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vendredi, 17 septembre 2010

L'après-démocratie

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L'après-démocratie

 

« L’Après-démocratie » est un recueil de textes, dans lequel Eric Werner (EW) défend la thèse générale suivante : plus personne ne peut décemment croire que nous vivions en démocratie. Il ne reste, du projet démocratique, que des traces – telles que les élections, tous les cinq ans, et qui consistent désormais à choisir entre l’aile gauche et l’aile droite d’un seul et même parti institutionnel.

Aile gauche et aile droite qui, au demeurant, font en pratique à peu près la même politique, imposée par « le vrai pouvoir ».

Un vrai pouvoir qui se situe au niveau de l’hyperclasse, et de son gouvernement mondial. Un vrai pouvoir échappe à tout contrôle démocratique, influence de manière décisive la « ligne éditoriale » de la presse, et pilote à distance la plupart des institutions, justice incluse, via des réseaux d’influence ramifiés. Ce vrai pouvoir décide de ce que vous ignorez, donc de ce que vous savez. Il vous éduque, il vous surveille, il vous juge. Il contrôle la démocratie, elle ne le contrôle pas.

Nous voici dans « l’après démocratie ».

*

Comment en est-on arrivé là ?

Fondamentalement, pour EW, il s’agit tout simplement de la mise à jour de ce que la « démocratie occidentale » était de manière latente – mise à jour rendue possible par la disparition de l’ennemi.

Un disparition de l’ennemi qui a levé les barrières que le système était obligé d’entretenir devant lui, pour échapper à son cours spontané…

Depuis que le communisme a été vaincu, l’Occident n’a plus besoin d’entretenir une façade pluraliste. Il s’engage donc dans la voie totalitaire, qu’il a longtemps combattue, mais qui est aussi, secrètement, son essence profonde.

Chronologiquement, l’adoption de la loi Gayssot arrive juste après la chute du Mur de Berlin : le totalitarisme occidental a littéralement éclaté au grand jour, dès que son adversaire ne fut plus là pour l’empêcher de s’exprimer.

Totalitarisme d’ailleurs d’autant plus redoutable que, fait observer EW, il est dissimulé par un formidable voile propagandiste de dénégation, bien plus habile que celui tendu jadis par les systèmes hitlériens ou staliniens.

EW nous renseigne, à ce propos, sur ce qui se produit en ce moment dans le monde germanophone (EW est suisse) – une évolution d’un monde voisin dont nous sommes, nous, en France, sans doute assez mal informés.

Un chiffre : en Allemagne, le nombre de personnes ayant fait l’objet de procédures pour « connections avec des groupes extrémistes » et « excitation du peuple » se montait, en 1998, à 9.549. En Suisse, deux juges ont été mis en vacances forcées après avoir prononcé une peine jugée trop légère contre un politicien d’extrême droite coupable d’un délit d’opinion. L’affaire fut rejugée, et le politicien a été condamné à 15 mois de prison ferme – pour comprendre l’échelle des peines sous-jacentes à cette décision, notons qu’à la même époque, l’auteur d’un viol sur une fillette de cinq ans fut condamné à une peine de neuf mois de prison avec sursis. Le monde germanophone est majoritairement en train, tout doucement, de basculer dans un totalitarisme ouvert, une répression judiciaire de la pensée dissidente – bien plus vite, bien plus nettement qu’en France.

*

Après avoir planté le décor, EW analyse cette dérive totalitaire.

Reprenant la distinction d’Arendt entre pensée et raisonnement, il montre que l’Occident contemporain est peuplé d’idéologues des Droits de l’homme qui raisonnent, mais ne pensent plus – en ce sens que leur raisonnement ne se réfère plus à la réalité. Cette disposition d’esprit particulière se combine avec des intérêts objectifs (toujours implicites) pour créer une ambiance générale d’intimidation. De là, vers la terreur, qui est désormais repositionnée dans le cadre général de l’insécurité – on ne terrorise plus en brutalisant, mais en exposant à une brutalité latente (économique, sociale, voire physique, avec une délinquance tolérée). Sous l’angle organisationnel, il n’y a évidemment aucun rapport entre l’arrestation par le NKVD au petit matin dans l’URSS des années 30 et l’agression au coin de la rue dans la France de 2010 ; mais sur le plan fonctionnel, le rôle de la terreur dans une mécanique d’intimidation générale et de sidération populaire est comparable. Le « racaille » raciste antiblanc est le SA du totalitarisme multiculturel américanomorphe (un point sur lequel EW revient fréquemment).

Plus profondément, une guerre cognitive est faite aux populations, par des moyens plus subtils que ceux dont disposaient les anciens totalitarismes. La dissolution du « nous » (famille, coutume, tradition, enracinement local et national) rend le « je » impensable (puisqu’il n’est plus inscrit dans rien, il « flotte »), et l’opinion bascule dans la formulation moue d’un consensus auquel « on » se rallie (« on » étant, finalement, un corps collectif « non-social », la somme des individualités disjointes reliées uniquement par le réseau médiatique). Il y a explosion des frontières de l’être mental des occidentaux, ce sont des organismes sans peau, en voie de dilution, « clients » parfaits du néo-totalitarisme occidental. L’ultime rempart contre l’illusion, l’école, est même désormais tombé, avec la généralisation du « pédagogisme », c'est-à-dire la manipulation des enfants pour leur faire intérioriser des attitudes bien précises, compatibles avec le système dominant.

Au-delà de ce constat somme toute aujourd’hui presque devenu banal, EW tente de mettre en lumière les causalités profondes du mécanisme décrit. Il s’intéresse, par exemple, à la sociologie de cette nouvelle domination, et souligne le rôle particulier qu’y tient manifestement la pègre – historiquement très souvent associée aux régimes totalitaires ou dictatoriaux. Les tyrans, rappelle EW, se méfient toujours beaucoup plus des honnêtes gens que des voyous, chez qui ils vont souvent recruter leur garde personnelle.

D’où une hypothèse sur la convergence spontanée entre l’idéologie de certains sociologues de l’excuse (« pro-racailles ») et le totalitarisme des marchés : version renouvelée du mécanisme décrit par La Boëtie et d’autres, mécanisme qui voulait que le tyran, pour garder sous contrôle les « abeilles domestiques », importât des « frelons étrangers ».

Dans cette optique, l’incubation d’une idéologie de la haine de soi n’est, en réalité, qu’un dispositif annexe ; le but est de tenir les « abeilles » dans la peur des « frelons ». Ce n’est ni plus ni moins que la généralisation des techniques utilisées, pendant la période de dénazification de l’Allemagne, par les conquérants américains (destruction programmée du modèle anthropologique germanique, supposé créateur de la « personnalité autoritaire » de type « fasciste » - d’où la fabrication d’une population féminisée, fragilisée, en quête de protection et donc facile à dominer).

D’où, encore, une hypothèse sur l’attitude différenciée des idéologues néo-totalitaires à l’égard du religieux. D’une manière générale, ils s’en méfient, puisque la religion définit un espace mental collectif structuré, donc de nature à s’opposer aux forces de dilution que le néo-totalitarisme instrumentalise. Mais ils se méfient du christianisme plus que des autres religions (islam en particulier), parce que le christianisme construit une métaphysique de la liberté, où la conscience individuelle peut en quelque sorte être équipée de manière autonome – ce qui implique que même si les forces de dilution détruisent toute structure collective, le christianisme peut continuer à structurer une révolte individuelle (chose que l’islam peut plus difficilement faire). D’où sans doute le fait que nos dirigeants combattent l’islam là où il est structurant d’une identité collective réelle (donc en Dal-el-Islam), mais en encourage l’importation chez nous, où il contribue à la déchristianisation.

*

Comment résister à ce néo-totalitarisme ? Voilà, évidemment, la question qu’EW ne peut éviter ; à quoi bon décrire l’ennemi, si ce n’est pas pour le combattre ?

EW souligne tout d’abord qu’il faut combattre en nous la tendance au défaitisme. Quand nous apprenons que 5 % des Suisses n’ont pas la télévision, ne nous lamentons pas qu’ils ne soient que 5 % ; prenons note du fait qu’ils sont déjà 5 %.

Ensuite et surtout, il faut, nous dit-il, sortir du piège consistant à reconnaître au pouvoir actuel un monopole de la capacité à gérer les problèmes qu’il a lui-même créer (l’immigration inassimilable, par exemple). Il faut poser le problème en termes renouvelés, et cesser de confondre révolte et résistance.

Le révolté et le résistant disent « non », l’un et l’autre. Mais pas de la même manière. Le révolté, c’est l’esclave fouetté qui, soudain, se retourne et fait face à son maître. Le résistant, lui, ne fait pas face : il s’efface, il sort du cadre de gestion construit par son maître.

C’est pourquoi le résistant est avant tout un adepte de la stratégie indirecte ; à l’opposé du révolté, qui cherche la confrontation directe avec le tyran à l’intérieur d’un contexte donné, le résistant pense l’action dans la durée, et cette action n’est pas nécessairement un affrontement avec le tyran – c’est avant tout un effort pour se préparer à la modification du contexte.

Le plus souvent, cette modification du contexte est obtenue tout simplement en durant : le résistant gagne tant qu’il ne perd pas, c'est-à-dire tant qu’il n’est pas anéanti. Et finalement, le résistant l’emporte s’il parvient à faire durer sa retraite flexible une seconde de plus que l’élan du pouvoir qui tentait de l’anéantir. Ensuite, une fois que le pouvoir s’est usé, qu’il a fabriqué lui-même la masse de contradictions internes qu’il ne peut plus gérer, alors la résistance peut passer à la contre-offensive.

Et donc, pour conclure, ce que sous-entend EW, c’est qu’il ne faut pas accepter la logique selon laquelle nous devrions tolérer le système parce qu’il est le seul à pouvoir gérer les problèmes qu’il a créés. Nous devons lui résister, pour être là quand il ne pourra plus gérer ces problèmes.

mardi, 14 septembre 2010

Jean Thiriart, le Machiavel de la Nation Européenne

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Jean Thiriart, le Machiavel de la Nation européenne

Ex: http://tpprovence.wordpress.com/

Lecteur assidu de Hobbes, Machiavel et Pareto, le Belge Jean Thiriart, fondateur du mythique paneuropéen transnational Jeune Europe, est l’indépassable théoricien de la Grande Europe unie de Galway à Vladivostok.

Né en 1922, à Liège, en Belgique, dans une famille libérale, Jean Thiriart milite très tôt dans les rangs de l’extrême-gauche marxiste, à la Jeune garde socialiste unifiée et à l’Union socialiste antifasciste. Le pacte Ribbentrop-Molotov de 1939 l’enthousiasme. “La plus belle, la plus exaltante partie de ma vie, avouera-t-il, a été le pacte germano-soviétique” (1). Car, pour lui, “le national-socialisme était non pas un ennemi du communisme, mais un concurrent” (2).

D’une guerre à l’autre

En 1940, à 18 ans, il adhère aux Amis du Grand Reich allemand (AGRA), association regroupant en Belgique francophone occupée les partisans laïcs et socialistes, non rexistes, de la Collaboration. Il appartient aussi au Fichte Bund, un mouvement de Hambourg issu du courant national-bolchevique. Condamné à 3 ans de prison à la libération, il abandonne toute activité politique.

Il ne se réengage qu’en 1960, à 38 ans, lors de la décolonisation du Congo belge, en participant à la fondation du Comité d’action et de défense des Belges d’Afrique (CADBA). Rapidement, la défense des Belges du Congo se transforme en combat pour la présence européenne en Afrique, dont celle des français en Algérie, et le CADBA se mue en Mouvement d’action civique (MAC). Thiriart, secondé par Paul Teichmann, transforme ce groupe aux accents poujadistes en une structure révolutionnaire qui organise avec efficacité les réseaux de soutien à l’OAS en Belgique.

Le 4 mars 1962, réunis à Venise sous l’égide d’Oswald Mosley, les responsables du MAC, du MSI, de l’Union Movement et du Reichspartei déclarent vouloir fonder un “parti National-Européen axé sur l’idée de l’unité européenne”. Mais rien de concret n’aboutira. Décidé à créer un véritable parti révolutionnaire européen, Jean Thiriart transforme, en janvier 1963, le MAC en Jeune Europe, mouvement européen transnational placé sous le signe de la croix celtique. Bien qu’implanté dans 6 pays, il ne regroupera jamais plus de 5 000 membres à travers toute l’Europe, et ce, de l’aveu même de Thiriart, “en ramassant tous les fonds de tiroir”. Sur ce total, les deux tiers sont concentrés en Italie. En France, du fait de son soutien à l’OAS, Jeune Europe sera interdit, ce qui contraindra le mouvement à rester dans une semi-clandestinité et expliquera sa faible influence, ses effectifs n’y dépassant pas les 200 adhérents.

Le communautarisme national-européen

Dès 1961, dans Le Manifeste à la Nation Européenne, Jean Thiriart se prononce pour “une Europe unitaire, puissante, communautaire (…) contre le bloc soviétique et le bloc des USA” (3). Il expose plus longuement ses idées dans un livre qui paraît en 1964, Un Empire de 400 millions d’hommes : L’Europe. Rapidement traduit dans les 7 principales langues européennes, cet ouvrage, qui sera complété en 1965 par la brochure de 80 pages La Grande Nation, L’Europe unitaire de Brest à Bucarest, influencera profondément les cadres de l’extrême-droite européenne, en particulier italienne.

L’originalité de Jeune Europe réside dans son idéologie, le Communautarisme national-européen, que Thiriart présente comme un “socialisme européen et élitiste”, débureaucratisé et vertébré par un nationalisme européen. Récusant la notion de nation romantique, héritée du XIXe siècle, qui s’inscrit dans un déterminisme ethnique, linguistique ou religieux, il lui préfère le concept de nation dynamique, en mouvement, en devenir, correspondant à la nation-communauté de destin décrite par José Ortega y Gasset. Sans rejeter totalement le passé commun, il pense que “ce passé n’est rien en regard du gigantesque avenir en commun (…) Ce qui fait la réalité et la viabilité de la Nation, c’est son unité de destin historique” (5). Se définissant comme un “Jacobin de la très grande Europe”, il veut construire une nation unitaire et se prononce pour un “État-fusion”, centralisé et transnational, héritier politique, juridique et spirituel de l’Empire romain, qui donnera à tous ses habitants l’omnicitoyenneté européenne. “L’axe principal de ma pensée politico-historique est l’État unitaire, centralisé, État politique, et non pas État racial, État souvenir, État historique, État religieux” résumera-t-il en 1989. Rien ne lui est plus étranger que “l’Europe aux cent drapeaux” de Yann Fouéré ou “l’Europe des patries charnelles” chère à Saint-Loup…

Le nationalisme de Thiriart est basé uniquement sur des considérations géopolitiques. Seules ont de l’avenir, selon lui, les nations de dimension continentale comme les Etats-Unis, l’URSS ou la Chine. Les petits nationalismes classiques sont des obstacles, voire des anachronismes manipulés par les grandes puissances. Pour rendre sa grandeur et sa puissance à l’Europe, il faut donc l’unifier.

L’unité se fera sous l’égide d’un Parti révolutionnaire européen, organisé sur le modèle léniniste du centralisme démocratique, qui encadrera les masses et sélectionnera les élites. Parti historique, à l’instar des expériences du Tiers-Monde comme le FLN en Algérie ou le FNL au Vietnam, il sera un “pré-État” préfigurant l’État unitaire européen. Il devra mener la lutte de libération nationale contre l’occupant américain, ses zélés collaborateurs, milliers de “Quisling US” des partis du Système, et les troupes coloniales de l’OTAN. Ainsi l’Europe alors libérée et unifiée de Brest à Bucarest, forte de 400 millions d’homme, pourra alors conclure une alliance tactique avec la Chine et les Pays arabes pour briser le condominium américano-soviétique.

Malgré leur lucidité en matière de géopolitique, les thèses de Jean Thiriart, rationalistes et matérialistes à l’extrême, ne peuvent que laisser perplexe à cause de leur caractère éminemment moderne. Ainsi que l’a souligné le traditionaliste Claudio Mutti, ancien militant de Giovane Europa, “la limite de Thiriart consistait justement dans son nationalisme laïc, soutenu par une conception machiavélienne et privé de toute justification d’ordre transcendant. Les affrontements historiques se résolvaient, pour lui, selon un rapport de forces brutal, tandis que l’État n’incarnait rien d’autre qu’une volonté de puissance nietzschéenne, mise au service d’un projet d’hégémonie européenne marqué par un orgueil exclusiviste, aveugle et suffisant” (7).

Sur le plan économique, Thiriart oppose à “l’économie de profit” – le capitalisme – et à “l’économie d’utopie” – le communisme -, une “économie de puissance”, dont la seule dimension viable est européenne. S’inspirant des économistes Fichte et List, il préconise “l’autarcie des grands espaces”. L’Europe devra quitter le FMI, se doter d’une monnaie unique, se protéger par des barrières douanières et veiller à conserver son auto-suffisance.

De Jeune Europe au parti communautaire européen

Dès 1963, les dissensions à propos du Haut-Adige provoquent une scission radicale, qui débouche sur la naissance d’Europafront, structure implantée dans les pays de langue germanique comme l’Allemagne, l’Autriche et la Flandre.

Toutefois, l’année 1964 marque l’apogée militante du mouvement, qui joue un rôle éminent, via le docteur Teichmann, dans la grève des médecins belges opposés à l’étatisation de leur profession, et participe aux élections communales d’outre Quiévrain. Ses membres travailleurs s’organisent dans les Syndicats communautaires européens (SCE). En août 1964, le journaliste Émile Lecerf et le docteur Nancy démissionnent en raison d’un différent idéologique avec Thiriart. Lecerf animera le groupe Révolution européenne, plus ou moins aligné sur les positions d’Europe-Action en France, un mouvement “passéiste” et “littéraire” selon Thiriart. Le départ de ce chef historique, suivi en décembre 1964 par celui de Paul Teichmann, amorce le déclin militant de l’organisation.

En 1965, Jeune Europe devient le Parti communautaire européen (PCE). Les préoccupations doctrinales l’emportent alors sur l’activisme militant. La revue théorique L’Europe communautaire passe à une périodicité mensuelle tandis que Jeune Europe d’hebdo devient bi-mensuel. Dès octobre 1965 fonctionnera à travers toute l’Europe l’École des Cadres du parti, Thiriart ayant élaboré une “physique de la politique” fondée sur les écrits de Machiavel, Gustave Le Bon, Serge Tchakotine, Carl Schmitt, Julien Freund, et Raymond Aron.

En outre, le parti publie, entre 1965 et 1969, un mensuel en langue française, La Nation Européenne, et italienne, La Nazione Europea, dont les thèses vont à contre-courant de l’extrême-droite classique. Jugez plutôt : la revue place l’unité continentale au-dessus de la nation, se prononce contre l’OTAN et pour la force de frappe autonome voulue par De Gaulle, dénonce en l’Amérique une nouvelle Carthage, voit dans les régimes d’Europe de l’Est une sorte de national-communisme, et s’intéresse aux luttes de libération du Tiers-Monde, au point de décrire Cuba, les Pays arabes et le Vietnam du Nord comme les alliés de l’Europe ! La revue, diffusée par les NMPP en France, peut compter sur 2 000 abonnés pour un tirage de 10 000 exemplaires.

En juin 1966, Jean Thiriart rencontre à Bucarest le 1er ministre chinois Chou-en-Laï, à l’initiative de Ceaucescu. Pékin parlant alors de lutte “tricontinentale”, il plaide pour un combat “quadricontinental”, leur proposant de fomenter un Vietnam au sein de l’Europe. Pour cela, il envisage la création, sur le modèle garibaldien, de “brigades européennes” qui, après avoir combattu au Proche-Orient ou en Amérique latine, reviendraient livrer une guerre de libération en Europe.

A noter que suite à cette entrevue, les militants italiens de Giovane Europa mèneront des actions communes avec les maoïstes locaux, l’unité se faisant sur un programme commun minimum (hostilité aux 2 superpuissances, refus de l’occupation yankee de l’Europe, antisionisme, soutien aux luttes du Tiers-Monde). Cette collaboration à la base ne sera pas sans conséquences, divers cadres nationaux-européens rejoignant finalement les rangs maoïstes. Ainsi Claudio Orsoni, neveu du hiérarque fasciste Italo Balbo et membre fondateur de Giovane Europa, créera en 1971 le Centre d’étude et d’application de la pensée de Mao, Pino Bolzano, dernier directeur de La Nazione europea, animera en 1975 le quotidien d’extrême-gauche Lotta continua et Renato Curcio adhérera au Parti communiste d’Italie marxiste-léniniste avant de fonder… les Brigades rouges !

Jeune Europe va disposer d’appuis dans certains pays d’Europe de l’Est et du Proche-Orient. Ainsi, le 1er août 1966, Thiriart publie un article en serbo-croate, intitulé L’Europe de Dublin à Bucarest, dans la revue diplomatique officielle du gouvernement yougoslave Medunarodna Politika. Farouchement antisioniste, le leader belge est en contact avec Ahmed Choukry, prédécesseur d’Arafat à la tête de l’OLP, et le 1er européen à tomber les armes à la main aux côtés des Palestiniens sera un ingénieur français membre de Jeune Europe, Roger Coudroy.

Thiriart tisse aussi des liens avec les régimes socialistes laïcs arabes. A l’automne 1968, il effectue un long voyage au Proche-Orient à l’invitation des gouvernements irakien et égyptien. Il a des entretiens avec plusieurs ministres, donne des interviews qui font la une de 3 journaux officiels irakiens, et participe au congrès de l’Union socialiste arabe, le parti de Nasser, qu’il rencontre à cette occasion. Déçu par le manque de soutien concret de ces pays, il renonce, en 1969, au combat militant, provoquant la dislocation de Jeune Europe.

L’empire Euro-soviétique

Il poursuivra toutefois sa riche réflexion théorique. Quand Washington se rapproche de Pékin, dans les années 70, il suggère une alliance euro-soviétique contre l’axe Chine-USA, afin de construire la “très grande Europe de Reykjavik à Vladivostok”, seule capable à ses yeux de résister à la nouvelle Carthage américaine et au bloc chinois d’un milliard d’hommes. Ce qui le conduira à déclarer en 1984 : “Si Moscou veut faire l’Europe européenne, je prône la collaboration totale à l’entreprise soviétique. Je serai alors le premier à mettre une étoile rouge sur ma casquette. L’Europe soviétique, oui sans réticence” (8).

Pour lui, l’Empire euro-soviétique qu’il appelle de ses vœux, et qu’il définit comme un “hyper-État-nation doté d’un hypercommunisme démarxisé” (9), se confond avec l’Eurosibérie : “Entre L’Islande et Vladivostok, nous pouvons réunir 800 millions d’hommes… et trouver dans le sol de la Sibérie tous nos besoins énergétiques et stratégiques. Je dis que la Sibérie est la puissance économiquement la plus vitale pour l’Empire européen” (10). Il travaille alors sur 2 livres, L’Empire eurosoviétique de Vladivostok à Dublin. L’aprés-Yalta et, en commun avec José Cuadrado Costa, La Mutation du communisme. Essai sur le Totalitarisme éclairé, qui resteront à l’état de projet du fait de l’effondrement subit de l’URSS. Il ne sortira de son exil politique qu’en 1991 pour soutenir la création du Front européen de libération (FEL). En 1992, il se rendra à Moscou avec une délégation du FEL, et mourra d’une crise cardiaque peu de temps après son retour en Belgique, laissant une œuvre théorique controversée mais originale, dont s’inspirent aujourd’hui Guillaume Faye, chantre de l’Eurosibérie, et Alexandre Douguine, prophète de l’Eurasie.

Edouard Rix

* Notes :

1. C. Bourseiller, Extrême-droite. L’enquête, F. Bourrin, p. 114, 1991.
2. Ibid.
3. Nation-Belgique, 1er sept. 1961, n°59.
4. J. Thiriart, La Grande Nation. L’Europe unitaire de Dublin à Bucarest, 1965.
5. Ibid.
6. C. Bourseiller, op. cit., p. 119.
7. Notes complémentaires de C. Mutti à G. Freda, La désintégration du système, supplément au n°9 de Totalité, 1980.
8. Conscience Européenne, juil. 1984, n°8.
9. Ibid.
10. J. Thiriart, L’Europe jusqu’à Vlmadivostok in Nationalisme & République n°9, sept. 1992.

Source : Réfléchir & Agir, automne 2005, n°21, pp. 44-47.

mercredi, 08 septembre 2010

Un regard indien sur le fait "nationalisme"

Archives de Synergies Européennes - 1990

 

Un regard indien sur le fait «nationalisme»

 

Partha Chatterjee, Nationalist Thought and the Colonial World. A Derivative Dis­course?,  ZED Books, London, 1986, 181 p., £ 24.95 (hardb.) or £ 7.95 (pb.), ISBN 0-86232-552-8 (hardb.) or 0-86232-553-6 (pb.).

 

Chatterjee.jpgLe Professeur Partha Chatterjee, formé aux E­tats-Unis, a enseigné dans bon nombre d'uni­versités dont celles de Rochester et d'Amritsar. Auteur de plusieurs livres de sciences politiques, il enseigne aujourd'hui ces matières à Calcutta, dans son pays. Armé d'une bonne connaissance des théories occidentales du nationalisme, Par­tha Chatterjee, critique le regard que portent les Occidentaux, tant les libéraux que les marxistes, sur les nationalismes du tiers-monde. Chatterjee démontre comment les théoriciens occidentaux, en mettant l'accent sur le pouvoir de la raison, le primat des sciences exactes et de la méthode em­pirique, ont déclaré leurs présupposés universel­lement valables. Par le biais des systèmes d'éducation, monopoles de l'Occident, les conceptions occidentales du nationalisme se sont imposées aux peuples non-occidentaux, au dé­triment de conceptions autochtones. Cette oblité­ration a parfois été si totale qu'elle a détruit les ressorts de toute autochtonité. L'objet du livre de Partha Chatterjee est d'explorer la contradiction majeure qui a fragilisé les nationalismes afri­cains et asiatiques. Ceux-ci ont voulu s'affran­chir de la domination européenne tout en restant pri­sonniers du discours rationaliste issu de l'Eu­rope des Lumières.

 

Traitant du cas indien, le Professeur Chatterjee montre à ses lecteurs quelles ont été les évolu­tions du nationalisme indien au départ de la ma­trice moderne que lui avait légué le colonia­lisme. Il met essentiellement trois étapes princi­pales en évidence: la pensée de Bankimchandra, la stratégie de Gandhi et la «révolution passive» de Nehru. Malgré la volonté indienne de rompre, le plus complètement possible, avec le discours occidental imposé par les Britanniques, le natio­nalisme du sub-continent n'a pas réussi à se dé­gager réellement d'un pouvoir structuré par des idéologèmes qu'il cherchait pourtant à répudier. Résultat de cet échec: les nationalismes du tiers-monde se sont vite mué en de purs instruments de domination, manipulés par des classes domi­nantes cherchant à préserver voire à légitimer leur propre pouvoir. Ces classes s'appropriaient les fruits de la vitalité nationale pour pouvoir se propulser sur la voie de la «modernisation uni­verselle». Mais cette volonté, parfois incons­ciente, de rationaliser à outrance, d'entrer dans le jeu de la concurrence internationale, s'ac­com­pagnait d'une négligence, tragique et dan­ge­reuse, de larges pans de la réalité natio­nale. L'appareil d'Etat, belle mécanique impor­tée se voulant universelle donc délocalisée, se trouvait dans l'incapacité d'intégrer les diver­sités du tis­su local ou, pire, se retournait contre elles, les accusant de freiner l'élan vers le pro­grès ou d'être des reliquats incapacitants. De ce fait, tout nationalisme étatique d'essence mo­der­ne/occi­dentale apparaît aux yeux des peuples du tiers-monde comme un appareil oppresseur et négateur de leur identité. Ce questionnement, explicité par Chatterjee, peut être transposé en Europe même, où les principes des Lumières ont également ob­litéré des réalités sociales beaucoup plus com­plexes, trop complexes pour être appré­hendées dans toute leur complétude par les sim­plifica­tions rationalistes. La démonstration de Chat­terjee débouche sur une théorie diversifiée du nationalisme: est nationalisme négatif, tout na­tionalisme issu d'une matrice «illuministe»; est nationalisme positif, tout nationalisme issu d'un fond immémorial, antérieur au colonia­lisme et aux Lumières. Le destin des peuples doit jaillir de leurs fonds propres et suivre une voie propre, en dépit de tous critères quantitativistes.

 

 

Armin Mohler: Réflexions sur les thèses de Zeev Sternhell

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986

 

Armin MOHLER:

Réflexions sur les thèses de Zeev Sternhell

 

ZSnidroite.jpgUn livre, paru à Paris en 1983, a complètement bouleversé l'historiographie du fascisme. Ce livre porte le titre de: Ni droite ni gauche. L'idéologie du fascisme en France. Gros de 412 pages, il est publié par les éditions du Seuil, maison pourtant connue pour ses tendances de gauche.

 

L'auteur, Zeev Sternhell, professeur de politologie à l'Université Hébraïque de Jérusalem, est né en Pologne en 1935. Il est actuellement le Directeur du "Centre d'Etudes Européennes" et, peu avant la parution de Ni droite ni gauche, il avait fondé le Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Civilisation Française.

 

Son livre est très dense. Il abonde en outre de répétitions car, ce qui importe pour Sternhell, homme au tempérament fougueux, c'est d'inculquer au lecteur certains jugements  inhabituels. Mais il serait erroné de lui reprocher l'emploi de "concepts vagues". A l'opposé du spécialiste jusqu'ici accrédité de l'étude du fascisme, Ernst Nolte, Sternhell n'a pas reçu de formation philosophique. Il est un authentique historien qui se préoccupe de recenser le passé. Pour lui, chaque réalité historique est "irisable", on ne peut la ramener à un seul concept, il faut en considérer les diverses facettes. Dès lors, contrairement à Nolte, Sternhell ne construit pas un schéma abstrait du fascisme, dans lequel il conviendra d'enserrer ensuite les phénomènes concrets. Il renvoie de préférence ces phénomènes à toute une variété de concepts qu'il puise toutefois dans le vocabulaire politique traditionnel, afin de les cerner et de les localiser.

 

S'il entre dans notre propos de résumer ici un ouvrage aussi complexe, notre exposé ne pourra cependant pas remplacer la lecture de ce livre. Il en est plutôt l'introduction.

 

1. Qui est Zeev Sternhell?

 

1.1. Indubitablement, il est un authentique homme de gauche. Le journal Le Monde  (14.1.1983) déclare à son sujet: Sternhell entra en mai 1977, après la victoire électorale de Begin et la chute du Parti Travailliste, dans la vie politique israëlienne. Il créa le Club 77, un rassemblement d'intellectuels de l'aile d'extrême-gauche du Parti Travailliste. Ce Club s'engagea dans une politique de modération envers le monde arabe et milita pour l'évacuation de la Cisjordanie; en matière de politique interne, il chercha à favoriser une politique aussi "socialiste" que possible, c'est-à-dire accordant le maximum d'égalité. Au sein du Parti Travailliste, Sternhell fait partie d'une minorité, tout en étant membre du Comité Exécutif".

 

1.2. Sternhell est un "gramsciste". A l'instar de toute la gauche revendicatrice et contestatrice de sa génération, il s'est libéré de l'orthodoxie marxiste. Il rejette expressément la conception matérialiste de l'histoire (pp.18-19).

 

A la suite de Gramsci (et a fortiori de l'inspirateur de ce communiste italien, Georges Sorel), Sternhell se rallie à la conception historiographico-philosophique qui veut que les idées ne soient pas le reflet des réalités, mais l'inverse.

 

1.3. Le point de départ de la démarche de Sternhell: le révisionnisme. Le fait que Sternhell se soit consacré à l'étude du fascisme s'explique sans aucun doute par son intérêt pour la biographie des révisionnistes, ceux qui ont tenté de changer et de réformer le marxisme orthodoxe. De Ni droite ni gauche,  il ressort que le révisionnisme de "droite" (p.35) ou révisionnisme "libéral" (p.81), qui mène à des alliances et des compromissions avec le libéralisme bourgeois et qu'incarne un Eduard Bernstein (en France, Jaurès) fascine moins Sternhell que le révisionnisme de "gauche" (p.290), mouvement amorcé par Sorel et les syndicalistes révolutionnaires qui refusaient les "ramollissements" du socialisme et passèrent ultérieurement au fascisme. Sternhell s'intéresse en particulier à un nouveau courant socialiste d'alors qui, dépassant l'opposition Sorel/Bernstein, vit le jour au lendemain de la Grande Guerre: le révisionnisme "planiste" ou "technocratique" (p.36) du socialiste belge Henri De Man et du néo-socialiste français Marcel Déat. Ce révisionnisme-là aboutit directement au fascisme.

 

1.4. Sternhell contre le fascisme de salon. L'orientation "socialiste", qui sous-tend l'étude de Sternhell sur la problématique du fascisme, se traduit par le peu d'intérêt marqué pour les formes de fascismes philosophiques ou littéraires. Trait caractéristique: Sternhell ne mentionne nulle part les deux écrivains les plus importants appartenant au fascisme, Céline et Rebatet. Et Sternhell néglige encore d'autres aspects du fascisme de salon, du fascisme des penseurs "qui finissent leur vie en habit vert" (p.22). Vu les multiples facettes du fascisme français (et européen)(p.21), Sternhell s'adjuge le droit de poser une analyse pars pro toto: il prétend se consacrer en ordre principal à l'étude de secteurs négligés jusqu'ici (p.9).

 

2. La France, modèle du fascisme?

 

2.1. Pourquoi la France?  Le livre de Sternhell veut développer une définition du "fascisme" en se basant sur l'exemple français. Cette intention peut étonner. La France, en effet, si l'on excepte l'intermède de l'occupation allemande, n'a jamais connu un régime qualifiable de "fasciste". L'Italie, l'Allemagne voire l'Espagne seraient à cet égard de meilleurs exemples. Mais Sternhell, nous allons le voir, déploie de très sérieux arguments pour justifier son choix.

 

2.2. Les études antérieures de Sternhell. Ces arguments, pour nous, ne sauraient se déduire des travaux antérieurs de Sternhell, qui portaient tous sur la France. Dès le départ, il orienta son attention vers le fascisme, même s'il l'on peut supposer qu'un changement de perspective aurait pu se produire et lui faire choisir un autre territoire de recherches. Ce que Sternhell découvrit très tôt dans ces secteurs délaissés par la recherche qu'il se trouvait sur la bonne voie. Deux livres aussi copieux avait précédé Ni gauche ni droite. Le premier s'intitulait Maurice Barrès et le nationalisme français  (1972). Le second, La droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines françaises du fascisme  (1978), traitait de la même époque historique, mais le grand thème de Sternhell, le fascisme, apparaissait pour la première fois dans le sous-titre. La recherche a imméditament considéré ces deux ouvrages comme des classiques. Les sujets de ces livres sont à la fois plus sectoriels et plus généraux que la thématique du troisième, que nous commentons ici. Dans Ni gauche ni droite, Sternhell cherche à forger un classification globale et détaillée du phénomène fasciste qu'il entend maîtriser conceptuellement.

 

2.3. La France a inventé le fascisme. Le premier argument de Sternhell, pour situer le champ de ses recherches en France, c'est que ce pays a vu naître le fascisme vingt ans avant les autres, notamment vers 1885 (p.41). Sternhell n'emploie qu'occasionnelle- ment le terme de "pré-fascisme" pour qualifier les événements entre 1885 et 1914 (p.21). Une figure comme celle de Maurice Barrès portait déjà en elle les germes de tout le fascisme ultérieur. Et quand j'ai énoncer la même hypothèse en 1958, je me suis heurté à une surprenante incompréhension de la part des experts français...

 

2.4. La France comme contre-modèle. Le second argument qu'avance Sternhell est plus complexe. Il contourne deux écueils. Parmi les grands pays de l'Europe continentale, la France est celui où la position dominante de l'idéologie et de la praxis politique du libéralisme a été la moins menacée, du moins jusqu'à la défaite militaire de 1940 (p.41). Sternhell souligne (p.42) le fait que la révolution libérale la plus importante et la plus exemplaire de l'histoire s'est déroulée dans ce pays et attire notre attention sur les phénomènes du "consensus républicain" (p.43) et du "consensus centriste" (p.52) qui sont les clés de voûte de l'histoire française contemporaine. C'est précisément à cause de ces inébranlables consensus que Sternhell opte pour la France comme champ d'investigation. Car le fascisme, en France, n'est jamais parvenu au pouvoir (p.293) et, écrit Sternhell, "le fascisme n'y a jamais dépassé le stade de la théorie et n'a jamais souffert des compromissions inévitables qui faussent toujours d'une façon ou d'une autre l'idéologie officielle d'un régime. Ainsi on pénètre sa signification profonde et, en saisissant l'idéologie fasciste à ses origines, dans son processus d'incubation, on aboutit à une perception plus fidèle des mentalités et des comportements. Et on comprend mieux, semble-t-il, la complexité des situations et l'ambiguïté des attitudes qui font le tissu des années trente". C'est là, de toute évidence, un principe heuristique, dérivé d'une option radicalement gramsciste qui pose le primat des idées et réfute celui des contraintes factuelles.

 

3. Les problèmes de "périodisation"

 

3.1. Impossibilité de poser des datations exactes. Comme doit le faire tout véritable historien, Sternhell fait varier légèrement les dates. Mis à part pour les événements ponctuels, il n'est pas aisé de fournir des dates précises, bien délimitées dans le temps, pour désigner l'émergeance ou l'assomption d'un courant d'idées politiques. C'est pourquoi Sternhell examine le phénomène "fasciste" dans l'espace d'un demi-siècle.

 

3.2. Continuité entre 1885 et 1940.  Fait essentiel pour Sternhell: cette période est "dans l'histoire de l'Europe, une période véritablement révolutionnai- re". Et il poursuit: "En moins d'un demi-siècle, les réalités sociales, le mode de vie, le niveau technologique et, à beaucoup d'égards, la vision que se font les hommes d'eux-mêmes changent plus profondément qu'à aucun autre moment de l'histoire moderne" (p.45). Dès lors, cette période forme une unité, si toutefois l'on met entre parenthèses les quatre années de la Grande Guerre (pp.19 et 290). Et Sternhell l'écrit expressément: "Au cours de ce demi-siècle, les problèmes de fond n'ont guère varié" (p.60).

 

3.3. Trois générations. Bien qu'il soit conscient de cette continuité, Sternhell procède cenpendant à des subdivisions dans le temps; ainsi, par exemple, quand il parle des "fascistes de 1913" comme des fascistes d'un type particulier. Il distingue trois générations de fascistes (cf. pp. 30, 52 et 60): d'abord les boulangistes et les anti-dreyfusards de la fin des années 80; ensuite, avant 1914, ceux de la "deuxième génération", celle du mouvement des "Jaunes" dans le monde ouvrier et de l'Action Française  de Maurras, qui atteint alors son apogée; en finale, il évoque, comme troisième génération, le "fascisme d'après-guerre".

 

3.4. Le poids d'une époque. Il est à remarquer que Sternhell accorde nettement plus de poids aux premières décennies de l'époque qu'il étudie. Pour lui, sur le plan qualitatif, les années qui précèdent la Grande Guerre revêtent davantage d'importance que les décennies qui les suivirent car, dans cette avant-guerre, tout ce qui est essentiel dans l'élaboration du fascisme doctrinal a été dit et mis en œuvre.

 

4. Prolégomènes du fascisme

 

4.1. Refus de prendre en considération les groupuscules excentriques. Sternhell s'intéresse aux "propagateurs d'idées". Il ne ressent aucune envie de perdre son temps à étudier ce fascisme folklorique de quelques illuminés qui jouent aux brigands, fascisme caricatural dont les médias font leurs choux gras. Il n'a que mépris pour ceux qui axent leurs recherches sur ce type de phénomènes marginaux (p.9): "A l'époque déjà, quand un groupe de la Solidarité française se fait photographier à l'entraînement au pistolet, toute la presse de gauche en parle pendant des semaines: un quelconque défilé de quelques dizaines de "chemises bleues" soulève alors beaucoup plus d'intérêt que le patient travail de sape d'un Thierry Maulnier ou d'un Bertrand de Jouvenel...".

 

4.2. Le fascisme, une idéologie comme les autres. Sternhell parle de la "banalité du fascisme" (p.296): "Dans les années trente, le fascisme constitue une idéologie politique comme les autres, une option politique légitime, un état d'esprit assez courant, bien au-delà des cercles restreints qui assument leur identité fasciste...". Selon Sternhell, le fascisme était "un phénomène possédant un degré propre d'autonomie, d'indépendance intellectuelle" (p.16). Il s'élève contre "le refus fondamental de voir dans le fascisme autre chose qu'un accident de l'histoire européenne" (p.18). Pour Sternhell donc, c'est une erreur de ne considérer le fascisme que comme "une simple aberration, un accident, sinon un accès de folie collective..." (p.18). A la fin de son ouvrage (p.296), Sternhell nous met en garde contre ceux qui propagent l'opinion que les fascistes n'étaient que des "marginaux". Nombreux sont les "fascistes" qui ont été jugés, par leurs contemporains, comme les "plus brillants représentants de leur génération" (Luchaire, Bergery, Marion, de Jouvenel).

