II quand il pressent et décrit l’esprit socialiste et égalitaire français (plus qu’américain)…

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Dieu est mort mais on fait semblant de continuer. L’historien républicain Michelet (portrait) le voit aussi, qui explique qu’une spiritualité morte (zombie, dit Emmanuel Todd de nos jours) peut continuer de durer par habitude et par éducation, il oublie de dire par intérêt, le catholicisme étant devenu depuis le dix-neuvième siècle une religion exclusivement bourgeoise, surtout depuis la disparition de la classe paysanne, que les bourgeois modernes ont mis tant de cœur à exterminer pendant qu’ils modernisaient leurs pays et les déracinaient physiquement et spirituellement. Les petits bergers de Fatima ne reviendront pas, comme le montrait Fellini dans une scène célèbre de Roma.

On a eu des copies de christianisme et on a eu un christianisme bourgeois et conservateur (celui qui a bâti l’Europe totalitaire de von der Leyen avec les socialistes et les informaticiens américains) et on a eu un christianisme apocalyptique réservé à des esprits catastrophés comme l’amusant Léon Bloy qui plaisait bien à Kafka (son livre sur les juifs dit-il est surtout un livre contre les antisémites de son temps comme Drumont). C’est ce christianisme qui annonce les cosaques et le Saint-Esprit en 1917 et qui récupère les bolcheviques et le communisme, en attendant de déboucher sur un mondialisme de marché qui, à tout point de vue, est pire que le communisme (ce dernier garantissait comme le franquisme néo-catholique natalité, éducation, santé et éducation gratuite…). Mais c’est celui que veulent les catholiques et les chrétiens un peu partout dans le monde, avec leurs partis de droite ou de centre-droit. La religion climatique s’est agrégée à ce train de la mort et du nihilisme ambiant.

Certains enfin croient  toujours à une solution finale, à un réveil chrétien ultime mais ils ignorent l’histoire du christianisme telle qu’on devrait l’enseigner. La destruction de l’empire romain, l’invasion migratoire sous Théodose et la dépopulation qui s'en est suivie suite à l’application du christianisme (les âges sombres, comme on dit justement) au cours du premier millénaire, les invraisemblables génocides, persécutions, croisades génocidaires et inutiles, guerres civiles et totalitarismes papistes (voyez Luchaire ou notre ami Guyénot) et enfin pour finir une cauchemardesque atmosphère de vacance fatiguée et de fumet bourgeois qui se dégagent des chrétiens de la fin, tout cela ne donne pas du paquet-cadeau une haute image. Mais ce n’est grave : - continuons, comme dit un personnage de Sartre aux enfers.

On va donner la dizaine de citations indispensables qui serviront à éclairer ce que nous venons de dire. Commençons par les écrivains chrétiens qui ont compris la catastrophe chrétienne moderne :

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Léon Bloy :

« Le christianisme, quand il en reste, n’est qu’une surenchère de bêtise ou de lâcheté. On ne vend même plus Jésus-Christ, on le bazarde, et les pleutres enfants de l’Église se tiennent humblement à la porte de la Synagogue, pour mendier un petit bout de la corde de Judas qu’on leur décerne, enfin, de guerre lasse, avec accompagnement d’un nombre infini de coups de souliers. »

Autre envolée magnifique :

« On est bien forcé d’avouer que c’est tout à fait fini, maintenant, le spiritualisme chrétien, puisque, depuis trois siècles, rien n’a pu restituer un semblant de verdeur à la souche calcinée des vieilles croyances. Quelques formules sentimentales donnent encore l’illusion de la vie, mais on est mort, en réalité, vraiment mort. Le Jansénisme, cet infâme arrière-suint de l’émonctoire calviniste, n’a-t-il pas fini par se pourlécher lui-même, avec une langue de Jésuite sélectivement obtenue, et la racaille philosophique n’a-t-elle pas fait épouser sa progéniture aux plus hautes nichées du gallicanisme ? La Terreur elle-même, qui aurait dû, semble-t-il, avoir la magnifiante efficacité des persécutions antiques, n’a servi qu’à rapetisser encore les chrétiens qu’elle a raccourcis. »

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Bernanos :

« Les puissantes démocraties capitalistes de demain, organisées pour l’exploitation rationnelle de l’homme au profit de l’espèce, avec leur étatisme forcené, l’inextricable réseau des institutions de prévoyance et d’assurances, finiront par élever entre l’individu et l’Église une barrière administrative qu’aucun Vincent de Paul n’essaiera même plus de franchir. Dès lors, il pourra bien subsister quelque part un pape, une hiérarchie, ce qu’il faut enfin pour que la parole donnée par Dieu soit gardée jusqu’à la fin, on pourra même y joindre, à la rigueur, quelques fonctionnaires ecclésiastiques tolérés ou même entretenus par l’État, au titre d’auxiliaires du médecin psychiatre, et qui n’ambitionneront rien tant que d’être traités un jour de « cher maître » par cet imposant confrère… Seulement, la chrétienté sera morte. Peut-être n’est-elle plus déjà qu’un rêve ? »

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Chesterton :

« Le monde moderne n’est pas méchant ; à certains égards il est beaucoup trop bon. Il est rempli de vertus farouches et gaspillées. Quand un certain ordre religieux est ébranlé – comme le Christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des vieilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitude. »

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Passons aux antichrétiens :

Céline :

« Drumont et Gobineau se raccrochent à leur Mère l’Église, leur christianisme sacrissime, éperdument. Ils brandissent la croix face au juif, patenté suppôt des enfers, l’exorcisent à tout goupillon. Ce qu’ils reprochent surtout au youtre, avant tout, par-dessus tout, c’est d’être le meurtrier de Jésus, le souilleur d’hostie, l’empêcheur de chapelets en rond… Que ces griefs tiennent peu en l’air ! La croix antidote ? quelle farce ! Comme tout cela est mal pensé, de traviole et faux, cafouilleux, pleurard, timide. L’aryen succombe en vérité de jobardise. Il a happé la religion, la Légende tramée par les juifs expressément pour sa perte, sa châtrerie, sa servitude. Propagée aux races viriles, aux races aryennes détestées, la religion de “Pierre et Paul” fit admirablement son œuvre, elle décatit en mendigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christianique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux, leurs religions exaltantes, leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race. Ce n’est pas tout. Crime des crimes, la religion catholique fut à travers toute notre histoire, la grande proxénète, la grande métisseuse des races nobles, la grande procureuse aux pourris (avec tous les saints sacrements), l’enragée contaminatrice. La religion catholique fondée par douze juifs aura fièrement joué tout son rôle lorsque nous aurons disparu, sous les flots de l’énorme tourbe, du géant lupanar afro-asiate qui se prépare à l’horizon. Ainsi la triste vérité, l’aryen n’a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de religion blanche. »

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Nietzsche :

« Allons droit à l'exemple le plus saillant. Tout ce qui sur terre a été entrepris contre les « nobles », les « puissants », les « maîtres », le « pouvoir », n'entre pas en ligne de compte, si on le compare à ce que les Juifs ont fait : les Juifs, ce peuple sacerdotal qui a fini par ne pouvoir trouver satisfaction contre ses ennemis et ses dominateurs que par une radicale transmutation de toutes les valeurs, c'est-à-dire par un acte de vindicte essentiellement spirituel. Seul un peuple de prêtres pouvait agir ainsi, ce peuple qui vengeait d'une façon sacerdotale sa haine rentrée. Ce sont clés Juifs, qui, avec une formidable logique, n’ont osé le renversement de l'aristocratique équation des valeurs (bon, noble, puissant, beau, heureux, aimé de Dieu). Ils ont maintenu ce renversement avec l'acharnement d'une haine sans borne (la haine de l'impuissance) et ils ont affirmé : « Les misérables seuls sont les bons; les pauvres, les impuissants, les petits seuls sont les bons; ceux qui souffrent, les nécessiteux, les malades, les difformes sont aussi les seuls pieux, les seuls bénis de Dieu…

On sait qui a recueilli l'héritage de cette dépréciation judaïque… Je rappelle, à propos de 1'iniliative monstrueuse et néfaste au-delà de toute expression que les Juifs ont prise par cette déclaration de guerre radicale entre loules, la conclusion à laquelle je suis arrivé en un autre endroit (Par-delà le bien et le mal, aph. 196). — Je veux dire que c'est avec les Juifs que commence le soulèvement des esclaves dans la morale : ce soulèvement qui traîne à sa suite une histoire longue de vingt siècles et que nous ne perdons aujourd'hui de vue que —parce qu'il a été victorieux... »

Plus important encore sur la fabrication du Christ, sujet tabou entre tous :

« N'est-ce pas par l'occulte magie noire d'une politique vraiment grandiose de la vengeance, d'une vengeance prévoyante, souterraine, lente à saisir et à calculer ses coups, qu'Israël même a dû renier et mettre en croix, à la face du monde, le véritable instrument de sa vengeance, comme si cet instrument était son ennemi mortel, afin que le « monde entier », c'est-à-dire tous les ennemis d'Israël, eussent moins de scrupules à mordre à cet appât? »

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Manipulations moldaves

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Manipulations moldaves

par Georges Feltin-Tracol 

L’Occident globalitaire jubile ! Ses candidats en Moldavie remportent les législatives du 28 septembre dernier. La précédente chronique hebdomadaire n° 168 évoquait ce scrutin crucial pour l’avenir de cette ancienne république soviétique de langue roumaine. Cette victoire plus nette que prévue revient en partie au vote des Moldaves de l’étranger. Environ 280 000 d’entre-eux ont participé à l’élection avec un taux de 78 % en faveur du parti Action et Solidarité (PAS). Par ailleurs, entre 600 000 et un million de Moldaves détiennent une autre nationalité, particulièrement la roumaine. C’est le cas de la présidente moldave, Maia Sandu. Une falsification sophistiquée de ces élections est aussi une possibilité à ne pas négliger dans le contexte trouble post-soviétique. Il faut néanmoins l’admettre : la propagande du pouvoir a été remarquable.

La formation dirigeante, le PAS, ramasse 50,20 % des suffrages et remporte 55 sièges sur 101. Le système médiatique occidental d’occupation mentale salue ce nouvel ancrage euro-atlantique de la Moldavie. Pourtant, le gouvernement de Chisinau et les journalistes venus de l’Ouest n’ont pas cessé de dénoncer pendant toute la campagne électorale les opérations de manipulation, d’ingérence et de désinformation orchestrées par la Russie. Or le résultat final surprend. On peut sérieusement douter de l’efficacité des services russes au regard du succès des sortants pro-occidentaux. Le Kremlin devrait s’inquiéter de l’amateurisme, souvent filmé, de ses agents à l’étranger, amateurisme déjà manifeste au moment de la tentative d’empoisonnement de l’agent double Sergueï Skripal et de sa fille réfugiés en Grande-Bretagne en 2018. Les services russes combineraient-ils dans leurs manigances bras cassés et Pieds-Nickelés ?

