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mercredi, 05 décembre 2018

Le règne de la Quantité contre l'Éternité

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Message de la résistance n°7 :

Le règne de la Quantité contre l'Éternité

 
Messages pour la résistance des insoumis au diktat de la pensée unique, contre l'inculture.
 
Montage vidéo : https://www.exil.it/
Extrait des "Propos réfractaires" de Luc-Olivier d'Algange
Editions Arma Artis 2013 http://arma-artis.com/editions-catalo...
 
"L'allongement de la durée de vie, voici le fin du fin de l'argumentaire progressiste. Vivre plus, pour travailler plus, pour gagner plus. Mais ce "plus" n'est pas en intensité, en qualité, mais en en quantité. Qui n'a fait l'expérience de laisser passer trois mois sans que rien n'y advienne d'ivresse, de songe, spéculation, d'aventure, de contemplation ou d'extase; ces trois mois sont passés comme un envol de cendre. A l'inverse, il est des heures intenses où il semble que l'éternité vienne se loger, - mais c'est encore une erreur de perspective: l'éternité s'y trouvait déjà sans que nous eussions encore la clef qui en ouvre le royaume. L'éternité n'est pas en dehors du temps, mais à l'intérieur, cœur secret, qui contient tout l'en-dehors car il en est la source. "
 
Lecture : Didier Carette
Musique 1 : Philip Glass - String Quartet No. 3
"Mishima" , VI. Mishima/Closing (extrait)
Catalyst Quartet Karla Donehew Perez & Jessie Montgomery, Violin Paul Laraia, VIola Karlos Rodriguez, Cello https://www.youtube.com/watch?v=_4XMe...
 

samedi, 01 décembre 2018

Le communautarisme fait perdre son identité collective à la gauche

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Le communautarisme fait perdre son identité collective à la gauche

Ex: http://entelekheia.fr

L’une des plaies de la société occidentale moderne est le vague des définitions, l’aspect d’auberge espagnole des concepts politiques, qui brouille tellement le débat public que parfois, il est impossible de savoir de quoi on parle au juste. On peut prendre comme exemples des mots comme « valeurs », « démocratie », « république » dont aujourd’hui, nous serions bien en peine de dégager une définition commune. Mais l’une des principales victimes de ce flou est le concept de « gauche ». D’où la reprise de cet article, dont l’auteur s’est attelé à l’œuvre salutaire d’en délimiter les différentes tendances et conflits internes.

Une nécessité pour enfin savoir de quoi on parle… et si quelqu’un parmi vous a une définition aussi claire de la droite, envoyez-la parce que, pour le moment, elle est tout aussi confuse.


Par Tomasz Pierscionek
Paru sur RT sous le titre How identity politics makes the Left lose its collective identity 


Le phénomène des communautarismes qui envahit le monde occidental est une stratégie de division et de conquête qui entrave l’émergence d’une véritable résistance aux élites.

L’un des principes fondamentaux du socialisme est l’idée d’une solidarité supranationale qui unit la classe ouvrière internationale et l’emporte sur tout facteur qui pourrait la diviser, comme la nation, la race ou le sexe. Les travailleurs de toutes les nations sont des partenaires, avec la même valeur et la même responsabilité dans la lutte contre les exploiteurs de leur cerveau et de leurs muscles.

Le capitalisme, surtout dans sa forme la plus aboutie, exploiteuse et dénuée d’états d’âme — l’impérialisme — a fait plus de tort à certains groupes de personnes qu’à d’autres. Les empires coloniaux réservaient leur pires brutalités aux peuples subjugués, alors que pour sa part, la classe ouvrière de ces nations impérialistes s’en sortait mieux, parce qu’elle se tenait plus près des miettes qui tombaient de la table de l’empire. La lutte internationale des classes vise à libérer tous les peuples du joug capitaliste, quel que soit leur degré d’oppression passé ou présent. L’expression an injury to one is an injury to all’ [‘Une attaque contre un est une attaque contre tous’, slogan du syndicat américain fondé en 1905 Industrial Workers of the World, Travailleurs industriels du monde, NdT] résume cet état d’esprit et exclut de donner la priorité aux intérêts d’une faction de la classe ouvrière sur la collectivité.

Depuis la fin du XXe siècle, une tendance d’inspiration libérale infiltrée dans la gauche (du moins en Occident) encourage l’abandon d’une identité collectivité unique fondée sur la classe sociale en faveur de communautés multiples fondées sur le genre, la sexualité, la race ou tout autre vecteur de divisions. Chaque sous-groupe, de plus en plus distant de tous les autres, se concentre sur une identité partagée et les seules expériences de ses membres, et donne la priorité à sa propre émancipation. Toute personne extérieure à ce sous-groupe est admise, au mieux, au rang d’allié.

Au moment où j’écris ceci, il existe apparemment plus de 70 genres différents en Occident, sans parler des nombreuses orientations sexuelles — l’acronyme LGBT s’est à présent démultiplié en LGBTQIP2SAA. En y ajoutant les races et ethnies, on obtient un nombre encore plus grand de permutations ou d’identités possibles. Chaque sous-groupe a sa propre idéologie. Certains de ces groupes gaspillent un temps fou à se battre contre ceux qu’ils jugent moins opprimés et à les sommer d’admettre leur statut de « privilégiés » à mesure des changements dans la hiérarchie de la victimisation de ces « Olympiades de l’oppression » – car les règles de ce sport sont aussi fluides que les identités de ses participants. Par exemple, l’un des derniers dilemmes du communautarisme LGBT est la question de savoir si les transgenres masculin → féminin méritent d’être reconnus et acceptés en tant que femmes ou s’ils ne ‘sont pas des femmes et s’avéreraient en réalité des hommes « violeurs » de lesbiennes’.

L’idéologie communautariste affirme que l’homme blanc hétérosexuel est au sommet de la pyramide des privilèges, et responsable de l’oppression de tous les autres groupes. Son péché originel le condamne à l’opprobre éternelle. S’il est vrai que les hommes blancs hétéros (en tant que groupe) ont rencontré moins d’obstacles que les femmes, les hommes non hétéros ou les minorités ethniques, la majorité des hommes blancs hétéros, passés et présents, tirent aussi le diable par la queue et ne sont pas personnellement impliqués dans l’oppression d’autres groupes. Bien que la plupart des individus les plus riches du monde soient des hommes de race blanche, il existe des millions d’hommes blancs pauvres et dénués de tout pouvoir. L’idée de « race blanche » est en soi un concept ambigu qui implique un profilage racial. Par exemple, les Irlandais, les Slaves et les Juifs ashkénazes peuvent bien être blancs, mais ils ont enduré plus que leur part de famines, d’occupations et de génocides au cours des siècles. Établir un lien entre le privilège d’un individu et son apparence est en soi une forme de racisme imaginée par des « intellectuels » libéraux fumeux (certains pourraient dire des privilégiés) qui seraient superflus dans toute société socialiste.

Les lesbiennes issues de groupe ethniques minoritaires de la classe moyenne d’Europe occidentale sont-elles plus opprimées que les Syriennes blanches qui tentent de survivre à l’occupation de l’Etat islamique ? Un ouvrier blanc britannique jouit-il vraiment de plus de privilèges qu’une femme de la classe moyenne de la même société ? Les stéréotypes fondés sur la race, le sexe ou tout autre facteur ne conduisent qu’à diviser et aliéner. Comment pourrait-il y avoir une unité de la gauche tant nous ne sommes loyaux qu’à nous-mêmes et à ceux qui nous ressemblent le plus ? Certains hommes ‘blancs’ pour qui la gauche n’a plus rien à offrir ont décidé de jouer le jeu du communautarisme dans leur quête d’une planche de salut, et ont dérivé vers Trump (un milliardaire avec qui ils n’ont rien de commun) ou l’extrême droite, ce qui a débouché sur une aliénation, des animosités et un sentiment d’impuissance supplémentaires qui renforcent les 1% de l’élite économique. Or, les gens du monde entier sont plus divisés en classes sociales qu’en tout autre critère.

Mais il est beaucoup plus facile de « lutter » contre un groupe aussi opprimé, ou légèrement moins opprimé que le vôtre que de s’unir et de s’organiser contre l’ennemi commun – le capitalisme. La lutte contre l’oppression par le biais du communautarisme est au mieux une forme paresseuse, perverse et fétichiste de la lutte des classes. Elle est pilotée par des militants issus de la classe moyenne et de l’enseignement supérieur pour la plupart libéraux, et qui ne comprennent pas grand-chose à la théorie politique de gauche. Au pire, il s’agit d’un autre outil utilisé par les 1 % de l’élite économique pour diviser les 99 % restants en 99, ou en 999 groupes concurrents trop occupés à se battre entre eux pour remettre en question le statu quo. Sans surprise, l’un des principaux donateurs de cette fausse gauche communautariste est le milliardaire cisgenre blanc George Soros, dont les ONG ont aidé à orchestrer les manifestations de l’Euromaïdan en Ukraine, avec leur émergence de mouvements d’extrême droite et néo-nazis : le genre d’individus qui croient dur comme fer à une supériorité raciale et ne voient pas la diversité d’un bon œil.

Il existe une fausse idée largement diffusée, selon laquelle le communautarisme dériverait de la pensée marxiste. L’expression sans signification « marxisme culturel », qui a plus de rapport avec la culture libérale qu’avec le marxisme, est utilisée pour vendre cette ligne de pensée. [Aux USA, le « marxisme culturel » est une idéologie très à la mode émanée de l’École de Francfort, dont les travaux démarrés en 1923 avaient fini par déboucher sur une fusion entre le marxisme et l’idéologie bourgeoise. En France, nous en avons eu l’équivalent (sans l’étiquette marxiste) avec des intellectuels comme Derrida, Foucault, Deleuze, Guattari, etc. On notera que par exemple, le Français Raymond Aron faisait à la fois partie de l’École de Francfort et du Congress for Cultural Freedom, une officine implantée par la CIA en France (lien en français) dans les années 50, expressément pour faire la promotion d’une gauche anticommuniste, libérale-libertaire, capable d’éliminer l’influence du Parti communiste en Europe. Mission accomplie, NdT].

Non seulement le communautarisme n’a rien de commun avec le marxisme, le socialisme ou tout autre courant de pensée traditionnelle de gauche, mais il en représente l’antithèse exacte.

Une attaque contre un est une attaque contre tous’ a été remplacé par quelque chose comme ‘Une attaque contre moi est tout ce qui m’importe’. Aucun pays socialiste n’a jamais fait la promotion du communautarisme. Ni les nations africaines et asiatiques qui se sont libérées de l’oppression colonialiste, ni les États de l’URSS et du bloc de l’Est, ni les mouvements de gauche qui ont vu le jour en Amérique latine au début du XXIe siècle n’ont eu le temps de faire joujou avec des politiques communautaristes.

L’idée selon laquelle le communautarisme fait partie de la pensée traditionnelle de gauche est diffusée par la droite, qui cherche à discréditer les mouvements de gauche, par les libéraux qui cherchent à les infiltrer, à les poignarder dans le dos et à les détruire, et par des jeunes radicaux malavisés qui ne connaissent rien à la théorie politique, et qui n’ont ni la patience ni la discipline nécessaires pour l’apprendre. Ces derniers cherchent à se donner à bon compte l’illusion d’ébranler les fondements du capitalisme alors qu’en réalité, ils les renforcent.

Le communautarisme est typiquement un phénomène moderne piloté par la classe moyenne [à la remorque des médias grand public, NdT] pour aider les dirigeants libéraux à diviser et distraire les masses. En Occident, vous êtes libre de choisir votre sexe ou votre sexualité, d’en changer à votre guise ou même de créer les vôtres, mais vous n’avez pas le droit de remettre en question les fondements du capitalisme ou du libéralisme. Le communautarisme est le nouvel opium du peuple et handicape sérieusement toute résistance organisée contre le système. Certains segments de la gauche occidentale pensent même que ces « libertés » susmentionnées sont un indicateur de progrès et de supériorité culturelle qui justifie leur exportation à l’étranger, que ce soit en douceur par l’intermédiaire d’ONG ou plus brutalement, par des révolutions de couleur et des changements de régime.

Tomasz Pierscionek est médecin spécialisé en psychiatrie. Il était auparavant membre du conseil d’administration de l’association caritative Medact, est rédacteur en chef du London Progressive Journal et a été l’invité de Sputnik, de RT et de l’émission Kalima Horra (présentée par George Galloway) sur la chaine de télévision pan-arabe Al-Mayadeen.

Traduction Entelekheia
Photo Pixabay

vendredi, 30 novembre 2018

Le sociétalisme est-il le poison électoral de la gauche ?

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Le sociétalisme est-il le poison électoral de la gauche ?

Ex: http://entelekheia.fr 

Après l’article de la semaine dernière sur le communautarisme dans la gauche occidentale actuelle, une autre analyse du même phénomène, cette fois non plus relative à la structure elle-même de la gauche libérale-libertaire/sociétale, mais à ses chances de victoires électorales. Écrit par un homme de droite républicaine américaine, cet article décrypte ce qui pourrait bien constituer l’un des principaux rouages de la « machine à perdre » de la gauche libérale à travers une courte, mais édifiante leçon d’histoire récente des USA.


Par James P. Pinkerton
Paru sur The American Conservative sous le titre Social Justice Warriors Are the Democrats’ Electoral Poison


Une jeune femme bien connue de la classe des bavards de New York s’est finalement lâchée sur ce qu’elle pense vraiment. « La race blanche est le cancer de l’histoire de l’humanité », dit-elle, « c’est la race blanche et elle seule — ses idéologies et ses inventions — qui éradique des civilisations partout où elle se répand, ce qui a bouleversé l’équilibre écologique de la planète, ce qui menace aujourd’hui la vie même. »

Votre serviteur vient-il de citer le tweet d’un de nos nouveaux justiciers anti-blancs ? Non. La citation ci-dessus remonte à 1967. Elle est de Susan Sontag, une critique littéraire sur papier glacé. Ses paroles étaient d’abord écrites en réaction à la guerre du Vietnam, mais comme nous pouvons le voir, sa critique s’est étendue bien au delà de la seule guerre. Nous pourrions également ajouter que Sontag a dit plus tard qu’elle regrettait ses mots — parce qu’ils manquaient de considération pour les victimes de cancer.

En d’autres termes, rien de nouveau sous le soleil. Les blancs sont mauvais, la culture occidentale est mauvaise, l’Amérique est mauvaise, etc. Récemment, la journaliste Sarah Jeong a publié une tribune sur le Washington Post, en date du 8 juin, intitulée « Pourquoi ne devrions-nous pas haïr les hommes ? » Et le 19 juin, The Root – une publication fondée par le propriétaire du Washington Post aujourd’hui propriété d’Univision — a mis à la Une un article intitulé « Les blancs sont des couards ». Et le 23 juillet dernier, le New Yorker a offert ceci : « Un sociologue analyse la ‘fragilité psychologique des blancs’ qui empêche les Américains blancs de se confronter au racisme. »

Comme nous pouvons le voir quotidiennement, beaucoup de journalistes et auteurs tentent aujourd’hui d’être de nouvelles Susan Sontag.

Le problème : le succès médiatique n’est pas la même chose que le succès politique. C’est-à-dire que ce qui est aimé de la classe bavarde n’est souvent, disons, pas aimé des électeurs.

Pour illustrer ce point, revenons à l’époque de Sontag, à la fin des années 1960. En 1968, l’année suivant sa déclaration sur le « cancer », les Démocrates, après deux mandats à la Maison Blanche [de 1961 à 1969 avec Kennedy et Johnson, NdT], ont perdu contre Richard Nixon. La fin des années 60 avait apporté un net changement à l’esprit du temps. Oui, la révolution culturelle s’était épanouie dans certaines universités et autres domaines de l’élite, mais en majorité, le pays s’était déporté vers la droite.

Par exemple, l’une des chansons les plus célèbres de 1968 était « Revolution » des Beatles, dont les parolesétaient, en fait, nettement contre-révolutionnaires. Et l’un des plus gros tubes de 1969, « Okie From Muskogee »de Merle Haggard, était carrément réactionnaire.

Certes, la gauche était encore très forte. Le 15 novembre 1969, une manifestation contre la guerre du Vietnam à Washington, D.C., avait attiré 500 000 personnes. Et en parlant de protestations, quoique d’un type particulier, en 1969 et 1970, il y avait eu 370 attentats à la bombe dans la seule ville de New York. Au cours des deux années suivantes, au moins 2 500 bombes avaient explosé dans le pays, y compris au Capitole.

Parallèlement, Hollywood était passé en mode turbo avec des paraboles anti-guerre du Vietnam comme M*A*S*HCatch 22 et Little Big Man. Sur la défensive face à la pop culture, les Républicains soulignaient qu’ils avaient hérité de la guerre du Vietnam des Démocrates, mais à l’époque, la gauche de l’Amérique avait déjà pris des dimensions sontagiennes. Par exemple, un film de 1970, Joe, sur un père ouvrier réactionnaire — Susan Sarandon à ses débuts y figurait — le dépeignait comme haineux au point de tuer.

Pourtant, comme toujours, la politique électorale, par opposition aux postures culturelles, se préoccupait de chiffres — qui avait la majorité ? Et c’est là que les gauchistes avaient un problème : ils avaient du venin à revendre, mais pas assez d’électeurs.

Les élections de mi-mandat de 1970 avaient été portées par des questions sociétales, notamment diffusées par la Nouvelle Gauche contre ce que Nixon avait surnommé la « majorité silencieuse », les partisans de la « loi et l’ordre ». Pendant ce temps, les critiques se déchaînaient, traitant Nixon de presque tous les noms, y compris « fasciste » et « nazi ».

Pourtant, les observateurs ont été surpris lorsque Nixon a choisi de riposter. En mai 1970, le 37e président a tourné en dérision les radicaux des campus en les qualifiant de « minables, vous savez, ceux qui font sauter les campus ». Selon les normes d’aujourd’hui, ce type de rhétorique peut sembler anodine, mais à l’époque, elle avait fait sensation.

Parallèlement, le vice-président de Nixon, Spiro Agnew, était allé plus loin en dénigrant les opposants, en particulier dans les médias, en les traitant de « snobs décadents » et « nababs de la négativité ».

Peut-être en conséquence, les résultats des élections de mi-mandat de 1970 avaient offert un succès mitigé au duo Nixon-Agnew : les Républicains avaient remporté deux sièges de plus au Sénat. Oui, ils avaient aussi perdu une douzaine de sièges à la Chambre et un certain nombre de gouvernorats, mais cette mauvaise nouvelle avait été quelque peu adoucie par la réélection confortable d’une étoile montante en Californie, Ronald Reagan. [Ajoutons qu’à cette époque, la popularité de Nixon était sévèrement écornée par son soutien à la Guerre du Vietnam, à l’encontre d’une opinion publique de plus en plus hostile à ladite guerre – qu’il avait d’ailleurs promis d’arrêter pendant sa campagne électorale de 1968 pour ensuite se dédire. La défaite calamiteuse de McGovern en 1972, soit deux ans plus tard, alors que McGovern avait déclaré vouloir mettre une fin immédiate à cette guerre des plus impopulaires, n’en est qu’encore plus surprenante, NdT].

Puisque la gauche n’avait pas pu vaincre Nixon par les urnes, elle a cherché à le battre à la télévision. En 1971, CBS a créé All in the Family, une sitcom qui mettait en vedette Archie Bunker, un homme réactionnaire de Queens, à New York. Le programme suivait la même ligne directrice que le film Joe, même si l’acteur Carroll O’Connor jouait Archie avec plus de clins d’yeux humoristiques (et depuis, de nombreux observateurs — y compris Rob Reiner, un membre du casting de l’émission — ont comparé Archie Bunker à un autre fils de Queens, Donald Trump.

Mais contrairement aux prévisions, Archie est devenu un héros. Les téléspectateurs de l’Amérique profonde avaient sûrement compris que censément, c’était un beauf, mais les gens de Muskogee et de Peoria avaient décidé de bien l’aimer quand même. Pour utiliser le langage d’aujourd’hui, les Américains de base avaient choisi de « s’approprier » Archie, avec tous ses défauts. L’émission a fait des records d’audience pendant cinq saisons, à une époque où, nous pouvons le noter, cela signifiait qu’un tiers de toutes les télévisions en Amérique étaient allumées sur cette chaîne (en revanche, aujourd’hui, une émission peut prendre la tête des audiences avec seulement un cinquième des téléspectateurs de All in the Family).

Donc, comme on peut le constater, la stratégie de la gauche contre la droite avait ses faiblesses, et même ses retours de boomerang. Mais, bien sûr, même avant l’arrivée de Fox News [la principale chaîne de télévision conservatrice des USA, NdT], il y avait au moins une certaine opposition à la contre-culture. Le début des années 70 avaient notamment vu la défense vigoureuse du pays, de ses institutions et de son peuple d’Arnold Beichman, Nine Lies About America (Neuf mensonges sur l’Amérique), et l’attaque cinglante d’Edith Efron contre les médias, The News Twisters (Les tordeurs d’informations). Mais surtout, les gens ordinaires, parfois peu éduqués, avaient écouté leurs tripes : si les élites culturelles impopulaires résidentes des deux côtes détestaient tant Nixon, alors il devait être dans le vrai. [Aux USA, les classes aisées, qui sont majoritairement de gauche libérale, se concentrent sur les deux côtes atlantique et pacifique. Le reste, l’Amérique profonde beaucoup plus conservatrice, est souvent dédaigneusement nommée « Flyover America », « l’Amérique qu’on survole en avion » pour se rendre d’une côte à l’autre, NdT].

Venons-en à l’élection présidentielle de 1972. Nixon n’était pas particulièrement populaire, mais il avait eu de la chance : les démocrates, enivrés par leur propre culture — et peut-être diverses substances – avaient choisi, à la place de leurs candidats modérés, un gauchiste libéral-libertaire, George McGovern. Et McGovern portait un handicap supplémentaire, à savoir ceux qui, dans ses rangs, donnaient dans un sociétalisme extrémiste, notamment ceux qui se glorifiaient d’une approche à la Sontag.

George McGovern a été battu avec pertes et fracas. La débâcle électorale l’a vu perdre dans 49 États.

Arrêtons ce petit tour historique ici. Qu’il suffise de dire que jamais depuis ce jour, les Démocrates n’ont plus présenté de candidat aussi gauchiste que McGovern. [Ce qui veut dire qu’ils se sont trompés sur les raisons de sa défaite et que, dans les discours et les programmes de leurs candidats, ils ont supprimé le volet social de la gauche pour n’en garder que l’aspect sociétal/communautariste. Autrement dit, la sociétaliste Hillary Clinton oui, le populiste Bernie Sanders non. Et ils l’ont payé par une défaite, comme du temps de McGovern. Et Barack Obama, direz-vous ? Obama était une exception – charismatique, jouant volontiers sur la fibre exceptionnaliste et nationaliste des Américains, il avait su séduire à droite comme à gauche, NdT].

En fait, on devrait peut-être dire qu’ils ne l’ont pas encore fait. Comme nous l’avons vu, la gauche libérale américaine a dérivé encore plus vers le sociétalisme et le communautarisme – au point d’un antagonisme pur et simple envers l’Amérique – ce qui est susceptible de décourager de nombreux électeurs, même ceux qui ne sont peut-être pas des fans de Trump. En d’autres termes, les justiciers du politiquement correct peuvent dominer sur le campus de Berkeley ou à Burlington, sur la côte Est, mais ils ne passent pas dans les villes de Pontiac, dans le Michigan, ou Provo dans l’Utah.

Qu’adviendra-t-il des démocrates en 2020 ? Vont-ils succomber, une fois de plus, au chant des sirènes du macgovernisme, avec ses notes d’extrémisme à la Sontag ?

Aucun candidat démocrate plausible n’est ouvertement hostile à la majorité de la population du pays. Pourtant, il reste à voir si l’un ou l’autre des candidats dénoncera activement les paroles des jusqu’au-boutistes sociétaux, et se vaccinera ainsi contre le poison électoral du politiquement correct.

On se souviendra que ce type de dénonciation avait été la stratégie gagnante du Démocrate Bill Clinton en 1992. En mai de la même année, Clinton avait condamné les propos incendiaires d’une rappeuse, Sister Souljah, qui avait dit : « Pourquoi ne pas prendre une semaine pour tuer des blancs ? », ce qui était exactement ce que les Américains attendaient de sa part. Bien sûr, Clinton l’a très intelligemment attaquée : il l’a comparée à David Duke, le chef du Ku Klux Klan, se mettant ainsi à égale distance de ces deux figures toxiques opposées.

Malgré l’évident calcul de sa démarche, Clinton a manifestement fait ce qu’il fallait. A ce moment-là — dont on se souvient comme de son moment Sister Souljah — il s’est posé en centriste courageux, sans peur de s’attaquer à l’extrémisme de droite comme de gauche. La gauche libérale de l’époque l’avait violemment critiqué, mais les électeurs l’ont récompensé en le portant à la Maison Blanche dans une victoire éclatante.

Les démocrates peuvent-ils reproduire l’exploit de Clinton aujourd’hui ? Peuvent-ils se dégager des éléments les plus politiquement handicapants de leur coalition ?

Il est tout à fait possible que l’élection présidentielle de 2020 dépende de la réponse à ces questions.

James P. Pinkerton écrit pour TAC, dont il est également rédacteur en chef adjoint. Il a travaillé au bureau du Haut conseiller à la Maison-Blanche pour les présidents Ronald Reagan and George H.W. Bush (Bush père).

 

Traduction et notes Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia

jeudi, 29 novembre 2018

Wilhelm Heinrich Riehl: A Völkish Visionary

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Wilhelm Heinrich Riehl:

A Völkish Visionary

Ex: https://phosphorussite.wordpress.com 

Wilhelm Heinrich Riehl (6 May 1823 – 16 November 1897) was a German journalist, novelist and folklorist.

Riehl was born in Biebrich in the Duchy of Nassau and died in Munich.
Riehl’s writings became normative for a large body of Volkish thought. He constructed a more completely integrated Volkish view of man and society as they related to nature, history, and landscape. He was the writer of the famous ‘Land und Leute’ (Places and People), written in 1857-63, which discussed the organic nature of a Volk which he claimed could only be attained if it fused with the native landscape.

“Personally Riehl applied the bulk of his labors to the two contiguous fields of Folklore and Art History. Folklore (Volkskunde) is here taken in his own definition, namely, as the science which uncovers the recondite causal relations between all perceptible manifestations of a nation’s life and its physical and historical environment. Riehl never lost sight, in any of his distinctions, of that inalienable affinity between land and people; the solidarity of a nation, its very right of existing as a political entity, he derived from homogeneity as to origin, language, custom, habitat.”

Otto Heller – The German Classics of the Nineteenth and Twentieth Centuries

“Riehl’s writings became normative for a large body of Volkish thought…he constructed a more completely integrated Volkish view of man and society as they related to nature, history, and landscape….in his famous Land und Leute (Land and People), written in 1857-63,” which “discussed the organic nature of a Volk which he claimed could only be attained if it fused with the native landscape….Riehl rejected all artificiality and defined modernity as a nature contrived by man and thus devoid of that genuineness to which living nature alone gives meaning…Riehl pointed to the newly developing urban centers as the cause of social unrest and the democratic upsurge of 1848 in Hessia”….for many “subsequent Volkish thinkers, only nature was genuine.”

“Riehl desired a hierarchical society that patterned after the medieval estates. In Die bürgerliche Gesellschaft(Bourgeois Society) he accused those of Capitalist interest of “disturbing ancient customs and thus destroying the historicity of the Volk.”

George Mosse

“We must save the sacred forest, not only so that our ovens do not become cold in winter, but also so that the pulse of life of the people continues to beat warm and joyfully, so that Germany remains German.”

“In the contrast between the forest and the field is manifest the most simple and natural preparatory stage of the multiformity and variety of German social life, that richness of peculiar national characteristics in which lies concealed the tenacious rejuvenating power of our nation.”

“In our woodland villages—and whoever has wandered through the German mountains knows that there are still many genuine woodland villages in the German Fatherland—the remains of primitive civilization are still preserved to our national life, not only in their shadiness but also in their fresh and natural splendor. Not only the woodland, but likewise the sand dunes, the moors, the heath, the tracts of rock and glacier, all wildernesses and desert wastes, are a necessary supplement to the cultivated field lands. Let us rejoice that there is still so much wilderness left in Germany. In order for a nation to develop its power it must embrace at the same time the most varied phases of evolution. A nation over-refined by culture and satiated with prosperity is a dead nation, for whom nothing remains but, like Sardanapalus, to burn itself up together with all its magnificence. The blasé city man, the fat farmer of the rich corn-land, may be the men of the present; but the poverty-stricken peasant of the moors, the rough, hardy peasant of the forests, the lonely, self-reliant Alpine shepherd, full of legends and songs—these are the men of the future. Civil society is founded on the doctrine of the natural inequality of mankind. Indeed, in this inequality of talents and of callings is rooted the highest glory of society, for it is the source of its inexhaustible vital energy.”

Wilhelm Heinrich Riehl – Field and Forest

vendredi, 23 novembre 2018

Für einen aufgeklärten Kulturpessimismus

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Für einen aufgeklärten Kulturpessimismus 

Ist es klug, die gemeinhin als vergiftet geltende Position eines Kulturpessimisten einzunehmen?

Spätestens seitdem die Pop-Art von Andy Warhol als Kunst gilt, und Punkbands wie die Toten Hosen zu Auftritten höchster staatlicher Würdenträger abgespielt werden, sollte doch eines klar sein: Als kulturelles Gut kann heute so beinahe alles gelten. Daß es zwischen einem Gemälde Rembrandts und dem von Joseph Beuys in den Raum gestellten Stuhl mit Fett dennoch einen kulturrelevanten Unterschied gibt, sollte einleuchten. Wie konnte es also dazu kommen, daß heute beides als Kunst gelten soll? Und sind jene, denen eine Gleichstellung aufstößt, automatisch griesgrämige Kulturpessimisten?

Der Untergang ist real

Zu diesem noch weit umfangreicheren Thema ist jüngst im zu Klampen Verlag ein hochinteressantes Büchlein des Philosophen und Cicero-Kolumnisten Alexander Grau erschienen. Sein erklärtes Ziel ist es, den zu Unrecht als ewiggestrig geltenden Begriff des Kulturpessimismus zu rehabilitieren und dessen Verständnis gleichsam zu erneuern.

Das ausdrücklich im Geiste Oswald Spenglers geschriebene Essay zeigt Kultur zunächst als ein Ordnungssystem auf, das der Mensch der bedrohlich wirkenden Natur entgegensetzt. Kulturen, die den Entwicklungssprung zu einer Hochkultur vollziehen, sind jedoch latent gefährdet, sich selbst zu schaden. Entweder sie drohen zu erstarren, oder sich durch ihre inneren Umformungsprozesse selbst den Boden zu entziehen, auf dem sie jedoch letztlich nur gedeihen können. Was dann eintritt, ist die Auflösung aller ihrer Überlieferungen, zugunsten eines rational erscheinenden Weltbildes, in dem für Tiefe und Mystik kein Platz mehr ist.

„Ziel ist der globale Melting Pot, aus dem sich jeder nach seiner Fasson bedienen kann.“

Durch diese Nivellierung kultureller Differenzen wird schließlich „die Vielfalt, die Buntheit und Austauschbarkeit, kurz: die Normlosigkeit zur Norm. Wo jedoch Normlosigkeit zur Norm wird, ist die Zerstörung und Überwindung von Normen das Ideal.“ Die Phase der eigentlichen Kultur liegt heute also längst hinter uns. Das Zeitalter der bürgerlichen Vernunft, in dem sich diese die Kultur zerstörende Entwicklung durchsetzte, stellte geschichtlich die Übergangsphase hierzu dar, und führte uns schließlich in das spätkulturelle Stadium zivilisierter Rationalität über, in dem wir heute stehen.