 

4.3. Les courroies de transmission. "L'idéologie fasciste constitue, en France, un phénomène de loin plus diffus que le cadre restreint et finalement peu important des adhérents aux groupuscules qui s'affublent de ce titre" (p.310). Deux pages plus loin, Sternhell explique comment il s'est fait que "l'idée fasciste" ait pu se propager dans un milieu si prêt à recevoir son message: "Les fascistes purs furent toujours peu nombreux et leurs forces dispersées. Leur influence véritable s'exercera par une contribution continue à la cristallisation d'un certain climat intellectuel; par le jeu des courroies de transmissions secondaires: des hommes, des mouvements, des revues, des cercles d'études,..." (p.312).

 

4.4. Difficulté de situer sociologiquement le fascisme. Sternhell insiste sur le fait que le fascisme "prolifère aussi bien dans les grands centres industriels de l'Europe occidentale que dans les pays sous-développés d'Europe de l'Est" (p.17). Et il aime se moquer de ceux qui croient pouvoir ranger le fascisme dans des catégories sociales bien déterminées. Il est significatif que Sternhell attire notre attention sur une constante de l'histoire des fascismes: "le glissement à droite d'éléments socialement avancés mais fondamentalement opposés à la démocratie libérale" (p.29). Si cette remarque se vérifie, elle s'opposera à toutes les tentatives de rattacher l'idéologie fasciste à des groupes sociaux trop bien définis.

 

4.5. Pour expliquer le fascisme: ni crises économiques ni guerres. Ce qui m'a frappé aussi chez Sternhell, c'est l'insistance qu'il met à montrer la relative indépendance du fascisme vis-à-vis de la conjoncture (pp.18 et 290). Il ne croit pas que la naissance du fascisme soit due à la pression de crises économiques et, assez étonnamment, estime que la première Guerre mondiale (ou tout autre conflit) a eu peu d'influence sur l'émergence du phénomène. En ce sens, Sternhell s'oppose à la majorité des experts ès-fascisme (pp.96 et 101). C'est dans cette thèse, précisément, que se manifeste clairement l'option "gramsciste" de Sternhell, nonobstant le fait que jamais le nom de Gramsci n'apparaît dans l'œuvre du professeur israëlien. Sternhell ne prend les "crises" au sérieux que lorsqu'il s'agit de crises morales, de crises des valeurs ou de crise globale, affectant une civilisation dans son ensemble.

 

4.6. "Auschwitz" en tant qu'argument-massue n'apparaît nulle part. Sternhell fait preuve d'une étonnante objectivité, ce qui est particulièrement rare dans les études sur le fascisme. Mais une telle attitude semble apparemment plus facile à adopter en Israël qu'à New York ou à Zurich. Ainsi, Sternhell n'hésite pas à reconnaître au fascisme "une certaine fraîcheur contestataire, une certaine saveur de jeunesse" (p.80). Il renonce à toute pédagogie moralisatrice. Mais il est très conscient du "problème de la mémoire", mémoire réprimée et refoulée; il l'évoquera notamment à propos de certaines figures au passé fasciste ou fascisant qui, après 1945, ont opté pour la réinsertion en se faisant les porte-paroles du libéralisme: Bertrand de Jouvenel (p.11), Thierry Maulnier (p.12) et surtout le philosophe du personnalisme, fondateur de la revue Esprit , Emmanuel Mounier (pp 299 à 310).

 

5. La formule du fascisme chez Sternhell

 

5.1. Les carences du libéralisme et du marxisme. Après cette introduction, nous sommes désormais en mesure d'expliciter l'alchimie du fascisme selon Sternhell. Pour cet historien israëlien, le fascisme s'explique en fonction d'un préliminaire historique, sans lequel il serait incompréhensible: l'incapacité du libéralisme bourgeois et du marxisme à assumer les tâches imposées par le XXème siècle.Cette incapacité constitue une carence globale, affectant toute notre civilisation, notamment toutes les institutions, les idéologies, les convictions qu'elle doit au XVIIIème, siècle du rationalisme et du mécanicisme bourgeois. Libéralisme et marxisme sont pour Sternhell les deux faces d'une même médaille. Inlassablement, il souligne que la crise de l'ordre libéral a précédé le fascisme, que cette crise a créé un vide où le fascisme a pu se constituer. Fallait-il  nécessairement que ce fascisme advienne? Sternhell ne se prononce pas, mais toute sa démonstration suggère que cette nécessité était inéluctable.

 

5.2. Révisionnistes de gauche et nationalistes déçus. Généralement, pour expliquer la naissance du fascisme, on évoque la présence préalable d'un nationalisme particulièrement radical et exacerbé. Sternhell, lui, trouve cette explication absurde. D'après le modèle explicatif qu'il nous suggère, l'origine du fascisme s'explique bien davantage par le fait qu'aux extrémités, tant à gauche qu'à droite, du spectre politique, des éléments se sont détachés pour se retrouver en dehors de ce spectre et former un troisième et nouvel élément qui n'est plus ni de gauche ni de droite. Dans la genèse du fascisme, Sternhell n'aperçoit aucun apport appréciable en provenance du centre libéral. D'après lui, le fascisme résulte de la collusion de radicaux de gauche, qui n'admettent pas les compromis des modérés de leur univers politique avec le centre mou libéral, et de radicaux de droite. Le fascisme est, par suite, un amalgame de désillusionnés de gauche et de désillusionnés de droite, de "révisionnistes" de gauche et de droite. Ce qui paraît important aux yeux de Sternhell, c'est que le fascisme se situe hors du réseau traditionnel gauche/centre/droite. Dans l'optique des fascistes, le capitalisme libéral et le socialisme marxiste ne s'affrontent qu'en apparence. En réalité, ils sont les deux faces d'une même médaille. L'opposition entre la "gauche" et la "droite" doit disparaître, afin qu'hommes de gauche et hommes de droite ne soient plus exploités comme chiens de garde des intérêts de la bourgeoisie libérale (p.33). C'est pourquoi la fin du XIXème siècle voit apparaître de plus en plus de notions apparemment paradoxales qui indiquent une fusion des oppositions en vigueur jusqu'alors. L'exemple le plus connu de cette fusion est la formule interchangeable: nationalisme social / socialisme national. Sternhell (p.291) insiste sur la volonté d'aller "au-delà", comme caractéristique du climat fasciste. Le terme "au-delà" se retrouve dans les titres de nombreux manifestes fascistes ou préfascistes: "Au-delà du nationalisme" (Thierry Maulnier), "Au-delà du marxisme" (Henri De Man), "Au-delà du capitalisme et du socialisme" (Arturo Labriola), "Au-delà de la démocratie" (Hubert Lagardelle). Ce dernier titre nous rappelle que le concept de "démocratie" recouvrait le concept de "libéralisme" jusque tard dans le XXème siècle. Chez Sternhell également, le concept de "capitalisme libéral" alterne avec "démocratie capitaliste" (p.27).

 

5.3. L'anti-ploutocratisme. L'homme de gauche qu'est Sternhell prend les manifestations sociales-révolutionnaires du fascisme plus au sérieux que la plupart des autres analystes, historiens et sociologues de son camp. Si Sternhell avait entrepris une étude plus poussée des courants philosophiques et littéraires de la fin du XIXème, il aurait découvert que la haine envers la "domination de l'argent", envers la ploutocratie, participait d'un vaste courant à l'époque, courant qui débordait largement le camp socialiste. Cette répulsion à l'encontre de la ploutocratie a été, bien sûr, un ferment très actif dans la gestation du fascisme. De nombreux groupes fascistes s'aperçurent que l'antisémitisme constituait une vulgarisation de cette répugnance, apte à ébranler les masses. L'antisémitisme, ainsi, offrait la possibilité de fusionner le double front fasciste, dirigé simultanément contre le libéralisme bourgeois et le socialisme marxiste, en une unique représentation de l'ennemi. Parallèlement, cette hostilité envers la ploutocratie pré-programmait très naturellement le conflit qui allait opposer fascistes et conservateurs.

 

5.4. La longue lutte entre conservateurs et fascistes. Vu la définition du fascisme qu'esquisse Sternhell, il n'est guère étonnant qu'il parle d'une "longue lutte entre la droite et le fascisme" (p.20) comme d'une caractéristique bien distincte, quoiqu'aujourd'hui méconnue, de l'époque et des situations qu'il décrit. Et il remarque: "Il en est d'ailleurs ainsi partout en Europe: les fascistes ne parviennent jamais à ébranler véritablement les assises de l'ordre bourgeois. A Paris comme à Vichy, à Rome comme à Vienne, à Bucarest, à Londres, à Oslo ou à Madrid, les conservateurs savent parfaitement bien ce qui les sépare des fascistes et ils ne sont pas dupes d'une propagande visant à les assimiler" (p.20). Aussi Sternhell s'oppose-t-il (p.40) clairement à la classification conventionnelle de la droite française, opérée par René Rémond, qui l'avait répartie en trois camps: les ultras, les libéraux-conservateurs et les bonapartistes. Il n'y a, en fait, jamais eu que deux camps de droite, les libéraux et les conservateurs, auxquels se sont opposés les révolutionnaires, les dissidents et les contestataires.

 

5.5. A la fois révolutionnaires et modernes. Avec ces deux termes, utilisés par Sternhell pour désigner le fascisme, l'historien israëlien a choqué ses collègues politologues. Pour lui, en effet, le fascisme est un phénomène réellement révolutionnaire et résolument moderne. "Une idéologie conçue comme l'antithèse du libéralisme et de l'individualisme est une idéologie révolutionnaire". Plus loin (p.35), Sternhell expose l'idée, d'après lui typiquement fasciste, selon laquelle le facteur révolutionnaire qui, en finale, annihile la démocratie libérale est non pas le prolétariat, mais la nation. Et il ajoute: "C'est ainsi que la nation devient l'agent privilégié de la révolution" (p.35). Les passages évoquant le modernisme du fascisme sont tout aussi surprenants. A propos d'un de ces passages (p.294), on pourrait remarquer que cette attribution de modernisme ne concerne que les fascismes italien et français:"Car le fascisme possède un côté moderniste très développé qui contribue à creuser le fossé avec le vieux monde conservateur. Un poème de Marinetti, une œuvre de Le Corbusier sont immédiatement adoptés par les fascistes, car, mieux qu'une dissertation littéraire, ils symbolisent tout ce qui sépare l'avenir révolutionnaire du passé bourgeois". Un autre passage s'adresse clairement au fascisme dans son ensemble: "L'histoire du fascisme est donc à beaucoup d'égard l'histoire d'une volonté de modernisation, de rajeunissement et d'adaptation de systèmes et de théories politiques hérités du siècle précédent aux nécessités et impératifs du monde moderne. Conséquence d'une crise générale dont les symptômes apparaissent clairement dès la fin du siècle dernier, le fascisme se structure à travers toute l'Europe. Les fascistes sont tous parfaitement convaincus du caractère universel du courant qui les guide, et leur confiance dans l'avenir est dès lors inébranlable".

 

6. Eléments particuliers de l'idéologie fasciste

 

6.1. L'anti-matérialisme. Puisque, pour Zeev Sternhell, le fascisme n'est pas simplement le produit d'une mode politique, mais une doctrine, il va lui attribuer certains contenus intellectuels. Mais comme ces contenus intellectuels se retrouvent également en dehors du fascisme, ce qui constitue concrètement le fascisme, c'est une concentration d'éléments souvent très hétérogènes en une unité efficace. Citons les principaux éléments de cette synthèse. Sternhelle met principalement l'accent sur l'anti-matérialisme (pp. 291 & 293): "Cette idéologie constitue avant tout un refus du matérialisme, c'est-à-dire de l'essentiel de l'héritage intellectuel sur lequel vit l'Europe depuis le XVIIème siècle. C'est bien cette révolte contre le matérialisme qui permet la convergence du nationalisme antilibéral et antibourgeois et de cette variante du socialisme qui, tout en rejetant le marxisme, reste révolutionnaire...Tout anti-matérialisme n'est pas fascisme, mais le fascisme constitue une variété d'anti-matérialisme et canalise tous les courants essentiels de l'anti-matérialisme du XXème siècle...". Sternhell cite également les autres éléments de l'héritage auquel s'oppose le fascisme: le rationalisme, l'individualisme, l'utilitarisme, le positivisme (p.40). Cette opposition indique que cet anti-matérialisme est dirigé contre toute hypothèse qui voudrait que l'homme soit conditionné par des données économiques. C'est quand Sternhell parle de la psychologie que l'on aperçoit le plus clairement cette opposition. Ainsi, il relève (p. 294) que les "moralistes" Sorel, Berth et Michels "rejettent le matérialisme historique qu'ils remplacent par une explication d'ordre psychologique". "Finalement", poursuit Sternhell, "ils aboutissent à un socialisme dont les rapports avec le prolétariat cessent d'être essentiels".Et il insiste: "Le socialisme commence ainsi, dès le début du siècle, à s'élargir pour devenir un socialisme pour tous, un socialisme pour la collectivité dans son ensemble,..." (p. 295). Plus explicite encore est un passage relatif au révisionnisme de Henri De Man, qui, lui, cherche la cause première de la lutte des classes "moins dans des oppositions d'ordre économique que dans des oppositions d'ordre psychologique".

 

6.2. Les déterminations. Il serait pourtant faux d'affirmer que, pour le fascisme, l'homme ne subit aucune espèce de détermination. Pour les intellectuels fascistes, ces déterminations ne sont tout simplement pas de nature "mécanique"; entendons par là, de nature "économique". Comme l'indique Sternhell, le fasciste ne considère pas l'homme comme un individu isolé, mais comme un être soumis à des contraintes d'ordres historique, psychologique et biologique. De là, la vision fasciste de la nation et du socialisme. La nation ne peut dès lors qu'être comprise comme "la grande force montante, dans toutes ses classes rassemblées" (p. 32). Quant au socialisme, le fasciste ne peut se le représenter que comme un "socialisme pour tous", un "socialisme éternel", un "socialisme pédagogique", un "socialisme de toujours", bref un socialisme qui ne se trouve plus lié à une structure sociale déterminée (Cf. pp. 32 & 295).

 

6.3. Le pessimisme. Sternhell considère comme  traits les plus caractéristiques du fascisme "sa vision de l'homme comme mu par des forces inconscientes, sa conception pessimiste de l'immuabilité de la nature humaine, facteurs qui mènent à une saisie statique de l'histoire: étant donné que les motivations psychologiques restent les mêmes, la conduite de l'homme ne se modifie jamais". Pour appuyer cette considération, Sternhell cite la définition du pessimisme selon Sorel: "cette doctrine sans laquelle rien de très haut ne s'est fait dans le monde" (p. 93). Cette définition rappelle en quoi consiste le véritable paradoxe de l'existentialité selon les conservateurs: la perception qu'a l'homme de ses limites ne le paralyse pas, mais l'incite à l'action. L'optimisme, au contraire, en surestimant les potentialités de l'homme, semble laisser celui-ci s'enfoncer sans cesse dans l'apathie.

 

6.4. Volontarisme et décadence. Sternhell, qui n'est pas philosophe mais historien, n'est nullement conscient de ce "paradoxe du conservateur". Il constate simplement la présence, dans les fascismes, d'une "énergie tendue" (p. 50) et signale sans cesse cette volonté fasciste de dominer le destin (pp. 65 & 294). Sternhell constate que le problème de la décadence inquiète le fasciste au plus haut point. C'est la raison pour laquelle celui-ci veut créer un "homme nouveau", un homme porteur des vertus classiques anti-bourgeoises, des vertus héroïques, un homme à l'énergie toujours en éveil, qui a le sens du devoir et du sacrifice. Le souci de la décadence aboutit à l'acceptation de la primauté de la communauté sur l'individu. La qualité suprême, pour un fasciste, c'est d'avoir la foi dans la force de la volonté, d'une volonté capable de donner forme au monde de la matière et de briser sa résistance. Sternhell se livre à de pareilles constatations jusqu'à la dernière ligne de son ouvrage; ainsi, à la page 312: "Dans un monde en détresse, le fascisme apparaît aisément comme une volonté héroïque de dominer, une fois encore, la matière, de dompter, par un déploiement d'énergie, non seulement les forces de la nature, mais aussi celles de l'économie et de la société".

 

6.5. La question de la vérité. D'une part, le pessimisme; d'autre part, le volontarisme. Pour une pensée logique, ce ne pourrait être là qu'un paradoxe. Mais le fascisme se pose-t-il la question de la vérité? Voyons ce que Sternhell déclare à propos de l'un des "pères fondateurs" du fascisme: "Pour un Barrès par exemple, il ne s'agit plus de savoir quelle doctrine est juste, mais quelle force permet d'agir et de vaincre" (p. 50). Comme preuve du fait que le fascisme ne juge pas une doctrine selon sa "vérité", mais selon son utilité, Sternhell cite Sorel au sujet des "mythes" qui, pour l'auteur des Réflexions sur la violence, constituent le moteur de toute action: "...les mythes sont des "systèmes d'images" que l'on ne peut décomposer en leurs éléments, qu'il faut prendre en bloc comme des forces historiques... Quand on se place sur le terrain des mythes, on est à l'abri de toute réfutation..." (pp. 93 & 94).

 

En résumé...

 

Nous n'avons pu recenser le livre de Sternhell que dans ses lignes fondamentales. Nous avons dû négliger bien des points importants, tels son allusion à la "nouvelle liturgie" comme partie intégrante du fascisme (p. 51), à son anti-américanisme latent (même avant 1914) (p. 290); nous n'avons pas approfondi sa remarque signalant que, pour le fascisme, la lutte contre le libéralisme intérieur a toujours été plus importante que la lutte menée contre celui-ci pas certains dictateurs... (p. 34). En tant que recenseur, je me permets deux remarques, pouvant s'avérer utiles pour le lecteur allemand. D'abord, l'Allemagne n'est que peu évoquée chez Sternhell. En fait de bibliographie allemande, il ne cite que les livres de Nolte traduits en français; on peut dès lors supposer qu'il ne maîtrise pas la langue de Goethe. Ma seconde remarquer sera de rappeler au lecteur allemand ma tentative de redonner une consistance au concept de "fascisme", en le limitant à un certain nombre de phénomènes historiques (Cf. Der faschistische Stil, 1973; trad.franç.: Le "style" fasciste, in Nouvelle Ecole, n°42, été 1985). Sternhell, pour sa part, a donné au terme "fascisme" une ampleur énorme. Son effort est justifiable, dans la mesure où sa vaste définition du "fascisme", au fond, correspond à ce que je désignais sous l'étiquette de "révolution conservatrice". Bref, on peut dire du livre de Sternhell qu'il a envoyé au rebut la plupart des travaux consacrés jusqu'ici à l'étude du fascisme...

 

Armin MOHLER.

(recension tirée de la revue Criticón, Munich, n°76, mars-avril 1983; traduction française d'Elfrieda Popelier).     

 

jeudi, 26 août 2010

Günter Maschke : Le déclin de la pensée conservatrice et la renaissance de la nation

Archives de Synergies Européennes - 1987

Le déclin de la pensée conservatrice et la renaissance de la nation

 

par Günter MASCHKE

 

allemagne4.jpgToute mouvance politico-idéologique est la ré­sultante d'une situation politique donnée. Elle articule les aspirations d'une classe sociale iden­tifiable et développe ses concepts en opposition à l'univers mental d'un ennemi concret. La base sociale d'une mouvance politico-idéologique en est à la fois le récipient et le moule : si la forme meurt, ou si le contenant se brise, l'esprit peut-­être survivra mais il ne fera que virevolter sur les décombres d'un passé dont il se réclamera d'abord sur un ton tragique, puis sur le mode nostalgique, enfin de façon grotesque.

 

L'esprit alors sombre dans l'arbitraire, il devient la proie d'aspirations naguère encore étrangères, qui se servent de lui comme d'un paravent idéo­logique lorsqu'elles vont pêcher des âmes aux lisières de leur terrain de chasse. L'esprit devient une arme au service de forces nouvelles, tantôt celles-ci, tantôt celles-là, avec d'autant plus de facilité que sa forme même se défait, que ses contours deviennent flous, incertains. Il se transforme alors en auxiliaire utile de décisions qui lui sont étrangères, et lorsque ces dernières, s'étant servi de lui, parviennent à leurs fins, il lui arrive de croire que leur victoire est la sienne.

 

Le conservatisme allemand : un cadavre mercenaire

 

C'est précisément le destin de la pensée conser­vatrice en Allemagne que d'avoir fait un bout de chemin avec des orientations étrangères, voire adverses. Plus encore que les idéologies concurrentes, dont la base sociale s'est effritée plus lentement et plus tardivement (1), elle a succombé à l'érosion intellectuelle et au plon­geon dans le n'importe-quoi. En Allemagne, le conservatisme est mort en 1870-1871 (2), avec le déclin de l'aristocratie foncière, au plus tard lors de la fondation de l'empire bismarckien, mais les conservateurs, eux, ont survécu. Ils sont devenus les objets, souvent actifs certes, des processus politiques et de l'évolution de la société. Plus l'acte de décès du conservatisme était ancien, plus l'idéologie conservatrice deve­nait fortuite, improvisée et lacunaire, et plus s'imposait à l'esprit la question de savoir ce qui pouvait bien encore être «conservateur».

 

Déjà, sous la République de Weimar, les ré­ponses abondaient. Dans celle de Bonn, tout dé­bat sur le conservatisme s'ouvre encore par des tentatives de définition qui s'organisent chaque année, selon un rituel immuable, autour de son­dages pour des revues, de symposiums, d'anthologies, etc... ; la plupart du temps avec les mêmes orateurs qui ne font que répéter avec componction ce qu'ils disaient déjà trois, cinq ou dix ans auparavant.

 

Trois grandes étapes politiques jalonnent le dé­clin de la pensée conservatrice : la fondation du Reich allemand, la phase finale de la République de Weimar et la création de la République fédé­rale. À chaque fois, le conservatisme fut partie prenante et agissante : sous Bismarck comme force, avant et sous Hitler comme facteur, avec Adenauer comme climat intellectuel. En s'alliant au courant politique incarné tout à tour par ces dirigeants, le conservatisme essaya toujours de sauver la mise à court terme. Comment d'ailleurs eût-il pu faire autrement : ses principes s'étaient évaporés et n'étaient plus applicables au réel. À chaque fois, bien qu'avec toujours moins de conviction, il crut pouvoir décider du cours des événements, du moins en partie, et fut réguliè­rement victime délit force à laquelle il croyait s'unir alors qu'il se livrait à elle pieds et poings liés. Après chaque liaison, d'abord heureuse, puis malchanceuse, il retomba affaibli et dés­emparé, essayant en vain de faire un minimum de clarté sur ses propres structures et sur sa substance. C'est invariablement à lui que furent imputés les errements, réels ou supposés, d'un partenaire bien plus puissant qui l'avait entraîné dans sa course.

 

Le Reich bismarcko-wilhelminien, coupable – dit-on – de la Première Guerre mondiale, aurait été, selon la lecture contemporaine, un système « conservateur ». Le Reich hitlérien, dont le ca­ractère criminel et la fin sanglante étaient, dit-on encore, prévisibles dès le début, n'aurait été que l'exacerbation d'un conservatisme militant puisque, pour l'idéologie dominante, le « fascisme » est contenu en puissance dans l'idéologie conservatrice. Même le parti et le gouvernement du pauvre Helmut Kohl se voient aujourd'hui appelés par leurs adversaires poli­tiques, de façon volontairement diffamatoire mais qui fait mouche, les « conservateurs ». Comme souffre-douleur, le conservatisme a pour lui l'éternité. Mais cela ne prouve en rien son existence.

 

Le conservatisme à la remorque du libéralisme, de Weimar et du nazisme

 

L'alliance avec Bismarck, ci-devant conservateur ultra, amena le gros des conservateurs à accepter le césarisme, lequel paie toujours tribut à la dé­mocratie et à la souveraineté populaire (3), à hausser les épaules quand une couronne légitime (celle du Hanovre) fut mise à la trappe, à s'accommoder du socialisme d'État avec tous ses effets centralisateurs et bureaucratiques et à célébrer les fastes du nationalisme et de l'étatisme. En acceptant comme « moindre mal » la Révolution d'en haut contre la Révolution d'en bas (qui menaçait déjà), le conservatisme a perdu dès cette époque sa liberté d'action et sa capacité à mettre en œuvre une stratégie propre. C'est un pragmatisme instruit par sa propre mi­sère qui l’a poussé à la « trahison ». Avec la se­conde phase de l'Empire, c'est-à-dire le wilhelminisme, dont la façade militaro-junké­rienne arrive encore aujourd'hui à berner de nombreux observateurs, le conservatisme se mit à la remorque du libéralisme. C'est justement parce qu'il arborait un profil politique bas que le libéralisme put réaliser en Allemagne son pro­gramme avec toute la frénésie qui le caractérise : expansion économique, impérialisme, construc­tion d'une flotte de guerre. La politique d'encerclement de l'Allemagne fut la réponse de l'étranger à son ascension trop tardive, laquelle, à l'instar de celle, plus précoce, de l'Angleterre et de la France, ne fut guère qu'un déchaînement d'énergies libérales. Quant à l'« étatisme » de fa­çade de l'Allemagne, il était là pour donner bonne conscience aux réactions émotionnelles de l'étranger.

 

Après 1918, le conservatisme perdit assez rapi­dement ses illusions monarchistes et s'essaya à la critique du wilhelminisme, y compris à sa substance libérale. Confronté à la faiblesse de la démocratie et du libéralisme, il comprit que cette faiblesse était complice de l'oppression et de l'exploitation de la nation allemande par les puissances victorieuses. Ces dernières, grâce au diktat de Versailles et à la SDN de Genève, pratiquaient elles aussi le libéralisme et la démo­cratie, mais, à l'égard de l'Allemagne, dans un sens « machtpolitisch ». Du coup, il devenait im­possible de lutter contre Genève et contre Ver­sailles avec des méthodes libérales. Or, l'antilibéralisme de la Révolution conservatrice, désormais forcée de saper le statu quo, n'était pas logique avec lui-même : cet antilibéralisme-là a toujours été dirigé contre la structure politique interne de la République, jamais contre le libéra­lisme économique en tant que tel. Non seulement celui-ci devait être maintenu, mais il fallait en­core le renforcer : le grand capitaine d'industrie fut célébré au nom du darwinisme social. Hugo Stinnes devenait le Messie. Mieux : ce libéralisme autoritaire s'alliait, de façon plus ou moins dif­fuse, avec les idéologies corporatistes du « Ständestaat » (4). Il s'agissait, selon la formule de Moeller van den Bruck, de « créer des choses qui vaillent la peine d'être conservées » : Dinge schaffen, deren Erhaltung sich lohnt.Cette for­mule, qui renferme, paraît-il, la substantifique moelle de la Révolution conservatrice, pouvait être approuvée par n'importe quelle formation politique ! C'était une formule creuse, dépourvue de force mobilisatrice.

 

Les masses, puisqu'elles existaient, ne pou­vaient être mises en mouvement par une idée qui n'était qu'un mélange d'éléments obscurs em­pruntés à un passé romantisé et à une actualité grisâtre. Et le bavardage sur « la prise en compte du concret » dont les conservateurs avaient, pa­raît-il, l'apanage sur les autres, n'y changeait rien. Pour une révolution, de deux choses l'une : soit elle a des idées politiques simples (en parti­culier quant à l'ordre qu'elle veut instaurer) qui s'imposent d'elles-mêmes (les contradictions et la complexité du réel, cela se règle après la vic­toire). Soit elle arbore une idée floue, élastique, interprétable à volonté et s'adressant à une masse suffisamment nombreuse. L'idéal est la combi­naison des deux : illusion de la clarté et illusion de la défense des intérêts de chacun, lesquels se rejoignent harmonieusement dans la commu­nauté du peuple. Or, sur ces deux points, la Ré­volution conservatrice fut déficitaire. Elle se condamna donc à « suivre » passivement une révolution plus puissante qu'elle, mieux : une ré­volution réelle dont elle pensait naïvement qu'elle se laisserait contrôler et manipuler.

Après le nazisme, un conservatisme culpabilisé

 

Inutile d'expliquer ici que le national-socialisme fut une force anti-conservatrice, une force fondamentalement révolutionnaire, du « jacobi­nisme brun », si l'on veut, du « Rousseau appliqué », selon l'expression de Hans Freyer. Les conservateurs ont attendu jusqu'au lende­main du 20 juillet 1944 pour s'en apercevoir. Beaucoup même attendirent l'après-guerre ! Ils en conçurent un tel sentiment de culpabilité qu'ils mobilisèrent tout leur sens des antiquités historiques pour sortir du placard le conserva­tisme de papa, celui du XIXème siècle. Se mé­prenant totalement sur le caractère nécessaire, inéluctable, de ce qui leur arrivait, ils passèrent leur temps à commémorer le conservatisme ba­varois, prussien, autrichien, hanovrien, catho­lique, etc..., y trouvant d'ailleurs matière à po­lémiques internes : à qui incombait la faute, quand et comment tous leurs malheurs avaient commencé... Bref, un combat d'ombres chi­noises en petit comité. Les yeux fixés sur le na­tional-socialisme avec d'autant plus d'horreur qu'on leur reprochait leur collaboration (réelle), ils reconnurent en lui l'Ennemi, celui que déjà leurs ancêtres combattaient : l'État-Moloch, la Grande Machine, la Bête des Profondeurs, « un certain degré de misère avec promotions et uni­formes su roulement des tambours » (Burck­hardt), avec « le final en point d'orgue : le despotisme sur ses ruines » (Niebuhr).

 

Tout cela était certes fort plausible, mais les conservateurs n'en revenaient, tout compte fait, qu'aux idylles de leurs grands-pères : eux aussi n'avaient embrassé ces marottes que lorsqu'ils furent défaits. Idylles sur lesquelles venait d'ailleurs se greffer la « théorie du déclin » : de l'absolutisme à Hitler, ce n'était qu'une marche ininterrompue vers le malheur, dont l'aboutissement nécessaire est le communisme, déjà installé sur les bords de l'Elbe. On ne tarda pas, cependant, à s'apercevoir que la situation était à ce point désespérée qu'on ne pouvait faire retour ni au conservatisme du XIXème siècle (la séparation fut d'ailleurs pénible) ni à la Révolu­tion conservatrice, d'autant plus qu'entre-temps, celle-ci était devenue la nouvelle bête noire des conservateurs.

 

Le « réalisme » et Adenauer

 

On décida donc d'être « réaliste », ce qui, en l'occurrence, signifia choisir le moindre mal, c'est-à- dire Adenauer. Le communisme, que l'on combattait encore dans les années 50 avec tout le pathos d'une théologie politique vieille de plus d'un siècle, était désormais l'ennemi. Mieux : il était l'ennemi incarné, idéal au contraire de l'autre ennemi, défunt celui-là : le national-socialisme. S'appuyant sur Adenauer, les conservateurs purent ainsi caresser subrepti­cement leurs tendances anti-nationales et anti­-étatiques. Hitler n'avait-il pas été un représentant de l'idée nationale et étatique ? Les conservateurs ne virent pas qu'Hitler était tout autre chose qu'un nationaliste : c'était un impérialiste de la race pour qui le peuple allemand était de la ma­tière première et qui ne se soucia guère de son sort en 1945. En même temps, il avait été le fos­soyeur le plus sûr de l'idée d'État. Car de deux choses l'une : ou il existe une relation entre la protection et l'obéissance, ou il n'y a pas d'État. Prisonniers de leurs réactions émotionnelles, ja­mais totalement surmontées et désormais réacti­vées, les conservateurs se rallièrent à la thèse des rééducateurs : Hitler, c'était « l'État » et la « nation ». Du coup, tous les appels à une inter­vention ordonnatrice de l'État, à une politique efficace, à une administration sachant s'imposer, le cas échéant, de façon autoritaire, furent dé­noncés comme dangereux, fascistoïdes, totali­taires, etc... Dans ce concert, ce sont les conser­vateurs qui braillaient le plus fort, oubliant par là même de balayer devant leur porte.

 

Du libéralisme à la «permissive society »

 

Il reste que dans les années 1945-1949, il était difficile de prévoir les conséquences d'un libéralisme hostile à l'idée de nation, fait d'impuissance et de soumission empressée, qui n'était pas sans rappeler celui de la République de Weimar. Ces conséquences étaient bien en­tendu programmées avec Adenauer, cet ancien ennemi juré du Reich. Les impératifs de la re­construction, l'immense réservoir de discipline de l'Allemagne et le « principe de l'expérience » (Prinzip Erfahrung),cher à Schelsky, camouflèrent, quelque temps encore, la décom­position de la nation et de l'État. En outre, jusqu'aux années 60, les patriarches avaient les rênes du pouvoir bien en mains : Adenauer, Heuss, Schumacher, Kaisen, Ernst Reuter, etc... Nul ne s'avisa alors que ces politiciens étaient ceux de la phase déclinante de Weimar, des hommes prédestinés à inaugurer la grande restauration libérale, elle qui ne reconnaît aucune frontière dictée par l'État et par l'esprit national. C'est elle qui a préparé l'intégration de la ma­jeure partie de l'Allemagne à l'Occident et le remplacement de « Vaterland »(patrie) par « Abendland »(Occident), lequel dégénéra rapi­dement en « permissive society ».

 

On ouvrit toutes grandes les portes à un libéra­lisme économique échevelé, indifférent aux bar­rières nationales ou étatiques. Le tout avec la bé­nédiction plus ou moins avouée des conserva­teurs qui récolteront dans les années 60, avec ahurissement, ce qu'ils avaient contribué à se­mer. Bien entendu, ils étaient – et sont res­tés – parfaitement inconscients de leur part de responsabilité. Ils s'empressèrent de s'allier avec ceux qn'Armin Mohler appelle les « Kerenskis de la Révolution culturelle », de Topitsch à Lübbe. Leur seule devise était : « on ne va pas plus loin ! ». Ils voulaient bâtir sur les sables mou­vants de l'ordre existant les bunkers à partir desquels s'élancerait la contre-offensive. Ils s'imaginaient naïvement trouver un point d'appui quelconque dans cette réalité. Autrement dit, c'est dans l'économie de marché forcenée d'une masse à qui l'on avait extirpé la conscience nationale et inculqué le primat du « social », que devaient refleurir discipline, droi­ture, volonté de défense, éthique familiale, in­sensibilité aux sirènes de la décadence, re­foulement de l'égoïsme de masse, résistance aux facilités des ersatz d'existence. Or, quiconque plaide pour l'économie libérale de marché et le système des besoins à satisfaire sans songer à réguler ces forces, par définition expansives, au moyen d'une « idée incontestable », c'est-à-dire un principe supérieur, se condamne à des com­bats d'arrière-garde sans issue.

 

L'idéologie conservatrice du « moindre mal » a engendré le déclin actuel

 

En fin de compte, il s'imagine être « conser­vateur » et « national » alors qu'il  ne fait que renforcer la soumission aux États-Unis – et se retrouve du même coup intellectuellement en deçà du mouvement pacifiste. Car celui-ci, au moins, sait fort bien que la République fédérale est un pays occupé, qu'elle souffre d'un déficit de souveraineté aux effets potentiellement mor­tels, et que les États-Unis sont nos ennemis. Même si le mouvement pacifiste en arrive à des conclusions absurdes, il reste idéologiquement, pour ce qui concerne le diagnostic du mal, fort en avance sur les conservateurs.

 

Tout ce qui offusque les conservateurs n'est pas exclusivement certes, mais dans une large me­sure tout de même, le résultat de la dénationali­sation, de l'illusion européenne, de la foi dans le primat de l'économie et du bien-être, de l'abandon naïf à une Loi fondamentale qui n'est qu'un « cadeau » des vainqueurs et un esclavage accepté avec zèle par les vaincus. Ce n'est pas ici le lieu de critiquer la partitocratie et le parlemen­tarisme. Il reste qu'il n'y a pas de massification et de « déclin culturel » sans destruction de l'identité nationale. Il n'y a pas de disparition de l'éthique sociale sans dénigrement ni démantè­lement de l'État, lequel, finalement, ne peut fonctionner que dans une nation qui se veut elle-­même. Il n'y a pas de sous-culture de masse américaine sans destruction de la tradition, à la­quelle coopèrent avec zèle l'État en place et ses fonctionnaires puisque c'est la condition même de leur carrière et la garantie de leur pouvoir. Dans ce système de faiblesse confortable – je dirais presque : jouissive – aucune ligne de dé­fense n'existe plus. En effet, le «moindre mal» a toujours suffisamment mauvaise conscience pour capituler bientôt sous la pression du plus grand mal, alors même que celui-ci a été identi­fié.

 

Avec la CDU, plus rien à défendre ! Avec une optique national-révolutionnaire, un avenir à construire !

 

L'itinéraire de la CDU, qui incarne toujours, aux yeux de nombreux conservateurs, le « moindre mal », illustre parfaitement cette loi d'airain de la planche savonneuse : « on ne connaît que trop, écrit Ernst Jünger, le visage de la démocratie sur le tard, celle où la trahison et l'impuissance ont lissé leurs stigmates, où tous les ferments de dé­composition, tous les éléments morts, allogènes et ennemis ont magnifiquement prospéré ; assurer à tout prix la pérennité du système, voilà leur objectif secret » (5). Situation où il n'y a plus rien à défendre, à tenir, à conserver...

 

Si les conservateurs veulent encore sauver quelque chose de ce qui leur est cher, il ne leur reste qu'à renouveler le programme de la Révo­lution conservatrice en le précisant, en le concrétisant et en le radicalisant. Tout est dans le comparatif : pour transposer dans le concret le pays qu'ils recherchent dans leur âme meurtrie, ils devront, s'ils veulent le contempler, se muer en nationaux-révolutionnaires. Bien sûr, Bonn n'est pas Weimar, mais rien n'empêche de considérer ce nouveau Versailles et ce nouveau Genève (« l'Occident », « l'Europe », la « réédu­cation ») pour ce qu'ils sont : Bonn, c'est un Weimar à la puissance dix, un super-Versailles ! Or, la reconquête de la nation, seule possibilité de sauver ce qui reste du conservatisme, se heurte, outre aux blocages que nous connais­sons, au simple fait qu'avant 1933, cette re­conquête était relativement facile parce que les couches supérieures de la société d'alors étaient exploitées par leurs « sœurs de classe» des pays victorieux tandis qu'aujourd'hui, devenues par­tie prenante du système, elles sont elles aussi à la mangeoire. C'est la raison pour laquelle le combat doit s'amorcer « à la base » et non « par le haut ». L'anticapitalisme doit être authentique et non, comme avant 1933, mi-embarrassé mi-dé­magogique.

 

Il n'y a plus de nationalisme anti­communiste qui soit possible !

 

L'entreprise, cependant, apparaît insurmontable parce qu'en Allemagne, la nation est venue « d'en haut » et « de droite », espaces où, depuis l'équipée hitlérienne, d'ailleurs souvent mal in­terprétée, aucune mobilisation n'est plus pos­sible. Autre chose : il est de plus en plus question de « tentatives » de fonder un parti national. Mais ces projets commettent l'erreur de donner la priorité au combat anticommuniste, ce qui, tout compte fait, n'est qu'un retour à Adenauer et au premier Strauss. Or, ce genre de nationalisme ne mène strictement à rien : la clé de la réunification allemande se trouve au Kremlin, pas dans les orangeries californiennes ! La volonté et la force d'aller l'y chercher sont l'affaire des Allemands et pour cela, ces derniers doivent être prêts à passer des arrangements avec le super-grand de l'Est. Bien sûr, cette volonté, qui doit toujours rester attentive aux périls, n'est pas une panacée, mais sans elle, rien ne peut se faire.

 

L'actualité nous force à ajouter que toute exi­gence de réunification qui n'inclurait pas un tel arrangement et n'approuverait pas explicitement la neutralité d'une Allemagne restaurée dans son intégralité territoriale, sera bien évidemment re­jetée par les Russes. On l’a vu au printemps et à l'été 1987. Mais si l'on exige qu'il soit mis fin à la « division de l'Europe » (comme si l'Europe était une unité au même titre que l'ancienne Al­lemagne), moyennant la réunification allemande sous un chapiteau « européen », cette exigence, vue de Moscou, ne pourra être interprétée que comme une déclaration de guerre implicite, même si ce genre de fantasmes tient plutôt du discours d'arrière-salle de café. Ce genre de « propositions » sur la réunification allemande est anti-nationale, étant donné sa vision du passé de l'Allemagne.

 

La gauche a servi les intérêts américains !

 

La gauche, en fait, n'a toujours pas compris qu'elle s'est laissée utiliser comme appendice de la rééducation et donc comme servante des inté­rêts américains. Son pseudo-anti-américanisme consiste en réalité à reprocher aux vainqueurs de ne pas vivre leurs propres impératifs catégo­riques. Knut Nevermann et Hans-Jürgen Krahl sont tout aussi victimes de la « pédagogie so­ciale » que Volker Rühe ou Gerold Tandler. L'hypertrophie moralisatrice d'un côté, le nou­veau culte du « juste milieu » de l'autre, se com­plètent finalement, leur affrontement n'étant en fin de compte que le débat entre deux méthodes différentes de se mettre à plat ventre.