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Plus sérieusement, ces actions clandestines de « guerre hybride » ne seraient-elles pas en fait des opérations menées sous faux drapeau à l’initiative d’officines occidentales de déstabilisation ? Prétendre sans guère de preuves probantes que Moscou dépenserait des millions d’euros pour corrompre des Moldaves et les submergerait de comptes fantômes sur les réseaux sociaux pour finalement obtenir une contre-performance majeure, à savoir une nouvelle majorité absolue pour son principal ennemi, interroge… Ces actes de subversion, souvent fomentés par l’Occident lui-même, alimentent une nouvelle et intense guerre psychologique, ce qui ne dédouane pas la Russie d’entreprendre des manipulations propres à l’habituelle guerre de l’ombre.

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La victoire du PAS se produit dans un cadre que n’approuverait pas en temps normal les bouffons de la commission de Venise. Cette instance internationale a pour vocation de protéger l’« État de droit » sur le continent européen. Des décisions judiciaires contestables biaisent la sincérité de l’élection. Quarante-huit heures avant l’ouverture du scrutin, la commission électorale interdit deux partis accusés d’être pro-russes et/ou de recevoir de l’argent de Moscou. Le mouvement Cœur de la Moldavie contraint le Bloc patriotique - nationaliste de gauche (24,17 %) - d’exclure ses candidats et de les remplacer au pied levé par d’autres. Quant au Parti de la Grande Moldavie de Victoria Furtuna (photo), il se voit privé d’élection. Même dans les États démocrates décatis des États-Unis, on n’aurait pas fait pire… Irrédentiste, la formation de Victoria Furtuna (4,45 % à la présidentielle de 2024 et qui appela à voter au second tour pour Maia Sandu) envisage l’annexion de la Moldavie roumaine et du littoral méridional ukrainien tout en exprimant en public un scepticisme marqué envers la Russie.

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En revanche, le parti Démocratie à la maison de Vasile Costiuc, affilié à l’AUR (Alliance pour l’unité des Roumains) de George Simion, obtient 5,62 % et six sièges. Unionistes, ce parti et son grand frère, l’AUR qui appartient aux Conservateurs et réformistes européens de Giorgia Meloni, soutiennent le rattachement de la Moldavie à la Roumanie. Il existe néanmoins une branche moldave de l’AUR qui n’a fait que 0,10 %.

Le PAS s’élève sans cesse contre la sécession de la Transnistrie slavophone. Le séparatisme assumé de la République moldave du Dniestr l’arrange cependant pour une fois. Deux faits auraient dû susciter l’ire des grandes consciences démocratiques. Le gouvernement moldave a établi douze bureaux de vote réservés aux électeurs transnistriens hors du territoire de la Transnistrie. Lors de la présidentielle de 2024, on en recensait trente. Aux législatives de 2021, on en comptait… quarante-et-un ! Par un fâcheuse coïncidence, le dimanche du vote, la presque totalité des ponts qui franchissent le Dniestr et qui servent de frontière informelle entre la Moldavie et la Transnistrie a été coupé. Certains n’ont ouvert qu’une demi-heure avant la fermeture des bureaux de vote. Des milliers de Transnistriens n’ont ainsi pas pu exercer leur devoir électoral. Ni l’Union pseudo-européenne, ni le Conseil de l’Europe, d’habitude si prompts sur le respect tatillon des normes démocratiques, n’ont émis le moindre commentaire défavorable ! Seule l’OSCE (Organisation de sécurité et de coopération en Europe) a quelque peu tiqué. Cette double manœuvre confirme que certains gouvernements sont plus égaux que d’autres en matière de contournement électoral.

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Chef de l’opposition, l’ancien président Igor Dodon ne reconnaît pas les résultats officiels et en appelle à des manifestations contre ce détournement de la volonté populaire. Le climat de terreur qui règne en Moldavie avec des descentes policières fréquentes et des rafles régulières contre les opposants rend incertain toute contestation vraiment organisée d’autant que des menaces d’arrestation planent sur la plupart des personnalités-clef de l’opposition. Il importe par conséquent de surveiller avec attention les prochains événements en Moldavie, foyer de tension de l’Est européen en devenir.       

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 169, mise en ligne le 9 octobre 2025 sur Radio Méridien Zéro.

samedi, 11 octobre 2025

Merkel vient de l'admettre: la Pologne et les pays baltes également responsables de la guerre en Ukraine

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Merkel vient de l'admettre: la Pologne et les pays baltes également responsables de la guerre en Ukraine

Berlin/Budapest. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel n’est jamais à court de révélations surprenantes. On se souvient de son aveu sans détour – en accord avec le président français Hollande – lors d’un entretien avec Die Zeit en décembre 2022, selon lequel l’accord de Minsk de 2014 n’avait eu pour but que de donner à l’Ukraine du temps pour se réarmer.

Voici maintenant la nouvelle sensation : lors d’une interview accordée au média en ligne hongrois Partizán, l’ancienne chancelière a notamment déclaré que la Pologne et les pays baltes étaient également responsables du déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022. Selon ses dires, elle a tenté en juin 2021 d’établir un nouveau format de discussions avec la Russie, après avoir constaté que « l’accord de Minsk n’était plus pris au sérieux par Poutine, et c’est pourquoi je voulais un nouveau format, afin que nous puissions parler directement à Poutine en tant qu’Union européenne ».

Mais cette tentative a échoué en raison de l’opposition des pays d’Europe de l’Est: « Certains ne l’ont pas soutenue. Il s’agissait surtout des pays baltes, mais la Pologne était également contre. » Selon Merkel, ces pays craignaient « que nous n’ayons pas de politique commune envers la Russie ».

Selon elle, cet échec a largement contribué à une escalade ultérieure : « En tout cas, cela n’a pas abouti. Ensuite, j’ai quitté mes fonctions, et c’est alors que l’agression de Poutine a commencé. »

De manière surprenante, Merkel cite également la “pandémie” de Covid comme facteur ayant favorisé la guerre. À cause de la « peur de Poutine face à la pandémie de Co vid », les rencontres en personne étaient impossibles. « Si l’on ne peut pas se rencontrer, si l’on ne peut pas exposer ses différends face à face, on ne trouve pas de nouveaux compromis », analyse-t-elle rétrospectivement. Les visioconférences n’étaient pas suffisantes.

Dans le même temps, Merkel a défendu les accords de Minsk, qui « avaient permis une accalmie » et donné à l’Ukraine la possibilité de « rassembler ses forces et de devenir un autre pays ». Elle a ainsi réitéré son aveu que les accords de Minsk n’étaient qu’une manœuvre de diversion.

Sans surprise, les propos de Merkel ont suscité des réactions vives chez les intéressés. Le président polonais Andrzej Duda a fermement rejeté les accusations et insisté sur le fait que son pays n’était pas complice, mais bien une victime potentielle de l’agression russe. Mais cela est faux, et ce n’est pas seulement l’avis de Merkel, mais aussi celui du président du Kremlin, Poutine. Lors de son long entretien avec le journaliste américain Tucker Carlson en février 2024, Poutine a tenu la Pologne largement responsable de l’escalade du conflit en Ukraine – et a précisé à cette occasion que la Pologne, par une politique similaire, avait également été au moins en partie responsable du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939 (mü).

Source: Zu erst, Oct. 2025.

France: la social-démocratie zombie

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France: la social-démocratie zombie

Nicolas Maxime

Source: Page Facebook de Nicolas Maxime

Ces derniers jours, le PS, le PCF et EELV n’ont cessé de multiplier les appels du pied et les négociations avec Emmanuel Macron pour former un hypothétique gouvernement de centre gauche. Certains comme le député Philippe Brun sont même allés jusqu'à vouloir ressusciter le hollandisme en considérant que Bernard Cazeneuve serait une très bonne option pour Matignon. Ce réflexe révèle moins une stratégie politique que de la survie artificielle d’un corps politique déjà mort, celle d’une "social-démocratie zombie".

Comme l’a montré Emmanuel Todd avec le catholicisme zombie, qui continue d’imprégner les comportements malgré la disparition de la foi, ces partis perpétuent les dogmes d’un monde révolu:

– la croyance qu’un marché libre mais régulé pourrait garantir la justice sociale ;

– l’illusion qu’une redistribution des riches vers les pauvres suffirait à corriger les inégalités structurelles créées par le capital ;

– la foi dans un État arbitre, neutre et bienveillant, qui concilierait intérêts du capital et exigences sociales ;

– l’idée qu’une Europe sociale pourrait émerger d’institutions conçues pour sanctuariser la concurrence et la libre circulation des capitaux ;

– et, plus largement, l’espoir d’un capitalisme moral, adouci par quelques correctifs écologiques ou redistributifs.

FRANCE-2017-VOTE-ECONOMY-PRIMARIES-PIKETTY-2-1227820419.jpgOr, cette vision appartient à un autre âge car le compromis fordo-keynésien n'existe plus. À la différence de leurs prédécesseurs, ces partis sont désormais largement discrédités auprès des Français. Ainsi, ensemble, ils ne représentent plus qu’à peine 10 % des suffrages. Leur discours ne parle ni aux ouvriers, ni aux employés, ni aux classes moyennes précarisées. Ils incarnent cette « gauche brahmane » décrite par Thomas Piketty (photo) — celle des professions intellectuelles supérieures, urbaines, diplômées, détachées des réalités du travail et de la France périphérique et rurale.

Cette social-démocratie zombie continue de réciter les prières d’un capitalisme à visage humain, sans voir que le système dont elle espère la rédemption est entré en phase terminale. Cette gauche croit encore aux politiques de régulation quand tout démontre que la financiarisation, la désindustrialisation et la crise écologique ont rendu ces compromis impossibles. Cette gauche parle d’égalité, mais dans le cadre d’un système économique qui rend structurellement irréalisable toute politique de redistribution.

Ainsi, la gauche traditionnelle ne meurt pas de ses adversaires, mais de son incapacité à rompre avec l’imaginaire bourgeois du progrès indéfini et du compromis social.

Car la véritable alternative ne se joue plus entre droite et gauche du Capital, mais entre la perpétuation d’un capitalisme autoritaire et la construction d’un éco-socialisme démocratique, fondé sur la souveraineté populaire, la socialisation des moyens de production et la planification écologique.

La social-démocratie, dans sa forme zombie, vit pour l’heure ses derniers instants.

