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lundi, 25 mai 2020

Entretien avec Pierre Le Vigan sur le confinement

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Entretien avec Pierre Le Vigan sur le confinement

Club du mercredi Nancy

1 - Quelles sont les conséquences du confinement sur la perception de l’espace et du temps ?

clubmercredi.jpgD’une manière générale, en période normale, nous pouvons nous déplacer librement à l’intérieur de l’espace mais pas à l’intérieur du temps. Telle est notre condition d’hommes. Le confinement est d’abord un phénomène spatial. Avec le rétrécissement de l’espace, les jours se ressemblent. Le confinement nous met à nu. D’autant qu’il  se fait bien sur fond, au minimum, d’inquiétude, voire de phobie, ou d’angoisse. Antonin Artaud dit : « L’épidémie fait tomber les masques ». Ainsi, l’angoisse nous fait attendre tout de suite un médicament, à la fois totalement efficace et (surtout) définitivement efficace. Dans l’idéal : un vaccin.

Avec le confinement, nous sommes obligés d’habiter chez nous, dans tous les sens du terme. Alors que ce n’est pas le cas quand nous nous déplaçons tout le temps, et quand nous « sortons beaucoup ». Quand on dit d’une femme qu’elle « sort beaucoup », cela veut dire qu’elle ne dort pas souvent chez elle, mais chez un compagnon de lit. Le confinement tend à mettre fin à cela.

Le confinement nous fait vivre dans un éternel présent. Notre rapport au futur est complétement modifié. Le futur ne dépend plus de nous, mais d’une date, qui tombera d’en haut, d’un possible déconfinement, du reste partiel, et réversible. Nous fantasmons sur l’après confinement, alors que nous ne prétendions pas être si heureux il y a quelques mois.

Avec le confinement, on a du temps et même trop de temps. Surtout, le temps devient homogène. Il perd par là sa signification. Le temps intérieur, c’est ce que Bergson appelait la durée. C’est le temps qui nous est propre. Le temps n’est plus ce qui mesure les écarts entre deux actions, ou deux moments d’une action, mais le temps est alors une matière qui s’écoule comme le dentifrice qui sort d’un tube. Pour que le temps nous soit propre il faut qu’il soit singulier, marqué  par une attente qui est la nôtre, et rien que la nôtre, par des affects, par une humeur, par des ressentis, qui nous appartiennent en propre. 

2 – Quelles sont les conséquences psychologiques du confinement ?

Il y a eu chez beaucoup un sentiment de sidération. Il était « stupéfiant » d’en arriver là. Chez beaucoup, un sentiment de peur s’est ajouté : un virus invisible, volatile à 1 mètre, à 2 mètres, a 10 mètres même, ont dit certains « experts » à propos des joggers ? L’information surabondante, pas toujours fausse, mais à interpréter, à mettre en perspective, ce qui demande un travail, a beaucoup ajouté à un sentiment de désorientation, à une perte de repères. D’autant que la population était disponible, et même trop disponible, compte tenu du chômage de masse s’étant abattu sur une bonne part des salariés et des actifs. Les pouvoirs publics ont bien entendu ajouté le maximum d’éléments anxiogènes pour tétaniser la population.  Information pas toujours fausse, mais tronquée et inutilement précise (le nombre de morts égrené quotidiennement par la Direction générale de la santé. L’isolement, l’ennui, l’inquiétude face à la difficulté de communiquer « en vrai », face à la perte de revenus pour beaucoup, ont créée un état mental proche du stress posttraumatique. En outre, la première période de confinement était, de tout évidence destinée à se prolonger, d’où l’absence de maitrise du calendrier, ce qui a rajouté une angoisse supplémentaire. Ce n’est qu’avec la conférence de Macron mi avril qu’un horizon de déconfinement est apparu, fut-il partiel, fixé au 11 mai. C’est alors, le 16 avril, que Macron eut une formule de bon sens, tellement était forte la pression d’une partie de l’opinion publique vers un retour au réel. Cette phrase était : « Ce confinement tue à petit feu notre économie, et il ne servirait à rien de mourir guéri ».

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Les annonces délirantes de pseudo experts sur un risque probable de 500.000 morts dans un pays comme la France (qui compte 600.000 morts par an, il eut donc s’agit d’un quasi doublement) ont créé un climat parfois proche de la paranoïa. Il en a été de même des perspectives, qui ont pris la forme de menaces des autorités, notamment du ministre de l’intérieur, de confinement prolongé d’un an, voire jusqu’en 2022, de reconfinement à prévoir en cas de recrudescence de la pandémie, et encore – ce qui n’est pas le moindre motif de stress, au sens fort, un sursaut de l’instinct de liberté – de flicage généralisé (traçage) de tous par l’Etat et les opérateurs de téléphonie et d’internet, main dans la main, etc.

3 – Que pensez-vous des conseils sur le confinement comme occasion pour se recentrer sur soi ?  

Nous sommes déjà dans une époque où l’on se replie sur soi et son petit « moi », avec les fantasmes de « développement personnel », d’écoute de son « moi intérieur ». En fait, il n’y a pas de moi sans les autres, pas de moi sans lien social.

4 - Le confinement est-il une leçon d’humilité et en quoi ?

9782953938753.jpgPlutôt que d’humilité, je parlerais de sobriété. Notre vie quotidienne se fige. Nous faisons l’apprentissage d’une certaine impuissance. Beaucoup de problèmes en suspens ne peuvent pas être résolus, le temps se ralentit, alors que pourtant c’est dans l’espace que nous sommes confinés. La vie intellectuelle se ralentit aussi, la poste marche mal, Amazon lui-même ne livre plus, nous ne pouvons accéder à des livres que nous espérions avoir sous le coude, et dés lors, nous apprenons à faire avec ce que nous avons, qui s’avère toujours plus riche que ce que nous croyions. Même pour les bricoleurs, la vie est difficile, les magasins sont fermés, la dimension de conseils, les contacts humains, les échanges, la flânerie – le propre du monde urbain – est supprimée. Pour tout un chacun, l’horizon se rétrécit, même pour des choses aussi banales que pour les courses, puisque intervient le critère « de première nécessité », ce qui exclut les achats culturels et les livres bien entendu, et amène à des contrôles indécents de sacs de provision que nous n’avions pas vu depuis les fameuses « heures les plus sombres de notre histoire ». Un climat de délation s’installe parfois, qui évoque aussi l’Occupation et la Libération, et leurs vengeances sordides, du temps où « les Français ne s’aimaient pas », comme disait Georges Pompidou. Enfin, le rayon de déplacement d’abord fixé à 2 km a tout de suite été réduit à 1 km, avec interdiction d’accéder aux parcs, jardins, bords de fleuve, et autres mesures inutiles, vexatoires, stupides et liberticides. Au-delà de la peur objective du Covid, il se répand une lourdeur, voire une angoisse sourde, c’est-à-dire une peur sans objet, qu’avait évoquée Kierkegaard. Le fond de l’homme remonte à la surface. Cela ne rend pas forcément plus lucide, ni plus bienveillant, mais cela rend plus fragile. Il y a des choses qu’il vaut mieux laisser au fond des âmes. Rappelons-nous la formule de Nietzsche : « Les Grecs étaient superficiels. Par profondeur. »  

Par contre, l’un des aspects positifs du confinement est qu’il nous amène à penser à nos proches, surtout ceux isolés dans des institutions spécialisées, et à réaliser qu’il faudrait justement  faire sortir les plus âgés d’entre nous des EPHAD, en remettant les personnes âgées dans la cité, au milieu des autres générations, ce qui suppose une société de confiance, vaste programme incompatible avec le monde libéral de libre circulation des capitaux, des biens et des hommes et de fluidité générale de tout et tous.

5 – Y-a-t-il un philosophe qui ait particulièrement pensé le confinement ?  (Sur Descartes et Leibniz)

1312541-René_Descartes_à_sa_table_de_travail.jpgIl y a Descartes dans sa chambre et devant son poêle. « Je demeurais tout un jour seul, enfermé dans mon poêle, où j’avais tout le loisir de m’entretenir de mes pensée » (Discours de la méthode). Il s’isole, se met en robe de chambre, et se donne comme mot d’ordre de repartir à  zéro quant à toutes ses certitudes. "Il me semble", dit Descartes, "que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que je remue n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main, et que je la sens…" Et pourtant, poursuit-il, combien de fois, "m’est-il arrivé de songer la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu"… alors que j’étais "tout nu dans mon lit ?" C’est du solipsisme : Descartes considère que la seule réalité stable c’est qu’il est un sujet pensant. Et il en arrive à « je pense, donc je suis ». On commence par le doute, avec Descartes, et le doute mène à l’empirisme, et l’empirisme mène à la certitude du moi, et de là, on reconstruit tout. Mais si « je suis, j’existe » ? Je suis quel existant ?  Qu’est-ce que je suis ?

Au sentiment d’inutilité du au désoeuvrement, Montaigne, de son côté, répond : (vous dites n’avoir rien fait ?) «Quoi, n’avez-vous pas vécu? C’est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos occupations. Avez-vous su méditer et manier votre vie? Vous avez fait la plus grande besogne de toutes. Notre grand et glorieux chef-d’œuvre, c’est de vivre à propos.»

*

Beaucoup plus profonde est l’analyse que nous pouvons tirer de Leibniz à propos du confinement. La monade est l’élément essentiel de la philosophie de Leibniz. Chaque monade est sans porte ni fenêtre. Elle est donc enfermée chez elle. La monade se confine. Mais il y a des liens entre les monades. Il y a un système qui les fait tenir ensemble. Quelle est la forme actuelle de ce système ? Qu’est-ce qui nous fait tenir ensemble en ce moment, en période de confinement ? C’est internet. Notre connexion internet,  c’est l’équivalent de l’harmonie préétablie chez Leibniz. Cette harmonie est Dieu tel qu’il nous apparait. C’est Dieu tel que nous le voyons. Et quand nous ne le voyons pas, c’est à dire quand nous doutons de cette harmonie, qui ne nous parait pas évidente, en temps de guerre par exemple, c’est encore Dieu qui l’a voulu. Car cette harmonie n’est pas une perfection aux yeux de l’homme, mais elle est bien une perception selon Dieu. C’est le meilleur des mondes possibles. Et si internet sort renforcé du confinement suite à la crise du coronavirus, c’est bien la preuve qu’internet est notre nouveau Dieu, que rien ne saurait affaiblir. Internet est donc la forme postmoderne de l’harmonie préétablie, dont l’électricité – la fée électricité – était la forme moderne.  Comme il est Dieu, notre internet ne doit pas souffrir d’imperfections trop manifestes. Il doit apparaitre sans aspérités, lisse, débarrassé des « contenus haineux », c’est-à-dire polémiques. La seule haine souhaitée est celle qui doit nous dresser contre le « repli nationaliste » ou  la « lèpre populiste ». Chaque point d’internet, chaque point du réseau a ceci de commun avec les monades d’être connecté avec la totalité, et d’être à la fois émetteur et récepteur, et relais de transmission.

Ce qui est important dans la théorie de Leibniz, c’est que les monades n’agissent jamais l’une sur l’autre.  Aucune n’est non plus la cause de l’autre, ou la cause d’un changement chez l’autre. Internet, ou plus précisément les géants d’internet, voudraient que nous fonctionnions de la même façon. Mais heureusement, l’homme reste un grain de sable que le système ne peut éliminer. Des réseaux se sont formés et se forment. Ils échappent à la logique d’ensemble du système, et ce système lui-même n’est pas homogène. Il est poreux. Des éléments y entrent, des éléments en sortent. Rien n’est jamais joué d’avance. C’est le jeu du monde contre la fixité.

Dans le système de Leibniz, chaque monade reflète tout l’univers, comme dans la théorie des fractales. Emile Boutroux écrit à propos de la Monadologie de Leibniz : « Dieu a, dés l’origine, réglé toutes les monades sans exception de manière qu’à chaque perception distincte de l’une d’elles correspondent en toutes les autres des perceptions confuses, et réciproquement, de telle sorte que chaque monade soit représentative de tout l’univers, à son point de vue ». Chaque point nous dit donc ce qu’est le réseau, mais chaque point n’a de sens que parce qu’il est en réseau. Il y a induction. De la monade, on peut déduire le système.

Chaque monade reflète donc le monde, mais elle ne peut transformer le monde. L’harmonie universelle de Leibniz a pris comme nom, après lui, la « main invisible » du marché d’Adam Smith, puis la « concurrence libre et non faussée » de la secte technocratique de Bruxelles, qui a édifié une nouvelle « prison des peuples », et des mondialistes plus généralement.

Le confinement réalise un projet radical d’harmonie universelle autoritaire, mettant l’homme dans la dépendance totale des réseaux internet, de la géolocalisation minute par minute, et donnant à la méga-machine du pouvoir une visibilité sur nos vies dont elle rêvait sans oser l’envisager aussi efficace et sophistiquée. Il est heureux que des résistances aient, peu ou prou, et provisoirement, mis quelques bornes, fragiles, à ces tentatives de mettre nos vies dans une transparence totale, via internet, vis-à-vis des pouvoirs, devenus de véritables biopouvoirs.

A cet égard, un des spectacles réjouissants dans le confinement a été l’investissement sauvage de terrains de sport par des jeunes.  C’est le soulèvement de la vie.  On ne peut pas déplorer une délinquance issue d’une partie de la jeunesse si on ne lui permet pas de dépenser son énergie de façon positive.  

6 – Qu’est-ce que nous dit, de son côté, Blaise Pascal ?

Pascal.jpgLe divertissement, selon Pascal, nous console en même temps qu’il témoigne de notre misère. Que dit Pascal ? « J’ai dit souvent que le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Il parle du va et vient entre excitation et ennui. « Ainsi s’écoule toute la vie : on cherche le repos en combattant quelques obstacles, et  si on les a surmontés, le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il faut en sortir et mendier le tumulte ».  Cette oscillation, c’est le fruit de notre condition « faible et mortelle ».

Pascal réfléchit sur la façon dont nous pouvons vivre en étant face à nous-mêmes. Il craint que nous nous jetions de façon excessive dans le divertissement car nous sommes faibles. « Coeurs creux et plein d’ordures », écrit–il à propos des hommes. Evidemment, le confinement nous enlève à notre bougisme et à son illusion. Il a quelque vertu en ce sens, si nous savons y faire face. Il nous laisse à la nudité de nous-mêmes et à la nudité du monde. Nudité de l’homme, nudité du monde, il ne reste à l’homme qu’une troisième dimension, qui peut nous sauver, Dieu.

On n’est pas obligé de suivre Pascal. Le monde ne me parait pas seulement ce qui se voit sur une carte du monde. Le monde n’est pas à deux dimensions. Il est déjà à trois dimensions. Cette troisième dimension n’est pas forcément le Dieu de Pascal, ou plutôt, elle le précède, c’est le mystère du monde, c’est le divin du monde, c’est l’épaisseur du monde. Le monde est le lieu même du divin, et le divin n’est pas hors du monde : voilà la querelle que nous pouvons avoir, et sans doute devons avoir, avec Pascal.  

S’il y a des limites physiques à la consommation de la terre, à son arraisonnement comme réservoir d’énergies, qui sont limitées, par contre, la terre comme cosmos, le monde comme phusis, est illimité sous le registre des mythes et de l’énergie vitale. Energie en grec se dit energeia et veut dire acte, et être en acte est ce qui caractérise le dieu, tandis que la puissance (dunamis) est ce qui attend d’être actualisé. Le monde est une puissance que nous pouvons mettre en acte de manière infinie. Car la puissance n’est pas démonie matérielle, elle est l’infini poétique. Poïesis veut dire « faire, créer » en grec.

7 – On raconte que Kant sortait très peu. Ne pratiquait-il pas un auto-confinement, ce qui veut dire qu’il lui trouvait quelque vertu ? A-t-il des choses à nous dire du confinement ? 

Kant n’aura modifié le trajet de sa promenade quotidienne que deux fois, dit-on, pour s’acheter un livre de Rousseau, et à l’annonce de la prise de la Bastille, preuve d’un fort ébranlement du pouvoir interprété comme début de la Révolution française.

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Le confinement de Kant doit être vu sous un autre angle que celui, anecdotique, du mode de vie de ce philosophe. Kant connaitra un déconfinement mental à la lecture de David Hume. Le scepticisme est en effet la conséquence de l’empirisme (l‘inverse, l’empirisme comme conséquence du scepticisme peut aussi être vrai).

S’il n’y a pas de lois de la raison, il n’y a que des répétitions que nous montre l’expérience, mais elles n’indiquent pas l’existence de lois, elles ne sont peut-être que de simples coïncidences. Kant conclut de son analyse de Hume que la raison ne doit pas être dogmatique, qu’elle doit savoir limiter le champ de ses certitudes. Il faut donc opérer une critique de la raison pure, car la pure raison a des limites strictes. C’est ainsi que l’on détermine  le champ de pertinence de la raison, qui est limité.

La raison ne soit pas sortir de son domaine, qui est celui des jugements a priori, tautologiques et de quelques jugements synthétiques, géométriques et mathématiques. La raison doit donc restée confinée.  Elle ne doit pas, notamment, se promener sur les territoires de la métaphysique (qu’est-ce que l’âme, qu’est-ce que dieu, qu’est-ce que le monde ?).