 

Pourtant, la tâche est aussi démesurée que la dé­faite est totale, comme est totale l'inconscience quant à la situation de l'Allemagne sous ce su­per-Versailles. Le premier pas doit être une rup­ture mentale, voire psychique et affective avec l'entreprise « République fédérale » ; le second un effort de réflexion sérieuse. Les craintes, les pa­linodies et les scrupules des conservateurs, ce prosaïsme terre-à-terre soit-disant « réaliste » sont parfaitement stériles. Comme toujours, les grandes choses ne viennent que du foisonnement de la vie qui, elle, n'a jamais réellement fécondé la pensée conservatrice et qui, aujourd'hui, se consume dans la mesquinerie de la gestion au quotidien. « Je crois et je soutiens, écrivait Clau­sewitz, qu'un peuple n'a rien de plus haut à res­pecter que la dignité et la liberté de son exis­tence..., que la souillure d'une lâche soumission est indélébile... et je tiens la fausse intelligence avec laquelle les petits esprits veulent échapper au danger pour la chose la plus funeste que puissent inspirer la crainte et la peur » (6).

 

L'acte de naissance d'une nation est souvent la guerre civile. Il y a fort à parier que l'acte de sa reconquête ne soit pas autre chose puisque le pire ennemi de la nation est une partie de celle-ci. Ce n'est pas là du romantisme de western, c'est une déduction plausible après reconnaissance du terrain de la crise. Inter faeces et urinam nasci­mur !Pendant plus d'un siècle, les conserva­teurs ont montré des dons pour la méta­morphose. Ils ont toujours été les dindons de la farce, qu'ils fussent aveugles, mal-voyants ou bien lucides. Pourquoi ne réussiraient-ils pas à se sacrifier en s'abolissant enfin comme conser­vateurs afin de ressusciter comme nationaux-ré­volutionnaires ? Après tout, ce sont eux, sans doute, qui perçoivent le mieux la dépravation de la société contemporaine, qui ont à son égard les réactions émotionnelles les plus fortes. Pour la première fois, une chance réelle s'offre à eux : être à l'avant-garde !

 

Günter MASCHKE.

(Traduction française de Jean-Louis Pesteil. Texte paru dans l'anthologie intitulée Der Pfahl I, publiée par les éditions Matthes & Sein de Munich en 1987. Adresse : Matthes & Seitz, Mauerkirchestrasse 10, Postfach 86 05 28, D-8000 Mûnchen 86. Cette anthologie, dora un second volume est paru en 1988, est une véritable mine d anti-conformisme. Sa lecture et sa méditation sont obligatoires pour qui veut échapper aux pesanteurs morales, étriquées, rationalistes, philistines).

Notes :

 

(1) II n'y a pas de socialisme sans un prolétariat qui a une conscience de classe ; il n'y a pas de croyance au progrès sans petite-bourgeoisie en progrès ; il n'y a pas de libéra­lisme sans une bourgeoisie active ; il n'y a pas de conservatisme sans une aristocratie détentrice des terres. Certes, l'histoire est bien plus complexe que ne l'affirment ces lieux communs du marxisme vulgaire. Mais ceux qui les écartent en viennent finalement à produire des idées bi­zarres : ils imaginent que ces idéologies de base peuvent être élargies à plaisir sans qu'elles ne perdent ni cohérence ni consistance. Pour comprendre comment s'est opérée la dissolution de la pensée conservatrice, dissolution qui est le résultat de la dissolution de sa classe porteuse, lire : Panajotis Kondylis, Konservativismus : Geschichtlicher Kampf und Untergang, Stuttgart, 1986.

(2) Les conservateurs de la vieille garde, en Prusse, étaient pleinement conscients de cet état de fait mais ils n'en voulaient pas moins demeurer crispés sur leurs posi­tions perdues. Lire : Hans Joachim Schoeps, Das andere Preussen : Konservative Gestalten und Probleme im Zeitalter Freidrich Wilhelms IV, Honnef/Rhein, 1957.

(3) C'est aussi la principale réticence des frères von Ger­lach à l'égard de Bismarck. De l'autre côté de la barrière, dans le monde de la gauche, la révérence du césarisme adressée à la démocratie est notée avec un sobre sentiment de triomphe. Voir: P.J. Proudhon, La Révolution sociale démontrée par le Coup d'État du 2 décembre, Bruxelles, 1852.

(4) À ce propos, il convient de se référer à une étude très sérieuse et pleine de sarcasmes, due à la plume du natio­nal-socialiste Justus Beyer : Die Ständeideologien der Systemzeit und ihre Überwindung, Darmstadt, 1942.

(5) Ernst Jünger, Der Arbeiter, Herrschaft und Gestalt, Hamburg,1932, S. 236.

(6) Carl v. Clausewitz, Bekenntnisdenkschrift (Februar 1812) ; je cite d'après une édition contemporaine, intitulée Schriften, Aufsätze, Briefe, Bd. 1,Hrsg. Hahlweg, Göttingen, 1966, pp. 688 et suivantes.

mardi, 24 août 2010

Cola di Rienzi & the Politics of Proto-Fascism

Cola di Rienzi & the Politics of Proto-Fascism

Roma-coladirienzo01.jpgA young Italian nationalist leads his followers on a march through Rome, seizing power from corrupt elites to establish a palingenetic regime. Declaring himself Tribune, his ultimate aim is to recreate the power and glory of Ancient Rome. However, a conspiracy of his enemies topples him from power, and he is imprisoned.  Eventually, the most powerful man in the West frees him and restores him to power — albeit as leader of a puppet regime. His second attempt at Italian rebirth is cut short; he is captured, killed, and his body desecrated by the howling mob. A man who had attempted to drive his degenerate countrymen to fulfill a higher destiny is cut down by the unthinking masses — a cowardly herd who lacked the ability to comprehend, much less work towards, this leader’s dreams of glory.

Is this the life of Benito Mussolini, Duce of Fascist Italy? Well, perhaps — but even more accurately it is a description of Il Duce’s predecessor, the Roman notary Cola di Rienzi. In the mid-fourteenth century, 900 years after the Fall of Rome, di Rienzi engaged in a romantic and ill-fated attempt to restore the Roman Republic and, perhaps, the Empire itself.  Musto’s book tells us what happened. To those familiar with the life of Mussolini, di Rienzi’s tale is shocking in its similarities — shocking and depressing.

The life of Cola di Rienzi — referred to by Musto as Cola di Rienzo — is well known to historians of the Middle Ages, and was, at one time, well known to Italians in general. But in the twentieth century he was eclipsed by Mussolini, who still symbolizes Roman and Italian renewal in many minds. The self-hating Italian Luigi Barzini did di Rienzi no favors in his book The Italians. Thus, Musto’s sympathetic and well-written biography of di Rienzi is long overdo, and is an excellent addition to the library of any individual interested in European history. Of interest for this essay is the relationship of di Rienzi to fascism and the role played by the church and selfish elites in the downfall of di Rienzi and in the humiliating history of modern Italy.

Roger Griffin (Fascism, Oxford University Press, 1995) famously described fascism as “palingenetic populist ultra-nationalism” — making the elements of renewal, rebirth, and regeneration central to all permutations of this ideology. That Cola di Rienzi was a proto-fascist is quite clear. He was a populist leader, appealing to the middle class against established elites, intent on the regeneration and rebirth of Rome, Italy, and, by example, the world.

That he couched this agenda in highly religious Christian terms is to be expected for the time and place — in fourteenth century Italy he could not do otherwise — and in no way detracts from the fascistic palingenetic tone of his rhetoric and actions. After all, perhaps the “most fascist” of all the twentieth-century fascisms — Romania’s Legionary movement — was devoutly Christian and made spiritual/moral regeneration the palingenetic focus of their ideology. Thus, there is no obvious reason not to see “Rienzism” as a sort of fourteenth century fascism.

Indeed, as Musto describes di Rienzi’s march through Rome (sound familiar?) to establish his buono stato (good state), we read the following : “. . . the people of Rome restored to their proper place, mingling among friends, neighbors, and strangers, all sharing the same sense of rebirth and renewal” (emphasis added). That sounds reasonably palingenetic to me; Cola di Rienzi as Tribune of Rome or Benito Mussolini as Duce of Italy — the similarities outweigh the differences.

That Cola di Rienzi is viewed by many as a generally positive figure who — for all his flaws — sincerely wanted the best for the people suggests that perhaps proto-fascism (or fascism, for that matter) is not the unalloyed evil that some make it out to be.

Musto states that di Rienzi was more of an artist than a politician in his actions and propaganda, which is completely consistent with the aesthetic nature of fascist movements (uniforms, ceremonies, rituals, art, etc.) of the twentieth century. Cola di Rienzi’s friend and admirer was the famed Petrarch, who recognized in the young Tribune the hope of Italy and the possibility of a new age, an age of rebirth and promise. Thus, a primary icon of fourteenth century Western culture was attracted to the sociopolitical and aesthetic characteristics of the Rienzian phenomenon.

Musto notes that di Rienzi spoke not only for the people of Rome but for all the people of “sacred Italy” to whom he wished to extend Roman citizenship. Musto describes in detail how, after spending time with Pope Clement VI — his eventual bitter enemy — di Rienzi returned to Rome to overthrow the feudal rule of the baronial families. These barons had turned the eternal city into a depopulated, anarchical, bloody, and violent mess, with the Roman people groaning under the self-interested misrule of the baronial elite.

Cola spent many months laying the groundwork for his revolution, engaging in various form of propaganda, including art as well as speech, until the day came when he and followers marched to seize power. Cola declared himself Tribune, ousted the barons, and began the formation of the so-called buono stato — a name which implies as much moral/spiritual renewal as much as it does plain good governance.

And di Rienzi did bring good governance; to use twentieth-century language he made the “trains run on time.”  Establishing ties with other Italian cities, reaching out to the West as a whole, and supported by Petrarch, di Rienzi captured the attention not only of Europe but also instilled fear into the Islamic world, which saw the possibility of a resurgent Rome as the center of Western resistance to Asiatic expansion.

However, the Pope was not at all pleased with the rise of a secular power base in Rome to challenge the Church. As long as he perceived that di Rienzi would act as an effective mouthpiece to enforce Papal prerogatives against the barons, Clement supported the Tribune. But as soon as it became apparent that di Rienzi was his own man, with his own agenda, and that this agenda included a destiny for Rome and Italy that went beyond slavish subservience to the church, Clement decided that di Rienzi had to go.

Therefore, after months of intriguing against di Rienzi — even to the point of attempting to orchestrate food shortages to turn the Roman people against the Tribune — the Pope (the papacy at this time being self-exiled in France to protect themselves from their secular enemies) dropped the bombshell: on Dec. 3, 1347, Cola di Rienzi was condemned and excommunicated, and all who would support the Tribune were threatened with the same fate.

Indeed, if Rome still rallied behind di Rienzi, the entire city would have been under the Papal interdict; the entire city would have become a pariah in the Western, Christian world. In the fourteenth century, particularly fourteenth century Italy, excommunication was the worst sociopolitical fate for any leader, far worse than merely being labeled a “traitor” (which they called di Rienzi as well).

A whole list of crimes were put forth against the Tribune (including, absurdly, necromancy), and the Pope began to actively collaborate with the barons for the “final act” against the Rienzian regime. By this time, di Rienzi and the Roman people had decisively defeated the barons in the battle of Porta San Lorenzo. But it did not matter. In the year 1347, the Church, and the spiritual power of the Pope, was far more powerful than any army, any military victory. So, with the aid of the Pope, the barons rebelled and deposed di Rienzi, who was forced into exile.

Even then the Pope was not satisfied, remaining “fixated” on di Rienzi, scheming to have him captured and “annihilated.” Such was the hatred of this “Christian man of God” for the Tribune who wished to create regeneration for Romans and Italians. Could di Rienzi, in the fourteenth century, have said “Basta!” and defied the Church? Consider that Mussolini in the twentieth century could not do so, to his detriment. The secular power and ambitions of the Church was and remains a shackle on the aspirations of the Italian people.

Cola di Rienzi attempted to find sanctuary in Prague with the emperor Charles IV who eventually bowed to the overwhelming power of the papacy and turned di Rienzi over to the Inquisition for trial for “heresy.” Part of di Rienzi’s defense was his assertion — somewhat “outrageous” for the fourteenth century — that the church should have no secular power, since the founding basis for Christianity was “poverty and humility.” One can only imagine Pope Clements’s reaction to that.

Eventually brought before Pope Clement, di Rienzi was a shell of his former self, and the symbolism of this meeting cannot be dismissed. The populist and secular (yet devoutly religious) hope of Italy was brought as a humiliated prisoner before the man representing the memetic virus that has infected the West and enslaved the Italian people for centuries.

The worm turned after the death of Clement VI and the ascension of Pope Innocent VI, a less “worldly and extravagant” man than his predecessor. Innocent had, not surprisingly, secular aspirations in Rome and was therefore distressed by the violence and anarchy prevailing after the fall of di Rienzi and the rise, once again, of the baronial families. Therefore, Cola was “rehabilitated” and sent to Rome as a Papal puppet to restore his “good state” — but this time, as Innocent writes, without the “fantastic innovations” of the first Rienzian regime.

Of course, those “fantastic innovations” were merely the assertion of the Roman peoples’ right to rule themselves in a secular state independent of papal micromanagement, and that Rome and Italy were in dire need of regeneration and renewal. This was not exactly what the church wanted, or wants today. And so, a chastened Cola di Rienzi was put forward as Pope Innocent’s tool with the hope that the repeat of the Rienzian regime would not degenerate into farce. Rome not being what she once was, that hope was misplaced.

The ex-tribune (now “senator” and Papal rector) was painfully aware that the real leader of Rome was the Pope, not the Emperor, not any self-proclaimed Tribune. This is something that he had dedicated years to opposing. From the beginning of his second tenure of power — power only at the sufferance of the Pope — the established elites, particularly the barons, opposed and plotted against di Rienzi. The plots became complicated and di Rienzi, after years of imprisonment and hardship, and possibly suffering from epilepsy, was not the same man. Errors of judgment, executions of venerable Roman citizens, and the imposition of required taxes began to fray the support of the fickle Roman masses.

When the end came, at the instigation of the barons and their supporters, it came fast. The howling mob stormed di Rienzi’s residence and drowned out his attempts to reason with them. Cola di Rienzi was caught trying to flee the mob in disguise (like Mussolini); he was stabbed to death (like Caesar); his body was desecrated (like Mussolini again) then burnt to ashes (like Hitler). The ashes were thrown into the Tiber; all physical traces of the Tribune were gone.

The eerily similar lives and political careers of di Rienzi and Mussolini should give one pause. Both men were Italians living in a time of crisis for their people. Both men rose up to lead populist revolts against the established order. Both men established regimes which were initially successful and lauded by many, but then these regimes went sour and were overthrown by the forces of reaction. Both men were imprisoned thereafter. Both men then returned to power through the help of another, more powerful person — in the case of di Rienzi it was the Pope, in the case of Mussolini, Hitler. Both men then attempted to reestablish their regime, eventually failed, were killed by their enemies, and their bodies were desecrated by the mob. Both men attempted to lift the Italian people to greatness, but the special interests were too powerful and the lure of insipid, hedonistic stagnation too great.

The similarities are too many to be a coincidence. This then seems to be a distinctly Italian phenomenon. Who was at fault? Was it the fault of the two leaders themselves? Were they fatally flawed men? No doubt both men, particularly di Rienzi, had their flaws, and these flaws contributed to their failure and demise. But all great men have flaws. This easy explanation does not suffice.

No, the Italian people also have to share the blame, and I say this as a pan-European racial nationalist who is very supportive of the Italian people. Nevertheless, twice in Italy’s modern history dynamic leaders came to the fore to lead Italians to greatness, and twice did the Italian people turn on them. (In defense of the Italians, one has to ask if any other European societies have done better. One might say that it is better to have tried and failed a Rienzi or a Mussolini than never to have tried at all, which is the case of most European societies.)

I cannot forget reading Leon DeGrelle’s book on his experiences on the eastern front (translated as Campaign in Russia), fighting for Europe as part of the Wallonian division of the Waffen SS. The Italian soldiers he met were uninterested in fighting. They had no sense of the seriousness of the crusade against Bolshevism and for Europe. Instead, they cared only about “wine, women, and fun in the sun.” Nietzsche’s “last men” to be sure! (The rest of Europe has surely caught up with the Italians since then.) No wonder Italian military performance in WW II was a farce. No wonder that Italians have so long been the anvil of history, not the hammer, a fact lamented by great Italians from the middle ages to Machiavelli to Julius Evola to the present day.

But we cannot solely blame the Italians or focus on the personal flaws of di Rienzi and Mussolini. No, the 800 pound gorilla in the room is the Vatican.

An analysis of the career of di Rienzi clearly shows the pernicious influence of Pope Clement VI. Musto’s book makes it clear that Clement VI was little more than a self-interested feudal lord, more concerned with maintaining petty Papal power and privilege than in the national regeneration promised by di Rienzi. For example, on page 190 we read of the Pope’s real attitude toward di Rienzi’s new regime: “. . . the pope began carefully, delicately plotting Cola’s downfall and seeking his personal humiliation, as well as his public infamita as a traitor and a heretic.” In short, the church plotted to crush the political aspirations of the Italian people to keep them in secular servitude to the Vatican.

There is a long history of such behavior. Cola di Rienzi was not the first man to attempt Italian/Roman regeneration only to fall victim to the Vatican. As Musto tells us, in 1143, the people of Rome rose up against Pope Innocent II, drove the papacy into exile, re-established the Roman Senate, and even started minting coins in the name of “SPQR” — “The Senate and the People of Rome.” Arnold of Brescia, a monk and political philosopher, rose to lead the new republic and offered an intellectual rationale for the church’s renunciation of secular power. But in 1155, at the instigation of the papacy, the German Emperor Frederick I led an army against Rome to crush the republic and reinstall the pope. Arnold of Brescia was burned at the stake as a heretic and his ashes dumped into the Tiber. Yes, to preserve its power, the church turned to foreigners to suppress the political aspirations of the Romans.

The secular power of the church caused a “dual loyalty” problem that remains to this day. Is an Italian’s highest loyalty to Italy or to the Vatican? To di Rienzi and Mussolini or to the Pope? (Or, in Il Duce’s Italy, to the Pope as well as the secular figurehead, the King?) It is interested to contemplate how history might have been changed if the papacy had remained in Avignon, if the church had been disestablished and the papacy denied sovereign status once and for all after the reunification of Italy, or if Mussolini had not signed the Lateran Treaty of 1929, rescuing papal sovereignty from the legal limbo in which it had languished since 1861.

The other major party opposed to Cola di Rienzi were the barons of medieval Rome. As a self-interested elite, enriching themselves at the cost of the people’s well being, they are perfectly analogous to the white globalist elites of today, who routinely betray their race’s interests in their hedonistic pursuit of money, power, and pleasure.

The barons of di Rienzi’s time are also analogous to the established elites (King, nobility, military, and business) of Mussolini’s Italy. These elites opposed a full and radical fascistization of the Italian people and instead valued the well-being of their own caste over that of society as a whole. European-derived peoples, with their greater individualism, tend to produce elites willing to betray their race (and their own ethnic genetic interests) for selfish class/caste/individual interests.

What are the lessons of the story of Cola di Rienzi?

Culturally and politically, the Italians are one of the healthiest people in Europe today. Their tradition of palingenetic populist nationalism has deep roots, nourished and hallowed by the blood of martyrs like Arnold of Brescia, Cola di Rienzi, and Benito Mussolini. They failed because they could not overcome the resistance of the “barons” and the church — those whose petty secular interests are threatened by genuine national renewal. The next time — if there is a next time — things need to be done right.

For the West as a whole, the story of di Rienzi demonstrates that self-interested established elites always oppose palingenesis. It is time for a new elite, one that understands that their own interests and those of their people are one and the same, and who will work first towards  survival, and second towards fulfilling a higher destiny, the Destiny of the West.

Will “the people” be up to the challenge? We shall see. One thing is for sure — we cannot afford to waste the likes of a di Rienzi or a Mussolini. Such leaders need to be treasured, not to have their torn bodies hanged upside down for the amusement of the small-brained, milling mob.

It is time for a clean sweep. Reform is the enemy. Only complete rebirth can save us now.

lundi, 23 août 2010

Heidegger "The Nazi"

Heidegger “The Nazi”

Ex: http://www.counter-currents.com/

Emmanuel Faye
Heidegger: The Introduction of Nazism into Philosophy in Light of the Unpublished Seminars of 1933-1935
Trans. Michael B. Smith, foreword Tom Rockmore
New Haven: Yale University Press, 2009

National Socialism was defeated on the field of battle, but it wasn’t defeated in the realm of thought.

Indeed, it’s undefeatable there because the only thing its enemies can do to counter its insidious ideas is to ban those thinkers, like Martin Heidegger, whose works might attract those wanting to know why National Socialism is undefeatable and why its world view continues to seduce the incredulous.

Or, at least, so thinks Emmanuel Faye in his recently translated Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie (Paris: Albin Michel, 2005).

Why, though, all this alarmed concern about a difficult, some say unreadable, philosopher of the last century?

The reason, Tom Rockmore says, is that he lent “philosophical cover to some of the darkest impulses that later led to Nazism, World War II, and the Holocaust.”

One.
The Scandal

Faye’s book is part of a larger publishing phenomenon — in all the major European languages — related to the alleged National Socialism of the great Freiburg philosopher.

Like many prominent German academics of his age, Heidegger joined Hitler’s NSDAP shortly after the National Revolution of 1933.

He was subsequently made rector of the University of Freiburg, partly on the basis of his party affiliation, and in a famous rectorial address — “The Self-Assertion of the German University” — proposed certain reforms that sought to free German universities from “Jewish and modernist influences,” reorienting it in this way to the needs and destiny of the newly liberated Volksgemeinschaft.

 

Heidegger’s role as a public advocate of National Socialist principles did not, however, last very long.  Within a year of his appointment, he resigned the rectorship.

As he told the de-Nazification tribunal in 1945, his resignation was due to his frustration in preventing state interference in university affairs, a frustration that soon turned him away from all political engagements.

The story he told to the liberal inquisitors (which most Heideggerians accepted up to about 1988) was one in which a politically naive academic, swept up in the revolution’s excitement, had impulsively joined the party, only to become quickly disillusioned.

The story’s “dissimulations and falsehoods” were, indeed, good enough to spare him detention in a Yankee prison — unlike, say, Carl Schmitt who was incarcerated for two years after the war (though the only “Americans” Schmitt ever encountered there were German Jews in the conquerors’ uniform) — but not good enough to avoid a five-year ban on teaching.

In any case, it has always been known that Heidegger had at least a brief “flirtation” with “Nazism.”

Given the so-called “negligibility” of his National Socialism, he was able, after his ban, to resume his position as Germany’s leading philosopher.  By the time of his death (1976), he had become the most influential philosopher in the Western world.  His books have since been translated into all the European languages (and some non-European ones), his ideas have come to dominate contemporary continental thought, and they have even established a beachhead in the stultifying world of the Anglo-American academy, renowned for its indifference to philosophical issues.

Despite Heidegger’s enormous influence as “the century’s greatest philosopher,” he never quite shed the stigma of his early brush with National Socialism.  This was especially the case after 1987 and 1988.

For in late 1987 a little known Chilean-Jewish scholar, Victor Farìas, produced the first book-length examination of Heidegger’s “brush” with National Socialist politics.

His Heidegger and Nazism was not a particularly well-researched work, and there was a good deal of speculation and error in it.

It nevertheless blew apart the story Heidegger had told his American inquisitors in 1945, revealing that he had been a party member between 1933 and 1945; that his National Socialism was something more than the flirtation of a politically naive philosopher; and that his affiliation with the Third Reich was anything but “fleeting, casual, or accidental but [rather] central to his philosophical enterprise.”

This “revelation” — that the greatest philosophical mind of the 20th century had been a devoted Hitlerite — provoked a worldwide scandal.

In the year following Farìas’ work, at least seven books appeared on the subject.

The most impressive of these was by Hugo Ott, a German historian, whose Martin Heidegger: A Political Life (1994) lent a good deal of historically-documented substance to Farìas’ charges.

In the decades since the appearance of Farìas’ and Ott’s work, a “slew” of books and articles (no one is counting any more) have continued to probe the dark recesses of Heidegger’s scandalous politics.

Almost every work in the vast literature devoted to Heideggerian philosophy must now, in testament to the impact of these studies, begin with some sort of “reckoning” with his “Nazism” — a reckoning that usually ends up erecting a wall between his philosophy and his politics.

In this context, Emmanuel Faye’s book is presently being touted as the “best researched and most damaging” work on Heidegger’s National Socialism — one that aims to tear down the wall compartmentalizing his politics and to brand him, once and for all, as an apologist for “the greatest crime of the 20th century.”

It’s fitting that Faye, an assistant professor of philosophy at the University of Paris-Nanterre, is French, for nowhere else have Heidegger’s ideas been as influential as in France.

Heidegger began appearing in French translation as early as the late 1930s.  The publication in 1943 of Jean-Paul Sartre’s Being and Nothingness, based on a misreading of Heidegger, gave birth to “existentialism,” which dominated Western thought in the late 1940s and 1950s, helping thus to popularize certain Heideggerian ideas.

At the same time, French thinkers were the first to pursue the issue of Heidegger’s alleged National Socialism.

Karl Löwith, one of the philosopher’s former Jewish students exiled in France, argued in 1946 that Heidegger’s politics was inseparable from his philosophical thought. Others soon joined him in making similar arguments.

Though Löwith’s critique of Heidegger appeared in Les Temps Modernes, Sartre’s famous journal, the ensuing, often quite heated, French controversy was mainly restricted to scholarly journals.  Faye’s father, Jean-Pierre Faye, also a philosopher, figured prominently in these debates during the 1960s.

It was, though, only with Farìas and Ott that the debate over Heidegger’s relationship to the Third Reich spread beyond the academic journals and touched the larger intellectual public.

This debate continues to this day.

Part of the difficulty in determining the exact degree and nature of Heidegger’s political commitment after 1933 is due to the fact that Heidegger’s thought bears on virtually every realm of contemporary European intellectual endeavor, on the right as well as the left, and that there’s been, as a consequence, a thoughtful unwillingness to see Heidegger’s National Socialism as anything other than contingent — and thus without philosophical implication.

This unwillingness has been compounded by the fact that the Heidegger archives at Marbach are under the control of Heidegger’s son, Hermann, who controls scholarly access to them, hindering, supposedly, an authoritative account of Heidegger’s thinking in the period 1933-1945.

Moreover, only eighty of the planned 120 volumes of Heidegger’s Gesamtausgabe have thus far appeared and, as Faye contends, these are not “complete,” for the family has allegedly prevented the more “compromising” works from being published.

The authority of Faye’s Heidegger — which endeavors to eliminate everything separating his politics from his philosophy — rests on two previously unavailable seminars reports from the key 1933-34 period, as well as certain documents, letters, and other evidence, which have appeared in little known or obscure German publications — evidence he sees as “proving” that Heidegger’s “Nazism” was anything but contingent — and that this “Nazism” was, in fact, not only inseparable from his thought, but formative of its core.

On this basis, along with Heidegger’s collaboration with certain NSDAP thinkers, Faye claims that the philosophy of the famous Swabian is so infused with National Socialist principles that it ought no longer to be treated as philosophy at all, but, instead, banned as “Nazi propaganda.”

Two.
Faye’s Argument

Heidegger’s seminars of 1933 and 1934, in Emmanuel Faye’s view, expose the “fiction” that separates Heidegger’s philosophy from his politics. For these seminars reveal a brown-shirted fanatic who threw himself into the National Revolution, hoping to become Hitler’s philosophical mentor.

At the same time, Faye argues that Heidegger’s work in the 1920s, particularly his magnum opus, Being and Time (1927), was already infected with pre-fascist ideas, just as his postwar work, however much it may have resorted to a slightly different terminology, would continue to propagate National Socialist principles.

Earlier, however, when the young Heidegger was establishing himself in the world of German academic philosophy (the 1920s), there is very little public evidence of racial or anti-Jewish bias in his work. To explain this, Faye quotes Heidegger to the effect that “he wasn’t going to say what he thought until after he became a full professor.” His reticence on these matters was especially necessary given that his “mentor,” Edmund Husserl, was Jewish and that he needed Husserl’s support to replace him at Freiburg.

(For those militant Judeophobes who might think this is somehow compromising, let me point out that Wilhelm Stapel [1882-1954], after also doing a doctorate in Husserlian phenomenology, was a Protestant, nationalist, and anti-Semitic associate of the Conservative Revolution who played an important early role in NSDAP politics.)

Faye nevertheless claims that Heidegger’s early ideas, especially those of Being and Time, were already disposed to themes and principles that were National Socialist in nature.

In Being and Time, for example, Heidegger rejects the Cartesian cogito, Kant’s transcendental analytic, Husserlian phenomenology — along with every other bloodless rationalism dominating Western thought since the 18th century — for the sake of an analysis based on “existentials” (i.e., on man’s being in the world).

Like other intellectual members of Hitler’s party, Heidegger disparaged all forms of universalist thought, dismissing not only notions of man as an individual, but notions of the human spirit as pure intellect and reason.

In repudiating universalist, humanist, and individualist thought associated with liberal modernity, Faye’s Heidegger is seen not as contesting the underlying principles of liberal modernity, which he, as a former Catholic traditionalist, thought responsible for the alienation, rootlessness, and meaninglessness of the contemporary world. Rather he is depicted as preparing the way for the “Nazi” notion of an organic national community (Volksgemeinschaft) based on racial and anti-Jewish criteria.

Revealingly, this is about as far as Faye goes in treating Heidegger’s early thought. In fact, there is very little philosophical analysis at all of Being and Time or any other work in his book. Every damning criticism he makes of Heidegger is based on Heidegger’s so-called affinity with National Socialist themes or ideas — or what a liberal defending a Communist would call guilt by association.

Worse, Faye lacks any historical understanding of National Socialism, failing to see it as part of a larger anti-liberal movement that had emerged before Hitler was even born and which influenced Heidegger long before he had heard of the Führer.

For our crusading anti-fascist professor, however, the anti-liberal, anti-individualist, and anti-modern contours of Heideggerian thought are simply Hitlerian — because of their later association with Hitler’s movement — unrelated to whatever earlier influences that may have affected the development of his thought. Q.E.D.

Faye, though, fails to make the case that Heidegger’s pre-1933 thought was “Nazi,” both because he’s indifferent to Heidegger’s philosophical argument in Being and Time, which he dismisses in a series of rhetorical strokes, and, secondarily, because he doesn’t understand the historical/cultural context in which Heidegger worked out his thought.

More generally, he claims Heidegger negated “the human truths that are the underlying principle of philosophy” simply because whatever doesn’t accord with Faye’s own liberal understanding of philosophy (which, incidentally, rationalizes the radical destructurations that have come with the “Disneyfication, MacDonaldization, and globalization” of our coffee-colored world) is treated as inherently suspect.

Only on the basis of the 1933-34 and ‘34-35 seminars does Faye have a case to make.

For the Winter term of 1933-34 Heidegger led a seminar “On the Essence and Concepts of Nature, History, and State.” If Faye’s account of the unpublished seminar report is accurate (and it’s hard to say given the endless exaggerations and distortions that run through his book), Heidegger outdid himself in presenting National Socialist doctrines as the philosophical basis for the new relationship that was to develop between the German people and their new state.

Like other National Socialists, Heidegger in this seminar views the “people” in völkisch terms presuming their “unity of blood and stock.”

Faye is particularly scandalized by the fact that Heidegger values the “people” (Volk) more than the “individual” and that the people, as an organic community of blood and spirit, excludes Jews and exalts its own particularity.

In this seminar, Heidegger goes even further, calling for a “Germanic state for the German nation,” extending his racial notion of the people to the political system, as he envisages the “will of the people” as finding embodiment in the will of the state’s leader (Führer).

Faye contends that people and state exist for Heidegger in the same relation as beings exist in relation to Being.

As such, Heidegger links ontology to politics, as the “question of all questions” (the “question of being”) is identified with the question of Germany’s political destiny.

Heidegger’s rejection of the humanist notion of the individual and of Enlightenment universalism in his treatment of Volk and Staat are, Faye thinks, synonymous with Hitlerism.

Though Faye’s argument here is more credible, it might also be pointed out that Heidegger’s privileging of the national community over the interests and freedoms of the individual has a long genealogy in German thought (unlike Anglo-American thought, which privileges the rational individual seeking to maximize his self-interest in the market).

The second seminar, in the Winter term of 1934-35, “On the State: Hegel,” again supports Faye’s case that Heidegger was essentially a “Nazi” propagandist and not a true philosopher. For in this seminar, he affirms the spirit of the new National Socialist state in Hegelian terms, spreading the “racist and human-life destroying conceptions that make up the foundations of Hitlerism.”

In both courses, Faye sees Heidegger associating and merging philosophy with National Socialism.

For this reason, his work ought not to be considered a philosophy at all, but rather a noxious political ideology.

Faye, in fact, cannot understand how Heidegger’s insidious project has managed to “procure a planetary public” or why he is so widely accepted as a great philosopher.

Apparently, Heidegger had the power to seduce the public — though on the basis of Faye’s account, it’s difficult to see how the political hack he describes could have pulled this off.

In any case, Faye warns that if Heidegger isn’t exposed for the political charlatan he is, terrible things are again possible. “Hitlerism and Nazism will continue to germinate through Heidegger’s writings at the risk of spawning new attempts at the complete destruction of thought and the extermination of humankind.”

Three.
Race and State

 

Martin Heidegger, 1889 - 1976

From the above, the reader might conclude that Faye’s Heidegger is a wreck of a book.  And, in large part, it is, as I will discuss in the conclusion.

However, even the most disastrous wrecks (and this one bears the impressive moniker of Yale University Press) usually leave something to be salvaged.  There are, as such, discussions on the subjects of “race” and “the state,” which I thought might interest TOQ readers.

A) Race

National Socialism, especially its Hitlerian distillation, was a racial nationalism.

Yet Heidegger, as even his enemies acknowledge, was contemptuous of what at the time was called “biologism.”

Biologism is the doctrine, still prevalent in white nationalist ranks, that understands human races in purely zoological and materialist terms, as if men were no different from the lower life forms — slabs of meat whose existence is a product of genetics alone.

Quite naturally, Heidegger’s anti-biologism was a problem for Faye, for how was it possible to claim that Heidegger was a “Nazi racist,” if he rejected this seemingly defining aspect of racial thought?

In an earlier piece (”Freedom’s Racial Imperative: A Heideggerian Argument for the Self-Assertion of Peoples of European Descent,” TOQ, vol. 6, no. 3), I reconstructed the racial dimension of Heidegger’s thought solely on the basis of his philosophy.

But Faye, who obviously doesn’t put the same credence in Heidegger’s thought, is forced, as an alternative, to historically investigate the different currents of NSDAP racial doctrine.

In his account (which should be taken as suggestive rather than authoritative), the party, in the year after the revolution, divided into two camps vis-à-vis racial matters: the camp of the Nordicists and that of the Germanists.

The Nordicists were led by Hans K. Günther, a former philologist, and had a “biologist” notion of race, based on evolutionary biology, which sought, through eugenics, to enhance the “Nordic blood” in the German population.

By contrast, the Germanists, led by the biologist Fritz Merkenschlager and supported especially by the less Nordic South Germans, held that blood implied spirit and that spirit played the greater role in determining a people’s character.  (This ought not to be confused with Klages’ “psychologism.”)

The Germanists, as such, pointed out that Scandinavians were far more Nordic than Germans, yet their greater racial “purity” did not make them a greater people than the Germans, as Günther’s criteria would lead one to believe.

Rather, it was the Germans’ extraordinary Prussian spirit (this wonder of nature and Being) that made them a great nation.

This is not to say that the Germanists rejected the corporal or biological basis of their Volk — only that they believed their people’s blood could not be separated from their spirit without misunderstanding what makes them a people.

For the Germanists, then, race was not exclusively a matter of biological considerations alone, as Günther held, but rather a matter of blood and spirit.

(As an aside, I might mention that Julius Evola, whose idea of race represents, in my view, the highest point in the development of 20th-century racial thought, was much influenced by this debate, especially by Ludwig Ferdinand Clauss, whose raciology was a key component of the Germanist conception, emphasizing as it does the fact that one’s idea of race is ultimately determined by one’s conception of human being.)

Faye claims that, in a speech delivered in August 1933, Hitler emphasized the spiritual determinants of race, in language similar to Heidegger’s, and that he thus came down on the side of the Germanists.

The key point here is that, for Faye, the “völkisch racism” of the Germanists was no less “racist” than that of the biological racialists — implying that Heidegger’s Germanism was also as “racist.”

The Germanist conception, I might add, was especially well-suited to a “blubo” (a Blut-und-Boden nationalist) like Heidegger. Seeing man as Dasein (a being-there), situated not only in a specific life world (Umwelt), but in exchange with beings (Mitdasein) specific to his kind, his existence has meaning only in terms of the particularities native to his milieu, (which is why Heidegger rejected universalism and the individualist conception of man as a free-floating consciousness motivated strictly by reason or self-interest).

Darwinian conceptions of race for Heidegger, as they were for other  Germanists in the NSDAP, represented another form of liberalism, based on individualistic and universalist notions of man that reduced him to a disembedded object — refusing to recognize those matters, which, even more than strictly biological differences, make one people unlike another.

Without this recognition, Germanists held that “the Prussian aristocracy was no different from apples on a tree.”

B) The State

As a National Socialist, Faye’s Heidegger was above all concerned with lending legitimacy to the new Führer state.

To this end, Heidegger turned to Carl Schmitt, another of those “Nazi” intellectuals, who, for reasons that are beyond Faye’s ken, is seen by many as a great political thinker.

In his seminar on Hegel, Heidegger, accordingly, begins with the 1933 third edition of Schmitt’s Concept of the Political (1927).

 

There Schmitt defines the concept of the state in terms of the political — and the political as those actions and motives that determine who the state’s “friends” and who its “enemies” are.

But though Heidegger begins with Schmitt, he nevertheless tries to go beyond his concept of the political.

Accepting that the “political” constitutes the essence of the state, Heidegger contends that Schmitt’s friend/enemy distinction is secondary to the actual historical self-affirmation of a people’s being that goes into founding a state true to the nation.

In Heidegger’s view, Schmitt’s concept presupposes a people’s historical self-affirmation and is thus not fundamental but derivative.

It is worth quoting Heidegger here:

There is only friend and enemy where there is self-affirmation. The affirmation of self [i.e., the Volk] taken in this sense requires a specific conception of the historical being of a people and of the state itself. Because the state is that self-affirmation of the historical being of a people and because the state can be called polis, the political consequently appears as the friend/enemy relation. But that relation is not the political.

Rather, it follows the prior self-affirmation.

For libertarians and anarchists in our ranks, Heidegger’s modification of Schmitt’s proposition is probably beside the point.

But for a statist like myself, who believes a future white homeland in North America is inconceivable without a strong centralized political system to defend it, Heidegger’s modification of the Schmittian concept is a welcome affirmation of the state, seeing it as a necessary stage in a people’s self-assertion.

Four.
Conclusion

From the above, it should be obvious that Faye’s Heidegger is not quite the definitive interpretation that his promoters make it out to be.

Specifically, there is little that is philosophical in his critique of Heidegger’s philosophy and, relying on his moralizing attitude rather than on a philosophical deconstruction of Heidegger’s work, he ends up failing to make the argument he seeks to make.

If Faye’s reading of the seminars of 1933-34 are correct, than Heidegger was quite obviously more of a National Socialist than he let on. But this was already known in 1987-88.

Faye also claims that Heidegger’s pioneering work of the 1920s anticipated the National Socialist ideas he developed in the seminars of 1933-34 and that his postwar work simply continued, in a modified guise, what had begun earlier. This claim, though, is rhetorically asserted rather than demonstrated.

Worse, Faye ends up contradicting what he sets out to accomplish. For his criticism of Heidegger is little more than an ad hominem attack, which assumes that the negative adjectives (”abhorrent,” “appalling,” “monstrous,” “dangerous,” etc) he uses to describe his subject are a substitute for either a proper philosophical critique or a historical analysis.

In thus failing to refute the philosophical basis of Heidegger’s National Socialism, his argument fails, in effect.

But even if his adjectives were just, it doesn’t change the fact that however “immoral” a philosopher may be, he is nevertheless still a philosopher. Faye here makes a “category mistake” that confuses the standards of philosophy with those of morality. Besides, Heidegger was right in terms of his morals.

Faye is also a poor example of the philosophical rationalism that he offers as an alternative to Heidegger’s allegedly “irrational” philosophy — a rationalism whose enlightenment has been evident in the great fortunes that Jews have made from it.

Finally, in insisting that Heidegger be banned because of his fascist politics, Faye commits the “sin” that virtuous anti-fascists always accuse their opponents of committing.

In a word, Faye’s Heidegger is something of a hatchet job that, ultimately, reflects more on its author’s peculiarities than on his subject.

Yet after saying this, let me confess that though Faye makes a shoddy argument that doesn’t prove what he thinks he proves, he is nevertheless probably right in seeing Heidegger as a “Nazi.”  He simply doesn’t know how to make his case — or maybe he simply doesn’t want to spend the years it takes to “master” Heidegger’s thought.

Even more ironic is the scandal of Heidegger’s “Nazism” seen from outside Faye’s liberal paradigm. For in this optic, the scandal is not that Heidegger was a National Socialist — but rather that the most powerful philosophical intelligence of the last century believed in this most demonized of all modern ideologies.