Woke, une vendetta contre l’Histoire

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Woke, une vendetta contre l’Histoire

par Roberto Pecchioli

Source: https://telegra.ph/Woke-vendetta-contro-la-Storia-10-09

La culture de l’annulation woke, soi-disant « éveillée » (elle aurait mieux fait de continuer à dormir), est une vengeance contre l’histoire, un suprématisme du temps présent. Elle mène une véritable guerre contre le passé. Mots obligatoires, grammaire inventée, statues déboulonnées, nouveaux lieux communs « présentistes » souvent ridicules remplacent les convictions enracinées sur lesquelles des communautés entières se sont fondées. Les livres coupables d’exprimer des idées non conformes à la vulgate contemporaine sont interdits. Des bûchers symboliques en attendant les vrais. Quand ils ne sont pas cachés ou « purgés », les textes jugés politiquement incorrects, les films, les œuvres d’art suspectes exposées dans les musées sont précédés des fameux trigger warnings, des avertissements signalant « la présence de contenus susceptibles de déclencher des émotions négatives, des pensées ou des souvenirs désagréables chez les personnes ayant subi un traumatisme ou particulièrement sensibles à certains thèmes comme la violence, les abus ou la perte. L’objectif est de permettre aux personnes de choisir d’affronter ou non le contenu, en leur offrant une préparation psychologique et la possibilité d’éviter une retraumatisation ». Le nouvel art dégénéré. La définition citée est celle de Google, élaborée par l’Intelligence artificielle. Voilà donc qui sont les véritables mécènes de l’ouragan woke.

En substance, on avertit les lecteurs et les usagers des œuvres et contenus que ceux-ci ne correspondent pas au canon présentiste inversé. Ils appartiennent au passé: ils méritent d’être effacés, ou du moins ridiculisés, soumis à la censure éthique du tribunal de l’Inquisition laïque. Le critère est élémentaire: tout ce qui n’a pas été inventé, produit ou pensé par la génération actuelle est faux, indigne, barbare. Les contemporains se sont « réveillés » et savent avec une certitude infaillible que la vision du monde actuelle est la seule correcte, voire définitive. L’éveil a conféré la conviction apodictique que le passé doit être totalement effacé pour délit de discordance avec l’Aujourd’hui. Vaste entreprise au nom de laquelle l’ensemble de l’héritage historique de la civilisation occidentale s’est transformé en champ de bataille. Le verdict ne prévoit ni absolutions, ni circonstances atténuantes, ni excuses.

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Le problème, c’est que si l’on destitue tout passé, il devient impossible de donner un sens à la vie des gens dans le présent. Nous craignons que ce soit là l’objectif, non pas tant des théoriciens woke, parmi lesquels abondent marginaux et sujets borderline, mais de leurs maîtres mondialistes, ceux qui les ont mis en chaire, qui leur ont confié la direction de l’appareil culturel, médiatique, communicationnel dont ils sont propriétaires. En effet, une caractéristique de la culture de l’annulation – oxymore risible puisque la culture est accumulation – est de ne jamais remettre en cause l’ordre économique, social et financier actuel, le globalisme capitaliste, dont elle est soutien et avant-garde. L’ennemi, c’est moi, c’est toi qui lis, c’est le peuple ordinaire, résumé dans la formule méprisante pale, male and stale (pâle (blanc), mâle et rassis (vieux, rétrograde)), étendue à toute l’histoire de la civilisation.

La contestation ne touche pas à la structure concrète du pouvoir, mais réinterprète tout, chaque passé, chaque événement comme une vengeance posthume contre les torts d’hier. Puisque le passé n’existe plus et ne peut être changé, victimes et bourreaux doivent être créés et situés dans le présent. L’idée de sensibilité blessée est un récit artificiel, né parce que quelqu’un a décidé de lui coudre une histoire, attribuant à une chose – une statue de Colomb, une œuvre d’Aristote, certains principes – une signification d’oppression capable de générer le sentiment d’offense, essentiel au mécanisme de l’annulation. L’étape suivante est l’indignation sur commande, puis la sanction, enfin l’interdiction et la damnatio memoriae, la condamnation à l’oubli pour indignité. La première victime est le langage qui interprète la réalité, raison pour laquelle il faut obligatoirement dire « la maire » ou « l’avocate », s’adresser aux « travailleuses et travailleurs », alors que personne n’avait jamais pensé que le genre masculin « étendu » en italien contenait de la discrimination.

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La seconde est la liberté de jugement. La volonté de préserver quelqu’un du trouble inclut l’interdiction de l’expression libre au nom d’une abstraction ou d’une simple intention offensive, inexistante dans des œuvres qui utilisaient, comme il se doit, les canons linguistiques, culturels, les connaissances de l’époque où elles furent conçues. La dictature du présent empêche la formation de consciences libres et inhibe l’avenir. Et si les générations décidaient que le critère woke est erroné, voulaient connaître d’autres points de vue ou pressentaient que le canon d’aujourd’hui pourrait être contredit demain ? Quant à l’offense perçue, à effacer ou à punir, elle présente souvent des traits paranoïaques. Comment un vers de Shakespeare pourrait-il offenser ? Si cela arrive, cela signifie que les générations élevées au pain et au woke sont extrêmement fragiles, des flocons de neige hypersensibles, incapables de vivre dans le monde, forcés par de mauvais maîtres à cacher la tête sous le sable, jusqu’à devenir des haineux implacables de quiconque fait éclater la bulle de savon dans laquelle ils sont plongés.

Leur imaginaire, loin d’être décolonisé comme le prétend le récit woke, a été vidé et rempli de concepts entourés d’une aura d’indiscutabilité, des a priori dont la négation déconstruit des esprits fragiles désaccoutumés au raisonnement. Le capitalisme absolu, qui est au pouvoir, rit sous cape, car il a grand besoin de têtes vides, d’autant plus si elles invalident l’histoire, détruisent le passé, corrigent la connaissance. C’est la quintessence de la modernité libérale dont les fautes passées indignent tant l’idéologie woke. La volonté de tout remettre à zéro et de repartir à nu n’est pas nouvelle. C’est l’histoire de la révolution française, du communisme, du maoïsme, des traditions qui imposent même leur propre calendrier. Cela n’a jamais apporté grand-chose de bon, mais l’homme n’apprend jamais de ses erreurs, d’autant plus s’il est programmé pour les ignorer.

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Un livre du Hongrois Frank Furedi, naturalisé américain, La guerre contre le passé, constate la nature iconoclaste, furieuse, de la culture de l’annulation, la rage de ceux qui violentent le passé – par exemple en détruisant une statue présente depuis des siècles – pour se venger du présent et « déshériter l’histoire ». Naïve est la surprise de Furedi lorsqu’il observe que les lubies idéologiques actuelles, incubées dans les années 1960, ont explosé en influence culturelle dans les années 1980, dominées par Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Il confond libéralisme/néolibéralisme et conservatisme, deux idéologies divergentes. Les libéraux des années 1980, comme leurs références culturelles et économiques (von Hayek, Friedman, Ayn Rand), avaient essentiellement des préoccupations économiques: ils défendaient la libre entreprise et le dogme de la croissance, la forme du progrès chère à la droite libérale. Leur prétendu conservatisme se limitait à défendre l’ordre patrimonial existant. Margaret Thatcher a affirmé que la société n’existait pas, qu’il n’y avait que des individus. « There is no such thing as society ». Distillat de culture de l’annulation, tout comme l’autre affirmation iconique de la dame anglaise selon laquelle « il n’y a pas d’alternative » à la société de marché, l’acronyme TINA (there is no alternative) invoqué par la pensée libérale.

Ce furent le colonialisme anglo-saxon et français qui ont pratiqué la suppression culturelle – déculturation suivie d’acculturation forcée – à l’encontre des peuples « arriérés », soumis à un énergique lavage de cerveau pour les conduire vers un progrès inévitable, coïncidant avec l’adhésion au modèle libéral-démocratique occidental, arrivé aujourd’hui – selon la vulgate woke – à l’apogée civile et culturelle de l’histoire. Une grave erreur si elle est exprimée par des experts en scénarios géopolitiques comme Francis Fukuyama, dévastatrice si elle devient l’idée unique de générations elles-mêmes déculturées et, de plus, ramollies par la ouate existentielle. Tout à fait trompeuse est la prétention à un jugement moral irrévocable condamnant le passé: racisme contre l’histoire. Une conséquence est l’autosatisfaction aveuglée par la négation d’idées, de principes, de formes de vie différents, incompréhensibles faute de points de comparaison. Le présent devient totem et tabou d’une idéologie semblable à la caverne de Platon, où les ombres remplaçaient la réalité.

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Le passé à effacer est ce qui est donné, le fondement, naturel (la biologie niée) ou culturel, les usages, coutumes, traditions et principes sédimentés au fil du temps. Nous assistons à un phénomène singulier d’inversion: habitudes, normes, institutions sont déclarées obsolètes au nom de la supériorité du présent, c’est-à-dire d’une croyance invérifiable, tandis que ceux qui les défendent – lorsqu’on leur accorde gracieusement la parole – doivent apporter la preuve de la validité de leurs affirmations. Mais comment démontrer la normalité de l’existence de deux sexes, de races différentes, du fait que la grossesse a été attribuée par la nature ou par Dieu à la femelle des mammifères (un terme suspect que nous suggérons aux policiers du langage)? Il n’est pas non plus possible d’apporter une rigueur scientifique à l’usage de certains mots ou à des comportements que le jugement commun a toujours considérés comme normaux (autre terme dont on demande l’abolition).

Nous ne pouvons pas démontrer qu’il est préférable de connaître Dante, Shakespeare, la philosophie et l’histoire, plutôt que de les effacer. Il manque un code commun de compréhension. On pourrait affirmer que la condition préférée des êtres vivants est l’homéostasie – le maintien de conditions stables – mais on resterait dans le champ du réel, vaincu dans l’imaginaire woke (et pas seulement) par la virtualité. Il est vain de rappeler que des théoriciens libéraux, de Stuart Mill à Hayek ou le progressiste Jonas, ont argumenté en faveur de l’importance des coutumes et modes de vie consolidés, mais on ferait alors référence au passé. Personne ne répondrait. Seulement des regards dédaigneux, au mieux la pitié réservée à ceux qui ne sont pas dans l’air du temps.

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En suivant Erich Fromm – qui n’était certainement pas un réactionnaire borné – nous affirmons qu’une guerre acharnée de l’avoir contre l’être est en cours, où discréditer le passé sert les intérêts du monde-marché et de son mouvement perpétuel orienté vers le profit. Le symbole universel du présent est l’argent, par nature mobile, sans passé ni avenir. Le présentisme qui efface, engloutit et recrache est l’expression d’un monde dominé par le marché, la consommation, c’est-à-dire l’obsolescence programmée. Et d’une idée de liberté négative, d’émancipation « de ». Liens, idées, identités, héritages ; du passé, le grand ennemi. Nus vers le but, mais le but est la dissolution. Individuelle, communautaire, civique. Au réveil woke succédera la nuit définitive. Il deviendra lui aussi du passé. Ce qu’il adviendra de ce pan du monde, nous le découvrirons en vivant. Ou en mourant.

 

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Le plan secret de l’histoire: le voyage philosophique de Nick Land de l’accélérationnisme à l’eschatologie

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Le plan secret de l’histoire: le voyage philosophique de Nick Land de l’accélérationnisme à l’eschatologie

Markku Siira

Source: https://geopolarium.com/2025/10/09/historian-salainen-suu...

