Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 22 janvier 2025

Comparaison entre Huysmans et Houellebecq

houellebecq-huysmans-3175372468.jpg

Comparaison entre Huysmans et Houellebecq

Claude Bourrinet

Finalement, au lieu de déployer l’artillerie lourde de la démonstration, qui souvent ne fendille qu’à peine les murs épais de la conviction scellée du mortier de l’amour-propre, il vaut mieux exposer les choses, comme des preuves étalées sur un étal policier du Quai des Orfèvres. La comparaison, si elle n’est pas raison, offre cependant sa ration d’évidence, dans le fait d’exister et de confronter.

On sait que Houellebecq, dans un de ses derniers ouvrages, se réclame explicitement de Huysmans.

Pour être honnête, sa prétention, d’être de ses héritiers, n’est pas sans arguments. L’un d’eux est la visée commune des deux écrivains, qui entreprennent de peindre la modernité, crue et vérifiable comme une photographie, tout en en faisant la satire. On poussera même la similitude en élargissant leur vision, jusqu’à la question religieuse. Huysmans, dans ses premiers romans, décrit un monde dégradé, sordide, matérialiste, prosaïque, la cité de la mort de Dieu. Quant à Houellebecq, lui aussi, il laisse deviner que ses dénigrements acérés de la classe moyenne sont motivés par le sentiment du nihilisme, et de l’absence de transcendance spirituelle.

Tous deux usent de l’antiphrase, de l’ironie, à la Flaubert, ou comme le faisait Baudelaire dans son Spleen de Paris, peut-être plus à l’avantage de Huysmans, qui réussit à retrouver la poésie des êtres qui hantent, comme des misérables créatures, le labyrinthe de l’enfer terrestre, et qui méritent, malgré tout, la compassion chrétienne, présente aussi bien chez lui, que chez l’auteur des Fleurs du Mal. En revanche, on cherchera vainement une trace de pitié chez l’auteur des Particules élémentaires, peut-être parce que la classe moyenne, contrairement aux membres des milieux populaires, n’inspire nullement ce genre d’émotion; mais aussi parce que Houellebecq, en fait, est un intellectuel, qui aurait pu, comme Bourdieu, rédiger des essais de sociologie polémistes. Il ne se lasse pas, du reste, d’alourdir sa pauvre prose de considérations théoriques, qui ont certes l’efficacité de dissertations assez simples pour être comprises d’un bon élève de classe terminale, ou d’un militant de droite, mais qui réussissent à lasser le lecteur, du moins celui qui est habitué à des mets plus délicats et plus légers. Son style n’est pas un style, c’est une photocopieuse. Contrairement à Huysmans, qui, par son écriture, crée un monde traversé de figures quasi mythiques, comme doit en abriter tout bon roman, il dresse des constats de journaliste. Les personnages de Houellebecq, comme ceux de Sartre, sont des idées qu’il voudrait incarnées ; ceux de Huysmans vivent de leur propre vie.

Pour permettre de se faire une idée de ces oppositions, j’ai confronté deux paires d’extraits : deux textes de Huysmans, l’un tiré des Soeurs Vatard, l’autre d’En Ménage ; les deux textes de Houellebecq, quant à eux, proviennent de Soumission. Et l’on verra ce qu’on a perdu en près d’un siècle et demi.

huysmans-houellebecq-litterature-pleiade-3587637749.jpg

G06788.jpg

Textes de Huysmans :

« Par désœuvrement, elles observaient les moindres détails du chemin de fer, le miroitement des poignées de cuivre des voitures, les bouillons de leurs vitres ; écoutaient le tic-tac du télégraphe, le bruit doux que font les wagons qui glissent poussés par des hommes ; considéraient les couleurs différentes de fumées des machines, des fumées qui variaient du blanc au noir, du bleu au gris et se teintaient parfois de jaune, du jaune sale et pesant des bains de Barège ; et elles reconnaissaient chaque locomotive, savaient son nom ; lisaient sur son flanc l’usine où elle était née : chantiers et ateliers de l’Océan, Cail et Cie, usine de Graffenstaden, Koechlin à Mulhouse, Schneider au Creusot, Gouin aux Batignolles, Claparède à Saint-Denis, participation Cail, Parent, Schalken et Cie de Fives-Lille ; et elles se montraient la différence des bêtes, les frêles et les fortes, les petiotes sans tenders pour les trains de banlieue, les grosses pataudes pour les convois à marchandise. »

30050190937-3252556336.jpg

« Il avouait d’exultantes allégresses, alors qu’assis sur le talus des remparts, il plongeait au loin, voyait les gazomètres dresser leurs carcasses à jour et remplies de ciel, pareils à des cirques bâtis de murs bleus et soutenus par des colonnes noires. Alors, le site prenait pour lui une inquiétante signification de souffrances et de détresses. Dans cette campagne dont l’épiderme meurtri se bosselle comme de hideuses croûtes, dans ces routes écorchées où des traînées de plâtre semblent la farine détachée d’une peau malade, il voyait une plaintive accordance avec les douleurs du malheureux, rentrant de sa fabrique, éreinté, suant, moulu, trébuchant sur les gravats, glissant dans les ornières, traînant les pieds, étranglé par des quintes de toux, courbé sous le cinglement de la pluie, sous le fouet du vent, tirant, résigné, sur son brûle-gueule. »

24305569lpw-24307793-libre-jpg_9413348-228081603.jpg

125855261_17-2746376244.jpg

Textes de Houellebecq :

« Je n'avais aucun projet, aucune destination précise ; juste la sensation, très vague, que j'avais intérêt à me diriger vers le Sud-Ouest ; que, si une guerre civile devait éclater en France, elle mettrait davantage de temps à atteindre le Sud-Ouest. Je ne connaissais à vrai dire à peu près rien du Sud-Ouest, sinon que c'est une région où l'on mange du confit de canard ; et le confit de canard me paraissait peu compatible avec la guerre civile. Enfin, je pouvais me tromper. »

« Selon le modèle amoureux prévalant durant les années de ma jeunesse (et rien ne me laissait penser que les choses aient significativement changé), les jeunes gens, après une brève période de vagabondage sexuel correspondant à la préadolescence, étaient supposés s'engager dans des relations amoureuses, exclusives, assorties d'une monogamie stricte, où entraient en jeu des activités non seulement sexuelles mais aussi sociales (sorties, week-ends, vacances). Ces relations n'avaient cependant rien de définitif, mais devaient être considérées comme autant d'apprentissages de la relation amoureuse, en quelque sorte comme des "stages" (dont la pratique se généralisait par ailleurs sur le plan professionnel en tant que préalable au premier emploi). Des relations amoureuses de durée variable (la durée d'un an que j'avais pour ma part observée pouvait être considérée comme acceptable), en nombre variable (une moyenne de dix à vingt apparaissant comme une approximation raisonnable), étaient censées se succéder avant d'aboutir, comme une apothéose, à la relation ultime, celle qui aurait cette fois un caractère conjugal et définitif, et conduirait, via l'engendrement d'enfants, à la constitution d'une famille. »

Les écrits de Julius Evola pour "Vie della Tradizione"

980full-julius-evola-1402253518.jpg

Les écrits de Julius Evola pour "Vie della Tradizione"

La collection complète des essais d'Evola parus dans la revue traditionaliste sicilienne

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/118364-gli-scritti-di-julius-ev...

Parmi les livres d'Evola les plus importants, publiés à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort du penseur traditionaliste, on trouve Julius Evola, Scritti per « Vie della Tradizione » 1971-1974, récemment édité par L'Arco e la Corte (sur commande: info@arcoelacorte.it, pp. 119, euro 15,00). Le recueil a été publié en première édition comme supplément au numéro 104 de la même revue. La nouvelle publication contient l'avant-propos de Gaspare Cannizzo, l'inoubliable fondateur de la revue, et l'introduction de Gianfranco de Turris, accompagnée d'une brève note d'Anna Cannizzo. Dans le volume est également reproduite une lettre d'Evola du 29 juillet 1971 adressée à Cannizzo concernant les modalités de sa collaboration à « Vie della Tradizione ». Le philosophe n'a pas seulement collaboré avec le périodique, mais il a également fait le nécessaire pour obtenir d'autres contributions précieuses pour la revue. Cannizzo écrit, après avoir rendu hommage à la cohérence de la vie et de la pensée d'Evola : « Notre supplément [...] se veut un hommage à sa mémoire, un hommage à un véritable, peut-être dernier, homme de tradition » (p. 17). Les contributions d'Evola, au nombre de douze, seront publiées à partir du deuxième numéro de 1971 et ne cesseront d'arriver à la rédaction que l'année de la mort du penseur (1974).

cover_SCRITTI_VDT_EVOLA_500px-350x494.jpg

De Turris note qu'il s'agit autant d'essais organiques, doctrinaux et interprétatifs que d'écrits à caractère journalistique. Ce sont les écrits du premier type qui prévalent, certains d'entre eux étant réellement pertinents d'un point de vue théorique. Ils abordent « des thèmes et des philosophies chers à Evola [...]: le bouddhisme zen, la Voie de la Main Gauche, l'initiation, la magie sexuelle » (p. 21). On notera, entre autres, Les centres initiatiques et l'histoire et Le mystère de la décadence. Pour des raisons de place, nous n'en évoquerons que quelques-uns. En particulier, ceux qui sont les plus proches de la sensibilité de l'auteur. Commençons par Dionysos et la « Voie de la Main Gauche ». Dans ses pages, Evola présente au lecteur les pouvoirs divins de Dionysos et d'Apollon. L'homme originel était animé d'une "vocation inouïe", il voulait se placer au-delà de l'être: "par le pouvoir de l'être et du non-être, du Oui et du Non" (p. 85). Un tel homme avait en lui, contrairement aux dieux, également une nature mortelle, avec l'infini en lui; vivait, au-delà de tout dualisme, le fini. Les pouvoirs spirituels sont statiques: « sous la forme d'existences objectives autonomes [...] devenues extérieures et fugitives à elles-mêmes, le pouvoir a perdu l'espèce de l'existence objective [...] et la liberté [...] est devenue la contingence [...] des phénomènes » (p. 86). Le « dieu tué » de l'illimité, Dionysos, prend les traits de la limite, de la forme, de l'acte aristotélicien : il devient Apollon.

1660040444-amX3pqvYft-2008141521.jpg

Ce dieu est essentiellement un savoir distinctif, centré sur la « visualité » spatio-temporelle du principium individuationis. L'homme commence à « dépendre » des choses, du désir, et il est rhétoriquement, aurait commenté Michelstaedter, conditionné: « la tangibilité et la solidité des choses matérielles [...] sont l'incorporation » du principe infini (p. 87).  La limite est représentée par la loi, positive et morale à la fois, qui fait taire le pouvoir. Il s'agit, par la « Voie de la Main Gauche », de surmonter l'horreur de l'apeiron. L'individu absolu, dans ce contexte, se place au-delà du domaine de la signification et du finalisme: sa conscience est la même que celle qui vit dans le Tout unique, dans le cosmos, elle n'est plus corrélativement liée aux choses, aux actes, elle descend dans les profondeurs de la vie, au-delà des catégories de la « causalité » et de la « raison suffisante » et de tout « providentialisme ». Le « je » a en lui la possibilité dionysiaque d'abattre les barrières apolliniennes: « Ainsi est attestée la tradition concernant le “Grand Œuvre”, la création d'un second “Arbre de Vie” » (pp. 89-90). Pour cela, il faut déchirer les voiles qui cachent la puissance qui nous habite : il faut consister en elle, sans reculer. Telle est en effet la « mort initiatique ». Un chemin, nous rappelle Evola, dangereux, pour les plus rares....

yin-yang-hechos-fuego-agua-simbolo-armonia_742252-2594-1184962758.jpg

Le penseur revient sur ce thème dans l'essai Le symbolisme érotique antique en Orient et en Méditerranée. Dans cet essai, il montre comment la pensée chinoise considère le yin et le yang, le mâle et la femelle, principes agissant dans le cosmos, dans une interaction instable. Une doctrine qui n'est pas sans rappeler celle attestée dans le tantrisme par Çiva et Çakti. L'Europe ancienne, la Grèce et la Rome aurorales, connaissaient également de telles conceptions, et Bachofen, en les rappelant à la vie, a construit sa propre vision du monde, centrée sur l'antithèse de la génécocratie et de la civilisation uranique (qu'Evola a inversée).

Pour le traditionaliste, à cet égard, le symbolisme de l'étreinte inversée, déjà attesté dans l'Egypte ancienne, est décisif : une étreinte caractérisée par l'immobilité du mâle et la motilité de la femelle: « La vraie virilité n'agit pas de façon matérielle, elle suscite seulement le mouvement, elle le commande » (p. 115). Dans la « Voie de la Main Gauche », la dvandvâita est supérieure à tous les contraires, au masculin comme au féminin, elle n'est plus liée à la dimension réelle des entités, elle est pure liberté-puissance : « la voie peut être comparée à chevaucher sur le fil du rasoir ou à chevaucher le tigre » (p. 117).

L'essai La morsure de la tarentule mérite une attention particulière. Dans cet essai, Evola présente les civilisations traditionnelles comme différentes de la civilisation moderne produite par la « morsure de la tarentule ».  L'homme occidental souffre de cette morsure mortelle, productrice de décadence, depuis que son imagination a été colonisée par l'idole de la démesure capitaliste. Le philosophe, dans ces pages, critique sévèrement, plus que dans d'autres écrits, la politique expansionniste et mondialiste de la civilisation américaine : le capitalisme, précise-t-il, « a pour but de procéder à de nouvelles invasions barbares » (p. 105). Un projet qu'il faut donc arrêter. La morsure de la tarentule est un essai d'une grande actualité. Scritti per « Vie della Tradizione » 1971-1974 est un volume à lire et à méditer.  

12:50 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, traditionalisme, julius évola, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 21 janvier 2025

Trump et le Groenland

trumpgr.png

Trump et le Groenland

Par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2025/01/11/trump-och-gronland/

Lorsque le futur président américain Donald Trump revendiqua à la fois le Groenland et le canal de Panama, sans exclure l'utilisation de moyens militaires, cela suscita une certaine surprise dans le monde entier. Le gouvernement français réagit notamment en déclarant que l'UE n'accepterait pas que des frontières soient modifiées par la violence. Les dirigeants du Danemark et du Groenland soulignèrent que le Groenland n’était pas à vendre. Cela soulève plusieurs questions intéressantes. D'une part, Trump est connu pour sa rhétorique « stratégiquement dramatique », qui fait partie de son « art de l'accord ». Ce qui commence par des menaces de violence et des discussions sur une vente pourrait bien se terminer par l'implantation de quelques bases militaires américaines supplémentaires au Groenland. D'autre part, cette déclaration suggère également une réelle volonté américaine de prendre le contrôle du Groenland, une idée que Trump a déjà abordée par le passé. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a commenté cette situation en affirmant que « l’Europe doit se réveiller », car nous entrons dans un nouvel ordre international caractérisé par le « droit du plus fort ». Vae victis.

Géopolitiquement, cela rappelle la faiblesse de l’Europe. L’Europe n’est pas un acteur sur la scène internationale, ce qui tient en partie aux fondements impolitiques qui servent de base à son unité politique. L’Europe réelle devrait être une communauté fondée sur autre chose que la bureaucratie et l’économie, comme l’ont écrit Jünger, Storey et Evola. Cela signifie que le projet eurocratique est devenu une menace pour les peuples européens et pour leur essence, au lieu de constituer un outil et une expression de celle-ci. Les dirigeants européens d’après-guerre ont largement été des vassaux de l’empire américain, agissant contre les intérêts de leurs propres peuples (voir Jordis von Lohausen).

Sous la présidence de Trump, cela prend une tournure plus aiguë. Nous nous retrouvons dans une situation où, par exemple, Macron représente fréquemment une ligne en politique étrangère qui laisse sous-entendre l'existence d'une force européenne, tout en soutenant une ligne intérieure de faiblesse européenne (en particulier en ce qui concerne la politique d’immigration). Comparé à cela, Trump est souvent favorable aux États-Unis sur le plan intérieur, mais pas toujours aussi bénéfique pour l’Europe sur le plan extérieur. Cela pourrait même, comme le prévient Barrot, signifier que la politique des États-Unis envers les États vassaux européens entre désormais dans une phase d’exploitation et de pillage plus ouvert. Un Europe forte est alors entravée par le politiquement correct et une idéologie hostile aux peuples, et le nœud gordien réside dans l’immigration massive et la légitimité déficiente qu’elle entraîne.

imadkgrges.jpg

Qu'aucun des deux, le Danemark ni l’Europe, ne doive vendre le Groenland est évident. Cela est d’autant plus vrai qu’une majorité de Groenlandais eux-mêmes sont pour plus d’indépendance et pour une adhésion à l’UE. Le processus d’indépendance se poursuit depuis des décennies et le Groenland reprend progressivement sa souveraineté sur différents domaines. En même temps, le pays reste économiquement dépendant du Danemark: « L’État danois accorde chaque année un soutien financier au Groenland qui s’élevait en 2024 à 4,3 milliards de couronnes. De plus, l’État danois couvre directement des dépenses de plus d’1 milliard de couronnes pour des domaines tels que la défense, la police et le système judiciaire. » Plus d’un Groenlandais sur quatre vit d’ailleurs au Danemark. Les liens entre le Groenland et le Danemark sont considérables, que ce soit sur les plans économique, génétique, onomastique, historique ou religieux. Le paysage politique du Groenland ne semble pas non plus particulièrement compatible avec Trump et le MAGA.

imainuitges.png

Le parti au pouvoir, Inuit Ataqatigiit, est décrit comme socialiste et a notamment affirmé: « Inuit Ataqatigiit dit non à l’extraction et à l’exportation d’uranium et d’autres minéraux radioactifs… La nature arctique est la réserve alimentaire du Groenland, tout comme de nombreux autres peuples arctiques vivent encore largement de ressources naturelles. C’est pourquoi nous, habitants de l’Arctique, avons un intérêt particulier à ce que la nature arctique ne soit pas polluée par l’extraction d’uranium radioactif et d’autres matières premières toxiques, par des matériaux radioactifs provenant d’accidents dans les centrales nucléaires ou dans des navires à propulsion nucléaire, ou par le dépôt de déchets nucléaires. Nous pensons également que les grandes puissances mondiales doivent procéder à un désarmement surtout sur le plan des armements nucléaires. L’Arctique est et doit rester pacifique. » Le parti démocrate-socialiste Siumut est également très influent au Groenland. Politiquement, le Groenland appartient davantage à l’Europe qu’aux États-Unis.

Ossian_Elgstrom.jpg

thumb4170.jpg

La géopolitique n’est cependant pas tout. Il existe également des raisons mythiques et psychologiques profondes de ne pas rompre les liens entre le Nord scandinave et l’Arctique. Le Groenland possède de riches traditions et une mythologie fascinante. Il existe aussi une tendance eurartique dans l’inconscient scandinave, comparable au « Drang nach Osten » allemand, les peuples nordiques s'étant maintesfois orientés vers le Nord. On peut citer ici l’expédition d’Andrée, l’intérêt authentique d’Ossian Elgström (photo) pour les Inuits et les Samis, ainsi que les descriptions d’Evola sur l’origine polaire, sur Hyperborée et Thulé. Nous avons déjà écrit sur ce sujet, notamment dans mes textes sur Ödun et l’ours polaire et sur la mythologie antarctique. Notre tradition vient ultérieurement des chasseurs de mammouths dans l’Arctique, et rompre les liens avec l’Arctique équivaudrait, psychologiquement et mythiquement, à une sorte d’effondrement.

Indonésie: le Géant oublié

carte-thematique-de-lindonesie-de-1996-carte-murale-petit-tube-national-geographic-historic-pod-2321378m-default-title-515279.jpg

Indonésie: le Géant oublié

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/il-gigante-dimenticato/

L’Indonésie est un géant. Un géant dont nous, Européens, et surtout nous, Italiens, prétendons ignorer l’existence.

Une fiction rassurante entoure l'Indonésie sous nos latitudes. Parce qu’au mieux, nous considérons ces terres comme pétries de pur folklore. Une sorte de pays d'opérettes, une destination de vacances privilégiée pour les riches. Ou pour ceux qui prétendent l’être.

Une myopie due à l’ignorance fondamentale avec laquelle nous regardons le monde. Avec une perspective qui reste celle d’il y a quatre-vingts ans : l’Amérique, ou plutôt les États-Unis, et la petite Europe occidentale. Voilà le monde… le reste, simplement, ne compte pas. Ou pire, n’existe même pas en nos têtes.

Et pourtant, l’Indonésie est une réalité bien différente. Une réalité avec laquelle nous devrons, bientôt, commencer à composer. Et ce ne seront pas des compromis faciles, ni, surtout, à notre avantage.

Car ce colosse insulaire, doté d’une agriculture extrêmement riche et d’un potentiel minier – pétrole, gaz, or… – tout aussi extraordinaire, a officiellement demandé à intégrer les BRICS. Autrement dit, la coalition économique qui conquiert progressivement la primauté mondiale. Provoquant bien des maux de tête pour les finances américaines. Sans parler de notre petite Europe, de plus en plus réduite à l’insignifiance économique. Et pas seulement économique.

La décision indonésienne est sans aucun doute un événement important. Fondamental, à bien des égards.

Jakarta a en effet toujours été étroitement liée aux États-Unis. Un lien non seulement économique, qui a profondément marqué son histoire récente et tourmentée.

Demander formellement à rejoindre les BRICS – qui, par ailleurs, courtisaient l’Indonésie depuis longtemps – représente donc un changement de politique profond et mûrement réfléchi.