But who sees or cares about this real scandal?

dimanche, 22 août 2010

We Anti-Moderns

We Anti-Moderns

Ex: http://www.counter-currents.com/

Antoine Compagnon
Les antimodernes:
De Joseph de Maistre à Roland Barthes
Paris: Gallimard, 2005

“Ce qu’on appelle contre-révolution ne sera
point une révolution contraire, mais le
contraire de la révolution.”
—Joseph de Maistre

joseph-de-maistre-source-catholicism-org.jpgThough Antoine Compagnon’s eloquently written and extensively researched essay won a number of prizes and set off a stir among France’s literati, there is little to recommend it here—except for its central theme, which speaks, however implicitly, to the great question of our age in defining and classifying a form of thought whose mission is to arrest modernity’s seemingly heedless advance toward self-destruction.

The antimoderne, Compagnon argues, was born with the birth of liberal modernity. Neither a reactionary nor an antiquarian, the anti-modernist is himself a product of modernity, but a “reluctant” one, who, in the last two centuries, has been modernity’s most severe critic, serving as its foremost counter-point, but at the same time representing what is most enduring and authentic in the modern. This makes the antimoderne the modern’s negation, its refutation, as well as its double and its most authentic representative. As such, it is inconceivable without the moderne, oscillating between pure refusal and engagement. The anti-modernist is not, then, anyone who opposes the modern, but rather those “modernists” at odds with the modern age who engage it and theorize it in ways that offer an alternative to it.

Certain themes or “figures” distinguish anti-modernism from academism, conservatism, and traditionalism. Compagnon designates six, though only four need mentioning. Politically, the antimoderne is counter-revolutionary; unlike contemporary conservatives, his opposition to modernity’s liberal order is radical, repudiating its underlying premises. Philosophically, the antimoderne is anti-Enlightenment; he opposes the disembodied rationalism born of the New Science and its Cartesian offshoot, and he sides with Pascal’s contention that “the heart has its reasons that reason knows not.” Existentially, the antimoderne is a pessimist, rejecting the modern cult of progress, with its feel-good, happy-ending view of reality. Morally or religiously, the antimoderne accepts the doctrine of “original sin,” spurning Rousseau’s Noble Savage and Locke’s Blank Slate, along with all the egalitarian, social-engineering dictates accompanying modernity’s optimistic onslaught.

The greatest and most paradigmatic of the antimoderns was Joseph de Maistre (1753–1821). Prior to the Great Revolution of 1789, which ushered in the modern liberal age, Maistre had been a Freemason and an enthusiast of the Enlightenment. The Revolution’s wanton violence, combined with Burke’s Reflections, helped turn him against it. Paradoxically indebted to the style of Enlightenment reasoning, his unorthodox Catholic critique of the Revolution became the subsequent foundation not only for the most meaningful distillations of Continental conservatism, but of the antimodern project.

The tenor of Maistre’s anti-modernism is probably best captured in his contention that the counter-revolution would not be a negation of the Revolution, but its dépassement (i.e., its overtaking or transcendence). Unlike certain reactionary anti-revolutionaries who sought a literal restoration of the old regime, the grand Savoyard realized the Revolution had wreaked havoc upon Europe’s traditional order, and nothing could ever be done to undo this, for history is irreversible. The counter-revolution would thus have to be revolutionary, going back not to the old regime, but beyond it, to a new order representing both the Revolution’s completion and transcendence. In this sense, the anti-modern project—by rejecting what is decadent and perverted in the modern, while defending what is great and necessary in it—holds out the prospect of rebirth.

Between the Great Revolution and the Second World War, as anti-modernists were excluded from the leading spheres of French political and social life, they took refuge, Compagnon argues, in literature and letters—their “ideological resistance [being] inseparable from [their] literary audacity.” Balzac, Baudelaire, Flaubert, Proust, Péguy, Céline—to name those most familiar to English-speaking readers—are a few of the great figures of French literature who, in implicit dialogue with Maistre, resisted the modern world in modernist ways. (Not coincidentally, for it was also a European phenomenon, the great Welsh Marxist scholar, Raymond Williams, makes a similar argument for English literature in his Culture and Society, 17801950 [1958], though in anti-capitalist rather than anti-modernist terms.)

But if Compagnon develops a suggestive term to designate the nineteenth- and twentieth-century resistance to modern liberal dogmas, he himself is no anti-modernist—which is what one would expect from this professor of French literature occupying prestigious chairs at both the Sorbonne and Columbia University. For anti-modernism is not simply modernity’s aesthetic auxiliary, as Compagnon would have it, but an ideological-cultural tradition frontally challenging the modern order. Given, moreover, the anti-liberal and frequently anti-Semitic implications of the anti-modern temper, as well as its uncompromising resistance to the reigning powers, no feted representative of the system’s academic establishment could possibly champion its tenets. Thus, despite Compagnon’s invaluable designation of one of the great figures opposing modernity’s destructive onslaught, he not only characterizes the antimoderne in exclusively literary terms, missing thereby its larger historical manifestations and contemporary relevance, he never actually comes to term with its defining antonym: the “moderne.”

The concept of modernity, though, is crucial not only to an understanding of the anti-modern, but to an understanding of—and hence resistance to—the forces presently threatening the European life world. There are, of course, a number of different ways to understand these anti-white threats. In an earlier piece in TOQ, I argued that they stem ultimately from the ontological disorder (“consummate meaninglessness”) that marks the foundation of the modern age. Others in these pages have pointed to the Jewish “culture of critique” and the managerial revolution of the Thirties, both of which throw light on the subversive forces threatening us. At other venues, there are those emphasizing the predatory nature of international capitalism, the suicidal disposition of our secular, humanist civilization, or the complex and perplexing forces of modern structural differentiation, to mention just a few of the contending interpretations. Because the historical process is a complicated affair and rarely lends itself to a single monolithic interpretation, the wisest course is probably an eclectic one accommodating a variety of interpretations.

However, if it were necessary to put a single label on the historical process responsible for the “decomposition and involution” preparing the way for our collective demise as a race and a culture, the best candidate in my view is the admittedly imprecise and difficult to define term “modernity”—and its variants (modernism, modernization, modern times, etc.). Over the last century and a half, some of our greatest thinkers have wrestled with this term, offering a variety of not always compatible interpretations of that “certain something” which distinguishes modern life from all former or traditional modes of existence. Compagnon adopts the view of Baudelaire, who invented the term, defining “modernité” as an experience “which is always changing, which does not remain static, and which is most clearly felt in the [bustling] metropolitan center of the city [where everything is] constantly subject to renewal.” The Baudelairian conception, like other interpretations of the modern stressing its fleeting, fragmented, and discordant nature, relates back to the Latin modernus or the early French modo, meaning “just now”—that is, something that is of present and not of past or “old-fashioned” times. In this sense, it is associated, positively, with the new, the improved, the unquestionably superior; negatively, with the ephemeral, the fashionable, and the superficial.

Here is not the place to review the history of this key term. Suffice it to note that the modernist sees life in the present as fundamentally and qualitatively different from life in the past. In contrast to traditionalists, who view the present as a continuation, a transmission, and a recuperation of the past, modernists (and today we are all, to one degree or another, modernists) emphasize discontinuity, favoring reason’s endless capacity to create ever more desirable forms of existence, opposing, thus, the historic, organic, and traditional orders of earlier social forms and identities. Racially, culturally, and in other ways, modern civilization cannot, then, but pursue its abstract, disordering cult of progress in a manner that contests who we are.

There is also a geography to modernity. It began as a European idea, but its fullest historical realization came in lands where the European tradition was weakest, specifically in America (“the home of unrelenting progress . . . where tomorrow is always better than today”) and, to a lesser extent, Soviet Russia. Thus it was that up to 1945 anti-modernists dominated European literature and letters and anti-modernist principles not infrequently found their way into the European public sphere. Since das Jahre Null, however, all has changed, and anti-modernists have been largely exiled to Samizdat and marginal publications—a sign of modernity’s increasingly totalitarian disposition to regulate, level, and homogenize for the sake of America’s modern “way of life.”

Flawed as it may be, Compagnon’s book not only helps us rediscover the anti-modern tradition that stands as an antidote to a runaway modernity, it comes at a time when modern civilization, in the form of globalization, faces its gravest crisis. Phillipe Grasset (at dedefensa.org), arguably the greatest living student of modern, especially American, civilization, claims that a triumphant modernity is today completely unchained, drunk on its own power, as it remakes the planet and transforms our lives in ways that destructure all known identities and beliefs. Like earlier French Jacobins, who exported their revolution to the rest of Europe, American Jacobins in the White House and on Wall Street are today imposing their revolutionary disorder on the rest of the world, as they turn it into a monochrome, amorphous herd of consumers shorn of everything that has traditionally been the basis of our civilization.

A single force compels the spiritless modernism of these latter-day Jacobins: the chaos-creating imperatives of their techno-economic cult of progress, which runs roughshod over every organic, historic, and traditional reference. Evident in Iraq, along our southern border, and in the antechambers of the European Commission, they thrive not just on the illusion that the past is discontinuous with the present, but on a “virtualism” whose artificial and self-serving constructions bear little relationship to the realities they endeavor to affect. As one White House official said to a New York Times reporter (October 17, 2004) on the subject of Bush’s “faith-based community”: “When we act, we create our own reality.” The modernist is prone, thus, to taking refuge in the illusory idea he makes of reality. This “virtualist” affirmation of illusion as reality inevitably leads to chaos, madness, and a world which is no longer our own.

Because our age’s defining conflict increasingly revolves around the battle between a destructuring modernity, in the form of globalism, and the anti-modernist forces of order rooted in the cultural and genetic heritage defining the European, the anti-modernist project has never been more pertinent. In Grasset’s view, what is at stake in this conflict is “the consciousness of existing as a specific phenomenon”—that is, identity. For as the modernist impetus of an American-driven globalism imposes its virtualist identities (based on creedal abstractions, not history, nature, or tradition), it clashes with the anti-modern project of forging an identity based on a synthesis of primordial identities and modern imperatives, as the temporal and the untimely meet and merge in a higher dialectic.

Throughout the nineteenth century and into the first half of the twentieth century, anti-modernists commanding the cultural heights of modern civilization were able, at times, to mitigate modernity’s destructive import. Since the American triumph of 1945, especially since 1989, as liberals and globalists subjected the spirit to new, more iron forms of conformity, this has changed, and anti-modernist writers and critics have been systematically purged from the public sphere.

The anti-modern, though, is not so easily suppressed, for it is the voice of history, heritage, and a reality that refuses to adapt to the modernist’s Procrustean demands.

Banned now from literature and letters, it is shifting to other fields. With the terrorist assault of 9/11, fourth-generation war in Iraq, the European referendum of 2005, etc.—the anti-modern forces of history and heritage continue to make themselves felt, for as our clueless modernists fail to understand, the past is never dead and gone.

TOQ, vol. 7, no. 4, Winter 2007–2008

vendredi, 20 août 2010

La croisade de Thomas Molnar contre le monde moderne

La croisade de Thomas Molnar contre le monde moderne

par Arnaud FERRAND-LÉGER

Ex: http://www.europemaxima.com/

molnar.jpgDans le monde clos des intellectuels catholiques, Thomas Molnar reste un penseur à part. Philosophe, universitaire, écrivain et journaliste, l’ancien exilé hongrois réfugié aux États-Unis est rentré dans sa patrie dès la chute du communisme. Depuis il enseigne la philosophie religieuse à l’Université de Budapest. Mieux, avec la victoire des jeunes-démocrates de Viktor Orban, le professeur Molnar fut le conseiller culturel du jeune Premier ministre magyar avant de retourner dans l’opposition.

 

En France, les interventions de Thomas Molnar se font maintenant rares dans la presse, y compris parmi les journaux catholiques et nationaux. Il publia longtemps dans le bimensuel Monde et Vie d’où, d’une plume acérée, il diagnostique d’un œil sévère et avisé le délabrement du monde postmoderniste. En revanche, il continue la publication de ses ouvrages. Le dernier, Moi, Symmaque et L’Âme et la Machine, composé de deux essais, porte encore un regard inquiet sur le devenir de la société industrielle occidentale. Rarement, un livre aura justement traduit la crise mentale profonde dans laquelle sont plongés les catholiques de tradition. Il faut croire que l’accélération du monde soit brusque pour que le catholique Molnar se mette à la place du sénateur romain Symmaque, dernier chef du parti païen au IVe siècle. Symmaque fut le dernier à essayer de restaurer les cultes anciens…

 

 

Tel un nouveau Symmaque, Thomas Molnar charge, sabre au clair !, contre le relativisme moral, le multiculturalisme, l’inculture d’État, la perte des valeurs traditionnelles, l’arnaque artistique… Il n’hésite pas à affronter les grandes impostures contemporaines ! Mais le docteur Molnar ouvre un corps social entièrement métastasé.

 

 

Découvrir Thomas Molnar

 

 

Cette nouvelle dénonciation – efficace – permettra-t-elle à son œuvre prodigieuse de sortir enfin du silence artificiel dans lequel la pensée dominante l’a plongée ? Jean Renaud le croit puisqu’il relève le défi. A travers cinq entretiens, précédées d’une étude fine et brillante de l’homme et de ses livres, Jean Renaud se propose de faire découvrir cet étonnant universitaire hongrois. Même si son ouvrage se destine en priorité au public francophone d’Amérique du Nord (Pour les « Américains nés dans un monde unilatéral, programmé, horizontal, indifférencié ! Un de [leurs] ultimes recours, ce sont ces quelques Européens qui, de par le monde, persistent »), le lectorat de l’Ancien Monde peut enfin connaître la pensée originale de cet authentique réactionnaire, entendu ici dans son acception bernanosienne.

 

 

Non sans une pointe d’humour, Jean Renaud présente le professeur Molnar comme « toujours prêt à attaquer et à tenir, même pour soutenir des causes impopulaires, cet ennemi de l’Europe politique, cet exilé en terre d’Amérique mérite néanmoins parfaitement le titre d’Européen. Non seulement possède-t-il les principales langues du vieux continent, il est d’abord et surtout resté fidèle à un héritage, multiple, ondoyant, traversé de lignes harmoniques, de fragiles équilibres. Cet héritage européen n’est point porté par lui comme une cape décorative ornée de nostalgies : il est vivant et doit être protégé par le verbe et par la pensée ». Ce combat qui fait frémir toute la grande conscience humaniste n’est pas « sans taches, puisque [son promoteur] est blanc, mâle et hétérosexuel, ni impertinence, car il n’en manifeste aucune honte ». D’ailleurs, insatisfait d’exposer ses opinions incongrues, il osa s’exprimer dans la presse nationale-catholique et participa à plusieurs colloques du G.R.E.C.E.; c’est dire la dangerosité du personnage !

 

 

Bien sûr, Thomas Molnar n’adhère pas à la Nouvelle Droite. Il en diverge profondément sur des points essentiels. Ce catholique de tradition reste un fervent défenseur du principe national. Il « préfère ce nationalisme que l’on dit “ étroit ” et “ identitaire ” au mondialisme homogénéisé, uniforme, forcément totalitaire. Bref [il ne veut] pas que les “ valeurs ” américaines, après celles de Moscou, soient imposées à l’humanité. […] Les petits peuples, ajoute-t-il, à l’égal des puissants, sont indissolublement attachés à leur identité nationale : langue, littérature, souvenirs historiques incrustés dans les monuments, les chansons, les proverbes et les symboles. Voilà les seuls outils propres à résister aux conquêtes et aux occupations. Pour la même raison, il est impossible d’organiser des alliances ou des fédérations de petites nations : les haines et les méfiances historiques les empêchent de se fédérer. C’est un malheur, mais que voulez-vous ? »

 

 

Contempteur des fausses évidences

 

 

Auteur d’une remarquable contribution à l’histoire de la Contre-Révolution, sa vision de la droite est impitoyable de lucidité. Après avoir montré que « le libéralisme […] est antinational par essence, morceau difficile à avaler pour ces hommes de droite qui se veulent des conservateurs à l’américaine, tels Giscard, Barre et Balladur. […] Il est significatif, continue-t-il, de constater que l’histoire de la droite est jalonnée de grandes illusions et, partant, de grandes déceptions. […] La droite n’a pas de politique, elle a une “ culture ”. La politique ne se trouve qu’à gauche depuis 1945; la droite ne fait que “ réagir ” de temps en temps avec un Pinochet au Chili, un Antall en Hongrie. C’est de courte durée. […] La droite n’a pas le choix : autoexilée de la politique, elle déplore cet exil qui promet d’être permanent, elle ferme les yeux et préfère s’illusionner ».

 

 

Persuadé de l’importance du combat métapolitique et de son enjeu culturel, Thomas Molnar note, avec une précision de chirurgien, que « l’opinion de droite, et la droite catholique en fait partie intégrante, ne s’intéresse guère aux arguments, aux raisonnements, au jeu subtil de la culture. Elle se sent, depuis 1789, lésée dans ses droits, dans sa vérité, et cherche à regagner ses positions d’antan. Elle se laisse enfermer dans un ghetto, pleine de ressentiment, et fait tout pour limiter sa propre influence, son propre poids, afin de pouvoir dire par la suite qu’elle est victime de l’histoire et de ses influences sataniques ». Ce réac suggère des orientations nouvelles qui détonnent dans un milieu sclérosé. Il propose par conséquent une rénovation radicale du discours banalement conservateur.

 

 

La partie la plus intéressante des entretiens concerne toutefois la Modernité, ses conséquences et son avenir. Respectueux d’« un réel multiforme jamais possédé, dans son intégralité, par la raison humaine », Thomas Molnar observe que « le ciel de la modernité est fermé; les certitudes d’antan ont mauvaise presse. Mettons-nous dans la peau de l’homme moderne : ses deux poteaux indicateurs sont l’utopie et la technologie, le miracle politique et le miracle matériel, idéaux éphémères qui s’écroulent à chaque instant. Fini le rêve marxiste, vive le libéralisme ! Plus de voyage dans la lune, vive l’intervention biotechnique ! Le cosmos, jadis peuplé de dieux, ressemble aujourd’hui à quelques gros cailloux qui tourne et éclatent, naissent et s’éteignent ». Voilà le triste bilan de « la philosophie moderne [… qui] est le refus des essences et l’accueil de l’existence brute, du devenir […] plutôt que de l’être. […] La perte de l’essence entraîne celle des structures, puis celle des significations. on peut dire n’importe quoi, à l’instar de la peinture moderne. Nous habitons le paradis des tartuffes et des charlatans, paradis où fleurit la dégringolade du sens ».

 

 

La crise de la Modernité

 

 

Or la désespérance nihiliste est superfétatoire. Pis elle est inutile, car si l’« on se sert, aujourd’hui, de ce mot “ désenchantement ” pour décrire la perte du sacré; n’oublions pas qu’il peut y avoir, dans un avenir proche ou lointain, une perte du profane, plus exactement une perte du noyau de notre civilisation technicienne et mécanicienne ». Il envisage alors tranquillement « l’effondrement graduel (toujours la fatigue des civilisations) de la mentalité technicienne, voire scientifique, par le reflux de la civilisation occidentale, qui a atteint, avec la domination américaine sur la planète, une espèce de nec plus ultra ». Certes, «l’idéologie industrielle, profondément subversive, la publicité, l’étalage du privé sur la place publique, la confusion des sexes, le règne de la machine et des robots bloquent, pour le moment, notre horizon », mais « les modernes ont tout perdu, souligne à son tour Jean Renaud; ils nous ont peut-être profondément offensés, mais ils sont fous. Leur univers est imaginaire. Chacun à notre place, il nous est possible de résister, de tenir quotidiennement, de refuser l’isolement d’aider le jeune et le vieux, d’accumuler ces actes modestes que nous avons désappris, ces actes par lesquels l’âme se fortifie. Le monde moderne existe de moins en moins ». Si les catholiques actuels savaient encore penser et s’ils cessaient de suivre les sirènes de la confusion moderne, le professeur Molnar serait sans conteste leur référence intellectuelle.

 

 

« Pour la liberté de l’âme face à la robotisation », tonne Thomas Molnar qui poursuit ainsi une véritable croisade spirituelle contre un monde déshumanisé et mécanisant, toujours plus négateur de la diversité naturelle. En d’autres temps et en d’autres lieux, Thomas Molnar aurait été un croisé de haute tenue, car il est dans l’âme un Croisé contre le Désordre contemporain. Ode alors à l’homme qui fut la Chrétienté…

 

 

Arnaud Ferrand-Léger

 

 

Moi, Symmaque, suivi de L’Âme et la machine, Éditions L’Âge d’Homme, 167 p.

 

Du mal moderne. Symptômes et antidotes, cinq entretiens de Thomas Molnar avec Jean Renaud, précédé de « Thomas Molnar ou la réaction de l’esprit » par Jean Renaud, Québec, Canada, Éditions de Beffroi, 1996.


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lundi, 28 juin 2010

Entretien avec Christiane Pigacé

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990

Entretien avec Christiane Pigacé

propos recueillis par Jürgen Hatzenbichler et Helena Pleinert

Athenabbbbbb.jpgQ.: Aujourd'hui, la démocratie est honorée comme un «veau d'or», disent ses adversaires. Mais est-il possible, de nos jours, de critiquer la démocratie ou de la refuser?

CP: Il faut d'abord voir ce que l'on entend par démocratie. Je crois qu'à notre époque, le poli­tique, en fait, est saturé, comme sont saturées les institutions politiques, par les pouvoirs écono­miques entres autres. Donc le discours sur la démocratie est en fait un discours de légitima­tion, un discours de justification, qui ne fait que cacher l'absence de démocratie véritable. Il s'a­git donc d'un leurre. Il y en a eu d'autres par le passé. Il y a eu des dieux, par exemple, qui ca­chaient les manœuvres des prêtres. De même, il n'y a pas aujourd'hui de démocratie véritable. Peut-être en Suisse, éventuellement, où il y a au moins des techniques de démocratie réelle qui sont en œuvre mais la Suisse est un tout petit Etat qui ne survit qu'à la suite d'une situation éco­nomique et politique très particulière. Les pré­tendues grandes démocraties actuelles, et par exemple la France, les Etats-Unis et l'Angle­ter­re, ne sont évidemment pas des démo­craties dans la mesure où, dans ces Etats, le peuple  —j'en­tends par là l'ensemble des ci­toyens en état de par­ticiper au politique—  ne par­ticipe pas réelle­ment au politique puisqu'il n'a pas les moyens de participer au politique. Ni les moyens économi­ques ni les moyens sociaux.

 

Q: Donc toute démocratie réelle est «démocratie à la base» (Basisdemokratie)?

 

CP: Je dirais plutôt que la démocratie directe est une technique. Je veux dire qu'il s'agit d'un en­semble de techniques qui permettent au peuple de participer directement au politique. Je ne choisis aucune technique. Je préfère me référer au terme de «démocratie de base», ou «démocratie di­rec­te», qui est celui de démocratie substantielle. C'est-à-dire qu'il faut découvrir les bonnes tech­niques pour la bonne époque, afin que le peuple participe effectivement au politique, puisse y participer à tout moment, dans la mesure où cha­que citoyen soit directement concerné par le po­li­tique et, pour cela, il faut que le peuple soit un véritable peuple, que le tissu social soit un tissu solide. Il faut aussi que chaque mouvement à l'intérieur du peuple ou à l'extérieur du peuple (contre le peuple) soit immédiatement transmis à travers les associations, à travers les différents réseaux qui construisent ce peuple, afin qu'il y ait une réaction immédiate qui n'exige même pas les techniques de la démocratie directe, qui exige simplement une adhésion, une adhésion exprimée.

 

Q: On peut effectivement imbriquer le concept de démocratie dans une tradition européenne, celle de la démocratie grecque, celle de la Rome répu­blicaine, etc. Au regard de cette tradition, à quoi la démocratie actuelle devrait-elle ressembler?

 

CP: Vos deux exemples, celui de la Grèce et celui de Rome, sont de bons exemples. Car vous évo­quez là un exemple de bonne démocratie et un exemple de mauvaise démocratie. Je crois que les Grecs ont des héritiers: ce sont les Anglo-Saxons. Et je crois que les Romains ont eu des héritiers: les peuples germaniques. La démo­cra­tie athénienne était essentiellement une dé­mocratie formelle. Je crois que la démocratie athé­nienne s'est installée dans ses institutions pour amener au pouvoir une classe de mar­chands qui s'est opposée à une classe de proprié­taires terriens. Je ne dis pas que c'était plus mal mais, enfin, ce n'était guère mieux. Alors que Rome qui ne s'est pas beaucoup préoccupée de mettre en avant le mot «démocratie», s'est, par contre, beaucoup préoccupée de mettre en avant le mot de «citoyen» et de faire en sorte que le citoyen et le peuple romain soient particulièrement res­pectés à l'intérieur et à l'extérieur de la Cité. Je ne voudrais pas entrer dans de trop longs déve­loppements, bien sûr, car cela ferait éclater le cadre de cette entrevue, mais dire que l'on perçoit des phénomènes tout-à-fait parallèles dans les démocraties germaniques primitives, où l'on sai­sit le politique de la même façon et où l'hom­me libre, en tant qu'il appartient au peuple, est de la même façon respecté. Parce qu'à travers lui, c'est le peuple que l'on respecte. Je crois qu'au­jour­d'hui il faudrait trouver des procédures pour parvenir à ce même respect et je ne pense pas que ce soit par les techniques sociales qui sont ap­pli­quées en France ou dans d'autres Etats que l'on puisse y parvenir. Au contraire, ces tech­niques, qui relèvent plutôt de la charité publique, n'ex­pri­ment pas du tout ce droit essentiel du ci­toyen à être respecté et à participer à la vie pu­blique. Donc une démocratie devrait être un lieu où existe une véritable société civile, c'est-à-dire une société où chaque citoyen soit mis en état de participer réellement à la vie publique et soit le premier personnage de cette vie publique, c'est-à-dire que l'homme politique soit un personnage qui, au contraire du citoyen, inspire immédia­tement la méfiance, alors que le citoyen, a priori, ne doit inspirer que le respect.

 

Q: Mais qu'est-ce qui fait que l'on est citoyen dans ces modèles classiques ou germaniques? N'était-ce pas seulement les hommes libres qui avaient droit de cité, droit d'éligibilité et d'élection? Cette démocratie était donc très éli­taire, très limitée...

 

CP: Je ne pense pas qu'elle était élitaire. Je pense que les circonstances historiques étaient diffé­rentes. On ne doit pas tant parler d'«homme li­bre» mais plutôt de «celui qui appartient au peu­ple». N'appartenaient pas au peuple ceux qui ve­naient en visiteurs et qui étaient reconnus com­­me «étrangers», avec un statut d'étranger: il s'a­git des métèques à Athènes ou d'autres per­sonnages ou les premiers plébéiens de Rome, par exemple, ou les esclaves. L'esclavage est chose reconnue dans toute l'Antiquité: je ne porterai pas de jugement de valeur sur l'esclavage ici mais j'ajouterai toutefois que l'esclavage était la contrepartie technique de la démocratie. Mais aujourd'hui il y a d'autres contreparties tech­ni­ques: il y a le machinisme et la technologie qui ne nécessitent plus l'existence de l'esclavage. Donc, en fait, dans l'esprit du temps, tout membre du peuple était effectivement citoyen. L'homme libre, c'est le membre du peuple, c'est celui qui appartient au peuple. Et celui qui, appartenant au peuple, était reconnu comme libre a justement tout les devoirs et les droits du citoyen. Au de­meurant, et à ce propos, je reviens à la question précédente pour donner une précision et montrer à quel point la hiérarchie entre le citoyen et l'Etat était inversée aux yeux des Anciens: dans la Rome antique, les fonctionnaires étaient souvent pris chez les esclaves ou chez les affranchis. Ce qui montre bien que le fonctionnariat n'était pas une dignité. C'était une servitude, au fond.

 

Q: On parle beaucoup aujourd'hui du «citoyen responsable» (mündiger Bürger), c'est-à-dire d'un citoyen capable de mesurer pleinement toutes les décisions prises à l'assemblée. Sans ce citoyen, la démocratie n'existe pas. Mais ce «citoyen responsable» existe-t-il?

 

CP: Si le citoyen ne tire ses droits, ses libertés et ses devoirs que du seul fait qu'il appartient au peuple, c'est-à-dire que c'est le peuple qui lui donne ses droits et ses devoirs et non l'inverse; de ce fait, le citoyen responsable n'a pas à prendre ses propres décisions, il a à participer à la décision commune, à la décision qui est prise pour le bien commun. C'est ce qui distingue l'hom­me libre dans le domaine privé du citoyen dans le domaine public et puis ensuite de l'hom­me politique lors de la crise, qui n'agit plus tout-à-fait comme un simple citoyen mais qui sup­por­tera éventuellement une responsabilité su­périeure.

 

Q: Autre fondement de la démocratie moderne: les droits de l'homme. Ces droits de l'homme sont-ils quelque chose de réel ou relèvent-ils d'un mythe permanent?

 

CP: Lorsque l'on a posé cette question à René Cas­sin, au moment où il a mis au monde la Dé­claration universelle des droits de l'Homme, lorsque, plus précisément, on lui a demandé s'il s'agissait bel et bien de droits, il a ri. Et il a ré­pondu: «bien sûr que non, n'est-ce pas, il s'agit d'une tentative politique pour tendre vers quelque chose, mais il est évident que ce ne sont pas des droits». Et Michel Villey, qui ne peut nullement être soupçonné d'être un anti-démocrate pri­mai­re, avait formulé une critique, que je n'approuve pas sur tous les points, mais une cri­tique très vigoureuse des droits de l'homme en tant que droits. Il est évident que les droits de l'homme sont une idéologie. Et une idéologie de justifi­ca­tion, de légitimation, pour les Etats ac­tuels qui se réclament de ces droits de l'homme. Mais pour que ces droits de l'homme puissent ef­fectivement s'appliquer, il faudrait d'abord que l'on sache ce qu'est l'homme et ensuite qu'il y ait un système juridique capable de faire appliquer ces droits et qui n'existe, je crois, dans aucun Etat.

 

Q: Actuellement, en Allemagne, nous assistons à une discussion entre hommes de droite et anar­chistes sur la question de l'Etat; les deux groupes de protagonistes critiquent la notion d'Etat au départ de la notion de peuple, de Volk. A votre avis quel est le rôle de l'Etat?

 

CP: L'Etat est la forme la plus élaborée de l'ins­ti­tution politique dans sa traduction juri­dique. L'Etat peut ne pas exister. Je veux dire par là que l'Etat est un phénomène récent. Le poli­tique, en revanche, est quelque chose, que je ne qualifie­rais pas d'éternel  —ce serait sans doute un peu excessif—  mais est un phénomène presque aussi ancien que l'homme. A partir du moment où il y a eu des sociétés, ces sociétés ont eu à faire face à diverses difficultés, elles ont été, ipso facto, des sociétés politiques. Et ces sociétés ont été des so­ciétés politiques, parce qu'à l'intérieur de ces sociétés, il y a eu une recon­naissance, la recon­naissance de liens face à un danger commun. Et là il y a le peuple. Donc peuple et politique sont effectivement deux choses qui vont ensemble. Mais l'Etat ne va pas obliga­toirement avec le peu­ple ni avec le politique. Parce que le politique permet l'usage de l'arbitraire, c'est la seule acti­vité humaine où l'arbitraire soit autorisé. Or, les institutions po­litiques, aujourd'hui, sont figées dans l'institution étatique et ont été récupérées par des intérêts économiques et privés, ce qui in­duit qu'elles ne sont plus politiques par ce fait même. Et là, l'Etat est vraiment contre le peuple, parce que l'Etat se pose alors comme quelque cho­se d'étranger à l'intérieur du peuple. Donc je pense que, tout en demeurant fidèle à sa vocation poli­tique, à son éventuelle vocation d'unité, d'u­nion, de réunion communautaire face à un dan­ger à un moment quelconque, un peuple peut fort bien se passer d'Etat.

 

Q: Vous affirmez donc le primat du politique contre le primat de l'économie...

 

CP: Non, pas réellement. Je veux dire qu'au­jourd'hui, il y a primat de l'économie et l'Etat est là. Le problème, je crois, est celui de l'insti­tu­tion. L'institution est quelque chose de figé. Aus­sitôt qu'une institution est créée  —je parle seulement des institutions politiques c'est-à-dire des institutions de superposition—  elle se pose comme hautement symbolique par rapport à l'i­dentité réelle d'un peuple; elle vit d'une vie pro­pre, elle se détache peu à peu de la réalité concrète que constitue ce peuple; par là même, cette insti­tution peut être la proie de n'importe qui; au­jour­d'hui, l'Etat en tant qu'institution, est la proie d'intérêts économiques. L'Etat n'a plus rien à voir avec le peuple. Et le politique n'est plus dans l'Etat. Le politique est ailleurs. Le po­litique peut être dans le terrorisme, dans le syn­dicalisme, dans la vie associative, dans la vie culturelle, par­ce que c'est là que le peuple se re­crée mais le politique n'est certainement plus dans l'Etat parce que l'Etat, aujourd'hui, ne tra­vaille plus qu'à défaire le peuple. Finalement, la tendance de l'Etat, on la voit très bien au­jourd'hui: la ten­dance de l'Etat, c'est d'en arri­ver à une seule puis­sance mondiale, les Etats-Unis, entourées de puissances vassalles. Pour­quoi des puissances vas­salles? Parce que les Etats-Unis, seul Etat subsistant, gouvernent l'ONU. Les politologues aujourd'hui, et même les plus «démocrates», l'a­vouent volontiers, et pas seulement Julien Freund et Carl Schmitt avant lui. Ils avouent que tout Etat mondial se­rait un Etat policier et tout Etat policier est, par dé­finition, contre le peuple.

 

Q: La démocratie, aujourd'hui, nous est présen­tée comme le bien absolu; la dictature, elle, fait désormais figure, de mal absolu. Peut-il y avoir une dictature nécessaire, qui amène au Bien?

 

CP: Oui. N'importe quelle forme du politique peut être bonne et nécessaire. Mais les Romains étant, pour nous, de grands instituteurs, nous re­tenons leur leçon: la dictature peut être excel­lente, à la condition expresse qu'elle dure peu et qu'elle soit associée à un objectif précis. Lorsque l'on utilise une bombe atomique, mieux vaut ne pas la faire exploser sur soi. Il faut la faire ex­plo­ser aussi loin que possible, n'est-ce pas, et sur l'objectif qu'il faut détruire. Pas un autre. Donc la dictature, à un moment précis et pour une rai­son précise, peut se révéler nécessaire ou, plus simplement, il peut s'avérer impossible d'éviter une dictature. Mais la dictature est quelque chose qui correspond à des conditions politiques tout à fait particulières, qui ne sont pas du tout anti-démocratiques. Je veux dire qu'un régime qui empêche le peuple de s'exprimer, de s'épanouir et de survivre, comme les régimes parlementaires actuels, est beaucoup plus anti-démocratique et nocif pour le peuple qu'une dictature courte et éventuellement efficace. J'insiste: courte. Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je pense que s'il faut une dictature, il faut savoir exécuter le dic­tateur aussitôt après.

 

Q: Pensez-vous que la démocratie moderne, qui prend son envol avec la révolution française, est fondamentalement une idée de gauche?

 

CP: C'est un peu complexe. La révolution fran­çai­se a été un événement complexe parce qu'à peu près toutes les formes de régime que nous con­nais­sons actuellement s'y sont exprimées. Il y avait encore des partisans de la monarchie, tant constitutionnelle qu'absolue; il y avait des dé­mo­crates libéraux, constitutionnels égale­ment; il y avait des démocrates autoritaires et plé­bis­ci­taires; il y avait ensuite des partisans d'une dic­tature plébiscitaire. Il y avait tout cela, en quel­que sorte, en vrac. Et c'est effectivement de cette époque, de façon un peu arbitraire, que l'on date l'apparition de la démocratie comme gouver­ne­ment du peuple dans notre histoire. Je répète que c'est arbitraire; à deux points de vue: parce qu'il y a eu des exemples ailleurs de gou­vernement du peuple, de démocratie, avant la ré­volution fran­çaise; ensuite, parce qu'en fait, la première chose qu'ont fait les révolutionnaires après 1794, donc après une très courte période, qui a duré un peu plus d'un an, a été d'empêcher le peuple de gou­verner. Le plus grand travail des révolution­nai­res français, ou plutôt des soi-di­sant révolution­naires français, et de leurs suc­cesseurs, a été d'em­pêcher la souveraineté du peuple de s'ex­primer. Notamment en détournant le terme de nation, et en faisant de la nation un terme ab­strait, quelque chose de tout-à-fait sub­jectif, vide de contenu réel, de manière à ce que le peuple ne puisse pas se reconnaître dans la na­tion. Donc effectivement, la démocratie mo­derne, qui, pour moi, n'est pas une démocratie, trouve sa source mythique dans la révolution française, mais c'est à tort. Je pense que la révo­lution française est porteuse du message d'une autre démocratie, que je veux bien faire mienne, mais, de celle-là, on a très peu parlé; en France, on en a reparlé bien sûr en 1815, en 1848, au début de la IIIième République, pendant toute la fin du siècle; ces démocrates-là sont bien entendu trai­tés de «fas­cistes» ou d'«hommes de droite» parce qu'ils veu­lent redonner la parole au peuple et parce qu'ils ne sont pas parlementaristes.

 

Q: Les droits de l'homme, eux aussi, ont été for­mulés au cours de la période révolutionnaire en France. Ne sont-ils pas revenus en Europe, après un détour par l'Amérique, à la suite de la seconde guerre mondiale. Ne peut-on pas dire que nous avons affaire, ici, à une idée de la gauche euro­péenne, qui nous est revenue avec les forteresses volantes, les tapis de bombes et de phosphore qui ont incendié les écoles et les baraquements des réfugiés?

 

CP: Je crois que cette idée est partie d'Amérique et non de France. Je veux dire par là que la pre­mière «déclaration des droits» est anglo-sa­xon­ne, plus précisément américaine. C'est une dé­cla­ration des droits plus universelle puisque la déclaration française est, ne l'oublions pas, une déclaration des droits de l'homme ET du citoyen. Et très rapidement, il sera clair que ce citoyen est le citoyen français. Au regard de cela, je ne vois pas ce que vous en­tendez par «gauche». Si l'on veut dire par là que la déclaration des droits de l'homme et l'idéologie des droits de l'homme est une idéolo­gie favorable au peuple et favorable à la citoyen­neté et à la souveraineté du peuple, on peut dire que cette déclaration et cette idéologie n'ont pas fait leurs preuves en ce sens. Je pense que ceux qui, en France, ont lancé la première déclaration des droits, étaient des anglophiles pour la plu­part; ils essayaient, en quelque sorte, de synthé­tiser, avec l'esprit qui est toujours l'es­prit fran­çais, un ensemble d'idées qu'ils avaient prises ou croyaient avoir reprises à l'Angleterre ou aux Etats-Unis. Mais ces idées étaient en fait conser­vatrices, dans le sens où elles étaient ins­pirées des constitutionalistes anglo-saxons. De toute façon, l'idéologie des droits de l'homme con­naîtra deux interprétations, en France: une interprétation nationaliste et une interprétation in­ternationaliste, plutôt mondialiste, qui va l'em­­porter avec l'appoint, effectivement, des An­­­glo-Saxons au moment de la première guerre mondiale, lorsque Wilson imposera son point de vue. Aujourd'hui, je pense que pour l'essentiel l'idéologie des droits de l'homme est une idéolo­gie d'inspiration anglo-saxonne.

 

Q: Quelle serait alors l'interprétation nationa­liste des droits de l'homme?

 

CP: En France, les droits de l'homme ont été dé­fendus par les nationalistes, surtout face aux marxistes. Parce qu'aux yeux des nationalistes, les droits de l'homme et du citoyen étaient des droits gagnés par le peuple français au prix de son sang durant les nombreuses révolutions que le peuple français avait faites au cours du XIXiè­me siècle. Ces droits gagnés par le peuple fran­çais devaient être défendus par le peuple français en tant que tels. L'internationalisme pour sa part, surtout dans sa mouture marxiste, se faisait le complice du capitalisme en jouant en quelque sorte l'internationale des travailleurs, réduits à l'état de prolétaires, contre les ouvriers français, parce que ces ouvriers avaient plus de droits que les autres et que, par égalitarisme, on voulait leur ôter ses droits ou une parte de ces droits. Donc pour les nationalistes français, il fallait aider les autres nationalistes  —il y avait ef­fec­ti­vement une inter-nationale, comme le dit Bar­rès dans Scènes et doctrines du nationa­lisme—   car chaque peuple devait défendre les droits qu'il avait acquis en tant que peuple. Le mot citoyen a donc une grande importance. Je vous donne une précision historique, qui est ca­pitale: le mouve­ment nationaliste est issu histo­riquement, dans toute l'Europe, d'un événement qui est la révo­lution française. Mais les nationa­listes français sont issus de la révolu­tion, alors que les natio­na­­lismes, ailleurs en Eu­rope, se sont souvent faits contre la révolution. Ce qui fait que, pour des nationalistes français, il n'était pas du tout génant de s'approprier la révo­lution française. Nationalistes de tous les pays peuvent se rejoin­dre mais en sachant qu'il y a une route histo­ri­que qui n'a pas été parcourue de la même ma­nière.

 

Q: L'idée de démocratie, issue de la révolution française, est couplée à une idée d'égalitarisme: tous les hommes sont pareils, pourvus des mêmes facultés et des mêmes droits, légués par Dieu. Telle est l'idée que la plupart de nos contempo­rains se font de la démocratie. Tout le reste, pour eux, n'est pas de la démocratie, même si, pour vous, la démocratie a de toutes autres racines...