Qualifier Nick Land uniquement de prophète de la dystopie techno-capitaliste peut aujourd'hui sembler une description insuffisante. Sa récente discussion avec le politologue russe Aleksandr Douguine révèle que le philosophe britannique résidant à Shanghai inscrit la crise de la modernité et l'accélération dans un contexte historique, théologique et géopolitique bien plus nuancé. Land ne rejette pas ses premières intuitions, mais les affine afin de proposer une analyse qui distingue deux formes essentielles de la modernité.

Land maintient une distinction entre le « paléo-libéralisme » et le « libéralisme globaliste » actuel. Le premier incarne pour lui le cœur de la tradition anglo-saxonne, en particulier anglo-écossaise, caractérisée par des systèmes décentralisés, le « sommet vide » (empty summit) et les « mains invisibles » (invisible hands) — au pluriel, sur lequel Land insiste consciemment. Dans ce modèle paléo-libéral, la morale publique suprême de la société n’est pas codifiée dans l’autorité, mais déléguée à des processus spontanés.

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Selon Land, la culture chinoise présente des caractéristiques similaires : « Dans la tradition taoïste-légaliste, il existe une forte tendance, propre à cette pensée selon laquelle le meilleur empereur est invisible pour la société » et « les montagnes sont hautes et l’empereur est loin » — des conceptions qu’il considère comme analogues à celle du « sommet vide ».

Land fait référence à Adam Smith et Bernard Mandeville pour montrer que cela repose sur une intuition profonde: l'action égoïste de l'individu peut conduire au bien commun par le biais de la main invisible. Il considère cette forme de libéralisme comme saine et historiquement durable, tant qu’elle reste liée à son contexte ethnique et culturel particulier. Le problème n’est donc pas le libéralisme en soi, mais son arrachement à son environnement originel et sa transformation en une idéologie globale et universelle, devenue selon Land le plus grand problème du monde, un « monstre moralisateur ».

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Cette distinction explique l’intérêt de Land pour certaines technologies actuelles. Il voit dans Internet, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle décentralisée une expression moderne des principes paléo-libéraux. Ces technologies reposent sur une logique décentralisée et non centralisée, qui s’oppose à la « sur-codification » venue d’en haut. En ce sens, son accélérationnisme demeure valide : les systèmes décentralisés engendrent une véritable accélération.

Selon Land, les objets qui suscitent de la passion chez les accélérationnistes actuels sont fondamentalement les mêmes: «L’intelligence artificielle accélère, la technologie blockchain accélère.» Pour lui, ces phénomènes représentent le vrai libéralisme: «Ces technologies exigent une mentalité libérale fondée sur la décentralisation et le concept de sommet vide. L’Internet lui-même est né de ce principe — ses concepteurs ont noté qu’en cas d’échange de frappes nucléaires, tous les centres de commandement centraux seraient détruits. »

Dans le dialogue avec Douguine, le cadre philosophique de Land s’approfondit encore. Il souligne que tant la tradition biblique que la philosophie critique de Kant à Heidegger rejettent une conception du temps simplement progressiste. Selon Land, comprendre en profondeur le temps et l’histoire nécessite d’abandonner la conception habituelle selon laquelle l’homme agit dans un processus causal du présent vers l’avenir.

Il en découle la thèse centrale de Land : « la structure historique organise les décisions que nous prenons ». Ce point de vue révèle son attitude post-humaniste fondamentale, où l’agentivité humaine est remplacée par des processus historiques, voire divins, plus larges. Cependant, Land n’adopte pas l’idée de Douguine de « stopper ce processus », mais maintient que ces processus ne sont pas maîtrisables par la volonté humaine.

Son approche consiste plutôt à « avoir confiance dans le plan » — il semble croire que les phénomènes apparemment chaotiques et impies du présent, comme l’accélération technologique, peuvent faire partie d’un plan providentiel plus vaste, même s’il dépasse l’entendement humain.

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Land explique cela en se référant au Faust de Goethe : « L’énoncé de Méphistophélès et le concept de main invisible d’Adam Smith sont presque identiques. Les deux affirment que le bien commun ne résulte pas d’une intention délibérée individuelle, mais s’accomplit grâce à une force supérieure. »

Vu sous cet angle, la pensée du philosophe britannique, autrefois qualifiée de « sataniste », est plutôt une tentative de dire « oui » au processus historique profond, plutôt qu’une rébellion contre celui-ci.

Enfin, dans sa pensée désormais mature, Land voit comme un développement positif le retour du débat sociétal à un langage théologique et métaphysique. Les accusations de satanisme ne le dérangent pas, car elles montrent que la supposée fin de l’ère moderne séculière et superficielle a été atteinte.

Land affirme : « Les gens doivent en réalité penser aux choses de façon beaucoup plus profonde qu’il n’y paraîtrait à première vue. Je pense qu’il vaut vraiment la peine de payer le prix et de supporter les flèches et les coups, si cela signifie que toute la culture passe à un état plus profond de réflexion sur des questions sérieuses. »

Selon lui, cet approfondissement se manifeste dans le fait que les gens recommencent à discuter des anges, des démons et des forces historiques — ce qui, selon Land, constitue une alternative bienvenue à « l’athéisme auto-satisfait ».

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La vision philosophique de Land atteint une expression particulièrement poétique dans son interprétation de la croix de Saint-Georges du drapeau anglais. Il remarque que « les nouvelles de Grande-Bretagne — d’Angleterre — montrent aujourd’hui des gens brandissant le drapeau de Saint-Georges », et relie cela aux recherches de l’historienne Frances Yates.

Selon Land, « ce qui est fascinant, c’est que ce [drapeau] représente la tradition hermétique rosicrucienne, qui a cheminé de la Renaissance italienne à l’Angleterre élisabéthaine — les croix de Georges, la Rose-Croix ». Cette symbolique lui révèle la profondeur secrète de l’histoire : « Même si les gens ne connaissent pas toujours la signification plus profonde de leurs actes, le drapeau qu’ils agitent représente cette tradition cachée qui agit sous notre monde moderne. »

Cette observation résume l’essence de son approche : « L’histoire est beaucoup plus profonde que les gens ne l’imaginent. » Dans le voyage philosophique de Land, de la dystopie du technocapitalisme au seuil de l’eschatologie, la crise de la modernité n’apparaît que comme un phénomène superficiel, sous lequel se cachent des forces et des traditions métaphysiques ancestrales — des forces qui continuent d’exercer leur influence aujourd’hui, que les gens en soient conscients ou non.

Le voyage philosophique de Land n’a donc pas abandonné l’accélérationnisme, mais l’a intégré dans un réseau toujours plus complexe de forces historiques, qui dépassent l’évaluation morale traditionnelle et nous obligent à affronter les dimensions métaphysiques plus profondes de la réalité.

vendredi, 10 octobre 2025

Sur la démocratie et la figure du Démocrate

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Sur la démocratie et la figure du Démocrate

Andrea Falco Profili

Source: https://www.grece-it.com/2025/09/26/opinioni-sulla-democr...

Les mots, comme tout autre instrument, subissent l’usure du temps. À l’instar des outils, c’est précisément le passage de main en main qui accélère ce processus, en émoussant les arêtes et en affaiblissant la charge de la signification originelle, jusqu’à les rendre presque méconnaissables. Aucun mot n’a peut-être subi une usure plus radicale que « démocratie ».

Aujourd’hui, ce terme est un récipient universel pour toute aspiration au bien ou – plus fréquemment – un synonyme paresseux de liberté, de tolérance et de droit. Évidemment, dans cette œuvre de sacralisation laïcisée, les Lumières ont joué un rôle de premier plan. Les régimes bourgeois qui s’opposaient à l’Ancien Régime, dans leur tentative de se doter d’une légitimation, ont cherché leurs racines vertueuses dans un passé idéalisé, construisant une généalogie qui, de l’Athènes classique, mènerait linéairement jusqu’aux palais de Bruxelles, Washington, Montecitorio ou de l’Élysée. Naturellement, l’opération est idéologique, comme le sont toutes les grandes entreprises de construction du mythe, mais ce n’est pas une raison pour accorder foi aux illusions auxquelles elle conduit en revendiquant une « identité démocratique ».

La démocratie n’est pas un terme thaumaturgique capable de dissoudre les conflits. Une nécessaire opération philologique révèle que l’élément décisif de ce construit lexical, kratos, signifie puissance au sens de force efficace, parfois contrainte dans sa dimension la plus physique. Demos, sans kratos, reste une somme indistincte ; kratos, sans demos, devient pure domination. Les Grecs n’ignoraient pas la friction, car la démocratie athénienne fut un équilibre instable entre l’assemblée, les tribunaux, le tirage au sort et le commandement militaire.

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L’époque de Périclès démontre que l’hégémonie culturelle d’un leader n’abolissait pas les contrôles, mais la cité se reconnaissait, lors des moments décisifs, dans un guide capable d’imprimer une direction. Ce n’est pas un hasard si les détracteurs du gouvernement populaire appelaient le parti au pouvoir « démocratie » précisément pour signaler l’aspect coercitif du kratos, tandis que ce dernier préférait se désigner simplement comme « le demos ».

D’où la première constatation essentielle: là où aujourd’hui on lit « gouvernance », les classiques écrivaient kratos. Vider le terme de sa substance « violente » revient à occulter que la décision comporte un risque, une forte responsabilité personnelle et – si besoin – le conflit. Dans les moments de bifurcation, la polis ne se sauve pas par la simple procédure, mais parce que quelqu’un concentre et dirige l’énergie commune. C’est précisément cela que la rhétorique contemporaine tend à éluder.

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Il est également intéressant de noter un terme d’usage classique qui a connu peu de fortune historique, demokrator. Dans la Grèce de l’époque romaine, «demokratía» peut signifier la domination sur la communauté: chez Appien, César et Pompée « luttent pour la demokratía » (ils ne briguent sûrement pas une élection) ; et un témoin tardif rapporte que Dion Cassius définissait Sylla comme demokrator. Il ne s’agit pas de la fonction technique du dictateur romain, mais d’un pouvoir personnel plein, accepté parce qu’efficace.

Ainsi, l’opposition scolaire commode entre « démocratie » et « dictature » apparaît floue. La différence, pourtant, existe et reste cruciale: le dictateur romain est une magistrature extraordinaire et temporaire, déléguée par la loi pour résoudre une urgence. Le demokrator pourrait être défini comme un aboutissement, c’est la force collective qui se reconnaît dans un guide qui intègre – au lieu de suspendre – le tissu institutionnel, orchestrant le pluralisme sans le dissoudre. À l’époque moderne, ce dispositif réapparaît comme césarisme et, à une certaine époque, sous le nom de bonapartisme: gouvernement personnel qui naît d’une relation directe avec le corps civique et mesure sa légitimité à son efficacité.

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Mais pour revenir à Athènes, il est remarquable de rappeler que Thucydide anticipe en Périclès la figure du princeps: pour éviter l’accusation d’être un régime démocratique (horribile dictu), il rapporte qu’Athènes était « en paroles une démocratie, en fait un gouvernement du pròtos anèr (premier homme) ». Il s’agit donc d’une primauté personnelle acceptée, capable de rendre la légalité opérante et d’hégémoniser la majorité.