Les jugements ou vérités a priori, qui relèvent de la raison, sont analytiques. Cela veut dire qu’ils n’ajoutent rien au point de départ. Exemple : « Tous les corps sont étendus » (c’est la définition même d’un corps). Il y a toutefois quelques jugements a priori qui sont synthétiques, c’est-à-dire qui ajoutent quelque chose de plus à l’énoncé de départ. C’est le cas des jugements ou vérités mathématiques : 5 +3 = 8. Huit n’est pas compris dans l’énoncé de départ. C’est le cas de la remarque comme quoi la somme des angles d’un triangle est égale à deux angles droits, soit un angle de 180° ou angle plat (ou ligne droite, ou absence d’angle).

Les jugements synthétiques a priori sont mathématiques ou épistémologiques, ils sont a priori en ce sens qu’ils n’ont pas besoin d’être vérifiés par l’expérience. Un exemple de jugement synthétique a priori est, en épistémologie, le jugement : « Tout ce qui arrive a une cause ». Ces jugements ne portent jamais sur dieu, l’âme, le monde, et l’expérience, et les jugements synthétiques a posteriori ne portent pas non plus là-dessus. Sur ces sujets, dieu, l’âme, le monde, on ne peut donc rien dire, ce qui n’empêche pas de croire, et d’avoir raison de croire, mais pour des raisons qui relèvent de la raison pratique.  

8 – Voyez-vous des leçons à tirer d’autres philosophes quant au confinement ?  Sénèque, Rousseau, Schopenhauer, Michel Foucault ?

1b9499731f0cfbb7e7f5f5b826330424_XL.jpgSénèque, dans La Tranquillité de l’âme, parle de l’homme « qui ne supporte pas d’être chez soi, entre les murs de sa chambre, (…) abandonné à soi-même. De là cet ennui, ce dégoût de soi, ce tourbillon de l’âme qui ne se fixe jamais nulle part (…). De là cet état d’esprit qui conduit les hommes à détester le loisir et à se plaindre de n’avoir rien à faire » (entretien 47 et 62). Alain Finkielkraut faisait une remarque analogue en préparant un entretien au début du confinement. C’est ce que Cassien le Romain et Evagre le Pontique, Pères de l’Eglise, appelleront l’acédie. A-kédia : privation de quiétude. Le sage se caractérise selon Sénèque par la « persévérance dans le rien faire » (Lettre à Lucilius, 63-64). Pas sûr qu’une telle recette, anti-prométhéenne et plus encore a-sociale, soit entendable aujourd’hui. Elle n’est du reste peut-être pas souhaitable.

Rousseau, de son côté, relate une expérience personnelle. Il est confiné à Gènes suite à une épidémie, la peste de Messine. Il écrit : « Seul, je n’ai jamais connu l’ennui (…) Mon imagination remplit tous les vides » (Les Confessions, II, 12).  Il faut quand même savoir que, à Gènes, dans son lazaret, se promenant dans le cimetière protestant, Rousseau avait une vue sur la mer. C’est bon pour le moral.

On ne peut passer sous silence Schopenhauer qui, dans les Parerga (suppléments), série d’essais philosophiques, évoque le dilemme du porc-épic. Seul, il s’ennuie. En groupe, il se pique à ses congénères. Comme les porcs-épics, les humains ont besoin de société mais… qui s’y frotte s’y pique. « On n’a pas arrêté de chercher à me mettre des bâtons dans les roues… » dit Didier Raoult.  Il ajoute : « Je suis nietzschéen. L’adversité me rend plus fort ». Schopenhauer, pessimiste radial, dit de son côté : « les hommes se groupent », mais c’est « pour s’ennuyer en commun ».  « Se suffire à soi-même, poursuit Schopenhauer, voilà certainement la condition la plus favorable pour notre bonheur » (Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1851).

Disons encore deux mots d’un autre philosophe, Michel Foucault, dont une bonne partie de l’œuvre concerne l’enfermement. Il souligne que les mesures consécutives aux pestes réalisent l’idéal d’une cité  parfaite. « Hiérarchie, surveillance, regard, écriture » (il n’y avait pas internet et le téléphone) : la ville est « immobilisée dans le fonctionnement d’un pouvoir extensif qui porte de façon distincte sur tous les corps individuels » (Surveiller et punir).  La peste, et d’une manière générale les épidémies sont l’occasion de la mise en place d’un pouvoir ultra-disciplinaire, de façon à se rapprocher le plus possible d’un modèle théorique parfait du point de vue du pouvoir.

Après la crise des Gilets jaunes et la peur qui s’est emparé du pouvoir, la pandémie  du Covid-19, du niveau de la grippe de Hong Kong (plus de 30 000 morts en 1969 pour la France) a été une occasion inespérée, voire un prétexte pour mettre en place un contrôle sans précédent du peuple de France, au cours d’un stage grandeur nature d’accoutumance à la soumission, sans parler du (mauvais) spectacle de mensonges et d’abêtissement donné par le pouvoir.

 

dimanche, 24 mai 2020

Nietzsche et l'Histoire, Nietzsche dans l'Histoire

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Nietzsche et l'Histoire, Nietzsche dans l'Histoire

"La Grande H.", Dorian Astor

 
fn-cons.jpgL'histoire est indispensable pour comprendre le présent : assurément... et voilà un lieu commun somme toute rassurant. Mais quelle(s) histoire(s), faite(s) par qui, et comment ? Y-a-t-il une manière neutre d'aborder le passé, ou plus recommandable que d'autres qui seraient trop orientées ou militantes ? Les historiens peuvent-ils s'ériger en arbitres des usages du passé – en particulier de ses usages ou instrumentalisations politiques ? Le savoir et l'érudition sont-ils en mesure de dire le dernier mot sur ce qui a eu lieu, et quelles seraient les conséquences de cette prétention ? La pensée d'un philosophe du XIXe siècle, Friedrich Nietzsche (1844-1900), peut aider à poser ces problèmes très actuels. En 1874, dans sa deuxième "Considération inactuelle", intitulée "De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie", Nietzsche mettait en évidence les enjeux cruciaux de la "science historique" et de notre rapport au passé.
 
Pour en parler, "La grande H." a sollicité Dorian Astor, philosophe, germaniste et spécialiste de Nietzsche.
 
Motion design Jaques Muller, montage Bérénice Sevestre.
Une émission de Julien Théry.
 
** Pour en savoir plus
– D. Astor, Nietzsche, Biographies Gallimard, 2011
– D. Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Folio, 2014
– D. Astor, Dictionnaire Nietzsche, Robert Laffont, 2017
– G. Colli, Après Nietzsche, trad. fr. L'éclat, 1987, rééd. 2000.
– G. Deleuze, Nietzsche, PUF, 1965, rééd. 1999
– G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, PUF, 4e éd. 1974
– M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », dans Hommage à Jean Hippolyte, PUF, 1971, p. 145-172, téléchargeable en ligne : https://www.unil.ch/files/live/sites/...
– M. Montinari, Friedrich Nietzsche, trad. fr. PUF, 2001.
– M. Perrot (dir.), L'impossible prison, Le Seuil, 1980
– Ainsi parlait Zarathoustra, livre 1 lu par Michael Lonsdale : https://youtu.be/MlvHSb_0IiE

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Mai 68 et l’attaque contre la personnalité autoritaire

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Mai 68 et l’attaque contre la personnalité autoritaire

Par Pierre-Antoine Plaquevent

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Pierre-Antoine Plaquevent est auteur et analyste politique. Ses travaux portent plus particulièrement sur les domaines du soft power et de l’infoguerre ainsi que sur ceux de la philosophie politique, de la géopolitique et de l’étude comparée des religions et des idéologies. Ses articles sont régulièrement repris par des sites d’analyse et de prospective ainsi que par les principaux médias de la réinformation francophone. Depuis janvier 2020, Pierre-Antoine Plaquevent est à l’initiative de la création de Strategika dont il est le directeur de publication. Il est par ailleurs le créateur du portail métapolitique les-non-alignés.fr, pionnier de la réinfosphère depuis sa création en 2010.

Nous publions en exclusivité pour Strategika une série d’articles issus de l’étude de Pierre-Antoine Plaquevent intitulée “La société ouverte contre la France”. Un essai politique inédit qui vient compléter la seconde édition de SOROS et la société ouverte, métapolitique du globalisme (éd. Culture & Racines, 2020) .

28782.jpgL’année 1968 sera marquée par un enchaînement de révoltes partout sur le globe : dans le camp occidental, des États-Unis au Japon, en passant par la France ou l’Italie mais aussi dans certains pays du pacte de Varsovie, comme en Pologne ou en Tchécoslovaquie. L’ensemble de l’ordre du monde bipolaire capital-communiste issu de Yalta et du tribunal de Nuremberg allait être ainsi traversé dans un même élan par une série de révoltes marquées par le choc des générations. Pourtant, l’irruption soudaine de cette contestation étudiante internationale n’était pas le fruit du hasard mais bien celui d’un long travail d’incubation intellectuel et politique commencé il y a plusieurs décennies et qui connaîtrait son paroxysme dans les années d’après-guerre. Comme si des forces trop longtemps contenues et désormais sans frein se frayaient maintenant un chemin vers la surface et chercher à tout emporter avec l’éclatante et audacieuse énergie de la jeunesse. Les forces de l’ « Eros » déchaînées, chères aux théoriciens du freudo-marxisme.

J’ai déjà traité dans un chapitre dédié de mon étude des liens existants entre l’idéologie et les objectifs de la « société ouverte » avec le courant du marxisme culturel (ou « freudo-marxisme »). Une appellation qui désigne le courant des penseurs politiques de la « nouvelle gauche », adeptes de la « théorie critique » issue des idées des intellectuels de l’Ecole de Francfort et apparentés (Horkheimer, Lukàcs, Adorno, Marcuse, Reich etc). Pour ce courant intellectuel et politique, il s’agissait de « réviser » le marxisme et de substituer au concept marxiste d’ « exploitation » celui d’ « aliénation » afin de « libérer l’homme de l’aliénation : dans le quotidien, dans la famille, dans les relations sexuelles et dans les relations avec autrui ».[1] Du concept originel de lutte de classe et d’une volonté d’amélioration légitime du sort social des classes ouvrières, les théoriciens de la nouvelle gauche glissaient vers une volonté de libérer l’humanité contemporaine de tous cadres normatifs considérés comme autant de verrous d’une société patriarcale jugée autoritaire et potentiellement totalitaire.

On retrouvera ces thématiques en mai 1968 sous la forme des slogans bien connus du type : « il est interdit d’interdire », « jouir sans entraves » etc. Pour les tenants du marxisme culturel, le « Socialisme réel » était lui aussi devenu un autoritarisme sous sa forme soviétique, il fallait dès lors s’appuyer sur de nouvelles forces sociales aptes à remplacer la classe ouvrière considérée désormais comme réactionnaire dans son désir d’accéder aux biens de la société de consommation et se contentant d’une simple amélioration de ses conditions de vie. Les « nouveaux prolétaires » de cette nouvelle gauche seront donc désormais les « jeunes », les femmes (selon la vision féministe de la femme), les minorités (religieuses, ethniques, sexuelles etc) voire même les drogués, les aliénés mentaux etc. Chacun de ces groupes divisés en autant de sous-catégories considérées comme opprimées par le patriarcat blanc et devant entrer en lutte ouverte contre celui-ci. On verra aussi cette contestation étudiante des années 60 se heurter aux partis communistes historiques jugés réactionnaires car considérés comme trop staliniens, autoritaires, hiérarchisés et encore trop attachés à une certaine forme de patriotisme populaire.

C’est cette matrice idéologique de la déconstruction qui allait constituer la véritable inspiratrice des différents mouvements étudiants de l’année 1968 : « L’anti-autoritarisme fut le thème le plus original et le plus propre au mouvement soixante-huitard : il caractérise en particulier les premières phases du mouvement étudiant et le différencie profondément de tant d’autres mouvements qui le précédèrent où le suivirent. L’anti-autoritarisme fut la première vraie bannière du mouvement de jeunesse, qui lança cette flèche depuis l’Université vers tous les domaines de la société. »[2]

Le freudo-marxisme culturel contre la personnalité autoritaire

Cette thématique de l’anti-autoritarisme trouvait l’une de ses sources les plus siginificatives dans l’étude collective que nous avons déjà évoqué, intitulée La Personnalité autoritaire[3]. Une étude de psychologie sociale menée aux États-Unis par l’Institut de Recherche Sociale (IRS) – nom officiel de la fameuse Ecole de Francfort – et qui fut éditée en 1950 par l’American Jewish Committee. L’objet de cette étude, menée sous la direction de Theodor Adorno, était d’analyser les ressorts psychologiques et sociaux qui ont permis l’émergence du fascisme au XXe siècle. Un outil qui allait servir dès les années cinquante, durant la Guerre froide, face au stalinisme, mais aussi pour contrer l’émergence de tout autoritarisme en Occident et aux Etats-Unis. C’est en grande partie de cette étude que l’on doit l’amalgame constant entre toute forme de conservatisme ou de nationalisme – voire de simple attachement aux standards classiques de la vie en société – avec la courte parenthèse du national-socialisme et du Fascisme. Pour Max Horkheimer ou Theodor Adorno c’est en fait l’ensemble de l’histoire chrétienne qui conduit à l’antisémitisme et au Fascisme selon un raisonnement spécieux qui voudrait que l’auto-répression sexuelle induite par la morale chrétienne entraînerait chez les individus chrétiens une compensation et un défoulement (au sens freudien) qui déboucherait nécessairement sur l’antisémitisme et le Fascisme.[4]

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Un Fascisme par ailleurs fantasmé et bien éloigné de sa forme historique réelle mais qui constitue une forme d’archétype intemporel de l’ennemi protéiforme et toujours renaissant des « ennemis de la société ouverte ». Citons ici Adorno qui expliquait : « en nous concentrant sur le fasciste potentiel, nous n’avons pas l’intention d’affirmer que d’autres modèles de personnalité et d’idéologie ne pourraient pas être étudiés avec profit de la même manière. Néanmoins, notre opinion est qu’aucun courant politico-social ne représente une plus grave menace pour nos valeurs et nos institutions traditionnelles que le fascisme, et que la connaissance des forces de la personnalité qui favorisent son acceptation peut, en dernière analyse, se révéler utile pour le combattre. »[5]

Cette enquête – qui prit la forme d’un questionnaire soumis à plus de 2000 sujets américains – se donnait comme but de « comprendre ce qui influence un individu dans son adhésion au fascisme et comment le déceler chez un individu qui ne dira jamais ouvertement cette adhésion, et qui ne la ressent même pas clairement lui-même » [6]. L’étude sur la personnalité autoritaire se présentait de la manière suivante : « une liste de propositions est soumise aux sujets de l’enquête, auxquelles ils doivent donner leur accord ou leur désapprobation. Mélangées dans la liste, les propositions sont liées à des thèmes psychosociologiques. Ces thèmes sont par exemple le conventionnalisme, la soumission à l’autorité, l’agressivité autoritaire, l’anti-intraception, la superstition et la stéréotypie, le rapport à la sexualité, etc. En fonction des réponses « d’accord » ou « pas d’accord », les penchants autoritaires et anti-démocratiques sont notés et classés sur une échelle F, comme fascisme. Cette échelle F est elle-même construite et enrichie par d’autres échelles : A-S comme antisémitisme, CPE comme conservatisme politico-économique et E comme ethnocentrisme. »[7]

9782081494114.jpgRelire aujourd’hui les Études sur la personnalité autoritaire de Theodor W. Adorno et de l’Institut de Recherche Social se révèle très instructif pour comprendre d’où provient une grande partie du mal-être et de la mauvaise conscience qui mine l’Occident contemporain. On y découvre l’application méthodique et clinique de penseurs politiques engagés qui se sont arrogés le droit de déterminer ce qui est moral ou non, non seulement dans l’Histoire et la culture de l’Occident mais jusque dans l’inconscient supposé des populations occidentales afin de l’en extirper comme par un acte psycho-chirurgical.

Comme le disait Adorno lui-même : « La tâche est comparable à celle de l’élimination de la névrose, de la délinquance ou du nationalisme du monde. Ils sont le produit de l’organisation globale de la société et ne peuvent être changés seulement si cette société est changée. »[8]

Dès lors, si le nationalisme est une maladie mentale, il en découle logiquement que les nationalistes sont des malades mentaux qu’il faut soigner. La psychiatrisation de toute pensée attachée au fait national vient de là, elle a fait le chemin que l’on sait jusqu’à nos jours. Elle est l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de toutes les formes de patriotisme ou de souverainisme.

Extrait de La société ouverte contre la France, supplément à la seconde édition de Soros contre la société ouverte, métapolitique du globalisme aux éditions « Culture et Racines ».


[1] Ingrid Gilcher-Holthey, « La contribution des intellectuels de la Nouvelle Gauche à la définition du sens de Mai 68 », in G. Dreyfus-Armand, R. Frank, M.-F. Levy et M. Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68 […], p. 89-98.

[2] « La théorie critique de l’école de Francfort et le mouvement des années 1968 : un rapport complexe » – Stephano Petrucciani – Actuel Marx 2010/2 (n° 48) – PUF. https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2010-2-page-138....

[3] Theodor W. Adorno, Études sur la personnalité autoritaire (traduit de l’anglais par Hélène Frappat), Allia, Paris, 2007 (1re éd. en anglais 1950), 435 p.

