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vendredi, 06 novembre 2009

Le "socialisme allemand" de Werner Sombart

kapak_sombart.jpgArchives de SYNERGIES  EUROPEENNES – 1990

 

Thierry MUDRY:

Le “socialisme allemand” de Werner Sombart

 

Né en 1863 à Ermsleben, Werner Sombart est le fils d'Anton Ludwig Sombart, hobereau et industriel prussien, membre libéral de la Chambre prussienne des Députés et du Reichstag.

 

Werner Sombart étudie l'économie politique et le droit dans les Universités allemandes. Après avoir obtenu son doctorat, il est d'abord secrétaire de la chambre de commerce de Brême puis professeur extraordinaire (chargé de cours) à l'Université de Breslau. Mais le "radicalisme" de Sombart (influencé par Lassalle et Marx) lui vaut la défaveur du ministère prussien de l'instruction publique: son avancement est stoppé. En 1906, il donne des cours à l'Ecole des hautes études commerciales de Berlin et plusieurs années plus tard, en 1918, il devient enfin professeur ordinaire à l'Université de Berlin où il prend la succession d'Adolf Wagner, l'un des maîtres de la Jeune Ecole historique et du "socialisme de la chaire"  (Kathedersozialismus).

 

Economiste et sociologue, Sombart apparaît comme l'historien du capitalisme mais aussi comme un critique impertinent du capitalisme. Sombart s'éloigne cependant peu à peu d'une critique d'inspiration marxiste pour adopter une critique d'inspiration nationaliste et luthérienne. On distingue aisément le Sombart qui se consacre à l'étude scientifique du capitalisme et particulièrement à l'étude de la genèse de l'esprit capitaliste et le Sombart militant qui prend fait et cause pour le mouvement ouvrier à la fin du XIXème siècle et au début de ce siècle, pour l'Allemagne pendant la Grande Guerre et pour le "socalisme allemand" dans les années 30. Le premier Sombart est l'auteur en 1902 des tomes I et II du "Capitalisme moderne" qui connaîtront des rééditions successives en 1916 et 1924/27 (Sombart publiera en 1928 le tome III traduit en français sous le titre L'apogée du capitalisme);  en 1903 de L'économie allemande du XIXème siècle;  en 1911 d'un ouvrage sur Les Juifs et la vie économique  (traduit en français); en 1913, il publie Le bourgeois  (également traduit en français) et ses études sur le développement du capitalisme moderne: Luxe et capitalisme, Guerre et capitalisme, etc. En revanche, Le socialisme et le mouvement social au XIXème siècle  publié en 1896 (traduit en français), Commerçants et héros qui parut pendant la Grande Guerre, Le socialisme prolétarien  publié en 1924 et Le socialisme allemand  publié en 1934 (traduit en français) sont indiscutablement l'œuvre du Sombart militant.

 

Sombart = Marx + l’école historique?

 

D'après Schumpeter (à qui Sombart céda sa chaire à l'Université de Berlin), Sombart aurait subi tout autant l'influence de Karl Marx que celle de l'Ecole historique.

 

Sombart étudia l'économie politique à Berlin, or "l'enseignement économique était alors dans les universités allemandes sous l'influence de l'Ecole historique réagissant contre l'étroitesse d'esprit et l'optimisme exagéré du libéralisme (le Manchestertum "fossile") et plus ou moins imbu de socialisme d'Etat" (André Sayous, préface à L'apogée du capitalisme  de Werner Sombart, Payot, Paris, 1932, pp XII et XIII). Sombart eut pour maîtres à l'Université de Berlin Gustav Schmoller et Adolf Wagner. Ce dernier, qu'une commune admiration pour les travaux de Ferdinand Lassalle (l'un des pères du socialisme d'Etat) rapprochait de Sombart, le désigna d'ailleurs comme son successeur à l'Université. Pour certains, il conviendrait de ranger Sombart parmi les auteurs de l'Ecole historique mais ce n'est pas l'avis d'André Sayous: "économiste et sociologue, il (Werner Sombart) traite en réalité l'histoire comme une "science auxiliaire" qu'il utilise, répétons-le, avec une grande liberté d'esprit et même, parfois, selon son bon plaisir" (ibid., p. XVII) mais, reconnaît Sayous, "Sombart a conservé des liens avec l'Ecole historique. Généralement, son argumentation repose sur l'histoire et il se sert de celle-ci dans l'esprit démonstratif des maîtres de l'école allemande" (ibid., p. XVIII).

 

Sombart a subi aussi l'influence de Karl Marx. En 1894, Sombart accueille avec enthousiasme la publication du troisième volume du Capital  et publie une étude sur le marxisme qui lui vaut les éloges de Friedrich Engels. Deux ans plus tard, il écrit Le socialisme et le mouvement social du XIXème siècle. Mais Sombart s'éloigne peu à peu du marxisme, la 10ème édition de son Socialisme et mouvement social parue en 1924 sous le titre Le socialisme prolérarien apparaît aux yeux de certains comme une diatribe anti-marxiste. Mais devenu pourtant "anti-marxiste", Sombart reconnaît volontiers sa dette envers Marx. Dans l'introduction à L'apogée du capitalisme,  il se défend d'avoir voulu attaquer Marx: au contraire, affirme-t-il, "je m'étais proposé de continuer et, dans un certain sens, de compléter et d'achever l'œuvre de Marx. Tout en repoussant la conception du monde de Marx et, avec elle, tout ce qu'on désigne aujourd'hui, en synthétisant et précisant son sens, sous le nom de "marxisme"; j'admire en lui sans réserves le théoricien et l'historien du capitalisme. Tout ce qu'il y a de bon dans mes propres ouvrages, c'est à l'esprit de Marx que je le dois, ce qui ne m'empêche naturellement pas de m'écarter de lui non seulement sur des points de détail, voire dans la plupart de mes façons de voir particulières, mais sur des points essentiels de ma conception d'ensemble" (ibid., p.15). En 1934, dans Le socialisme allemand  (paru dans sa traduction française chez Payot, Paris, 1938), Sombart opère une distinction entre le "marxisme pratique" et le marxisme "qui, à titre de théorie historique, est d'une incomparable valeur pour les sciences sociales" (p. 100).

 

Sombart et l'étude du capitalisme

 

Pour Sombart, le capitalisme -qu'il définit par ailleurs comme une "catégorie historique"- est un "système économique" qui "repose d'une façon subjective sur le primaire de l'acquisition, trouvant son expression dans le gain; il est essentiellement "individualiste", car il a comme base la concurrence; enfin, il représente les idées de rationalisation dans l'ordre économique" (André Sayous, op. cit., p. XX).

 

Sombart distingue trois périodes dans l'histoire du capitalisme:

 

- le "capitalisme primitif" qui prend fin avec la révolution industrielle;

- le "haut capitalisme" ou "apogée du capitalisme" qui correspond à la période s'étendant de l'emploi métallurgique du coke (dont Sombart situe les débuts dans les années 1760/1770) à la Ière guerre mondiale. "C'est au cours de cette époque que le capitalisme a réalisé son épanouissement le plus complet et est devenu le système économique dominant" (L'apogée du capitalisme,  p.12);

- le "capitalisme tardif", période qui s'ouvre avec la Ière guerre mondiale.

 

Pour Sombart, il ne fait pas de doute que "les forces motrices de la vie économique" ne sont pas plus la piété puritaine que la plus-value du capital (Sombart renvoie ici dos à dos Weber et Marx); ni même la division du travail et la concurrence chères aux économistes classiques, ni non plus le système juridique, la technique ou la démographie. Les seules forces motrices de l'histoire en général et de la vie économique en particulier, ce sont les hommes vivants avec leurs pensées et leurs passions et surtout certains d'entre eux. C'est l'homme, en tant que sujet de l'histoire, qui construit les systèmes économiques. Ainsi, le capitalisme naissant "fut l'œuvre de quelques hommes d'affaires entreprenants, appartenant à toutes les couches de la population. Il y avait parmi eux des nobles, des aventuriers, des marchands, des artisans, mais ils ont été pendant longtemps trop faibles pour imprimer à la vie économique une direction décisive. A côté d'eux, des princes énergiques (...) et plus particulièrement de hauts fonctionnaires, comme Colbert, ont joué dans l'évolution économique de l'époque un rôle de premier ordre (en poussant les particuliers  dans des entreprises capitalistes)" (ibid., p. 29). A l'époque du capitalisme avancé "toute la direction de la vie économique a passé entre les mains des entrepreneurs capitalistes qui, désormais soustraits à la tutelle de l'Etat, sont devenus (...) les seuls organisateurs du processus économique, pour autant que celui-ci se déroule dans le cadre de l'économie capitaliste" (ibid., p.30). L'entrepreneur capitaliste est donc la seule force motrice de l'économie capitaliste moderne. Il est la seule force productive: "tous les autres facteurs de la production, le capital et le travail, se trouvent sous sa dépendance, ne sont animés que par son activité créatrice. De même, toutes les inventions techniques ne reçoivent que de lui leur vitalité" (ibid., p.31).

 

Le capitalisme va-t-il mourir d’un excès de rationalisation?

 

Sombart a consacré les deux premiers tomes de son Capitalisme moderne  à l'étude du pré-capitalisme et du capitalisme primitif et le troisième tome à l'étude du haut capitalisme. Quant au capitalisme tardif, Sombart y a consacré la conclusion de son Apogée du capitalisme. La principale caractéristique de cette période serait "la substitution du principe de l'entente à celui de la libre-concurrence". Le déclin du capitalisme s'amorce et celui-ci, pense Sombart, va probablement mourir d'un excès de rationalisation. "La crise allait évidemment donner une puissante accélération à la thèse du déclin, largement vulgarisée par Fried, disciple de Sombart et collaborateur de la revue Die Tat, dont le livre intitulé La fin du capitalisme  (1931) fut une manière de best-seller dans les milieux nationalistes" (Louis Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice ..., Librairie Honoré Champion, Paris, 1976, p. 12).

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Sombart  "a distingué des périodes de civilisation et conçu chacune d'elles comme un "système" d'un "esprit" ou "style déterminé" ... "où ainsi que chez Karl Marx, les fonctions économiques constituent les bases et les caractères propres de la période, mais où, différence fondamentale, chaque sentiment de l'économique est précisé d'une façon spéciale" (André Sayous, op. cit., pp. x et xi). "Ce qui imprime à une époque, et aussi à une période économique, son cachet particulier, c'est son esprit" écrit Sombart (ibid., p.8). Le capitalisme s'accompagne d'un "esprit capitaliste" et c'est cet esprit qui, en se transformant, a fait évoluer le capitalisme.

 

Mais, quel est cet "esprit capitaliste" et quel rôle joue-t-il dans l'apparition et l'évolution du capitalisme? Sombart apporte des éléments de réponse dans son livre Le bourgeois.

 

L'esprit capitaliste (c'est-à-dire l'esprit qui anime l'entrepreneur capitaliste et qui caractérise le système que celui-ci crée) est né, pense Sombart, de la réunion de l'esprit d'entreprise et de l'esprit bourgeois: "(...) L'esprit d'entreprise est une synthèse constituée par la passion de l'argent, par l'amour des aventures, par l'esprit d'invention, etc. tandis que l'esprit bourgeois se compose, à son tour, de qualités telles que la prudence réfléchie, la circonspection qui calcule, la pondération raisonnable, l'esprit d'ordre et d'économie. (Dans le tissu multicolore de l'esprit capitaliste, l'esprit bourgeois forme le fil de laine mobile, tandis que l'esprit d'entreprise en est la chaîne de soie)" (Le bourgeois,  Payot, Paris 1966, p. 25).

 

Sombart distingue parmi les sources de l'esprit capitaliste:

- des bases biologiques: les "natures bourgeoises" et les "prédispositions ethniques" (chez les Etrusques, les Frisons et les Juifs);

- les forces morales: la philosophie (interprétation rationaliste et utilitariste des écrits stoïciens, auteurs rustiques romains), les influences religieuses (catholicisme, protestantisme, judaïsme), les forces morales proprement dites (morale sociale conduisant à l'adoption et au culte des "vertus bourgeoises");

- les "conditions sociales": l'Etat, les migrations, la découvertes de mines d'or et d'argent, la technique, l'activité professionnelle pré-capitaliste, le capitalisme comme tel.

 

La controverse entre Weber et Sombart

 

Max Weber s'est élevé "contre les prétentions dogmatiques d'une explication totale de l'histoire par l'économie" mais "il ne voulait nullement -constate Raymond Aron (La sociologie allemande contemporaine, PUF, Paris 1981, pp.112/113)- réfuter le marxisme en lui opposant une théorie idéaliste de l'histoire, qui lui aurait paru aussi schématique et indéfendable que le matérialisme historique". Sombart approuve Weber sur ce point: dans Le bourgeois,  Sombart constate la multiplicité des causes qui permettent d'expliquer la genèse de l'esprit capitaliste. Il s'en prend aux "partisans intransigeants de la conception matérialiste de l'histoire", mais écrit-il, "opposer à l'explication causale économique une autre explication universelle est une chose dont je me sens incapable (...)" (p.338). Tous deux voient dans la religion une des causes du capitalisme. Dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme,  Weber attribue au calvinisme un rôle important dans la genèse de l'esprit capitaliste: "jamais assuré de son élection, le calviniste en cherche les signes ici-bas. Il les trouve dans la prospérité de son entreprise. Mais il ne peut s'autoriser du succès pour se reposer ou utiliser son argent en vue du luxe ou du plaisir. Il doit donc réemployer cet argent dans l'entreprise: formation de capital  par obligation ascétique. Bien plus, seul le travail régulier, rationnel, le calcul qui permet à chaque instant de se rendre compte de la situation de l'entreprise, seul le commerce pacifique sont en accord avec l'esprit de cette morale" (Raymond Aron, op. cit., p.112). Sombart, pour sa part, attribue au thomisme et au judaïsme un rôle bien plus important que le calvinisme dans l'apparition de l'esprit capitaliste.

 

En imposant un droit naturel rationnel fondé sur le Décalogue mais qui intégrait aussi "la philosophie grecque de la dernière période de l'hellénisme", le thomisme a opéré une rationalisation déjà de nature à favoriser la mentalité capitaliste. "Pour que le capitalisme put s'épanouir, l'homme naturel, l'homme impulsif devait disparaître et la vie, dans ce qu'elle a de spontané et d'original, céder la place à un mécanisme psychique spécifiquement rationnel: bref, l'épanouissement du capitalisme avait pour condition un renversement, une transmutation de toutes les valeurs" (Le bourgeois,  pp. 227/228). A cela, il faut ajouter la condamnation par le thomisme et les scolastiques, de la prodigalité (mais aussi de l'avarice) et de l'oisiveté, l'idéal bourgeois "d'une vie chaste et modérée", le culte de la décence et de l'honorabilité, les préceptes d'une administration juste et rationnelle: ainsi s'opéra une sorte de "dressage psychique" qui réussit à transformer en entrepreneurs capitalistes "le seigneur impulsif et jouisseur d'une part, l'artisan obtus et nonchalant d'autre part" (ibid., p.231). Sombart note enfin chez certains scolastiques (notamment italiens), qui ici dépassent la pensée de Thomas d'Aquin, une profonde sympathie pour le capitalisme.

 

En jugeant très favorablement la richesse, en élaborant un rationalisme très rigoureux, le judaïsme contenait et développait "jusqu'à leurs dernières conséquences logiques, toutes les doctrines favorables au capitalisme" (ibid., p.250)". Mais ce qui a permis à la religion juive d'exercer une action vraiment décisive, c'est le traitement particulier qu'elle appliquait aux étrangers. La morale juive était une morale à double face, et ses lois différaient selon qu'il s'agissait de Juifs ou de non-Juifs" (ibid., p.251). "Le traitement différentiel que le droit juif appliquait aux étrangers" a eu pour conséquences: le relâchement de la morale commerciale et la transformation précoce des "conceptions relatives à la nature du commerce et de l'industrie, et cela dans le sens d'une liberté de plus en plus grande" (ibid., pp 254 et 255). Sombart étudia d'une manière plus précise dans son livre sur "Les Juifs et la vie économique" les rapports entre judaïsme et capitalisme.

 

Luthérianisme, calvinisme, thomisme et scolastique

 

Le protestantisme apparaît dès lors singulièrement en retrait: "comme le mouvement inauguré par la Réforme a eu incontestablement pour effets une intériorisation de l'homme et un raffermissement du besoin métaphysique, les intérêts capitalistes devaient nécessairement souffrir dans la mesure où l'esprit de la Réforme se répandait et se généralisait" (ibid., p.239). Le luthérianisme se montra particulièrement anti-capitaliste (et Sombart devait recueillir l'héritage de cet anti-capitalisme luthérien). Le puritanisme lui-même (variante anglo-saxonne du calvinisme) fut une entrave au développement du capitalisme avec son idéal de pauvreté hérité du christianisme primitif, sa "condamnation sévère de tout effort ayant pour objectif l'acquisition de la richesse, c'est-à-dire, et avant tout, une condamnation des moyens de s'enrichir qu'offre le capitalisme" (ibid., p.241). Mais, après la morale scolastique (ou thomiste), "à son tour, la morale puritaine proclame la nécessité de la rationalisation et de la méthodisation de la vie, des instincts et des impulsions, de la transformation de l'homme naturel en un homme rationnel". "Lorque la morale puritaine exhorte les fidèles à mener une vie bien ordonnée, elle ne fait que reproduire mot pour mot les préceptes de la morale thomiste, et les vertus bourgeoises qu'elle prêche sont exactement les mêmes que celles dont nous trouvons l'éloge chez les scolastiques" (ibid., pp 243/244). Ce qui apparaît favorable au capitalisme chez les puritains semble donc emprunté au thomisme et aux scolastiques.

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La raison première de cette divergence entre Weber et Sombart, Raymond Aron croit la trouver "dans le fait qu'ils n'utilisent pas la même définition du capitalisme". Pour Weber, le "capitalisme", c'est essentiellement le capitalisme occidental, le capitalisme "s'oppose à une économie qui tend, avant tout, à la satisfaction des besoins. Le capitalisme serait le système qu'anime un désir de gains sans limite, qui se développe et progresse sans terme, économie d'échanges et d'argent, de mobilisation et de circulation des richesses, de calcul rationnel. Les caractères sont moins dégagés par une comparaison avec les autres civilisations que saisis intuitivement dans leur ensemble" (Raymond Aron, op. cit., p.114). Autre raison probable de cette divergence: les convictions des deux auteurs. Max Weber est un protestant libéral qui croit réconcilier protestantisme et capitalisme dans l'esprit de l'homme allemand en distinguant une morale de la conviction obéissant aux impératifs de la foi et une morale de la responsabilité soumise aux impératifs de l'action. La morale de la conviction délimite un domaine religieux de plus en plus intériorisé (ce qui est bien conforme à l'essence du protestantisme), la morale de la responsabilité un domaine économique abandonné au capitalisme (et un domaine politique soumis à la raison d'Etat). A l'inverse, Sombart est un anti-capitaliste d'obédience marxiste et, plus tard, d'obédience luthérienne.

 

Vertus bourgeoises et éléments héroïques de la psyché européenne

 

Après avoir passé en revue les diverses manifestations nationales de l'esprit capitaliste (Italie, Espagne, France, Allemagne, Pays-Bas, Grande-Bretagne, USA), Sombart s'intéresse à l'évolution de celui-ci. (Pour Sombart, nous le savons, l'évolution du capitalisme est intimement liée à celle de l'esprit capitaliste).

 

- Dans un premier temps, les "vertus bourgeoises" se joignent à l'esprit d'entreprise et à l'amour de l'or (caractéristiques mentales des peuples européens) pour donner naissance à l'entrepreneur capitaliste d'abord tout à la fois héros, marchand et bourgeois. Puis, les "vertus bourgeoises" l'emportent peu à peu sur l'élément héroïque. A cela plusieurs raisons: le développement des armées professionnelles, l'auto-rité des forces morales, le mélange des sangs (cf. "Le bourgeois", pp 339/340).

 

Deux époques se succèdent alors:

 

- celle du "bourgeois vieux-style" tenu en laisse, selon l'expression même de Sombart, par les mœurs et une morale d'inspiration chrétienne;

- celle de l'"homme économique moderne" (à partir de la fin du XIXème siècle) qui ne connaît plus ni entraves, ni restriction.

 

Sombart aborde enfin un délicat problème de causalité: le capitalisme est-il l'émanation ou la source de l'esprit capitaliste? Selon Sombart, on ne peut opposer l'esprit capitaliste au capitalisme dont il est partie intégrante mais on peut en revanche l'opposer à l'"organisation capitaliste" (qui comprend tous les éléments constitutifs du système capitaliste qui ne peuvent être rangés dans la catégorie "esprit"). "Sans l'existence préalable d'un esprit capitaliste (ne fût-ce qu'à l'état embryonnaire), l'organisation capitaliste n'aurait jamais pu naître" (ibid., p.328): une création ne peut préexister à son créateur mais elle peut acquérir une certaine autonomie et agir en retour sur son créateur. Ainsi le capitalisme, création de l'esprit capitaliste, est devenu une des sources (et "non la moins importante" ajoute Sombart) de cet esprit.

 

Deux dangers menacent désormais l'esprit capitaliste: la "féodalisation" ("l'enlisement dans la vie de rentier ou l'adoption d'allures seigneurales") et la bureaucratisation croissante des entreprises. "Peut-être, conclut Sombart, assisterons-nous aussi au crépuscule des dieux et l'or sera-t-il rejeté dans les eaux du Rhin" (ibid., p.342). Voici un rêve auquel le "socialiste" Sombart s'efforce de donner quelque consistance ...

 

Sombart et le socialisme allemand

 

Après s'être consacré à l'étude du capitalisme, Sombart devient en 1934 le porte-parole d'un "socialisme allemand". Mais, quel est le contenu de ce socialisme allemand à la Sombart?

 

Sombart s'efforce de donner une définition du socialisme. Après avoir passé en revue les diverses acceptions courantes du terme et porté sur chacune d'elles un jugement, Sombart définit le socialisme comme un "normativisme social". "J'entends par là un état de vie sociale où la conduite de l'individu est déterminée en principe par des normes obligatoires, qui doivent leur origine à une raison générale, intimement liée à la communauté politique, et qui trouvent leur expression dans le "nomos" (Werner Sombart "Le socialisme allemand", Payot, paris 1938, p.77). "On n'est vraiment socialiste que lorsqu'on considère comme nécessaire que la conduite de l'individu soit soumise, dans ses manifestations extérieures, à des règles générales" (ibid.).

 

Sombart distingue ensuite les variétés de socialisme:

 

-         d'après la nature de l'ordre socialiste imaginé: "du point de vue de l'espace ou de la quantité", ce peut-être un "socialisme total ou partiel"; "du point de vue du temps" "un socialisme absolu ou relatif"; "du point de vue de la forme", "un socialisme de l'égalité ou de l'inégalité", ou bien "un socialisme de l'individu ou de l'ensemble", ou encore "un socialisme méca-nistique, amorphe, espacé, abstrait, pensé, international, social" ou "un socialisme organique, morphique, technique, concret, imaginé, par classes sociales, national, étatique";

-          

-         d'après les fondements de l'ordre socialiste: socialisme évolutionniste ou révolutionnaire, socialisme sacré ou profane;

 

-         d'après la mentalité en vertu de laquelle l'ordre socialiste est construit (mentalité mercantile ou héroïque).

 

Un socialisme anti-économiste

 

Sombart, lorsqu'il définit le socialisme et les variétés de socialisme, veut faire œuvre scientifique mais on sent qu'il prend déjà parti et qu'il dessine à gras traits les contours de "son" socialisme. Peu après avoir défini le socialisme, Sombart écrit: "Etant donné que la libération des forces sociales avait eu pour principal effet de mettre au premier plan l'économie et de subordonner toute l'existence de la société à ses lois, le mouvement socialiste moderne est naturellement dirigé surtout contre la primauté de l'économie. Le cri de guerre du socialisme fut: débarassons-nous de l'économie!" (ibid., p.81). On comprend déjà que le socialisme de Sombart sera essentiellement un anti-économisme. Lorsque Sombart énumère les diverses variétés de socialisme, à l'évidence il porte son choix sur certaines d'entre elles. Le socialisme qu'il prône ne peut être que "partiel", "relatif", inégalitaire, "organique, concret, national, étatique ...": il ne peut être que révolutionnaire (ou volontariste, c'est-à-dire "engendré par la liberté, par un acte créateur") et profane -ici, Sombart dévoile dans sa critique du socialisme chrétien une de ses principales sources d'inspiration: Martin Luther lui-même, pour qui l'Evangile n'enseigne en rien la façon dont on doit gouverner les hommes et administrer les biens matériels (cf "Contre les paysans pillards et meurtriers")-; Sombart se prononce enfin pour un socialisme "héroïque" -Sombart reprend ici les thèmes développés dans son livre de guerre ("Marchands et héros", 1915). Deux conceptions de la vie s'opposent: d'un côté, la conception mercantile (qualifiée pendant la guerre d'"anglo-saxonne") qui vise au "plus grand bonheur pour le plus grand nombre" (le bonheur étant "le bien-être dans l'honnêteté") et qui cultive le "pacifique côte-à-côte des commerçants" (Sombart vitupère ici les "vertus bourgeoises" qu'il avait froidement examinées dans "Le Bourgeois"); de l'autre côté, la mentalité héroïque considère la vie comme une tâche et cultive les "vertus guerrières" (cette mentalité se serait incarnée dans l'Allemagne luthérienne et prussienne). Le "socialisme allemand" de Sombart apparaît comme la traduction à tous les niveaux, notamment au niveau économique, d'une mentalité héroïque dominante: le service de la communauté, de l'Etat et du peuple prime le sevice de soi-même.

 

Sombart précise le sens qu'il donne au terme "socialisme allemand": " (...) l'on pourrait entendre par socialisme allemand des tendances socialistes répondant à l'esprit allemand, qu'elles soient d'ailleurs représentées par des Allemands ou des non-Allemands. Dans ce sens, on pourrait considérer comme socialisme pensé à l'allemande un socialisme qui serait relativiste, adapté à toute la nation, volontariste, profane, païen, et qu'on pourrait -à fortiori- qualifier de socialisme national. Sous le terme général de socialisme national, on peut entendre un socialisme  qui tend à se réaliser dans une association nationale, qui part de l'idée que socialisme et nationalisme sont parfaitemebt adaptables" (ibid., pp. 139/140). Sombart précise encore: "Pour moi, socialisme allemand veut dire socialisme pour l'Allemagne, c'est-à-dire un socialisme qui vaut seulement et exclusivement pour l'Allemagne" (ibid.), parfaitement adapté au corps, à l'âme et à l'esprit de la Nation allemande.

 

Un socialisme réactionnaire?

 

On peut dire du socialisme de Sombart qu'il est "réactionnaire":

 

- en raison de ses objectifs: le socialisme allemand aspire à la "culture" qui est appelée à abolir "l'état actuel de la civilisation". Il faut pour cela briser la primauté de l'économique et des biens matériels qu'a instauré l'âge économique et se libérer de la foi dans le progrès qui obnubile l'âme allemande. Le socialisme de Sombart se veut donc une rupture avec la modernité occidentale (l'"âge économique") et l'idée même de progrès.

 

"Ce que j'appelle "socialisme allemand" écrit Sombart, signifie -exprimé d'une façon négative- l'abandon de tous les éléments de l'âge économique" (ibid. p.60) "sortir l'Allemagne du désert de l'âge économique, telle est la tâche que le socialisme allemand estime avoir à remplir" (ibid., p.180). Ce qui caractérise l'âge économique c'est que les mobiles économiques, les mobiles matériels "ont prédominé toutes les autres aspirations" (la théorie matérialiste de l'histoire apparaît aiinsi valable pour cette périàde, "mais pour cette période seule"); "(...) c'est la prédominance des intérêts économiques, en tant que tels, qui marque l'époque de son empreinte -étant bien entendu, naturellement, que le caractère de cette empreinte est déterminé par le caractère même de l'économie, en l'espèce l'économie capitaliste" (ibid., p;.18). L'âge économique a conduit à l'explosion démographique de l'Europe, à l'augmentation de la durée de vie moyenne, à l'accroissement considérable de la consommation et de la production des biens matériels. L'Europe industrielle est devenue une ville immense de plusieurs centaines de millions d'habitants, les autres pays du globe formant une banlieue autour de cette ville. Les rapports des pays entre eux furent bouleversés. En Europe, les sociétés et les formes de vie ont été bouleversées: Sombart constate la dissolution des communautés traditionnelles et la fin de l'enracinement, les Européens ne formant plus que des masses d'individus "errant ça et là"; notre existence a été soumise à un processus d'intellectualisation (fin de l'initiative, du travail intelligent, du métier), de matérialisation (c'est-à-dire de mécanisation) et d'égalisation (tendance à l'uniformité). La vie publique elle aussi a été bouleversée (un seul fondement et une seule mesure de la valeur: la richesse; une seule hiérarchie: celle qui se fonde sur le capital et le revenu; des partis de classe sont apparus et l'Etat s'est mis au service des intérêts économiques). Enfin, toute vie spirituelle a disparu ("la vie humaine est devenue vide de sens").

 

sombartOL12444976M-M.jpgLe socialisme allemand de Sombart, qui est une réaction contre cet état de fait, veut opérer un retour vers un ordre humain (c'est-à-dire un ordre dans lequel l'état de péché qui définit l'homme depuis la chute n'est pas nié, un ordre dans lequel l'homme peut de nouveau servir Dieu). En condamnant l'âge économique et ses manifestations diverses, Sombart apparaît proche d'autres "socialistes allemands" les plus radicaux (les nationaux-bolchéviques) condam-naient la "fuite dans le Moyen-Age", la "tendance anti-industrielle et anti-technique" (et le christia-nisme) qui caractérisaient l'idéologie des frères Strasser et de Sombart; ils repoussaient un "socialisme allemand" si ouvertement réactionnaire et se voulaient résolument modernes: ils acceptaient la société industrielle et le pouvoir de la technique les fascinait.

 

- Le socialisme de Sombart apparaît réactionnaire en raison de ses références luthériennes.

 

Ce qui s'est passé en Europe occidentale et en Amérique depuis la fin du XVIIIème siècle est pour Sombart l'œuvre de Satan. Luther jetait son encrier sur Satan venu le tenter, Sombart, émule de Luther, utilise sa plume pour dénoncer l'œuvre de Satan: l'âge économique ...

 

De Luther et des luthériens, Sombart a retenu l'idée que l'autorité politique est directement instituée par Dieu. Luther a justifié l'autorité politique par le péché originel, par la corruption dont il est cause sur terre; pour Sombart, le "socialisme allemand" exige un état fort car "il met le bien de tous au-dessus du bien de l'individu" et "parce qu'il estime qu'il a à faire à l'homme pécheur". Au sein de la société, affirme Luther, "chaque homme trouve sa vocation dans les obligations ponctuelles de son état (Beruf), dans la réalisation de la charge que Dieu lui a confiée, domaine dans lequel il reste soumis à l'autorité séculière" (Jacques Droz, "Histoire des doctrines politiques en Allemagne", PUF, que sais-je?, Paris 1978, p.22). Sombart rejoint ici aussi l'opinion de Luther. Enfin, pour Luther comme pour le luthérien Sombart, la division de l'humanité en peuples et en Nations correspond à un plan divin: le peuple (Volk) est un organisme d'origine divine appelé à remplir une mission au sein de l'humanité (idée reprise et développée par le luthérien Herder).

 

Etre un peuple de l’esprit, de l’action et de la variété

 

Pour remplir la mission que Dieu lui a confiée au milieu des autres peuples, le peuple allemand doit, selon Sombart, être toujours plus un peuple de l'esprit, de l'action et de la variété.

 

Le luthérianisme conduit donc Sombart à l'étatisme (dans sa version prussienne), au rationalisme -les germanistes français ont révélé le lien très étroit qui unissait le luthérianisme au nationalisme allemand (Jacques Droz, "Histoire des doctrines  politiques en Allemagne", Edmond Vermeil "l'Allemagne Essai d'explication", etc.) mais ils l'ont évidemment, caricaturé-, au "corporatisme" (le terme de "corporatisme" n'est peut-être pas très approprié: il ne s'agit pas ici en effet de la Corporation mais du "stand", l'état, voir plus loin).

 

Sombart est un nationaliste mais il apparaît en retrait par rapport à d'autres auteurs nationalistes, notamment par rapport aux "völkische" stricto sensu (ceux qui mettent l'accent sur la dimension raciale-biologique du peuple): le peuple n'est pas conçu à la manière völkisch comme race, le peuple pas plus que la Nation ou l'Etat ne sont assimilés à des organismes naturels (mais plutôt, à des entités spirituelles -l'organicisme au sens strict est rejeté comme biologisme.

 

Il faut remarquer que le luthérianisme professé par Sombart l'est aussi par des "socialistes allemands" proches de lui: Otto Strasser, les membres du groupe constitué autour de la revue "die Tat" notamment Hans Zehrer et Léopold Dingräve (surnom de Wilhelm Eschmann).

 

Le socialisme de Sombart est un anti-judaïsme: "(...) ce que nous avons défini comme étant l'esprit de l'ère économique est justement, à beaucoup d'égards, l'esprit juif. Et, dans ce sens, Karl Marx a certainement raison quand il dit que "l'esprit pratique des Juifs est devenu l'esprit pratique des peuples chrétiens" et que "les Juifs se sont émancipés dans la mesure où les chrétiens sont devenus juifs" et encore que "la nature réelle des Juifs s'est concrétisée dans la société bourgeoise"." ("le socialisme allemand" pp. 215/216). Le capitalisme incarne l'esprit juif, il appartient au "socialisme allemand" d'incarner l'esprit allemand.

 

Le socialisme prolétarien est un capitalisme à rebours

 

Par sa nature même, le socialisme allemand" s'oppose au socialisme prolétarien. Le socialisme prolétarien est "un capitalisme à rebours, le socialisme allemand est un anti-capitalisme. L'œuvre libératrice du socialisme allemand ne se limite pas à une classe ou à un autre groupe de la populaton mais s'étend à celle-ci toute entière, dans toutes ses parties (...). Le socialisme allemand n'est pas un socialisme prolétarien, petit-bourgeois ou "partiel", c'est un "socialisme populiste" (ibid.p.180). Il embrasse le peuple entier dans tous les domaines de sa vie.

 

Pour Sombart, le socialisme prolétarien est "le fils authentique" de l'ère économique. Il en a toutes les tares. Dans son livre sur "Le socialisme allemand", Sombart définit rapidement le contenu idéologique du socialisme prolétarien et critique ses fondements pseuod-scientifiques: il lui reproche notamment d'avoir, avec sa théorie de l'histoire, transformé "les traits particuliers de l'ère économique en traits généraux ce l'histoire de l'humanité" (ibid. p.130). Sombart ne fait que reprendre, pour l'essentiel, les thèses qu'il développa dans "Le socialisme prolétarien" en 1924.

 

A l'époque où Marx fit ses débuts das la vie active (entre 1840 et 1850), écrit Sombart, "le capitalisme représentait un chaos, quelque chose d'informe, dont il était impossible de prévoir avec certitude les effets et les conséquences. Celui qui en abordait l'étude, guidé par l'idée de l'évolution (et telle fut précisément l'idée directrice de Marx), pouvait assigner à son devenir tous les buts qu'il voulait. Il pouvait y voir en germe les choses les plus magnifiques, prétendre que ce chaos était fait pour enfanter un monde de merveilles, un monde idéal, dont le capitalisme serait la phase préalable, la condition nécessaire" ("L'apogée du capitalisme", pp. 15/16). On comprend ainsi les "bizarres prédictions" de Marx "relatives à l'augmentation illimitée de la productivité, à la "concentration" générale des industries, à l'écroulement final et inévitable de l'édifice économique, etc.". Ainsi se justifiait l'optimisme de Marx. Mais, constate Sombart, le capitalisme nous est désormais connu: "Nous ne sommes plus assez naïfs et ignorants pour adorer le capitalisme comme une Sainte Vierge qui porte dans ses flancs le Rédempteur" (ibid, p.17).

 

Se mettre à l’écoute dela “Volkheit”

 

Le "socialisme allemand" exige un Etat fort. Cet Etat fort s'identifie à l'Obrigkeitstaat de tradition luthérienne, dont le chef, le Prince, n'est responsable que devant Dieu, et que Sombart veut, comme Goethe, à l'écoute non du peuple mais de la "populité" (Volkheit) -sur ce dernier point, Sombart démarque Wilhelm Stapel, auteur protestant d'une "théologie du nationalisme" (dont le titre exact est: "L'homme d'Etat chrétien. Théologie du nationalisme", paru en 1932). Stapel écrivait: "Les lois justes ne doivent pas correspondre à la "volonté du peuple", mais à la "volonté de la Volkheit". Car le peuple ne sait jamais d'une volonté claire ce qu'il veut,  mais la Volkheit est raisonnable, constante, pure et vraie."- Sombart n'est pas le seul à préconiser un renouveau de l'Obrigkeitstaat, d'autres en Allemagne préconisent aussi (des représentants de la jeune génération parmi lesquels ses disciples de "die Tat").

 

L'étatisme de Sombart n'est pas fondé sur la seule doctrine de Luther. Sombart cite Hegel et prétend se rattacher à "la conception allemande de l'Etat" (l'Etat y est envisagé comme une "union idéale" par oppo-sition à la conception rationnelle et individualiste) à laquelle sont restés fidèles les conservateurs prussiens et les socialistes allemands (Lorenz von Stein, Rodbertus, Lassalle).

 

L'Etat allemand qu'il imagine devrait s'inspirer de l'exemple de l'Eglise catholique ou de l'armée prussienne et, tout en étant fort, il devrait être fédératif et décentralisé.

 

"Le socialisme allemand désapprouve (…) la forme qu'a revêtue la société à l'époque économique". Il aspire à un ordre social "corporatif" ou "organique" ou "populaire", notions qui paraissent s'unir toutes en celle de répartition par états"("le socialisme alle-mand", p.240). Sombart établit "une distinction catégorique entre deux notions d'état: la notion sociale et la notion politique". Dans le premier sens, l'état est un "tout partiel" qui, avec d'autres "touts partiels", constitue "l'organisme social". "La notion politique de l'état-classe est par contre celle qui entend par état un groupe qui est reconnu comme tel par l'Etat-pouvoir politique, qui y est incorporé et qui en a reçu des missions déterminées. Ces missions sont principalement les suivantes: (1) entretien d'une mentalité particulière, d'un esprit particulier (…); (2) renforcement du principe de l'inégalité dans l'Eta-pouvoir politique par l'octroi à l'état-classe de privilèges déterminés ou le retrait de droits déterminés; (3) exercice de fonctions dans la vie po-litique et sociale." (ibid, p.242). Pour Sombart, c'est dans un sens politique qu'il convient d'entendre la notion d'état.

 

Cette conception de l'état procède à la fois du "Beruf" luthérien et du "Stand" romantique remis à l'honneur par l'école viennoise d'Othmar Spann. L'idée d'état connaît alors un vif succès dans les milieux nationalistes allemands, particulièrement chez ceux qui s'y veulent "socialistes allemands".

 

La technique doit se plier au nomos

 

Nous vivons dans l'âge technique, constate Sombart. "Si notre époque est celle de la technique, c'est qu'elle a oublié les buts pour les moyens, autrement dit, qu'elle a vu le but final dans la création artificielle des moyens". Tout le monde admire les produits d'une technique perfectionnée "sans se demander quels buts seront ainsi atteints, sans apprécier les valeurs qui seront ainsi produites" (ibid. p.276). "A quel point la technicisation de notre époque est avancée, on le voit par la façon dont le culte de la technique s'étend à tous les domaines de notre culture et les marques tous de son empreinte" (ibid, p.277). Face à cet état de fait, comment réagir? Sombart rejette les "théories fatalistes" ("la technique moderne permet aux hommes de rationaliser la terre"): le "socia-lisme allemand" domestiquera la technique et la pliera au nomos! Sombart préconise, outre un certain nombre de mesures policières, un contrôle de l'office des Brevets sur la valeur de l'invention puis un contrôle sur l'application de l'invention; la recher-che scientifique sera enlevée à l'initiative privée et confiée à un institut d'Etat; les inventeurs seront rémunérés sans tenir compte de la valeur com-merciale ou industrielle de l'invention, "ainsi la fièvre des inventeurs tombera".

 

Le "socialisme allemand" doit encourager une "bonne consommation" qui entretienne "des formes de vie simples et naturelles". Sombart rejette la culture prolétarienne et lui préfère une culture "bourgeoise" (c'est-à-dire une certaine aisance) et paysanne (bien enracinée et variée). Il rejette aussi le "luxe capitaliste du bourgeois" et réserve l'éclat et la splendeur à l'Etat.

 

La consommation en Allemagne est pour Sombart mal organisée d'un point de vue quantitatif et qualitatif. Beaucoup de défauts de la consommation actuelle dépendent de certaines conditions de la vie moderne (urbanisation, notamment). L'Etat doit donc intervenir pour amener les masses à modifier leur consommation.

 

Le "socialisme allemand" vise aussi à l'orga-nisation de la production. Sombart veut subs-tituer une économie planifiée à l'économie "libre" (c'est-à-dire abandonnée à l'arbitraire des individus). Remarque préalable: "économie plani-fiée" ne signifie pas pour Sombart "collectivisme". Dans l'économie qu'il envisage "la propriété privée et la propriété collective subsisteront côte à côte" (éco-nomie mixte) mais la propriété privée sera "une propriété donnée en fief" (ibid., p.346). Opposé au collectivisme doctrinaire, Sombart ne manifeste cependant pas un respect exagéré pour la propriété privée: pendant la Grande Crise, il réclame la création d'une "propriété sociale" (Louis Dupeux, op. cit., p.15).

 

L’économie planifiée selon Sombart

 

Une véritable économie planifiée, d'après Sombart, se caractérise par:

 

- la totalité "c'est-à-dire qu'il n'y a économie planifiée que lorsque le plan embrasse l'ensemble des exploitations et des phénomènes économiques à l'intérieur d'un territoire important" ("le socialisme allemand", p.302). Mais le plan peut comptendre des zones libres "où l'individu pourra faire et laisser faire ce qui lui plaira".

 

- "l'unité, c'est-à-dire un centre unique d'où émane le plan" (ibid., p.303). L'économie doit être soumise au "Führerprinzip" et au-dessus des chefs  d'entreprise, il doit exister une direction suprême: le "conseil suprême économique" (le centre unique de décision ne peut être que l'Etat, ou une émanation de celui-ci, c'est dire qu'une économie planifiée ne peut être qu'une économie nationale. Mais l'économie nationale doit être nécessairement planifiée si on veut qu'elle assure l'unité de la Nation).

 

- la variété: le plan doit tenir compte de la dimension des domaines économiques; de la structure sociale d'un pays donné; du caractère national, du niveau culturel et de toute l'histoire du pays. Les diverses branches de l'économie doivent être organisées différemment et cette organisation varie à l'intérieur même de chaque branche. L'économie planifiée doit aussi avoir des moyens d'action variés.

 

C'est ainsi que l'économie planifiée nationale cor-respond à cette "économique qu'Aristote opposait à la chrématistique"." (ibid., p.306).

 

Autarcie et autarchie

 

A l'économie mondiale en crise, Sombart oppose l'autarcie. "Autarcie ne signifie pas, bien entendu, qu'une économie nationale doive devenir indé-pendante d'une façon intégrale (…), qu'elle doive renoncer à toute relation internationale quelle qu'elle soit (…). En considérant les faits, je qualifierais déjà d'autarcique une économie nationale qui ne dépend en aucune façon de ses relations avec les peuples étrangers, c'est-à-dire qui n'est pas obligée de recourir au commerce extérieur pour assurer sa propre existence (…)" (ibid., p.310). Mais "l'autarchie est plus importante que l'autarcie. Or l'autarchie nationale réside dans le fait que les catégories où nous pensons les relations internationales de l'avenir ne sont plus celles du commerce libre -où l'on trouvait, à la première place, la funeste clause de la nation la plus favorisée- mais celle d'une politique nationale planifiée: traités de commerce, unions douanières, droits préfé-rentiels, contingentements, interdictions d'impor-tation et d'exportation, commerce de troc, principe de la réciprocité, monopole du commerce de certains articles, etc." (ibid., p.348).

 

Sombart s'en prend à la grande industrie: son socialisme doit favoriser l'économie paysanne et artisanale et donc les classes moyennes. A l'opposé du socialisme prolétarien, le "socialisme allemand" met au centre de sa sollicitude non pas le prolétariat, mais les classes moyennes qui sont le plus aptes à défendre les intérêts de l'individu comme de l'Etat: c'est uniquement dans les exploitations paysannes et artisanales que l'hommes ayant une activité économique trouve la possibilité de se développer pleinement, de donner son véritable sens au travail, forme la plus importante de la vie humaine" (ibid., pp.318/319). Le "socialisme allemand" veillera au développement de l'activité artisanale, à la réorganisation du pays et s'opposera à l'indus-trialisation croissante de l'agriculture.

 

Domaine de l’industrie et Plan

 

Dans le domaine de l'industrie, Sombart préconise, outre la soumission des entreprises aux objectifs du plan:

 

- la socialisation de certains secteurs stratégiques de l'économie et un contrôle de l'Etat sur les entreprises abandonnées au capitalisme (notamment un contrôle du crédit);

- l'amélioration des conditions de travail et la fixation des salaires ouvriers par l'Etat;

- la fin de la concurrence sauvage et de la "con-currence suggestive" (la publicité); en revanche "la concurrence matérielle ne doit pas être exclue des cadres de l'économie dirigée";

- l'abandon du principe de rentabilité remplacé par l'"esprit ménager"

-         une "production permanente et continue": "nous sommes maintenant mûrs pour une économie stationnaire et nous renvoyons l'économie "dynamique" du capitalisme là où elle avait son origine: au diable". "En stabilisant nos méthodes de production, de transport et de vente, nous supprimons une des causes des arrêts et troubles périodiques du processus économique et, par conséquent, le danger toujours menaçant du chômage, la pire des plaies de l'ère économique" (ibid., pp.340/341).

 

Lutte contre le chômage et travaux publics

 

L'Etat doit lutter contre le chômage et en même temps entreprendre la transformation de l'économie nationale. Pour lutter contre le chômage, écrit Sombart, l'Etat doit se créer une capacité d'achat supplémentaire qu'il utilisera afin d'entreprendre ou d'encourager des travaux convenables (c'est-à-dire des travaux "dont la réalisation peut entraîner une augmentaton, notamment une augmentation durable de la productivité nationale, plus exactement encore une augmentation du volume des marchandises"; ces travaux doivent être des travaux durables ou entraîner des travaux durables qui contribuent à un développement permanent de l'organisme produc-teur"; ces "travaux doivent ouvrir ces sources intaris-sables au sein de l'économie nationale allemande, afin de la rendre plus productive et susceptible de devenir indépendante"(ibid., pp 356/357).

 

Pour Sombart, la colonisation agricole semble le meilleur moyen de ranimer l'économie allemande et d'entraîner une transformation de celle-ci et de la société elle-même dans le sens voulu par le "socialisme allemand".

 

Sombart reprend ici à son compte le programme d'Heinrich Dräger et de Gregor Strasser qu'il avait approuvé et soutenu en 1932. Heinrich Dräger, fabricant de Lübeck et fondateur de la "Société d'Etudes pour une économie monétaire et une économie de crédit" (à laquelle collaborait Ernst Wagemann), défendait l'idée de "la création de travail par la création de crédit productive" (cf. Jean-Pierre Faye, "Langages totalitaires", Hermann, Paris, 1973, pp.647/648). Dräger rédigea pour Gregor Strasser (alors n°2 du Parti nazi et dirigeant de son aile gauche), la seconde partie du "programme économique de la NSDAP" publié en août 1932 sous le titre de "Sofortprogramm". Ce texte proposait un programme de création de travail de grande envergure mené sous l'égide de l'Etat et accompagné de réformes de structure. Il prévoyait, à côté de la modernisation des villes et de la construction d'habitats sains, le partage des grandes propriétés foncières non rentables en vue de l'établissement de paysans sans terre et l'exécution de travaux nécessaires au développement de l'économie rurale (ibid., pp 656 et 672).

 

En guise de conclusion …

 

Il est impossible de dissocier le scientifique Sombart, sociologue, économiste et historien de l'économie, du Sombart militant, marxiste puis "socialiste allemand" et nationaliste luthérien. Le premier étudie froide-ment le capitalisme et l'esprit capitaliste, le second les condamne en bloc et bâtit une alternative. Les deux se complètent. Pendant la Grande Guerre, "Marchands et héros" fait écho au "Bourgeois", Sombart y oppose au type humain bourgeois, porteur du capitalisme, le héros porteur de ce qu'il définira plus tard comme "socialisme allemand". Le "socialisme allemand" fait écho pendant la Grande Crise au maître-ouvrage de Sombart, "le capitalisme moderne" achevé peu avant.

 

Sombart a probablement influencé (et subi l'influence) de nombreux autres "socialistes allemands". Sombart avoue d'ailleurs cette parenté: le socialisme dont il se réclame, il le voit représenté en Allemagne par de nombreux nationaux-socialistes (sans doute pense-t-il plus particulièrement à Gregor Strasser), "par plusieurs adhérents à l'ancien Front Noir parmi lesquels se distingue Otto Strasser, auteur d'un livre plein de pensée, "Der Aufbau des deutschen Sozialismus" (1932), ainsi que par plusieurs isolés, comme les partisans de l'ancien milieu du "Tat" (de l'"Action"): Eschmann, Fried, Wirsing, Zehrer, etc., par des hommes comme August Winnig, August Pieper, et beaucoup d'autres encore" ("Le socialisme allemand", p.140).

 

Mais, les convictions personnelles de Sombart, et plus encore: son ton, le rapprocherait plutôt d'un autre courant situé nettement plus "à droite" et dans lequel on peut ranger Oswald Spengler; Wilhelm Stapel, directeur de la revue "Deutsches Volkstum" (Hambourg); Karl-Anton Prinz Rohan, directeur de l'"Europaïsche Revue"; Othmar Spann, idéologue de l'"austro-fascisme"; Edgar Jung, animateur du "Münchener Kreis", conseiller de von Papen; Heinrich von Gleichen, animateur et président du "Herrenklub"; voire Julius Evola. etc. Avec eux Sombart partage l'inspiration chrétienne, une idée de la race (et du Volk) dégagée de la biologie, une conception de l'Etat autoritaire éventuellement ditrigé par une aristocratie de naissance, une conception "universaliste" du corps social et la vision d'un ordre social fondé sur la hiérarchie des "Stände" qiu n'est pas sans évoquer, tout nuance péjorative mise à part, l'ordre des castes, etc. Un crédo qui s'oppose point par point au crédo du nationalisme populaire (Völkisch) qui s'est pourtant inspiré de Sombart pour construire sa doctrine économique.

 

Thierry MUDRY.

(article paru  dans la  revue “Orientations”, Wezembeek-Oppem, n°12, été 1990/hiver 1990-91).

jeudi, 05 novembre 2009

Bourdieu analyse le néo-libéralisme

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Bourdieu analyse le néo-libéralisme

http://unitepopulaire.org/

« L'euphémisme est indispensable pour susciter durablement la confiance des investisseurs – dont on aura compris qu'elle est l'alpha et l'omega de tout le système économique, le fondement et le but ultime, le telos, de l'Europe de l'avenir – tout en évitant de susciter la défiance ou le désespoir des travailleurs, avec qui, malgré tout, il faut aussi compter, si l'on veut avoir cette nouvelle phase de croissance qu'on leur fait miroiter, pour obtenir d'eux l'effort indispensable. […]

Si les mots du discours néolibéral passent si facilement, c'est qu'ils ont cours partout. Ils sont partout, dans toutes les bouches. Ils courent comme monnaie courante, on les accepte sans hésiter, comme on fait d'une monnaie, d'une monnaie stable et forte, évidemment, aussi stable et aussi digne de confiance, de croyance, que le deutschemark : « Croissance durable », « confiance des investisseurs », « budgets publics », « système de protection sociale », « rigidité », « marché du travail », « flexibilité », à quoi il faudrait ajouter, « globalisation », « flexibilisation », « baisse des taux » – sans préciser lesquels – « compétitivité », « productivité », etc.

Cette croyance universelle, qui ne va pas du tout de soi, comment s'est-elle répandue ? Un certain nombre de sociologues, britanniques et français notamment, dans une série de livres et d'articles, ont reconstruit la filière selon laquelle ont été produits et transmis ces discours néolibéraux qui sont devenus une doxa, une évidence indiscutable et indiscutée. Par toute une série d'analyses des textes, des lieux de publication, des caractéristiques des auteurs de ces discours, des colloques dans lesquels ils se réunissaient pour les produire, etc., ils ont montré comment, en Grande-Bretagne et en France, un travail constant a été fait, associant des intellectuels, des journalistes, des hommes d'affaires, dans des revues qui se sont peu à peu imposées comme légitimes […]

Ce discours d'allure économique ne peut circuler au-delà du cercle de ses promoteurs qu'avec la collaboration d'une foule de gens, hommes politiques, journalistes, simples citoyens qui ont une teinture d'économie suffisante pour pouvoir participer à la circulation généralisée des mots mal étalonnés d'une vulgate économique. Un exemple de cette collaboration, ce sont les questions du journaliste qui va en quelque sorte au devant des attentes de l’économiste : il est tellement imprégné par avance des réponses qu'il pourrait les produire. C'est à travers de telles complicités passives qu'est venue peu à peu à s`imposer une vision dite néolibérale reposant sur une foi d'un autre âge dans l'inévitabilité historique fondée sur le primat des forces productives. Et ce n'est peut-être pas par hasard si tant de gens de ma génération sont passés sans peine d'un fatalisme marxiste à un fatalisme néolibéral : dans les deux cas, l'économisme déresponsabilise et démobilise en annulant le politique et en imposant toute une série de fins indiscutées, la croissance maximum, l'impératif de compétitivité, l'impératif de productivité, et du même coup un idéal humain, que l'on pourrait appeler l'idéal FMI (Fonds monétaire international). On ne peut pas adopter la vision néolibérale sans accepter tout ce qui va de pair, l'art de vivre yuppie, le règne du calcul rationnel ou du cynisme, la course à l'argent instituée en modèle universel. Prendre pour maître à penser le président de la Banque fédérale d'Allemagne, c'est accepter une telle philosophie.

Ce qui peut surprendre, c'est que ce message fataliste se donne les allures d'un message de libération, par toute une série de jeux lexicaux autour de l'idée de liberté, de libéralisation, de dérégulation, etc., par toute une série d'euphémismes, ou de double jeux avec les mots. […] Si cette action symbolique a réussi au point de devenir une croyance universelle, c'est en partie à travers une manipulation systématique et organisée des moyens de communication. Ce travail collectif tend à produire toute une série de mythologies, des idées-forces qui marchent et font marcher, parce qu'elles manipulent des croyances : c'est par exemple le mythe de la globalisation et de ses effets inévitables sur les économies nationales ou le mythe des "miracles" néolibéraux, américain ou anglais. »

 

Pierre Bourdieu, "Dans la tête d’un banquier", Le Monde Diplomatique, septembre 1997

mardi, 03 novembre 2009

La resistencia corporativa en Francia: socialismo, tradicionalismo y "comunidades naturales"

La resistencia corporativa en Francia: socialismo, tradicionalismo y “comunidades naturales”

 

por Sergio Fernández Riquelme / http://www.arbil.org/

Una introducción histórica explicativa

Socialismo y tradicionalismo, supuestos enemigos doctrinales (histórica e ideológicamente) presentan rasgos comunes, e incluso caminos paralelos, en la Historia de las ideas políticas y sociales, en especial sobre el tema del corporativismo. Como bien demostró en el caso español Gonzalo Fernández de la Mora, mostrando las raíces organicistas comunes en tradicionalistas y socialistas, e incluso de liberales (al calor de la introducción del krausismo en España), “lo corporativo” sigue siendo es una realidad presente en el funcionamiento extraparlamentario (sindicatos y lobbys, colegios profesionales y grupos de presión, intereses económicos y poderes locales) de las democracias parlamentarias en Europa y en América a inicios del siglo XX. Y esta realidad, en su trayecto histórico, puede ser ejemplificada en el caso francés, paradigma del centralismo estatista y laicista, pero sede también de importantes debates y teorías de naturaleza corporativa.

 

Así, y como otras modalidades de la Política social difundidas desde 1848 [1] , el corporativismo fue respuesta directa a la Cuestión social, presentada por historiadores sociales, sociólogos y juristas como consecuencia del impacto de la Revolución industrial, y como un mal que afectaba a la relación armónica entre clases. Pero lo corporativo no solo asumió la forma de una política social jurídica (política del trabajo) o asistencial; su especificidad radicaba en su propuesta grupal de regulación del conflicto surgido en las relaciones entre la propiedad y el trabajo. Los cuerpos sociales intermedios desempeñaban para Patrick de Laubier, un papel mediador clave para alcanzar la finalidad de la Política social, la  “justice sociale” [2] . El poder político se convertía por ello en “l´intemédiaire de grupes organisés”, y el corporativismo aparecía como mediación entre el Estado y el Sindicalismo, los dos actores principales de la Política social.

 

En este contexto, el notable desarrollo conceptual y doctrinal del corporativismo francés, desde su génesis en el siglo XIX, de tanta influencia en España [3] , no fue siempre paralelo al de su institucionalización jurídico-política. Bajo la herencia de la Ley Le Chapelier (1791), que marcó el camino en Europa a la destrucción legal de las “comunidades naturales” (en esencia las funciones sociales de municipios, gremios y familias), durante el siglo XIX tanto el liberalismo jacobino como el doctrinario hicieron caso omiso a las propuestas “socialistas” de Luis Blanc y Hénri de Saint Simon, y  al legado “tradicionalista” de Luis de Bonald [1754-1840] y de Joseph de Maestre [1753-1821].

 

Incluso, las propuestas de reforma corporativa del modelo constitucional de la III República francesa, preconizadas por Émile Durkheim, Leon Duguit, M. Hariou, además de las tesis organicistas del liberal Bertrand de Jouvenel, no alcanzaron el sueño de una Cámara corporativa o gremial/profesional. Ni corporativismo ni solidarismo; sólo las presiones sindicales (con la CGT a la cabeza) y la influencia del Reichwirtschaftsrat de la Constitución de Weimar (1919), permitieron crear en Francia el Consejo Nacional de economía por el Decreto de 19 de enero de 1925, acuerdo corporativo reeditado en L´Accord de Matignon de junio de 1936 bajo la presidencia del frentepopulista León Blum [1872-1950] entre “les puissances économiques”: la CGPF empresarial y la CGT sindical [4] .

 

Pero en este proceso de infructuosa institucionalización destacaron las elaboraciones de la sociología católica. A. de Mun, L. Harmel, F. Le Play o R. la Tour asumían ciertas tesis de los legitimistas de Bainville y los tradicionalistas de Bonald, especialmente la idealización de la pretérita sociedad de estamentos y gremios, de jerarquía patriarcal y núcleos familiares, de autonomías y solidaridades comunales. Frédéric Le Play [1886-1882] planteó una concepción “subsidiaria” del reformismo obrero y social, que situaba a  la familia como “prototype de l´Etat” [5] . Esta propuesta fue sintetizada en la doctrina que denominaba como “patronalismo”, desarrollada en La réforme sociale en France (1864) y L´Organisation du travail (1870). Partiendo de la subordinación de lo político a lo ético, y de la interacción entre ciencia positiva y religión, Aunós leía en  Le Play como “las intervenciones del Estado deben ser muy espaciadas, concretas y llenas de circunscripción, mostrándose igualmente pesimista en lo que se refiere al papel que han de desempeñar las asociaciones de clase”, y complementadas por el trabajo doméstico, la función social de la familia y la conciliación sociolaboral [6] .

 

Igualmente, en el seno de la “L´Association Catholique” [1876-1890], junto al Manuel d´une corporation chrétienne (1890) de L.P. Harmel, destacó la obra del diputado católico Albert de Mun [1841-1914], dedicado no sólo a desarrollar los círculos católicos obreros en Francia, llegando hasta casi 30.000 miembros, o defender en el Parlamento de la III República los derechos de los fieles al magisterio vaticano; además generó una relevante teoría en sus discursos recogidos en La question ouvriére (1885) y L´Organisation professionelle (1901) [7] .

 

Pero de todos los autores antes citados, destacó sobremanera el marqués René La Tour du Pin [1834-1942], de quién Aunós resaltaba su aportación de “los verdaderos cauces de las reformas sociales y de la organización corporativa” [8] . La Tour du Pin encabezó el modelo de Monarquía social católica desde la Francia finisecular. Frente al capitalismo burgués y el socialismo bolchevique, La Tour defendía la necesidad de un “Orden social católico” basado en la corporación profesional (de raigambre medieval): un orden que regulase corporativamente el mundo del trabajo (“organización corporativa de los talleres”), la economía y la política. “La constitución nacional” (o “leyes fundamentales del Reino”) era enemiga de las formas republicanas y monárquicas que sostenían el principio de la soberanía nacional. Las luchas sociales entre propietarios y obreros, la anarquía pública y el individualismo moral (visibles en 1848 y 1873) requerían con urgencia un nuevo modelo político social corporativo, de naturaleza cristiana y de modelo medieval-gremial.

 

La doctrina sobre un “orden social cristiano” de La Tour se fundaba en el magisterio pontificio (religión católica), la mitología medieval (monarquía tradicional) y la fenomenología social (corporativismo de Durkheim). Bajo esta tras tradiciones, su orden resultaba así católico (“propiedad de Dios” bajo administración humana), monárquico (“un rey en la cúspide” que “cumple el más alto de los trabajos de la nación” y por ese “trabajo se hace verdaderamente rey”) traducido al lenguaje político-social),  y orgánico (“por el cual los elementos que la componen se si ente unidos y solidarios, formando parte de un conjunto orgánico”). Un orden que se encontraba en condiciones, para La Tour, de adaptarse a las mutaciones contemporáneas mediante un “régimen corporativo” que “no debe implicar el retorno a las corporaciones medievales, sino la formación de otras más adecuadas al tiempo presente, a base de patrimonio corporativo, de la intervención en su constitución y gobierno de todos los elementos productores y el ascenso dentro de los oficios por obra de la capacidad profesional” [9] .

 

Ahora bien, pese a décadas de notable fecundidad doctrinal, la escuela corporativa católica francesa se sometió, en gran parte, a las exigencias de realliment de la democracia cristiana con la III República francesa. Pese a ello, el fracaso del sistema político representativo de la III República, pese a la unidad nacional alcanzada por la movilización durante la I Guerra mundial, dio alas a nuevas fórmulas corporativas asentadas en regímenes fuertes y autoritarios, no directamente vinculadas al magisterio católico.

 

En este proceso jugaron un papel determinante los doctrinarios participantes en el diario L`Action française (1905-1945), continuador de la Revue d'Action française fundada por Jacques Bainville [1879-1936]; intelectuales que definieron un moderno nacionalismo contrarrevolucionario, el cual fue modelo de renovación de los discursos, medios de difusión y aparatos organizativos de la creciente derecha antiliberal española [10] . En este movimiento jugó un papel decisivo su principal fundador e ideólogo, Charles Maurras [1868 1952], que convenció a cierto sector del nacionalismo galo de la necesidad de las tesis monárquicas y católicas. Influido por el nacionalismo de Maurice Barrès, Maurras retomó en esta revista el movimiento fundado en 1898< por el profesor de Filosofía Henri Vaugeois y el escritor Maurice Pujo. Trois idées politiques (1898) [11] fue el testimonio de su primera evolución ideológica [12] .

 

De la mano de Maurras se generaba un nuevo tradicionalismo francés que integraba el bagaje intelectual del nacionalismo laico y positivista. Tras situarse radicalmente en contra del régimen parlamentario de la III República, Maurras encabezó la modernización de la doctrina tradicionalista combinando el positivismo sociológico y el legitimismo orleanista de Bainville [13] . En su obra Enquête sur la monarchie (1900-1909) fue delimitando doctrinalmente este nacionalismo integral y monárquico, que atrajo a numerosos republicanos y sindicalistas vinculados al ideal corporativo o a posiciones antiparlamentarias; su síntesis entre Nación y Tradición rompía la histórica posición antinacional del legitimismo, atrayendo a numerosos sectores de las clases medias deudoras espirituales de un catolicismo convertido en factor de legitimación cultural y de cohesión social, aunque nunca en dogma a seguir (visible en el público agnosticismo de Maurras) [14] . Maurras sintetizaba así las dispersas corrientes doctrinales de la derecha francesa, desde De Maistre hasta Bonald, pasando por Taine, Renan, Fustel de Coulanges, e incluso Proudhon- que había brotado a lo largo del siglo XIX como reacción al significado social y político de la Revolución de 1789 (tesis contenida en Romantisme et Révolution, 1922) [15] .