 

CP: Oui, j'en suis bien consciente, mais je ne pense pas qu'il y ait, à l'heure actuelle, de démo­cratie en Europe occidentale. Je pense qu'il y existe des régimes qui, sous couvert de démocra­tie, sont en fait des oligarchies, des oligarchies économiques. Quant à la révolution française, on lui a fait dire ce que l'on a bien voulu lui faire dire. L'idée de démocratie, telle qu'elle relève de la révolution française, est une idée qui est ins­pirée de la déclaration des droits de l'homme, bien évidemment. Mais cette déclaration est pu­rement fictive, illusoire. Ce n'est pas elle qui a inspiré la véritable révolution française, c'est-à-dire celle de 1793 et de 1794, qui est effectivement la véritable révolution, où l'on insiste sur les as­pects dynamiques, sur le pouvoir accordé au peuple, et non pas seulement sur des droits illu­soires.

 

Q: Les démocraties actuelles se définissent comme les pôles opposés et absolus des systèmes totalitaires, de quelqu'idéologie qu'ils relèvent. Peut-on imaginer qu'un système de démocratie formelle puisse se muer en un totalitarisme?

 

CP: Vous m'obligez à faire du vocabulaire. C'est-à-dire qu'on évolue entre les deux conceptions de la démocratie, celles de la démocratie formelle et de la démocratie substantielle. Je vois mal com­ment une démocratie substantielle, c'est-à-dire une démocratie qui est respectueuse des identités, des différences, peut devenir totalitaire. Ce serait absolument incompatible. Une démocratie sub­stantielle, par essence, ne peut jamais devenir totalitaire. Elle ne peut jamais être soumise à un monolithisme qu'il soit culturel, politique ou re­ligieux. Son principe est le respect des diffé­rences. Sa force naît de l'accord commun autour du respect de ces différences. Par exemple de la reconnaissance par les régions de l'autorité po­litique, de la reconnaissance par les communes, par les villes, par les villages, de l'autorité des régions, de la reconnaissance, à l'intérieur des différentes villes, des associations, bref, de tout ce tissu humain. Donc une démocratie substan­tielle, si elle est vraiment une démocratie sub­stantielle, ne peut pas être totalitaire. En re­van­che, ce que l'on appelle démocratie au­­jour­d'hui, c'est-à-dire le régime dont nous par­lions et qui a remplacé le peuple, a remplacé la souveraineté du peuple par une divinité que l'on appelle l'i­déologie des droits de l'homme, peut être tota­li­taire et elle le montre. Elle a un effet décapant et uniformisant qui est absolu et c'est même le to­talitarisme absolu puisque c'est un totalitarisme qui ne construit rien mais qui dé­truit.

 

Q: Dans les écrits de la «nouvelle droite» fran­çaise, on repère sans cesse le concept d'«Etat or­ganique». A quoi ressemblerait un tel Etat sur le plan du droit et des sciences politiques?

 

CP: Nous savons tous ce qu'est, scientifiquement parlant, une société organique. C'est une société où les parties s'expliquent par le tout et non l'in­verse. D'un point de vue juridique, institu­tion­nel, je ne pense pas qu'il y ait de règles. La seule règle, c'est la règle du politique. C'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait une hiérarchie des va­leurs à l'in­térieur de cette société, que cette hié­rarchie transparaisse dans les institutions, qu'elles soient écrites ou non écrites, et que ces institu­tions permettent, puisqu'elles sont des institu­tions politiques, que la décision politique soit pri­se souverainement au moment venu. Je ne pen­se pas qu'il soit nécessaire de compliquer les choses au-delà de ce que je viens de vous dire.

 

Q: Parlons un petit peu de l'institution parle­mentaire. Dans un parlement, en théorie, siè­gent les représentants élus du peuple. Le parle­ment est de ce fait un reflet du peuple. Une as­semblée où l'on prend des décisions qui vont dans le sens du bien du peuple. En réalité, nous avons souvent affaire aux représentants, non du peuple, mais des intérêts des lobbies. Comment pourrait-on réduire au minimum la représenta­tion de ces lobbies au profit d'une représentation réellement populaire?

 

CP: Je pense qu'il n'y a pas de solution-miracle. On peut constater l'existence des lobbies et sup­pri­mer les lobbies. Et ensuite, le peuple se re­struc­turera et reconstruira éventuellement ses réseaux. Mais, je le répète, il n'y a aucune solu­tion-miracle. On peut admettre quelques freins. Par exemple, pour ce qui concerne l'élection d'un député. Un député, dans l'état actuel des choses, ne court plus aucun risque jusqu'à sa réélection. Bon, il est élu, il est très content d'être élu; ce qu'il doit alors essayer de faire: trouver d'autres électeurs pour être réélu. Et cela pourrait ne pas être les mêmes électeurs. Il est certain que si l'on pouvait prévoir des procédures a posteriori qui permettraient aux électeurs de ce député de le ré­voquer en cours de mandat, les risques encourus par le député seraient nombreux. C'est une pro­cé­­dure qui est appliquée dans certains Etats. On l'appelle la procédure de revocatio ad popu­lum.  Elle a notamment été appliqué à Rome. Elle pré­voit un contrôle extrêmement étroit des activités financières de ce député ainsi que de ses faits et gestes pendant son mandat, assorti d'une sorte de procès qui lui serait fait après son man­dat. Ce qui oblige le député à être plus attentif à la volonté de ses électeurs. Mais je ne crois pas que ce soit suffisant. Car s'il s'agit d'électeurs comme ceux d'aujourd'hui, c'est-à-dire des gens qui appar­tien­nent à une société libérale ou issue du monde libéral, eh bien, ces électeurs ne seront qu'une somme d'individus qui voteront un peu au ha­sard. Donc, a priori, la condition indispen­sable à la formation d'institutions saines, c'est la réap­pa­rition d'un peuple sain, d'un véritable peuple et ce peuple, je ne peux pas le fabriquer d'un coup de baguette magique et aucune institu­tion n'en est capable.

 

Q: Carl Schmitt a défini le concept du politique par celui de l'inimitié. Quel est le degré d'inimitié nécessaire à l'intérieur d'un système politique? Et comment cette inimité s'exprime-t-elle?

 

CP: Je pense que pour que le politique soit néces­saire, pour que l'institution politique soit néces­saire, il faut qu'effectivement un danger appa­raisse. Mais je pense aussi que pour que l'insti­tu­tion politique apparaisse, l'amitié est au moins aussi nécessaire que l'inimitié. Parce que si l'on ne trouve pas d'amis contre l'ennemi, le po­litique n'apparaîtra jamais. Donc, il faut, sur ce point, compléter Carl Schmitt, par exemple par Koellreutter. C'est-à-dire compléter la notion d'en­nemi par celle de «camarade dans le peu­ple». S'il y a un peuple qui s'ignore, parce qu'il n'a pas encore rencontré la nécessité de se ma­nifester en tant que peuple, il aura l'occasion de se reconnaître comme tel quand l'ennemi ap­paraîtra. Mais s'il n'y a pas de peuple, l'ennemi peut apparaître et il n'y aura pas, je crois, de ré­action politique. Donc amitié et inimitié sont né­cessaires. Et l'on peut se trouver dans une société qui a tous les traits d'une société politique, durant des siècles, sans, je pense, qu'il y ait d'ennemi. C'est une chose possible. Je ne sais pas si une telle société ne tendrait pas à une certaine dés­agrégation.

 

Mais il y a beaucoup de définitions de l'ennemi. L'ennemi peut être un autre peuple, une puis­san­ce économique, un danger écologique, ou n'im­porte quelle sorte de danger, comme une épidé­mie, etc. On utilise beaucoup la façon dont Carl Schmitt a présenté, peut-être d'une manière un peu dure, sa définition de l'ennemi, pour dire: voilà il y a d'affreux fascistes qui voient des en­nemis partout. Mais le fait est là: nous avons tous, tant que nous sommes, des ennemis partout. Les idéologues de gauche qui rejettent le plus vi­vement la pensée de Carl Schmitt sont les pre­miers à voir des ennemis partout à droite, chez les adversaires de l'écologie, chez les bellicistes, etc. Leur façon d'être pacifistes manifeste bien qu'ils ont un grand sens de l'ennemi, beaucoup plus vif que la plupart des nationalistes que je connais et qui cherchent au contraire à s'unir avec n'importe qui. Les gens de gauche, eux, pas­­sent leur temps à reconnaître l'ennemi.

 

Q: On parle beaucoup, trop même, des concepts de «gauche» et de «droite». Ils sont utilisés désor­mais universellement, mais ne décrivent plus guère une substance concrète. N'est-il pas temps d'introduire de nouvelles dichotomies, un nou­veau vocabulaire instrumentalisable pour rendre compte de la complexité des enjeux poli­tiques?

 

CP: Je pense qu'effectivement il y a tout un tra­vail énorme à faire sur les concepts. Ce devrait être notre premier travail, peut-être. Le concept de «nationalisme», lui aussi, devrait être réétu­dié. De même que le concept de «socialisme». Tous ces concepts ont été forgés de façon un peu rapide au XIXième siècle. Pour la «droite» et la «gauche», de la même façon, ces concepts sont opératoires parce qu'on en connaît approximati­vement le sens. J'insiste: approximativement. Je crois, en effet, qu'il faudrait découvrir d'au­tres concepts aujourd'hui. Pas exactement les découvrir, plutôt les mettre en avant. Peut-être le concept d'«identité» que l'on pourrait op­poser au concept d'«uniformisation». Ou le concept de «do­mination économique» que l'on pourrait op­poser au concept de «solidarité poli­tique». Mais ce ne sont là que des exemples: on pourrait en trouver beaucoup d'autres. En ce qui concerne la droite et la gauche, j'y ai réfléchi, pour un travail que j'avais à conduire il y a quelque temps sur les deux concepts; et la seule chose que je peux dire à ce sujet, c'est que, sous la révolution française, lors du vote sur le veto, les députés qui ont voté contre le veto, c'est-à-dire contre le roi, se sont mis à gauche, tandis que les autres se mettaient à droite. En France, c'est ce que nous avons de plus sûr sur la droite et sur la gauche. Après, les gens de droite ne sont devenus natio­nalistes que tout à la fin du XIXième siècle, alors que c'est la gauche qui était nationaliste au dé­part. Le socialisme était en principe à gauche mais, en fait, puisque les socialistes étaient en même temps nationalistes, on peut se demander, au regard des critères en vigueur de nos jours, s'ils n'étaient pas aussi à droite; le patriotisme s'est situé surtout à gauche aussi. Les idées so­ciales, par contre, ont été défendues par les con­tre-révolutionnaires et par les légitimistes. Ceux-ci ont été les premiers à les défendre. Il faut bien le dire, car telle est la vérité historique. Les concepts de droite et de gauche sont des concepts qui, historiquement, sont dépourvus de sens. Alors, si l'on voulait tout de même leur recher­cher un sens étymologique, on pourrait se souve­nir que, dans l'antiquité, et en particulier quand on lisait les augures, la gauche, c'était à la fois le mouvement et le désordre, c'est-à-dire simulta­nément quelque chose de positif et de négatif. Et la droite, c'était l'ordre et aussi l'immobilisme. Donc aussi, simultanément, quelque chose de po­sitif et de négatif. Je crois que les concepts de droite et de gauche naissent de la révolution fran­çaise dans la mesure où, au moment de la révolution, un grand désordre apparaît qui fait que la complémentarité nécessaire à toute société politique disparaît. En effet, à cette époque trou­blée de notre histoire, le mouvement et la conser­vation se séparent, alors que dans les sociétés humaines normales, ce sont des choses qui doi­vent coexister.

 

Q: Une dernière question: vous avez assez sou­vent utilisé le concept de «nationalisme», dans un sens relativement positif. Chez nous, dans le monde germanophone, le «nationalisme», et tout ce qui en relève, est tabouisé. Qu'en est-il en France? Est-ce différent?

 

CP: Pas tellement. Mais c'est effectivement un peu différent. Ceci dit, il y a une certaine margi­nalisation du nationalisme, tout de même. On doit l'admettre. Ensuite, les nationalistes ne sont pas d'accord entre eux. Ce qui complique beau­coup les choses. Ce désaccord vient du fait qu'ils ne mettent pas la même chose sous le mot «natio­nalisme». Ou parce que certains qui sont peut-être plus nationalistes que ceux qui se disent na­tio­nalistes, rejettent absolument cette appella­tion. Ce qui ne simplifie pas les choses.

 

Q: Madame Pigacé, merci de nous avoir accordé cet entretien.

 

jeudi, 24 juin 2010

Vers l'unité européenne par la révolution régionale?

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1992

Article paru dans "Nationalisme et République", Provence, 1992

Vers l'unité européenne par la révolution régionale?

 

par Robert Steuckers

 

«Vers l'unité européenne par la révolution régionale», tel était le sous-titre d'un vigoureux plaidoyer de Pierre Fougeyrollas pour une France fédérale (1). Sorti de presse en 1968, en pleine effervescence, sur fond de révolte étudiante et de grèves ouvrières, ce livre retrouve une étonnante actualité, avec la chute du Rideau de fer, avec la création de l'EEE (Espace Economique Européen), regroupant les pays de l'Europe des Douze et ceux de l'AELE (EFTA), avec l'inclusion prévisible dans cet espace de la Hongrie, de la Tchèquie, de la Slovaquie, de la Silésie devenue plus ou moins autonome, de la Croatie et de la Slovénie, et dans une moindre mesure, de la Pologne appauvrie. L'horizon du politique, de tout dynamisme politique constructif, n'est plus l'Etat-Nation fermé, qu'il soit centralisé ou fédéral, mais les limites géopolitiques du continent européen. Mieux: du continent eurasien, car il nous apparaît inutile de briser, de morceler, l'œuvre politique des Tsars blancs et rouges.

 

Un continent très vaste peut naître en l'espace de vingt ans, si une volonté politique froide, patiente, tenace, entre en action. Cette perspective eurasienne inéluctable n'est plus seulement un rêve d'européistes visionnaires: il est sereinement envisagé par les représentants de la ploutocratie mondiale. Dans un dossier récemment paru dans L'Expansion  (2), Jacques Attali, le président de la BERD, suggère un «marché commun continental» (MCC), englobant tous les pays de l'AELE, de l'ex-COMECON, Russie, Biélorussie et Ukraine compris. Ce qui signifie en clair, l'unification économique de l'espace sis entre l'Atlantique et le Pacifique. Ce qui nous amène à interpeller Attali et à lui poser deux questions: 1) Le fonctionnement de ce MCC doit-il est calqué sur les principes anti-dirigistes pratiqués aujourd'hui dans la CEE, c'est-à-dire doit-il être «ouvert» sans la moindre discrimination à la concurrence américaine et japonaise, au risque de devenir, surtout de l'Oder à la Mer d'Okhotsk, un débouché pour des produits américains ou japonais dont ne voudraient plus les Européens de l'Ouest? 2) Pourquoi, dans son article, Attali ne fait-il pas mention des républiques musulmanes d'Asie Centrale, réservoirs de matières premières utiles au MCC potentiel, dont le coton? Implicitement, Attali envisage-t-il d'abandonner à la Turquie, où règne une nouvelle effervescence pantouranienne, cette zone-clef de la masse continentale eurasienne, au risque de la rendre stratégiquement inviable, de la laisser à la merci des Etats-Unis et de leurs alliés turcs, saoudiens et pakistanais?

 

Si après les visions d'Ernst Niekisch (3), des Eurasistes russes (4), de Karl E. Haushofer, le géopoliticien allemand (5), d'Anton Zischka (6) de Jean Thiriart (7), l'idée eurasienne, l'idée du «grand bloc continental», a cessé d'être un engouement marginal et marginalisé, si cette idée eurasienne passe aujourd'hui dans le monde libéral de la haute finance (qui vise sans nul doute des finalités très différentes des nôtres), c'est qu'elle est inéluctable. Qui plus est, à Moscou, de hautes personnalités de l'Etat-major, du Parlement de Russie, des Musulmans attachés à la continuité de l'espace ex-soviétique, relancent dans le débat le leitmotiv de l'Eurasie (8). Bref: il y a quasiment consensus en ce qui concerne l'objectif territorial final des efforts à entreprendre. Les esprits divergent cependant quant aux principes qui règneront dans cet ensemble.

 

Attali, la BERD, les forces financières qui se profilent derrière cette institution, veulent, à l'évidence, introduire les principes capitalistes purs en Pologne et dans les Républiques de la CEI. La libéralisation des prix par Eltsine, le 2 janvier de cette année, et la paupérisation générale des Russes qui en résulte, est l'indice le plus patent de l'application de ce remède de cheval. Michel Albert, dans Capitalisme contre capitalisme  (8), a démontré avec brio quelles étaient les lacunes pratiques de ce libéralisme pur à l'américaine et qu'il fallait des garde-fou institutionnels pour préserver l'économie productrice de biens réels, industrielle et faustienne, des avatars de la spéculation capitaliste de type américain. Le modèle à appliquer dans l'actuelle CEI est donc un modèle mixte, à l'allemande ou à la suédoise; mais cela vaut pour le très long terme; dans un premier temps, la désoviétisation économique doit procéder par création graduelle de zones franches, selon le modèle chinois, comme l'envisage l'intellectuel kazakh Khamil Soultanov (9). Cette désoviétisation progressive, nécessairement lente, doit se faire sous l'autorité du politique et non dans l'anarchie et l'empressement; moralité: le politique ne peut en aucun cas être déconstruit ni évacué au profit de l'anarchie libérale-démocratique, exactement comme en Chine. Et cet Etat doit avoir le sens du divers: c'est ce que ressent confusément le Président de l'ancien groupe Soyouz (= L'Union) au Parlement de Russie, le Colonel Viktor Alksnis (10), pourtant adversaire du réflexe ethniste (balte, tatar, tchétchène, etc.). Alksnis veut un «Etat fédéral», où la sécession serait rendue impossible; un «Etat fédéral» qui se désoviétiserait progressivement sur le plan économique. Le Colonel Alksnis, un peu désorienté par les événements, énonçait en fait, tout en restant très marqué par les événements qui ont secoué l'ex-URSS, les trois principes qui doivent gouverner l'ensemble eurasien: décentralisation administrative pragmatique aux niveaux économique, scolaire, culturel; dirigisme souple de l'économie; solidarité obligatoire de tous les peuples eurasiens contre les ennemis extérieurs.

 

Comment concilier cette décentralisation par pragmatisme et la solidarité obligatoire des peuples contre les ennemis extérieurs? C'est une question qui se pose à tous les Européens, y compris à l'Ouest. Car à l'intérieur même de la CEE, il y a des Etats centralisés et des Etats fédéraux; il y a des Etats qui privilégient l'alliance américaine, entendent construire avec Washington le «Nouvel Ordre Mondial», et d'autres qui donnent la priorité à la construction européenne, à l'élargissement de l'Europe des Douze aux pays de l'AELE et de l'ex-COMECON. La cassure est nette: Paris et Londres sont atlantistes et entretiennent des réseaux de collabos, souvent vénaux, à Bruxelles, Rome et La Haye. Bonn est européenne, de tout son poids, a des compagnons de route à Vienne, Prague, Budapest, Zagreb et Ljubliana, également à Rome, Bruxelles et La Haye, dans les milieux industriels, mais dans ces deux dernières capitales, les journalistes des médias écrits et parlés sont résolument dans le camp atlantiste, en dépit d'un vernis gauchisant. Conséquence: l'idée de la construction européenne y est dépourvue d'attrait, n'exerce aucune séduction sur les esprits, apparaît abstraite et absconse.

 

Washington a intérêt à ce que règne la disparité des régimes politiques en Europe, à ce que se perpétuent des vieilleries de mauvais goût comme la monarchie britannique et son culte sous-sulpicien, avec ses assiettes roses ou ses tasses de thé mauves à l'effigie de la Queen, à ce que la France conserve un système centralisé archaïque en marge de toute l'Europe, à ce que le système de représentation majoritaire porte toujours au pouvoir les vieilles élites de droite ou de gauche acquises depuis la guerre à l'alliance américaine, à ce que des réflexes nationalistes étroits subsistent pour que le Pentagone et la CIA puissent les instrumentaliser contre d'autres puissances européennes et appliquer de la sorte le vieil adage «diviser pour règner».

 

Or, la construction européenne définitive, via l'EEE, la CSCE ou le MCC, n'est possible que s'il y a un accord de principe général quant aux institutions démocratiques. L'unité européenne postule de fédérer les énergies. «Fédérer» ne signifie pas diviser, mais mettre en «gerbe» ou en «faisceau». Même chose en allemand: Bund  est apparenté à bündeln,  rassembler en gerbe ou en faisceau. Tel est l'esprit qui a présidé à la confédération helvétique, une construction politique qui tient depuis 700 ans, sans trop de heurts (juste une petite guerre civile en 1847-48, fomentée par les Jésuites). Tel sont également les principes qui gouvernent la RFA, l'Etat le mieux organisé d'Europe et le plus efficace sur le plan économique. En reconnaissant aux cantons et aux Länder  une personnalité historique, économique et culturelle propre, les législateurs suisses et allemands évitent l'écueil du séparatisme, consolident l'unité nationale et exercent une séduction certaine sur leurs voisins. La diversité des Länder  et des cantons étant respectée, l'Etat, désormais svelte et souple, peut s'occuper à fond des instances essentielles de la souveraineté: diplomatie, armée, monnaie. En dépit du fait que la RFA demeure encore sous tutelle des Alliés occidentaux, sa diplomatie s'est montrée plus audacieuse que les autres, notamment à l'égard des Slovènes et des Croates, et a fait preuve d'originalité; son armée demeure réduite, preuve de cette souveraineté limitée, mais dispose de l'arsenal intact de l'ancienne NVA est-allemande, missiles et chasseurs Mig-29 performants compris, alors que les Etats-Unis avaient toujours cherché à limiter la puissance de la Luftwaffe et à juguler l'envol d'une industrie aéronautique allemande; en revanche, sur le plan de la monnaie, on connait le rôle déterminant de la Deutsche Bank  dans le maintien du mark, et dans le succès de l'économie allemande.

 

Cette organisation politique de la RFA connait le succès parce qu'elle est la plus moderne. Après l'effondrement du IIIième Reich, il a fallu faire table rase des institutions passées, celles de Weimar et de Hitler, pour renouer avec tous les principes de la tradition fédéraliste allemande. Ce recours a permis d'élaborer un système institutionnel et politique d'avant-garde, porté essentiellement par deux traits, qui différencient le fédéralisme allemand du fédéralisme américain: 1) la technique de répartition des compétences et 2) le système de représentation des Etats fédérés au sein de la Fédération (11).

 

«La technique de répartition des compétences aux Etats-Unis supposent la séparation et attribuent des matières entières, soit à la Fédération, soit aux Etats fédérés», écrit Constance Grewe, tandis que «l'organisation continentale (i.e. allemande) accentue la participation et l'interdépendance». Les affaires locales sont du ressort du Land,  les matières de souveraineté et de loi-cadre (les principes) relevant du Bund.  «La priorité fédérale dans le domaine législatif se trouve contrebalancée par la prépondérance des Etats membres dans le secteur administratif. A l'unité législative répond ainsi le pluralisme administratif». Conséquence pratique: «les services administratifs fédéraux sont dans ce système très peu nombreux, l'essentiel relevant du ressort des Länder  (...). En somme, la répartition des compétences s'inspire elle aussi du principe des équilibres et des contre-poids». La technique fédérale allemande est certes plus complexe que l'américaine, mais, dans le domaine de la loi-cadre, par exemple, elle implique des contacts fréquents entre le Bund  et les Länder. Cette multiplicité des contacts, qui contribuent à aplanir souplement les problèmes, crée l'interdépendance.

 

Les Länder  allemands sont représentés au Bundesrat  par des délégués des exécutifs des Länder,  investis d'un mandat impératif. Ce qui fait dire à certains zélotes «démocrates» que cette structure, qui assure une continuité au-delà de la mêlée politicienne et tient compte du fait de la territorialité, n'est pas purement «démocratique», puisqu'elle ne découle pas directement du suffrage universel. Mais comme dans les Sénats ouest-européens ou américains, le Bundesrat allemand fait fonction de «réservoir de sagesse», de frein contre l'intempérence politicienne de la chambre des députés élue au suffrage universel (Bundestag). A la différence qu'un veto du Bundesrat est toujours définitif et appelle des amendements au projet de loi rejeté, à rebours du système américain où une majorité simple dans la chambre basse peut bloquer définitivement un veto du Sénat. D'aucuns, notamment dans le mouvement flamand (12), veulent que l'Europe, l'EEE, adopte ce système de représentation. Les régions, redessinées dans chacun des pays membres sur des bases historiques, culturelles, ethniques et économiques, enverraient ainsi des délégués au Bundesrat européen, qui aurait notamment la tâche d'élire le Président européen, tandis que le Parlement de Strasbourg élirait, à l'instar du Bundestag, un «Chancelier européen». Ce bicaméralisme à deux vitesses, conciliant les impératifs de territorialité et de représentativité démocratique, pourrait fonctionner en Europe de l'Ouest, dans les pays de l'ex-COMECON et dans les républiques de la CEI, tout en respectant les régionalités à base ethnique ou non.

 

Mais pour faire triompher cet équilibre  —toujours instable à l'instar de la réalité physique sans cesse en effervescence et en devenir—   entre impératifs locaux et impératifs globaux, il faudrait que l'ensemble des nations du futur MCC envisagé par Attali adoptent ces principes et les adaptent à leurs réalités concrètes (tissus sociaux particuliers, traditions juridiques déterminées, etc.).

 

Cette volonté doit être précédée a) d'une volonté de faire table rase des institutions vieillies (monarchies résiduaires, tous reliquats d'arbitraire, administrations centralisées coupées des réflexes de la population, préfets nommés par l'administration centrale, structures ne tenant pas compte de l'indigénat, partis politiques incrustés dans les niches à prébendes que sont les instances administratives existentes, etc.).

 

b) d'une volonté de dépasser les instances relevant des anciens Etats nationaux devenus redondants (petit-nationalisme, chauvinisme) et de les remplacer par des mécanismes de représentation régionaux et européens.

c) d'une volonté de favoriser partout les synergies régionales transfrontalières, de façon à accélérer le processus d'unification européenne et à déconstruire les antagonismes du passé, ce qui amènera tout naturellement les populations vers cette solidarité générale. Par synergies régionales autonomes, nous entendons des processus, déjà à l'œuvre, comme la dynamique Alpes-Adriatique, regroupant, derrière la Lombardie et la Bavière, la Vénétie, quelques Länder autrichiens, deux départements hongrois, la Slovénie et la Croatie; la synergie Sar-Lor-Lux (Sarre-Lorraine-Luxembourg) (13); la synergie hanséatique-baltique (Scandinavie, RFA, Pays Baltes, Russie) (14); la coopérations entre zones frontalières néerlandaises et allemandes; les initiatives catalanes suggérées par Jordi Pujol; l'Euro-Regio regroupant les provinces de Limbourg, la flamande et la néerlandaise, la Province de Liège (Wallonie) et les districts de Cologne et d'Aix-la-Chapelle. Ces synergies ponctuelles sont possibles et efficaces parce que les régions concernées bénéficient d'une large autonomie administrative et économique. Au bout du compte: un enrichissement mutuel, tant sur le plan économique que sur le plan culturel. Et une véritable intégration européenne, au-delà des antagonismes du passé, du moins à l'intérieur de l'EEE (CEE + AELE + Hongrie et Tchécoslovaquie). Les régions pourront de la sorte aplanir les inimitiés, ce que n'ont pas réussi les Etats de type classique, d'ailleurs responsables des guerres inter-européennes. Ensuite, les irrédentismes n'ont plus aucune raison d'être quand se multiplient de telles synergies.     

 

dimanche, 20 juin 2010

Learning from the Left: Douglas Hyde's "Dedication & Leadership"

Learning from the Left:
Douglas Hyde’s Dedication & Leadership

White Nationalism is at present confined largely to the political right, i.e., the people who have been on a losing streak since Stalingrad. European rightists do, of course, have much practical wisdom to impart, even if they failed in the end.

But American rightists have not even managed to learn what they can from the losers, much less take an interest in learning from the winners: the left, which has now established ideological hegemony up and down the political spectrum, defining the Limbaughs and libertarians of the “respectable” (viz., ineffectual) opposition as surely as the liberals they huff and puff about.

For those rightists who want to learn from the winners, Douglas Hyde’s Dedication and Leadership (South Bend, Ind.: University of Notre Dame Press, 1966) is a good place to begin. Hyde was a 20 year veteran of Communist activism, serving as news editor of the Communist London Daily Worker, until 1948, when he resigned, renounced Communism, and announced his conversion to Catholicism.

Although Hyde rejected the ideals and aims of Communism, he thought that the party’s highly effective organizational techniques should be emulated by those who wish to change the world for the better. Dedication and Leadership is a 150-page distillation of his experiences and insights.

Communism has killed more than 100 million people world-wide and is still racking up victims. Thus it is hard to think of Communism as anything but evil. But even evil is an accomplishment, and prodigious evil is a prodigious accomplishment.

How did tiny minorities of Communists accomplish so much? Because they worked harder and smarter than their opponents. They were particularly effective in mobilizing important moral qualities: idealism, dedication, and self-sacrifice. (One tends to feel licensed to kill for causes that one is willing to die for oneself.)

The fact that these moral qualities were bent toward evil ends does not make them any less praiseworthy.

How does one find and mobilize idealism, dedication, and sacrifice? Hyde advises the following.

First, recruit people who are already idealistic.

Young people tend to be idealistic, so special efforts should be focused on recruiting them.

Second, if you want to get a lot from people, demand a lot from them.

Communists inspired tremendous efforts simply because they asked for them. Communists were taught not to ask what they party can do for them, but what they can do for the party. The Marine Corps has no shortage of recruits for the same reason: their recruitment propaganda emphasizes sacrifice and discipline, not the perks of membership.

I was particularly impressed by one example of the dedication and self-sacrifice that was routine in Communist circles. Hyde and his fellow party employees took 8/14 of their income—more than 50%—and tithed it back to the party. They did this every payday, not just on special occasions.

How many White Nationalists are willing to tithe any percentage of their income to the cause they claim is sacred to them?

There are legions of professional Jews and Blacks. But there are fewer than ten full-time White Nationalists in the entire United States, and most of them make so little from the cause that it would be inconceivable that they could tithe anything back to it. Poverty is their sacrifice.

It is not that money is lacking. There are individual White Nationalists whose wealth runs not just into tens, but hundreds of millions of dollars. Something else is lacking: the qualities of character that give rise to real, effective idealism, dedication, and sacrifice.

The truth is on our side. But truth is not enough to win if it remains locked in our hearts and heads, without consequences in the real world. When the first White Nationalist pledges 8/14 of his income to securing the existence of our people and a future for White children, I’ll believe that we will win.

But beyond asking for 8/14 of an employee’s income, Communism asked for 100% of each member, body and soul. And they got it.

Yes, demanding heroic dedication did make some hesitate before joining the party, but when they did, they were prepared to give their all. It also kept out lukewarm sympathizers and fellow travelers. But the party still had ways of utilizing the talents and resources of those who were unready or unable to take the plunge.  

Third, aim high.

If one is going to ask for everything, one has to have a good reason. The Communists asked everything of their activists because they had a world to win. Grandiose aims are only a problem if there is nothing concrete one can do in the here and now to realize them. But if one can forge that link, then even the humblest drudgery suddenly takes on a deeper and higher meaning.

I once asked an audience at a meeting on White community organizing why they were there. There were many answers: meeting new people, networking, seeing old friends, even learning about White community organizing. All of these were good enough reasons to get people there.

But then I offered a better reason: to save the world. Make no mistake, White nationalists are not just struggling to save the White race, since the welfare of the whole world depends upon our triumph. If we perish, the other races will breed recklessly and despoil the planet unchecked, and the one place in the universe where we know there is life will end up nothing but a burnt out cinder in the vastness of space.

So the next time you attend a White Nationalist gathering, remind yourself that you are saving the world. It will make the commute a little easier, parking less of a hassle.

The Communists realized that demanding heroic dedication to a higher cause does not drain people but energizes them. It does not hollow out their personalities but deepens them. Those who live for themselves alone have less meaningful lives than those who dedicate themselves to a higher cause.

Fourth, be the best.

The Communists taught that there is no contradiction between being a good Communist and being good in every other area of one’s life. The same should be true of White Nationalists. If you are going to be a good White Nationalist, you also have to be a good student, worker, employer, artist, spouse, parent, and neighbor.

One is a more credible and effective advocate for White Nationalism if one is well-regarded in other areas of one’s life. The Communists found that personal relationships with exemplary individuals were more important than ideology in recruiting new people to the cause.

Also, if one finds that one’s political commitments are interfering with excellence in other areas of one’s life, then one needs to scale back and regain balance. This prevents activists from burning out and keeps them in the fight.

Fifth, activism is essential.

Most individuals who joined the Communist party were immediately required to engage in some form of public activism. (A few with important social connections were trained as Communist secret agents.)

Public activism came before ideological instruction. By acting publicly as a Communist, one makes one’s commitment open and irreversible. By acting before one receives ideological instruction, one learns in a very personal and sometimes painful fashion the necessity of such instruction. Such activism also helps one weed out people who lack moral and physical courage before anything is invested in indoctrinating them.

Activism has a twofold purpose: to change the world and to change the activists. Since the party must act until the world changes, it must be organized for perpetual activism. Campaigns should be designed to (a) demonstrate that the party cares about its constituency, (b) to heighten the conflicts between the system and the party’s constituency, and (c) by building character, skills, and camaraderie among activists.

Hyde illustrates these and many other points with vivid anecdotes. His discussion of Communist cadre indoctrination techniques deserves an article of its own. I have not read many books that pack as much food for thought into so few pages.

Some White Nationalists might find Dedication and Leadership a depressing read, since it highlights the truly primitive, pathetic, unserious nature of the movement today. But that is the wrong way to look at it.

One does not need to read Douglas Hyde to see that White Nationalism in America today is full of kooks, losers, and dilettantes. One needs Hyde and authors like him if one is serious about creating a movement that can win.

The Occidental Observer, June 8, 2010

samedi, 19 juin 2010

Minorités et peuples autochtones

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

Minorités et peuples autochtones

N. Rouland, S. Pierre-Caps et J. Poumarède sont les auteurs d'un remarquable Droit des minorités et des peuples autochtones  aux PUF. Citons un passage de l'introduction: «Aujourd'hui, les droits de l'Homme font figure de nouvel universalisme: certains droits se retrouvent en tout homme, ce qui fonde partout l'obligation des Etats à les respecter et permettre leur épanouissement. Cette auto-limitation de la puissance souveraine caractériserait particulièrement les Etats de droit. Nourrie par la tradition française, cette aspiration se heurte à plusieurs obstacles. Tout d'abord le constat d'une autre universalité: celle du mal que l'homme peut infliger à ses semblables. Longtemps on voulut tout expliquer par la démesure de l'Occident et les méfaits du colonialisme. Mais en notre siècle, nous savons depuis les génocides du Cambodge et du Rwanda que l'horreur (au Rwanda, on crucifia des enfants) est possible partout, en dépit des religions et philosophies basées sur l'amour du prochain (le Rwanda est majoritairement chrétien) et la compassion (le Cambodge est bouddhiste). Ensuite, cette idéologie universaliste n'est pas universelle. Passe encore que dictatures et régimes autoritaires invoquent la différence “culturelle” pour tenir à distance les droits de leurs peuples: cette fausse monnaie intellectuelle pèse peu de poids. Mais il y a plus sérieux. Comme l'écrit C. Lévi-Strauss: “Les grandes déclarations des droits de l'homme ont, elles aussi, cette force et cette faiblesse d'annoncer un idéal trop souvent oublieux du fait que l'homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles où les changements les plus révolutionnaires laissent subsister des pans entiers et s'expliquent eux-mêmes en fonction d'une situation strictement définie dans le temps et l'espace”. L'unité de l'homme, en laquelle croira volontiers tout anthropologue, s'il est fidèle à la qualification de sa discipline (anthropologie signifie discours sur l'Homme dans sa généralité), ne peut apparaître qu'au prix d'une navigation difficile entre deux écueils. Celui de l'uniformité: reconnaître que tous les hommes sont égaux ne postule pas qu'ils soient partout identiques; l'assimilation peut provoquer les fermetures identitaires qu'elle cherche à éviter (nous verrons que l'Etat-nation est une matrice de minorités). Celui de l'hétérogénéité: l'autonomie reconnue aux spécificités culturelles ne peut-être que relative, surtout dans un monde vibrant des flux migratoires. Exacerbée, elle conduit aux conflits, et réintroduit l'inégalité et l'oppression sous le masque du droit à la différence. Le monde n'est pas devenu le village global cher à Mac Luhan. A sa place apparaît un archipel planétaire: qui veut y naviguer doit en suivre les détroits. Le présent ouvrage convie à ce voyage».

 

Pierre MONTHÉLIE.

 

N. ROULAND, S. PIERRÉ-CAPS, J. POUMAREDE, Droit des minorités et des peuples autochtones, PUF, 1996, 584 p., 198 FF.

 

dimanche, 13 juin 2010

Georges Sorel

Georges Sorel

Ex: http://www.oswaldmosley.com/

sorel1.jpgGeorges Sorel was born in Normandy in 1847 and, after receiving a private education there, attended the Ecole Polytechnique, where he distinguished himself in mathematics. He entered the civil service as an engineer and retired after the requisite twenty-five years, then promptly took up writing, and through innumerable books, established his place as a major social critic. The most famous and most extreme advocate of syndicalism, Georges Sorel's passion for revolutionary activity in place of rational discourse made him most influential in shaping the direction of fascism, especially in Mussolini's Italy.

Georges Sorel stated his theory of "social myths" most clearly in a letter to Daniel Halevy in 1907. .....Men who are participating in a great social movement always picture their coming action as a battle in which their cause is certain to triumph. These constructions, knowledge of which is so important for historians, I propose to call myths; the syndicalist "general strike" and Marx's catastrophic revolution are such myths. As remarkable examples of such myths, I have given those which were constructed by primitive Christianity, by the Reformation, by the Revolution and by the followers of Mazzini. I now wish to show that we should not attempt to analyze such groups of images in the way that we analyze a thing into its elements, but that they must be taken as a whole, as historical forces, and that we should be especially careful not to make any comparison between accomplished fact and the picture people had formed for themselves before action.

I could have given one more example which is perhaps still more striking: Catholics have never been discouraged even in the hardest trials, because they have always pictured the history of the Church as a series of battles between Satan and the hierarchy supported by Christ; every new difficulty which arises is only an episode in a war which must finally end in the victory of Catholicism.

In employing the term myth I believed that I had made a happy choice, because I thus put myself in a position to refuse any discussion whatever with the people who wish to submit the idea of a general strike to a detailed criticism, and who accumulate objections against its practical possibility. It appears, on the contrary, that I had made a most unfortunate choice, for while some told me that myths were only suitable to a primitive state of society, others imagined that I thought the modern world might be moved by illusions analogous in nature to those which Renan thought might usefully replace religion. But there has been a worse misunderstanding than this even, for it has been asserted that my theory of myths was only a kind of lawyer's plea, a falsification of the real opinions of the revolutionaries, the sophistry of an intellectual.

If this were true, I should not have been exactly fortunate, for I have always tried to escape the influence of that intellectual philosophy, which seems to me a great hindrance to the historian who allows himself to be dominated by it.

In can understand the fear that this myth of the general strike inspires in many worthy progressives, on account of its character of infinity, the world of today is very much inclined to return to the opinions of the ancients and to subordinate ethics to the smooth working of public affairs, which results in a definition of virtue as the golden mean; as long as socialism remains a doctrine expressed only in words, it is very easy to deflect it towards this doctrine of the golden mean; but this transformation is manifestly impossible when the myth of the "general strike" is introduced, as this implies an absolute revolution. You know as well as I do that all that is best in the modern mind is derived from this "torment of the infinite"; you are not one of those people who look upon the tricks by means of which readers can be deceived by words, as happy discoveries. That is why you will not condemn me for having attached great worth to a myth which gives to socialism such high moral value and such great sincerity. It is because the theory of myths tends to produce such fine results that so many seek to refute it....

As long as there are no myths accepted by the masses, one may go on talking of revolts indefinitely, without ever provoking any revolutionary movement; this is what gives such importance to the general strike and renders it so odious to socialists who are afraid of a revolution....

The revolutionary myths which exist at the present time are almost free from any such mixture; by means of them it is possible to understand the activity, the feelings and the ideas of the masses preparing themselves to enter on a decisive struggle: the myths are not descriptions of things, but expressions of a determination to act. A Utopia is...and intellectual product; it is the work of theorists who, after observing and discussing the known facts, seek to establish a model to which they can compare existing society in order to estimate the amount of good and evil it contains. It is a combination of imaginary institutions having sufficient analogies to real institutions for the jurist to be able to reason about them; it is a construction which can be taken to pieces, and certain parts of it have been shaped in such a way that they can...be fitted into approaching legislation. While contemporary myths lead men to prepare themselves for a combat which will destroy the existing state of things, the effect of Utopias has always been to direct men's minds towards reforms which can be brought about by patching up the existing system; it is not surprising, then, that so many makers of Utopias were able to develop into able statesmen when they had acquired a greater experience of political life.