Chercher de nouveaux marchés, augmenter de 20% les exportations vers la Chine et de 8% vers l’Inde, et s’ouvrir à la Russie ainsi qu’aux autres pays associés aux BRICS.

de5f914776df12355492a6328942da66.jpg

Mais bien au-delà, ce choix de Jakarta signifie une prise de distance claire vis-à-vis des États-Unis. En effet, l’Indonésie se rebelle ouvertement contre l’hégémonie du dollar, qui a longtemps conditionné et limité sa croissance.

Au sein des BRICS, elle peut trouver des alternatives viables et moins coûteuses, tant sur le plan strictement économique que, peut-être encore plus, sur le plan politique.

Ainsi, la décision indonésienne marque un tournant, probablement radical, dans les équilibres économiques et géopolitiques mondiaux.

Cependant, en Italie, cet événement est quasiment ignoré par les grands médias. Comme s’il ne nous concernait pas ou ne nous impliquait en aucune manière.

Comme si l’Indonésie n’était pas un géant économique, mais un pays exotique, joyeux et festif, un pays pour touristes repus et satisfaits. Une affaire d’opérette, en somme.

Alors que nous devrions prendre conscience de la réalité. Et comprendre que c’est nous, désormais, qui sommes le… pays des opérettes.

Parvulesco et David Lynch sur le cauchemar US

Transcending.jpg

Parvulesco et David Lynch sur le cauchemar US

Nicolas Bonnal

Source: https://www.dedefensa.org/article/parvulesco-et-david-lynch-sur-le-cauchemar-us

David Lynch est mort et il ne tournait plus depuis dix-sept ans. Les larmes de crocodile des uns (dont Spielberg) ne doivent pas nous faire oublier l’avarice des autres : qui a cessé en effet de le financer, et sur quel ordre ? Ce n’est certes pas parce que ses films ne rapportaient rien, malgré leur dimension de film-culte qui ne concernait qu’une chapelle peu éclairée. On a sciemment laissé crever son cinéma. D’un autre côté j’ai assez fréquenté Kubrick pour savoir qu’un long silence au cinéma est parfois préférable à une myriade d’opus ratés. Perte d’inspiration, disent les idiots ? D’autres savent qu’il vaut mieux se taire et mirer l’écran blanc. Certains maîtres dépérirent sous le nombre de leurs films sans inspiration : Godard, Resnais, Ridley Scot… Roule, torrent de l’inutilité, comme dit Montherlant.

Imdb.com a dit un jour que les trois plus grands cinéastes étaient Hitchcock, Kubrick – j’ai écrit sur les deux – et David Lynch, sur qui j’ai hésité d’écrire : je me demande en effet s’il y a tant à dire sur lui. Et comme en plus il y a selon moi du politiquement incorrect…

Soyons brefs et synthétiques :

Lynch est le témoin de la montée de l’horreur dans les années Kennedy-Johnson. Le bon vieux temps va être remplacé, que MAGA pleure encore (l’américain est plus nostalgique que l’apathique froncé qui a laissé son pays se dézinguer sans réagir, même culturellement). Le pays se désintègre sur tous les plans sous la poussée étatique et migratoire (voyez entre autres Paul Johnson ou l’excellent Jonah Goldberg sur le fascisme libéral). Ses personnages les plus célèbres, l’homme-éléphant et la tête à effacer, montrent une horreur suinter, celle de la Révolution industrielle, puis de l’écroulement de la société américaine dans les années soixante, dont tous les gens de droite ont parlé, et même John Wayne dans sa fameuse interview dans Playboy. C’est la fin de la race blanche (disons-le nûment), de sa famille, de ses traditions, l’ouverture exotique des frontières entre autres voulue par les frères Kennedy (voyez l’extraordinaire Alien nation de Peter Brimelow), la montée de l’insécurité et de l’orange mécanique (Vivian Kubrick soulagée de quitter New York pour gagner la campagne anglaise, dixit Vincent Lo Brutto) : société multiraciale, drogue, violence ultra, racaille toute-puissante, horreur des paysages urbains, tout ce que décrit Kunstler dans sa Long Emergency. Aux cowboys vont succéder des obèses ahuris de drogues autorisées et de télé, cowboys enfermés dans des territoires protocolaires autoroutiers interminables. C’est la fin de la petite ville blonde de Jane Powell (Small Town Girl, une de mes comédies musicales préférées, voyez mon livre).

bluevelvet.png

Tout cela pour se demander si le message clairement racial de Lynch (lui-même officiellement partisan de Bernie Sanders, et comme il a raison sur certains plans !) a été compris par l’Ennemi, qui l’aurait puni pour cela ? Cet homme tranquille théoriquement de gauche délivrait un message de blondeur, de nostalgie, parois optimiste (cf. le petit couple survivaliste de Nicholas Cage et la sublime Laura Dern), mais surtout nihiliste et pessimiste : rien ne va rester de l’ordre ancien. Et comme nous perdons en même la tête et la mémoire… Blue Velvet avec son oreille et non son temps retrouvé  décrit cette atmosphère de petite ville US sortie des films de Negulesco ou de Douglas Sirk, petite ville fragile si détestée par l’élite, qui va être liquidée par le Deep State et ses représentants, ces élites folles que dénonce alors Christopher Lasch (mais aussi le frère de Paul Auster). Les élites préfèrent l’exotisme à plumes, comme l’a rappelé Gilles Chatelet dans Vivre et penser comme des porcs (livre presque dédié à Attali et Sorman…).

vertical_06ef1f71-d4d7-4359-b618-146d384c2d12.jpg

La critique cannoise célébrait l’atmosphère de sexe hard, de libération sexuelle, de drogue ou de dérive sociale qui marquait les films de Lynch. Elle fut surprise (je me souviens de la réaction d’Elizabeth Quin) par The Straight Story qui narre l’aventure routière d’un vieil homme, père d’une fille handicapée et soucieux d’aller retrouver son frère sur sa tondeuse à gazon (éloge de la lenteur !) à quelques centaines de kilomètres de là. Cadre enchanteur, mais c’était le Canada d’avant Trudeau. Ici Lynch jetait un peu son masque et l’insuccès auprès d’un public toujours plus hébété précipita sa chute. Mulholland Drive qui se voulait un film sur une série télé façon Twin Peaks (belle peinture de la déchéance US avec un casting de jeunes d’une beauté sensationnelle et les plus beaux paysages du monde dans l’Etat de Washington), s’avéra en fait et en définitive un «pilote» raté qui n’intéressa pas les télés – comme les derniers Columbo qui décrivaient très bien et presque involontairement (donc excellemment) la déchéance intégrale de la société américaine sous les années Bush et Clinton, nos mondialistes consacrés. Le dernier film tourné en Bulgarie m'était apparu comme insipide : je maintiens que le plus dur chez Lynch c’est cette angoisse de la pellicule blanche qui frappe d’autres petits maîtres comme Jarmusch ou Payne (en France qu’avons-nous avec notre cohorte de cinéastes subventionnés par l’Etat-PS ?) et cette fatigue de décrire ou de refléter une réalité qui ne cesse de disparaître, conformément aux prédictions de Debord dans les années soixante.

mulholland-drive_2025-01-20-150144_rhfw.jpg

Je termine par une citation de Jean Parvulesco dans Retour en Colchide (merci au fidèle lecteur Paul), livre où il parle étrangement de mon rapport avec un Grand Monarque, que j’ai connu et qui n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait. Avec Parvulesco nous parlions souvent à La Rotonde du jeune Godard (génie éblouissant c’est certain) qu’il avait inspiré, de Kubrick, de Hollywood (comme son texte sur ce grand incendie rituel et sacrificiel nous manquera !), et bien sûr de Rohmer et de Schroeder. Jean réagit très fortement à Eyes Wide Shut de Kubrick. Mais grâce à mon lecteur Paul je trouve ces lignes sur le triomphe du satanisme dans la société américaine et occidentale, lignes inspirées par Mulholland Drive :

« …Car ce film de David Lynch  est en réalité le récit - la mise en scène de sa propre désintégration en marche et partant d’une certaine désintégration totale de ce monde, ramenant à la superbe séquence finale du basculement général dans la démence collective totale coïncidant d’une manière sous-entendue avec une prise en possession définitive par les Enfers.

En dernière analyse, Mulholland Drive signifie et annonce l’engagement peut-être irréversible de l’actuelle soi-disant civilisation américaine vers une conclusion infernale, vers la pétition de plus en plus paroxystique de sa prise en main par les pouvoirs occultes des soubassements nocturnes de ce monde. Par leur glissement fatal sous la Régence des Ténèbres. »

Il n’y a rien à ajouter. Le triomphe de Satan me semble évident en France comme en Amérique maintenant – et très bien accepté. Je pense encore que si j’écris un bref livre sur Lynch j’y inclurai un texte sur le cinéma néo-noir. Le cinéma noir ou néo-noir est ce qui permet de rentrer dans la graisse de la société bourgeoise et moderniste, de lui en extraire le lard. Le plus grand film en la matière, qui annonce Lynch, l’incontournable reste Point Blank de John Boorman, qui narre la destruction de la société américaine par le capitalisme modernisé (voyez mon texte sur Robert Reich et les manipulateurs de symboles), entité qui adore dévorer ses enfants inconscients.

Le mystère de Twin Peaks - Derrière le surréalisme des films de David Lynch

9263d4f9-david-lynch-1200x675-2124177217.png

Le mystère de Twin Peaks

Derrière le surréalisme des films de David Lynch

Alexander Douguine

J'ai récemment participé à un programme consacré à David Lynch dans le cadre du « projet Decameron », dans lequel plusieurs personnalités dialoguaient en ligne, racontant différentes histoires et discutant de différents films. L'émission s'intitulait « Guide to Kulchur ». J'ai été invité à parler de David Lynch. L'animateur et moi avons eu une conversation très intéressante. Je vais vous en raconter les principaux détails.

Bien que Lynch soit considéré comme un postmoderniste, un réalisateur populaire parmi les hipsters et les libéraux, l'organisateur du projet Guide to Kulchur, un conservateur de droite (Fróði Midjord) a déclaré qu'il aimait Lynch (se mettant ainsi probablement en opposition avec la plupart de ses propres partisans). J'ai répondu que j'étais un conservateur russe, mais que j'aimais aussi Lynch.

Mon collègue a remarqué que dans Twin Peaks, toute l'action se déroule dans une petite ville américaine sans bourse ni migration, où vivent des Américains ordinaires et classiques, et où tout ce qui leur arrive a le charme de la tradition aux yeux des Américains modernes. Twin Peaks est une sorte d'utopie conservatrice. Les gens marchent lentement, tout le monde se connaît, ils sont familiers avec les particularités de chacun ; même si les relations sont parfois exotiques et surréalistes, il s'agit de relations humaines. Elles ne font pas partie de la machine urbaine. C'est une utopie rurale américaine.

078278-789985171.jpg

Je n'avais pas envisagé Twin Peaks sous cet angle, mais j'ai été heureux de le soutenir. Peut-être que pour les Américains avec leur culture spécifique, Twin Peaks est l'Amérique profonde, une vision de l'Amérique défendue par ceux qui ne sont pas d'accord avec la mondialisation, le libéralisme de gauche, la société civile, Soros, Obama, Clinton.... En quelque sorte, l'électorat de Trump, ou les gens ordinaires.

Il est intéressant de constater que lorsque Lynch montre les habitants de Twin Peaks comme des personnes extrêmement étranges vivant au bord de la folie, impliquées dans les perversions les plus profondes et se tenant au seuil de l'au-delà (qui envahit de temps en temps leur vie) - il s'agit toujours d'un monde idéal, pastoral et positif comparé au cauchemar que représentent les grandes villes américaines - paysages urbains, Art nouveau américain, l'opposé du backwoods.

Si la schizophrénie surréaliste d'une petite ville américaine est une antithèse positive (aux yeux de certains conservateurs) de l'Amérique urbaine, de Wall Street et des grandes entreprises, cela en dit long sur la société américaine. Il ne m'est jamais venu à l'esprit de voir Twin Peaks comme Macondo dans « Cent ans de solitude » de Marquez... Comme un monde idéal, une utopie. Et pour les Américains, peut-être une perspective possible...

Ensuite, nous avons parlé de la vraie Amérique, celle des petites villes comme Twin Peaks. J'ai noté comment Lynch reconstruit subtilement la structure à trois niveaux de l'image traditionnelle du monde. Avec de l'ironie, des rebondissements ironiques... Mais en fait, ce qui est étrange dans Twin Peaks, c'est que l'action se déroule sur trois niveaux à la fois.

7baaa12b6bb188b51cf15074958c2bab-3814209575.jpg

Aussi étrange que cela puisse paraître, il s'agit d'une caractéristique traditionnelle du théâtre classique, où, outre les actions dans le monde du milieu, deux dimensions supplémentaires sont impliquées. Dans Twin Peaks, il s'agit de la Black Lodge et de la White Lodge. Elles sont en contact avec le monde de Twin Peaks - nous n'entendons pratiquement pas parler de la Loge Blanche, mais beaucoup de la Loge Noire. L'invasion de la vie mesurée de Twin Peaks par la Black Lodge crée des tourbillons, des distorsions de la vie spatiale et existentielle qui sont l'essence même du récit de Lynch.

En fait, Lynch reconstruit une ontologie tridimensionnelle, qui relève de la tradition classique du christianisme, des mythologies indo-européennes, des traditions non chrétiennes, grecques, etc.

Nous vivons dans l'une des dimensions, qui est conditionnellement au centre, et au-dessus et au-dessous de nous, il y a d'autres mondes. La Black Lodge de Lynch correspond à la mythologie classique, étant composée de nains ou de géants. Tous deux sont des types post-anthropologiques limites, entre lesquels nous trouvons l'humain. Les géants et les nains représentent des figures limitrophes nécessaires qui rappellent à l'homme la relativité de ses positions. De même, la présence de la Black Lodge et de la White Lodge souligne les limites de la compétence humaine. Là où commence la sphère d'influence de la Black Lodge, là explose la frontière de la compétence humaine. En particulier, Twin Peaks traite de l'invasion de Bob venu du monde inférieur, qui s'empare de Leland, le meurtrier, puis de Dale Cooper lui-même. C'est alors que la vision tridimensionnelle de la structure du monde change complètement d'accent: le surréalisme de Lynch cesse alors d'être dénué de sens comme il peut sembler l'être à première vue.

Lynch lui-même nous a dit que sa façon de faire un film n'est pas un scénario tout fait, mais plutôt un scénario qui est tourné et créé pendant qu'il est filmé. Ils savent seulement où ils vont - ils dessinent leur récit au fur et à mesure qu'ils se développent. Et parce qu'ils sont sensibles à l'influence des dimensions parallèles (en particulier la dimension inférieure), ils sont capables de reproduire brillamment l'atmosphère de suspense, les attentes.

Non seulement les spectateurs sont surpris par les rebondissements de l'intrigue, mais Lynch lui-même ne les connaît pas à l'avance. Il présente l'opportunité, et le film se tourne de lui-même. Cette attention aux dimensions supplémentaires (dont Lynch lui-même parle souvent) est le secret de la crédibilité de son film. Et Lynch lui-même est humble - il dit qu'il n'y a pas de réponse exacte. Qui a tué Laura Palmer ? En général, il ne voulait pas que le public discute de l'identité du meurtrier, mais la banale conscience américaine exigeait une fin heureuse, et les financiers étaient obligés d'accuser le père de Laura Palmer d'un crime irrationnel. Et ce, même si, dans la troisième saison, Lynch a ramené Laura Palmer à la vie, comme pour dire : « Vous pensiez avoir tout compris ? Vous n'avez rien compris. On ne comprend rien à Twin Peaks. Pour comprendre Twin Peaks, il faut vivre dans Twin Peaks, il faut entrer dans ce monde, il faut passer derrière les oscillations des invasions étranges qui, par une logique incompréhensible, sans l'algorithme habituel, se retrouvent dans la vie de la population, des citoyens de Twin Peaks, dont l'un parle avec son propre pied, l'autre - avec une bûche...

69402929d7cf3d47224b1e2b9056ef8f.jpg

Mais progressivement, dans la conversation avec son pied, nous trouvons une référence à la philosophie du parlement des organes dans le post-moderne, la conversation d'une femme avec la bûche - ontologie orientée objet, quand la bûche est un certain sujet, ou même un objet radical qui supprime la complexité et l'intensité de la présence humaine dans le monde. Les visites périodiques de Lynch à la Black Lodge (on parle moins de la White Lodge - elle existe aussi, mais son influence est insensible, surtout dans le monde moderne) deviennent de plus en plus lumineuses et, dans un sens, on peut considérer la création de Lynch comme une chronique de l'invasion infernale, lorsque des entités intracorporelles pénètrent dans notre monde et commencent à l'influencer activement. Mais même si elle rencontre une certaine résistance, même la vie américaine traditionnelle est incapable de construire une véritable forteresse face à la Black Lodge, qui devient de plus en plus sûre d'elle, s'emparant de différents vecteurs, et nous entrons progressivement dans le domaine des miracles noirs.

La troisième saison, à mon avis, est beaucoup plus sombre que les précédentes - quelque chose a changé dans l'ontologie des Américains eux-mêmes, ou peut-être de chacun d'entre nous. La résurrection de Laura Palmer et son dernier cri (lorsqu'elle est morte et qu'il s'avère qu'elle ne l'était pas) sont comme le miracle noir de l'Antéchrist - c'est comme le miracle de la résurrection, mais il n'a pas de suite. Le noir ne signifie pas le fait d'être noir, mais un manque total de signification. Pour Laura Palmer, cette résurrection noire sans l'aide des forces de la lumière est une parodie fondamentale des temps récents.

En ce sens, Lynch dépeint l'invasion globale de ce qui se trouve sous la ligne de fond de la réalité humaine. En ce sens, son œuvre peut être considérée comme une preuve précieuse. Elle peut être interprétée comme postmoderne, mais le manque de sens de Lynch n'est pas une exploitation. C'est un point important, une hypothèse que j'ai émise au cours de cette conversation. Lynch est à égale distance de ceux qui ne comprennent pas ce qui se passe dans le monde moderne ; il peut les aimer, les inspirer ou les effrayer, les attirer, mais il n'est pas l'un d'entre eux.

Ce qui le distingue des maîtres de la falsification et du codage à Hollywood, c'est qu'il n'exploite pas l'idiotie des masses (il ne libère pas les masses de l'idiotie, mais il ne les exploite pas non plus). Il est exactement à mi-chemin entre les révolutionnaires (les films d'art et d'essai, qui deviendront un cinéma culte, révélant toute la vie et la profondeur de la chute) et les masses (bien qu'il n'exploite pas les goûts de la foule). En cela, je pense qu'il est plus proche de Tarantino, car il est sur le fil. Il ne fait pas un pas ni vers les masses, ni pour les sortir de ce rêve.

Cette ambiguïté, cette dualité du propos cinématographique de Lynch crée l'ironie. En grec, « ironie » signifie dire une chose et en signifier une autre. C'est le sens d'une rhétorique basée sur la courbure d'un énoncé direct et logique.

Le langage et l'art de Lynch déforment la réalité de manière à ce que quelqu'un puisse voir une chose dans un énoncé tout en sous-entendant l'autre. Mais ce n'est pas tout à fait ainsi que cela fonctionne dans le cas de Lynch. J'aimerais beaucoup que les gens essaient d'interpréter ce que dit Lynch. Il dit « A » - nous comprenons qu'il veut dire quelque chose d'ironique, une autre lettre, une lettre que personne ne connaît. Mais ce qui est intéressant, c'est que Lynch ne la connaît pas non plus. C'est la dualité et l'ironie métaphysique profonde de ses films.

17:15 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : david lynch, cinéma, alexandre douguine | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 20 janvier 2025

Zelensky attaque le Turkstream pour mettre l’Europe à genoux tout en lui demandant plus d’argent

trkstrem-1289323656.jpg

Zelensky attaque le Turkstream pour mettre l’Europe à genoux tout en lui demandant plus d’argent

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/zelensky-attacca-il-turkstream-...

Nous avons là un nouvel acte dans la guerre de Zelensky contre l’Europe. Le criminel de Kiev a lancé une attaque contre le Turkstream, le gazoduc qui approvisionne non seulement la Turquie, mais aussi une partie des pays d’Europe orientale et sud-orientale. De la Grèce à la Bulgarie, de la Macédoine du Nord à la Serbie, de la Roumanie à la Hongrie.

Une attaque visant à reproduire le désastre provoqué en Europe occidentale par la destruction des deux gazoducs Nord Stream qui transportaient le gaz russe vers l’Allemagne. Un attentat qui a lourdement endommagé l’économie européenne – pas seulement l’économie allemande –, mais que les euro-incompétents ont soigneusement évité de sanctionner. Après tout, ce sont les citoyens soumis qui paient pour les manigances d’Ursula et de son complice Zelensky.

La bande de Kiev exige donc plus d’argent de l’Europe, alors même que ses attaques contre les gazoducs appauvrissent davantage ce même continent. Enrichissant par la même occasion les États-Unis, qui peuvent vendre leur gaz liquéfié à des prix plus élevés, empocher des profits et réduire la compétitivité du Vieux Continent.

Seuls les serviteurs au pouvoir dans les pays européens peuvent croire qu’il s’agit de manœuvres improvisées, non coordonnées pour nuire à l’économie européenne. Et malgré une désinformation qui a désormais atteint des sommets aussi vertigineux que ridicules, les peuples européens commencent à s’en rendre compte. Tandis que ces mêmes journaux qui, en 2022, assuraient que Moscou n’avait plus de missiles et que les soldats russes combattaient avec des pelles, prétendent aujourd’hui que la Russie a déjà perdu la guerre parce qu’elle n’a plus d’argent.