 

Con todo ello, desde una visión positivista propia, que designó con el nombre de “empirismo organizador”, Maurras proclamó un nuevo orden en la sociedad, regido por una serie las leyes descubiertas por la historia y la sociología [16] . Siguiendo a Comte, Maurras asimilaba la sociedad a la naturaleza como “realidad objetiva”, independiente de la voluntad humana [17] . La sociedad suponía un “agregado natural” determinado por las leyes de jerarquía, selección, continuidad y herencia; así criticaba el romanticismo estético y literario de J.J. Rousseau, y vinculaba este método con la tradición católica y clasicista francesa (L'Action française et la religion catholique, 1914). Por ello cuestionaba tanto la Revolución de 1789, auténtica insurrección contra la genuina tradición francesa, representada por el orden monárquico, católico y clásico, inicio de la decadencia nacional que Francia padecía a lo largo del siglo XIX, y que llegaría a su cenit con la derrota ante Prusia en 1870; como la III República, culminación de estas “ideas destructivas” destructivas, especialmente una “democracia inorgánica” que sacralizaba el régimen electivo, la centralización administrativa, el monopolio burocrático, y con ello, la desintegración de la sociedad y el debilitamiento de la nación.

 

Este nuevo orden propugnado por Maurras se materializaba, a través de una “encuesta histórica”, en la doctrina del nacionalismo integral y el ideal de la Monarquía como régimen de gobierno ideal y funcional [18] . La defensa de la nación francesa exigía la instauración de la monarquía tradicional y representativa, portadora de los valores característicos del catolicismo y del clasicismo [19] . Éste era el contenido de su “politique d'abord”, donde la monarquía hacía coincidir el interés personal del gobernante y el interés público, la herencia del poder político y la duración de la nación. Frente a la democracia republicana “desorganizada, discontinua y dividida, “el interés nacional” exigía la inmediata supresión del parlamentarismo y de los partidos políticos. Frente a ellos, la nueva Monarquía “representativa” reuniría el principio político monocrático en el monarca (que reunía en su persona la totalidad del poder) y el principio democrático en un conjunto de cámaras de carácter corporativo [20] . El Estado recuperaría, así, sus funciones tradicionales, respetando la libertad económica y social en mano de los individuos y las corporaciones. Este régimen garantizaría tanto la descentralización territorial (reconstruyendo las regiones), como la profesional restaurando los gremios, moral y religiosa (recuperando la influencia de la iglesia católica en la sociedad civil) [21] .

 

Así llegó el momento de L'Action française [22] , empresa intelectual a la que se sumaron el economista Georges Valois [1878-1945], el polemista Leon Daudet, el historiador Jacques Bainville, el crítico Jules Lemaître, y unas juventudes proselitistas llamadas “ Camelots du Roi” [23] . Pero pronto se mostraron las veleidades políticas del grupo. En las elecciones de 1919 apoyaron a la Unión Nacional y lograron situar a Daudet en el Parlamento. Acusados de antisemitas y radicales, Pio XI condenó la obra de Maurras, situando sus libros en el Index Librorum Prohibitorum el 29 de diciembre de 1926 . Ahora bien, estas condenas no frenaron adhesiones como las de Georges Bernanos o Robert Brasillach, pero tampoco defecciones como la del mismo Valois, fundador del Faisceau, o de Louis Dimierm, nuevo dirigente de La Cagoule.

 

Estas polémicas surgieron, en gran medida, de la posición ambivalente con respecto al fascismo italiano. Maurras alabó en numerosas ocasiones al nacionalismo fascista llegándolo a definir como “un socialismo libre de la democracia y de la lucha de clase”; pero también condenó tanto el totalitarismo de Mussolini como el estatismo exacerbado del nacionalsocialismo. En esta polémica medió el antiguo sindicalista Valois [24] , que propugnaba un entendimiento con estos regímenes, y con la “escuela” Georges Sorel. Así nació el Círculo Proudhon (1911), movimiento cultural contrario a la democracia liberal y a favor de la descentralización regional. Pero las posiciones esencialmente revolucionarias de los sorealianos, irreductibles en el ideal de la lucha de clases, se mostraron finalmente inadmisibles para la tradición organicista y gremialista del nacionalismo integral de Maurras.

 

Georges Valois, pseudónimo de A.G. Greseent, vinculó tradicionalismo y fascismo en su obra L'économie nouvelle (1919). En ella planteaba un régimen sindical corporativizado, presidido por un gran Consejo económico y social nacional, articulado sobre la representación orgánica de oficios y regiones, y desarrollado a través de Consejos locales capaces de suministrar los representantes generales y de reflejar la voluntad de las pequeñas células de la vida social y económica [25] . Valois no hablaba del Parlamento del Trabajo socialista, sino de un esquema jerárquico divido en escalones de producción y en necesidades económica; por ello señalaba que “este esquema reposa no sobre una ideología, sino sobre principios deducidos de la observación de los hechos contemporáneos, y tiene en cuenta las necesidades de la producción y de las creaciones espontáneas de la vida económica” [26] . Esta preocupación por temas socioeconómicos le situó en la llamada “ala izquierda” de Accción francesa, ala que leia y debatía a G. Sorel y a P. Proudhon (Le Monarchie et la classe ouvriere, 1914, o La Revolution nacionale, 1922), y fue atraído finalmente por la experiencia del fascismo italiano (Le Fascisme, 1927) [27].

 

Años después, y a la sombra de Maurras, más de medio centenar de intelectuales buscaron en el “nacionalismo integral” el sistema político-social capaz de derrocar a la III República francesa. Esta generación tuvo su oportunidad en 1941, tras la división del país con la ocupación alemana. En febrero de 1941 Ch. Maurras  denominó como “divina sorpresa” la decisión del mariscal Philippe Pétain [1856-1951] de expulsar a Pierre Laval del Gobierno; por ello apoyó de manera plena la política del Gobierno de Vichy, en el que vio el símbolo de la unidad nacional, como continuación de la "Unión sagrada ” de 1914. El mismo mariscal llamó a Maurras y sus discípulos para dotar al nuevo Estado francés de un armazón doctrinal corporativo y antiparlamentrio, amén de contar con “La legión de Combatientes y Voluntarios” del coronel La Roque como movimiento político, y de la integración de los miembros del PSF (Partido Social francés) y del PPF de Jaques Doriot (Partido popular francés).

 

Así, en el París ocupado por las fuerza germanas, un sector declaradamente fascista se unió a las tesis de Drieu La Rochelle [1893-1945] sobre un Estado totalitario de extensión continental; mientras, en Vichy la “revolución nacional” desarrollada por Maurras tomó los valores conservadores de “trabajo, familia y patria”, alcanzando gran influencia los neotradicionalistas de Raphaël Alibert , convertido en ministro de Justicia, buscando establecer un régimen corporativo y agrarista. Los maurrasistas defendieron la retórica monárquica, los principios católicos, y la imagen idílica de la antigua sociedad gremialista y rural, gracias en gran medida a la labor de Philippe Henriot y Xaviert Vallat desde la Secretaria de propaganda. Pese a su rotundo “antigermanismo”, al final de la II Guerra mundial Ch. Maurras fue condenado a cadena perpetua y su revista fulminantemente prohibida. El nuevo régimen presidencialista y estatista marcado por el general Ch. De Gaulle [1890-1970], dejó al corporativismo limitado a la burocratización del poderoso sindicalismo obrero y funcionarial, y a las propuestas “populistas” de Pierre Poujade [1920-2003]. Poujade fue el responsable de la fundación en 1954 de la Union de défense des commerçants et artisans (UDCA), movimiento en defensa de los intereses de las clases profesionales y grupos artesanales de las provincias francesas, frente al sistema fiscal estatal y el monopolio burocrático propio de la IV República [28] . El poujadismo se convirtió durante varias décadas en el portavoz de los “trabajadores independientes", de los "artesanos y comerciantes" de la Francia “de abajo” contra las “200 familias privilegiadas” [29] .

 

·- ·-· -······-·
Sergio Fernández Riquelme

 

Notas

 

[1] Véase Jerónimo Molina, La política social en la historia. Murcia, Ediciones Isabor, 2004, págs. 160-189.

[2] La aparición de la Política social respondía a una combinación de factores económicos políticos y psicológicos propios del siglo XIX, resultantes de la industrialización, el progreso de la democracia en el seno de los Estados centralizados y la creciente conciencia sobre los derechos políticos y sociales. Así definía a la Política social como “el conjunto de medidas para elevar el nivel de vida de una nación, o cambiar  las condiciones de vida material y cultural de la mayoría conforme a una conciencia progresiva de derechos sociales, teniendo en cuenta las posibilidades económicas y políticas de un país en un momento dado”. Esta definición cubría, para De Laubier, “un dominio que se sitúa entre lo económico y lo político como medio de conservación o reforzamiento del poder el Estado”. Patrick de Laubier, La Polítique sociale dans les societés industrielles. 1800 à nos tours . París, Economica, 1984, págs. 8-9.

[3] Las concepciones reformistas o autoritarias del corporativismo alumbradas al otro lado de los Pirineos, ejercieron una enorme influencia en nuestro país, bien por la cercanía geográfica, bien por el ascendiente de superioridad intelectual que gran parte de los académicos hispanos les otorgó. Del corporativismo católico, la modernización funcional del pasado romántico de La Tour du Pin fue el referente básico del Estado corporativo de Aunós y del Estado nuevo de Pradera, mientras Albert de Mun marcó en buena medida a Severino Aznar. De Durkheim tomaron nota algunos intelectuales, más cercanos al naciente debate sobre la ciencia sociológica que a las siempre lejanas tesis sobre el positivismo y el funcionalismo: el krausoinstitucionista Azcárate criticaba el “sociologismo” de Durkheim por abordar la materia religiosa desde el positivismo sociológico. Véase Gumersindo de Azcárate, La religión y las religiones, Conferencia en la Sociedad El Sitio. Bilbao, 16 de mayo de 1909, págs. 259-260), Adolfo G. Posada fue lector suyo de la  mano de Duguit y Le Bon,  mientras Severino Aznar hacía referencia al prefacio de la segunda edición de la División apuntado que “toda escuela sociológica y positivista científica que tiene admiradores en todo el mundo culto ha llegado a las mismas conclusiones que desde hace medio siglo están difundiendo los reformadores sociales católicos. Durkheim, que no tiene ninguna religión positivista, y que es hoy el mayor prestigio sociológico de Francia, llegó a las mismas conclusiones que Hitze, sacerdote, uno de los más ilustres campeones del régimen corporativo de Alemania” Cfr. Severino Aznar Estudios económicos y sociales. Madrid, Instituto de Estudios Políticos, 1946, pág. 214. Las primeras ediciones de las obras de Durkheim en España reflejan, por sus fechas, cierta tardanza en su publicación, y por sus traductores, cierta pluralidad de corrientes: el abogado Antonio Ferrer y Robert, el jurista Mariano Ruiz Funes, el sociólogo Carlos G. Posada, el politólogo Francisco Cañada y el líder sindical Ángel Pestaña. Posteriormente fue objeto de atención por la filosofía social de la Escuela de Madrid, y en especial por José Ortega y Gasset y su modelo burgués y meritocrático, profesional y laico de “orden moral” para la sociedad de su época. Mientras, del corporativismo sindical implantado por la CGT, tomaron nota socialistas como Fabra, De los Ríos y Besteiro; del “nacionalismo integral” de Charles Maurras y el “legitimismo” de Bainville quienes ayudarían decisivamente al punto de inflexión de la tradición corporativa española desde las páginas de Acción española o en el organicismo de la Lliga catalanista de F. Cambó y Ventosa.

 

[4] Al respecto véase Daniel Ligou, Histoire du socialisme en France, 1871-1971. París, Presses Universitaires de France, 1962, págs. 416-417.

[5] F. Ponteil, Les classes bourgeoises et l´avenement de la democratie, 1815-1914. París, Albin Michel, 1968, págs. 438 sq.

[6] Ídem , pág. 482.

[7] G. Fernández de la Mora , Los teóricos izquierdistas de la democracia orgánica. Barcelona, Plaza y Janés, 1986. pág. 175.

[8] Aunós  lo llegaba a considerar como el verdadero “anti-Marx” en el prologará en la edición española René la Tour du Pin, Hacia un orden social cristiano. Madrid, Cultura español, 1936, pág. 34-35.

[9] Ídem, pág. 484.

[10] Su idea de “Monarquía neotradicional” afectó sobremanera a los alfonsinos de Renovación española, a los tradicionalistas de Pradera y a distintos intelectuales nacionalistas españoles (de Eugenio d´Ors a Ernesto Giménez Caballero). Con la lectura de Maurras, el neotradicionalismo hispano rescataba a Donoso y Balmes (entrelazados con Bonald  y De Maistre), modernizaba la difusión de su doctrina y sus medios de movilización. Pese al agnosticismo declarado del doctrinario provenzal y la condena vaticana a través de la Encíclica Nous avons lu, varios elementos le hacían imprescindible: la restauración monárquica, el antidemocratismo corporativista, el nacionalismo tradicionalista, y la posibilidad de una “solución de fuerza”contrarrevolucionaria.

[11] Recogido en Charles Maurras , “Trois idees politiques”, en Romantisme et Revoiution. París, Nouvelle Librairie Nationale, 1922, págs. 262 sq.

 

[12] Herni Massi , La vida intelectual en Francia en tiempo de Maurras . Madrid, Rialp, 1956, págs. 21 sq.

[13] A quién prologó su obra Jacques Bainville , Lectures. París, Arthème Fayard, 1937.

[14] Sobre los orígenes de este movimiento destacan las obras de Raoul Girardet , Le Nationalisme français, 1871-1914, Seuil, Paris, 1983 ; y François Huguenin, À l'école de l'Action française, Lattès, Paris, 1998 

 

[15] Sobre su influencia en España véase P.C. González Cuevas , “Charles Maurras  y España”, en Hispania, vol. 54, nº 188. Madrid, CSIC, 1994, págs. 993-1040; y “Charles Maurras en Cataluña”, Boletín de la real Academia de la Historia, tomo 195, Cuaderno 2. Madrid, 1998, págs. 309-362

[16] Charles Maurras , Romantisme et Revolution, Nouvelle Librairie Nationale, París, 1922, pág. 11.

 

[17] Ch. Maurras , La politique religieuse”,  en La democratie religieuse. París, Nouvelles Editons Latines, 1978, pág. 289.

 

[18] Pierre Hericourt, Charles Maurras , escritor político. Madrid, Ateneo, 1953, págs. 13 sq.

[19] Dimensión de su pensamiento analizada por Alberto Caturelli, La política de Maurras y la filosofía cristiana. Madrid, Ed.Nuevo Orden, 1975.

[20] Ch. Maurras, Encuesta sobre la Monarquía. Madrid , Sociedad General Española de Librería, 1935, págs. 65 y 705-706.

[21] Ch. Maurras, Mes idees poiitiques. París, Fayard, 1937, págs. 257 sq

 

[22] Movimiento estudiado por Eugene Weber , L'Action Frangaise. París, Fayard, 1985.

[23] Junto al diario L'Action Française, otros órganos de difusión de las ideas maurrasianas fueron el Círculo Fustel de Coulanges o la Cátedra Syllabus.

[24] Sobre su obra doctrinal podemos citar el estudio de Yves Guchet, Georges Valois .L’action Française - Le Faisceau - La république Syndicale. París, Albatros, 1975.

[25] Georges Valois , L'économie nouvelle. París, Nouvelle Librairie Nationale, 1919, págs. 24 sq.

[26] Publicado en España como G. Valois , “La representación de intereses”, en Acción española, nº 51, Madrid, 1934, págs. 80 y 81.

[27] Eugene Weber , “Francia”, en H. Rogger y E. Weber,  op.cit., págs. 63-108 .

[28] Poujade protagonizó desde 1953 una revuelta contra el Estado francés, encabezando un notable grupo de pequeños comerciantes que protestaba contra la que consideraban como una elevada presión tributaria, tanto normativa como administrativa. Nacía el llamado “poujadismo”, que tras fundar el grupo político ”Unión de Defensa de los Comerciantes y Artesanos (UDCA)”, entró en la misma Asamblea Nacional de 1956 con 52 escaños, entre ellos el de un joven J. M. Le Pen. Aunque la llegada del general De Gaulle, a la presidencia de la  República en 1958, comenzó a frenar la expansión de este experimento político, que años más tarde el Frente Nacional quiso capitalizar como antecedente.

[29] Un testimonio directo lo encontramos en Pierre Poujade,  J'ai choisi le combat Saint-Céré, Société générale des éditions et des publications, 1955.

dimanche, 01 novembre 2009

El socialismo del siglo XXI en su contexto historico

El socialismo del siglo XXI en su contexto histórico

Introducción

La victoria electoral de gobiernos de centro-izquierda en al menos tres países de América Latina y la búsqueda de una nueva identidad ideológica con que justificar su poder, ha conducido a ideólogos y gobernantes a abrazar la idea de que representan una nueva versión del socialismo, propia del siglo XXI. Destacados escritores, académicos y portavoces de estos gobiernos celebran una variante totalmente nueva del socialismo, completamente distinta de lo que llaman el fallido socialismo del siglo XX, es decir, el socialismo de estilo soviético. Los defensores y publicistas del socialismo del siglo XXI aseguran que se trata de un nuevo modelo político-económico, basado en lo que ellos consideran una ruptura radical tanto con el neoliberalismo de libre mercado de los gobiernos precedentes, como con la anterior versión estatista del socialismo, encarnada por la antigua Unión Soviética, China y Cuba.

En este trabajo procederemos a examinar las diferentes críticas planteadas por el nuevo socialismo tanto al neoliberalismo como al socialismo del siglo XX, la autenticidad de sus afirmaciones de novedad y originalidad, y realizaremos un análisis crítico de su desempeño real.


La crítica del neoliberalismo

El aumento del número de gobiernos que se adscriben al socialismo del siglo XXI fue resultado de la crisis y desaparición de los gobiernos neoliberales que dominaban América Latina desde mediados de la década de 1970 hasta finales de la década de 1990. Su desaparición se vio acelerada por una serie de levantamientos populares que impulsaron el ascenso de gobiernos de centro-izquierda con programas de rechazo de las doctrinas socioeconómicas neoliberales y la promesa de cambios fundamentales a favor de las grandes mayorías. Si bien existen importantes diferencias programáticas entre los diferentes gobiernos de este grupo, todos comparten una crítica común a seis características de las políticas neoliberales:

(1) rechazan la idea de que el mercado deba tener prioridad para el Estado y dominar a éste, es decir, que la lógica de la clase capitalista de maximización del beneficio deba dar forma a las políticas públicas. El colapso del capitalismo de mercado en la recesión de 2000-2002 y el empobrecimiento masivo desacreditaron la doctrina de los mercados racionales, a medida que crecían las quiebras empresariales y bancarias, que la clase media perdía sus ahorros, y las calles y plazas se llenaban de obreros y campesinos desempleados;

(2) los gobiernos del socialismo del siglo XXI condenan la desregulación de la economía que condujo al auge de los especuladores en detrimento del capitalismo productivo. Bajo la égida de los dirigentes neoliberales, la legislación reglamentaria adoptada desde la Gran Depresión fue derogada y en su lugar las políticas de control de capitales y la supervisión financiera se suspendieron en favor de un sistema de autorregulación, en el que los agentes del mercado establecieron sus propias normas, lo que condujo, según sus críticos, a la especulación, las estafas financieras y el saqueo de las tesorerías públicas y privadas;

(3) el predominio de las finanzas sobre la producción es la pieza central del discurso anticapitalista de los gobiernos del socialismo del siglo XXI. Hay implícita una diferenciación entre el mal capitalismo, que obtiene riquezas sin producir bienes, y el buen capitalismo que supuestamente produce valor de utilidad social;

(4) relacionada con esta crítica global del neoliberalismo, hay una crítica concreta de la reducción de las barreras arancelarias, la privatización de empresas públicas por debajo de su valor real de mercado, la desnacionalización de la propiedad de los recursos estratégicos, y el crecimiento masivo de la desigualdad;

(5) el socialismo del siglo XXI asegura que los gobiernos neoliberales entregaron las palancas de la economía a banqueros privados y extranjeros (como el FMI) que impusieron medidas deflacionarias en lugar de reflotar la economía a través de transfusiones de gasto público. Los dirigentes políticos de centro-izquierda utilizan esta crítica del neoliberalismo y la promesa implícita de una ruptura futura decisiva con el capitalismo neoliberal, sin comprometerse a una ruptura concreta con el capitalismo de otras variedades;

(6) mientras que la crítica de los gobiernos de centro-izquierda atrajo a las clases populares, su rechazo al socialismo del siglo XX iba dirigido a la clase media y a tranquilizar a las clases productivas (empresarios), asegurando que no iban a invadir la propiedad privada en su conjunto.

Crítica al socialismo del siglo XX

En una especie de acto de equilibrio político a su oposición al neoliberalismo, los defensores del socialismo del siglo XXI también se distancian de lo que denominan socialismo del siglo XX. En parte como una táctica política para desarmar o neutralizar a los numerosos y poderosos críticos de los gobiernos socialistas del pasado, en parte como afirmación de un socialismo en sintonía con los tiempos, el socialismo del siglo XXI hace la siguiente crítica del anterior socialismo, a la vez que pone de relieve sus diferencias con el mismo:

(1) el socialismo del pasado estaba dominado por una burocracia de mano dura, que realizaba una mala asignación de recursos y ahogaba la innovación y la elección personal;

(2) el viejo socialismo era profundamente antidemocrático, tanto en la forma de gobierno, como en la organización de elecciones y el Estado de partido único. La represión de los derechos civiles y de todo tipo de mercado forma parte de la narrativa del socialismo del siglo XXI;

(3) el socialismo del siglo XXI relaciona la democracia como sistema con la vía electoral al poder o la alternancia en el gobierno; condena los cambios de gobierno producidos por la lucha armada, y especialmente los movimientos guerrilleros, aunque los tres gobiernos adscritos al socialismo del siglo XXI llegaron al poder mediante elecciones que siguieron a levantamientos populares;

(4) uno de los principales argumentos de los gobiernos del socialismo del siglo XXI es que en el pasado, los socialistas no tenían en cuenta las especificidades de cada país. Concretamente, destacan las diferencias en materia racial, étnica, geográfica, cultural, de tradiciones y práctica histórica, etc. que ahora son tenidas en cuenta en la definición de socialismo del siglo XXI;

(5) en relación con el punto anterior, el socialismo del siglo XXI hace hincapié en la nueva configuración global de poder del presente siglo, que da forma a las políticas y potencialidades del nuevo socialismo. Entre los nuevos factores citan la desaparición de la antigua URSS y la conversión de China al capitalismo; el descenso relativo de una economía mundial centrada en EE.UU.; el crecimiento de Asia, especialmente China; la emergencia de iniciativas regionales promovidas por Venezuela; el aumento de los gobiernos de centro-izquierda en toda América Latina, y unos mercados diversificados, en Asia, en América Latina, Oriente Próximo y otros lugares;

(6) los gobiernos del socialismo del siglo XXI afirman que la nueva configuración de la sociedad y el Estado no es una copia de otros Estados socialistas, pasados o presentes. Es casi como si cada medida, política o institución fuese un diseño del actual régimen. La originalidad o novedad es un argumento que permite reforzar la legitimidad del régimen ante las críticas externas e internas de la derecha anticomunista, y permite también descartar las críticas de fondo de la izquierda;

(7) los gobiernos del socialismo del siglo XXI hacen hincapié en el hecho de que el liderazgo no tiene vínculos pasados o presentes con el comunismo, y en el caso de Bolivia y Ecuador rechazan abiertamente el marxismo como instrumento de análisis o como base de formulación de políticas. La excepción es el presidente Hugo Chávez, cuya ideología es una mezcla de marxismo y nacionalismo vinculado al pensamiento de Simón Bolívar. Tanto Rafael Correa como Evo Morales evitan las divisiones de clase, y les contraponen la revolución ciudadana contra una oligarquía de partidos corrupta, en el caso del primero, y las comunidades indígenas andinas culturalmente oprimidas contra una oligarquía “europea”.

Crítica de los gobiernos socialistas del siglo XXI

Si bien los gobiernos del socialismo del siglo XXI afirman, más o menos claramente, lo que no son y lo que rechazan del pasado, a izquierda como a derecha, a la vez que plantean en términos generales lo que son, sus prácticas, políticas y configuraciones institucionales arrojan serias dudas sobre sus pretensiones revolucionarias, su originalidad y su capacidad para satisfacer las expectativas de su electorado popular.

Aunque una serie de ideólogos, líderes políticos y publicistas se refieran a sí mismos como socialistas del siglo XXI, hay entre ellos una gran variedad de diferencias en la teoría y la práctica. Un examen crítico de las experiencias de cada uno de los países pondrá de relieve tanto las diferencias entre los gobiernos como la validez de sus pretensiones de originalidad.

Venezuela: la cuna del socialismo del siglo XXI

El presidente Hugo Chávez ha sido el primer y principal defensor y practicante de socialismo del siglo XXI. Aunque otros presidentes y publicistas de América Latina, América del Norte y Europa se hayan subido a este carro, no hay una práctica uniforme que coincida con la retórica pública.

En muchos sentidos, el discurso del presidente Chávez y las políticas del gobierno venezolano definen los límites radicales del socialismo del siglo XXI, tanto en términos de su política exterior, que desafía las políticas de guerra de Washington, como en términos de las reformas internas de tipo socioeconómico. Sin embargo, aunque el modelo venezolano de socialismo del siglo XXI tiene rasgos innovadores y novedosos, tiene también fuertes semejanzas con las reformas de anteriores regímenes populistas-radicales de América Latina y Europa que configuraron estados de bienestar.

La novedad más llamativa y rasgo más original de la versión venezolana del socialismo del siglo XXI es la fuerte mezcla de nacionalismo histórico bolivariano, marxismo del siglo XX y populismo latinoamericano. La concepción del nuevo socialismo que tiene el presidente Chávez tiene su origen intelectual y se legitima en una escrupulosa lectura de los escritos, los discursos y las acciones de Simón Bolívar, padre fundador de la independencia de Venezuela en el siglo XIX. La concepción de una ruptura profunda con las potencias imperiales, y su dependencia del apoyo de las masas en contra de las élites nacionales poco fiables capaces de vender al país para defender sus privilegios está profundamente arraigada en sus lecturas de la ascensión y caída de Simón Bolívar. Sin pretextar una identificación entre Bolívar y marxismo, el presidente insiste en el carácter endógeno y las raíces nacionales de su ideología y su práctica. Si bien apoya a la revolución cubana y mantiene una estrecha relación con Fidel Castro, es evidente que no hace ningún esfuerzo por asimilar o copiar el modelo cubano, aunque adapte a la realidad venezolana determinadas características de sus organizaciones de masas.

Su práctica económica incluye la nacionalización y la expropiación (con indemnización) de amplios sectores de la industria del petróleo; la nacionalización de empresas clave sobre la base de consideraciones políticas pragmáticas, entre otras los conflictos entre trabajadores y capital (sectores del acero, cemento, telecomunicaciones); y la búsqueda de una mayor seguridad alimentaria (reforma agraria). Su programa político incluye la formación de un partido socialista de masas que compita en el marco de un sistema pluripartidista, y la convocatoria de referéndums libres y abiertos para asegurar las reformas constitucionales. La novedad consiste en el fomento del autogobierno local, mediante la formación de consejos comunales no partidistas, basados en los barrios, con el fin de evitar el peso muerto de una burocracia ineficiente, hostil y corrupta. El objetivo de Chávez parece ser el de la sustitución de unas políticas electorales “representativas”, dirigidas por la clase política profesional, por un sistema de democracia directa basado en la autogestión en fábricas y barrios. En términos de política social, se ha financiado una gran cantidad de programas destinados a elevar el nivel de vida del 60% de la población, que incluye a la clase obrera, los trabajadores autónomos, los pobres, los campesinos y las mujeres cabeza de familia. Estas reformas incluyen la atención médica y la educación hasta la universidad, ambas con carácter universal y gratuito. Asimismo, la contratación de más de 20.000 médicos, dentistas y técnicos cubanos, y un programa masivo que abarca la construcción de clínicas, hospitales y unidades móviles que circulan por todo el interior del país y prioriza los vecindarios de bajos ingresos, ignorados por los anteriores gobiernos capitalistas privados y los médicos privados. El régimen de Chávez ha construido y financiado una amplia red de supermercados de gestión pública que venden alimentos y artículos domésticos a precios subvencionados a las familias de bajos ingresos. En materia de política exterior, el presidente Chávez se ha opuesto sistemáticamente a las guerras de EE.UU. en Oriente Próximo y Asia Meridional, y a toda la justificación de las guerras imperiales basada en la doctrina de la Guerra contra el terrorismo.

¿Qué hay de nuevo en el socialismo del siglo XXI venezolano?

Varias preguntas surgen en relación con la versión venezolana de socialismo del siglo XXI: primera, ¿es realmente socialista o, mejor aún, representa una ruptura con el socialismo del siglo XX en todas sus variantes?; segunda: ¿cuál es el “equilibrio” entre los rasgos capitalistas anteriores y actuales de la economía, y las reformas socialistas introducidas durante el decenio de Chávez?; tercera, ¿en qué medida los cambios sociales han reducido las desigualdades y proporcionan una mayor seguridad a la masa de la población en este período de transición?

Hoy Venezuela es una economía mixta, con un sector privado que sigue siendo predominante en bancos, agricultura, comercio y comercio exterior. La propiedad estatal ha crecido, y las prioridades sociales nacionales dictan la asignación de los recursos petroleros. Si bien la economía mixta de Venezuela se asemeja a las economías de la primera época posterior a la Segunda Guerra Mundial en Europa, hay una diferencia clave: el Estado posee el sector de exportación más lucrativo y la principal fuente de ingresos de divisas.

Aunque el gobierno ha incrementado el gasto social en magnitudes comparables o superiores a algunos de los primeros gobiernos socialdemócratas, no ha reducido la gran concentración de la riqueza ni los ingresos de las clases altas por medio de altos tipos impositivos progresivos, como en Escandinavia y otros lugares. Las desigualdades siguen siendo mucho mayores que las que existían en siglo XX, y son comparables a las restantes sociedades latinoamericanas de hoy. Además, los niveles medio-alto y alto de la burocracia estatal, especialmente en el sector del petróleo e industrias afines, tienen niveles de remuneración que son comparables a sus homólogos capitalistas, como sucedió con las industrias nacionalizadas en Gran Bretaña y Francia.

La autogestión de las empresas públicas, una idea relativamente nueva en Venezuela, ha ido más allá de los límites de los programas de coparticipación socialdemócrata aplicados en Alemania, y se limita a menos de media docena de grandes empresas, muy lejos de las extensas redes a escala nacional existentes en la Yugoslavia socialista entre los años 1940 y 1980.

Las propuestas de reforma agraria del régimen, aunque radicales en su intención y promovidas por la fuerza por el presidente Chávez, no han podido cambiar la relación entre los trabajadores agrícolas, los campesinos y los grandes terratenientes. Cuando se han hecho progresos en la distribución de la tierra, la burocracia gubernamental no ha proporcionado a los beneficiarios de la reforma los servicios de extensión, financiación, infraestructuras y seguridad.

La Guardia Nacional, por acción u omisión, no ha conseguido poner fin a los asesinatos de dirigentes y defensores de la reforma agraria a manos de pistoleros a sueldo de los terratenientes. A finales de 2009, hay más de 200 asesinatos de campesinos sin resolver.

Mientras que los publicistas de socialismo del siglo XXI han hecho hincapié en las nacionalizaciones de las empresas de petróleo de los anteriores propietarios, no dan cuenta del creciente número de nuevas empresas conjuntas establecidas con compañías transnacionales de China, Rusia, Irán y la Unión Europea. En otras palabras, mientras que el papel de algunas transnacionales de EE.UU. ha disminuido, la inversión de capital extranjero en los sectores de la minería y el petróleo se ha incrementado, especialmente en los extensos yacimientos del Orinoco. Aunque el cambio de socios de inversión en el ámbito del petróleo reduce la vulnerabilidad estratégica de Venezuela a las presiones de EE.UU., no por ello se potencia el carácter socialista de la economía. Las empresas conjuntas añaden peso al argumento de que la economía basada en empresas de propiedad público-privada se aproxima al modelo de la socialdemocracia de mediados del siglo XX.

El aspecto más cuestionable de la autoafirmación de Venezuela en el socialismo es su ininterrumpida dependencia de un único producto –el petróleo– en un 70% de sus ingresos de exportación, y su dependencia de un mercado único –Estados Unidos–, un socio comercial abiertamente hostil y desestabilizador. Los esfuerzos del gobierno venezolano por diversificar sus socios comerciales adquieren mayor urgencia tras el pacto militar de Obama con el presidente colombiano Álvaro Uribe, de instalación en siete bases militares. Igualmente amenazador para la base de masas de la vía de Chávez al socialismo es la altísima tasa de delincuencia basada en el crecimiento de un lumpenproletariado, y en sus vínculos con el narcotráfico colombiano y funcionarios civiles y militares. En muchos barrios populares, los delincuentes compiten con los líderes de los consejos comunales por la hegemonía, utilizando los disturbios y la violencia para ejercer su dominio. La ineficacia del Ministerio del Interior y de la policía, y la falta de una estrecha relación de trabajo con las organizaciones de barrio representan una seria debilidad en la movilización de la sociedad civil, y marcan una limitación en la eficacia del movimiento de los consejos comunales.

Las importantes reformas introducidas por el gobierno de Chávez y la original síntesis de anticolonialismo de emancipación bolivariano con el marxismo y el antiimperialismo marcan una ruptura con las prácticas neoliberales predominantes generalizadas en América Latina en el cuarto de siglo anterior, que siguen vigentes en numerosos gobiernos contemporáneos de otro signo.

Lo qué es dudoso, sin embargo, es si todos estos cambios equivalen a una nueva versión del socialismo, dado el predominio de las relaciones de propiedad capitalista en los sectores estratégicos de la economía, y las desigualdades de clase persistentes tanto en el sector público y privado.

Sin embargo, se debe tener en cuenta que el socialismo no es un concepto estático, sino un proceso continuo, y que la mayor parte de las medidas recientes tienden a ampliar el poder popular en las fábricas y los barrios.

Ecuador

En Ecuador, el presidente Correa ha adoptado la retórica del socialismo del siglo XXI y ha ganado credibilidad con varias de sus iniciativas de política exterior, entre otras la terminación del contrato de arrendamiento a EE.UU. de la base militar de Manta, el cuestionamiento de una parte de la deuda externa contraída por los gobiernos anteriores, la crítica de las incursiones transfronterizas de Colombia y el asalto militar de un campamento clandestino de la guerrilla colombiana, así como su crítica a los tratados de libre comercio con EE.UU. y su apoyo al programa de integración regional de Venezuela, el ALBA (Alternativa Bolivariana para las Américas). Numerosos medios, entre otros el New York Times, el Financial Times y periodistas de izquierda, del Norte y el Sur, han calificado al presidente Correa como parte de una “nueva ola de presidentes izquierdistas.”

En cuanto a los asuntos de política interna, la pretensión del presidente Correa de ser miembro fundador del socialismo del siglo XXI se basa en su crítica de los partidos de derecha tradicionales y de la oligarquía. En otras palabras, su socialismo se define por aquellos a los que se opone, más que por ningún cambio social estructural.

Sus principales logros nacionales giran en torno a su denuncia de los principales partidos electorales, su apoyo y el liderazgo del movimiento ciudadano, y su éxito en el derrocamiento del gobierno derechista respaldado por EE.UU. de Lucio Gutiérrez, su convocatoria de una Asamblea Constituyente, y la redacción de una nueva constitución. Estas transformaciones jurídicas y políticas definen el límite exterior del radicalismo de Correa y conforman las bases sustantivas de su pretensión de ser un socialismo del siglo XXI. Si bien estas decisiones de política exterior y estos cambios políticos nacionales, especialmente si se observan en el contexto de un aumento de los gastos sociales durante sus primeros tres años de mandato, permiten calificar al gobierno ecuatoriano como de centro-izquierda, no son suficientes o no equivalen a un programa socialista, en particular al observarlos en una matriz estructural socioeconómica más amplia.

Crítica del socialismo del siglo XXI ecuatoriano

La diferencia más notable respecto a cualquier reivindicación creíble del socialismo es la persistencia y la expansión de la propiedad privada capitalista extranjera de los recursos estratégicos minerales y energéticos: el 57 por ciento del petróleo ecuatoriano lo producen transnacionales extranjeras. Se han firmado o renovado contratos de gran escala y largo plazo que garantizan el control mayoritario por parte de empresas transnacionales de los sectores que proporcionan la mayor parte de los ingresos por exportaciones. Y lo que es peor, Correa ha reprimido y rechazado violentamente las reclamaciones de larga data de las comunidades indígenas amazónicas y andinas que viven y trabajan en las tierras otorgadas a las transnacionales mineras. Al rechazar las negociaciones, Correa ha descalificado a los cuatro grandes movimientos indígenas y sus aliados ecologistas tildándolos poco menos que de ser un puñado de elementos atrasados, si no algo peor. La contaminación de las aguas, el aire y la tierra, que produce graves enfermedades y muertes, por las compañías petroleras extranjeras ha quedado demostrado en los tribunales de EE.UU., donde Texaco se enfrenta a una denuncia que puede costarle millones de dólares. A pesar de las sentencias judiciales adversas, Correa ha continuado su esfuerzo para hacer de la explotación minera de exportación el elemento central de su estrategia de desarrollo.

A la vez que ha atacado vigorosamente a la clase capitalista agroexportadora de la costa, centrada en Guayaquil, Correa ha apoyado decididamente y subvencionado a los capitalistas de Quito (zona andina). Su retórica antioligarquíca no es ciertamente una retórica anticapitalista, como su respaldo del socialismo del siglo XXI pudiera indicar.

El éxito del presidente Correa en la creación de un movimiento electoral ciudadano de masas se mide por sus impresionantes victorias electorales, que le han asegurando mayorías presidenciales en competencia multipartidista, y de más del 70 por ciento en las elecciones constitucionales. A pesar de su popularidad, el respaldo popular de Correa se basa principalmente en concesiones a corto plazo, en forma de aumentos salariales y concesión de créditos a la pequeña empresa, medidas que no son sostenibles en esta fase de comienzos de la recesión mundial. La concesión de monopolios de telecomunicaciones a empresas privadas, su oposición a la reforma agraria, y las restricciones a los movimientos huelguistas, aunque no han provocado problemas sistémicos han producido un número creciente de huelgas y protestas. Más importante aún, el fortalecimiento capitalista, sobre todo de propiedad extranjera, del control estratégico de la banca; la exportación comercial; y los sectores mineros, reducen las pretensiones de socialismo del siglo XXI a un ejercicio meramente simbólico, retórico. Lo que es evidente es que la base del nuevo socialismo se basa en decisiones de política exterior (susceptibles de ser revertidas), en lugar hacerlo en cambios en las relaciones de clase, la propiedad y el poder popular. El socialismo del siglo XXI, en el caso de Ecuador, aparece como una forma conveniente de combinar unas acciones innovadoras de política exterior con una estrategia de desarrollo neoliberal de modernización. Por otra parte, las medidas radicales iniciales no se oponen a un posterior retroceso conservador, como se evidencia en el cuestionamiento de la deuda externa, que causó una explosión prematura de alegría por parte de la izquierda, y un posterior regreso a los pagos completos de la deuda.

El socialismo boliviano: capital blanco, trabajo indio

El mayor contraste entre el socialismo del siglo XX y el del XXI se observa entre el régimen actual de Evo Morales (2005-) y la presidencia de corta duración Juan José Torres (1970-1971).

Mientras que el primero ha invitado, abierta y públicamente, a las compañías transnacionales de los cinco continentes a explotar el gas, el petróleo, el cobre, el hierro, el litio, el zinc, el estaño, el oro, la plata y una larga lista de otros minerales; en el siglo, el corto gobierno de Torres nacionalizó y expropió las empresas capitalistas nacionales y extranjeras. Mientras que en la actualidad se han repatriado miles de millones de beneficios durante y después del boom de los productos básicos, en tiempos de Torres, el control estatal sobre los flujos de capital y el comercio exterior limitó la descapitalización del país. A la vez que Evo Morales ofrece cientos de millones en préstamos, subvenciones a la exportación e incentivos fiscales a los exportadores agrícolas más ricos, y expulsa de las grandes propiedades a los ocupantes indígenas sin tierra, en la presidencia de Torres se fomentó la toma de tierras, como medio de profundizar las políticas de reforma agraria. Hay una abundancia de datos socioeconómicos que demuestran que las políticas socialistas emprendidas durante la presidencia de Torres son diametralmente opuestas a las políticas sociales liberales practicadas por el régimen de Morales. En las secciones siguientes se destacan las principales políticas sociales y liberales del régimen de Morales, a fin de evaluar el verdadero significado del autoproclamado socialismo del siglo XXI en Bolivia.

Los cambios sociales

En sus primeros cinco años en el poder (2005-2009), el gobierno de Evo Morales ha llevado a cabo numerosos cambios sociales. La cuestión es si estos cambios equivalen a alguna de las definiciones más generosas de socialismo, o incluso a medidas de transición conducentes al socialismo en un futuro cercano o lejano, dado el alcance y la profundidad de las políticas económicas liberales adoptadas.

Morales ha implementado cambios sociopolíticos en nueve ámbitos. El cambio interno más significativo es en el ámbito político, cultural y de derechos jurídicos de los pueblos indígenas. El régimen ha reconocido derecho de autogobierno a los municipios indígenas, ha reconocido y promovido el bilingüismo en los asuntos locales y la educación, y ha dado rango nacional a las celebraciones de religiosas y festivas indígenas, a la vez que promueve la persecución de los que violen o vulneren los derechos civiles de los indígenas.

Con Morales, el Estado ha aumentado ligeramente su cuota de ingresos provenientes de las empresas conjuntas establecidas con corporaciones transnacionales, ha aumentado el precio del gas vendido a Brasil y Argentina, y también el porcentaje del ingreso destinado al gobierno estatal por encima y en detrimento de los gobiernos provinciales. Dados los precios récord de las exportaciones agrícolas y mineras de Bolivia entre 2005 y 2008, los municipios locales aumentaron su flujo de ingresos, si bien en realidad las inversiones en los sectores productivos y de servicios se han retrasado a causa de obstáculos burocráticos.

Morales autorizó aumentos sustanciales del salario mínimo y los salarios en general, con lo que ha mejorado marginalmente las condiciones de vida. Los aumentos, sin embargo, estaban muy por debajo de las promesas electorales de Morales de duplicar el salario mínimo, y ciertamente no son equiparables a los beneficios extraordinarios obtenidos como resultado del auge de las materias primas.

El juicio abierto a funcionarios locales y al gobernador provincial de Pando, así como a los terroristas de derecha, por el ataque y asesinato de activistas indígenas ha puesto fin a la impunidad de las agresiones contra los ciudadanos indígenas.

El éxito del que más satisfecho está el gobierno es la acumulación de reservas de divisas por un monto de 6.000 millones de dólares, en lugar de las anteriores de 2.000 millones; la disciplina fiscal y el control estricto del gasto social; y una balanza de pagos favorable. En este sentido, las prácticas de Morales han estado más en consonancia con el FMI que con nada remotamente parecido a las prácticas expansivas de los gobiernos socialistas y socialdemócratas.

Triplicar las reservas ante una continuidad de los niveles de pobreza del 60 por ciento de la población indígena, en su mayoría rural, es una política nueva para cualquier gobierno que se pretenda socialista. Ni siquiera otros países capitalistas contemporáneos de América del Norte y la Unión Europea han sido tan ortodoxos como el régimen político revolucionario de Morales.

Morales ha promovido las organizaciones sindicales y sobre todo ha evitado la represión de los movimientos mineros y movimientos campesinos, pero al mismo tiempo ha cooptado a sus dirigentes, disminuyendo así el número de huelgas y demandas colectivas independientes, a pesar de las persistentes desigualdades sociales. De hecho, una mayor tolerancia va acompañada por una relación corporativista creciente entre el régimen y los sectores populares de la sociedad civil.

La estrategia económica del gobierno se basa en una triple alianza entre las transnacionales agroindustriales y de minerales, los capitalistas de las pequeñas y medianas empresas, y los movimientos indígena y sindical. Morales ha invertido millones de dólares en subvencionar a las denominadas cooperativas, que son en realidad propiedades privadas de minas de pequeño y mediano tamaño que explotan el trabajo asalariado con remuneraciones iguales o inferiores al salario normal de los mineros de las grandes explotaciones.

Los principales cambios se dan en su política exterior y en la retórica internacional. Morales se ha alineado con Venezuela en apoyo a Cuba, se ha incorporado a ALBA, ha desarrollado los lazos con Irán, y, sobre todo, se ha opuesto a la política de EE.UU. en varias áreas importantes. Asimismo, se opone al embargo de este país contra Cuba, a sus siete bases militares en Colombia, al golpe de Estado en Honduras y al levantamiento de las preferencias arancelarias. Igualmente importante, Bolivia ha puesto fin a la presencia de la Drug Enforcement Agency (DEA), organismo oficial estadounidense de lucha contra la droga, ha reducido algunas de las actividades de la US Agency for International Development (AID) por subvencionar a organizaciones sociopolíticas de derecha, y realizar actividades de desestabilización. Morales se ha pronunciado enérgicamente contra las guerras de EE.UU. en Afganistán e Irak, ha condenado los ataques de Israel contra los palestinos, y se ha manifestado firme partidario de la no-intervención, salvo en el caso de Haití, donde Bolivia sigue enviando tropas.

Crítica del socialismo del siglo XXI boliviano

El aspecto más llamativo de la política económica boliviana es el mayor volumen y alcance de las inversiones de empresas transnacionales extranjeras en capital de extracción. Cerca de un centenar de transnacionales explotan en la actualidad los minerales de Bolivia y sus recursos energéticos, en condiciones muy lucrativas, dados los bajos salarios y las pocas regulaciones ambientales. Por otra parte, en un discurso leído en Madrid, en septiembre de 2009, Morales invitó a una audiencia de élite de banqueros e inversores a invertir en Bolivia, siempre y cuando no intervinieran en la política interna y estuvieran dispuestos a aceptar la propiedad conjunta. Con independencia de los resultados de estas estrategias de explotación minera basada en el capital extranjero –que en la actualidad no son muy alentadores–, el esquema da un toque peculiar a este socialismo del siglo XXI: la sustitución del proletariado y los campesinos por los ejecutivos extranjeros y los tecnócratas locales es una novedad en la practica del socialismo de cualquier siglo, y está más adecuadamente asociada con el capitalismo de libre mercado.

De acuerdo con las políticas de Morales de puertas abiertas al capital minero, el gobierno ha fortalecido y subvencionado generosamente y otorgado préstamos a bajo interés al sector agroindustrial, incluso en aquellas provincias, como la Media Luna, donde la agroindustria ha apoyado a grupos de extrema derecha para desestabilizar el régimen. La voluntad de Morales de pasar por alto la hostilidad política de la elite agroindustrial, y de financiar su expansión es un claro indicio de la alta prioridad que da al crecimiento capitalista ortodoxo por encima de cualquier preocupación por el desarrollo de un polo alternativo en torno a los campesinos y los trabajadores agrarios sin tierra.

Una visita a las zonas rurales y los barrios urbanos confirma los informes publicados acerca de la naturaleza inmutable de las desigualdades de clase. Las cien familias más ricas de Santa Cruz siguen poseyendo más del 80 por ciento de las tierras fértiles, y más del 80 por ciento de los campesinos y los indígenas rurales están por debajo del umbral de pobreza. La propiedad de las minas, el comercio mayorista y minorista, la banca y el crédito continúan concentrados en una oligarquía que en los últimos años ha diversificado su cartera en otros sectores económicos, creando así una clase dirigente más integrada y con una mayor vinculación con los actores del capitalismo mundial.

Morales ha cumplido su promesa de proteger y fortalecer a la élite económica multisectorial tradicional, pero también ha sumado y promovido a recién llegados, privados y burocráticos, sobre todo altos ejecutivos extranjeros y altos funcionarios, muy bien pagados, que dirigen las empresas conjuntas.

Aunque la mayoría de los socialistas de cualquier siglo estarían de acuerdo en que los grandes propietarios no son los mejores fundamentos posibles para una transición socialista, Morales se ha apoyado y ha promovido la producción agraria destinada a la exportación en lugar de la agricultura familiar de producción local de alimentos. Peor aún, las condiciones de vida de los trabajadores agrícolas apenas ha mejorado, y, en un caso extremo, algunos miles de indígenas seguían siendo explotados como mano de obra esclava tres años después de la llegada de Morales al poder. La dura explotación de los trabajadores agrícolas es una preocupación menor que el aumento de la productividad, las exportaciones y los ingresos del Estado. Si bien se ha aprobado una legislación laboral que facilita la actividad sindical, ésta no se aplica en el campo, sobre todo en las provincias de la Media Luna, donde los inspectores laborales evitan enfrentarse con las asociaciones de propietarios, bien afianzadas. Las ocupaciones de tierras por algunos trabajadores rurales sin tierra han sido denunciadas por el gobierno. Los movimientos de base que presionan por una reforma agraria en extensas fincas infracultivadas han sido decididamente rechazados por el gobierno, que viola con ello sus propias declaraciones que sólo las granjas cultivadas no serían expropiadas.

Dado el énfasis del gobierno en los aspectos cultural y político de su versión de socialismo del siglo XXI, no es sorprendente que se hayan dedicado más tiempo y más recursos a la celebración de fiestas, cantos y danzas indígenas que a la expropiación y distribución de tierras fértiles a la masa de indígenas desnutridos.

El esfuerzo del régimen para desviar la atención de la reforma agraria, mediante la solución de instalar a los indígenas sin tierra en las tierras públicas tropicales alejadas ha sido un desastre. Este plan de colonización, organizado por el llamado Instituto de Reforma Agraria, arrojó a los indígenas del altiplano a unas tierras asoladas por las enfermedades y sin preparación de la tierra, sin las herramientas, las semillas y los fertilizantes necesarios, e incluso sin viviendas. Huelga decir que en menos de dos semanas, los indígenas exigieron su transporte de vuelta a sus pobres aldeas, que resultaban mejores en comparación que las zonas infestadas de malaria de aquellos remotos asentamientos improvisados. Para compensar la falta de un amplio programa de redistribución de la tierra, Evo Morales de vez en cuando organiza, con pompa, ceremonia y mucha publicidad, regalos de tractores a los agricultores medianos y pequeños, en lo que es más un acto de clientelismo político que no parte de un movimiento social transformación.

Los dos aspectos más llamativos de la estrategia económica y política de Morales son el énfasis en las exportaciones tradicionales de minerales y la construcción de una maquinaria electoral de tipo corporativista y clientelista clásico.

En el quinto año de su gobierno, las empresas conjuntas establecidas con las transnacionales extranjeras han extraído y exportado materias primas con poco valor añadido. Resulta sorprendente el bajo nivel de industrialización y transformación en productos finales, que podrían generar un mayor empleo industrial. La misma historia se aplica a las exportaciones agrarias: la mayor parte de los cereales y otros productos agrarios no se procesan en Bolivia, lo que proporcionaría miles de puestos de trabajo a la masa pobre de indígenas sin tierra. El régimen ha acumulado grandes reservas, pero no ha conseguido financiar o fomentar la industria local de sustitución de las importaciones de capital, bienes intermedios y bienes de consumo duradero.

Esta estrategia política se asemeja mucho a la adoptada hace medio siglo por el Movimiento Nacionalista Revolucionario (MNR), gracias a la cual los sindicatos y, especialmente, los movimientos campesinos se incorporaron al Estado. A falta de cambios socioeconómicos relevantes, el gobierno se ha basado en el patrocinio público, canalizado a través de sindicatos y dirigentes campesinos e indígenas, que fluye en forma de favores a elementos locales leales al partido. El clientelismo, estilo Morales, está constantemente reforzado por una serie de gestos simbólicos de afirmación de la identidad étnica indígena, y la solidaridad entre el donante y el receptor en la relación de clientelismo político.

El socialismo del siglo XXI, en la práctica política de Evo Morales es mucho menos innovador y socialista, y está mucho más cerca en su estilo político de sus predecesores corporativistas del siglo XX. Los observadores que tengan poco conocimiento del pasado político en Bolivia, los periodistas “impresionistas” enamorados de las políticas simbólicas, y los escritores de asuntos financieros que colocan de forma indiscriminada la etiqueta de socialista sobre políticos que sólo cuestionan de manera retórica la doctrina del libre mercado, han reforzado la imagen radical o de socialismo del siglo XXI del gobierno de Morales. Teniendo en cuenta lo que hemos descrito sobre las prácticas reales de los gobiernos socialismo del siglo XXI, resulta útil ubicarlos en un marco histórico comparativo más amplio a fin de poder discernir su posible impacto en la sociedad latinoamericana.

Análisis histórico comparativo de tres casos de socialismo del siglo XXI

A pesar de las afirmaciones de los publicistas gubernamentales, el aspecto más llamativo de los gobiernos del socialismo del siglo XXI es lo escasamente nuevo o específico de sus políticas. La adopción de una economía mixta y un juego político acorde a las normas institucionales de un estado capitalista liberal, difiere poco de las prácticas de los partidos socialdemócratas europeos de fines de la década de 1940 hasta mediados de 1970. En la medida en que el socialismo del siglo XXI persigue una política nacionalista (y debemos tener en cuenta que nacionalización significa expropiación y propiedad pública), las políticas son un pálido reflejo de las medidas adoptadas desde la década de 1930 hasta mediados de los 70. Con la excepción del régimen de Chávez, el resto de lo que pasa por socialismo del siglo XXI ha nacionalizado en el mejor de los casos empresas privadas en quiebra, ha aumentado sus participaciones en empresas conjuntas, y ha aumentado los impuestos a los exportadores de minerales y productos agrarios.

El “indigenismo”, que se expresa con más fuerza expresadas en los dos gobiernos andinos, Bolivia y Ecuador, reproduce la retórica del “indoamericanismo” de la década de 1930, expresada principalmente por el teórico peruano marxista José Carlos Mariátegui y el líder político del APRA Haya de la Torre; así como el Partido Socialista de Chile; algunos teóricos de Bolivia y México; Augusto Sandino, el líder guerrillero nicaragüense; y el líder revolucionario salvadoreño Farabundo Martí. En llamativo contraste con los indigenistas del socialismo del siglo XXI, sus predecesores centroamericanos impulsaron profundas reformas agrarias, con la restauración de millones de hectáreas de tierras fértiles confiscadas, y un profundo rechazo del modelo de exportación agroindustrial. La versión anterior del indigenismo combinaba una identificación simbólica junto a profundos cambios de fondo, a diferencia de los indigenistas contemporáneos que dependen sobre todo de los gestos simbólicos y la política de identidad.

Las actuales políticas basadas en las empresas conjuntas recuerdan las alternativas reformistas a la revolución cubana, que encontraron su expresión en la política de Alianza para el Progreso, impulsada por John F. Kennedy, y recogidas por los regímenes cristianodemócratas y socialdemócratas contrainsurgentes de la década 1960. En oposición a los socialistas y comunistas del siglo XX, que estaban a favor de la socialización de la economía, el gobierno demócrata-cristiano de Chile (1964-1970) promovió una “chilenización” alternativa similar a las empresas conjuntas creadas por Evo Morales y Rafael Correa. En otras palabras, el modelo económico del socialismo del siglo XXI se acerca mucho más al modelo antisocialista reformista promovido por EE.UU. en la década de 1960 que a cualquier variante socialista del pasado.

Socialismo del siglo XXI y socialdemocracia del siglo XX

Si bien el alcance y la profundidad de los cambios socioeconómicos perseguidos por el socialismo del siglo XXI no se aproximan a los cambios estructurales de socialismo del siglo XX, podemos analizar en qué medida se equiparan a la variante reformista o socialdemócrata.

Tres casos de gobiernos social-democráticos, de base electoral, vienen a la mente: el régimen de Jacobo Arbenz en Guatemala (1952-1954), el régimen de Joao Goulart en Brasil (1962-1964) y el régimen de Salvador Allende en Chile (1970-1973). Estos tres gobiernos socialdemócratas emprendieron reformas agrarias de mayor calado, que beneficiaron a miles de campesinos, que las iniciadas por el socialismo del siglo XXI contemporáneo. Y también se produjeron más nacionalizaciones sustanciales reales de empresas extranjeras que en dos de los tres gobiernos socialdemócratas del socialismo del siglo XXI (Venezuela ha expropiado un número comparable de las empresas).

En cuanto a las posturas y práctica en materia de política exterior y la retórica política antiimperialista, son similares, pero los primeros socialdemócratas eran más propensos a expropiar el capital extranjero. Por ejemplo, Arbenz expropió tierras de la United Fruit; Goulart nacionalizó la ITT, empresa telefónica; y Allende expropió Anaconda, la gran empresa del cobre. En cambio, nuestros socialistas del siglo XXI han fomentado la explotación de la tierra y los recursos minerales por las transnacionales extranjeras. Las diferentes políticas económicas exteriores corresponden a la diferente composición interna de clase y a los diferentes alineamientos económicos de las socialdemocracias de los siglos XX y XXI. En contraste con las ideas erróneas convencionales, el socialismo del siglo XXI ha consumado los pactos entre los tecnócratas del régimen, las transnacionales y las elites agro-mineras nacionales, todos los cuales tienen un peso mucho mayor en los centros de toma de decisiones que la base electoral de masas de indígenas y obreros. En comparación, los movimientos campesinos y obreros tenían una mayor representación e independencia de acción dentro y fuera de los gobiernos socialdemócratas del siglo XX.

El socialismo del siglo XXI: ¿una historia nueva, o un proceso político cíclico?

Un examen de los pasados 60 años de historia latinoamericana revela un patrón cíclico constante y alterno, de una oleada de gobiernos de izquierda tras una de gobiernos de derecha. La constante subyacente ha sido la lucha entre, por un lado, las proyecciones imperialistas de EE.UU., sea a través de la intervención directa, las dictaduras militares o los gobiernos civiles satélites, y, por otro lado, los movimientos y gobiernos populares y socialistas. La cuestión es saber si esta última oleada de centro-izquierda es simplemente la última expresión de este patrón cíclico, o si las modificaciones de base en relaciones estructurales internas y externas subyacentes están operando para facilitar un proceso más sostenible. Vamos a proceder a esbozar la evolución cíclica izquierda-derecha del pasado, y a continuación debatir algunos cambios clave contemporáneos a escala mundial y regional que podrían conducir a una mayor sostenibilidad de la hegemonía política de la izquierda.

Desde la Segunda Guerra Mundial, América Latina ha experimentado globalmente cinco ciclos de predominio izquierda-derecha.

El período inmediatamente posterior a la Segunda Guerra Mundial, tras la derrota del fascismo, fue testigo en todo el mundo del avance de la democracia, la lucha contra el colonialismo y las revoluciones socialistas. América Latina no fue la excepción. Gobiernos de centro-izquierda, socialdemócratas y nacionalistas-populistas de frente popular asumieron el poder en Chile, Argentina, Venezuela, Costa Rica, Guatemala, Brasil y Bolivia, entre 1945 y 1952. Juan Domingo y Eva Perón nacionalizaron los ferrocarriles, legislaron uno de los programas de bienestar social más avanzados, y elaboraron a escala regional una tercera vía en política exterior independiente de EE.UU. Una coalición de socialistas, comunistas y radicales ganó las elecciones de 1947 en Chile con la promesa de amplias reformas laborales y sociales. En Costa Rica, un levantamiento político llevó al desmantelamiento del ejército nacional. En Venezuela, un partido socialdemócrata (Acción Democrática) se comprometió a extender el control público sobre los recursos del petróleo y a incrementar los ingresos fiscales. En Guatemala, el recién elegido presidente Arbenz expropió los campos no cultivados de la United Fruit Company, puso en práctica una amplia legislación laboral que promovía el crecimiento de los sindicatos, y acabó con el peonaje por deudas de los indígenas. En Bolivia, una revolución social dio lugar a la nacionalización de las minas de estaño, una profunda reforma agraria, la desaparición del ejército y de la formación milicias obreras y campesinas. En el Brasil de Getulio Vargas se promovió la propiedad estatal, una economía mixta y la industrialización nacional.

La puesta en marcha de la doctrina Truman en la década de 1940, la invasión por EE.UU. de Corea (1950), y el fomento agresivo de la Guerra Fría comportaron una intervención enérgica de EE.UU. contra los gobiernos democráticos de centro-izquierda y nacionalistas en América Latina. Con el visto bueno de Washington, las oligarquías de América Latina y los intereses empresariales de EE.UU. respaldaron una serie de golpes militares y de dictaduras durante toda la década de 1950. En Perú, el general Odría tomó el poder, el general Pérez Jiménez hizo lo propio en Venezuela, el general Castillo Armas fue instalado en el poder por la CIA en Guatemala, el presidente elegido Juan Domingo Perón fue derrocado por los militares argentinos en 1955, y el presidente brasileño Vargas fue empujado al suicidio. EE.UU. logró forzar la ruptura del frente popular y la ilegalización del Partido Comunista de Chile, y dio su apoyo al golpe de Fulgencio Batista en Cuba, y las dictaduras de Papá Duvalier en Haití y de Rafael Trujillo la República Dominicana. El ascenso de la extrema derecha, el derrocamiento de gobiernos de centro-izquierda y la sangrienta represión de sindicatos y movimientos campesinos consiguieron asentar la hegemonía de EE.UU., la aceptación de las políticas de Guerra Fría de este país, y abrió la puerta a la invasión económica de las corporaciones.

A finales de la década de 1950, el extremismo de la dominación y explotación de EE.UU., la represión brutal de todos los movimientos sociales democráticos y partidos de izquierda, y el saqueo a cargo de las oligarquías del tesoro público condujo a levantamientos populares y un retorno a la hegemonía de la izquierda.

Entre 1959 y 1976, regímenes de izquierda gobernaron o estuvieron a punto de gobernar en todo el continente, con diferentes grados de éxito y duración. La revolución social cubana de 1959 y una revolución política en Venezuela en 1958, fueron seguidas por la elección de los gobiernos nacional-populistas de Joao Jango Goulart en Brasil (1962-1964); Juan Bosch (1963), restablecido brevemente en 1965; Salvador Allende en Chile (1970-1973); y Perón en Argentina (1973-1975). Militares nacional-progresistas populistas tomaron el poder en Perú (Velasco Alvarado, 1968), Guillermo Rodríguez en Ecuador (1970), Ovando (1968) y Juan José Torres (1970) en Bolivia, y Omar Torrijos en Panamá. Todos ellos desafiaron en mayor o menor grado la hegemonía estadounidense. Todos fueron respaldados por movimientos populares de masas, que exigían radicales reformas socioeconómicas. Algunos gobiernos nacionalizaron sectores económicos estratégicos y aplicaron medidas anticapitalistas de largo alcance.

Sin embargo, todos menos la revolución cubana tuvieron corta vida. Incluso en pleno giro a la izquierda de los años 60 y 70, EE.UU. y sus satélites militares intervinieron enérgicamente para revertir la perspectiva de los cambios sociales progresistas. El gobierno del brasileño Goulart cayó ante un golpe militar respaldado por EE.UU., en 1964; éste fue precedido por el derrocamiento de Juan Bosch en 1963 y seguido por la invasión militar estadounidense contra la revolución restauradora dominicana de 1965-66; un golpe militar respaldado por EE.UU. en Bolivia derrocó a Torres en 1971; y Salvador Allende fue derrocado por un golpe conjunto CIA-militares en 1973, seguido por Velasco en 1974, y Perón en 1976. La prometedora y profunda oleada de izquierda había terminado por el resto del siglo XX.