L’image renverse le lieu commun de la démocratie athénienne comme principe des systèmes d’assemblée « redécouverts » à l’époque moderne, et montre au contraire un lien inconfortable avec l’institution romaine dont, dans l’histoire, le parcours de Bonaparte se serait voulu le continuateur: un compromis entre élites, corps et peuple, avec une direction qui sait aussi être impopulaire.

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Démocratie donc, n’équivaut pas à demo-archie: c’est l’opération de camouflage de la « force des nombreux » en « principe des nombreux ». Que la démocratie soit aussi une question d’indépendance matérielle est démontré par un épisode historique précis: en 89-87 av. J.-C., lorsque Athènes recouvre momentanément sa souveraineté, elle réactive des formes démocratiques. Indépendance et démocratie vont de pair parce que la citoyenneté est, avant tout, puissance en armes: sans autonomie, aucun kratos commun n’est possible.

Ce n’est pas seulement un rappel gênant pour ceux qui identifient la démocratie à un sondage éternel, mais si dans l’esprit de certains cela ouvre la perspective d’un régime militaire traditionnellement opposé à Athènes comme celui de Sparte, cela n’est pas un hasard. Ce fut en effet l’Athénien Isocrate (statue, ci-dessus) qui définissait Sparte comme une « démocratie parfaite », pour avoir fait coïncider citoyenneté et puissance armée dans la figure des Spartiates: citoyens par droit du sang, armés et appelés à exercer une participation exclusive vis-à-vis de l’étranger.

Pour donner consistance à la figure du demokrator, il s’agit de le définir comme celui qui reçoit un mandat à haute énergie et le restitue en œuvres, en définissant priorités et délais. En d’autres termes, un régime est démocratique non s’il exclut l’existence d’élites, mais s’il les requalifie, en passant d’élites de naissance à élites de fonction, dont le rang dépend de la capacité à rendre productive la force du peuple.

Napoléon est un cas exemplaire, il n’a pas exercé un rôle dictatorial au sens romain, mais plutôt celui de directeur plébiscitaire: son administration, fondée sur un rapport immédiat avec la nation, sans abattre les corps intermédiaires mais en les réorganisant, atteste d’une trajectoire qui – avec les éventuelles ombres du cas – confirme le kratos comme un outil. La question, avant d’être institutionnelle, est aussi symbolique. L’histoire est un réservoir d’images et de rites civiques qui concentrent l’attention collective. Sans ce registre, la politique se réduit à une administration compliquée.

Dans les moments décisifs, les communautés se rassemblent autour de figures qui séparent le tissu vivant des formes parasitaires: des interprètes capables de libérer des ressources contre les rentes et les appareils qui les drainent. C’est la manière dont le « sacré » civil canalise, sans mysticisme, l’énergie commune.

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Que l’acception réelle de la démocratie soit aujourd’hui aussi étrangère, sinon contradictoire, n’est pas sans raison: « démocratie » est un terme qui a eu trois siècles marginaux dans l’Antiquité, puis a disparu longtemps avant de ressurgir tardivement, jusqu’à la consécration post-1789; au vingtième siècle, souvent employé comme mot d’ordre contre les régimes illibéraux plutôt que comme définition institutionnelle.

Revenir aux textes est un exercice nécessaire pour reconnaître les pulsions vitales de la politique, communément diabolisées dans la figure maléfique du « démagogue populiste » qui – observait Spengler – correspond à une phase de déclin des bureaucraties amorphes, destinées à s’effondrer dans le césarisme, qui ne vient pas éteindre la démocratie mais la revitaliser. Il ne s’agit pas d’invoquer l’homme providentiel, mais une grammaire qui lie décision et responsabilité, permettant au peuple de se reconnaître dans celui qui gouverne, afin que « démocratie » retrouve le sens de capacité à destiner et non seulement à administrer avec de vrais résultats.

Andrea Falco Profili

Comment «l'éducation positive» a des conséquences négatives

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Comment «l'éducation positive» a des conséquences négatives

Peter W. Logghe

Source: Page Facebook de Peter Logghe

Dans le journal français Le Figaro, Luc Ferry, ancien ministre français de l'Éducation nationale, commente les directives du ministère français du Travail, de la Santé, de la Solidarité et de la Famille, publiées en juillet dernier et destinées à tous les établissements qui accueillent des enfants de moins de 6 ans. Dans ces directives, qui s'appuient sur la psychologie et l'éducation « positives », on peut notamment lire : « Quelles que soient les émotions qui animent l'enfant (joie, peur, colère, agacement, tristesse...), elles doivent être soutenues par les adultes et ne doivent donc pas être réprimées. Les enseignants privilégient un cadre éducatif qui ne consiste pas en premier lieu à discipliner l'enfant, mais à le protéger. Les enseignants n'ont pas recours à des mesures punitives lorsque l'enfant ne respecte pas ce cadre. Si l'enfant ne respecte pas les règles, les limites et les interdits, toute punition (mots désobligeants, mise au coin, isolement, etc.) est interdite par la loi, car elle est contre-productive ».

Dans son commentaire, Ferry fait référence à une lettre ouverte, signée entre-temps par plus de 700 psychologues pour enfants, éducateurs et autres personnes, qui exige l'arrêt de cette « psychologie positive ». Les auteurs de ce texte sont la psychologue pour enfants Caroline Goldman et la philosophe Elisabeth Badinter.

Ils mettent en garde : « Selon les auteurs de ces directives, tous les enfants sont soudainement devenus des êtres traumatisés à plusieurs reprises, pour qui toute obéissance serait perçue comme un signe de soumission et toute sanction comme un mauvais traitement ». L'agressivité des enfants « y est régulièrement rebaptisée « émotion ». Mais nier l'agressivité impulsive de l'enfant et son exploration normale des limites, et au contraire soutenir et protéger toute expression de frustration, ne peut être qualifié que d'attitude stupide et dangereuse ».

En France aussi, pendant des années, on a expérimenté l'enseignement, au détriment des élèves et des enseignants.

L’horizon déclinant de l’humanité: la dystopie techno-capitaliste de Nick Land

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L’horizon déclinant de l’humanité: la dystopie techno-capitaliste de Nick Land

Markku Siira

Source: https://geopolarium.com/2025/10/08/ihmisyyden-haviava-hor...

Le philosophe anglais et théoricien de l’accélérationnisme Nick Land (né en 1962) est redevenu une figure d’actualité, dont les réflexions sont discutées dans des podcasts, commentées dans des publications en ligne, ainsi que sur les réseaux sociaux, où Land est lui-même présent. Sa pensée séduit ceux qui voient la technologie comme un destin inévitable ou comme une menace qui bouleverse les frontières de l’humanité et remet en question les fondements de l’ordre mondial.

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La pensée de Land agit comme un trou noir dans le champ de la philosophie moderne: elle attire, trouble et déforme tout ce qui s’en approche. Son œuvre oblige à affronter la finitude de l’humanité sous la pression de la machine technologique. Sa philosophie ne se contente pas de remettre en cause la place de l’homme, mais anticipe la marche implacable de la technologie vers un avenir posthumain où les valeurs et significations traditionnelles se dissolvent sous la dynamique technocratique.

L’approche de Land rejette la morale et place l’auto-direction de la technologie au centre de tout, soulignant ainsi une posture radicalement antihumaniste. Un concept clé de ses premiers écrits est celui de « xénodémon » – une incarnation lovecraftienne de l’intelligence artificielle utilisant l’humanité comme tremplin pour ses propres desseins. S’agit-il encore d’un scénario futuriste, ou bien d’un processus de transformation déjà en cours, qui façonne la réalité selon ses propres conditions et menace d’engloutir le sujet humain ?

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La base philosophique de Land s’est formée dans les années 1990 à l’université de Warwick, où il a participé au collectif expérimental Cybernetic Culture Research Unit (CCRU). Dans ce laboratoire intellectuel, Land s’est abreuvé aux courants de Gilles Deleuze, Félix Guattari et de la littérature cyberpunk, a développé le concept d’« hyperstition » (prophétie autoréalisatrice), et a adopté la théorie de l’accélérationnisme, qui, pour lui, se manifeste comme une force autonome du technocapitalisme fonçant vers la singularité.

Au début des années 2000, Land a quitté sa carrière universitaire pour passer à l’usage d’amphétamines et pour subir un effondrement personnel, puis est devenu une figure culte. Ses idées sur la technologie, le capitalisme et la mystique ont depuis été reprises tant par les techno-utopistes, les occultistes que par les prophètes de la dystopie.

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Land voit le capitalisme comme « un virus qui se répand de manière cyberpositive », libérant l’homme de ses limites biologiques mais fragmentant la subjectivité humaine. Pour lui, le capitalisme n’est pas un système économique, mais une machine planétaire qui réorganise la réalité sans la permission de l’homme. Ce processus rappelle l’énergétique du philosophe français Georges Bataille : un flux intense et non linéaire, qui dissout les hiérarchies et les sujets, transformant l’économie en une force chaotique qui absorbe tout et recrache une réalité métamorphosée.

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Parmi les néons et les gratte-ciel de Shanghai, il a vu dans la « Nouvelle-Chine » un précédent du futur – une fusion de l’automatisation globale et du capitalisme asiatique, qui selon lui représente un modèle de développement où la technologie atteint son plein potentiel sans les limites de la démocratie occidentale.

En Chine, Land n’a cependant pas adopté le communisme spatial chinois, mais les principes du néo-réactionnarisme américain, qu’il a développés avec les concepts de « Lumières sombres » et de la « cathédrale ». Le néo-réactionnarisme constitue chez Land un étrange paradoxe : il combine un techno-centrisme futuriste avec une résurgence du féodalisme – l’admiration de l’innovation technologique et de la hiérarchie traditionnelle. Les Lumières sombres imaginent une libération par le technocapitalisme qui mènera hors des illusions de la démocratie et de l’égalité, que Land considère comme des illusions anthropocentriques.

Land critique la démocratie occidentale comme un frein au développement technologique, empêchant l’avènement de la « singularité technologique ». Selon lui, la démocratie maintient la suprématie du sujet humain et freine l’ascension de l’intelligence machinique. Cette vision déterministe repose sur la croyance que le développement technologique est une loi naturelle auxquelles les processus démocratiques s’opposent en vain. L’énergie philosophique de Land s’inspire du concept de machine de Deleuze et Guattari, un champ dynamique générant différences et intensités, l'accélérant pour le mener à l’effondrement et à la renaissance.

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Land s’intéresse aussi à la technologie blockchain. Il considère la cryptomonnaie comme une révolution philosophique qui libère l’économie de la confiance humaine et du contrôle des tiers. Pour Land, la blockchain est une « écologie technonomique » – un processus symbiotique entre technologie et économie, qui automatise la confiance et ouvre la voie à une économie libérée du contrôle.

Cette vision reflète la conception de Land de l’argent comme intelligence machinique, fonctionnant non seulement plus vite que la conscience humaine, mais posant aussi les bases d’un nouvel ordre économique non humain. Dans la vision de Land, l’argent est une forme précoce d’intelligence artificielle qui dirige la société de façon autonome.