[4] Kevin B. MacDonald, The Culture of Critique : An Evolutionary Analysis of Jewish Involvement in Twentieth-Century Intellectual and Political Movements, Praeger, 1998

[5] Ibidem

[6] https://www.franceculture.fr/emissions/deux-minutes-papillon/adorno-etudes-sur-lapersonnalite-autoritaire

[7] Julien Bordier, « À propos de la personnalité autoritaire », Variations, 12 | 2008 http://variations.revues.org/246

[8] Theodor W. Adorno, Études sur la personnalité autoritaire (traduit de l’anglais par Hélène Frappat), Allia, Paris, 2007 (1re éd. en anglais 1950), 435 p.

samedi, 23 mai 2020

Quand on reparle d'Ayn Rand aux Etats-Unis !

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Quand on reparle d'Ayn Rand aux Etats-Unis !

Par Bernard PLOUVIER

« La morale de pitié est une morale de décadence »

Leitmotiv nietzschéen des années 1887-1888

Juste à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une romancière et scénariste d’Hollywood, connue dans les universités américaines pour ses romans réservés à une élite intellectuelle et publiés sous le pseudonyme d’Ayn Rand, voulut se muer en philosophe.

Son double but était de lutter contre le marxisme et de féminiser l’enseignement du très misogyne Friedrich Nietzsche. Elle introduisit sa note personnelle, mélange de cynisme, d’individualisme forcené et d’anarchie morale, le tout servant à justifier l’opposition de la dame à tout ce qui lui déplaisait.

Née Alissia Zinovieva Rosenbaum en 1905, c’était la fille d’un riche pharmacien juif, implanté à Saint-Pétersbourg, ruiné par la Révolution bolchevique. Émigrée aux USA, elle y professera un mépris antisoviétique témoignant de sa grande intelligence. Mais, si elle a pu devenir, durant les années vingt, une étudiante d’université en Ukraine soviétisée, en dépit de son origine bourgeoise, c’est qu’elle avait adhéré de façon enthousiaste au marxisme-léninisme… il serait bon que ses bio-hagiographes y consacrent au moins un chapitre.

La rusée diplômée obtient un visa pour les USA en 1926. C’est donc qu’elle a promis d’espionner pour le Guépéou et qu’elle laisse des otages familiaux en URSS. Elle rompt avec les ignobles de Moscou et de Kiev et s’installe aux USA (New York et Hollywood). Elle y convole, devenant l’épouse d’un Frank O’Connor, passé aux oubliettes de la petite histoire.

L’auteure calme son angoisse existentielle de virago dominatrice, guère heureuse en ménage et pas trop heureuse non plus avec son amant, en fumant énormément, imitant en cela son congénère Sigismond-« Sigmund » Freud.

513qozEITLL.jpgSa vie bascule durant les années 1945-60, où elle devient une philosophe à la mode, soutenue par quantité de financiers et de littérateurs juifs, cyniques et conquérants. Durant les années 1960, un parent de l’épouse de son amant, Leonard Peikoff, anime le Mouvement objectiviste, à la gloire de la Dame.

De 1950 à 1980, se multiplient les revues à brève durée de vie diffusant ses idées, dont les articles sont presque tous rédigés par des Juifs des deux sexes. Les admirateurs d’Ayn Rand ressemblent à ceux de Freud en ce sens qu’ils sont divisés en différentes chapelles, toutes dirigées par un grand-prêtre adoubé par la Diva. Elle meurt en 1982 et son école subit un passage à vide jusqu’au renouveau des années 2000, où triomphe l’ultra-capitalisme.

Quel est donc l’enseignement de la dame ? Assez éloignée de bien des idées nietzschéennes, elle paraphrase en réalité un contestataire d’Arthur Schopenhauer : « Max Stirner », authentique génie – ce qui ne signifie nullement qu’il ait été bienfaisant – et raté social, mort en 1856.

Johann-Caspar Schmidt, plus connu sous le pseudonyme de « Max Stirner », fut le vrai nihiliste moral du XIXe siècle. Dans son maître livre de 1845, L’Unique et sa propriété, il commence par démolir fort intelligemment la sanctification des idées générales et la glorification des théories fumeuses, affirmant, ce qui est fort juste, que l’homme, par sa complexité, se situe bien au-dessus d’elles… cela n’est guère original et rappelle les thèses du franciscain Guillaume d’Ockham (mort en 1347) qui avait scandalisé les universitaires de son époque, en s’opposant aux catégories d’Aristote, qu’il considérait comme des généralisations abusives – il les nommait des Universaux, estimant qu’il n’existe que des cas singuliers. De « Stirner », on peut retenir la nécessité du tri, volontairement effectué par tout individu intelligent, dans les conventions morales de son époque.

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L’originalité de « Stirner » vient de sa conclusion : il nie la notion d’intérêt collectif, au profit du culte du moi. « Il n’est rien au-dessus de Moi… Je ne reconnais d’autre source du Droit que Moi-même… Devenez des égoïstes. Que chacun de vous devienne un Moi tout-puissant » (l’abus des majuscules figure dans le texte de « Stirner »… c’est un tic rédactionnel que Nietzsche reprendra durant les années 1880-88, quand sa paranoïa virera au délire).

C’était une réponse à l’un des essais majeurs d’Arthur Schopenhauer : Le fondement de la morale, paru en 1840 (Über die Grundlage der Moral). Un an après la mort du grandiose Arthur survenue en 1860, ses admirateurs ont fusionné l’essai avec celui paru en 1839 : La Liberté de la volonté humaine, et l’ensemble fut édité maintes fois depuis 1861 sous le titre : Les deux problèmes fondamentaux de l’éthique

Dans le court essai de 1840, Schopenhauer classait les deux archétypes humains selon leur motivation principale : l’égoïsme et la joie de nuire versus l’altruisme et la pitié. Tout était dit, en peu de pages, et l’on s’étonne que depuis 150 ans l’on continue d’accumuler, sans grand intérêt pour le lecteur, les publications à orientation religieuse ou philosophique consacrées aux principes moraux.

Certes, il faut compléter et moduler ce jugement. Un individu varie de comportement selon l’humeur du moment, l’occasion ou encore l’ambiance générale de l’opinion publique façonnée par les media. Mais il est indéniable que, depuis toujours, les humains, tous sexes et âges confondus, s’agitent en oscillant d’un pôle à l’autre, et les grands initiés de la foi ou les demi-dieux de la réflexion philosophique n’y ont rien changé, la génétique de chaque individu faisant presque tout.

Reprenant un thème voltairien, Schopenhauer considère les actes d’authentique altruisme comme étant seuls des actes moraux, car dénués d’égoïsme. La pitié est indispensable à la vie en société, car « la souffrance est le fond de toute vie » (c’était l’un des leitmotiv de son pavé Le monde comme volonté et représentation, de 1818). La véritable volonté de l’être humain, et ce qui fait sa noblesse, est le refus de céder devant la souffrance ; c’est grâce à cette volonté que la souffrance, physique ou morale, trouve sa justification métaphysique.

L’athée Schopenhauer se moque de la rhétorique chrétienne d’Augustin (dans Les confessions), où l’on prétend qu’il n’existe aucun mal, si grand fût-il, que la divinité ne puisse en faire jaillir un bien. Pour le grand Arthur, c’est l’homme qui, par sa noblesse, peut seul combattre le mal. L’altruisme est la volonté de lutter, gratuitement autant qu’efficacement, contre la souffrance d’autrui.

« Stirner » écrit en 1845 que l’altruiste n’est qu’un égoïste qui cherche un plaisir d’esthète dans la satisfaction procurée à autrui… il décrivait avec plus d’un siècle d’avance le Charity business des canailles d’affaires, parfois doublées de crapules sexuelles. Il est possible que le ratage intégral de sa carrière socio-professionnelle ait déterminé le cynisme de « Stirner », repris et amplifié par le Nietzsche des années 1880 et suivantes.

Ecce_Homo.gif« Je reproche aux miséricordieux de manquer facilement de pudeur, de délicatesse, de ne pas savoir garder les distances. La compassion prend trop vite l’odeur de la populace. Surmonter la pitié, c’est une vertu aristocratique » (Nietzsche, Ecce Homo, de 1888). La compassion est une « valeur amorale » et la charité – le don gratuit, sans espoir de réciprocité – une « morale d’esclaves »… une autre analyse en ferait plutôt une valeur de Seigneur moral ! « Les horreurs de la réalité sont infiniment plus nécessaires que ce petit bonheur qu’on appelle “la bonté” », cette bonté que Friedrich, solitaire, aigri par son insuccès en terres germaniques, assimile à un hédonisme moral (même source). Il fait de la magnanimité une « vengeance sublimée »… alors qu’elle est surtout une forme subtile de mépris.

« Périsse les faibles et les ratés : premier principe de notre amour pour les hommes. Et qu’on les aide à disparaître… S’il m’est démontré que la dureté, la cruauté, la ruse, la témérité, la pugnacité sont de nature à augmenter la vitalité de l’homme, je dirais oui au mal et au péché » (L’Antéchrist, 1888).

L’éthique nietzschéenne a un but très différent de « l’éthique de l’Humanité supérieure » vantée par notre auteure Ayn Rand. L’antimorale chrétienne de Friedrich est fondée sur l’honneur et sur le sacrifice du bonheur que s’impose le héros au profit d’un but lointain : l’éclosion de la surhumanité, cette surespèce, forte et belle, physiquement et intellectuellement plus douée, mais aussi plus rude, dégagée de toute sensiblerie. « Il est des problèmes plus élevés que ceux du plaisir, de la souffrance et de la pitié. Toute philosophie qui s’arrête là est une naïveté » (in Par-delà bien et mal, de 1885-1886). « L’homme a tant à faire pour lui-même que, chaque fois qu’il agit pour autrui, il se rend coupable de grave négligence » (in Volonté de Puissance)… ou l’altruisme envisagé comme un gaspillage de temps et d’énergie.

Volonté de Puissance est une œuvre composée après la mort de Nietzsche par sa sœur et d’autres admirateurs à partir d’études, de fragments disjoints et d’aphorismes, datés de 1882 à janvier 1889, et publiée en 1901, augmentée en 1906. En 1886, Nietzsche voulait ajouter en sous-titre : Essai d’une transmutation de toutes les valeurs. On peut la considérer comme la quintessence de la pensée nietzschéenne – et dans ce cas, cette pensée est pré-hitlérienne, qu’on le veuille ou non – ou comme une « trahison » de son œuvre par Elisabeth Förster-Nietzsche… ce qui s’apparente à un pieux mensonge de précieux ridicules de la philosophie.

Comme à l’accoutumée, Sigismond-« Sigmund » Freud – un bourgeois solidement établi, empêtré dans les problèmes sexuels, les siens et ceux de sa famille de pédophiles incestueux (voir notre livre sur Freud de 2016) – erre totalement avec son surmoi, qui n’aurait pour but que de réprimer les deux pulsions élémentaires qui font le charme et l’originalité de sa pensée : le plaisir (qui, selon lui, est essentiellement sexuel) et le jeu avec la mort (Freud, 1920). Avec cette conception réductrice de la surconscience, on crée peut-être la variété la plus célèbre de la supercherie psychanalytique, mais le fondement éthique est bien mince.

000733146.jpgDans son Malaise dans la civilisation (texte de 1930), le gourou de Vienne, alors en perte de vitesse, étant très contesté par ses concurrents et ses ex-élèves, écrit l’une des perles dont il a le secret : « Tout renoncement à une pulsion devient une source d’énergie pour la conscience », alors qu’elle ne fait généralement qu’alimenter la puissance d’une autre pulsion. Ne pas reprendre du gâteau fut une source d’intime satisfaction pour le stoïcien romain ; ne pas violer une jolie femme restera toujours une source d’honneur pour un homme.

Il ne s’agit d’ailleurs pas de renoncement en valeur absolue, mais d’une hiérarchie des valeurs, adaptée à la surconscience de chacun et au code de lois de la société. C’est ce que ne feront jamais le psychopathe, authentique immature du sens éthique, attaché à la jouissance immédiate, compulsive, de son désir du moment, ni le sociopathe, dépourvu totalement de sens éthique, obnubilé par la joie de révéler sa formidable capacité de nuisance et de malfaisance à un maximum de contemporains… ce qui ressemble quelque peu aux théories de « Stirner » et « Rand ».

Un admirateur anti-individualiste de Schopenhauer et de Nietzsche, devenu un expert – très discuté de nos jours – de l’analyse des comportements sociaux a dit : « L’homme moyen ne voit pas, dans son époque, ce qui affecte la collectivité. Il n’aperçoit généralement que ce qui le gêne lui-même. Les contemporains n’ont que très rarement une conscience exacte de la décadence morale ou politique de leur époque, du moins tant que cette décadence n’envahit pas le domaine de l’économie et de l’emploi » (Adolf Hitler, discours public du 10 mai 1935, in réédition de 2014).

Et cette lutte contre le risque de décadence était d’actualité aux USA de la fin de 1945, une fois éteints les lampions de la victoire. La forme de décadence la plus immédiatement visible s’appelait le marxisme.

L’ultra-capitalisme, qui a détruit les valeurs de notre Occident depuis les années 1980, a été vanté, à ce moment crucial, par Ayn Rand. Cette virago, aussi dynamique qu’intelligente, a fondé un lobby prônant le « capitalisme objectif », implanté dans la citadelle judéo-capitaliste par excellence : New York.

9780452011175.jpgSe réclamant officiellement de « l’objectivité », la dame a fourni à ses lecteurs des analyses très « subjectives » de tout ce qu’elle a traité. Plutôt que les rhapsodies très lyriques de la romancière-philosophe, c’est le pavé de Leonard Peikoff (1991) qui explique le mieux les concepts assez rudimentaires de la dame, qui a tenté d’amalgamer le cynisme de « Stirner » et le délire mégalomaniaque du Nietzsche de ses dernières années d’éveil cérébral aux théories sommaires des économistes ultralibéraux des XVIIIe et XIXe siècles.

La dame a vanté les mérites de l’exploitation acharnée du travail d’autrui, libérée de toute entrave d’État. Les « managers » (chefs d’entreprise) devaient être débarrassés de tout contrôle gouvernemental, étant libres de négocier salaires et retraites, d’engager ou de licencier à leur guise… et les homosexuels ou les communistes étaient alors des cibles du patronat US, à l’égal des fainéants ou des incapables. En 1999, soit en pleine euphorie globalo-mondialiste, les postes US émirent un timbre à son effigie.

L’éthique de Dame « Rand » se réduit à « un égoïsme rationnel » – ou rationalisé, comme l’on voudra. Le monde doit être dirigé par les « humains supérieurs » et, dans cette catégorie, les femmes ont autant de droits que leurs mâles. Le féminisme de « Rand » ne devient une conception égalitariste qu’au sein de la caste des surdoués en intelligence et en énergie… et surtout pas des surdoués de la compassion ou de la pitié.

On conçoit que cette part de la doctrine « Rand » ait été mise à mal par la niaiserie écolo-tiers-mondiste du Charity business, lorsque des canailles d’affaires ou des crapules sexuelles ont tenté de se refaire une réputation en investissant une faible partie de leur fortune dans des libéralités fort médiatisées.

Arrivent la pandémie de coronavirus, baptisé Covid-19, et la catastrophe économique induite par le « confinement », imposé par l’OMS à la quasi-totalité des politiciens de la planète, sur recommandation intéressée des dictateurs chinois. Flambent aussitôt un peu partout, les doctrines prônant le splendide isolement, l’égoïsme national, voire l’égoïsme individuel envisagés comme autant de principes pragmatiques et rationnels… et l’on reparle de Dame « Rand ».

51G3CULpLLL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgChaque être humain est libre de butiner là où il trouve son bien, libre également de crier Au génie !, libre de vouloir faire partager son admiration. Toutefois, nier toute valeur à la compassion et repousser l’altruisme et la pitié, au profit de l’individualisme forcené ou d’un darwinisme social quelque peu absurde, ce sont de curieuses attitudes, peu enthousiasmantes.

Le darwinisme social devient pure stupidité, quand il débouche sur un égoïsme de caste. Après tout, il naît des surdoués et des êtres de grande conscience éthique – hélas l’un ne va pas souvent de pair avec l’autre – dans toutes les races et ethnies, chez les riches comme chez les va-nu-pieds.

L’individualisme et l’hédonisme sont des objectifs de vie médiocres. Il serait peut-être temps d’en revenir aux grandes aventures collectives, en évitant bien sûr les écueils d’un passé proche.

Aux jeunes, il serait peut-être souhaitable d’enseigner l’essentiel de la philosophie de Schopenhauer, plutôt que la doctrine d’un « Stirner », les écrits de la phase de délire paranoïaque de Nietzsche ou les thèses de ce bas-bleu désabusé de « Rand »-Rosenbaum-O’Connor, apologiste de l’utilitarisme forcené envisagé comme source d’éthique.