A myth cannot be refuted, since it is, at bottom, identical with the conviction of a group, being the expression of these convictions in the language of movement; and it is, in consequence, unanalyzable into parts which could be placed on the plane of historical descriptions. A Utopia, on the other hand, can be discussed like any other social constitution; the spontaneous movements it presupposes can be compared with the movements actually observed in the course of history, and we can in this way evaluate its verisimilitude; it is possible to refute Utopias by showing that the economic system on which they have been made to rest is incompatible with the necessary conditions of modern production.

For a long time Socialism was scarcely anything but a Utopia; the Marxists were right in claiming for their master the honor of bringing about a change in this state of things; Socialism has now become the preparation of the masses employed in great industries for the suppression of the State and property; and it is no longer necessary, therefore, to discuss how men must organize themselves in order to enjoy future happiness; everything is reduced to the revolutionary apprenticeship of the proletariat. Unfortunately Marx was not acquainted with facts which have now become familiar to us; we know better than he did what strikes are, because we have been able to observe economic conflict of considerable extent and duration; the myth of the "general strike" has become popular, and is now firmly established in the minds of the workers; we possess ideas about violence that it would have been difficult for him to have formed; we can then complete his doctrine, instead of making commentaries on his text, as his unfortunate disciples have done for so long.

In this way Utopias tend to disappear completely from Socialism; Socialism has no longer any need to concern itself with the organization of industry since capitalism does that....

People who are living in this world of "myths," are secure from all refutation; this has led many to assert that Socialism is a kind of religion. For a long time people have been struck by the fact that religious convictions are unaffected by criticism, and from that they have concluded that everything which claims to be beyond science must be a religion. It has been observed also that Christianity tends at the present day to be less a system of dogmas than a Christian life, i.e., moral reform penetrating to the roots of one's being; consequently, new analogy has been discovered between religion and the revolutionary Socialism which aims at the apprenticeship, preparation, and even reconstruction of the individual -- a gigantic task....

...by the side of Utopias there have always been myths capable of urging on the workers to revolt. For a long time these myths were founded on the legends of the Revolution, and they preserved all their value as long as these legends remained unshaken. Today the confidence of the Socialists is greater than ever since the myth of the general strike dominates all the truly working-class movement. No failure proves anything against Socialism since the latter has become a work of preparation (for revolution); if they are checked, it merely proves that the apprenticeship has been insufficient; they must set to work again with more courage, persistence, and confidence than before; their experience of labor has taught workmen that it is by means of patient apprenticeship that a man may become a true comrade, and it is also the only way of becoming a true revolutionary. (July 15, 1907)

G. Sorel: Electoral Democracy and Stock Exchange

sorelrv.jpgGeorges Sorel: Electoral Democracy and Stock Exchange

"Electoral democracy greatly resembles the world of the Stock Exchange; in both cases, it is necessary to work upon the simplicity of the masses, to buy the cooperation of the most important papers, and to assist chance by an infinity of trickery; there is not a great deal of difference between a financier who puts grand-sounding concerns on the market, which come to grief in a few years, and the politician who promises his fellow citizens an infinite number of reforms, which he does not know how to bring about and which resolve themselves simply into an accumulation of parliamentary papers. Neither one nor the other knows anything about production and yet they manage to obtain control over it, to misdirect it and to exploit it shamelessly: they are dazzled by the marvels of modern industry and they each imagine that the world is so rich that they can rob it on a large scale without causing any great outcry amongst the producers; to bleed the taxpayer
without bringing him to the point of revolt, that is the whole art of the statesman and the great financier. Democrats and businessmen have a very special science for the purpose of making deliberative assemblies approve of their swindling; parliamentary regimes are as fixed as shareholders' meetings. It is probably because of the profound psychological affinities resulting from these methods of operation that they both understand each other so perfectly: democracy is the paradise of which unscrupulous financiers dream."

(Reflections on Violence, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, pp. 221-222.)

samedi, 12 juin 2010

Nations et nationalismes (E. Hobsbawm)

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Nations et nationalismes (E. Hobsbawm)

« Nations et nationalisme » est un recueil de conférences prononcées par l’historien Eric Hobsbawm en 1985.

Hobsbawm_Eric.jpgPour Hobsbawm, la nation est un mystère. Tant qu’on ne nous demande pas ce que c’est, nous le savons. Dès qu’on nous le demande, ça devient beaucoup moins évident. Aucune définition de « la nation » n’est valable pour toutes les nations et à toutes les époques – et certaines nations n’ont même pas de définition spécifique à un instant « T » : elles existent, mais personne n’arrive à dire ce qu’elles sont. En fait, le seul moyen de vérifier qu’une nation existe, c’est de s’assurer qu’il existe des gens, assez nombreux, qui estiment lui appartenir.

Le nationalisme paraît plus clair à Eric Hobsbawm. C’est une doctrine qui exige, en substance, que l’unité politique et l’unité nationale se recouvrent. En ce sens, la nation est, à ses yeux, indissociable au fond de l’Etat-nation (soit comme réalité, soit comme revendication). De fait, une nation se reconnaît au fait que des gens estiment lui appartenir et veulent défendre (ou instituer) un Etat qui la recouvre. Donc, pour dire les choses simplement, aux yeux d’Eric Hobsbawm, le nationalisme crée la nation – et non l’inverse. Et donc, puisque le nationalisme est un produit de la modernité, la nation (au sens où nous l’entendons aujourd’hui) est une notion moderne.

 

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Cette définition de la nation s’est constituée progressivement, par un glissement sémantique étalé sur plusieurs siècles. La nation est, au départ, formée par les gens issue de la même lignée. C’est une manière de classer les gens racialement – par un ancêtre commun, ou un groupe d’ancêtres communs. Le concept est moins éloigné qu’on pourrait le croire de celui de patrie : pendant longtemps, être né à un endroit impliquait presque systématiquement qu’on descendait de gens eux-mêmes nés à cet endroit. Au début du XVIII° siècle encore, la nation désigne, dans la plupart des pays européens, une « petite patrie » dont on est issu par le lieu de naissance et, généralement, par le sang.

Au cours du XVIII° et surtout du XIX° siècle, progressivement, la nation émerge dans un sens nouveau : elle est une collectivité unifiée par l’Etat. Ce sens nouveau relègue  l’ancien signifié « nation » au signifiant « province ». Il y a déplacement du contenu des mots : le terme « nation » est en quelque sorte capturé par l’Etat, ce qui impose que, pour décrire l’ancien concept, on déplace insensiblement le périmètre d’un autre concept, « province », afin de lui donner un sens légèrement modifié. Amorcé sous la Révolution Française (très ambiguë sur la question nationale), ce jeu de translations conceptuelles est généralisé à l’Europe par les révolutions de 1830. La nation devient l’ensemble des membres d’une même nationalité, qui sont supposés désirer être dirigés par une partie d’eux-mêmes (Stuart Mill). Une assimilation non dite se constitue entre Etat, nation, peuple, et Peuple Souverain.

Dans une très large mesure, comme le montre Hobsbawm, il s’agit là d’une ruse conceptuelle : on permet, en créant un champ sémantique peu ou mal balisé, l’enclenchement d’un processus flou, un peu comme une mécanique dont les pièces s’ajustent les unes aux autres grâce au jeu excessif qu’on a toléré initialement, et qu’on réduit ensuite peu à peu. En France, par exemple, la « nation » des révolutionnaires est d’abord un concept purement politique (le Peuple Souverain, incarné dans l’Assemblée Législative), qui se teinte très vite d’une forme d’ethnicisme non racial, car fondamentalement linguistique (est français qui parle français et reconnaît le pouvoir de la Convention). Il y a donc une assimilation implicite entre nationalité (linguistique) et souveraineté populaire, assimilation dont le propos réel est de cautionner l’Etat, figure centrale du triptyque.

Le XIX° siècle est consacré en Europe à la généralisation de cette formule de pensée (en Allemagne, de 1813 à 1871 ; en Italie, de 1848 à 1865 ; en Autriche-Hongrie, en 1867, en Pologne, à partir de 1830). Cette généralisation recouvre toujours à peu près, au fond, les mêmes mécanismes profonds : le principe national s’impose parce qu’il permet à la bourgeoisie (alors nationale) de stabiliser le mouvement révolutionnaire (la nation détruit ou transforme le royaume, donc l’aristocratie, tout en interdisant la prolongation du mouvement jusqu’à la révolution prolétarienne). Sous cet angle, la nation du « nationalisme bourgeois » est un leurre (en lisant Hobsbawm, ici, on pense inévitablement au chef d’œuvre de Visconti, « Le guépard »).

Concrètement, au XIX° siècle, apparaît ainsi peu à peu, par un mélange de flou savamment entretenu dans le champ politique et de précision solide sur les catégories de l’économie, une certaine idée de la nation : un territoire d’une taille et d’une population suffisante pour constituer un marché adapté aux besoins du capitalisme de l’époque, doté d’une élite appuyée sur une tradition sérieuse (idéologie bourgeoise XIX° siècle du mérite), capable de se défendre militairement (voire de pratiquer l’impérialisme), et pourvue d’une homogénéité facilitant l’unification (langue en général). La « nation » au sens contemporain était née, issue du nationalisme bourgeois. Elle était, fondamentalement, pensée comme une étape vers l’unification mondiale sous la domination incontestée de la classe maîtresse du capital : la bourgeoisie.

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Fondamentalement, donc, pour Hobsbawm, le nationalisme est une création bourgeoise. Mais, ajoute-t-il, cette création a été récupérée, détournée, assimilée en partie par les peuples.

Le leurre bourgeois valait aussi concession à la réalité vécue par les peuples. Il a correspondu aux intérêts des bourgeoisies nationales, mais limitait potentiellement les capacités du Marché à structurer, à travers  le capitalisme international, l’embryon d’une globalisation. Sous l’angle de l’analyse marxiste, la nation est donc le lieu d’une dialectique : leurre manipulé par les bourgeoisies nationales, elle est aussi un frein à l’émergence de la bourgeoisie transnationale. Grâce au nationalisme, la bourgeoisie nationale fabrique l’Etat dont elle a besoin ; mais comme cet Etat repose sur la notion de Peuple Souverain, il définit une volonté potentiellement rivale de celle constituée par l’alliance transnationale des bourgeoisies : unificatrice des marchés nationaux, l’idée nationale est potentiellement un frein au libre-échange promu par l’Empire Britannique. Du point de vue des économistes libéraux du XIX° siècle, la nation est un pis-aller en attendant l’économie mondiale intégrée – mais du point de vue des peuples, c’est aussi, potentiellement, un lieu de souveraineté. Cette communauté imaginée par la bourgeoisie peut donc, progressivement, être réinvestie par la vie réelle des peuples.

Comment ce réinvestissement se produit-il ? Comment la bourgeoisie gère-t-elle cette situation complexe, au fil de son histoire, jusqu’au milieu du XX° siècle ?

Pendant longtemps, le « nationalisme » a été pour les peuples, pour les nations (au sens ancien du terme), une idéologie impensable. Il repose sur la dimension quasi-mythique d’une langue unitaire qui, bien souvent, est le résultat d’une homogénéisation imposée. On a ainsi calculé qu’en 1860, seulement un Italien sur quarante utilisait l’Italien « pur », aujourd’hui celui qu’on écrit, comme langue d’usage quotidien. En 1789, un Français sur deux ne parlait pas le Français d’Île de France, et seulement un sur huit le parlait correctement.

En outre, le nationalisme suppose un niveau d’abstraction tout à fait incompatible avec  le vécu de populations fondamentalement paysannes. Hobsbawm s’attarde ici longuement sur les étymologies et documents historiques. Son observation la plus frappante : encore aujourd’hui, être russe, c’est être « russki », de « Rus », la patrie issue de la tradition médiévale « de toutes les Russies » (au pluriel) – le terme pour « la » Russie, « Rossyia », est un néologisme créé par les Tsars moscovites. Ainsi, pour un Russe, encore aujourd’hui, son pays est « Rossya » (« la » Russie) parce qu’étant « russki », il se rattache à sa « Rus » (« une » Russie, orthodoxe avant tout).

Pour les peuples, ce qui est réel, ce n’est donc pas la nation du nationalisme : ce sont des petites nations (provinces), reliées par l’appartenance à un même « monde mental » (la religion). C’est pourquoi, remarque Hobsbawm au passage, la « Sainte Russie » ne définit pas une « nation » au sens que ce terme a pris en Occident (elle n’est définie ni par la langue, ni par le Peuple Souverain, mais par l’inscription des terroirs dans un monde mental partagé). On en trouve une version fort différente, mais finalement tout aussi éloignée de la conception contemporaine de la « nation », dans le cas très particulier de la Suisse : unie ni par la langue, ni par l’ethnie, la Suisse l’est par un contrat reliant des cantons, le niveau d’homogénéisation restant très local. Dans les deux cas, l’architecture générale renvoie à une conception de la communauté charnelle très restreinte, encadrée par un « monde mental », ou par un « monde contractuel » supérieur, mais qui ne prétend pas traduire une réalité charnelle quotidienne.

Cette ancienne conception des très grands ensembles fédérateurs (assez proche au fond de celle du Royaume de France), antérieure au nationalisme, a été en Occident balayée avec la chute des monarchies de droit divin (en France, en 1789). Le nationalisme, idéologie bourgeoise (cf. ci-dessus) a permis de recycler une partie de cette mystique dans un cadre favorable à la domination bourgeoise. Mais ce recyclage implique qu’à l’intérieur de l’idéologie bourgeoise, des éléments fondamentalement extérieurs au monde bourgeois ont été importés.

D’où une situation fondamentalement chaotique, religion, communautarisme local et autres vecteurs d’identification collective venant constamment interagir avec la conception héritée du nationalisme bourgeois, pour la nourrir et, en même temps, la parasiter. Concrètement, la nation est certes  aujourd’hui structurée par la conscience partagée d’avoir appartenu à une entité politique durable ; mais cette conscience elle-même est éclatée entre divers niveaux, qui coexistent anarchiquement. En pratique, donc, l’organisation du monde bourgeois par l’échelon national est structurellement instable.

Cette instabilité implique que le contenu de l’idée nationale est constamment renégociable. Donc, il est susceptible, suivant les moments de l’Histoire, d’être investi soit par les bourgeoisies, soit par leurs adversaires. Le nationalisme, en ce sens, n’est pas un acteur de l’Histoire, mais un enjeu, un lieu où s’affrontent les véritables acteurs. Hobsbawm, ici, souligne que la « Nation » révolutionnaire de 1790-1793, en France, a constitué un cas d’école : à la fois inscription de tous les Français dans le cadre conceptuel produit par la bourgeoisie nationale, elle a, aussi, impliqué que ce cadre était théoriquement co-construit par tous les citoyens. En réalité, derrière la définition de la nation, se cache donc le combat pour la définition de sa définition. Le combat visible oppose les centralistes aux partisans de l’ancienne conception. Mais sous ce combat, un autre combat oppose, au sein des centralistes, ceux qui veulent la nation comme outil de la domination bourgeoise et ceux qui la veulent comme instrument d’encadrement et de dépassement de cette même domination.

Combat gagné par la bourgeoisie (Thermidor). Pour Hobsbawm, la démocratie bourgeoise a été au XIX° siècle et au début du XX°, fondamentalement, le cadre construit par la bourgeoisie pour rester maîtresse du nationalisme. Il s’agissait d’ouvrir au débat un espace clos, afin de le laisser s’épancher tout en le gardant sous contrôle. Ainsi, le patriotisme, potentiellement une force révolutionnaire, devint l’instrument d’une conception réactionnaire de la nation en devenir – d’où le chauvinisme, idéologie qui devait aider au déclenchement de la Première Guerre Mondiale, et son expression extrême, le racisme d’Etat.

En conclusion et pour résumer : aux yeux d’Hobsbawm, le patriotisme n’est pas, en soi, une idéologie bourgeoise. C’est une idéologie captée par la bourgeoisie – à travers les nationalismes d’Etat. Le caractère réactionnaire de l’idée de nation ne tient pas à la substance de cette idée (en elle-même assez évanescente), mais à la capacité que développa la bourgeoisie d’instrumentaliser le concept, et d’en maîtriser habilement l’investissement émotionnel collectif. D’où, exemple paroxystique souligné par Hobsbawm, la coexistence, dans les nationalismes des années 30, de fascisme, d’antifascisme, de droite et de gauche – comme si, à tout moment, dès qu’une tendance politique desserre son étreinte sur le manche du drapeau, la tendance opposée voulait s’en saisir.

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Et maintenant ?

Hobsbawm commence, pour analyser la situation présente, par démolir méthodiquement le discours sur le déclin des nationalismes. En réalité, fait-il observer, avec l’explosion de la Yougoslavie et de l’URSS, le nombre d’entités souveraines se réclament plus ou moins ouvertement du principe des nationalités n’a cessé d’augmenter. Inversement, le monde musulman semble travaillé par une remise en cause des nationalismes arabes. Le mouvement n’est donc nullement homogène, et le principe des nationalités, fort ici, est affaibli là. Il n’y a ni déclin, ni expansion du nationalisme : il y a mutation.

C’est que le nationalisme est devenu, pour l’essentiel, une expression de défense face à la globalisation – alors qu’il avait été, par le passé, une offensive contre les structures locales. C’est donc toujours une force agie, mais au lieu de l’être par des bourgeoisies nationales qui veulent un marché national, elle l’est tantôt par une bourgeoisie transnationale qui veut détruire les Etats-nations (désormais dépassés) en soutenant des micro-nationalismes, tantôt par des opposants à la bourgeoisie transnationales, qui veulent eux préserver ces Etats, contre un gouvernement mondial latent.

L’ambiguïté du nationalisme, agi plus qu’acteur, s’est maintenue, mais elle le positionne sur un nouveau front, selon de nouveaux clivages. C’est pourquoi le nationalisme est de plus en plus difficile à penser comme il le fut jadis : la brique de base de l’internationalisme. Ce n’est plus une étape vers l’unification, c’est un frein à l’étape ultérieure. Investi par des revendications identitaires traduisant souvent une véritable panique face à un monde devenu totalement indéchiffrable, le nationalisme est devenu une idéologie défensive : telle est la thèse d’Eric Hobsbawm.

De toute évidence, c’est la thèse d’un adversaire des nationalismes – Hobsbawm voit en eux une fausse idée, simple leurre des véritables forces agissantes.

Mais c’est aussi, pour les nationalistes, la thèse d’un adversaire intelligent, qu’il faut lire et comprendre.

vendredi, 11 juin 2010

Par-delà droite et gauche (A. Imatz)

Par-delà droite et gauche (A. Imatz)

Récemment, quelques scriptoboys assistaient, en un lieu parisien bien connu, à une conférence sur Arnaud Imatz, auteur de « Par-delà droite et gauche, histoire de la grande peur des bien-pensants ». Conférence passionnante, sur un ouvrage passionnant.

Et donc, pour ceux qui n’habitent pas Paris et/ou n’ont pas le temps de bouquiner les 400 pages d’Arnaud Imatz, une note de lecture.

 

alicante2007_08.jpgL’hypothèse d’Arnaud Imatz est la suivante : nous découpons le champ politique entre conservateurs et révolutionnaires, mais ce découpage nous masque un autre clivage, potentiellement plus déterminant : celui qui oppose les partisans de l’enracinement, généralement non-conformistes, aux partisans du déracinement, généralement conformistes. Si ce découpage fallacieux est profondément planté dans nos esprits, c’est parce que l’ensemble des institutions s’acharnent à le cautionner. Il est entendu, une bonne fois pour toutes, que le débat politique doit opposer deux catégories l’une et l’autre essentialisées : « la gauche » et « la droite », les révolutionnaires et les conservateurs. Verrouillé d’abord par la gauche « officielle », qui a imposé son être propre en référence aux clivages possibles, le débat a ensuite été étouffé par une soft-idéologie individualiste, où une fausse opposition pseudo-démocratique entre la fausse-droite et la fausse-gauche (deux modes de gestion du même capitalisme) a servi de prison mentale encore plus efficace que l’ancienne opposition entre la vraie-droite (capitalisme libéral) et la vraie-gauche (socialisme dirigiste). L’intelligentsia « en place » témoigne, à travers ses reniements successifs, de la même fermeture à tout ce qui n’est pas elle-même : peu importe que ses utopies successives implosent, elle continue à se penser comme détentrice du sens de l’Histoire. Exit le communisme, voici le socialisme autogestionnaire. Exit le socialisme, voici la sacralisation des « Droits de l’homme » et l’antiracisme militant. Que l’enracinement puisse fédérer révolutionnaires et conservateurs autour d’une révolution conservatrice contre l’ordre cosmopolite, voilà qui ne doit pas être dit – à ceux qui le disent, tout système démultiplicateur de la parole est fermé, les médias sont interdits.

Qu’est-ce donc, en réalité, que ce « non conformisme » dont le pouvoir ne veut surtout pas, et qui unit, autour de l’enracinement, conservateurs et révolutionnaires ? C’est, pour résumer, la compréhension de la matrice de l’aliénation contemporaine comme relevant fondamentalement des catégories fondées par le rationalisme des Lumières – catégories qui nient au nom d’un impératif d’uniformité le sens et la valeur de l’identité et et celle de la différence. Pour le non-conformiste, par contre, la source des catastrophes du XX° siècle n’est pas dans l’affirmation des identités collectives, mais au contraire dans leur négation, négation qui les a faites revenir sous une forme pathologique. Pour le non-conformiste, les mécanismes du « progrès » reviennent à nier qu’il existe une dimension de l’homme au-dessus de la matière, et que l’humain peut donc, contre les illusions des progressismes tant marxistes que libéraux, déterminer ses déterminations.

Un schéma de société existe hors de celui où l’opposition « droite/gauche » a tendance à nous enfermer. Dans ce schéma « holiste », qui était celui des sociétés traditionnelles et communautaires, la totalité préexiste à la somme des parties, elle n’est pas construite par leur affrontement, elle l’évite en organisant l’englobement du contraire et l’inclusion du différent. Le non-conformisme s’est construit, historiquement, autour de la rencontre de ce schéma de pensée traditionnelle avec la dialectique hégélienne, qui veut que négation et négation de la négation produisent une totalité par synthèse-dépassement. Dans une très large mesure, le non-conformisme est une tentative pour reconstituer, à travers l’hégélianisme, la totalité socio-organique préexistante, que le rationalisme a détruite.

C’est justement parce qu’il propose une alternative au système que les deux pans du système, jadis vraie gauche et vraie droite, aujourd’hui fausse gauche et fausse droite, s’acharnent à nier l’existence du non-conformisme. Les doctrinaires au pouvoir veulent détruire toutes les communautés naturelles, nier les racines, faire de l’homme une pâte modelable. C’est le cadre général à l’intérieur duquel « gauche » et « droite » s’affrontent – ou plutôt, au fur et à mesure qu’on ne parvient plus à les identifier autour d’une ligne de partage claire sur la question de la plus-value, font semblant de s’affronter. Le non conformisme n’a pas sa place dans ce système précisément parce qu’il énonce une thèse étrangère au paradigme dans lequel la pensée institutionnelle est confinée : la légitimité des communautés naturelles. C’est pourquoi, lorsqu’il ne parvient plus à exclure les anticonformistes du débat, le bloc institutionnel les contraint systématiquement à choisir : sont-ils « de gauche », ou « de droite » ? Et lorsque les non-conformistes ne parviennent pas à répondre, pour toutes les raisons exposées ci-dessus, on les répute inexistants politiquement.

 

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Pour démonter ce piège, Imatz propose de faire sortir de l’essentialisme les catégories de « gauche » et de « droite ».

Dans une perspective essentialiste, la gauche, c’est l’anthropologie optimiste issue du mythe du progrès, et la droite, c’est l’anthropologie pessimiste issue de l’Histoire longue. A gauche, le rêve de l’individu libéré du poids de la faute – à droite, le péché originel. A gauche, l’homme est un projet qu’on construit – à droite, c’est une donne qu’on gère. A gauche, une vision matérialiste et mécaniciste, qui veut uniformiser à tout prix – à droite, l’acceptation des paramètres complexes sous-jacents à une conception organiciste qui connaît et reconnaît la nécessité de l’altérité.

A cette perspective essentialiste qui dans une certaine mesure confond la droite avec le non-conformisme, Imatz oppose une vision historiciste et relativiste (au sens de : qui relativise ses propres analyses), vision selon laquelle « la gauche » et « la droite » sont en réalité des catégories conventionnelles et opératoires, et nullement des catégories signifiantes stables.

Imatz cite, par exemple, la question du colonialisme en France : il exista historiquement une droite colonialiste (par souci du prestige national), une droite anticolonialiste (par souci de bonne gestion, en fait néocolonialiste avant la lettre), une gauche colonialiste (par souci de « civiliser » les peuples colonisés) et une gauche anticolonialiste (par respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Le concept même de colonialisme ne fut pas stable dans l’Histoire, et à certaines phases, il devint presque indéfinissable tant gauche et droite le comprenaient différemment (exemple : en 1962, quand l’ancien colonialisme s’efface devant le néocolonialisme).

Autre exemple : l’antisémitisme, qui peut être de gauche (par égalitarisme) comme de droite (par crainte d’un élitisme rival), tout comme le philosémitisme peut être de gauche (pour défendre le petit juif opprimé) ou de droite (par solidarité avec la haute bourgeoisie juive). Et l’on voit aussi parfois les antisémites de droite, à certains moments de l’Histoire, échanger leurs arguments avec les philosémites de gauche, quand la question juive percute celle du sionisme – on peut être sioniste par philosémitisme ou par antisémitisme, et antisioniste par antisémitisme ou philosémitisme, si bien qu’une droite antisémite et une gauche philosémite peuvent se retrouver sur le pro-sionisme contre l’antisionisme partagé par une droite arabophile et une gauche antisémite !

De nombreux thèmes peuvent donner lieu à ce type de chassé-croisé ironique entre gauche et droite (le racisme, la « démocratie », la technocratie, le régionalisme, l’écologie…). Si bien qu’en pratique, quand on s’éloigne de la vision essentialiste pour s’intéresser à la vision historiciste, on finit par se dire que « gauche » et « droite » n’ont aucun sens. Ou plutôt : que le sens de ces concepts est tellement fluctuant, tellement peu stable dans sa dimension significative, que les signifiants en question doivent être redéfinis à chaque fois qu’on les emploie.

En face de ce vide conceptuel, les non-conformistes doivent répondre par la définition d’eux-mêmes, et s’installer non dans une réponse à la question « droite ou gauche », mais comme un point de référence par rapport auquel on définira droite et gauche. Il faut répondre à la question piégée du bloc institutionnel en le piégeant dans une question différente : la gauche est-elle conformiste ou non-conformiste, la droite est-elle conformiste ou non-conformiste ? Cette question en réponse déjoue le piège où le bloc institutionnel fait tomber le non-conformisme, piège qui consiste à essentialiser le concept de droite pour y enfermer un mouvement qui organiserait, s'il était libre, la rencontre entre l’univers mental de la tradition (associé classiquement à la droite) avec la reconnaissance des revendications du travail (associées classiquement à la gauche).

Ceci suppose, pour Imatz, d’opérer une critique approfondie de la sensibilité contre-révolutionnaire. Il faut en comprendre la dynamique interne : la conscience de la décadence, et surtout la conscience du fait qu’elle est inéluctable, dès lors qu’un principe d’égalité s’impose au détriment d’un principe élitiste. Et il faut comprendre comment cette sensibilité, qui dit une partie du Vrai, se combine de manière très complexe avec la préoccupation sociale caractéristique des légitimistes les plus contre-révolutionnaires, qui se sont dressés, au nom de l’Ancien Régime et de l’aristocratisme, contre l’injustice de la domination exercée par la bourgeoisie sur les classes laborieuses, et surtout contre l’inefficacité économique de cette domination incohérente.

C’est seulement une fois qu’on a saisi la genèse de la sensibilité contre-révolutionnaire, antibourgeoise par aristocratisme, qu’on peut comprendre la filiation du non-conformisme : la rencontre de l’esprit national et du projet socialiste. La droite contre-révolutionnaire, matrice du non-conformisme, s’est constituée initialement contre le projet libéral de la bourgeoisie. Par la suite, quand par expérience on séparera démocratie et liberté, les libéraux, devenus élitistes, apparaîtront comme des alliés de classe potentiels aux contre-révolutionnaires, et le libéralisme, né à gauche où il fréquentait l’idée nationale, glissera dans une alliance antinationale avec une fraction des milieux contre-révolutionnaire. Simultanément, l’exigence de progrès matériel envahira tout le champ de la gauche, ou presque, jusqu’à rejeter l’idée de la Nation au sens de communauté enracinée. Dès lors, une partie orpheline de la sensibilité contre-révolutionnaire (celle qui a refusé l’alliance avec les libéraux devenus secrètement antidémocrates) errera jusqu’à croiser une partie de la sensibilité orpheline de la sensibilité socialiste (celle qui a refusé de sacrifier la nation, la communauté charnelle, sur l’autel du progrès matériel). De cette rencontre entre la partie de la droite qui a refusé la liberté comme idole et la partie de la gauche qui a refusé le progrès comme idole naîtra le non-conformisme – le parti de ceux qui ont refusé de se conformer aux cultes parallèles des idoles Liberté et Progrès, pour conserver une vision juste, naturelle, enracinée, de leurs valeurs nationales et sociales.

 

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Pour bien comprendre ce qu’est le non-conformisme, pour ne pas le confondre avec la simple addition du nationalisme doctrinaire et du socialisme doctrinaire (ce que fut largement le nazisme), il faut saisir la différence entre amour de la nation et nationalisme, entre préoccupation sociale et socialisme.

Le parti non-conformiste n’est pas « nationaliste » au sens où le nationalisme est, pour lui, une adaptation de l’individualisme à l’échelle nationale. Organiciste, il refuse le concept constructiviste et potentiellement mécaniciste de la nation comme corps d’associés, concept issu de la Révolution Française (Sieyès). C’est pourquoi, même en France, il fait une large place aux conceptions germaniques de la Gemeinschaft (communauté) comme sous-jacent indispensable à toute société, et s’il est souvent démocrate (exception : l’AF), il n’est jamais partisan du suffrage universel direct comme instrument de la démocratie.

Soucieux de reconstituer l’harmonie du peuple, il défend des conceptions sociales, mais pas socialistes, en ce sens qu’il récuse le culte du Progrès. L’accroissement indéfini des forces productives ne lui paraît pas bon en soi (ce qui ne veut pas dire qu’il soit mauvais en soi, mais simplement qu’il est bon ou mauvais selon l’usage qu’on en fait). Surtout, il ne combat pas le capitalisme parce que celui-ci serait un régime de propriété privée, mais au contraire parce qu’il constitue un premier pas vers le socialisme, c'est-à-dire vers l’abolition de la propriété privée. Pour lui, la propriété privée trouve sa source dans le travail, et c’est pourquoi le capitalisme, en coupant la propriété du travail, constitue déjà une forme de socialisme non su. Par nature, cette doctrine trouve très facilement des passerelles avec la gauche syndicale, celle qui refuse tout esprit doctrinaire et se méfie du matérialisme des intellectuels.

Ce non-conformisme commence à prendre forme à partir du « nouveau nationalisme », réputé de droite, cristallisé pour la première fois avec le général Boulanger. Il trouvera ensuite son expression intellectuelle dans les cercles, surtout français, qui lui donneront son nom, entre les deux guerres. En Espagne, on en trouvera un début de réalisation avec la Phalange de Jose Antonio Primo de Rivera. Il sera parfois soutenu par une fraction du capitalisme (le capital enraciné de l’industrie, par opposition au capital spéculatif mondialisé de la haute banque), comme par exemple avec Mosley en Angleterre – et il sera également alimenté depuis l’autre bord, par des transfuges de la gauche la plus radicale (Mussolini, franc-maçon socialiste, les SA de gauche en Allemagne). A des degrés divers, ces soutiens le dénatureront soit parce qu’ils étaient intéressés (dans le cas des capitalistes), soit parce qu’ils reposaient sur un malentendu (dans le cas des « gauchistes »). Une fois le pouvoir conquis avec de tels soutiens (Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne), le non-conformisme sera toujours esquivé par les fascismes, qui se penseront plus comme l’addition de la droite et de la gauche que comme leur dépassement à proprement parler. Après la Seconde Guerre Mondiale, la sensibilité non-conformiste s’exprimera encore, en France, avec le gaullisme (en particulier dans son versant « social »).

Après mai 68, le non conformisme doit s’exprimer dans le champ qui devient de plus en plus important au sein du combat politique : le champ métapolitique, c'est-à-dire le domaine de la formation des idées en amont des idées elles-mêmes. C’est ce que fait, en France, le GRECE, que les médias s’empresseront d’enfermer dans l’étiquette « Nouvelle Droite », pour l’empêcher de se poser en dépassement non-conformiste. Le GRECE lui-même suit en fait une voie ambiguë. Son principal fondateur, A. de Benoist, se définit à la fin des années 70 comme nominaliste, donc potentiellement relativiste et individualiste. Le discours néo-païen se définit contre le christianisme, ce qui constitue une rupture avec la plupart des non-conformismes préexistants. Engagée initialement dans le « nationalisme européen », la tendance GRECE s’oppose à l’américanisation, et finit par se faire cannibaliser par ce combat, au point de se retrouver sur des positions universalistes et anti-impérialistes classiques. La pensée qui émerge de ce courant repose au final sur une série d’alternatives dont certaines paraissent critiquables, en particulier du point de vue des auteurs chrétiens. En particulier, l’affirmation selon laquelle le christianisme serait égalitaire et totalitaire par nature heurte la conception classique, pour laquelle la religion chrétienne est porteuse d’une vision du monde hiérarchique et d’un discours politique organiciste. Par son antichristianisme, la Nouvelle Droite renvoie donc au fond à une grille de lecture aujourd’hui contestée, le totalitarisme comme sécularisation du messianisme (Arendt, Aron), par opposition à une grille de lecture qui resitue le phénomène dans sa filiation, et l’appréhende d’abord comme le fils du rationalisme des Lumières (Soljenitsyne). Au final, on peut se demander, nous dit Imatz en substance, si le GRECE, isolé dans un contexte intellectuel imprégné par le gauchisme, n’a pas fini par être contaminé par le germe dont il se voulait le vaccin.

Un autre courant non-conformiste, moins connu, émerge à la même époque : le traditionalisme intégral des héritiers de René Guénon. Prenant le contrepied de la Nouvelle Droite, il récuse entièrement les grilles de lecture nominalistes, et se construit en référence aux conceptions les plus anciennes (société de castes, doctrine des deux pouvoirs), comme si des siècles de modernité n’avaient pas existé. Beaucoup plus stable idéologiquement, ce courant présente la faiblesse classique du jusqu’auboutisme : il est totalement coupé de la société dans laquelle il évolue – ce qui limite forcément son influence.

A partir de la fin des années 80, avec le lancement de la revue « Krisis », la Nouvelle Droite, désormais dirigée de facto par Alain de Benoist, s’éloigne de son positivisme initial, et se rapproche du traditionalisme. Mais cette tentative de synthèse ne débouche sur rien de concluant. Un courant de pensée qui formule des idées pendant deux décennies sans jamais les faire passer dans le réel social s’épuise nécessairement, et à partir des années 90, cette « nouvelle Nouvelle Droite » vivote à côté de divers groupes de réflexion et de quelques revues d’intérêt divers (Nationalisme et république, Terre et peuple, Vouloir et orientations). Que reste-t-il de la Nouvelle Droite ? Imatz ne répond pas à la question, mais on comprend très bien ce qu’il veut dire.

A l’époque où se formait ce courant prometteur voué à se disperser dans un marécage peut-être fécond ( ?), un autre courant naissait dans les milieux non-conformistes : le libéral conservatisme, très influencé par la révolution conservatrice dans sa version américaine « néoconservatrice » (comprendre : financée par la haute banque cosmopolite), et doté assez vite d’un centre actif, le Club de l’Horloge. Les libéraux-conservateurs du Club de l’Horloge doivent cependant en rabattre, par rapport au discours à l’emporte-pièce de leurs inspirateurs anglo-saxons. La sainte trinité néoconservatrice (esprit judéo-chrétien, capitalisme libéral, démocratie de marché) ne « prend » pas en France, pays de tradition catholique étatiste, depuis toujours porté à l’idéologisation des affrontements politiques. Conscients du fait que la mondialisation des néoconservateurs parle Anglais, les libéraux-conservateurs français vont tenter de définir une voie de conciliation entre nationalisme et libéralisme. Ils prônent un libéralisme associant la population au capitalisme (distribution d’actions), la liberté de l’enseignement, la destruction des systèmes de protection sociale - exaltation, en somme, de la liberté et de la responsabilité individuelle dans un cadre national – ce que sera le sarkozysme, au moins en paroles, pendant la campagne 2007, rappelle par certains côtés les thèses du Club de l’Horloge.

Cependant, pour Arnaud Imatz, le principal courant non-conformiste de la fin du XX° siècle n’est ni la Nouvelle Droite (confinée aux cercles intellos), ni le Club de l’Horloge (tenu en marge ou récupéré par les milieux capitalistes qui donnent le « la » dans la galaxie libérale). Le grand non-conformisme actuel, c’est le nouveau populisme. Cette réaction qui monte du peuple n’est pas ou très peu idéologisée. Elle traduit  d'une part l’attachement aux structures communautaires, et d’autre part la prise de conscience de la distance qui sépare les gouvernants des gouvernés. Resurgissement du solidarisme et de l’organicité, ce nouveau populisme est le contraire de l’individualisme issu de la modernité capitaliste. Il est la traduction politique de ce qui pousse vers l’autre, de ce qui pousse à aider l’autre. Il n’exclut donc que pour inclure, et n’est pas xénophobe, mais communautaire. Il offre, face à la régression néo-tribale, la possibilité d’une véritable refondation du sentiment d’appartenance – et c’est précisément pour cette raison qu’il est constamment combattu par l’oligarchie capitaliste, qui tente soit de l’interdire (quand elle ne le maîtrise pas, cf. l’histoire du FN), soit de le récupérer (cf. F. Bayrou, ou en Angleterre Tony Blair).

Imatz termine son bouquin par l’analyse du FN. Il le perçoit comme un phénomène certainement pas univoque, plutôt un lieu de compromis (difficile) entre une sensibilité national-populiste (qui reprend une partie des thématiques de la Nouvelle Droite, en les désintellectualisant) et une sensibilité libéral-conservatrice (qui fait de même avec les thématiques du Club de l’Horloge), tout en essayant de constituer un parti capable de surfer sur une vague populiste a-idéologique. Les deux sensibilités constitutives se combinent par ailleurs, de manière assez anarchique, avec les deux camps d’un clivage islamophile/islamophobe qui renvoie, implicitement, à la validation ou à l’invalidation de la thèse néoconservatrice du « choc des civilisations ». Confronté à l’agressivité permanente d’un système d’autant plus persécuteur qu’il se sait fragile, confronté aussi à la médiocrité des ambitions personnelles en interne, qui fait chambre de réverbération aux heurts entre grandes tendances idéologiques, confronté encore à la concurrence potentielle d’un courant souverainiste naissant, le FN de 2003 apparaît à Imatz comme une expérience intéressante, dont l’objectif secret est tout simplement la reconstruction de la société française, mais qu’il sera très, très difficile à conduire dans le contexte des années 2000.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’histoire récente ne lui a pas donné tout à fait tort !

 

*

 

Ce qui, de notre point de vue, rend le travail d’Arnaud Imatz intéressant, c’est qu’il permet de remettre en perspective la démarche qui est aujourd’hui celle, par exemple, des gens qui gravitent autour d’un modeste site comme Scriptoblog. Imatz ne crée pas de concept, ce n’est pas son propos. Il fait œuvre d’historien des idées, et montre d’où viennent fondamentalement les idées qui sont les nôtres : du refus du matérialisme, tant par une fraction de l’ancienne « vraie droite » que par une fraction de l’ancienne « vraie gauche ».

Imatz a le mérite de nous sortir de la perception des enjeux « depuis l’intérieur du débat ». Il nous permet de re-cartographier notre position en nous plaçant « au-dessus de la mêlée ». C’est un déplacement de point de vue créateur : en nous repositionnant à ce niveau de lecture, nous pouvons comprendre comment nous devons, à l’intérieur de la mêlée, nous placer pour que le pack, dans son ensemble, pousse exactement là où l’adversaire est faible.

 

jeudi, 03 juin 2010

T. Sunic: Sex and Politics

Ex: http://www.theoccidentalobserver.net/authors/Sunic-Sex&Politics.html#TS


Sex and Politics

Tom Sunic

May 29, 2010 

Political mores often reflect sexual attitudes. Conversely (and more commonly) political environment affects sexual mores. In our so-called best of all worlds, “free love” has become an aggressive ideology transmitted by left-wing opinion makers. The underlying assumption, going back to the Freudian-Marxist inspired student revolts of 1968, is that by indulging in wild sex a muscled regime can be muzzled and any temptation for an authoritarian rule can be tamed.  

Palaver about “free love equals no war” is still a prevalent dogma in the liberal system. Hans Eysenck, the late psychologist and expert on race and intelligence (also occasionally defamed as a ‘racist’), deconstructed the Freudian fraud in his book The Decline and Fall of the Freudian Empire: “Freud’s place is not with Copernicus and Darwin but with Hans Christian Andersen and tellers of fairy tales.  Psychoanalysis is at best a premature crystallization of spurious orthodoxies; at worst a pseudo-scientific doctrine that has done untold harm to psychology and psychiatry alike” (1990, p. 208). One could infer from Eysenck’s statement what a great many Whites have known for decades, but have been afraid to utter aloud: Freudianism has been an excellent tool for pathologizing Whites into feelings of guilt in regard to their traditional attitudes toward sex and politics.  