Entre 1976 y 2000, con la notable excepción de la victoria de la revolución sandinista en 1979, la derecha fue en ascenso, y su largo mandato se realizó por medio de la peor oleada de represión en todo el continente en la historia de América Latina. Los gobiernos militares y los gobiernos civiles neoliberales autoritarios posteriores desmantelaron todas las barreras arancelarias y los controles de capitales en una zambullida salvaje en el libre mercado más extremista y dañino, y en sus políticas económicas imperiales. Entre 1976 y 2000, más de cinco mil empresas públicas fueron privatizadas y la mayoría fueron adquiridas por transnacionales extranjeras; asimismo, más de un billón y medio de dólares fueron transferidos al extranjero en concepto de beneficios, regalías, pagos de intereses, pillaje de fondos públicos, evasión fiscal y blanqueo de dinero. Sin embargo, esta edad de oro del capital estadounidense, durante la década de 1990, fue un período de estancamiento económico, polarización social y creciente vulnerabilidad a las crisis. El escenario estaba listo para las revueltas populares de los primeros años del nuevo milenio y el ascenso de la última oleada de gobiernos de centro-izquierda en la región, lo cual nos lleva a la cuestión de la sostenibilidad de este nuevo grupo de gobiernos.

Algunos cambios histórico-estructurales mundiales

Uno de los factores clave para revertir las pasadas oleadas de gobiernos de izquierda en América Latina fue el poder económico y la capacidad intervencionista de EE.UU..

Hay pruebas sólidas que muestran que en ambos aspectos el poder estadounidense ha sufrido una disminución relativa. EE.UU. ya no es un país acreedor, ya no es el primer socio comercial con Brasil, Chile, Perú y Argentina, y está perdiendo terreno en el resto de América Latina, excepto México. Washington ha perdido influencia incluso en su patio trasero: el Caribe y América Central, donde varios países han firmado un acuerdo de petróleo subsidiado venezolano (Petrocaribe). Washington, como para compensar su pérdida de influencia económica, manifestada en el rechazo de su propuesta de un acuerdo de libre comercio de alcance latinoamericano, ha aumentado su presencia militar, mediante la implantación en siete bases militares en Colombia, el apoyo al golpe de estado en Honduras contra un presidente social-liberal, y con la presencia de la IV Flota frente a las costas de América Latina. A pesar de la proyección “del poder militar”, circunstancias fuera de América Latina se han debilitado la capacidad de EE.UU. intervencionistas, a saber, la prolongada costosas guerras sin fin en Irak, Afganistán, Pakistán y la confrontación militar con Irán. Los ya altos niveles de agotamiento del público y de la oposición, hace que sea difícil para Washington para lanzar la guerra cuarto en América Latina. Por lo tanto, se basa en las finanzas y militar cliente local – configuraciones de poder civil, para desestabilizar y derrocar de centro-izquierda adversarios. El aumento en los mercados mundiales, especialmente en Asia, ha permitido a los gobiernos de América para diversificar sus mercados y socios de inversión, lo que limita el papel de EE.UU. MNC y limita su posible papel político como proveedores de las políticas del Departamento de Estado. La financiarización de la economía de EE.UU. ha erosionado su base industrial y ha limitado su demanda de productos agrarios y minerales de América Latina, desplazando la dependencia de esta región a las nuevas potencias emergentes. Además, por haber sufrido las consecuencias de las crisis financieras, los gobiernos de América Latina han impuesto normas relativas a los movimientos de capital, lo que limita el funcionamiento de los bancos de inversión estadounidenses especuladores, principales impulsores de la economía de EE.UU. A pesar de la cháchara de Washington sobre los mercados libres, su aplicación de medidas proteccionistas y subsidios a la agricultura (azúcar, etanol) han contrariado a los principales países de América Latina, como por ejemplo Brasil. En tanto que principal exponente de la fallida doctrina neoliberal de libre mercado, EE.UU. ha sufrido una gran pérdida de influencia ideológica en la región como consecuencia de la recesión mundial de 2007 a 2010.

Por estas razones, una de las principales partes interesadas (el imperialismo estadounidense), responsable de los ciclos de auge y caída de los gobiernos de izquierda, se ha debilitado estructuralmente, lo que potencia la posibilidad de una mayor duración. Sin embargo, sigue siendo un factor importante que actúa con potentes recursos basados en sus estrechos vínculos con las principales fuerzas militares y económicas de derecha de la región. En segundo lugar, por la naturaleza misma de las estrategias de desarrollo elegidas por los gobiernos de centro-izquierda, éstos son muy vulnerables a las crisis, en particular las políticas de exportaciones agrarias y mineras basadas en las élites económicas extranjeras y nacionales y afectadas por las fluctuaciones de la demanda mundial. En tercer lugar, los gobiernos de centro-izquierda no han podido resolver los desequilibrios regionales de base: reducir significativamente las desigualdades sociales y recuperar la propiedad y el control de sectores económicos estratégicos. Estas consideraciones ponen en duda la durabilidad a medio plazo de los actuales gobiernos de centro-izquierda.

Hay pocos cambios internos en la naturaleza del aparato estatal y la estructura de clases que puedan impedir una vuelta atrás a las políticas neoliberales. La cuestión básica de si los actuales gobiernos del socialismo del siglo XXI son peldaños hacia la socialización o simplemente gobiernos transitorios que abren camino para la restauración neoliberal pro estadounidense en la región, sigue estando abierta a discusión aun cuando se están acumulando pruebas de que el resultado citado en último lugar es más probable que el primero.

Conclusión

La cuestión de si el socialismo del siglo XXI es mejor o peor que el del siglo XX depende de qué versiones de cada uno elijamos como términos de comparación, y qué dimensiones políticas seleccionemos en nuestra evaluación comparativa.

En primer lugar no existe un modelo único del socialismo del siglo XX, a pesar de la ecuación fácil que lo identifica con la variante soviética. Ha habido fundamentalmente cuatro tipos radicalmente diferentes de regímenes socialistas en el siglo XX, que a su vez tenían una composición interna variada:

(1) los gobiernos revolucionarios de partido único, que incluyen Cuba, Corea del Norte, China, Vietnam y la URSS. Los cuatro primeros combinaron las luchas por el socialismo y las luchas de liberación nacional, y se configuraron en forma independiente de la URSS, a la vez que mostraron en diferentes momentos un grado mayor y menor de apertura al debate y las libertades individuales. Los cuatro tuvieron que combatir invasiones de EE.UU. y todos estuvieron sujetos a embargos y fuertes campañas de desestabilización que requirieron medidas de seguridad de alto nivel;

(2) los gobiernos revolucionarios socialistas con elecciones multipartido: Chile (1970-1973), Granada (1981-1983), Guyana (1950), Bolivia (1970-1971) y Nicaragua (1979-1989). Fomentaron la competencia partidista y las cuatro libertades incluso a expensas de la seguridad nacional. Todos fueron objeto, con éxito, de intervenciones militares, golpes militares y embargos económicos promovidos por Estados Unidos;

(3) el socialismo autogestionario fue puesto en práctica en las fábricas de Yugoslavia desde finales de 1940 a mediados de la década de 1980, y fue brevemente experimentado en Argelia entre 1963-1964. Movimientos separatistas promovidos por EE.UU. y Europa disolvieron el estado de Yugoslavia, y un golpe militar puso fin al experimento de Argelia;

(4) la socialdemocracia basada en programas sociales de gran escala y larga duración vinculada a la gestión estatal de la política macroeconómica se llevó a cabo en los países escandinavos, especialmente en Suecia.

El estereotipo del modelo soviético de socialismo autoritario impuesto desde el exterior era aplicable sólo a Europa Oriental, e incluso estaba sujeto a cambios y momentos democráticos, como en 1968 en Checoslovaquia y Hungría en el decenio de 1980.

Asimismo hay variaciones significativas entre los socialismos del siglo XXI.

Venezuela ha nacionalizado las principales empresas extranjeras y nacionales (petróleo, acero, cemento, banca, telecomunicaciones), ha expropiado grandes extensiones de tierras de cultivo donde ha establecido más de 100.000 familias, ha financiado programas generales de salud pública universal y educativos, y ha fomentado los consejos comunales y la autogestión de los trabajadores, en unos algunos los casos.

Bolivia ha expropiado pocas de las grandes empresas, si es que ha expropiado alguna. En cambio, Evo Morales ha promovido la formación de empresas conjuntas público-privadas, y ha abierto la puerta a decenas de consorcios de empresas mineras extranjeras, ha apoyado reformas que mejoran y amplían los derechos civiles de los indígenas, y ha aumentado el gasto social en vivienda, infraestructura y alivio de la pobreza. No se ha producido ni está prevista ninguna reforma agraria.

La tercera y más conservadora variante de socialismo del siglo XXI se halla en Ecuador, donde importantes concesiones a las empresas mineras y petroleras han acompañado a la privatización de las concesiones y subvenciones a las empresas de telecomunicaciones y las élites empresariales regionales. En lugar de una reforma agraria, Correa ha transferido algunas tierras indígenas a empresas mineras para su explotación. Los principales rasgos de socialismo se encuentran en unos más altos niveles de gasto social, la revocación de la utilización por EE.UU. de la base militar de Manta, y una crítica general de las políticas comerciales y militares de EE.UU. Correa mantiene la economía dolarizada, lo que limita las políticas fiscales expansionistas.

Recurriendo a los criterios comúnmente aceptados para evaluar el carácter socialista tanto del socialismo del siglo XX como el del siglo XXI, podemos formar un juicio bien fundamentado sobre su desempeño en el logro de mayor independencia económica, justicia social y libertad política.

Propiedad pública

Todas las variantes del socialismo siglo XX –excepto el modelo escandinavo– lograron un mayor control público sobre las principales palancas de la economía que sus contrapartes del siglo XXI. Venezuela es la aproximación más cercana a la experiencia del siglo XX. El desempeño comparativo de los modelos públicos, público-privados y privados varía: en términos de crecimiento y productividad, las empresas públicas del siglo XX han tenido resultados dispares, de alto crecimiento que ha derivado en estancamiento; las empresas conjuntas, sujetas a los caprichos del mercado y la demanda mundial, alternan entre un crecimiento elevado en tiempos de auge, y depresión en los periodos de bajos precios agrícolas.

En términos de relaciones sociales, los beneficios sociales y las condiciones de trabajo en el sector público en general son más generosos que en las empresas conjuntas y las de propiedad privada, aunque la remuneración salarial pueda ser mayor en las segundas.

Reforma agraria

El socialismo del siglo XX tuvo mucho más éxito en la redistribución de la tierra y la quiebra del poder de la clase terrateniente que el socialismo del siglo XXI con ninguna de las medidas aplicadas. Las reformas redistributivas del socialismo del siglo XX contrastan con las agroestrategias de exportación del nuevo socialismo contemporáneo, que ha promovido una mayor concentración de la propiedad y la desigualdad entre las élites de la agroindustria y los campesinos y trabajadores rurales sin tierra. Las reformas agrarias, sin embargo, estuvieron mal gestionados, especialmente en el caso de Cuba y China, y condujeron a una segunda transformación, la redistribución de las granjas estatales entre agricultores familiares y cooperativas.

En general, los socialistas del siglo XX tuvieron mucho más éxito en la reducción de las desigualdades en los ingresos –sin llegar a eliminarlas– que sus colegas contemporáneos. Debido a que los capitalistas del siglo XXI, especialmente los propietarios de grandes minas, la agroindustria capitalista, y los banqueros, todavía controlan las palancas fundamentales de la economía, las desigualdades históricas entre el cinco por ciento superior de la sociedad y el sesenta por ciento inferior siguen sin cambios.

En términos de bienestar social, el socialismo del siglo XXI ha aumentado el gasto social, el salario mínimo, pero, con la notable excepción de Venezuela, sus programas educativos y de salud pública gratuita no están a la altura de los programas financiados por el socialismo del siglo XX.

Aunque hubo desequilibrios regionales entre el campo y la ciudad en el socialismo siglo XX, la población rural del siglo pasado tuvo acceso a una atención médica gratuita, una seguridad social y una atención sanitaria básica que aún falta en la mayoría de los gobiernos de socialismo del siglo XXI.

En términos de luchas antiimperialistas, las acciones del siglo XX fueron muy superiores a las del socialismo del siglo XXI. Por ejemplo, Cuba envió tropas y ayuda militar al sur de África (especialmente a Angola) para rechazar una invasión del régimen racista de Sudáfrica. China envió tropas en solidaridad con Corea y defendió la mitad septentrional del país del ejército invasor de EE.UU. La URSS suministró armas esenciales y misiles de defensa antiaérea en apoyo a la lucha vietnamita de liberación nacional, y proporcionó a Cuba los subsidios económicos y la ayuda militar que le permitió sobrevivir al embargo estadounidense.

A día de hoy, con la excepción parcial de Venezuela, el socialismo del siglo XXI no ha proporcionado apoyo material a las luchas de liberación en curso. Al contrario, Brasil, Bolivia, Chile y Argentina siguen proporcionando fuerzas militares de apoyo a la ocupación de Haití, patrocinada por Estados Unidos. En el mejor de los casos, el socialismo del siglo XXI ha condenado el golpe de Estado, respaldado por EE.UU., en Honduras (2009), Venezuela (2002) y las bases militares en Ecuador y Colombia, y rechazan los acuerdos de libre comercio propuestos por Estados Unidos.

La única área en la que el socialismo del siglo XXI tiene una ventaja evidente es en la promoción de las libertades individuales y los procesos electorales. Hay una mayor tolerancia del debate público, las elecciones competitivas y los partidos políticos de la que se toleró en algunas variantes de socialismo del siglo XX.

No obstante, la democracia económica o el poder de los trabajadores fue mucho más avanzado en el socialismo del siglo XX en Chile y Yugoslavia que en el socialismo del siglo XXI de elecciones parlamentarias. Por otra parte, en el pasado había una mayor preocupación por las opiniones de los trabajadores en la formulación de políticas, incluso en los sistemas autoritarios, que la que hay en el actual socialismo agro-minero del siglo XXI. La mayor apertura de socialismo del nuevo siglo está relacionada con el hecho de que se enfrentan a amenazas militares de menor intensidad, en parte debido a que no han alterado la naturaleza básicamente capitalista de su economía.

En comparación con el del siglo anterior, el socialismo del siglo XXI es en general más conservador, opera más estrechamente con las transnacionales, es menos antiimperialista, y se basa en coaliciones interclasistas que abarcan todo el espectro de clases, vinculando a los sectores pobres y de clase media a las poderosas élites mineras. Aunque el socialismo del siglo XXI de vez en cuando pueda hacer referencia a los análisis de clase, en tiempos de crisis de sus conceptos operativos oscurecen las divisiones de clase mediante el uso no vago y poco específico de categorías “populistas”.

Tal vez la imagen radical del socialismo del siglo XXI sea el resultado de su contraste con los anteriores gobiernos extremistas de derecha que gobernaron durante el cuarto de siglo anterior. La etiqueta socialista colocada a estos gobiernos por Washington y los medios de comunicación occidentales representa una nostalgia de un pasado de sumisión política sin trabas, saqueo económico no reglamentado y fuerte represión de los movimientos populares, en lugar de un análisis empírico de sus políticas socioeconómicas.

A pesar de que el socialismo del siglo XXI es menos radical y tal vez diste de las definiciones comúnmente aceptadas de la política socialista, sigue siendo un dique de contención del militarismo e intervencionismo de EE.UU., ha puesto un tope al control de los recursos naturales y proporciona una mayor tolerancia para la organización de movimientos sociales.

James Petras

Traducido por S. Seguí, extraído de Rebelión.

~ por LaBanderaNegra en Octubre 22, 2009.

dimanche, 25 octobre 2009

Basic Bakunin

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Basic Bakunin

Republished from the (British) Anarchist Communist Federation’s original pamphlet in 1993 by P.A.C. (Paterson Anarchist Collective) Publications. This electronic version has the extra ACF text added to the PAC version, for more completeness.

 

“The star of revolution will rise high above the streets of Moscow, from a sea of blood and fire, and turn into a lodestar to lead a liberated humanity”
-Mikhail Bakunin

Preface

The aim of this pamphlet is to do nothing more than present an outline of what the author thinks are the key features of Mikhail Bakunin’s anarchist ideas.

Bakunin was extremely influential in the 19th century socialist movement, yet his ideas for decades have been reviled, distorted or ignored. On reading this pamphlet, it will become apparent that Bakunin has a lot to offer and that his ideas are not at all confused (as some writers would have us think) but make up a full coherent and well argued body of thought. For a detailed but difficult analysis of Bakunin’s revolutionary ideas, Richard B. Saltman’s book, “The Social and Political Thought of Michael Bakunin” is strongly recommended. Ask your local library to obtain a copy.

Class

Bakunin saw revolution in terms of the overthrow of one oppressing class by another oppressed class and the destruction of political power as expressed as the state and social hierarchy. According to Bakunin, society is divided into two main classes which are fundamentally opposed to each other. The oppressed class, he variously described as commoners, the people, the masses or the workers, makes up a great majority of the population. It is in ‘normal’ time not conscious of itself as a class, though it has an ‘instinct’ for revolt and whilst unorganized, is full of vitality. The numerically much smaller oppressing class, however is conscious of its role and maintains its ascendancy by acting in a purposeful, concerted and united manner. The basic differences between the two classes, Bakunin maintained, rests upon the ownership and control of property, which is disproportionately in the hands of the minority class of capitalists. The masses, on the other hand, have little to call their own beyond their ability to work.

Bakunin was astute enough to understand that the differences between the two main classes is not always clear cut. He pointed out that it is not possible to draw a hard line between the two classes, though as in most things, the differences are most apparent at the extremes. Between these extremes of wealth and power there is a hierarchy of social strata which can be assessed according to the degree to which they exploit each other or are exploited themselves. The further away a given group is from the workers, the more likely it is to be part of the exploiting category and the less it suffers from exploitation. Between the two major classes there is a middle class or middle classes which are both exploiting and exploited, depending on their position of social hierarchy.

The masses who are the most exploited form, in Bakunin’s view, the great revolutionary class which alone can sweep away the present economic system. Unfortunately, the fact of exploitation and its resultant poverty are in themselves no guarantee of revolution. Extreme poverty is, Bakunin thought, likely to lead to resignation if the people can see no possible alternative to the existing order. Perhaps, if driven to great depths of despair, the poor will rise up in revolt. Revolts however tend to be local and therefore, easy to put down. In Bakunin’s view, three conditions are necessary to bring about popular revolution.

They are:

  • sheer hatred for the conditions in which the masses find themselves
  • the belief the change is a possible alternative
  • a clear vision of the society that has to be made to bring about human emancipation

     

Without these three factors being present, plus a united and efficient self organization, no liberatory revolution can possibly succeed.

Bakunin had no doubts that revolution must necessarily involve destruction to create the basis of the new society. He stated that, quite simply, revolution means nothing less than war, that is the physical destruction of people and property. Spontaneous revolutions involve, often, the vast destruction of property. Bakunin noted that when circumstances demanded it, the workers will destroy even their own houses, which more often than not, do not belong to them. The negative, destructive urge is absolutely necessary, he argued, to sweep away the past. Destruction is closely linked with construction, since the “more vividly the future is visualized, the more powerful is the force of destruction.”

Given the close relationship between the concentration of wealth and power in capitalist societies, it is not surprising that Bakunin considered economic questions to be of paramount importance. It is in the context of the struggle between labor and capital that Bakunin gave great significance of strikes by workers. Strikes, he believed, have a number of important functions in the struggle against capitalism. Firstly they are necessary as catalysts to wrench the workers away from their ready acceptance of capitalism, they jolt them out of their condition of resignation. Strikes, as a form of economic and political warfare, require unity to succeed, thus welding the workers together. During strikes, there is a polarization between employers and workers. This makes the latter more receptive to the revolutionary propaganda and destroys the urge to compromise and seek deals. Bakunin thought that as the struggle between labor and capital increases, so will the intensity and number of strikes. The ultimate strike is the general strike. A revolutionary general strike, in which class conscious workers are infused with anarchist ideas will lead, thought Bakunin, to the final explosion which will bring about anarchist society.

Bakunin’s ideas are revolutionary in a very full sense, being concerned with the destruction of economic exploitation and social/political domination and their replacement by a system of social organization which is in harmony with human nature. Bakunin offered a critique of capitalism, in which authority and economic inequality went hand in hand, and state socialism, (e.g. Marxism) which is one sided in its concentration on economic factors whilst, grossly underestimating the dangers of social authority.

State

Bakunin based his consistent and unified theory upon three interdependent platforms, namely:

  • human beings are naturally social (and therefore they desire social solidarity)
  • are more or less equal and,
  • want to be free

     

His anarchism is consequently concerned with the problem of creating a society of freedom within the context of an egalitarian system of mutual interaction. The problem with existing societies, he argued, is that they are dominated by states that are necessarily violent, anti-social, and artificial constructs which deny the fulfillment of humanity.

Whilst there are, in Bakunin’s view, many objectionable features within capitalism, apart from the state, (e.g. the oppression of women, wage slavery), it is the state which nurtures, maintains and protects the oppressive system as a whole. The state is defined as an anti-social machine which controls society for the benefit of an oppressing class or elite. It is essentially an institution based upon violence and is concerned with its maintenance of inequality through political repression. In addition the state relies upon a permanent bureaucracy to help carry out its aims. The bureaucratic element, incidentally, is not simply a tool which it promotes. All states, Bakunin believed, have internal tendencies toward self perpetuation, whether they be capitalist or socialist and are thus to be opposed as obstacles to human freedom.

It might be objected that states are not primarily concerned with political repression and violence and indeed that liberal democratic states, in particular, are much interested in social welfare. Bakunin argues that such aspects are only a disguise, and that when threatened, all states reveal their essentially violent natures. In Britain and Northern Ireland this repressive feature of state activity has come increasingly to the fore, when the state has been challenged to any significant degree, it has responded with brutal firmness.

And developments within Britain over the last couple decades tend to substantiate another feature of the state which Bakunin drew attention to, their tendency toward over increasing authoritarianism and absolutism. He believed that there were strong pressures in all states whether they are liberal, socialist, capitalist, or whatever, toward military dictatorship but that the rate of such development will vary, however according to factors such as demography, culture and politics.

Finally, Bakunin noted that states tend toward warfare against other states. Since there is no internationally accepted moral code between states, then rivalries between them will be expressed in terms of military conflict. “So long as there’s government, there will be no peace. There will only be more or less prolonged respites, armistices concluded by the perpetually belligerent states; but as soon as a state feels sufficiently strong to destroy this equilibrium to its advantage, it will never fail to do so.”

bakunin.jpgBourgeois Democracy

Political commentators and the media are constantly singing the praises of the system of representative democracy in which every few years or so the electorate is asked to put a cross on a piece of paper to determine who will control them. This system works good insofar as the capitalist system has found a way of gaining legitimacy through the illusion that some how the voters are in charge of running the system. Bakunin’s writings on the issue are of representative democracy were made at the time when it barely existed in the world. Yet he could see on the basis of a couple of examples (the United States and Switzerland) that the widening of the franchise does little to improve the lot of the great mass of the population. True, as Bakunin noted, middle class politicians are prepared to humble themselves before the electorate issuing all sorts of promises. But this leveling of candidates before the populace disappears the day after the election, once they are transformed into members of the Parliament. The workers continue to go to work and the bourgeoisie takes up once again the problems of business and political intrigue.

Today, in the United States and Western Europe, the predominant political system is that of liberal democracy. In Britain the electoral system is patently unfair in its distribution of parliamentary seats, insofar as some parties with substantial support get negligible representation. However, even where strict proportional representation applies, the Bakuninist critique remains scathing. For the representative system requires that only a small section of the population concern itself directly with legislation and governing (in Britain a majority out of 650 MP’s (Members of Parliament)).

Bakunin’s objections to representative democracy rests basically on the fact that it is an expression of the inequality of power which exists in society. Despite constitutions guaranteeing the rights of citizens and equality before the law, the reality is that the capitalist class is in permanent control. So long as the great mass of the population has to sell its labor power in order to survive, there can not be democratic government. So long as people are economically exploited by capitalism and there are gross inequalities of wealth, there can not be real democracy. As Bakunin made clear, economic facts are much stronger than political rights. So long as there is economic privilege there will be political domination by the rich over the poor. The result of this relationship is that representatives of capitalism (bourgeois democracy) “posses in fact, if not by right, the exclusive privilege of governing.”

A common fiction that is expounded in liberal democracies is that the people rule. However the reality is that minorities necessarily do the governing. A privileged few who have access to wealth, education and leisure time, clearly are better equipped to govern than ordinary working people, who generally have little free time and only a basic education.

But as Bakunin made clear, if by some quirk, a socialist government be elected, in real terms, things would not improve much. When people gain power and place themselves ‘above’ society, he argued, their way of looking at the world changes. From their exalted position of high office the perspective on life becomes distorted and seems very different to those on the bottom. The history of socialist representation in parliament is primarily that of reneging on promises and becoming absorbed into the manners, morality and attitudes of the ruling class. Bakunin suggests that such backsliding from socialist ideas is not due to treachery, but because participation in parliament makes representatives see the world through a distorted mirror. A workers parliament, engaged in the tasks of governing would, said Bakunin, end up a chamber of “determined aristocrats, bold or timid worshipers of the principle of authority who will also become exploiters and oppressors.”

The point that Bakunin makes time and time again in his writings is that no one can govern for the people in their interests. Only personal and direct control over our lives will ensure that justice and freedom will prevail. To abdicate direct control is to deny freedom. To grant political sovereignty to others, whether under the mantle of democracy, republicanism, the people’s state, or whatever, is to give others control and therefore domination over our lives.

It might be thought that the referendum, in which people directly make laws, would be an advance upon the idea of representative democracy. This is not the case according to Bakunin, for a variety of reasons. Firstly, the people are not in a position to make decisions on the basis of full knowledge of all the issues involved. Also, laws may be a complex, abstract, and specialized nature and that in order to vote for them in a serious way, the people need to be fully educated and have available the time and facilities to reflect upon and discuss the implications involved. The reality of referenda is that they are used by full-time politicians to gain legitimacy for essentially bourgeois issues. It is no coincidence that Switzerland, which has used the referendum frequently, remains one of the most conservative countries in Europe. With referenda, the people are guided by politicians, who set the terms of the debate. Thus despite popular input, the people still remain under bourgeois control.

Finally, Bakunin on the whole concept of the possibility of the democratic state: For him the democratic state is a contradiction in terms since the state is essentially about force, authority and domination and is necessarily based upon an inequality of wealth and power. Democracy, in the sense of self rule for all, means that no one is ruled. If no one rules, there can be no state. If there is a state, there can be no self rule.

Marx

Bakunin’s opposition to Marxism involves several separate but related criticisms. Though he thought Marx was a sincere revolutionary, Bakunin believed that the application of the Marxist system would necessarily lead to the replacement of one repression (capitalist) by another (state socialist).

Firstly, Bakunin opposed what he considered to be the economic determinist element in Marx’s thought, most simply stated that “Being determines consciousness.” Put in another way, Bakunin was against the idea that the whole range of ’super structural’ factors of society, its laws, moralities, science, religion, etc. were “but the necessary after effects of the development of economic facts.” Rather than history or science being primarily determined by economic factors (e.g. the ‘mode of production’), Bakunin allowed much more for the active intervention of human beings in the realization of their destiny.

More fundamental was Bakunin’s opposition to the Marxist idea of dictatorship of the proletariat which was, in effect, a transitional state on the way to stateless communism. Marx and Engles, in the Communist Manifesto of 1848, had written of the need for labor armies under state supervision, the backwardness of the rural workers, the need for centralized and directed economy, and for wide spread nationalization. Later, Marx also made clear that a workers’ government could come into being through universal franchise. Bakunin questioned each of these propositions.

The state, whatever its basis, whether it be proletarian or bourgeois, inevitably contains several objectionable features. States are based upon coercion and domination. This domination would, Bakunin stated, very soon cease to be that of the proletariat over its enemies but would become a state over the proletariat. This would arise, Bakunin believed, because of the impossibility of a whole class, numbering millions of people, governing on its own behalf. Necessarily, the workers would have to wield power by proxy by entrusting the tasks of government to a small group of politicians.

Once the role of government was taken out of the hands of the masses, a new class of experts, scientists and professional politicians would arise. This new elite would, Bakunin believed, be far more secure in its domination over the workers by means of the mystification and legitimacy granted by the claim to acting in accordance with scientific laws (a major claim by Marxists). Furthermore, given that the new state could masquerade as the true expression of the people’s will. The institutionalizing of political power gives rise to a new group of governors with the same self seeking interests and the same cover-ups of its dubious dealings.

Another problem posed by the statist system, that of centralized statist government would, argued Bakunin, further strengthen the process of domination. The state as owner, organizer, director, financier, and distributor of labor and economy would necessarily have to act in an authoritarian manner in its operations. As can be seen by the Soviet system, a command economy must act with decision flowing from top to bottom; it cannot meet the complex and various needs of individuals and, in the final analysis, is a hopeless, inefficient giant. Marx believed that centralism, from whatever quarter, was a move toward the final, statist solution of revolution. Bakunin, in contrast opposed centralism by federalism.

Bakunin’s predictions as to the operation of Marxist states has been borne out of reality. The Bolsheviks seized power in 1917, talked incessantly of proletarian dictatorship and soviet power, yet inevitably, with or without wanting to, created a vast bureaucratic police state.

Unions

Most of the left in Britain view the present structures of trade unions in a positive light. This is true for members of the Labor Party, both left and right, the Communist Party, the Militant Tendency and many other Marxist organizations. These bodies wish to capture or retain control of the unions, pretty much as they stand, in order to use them for their own purposes. As a result, there are frequently bitter conflicts and maneuverings within the unions for control. This trend is most apparent in the C.P.S.A. where a vicious anti-communist right wing group alternates with the Militant Tendency and its supporters for control of the union executive and full time posts. The major exception to this is the Socialist Workers Party which advocates rank and file organization, so long as the S.W.P. can control it.

Bakunin laid the foundations of the anarchist approach to union organization and the general tendency of non-anarchist unions to decay into personal fiefdoms and bureaucracy over a century ago. Arguing in the context of union organization within the International Working Mens Association, he gave examples of how unions can be stolen from the membership whose will they are supposed to be an expression of. He identified several interrelated features which lead to the usurpation of power by union leaders.

Firstly, he indicated a psychological factor which plays a key part. Honest, hardworking, intelligent and well meaning militants win through hard work the respect and admiration of their fellow members and are elected to union office. They display self sacrifice, initiative and ability. Unfortunately, once in positions of leadership, these people soon imagine themselves to be indispensable and their focus of attention centers more and more on the machinations within the various union committees.

The one time militant thus becomes removed from the every day problems of the rank and file members and assumes the self delusion which afflicts all leaders, namely a sense of superiority.

Given the existence of union bureaucracies and secret debating chambers in which leaders decide union actions and policies, a ‘governmental aristocracy’ arises within the union structures, no matter how democratic those structures may formally be. With the growing authority of the union committees etc., the workers become indifferent to union affairs, with the exception Bakunin asserts, of issues which directly affect them e.g. dues payment, strikes etc. Unions have always had great problems in getting subscriptions from alienated memberships, a solution which has been found in the ‘check off’ system by which unions and employers collaborate to remove the required sum at source, i.e. from the pay packet.

Where workers do not directly control their union and delegate authority to committees and full-time agents, several things happen. Firstly, so long as union subscriptions are not too high, and back dues are not pressed too hard for, the substituting bodies can act with virtual impunity. This is good for the committees but brings almost to an end the democratic life of the union. Power gravitates increasingly to the committees and these bodies, like all governments substitute their will for that of the membership. This in turn allows expression for personal intrigues, vanity, ambition and self-interest. Many intra-union battles, which are ostensibly fought on ideological grounds, are in fact merely struggles for control by ambitious self seekers who have chosen the union for their career structure. This careerism occasionally surfaces in battles between rival leftists, for example where no political reasons for conflict exist. In the past the Communist Party offered a union career route within certain unions and such conflicts constantly arose.

Presumably, within the Militant Tendency, which also wishes to capture unions, the same problem exists.

Within the various union committees, which are arranged on a hierarchical basis (mirroring capitalism), one or two individuals come to dominate on the basis of superior intelligence or aggressiveness. Ultimately, the unions become dominated by bosses who hold great power in their organizations, despite the safeguards of democratic procedures and constitutions. Over the last few decades, many such union bosses have become national figures, especially in periods of Labor government.

Bakunin was aware that such union degeneration was inevitable but only arises in the absence of rank and file control, lack of opposition to undemocratic trends and the accession to union power to those who allow themselves to be corrupted. Those individuals who genuinely wish to safeguard their personal integrity should, Bakunin argued, not stay in office too long and should encourage strong rank and file opposition. Union militants have a duty to remain faithful to their revolutionary ideals.

Personal integrity, however, is an insufficient safeguard. Other, institutional and organizational factors must also be brought into play. These include regular reporting to the proposals made by the officials and how they voted, in other words frequent and direct accountability. Secondly, such union delegates must draw their mandates from the membership being subject to rank and file instructions. Thirdly, Bakunin suggests the instant recall of unsatisfactory delegates. Finally, and most importantly, he urged the calling of mass meetings and other expressions of grass roots activity to circumvent those leaders who acted in undemocratic ways. Mass meetings inspire passive members to action, creating a camaraderie which would tend to repudiate the so called leaders.

(Electronic Ed- From this, one can conclude that Bakunin was a major inspiration for the anarcho-syndicalist movement.)

Revolutionary Organization

Above all else, Bakunin the revolutionary, believed in the necessity of collective action to achieve anarchy. After his death there was a strong tendency within the anarchist movement towards the abandonment of organization in favor of small group and individual activity. This development, which culminated in individual acts of terror in the late nineteenth century France, isolating anarchism from the very source of the revolution, namely the workers.

Bakunin, being consistent with other aspects of his thought, saw organization not in terms of a centralized and disciplined army (though he thought self discipline was vital), but as the result of decentralized federalism in which revolutionaries could channel their energies through mutual agreement within a collective. It is necessary, Bakunin argued, to have a coordinated revolutionary movement for a number of reasons. Firstly, is anarchists acted alone, without direction they would inevitably end up moving in different directions and would, as a result, tend to neutralize each other. Organization is not necessary for its own sake, but is necessary to maximize strength of the revolutionary classes, in the face of the great resources commanded by the capitalist state.

However, from Bakunin’s standpoint, it was the spontaneous revolt against authority by the people which is of the greatest importance. The nature of purely spontaneous uprisings is that they are uneven and vary in intensity from time to time and place to place. The anarchist revolutionary organization must not attempt to take over and lead the uprising but has the responsibility of clarifying goals, putting forward revolutionary propaganda, and working out ideas in correspondence with the revolutionary instincts of the masses. To go beyond this would undermine the whole self-liberatory purpose of the revolution. Putchism has no place in Bakunin’s thought.

Bakunin then, saw revolutionary organization in terms of offering assistance to the revolution, not as a substitute. It is in this context that we should interpret Bakunin’s call for a “secret revolutionary vanguard” and “invisible dictatorship” of that vanguard. The vanguard it should be said, has nothing in common with that of the Leninist model which seeks actual, direct leadership over the working class. Bakunin was strongly opposed to such approaches and informed his followers that “no member… is permitted, even in the midst of full revolution, to take public office of any kind, nor is the (revolutionary) organization permitted to do so… it will at all times be on the alert, making it impossible for authorities, governments and states to be established.” The vanguard was, however, to influence the revolutionary movement on an informal basis, relying on the talents of it’s members to achieve results. Bakunin thought that it was the institutionalization of authority, not natural inequalities, that posed a threat to the revolution. The vanguard would act as a catalyst to the working classes’ own revolutionary activity and was expected to fully immerse itself in the movement. Bakunin’s vanguard then, was concerned with education and propaganda, and unlike the Leninist vanguard party, was not to be a body separate from the class, but an active agent within it.

The other major task of the Bakuninist organization was that it would act as the watchdog for the working class. Then, as now, authoritarian groupings posed as leaders of the revolution and supplied their own members as “governments in waiting.” The anarchist vanguard has to expose such movements in order that the revolution should not replace one representative state by another ‘revolutionary’ one. After the initial victory, the political revolutionaries, those advocates of so-called workers’ governments and the dictatorship of the proletariat, would according to Bakunin try “to squelch the popular passions. They appeal for order, for trust in, for submission to those who, in the course and the name of the revolution, seized and legalized their own dictatorial powers; this is how such political revolutionaries reconstitute the state. We on the other hand, must awaken and foment all the dynamic passions of the people.”

 

Anarchy

Throughout Bakunin’s criticisms of capitalism and state socialism he constantly argues for freedom. It is not surprising, then, to find that in his sketches of future anarchist society that the principle of freedom takes precedence. In a number of revolutionary programs he outlined which he considered to be the essential features of societies which would promote the maximum possible individual and collective freedom. The societies envisioned in Bakunin’s programs are not Utopias, the sense of being detailed fictional communities, free of troubles, but rather suggest the basic minimum skeletal structures which would guarantee freedom. The character of future anarchist societies will vary, said Bakunin depending on a whole range of historical, cultural, economic and geographical factors.

The basic problem was to lay down the minimum necessary conditions which would bring about a society based upon justice and social welfare for all and would also generate freedom. The negative, that is, destructive features of the programs are all concerned with the abolition of those institutions which lead to domination and exploitation. The state, including the established church, the judiciary, state banks and bureaucracy, the armed forces and the police are all to be swept away. Also, all ranks, privileges, classes and the monarchy are to be abolished.

The positive, constructive features of the new society all interlink to promote freedom and justice. For a society to be free, Bakunin argued, it is not sufficient to simply impose equality. No, freedom can only be achieved and maintained through the full participation in society of a highly educated and healthy population, free from social and economic worries. Such an enlightened population, can then be truly free and able to act rationally on the basis of a popularly controlled science and a thorough knowledge of the issues involved.

Bakunin advocated complete freedom of movement, opinion, morality where people would not be accountable to anyone for their beliefs and acts. This must be, he argued, complete and unlimited freedom of speech, press and assembly. Freedom, he believed, must be defended by freedom, for to “advocate the restriction of freedom on the pretext that it is being defended is a dangerous delusion.” A truly free and enlightened society, Bakunin said, would adequately preserve liberty. An ordered society, he thought, stems not from suppression of ideas, which only breeds opposition and factionalism, but from the fullest freedom for all.

This is not to say that Bakunin did not think that a society has the right to protect itself. He firmly believed that freedom was to be found within society, not through its destruction. Those people who acted in ways that lessen freedom for others have no place; These include all parasites who live off the labor of others. Work, the contribution of one’s labor for the creation of wealth, forms the basis of political rights in the proposed anarchist society. Those who live by exploiting others do not deserve political rights. Others, who steal, violate voluntary agreements within and by society, inflict bodily harm etc. can expect to be punished by the laws which have been created by that society. The condemned criminal, on the other hand, can escape punishment by society by removing himself/herself from society and the benefits it confers. Society can also expel the criminal if it so wishes. Basically thought, Bakunin set great store on the power of enlightened public opinion to minimize anti-social activity.

Bakunin proposed the equalization of wealth, though natural inequalities which are reflected in different levels of skill, energy and thrift, should he argued be tolerated. The purpose of equality is to allow individuals to find full expression of their humanity within society. Bakunin was strongly opposed to the idea of hired labor which if introduced into an anarchist society, would lead to the reintroduction of inequality and wage slavery. He proposed instead collective effort because it would, he thought, tend to be more efficient. However, so long as individuals did not employ others, he had no objection to them working alone.

Through the creation of associations of labor which could coordinate worker’s activities, Bakunin proposed the setting up of an industrial assembly in order to harmonize production with the demand for products. Such an assembly would be necessary in the absence of the market. Supplied with statistical information from the various voluntary organization who would be federated, production could be specialized on an international basis so that those countries with inbuilt economic advantages would produce most efficiently for the general good. Then, according to Bakunin, waste, economic crisis and stagnation “will no longer plague mankind; the emancipation of human labor will regenerate the world.”

Turning to the question of the political organization of society, Bakunin stressed that they should all be built in such a way as to achieve order through the realization of freedom on the basis of the federation of voluntary organizations. In all such political bodies power is to flow “from the base to the summit” and from “the circumference to the center/” In other words, such organizations should be the expressions of individual and group opinions, not directing centers which control people.

On the basis of federalism, Bakunin proposed a multi-tier system of responsibility for decision making which would be binding on all participants, so long as they supported the system. Those individuals, groups or political institutions which made up the total structure would have the right to secede. Each participating unit would have an absolute right to self-determination, to associate with the larger bodies, or not. Starting at the local level, Bakunin suggested as the basic political unit, the completely autonomous commune. The commune, on the basis of universal suffrage, would elect all of its functionaries, law makers, judges, and administrators of communal property.

The commune would decide its own affairs but, if voluntarily federated to the next tier of administration, the provincial assembly, its constitution must conform to the provincial assembly. Similarly, the constitution of the province must be accepted by the participating communes. The provincial assembly would define the rights and obligations existing between communes and pass laws affecting the province as a whole. The composition of the provincial assembly would be decided on the basis of universal suffrage.

Further levels of political organization would be the national body, and, ultimately, the international assembly. As regards international organization, Bakunin proposed that there should be no permanent armed forces, preferring instead, the creation of local citizens’ defense militias. Disputes between nations and their provinces would be settled by an international assembly. This assembly, if required, could wage war against outside aggressors but should a member nation of the international federation attack another member, then it faces expulsion and the opposition of the federation as a whole.

Thus, from root to branch, Bakunin’s outline for anarchy is based upon the free federation of participants in order to maximize individual and collective well being.

Bakunin’s Relevance Today

Throughout most of this pamphlet Bakunin has been allowed to speak for himself and any views by the writer of the pamphlet are obvious. In this final section it might be valuable to make an assessment of Bakunin’s ideas and actions.

With the dominance of Marxism in the world labor and revolutionary movements in the twentieth century, it became the norm to dismiss Bakunin as muddle-headed or irrelevant. However, during his lifetime he was a major figure who gained much serious support. Marx was so pressured by Bakunin and his supporters that he had to destroy the First International by dispatching it to New York. In order that it should not succumb to Anarchism, Marx killed it off through a bureaucratic maneuver.

Now that Marxism has been seriously weakened following the collapse of the USSR and the ever increasingly obvious corruption in China, Bakunin’s ideas and revolutionary Anarchism have new possibilities. If authoritarian, state socialism has proved to be a child devouring monster, then libertarian communist ideas once again offer a credible alternative.

The enduring qualities of Bakunin and his successors are many, but serious commitment to the revolutionary overthrow of capitalism and the state must rank high. Bakunin was much more of a doer than a writer, he threw himself into actual insurrections, much to the trepidation of European heads of state. This militant tradition was continued by Malatesta, Makhno, Durruti, and many other anonymous militants. Those so-called anarchists who adopt a gradualist approach are an insult to Anarchism. Either we are revolutionaries or we degenerate into ineffective passivism.

Bakunin forecast the dangers of statist socialism. His predictions of a militarized, enslaved society dominated by a Marxist ruling class came to pass in a way that even Bakunin could not have fully envisaged. Lenin, Trotsky and Stalin outstripped even the Tsars in their arrogance and brutality. And, after decades of reformist socialism which have frequently formed governments, Bakunin’s evaluations have been proved correct. In Britain we have the ultimate insult to working people in the form of “socialist Lords”. For services to capitalism, Labor MP’s are ultimately granted promotion to the aristocracy.

Bakunin fought for a society based upon justice, equality and freedom. Unlike political leaders of the left he had great faith in the spontaneous, creative and revolutionary potential of working people. His beliefs and actions reflect this approach. So, revolutionaries can learn much of value from his federalism, his militancy and his contempt for the state, which, in the twentieth century, has assumed gigantic and dangerous proportions, Bakunin has much to teach us but we too must develop our ideas in the face of new challenges and opportunities. We must retain the revolutionary core of his thought yet move forward. Such is the legacy of Bakunin.

With this in mind, the Anarchist Communist Federation is developing a revolutionary anarchist doctrine, which whilst being ultimately based on Bakunin’s ideas, goes much further to suit the demands of present-day capitalism. Ecological issues, questions of imperialist domination of the world, the massive oppression of women, the automation of industry, computerized technology etc. are all issues that have to be tackled. We welcome the challenge!

 

FURTHER READING

There are two main compilations of Bakunin’s works which are quite readily available through public libraries. They are “Bakunin on Anarchy” edited by Sam Dolgoff and “The Political Philosophy of Bakunin” edited by G.P. Maximoff. Also worth looking at, if you can get hold of them are “The Basic Bakunin – Writings 1869-1871″ edited by Robert M. Cutler and “Mikhail Bakunin – From Out of the Dustbin”, edited by the same person.

For an understanding of the full profundity of Bakunin’s ideas, there is nothing to match “The Social and Political Thought of Michael Bakunin” by Richard B Saltman. This American publication should be available through your local library.

Bakunin’s works currently available:

  • “God and the State”
  • “Marxism, Freedom and the State” (edited by K.J. Kenafik)
  • “The Paris Commune and the Idea of the State”
  • “Statism and Anarchy” (heavy going) ed. Marshall Shatz.

dimanche, 18 octobre 2009

Otto Koellreutter (1883-1972)

KOELLREUTTER, Otto  1883-1972koellreutterotto.jpg

 

Ce professeur de droit public nait à Fribourg en Brisgau le 26 novembre 1883. Etudiant en droit, il rédige une thèse sur la figure du juge anglais puis poursuit ses investigations après la première guerre mondiale, où il est appelé sous les drapeaux, en se spécialisant dans le droit administratif anglais. Enseignant à Halle et à Iéna, il formule un antiparlementarisme couplé à la recherche d'une forme d'«Etat populaire» (Volksstaat)  reposant sur des principes radicalement autres que ceux du positivisme juridique. Il reçoit à cette époque l'influence des idées d'Oswald Spengler. De 1927 à 1944, il est le co-éditeur de la célèbre revue Archiv des öffentlichen Rechts.  Militant national-socialiste depuis les élections du 14 septembre 1930, il espère que le nouveau régime transposera dans le réel ses théories de l'«Etat populaire». D'essence bourgeoise et d'inspiration anglo-saxonne, les idées de Koellreutter peuvent être qualifiées de conservatrices. En fait, elles relèvent d'un conservatisme particulier qui croit percevoir une alternative viable au libéralisme dans le mouvement hitlérien. De 1933 à 1942, Koellreutter édite la revue Verwaltungsarchiv  (= Archives d'administration). Au fil du temps, ses espoirs sont déçus: le régime déconstruit l'Etat de droit sans rien construire de solide à la place. Il visite le Japon, en étudie le droit, et se transforme, à partir de 1938/39 en adversaire du régime dont il s'était fait le propagandiste zélé entre 1930 et 1936, en écrivant à son intention une longue série de brochures didactiques et précises. Ces nombreux écrits recèlent tous de pertinentes polémiques à l'encontre des thèses de Carl Schmitt, notamment de celle qui fait de la distinction ami/ennemi le fondement du politique. En 1942, la rupture est consommée: dans un article de la revue Verwaltungsarchiv,  il compare le droit et la figure du juge tels qu'ils sont perçus en Allemagne et en Angleterre, démontrant que ce dernier pays respecte davantage les principes du vieux droit germanique. Koellreutter quitte l'université en 1952, rédige pendant sa longue retraite trois sommes sur le droit constitutionnel et administratif. Il meurt le 23 février 1972 dans sa ville natale.

 

Peuple et Etat dans la vision-du-monde du national-socialisme (Volk und Staat in der Weltanschauung des Nationalsozialismus), 1935

 

Brochure didactique destinée à dévoiler aux juristes allemands les nouveaux principes qui allaient dorénavant gouverner l'Allemagne. Elle est intéressante car elle résume toute la polémique entre l'auteur et Carl Schmitt. Koellreutter commence par expliquer en quoi sa position n'est nullement «objective», au sens conventionnel du terme. L'objectivité, telle que la conçoivent les libéraux, est a-politique; elle ne recèle aucune énergie politique. Les concepts politiques doivent être en rapport avec le réel et avec une substance politique concrète, en l'occurrence le peuple. L'idée d'Etat chez Carl Schmitt est purement constructive; les ressortissants de l'Etat ont le devoir moral de le construire mais Carl Schmitt ne précise pas quelle doit être l'essence de cet Etat que postule l'éthique. La distinction fondamentale opérée par Carl Schmitt entre l'ami et l'ennemi conduit à percevoir le travail politique comme un conflit perpétuel, où l'homme se transforme en «carnassier». Schmitt inverserait ainsi Rousseau, en transformant son idyllisme pastoraliste en idyllisme du carnassier. En ce sens, seule la guerre est politique, ce que conteste Koellreutter qui, comme Clausewitz, ne voit en elle qu'un moyen. Chez Schmitt, cette apologie implicite de la guerre participe du propre même des idéologies niant la primauté du Volk. Elle exprime bien l'essence du Machtstaat  libéral ou de l'impérialisme. La pensée völkische  du national-socialisme, elle, part du principe de la communauté, de la définition de l'ami, du camarade. Elle insiste sur ce qui unit les hommes et non sur ce qui les sépare. Dans une telle optique, la guerre n'a rien d'essentiel et la paix entre les nations est une valeur cardinale.

 

Dans Staat, Bewegung und Volk,  le petit livre où Carl Schmitt tente de parfaire son aggiornamento  national-socialiste, l'Etat est l'instance statique et conservante, porté par le fonctionnariat et l'armée; le mouvement est l'instance dynamique, qui recueille, trie et affecte les énergies émanant du peuple; quant à ce dernier, s'il n'adhère pas au mouvement, il n'est  qu'une masse inerte a-politique. Pour Koellreutter, cette définition du peuple comme masse inerte a-politique relève d'une «doctrine du pouvoir étrangère aux lois du sang», dérivée de Hegel et de la pensée politique latine sans ancrage ethnique précis. Elle est fasciste, dans le sens où Guido Bartolotto, dans Die Revolution der jungen Völker , a défini l'idéologie italienne née sous l'impulsion de Mussolini: le national-socialisme repose sur la substance ethnique; le fascisme sur la culture, la tradition et l'éthique, toutes instances sans incarnation  —au sens littéral du mot—  précise. Toute pensée germanique, à la différence des pensées politiques romanes, s'ancre dans une substance populaire, ce qui interdit de penser le peuple comme une masse amorphe a-politique. Ce sont au contraire l'Etat et le mouvement qui puisent leurs énergies dans le peuple. Pour Koellreutter, l'Etat n'a pas de valeur en soi; il n'est qu'un moyen parmi d'autres moyens pour faire rayonner les énergies émanant du peuple. Cette idée de rayonnement génère la paix dans le monde, car le régime qui œuvre au rayonnement du peuple dont il est l'émanation politique respecte ipso facto les institutions qui permettent le rayonnement d'un peuple voisin. 

 

 

Le droit constitutionnel allemand. Une vue d'ensemble (Deutsches Verfassungsrecht. Ein Grundriß), 1936

 

Ouvrage abordant l'ensemble des questions fondamentales de la politologie, Deutsches Verfassungsrecht  commence par définir le politique comme l'expression d'une attitude spirituelle et d'un type humain particulier. Cette attitude et ce type humain varient selon les époques: c'est le bourgeois à l'heure où le libéralisme entre en scène; c'est le soldat politique après que les valeurs du libéralisme se soient écroulées dans les tranchées du front. D'emblée, Koellreutter formule sa critique majeure à l'endroit des thèses de Carl Schmitt. Celui-ci a déduit sa notion du politique à partir de la distinction ami-ennemi. La faiblesse de cette définition réside en ceci: l'ami n'est plus que le non-ennemi. D'où, estime Koellreutter, Schmitt évacue la dimension communautaire et pose un type d'homme politique purement formel qui risque, ambiance darwinienne aidant, par se transformer en «carnassier politique». C'est ce qui explique pourquoi Carl Schmitt affirme que seule la guerre relève du politique à l'état pur. Koellreutter refuse cette affirmation schmittienne car elle implique que l'essence de la politique extérieure ne réside que dans le conflit entre les peuples. Pour Carl Schmitt, seule la politique extérieure est essentiellement politique. Il y a chez Schmitt, constate et conteste Koellreutter, un primat de la politique extérieure.

A rebours de Schmitt, la conception völkische,  ethniste et populiste, voit l'essence du politique dans l'orientation communautaire. Cette conception désigne plutôt l'ami, le Volksgenosse, le camarade. Elle est issue de la camaraderie des tranchées. Elle est l'expression typique du soldat politique qui participe et se donne à une communauté. Pour les nationaux-socialistes, il n'y a pas de primat de la politique extérieure; il n'y a en fait aucun primat qui soit. A l'intérieur, le national-socialisme veut forger la «communauté populaire» (la Volksgemeinschaft), c'est-à-dire une communauté de soldats politiques, qui englobe toute la réalité politique. A l'extérieur, Koellreutter veut qu'il y ait reconnaissance mutuelle entre les peuples et non conflit ou inimitié. L'accent n'est donc pas mis sur l'ennemi mais sur la solidarité. Le national-socialisme, du moins de la façon dont le conçoit Koellreutter, doit reconnaître la valeur des ethnicités étrangères. La guerre n'est pas un idéal social mais un moyen extrême pour conserver la plus haute valeur d'une communauté populaire: son honneur.

Avant l'avènement du national-socialisme, deux courants d'idées dominaient en Occident et dans le monde: le libéralisme anglais et la démocratie formelle française. Ces deux courants étaient déterminants pour l'ensemble des systèmes politiques. En Allemagne, pourtant, l'un et l'autre étaient incompatibles avec les racines du droit allemand. Koellreutter procède à une définition du libéralisme politique. Il correspond à la nature du peuple anglais et à la géographie insulaire. L'insularité met à l'abri d'attaques venues de l'étranger, ce qui donne un sentiment de liberté. Mais le libéralisme radical, comme par exemple celui que veut promouvoir un Hans Kelsen, dès qu'il est exporté en Allemagne, provoque la dissolution et la dégénérescence car il ne peut s'appliquer à un peuple qui est perpétuellement sur la défensive, le long de frontières ouvertes, menacées par plusieurs puissances ennemies. L'Allemagne a besoin de cohésion et de solidarité, vertus diamétralement opposées à la liberté au sens anglo-saxon.

La définition que nous donne Koellreutter de la démocratie formelle repose sur l'idée du contrat social de Rousseau, où l'on repère une exigence d'égalité formelle, laquelle doit, pour pouvoir s'appliquer, limiter la liberté personnelle. Les individus soumis à la démocratie formelle sont pensés dans l'abstrait et sont par principe porteurs de droits politiques égaux. Dans un tel contexte, c'est la majorité arithmétique qui règne, domine et, en certaines circonstances, écrase ses adversaires. Cette majorité arithmétique veut absolument faire l'identité entre dominants et dominés, les homogénéiser. C'est cette majorité circonstancielle qui détermine le contenu de la liberté et de l'égalité. De cet état de choses découle un relativisme que Koellreutter juge pernicieux car à chaque élection, ce contenu est susceptible de changer. Il n'y a plus de valeurs politiques absolues et permanentes, ancrées dans les tréfonds de l'âme populaire. Les seules valeurs qui subsistent sont celles, aléatoires, que crée l'individu au gré des circonstances. Ce qui interdit toute symbiose entre les individus et l'Etat, lequel déchoit en simple appareil, en «veilleur de nuit». Dans une démocratie formelle, les portes sont ouvertes au libéralisme, surtout dans le domaine de l'économie.

Le marxisme est fruit du libéralisme car sa position de base ne retient aucune forme d'ethnicité. Quant à l'Etat-appareil de la démocratie formelle, il se mue, après une révolution de type marxiste, en un Etat de classe. En effet, la seule réalité politique pour le marxisme, c'est la lutte des classes. Peuple et Etat ne relèvent que de la superstructure idéologique, ne sont finalement que du «vent». Pour les marxistes comme pour Carl Schmitt, c'est l'antagonisme qui prime. Les thèses des uns comme de l'autre ne retiennent aucun volet constructif impliquant qu'il faille forger la Volksgemeinschaft.  Cette lacune explique pourquoi la démocratie libérale ne peut dépasser le marxisme. L'ère de Weimar a prouvé que la seule possibilité pour sauver le libéralisme et la démocratie formelle, c'est de s'allier aux marxistes. Mais ce compromis est fragile: le marxisme étant conséquent à l'extrême, comme l'a démontré le bolchévisme russe, il élimine en bout de course la démocratie bourgeoise. Ou bien, autre possibilité, il veut raviver les liens qui unissent l'individu à son peuple et à l'Etat comme en Italie et se mue alors en fascisme ou, dans le cas allemand, en national-socialisme.

Au vu de ces évolutions, Koellreutter conclut que seule la révolution nationale-socialiste est une vraie révolution car elle transforme de fond en comble les assises de l'Etat et crée le Führerstaat.  Le peuple n'est plus alors une somme arithmétique de citoyens mais une unité vivante. La notion de race, l'accent mis sur le sol et la patrie charnelle, l'insistance sur le principe de totalité (Ganzheit)  assurent la continuité du processus politique, reflet de la vie du peuple à travers les siècles. L'Etat n'a pas de valeur en soi. Il sert à donner forme, mais reste extérieur à la substance. Si la substance finit par se retrouver à l'étroit dans la forme étatique qui l'enserre, elle s'en débarrasse par une révolution et en crée une nouvelle. Pour Otto Koellreutter, l'idée d'Etat, comme «réalité de l'idée éthique» (Hegel), est un instrument précieux mais il faut se garder de l'idolâtrer.

Le droit que préconise Koellreutter est d'inspiration «communautaire». Ce droit, expression des idées innées du peuple, doit refléter ce qui apparaît juste pour la protection, la promotion et le développement du peuple. Le droit et l'Etat doivent être des fonctions multiplicatrices des forces vitales du peuple. Un tel Etat est de droit puisqu'il évacue les barrières qui s'opposent à ou freinent l'épanouissement des potentialités du peuple. Le droit qu'il défend et ancre dans la réalité est davantage légitimité que légalité, contrairement au libéralisme.

L'objet de toute constitution est de faire l'unité du peuple. La conception libérale de la constitution veut que l'Etat libéral soit un Etat constitutionnel capable de réaliser les idées de liberté et d'égalité. Elle laisse une large place aux droits fondamentaux de l'individu dans la pensée constitutionnaliste. Ensuite, le libéralisme veut écrire le droit donc le figer. Un droit écrit est très difficile à modifier car le juriste doit alors inventer des techniques juridiques excessivement complexes qui ralentissent les processus de transformation nécessaires de la société. A ce droit constitutionnel individualiste/libertaire et égalitaire, techniquement complexe, doit se substituer une pensée constitutionnaliste nationale-socialiste, écrit Koellreutter, inspirée du modèle anglais qui se passe de constitution, car, à l'époque de Cromwell (celle du Führerstaat  anglais dans sa forme la plus pure), l'Angleterre ne connaissait pas les exagérations de l'individualisme. La constitution anglaise est en fait implicite et non écrite. Elle croît organiquement. Ont valeur de constitution des lois comme le Bill of Rights  de 1689 qui assure les libertés individuelles ou le Parliament Act  de 1911 qui diminue considérablement le rôle de la Chambre des Lords dans l'élaboration des lois. Ce mode de fonctionnement organique est d'essence germanique, conclut Koellreutter. Aussi, en Allemagne, il importe d'introduire une constitution vivante qui puisse répondre immédiatement aux impératifs de l'heure. Le national-socialisme a déjà procédé de la sorte, constate Koellreutter, en citant la loi de prise du pouvoir du 24 mars 1933  —la fameuse Ermächtigungsgesetz—  la loi du plébiscite du 14 juillet 1933, la loi sur l'unité du parti et de l'Etat du 1er décembre 1933, les lois raciales de Nuremberg sur la «protection du sang et de l'honneur allemands» (15 septembre 1935). De telles lois peuvent être modifiées sans grandes complications d'ordre technique. L'objet ne doit donc pas être de construire un système écrit de normes mais de façonner politiquement et juridiquement le corps du peuple par une direction (Führung)  liée à ce même peuple.

La science juridique libérale est positiviste, ce qui la fait basculer dans la technicité et la dogmatique juridiques. Le droit étatique déchoit en annexe du droit privé et lui est subordonné (cf. Paul Laband et Otto Mayer). Otto von Gierke a été pionnier, estime Koellreutter, en explorant le droit communautaire et le Genossenschaftsrecht  allemands (le droit des compagnonnages). De cette exploration, il est permis de conclure que la veine communautaire constitue l'essentiel du droit allemand. Il s'avère donc nécessaire de hisser ces principes communautaires aux niveaux du peuple, de l'Etat et du droit. Ce sens inné du droit a rendu impopulaire la démocratie formelle et le positivisme juridique de Weimar, d'autant plus que la «camaraderie des tranchées» avait évacué les réflexes individualistes bourgeois. Koellreutter constate dès lors un rejet du constructivisme juridique pur, de la théorie pure du droit et de l'Etat (Hans Kelsen). Droit et Etat ne sont plus que des constructions abstraites. D'où le but des nouvelles sciences juridiques est désormais de forger un droit porté par les chefs naturels qui se sont imposés par leurs qualités personnelles dans les tranchées.

Le modèle du futur droit allemand est anglais. Car le droit anglais rejette les dogmes et les spéculations tout en allant droit au vécu. Il suscite une pensée juridique qui fusionne droit et politique. Le contenu, la substance politique, prime la forme juridique. Aux formes figées du droit, il faut donner un sens politique, sans pour autant les abolir. Il suffit de reprendre ce qui est utile. S'il y avait harmonie totale au sein de la communauté populaire, il n'y aurait pas besoin de droit ni d'Etat. Mais, tonne Koellreutter, il y a les indisciplinés et les «tire-au-flanc» (Drückeberger).  Donc croire à une harmonie totale relève d'une pensée anti-politique (impolitique). L'esprit communautaire naît par l'action de fortes personnalités.

En présentant à ses lecteurs la pensée juridique völkische, Koellreutter formule une seconde critique à l'encontre de Carl Schmitt. Notamment contre sa distinction entre les Ordnungsdenken  (les pensées de l'ordre) normatif, décisionniste et concret. La pensée juridique völkische  refuse les distinctions trop discriminantes et, par conséquent, trop abstraites. Elle entend s'orienter par rapport à la réalité politique. Elle refuse la spéculation pour privilégier la mise en forme. La concrétude se manifeste toujours par le sens particulier, typé, de la concrétude que génère un peuple donné. Norme et décision jouent un rôle important car la norme met le sens de la concrétude en forme et la décision tranche dans le sens de l'épanouissement de la communauté populaire.

Koellreutter aborde également les fondements historiques du droit constitutionnel allemand depuis l'époque médiévale jusqu'au XIXième siècle, en abordant successivement l'essence du Reich, des pouvoirs territoriaux allemands (Prusse et Autriche), de la Confédération Germanique, le défi de l'unification économique graduelle, l'évolution du droit constitutionnel prussien (l'impact de la pensée du Baron von Stein), l'évolution du droit constitutionnel des Etats de l'Allemagne méridionale, la signification de l'Assemblée nationale de Francfort en 1848 (première représentation d'un mouvement populaire, issu des corporations étudiantes  —les célèbres Burschenschaften—  et des combattants de la guerre de libération de 1813). Cette histoire révèle une opposition constante entre la légitimité et la légalité. Opposition patente dans le cas du Parlement de Francfort qui sous-estimait le poids des constitutions prussienne et autrichienne, impossibles à évacuer sans combat donc sans guerre civile. Les juristes allemands ont tenté de combler le hiatus entre la légalité et la légitimité dans la nouvelle constitution du Reich de 1849 en introduisant un système bicaméral et en pensant juridiquement la Confédération nord-allemande (Norddeutscher Bund).  Le Reich de Bismarck, porté par l'armée populaire victorieuse en 1871, était un Etat fédéral (Bundesstaat),  où les Etats allemands gardaient leur souveraineté et le Bundesrat  (le Conseil fédéral) regroupait les souverains de ces Etats membres de la confédération. Le Bundesrat  était présidé par le roi de Prusse qui acquérait ainsi la dignité d'Empereur. Koellreutter explique que ce fédéralisme était perçu comme provisoire, ce que prouve également la querelle entre l'école du Bavarois von Seydel, pour qui les Etats du Reich demeurent pleinement souverains, et l'école de Laband, pour qui ces Etats ont transféré définitivement leur souveraineté à l'instance englobante qu'est le Reich. Koellreutter estime que le Bundesstaat  bismarckien ne tenait que grâce à la personnalité charismatique du Chancelier de Fer. Ce dernier, pourtant, par manque de temps, n'a pas réussi à éduquer une caste de dirigeants nouveaux; son départ a provoqué le cafouillage du wilhelminisme, puis les querelles de prestige sur la scène internationale qui ont abouti aux carnages de 1914.