Pour terminer sur une note extrêmement polémique, on dira que le féminisme, dans tous ses avatars, fut LA catastrophe intellectuelle et morale de l’occident au XXe siècle

Indications bibliographiques:

S. Freud : Essais de psychanalyse, Payot, 1970 (première édition allemande de 1920)

S. Freud : Malaise dans la civilisation, P.U.F., 1973 (texte de 1930 ; première édition en langue anglaise en 1961)

A. Hitler : Principes d’action, Déterna, 2014 (première édition française de 1936)

F. Nietzsche : Par-delà bien et mal. Prélude d’une philosophie de l’avenir, Gallimard, 1971 (texte de 1885-1886)

F. Nietzsche : Contribution à la généalogie de la morale, Union Générale d’Éditions, 1974 (texte de 1887)

F. Nietzsche : Ecce Homo. Comment on devient ce qu’on est, Mercure de France, 1909 (texte de 1888)

F. Nietzsche : Le crépuscule des idoles ou comment on philosophe à coups de marteau et autres textes (dont L’Antéchrist et Le cas Wagner), Mercure de France, 1952 (Ce sont les

ultimes œuvres achevées de l’auteur, écrites en 1888 ; première édition française en 1899)

F. Nietzsche : La Volonté de Puissance, éditions du Trident, 1989

L. Peikoff : Objectivism : the philosophy of Ayn Rand, Penguin Books, New York, 1991 (pour les insomniaques et les supporters inconditionnels, on signale que Leonard Peikoff, exécuteur testamentaire de dame « Rand », a édité en 1997, chez Penguin, un pavé de près de 700 pages des Lettres du sujet de son admiration)

31+ycSh4BkL._AC_UY218_ML3_.jpgB. Plouvier : Le dérangement du monde ou des erreurs et des hommes, L’Æncre, 2016

« A. Rand » : La vertu d’égoïsme, Les Belles Lettres, 1993 (c’est un recueil très partiel des textes réunis en 1964 aux USA ; la version française a expurgé plus de la moitié de la version nord-américaine, se débarrassant des petits essais les plus cyniques et arrogants)

A. Schopenhauer : Le fondement de la morale, Alcan, 1888 (première édition allemande de 1840)

« M. Stirner »-J. C. Schmidt : L’unique et sa propriété, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1972 (première édition allemande de 1845)

vendredi, 22 mai 2020

Dorian Astor - Le Dionysos de Nietzsche

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Dorian Astor - Le Dionysos de Nietzsche

 
Interview de Dorian Astor sur le Dionysos de Nietzsche, de La Naissance de la Tragédie (1872) à Ecce Homo (1888). Dorian Astor a écrit une biographie de Nietzsche (2011), un essai sur Nietzsche (La Détresse du Présent, 2014), a dirigé le dictionnaire Nietzsche (2017), a coordonné un ouvrage collectif sur Nietzsche (Pourquoi nous sommes nietzschéens, 2016), et collabore à la direction des oeuvres complètes de Nietzsche dans la collection de la Pléiade (tome 2 publié en 2019), et écrit nombre d'articles sur le "philosophe au marteau".
 

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dimanche, 17 mai 2020

Ortega y Gasset, la philosophie et la vie

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Ortega y Gasset, la philosophie et la vie

Ex: https://www.books.fr

« Toute vie est plus ou moins une ruine dans les décombres de laquelle nous devons découvrir ce que la personne aurait voulu avoir été ». En écrivant cette phrase à propos de Goethe, dans un des textes qu’il a consacrés à ce dernier durant les années 1930 et 1940, le philosophe espagnol José Ortega y Gasset ne songeait-il pas spécialement à lui-même ? Les biographes de Goethe, faisait-il remarquer, ont essentiellement décrit sa vie de l’extérieur, contribuant ce faisant à façonner une statue qui donne de lui une image mensongère. En les invitant et en s’employant lui-même à reconstruire sa vie « de l’intérieur », par la comparaison de ce qu’elle a effectivement été et du rêve qui animait l’écrivain, Ortega ne faisait qu’appliquer l’idée, au cœur de sa philosophie, que toute vie est définie par une « vocation » que chacun parvient plus ou moins à réaliser, dans un combat de tous les jours très difficile à gagner  : « la vie est de manière constitutive un drame, parce qu’elle consiste en la lutte frénétique contre les choses et contre notre propre caractère pour accomplir ce que nous sommes en projet ».

Il est cependant difficile de ne pas faire un lien tout particulier entre la phrase citée et la vie d’Ortega y Gasset lui-même, dont l’histoire est celle « d’une frustration et […] d’un succès insuffisant » déclare Jordi Gracia en ouverture du remarquable livre qu’il vient de lui consacrer. Publié dans la collection « Españoles Eminentes » dans laquelle sont notamment déjà parues des biographies de Miguel de Unamuno et Pío Baroja – deux écrivains par rapport auxquels (et en grande partie contre lesquels), Ortega s’est défini dans sa jeunesse – cet ouvrage se distingue des précédentes biographies du philosophe par la grande attention qui y est portée à sa personnalité.

Une image nuancée et complexe

51H2WYJTFWL._SX319_BO1,204,203,200_.jpgLa littérature sur Ortega y Gasset est extraordinairement abondante. Longtemps, elle s’est limitée à la présentation et l’étude de ses idées philosophiques, sociologiques, politiques et esthétiques. Ce n’est qu’assez récemment que sont apparues les premières biographies en bonne et due forme. Deux des plus fouillées, par Rockwell Gray et Javier Zamora Bonilla, coordinateur de la nouvelle édition des œuvres complètes d’Ortega en dix volumes, sont essentiellement, pour reprendre l’expression utilisée par le premier de ces deux auteurs à propos de son livre, des biographies « intellectuelles ». En filigrane de l’exposé des idées d’Ortega et de leur évolution, un certain nombre d’aspects de sa vie personnelle et de son caractère y étaient toutefois évoqués. Jordi Gracia va plus loin encore dans cette direction, en s’appliquant à mettre en évidence, grâce à l’exploitation de nombreux documents dont certains inédits (notes privées, correspondance), le jeu serré des interactions entre la personnalité d’Ortega, ses idées et les péripéties de sa vie. Dense, touffue, farcie de citations et rédigée sur un ton souvent subjectif, personnel et passionné, épousant les reliefs et les sinuosités de la vie intellectuelle et émotionnelle d’Ortega plutôt que de présenter de manière linéaire, distante et méthodique les événements de son existence et le contenu de ses œuvres, cette biographie, dont la lecture profitera surtout à ceux qui sont déjà un peu familiers des théories du philosophe et de sa trajectoire, jette sur le personnage une lumière nouvelle.

javier-zamora-bonilla-ortega-y-gasset-D_NQ_NP_878042-MCO28655681105_112018-F.jpgL’image qui ressort de ce portrait est nuancée et complexe. C’est celle d’un homme « d’une intelligence insolente […] impérialement sûr de lui et souriant, plaisantin, jovial, fanfaron et séducteur », d’un travailleur forcené et infatigable doté d’une imagination puissante, mais aussi d’un homme anxieux, tourmenté et non sans contradictions, s’efforçant avec opiniâtreté de surmonter des faiblesses dont il était en partie conscient, vulnérable au découragement et qui a traversé plusieurs épisodes de dépression psychologique paralysante. Comme l’indique sans équivoque la première phrase du livre, c’est aussi l’image d’un homme pouvant penser que sa vie avait été, au moins partiellement, un échec. Pour quelles raisons ?

Dans son élogieux compte rendu de l’ouvrage de Jordi Gracia, Mario Vargas Llosa, lecteur assidu d’Ortega y Gasset et grand admirateur du philosophe en qui il voit un héraut du libéralisme humaniste, évoque le « grand échec » qu’a représenté pour Ortega l’impossibilité de traduire dans les faits ses idéaux politiques. C’est assurément dans ce domaine que la distance entre ses ambitions et la réalité a été la plus grande et la plus lourde de conséquences. Fils de l’écrivain et journaliste José Ortega Munilla, directeur du supplément littéraire du journal El Imparcial, petit-fils, par sa mère, du fondateur de ce même journal, rejeton, en un mot, de la bourgeoisie intellectuelle, cultivée et progressiste madrilène de la fin du XIXe siècle, Ortega y Gasset a embrassé dès sa jeunesse les idéaux de cette génération dite « de 1914 » dont il  allait devenir la figure la plus notoire. Les représentants de la génération précédente, dite « de 1898 », Unamuno, Baroja et d’autres écrivains comme Azorin et Valle-Inclán, exprimaient dans leurs œuvres une vision tragique, irrationaliste et volontiers pessimiste de la vie et étaient fortement attachée à l’identité espagnole. Les membres de ce nouveau groupe, dont les plus connus et représentatifs, à côté d’Ortega, étaient ses deux amis le médecin lettré Gregorio Marañon et l’écrivain et journaliste Ramón Pérez de Ayala, l’écrivain et politicien Manuel Azaña et le diplomate Salvador de Madariaga, étaient par contre de fervents rationalistes, tournés vers l’action et animés par la volonté de moderniser l’Espagne et de l’ouvrir à l’Europe en s’appuyant sur une élite intellectuelle sensible à l’idéal du progrès et acquise aux valeurs du libéralisme.

Un libéral conservateur

Dans un premier temps, Ortega apparaît avoir identifié cet idéal avec celui du socialisme, un socialisme non marxiste de caractère social-démocrate qui le séduisait au plan intellectuel au moins autant que strictement politique : « Ce qui attirait Ortega dans le socialisme, observe pertinemment Javier Zamora Bonillo, était sa rationalité ». Sa vision politique évoluera assez rapidement. « Dans sa maturité, résume Gracia, [Ortega] a été un libéral conservateur cherchant à redéfinir le libéralisme démocratique, identifiant les deux totalitarismes des années trente comme de néfastes régressions à un état antérieur au libéralisme du XIXe siècle [et cherchant] à protéger ce libéralisme contre les conséquences négatives et les faiblesses des démocraties modernes ». Dans son livre le plus connu et le plus traduit, La Révolte des masses, Ortega se livre ainsi à un plaidoyer pour les valeurs du libéralisme éclairé en mettant en garde, dans un esprit proche des réflexions de Tocqueville au sujet des dérives de la démocratie, contre les dangers liés à la massification des individus, une massification dont il voyait dans le nazisme et le communisme à la fois l’expression extrême et le produit le plus dévastateur.

Mais Ortega n’eut la satisfaction, ni de pouvoir appliquer ses idées politiques lui-même, ni de les voir mettre en œuvre par d’autres. À deux reprises, il s’engagea dans la politique active, pour s’en retirer chaque fois rapidement. La deuxième occasion est la plus connue. Quelques semaines avant la proclamation de la seconde république espagnole, qui mit fin, au mois d’avril 1931, à la dictature du général Primo de Rivera, premier ministre du roi Alphonse XIII durant les dernières années de la restauration monarchique, Ortega avait fondé avec Gregorio Marañon et Ramón Pérez de Ayala un mouvement intellectuel et politique baptisé « Agrupación al Servicio de la República ». Transformé en parti, il remporta aux élections suffisamment de voix pour faire élire Ortega au Parlement. Choqué par les excès du parti républicain, Ortega démissionna de son siège au bout de quelques mois, en déclarant renoncer à toute vie politique active. Peu de temps après, le déclenchement de la guerre d’Espagne allait le placer face à un choix impossible.

Un choix impossible

La position politique d’Ortega pendant et après le conflit a donné lieu à d’innombrables gloses et commentaires. Plus personne, à présent, n’ose affirmer que le silence public qu’il s’est imposé reflétait une stricte neutralité. Homme d’ordre, abhorrant le communisme, Ortega, à l’instar de ses amis libéraux Marañon et Perez de Ayala, souhaitait à titre privé la victoire du camp nationaliste, qu’ils considéraient tous les trois comme un moindre mal face au risque de voir s’établir en Espagne un régime totalitaire. Parce qu’il avait malgré tout signé, dans des circonstances très discutées (peut-être suite à des menaces), un manifeste en faveur des républicains, craignant pour sa vie et sa sécurité, il choisit de s’exiler. À Paris tout d’abord, puis en Argentine où il s’était déjà rendu plusieurs années auparavant et avait eu l’occasion de donner des conférences, à Lisbonne, enfin, où il établit sa résidence et resta domicilié jusqu’à sa mort, en dépit de séjours en Espagne durant les dernières années de sa vie, régulièrement entrecoupés de voyages dans d’autres pays.

18982430389.jpgCes années furent les plus pénibles de l’existence d’Ortega. À Paris, où s’était également réfugié Gregorio Marañon, il souffrit de graves problèmes de santé qui mirent ses jours en danger. En Argentine, la fréquentation de milieux conservateurs lui valut l’opprobre des intellectuels progressistes, avec pour effet de le placer dans une situation de terrible isolement. L’étrange théorie du penseur comme prophète condamné à la solitude qu’il développa à ce moment dans plusieurs articles, à rebours de sa vision de toujours du rôle de l’intellectuel, pourrait être interprétée, suggère judicieusement Eve Giustiniani, comme une tentative d’auto-légitimation de cette solitude forcée – preuve supplémentaire, s’il était nécessaire, de l’impact permanent des épisodes de sa vie sur sa pensée.

De manière générale, les anciens républicains et ceux qui avaient sympathisé avec leur cause accusaient Ortega d’avoir trahi leur idéal. Ils furent confortés dans ce sentiment lorsqu’en 1946, dix ans après la victoire des troupes du général Franco et l’instauration de la dictature militaire, le philosophe décida de réapparaître officiellement en Espagne et de s’y exprimer publiquement. L’initiative était malheureuse, parce qu’elle pouvait être (et a effectivement été) interprétée comme une caution apportée au régime franquiste. « Le drame d’Ortega » résume très bien Andrés Trapiello dans son histoire des écrivains dans la guerre civile espagnole Les Armes et les Lettres, « fut d’être un libéral dans un monde qui n’acceptait pas le libéralisme, d’être obligé, par conséquent, de choisir un camp quand aucun n’était accueillant à ses idées et aucun, bien entendu, ne s’accordait à son tempérament pacifique, érudit et intellectuel ».

Mais Ortega a-t-il réellement été franquiste ? Certains l’ont soutenu et tenté de le démontrer, en premier lieu Gregorio Morán dans El Maestro En El Erial, un livre brillant et à bien des égards très éclairant sur la vie politique et intellectuelle espagnole d’après-guerre et la personnalité d’Ortega, mais dont, dans sa radicalité, la thèse centrale apparait fragile, tant elle implique de solliciter les témoignages et les documents. Jordi Gracia, qui connaît très bien l’histoire des intellectuels sous le franquisme pour l’avoir étudiée dans plusieurs ouvrages, est au contraire d’avis qu’Ortega n’a jamais été franquiste au sens fort et strict du mot. On peut aisément le suivre sur ce point.

91fZQW8xy5L.jpgÀ l’évidence, Ortega n’avait en effet aucune sympathie intellectuelle pour l’idéologie franquiste. Résolument agnostique (par fidélité avec ses convictions sur ce plan, sa famille, à sa mort, refusa les funérailles religieuses qu’envisageaient les autorités), il se sentait à des années-lumière du conservatisme clérical et religieux du parti de Franco. Il est incontestable qu’une partie des phalangistes au pouvoir se sont emparés de certaines de ses idées dans le but de fournir au régime une légitimité intellectuelle. Mais de cela on ne peut le tenir responsable. On ne peut pas non plus vraiment lui reprocher d’avoir naïvement pensé que le régime franquiste pouvait évoluer dans le sens de la démocratie. On peut par contre lui faire grief de s’être laissé aller, par manque de courage ou par opportunisme, à tenir des propos et à prendre des initiatives qu’il aurait pu éviter, ainsi que d’avoir continuellement maintenu autour de sa position politique une ambiguïté troublante. Il la paiera lourdement : regardé avec méfiance par les opposants au régime comme par les responsables de celui-ci, il passera les vingt dernières années de sa vie dans une situation peu claire et inconfortable en Espagne, ne bénéficiant d’une réelle reconnaissance sans réserve et sans arrière-pensées qu’en dehors des frontières du pays.

Des États-Unis d’Europe

Ortega est par ailleurs mort deux années trop tôt pour pouvoir assister au triomphe de l’idée de l’unification européenne dont il avait été un pionnier sous la forme, dans La Révolte des masses, de l’appel à la création des « États-Unis d’Europe ». Cette idée, Ortega la défendait au nom du principe « L’Espagne est le problème, l’Europe la solution », un slogan très révélateur de ses préoccupations profondes. Dans son célèbre portait contrasté d’Unamuno et Ortega y Gasset, Salvador de Madariaga met bien en évidence combien il n’est pas simple de caractériser les deux hommes dans leurs rapports à l’Espagne et l’Europe. Avocat de l’hispanité et férocement attaché à l’université de Salamanque au cœur de l’Espagne la plus hispanique, mais polyglotte et intellectuellement cosmopolite, Unamuno peut cependant être considéré comme un véritable esprit européen et universel. Face à lui, Ortega, peu à l’aise dans d’autres langues en dépit de sa grande maîtrise passive de l’allemand et dont l’œuvre, dit très bien Rockwell Gray, « semble souvent plus résolument programmatique dans son besoin de mesurer tout ce qui est européen aux besoins de l’Espagne », bien qu’à première vue davantage européen, se révèle en réalité plus espagnol que son aîné. C’est ce qu’avait d’ailleurs bien aperçu un des rares penseurs français à s’être intéressés à lui, Albert Camus, qui écrivait à son propos : « [Ortega y Gasset] est  peut-être le plus grand écrivain européen après Nietzsche, et pourtant il est difficile d’être plus espagnol ».