Über die geschichtliche Wurzel unseres kulturellen Verfalls lässt sich dabei trefflich streiten. Hier stellt Grau die Theorien von Joseph de Maistre, Henri Massis, René Guénon und weiteren vor, welche die Ursache der kulturellen Erosion des Abendlandes wahlweise in der Renaissance, der Reformation, der verpassten Latinisierung Europas nördlich des Limes oder auch bereits in der griechischen Antike verorten. Leider spart er hierbei jedoch den eingangs erwähnten Oswald Spengler aus, der seinerzeit zur Lösung dieser Frage noch andere Ansatzpunkte präsentierte.

Kritik an unserer Entwicklung muß heute rational sein, nicht mystisch

Unstrittiger erscheint hingegen die konkrete Ursache des kulturauflösenden Prozesses in den verbesserten Lebensbedingungen des abendländischen Menschen zu liegen, die Grau mit Gustave Le Bon, Elias Canetti und Theodor W. Adorno beschreibt. Auf der Grundlage einer anhebenden Industrialisierung, die den Menschen von der kulturnotwendigen Enthaltsamkeit entbindet, ist es dann nur folgerichtig, daß sich im Leben dieser Kultur Hedonismus ausbreitet. Unter dem Einfluß des Lustprinzips, das den Menschen nun ebenso beherrscht wie einst die altbürgerliche Moral, erodieren schließlich kulturelle Äußerungen wie Religion und Gemeinschaftsgefühl als widerlegte Größen einer vergangenen Zeit.

Um diese Prozesse zu verstehen und ihre für den Menschen fatalen Fehlentwicklungen aufzuzeigen, die Grau im Wegfall eines kultur-religiösen Sinnzusammenhangs sieht, empfiehlt er schließlich die Position eines aufgeklärten Kulturpessimismus. Anstatt die Entwicklung blind zu feiern, solle man sie nüchtern beschreiben, um darüber die nötigen Konsequenzen für unser Zusammenleben abzuleiten. Demnach solle man sich nicht in eine für unsere Entwicklungsphase weltfremde Mystik oder andere Ausflüchte stürzen, die letztlich überlebt sind und zu nichts führen. Vielmehr solle man – wie bei Spengler – den Prozeß als einen unumkehrbaren annehmen und ihn aus unserer eigenen Lebenswirklichkeit heraus kritisieren.

Die Sehnsucht nach einer höheren Sinnebene bleibt

Kulturpessimismus kann Grau zufolge dazu beitragen, „dass das Projekt Aufklärung, das einmal als Emanzipation von angeblichen Glaubensgewissheiten und eingefahrenen Denkschablonen begann, nicht an sich selbst zugrunde geht“. Folgt man seinen Ausführungen hätten wir sowieso keine andere Wahl, was das Buch zu einem lesens- und diskussionswürdigen Ausgangspunkt über den kulturellen Wandel unserer Zeit macht.

Alexander Grau: Kulturpessimismus – Ein Plädoyer, zu Klampen Verlag, 2018, 160 Seiten, 16 Euro.

(Portrait: Michael Lebed)

lundi, 19 novembre 2018

La volonté d’impuissance ou l’ochlocratie comme révolte des élites

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La volonté d’impuissance ou l’ochlocratie comme révolte des élites

Pasolini affirmait que « rien n’est plus anarchique [que le pouvoir], ce que veut le pouvoir est totalement arbitraire ou dicté par des nécessités économiques échappant à la logique. » L’idée que les élites politiques françaises, mais de plus en plus globalement en Europe, sinon en Occident, organisent leur propre impuissance n’est pas neuve. Cette représentation nationale dépourvue de représentativité aurait pu cependant trouver un terme dans une réaction nationale qui s’est historiquement toujours illustrée par son mépris envers une caste politique qui ne représente plus qu’elle-même. Pourtant, la solution historique qui permettait au pays de sortir de ses crises paraît anéantie depuis le XXe siècle, et la crise de la modernité provoquée par la Grande Guerre semble y avoir un impact. L’esprit qui anima les révolutions qui jalonnèrent la France depuis 1789 se serait ainsi essoufflé, et l’avènement de régimes politiques caractérisés par l’inconstance des élites serait symptomatique de ce qu’observât Bernanos à son retour du Brésil au sujet d’un peuple français « malade d’une guerre civile manquée, ravagée, refoulée. »

Pour autant, les causes de l’apathie du peuple vis-à-vis des turpitudes de ses représentants ne pourraient s’expliquer par la seule invocation de la crise de la modernité, ni par la révolte des élites prise à part – qui par ailleurs n’est pas un phénomène nouveau en France, mais est au contraire bien implanté dans notre culture politique, au moins depuis la Révolution – ; cette dernière doit être mise en corrélation avec le manque d’ambition populaire vis-à-vis de la démocratie. Si la révolte des élites prospère plus que jamais – à l’exception de la parenthèse gaulliste qui, en réalité, permet justement de la mettre en évidence – ce serait avant tout parce que l’idéal révolutionnaire propre à la culture française se serait évanoui. Si l’embourgeoisement des classes populaires est un fait social admis par tous, peu de monde s’intéresse à l’embourgeoisement des classes depuis l’apparition du consumérisme. L’embourgeoisement à l’époque paléo-industrielle reposait sur une certaine bourgeoisie éclairée tandis la culture dominante actuelle repose sur la satisfaction de désirs massifiés ; même le rapport au travail productif est conditionné par une logique de consommation. Les individus n’appréhendent désormais l’égalité plus que sous le prisme de la consommation et désirent tous la même chose, de la même manière, avec la même ardeur, ce qui eut pour effet de reléguer les anciennes valeurs populaires au rang de lubies ataviques. Cette massification extrême a engendré un véritable régime de masse, une ochlocratie. À partir du moment où les élites elles-mêmes furent acculturées, le peuple qui continuait malgré tout à en faire leur référence culturelle s’est à son tour transformé en masse dont on ne saurait plus distinguer culturellement la moindre composante. Toutefois, cette culture de la masse chez les élites semble préexister au consumérisme, dont il incarnerait une évolution, un catalyseur de l’ochlocratie. Maurice Duverger relevait ainsi dans son ouvrage La Nostalgie de l’Impuissance que nos politiques s’échinaient à revenir à la IVe République – régime symptomatique de cette culture de masse – à coups de modifications constitutionnelles pour échapper à une certaine rigueur institutionnelle. Duverger attribuait justement ce retour à marche forcée à une culture non pas tant de l’instabilité qui caractérisa le parlementarisme classique qu’incarnait « Mademoiselle Q » mais plutôt à celle des intrigues de palais, du mépris du politique au profit d’une société du spectacle à l’intérieur de la société du spectacle ; une forme d’oligochlocratie en somme, pour user d’un néologisme.

Cela nous renvoie à la définition que donna Aristote de l’ochlocratie dans Les Politiques : « Une autre espèce de démocratie, c’est celle où toutes les autres caractéristiques sont les mêmes, mais où c’est la masse qui est souveraine et non la loi. C’est le cas quand ce sont les décrets qui sont souverains et non la loi. » De plus ; la massification des individus induit aussi une aliénation de la souveraineté, aussi bien nationale que populaire, au profit des passions, si caractéristiques de la vie politicienne d’aujourd’hui qui ne vit plus que par leur rythme. C’est l’analyse qu’en donna notamment Ernst Jünger dans son Traité du Rebelle : « L’aspect de foules énormes, délirantes de passion, est l’une des marques essentielles de notre entrée dans une ère nouvelle. Sa magie fait régner, à défaut d’unanimité, l’accord des voix : car si une autre voix s’élevait ici des tourbillons se formeraient pour engloutir celui qui l’a fait entendre. »

Dès lors, il apparaîtrait que le régime de masse dans lequel nous sommes plongés serait susceptible de découler directement de la révolte des élites ; du fait de leur culture historique du comportement en masse, culture que la société de consommation a amplifiée et étendue à tout le peuple. L’essence de la révolte des élites tient désormais plus de la culture nationale, ou plutôt de la culture globale puisque touchant presque tous les peuples ; bref l’extension d’une oligochloratie en véritable ochlocratie. Cette extension pourrait être passée par deux étapes ; la première par la fin des souverainetés jusqu’alors inhérentes à un peuple , lequel est ensuite, avec ses élites, entraîné dans l’impuissance la plus totale.

LA FIN DES SOUVERAINETÉS

La souveraineté d’un peuple s’exerce de deux manières différentes, celle de sa souveraineté entendue comme indépendance nationale, de ses libertés fondamentales et d’être maître chez soi ainsi que de ses choix, mais aussi de la souveraineté de ses opinions qui est censée lui permettre l’élection de ses représentants et des choix définissant les orientations de la communauté de destin dont il fait partie de la manière la plus éclairée et vertueuse possible. Ces deux facettes sont celles de la démocratie au sens littéral, l’exercice du pouvoir par le peuple. Pour garantir sa souveraineté nationale et populaire, le peuple doit avant tout être souverain de lui-même. Or, lorsque l’une de ces souverainetés se retrouve aliénée et que la seconde n’est qu’illusoire, le peuple se retrouve dépossédé des moyens de mettre fin à la révolte des élites.

La massification des opinions

Pasolini remarquait – même s’il parlait de l’Italie, aujourd’hui ce constat peut s’étendre à la France – que l’une des spécificités de la bourgeoisie est qu’elle serait étrangère sa propre nation. Cette représentation nationale qui serait en fait issue d’une culture cosmopolite – dans son acception déracinée et apatride – a une conséquence directe, bien que négligée dans les débats, sur l’attitude des élites envers leurs électeurs. En France, le système représentatif repose sur un électorat-fonction : c’est le corps électoral qui fait la représentativité des représentants. À partir du moment où le corps électoral refuse, ou est incapable, d’assurer cette fonction, le système représentatif se retrouve dès lors perverti.

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Nous l’avons dit plus haut, l’élite, soit le corps des représentants de la nation, s’est caractérisée dans le comportement politique d’une masse, toutefois à sa propre échelle – ce que nous avons dénommé oligochlocratie. Cette culture se traduisit notamment dans l’instabilité institutionnelle des malheureuses IIIe et IVe Républiques, mais qui se démarquait aussi par sa capacité à demeurer en vase clos, d’incarner en donc cet état d’oligochlocratie, qui contenait cependant déjà les germes du glissement vers l’ochlocratie. En effet, avant de comprendre comment les citoyens ont progressivement accepté que l’indépendance nationale serait une idée obsolète, voire insensée, les élites se sont en premier lieu échinées à les défaire de leur souveraineté sur leurs propres opinions. L’on a pu ainsi constater que pour désarmer une communauté nationale, en France tout du moins, l’on commence par lui instiller un mépris envers elle-même afin qu’elle assimile d’autres dogmes, d’autres valeurs.

Avec l’apparition de la société de consommation, l’embourgeoisement des classes populaires et moyennes est devenu une arme culturelle dont l’élite se sert de manière coercitive pour façonner le peuple à son image, sans comprendre qu’elle n’est elle-même rien d’autre qu’une exécutante de ce « Nouveau Pouvoir » qu’abhorrait Pasolini. Arrivée au paradoxe décrit par Gramsci, soit d’être une classe dominante, mais incapable de diriger à cause d’une crise d’autorité mettant en cause sa représentativité, et donc sa légitimité, la coercition devient un levier de compensation pour se maintenir au pouvoir, d’où l’acculturation qui s’opère désormais. En produisant une culture de masse qui n’a que faire de ce que les valeurs populaires sacralisaient, ce « nouveau pouvoir » a fatalement massifié les hommes en leur donnant de nouvelles idoles et en rendant toute autre idéologie méprisable, marginale et ridicule. Les différentes couleurs politiques ne sont plus qu’un simulacre que dénonçait déjà le philosophe au marteau dans l’aphorisme « À l’Écart » présent dans Le Gai Savoir : « il est indifférent de savoir si l’on impose une opinion au troupeau ou si on lui en permet cinq. — Celui qui diverge des cinq opinions publiques et se tient à l’écart a toujours tout le troupeau contre lui. » La modernité de la société de consommation n’a rien changé à ce fait ; elle l’a au contraire massifié à une ampleur que même Nietzsche n’imaginait probablement pas. À partir du moment où tous, quelle que soit la culture politique ou les différences de classes sociales, se nourrissent de la même culture (de masse) vendue par un bourrage de crâne totalisant – et donc totalitaire –, il ne saurait y avoir de différences idéologiques et culturelles, sinon purement nominales. La mort du politique n’est alors plus quelque chose d’inexplicable. Au contraire, il est substitué par les démagogues grâce à l’apparition du « sociétal », qui ne recouvre rien d’autre que des préoccupations individualistes, égoïstes et vénales contradictoires, que ces derniers tenteront de satisfaire pour se maintenir au pouvoir, le démagogue n’étant rien d’autre que le personnage qui flatte les passions de la masse dans le but d’accroître sa propre popularité. Il y a une volonté politique de satisfaire ces désirs des électeurs, ou d’occuper leurs esprits avec des thématiques superflues, les empêchant de songer aux véritables enjeux politiques ; c’est là que s’incarne cette coercition permettant à la classe dominante de conserver sa domination, mais sans plus diriger. C’est justement sur ce point que la définition de l’ochlocratie donnée par Aristote dans Les Politiques rencontre un écho avec notre époque : « Là où les lois ne dominent pas, alors apparaissent les démagogues ; le peuple, en effet, devient monarque, unité composée d’une multitude, car ce sont les gens de la multitude qui sont souverains, non pas chacun en particulier mais tous ensemble. » Il relève ainsi le paradoxe propre de l’ochlocratie, régime où la souveraineté – mais une souveraineté horrible, car aliénée et hédoniste – est exercée par la masse, qu’il distingue du peuple dont elle est le penchant pervers (c’est la distinction entre dêmos et ókhlos) : « Donc un tel peuple, comme il est monarque, parce qu’il n’est pas gouverné par une loi, il devient despotique, de sorte que les flatteurs sont à l’honneur, et un régime populaire de ce genre est l’analogue de la tyrannie parmi les monarchies. »

Dès lors, comment s’étonner de l’hégémonie d’une « manufacture du consentement » qui dirige et les élites, et les citoyens en leur faisant croire que c’est tel ou tel modèle, consumériste, qu’il faille absolument singer pour triompher ? Que les démagogues fassent les couvertures des magazines people afin d’être enviés par la masse qui fait office de corps électoral ? Les opérations séductions, la « souveraineté du people » – pour reprendre l’expression du sociologue Guillaume Erner – ont remplacé les débats d’idées, là est la continuité moderne de la révolte des élites, et c’est justement ce que remarquait Aristote au sujet de l’ochlocratie : « Ces démagogues sont causes que les décrets sont souverains et non les lois ; ils portent, en effet, tout devant le peuple, car ils n’arrivent à prendre de l’importance que du fait que le peuple est souverain en tout, et qu’eux sont souverains de l’opinion du peuple. Car la multitude les suit. » En façonnant les citoyens à leur image, les élites peuvent ainsi s’adonner à la vaste récréation à laquelle ils ont toujours rêvé. D’où la paupérisation des débats, des idées des partis politiques, et cet étrange paradoxe qu’engendre les souverainetés réduites à l’impuissance, puisque l’ochlocratie est symptomatique d’une nostalgie de la toute-puissance, mais une toute-puissance de façade, « toute-puissance pour empêcher ou pour détruire, impuissance pour décider et construire », pour reprendre le mot de Duverger dans La Nostalgie de l’Impuissance.

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Cette ambivalence de ce qui est, somme toute, une toute-puissance de l’impuissance, à laquelle le peuple est dorénavant assimilé, et le néant de la pensée qui l’accompagne, font qu’il n’y a désormais ni élite, ni peuple, qui se sont confondus dans l’ókhlos. Cette fin de la souveraineté populaire entraîne fatalement la fin de l’État, comme l’analysait Rousseau dans Du Contrat Social où sa typologie rejoint celle d’Aristote: « Quand l’État se dissout, l’abus du gouvernement quel qu’il soit prend le nom commun d’anarchie. En distinguant, la démocratie dégénère en ochlocratie, l’aristocratie en oligarchie. »  Or, la fin de l’État signifie la fin de la souveraineté nationale, fin généralement justifiée par les élites à grand renfort de discours juridiques abscons et oiseux auxquels les citoyens n’entendent rien.  Cet abandon de la souveraineté comme exercice de l’indépendance d’un peuple et de sa possibilité à choisir son destin pourrait s’expliquer en reprenant le propos d’Ernst Jünger dans son Traité du Rebelle : « L’inexorable encerclement de l’homme a été préparé de longue date, par les théories qui visent à donner du monde une explication logique et sans faille, et qui progressent du même pas que les développements de la technique. On soumet d’abord l’adversaire à un investissement rationnel, puis à un investissement social, auquel succède, l’heure venue, son extermination. »

La massification des communautés de destins

La massification des opinions est donc logiquement suivie par la massification des communautés de destins. L’anéantissement des altérités au profit de l’uniformisation culturelle passe par la fin des indépendances nationales, et donc par la fin de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour cela, les élites suivent la même méthode ; elles confondent les scrutins avec leurs propres personnes, marginalisent les idées en imposant un chantage aux électeurs où il s’agit d’approuver l’élection du démagogue qui use de flatteries et de peur afin d’obtenir gain de cause. Plus précisément, il joue sur les quatre impulsions affectives primaires théorisées par le sociologue Serge Tchakhotine : l’agressivité, l’intérêt matériel immédiat, l’attirance sexuelle au sens large, la recherche de la sécurité et de la norme. Les démagogues n’ont plus qu’à conquérir l’électorat comme on gagnerait des parts de marché. Cela a pour effet de transformer les élections en plébiscites, pour lesquels la raison est réduite à l’accessoire. L’on peut encore une fois citer Le Traité du Rebelle d’Ernst Jünger qui en a particulièrement saisi l’esprit : « À mesure que les dictatures gagnent en pouvoir, elles remplacent les élections libres par le plébiscite. Mais l’étendue du plébiscite dépasse le secteur soumis naguère au jugement du corps électoral. C’est maintenant l’élection qui devient l’une des formes du plébiscite. »

Les succès de ce glissement de l’élection vers le plébiscite s’étendant de plus en plus dans le monde sont d’ailleurs à lier à une nouvelle génération de démagogues. Présentés par les médias de masse comme jeunes, donc nouveaux donc antisystème et donc, forcément, représentants du Bien. Ils incarnent finalement tout ce que Pasolini méprisait dans la façon dont « le conformisme consumériste a bouffé la réalité », à manipuler les corps en recueillant l’assentiment de tous. L’apparition de personnalités telles que Justin Trudeau, Matteo Renzi ou encore Emmanuel Macron s’inscrivent totalement dans cette volonté de modeler un « homme nouveau » produit par l’hédonisme de masse. Bref, comme le disait Pasolini dans Essais sur la politique et sur la société : « Les bourgeois, créateurs d’un nouveau type de civilisation, ne pouvaient joindre qu’à déréaliser le corps. Ils y ont réussi, en effet, et ils en ont fait un masque. » Désormais, les pays occidentaux se dotent petit à petit d’hommes qui paraissent identiques, de leur physique jusqu’à leur action politique, laquelle dépossède les peuples de leur souveraineté sous couvert de démocratie, ou plutôt de démocratisation mondiale. Si l’expression de « village mondial » tient d’ailleurs généralement du sarcasme – les défenseurs de son concept lui préfèrent l’expression de « banquet des nations » de Mazzini – elle correspond néanmoins à une bonne allégorie du processus de massification des communautés de destins, qui est en fait le corolaire du processus de déracinement des hommes. En leur ôtant l’envie de choisir, l’on leur ôte ensuite la capacité de choisir, si bien que les quelques rares individus qui s’en émeuvent passent au mieux pour des nostalgiques mièvres, au pire pour de dangereux réactionnaires. L’on pourrait reprendre l’ironie nietzschéenne de l’aphorisme « Victoire de la démocratie » dans Le Voyageur et son ombre, dont les coups de marteau n’ont jamais aussi bien résonné : « Le résultat pratique de cette démocratisation qui va toujours en augmentant, sera en premier lieu la création d’une union des peuples européens, où chaque pays délimité selon des opportunités géographiques : on tiendra alors très peu compte des souvenirs historiques des peuples, tels qu’ils ont existé jusqu’à présent, parce que le sens de piété qui entoure ces souvenirs sera peu à peu déraciné de fond en comble, sous le règne du principe démocratique, avide d’innovations et d’expériences. »

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Car la massification des communautés de destins découle en bonne partie du façonnage et de l’affirmation d’un certain sens de l’Histoire conforme à la culture ochlocratique. L’imposition d’une lecture unique et fortement connotée du passé, auquel l’ont adjoint des symboles – parfois détournés de leur réalité historique – servant l’enrégimentement total des individus n’est pas seulement une rupture avec les relations qu’avaient les sociétés avec leur Histoire. Une fois le même destin imposé à tous et l’incapacité totale des citoyens à s’arracher d’un univers où l’homme n’a plus qu’à s’endormir sur son conformisme, le passé est dissocié de son rôle instructeur, enfermant en définitive les communautés de destins dans un présent perpétuel où les slogans tirés du champ lexical du progrès et de la modernité peuvent triompher indéfiniment puisqu’ils recouvrent la même dimension incantatoire. Cette impuissance totale dans laquelle les sociétés sont plongées ou, pour reprendre le mot de Bernanos : « un système de slogans, comme un oiseau pris sous le faisceau d’un projecteur », a pour conséquence de niveler l’intelligence des citoyens, mais aussi de permettre au pouvoir politique, aussi déliquescent puisse-t-il être, de faire du provisoire un état de fait immuable, contre lequel ceux qui se dresseraient seraient des dangers pour un régime démocratique qui n’existe pourtant plus.

L’IMPUISSANCE TOTALE

Nietzsche disait, non sans raillerie, de la démocratie qu’elle était le régime de la médiocrité par excellence, car permettant à ses citoyens d’être assez intelligents pour voter, mais pas assez pour voter de manière éclairée. L’état d’impuissance totale dans lequel ils sont plongés dans un régime ochlocratique, en sus d’empêcher la formation de tout esprit critique, induit aussi un panurgisme qui profite aux démagogues. Ces derniers ont toutefois besoin d’entretenir une apathie intellectuelle des masses pour que leur révolte puisse perdurer. Pour cela, les démagogues enferment le politique dans une bulle du présent ; provisoire par nature, il devient perpétuel dans l’ochlocratie, confirmant l’ambivalence énoncée par Maurice Duverger citée plus haut : « toute-puissance pour empêcher ou pour détruire, impuissance pour décider et construire. »

Le provisoire perpétuel

Georges Bernanos affirmait dans une entrevue au Diario de Beló Horizonte que : « Ce que l’esprit de vieillesse oppose à ces partis pris, sous le nom de sagesse, c’est le calcul d’une prévoyance abjecte qui pourrait se résumer ainsi : « Tâchons de faire durer le provisoire aussi longtemps que nous, et après nous, qu’importe ! » […] L’esprit de vieillesse n’est conservateur que de lui-même. L’esprit de vieillesse est essentiellement destructeur. » Faire du provisoire un état perpétuel, corollaire du fameux « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change » du Guépard, est la cage politicienne qui permet aux démagogues de se maintenir. Les propagandes sur la construction européenne figées depuis les années 1970, les slogans autour du « vivre ensemble », de la « tolérance », mais aussi le chantage d’un retour du péril fasciste pourtant réduit à l’état de phénomène archéologique, témoignent de l’arrêt du temps politique. Le propre du concept de Progrès reposant justement en son évolution permanente, il demeure logiquement inatteignable puisque son horizon est sans cesse repoussé par le développement ou la consécration de nouveaux besoins dont la masse demandera ensuite la satisfaction. La révolte des élites peut ainsi s’épanouir dans ce contingentement du temps qui incarne une sorte de dérive perverse et cynique du carpe diem poussé à son comble que permet l’ochlocratie. Faire durer le provisoire indéfiniment permet, comme le disait Bernanos, une autoconservation qui met en péril l’avenir, mais conjugué à l’ochlocratie, c’est l’avenir lui-même qui est reporté sine die. L’image du déluge invoquée par Bernanos est judicieuse à un autre titre, en sus de démontrer le nihilisme propre à la révolte des élites et à l’ochlocratie, il correspond au chantage de la peur qui se trouve aussi au cœur du discours démagogique lorsque les flatteries d’icelui ne suffisent pas, ou lorsqu’il y a confrontation entre deux démagogues, bien qu’identiques culturellement, ils se battent pour l’obtention de tel ou tel titre vaguement pontifiant car vidé de sa substance politique.

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Ce règne du provisoire est naturellement en corrélation avec le triomphe du consumérisme. Il justifie la consommation de tout, tout le temps, bref, de la jouissance comme acte de réalisation de soi. Puisque nous devrions faire table rase du passé, mais aussi de l’avenir, ce sont les valeurs nihilistes – certains diront « postmodernes » – ainsi dévoilées de l’hédonisme de masse qui règnent sans discontinuité, peu importe les remous de la caste politique. Cela est à rapprocher de la consécration de l’immanence des hommes au détriment de la transcendance, dont Nietzsche percevait la problématique dans son fameux aphorisme – souvent tronqué et détourné de son sens – au sujet de la mort de Dieu. L’absence de but transcendant pour l’humanité qui se retrouve non plus avec une liberté comme moyen, mais comme fin, l’enferme dans une quête de satisfaction des désirs matérialistes, quête toujours renouvelée, mise à jour et encouragée par un modèle culturel et économique qui ne peut fonctionner autrement qu’en imposant ce nivellement à tous. Le provisoire perpétuel s’illustre à travers ses scènes où des foules de consommateurs se jettent sur des marchandises en singeant grossièrement leurs aïeux qui pillaient leur seigneur à cause de la famine ; mais à présent, le pillage n’est plus causé par un authentique instinct de survie. Ce dernier s’est confondu avec les pulsions consuméristes, cette « fièvre d’obéissance à un ordre non énoncé » où « tout le monde ressent l’anxiété, dégradante, d’être comme les autres dans l’art de consommer », comme le notait Pasolini dans un article figurant dans les Écrits Corsaires. Le serpent se mord ainsi la queue, enfermé dans un cycle infini des passions qui s’autoalimentent ; le consumérisme nourrit la culture de masse, les massent nourrissent l’économie issue du consumérisme, et les élites nourrissent l’imaginaire hédoniste du consumérisme.

Cela a un impact direct sur la vie parlementaire, et plus largement politique et médiatique, et réciproquement. Les élites souhaitent s’autoconserver comme telles ; le cumul des mandats dans le temps et l’atavisme des citoyens concernant une culture légitimiste favorisant les élus candidatant à leur propre réélection en usant des stratagèmes susmentionnés en sont l’une des marques. Ce fonctionnement en vase clos des élites, en sus de vider la démocratie de son intérêt, est l’une des conséquences du provisoire perpétuel. Christopher Lasch y porta aussi une analyse sociologique dans son célèbre essai La révolte des élites, où il constatait que les élites se reproduisaient même socialement entre elles ; comme par les mariages, entre autres exemples, plus fréquents entre individus issus d’une même classe sociale élevée qu’entre un individu issu de la bourgeoisie et un autre d’une classe populaire. Cela empêche ainsi tout renouvellement des élites mais sans pour autant les mettre en péril dans un système comme le nôtre, où elles demeurent le modèle culturel de référence ; à la fois vectrices de ce modèle et ses victimes consentantes. Anéantir la capacité des citoyens à exercer leurs souverainetés, notamment par le renouvellement des élites qu’est censée permettre la démocratie et leur volonté même de renouvellement, autre que cosmétique, les prive de tout moyen alternatif. C’est d’ailleurs le drame de l’hégémonie du mot « alternance » qui s’est petit à petit imposé dans les bouches, comme on a imposé une connotation péjorative à « populisme » pour lui faire dire la même chose que « démagogie ». L’idée imposée que ce soit l’alternance qui serait nécessaire et non plus  l’alternative revient à imposer un renoncement total au véritable changement. L’alternance n’est rien d’autre qu’un changement de forme, elle n’induit pas le changement d’un objectif, contrairement à l’alternative, qui inclut ce double changement, de forme et de fond. La victoire du mot « alternance », tout comme le sens négatif de « populisme » qui en réalité renvoie simplement à l’idée de défendre les intérêts du peuple – l’on comprend dès lors pourquoi les démagogues devaient absolument déformer la chose à leur profit –, découle de la révolte des élites. En parvenant à faire en sorte que le peuple se déteste lui-même à l’aide de braquages sémantiques dignes de 1984 d’Orwell par lesquels il est ensuite intellectuellement contraint, les moyens nécessaires à son émancipation ne peuvent que lui manquer tandis que l’exaltation de ses pulsions hédonistes et individualistes, au contraire, auront toujours pour effet d’étoffer les champs lexicaux d’icelles. Jamais nous n’avons connu une telle inflation du vocabulaire lié au plaisir – notamment vénal –, aux particularismes superflus et individualistes de chacun – le mot « sociétal » en est d’ailleurs le premier symptôme.

Karl Polanyi, dans son essai La Grande Transformation, notait ainsi que l’émiettement des sociétés engendré par une volonté politique et économique d’asservissement des populations au profit de « l’homme nouveau » s’inscrivait dans une perspective d’anéantissement des valeurs traditionnelles au profit du déracinement. Dans le dixième chapitre, intitulé « L’Économie politique et la découverte de la société », il affirmait notamment que «l’effet le plus évident du nouveau système institutionnel est de détruire le caractère traditionnel de populations installées et de les transmuer en un nouveau type d’hommes, migrateur, nomade, sans amour-propre ni discipline, des êtres grossiers, brutaux, dont l’ouvrier et le capitaliste sont l’un et l’autre un exemple. »

Le transformisme politique

Il peut toutefois advenir un conflit entre démagogues, issus de la classe dominante traditionnelle et ceux d’une classe montante, comme l’analysait Gramsci dans ses Cahiers de prison. Lorsque la classe dominante traditionnelle ne dirige plus, elle est en effet fragilisée et, comme nous l’avions dit, nécessite une force coercitive pour se maintenir. Face à la montée de nouveaux démagogues, mais aussi pour prévenir une éventuelle réaction nationale, la classe dominante opère parfois un transformisme politique. Institutionnellement, cela s’est traduit généralement par le mariage de forces centristes qui, jusqu’alors, faisaient croire aux électeurs qu’elles étaient opposées. Le transformisme politique est un phénomène apparu en Italie ; avant l’unification de la péninsule, l’on utilisait l’expression ironique de connubio pour dénommer l’union des partis de centre-droite et de centre-gauche de Cavour et Rattazzi au parlement sarde. Il aura néanmoins fallu attendre la fin du Risorgimento pour que le transformisme politique se concrétise, et permette ainsi aux forces centristes de gouverner tout en empêchant les autres composantes de l’assemblée d’accéder au pouvoir.