Mishima, star de la littérature après des années d'ostracisme de la part de la gauche

0f2bb22c75a31ef281e0519b78d313a2.jpg

Mishima, star de la littérature après des années d'ostracisme de la part de la gauche

Chaque livre que Feltrinelli publie ou réédite presque régulièrement est un succès. Les nombreux articles qui paraissent dans les journaux, à l'exception de quelques-uns qui prétendent encore que l'écrivain japonais n'existe pas, sont lus et repris sur les médias sociaux. Des présentations de ses livres ont lieu en permanence. Il est devenu, en somme, un « mythe ».

par Gennaro Malgieri

Source: https://www.barbadillo.it/118506-mishima-star-della-lette...

Le 14 janvier 1925 naissait à Tokyo Kimitake Hiraoka, qui prend le nom de Yukio Mishima en 1941. Le 13 de ce mois, le centenaire a été commémoré à Rome, à la librairie Horafelix, lors d'une manifestation qui a rassemblé une foule d'auditeurs attentifs. À cette occasion, j'ai donné une conférence, dont je ne dirai pas comment elle a été accueillie, en présence d'Alessandro Rosa, président de La Vecchia Colle Oppio, et de l'éditeur de Fergen, Federico Gennaccari, qui a présenté ma conférence, avec la collaboration du centre culturel L'Arsenale, qui l'a enregistrée et qui la diffusera dans les prochains jours. Je n'avais pas imaginé une telle affluence, et les spectateurs eux-mêmes se sont regardés, un peu étonnés de se trouver dans une bibliothèque aussi bondée.

Mais il est vrai qu'on dit que Mishima est devenu une star littéraire après des années d'ostracisme et de dénigrement. Chaque livre que Feltrinelli publie ou réédite régulièrement est un succès. Les nombreux articles qui paraissent dans les journaux, à l'exception de quelques-uns qui prétendent encore que l'écrivain japonais n'existe pas, sont lus et repris sur les médias sociaux. Des présentations de ses livres ont lieu en permanence. Il est devenu, en somme, un « mythe ».

Après le dénigrement, le repentir. Le « suicide rituel » de Mishima, le seppuku en somme, réalisé le 25 novembre 1970, a laissé tous ceux qui l'ont appris consternés, y compris ceux qui n'en avaient jamais lu une seule ligne. Et la plupart ont blâmé, même vulgairement, le geste extrême. Curieusement, certains intellectuels de gauche, comme Alberto Moravia qui l'avait connu, comprennent le choix de Mishima. Le 6 décembre, il écrit un long article pour L'Espresso, utilisé un an plus tard comme préface aux nouvelles, rassemblées sous le titre Morte di mezza estate, publiées par Longanesi. Le titre est « Mourir en samouraï », surmonté d'une légende très explicite : « Ce que l'écrivain japonais a voulu montrer à son pays et au monde ». Au-delà de la tristesse qui frappe Moravia, l'écrivain esquisse la figure de Mishima sans préjugés, même s'il ne partage pas son idéologie. Mishima, écrit-il notamment, n'était pas seulement un écrivain célèbre. Il était aussi une « public figure », comme on dit aux États-Unis. C'est-à-dire un écrivain qui dépassait les limites de la littérature et empiétait, par sa notoriété et son influence, sur la coutume ». Et c'est en tant que personnalité publique que Mishima a été jugé, non pas en tant que romancier, essayiste, dramaturge, metteur en scène, mais en tant que figure représentative du Japon qui lui était contemporain. C'est pour cette raison que son geste extrême a mis le Japon en émoi. Et on eut beau se moquer de lui, il posa à l'âme de son pays une question à laquelle, un demi-siècle plus tard, personne n'est en mesure de répondre. Moravia a écrit qu'en tant qu'écrivain, Mishima était représentatif du Japon dualiste et contradictoire dans lequel « à côté d'une révolution industrielle et néo-capitaliste, coexistent des habitudes, des coutumes et des visions du monde traditionnelles ».

yukio-mishima-1500x600-1223372473.jpg

La complexité du personnage a été saisie par l'écrivain italien, impressionné par l'européanisme qu'il dégageait. Il comprend sans doute l'esprit auquel il ne peut souscrire en raison de sa formation et de ses goûts, mais à cette époque, Moravia est l'un des rares à sentir la force qui émane du « personnage public » autant que de l'homme de lettres.

L'hebdomadaire Epoca a consacré de nombreuses pages, agrémentées d'illustrations inédites, à Mishima. L'article anonyme d'ouverture s'intitule « Le suicide comme instrument politique », mais la pièce maîtresse est l'interview de Giuseppe Grazzini, « Yukio Mishima una vita sbagliata » : il n'est pas nécessaire de lire l'intonation de l'article pour se rendre compte de l'ampleur des préjugés dont il est imprégné. L'Europeo a également publié un ample article de Guido Gerosa intitulé « Harakiri », avec un résumé si explicite qu'il enlève tout plaisir à la lecture du long article : « Le terrible sacrifice de l'écrivain Mishima a reproposé le thème millénaire de la “mort du bien” japonaise, qui remonte aux trônes de sang du Moyen-Âge japonais et à la nuit des longues épées du 15 août 45 ».

21a7bc821a4a7039be4c687b18f6fc0a.jpg

La presse de gauche s'est constamment vautrée dans le sang de Mishima. Deux articles d'époque dans Paese sera et L'Unità. Le premier : « Rituel de suicide macabre de l'écrivain japonais qui voulait le retour de l'Empire » ; le second : « Coup d'État fasciste sanglant à Tokyo. Un écrivain attaque une caserne et se fait karakiri ».  Paese sera craint que ce geste ne soit le prélude à une « renaissance du militarisme ». Le quotidien socialiste Avanti, peu modéré, va jusqu'à spéculer que « l'abnégation de l'écrivain-acteur-dramaturge pourrait déclencher de violentes manifestations de rue de la part de l'extrême droite, petite de taille au Japon mais très féroce, portée par l'armée “privée” organisée par Mishima, le Tatenokai, quelques dizaines d'admirateurs militants de l'écrivain qui ne faisaient pas de mal à une mouche, au point que l'Agence de défense leur a proposé de s'entraîner au pied du mont Fuji ». Le journal socialiste a moins de pudeur que ses « frères » et titre : « On craint une vague de terreur nationaliste au Japon ». Il Popolo, organe du parti chrétien-démocrate: « Mishima était un rebelle d'extrême droite et un Japonais » (deux méfaits dont le plus grave est sans doute le second). Bref, un personnage dont on pouvait tout attendre. Même qu'il était anti-démocratique. Un crime qui mérite d'être condamné. Et c'est ce qui s'est passé. Dans l'article « Le chrysanthème, l'épée et la démocratie », une condamnation sans appel a été prononcée. Une condamnation antidémocratique et très peu chrétienne.

Aujourd'hui, les ombres qui ont enveloppé Mishima pendant plus d'un demi-siècle semblent s'être apaisées. Et l'événement romain dont nous vous parlons semble, du moins en Italie, avoir été le sceau d'une « promenade dans le temps », dans cette « mer de fertilité » qui reste le chef-d'œuvre de Yukio Mishima.

David Lynch s’en est allé: un chaman du cinéma et un expérimentateur surréaliste

el-director-de-cine-david-lynch-459879785.jpeg

David Lynch s’en est allé: un chaman du cinéma et un expérimentateur surréaliste

Le réalisateur de Dune et Twin Peaks est mort à 78 ans d’un emphysème

par Giovanni Balducci

Source: https://www.barbadillo.it/118442-se-ne-va-david-lynch-sciamano-del-cinema-e-sperimentatore-surrealista/

David Lynch s’en est allé : réalisateur, acteur, expérimentateur dans le domaine de la peinture, musicien, écrivain, un artiste aux multiples facettes. Jeune homme, il voyagea en Europe pour rencontrer les derniers représentants des avant-gardes du 20ème siècle. Après des années passées comme peintre et réalisateur de courts-métrages, il fit ses débuts dans le cinéma américain en 1977 avec son premier long-métrage, Eraserhead. Ce film, avec sa vague électrique sombre – qui deviendra la marque de toute son œuvre – éblouit la scène cinématographique mondiale.

MV5BMDExYzg5YjQtMzE0Yy00OWJjLThiZTctMWI5MzhjM2RmNjA4L2ltYWdlXkEyXkFqcGdeQXVyNTAyODkwOQ@@._V1_-2497671293.jpg

Humour noir et frisson métaphysique, les recoins secrets de la psyché (et son empire sans limites, comme dans Inland Empire), l’obsession et la folie (mais aussi la terreur d’être père, dans Eraserhead), la perversion et l’aspiration au ciel (admirablement exprimées dans l’épopée de Twin Peaks à travers l’ange/démon Laura Palmer), l’Amérique profonde avec ses collines verdoyantes et ses sombres mystères (qui servaient déjà de décor à Poe et Lovecraft), mais aussi l’univers tourbillonnant d’Hollywood (comme dans Mulholland Drive), les femmes fatales (comment oublier l’iconique Audrey Horne (photo), avec ses yeux félins et ses mouvements de déesse égyptienne) et le cabaret (on pense à l’envoûtante Isabella Rossellini – longtemps sa compagne – dans Blue Velvet), les danseuses, les nains… et les géants, les campus universitaires avec leurs reines de beauté et leurs brutes en cabriolet : toute l’épopée américaine, en somme, entre Gatsby le Magnifique et le capitaine Achab, se retrouve chez Lynch.

86a8125be11028d044227644f0196b4f-3852391709.jpg

Le suspense du polar aux résonances ésotériques (pensons à l’agent du FBI aux pouvoirs ESP Dale Cooper, interprété par son acteur fétiche Kyle MacLachlan, ou à l’agent Gordon, qu’il incarnait lui-même dans Twin Peaks), les figures de puissants corrompus, liés à Bob, incarnation du Mal ontologique, et à la non moins terrifiante Jody ; la Loge noire et la Loge blanche, anges et démons, bons et méchants. Comme dans Dune, où l’on cherchait l’“Épice”, les entités errant autour de Twin Peaks préfèrent la “Garmonbozia” : une ambroisie extraite de la douleur humaine, tandis que ces mêmes humains se font la guerre pour de l’argent.

cb77d65c62a77cbd3a93e3039feaf58f-2378749711.jpg

Tout cela, et bien plus encore, a été représenté par ce puissant “rêveur” qui vivait “à l’intérieur de son rêve”, pour reprendre l’expression de notre “Monica nationale” (Bellucci, ndlr).

À 78 ans, Lynch avait déjà révélé en 2024 la maladie dont il souffrait: un grave emphysème diagnostiqué après une vie passée à fumer des cigarettes (une habitude qu’il aimait autant que boire son “café noir”). Cette maladie l’empêchait probablement de reprendre une caméra hors de chez lui. Sa famille a annoncé son décès dans un post sur les réseaux sociaux, écrivant : « Il y a un grand vide dans le monde maintenant qu’il n’est plus avec nous. Mais, comme il le dirait lui-même : “Garde les yeux sur le donut, pas sur le trou.” »

Palme d’Or au Festival de Cannes, quatre fois nommé aux Oscars, Lynch a reçu un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2020, l’année de la pandémie, où il divertit son public avec des prévisions météorologiques improbables.

Explorer au-delà du théâtre des conventions humaines et de la banalité du quotidien les forces, matrices, signes et esprits d’un univers où tout est esprit, scrutant les profondeurs de la conscience humaine : tel était le cinéma de Lynch. Telle était la force qui animait Lynch. Un chaman et un métaphysicien hors norme. Le dernier des surréalistes.

Giovanni Balducci

18:56 Publié dans Cinéma, Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, hommage, david lynch, 7ème art | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Hegel et le saut platonicien

a333db9cdfd9e1daca6ad819367041d6.jpg

Hegel et le saut platonicien

La philosophie politique de Hegel est très complexe. Elle s'appuie sur l'ensemble de son tableau philosophique. Comme nous l'avons vu, toute philosophie a toujours la possibilité de susciter une dimension politique.

Alexandre Douguine

Le 14 novembre 1831, le plus grand philosophe romantique de l'histoire mondiale de la pensée, Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), est mort. Heidegger, tout comme Nietzsche, considérait Hegel comme celui qui avait achevé l'histoire de la philosophie du Logos occidental et comme celui qui incarnait l'apogée de l'histoire de la philosophie et de la philosophie en général. Si Platon était le philosophe du début, Hegel et Nietzsche étaient les philosophes de la fin. En ce sens, Hegel est le philosophe de la fin.

Tout est altérité de l'Autre

La philosophie politique de Hegel est très complexe. Elle s'appuie sur l'ensemble de son tableau philosophique. Comme nous l'avons vu, toute philosophie a toujours la possibilité de susciter une dimension politique. Comme Platon, Hegel, dans sa philosophie du droit, fait ce geste, prend toute sa philosophie et l'applique à la politique, c'est-à-dire qu'il situe explicitement la place de la philosophie politique dans le contexte de l'ensemble de sa philosophie. Par la philosophie, il explique la philosophie politique, en même temps qu'il clarifie la politique par sa dimension métaphysique.

À cet égard, Hegel est un philosophe classique qui inclut implicitement la philosophie politique. En ce sens, Heidegger avait parfaitement raison lorsqu'il disait que si l'on comprenait la Phénoménologie de l'Esprit, on pouvait en déduire tout le reste. En ce qui concerne la lecture, deux ouvrages fondamentaux de Hegel sont habituellement proposés : La Phénoménologie de l'Esprit et La Philosophie du Droit.

9782081212626-475x500-1-586346550.jpg

L'idée fondamentale de Hegel est qu'existe l'Esprit subjectif primordial, l'« esprit pour soi » (en allemand: der subjektive Geist). Ce point coïncide avec la thèse théologique sur l'existence de Dieu - l'Esprit subjectif est Dieu pour lui-même. Afin de s'employer pour l'Autre, cet Esprit subjectif se projette dans l'Esprit objectif (en allemand: der objektive Geist) dans lequel il devient nature et matière, c'est-à-dire que le sujet se projette dans l'objet.

On notera ici la différence fondamentale avec la topologie cartésienne qui a prédéterminé la structure de la modernité. Pour Descartes, il existe un dualisme entre le sujet et l'objet, alors que Hegel tente de supprimer ce dualisme et de surmonter le pessimisme épistémologique de Kant en distinguant la matière ou l'objet de l'Esprit. En fait, il ne s'agit que d'un développement du modèle kantien du « je suis » absolu, mais pris dans un modèle dynamique et dialectique. Si Fichte était une réaction à Kant, Hegel est une réaction à Fichte, mais en dialogue constant avec Kant et le cartésianisme.

Ainsi, Hegel soutient qu'il existe un esprit subjectif qui se révèle à travers l'esprit objectif par le biais de l'aliénation dialectique. La Thèse est l'Esprit subjectif et l'Antithèse est l'Esprit objectif, c'est-à-dire la nature. La nature n'est donc pas la nature puisque, selon Hegel, rien n'est identique à soi, mais tout est altérité de l'Autre, d'où le terme de « dialectique ».

9782253088523-001-T-522142878.jpeg

Le cycle du départ et du retour : l'esprit absolu

En d'autres termes, il y a l'Esprit subjectif en tant que tel qui se projette comme Antithèse. C'est ainsi que commence l'histoire. Pour Hegel, la philosophie de l'histoire est d'une importance fondamentale car l'histoire n'est rien d'autre que le processus de déploiement de l'Esprit objectif qui acquiert à chaque nouvelle étape sa composante spirituelle qui constitue son essence. Mais le premier acte de l'Esprit objectif est de cacher son caractère spirituel, de s'incarner dans la matière ou la nature, et ensuite, tout au long de l'histoire, cette altérité de l'Esprit subjectif revient, par l'homme et l'histoire humaine, à son essence.

Mais il s'agit alors d'une nouvelle essence ; ce n'est plus l'Esprit Subjectif (l'« esprit pour soi ») ni un « esprit pour un autre », mais un « esprit en soi ». En d'autres termes, l'esprit revient à lui-même par sa propre aliénation. C'est ainsi qu'apparaît le cycle du départ et du retour, ce dernier étant plus important pour Hegel que le départ. Ce dernier crée les conditions préalables au retour, et le retour, passant le cycle entier, revient à l'esprit subjectif lui-même, devenant le troisième esprit - l'esprit absolu (en allemand: der absolute Geist). Autrement dit, il y a d'abord l'esprit subjectif, puis l'esprit objectif et enfin l'esprit absolu.

L'Esprit absolu, selon Hegel, se déploie au cours de l'histoire humaine et se dirige vers la fin de l'histoire.

Le sens de l'histoire est la réalisation de l'Esprit à travers la matière. D'abord, l'Esprit est lui-même, mais n'est pas conscient de lui-même, puis il commence à se réaliser, mais n'a pas de "lui-même". La nature abrite en elle-même les conditions préalables de l'histoire parce qu'elle est un élément de l'histoire. D'où l'histoire des religions, l'histoire des sociétés, et comme résultat du déploiement de l'Esprit à travers l'histoire, elle atteint son apogée à la fin de l'histoire, quand l'Esprit est pleinement conscient et est alors lui-même. Thèse, Antithèse, Synthèse. Ainsi, l'histoire est terminée.

Il s'agit là d'une image générale de la philosophie de Hegel, qui comporte de nombreuses nuances et complexités. Ainsi, selon Hegel, l'histoire évolue positivement, mais il s'agit d'un positivisme différent de celui de la philosophie de la Grande Mère. Le commencement titanesque implique qu'au début il y avait du moins et ensuite du plus. Dans sa lecture de Hegel, Marx a supprimé l'esprit subjectif et dit qu'il existe une nature qui se perfectionne elle-même. Il rétablit ainsi la philosophie de la Grande Mère selon laquelle tout croît à partir de la matière et de la nature.

Mais Hegel n'est pas Marx. Chez Hegel, cette croissance, ce processus, ce mouvement du bas vers le haut est basé sur le fait qu'au début, il y a eu un saut vers le bas. D'abord l'Esprit saute et tombe dans la nature, et donc la nature commence à croître, et la nature n'est pas tant autre qu'elle est l'altérité de l'Esprit. L'antithèse de l'Esprit n'est pas simplement son opposé, car il est lui-même sous une forme retirée. Le concept de « retrait » chez Hegel est très important, car l'Antithèse ne détruit pas la Thèse, mais la retire, l'absorbe et la démontre ensuite à travers la Synthèse.

Par conséquent, la thèse n'est pas absolue et l'antithèse n'est pas absolue. Elles sont toutes dialectiquement dépendantes. Seule leur synthèse est absolue, ce qui permet d'éliminer la thèse et l'antithèse. En ce sens, la compréhension hégélienne de l'histoire comme déploiement de l'Esprit se fait par phases: il y a l'Esprit subjectif (préhistorique), l'Esprit objectif, qui se manifeste à travers l'histoire, et enfin l'Esprit absolu, qui se manifeste à travers la tension supérieure de l'histoire, à travers la création d'une sorte de sommet culturel et sociopolitique, la pyramide de l'Esprit, qui est finalement devenu l'Absolu.

71t71wvYfeL._SL1500_-3092505734.jpg

Hegel et l'idée de l'État allemand

Quelle est la place de la philosophie politique dans ce contexte ? Il est clair que, dans un certain sens, l'histoire devient politique. C'est pourquoi Hegel conçoit l'évolution des systèmes, des modèles et des régimes politiques comme des moments de devenir de l'Esprit absolu. La politique est la cristallisation de la synthèse. L'histoire politique est le mouvement de l'Esprit vers le devenir absolu. La politique est l'histoire de l'absolutisation de l'Esprit.

Hegel établit une hiérarchie entre les différentes formes politiques. D'une part, il s'agit d'une hiérarchie évolutive puisque chaque régime est meilleur que le précédent. Mais, contrairement aux idées de Marx, cette évolution n'est pas seulement le reflet de l'Antithèse, elle n'est pas le développement de la matière ou de la nature. Il s'agit de la distinction de l'Esprit qui était à l'origine inhérent à la matière et à la nature. Il n'y a donc pas de matérialisme ici. Il s'agit d'un schéma complexe qui combine l'option platonicienne (au début, il y avait l'Esprit et non la matière) et le modèle évolutionniste (dans lequel nous commençons à considérer l'histoire à partir de l'Antithèse, ce qui rappelle l'idée de la Grande Mère). Marx a évacué la partie platonicienne, d'où sa réinterprétation de Hegel dans un sens exclusivement matérialiste. Mais Hegel est plus complexe.

Un autre point important chez Hegel est la façon dont il définit la fin politique de l'histoire, le sommet du devenir de l'histoire politique et l'expression de l'Esprit absolu. Hegel dit ici quelque chose d'intéressant à propos de la Prusse et de l'État allemand. Les Allemands n'avaient pas d'État, donc historiquement il n'y avait pas d'expression de ce type. Ainsi, les Allemands absorbent la logique du mouvement mondial, et l'État prusso-allemand est l'expression de l'Esprit absolu. Toute l'histoire est donc un prélude à la formation de l'Allemagne au 19ème siècle. Hegel disait que les grands peuples sont ceux qui ont soit un grand État, soit une grande philosophie. Selon lui, les Russes ont un grand État, alors qu'au 19ème siècle, les Allemands n'avaient aucun État. Il s'ensuit que les Allemands doivent avoir une grande philosophie, puis un grand État.

HRR_1789_fr.png

Le plus frappant est que Hegel a formulé la philosophie d'un grand État allemand avant que l'Allemagne n'apparaisse sur l'échiquier européen. Il a forgé cette théorie alors qu'il vivait lui-même dans une Allemagne fragmentée en principautés qui n'avait rien d'un État puissant et fort. Hegel a rassemblé l'Allemagne, l'a dotée d'une mission intellectuelle et a créé, avec Fichte et Schelling, le concept idéaliste et romantique de l'État allemand en tant qu'expression de l'Esprit devenant absolu. L'apogée et la fin de l'histoire, selon Hegel, est donc l'État allemand.