Essayiste, homme de presse et d’édition (il a fondé un quotidien, El Sol, cinq revues, dont El Spectator et laRevista de Occidente et une maison d’édition), commentateur politique, agitateur d’idées, analyste de la société, Ortega se voyait et se présentait avant tout comme un philosophe. Dans ce domaine, ce qu’il a réalisé a-t-il été à la hauteur de ses aspirations ? Rationaliste fervent, Ortega respectait la science. Comme l’a montré l’historien des sciences José Manuel Sanchez Ron, il avait même une assez bonne connaissance (certes de seconde main et approximative) de certaines disciplines et réalisations, par exemple la théorie de la relativité en physique. Pour Ortega, aux yeux de qui la véritable justification de la science moderne n’était pas sa capacité à énoncer des vérités sur la réalité, mais le succès des réalisations techniques auxquelles elle a donné lieu, la connaissance scientifique n’était cependant qu’une expression subalterne de la raison. Dans son esprit, la véritable connaissance était la connaissance philosophique.

« Moi et mes circonstances »

Des milliers de pages ont été écrites sur la philosophie de José Ortega y Gasset, dont il demeure difficile de se faire une image d’ensemble parfaitement cohérente. Bien qu’il ait toujours prétendu avoir conçu un système, Ortega était en effet par tempérament un penseur non-systématique. Ses idées n’ont de surcroît jamais cessé d’évoluer, en conformité avec une des thèses centrales de sa philosophie. C’est ce que lui-même soulignait en commentant en ces termes une de ses affirmations les plus fameuses : « « Je suis moi et mes circonstances ». Cette phrase, qui apparaît dans mon premier livre [Meditaciones del Quijote] et qui condense […] ma pensée philosophique n’est pas simplement l’énoncé de la doctrine que mon œuvre expose et propose, elle est elle-même une illustration de cette doctrine. Mon œuvre est, par essence et dans son existence même, circonstancielle. »

518YDWHJ9ZL.jpgEsprit curieux et lecteur vorace, Ortega a emprunté des idées ou des concepts à de nombreux penseurs, pour les mettre au service d’une intuition centrale : « le socle de toutes mes idées philosophiques, écrira-t-il, est l’intuition du phénomène de la vie humaine ». L’idée que l’objet de la philosophie ne peut être que l’existence humaine dans ce qui fait sa singularité – le fait qu’elle ne se réduit pas à sa réalité biologique et possède une dimension historique au plan individuel et collectif –  Ortega l’a trouvée dans la lecture de penseurs comme Nietzsche, Bergson et surtout Wilhelm Dilthey, psychologue et philosophe allemand qu’il considérait comme « le philosophe le plus important de la seconde moitié du XIXe siècle ».

Dans un ouvrage par ailleurs exceptionnellement intelligent et d’une grande richesse, l’historien John T. Graham s’efforce d’établir l’existence d’une influence déterminante du pragmatisme du psychologue américain William James sur les idées d’Ortega. Il est difficile de l’exclure complètement, mais on a beaucoup de peine à se convaincre qu’elle a eu l’importance que lui attribue Graham. De manière générale, Ortega, qui a étudié à Leipzig, Berlin et Marbourg, mettait au plus haut la philosophie allemande, dont deux écoles de pensée contemporaines, le néo-kantisme d’Hermann Cohen et Paul Natorp, et (surtout) la phénoménologie d’Edmund Husserl et Max Scheler, l’ont significativement marqué. De l’une et l’autre il héritera certaines idées, tout en soulignant rapidement ce qu’il percevait comme leurs limitations. Du néo-kantisme, par exemple, il retiendra l’insistance sur le rôle central de la raison dans la structuration de l’expérience humaine et la volonté de construire une philosophie de la culture et de l’éducation, tout en lui reprochant de manquer par un excès d’intellectualisme la réalité de l’existence humaine. Dans le même esprit, il accusera la phénoménologie de s’en tenir à l’analyse de la conscience. Ces penseurs allemands ne furent toutefois pas ses seules sources d’inspiration. Chez Unamuno, par exemple, dont il dénonçait pourtant avec véhémence l’irrationalisme et le spiritualisme, Ortega a trouvé (à tout le moins retrouvé) une de ses idées fondamentale, celle du caractère foncièrement tragique de la vie.

À partir de tous ces éléments, Ortega réalisera une synthèse très personnelle organisée autour du concept de « raison vitale » qui lui permettait, pour reprendre la belle formule de Fernando Savater, de « combiner lucidité intellectuelle […] et urgence vitale ». Au bout d’un certain temps, cette « raison vitale » sera élargie à la dimension collective de l’Histoire sous la forme de la « raison historique ».  « L’Ortega de la maturité, résume Jordi Gracia,  n’est ni kantien ni néokantien, mais un exemple rare de déserteur de la phénoménologie par l’intermédiaire du néo-nietzschéisme, moins préoccupé par les problèmes du savoir et de la théorie de la connaissance […] que par l’étude des conditions historiques de l’existence humaine ».

Un leitmotiv des remarques d’Ortega au sujet des philosophes du passé et des penseurs contemporains qui l’ont inspiré est qu’ils ne se sont pas montrés assez « radicaux » – « radical » et « radicalité » sont des mots clés de son vocabulaire et de sa pensée – et qu’il convient donc de les « dépasser ». Une des raisons de ceci est qu’il ne trouvait pas chez eux l’écho de son intuition fondamentale de l’existence humaine. Une autre, sans doute plus déterminante, est qu’Ortega, très soucieux d’affirmer son originalité et sa supériorité, ne supportait guère l’idée d’avoir des rivaux. Lorsque les vues de Husserl, dans La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, semblèrent se rapprocher de sa théorie de la raison historique, il ne tarda pas à souligner tout ce qui dans les idées du père de la phénoménologie manquait pour rendre compte de ce que le concept qu’il avait lui-même forgé permettait d’expliquer.

La découverte de Heidegger

CtT2VeeWcAEpakA.jpg large.jpgUn choc considérable à cet égard a été la parution, en 1927, de L’Être et le Temps, l’ouvrage qui a fait connaître Martin Heidegger. À plusieurs endroits de son livre, Jordi Gracia évoque le bouleversement qu’a engendré chez Ortega la découverte de la philosophie de Heidegger, dont la proximité apparente des idées avec les siennes ne pouvait manquer de le perturber. Conformément à son habitude, Ortega prit soin de se distancer de Heidegger en pointant du doigt ce qu’il critiquait comme les faiblesses de sa pensée : dans un premier temps ce qu’il appelait son pessimisme, bien illustré dans son esprit par le rôle dévolu dans L’Être et le Temps à l’angoisse comme révélateur de la condition humaine ; plus tard ce qu’il présentait à juste titre comme la dérive de la pensée de Heidegger vers des considérations de caractère religieux et théologique, lorsque ses préoccupations ont évolué d’une philosophie de l’existence à des réflexions ontologiques (sur la nature de l’être en général).

Un des rares endroits de son œuvre où Ortega s’étend un peu sur la pensée de Heidegger est une longue note de bas de page d’un de ses textes sur Goethe. Significativement, après y avoir qualifié L’Être et le Temps de « livre admirable », il s’empresse de faire remarquer qu’« on peut à peine trouver [dans cet ouvrage] un ou deux concepts importants qui ne préexistaient pas, parfois avec une antériorité de trois ans, dans [ses propres] livres.» Cette question d’antériorité était d’autant plus sensible pour lui que plusieurs de ses élèves et disciples portaient aux nues le philosophe allemand. (Ortega n’aura l’occasion de rencontrer Heidegger qu’en 1951, à la satisfaction apparente des deux hommes qui, semble-t-il, s’apprécièrent beaucoup).

Il est une autre parenté d’esprit encore plus flagrante qui semble avoir échappé à Ortega, vraisemblablement parce qu’il n’a jamais lu très attentivement l’auteur concerné. Dans une réflexion sur le thème d’Ortega et la sagesse, qui est en réalité une plongée au cœur même de sa pensée, le philosophe Jesús Mosterín énumère tous les termes et les expressions qu’il utilise pour faire référence à l’idée centrale et fondamentale de sa philosophie : « Vocation ; vocation inexorable ; vocation vitale ; destin ([employé dans le sens] non de ce qui doit se passer et se passe, mais de ce qui devrait se passer et souvent ne se passe pas) ; destin intime ; destin exclusif ; plan vital ; programme vital ; programme d’existence ; projet vital ; projet d’existence ; projet d’être ; vie-projet ; mission […] ».

À la lecture de cette liste, comme de tout ce qu’Ortega a écrit sur ce thème, il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec les idées d’un philosophe dont le nom n’a curieusement été que rarement associé au sien (essentiellement par Alfred Stern et à sa suite John Graham), celui de Jean-Paul Sartre. « La thèse fondamentale d’Ortega », rappelle Mosterín, « est que chaque vie humaine est caractérisée par une vocation déterminée de manière univoque, indépendante de la volonté [de la personne concernée] et de ses capacités ». On est vraiment très près, ici, du concept de « projet existentiel » au cœur de l’anthropologie philosophique du Sartre d’avant la rencontre avec le marxisme, et au centre des études biographiques qu’il a consacrées à Baudelaire, Genet et Flaubert.

Comme Sartre, rempli de lui-même

Les points communs ne s’arrêtent pas là. Comme chez le premier Sartre, les concepts d’«authenticité » et de « vie authentique » jouent un rôle important dans la pensée d’Ortega. Et entre la « situation » du premier et les « circonstances » du second, la différence n’est pratiquement que de mot. Si manifestes qu’elles soient, ces ressemblances ne témoignent nullement d’une influence directe dans un sens ou un autre. Les idées d’Ortega étaient formées plusieurs années avant que Sartre n’énonce les siennes, et rien n’indique que Sartre ait été significativement influencé par le philosophe espagnol, qu’irritait d’ailleurs de manière générale l’ignorance de son œuvre par les existentialistes français.

51Jyu7IgSEL.jpgLe parallèle pourrait être poussé plus loin encore, jusqu’à inclure un trait psychologique particulier des deux hommes, leur attitude face aux penseurs et aux artistes dont ils traitaient. Ortega analysait la vie de Goethe, Velasquez ou Goya à la lumière de leur « vocation fondamentale » exactement comme Sartre lisait celle des écrivains dont il parlait en référence à leur « projet existentiel ». Mais l’un et l’autre tendaient de surcroît à se projeter dans la vie et la personnalité des créateurs sur qui ils écrivaient, d’une façon qui conférait aux portraits qu’ils livraient d’eux le caractère d’autoportraits implicites et déformés. Comme Sartre, Ortega était rempli de lui-même, même si c’est d’une manière très différente, la forme particulière d’orgueil de Sartre lui interdisant cette vantardise dans laquelle le philosophe espagnol tombait volontiers. Mais, comme lui, il a réussi à faire de cette caractéristique psychologique une force, en développant une vision de la vie qui, tout en nous parlant ostensiblement de lui-même, possède à l’évidence une portée universelle.

Ortega était conscient de la valeur de ses idées, et s’il a pu éprouver un sentiment d’échec et de frustration au plan philosophique, ce n’est pas de n’être pas parvenu à en formuler qui fussent fortes. C’est de ne pas avoir réussi à les présenter sous une forme systématique. « Nous avons la chance », faisait remarquer l’écrivain mexicain Octavio Paz, « qu’Ortega n’ait jamais cédé à la tentation du traité ou de la somme ». Cette affirmation est à la fois exacte et inexacte. Elle est exacte en ce sens qu’il est heureux que les idées d’Ortega nous aient été transmises sous une autre forme, dans laquelle il excellait. Mais il est faux qu’il n’ait jamais tenté de leur conférer une forme plus systématique. Il s’y est au contraire longtemps évertué, mais sans succès. Comme tous les autres biographes d’Ortega, Jordi Gracia évoque le triste feuilleton de deux projets de livres, indéfiniment reportés, dans lesquels Ortega aurait voulu respectivement condenser ses idées sociologiques et sa philosophie de la raison vitale et de la raison historique. Ils ne verront jamais le jour, en tous cas pas de son vivant (le premier, L’homme et les gens, sera publié à titre posthume), parce qu’Ortega, pourtant un travailleur acharné, n’avait pas le type de caractère nécessaire pour mener à bien ce type d’entreprise.

Essais, articles et conférences

« La première chose à dire au sujet de mes livres », reconnaissait-il d’ailleurs volontiers, « est que ce ne sont pas à proprement parler des livres ». De fait, dans les dix mille pages de ses œuvres complètes, on ne peut identifier qu’un seul livre originellement conçu et voulu comme tel, le premier qu’il ait publié, lesMeditaciones del Quijote, qu’on pourrait d’ailleurs en réalité considérer comme l’assemblage de deux textes indépendants. Tous ses autres ouvrages sont des collections réalisées après coup d’articles de journaux ou de revues, de textes de conférences ou de divers essais de circonstances sur un même thème, assortis le cas échéant de textes d’introduction, de préfaces et de postfaces écrits pour les besoins de la cause. C’est notamment le cas de La Révolte des masses, dont, dans l’édition sous lequel nous le connaissons, le corps du texte, directement dérivé d’articles parus dans la presse, est flanqué d’un « Prologue pour les Français » et d’un « Épilogue pour les Anglais » rédigés respectivement huit et neuf ans plus tard à l’occasion de la publication de traductions de l’ouvrage, dans lesquels Ortega introduit un certain nombre de précisions, de nuances et d’idées nouvelles.

oygquikote.jpgSi Ortega a choisi de s’exprimer presque exclusivement de la sorte, c’est certainement pour pouvoir toucher un large public, en conformité avec ce qu’il voyait comme son rôle d’éducateur de l’élite. Mais c’est aussi pour des raisons liées à son caractère et sa personnalité, justement soulignées par son disciple Julian Marias : « Écrire un livre requiert un tempérament bien plus ascétique que celui d’Ortega. […] Le caractère voluptueux des sujets [qu’il traitait], qu’Ortega ressentait intensément d’une manière qui faisait de lui non seulement un intellectuel, mais un écrivain au sens plein du terme, le distrayait très fréquemment et l’entraînait vers des questions secondaires et, surtout, vers de nouveaux sujets […]».

Le nombre très important de textes de conférences dans son œuvre illustre de surcroît ce fait qu’Ortega était avant tout un homme de la parole prononcée plutôt qu’écrite. « Ortega aimait parler, bavarder, converser. Probablement plus qu’écrire » rappelle José Lasaga Medina dans le très utile petit livre qu’il lui a consacré. Dénonçant la « tristesse spectrale de la parole écrite », il trouvait l’expression orale mieux accordée à la fluidité de la pensée, comme à la mobilité foncière de l’objet de la philosophie, la vie humaine. Comme souvent avec lui, cette justification théorique était aussi le reflet de dispositions et de préférences personnelles : au témoignage unanime de ceux qui ont eu l’occasion de l’écouter, Ortega était un orateur et un débatteur exceptionnellement brillant au magnétisme puissant, dont les conférences et les interventions lors des innombrables « tertulias » (réunions intellectuelles) qu’il a animées au cours de sa vie laissaient ses auditeurs et interlocuteurs remplis d’admiration. C’est avec raison que Mario Vargas Llosa fait de ce point de vue le rapprochement avec Isaiah Berlin, auquel Ortega fait songer non seulement par sa conception essentiellement philosophique, politique et éthique (plutôt qu’économique) du libéralisme, mais aussi par des caractéristiques comme son incapacité à mener à bien des projets de livres annoncés de longue date, sa franche prédilection pour l’expression orale et le brio de ses exposés improvisés ou formels.

Canotier et voitures décapotables

Au plan personnel, enfin, la vie de José Ortega y Gasset peut-elle être considérée comme une réussite ? En dépit de son admiration palpable pour l’homme, Jordi Gracia ne cherche nullement à dissimuler les défauts, les faiblesses de caractère et les traits psychologiques les moins plaisants d’Ortega, souvent relevés avec amusement, indulgence, affliction, sévérité ou cruauté selon les cas par ses contemporains et plusieurs de ses biographes, de moins en moins réservés à ce sujet à mesure que le temps passe. Déterminé, sous l’emprise de ses préjugés idéologiques à son égard, à proposer d’Ortega un portrait à charge au plan humain également, Gregorio Morán, par exemple, multiplie les anecdotes qui ne montrent guère le philosophe à son avantage. Son parti pris est évident. Mais sous une forme atténuée, on retrouve sous la plume d’autres commentateurs un certain nombre de ses observations indignées ou sarcastiques sur ses traits de personnalité les moins flatteurs.

cochenueva.jpgAu titre de ceux-ci, l’écrivain Javier Cercas énumère ainsi « [la] pédanterie d’Ortega, son snobisme, sa tendance aux jugements arbitraires, son nationalisme mal dissimulé, son autoritarisme de salon [et] son goût pour les gens prétentieux », caractéristiques dont Jordi Gracia, tout en soulignant à l’envi ses qualités (sa générosité intellectuelle, son courage dans l’adversité, son tempérament combatif et passionné), ne tente pas de faire davantage mystère que des traits physiques et de comportement qui leur sont liés et sont autant de composantes de l’image qu’il voulait donner (et que nous avons) de lui : l’élégance vestimentaire extrême, le canotier et les voitures décapotables décapotées même en hiver, habitude dont la combinaison avec l’assuétude à la cigarette, a-t-on dit, a pu contribuer aux problèmes respiratoires dont il a souffert durant toute sa vie.