C’est cette forme d’oligochlocratie dont nous parlions pour illustrer la révolte des élites lors de la IVe République ; avec l’émergence d’une coalition des partis du centre sous l’appellation de Troisième Force. Si le corps électoral se défaisait ainsi, même momentanément, de son comportement ochlocratique, l’oligochlocratie pourrait toujours conserver sa domination. L’on saisit alors mieux la traduction institutionnelle de cette volonté politique consistant à faire durer le provisoire : en formant un cartel de partis ayant pour but à la fois l’autoconservation et d’empêcher tout renouvellement politique, le transformisme permet de perpétuer un système à la dérive. Il incarne d’ailleurs parfaitement la nuance entre l’alternance et l’alternative, puisqu’il découle du premier pour empêcher l’avènement de la seconde.

Seulement, aujourd’hui ce transformisme s’opère en amont. La campagne pour l’élection présidentielle française de 2017 confirme cette progression. En premier lieu à cause de l’hégémonie du mot « alternance », devenu véritable slogan invoqué à plusieurs reprises par les candidats de la droite et du centre, mais aussi par le phénomène d’En Marche. En second lieu, c’est aussi le plébiscite qui, en sus de se substituer à l’élection comme le disait Ernst Jünger, permet le transformisme politique. Ce fut d’ailleurs l’un des arguments avancé par Emmanuel Macron, qui estimait qu’un programme politique relevait de l’accessoire, et que le vote pour un candidat devait avant tout être mû par une certaine mystique, bref une adhésion à la personne ; le projet devant vraisemblablement se construire selon les circonstances à venir, lui permettant dès lors d’offrir un large consensus où le plus grand nombre peut se retrouver malgré les antagonismes passés. Cela pose le problème du transformisme, parce qu’il ôte le choix aux électeurs ; quand bien même ces derniers s’affranchiraient dans les urnes d’un stratagème qu’ils estimeraient dirigé contre eux, ils ne pourraient pas empêcher une composition politique dans l’hémicycle qui ignorerait les suffrages, à défaut d’avoir pu les orienter. C’est alors le fameux retour de « Mademoiselle Q », et pour citer une nouvelle fois La Nostalgie de l’Impuissance de Maurice Duverger, « si les citoyens n’entendent pas promptement des propos plus sérieux et plus responsables, le risque ne sera plus de rétrograder dans l’ordre des Républiques, mais de perdre la République elle-même. »

mercredi, 14 novembre 2018

Baisse de QI en Occident : et si notre « fake culture » était en cause ?

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Baisse de QI en Occident : et si notre « fake culture » était en cause ?

Ex: http://www.entelekheia.fr

Note : dans cette traduction, le mot « Américain » a été changé en « Occidental » parce que la problématique abordée par l’auteur se pose en termes à peu près identiques ici, en France, ce qui démontre bien que nous sommes dans l’orbite culturelle des USA. Y laissons-nous des plumes ?


Par David Masciotra
Paru sur The American Conservative sous le titre Fake Culture is Hastening Our Idiocracy


Carl Wilson, critique musical pour Slate, s’est assis à son bureau, a placé ses doigts sur son clavier et a réellement tapé les phrases suivantes dans une critique du premier album de Cardi B, une ancienne strip-teaseuse actuellement « Star d’Instagram ».

Le meilleur exemple, toutefois, est la façon dont elle cite et sample le membre de Three 6 Mafia Project Pat dans « Bickenhead », un jeu de mots sur son classique du Rap sudiste « Chickenhead » de 2001. Cette chanson était pleine de mépris pour les « putes » sans cervelle (à part un bref moment de réponse de la rappeuse La Chat), et tirait son titre et son refrain d’une ancienne insulte envers les femmes qui pratiquent la fellation. Cardi la retourne à l’avantage des femmes qui utilisent la sexualité pour manipuler des hommes d’esprit faible – « la chatte est bonne, le nègre investit » – et pas seulement pour y gagner financièrement : « Faites-lui un enfant dans le dos, » rappe-t-elle, et dans la vie, c’est exactement ce qu’elle a fait.

Ce douloureux exercice d’humiliation est un sommet, non dans la démission de Wilson, mais dans la présentation de son idée selon laquelle Cardi B a un « impact féministe sur le hip hop ». Un triomphe rare ; le disque démontre, dans le manque de distance des mots de Wilson, qui mêle les cris d’extase de la fan de douze ans à la prétention du diplômé d’université, « ce qui se passe quand l’esprit d’une femme l’élève du bas de la barre d’une strip-teaseuse jusqu’aux hauteurs d’un autel ».

Pour ceux qui ne connaissent pas la beauté artistique et la virtuosité de Cardi B, ce qui suit est un échantillon de paroles de ce que Wilson appelle « son titre le plus touchant », « Be Careful » (« Fais attention »).

Tu disais que tu bossais, mais tu chassais le cul
et les putes, cool à côté de la piscine, tu vivais deux vies,
J’aurais pu faire ce que tu m’as fait plusieurs fois
Mais si je décide de déraper, trouver un nègre
le baiser, sucer sa bite, tu serais emmerdé
mais c’est pas mon MO*, je suis pas ce type de pute
Et le karma pour toi va êt’ avec qui tu vas finir
Me rends pas malade, nègre.

Dans l’incarnation précédente de Wilson, non pas comme star d’Instagram, mais comme auteur intelligent, il tentait d’analyser le mystère du goût artistique. Son livre, le brillant Let’s Talk About Love, explore son mépris envers Céline Dion pour enquêter sur ce qui, au delà des préférences esthétiques, influence les loyautés et les aversions artistiques que se forgent les gens. Le goût, argumente Wilson comme beaucoup de théoriciens de la culture avant lui, est partiellement une fonction du capital social. Mépriser Dion signifie s’élever au-dessus de la masse de ses fans – pour la plupart des banlieusardes d’âge moyen qui achètent leurs CD dans les supermarchés. « Il est difficile d’imaginer un public qui conférerait encore moins de glamour à un musicien, » écrit Wilson.

L’ironie de la transformation de Wilson est qu’elle confirme précisément la critique qui fait le cœur de son livre. La critique musicale – pour Wilson comme pour de nombreux autres – n’est pas une expression honnête de l’analyse et de l’interprétation, mais le moyen par lequel des critiques d’art peuvent s’identifier avec la tendance la plus « cool » et politiquement correcte.

Les lamentables manœuvres pour se garantir une chaise dans la cafétéria à la mode, à côté des hommes et des femmes qui comptent dans le campus, et le remplacement de tous les critères esthétiques par une liste de bons points communautaristes ont vidé les arts populaires de leur signification et vandalisé la crédibilité de prix autrefois prestigieux.

Le comité du Prix Pulitzer a récemment attribué sa récompense pour la meilleure composition musicale à Kendrick Lamar avec ces mots sur son disque DAMN, « une collection virtuose de chansons unifiées par une authenticité vernaculaire et un dynamisme rythmique qui dessinent des portraits de la complexité de la vie moderne afro-américaine ».

« Humble », la chanson la plus populaire et applaudie de DAMN fait la contribution suivante à la chanson américaine :


Si je quitte tes mauvaises manières (jeu de mot avec BM, « bad manners »), je saute quand même Mercedes, funk
Si je quitte cette saison, je suis quand même le plus grand, funk
Ma gauche est devenue virale
Mon droite a envoyé ma meuf en spirale
Soprano do, nous aimons rester sur une note élevée
Cela nivelle, tu le sais et moi aussi, salope, sois humble

Assise !
(Stop, petite salope, stop petite salope) sois humble
(Stop, salope), assise !
(Assied-toi, stop, petite salope )
Sois humble (salope)

En fait, c’est le 37ème emploi du mot « salope » qui donne tout son punch à « Humble ».

Dans son roman épique qui chronique les combats de l’empereur apostat de la Rome antique, Julian (Julien), Gore Vidal écrit « L’Histoire est une somme de commérages sur un événement dont la vérité est perdue à l’instant même où il a lieu ».

La pop culture contemporaine dégrade à la fois le travail de l’historien et celui de la commère en les mêlant, et en injectant ce qui en reste dans son divertissement. Le nouveau disque de Kanye West, Ye, a joui d’une couverture médiatique typiquement réservée à des événements de moindre importance, comme la Révolution bolchevique ou la fin de la Guerre du Vietnam. Dans une chanson, West se souvient de la réaction de sa tendre moitié, Kim Kardashian, quand elle avait appris son incursion dans le révisionnisme historique où il avait déclaré que « l’esclavage était un choix » : « La femme appelle en hurlant que nous allons tout perdre / J’ai dû la calmer parce qu’elle pouvait plus respirer / Je lui ai dit qu’elle pouvait me quitter mais elle ne veut pas partir / C’est ça qu’ils voulaient dire avec pour le meilleur et pour le pire ha. »

La popularité de Kanye West comme celle de Cardi B, dont le déjà mentionné « Be Careful » est la réponse à la sex tape de son boy-friend avec une autre femme, menacent de réduire l’écriture moderne de paroles de chanson à des statuts Facebook rythmiquement chargés et rien de plus. Musicalement, la plupart de ces chansons sont des produits dérivés trop dépendants de programmes d’ordinateurs et d’échantillonnages de hits de véritables musiciens. « Be Careful », par exemple, inclut tellement d’emprunts à des standards de la pop et de la soul qu’elle ne compte pas moins de 16 signatures créditées pour sa composition.

La légende du jazz et directeur artistique du Lincoln Center Wynton Marsalis a récemment décrit le rap comme « un pipeline d’obscénités » et a exprimé sa perplexité consternée face à l’accueil artistique qui lui est réservé, « C’est presque comme si tous les adultes étaient partis ».

Mais le hip hop n’est pas le seul élément de la culture moderne à bénéficier d’une absence de perspective adulte. Le cinéma, ou du moins la perception populaire du cinéma, a également pris un virage malencontreux vers le juvénile.

Les films de super-héros et autres bédés pour ados sont devenus le genre dominant en Occident. Plutôt que de déplorer le manque de films pour adultes comme ils le faisaient auparavant, les critiques considèrent aujourd’hui les empires cinématographiques Marvel et DC comme légitimes, et même excellents, pour autant que les justiciers à capes se tiennent bien accrochés à des problématiques communautaristes politiquement correctes.

Le Guardian a célébré Wonder Woman comme « un chef-d’œuvre de féminisme subversif », mais Slate a contre-attaqué avec un essai sur la façon dont « le féminisme de Black Panther est plus progressiste que celui de Wonder Woman ».

Un des points communs de la plupart des critiques de spectacles à gros budget, à part leur ignorance de grands auteurs féministes comme Virginia Woolf et Erica Jong, est qu’ils ne s’intéressent que très peu aux qualités esthétiques et artistiques des films.

Vox a passé plusieurs articles sur le dernier épisode de la saga Star Wars (Solo: A Star Wars Story), dont la plupart se concentrent sur « l’identité pansexuelle » de l’un des personnages, et sur le robot « éveillé » qui joue une sorte de rôle oraculaire dans l’histoire.

En tant que personne qui n’a vu aucun de ces films, je ne suis pas qualifié pour émettre un jugement sur leur valeur de divertissement ou leur excellence artistique. Je sais, toutefois, que l’évaluation des mérites d’une œuvre d’art à l’aune d’une idéologie devrait être le fait exclusif de fondamentalistes religieux.

L’Occident subit une véritable démolition culturelle, comme le démontrent l’élévation de polémiques de caniveau (dans les cas de Kanye West, Cardi B et autres) au rang d’art digne de faire l’objet de critiques expertes, et le traitement de l’art comme simple extension d’échanges sur des réseaux sociaux.

Le terme « fake news » est désormais omniprésent dans les débats politiques. Bien qu’il se soit déjà transformé de quelque chose de spécifique – la dissémination délibérée de fausses informations destinées à tromper les électeurs – en insulte générale à l’adresse de tout reportage désapprouvé par tel ou tel personnage, il continuera à influencer le débat national sur le journalisme et la politique.

Mais au cours de ces dernières décennies, un nouveau développement inquiétant s’est produit. Des membres éminents des médias de masse, des critiques réputés et des campagnes publicitaires déguisées ont fusionné pour amplifier et magnifier des productions médiocres de pop culture et des amuseurs dont le travail est dénué d’intérêt, mais joue un rôle dans le renforcement de l’orthodoxie politico-culturelle dominante (et permet de préserver la richesse des dirigeants de ces entreprises).

Les « fake news » dans leur nouvelle acception présentent un problème alarmant, mais c’est le cas aussi de la prolifération d’une nouvelle monstruosité de la vie occidentale : la fake culture.

 

Traduction et notes Entelekheia
Photo Pixabay : Art de rue, fresque.

* Modus operandi, mode opératoire

samedi, 10 novembre 2018

Jan Marejko, le verbe et la liberté

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Jan Marejko, le verbe et la liberté

On assimile généralement notre modernité en crise au rationalisme. L’irrationalisme et autres nouveaux panthéismes apparaissent alors comme des attitudes antimodernes par excellence. Jan Marejko, dans La Cité des morts (1994), montre au contraire que ces deux attitudes, incapables de s’enraciner dans un Autre, sont solidaires d’une même réduction de l’esprit à la nature et à une vie morte, incapable d’une parole qui annonce et qui s’énonce dans son rapport au monde. 

C’est une pensée forte et complète que nous donne à lire le philosophe genevois Jan Marejko (1946-2016), dans son maître ouvrage La Cité des morts. Avènement du technocosme.  Le titre et le projet sont audacieux : le risque du recyclage est élevé tant l’auteur est précédé par de nombreuses et grandes critiques du « monde moderne ». L’opposition de la tradition et de la modernité est toujours menacée de devenir le lieu commun d’une pensée dissidente : mais que serait donc la tradition sans sa respiration fondamentale, celle, spirituelle, qui exige, à l’épreuve des jours nouveaux, le « renouvellement de l’intelligence », selon le mot de saint Paul (Rom. XII, 2) ? 

81AYY0JcR1L.jpgC’est sur cette exigence toujours actuelle du discernement que Jan Marejko exprime ses inquiétudes. A la dyade quelque peu habituelle entre tradition et modernité, le philosophe suisse choisit d’opposer, méthodologiquement, la triade de trois « accents », trois tendances, trois modes de rationalité irréductibles au cours historique : mythocosme / logocosme / technocosme. En effet, la dyade a ceci de dangereux qu’elle peut conduire à une certaine clôture de la pensée sur la distance haineuse de l’exclusion ou de la proximité complice de l’inclusion. La triade, quant à elle, crée un lien vivant entre trois termes dont la tension dialectique déjoue les fixations d’une pensée habituée, sans renoncer à dire le monde. 

De la superstition de la vie ordinaire …

Jan Marejko ne prétend pas substituer son rythme de pensée ternaire au conflit binaire entre tradition et modernité. Lui-même, en effet, ne s’interdit nullement d’envisager le caractère inédit du monde moderne, construit sur la négation de l’esprit traditionnel. La négation de la modernité consiste en effet en le rejet d’une fidélité attachée à une double origine : chronologique (respect du passé et des Anciens) et ontologique (culte du Créateur et vie transcendante). 

Seulement, l’exigence d’authenticité interdit l’antimoderne Jan Marejko de se limiter à un simple portrait du visage mort du monde moderne. Il faut d’abord savoir quel regard opposer au crépuscule, quelle autre sorte de joue tendre au soufflet orgueilleux de l’homme Prométhéen. C’est pourquoi la peinture de la Cité des morts, celle de la modernité constituée comme monde, n’intervient vraiment que dans le dernier mouvement de l’essai de Jan Marejko. Le jugement de la tradition précède la condamnation de la modernité. Ce jugement, ici, consiste à opposer deux façons en apparence traditionnelles de se rapporter au monde : l’une, mythique, ou mythocosmique (car elle n’est jamais le fait d’individus isolés), l’autre, logale, ou logocosmique. 

La première est mythologique parce que non métaphysique : elle est incapable de discerner un réel au-delà de la nature (phusis), c’est-à-dire de « voir », par l’œil de l’âme, l’invisible en son lieu transcendant. Elle n’opère pas la dépossession du regard propre à la vie du verbe et regarde toujours l’invisible (qu’elle perçoit néanmoins) à travers le prisme du visible : « le sacré, dans un mythocosme, est moyen du profane et non sa fin ». En effet, « au lieu de permettre aux âmes de s’élever au-dessus de l’obsession de la survie, un tel pouvoir [mythocosmique] les enfonce dans cette obsession tout en les plongeant dans la servitude ». Dans un mythocosme, les hommes ne savent pas voir le visible pour ce qu’il est car ils y discernent sans cesse un ensemble de volontés bienveillantes ou malveillantes : aucune distance véritable ne se crée entre l’ici-bas et l’au-delà. Il s’ensuit que la conscience du plus grand que soi est comme asservie par la superstition de la vie ordinaire : « l’au-delà auquel sont renvoyés les hommes du mythocosme est l’espace imaginaire dans lequel ils projettent leurs terreurs, leurs espoirs, leurs appétits naturels (sexe et nourriture essentiellement). L’espace invisible du mythe n’est pas réellement transcendant parce qu’il n’est qu’une amplification fantasmatique de ce qui existe déjà dans la nature ». Ainsi en est-il par exemple de la vie éternelle, conçue alors comme perpétuelle par l’entendement mythocosmique, c’est-à-dire comme une certaine prolongation de l’état de vie naturel.

41LDrjlNkDL._SX329_BO1,204,203,200_.jpgOr loin de s’opposer au mythocosme, le technocosme, c’est-à-dire le monde régi par l’arraisonnement et la technique, qui valorise exclusivement l’industrie et les préoccupations matérielles et financières, se pose en fait comme son ennemi gémellaire. Comme dans un mythocosme, le pouvoir technocosmique « médiatise des puissances dont on attend qu’elles favorisent la vie, la prolongent ou l’amplifient » : ces puissances, divines qu’elles étaient, sont économiques ou politiques. Elles tirent leur respect de leur règne anonyme, invisible, incontestable. En elles, les Hommes placent leur salut comme ils placent leur argent : ils investissent en elles pour conquérir le repos d’une vie de possédants. En elles, ils ont « réussi leur vie », pensent-ils. Il faut dire que le bonheur dans les deux cas est attaché à la jouissance des biens matériels : que le contrôle de l’environnement soit magique et cérémoniel, ou bien statistique et industriel, la nature reste l’horizon de l’activité humaine immergée dans ses petites préoccupations affairées ou moralistes, engoncée dans la roue des désirs et des souffrances. Que la distance soit minime (mythocosme) ou inexistante (technocosme), l’homme, dans les deux cas, ne s’oriente pas dans la vie logale qui est pourtant sa vocation d’animal sémantique. Ne s’arrachant pas positivement à la nature, immergé en elle, il est incapable de la regarder, de la comprendre, de l’aimer dans sa précarité. 

… à la religion de la Vie 

La tradition animée par la vie du Verbe ne réduit plus le bonheur à l’horizon intéressé de la satisfaction des jouissances matérielles et narcissiques. Chez un Aristote, en effet, elle situe le bonheur dans la vie contemplative, théorétique. Pour pouvoir dire les choses, l’homme doit avoir atteint une certaine distance vis-à-vis d’elles, distance qui reconstitue les phases successives ou les aspects partiels d’un objet dans sa totalité signifiante, le rendant alors manifeste dans ce qu’il est réellement, le plus intimement. L’âme humaine, dit saint Thomas, est suspendue entre le temps et l’éternité : de cette façon, la distance vis-à-vis des choses s’enracine, dans le mouvement logal, dans une distance vis-à-vis de Dieu, dont le lieu se situe dans un Autre, jamais réductible à quelque idole que ce soit. Aussi dans la tradition juive se reconstitue l’altérité divine : les règles de la Torah, note Jan Marejko, n’ont « pas pour objet de protéger ou d’exalter la vie terrestre, mais d’orienter cette vie d’une manière telle qu’elle puisse participer à une autre vie, recevoir une lumière nouvelle et, surtout, accueillir une parole libératrice parce qu’au-dessus de tout pouvoir terrestre ».

Loin de Dieu et loin du monde, l’âme lancée dans un mouvement logal trouve sa vérité dans l’exil. Libérée du souci du monde, libérée de la peur et de l’intéressement, sa souveraineté s’établit pour qu’elle puisse prendre la parole. Alors naît la parole des prophètes Juifs comme celle, tout aussi prophétique, d’un Socrate, duquel on apprend, dans l’Apologie de Socrate de Platon, qu’il est « nommé par le dieu pour défendre la vie du verbe dans Athènes, montrer qu’il en est venu à “négliger toutes ses affaires” – qu’il y a dans cette négligence pour sa vie matérielle quelque chose de plus qu’humain ». S’appuyant sur l’historiographie d’Alexandre Koyré, Jan Marejko remarque en effet que « le dépassement du souci de la survie ou de l’utile est la condition d’une science théorétique [ou] logale ». Cette science est une connaissance pure, centrée sur la recherche de la vérité et dépouillée de l’avidité. Elle vise l’accomplissement du sujet et non son opposition exclusive ou duale vis-à-vis des objets qu’il observe. « Mais, ajoute le philosophe genevois, pour regarder l’ici-bas d’une manière désintéressée, comme une science logale l’exige, il faut avoir trouvé un point d’ancrage ailleurs que dans la nature. Sinon, on ne peut s’empêcher d’y chercher les signes d’un salut possible sans jamais voir quiconque ni quoi que ce soit ». Dans un logocosme, l’Homme comprend donc que l’amélioration de sa condition et l’objet de son bonheur ne résident pas dans le réarrangement obsessionnel et superficiel de son environnement mais avant tout dans le réarrangement intérieur de son rapport à soi et au monde : destruction de l’égoïsme, repentance, questionnement, compréhension, dialogue, par l’enracinement ontologique du sujet dans un lieu Autre, étranger aux passions passagères et aux violentes illusions de la vie mondaine. 

51hVLwLuDzL._SX352_BO1,204,203,200_.jpgPrendre la parole

Jan Marejko, au travers des très nombreux sujets qu’il aborde dans son essai, pose donc en creux l’enjeu fondamental de la parole. Il écrit dans un monde où tout le monde parle, mais où rien ne se dit. La massification à tous les niveaux de la vie humaine dans notre modernité (démographie, informations, produits) étouffe dans son flux toute possibilité de prise sur le monde. Un pouvoir inédit s’est ajouté aux pouvoirs traditionnels : le pouvoir médiatique, qui confisque toute possibilité de réponse. Celui, en effet, qui a le monopole de la parole a le monopole du pouvoir ; or le discours médiatique s’impose en tout lieu sans que les millions des téléspectateurs puissent avoir quelque chose à redire. La démocratie moderne se fonde peut-être sur l’isonomie (l’égalité devant la loi), mais dans son droit imaginaire à la liberté d’expression, elle a été incapable d’assumer le premier élément fondamental de la démocratie grecque : l’isegoria, l’équité dans la prise de parole. « Dans les sociétés modernes [démocratiques], l’impossibilité de répondre ne tient pas à la terreur exercée par celui qui détient le pouvoir [tyrannique], mais à la structure même de la communication ».

Le principe d’inertie cher à la science moderne, qui a renversé la conception traditionnelle du mouvement conçu comme désir d’atteindre une fin, est intégré dans l’imaginaire collectif : l’espace démocratique n’est plus un lieu de relations entre des citoyens libres, mais un ensemble de champs de forces (mass media, partis politiques, syndicats…) qui interagissent entre eux sans espace politique réellement partagé. À si grande échelle et au sein d’une masse si grande d’acteurs sociaux, cette absence d’isegoria s’accompagne « d’une prolifération d’échanges aniségoriques ». Il en va, partout, de sa propre indignation, de ses propres intérêts, de ses propres jeux de langage : que les novlangues soient commerciale, inclusive ou autre, le rapport de l’homme moderne au monde est alogal du fait même qu’il a renoncé à l’accord des mots avec les choses.  La parole n’ose plus se référer à un Autre du discours, désigner des objets extérieurs à son énonciation, mais se limite soit à un exclusivisme, soit à un relativisme des points de vue selon lequel, la réalité ne pouvant jamais être saisie, on ne peut rendre compte que de la manière dont on parle de notre propre réalité. Mais quelle rencontre est possible dans cette conception sourde du langage ? Qu’est-ce qui rendrait possible ici un lieu dans lequel pourraient dialoguer différents points de vue s’accordant sur un même objet ? Dans cet éclatement, « une parole qui s’est close sur sa propre opérativité (sciences) ou sa propre répétition (médias) rend absurde la notion de réponse ». 

Voici donc venu, contre la vie du verbe qui prend le risque de nommer en assumant sa précarité, le règne du bavardage : « dans le champ d’un discours alogal il n’y a plus ni monde ni sujets : tout y est un état de flux permanent où il est impossible de repérer des substances capables d’être saisies dans une définition ». Il s’ensuit qu’« aussitôt qu’une parole se donne comme une combinatoire auto-suffisante (refus de la référentialité) elle ne peut ni provenir d’une subjectivité [dont la réalité est noyée dans un ensemble de constructions et de ramifications impersonnelles], ni nommer des objets [dissous dans les seules relations] ». Dans la cité des morts, c’est clair : « le verbe dérange ». Face au nihilisme ambiant, Jan Marejko oppose finalement une certaine conception, profonde, de l’annonce évangélique : non pas la défense d’une chapelle, mais la recherche, chez les volontés non encore brisées ou ramollies, d’une (re)conversion à la vie du verbe, c’est-à-dire la capacité de pouvoir répondre à une altérité. Et cela, Robinson sur son île et Narcisse devant son miroir, cohabitant dans une cité de morts, ne le vivront jamais. 

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vendredi, 09 novembre 2018

Philippe Granarolo présente son dernier livre « En chemin avec Nietzsche »

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Philippe Granarolo présente

son dernier livre

« En chemin avec Nietzsche »

Ajoutée le 28 oct. 2018
Dans ce nouveau livre paru chez l'Harmattan,
Philippe Granarolo rassemble ses principaux
articles dans son exploration de l’œuvre de
Friedrich Nietzsche, auquel il a consacré toute
son existence : du plus ancien, Le rêve dans
la pensée de Nietzsche (1978) au plus récent,
Le Surhomme : mythe nazi ou image
libertaire ? (2016). Ces articles constituent les
étapes d'une lecture originale et cohérente.
Regroupés en cinq chapitres, « L'Imaginaire »,
« Le Corps », « Le Temps », « Le Futur » et
« Le Retour Éternel », ces articles constituent
une introduction à l'étude de l’œuvre
nietzschéenne.
 

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Broché - format : 15,5 x 24 cm - 26 euros
ISBN : 978-2-343-15570-8 • 5 octobre 2018 •
254 pages EAN13 : 9782343155708
+ d'infos
 
 
 

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mercredi, 07 novembre 2018

Questionnaire de la Nietzsche Académie Réponses de Robert Steuckers

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Questionnaire de la Nietzsche Académie 

Réponses de Robert Steuckers

- Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Nietzsche annonçait la transvaluation des valeurs, c’est-à-dire l’abandon et le dépassement de valeurs qui s’étaient pétrifiées au fil des siècles, jusqu’à devenir les charges que portait le chameau dans la fable de Zarathoustra. Il a fallu deux siècles et demi environ aux Européens pour se dégager des vieilles tables de valeurs : et ce processus de dégagement n’est nullement achevé car les résidus de ces fausses valeurs, qui résistent à la transvaluation, reviennent sans cesse à la charge, parfois avec une rage destructrice autant qu’inféconde, comme l’attestent le festivisme et le « politiquement correct ». Il y a encore bien du travail à faire ! Les pétrificateurs, avant les coups de marteau de Nietzsche, faisaient toutefois face aux résidus des valeurs antiques, celles des périodes axiales de l’histoire, qui offraient, face à leurs manigances, de la résilience tenace, malgré que les pétrificateurs étaient au pouvoir, alliés aux démissionnaires d’hier qui abandonnaient graduellement leurs exigences éthiques, leurs exigences de style, comme le montre parfaitement la déchéance des catholiques (et des protestants) en démocrates-chrétiens et des démocrates chrétiens en prétendus « humanistes » . A l’époque de Baudelaire et de Nietzsche, s’installe un système dominé par l’économie et la finance qui houspille les valeurs créatrices hors du champ d’action, hors de la vie de la plupart des hommes, réduisant ceux-ci à de la matière « humaine, trop humaine ». Ce système est toujours en place et se vend à nos pauvres contemporains, qui sont hélas « humains, trop humains », sous différents masques : Nietzsche nous apprend à les arracher, à dénoncer le plan pétrificateur qui se dissimule derrière les beaux discours eudémonistes ou les promesses politico-messianiques. Nietzsche est donc un Maître qui nous apprend de multiples stratégies pour nous extraire des pétrifications du système.

 - Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

Cela signifie d’abord, et avant tout, combattre les falsifications mises en place pour faire triompher les projets des êtres vils, ceux qui pétrifient, comme je viens de le dire, mais qui, de cette pétrification, tirent leur pouvoir, le consolident et le perpétuent au détriment de la beauté et de la légèreté, de l’harmonie apollinienne et de l’ivresse dionysiaque. Tout est lourdeur, pesanteur, répétition chez les tenants des fausses valeurs en place, toutes pétrifiées, monstrueusement froides : Baudrillard parlait d’un système obèse ; l’architecture prisée par le système en place est d’une laideur sans nom, la répétition des poncifs du « politiquement correct » est d’une lourdeur à frémir. L’humain trop humain s’étiole en une dépression infinie, contraint qu’il est de ne surtout rien créer, même de petites choses originales car tout, désormais, doit être sérialisé. Etre nietzschéen, c’est vouloir, envers et contre tout ce que l’on nous propose, la véritable légèreté d’âme, le gai savoir, la beauté permanente de nos environnements, la magnifique variété du monde, obtenue par les perspectives aquilines, celles, justement, du Nietzschéen qui, tel l’aigle, vole haut au-dessus des contingences abrutissantes du système et voit les choses sur tous leurs angles.

- Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

Je recommande tout particulièrement La généalogie de la morale et L’Antéchrist, car ces deux livres sont justement ceux qui nous enseignent à arracher les masques des pétrificateurs.

- Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

Parce qu’il voulait bousculer les tables des valeurs au 19ème siècle, le nietzschéisme a d’abord été la marque des révolutionnaires de gauche, des anarchistes de tous poils, des artistes (parfois un peu déjantés) et des féministes. Dès la première décennie du 20ème siècle, la gauche allemande s’est pétrifiée à son tour, comme le déplorait et le fustigeait un social-démocrate combattif et contestataire (au sein de son propre vivier politique), tel Roberto Michels (qui parlait de la formation d’oligarchies fermées sur elle-mêmes au départ des bureaucraties des partis, tenues par les « bonzes »). La décennie qui a précédé la Grande Guerre a été, pour les socialistes allemands, l’époque d’une dé-nietzschéanisation progressive, les bonzes ne supportant pas l’audace nietzschéenne, surtout celle qui consiste à arracher les masques des hypocrites, à s’affirmer face aux conventions désuètes. C’est alors que l’on verra le nietzschéisme basculer vers la droite. En Autriche, comme je l’ai démontré dans le premier volume que j’ai consacré aux figures de la révolution conservatrice allemande, les socialistes consolident leurs positions sur l’échiquier politique de l’Empire des Habsbourgs jusqu’en 1914 parce qu’ils s’inspiraient de Wagner, de Schopenhauer et de Nietzsche. On peut également arguer qu’un socialiste italien prénommé Benito était, avant 1914, un activiste politique dont les inspirations philosophiques venaient de Hegel et de Marx, assurément, mais aussi de Bergson et de Nietzsche. Il quittera le parti socialiste italien, en voie de figement idéologique. Plus tard, le futur communiste Gramsci en fera autant, en dénonçant le « Barnum socialiste ». On peut arracher le masque des hypocrites au nom d’une révolution de gauche comme d’une révolution ou d’une restauration de droite.

 - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

L’impact de la pensée de Nietzsche est immense et s’est diffusée à tous les niveaux des arts et des lettres en Europe. Pour des raisons purement didactiques, je me réfère généralement aux catégories forgées par le Professeur René-Marill Albérès, pour qui plusieurs filons dans les lettres européennes portent la marque de Nietzsche : 1)  le filon anti-intellectualiste, qui, sous des formes très diverses, reprend l’hostilité nietzschéenne au socratisme et à tout intellectualisme desséchant, une hostilité que l’on a appelée parfois sa « misologie » (son rejet des logiques et des raisons figeantes) ; 2) le filon dit du « déchirement et de l’action », propre aux années 1930 et 1940, qui englobe la soif d’aventure où l’existence audacieuse prend plus de valeur que l’essence, perçue, souvent à tort, comme figée et immuable. Nietzsche a brisé des certitudes pétrifiées : les hommes sont partis à la recherche d’autre chose, en tâtonnant, en se sacrifiant, en commettant parfois l’irréparable : ils ont été a-socratiques, non ratiocinants, pleins de panache ou tragiquement broyés. Je ne pense pas qu’il existe des auteurs entièrement nietzschéen, seulement des auteurs marqués par un aspect ou un autre du « continent philosophique » qu’est Nietzsche. Seul Nietzsche est pleinement nietzschéen : chacun, disait-il, est sa propre idiosyncrasie. Il ne fait sûrement pas exception à la règle ! Revenons à la notion de « continent nietzschéen » : l’expression est de Bernard Edelman, auteur aux PUF de « Nietzsche – Un continent perdu » (1999). L’œuvre nietzschéenne a effectivement des dimensions continentales, où l’on peut puiser à l’envi, sans jamais en venir à bout, sans jamais enfermer ce foisonnement dans un « enclôturement » trop étriqué.

- Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?

Les socratismes (christianisés ou non), les mauvaises consciences sur lesquelles tablent les idéologies manipulatrices ne retiennent que l’humain, trop humain, ou l’homme domestiqué (le « type ») par tous les vecteurs de morbidité qui ont agi dans l’histoire occidentale. Le surhomme est donc celui qui s’efforce d’aller au-delà de cette morbidité générale, par l’effet de sa volonté de puissance, et éventuellement y parvient, inaugurant de la sorte le règne des « grands hommes », mutants qui abandonnent les morbidités, devenues le propre de l’espèce humaine « typifiée ».

- Votre citation favorite de Nietzsche ?

Ce n’est pas une citation mais un poème, intitulé Ecce homo :

Ja ! Ich weiss, woher ich stamme !

Ungesättigt gleich der Flamme

Glühe und verzehr ich mich.

Licht wird alles, was ich fasse,

Kohle alles, was ich lasse:

Flamme bin ich sicherlich.

 

(Oui ! Je sais d’où je suis issu !

Insatiable comme la flamme

Je brûle et me consume.

Lumière devient ce que je saisis

Cendre ce que j’abandonne :

Oui, je suis flamme).

vendredi, 19 octobre 2018

Allan Bloom et la déconstruction de la civilisation occidentale

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Allan Bloom et la déconstruction de la civilisation occidentale

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org 

En 1986 Allan Bloom publiait un livre retentissant, The closing of American Mind dont le titre fut absurdement traduit en français. Cet auguste platonicien plagié peu après par Alain Finkielkraut dressait l’état des lieux de la barbarie universitaire américaine qui depuis lors a gagné la France et l’Europe, et ne s’arrêtera que lorsqu’elle aura tout dévoré. Minorités sexuelles et raciales en bisbille, relativisme moral, délire de société ouverte, interdiction d’interdire, chasse aux préjugés, abrutissement sonore et consumériste, règlementation orwellienne du droit et du langage, tout était fin prêt. Le professeur Bloom écrivait pour une minorité éclairée, reliquat de temps plus cultivés, chassée depuis par le business et les archontes du politiquement correct.

bloomL1.jpgL’ouvrage est essentiel car depuis le délire a débordé des campus et gagné la société occidentale toute entière. En même temps qu’elle déboulonne les statues, remet en cause le sexe de Dieu et diabolise notre héritage littéraire et culturel, cette société intégriste-sociétale donc menace le monde libre russe, chinois ou musulman (je ne pense pas à Riyad…) qui contrevient à son alacrité intellectuelle. Produit d’un nihilisme néo-nietzschéen, de l’égalitarisme démocratique et aussi de l’ennui des routines intellos (Bloom explique qu’on voulait « débloquer des préjugés, « trouver du nouveau »), la pensée politiquement correcte va tout dévaster comme un feu de forêt de Stockholm à Barcelone et de Londres à Berlin. On va dissoudre les nations et la famille (ou ce qu’il en reste), réduire le monde en cendres au nom du politiquement correct avant d’accueillir dans les larmes un bon milliard de réfugiés. Bloom pointe notre lâcheté dans tout ce processus, celle des responsables et l’indifférence de la masse comme toujours.

Je ne peux que renvoyer mes lecteurs à ce maître-ouvrage qui satisfera autant les antisystèmes de droite que de gauche. J’en délivre juste quelques extraits que je reprends de l’anglais :

• Sur l’éducation civique et les pères fondateurs, dont on déboulonne depuis les statues :

« L'éducation civique s'est détournée de la fondation du pays pour se concentrer sur une ouverture fondée sur l'histoire et les sciences sociales. Il y avait même une tendance générale à démystifier la Fondation, à prouver que les débuts étaient défectueux afin de permettre une plus grande ouverture à la nouveauté. »

Les pères fondateurs ? Racistes, fascistes, machistes, esclavagistes ! Lisez mon texte sur Butler Shaffer à ce sujet : Hitler est plus populaire que Jefferson.

• Sur la chasse à la discrimination et la tabula rasa intellectuelle qui en découle :

« L'indiscriminabilité est donc un impératif moral parce que son contraire est la discrimination. Cette folie signifie que les hommes ne sont pas autorisés à rechercher le bien humain naturel et à l'admirer lorsqu'ils l’ont trouvé, car une telle découverte est contemporaine de la découverte du mal et du mépris à son égard. L'instinct et l'intellect doivent être supprimés par l'éducation. L'âme naturelle doit être remplacée par une âme artificielle. »

• Sur l’ouverture, l’openness, la société ouverte façon Soros,  Allan Bloom écrit :

« L'ouverture visait à offrir une place respectable à ces «groupes» ou «minorités» - pour arracher le respect à ceux qui n'étaient pas disposés à le faire - et à affaiblir le sentiment de supériorité de la majorité dominante (plus récemment appelée WASP, un nom dont le succès montre quelque chose du succès de la sociologie dans la réinterprétation de la conscience nationale). Cette majorité dominante a donné au pays une culture dominante avec ses traditions, sa littérature, ses goûts, sa prétention particulière de connaître et de superviser la langue, et ses religions protestantes. Une grande partie de la machinerie intellectuelle de la pensée politique et des sciences sociales américaines du vingtième siècle a été construite dans le but d'attaquer cette majorité. »

De tout cela il ne reste plus rien maintenant. La société ouverte rejoint la société du vide de Lipovetsky, elle est plus exactement du néant où l’on a tout interdit puisqu’il sera interdit… d’interdire.

Sur le nouveau complexe d’infériorité occidental et l’obsession tiers-mondiste :

bloomL2.jpeg« Les aventuriers sexuels comme Margaret Mead et d'autres qui ont trouvé l'Amérique trop étroite nous ont dit que non seulement nous devons connaître d'autres cultures et apprendre à les respecter, mais nous pourrions aussi en tirer profit. Nous pourrions suivre leur exemple et nous détendre, nous libérer de l'idée que nos tabous ne sont rien d'autre que des contraintes sociales. »

En tant que Français je reconnais d’ailleurs qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Relisez Diderot et son voyage de Bougainville… La France dite révolutionnaire n’avait pas attendu les nietzschéens et les pions postmodernes pour ravager son héritage de tyrans, prêtres et autres félons…

Le tout ne débouche pas forcément sur une destruction physique du monde (encore que…), mais sur une nullité généralisée (voyez l’art, nos prix littéraires ou notre cinéma). Allan Bloom souligne la fin de l’humanisme estudiantin et l’avènement de l’abrutissement estudiantin. Sur le premier :

« Tout au contraire. Il y a une indifférence à ces choses, car le relativisme a éteint le véritable motif de l'éducation, la recherche d'une vie bonne. Les jeunes Américains ont de moins en moins de connaissance et d'intérêt pour les lieux étrangers. Dans le passé, il y avait beaucoup d'étudiants qui connaissaient et aimaient l'Angleterre, la France, l'Allemagne ou l'Italie, car ils rêvaient d'y vivre ou pensaient que leur vie serait rendue plus intéressante en assimilant leurs langues et leurs littératures. »

Tout cela évoque Henry James mais aussi Hemingway, Gertrude Stein, Scott Fitzgerald, à qui Woody Allen rendait un rare hommage dans son film Minuit à Paris – qui plut à tout le monde, car on remontait à une époque culturelle brillante, non fliquée, censurée. Cette soi-disant « génération perdue » des couillons de la presse n’avait rien à voir avec la nôtre – avec la mienne.

Sur l’étudiant postmoderne, avec son truisme tiers-mondiste/migrant façon Bergoglio :

« Ces étudiants ont presque disparu, remplacés tout au plus par des étudiants intéressés par les problèmes politiques des pays du tiers monde et en les aidant à se moderniser, dans le respect de leurs anciennes cultures, bien sûr. Ce n'est pas apprendre des autres mais la condescendance et une forme déguisée d'un nouvel impérialisme. C'est la mentalité du Peace Corps, qui n'est pas un stimulant à l'apprentissage mais une version sécularisée de faire de bonnes œuvres. »

On sait que c’est cette mentalité de Peace corps qui a ensanglanté la Libye, la Syrie ou le Yémen, en attendant l’Europe.

Ce qui en résulte ? Moralité, relativisme culturel et je-m’en-foutisme intégral (« foutage de gueule, dirait notre rare idole incorrecte OSS 117) :

« Pratiquement tout ce que les jeunes Américains ont aujourd'hui est une conscience inconsistante qu'il y a beaucoup de cultures, accompagnées d'une morale saccharine tirée de cette conscience : nous devrions tous nous entendre. Pourquoi se battre? »

Le bilan pour les étudiants conscients est désastreux, et qu’il est dur de se sentir étrangers en ce monde. Je rappelle que Tolkien écrira dans une lettre en 1972 :

 “I feel like a lost survivor into a new alien world after the real world has passed away.”

Allan Bloom  ajoute sur cette montée du cynisme et de l’indifférence que j’ai bien connue dans les années 80 :

« Les étudiants arrivent maintenant à l'université ignorants, cyniques au sujet de notre héritage politique, manquant des moyens d'être soit inspiré par lui ou sérieusement critique de lui. »

La chasse aux préjugés horripile Allan Bloom :

« Quand j'étais jeune professeur à Cornell, j'ai eu un débat sur l'éducation avec un professeur de psychologie. Il a dit que c'était sa fonction de se débarrasser des préjugés chez ses étudiants. Il les a abattus. J'ai commencé à me demander par quoi il remplaçait ces préjugés. »

Allan Bloom fait même l’éloge des préjugés au nez et à la barbe des présidents banquiers, des ministresses branchées, des députés européens, des lobbyistes sociétaux, des prélats décoincés :

« Les préjugés, les préjugés forts, sont des visions sur la façon dont les choses sont. Ce sont des divinations de l'ordre de l'ensemble des choses, et par conséquent le chemin de la connaissance se produit à travers des opinions erronées. L'erreur est en effet notre ennemi, mais elle seule indique la vérité et mérite donc notre traitement respectueux. L'esprit qui n'a pas de préjugés au départ est vide. »

On en reste au vide…

Bilan des libérations de tout genre :

« Les diverses libérations gaspillaient cette énergie et cette tension merveilleuses, laissant les âmes des étudiants épuisées et flasques, capables de calculer, mais pas de perspicacité passionnée. »

Car le bonhomme de neige, comme on disait quand je passais mon bac, croit être revenu de tout, qui n’est allé nulle part. Cela ne l’empêchera pas de demander sa guerre contre la Russie orthodoxe, la Chine nationaliste, ou l’Iranintégriste. Car sa régression stratégique et intellectuelle aura accompagné sa cruauté humanitaire et son involution moraliste.

bloomL3.jpgBloom enfin a compris l’usage ad nauseam qu’on fera de la référence hitlérienne : tout est décrété raciste, fasciste, nazi, sexiste dans les campus US dès 1960, secrétaires du rectorat y compris ! Mais lui reprenant Marx ajoute que ce qui passe en 1960 n’est ni plus ni moins une répétition comique du modèle tragique de 1933. Les juristes nazis comme Carl Schmitt décrétaient juive la science qui ne leur convenait pas comme aujourd’hui on la décrète blanche ou sexiste.

Citons Marx d’ailleurs car Bloom dit qu’on l’a bien oublié à notre époque de juges postmodernes :

« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

On verra si on garde le ton de la farce. Moi je doute : on est trop cons.

Sources

Allan Bloom – The closing of American mind

Nicolas Bonnal – La culture moderne comme arme de destruction massive ; Comment les Français sont morts (Amazon.fr)

Alain Finkielkraut – La défaite de la pensée

Gilles Lipovetsky – L’ère du vide

Marx – Le dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte

Nietzsche – Deuxième considération inactuelle, de  l’inconvénient des études historiques…

Platon – Livre VIII de la république (561 d-e)

Tocqueville – De la démocratie en Amérique, II, deuxième et quatrième partie

jeudi, 18 octobre 2018

Peut-on encore soigner l’âme post-Européenne ?...

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Peut-on encore soigner l’âme post-Européenne ?...

par Jure Georges Vujic

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com 

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia et consacré à la maladie de l'âme post-européenne... Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011) et  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015).

 

L’ère de l’après Europe

Il n’y a pas si longtemps, le philosophe tchèque Jan Patocka, développait dans son livre L’Europe après l’Europe la thèse selon laquelle nous vivions dans le monde de l’« après Europe », que Patocka situe dès la fin de la Première Guerre mondiale. Une Europe dévoyée spirituellement par la « globalisation marchande » et « l’ère planétaire ». S’ interrogeant sur l’héritage européen, Patocka constate avec raison que l’Europe a renié son identité originelle et sa vocation première – celle du « soin de l’âme » – en reprenant ce thème socratique, le sacrifiant à l’adoption généralisée et démesurée du seul calcul de la puissance et des reliquats de sa suprématie déchue.

Patocka – dans la lignée des intellectuels anti-totalitaristes et libéraux tels que Kundera – élabore ensuite une analyse de l’identité de l’Europe, laquelle serait « étrangère à toute notion réductrice d’appartenance et à toute illusoire spécificité ». Bien sûr, à l’heure de la domination planétaire du marché, il serait bien  opportun de s’interroger s’il demeure encore quelque chose de « l’héritage spirituel européen »  qui pourrait nous permettre de cultiver et prendre soin de son âme, et peut être même de nous ouvrir au monde autrement, tout en ne versant pas dans un eurocentrisme étriqué ou dans un universalisme irénique et béat.

Il persiste néanmoins une aporie propre à la pensée Patockienne qui semble arraisonnée à l’horizon indépassable de la démocratie libérale : comment se soucier uniquement de l’âme européenne (enfin ce qu’il en reste) en faisant abstraction de son corps collectif que constitue ses milliers de patries charnelles ? Comment ne pas prendre acte de l’état de déliquescence morale, démographique, culturelle et identitaire de ce même corps à l’heure de l’immigration massive, la perte de sens et de la dé-souverainisation généralisée ? Comment renoncer à l’aspiration vers la puissance, seule à même de préserver l’identité propre à cette âme dans son ancrage tellurique et géopolitique qui  fait d’elle une âme-continent ?

Patries charnelles et esprit européen

Faut-il rappeler que, même si l’âme constitue l’incarnation de cette « étincelle d’éternité » en tant que fondement de notre philosophie, le corps est consubstantiel  et « représente cette enveloppe charnelle de l’âme ».
Souvenons-nous de Lucrèce : « Le corps est l’enveloppe de l’âme, qui, de son côté, en est la gardienne et la protectrice » et de Leibniz sur la nature divine du corps : « Chaque corps organique d’un vivant est d’une espèce de machine divine, ou d’un automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels ».

Ce corps mystique que constituent les patries charnelles de l’Europe qui, depuis l’antiquité gréco-romaine a nos jours, ont été porteuses de cette esprit et de cette spiritualité européenne, à la fois singulière et universelle.
Et c’est la raison pour laquelle on peut tout à  fait faire preuve d’ouverture spirituelle au monde tout en conservant l’identité  des peuples qui sont à la fois les composantes ethniques et les émanations identitaires subtiles et vulnérables de cette âme européenne.

Ce corps européen est à la fois  le bouclier et la cage de résonance de cet esprit européen. Charles Péguy l’affirmait : « On n’atteint le spirituel qu’à travers une patrie charnelle; il faut s’incarner ». Souvenons nous que la France est, aux yeux de Péguy, le corps qui reçoit, soigne le mieux la vérité et la justice, entendu qu’un corps peut toujours tomber malade, tuer en lui la fraternité sensible, sombrer dans la terre et le sang du nationalisme ou se dissoudre dans l’abstraction bourgeoise des droits formels.
D’autre part, cette thèse essentialiste semble aujourd’hui conforter le déni de réalité et le paradigme victimaire occidental, dont se font les portes paroles les élites politiques libérales, tout en trouvant une légitimation dans  le discours multiculturaliste et relativiste.
Ainsi, Leszek Kolakowski affirme « qu’à la même époque où l’Europe a acquis – peut-être surtout grâce au danger turc – la conscience claire de sa propre identité culturelle, elle a mis en question la supériorité de ses propres valeurs et ouvert le processus de l’autocritique permanente qui est devenue la source de sa puissance ainsi que de ses faiblesses et de sa vulnérabilité ». Si l’on suit ce discours – corroboré par  l’ethnomasochisme et l’idéologie de repentance pleurnicharde du passé colonialiste -, soigner son âme consisterait, pour l’Europe, à persévérer dans son déni de puissance.

Maladies de l’âme et post-humanité

Et pourtant, il convient de rappeler que Patocka développe sa thèse à l’aide d’un paradigme de la philosophie antique, « les soins de l’âme » étant la préoccupation première de la philosophie grecque, en tant que « philosophia medicans ».
Au regard de cette philosophie, prendre soin de l’âme consistait à éviter que les passions prennent le dessus sur la raison, étant susceptibles de nous faire souffrir.

Plutôt que la domination de l’epithumia, le siège des désirs présent dans toutes les âmes, il fallait conserver l’hêgemonikon de la raison, seul gardien de l’équilibre et la santé spirituelle et corporelle.
Diogène Laërce use de la même comparaison : « Comme on parle des infirmités du corps, la goutte, le rhumatisme, il y a aussi dans l’âme l’amour de la gloire, le goût du plaisir et choses semblables. »
La post-Europe déspiritualisée et colonisée est devenue la demeure des corps déchus et impuissants. Ce que Patocka n’a pas vu, c’est que la post-Europe semble anticiper l’après-anthropologie classique et l’impact corporel du darwinisme social postmoderne, lequel apparait sous les traits de l’ultralibéralisme global qui ne laisse plus aucune place à la sollicitude de l’âme des  peuples.

C’est sous les traits d’une hybridation généralisée et d’une consommation uniformisante qu’une nouvelle forme d’hominisation globale de l’être humain apparaît avec le globalisme, par la création et la promotion d’un génotype générique, docile consommateur entièrement conditionné par l’idéologie dominante. Cette nouvelle hominisation est à l’opposée de la bio-pluralité des peuples et de la terre qui tend de plus en plus à disparaître. Car, bien sûr, afin de détruire la singularité et l’identité spirituelle, on s’attaquera non seulement aux fondements historiques et philosophiques mais aussi en affaiblissant de l’intérieur les capacités de cette corporéité défensive.
La post-Europe est à l’image de cette post-humanité expérimentale, qui  – au nom du progrès infini, des chimères transhumanistes, du marché et du capital – réifie le monde et les peuples en valeur d’échanges.

Ainsi, l’Europe ne renouera avec son âme originelle qu’en prenant conscience de cette maladie de la démesure, de l’hybriséconomique et marchand, de l’individualisme libéral et hédoniste qui gangrènent et handicapent son corps charnel, ses ressorts virils de défense et d’affirmation souveraine.
Cette prise de conscience collective a eu lieu a l’Est européen, dans les patries charnelles de Patocka, Kundera, Kolakowski, Czeslaw Milosz qui, conscientes des menaces de cette maladie contaminatrice venue de l’Occident libéral, ont pris soin de leurs âmes mais aussi de leur corps collectif et, de ce faits sont devenues, comme Valery le préconisait, les porteurs d’une nouvelle espérance, les porteurs du renouveau de la « politique de l’esprit », une authentique « puissance de transformation ».

Jure Georges Vujic (Polémia, 15 octobre 2018)

lundi, 15 octobre 2018

Roland Barthes et la profonde altérité russe (en 1956)

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Roland Barthes et la profonde altérité russe (en 1956)

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Les délires occidentaux en matière russe n’ont hélas rien de neuf. Relisons le début du journal de Dostoïevski :

« Quand il s’agit de la Russie, une imbécillité enfantine s’empare de ces mêmes hommes qui ont inventé la poudre et su compter tant d’étoiles dans le ciel qu’ils croient vraiment pouvoir les toucher. »

Dostoïevski ajoute que ces russes extra-terrestres « tiennent à la fois de l’Européen et du Barbare. On sait que notre peuple est assez ingénieux, mais qu’il manque de génie propre ; qu’il est très beau ; qu’il vit dans des cabanes de bois nommées isbas, mais que son développement intellectuel est retardé par les paralysantes gelées hivernales. »

Le russe est resté l’être inférieur et l’automate qu’il était chez Custine (lisez mon texte sur lesakerfrancophone.fr) :

«  On n’ignore pas que la Russie encaserne une armée très nombreuse, mais on se figure que le soldat russe, simple mécanisme perfectionné, bois et ressort, ne pense pas, ne sent pas, ce qui explique son involontaire bravoure dans le combat ; que cet automate sans indépendance est à tous les points de vues à cent piques au-dessous du troupier français… »

C’est que le russe est pire que la lune ; il est inconnaissable :

« La Russie est ouverte à tous les Européens ; les Russes sont là, à la portée des investigations occidentales, et pourtant le caractère d’un Russe est peut-être plus mal compris en Europe que le caractère d’un Chinois ou d’un Japonais. La Russie est, pour le Vieux Monde, l’une des énigmes du Sphinx. On trouvera le mouvement perpétuel avant d’avoir saisi, en Occident, l’esprit russe, sa nature et son orientation. À ce point de vue là je crois que la Lune est explorée presque aussi complètement que la Russie. On sait qu’il y a des habitants en Russie, et voilà toute la différence. Mais quels hommes sont ces Russes ? C’est un problème, c’en est encore un, bien que les Européens croient l’avoir depuis longtemps résolu. »

Si l’auteur de l’Idiot évoque la lune, c’est pour souligner cette altérité extra-terrestre ; mais un siècle plus tard, Barthes évoquera en riant Mars. C’est dans ses Mythologies où Barthes démonte les mécanismes de la pensée médiocre, social-radicale et petite-bourgeoise française qui reprit son envol avec Hollande :

« Le mystère des Soucoupes Volantes a d'abord été tout terrestre : on supposait que la soucoupe venait de l'inconnu soviétique, de ce monde aussi privé d'intentions claires qu'une autre planète. Et déjà cette forme du mythe contenait en germe son développement planétaire ; si la soucoupe d'engin soviétique est devenue si facilement engin martien, c'est qu'en fait la mythologie occidentale attribue au monde communiste l'altérité même d'une planète : l'URSS est un monde intermédiaire entre la Terre et Mars. »

A l’époque de Barthes (1954-56 donc) le conflit est-ouest et le délire martien doit aboutir à la mondialisation (voyez le classique de Robert Wise The day the earth stood still). Et cela donne sous notre plume acerbe :

« La grande contestation URSS-USA est donc désormais sentie comme un état coupable, parce qu'ici le danger est sans mesure avec le bon droit ; d'où le recours mythique à un regard céleste, assez puissant pour intimider les deux parties. »

La soucoupe volante c’est aussi une arme secrète, notion que les russes ont remise à la mode récemment (les articles pullulent, y compris les sceptiques). Barthes écrit :

« Les analystes de l'avenir pourront expliquer les éléments figuratifs de cette puissance, les thèmes oniriques qui la composent : la rondeur de l'engin, le lisse de son métal, cet état superlatif du monde que serait une matière sans couture : a contrario, nous comprenons mieux tout ce qui dans notre champ perceptif participe au thème du Mal : les angles, les plans irréguliers, le bruit, le discontinu des surfaces. Tout cela a déjà été minutieusement posé dans les romans d'anticipation, dont la psychose martienne ne fait que reprendre à la lettre les descriptions. »

mythologies-76913.jpgA l’époque la SF nous rassure. Les martiens ne peuvent être que comme nous. Le caustique auteur de S/Z Seraphita ajoute :

« Ce qu'il y a de plus significatif, c'est que Mars est implicitement douée d'un déterminisme historique calqué sur celui de la Terre. Si les soucoupes sont les véhicules de géographes martiens venus observer la configuration de la Terre, comme l'a dit tout haut je ne sais quel savant américain, et comme sans doute beaucoup le pensent tout bas, c'est que l'histoire de Mars a mûri au même rythme que celle de notre monde, et produit des géographes dans le même siècle où nous avons découvert la géographie et la photographie aérienne. La seule avance est celle du véhicule lui-même, Mars n'étant ainsi qu'une Terre rêvée, douée d'ailes parfaites comme dans tout rêve d'idéalisation. »

Barthes conclut logiquement :

« Probablement que si nous débarquions à notre tour en Mars telle que nous l'avons construite, nous n'y trouverions que la Terre elle-même, et entre ces deux produits d'une même Histoire, nous ne saurions démêler lequel est le nôtre. Car pour que Mars en soit rendue au savoir géographique, il faut bien qu'elle ait eu, elle aussi, son Strabon, son Michelet, son Vidal de La Blache et, de proche en proche, les mêmes nations, les mêmes guerres, les mêmes savants et les mêmes hommes que nous. »

Barthes décrit ensuite nos réactions dans La croisière du « Batory » :

« Puisqu'il y a désormais des voyages bourgeois en Russie soviétique, la grande presse française a commencé d'élaborer quelques mythes d'assimilation de la réalité communiste. MM. Sennep et Macaigne, du Figaro, embarqués sur le Batory, ont fait dans leur journal l'essai d'un alibi nouveau, l'impossibilité de juger un pays comme la Russie en quelques jours. Foin des conclusions hâtives, déclare gravement M. Macaigne, qui se moque beaucoup de ses compagnons de voyage et de leur manie généralisatrice. »

Notre critique ajoute :

« Il est assez savoureux de voir un journal qui fait de l'antisoviétisme à longueur d'année sur des ragots mille fois plus improbables qu'un séjour réel en URSS, si court soit-il, traverser une crise d'agnosticisme et se draper noblement dans les exigences de l'objectivité scientifique, au moment même où ses envoyés peuvent enfin approcher ce dont ils parlaient si volontiers de loin et d'une manière si tranchante. »

A l’époque le journaliste du Figaro décrit la rue (voyez le délirium durant la coupe du monde de foot) :

« La rue est devenue tout d'un coup un terrain neutre, où l'on peut noter, sans prétendre conclure. Mais on devine de quelles notations il s'agit. Car cette honnête réserve n’empêche nullement le touriste Macaigne de signaler dans la vie immédiate quelques accidents disgracieux, propres à rappeler la vocation barbare de la Russie soviétique : les locomotives russes font entendre un long meuglement sans rapport avec le sifflet des nôtres ; le quai des gares est en bois ; les hôtels sont mal tenus; il y a des inscriptions chinoises sur les wagons (thème du péril jaune) ; enfin, fait qui révèle une civilisation véritablement arriérée, on ne trouve pas de bistrots en Russie, rien que du jus de poire ! »

L’important pour le bourgeois français est de rester supérieur :

« D'une manière générale, le voyage en URSS sert surtout à établir le palmarès bourgeois de la civilisation occidentale : la robe parisienne, les locomotives qui sifflent et ne meuglent pas, les bistrots, le jus de poire dépassé, et surtout, le privilège français par excellence ; Paris, c'est-à-dire un mixte de grands couturiers et de Folies-Bergères ; c'est ce trésor inaccessible qui, paraît-il, fait rêver les Russes à travers les touristes du Batory… »

C’était avant les oligarques consommateurs… Et Barthes de conclure :

« C'est donc une fois seulement qu'il a été illuminé par le soleil de la civilisation capitaliste, que le peuple russe peut être reconnu spontané, affable, généreux. Il n'y a plus alors que des avantages à dévoiler sa gentillesse débordante : elle signifie toujours une déficience du régime soviétique, une plénitude du bonheur occidental : la reconnaissance « indescriptible » de la jeune guide de l'intourist pour le médecin (de Passy) qui lui offre des bas nylon, signale en fait l'arriération économique du régime communiste et la prospérité enviable de la démocratie occidentale. »

Dans la conclusion Barthes tord le cou à la gauche bourgeoise qui bientôt prendrait le tournant sociétal (lui écrivant pour l’Observateur devait s’en rendre compte) :

« On m'a demandé s'il y avait des mythes «à gauche». Bien sûr, dans la mesure même où la gauche n'est pas la révolution. Le mythe de gauche surgit précisément au moment où la révolutionse transforme en « gauche », c'est-à-dire accepte de semasquer, de voiler son nom, de produire un méta-langage innocentet de se déformer en « Nature ».

Sous le jargon hélas vétuste le même propos : on laisse tomber le peuple et on répand des propos russophobes. La russophobie féroce remplacera férocement la révolte des masses enfouie.

 

Sources

Roland Barthes – Mythologies

Dostoïevski - Journal

Nicolas Bonnal – Dostoïevski et la modernité occidentale

10:09 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : russie, philosophie, roland barthes, russophobie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 13 octobre 2018

Michel Drac présente "Sapiens" et "Homo Deus" de Yuval Noah Harari

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Michel Drac présente "Sapiens" et "Homo Deus" de Yuval Noah Harari

 
Une note de lecture sur les best-sellers de l'historien israélien Yuval Noah Harari
 
Chapitres : Couverture : 00:15
L'auteur : 00:45
La démarche de l'auteur : 02:00
Avisse à la population ! : 04:00
Sapiens avant la Chute : 05:00
La Chute de Sapiens : 13:30
L'Histoire : 18:45
La modernité : 35:45
A l'aube d'Homo deus : 59:00
Les deux grands projets du XXI° siècle : 01:07:30
Le retour de l'évolutionnisme : 01:14:00
La singularité : 01:21:30
Dans la tête d'un mondialiste : 01:31:45
Angles morts et biais manifestes : 01:41:15
Le fond du problème, le problème de fond : 01:52:15
Annonce prochaine vidéo : 02:04:00
 

mardi, 09 octobre 2018

Oswald Spengler et la collapsologie en 1931

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Oswald Spengler et la collapsologie en 1931

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Nous sommes mal partis, et nous le savons depuis longtemps maintenant. Poe, Tocqueville, Balzac nous mirent en garde à l’époque romantique puis Nietzsche, Le Bon ou le redoutable australien Pearson au demi-siècle de l’électricité et du colonialisme. Le problème c’est que nous pouvons encore être mal partis pendant encore longtemps !