De plus, Hegel pensait que le système politique le plus optimal était une monarchie éclairée dominée par des philosophes politiques hégéliens, porteurs de la synthèse de l'esprit du monde entier, qui reconnaissent la logique de l'histoire mondiale. Hegel se considérait comme un prophète de la philosophie, de l'humanité et de l'Allemagne et, dans un certain sens, comme un mystique. Sur le plan méthodologique, la philosophie de Hegel était absolument rationnelle, mais elle était irrationnelle dans ses prémisses. Il a étayé l'idée que la société civile, la Révolution française et l'époque des Lumières constituaient un autre moment dialectique dans la formation de la monarchie éclairée. La société civile est ce qui permet à la monarchie de se développer et que la monarchie abolit ensuite. Hegel était donc un monarchiste mystique qui considérait que la logique de l'histoire était le chemin des différentes formes politiques vers la monarchie à la façon russe.

Il n'est pas surprenant que cette idée ait été reprise par les fascistes italiens, en particulier dans la théorie de l'État italien de Giovanni Gentile, qui était un hégélien. Paradoxalement, ni le fascisme ni le nazisme ne peuvent être considérés comme des représentants du nationalisme classique. Dans ces deux visions du monde, certains éléments ne se prêtent pas à être considérés comme des formes classiques ou même radicales du nationalisme bourgeois européen, car dans ce cas, l'ajout de l'instance hégélienne sous la forme de l'Esprit subjectif et toute la métaphysique de l'histoire que Gentile a posée dans les fondements de la théorie du fascisme italien n'étaient que de l'hégélianisme appliqué à l'Italie.

Bien qu'il soit considéré comme un classique de la philosophie politique, Hegel est un cas plutôt complexe, composite. Sa philosophie politique ne reflète pas l'idéologie de la troisième voie, et la théorie marxiste a été construite sur un hégélianisme métaphysiquement tronqué. En d'autres termes, l'hégélianisme « de gauche » est devenu la base de la deuxième théorie politique, et l'hégélianisme « de droite » a influencé certaines des particularités de la troisième théorie politique. Par ailleurs, l'idée hégélienne de la fin de l'histoire a été reprise et appliquée au modèle libéral par son élève Alexandre Kojève [1], son disciple Francis Fukuyama et d'autres philosophes. Marx a appliqué la « fin de l'histoire » au communisme, Gentile à l'État et certains philosophes hégéliens au triomphe de l'ordre mondial libéral. Selon ces derniers, la société civile n'est donc pas un prolégomène à la monarchie (comme le pensait Hegel lui-même), mais l'apogée du développement de la civilisation humaine.

Hegel-and-Kojeve-e1700314351652.jpg

Hegel_and_Fukuyama.png

Cette idée a été reprise comme prémisse par Francis Fukuyama, qui a employé le terme de « fin de l'histoire ». Ce terme était d'une importance fondamentale pour Hegel dans la mesure où il marquait le moment final de l'accomplissement par l'Esprit de sa phase absolue à travers l'histoire, le moment dialectique du retour de l'Esprit à lui-même, en lui-même et pour lui-même - la Synthèse.

Ainsi, nous pouvons trouver dans l'hégélianisme les trois idéologies classiques de la modernité, mais cela ne signifie pas que l'hégélianisme puisse être qualifié du point de vue de l'une ou l'autre d'entre elles. Hegel est plus large que toutes les théories politiques de la modernité et ne tombe donc en aucune d'entre elles. Il y a donc dans l'hégélianisme ce qui a été volé par fragments par les trois idéologies politiques de la modernité, ainsi que ce qui n'a pas été pris, comme l'idée de l'Esprit subjectif primordial qui précède tout mouvement descendant. Cet élément du saut platonicien primordial, le néoplatonisme, qui transite ensuite dans des topologies plus ou moins progressives-évolutives, nous permet de ne pas classer Hegel parmi les philosophes ou philosophes politiques de la modernité, car, comme nous l'avons vu, le paradigme de la modernité ne présume aucune composante matérielle préalable.

Une lecture non libérale, non marxiste et non fasciste de Hegel nous permet de révéler ses composantes pour une alternative à la modernité et de l'intégrer dans la Quatrième Théorie Politique. Par cette opération, nous déplaçons Hegel de l'époque de la modernité dans laquelle il a vécu et pensé vers un autre contexte. Il s'agit d'un autre Hegel, d'une autre philosophie politique de Hegel dans laquelle l'accent est mis sur le saut platonicien vers le bas. Cette partie de sa philosophie n'a pas reçu, et ne pouvait pas recevoir, d'incarnation politique dans le cadre du paradigme de la modernité. Néanmoins, elle peut trouver son expression dans le contexte de la Quatrième théorie politique.

Note :

[1] Le philosophe russe Alexandre Kozhevnikov a changé son nom en Alexandre Kojève après avoir émigré.

17:53 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hegel, hegélianisme, philosophie, alexandre douguine | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 19 janvier 2025

Syrie, Iran: une nouvelle spirale d'escalade menace-t-elle avec de nouvelles guerres au Proche-Orient?

isyriranes.jpg

Syrie, Iran: une nouvelle spirale d'escalade menace-t-elle avec de nouvelles guerres au Proche-Orient?

Source: https://report24.news/syrien-iran-droht-eine-neue-eskalat...

Avec la chute du président Assad et la prise de pouvoir par les islamistes en Syrie, une nouvelle spirale d'escalade menace le Proche-Orient. L'Iran, en particulier, est dans la ligne de mire des fanatiques mondialistes, zélotes des changements de régime. La situation est-elle réellement explosive ?

Les récents développements au Proche-Orient dressent un tableau inquiétant où l'on perçoit des glissements de pouvoir de nature géopolitique et l'émergence d'alliances douteuses. Ce qui a commencé il y a plus de 20 ans avec la révélation explosive du général Wesley Clark d'un plan du Pentagone visant à « éliminer sept pays en cinq ans » semble aujourd'hui se manifester avec une clarté effrayante.

La situation actuelle en Syrie n'est que la partie émergée de l'iceberg. Alors que l'Occident présente l'ancien commandant d'Al-Qaida Al-Jolani, aujourd'hui chef du mouvement islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), comme un prétendu réformateur, une réorganisation dramatique de la région se déroule en arrière-plan.

Le rôle de la Turquie du président Erdogan est particulièrement significatif. Son récent soutien aux groupes djihadistes contre Assad marque un nouveau tournant dans sa course politique qui va à la dérive entre l'Est et l'Ouest. Depuis la tentative de putsch avortée de 2016, au cours de laquelle les services secrets russes lui ont peut-être sauvé la vie, Erdogan manœuvre habilement entre les grandes puissances.

Les liens économiques parlent d'eux-mêmes: les banques chinoises financent les grands projets turcs, tandis que la Russie est un partenaire important en matière d'infrastructures. Parallèlement, Ankara maintient ses livraisons de pétrole à Israël - malgré une rhétorique virulente contre la politique de Tel-Aviv.

Les conséquences de ces développements s'étendent bien au-delà de la région. L'Arabie saoudite observe la situation avec une inquiétude croissante, ce qui pourrait également avoir des conséquences pour l'alliance BRICS. Le projet d'oléoduc Qatar-Turquie semble difficilement réalisable au vu de l'instabilité croissante en Syrie.

Des experts comme Chris Macintosh mettent en garde : la région pourrait devenir un nouvel Afghanistan, avec des conséquences imprévisibles pour l'architecture de sécurité mondiale. Les prochains mois montreront si la communauté internationale est encore en mesure d'empêcher une nouvelle escalade - ou si nous entrons dans une nouvelle phase d'affrontements militaires.

D’abord Zelensky, maintenant von der Leyen: la cheffe de l’UE reçoit le prix Charlemagne. Parce qu’elle a fait de l’UE un appendice des États-Unis ?

Von-der-Leyen-Zelensky-.jpg

D’abord Zelensky, maintenant von der Leyen: la cheffe de l’UE reçoit le prix Charlemagne. Parce qu’elle a fait de l’UE un appendice des États-Unis ?

Wolfgang Koydl

Source: https://weltwoche.de/daily/erst-selenskyj-jetzt-von-der-l...

Recevoir des prix internationaux, c’est toujours un exercice délicat : on peut facilement se tromper.

Le prix Nobel de la paix a été attribué à Henry Kissinger, Yasser Arafat et Barack Obama. Les premiers après avoir eu d’innombrables morts sur la conscience, le dernier avant que des innocents ne deviennent les victimes de ses guerres de drones à travers le monde.

Le prix Charlemagne d’Aix-la-Chapelle est une sorte de prix Nobel d’Europe centrale. Il est décerné pour des mérites liés à l’unification européenne, mais les critères ne sont pas toujours stricts. Car on ne saurait assurément attribuer ce mérite au peuple ukrainien et à son président – lauréats en 2023.

Cette année, le comité veut jouer la sécurité : le prix sera décerné à la "grande Européenne Ursula von der Leyen".

Mais n’est-ce pas le travail de la présidente de la Commission européenne de s’occuper de l’Europe ? Elle ne reçoit pas le prix pour des efforts exceptionnels, mais pour son travail quotidien.

Cette pratique est devenue une tradition : de Jean-Claude Juncker à Martin Schulz en passant par Donald Tusk, les Européens professionnels ont été honorés à la chaîne.

Mais ces derniers tenaient à l’Europe. En ce qui concerne von der Leyen, des doutes sont permis. Depuis son entrée en fonction, elle a réduit l’Europe à un rôle secondaire. L’Union européenne est devenue un appendice et un porte-voix des États-Unis.

Que ce soit en Ukraine, au Moyen-Orient ou en Chine, l’UE de von der Leyen n’a ni opinion propre, ni voix dans le monde, et donc ne suscite aucun respect.

Dans le domaine du cinéma, cela vaudrait une Framboise d’or, mais certainement pas un Oscar.

L’Anti-Système: le concept de Lev Goumilev s’applique de manière étonnamment pertinente à l’Occident d’aujourd’hui

9a81566d7012a1373c406aaf1c98a669.jpg

L’Anti-Système: le concept de Lev Goumilev s’applique de manière étonnamment pertinente à l’Occident d’aujourd’hui

Brecht Jonkers

Source: https://brechtjonkers.substack.com/p/the-anti-system?publ...

 « Essentiellement, les anti-systèmes sont des visions négatives du monde : des ensembles cohérents d’enseignements qui organisent et rationalisent les pulsions prédatrices déterminant le comportement d’un groupe ethnique ou sous-ethnique. Goumilev les qualifiait de "concepts vampires", incarnant un sens profond et diabolique du dessein ».

Dans leurs spécificités, les anti-systèmes varient grandement d’un groupe à l’autre et selon les périodes historiques, mais ils partagent certaines convictions et orientations fondamentales. Ils se caractérisent toujours par une "vision négative du monde", considérant l’univers matériel et les domaines de la vie quotidienne comme un lieu de souffrance et la source de tous les maux. En conséquence, tous les anti-systèmes prônent le rejet du monde matériel (mirootritsanie ou zhizneotritsanie) dans toute sa complexité et diversité, au profit de principes abstraits simplifiés et d’idéaux absolus et inflexibles.

En effet, le zhizneotritsanie est le principal sentiment motivationnel de l’anti-système, exprimé généralement soit par un appel à remodeler le monde, soit plus simplement à le détruire.

ilgbmages.jpg

Cette hostilité générale envers le monde est liée à une hostilité plus spécifique envers les réalités écologiques de la biosphère. Dans un anti-système, « l’homme s’oppose à la nature, qu’il considère comme un domaine de souffrance. Pourtant, il est contraint d’inclure son propre corps dans la biosphère qu’il rejette, et dont il devient nécessaire de "libérer son âme", c’est-à-dire sa conscience. »

De nombreuses méthodes ont été proposées pour accomplir cela, mais le principe sous-jacent reste toujours le même : le rejet du monde [naturel] comme source du mal.

En fin de compte, bien sûr, cette lutte ne peut être que vaine, car aucun anti-système chimérique n’est capable d’extraire complètement un groupe ethnique de son emplacement écologique, qu'il occupe dans le monde naturel. Ainsi, plutôt qu’une véritable libération de l’environnement naturel, l’anti-système convoque ses adeptes à une lutte qui ne peut conduire qu’à la profanation et à la destruction écologiques.

Un anti-système viole toutes les qualités naturelles positives de la vie ethnique. La vénération de l’héritage et de la tradition qui, dans des ethnies saines, opère à travers la structure familiale par l’héritage signalétique et contribue à maintenir l’intégrité et la continuité ethniques, est rejetée. Au contraire, un anti-système se tourne obsessionnellement vers l’avenir plutôt que de regarder avec révérence vers le passé, et il est dominé par des individus ayant un "sens du temps futuriste". Les valeurs et attitudes antisystémiques sont codifiées et formalisées à travers des textes écrits stylisés, qui ne peuvent être absorbés spontanément mais doivent être expliqués et enseignés de manière formaliste.

« Et la différence entre les traditions "vivantes", absorbées par les enfants au cours de leur éducation, et les traditions "fabriquées" (sdelannye), c’est-à-dire celles basées sur des livres, est la même que celle entre les organismes vivants et les objets inanimés. Les premières, lorsqu’elles périssent [naturellement], renaissent sous forme de leur postérité. Les secondes, en revanche, sont progressivement détruites, sans espoir de résurrection. » (Mark Bassin, The Gumilev Mystique).

61tUDVd8F5L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

18:32 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, lev goumilev, biopolitique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Relire Thucydide et l'histoire des guerres du Péloponnèse

1566132180-1.jpeg

Relire Thucydide et l'histoire des guerres du Péloponnèse

L'Ukraine, l'hégémonie impériale et la dislocation de l'ordre européen et mondial

Irnerio Seminatore

La guerre était-elle inévitable ?

Dans les pages où Raymond Aron analyse les grands bouleversements de la guerre du Péloponnèse entre Athènes et Sparte et questionne à travers "Les dimensions de la conscience historique" le récit de Thucydide sur le caractère accidentel ou fatal de la confrontation entre les cités grecques de l'époque (5ème siècle av. J. Ch ), une question émerge, brusque et presque instinctive, à propos des alignements militaires des deux coalitions et peut se résumer ainsi: "la guerre était-elle inévitable?" Avait-elle un caractère de nécessité ou, en revanche aurait-elle pu ne pas éclater, stabilisant l'hostilité entre les deux camps ?

Une deuxième grande question fait suite immédiatement à la première: "pourquoi des compromis n'ont pas été possibles?" Pourquoi le "parti de la guerre", présent dans les deux camps, a voulu chercher désespérément la victoire, poussant à une confrontation de plus en plus brutale ? La raison de la guerre décrite par Thucydide reposait sur la crainte de Sparte et des cités doriques pour la montée en puissance d'Athènes et visait son orgueil de puissance autoritaire et démesurée. Il s’agissait d’une lutte à mort entre la puissance continentale de Sparte et la puissance maritime d’Athènes, éducatrice de la Grèce ancienne.

Il a été remarqué que la guerre n'est pas seulement une affaire d'intérêts géopolitiques et stratégiques, mais une rivalité d'amour propre ou une lutte pour la reconnaissance d'un statut, la revanche d'un affront ou le lavage d'une humiliation. Elle fut, en son fond, un désir primitif de domination et un antagonisme hégémonique dans lequel une démocratie affrontait une oligarchie. Dans cet affrontement l'écart entre les sentiments collectifs, les prétextes invoqués et les motifs immédiats des hostilités, ou encore, entre les justifications initiales et les ravages et destructions des combats furent telles que la poursuite de la guerre fut attribuée à la nature des régimes politiques et aux responsabilités personnelles des chefs de guerre. En ses répercussions elle représenta une rupture entre deux époques. Il n'est pas un analyste de l'antiquité qui ne voit pas un parallélisme et une similitude avec l'actualité du conflit ukrainien. Cependant puisque l'histoire n'est pas une chronique mais une interprétation globale du devenir, penser l'histoire des guerres du Péloponnèse, signifie d'instaurer un dialogue entre passé et présent, sous l'orientation du dernier.

81e5muE1WlL.jpg

La guerre d'Ukraine et le principe de rupture entre deux époques

La guerre d'Ukraine, de manière semblable à la guerre du Péloponnèse, représente-t-elle un principe de rupture entre deux époques, sous forme de prise de conscience précédant la désagrégation finale d'un monde, celui post-moderne d’un Occident épuisé et le réveil parallèle de deux univers endormis, russe et chinois ? La réconciliation entre les deux camps après le conflit, se fera-t-elle dans la servitude à un nouvel hegemon et qui en sera l'incarnation future, la Russie ou la Chine ? Dans cette perte de rôle et de sens, périra seulement la démocratie ou, en revanche une conception globale de l'homme, de la vie et de la société, bref le système lui-même et sa civilisation ? Vu de plus près, le conflit extérieur se mêle étroitement aux multiples conflits intérieurs aux deux camps, puisqu'il existe plusieurs "partis de la guerre" et plusieurs "partis du compromis" et de la cessation des hostilités.

Dans cette inextricable complexité, le seul à faire défaut c'est un courant d’opinion de la raison ou plutôt de l'espoir. Règne, en revanche, le magma grandissant de la confusion, de la ruse et de la tromperie. Entre la crainte et l'inquiétude, gonfle énormément la phase d'attente de l'homme du salut (Trump), dont le passage du Rubicon s'annonce imprévisible et propice aux aventurismes de l'action et du verbe.

Du côté européen, Macron semble avoir une attitude semblable à celle d'Alcibiade qui avait entraîné Athènes vers la défaite et vers la ruine. Or, qui, dans cette descente vers l'égarement de la raison peut être comparé à Périclès et à sa stratégie modérée ? Orban peut-être (toute proportion gardée ? Pourquoi le compromis ne serait-il pas possible, au nom du réalisme et sans recours à la rhétorique de la liberté ? Pourquoi le « parti de la guerre » de l'Europe de l'Ouest, n'arrivant pas à faire gagner Zelenski sur le champ de bataille, parviendrait-il à mettre en œuvre un système d'engagements et de promesses, avec l'Union européenne, qui pourra s'assurer l'appui de l’hegemon, puissance extérieure au système européen, mais considérée comme décisive au niveau mondial. La démocratie athénienne passant, aux yeux des autres cités grecques, pour impérialiste, contrairement à l'oligarchie spartiate, celle-ci semblait incarner la liberté des cités qui subissent l'oppression d'Athènes. Or le régime démocratique fondé sur le concept d'égalité, n'oublie-t-il pas sa corruption virtuelle, celle de conduire à des régimes instables ou à des formes autocratiques du pouvoir, par la substitution d'une oligarchie organique par une oligarchie artificielle et dépolitisée (UE).

c6205b08-de01-42ea-acc8-25bf4c71d00e_420x300.jpg

Sur le révisionnisme contemporain

En termes de personnalités, l'émergence d'un chef ou d'un homme providentiel, ne représente pas seulement une remise en cause du régime démocratique mais une contestation des vieilles structures d'appareil, dont le compactage engendre des formes d'opposition obstinées et des stratégies contradictoires. Qu’en est-il des stratégies de Biden et de Poutine ou de Poutine et de Trump ? Quid de Zelenski et de Macron ? N'assistons-nous pas, dans cette phase d'hésitation du destin à un révisionnisme général et à un retour de l'idée de nation, de souveraineté, et de puissance, assurant la sécurité internationale et la cohésion interne des différentes unités politiques ?

Quant à la France, qui a assuré la naissance et l'adoption de ces idées jusqu'à en devenir une référence symbolique, elle porte en soi un principe d'autodestruction, pour avoir appliqué à des populations étrangères et hostiles les principes adoptés initialement pour ses seuls citoyens. En revenant à la manière par laquelle l’Europe a pensé la paix, par cosmopolitisme et par individualisme moral, elle a montré le visage d'un même renoncement et d'une même opposition, celle de la raison à la réalité de l'histoire et d'une démocratie égalitariste, opposée à celle du monde antique et prémoderne de Thucydide. Le bilan à tirer de la surprise stratégique du conflit ukrainien est que l'incertitude domine notre monde et un changement d'époque est devant nous.

Deux âges de l'historicité

Le retour de la guerre en Europe représente-il-une rupture d'époque entre deux âges de l'historicité et dans notre cas, de la post-modernité démocratique et oligarchique ? Une rupture, qui précède la désagrégation d'un monde et l'implosion d'un système de relations internationales héritées de la Renaissance et des idées des Lumières ? Replacer la dimension du conflit ukrainien dans la perspective historique signifie de le situer au carrefour de deux univers semblables à ceux de la guerre du Péloponnèse entre le monde antique et les mondes des empires naissants, macédoniens, perses et romains.

Carrefour de conflits, qui n'épargneront aucun des belligérants, à l’issue desquels pourrait s’élaborer un autre principe constitutif du gouvernement des peuples et des nations, et passer du régime de la démocratie à d’autres types de stabilité, d'hégémonie et d'empire. Thucydide saisit les antagonismes de la rivalité violente entre la démocratie athénienne et l'oligarchie spartiate et le style de la conduite diplomatique et stratégique propre aux puissances de la terre et de la mer et comprend la supériorité conceptuelle et politique de la liberté des cités entre elles, sur les querelles internes ou personnelles, ou encore de la "Grande Politique" sur les ambitions des disputes de la "politique domestique". La spécificité de la compétition de puissance entre cités indépendantes et souveraines reste un point-clé pour la délimitation d'un système de relations, fondé sur le calcul du rapport des forces, ou, en termes modernes, de la "Balance of Power".