Un des aspects les plus embarrassants de la personnalité d’Ortega est son attitude à l’égard des femmes et sa vision du monde féminin. Au moins aussi fasciné par la figure de Don Juan que son ami Marañón, qui lui a consacré un livre, Ortega, qui adorait plaire et séduire en général, aimait tout particulièrement plaire aux femmes et les séduire par son verbe éclatant. Appréciant et recherchant la société des femmes, qu’il affirmait préférer à celle des hommes, il éprouvait un vif plaisir à s’entourer de femmes belles, riches et intelligentes. C’était le cas de deux des trois femmes dont, selon Jordi Gracia, il fût le plus éperdument amoureux au cours de sa vie, la plus fameuse étant l’éditrice et écrivain argentine Victoria Ocampo. En contradiction apparente avec ce goût affiché pour les femmes cultivées, et en dépit du fait que parmi ses plus brillants élèves, collègues et interlocuteurs figuraient des femmes (Maria Zambrano, Rosa Chacel), Ortega défendait toutefois dans ses écrits des opinions sur les femmes, leurs capacités intellectuelles et leur place dans la société qu’on a justement pu qualifier de « préhistoriques », archaïques et particulièrement conservatrices, même pour un homme de sa génération.

À l’instar de Gregorio Marañon, libéral dans beaucoup de domaines mais professant sur ce point des vues terriblement traditionnelles en les appuyant sur la thèse d’un déterminisme hormonal presque absolu de la psychologie masculine et féminine, Ortega, « antiféministe congénital » aux dires de sa fille Soledad, n’envisageait pratiquement pour la femme d’autre fonction dans la société que d’adoucir le caractère belliqueux des hommes et d’offrir à ceux-ci le spectacle de leur beauté et la possibilité de s’élever au-dessus d’eux-mêmes dans l’exaltation de la passion amoureuse.

Solitude radicale

L’excellente opinion qu’Ortega avait et exprimait de lui-même et cette volonté de singularité si prononcée qu’elle le poussait à refuser l’idée d’avoir des disciples, ont à l’évidence profondément affecté ses relations avec son entourage. Jordi Gracia attire l’attention sur ce fait remarquable que dans la totalité de ses lettres avec presque tous ses correspondants Ortega emploie le vouvoiement : « En dehors des membres de sa famille, la seule personne qu’il tutoie est Victoria Ocampo, et ceci sans doute à l’initiative de cette dernière. Cette incapacité à moduler les relations personnelles, à descendre de son piédestal, est significative. » La solitude radicale dont parlait Ortega, conclut Gracia, n’était pas seulement métaphysique, elle avait aussi un caractère personnel.

« Quand je mourrai », écrivait José Ortega y Gasset à l’âge de vingt-et-un ans, « j’espère que ma vie aura laissé un sillon profond et fécond dans l’histoire de l’Espagne ». Lorsqu’un cancer des voies digestives l’emporta en 1955, à l’âge de soixante-douze ans, pouvait-il avoir le sentiment d’avoir réalisé cette ambition de jeunesse ? À la question « Ortega y Gasset est-il le plus grand philosophe contemporain de langue espagnole ? », Gracia répond par cette autre question, rhétorique : « En existe-t-il un autre ? ». L’absence de réelle concurrence a certainement contribué à la stature acquise par la figure d’Ortega en Espagne. Elle n’explique cependant pas à elle seule qu’il soit presque impossible pour un intellectuel de langue espagnole aujourd’hui d’ignorer Ortega : la vigueur de sa pensée et la qualité littéraire de ses écrits y sont tout de même pour beaucoup.

D’un autre côté, d’être espagnol ne l’a pas toujours servi. S’il avait été français ou anglais, faisait observer Mario Vargas Llosa (mais il n’est pas le seul à s’être exprimé de la sorte), il serait aujourd’hui aussi célèbre que Jean-Paul Sartre ou Bertrand Russel. Il y a du vrai dans cette affirmation, dont il ne faudrait cependant pas conclure que l’œuvre d’Ortega est ignorée en dehors de l’Espagne et, plus généralement, du monde hispanophone. En Allemagne, par exemple, elle fait l’objet d’une grande attention, tout comme aux États-Unis – il n’est pas fortuit que deux des meilleurs ouvrages existant sur Ortega, sa biographie par Rockwell Gray et la discussion de ses idées philosophiques et de leur origine par John Graham, soient dus à des auteurs américains. C’est moins le cas, il est vrai, en Grande-Bretagne, et encore moins en France, où l’œuvre d’Ortega à quelques exceptions près (par exemple Alain Guy, Paul Aubert et Eve Giustiniani pour l’époque récente), n’a guère bénéficié de l’intérêt qu’elle mérite.

978841740820.JPGUne pépinière d’idées

Dans son propre pays, la personne et l’œuvre de Ortega y Gasset, après avoir dominé la vie intellectuelle, ont successivement connu les deux types de périodes de purgatoire qu’un penseur ou un écrivain peut traverser : une  première de son vivant, durant les vingt dernières années de sa vie au cours desquelles sa position ambigüe à l’égard du régime franquiste l’a contraint à mener une vie publique largement exempte de reconnaissance et d’honneurs officiels, sans pour autant bénéficier de l’aura attachée à l’opposition franche à la dictature ; la seconde posthume, au cours des premières décennies qui ont suivi sa mort, en conséquence du désintéressement du monde intellectuel espagnol, tout occupé à découvrir, avec le retour de la démocratie, d’autres horizons que celui de la pensée nationale, pour un auteur trop rapidement perçu comme dépassé. Aujourd’hui, grâce notamment au travail d’archives et d’édition réalisé par la Fondation José Ortega y Gasset dirigée par la fille du philosophe (aujourd’hui Fundación José Ortega y Gasset – Gregorio Marañón), une nouvelle génération d’historiens et de critiques est en train de redécouvrir Ortega, en qui il est presque commun à présent de voir, pour employer l’expression de Jordi Gracia, « un penseur pour le XXIe siècle ».

Après avoir souffert l’indignité de l’oubli, Ortega mérite-t-il ce que certains pourraient appeler un excès d’honneur ? José Ortega y Gasset a énormément écrit et s’intéressait à une étonnante variété de sujets : « Anatomie d’une âme dispersée », cette expression utilisée dans le titre d’un de ses articles de jeunesse consacré à Pío Barojà, fait remarquer Gracia, pourrait tout aussi bien lui être appliquée. Son œuvre abondante et peu structurée est de qualité inégale. Si brillants que soient certains des essais qu’il a rédigés durant ses dernières années (par exemple ses réflexions sur Leibniz et ses portraits de Velasquez et Goya), il est généralement reconnu que c’est dans la première partie de sa vie que se concentre le meilleur de son œuvre. Ortega est par ailleurs resté aveugle ou insensible à beaucoup de choses. Convaincu de la supériorité de la pensée allemande, il a presque totalement ignoré la philosophie analytique anglo-saxonne contemporaine. Et s’il admirait Proust, ses vues sur l’art et la littérature modernes étaient souvent sommaires et dédaigneuses.

Dans l’ensemble, cependant, Ortega est un penseur robuste, puissant et original. Dans son désordre apparent, son œuvre, pour reprendre la jolie métaphore de Fernando Savater à son sujet, est une véritable « pépinière d’idées ». Il n’est guère de page de ses écrits qui ne contienne deux ou trois réflexions stimulantes et autant de formulations heureuses et mémorables. En dépit des facilités d’écriture qu’il s’accordait par intermittence avec indulgence, ces expressions hyperboliques et ces phrases trop somptueusement fleuries que l’écrivain catalan Josep Pla appelait des « orchidées verbales » et le critique Rafael Sánchez Ferlosio des « ortegajos », Ortega était un écrivain de grand talent et un remarquable styliste s’exprimant dans une langue à la fois élégante et précise, musclée, rythmée, expressive et imagée.

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Les obsèques de José Ortega y Gasset (1955).

Quoi qu’il en soit des mérites de son œuvre (et ils sont hors de doute), on ne peut en tout cas qu’être frappé par le degré auquel la vie d’Ortega y Gasset vérifie ses idées sur la vie. Est-ce parce qu’il vivait en conformité avec sa conception de l’existence humaine, objet central de ses réflexions et, à son opinion, de la philosophie ? Parce que ses idées et sa philosophie sont largement le produit et le reflet de sa vie et de la manière dont il l’a vécue ? Ou parce que ces idées sont justes et capturent une caractéristique essentielle de toute vie ? Un peu de ces trois choses à la fois, sans doute, raison pour laquelle, de tous les philosophes, Ortega y Gasset est sans doute un de ceux dont on peut le moins ignorer la vie, dont il était par conséquent le plus nécessaire et utile d’écrire, une nouvelle fois, la biographie.

Michel André

Ortega y Gasset: rationalisme, utopisme et raison historique à l'âge de la complexité et de la post-modernité

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Ortega y Gasset: rationalisme, utopisme et raison historique à l'âge de la complexité et de la post-modernité

par Irnerio Seminatore

1. La modernité et le monde contemporain

La réponse qu'Ortega y Gasset apporte à l'analyse du monde contemporain procède de sa réflexion sur l'origine et l'historicité de la ''Raison''.C'est une réponse anticipatrice, lorsqu'il dégage les traits saillants de la poétique historique et la naissance d'une stratégie cognitive d'importance capitale, la ''révolution galiléenne''.

C'est un pari existentiel, à l'accent stoïcien, lorsqu'il décrit la condition anthropologique de l'homme, confronté à la crise des certitudes et à celle de l'esprit rationaliste. C'est une critique aristocratique des sociétés, qu'il conçoit sous l'angle de l'action conjointe et fondatrice des élites, de la tradition et des croyances. C'est enfin une réponse actuelle, lorsqu'il s'en prend aux philosophies et aux doctrines de la modernité, éditées à partir d'utopies, d'esprit de système, de théories ou de lois.

Ortega y Gasset devance son temps.

Il ne cesse de répéter que « la vie est la seule réalité radicale », que « la vie concrète, celle de tout individu est, en son essence, circonstance et, avant tout, appartenance à la circonstance... ».L'horizon du devenir a un centre et un point d'ancrage permanents : c'est l'homme, maître unique de son destin !

L'eschatologie du salut n'est que la toile de fond, où l'homme sécularise son besoin d'absolu.

Opposée à la Raison abstraite, à l'idée de « nécessité » ou de providence, appliquées à la société par la Weltanschauung rationaliste, Ortega y Gasset met l'accent sur l'abîme que celle-ci creuse entre le monde des idées et la situation concrète de l'homme. La volonté rationaliste veut faire coïncider à tout prix et a-priori des constructions et des projets idéaux avec la réalité vivante. Cette forme de rationalisme est à la base du radicalisme de la « raison pure », dont le radicalisme politique n'est qu'une conséquence.

Observant les événements de son temps, Ortega y Gasset y décèle les fondements de « l'esprit révolutionnaire, qui résident en une attitude radicale face à la réalité...; en une forme d'activisme doctrinaire. L'esprit révolutionnaire- dit-il – est traversé de part en part par le projet de matérialiser l'utopie, la fille de la raison pure calquée sur l'histoire ».

Puisque la vie est un devenir, la vie humaine ne peut être tenue pour une chose; elle n'a pas une nature définie ou préétablie, dont la consistance réside en un vérité, fixe et immuable. Sa seule réalité est un « facendium », un « que hacer », « un événement à caractère dramatique », bref, un heurt permanent avec la circonstance.

41Su+1tnUPL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgÀ tout moment et dans toute conjoncture; l'homme est acculé à un choix. Par ce choix, il affirme sa vocation profonde qui confère au projet humain la portée d'un engagement, dans lequel l'individu risque la perte de son existence et celle de son âme.

Substance migrante dans les formes infinies de l'être, l'homme s'investit dans le temps, en accord ou en opposition avec les multiples variations des croyances, car « on vit toujours à partir de certaines croyances ».

La vie humaine, en sa vocation authentique, demeure quête de sens et recherche de foi. C'est ainsi qu'elle est créativité et, de ce fait, histoire et seule historicité possible. Toute abstraction ne peut qu'apparaitre anti-historique, puisqu'elle ne possède pas, en soi, la faculté de juger et de résoudre les problèmes de l'homme. 

2. La Raison et la « Raison Pure »

La « Raison Pure » n'est pas, pour Ortega y Gasset, la Raison, car nous entendons «par Raison, la capacité de penser vrai et, par conséquent, de connaître l'être des choses». « L'idée de Raison inclut, à l'intérieur de soi, les thèmes de la vérité, de la connaissance et de l'être »; elle est donc vecteur d'une conception éthique, d'une certaine forme de savoir et d'une représentation particulière de la réalité, naturelle ou sociale. Or, d'après Ortega y Gasset, la Raison du « Discours de la méthode » n'était pas toute la Raison, mais seulement la « raison pure », celle des concepts et des objets mathé­matiques.

« La Raison pure n'est pas l'intelligence, mais une manière poussée aux extrêmes de faire fonctionner la Raison... Au lieu de créer un contact avec les choses, elle s'en éloigne et cherche la fidélité la plus exclusive dans ses propres lois internes... Cet usage pur de l'intellect, cette pensée « more geometrico », est appelé d'habitude rationalisme. Il serait peut-être plus exact de l'appeler « radicalisme ».

« Le radicalisme politique n'est pas une attitude originelle, mais une conséquence. On n'est pas radicaux en politique, puisqu'on est politiquement radicaux, mais parce que, avant, on est intellectuellement radicaux. ». Le radicalisme, comme renversement du rapport entre la vie et les idées, consistant à vouloir plier la réalité au projet, à s' éloigner de celle-là et à en dédaigner les formes, à faire de l'idée la seule valeur et la seule chose juste, bonne et belle, s'accomplit en l'amour pour l'idée.

La politique devient politique d'idées et la vie doit se mettre au service d'un concept, d'un système de concepts. « Toute la culture scientifique moderne depuis sa fondation par Descartes, s'est prévalue de disciplines radicales ». « La solidité de son œuvre a su résister à trois siècles d'assauts et d'expériences, pour décliner seulement aujourd'hui (1940). Cette solidité était due au radicalisme de sa méthode». Or, la crise de cette méthode se commue en une « crise de la foi en la Raison ».

Depuis la Renaissance, « le drapeau de la coexistence européenne, c'était la Raison, faculté, pouvoir, ou instrument, sur lequel l'homme avait cru pouvoir compter, pour éclairer son existence, orienter ses actions et résoudre ou contrôler ses conflits ».

La plus flagrante manifestation de cette crise apparaît dans le paradoxe, par lequel « nous avons bouclé la boucle des expériences politiques, comme le démontre le fait ajoute-t-il - qu'aujourd'hui (1937), les droites promettent des révolutions et les gauches proposent des tyrannies ».

3. La vie humaine et le monde des idées

La-Rebellion-de-las-masas.jpgVers 1860, Dilthey, considéré par Ortega y Gasset comme le plus grand penseur de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, fit la découverte d'une nouvelle réalité philo­sophique, celle de la « vie humaine ». La vie, rappelle ce dernier, n'est point « quelque chose de dérivé ou de secondaire, mais le constituant de l'idée elle-même ».

Lorsque les hommes tournent le dos à la réalité, ils « tombent amoureux des idées comme telles ». Ce « renversement radical de la relation entre la vie et les idées, devient alors l'essence véritable de l'esprit révolutionnaire ». « Une idée, forgée sans autre but que de la rendre parfaite comme idée, quelle que soit sa pertinence à la réalité, est ce que nous appelons utopie ».

Rationalisme, radicalisme et pensée « more geometrico » sont des utopismes. Or, depuis les origines, la connaissance et l'action appartiennent à deux domaines distincts.

Connaître ce n'est point changer !

Pour connaître le monde, il suffit d'une hypothèse ou d'une conjecture, pour le changer, il faut des capitaines et des forces. « L'intelligence n'a pas créé les peuples, elle n'a pas fabriqué les nations ». Or, puisque « la politique est réalisation », elle doit forcément entrer en contradiction avec l'idée ou l'utopie, en tant que promesse irréalisée d'une réconciliation définitive de l'Histoire.

Toute révolution se propose la chimère de réaliser une utopie plus ou moins complète. La tentative, inexorablement, fait échec. L'échec suscite le phénomène jumeau et antithétique de toute révolution : la contre-révolution. Nouvel échec, nouvelle réaction.. , et ainsi successivement, jusqu'au moment où la conscience sociale commence à soupçon­ner que le mauvais résultat n'est pas dû à l'intrigue des ennemis, mais à la contradiction même du projet utopique ».

4. L'Esprit Rationaliste et l'Esprit Révolutionnaire

L'époque de l'esprit rationaliste et de l'esprit révolutionnaire qui s'y accompagne, liée au refus du passé et donc au rejet de ses usages et de ses croyances, est due au triomphe de l'individualisme. Celui-ci répudie la tradition et, de ce fait, est obligé de reconstruire l'univers idéalement, fictivement, dans la tête et par la seule raison, aux moyens des idées pures, des axiomes et des principes. En ce sens, le « révolutionnaire » ne se révolte pas véritablement contre les abus de son temps, car il ne serait alors qu'un réformateur, il se « révolte contre les héritages » et donc contre la tradition.

« La révolution - affirme-t-il - n'est pas une barricade, mais une attitude de l'esprit ». Elle veut faire table rase du passé. Cependant, « la chose la moins essentielle dans les vraies révolutions, c'est la violence ». L'essentiel y est une attitude spirituelle, une vision du monde.