Longtemps donc avant les plus lucides de nos « mécontemporains », comme dit Alain Finkielkraut, la « collapsologie » (citons en vrac nos amis Kunstler, Klein, Diamond, Orlov) intéresse de grands et controversés esprits comme Oswald Spengler. Dans son dernier chapitre de l’homme et la technique (ici retraduit de l’anglais), le célèbre auteur du Déclin de l’occident (si le contenu du livre est oublié, déjà déconstruit en son temps par Thomas Mann, le titre est demeuré magique) observe notre lent déclin.

Il attaque au dernier chapitre de son bref et très brillant essai :

« Chaque haute culture est une tragédie. L’histoire de l’humanité dans son ensemble est tragique. Mais le sacrilège et la catastrophe du Faustien sont plus grands que tous les autres, plus grands que tout ce qu'Eschyle ou Shakespeare n’ont jamais imaginé. La créature se soulève contre son créateur. »

Spengler évoque la puissance de l’Europe « nordique » et son origine… charbonnière :

« Leur pouvoir politique dépend de leur richesse et celle-ci consiste en leur force industrielle. Mais cela est lié à l’existence du charbon. Les peuples germaniques, en particulier, sont protégés par ce qui est presque un monopole des charbonnages connus, ce qui les a conduits à une multiplication de leurs populations sans égale dans l’histoire. »

Ce règne de la quantité (Spengler est contemporain de Guénon) crée le monde inégal de l’économie aux temps de la mondialisation (qui fête ses trois siècles et non ses trois décennies, lisez Voltaire) :

« Les pays industriellement pauvres sont pauvres en tous points ; ils ne peuvent donc pas soutenir une armée ou faire la guerre ; ils sont donc politiquement impuissants ; et, par conséquent, leurs ouvriers, qu'ils soient dirigeants ou dirigés, sont des pions dans la politique économique de leurs adversaires. »

Spengler souligne la grande altération physique, et même climatique du monde dit moderne :

« L'image de la terre, avec ses plantes, ses animaux et ses hommes, a changé. En quelques décennies, la plupart des grandes forêts sont parties pour être transformées en journaux d’actualité, ce qui a entraîné les changements climatiques qui menacent l’économie foncière de populations entières. D'innombrables espèces animales ont été éteintes, ou presque, comme le bison ; Des races entières de l'humanité ont presque atteint le point de disparition, comme les Indiens d'Amérique du Nord et les Australiens. »

Le golem de Prague ou la machine de Bernanos remplace le monde ancien :

« Toutes les choses organiques meurent sous l'emprise de l'organisation. Un monde artificiel imprègne et empoisonne le naturel. La civilisation elle-même est devenue une machine qui fait ou tente de tout faire de manière mécanique. Nous pensons seulement en chevaux [-vapeur] maintenant ; nous ne pouvons pas regarder une cascade sans la transformer mentalement en énergie électrique ; nous ne pouvons pas arpenter une campagne pleine de bétail en pâturage sans penser à son exploitation comme source d'approvisionnement en viande ; nous ne pouvons pas regarder la belle vieille main d'un peuple primitif intact sans vouloir le remplacer par un processus technique moderne. »

Puis Spengler annonce le grand mécontentement des années soixante, soixante-dix, la montée de l’écologie, des spiritualités emballées sous vide(Debord) et le scepticisme du progrès :

« La machine, par sa multiplication et son raffinement, va finalement à l'encontre de son objectif. Dans les grandes villes, l’automobile a, par son nombre, détruit sa propre valeur, et on marche plus vite à pied. En Argentine, à Java et ailleurs, la simple charrue à cheval du petit cultivateur s'est révélée économiquement supérieure au gros outil à moteur et chasse ce dernier. Déjà dans de nombreuses régions tropicales, l'homme noir ou brun avec ses méthodes de travail primitives est un concurrent dangereux de la technique moderne de plantation du blanc. Et le travailleur blanc de la vieille Europe et de l’Amérique du Nord commence à s’inquiéter de son travail. »

unterangDTV.jpgOn a parlé de l’écologie. Spengler écrit sur cette fatigue (plus que crise) du monde moderne :

« La pensée faustienne commence à en avoir assez des machines. Une lassitude se répand, une sorte de pacifisme de la bataille avec la Nature. Les hommes reviennent à des formes de vie plus simples et plus proches de la nature ; ils passent leur temps dans le sport au lieu d'expérimentations techniques. Les grandes villes leur deviennent odieuses, et elles voudraient bien se soustraire à la pression de faits sans âme et au climat froid et clair d'organisation technique. Et ce sont précisément les talents forts et créatifs qui se détournent des problèmes pratiques et des sciences pour se tourner vers la pure spéculation. »

Spengler voit bien le retour à l’orientalisme :

« L'occultisme et le spiritualisme, les philosophies hindoues, la curiosité métaphysique à la couleur chrétienne ou païenne, qui étaient tous méprisés à l'époque darwinienne, sont en train de réapparaître. C'est l'esprit de Rome à l'âge d'Auguste. Par satiété, les hommes se réfugient dans les parties les plus primitives de la terre, dans le vagabondage, dans le suicide. Chaque grand entrepreneur a l’occasion de constater une diminution des qualités intellectuelles de ses recrues. »

Car Spengler annonce même le déclin du QI comme on dit aujourd’hui :

« Le XIXe siècle n’a été possible que parce que le niveau intellectuel ne cessait de s’élever. Mais un état stationnaire, à moins d’une chute réelle, est dangereux et laisse présager une fin… »

C’est la mutinerie des mains :

« Il commence sous de multiples formes – du sabotage au suicide en passant par la grève – en passant par la mutinerie des Mains contre leur destin, contre la machine, contre la vie organisée, contre tout et n'importe quoi. »

Spengler voit aussi que notre déculottée sera longue et n’aura pas de fin heureuse ou digne. La fin de l’histoire c’est la maison de retraite :

« Face à ce destin, il n’existe qu’une vision du monde digne de nous, celle qui a déjà été mentionnée comme le choix d’Achille – mieux vaut une vie courte, accalmie des actes et de la gloire, qu'une longue vie sans contenu. Déjà, le danger est si grand, pour chaque individu, chaque classe, chaque peuple, que de chérir toute illusion déplorable. Le temps ne se laisse pas arrêter ; il n'est pas question de retraite prudente ni de sage renonciation. Seuls les rêveurs croient qu'il existe une issue. »

Spengler voit aussi le problème « racial » se profiler. Le sous-homme blanc n’aura pas le courage de continuer (et on est placés avec May, Merkel ou Macron pour voir qu’il se donne les chefs qu’il mérite) et il se fera remplacer :

« Le troisième et le plus grave symptôme de l'effondrement qui commence est cependant ce que je pourrais appeler une trahison envers la technique. »

L’humanisme ou l’humanitarisme blanc fait déjà école (derrière sa puissance industrielle ou militaire Nietzsche comme Goethe voyaient notre affaiblissement) :

« Au lieu de garder strictement les connaissances techniques qui constituaient leur plus grand atout, les peuples « blancs » l’offrent avec complaisance au monde entier, dans chaque Hochschule, verbalement et sur papier, et l’hommage étonné des Indiens et des Japonais les ravissait. »

Tout cela va avec la mondialisation et le commerce bien sûr :

 « La fameuse « diffusion de l’industrie » s’est installée, motivée par l’idée de réaliser des profits plus importants en amenant la production sur le marché. Ainsi, au lieu d'exporter exclusivement des produits finis, ils ont commencé à exporter des secrets, des processus, des méthodes, des ingénieurs et des organisateurs. Même les inventeurs émigrent, car le socialisme, qui pourrait, s'il le voulait, les exploiter dans son équipe, les expulse à la place. Et si récemment, les « indigènes » ont pénétré dans nos secrets, les ont compris et les ont pleinement utilisés. »

Résultat, la bataille de Tsushima en 1905 :

« En trente ans, les Japonais sont devenus des techniciens de premier rang et, dans leur guerre contre la Russie, ils ont révélé une supériorité technique à partir de laquelle leurs professeurs ont pu tirer de nombreuses leçons. »

C’est la vengeance des « races de couleur ». A l’époque de Spengler écrivent aussi les penseurs pessimistes américains Madison Grant et Lothrop Stoddard (parodiés dans Gatsby le magnifique) :

« Le monde exploité commence à se venger de ses seigneurs. Les innombrables mains des races de couleur – au moins aussi intelligentes et beaucoup moins exigeantes – briseront l'organisation économique des Blancs à sa base. Le luxe habituel de l'ouvrier blanc, en comparaison avec le coolie, sera son destin. Le travail du blanc devient lui-même indésirable. Les énormes masses d'hommes concentrés dans les bassins miniers du Nord, les grands travaux industriels, les capitaux investis dans ces régions, des villes et des quartiers entiers, sont confrontés à la probabilité de tomber dans la compétition. »

Détroit, Cleveland, Lorraine : Spengler voit alors la fin de notre civilisation « faustienne ». A la même époque (1931 donc) André Siegfried recense le déclin de la civilisation industrielle de la Grande-Bretagne :

« Cette technique de la machine se terminera avec la civilisation faustienne et un jour restera en fragments, oubliés – nos chemins de fer et bateaux à vapeur aussi morts que les routes romaines et le mur de Chine, nos villes géantes et nos gratte-ciels en ruines comme le vieux Memphis et Babylone. L’histoire de cette technique touche à sa fin inévitable. Elle sera mangée de l’intérieur, comme les grandes formes de toute culture. Quand et de quelle manière, nous ne le savons pas. »

Spengler ignore la civilisation postindustrielle et surtout la civilisation de la dette immonde – et perpétuellement augmentée (New deal, guerres, dépenses de beurre et de canons…). Le catastrophisme ignore en effet la dimension vraie de notre catastrophe, dimension qui est de durer. Plus notre société touche le fond, plus elle creuse !

Il termine brillamment avec ce style snob et envolé que lui reprochait Thomas Mann :

« L'optimisme est la lâcheté. Nous sommes nés à cette époque et devons courageusement suivre le chemin qui nous mène à la fin prévue. Il n'y a pas d'autre moyen. Notre devoir est de garder la position perdue, sans espoir, sans secours, comme ce soldat romain dont les ossements ont été retrouvés devant une porte à Pompéi, qui, lors de l'éruption du Vésuve, est décédé à son poste, faute d'avoir été relevé. C'est cela la grandeur. C'est ce que signifie être un pur-sang. Une fin honorable est la seule chose qui ne peut pas être prise à un homme. »

On se demande toutefois quelle fin honorable nous attend…

Source 

Oswald Spengler, l’homme et la technique (cinquième partie)

Le concept de culture sociétale

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Le concept de culture sociétale

par Antonin Campana

Ex: http://autochtonisme.com

Le concept de culture sociétale est régulièrement employé dans notre blog, nous lui avons déjà consacré quelques lignes pour le préciser. Nous y revenons ici tant celui-ci nous semble important dans la logique de libération nationale autochtone qui est la nôtre.

Par « culture » nous entendons ce qui est différent de la nature, même si notre nature, nos structures mentales par exemple, peuvent expliquer certaines expressions de notre culture (le sujet est glissant et nous n’irons pas plus loin ici). Par « culture » nous signifions aussi ce qui est commun à un groupe d’individus et ce qui le soude : son héritage ancestral et ses valeurs partagées. La définition de l’UNESCO nous convient assez bien : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». En bref, nous ne faisons pas une distinction franche entre la « culture » et «l’identité » : notre culture est aussi notre identité.

L’UNESCO pose clairement que c’est la culture et non le « contrat social» qui distingue les sociétés et les groupes sociaux (la culture est l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social). Autrement dit, les populations étrangères installées au milieu d’un peuple donné, le nôtre par exemple, et présentant des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs qui les caractérisent, constituent des sociétés parallèles et des groupes sociaux distincts. Le problème est que le régime en place dit exactement le contraire. Par le miracle du « pacte républicain » (un vulgaire processus administratif de naturalisation), tous les Français « sans distinction d’origine, de race ou de religion » formeraient une « république une et indivisible » !

La culture distingue, caractérise, donc sépare, des groupes sociaux que le régime entend fusionner dans le même « creuset ». La culture est donc un obstacle important au vivre-tous-ensemble. Pour arriver à ses fins, le régime doit obligatoirement éliminer la puissance structurante des cultures.

C’est ici que nous arrivons au concept de culture sociétale.

Une culture est par définition sociétale. Dans la mesure où la culture donne à ses membres à la fois un mode de vie et un sens qui règlent les activités humaines et les relations des hommes entre eux, tant dans l’espace social que dans l’espace privé, nous pouvons dire que la culture est « sociétale ». La culture est un patrimoine ancestral qui a vocation à organiser le groupe autour de valeurs partagées. Elle module les schémas de pensée, l’éducation, la religion, les sentiments, les relations interpersonnelles, les liens sociaux, les loisirs, la vie des sphères privées et publiques… Une culture ne vit et ne se développe que si elle est sociétale. Une culture qui perd son caractère sociétal va se rétracter et se marginaliser jusqu’à être cantonnée dans la sphère privée. Le destin d’une culture diffuse et résiduelle est de se transformer en folklore, avant de disparaître totalement.  En résumé, une culture est sociétale ou n’est pas.

De cela il est facile de déduire qu’il n’est pas utile d’attaquer frontalement une culture pour la détruire. Il suffit de lui enlever progressivement son caractère sociétal. Par exemple, jusqu’à la Révolution, la culture européenne réglait l’institution du mariage, conçu comme l’union d’un homme et d’une femme devant Dieu. Les révolutionnaires auraient pu interdire le mariage religieux. Ils ont jugé préférable de l’ignorer pour faire du mariage un contrat révocable à tout moment et seul valable en droit : ils ont marginalisé un pan de la culture sociétale européenne ! Voyez les résultats aujourd’hui. Dans un autre article (voyez ici), nous avons souligné que le caractère sociétal de la culture européenne avait été neutralisé dans de nombreux autres domaines. Notre culture européenne ne règle plus, ou de moins en moins, les rôles sociaux féminins et masculins, l’ordre sexué, la vie de la famille, la relation à l’Etranger, la production artistique, le monde du travail, l’élaboration de la langue, la vie politique…  Nous expliquions que ce reflux objectif de la culture sociétale européenne n’était pas du à l’avancée d’une culture étrangère mais à l’action politique et juridique de la République. Si nous observons de plus près l’entreprise républicaine d’ingénierie sociale nous nous apercevrons que le régime a progressivement substitué un ordre juridique universel en son principe aux valeurs culturelles enracinées. C’est d’ailleurs à partir de l’expérience républicaine que Karl Popper (1902-1994) a pu élaborer son concept de « société ouverte ».  

gscar.pngQue dit le maître à penser de Georges Soros ?  En substance, qu’une société ouverte, au contraire d’une société fermée, distingue ce qui relève du droit de ce qui relève de la culture. Le philosophe explique que la société ne doit plus être soudée par des valeurs partagées mais par des lois qui respectent le droit naturel et n’entravent pas le pluralisme des idées ou des croyances. Une société ouverte fondée sur des lois acceptables par tous les hommes peut, et même doit selon Popper, être multiculturelle et multiraciale. En résumé, Popper, inspiré par le républicanisme « français », nous explique que les cultures doivent perdre leur caractère sociétal sous l’effet de lois culturicides. La loi émanant de l’identité doit s’effacer devant une loi abstraite émanant de l’universalité. Le philosophe propose un génocide culturel, prélude toujours d’un génocide biologique, qui rendra possible l’établissement d’une société multiraciale ouverte.

Globalement, soyons lucide, le projet a réussi. Le régime s’est servi du droit pour ôter à notre culture son caractère sociétal, ce qui a facilité l’installation d’une société multiraciale plus ou moins bancale et conflictuelle.  Il est illusoire d’espérer pouvoir un jour réorganiser le fonctionnement du « corps d’associés » multiethnique selon nos valeurs identitaires. Est-ce seulement souhaitable ? Mais il est encore possible de recréer un lien entre la culture autochtone et un espace social autochtone. Pour cela, il nous faut travailler à la formation d’une société parallèle autochtone (Grand Rassemblement). Nous n’avons pas d’autre solution si nous voulons contrer la marginalisation de notre culture et sa fossilisation progressive. Il faut que celle-ci retrouve une forte compacité dans un espace protégé. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qui énonce que les Autochtones ont le droit de ne pas subir la « destruction de leur culture » et qu’ils ont le droit d’observer, de promouvoir, de défendre et de vivre selon leurs « traditions culturelles ». La mise en avant de notre autochtonie est donc indispensable elle-aussi : tout se tient !

Il faut avoir conscience que les dégâts occasionnés à notre culture depuis deux siècles sont considérables. Les Autochtones sont fondés à restaurer le caractère sociétal de la culture autochtone. C’est une question de survie. Bien sûr, cette sociétalité ne sera pas identique à ce qu’elle fut avant le coup d’Etat républicain, cela est impossible. Mais dans l’esprit, elle devra exprimer notre identité européenne et les valeurs que nos ancêtres nous ont léguées.   

Antonin Campana

lundi, 08 octobre 2018

Paul Virilio : "Nous sommes dans le culte de la vitesse lumière"

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Paul Virilio : "Nous sommes dans le culte de la vitesse lumière"

Cet ardent défenseur d’un principe de responsabilité dans la science est mort le 10 septembre 2018. Dans un entretien de 2011 avec Sciences et Avenir, il dénonçait la tyrannie de l’instantanéité induite par les nouveaux réseaux de transmission.

Décédé le 10 septembre 2018, le philosophe et urbaniste Paul Virilio est né en 1932. Au début des années 1970, il a dirigé l'Ecole spéciale d'architecture, avant de devenir directeur de programme au Collège international de philosophie en 1990. A la fondation Cartier, il crée des expositions marquantes : " La vitesse " en 1991, " Terre natale " en 2008-2009. Auteur aux éditions Galilée d'une vingtaine d'ouvrages dont Vitesse et Politique (1977), ou Ville panique (2004), il a été récompensé en 2010 par le spécial du Grand Prix d'architecture. Nous reproduisons ici l'entretien qu'il avait accordé pour le numéro de janvier 2011 à Carole Chatelain, rédactrice en chef du mensuel, et Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Sciences et Avenir.

Sciences et Avenir : Vous avez dénoncé l'" idolâtrie du progrès " dans la dernière édition de votre ouvrage Cybermonde : la politique du pire (Textuel, 2010). Mais qu'est-ce que le progrès, pour vous ?

Paul Virilio : Pour l'urbaniste que je suis, le progrès est lié à la notion de progression, c'est-à-dire de déplacement des personnes et des produits dans l'espace et le temps. Et à la vitesse de cette progression. Il ne s'agit pas simplement d'un progrès du bien-être, de l'éthique, ou de l'économie… Il a commencé avec le couple homme-cheval, et donné ces cavaliers que l'on appelait à Rome les Equites romani, comme plus tard au Moyen Age les chevaliers qui, pouvant se déplacer rapidement, l'emportaient sur les manants. Il s'est poursuivi avec l'invention du char de combat, comme celui de Ben Hur, la formule 1 de l'époque. Et par la suite, il y eut la diligence, le chemin de fer, les avions… A la vitesse métabolique de l'animal, ou à la vitesse éolienne des premiers navires, qui permirent les conquêtes et la création des premiers empires maritimes comme celui des Grecs, a succédé la vitesse de la machine.

"Le progrès, désormais, menace la vie"

Pour vous, qui vous qualifiez de " dromologue " (dromos signifie course, vitesse en grec), vitesse et politique sont intimement liées…

Oui, car la vitesse est la face cachée de la richesse. N'oublions pas que les premiers banquiers furent aussi des chevaliers ! Mais à partir de la révolution industrielle, elle est devenue pure propagande du progrès. Notez que le mot propagande est proche du mot propagation, et signifie une façon de " pro-mouvoir ", de faire la " promotion " de quelque chose. C'est justement cette propagande que je dénonce.

Mais qui pratique cette propagande ? Les scientifiques eux-mêmes ?

Je crois que l'on ne peut pas comprendre ce que je dis si l'on ne voit pas que la révolution industrielle a vu le passage de la science à la technoscience : les sciences sont devenues expérimentales. Les expériences ont permis de dire si les théories étaient exactes et ne relevaient pas de la pensée magique. Il est ainsi devenu possible de mettre en oeuvre des machines de plus en plus sophistiquées, jusqu'à tester la première bombe atomique dans le désert du Nouveau-Mexique en 1945. Mais rappelez-vous qu'après ce test de Los Alamos, le physicien et directeur du projet Manhattan, Robert Oppenheimer, a dit : " Peut-être avons-nous commis un péché scientifique. " Quand ils ont appuyé sur le bouton de la première bombe, ils ne savaient pas où allait s'arrêter la réaction en chaîne. Le progrès, désormais, menace la vie.

NÉOLOGISMES. L'oeuvre de Paul Virilio fourmille de néologismes qu'il forge ou emprunte pour mieux préciser sa pensée. Outre nanochronologie et dromologie, petit florilège du penseur de la vitesse.
ACCIDENT GÉNÉRAL. Cet accident n'est pas précisément situé, comme le déraillement d'un train, mais il intéresse immédiatement la totalité du monde. Exemple : un problème majeur sur Internet paralyserait bon nombre d'activités dans plusieurs pays.
ACCIDENT INTÉGRAL. Situation sans référence connue, c'est un accident qui concernerait tout le monde au même instant. Ainsi, l'accident d'Internet pourrait devenir total, voire intégral. Le krach boursier peut en donner une idée.
CHAOSMOSER. Formé sur le terme " chaosmose " (chaoscosmos), titre d'un livre du psychanalyste et philosophe Félix Guattari. Selon Virilio, nombre de systèmes pourraient ne pas exploser ni imploser mais " chaosmoser ".
GÉOCIDE. Calqué sur génocide, c'est " le crépuscule des lieux, l'épuisement des ressources de la géodiversité du globe ".
OUTRE-VILLE. L'urbanisation remet en cause la distinction entre sédentarité et nomadisme. Selon Virilio, le XXIe siècle verra apparaître l'outre-ville, " capitale des capitales " de la mondialisation.
MÉTÉOPOLITIQUE. " L'insécurité des territoires de l'ancienne géopolitique va de pair avec la météopolitique, où les menaces climatiques font que le ciel l'emporte désormais sur le sol et même sur le sous-sol épuisé, au bénéfice d'un hors-sol pour une humanité condamnée à la transhumance " (Virilio cite le chiffre d'un milliard de réfugiés en déshérence en 2050).

Quelles sont ces menaces aujourd'hui ?

La science expérimentale est menacée par sa réussite même. On en arrive même à l'impossibilité de l'expérimentation, ce qui peut être un échec considérable ! Vous avez vu que les explosions nucléaires se font désormais grâce à des simulations sur ordinateur, et qu'un accord récent entre la France et le Royaume-Uni pousse au partage des grands calculateurs pour l'étude des explosions du futur. Imaginez que demain, ce soit toutes les recherches que l'on étudie ainsi… C'est une énorme question posée aux scientifiques : s'agit-il encore de science, ou redevient-elle de la magie, de la numérologie ?

paulvirilio-bunkers28529.jpgVous avez ainsi émis des réserves sur les expérimentations du LHC, le grand collisionneur du Cern, car vous redoutez la création d'un " trou noir " (lire S. et A. n° 735, mai 2008). Vous croyez vraiment à un pareil danger ?

Je ne suis pas opposé au grand accélérateur du Cern. Ce qui m'inquiète, c'est qu'on nie la réalité scientifique du risque. Comme le disait la philosophe Hannah Arendt, le progrès et la catastrophe sont l'avers et le revers d'une même médaille : inventer le train, c'est inventer le déraillement ; inventer l'avion, c'est inventer le crash. Inventer le grand accélérateur, c'est inventer quoi ? On ne peut pas nier l'accident. De même, quand on recherche l'antimatière, on crée un risque bien supérieur à celui de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Pourquoi refuse-t-on de l'admettre ? Pourquoi traiter ceux qui en parlent de " rigolos " ? Pourtant, les chercheurs du Cern assurent ne courir après aucune application… Je ne le conteste pas. Leur recherche me passionne. Je suis un amateur de science et de technique, j'ai lu Heisenberg, de Broglie, Einstein… Ce que je leur reproche, c'est de ne pas regarder, en même temps, les conséquences potentielles de leur travail. Cela vient du divorce entre philosophes et savants qui remonte selon moi à l'échec de la rencontre, dans les années 20, entre Bergson et Einstein. Or, on ne peut pas nier qu'inventer un objet ou une substance, c'est inventer sa catastrophe. Toute l'histoire pose cette question, c'est une évidence.

"Une recherche qui ne recherche pas sa catastrophe, ne recherche pas"

Vous préconisez donc une sorte de principe de précaution ?

Plus que ça, le principe de responsabilité ! La réussite du progrès, je ne la nie pas, au contraire, je la prends au sérieux. Et, la prenant au sérieux, je suis obligé de la prendre au tragique. Une recherche qui ne recherche pas sa catastrophe, ne recherche pas. Elle est une sorte de foi absolue dans le progrès. Les scientifiques ne doivent pas avancer sans analyser l'accident. L'écologie est là pour le prouver : ce n'est pas seulement après des siècles de consommation d'énergie fossile qu'il faut se poser la question de la pollution de l'environnement…

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Est-ce pour cela que vous prônez la création d'une " université du désastre " ?

Oui, ce serait un lieu interdisciplinaire et transcivilisationnel. Son rôle ne serait pas de nier le progrès, mais de le désarmer de ses catastrophes, ou tout au moins poser la question de son désarmement. Pour aider à le comprendre, je rappelle l'histoire de Galilée dans mon ouvrage Le Futurisme de l'instant. Quand il regarde la Lune grâce à sa lunette inventée par les Hollandais, il se dépêche d'envoyer une lettre aux responsables de l'arsenal de Venise* pour leur faire comprendre qu'avec cet instrument, ils pourront voir venir l'ennemi de loin et ainsi préparer leurs canons, faire la guerre à distance en quelque sorte… Mon université serait un arsenal à l'envers, pour ne produire ni nouvelles armes, ni guerre de plus en plus totale. Retarder ou accélérer les possibilités de la technique, c'est la seule manière d'être d'avant-garde !

Vous mettez également en garde contre ce que vous appelez la " nanochronologie ". De quoi s'agit-il ?

Le XXe siècle a été marqué par la conquête de l'infiniment grand – conquête de l'air avec Mermoz ou Saint-Exupéry, conquête de l'espace avec Wernher von Braun, pionnier de l'astronautique, et enfin le débarquement sur la Lune… Au XXIe siècle, nous sommes passés à la conquête de l'infiniment petit du temps. Nous sommes désormais dans le culte de la vitesse-lumière. Nous sommes passés du progrès de la vitesse des transports au progrès de la vitesse des transmissions. Et là, un événement historique majeur se produit : le temps-machine se heurte à ce que j'appelle le " mur du temps humain ". Il est désormais infiniment plus bref que la durée qu'il nous faut pour raisonner. C'est " l'instantanéisme ". Or, nous ne pouvons pas accélérer au rythme de millions d'opérations, comme la machine. Nous sommes donc dans une situation d'échec du temps humain. On ne peut plus raisonner en dehors des logiciels et des algorithmes. Voyez la Bourse et comment le " flash trading " (lire aussi S. et A. n° 752, octobre 2009), les calculs et les cotations à haute fréquence ont fait sauter le système où les traders avaient encore une intelligence. Le 6 mai 2010, il s'est même produit un mini-krach à Wall Street dont on ne connaît toujours pas les causes. Il s'agit là, à mon avis, de ce que j'appelle le premier " accident intégral de connaissances ", et il concerne la connaissance financière. Les entreprises sont de plus en plus demandeuses de logiciels d'aide à la décision. Il leur faut désormais des outils de business analytiques pour prendre des décisions stratégiques. Elles ne peuvent plus se fier à la simple intuition des hommes…

BIBLIOTHÈQUE IDÉALE. "Dans mon enfance avant la guerre, je me plongeais dans le Journal de Mickey pour suivre les aventures de Guy L'Eclair (Flash Gordon), qui devait sauver la Terre ! Eclair, c'était bien dans l'époque de la Blitzkrieg et de la guerre que j'allais vivre à Nantes… Mais s'il est un anticipateur que j'aime tout particulièrement, c'est Kafka. J'aime toute son oeuvre, pas seulement les livres les plus connus comme Le Procès ou Le Château mais aussi sa correspondance. Chez lui, on trouve tout ce qui nous arrive aujourd'hui, que ce soit le procès Kerviel, ou celui d'Outreau où l'on a fini par voir le juge lui-même mis en procès à l'Assemblée nationale, le tout retransmis à la télévision. En tant qu'amateur de science – je trouve d'ailleurs que nos sociétés souffrent d'un terrifiant manque de culture scientifique et technique –, j'ai toujours apprécié Louis de Broglie, notamment son ouvrage Matière et Lumière. Grâce à la clarté de son écriture, il fait comprendre par la littérature ce qu'on ne comprend en principe qu'avec les mathématiques. D'un côté les chiffres, de l'autre la parole. Enfin, je ne peux pas ne pas citer Shakespeare. C'est mon philosophe préféré, avec saint Augustin, chez les chrétiens".

Cette accélération conduit également à des menaces de cyberguerre…

Nos sociétés vivent effectivement désormais, via l'informatique, dans la synchronisation des systèmes. La cyberguerre, c'est la possibilité de paralyser tous les synchronismes d'un pays, et nous y sommes déjà comme l'a montré l'attaque éclair de l'Estonie par la Russie en 2007. Il s'agissait là d'un simple crash-test. La vitesse devient la base de la stratégie.

"Je crois à la réflexion, pas au réflexe"

Curieusement, vous dites également que ce culte de la vitesse conduit à l'inertie et à l'enfermement. Pourquoi ?

Car c'est la fin de la géographie ! Après des milliers d'années de sédentarité, l'identité fait place à la traçabilité, à ce que j'appelle la " trajectographie " : grâce à l'informatique, aux portables, etc., nous sommes partout chez nous. Et nulle part. Cela nous entraîne dans une crise de réduction du monde qui devient trop petit, avec le risque d'une incarcération psychologique. Le monde devient une ville et chaque ville un quartier. C'est pourquoi nous avons créé un sixième continent, le cyberspace que l'on retrouve sur les écrans, dans les réseaux. Pour moi, il s'agit d'un " signe panique ". Il fonctionne comme une colonie virtuelle, une vie de substitution.

Y voyez-vous une nouvelle forme d'oppression pour l'homme ?

Oui, car je crois à la réflexion, pas au réflexe. Le temps " infra " qui n'a plus rien à voir avec le temps du responsable, de la raison, permet cette nouvelle sorte d'oppression. Selon moi, on ne peut pas comprendre les périodes totalitaires sans l'évolution des techniques. Pour Hitler et le nazisme, ce furent la radio et les chars de la guerre éclair, la Blitzkrieg, une période que j'ai bien connue enfant. Pour le fascisme italien, il s'agissait plutôt de la caméra et du cinéma de Cinecittà ; pour Staline, ce fut un peu tous les moyens. Aujourd'hui, le grand danger, c'est de passer de cette oppression totalitaire avec tyran, permise par tous ces moyens techniques, à une oppression totalitaire sans tyran. Une tyrannie globalitaire de l'instantanéité avec des techniques incapacitantes, selon le mot du philosophe André Gorz. Comme les machines-outils et les robots ont rendu obsolètes certains ouvriers, la logique du logiciel peut rendre les savants obsolètes. L'ordinateur exoflopique remplace l'intelligence du savant, du chercheur, du décideur…

Pourtant ces nouveaux réseaux ne favorisent-ils pas aussi la communication entre les hommes ?