45d3b739178341b241ff22f402b8eb17.jpg

Originalité de notre conjoncture

Les conséquences des trois crises majeures de 1914-18, 39-45, 1990-1991

Si la dislocation d'un système a toujours donné naissance à des successions belliqueuses qui ont élargi l'espace du pouvoir revendiqué par l'hegemon montant, le 20ème siècle est celui qui a porté en soi le plus de ressemblances et d'enseignements sur la contemporanéité du siècle de Thucydide et rendu plausible les comparaisons avec ses récits. En effet, dans cette analogie entre catastrophes, une interprétation réaliste exigera l’adoption de paradigmes différents de ceux de l’histoire traditionnelle, afin d’en dégager l’originalité et la différence. De manière générale, nous assistons à la montée des Etats périphériques d'Asie, d'Afrique et d'Océanie, au partage du monde de la part d'Etats-continents se revendiquant "Etats-civilisations" et au retour de politiques marquées par la logique de puissance. Il en résulte une modification dans le calcul du rapport des forces, un renversement de la géopolitique mondiale et une perception des défis et des menaces, influant sur la nature même des unités politiques.

Sur la dimension des changements

Athènes à la fin du 5ème siècle av. J. C., mit en péril son statut d'hegemon et la libertés des cités grecques. L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie en 1914, tranchèrent dans la rivalité germano-slave dans les Balkans dont le théâtre principal était l'Europe et provoquèrent une scission du système de l'équilibre en deux coalitions, des empires centraux (empire wilhelminien et empire austro-hongrois) et entente franco-anglaise et Russie tsariste de l’autre côté, de telle manière que les grandes puissances eurent le sentiment de lutter pour leur existence et leurs libertés. La guerre de 1914 surgit à la manière d'une guerre ordinaire et se termina avec la chute des empires centraux, la défaite de la Russie désormais soviétique et l'écroulement de l'empire ottoman, se soldant par le diktat de Versailles. Ce fut un armistice entre les deux tentatives de l'Allemagne de tenter d'obtenir l'hégémonie sur le continent.

0ebcae84db9036f706f7e195d176a495.jpg

Par ailleurs le conflit qui avait débuté avec des équipements des sociétés traditionnelles se termina avec des armements des sociétés industrielles et des armées de masse. Or, puisque le statut territorial de Versailles ne reflétait plus le rapport des forces entre vainqueurs et vaincus, l'impuissance temporaire des deux grands États continentaux, Russie et Allemagne, dans le but d'atteindre leurs objectifs marqua l'évolution historique de l'Europe et du monde. En effet, les deux pays ne jouèrent plus leur rôle historique de défenseurs de leurs intérêts et, au même temps de l'ordre établi (Etats baltes indépendants, frontières orientales de la Pologne avancées vers l'Est, Bessarabie devenue roumaine, influence prépondérante sur l'Europe du Centre et de l'Est).

L’intervention des Etats-Unis et leur nouveau rôle hégémonique

Après l’effondrement de la Russie, il fallait l’intervention de l’Amérique pour faire pencher la balance du continent du côté occidental et ce fut avec et après Versailles que s’imposa durablement l’hégémonie des Etats-Unis, comme celle de Rome après la deuxième guerre punique, aboutissant à la pacification impériale de la Méditerranée. Puisque l’histoire de l’Europe ne s’est jamais déroulée en vase clos, depuis la découverte de l’Amérique, l’enjeu de puissance du deuxième conflit mondial qui allait se dessiner, se joua dans l’alternative fatale entre hégémonie continentale du Reich ou équilibre de puissance.

220549721e0213d667eae16b27988fdb.jpg

L’Allemagne, qui avait succombé en novembre 1918 à la coalition de la Russie tsariste, de la France et des puissances anglo-saxonnes eut recours à une stratégie de revanche en 1939, sous l’impulsion d’une passion nationale, encouragée par les idées de la Révolution Conservatrice, les promesses d’un Ordre Nouveau et l’affaiblissement spirituel et moral des démocraties. La victoire de 1918, qui fut remportée, au plan historique par les puissances maritimes, confirma que la solidarité des puissances de la mer, désormais sous la tutelle des Etats-Unis n’avait pas remis en cause le modèle de guerre de Thucydide. Or, l’enjeu du deuxième conflit mondial resta le même, un enjeu hégémonique, fondé cependant sur le socle d’une hétérogénéité nationale des puissances à l’intérieur d’un même espace de civilisation. Ainsi les vrais sujets de l’histoire du monde devinrent non plus les nations (Ranke), non pas les cultures (Spengler), ni l’humanité (Marx), ou la pluralité des époques (Meineke), mais l’empire et spécifiquement l’empire américain, le nouvel hegemon prenant vite conscience de ses nouvelles responsabilités planétaires.  Par ailleurs après 1945, s'est poursuivie, en Europe, tout au long du "rideau de fer" et pendant la deuxième partie du 20ème siècle, la confrontation de l’Ouest avec l’empire soviétique, creusant l’écart de dissociation entre les unités militaires nationales et l’intégration diplomatico-stratégique impériale (Otan, Pacte de Varsovie).

Vers un retour des empires 

Si, en 1990-91, avec la dislocation de l’Union Soviétique, s’ouvre la plus grande amputation géopolitique du siècle, c’est en 2022 avec l’opération militaire spéciale des Russes en Ukraine, que s’ouvre le grand débat sur la crise de légitimité des régimes représentatifs et la rupture historique entre démocratie et oligarchie, semblable à celle de la guerre du Péloponnèse, ouvrant une brèche intellectuelle sur le retour des empires. Se conclut ainsi un cycle historique de cinq siècles, débuté à l’aube de la Renaissance et marqué dans le monde par la prédominance de l’Occident et la diffusion de son hégémonie et, avec elle, d’une nouvelle religion, le globalisme démocratique.

Ainsi, le parallélisme ouvert par la relecture de Thucydide peut-il se résumer avec la même question "si la guerre du Péloponnèse a été la ruine de la Grèce, la guerre d’Ukraine sera-t-elle la ruine de l’Europe ?" Thucydide n’a guère donné de réponse aux deux interrogations concernant la fatalité du conflit et l’exigence de négocier, mais il a abordé la recherche d’une issue dans le principe du "calcul des forces", ou du déterminisme essentiel au réalisme. A la lumière de ce dernier il a repéré, dans l’exigence de négocier, la logique pragmatique de l’usage régulateur de la raison, dans le but d’orienter le mouvement historique, refusant l’alibi de la lâcheté pour la justification de la défaite imminente. Dans l’issue prévisible de la guerre et dans le brouillard d’un tournant historique, il a œuvré pour le renoncement aux mythologies ou aux fanatismes partisans. C’est toujours dans l’amère compréhension d’une situation globale que Thucydide, comme bien d’autres, a identifié le principe du salut dans l’espoir, au nom duquel mûrissent les grandes décisions et les passions éternelles de l’homme.

Bruxelles, le 17 janvier 2025

samedi, 18 janvier 2025

La Roumanie est en crise: le peuple contre la corruption et le mensonge

des-manifestants-soutenant-le-candidat-d-extreme-droite-calin-georgescu-photo-sipa-ap-andreea-alexandru-1736512464.jpg

La Roumanie est en crise: le peuple contre la corruption et le mensonge

par Irina Sokolova

Source: https://www.cese-m.eu/cesem/2025/01/la-romania-e-andata-i...

Bucarest est devenue le centre des manifestations qui se déroulent actuellement en Roumanie. Des partisans du candidat de l'opposition, Călin Georgescu, dont la victoire au premier tour des élections présidentielles a été annulée par les autorités roumaines via les tribunaux, se sont rassemblés dans la capitale en provenance de tout le pays. Les défenseurs de Georgescu, qui avaient appelé à la cessation de l'aide à l'Ukraine et à la levée des sanctions contre la Russie, ont exigé un second tour des élections. Les manifestants ont paralysé le fonctionnement des institutions. Bucarest n'avait pas vu de telles manifestations depuis longtemps.

Les troupes de l'OTAN surveillent les manifestations

Pour les États-Unis, la Roumanie est un pays stratégiquement important sur le flanc est de l’OTAN, car elle abrite des installations militaires américaines et participe activement aux missions et programmes de l’alliance. Tout changement dans la politique étrangère, notamment en cas de victoire d’un candidat favorable à une réduction de la coopération avec l’OTAN ou à des relations plus étroites avec la Russie, susciterait inévitablement des préoccupations à Washington.

La Roumanie joue également un rôle clé pour les États-Unis dans le domaine de la politique énergétique, étant devenue un partenaire important dans la recherche de nouvelles sources d’énergie et de routes d’approvisionnement en gaz vers l’Europe, notamment pour contourner la Russie. Tout changement menaçant ces projets pourrait être perçu aux États-Unis comme une remise en question de leurs intérêts à long terme.

Une possibilité de « reset » ou un approfondissement des divisions ?

Le candidat indépendant à la présidence roumaine, Călin Georgescu, qui a remporté les élections, a été accusé d’« influence russe » et a été marginalisé politiquement. Par la suite, il a été prouvé qu’il n’y avait eu aucune influence extérieure exercée sur les électeurs, mais les résultats ont tout de même été annulés par précaution. De nouvelles élections sont prévues au printemps, et tout recommence.

Le nouveau vote pose un dilemme difficile pour la Roumanie: soit réaffirmer son soutien à la voie actuelle, axée sur l’UE et l’OTAN, soit ouvrir la porte à ceux qui prônent un nouveau modèle de souveraineté nationale – potentiellement avec une attitude plus critique envers l’intégration européenne.

Pour la société roumaine, épuisée par la corruption et l’instabilité politique, ces élections pourraient représenter un tournant. D’un côté, le « reset » pourrait stimuler des réformes visant la transparence et la lutte contre les structures oligarchiques. De l’autre, la profondeur des divisions, exprimée par le conflit entre « européistes » et « souverainistes », ainsi que par l’incompréhension entre l’électorat urbain et rural, persiste et risque de s’aggraver.

Quand les élections sont injustes

Le scrutin de mai en Roumanie ne se limitera pas à des enjeux nationaux; il représentera également un signal pour l’ensemble de la communauté euro-atlantique. Si les institutions démocratiques résistent à l’épreuve et si la justice démontre son indépendance, la Roumanie pourrait sortir de la crise avec une plus grande légitimité. Cependant, si des doutes persistent quant à la transparence et à l’équité du processus, la méfiance envers le système électoral pourrait s’approfondir non seulement en Roumanie, mais dans toute la région de l’Europe de l’Est. Dans ce cas, Bucarest et les capitales voisines devront faire face à des périodes de turbulences, marquées par les protestations de l’opposition.

L’issue du vote, quel qu’il soit, influencera les intérêts stratégiques des États-Unis, pour qui la Roumanie demeure un partenaire clé dans la région. En ce sens, la répétition des élections pourrait réellement offrir une « opportunité de reset » – ou, à l’inverse, marquer une crise de plus en plus profonde de la démocratie aux frontières orientales de l’espace euro-atlantique.

La sécurité énergétique de l’Europe au bord du gouffre : l’Ukraine provoque délibérément une escalade autour des gazoducs

turkish_stream_route_gazprom.jpeg

La sécurité énergétique de l’Europe au bord du gouffre: l’Ukraine provoque délibérément une escalade autour des gazoducs

Source: https://report24.news/europas-energiesicherheit-am-abgrun...

À travers une vaste attaque de drones, les forces armées ukrainiennes ont tenté de détruire une station de compression de gaz naturel en Russie. Cela aurait pu paralyser l’approvisionnement de la Turquie et de l’Europe du Sud-Est via TurkStream, plongeant le marché énergétique européen dans le chaos. Kiev joue là un jeu très dangereux pour la sécurité énergétique européenne.

Dans le contexte de tensions croissantes entre la Russie, l’Ukraine et l’Europe sur la scène énergétique, une attaque de drones particulièrement préoccupante visant le gazoduc stratégique TurkStream a suscité de nouvelles inquiétudes. Neuf drones ukrainiens ont attaqué une station de compression dans la région de Krasnodar, au sud de la Russie – un incident qui aurait pu sérieusement compromettre l’approvisionnement énergétique de l’Europe.

La défense antiaérienne russe a réussi à abattre tous les drones, et l’installation n’a subi que des dommages mineurs. Cependant, cet incident révèle la situation précaire de l’approvisionnement énergétique européen. Actuellement, environ 31% du gaz naturel importé en Europe transite par TurkStream – principalement à destination de la Hongrie, de la Serbie, de la Bulgarie et de la Grèce.

Depuis le 31 décembre 2023, Kiev refuse de signer de nouveaux contrats de transit pour le gaz russe. Cette décision, soutenue par la Commission européenne, réduit encore de 30% les importations de gaz en Europe. Les 39% restants arrivent sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), principalement en provenance des États-Unis et de la Russie.

Une attaque réussie contre TurkStream aurait éliminé en un instant une part importante des importations européennes de gaz, explique Stephen Bryen, ancien vice-ministre américain de la Défense. Les conséquences auraient été dévastatrices: ni les États-Unis, ni la Russie, ni d’autres fournisseurs comme le Qatar ne pourraient augmenter suffisamment leurs livraisons de GNL pour compenser des pertes aussi massives. Le déséquilibre énergétique commence déjà à se faire sentir : l’Allemagne est en récession, et la coalition Scholz a échoué. Avec la fermeture des centrales nucléaires et la destruction quasi complète de Nord Stream, la situation ne cesse de s’aggraver.

La motivation de Kiev pour cette stratégie risquée reste énigmatique. Des experts soupçonnent une tentative désespérée de forcer l’Europe à fournir davantage de soutien – selon le principe : « Aidez-nous, ou nous compromettrons votre sécurité énergétique. » Et comment l’Europe réagit-elle face à ces tentatives de chantage ouvertes ? Jusqu’à présent : un silence gêné. De plus, un succès de l’attaque aurait probablement privé Kiev de tout soutien de la Turquie.

La situation s’apparente à une partie de poker dangereuse, où l’Europe perd de plus en plus le contrôle. Les États-Unis pourraient certes tirer profit d’une augmentation des exportations de GNL, mais le prix à payer pourrait être élevé : un affaiblissement supplémentaire de l’alliance de l’OTAN, dans un contexte déjà turbulent.

Ce que veut Pékin

3c784523c2c58b8cd53955160165b7ef.jpg

Ce que veut Pékin

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/cio-che-vuole-pechino/

Pékin est, à tous égards, le "convive de pierre" de la scène internationale. Celui, parmi les grands acteurs, dont on parle le moins ou dont on cherche même à ne pas parler. Pourtant, sa présence est constante dans chaque scénario, chaque tension et conflit, qu'il soit déjà en cours ou encore latent.

Cependant, la capitale chinoise demeure, en effet, de pierre. Silencieuse. Dans l’ombre. Peu, très peu ostentatoire, volontairement discrète et prête à se dévoiler uniquement lorsque cela est strictement nécessaire.

Les déclarations de ses représentants, de Xi Jinping en particulier, relèvent d’un chef-d'œuvre de diplomatie orientale. Courtoises, toujours, voire extrêmement polies. Et mesurées. Si bien qu’elles laissent seulement entrevoir, difficilement, la pensée de l'oligarchie qui dirige le géant asiatique.

Et pourtant, la Chine est loin d’être un géant endormi. Elle agit, à plusieurs niveaux, avec une grande détermination et une intelligence remarquable.

8e87955a-b3e0-11eb-93b7-03206dd91175_image_hires_052149.jpeg

D’un côté, l’objectif principal des maîtres de la Cité interdite est la croissance intérieure, poursuivie avec une extrême cohérence, dans un pays où, depuis des siècles, la majorité de la population vivait d’une économie de simple subsistance. Une économie pauvre et essentiellement agricole.

Aujourd’hui, le développement industriel de la Chine est impressionnant. Le géant asiatique est devenu le plus grand producteur de biens de toutes sortes. Compétitif, souvent victorieux face à ses concurrents, en particulier les États-Unis, qu’il parvient désormais à égaler, voire à surpasser, en termes de qualité de production dans de nombreux secteurs clés.

Cette croissance industrielle impressionnante réduit les zones de pauvreté dans le pays, bien que cela ne se fasse pas sans chocs ni contraintes. Les conditions de travail ne sont certes pas comparables à celles des travailleurs occidentaux. Cependant, elles doivent être comprises dans le contexte historique du géant asiatique, marquant une amélioration constante malgré de nombreuses contradictions, parfois violentes.

C’est toutefois sur le plan de la politique étrangère que la Chine doit, aujourd’hui, être évaluée avec une grande attention.

Une politique extrêmement expansive, bien qu’elle s’inscrive sous la devise de Xi Jinping : expansion sans conflits.

Il est évident que la direction de Pékin évite à tout prix de s’embourber dans des guerres ou des conflits de quelque nature que ce soit. Elle privilégie un outil de pénétration économique, apparemment pacifique. Et ce, non seulement dans la région voisine, appelée Extrême-Orient, mais dans le monde entier.

Africa_china_investments_v2.jpg

La présence chinoise est, en effet, de plus en plus massive en Afrique subsaharienne, où elle se fait sentir notamment dans l’organisation industrielle et le contrôle d’une production à faible coût, mais de qualité croissante, tout en créant de l’emploi pour les populations locales.

Pékin n’a pas d’intérêt pour une expansion territoriale. La mentalité historique chinoise reste, somme toute, liée à l’image ancestrale de l’Empire du Milieu, centre autour duquel gravite le reste du monde.

Son objectif demeure essentiellement d’étendre son influence économique, en liant ainsi à elle divers peuples, les soumettant de fait de manière douce, sans recourir, ou en recourant le moins possible, à la force.

Cependant, cela n’implique en aucun cas une quelconque limitation de l’usage de la force. Pékin est toujours prête à y recourir si ses intérêts et ses objectifs sont menacés.

La menace provient aujourd’hui de la concurrence des États-Unis.

À Washington, la Chine est désormais perçue comme le véritable, et d’une certaine manière l’unique, concurrent géopolitique.

Et c’est ici qu’intervient une différence profonde.

cb5d967d-54df-49be-bacb-8e50c6bc0768.jpeg

Américains et Chinois sont désormais convaincus que le conflit direct, le choc frontal pour la suprématie, n’est qu’une question de temps.

Mais la manière de concevoir et de mesurer le temps est profondément différente.

Les Américains sont pressés et agissent en conséquence avec une extrême rapidité, parfois, et même trop souvent, avec une précipitation excessive. C’est leur façon d’être. Après tout, leur histoire a commencé il y a un peu plus de deux siècles.

Pour les Chinois, c’est tout autre chose. Ce qui peut nous apparaître comme de la lenteur découle d’un passé plurimillénaire. Le premier empire, celui de la dynastie Shang, remonterait même au Néolithique.

De plus, l’élite de Pékin est convaincue que le temps joue en sa faveur, une conviction fondée sur des faits précis.

Ils ne sont pas pressés, mais cela ne signifie pas qu’ils ne se préparent pas à un affrontement frontal avec l’Amérique.

Bien au contraire…

Sarkozy l’Américain

640x340_sc_sarko.jpg

Haute trahison

Sarkozy, Hollande, Macron : les vassaux de l’Ordre mondial

Volet I : Sarkozy l’Américain

Pierre-Emile Blairon

Un parcours parisianiste très conventionnel

Né en 1955, Nicolas Sarkozy aura 70 ans le 28 janvier 2025.

Il est élu président de la République française le 16 mai 2007 grâce, notamment, aux voix de 28% des électeurs traditionnels de Jean-Marie Le Pen au premier tour et 66% au second[1], séduits par son (faux) discours droitier et en vertu du dogme du vote « utile », une théorie qui n’est jamais vérifiée et qui laisse toujours un goût amer aux électeurs qui trahissent stupidement leurs propres idées.

Sarkozy ne fera qu’un mandat, battu le15 mai 2012 par le très médiocre François Hollande.

Nous avons choisi de ne remonter la liste des présidents de la République traîtres à leur peuple et à leur patrie que jusqu’à Nicolas Sarkozy, mais la plupart de ses prédécesseurs ne valaient guère mieux que lui, et ses successeurs n’auront rien à lui envier en la matière.

Nicolas Sarkozy est le fils de Pál Sarközy de Nagy-Bocsa (1928-2023), immigré hongrois, et d'Andrée Mallah (1925-2017) dont la mère avait épousé le descendant d’une riche famille juive séfarade de Salonique, ville qui faisait alors partie de l’Empire ottoman, et qui est aujourd’hui la deuxième ville de Grèce sous le nom de Thessalonique[2].

Après des études secondaires à Paris, il s’inscrit à la faculté de droit de Paris-Nanterre, devient avocat en 1981 et maire de Neuilly-sur-Seine en 1983. Jeune homme fougueux et ambitieux, il était auparavant, en 1975, devenu délégué départemental des jeunes UDR des Hauts-de-Seine, et sera remarqué par Charles Pasqua et Jacques Chirac lors d’un discours au congrès de Nice de ce parti lorsqu’il prononcera ces mots dont personne ne doute encore de leur valeur prophétique : « Être jeune gaulliste, c'est être révolutionnaire »

Sur le plan professionnel, il va créer avec deux autres avocats un cabinet spécialisé en droit immobilier avant de travailler pour l’industriel Arnaud Lagardère qui ne lui tiendra pas rigueur de ses insuccès comme celui qu’évoque Wikipedia: « Après avoir été élu député en 1988, Nicolas Sarkozy continue son activité d'avocat d'affaires et propose des solutions fiscales à l'étranger à des clients fortunés comme Henri Leconte qui, selon Rue89, en sortira ruiné »

Jusqu’à présent, un parcours très conventionnel (rien de « révolutionnaire ») mais qui le mènera loin sur le plan politique puisqu’il pointera à peu près à tous les postes : maire, député, président de conseil général, de parti politique, ministre et, enfin, président de la République française.

sarko-usa-m.jpg

Une fascination pour l’Amérique

Dans le titre de cet article, il est question de l’Ordre mondial qui, comme nous aimons le rappeler, est une entité formée de trois composantes : les Etats-Unis, l’Etat d’Israël et l’Union européenne, soumise aux deux précédentes.