Koellreutter procède ensuite à une analyse de la constitution de Weimar. La République d'après 1918 est également un faux Etat fédéral. Son principal défaut est de n'avoir qu'une seule Volkskammer  (Chambre du Peuple) et de refuser toute forme de Sénat comme contraire au principe d'égalité. Ensuite le système de Weimar laisse la bride sur le cou des partis. L'Etat partitocratique ne fonctionne que s'il y a unité de vue entre tous les partis sur les choses essentielles du politique. En Allemagne, cette unanimité était inexistante. Les partis se sont affrontés sans vouloir faire le moindre compromis parce qu'ils représentaient des Weltanschauungen  trop différentes, sur les plans de l'économie, de la religion et de la culture. Les querelles ont provoqué la multiplication des partis donc l'ingouvernabilité du pays. Le système de Weimar est un liberaler Machtstaat  qui ne défend que les intérêts d'une bourgeoisie numériquement infime, donc dépourvue d'assises tangibles dans la population. En fait, cette république et une dictature camouflée, explique Koellreutter, avec son Président comme «gardien de la Constitution». Elle maintient telle quelle une Constitution qui ne répond plus aux besoins de survie de la nation.

Koellreutter définit ensuite les notions de peuple (Volk)  et de nation. La notion de Volk  que propose Koellreutter s'oppose diamétralement à celle que suggère Carl Schmitt. Pour Koellreutter, le Volk  n'est pas la masse non politisée de la nation: une telle définition serait le propre du libéralisme musclé ou du fascisme. Le Volk, bien au contraire, est source du droit et du pouvoir. Koellreutter insiste alors sur la spécificité raciale/biologique et entend dépasser la définition spenglérienne du Volk  comme communauté d'histoire et de destin. Il reconnaît cependant que le peuple allemand est le résultat d'un mixage complexe qui doit être préservé comme telle en tant qu'Artgleicheit (égalité/homogénéité de l'espèce, de la race). Cette volonté de préservation s'exprime dans les lois de protection de la race et des terroirs.

Quant au concept de nation, c'est un concept français révolutionnaire ou italo-fasciste. Pour les idéologies françaises et italiennes, la nation est le produit d'un pouvoir; elle est créée par l'Etat. Koellreutter rejette ces définitions: pour lui, et pour la conception völkische  qu'il entend défendre et illustrer, Volk  et nation ne sont pas des notions essentiellement différentes. La nation est pour lui la volonté d'une communauté populaire de se positionner sur la scène internationale.

L'auteur aborde ensuite les fondements de la Führung. Le caractère populaire (völkisch)  de la Führung  permet de distinguer la «totalité de l'idée völkische»  de l'«Etat total» d'inspiration mussolinienne ou latine. La différence est nette pour Koellreutter; il s'agit de deux totalités très différentes. L'idée völkische  est une totalité naturelle; l'idée d'Etat total exprime la revendication de l'appareil du pouvoir dans son ensemble pour conserver sa position non völkische. L'autorité, pour Koellreutter et la tradition völkische,  doit s'enraciner dans une éthique communautaire qui unit le peuple et la Führung  et s'exprime dans une forme politique, un Etat. Les vrais chefs fusionnent en eux, dans leur personnalité, le Volksgeist  et le Volkswille  (la volonté populaire). Derrière de tels figures charismatiques, il convient de rassembler une Gefolgschaft  (une suite), unissant de plus en plus de citoyens. L'histoire a révélé plusieurs types de chefs politiques. La Führung  de l'Etat princier absolu (absoluter Fürstenstaat)  est l'aristocratie. L'Etat libéral-démocratique porte au pouvoir les politiciens bourgeois. En Angleterre, l'aristocratie est une aristocratie «ouverte», incorporant des bourgeois méritants pour former la caste dirigeante baptisée society. L'Etat national-socialiste trouve ses racines dans l'esprit des combattants de la Grande Guerre et des militants politiques de la «longue marche» de la NSDAP vers le pouvoir.

La Führung  politique nationale-socialiste se donne trois instruments de gouvernement: 1) le Parti (ou le Mouvement), instrument politique direct de la Führung;  2) le fonctionnariat professionnel, recruté dans toutes les strates du peuple est l'instrument traditionnel au service de toute Führung;  3) l'armée, la Wehrmacht,  instrument militaire. Ces trois instruments s'enracinent dans l'ensemble du peuple. Les citoyens qui les servent doivent être éduqués dans l'esprit de l'Etat nouveau. Le parti dirige toutes les forces du peuple contre l'ancien appareil. Dès qu'il arrive au pouvoir, sa mission change. Il commande alors l'Etat et éduque le peuple. Koellreutter refuse la séparation des pouvoirs, car le législatif et l'exécutif sont deux modalités de la Führung  qui doit rester unitaire. Pour assurer une représentation et donner forme à la pluralité du peuple, la Führung  organise corporativement la nation.

 

L'ouvrage se termine par une théorie de l'organisation économique, religieuse et culturelle du nouvel Etat, accompagnée de projets d'organisation corporative. A la liberté d'opinion libérale doit succéder une régulation de la vie culturelle. Le nouvel Etat doit garantir la liberté de la recherche scientifique.

(Robert Steuckers).

 

- Bibliographie: Richter und Master, 1908 (dissertation); Verwaltung und Verwaltungsrechtsprechung im modernen England, 1920; Die Staatslehre Oswald Spenglers, 1924; Die politischen Parteien im modernen Staate, 1926; Staat, Kirche und Schule im heutigen Deutschland, 1926; Der deutsche Staat als Bundesstaat und als Parteienstaat, 1927; Integrationslehre und Reichsreform, 1929; Der Sinn der Reichtagswahlen vom 14. Sept. 1930 und die Aufgabe der deutschen Staatslehre, 1930; Der nationale Rechtsstaat. Zum Wandel der deutschen Staatsidee, 1932; Volk und Staat in der Verfassungskrise, 1933; Grundriß der allgemeinen Staatslehre, 1933; Vom Sinn und Wesen der nationalen Revolution, 1933; Der deutsche Führerstaat, 1934; Volk und Staat in der Weltanschauung des Nationalsozialismus, 1935; Deutsches Verfassungsrecht. Ein Grundriß, 1935 (2ième éd., 1938); Grundfragen unserer Volks- und Staatsgestaltung, 1936; Deutsches Verfassungsrecht, 1936 (2ième éd., 1938); Der heutige Staatsaufbau Japans, 1941; «Recht und Richter in England und Deutschland», in Verwaltungsarchiv, 47, 1942; Deutsches Staatsrecht, 1953; Staatslehre im Umriß, 1955; Grundfragen des Verwaltungsrechts, 1955.

- Sur Otto Koellreutter: C.H. Ule, in Verwaltungsarchiv, 63, 1972; Jürgen Meinck, Weimarer Staatslehre und Nationalsozialismus. Eine Studie zum Problem der Kontinuität im staatsrechtlichen Denken in Deutschland 1928 bis 1936,  Frankfurt a.M., Campus, 1978; Michael Stolleis, «Otto Keullreutter», in Neue Deutsche Biographie, 12. Band, Duncker und Humblot, 1980; Joseph W. Bendersky, Carl Schmitt. Theorist for the Reich,  Princeton University Press, 1983.

lundi, 05 octobre 2009

Plaidoyer pour un polythéisme des valeurs de droite

athena.jpgPlaidoyer pour un polythéisme des valeurs de droite

par Rodolphe BADINAND

Il y a quelques semaines, Philippe de Villiers proposait, s’il accédait à la présidence de la République, « l’interdiction du voile islamique dans la rue et les espaces publics (1) », et cela au nom des valeurs républicaines. Il souhaitait surtout introduire en France une polémique qui secoue la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Cependant, la suggestion du candidat souverainiste à l’Élysée n’est pas anodine; elle s’inscrit dans une ambiance islamophobe et négatrice du droit à la différence, qui s’empare d’une droite frénétique. Dans La République et le Coran (2), Laurent Lagartempe examine les incompatibilités entre les préceptes de Marianne et la foi mahométane. Il estime que l’islam va à l’encontre de la République. Dans la même veine de la « République en danger », quelques         « droitiers », souverainistes et « nationaux-catholiques » encensent l’ouvrage de Caroline Fourest consacré à La tentation obscurantiste (3) qui cible, entre autre, la religion musulmane. On se croît victime d’hallucinations, mais ce n’est pas le cas. Le syndrome de l’Union sacrée vient encore de frapper ceux qui se rangent ou qu’on classe à « droite ».

L’erreur magistrale de la « droite » française

En août 1914, Charles Maurras et l’Action française se plaçaient sous les plis du drapeau tricolore de la République au nom du « nationalisme intégral » et par germanophobie exacerbée. Le désir intense de « Revanche » aveuglait toute la frange « nationale » de la société française alors que son éthique correspondait largement aux idéaux du Reich du Kaiser. À la veille de la Grande Guerre, le Deuxième Empire allemand cumulait – avec un rare bonheur – une stabilité institutionnelle remarquable, un essor économique foudroyant, une aristocratie méritante et de véritables avancées sociales. Au lieu de soutenir cet État qui adaptait la tradition au nouveau contexte industriel, la « droite » française, par esprit de clocher et par passion nationaliste irréfléchie, s’allia avec son ennemi ontologique au pouvoir à Paris. Elle commit là sa plus grande erreur. Fin analyste, Dominique de Roux évoque cette étrange schizophrénie à travers l’exemple de son aïeule qui « alors que son mari subissait Verdun, payait des messes grégoriennes pour que Dieu accorde la victoire au Kaiser qui incarnait quand même la légitimité (4) ».

Sans verser dans l’uchronie, on peut imaginer que la victoire de Guillaume II aurait entraîné la chute de la IIIe République et favorisé l’avènement d’une nouvelle élite issue de cette aristocratie populaire forgée dans les tranchées et trahie un 6 février 1934. Maurras se comporta dans ce ralliement – plus nocif encore que le précédent – en politicien et non en visionnaire. Il ne répéta pas la tactique des républicains qui, privilégiant leurs intérêts idéologiques avant la défense de la patrie, renversèrent le Second Empire, le 4 septembre 1870. Les Camelots du Roi et le poète de Martigues n’osèrent pas cette audace et permirent ainsi à la Gauche d’investir durablement le domaine culturel et le monde des idées. La « droite » venait de se faire duper ! Elle allait réitérer son aveuglement plusieurs fois au cours du siècle …

L’éternelle « droite » trompée s’affole aujourd’hui de l’islamisme sans percevoir que la vigueur de ce péril n’est que le contre-coup de l’imposition de l’idéologie des droits de l’homme, du mondialisme et de l’immigration dans notre civilisation européenne multimillénaire. Maints droitiers désorientés par la fin de leur monde en viennent à s’agripper à la République comme le naufragé à son canot de sauvetage. Ils ne font qu’abdiquer devant l’Ennemi principal et risquent de perdre plus que leur âme : leur être. Dénonciateur intéressé de l’islamisation de la France, se qualifiant comme « le dernier défenseur de la République contre le communautarisme (5) », le président du M.P.F. tonne contre le « voile islamique ». Le fidèle chrétien qu’est le Vicomte aimerait-il donc que les bonnes sœurs circulent la tête découverte dans nos contrées ? A-t-il vraiment réfléchi à toutes les répercussions totalitaires de sa demande ? Déjà, au moment des émeutes de l’automne 2005, les affiches villéristes réclamaient la restauration de l’« ordre républicain ». Qu’il est donc bien loin l’époque où le jeune député de Vendée dénonçait, dans sa Lettre ouverte aux coupeurs de têtes et aux menteurs du Bicentenaire (6), les horreurs de la Révolution de 1789 et l’effroyable génocide vendéen ! Oubliée, la célèbre passe d’arme télévisée qui l’opposa sur le plateau d’Apostrophe à Max Gallo alors fan zélé du socialisme mitterrandien et de Robespierre ! De Villiers succombe à son tour au chant des sirènes républicaines. Il confond la République et la France, la maladie et son malade.

« La République contre la patrie »

On retrouve cette méprise chez d’autres défenseurs acharnés de l’« exception hexagonale ». Le jacobinisme, le goût de l’homogène, le refus des diversités ethno-culturelles contaminent la « droite » (ou les droites), y compris celles qui se revendiquent de la droite essentielle, contre-révolutionnaire (ou réactionnaire) et traditionnelle. Le phénomène, certes, n’est pas récent. Dans un pays rongé par l’égalité tel que le nôtre, une droite authentique, radicale et traditionnelle ne serait réellement existée si ce n’est d’une façon diffuse (ou occulte). La vacuité de la « droite » date de ses origines puisque ses diverses composantes (orléaniste, bonapartiste, nationale, démocrate-chrétienne, radical-socialiste, etc.) proviennent de la Gauche avant d’être déportées vers la droite par l’émergence de nouvelles gauches. D’un point de vue généalogique, les termes de « droite nationale », de « droite libérale » et de « droite républicaine » apparaissent comme d’incroyables oxymores. Droitiers et « nationaux » auraient pu au moins prendre en considération le remarquable article de Jean Raspail paru dans Le Figaro en 2004 qui traitait de « La patrie trahie par la République (7) ». Le réquisitoire y est cinglant et les responsabilités de la République sont clairement définies. La République dite française participe au génocide des peuples européens de France.

Hélas !, sur la question primordiale de l’immigration et de la présence sur notre sol continental de millions d’allogènes extra-européens, nos « ardents patriotes-républicains » n’envisagent pas leur retour massif dans leurs pays d’origine qu’ils jugent irréaliste. Ils encouragent plutôt leur intégration (ou de leur assimilation) dans une société décadente et ignominieuse. Mus par un sentiment de supériorité culturelle, assimilationnistes et intégrationnistes exigent que les immigrés abandonnent leurs coutumes ancestrales et adoptent les sempiternelles « valeurs “ ripoublicaines ” hexagonales », ce qui se manifesterait par l’interdiction du port du foulard islamique en public, la condamnation de la polygamie, la prohibition de l’excision (mais, fait curieux, pas de la circoncision), l’opposition au « mariage forcé » des mineurs, l’application de la discrimination positive… Grotesques, ces suggestions prouvent leur imbécillité intrinsèque et leur racisme insidieux. En effet, en quoi les valeurs républicaines modernes seraient-elles supérieures aux valeurs traditionnelles musulmanes, asiatiques, africaines ou, bien entendu, vieilles-européennes ? Ne seraient-elles pas en réalité une formidable hypocrisie afin d’imposer la tyrannie de l’Occident moderne aux peuples de la Terre entière ? Par-delà sa logorrhée en faveur des     « droits de l’homme », le versant droitier de la République révèle une intolérance inadmissible envers l’altérité issue de la déferlante migratoire. « Droitiers » et    « nationaux » se trompent donc de combat. Au lieu de s’épuiser à défendre ce qui est définitivement révolu, ils devraient suivre ce conseil du Grand Éveilleur : « Ce qui doit tomber, je ne le retiens pas, je le pousse. »

Catholiques contre le sacré ?

La mouvance droitière s’enferre dans une impasse stratégique tant qu’elle ne saisira pas que la Modernité incarne l’ennemie totale. Ce n’est pas en s’activant sur des questions morales ou de société et en désapprouvant la bio-éthique, le mariage gay ou l’avortement qu’elle se donnera les moyens de renaître. Les       « chrétiens de droite » contestent avec force l’emprise croissante de l’islam dans nos sociétés exténuées, mais leurs arguments reprennent souvent les formulations les plus ringardes de la Gauche jacobine. La peur de l’islam entraîne bizarrement la droite à collaborer avec le Système honni. « En effet, remarque avec à-propos Pierre de Meuse, dans le dénombrement des incompatibilités entre l’Islam et la civilisation européenne, ces catholiques de droite énumèrent le rôle second laissé à la femme, le caractère théocratique de la civilisation musulmane, la discrimination à l’égard des autres religions, la guerre sainte, la peine de mort (quelquefois), les mutilations pénales infligées par la charia, la confusion entre la loi civile et la loi religieuse, et même le refus des autorités musulmanes de signer la convention internationale des droits de l’Homme. Or ces traits sont bien incompatibles avec la société civile moderne, c’est-à-dire une forme d’organisation qui s’est précisément installée en opposition sur tous ces points avec le catholicisme intégral qu’ils défendent. Il est paradoxal de voir les descendants des officiers qui cassèrent leur épée plutôt que d’appliquer les lois laïques du “ petit père Combes ” reprendre précisément le flambeau de la laïcité pour combattre l’Islam. En fait, les différences entre la conception islamique de l’État et celle du catholicisme oscillent selon les époques et ne sont pas si radicales, bien que très réelles. L’Église ferme toujours la porte de la prêtrise aux femmes, et la nostalgie de la Chrétienté est bien celle d’une société où l’ordre civil n’est qu’un instrument pour conduire les âmes au salut. À ce titre, la législation en Espagne ou en Provence au XIVe siècle envers les musulmans et les Juifs est très comparable avec le millet turc. Quant aux Droits de l’Homme, l’Église des temps passés les a condamnés avec autant de vigueur que les imams, et plus de rigueur encore. […] Il faut donc renvoyer ces braves gens à la relecture de leur propre système : eux non plus ne savent plus qui ils sont. Eux aussi se battent sur une ligne de défense qui n’est pas la leur, sous la bannière de leurs ennemis. On ne peut reprocher à l’Islam d’avoir conservé dans sa doctrine normative ce dont on déplore la perte dans le christianisme (8). » Lecteurs et continuateurs de René Guénon, de Julius Evola et de Frithjof Schuon, les traditionalistes chrétiens ne commettent pas cette bévue suprême et indiquent au contraire une bonne direction. Les Européens chrétiens, catholiques en particulier, devraient avoir la nostalgie du Moyen Âge comme les musulmans replongent par-delà les siècles dans le temps de la prédication de Mahomet. Face au matérialisme effrayant de la société occidentale (dont la société française « républicaine » n’est qu’un reflet), tous ceux qui défendent le sacré agressé par le monde moderne, doivent lui opposer un front spirituel traditionnel. Païens et monothéistes, tous ensemble, contre ce monde désenchanté !

On rêve qu’une droite affirmée redécouvre ses fondements véridiques et récuse les valeurs modernes. Pour l’heure, d’une servilité proverbiale, ce qu’on appelle la « droite » préfère reprendre les mots d’ordre (ou plutôt de désordre) de la Gauche. L’homme de pseudo-droite marque ainsi son hostilité à la polygamie et se trouve à défendre les thèses débiles d’un féminisme ménopausé et aigri. Or ce sujet contient bien d’autres savoureuses contradictions. Les familles polygames venues principalement d’Afrique seraient indésirables dans des sociétés qui autorisent le mariage homosexuel et l’homoparentalité. Pourquoi une famille constituée d’un homme et de plusieurs femmes (ou le contraire) serait-elle moins légitime qu’une famille formée par d’individus du même sexe ? Pourquoi la loi interdit-elle aux membres d’une même famille de conclure un pacs entre eux afin de bénéficier des avantages qui en découlent ? En réalité, nos progressistes se contrefichent du bonheur conjugal et de la pérennité familiale. Ils relaient les intentions criminelles de l’ultra-féminisme qui veut déviriliser l’esprit européen et castrer l’homo europæus. On retrouve cette influence délétère dans la modification récente de la législation matrimoniale française qui détermine l’âge légal de mariage des filles à dix-huit ans au lieu de quinze ans dans le but d’éviter les « mariages forcés » qui toucheraient « Beurettes » et Africaines quand elles reviennent au bled pendant les vacances estivales. En réalité, ces « affaires » sortent le plus souvent d’une imagination journalistique en mal de sensations qui se focalise sur quelques cas complaisamment exposés. Dans le même temps, les mêmes qui détruisent des traditions culturelles ancestrales honorables permettent à des gamines de 12 – 13 ans de prendre la pilule du lendemain sans aucun consentement parental. Les « progressistes humanistes » cherchent à détruire le  concept même de famille parce qu’elle demeure la communauté incontournable, quelque soit sa structure. S’attaquer à la famille revient à anéantir l’un des derniers cadres communautaires naturels favorables à la personne humaine.

Des événements récents confirment ce constat. On n’a pas encore réalisé les dégâts provoqués par l’effondrement de la paternité dans la famille. Si les banlieues engendrent des pathologies sociales explosives ou brûlantes, la responsabilité en revient, certes, à l’immigration, mais aussi à l’effacement des caractères masculins. On oublie la responsabilité majeure des assistantes sociales, fort souvent de gauche, voire d’extrême gauche, qui ont sapé l’autorité du pater familias allochtone, les menaçant des foudres de la justice s’il osait user de la violence envers sa progéniture bruyante. Intimidés et désemparés, les pères de famille immigrés n’incarnent plus le modèle de la virilité auprès de leurs enfants qui en viennent à les mépriser et à constituer une voyoucratie banlieusarde. Si certaines banlieues majoritairement musulmanes appliquaient strictement la charia, y aurait-il toujours ce désordre scandaleux ? Les délinquants risqueraient de perdre quelques membres…

Une liberté d’expression à géométrie variable…

Les responsables de cette dévirilisation sont nombreux. Évoquons toutefois le rôle nuisible de l’hebdomadaire Charlie-Hebdo. Cela n’empêche pas certains droitiers de soutenir ce torchon traîné en justice par des associations musulmanes pour avoir publié les caricatures danoises de Mahomet. Les mêmes défendent aussi l’ancien enseignant gauchiste Robert Redeker qui aurait été menacé par des islamistes après avoir écrit dans Le Figaro un article violemment anti-musulman. Or, le jour où l’on apprenait que le sieur Redeker entrait en clandestinité pour protéger sa vie, un autre Robert se retrouvait condamné par la fatwa « ripoublicaine » pour avoir proféré des balivernes historiques… La piteuse République n’accorde pas le même traitement aux deux Robert. Le droit imprescriptible de dire des âneries (théologiques et historiques) ne s’applique pas de la même manière à tout le monde. Pire, l’hypermnésie de la Seconde Guerre mondiale éclipse largement l’amnésie des crimes révolutionnaires en France et des horreurs du communisme. Quand on dérange les certitudes confortables de l’intelligentsia ou quand on agit en véritable rebelle, le Régime se fait fort d’écarter les mal-pensants.

L’essayiste Alain Soral n’a pas pu participer aux dédicaces organisées par l’Institut d’études politiques de Paris du 2 décembre dernier. Risquait-il de se faire trucider par un quelconque fanatique ? Non, Alain Soral ne communie pas dans la lepenophobie obligatoire. Plus grave, il vient de rejoindre le Front national, d’où son exclusion qui n’a pas soulevé l’ire des médias d’habitude si prompts à protester, accréditant par la même l’actualité de l’axiome orwellien : « Tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Rions donc du soutien des naïfs droitiers apporté à Charlie-Hebdo et à Redeker alors qu’ils n’ont pas cessé de conchier sur le mouvement patriotique. Là encore, le syndrome de l’Union sacrée a frappé ! Nos Candides croient que les ennemis de nos ennemis peuvent être nos alliés. Funeste faute ! Laissons-les à leurs illusions impolitiques et préférons faciliter l’affrontement impitoyable entre tous les ennemis de la civilisation européenne.

L’intolérance que fait preuve le « camp national » à l’égard de l’Autre reproduit l’intolérance officielle de la République envers les minorités religieuses ou spiritualistes. Dernièrement, des députés d’une énième commission anti-sectes ont visité une communauté chrétienne évangélique près de Pau. Là, ces « élus du peuple » – sûrement de fins spécialistes en sociologie religieuse et qui ont du temps à perdre à contrarier des groupuscules religieux – s’indignèrent que les enfants de cette communauté présumée sectaire ne regardaient pas la télévision et ignoraient, oh ! quelle horreur, l’existence de Zidane, ce hooligan des pelouses ! En dénonçant ce genre de maltraitances (sic !), les députés attestent par leur comportement totalitaire qu’ils recherchent l’abêtissement des populations. Souvenons-nous des violentes campagnes contre les Témoins de Jéhova accusés de tous les maux. Il est vrai qu’ils présentent le désavantage de refuser le vote, sinon nos courageux députés ne s’amuseraient pas à les ennuyer ! Les « ripoublicains » haïssent l’« anormalité religieuse » et mènent une « lutte contre les sectes » abusive qui tourne toujours en attaque contre la spiritualité. L’action nocive des francs-maçons ne fait guère de doute sur ce point. Janine Tavernier qui fut la présidente de l’U.N.A.D.E.F.I. de 1993 à 2001, déplore que « beaucoup de francs-maçons sont entrés à l’U.N.A.D.E.F.I., lui donnant une coloration qu’elle n’avait pas à l’origine. […] Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’elle s’est politisée (9). »

L’acceptation des différences ne se restreint pas aux dimensions culturelle, ethnique et religieuse. Elle s’étend aux domaines social, moral et scientifique. Il faut admettre les multiples types d’union conjugale et les répercussions des manipulations sur le vivant. Le clonage, l’eugénisme, le « bébé-médicament », les mères-porteuses, le diagnostic pré-implantatoire, l’avortement préventif, la maternité tardive (après soixante ans) amélioreraient l’existence des familles. Malheureusement, les lois bio-ethiques suivent les impératifs abscons des soi-disant droits de l’homme devenus l’horizon indépassable de la moralité publique. S’il y a un obscurantisme, il est républicano-hexagonal. Le cercle faustien des Mutants accuse avec raison l’hégémonie d’un humanisme défunt dont le cadavre putrifié empêche encore le « saut quantique » vers le transhumanisme, le transgénisme humain, l’humain génétiquement modifié et l’hyperanthropie. Rares sont ceux qui pressentent le bouleversement considérable de la Mutation à venir : l’explosion chatoyante de la diversité sous tous ses aspects. Le polythéisme des valeurs deviendra la norme sociale de notre civilisation post-occidentale.

La République hexagonale se montre incapable d’affronter cet événement prochain, générateur de chaos et donc d’ordre. Outre la coexistence momentanée des divers groupes ethniques sur le même sol, la société hexagonale, comme d’ailleurs l’Occident en phase terminale d’achèvement, se doit d’accepter l’inestimable polythéisme des valeurs. C’est aux membres de chaque communauté ethno-culturelle, et à eux seuls, de modifier, d’adapter ou de réviser leurs mœurs. Nos sociétés si donneuses de leçons, devraient célébrer les droits aux différences et leur manifestation tangible en communautés ethno-culturelles souveraines. Contre la République d’essence universaliste, il convient par conséquent de soutenir les communautarismes, quoi qu’il en coûte sur le moment. Dans cette perspective explosive hautement révolutionnaire, le communautarisme ethno-européen prend une envergure considérable puisqu’il signifie la seule voie de salut de nos peuples. Leur reconstitution par les Ethno-Européens passent par l’abolition des collectivités stato-nationales fictives. Seules des communautés qui sauront allier le Sol, le Sang et l’Esprit seront nos arches salvateurs au déluge uniformisateur.

Rodolphe Badinand

Notes

1 : in Le Figaro, 2 novembre 2006.

2 : Laurent Lagartempe, La République et le Coran. Les versets incompatibles, Éditions de Paris, 2006.

3 : Caroline Fourest, La tentation obscurantiste, Grasset, 2005.

4 : Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, coll. La Petite Vermillon, 1995.

5 : in Le Figaro, art. cit.

6 : Philippe de Villiers, Lettre ouverte aux coupeurs de têtes et aux menteurs du Bicentenaire, Albin Michel, 1989.

7 : Jean Raspail, « La patrie trahie par la République », in Le Figaro, 17 juin 2004.

8 : Pierre de Meuse, Essai sur les contradictions de la droite. Dialogues avec les hommes de ma tribu, L’Æncre, 2002, pp. 69 – 70.

9 : in Le Monde, 17 novembre 2006.

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dimanche, 04 octobre 2009

Le paradoxe del 'Etat libéral

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Le paradoxe de l'Etat libéral

http://unitepopulaire.org/

« De nombreuses guerres et divers massacres de masse ont ensanglanté le XXe siècle. Les libéraux ont beau jeu d’accuser les monarchies finissantes ou les régimes totalitaires d’avoir causé ces horreurs pour imposer le bonheur collectif  d’un empire, d’une race ou de l’humanité. C’est oublier que ces idéologies prétendaient résister au processus de décomposition initié par le libéralisme, dont la logique de l’illimité commençait à produire ses conséquences, sans que ses penseurs, Adam Smith, John Locke ou Montesquieu, personnes fort raisonnables, l’aient vraiment prévu. […]

Comme le libéralisme ignore par principe la notion de bien commun et que la liberté consiste pour lui dans la simple liquidation des tabous et des frontières, les désirs individuels ne trouvent plus aucun frein. Chacun est absolument libre de faire ce qu’il veut du moment qu’il ne nuit pas à autrui. Mais que veut dire "ne pas nuire à autrui" ? Comment définir la "non-nuisance" puisqu’aucune conception du bien ne vaut plus qu’une autre ? Comment les tribunaux dans lesquels les libéraux placent leur confiance trancheront-ils ? Dans le doute, s’alignant sur ce que le lobby le plus puissant du moment aura fait passer pour l’"évolution naturelle des mœurs", ils donneront raison au plus fort, jusqu’à ce que, sous la pression d’un autre lobby plus efficace, les lois aient changé. […]

La loi du plus fort chassée par la porte revient par la fenêtre. Les comportements chicaniers et procéduriers pullulent. Les diverses "communautés" au sens moderne du mot, alliances provisoires d’individus vaguement semblables, se déchirent devant les tribunaux afin de faire valoir leurs droits et d’exhiber leur "fierté" à la face du monde. La nécessité de satisfaire ses désirs et d’établir une concurrence "libre et non faussée" pour assurer la croissance oblige le libéralisme à dissoudre les communautés intermédiaires réputées conservatrices, parce qu’elles empêchent le mouvement perpétuel. L’Etat libéral, par un incroyable paradoxe, se renforce sans cesse au détriment des familles, des communes et du sentiment national. Il s’efforce de rendre les personnes conformes à l’idéologie en les transformant en consommateurs avides ou en producteurs sans cesse aiguillonnés par la concurrence. Les individus n’ont qu’un seul obstacle sur leur route : la liberté d’autrui. Cela signifie que les droits d’un homme quelconque s’étendent dans la mesure où la puissance qu’il amasse lui permet de l’emporter sur autrui. Le déploiement des libertés aboutit à la lutte de tous contre tous. Toute stabilité disparaît ; ce qu’il y a de plus sacré menace sans cesse de s’effondrer sous les coups de tel ou tel groupe de pression. »

 

 

Jacques Perrin, La Nation, 11 septembre 2009

lundi, 14 septembre 2009

Pouvoirs oligarchiques et démocratie de façade

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Pouvoirs oligarchiques et démocratie de façade

L’Intitut Néo-Socratique nous prie d’annoncer son cycle de conférences qui se déroulera au cours de l’année à venir sur le thème général :

Le Système oligarchique ;
comment il nous domine et comment s’en libérer !

 

La première conférence, prononcée par Yvan Blot, Président de l’Institut, se tiendra 

Le lundi 14 septembre 2009 à 19H 30
A l’Hôtel Néva (rez-de-chaussée)
14 rue Brey – 75017 PARIS (près de l’étoile)


avec pour titre :

Notre démocratie de façade cache une oligarchie ;
Origine historique de cette situation


En avant propos de cette conférence, Polémia en présente la thématique qui sera abordée.



Pouvoirs oligarchiques et démocratie de façade

L’histoire de l’humanité est en grande partie l’histoire de ses classes dirigeantes. Dans toutes les sociétés sauf les sociétés très primitives, des classes dirigeantes sont apparues (Spencer) et ont cherché à justifier leur domination, en général avec succès. Ce succès reposait principalement sur leurs prestations, protéger la société du désordre intérieur et des ennemis extérieurs, notamment.

Très tôt, les anciens philosophes grecs perçurent que les dirigeants pouvaient rechercher leur intérêt propre et trahir le bien commun. La classification classique des régimes politiques d’Aristote vient de là : la monarchie vise le bien commun à l’inverse de la tyrannie. L’aristocratie vise le bien commun à l’inverse de l’oligarchie. Dans le langage actuel, la démocratie (Aristote disait : politeia que l’on traduit par république) vise le bien commun, ce qui n’est pas le cas du gouvernement démagogique.

Elites dévouées au bien commun ou élites courtermistes

Plusieurs critères permettent de distinguer les élites dévouées au bien commun et celles qui ne le sont pas :

Les propriétaires, rois ou aristocrates, ont une vision à long terme de la gestion de leurs biens, ce qui est beaucoup moins le cas des gérants salariés nommés pour une période courte. A l’heure actuelle, ce sont les gérants salariés, les « managers » qui gouvernent non seulement l’Etat mais aussi la plupart des grandes entreprises et les médias. C’est le règne de l’intérêt à court terme.

Un deuxième critère peut être le caractère plus ou moins « héroïque » des gouvernants, c'est-à-dire leur capacité à se sacrifier eux-mêmes pour autrui. Cette capacité est plus grande, par vocation même, chez les religieux ou les militaires, ou encore chez les savants ou professeurs amoureux de la vérité ou les juges et policiers amoureux de la justice.

Autrefois, l’aristocratie occupait les postes supérieurs de l’Etat. Elle n’avait pas que des mérites mais elle avait celui d’être d’essence militaire : le soldat est prêt à mourir, à donner sa vie pour son roi ou son pays. L’éthique du sacrifice ne lui était pas étrangère. Les gouvernants actuels ont une éthique de carrière bien différente.

« Les démocraties représentatives » ne sont que des oligarchies

Au vingtième siècle, on peut dire que les aristocraties ont été remplacées par des oligarchies. Ce n’est pas la version de l’histoire officielle car les oligarchies ont prétendu se battre pour la démocratie. On fait croire aux foules occidentales qu’elles vivent en démocratie, laquelle aurait remplacé les monarchies d’autrefois et leurs aristocraties nobiliaires. En réalité, nous vivons en oligarchies sous le nom de démocraties dites « représentatives ».

Essayez donc d’être candidat à une élection sans être membre d’un parti politique puissant : votre chance de vous faire élire est nulle ! Essayez donc de proposer une loi sur un sujet qui vous est cher. Il n’y a aucune procédure pour cela sauf dans les rares pays qui pratiquent la démocratie directe : la Suisse  et l’Italie, au niveau national et local, l’Allemagne et l’ouest des Etats-Unis, au niveau local seulement.

Les vraies démocraties sont aujourd’hui celles qui combinent démocratie directe et démocratie représentative.

Seule la démocratie directe permet de contrôler les « gérants »

Pour les démocraties purement représentatives, le bilan n’est pas bon. Des études économiques très poussées, notamment du professeur suisse Kirchgässner, ont montré que les pays à démocratie directe ont des impôts 30% plus faibles, des dépenses publiques 30% plus réduites et une dette publique 50% plus faibles que les démocraties représentatives. Le PNB est plus élevé en moyenne.

De plus, du point de vue politique, les démocraties directes satisfont leurs citoyens (80% des Suisses sont satisfaits de leurs institutions. Dans les démocraties purement représentatives comme la France, les citoyens n’ont absolument pas le sentiment d’avoir une influence sur la politique de leur pays. Ils ne peuvent pas initier de référendums. Ils peuvent élire les députés présentés et sélectionnés par les grands partis politiques et c’est tout. Les programmes des partis se ressemblent de plus en plus. Le citoyen n’a plus guère de choix. D’après une enquête lourde menée par les politologues Bréchon et Tchernia, 40%  des Français font encore confiance au parlement, autant pour les syndicats et 18%  seulement font confiance aux partis politiques. Les Français n’ont pas l’impression que l’on gouverne en fonction des préoccupations et des intérêts du peuple.

Pour redonner du sens à la démocratie, il faut prendre conscience du caractère oligarchique du pouvoir actuel, qui est le pouvoir de gérants à court terme (rien à voir avec la gestion de vrais propriétaires). Il faut contrôler ces gérants : une seule voie pour cela : la démocratie directe. 
  
Yvan BLOT
24/08/2009

Correspondance Polémia
11/08/2009

dimanche, 09 août 2009

Entretien avec G. Maschke: le mensonge de la guerre permanente pour la paix perpétuelle

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Entretien avec Günter Maschke:

Le mensonge de la guerre permanente pour la paix perpétuelle

 

Propos recueillis par Sven Beier

 

Q.: Monsieur Maschke,vous venez de publier récemment un vaste recueil d’écrits de Carl Schmitt sur le droit des gens, sous un titre apparemment paradoxal: “Frieden oder Pazifismus?” (= “La paix ou le pacifisme?”). Les pacifistes seraient-ils des acteurs politiques qui ne veulent pas la paix?

 

GM: Aucune des variantes du pacifisme n’aspire à la paix en tant que non recours à la guerre, aucune d’entre elles n’aspire à une paix qui serait conclue après une guerre menée contre un ennemi que l’on reconnaîtra comme tel; les pacifistes dans toutes leurs variantes veulent abolir la guerre, dans la mesure où ils nient son droit à exister. Ils considèrent que la guerre est un crime et entendent l’interdire par le droit; le pacifisme armé, qui détermine le droit des gens depuis le Diktat de Versailles de 1919, rend possibles les sanctions, les mesures de maintien de la paix,  les occupations pacifiques, les mandats solidement étayés, les interventions humanitaires, ce qui équivaut, quels que soient les concepts camouflants utilisés, à des actions militaires contre tous ceux qui “brisent la paix”, contre les “agresseurs”. Par conséquent, tous les acteurs de l’échiquier doivent veiller à ne pas passer pour “agresseurs”. L’agresseur apparent doit pouvoir être montré comme tel, être littéralement construit de toutes pièces, ce qui signifie qu’il faudra provoquer l’ennemi pour qu’il commette des actes d’agression. De ce fait, le véritable agresseur est celui qui, en vertu de sa force et de sa position géographique, est en mesure de provoquer l’acte d’agression. “L’agresseur est celui qui force son adversaire à recourir aux armes”, disait déjà Frédéric le Grand. Celui qui se laisse provoquer se laissera passer un corde autour du cou, une corde qui n’est pas seulement d’ordre juridique, car il devra inévitablement songer aux conséquences de sa défaite éventuelle (c’est-à-dire celle qu’il devra accepter après une “capitulation sans condition”) et, subséquemment, luttera jusqu’à ce qu’il sera saigné à blanc. Ensuite, comme autre conséquence de ce pacifisme, nous repérons la tendance à éliminer toutes les règles du droit de la guerre; contre celui qui a eu recours à la guerre, tout sera dès lors permis. Quant aux autres, les crimes qu’ils auront commis n’entreront pas en ligne de compte. Le chemin qui mène du pacifisme, en tant que négation du droit à faire la guerre, à la guerre “totale” et “juste” est très court: “perpetual war for perpetual peace” (“guerre permanente pour la paix perpétuelle”). Or les notions de guerre et de paix sont en corrélation; le concept de paix présuppose toujours qu’il y a eu des hostilités préalables. Mais ceux qui pensent que ces hostilités sont par définition d’ordre criminel et que tout ennemi est, par voie de conséquence, un criminel, ne peuvent jamais faire de paix véritable. Car, justement, opérer une telle discrimination à l’encontre de la guerre et de l’ennemi, revient à ôter l’un des deux piliers qui soutiennent le droit des gens, en l’occurrence le pilier de la guerre, pour ne laisser que le pilier de la paix, ce qui ne permet évidemment aucune stabilité, donc aucune paix véritable. On ne peut faire la paix qu’avec un ennemi que l’on reconnaît(ra). La paix est un “état de droit”, une “situation de droit” et, en tant que telle, ne peut être obtenue que si la guerre, à son tour, possède un statut juridique. Le pacifisme s’avère ainsi un obstacle à la paix, tandis qu’un monde sans guerre ne serait pas pour autant un monde de paix, mais aurait besoin de s’auto-décrire à l’aide de tout nouveaux concepts.

 

Q.: Affirmeriez-vous que Carl Schmitt est un théoricien mobilisable aujourd’hui pour expliciter le droit des gens actuellement en vigueur ainsi que la situation internationale?

 

GM: Le droit des gens moderne ferait bien mieux de se préoccuper de savoir s’il doit ou non se mettre à la remorque de Carl Schmitt et non le contraire, chercher à mettre Carl Schmitt à la remorque du monde actuel. Ce droit des gens n’est pas innocent dans tous les désastres qui se sont succédé depuis 1919. Après chaque catastrophe, les doctrinaires du droit des gens moderne ont accentué encore plus la discrimination qui frappe la guerre et octroyé à la politique de puissance en vigueur  —et toujours en place—  la possibilité de déployer des manoeuvres de diversion et des “voilements”, des occultations, de plus en plus subtils; il suffit de songer aux innombrables possibilités qui existent d’interpréter le Pacte Kellogg de 1928 et la Doctrine Stimson de 1932. La belligérance proprement dite est dès lors devenue de plus en plus brutale, surtout parce qu’une défaite finale s’avèrerait encore plus terrible qu’auparavant. Entre 1919 et 1939, on a cherché à pallier l’interdiction de faire la guerre car on craignait les sanctions; on a dès lors procédé à des “occupations pacifiques”, à des “représailles”, etc. Typique de cette façon de procéder: le conflit sino-japonais. L’abolition du concept de “guerre” et son remplacement par celui de “conflit armé”, suivi de l’interdiction générale de tout recours à la violence, n’ont rien amélioré; on a simplement utilisé à profusion et à satiété le concept d’“auto-défense”. Les Etats-Unis prétendent “se défendre” en Irak, laquelle petite puissance les aurait menacé de manière décisive. L’impuissance possible du droit des gens face à certaines réalités est une chose; accorder à ces réalités l’apparence du droit ou célébrer des massacres par le truchement de la haute technologie comme des “mesures préventives” ou comme des “préludes” à l’avènement d’un droit civil universel (comme le veut le grand prêtre de l’humanisme actuel, Jürgen Habermas) en est une autre.

 

Q.: Dans quelle mesure est-ce réaliste de parler d’un rapport direct entre espace (Raum) et droit (Recht), comme le fait Carl Schmitt,  de façon à ce que la guerre et la paix soient des réalités qui visent la réalisation d’un “ordre naturel”? A notre époque de flux migratoires et de flux de marchandises, où la population est devenue “multiculturelle”, on ne peut pas faire grand chose sur base de ce rapport espace/droit, pour régler la coexistence entre de telles “populations”, du moins si cette coexistence est encore organisée par un Etat?

 

GM: Les flux migratoires et les flux de marchandises se portent vers des espaces précis, organisés politiquement; ils ne s’écoulent pas au petit bonheur la chance sur une Terre qui ne serait pas subdivisée en entités étatiques. Dans certains cas jugés urgents, on va même jusqu’à construire des barrières, que ce soit sur la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique ou sur celle qui sépare les zones de peuplement juif des zones administrées par l’autorité palestinienne. C’est justement à cause de ces flux que le contrôle politique et militaire d’espaces s’avère aujourd’hui plus important qu’hier. D’autres facteurs le prouvent également: la lutte de plus en plus âpre pour l’accès aux matières premières, la militarisation de l’espace circumterrestre, les tentatives d’encercler la Russie ou de fractionner certains Etats en en détachant des composantes par le truchement de l’idéologie des droits de l’homme. Il y a déjà longtemps que l’on parle du “retour de l’espace” et les jours de la géographie politique et de la gépolitique ne sont pas encore comptés, loin de là! Même si les cercles les plus conventionnels et les plus conformistes de l’université allemande le souhaiteraient!

 

Q.: Le modèle d’ordre, que préconise Schmitt dans sa vision du droit des gens, avec sa fixation sur la notion de sol et sur l’idéal d’un peuple homogène, qui s’est approprié ce sol et l’a rentabilisé, n’est-il pas désormais archaïque parce que “folciste” (= “völkisch”), comme on l’a souvent reproché à Schmitt; “folciste” et donc aujourd’hui obsolète?

 

GM: Le droit des gens selon Schmitt a essuyé pas mal de critiques sous le national-socialisme, justement parce qu’il présentait, disaient ses adversaires partisans du régime, un déficit de “folcicité”. Par ailleurs, l’idée de “folcicité” ne me paraît pas obsolète aujourd’hui, vu l’agressivité de la globalisation: elle devient au contraire de plus en plus importante. J’en veux pour preuve la tendance actuelle à constituer de plus en plus souvent des Etats nouveaux et petits, n’englobant, si possible, qu’une seule ethnie. On évite bien entendu d’utiliser les termes “folciste” ou “ethnique”, voire “racial”, parce qu’ils sont chargés de connotations historiques, mais cela n’empêche pas que l’on lutte plus âprement aujourd’hui qu’hier pour faire triompher l’idéal “folciste”. Schmitt, lui, ne se préoccupait pas de la question “folciste” mais visait la constitution de “grands espaces” (Grossräume) contre la notion de “One World”, qui est issue de l’idéalisme désincarné et ne cherche pas à faire advenir un monde où les sujets du droit des gens seraient mis sur pied d’égalité mais, au contraire, seraient tous soumis à une et une seule superpuissance impérialiste. Le droit des gens de Carl Schmitt, que l’on accuse à tort d’être un “étatiste”, se place résolument au-delà de tout étatisme et repose surtout sur l’observation attentive d’un fait bien patent, que Washington veut ignorer: que le monde sera toujours plus grand que les Etats-Unis et ne pourra pas sempiternellement être taillé à la mesure des idées et des conceptions bizarres qui sont nées dans des cerveaux américains.

 

Q.: L’idéal schmittien du droit des gens semble avoir été plus ou moins réalisé dans le petit univers des Etats européens entre la Paix de Westphalie et la première guerre mondiale, avec des Etats souverains, délimités chacun par des frontières, se livrant quelques fois des “guerres de forme”, sorte de duels guerriers qui se terminaient par des traités de paix aux effets finalement restreints. N’a-t-on pas affaire, ici, à un mythe personnel cultivé par Schmitt, avec lequel il est parti en guerre contre la guerre totale qui sévissait au 20ème siècle? En partant du principe que les guerres-duels ont réellement existé, Schmitt n’a tout de même pas imaginé sérieusement qu’on pouvait y retourner? Et vous-même, y voyez-vous davantage qu’une réminiscence historique, une simple alternative à la tentative de fonder une paix sur les valeurs de l’universalisme de la “révolution mondiale démocratique”, à laquelle appelait George W. Bush en novembre 2003?

 

GM: La guerre limitée, ou “guerre des formes”, a bel et bien existé: elle repose sur la distinction claire entre guerre et paix, entre intérieur et extérieur, entre combattant et non combattant, etc. Même si l’on ne peut plus revenir à de telles distinctions, peut-on pour autant soutenir la notion de “guerre totale” ou l’état de “perpetual war for perpetual peace”, en propageant le mensonge d’une “paix indivisible” et en affirmant tout de go que toute guerre particulière concerne le monde tout entier, c’est-à-dire cette “communauté des peuples” (Völkergemeinschaft), qui existe soi disant réellement mais qui est, dans les faits, une “société d’Etats” (Staatengesellschaft)? En raisonnant de la sorte, peut-on contribuer à préparer pour l’avenir une sorte de “soft law” pour faciliter et légitimer l’interventionnisme impérialiste? Quand un sot prononce une phrase stupide, dans le genre “la liberté allemande (sur l’essence ou sur la réalité présente de laquelle, je refuse de m’exprimer ici pour demeurer poli) se défend aussi dans l’Hindou Kouch”, ou quand un autre handicapé de la dure-mère nous déclare que les Etats-Unis seraient davantage “sécurisés”, si l’Irak était sauvé tout en étant détruit, je constate que de telles assertions sont possibles uniquement parce que l’on croit aux principes du droit des gens tel qu’il s’applique depuis 1919. Et pire: même ceux qui critiquent les deux types d’assertion que je viens d’énoncer, pour m’en moquer, croient à ces principes de 1919! Ces gens peuvent, par exemple, critiquer le Traité de Versailles, mettre en doute la validité du Tribunal de Nuremberg, condamner les motivations qui ont conduit à la guerre du Vietnam, tout en célébrant l’avènement des droits de l’homme ou la défense préventive des “valeurs occidentales” ou toute autre sublime philosophade de cet acabit! Beaucoup de ceux qui s’insurgent contre les entorses faites au droit des gens par le gouvernement des Etats-Unis, oublient simultanément que ces entorses ne sont que la conséquence logique de l’évolution même de la pensée juridique aux Etats-Unis, une évolution qui a commencé plus ou moins vers 1880 et qui a donné pour résultat, in fine, le droit des gens de 1919. Mais cela donnerait quoi, cette “démocratie mondiale” ou ce qui en tient lieu? Une “démocratie” est par définition le “kratos”, le pouvoir, détenu par un “demos”, par un peuple particulier, et ne peut donc pas s’étendre au “monde” ou à l’humanité. Ensuite, la démocratie n’est qu’une méthode pour produire le droit et, en tant que méthode, ne présuppose aucun contenu; tout contenu éventuel, qui viendrait l’étoffer, s’ajouterait ultérieurement. L’Occident parle sans cesse de “démocratie”, mais ôte à cette même “démocratie” toute valeur quand les résultats d’une consultation démocratique lui déplaisent; dans cette optique, songeons simplement à la victoire électorale du “Front Islamique du Salut” en Algérie en décembre 1991; l’Occident a constaté, avec une joie à peine dissimulée, qu’un putsch a mis un terme à l’ascension du FIS. Songeons aussi aux élections iraniennes de 2005. La “révolution démocratique mondiale” est-elle une révolution fabriquée et imposée de force par les dirigeants des lobbies pétroliers qui lisent Leo Strauss pendant leurs temps de loisir? Mais qui agissent selon la devise de Schumpeter: “La démocratie, c’est le pouvoir par le mensonge”?

 

Q.: Vu les efforts que déploie la dernière superpuissance en piste, les Etats-Unis, pour faire advenir le “One World”, ne peut-on pas dire que le “nomos de la Terre”, espéré par Carl Schmitt, avec son pluriversum de “grands espaces” (Grossräume), est à reléguer au département des antiquités?

 

GM: Les Etats-Unis peuvent briguer l’avènement d’un “One World” mais, à l’évidence, on sait depuis longtemps qu’ils ne réussiront pas l’opération. Les tentatives de construire réellement de “grands espaces” sont patentes aujourd’hui, notamment en Amérique latine. Les pertes enregistrées par les Etats-Unis dans les secteurs de la production et de la finance sont incontestables. A cela s’ajoute, l’endettement pharamineux (et absurde) des Etats-Unis vis-à-vis de l’étranger et les risques que comporte cet endettement. Sur le plan militaire, les Etats-Unis se heurtent rapidement à leurs limites: ils ne disposent pas de troupes étrangères en suffisance, qui, elles, seraient prêtes à mourir pour une cause. On pourrait approcher l’idéal d’une paix mondiale, si les Etats-Unis devenaient à leur tour l’objet d’un “containment”, d’un endiguement, et si la volonté unie de tous les autres mettait un terme à leurs tentatives de contrôler l’espace arabe (et, par là même, une bonne part des sources d’approvisionnement de l’Europe), de pénétrer la “Terre du Milieu” ou l’espace centre-asiatique et d’encercler la Russie. Cet endiguement des Etats-Unis et l’union des volontés alternatives n’est pas un projet sans perspective...

 

Q.: La tentative d’empêcher par tous les moyens l’avènement de cet “Etat mondial” n’est-elle pas un combat à la Don Quichotte, contre des moulins à vent, vu la dynamique à l’oeuvre aujourd’hui et que l’on appelle la “globalisation”, laquelle procède par la constitution de plus en plus dense de réseaux économiques et communicationnels? Et cette lutte inutile à la Don Quichotte n’était-elle pas déjà obsolète du temps de Carl Schmitt lui-même?

 

GM: Un “Etat mondial”? Cela ne peut aboutir. Tout au plus arrivera-t-on à une “Fédération mondiale” fonctionnant selon le principe de subsidiarité, mais c’est assez utopique. Si l’on aboutit un jour à une “unité du monde”, sous quelle que forme que ce soit, alors nous aurions sûrement un résultat d’ores et déjà prévisible: les guerres, ou les “conflits armés”, continueront à exister mais sous la forme de guerres civiles. On peut déjà clairement entrevoir ce que cela signifie, en observant les simulations actuelle d’une “unité mondiale”, où les Etats-Unis jouent un rôle qu’on ne leur a pas demandé de tenir: celui de “policier global”. L’augmentation ininterrompue de la mise en réseau de l’économie ne constitue pas une garantie de paix; souvenons-nous que l’intégration économique de l’Europe était bien plus avancée en 1914 qu’aujourd’hui! L’intégration croissante de l’économie et du droit ne génère pas d’ordre politique. Si l’Etat perd de la légitimité, alors, simultanément, l’intégration économique et l’interdépendance croissante ont des effets déstabilisants voire bellogènes. On peut affirmer que le droit international actuel est l’enfant morbide d’une alliance fatidique: celle qui unit les idéaux de la révolution française aux conceptions anglaises du droit maritime. Et qui donne les maux suivants: impérialisme des droits de l’homme et rééducation d’une part, pan-interventionnisme couplé aux propagandes haineuses, étranglement de l’économie de l’adversaire et estompement de la distinction entre guerre et paix, d’autre part. On croit donc aujourd’hui, sur la planète entière, que par l’application des principes de la révolution française et de ceux du thalassocratisme anglais, qui ont pourtant eu pour résultat de déstabiliser le monde, on finira par faire éclore la stabilité de demain. Vous allez me dire que je simplifie à outrance! Et vos questions alors, ne procèdent-elles pas de simplifications pires encore?

 

Q.: Joschka Fischer, qui exerce encore actuellement les fonctions de ministre des affaires étrangères en Allemagne, a récemment osé un pronostic sur le développement du nouvel ordre mondial: ou bien les Etats-Unis réussissent, dans le cadre de l’ONU, à créer une “république mondiale” dominée par eux-mêmes et par l’UE, leur partenaire; ou bien, ils entreront dans une concurrence accrue avec la Chine, ce qui n’exclut pas, à terme, une confrontation sino-américaine future pour l’hégémonie globale. Pour éviter cela, l’avènement d’un “One World” sous domination américaine n’est-il pas la voie vers un avenir de paix?

 

GM: Les Etats-Unis n’entendent pas agir dans le cadre de l’ONU, comme on le sait. Quant à l’Europe qu’ils contrôlent et qui est divisée, ce n’est pas pour eux un partenaire mais un idiot utile. La concurrence avec la Chine sera de plus en plus aigüe, c’est inévitable. Une “république mondiale” par la grâce des Etats-Unis? Que cela signifierait-il? Poursuivre des actions criminelles comme l’agression américaine contre l’Irak et les soutenir? Participer à des guerres de prédation, pardon, à des guerres privatisées? Soutenir des Etats si proches des “valeurs occidentales” comme l’Egypte, le Pakistan ou l’Arabie Saoudite, voire la Colombie, ou aller y jouer un rôle médiateur pour faire croire urbi et orbi qu’on y respecte les droits de l’homme? Rendre plausible le projet de premières frappes nucléaires “préventives”?

 

Q.: Mais l’esprit du temps, le “Zeitgeist”, n’est-il pas un allié puissant de tous les projets qui promettent une “paix mondiale”, esprit du temps que l’on retrouve in nuce dans les esquisses d’un “Etat mondial” proposées par David Held ou Otfried Höffe? Toute critique basée sur Carl Schmitt ne s’avère-t-elle pas impuissante, si elle se borne à dénoncer de telles promesses de paix comme de simples travestissements juridiques, humanitaires et idéologiques d’un interventionnisme  impérialiste?

 

GM: Kierkegaard aimait à dire: “Celui qui épouse le Zeitgeist deviendra vite veuf”. La “paix mondiale”, l’ “Etat mondial”, la “Fédération mondiale” (avec subsidiarité), ou quelle que soit la dénomination dont peuvent se parer ces rêves, qui ne sont pas si beaux (laissons de côté ici les distinguos), ne sont que des impossibilités, qui, de plus, sont incongrus sur le plan éthique. “Le futur, c’est le massacre”, et le massacre n’est pas anobli parce qu’il est “high tech” ou perpétré au nom de la “démocratie”. En politique, il faut s’en tenir aux probabilités et non aux voeux pieux. Première probabilité: après le 20ème siècle, nous en aurons encore pour notre argent! Au lieu de fantasmer sur un “Etat mondial”, ou sur quelque dérivation vermoulue du même genre, nous devrions, nous les Allemands, nous rappeler qu’après 1991, nous avons payé 13 milliards de DM pour que 150.000 Irakiens soient tués et que 300.000 enfants d’Irak meurent de faim ou de privations à cause de l’embargo imposé à leur pays, alors que l’Irak ne nous a jamais menacés, ni nous ni l’Occident. Evidemment, nous les Allemands, nous nous y connaissons en matière de refoulement... Le tableau de désolation que nous offre l’Irak aurait tout de même dû nous faire réfléchir aux conséquences de nos alliances, nous indiqué une nouvelle manière d’agir. Il est bien possible qu’une critique basée sur l’oeuvre de Schmitt s’avère impuissante face à certaines réalités actuelles, mais elle demeure néanmoins percutante contre l’idéologie qui les recouvre. Et j’ajouterais ceci: la destruction d’une réalité commence toujours par une attaque contre sa superstructure! Par vos questions, vous suggérez que rien ne peut s’opposer à un impérialisme interventionniste. Comment en arrivez-vous à une telle conclusion? Pour mourir, on a toujours bien le temps, mais certaines formes de “sacrificio dell’intellettto” (de sacrifice de l’intelligence) sont incurables!

 

(entretien paru dans “Junge Freiheit”, n°38/2005; traduction française: Robert Steuckers; avec l’aimable autorisation de G. Maschke)

 

A lire:

 

Günter MASCHKE (Hrsg.), “Carl Schmitt. Frieden oder Pazifismus? Arbeiten zum Völkerrecht und zur internationalen Politik 1924-1978”, mit einem Vorwort und  mit Anmerkungen versehen. Duncker u. Humblot, Berlin, 2005, XXX  u. 1010 seiten, gebunden, 98 euro.

dimanche, 02 août 2009

Protestantisme, capitalisme et américanisme

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Nous avons aimé ce texte d'Edourd Rix:



Protestantisme, capitalisme et américanisme


On trouve chez de nombreux auteurs la distinction entre, d'une part, le catholicisme, christianisme négatif incarné par Rome, qui serait un instrument anti-germanique, et d'autre part, le protestantisme, christianisme positif émancipé de la papauté romaine, qui assumerait les valeurs traditionnelles germaniques. Dans cette perspective, Martin Luther serait un libérateur de l'âme allemande du carcan méditerranéen et despotique de la Rome papale, sa grande réussite étant la germanisation du christianisme. Les Protestants s'inscriraient donc dans la lignée des Cathares et des Vaudois, autant de représentants de l'esprit germanique en rupture avec Rome. Mais en réalité, Luther est celui qui a fomenté le premier en Europe la révolte individualiste et antihiérarchique, laquelle devait se traduire, sur le plan religieux, par le rejet du contenu «traditionnel» du catholicisme, sur le plan politique par l'émancipation des Princes allemands de l'Empereur, sur le plan du sacré par la négation du principe d'autorité et de hiérarchie, et donner une justification religieuse au développement de la mentalité marchande.

Sur le plan religieux, les théologiens réformés oeuvrent pour un retour aux sources, au christianisme des Ecritures, sans addition et sans corruption, c'est à-dire aux textes de la tradition orientale. Si Luther se rebelle contre «la papauté instituée par le diable à Rome», c'est uniquement parce-qu'il refuse l'aspect positif de Rome, la composante traditionnelle, hiérarchique et rituelle subsistant dans le catholicisme, l'Eglise marquée par l'ordre et le droit romain, par la pensée et la philosophie grecques, en particulier celle d'Aristote. D'ailleurs, ses paroles fustigeant Rome comme «Regnum Babylonis», comme cité obstinément païenne, ne sont pas sans rappeler celles employées par L’Apocalypse hébraïque et les premiers chrétiens contre la ville impériale.

Le bilan est tout aussi négatif sur le plan politique. Luther, qui se présentait comme «un prophète du peuple allemand», favorisa la révolte des Princes germaniques contre le principe universel de l'Empire, et par conséquent, leur émancipation de tout lien hiérarchique supranational. En effet, par sa doctrine qui admet le droit de résister à un empereur tyrannique, il légitimait au nom de l'Evangile, la rébellion contre l'autorité impériale. Au lieu de reprendre l'héritage de Frédéric II, qui avait affirmé l'idée supérieure du Sacrum Imperium, les Princes allemands, en soutenant la Réforme, passèrent dans le camp anti-impérial, n'ambitionnant plus que d'être des souverains «libres».

De même, la Réforme se caractérise, sur le plan du sacré, par la négation du principe d'autorité et de hiérarchie, les théologiens Protestants n'acceptant aucun pouvoir spirituel supérieur à celui des Ecritures. Effectivement, aucune Eglise ni aucun Pontifex n'ayant recu du Christ le privilège de l'infaillibilité en matière de doctrine sacrée, chaque chrétien est apte à juger de lui-même, par un libre examen individuel, en dehors de toute autorité spirituelle et de toute tradition dogmatique, la Parole de Dieu. Outre l'individualisme, cette théorie protestante du libre examen n'est pas sans lien avec un autre aspect de la Modernité, le rationalisme, l'individu qui a rejeté tout contrôle et toute tradition se fiant à ce qui, en lui, est la base de tout jugement, la raison, qui devient alors la mesure de toute vérité. Ce rationalisme, bien plus virulent que celui existant dans la Grèce antique et au Moyen-Age, donnera naissance à la philosophie des Lumières.

A partir du XVIè siècle, la doctrine protestante fournira une justification éthique et religieuse à l'ascension de la bourgeoisie en Europe, comme le démontre le sociologue Max Weber dans L'Ethique protestante et l'Esprit du Capitalisme, étude sur les origines du capitalisme. D'après lui, pendant les phases initiales du développement capitaliste, la tendance à maximiser le profit est le résultat d'une tendance, historiquement unique, à l'accumulation bien au-delà des biens de consommation personnelle. Weber trouve l'origine de ce comportement dans «l'ascétisme» des Protestants marqué par deux impératifs, le travail méthodique comme tâche principale dans la vie et la jouissance limitée de ses fruits. La conséquence non intentionnelle de cette éthique, qui était imposée aux croyants par les pressions sociales et psychologiques pour prouver son salut, fut l'accumulation de richesse pour l'investissement. Il montre également que le capitalisme n'est qu'une expression du rationalisme occidental moderne, phénomène étroitement lié à la Réforme. De même, l'économiste Werner Sombart dénoncera la Handlermentalitat (mentalité marchande) anglosaxonne, conférant au Catholicisme un rôle non négligeable de barrage contre la progression de l'esprit marchand en Europe occidentale.

Libéré de tout principe métaphysique, des dogmes, des symboles, des rites et des sacrements, le Protestantisme devait finir par se détacher de toute transcendance et mener à une sécularisation de toute aspiration supérieure, au moralisme et au puritanisme. C'est ainsi que dans les pays anglosaxons puritains, particulièrement en Amérique, l'idée religieuse en vient à sanctifier toute réalisation temporelle, la réussite matérielle, la richesse, la prospérité étant même considérées comme un signe d'élection divine. Dans son ouvrage Les Etats-Unis aujourd'hui, publié en 1928, André Siegfried, après avoir souligné que «la seule vraie religion américaine est le calvinisme’, écrivait déjà : «Il devient difficile de distinguer entre aspiration religieuse et poursuite de la richesse (...). On admet ainsi comme moral et désirable que l'esprit religieux devienne un facteur de progrès social et de développement économique». L'Amérique du Nord figure, selon la formule de Robert Steuckers «l'alliance de l'Ingénieur et du Prédicateur», c'est-à-dire l'alliance de Prométhée et de Jean Calvin ou encore de la technique ravie à l'Europe et du messianisme puritain issu du monothéisme judéochrétien. Transposant en termes profanes et matérialistes le projet universaliste de la chrétienté, elle entend supprimer les frontières, les cultures, les différences afin de transformer les peuples vivants de la Terre en des sociétés identiques, régies par la nouvelle Sainte-trinité de la libre entreprise, du libre échange mondial et de la démocratie libérale. Indéniablement, Martin Luther, et, plus encore, Jean Calvin, sont les pères spirituels de l'Oncle Sam...