Ou la possibilité d'un communisme des affects, qui est un autre genre de tyrannie ! Les techniques nouvelles sont des techniques de conditionnement. Synchroniser l'émotion de millions de gens au même moment est un conditionnement d'une puissance que seules les religions avaient. C'est ce qu'on appelle la communion des saints, pour les chrétiens, c'est-à-dire ressentir au même instant le même sentiment. C'est un événement d'un totalitarisme bien pire que le communisme des classes sociales. Le 11-septembre, ce fut ça. Et si Mao a refusé, en 1969, de laisser voir aux Chinois le débarquement sur la Lune, c'est parce qu'il était bien conscient que ce communisme des affects allait faire la promotion des Américains. Eh bien là, nous y sommes. Comme le dit l'historien roumain Marius Oprea, que je cite au deuxième chapitre de mon livre Le Grand Accélérateur, car je trouve sa phrase formidable : " Le communisme n'a pas disparu, il a été privatisé. "

Diriez-vous que vous êtes un prophète du malheur ?

Sûrement pas, je ne sais pas faire autre chose que d'alerter, je préfère donc le nom de révélationnaire !

* Vaste chantier naval, fondé en 1104, où étaient construits les navires qui ont fait la puissance de l'empire vénitien.

vendredi, 05 octobre 2018

Le désordre, encore le désordre, toujours le désordre...

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Le désordre, encore le désordre, toujours le désordre...

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 
 
Devrions-nous envisager de proposer une nouvelle expression ? Il le faudrait, semble-t-il, pour caractériser la très peu ordinaire et très révélatrice (selon notre sentiment) simultanéité avec laquelle trois crises extrêmement préoccupantes (pour ceux qui en sont l’objet) se développent dans les trois principaux des quatre ou cinq pays principaux et importants du bloc-BAO, dans tous les cas les trois qui sont le plus engagés dans la crise de la transversale transatlantique formant l’axe central du bloc-BAO... D’où la suggestion de l’expression “transversale crisique” ; laquelle, bien entendu se situe à l’intérieur du “tourbillon crisique” caractérisant la situation générale interne du bloc-BAO. 

Pour introduire le phénomène, on parlera donc, pour être plus précis, de “paroxysme crisiques” simultané dans les trois pays concerné : crise à Washington, on le sait ; crise à Paris, nous en parlons peu sur ce site mais nous le savons tous ; et crise à Berlin, selon l’avis de deux excellents commentateurs, Alexander Mercouris et Tom Luongo. Chaque fois, c’est le pouvoir suprême qui est mis en cause, à l’heure où le pouvoir politique en général, tel que voulu par le Système, se heurte à de terribles obstacles de pressions et d’incontrôlabilité qui l’enferment dans ses contradictions très-internes, interdisent toute alternative contrôlée et accélèrent encore plus vivement un désordre interne déjà bien développé. 

• Washington est dans l’état de crise endémique et paroxystique qu’on lui connaît depuis la campagne présidentielle et l’élection de 2016. Nous arrivons à un épisode particulièrement intense, un paroxysme hors de tout contrôle, opérationnalisé par la crise de la désignation du juge à la Cour Suprême Kavanaugh avec comme perspective l’affrontement sanglant, montant lui aussi vers le paroxysme au-delà de quoi rien ne peut être assuré, des élections midterm de novembre. (On a vu encore cette situation avec la chronique de PhG d’hier.) 

• A Paris, les dernières péripéties entre Macron et son ministre de l’intérieur Collomb, après combien d’avatars de la sorte, montrent une situation sans précédent dans la Vème république, sinon dans le régime républicain depuis qu’il existe, où le pouvoir suprême s’est trouvé traité (plutôt que contesté) avec la plus complète dérision par une personnalité politique pourtant réputée comme extrêmement proche du président. C’est l’autorité du pouvoir suprême qui est complètement en crise, et par là même sa légitimité semble se dissoudre littéralement, dans un contexte délétère où une énorme majorité parlementaire du type-“Chambre introuvable” et une présidence dont la volonté d’autorité affirmée hautement devient sa caricature impuissante en se transformant en vaine arrogance. 

• A Berlin, un événement récent a vu une mise en cause sans précédent de l’autorité d’un chancelier (de cette chancelières) au sein de son propre parti. Cela touche unepathétique Merkel dont l’autorité ne cesse d’être contestée et diminuée, notamment par son aile droitiste de la CSU, avec un ministre de l’Intérieur (Seehofer) qui, à sa façon, la traite comme Collomb traite Macron en France. Tom Luongo signale l’importance de l’événement en se référant notamment à l’analyse d’Alexander Mercouris du 30 septembre 2018, et en notant que les derniers sondages placent le parti d’extrême-droite AfD en deuxième position (18% [+2%]) derrière une CDU-CSU (28% [-1%])où les deux composants sont en position d’antagonisme proche d’une rupture. 

« La semaine dernière, Merkel a subi ce qui pourrait bien être sa plus importante défaite politique au cours des deux dernières années. Elle a vu son candidat à la direction du groupe parlementaire de son parti, l'Union chrétienne démocratique (CDU), battu lors d’un vote interne au groupe. Comme l'a souligné Alex Mercouris de The Duran, c'est la première fois depuis plus de quarante ans qu'un chancelier allemand perd un vote interne du parti de cette ampleur. Et cela témoigne de la frustration croissante non seulement des membres du parti, mais de l'électorat allemand en général. » 

• On ajoutera un dernier élément que souligne Luongo qui est la situation de l’UE. Avec la crise-Merkel (mais aussi la crise-Macron, que Luongo ne mentionne pas), c’est la direction de facto d’une UE qui est gravement touchée, occurrence qui se développe sur une situation générale de l’UE minée par l’offensive populiste qui se développe dans de nombreux États-membres : « L’instabilité politique en Allemagne représente à présent le pire scénario possible pour l’Union européenne. Merkel est la tête de facto de l'UE. Il s'agit de révoltes internes [Allemagne et France] et externes [populisme], qui tournent toutes autour des questions fondamentales de souveraineté des États membres. » 

Il nous semble impératif, pour bien embrasser la situation générale et en tenant compte de la situation de l’UE avec les diverses crises internes mentionnées, de lier ces trois crises en une “transversale crisique” qu’on définira comme une manifestation majeure du tourbillon crisique qui affecte le Système dont le bloc-BAO est l’expression opérationnelle fondamentale. Avec l’élimination de facto du Royaume-Uni embourbée dans sa crise-Brexit du “directoire” de fait du bloc-BAO, c’est toute la direction politique du bloc qui s’enfonce dans sa crise structurelle. Cet aspect structurel est complété par un aspect conjoncturel paroxystique, impliquant une volatilité et une incontrôlabilité extrêmes qui se traduisent par un désordre considérable. 

Il est possible par conséquent que l’on se trouve à un développement majeur où les événements internes, par leur puissance et les contraintes formidables qu’ils imposent, prennent décisivement le pas sur les événements externes qui formaient jusqu’ici le simulacre derrière lequel on tentait épisodiquement de dissimuler cette situation interne. Cette politique externe, très agressive, fondée effectivement sur le simulacre de situations complètement faussaires (tension avec la Russie, soutien de groupes terroristes en Syrie, manipulation de l’Ukraine totalement aux abois pour entretenir la tension, etc.), n’a plus assez de souffle au regard des crises internes de ceux qui prétendent l’opérationnaliser. Il faut d’ailleurs aussitôt rappeler et préciser que cette politique externe se trouve elle-même en cours d’éclatement du fait de la politique de guerre commerciale et de mise en cause des structures internationales de la globalisation développée par les USA. 

Littéralement et plus que jamais, le désordre règne en maître suprême et fondamentalement capricieux, et aucune force, dans aucun des trois pays concernés, n’est capable d’intervenir pour imposer une stabilisation dans un sens ou l’autre. Il s’agit de la crise structurelle par excellence, qui est l’expression au niveau des pays concernés de la crise du Système elle-même... Cette crise du Système se manifeste d’ailleurs quasiment d’une façon directe, les directions nationales n’étant même plus des éléments intermédiaires mais de simples courroies de transmission directe de la crise du Système s’exprimant dans chacune des entités. Trois éléments sont particulièrement remarquable, qui renforce l’hypothèse selon laquelle il s’agit de la crise du Système arrivant à un moment de vérité : 

• La rapidité du développement de ces crises internes, et leur constante aggravation sans qu’aucune issue n’apparaisse, au contraire puisque cette rapidité est la clef du blocage politique, et l’aliment de sa radicalisation. On doit même admettre que cette rapidité est l’essence même de ces crises, et nous disons “essence” parce que ces événements semblent avoir une ontologie propre, qui les détache de l’histoire courante. Ils sont spécifiques à la métahistoire qui est le domaine où évolue la crise d’effondrement du Système. 
 

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• La simultanéité des trois crises, – encore une fois “paroxysmes de crise” dans des crises endémiques mais déjà elles-mêmes paroxystiques... Cette simultanéité pourrait être classée au rayon des “hasard”, comme le reste en général, par les “experts” qui se sont aperçus de la chose (il y en a peu), selon l’argument de type Bouvard-Pécuchet énonçant sentancieusement que “le hasard fait bien les choses”. Pour nous, au contraire, la simultanéité dans ce cas est un signe de l’unicité de l’évolution de la crise, c’est-à-dire qu’il se passe un même événement à Washington, à, Paris et à Berlin, et qu’il s’agit bien du processus de l’effondrement du Système. Les scientifiques disent bien “les mêmes causes provoquent les mêmes effets” … Au-delà des différences nationales et exotiques, puisque le Système réduit les nations à l’exotisme, il y a donc une structure unitaire dans cette déstructuration des pseudo-structures entretenues par le Système 

• Leur caractère principiel dans la mesure où ce qui est mis en cause, plus qu’une politique, plus qu’une idéologie, ce sont les principes de la légitimité et de l’autorité. La cause en est que ces principes sont depuis longtemps des simulacres de principes, déjà représentés par des situations faussaires dues à des systèmes politiques eux-mêmes bâtis sur le simulacre de tout ce qu’ils prétendent représenter.
 

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mercredi, 03 octobre 2018

Les fondements de l’ère nouvelle apparaissent

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Les fondements de l’ère nouvelle apparaissent

Par Alastair Crooke

Source Strategic Culture via dedefensa.org

Dans son autobiographie, Carl Jung raconte « un moment de clarté inhabituelle », au cours duquel il a eu un dialogue étrange avec quelque chose en lui : dans quel mythe l’homme vit-il de nos jours ? « Dans le mythe chrétien : est-ce que tu y vis ? » (Jung se le demande). Et pour être honnête avec lui-même, la réponse qu’il donna était « non ». « Pour moi, ce n’est pas dans cela que je vis. » Alors n’avons-nous plus de mythe, demande son moi-intérieur ? « Non », répondit Jung, « évidemment pas ». Alors, de quoi est-ce que tu vis, interroge son moi-intérieur ? « À ce stade, le dialogue avec moi-même est devenu inconfortable. J’ai arrêté de penser. J’avais atteint une impasse », a conclu Jung.


Nombre d’entre nous ressentent aujourd’hui la même chose. Ils ressentent le vide du monde. L’après-guerre – peut-être même l’événement européen des Lumières, est-il parvenu à son terme, selon une opinion courante. Certains le regrettent ; d’autres, beaucoup d’autres s’en inquiète, et ils se demandent ce qui va suivre.

Nous vivons dans un moment de déclin de deux projets majeurs : le déclin de la religion révélée et, simultanément, le discrédit de l’expérience de l’utopie laïque. Nous vivons dans un monde parsemé de débris de projets utopiques qui, bien qu’ils aient été formulés dans des termes profanes, qui niaient la vérité de la religion, étaient en fait des vecteurs du mythe religieux.

Les révolutionnaires jacobins lancèrent la Terreur comme un châtiment violent de la répression des élites – inspiré par l’humanisme des Lumières de Rousseau ; les bolcheviques trotskistes assassinèrent des millions de personnes au nom de la réforme de l’humanité par l’empirisme scientifique ; les nazis firent de même, au nom de la théorie du « racisme scientifique (darwinien) ».

Le « mythe » millénariste américain, à l’époque et aujourd’hui, était (est) enraciné dans la croyance fervente dans la destinée manifeste des États-Unis et n’est, en dernier ressort, qu’un exemple particulier dans une longue lignée de tentatives de provoquer une discontinuité radicale dans l’histoire (à partir de laquelle la société humaine serait reconstituée).

En d’autres termes, tous ces projets utopiques – tous ces prétendants à la succession du mythe judaïque et chrétien apocalyptique – ont envisagé une humanité collective poursuivant sa destinée vers un point de convergence et une sorte de fin des temps (ou fin de l’histoire).

Eh bien… nous ne vivons plus ces mythes désormais, et même l’utopie laïque ne se réalisera pas. Cela ne comblera pas le vide. Les certitudes optimistes liées à l’idée de « progrès » linéaire ont été totalement discréditées. Alors, au nom de quoi continuerons-nous à vivre ? Ce n’est pas un débat ésotérique, ce sont des questions concrètes d’histoire et de destin.

Les élites dénoncent tout ce qui est « alt » (« alternatif ») – comme étant du « populisme » ou de l’« il-libéralisme ». En même temps et de ce fait, elles refusent de voir ce qui se dresse devant elles, c’est-à-dire certaines valeurs émergentes. Quelles sont-elles ? Et d’où viennent-elles ? Et comment pourraient-elles changer notre monde ?

La « valeur » la plus évidente se distingue dans l’émergence mondiale du désir de vivre par et dans sa propre culture –  et de vivre, pour ainsi dire, d’une manière culturelle différenciée. C’est une notion culturelle autonome et souveraine, qui cherche à recréer une culture particulière – dans son cadre traditionnel d’histoire, de religiosité et de liens du sang, de la terre et de la langue. La question de l’immigration, qui déchire et divise l’Europe, en est un exemple évident.

Ce que cette « valeur » laisse entendre, ce n’est pas le simple tribalisme, mais aussi une manière différente d’envisager la souveraineté. Elle englobe l’idée que la souveraineté est acquise en agissant et en pensant d’une manière souveraine. Ce pouvoir souverain naît de la confiance d’un peuple dans sa propre histoire distincte et claire, son héritage intellectuel et sa propre essence spirituelle sur lesquels il s’appuie.

Nous parlons ici d’une culture « vivante » bien structurée, qui formerait les racines d’une souveraineté à la fois personnelle et communautaire. C’est un rejet clair de l’idée que le cosmopolitisme du type « melting pot » puisse engendrer une véritable souveraineté.

À l’évidence, c’est le contraire de la notion mondialiste de l’« humanité » convergeant vers des valeurs communes, vers une « façon d’être » unique, neutre et apolitique. L’homme, dans cette forme-là, n’existait tout simplement pas dans l’ancienne tradition européenne. Il y avait des hommes identifiés et différenciés : des Grecs, des Romains, des Barbares, des Syriens, etc. Cette notion est en opposition évidente avec l’homme universel et cosmopolite. La reprise de ce type de pensée ancienne est par exemple à l’origine de la notion eurasienne de la Russie et de la Chine.

Une seconde valeur émergente découle du désenchantement global pour le style occidental de pensée mécanique, de pensée unique, qui ramène tout à une singularité de sens (supposée avoir été créée empiriquement) qui, placée dans l’ego, est censée donner à chacun une certitude et une conviction inébranlables (au moins pour le penseur européen occidental) : « Nous » disons « la vérité », alors que les autres babillent et mentent.

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L’avers – la vieille tradition européenne – est la pensée conjonctive. La culpabilité, l’injustice, la contradiction et la souffrance existent-elles dans ce monde ? Elles existent, proclame Héraclite, mais seulement pour l’esprit limité qui voit les choses séparément (de manière disjonctive), et non pas connectées entre elles, liées par une continuité ; cette continuité est un terme qui implique non pas de « saisir » le sens, mais plutôt d’être doucement et puissamment « saisi » par le sens.

Qu’est-ce que cela a à voir avec le monde d’aujourd’hui ? Eh bien, c’est la façon dont le leadership chinois néo-confucianiste pense aujourd’hui. L’idée du Yin et du Yang et leur latence pour créer et être en harmonie sous-tendent encore les notions chinoises de politique et de résolution des conflits. Idem pour la philosophie chiite et l’eurasisme russe. C’était autrefois la façon dont les Européens pensaient : pour Héraclite, tous les opposés polaires se co-constituent et se mettent en harmonie d’une manière invisible pour l’œil humain.

Cette « autre » perspective se manifeste précisément derrière la conception multi-latéraliste de l’Ordre Global. L’acceptation d’une qualité multidimensionnelle d’une quelconque personne ou d’un quelconque peuple écarte l’obsession dominante de réduire chaque nation à une singularité de valeur et à une singularité de « sens ». Le fondement de la collaboration et du dialogue s’élargit ainsi au-delà de « l’un-ou-l’autre », pour atteindre les différentes strates de la complexité des identités (et des intérêts). En un mot, c’est cela être tolérant.

Certes, il y a d’autres valeurs : la poursuite de la justice, la vérité (au sens métaphysique), l’intégrité, la dignité, la conduite virile et la connaissance et l’acceptation de qui vous êtes. Ce sont toutes des valeurs éternelles.

Enfin voici le point central : la disparition dans la modernité de toute norme externe ou « mythe », au-delà de la conformité civique, qui pourrait guider l’individu dans sa vie et ses actions. L’expulsion forcée de l’individu de toute forme de structure (classes sociales, Église, famille, société et genre) a suscité un « retour en arrière » vers ce qui était latent si ce n’est encore qu’en partie dans le souvenir, mais ce « retour en arrière » d’une certaine façon était inévitable.

L’aspiration à un retour vers ces anciennes normes – même si elles sont mal comprises et articulées – représente une « redécouverte » de ces anciennes conceptions, restées latentes au plus profond de l’être humain, un retour à ses liens « au monde » et « dans le monde ». Cela se produit de différentes façons, à travers le monde.

Bien entendu, cette considération nouvelle pour « l’Ancien » ne peut être un retour intégral. Ce ne peut être la simple restauration de ce qui était autrefois. Il s’agit d’une avancée, comme lorsqu’un « jeune » qui s’en était allé revient « chez lui » – l’éternel retour si l’on veut, revenu de notre propre décomposition, de l’amas de nos ruines.

Bien entendu, ces « nouvelles-vielles idées » vont directement mettre en cause le monde libéral existant. Notre cadre économique actuel est en grande partie hérité des enseignements d’Adam Smith. Et de quoi s’agissait-il sinon d’une application économique directe des conceptions de la philosophie politique de John Locke et de David Hume (ami proche de Smith) ? Et quelle était la ligne centrale de la pensée de Locke et de Hume sinon le récit, en termes politiques et économiques, de la victoire de l’idée protestante sur l’idée catholique pour la communauté religieuse, dans la mouvance du modèle westphalien ?

Il est inévitable que des valeurs différentes dictent des modèles différents. Quels types de modèles les valeurs émergentes préfigurent-elles ? Tout d’abord, nous pouvons voir un changement dans le sens du refus de l’Occident postmoderne, loin du flou incertain des questions de l’« identité et du genre » au bénéfice d’un retour à une clarté spécifique pour ces aspects, à la centralité de la famille et à la nécessité de valoriser les places de chacun dans la hiérarchie de la vie. En matière de gouvernance, comme en économie, la « valeur » directrice est une perception différente du pouvoir. Le mythe du Christianisme Latin de l’amour, du « tendre l’autre joue », de l’humilité et du recul de l’autorité du pouvoir, est en contradiction avec l’ancienne notion de la conduite « masculine » qui prêchait quelque chose de tout à fait différent : résister à l’injustice et poursuivre votre « vérité ». Cette conception était donc naturellement politique et s’appuyait sur une philosophie où le pouvoir était un attribut normal.

Cette ancienne expression du pouvoir émerge aujourd’hui à travers l’idée qu’un peuple « actif » sur le plan mental, produisant et nourrissant sa vitalité et sa force culturelle peut s’imposer face à un État beaucoup plus riche et mieux armé – mais ainsi doté de cette puissance qui engourdit la pensée et réduit la vitalité.

Ainsi, que ce soit en gouvernance ou en économie, les structures existantes sont destinées à évoluer pour refléter les principes d’autonomie et de re-souverainisation de la nation et du peuple, et l’idée que l’organisation de la société est toujours le terrain naturel pour le développement d’un homme ou d’une femme – un homme capable de trouver son propre pouvoir et de se retrouver lui-même comme l’accomplissement de son propre projet.

Ce qui est frappant, c’est que nous voyons que ces derniers principes jumeaux, l’autonomie et la re-souverainisation qui pourraient sembler devoir générer des tensions entre eux, se concrétisent dans une forme de fusion dans la politique actuelle – même s’ils proviennent de pôles politiques complètement différents. En Italie, le mouvement des Cinq étoiles (considéré comme gauchiste) est au gouvernement avec le Lega (considéré comme droitiste).

Bien sûr, beaucoup diront simplement TINA (il n’y a pas d’alternative). Mais il y en a une et ce train est déjà en train d’arriver à notre gare.

Alastair Crooke

Note du Saker Francophone

L'article est tiré du site dedefensa qui en fait un commentaire éclairé.

Pour Crooke, en effet, des grandes tendances, les « fondements » de « l’ère nouvelle » qu’appelle l’effondrement actuel – l’effondrement du Système, dans notre terminologie – se manifestent au travers de tensions et d’expressions diverses. Pour comprendre ce qui se passe, il s’agit, juge Crooke, de se référer à certaines valeurs anciennes dont la permanence a maintenu au fond de nous-mêmes une invincible latence, et qui réapparaissent aujourd’hui.

Traduit par Philippe Grasset pour le site dedefensa.org

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vendredi, 28 septembre 2018

Goethe et les entropies du monde moderne

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Goethe et les entropies du monde moderne

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Une note sublime - et si juste - pour commencer :

« Les apôtres de liberté m’ont toujours été antipathiques, car ce qu'ils finissent toujours par chercher, c'est le droit pour eux à l'arbitraire. »

Je n’avais pas touché à Goethe depuis plus de quinze ans, trop écœuré peut-être parce qu’est devenue l’Allemagne de la mégère inapprivoisée. Et puis, le génie du web aidant (Gallica BNF), j’ai relu avec émerveillement ses conversations avec Eckermann, qui sont un des livres les plus extraordinaires du monde. Imaginons qu’Homère, Shakespeare ou Rabelais aient eu cette chance ; ou même Nietzsche, Tocqueville ou Voltaire... La chance d’un Eckermann…

Nous sommes à la fin des années 1820, quand le « satanisme de l’aventure industrielle » (Drieu) se dessine, et que les Poe, Balzac et Chateaubriand comprennent que nous allons être mangés par Mammon et le « mob », la canaille.

Le génie olympien tout en gardant sa « balance » a vite fait en tout cas de prendre ses distances avec le monde moderne. Il voit tout venir, à commencer par nos talents avariés, dépréciés :

« Celui qui ne veut pas croire qu'une grande partie de la grandeur de Shakespeare est due à la grandeur et à la puissance de son siècle, que celui-là se demande si l'apparition d'un phénomène aussi étonnant serait possible aujourd'hui dans l'Angleterre de 1824, dans nos jours détestables de journaux à critiques dissonantes? Ces rêveries tranquilles et innocentes, pendant lesquelles il est seul possible de créer quelque chose de grand, sont perdues pour jamais! Nos talents aujourd'hui doivent tout de suite être servis à la table immense de la publicité. Les revues critiques qui chaque jour paraissent en cinquante endroits, et le tapage qu'elles excitent dans le public, ne laissent plus rien mûrir sainement. »

Goethe est le premier à voir la menace journalistique (Nietzsche en parle très bien dans la considération inactuelle sur Strauss), ce règne de la quantité appliqué au style et aux idées. Il ajoute :

 « Celui qui aujourd'hui ne se retire pas entièrement de ce bruit, et ne se fait pas violence pour rester isolé, est perdu. Ce journalisme sans valeur, presque toujours négatif, ces critiques et ces discussions répandent, je le veux bien, une espèce de demi-culture dans les masses; mais pour le talent créateur, ce n’est qu'un brouillard fatal, un poison séduisant qui ronge les verts rameaux de son imagination, la dépouille de son brillant feuillage, et atteint jusqu'aux profondeurs où se cachent les sucs vitaux et les fibres les plus délicates. »

On savourera l’image de la botanique dont ce maître fut un champion, comme Rousseau.

Goethe ajoute avec émotion :

« Et puis la vie elle-même, pendant ces misérables derniers siècles, qu'est-elle devenue? Quel affaiblissement,  quelle débilité, où voyons-nous une nature originale, sans déguisement? Où est l'homme assez énergique pour être vrai et pour se montrer ce qu'il est ? Cela réagit sur les poètes; il faut aujourd'hui qu'ils trouvent tout en eux-mêmes, puisqu'ils ne peuvent plus rien trouver autour d'eux. »

Cette évocation del’affaiblissement des forces vitalesqui est ici une primeur, je l’ai évoquée dans mon étude sur Dostoïevski et l’occident. C’est la splendide tirade de Lebedev dans l’idiot :

« Et osez dire après cela que les sources de vie n’ont pas été affaiblies, troublées, sous cette « étoile », sous ce réseau dans lequel les hommes se sont empêtrés.

Et ne croyez pas m’en imposer par votre prospérité, par vos richesses, par la rareté des disettes et par la rapidité des moyens de communication ! Les richesses sont plus abondantes, mais les forces déclinent ; il n’y a plus de pensée qui crée un lien entre les hommes ; tout s’est ramolli, tout a cuit et tous sont cuits ! Oui, tous, tous, tous nous sommes cuits !… »

Comme on sait cette tirade est liée au réseau des chemins de fer (Dostoïevski évoque même Tchernobyl !).  Or le réseau, Goethe en parle quand il évoque au début du tome deuxième l’avènement inévitable et contrariant de l’unité allemande :

« Nous causâmes alors de l'unité de l'Allemagne, cherchant comment elle était possible et en quoi cite était désirable.

« Je ne crains pas que l’Allemagne n'arrive pas à son unité, dit Goethe nos bonnes routes et les chemins de fer qui se construiront feront leur œuvre. Mais, avant tout, qu'il y ait partout de l'affection réciproque, et qu'il y ait de l'union contre l'ennemi extérieur. »

Il évoque l’ouverture des frontières :

« Qu'elle soit une, en ce sens que le thaler et le silbergroschen aient dans tout l'empire la même valeur; une, en ce sens que mon sac de voyage puisse traverser les trente-six Etats sans être ouvert; une, en ce sens que le passeport donné aux bourgeois de Weimar par la ville ne soit pas à la frontière considéré par remployé d'un grand État voisin comme nul, et comme l'égal d'un passeport étranger… »

Et d’ajouter :

« Que l'on ne parle plus, entre Allemands, d'extérieur et d’intérieur; que l'Allemagne soit une pour les poids et mesures, pour le commerce, l'industrie, et cent choses analogues que je ne peux ni ne veux nommer. »

Que je ne peux ni ne veux nommer : on souligne ?

Par contre il voit tout de suite notre Goethe les futures limites de cette unité allemande qui va mettre fin à la culture allemande sous la brutale férule des bureaucrates bismarckiens :

« Mais si l'on croit que l'unité de l'Allemagne consiste à en faire un seul énorme empire avec une seule grande capitale, si l'on pense que l'existence de cette grande capitale contribue au bien-être de la masse du peuple et au développement des grands talents, on est dans l'erreur. »

C’est que Goethe est contre la centralisation, même la française (lisez l’émouvant passage de la rencontre avec Napoléon). La centralisation stérilise. Il écrit :

« Ce serait un bonheur pour la belle France si, au lieu d'un seul centre, elle en avait dix, tous répandant la lumière et la vie… »

goethestatue.jpgC’est « Paris et le désert français » cent ans avant Jean-François Gravier ; mais pour être honnête Rousseau avait déjà méprisé l’usage inconvenant de l’hyper-capitale Paris pour la France.

Et de faire l’éloge de la prodigieuse diversité allemande de son époque (un des seuls à notre époque à l’avoir compris est l’excellent historien marxiste Hobsbawn, qui évoqua aussi l’Italie stérilisée par son unification) :

« Où est la grandeur de l'Allemagne, sinon dans l'admirable culture du peuple, répandue également dans toutes les parties de l’empire? Or, cette culture n'est-elle pas due à ces résidences princières partout dispersées; de ces résidences part la lumière, par elles elle se répand partout… »

Il insiste :

« Pensez à ces villes comme Dresde, Munich, Stuttgart, Cassel, Brunswick, Hanovre, et à leurs pareilles, pensez aux grands éléments de vie que ces villes portent en elles ; pensez à l’influence qu'elles exercent sur les provinces voisines et demandez-vous ; tout serait-il ainsi, si depuis longtemps elles n'étaient pas la résidence de princes souverains? »

Car Goethe sent le risque que l’unité allemande va faire peser sur le génie germanique :

« Francfort, Brème, Hambourg, Lubeck sont grandes et brillantes; leur influence sur la prospérité de l’Allemagne est incalculable. Resteraient-elles ce qu'elles sont, si elles perdaient leur indépendance, et si elles étaient annexées à un grand empire allemand, et devenaient villes de province? J'ai des raisons pour en douter… »

Equilibre, harmonie, autant de thèmes centraux chez notre génie.

Autre sujet, la perfection. A cette époque on considère que la perfection est de ce monde, mais qu’elle n’est pas allemande mais britannique. Comme on sait ce complexe d’infériorité allemand pèsera lourd au vingtième siècle :

« …mais il y a dans les Anglais quelque chose que la plupart des autres hommes n'ont pas. Ici, à Weimar, nous n'en voyons qu'une très petite fraction, et ce ne sont sans doute pas le moins du monde les meilleurs d'entre eux, et cependant comme ce sont tous de beaux hommes, et solides. »

L’anglais (pas le dandy détraqué, le gentleman bien sûr) est beau pour ces raisons :

« Ce qui les distingue, c'est d'avoir le courage d'être tels que la nature les a faits. II n'y a en eux rien de faussé, rien de caché, rien d'incomplet et de louche; tels qu'ils sont, ce sont toujours des êtres complets. Ce sont parfois des fous complets, je t'accorde de grand cœur ; mais leur qualité est à considérer, et dans la balance de la nature elle pèse d'un grand poids. »

C’est le gentleman idéal, le parfait modèle hollywoodien de l’âge d’or (on pense à Stewart Granger à Cary Grant, à Errol Flynn) remis au goût du jour à notre époque postmoderne par les adaptations des petits romans de Jane Austen.