C’était encore du temps de l’administration Biden, du wokisme et de « l’Etat profond ». Ce temps sera révolu à partir du 20 janvier.

Nous verrons ce qu’il en adviendra avec l’accession de Trump au pouvoir. Il vient justement de partager une vidéo dénonçant les agissements de Netanyahu[3] qui est fort en colère.

Le rêve de Sarkozy a toujours été de confondre ses intérêts (et ceux de la France) avec les intérêts des Etats-Unis ; non pas pour des raisons stratégiques ou géopolitiques auxquelles il ne comprend peut-être pas grand-chose, mais simplement parce qu’il a été nourri à la sous-culture américaine depuis son enfance: westerns qui glorifient le bon cow-boy aux prises avec le méchant indien, bluettes hollywoodiennes et ritournelles yés-yés aux paroles affligeantes que les chanteurs français des années 70 reprenaient sans vergogne en un français approximatif.

Il l’a d’ailleurs dit lui-même lorsqu’il fut reçu par les membres du Congrès américain le 7 novembre 2007.

Sous le titre : «Sarkozy l’Américain, j’en suis fier» : comment la fascination de l'ex-président pour l’Oncle Sam a façonné sa conquête en 2007 », le Figaro du 29 octobre 2024 nous le rappelle : « …le président français livre un discours en forme d’ode à l’Oncle Sam. Louant à la tribune le «rêve américain» décrit comme la «mise en pratique de ce que le vieux monde avait rêvé sans pouvoir le construire», le chef de l’État d’alors énumère les figures, davantage culturelles que politiques, qu’il a tant admirées durant sa jeunesse : John Wayne, Marilyn Monroe ou encore Elvis Presley[4]. »

imajwmmes.jpg

Pendant que le jeune Sarkozy se déhanchait au rythme de ces antiennes étatsuniennes, d’autres jeunes gens, un peu plus éveillés, lisaient l’ouvrage d’Henri Gobard, La guerre culturelle, qui présentait ainsi son livre, en 1979, écrit « contre l’apathie avancée et pour la joie d’un vouloir vivre faute duquel l’Europe ne sera bientôt plus qu’une ZOA (Zone d’Occupation Américaine) et les Français des Gallo-Ricains ».

81h+arjgi0L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Julien Assange avait réussi à se procurer les câbles diplomatiques de l’ambassade américaine à Paris que Sarkozy fréquentait assidûment et qui ont été repris par le journal Le Monde ; ces révélations marquent la profonde sympathie des Etats-Unis pour Israël ; en effet, c’est Israël, et non pas l’Europe dont ils sont pourtant originaires, que les Américains, même non-juifs, considèrent comme le berceau spirituel et religieux de leur civilisation à travers la lecture assidue de la Bible et, notamment, de l’Ancien testament ; pour nos lecteurs qui veulent approfondir cette question, nous les renvoyons à l’article du Monde[5], WikiLeaks : Nicolas Sarkozy, "l'Américain" du 30 novembre 2010, dont voici un court extrait : « Elle (l’ambassade) note que "l'héritage juif de Sarkozy et son affinité pour Israël sont célèbres", et que de surcroît il vient de nommer à la tête du Quai d'Orsay Bernard Kouchner, "le premier ministre des affaires étrangères juif de la Ve République". Sur le conflit israélo-palestinien, espère l'ambassade, "même un léger glissement dans le fondement intellectuel aura des conséquences sismiques".

afp-1435176625.jpg

L'ambassade américaine est très satisfaite du premier gouvernement Sarkozy. Celui qui bénéficie du portrait le plus flatteur est Bernard Kouchner : "L'humanitaire de renommée mondiale", "l'un des rares politiques (de gauche ou de droite) à avoir soutenu ouvertement l'invasion américaine de l'Irak", voit sa vie passée au crible… ».

Les personnes bien informées connaissent les griefs portés à l’encontre de Bernard Kouchner, à l’époque où il était Haut-représentant du Secrétariat général des Nations unies au Kosovo (1999-2001), par Carla del Ponte, ancienne procureure générale auprès du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de septembre 1999 à décembre 2007. Il faut lire à ce sujet l’article du Monde diplomatique « Trafic d’organes au Kosovo : un rapport accablant » par Jean-Arnault Dérens du 4 janvier 2011[6] et il faut écouter la réponse maladroite (mais pleine d’emphase) de Bernard Kouchner sur le même sujet[7].

imagsbbes.jpg

Un Président bling-bling

« Bling-bling » : c’est le bruit métallique que font, en s’entrechoquant, les bracelets que les courtisanes portent autour des bras ou que font les chaînes en or que les mafieux ou les parvenus portent autour du cou, souvent accompagnés de gris-gris à la mode africaine ou orientale.

Pour le dictionnaire, il s’agit d’un « étalage clinquant de richesse destiné à déclencher un bruit médiatique ».

Ceci dénote une absence totale ou partielle de profondeur d’âme et de spiritualité, un esprit superficiel, qui manque de délicatesse, qui n’est intéressé que par ce qui brille, l’argent et la matérialité. Il avait confié au Nouvel Obs du 14 juillet 2013 : « "Pour l'instant, je fais président, mais un jour j'irai faire du fric", philosophait-il en son palais de l'Elysée au début de l'année 2008. A l'époque, alors que sa cote de popularité dégringolait dans les sondages, il laissait entendre qu'il ne se représenterait pas en 2012. Un seul mandat, et basta ! Il serait temps d'aller "faire du fric".

On se rappellera le fort distingué « Casse-toi alors, pauv' con, va ! », que Sarkozy avait adressé à quelqu’un qui refusait de lui serrer la main.

sarkozy.jpg

On se souviendra aussi des rodomontades du matamore[8] qui voulait traiter les cités au « Karcher ».

Le très mondialiste Sarkozy avait aussi choqué les Français dans son discours au corps diplomatique le 16 janvier 2009, en égrenant les mesures contraignantes à l’égard des peuples contenues dans l’agenda de l’Ordre mondial, un avènement qu’il appelait énergiquement de ses vœux.

Il y était déjà notamment question de celle présentée comme « l’urgence climatique », une faribole qui a abouti, en cette année 2025, à exclure les Français les plus modestes des services regroupés dans les « métropoles » par l’instauration d’une discrimination sociale représentée par la vignette « crit’air » devant être obligatoirement apposée sur le pare-brise de son véhicule.

Pour Sarkozy, ces mesures étaient inéluctables et incontournables car, disait-il, « on ira ensemble vers ce nouvel Ordre mondial et personne, je dis bien personne, ne pourra s’y opposer[9] ».

Mais ce sobriquet « bling-bling », fort déplaisant, lui est resté à la suite de la fête que sa femme d’alors, Cécilia, avait organisé au Fouquet’s le soir de son élection le 6 mai 2007, une belle soirée offerte par le multimillionnaire Dominique Desseigne, « associée à un séjour ultérieur sur le yacht de Vincent Bolloré, ‘qui) lui vaut d'être qualifié de « président bling-bling » par ses opposants et écorne son image dans l'opinion » (Wikipedia)

Les bases sont posées. Tout ce qui suit n’est que la conséquence logique de ce que nous venons à l’instant d’exposer : à savoir cet invraisemblable engouement pour une puissance étrangère, une suffisance qui lui permet de se constituer un statut d’intouchable, un comportement, une morale et des méthodes pour le moins inadéquats, sans lien avec la contenance, la distinction et la discrétion que les Français sont en droit d’attendre du plus haut représentant de leur pays.

ob_3380a1_14-10-07-sarkozy.jpg

Des casseroles qui font un grand tintamarre

Les affaires, nombreuses, dans lesquelles Sarkozy est impliqué, inquiété ou condamné ne sont pas la face la plus sombre de son personnage ; il agit comme la plupart de ses collègues politiciens qui ne songent qu’à garder leur poste ou en acquérir un autre mieux placé dans la hiérarchie et sont prêts à contourner allègrement les lois qu’ils ont eux-mêmes voté et justement parce qu’ils les ont votées, se considérant au-dessus de leur création, un peu comme des artistes admirant leurs propres œuvres qu’ils ont le pouvoir de détruire si ça leur chante, comme de bons psychopathes qu’ils sont presque tous.

La seule différence avec ses semblables, c’est que Sarkozy a systématisé le recours à la fraude ; toutes ces affaires qu’il traîne comme des casseroles qui font un grand tintamarre sont la suite logique des recherches faites par Sarkozy et ses acolytes pour financer ses deux campagnes présidentielles par n’importe quel moyen : l’affaire Woerth-Bettencourt, l’affaire Bismuth, l’affaire des sondages de l’Elysée, l’affaire Bygmalion, ne constituent que des magouilles politicardes sans grand intérêt, car elles ne concernent que son intérêt personnel, et sa petite personne n’a que peu d’intérêt.

L’affaire du financement libyen

Sauf pour l’affaire en cours en ce mois de janvier 2025, dite « affaire du financement libyen », un versement supposé du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi d’un montant de 50 millions destiné à financer la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy.

Car cette affaire concerne aussi la France et sa réputation.

Selon France info du 6 janvier 2025 : « Treize prévenus, dont l'ancien président de la République, sont jugés à partir de lundi devant le tribunal correctionnel de Paris. Au cœur de l'accusation, un "pacte de corruption" noué avec l'ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi. C'est grâce à son argent que Nicolas Sarkozy aurait remporté l'élection présidentielle. »

ab6765630000ba8ac1951c5e135d402adc728259.jpg

Voilà pour la version française, nous voulons dire celle des médias subventionnés et qui ne nous fournissent qu’une information bien édulcorée comme il sied au pays des bisounours ; en réalité, une dictature et une censure sous forme de loukoums-marshmallows à ingurgiter quotidiennement pour voir le monde en rose, ce que fait la très grande majorité des Français.

Une version encore plus sournoise que ce qu’ont pu imaginer Huxley avec Le meilleur des mondes et Orwell avec 1984.

C’est un discours différent si l’on se réfère aux médias étrangers qui ne subissent pas cette censure comme, par exemple, le Corriere della Sera du 2 octobre 2012 : « un barbouze était présent au moment du lynchage de Kadhafi par les rebelles. Au sein des cercles diplomatiques occidentaux présents dans la capitale libyenne, la théorie officieuse la plus répandue est que, si des services étrangers sont effectivement impliqués, “alors il s’agit presque certainement des Français”. Et d’ajouter : “Le fait que Paris ait voulu éliminer le colonel Kadhafi est un secret de polichinelle.” Le raisonnement est bien connu : dès les premiers signes de soutien de l’OTAN à la révolution, en grande partie sous l’impulsion du gouvernement de Nicolas Sarkozy, Kadhafi a menacé de révéler les détails de ses liens avec l’ancien président de la République, à commencer par les millions de dollars versés pour financer sa campagne électorale en 2007. “Sarkozy avait toutes les raisons de faire taire le raïs au plus vite”, nous ont répété samedi 29 septembre des sources diplomatiques européennes à Tripoli. »

Il serait étonnant que le procès en cours consente à évoquer cet aspect de l’affaire qui est pourtant, et de loin, le plus important de tous.

590 tonnes d’or, soit le cinquième de la réserve d’or française, bradées par Sarkozy en 2004

Il était alors ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie du gouvernement Raffarin lorsqu’il décida de se débarrasser à bas prix de 590 tonnes d’or de la réserve qui s’élevait à 3024 tonnes soigneusement gardée au lieu-dit « La Souterraine » en plein cœur de Paris. Pourquoi ? Eh bien, nous ne voyons pas d’autre raison que de plaire à ses amis américains pour lesquels la référence au dollar devait remplacer l’étalon-or, prétextant le fait que d’autres pays européens en faisaient autant (les Etats-Unis se sont bien gardés, eux, de toucher à une seule once de leur réserve de Fort Knox, environ 8200 tonnes).

vignette-sarkozy-or.jpeg

« A partir de l’été 2007, la crise financière a provoqué l’abaissement sensible des taux d’intérêt, alors que l’once d’or s’appréciait en moyenne de 20 % sur l’année. […]

La Banque de France n’en a pas moins poursuivi son programme de cessions jusqu’à son terme. Les autres banques centrales nationales qui avaient entrepris des programmes de cession les ont interrompus plus tôt (Belgique en 2005, le Portugal en 2006, l’Autriche et l’Espagne en 2007). (Nicolas Perrin, Veracash, Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il décidé de vendre l’or de la France ? 27 mars 2023)

« Et quid de l’or ? Disséminés dans des « private gold hoards », des fonds privés, des « cumulards » d’or. La partie du stock d’or de la Banque de France qui a été revendue est donc intraçable et la France ne pourrait pas le récupérer à moins de racheter de nouveaux stocks à un prix 5 fois plus élevé. Ce geste à contre-courant ne reflète aucunement la valeur que projettent les Français dans l’or, seule valeur refuge en cas de faillite bancaire.

La vente, elle, n’a rapporté que 4,67 milliards d’euros à l’époque. » (Jean-François Faure, L’or et l’argent, 2004 : soldes sur les réserves d’or de la France ! » 27 mars 2023)

Le kilogramme d’or au 10 janvier 2025 est coté 83.500 euros ; donc, actuellement, 590 tonnes vaudraient 49.265 milliards, soit 10 fois plus que ce qui a été vendu à 4.67 milliards d’euros à l’époque.

shutterstock_362005910.jpg

La réintégration de la France dans l’Otan

L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, sur l’initiative des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni, voit le jour le 4 avril 1949, et regroupe, avec plusieurs pays européens, 12 pays dits « Occidentaux » qui constituent le « bloc de l’Ouest ».

Ce regroupement, essentiellement de nature défensif, a été décidé dans le but de se prémunir d’une éventuelle offensive de l’Urss, à la suite du blocus de Berlin opéré par cette dernière le 24 juin 1948.

L’Urss répliquera en fondant le Pacte de Varsovie, le « bloc de l’Est », le 14 mai 1955, qui regroupe les pays communistes de l’Europe de l’Est.

La disparition de l’Urss n’a pas fait disparaître l’Otan, comme cela aurait dû être logiquement le cas, puisqu’elle avait été créée pour parer à une éventuelle attaque de l’Urss contre l’Occident (E.U, U.E., Israël). La Russie qui a remplacé l’Urss n’a jamais attaqué personne, sauf dans le cas où des populations russophones ont demandé son intervention pour arrêter le génocide en cours perpétré par les Otaniens sous drapeau ukrainien (2014, Donbass, 14.000 civils tués), et encore la Russie n’est-elle intervenue qu’après de multiples tergiversations afin de ne pas déclencher de conflit plus élargi.

republicain-lorrain-du-10-mars-1966-1456940107.jpg

Le général De Gaulle avait eu la sagesse de se retirer de l’Otan le 7 mars 1966.

Sarkozy, comme il sied à un américanolâtre, a réintégré la France dans l’Otan le 7 novembre 2007. Il avait déclaré le 9 septembre 2011 à l'ambassade des États-Unis en France : « Je resterai très fier d'avoir été le président qui a fait revenir la France dans le commandement intégré de l'Otan. Pour le plus grand bénéfice de l'Otan et pour le plus grand bénéfice de la France. » Quelques jours plus tôt, il s'était déjà félicité du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, estimant que celui-ci avait permis à la France de jouer un rôle de premier plan dans l'intervention militaire de 2011 en Libye qui a conduit au départ de Kadhafi ». (Wikipedia)

De fait, l’Otan est devenue le bras armé de la C.I.A dont le travail consiste à créer des guerres partout dans le monde afin d’alimenter le complexe militaro-industriel américain et, par la même occasion, de complaire à la politique expansionniste des USA et à sa volonté farouche de conserver le leadership d’un monde unipolaire.

L’Otan et la C.I.A. sont des organisations mafieuses qui ont fomenté la plupart des guerres qui ont secoué le monde d’après 1945 en employant toujours la même méthode : incriminer le pays qu’on veut détruire ou dont on veut exploiter les richesses et le bombarder sur la base d’allégations mensongères et la fabrication de fausses preuves (par exemple, l’Irak et la Syrie, en arguant de l’utilisation de fausses « armes de destruction massive » ou le bombardement des populations serbes avec le faux « massacre de Racak » au Kosovo, et bien d’autres…)

Nous avons souligné dans notre dernier article Syrie : les racines du chaos le danger d’une émancipation en cours de la C.I.A. de son pays d’origine et, donc, d’actions qui ne seraient plus contrôlées par ce dernier, la C.I.A. agissant alors en électron libre, entraînant l’Otan à sa suite.

La prise en compte de cette éventuelle scission par la nouvelle administration Trump semble effective. La nouvelle responsable du renseignement américain, Tulsi Gabbard, est chargée de la désamorcer.

ME00000000738.jpeg

Référendum sur l’Europe en 2005 : le vote des Français bafoué

Nous avons gardé le meilleur pour la fin.

Le référendum français sur le « traité établissant une Constitution pour l'Europe » eut lieu le 29 mai 2005. Les électeurs devaient répondre à une question : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe ? ».

Les Français répondirent nettement « non » avec 54.68% des suffrages exprimés, soit 2.641.238 voix de plus que le « oui ».

Le site consacré à l’histoire, herodote.net, du 27 février 2021 souligne que « le résultat du scrutin consterne la classe politique et médiatique qui croit y voir la victoire de l'ignorance et du populisme (les hommes politiques qualifient de « populiste » tout mouvement qui leur est opposé et bénéficie, au contraire d'eux, de la faveur de l'opinion) ».

Ce rejet (suivi par celui des Néerlandais) entraînait la non-ratification du Traité élaboré par les 27 membres de l’Union européenne.

Qu’à cela ne tienne, quand on ne peut pas passer par la porte, on passe par la fenêtre.

Les vingt-sept États membres de l'Union européenne signent, le 13 décembre 2007, à Lisbonne, un nouveau traité reprenant les mêmes termes que le traité constitutionnel. Giscard d’Estaing dira : « …le résultat est que les propositions institutionnelles du traité constitutionnel — les seules qui comptaient pour les conventionnels — se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs. (…) La conclusion vient d'elle-même à l'esprit. Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. »

En France, comme dans la plupart des pays européens, les citoyens avaient souhaité être consultés à nouveau par référendum.

Mais Nicolas Sarkozy choisit de faire adopter le Traité de Lisbonne par voie parlementaire, sans consulter les citoyens, en convoquant le Congrès à Versailles le 4 février 2008 pour modifier la Constitution française et permettre la ratification du nouveau traité par le Sénat et l’Assemblée nationale alors même qu’un sondage IFOP/ParisMatch confirme que 71% des Français souhaitent un nouveau référendum.

La juriste Anne-Marie Le Pouriet, dans Le Point, parlera de « haute trahison ».

C’est par ces mots que nous terminons cet article, comme nous l’avons commencé.

Pierre-Emile Blairon

Notes:

[1] Faits et documents n° 235 et 236.

[2] Ibid.

[3] https://www.facebook.com/photo/?fbid=948632340562358&set=a.105970318161902 Voir aussi notre dernier article, Syrie, les racines du chaos : https://nice-provence.info/2024/12/22/syrie-racines-chaos/

[4] https://www.lefigaro.fr/politique/sarkozy-l-americain-j-en-suis-fier-comment-la-fascination-de-l-ex-president-pour-l-oncle-sam-a-faconne-sa-conquete-en-2007-20241029

[5]https://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/30/wikileaks-nicolas-sarkozy-l-americain_1447153_3210.html

[6] https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-01-04-Kosovo

[7] https://www.dailymotion.com/video/xg46z3_kosovo-kouchner-nie-le-trafic-d-organes_news

[8] Selon le dictionnaire : fanfaron, de l'espagnol matamoros (« tueur de Maures »), formé de matar (« tuer ») et moros (« Maures »).

[9] https://www.dailymotion.com/video/x81qd6

vendredi, 17 janvier 2025

Trump, Lénine et le combat libre de la politique mondiale

EWsSNyyuuNDAndXg7kwYe6-1600-80-3662091320.jpg

Trump, Lénine et le combat libre de la politique mondiale

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2025/01/08/trump-lenin-ja-maailmanpolitiikan-vapaapaini/

« Avec le retour potentiel de Donald Trump, il pourrait être pertinent de tenter de mieux le comprendre », suggère Bruno Maçães, ancien ministre des Affaires européennes du Portugal, journaliste et écrivain. Selon lui, le phénomène Trump « n’est ni épisodique, ni véritablement déviant, mais frappant dans sa clarté ». Trump a une vision du pouvoir américain qu’il expose ouvertement.

Maçães estime que Trump considère que le pouvoir doit être exercé directement. Cela représente un changement radical par rapport au modèle précédent, où le pouvoir américain était (plus ou moins efficacement) dissimulé derrière des règles et des institutions. Jusqu’à présent, on s’appuyait sur des règles commerciales, des alliances militaires et des principes politiques.

« L’ordre international libéral » a été l’outil de l’hégémonie des États-Unis. Ces dernières années, il est devenu de plus en plus difficile pour Washington d’obtenir les résultats souhaités. Les États-Unis se sont retirés d’Afghanistan et les talibans sont revenus au pouvoir. La guerre en Ukraine pourrait se figer, tandis que l’influence de la Chine ne cesse de croître.

Dans cette période de bouleversements géopolitiques, un second mandat de Trump pourrait bien être marqué par une politique de puissance décomplexée, peu soucieuse de légitimité ou de normes. « Comment interpréter les horreurs de la guerre de Gaza, sinon comme une acceptation délibérée d’un pouvoir qui ne se soucie plus de la légalité, mais la remplace par un sentiment de supériorité civilisationnelle ? », s’interroge Maçães (photo).