Quant à nous, jeunes Européens, nous rejetons viscéralement cet Occident individualiste, rationaliste et matérialiste, héritier de la Réforme, de la pseudo Renaissance et de la Révolution française, autant de manifestations de la décadence européenne. Nous préférons toujours Faust à Prométhée, le Guerrier au Prédicateur, Nietzsche et Evola à Luther et Calvin.

Edouard Rix est un des animateurs de la revue Le Lansquenet (disponible sur
www.librad.com).

jeudi, 09 juillet 2009

Down with the therapeutic left and the managerial right! (Part I)

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Down with the therapeutic left and the managerial right!

(Part One)

By Mark Wegierski
Ex: http://www.enterstageright.com/

The Next City was in the mid- to late-1990s, a prominent Toronto-based Canadian magazine (which is now no longer being published), although the website archive may still be extant. In his editorial commentary in the Spring 1997 issue,  "Down with left and right", Lawrence (Larry) Solomon, the editor-in-chief of the magazine, suggested that those terms had definitively outworn their usefulness. Among the responses published in The Next City (Fall 1997), Michael Taube, then publisher of a small conservative zine From The Right (which in the end lasted only three issues) had argued that those terms continued to mean something significant. Nick Ternette, editor of The Left Fax (another small zine) had claimed that "the left as defined by socialists, Marxists, and greens does not believe in more government intervention, but less -- it believes as some of the new right does that people should do things for themselves instead of relying on government, and it sees an alternative to free markets...and...government interventionism, namely communalization." [emphasis in the original].

Mr. Solomon's response (Fall 1997) can be summarized as a reiteration of the call made in the initial piece, for paying less attention to outward ideology. The implicit hope expressed was that there would be more of the practical working-out of difficult modern-day problems and dilemmas by persons of good will regardless of ideology. Although this is certainly a fine sentiment, one finds that in practice there will often be some kind of partisanship.

Nick Ternette's statement is indeed curious, in that it can be read in a very traditionalist way. Is this in fact “socialism” -- or some kind of “anarcho-communitarianism”? Could this be seen as a call for the abolition of the managerial-therapeutic state, on the understanding that persons should depend on their own resources (or rather perhaps those of their immediate locality)? Is this an advocacy of the devolution of power to smaller municipalities and rural areas, as against the big cities? Should neither provinces nor the federal government in Canada set any general standards for health, education, welfare, human rights laws, etc?  Should only local taxes be collected, and should any resources collected stay within the locality? Should one only be bound by the rules, laws, and customs of one's locality?

Nick Ternette was probably thinking mostly of clusters of left-wing activists in large and multicultural urban centers when he made his argument. But it could be argued that most of the communities of the country are in fact not the various components of the urban-based “rainbow coalition” continually trumpeted in the media, but rather smaller municipalities and rural areas typically despised and marginalized by left-liberalism today. One could conjecture that in a situation where local authority became paramount, left-liberal influence in Canada would be confined to a few large cities (or perhaps just a few trendy and/or grungy neighbourhoods in the largest cities) – rather than being projected upon the country as a whole (through mass-media, mass-education, and consumerism) as it is today.

The possible ultra-traditionalist take on Mr. Ternette's writing may strongly suggest the obsolescence of the Left-Right dichotomy. According to many theorists, the prevalent current-day political reality is the "managerial-therapeutic regime". That term is carefully chosen, for it could be argued that there is a "managerial Right" and a "therapeutic Left" which -- although in apparent conflict -- in fact represent little more than a debate as to the most effective application of consumerist desires and/or “market discipline” and/or mandatory sensitivity-training to keep the “subject-citizens” in line.  The "managerial Right" represents the consumerist, business, economic side of the system, whereas the "therapeutic Left" represents redistribution of resources along politically-correct lines, and ongoing "sensitization" for recalcitrants.

The Left is also identified today with the pop-culture, which, in a somewhat different way from the therapeutic, seeks to reduce to non-existence traditional social norms of nation, family, and religion. While ferociously struggling for its vision of social justice and equality, much of the Left before the 1960s felt that many such notions were simply a natural, pre-political part of social existence, which it had no desire to challenge. The profit motive of the corporations, and the rebelliousness of the cultural Left and of late modern culture in general, feed off of each other, as Daniel Bell has argued in The Cultural Contradictions of Capitalism. North American pop-culture (which most definitely includes very reckless and irresponsible academic and art trends), and the consumer-culture, are tightly intertwined. What is fundamentally missing is the sense of an integrated self and society, where a more meaningful kind of identity can be held by persons, and in which real public and political discourse can take place.

It could be argued that the real division of late modernity is between supporters and critics of the managerial-therapeutic regime. The latter include genuine traditionalists, as well as various eclectic center and left persons. It may be noted, for example, that Christopher Lasch, one of the most profound critics of late modernity, continued to identify himself as a social democrat to the very end of his life.

This kind of coalition is prefigured in the words of the nineteenth-century aesthetic and cultural critic John Ruskin, who, in an age of a pre-totalitarian and pre-politically-correct Left, could say with some confidence, "I am a Tory of the sternest sort, a socialist, a communist."

To be continued. ESR

Mark Wegierski is a Canadian writer and historical researcher.

jeudi, 02 juillet 2009

Necesidad de un Pensamiento Revolucionario

Necesidad de un Pensamiento Revolucionario


Por Guillermo Faye

Ex: http://elfretenegro.blogspot.com/
El sistema está globalmente en estado de disfuncionamiento. Ninguna mejora es posible, porque la ideología hegemónica –y no la opinión común- la rechaza; una incompatibilidad de humor se ha instalado entre esta ideología y las soluciones prácticas que sería necesario aplicar para salvaguardar lo esencial de esta civilización. Hoy, ninguna reforma parcial es ya suficiente: se debe cambiar de sistema, como un antiguo motor cuyas piezas ya no pueden ser reparadas, sino que deben ser remplazadas.

Un partido político cuyo objetivo no sea el arribismo de sus cuadros sino la salvación de su nación, ya no debe de pensar en términos reformistas, sino revolucionarios. La mentalidad revolucionaria puede definirse como un estado de guerra permanente. Una oposición "clásica" piensa en el poder que quiere tomar como en un adversario cuyos cuerpos constituidos están compuestos de colegas políticos; una oposición revolucionaria piensa en el poder y en sus miembros como en enemigos.

Sin embargo, hay dos concepciones del pensamiento revolucionario, que Maquiavelo y Lenin habían entendido perfectamente. La primera es defensiva y conduce al fracaso. Es la estrategia del león que siempre muere, a menudo con valentía, bajo de las picas de las lanzas. Esta estrategia rechaza toda alianza táctica, todo compromiso provisional, en nombre de una pureza doctrinal mal comprendida. Es una estrategia sin espíritu de ataque. Se carga con el pantalón rojo, bigote al viento, antes morir bajo las balas de las metralletas enemiga
s.

La segunda concepción es asaltante. Subordina los medios al fin. Es la estrategia del zorro, la raposa que siempre devasta, de noche, los gallineros. Sabe contratar alianzas con los tontos útiles y los oportunistas, los chaqueteros que saben disimular la espada bajo la toga para así golpear más fuerte, que conocen el arte de la máscara. Saben proceder con paciencia y constancia: el mantenimiento secreto de sus objetivos radicales. Saben hacer concesiones, provisionalmente, sin perder de vista la integridad de sus objetivos, apoyados en una voluntad de hierro. Practican el arte de la mentira, alabado por Nietzsche. Como buenos marineros, saben bordear y utilizar la potencia de los vientos contrarios, sin olvidar nunca el puerto final, el objetivo final.

La primera concepción es romántica; sus raíces mentales son germánicas y célticas. La segunda concepción es clásica. Sus raíces mentales son helénicas y romanas. La primera concepción es inepta para tomar el poder, pero después de la toma del poder, puede ser muy eficiente.

lundi, 29 juin 2009

"Le choc des civilisations" de Samuel Huntington

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2003

"Le choc des civilisations" de Samuel Huntington

Conférence de Metz

Samedi 27.09.03

Présentation d’un ouvrage de géopolitique : HUNTINGTON (Samuel P.), Le Choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 1997.

 

 

Introduction.

 

Identification de l’auteur : Samuel P. Huntington est professeur à l’Université de Harvard.  Il dirige le John M. Olin Institute for Strategic Studies.  Il a été expert auprès du Conseil national américain de sécurité (N.S.C.) sous l’administration Carter (1977-1981).  Par ailleurs, il est le fondateur et l’un des directeurs de la revue Foreign Policy.  Il s’agit donc d’un personnage important au sein de l’ « école de géopolitique » américaine.  Et il n’est pas négligeable de signaler que son livre a été salué par deux autres théoriciens américains de renom :

-         Zbigniew Brzezinski, lui-même conseiller du président des Etats-Unis de 1977 à 1981, expert au Center for Strategic and International Studies, professeur à l’université Johns Hopkins de Baltimore et auteur notamment du Grand Echiquier paru en 1997.

-          Henry Kissinger, conseiller en matière de sécurité nationale et ministre-secrétaire d’Etat (à partir de 1973) sous les présidents R. Nixon (1969-1974) et G. Ford (1974-1977).  Henry Kissinger a publié récemment La Nouvelle Puissance Américaine.

 

Avant de rentrer dans une explication plus approfondie des grands thèmes développés par Huntington dans chacun des chapitres de son ouvrage, il est nécessaire de retracer brièvement sa genèse et les objectifs poursuivis par son auteur.

 

Le livre est issu d’une réflexion amorcée par Huntington dans un article publié durant l’été 1993 dans la revue Foreign Affairs.  Cet article s’intitulait The Clash of Civilizations ? et était rédigé sous forme d’hypothèse : Les conflits entre groupes issus de différentes civilisations sont-ils en passe de devenir la donnée de base de la politique globale ? Selon les éditeurs de la revue, cet article a suscité des réactions et des commentaires en provenance de tous les continents.  A tel point que Huntington, afin de répondre à ses laudateurs comme à ses détracteurs, a approfondi sa réflexion et a couché sous forme de thèse cette fois-ci, une nouvelle grille de lecture des relations internationales dans le livre constituant l’objet de notre conférence.  Il a été publié pour la première fois en 1996 par Simon et Schuster sous le titre : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order.  Il a été traduit en français dès 1997 chez Odile Jacob.  Cette œuvre est plus intéressante que celle publiée par Brzezinski car elle témoigne d’une véritable recherche et n’hésite pas à se référer à des auteurs importants comme Toynbee- Spengler - Braudel - De Maistre.  En substance, le professeur Huntington y affirme :

 

« Le monde d’après la guerre froide comporte sept ou huit grandes civilisations.  Les affinités et les différences culturelles déterminent les intérêts, les antagonismes et les associations entre Etats.  Les pays les plus importants dans le monde sont surtout issus de civilisations différentes.  Les conflits locaux qui ont le plus de chance de provoquer des guerres élargies ont lieu entre groupes et Etats issus de différentes civilisations.  La forme fondamentale que prend le développement économique et politique diffère dans chaque civilisation.  Les problèmes internationaux les plus importants tiennent aux différences entre civilisations.  L’Occident n’est plus désormais le seul à être puissant.  La politique internationale est devenue multipolaire et multicivilisationnelle. »[1]

 

L’objectif poursuivi par Samuel Huntington est avant tout de donner aux dirigeants politiques américains et pourquoi pas européens une nouvelle grille de lecture des relations internationales.   Certains ont accusé Huntington de théoriser et de justifier dans son ouvrage la confrontation entre les Etats-Unis et le reste du monde, bref d’adopter une logique ouvertement belliciste.  Nous pensons que cet avis est erroné si nous nous en tenons au texte réel d’Huntington.  La réflexion de Huntington n’est pas le fruit de son imagination, elle s’appuie sur des faits concrets.  Huntington constate ainsi le déclin de l’Occident et l’émergence de nouveaux pôles de puissance aux intérêts divergents.   Sa logique n’est donc pas offensive mais plutôt défensive.  Ce livre résonne comme un signal d’alarme à l’adresse de la classe dirigeante occidentale : si vous ne tenez pas compte de cette nouvelle réalité qu’est l’émergence des autres civilisations, le triomphe de notre civilisation risque bientôt de n’être plus qu’un souvenir d’ici quelques dizaines d’années.  N’en doutons pas, la thèse de Huntington est destinée à constituer un paradigme, un modèle permettant de décrypter la réalité confuse en matière de politique internationale.  Son livre est à ce titre truffé de concepts opératifs réutilisables dans l’interprétation de nombreux événements politiques, concepts que je tenterai de dégager au cours de cette conférence.  A la doctrine Truman qui a dominé toute la période de la guerre froide, doit succéder la doctrine Huntington.  Huntington précise toutefois que, comme toute théorie des relations internationales, sa doctrine n’est pas infaillible.  Elle ne saurait rendre compte de tous les événements politiques d’importance survenus après la guerre froide.  Toutefois, elle permet d’en expliquer une majorité et c’est en cela qu’il estime sa théorie plus valide que les autres.

 

Chapitre premier : Le nouvel âge de la politique globale.

 

Dans son chapitre premier, Huntington passe en revue toutes les théories survenues après la guerre froide afin de donner de nouveaux repères aux géopolitologues.  Il analyse leurs qualités et leurs défauts à la lumière d’une règle simple mais efficace.  En géopolitique, une théorie est semblable à une carte topographique.  Plus une carte est détaillée, plus elle reflète la réalité mais l’abondance d’informations représentées la rend d’autant plus compliquée à lire.  Au contraire, une carte simplifiée n’indiquant que les axes principaux de communication se lit plus aisément à l’instar d’une théorie plus englobante des faits politiques permettant d’apporter une réflexion d’ensemble sur la réalité internationale.  Toutefois, si elle est trop simplifiée, la carte risque de perdre le voyageur tout comme une théorie trop abstraite qui contribuerait moins à interpréter les faits qu’à enfermer l’analyste dans une logique trop réductrice.  L’auteur ne veut donc pêcher ni par excès de détails, ni par simplification outrancière des événements internationaux.  

 

A la lumière de ces critères de qualité, il n’est pas inutile de développer brièvement les quelques théories qu’Huntington entend dépasser.

 

Un seul et même monde : euphorie et harmonie :   La fin de la guerre froide a pu sembler signifier la fin des conflits importants et l’émergence d’un monde relativement harmonieux.  La formulation de ce modèle la plus connue est celle de Francis Fukuyama, qui a avancé la thèse de « la fin de l’histoire ».  Selon Fukuyama, nous pourrions la définir en ces termes : « Nous avons atteint le terme de l’évolution idéologique de l’humanité et de l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme définitive de gouvernement. »  L’avenir ne sera pas fait de grands combats exaltés au nom d’idées ; il sera plutôt consacré à la résolution de problèmes techniques et économiques concrets.  Au vu et au su du nombre de conflits qui ont éclaté après la fin de la guerre froide, Huntington déclare que la réalité jure trop avec cette théorie pour qu’elle puisse nous servir de repère.

 

Deux mondes : « eux » et « nous » : Quoi de plus facile au sortir de la guerre froide que de diviser le monde en deux entités bien distinctes !  Division qui se prête admirablement bien à tous les manichéismes.  Ainsi certains ont eu coutume de diviser le monde entre le Nord et le Sud, c’est-à-dire, entre les pays modernes, développés et les pays traditionnels, sous-développés ou en voie de développement.  D’autres préfèrent à cette séparation matérielle, une séparation culturelle entre l’Occident et l’Orient.  Huntington réfute la validité tout comme l’utilité de cette division en terme géopolitique.  Il est effectivement improbable que l’on vit un jour apparaître une coalition des pays sous-développés désireuse de faire la guerre aux « capitalistes du Nord ».  De même la division culturelle entre Occident et Orient relève plus de nos propres fantasmes que d’une réalité bien établie.  Autant l’unicité de l’Occident peut-elle être partiellement prouvée en matière économique, politique et culturelle [même s’il est douloureux pour nous Européens de le reconnaître].  A ce sujet, nous renvoyons nos auditeurs à l’ouvrage d’Alexandre Zinoviev : L’Occidentisme[2].  Autant la réalité orientale est multiple.  Quoi de plus différentes entre elles constate Huntington que les sociétés hindoues, musulmanes ou encore chinoises.  Cette théorie est donc caduque car elle caricature trop la réalité.

 

Cent quatre-vingt-quatre Etats environ : D’après la théorie « réaliste » des relations internationales, les Etats sont les acteurs majeurs, et même les seuls importants dans les affaires mondiales.  Pour assurer leur survie et leur sécurité, les Etats s’efforcent immanquablement de maximiser leur puissance.  Si un Etat constate qu’un autre est en train d’accroître sa puissance et peut donc devenir une menace potentielle, il s’efforce de protéger sa sécurité en accroissant sa propre puissance et/ou en s’alliant à d’autres Etats.  Ces hypothèses permettent de prédire les intérêts et les actions des cent quatre-vingts quatre Etats environ qui existent dans le monde d’après la guerre froide.  Ce paradigme étatique donne une image bien plus réaliste et opératoire de la politique globale que les paradigmes unitaire et binaire.  Pour autant, ses limites sont importantes.  Il suppose en effet que tous les Etats perçoivent de la même façon leurs intérêts et agissent de la même façon.  Cette théorie ne saurait donc expliquer pourquoi le Canada ne s’arme pas afin de résister à une invasion potentielle des Etats-Unis.  Elle ne saurait non plus expliquer pourquoi les pays européens ont décidé de se réunir en une entité politique plus large.  Huntington constate que les valeurs, la culture et les institutions influencent grandement la façon dont les Etats définissent leurs intérêts.  Des Etats qui ont une culture et des institutions similaires ont des intérêts communs.  Des Etats démocratiques ont des points communs avec d’autres Etats démocratiques.

 

Un pur chaos : L’affaiblissement des Etats et, dans certains cas, leur échec accréditent une quatrième image, celle d’un monde réduit à l’anarchie.  Ce paradigme s’appuie « sur le déclin de l’autorité gouvernementale, l’explosion de certains Etats, l’intensification des conflits tribaux, ethniques et religieux, l’émergence de mafias criminelles internationales, le fait que les réfugiés se comptent par dizaines de millions, la prolifération des armes de destruction massive, nucléaires ou autres, l’expansion du terrorisme, la persistance des massacres et des nettoyages ethniques. »[3]  Comme le paradigme étatique, le paradigme chaotique est proche de la réalité.  Il donne une vision imagée et précise d’une bonne partie de ce qui se produit effectivement dans le monde.  Cependant, ce paradigme n’est pas opératoire ; on ne saurait effectivement prendre de décision politique rationnelle si l’on considère que le monde fonctionne comme un pur chaos.  Le monde s’il devient de plus en plus chaotique, ne va pas sans un certain ordre, celui des civilisations !

 

Chapitre II : Les civilisations hier et aujourd’hui.

 

Encore faut-il s’entendre sur la définition d’une civilisation.  Aux XVIIIe et XIXe siècles, le concept de « civilisation » servait à désigner toute société évoluée, notamment en terme matériel et institutionnel par opposition aux sociétés dites « barbares ».  Ce n’est évidemment pas le sens que prend le terme « civilisation » dans l’ouvrage d’Huntington.  Il n’étudie pas « la civilisation » comprise dans un sens universaliste.  Il critique même cette conception purement occidentale à certains passages du livre.  Au contraire, il étudie « les civilisations » caractérisées selon lui par divers éléments :

 

-         Premièrement, une civilisation est une entité culturelle.  Parmi les éléments culturels clés qui définissent une civilisation, Huntington dénombre le sang, la  langue, la religion, la manière de vivre.  Il constate que de tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est en général la religion.  Beaucoup de civilisations se sont identifiées au cours de l’histoire avec les grandes religions du monde.  Au contraire, des populations faisant partie de la même ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent s’opposer, comme c’est le cas au Liban, en ex-Yougoslavie et dans le subcontinent indien.

  

-         Deuxièmement, les civilisations sont englobantes, c’est-à-dire qu’aucune de leurs composantes ne peut être comprise sans référence à la civilisation qui les embrasse.  Pour reprendre les termes de Toynbee, « les civilisations englobent sans être englobées par les autres ».  Une civilisation est ainsi le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer des autres espèces.  Les civilisations sont les plus gros « nous » et elles s’opposent à tous les autres « eux ».

 

-         Troisièmement, Huntington constate que les civilisations sont mortelles mais qu’elles sont des réalités d’une extrême longue durée.  Les Empires naissent et meurent, les gouvernements vont et viennent, les civilisations restent et survivent aux aléas politiques, sociaux, économiques et même idéologiques.

 

-         Enfin, puisqu’une civilisation est une entité culturelle, elle ne revêt pas de fonctions politiques telles que maintenir l’ordre, dire le droit, collecter les impôts, mener des guerres, négocier des traités, etc.  Seul le Japon est à la fois une civilisation et un Etat tandis que la Chine est une civilisation qui se veut être un Etat.  Nous rajouterons que dans les cercles de Synergies Européennes, nous affirmons que l’Eurosibérie est une civilisation qui doit être un Etat !

 

Enfin, après avoir donné sa définition de ce qu’est une civilisation, Huntington dénombre sept grandes civilisations contemporaines (ou plutôt six et demi) :

 

-         La civilisation chinoise qui daterait au moins de 1500 av. J.-C., voire de mille ans plus tôt.

-         La civilisation japonaise, dérivée de la civilisation chinoise et apparue entre 100 et 400 ap. J.C.

-         La civilisation hindoue depuis 1500 av. J.C.

-          La civilisation musulmane, née dans la péninsule arabique au VIIe siècle ap. J.C., elle s’est étendue en Afrique du Nord, en Espagne, et à l’est, en Asie centrale, dans le sous-continent indien et en Asie du Sud-Est.  En conséquence de quoi, on distingue au sein de l’Islam plusieurs cultures ou sous-civilisations : l’arabe, la turque, la perse et la malaisienne.

-         La civilisation occidentale dont Huntington date l’apparition à 700-800 ap. J.C.  L’Occident regroupe l’Europe, l’Amérique du Nord et les autres pays peuplés d’Européens, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. 

-          L’Amérique latine qui possède des caractéristiques propres suite à une évolution différente.  Huntington parle d’une culture corporatiste et autoritaire différente de la démocratie occidentale.  L’Europe et l’Amérique du Nord ont subi les effets de la Réforme et ont combiné culture catholique et culture protestante.  Historiquement, l’Amérique latine a seulement été catholique.  Enfin, la civilisation d’Amérique latine inclut des cultures indigènes, lesquelles n’existaient pas en Europe et ont été éliminées en Amérique du Nord.

-         La civilisation africaine, si possible.  Huntington émet l’hypothèse que l’Afrique subsaharienne pourrait s’assembler pour former une civilisation distincte dont le centre de gravité serait l’Etat d’Afrique du Sud.

 

En analysant la figure n°1 (= carte 1.3 [4]) fournie par Huntington, on remarque que le géopolitologue laisse la place à deux autres entités qu’il classe également sous le titre de civilisation : l’espace orthodoxe et l’espace bouddhiste.  Toutefois, il considère que le Bouddhisme et l’Orthodoxie bien que ce soient deux grandes religions, n’ont pas été à la base de grandes civilisations. Remarquons également que dans son analyse, Huntington opère une distinction très nette entre l’Europe et la Russie orthodoxe (cf. figure n°3 = carte de ligne de partage entre l’Europe et le monde orthodoxe[5])  Certes, la Russie se différencie du reste de la population européenne par son origine slave et sa religion orthodoxe mais les peuples slaves sont majoritairement chrétiens, ils sont indo-européens, blancs et leur histoire est étroitement liée depuis plusieurs siècles déjà à l’histoire européenne.  La distinction religieuse est d’ailleurs plutôt simpliste pour ne pas dire fausse quand on sait qu’aux yeux de la religion catholique, les protestants sont considérés comme hérétiques alors que les orthodoxes sont simplement schismatiques.  Comment ne pas voir dans cette séparation une habile manœuvre politique destinée à théoriser auprès de nos « élites » européennes, une frontière culturelle qui est loin d’être évidente.  Comment ne pas y voir la peur sous-jacente d’une alliance euro-russe, peur déjà bien présente à l’esprit des Américains en 1939 lors du Pacte Molotov-Ribbentrop.  Comment ne pas y voir un voile discret jeté sur l’idée d’une alliance continentale que tous les stratèges britanniques ou américains ont cherché à combattre depuis Mackinder en passant par Mahan, Spykman, Brzezinski et plus récemment Kissinger.  Il suffit de lire leurs ouvrages pour comprendre que le cauchemar américain est effectivement la réalisation d’un bloc politique eurasiatique s’étendant de Reykjavik à Vladivostok  tel que l’ont théorisé Thiriard ou Guillaume Faye.  Nous aurons l’occasion de revenir dans notre conclusion sur cet élément important.

 

Après avoir dénombré les différentes civilisations contemporaines, Huntington souligne un détail essentiel.  En quoi la situation a-t-elle changé par rapport au passé ?  Les civilisations existent depuis longtemps.  Pourquoi tout d’un coup pointer du doigt le risque d’un choc des civilisations alors que certaines d’entre elles sont plusieurs fois millénaires ?  Tout simplement parce qu’aux rencontres limitées entre civilisations a succédé une période d’intenses interactions.  Au XVe siècle l’influence puissante et unidirectionnelle de l’Occident sur les autres civilisations a commencé à se manifester.  Pendant quatre cents ans, les relations intercivilisationnelles se sont résumées à la subordination par l’Occident des autres civilisations.  « L’expansion de l’Occident a été facilitée par la supériorité de son organisation, de sa discipline, de l’entraînement de ses troupes, de ses armes, de ses moyens de transport, de sa logistique, de ses soins médicaux, tout cela étant la résultante de son leadership dans la révolution industrielle.  L’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée.  Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais. »[6]  Cependant cette supériorité a commencé à s’estomper à partir de la Première guerre mondiale.  Au XXe siècle, les relations entre civilisations sont passées d’une période dominée par l’influence unidirectionnelle d’une civilisation en particulier sur les autres à une phase d’intenses interactions multidirectionnelles entre toutes les civilisations.  L’expansion de l’Occident s’est arrêtée tandis que la révolte contre celui-ci a commencé.  Par à coups, la puissance de l’Occident a décliné relativement à celle des autres civilisations.  Cette situation laisse donc la place à l’émergence des sociétés non occidentales qui redeviennent les actrices de leur propre histoire, surtout depuis la fin des conflits idéologiques.  Dans ce contexte et vu les échanges de plus en plus soutenus entre les différentes civilisations à l’échelle mondiale, un choc entre civilisations a beaucoup plus de chance de se produire que par le passé !  Les Etats-Unis tentent de se substituer au rôle de gendarme du monde autrefois tenu par l’Europe mais ils ne cessent de s’attirer la haine des peuples.  Une haine lourde de conflits à venir.

 

Chapitre III : Existe-t-il une civilisation universelle ?  Modernisation et occidentalisation.

 

La civilisation universelle ?

 

 Samuel P. Huntington est très critique vis-à-vis du concept de civilisation universelle que l’on apparente souvent à la culture de Davos.  Sont convertis à cette culture nombre de nos hommes politiques, dirigeants d’entreprise, banquiers, hauts fonctionnaires, intellectuels et journalistes.  « Ils partagent tous la même foi dans les vertus de l’individualisme, de l’économie de marché et de la démocratie politique. »[7]  Cette culture est extrêmement importante parce que les personnes qui la partagent possèdent des responsabilités dans presque toutes les institutions internationales, dans plusieurs gouvernements, dans l’économie mondiale, dans la défense et dans les universités.   Cependant, souligne Huntington, que représentent ces convertis à l’échelle mondiale ?  Il est probable qu’en dehors de l’Occident, ils ne sont qu’une petite poignée (1% [peut-être moins] de la population) à partager ses valeurs et ils ne sont pas forcément en position de force au sein de leur propre société.  Il suffit pour cela de prendre comme exemple la Jordanie durant la dernière guerre du Golfe pour se rendre compte que seuls les dirigeants soutenaient l’effort américain dans la région tandis que la population jordanienne y était largement hostile.  Cette culture de Davos est donc loin de former une culture universelle.

 

De même, Huntington critique l’idée selon laquelle la diffusion des structures de consommation et de la culture populaire occidentale à travers le monde crée une civilisation universelle.  Entendez l’idée selon laquelle, puisqu’un hindou boit du coca-cola et porte des blue-jeans, il est forcément converti aux valeurs consuméristes de la société américaine.  En effet, nous sommes assez d’accord avec Huntington lorsqu’il affirme que nous ne pouvons identifier les simples aspects matériels d’une culture avec ses valeurs et ses idéaux profonds.  « Seule l’arrogance, dit-il, incite les Occidentaux à considérer que les non-Occidentaux « s’occidentaliseront » en consommant plus de produits occidentaux.  Le fait que les Occidentaux identifient leur culture à des liquides vaisselle, des pantalons décolorés et des aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident. »[8]  Cependant nous rajouterons qu’il ne faut pas sous-estimer, sur certains esprits plus faibles, le pouvoir attractif de toutes nos cochonneries.  La colonisation massive de peuples allochtones que l’Europe connaît à l’heure actuelle n’est hélas pas là pour le démentir.  Quoique, la capacité d’intégration de la société occidentale tende à diminuer à mesure que le nombre d’étrangers y est plus important.  Le regroupement communautaire massif de ces populations favorise en effet la conservation des pratiques culturelles issues du pays d’origine.  Face à un peuple s’identifiant aux marques de shampoing et aux voitures de luxe, il est normal que des cultures plus fortes comme la culture arabe prennent progressivement le dessus à l’extérieur, comme à l’intérieur de nos frontières !

 

Enfin Huntington bat également en brèche la thèse selon laquelle un surcroît d’interactions (commerces, investissements, tourisme, médias, communication électronique) engendrerait une culture mondiale.  Et dans la mesure où ce sont de grands groupes américains et européens qui dominent la diffusion de l’information à l’échelle planétaire, cette culture mondiale serait forcément occidentale.  Premier argument critique avancé par Huntington : les populations du monde ne perçoivent pas les informations avec les mêmes schèmes de pensée.  Chaque culture possède sa grille de lecture.  Les Chinois ne regardent pas Dallas de la même manière que les Américains !  Deuxième argument, à notre sens le plus important, sous forme de question critique : en quoi les interactions de plus en plus nombreuses entre les peuples seraient synonymes de paix et de solidarité ?  On avait déjà argué par le passé que si l’on augmentait les rapports commerciaux entre les nations, la probabilité qu’une guerre éclate entre elles diminuerait.  Cette affirmation est évidemment totalement fausse et tout le monde connaît à l’heure actuelle l’expression « guerre commerciale » qui n’a pas besoin d’être commentée tant elle est lourde de sens.  De même, la sociologie a abondamment prouvé cette règle très simple que beaucoup de nos « penseurs » contemporains s’évertuent pourtant à oblitérer. : « On se définit par ce qu’on n’est pas ».  En psychologie sociale, la théorie de la distinction montre que les personnes se définissent par leurs différences dans un certain contexte.  Autrement dit, comme les communications, le commerce et les voyages multiplient les interactions entre civilisations ; on accorde en général de plus en plus d’attention à son identité civilisationnelle.  « Deux Européens, un Allemand et un Français, qui interagissent ensemble s’identifieront comme allemand et français.  Mais deux Européens, un Allemand et un Français, interagissant avec deux Arabes, un Saoudien et un Egyptien, se définiront les uns comme Européens et les autres comme Arabes. »[9]

 

Huntington appuie sa critique du concept de civilisation universelle en constatant un renouveau des langues nationales au détriment des langues coloniales.  En Inde par exemple, il est plus facile pour un voyageur qui traverse le pays de communiquer en hindi qu’en anglais.  De même il constate une « indigénisation » de langues comme le français ou l’anglais, deux langues qui ont pourtant des prétentions universalistes. En effet, l’anglais parlé au Cachemire ou le français de Côte d’Ivoire sont loin d’avoir gardé les accents de leur métropole d’origine.  Le renouveau religieux notamment dans les pays musulmans est un autre signe manifeste d’une plus grande conscience identitaire des anciens pays colonisés.

 

Les réactions à l’Occident et à la modernisation.

 

Un autre versant intéressant de la réflexion du stratège américain réside dans sa conceptualisation des réactions des peuples traditionnels face à l’Occident et la modernisation.  Il en comptabilise trois :

 

-         Le rejet total de l’Occident, c’est-à-dire le rejet par de petites communautés traditionnelles non seulement des valeurs de l’Occident mais également des artifices de la modernisation.  Huntington affirme que ce rejet est quasi insoutenable dans le monde « hyperglobalisé » dans lequel nous vivons.  Une société traditionnelle ne peut lutter avec des arcs à flèches contre des chars !

 

-         Le kémalisme consiste à adhérer à la fois à la modernisation et à l’occidentalisation.  Il est fondé sur l’idée que la modernisation est désirable et nécessaire, que la culture indigène est incompatible avec la modernisation et doit être abandonnée ou abolie et que la société doit être entièrement occidentalisée afin de se moderniser convenablement.  L’exemple le plus frappant est celui de la Turquie de Mustafa Kemal.  Le problème des pays choisissant cette voie réside évidemment dans la déchirure profonde et douloureuse entre les valeurs ancestrales et la société moderne.

 

-         Le réformisme tente de combiner la modernisation avec la préservation des valeurs, des pratiques et des institutions fondamentales de la culture propre à la société concernée.  C’est la voie qu’ont choisie au XIXe siècle des pays comme la Chine ou le Japon : « éducation chinoise pour les principes fondamentaux, éducation occidentale pour la pratique. » - « esprit japonais, technique occidentale. »[10] 

 

Comme vous pouvez le constater, l’ouvrage de Huntington est intéressant car il contient une foule de concepts permettant d’abstraire et ainsi de comprendre la réalité.  A partir de ces concepts, l’esprit peut explorer de nouvelles voies.  Huntington constate par exemple que beaucoup de pays traditionnels ont évolué du kémalisme vers le réformisme.  En effet, durant les premières phases du changement, l’occidentalisation favorise la modernisation.  Pendant les phases suivantes, la modernisation favorise la désoccidentalisation et la résurgence de la culture indigène de deux manières.  « A l’échelon sociétal, la modernisation renforce le pouvoir économique, militaire et politique de la société dans son ensemble et encourage la population à avoir confiance dans sa culture et à s’affirmer dans son identité culturelle.  A l’échelon individuel, la modernisation engendre des sentiments d’aliénation et d’anomie à mesure que les liens et les relations sociales traditionnelles se brisent, ce qui conduit à des crises d’identité auxquelles la religion apporte une réponse. »[11] 

 

La religion comme moteur civilisationnel.

 

La place que Huntington confère à la religion est importante.  Il est évident que pour nombre de personnes désorientées, surtout dans des sociétés vides de sens, la religion peut constituer un refuge, voire une façon plus solide d’appréhender la vie dans son ensemble.  La religion rend aux gens la fierté qu’ils avaient perdue, elle leur donne un passé, un présent, un futur, une structure mentale et sociologique ainsi que des aspirations communes.  C’est ce qui fait la force des sociétés culturellement homogènes et la faiblesse des Etats multiethniques et multiculturels.  Les pays à majorité musulmane sont un bon exemple de ce phénomène.  Les organisations islamiques y sont de plus en plus présentes sur le terrain.  Elles ont compris que pour prendre le pouvoir, il fallait être les premières à agir en cas de problème et s’imposer comme la seule alternative possible face au gouvernement en place.  Lors des tremblements de terre en 1992, au Caire, ces dernières étaient souvent les premières à soigner les blessés tandis que les secours gouvernementaux tardaient.  Huntington note qu’en 1995, tous les pays majoritairement musulmans, sauf l’Iran, étaient culturellement, socialement et politiquement plus islamiques et islamistes que quinze ans auparavant.  L’exemple irakien est encore plus criant.  Dans la détresse la plus totale, le peuple irakien se retourne inexorablement vers ses racines sunnites ou chiites.  Les hôpitaux musulmans ne désemplissent pas car ils sont les seuls à offrir un service de soins efficaces et gratuits !  La suppression du régime laïc de Saddam a ouvert une voie royale à une réislamisation du pays, la présence américaine ne faisant qu’exacerber davantage la conscience identitaire de la population.  Huntington assimile donc la religion à un véritable moteur civilisationnel, source de dynamisme.  C’est une interprétation techniciste et bien américaine d’un phénomène à notre sens plus profond.  Cependant, ignorer superbement cette donnée essentielle en politique internationale serait une erreur.  Elle a déjà coûté cher à l’Occident et risque encore de lui poser des problèmes dans un proche avenir.

 

Chapitre IV : L’effacement de l’Occident : puissance, culture et indigénisation.

 

Si Huntington constate un déclin de l’Occident, il est néanmoins d’accord pour dire qu’à l’heure actuelle, après sa victoire contre le communisme, la société occidentale profite toujours de sa position d’hyper puissance avec à sa tête un leader américain incontesté.  Ouvrons une parenthèse pour remarquer au passage que Huntington prend bien soin de définir le communisme vaincu comme un phénomène extra-occidental.  Dans son obsession de séparer la Russie de l’Europe, Huntington commet là une faute grave.  Considérer le communisme indépendamment de ses racines occidentales est un non-sens historique.  En effet, quoi de plus « occidental » au sens traditionnel, que le progressisme et le matérialisme historique qui caractérisent la société communiste ? 

 

Vu sa position de leader, les sociétés appartenant à d’autres civilisations ont toujours besoin de l’Occident aujourd’hui pour parvenir à leurs fins et protéger leurs intérêts car les nations occidentales :

 

-         possèdent et animent le système bancaire international ;

-         contrôlent les monnaies fortes ;

-         représentent les principaux pays consommateurs ;

-         produisent la majorité des produits finis ;

-         dominent les marchés internationaux de capitaux ;

-         exercent une autorité morale considérable sur de nombreuses sociétés ;

-         contrôlent les voies maritimes ;

-         mènent les recherches techniques les plus avancées ;

-         contrôlent la transmission du savoir technique de pointe ;

-         dominent l’accès à l’espace ;

-         dominent l’industrie aéronautique ;

-         dominent les communications internationales ;

-         dominent le secteur des armements sophistiqués.[12]

     

Mais qu’adviendra-t-il demain de la société occidentale.  Huntington inventorie aussi les signes manifestes de notre déclin :

 

-         faible croissance économique ;

-         stagnation démographique ; (cf. figure n°2 = figure 5.2[13])

-         chômage ;

-         déficit budgétaire ;

-         corruption dans les affaires ;

-         faible taux d’épargne ;

-         déclin moral…[14]

 

Parmi les plus évidentes manifestations du déclin moral, Huntington cite avec une très grande lucidité :

 

-         Le développement de comportements antisociaux, tel que le crime, la drogue, et plus généralement la violence.

-         Le déclin de la famille, se traduisant par l’augmentation du taux des divorces, les naissances illégitimes, les grossesses d’adolescentes et les familles monoparentales.

-         Le déclin du « capital social », tout du moins aux Etats-Unis, c’est-à-dire la participation plus faible à des associations bénévoles et, de fait, le relâchement des relations de confiance qui s’y nouent.

-         La faiblesse générale de « l’éthique » et la priorité accordée à la complaisance.

-         La désaffection pour le savoir et l’activité intellectuelle, qui se manifeste aux Etats-Unis [comme en Europe] par la baisse du niveau scolaire.[15]

 

Il s’ensuit une certaine érosion de la culture occidentale, tandis que les mœurs, les langues, les croyances et les institutions indigènes, enracinées dans l’histoire, sont réaffirmées.  La puissance accrue des sociétés non occidentales sous l’effet de la modernisation engendre le renouveau des cultures non occidentales dans le monde entier.  « Le lien entre puissance et culture a presque toujours été négligé par ceux qui pensent qu’apparaît et doit apparaître une civilisation universelle comme par ceux pour qui l’occidentalisation est une condition nécessaire de la modernisation.  Ils refusent de reconnaître que la logique de ces raisonnements les incline à soutenir l’expansion et la consolidation de la domination de l’Occident sur le monde et que si les autres sociétés étaient libres de façonner leur propre destin, elles revigoreraient leurs croyances, leurs habitudes et leurs pratiques, ce qui, selon les universalistes, est contraire au progrès. »[16]  Et pourtant, désormais, les Extrêmes-Orientaux attribuent leur réussite économique non aux emprunts à la culture occidentale mais à leur adhésion à leur propre culture.  Ils réussissent, pensent-ils, parce qu’ils sont différents des Occidentaux.   Cette résurgence des cultures non occidentales, Huntington la désigne au moyen du concept d’ « indigénisation ».  Cette indigénisation s’accompagne d’un renouveau religieux favorisé notamment par la chute du communisme.  Les civilisations voient le communisme comme le dernier dieu laïc à avoir échoué.  La religion prend la place de l’idéologie, et le nationalisme religieux remplace le nationalisme laïc.  Nous sommes habitués dans nos pays d’Europe occidentale à associer la pratique religieuse à la vieille génération.  Force est de constater que dans les pays musulmans ou encore en Inde, ce sont les jeunes de la classe moyenne qui sont à la tête de ce mouvement religieux qu’Huntington appelle aussi « la revanche de Dieu. »  Face à cette déferlante jeune et dynamique, à forte conscience identitaire, Huntington n’a-t-il pas raison de lancer un cri d’alarme, n’en déplaise à ses détracteurs ?

 

Chapitre V : Economie et démographie dans les civilisations montantes.

 

Ce chapitre n’est pas essentiel.  Il ne fait qu’appuyer, colonnes de chiffres à l’appui que l’économie et la démographie occidentale régressent alors que plusieurs autres civilisations émergent dans les deux domaines.  Huntington écrit un peu avant la crise financière asiatique et n’en parle donc pas. 

 

Chapitre VI : La recomposition culturelle de la politique globale.

 

Une autre conséquence de la fin de la guerre froide est la suivante.  Alors qu’avant il était loisible à un peuple de se définir comme non aligné, c’est-à-dire comme n’appartenant ni à l’une ni à l’autre idéologie, il devient de plus en plus difficile à l’heure actuelle d’échapper à cette question : « Qui êtes-vous ? »  Selon Huntington, tous les Etats doivent pouvoir répondre à cette question au risque de ne pas trouver leur place dans le concert des nations.  Ce problème d’identité est évidemment d’autant plus intense dans les pays où vivent d’importants groupes de population appartenant à différentes civilisations.  C’est un élément crucial en effet.  Lorsque l’Inde entre en conflit avec son voisin pakistanais, les combats n’embrasent pas seulement les frontières mais également les centres urbains où cohabitent hindous et musulmans.   Huntington a très bien compris le danger que pouvaient représenter la cohabitation au sein d’une même entité politique de plusieurs communautés d’origine différentes.  La moindre étincelle est susceptible de mettre le feu aux poudres.  Nous croyons d’ailleurs que les dirigeants européens commencent tout doucement à comprendre le phénomène : leur refus de prendre part à la dernière guerre du Golfe n’était sans doute pas seulement motivé par le respect des institutions internationales.

 

Si le livre d’Huntington a suscité tant de cris de chattes effarouchées de la part de nos intellectuels européens « immigrophiles », c’est sans doute parce qu’il est bâti sur un principe très simple, tellement simple mais aussi tellement dérangeant que la propagande émolliente caractérisant nos médias tente chaque jour de nous le faire oublier : les affinités culturelles facilitent la coopération et la cohésion, tandis que les différences culturelles attisent les clivages et les conflits.  C’est pourquoi, pour répondre à ses détracteurs, Huntington dresse dans son chapitre six, un argumentaire en six points appuyant ce principe :

 

  1. Dans un monde globalisé, les entités culturelles les plus larges sont les civilisations.  Il est donc logique que les conflits entre groupes appartenant à différentes civilisations soient centraux dans la politique globale.
  2. Dans la mesure où l’Occident ne se contente pas d’appliquer la doctrine Monroe à seule sphère civilisationnelle mais cherche à l’étendre au monde entier, il est logique que par réaction, les cultures se radicalisent et adoptent une position défensive sinon de combat.
  3. L’identité se définit toujours par rapport à l’autre.  Si tout le monde était blanc, il serait stupide de nous définir comme étant de race blanche, c’est parce qu’il existe d’autres types de population que cette distinction devient effective.  Les exemples historiques ne manquent pas pour prouver que l’attitude des peuples a toujours été modelée selon ce principe.  Dans la haute Antiquité, les Grecs se distinguaient des barbares, au Moyen Age et durant les Temps modernes, les règles régissant les relations entre nations chrétiennes étaient différentes de celles dictant l’attitude vis-à-vis des Turcs et des autres « infidèles ».  Enfin le Coran distingue clairement le Dar al-Islam et le Dar-al-Harb (c’est-à-dire la zone des convertis et la zone à convertir) et la guerre sainte ne sera jamais totalement terminée tant que l’Islam ne se sera pas imposé à l’ensemble de la planète.
  4. Les différents culturels sont difficiles à résoudre car les valeurs et les principes d’une culture ne sont pas négociables.  Il en va ainsi des problèmes territoriaux très aigus qui opposent musulmans d’Albanie et orthodoxes serbes à propos du Kosovo ou bien des Juifs et des Arabes à propos de Jérusalem, puisque ces lieux ont pour chaque camp une signification historique, culturelle et affective profonde.  La question du foulard qui secoue la politique française actuellement et qui pose également des problèmes en Belgique, relève du même type de conflit.  De tels problèmes culturels appellent des réponses par oui ou par non, non des demi-mesures.
  5. Les conflits ont existé, existent et continueront à exister.  La guerre est une dimension ontologiquement humaine même si elle est à déplorer.  Tout au plus l’homme peut-il diminuer la probabilité qu’elle survienne. 
  6. Huntington reprend enfin l’idée force de Karl Schmitt : l’essence de la politique est de définir qui sont nos amis et qui sont nos ennemis.  Une entité politique qui n’a que des amis est une utopie.

 

La structure des civilisations.

 

Parmi les concepts opératifs majeurs présents dans son ouvrage, les plus importants à notre sens sont relatifs à la structure des civilisations.  Huntington propose de classer les pays selon différentes catégories :

 

-         Etats phares : Une civilisation possède en général un lieu au moins qui est considéré par ses membres comme la source principale de sa culture.  Ce lieu est souvent constitué d’un Etat ou de plusieurs Etats.  Huntington parle dans ce cas d’Etat phare.  L’Etat phare possède un rôle important dans la sphère civilisationelle puisque c’est généralement lui qui fédère les autres Etats autour de lui.  Dans la civilisation orthodoxe, c’est la Russie qui joue ce rôle.  La civilisation chinoise porte chez Huntington le nom de son Etat phare, la Chine.  Nous avons déjà mentionné précédemment que la Chine avait des prétentions à réunir dans un même Etat l’ensemble de ce qu’elle considère comme la civilisation chinoise.  L’axe franco-allemand et les Etats-Unis constituent les Etats phares de la civilisation occidentale.  Par contre, le problème de la civilisation musulmane, note Huntington, est qu’elle ne possède pas d’Etat phare.

 

-         Pays isolés : Un pays isolé n’a pas d’affinités culturelles avec d’autres sociétés.  L’Ethiopie par exemple, est isolée culturellement par sa langue dominante, l’araméen, écrit en caractères éthiopiens, par sa religion dominante, l’orthodoxie copte, par son passé impérial, par ses différences religieuses vis-à-vis de ses voisins en majorité musulmans.  Le plus important pays isolé est le Japon.  Aucun autre pays n’a la même culture, et les émigrés japonais sont peu nombreux dans les autres pays et guère assimilés culturellement.

 

-         Pays divisés : Ce sont des pays dont le territoire est traversé par une frontière entre civilisations.  Ces pays sont confrontés à des problèmes aigus pour préserver leur unité.  De nombreux pays africains sont minés par des guerres civiles interminables entre chrétiens et musulmans : Soudan, Nigeria, Tanzanie, Ethiopie…  Avec la chute du communisme, la culture a bien souvent remplacé l’idéologie comme facteur d’attraction et de répulsion.  « L’effet de division a été particulièrement visible dans les pays divisés dont la cohérence, à l’époque de la guerre froide, était assurée par des régimes communistes légitimés par l’idéologie marxiste-léniniste.  La Yougoslavie et l’Union soviétique ont éclaté et se sont divisées en entités nouvelles regroupées sur des bases civilisationnelles : les républiques baltes (protestantes et catholiques) [qui vont d’ailleurs bientôt rejoindre l’Europe], les républiques orthodoxes et musulmanes de l’ex-Union soviétique ; la Slovénie et la Croatie catholiques ; la Bosnie-Herzégovine partiellement musulmane ; la Serbie-Monténégro et la Macédoine orthodoxes en ex-Yougoslavie.  Là où ces entités nouvelles rassemblent encore des groupes appartenant à plusieurs civilisations, des divisions de second ordre apparaissent. »[17]  Rappelons que le livre d’Huntington a été publié en 1996 et que la guerre du Kosovo n’avait pas encore eu lieu ; pourtant l’auteur écrit déjà à l’époque : « Le Kosovo, peuplé d’Albanais musulmans, restera-t-il paisible au sein de la Serbie orthodoxe slave ?  On ne le sait pas.  De même, des tensions apparaissent entre la minorité musulmane albanaise et la majorité orthodoxe slave en Macédoine. »[18]

 

-         Pays déchirés : Dans un pays divisé, des forces répulsives éloignent les groupes culturellement différents les uns des autres.  Un pays déchiré, par contraste, a une seule culture dominante qui détermine son appartenance à une civilisation, mais ses dirigeants veulent le faire passer à une autre civilisation.  La Turquie est le pays déchiré type depuis que, dans les années vingt, elle a tenté de se moderniser, de s’occidentaliser et de s’intégrer à l’Occident.

 

Chapitre VII : Etats phares, cercles concentriques et ordre des civilisations.

 

Les rôles assumés par l’Etat phare d’une civilisation sont multiples.  Il est à la fois un leader, un protecteur, un gendarme, un modèle et un centre autour duquel gravitent les autres Etats.  La création d’un bloc civilisationnel uni politiquement autour de son Etat phare n’est pas si saugrenue que certains voudraient le penser.  Elle génère en effet dynamisme et ordre au sein d’un vaste espace géographique et évite souvent nombre de guerres intestines au sein d’une même civilisation.   Dans la même logique, l’absence d’Etat phare à l’intérieur d’une civilisation condamne celle-ci à la stagnation et à la faiblesse face aux autres réellement cohérentes. 

 

Un cas particulier, le monde arabe.

 

A la lumière de cette règle on comprend mieux le manque d’unité du monde arabe.  En effet, en Occident, le parangon de la loyauté est depuis le XVIIe siècle l’Etat-nation.  Les groupes qui  transcendent les Etats-nations - communautés religieuses, linguistiques ou civilisations - requièrent une loyauté et un engagement moins intense.  Dans le monde islamique, au contraire, les deux structures fondamentales, originales et durables sont d’une part la famille, le clan, la tribu et d’autre part la Religion et l’Empire à plus grande échelle.  Les tribus ont été centrales dans la vie politique des Etats arabes, tandis que les gens se sentaient unis par de-là les différences tribales dans une même communauté de langue, de culture, de style de vie et surtout de religion, la communauté des croyants, la Oumma, transcendant les particularismes. 

 

Cependant, l’Islam est divisé en plusieurs centres de pouvoirs concurrents, chacun tentant de capitaliser à son profit l’identification des musulmans avec la Oumma afin de réaliser la cohésion islamique sous son égide.  Le concept de Oumma présuppose que l’Etat-nation n’est pas légitime, et pourtant la Oumma ne peut être unifiée que sous l’action d’au moins un Etat phare fort qui fait actuellement défaut.  Pour que l’Islam comme communauté religieuse se matérialise, il faudrait que les suprématies religieuse et politique (califat et sultanat) soient combinées en une seule entité gouvernementale.  Ce manque d’unité a été savamment entretenu tout au long de l’histoire coloniale, d’abord par les Britanniques puis après la Deuxième guerre mondiale par les Etats-Unis et leur allié israélien.  On sait maintenant que, dans la guerre fratricide qui a opposé l’Iran et l’Irak durant de nombreuses années, la politique des Etats-Unis ne consistait pas à s’engager pour un camp ou pour l’autre mais à en entretenir le conflit afin d’éviter l’émergence de tout Etat phare dans la région. 

 

Il est devenu banal d’affirmer que les Etats-Unis sont partis en guerre contre l’Irak pour s’accaparer les ressources pétrolières du pays.  Il l’est peut-être moins d’affirmer que les stratèges américains éliminaient de surcroît un pion gênant sur l’échiquier proche-oriental, cet Irak à l’idéologie ouvertement panarabe et où les discours présidentiels surfaient de plus en plus sur la vague du renouveau islamique.  Lorsque les dirigeants européens accusaient l’Amérique de ne pas ramener la paix dans la région mais de semer un trouble encore plus grand, sans doute ne se doutaient-ils pas qu’ils étaient fort proches de la vérité.  En prétendant devant les caméras du monde entier, vouloir ramener la paix et la sécurité au Proche-Orient, les Etats-Unis poursuivaient sur le terrain l’objectif inverse : diviser pour régner.  Parmi les Etats susceptibles de jouer le rôle de centre au sein de la civilisation islamique, Huntington cite l’Indonésie, l’Egypte, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et la Turquie.  Il prend bien soin de ne pas mentionner l’Irak !    Notons que les groupes islamistes transnationaux tels les moudjahidin participant au djihad partout où leur foi leur dicte de combattre, ont bien compris la politique du « Grand Satan » et tentent aujourd’hui de fédérer la communauté des croyants par de-là les frontières.

 

Chapitre VIII : L’Occident et le reste du monde : problèmes intercivilisationnels.

 

Huntington précise sa théorie du choc des civilisations en hiérarchisant les relations entre les grands blocs civilisationnels.  Les aspirations universelles de la civilisation occidentale, la puissance relative déclinante de l’Occident et l’affirmation culturelle de plus en plus forte des autres civilisations suscitent des relations généralement difficiles entre l’Occident et le reste du monde.  Cependant leur nature et leur degré d’antagonisme varient considérablement et se décomposent en trois catégories (cf. figure n°4 = figure 9.1. [19]).  Avec ses civilisations rivales, l’Islam et la Chine, l’Occident risque d’entretenir des rapports très tendus et même souvent très conflictuels.  Ses relations avec l’Amérique latine et l’Afrique, civilisations plus faibles et dans une certaine mesure dépendantes vis-à-vis de lui, impliqueront des conflits moins forts, en particulier avec l’Amérique latine.  Les relations de la Russie, du Japon et de l’Inde avec l’Occident risquent, quant à elles, de se situer entre ces deux autres groupes.  Ce sont des civilisations qui hésitent entre l’Occident, d’un côté, et les civilisations islamique et chinoise, de l’autre.[20] 

 

Huntington dénoue en les explicitant plusieurs nœuds de problèmes attisant les conflits entre l’Occident et le reste du monde.    

 

La prolifération des armements.

 

Vu l’avance technologique acquise par les Etats-Unis dans le domaine de l’armement, il existe peu de moyens d’empêcher sa domination.  Un bon raccourci pour les Etats consiste à acquérir des armes de destruction massive (bombe nucléaire) avec les moyens de les utiliser (vecteurs tels les missiles).  Celles-ci leur permettent tout d’abord d’établir leur domination sur les autres Etats de leur civilisation et de leur région, et, ensuite, elles leur donnent les moyens d’empêcher une invasion de leur civilisation ou de leur région par les Etats-Unis ou d’autres puissances extérieures.  Huntington avoue que si l’Irak avait attendu deux ou trois ans pour envahir le Koweit, le temps de posséder des armes nucléaires, il en aurait très probablement pris possession et se serait peut-être même emparé des champs de pétrole saoudiens.  Ainsi, le résultat de la Guerre du Golfe n’est pas la réduction de la prolifération des armements mais l’inverse puisque les Etats non occidentaux ont tiré les leçons du conflit.  Désormais, des pays comme la Corée du Nord ou l’Inde savent qu’il ne faut pas se battre avec les Etats-Unis à moins d’avoir des armes nucléaires.  « Cette leçon, déclare Huntington, a été apprise par cœur par les dirigeants politiques et les généraux dans tout le monde non occidental, avec son corollaire : « Si vous avez des armes nucléaires, alors les Etats-Unis ne se battront pas avec vous. » »[21]   Nous le rappelons, ce livre a été écrit en 1996.  Peu de temps après se déroulaient effectivement les premiers essais nucléaires indiens.  Et dernièrement, la Corée du Nord a relancé son programme nucléaire !  Autre conséquence évidente de ce principe.  Alors que son armée est en pleine déliquescence, la Russie compte toujours parmi les grandes puissances parce qu’elle a réussi à maintenir un arsenal nucléaire suffisant en état de marche.  Paradoxalement, la possession de quelques armes nucléaires devient l’arme des faibles.  Le terrorisme constitue également une arme privilégiée des faibles ; la plupart des Etats étant démunis quant à la réponse à apporter à ce type d’agression.  L’Etat ne peut réagir en attaquant un autre Etat comme dans une guerre classique : le conflit possède désormais un caractère asymétrique !

 

Ce type de conflit est d’ailleurs tellement embarrassant pour les Etats modernes qu’il est souvent dénoncé comme « injuste ».  Les Américains parlent souvent, à propos de l’usage des armes de destruction massive ou d’attentats terroristes, d’attaques « non conventionnelles », « lâches », « contraires aux lois de la guerre » parce qu’elles s’en prennent à des civils.  Cette technique de propagande n’est pas neuve et il ne faut pas se laisser prendre à ce genre de jeu sémantique sur le caractère « juste » ou « injuste » des armes employées.  Peut-être faudrait-il d’ailleurs rappeler aux Etats-Unis que ces attaques « non conventionnelles » étaient considérées il n’y a pas si longtemps par leur Etat-Major comme tout à fait conventionnelles,  notamment dans le cadre de leur opération « Little Boy » à Nagasaki et Hiroshima.  Ces attaques « non conventionnelles » sont en réalité la conséquence logique de l’hyper puissance américaine puisqu’elles sont à ce jour les seuls moyens de résistance réellement efficaces des peuples qui ont choisi de résister au diktat U.S.  Toutefois, Huntington met en garde l’Occident : « Isolément, le terrorisme et les armements nucléaires sont l’arme des faibles hors d’Occident.  S’ils les combinent, les faibles non occidentaux deviendront forts. »[22]  

 

Les Etats-Unis ont toujours soutenu, depuis qu’ils maîtrisent l’atome, une politique de non-prolifération des armes nucléaires tant à l’extérieur de l’Alliance Atlantique qu’en son sein.  Seuls les Britanniques ont pu bénéficier de cette technologie qu’ils ont toutefois dû développer en partenariat avec leurs cousins d’outre-Atlantique.  La fronde française, face à cet état de fait, a permis à un autre pays membre de l’OTAN de développer son propre arsenal.  Selon Huntington, à cette politique de non-prolifération doit logiquement succéder une politique de « prolifération négociée ».  C’est ce qu’il appelle « la diffusion lente et inéluctable de la puissance dans un monde multicivilisationnel. »[23]  De plus, le politologue américain souligne que les Etats-Unis pourraient profiter de ce changement en stimulant la prolifération dans l’intérêt des Etats-Unis et de l’Occident.  En d’autres mots, certains Etats alliés recevraient l’autorisation de développer un arsenal nucléaire.  Huntington pense notamment au Japon qui pourrait ainsi contrecarrer la puissance nucléaire chinoise, permettant ainsi de sanctuariser leur propre pays et de placer en première ligne leurs alliés dans le cadre d’une guerre nucléaire.  Un exemple contemporain de l’efficacité de la prolifération négociée est l’arsenal nucléaire israélien permettant de contrebalancer toute volonté de puissance arabe au Proche-Orient.      

 

Les droits de l’homme et la démocratie.

 

L’auteur reconnaît honnêtement que les droits de l’homme et la démocratie ne sont pas des valeurs partagées par l’ensemble des peuples de la planète et qu’il devient illusoire, voire même dangereux, vu la puissance déclinante de l’Occident, de vouloir absolument imposer ces valeurs.  Non seulement cette influence diminue, mais le paradoxe de la démocratie atténue aussi la volonté occidentale de défendre la démocratie dans le monde d’après la guerre froide.  « Le présupposé occidental selon lequel des gouvernements élus démocratiquement seront coopératifs et pro-occidentaux pourrait bien se révéler faux dans les sociétés non occidentales où la compétition électorale peut porter au pouvoir des nationalistes et des fondamentalistes anti-occidentaux. »   C’est sans doute la raison pour laquelle les Etats-Unis ne mettent pas trop d’ardeur à l’heure actuelle pour transmettre le pouvoir à un gouvernement de transition élu démocratiquement par l’ensemble du peuple irakien.  S’ils sont allés au feu, ils entendent bien préserver quelques avantages sur le terrain ![24]

 

L’immigration.

 

Lorsqu’il lit le chapitre d’Huntington consacré à l’immigration, le lecteur se rend vite compte qu’il n’a pas affaire à un auteur de gauche.  Un auteur belge ou français s’autorisant de telles assertions aurait tôt fait d’être taxé de raciste et de fasciste, voire d’être traduit devant un tribunal pour incitation à la xénophobie.  Huntington ne fait pourtant que constater des évidences. 

 

-         « Si la démographie dicte le destin de l’histoire, les mouvements de population en sont le moteur. (…) S’il y a une « loi » de l’immigration, soutient Myron Weiner, elle stipule que le flux migratoire, une fois qu’il a commencé à couler, induit son propre flux.  Les émigrés permettent à leurs frères et à leurs proches restés au pays d’émigrer en leur donnant des informations sur la façon de s’y prendre, en leur fournissant des moyens pour se déplacer et de l’aide pour trouver un travail et un logement. »  Il en résulte selon ses propres termes, une « crise migratoire globale ». »[25]

 

Les citations ci-après prouvent également que Huntington est particulièrement bien renseigné sur la situation européenne :

 

-         « Au début des années quatre-vingt-dix, les deux tiers des immigrés en Europe étaient musulmans.  La préoccupation des Européens en la matière concernait par-dessus tout l’immigration musulmane.  Le défi est démographique – les immigrés représentent 10 % des naissances en Europe occidentale et les Arabes 50 % de celles-ci à Bruxelles – et culturel.  Les communautés musulmanes, turque en Allemagne ou algérienne en France, n’étaient pas intégrées dans leur culture d’accueil et, au grand dam des Européens, ne semblaient pas devoir l’être. »[26]

-         « Vis-à-vis des immigrés, l’hostilité européenne est étrangement sélective.  Peu de gens en France s’inquiètent d’un afflux de ressortissants de l’Est – les Polonais, après tout, sont européens et catholiques.  Les immigrés africains qui ne sont pas arabes ne sont pour la plupart ni redoutés ni méprisés.  Le mot « immigré » est potentiellement synonyme de musulman, l’Islam étant aujourd’hui la deuxième religion en France (…). »[27]

-         « L’opposition publique à l’égard de l’immigration et l’hostilité vis-à-vis des immigrés se manifestent dans des cas extrêmes par des violences perpétrées contre des communautés musulmanes et des personnes.  Ce fut en particulier un problème en Allemagne au début des années quatre-vingt-dix.  Plus significative est l’augmentation des suffrages ralliés par les partis d’extrême droite, nationalistes et anti-immigrés.  En France, le Front national, négligeable en 1981, est monté à 9,6 % en 1988 et s’est ensuite stabilisé entre 12 et 15 % aux élections régionales et législatives.  En 1995, les deux candidats nationalistes à la présidence de la République ont rassemblé 19,9 % des voix (…).  En Belgique, le Bloc flamand et le Front national ont progressé de 9 % aux élections locales de 1994, le Bloc obtenant 28 % à Anvers.  (…) Ces partis européens hostiles à l’immigration étaient pour une bonne part l’image en miroir des partis islamistes dans les pays musulmans.  C’étaient des outsiders dénonçant un establishment social et politique corrompu. »[28]

-         « L’Europe ou bien les Etats-Unis peuvent-ils inverser la tendance ?  En France, le pessimisme démographique est de mise, depuis le roman de Jean Raspail[29] dans les années soixante-dix jusqu’aux analyses académiques de Jean-Claude Chesnais[30] dans les années quatre-vingt-dix.  Pierre Lellouche l’a bien résumé en 1991 : « L’histoire, la géographie et la pauvreté montrent que la France et l’Europe sont destinées à être noyés par la population des pays à problèmes du Sud.  L’Europe était blanche et judéo-chrétienne dans le passé ; elle ne le sera plus à l’avenir. »[31] »[32]

-         « Les sociétés européennes ne veulent en général pas assimiler les immigrés ou bien elles éprouvent de grandes difficultés à le faire.  Les immigrés musulmans et leurs enfants sont également ambigus quant à leur désir d’assimilation[33].  Une immigration importante ne peut donc que produire des pays divisés entre chrétiens et musulmans.  Ce phénomène pourrait être évité si les gouvernements et les électeurs européens étaient prêts à payer le prix de mesures restrictives (…). »[34]

 

Chapitre IX : La politique globale des civilisations.