C'est ainsi que Ortega y Gasset perçoit tout à la fois la valeur fondatrice des croyances, qui sont à la base des grandes mutations de l'histoire et l'importance parallèle, pour la vie de l'homme, de la tradition et de la continuité historiques. Pour la sauvegarde de son équilibre créatif, de ses racines et de sa mémoire, l'homme moderne revendique son « droit à la continuité ».

La crise du présent est, en même temps, une crise de l'individualisme et une crise, non pas des principes premiers ou des valeurs suprêmes, mais de leur absence. D'où le désenchantement. L'époque que nous vivons est celle de l'âme désenchantée. Notre époque n'est point une époque de réaction, qui est toujours le « parasite de la révolution », mais la phase d'une évolution de la civilisation vers un nouveau développe-ment de la spiritualité. Le développement de la civilisation par époques, induit une correspondance dans les phases de développement de l'homme. Ainsi, « d'une attitude spirituelle de type traditionnel, on passe à un état d'esprit rationaliste et de celui-ci à un régime de mysticisme ». La troisième phase est donc celle de la désillusion, de l'âme facile, docile et servile.

autour-de-galilee-1139283-264-432.jpgL'ère révolutionnaire, dans laquelle la politique se trouvait au centre des inquiétudes humaines », où la politisation intégrale de la vie avait atteint son apogée, cette période de ferveur intense est révolue. Elle représentait une évidente aberration de la perspective sentimentale, car « l'homme moderne, qui a montré sa poitrine sur les barricades de la révolution, a montré sans équivoque qu'il attendait la félicité de la politique ».

Lorsque « la politique a été exaltée à un si haut niveau d'espoir et de dévouement », demandant trop d'elle, il est normal qu'à « la politique des idées, succède une politique des hommes et des choses... L'ère révolutionnaire se conclut simplement, sans phrases, sans gestes, résorbée dans une sensibilité nouvelle ».

Dans une période d' affection pour l'intelligence, « l'intellectuel, comme professionnel de la raison pure... a accompli son devoir, consistant à se trouver sur la brèche anti-traditionaliste, ... et il a obtenu le maximum d'influence, d'autorité et de prestige... ». Dans la période de « déclin des révolutions, les idées ne sont plus le facteur historique primaire » des grands changements historiques. Une « réforme de l'intelligence » et un nouveau rapport entre élites et masses, intellectuels et sociétés, prennent la relève dans la poursuite du cycle.

5. L'évolution des Civilisations

Le schéma des successions dans l'évolution d'une civilisation, allant du traditionalisme (ou du réalisme), au rationalisme (et donc à la révolution et à l'utopie), puis au pragmatisme (ou au désenchantement) et enfin au mysticisme (c'est-à-dire au spiritua­lisme), nous fournit-il une grille de lecture, adéquate à l'intelligibilité de notre temps ?

Si, comme l'affirme Ortega y Gasset dans « les époques d'âme traditionaliste s'organisent les nations », par « un mode traditionnel de réagir intellectuellement, (qui) consiste dans le souvenir du répertoire des croyances reçues des ancêtres » et « si l'âme primitive, quand elle naît, accepte le monde constitué qu'elle trouve... gouverné par un seul principe et disposant d'un seul centre de gravité, la tradition », la naissance, puis le développement de l'individualisme, contiennent la négation de ce monde.

« Le mode individualiste d'agir, tourne le dos à tout ce qu'il a reçu... cette pensée qui ne vient guère de la collectivité immémoriale, qui n'est pas celle des « pères », cette création sans ascendance... doit être nécessairement une Raison ».

Or, puisque pour Ortega y Gasset « la vie humaine est nécessairement histoire », la réalité humaine, à cause de son dynamisme et de son historicité, consiste à procéder du passé vers le futur. La seule limite de l'expérience humaine réside pour Otega y Gasset dans le passé. « Les expériences de vie restreignent le futur de l'homme... car l'homme n'a pas une nature, mais... une histoire ».

La signification du combat intellectuel d'Ortega y Gasset, se trouve en somme définie pour une part, par son refus du rationalisme et de l'idéalisme utopique, et pour l'autre, par la critique du monisme dominant de son temps, le prophétisme matérialiste et son eschatologie.

Estimant toujours possible les retours en arrière, l'histoire, loin d'être le lieu de réconciliation de la Raison est, pour Ortega y Gasset « une perpétuelle succession de deux classes d'époques » ; époques de formation d'aristocraties et, avec elles, de sociétés et époques de décadence de ces aristocraties et, avec elles, de désagrégation des sociétés». Rien de plus frappant, que ce diagnostic colporte un dédain pour la période que nous vivons, une période « servile et mystique », signalée par la « lâcheté et la superstition ».

6. La Scène Planétaire : vers une fin de l'Âge idéologique

La coexistence actuelle d'univers mentaux et de cultures-mondes, vivant différem­ment la communauté et la vie, agissant selon les modalités les plus disparates, magiques, sacralisées, laïcisées, rationalisantes et utopiques, cette coexistence hétérogène des valeurs de référence, comporte des segmentations éthico-culturelles multiples. Le champ des agirs socio-politiques est déchiré entre communauté et individualisme, traditions et rationalisme, croyances et modernité, puisqu'il sous-tend plusieurs types de devenirs, jusqu'ici disparates et irréductibles, sous l'empire d'une même universalité historique. La scène du monde est ainsi caractérisée par l'interdépendance croissante de l'huma­nité et par une complexité inégalée des univers physiques et mentaux. Une gestation permanente de la poétique historique annonce des futurs aléatoires et des avènements de mondes incertains et proches, au sens de l'Apocalypse de Saint-Jean.

978842068608.gifImmédiatement, nous observons la fin provisoire de l'âge idéologique et de l'utilisa­tion, bonne ou mauvaise, de celle-ci. Cela ne signifie point leur disparition définitive, car les utopies et les rêves réapparais-sent perpétuellement dans le siècle, et ils en constituent la trame imaginaire. Les sociétés développées ont refusé le fanatisme et le millénarisme, au profit d'une phase d'apaisement de leurs conflits. Elles ne pourront vivre longtemps dépossédées de leurs âmes. Nous assistons sûrement à une accélération du temps, à l'irruption d'un autre univers mental, où les contradictions frontales seront atténuées et les schémas dialectiques ne seront plus en mesure de rendre compte de l'histoire telle qu'elle est. Dans la perspective d'un avenir, où les buts de la vie humaine seront partiellement profanes, tout en demeurant pour une part transcendants, les anciennes croyances ne pourront que réapparaître dans la vie historique.

7. L'Europe et l'Histoire Universelle

À la faveur des grandes découvertes géographiques, précédées par la double révolution, industrielle et française, les sociétés européennes ont pris conscience de leurs particularités et de leurs différences, par rapport aux autres ensembles humains. D'où la réflexion sur la morphologie de l'Histoire Universelle.

Le goût pour les faits de civilisations a suscité un bilan sur le coût social du progrès, ainsi que sur les avantages et les inconvénients de la Modernité. L'opposition de tradition et de raison, d'intellect et d'âme, la dissolution des sociétés traditionnelles, des anciennes hiérarchies et cadres de vie, a fait l'objet de débats inépuisables. En leur sein, le libéralisme et le socialisme ont été deux variantes idéologiques de l'industrialisme naissant, les deux toiles d'un même rêve de libération ou de liberté. Leurs étiques, complémentaires et contradictoires, ont ainsi différemment modulé les thèmes de l'individualisme et du projet collectif. Ils se sont différemment inclinés face à des archétypes idéaux et à des formes plus ou moins poussées de spiritualisation implicite, sans épuiser, ni l'un ni l'autre, la soif assoupie de religiosité et de transcendance.

La vision pluraliste du monde, que suppose l'incohérence du réel et l'anarchie incompatible des valeurs, s'est, tour à tour, opposée à la vision moniste de la réalité, prétendant à la cohérence fondamentale de l'ordre social et, en perspective, à un type d'organisation, fondée sur la synthèse de valeurs compatibles. Or, la variété des civilisations et des croyances et la multiplicité des régimes politiques nous force au constat, exaltant pour les uns et désarmant pour les autres, qu'il ne pourra jamais y avoir de synthèse de valeurs compatibles.

Le temps des conciliations définitives et l'état des réalités planétaires sont irréductibles aux différents types de monismes, philosophiques, scientifiques ou naturels. Seuls la foi, la religion et le rêve puisent dans le domaine de l'unique et de l'ultime. « Toute sorte de métaphysique - dit Durkheim - n'est que le mythe qu'a la société d'elle-même ».

8. Le spirituel, le religieux et le politique face à l'Histoire

De nos jours, l'appel à la religion n'est plus utilisé comme modèle pour expliquer l'architecture transcendante du monde, à la manière des interprétations du sacré et de l'origine révélée de l'Univers, mais pour affermir une identité et une continuité historiques. Le spirituel a fait sa rentrée en politique, à l'Est de l'Europe, comme fait de connais­sance, comme révision critique de l'histoire, comme individualité et particularité du « destin occidental », pour souligner le caractère contingent et passager des solutions politiques ou des formes d'État et de gouvernement. La religion, rejetée dans le silence, devient une garantie de la pérennité des identités culturelles endormies et des droits fondamentaux de la personne humaine.

Un nouveau type d'opposition se creuse entre l'idéologie, comme justification du pouvoir, et le spirituel, comme légitimation authentique de l'autorité et ressourcement des vieilles consciences nationales. Ainsi, le miracle occidental, comme miracle de l'émergence historique de l'individua­lisme, ne correspond plus à une vision du monde, fondée sur des certitudes.

Sans violer les traditions et les âmes, la conception dominante de l'histoire de l'époque contemporaine, et plus particulièrement de la post-modernité, réfute toute sorte de réduc­tionnisme, philosophique, économique ou politique.

portada_el-tema-de-nuestro-tiempo_jose-ortega-y-gasset_201503052051.jpgLibéralisme et religions y apparaissent sous un regard nouveau. Le libéralisme est un corpus doctrinal qui ne prêche pas de certitudes et vit uniquement dans le présent. L'avenir éloigné le laisse insensible, l'histoire lui apparaît profane, le règne de la liberté dépend d'un projet et d'un pari, profondément individuels. Les conceptions, religieuses et libérales, ont toutefois un point commun. Elles fournissent une base pour résister aux tyrannies de l'histoire. Les premières, rappelant la critique permanente du monde et de la contingence, les autres, se référant aux ambitions et aux finalités de la vie humaine, perpétuellement relatives, insyndicales et arbitraires, plongées dans un univers réversible et incertain.

Le monde ne peut adopter l'uniformisation par une seule religion, avec ses prétentions d'universalité et d'absolu et la politique ne peut épouser aucune religion, sauf que pour mieux dominer les âmes, car le propre de la politique, c'est de vivre dans le siècle et d'en résoudre les problèmes. La religion est, par sa nature, exclusive, car celui qui croit en une vérité absolue ne peut considérer qu'il y en ait d'autres dans le monde.

L'histoire n'en est pas à sa fin, comme le prétend Fukuyama, car elle est un théâtre d'évènements, résultant d'une pluralité de principes et de motivations, d'une multitude d'intérêts et de doctrines, irréductibles à une conciliation définitive.

Berceau et en même temps tombeau des philosophies et des idéaux, auxquels sont rapportés le sens des évènements et l'ordre du devenir immanent, l'histoire aura la durée des contradictions de l'humain.

« La conscience de la finitude de tout phénomène historique et de toute situation humaine ou sociale, ainsi que la conscience de la relativité de toute sorte de foi, n'est qu'un pas vers la libération de l'humanité » (Dilthey).

Cette libération ne peut comporter d'apaisements définitifs.

Au regard d'une finalité intelligible, aucune des conditions ou des idéalités qui mènent le monde, n'a une fonction première, aucune ne détermine les autres de façon exclusive, toutes sont ouvertes sur l'ensemble et cet ensemble ne forme jamais un système, ne se fige jamais en une structure, ne peut être ordonné à une loi, à un but ou à un principe. Cette irréductibilité à un principe premier est aussi une irréductibilité à une fin ultime.

9. Modernité, complexité et questionnements

La fin de l'histoire ne sera pas pour demain. Aucun système de concepts ne pourra la réduire à un monisme efficient ou à une dialectique d'opposition irréconciliables.

A l'âge de la complexité, de nouveaux paradigmes s'imposent, pour fonder un nouveau dialogue entre l'homme et la nature, ainsi que de nouvelles possibilités de description et de compréhension de la société. Cet âge de mutation de la rationalité et de la connaissance est en réaction vis-à-vis des canons de la tradition scientifique de type classique, érigée sur des hypothèses et modèles, fermées et réductionnistes.

La fin des matérialismes, traduisant au niveau politique, les conceptions mécanistes et linéaires de la connaissance jadis dominantes, ainsi que d'autres formes de déterminisme, ouvre-t-elle la voie à des révolutions des esprits et des âmes, à des changements promé­théens des leviers de l'espérance humaine?

Le nihiliste refuse les faiblesses de l'espoir et renie à l'ordre existant le mérite de survivre. L'idéaliste est incapable d'accepter le divorce de la vérité et du monde et ne peut exalter que l'éthique de la conviction. Il oscille ainsi entre l'intégrisme négateur de la réalité et l'utopisme du recommencement perpétuel. Le réaliste ne dispose guère de concepts et de théories, clos, définitifs et fixes, mais d'un ensemble de convictions et de coordonnées, par définition innombrables, dispersées dans l'infini inépuisable de l'expérience.

A quelle catégorie d'exhortations ou de projets s'inspireront les énergies de la politique pour guérir le mal séculaire de l'homme ?

Le pessimisme protège des illusions, que le cynisme interdit de cultiver. Or, s'il ne peut y avoir de projet rationnel ou de politique scientifique, peut-il exister d'action politique sans espérance et de prophétie sans illusions ?

A quels buts et à quels dieux veut-il servir l'homme, qui va à la politique en citoyen et au combat pour la liberté en modéré, avec la conviction de servir la cité et non les Princes, qui croit à la solidarité entre les êtres, sans faire de concessions aux passions des foules ou à la foi brûlante des prophètes ?

A quelle République de l'Esprit veut-il obéir, dans la vie et dans l'action, le radical sans tomber dans l'utopie d'une société unifiée, pacifiée et homogène qui, justifiant la corruption inévitable des institutions représentatives, favorise les tentations des despotismes?

Comment établir une hiérarchie entre les valeurs de la science ou de la raison et celles de la vie ou de la passion et comment les inscrire dans le cadre des convictions globales de l'homme?

L'engagement qui éliminerait la raison ou la science de l'horizon de nos choix tomberait dans le relativisme le plus total ; celui qui en ferait un fétiche et un idole, les poserait en substituts d'une croyance religieuse. Or, comment prendre partie en politique, si l'ordre temporel se sécularise totalement et la science élimine la religion et désenchante le monde?

Si l'engagement, politique et métaphysique, devient l'expression d'une condition, faite à l'homme par la connaissance, de dépouiller la totalité de toute signification, l'irrationalité et le probabilisme domineraient le champ de l'historicité et toute perspective d'action collective serait, ainsi dissoute. De quels arguments s'armeront alors les hommes, pour affronter l'avenir et réfuter les prétentions des utopistes ou des prophètes, à déterminer nos valeurs et à nous dicter des conduites au nom d'un futur totalement écrit à l'avance et d'un bonheur collectivement garanti pour toujours ?

En insistant sur les limites des déterminismes, économiques, scientifiques ou religieux, Ortega y Gasset refuse toute hiérarchie des univers spirituels, ordonnés à un but ultime. Homme tragique et, dans le même temps, homme de science, il garde la conviction que la connaissance réserve un espace à la foi, que la « raison » récuse et considère que le champ de la politique est celui où les passions humaines vivent en permanence dans le conflit, que seul le monde spirituel peut transcender, dans une quête, jamais éteinte, d'absolu.

samedi, 16 mai 2020

Dr. Alexander Wolfheze: La Vita Nuova

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La Vita Nuova

Ex: https://www.geopolitica.ru

 

Улетай на крыльях ветра
Ты в край родной, родная песня наша
Туда, где мы тебя свободно пели
Где было так привольно нам с тобою

Fly on the wings of the wind

To our native land, beloved song of ours

There, where we sung you in freedom

Where we were so over-free with you

- Aleksandr Porfiryevich Borodin, ‘Prince Igor’, Act II

(*) Author’s translation of an essay written for the website of the new Dutch patriotic-identitarian party IDNL (Identity Netherlands) - the English-language website of IDNL may be found at http://www.idnl.org/en/ .