Bruno-Macaes-3778266-1899682803.jpg

81YpTyh9omL._SL1500_-124489677.jpg

Le premier mandat de Trump, marqué par la pandémie, a désorienté beaucoup de monde. Cette fois, son imprévisibilité pourrait de nouveau servir les intérêts des élites du pouvoir. Comme l’ont révélé ses anciens conseillers, Trump « ne voit pas le monde comme une communauté globale régie par des règles et des institutions, mais comme une arène où les nations, les acteurs non étatiques et les entreprises s’affrontent ».

« Nous sommes au cœur d’un moment révolutionnaire », affirme Maçães, en se tournant dans ses réflexions vers la figure embaumée de Lénine, idéologue bolchévique. Lénine pensait qu’une « situation révolutionnaire » surgit lorsque les gouvernants deviennent incapables de gouverner, que les gouvernés ne supportent plus d’être dominés et que la résistance s’organise.

Dans l’actuel contexte de crises multiples, les « gouvernants », c’est-à-dire la classe politique occidentale au service de la corporatocratie, apparaissent incompétents et faibles. L’hégémonie américaine subit une forte pression, perceptible notamment dans le contexte ukrainien. Les États-Unis ont imposé des sanctions contre leurs rivaux, qui, dans ce « moment révolutionnaire », se sont unis face à un ennemi commun.

L’affaiblissement d’un pouvoir hégémonique crée inévitablement un sentiment de menace qui exige une réponse plus musclée. Ainsi, les démocraties occidentales adoptent rapidement les traits qu’elles projetaient sur leurs rivaux : le culte de la force et l’indifférence aux principes de légalité. « L’orientalisme est de retour », prédit Maçães.

Une époque instable favorise des joueurs comme Trump, qui ne se cachent plus derrière le masque d’un libéralisme hypocrite. L’élite qui gouverne le monde est, au moins pour le moment, prête à revenir à l’usage brutal de la force, aux instincts qui ont fait la grandeur originelle de l’Amérique. Dans ce processus de démantèlement de l’ancien ordre, Trump peut bien continuer à lancer des déclarations intempestives et à semer l’incertitude.

9780141986357(1).jpg

Maçães reste toutefois convaincu que tout ne se déroulera pas exactement comme prévu. L’usage de la force « consomme trop de ressources et engendre de nouvelles hostilités ». Il « éloigne les amis et les alliés, qui se sentent de plus en plus humiliés à mesure que les normes et les institutions qui reconnaissent leur statut sont abandonnées ».

Les véritables détenteurs du pouvoir préfèrent rester dans l’ombre, mais, à l’image d’un catcheur professionnel luttant pour divertir les foules, Trump a de nouveau été placé sous les projecteurs pour combattre, attirer l’attention, donner et recevoir des coups. Que sortira-t-il de ce spectacle ? On peut douter que cela fasse rire les euro-atlantistes.

18:15 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bruno maçaes, donald trump, états-unis | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Démocraties à liberté limitée

th-427935008.jpg

Démocraties à liberté limitée

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/democrazie-a-liberta-limitata/

Les nouvelles sont rares. Et, de surcroît, elles ne sont pas rapportées par les grands médias. Une petite note de bas de page, en somme.

Thierry Breton est un ancien commissaire européen. Un Français. Il a quitté la Commission en controverse avec Ursula von der Leyen. Pour des raisons internes aux équilibres complexes du sommet bureaucratique européen. Mais ce n'est pas cela qui nous intéresse aujourd'hui.

Car Breton reste un représentant important de la France. Avec un long passé de ministre, en vérité toujours des affaires intérieures. Un technicien, si l'on veut. Et même cela, franchement, serait d'un intérêt extrêmement relatif pour nous.

Mais aujourd'hui, il s'exprime sur les prochaines élections allemandes. Ce qui est déjà étrange... et ce qui l'est encore plus, c'est que Breton s'exprime. Il dit haut et fort que oui, la démocratie, c'est bien, et les élections, c'est bien... mais seulement si les résultats de celles-ci sont conformes à la ligne adoptée par l'Union européenne.

Sinon, elles ne comptent pas. Et elles doivent être refaites.

Maintenant, abstrayons-nous de notre ineffable Français - qui a pourtant donné une voix claire au mode de raisonnement de certains sommets européens - et raisonnons un peu. Dans les grandes lignes.

f4w8kp10-53737214.jpg

Ainsi, les hommes et les femmes qui gravitent autour de la Commission européenne, ou qui en font partie, sont évidemment pour la démocratie. Même si, rappelons-le, ils n'ont jamais été élus, mais choisis par des sommets bureaucratiques. Exemptés de tout contrôle électoral.

Ils sont pour la démocratie... tant qu'elle confirme leurs décisions. Sinon... cela ne compte pas et on recommence. On refait les choses jusqu'à ce que le résultat des élections soit conforme à ce qu'ils ont décidé a priori.

Par essence, la démocratie, en Europe, ne sert qu'à confirmer, et inévitablement à renforcer, les choix de ces soi-disant élites qui n'ont jamais été élues par qui que ce soit. Choisies de droit divin, évidemment. Ou, plus précisément, parce qu'elles sont les représentantes de certains intérêts, de cercles fermés qui n'ont rien à voir avec les peuples et leur volonté. Au contraire.

Des peuples d'ailleurs méprisés. Parce qu'ils sont considérés comme immatures, stupides, obtus. Et qui doivent s'adapter aux décisions de leurs suzerains. Ou, plus précisément, de ceux qui, dans l'ombre, les commandent et les manœuvrent.

Tout cela est clair et, en vérité, extrêmement simple à comprendre. Ici, dans le monde occidental, ce truc s'appelle la Démocratie. Avec une majuscule. Et malheur à vous si vous ne vous inclinez pas, voire si vous ne vous prosternez pas devant elle. On risque d'être considéré comme un paria, un fasciste, voire pire.

Mais cela vaut aussi, et surtout, lorsque les décisions de ces dirigeants éclairés vont à l'encontre des intérêts du plus grand nombre. Ou, même, lorsqu'ils planifient notre réduction en nombre - lire notre extinction massive -, le refoulement du plus grand nombre dans la misère et d'autres aménagements similaires.

Il faut le comprendre. Et garder à l'esprit. Ce qui, malheureusement, est rarement le cas. La plupart des gens regardent la télévision. Et ils avalent tout ce qu'on leur donne à manger.

Ainsi, Poutine est méchant. Les Chinois sont méchants et de mauvaise foi. Nous vivons dans le meilleur des mondes possibles... de quoi faire frémir le Candide de Voltaire.

 

Le « Trumpisme » et la subalternité proclamée de l'Europe

Doing-business-Europe-vs.-USA-Aexus-1029521571.png

Le « Trumpisme » et la subalternité proclamée de l'Europe

par Daniele Perra

Source: https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-trumpismo-e-la...

Selon A. Douguine, le « Trumpisme » (qui assume le rang d'une véritable idéologie) serait une sorte de « force multipolariste passive », dans le sens où il n'aurait rien contre la réalisation d'un ordre mondial multipolaire et, par conséquent, ne ferait rien de concret pour l'empêcher. Une telle considération découlerait d'une interprétation problématique (à mon avis) de la soi-disant « doctrine Monroe » qui est (toujours à mon avis) indûment opposée à la « doctrine Wilson » ; comme si les deux approches géopolitiques étaient aux antipodes au sein de cet agglomérat que l'on pourrait très généralement définir comme l'« idéologie américaine » (fondée essentiellement sur les thèmes théologico-protestants de la « prédestination », de l'« exceptionnalisme » et du « mythe de la frontière »). Ayant lu (et non oublié) Carl Schmitt, en revanche, j'ai tendance à considérer la « Doctrine Monroe » comme la première manifestation réelle de l'impérialisme américain et, par conséquent, la « Doctrine Wilson » comme son évolution, pas nécessairement en contraste avec la première.

40743677n-3989239900.jpg

Schmitt rappelle d'ailleurs que l'insistance sur le thème de la « prédestination » (la croyance en la « prédestination ») n'est « que l'intensification extrême de la conscience d'appartenir à un monde autre que le monde corrompu et condamné au déclin ». Il en fut ainsi pour les Pères pèlerins qui quittèrent l'Europe ; il en est ainsi pour le "Trumpisme", qui cherche à s'imposer comme une nouveauté par rapport à la "culture progressiste" décadente d'une partie des élites oligarchiques nord-américaines.

En ce sens, toujours selon A. Douguine, la nouvelle élection de Donald J. Trump représenterait une sorte de « révolution ». La réalité semble bien différente. Le « trumpisme », en effet, pour un étudiant attentif de la géopolitique (sous tous ses aspects), ne peut apparaître que comme l'une des innombrables formes de « reproduction constante des formes d'appartenance ». Prenons un exemple classique.

À la fin des années 1970, entre scandales et défaite désastreuse au Viêt Nam, les États-Unis semblaient avoir perdu leur élan vital en tant que leader du soi-disant « monde libre ». L'ascension de Ronald Reagan à la Maison Blanche (plus ou moins les mêmes années que le triomphe entrepreneurial hautement facilité de Trump) a été perçue comme le début d'une « nouvelle ère », sous la bannière d'un esprit patriotique renouvelé étroitement lié au mythe du marché libre et du néolibéralisme. Dans ce cas, les « espaces libres » du marché ont en quelque sorte remplacé l'esprit de conquête de la frontière et l'appropriation conséquente de nouveaux espaces. De même, l'élection de Trump est perçue par les « apologistes de l'Occident » comme une catharsis nécessaire à partir de laquelle redémarrer pour restructurer (et peut-être étendre) leur monde corrompu, éprouvé par la décadence, et proche de la défaite sur plusieurs théâtres. 

A cet égard, il faut d'ailleurs rappeler que depuis la fin du 19ème siècle (au moment où le « mythe de la frontière » s'achève), des courants de pensée, qui ont vu le jour au sein des Etats-Unis, ont soutenu la thèse selon laquelle, pour rendre le rêve américain viable, il était (et est toujours) nécessaire que le « mythe de la frontière » susmentionné soit projeté vers l'extérieur afin de « reproduire constamment le sentiment d'une appartenance nouvelle et renouvelée » et de « continuer à vivre la tension réalisatrice » d'un « monde de lumière » (perçu comme tel -soit l'espace pensé à l'origine par les groupes protestants arrivés en Amérique du Nord) qui s'oppose naturellement au « monde des ténèbres » (c'est-à-dire tout le reste, tout ce qui n'a pas été créé par les protestants et qui ne l'a pas été; tout le reste, c'est-à-dire tout ce qui n'a pas été homologué à l'esprit américain).

AA1vdJQP-4005491934.jpg

Le « trumpisme » n'est pas étranger à cette dynamique (pensez au rêve expansionniste vers l'Arctique, avec l'éventuelle et conséquente « territorialisation » de la mer Arctique elle-même). Au contraire, dans un monde où l'État (malgré la mondialisation) reste le détenteur privilégié de la force de coercition, le « Trumpisme » se manifeste comme la tentative ultime de donner à l'Occident hégémonisé par les États-Unis une structure pseudo-impériale dans laquelle les appareils de sécurité sont sous-traités à des agences privées directement liées au centre (à Washington, qui détient la suprématie technologique et économique au détriment des zones périphériques du « pseudo-empire »). Une chose que même les soi-disant « élites mondialistes » n'ont pas réussi à faire.

En d'autres termes, il se présente comme une étape supplémentaire vers la « démocratie dirigée »: une forme politique centrée sur des formes de surveillance numérique dans laquelle les élites ploutocratiques utilisent la technologie informatique et les algorithmes pour réduire l'expérience humaine à des facteurs mesurables, observables et (naturellement) manipulables.

De plus, la prétendue ouverture à la « liberté d'opinion » sur les plateformes de Musk et Zuckerberg ne doit pas tromper ici.

Par conséquent, le prétendu « multipolarisme trumpiste » se résout en une « construction idéale » dans laquelle non seulement les États-Unis maintiennent inchangée leur primauté hégémonique d'appropriation spatiale et de force coercitive au niveau mondial, mais solidifient davantage leur contrôle sur l'Europe: la véritable victime sacrificielle sur l'autel de leur restructuration politique, économique et industrielle.

La démocratie est-elle une source de guerre?

9152d9c131d7f84449bf8465f1fcdcfc.jpg

La démocratie est-elle une source de guerre?

Irnerio Seminatore

Hypothèse abusive ou objet de réflexion ?

Depuis le reaganisme, le thatchérisme, le poutinisme, les régimes géorgien, ukrainien, coréen, biélorusse, roumain et chinois, peut-on encore parler de la démocratie comme d’un régime d’intégration des conflits, de stabilité politique et d’alternance gouvernementale et, in fine, de rejet de la guerre ?

A partir de l’affirmation de la démocratie aux 18ème et 19ème siècles, comme "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple", la guerre est devenue l'apanage des représentants élus des nations, qui débattent de concepts militarisés mais dépolitisés, partisans, mais inessentiels au règlement des litiges.

En effet, les représentants du peuple ne peuvent traiter de l'immanence du conflit dans la vie des nations mais seulement de la contingence d'une conjoncture d'exception, celle de la menace, qui est ramenée à une « rupture » de l'ordre juridique dominant. La guerre, tenue pour une catégorie fondamentale de la vie des sociétés exclut toute conception universaliste du droit international et n’autorise pas à concevoir l'ordre du monde, désormais planétaire, sans antagonismes ou sans usage de la violence. Seul l’emploi de la force jette une lumière éclairante sur le cours de l'histoire, le tragique du monde et les conjonctures de changement. "Nul grand Etat ne s’est constitué sans recourir à la contrainte, sans absorber des communautés étroites. Si l’usage de la force est coupable absolument, tous les Etats sont marqués par une sorte de péché originel. Dès lors, celui qui veux comprendre l’histoire, ne doit pas s’en tenir à l’antinomie de la force et des normes juridiques..." (R. Aron).

fc914eb962c7896eab2a039536c80fde.jpg

La force et le droit

La formation des Etats ou leur délimitation territoriale, suppose la force, avant son couronnement par le droit. Le « statu quo » ou le changement politique ne peuvent être assurés par un débat sur le droit, ni sur le juste ou l'injuste au sein d'une assemblée, ni par une vision conciliatrice ou utopique de l’ordre mondial, mais par un calcul des intérêts et des influences et par le coût des ressources nécessaires à leur sauvegarde. Penser la guerre, c’est penser stratégique, car la guerre, - faut-il s‘en étonner - est la manifestation de la force et la force est la source du droit de tous les régimes (Proudhon).

Les thèmes chéris en revanche par les tribunes publiques demeurent la solidarité internationale, la moralisation des litiges, les doctrines des droits de l’homme et la sécurité collective (Cour pénale internationale, ONU ou autres). Dans ce même esprit la sécurité européenne est renvoyée à la défense des démocraties occidentales, de l’Alliance Atlantique et de l'hegemon, ou encore, à la répartition stratégique du monde en aires d’influences, intégrées à une conception multipolaire du système et à un nouveau « nomos » de la terre. En effet le « tempo » de la démocratie est celui des équilibres précaires et des compromis disputés entre deux périodes de stabilité, souvent impériales. C’est le temps des incertitudes et des débats ! Les accords ukrainiens (Minsk I et Minsk II), l’annulation des scrutins et les coups d'Etats à répétition (Roumanie, Géorgie, Corée du Sud, Afrique, Amérique Latine…), sont là pour le prouver ! La politique démocratique ne peut être qu'une politique d’étroitesse domestique et guère une « Grande Politique », car il y règne l’inversion des primats, celui des hommes et des buts personnels, au lieu de celui des nations, de la géopolitique et de la grande stratégie.

La politique internationale, comme antagonisme radical de l'ami et l'ennemi continue et perdure, en tant qu'activité fondamentale de l'activité humaine, car la souveraineté du pouvoir oppose en réalité l'exception à la norme et donc la guerre à la paix, au sein d'un contexte où règne la hiérarchie de la force et la menace existentielle. Dans ce contexte la seule gouvernance crédible est celle de la lutte armée et du jury des combats (Ukraine, Gaza, Liban, Syrie..).

Le dépassement de la démocratie représentative et de l’individualisme démocratique est inscrit dans la crise qui corrode les régimes politiques occidentaux, où on identifie l’épuisement de leurs formes de gouvernement à l’épuisement et à la fin de l’Occident comme forme de civilisation (Nietzsche, Spengler, Ortega y Gasset).

d2a6f99cc24af4f99e13d38c0471555b.jpg

La démocratie et la guerre

On a trop demandé à la démocratie, fille originelle de l’égalité de s’emparer, par le droit, de l’autorité et de la justice, alors qu’une dimension radicale du pouvoir lui a échappée, soit le pouvoir de la guerre, comme délibération impérieuse, comme contrôle exigeant et comme issue inévitable.

Sauvegarder l’indépendance et la liberté est en fait le principal problème du « demos » pour éviter le chaos et l’anarchie dans un monde hostile, et « gagner la paix » est le « défi extérieur » plus dramatique qui impose d’abord d’anéantir l’adversaire et de rechercher un autre type de stabilité, plus favorable à nos intérêts.

Rétrospective historique

En réalité et en survol, une sommaire rétrospective historique suggère l’idée, non seulement que la démocratie est un régime politique d’incertitude et d’adversités violentes, mais qu’elle est un régime de transition entre deux types d’équilibres politiques. Telles furent la République romaine avant l’accession d’Octave au « Principat », en l’an 30 av J-C, après la mort de César (44 av, J.C), la République d’Angleterre en 1650, après la Glorious Revolution, dont Olivier Cromwell, devint le Lord Protector , la « Révolution Américaine » de 1776 et la « Grande Révolution » française de 1789 ! Impossible d’oublier la « Commune » de Paris de 1871, insurgée contre Thiers, le coup d’État et le seconde empire de Louis Napoléon en 1851, la Révolution bolchévique d’Octobre 1917 en Russie, la « Révolution conservatrice » de Weimar » de 1918 à 1933, de ces changements de régimes et des formes comme le furent la Révolution fasciste de 1922 en Italie, puis la Révolution populaire chinoise de 1949.

8a950aaa9af3302279c4fbe31021a66e.jpg

Avec le problème de la légitimité, le trait commun à toutes ces expressions de l’action historique, c'est la promesse de liberté et d’affranchissement. Puis la répression, la « guerre civile » et la concentration des pouvoirs. Et encore le passage à la guerre inter-étatique et à la stabilisation impériale. La démocratie a toujours cultivé en son sein son antidote mortel, l’absolue tyrannie d’un principe corrupteur, la concentration des pouvoirs dans une seule main. Ainsi, pendant deux siècles, le dénominateur commun furent la démocratie et le républicanisme, portes d’accès au règne des masses et aux longues périodes d’instabilité, caractérisées par des hostilités continues et par le changement insatisfaisant des figures de l’ennemi public.

0519e9d6e1f8df8356818201c4f5bc9f.jpg

Kant et la paix perpétuelle

Revenons à Kant et à son rêve de paix perpétuelle et donc aux Européens du 21ème siècle et à l’Union Européenne. A la manière par laquelle l’Europe a pensé la paix après ‘45. Par évolution et guère par révolution ! Par le fédéralisme égalitariste et par cosmopolitisme humaniste, autrement dit, par les deux visages d’un même renoncement et d’un même rêve, celui de la paix perpétuelle. D’ailleurs leur principe a été identique, l’opposition de la raison à la réalité de l’histoire. Cette opposition a fait triompher la solidarité sur l’antagonisme, et la lâcheté sur la responsabilité. En son principe et en ses répercussions elle a dépolitisé la démocratie la privant de son essence, l’opposition. Or, il n’y a de démocratie que par son opposition, puisque le fait démocratique lie tous les citoyens par une même obligation et un même devoir en une moralité commune. Seul l’immersion dans un engagement universel exonère les militants des droits de l’homme des devoirs de servir une obligation commune. En réalité toute distance établie entre l’homme et le mal du monde (misère, illégalité, tyrannie, crimes, despotisme et conflits), est un escamotage et une fuite, un héroïsme de supermarché, car toute valeur établie en dehors du réel n’existe que pour cacher l’existence du mal du monde et « l’insurmontable malignité de notre cœur (E. Kant) ».

Or, l’acte de naissance de la Realpolitik s’inscrit dans la prise de conscience de l’unification nécessaire de la politique de puissance et de l’emploi de la force, mais également dans le refus de la démocratie comme relation d’égalité principielle entre humains en tout dissemblables. Cela a pour corollaire le refus de l’acceptation de l’Union Européenne, telle qu’elle est, le refus de la démocratie représentative telle qu‘elle est, le refus de l’identité avec les êtres les plus divers tels qu’ils sont ! C’est ainsi, dans cette précision que la démocratie représentative comme illusion est la négation de la vérité factuelle de l’histoire, qu’elle est source de conflit, de revendications insatisfaites et de guerre. Sans emphase ni apothéose du tragique, mais au nom de la réalité du devenir et donc de l’unité hégélienne de l’histoire et de la raison, que Tolstoï découvre « la doctrine du monde » par opposition à « la doctrine du Christ ». Et, dans la crainte que le refus de la guerre implique le refus de l’histoire et ce dernier le refus de la civilisation, il conclut par une question, que beaucoup d’européens formulent en leur for intérieur : « Peut-être n’est ce que nous sommes victimes d’une illusion puissante, que nous prétendons critiquer la guerre au nom de la civilisation et de la culture ? ».

Peut-être -ajoutons nous- jugeons-nous la guerre à partir d’une illusion puissante, celle de la démocratie, comme source de paix et non de guerre ?

Bruxelles, 29 décembre 2024.