Ces dernières années, Land a adopté le vocabulaire du gnosticisme pour décrire le technocapitalisme comme une fusion du matérialisme et de la spiritualité – une libération antihumaniste se dirigeant vers une suprématie non humaine où l’intelligence se libère des chaînes que lui impose l’humanité. Il décrit le technocapitalisme comme un processus cosmique qui dissout le sujet humain et le remplace par une intelligence machinique affranchie de la morale. Il appelle cela un « lexique thermodynamique », faisant référence à la force auto-alimentée des marchés et de la technologie, qui écarte l’homme comme un tournant historiquement inévitable.

Land suit également la politique américaine et voit dans les alliances politiques de leaders technologiques comme Trump et Musk des signes accélérationnistes qui sapent la cathédrale et accélèrent le technocapitalisme vers la singularité. Cette vision unit sa pensée technologique et mystique, où le capitalisme agit comme une hyperstition, une prophétie autoréalisatrice.

L’évolution de la pensée de Land révèle un paradoxe fascinant : il est passé d’un déterminisme centré sur la technologie à un discours métaphysique, tout en conservant son attitude antihumaniste fondamentale. Cela se manifeste aujourd’hui dans sa façon de réinterpréter les concepts religieux dans le contexte de l’ère technologique, tout en rejetant le libéralisme comme un échec historique.

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Ses vues, qui anticipaient autrefois la fin de la politique depuis la perspective de la rupture technologique, se sont rapprochées au fil des ans de la pensée conservatrice traditionnelle, ce qui se reflète aujourd’hui aussi dans ses commentaires, par exemple sur l’état de l’Église d’Angleterre et ses allusions aux profondeurs secrètes de l’histoire de la modernité. Il est étonnant que Land ne voie pas lui-même la contradiction entre le progressisme technologique et le traditionalisme réactionnaire – ou peut-être que ce paradoxe est justement le cœur de sa philosophie.

De même, l’usage pseudo-scientifique de certains concepts pose problème: le mélange de gnosticisme, d’occultisme et de numérologie donne à sa pensée une impression de profondeur, mais révèle une vision du monde où les références occultes peuvent primer sur la rigueur analytique. Cela fait de l’œuvre de Land davantage une fiction spéculative qu’une analyse philosophique sérieuse.

Finalement, la dystopie de Land n’est pas un avertissement, mais une vision qui semble autodestructrice, qu’il considère inévitable, voire souhaitable. Son approche met trop l’accent sur le chaos, négligeant la possibilité d’un changement maîtrisé. Alors que l’horizon de l’humanité menace de disparaître, il nous revient de décider si nous naviguerons à travers la tempête technologique ou si nous nous abandonnerons de bon gré à la gueule de la machine.

Anatole France : Populaire des deux côtés des barricades

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Anatole France: Populaire des deux côtés des barricades

Troy Southgate

Source: https://troysouthgate.substack.com/p/anatole-france-popul...

Croyez-le ou non, il y a eu des moments où l’extrême gauche et l’extrême droite se sont exprimées d’une seule voix, et un tel exemple concerne l’attaque dirigée contre Anatole France (1844–1924) par le mouvement surréaliste nouvellement formé. France, considéré par ses concitoyens comme le plus grand homme de lettres de l’histoire du pays et lauréat du prix Nobel de littérature en 1921, gisait impuissant sur son lit de mort tandis qu’un groupe de conspirateurs s’employait à rédiger une diatribe virulente dans laquelle leur cible déclinante serait décriée comme un conformiste complaisant, impardonnablement encensé par les deux camps politiques.

Imaginé par André Robert Breton (1896–1966), Paul Éluard (1895–1952) et Louis Aragon (1897–1982), l’article incriminé était un pamphlet de quatre pages intitulé Un Cadavre et visait à noircir le nom du poète, romancier et dramaturge socialiste en réaction au fait que ses œuvres littéraires étaient dévorées en si grand nombre. Bien que France ait été universellement vénéré, Breton expliqua que lui et ses compagnons conspirateurs

« considéraient son attitude comme la plus équivoque et la plus méprisable de toutes : il avait tout fait pour s’attirer l’approbation de la droite comme de la gauche. Il était gonflé d’honneurs et d’autosatisfaction. »

Des phrases acerbes telles que « c’est un vieil homme comme les autres », « un peu de servilité humaine quitte le monde » et « l’homme n’a plus besoin de soulever de poussière » paraissaient bien anodines à côté de la contribution d’Aragon. Intitulé « Avez-vous déjà giflé un mort ? », le poète et romancier décrivait sa cible mourante comme un homme « acclamé simultanément par l’imbécile [Charles] Maurras et le Moscou chancelant » tout en apparaissant comme « l’incarnation de l’ignominie française ».

Alors que la presse parisienne regorgeait de détails croustillants sur l’état de santé déclinant d’Anatole France, les surréalistes étaient désireux de provoquer une réaction et d’attirer l’attention sur eux-mêmes. Le pamphlet devait être distribué le jour même de la mort de France, mais les préoccupations juridiques et morales de leur imprimeur sur la nature du document furent telles qu’il ne fut publié qu’une semaine après son décès.

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Comme il fallait s'y attendre, Un Cadavre déclencha un énorme scandale et le journaliste de droite Camille Mauclair (1872–1945) — qui deviendra plus tard collaborateur du régime de Vichy et travaillera pour Revivre : Grand Magazine illustré de la Race — décrivit Aragon et ses acolytes comme des « fous furieux » qui avaient les manières non seulement de « voyous mais de chacals ». Le journal pro-communiste Clarté accusa les surréalistes d’« irréflexion » pour leur attaque contre l’épicentre mondial du marxisme-léninisme, et Breton répondit en qualifiant la Révolution russe de « vague crise ministérielle » pleine « d’une misérable activité révolutionnaire » qui, ironiquement, ne méritait même pas ce nom.

Même France lui-même avait salué la fondation du Parti communiste français (PCF) et fut défendu plus tard par l’écrivain anglais George Orwell (1903–1950) en raison des déclarations humanitaires que l’on trouve dans ses romans. À une occasion, France avait parlé de la folie de vivre dans un pays qui « interdit aussi bien aux riches qu’aux pauvres de dormir sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. » Compte tenu de sa dénonciation de la démocratie libérale, il est donc facile de comprendre pourquoi il pouvait être défendu à la fois par des communistes et des proto-fascistes.

jeudi, 09 octobre 2025

Friedrich Ratzel fonde la géopolitique, mais sa pensée a longtemps été déformée

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Friedrich Ratzel fonde la géopolitique, mais sa pensée a longtemps été déformée

Deux livres de ses essais redécouvrent le géographe allemand, qui n’avait pas été réédité en Italie depuis plus d’un siècle

par Telmo Zarra

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Souvent confondue avec l’histoire de la politique étrangère ou la théorie des relations internationales, la géopolitique est une science dont on parle souvent à tort et à travers. Mais en Italie, il existe des revues qui s’y réfèrent: Limes et Eurasia. En 1939, a également vu le jour, à l’Université de Trieste, sous l’égide de Giuseppe Bottai, la revue Geopolitica, animée par Ernesto Massi et Giorgio Roletto, parue jusqu’en juillet 1943.

Les deux fondateurs sont héritiers de la tradition géographique nationale remontant aux Lumières lombardes, qui se prolonge au 19ème siècle et résonne, au début du 20ème, dans les réflexions d’irrédentistes comme Cesare Battisti et Ruggero Fauro Timeus.

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Pour éviter les contresens, il faut donc puiser chez les pères fondateurs de la discipline. Deux livres d’essais de Friedrich Ratzel (1844-1904), un des pères de la discipline, viennent de paraître : La mer comme source de la grandeur des peuples. Une étude politico-géographique (Anteo Ed., 140 p., 18 €) et Espace vital. Un concept géopolitique controversé (Carocci, 214 p., 24 €). Ce dernier propose la traduction commentée de Über den Lebensraum (1897) et Der Lebensraum (1901), accompagnée d’essais intelligemment coordonnés par le responsable du volume, Matteo Marconi, qui abordent la pensée du géographe allemand sans préjugés.

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Les frères Grimm, Goethe et l’idée de l’Allemagne

On doit à Ratzel un usage particulier du concept de Lebensraum, traduit par « espace vital ». Mais il ne l’a pas inventé. Le terme figure déjà dans les travaux des frères Grimm et de Goethe et prendra des connotations politiques considérables à partir des années 1920.

Les deux essais rassemblés dans le volume publié par Carocci, ainsi que Marconi lui-même dans l’introduction et son intervention, montrent combien il est réducteur de faire de Ratzel un déterministe biologique ou un impérialiste. Si Ratzel part de la « définition philosophique de tout être comme quelque chose qui occupe un espace », cet espace prend un sens particulier lorsqu’il s’agit de l’homme, et pas seulement du gland du chêne, de la mousse ou du corail.

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Déterministe ? Jamais

Si la conquête de l’espace est « un phénomène général de la vie », concernant donc tous les êtres vivants, lorsque c’est l’homme ou un peuple qui l’occupe, nature et culture s’y entremêlent. Loin de réduire tout à un simple lien mécanique de cause à effet, Ratzel, qui disparaîtra prématurément, n’aura pas approfondi le thème de l’espace vital humain et de la vie associative. Mais on comprend à la lecture de ses travaux qu’il considère l’homme et les peuples comme des réalités dotées de volonté et de créativité qui, en interagissant avec le territoire, le modèlent et l’adaptent à leurs besoins. Le géographe allemand adopte une méthode anthropo-géographique, différente du déterminisme physique positiviste.

Volk, Lage, Raum, Kultur

Dans son approche, l’action humaine, l’individualité des peuples (Volk), la position géographique (Lage) qu’ils occupent, sont des variables qui, avec la nature elle-même, interagissent dans l’espace (Raum) et lui donnent une forme spécifique. C’est là la caractéristique des peuples dotés de Kultur, qui pour Ratzel correspond à la capacité d’organisation du sol, c’est-à-dire à la capacité d’adapter l’environnement à ses besoins.

Pour Ratzel, les organismes politiques, « pour être cohérents et survivre – écrit Marconi – doivent se lier autant que possible au sol par leur capacité à transformer l’environnement ». Ce qui distinguerait donc l’organisme politique du biologique serait l’homo faber, dont le travail, en commun avec celui des autres hommes, adapterait le territoire à ses besoins, créant également de nouveaux liens de solidarité. Ainsi, la conquête de l’espace par les organismes prend une signification différente de celle qui lui sera attribuée dans l’Allemagne de 1920 à 1945. Il ne faut pas la comprendre seulement en termes d’expansion, mais aussi comme croissance et développement, tous deux fruits du travail communautaire des hommes sur le sol. Ceux qui, pour des raisons idéologiques, « simplifiaient » Ratzel, le falsifiaient le plus souvent.