 

Etats phares et conflits frontaliers.

 

Dans un monde reposant sur l’ordre des civilisations, les relations entre entités appartenant à différentes civilisations seront souvent conflictuelles, prophétise Huntington.  La paix froide, la guerre froide, la guerre commerciale, la quasi-guerre, la drôle de paix, les relations agitées, la rivalité intense, la coexistence dans la concurrence, la course aux armements seront autant d’expression caractérisant les relations intercivilisationnelles.  La confiance et l’amitié seront rares.  Huntington prévoit deux grands types de conflit :

 

-         Au niveau local, les conflits civilisationnels surviendront entre Etats voisins appartenant à différentes civilisations comme dans l’ex-Union soviétique et l’ex-Yougoslavie.

-         Au niveau global, les conflits entre Etats phares auront lieu entre les grands Etats appartenant à différentes civilisations.  Les conflits surviendront par exemple lorsqu’un Etat phare d’une civilisation donnée montera en puissance et mettra ainsi en péril la position d’Etats phares appartenant à d’autres civilisations.

 

L’Islam et l’Occident.

 

Huntington développe à propos de l’Islam, et de sa relation avec l’Occident, toute une série d’idées assez sulfureuses.  Le fait que le politologue attribue à cette relation un caractère problématique est une des raisons majeures expliquant l’ire que son ouvrage a suscitée dans les milieux bien pensant européens.  Toutefois, vous allez pouvoir constater que ces idées ne sont pas totalement dénuées de sens.  « Certains Occidentaux, déclare-t-il, comme le président Bill Clinton, soutiennent que l’Occident n’a pas de problèmes avec l’Islam, mais seulement avec les extrémistes violents.  Quatorze cents ans d’histoire démontrent le contraire.  Les relations entre l’Islam et le Christianisme, orthodoxe comme occidental, ont toujours été agitées.  Chacun a été l’autre de l’autre. (…) C’est la seule civilisation qui a mis en danger l’existence même de l’Occident, et ce à deux reprises.[35] »[36] 

 

Les causes de cet affrontement pluriséculaire et irréductible ne sont pas contingentes mais résident dans la nature même des deux religions, déclare Huntington : « Tous deux sont universalistes et prétendent incarner la vraie foi, à laquelle tous les humains doivent adhérer.  Tous deux sont des religions missionnaires dont les membres ont l’obligation de convertir les non-croyants.  Depuis ses origines, l’Islam s’est étendu par la conquête et, le cas échéant, le Christianisme aussi.  Les concepts parallèles de « Jihad » et de « Croisade » se ressemblent beaucoup et distinguent ces deux fois des autres grandes religions du monde. »[37]

A l’heure actuelle, le conflit a toutefois changé de visage.  En effet, c’est moins contre l’Occident chrétien que les musulmans se battent aujourd’hui que contre l’Occident athée, ayant élevé le matérialisme au rang de religion universelle.  Auparavant, l’ennemi des musulmans était le matérialisme dialectique en provenance des pays communistes.  Désormais, l’ennemi principal des musulmans est le matérialisme marchand.

 

Dernier élément sur lequel Huntington insiste dans la relation Islam/Occident : à mesure que l’influence de l’Occident s’efface des anciennes colonies du Proche-Orient, l’émergence d’Etats phares capables d’unir le monde arabe se fait plus pressante, elle est aussi plus probable.  On considère trop souvent que les musulmans engagés dans la guerre contre l’Occident ne représentent que la minorité.  Les scènes de liesse dans les rues de nombreux pays à majorité musulmane où dans certains faubourgs musulmans de nos villes européennes le 11 septembre 2001 laissent présumer le contraire !  Soutenir et applaudir, fussent-ils des actes passifs, constituent les premières étapes de la résistance… et de la résistance à la lutte, le pas est vite franchi.

 

L’Asie, la Chine et l’Amérique.

 

Pour Huntington, l’Asie, particulièrement l’Extrême-Orient, constitue le théâtre le plus probable des conflits entre civilisations.  Il donne d’ailleurs à cette région le nom de « chaudron des civilisations ».  En effet, « rien qu’en Extrême-Orient, on trouve des sociétés qui appartiennent à six civilisations – japonaise, chinoise, orthodoxe, bouddhiste, musulmane et occidentale -, plus l’Hindouisme en Asie du Sud.  Les Etats phares de quatre civilisations, le Japon, la Chine, la Russie et les Etats-Unis, sont des acteurs de poids en Extrême-Orient ; l’Inde joue également un rôle majeur en Asie du Sud, tandis que l’Indonésie, pays musulman, monte de plus en plus en puissance. »[38] 

 

Le risque de conflit généralisé dans la région est encore aggravé par les interactions de plus en plus nombreuses entres les sociétés asiatiques et les Etats-Unis.  Or, constate Huntington, il existe des différences fondamentales de valeur entre les civilisations asiatiques et la civilisation américaine : « L’ethos confucéen dominant dans de nombreuses sociétés asiatiques valorise l’autorité, la hiérarchie, la subordination des droits et des intérêts individuels, l’importance du consensus, le refus du conflit, la crainte de « perdre la face » et, de façon générale, la suprématie de l’Etat sur la société et de la société sur l’individu.  En outre, les Asiatiques ont tendance à penser l’évolution de leur société en siècles et en millénaires, et à donner la priorité aux gains à long terme.  Ces attitudes contrastent avec la primauté, dans les convictions américaines, accordée à la liberté, à l’égalité, à la démocratie et à l’individualisme, ainsi qu’avec la propension américaine à se méfier du gouvernement, à s’opposer à l’autorité, à favoriser les contrôles et les équilibres, à encourager la compétition, à sanctifier les droits de l’homme, à oublier le passé, à ignorer l’avenir et à se concentrer sur les gains immédiats. »[39]

 

Enfin, comme nous l’avons théorisé ici plus haut, les Etats-Unis ne peuvent supporter l’émergence de la Chine comme puissance régionale en Extrême-Orient car elle est contraire selon Huntington, aux intérêts vitaux américains.  Notons au passage que le gros problème de la politique américaine est le suivant : ils adoptent la doctrine Monroe à l’échelle de leur continent mais ils ne supportent pas que les Etats phares des autres civilisations fassent de même avec leur propre sphère de rayonnement !  Précisons toutefois qu’une Chine trop dynamique au point de vue démographique, serait contraire également à nos propres intérêts.  En effet, la Chine risque à terme de déverser son trop plein de population en Europe ou dans les vastes espaces de la Sibérie, riches en matière première.  A l’inverse des Etats-Unis, nous ne sommes pas opposés au rayonnement de la Chine en Extrême-Orient, du moment que cette expansion ne déborde pas sur notre propre sphère civilisationnelle qui comprendra nécessairement la Sibérie.

 

Face à cette montée en puissance de la Chine, les Américains espèrent jouer la carte du Japon, Etat traditionnellement « suiviste » de la puissance U.S. depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.  Le « suivisme » est un des autres concepts développés par Huntington.  Selon lui, les Etats peuvent réagir de deux manières à la montée d’une puissance nouvelle.  « Seuls ou alliés à d’autres, ils peuvent s’efforcer d’assurer leur sécurité en recherchant l’équilibre avec la puissance émergeante, la refouler ou, si nécessaire, entrer en guerre avec elle pour la vaincre.  Au contraire, ils peuvent se rallier à elle, se mettre d’accord avec elle et adopter une position secondaire ou subordonnée vis-à-vis d’elle dans l’espoir de voir leurs intérêts clés protégés. »[40]  Une solution médiane constituerait à alterner recherche de l’équilibre et « suivisme » mais elle risquerait à terme de vexer à la fois la puissance émergeante et les alliés alternatifs.  On comprendra aisément, suite à cette définition du « suivisme », que la solution japonaise n’est pas idéale pour les Etats-Unis puisque la particularité d’un Etat « suiviste » est d’abandonner la puissance dominante, une fois qu’une autre puissance émerge.  Effectivement, suite au déclin de l’Occident, le Japon restera-t-il fidèle à son allié américain ?  Choisira-t-il l’orbite chinoise ?  Nous ne pouvons qu’espérer l’émergence d’une nouvelle puissance dans la région : l’Empire eurosibérien qui saura séduire et rallier la civilisation japonaise et son porte-avions insummersible.

 

Chapitre X : Des guerres de transition aux guerres civilisationnelles.

 

Caractéristiques des guerres civilisationnelles.

 

Elles ont tendance à être très violentes et sanglantes parce qu’elles mettent en jeu des questions fondamentales d’identité.  En outre, elles traînent souvent en longueur ; il arrive qu’elles soient entrecoupées de trêves ou d’ententes, mais en général ces dernières ne durent pas, et les combats reprennent.  « D’autre part, en cas de victoire militaire décisive de l’un des deux camps, les risques de génocide sont plus élevés lorsqu’il s’agit d’une guerre civile identitaire.  (…) Les conflits civilisationnels sont parfois des luttes pour le contrôle des populations.  Mais, le plus souvent, c’est le contrôle du sol qui est en jeu.  Le but de l’un des participants au moins est de conquérir un territoire et d’en éliminer les autres peuples par l’expulsion, l’assassinat ou les deux à la fois, c’est-à-dire par la purification ethnique. »[41]  Les exemples du Ruanda ou encore du Kosovo sont éloquents à cet égard !   Retenons en tout cas ces deux caractéristiques fondamentales :

 

-         Comme elles mettent en jeu des questions fondamentales d’identité et de pouvoir, on a du mal à les résoudre par des négociations ou des compromis.  Un armistice obtenu ne signifie d’ailleurs jamais la fin d’un conflit qui, tel un feu de forêt maîtrisé, peut reprendre avec violence à tout instant.

 

-         Les guerres civilisationnelles éclatent entre groupes qui font respectivement partie d’ensembles culturels plus larges.  Les risques d’extension de la guerre sont donc énormes, surtout dans le monde « connecté » et « internationalisé » qui est le nôtre. « Les migrations ont donné naissance à des diasporas dans des tierces civilisations.  Les communications permettent plus facilement aux parties en présence d’appeler à l’aide, et à leurs « proches parents » d’apprendre immédiatement ce qui arrive à leurs alliés.  Le rétrécissement permet ainsi aux « groupes apparentés » de fournir un soutien moral, diplomatique, financier et matériel aux parties en présence. (…) A son tour, le soutien apporte un renfort aux parties en présence et prolonge le conflit. »[42]

 

Chapitre XI : La dynamique des guerres civilisationnelles.

 

Les guerres civilisationnelles sont particulièrement intenses, non seulement sur le terrain mais également psychologiquement, puisqu’elles mobilisent tout autant l’énergie des combattants que leur conscience identitaire.  De par ce caractère identitaire, elles ont des retombées néfastes sur l’ensemble des habitants des civilisations concernées.  Une menace localisée est naturellement magnifiée et généralisée à l’échelle de la civilisation.  Au début des années quatre-vingt-dix, les Russes ont ainsi défini les guerres entre clans et régions du Tadjikistan, ou la guerre en Tchétchénie, comme des épisodes d’un affrontement plus large, pluriséculaire, entre l’Orthodoxie et l’Islam, tandis que les opposants musulmans étaient engagés dans un djihad, soutenus par des groupes islamistes radicaux exploitant la conscience identitaire des révoltés.  De même une défaite locale d’un pays face à un pays appartenant à une autre civilisation, peut résonner comme un échec cuisant à l’échelle civilisationnelle.  On comprend dès lors l’acharnement que certains Etats phares mettent pour soutenir des Etats secondaires dans des conflits locaux.  La « théorie des dominos » en vogue durant la guerre froide est remise à l’honneur : une défaite dans un conflit local peut provoquer des pertes de plus en plus lourdes et conduire ainsi au désastre à l’échelle de la civilisation.[43]  Huntington note également que les processus de « diabolisation » sont particulièrement intenses dans les affrontements de civilisations : les opposants sont souvent dépeints comme des sous-hommes, ce qui donne le droit de les tuer.  De même, leur culture est vouée aux gémonies : tous les symboles, tous les objets culturels de l’adversaire deviennent des cibles.  On se rappellera au Kosovo des mosquées détruites par les forces serbes mais aussi des monastères orthodoxes saccagés par les Albanais.  « Dans les guerres entre culture, la culture est toujours perdante. »[44]

 

Les ralliements de civilisation : pays apparentés et diasporas.

 

A la différence de la guerre froide, les conflits de civilisation ne s’écoulent pas du haut vers le bas.  Ils bouillonnent à partir du bas.  Les Etats et les groupes ont différents niveaux d’engagement dans une guerre de ce genre (cf. figure n°5 = figure 11.1.[45]) :

 

-         Niveau primaire : les parties belligérantes qui s’entre-tuent.  Ce sont parfois des Etats, parfois des Etats embryonnaires comme en Bosnie ou au Nagorny-Karabakh ou des groupes locaux.

 

-         Second niveau : Ce sont généralement des Etats directement apparentés aux belligérants de base.  Par exemple l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Caucase.  La Serbie et la Croatie en ex-Yougoslavie.

 

-         Troisième niveau : Ce sont des Etats éloignés du théâtre des affrontements mais qui ont des liens de civilisation avec les belligérants, tels l’Allemagne, la Russie et les Etats islamiques dans le conflit yougoslave ou tels la Russie, l’Iran et la Turquie dans le cas du différend arméno-azéri.

 

Dans le cadre d’un conflit régional entre des factions appartenant à deux civilisations différentes, les intérêts des gouvernements de deuxième et troisième échelon sont plus compliqués que ceux des belligérants de base.  Ils apportent généralement leur soutien aux combattants élémentaires et même s’ils ne le font pas, dit Huntington, ils sont soupçonnés de le faire par les pays ennemis.  Toutefois, ces gouvernements ont souvent intérêt à contenir les tensions de la base, afin de ne pas être entraînés dans un conflit civilisationnel plus large et plus destructeur.  De ce constat très ingénieux, Huntington élabore une méthodologie de résolution des conflits.

 

Arrêter les guerres civilisationnelles.

 

Les parties de la base ont souvent beaucoup de mal à s’asseoir à la même table des négociations.  Les enjeux et les haines sont trop aiguës pour espérer par ce biais une résolution pacifique du conflit.  Les guerres entre pays d’une même civilisation ont l’avantage de pouvoir parfois être résolues par la médiation d’une tierce partie désintéressée, ayant une légitimité auprès des pays belligérants.  Souvent l’Etat phare joue un rôle d’arbitre au sein de la civilisation et limite les tensions entre les communautés.  Par contre, il est difficile dans un conflit civilisationnel de trouver une tierce partie qui ait la confiance des deux protagonistes.  C’est pourquoi « les guerres civilisationnelles ne sont pas interrompues par des individus, groupes ou organisations désintéressés, mais par des parties intéressées de deuxième et troisième échelon, parties qui se sont attiré le soutien de leur parentèle et qui ont la capacité de négocier des accords avec leurs homologues, d’une part, et de convaincre leur parenté d’accepter ces accords, d’autre part. »[46]  C’est également la raison pour laquelle, « les guerres sans parties de deuxième et de troisième échelon ont moins tendance à s’étendre que les autres guerres, mais elles sont aussi plus difficiles à arrêter, tout comme les guerres entre groupes appartenant à des civilisations sans Etat central. »[47]

 

Huntigton, grâce aux outils de pensée qu’il a façonnés, modélise ainsi l’arrêt des combats complet dans un conflit civilisationnel.  Cet arrêt suppose :

 

-         « l’implication active des parties de deuxième et troisième échelon,

-         des négociations entre parties de troisième échelon sur les termes généraux d’un arrêt des combats,

-         l’utilisation par ces parties de troisième échelon de la carotte et du bâton pour obtenir que les parties de deuxième échelon acceptent ces termes et fassent pression dans le même sens sur les parties de premier échelon,

-         le retrait du soutien venant du deuxième échelon et, en fait, la trahison du premier échelon par les parties du deuxième échelon,

-         et, résultat de ces pressions, l’acceptation des termes par les parties du premier échelon qui, bien entendu, les subvertiront quand elles considéreront que c’est là leur intérêt. »[48]

 

Chapitre XII : L’Occident, les civilisations et la civilisation.

 

Dans son dernier chapitre, Huntington développe sa réflexion sur le déclin de l’Occident.  Autant dire qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère.  Nous avons déjà évoqué plus haut les caractéristiques du déclin de l’Occident et de l’Europe.  Celui-ci touche les domaines moraux, démographiques, culturels et partiellement militaires.   Nous n’y reviendrons pas davantage.  Huntington insiste cependant sur le fait que « du déclin naît le risque d’invasion « quand la civilisation n’est plus capable de se défendre elle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire, elle s’ouvre aux envahisseurs barbares » qui viennent souvent « d’une autre civilisation plus jeune et plus puissante. »[49] »[50]  Néanmoins « tout est possible, mais rien n’est inévitable : tel est l’enseignement primordial qui ressort de l’histoire des civilisations.  Les civilisations peuvent, et ont pu, se réformer, se renouveler.  Le problème majeur pour l’Occident est le suivant : indépendamment de tout défi extérieur, est-il capable d’arrêter le processus de déclin interne et d’inverser la tendance. »[51]

 

L’un des grands périls qui guette notre civilisation d’après le politologue américain, c’est la modification du substrat ethnique européen avec comme conséquence l’émergence d’une société prétendument multiculturelle.  Dans le cas de l’Europe, la forte minorité arabo-islamique en pleine progression, ne manifestant désormais plus aucun désir de s’intégrer culturellement, devient un foyer de contestation et même de rejet des valeurs européennes en terre européenne !  Aux Etats-Unis comme en Europe, une coalition de politiciens irénistes et de gauchistes utopistes prétendent y voir un enrichissement et les prémisses d’une société multiethnique et multiculturelle harmonieuse.  Face à ces délires, le jugement d’Huntington est sans appel : « L’histoire nous apprend qu’aucun Etat ainsi constitué n’a jamais perduré en tant que société cohérente.  (…) L’avenir des Etats-Unis et celui de l’Occident dépend de la foi renouvelée des Américains en faveur de la civilisation occidentale.  Cela nécessite de faire taire les appels au multiculturalisme, à l’intérieur de leurs frontières.  (…) Les Américains font partie de la famille culturelle occidentale ; les partisans du multiculturalisme peuvent entamer, voire détruire cette relation, ils ne peuvent lui en substituer une autre.  Quand les Américains cherchent leurs racines culturelles, ils les trouvent en Europe. »[52]

 

Huntington préconise aussi une nouvelle construction géopolitique autour d’une zone de libre-échange transatlantique, suivie d’une véritable intégration politique, capable de donner les moyens d’un redressement civilisationnel et de redonner à l’Occident son statut de puissance hégémonique.  C’est ici que l’on voit tout l’intérêt que les Américains ont d’empêcher la création d’un bloc impérial eurosibérien car selon lui : « le rejet des principes fondamentaux et de la civilisation occidentale signifie la fin des Etats-Unis d’Amérique tels que nous les avons connus.  Cela signifie également la fin de la civilisation occidentale.  Si les Etats-Unis se désoccidentalisent, l’Ouest se réduira à l’Europe et à quelques zones d’implantation européenne, faiblement peuplées.  Sans les Etats-Unis, l’Occident ne représente plus qu’une fraction minuscule et déclinante de la population mondiale, abandonnée sur une petite péninsule à l’extrémité de la masse eurasienne. »[53]

 

Clefs pour l’avenir.

 

L’auteur, après avoir dressé un tableau de l’état déplorable de la civilisation occidentale, préconise toute une série de solutions mais il insiste surtout sur le fait que l’Occident doit renoncer à « sa prétention à l’universalité, [qui] tient pour évident que les peuples du monde entier devraient adhérer aux valeurs, aux institutions et à la culture occidentale parce qu’elles constituent le mode de pensée le plus élaboré, le plus lumineux, le plus libéral, le plus rationnel, le plus moderne.  Dans un monde traversé par les conflits ethniques et les chocs entre civilisations, la croyance occidentale dans la vocation universelle de sa culture a trois défauts majeurs : elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. (…)  L’impérialisme est la conséquence logique de la prétention à l’universalité. »[54]  Il constate que les prétentions dans ce domaine pourraient mener à des conflits graves avec les autres civilisations et conduire éventuellement à la défaite de l’Occident.  « En résumé, pour éviter une guerre majeure entre civilisations, il est nécessaire que les Etats phares s’abstiennent d’intervenir dans les conflits survenant dans des civilisations autres que la leur.  C’est une évidence que certains Etats, particulièrement les Etats-Unis, vont avoir, sans aucun doute, du mal à admettre. »[55]  C’est la règle de l’abstention.  Cette règle préconise aussi que les Etats phares s’entendent pour contrôler et réduire les conflits frontaliers entre leur civilisation respective. 

Huntington propose aussi que les institutions internationales soient profondément remaniées afin que le Conseil de Sécurité de l’ONU cesse d’être le club des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale et qu’il accueille la nation phare de chaque grande civilisation, créant ainsi un forum permanent de dialogue intercivilisationnel.

 

Analyse : Ce que nous retenons, ce que nous critiquons.

 

Ce que nous retenons.

 

Nous considérons cet ouvrage comme fondamental et très stimulant pour une pensée prospective dans les relations internationales et civilisationnelles.  Les nombreux concepts opératifs contenus dans son livre se révèlent précieux et peuvent être repris dans nos propres analyses et nos propres théories.  Le caractère essentiel du livre n’a pas échappé à la critique universitaire et médiatique qui comme à son habitude, incapable qu’elle est de répondre à une pensée bien construite, s’est contentée de falsifier et de diffamer l’auteur et sa thèse afin de le discréditer.  

 

Si Huntington ne cite pas des géopoliticiens comme Carl Schmitt ou Karl Haushofer, il nous a semblé que le concept de « civilisation » qu’il développe n’est pas sans lien avec celui de Großräume (Grand Espace) présent dans l’œuvre des deux théoriciens allemands.  « Il [Carl Schmitt] souhaite surtout que différents grands espaces se constituent entre lesquels un nouveau nomos [en grec : la Loi, le Principe ordonnateur] devrait voir le jour. (…) La rivalité de ces grands espaces au sein d’un droit international reconnu[56] assurerait la présence d’amis et d’ennemis et maintiendrait l’histoire en mouvement. »[57] Contre la vision économico-matérialiste des libéraux, Carl Schmitt rejoint le schéma huntingtonien d’une unité politique basée sur une culture civilisationnelle : « Mais si l’idée de Großräume, de « Grand Espace », est née de la conviction que les Etats étaient devenus trop petits au regard du développement de la technique et de l’économie, les théoriciens de ce « Grand Espace » ont également dit que celui-ci ne pouvait être ni bâti ni organisé en priorité sur l’économie.  La conservation de la multiplicité des cultures est désormais un acte politique. »[58]  Cependant Carl Schmitt va plus loin que la conception immanente d’Huntington car il insuffle à sa théorie une dimension transcendantale : « L’Etat universel technicisé et normalisé lui semble l’œuvre de l’Antéchrist : contre cette possibilité, il entend mobiliser la puissance « catéchontique » d’un nouvel ordre juridique liant entre eux les grands espaces. »[59]  De même il semble qu’on puisse rapprocher le concept huntingtonien d’ « Etat phare » avec le concept schmittien d’ « Hegemon » qui doivent tous deux être le moteur de la création d’un « Grand Espace » (ou Etat civilisationnel) : « (…) L’idée d’unir plusieurs Etats sans qu’il n’y ait de puissance hégémonique est une impossibilité sociologique.  Aucune véritable fédération, au sens propre du terme, ne peut voir le jour sans hegemon. »[60]  Toute cette analyse mériterait cependant une recherche plus approfondie, nous nous bornons ici à tracer des pistes.

 

Huntington fait une analyse très intéressante de la méthode par laquelle les élites islamiques ont entrepris la reconquête de leur sphère civilisationnelle.  Alors que les milieux néo-droitistes nous ont gavé de théories sur la prise de contrôle du pouvoir culturel, sans grande réussite effective d’ailleurs, les Islamistes, eux, nous donnent l’exemple d’une réussite indéniable dans le domaine. Tout comme les Musulmans, nous devons faire de la métapolitique (gramscisme) efficace en investissant non seulement la sphère politique mais surtout la sphère sociale et culturelle.  L’idéologie révolutionnaire ne doit pas seulement s’exprimer dans le domaine intellectuel para-universitaire mais doit répondre aussi aux questions et aux problèmes concrets des gens.  Elle doit ensuite montrer sur le terrain que ses idées sont efficaces au contraire de celle du pouvoir, raison majeure pour laquelle la population doit la soutenir.  Prendre le pouvoir, c’est s’imposer comme la seule alternative possible, y compris en cassant les autres mouvements contestataires.  D’ailleurs, selon le mot d’ordre de Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle : « Le premier mérite d’une théorie critique exacte est de faire instantanément paraître ridicule toutes les autres. »  « Mais il faut aussi qu’elle soit une théorie parfaitement inadmissible [par le système et son discours].  Il faut qu’elle puisse déclarer mauvais, à la stupéfaction indignée de tous ceux qui le trouvent bon, le centre même du monde existant, en en ayant découvert la nature exacte. »

 

Ce que nous critiquons.

 

La question russe.

 

Dans son livre, Huntington pose la question suivante : « La Russie doit-elle adopter les valeurs, les institutions et les pratiques occidentales, et tenter de s’intégrer à l’Occident ?  Ou bien incarne-t-elle une civilisation orthodoxe et eurasiatique différente de l’Occident et dont le destin serait de relier l’Europe et l’Asie ? Les élites intellectuelles et politiques et l’opinion sont divisées sur ces questions.  D’un côté, on trouve les partisans de l’occidentalisation, les « cosmopolites », les « atlantistes », et de l’autre, les successeurs des slavophiles, qualifiés diversement de « nationalistes », d’ « eurasianistes » ou de « derzhavniki » (Etatistes). »[61]  Huntington répond clairement à cette question dans sa conclusion.  Il faut selon lui intégrer à l’Union européenne et à l’OTAN les Etats occidentaux de l’Europe centrale, c’est-à-dire les Etats du sommet de Visegrad[62], les Républiques baltes, la Slovénie et la Croatie.  Il faut considérer la Russie comme l’Etat phare du monde orthodoxe et comme une puissance régionale essentielle, ayant de légitimes intérêts dans la sécurité de ses frontières sud.  Les intérêts des Etats-Unis seront mieux défendus s’ils évitent de prendre des positions extrêmes en cherchant par exemple à intervenir dans les affaires des autres civilisations et s’ils adoptent une politique atlantiste de coopération étroite avec leurs partenaires européens, afin de sauvegarder et d’affirmer les valeurs de leur civilisation commune.[63]  Nous ne sommes pas d’accord avec Huntington pour deux raisons :

 

-         Premièrement la Russie fait partie intégrante de l’Europe.  Huntington considère qu’il existe une séparation entre ce qu’il appelle l’Europe occidentale et le monde orthodoxe.  Or nous ne voyons pas pourquoi la séparation entre peuples latins catholiques et germaniques protestants d’une part et peuples slaves orthodoxes d’autre part serait plus grave et plus fondamentale que la séparation entre peuples latins et germaniques.  Au contraire, puisque Huntington affirme dans son ouvrage que la religion est un élément primordial pour définir la culture d’une civilisation, nous pourrions arguer que le catholicisme considère les orthodoxes comme simplement schismatiques alors qu’il qualifie les protestants d’hérétiques.  L’histoire européenne elle-même vient infirmer les thèses du politologue américain.  En effet, la Russie n’a-t-elle pas été au cours des derniers siècles un protagoniste majeur dans les relations entre pays européens ?

 

-         Deuxièmement, l’Europe ne fait pas partie de l’Occident.  Comme l’avait déjà démontré dans les années quatre-vingt Guillaume Faye, il n’y a pas identité entre Occident et Europe.  Les deux termes sont même antagonistes.  Osons l’affirmer, l’Occident tel que défini par Huntington, moderne, héritier de l’Antiquité classique remise à l’honneur par la Renaissance et les Lumières, caractérisé par l’Etat de droit, le pluralisme social et l’individualisme, et spirituellement ancré dans le catholicisme de Vatican II lié au protestantisme, cet Occident là est une couverture répugnante qui étouffe le vieux brasier européen sommeillant au plus profond de nous, un feu qui couve et qui ne demande qu’à renaître.  Nos cousins d’outre-Atlantique ne possèdent pour culture que cette couverture odieuse, émergence cancéreuse de nos racines profondes et saines.  Marc Rousset, dans son livre sur les Euro-ricains, dresse à la fin de celui-ci le portrait de l’authentique Européen.  En voici un petit florilège :

 

-         « Gouverner [pour un Européen], c’est croire dans le politique, au sens noble et gaullien du terme (…). Gouverner, ce n’est pas flatter l’opinion, mais faire les choix qui s’imposent dans l’intérêt du pays ! »

-         « Etre Européen, c’est croire en des valeurs culturelles, nationales, familiales, religieuses ou mythiques pour s’opposer à l’envahissement de l’argent. » 

-         « Etre Européen, c’est refuser la société multi-ethnique. »

-         « Etre Européen, c’est refuser l’économie hédoniste, unidimensionnelle et futile des biens de consommation. »

-         « Etre Européen, c’est croire en des valeurs au lieu d’amasser et de consommer. »

-         « Etre Européen, c’est accorder de l’importance à la mentalité héroïque : tâche, désintéressement, abnégation, sacrifice, fidélité, candeur, vénération, bravoure, remplir ses devoirs.  C’est accorder moins d’importance à la mentalité mercantile : utilitarisme, hédonisme, droit au bonheur par l’argent, réclamer ses droits. »

-         « Etre Européen selon Nietzsche ce n’est pas être une brute blonde ou un être avide de gains mais un individu avide de connaissances qui se dépasse sans cesse.  Le salut de l’homme [est] (…) de se détacher du troupeau pour rejoindre Zarathoustra. »

-         « Etre Européen, c’est avoir le sens du beau. »[64]  

 

Outre les propositions détachées par Marc Rousset, nous rajoutons :  ETRE EUROPEEN c’est :

 

-         Avoir le sens de l’honneur, de la parole donnée et de la loyauté.

-         Avoir le sens de la honte (de déroger à ses propres yeux et aux yeux de Dieu).

-         Savoir qu’avec les Musulmans, les Chinois, les Hindous, les Japonais… nous partageons bien des valeurs communes mais pas celles du genre des droits de l’homme !!!

-         Faire de sa vie  (et de celle des autres) sa propre œuvre d’art.

-         Aimer le raffinement et le luxe sans jamais tomber dans le snobisme et la préciosité.

-         Pouvoir vivre avec un esprit égal, dans un palais ou dans un bivouac.

-         Aimer les femmes et les hommes, pas les PLAYBOY bellâtres « homomorphes » ou les collectionneuses vulgaires et superficielles.

-         Vouloir des hommes toujours plus hommes et des femmes toujours plus femmes.

 

Donc vous l’aurez compris, à l’inverse de Huntington, nous plaçons la séparation dans le monde blanc, non sur la frontière superficielle entre le monde orthodoxe et le monde catholique mais plutôt au niveau de l’Atlantique entre d’une part la « Vieille Europe » et d’autre part le « Nouveau Monde ».  Les motivations réelles qui se cachent derrière cette séparation artificielle sont clairement exprimées par Huntington lui-même à deux endroits de son livre :

 

« Depuis plus de deux cent ans, les Etats-Unis s’efforcent d’empêcher qu’émerge une puissance dominante en Europe.  Depuis presque cent ans, avec la politique de « la porte ouverte » vis-à-vis de la Chine, ils procèdent de même en Extrême-Orient.  Pour ce faire, ils se sont battus dans deux guerres mondiales et dans une guerre froide avec l’Allemagne impériale, l’Allemagne nazie, le Japon impérial, l’Union soviétique et  la Chine communiste. »[65]

 

« Cela serait conforme à la tradition, l’Amérique s’étant toujours souciée d’empêcher que l’Europe et l’Asie soient dominées par une seule puissance.  Ce n’est plus d’actualité en Europe, mais en Asie, cet objectif reste valide.  En Europe occidentale, une fédération relativement lâche [ndlr. dans les deux sens du terme], liée intimement aux Etats-Unis d’un point de vue culturel, politique et économique ne menacerait pas la sécurité américaine. »[66]

 

D’un point de vue européaniste, nous devons bien évidemment nous atteler à réaliser cet empire eurosibérien que les Américains redoutent tant.  Mais dès lors, une question se pose :

Une entité politique voulant correspondre avec une réalité civilisationnelle peut-elle contenir des minorités n’appartenant pas à la civilisation dominante ?  A notre sens, un empire eurosibérien majoritairement européen peut, dans un cadre institutionnel impérial, englober des territoires ne faisant pas partie de sa civilisation mais liés à lui historiquement et géopolitiquement, telles les républiques musulmanes d’Asie centrale.  A l’inverse la présence massive d’une immigration bariolée dans nos ensembles urbains ne peut être intégrée à un système fédéral basé sur les peuples et les ethnies.  Nous devons privilégier au sein de l’Empire européen l’ancrage des peuples sur leur terre d’origine.  Le concept de civilisation n’est donc pas réducteur !  D’aucuns voudraient nous faire croire qu’il enferme la diversité des communautés sous un même vocable et finit par tuer cette diversité.  Le fait qu’un Empire s’identifie à une civilisation (Chine, projet de Synergie Européenne) ne veut pas dire pour autant que les minorités y seront automatiquement brimées.  C’est la politique adoptée par les dirigeants qui conditionne la bonne cohabitation des différentes communautés.  La Chine est certes un mauvais exemple qu’on nous ressert d’ailleurs un peu trop souvent pour nous convaincre que toute volonté de politique civilisationnelle rime automatiquement avec impérialisme et disparition à long terme des minorités culturelles tel le peuple tibétain au sein de la sphère chinoise.  Pourtant  la Russie impériale (sauf durant la courte période de russification intensive pratiquée au XIXe siècle sous l’influence du nationalisme occidental) et surtout l’Empire austro-hongrois ne sont-ils pas des beaux exemples de cohabitation réussie de différentes communautés sous une seule et même autorité politique ?   Et au contraire, ne sont-ce pas justement le métissage, le multiculturalisme, le « mélange » des civilisations bref la grande soupe des peuples que nos « élites » politiques, culturelles et médiatiques nous préparent en chantant un hymne à la tolérance, ne sont-ce pas tous ces termes prononcés sur un ton solennel pour leur donner le relief qu’ils ne possèdent pas, tous ces mots creux et vides de sens qui seront dans le futur les véritables fossoyeurs des cultures ?

 

Les mouvements entre civilisations sont comparables à la tectonique des plaques : Sur les pourtours des sphères civilisationnelles se développent des zones de trouble comparables aux failles volcaniques.  Le fait de construire la civilisation européenne n’impliquera pourtant pas automatiquement l’absence de conflits également intracivilisationnels mais ces conflits ne seront pas insurmontables dans la mesure ou deux régions d’une même civilisation qui s’opposent doivent pouvoir s’entendre au nom d’intérêts civilisationnels communs.  Sauf si une civilisation ennemie vient bien entendu exciter les antagonismes.  Il faut faire la promotion d’une généralisation de la doctrine Monroe au niveau civilisationnel.  L’Amérique aux Américains, l’Asie aux Asiatiques, la Oumma islamique aux Musulmans et bien entendu l’Europe aux Européens !

 

 

Index des concepts clefs.

 

-         Abstention (Règle de l’…, p.24)

-         Chaudron des civilisations (p.19)

-         Civilisation comme entité culturelle (p.4)

-         Civilisation comme entité « englobante » (p.4)

-         Civilisation universelle (critique) (p.6-7-8)

-         Déclin moral (p.10)

-         Diffusion de la puissance (p.16)

-         Dominos (théorie des …, p.21)

-         Etat phare (p.12)

-         Fin de l’histoire (p.2)

-         Guerres civilisationnelles (p.20-23)

-         Indigénisation (p.10)

-         Kémalisme (p.8)

-         Niveaux d’engagement dans une guerre civilisationnelle (p.21-22)

-         Pays déchiré (p.13)

-         Pays divisé (p.13)

-         Pays isolé (p.12-13)

-         Prolifération négociée (p.16)

-         Réformisme (p.8)

-         Rejet (p.8)

-         Religion comme moteur civilisationnel (p.9)

-         Suivisme (p.20)

 

 

 

 



[1] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.25.

[2] ZINOVIEV (Alexandre), L’Occidentisme.  Essai sur le triomphe d’une idéologie. (traduction française)- Saint-Amand-Montrond, Plon, 1995

[3] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.35.

[4] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.22.

[5] Idem, p.231.

[6] Idem, p.61.

[7] Idem, p.71

[8] Idem, p.72-73.

[9] Idem, p.86.

[10] Idem, p.97.

[11] Idem, p.99.

[12] Idem, p.107-108.  D’après BARNETT (Jeffery R.), Exclusion as National Security Policy dans Parameters, 24, printemps 1994, p.54.

[13] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.127.

[14] Idem, p.108.

[15] Idem, p.458.

[16] Idem, p.125-126.

[17] Idem, p.197.   Si on possède l’honnêteté intellectuelle suffisante pour admettre que les pays divisés sont continuellement minés par des guerres civiles larvées, il devient très facile d’appliquer cette règle simple à nos propres pays.  L’arrivée massive de populations d’origine étrangère ne saurait effectivement qu’y multiplier la probabilité de conflits futurs entre les communautés de culture différente.

[18] Ibidem.

[19] Idem, p.364.

[20] Si nous parvenons à rétablir la Tradition en Europe, l’Inde pourrait devenir un allié important, d’autant plus que nous possédons des racines indo-européennes communes avec la civilisation hindoue.

[21] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.271.

[22] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.272-273.  Pensons notamment à l’usage de valises nucléaires mises au point par les Russes pendant la guerre froide.  Ces armes combinent habilement le facteur nucléaire avec la stratégie terroriste.

[23] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.280.

[24] Les Etats-Unis et l’Europe, « champions toute catégorie de la démocratie », poursuivent dans ce domaine une politique particulièrement hypocrite, condamnant les élections truquées ou annulées par des juntes militaires opposées à leurs intérêts mais fermant discrètement les yeux là où, comme en Algérie, l’armée annule le résultat d’élections légitimant l’arrivée au pouvoir de partis religieux tels le FIS algérien.

[25] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.289-290.

[26] Idem, p.292.

[27] Idem, p.292-293.  D’après ROBERSON (B.A.), Islam and Europe : An Enigma or a Myth ?, dans Middle East Journal, 48, printemps 1994, p.302

[28] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.293-294.

[29] RASPAIL (Jean), Le Camp des saints, Paris, Robert Laffont, 1973.

[30] CHESNAIS (Jean-Claude), Le Crépuscule de l’Occident : démographie et politique, Paris, Robert Laffont, 1995.

[31] LELLOUCHE (Pierre), cité dans MILLER, Strangers at the Gate, p.80.

[32] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.298.

[33] Notons que l’essor des moyens de communication n’a pas favorisé l’intégration des communautés étrangères.  Cablées sur les chaînes de leur pays respectif et retournant au pays chaque fois qu’elles en ont l’occasion, comment les familles musulmanes pourraient-elles réellement se sentir européennes ? 

[34] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.298-299.

[35] Au VIIIe siècle, l’invasion arabe n’ayant pu être stoppée que par Charles Martel à Poitiers en 732 et au XVIe siècle, le siège de Vienne en 1529 marquant un terme à l’avancée arabe.

[36] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.306-307.

[37] Idem, p.309.

[38] Idem, p.322.

[39] Idem, p.331-332.

[40] Idem, p.342.

[41] Idem, p.376-377.

[42] Idem, p.379-380.

[43] Idem, p.406-407.

[44] Idem, p.408.

[45] Idem, p.411.

[46] Idem, p.442.

[47] Ibidem.

[48] Idem, p.445.

[49] QUIGLEY, Evolution of Civilizations, p.138-139 et p.158-160.

[50] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.456.

[51] Ibidem.

[52] Idem, p.461- 462.

[53] Ibidem.

[54] Idem, p.467- 468.

[55] Idem, p.478.  Les missions de sécurité et de défense définies par les membres de l’UE sont également complètement opposées à cette règle puisqu’elles prévoient de s’immiscer dans des conflits étrangers où les droits de l’homme sont bafoués.

[56] Et non imposé comme l’actuel droit international d’obédience anglo-saxonne.

[57] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 161.

[58] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.42.

[59] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 161.

[60] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.43.

[61] Idem, p.205.

[62] Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie.

[63] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.470-471.

[64] ROUSSET (Marc), Les Euros-Ricains.- Paris, Ed. Godefroid de Bouillon, 200, p.469-484.

[65] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.338.

[66] Idem, p.344.

samedi, 27 juin 2009

Citation de Chantal Delsol

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Citation de Chantal Delsol:

Trouvé sur: http://forumsoral.com/

Comme je suis anti-républicain, et donc plutôt fédéraliste, au même titre que Robert Steuckers ou l'Action Française fidèle à Charles Maurras, je vous laisse un morceau qui résume bien ce que j'ai envie de dire à Soral et de la république :

Chantal Delsol écrit : « La république n'accepte donc le débat démocratique qu'à l'intérieur des présupposés qui sont les siens. Et parce que ces présupposés sont assez précis et dessinent une figure du bien commun clairement déterminée, le champ du débat demeure toujours limité, voire exigu, en tout cas par rapport aux démocraties occidentales voisines. Dans la république française, la démocratie ne peut fonctionner seulement tant que les différents courants de pensée acceptent les présupposés républicains, et par là elle ne fonctionne jamais que sous une forme atténuée, puisque l'éventail des figures permises du bien commun est restreint. Si, pour des raisons diverses, un nombre significatif de citoyens récusent certains présupposés républicains et veulent exprimer cette récusation au nom de la démocratie, alors la république se trouve déstabilisée et sommée de donner une réponse à cette contradiction. Soit il lui faudra remettre en cause ses propres principes au nom de la démocratie, ce qui lui paraît impensable parce que ses valeurs sont sacralisées ; soit elle cherchera les moyens d'empêcher ces courants de s'exprimer, au nom de ses principes. La difficulté, dans ce deuxième cas, est qu'elle ne peut pas condamner ouvertement la démocratie pluraliste, faute de se voir rejetée dans le camp des ennemis de la liberté. La réponse à ce dilemme s'annonce tortueuse ».

http://www.polemia.com/article.php?id=109


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Ne serait-ce pas l'instinct de la crainte qui nous incite à connaître ? La jubilation de celui qui acquiert une connaissance ne serait-elle pas la jubilation même du sentiment de sentiment recouvré ? Friedrich Wilhelm Nietzsche

vendredi, 26 juin 2009

Volksgemeenschap en persoon: niet tegengesteld maar aanvullend!

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Volksgemeenschap en persoon: niet tegengesteld maar aanvullend!

Men mag de volksgemeenschap niet voorstellen als een amalgaam van los en onafhankelijk staande leden, die hun individuele vrijheden en voorrechten willen vrijwaren door aaneen te sluiten en elkaar te beschermen. De volksgemeenschap is een natuurlijk verbond, gegrond op eenzelfde complex van aanleg en daarom gericht op eenzelfde goed. Zij is een hogere streefeenheid, waarin de door bloed en karakter gelijkgeschakelde individuen organisch zijn ingeschakeld om, in de mate van hun persoonlijk vermogen, het algemene goed, dat ook het goed is van iedereen, te beveiligen en te doen aangroeien. Deze nieuw-solidaristische opvatting van de volksgemeenschap legt de nadruk op de collectieve streefeenheid naar het nationale goed gericht, maar laat voldoende ruimte aan de ingeschakelde individuele persoonlijkheid.

De gemeenschap bestaat niet om zichzelf, als een godheid die, zoals het communisme het voorhoudt, het individu naar willekeur mag knevelen en opslorpen, een Moloch waaraan tenslotte alle persoonlijkheid en ieder persoonlijk levensbelang onmeedogend worden opgeofferd. Politiek links heeft het in naam van het egalitarisme, nog steeds uiterst moeilijk met de natuurlijke ongelijkheid tussen personen. Evenmin dient de gemeenschap louter en alleen om, volgens de liberale opvatting, de individuele rechten, voorrechten en vrijheden te beschermen, zonder medelijden met de nood van de zwakkere, zonder kommer om het volksbelang, zonder plichten tegenover de gemeenschap. Een opvatting die nog steeds zeer populair is ter rechtse politieke zijde, en waaraan nep-solidaristen maar al te graag hand- en spandiensten aan leveren. Noch het liberalisme, met zijn individualisme, noch het communisme, met zijn verwoesting door opslorping van de persoonlijkheid, kunnen het vraagstuk dat zich stelt oplossen. De oplossing dient gezocht te worden in een wisselwerking tussen de enkeling en de gemeenschap. Een ware Derde Weg dus!

De gemeenschap is gegroeid uit de menselijke behoefte aan ruimere, bestendige steun in een georganiseerde collectiviteit, om door middel van gebundelde krachten de individuele ontplooiing mogelijk te maken. De gemeenschap bestaat omwille van de persoon. Anderzijds kan de individuele persoon zijn levensdoel niet bereiken zonder voortdurende en aanvullende hulp van de gemeenschap. Beide zijn volkomen met elkaar verbonden : de gemeenschap leeft voor de enkeling en deze voedt zich aan de gemeenschap. Hier raken we aan de personalistische basis die ontegensprekelijk in het nieuw-solidarisme aanwezig is. Niettemin heeft dit personalisme het ideale alibi verschaft aan nep-solidaristen (voornamelijk ter christen-democratische en rechts-nationale zijde) om zich in te nestelen in het naoorlogse neocorporatistische systeem en uiteindelijk zelfs de (neo)liberale kritieken erop te gaan ondersteunen! Wat de personalisten betreft, heeft een persoon er dus alle belang bij dat de gemeenschap wordt uitgebouwd en gevrijwaard blijft van verval en vernietiging. Als de enkeling de gemeenschap nodig heeft, dan begrijpt hij dat het eigenbelang hem dwingt tot dienstbaarheid tegenover een organisme waarvan zijn individuele volmaking afhankelijk is. En zo komen sommige sujetten die zichzelf rechtse “solidaristen” noemen in het vaarwater van het ‘welbegrepen eigenbelang’ op het einde van Guy Verhofstadts tweede brief aan de andersglobalisten (november 2003).

Uit dit besef wordt bij de enkeling het gemeenschapsgevoel geboren, een gevoel van samenhorigheid en dienstwillige erkentelijkheid ten overstaan van de hogere eenheden waartoe hij behoort, namelijk de gezinsgemeenschap, de beroepseenheid, de bedrijfsgemeenschap en de volksgemeenschap. Het individuele persoon kan z’n levensopgang slechts maken met de hulp van de gemeenschap. Het gezond individualisme (dat in schril contrast staat met het door liberale krachten gepropageerde individualisme), als begin van alle activiteit, wordt tegelijk aan het welzijn van enkeling en collectiviteit dienstbaar gemaakt. Het nieuw-solidarisme pleit dus hoegenaamd niet voor een totalitaire Staat waar dwang, terreur en bureaucratische starheid de persoon in de pas dwingen. Integendeel, het is het nieuw-solidarisme erom te doen een maatschappij na te streven waarin een voluntaristisch klimaat heerst waarbij de individuele persoon zelf aan de slag gaat om de nieuwe maatschappij en de nieuwe ordening tegemoet te werken. Geen passieve afwachtende houding dus, maar een plicht tot initiatief en vernieuwing in de geest van het nieuw-solidarisme, vrij en losgekomen van de oude gedachten en vormen, waaronder de “oud-solidaristische”!

Pour une typologie opératoire des nationalismes

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Archives de Synergies Européennes - 1990

 

Pour une typologie opératoire des nationalismes

 

par Robert STEUCKERS

 

Le mot «nationalisme» recouvre plu­sieurs acceptions. Dans ce vocable, les langages politique et politologique ont fourré une pluralité de contenus. Par ailleurs, le nationalisme, quand il agit dans l'arène politique, peut promouvoir des valeurs très différentes selon les cir­constances. Par exemple, le nationa­lis­me peut être un programme de libéra­tion nationale et sociale. Il se situe alors à «gauche» de l'échiquier poli­tique, si toutefois on accepte cette dicho­tomie con­ventionnelle, et désormais dé­passée, qui, dans le langage politique, distingue fort abruptement entre une «droite» et une «gauche». Les gauches convention­nelles, en général, avaient accepté com­me «progressistes», il y a une ou deux dé­cennies, les nationa­lismes de libéra­tion vietnamien, algé­rien ou nicara­guéen car ils se dres­saient contre une forme d'oppression à la fois colonialiste et capitaliste. Mais le nationalisme n'est pas toujours de libé­ration: il peut éga­lement servir à asseoir un programme de soumission, d'impérialisme. Un cer­tain nationa­lisme français, dans les an­nées 50 et 60, voulait ainsi oblitérer les nationalismes vietnamien et algérien de valeurs jaco­bines, décrétées quintessen­ce du «nationalisme français» même dans les rangs des droites, pourtant tra­ditionnel­lement hostiles à la veine idéo­logique ja­cobine. Nous constatons donc, au regard de ces exemples historiques récents, que nous nageons en pleine con­fusion, à moins que nous ayons af­faire à une coïncidentia oppositorum...

 

Pour clarifier le débat, il importe de se poser une première question: depuis quand peut-on parler de «nationa­lis­me»? Les historiens ne sont pas d'accord entre eux pour dire à quelle époque, les hommes se sont vraiment mis à parler de nationalisme et à rai­sonner en ter­mes de nationalisme. Avant le XVIIIiè­me siècle, on peut re­pérer le messia­nisme national des Juifs, la notion d'ap­partenance culturelle commune chez les Grecs de l'Antiquité, la notion d'im­pe­rium chez les Romains. Au Moyen Age, les nations connaissent leurs différences mais les assument dans l'œkumène chrétien, qui reste, en ultime instance, le seul véritable réfé­rent. A la Renais­san­ce, en Italie, en France et en Alle­magne, la notion de «nation», comme ré­férent politique im­portant, est réservée à quelques huma­nistes comme Ma­chia­vel ou Ulrich von Hutten. En Bohème, la tragique aven­ture hussite du XVième siè­cle a marqué la mémoire tchèque, con­tribuant forte­ment à l'éclosion d'un par­ticularisme très typé. Au XVIIième siècle, l'Angleterre connaît une forme de na­tionalisme en instaurant son Egli­se na­tionale, indépendante de Rome, mais celle-ci est défiée par les non-con­for­mistes religieux qui se réclament de la lettre de la Bible.

 

Avec la Révolution Française, le senti­ment national s'émancipe de toutes les formes religieuses traditionnelles. Il se laïcise, se mue en un nationalisme pu­rement séculier, en un instrument pour la mobilisation des masses, appelées pour la première fois aux armées dans l'histoire européenne. Le nationalisme moderne survient donc quand s'effondre l'universalisme chrétien. Il est donc un ersatz de religion, basé sur des éléments épars de l'idéologie des Lumières. Il naît en tant qu'idéologie du tiers-état, aupa­ravant exclus du pouvoir. Celui-ci, à cause précisément de cette exclusion, en vient à s'identifier à LA Nation, l'aristo­cratie et le clergé étant jugés comme des corps étrangers de souche franque-ger­manique et non gallo-ro­mane (cf. Sié­yès). Ce tiers-état bourgeois accède seul aux affaires, barrant en même temps la route du pouvoir au qua­trième état qu'est de fait la paysan­nerie, et au quint-état que sont les ou­vriers des manu­factures, encore très minoritaires à l'é­poque (1). Le nationa­lisme moderne, il­lu­ministe, de facture jacobine, est donc l'idéologie d'une par­tie du peuple seu­lement, en l'occurrence la bourgeoisie qui s'est émancipée en instrumen­ta­li­sant, en France, l'appareil critique que sont les Lumières ou les modes angli­cisantes du XVIIIième siècle. Après la parenthèse révolutionnaire effervescen­te, cette bourgeoisie se militarise sous Bo­naparte et impose à une bonne partie de l'Europe son code juridique. La Res­tau­ration d'après Waterloo conserve cet appareil juridique et n'ouvre pas le che­min du pouvoir, ne fût-ce qu'à l'échelon com­munal/municipal, aux éléments a­van­­cés des quart-état et quint-état (celui en croissance rapide), créant ainsi les con­ditions de la guerre sociale. En Al­le­magne, les observateurs, d'abord en­thou­siastes, de la Révolution, ont bien vi­te vu que les acteurs français, surtout parisiens à la suite de l'élimination de toutes les factions fédéralistes (Lyon, Mar­seille), ne cherchaient qu'à hisser au pouvoir une petite «élite» clubiste, cou­pée du gros de la population. Ces ob­servateurs développeront, à la suite de cette observation, un «nationalisme» au-delà de la bourgeoisie, capable d'orga­ni­ser les éléments du tiers-état non encore politisés, c'est-à-dire les pay­sans et les ou­vriers (que l'on pourrait appeler quart-état ou quint-état). Ernst-Moritz Arndt prend pour modèles les consti­tutions suédoises des XVIIième et XVIIIiè­me siècles, où le paysannat, fait unique en Europe, était représenté au Parlement en tant que «quart-état», aux côtés de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie marchande et industrielle (2). Le Baron von Stein, juriste inspiré par la praxis prussienne de l'époque fré­­déricienne, par les théories de Herder et de Justus Möser, par les leçons de l'è­re révolutionnaire et bonapartiste, éla­bo­re une nouvelle politique agraire, pré­voyant l'émancipation paysanne en Prus­se, projette de réorganiser la bu­reaucratie d'Etat et d'instaurer l'auto­no­mie administrative à tous les niveaux, depuis la commune jusqu'aux instances suprêmes du Reich. Les desiderata d'Arndt et du Baron von Stein ne seront pas traduits dans la réalité, à cause de la «trahison des princes allemands», de l'«obstination têtue des principules et du­caillons», préférant l'expédiant d'une restauration absolutiste pure et simple.

 

Comment le nationalisme va-t-il évo­luer, à la suite de cette naissance tu­mul­­tueuse dans les soubresauts de la Révolution ou du soulèvement allemand de 1813? Il évoluera dans le plus parfait désordre: la bourgeoisie invoquera le na­­tionalisme dans l'esprit de 1789 ou de la Convention, les socialistes dans la perspective fédéraliste ou dans l'espoir de voir la communauté populaire politi­sée s'étendre à tous les états de la so­ciété, les Burschenschaften  allemandes contre les Princes et l'ordre imposé par Metternich à Vienne en 1815, les narod­niki  russes dans la perspective d'une émancipation paysanne généralisée, etc. Le mot «nationalisme» en vient à dési­gner des contenus très divers, à recou­vrir des acceptions très hétérogènes. En Hongrie, avec Petöfi, le nationalisme est un nationalisme ethnique de libération comme chez Arndt et Jahn. En Pologne, l'ethnisme slavisant se mêle, chez Mi­ckiewicz, d'un messianisme catholique anti-russe et anti-prussien, donc anti-or­­thodoxe et anti-protestant. En Italie, avec Mazzini, il est libéral et illuministe. En Allemagne avec Jahn et au Dane­mark, avec Grundtvig, il est nationa­lis­me de libération, ethniste, ruraliste, ra­cia­lisant et s'oppose au droit romain (non celui de la vieille Rome républi­cai­ne mais celui de la Rome décadente et orientalisée, réinjecté en Europe cen­tra­le entre le XIIIième et le XVIième siè­cles), c'est-à-dire à la généralisation d'un droit où l'individu reçoit préséance, au détriment des communautés ou de la nation.

 

Dans l'Allemagne nationale-libérale de Bismarck, le tiers-état allemand accède au pouvoir tout en concédant une bonne législation sociale au quint-état ouvrier. La France de la IIIième République con­solide le pouvoir bourgeois mis en selle lors de la Convention. Entre 1914 et 1918, le monde assiste à la conflagration généralisée des nationalismes tiers-éta­tistes. En 1919, à Versailles, l'Ouest im­pose le principe de l'auto-détermina­tion dans la Zwischeneuropa, l'Europe sise en­tre l'Allemagne et la Russie. La Fran­­­­ce va ainsi accorder aux Polonais et aux Tchèques ce qu'elle refusera tou­jours aux Bretons, aux Alsaciens, aux Corses et aux Flamands. Mais cette au­to-détermination n'est pas accordée di­rec­tement aux peuples pris dans leur globalité, mais aux militaires polonais ou roumains, aux clubs tchèques (Ma­sa­ryk), etc. Ces strates dirigeantes, ex­ploitant à fond les idéologèmes nationa­listes, ont affaibli leurs peuples en im­po­sant des budgets militaires colossaux, notamment en Pologne et en Roumanie. Dans ce dernier pays, ce n'est pas un ha­­sard non plus si la contestation néo-na­tionaliste, hostile au nationalisme de la monarchie et des militaires, se soit basée sur les idéologies agrariennes (po­po­ranisme) ou les ait faits dévier dans une sorte de millénarisme paysan, com­parable, écrit Nolte (3), aux milléna­ris­mes de la fin du Moyen Age ouest-euro­péen (Légion de l'Archange Michel, Gar­­de de Fer).

 

Devant ce désordre événémentiel, la pen­­sée européenne n'a pas été capable d'énoncer tout de suite une théorie scien­tifique, assortie d'une classification claire des différentes manifestations de l'idéologie nationaliste. Avec un tel dé­sor­dre de faits, une typologie est néces­saire, vu qu'il y a pluralité d'acceptions. Les linéaments de nationalisme se sont de surcroît mêlés à divers résidus, plus ou moins fortement ancrés, d'idéologies non nationales, non limitées à un espace ou à un temps précis. La première clas­sification opératoire n'a finalement été sug­gérée qu'en 1931 par l'Américain Carl­ton J.H. Hayes (4). Celui-ci distin­guait:

1) Un nationalisme humanitaire, fai­sant appel à des valeurs intériorisées et critique vis-à-vis du système en place. L'idéologie humanitaire pouvant repo­ser tantôt sur la morale tantôt sur la cul­­ture;

2) Un nationalisme jacobin, réclamant une adhésion formelle, donc extérieure, et s'instaurant comme système de gou­vernement;

3) Un nationalisme traditionaliste, auto­ritaire et contre-révolutionnaire, explo­rant peu les ressorts de l'intériorité hu­maine, et s'opposant au système en pla­ce au nom d'une tradition, posée comme pure, comme réceptacle exclu­sif de la vérité;

4) Un nationalisme libéral, se réclamant du droit ou des droits, généralement hos­tile au système en place, car celui-ci n'accorde aucun droit à certaines caté­gories de la population ou n'en accorde pas assez au gré des protagonistes du nationalisme;

5) Un nationalisme intégral, opérant une synthèse de différents éléments idéo­logiques pour les fusionner en un na­tionalisme opératoire. Maurras est le théoricien par excellence de ce type de nationalisme de synthèse, hostile, lui aussi, au régime en place.

Le découpage que nous suggère Carlton J.H. Hayes est intéressant mais l'ex­périence historique nous prouve que les nationalismes qui ont fait irruption sur la scène politique européenne ont sou­vent été des mixtes plus complexes, vu les affinités qui pouvait exister entre ces différents nationalismes, comme par exemple entre le nationalisme humani­taire et le nationalisme libéral, entre le libéralisme et le jacobinisme, entre les traditionalistes et les natio­na­listes in­té­graux, etc.

 

Hans Kohn (5), disciple de Meinecke, ré­duira conceptuellement la pluralité des nationalismes à deux types de base: 1) les nationalismes émanant de la Nation-Etat, d'essence subjective et politique, où l'on adhère à une nation comme à un parti. C'est une conception occidentale, d'après Kohn;

2) les nationalismes émanant de la Na­tion-Culture, d'essence objective et cul­turelle, déterminée par une apparte­nan­ce ethnique dont on ne peut se dé­barrasser aisément. C'est une concep­tion orientale, slave et germanique, d'a­près Kohn.

L'Occident, selon sa classification, déve­lopperait donc une idée de la nation comme communauté volontaire, comme un «plébiscite de tous les jours» (Re­nan). Jordis von Lohausen, géopoliti­cien autrichien contemporain, disait dans ce sens que l'on pouvait de­venir français ou américain comme l'on devient musul­man: par simple décision personnelle et par acceptation de valeurs universelles non liées à du réel concret, à un lieu précis et objectif.

L'Est européen développe une approche contraire des faits nationaux. Cette ap­proche, dit Kohn, est déterministe: on ap­partient à une nation comme on ap­partient à une famille, pour le meilleur et pour le pire.

Kohn en déduit que les approches occi­dentales sont libérales, démocratiques, rationnelles et progressistes. Les ap­proches orientales, quant à elles, sont irrationnelles, anti-individualistes, pas­séistes, voire «fascistes» et «racistes».

Cette dichotomie, un peu simple, mérite une critique; en effet, les nationalismes jacobins, occidentaux, de facture libérale et démocratique, se sont montrés agres­sifs dans l'histoire, bellogènes, inca­pables de créer des consensus réels et d'organiser les peuples (de faire des peuples des organismes harmonisés). Quant aux nationalismes dits orientaux, ils reposent sur un humanisme cultu­rel, dérivé de Herder, qu'il serait difficile de qualifier de «fasciste», à moins de condamner comme telle toute investiga­tion d'ordre culturel ou littéraire dans un humus précis. Par ailleurs, l'Irlan­de qui est située à l'Ouest du continent européen, n'est ni slave ni germanique mais celtique, déploye un nationalisme objectif, ethnique, culturel, littéraire qui n'a jamais basculé dans le fascisme. De même pour l'Ecosse, le Pays de Galles, la Flandre, la Catalogne, le Pays Bas­que. La Pologne, située à l'Est, assimile de force les Ruthènes, les Kachoubes, les Lithuaniens, les Ukrai­niens, les Alle­mands et les Tchèques qui tombent sous sa juridiction non pas au nom d'un nationalisme ethnique polo­nais mais au nom d'une idéologie uni­versaliste mes­sia­nisée, le catholicisme. Si bien que tous les Slaves catholiques sont considé­rés comme Po­lo­nais, en dépit de leur na­­tionalité pro­pre. Dans la Russie du XIXième siècle, le natio­na­lisme est un mixte qui n'a rien de la netteté dichoto­mique de Kohn: l'étatisme anti-volonta­riste, mi-occidental mi-orien­tal, se con­jugue au panslavisme culturel, «orien­tal» et non humaniste, et au narodni­kis­me, «oriental» et humaniste.

 

Theodor Schieder (6) critique les classi­fi­­cations de Hayes et de Kohn, parce qu'il les juge trop figées et parce qu'elles ne tiennent pas compte du facteur temps. La formation des nationalismes européens s'est déroulée en plusieurs étapes, dans trois zones différentes. La première étape s'est déroulée en Europe occidentale; la seconde étape, en Europe centrale; la troisième étape, en Europe orientale. En Europe occidentale, c'est-à-dire en France et en Angleterre, le cadre territorial national était déjà là; il n'y a donc pas eu besoin de l'affirmer. Le tiers-état s'émancipe dans ce cadre et conserve les éléments d'universalisme propre au Lumières parce que le ro­man­tisme attentif aux spécificités ethno-culturelles ne s'est pas encore dé­velop­pé. La culture est toujours au stade du subjectif-universaliste et non encore au stade de l'objectif-particulariste. Ce qui explique qu'en Angleterre, le terme «na­tionalisme» sert à désigner des mou­­vements de mécontents sociaux en Irlande, en Ecosse, au Pays de Galles. Cette acception, à l'origine typiquement britannique, du terme nationalisme est passée aux Etats-Unis: on y parle du «nationalisme noir» pour désigner le mé­contentement des descendants des es­claves africains importés en Amé­ri­que, jadis, dans les conditions que l'on sait. Aux Etats-Unis comme en France, le nationalisme ne peut être ni objectif ni linguistique ni ethnique mais doit être subjectif et politique parce ces pays sont pluri-ethniques et, au départ, peu peu­plés, donc contraints de faire appel à l'im­migration. Tout recours à l'objecti­vité ethno-linguistique y briserait la co­hésion artificielle, obtenue à coup de pro­pagande idéologique.