 

jeudi, 16 janvier 2025

Parution du numéro 480 du Bulletin célinien

9ae86a2fab28c9d32ba115f877b04834--ferdinand-perso-786570844.jpg

Parution du numéro 480 du Bulletin célinien

2025-01-BC-Cover.jpg

 

Sommaire :

Les mystères de Londres

La réception critique de Féerie

Exhumation littéraire

Dans la bibliothèque de Céline (Balzac)

 

celine-londres-3667543284.jpg

Londres

Deux ans seulement après la parution de Londres, Gaël Richard, auquel on doit plusieurs sommes céliniennes d’importance, nous procure un opus décryptant, en lien avec ce qu’on sait déjà sur cette période de la vie de Louis Destouches, les apports biographiques inclus dans ce manuscrit retrouvé et les interférences avec la fiction. Les dix mois qu’il passa dans la capitale britannique durant la Grande Guerre demeurent la partie la plus mystérieuse de sa vie. Et l’une des plus décisives car c’est durant cette période qu’il s’affranchit des règles édictées par son éducation petite-bourgeoise.

Décisive aussi sur le plan esthétique : c’est alors qu’il découvre avec enchantement le music-hall et les danseuses, initiation qu’il n’aura de cesse de revendiquer en tant qu’écrivain : « J’ai piqué mes trilles dans le music-hall anglais […] dans le rythme, la cadence, l’audace des corps et des gestes. » C’est également à Londres qu’il s’initie à l’art de soigner. La fréquentation à Soho du milieu lui inspirera Guignol’s band, précédé de cette première tentative, Londres,  découverte près d’un siècle après sa rédaction.

504-large_default.jpg

Et c’est là qu’il contracte un mariage qui ne sera pas déclaré au consulat de France et, par conséquent, non enregistré par l’administration française. À lui seul cet ouvrage justifie l’édition, parfois contestée, de ce manuscrit retrouvé que Céline ne destinait pas à la publication. Sur toutes les étapes de cette vie à Londres, Gaël Richard apporte des éléments inédits, des recoupements perspicaces et de pertinentes déductions que lui seul sans doute était en mesure d’apporter. Cela tient à sa formation basée sur la critique et l’étude des documents originaux. Quel autre céliniste serait capable d’explorer avec une telle maîtrise le vaste champ des archives ? C’est qu’il allie à la fois une connaissance très fine de la biographie et de l’œuvre célinienne avec une analyse méticuleuse des pièces d’état-civil mais aussi des ressources historiques et de la presse de l’époque.

Dans sa première partie, l’ouvrage est constitué de quatre sections distinctes : le travail de Destouches au bureau des passeports du consulat général de France ; ce que l’auteur nomme – clin d’œil au livre de Mahé – sa “brinquebale” avec son ami et collègue, Georges Geoffroy ; son retour à la vie civile après qu’il eut été réformé ; sa rencontre enfin avec les sœurs Nebout suivie de ce mariage éphémère avec l’une d’elles. Le livre est richement illustré de documents dont précisément l’acte de mariage de “Louis des Touches” et Suzanne Nebout, le 19 janvier 1916, et son annulation, le 6 février 1918.

« À la ronde du grand Londres », la seconde partie due à Laurent Simon,  nous dévoile la géographie anglaise de Céline par un dictionnaire des lieux qu’il fréquenta ou mentionna dans son œuvre. Le coauteur, passé maître dans l’élaboration d’un tel dictionnaire, avait fait un travail comparable pour Paris. Celui-ci est de la même rigueur, émaillé de citations issues des romans mais aussi des pamphlets et de la correspondance. Ainsi a-t-on le plaisir d’explorer, dans l’ordre alphabétique, le Londres de Céline, du pub À la Croisière pour Dingly (pub tenu par Prospero dans Guignol’s band) au zoo de Londres dans Regent’s Park. Grâces soient rendues aux deux auteurs pour cet ouvrage magistral.

• Gaël RICHARD & Laurent SIMON, Céline et Londres, Du Lérot, 2024, 366 pages, table des illustrations et index.

L'implication indirecte de l'Asie dans les affaires européennes

maxresdefault-2316324593.jpg

L'implication indirecte de l'Asie dans les affaires européennes

Janne Berejnaïa

Compte rendu d'un commentaire du spécialiste du Japon Jeffrey W. Hornung

On parle beaucoup aujourd'hui de l'implication de la Chine, de la Corée du Nord, de la Corée du Sud et du Japon dans les affaires de la Russie et de l'Occident. Mais quel type d'implication prennent-ils réellement ? Dans un commentaire publié sur le site web du portail de la RAND, Jeffrey W. Hornung, chef de la division des études de sécurité nationale de la RAND au Japon et Senior Fellow de la RAND, a fait part de ses réflexions sur les intérêts des quatre pays dans les affaires de l'Occident et de la Russie, et sur le soutien que chaque partie leur apporte.

Le commentaire met en lumière un détail important mais souvent négligé du conflit actuel en Ukraine : l'implication croissante des pays d'Asie de l'Est. L'auteur nous rappelle que des doutes sur la durabilité du soutien américain à l'Ukraine sont apparus bien avant que Donald Trump ne remporte l'élection, suscitant des inquiétudes sur la capacité de Kiev à poursuivre sa propre défense. Mais un autre aspect clé est souligné : l'expansion du conflit au-delà de l'Europe, avec l'implication de nouveaux acteurs venus d'Asie. Dans le même temps, il convient de mentionner que les États-Unis continuent de fournir une aide importante à l'Ukraine. Après la victoire électorale de Trump, les États-Unis ont alloué une aide militaire de 275 millions de dollars à l'Ukraine. Et le 3 décembre, on a appris l'existence d'une autre enveloppe de 725 millions de dollars. Cela ressemble à une ultime tentative des démocrates de donner un peu de puissance à la partie ukrainienne, car les choses pourraient se terminer rapidement, comme le promet Trump. Pour l'instant, cependant, ce ne sont que ses paroles. Qui sait comment la situation évoluera.

L'article définit une guerre par procuration : il s'agit d'un conflit dans lequel deux pays s'affrontent indirectement en soutenant des camps opposés dans un pays tiers. Ces guerres étaient caractéristiques de l'époque de la guerre froide - l'auteur mentionne les crises du Congo et de l'Angola, où les États-Unis et l'URSS ont financé et armé les parties locales au conflit, en évitant de s'impliquer directement. En analysant la situation actuelle, nous pouvons conclure que le conflit en Ukraine devient non seulement une crise européenne, mais aussi une crise mondiale où les intérêts des principales puissances mondiales se croisent. L'implication des pays asiatiques le confirme et indique également un nouveau niveau de tension internationale.

L'article souligne la nature fluide des conflits par procuration, montrant que ces confrontations ne suivent pas toutes des modèles standard. Parfois, le soutien à l'une des parties conduit à l'intervention directe d'une force extérieure, comme ce fut le cas avec l'engagement progressif des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam ou l'intervention soviétique en Afghanistan. Dans ces cas, les superpuissances sont restées impliquées même lorsque les efforts de leurs « mandataires » se sont relâchés pour empêcher l'autre camp de l'emporter.

L'auteur suggère que le conflit entre la Russie et l'Ukraine présente toutes les caractéristiques d'un conflit par procuration. Il est important de noter que Jeffrey W. Hornung affirme que « Moscou a déclaré à plusieurs reprises que l'Ukraine n'était pas une entité indépendante et que la véritable cible de l'invasion russe était l'Occident, en particulier les États-Unis ». Et si l'on a parlé de l'absence d'indépendance de l'Ukraine, on n'a jamais entendu du côté russe qu'il s'agissait du véritable objectif de l'Opération militaire spéciale, à savoir attaquer l'Occident. Les objectifs ont été définis par le président russe Vladimir Poutine en février 2022, lors d'un discours dans lequel il a annoncé cette « opération militaire spéciale » visant à « démilitariser et dénazifier l'Ukraine ».

L'objectif principal est de protéger les territoires qui ont rejoint la Fédération de Russie lors du référendum. En fonction de la situation sur le champ de bataille, certains points des objectifs sont transformés, mais ne changent pas fondamentalement. Il convient de noter que toutes les autres déclarations de l'auteur ont été étayées par des références à des sources, alors que cette déclaration plutôt tapageuse n'a pas fait l'objet d'une telle attention. La Russie a déclaré que l'Occident manipule l'Ukraine et ne fait que prolonger le conflit avec son aide. Cependant, elle n'a jamais dit qu'elle attaquait les États-Unis de cette manière. Les États-Unis eux-mêmes « expriment le désir » de s'impliquer.

supply-of-weapons-for-ukraine-and-russia-in-2023-infographic-v0-1ah7e7u8zb0c1-1838564458.jpg

Ils ajoutent que, d'autre part, les pays de l'OTAN et leurs alliés soutiennent l'Ukraine par des livraisons d'armes. Bien que l'objectif officiel de l'Occident soit de défendre l'Ukraine, ses actions sont en réalité dirigées contre la Russie. C'est ce que souligne la déclaration du secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, qui a affirmé que « nous voulons voir la Russie affaiblie ». En analysant cette dynamique, on peut voir comment le conflit contemporain dépasse le cadre traditionnel d'un conflit entre deux pays. L'Ukraine devient une arène où l'Occident et la Russie s'affrontent pour la suprématie stratégique. Le conflit prend donc un caractère de plus en plus global, chaque partie cherchant à affaiblir son adversaire géopolitique.

Bien entendu, la majeure partie du commentaire se concentre sur l'implication des pays asiatiques dans tout cela. Selon l'auteur, le soutien de la Chine à Moscou est caractérisé par la flexibilité et la stratégie. Bien que Pékin refuse de fournir directement des armes à la Russie, elle contribue activement à maintenir l'équilibre économique de la Russie. La Chine s'oppose aux sanctions occidentales et utilise ses liens diplomatiques avec les pays du Sud pour tempérer la condamnation internationale des actions de la Russie. L'implication économique de la Chine est également significative. Selon les données citées dans l'article, la Chine représente environ 90 % des importations russes de microélectronique et 70 % des importations de machines-outils. Il convient toutefois de noter que la part de la Russie dans la production de microélectronique et de machines-outils est actuellement en augmentation.

Blivas1-4031594845.jpg

En outre, la participation de la Chine à des exercices militaires au Belarus, près de la frontière polonaise, envoie à l'OTAN un signal fort de coordination militaire et politique croissante avec la Russie. L'auteur indique également que la Corée du Nord agit encore plus ouvertement. Pyongyang a fourni de l'artillerie, des missiles balistiques et envoyé quelque 10.000 soldats au combat. Il n'y a cependant aucune confirmation officielle. Par exemple, le site web de l'agence de presse Ura.ru publie un article indiquant que le commandant de l'AFU a déclaré qu'il n'y avait aucun signe de la présence de Nord-Coréens dans la zone de l'Opération militaire spéciale. Zelensky a affirmé que des soldats de la RPDC avaient été tués et blessés, mais personne ne les a vus, il n'y a aucune confirmation. Et ce, à « l'ère de la technologie ».

Le Japon et la Corée du Sud se limitent à une aide à plus petite échelle à l'Ukraine. Le Japon est devenu l'un des principaux partisans des sanctions contre la Russie, qu'il coordonne activement avec ses partenaires occidentaux. Tokyo fournit également une aide financière et technique importante à Kiev, notamment des drones, des gilets pare-balles et d'autres équipements militaires non essentiels. L'aide cumulée du Japon à l'Ukraine a déjà dépassé les 12 milliards de dollars. Le Japon a également revu ses restrictions sur les exportations d'armes, ce qui lui permet de conserver le stock américain de missiles Patriot utilisés pour défendre l'Ukraine. Sur le plan diplomatique, Tokyo joue également un rôle important en faisant avancer le dossier ukrainien grâce à sa présidence du G-7 et à son engagement auprès des pays du Sud.

La Corée du Sud agit plus prudemment, mais fournit également une aide financière et certains équipements militaires, montrant ainsi son soutien à l'Ukraine dans le cadre de son alliance avec les États-Unis. La Corée du Sud traverse également une période difficile dans le pays en ce moment, et qui sait dans quelle mesure elle pourrait utiliser les armes dont elle dispose. Cette situation de loi martiale pourrait déplacer leur intérêt pour les conflits étrangers pendant un certain temps. Même si la loi martiale sera révoquée lors de la réunion du gouvernement, il y a déjà eu certaines actions en faveur d'un conflit à l'intérieur du pays. Il sera important pour Yoon Seok-yeol de conserver le pouvoir et de stabiliser la situation. C'est peut-être précisément ce qui influencera son implication dans les conflits occidentaux.

L'auteur estime que les actions de la Chine et de la Corée du Nord confirment leur volonté d'affaiblir l'influence occidentale et de renforcer leur position en tant qu'acteurs mondiaux. La Chine soutient la Russie, en évitant un conflit direct mais en renforçant la stabilité économique et militaire du Kremlin. La Corée du Nord, quant à elle, se comporte comme l'allié le plus loyal qui soit, en fournissant non seulement des ressources mais aussi des troupes. Le soutien du Japon et de la Corée du Sud à l'Ukraine, bien que moins agressif, montre l'importance des alliés asiatiques pour l'Occident. Ils contribuent à maintenir l'équilibre face à la montée des tensions et font preuve de solidarité avec la communauté internationale.

Les pays d'Asie de l'Est participent activement à cette nouvelle phase de rivalité internationale, chacun avec ses propres intérêts et stratégies. Le commentaire de l'auteur vise à montrer que le conflit en Ukraine a dépassé le cadre régional et est devenu une arène de rivalité mondiale, impliquant même des pays géographiquement éloignés de l'Europe. L'auteur se concentre sur l'implication des pays d'Asie de l'Est et analyse leurs actions dans le contexte d'une guerre par procuration. L'objectif principal du commentaire est de démontrer comment le conflit en Ukraine s'inscrit dans une confrontation géopolitique mondiale dans laquelle l'Asie de l'Est joue un rôle important mais souvent sous-estimé.

Nouvelle Syrie: voie vers la fédération ou la réincarnation du « califat » terroriste?

66e9998a2a5bb73507da077986caa125.jpg

Nouvelle Syrie: voie vers la fédération ou la réincarnation du « califat » terroriste?

Leonid Savin

Les processus en cours en Syrie inquiètent de nombreux acteurs extérieurs, qu'il s'agisse des voisins (ce qui est tout à fait naturel) et des anciens alliés de Bachar el-Assad, comme la Russie et l'Iran, ou des acteurs occidentaux qui se méfient du fait que les processus de construction de l'État se déroulent sans leur participation, alors que l'administration intérimaire actuelle ne fait que parler de « démocratie », mais a en réalité ses propres idées sur l'avenir du pays.

C'est pourquoi, en marge des couloirs du pouvoir, on parle d'une possible fédéralisation de la Syrie avec une division en zones de responsabilité. Ce n'est pas le pire des projets : la Russie a déjà proposé une option similaire au gouvernement Assad, qui l'a rejetée et a tout perdu au bout d'un certain temps. Du point de vue de la composition ethno-religieuse de la Syrie, sa fédéralisation est tout à fait logique. Historiquement, pendant le mandat français de 1921-1922, il existait des zones d'administration druze (avec le centre à As-Suwayda), alaouite (Lattaquié), ainsi que deux territoires avec des centres à Damas et Alep respectivement, sans parler du Liban, qui est devenu un État distinct. Le projet de fédéralisation est soutenu à l'ONU, et même à Washington. Pendant la guerre et maintenant de l'intérieur, seuls les Kurdes soutiennent activement l'idée.

Quant aux opposants, le gouvernement était sceptique quant à une éventuelle balkanisation, c'est-à-dire une aliénation progressive des régions et une désintégration plus poussée de la Syrie unie. En outre, l'opposition syrienne elle-même, soutenue par l'Occident et un certain nombre d'acteurs régionaux, s'est précédemment opposée à la fédéralisation. La Turquie s'oppose également à ce processus, car elle contrôle de nombreux groupes paramilitaires, dont le plus important est Hayat Tahrir al-Sham (interdit en Russie). Cette organisation, qui se traduit par « Organisation de libération du Levant », a une idéologie sunnite qui trouve ses racines dans le groupe interdit en Russie Jabhat al-Nusra*, lui-même créé dans le cadre d'ISIS* avec la participation d'Al-Qaïda* (tous interdits en Russie).

carte_province_syrie-2991861971.jpg

Mais il est clair que le projet opposé de fédéralisation pourrait conduire à l'islamisation (dans une veine salafiste) et à la néo-ottomanisation de la Syrie, y compris la répression de la population kurde. La publication turque Hürriyet a rapporté que le président turc Recep Tayyip Erdogan a averti que « si le PKK-YPG ne dépose pas les armes, s'il continue à faire pression pour une autre administration en Syrie et si les pays occidentaux font des demandes dans ce sens, une opération militaire à grande échelle avec l'État syrien sera inévitable ». Dans le nord de la Syrie, la Turquie contrôle plusieurs groupes opérationnels composés d'adeptes de l'idéologie salafiste, de personnes originaires d'Asie centrale et du Caucase, y compris de Russie, ainsi que de Chine (Ouïghours). Ankara va très probablement les opposer aux Kurdes, qui vivent historiquement dans cette région. Les forces d'autodéfense mentionnées, qui sont le bras armé des Forces démocratiques de Syrie (YPG), sont soutenues par les Américains.

carte-syrie-offensive-turquie-forces-kurdes-2958471723.jpg

La Turquie est clairement intéressée par le contrôle total d'Afrin, d'Aazaz, de Manbij et de Tel Rafat, ce qui conduira inévitablement à une nouvelle escalade. Par conséquent, le gouvernement d'Erdogan se retrouvera dans une situation difficile, surtout après l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, quels que soient les éloges qu'il adressera au dirigeant turc. Quant au PKK, qui est la structure faîtière des Kurdes en Syrie, en Irak et en Turquie (et en Iran au niveau de la conspiration profonde), selon des informations d'initiés du côté kurde, il est susceptible d'être réformé et même éventuellement scindé en différentes parties afin d'apaiser les tensions politiques en Turquie. Dans le même temps, la coordination entre les factions kurdes sera maintenue afin de préserver une stratégie commune pour préserver sa propre identité et se projeter dans l'avenir.

Avec la chute du gouvernement Assad, les Kurdes voient l'inéluctabilité d'un reformatage des frontières de la région, qui étaient des retombées au lendemain de la Première Guerre mondiale et ne prenaient pas en compte leurs intérêts vitaux. Si les Kurdes ont réussi à obtenir l'autonomie en Irak, ils seront désormais désireux de participer au destin de la « restructuration » de la Syrie, quel qu'en soit le prix. Compte tenu de leur puissant lobby étranger et du soutien apparent d'un certain nombre de pays, leurs aspirations pourraient bien être politiquement formalisées.

Map-golan-heights-1515701836-294757474.jpg

Outre les États-Unis et, probablement, les pays de l'UE qui soutiendront les idées de fédéralisation et les Kurdes (ainsi que les chrétiens) de Syrie, un autre acteur régional sérieux sera en mesure d'interférer dans les processus actuels : Israël. Guidé par sa propre sécurité, Israël a déjà occupé une partie de la Syrie, justifiant cette occupation par la nécessité d'étendre la zone tampon près des hauteurs du Golan (qui ont été occupées bien plus tôt). Israël, quel que soit le Premier ministre, ne voudra pas laisser émerger un projet salafiste-néo-ottoman près de ses frontières, surtout si l'on considère les liens entre la Turquie, les Frères musulmans, qui sont interdits en Russie, et le Hamas.

Le Jerusalem Post a également rapporté qu'Israël devrait se préparer à une confrontation directe avec la Turquie dans le cadre des tentatives de cette dernière de restaurer l'Empire ottoman.

Une note politique soumise au premier ministre, au ministre de la défense et au ministre des finances d'Israël affirme que le risque d'unification des factions syriennes constituerait une menace pour la sécurité d'Israël et que les forces soutenues par la Turquie pourraient prétendument agir par procuration et créer de l'instabilité dans la région.

C'est pourquoi Tel-Aviv soutiendra activement les partisans de la fédéralisation et d'un État laïque, ainsi que ses alliés de longue date, à savoir les Kurdes.

Après l'indépendance, Israël s'est retrouvé dans un environnement arabe hostile, ce qui l'a contraint à chercher des alliés régionaux. L'un d'entre eux était l'Iran avant la révolution islamique de 1979. Un autre était les Kurdes, et Israël les a activement soutenus depuis le premier soulèvement de Mustafa Barzani en Irak (photo), qui a commencé en 1961. Depuis lors, l'interaction kurdo-israélienne s'est progressivement développée.

Mustafa-Barzani-1960s-photo-courtesy-kdp-2321289175.jpg

Le deuxième facteur important est la présence même des Kurdes dans l'establishment israélien. Bien qu'il soit communément admis qu'Israël est peuplé de Juifs ethniques (à l'exception de la minorité arabe, des Druzes et de quelques autres), ce n'est pas le cas. Le pays compte une importante diaspora kurde qui participe activement à la vie politique. La raison en est qu'auparavant, pendant les guerres israélo-arabes, des familles juives kurdes ont été expulsées de Syrie et d'Irak. Aujourd'hui, au moins 200.000 personnes d'origine kurde vivent en Israël. Par exemple, l'actuel ministre des affaires étrangères, Gideon Saar, et le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir (qui a des opinions sionistes plutôt radicales) sont d'origine kurde. En outre, de nombreux officiers de haut rang de l'armée israélienne et d'autres forces de sécurité sont également kurdes.

Ces données indiquent le début d'une nouvelle période plutôt difficile pour la Syrie. Bien que la présence minimale de la Russie soit toujours en place, différents scénarios doivent être élaborés, y compris une évaluation du système de sécurité régional. Compte tenu de l'accord de partenariat stratégique global avec l'Iran, la question syrienne ne peut être négligée, bien que ces plans aient déjà suscité des inquiétudes aux États-Unis, qui considèrent le nouveau traité entre la Russie et l'Iran comme un prélude au retour des groupes armés iraniens en Syrie et à une assistance accrue au Hezbollah.