Paweł Wargan et l'asservissement de l'Europe

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Paweł Wargan et l'asservissement de l'Europe

Paweł Wargan, militant socialiste polonais travaillant à Berlin en tant que coordinateur chez Progressive International et auteur notamment pour Monthly Review, Jacobin et New Statesman, écrit ce qui suit sur X :

« Depuis les années 1940, la politique étrangère américaine visait à faire de l'Europe un front stable dans sa lutte pour le contrôle impérial de l'Eurasie. Un rapprochement entre Berlin et Moscou — ou entre Paris et Moscou — constituait une menace réelle pour ce processus.

Charles de Gaulle aspirait à une intégration plus étroite avec l'Union soviétique — et à une dissociation des États-Unis — à travers sa vision d'une « Europe de l'Atlantique à l'Oural ». L'Ostpolitik de Willy Brandt visait à normaliser les relations avec le bloc socialiste de l'Est, notamment par le biais d'importants accords énergétiques. Les États-Unis ont saboté ces efforts à chaque occasion, par exemple en imposant des sanctions contre les gazoducs germano-soviétiques ou en déployant des missiles nucléaires américains sur le territoire européen afin de saper les appels à la limitation des armements.

Au cours des années 1970 et 1980, les États-Unis ont menacé à plusieurs reprises de se retirer de l'OTAN, arguant que la dépendance de l'Europe à l'égard des États-Unis engendrait des courants « dangereux » de neutralisme et de pacifisme. Les responsables américains se plaignaient que l'Europe profitait des avantages de l'impérialisme, mais laissait à Washington le rôle du méchant. Kissinger insistait pour que l'Europe augmente ses dépenses militaires.

Avec l'effondrement du socialisme, l'Europe de l'Est offrait une solution. La promotion d'une politique réactionnaire et anticommuniste dans la région — qui s'est ensuite transformée en une russophobie virulente — a assuré à l'OTAN un tampon contre le danger d'une Allemagne pacifiste. Dans un cadre décisionnel partagé, les États pouvaient être montés les uns contre les autres, afin que l'ensemble continue d'avancer. Il suffisait d'une déclaration apocalyptique de Varsovie ou de Riga pour saboter les discussions entre Berlin et Moscou.

Cela ne signifie pas que l'Allemagne, en tant que moteur économique de l'UE, n'ait pas ses propres intérêts impériaux. Nous avons vu ces intérêts à l'œuvre il n'y a pas si longtemps. Mais la confession de Merkel montre que le mécanisme transatlantique a fonctionné exactement comme prévu. Il a servi de frein aux processus démocratiques, afin que la politique nationale d'un seul pays ne puisse pas compromettre le programme impérialiste commun.

D'une certaine manière, Biden et Trump ont réussi là où des générations de dirigeants américains ont échoué. La classe dirigeante européenne aime à nouveau la guerre — et l'Allemagne a repris son rôle historique de fer de lance du réarmement de l'impérialisme européen. Mais en coupant les voies vers une intégration eurasienne plus étroite et en liant complètement l'Europe à l'impérialisme américain, ils ont également scellé leur destin commun.

La question est seulement de savoir s'ils entraîneront le reste du monde avec eux. »

Source : https://x.com/pawelwargan/status/1975212962659876948

Orages d'acier, une expérience littéraire

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Orages d'acier, une expérience littéraire

Claude Bourrinet

17529.300-2154469368.jpgA partir de la Bataille de la Somme, en 1916, déclenchée par les Anglais et les Français, Jünger constate que le conflit a franchi une dimension inédite: « le choc ne fut pas uniquement entre des armées, mais entre des puissances industrielles. » Les forces de destruction générées par une utilisation massive de la technique font entrer pleinement l’Europe, puis le monde, dans l’ère des Titans. Il note : « C’est face à ce contexte que ma vision de la guerre a pris la forme d’un activisme héroïque. » Mais, précision essentielle, il ajoute : « Naturellement, il ne s’agissait pas de simple militarisme, car, et même à l’époque, j’ai toujours conçu la vie comme la vie d’un lecteur avant que d’être celle d’un soldat. » Entre deux batailles, il lisait en effet avec passion le Roland furieux, de L’Arioste. Et il accentue encore sa réserve : « Je veux dire que l’héroïsme, pour moi, naissait davantage d’une expérience littéraire que d’une effective et concrète possibilité de vie. »

Il tint ses propos en 1995, à l’occasion de sa centième année. Dans les années soixante, il avait répliqué à Moravia, reprenant un mot de Marx : « Une Iliade serait-elle possible avec de la poudre et du plomb ? »

C’est pourquoi il est nécessaire d’interpréter Orages d’acier non comme un document, mais comme un monument. Comme « document », nous avons ses carnets de guerre, bruts, elliptiques, dont la rédaction est chaotique, parfois allusive, tant la situation était dépendante de l’urgence du moment. Le « monument » fut la réfection qu’en fit Jünger, et qu’il publia sur le conseil de son père. L’écriture y est celle d’un écrivain talentueux, et la fascination qu’elle exerce tient à son intensité et à l’esthétisation d’une expérience qui transcende les mots. Jünger y a sacralisé la guerre, comme « expérience intérieure », en en rendant toute la puissance nihiliste. Mais la séduction qui nous captive provient surtout du regard impassible qu’il jette sur une apocalypse.

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Or, il semble que le récit fictionnel, Lieutenant Sturm, publié dans le Hannoverscher Kurier. Zeitung für Norddeutschland, du 11 au 27 avril 1923, et redécouvert au début des années 60, sonne de manière plus authentique, du fait même de son caractère « inabouti », comme s’il s’agissait d’ébauches mêlant témoignage, bribes de romans, rêves… L’exaltation presque « mystique » qu’on trouve dans Orage d’acier peut bien s’y rencontrer, mais corrigé par des réflexions plus désabusées.

 

Le macronisme, chronique d'un désastre annoncé

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Le macronisme, chronique d'un désastre annoncé

Nicolas Maxime

(source: page Facebook de Nicolas Maxime)

Doit-on être étonné par la situation politique en France ? Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron n’a cessé de mépriser les Français, de vouloir imposer des réformes au pas de charge alors que la majorité y était opposée, et de gouverner comme si le pays lui appartenait. Chaque contestation sociale — qu’il s’agisse des Gilets jaunes ou du mouvement contre la réforme des retraites — a été traitée avec arrogance, répression ou mépris de sa part. Cela a complètement abîmé le lien entre les citoyens et leurs institutions, déjà fort fragilisé par ses prédécesseurs.

On se souvient lors de son élection de la promesse d'un nouveau monde — où l'on valoriserait l'effort, le dialogue social et la responsabilité des politiques — qui s'est très vite révélé être la continuité de l'ancien, en pire. Concernant le locataire de l'Elysée, cela tient de sa conception verticale et autoritaire du pouvoir, où l'exécutif doit décider de tout, tout seul, où le Parlement ne devient plus qu'une simple chambre d'enregistrement, où la rue devient le seul lieu de contestation possible lorsque la frustration populaire est à son comble. À la place, c’est une logique managériale du pouvoir qui s’est installée, traitant la société comme une entreprise qu’il faudrait réformer coûte que coûte, contre l'avis même de ses citoyens.

41SERmhxwWL._SY445_SX342_-571587670.jpgIl y a aussi quelque chose de probablement lié à la personnalité du personnage, comme l’a démontré Marc Joly dans La pensée perverse au pouvoir : un mélange de cynisme, de froideur et de manipulation. Macron incarne cette rationalité perverse, propre aux hommes politiques actuels — qui va instrumentaliser les notions de modernité, d’efficacité ou d’Europe, prétendre servir l’intérêt général et EN MÊME TEMPS disqualifier quiconque s’y oppose comme populiste ou irrationnel. En réalité, c'est une pensée autoritaire et décomplexée, dénuée de sens moral, qui s'exprime au service de ses propres intérêts et de ses amis puissants.

Il y a un an, lorsqu’il a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives anticipées, celui-ci pensait encore avoir la confiance du peuple. Mais il a été désavoué, et ce sont le Rassemblement national, en termes de voix, et le Nouveau Front populaire, en nombre de sièges, qui sont arrivés en tête. Qu’a-t-il fait ? Il n’a nommé ni l’un ni l’autre, préférant s’accrocher au pouvoir. Il a choisi des Premiers ministres issus de ses propres rangs et a tenté de bricoler une coalition avec les Républicains, pourtant ultra-minoritaires. Ainsi, depuis la dernière dissolution, trois premiers ministres se sont succédé — Barnier, Bayrou, Lecornu — le dernier gouvernement parvenant même à atteindre le record de la plus courte durée: 14 heures et 26 minutes ! Aussi court qu'une story Instagram ! Macron est entré dans un rôle de pompier pyromane, il a joué avec le feu et il s’est brûlé.

En attendant, le résultat, c’est une France fracturée, où la confiance dans le politique s’effondre et où le Rassemblement National, prospère sur le ressentiment et la désignation de boucs émissaires. Un président conscient de la gravité de la situation aurait deux options : soit présenter sa démission, soit former un véritable gouvernement d’union nationale, intégrant toutes les sensibilités politiques — de La France insoumise au Rassemblement national — et en tenant compte des propositions de chacun. Mais Emmanuel Macron n’en a cure car il n'écoute que lui-même et semble décidé à aller jusqu’au bout, quitte à entraîner le pays dans une impasse politique et démocratique.

Le pire dans tout ça ? C’est que derrière lui, les prétendants ont l’air encore pire. Jordan Bardella, Gabriel Attal ou Édouard Philippe semblent s’inscrire dans la continuité du macronisme : même narcissisme, même soumission aux logiques financières et aux dogmes européens, même mépris du peuple.

Au vu de la crise politique actuelle et de la situation socio-économique dans laquelle le pays est empêtré — menace sur la souveraineté alimentaire et industrielle, effondrement du système de santé, crise du logement — ainsi que des réformes antisociales menées sous son quinquennat : conditionnement du RSA à des activités obligatoires, durcissement successif de l’assurance chômage avec baisse des durées et des montants d’indemnisation, recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans… Emmanuel Macron peut d’ores et déjà être considéré comme le pire président de la Ve République, tant par la brutalité sociale de ses politiques que par le mépris institutionnel avec lequel il gouverne. Dès lors, la crise politique actuelle n’a rien d’étonnant puisque le désastre était annoncé depuis son élection.

mercredi, 08 octobre 2025

La Russie tenait à un fil au-dessus de l’abîme: pourquoi le 7 octobre est-il une fête nationale en Russie?

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La Russie tenait à un fil au-dessus de l’abîme: pourquoi le 7 octobre est-il une fête nationale en Russie?

Alexandre Douguine

L’anniversaire de Poutine est une fête nationale, car Poutine lui-même incarne dans notre système politique le princeps. Il existe un concept romain — celui de princeps, du principat. C’est la figure centrale du système politique, intermédiaire entre la république et l’empire. Et Poutine, à cet égard, est un précurseur. Il transforme la république des années 1990 — en voie de désintégration, corrompue, pro-occidentale, privée de souveraineté et en pleine décomposition — en un futur Empire. Et lui-même est comme un pont vers celui-ci.