Politically correct — sexually incorrect 

Freudianism, instead of curing alleged sexual neuroses and phobias, has ended up creating far more serious ones. Fifty years after the “sexual revolution” the West is replete with men suffering from sexual impotence, with an ever growing number of women and men indulging in odd, perverted and criminal sexual behavior. Yet, despite the fact that the quackery of Sigmund Freud and Wilhelm Reich is no longer trendy, the topic of sex continues to play a crucial role in social interaction. In order to liberate White youth from their feelings of traditional European shame (which is not the same as the Judaic concept of guilt), the non-stop media parading of geometric Hollywood beauties makes many young Whites develop the inferiority complex about their own sexual equipment — or performance in the bedroom.  As a result, a classical nucleus of society — the family — falls apart. 

There is a widespread assumption fostered by liberal and leftist opinion-makers that right-wingers and nationalists are sexual perverts, misogynists, or wild macho-types suffering from a proto-totalitarian Oedipus complex — which accordingly, must lead to proverbial anti-Semitic pogroms. Such a diagnosis of the White man was offered by Erich Fromm in his famed The Anatomy of Human Destructiveness, a book in which the ultimate symbols of evil, the incorrigible Hitler and Himmler, are routinely depicted as “case studies of anal-hoarding-necrophilic sadists.” (1973, pp. 333–411). Fromm’s and Freud’s avalanche of nonsense may tell us more about their own troubled childhood and their obsession with their own misshapen anal-nasal-oral-circumcised-penile-protrusions than about the non-Jewish objects of their descriptions. 

Once could invert the Freudian dogma regarding the alleged pathogenic sexuality of young Whites and supplant it by solid empirical data offered by renowned sociobiologist Gérard Zwang,  an expert on sex and sexual pathologies and a contributor to European New Right journals — and someone who enjoys the occasional privilege of being labeled a ‘racist’.

If one was to assume that traditional child rearing is conducive to a White man’s sexual aberrations and his violent behavior in the political arena, then one should start with Oriental and African practices of circumcision first — which in Europe, ever since the ancient Greeks and Romans has been viewed as an act of morbid religious fanaticism.  

Back from the Exodus, 500 years later, the "dictatorship" of Moses established circumcision as an absolute obligation, for fear of being excluded from the Chosen People. The prescription is still valid for the Orthodox Jew and for Israelis. ... In France, the pro-circumcision followers argue that the prepuce would be a parasitic remnant of the femininity inside a masculine body. The myth of "native bisexuality" is an old craze with disastrous consequences. … In our territory (France), the very numerous circumcisions requested by Jewish or Muslim parents are often paid by the Social Security of a so-called secular country!  ... The ideal should obviously be one day the definitive extinction of the dismal monotheistic religions, of their unacceptable dogmas, and of their ridiculous prescriptions. (G. Zwang, “Demystifying Circumcision)

 

 

Auguste Rodin, „The Kiss,“ 1889 

Liberal pontificators are quick to denounce the practice of infibulation (female mutilation of clitoris) on many immigrant African women residing in Europe, but hardly will they utter a word to denounce equally painful circumcision on new-born Jews or Muslims. 

With or without this strange Levantine make-believe metaphysical mimicry of penile pseudo-castration, unbridled sexual activity has become today a quasi categorical imperative, largely dependent on the whims of the capitalist market. According to the logic of supply and demand one should not rule out that the liberal system may soon issue a decree for mandatory multiracial marriages. Marriage of White couples may be “scientifically” attested as an “unhealthy union at variance with democratic principles of ethnic sensitivity training.”  Never has the West witnessed so much psycho-babble about “love”, “interracial tolerance,” “gender mainstreaming,” “women’s rights,” “gay rights,” etc. — at the time when suicidal loneliness, serial divorces, sexual narcissism, and sexual violence have become its only trademarks of survivability. 

The Ancients were no less sexually active (and probably even more so) than our contemporaries, as testified by their plastic art showing naked women in warm embrace of their men, or as depicted by Homer in his numerous stories of cupid gods and goddesses. Apuleius, a Roman writer of Berber origin, writes explicitly about a woman enchanted by the sex act. From the 14th-century ItalianBoccaccio, to modern Henry Miller, countless European authors offer us graphic stories of love making between White women and White men. But there is one crucial distinction. In the modern liberal system sex has become an aggressive ideology consisting of mechanistic rituals whose only goal is a “dictatorship of the mandatory orgasm,” thus becoming the very opposite of what sex once was.  

In societies marked by the Puritan spirit, which is still the case among large segments of the White American population, the century-old scorning of sexual encounters has had its logical postmodern backlash: prudishness, promiscuity and pornography. The English-born poet and novelist, D. H. Lawrence was a remarkable man who is close to what we call today a “revolutionary conservative” and is highly popular among European White nationalists. In his essayPornography and Obscenity he wrote how one must reject Puritanism and sentimentalism. “Puritan is a sick man, soul and body sick, so why should we bother about his hallucinations. Sex appeal, of course, varies enormously. There are endless different kinds and endless degrees of each kind.”  (The Portable D.H. Lawrence, 1977, p. 652,). 

Despite globalization, “Americanization” and the increasing difficulty to distinguish between sexual mores in White America and in White Europe, some differences are still visible and often lead to serious misunderstanding among transatlantic partners. This time, the inevitable cultural factor, and not a genetic factor, takes the upper hand. 

White Spectral Lovers  

What may be viewed as vulgar sexual conduct from the perspective of WhiteAmerica is often hailed as something natural in Europe. A sharp and well-travelled European eye, even with no academic baggage, notices a strong dose of hypermoralism and sentimentalism among White American males and females. Examples abound. For instance, public tearful confessions by an American male, either on the podium or at the pulpit about cheating on his wife, while viewed as normal in America, are viewed as pathetic in Europe. Many European White males and women, when visiting America, are stunned when an intelligent American speaker, gripped by emotions, starts shedding tears on his microphone, regardless of whether the theme of his allocution is the plight of Jesus Christ or the predicament of the White race.  

One might explain this phenomenon by suggesting that on a psychological level White Americans, given the early and strong influence of the Old Testament, have been more influenced by the Judaic spirit of guilt than White Europeans, who have traditionally been far more obsessed with a sense of shame. Judaic feelings of guilt were, in the 20th century, successfully transposed in a secular manner by the Marxist Frankfurt School on the entire White population all over the West, and particularly on the German people. By contrast, in the ancient Greek drama and even later among heroes of the Middle Ages, one can hardly spot signs of guilt. Instead, characters are mostly immersed in endless introspective brooding about some shameful act they may or may have not committed. 

Conversely, many White American women rightly conclude that sexual behavior of European males is often erratic, quirky and disorderly. European males are often poorly groomed when dating or mating, often lacking respect for their female partners. For a newcomer to Europe, the overkill of pornographic literature all over public places and the torrents of x-rate movies aired on prime time are indeed unnerving. There is also a different conceptualization of sex and decadence by White Europeans and White Americans respectively.  

Many European White nationalists like to brag about their Dionysian spirit, which often borders on undisciplined behavior. Numerous Catholic holidays in Europe, such as St. Anthony’s day in June, St. Patrick’s day in March, St. George day in April etc., are celebrated from Ireland to Flanders. Typical are Flemishkermesse celebrations depicted by Pieter Breughel.  

Pieter Brueghel the Younger, „The Kermesse of St. George“ (1628)

These celebrations are not meant for Bible preaching, but rather as an occasion to release residual, primordial and pagan feelings. The pent-up sense of the tragic, the accumulated sorrows that come along with age, must be wildly vented, even at the price of appearing grotesque in foreigners’ eyes.

The duration of such mega-feasts is strictly limited. Over the centuries, the Catholic Church has been shrewd enough to incorporate the pagan heritage into Catholic feasts, because otherwise its monotheistic dogma would not have lasted long. Not surprisingly, kermesses and carnivals are in reality far more prophylactic and effective for good sex than all the Viagra and Freudian shrinks combined. On such occasions, still alive in Catholic rural Europe, everybody revels, drinks, everybody pinches each other’s backside, as shown long time ago on Rubens’ and Breughel’s paintings. However, when the fun is over the same revelers go back to their traditional family chores.      

It is a common practice among high intellectual classes in Europe for a married man to flirt with an unknown attractive woman at a social gathering — even in the presence of his own spouse. In fact, for a married man in Europe courting an intelligent woman is considered a sign of good upbringing and chivalry — with a tacit ocular understanding between the two that they may end up in bed together — but with no strings attached. On public beaches from France’s Saint Tropez to Croatia’s Dalmatia, all the way to public parks in Copenhagen, it is normal in hot summers to observe naked women of all ages sunbathing and skinny-dipping in the presence of young children. This is something unimaginable on the Santa Cruz Riviera in California, as it would immediately attract a crazed local peeping tom or a stern-faced police officer. 

Several years ago a scandal broke out in the USA caused by the former US President William Clinton’s sexual escapade with a Jewish woman, Monika Lewinsky. Clinton’s sexual adventures literally became a federal case in America, with many American journalists across the political spectrum demanding his resignation. In Europe, Clinton’s extramarital affair was received by many with a shrug of shoulders. One can hardly imagine a voter in Europe asking for the president to be removed from office just because he was cheating on his wife. Having a mate, a concubine a maitresse has been an age-old practice among European politicians, deliberately ignored  by their spouses, approved by their constituencies, and tolerated by the Church, and in no way seen as a sign of character weakness.  

Thousands of Western scientists, artists and poets, who had an organic view of love making, have disappeared now from the academic radar screen. The antebellum South, still demonized as a backward place, was the last place in the West that had at some point in history salvaged White European medieval customs of honor, virility, generosity and chivalry. This can be seen in the tragic poetry of unreconstructed Southerners, such as John Crowe Ransom.  

By night they haunted a thicket of April mist, 
Out of that black ground suddenly come to birth, 
Else angels lost in each other and fallen on earth. 
Lovers they knew they were, but why unclasped, unkissed? 
Why should two lovers be frozen apart in fear? 
And yet they were, they were.

(John Crowe Ransom, “Spectral Lovers”)  

An iconic French nationalist scholar, an artist, and a political prisoner in France after WWII, Maurice Bardèche  was well aware of the slow coming darkness in the West following the defeat of the South in the Civil War:

Firstly, to be a Southerner is to see and feel that one of the biggest catastrophes of our times was the capture of Atlanta. The defeat atSedan is for me nothing more than an event of history; a sad event, but as any other event colorless and historical.  As for the defeat atWaterloo – I cannot convince myself that it has changed the destiny of the world. Even the collapse of Germany, although it seems to me an injustice, a bad whim of God and as any other appearance against all good sense — I do not consider irrevocable.  But the capture of Atlanta — this is for me an irreparable event, the fatal beacon of History. It is the victory of the Barbarians. (Sparte et les Sudistes, 1969, p. 96). 

  

Tom Sunic (http://www.tomsunic.info; http://doctorsunic.netfirms.com) is author, translator, former US professor in political science and a member of the Board of Directors of the American Third Position. His new book, Postmortem Report: Cultural Examinations from Postmodernity, prefaced by Kevin MacDonald, has just been released. Email him.  

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dimanche, 23 mai 2010

Fédéralisme: réflexions générales et cas espagnol

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1994

 

 

Fédéralisme: réflexions générales et cas espagnol

 

Au lendemain de la dernière guerre, après la chute des totalitarismes de moutures fasciste ou nationale-socialiste, la pensée politique était confrontée aux problèmes suivants:

1) comment créer un Etat démocratique

- capable de rapprocher les gouvernants et les gouvernés;

- soucieux de ne pas rééditer l'anonymat des démocraties formelles;

- générateur d'un équilibre social et d'une justice équitable dans la redistribution?

2) comment conserver l'imbrication des structures politiques dans un tissu histo­rique précis, légué par l'histoire?

3) comment conserver un minimum de cohésion dans les Etats disparates sur les plans ethnique, linguistique, confessionnel, etc.?

4) comment éviter l'affrontement perpétuel entre ces différentes composantes?

5) comment maintenir la souveraineté et permettre l'exercice de la décision dans des sociétés envisagées d'emblée comme plurielles et conflictuelles?

6) quelles règles allaient devoir faire fonctionner cet Etat nouveau, qui prenait à la fois le relais des totalitarismes (qui avaient rapproché les gouvernants des gouver­nés en accentuant une dynamique sociale hyper-effervescente conduisant au pa­roxysme de la mobilisation totale, voire de la guerre) et celui des démocraties for­melles (qui avaient suscité l'indifférence et/ou l'hostilité des masses parce qu'elles refusaient de tenir compte des valeurs)?

7) comment mettre fin aux rigidités des centralismes sans sombrer dans le chaos de l'indécision?

8) comment articuler ces nouveaux Etats dans un concert européen, ou plutôt dans un contexte stratégique étendu désormais à l'ensemble du continent? Quelles mé­thodes inventer pour déconstruire progressivement et positivement les antago­nismes stato-nationaux qui avaient mis l'Europe deux fois à feu et à sang?

 

Le premier constat des constitutionalistes, notamment en Allemagne: le modèle hel­vétique fonctionnait sans heurt depuis plus de six siècles, faisant de l'espace suisse une oasis de paix civile dans un océan européen en proie aux pires tempêtes. Force était de constater que la vieille démocratie de type helvétique avait su con­server des éléments de démocratie acclamative (les votes sur place publique à main levée et sous la supervision d'un «amman») et le principe référendaire, qui brise les logiques trop arithmétiques des scrutins classiques et permet de trancher et de dé­cider sans heurter de plein fouet les sentiments profonds du peuple. Le référendum permettait la mobilisation des factions, des militants et des strates d'opinion dans un cadre juridiquement établi et pour un laps de temps suffisamment bref pour ne pas basculer dans le chaos. La «mobilisation» n'était pas permanente comme dans les modèles totalitaires, elle était ponctuelle et temporaire, mais, en tant que telle, ja­mais évacuée: il était toujours possible d'y faire recours pour trancher des «sacs de nœuds» idéologico-politiques.

 

Enfin, le modèle constitutionnel helvétique permettait la survivance voire le renfor­cement des identités multiples établies sur le territoire morcelé en d'innombrables vallées alpines ou zones enclavées, ayant chacune leurs spécificités linguistiques ou confessionnelles. Enfin, ce puzzle helvétique, en apparence disparate, a su faire preuve de décision dans l'histoire, de cohérence politique et a assuré le consensus de ses citoyens, de façon quasiment ininterrompue.

 

L'Allemagne reconnaît dans ce respect helvétique des spécificités un linéament im­mémorial de droit germanique. Dans son fédéralisme, elle veillera dès lors à transpo­ser ce linéament dans sa constitution, en reconnaissant la «nature d'Etat» (Staatlichkeit) des multiples composantes de la RFA. Mais la RFA ne retient pas le principe référendaire, estimant sans doute implicitement que le peuple ferait un mauvais usage de cet outil politique, comme sous le III° Reich lors du référendum de 1937 («Dein Ja dem Führer»). L'omission du principe référendaire est-elle, sur le fond et en dernière instance, compatible avec le principe cardinal de la constitution, qui affirme que le Volk est le seul détenteur de la souveraineté, selon la double lo­gique du principe républicain et national-démocratique qui sous-tend finalement cette constitution, en dépit des modes actuelles qui tendent à refouler ces éléments de base de toute politique concrète dans la «poubelle politique» que constitue l'«extrême-droite», fourre-tout conceptuel ne renvoyant à d'autre réalité que les fan­tasmes des agents en place dans les médias? Or, sans tenir compte des aspirations républicaines et démocratiques (au sens vieux-romain et quasi-communautaire du terme) et du fait national (qui fait que les hommes vivant là sont tels et non autre­ment), on ne peut pas faire de politique concrète, seulement de la politique senti­mentale, chavirant trop souvent dans l'hystérie et l'irréalisme.

 

Si la structure fédérale allemande fonctionne correctement dans des espaces plus vastes que les cantons helvétiques, les problèmes qui affectent la démocratie alle­mande résident dans 1) l'absence de principe référendaire; 2) le poids trop lourd des principaux partis; 3) la barre des 5% pour l'accès aux structures de représentations, qui, couplée à l'absence de référendum, ne permet guère une refonte démocratique, naturelle et potentiellement permanente du paysage politique (la démocratie étant, aux yeux de ses pères fondateurs, un système politique tentant de se mettre au dia­pason des changements sociaux, psychologiques et techniques qui affectent la vie quotidienne du peuple).

 

Néanmoins, jusqu'au seuil des années 80, le système allemand était le plus moderne d'Europe, abstraction faite de la Suisse, dont le relief particulier rendait inexpor­table son modèle tel quel. Mais la «troisième vague», pour employer le vocabulaire du futurologue Toffler, portée, entre autres, par la “révolution informatique”, contri­buait fortement à changer la donne en Europe et ailleurs dans le monde industrialisé. Toutes les formes et modalités de centralisation devenaient plus ou moins ca­duques, partiellement ou entièrement obsolètes. Toffler, dans son ouvrage «Les Nouveaux pouvoirs» (en anglais, le titre est plus explicite: «Powershift»), constate le passage des monolithes aux mosaïques, c'est-à-dire le découpage pragmatique des grandes entités (notamment les énormes consortiums industriels) en unités au­tonomes, dont le fonctionnement est plus souple, plus adapté aux tissus locaux. Cette évolution du monde industriel correspond à une nouvelle nécessité, répondant à des impératifs de rentabilité et de facilité. Forcément, en dépit de son conserva­tisme naturel, le monde des institutions politiques allait devoir suivre.

 

Mais aucun projet cohérent, juridiquement étayé, n'est né en Europe occidentale pour répondre à ce défi, qui, qu'on le veuille ou non, exige une réponse claire et ra­pide. Pendant les années 60, les démocraties formelles d'Europe occidentale et la démocratie fédérale allemande ont coexisté harmonieusement, portées par une con­joncture haute, inégalée, et qui ne reviendra sans doute jamais plus. Les démocra­ties formelles de notre frange occidentale de l'Europe ont été prises en otage par les grands partis politiques et par leur relais dans la société civile (syndicats, mu­tuelles, mouvements de jeunesse, lobbies de diverses moutures, etc.), que le lan­gage sociologique néerlandais nomme les «zuilen», littéralement les «piliers», véri­tables étouffoirs des spontanéités populaires, visant au départ à canaliser celles-ci, ils ont systématiquement transformé les flux émanant du peuple en trop maigres pe­tits pisselets, étroitement surveillés par un fonctionnariat qui défendait jalousement et crapuleusement, anti-démocratiquement et mafieusement, ses acquis et empê­chait les autres, les nouveaux venus, d'apporter leurs compétences à la collectivité populaire, forçant de nombreux sujets d'élite à émigrer; en Allemagne, le duopole des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates n'a pas permis d'adapter la constitution, pourtant réceptive dans son essence, aux innombrables différences qui innervent le monde.

 

Il a fallu attendre la chute d'un autre système ancien (le régime franquiste) pour réamorcer, quelque part en Europe (en l'occurence en Espagne), une réflexion nou­velle en vue d'élaborer une constitution plus adéquate à notre société-monde en phase de complexification croissante. Or la pertinence d'un système politique se mesure à sa capacité d'intégrer très rapidement les complexités émergentes et sur­tout, de se mettre en disponibilité permanente pour effectuer ce travail d'intégration. Si ce travail n'est pas fait, ou n'est pas fait à temps, les problèmes s'accumulent, les dysfonctionnements sociaux se succèdent à une allure de plus en plus rapide et l'on débouche sur l'ingouvernabilité, l'incohérence et le chaos (et nous y sommes!). Les fascismes de formes diverses qui ont animé la scène politique européenne dans les années 20-40 ont cru pallier à l'enlisement, produit de l'indécision, en concen­trant le pouvoir entre les mains d'un chef charismatique (cf. Max Weber) ou d'élites quiritaires-militantes (cf. Gaetano Mosca, Vilfredo Pareto), qui se donnaient pour objectif de mettre un terme aux discussions interminables des parlements (ceux-ci ne représentaient plus que des élites qui n'étaient déjà plus au diapason des inno­vations), et raccourcir le temps entre l'émergence d'un fait nouveau et la décision qui devait l'arraisonner (cf. Mussolini: «la dictature fait en six minutes ce que le parlementarisme fait en soixante ans»).

 

Ces éléments de réflexion doivent nous conduire à condamner les vieilles démocra­ties formelles, à réfuter les idéologies qui leur servent d'assises et à concevoir l'évolution réelle de la pensée politique européenne comme suit:

1) une phase de démocratie formelle (rousseauiste ou conservatrice), qui a été ina­daptée aux évolutions sociales, psychologiques et techniques, dans la période 1880-1950, et qui prouve une nouvelle fois son inadaptation à intégrer l'innovation depuis le choc pétrolier, la révolution informatique et la robotisation des tâches ré­pétitives dans l'industrie. La démocratie formelle n'est bonne que sous la situation «rebus sic stantibus», c'est-à-dire si l'on abolit les facteurs «temps» et «espace», ce qui est finalement une impossibilité pratique.

2) Une phase de réaction fasciste, nationale-socialiste, stalinienne, militariste (Japon) ou directoriale (= première phase du New Deal de Roosevelt). L'objectif: rac­courcir le temps de décision. L'inconvénient: une hyper-concentration qui, à court ou moyen terme, aurait empêché les informations glânées à la base d'accéder aux plus hautes sphères du pouvoir.

3) Une première innovation/adaptation intéressante: la naissance du système fédé­ral allemand, présentant toutefois quelques lacunes.

4) La chute du franquisme espagnol, par la mort du Caudillo, oblige les constitution­nalistes espagnols à élaborer un système démocratique plus moderne, plus ancré dans le divers du réel, plus souple, plus intégrateur de l'innovation.

 

C'est ainsi que les juristes espagnols ont élaboré une nouvelle forme de démocratie fédérale, développant et améliorant en théorie les acquis allemands. La décentrali­sation espagnole redistribuait les cartes après la disparition du centralisme fran­quiste, selon la logique, émergente dans les années 1975-80, de la révolution infor­matique qui permettait de «passer des monolithes aux mosaïques» (Toffler). Les ju­ristes espagnols constataient que les composantes de l'ensemble étatique espagnol n'étaient pas égales entre elles du point de vue quantitatif et ne présentaient pas un degré de conscience historique équivalent. Cette diversité, fort complexe, devait être prise en compte par la constitution. Cette diversité ne permettait pas de décou­per la masse territoriale espagnole, en vue d'une dévolution, en entités symétriques. Il fallait donc un découpage "asymétrique", un octroi à la carte d'autonomies, exac­tement comme il faudra, dans l'Europe de demain, effectuer une nouvelle répartition des compétences politiques selon un schéma asymétrique à l'espagnole. Ce schéma permet notamment aux composantes territoriales d'un Etat, anciennement centralisé comme l'Espagne, de se donner des compétences législatives propres et d'adapter ainsi les règles de gouvernement aux besoins spécifiques d'une communauté, défi­nie par l'histoire, la langue ou l'originalité ethnique. Ensuite, d'avoir le droit de défi­nir une politique de relations internationales, commerciales ou autres, avec des enti­tés similaires dans d'autres pays de la communauté, puis de l'union, européenne. Ainsi, l'«Etat asymétrique des communautés autonomes» permet de sortir des en­fermements stato-nationaux anciens et de passer graduellement et harmonieusement à l'échelle européenne. Remarquons aussi que le législateur a tenu compte des «communautés régionales» (aux compétences plus vastes) et des «communautés lo­cales» (aux compétences plus restreintes).

 

Nous avons là un modèle théorique intéressant. Mais il n'est pas encore parfait, loin s'en faut: les conceptions théoriques sont faibles, certains textes constitutionnels sont ambigus, le montage nouveau a été laborieux, le processus politique n'a pas été suffisamment maîtrisé, les dysfonctionnements n'ont pas tardé à se manifester, le processus coûte cher surtout quand les caciques des partis cherchent à caser leurs féaux dans les nouvelles administrations: bref, la gestation est lente; s'incruster dans le réel prend du temps, la maîtrise de la complexité ne se fait pas en deux coups de cuiller à pot. Cette lenteur, loin d'être criticable, est au contraire un signe positif, la hâte ne résolvant généralement pas les problèmes. Mais l'expérience espagnole, qui se déroule dans un pays plus pauvre que la moyenne de l'UE, donc plus fragile et plus sujet à la dissolution, demeure un exemple pour le reste du continent, pour plusieurs raisons:

- L'Etat des autonomies fonctionne, parfois cahin-caha, mais il fonctionne.

- Le consensus de base sur le système autonomique ne s'est pas effrité. Socialistes du PSOE et conservateurs du Parti Populaire souhaitent poursuivre et approfondir l'expérience.

 

Cette expérience espagnole ne conduit pas à la dissolution ou au séparatisme, tout comme le fédéralisme allemand de la RFA n'a pas conduit à l'éclatement d'une Allemagne finalement plus récemment unifiée que l'Espagne. Or le fractionnement de l'Allemagne avait été le vœu de certains planificateurs alliés; le nouveau fédéralisme devant, à leurs yeux, conduire à terme à l'émergence de plusieurs petites Allemagnes, selon la logique même du Testament de Richelieu. Ce double constat permet d'affirmer que le fédéralisme, l'octroi de compétences étatiques à des entités nationales ou régionales au sein d'Etats souverains, renforcent l'unité plutôt qu'ils ne la dissolvent. L'unité européenne se réalisera par un recours aux autonomies, pratique centripète et non centrifuge, et non par un renforcement des centralismes à tous niveaux, qui débouche sur un rejet instinctif des populations, qui voient le gou­vernement s'éloigner ainsi de leurs préoccupations quotidiennes et des problèmes multiples et divers du vivre-en-commun. Le consensus n'est possible que par la res­tauration des autonomies. Le dissensus naît, par contre, du divorce entre le pays réel et le pays légal. L'expérience espagnole permet donc de déduire des observa­tions intéressantes pour notre objectif final: la constitution d'un grand espace euro­péen, soustrait à l'arbitraire de puissances tierces.

 

Robert STEUCKERS.

 

BIBLIOGRAPHIE:

 

- Dimitri Georges LAVROFF, «Les institutions politiques de l'Espagne», La Documentation française, coll. «Notes et études documentaires», juillet 1981.

- Dieter NOHLEN, José Juan GONZALES ENCINAR (Hrsg.), Der Staat der Autonomen Gemeinschaften in Spanien, Leske u. Budrich, Opladen, 1992.

- Luciano PAREJO ALFONSO, «Aufbau, Entwicklung und heutiger Stand des spani­schen Staates und seiner Autonomen Gemeinschaften», in J.J. Hesse u. W. RENZSCH (Hrsg.), Föderalistische Entwicklung in Europa, Nomos-Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1991.

- Franck MODERNE & Pierre BON, L'Espagne aujourd'hui. Dix années de gouverne­ment socialiste (1982-1992), Documentation française, 1993.

- Plus général: Arthur BENZ, Föderalismus als dynamisches System, Westdeutscher Verlag, Opladen, 1985.

 

samedi, 22 mai 2010

Eugen Lemberg: anthropologie des systèmes idéologiques

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987

Eugen Lemberg: anthropologie des systèmes idéologiques

Eugen LEMBERG, Anthropologie der ideo­logischen Systeme, Nomos Verlag­sgesellschaft, Baden-Baden, 1987, 168 S., DM 39, ISBN 3-7890-1144-4.

Deuxième édition d'un ouvrage capital de po­lito­logie paru immédiatement après le décès de l'auteur en 1976. Ce livre se veut le couron­ne­ment de l'œuvre sociologique de son auteur et une analyse comparative des systèmes reli­gieux, philosophiques et politiques qui structu­rent les sociétés en leur communiquant des va­leurs et des normes et en dirigeant leur compor­tement global. D'où la question principale à la­quelle répond Lemberg: quelles sont les pulsions motrices, les systèmes-guides de l'espèce hu­maine? Quel est le rôle de l'idéologie sociale dans la pensée et dans l'agir? Dans la veine des grands fondateurs de la sociologie, Ratzenhofer, Pareto, Gumplowicz, Mosca, etc., Lemberg a écrit un classique incontournable. Il étudie les mobiles instinctifs, institutionnels et idéolo­gi­ques de l'agir social et politique. Il en retrace la phylogénèse et en examine les fonctions (for­mation des groupes, désignation de l'en­nemi, po­sitionnement dans l'environnement politico-culturel, polarisations diverses, etc.). Les sys­tè­mes idéologiques, en­suite, donnent à leurs adep­tes une explication du monde simple, «clé sur porte». Explication qui génère des vérités et des fois qu'ébranlera l'avènement des démar­ches empiriques. Lem­berg étudie aussi le rôle des dubitatifs, des héré­tiques et des dissidents dans les sociétés. L'une des fonctions essen­tiel­les des systèmes idéolo­giques est de guider le com­portement, ce qui a pour effet de stabiliser les sociétés. Stabilisation qui peut déchoir dans la rigidité ou, au contraire, permettre la persis­tan­ce d'un terreau fécond. Dans toute société, s'o­pè­re un partage des rôles entre idéologues et prag­matiques. Les hiérar­chies fonctionnantes sont dès lors marquées par un dosage de principes im­muables et de prag­matisme souple. Enfin, les systèmes idéolo­giques sont soit marqués du sceau du sacré soit rationnels. Conclusion de Lemberg: les idéolo­gies sont tantôt une malé­dic­tion tantôt une béné­diction.

 

 

vendredi, 21 mai 2010

Etat fédéral et confédération d'états

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

Etat fédéral et confédération d’états

 

Invité d’un récent débat radiophonique, Charles Pasqua, président du RPF, stigmatisait dans une diatribe anti-européenne, «vieille gaulliste», l’imbroglio juridique sur lequel repose l’Union Européenne, mélange confus d’institutions fédérales et de dispositions confédérales. Si son projet d’«Europe des nations», qu’il partage avec MM Chevènement, Le Pen et Mégret, nous est étranger, reconnaissons-lui d’avoir dit vrai sur l’impéritie des institutions européennes. Quelques précisions concernant ces deux formes de politique commune nous ont donc paru s’imposer, à l’heure où de graves décisions à l’échelle continentale s’avèrent chaque jour plus nécessaires.

 

L’idée fédérale n’est pas nouvelle dans le circuit des idées politiques, apparue comme une alternative in­sti­tutionnelle et culturelle à l’installation de l’Etat unitaire, central et omnipotent faisant fi des desiderata régionaux. Et paradoxalement pour l’Etat jacobin et centralisateur que constitue la France républicaine, notre pays compte trois des quatre premiers théoriciens du fédéralisme européen, en les personnes de Montesquieu et Rousseau au XVIIIe siècle, Proudhon au XIXe siècle. Kant, Frantz, Albertini et l’Américain Hamilton a­chè­ve­ront d’apporter au fédéralisme son corpus doctrinal, sans toutefois distinguer ouvertement confédération et as­so­ciation fédérative. Les expériences politiques américaine, suisse, et plus récemment allemande et es­pa­gnole, seront le terrain pratique sur lequel s’affirmeront fédéralisme et confédération, se dégageant peu à peu les éléments de clivage qui aujourd’hui restent d’actualité avec l’édification d’un grand espace européen os­cil­lant entre lune et l’autre des deux conceptions. Il est significatif que Louis le Fur dans la conclusion à sa thèse Etat fédéral et confédération d’Etats ait écrit que: «en dehors de cette idée de participation des membres de l’E­tat fédéral à la souveraineté, il est impossible d’établir une distinction juridique précise entre l’Etat fédéral et les autres formes d’Etats qui présentent avec lui quelques analogies». Pour sa part, Bernard Barthalay prend par­tie, estimant que «tandis que la confédération n’est pas un Etat mais une somme d’Etats qui conservent leur souveraineté absolue, impliquant l’idée dune unanimité paralysante, le fédéralisme est une organisation plu­rielle de gouvernements indépendants et coordonnés entre eux, exerçant un pouvoir strictement indis­pen­sa­ble et résiduel». Définitions aléatoires qu’il va s’agir ici de clarifier au mieux dans une étude abordant corréla­tive­ment aspects juridiques et aspects politiques pour déboucher sur l’évocation du fédéralisme suisse et eu­ropéen.

 

 

 

Aspects juridiques:

 

Dans son ouvrage De l’esprit des Lois, Montesquieu emploie le terme de république fédérative, «convention par laquelle plusieurs corps politiques consentent à devenir citoyen d’un Etat plus grand qu’ils veulent former», union de plusieurs Etats souverains en un Etat dont ils sont membres tout en gardant leur souveraineté. Rousseau dans le Contrat Social et Kant dans le Projet pour une paix perpétuelle évoquent le même projet sans se préoccuper de la problématique fédération/confédération. Au demeurant nos voisins suisses ont baptisé «Confédération Helvétique» leur pays qui toutefois présente toutes les caractéristiques d’un Etat fédéral. C’est au constitutionaliste suisse Jean-François Aubert que l’on doit l’étude la plus affirmée du rapport fédération/confédération, sans précise-t-il, offrir de définition assurée et rigoureuse, l’histoire présentant à l’envi la contradiction à ses dires. Aubert met l’accent sur cinq aspects essentiels dans l’opposition fédération/confédération.

 

1) Premier distingo, la confédération établit pour organe central une conférence d’ambassadeurs nommés par les Etats membres, munis d’instructions qui garantissent l’indépendance de ceux-ci au sein de l’entente, réduite à une association purement contractuelle. A contrario, les organes fédéraux sont dotés dune liberté essentielle au regard des états membres, et disposent donc de plus de pouvoir.

 

2) De même la confédération réduit ses prérogatives essentiellement aux affaires étrangères, la défense et l’économie, cependant que la fédération élargit ces compétences à l’ensemble des cadres d’intervention de tout Etat souverain, comme s’y emploie la Suisse.

 

3) En matière de droit, la confédération applique le droit international entre Etats membres, synonymes de leur distance. La fédération quant à elle utilise un droit spécifique, le droit constitutionnel du nouvel Etat fédéral (exemple du droit communautaire de l’Union Européenne). Comme le note le professeur Triepel, la Confédération d’Etats s’apparente au droit international alors que l’Etat fédéral se caractérise par une relation de subordination. Dans le premier cas, c’est la coordination, tandis que dans un Etat fédéral celui-ci domine les Etats fédérés dans un système de droit interne.

 

4) La révision du traité d’union diffère de même, opposant l’unanimité confédérale, lourde et incapacitante, à la majorité de la fédération, largement plus souple, qui impose ses décisions aux plus réticents (on songe au jeu britannique au sein de lUE).

 

5) Et, plus sûre différenciation, la possibilité de sécession qui, pour la confédération laisse libre chaque état membre de se dégager quand bon lui semble, mais nécessite dans le cas de la fédération négociations en vue de reformer l’acte fondateur.

 

Aspects politiques:

 

Plus largement, et selon les études des américains Duchacek et Elazar, la fédération se démarque le plus résolument de la confédération par sa volonté affichée de créer au-delà des états membres une nation nouvelle et un Etat nouveau. Ainsi l’Etat fédéral est territorialement divisé entre deux structures autonomes de juridiction, provinciale et nationale, deux compétences de pouvoir, fédérale et locale, interdépendantes. A l’inverse le système confédéral laisse aux communautés considérées toute souveraineté et indépendance, leur association se résumant à des objectifs déterminés, limités et sans idée supranationale. C’est le cas du Benelux par exemple. Historiquement parlant, il est intéressant de noter que Suisse et Etats-Unis, d’une base confé­dérale, s’orientèrent vers la fédération pour se pérenniser. La Suisse en 1848, après que l’année 1847 eut vu s’af­fronter en des combats sanglants catholiques et protestants; les USA après que l’idée initiale de con­fédération inscrite dans la Déclaration d’Indépendance eut fait la preuve de son immobilisme. Pour ne pas a­voir su mettre à profit ses expériences passées, la Yougoslavie, état confédéral sur la base révisée de la constitution de1974 se désagrégea, empêtrée quelle était dans un système hybride de confédération et de fédéralisme au sortir dramatiquement inopérant.

 

En finalité, pour une fédération apportant une importance prépondérante aux libertés individuelles et locales, la confédération se consacrera davantage à la préservation des libertés nationales. Là où l’Etat fédéral transcendera communautés nationales, religieuses, linguistiques en une union garantissant la souveraineté des entités locales la composant tout en leur assurant la participation aux décisions des autorités fédérales dans un système de gouvernement bicaméral et collégial, la confédération aura le souhait de garantir les prérogatives des Etats nationaux unitaires épisodiquement reliés sur un objectif commun, sans considération d’ordre communautariste. L’Etat-nation, hostile à la méthode fédéraliste, prospèrera sous un traité confédéral.

 

Dusan Sidjanski, dans un article titré Fédéralisme et néo-fédéralisme, écrit au sujet de l’état fédéral: «Le même principe s’applique à l’Europe fédérée qui ne doit se charger que de tâches qui dépassent la capacité des Etats européens pris séparément (...) A divers niveaux correspondent des pouvoirs autonomes. A mesure qu’augmentent les dimensions des tâches —transport, énergie, emploi, inflation, défense—  le niveau de dé­cision s’élève jusqu’à devenir continental ou mondial». Un principe de subsidiarité qui fonde le fédéralisme et que réfute la confédération, réunion purement occasionnelle, conditionnée par la bonne volonté des états membres et par conséquent davantage éphémère et fragile que l’Etat fédéral, fruit du consentement des parties, réseau de responsabilités et d’interdépendances conciliant unité et diversité. L’opposition entre Etat fédéral au singulier et confédérations d’Etats au pluriel prend ainsi tout son sens.

 

Fédéralisme suisse et Communauté européenne:

 

Le fédéralisme dans la Confédération Helvétique se propose prioritairement de sauvegarder l’autonomie des cantons du pouvoir central en termes de financement, d’institutions, de coopération, de décision politique. L’Union Européenne a inversement des difficultés à affirmer un pouvoir autonome, fédéral, face à des Etats membres, vieilles nations européennes qui exercent leurs attributions étatiques. L’Union Européenne n’assure ainsi aucune responsabilité de défense commune ni de sécurité et ses relations extérieures sont tributaires dune procédure confédérale. Jusqu’à la mise en œuvre de l’Acte unique européen en 1987 le Conseil prenait ses décisions sauf exceptions de manière confédérale, unanime. Aujourd’hui, la procédure fédérale s’affirme mais reste exclue des décisions fondamentales telles que la révision des traités, l’admission des nouveaux membres, l’innovation des institutions..., cependant que l’intervention du vote pondéré suit une optique fédérale, notamment appliquée par le Parlement Européen.

 

La Confédération Helvétique réunit en son sein des communautés diverses, gardant la souveraineté des cantons tout en leur permettant de participer aux décisions des autorités fédérales dans un système bicaméral et collégial où intervient la démocratie directe et semi-directe. C’est en référence à cette constitution fédérale et faussement «confédérale» helvétique que l’Union Européenne travaille à renforcer la participation des citoyens, les convergences politiques et économiques, en parallèle au renforcement des autonomies et personnalités locales qu’incarne l’Europe des régions.

 

Le but avoué mais encore lointain étant de passer dune Europe implicitement confédérale à une Europe explicitement fédérale.

 

Max SERCQ.

 

mercredi, 19 mai 2010

Breve sobre indios e indigenistas

Jes3.jpgBreve sobre indios e indigenistas

 

Alberto Buela(*)

 

Ya empezamos mal hablando de indios cuando lo políticamente correcto es hablar de aborígenes, término que viene del sufijo latino ab que indica procedencia, más el sustantivo origo-inis que significa origen, nacimiento. Cuando decimos aborigen nos queremos referir a alguien originario del suelo donde vive.

Aparece aquí la primera contradicción los indigenistas que se auto titulan con un término del latín como aborigen, en lugar del indio que es mucho más genuino y originario. Es verdad que nació de un error de Colón, pero eso es todo, no existió una manipulación ex profesa del término, como ocurrió y ocurre con el de aborigen.

Ahora bien en el caso de los aborígenes de la Patagonia y de la Pampa argentina no son originarios para nada, eso no es cierto, es una falsedad de toda falsedad. Los que hoy se denominan mapuches son un cuento, son un bluff, lo decimos en inglés porque la oficina política de estos “indios” está en Londres. Ellos llegan a La Pampa a partir de 1770 y eran pehuenches de Ranquil (hoy Chile) y se instalan en pleno cladenar (montes del Caldén) de la Pampa central, llamada también Mamil Mapu (país del monte). Vemos como estos indios son menos originarios que los criollos viejos de la Pampa. Y en la Patagonia, cuando invadieron por esa misma época, mataron a los tehuelches sus verdaderos habitantes originarios.

Sobre este tema se puede consultar el excelente artículo de Fredy Carbano Julio Argentino Roca y la gran mentira mapuche que está en Internet.

 

Es sabido que hoy día uno de los temas y asuntos más aprovechados políticamente por el progresismo, tanto de izquierda como liberal, es el del indigenismo.

No existe prácticamente ningún gobernante- nacional o provincial- de Nuestra América que no cante loas al mundo precolombino, a los indios, a los autóctonos, a los pueblos originarios.

Ni que decir de los militantes políticos del progresismo  y los intelectuales del pensamiento único, el tema está comprado en bloque. Es como si una voz de orden venida del imperialismo yanqui dijera: “Así como para nosotros el único indio que vale es el indio muerto, para Uds. lo único valioso es: que todos sean o se declaren indios”.