 

En Europe centrale, il a fallu d'abord que les nationalismes créent le cadre territorial sur le modèle des cadres oc­cidentaux. C'est ainsi que l'on a pu ob­server, dans la première moitié du XIXième siècle, les lents processus des unifications allemande et italienne. Il a fallu aussi chasser les puissances tu­tri­ces (la France en Allemagne; l'Autriche en Italie). L'obsession de se débarrasser des armées napoléoniennes et de l'ad­mi­nistration française ainsi que de ses re­liquats juridiques est bien présente dans les écrits des ténors du natio­na­lis­me allemand du début du XIXième: chez Arndt, chez Jahn et chez Kleist. Dans cette première phase, le nationa­lis­me émergeant révèle une xénophobie, qui unit le peuple en vue d'un objectif précis, la libération du territoire natio­nal, et qui, sur le plan théorique, cher­che à démontrer une homogénéité so­ma­tique de tout le corps social et popu­laire. Ensuite, la démarche unificatrice passe par l'élaboration d'un droit al­ternatif, devant nécessairement accor­der un plus en matière de représen­ta­tion que le droit ancien, imposé par une puissance extérieure. D'où, en Alle­ma­gne, la recherche constante d'une al­ter­native au droit romain et la volonté d'un retour au droit coutumier germanique, laissant plus de place aux dimensions communautaires, territoriales ou pro­fes­­sion­nelles (cf. Otto von Gierke), ce qui permet de répondre aux aspirations con­­crètes d'autonomie communale et aux volontés d'organisation syndicale, ex­primées dans la population.

 

En Europe orientale, les processus na­tio­­nalitaires se heurtent à une difficulté de taille: créer un cadre est excessi­ve­ment compliqué, vu la mosaïque ethni­que, à enclaves innombrables, qu'est la partie d'Europe sise entre l'Allemagne et la Russie. Cette difficulté explique la neutralisation de cette zone bigarrée au sein d'empires pluri-nationaux. La rai­son d'être de la monarchie austro-hon­groise était précisément due à l'impos­si­bilité d'un découpage territorial co­hé­rent sur base nationale dans cette ré­gion, ce qui l'aurait affaiblie face à la menace otto­mane. Pendant la guerre 14-18, Alle­mands et Autrichiens renon­cent, sur le plan théorique, à l'idéologie na­tionale, tandis que l'Entente et les Etats-Unis, malgré leurs idéologies do­minantes cos­mopolites, instrumentali­sent, contre la lo­gique fédérative autri­chienne, le fa­meux principe wilsonien de l'«auto-dé­ter­mination nationale» (7). Quand, à Versailles, sous l'impulsion de Wilson et de Clémenceau, on accorde à l'Europe orientale l'auto-détermi­na­tion, on le fait par placage irréfléchi du modèle jacobin, subjectivo-politique, sur la mosaïque ethnique, objectivo-cultu­rel­­le. Le mélange du nationalisme sub­jectif et des faits objectifs d'ordre ethni­que et culturel a provoqué l'explosion d'ir­rédentismes délétères.                     

 

Le nationalisme des «petits peuples» dans les travaux de Miroslav Hroch

 

Miroslav Hroch (8), de nationalité tchè­que, analyse le nationalisme des «petits peu­ples», soit les nationalismes norvé­gien, fin­landais, flamand, baltes et tchè­que. Ces nationalismes, tous culturels à la base, ont également évolué en trois étapes. La pre­mière de ces étapes est la phase intellec­tuelle, «philologique», où des érudits redé­couvrent le Kalevala en Finlande ou ex­hument de vieilles poésies ou épopées ou, encore, créent des romans historiques com­me Conscience en Flan­dre. L'archéologie, la littérature et la lin­guis­tique sont mo­bilisées pour une «pri­se de conscience». Vient ensuite la seconde phase, celle du réveil, où cette nou­velle culture encore marginale passe des érudits aux intellec­tuels et aux étu­diants. Le Tchèque Pa­lac­ky (9) a été, par exemple, l'initiateur d'un tel passage dans la société tchèque du dé­but du XIXième. La troisième phase est celle où le nationalisme, au préalable en­goue­ment d'érudits et d'intellectuels, de­vient «mouvement populaire», atteint les mas­­ses qui passent, ainsi, à une «cons­cience historique». C'est la litté­rature, dans tous ces cas, qui est le moteur d'un mouvement social. Au XIXième, dans le sillage du romantisme, c'est le roman qui a joué le rôle de diffuseur. Aujour­d'hui, ce pourrait être le cinéma ou la ban­de des­sinée.

 

Qui porte cette évolution? Ce n'est pas, comme dans les cas des nationalismes tiers-étatistes, la bourgeoisie industrielle ou marchande. Celle-ci ne montre aucun intérêt pour la philologie, la poésie ou le roman historique. Sur le plan culturel, elle est strictement analphabète (Kultur­anal­­­pha­bet, dirait-on en allemand). Le na­­tio­na­lisme des «petits peuples» émane au con­traire de personnalités cultivées, issues de classes diverses, mais toutes hos­tiles à la caste marchande inculte (les «Philistins», disait l'humaniste anglais Matthew Ar­nold). Schumpeter, en éco­no­­mie, Veblen, en sociologie, ont montré combien puis­san­te était cette hostilité du peuple, des cler­gés et des aristocrates  à l'encontre des ri­ches sans passé, por­teurs de la civilisation capitaliste. Cons­ta­tant que cette haine al­lait croissante, Schumpeter prévoyait la fin du capita­lis­me. Cette haine est donc partagée entre d'une part, les nationa­lis­mes culturels et, d'autres part, les gau­chismes de tou­tes moutures, qui, quand ils conjuguent leurs efforts et abandonnent le faux clivage gauche/droite en induisant un nouveau clivage, cette fois entre cultivés et non-cultivés, font sauter la domination des castes marchandes, spéculatrices et incultes («middelmatiques» disait le so­cia­liste belge Edmond Picard).

 

Des intellectuels

issus des milieux paysans

 

Les intellectuels qui initient ces natio­na­lismes de culture sont souvent issus de mi­lieux populaires paysans, ruraux, ou sont de petits hobereaux cultivés, déposi­taires d'une «longue mémoire». Miros­lav Hroch pose, après ce constat sur l'o­rigine sociale de ce type d'intellectuels, une question cruciale: sont-ils des «mo­der­­nisa­teurs» (progressistes) ou des «tra­­ditiona­listes» (réactionnaires et pas­sa­tistes)? Dans sa réponse, Hroch recon­naît que ces intellectuels sont plutôt des «moderni­sa­teurs», vu qu'ils cherchent à redonner un bel éclat à leur patrie et à souder leur peuple, de façon à ce qu'il échappe au dé­racinement de la révolu­tion industrielle. Les nationalismes de cul­ture sont tous nés dans des régions d'Europe développées, au passé riche. La Flandre a été une zone ur­banisée depuis le Moyen Age. Le Pays Basque est la zone la plus évoluée d'Es­pagne, qui, après une brève éclipse au XIXième siècle sur fond de pronuncia­men­tos castillans, a connu un nouvel essor au XXième. Même chose pour la Catalogne. La Finlande dispose d'une bonne industrie et présente un bon alliage politique fait de ruralité et de mo­dernité. La Norvège a toujours eu d'ex­cel­lents chantiers navals et dispose, au­jour­d'hui, d'une industrie élec­tronique de premier plan, capable de fa­briquer des missiles modernes. La Bo­hè­me-Moravie a été, après l'Allemagne, la principale zo­ne industrielle d'Europe cen­trale et Pra­gue a une université pluri-sé­culaire. Au vu de ces faits, le reproche de pas­séis­me qu'adressait Kohn aux nationa­lismes de culture ne tient pas. Notre con­clusion: le nationalisme est difficile­ment acceptable quand il émane du tiers-état, parce qu'il véhicule alors l'égoïsme de classe et l'impolitisme délétère à long terme du libéralisme; il est acceptable quand il émane d'une sorte de «première fonction» reconstituée dans le fond-de-peuple enraciné et encore doté de sa «longue mémoire». 

 

E.H. Carr et le reflet des périodes de l'histoire européenne dans la définition des nationa­lismes

 

Pour l'historien britannique E.H. Carr, les nationalismes, aux divers moments de leur évolution, sont des reflets de l'i­déo­logie politique et économique domi­nan­te de leur époque. Ainsi, avant 1789, le na­tionalisme  —ou ce qui en tenait lieu avant que le vocable ne se soit imposé dans le vocabulaire politique—  dans les Etats au cadre ter­ritorial formé, comme la France ou l'An­gleterre, est régalien; il est le coro­llaire du pouvoir royal et inclut dans ses corpus doctrinaux l'idéal mé­ca­niciste et abso­lu­tiste en vigueur chez les théoriciens du politique au XVIIIiè­me siècle. De 1789 à 1870, le nationalisme est démocratique; la révolution de 1789 est démocratique et li­bé­rale, bourgeoise et tiers-étatiste. En 1813, en Allemagne, avec Arndt et Jahn, elle s'adresse à l'en­semble du peuple, pay­sannerie compri­se. En 1848, elle est démo­cratique au sens le plus utopique du ter­me, tant à Paris qu'à Francfort. De 1870 à 1939, quand on abandonne petit à petit les principes libé­raux et l'économie du «lais­ser-faire», le nationalisme devient socia­liste car il faut impérativement organiser  l'industrie et les masses ou­vrières, ce que l'utopisme libéral n'avait pas prévu, aveu­glé qu'il était par le mythe de la «main invisible» que Hayek nommera, quelques décennies plus tard, la «catallaxie». Bis­marck ac­cor­de aux ouvriers une protection so­cia­le. Les idéologies planistes (De Man, Fre­yer), le stalinisme, le fascisme (sur-tout dans sa dimension futuriste et in-dustria­liste), le New Deal de Roosevelt et le natio­nal-socialisme hitlérien (avec ses construc­tions d'autoroutes et son Front du Travail) visent à faire accèder leur na­tion à la puis­sance et y parviennent en appliquant de nouvelles méthodes, cha­que fois différen­tes mais radicalement autres que celles appliquées aux époques antérieures. La France et l'Angleterre, vé­hiculant des na­tionalismes anciens, de type régalien, et appliquant en économie les théorèmes du libéralisme, intègrent mal leurs classes ouvrières et ne par­viennent pas à asseoir en elles une lo-yauté optimale.

 

L'Allemagne bismarckienne, en effet, a été un modèle d'intégration social à son époque. Appliquant les théories de l'éco­nomiste List sur les tarifs douaniers pro­tecteurs de toute industrie naissante, le gouvernement impérial impose les Schutz­zölle  en 1879 qui protègent non seu­lement le capital national mais aussi le travail national, ce qui lui vaut la re­con­naissance de la social-démocratie di­rigée à l'époque par Ferdinand Lassalle. Dès que le capital et le travail sont proté­gés, il faut les organiser, c'est-à-dire les rendre ou les re-rendre «organiques». Pour ce faire, il a fallu injecter de la pro­tection sociale et légiférer dans le sens d'une sé­curité sociale. La nation, dans cette opti­que, était le système qui «or­ga­nisait» et oc­troyait de la protection. Na­tion et sys­tème social se voyaient dé­sor­mais con­fondus dans la classe ouvrière: le pa­trio­tisme du «prolétariat» allemand en 1870 et en 1914 venait du simple fait que ces masses ne souhaitaient ni le knout russe archaïsant ni l'arbitraire libéral français ou anglais. En août 1914, les travailleurs al­lemands couraient aux armes pour que Russes et Français ne viennent pas ré­duire à néant la sécurité sociale cons­trui­te depuis Bismarck et non pas pour la gloire du Kaiser ou de la Sainte-Alle­magne des réactionnaires et des roman­ti­ques médiévisants.

 

Pour E.H. Carr, la phase 1 du natio­na­lis­me est régalienne et portée par les cours et l'aristocratie; la phase 2 est poli­ti­que et démocratique; sa classe por­teuse est la bourgeoisie; la phase 3 est éco­no­mique et portée par les masses. Les na­tions à nationalisme de phases 1 et 2 ont opté pour un colonialisme, où les terri­toi­res d'outre-mer devaient servir de dé­bou­chés à l'industrie métropolitaine que, du coup, on ne modernisait plus. Les na­tionalismes de phase 3 préfèrent la «co­lo­nisation intérieure», c'est-à-dire la ren­tabilisation maximale des terres en friches de la métropole, des énergies na­tionales, des ressources du territoire. Cette «colonisation intérieure» a pour corollaire un système d'éducation très so­lide et très complexe. En bout de cour­se, ce sont les nations qui ont renoncé au libéralisme stricto sensu et au colonia­lisme qui sortent victorieuses de la cour­se économique: le Japon et l'Allemagne.

 

Le nationalisme contre les établissements?

 

Donc tout nationalisme efficace doit être une idéologie contestatrice; il doit tou­jours vouloir miner les établissements qui s'endorment sur leurs lauriers ou veulent bétonner des injustices. Il doit vou­­loir l'émancipation des masses et des catégories sociales dont l'établis­se­ment re­fuse l'envol et vouloir aussi leur inté­gration optimale dans un cadre soli­de, épuré de toutes formes de dys­fonc­tion­ne­ments. Il n'y a aucun vrai na­tio-nalisme possible dans une société qui dys­fonc­tion­­ne à cause de sa maladie li­bé­rale. Les discours nationalistes dans les so­ciétés libérales sont des hochets, des jou­joux, de la propagande, de la pou­dre aux yeux. Dans les sociétés pro­té­gées, appli­quant intelligemment et sou­plement les principes du protection­nis­me, qui per­met l'éclosion d'un capi­ta­lis­me national, d'un socialisme natio­nal, d'une péda­go­gie nationale, le nationa­lis­me devient au­to­matiquement l'idéologie de ceux que favorise le protectionnisme, contre le cos­mopolitisme libéral et l'in­ter­­na­­tiona­lisme prolétarien qui sont des fois sans ancrage social réel et con­dui­sent les so­ciétés à la ruine ou à la déli­ques­cence. Au­jourd'hui, comme il n'y a plus de vo­lon­té protectionniste, ni à l'é­chelon étati­que ni à l'échelon continen­tal, il n'y a plus de nationalisme, si ce n'est des con­tre-façons grotesques, à ver­bo­sité mili­ta­riste, qui servent de véhicule à d'autres utopies internationalistes, com­­­me, par exemple, les intégrismes re­­­ligieux ou les stratégies néo-spiri­tua­listes qui nous vien­nent des Etats-Unis ou de Corée.

 

Les nouveaux fronts

 

Chaque étape du développement de la pensée nationale crée de nouveaux fronts politiques, que le manichéisme de la pen­­sée d'aujourd'hui refuse de perce­voir. Avant 1789, le morcellement terri­to­rial des Etats et les douanes intérieures constituaient des freins à l'expansion du libéralisme et de l'industrie. La nécessité de les éliminer a généré une idéologie à la fois nationale (parce que la nation était le cadre élargi nécessaire à la promotion des industries et manufactures) et libé­ra­le (l'accession du tiers-état marchand à la gestion des affaires). Cette idéologie mettait un terme aux dimensions ri­gi­difiantes et fossilisantes de l'Ancien Ré­gime. Mais quand le libé­ra­lisme a atteint ses limites et montré qu'il pouvait dis­soudre mais non orga­ni­ser, l'idéo­logie idéale à appliquer dans le cadre concret de la nation est devenue le pro­tection­nis­me. Par la création de zones au­­tarciques à dimensions territoriales pré­cises  —la nation, l'Etat—  le pouvoir met­tait un frein aux velléités cosmo­po­li­tes donc dis­solutives du libéralisme. L'An­gleterre, ayant une longueur d'a­van­­ce dans la cour­se à l'industria­lisa­tion, exploitait à fond la pratique du libre-échange pour inonder de ses produits les pays d'Europe non encore industrialisés ou moins in­dustrialisés, empêchant du même coup le développement d'un tissu industriel au­tochtone et privant la popu­la­tion d'op­por­tunités multiples. Le cos­mo­politisme est précisément l'idéo­lo­gie qui, sous pré­texte d'élargir les horizons à l'in­fi­ni, re­fuse de tourner son regard vers la con­crétude ambiante et con­dam­ne du même coup la population fixée dans et sur la concrétude ambiante à de­meurer dans ses chaînes. L'idéologie cos­mopolite des Lumières servait l'An­gle­terre au XIXiè­me siècle comme elle sert les Etats-Unis aujourd'hui.

 

De cet état de choses découlent préci­sé­ment les nouveaux fronts. Le regalien, qui est politique pur, et le pro­­tec­tion­nis­me, qui veut intégrer les masses ouvriè­res et fortifier l'économie, s'opposent avec une égale vigueur au libéralisme cos­mo­polite. Le monarchisme, le socia­lis­me et le syndicalisme (ersatz à l'ère in­dustirelle des associations pro­fes­sion­nel­les d'ancien régime) s'oppose tantôt dans le désordre tantôt dans l'ordre au libéralisme. Les idéologues libéraux com­me Hayek et von Mises ou, dans une moindre mesure, Myrdal, décrivent le socialisme et le syndicalisme comme «ré­actionnaires» parce qu'ils s'opposent à l'expansion illimitée du capitalisme. Cette attitude procède d'un refus des lé­viathans équilibrants, d'un refus de met­tre un frein aux désirs utopiques et sub­jectifs, irréalisables parce que trop pré­tentieux. Le politique étant pré­cisé­ment la création de tels «léviathans é­qui­librants», on peut déduire que le li­bé­ralisme, fruit de l'idéologie des Lumiè­res, est anti-politique, cherche à briser le travail éminemment humain —l'hom­me étant zoon politikon—  du politi­que. Le retour de Hayek et de von Mises dans un certain discours conservateur, aux Etats-Unis, en Angleterre et en France et d'une vulgate idéologique insipide ayant pour thème les «droits de l'homme», de même que la destruction de l'Irak baa­siste et de l'institutionalisation, amorcée par Kouchner, du droit d'ingérence dans les affaires intérieures de pays tiers, avec la triste affaire des Kurdes, participe d'u­ne totalitarisation du libéralisme qui, par la force militaire les trois puissances où le conser­vatisme se réclame de Hayek et les gauches du discours «droits-de-l'hommard», cher­che à homogénéiser la planète en brisant par déchaînement de violence outran­ciè­re (la destruction des colonnes irakien­nes en retraite par bom­bes à neutrons et à effet de souffle) les pe­tits léviathans locaux, ancrés régiona­lement. Comme par hasard, les trois puis­sances qui a­mor­cent cette apoca­lyp­se sont celles dites de l'«Ouest» dans le discours anti-im­pé­ria­liste de l'école na­tio­nale-bolchévique (Niekisch, Pae­tel)...

 

Le commun dénominateur politisant du con­servatisme monarchiste, créateur de lé­viathans non socialisés, et du syn­di­ca­lisme, organisateur du tissu social, ex­pli­que le rapprochement entre l'AF et les syndicalistes soréliens au sein du Cercle Proudhon en 1911-12, le rappro­che­ment en­tre De Man et Léopold III en Belgique, le rapprochement  —hélas mar­gina­li­sé—  entre le CERES de Che­vénement et la NAR monarchiste...

 

L'exemple latino-américain

 

En 1945, le monde assiste à l'achèvement de la dynamique enclenchée par les na­tionalismes européens. Ce ne sont plus désormais des nations qui s'af­fron­tent mais des blocs idéologiques trans­na­tio­naux à vocation globale. Une sorte de nouvelle guerre de religion commence, ré­cla­mant, sur­tout chez les commu­nis­tes, une forte do­se de foi, qu'un Sartre con­tribuera no­tamment à injecter. Le na­tionalisme glisse alors vers le tiers-monde, comme l'avait prévu le géopoliti­cien allemand Karl Haushofer. En effet, en 1949, la Chine de Mao pro­cla­me son au­tarcie par rapport aux grands flux fi­nanciers in­ternationaux, vecteurs du pro­cessus de dénationa­li­sa­tion. Malgré le discours communiste-in­ter­nationa­lis­te, la Chine se replie sur el­le-même, re­devient natio­nale-chinoise, re­­pli qui sera encore ac­centué par la «ré­volution cul­tu­relle» des années 60. En 1954, l'Egypte de Nasser, à son tour, ten­te de se décon­nec­ter des grands circuits occidentaux. Les natio­nalismes du tiers-monde visent donc l'indépendance, es­sa­yent la non-intégra­tion dans la sphère américaine, que Roosevelt et Truman vou­laient éten­dre au monde entier (d'où l'expression «mondialisme»). Le modèle dans le tiers-monde est, tacitement, celui de l'Al­lemagne nationale-socialiste, et, plus officiellement, celui de la Russie de Sta­line. Mais le tiers-monde n'est pas ho­mo­gène: l'Amérique latine, par ex­em­ple, était déjà, par l'action des bour­geoi­sies «monroeïstes», dans l'orbite amé­­­ri­caine avant-guerre comme nous le som­mes aujourd'hui. C'est pourquoi, les La­tino-Américains ont pensé un natio­na­­­lisme de libération continental qui peut nous servir d'exemple, à condition que nous ne le concevions plus sur le mo­de trop roman­tique du guévarisme d'ex­por­tation qui avait, jadis, séduit la géné­ra­tion de ceux qui ont aujourd'hui entre 40 et 50 ans. Mis à part ce natio­na­lisme de libération, l'Amérique latine pré­sente:

 

1) Un nationalisme d'intégration pour po­­pulations hétérogènes (Mexique-Bré­sil).

2) Un nationalisme hostile aux investis­seurs étrangers à l'espace latino-amé­ri­cain. Ce nationalisme continentaliste avait été surtout développé au Chili (a­vant Pinochet) et en Bolivie.

3) Un nationalisme qui est recours au pas­sé pré-colonial. Ce nationalisme a sur­­tout été théorisé par le Péruvien Ma­riategui. Il s'apparente du point de vue des principes aux nationalismes de cul­tu­re européens, comme le nationalisme finlandais qui exhume le Kalevala ou le nationalisme irlandais qui exhume ba­la­des celtiques et épopée de Cuchulain, etc. Ou qui recourt au passé pré-chrétien de l'Europe.

4) Un nationalisme dérivé du populisme urbain, dont l'expression archétypique de­­meure le péronisme argentin.

 

Ces quatre piliers théoriques du natio­na­­­lisme continentaliste latino-américain ré­duisent à néant les clivages gau­che/ droi­­te conventionnels; en effet, on a vu al­ter­nati­ve­ment groupes de «gauche» et groupes de «droite» se revendiquer tour à tour de l'un ou l'autre de ces pi­liers théoriques.

 

En quoi ces piliers théoriques peuvent-ils servir de modèles pour l'Europe?

A. Quand le nationalisme de la gauche chilienne exprime son agressivité tran­chée à l'égard des exploiteurs étrangers, il a le mérite de la clarté dans la défi­ni­tion et la désignation de l'ennemi, acte po­­litique par excellence, comme nous l'ont enseigné Carl Schmitt et Julien Freund.   

 

Quant au nationalisme péruvien, théo­ri­sé par Mariategui, il constitue un mixte de dialectique indigéniste et de dia­lecti­que économiste. La lutte contre l'exploi­ta­tion économique passe par une prise de conscience indigéniste, dans le sens où le retour aux racines indigènes implique automatiquement une négation du sys­tè­me économique colonial. L'anti-impé­ria­lisme, dans la perspective péru­vien­ne-in­digéniste, consiste à recourir aux ra­cines naturelles, non aliénées, du peu­ple. Cet indigénisme est hostile aux na­tionalismes des «bourgeoisies mon­roe­istes», d'origine coloniale et alignées généralement sur les Etats-Unis avec, comme seul supplément d'âme, un es­thé­tisme européisant, tantôt hispano­phi­­le, tantôt francophile ou anglophile.

 

Les mythes castriste, guévariste, sandi­niste, chilien ont eu du succès en Europe parce qu'inconsciemment, ils corres­pon­daient à des désirs que les Européens n'exprimaient plus en leur langage pro­pre, qu'ils avaient refoulés. Lorsque l'on analyse des textes cubains officiels, pa­rus dans la célèbre revue Politica In­ter­nacional  (La Havane) (10), on dé­couvre une analyse pertinente de l'offensive cul­turelle américaine en Amérique lati­ne. Par l'action dissolvante de l'améri­ca­nisme, la culture cesse d'être cons­cien­ce historique et politique et se mue en instrument de dépolitisa­tion, d'alié­na­tion, par surenchère de fic­tion, de psy­chologisme, etc. Nous pour­rions com­parer cette analyse, très cou­rante et gé­néralisée dans le continent la­tino-a­mé­ricain, à celle qu'un Steding (11) avait fait du neutralisme culturel dépoli­tisé en Hollande, en Suisse et en Scandi­navie ou à celle que Gobard avait fait de l'alié­na­tion culturelle et linguistique en France (12).

 

Indigénisme, populisme ou nationa­lisme?

 

En conclusion, toute idéologie et toute pra­tique politique qui veulent prendre en compte les racines du peuple, ses pro­duc­tions culturelles doivent: 1) tenir comp­te des lieux et du destin qu'ils im­po­sent, ce qui implique une politique ré­gionaliste fédérante à tous les échelons; c'est là une logique fédérante 2) opérer un retour aux racines, par un travail ar­­chéologique et généalogique constant, de façon à pouvoir repérer les moments où ont été imposées des structures alié­nantes, à comprendre les circonstances de cette anomalie et à en combattre les ré­sidus; c'est là une logique indigéniste; 3) déconstruire les mécanismes alié­nants introduits dans nos tissus sociaux au moment de la révolution industrielle (une relecture de Carlyle s'impose à ce niveau) et organiser les nouvelles jun­gles urbaines, ce qui signifie ré-enra­ci­ner les populations agglutinées dans les grandes métropoles; c'est là une logique justicialiste et populiste; 4) ras­sembler les peuples et les entités poli­tiques de di­mensions réduites au sein de grands es­paces économiques semi-au­tarciques, dé­passant l'étroitesse de l'Etat-Nation; c'est une logique continen­taliste ou «re­g­nique» (reichisch);  5) rompre avec les nationa­lismes séculiers et laïques clas­siques, nés à l'époque des Lumières et véhicu­lant sa logique d'homo­généisa­tion, éli­minatrice de nombreux possibles (l'omologazzione  de Pier Paolo Pasolini); rompre également avec les nationa­lis­mes qui se sont rebiffés contre les Lu­miè­res pour retomber dans le fantasme de la conversion forcée, dans un cultu­ra­­lisme passéiste conservateur et dé­réa­lisé.

 

Une idéologie politique est acceptable  —qu'elle se donne ou non l'étiquette de «na­tionaliste»—  si et seulement si 1) elle se fonde sur une «culture» enraci­née, impliquant une conscience histo­ri­que et portée par une sorte de nouvelle «pre­mière fonction» (au sens dumézilien du terme); 2) si cette nouvelle «première fonction» est issue du fond-du-peuple (prin­cipe d'indigénat); 3) si elle donne ac­cès à une représentation juste et com­plè­te à toutes les strates sociales; 4) si el­le organise une sécurité sociale et pré­voit une allocation fixe garantie à chaque ci­toyen, ce qui n'est possible que si l'on li­mi­te sévèrement l'accès à la citoyen­neté, laquelle doit désormais com­prendre le droit à un pécule mensuel ga­ranti, per­mettant une relative indépen­dance de tous (diminution de la dépen­dance du sa­lariat, égalité des chances, accès pos­si­ble au recylage professionnel ou à de nou­velles études, garantie de survie et d'indépendance de la mère au foyer, meil­leures chances pour les en­fants des familles nombreuses); comme la riches­se nationale ou régionale n'est pas ex­ten­sible à l'infini, les droits inhé­rents à la citoyenneté doivent rester limi­tés à l'«indigénat» (selon certains principes institués en Suisse); 5) si elle organise l'affectation des richesses fi­nancières nées des prestations de l'indigénat dans le cadre de son «espace vital», de façon à renoncer à toutes formes de colonialisme ou de néo-colonialisme financier alié­nant et à n'accepter, en matières de co­lo­nisa­tion, que les «colonisations inté­rieu­res» (ère agronomique en France au XIXième, assèchement des Polders aux Pays-Bas ou des marais pontins en Ita­lie, colonisation des terres en friche du Brandebourg ou de Transylvanie par des communautés paysannes autonomes, mobilisation de toutes les énergies de la population sans recours à l'immigration comme au Japon); 6) si elle traque toutes les traces d'universalisme militant et ho­mogénéisant, toujours susceptible de faire basculer les communautés hu­mai­nes concrètes dans l'aliénation par ir­réa­lisme têtu: cette traque, objet d'une vi­gilance constante, permet l'envol d'une appréhension du monde réellement uni­verselle, qui accepte le monde tel qu'il est: soit bigarré et kaléidoscopique.

 

Enfin, toute idéologie acceptable doit af­fronter et résoudre les grands problèmes de l'heure; ce serait notamment aujour­d'hui l'écologie. Le nationalisme classi­que, ou celui qui resurgit aujourd'hui, n'in­siste pas assez sur les dimensions in­digénistes, populistes-justicialistes et con­tinentalistes. Il est dans ce sens ana­chronique et incapacitant.  Il reste tiers-éta­tiste dans le sens où il n'est plus uni­versel comme l'était la pensée de la caste souveraine des sociétés traditionnelles, ce qui explique qu'il est incapable de pen­ser la dimension continentale ou l'i­dée de Regnum (Reich)  et qu'il refuse de prendre en compte le fait du fond-du-peu­­ple, propre des quart-état et quint-état. Le nationalisme risque d'occulter deux dimensions: l'ouverture au monde et le charnel populaire. Il reste à mi-che­­min entre les deux sans pouvoir les englober dans une pensée qui va au-delà du simple positivisme.

 

Robert STEUCKERS.   

 

1) Olof Petersson, Die politischen Systeme Nordeuropas. Eine Einführung, Nomos, Baden-Baden, 1989.

(2) Olof Petersson, op. cit.

(3) Ernst Nolte, Die faschistischen Bewegungen, dtv 4004, München, 1966-71, pp. 212-226.

(4) C.J.H. Hayes, Essays on Nationalism, New York, 1966; The Historical Evolution of Modern Nationalism, New York, 1968 (3ième éd.); Nationalism: A Religion, New York, 1960.

(5) H. Kohn, The Age of Nationalism. The First Era of Global History, New York, 1962; The Idea of Nationa­lism. A Study in its Origin and Background, New York, 1948 (4ième éd.); Prophets and Peoples: Studies in 19th Century Nationalism, New York, 1952.

(6) Th. Schieder, «Typologie und Erscheinungsformen des Nationalstaats in Europa», in Historische Zeitschrift, 202, 1966, pp. 58-81 (repris in: Heinrich August Winkler, Na­tionalismus, Athenäum/Hain, Königstein/Ts, 1978, pp. 119-137); Der Nationalstaat in Europa als historisches Phä­nomen,  Köln, 1964.

(7) Rudolf Kjellen, Die politischen Probleme des Welt­krieges,  1916.

(8) Miroslav Hroch, Die Vorkämpfer der nationalen Be­wegung bei den kleinen Völkern Europas, Prag, 1968; «Das Erwachen kleiner Nationen als Problem der kompa­rativen Forschung», in H.A. Winkler, Nationalismus, op. cit., pp. 155-172.

(9) Joseph F. Zacek, Palacky. The Historian as Scholar and Nationalist,  Mouton, Den Haag/Paris, 1970.

(10) Pedro Simón Martínez, «Penetración y explotación del imperialismo en la Cultura Latinoamericana», in Poli­tica Internacional, Instituto de politica internacional, La Ha­bana/Cuba, 19, 1967, pp. 252-255.

(11) Christoph Steding, Das Reich und die Krankheit der europäischen Kultur, 1942 (3ième éd.).

(12) Henri Gobard, L'aliénation linguistique. Analyse té­traglossique, Flammarion, Paris, 1976; La guerre cultu­rel­le. Logique du désastre, Copernic, Paris, 1979.  

 

jeudi, 25 juin 2009

R. Badinand: Requiem pour la contre-révolution

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Daniel Cologne - http://www.alexipharmaque.net/

Rodolphe Badinand:  

Requiem pour la Contre-Révolution

Ainsi s’achève Requiem pour la Contre-Révolution, dont l’auteur Rodolphe Badinand me fait l’honneur d’être le co-dédicataire. Il ne m’en voudra donc pas si j’inverse l’adjectif indéfini et l’adjectif démonstratif. L’appel clôturant ce remarquable recueil d’ ‘’essais impérieux’’ est en réalité rédigé comme suit :

‘’Pour le Système et ses sbires, nous incarnons le plus grand des périls parce que nous croyons en nos rêves’’. Rodolphe Badinand cite alors Thomas Edgar Lawrence : ‘’Les rêveurs de jour sont des hommes dangereux, car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts et le rendre possible’’. L’auteur conclut : ‘’Soyons ces rêveurs éveillés…’’ (p.163).

Qui sommes nous donc et quel est ce ‘’Système’’ que Rodolphe Badinand nous invite à faire trembler ? Disons d’abord ce que nous ne sommes pas. Nous ne sommes pas des ‘’anti-Lumières’’, comme nous désignent nos ennemis. Nous ne sommes pas les nostalgiques d’un temps révolu, les passéistes assoupis dans la langueur des regrets éternels. Nous coupons le cordon ombilical avec la Contre-Révolution, dont nous saluons néanmoins le double mérite : son courage d’être entré en résistance contre des ‘’valeurs mortifères’’, et notamment les ‘’idéologies égalitaires’’, mais aussi la ‘’valeur didactique’’ de ‘’son échec’’ (p.42).

Nous sommes les partisans d’une recomposition du monde fondée, non sur l’abstraction droit-de-l’hommiste, mais sur le socle concret du ‘’droit des hommes (c’est moi qui souligne) à s’enraciner dans leur terroir et leurs communautés d’appartenance multiples et variées’’ (p.163).

Cette refondation planétaire postule une reconstruction de l’Europe selon un ‘’principe fédérateur d’essence supérieure’’ (p.162), dont l’absence pertinemment épinglée par un monarque polynésien fut le cause de la Première Guerre Mondiale. En citant Tupon IV, roi des Tonga, Rodolphe Badinand témoigne de ce qu’est la véritable ouverture à l’Autre, la capacité d’être authentiquement à l’écoute de la sagesse, d’où qu’elle vienne : tout le contraire de la mensongère ‘’tolérance’’ du Système, où l’égalitarisme de façade masque l’impitoyable volonté d’épuiser les hommes et les peuples dans une course infernale le long de ‘’la ligne droite individu-Etat jacobin-Etat mondial-humanité’’ (p.163).

Un exemple de ‘’principe fédérateur’’ est l’idée impériale telle que la concrétise l’institution pluriséculaire du Saint Empire romain germanique. ‘’Au Moyen Age, l’empire sacré et sanctifié ne pouvait que promouvoir l’idéal chrétien. Il aurait été inconcevable qu’il s’édifiât contre la majorité religieuse du moment’’ (p.119). A notre époque de déchristianisation, il ne faut évidemment pas aspirer à reproduire la structure médiévale, mais il convient de lui substituer un symbolisme cosmique où l’Empire serait une image du Soleil central autour duquel tourneraient, à des vitesses différentes, comme les planètes du système solaire astronomique, les nations (patries historiques) et les régions (patries charnelles). Ainsi l’Europe pourrait-elle revendiquer le titre de ‘’patrie idéale’’, répondre à l’exigence d’universalité inscrite au cœur de toute pensée métapolitique.

Rodolphe Badinand distingue judicieusement l’impérialité et les impérialismes. ‘’Contrairement au Saint Empire, les Premier et Second Empires français n’ont reposé que sur les épaules d’une personnalité charismatique’’ (p.116). Son procès des bonapartistes n’a d’égal que son rejet de l’hitlérisme, ‘’version teutonne du jacobinisme français’’ (p.121).

Dans la ligne d’Alain de Benoist, Rodophe Badinand considère aussi comme de ‘’faux empires’’ les empires coloniaux anglais, français, hollandais, portugais ou espagnol. Il tient ‘’le mal colonial’’ (p.127) pour une des étapes importantes de la ‘’décomposition de la France’’ (p.125).

Erudit français, Rodophe Badinand consacre tout naturellement de nombreuses pages à l’histoire de son pays. Recensant l’ouvrage d’un historien de l’Université de Jérusalem, il rappelle ‘’les prétentions capétiennes à la Couronne du Saint Empire romain germanique’’ (p.95), qui aurait pu devenir, entre les règnes de François Ier et Louis XIV, un ‘’Saint Empire romain de la Nation Française’’ (p.96). C’est l’un des textes courts du recueil, qui alternent avec des essais plus longs, de même que se succèdent, dans un ensemble ipso facto de lecture agréable, de brefs comptes-rendus de livres, de vigoureuses interventions conférencières et de profonds essais où la réflexion toujours nuancée se déploie dans un style souvent chatoyant.

La coutume gastronomique encadre le plat de résistance de hors-d’œuvre et de desserts. Ici, l’essai le plus consistant, qui donne d’ailleurs son titre au florilège, est opportunément placé en tête. Une quarantaine de pages d’une rare densité intellectuelle nous convie ainsi à réfléchir sur la Contre-Révolution ‘’impasse intellectuelle majeure’’ (p.13).

L’Eglise catholique fut la première à s’opposer à la révolution de 1789 et elle le fit avec d’autant plus de force qu’un an à peine après la prise de la Bastille, fut votée la Constitution civile du clergé (1790), la ‘’plus grave erreur’’ (p.19) de la révolution suivant l’auteur.

Celui-ci examine, tout au long des deux siècles écoulés, la ‘’lente translation vers la Modernité’’(p.24) qui affecte la catholicisme et dont Jacques Maritain (1882-1973) offre un exemple symbolique.

Le royalisme également a succombé, au fil des décennies, à la contagion de l’esprit moderniste. Ce dernier ‘’contamina les doctrines monarchiques avec la même vigueur qu’il se développait au sein du catholicisme’’ (p.28). Des mouvements royalistes de gauche naquirent ainsi dans toute l’Europe méridionale : le Parti populaire monarchique portugais, le carlisme espagnol qui ‘’se transforma en un mouvement socialiste autogestionnaire’’ (p.30), et en France les ‘’’maurrassiens’’ de la Nouvelle Action Française de Bertrand Renouvin.

‘’Avec ces trois exemples’’, écrit Rodolphe Badinand, ’’nous devons nous interroger si la Contre-Révolution et la Révolution ne seraient pas l’avers et le revers d’une même médaille appelée la Modernité’’ (Ibid).

Avant de revenir sur cette importante citation, où l’on voit émerger sous la plume de l’auteur le questionnement fondamental, épinglons encore cette vision non conformiste des régimes de Salazar, Franco et Pétain, où Rodolphe Badinand voit les germes de l’élan économique-industriel d’après-guerre, via l’arrivée au pouvoir des technocrates. Le phénomène lui semble particulièrement sensible dans la France de Vichy, après ‘’la nomination de l’amiral Darlan à la vice-présidence du Conseil des ministres’’ (p.31).

Y aurait-il eu donc un ‘’apport contre-révolutionnaire au libéralisme’’ (p.32) ? Oui, répond sans hésitation l’auteur qui va jusqu’à établir un parallélisme entre la ’’main invisible’’ du marché et les ’’voies insondables’’ de la Providence. Les fondements chrétiens de la Contre-Révolution sont ici mis en cause et il en découle que la dérive potentielle des contre-révolutionnaires était prévisible dès la fin du XVIIIème siècle.

Rodolphe Badinand rappelle opportunément que ’’les trois futures sommités de la contre-révolution intellectuelle étaient vus par leurs contemporains comme des libéraux : Edmund Burke était un parlementaire whig, défenseur des droits du Parlement anglais et de la Révolution américaine ; Joseph de Maistre était, à la cour de Savoie, jugé comme un franc-maçon francophile et Louis de Bonald fut, en 1789-1790, le maire libéral de Millau’’ (p.41).

Quant à la Révolution conservatrice, que ses adversaires ont baptisée ’’Nouvelle Droite’’, elle intègre certes un héritage contre-révolutionnaire, mais elle se réfère aussi au socialisme proudhonien, aux non-conformistes des années trente si bien étudiés par Pierre Loubet del Bayle, et au situationnisme de Guy Debord dénonçant ’’la société du spectacle’’. Rodophe Badinand conclut son analyse de ce courant par cette hypothèse de recherche que les historiens des idées politiques devraient creuser ; ’’Ce syncrétisme semblerait marquer la fin historique de la Contre-Révolution en tant que mouvement de pensée’’ (p.36).

Rodolphe Badinand s’interroge de manière inattendue : ‘’L’écologie : le dernier surgeon contre-révolutionnaire ?’’ (p.38). L’auteur fait un rapprochement insoupçonné entre, d’une part les écrits d’un Edouard Goldsmith ou d’un Bernard Charbonneau, et d’autre part, le roman balzacien Le Médecin de Campagne, sorte d’Arcadie où «’’chacun mène une existence équilibrée’’ et où ‘’la nature maîtrisée, mais non agressée par le machinisme, donne des fruits à tous les villageois’’ (p.39). Au même titre que la Nouvelle Droite et la Révolution Conservatrice, l’écologie dépasse ‘’les vieux clivages, devenus obsolètes’’ (voir le slogan ‘’Ni Droite ni Gauche’ d’Antoine Waechter) et ne se laisse pas enfermer dans le binôme Révolution - Contre Révolution. Sa vision du monde dynamique rompt avec le passéisme ruraliste exaltant une société champêtre ‘’stable, immuable et édénique’’ (Ibid)

Partageant avec les écologistes certaines légitimes préoccupations environnementales, Rodolphe Badinand avertit : ‘’Si le réchauffement planétaire se poursuit et s’accentue, dans quelques centaines d’années, la banquise aura peut-être disparu, faisant de l’océan polaire un domaine

maritime de première importance’’ (p.123). La maîtrise de l’Arctique s’impose à l’auteur comme une des plus impérieuses nécessités pour le futur Empire européen. Cet enjeu tant stratégique que symbolique est d’autant moins négligeable que les anciennes mythologies indo-européennes, y compris celle de l’Hellade méditerranéenne et celle de l’Inde védique, mentionnent le Septentrion comme l’origine, sinon de l’humanité, du moins d’une de ses plus importants rameaux. L’Europe se devra donc d’être présente sur tout le pourtour de l’Océan Arctique comportant aussi des rivages asiatiques et nord-américains.

‘’Face à la marée montante des peuples du Sud, le regroupement intercontinental des descendants de Boréens ne se justifie que par le désir de survivre au XXIème siècle. Cela mérite au moins un débat que seul l’avenir tranchera’’ (p.73).

Rodolphe Badinand nous convie à effectuer deux démarches simultanées : retrouver le chemin de notre ‘’plus longue mémoire’’ et imaginer notre futur lointain.

‘’Les contre-révolutionnaires souhaitaient conserver intact le passé. Leur démarche les obligea souvent à faire de l’avenir table rase. Entre la négation du passé, propagée par la Modernité, et le refus du futur, pratiqué par la Contre-Révolution, existe une troisième voie : l’archéo-futurisme’’ (p.44). L’auteur se réfère à Guillaume Faye, qui a longtemps partagé avec Alain de Benoist, quoique dans un autre registre, le magistère intellectuel de notre famille de pensée. Né vers 1972, issu de la génération suivante, Rodolphe Badinand peut prétendre à la succession de ces deux maîtres à penser, selon l’expression consacrée et en l’occurrence toute relative si l’on pense à ces figures hors normes que sont René Guénon (1886-1951) et Julius Evola (1898-1974).

A propos de ces deux immenses éveilleurs, il est temps de se demander dans quelle mesure ils ont été piégés par le binôme Révolution-Contre Révolution. C’est à force de critiquer le progressisme moderne rectilinéaire que l’on dérive peu à peu, au départ d’une conception cyclique de l’histoire, vers un décadentisme ‘’traditionnel’’ tout aussi rectilinéaire.

Progressisme et décadentisme apparaissent alors comme les deux faces de la même médaille, de même que s’impose la nécessité, pour la Nouvelle Droite et la Révolution Conservatrice, de faire venir leurs adversaires sur leur terrain (c’est Rodolphe Badinand qui souligne). ‘’Qu’elles cessent donc de débattre des idées adverses pour imposer la discussion sur leurs idées’’ (p.43). Qu’elles arrêtent de disserter sur les inconvénients du progressisme et sur l’absurdité d’un ‘’sens de l’Histoire’’, et qu’elles valorisent les avantages et la solidité de leur conception cyclique du devenir humain, qui est une respiration à plusieurs vitesses, et qui ne peut en aucun cas dégénérer en un décadentisme vertigineux.

Osons nous dresser avec Rodolphe Badinand contre l’exorbitante prétention de la démocratie moderne à être le point oméga de l’aventure humaine. Adoptée le 26 août 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comporte en son Article XI une restriction à la liberté d’expression que l’auteur reprend in extenso : ‘’sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ‘’ (p.18).Rodolphe Badinand commente : il s’agit d’ ‘’une phrase si vague qu’elle permet toutes les interprétations possibles et justifie toutes les polices de la pensée. Or le totalitarisme commence quand on empêche certaines opinions de s’exprimer sur la place publique…(Ibid.). La Modernité est donc bien la ‘’matrice des totalitarismes » ». Sous le couvert de la démocratie et du ‘’droit-de-l’hommisme’’ sévit un terrorisme intellectuel s’appuyant sur des lois liberticides et rétablissant le délit d’opinion, dont sont passibles tous ceux qui contestent les fondements du Système. Un de ces fondements concerne les origines de l’espèce humaine. C’est la thèse africano-centriste selon laquelle l’Afrique serait l’unique berceau de l’humanité, le seul foyer primordial à partir duquel le primate se serait transformé en homo sapiens.

En optant pour une vision ‘’boréocentrique’’ de l’histoire, Rodolphe Badinand ne craint pas de s’exposer à la vindicte de la ‘’bien-pensance’’ qui pourrait lui faire grief ‘’d’une supercherie scientifique à relent raciste’’ (p.69).

Pourtant, ses ‘’Notes dissidentes sur la nation de tradition Primordiale’’, autre chapitre très fouillé et hyper-documenté, révèle une approche pluraliste du problème. Logique et conséquent, Rodolphe Badinand se refuse à trancher la question de l’antériorité en faveur de l’un ou l’autre ‘’ensemble ethnique’’. ‘’N’y aurait-il pas finalement une succession aléatoire de Traditions primordiales pour chaque entité ethnique matricielle ? Et si c’était le cas, qui bénéficierait de l’antériorité ? On le voit : ce type de questionnement débouche sur une absence de réponse d’ordre humain. Cependant, s’interroger sans cesse est le meilleur moyen de maintenir son esprit libre et éveillé. L’interrogation permanente produit des antidotes aux toxines du conformisme médiatique’’ (p.71).

Nous voici aux antipodes du dogmatisme des traditionalistes qui, même lorsqu’ils se définissent comme ‘’intégraux’’ et se réclament d’Evola ou de Guénon, demeurent fréquemment incapables d’auto-critique, inaptes à soulever eux-mêmes des objections à leur discours, fascinés par ‘’le pessimisme foncier de la doctrine des âges, souvent porteur de désespoir ou d’inaction totale’’ (p.59).

Rodolphe Badinand est un authentique ‘’penseur libre’’ aussi éloigné de la fallacieuse ‘’libre-pensée’’ que de son primaire retournement traditionaliste, aussi étranger à la linéarité évolutive qu’à la descente sans frein de l’âge d’or à l’âge de fer. La ‘’spiritualité primordiale’’ ne serait-elle pas plutôt d’inspiration astrologique, c’est-à-dire fondée sur l’alternance de courbes ascendantes et descendantes, tributaires des angles tantôt harmonieux tantôt dissonants formés entre eux par les astres ?

Diverses formes d’astrologie caractérisent en tout cas les aires culturelles où Rodolphe Badinand discerne, en s’appuyant sur de récentes recherches anthropologiques, paléontologiques et archéologiques, l’empreinte des Boréens, ancêtres des Indo-Européens, grand peuple migrateur de la plus haute préhistoire ‘’ne rechignant jamais les rencontres avec les tribus indigènes’’ (p.68).

Celles-ci possèdent peut-être leur propre foyer d’irradiation culturelle, leur ‘’tradition primordiale’’ indissociable de leur ‘’’spécificités ethno-spirituelles » » (p.71). Dans la Grèce antique, parallèlement à l’exaltation mythologique du ‘’séjour des dieux’’ localisé au Nord et gardé à l’Occident par les Hespérides, à l’entrée du fameux jardin aux ‘’pommes d’or’’ que cueillit Héraklès et qui subjuguèrent la farouche Atalante, le scrupuleux Hérodote évoquait la possibilité de l’existence d’Hypernotiens, équivalents de nos Hyperboréens, matrice des peuple du Sud avec lesquelles nous sommes appelés à fonder une ‘’fraternité qualitative’’ (p.60).

En effet, ‘’la tradition risque d’avoir sa signification détournée et de devenir à son corps défendant un auxiliaire du fraternitarisme mondial’’ (c’est Rodolphe Badinand qui souligne) assimilable à ‘’un oecuménisme pervers ‘’ (Ibid). Sous le couvert de celui-ci peut de développer une forme spirituelle d’impérialisme et de domination mondiale à laquelle les Boréens étaient totalement réfractaires lorsqu’ils quittèrent leurs terres arctiques d’origine pour essaimer sur d’autres continents et fonder peut-être les cultures méso-américaines, l’Egypte pharaonique, la Chine du Céleste Empire.

Les historiens de notre famille de pensée saluent en Dominique Venner un guide incontournable dont Rodolphe Badinand se solidarise dans la critique de ‘’la conception guénonienne d’une seule tradition hermétique et universelle, qui serait commune à tous les peuples et à tous les temps, ayant pour origine une révélation provenant d’un ‘’ultramonde’’ non identifié’’ (p.60). A la suite du directeur de la Nouvelle Revue d’Histoire, l’auteur subodore dans le ‘’traditionalisme intégral’’ un ‘’syncrétisme équivoque’’ et une critique de la modernité ne débouchant ‘’que sur un constat d’impuissance’’ (Ibid.), ‘’l’attente millénariste de la catastrophe’’ (p.61).

Par delà les fausses alternatives Tradition-Modernité et Révolution-Contre-Révolution, la brillante anthologie de Rodophe Badinand, compilant des textes écrits ces dix dernières années dans L’Atre, Cartouches, Roquefavour, Eléments et L’Esprit européen, suggère de remonter aux sources vives de cet ‘’esprit européen’’ et de réfléchir à son adaptation au monde de demain et d’après-demain. ‘’Il y a du travail pour cent ans’’, écrivit un jour Robert Steuckers. Rodolphe Badinand est un des pionniers de ce siècle de renouveau de l’intelligence européenne, de cette ère de rayonnement retrouvé et de renaissance métapolitique, de cette nouvelle étape de l’aventure humaine où les Européens et fiers de l’être sauront être à l’écoute des sagesses fleuries sous d’autres latitudes, pour construire enfin une Terre harmonieuse et pacifiée.

 

Le Coin Littéraire - (novembre 2008) - Ex: http://www.alexipharmaque.nat/

mardi, 23 juin 2009

L'alternationalisme comme troisième voie économique

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L’alternationalisme comme troisième voie économique

Ex: http://frontalternationaliste.hautetfort.com/

Si nous voulons comprendre le sens économique de l’idée alternationale, il nous faut nous en éloigner quelque peu. La raison est que l’alternationalisme a une vision extérieure et intérieure de l’économie qui est un peu différente l'une de l'autre, de par son différentialisme inhérent. D’abord, le principe de base des néonationalistes1 est que tout est fonction de l’intérêt de la communauté nationale (autrement dit, le peuple), mais celle-ci se doit d’être conséquente de ce droit pour ce qui est des autres peuples. Alors si une certaine nation choisit un système économique plutôt qu’un autre, le principe alternationaliste veut qu’il y ait respect pourvu que le sien soit respecté. En somme, il ne s’agit que du bon vieux principe de « notre liberté s’arrête là où celle des l’autre commence ». Donc, nous n’imposerons pas un modèle économique précis à l’ensemble du monde, mais un respect défensif de notre principe. Donc pas d’hégémonie économique avec nous.  

 

Pour ce qui est de l’idée économique intérieur, notre vision de l’alternationalisme est directement liée au concept de troisième voie, qui est en autre une alternative au libéralisme ainsi qu’au communisme. Pour être claire, la liberté d’entreprendre continuera à exister, mais contrairement aux libéraux, nous considérons la primauté de l’intérêt national sur l’individuel. Il s’agit finalement d’une économie réglementée en fonction du bien commun, faisant la promotion d’une économie enracinée et selon les besoins réels du la population. Un exemple assez concret serait de mettre en place des moyens de contrôle sur les compagnies de services étrangères (comme Walmart ou Mc Donald, pour ne nommer que les plus connus) dans le but d’éviter qu’elles ne détruisent les commerces locaux. Cette volonté est basée sur le principe d’intérêt général, car si les gens vont dans ce genre de commerce, c’est bien évidemment pour payer moins cher (intérêt individuel libéral), mais si cela tue l’économie locale, au final cela rendra la collectivité plus pauvre et du coup tout le monde3. Cela est sans compter l’emprise politique que ceux-ci s’accapareront4. En promouvant le commerce local, les gens payeront peut-être plus cher sur le coup, mais de cette manière tout le monde s’enrichit (intérêt général). En somme, il s’agit d’un capitalisme réglementé en fonction de la situation du pays, il n’est donc aucunement exclu de faire du commerce avec d’autres pays pourvu qu’il soit équitable et démocratiquement décidé. 

 

Comme vous avez pu le constater, l’économie proposée s’oppose au libre-échange, car nous considérons que l’économie du monde ne doit pas être réduite à une grande économie de colonie (tout est exporté et importé). Nous considérons que chaque peuple doit s’auto-suffire le plus possible pour conserver leur autonomie politique et ainsi faire leurs propres choix. Ceci est primordial pour que le pouvoir reste aux mains du peuple5 et non pas dans celles de la ploutocratie financière, comme c’est le cas en ce moment.

 

Ce type d’économie est directement lié à une vision sociale de la société, car nous considérons que la souveraineté nationale est la condition primordiale du socialisme parce que s’il n’y a plus de contrôle sur l’économie, le principe de concurrence détruira inévitablement les mesures de justices sociales pour des raisons de compétitivités et donc de survies économiques. L’explication est que le capitalisme a une tendance naturelle à vouloir accroître son marché. Quand les compagnies deviennent mondiales, ils deviennent des multinationales, pour qui le salaire est une dépense totalement brute contrairement aux compagnies nationales, qui elles doivent entretenir leur marcher6 (ce qui n’est pas le cas pour les multinationales qui pillent un endroit pour être compétitif dans un autre). Au final, dans une économie néolibérale la planète s’appauvrit partout7 et le système finit par s’effondrer comme c’est le cas en ce moment8. Voilà pourquoi nous sommes favorables à une limitation territoriale du marché. Il est aussi non négligeable de souligner que ce type d’économie est la seule à être adaptée au concept d’éco économie9, contrairement au néolibéralisme qui est une fuite en avant sans réflexion sur l'avenir des ressources planétaire. 

 

Je conclurais en signifiant que l’économie néonationaliste est tout simplement une économie au service de l’homme parce que réglementé selon des principes humains et non administré par des principes mathématiques d’offre, de demande et d’intérêt individuel. Même si cette vision n’est que l’idée générale que l’on se fait du bon sens, elle reste une idée révolutionnaire10 au même titre que le marxisme, mais dans une optique de respect envers la nature humaine.       

 

Vortigern

 

  1. Dans notre contexte, alternationalisme et néonationalisme seront considérés comme des synonymes, ce qui n’est pas toujours le cas.
  2. Comme des tarifs douaniers qui viendraient baisser les avantages des multinationales (car profitant du salariat du tiers monde et du portefeuille des pays riches), ce qui rendra les entreprises locales compétitives.  
  3. Les grandes surfaces, en plus de l’évasion fiscale, de faire baisser les salaires, de s’opposer au syndicalisme et de ne retourne de l’argent que chez les grossistes, appauvrisse la population ce qui grossit leur marcher. Donc, la stratégie est poly machiavélique.  
  4. Grosse compagnie = beaucoup d’emplois = gros lobbies = contrôle politique assuré.
  5. Si la nation est le lieu de la démocratie, donc tout pouvoir au-delà devient antidémocratique.   
  6. En donnant de bons salaires, les employés peuvent acheter ce que la compagnie vend, et de cette manière ils soutiennent (ou améliorent) leurs ventes. Il s’agit, en fait, du principe du citoyen corporatif responsable.
  7. Au niveau global, si toutes les compagnies (même celles dans des pays où il y a consommation) voient le salaire comme une dépense brute, cette pression à la baisse finit par toucher la moyenne des salaires en pays industrialisés, ce qui fait baisser les ventes et ruine l’économie (surtout s’il elle est basé sur le secteur des services et de la vente, comme ces le cas en occident).    
  8. Les subprimes ne sont pas la cause fondamentale de la crise économique, car ce qui a poussé les prêteurs à faire des crédits à risque c’est le besoin de soutenir la consommation, malgré la baisse générale de revenu aux U.S. engendrée par la disparition de la production réelle (délocalisations) au profit de la finance et des services.   
  9. L’éco économie est un équilibre entre production économique et équilibre écologique, unique salut pour l’homme du futur.
  10. Comme le pouvoir est aux mains du capital, la révolution est inévitable pour reprendre ce pouvoir.

 

lundi, 22 juin 2009

Democracy, Revolution & Rejection

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DEMOCRACY, REVOLUTION & REJECTION:

Why We Should Reject Rather Than Revolt

 

From: http://freiekreis.wordpress.com/

 

 

 

The political soldier identifies himself, as he develops his ideology, with a given political institute, whether it be a party, a think group, an ideology, a book, a writer, a set of writers, or solely with himself. Either way, he will come to the conclusion that his ideas find or did not find fertile ground within the social reality he lives and functions in. Even the individualist anarchist is confronted with other people and their convictions and has to learn to communicate and function within these social relationships in order to exchange information, satisfy wants and needs of both himself and significant others. In this sense, F.A. Harper’s “hermit” is the only person that is truly free. For him, there is no social reality because he has excluded himself from any social relationship and any significant other, in order to be able to answer to his desire to reject a social reality. It must be said, a political or ideological idea or sentiment is not necessary for human interaction or a market situation. However it does define the perception of the (significant) other within his or her social and circumstantial context. It is even possible for an individual to reject any “idea” behind his actions, which of course puts human action back in its original sense of methodological individual choice as a result of a (semi-)rational cost-benefit analysis. On a general basis, it would not be wrong to state the overall ‘spine’ of our choices is intertwined with our image of ourselves, the other, society, metaphysical (non-)realities etc.

 

Even though there is no absolute reality and our definitions of any given word or subject (be it abstract or not) are never equal to the definitions of the (significant) others, we compare ourselves with those significant others and merely perceive that our social and personal views are similar or different. We compare and we match up with those that have similar views and use similar arguments to get to those similar views. Now we are divided in a number of fractions. Some fractions consisting of only one person, some of a great number of people, and some ideas we might imagine ourselves,  are not represented at all within our social reality at the time. Yet, even those who are the sole representatives of an opinion and therefore have an opinion monopoly, still have to interact with others in order to function, assuming he does not choose the path of the hermit and withdraws himself from the social reality, which is physically impossible under the present spatial conditions.

 

In order to plan their society, these commons find themselves on an idea market. Whether this society is a democracy or a dictatorship or anything in between is irrelevant, because nor the king nor the democratically elected representative is able to tell what the citizen or constituent or voter should think and steer your mind. And whether we like it or not, in the end the ideas that are ‘bought’ by a majority of social subjects mostly form and manage society. Not only is the king who suppresses his citizen majority with an oligarchic court and a rigid police force illegitimate, his regime has a very low stamina and the risk of failure is high. His means to maintain power (police, propaganda, repression, redistribution of wealth, etc.) are costly and its efficiency will remain low. However keeping these truths and historic facts in mind, over a large time span we can legitimately state that the opinions and ideas that have found fertile ground within the mind of the majority of a developed society will determine the course of that society. This only would work under two important premises: one, the opinions and ideas are effective and at least those who support these views (the majority) benefit from it more than they would benefit under another idea; and two, the majority stays a majority. If people lose interest or ‘external elements’ are added to the society which results in a decreasing number of supporters, the idea would implode and disappear or would at least be marginalised.

 

In this postmodern age of intellectual denomination and the (state-ignited) ideological supermarket and cultural/philosophical relativism that sprout from that, the inflation of ideas, views and ideological prostitution (democratization) has drastically devaluated the absolute value of the single view. The liberal media and political spectre have forced political soldiers to mellow out and incorporate “compromise” within their beliefs in order to disable dissidence and guarantee obedience. These truly are challenging times for the “real” political soldiers, who do not choose the path of the democratic farce and the party-political poker game. He who chooses the path of compromise is not a political soldier, but a diplomat. The political soldier will win or loose, live or die. His ideological flag is clear and unspoiled and shoots straight arguments at his enemies and wears a thick armour that is his credo. He is a noble warrior and should be a dignified victor or a worthy loser. Either way, the political soldier has a clear conscience, fighting for what he believes is right. The political diplomat on the other hand might have an idea as fierce and outspoken as the soldier, but will meet with his opponents in dark alleyways and negotiate. He will mellow his conviction out and therefore betray it. He waives the white flag of surrender, while it is truly the flag of defeat.

 

Doubting victory is admitting defeat. As is embracing compromise.

 

Whether these partycrats call themselves progressive or conservative is totally irrelevant. First of all do they embrace the party-political “game” and therefore can never be considered “progressive” or “reform-minded”, because they choose a system that promises victory, but at the same time guarantees defeat. Second, those who find themselves in or choose to be a part of the majority (the ideological majority and partial majority) can also be named nothing but conservative. He who is in power does not want to ‘change’ the scenery, for he is on the throne, and knows he gained power from the citizens under the present conditions. Even the so-called minority is truly conservative. It can only wait for the majority to make mistakes, and sell that to their electorate, under the present conditions. They are but grey vultures in a farce that is democracy. They can speak of change, but they never will, nor would they want it if they could. Even the libertarians and individual anarchists who choose the way of the party and embrace democracy are not in the clear. Even though their collaboration with the democratic majority spoils their whole mission. And power corrupts. It is unfortunately not certain that, if the libertarians would be on the political throne, they would truly diminish the state. For they are in charge and therefore have power. Power to steer. Power to influence. Power to “reign” in the libertarian ways.

 

Now, those in the political margins of society, who do not embrace the democratic dance of lies and deceit mostly are revolutionaries. They wish to ‘smash’ the system that defines these margins as margins and defines themselves as ‘norm’. But most of these barbarian smashers have an urge to rebuild. To swap roles. To change the rifle from one shoulder to the other. It is the dogma of most of the revolutionaries, especially the egalitarian leftist revolutionaries (the communists, national socialists, national Bolsheviks etc.), because they still do embrace the root of the democratic farce, namely the power of the majority. Whether it be the working class or the ‘elements of racial purity’, their revolution would succeed or fail depending on nothing but numbers. Their ideology is totally subjected to the numbers of its support. Which makes them nothing but democrats themselves. In a time of developed property rights and a strong sense of ownership in the minds of ourselves and others, thinking a revolutionary spirit is slumbering in the minds of the silent majority, is unwise. They are not silent from slumber, but hang on to what they have and what they know. The egalitarian “democratic” revolutionary will time and time again be disappointed by his supporters and therefore by his own ideas. The Russian Revolution failed eventually. Lenin thrived on social injustice and a pandemic identity crisis after a terrible defeat in a terrible war. He did not convince people of the socialist ideal, but convinced people to do away with the tsarist regime and the “old” institutions that clearly failed. If the Russians would truly be communists in their hearts, the Russian state wouldn’t have been smothered by party propaganda, the Polit Bureau and its statist bullying. The Bolshevik revolutionaries failed and will continue to fail, as long as they believe in the greater power of numbers, rather than the power of great ideas.