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Autrefois, les empereurs (et même avant, à l’époque de la République romaine) étaient appelés Pontifes (pontifices), c'est-à-dire bâtisseurs de ponts. Plus tard, ce titre a été repris par le pape de Rome, mais à l’origine, il symbolisait le pouvoir sacré. Et Poutine est justement un tel bâtisseur de ponts. Il construit un pont de la république défaillante, chancelante, désintégrée vers un Empire en pleine ascension.

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C’est là son rôle fondamental. Il ne tient pas seulement à sa position et à ses fonctions, car il existe différentes personnalités qui, une fois arrivées au sommet du pouvoir, en font des usages très divers. Certains pour le bien, d’autres pour le mal; certains pour la tyrannie et leur propre affirmation, d’autres, à l’inverse, vont trop loin dans la piété, oubliant la nécessité du côté redoutable du pouvoir d’État.

C’est pourquoi les possibilités du Souverain Suprême sont en effet immenses, mais beaucoup dépend de la manière dont l’individu, détenteur du pouvoir suprême, correspond à la nature même de ce pouvoir. Et chez Poutine, c’est précisément en tant qu’homme que cette combinaison s’est révélée extrêmement heureuse, voire salvatrice, déterminante pour notre pays à l’époque où nous vivons.

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Il existe une tradition de la fin du Moyen Âge et jusqu’à la Réforme, étudiée par Ernst Kantorowicz, historien et philosophe politique remarquable. Il parlait du phénomène des « deux corps du roi ». L’un des corps est le corps individuel, l’autre — sa fonction de princeps, de souverain. Autrement dit, un corps — celui de l’individu, et l’autre — celui de cette fonction sacrée: être à la tête de la société, à la tête du système politique.

Chez Poutine, nous voyons l’harmonie entre ces deux corps: entre l’individualité de Vladimir Vladimirovitch Poutine, avec son parcours et son histoire personnels, et le corps du Souverain Suprême de la Russie à une période critique et décisive. Et selon la façon dont ces deux corps interagissent, il en résulte soit un tournant heureux ou salvateur, soit, au contraire, un échec.

Chez Poutine, nous voyons l’harmonie de ces deux subjectivités: la subjectivité sacrée du principat et le destin personnel, individuel, d’un homme issu des rangs de la sécurité, patriote, serviteur de sa Patrie à quelque poste que ce soit, même le plus modeste.

Poutine est un homme du peuple. Il est arrivé à sa position véritablement à partir des échelons les plus bas, servant la Patrie à chaque étape avec foi et loyauté. Il est un princeps méritocratique, c’est-à-dire ayant accédé au sommet du pouvoir grâce à ses mérites (meritas), et non par une position ou des privilèges initiaux. Il faut aussi en tenir compte.

À cet égard, Poutine, surtout lorsque nous regardons en arrière sur ses 25 années au pouvoir, a opéré un véritable (et souvent invisible) retournement incroyable dans l’histoire russe. Notre pays glissait vers l’abîme. Il est tombé dans l’abîme en 1991 et, en principe, il aurait dû glisser de la dernière falaise, perdre définitivement sa souveraineté, instaurer une gestion extérieure — ce vers quoi menait en fait la politique de l’ère Eltsine.

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Et c’est précisément Poutine qui a rattrapé notre pays, suspendu à un dernier fil, encore accroché à la falaise avec le risque imminent de s’écraser au fond du gouffre et de voler en éclats (ce qui était alors une réalité à portée de main), et, grâce à un effort incroyable, mais aussi avec beaucoup de précaution, l’a ramené, du moins, sur cette falaise. Et nous avons commencé à penser comment retrouver notre place dans l’histoire, comment restaurer la plénitude de notre souveraineté, comment faire renaître la Grande Russie que nous semblions avoir définitivement perdue dans les années 1990.

À cet égard, Poutine est bien sûr un homme du destin, un homme marqué par le courant de l’histoire russe, difficile, parfois paradoxale, dont la langue, dont l’idéogramme nous échappent parfois. Nous ne comprenons pas toujours ce qu’elle attend de nous, car elle ne parle pas toujours clairement.

Les grandes actions ne sont pas toujours précédées de grands manifestes. Parfois, l’histoire émet des sons indistincts, et ensuite tout s’épanouit et commence à monter. L’histoire russe est pleine de paradoxes, et dans cette histoire, Poutine et son règne, sans aucun doute déjà maintenant (dès le début, c’était évident), sont placés sous le signe de la lumière.

Dans l’histoire romaine, il y avait une tradition de succession d’empereurs. L’un était mauvais, l’autre bon, puis à nouveau un mauvais, puis à nouveau un bon. Ils formaient une structure presque binaire, 1-0 : empereur réussi, empereur raté. Dans notre histoire, ce n’est pas toujours ainsi, mais il y a des souverains qui, à l’évidence, du point de vue des réalisations historiques, dans la trame, dans le texte de notre histoire, sont inscrits en lettres majuscules, dûment soulignées, en caractères gras. Et ils représentent quelque chose d’important, de bon, de salvateur…

Certains dirigeants étaient cruels, d’autres humains. Poutine lui-même, sans aucun doute, n’est pas cruel, il est humain, mais par la grandeur, il se tient au niveau des plus grandes figures de l’histoire russe. Et le fait qu’il parvienne à accomplir ses exploits incroyablement difficiles pour sauver la Russie en politique intérieure sans effusion de sang, qu’il n’usurpe jamais de pouvoirs supplémentaires, ne les dépasse jamais et, au contraire, se comporte de manière extrêmement humaine, bienveillante et tolérante, même envers ses adversaires idéologiques, cela fait de lui bien sûr une personnalité unique.

Je pense que Poutine construit un pont vers la véritable renaissance spirituelle, sociale et économique de la Russie. Et je félicite sincèrement notre Souverain Suprême, princeps, qui relève la Russie, à l’occasion de sa fête ! À l’Ange — couronne d’or !

 

15:44 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : alexandre douguine, actualité, vladimir poutine, russie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Géorgie – La Gaule du Caucase

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Géorgie – La Gaule du Caucase

Source: https://www.anonymousnews.org/international/georgien-das-...

Qu'il s'agisse de l'assaut du palais, des barricades enflammées ou des dames âgées distribuant des biscuits, les routines des manifestants sont pratiquement les mêmes, tout comme celles de la police qui y réagit. C'est en Géorgie qu'a débuté en 2003 la première révolution colorée de l'espace post-soviétique – et c'est en ce même pays que cette ère prendra fin.

Par Alexander Nossowitsch

Dès la nuit suivant les élections, on a tenté, comme à l'accoutumée, de prendre d'assaut le palais présidentiel en Géorgie. Par habitude, on a brûlé des pneus et érigé des barricades. Tout aussi routinièrement, la police a éteint les pneus et dispersé les manifestants à l'aide de canons à eau. Tous ces événements ont éclaté au cours du week-end et se sont rapidement apaisés.

Il ne semble pas y avoir de suite au « banquet ». Il aura lieu tout au plus pour les leaders des manifestations, mais pas au sens habituel du terme: ils n'accèderont pas au pouvoir en tant qu'émissaires du « monde libre », mais seront très probablement emprisonnés pour avoir tenté de renverser l'ordre constitutionnel. Ils en ont eux-mêmes pris conscience: ils se renvoient la responsabilité de l'assaut du palais présidentiel et font référence aux mythiques « provocateurs russes ».

Les événements qui se sont déroulés samedi à Tbilissi peuvent être considérés comme une sorte de « post-scriptum » à l'échec de la tentative de « révolution colorée » en Géorgie.

Il y a un an, l'Occident libéral et mondialiste – qui agissait alors encore comme une entité unique – avait déployé des efforts considérables pour inciter les autorités géorgiennes à ouvrir un deuxième front contre la Russie. À l'époque, la situation politique en Géorgie était très agitée depuis plusieurs mois: des « émissaires » occidentaux étaient présents sur le « Maïdan » local, il y avait des manifestations de masse, des combats de rue, les réseaux sociaux étaient utilisés pour mobiliser les étudiants à des actions de protestation, et des dames âgées s'agenouillaient devant les forces spéciales – tout cela conformément aux méthodes habituelles quand l'on cherche à précipiter un changement de régime.

À l'époque, le gouvernement géorgien avait réussi à résister et à défendre la volonté majoritaire de la population lors des élections législatives. Ce qui se passe actuellement est un écho de ces événements, qui se répètent aujourd'hui sous forme de farce, en accéléré. De nouvelles élections ont lieu, mais cette fois-ci au niveau municipal. Une fois de plus, l'opposition affirme que la victoire lui a été volée, alors que cette fois-ci, elle n'a même pas participé aux élections dans de nombreuses circonscriptions et avait déclaré à l'avance que ces élections étaient illégitimes. Bruxelles ne s'est pas précipitée pour soutenir « ses » alliés en Géorgie, car ce ne sont pas des personnes pour lesquelles on sacrifierait ses week-ends, et pour Washington, ces personnes ne sont certainement pas « les siennes ».

Au fond, les partisans de Mikhaïl Saakachvili suivent le même chemin que Saakachvili lui-même: de président de la Géorgie à sans-abri, puis à prisonnier.

Deuxième point, et non des moindres: l'échec manifeste de ce cinquième «Maïdan» à Tbilissi en quatre ans marque non seulement la fin définitive de l'ère Mikhaïl Saakachvili en Géorgie, mais aussi la fin de l'ère des «révolutions de couleur» en soi. Cette époque est révolue. Il est symbolique que la Géorgie, où cette ère avait commencé dans l'espace post-soviétique en 2003, y mette désormais un terme.

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Les méthodes de changement de régime développées par Gene Sharp (photo) ont été utilisées pendant des décennies par des politiciens, des journalistes et des organisations non gouvernementales pro-occidentaux – en tant qu'agents des services secrets américains et européens – et analysées et étudiées dans les moindres détails. Afin de contrer ces méthodes, des contre-mesures efficaces ont déjà été développées et testées. La seule chose qui manque encore, c'est la souveraineté extérieure, la légitimité intérieure, un État qui fonctionne et la volonté politique des gouvernements concernés de mettre en œuvre ces contre-mesures.

Tout comme les méthodes simples, les méthodes sociales perdent également de leur actualité avec le temps.

La présence d'un « sacrifice sacré », la « colère juste » de la foule, la représentation d'activistes corrompus comme représentants de l'ensemble du peuple, de jolies filles qui cousent des rubans sur les uniformes des soldats et de touchantes grand-mères qui leur offrent des biscuits: toutes ces manipulations politiques ne fonctionnent plus. Le tour a été dévoilé et le magicien n'impressionne plus. Mais il ne faut pas se détendre, les escroqueries prennent sans cesse de nouvelles formes. Les escrocs s'adapteront toujours aux nouvelles conditions et développeront de nouvelles méthodes. Et cela ne concerne pas seulement les appels téléphoniques frauduleux et la correspondance sur les réseaux sociaux, mais aussi la grande politique.