 

Para apoyar este principio de dominación política y cultural nos han vendido, y nuestra intelligensia  ha comparado, la teoría del multiculturalismo que hace pedazos la poca unidad nacional que hemos logrado luego de 500 años de existencia. Esta teoría ruin se expresa en el apotegma: la minorías tienen derechos por el sólo hecho de ser minorías, tenga o no algún valor lo suyo.

¿y la voluntad de las mayorías? Solo sirve para convalidar en el momento de votar a la élite ilustrada que gobernará para las minorías, llámense grupos concentrados de la economía (Etztain, Grobocopatel, Mildin, Werthein), de la cultura (gays, lesbianas, bisexuales, homosexuales), de la farándula mediática (Leuco, Eliaschev, Sofovich, Gelblung), del pensamiento (Feimann, Forster, Kovaldof, Abraham). Gringos de la peor laya que viven esquilmando a nuestros pueblos bajo la mascarada democrática de servirlos.

Y así como es políticamente correcto criticar a los fumadores y a los cazadores de ciervos, por el contrario, es políticamente incorrecto criticar a cualquiera de las mil variantes del indigenismo americano.

La crítica al indigenismo inmediatamente nos demoniza, porque el indigenismo es un mecanismo más de dominación del imperialismo y como tal funciona. Su verborrea criminaliza a quien se opone. Su lenguaje busca despertar sentimientos primarios a dos puntas: se presentan como víctimas y criminaliza a quienes se le oponen o ponen simplemente reparos.

Lo grave del indigenismo es que en nombre de las falsas razones de origen que dan ellos, nos quitan, al menos a los criollos americanos, nuestro lugar de origen. Y nosotros los criollos bajo la firma de gauchos, huasos, cholos, montuvios, jíbaros, ladinos, gaúchos, borinqueños, charros o llaneros somos lo mejor, el producto más original que dio América al mundo. Ya lo decía Bolivar sobre él mismo: ni tan español ni tan indio.

Es este mundo criollo que dio el barroco americano y que peleó por la independencia y libertad de nuestros pueblos. Este mundo criollo que tuvo sus mejores frutos intelectuales en la universidad de Chiquisaca, llamada La Plata, Charcas y hoy Sucre. ¿O por qué se piensan que Bolivia, así pobre y desmantelada como la vemos, ha sido la que mayor cantidad de pensadores nacionales hispanoamericanos ha dado en el siglo XX? Porque funciona sobre una matriz de pensamiento que tiene medio milenio.

Qué es ser criollo sino la mejor forma de sentir lo nuestro, lo propio, lo auténtico. No es necesario andar vestido de gaucho, huaso o llanero, ni tener diez generaciones de americanos. Criollo puede ser un bancario, y un plomero, un cura o un médico, un rico o un pobre, el inmigrante italiano o alemán, el turco o el judío. Lo criollo es la captación del valor de lo genuino en nosotros. La valoración del modo gaucho de vida con sus costumbres y tradiciones. No porque nos vistamos de gauchos vamos a ser más criollos, yo conozco tantos gauchos de tienda. Hace muchos años, Juan Carlos Neyra, el padre del Colorado Neyra, escribió: Criollo es aquel que interpreta al gaucho y lo criollo es un modo de sentir, una aproximación afectiva a lo gaucho. Es por  eso que lo gaucho es necesariamente criollo pero un criollo puede no ser gaucho. De allí que esos viejos camperos de antes decían: Nunca digas que sos gaucho, que los otros lo digan de vos.[1]

 

Hace unos días escribió Solíz Rada desde Bolivia un brillante artículo El canciller y las hormigas donde el canciller de su país afirma: “para nosotros los indios están primero las mariposas y las hormigas y en último lugar está el hombre. A lo que comenta Solíz: Lo inaceptable es separar la preservación de la Madre Tierra de la defensa del género humano. Recuérdese que los nazis también pensaban que judíos y gitanos valían menos que hormigas y bacterias.” Lo postulado por su canciller viene a coincidir con los planes de John Rokeffeller III de control de la natalidad de los países del tercer mundo.

El historiador y amigo chileno Pedro Godoy nos dice: “Chile no escapa del plan desmembrador. Modas primermundistas nos contaminan: tatuajes, grafitis, piercing, swingers, punkies… Ahora adquiere fuerza otra: los indigenista bajo el grito “cada etnia una nación” ¡Inquietante!. Los asesores rubios de esta campaña motorizan, hoy como ayer, la leyenda negra. Aportan así a acentuar nuestra crisis de identidad”

La instrumentación política que está detrás del indigenismo la hace notar muy bien Félix Rodríguez Trelles cuando afirma: “Los mal llamados "originarios" son el brazo de la quinta columna interior. El experimento imperial ha logrado un éxito notable al controlar Bolivia con el cocalero manejado desde atrás por García Linera (el Cohn-Bendit boliviano), y acechan con fuerza en Ecuador (no es casual que a Correa los "originarios" lo ataquen cuando repudia la deuda externa)” (cfr. En Internet su artículo Los pueblos originarios: una operación de pizas).

Tanto Andrés Solíz Rada como Pedro Godoy, dos hombres de la izquierda nacional suramericana, como Trelles un hombre del peronismo genuino, quieren poner el acento y distinguir entre la existencia y primacía de la identidad de la comunidad política de origen (aquella que nos da el Estado-nación al que pertenecemos)  y una identidad adquirida o secundaria que es la que cada uno puede darse o crearse por estudio o convicciones (comunidad mapuche, gaucha, gringa, judía o árabe). Si no tenemos en cuenta esta distinción política fundamental caemos en el error todos los separatismos.

 

Y así todo suma y sigue, y podríamos poner mil ejemplos.

 

De este indigenismo se desprende la primera mentira mayúscula: la matanza de indios que realizaron los españoles fue de 120 millones según Escarrá Malavé, presidente de la comisión de relaciones exteriores del Congreso de Venezuela, de ahí que Chávez hable equivocadamente de “holocausto aborigen”. De 70 millones según el sociólogo brasileño Darcy Ribeiro y así siguen los números más inverosímiles.  Pero estas cifras son solo suposiciones artificiosas teñidas por el odio a España y lo español producto de la “leyenda negra” creada por las oficinas políticas de Holanda e Inglaterra.

El filósofo e historiador mejicano José Vasconcelos, nada hispanista, hace constar en su Breve historia de México que no había más de seis millones de indios en todo el norte de América, tesis que años después convalidarían las investigaciones del antropólogo W. Denevan.  Mientras que don Angel Rosemblat, profesor de historia de América colonial y nada sospechoso de prohispanismo, estimó una población a la llegada de Colón de trece millones y medio para toda América. La que disminuyó en gran parte no por las matanzas, que ciertamente las hubo sobre todo en los primeros treinta años de la conquista,  pero ni por asomo con la magnitud que se les otorga, sino por las epidemias que los españoles trajeron: gripe, viruela, sífilis, etc.

Angel Rosemblat nació en Polonia en 1902 en el seno de una familia judía y llegó a Buenos Aires a los seis años, realizó sus estudios en la Universidad de Buenos Aires, se perfeccionó en Europa y en 1946 se afincó en Venezuela contratado por ese gran pensador venezolano que fue Mariano Picón Salas, y allí murió en 1984.Este filólogo y antropólogo cultural se destacó por su continuado trabajo de treinta años sobre el tema de la población originaria de América a la llegada de Colón y en un libro memorable que tiene muchas ediciones La población de América en 1492. Viejos y nuevos cálculos, FCE, México, 1967.

Afirma Pierre Chaunu, historiador francés y protestante, el mayor revisionista de la Revolución Francesa junto con Francois  Furet, escribe: “La leyenda antihispánica en su versión norteamericana (la europea hace hincapié sobre todo en la Inquisición) ha desempeñado el saludable papel de válvula de escape. La pretendida matanza de los indios por parte de los españoles en el siglo XVI encubrió la matanza norteamericana de la frontera Oeste, que tuvo lugar en el siglo XIX. La América protestante logró librarse de este modo de su crimen lanzándolo de nuevo sobre la América católica.

La tenaz y reiterativa acusación de genocidio a los españoles por parte de los indigenistas contrasta con el silencio sobre uno de los episodios más terribles y duraderos, la matanza y explotación de indios y negros por parte de las oligarquías americanas ilustradas luego de la independencia. Así durante casi todo el siglo XIX las oligarquías locales masónicas y liberales bajo régimen de esclavitud  hicieron desaparecer pueblos enteros como los charrúas en Uruguay, los mayas en México y varias etnias en el Brasil amazónico.

 

Nosotros al no ser antropólogos culturales, sólo conocemos tres trabajos serios sobre el tema en Argentina: a) los de Ernesto Sánchez Ance para el área norte del país. b) el libro del antropólogo  Jorge Fernández C., fallecido hace unos años, titulado Historia de los indios ranqueles, Bs.As. Ed. Inst.Nac.Antropología y Pensamiento Americano, 1998, en donde con lujo de detalles desarma el mito de los indios pampas o ranqueles como originarios, sino que llegaron a La Pampa en 1770 corridos de Chile por los españoles y vivieron allí, gracias a la industria sin chimeneas –el malón y el cautivaje -  hasta 1879, cuando cae Baigorrita, su último cacique. c) el libro de P. Meinrado Hux: Memorias de un ex cautivo Santiago Avendaño, Bs.As. Ed. Elefante Blanco, 1999. En donde se muestra palmariamente cómo era la tan mentada cultura indígena, con sus sacrificios humanos y el desollar viva a la gente.

 

Invitamos a los que quieran profundizar, a leer estos trabajos que están al alcance de todos.

 

 

 

(*) alberto.buela@gmail.com

Arkegueta, apendiz constante, mejor que filósofo

 



[1] Neyra, JC: Introducción criolla al Martín Fierro, Huemul. BsAs., 1979

vendredi, 07 mai 2010

Caspar von Schrenck-Notzing, rénovateur du conservatisme

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Portrait de Caspar von Schrenck-Notzing, éditeur de “Criticón”, rénovateur du conservatisme

 

schrenck.jpgSon pseudonyme est “Critilo”: ce qui a une signification profonde. En effet, “Critilo” est une figure du roman El Criticón (1651-57) de Bal­tasar Gracián. Le titre de ce roman, Caspar von Schrenck-Notzing l'a repris pour le donner à sa célèbre revue d'inspiration conservatrice, Criticón. A travers tout le roman El Criticón,  Baltasar Gracián déve­loppe une théorie du regard, où “voir” signifie réceptionner le monde avec étonnement, mais cette réception par les yeux est une toute autre chose que l'opinion du vulgum pecus: elle vise bien plu­tôt à aller dénicher, avec méfiance, les vrais visages qui se ca­chent derrière les masques, à mettre au grand jour les cœurs qui se dissi­mulent derrière les vêtements d'apparat. Ces principes d'El Criticón  sont les fils con­ducteurs qui nous permettent de juger l'œuvre pu­blicistique du Ba­ron Caspar von Schrenck-Notzing.

 

Celui-ci est publiciste, éditeur, rédacteur, maquettiste, correcteur, archiviste, excellent commentateur de l'actualité et éditorialiste dans sa revue. Depuis plus de trois décennies, Caspar von Schrenck-Notzing se consacre à mettre sur pied un réseau conservateur. Car il faut promouvoir, dit-il, la cause du conservatisme en publiant des revues, en introduisant publications et articles d'inspiration conser­vatrice dans les circuits de diffusion et dans les organes qui font l'o­pinion. Il faut promouvoir le conservatisme en créant des acadé­mies privées et des bibliothèques, des maisons d'édition, des radios, des télévisions et des agences de presse, sinon il n'y aura jamais de “renversement des opinions” en faveur d'un néo-conser­vatisme moderne. Jusqu'ici, les mouvements conservateurs ont été marqués par de longues suites de disputes entre profes­seurs sans chaires, discutant interminablement autour de chopes de bière dans leurs bistrots favoris. Rien de constructif n'en est évidemment ressorti. Aucune coopération raisonnable ne peut s'ensuivre.

 

L'œuvre de Schrenck-Notzing est surtout dirigée contre la dictature de l'opinion collective. Les contre-courants culturels, les personna­lités originales voire marginalisées et les “partisans” en marge des grandes idéologies dominantes le fascinent. Infatigable, pendant toute sa vie, Schrenck-Notzing a lutté contre la machinerie journa­listique qui jette de la poudre aux yeux, qui noie le réel derrière un écran de fumée idéologique. Ses livres, tels Charakterwäsche (1965), Zukunftsmacher (1968) et Honorationendämmerung (1973) sont devenus des classiques de la littérature conservatrice et sont... con­testataires justement parce qu'ils sont conservateurs. L'an passé, il a édité un ouvra­ge de référence essentiel, le Lexikon des Konser­vatismus (1996), excellent panorama des multiples facettes de cette mouvance con­servatrice.

 

En s'appuyant sur les écrits de Baltasar Gracián, Schrenck-Notzing nous dit: «Si, comme au XVIIième siècle, la communauté ne peut plus maîtriser le chaos, mais, au contraire, l'incarne, alors l'homme ne peut plus opposer au conformisme aveugle que la raison déchif­frante; la condition humaine se reflète bien, dans ce cas, dans la si­tuation du temps, car l'obligation de faire fonctionner son intelli­gence est en l'homme, chaotique par nature, comme un diamant au beau milieu d'un plat de méchants légumes et de vilains navets».

 

Schrenck-Notzing est né le 23 juin 1927 à Munich. Il est le fils d'un champion hippique, qui, pendant un certain temps, dirigea l'écurie des chevaux de course de l'armée. Il est aussi le petit-fils du méde­cin pionnier de la parapsychologie, Albert von Schrenck-Notzing. Et l'arrière-petit-fils de Ludwig Ganghofer.

 

Peter D. RICHARD.

(article paru dans Junge Freiheit  n°26/97).

 

mercredi, 28 avril 2010

Carl Schmitt: Auf den Punkt gedacht

Carl Schmitt: Auf den Punkt gedacht

Christoph Rothämel  

http://www.blauenarzisse.de 

 

Carl_Schmitt.jpgMan möchte meinen, Carl Schmitt ist als Autor heute weniger wegen seiner Liaison mit dem Nationalsozialismus als wegen der Klarheit seiner Schriften unbeliebt. Seine unermüdliche juristische und philosophische Grundlagenarbeit, mit einem kühlen Kopf den Wörtern ihren Sinn zurückzugeben, hat sich in ein reichhaltiges Reservoir deutscher Denkkraft verwandelt. Dies erhellt dem Nachdenkenden die Struktur der modernen politischen Ideologien, sofern sie mit Begriffen wie Demokratie, Parlamentarismus, Diktatur, Souveränität, Menschheit hantieren. Der Begriff des Politischen und Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus sind nun bei Duncker & Humblot in neuer Auflage erschienen.

 

Die Lüftung des Schleiers über der Jakobinerlogik

Wenn Schmitt die Demokratie erklärt, wird deutlich, dass ein Parlament dafür keine notwendige Voraussetzung ist. Dass die Existenz eines Parlaments von fast allen Demokraten für den Staat dennoch als solche betrachtet wird, beruht auf dem gemeinsamen historischen Siegeszug von demokratischen Idealen und liberalen Ideen und der damit verbundenen denkerischen Fehlleistung einer automatischen Verknüpfung von Demokratie und Liberalismus. Demokratie selbst hat aber zunächst keinen politischen Inhalt, sondern stellt lediglich eine Organisationsform dar.

Ihr Kerninhalt bleibt das Dogma, dass alle politischen Entscheidungen nur für die Entscheidenden gelten sollen, die Identität von Herrscher und Beherrschten. Die überstimmte Minderheit muss ignoriert werden, was aber nicht schwer fällt, da ja nach Rousseau der Wille der überstimmten Minderheit in Wahrheit mit dem der Mehrheit übereinstimmt. Auch John Locke ist der festen Überzeugung, dass in der Demokratie der Bürger auch dem Gesetz zustimmt, das nicht seinem Willen entspricht. Letztlich ist das Gesetz identisch mit der volonté générale. Und weil - ganz rousseauistisch – der Generalwille der wahren Freiheit entspricht, war der Überstimmte nicht frei.

Da jederzeit die Möglichkeit besteht, dass das Volk mithilfe von Suggestionen betrogen wurde, kann der radikale Demokrat auch die Herrschaft der Minderheit über die Mehrheit rechtfertigen, wie sie exemplarisch in den Erziehungsdiktaturen der sozialistischen Revolutionen zutage trat. Der echte Demokrat bleibt, weil er an die Demokratie als eigenen Wert glaubt, weiter Demokrat, muss aber, weil die Regierten noch nicht „reif“ sind, die Demokratie praktisch zeitweilig suspendieren ohne sie theoretisch aufzugeben. Der Kernsatz Schmitts dazu lautet: „Es scheint also das Schicksal der Demokratie zu sein, sich im Problem der Willensbildung selbst aufzuheben.“

Da das Volk, das sich zur Willensbildung nicht mehr an der Dorflinde zum Thing treffen kann, auf Ausschüsse zur Repräsentation angewiesen ist, bleibt die Frage, ob nicht auch ein einziger Vertreter den wirklichen Willen des ganzen Volkes in den Händen halten kann? Bejaht man dies, muss man Adolf Hitler als Demokrat und Diktator anerkennen. Er beanspruchte jedenfalls den Willen des Volkes zu kennen und zur Ausführung zu bringen. Auch die DDR war demnach – ganz ihrem Namen nach - ein grundsätzlich demokratischer Staat. Lediglich für oder gegen die Regierung stimmen zu dürfen ist nicht etwa undemokratisch, es ist illiberal! Das Wahlsystem der DDR war genau genommen plebiszitär. Und ein Plebiszit ist nicht undemokratisch. Die Diktatur ist eben nicht der Gegenbegriff zur Demokratie.

Parlamentarismus

Der Parlamentarismus als Ausprägung einer liberalen Auffassung von Demokratie hat Diskussion und Öffentlichkeit zur Voraussetzung. Das Parlament soll Ausschuss des Volkes sein, in dem die überall verteilten Funken der Vernunft über die Diskussion zu einer politischen Willensbildung führen. Dass dieses Konzept durch die Massendemokratie mit all ihren Konsequenzen in Frage gestellt wird, stellt Schmitt meisterhaft heraus. Weder sind die parlamentarischen Diskussionen wirklich öffentlich, noch ermutigt das politische Personal den Wähler dazu, eine gehaltvolle Diskussion neben den Partikularinteressen der Protagonisten überhaupt noch für möglich zu halten. Es ist für den heutigen Leser leicht einsichtig, dass nach den unnormalen Wiederaufbauleistungen nach dem Zweiten Weltkrieg diese Erschlaffungstendenzen des Parlamentarismus, die Carl Schmitt in der Weimarer Republik beobachte, zurückkehren.

Die Darlegungen Schmitts gehen aber noch viel weiter. Grundlegend zu wissen ist, dass Demokratie immer eine hinreichende Homogenität voraussetzt. Die zunehmende Gleichsetzung von Staat und Volk mit dem Siegeszug der Demokraten ist mithin kein Zufall, sondern die notwendige Bedingung für die Herstellung handlungsfähiger politischer Einheiten auf demokratischer Basis. Man muss daher zwingend den Schluss ziehen, dass die Demokratie durch die Heterogenisierung des Staatsvolkes, wie wir sie gegenwärtig erleben, erheblichen Gefahren ausgesetzt ist.

Unüberbietbar ist seine Feststellung, dass die Krisis des modernen Staates darauf beruht, dass eine Massen- und Menschheitsdemokratie keine Staatsform, auch keinen demokratischen Staat zu realisieren vermag. In Bezug darauf sind die Selbsttäuschungen der Gegenwart wieder enorm angewachsen.

Politische Theologie und Souveränität

Der Glaube, dass alle Gewalt vom Volke kommt, erhält in der Demokratie eine ähnliche Bedeutung wie der Glaube in der Monarchie, dass alle obrigkeitliche Gewalt von Gott kommt. Dieses Phänomen beschreibt Schmitt in einer gleichnamigen Schrift als Politische Theologie. Für ihn deutet sich an, dass das jeweils vorherrschende Weltbild und die Ausprägung der Staatsform in einem Zusammenhang stehen.

Damit verbunden finden sich die Begriffe Souveränität, als die Fähigkeit über den (politischen) Ausnahmezustand zu entscheiden, und das Politische, als die Fähigkeit Freund und Feind zu unterscheiden, wieder. Denn alles dies mündet zwangsläufig auch in die Politische Theologie, insofern das Weltbild maßgeblich die Erkenntnis der Normalität wie die Freund-Feind-Scheidungen determiniert. Angesichts eines offiziellen Kampfes gegen Rechts ist der Standardvorwurf gegenüber Schmittianern, unbilligerweise an Freund-Feind-Denkweisen festzuhalten, eine einzige an Idiotie grenzende Groteske, seitens derer, die als politischen Feind den Nazi samt seinen Wegbereitern überall zu sehen glauben.

Intellektuelle Vorwegnahme der Bundesrepublik Deutschland

Neben den grundsätzlichen Begriffsklärungen, finden sich im Gesamtwerk Schmitts auch Deutungsmuster juristischer Gestaltung imperialer Politik. Am Beispiel der besetzten Rheinlande („Die Rheinlande als Objekt internationaler Politik“ in Positionen und Begriffe, 3. Aufl., D&H) erläutert er, warum Annexionen und Protektoratsbildungen veraltete Mittel der imperialen Machtausübung sind, und wie es dem eingreifenden Staat mithilfe von unbestimmten Rechtsbegriffen wie Schutz fremder Interessen, Schutz der Unabhängigkeit, öffentliche Ordnung und Sicherheit, Einhaltung internationaler Verträge undsoweiter gelingt, die politische Existenz eines vordergründig in die Souveränität entlassenen Staates weiterhin in den Händen zu behalten.

Die herrschende Macht schafft internationale Vertragswerke, deren Auslegung sie kraft ihres Machtstatus letztendlich selbst bestimmen kann. Carl Schmitt hat damit auch die babylonische Gefangenschaft Deutschlands in ihrer heutigen Form lange vorweggenommen. Ein unerschöpflicher Fundus für alle: aber unverzichtbar für Politik- und Jurastudenten.

 

Carl Schmitt: Der Begriff des Politischen. Text von 1932 mit einem Vorwort und drei Corollarien. Broschiert. Duncker & Humblot 2009. 116 Seiten. 22 Euro.

Ders.: Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus. Broschiert. Duncker & Humblot 2010. 90 Seiten. 18 Euro.

mardi, 27 avril 2010

The Lesson of Carl Schmitt

cs1.jpgThe Lesson of Carl Schmitt

Translated by Greg Johnson

Ex: http://www.toqonline.com/

We met Carl Schmitt in the village of Plettenberg, the place of his birth and retirement. For four remarkable hours we conversed with the man who remains unquestionably the greatest political and legal thinker of our time. “We have been put out to pasture,” said Schmitt. “We are like domestic animals who enjoy the benefits of the closed field we are allotted. Space is conquered. The borders are fixed. There is nothing more to discover. It is the reign of the status quo . . .”

Schmitt always warned against this frozen order, which extends over the Earth and ruins political sovereignties. Already in 1928, in The Concept of the Political,[1] he detects in the universalist ideologies, those “of Rights, or Humanity, or Order, or Peace,” the project of transforming the planet into a kind of depoliticized economic aggregate which he compares to a “bus with its passengers” or a “building with its tenants.” And in this premonition of a world of the death of nations and cultures, the culprit is not Marxism but the liberal and commercial democracies. Thus Schmitt offers one of the most acute and perspicacious criticisms of liberalism, far more profound and original than the “anti-democrats” of the old reactionary right.

He also continues the “realist” manner of analyzing of politics and the state, in the tradition of Bodin, Hobbes, and Machiavelli. Equally removed from liberalism and modern totalitarian theories (Bolshevism and fascisms), the depth and the modernity of his views make him the most important contemporary political and constitutional legal theorist. This is why we can follow him, while of course trying to go beyond some of his analyses, as his French disciple Julien Freund, at the height of his powers, has already done.[2]

The intellectual journey of the Rhenish political theorist began with reflections on law and practical politics to which he devoted two works, in 1912 and 1914,[3] at the end of its academic studies in Strasbourg. After the war, having become a law professor at the universities of Berlin and Bonn, his thoughts were focused on political science. Schmitt, against the liberal philosophies of the Right, refused to separate it from politics.

His first work of political theory, Political Romanticism (1919),[4] is devoted to a critique of political romanticism which he opposes to realism. To Schmitt, the millennialist ideals of the revolutionary Communists and the völkisch reveries of the reactionaries seemed equally unsuitable to the government of the people. His second great theoretical work, Die Diktatur [Dictatorship] (1921),[5] constitutes, as Julien Freund writes, “one of the most complete and most relevant studies of this concept, whose history is analyzed from the Roman epoch up to Machiavelli and Marx.”[6]

Schmitt distinguishes “dictatorship” from oppressive “tyranny.” Dictatorship appears as a method of government intended to face emergencies. In the Roman tradition, the dictator’s function was to confront exceptional conditions. But Machiavelli introduces a different practice; he helps to envision “the modern State,” founded on rationalism, technology, and the powerful role of a complex executive: this executive no longer relies upon the sole sovereign.

Schmitt shows that with the French jurist Jean Bodin, dictatorship takes to the form of a “practice of the commissars” which arose in the sixteen and seventeenth centuries. The “commissars” are omnipotent delegates of the central power. Royal absolutism, established on its subordinates, like the Rousseauist model of the social contract which delegates absolute power to the holders of the “general will” set up by the French revolution, constitutes the foundation of contemporary forms of dictatorship.

From this point of view, modern dictatorship is not connected with any particular political ideology. Contrary to the analyses of today’s constitutionalists, especially Maurice Duverger, “democracy” is no more free of dictatorship than is any other form of state power. Democrats are simply deceiving themselves to think that they are immune to recourse to dictatorship and that they reconcile real executive power with pragmatism and the transactions of the parliamentary systems.

In a fundamental study on parliamentarism, The Crisis of Parliamentary Democracy (1923),[7] Schmitt ponders the identification of democracy and parliamentarism. To him, democracy seems to be an ideological and abstract principle that masks specific modalities of power, a position close to those of Vilfredo Pareto and Gaetano Mosca. The exercise of power in “democracy” is subject to a rationalist conception of the state which justified, for example, the idea of the separation of powers, the supposedly harmonious dialogue between parties, and ideological pluralism. It is also the rationality of history that founds the dictatorship of the proletariat. Against the democratic and parliamentarian currents, Schmitt places the “irrationalist” currents, particularly Georges Sorel and his theory of violence, as well as all non-Marxist critiques of bourgeois society, for example Max Weber.

This liberal bourgeois ideology deceives everyone by viewing all political activity according to the categories of ethics and economics. This illusion, moreover, is shared by liberal or Marxist socialist ideologies: the function of public power is no longer anything but economic and social. Spiritual, historical, and military values are no longer legitimate. Only the economy is moral, which makes it possible to validate commercial individualism and at the same time invoke humane ideals: the Bible and business. This moralization of politics not only destroys all true morals but transforms political unity into neutralized “society” where the sovereign function is no longer able to defend the people for whom it is responsible.

By contrast, Schmitt’s approach consists in analyzing the political phenomenon independently of all moral presuppositions. Like Machiavelli  and Hobbes, with whom he is often compared, Schmitt renounces appeals to the finer feelings and the soteriology of final ends. His philosophy is as opposed to the ideology of the Enlightenment  (Locke, Hume, Montesquieu, Rousseau, etc.) and the various Marxian socialisms as it is to Christian political humanism. For him, these ideologies are utopian in their wariness of power and tend to empty out the political by identifying it with evil, even if it is allowed temporarily—as in the case of Marxism.

But the essence of Schmitt’s critique relates to liberalism and humanism, which he accuses of deception and hypocrisy. These theories view the activity of public power as purely routine administration dedicated to realizing individual happiness and social harmony. They are premised on the ultimate disappearance of politics as such and the end of history. They wish to make collective life purely prosaic but manage only to create social jungles dominated by economic exploitation and incapable of mastering unforeseen circumstances.

Governments subject to this type of liberalism are always frustrated in their dreams of transforming politics into peaceful administration: other states, motivated by hostile intentions, or internal sources of political subversion, always emerge at unforeseen moments. When a state, through idealism or misunderstood moralism, no longer places its sovereign political will above all else, preferring instead economic rationality or the defense of abstracted ideals, it also gives up its independence and its survival.

Schmitt does not believe in the disappearance of the political. Any type of activity can take on a political dimension. The political is a fundamental concept of collective anthropology. As such, political activity can be described as substantial, essential, enduring through time. The state, on the other hand, enjoys only conditional authority, i.e., a contingent form of sovereignty. Thus the state can disappear or be depoliticized by being deprived of the political, but the political—as substantial—does not disappear.

The state cannot survive unless it maintains a political monopoly, i.e., the sole power to define the values and ideals for which the citizens will agree to give their lives or to legally kill their neighbors—the power to declare war. Otherwise partisans will assume political activity and try to constitute a new legitimacy. This risk particularly threatens the bureaucratic states of modern liberal social democracies in which civil war is prevented only by the enervating influence of consumer society.

These ideas are expressed in The Concept of the Political, Schmitt’s most fundamental work, first published in 1928, revised in 1932, and clarified in 1963 by its corollary Theory of the Partisan.[8] Political activity is defined there as the product of a polarization around a relation of hostility. One of the fundamental criteria of a political act is its ability to mobilize a population by designating its enemy, which can apply to a party as well as a state. To omit such a designation, particularly through idealism, is to renounce the political. Thus the task of a serious state is to prevent partisans from seizing the power to designate enemies within the community, and even the state itself.

Under no circumstances can politics be based on the administration of things or renounce its polemical dimension. All sovereignty, like all authority, is forced to designate an enemy in order to succeed in its projects; here Schmitt’s ideas meet the research of ethologists on innate human behavior, particularly Konrad Lorenz.

Because of his “classical” and Machiavellian conception of the political, Schmitt endured persecution and threats under the Nazis, for whom the political was on the contrary the designation of the “comrade” (Volksgenosse).

The Schmittian definition of the political enables us to understand that contemporary political debate is depoliticized and connected with electoral sideshows. What is really political is the value for which one is ready to sacrifice one’s life; it can quite well be one’s language or culture. Schmitt writes in this connection that “a system of social organization directed only towards the progress of civilization” does not have “a program, ideal, standard, or finality that can confer the right to dispose of the physical life of others.” Liberal society, founded on mass consumption, cannot require that one die or kill for it. It rests on an apolitical form of domination: “It is precisely when it remains apolitical,” Schmitt writes, “that a domination of men resting on an economic basis, by avoiding any political appearance and responsibility, proves to be a terrible imposture.”

Liberal economism and “pluralism” mask the negligence of the state, the domination of the commercial castes, and the destruction of nations anchored in a culture and a history. Along with Sorel, Schmitt pleads for a form of power that does not renounce its full exercise, that displays its political authority by the normal means that belong to it: power, constraint, and, in exceptional cases, violence. By ignoring these principles the Weimar Republic allowed the rise of Hitler; the techno-economic totalitarianism of modern capitalism also rests on the ideological rejection of the idea of state power; this totalitarianism is impossible to avoid because it is proclaimed humane and is also based on the double idea of social pluralism and individualism, which put the nations at the mercy of technocratic domination.

The Schmittian critique of internal pluralism as conceived by Montequieu, Locke, Laski, Cole, and the whole Anglo-Saxon liberal school, aims at defending the political unity of nations, which is the sole guarantor of civic protection and liberties. Internal pluralism leads to latent or open civil war, the fierce competition of economic interest groups and factions, and ultimately the reintroduction within society of the friend-enemy distinction which European states since Bodin and Hobbes had displaced outwards.

Such a system naturally appeals to the idea of “Humanity” to get rid of political unities.  “Humanity is not a political concept,” writes Schmitt, who adds:

The idea of Humanity in doctrines based on liberal and individualistic doctrines of natural Right is an ideal social construction of universal nature, encompassing all men on earth. . . . which will not be realized until any genuine possibility of combat is eliminated, making any grouping in terms of friends and enemies impossible. This universal society will no longer know nations. . . . The concept of Humanity is an ideological instrument particularly useful for imperialistic expansion, and in its ethical and humane form, it is specifically a vehicle of economic imperialism. . . . Such a sublime name entails certain consequences for one who carries it. Indeed, to speak in the name of Humanity, to invoke it, to monopolize it, displays a shocking pretense: to deny the humanity of the enemy, to declare him outside the law and outside of Humanity, and thus ultimately to push war to the extremes of inhumanity.[9]

To define politics in terms of the category of the enemy, to refuse humanitarian egalitarianism, does not necessarily lead to contempt for man or racism. Quite the contrary. To recognize the polemical dimension of human relations and man as “a dynamic and dangerous being,” guarantees respect for  any adversary conceived as the Other whose cause no less legitimate than one’s own.

This idea often recurs in Schmitt’s thought: modern ideologies that claim universal truth and consequently consider the enemy as absolute, as an “absolute non-value,” lead to genocide. They are, moreover, inspired by monotheism (and Schmitt is a Christian pacifist and convert). Schmitt claims with good reason that the conventional European conception that validated the existence of the enemy and admitted the legitimacy of war—not for the defense of a “just” cause but as eternally necessitated by human relations—caused fewer wars and induced respect for the enemy considered as adversary (as hostis and not inimicus).

Schmitt’s followers, extending and refining his thought, have with Rüdiger Altmann coined the concept of the Ernstfall (emergency case), which constitutes another fundamental criterion of the political. Political sovereignty and the credibility of a new political authority is based on the capacity to face and solve emergency cases. The dominant political ideologies, thoroughly steeped in hedonism and the desire for security, want to ignore the emergency, the blow of fate, the unforeseen. Politics worthy of the name—and this idea pulverizes the abstract ideological categories of “right” and “left”—is that which, secretly, answers the challenge of the emergency case, saves the community from unforeseen trials and tempests, and thereby authorizes the total mobilization of the people and an intensification of its values.

Liberal conceptions of politics see the Ernstfall merely as the exception and “legal normality” as the rule. This vision of things, inspired by Hegel’s teleological philosophy of history, corresponds to the domination of the bourgeoisie, who prefer safety to historical dynamism and the destiny of the people. On the contrary, according to Schmitt, the function of the sovereign is his capacity to decide the state of the exception, which by no means constitutes an anomaly but a permanent possibility. This aspect of Schmitt’s thought reflects his primarily French and Spanish inspirations (Bonald, Donoso Cortès, Bodin, Maistre, etc.) and makes it possible to locate him, along with Machiavelli, in the grand Latin tradition of political science.

In Legality and Legitimacy (1932),[10] Schmitt, as a disciple of Hobbes, suggests that legitimacy precedes the abstract concept of legality. A power is legitimate if it can protect the community in its care by force.  Schmitt accuses the idealistic and “juridical” conception of legality for authorizing Hitler to come to power. Legalism leads to the renunciation of power, which Schmitt calls the “politics of non-politics” (Politik des Unpolitischen), politics that does not live up to its responsibilities, that does not formulate a choice concerning the collective destiny. “He who does not have the power to protect anyone,” Schmitt writes in The Concept of the Political, “also does not have the right to require obedience. And conversely, he who seeks and accepts power does not have the right to refuse obedience.”

This dialectic of power and obedience is denied by social dualism, which arbitrarily opposes society and the sovereign function and imagines, contrary to all experience, that exploitation and domination are the political effects of “power” whereas they much more often arise from economic dependency.

Thus Schmitt elaborates a critique of the dualistic State of the nineteenth century based on the conceptions of John Locke and Montesquieu aiming at a separation between the sphere of the State and the private sphere. In fact, modern technocracies, historically resulting from the institutions of parliamentary representation, experience interpenetrations and oppositions between the private and public, as shown by Jürgen Habermas. Such a situation destabilizes the individual and weakens the State.

According to Schmitt, it is this weakness of the democracies that allowed the establishment of one party regimes, as he explains in Staat, Bewegung, Volk [State, Movement, People].[11] This type of regime constitutes the institutional revolution of the twentieth century; in fact, it is today the most widespread regime in the world. Only Western Europe and North America preserved the pluralist structure of traditional democracy, but merely as a fiction, since the true power is economic and technical.

The one party state tries to reconstitute the political unity of the nation, according to a threefold structure: the state proper includes civil servants and the army; the people are not a statistical population but an entity that is politicized and strongly organized in intermediate institutions; the party puts this ensemble in motion (Bewegung) and constitutes a portal of communication between the state and the people.

Schmitt, who returns again and again to Nazism, Stalinism, theocracies, and humanitarian totalitarianisms, obviously does not endorse the one party state. He does not advocate any specific “regime.” In the old Latin realist tradition inherited from Rome, Schmitt wants an executive who is both powerful and legitimate, who does not “ideologize” the enemy and can, in actual cases make use of force, who can make the state the “self-organization of society.”

War thus becomes a subject of political theory. Schmitt is interested in geopolitics as a natural extension of politics. For him, true politics, great politics, is foreign policy, which culminates in diplomacy. In The Nomos of the Earth (1951),[12] he shows that the state follows the European conception of politics since the sixteenth century. But Europe has become decadent: the bureaucratic state has been depoliticized and no longer allows the preservation of the history of the European people; the jus publicium europaeum which decided inter-state relations is declining in favor of globalist and pacifist ideologies that are incapable of founding an effective international law. The ideology of human rights and the vaunted humanitarianism of international institutions are paradoxically preparing a world where force comes before law. Conversely, a realistic conception of the relations between states, which allows and normalizes conflict, which recognizes the legitimacy of will to power, tends to civilize the relationship between nations.

Schmitt is, along with Mao Tse-Tung, the greatest modern theorist of revolutionary war and of the enigmatic figure of the partisan who, in this era of the depoliticization of states, assumes the responsibility of the political, “illegally” designates his enemies, and indeed blurs the distinction between war and peace.[13]

Such “a false pacifism” is part of a world where political authorities and independent sovereignties are erased by a world civilization more alienating than any tyranny. Schmitt, who influenced the constitution of the Fifth French Republic—the French constitution that is most intelligent, most political, and the least inspired by the idealism of the Enlightenment—gives us this message: liberty, humanity, peace are only chimeras leading to invisible oppressions. The only liberties that count—whether of nations or individuals—are those guaranteed by the legitimate force of a political authority that creates law and order.

Carl Schmitt does not define the values that mobilize the political and legitimate the designation of the enemy. These values must not be defined by ideologies—always abstract and gateways to totalitarianism—but by mythologies. In this sense, the functioning of government, the purely political, is not enough. It is necessary to add the “religious” dimension of the first function, as it is defined in Indo-European tripartition. It seems to us that this is the way one must complete Schmitt’s political theory. Because if Schmitt builds a bridge between anthropology and politics, one still needs to build another between politics and history.


[1] Carl Schmitt, The Concept of the Political, trans. George Schwab, expanded edition (Chicago: University of Chicago Press, 2007)—trans.

 

[2] Cf. Julien Freund, L’Essence du politique (Paris: Sirey, 1965), and La Fin de la Renaissance (Paris: PUF, 1980).

[3] Carl Schmitt, Gesetz und Urteil. Eine Untersuchung zum Problem der Rechtspraxis [Law and Judgment: An Investigation into the Problem of Legal Practice] [1912] (Munich: C. H. Beck, 1968) and Der Wert des Staates und die Bedeutung des Einzelnen [The Value of the State and the Meaning of the Individual] (Tübingen: J. C. B. Mohr [Paul Siebeck], 1914)—trans.

[4] Carl Schmitt, Political Romanticism, trans. Guy Oakes (Cambridge, Mass: The MIT Press, 1985).—trans.

[5] Carl Schmitt, Die Diktaur: Von den Anfängen des modernen Souveränitätsgedankens bis zum proletarischen Klassenkampf [The Dictator: From the Origins of Modern Theories of Sovereignty to Proletarian Class Struggle] (Berlin: Duncker & Humblot, 1921)—trans.

[6] In his Preface to the French edition of The Concept of the Political: Carl Schmitt, La notion de politique (Paris: Calmann-Lévy, 1972).

[7] Carl Schmitt, The Crisis of Parliamentary Democracy, trans. Ellen Kennedy (Cambridge, Mass.: The MIT Press, 1986). See also Carl Schmitt, Political Theology: Four Chapters on the Theory of Sovereignty [1922], trans. George Schwab (Cambridge, Mass.: The MIT Press, 1986)—trans.

[8] Carl Schmitt, Theory of the Partisan: Intermediate Commentary on the Concept of the Political, trans. G. L. Ulmen (New York: Telos Press, 2007)—trans.

[9] Cf. The Concept of the Political, 53–54—trans.

[10] Carl Schmitt, Legality and Legitimacy, trans. Jeffrey Seitzer (Durham, N.C.: Duke University Press, 2004)—trans.

[11] Staat, Bewegung, Volk: Die Dreigleiderung der politischen Einheit [State, Movement, People: The Three Organs of Political Unity] (Hamburg: Hanseatische Verlagsanstalt, 1934)—trans. It concerns a series of studies on one-party states, primarily Marxist, that appeared in 1932.

[12] Carl Schmitt, The Nomos of the Earth in the International Law of Jus Publicum Europaeum, trans. G. L. Ulmen (New York: Telos Press, 2006)—trans.

[13] Cf. “The Era of Neutralizations and Depoliticizations” [1929], trans. Matthias Konzett and John P. McCormick, in the expanded edition of The Concept of the Political—trans.