Mais Goethe souligne le déclin de notre perfection de civilisé :

« Du reste, nous autres Européens, tout ce qui nous entoure est, plus ou moins, parfaitement mauvais; toutes les relations sont beaucoup trop artificielles, trop compliquées; notre nourriture, notre manière de vivre, tout est contre la vraie nature; dans notre commerce social, il n'y a ni vraie affection, ni bienveillance. »

Goethe évoque alors en disciple de Rousseau (beaucoup plus germanique que français, et si mal compris en France le pauvre…) le modèle du sauvage :

« On souhaiterait souvent d'être né dans les îles de la mer du Sud, chez les hommes que l'on appelle sauvages, pour sentir un peu une fois la vraie nature humaine, sans arrière-goût de fausseté. »

Parfois même Goethe succombe au pessimisme, quant à la misère de notre temps :

« Quand, dans un mauvais jour, on se pénètre bien de la misère de notre temps, il semble que le monde soit mûr pour le jugement dernier. Et le mal s'augmente de génération en génération. Car ce n'est pas assez que nous ayons à souffrir des péchés de nos pères, nous léguons à nos descendants ceux que nous avons hérités, augmentés de ceux que nous avons ajoutés… »

Goethe alors rêve du paysan, pas encore trop pollué par la civilisation (un petit malin pourrait citer Walter Darré mais aussi les écolos, alors…) :

« Notre population des campagnes, en effet, répondit Goethe, s'est toujours conservée vigoureuse, et il faut espérer que pendant longtemps encore elle sera en état non seulement de nous fournir des cavaliers, mais aussi de nous préserver d'une décadence absolue ; elle est comme un dépôt où viennent sans cesse se refaire et se retremper les forces alanguies de l'humanité. Mais allez dans nos grandes villes, et vous aurez une autre impression… »

Et il insiste encore, au début du tome deuxième de ses entretiens, sur l’affaiblissement des hommes modernes :

« Causez avec un nouveau Diable boiteux, ou liez-vous avec un médecin ayant une clientèle considérable - il vous racontera tout bas des histoires qui vous feront tressaillir en vous montrant de quelles misères, de quelles infirmités souffrent la nature humaine et la société… »

Une vingtaine d’années avant, le jeune Kleist avait évoqué dans son théâtre des marionnettes cette nostalgie et ce regret de la perfection antérieure, nous invitant à remanger de l’arbre de la connaissance pour accéder à un stade supérieur (le transhumain à l’allemande ?).  Citons Kleist :

En sorte, dis-je un peu rêveur, qu’il nous faudrait de nouveau manger du fruit de l’arbre de la connaissance, pour retomber dans l’état d’innocence ?

— Sans nul doute, répondit-il ; c’est le dernier chapitre de l’histoire du monde.

Goethe sentait aussi cette disparition d’innocence, de simplicité (sujet allemand, qu’on retrouve chez Schiller comme dans les élégies II et VIII de Rilke) :

« Ah! nous autres modernes, nous sentons bien la grande beauté des sujets d'un naturel aussi pur, aussi complètement naïf; nous savons bien, nous concevons bien comment on pourrait faire quelque chose de pareil, mais nous ne le faisons pas ; on sent la réflexion qui domine, et nous manquons toujours de cette grâce ravissante… »

Tout cela était déjà dans le Théâtre de Kleist (écrit donc vingt ans avant) :

« Je dis que je savais fort bien quels désordres produit la conscience dans la grâce naturelle de l’homme. Un jeune homme de ma connaissance avait, par une simple remarque, perdu pour ainsi dire sous mes yeux son innocence et jamais, dans la suite, n’en avait retrouvé le paradis, malgré tous les efforts imaginables. »

Et puisqu’on évoque Kleist et ses cardinales marionnettes, c’est dans Werther que l’on trouve cette note intéressante :

« Les objets ne font que paraître et disparaître à mes yeux, et je me demande souvent si mon existence elle-même n’est pas un vain prestige. Il me semble que j’assiste à un spectacle de marionnettes. Je vois passer et repasser devant moi de petits bons hommes, de petits chevaux, et je me demande souvent si tout cela n’est pas une illusion d’optique. Je joue avec ces marionnettes, ou plutôt je ne suis moi-même qu’une marionnette. Quelquefois je prends mon voisin par la main, je sens qu’elle est de bois, et je recule en frissonnant. »

Werther expédiait aussi à sa manière l’homme sans qualités de la modernité :

« Mais, entre nous, l’homme qui cédant sottement à l’influence d’autrui, sans goût personnel, sans nécessité, consume sa vie dans de pénibles travaux pour un peu d’or, de vanité, ou quelque autre semblable fumée, cet homme-là est à coup sûr un imbécile ou un fou. »

Pour terminer sur une note plus prosaïque, évoquons cette belle vision de la mondialisation. Car la maître voit tout venir, (comme son disciple et traducteur Nerval qui voit nos réseaux arriver dans Aurélia). Goethe pressent aussi la future domination américaine :

« Mais ce qui est sûr, c'est que, si on réussit à percer un canal tel qu'il puisse donner passage du golfe du Mexique dans l’Océan Pacifique à des vaisseaux de toute charge et de toute grosseur, ce fait aura d'incalculables résultats et pour le monde civilisé et pour le monde non civilisé. Je m'étonnerais bien que les États-Unis manquassent de se saisir d'une œuvre pareille. On pressent que ce jeune État avec sa tendance décidée vers l'Ouest, aura aussi pris possession, dans trente ou quarante ans, des grandes parties de terre situées au-delà des montagnes Rocheuses, et les aura peuplées… »

Goethe voit le nouveau monde se peupler américain, se remplir :

« On pressent aussi  bien que tout le long de cette cote de l'océan Pacifique où la nature a déjà creusé les ports les plus vastes et les plus sûrs, se formeront peu à peu de très-importantes villes de commerce, qui seront les intermédiaires de grands échanges entre la Chine et l'Inde d'un côté et les États-Unis de l’autre… »

Canal de Panama donc :

« Aussi, je le répète, il est absolument indispensable pour les Etats-Unis d'établir un passage entre le golfe du Mexique et l'océan Pacifique, et je suis sûr qu'ils l'établiront. Je voudrais voir cela de mon vivant, mais je ne le verrai pas. Ce que je voudrais voir aussi, c'est l’'union du Danube et du Rhin… »

Et canal de Suez :

« Et enfin, en troisième lieu, je voudrais voir les Anglais en possession d'un canal à Suez. »

Les Français eurent l’initiative de ces deux canaux qu’ils se firent chiper par les anglo-saxons. Je ne saurais trop inviter mes lecteurs à lire ou redécouvrir ce livre. 

 

Sources

Conversations de Goethe et d’Eckermann, Gallica, BNF

Nietzsche - Considérations inactuelles (Wikisource.org)

Goethe – les souffrances du jeune Werther

Nerval - Aurélia

Heinrich Von Kleist - Sur le théâtre des marionnettes

Dostoïevski - L’Idiot (ebooksgratuits.com)

Nicolas Bonnal - Dostoïevski et la modernité occidentale 

vendredi, 21 septembre 2018

Alexandre Kojève & the End of History

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Alexandre Kojève & the End of History

Author’s Note:

This is transcript by V. S. of a talk that I gave to the Atlanta Philosophical Society in 2000. As usual, I have eliminated some wordy constructions and some back-and-forth with the audience. 

We live in a time when there’s a lot of talk about the ends of ages. Last year, at the end of 1999, the vast majority of people celebrating the New Year were celebrating the millennium a year early. But still, there’s a sense that when we reach a round number something important is going to happen. There’s a lot of talk about the “end of modernity” in academia today. So-called postmodernist philosophers and literary critics are quite popular, and certain religious thinkers and writers are of course concerned that time itself may end very soon.

A friend of mine who is an Orthodox monk in Bulgaria emailed me just before the New Year saying that not only did some people in Bulgaria think that all the computers were going to fail, they thought the end of time was at hand. I wrote back saying, “Well, if I don’t hear from you again, it’s been nice knowing you.”

I want to talk about one of the most stunning claims that history is over, namely the claim popularized by Alexandre Kojève, a 20th-century philosopher who I think is probably the most influential single philosopher in the 20th century, although at the same time he’s one of the least known. He’s influential not only in the world of ideas but also in the world of politics. In fact, he’s had an enormous influence on the post-Second World War global economic and political order that we live in today. People sometimes call it the “New World Order.” It’s very much influenced by his thought and action.

Kojève claimed that history is not about to end, but that it had already ended, and that it ended in 1806. So, all of the expectant people who are waiting for the millennium have already missed it. History is already over. It’s been over for nearly two centuries, and it came to an end in 1806 when Georg Wilhelm Friedrich Hegel was sitting in his study in Jena writing his book Phenomenology of Spirit and nearby Napoleon was defeating his enemies at the great Battle of Jena, which turned the tide of resistance in Europe toward the ideas of the French Revolution.

According to Kojève, history ended with the triumph of the ideals of liberty, equality, and fraternity and Hegel’s understanding of the significance of these events. Everything that’s happened since then, he said, including the two World Wars, is just post-historical “mopping up.” It’s of no real historical significance. It’s just a matter of carrying the ideals of the French Revolution to the furthest corners of the globe.

Last night I saw a trailer for a film called The Cup, which is set in Bhutan in the Himalayas. This is a movie about the mopping-up process. It’s about some intrepid young Buddhist monks who fall in love with soccer and decide to bring satellite television to Bhutan. According to Kojève, this is just the kind of mopping-up process you’d expect as the world becomes completely integrated and its culture becomes entirely homogenized. Of course, this is presented as a heart-warming tale of intrepid youth.

51MV5jM0MgL._SX339_BO1,204,203,200_.jpgNow, who was Alexandre Kojève? He was born in 1902 as Aleksandr Vladimirovič Koževnikov. He was born in Moscow to a very wealthy family. After the Russian Revolution, the family fell on hard times, and he was eventually reduced to selling black-market soap on the street. He was arrested for this and narrowly escaped execution. His experiences with the GPU led to a rather unusual outcome. He converted to Marxism and maintained that he was an ardent Stalinist to the very end of his life.

In 1920, ardent Marxist-Stalinist that he was, he still saw fit to flee the Soviet Union to Germany. He enrolled at the University of Heidelberg, studying philosophy with the great German existentialist thinker Karl Jaspers, and he wrote a dissertation on Vladimir Soloviev, a Russian mystical philosopher of some interest, although he is rather unknown in the West.

Apparently, the Koževnikovs had money abroad, so while he was in Germany Kojève was actually something of a bon vivant. He lived the high life. He was a sort of limousine Stalinist. But he invested his family money poorly, and in 1929 he was pretty much wiped out by the great stock market crash.

In that year, he moved to France and started trying to find work. He had many friends, Russian émigrés, who helped him out. One of them was Alexandre Koyré, who was a historian of philosophy and science who had to go off to Egypt as a visiting professor and got Kojève the job in 1933 of subbing for him in a seminar on Hegel’s Phenomenology of Spirit.

Kojève did such a spectacular job that he gave the seminar every year until 1939, when the Germans moved in and French intellectual life changed somewhat. Kojève spent the war in the south of France, writing, and some of the works that he wrote during the war were published posthumously. He probably sat out the war because he realized that it was of no historical significance.

In 1945, he returned from his exile and was immediately given a position in the French Ministry of Economic Affairs, the head of which had been a student in his Hegel seminar during the 1930s.

From 1945 to 1968, he held the same position, a kind of undersecretary position, yet while he did not have any official leadership role, he was—as one person who knew him put it—the Mycroft Holmes of the French government. He was the guy who knew everything and everybody, and kept everybody abreast of everything else. He was a nerve center or brain center for the French government for a period of more than 20 years.

He claimed, in his typically hyperbolic style, that de Gaulle took care of foreign affairs, and “I, Kojève,” as he put it, “took care of everything else.” And apparently Raymond Aron, who was another of his students and an extremely sober fellow, actually said that this was pretty much true, that Kojève was probably second only to de Gaulle in importance in the French government in the 22 years that he occupied his position.

And what did he do? Well, he was one of the architects of what’s now called the European Economic Community. He was also one of the architects of what is known as the General Agreement on Trades and Tariffs, or GATT.

Right after the Second World War, he gave a speech to a bunch of technocrats in West Germany, where he laid out the model for what was then called pejoratively “neo-colonialism.” In his terms, colonialism after the Second World War and the end of the old colonial empires would now take the form not of taking, but of giving, namely of investing in and developing the underdeveloped countries, the former colonies, and integrating them into the world economic system. His model was basically carried out to a T. Organizations like the World Bank basically follow to this day the Kojèvian model of neo-colonialism.

9782070295289FS.gifHe was also the first person to announce what is sometimes called the convergence thesis. Zbigniew Brzezinski, National Security Adviser to Jimmy Carter, is often credited with this view. The convergence thesis is basically that as the Cold War wore on, the pressures of fighting it would cause both sides to gradually converge and become indistinguishable from one another.

Kojève was instrumental in creating—through the economic and political integration of the Western, non-Communist nations—one of the most important factors in helping them win the Cold War, but the French intelligence service believed that he was passing information to the KGB the whole time. So he was playing both sides in a very dangerous game. I want to give some suggestions about what Kojève’s dangerous game actually was.

Before I do that, though, I want to talk about his influence in the world of ideas. I’ve talked about his political activity. Really, of all the philosophers in the 20th century, he’s had the most impressive record of actually changing the world instead of just theorizing about it. Much of the world that we know today and think of as normal was influenced by this strange Russian. So, we need to understand the ideas behind his actions.

Kojève’s students at his Hegel seminar in the 1930s included the following people: Raymond Aron, who was probably the most brilliant conservative political theorist in France in the 20th century; Maurice Merleau-Ponty, who was something of a Marxist-Stalinist at one time and one of the most significant phenomenological philosophers in 20th-century France; Jacques Lacan, the great interpreter of Freud, who fused Freud with Kojève’s Hegel and is probably the leading Freudian thinker after Freud; Henry Corbin, who made the first (partial) French translation of Heidegger’s Being and Time but is far more famous for the work that he did in medieval Arabic philosophy and mysticism; Robert Marjolin, who was the leader of the French Ministry of Economic Affairs, the guy who gave Kojève his job; Gaston Fessard, who was little-known outside France but was an extraordinary scholar and a Jesuit priest as well; André Breton, who was one of the founders of French Surrealism; Georges Bataille, famous for writing really rather gross and I think quite untitillating pornography, as well as many books and essays on the philosophy of culture—a rather profound although difficult and quite perverted thinker; and Raymond Queneau, a novelist whose most famous novels are translated as The Sunday of Life and Zazie in the Metro—these are “end of history” novels and were very much influenced by Kojève’s vision of life at the end of history.

And of course these members of the seminar in turn had their own students and readers. Among them are some of the most important 20th-century French thinkers of the next generation: Jacques Derrida, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, and the like. None of them were students of Kojève himself, but I would maintain that nobody can really understand these French postmodernists—especially their use of certain words like “metaphysics,” “modernity,” “difference,” and “negativity”—without understanding how all of these derive from Kojève’s interpretation of Hegel. The peculiar vehemence with which terms like “metanarrative,” “history,” “being,” “absolute knowledge,” and so forth are spoken by these writers has everything to do with Kojève’s specific interpretation of the meaning of these terms in Hegel’s Phenomenology of Spirit. One can’t read French postmodernism and understand it without understanding that most of these thinkers are reacting to Kojève. They would not call themselves Kojèvians. They’re all anti-Kojèvians. But insofar as they’re opposing themselves to him and to his very peculiar takes on things, they’re very much influenced by him. They bear the trace of Kojève.

9782253075035FS.gifAnother contemporary thinker who’s really quite trendy today is the Slovene writer Slavoj Žižek. I hope there are no Slovenians in the audience who will knock my pronunciation. Žižek has written quite a number of books with titles like Everything You Always Wanted to Know About Lacan . . . But Were Afraid to Ask Hitchcock, and he’s enormously influenced by Kojève’s view of Hegel, and also Lacan’s reading of Kojève’s Hegel.

Kojève attracted students even after he stopped teaching. Two of them were Allan Bloom, the author of The Closing of the American Mind, and Stanley Rosen, who is a very well-known commentator on Greek philosophy, as well as on Hegel and Heidegger. Their teacher, Leo Strauss, sent them to study with Kojève in the early 1960s. Bloom and Rosen would go to his office at the Ministry. He would close the door, and they would talk philosophy.

More recently, Francis Fukuyama, who was a student of Allan Bloom, became famous for his book The End of History and the Last Man, which is really a popularization of Kojèvian ideas. Just as the Communist regimes in Eastern Europe were coming down, Fukuyama raised the question: What if Kojève was wrong and history hadn’t ended in 1806, as Hegel wrote the Phenomenology of Spirit? What if history ended in 1989, as Communism fell and Fukuyama was in the process of interpreting it as the global triumph of Western liberal democracy? That started a huge debate.

Of course, people on the Right in America were particularly delighted to hear that their perseverance in the Cold War had brought about not just the end of Communism but the end of history itself, and everything would be smooth sailing from then on. Little things like the Gulf War were just mopping-up.

Some of Kojève’s peers—people that he corresponded with and interacted with and influenced him—include Leo Strauss, who is one of the most important 20th-century philosophers. He was a German-Jewish philosopher who met Kojève in the 1920s. They met again in Paris in the 1930s, where they spent a lot of time together, and they corresponded throughout the rest of their lives. Strauss, of course, was a conservative thinker, a thinker of the Right, and yet he derived both pleasure and knowledge from his friendship with Kojève, the ardent Stalinist.

Carl Schmitt was the notorious German jurist and political philosopher who wrote the brief showing how Hitler’s seizure of power in 1933 was perfectly legal according to the Weimar constitution—which was indeed a brief anybody could have written because, strictly speaking, it was legal. Schmitt, of course, had been tarred with the Nazi association until he died at a very old age recently. Schmitt was a friend of Kojève’s, and they corresponded over a period of many decades. Another improbable intellectual friendship.

Georges Bataille was not just a student of Kojève, but really a peer. I think Bataille dramatically influenced Kojève’s intellectual development. Bataille is certainly a thinker of the far Left.

So, we have a strange phenomenon: Kojève had close intellectual relationships with, and a powerful influence on, thinkers on the Right and on the Left, but the thing that all of these thinkers have in common is a vehement rejection of modernity, precisely the modernity that Kojève himself is so eager to proclaim as inevitable. All of Kojève’s students and most passionate admirers ended by rejecting, vehemently, his vision of the end of history. That’s an interesting thing to puzzle through.

If Hegel and Kojève believe that history came to an end in 1806, then they obviously mean something very different by “history” than all of us do. If history can come to an end, it has to be something different from what is reported every day in the newspapers. They didn’t claim that human events would cease. There are post-historical human events, just as there were pre-historical human events. So, history isn’t just the record of human events. It is a very specific thing.

For Hegel, history is the human quest for self-knowledge and self-actualization. There was a time when human beings were not actively pursuing those aims. This was characteristic of prehistorical forms of life, when men were brutish and dumb. And there will be a time when human beings will no longer actively pursue self-knowledge and self-actualization, because we will have already achieved them. That will be post-historical life.

History is the human quest for self-knowledge and self-actualization. When that quest comes to an end, when we know ourselves and become ourselves, then there will be no more history. That’s how history will stop.

Hegel posits that human beings have a fundamental need for self-knowledge. In fact, in the last analysis, for him self-actualization just is self-knowledge. So, human beings are fulfilled by knowing themselves. That’s what it’s all about. That’s what we’re all striving for. That’s what the whole record of history has been pointing to: self-knowledge.

hegel.jpgHow is the pursuit of self-knowledge connected with history? Isn’t self-knowledge just something we have through introspection? Can’t you just have self-knowledge on a desert island or lying in bed in the morning? Why do we need to do things like build civilizations or cathedrals and fight wars? Why do we need history in order to pursue self-knowledge?

Hegel would agree that we do have a kind of immediate self-awareness, which Rousseau would call the “sentiment of existence.” But that feeling is shared with all the animals, too. Therefore, insofar as we have an immediate feeling of self that really doesn’t constitute knowledge of us as distinctly human creatures. Second, knowledge as such requires more than just immediate feeling. It has to be more articulated, reflective, and, as he puts it, mediated rather than immediate. It has to be on the level of thought rather than the level of feeling. In order to arrive at self-knowledge of our distinctly human characteristics, and to know that in a distinctly human way through reason, through thought, we have to go beyond just feeling. We have to do things.

Now, to know ourselves as physical beings we can look in a mirror. Although we have to recognize the being we see in the mirror as ourselves. Animals don’t seem to be able to recognize their own reflections. But when human beings reach a certain point in our development, we realize, “Aha! That’s us!” And there’s something extraordinary about recognizing ourselves as reflected in something other, something external.

Hegel believes that self-knowledge of our soul, if you will, requires a similar process. We need to find a mirror in which our soul can be reflected, and in which we can recognize our reflection, and thereby come to know ourselves as spiritual beings.

Now, what is the appropriate mirror of the soul? Well, the first and most obvious answer would be another soul, another human being. The way that we come to know ourselves as human beings is by recognizing ourselves in others. The best form of recognition would be to recognize ourselves in the eyes of somebody who is very similar to us, who can really show us who we are. The kind of relationship where that happens is friendship or love. We can know ourselves through people who antagonize us, but the best kind of self-awareness is through love and friendship. The most complete sort of self-awareness is through love and friendship.

But that’s not enough. Love is not enough for Hegel. Friendship is not enough to explain history. If we could know ourselves adequately, if we could satisfy our need for self-knowledge simply through interpersonal relationships, we never would have embarked on this long quest towards civilization, because we could have satisfied that need in the prehistorical family, in the little villages, in thatched huts, in hunter-gatherer bands. We don’t need buildings and technologies and civilizations that extend thousands of miles. We don’t need cathedrals and skyscrapers or any of that just to have interpersonal relationships.

So, the quest for self-knowledge has to be understood more precisely here. We need to know ourselves. To know ourselves as individuals does not require history, so what kind of self-knowledge requires history? Hegel seems to believe that history is required if we are to know ourselves universally, to know ourselves in an abstract sense, and not just as a particular individual—in other words, to know what is man in general. Ultimately, this is the aim of philosophy.

Your best friend or your spouse is not going to be adequate to give you this kind of universal self-knowledge. Another human being isn’t an adequate mirror for that. Only philosophy can show that to you, and so Hegel believes that we have to understand history as arising out of the need for universal self-knowledge.

But of course philosophy wasn’t there at the beginning of history. So, how do we try to begin to satisfy that need for universal self-knowledge?

Hegel’s argument is simple: We have to make a mirror for ourselves. We have this material called nature—rocks and rivers and trees—and we need to remake it. We need to go out there and transform the world, to put the stamp of humanity upon it, to humanize the world, to remake the world in our own image—and to recognize ourselves, to recognize the truth about mankind in general, in our work.

Every culture is basically an ensemble of practices, artifacts, and institutions in which, and by which, human beings embody a particular attempt to understand themselves. Culture is the mirror in which human beings know themselves in a universal way. The record of cultures and their transformation is what we call history. Therefore, history is necessitated as our first step towards universal self-understanding.

There are many cultures and thus many interpretations of our nature. But there is only one truth. Therefore, all cultures can’t be rated equally. Some are truer to man and his nature than others. So it’s possible to rank cultures in a hierarchy in terms of how well or how poorly they reflect the true nature of man. But Hegel is also clear that ultimately, culture as such is an inadequate medium for coming to universal self-understanding. Thus what happens at a certain point in at least some cultures—three, to be exact—is the emergence of philosophy. The Greeks, the Indians, and the Chinese all spontaneously evolved philosophical traditions.

Hegel’s view is that we finally come to universal self-understanding through philosophy—ultimately through Hegel’s philosophy, as it turns out. History is the pursuit of wisdom. Hegel has become wise. He knows the truth about man, and therefore the philosophical quest and the historical quest both came to an end in 1806, when Hegel wrote his book The Phenomenology of Spirit.

Now, this might sound grandiose to you, but really every philosopher worth his salt is grandiose, because they’re searching for the Truth with a capital T. Hegel is just one of the more immodest philosophers, because he claims that not only is he searching for it, he’s actually found it, and therefore he’s not really a philosopher anymore. He’s a wise man. He’s a sage.

What is this big Truth that has brought history to an end? According to Kojève, the truth about man is that we’re all free and equal. That might sound banal, but he says that that’s what human beings have been fighting for and struggling for—sculpting and painting, composing music and writing books for, over thousands of years—in order to discover that we’re all free and equal. Once this discovery has been announced, and once the world has been remade in the image of freedom and equality, history has come to an end.

Kojève claims that history comes to an end with what he calls the universal and homogeneous state. When we recognize that all men are free and all men are equal, the only thing left is to create a form of society that recognizes this freedom and equality. That form of society has to be universal. It can’t be attached to any particular culture, because culture is over, too. History is just a record of cultures, and when history ends, culture is over, too. Culture becomes, in some sense, unnecessary, because it’s really not the best medium for coming to self-understanding. Kojève glimpses a tendency towards the complete homogenization of the world within this universal state. So he calls the end of history the universal homogeneous state, and he thinks this is great. This is wonderful.

We’re rapidly seeing this all around us. In Bhutan, they’re getting TV today. Tomorrow, they’re going to be wearing little baseball caps—backwards, of course—listening to rap music, and wearing t-shirts with American brand names on them. Eventually it will be more practical to just learn one language: English. As one friend puts it, “language par excellence.” And we’ll all be English speakers; we’ll all be buying the same things; we’ll all be watching the same TV shows. We’ll be one big, happy, peaceful world, and mankind will be entirely satisfied, because we’ll all be free and we’ll all be equal.  But we won’t all be philosophers. Only the very smart ones will become philosophers. Because we’re not going to all be equal in that respect. We’ll be politically equal.

That’s the Hegelian story, in a very crude overview. It’s crude, but it’s completely correct and accurate. It’s completely correct and accurate to Hegel’s view, if not to reality; let’s put it that way.

This is Kojève’s description of the end of history: “In the final state, there are naturally no more human beings.” Why? Because man is a historical being, too, and when history comes to an end, what is distinctively human disappears. “The healthy automata are satisfied. They have sports, art, eroticism, and so forth, and the sick ones get locked up.” Or they get Prozac. Or other mood-altering drugs to make them happier. “The philosophers become gods. The tyrant becomes an administrator, a cog in the machine fashioned by automata for automata.”

This is his view of the end of things. Now, if somebody were to step forward and declare, “I have a dream of a world of healthy, well-fed automata, de-humanized robots ruled over by technocrats that think they are gods,” would you be at all inclined to be inspired by that vision of things? It is a very strange way of speaking about something that Kojève at least officially regards as utopia, the form of society that totally satisfies all of mankind.

Here we arrive at the odd problem, because as he becomes more and more enthusiastic about the end of history—at least putatively enthusiastic, apparently enthusiastic—he begins phrasing it in ways that are more and more chilling, unappetizing, and unappealing.

The notes for Kojève’s Hegel seminar were edited and published in 1947 by Queneau as Introduction to the Reading of Hegel. After it was published, it was reprinted in a number of different editions. As the new editions came out, Kojève would add notes to them. About half of the French volume has been translated into English. The good stuff. There’s a famous note in here. Kojève adds a note to the second edition and then adds a note to that note in the third edition. As the notes pile up, the vision of the end of history becomes more and more disturbing and unappealing.

What’s going on here? Surely, Kojève, who was a master of rhetoric, knew the likely effects of his rhetoric. So, why was he praising something in terms designed to produce discomfort and disgust? It’s a very interesting question.

His second thoughts about the end of history were expressed in his later writings as a thesis that man is coming to an end. The end of history is the end of man. Man, properly understood, is being erased. The masses of people at the end of history, he said, will become beasts. And another term for them, he said, are slaves without masters.

He said, “Bourgeois man is a slave without a master. He is a slave spiritually, because there is nothing he is willing to die for.”

The worst possible thing for the bourgeoisie, he says, is a violent death. They’ll do anything to avoid that. The greatest possible thing is comfortable living. They’ll betray virtually anything for that. “Do it to Julia!” He says that the end of history is a society where the vast majority of human beings are slaves without masters. They’re officially free, but spiritually speaking, they are slavish. They have no ideals. There’s nothing they’re willing to die for. Nothing is more important than just being comfortable and secure.

The small minority who will rule everything will at least understand everything. They are the philosophers. And they too are dehumanized. Not by becoming beasts, but by becoming gods.

What’s left out are just men, and by “man” Kojève means people who have what Plato called spiritedness. And what is spiritedness? Well, part of spiritedness for Plato is the capacity to respond passionately to ideals. In the most primitive sense, spiritedness is just a kind of touchiness about points of honor. A desire to be treated with respect. But the same kind of attachments to one’s ideal vision of one’s self that used to lead us to fight duels to the death over matters of honor can also be attached to higher things like countries and causes, and so forth. It can even be attached to a love of the good itself.

Kojève thinks that the end of history will mark the elimination of the spirited part of man’s soul. Once we know the truth about mankind—that we are all free and equal—there will be nothing to fight over and no propensity to fight, anyway. The capacity to get angry over points of honor or ideology will simply disappear. This is what he means by the end of man.

Again, it’s not a very appealing picture. Yet it’s a picture that’s increasingly true.

The philosophers, as I said, are increasingly dehumanized as well. They become gods, which means that they are de-spirited creatures as well—effete, cosmopolitan, rootless, and so forth. They jet from one end of the globe to another. They interpret things. They give little papers at conferences. They graze at the buffets and crowd around the open bars. And they experience nothing greater than themselves. They look down on the cultures of the past with detachment, but they buy their artifacts and playfully display them in an eclectic jumble on their mantlepieces.

At the very time Kojève was painting this bleak picture of the end of man, he maintained it was his dream—indeed, that it’s all of our dreams. This is what history is aiming towards, and we’ll all be completely satisfied by it. You’ll love it! Believe me! You’re already loving it! But why in the world did he say things that undermine his overall thesis?

The interpretation I want to give is this: Kojève became very much influenced by Nietzsche, and Nietzsche is really the great 19th-century antipode of Hegel. If you want to find two thinkers who are most fundamentally opposed in philosophy of history and culture, Nietzsche and Hegel are the most opposite you can find. The influence of Nietzsche, I think, was primarily mediated through the influence of Georges Bataille, Kojève’s student, peer, and friend. Bataille was something of a Nietzschean, and I think that as their friendship progressed and as Kojève thought more about things, he came to think that Bataille was fundamentally correct that there was something true about Nietzsche’s view of history.

So, what is Nietzsche’s view of history? Hegel has a linear view of history. History proceeds in a straight line from a beginning to an end. The progress of history arises from a single fundamental need, which is the human need for self-knowledge. Once we achieve that goal, history ends, and that’s it. It’s paradise.

Nietzsche, by contrast, has a cyclical view of history, and he believes that there are two fundamental principles that make the historical world go around. One is the need for self-knowledge, but the other is what I would like to call “the need for vitality,” the need to feel alive and express that feeling.

In Nietzsche’s view, history begins with a kind of vital upsurge, which is leading towards self-knowledge. History begins with a kind of barbarous vitality. As culture progresses, however, and become more refined, our reflectiveness and refinement come to interfere and undermine the sources of cultural vitality.

Culture, at the beginning, is something that’s necessary for us to be healthy, but as it progresses and becomes more refined, it becomes a source of sickness, decline, and decay. So, at this point we have a decadent culture where people are very reflective, dispassionate, corrupt, and lacking in virtue. And what eventually happens when decadence grows widespread? Everything collapses, everything falls apart. You can’t have a functioning society full of rotten people. The few survivors who are left return to barbarism. All the cobwebs of fine-spun theories are swept away, human vitality returns, and history begins again.

Now, in the portrait that Kojève paints at the end of history, you really can see this Nietzschean perspective at work. The “last man,” which was Nietzsche’s term for decadent and dehumanized men, is the true outcome of Hegel’s drive for universal freedom and equality. But the last man can’t sustain civilization, so history must start all over again. The last man, in Nietzsche’s terms, is precisely what Kojève is describing as slaves without masters and masters without slaves, the dehumanized beasts and gods that exist at the end of history. Both beasts and gods lack a distinctively human vitality to give rise to culture and values.