 

The elitist revolutionary does have a certain sense of intellectual honesty. He is honest enough to acknowledge that embracing the weapon of numbers is embracing democracy and therefore selling out your revolutionary principles. He is mature enough to see that an increase of support, what I call “supportive inflation”, implies a mellowing-out of basic principles in order to keep and keep receiving the new supporters, what I call “ideological devaluation”. He acknowledges that the self is the only one that will fully support and subscribe his own views and that the views of the significant other will always vary. He even admits that the larger the group he identifies himself with, the more his idea would have to devaluate in order to be able to make those connections with others. He therefore chooses to keep his ideological core group small. His basic premise is that this small fraction should gain power, “smash” the system and create an order to their liking, for the simple reason that they know how the system should be and function, and that the majority does not. So in a sense, the only way the differ from an everyday democrat is that the do not embrace the rules of majority versus minority. Whether they would imply an internal democracy or not is again irrelevant. The egalitarian revolutionary plays the game foul, but doesn’t cheat. The elitist revolutionary plays the game foul as well, but cheats in the process. In this sense, the egalitarian revolts in a more honest way, because he still applies the tit for tat strategy within the rules of his game. The elitist is a cheater. He first of all has to get some sort of a numeral advantage to “gain” power. However, he cheats the basic idea of the game theory by not participating in the tit for that. It is a sneaky and ineffective way to revolt. Changing the rules, winning and claiming you beat your opponent fair and square is cheating and this is bound to come back at you. It must not be stipulated any further that the elitist revolutionary needs a costly and effective institute to prevent a bottom-up revolution against their top-down elitism. Both by democratic and egalitarian revolution elements. A fine example of elitist revolutionaries were the Shogun dynasties in 18th and 19th century Japan, who managed to bring down the imperial Japanese state with a very modest number of supporters and warriors. They remained in power for a long time and had an effective government and did not participate nor cause many a conflict during their reign. But then again, they did “create” a system of their own, and for the ‘majority’ of Japanese citizens, the change of power did not matter a great deal for them and did not mess up their way of life or social reality drastically. Also the Roman civil war can be brought down to the elitist war between Marius and Sulla, the populares clan and the optimates clan. However, as understanding I am towards elitist revolution and how I tend to favour its ways over those of the of the egalitarian ‘democratic’ revolutionaries, I cannot support them fully. Never ever. They still believe in the power of successive systems as an answer to society’s problems and needs. They still believe in the power of overthrowing and rebuilding. In fact, their perception that they answer to society’s problems and needs is an illusion. Rousseau’s volonté general is an absolute illusion. There is but the aggregate of wants and needs from society’s subjects, but not a general interest that overrules the wants and needs of the civil subjects. It is their perception, their wants and needs projected with false argumentation to be “in the interest of society”. There can never be accurate ‘social’ planning, mere personal conviction and individual planning. A government, not even another person can “know” what is best for me, only perceive in his own imperfect perception what would be best for me, with the premise that HE would be ME in the given situation. Not that the Ego always knows what is best for himself, the empathy of the other is formed around his ability to put his in your place, not think in your place. Empathy remains an externality of egoism, as stated by Ayn Rand. Altruism is but the institutionalised version of empathy.

The fallacy of the elitist remains however the same. His sense of paternalistic empathy is charming, but wrong. The ruler thinks to rule in the way he THINKS is the best, and is therefore determined by his imperfect perception and entire imperfect human nature. Therefore his analysis of the world and even the perception of its problems are distorted. And as we all know, the first perfect human will be God. Even the leader who claims to act out the word of God will not act legitimately. For his perception of something that is claimed to be perfect will, yet again, be distorted through his imperfect persona. The elitist creates the majority in his own mind and acts as he pleases. In that way he is wrong, being blind towards his own perception and conditions of his nature. He might not think he is God, but his alleged divinity does prove him wrong.

 

What remains of ideas on this good earth, but those of the hermit, the democrat, the elitist and the egalitarian revolutionary? Is there another alternative? In a strict sense there isn’t. In order to manage a society these are the only ones you have. The hermit turns his back on society to live a truly free life. He quits the game, walks away and does not even consider whether he lost or won it. He has no need to play. Therefore no need to win.

The democrats play the game amongst each other in a civilized tit for that game. The winner can be king until he messes up and is defeated by the other democrat. The game does not change and the rules also stay the same. The democrats perform a civilized dance. It doesn’t get them anywhere, but it makes them feel good and safe.

The egalitarian revolutionaries also play along. They accept the rules (which does make them democrats) and when they see their chance, cheat. They play to win and when they seize control over the game, change the rules in their advantage. The egalitarian revolutionaries are cunning, but play at high stake, compromising their power with their numbers and their devaluated ideology. Their revolution is bound to end and bound to be succeeded by another revolution. This, of course, creates an incentive to have a “perpetual” revolution. In order to distract the supporting majority from puppeteering themselves, the puppeteer will constantly chance his mask and tell the spectators that the puppeteer is constantly changing. This is of course a lie, but a cunning way to reduce the chances of a counter-revolution that will sweep the egalitarian revolution away.

The elitist revolutionary does play along, but cheats from the beginning. It requires him, when not yet in power, to be already a part of an elite in order to gain power. The fact that there are consequences in order to be an elitist revolutionary, undermines his whole goal. His strategy is determined by his starting grid. An effective elitist putsch needs help in the right places. And how it will, once succeeded, maintain his power and sell it to the silent “ruled” majority, is unknown. The cost of keeping everyone satisfied and quiet will be very high.

 

Yet, there is another option. Nor is it democratic, nor is it revolutionary, nor is it the way of the hermit. The hermit doesn’t want to play the game. The democrat plays the game according to the rules. The egalitarian revolutionary plays the game according to the rules and changes both game and rules when he wins. And the elitist cheats. Both his counter players, the game and even himself.

 

Yet, there is the political soldier that turns his back from the battle and builds himself a castle. Like Harper’s hermit, he turns his back on the game and refuses to play. But unlike the hermit, he does not withdraw himself from his social reality in order to be truly free. This political soldier withdraws him solely from the game, but remains wandering across the battlefield, across the game table. He is the rejecter. He does not want to play the game, for he knows he already won. In his castle he is king, and outside he is not.

The revolutionaries believe in the power of successive systems. One changing the other and changing the other, time and time again. They do not see that the problems does not lie in the system, but is the system and is any system.

 

The democrats feel safe within their game but are hypocritical stagnant dancers. The egalitarian revolutionary just changes systems. He just puts on another record and performs another dance. Yet his dance is as stagnant and slow as the democrats’ dance, for he beliefs in the power of great numbers, not in the power of great ideas.

The petty elitist lives but in the greatness of his own mind and is drunk with interventionist compulsion. He has a great idea, but does not seem to see that it is but projected on himself and not on his people. Therefore he identifies others with himself, which makes him an egalitarian after all and which makes him the saddest revolutionary of them all.

 

Now the rejecter is noble and truthful. He is in his castle, minding his own business. Does not care about the thoughts of others but those of himself. He does not care whether his views are shared by others or not. He has no desire to play the game, only desire to interact when he has a need or a want. The rejecter looks solely for satisfaction of himself and of those he loves. He does not seek power. In fact, he rejects even the existence of the game. He is the only one who sees that power over oneself is already a difficult and precise science. He has no wish to have institutionalised power over another, let alone their minds or the entire society.

For the rejecter truly is the noblest of political soldiers. By not being one. He rejects the polis. He himself is a polis. He keeps his ruling to himself. The rejecter is a truly great person. And for all I know, I’m the only rejecter I’ve ever met.

La grande escroquerie qu'est le socialisme libéral

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La grande escroquerie qu’est le socialisme libéral

Ex: http://frontalternationaliste.hautetfort.com/

Notre époque vit, depuis la chute du mur de Berlin, le libéralisme comme idéologie profondément dominante. Une idéologie libérale qui exalte le droit individuel au point même de ne pas excuser certaines nuisances qu’elle suscite à l’ensemble des groupes communautaires et sociaux que forme la société. Sans aller plus loin sur les nuisances identitaires que cause le libéralisme, je voudrais mettre l’accent sur les notions de justice sociale dans le cadre du libéralisme (souvent appelé social-démocratie) pour en démontrer les contradictions et l’escroquerie.      

 

Le protectionnisme et la xénophobie

D’abord, nous remarquons communément l’aigreur qu’ont nos clercs néolibéraux quand ils entendent le simple mot de protectionnisme. Ces messieurs, dirait-on, y voient une espèce d’hérésie dans le simple fait de le prononcer, comme s’il était scientifiquement prouvé que le concept est faux, comme le créationnisme ou autres aberrations du genre. D'ailleurs, on croirait parfois que ces gens voient l’économie comme un phénomène naturel, comme la météorologie ou la cosmologie. Il est important de souligner qu’une pratique économique ne peut pas être fausse tout simplement parce qu’une autre ne peut pas être vraie, car il s’agit de techniques et non de faits absolus, mais ceci est un autre débat. Ce qui est le plus troublant aujourd’hui, c’est l’absence de débat sérieux sur la question du libre-échange[1] et le fait que celui-ci soit présenté comme l’avenir indépassable de notre temps, un dogme ou même pire, la fin de l’histoire. On nous parlera du protectionnisme comme d’une idéologie rétrograde, voir réactionnaire et l’on n’hésitera pas à utiliser des mots à fortes connotations symboliques (comme replie sur sois, peur de l’autre et j’en passe c’est les meilleurs) pour la discréditer. Ce qui ne marche pas avec cette rhétorique ridicule, c’est que ce sont des notions, certes bien belles à dire, mais n’ayant strictement aucuns rapports avec l’économie. Ces notions s’appliquant beaucoup plus au niveau des comportements individuels qu’aux choix économiques, mais sont d’excellents moyens d’éviter le débat. Ensuite, après nous avoir traités réactionnaires, on nous lapidera d’arguments qui n’ont encore une fois rien avoir avec l’économie et qui sont supposés nous convaincre que le libre-échange c’est l’ouverture à l’autre, c’est l’échange des cultures, du savoir-faire, etc. Les néolibéraux sont assez forts là-dessus et savent utiliser la psychologie symbolique de l'ouverture et de la fermeture pour justifier des mesures liberticides et antisociales avec des notions qui n'ont rien à voir avec l'économie. Par ce terrorisme intellectuel, ils réussiront à convaincre que leurs mesures sont progressistes et seront donc acclamées par les sociaux-démocrates (aussi complice de cette dégradation) comme avancée inconditionnelle du droit individuel dans ce monde qu'ils veulent postmoderne.

 

La social-démocratie et le libéralisme

Dans l’échiquier politique de l’Amérique du Nord, les sociaux-démocrates sont considérés comme étant la gauche et les conservateurs comme étant la droite (les néolibéraux se considèrent généralement comme de droite, mais peu ou pas du tout conservateur). Sur cette échelle, nous remarquons tout d’abord que l’ensemble est complètement libéral, mais ce qui est plus étrange encore que le fait qu’il n’y est aucunes alternatives à cela, c’est que le concept de libéralisme est en opposition avec ce que l’on pourrait appeler la doctrine conservatrice ainsi que celle appelée socialiste. La contradiction majeure pour le camp des libéraux conservateurs est que pour conserver et vouloir conserver, il faut imposer des principes moraux à tous. Ce principe, croyez-le ou non, est en contradiction directe avec le principe fondamental du libéralisme qui est la sainte liberté individuelle de choisir ce qui est bien et ce qui est mal. Alors pas de bol les libéraux réacs, vous vous faites arnaquer. Ensuite, avec les sociaux-démocrates (qui sont l’objet de ce texte) il y a aussi contradiction, car le même droit individuel (toujours plus important que le droit communautaire, selon la doctrine libérale) empêche la mise en place de mesures sociales, car contraignantes pour l’individu[2] roi. Évidemment, et c’est bien ce qui leur est reproché par les libéraux purs et durs, c’est de ne pas respecter fondamentalement les principes libéraux en imposant de lourdes taxes, d’ingérer la vie des gens, ainsi que de mettre en place certaines lois de préservations culturelles (mais quand même très minimales). Mais là où ils respectent très bien ce principe, c’est dans la notion de libre-échange, où ils n’auront pas l’audace d’empêcher la libre circulation des biens, des capitaux et des hommes, notion cher au libéralisme pour que nous puissions jouir de l’ouverture sur le monde, cette belle allégorie qui n’est rien d’autre que du terrorisme intellectuel… car aucuns gauchistes sociaux-démocrates ne voudraient, même pour le salut du monde, être associé à un ignoble réac de droite (équivalent contemporain du suppôt de Satan). Encore une fois, la psychologie est l’arme parfaite qui tue les penseurs les plus éclairés, car il y a évidemment des convergences de principe entre réacs et gauchos, même s’ils ne peuvent faire autrement que de les refouler pour mieux se combattre et ainsi faire rire les néolibéraux.

 

Mais dans le fond, c’est quoi le problème entre libre-échange et protections sociale ? Bien, c’est une simple question de logique. Comme les frontières sont ouvertes et que ces pays étaient jadis des espaces économiques différents et avec des potentiels différents (dû a des choix économiques tout aussi différents), les entreprises suivent la logique de l’optimisation en produisant sur les espaces où c’est pas cher et vendent sur les espaces où il y a du fric, étant donné qu’il n’y a plus rien n’a respecter. Bien sûr, en délocalisant massivement, ils détruisent leur marché (où il y a du $), mais comme leur logique est : après moi le déluge… et bien ils s’en fichent (à l’instar de l’environnement dois-je ajouter). Pour mettre cette notion en images concrètes, je la comparerais aux ti-vieux Québécois qui passent leur retraite aux U.S. parce que ça ne coûte pas cher de taxes et d’impôts[3]. Mais évidemment, ceux-ci retourneront au Québec quand ils seront malades pour se faire soigner gratuitement. En somme, ils veulent le beurre et l’argent du beurre comme le dit le proverbe et cela est logique, ils ne suivent que leurs intérêts individuels, comme les grandes compagnies le font. Cette logique engendre un déséquilibre qui aboutit à la ruine de l’économie là où il y a des mesures sociales et avantage là où il n’y en a pas. En fait, un équilibre vers le bas se crée mécaniquement entre les états et justifie la volonté de gouvernance mondiale que nous connaissons aujourd’hui. Pour cette raison un système social se doit de cloisonner minimalement ses contributeurs pour des raisons d’intérêt général et en cela cette mesure est parfaitement antilibérale. Donc, c’est pour protéger leur marché qu’il faut empêcher les entreprises de délocaliser, car eux ne sont pas dans une logique morale ni même sur le long terme, mais dans une logique marchande et immédiate. Donc, ce qui est mauvais dans la social-démocratie ce n’est pas sa volonté d’aider les pauvres par la redistribution, mais son entêtement à ne pas régler le problème à la source, car si l’on n’empêche pas les entreprises de délocaliser nous ne produiront bientôt plus rien et à part le secteur tertiaire (et encore…), il n’y aura pas de travail, donc plus de pauvreté, donc plus de demandes sociales et d’assistanat, donc plus d’impôts et de taxes, donc plus de délocalisation et plus de ti-vieux en Floride, et ainsi de suite. En somme, les protections sociales ne peuvent avoir d’avenir pour ces raisons et que, telle l’eau sur le roc, le libéralisme dissoudra toutes mesures sociales pour finalement ne garder que le bon vieux droit individuel qui, ne l’oublions pas, ne veux rien dire quand on a pas le minimum pour survivre.

 

Le vrai socialisme est antilibéral

Comme je l’ai expliqué dans mon article précédent[4], si nous voulons sortir du capitalisme sauvage (obligatoire avenir de toutes théories libérales) sans tomber dans l’opposé tout aussi grotesque qu’est le communisme, nous devons définir un espace économique et le réglementer par un pouvoir moral. Selon moi cela pourrait être la nation, car déjà existante et régie moralement par le suffrage universel (du moins, elle devrait l’être), mais cela pourrait tout de même être autre chose, malgré tout là n’est pas la question. L’intérêt de cette idée est qu’elle a le potentiel de stopper la logique de l’intérêt individuel qui, autant chez les gens que chez les entreprises, nous dirige vers un monde complètement totalitaire où les gros peuvent asservir les petits par le jeu du droit négatif[5] (ou contrainte par le manque), car le droit négatif nous rends peut-être libre de faire ce que l’on veut, mais ne nous nourrit pas pour autant. Pour terminer, il ne faut pas oublier que si la social-démocratie est tolérée par les clercs néolibéraux, contrairement aux vrais socialistes qui eux sont diabolisés, c’est tout simplement parce que leur système se détruit par lui même et qu’il dévie du coup les vrais débats concernant les inquiétudes légitimes des citoyens sur leur avenir.   

 

Vortigern Zifendel

 



[1] Fondamentalement le débat est entre alter mondialiste et mondialiste qui sont tout deux libre échangiste

[2] Le débat sur le droit d’allez ou non dans des cliniques privées au Québec en est un bon exemple.

[3] Au U.S. il n’y a pas de protections sociales, donc il y a moins de taxes et d’impôts

[4] L’alternationalisme comme troisième voie économique

[5] Le droit négatif est le droit de ne pas être empêché de faire ce que l’on veut, alors que le droit positif est le droit d’avoir quelque chose comme de la nourriture ou un logement par exemple.

Le problème du totalitarisme chez Domenico Fisichella

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SYNERGIES EUROPÉENNES - MAI 1988

 

 

Le problème du totalitarisme chez Domenico Fisichella

 

 

par Marco Tarchi

 

 

On a beaucoup parlé du totalitarisme, on a beaucoup écrit à son sujet depuis une quarantaine d'années, et pas souvent à bon escient. La résonance "sinistre" de ce vocable a servi à canaliser le jugement de l'opi-nion publique contre l'option dangereuse qu'il représentait, à susciter d'incessantes polémiques journa-lis-tiques et à soulever des vagues d'indignations et d'é-motions chez les intellectuels. Après les péri-pé-ties de la guerre froide, pendant laquelle le terme fut brandi comme une épithète infâmante dans la lutte qui opposait l'Occident à l'URSS de Staline, l'alliée ré-pudié des USA, que l'on comparait allègrement à l'Allemagne hitlérienne, l'ennemie sans cesse exé-crée, l'expression "totalitarisme" est ressortie de temps à autre pour désigner le danger que repré-sen-tent les régimes éloignés de l'idéologie et de la pra-xis libérales. D'aucuns, comme le célèbre économis-te Friedrich von Hayek, l'ont utilisée pour disquali-fier en bloc toute forme d'expérience socialiste.

 

 

Né des passions politiques  —les premiers à l'utili-ser furent Amendola et Basso pour fustiger le régime de Mussolini qui, aussitôt, s'en est emparé à son pro-fit, pour en inverser la charge négative—  le mot est rapidement entré dans le vocabulaire de la polito-lo-gie, non sans réserves et précautions. D'une part, l'adjectif "totalitaire" a servi pour identifier et dési-gner des formes de gouvernement que l'on ne pou-vait pas faire entrer dans les catégories classiques d'analyse, forgées par Aristote. D'autre part, on ne pouvait pas ne pas relever le fait que ce terme syn-thétique permettait de mettre en lumière des affinités évidentes entre des régimes inspirés d'idéologies op-po-sées, tout en occultant simultanément les diffé-ren-ces substantielles qui pouvaient exister entre ces ré-gimes.

 

 

Le "totalitarisme": deux générations de politologues se chamaillent à son propos

 

 

Deux générations de sociologues, de politologues et de philosophes de la politique se sont chamaillés à propos de ce terme tabou, sans parvenir à trouver un accord. Les principaux de ces théoriciens ont repéré qu'au 19ème siècle ont émergé divers systèmes pour-vus simultanément 1) des caractéristiques typi-ques des autocraties et des dictatures (une aversion à l'égard du pluralisme politique et de tout contrôle du pouvoir souverain venu "du bas", hypertrophie des pré--rogatives du Chef,...) et 2) de caractéristiques is-sues des modèles démocratiques (légitimation popu-laire, degré élevé de participation des citoyens à la vie publique). Pour ces théoriciens, il est impossible de comprendre et d'étudier la nouveauté et l'origi-na-lité de telles expériences sans créer un critère de clas-sification adéquat, une dénomination ad hoc. La ré-pli-que de leurs adversaires, c'est de dire qu'il y a soit une ambigüité structurelle au sein même de la notion soit que l'application de cette même notion entraîne des distorsions dues à son instrumen-tali-sation. Sartori, Barber, Spiro sont des auteurs qui se sont prononcés dans le sens de ce soupçon. La pal-me du refus revient indubitablement à Georges Mos-se, devenu célèbre pour ses études sur le national-so-cialisme. Son jugement, il l'a exprimé dans Intervista sul nazismo  (1) (= Entrevue sur le nazis-me), accordée à Michael Ledeen; ce jugement est sans appel: le totalitarisme "est un slogan typique de la guerre froide. Il surgit dans les années où il s'avè-re nécessaire de stigmatiser d'un seul coup tous les adversaires des démocraties parlementaires. C'est de ce fait une généralisation fausse; ou, pour dire mieux, c'est, de façon typique, une généralisation qui découle d'un point de vue libéral [...]. Entre Lé-nine, Staline et Hitler, les différences sont grandes et, de plus, les différences entre fascisme et bolché-visme sont énormes. Le concept de totalitarisme voile ces différences, parce qu'en l'utilisant, on en arrive à regarder le monde exclusivement du point de vue du libéral".

 

 

Le concept "totalitarisme" n'est pas infécond

 

 

En entendant ce réquisitoire, on serait tenté de croire que le terme "totalitarisme" est scientifiquement in-fé-cond. Domenico Fisichella, professeur ordinaire de sciences politiques à l'Université de Rome, ne le pense pas. Depuis dix ans, il s'applique à soustraire le mot "totalitarisme" à l'hégémonie de la sous-cul-ture journalistique, avec pour but de le restituer à la science. Il a commencé à le faire dans une série d'es-sais publiés dans Intervento  et Diritto e società,  puis dans un livre devenu célèbre, Analisi del tota-li-ta-rismo,  qui a rapidement connu deux éditions chez l'éditeur D'Anna (en 1976 et en 1978). Aujourd'hui paraît une version mise à jour, remaniée et étoffée, Totalitarismo. Un regime del nostro tempo,  livre ri-goureux dans la méthode et remarquable quant à son épaisseur théorique. C'est une étude vivante et docu-mentée, qui, de ce fait, se prête tant à une introduction exhaustive à l'argumentation qu'à une amorce de discussion.

 

Le pivot central de l'analyse de Fisichella, c'est la con-viction de l'utilité de la notion de "totalitarisme". Celle-ci peut, d'une part, être définie de manière co-hérente, afin d'éviter des tiraillements d'ordre instru-mental ou des usages hors de propos, et, d'autre part, être appliquée à toute une série de cas concrets. Ainsi, le concept peut être conservé car il possède une "capacité prédictive": si l'on est en mesure d'en reconnaître la nouveauté, cette nouveauté qui "obéit au conditionnement d'une société technologiquement avancée", on pourra finalement lancer l'hypothèse que "tous les totalitarismes qui se sont succédé jus-que aujourd'hui constituent à peine les premières épreu-ves, les premiers essais, d'un spectacle qui con-naîtra des suites de grande ampleur et de grande fréquence".

 

 

Le totalitarisme: une réponse à la fragmentation de nos sociétés industrielles avancées

 

 

Première donnée factuelle que nous pouvons retirer de la recherche de Fisichella: le totalitarisme appar-tient de plein titre à notre époque. C'est une réponse à la fragmentation culturelle et sociale qui est typique des sociétés industrielles urbaines. C'est une formu-le qui se destine à éviter la multiplication des conflits locaux et à imposer une sorte de mystique collective aux effets mobilisateurs. C'est une expérience qui n'en-tre pas forcément en contradiction avec la démo-cratie mais s'enchevêtre dans le réseau même de cel-le-ci, comme l'avait déjà bien deviné Jacob Talmon qui, dans Les origines de la démocratie totalitaire (2), analysait les applications qu'avaient déduites les Jacobins de la pensée de Rousseau.

 

 

Pour comprendre le sens de ce concept, il faut donc l'im-merger dans son temps propre, le délimiter tem-porellement, comme c'est la règle dans toutes les sciences sociales, et il faut éviter les transpositions ha-sardeuses, telles celles qu'ont essayés des auteurs comme Barrington Moore (3) qui émettait l'hy-po-thè-se que des totalitarismes avaient déjà existé dans la Chine antique, dans le Japon féodal ou dans la Ro-me de Caton. Dès que cette immersion a été opérée, la "nouveauté" totalitaire émerge clairement: les formes politiques qui l'incarnent ont toutes comme pré-mis-ses l'aliénation et l'homologation des citoyens, ce qui est typique pour les pays où l'accélération du développement technologique a fracassé les modes de vie basés sur les groupes primaires (la famille, la communauté villageoise). Le caractère démocratique du totalitarisme repose en fait sur la légitimation de la part des masses; jouissant d'une telle légitimation, le totalitarisme exprime dès lors un consensus basé sur le grand nombre, sur les agrégats générés par l'urbanisation et le déracinement.

 

 

Domenico Fisichella, un disciple de Hannah Arendt

 

 

A partir d'une telle prémisse  —c'est-à-dire l'iden-ti-fication de la "société de masse" à un lieu où les to-ta-litarismes connaissent une incubation—  s'arti-cu-le toute la construction théorique de l'essai de Fisichel-la: c'est en elle que nous pouvons découvrir l'élé-ment du livre le plus stimulant, le plus producteur de discussions fructueuses. La source principale d'ins-pi-ration du politologue romain, c'est Hannah Arendt, ce qu'elle a dit du totalitarisme et ses obser-va-tions critiques consignées dans Les origines du tota-litarisme.  Bien sûr, dans son introduction et dans le corps de son texte, Fisichella corrige ou atténue quel--ques-uns des aspects les plus tranchés de l'ou-vra-ge-clef de la politologue et philosophe germano-américaine. Le raisonnement de Fisichella, sur ces points, se fait complexe; et pour pouvoir accéder au moins aux traits les plus saillants de ce raisonnement, il me paraît opportun de donner un ordre ana-lytique à la matière, avant de signaler les caracté-ris-tiques du totalitarisme selon Fisichella et, enfin, de lui adresser quelques objections.

 

 

Le totalitarisme a connu le succès, écrit Fisichella, dans les pays où il s'est imposé (les deux cas qui guident la démonstration de Fisichella sont l'Alle-magne nationale-socialiste et la Russie soviétique), parce qu'il a proposé une réponse à la crise de l'Etat, tant de l'Etat démocratique parlementaire que de l'E-tat encore lié à la formule autocratique. Cette crise, amorcée par la multiplication des acteurs politiques et sociaux de masse, déséquilibre en conséquence les systèmes de représentation, et ne peut être perçue comme un résultat du totalitarisme mais comme une donnée continue. A la perte des capacités identifica-trices des institutions étatiques, Lénine et Hitler ne ré--pondent pas, en fait, par une action coercitive restauratrice  —comme dans la tradition des golpe auto-ritaires—  mais par la consécration d'un nouveau su-jet, le parti, qui monopolise le pouvoir. Le mouve-ment de crise se projette du coup au-delà de l'Etat et le parti reproduit celui-ci, opère une duplication, et en amplifie les fonctions, créant simultanément une situation inédite, dans laquelle les compétences et les attributions d'autorité sont réparties selon des nor-mes non écrites et variables, selon les convenances du moment.

 

 

Le totalitarisme: un régime de révolution permanente

 

 

Le totalitarisme est de ce fait, d'après Fisichella, le ré-gime des révolutions permanentes, du nihilisme au pouvoir, de l'incertitude et du mouvement. Dans le to-talitarisme, on ne parvient jamais trop à savoir où se situe le véritable centre de la légitimité ou de l'au-to-rité: chez le Chef? Au parti? Au gouvernement? Dans la bureaucratie? A l'armée? La réponse varie se-lon les époques et aussi selon la position de l'ob-servateur.

 

 

Parce qu'il naît en réponse à un processus de mas-si-fication  —c'est-à-dire de "dissolution des libres as-sociations et des groupes naturels, d'applatissement des pyramides sociales, de liquéfaction des diffé-rences individuelles et des innombrables agrégations de la communauté vivante en une masse grise"—  le to-talitarisme émerge seulement de "situations de catastrophe, ou précipite celles-ci"; il révèle "comme symptôme initial de la "réaction de désastre" un "dé-sorientement total"". Dans un tel désarroi généralisé, face au "caractère plastique et dépourvu de forme de la personnalité des masses", face à l'"homme-mas-se" qui est "sembable à un récipient, toujours prêt à être rempli", le pouvoir totalitaire, qui considère que la révolution est un "office constant", met en acte un projet original de construction de l'homme nouveau, destructeur du vieil ordre démocratico-libéral et fon-dateur d'une ère nouvelle.

 

 

Le totalitarisme: expression politique du "mouvement" du monde

 

 

Les intuitions de Hannah Arendt sur le caractère "de mouvement" que détiennent toutes les expériences to-talitaires, Fisichella les développe et les remodèle sys-tématiquement. Le cadre qui ressort de ce travail de remodelage permet de définir le totalitarisme com-me un régime politique situé au-delà de la loi, qui est dans la perpétuelle impossibilité de se stabiliser, qui, pour éviter toute mise en sourdine, laisse toujours pla--ner une certaine incertitude quant à ses mouve-ments prochains et qui demeure imprévisible quant à ses choix stratégico-politiques et aux sanctions qu'il serait amener à prendre.

 

 

Si l'on garde à l'esprit qu'au fond de toute solution totalitaire, il y a une espérance de type millénariste, un espoir de voir surgir définitivement un "ordre nouveau" qui ferait table rase de la mentalité bour-geoise et de tout ce que celle-ci a produit antérieu-rement, on comprend pourquoi les régimes sovié-tique et nazi ont tenu à maintenir un haut degré de mobilisation populaire, afin d'étouffer le domaine du "privé", par le biais d'une expansion paroxystique de la vie et des devoirs publics. Tel est le premier stra-tagème destiné à bloquer la formation de cette mul-tiplicité de goûts, de styles, d'aspirations et de tendances qui agissent en substrat dans les sociétés pluralistes. Et parce que cette mobilisation "sans par-ticipation" (car, dans le langage de l'auteur, elle est "hétérodirecte", stimulée d'en haut) est constante, le régime impose une guerre civile institutio-nalisée, qui désigne toujours de nouveaux ennemis contre lesquels il s'agit de lutter, et installe l'"uni-vers concentrationnaire" et la terreur en guise de structures politiques afin de détacher les individus hostiles du tissu social.

 

 

Le totalitarisme a besoin d'ennemis

 

 

La propagande et la mobilisation nationales-socia-lis-tes et bolchéviques, souligne Fisichella, sont de type "guerrières et révolutionnaires" et insistent forcé-ment sur les embûches que dressent sournoisement l'"ennemi". Le totalitarisme a donc nécessairement be-soin d'une pluralité d'ennemis pour faire miroiter aux masses qu'il reste un objectif à atteindre. L'in-ven-tion technique du totalitarisme, son coup de gé-nie stratégique, c'est d'indiquer un ennemi objectif qui est tel par configuration métaphysique (c'est le juif ou le "contre-révolutionnaire" potentiel) et, étant de nature métaphysique, il est inépuisable. Avec un éventail de stéréotypes martellé dans les crânes à qui mieux-mieux, doublé d'une théorie conspirative de l'histoire, rendue élémentaire et suggestive, Lénine et Hitler  —mais aussi leurs émules, fidèles, colla-bo-rateurs et successeurs—  finiront en effet par con-vaincre les masses que la révolution et l'ordre nou-veau sont constamment menacés et que dès lors, il n'est pas licite de "baisser la garde".

 

 

Schématiquement, on peut dire que Fisichella met bien en évidence l'essence authentique du totalita-ris-me en signalant sa vocation anti-pluraliste et massi-fiante et en décrit toutes les conséquences pratiques ul-té-rieures (subordination radicale de l'économie à la politique, fin de l'homo oeconomicus, a-classisme, pré-disposition des masses au sacrifice par défaut d'un cadre stable et reconnaissable d'intérêts, etc.). Fi-sichella en arrive ensuite à sa conclusion provo-catrice et, partant, intéressante; il dit qu'étant radi-calement révolutionnaires, tous les phénomènes tota-litaires sont de gauche (le national-socialisme com-pris, dont le caractère anti-bourgeois est répété et attesté). Le livre de Fisichella affronte, chapitre après chapitre, les nœuds principaux de cette ques-tion, dont le problème de la "nouveauté" du totalita-risme, le système de terreur, la révolution permanente, la transformation de la société, le consensus. De plus, ce livre passe en revue deux autres régimes que l'on pourrait encore qualifier de "totalitaires" et introduire dans la catégorie des totalitarismes: 1) le fascisme italien que Fisichella, documents à l'appui, exclut du domaine totalitaire, le considérant au con-traire comme un exemple d'"Etat total" ou "to-ta-liste" et 2) la Chine maoïste qu'il inclut dans sa catégorie du totalitarisme.

 

 

Une nouvelle typologie qui distingue "totalitarisme" et "autoritarisme"

 

 

Dès que l'on referme cet ouvrage, les stimuli de ré-flexion et de discussion apparaissent trop nombreux, trop importants, pour pouvoir être tous consignés dans une simple recension. Certes, plusieurs affir-mations de fond posées par Fisichella ne peuvent qu'ê-tre retenues et, tout d'abord, la rigoureuse distinc-tion qu'il opère entre les régimes totalitaires et les régimes autoritaires. Cette distinction permet d'affir-mer l'utilité du concept de "totalitarisme" (ce que nous avions déjà exprimé dans notre livre Partito unico e dinamica autoritaria  (4), qui aborde le pro-blème de la place structurelle et fonctionnelle du parti dans les systèmes non compétitifs).

 

 

Il reste à voir a) si cette typologie n'a pas besoin de spé-cifications ultérieures; b) quand et à quelle réalité elle peut s'appliquer; c) si sont fondés les arguments des théoriciens de la "société de masse", sur laquelle repose la lecture du totalitarisme comme régime de mo-bilisation permanente.

 

 

Sur le premier point, il me semble que sont per-tinentes les observations de Juan Linz dans son essai si souvent cité: Totalitarian and Authoritarian Regimes. La catégorie linzienne du "régime auto-ri-taire de mobilisation" permet en effet de mieux ren-dre compte des analogies indéniables, d'ordre idéo-lo-gique et pratique, que néglige la dichotomie habi-tuelle entre autoritarisme et totalitarisme. Dans cette perspective, la lecture que donne Linz des fascismes (national-socialisme inclus) s'avère particulièrement efficace: l'identification des sous-types au sein du ge-nus commun autoritaire permet une modulation plus efficiente, finalement, du spectre des différentia-tions.

 

Y a-t-il encore du "totalitarisme" dans le monde?

 

 

Un autre problème sérieux, mais ultérieur, est celui qui peut être réduit à deux questions: quels sont les régimes qui peuvent se dire "totalitaires"? Et s'ils ne le sont pas entièrement, à quel moment le sont-ils? Dans les pages du livre de Fisichella, émergent quel-ques doutes: l'auteur se dit sceptique quant à la pos-sibilité de considérer comme achevée la transition du totalitarisme à l'autoritarisme dans les régimes com-mu-nistes d'Europe de l'Est. Comment est-il possible de repérer les caractères centraux de la définition fi-sichellienne du totalitarisme dans des pays comme la Pologne actuelle, la Hongrie ou la RDA? Et l'"u-ni-vers concentrationnaire" est-il bel et bien existant en Tchécoslovaquie ou en URSS? Et la tendance domi-nante de ces systèmes, tend-elle vers la massi-fica-tion, vers l'anti-pluralisme, vers le contrôle rigide du secteur public sur l'économie? Il nous semble que l'on ne puisse pas du tout l'affirmer péremptoi-re-ment. Et c'est là précisément que surgit le problème que suscite toute lecture arendtienne du totalitarisme: si on l'adopte de façon a-critique, et si l'on partage avec Fisichella l'idée d'une actualité persistante du modèle totalitaire, on finira par ne plus réussir à trou-ver une réalité qui l'incarne. Certes, il y a l'Al-ba-nie. Ou la Roumanie. Sans doute l'Iran (mais que dire du rôle du parti?). Et que penser de Cuba, ou du Vietnam? Et ensuite?

 

 

Corriger le jugement de Hannah Arendt et de ses disciples sur le nazisme

 

 

Le punctum dolens de ce discours, en général, c'est le problème de la "société de masse" et de ses con-sé-quences. La thèse des Arendt, Kornhauser, Sig-mund Neumann, Lederer, etc. a connu pendant quel-ques décennies une vaste popularité et a con-tri-bué a forger le concept de totalitarisme tel que l'ont accepté les sciences sociales. Aujourd'hui, ce con-cept vacille sous les coups de la critique empirique qui en dévoile le substrat philosophique et les préju-gés de valeur. Bernt Hagtvet a très bien démontré, dans son brillant essai intitulé The Theory of Mass Society and the Collapse of the Weimar Republic: A Re-Examination  (5), que la société de Weimar, dont est issu le national-socialisme, était tout autre chose qu'un agrégat social informel et atomisé, dépourvu de toute agrégation d'intérêts reconnaissables et légi-timés: cette République de Weimar était au contraire un réseau dense de réalités associatives des genres les plus divers, réseau que la NSDAP a pu conquérir de l'intérieur dans la plupart des cas, grâce à une capacité d'identification multiforme et élastique. Ri-chard Hamilton (in: Who voted for Hitler?)  et Thomas Childers (in: The Nazi Voter)  ont pu dé-montrer, dans leurs études remarquables quant aux élections, que le degré maximal de consensus en fa-veur du nazisme en marche ne provenait pas des périphéries des métropoles, habitées par des déra-cinés, mais des petits centres agricoles et commer-ciaux. D'autre part, il est vrai que les strates sociales à l'identité la plus solide, comme les catholiques et les ouvriers socialistes, sont celles qui résistèrent le mieux à l'avance hitlérienne. Il n'empêche que ce qui a attiré les individus les moins imbriqués, les moins dotés d'identité sociale, ce fut la promesse de "démobiliser de manière coercitive les conflits", pro-messe qu'incarnaient les nationaux-socialistes, et non le projet de "révolution permanente".

 

 

L'effet de "rassurance"

 

 

Fisichella a néanmoins raison quand il affirme que le totalitarisme "inclut dans son utopie, en tant que dé-passement des frustrations et des insécurités déri-vées d'un état historique dense de tensions, la fin ra-dicale et définitive du conflit, lequel est dissous fina-le-ment dans la "communauté du peuple" et dans la so-ciété sans classes". Mais Fisichella nous convainc moins quand il ajoute que, par un contraste para-doxal, le totalitarisme "s'auto-attribue (et se destine à) une vocation radicale et permanente au conflit et à la guerre". Il nous apparaît toutefois que le citoyen qui obéit à un gouvernement totalitaire n'obéit pas à une angoisse d'insécurité (chose qui est réservée au dissident, à l'opposant) mais à un effet de "rassu-rance", qui non seulement demeure mais se renforce au cours du passage du mouvement totalitaire à la "pillarisation" du régime. De nombreux historiens l'ont démontré: le citoyen de l'Allemagne nazie ou de la Russie stalinienne a largement ignoré les er-reurs et les horreurs: les déportations, les purges, les camps d'extermination. Ce citoyen s'est rassuré sans cesse, s'est senti apaisé en constatant la dis-pari-tion des conflits sociaux que les régimes pré-tota-li-taires n'avaient su ni prévenir ni endiguer.

 

Adepte du totalitarisme est donc celui qui ne sup-porte pas le fardeau que constitue la complexité des so-ciétés modernes, celui qui esquive les conflits tu-mul-tueux qui accompagnent la fragmentation so-ciale, celui qui spécule sur les bénéfices qu'il espère tirer d'un horizon nouveau de pacification mais impo-sé de force. En ce sens, la leçon des totalitarismes est toujours d'actualité et la menace persiste d'un écroulement des situations actuelles où règne un plu-ralisme querelleur et désagrégateur. Les politologues et les opérateurs de la politique en prendront-ils cons-cience rapidement et arracheront-ils le totalita-risme à ses formes trop idéalisées pour le restituer à son authentique banalité, la banalité des solutions qui demeurent toujours à portée de main, la banalité des raccourcis accidentés qu'empruntent ceux qui ne peuvent supporter l'excès d'inquiétude auquel notre temps semble les avoir condamnés.

 

 

Marco TARCHI.

 

 

Domenico FISICHELLA, Totalitarismo. Un regime del nostro tempo,  La Nuova Italia Scientifica, Roma, 1987, p. 195, lire 25.000. Trad. franç.: Robert Steuckers.

 

 

samedi, 20 juin 2009

America's Left-Conservative Heritage

America’s Left-Conservative Heritage

Recent dialogue between Kevin R.C. Gutzman, Christian Kopff and Tom Piatak concerning the tension between classical liberal-libertarians and traditionalist conservatives reminded me of an observation from my Portuguese “national-anarchist” colleague Flavio Goncalves concerning  the clarion call issued by Chuck Norris a while back: “Seems like the US Right is as revolutionary as the South American Left? Your country confuses me.”

It does indeed seem that most of the serious dissidents in America are on the Right nowadays, and I think this can be understood in terms of America’s unique political heritage. American rightists typically regard themselves as upholders and defenders of American traditions, while American liberals tend to admire the socialism and cultural leftism of the European elites. However, the republican political philosophy derived from the thought of Locke, Montesquieu and Jefferson that found its expression in such definitive American documents as the Declaration of Independence and the Constitution, and of which modern neo-classical liberalism and libertarianism are outgrowths, is historically located to the left of European socialism.

A variety of thinkers from all over the spectrum have recognized this. For instance, Russell Kirk somewhat famously remarked that conservatives and socialists had more in common with one another that either had with libertarians. Murray Rothbard observed that “conservatism was the polar opposite of liberty; and socialism, while to the “left” of conservatism, was essentially a confused, middle-of-the-road movement. It was, and still is, middle-of-the-road because it tries to achieve liberal ends by the use of conservative means.” Seymour Martin Lipset affirmed Rothbard’s thesis:

Given that the national conservative tradition in many other countries was statist, the socialists arose within this value system and were much more legitimate than they could be in America…Until the depression of the 1930s and the introduction of welfare objectives by President Roosevelt and the New Deal, the AFL was against minimum wage legislation and old age pensions. The position taken by (Samuel) Gompers and others was, what the state gives, the state can take away; the workers can depend only on themselves and their own institutions…Hence, the socialists in America were operating against the fact that there was no legitimate tradition of state intervention, of welfarism. In Europe, there was a legitimate conservative tradition of statism and welfarism. I would suggest that the appropriate American radicalism, therefore, is much more anarchist than socialist.

Back in 1912, when the German Social Democrats won 112 seats in the Reichstag and one-third of the vote, Kaiser Wilhelm II wrote a letter to a friend in which he said that he really welcomed the rise of the socialists because their statist positions were much to be preferred to the liberal bourgeoisie, whose antistatism he did not like. The Kaiser went on to say that, if the socialists would only drop antipatriotism and antimilitarism, he could be one of them. The socialists wanted a strong Prussian-German state which was welfare oriented, and the Kaiser also wanted a strong state. It was the pacifism and the internationalism of the socialists that bothered him, not their socialism. In the American context, the “conservative” in recent decades has come to connote an extreme form of liberalism; that is, antistatism. In its purest forms, I think of Robert Nozick philosophically, of Milton Friedman economically, and of Ronald Reagan and Barry Goldwater politically.

Thomas Sowell has provided some interesting insights into what separates the Left and Right in contemporary American discourse. Both Left and Right are derivatives of eighteenth century radicalism, with the Left being a descendent of the French Revolution and the Right being a descendent of the American Revolution. What separates the legacies of these two revolutions is not their radicalism or departure from throne-and-altar traditionalism, but their differing views on human nature, the nature of human society, and the nature of politics. Both revolutions did much to undermine traditional systems of privileged hierarchy. After all, how “traditional” were the American revolutionaries who abolished the monarchy, disestablished the Church, constitutionally prohibited the issuance of titles of nobility, constitutionally required a republican form of government for the individual states and added a bill of rights as a postscript to the nation’s charter document? One can point to the Protestant influences on the American founding that coincide with the Enlightenment influences, but how “traditional” is Protestantism itself? Is not Protestantism the product of a rebellion against established religious authorities that serves as a kind of prelude to a latter rebellion to established political authorities?

I would maintain that what separates the modern Right and Left is not traditionalism versus radicalism, but meritocracy versus egalitarianism. For the modern Left, equality is considered to be a value in its own right, irrespective of merit, whether individual or collective in nature.  The radical provisions of the U.S. Constitution, for instance, aimed at eliminating systems of artificial privilege. No longer would heads of state, clerics, or aristocrats receive their position simply by virtue of inheritance, patronage or nepotism, but by virtue of individual ability and achievement. No longer would an institution such as the Church sustain itself through political privilege, but through the soundness of its own internal dynamics. To be sure, these ideals have been applied inconsistently throughout American history, and all societies are a synthesis of varying cultural and ideological currents. For instance, it is clear that nepotism remains to some degree. How else could the likes of George W. Bush ever become head of state?

Yet, for the Left, equality overrides merit. With regards to race, gender or social relations, for example, it is not sufficient to simply remove barriers designed to keep ethnic minorities, women or homosexuals down regardless of their individual abilities or potential contributions to society. Instead, equality must be granted regardless of any previous individual or collective achievement to the point of lowering academic or professional standards for the sake of achieving such equality. This kind of egalitarian absolutism is also apparent with regards to issues like the use of women in military combat or the adoption of children by same-sex couples. The Left often frames these issues not in terms of whether the use of female soldiers is best in terms of military standards (perhaps it is) or what is best for the children involved or whether the parenting skills of same-sex couples is on par with those of heterosexual couples (perhaps they are), but in terms of whether women should simply have the “right” to a military career or whether same-sex couples should simply have “equal rights” to adopt children, apparently with such concerns as military efficiency, child welfare and parental competence being dismissed as irrelevant.

To frame the debate in terms of tradition versus radicalism would seem to be setting up a false dichotomy. Edmund Burke, the fierce critic of the French Revolution considered by many to be the godfather of modern conservatism, was actually on the left-wing of the British politics of his time. For instance, he favored the independence of Ireland and the American colonies and even defended India against imperial interests. A deep dig into Burke’s writings reveals him to have been something of a philosophical anarchist. His opposition to the French Revolution was not simply because it was a revolution or because it was radical, but because of the specific content of the ideology of the revolutionaries who aimed to level and reconstruct French society along prescriptive lines. The American Revolution was carried out by those with an appreciation for the limits of politics and the limitations imposed by human nature, while the French Revolution was the prototype for the modern totalitarian revolutions carried out by the Bolsheviks, Nazis (whom Alain De Benoist has characterized as “Brown Jacobins”), Maoists , Kim Il-Sung and the Khmer Rouge.

One can certainly reject the hyper-egalitarianism championed by the Left and still favor far-reaching political or social change. It would be hard to mistake Ernst Junger for an egalitarian, yet he was contemptuous of the Wilhelmine German military’s practice of selecting officers on the basis of their class position, family status or political patronage rather than on their combat experience. He preferred a military hierarchy ordered on the basis of merit rather than ascribed status. Junger’s Weimar-era writings are filled with a loathing for the social democratic regime, yet he called for an elitist worker-soldier “conservative revolution” rather than a return to the monarchy.

Nor does political radicalism imply the abandonment of historic traditions. I, for one, advocate many things that are quite radical by conventional standards. Yet I am extremely uncomfortable with left-wing pet projects such as the elimination of “offensive” symbols like the Confederate flag; the alteration of the calendar along PC lines (C.E. and B.C.E instead of A.D. and B.C); the attacks on traditional holidays like Christmas or Columbus Day; a rigidly secular interpretation of the First Amendment (and I’m an atheist!); and the attempted reconstruction of language along egalitarian lines (making words like “crippled” or “retarded” into swear words or the mandatory gender neutralization of pronouns). All of these things seem like a rookie league version of Rosseauan/Jacobin/Pol Potian “year zero” cultural destructionism. Nor do I wish to do away with baseball, Fourth of July fireworks displays, Civil War re-enactors or the works of Edgar Allan Poe. I am also somewhat appalled that one can receive a high school diploma or even a university degree without ever having taken a single course on the history of Western philosophy. It is not uncommon to find undergraduates who have never heard of Aristotle. If they have, they are most likely to simply dismiss him as a sexist and defender of slavery. I’ve met graduate level sociology students who can tell you all about “the social construction of gender” but have no idea who Pareto was.

The principal evil of the Cultural Marxism of present day liberalism is its fanatical egalitarianism. Unlike historic Marxists, who simply sought equality of wealth, cultural Marxists seek equality of everything, including not only class, race, or gender, but sexuality, age, looks, weight, ability, intelligence, handicap, competence, health, behavior or even species. I’ve heard leftists engage in serious discussion about the evils of “accentism.” Such equality does not exist in nature. It can only be imposed artificially, which in turn requires tyranny of the most extreme sort. The end result can only be universal enslavement in the name of universal equality. For this reason, the egalitarian Left is a profoundly reactionary outlook, as it seeks a de facto return to the societies organized on the basis of static caste systems and ascribed status that existed prior to the meritocratic revolution initiated by the Anglo-American Enlightenment.

Perhaps just as dreadful is the anti-intellectualism of Political Correctness. In many liberal and no-so-liberal circles, the mere pointing out of facts like, for instance, the extraordinarily high numbers of homicides perpetrated by African-Americans is considered a moral and ideological offense. If one of the most eminent scientists of our time, Dr. James Watson, is not immune from the sanctions imposed by the arbiters of political correctness, then who would be? Are such things not a grotesque betrayal of the intellectual, scientific and political revolution manifested in Jeffersonian ideals? Is not Political Correctness simply an effort to bring back heresy trials and inquisitors under the guise of a secularized, egalitarian, fake humanitarian ideology? The American radical tradition represents a vital “left-conservative” heritage that elevates meritocracy over both an emphasis on ascribed status from the traditional Right and egalitarianism from the Left. It is a tradition worth defending.

jeudi, 18 juin 2009

Sobre a Autoridade

Sobre a Autoridade

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Um dos pontos débeis do pensamento politicamente correcto é esquecer, ignorar ou não considerar certos temas de todos os dias como a dor, o envelhecimento, a morte, a hierarquia, a ordem, a autoridade.

A respeito deste último tema, sabemos que desde o iluminismo (século XVIII) até ao progressismo dos nossos dias deu-se a negação sistemática da autoridade para substitui-la por critérios meramente racionalistas. Sem notar que não pode existir nenhum conhecimento livre da autoridade, pois ela é um seu elemento constitutivo. Ainda que a autoridade não possa substituir o juízo próprio, ele não exclui que a autoridade seja fonte de verdade.

Por outro lado, nenhum homem pode pensar a partir “somente da sua razão”, mas antes começa a pensar no seio de uma determinada tradição de pensamento ou cultura. Todo o homem nasce dentro de grandes ecúmenos culturais que condicionam o seu sentido de ser no mundo.

Qualquer um que oiça a palavra autoridade associa-a imediatamente com a figura do que manda sendo o seu correlativo aquele que obedece. A relação mando-obediência impõe-se de início como a dupla a partir da qual começamos a entender aquilo que enforma o conceito de autoridade. Esta última podemos caracterizá-la, numa primeira definição, como a imposição da vontade de um homem sobre outro.

Mas assim que nos detemos sobre ela vemos que esta definição não é de todo suficiente porque nos fala mais sobre a consequência do exercício da autoridade do que da autoridade propriamente dita. E as definições para serem completas e acabadas têm de apanhar a essência do que pretendem definir e não somente a sua finalidade.

A versão autoritária da autoridade vincula-a com a obediência, à priori, cega ou mecânica. De facto, esta concepção da autoridade esteve ligada às ordens militares ou religiosas, sobretudo no período de formação dos seus membros. Autoritário é aquele que exerce o seu poder para obter a obediência de outro.

Mas, como dizíamos, a natureza da autoridade não se esgota na obediência mas antes há que encontrá-la a partir do acto de reconhecimento de um saber superior, em qualquer aspecto da vida, que um homem constata noutro. A superioridade do saber do outro sobre o nosso é a origem da autoridade.

A autoridade não se recebe mas antes é concedida por um homem a outro. É concedida por aquele que reconhece no outro um saber ou conhecimento superior ao que ele possui na matéria ou tema de que se trate. Ninguém é autoridade em tudo, é-se sempre autoridade nalguma ordem de coisas, domínios ou disciplinas, ainda que nenhum de nós esteja livre dos “tudólogos”, os que “tudo-sabem”. A única “tudologia” aceitável é aquela dos pais sobre os filhos, e só até aos seis ou sete anos de idade.

A autoridade funda-se sobre o saber reconhecido de alguém e na necessidade que esse conhecimento gera. O centenário filósofo Hans Gadamer (1900-2002) escreveu: a autoridade correctamente entendida tem a ver, não com a obediência, mas com o conhecimento.

O homem, a partir do momento em que reconhece outro como autoridade, confia no que este diz como sendo verdade. É por isso que a autoridade pressupõe o conhecimento ou o saber daquele que a exerce, enquanto a obediência revela o poder, indica-nos o exercício concreto de autoridade de quem a exerce.

Assim, a autoridade, que como exercício se manifesta no campo político-social pôde ser definida, muito acertadamente, pelo filósofo céptico Giuseppe Rensi (1871-1941), na sua obra Filosofia da Autoridade (1920) como:”o acto que determina o que de facto vale como justiça e moral…entre opostas verdades teóricas racionalmente possíveis é a autoridade que decide o que de facto deve valer como se fosse a justiça, o bem, a verdade”

A objecção que nasce da politologia e da sociologia ao observar que nas nossas sociedade nem todas as autoridades dizem a verdade, pois existem autoridades que infundem conhecimentos falsos para manipular as pessoas, objecção que também pode aplicar-se à manipulação de grupos sociais menores, é difícil de contestar. Há que fazer a distinção entre “potestas” e “auctoritas”. A autoridade entendida como poder pode mentir, e de facto mente, para alcançar a obediência, mas a autoridade enquanto “auctoritas”, ou seja, em si mesma, funda-se sobre a verdade. Pois o conhecimento é sempre verdadeiro, um falso conhecimento é um desconhecimento.

Ainda que a autoridade gere obediência, ela não é obediência, essa é a consequência do exercício da autoridade. Mas, a autoridade tem como finalidade somente alcançar a obediência ou procura, e pode, aspirar a algo mais?

Uma vez mais temos que aplicar o velho princípio metodológico da filosofia clássica “distinguere ut iungere” (distinguir para unir) e assim discriminar entre bens externos e bens internos. A autoridade, no campo dos bens externos, pode, numa prática mal feita (uma pseudo-investigação) lograr prestígio, fama e dinheiro. Há tansíssimos académicos de pacotilha hoje em dia. Mas, pelo contrário, a autoridade, nos bens intrínsecos, só se pode afirmar realizando bem a prática em questão. Os bens internos a determinada prática só se podem obter realizando bem essa prática.

Assim, pôde afirmar o grande filósofo escocês Alasdair MacIntyre (1929- ) que a virtude (analogicamente a autoridade) só pode ser definida em relação com as práticas e com os seus bens internos.

E estes bens internos não são só para quem os realiza mas são bens para toda a comunidade. Uma autoridade, mesmo a mais isolada, é sempre uma autoridade socialmente reconhecida.

Assim, o pseudo-investigador do exemplo, esses especialistas das Comissões e das Academias, usurpadores de bolsas, prestígios e cânones, poderão ter um currículo alargado e ganhar bom dinheiro, mas o que nunca terão é a satisfação de ter podido ampliar os conhecimentos das suas disciplinas, metodologicamente garantidos pela prática de investigar e a autoridade que os guia.

Vemos, então, como a natureza ou essência da autoridade se revela de duas formas: por um lado no reconhecimento do superior por parte do inferior, e por outro no serviço do superior ao inferior por meio de uma boa prática. A finalidade última da autoridade é o progresso existencial dos que a acatam. Dá-se, assim, por cumprido, o último sentido etimológico de “auctoritas”, que os romanos entendiam como reconhecimento, respeito e aceitação, que deriva do substantivo “auctor” = criador, autor, instigador, por sua vez derivado do verbo “augere”, que significa aumentar, fazer progredir.

Alberto Buela, Arbil nº118

mercredi, 17 juin 2009

Sobre a Igualdade

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Sobre a Igualdade

Robert Steuckers, numa entrevista de Maio de 1998, sobre o igualitarismo e a posição da Nova Direita francesa face ao tema

Que diferença entre Nietzsche e Marx quando nos colocamos no ponto de vista do igualitarismo moderno? Para Marx a injustiça provoca a desigualdade, para Alain de Benoist, neste sentido pós-nietzschiano, a injustiça instaura-se precisamente porque vivemos numa era igualitária.

(Robert Steuckers) – A sua questão inscreve-se numa problemática de ordem semântica. Você procura ver clareza na manipulação em todos os sentidos das “grandes palavras” do debate político-social: justiça, liberdade, igualdade, etc., todas estão desvalorizadas pelos “discursos gastos” da política politiqueira. Tentemos clarificar esse debate.

1)Para Marx, efectivamente, a injustiça social, a não redistribuição harmoniosa dos rendimentos sociais, a concentração de capitais em muito poucas mãos provocam uma desigualdade entre os homens. É preciso, portanto, redistribuir justamente, para que os homens sejam iguais. Serão iguais quando não mais forem vítimas de qualquer injustiça de ordem material (baixos salários, exploração do trabalho humano, incluindo crianças, etc.).

2)Para a tradição dita “inigualitária” da qual se afirmou Benoist no início da sua carreira “metapolítica”, a injustiça é que os indivíduos excepcionais ou sobredotados não recebam tudo o que lhes é devido numa sociedade que visa a igualdade. Neste sentido, “igualdade” significa “indiferenciação”. Esta equação é sem dúvida plausível na maioria dos casos, mas não o é sempre. Alain de Benoist teme sobretudo o nivelamento (por baixo).

Estas opiniões desenvolvem-se ao nível da vulgata, da doxografia militante. Para aprofundar o debate é preciso recapitular todo o pensamento de Rosseau, o seu impacto sobre o socialismo nascente, sobre o marxismo e sobre as múltiplas manifestações da esquerda contestatária.

De qualquer modo, no debate actual, convém sublinhar o que se segue:

a)Uma sociedade equilibrada, consensual, harmoniosa, conforme a uma tradição, cria a partir dela mesma a justiça social, gera-a espontaneamente, ela é atravessada por uma lógica de partilha (dos riscos e dos bens) e, parcialmente, de doação. Ela evita as clivagens geradoras de guerras civis, e portanto as desigualdades demasiado gritantes em matérias económicas. A Roma antiga dá-nos bons exemplos na matéria, e não somente no caso das reformas dos Gracos (às quais se referem os marxistas). Os excessos de riqueza, as acumulações muito flagrantes, as especulações mais escandalosas, a usura, eram reprimidas por multas consideráveis e reinvestidas nas festividades da cidade. As pessoas divertiam-se à posteriori com o dinheiro injustamente ou exageradamente acumulado. As multas, aplicadas pelos edis curuis, taxavam aqueles que transgrediam contra a frugalidade paradigmática dos romanos e beneficiavam o povo. A acumulação exagerada de terras aráveis ou de pasto eram igualmente objecto de multa (multo ou mulcto).

b)A prática da justiça está, portanto, ligada à estrutura gentílica e/ou comunitária de uma sociedade.

c)Uma estrutura comunitária admite as diferenças entre os seus cidadãos mas condena os excessos (hybris, arrogância, avarice). Esta condenação é sobretudo moral mas pode revestir-se de um carácter repressivo e coercivo através das autoridades públicas (a multa reclamada pelos edis da Roma antiga).

d)Numa estrutura comunitária há uma espécie de igualdade entre os pares. Mesmo se certos pares têm direitos particulares ou complementares ligados à função que ocupam momentaneamente. É a função que dá direitos complementares. Não há traço de inigualdade ontológica. Ao invés, há inigualdade das funções sociais.

e)Uma estrutura comunitária desenvolve simultaneamente uma igualdade e inigualdades naturais (espontâneas) mas não procura criar uma igualdade artificial.

f)A questão da justiça regressou à discussão no pensamento político americano e ocidental com o livro de John Rawls (A Theory of Justice, 1979). O liberalismo ideológico e económico gerou no pensamento e na prática social ocidental um relativismo cultural e uma anomia. Com este relativismo e esta anomia os valores que cimentam a sociedade desaparecem. Sem estes valores, deixa de haver justiça social, já que o outro deixa de ser considerado como portador de valores que também partilho ou outros valores que considero eminentemente respeitáveis, ou deixa de haver valores credíveis que me constrinjam a respeitar a dignidade de outrem. Mas no contexto de uma tal perda de valores deixa também de haver comunidade coerente. A esquerda americana, que se entusiasmou com o livro de Rawls, quis, numa segunda vaga, restaurar a justiça reconstituindo os valores que cimentam as comunidades naturais que compõem os Estados e as sociedades políticas. Reconstituir estes valores implica forçosamente uma guinada à “direita”, não uma direita militar ou autoritária, mas uma direita conservadora dos modelos tradicionais, orgânicos e simbióticos da vida-em-comum (a “merry old England”, a alegria francesa, a liberdade germânica nos cantões suíços, etc.)

g)A contradição maior da Nova Direita francesa é a seguinte: ter sobrevalorizado as inigualdades sem sonhar em analisar seriamente o modelo romano (matriz de muitos delineamentos do nosso pensamento político), ter sobrevalorizado as diferenças até ao ponto de, por vezes, aceitar a hybris, ter simultaneamente cantando as virtudes da comunidade (no sentido definido por Tönnies) ao mesmo tempo que continuava a desenvolver um discurso inigualitário e falsamente elitista, não ter compreendido que estas comunidades postulavam uma igualdade de pares, ter confundido, ou não ter distinguido correctamente, essa igualdade de pares e a igualdade-niveladora, ter desenvolvido teses críticas sobre a igualdade sem ter levado em conta a “fraternidade”, etc. Daí a oscilação de De Benoist relativamente ao pensamento de Rousseau, rejeição completa no início da sua carreira, adesão entusiasta a partir dos anos 80 (cf. intervenção no colóquio do G.R.E.C.E. de 1988). Com a abertura do pensamento comunitário americano (cf. Vouloir n°7/NS e Krisis n°16), que se refere à noção de justiça teorizada por Rawls, a primeira teoria neo-direitista sobre a igualdade despedaça-se e é abandonada pela nova geração do G.R.E.C.E.

h)A igualdade militante, leitmotiv que estruturou o passo de todos os pensamentos políticos dominantes na França (NdT: e na Europa), é uma igualdade que visa o nivelamento, o controlo das mentalidades e dos corpos (Foucault: “vigiar e punir”), a redefinição do território, que se desenrola de forma sistemática para transformar a diversidade fervilhante da sociedade civil numa “cidade geométrica” (Gusdorf). Numa acção dessas as comunidades e as personalidades são disciplinadas, são-lhes impostas interdições de exprimirem a sua espontaneidade, a sua especificidade, o seu génio criativo. A vontade de restaurar essa espontaneidade, essa especificidade e esse génio criativo passa por uma recusa dos métodos de nivelamento igualitarista sem, contudo, impedir que se pense a igualdade em termos da igualdade de pares e de “phratries” comunitárias, bem como de pensar a “fraternidade” em sentido geral (terceiro termo da tríade revolucionária francesa, mas abandonado em quase todas as práticas políticas pós-revolucionárias). A Nova Direita francesa (contrariamente às suas congéneres alemã e italiana) geriu mal esta contradição entre a primeira fase da sua mensagem (obsessivamente anti-igualitarista) e a segunda fase (neo-rousseauniana, pela democracia orgânica, comunitária, interessada pela teroria da justiça em Rawls). O resultado é que continua a ser sempre vista como obsessivamente anti-igualitarista nas fontes historiográficas mais correntes, quando na realidade desenvolve um discurso muito diferente desde há cerca de uma dúzia de anos, pela voz do próprio De Benoist e Charles Champetier.