I want to argue that Kojève’s ambivalence about the end of history really arises out of the fact that he simultaneously affirms two completely contradictory theories of history. One is Hegel’s and the other is Nietzsche’s. Kojève was not an idiot. In fact, people who I respect enormously said that he was the smartest man they ever knew. He was extraordinarily intelligent. The best-functioning and best-stocked brain of the century, according to one person who knew him. Thus he was not so stupid as to overlook the fact that he was affirming two diametrically opposed views. So why was he doing this?

I’ll answer this question, but I want to raise another one first. Why did Kojève play both sides of the Cold War? Clearly he had to see that there was something a little immoral, or there was at least an appearance of impropriety, in passing secrets to the KGB. Why did he do this? Why was he affirming opposed theories of history, and why was he playing both sides against another in the Cold War? I think that the answers to both questions are related.

Let me answer the first question this way. I follow Plato, and Plato recommends that in order to understand a philosopher’s teachings, you don’t just look at his words, you also look at his deeds, and then you put the words and the deeds together and look at the total effect. The total effect of a philosopher’s teaching is what he is really getting at. Not necessarily what he says or what he does, but the total effect of the two together on the actions of the people who read it, understand it, and follow it. These guys are smart. They know the likely effect of their writings. So, if you want to understand the meaning of a philosopher’s teachings, look at the effect, not what he says in isolation, not what he does in isolation, but the effect of what he says and what he does taken together.

What’s the effect of Kojève’s teaching about modernity? The fact is that every single person who took Kojève seriously as a teacher—Left or Right, far Left or far Right—ended up rejecting the end of history, the vision of modernity that Kojève was loudly trumpeting as his dream—and everybody’s dream—come true. He was not so stupid as to be caught unaware by this. I refuse to believe that.

I think that the meaning of Kojève’s teachings is precisely this: Kojève presented Hegel’s view of history in such dire and dystopian terms to induce people to revolt against it. He was presenting the end of history in a way that was designed to make people want to get history started all over again. If history can start all over again, that means that, fundamentally, we affirm the Nietzschean cyclical view rather than the Hegelian linear view. So, I think that ultimately Kojève was a kind of Nietzschean who was deeply disturbed by modernity and wanted to bring it to an end.

How is this connected with his political actions? Well, some people may say, “Look, the reason why he was on both sides of the Cold War is because he believed in the convergence thesis and didn’t think there was any difference between the two.”

But that really doesn’t explain it, for this reason: If he didn’t believe that either side was fundamentally different from the other, then why wouldn’t he have worked as hard as possible on one side to ensure its ultimate triumph? It would be a matter of indifference as to which side he supported. But why was he helping both sides? That can’t be explained, because by helping both sides in the Cold War, you would think that that was actually helping to perpetuate the Cold War rather than bring it to an end. Why would he want us to keep fighting?

But this makes sense if Kojève is fundamentally a Nietzschean who wanted to forestall as long as possible the end of history that Fukuyama—his somewhat unsubtle and popularizing student—was so happy about.

I think that perhaps his very dangerous political game had a similar aim as his philosophical game, namely not to bring history to an end but to keep it going, keep the conflict going. Why? Because as a Nietzschean, he believed that, ultimately, conflict about values is the thing that makes us most human. The capacity to aspire to and ultimately die for ideals, is the most glorious and distinctly human characteristic we have. And the Cold War was one, long conflict over fundamental ideas, and it would be perfectly consistent with the Nietzschean view to want to keep that conflict going, especially if he foresaw that the outcome of one side winning would be McWorld. If that was the case, then it makes perfect sense that he would be playing both sides. He didn’t want either one to win. The longer Kojève could forestall the end of history, the better. The better for all of us.

And now that history has ended, we need to go to Plan B, which is to start history all over again. And we don’t need to wait for the barbarians. They are already here.

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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Occident et terrorisme de l’absurde

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Occident et terrorisme de l’absurde

par Dmitry Orlov
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 
 
Ces derniers mois, les gouvernements syrien et russe ont été accusés par les gouvernements américain et britannique de mener des attaques avec des armes chimiques et se sont retrouvés dans une situation assez difficile. Les accusations portées contre eux sont tout simplement absurdes. Il est très difficile, voire impossible, de formuler une réponse rationnelle à une accusation absurde, si ce n’est de souligner son évidente absurdité. Mais ce n’est généralement pas du tout utile parce que les acteurs politiques occidentaux contemporains qui se délectent de l’absurdité évitent le principe néoclassique de la vraisemblance et ignorent les arguments rationnels et raisonnés en les considérant comme inintéressants. C’est un choix calculé : la plupart des spectateurs s’ennuient, sont mal informés et impatients de se forger une opinion basée sur les faits et la logique mais réagissant surtout à divers types de conditionnement. 

Les responsables chargés de formuler des réponses à la guerre informationnelle occidentale ont été contraints d’acquérir de nouvelles compétences inspirées du théâtre de l’absurde, car bon nombre des complots terroristes récemment allégués portent la marque du genre : « comédie grand public, souvent similaire au vaudeville, mélangée à des images horribles ou tragiques ; des personnages pris dans des situations désespérées forcés de faire des actions répétitives ou dénuées de sens ; des dialogues pleins de clichés, de jeux de mots et de non sens ; des intrigues cycliques ou absurdement en expansion ; une parodie ou un déni de réalité et le concept du jeu de scène qui va avec ». Dans le traitement des récentes allégations britanniques, une source britannique particulière de comédie absurde, le Monty Python’s Flying Circus, s’avère d’une valeur inestimable. Ici, le « sketch de l’atelier d’armes chimiques » et le « sketch de l’agent spécial mortel » sont les plus appropriés. Une éducation rapide à la théorie de l’absurde s’avère très utile pour concevoir des contre-attaques. 

C’est Karl Marx qui a dit que l’histoire se répète, « …d’abord comme une tragédie, puis comme une farce ». Dans le cas de la guerre américaine contre le terrorisme, c’était certainement une tragédie au départ. Des milliers de personnes sont mortes le 11 septembre, des milliers d’autres ont succombé à des maladies associées à l’exposition aux rayonnements ionisants, dont les origines sont voilées de mystère. L’Arabie saoudite aurait été à l’origine de l’attaque, et Israël semble avoir su quelque chose à ce sujet à l’avance… et les États-Unis ont donc décidé de contre-attaquer en Afghanistan, puis en Irak. Ces deux actes de vengeance mal dirigés étaient beaucoup plus terrifiants que l’événement lui-même. Des centaines de milliers de personnes sont mortes en Afghanistan et en Irak, et y meurent toujours, maintenant que le terrorisme est devenu endémique dans ces pays, conséquence directe des invasions américaines. 

1648819-2220930.jpgMais même à cette époque, la guerre contre la terreur comportait déjà un élément grotesque. J’ai défini cet élément d’absurdité il y a deux ans comme principe directeur : Toujours attaquer le mauvais pays. Peut-être qu’il y a une certaine agence secrète à Washington chargée de choisir le mauvais pays à attaquer ; j’ai proposé de l’appeler « La Mauvaise Direction ». Mais je n’ai pas tout à fait précisé quel est le principal objectif de cette erreur. Je vais le faire maintenant : il s’agit d’une optimisation, faite dans le cadre d’un effort visant à terroriser d’une manière plus efficace et plus rentable. Vous voyez, les termes « guerre contre le terrorisme » sont impropres ; en fait, il faudrait parler de « la guerre de la terreur », tout comme la guerre contre la drogue est vraiment une guerre de la drogue. (Les drogues des cartels se battent contre les drogues des compagnies pharmaceutiques, le gouvernement américain jouant le rôle d’arbitre). 

Toujours attaquer le mauvais pays est plus terrifiant à cause de l’élément aléatoire qui s’y ajoute. Un tyran qui n’a recours à la violence que lorsqu’il est provoqué et qui riposte toujours à l’agresseur est rationnel et peut être craint rationnellement, alors qu’un tyran qui frappe habituellement des gens au hasard lorsqu’il est attaqué est vraiment terrifiant. L’objectif ultime est de terroriser tout le monde pour que l’on continue à utiliser le dollar américain comme monnaie de réserve ; une fois que cela aura échoué, les États-Unis feront faillite, flottant le ventre gonflé et empestant tout le quartier. Ce serait certainement tragique, mais maintenant que les États-Unis se sont heurtés à la Russie et à la Chine, les deux agissant de concert, la guerre de la terreur américaine est devenue totalement grotesque. 

Ces derniers temps, la capacité des États-Unis à terroriser les autres est devenue plutôt circonscrite. Bien que les États-Unis et leurs alliés puissent encore attaquer des nations très faibles, comme le Yémen, même dans ce cas une résolution réussie du conflit reste à jamais hors de portée et sa perpétuation crée des embarras. Les batteries de défense antiaérienne Patriot construites par les États-Unis ne parviennent pas à arrêter les missiles Scud de l’époque soviétique tirés par les Yéménites sur l’Arabie saoudite. La majorité des missiles de croisière Tomahawk et des missiles de croisière plus récents tirés par les États-Unis sur la Syrie ont soit été abattus, soit sont tombés en mer en toute sécurité. Les Russes démontrent les capacités de leurs nouvelles armes à couler n’importe quel navire de la marine américaine n’importe où tout en restant hors de portée. Les États-Unis peuvent faire semblant d’ignorer ces faits en refusant de les rapporter comme des informations, mais les faits demeurent. 

La seule option qui reste est de virtualiser la terreur, de l’intégrer à la guerre de l’information et de la traduire en sanctions économiques (qui deviennent de moins en moins efficaces pour faire plier les autres nations à la volonté de Washington à mesure que le monde se dédollarise). Mais maintenant, même la guerre de l’information commence à donner lieu à des objectifs personnels embarrassants. C’est une règle de base de la guerre informationnelle que toutes les tentatives de défense sont inutiles parce que toute réponse, ou absence de réponse, à une provocation peut être interprétée comme une faiblesse, une culpabilité ou les deux. Le seul mouvement utile est d’attaquer. 

C’est en train de se produire. Alors que les États-Unis et le Royaume-Uni tentent d’utiliser leurs Casques blancs pour organiser une nouvelle opération sous faux drapeaux en Syrie, cette fois dans la province d’Idlib, et cette fois en utilisant de vraies armes chimiques introduites en Syrie pour l’occasion, le ministère russe de la défense se prépare à en rendre compte en temps réel, pièce par pièce. Ils ont déjà fourni des cartes indiquant où les armes sont stockées, où l’action va avoir lieu, où les victimes seront recrutées et où les corps seront déposés. Ils ont déjà dit que des vidéos mises en scène de l’événement ont déjà été tournées. Les vidéos de meilleure qualité iront aux chaînes câblées, le reste aux médias sociaux. Il ne reste plus, pour compléter le tableau, que les vidéos apparaissent sur les sites web russes un peu avant que les événements qu’elles sont censées documenter aient lieu. 

Une autre initiative de guerre informationnelle qui vient de mal tourner est la tentative d’accuser la Russie de la tentative d’assassinat de l’agent britannique [Russe?, NdT] retraité Skripal à Salisbury et de l’utiliser pour justifier une nouvelle série de sanctions américaines contre la Russie. Récemment, le gouvernement britannique a prétendu avoir identifié deux agents russes qu’il croyait responsables et a publié des images de leur passage. Ils ont affirmé que les deux travaillaient pour le GRU russe (au cas où vous vous demanderiez, c’est l’abréviation de Glavnoe Razvedyvatel’noe Upravlenie) qui a cessé d’exister depuis huit ans. Au moins, ils n’ont pas prétendu qu’ils travaillaient tous les deux pour Cagey Bee, l’abeille russe mondialement connue et pourtant inexistante ! (Assurez-vous de souffler un peu de fumée avant d’essayer de prendre son miel. La fumée rend les abeilles moins méfiantes). 
 
Plusieurs éléments de l’histoire concoctée par les Britanniques au sujet de ces deux personnages semblaient être de l’excellent trollage. Les deux ont été montrés passant par le même couloir à l’aéroport de Gatwick à la même seconde, exactement, ce qui a amené beaucoup de gens à spéculer sur cette impossibilité physique. Le nom de l’un d’entre eux était Ruslan Boshirov (au lieu de Bashirov), ce qui, en anglais, donnerait quelque chose comme « Agent Smith ». Cela a amené beaucoup de gens à penser qu’un fonctionnaire britannique l’avait peut-être inventé. Ils auraient voyagé avec un agent neurotoxique surpuissant, le Novichok, dans un flacon de parfum et en auraient laissé des traces dans leur chambre d’hôtel, mais personne n’en serait mort, ce qui est une autre impossibilité physique. Et puis il y a eu la confusion invraisemblable de deux images : Les assassins du gouvernement russe contre les touristes russes un peu benêts. 

Et puis les Russes les ont retrouvés. S’exprimant au Forum économique de Vladivostok, Poutine a proposé qu’ils donnent des interviews aux médias de masse, disant qu’il n’y avait « rien de particulièrement criminel » en eux. Ils ont dûment comparu devant Margarita Simonyan de RT.com, et ont livré un scoop. Au lieu de deux assassins du gouvernement russe, on a vu Hans et Franz de Saturday Night Live. Ils ont été assez loufoques et ont dit qu’ils importaient des compléments alimentaires pour les culturistes et divers fanatiques de fitness. Ils transpiraient abondamment et tremblaient dans leurs bottes parce qu’ils avaient peur pour leur vie. Ils ont raison : avec leurs tronches partout aux news du soir, ils ne peuvent plus faire le plein de leur SUV ou courir au supermarché pour acheter une boîte de barres d’alimentation sans craindre d’être identifiés et agressés. Fidèles à l’image qu’on pouvait se faire d’eux, ils se sont indignés à l’idée qu’on les croyait homosexuels, sur la base d’allégation britannique selon laquelle ils avaient partagé un lit dans une chambre d’hôtel et voyageaient avec une bouteille de parfum féminin. Aucune formation à une quelconque méthode de contre-interrogatoire n’aurait pu les préparer à une telle performance hyperréaliste. 

Tout cela n’aidera certainement pas à préserver la crédibilité des gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni. À ce stade, ils devraient vraiment passer en mode furtif et ne plus faire de déclarations publiques du tout. Le message universel de « Pour l’amour de Dieu, taisez-vous ! » risque de tomber dans l’oreille d’un sourd. Mais c’est très bien. Le spectacle des politiciens qui se font sauter le caisson peut être des plus divertissants. Je suis sûr qu’un bon nombre de vrais « agents du GRU » (ainsi que ceux qui jouent leur rôle à la télé) s’approvisionnent en bière et en popcorn et se préparent à regarder les feux d’artifice. 

Dmitry Orlov 

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

lundi, 17 septembre 2018

Incarner l’alternative au Système

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Incarner l’alternative au Système

Ex: https://lignedroite.club

Le Système incarne aujourd’hui à travers la Nouvelle Gauche, les médias, la justice et le grand patronat, le pouvoir réel dans notre pays. Informel et invisible, il entraîne la France sur la voie tracée par son idéologie ultralibérale, mondialiste et déconstructiviste. La droite nouvelle, qui représente la seule véritable opposition à cette entreprise politique délétère, doit donc, selon Ligne droite, se positionner clairement comme l’alternative au Système.

Un double dispositif de gouvernement

Aujourd’hui, notre pays connaît en effet un double niveau de gouvernement. En apparence, il est régi par les institutions officielles telles que définies par la Constitution. Dans ce monde-là, le pouvoir politique est censé avoir la prééminence. Le président de la République domine, soutenu par sa majorité parlementaire. Face à lui, l’opposition est supposée incarner une autre vision de l’avenir du pays. Et, à côté du pouvoir, la justice fait respecter les lois, les médias informent les citoyens et les entreprises leur fournissent des biens et des services.

Le Système derrière la façade institutionnelle

Mais ce monde est à bien des égards factice ou en tout cas il ne fonctionne pas comme on pourrait le croire au premier abord car, derrière la façade institutionnelle, c’est une autre réalité qui s’impose. Une réalité qu’on peut qualifier de Système puisque, dans la pratique, les différents pouvoirs ne sont pas indépendants mais corrélés les uns aux autres à travers les hommes qui en ont la charge. Même l’opposition procède de ce Système, comme la France insoumise qui n’est qu’une fausse opposition tout aussi immigrationniste que le parti de Macron et donc bien utile pour empêcher l’attention de se porter vers une véritable alternative. Et comme tous les acteurs du Système communient dans la même idéologie politiquement correcte, toutes les entités qu’ils dirigent œuvrent, non pas indépendamment, mais de concert et selon un ordre hiérarchique qui n’est pas celui des apparences. Les médias comme la justice dominent le pouvoir politique et le grand patronat domine les médias, de telle sorte que le monde économique et financier exerce sur le Système un pouvoir aussi absolu que discret.

L’idéologie politiquement correcte comme moteur du Système

Une discrétion qui est de règle et qui est d’ailleurs d’autant mieux respectée que le Système fonctionne en pilotage automatique. D’abord parce que tous les acteurs du Système se tiennent et que ceux qui en sortiraient seraient aussitôt diabolisés et marginalisés. Ensuite parce que tous ceux qui y occupent des postes de responsabilité connaissent la direction à suivre. Aussi n’y a-t-il aucun chef secret qui en dirige les ramifications. Aucune organisation parallèle ne structure le réseau. Sans doute existe-t-il des personnalités plus influentes que d’autres, peut-être y a-t-il des cénacles qui comptent plus que d’autres, mais le Système s’autorégule car tous ses membres ont la même feuille de route, celle de la pensée unique, une idéologie qui repose sur trois piliers.

L’ultralibéralisme international qui prône la dérégulation totale des échanges économiques et financiers à l’échelle de la planète. Le mondialisme qui pousse à la fusion des peuples et des nations et donc à l’immigration sans limite. Et la déconstruction des valeurs sociétales, cette espèce de relativisme militant qui cherche à abattre les valeurs et à gommer toutes les différences. Au résultat le Système œuvre dans le sens du libre-échangisme, de l’internationalisme, de l’européisme, de l’atlantisme, de l’immigrationnisme, de l’écologisme et du libertarisme.

Telle est la raison pour laquelle on ne peut pas, sans risquer la diabolisation ou l’ostracisme, défendre le protectionnisme économique, contester l’Europe bruxelloise, réclamer l’arrêt de toute immigration, ou même s’interroger sur la validité de la parité homme femme généralisée. Ces questions sont taboues parce que contraires aux options du Système, lequel impose ses vues sans contestation possible.

La droite nouvelle, cible principale du Système

La droite nouvelle, dont les choix idéologiques sont presque tous contraires à ceux du Système, se situe donc dans l’opposition, non seulement à la Nouvelle Gauche de M. Macron actuellement au pouvoir, mais aussi au Système dans son ensemble. C’est pourquoi elle ne peut qu’être combattue par les médias et maltraitée par la justice. Le Système est en effet bien conscient qu’une victoire politique de la droite nouvelle pourrait signifier son démantèlement puis sa disparition. Il mettra donc tout en œuvre pour s’opposer à elle, pour freiner son émergence et empêcher sa victoire.

La droite nouvelle en alternative au Système

C’est pourquoi la droite nouvelle doit, selon Ligne droite, se positionner clairement en alternative au Système. Une alternative qui apparaît comme une nécessité impérieuse pour la survie même de notre nation et de notre civilisation aujourd’hui gravement menacées. Toutes les actions du Système détruisent en effet les valeurs qui ordonnent notre société et conduisent au chaos. Le chaos migratoire, qui déracine notre peuple et l’expose au risque d’être remplacé par des populations venues d’ailleurs. Le chaos économique, qui appauvrit les Français, crée le chômage de masse et dépossède la France de ses outils de production. Le chaos sociétal, qui détruit les valeurs traditionnelles, effacent les repères et génère la médiocrité. Pis, ce Système provoque la guerre de tous contre tous, il fragmente la France, dresse les minorités contre la majorité et laisse émerger des communautés qui s’opposent les unes aux autres.

Pour mettre un terme à ces funestes entreprises, il est donc essentiel de s’opposer au Système et de réussir à le démanteler. C’est à cette tâche que la droite nouvelle doit s’atteler en se positionnant clairement comme l’alternative au Système.

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Incarner l’alternative au Système

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Incarner l’alternative au Système

Ex: https://lignedroite.club

Le Système incarne aujourd’hui à travers la Nouvelle Gauche, les médias, la justice et le grand patronat, le pouvoir réel dans notre pays. Informel et invisible, il entraîne la France sur la voie tracée par son idéologie ultralibérale, mondialiste et déconstructiviste. La droite nouvelle, qui représente la seule véritable opposition à cette entreprise politique délétère, doit donc, selon Ligne droite, se positionner clairement comme l’alternative au Système.

Un double dispositif de gouvernement

Aujourd’hui, notre pays connaît en effet un double niveau de gouvernement. En apparence, il est régi par les institutions officielles telles que définies par la Constitution. Dans ce monde-là, le pouvoir politique est censé avoir la prééminence. Le président de la République domine, soutenu par sa majorité parlementaire. Face à lui, l’opposition est supposée incarner une autre vision de l’avenir du pays. Et, à côté du pouvoir, la justice fait respecter les lois, les médias informent les citoyens et les entreprises leur fournissent des biens et des services.

Le Système derrière la façade institutionnelle

Mais ce monde est à bien des égards factice ou en tout cas il ne fonctionne pas comme on pourrait le croire au premier abord car, derrière la façade institutionnelle, c’est une autre réalité qui s’impose. Une réalité qu’on peut qualifier de Système puisque, dans la pratique, les différents pouvoirs ne sont pas indépendants mais corrélés les uns aux autres à travers les hommes qui en ont la charge. Même l’opposition procède de ce Système, comme la France insoumise qui n’est qu’une fausse opposition tout aussi immigrationniste que le parti de Macron et donc bien utile pour empêcher l’attention de se porter vers une véritable alternative. Et comme tous les acteurs du Système communient dans la même idéologie politiquement correcte, toutes les entités qu’ils dirigent œuvrent, non pas indépendamment, mais de concert et selon un ordre hiérarchique qui n’est pas celui des apparences. Les médias comme la justice dominent le pouvoir politique et le grand patronat domine les médias, de telle sorte que le monde économique et financier exerce sur le Système un pouvoir aussi absolu que discret.

L’idéologie politiquement correcte comme moteur du Système

Une discrétion qui est de règle et qui est d’ailleurs d’autant mieux respectée que le Système fonctionne en pilotage automatique. D’abord parce que tous les acteurs du Système se tiennent et que ceux qui en sortiraient seraient aussitôt diabolisés et marginalisés. Ensuite parce que tous ceux qui y occupent des postes de responsabilité connaissent la direction à suivre. Aussi n’y a-t-il aucun chef secret qui en dirige les ramifications. Aucune organisation parallèle ne structure le réseau. Sans doute existe-t-il des personnalités plus influentes que d’autres, peut-être y a-t-il des cénacles qui comptent plus que d’autres, mais le Système s’autorégule car tous ses membres ont la même feuille de route, celle de la pensée unique, une idéologie qui repose sur trois piliers.

L’ultralibéralisme international qui prône la dérégulation totale des échanges économiques et financiers à l’échelle de la planète. Le mondialisme qui pousse à la fusion des peuples et des nations et donc à l’immigration sans limite. Et la déconstruction des valeurs sociétales, cette espèce de relativisme militant qui cherche à abattre les valeurs et à gommer toutes les différences. Au résultat le Système œuvre dans le sens du libre-échangisme, de l’internationalisme, de l’européisme, de l’atlantisme, de l’immigrationnisme, de l’écologisme et du libertarisme.

Telle est la raison pour laquelle on ne peut pas, sans risquer la diabolisation ou l’ostracisme, défendre le protectionnisme économique, contester l’Europe bruxelloise, réclamer l’arrêt de toute immigration, ou même s’interroger sur la validité de la parité homme femme généralisée. Ces questions sont taboues parce que contraires aux options du Système, lequel impose ses vues sans contestation possible.

La droite nouvelle, cible principale du Système

La droite nouvelle, dont les choix idéologiques sont presque tous contraires à ceux du Système, se situe donc dans l’opposition, non seulement à la Nouvelle Gauche de M. Macron actuellement au pouvoir, mais aussi au Système dans son ensemble. C’est pourquoi elle ne peut qu’être combattue par les médias et maltraitée par la justice. Le Système est en effet bien conscient qu’une victoire politique de la droite nouvelle pourrait signifier son démantèlement puis sa disparition. Il mettra donc tout en œuvre pour s’opposer à elle, pour freiner son émergence et empêcher sa victoire.

La droite nouvelle en alternative au Système

C’est pourquoi la droite nouvelle doit, selon Ligne droite, se positionner clairement en alternative au Système. Une alternative qui apparaît comme une nécessité impérieuse pour la survie même de notre nation et de notre civilisation aujourd’hui gravement menacées. Toutes les actions du Système détruisent en effet les valeurs qui ordonnent notre société et conduisent au chaos. Le chaos migratoire, qui déracine notre peuple et l’expose au risque d’être remplacé par des populations venues d’ailleurs. Le chaos économique, qui appauvrit les Français, crée le chômage de masse et dépossède la France de ses outils de production. Le chaos sociétal, qui détruit les valeurs traditionnelles, effacent les repères et génère la médiocrité. Pis, ce Système provoque la guerre de tous contre tous, il fragmente la France, dresse les minorités contre la majorité et laisse émerger des communautés qui s’opposent les unes aux autres.

Pour mettre un terme à ces funestes entreprises, il est donc essentiel de s’opposer au Système et de réussir à le démanteler. C’est à cette tâche que la droite nouvelle doit s’atteler en se positionnant clairement comme l’alternative au Système.

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L’harmonie, une caractéristique essentielle de notre civilisation

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L’harmonie, une caractéristique essentielle de notre civilisation

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L’harmonie est sans conteste l’une des caractéristiques les plus emblématiques de notre civilisation. Aussi n’y aura-t-il pas de redressement véritable de notre pays comme de notre continent sans un retour à l’harmonie. La notion, qui paraît au premier abord plus intuitive que rationnelle, est cependant essentielle. Elle correspond en effet à un ordre social équilibré qui agence les êtres et les choses au service du bien commun et s’appuie sur les valeurs fondatrices de notre civilisation. Aussi, quels que soient les efforts menés par ailleurs, Ligne droite estime qu’il n’y aura pas de renaissance si l’ordre et les valeurs propres à l’harmonie ne s’imposent pas à nouveau au sein de notre nation.

L’harmonie au cœur de notre civilisation

Il importe en effet que notre pays et notre continent renouent avec cet ordonnancement supérieur qui a fait depuis ses origines la grandeur et la force de notre civilisation. L’harmonie n’était-elle pas présente dans les cités grecques comme nous le rappelle aujourd’hui la beauté exceptionnelle de leurs temples et de leurs monuments? Une harmonie présente ensuite tout au long de notre histoire, notamment dans les cathédrales et les édifices royaux, et qui, au-delà de l’architecture, irradiait la société française toute entière. Certes, notre pays a connu bien des difficultés mais il n’a presque jamais perdu les fondements qui, en termes d’ordre et de valeurs, ont assuré sa pérennité. Aujourd’hui, il en va différemment car la France connaît un chaos qui menace son existence même. Aussi l’harmonie est-elle aujourd’hui plus nécessaire que jamais.

Un ordre qui donne à chacun sa place

Elle est en effet à l’origine d’un ordre qui structure la société en offrant à tous les citoyens une place légitime dans l’édifice social. Une place qui leur permet de savoir qui ils sont et d’où ils viennent mais aussi de connaître leur rôle dans la communauté et d’obtenir la reconnaissance et le respect de leurs pairs. Ainsi, par exemple, est-il nécessaire que chaque Français soit reconnu et rétribué en fonction de son mérite, de son talent et de son travail. De même, en tant que membre de la communauté nationale doit-il jouir d’une préférence qui concrétise son appartenance à la nation et lui permet de se sentir chez lui dans son propre pays. Autant d’impératifs qui construisent un ordre clair et légitime, indispensable à l’harmonie sociale. Malheureusement, cet ordre est aujourd’hui bafoué par l’idéologie déconstructiviste du Système, sa volonté de promouvoir les minorités et son obsession maladive de favoriser l’immigration.

Un ordre équilibré et mesuré

Face à ce chaos créé de toute pièce par l’oligarchie, l’harmonie est d’autant plus nécessaire que l’ordre qu’elle véhicule est très éloigné de la caricature qu’on en donne habituellement. Il s’inspire en effet de la formule grecque “rien de trop” qui est le refus de l’excès alors que notre monde est aujourd’hui marqué par la culture du No Limits c’est à dire de l’excès en tout. De fait cet ordre cultive l’équilibre et la mesure propres à la civilisation européenne et réussit à marier en un même élan des éléments apparemment opposés : la force et la douceur, le beau et l’utile, le communautaire et le personnel. Il n’a donc rien de totalitaire ni de brutal et ne cède pas à l’hubris. Il n’a jamais conduit à la démesure et l’harmonie qui le porte est toujours à dimension humaine.

Un ordre qui œuvre au bien commun

Pour autant l’harmonie ne conduit pas à l’individualisme car son rôle consiste au contraire à ordonner les membres de la communauté autour d’un objectif commun. Avec elle les acteurs de la société sont appelés à concourir au même but, à la manière d’un orchestre dans lequel chacun joue de son instrument, permettant ainsi à l’ensemble de faire entendre une symphonie. Une démarche au service du bien commun radicalement contraire à celle que nous connaissons aujourd’hui en France où la société est dominée par l’individualisme et pousse chacun à demander toujours plus de droits et d’avantages sans se préoccuper d’apporter quoi que ce soit à la communauté.

Les valeurs qui rendent l’harmonie possible

Cet ordre mesuré et équilibré qui structure la société et garantit sa dimension collective ne suffit cependant pas à créer l’harmonie car celle-ci n’existe que fondée sur des valeurs. Ainsi par exemple un ordre imposé dans un cadre dictatorial n’aurait rien d’harmonieux car il bafouerait la liberté, une valeur fondamentale propre à la civilisation européenne. Aussi l’harmonie doit-elle s’appuyer sur des valeurs fondatrices, celles qui tirent leur légitimité de leur permanence et de leur ancienneté et qui ont façonné notre civilisation depuis ses origines.

Les valeurs fondatrices de notre civilisation

Il s’agit notamment de la famille, aujourd’hui oubliée et méprisée par le Système, ainsi que de l’éducation détruite par le refus de l’excellence, de la sélection et de l’enracinement. Il y a également la liberté, paradoxalement occultée par l’état de droit et la dictature des minorités. Il faut aussi citer la nation mise en cause par le vivre ensemble, ainsi que le travail ruiné par le libre-échangisme sauvage et l’assistanat généralisé. Compte également la reconnaissance du mérite, rendue impossible par l’égalitarisme et la discrimination positive. Citons enfin l’identité, gravement érodée par la marée migratoire et l’entreprise de déconstruction. Le rejet ou l’oubli de toutes ces valeurs pourtant fondatrices entraîne la disparition de l’harmonie dans notre pays et par voie de conséquence menace notre civilisation. Elle instaure un grave désordre qui désarçonne nos compatriotes et prive nos enfants de tout repère.

C’est donc pour mettre un terme à ce chaos politiquement correct que le retour à l’harmonie est à ce point nécessaire. Une action de redressement que Ligne droite juge essentielle et que la droite nouvelle devrait conduire en s’affichant comme le défenseur de l’ordre et des valeurs, c’est-à-dire comme le champion de l’harmonie.