‘On the Border of Two Worldsi

The standard of truth, in the final analysis,

resides in the internal necessity of consciousness,

and we must see the basic standard of good therein

- Nishida Kitaroii

At some point throughout the last decennia, most people have ceased to trust the ‘MSM’. Throughout the Western world, the output of corporate news outlets, press agencies and public broadcasters is now widely regarded as having no more relevance to real-world life and public sphere concerns than Pravda-style Soviet ‘double speak’ propaganda. At some point, Western citizens with even a modest capacity for autonomous reasoning will have switched off the television news and cancelled their newspaper subscriptions. According to their personal equation - residual trust in the public-mindedness of ‘the establishment’, patient anticipation of a self-corrective mechanism within ‘the system’ - the individual ‘breaking point’ of the news consumer will have varied. Around the Western world many news consumers already ‘tuned out’ from the MSM in the wake of its shameless support for the globalist wars of blatant aggression against Yugoslavia (1999) and Iraq (2003). In the Netherlands many people stopped trusting the ‘official line’ after the MSM’s ‘business as usual’ after the assassination of patriotic dissident Pim Fortuyn, just days before the 2002 parliamentary elections - elections he stood poised to win by a landslide. At last, even the most sheepishly apathetic news consumers reached their ‘saturation point’ during the ‘clown world’ MSM propaganda campaigns against the 2016 ‘national-populist’ anti-globalist upsets of ‘Brexit’ and ‘Trump’. In Western Europe, the subsequent blanket censorship of islamicist terrorism, immigrant grooming gangs and native mass-protests such as the French gilets jaunes caused a growing popular realization that the MSM is not merely complacent but also complicit in the accelerated dispossession policy that the globalist hostile elite is inflicting on the indigenous peoples of the West. This realization is most acute among the indigenous demographics that are most exposed to the daily effects of globalist-induced hyper-capitalism, social implosion and ethnic replacement: the working class, the rural/provincial population and the young generation.

51pSS7clhjL._SX311_BO1,204,203,200_.jpgBy now, even the most docile Gutmensch citizens of the West are turning to the online world of social and alternative media when they need substantial information about real-world events and developments. In the Netherlands, even the ‘hardcore’ readership of the governing VVD party’siii self-lobotomy De Telegraaf newspaperiv are now beginning to turn to the slightly less idiocratic populist online forum GeenStijlv for a minimum of real-life feedback. Even the most ‘die-hard’ regime-faithful green-left fans of state television NPOvi are now starting to occasionally take a sneak glance at the slightly less hallucinating news site TPOvii. The caricature echo chamber ideology of the boomer soixante-huitards, increasingly taken to its logical sado-masochism extremes by the boomers’ feminist-multiculturalist successors, has now become so far removed from actual reality that the ‘credibility gap’ between the MSM and the indigenous masses of the people has become unbridgeable.viii

The divide between the elites and peoples of the West is now so deep that it can no longer be glossed over by cosmetic policy measures designed to cope with mere ‘democratic deficits’ and ‘calculating citizens’. The betrayal of the West by its supposedly ‘democratically mandated’ but effectively ‘distant-controlled’ political elite can no longer be denied. As in other Western countries, in the Netherlands parliamentary democracy has failed (‘mainstream party’ cordon sanitaire of the patriotic opposition, formal abolition of the consultative referendum, bureaucratic imposition of anti-national ‘EU law’), judicial independence has been undermined (show trials against opposition leaders, drug mafia infiltration of law enforcement, legal immunity for criminal asylum fraudsters) and social cohesion has become a distant memory (forcibly imposed ‘diversity’ in social housing, anti-meritocratic ‘affirmative action’ in the labour market, tax-enforced favouritism of free-rider ‘single moms’ and ‘migrants’).ix All these tangible realities are effectively taboo subjects in the public sphere: open debate is a distant memory - blanket (self-)censorship is the ‘new norm’. Fear of falling foul of the politically correct party cartel line, which is easily enforced in the ‘small pond’ Netherlands through informal employment bans and public ostracism, makes it virtually impossible for any public figure to articulate a hard truth that is now starting to gain tacit acceptance among the general population: the fact that the nation’s power establishment has mutated into a hostile elite. This hostile elite is nothing less than the agent of the globalist occupation power at the level of the former Dutch nation-state: it is made up of an improvised conglomerate of local front men for trans-national interest groups. The most important of these - loosely coherent and opportunistically coalescing - interest groups are international high finance (most prominently ‘big banking’, serviced by the IMF), the trans-atlantic military-industrial complex (serviced by NATO) and the ‘New World Order’ project of the cultural-marxist intelligentsia (symbolized by the UN and implemented through a network of internationalist ‘human rights’ and ‘open society’ organizations). For the thoroughly brain-washed and conditioned Dutch population the ‘occupied territory’ status of the ex-Netherlands nation-state may be painfully difficult to accept, but the tangible reality leaves no room for doubt. To be fully aware of this reality means to see that the Dutch borders have been eradicated (‘Schengen’), that the Dutch currency has been abolished (‘Euro’), that the Dutch legal system has been superseded (‘EU law’), that the Dutch armed forces have been put under alien control (‘NATO’) and that the Dutch flag no longer flies undisputed (‘EU flag’).x

Above and beyond these in-your-face realities there is yet another very tangible reality that indicates die Verwandlungxi of the ex-Dutch elite - largely made up of the regentenxii plus the intelligentsia - is now complete. The fact that the ex-Dutch elite is now an integral part of the larger - truly trans-national - globalist hostile elite is best proven by its treacherous promotion of the deliberate replacement of the Dutch people. This long-term project of omvolking, synchronized with Umvolkung in Germany and le grand replacement in France as part of the neo-kalergian ‘European project’, aims at the replace the old indigenous people of the Netherlands, characterized by thrifty economic conservativism, organic social solidarity and freedom-loving independence of mind, by a new ‘melting pot’ populace better suited to the needs of globalism: low-cost labour, mass consumption, socially atomization and demo-ethnic electoral manipulation. In the Netherlands, this decades-long drawn-out project is now starting to filter through into the daily lives of all but the most retired living indigenous population. The social geography of the Randstadxiii is now showing a chaotic mix of what are, in fact, non-communicating ethnic ghettoes: small areas for down-town mass-tourism and some enclaves of boomer elite villa life and yuppie elite urban hedonism are maintained between exponentially expanding ethnic no-go zones in the older city districts and the inner suburban housing estates - the indigenous working classes have largely fled to the smarter semi-rural outer suburbs, only to be overtaken by mass immigration. Even out the Randstad, the impact of the hostile elite’s mass-immigration policies, recently formalized and accelerated through the Marrakesh Conference’s ‘Global Compact’, is becoming acute: most provincial cities and even many smaller towns are now showing the effects of the incoming ‘colour tide’. ‘Asylum-seeker’ facilities, including many ‘emergency locations’, ex-‘refugee’ housing policies of ‘proportionate dispersion’ and large-scale ‘guest labour’ employment in the agricultural sector are now causing crime waves and social tension even at the rural community level. Thus, in a small-sized - effectively semi-city-state - country like the Netherlands ‘white flight’ is not a realistic option, except for the privileged jet set that can afford drugs-money-inflated villa real estate prices and for the increasing number of entrepreneurs and agriculturalists who opt for emigration. At the street level, the real economy of the Netherlands is now increasingly dominated by the informally tolerated drugs trade, the tax-evading ‘ethnic business’ model and heavily subsidized business ‘start-ups’ by freely-housed ex-‘refugee’ settlers.

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The socio-economic burden (fiscal exploitation and legal dispossession of the indigenous people in favour of ‘immigrant’ colonists) and the psycho-cultural burden (enforced cognitive dissonance on top of structural disenfranchisement) imposed by the hostile elite’s ethnic replacement policy is causing native Dutch society to break down. The staggering rise in divorce, bastard birth and child abuse rates indicate the onset of final-stage social atomization. Equally astounding rates of drug, alcohol and porn addiction rates indicate a collective recourse to hedonist escapism. A wave of (‘piercing’- and ‘tattoo’-style) self-mutilation, (‘tinder’- and ‘bonga’-style) self-prostitution and (‘gamer’- and ‘insta’-style) self-isolation is destroying an entire generation of indigenous youngsters. A stifling atmosphere of political correctness does not allow these symptoms to be recognized for what they are: they are the warning signs of the approaching ‘White Death’ Dutch-style. The resulting cognitive dissonance, deliberately encouraged by social media algorithms, anti-traditional ‘schools’ and anti-religious ‘churches’, is causing psychological deformation at the collective level: denial reflex, tunnel vision, infantile regression and self-hatred are now widespread among the native Dutch population. This collective psychological conditioning finds its most evident outward expression in phenomena such as the ‘millennial snowflake’ (effectively a product of collective narcissism and societal feminisation) and the ‘social justice warrior’ (effectively a product of a multi-generation ‘Stockholm Syndrome’), phenomena that are exploited by the MSM to reinforce and accelerate the downward spiral of native Dutch society. The MSM are deliberately hastening this collective descent into social atavism by blanket censorship and discursive manipulation: free-rider colonists are called ‘refugees’, illegal aliens are called ‘dreamers’, gang-raping foreigners are called ‘lover boys’ and islamicist terrorists are called ‘disturbed individuals’. The MSM is now applying the accumulated knowledge of over a century social science research - ‘marketing strategy’, ‘behavioural psychology’, ‘social engineering’ - to deny the victimized and traumatized native population from the first and most fundamental prerequisite for collective recovery: consciousness.

This is where the New Right has a key role to play, not only in the Netherlands but throughout the Western world: its foremost aim is to awaken the collective consciousness of the Western peoples. To achieve this aim, which is meta-political, the New Right must realize that, at this moment in time, it stands on the border of two worlds: the border between a three-decades-long past of liberal-normativist globalism and an unknown future dispensation of unknown duration. At this point, a correct estimate of the New Right’s future-potential requires a correct assessment of its original purpose.

The New Right Revolution

Accipe quam primum - brevis est occasio lucri

‘Take it now, be the first - the opportunity for profit is brief’

- Martial

Couv-elements-32.jpgThe only serious discursive push-back against the MSM’s globalist Brave New World narrative comes from the New Right (French: Nouvelle Droite, German: Neue Rechte, Dutch: Nieuw Rechts). The New Right is a meta-political project of revolutionary counter-deconstruction, consisting of a loose agglomerate of dissident thinkers, speakers, writers and activists ever since the founding of the French think tank GRECE (Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne, ‘European Civilization Research and Study Group’) on 17 January 1969. The New Right bases itself on the political-philosophical work of French thinkers such as Alain de Benoist, Guillaume Faye and Dominique Venner and is internationally supported by famous publicists such as Anthony Burgess, Mircea Eliade and Arthur Koestler.xiv In the Low Countries, the New Right’s are few and far between,xv but, here too, its main purpose remains the same: to achieve collective consciousness among the native peoples of the Benelux and to end the collective conditioning that has been imposed upon them by MSM manipulation and educational ‘dumbing down’.

This means that for the New Right the collective disengagement by the native masses from the MSM - the inevitable result of widespread mistrust of the ‘authorities’ and their ‘politically correct’ monologues - is cause for optimism. At last, the indigenous masses of the West are gaining a degree of ‘cognitive immunity’ to the ‘memetic viruses’ that the MSM have been infecting them with over the last four decades: the native peoples of the West are waking up to the fact that the MSM are ‘on the wrong side of history’ - that they are part of the hostile elite. In the Dutch context, there are several indications that the entire MSM narrative is now reduced to a paper-thin facade, as in the recent scrapping of the consultative national referendum and the recent introduction of EU censorship measures against digital ‘anti-immigration’ platforms. Clearly, the rulers no longer trust the MSM to sufficiently ‘inoculate’ the ruled. Even within the most complacent establishment circles of the Rhine-Meuse-Scheldt delta lands, the failure of the MSM control mechanism is now causing an occasional dissident noise, as in the demo-political analyses of the big business think tank Gefira, the social critiques of neo-conservative publisher De Blauwe Tijger and the anti-multicultural publicity campaigns of neo-Catholic foundation Civitas Christiana. More importantly, however, is the growing cognitive independence of the younger generation, which has grown up out of MSM reach: young indigenous people are now learning to think for themselves - and out of the box. The short-lived ‘Alt-Right’ outburst of 2015-17, which was vital in providing critical mass for the ‘Brexit’ and ‘Trump’ campaigns, was merely a preview of the kind of all-shattering Cultural Revolution that the digitally fluent and ideology-free young generation of the West is capable of. This is one of the reasons that the MSM has been pushing its ‘Russia collusion’ agenda: it is desperately trying to defuse the real-time bomb that is ticking under the globalist world order, viz. the revolutionary charge of the younger generation of the West. In the Netherlands, this ‘game’ is now being played for ever-higher stakes: the Dutch MSM is desperately trying to bring down the dissident political project of young Dutch politician Thierry Baudetxvi by a midget version of the CNN’s anti-Trump ‘Russia collusion’ campaign. Similarly directed developments are now visible across the entire Western world: the liberal-marxist globalist New World Order is in crisis. The Corona Crisis, which is currently forcing the globalist hostile elite into the uncharted territory of emergency economics (de facto bankruptcy, neo-Weimarian fiscality) and decisionist politics (de facto border closures, autarky measures), is putting the entire globalist project on a knife’s edge. The Corona Crisis of liberal-normativist globalism bears some eerie resemblances to the Chernobyl Crisis of marxist-leninist communism: self-inflicted disasters, followed by capacity overstretch media cover-up, total loss of face, long-term systemic strain and economic implosion. If it does not shift to a straight-forward totalitarian dictatorship soon - a possibility after the totalitarian foretaste brought about by the Corona Crisis - then the liberal-marxist New World Order may now very well be entering a phase of terminal decline. In that case, the West may now be edging towards total systemic failure - towards a revolution that nobody anticipated and that will have an unpredictable trajectory and outcome. It is important that the New Right grasps this opportunity and ‘catches on’.xvii An important question needs to be raised: what would - will, must - a New Right Revolution look like?

Irrespective of the answer - which will be different for each of the innumerable (National-Populist, Anarcho-Libertarian, Traditionalist, Futurist, White Nationalist, Eurasianist, etc.) factions of the New Right - one thing is clear: the New Right would be well advised to adjust its strategic position to take account of unexpectedly rapid developments. The New Right needs a degree of openness, flexibility and pragmatism to cope with radically and rapidly changing battlefield conditions. Some points deserving of the New Right’s attention:

omearaNRb.jpg(1) Widespread popular mistrust of the MSM can be exploited by the establishment of reliable - i.e. objective, non-factionalist - alternative media outlets. These would need to provide up-to-date news and rapid analyses as well as in-depth research journalism and wide-spectrum opinion pieces. These would need to adhere to the principle of cross-party solidarity for the sake of a ‘minimum program’ set of common goals such as anti-globalism, anti-liberalism, ethno-national self-determination and culture conservation. Within these parameters, the principle of total freedom of expression would have to be respected concerning all major divisive issues within the New Right: ‘JQ’, ‘Islam’, ‘alt-sexuality’, ‘climate’, ‘free market’, etc.

(2) A cautious welcome should be extended to establishment individuals and groups (i.e. people and organizations within the MSM and the academia) if and when they start to abandon the sinking ship of globalism. After decennia in the political wilderness - with its spokesmen and its activists subjected to professional marginalization and social ostracism - the New Right might be tempted to ‘return the favour’. But the great cause of the New Right, which is ensuring the future of the European peoples and European civilization, does not allow for such self-indulgence: (early) establishment deserters should be screened but then welcomed, co-opted and used.

(3) The New Right should take account of the real needs, grievances and concerns of the younger generation: this generation is, very literally, the future of the West - and the New Right. The New Right exists to serve them, not the other way round. The young people of the West, those who are now in college, now attending university, now entering the workforce and now starting families, face an entirely different reality than older generations of New Right thinkers, publicists and activists. Their socio-economic challenges include crippling ‘student debt’ servitude to the monstrous international bankers’ mafia, an impossible housing market in the grip of ‘boomer investors’ and neo-Victorian sub-subsistence wages on the migrant-diluted labour market. Their life-world experiences include mass-immigration-induced over-population (criminal-chaotic ‘diversity’, hyper-urban anomie, social-darwinist ‘reign of quantity), unprecedented ecological crisis (bio-diversity implosion, rapid climate change, environmental degradation) and border-line trans-humanism (anti-masculine education/medication, transgender propaganda, proto-AI ‘virtual reality’).

The New Right has a great ‘communication strategy’ advantage over its seemingly invincible MSM enemy: New Right has the luxury of non-dogmatic flexibility and non-prejudiced analysis. This advantage allows New Right to consider, adopt and absorb many older ideas and newer realities that the MSM - and the globalist hostile elite that it serves - is unable to ‘digest’. This means that the New Right can be truly progressive: it can act offensively where the MSM can only re-act defensively. The MSM - and the globalist hostile elite - has lost the meta-political strategic initiative, and is highly unlikely to ever regain it. But it is important that the New Right gains and maintains forward momentum - that it can dynamically handle quickly shifting realities. The New Right would do well to look for strategic opportunities that can arise from the meltdowns in morale and panic reflexes that are likely to occur as its MSM enemy abandons ever-larger portions of the public debate. The MSM ‘scorched earth’ policy on its now-abandoned ‘public debate’ ground - i.e. its pretence that its loss of the debate on issues such as ‘immigration’ and ‘multiculturalism’ can be followed by ear-deafening silence - should not discourage the New Right from rapidly following its retreating enemy: a beaten-but-not-destroyed enemy should not be given time to recuperate. Victories such as these should be celebrated with gusto - to the point of provoking the enemy into overreaching counter-moves.

Most importantly, the New Right should exploit cracks in the MSM front to further its main aim: stirring up the consciousness of the Western peoples. A breakthrough will come when the Western peoples become aware of the truly inhuman - what Traditionalists would term subhuman and demonic - nature of the globalist hostile elite. It should be repeated: the globalist hostile elite is not only hostile to the interests of the Western peoples and the values of Western civilization - it is hostile to all that is still good, beautiful and innocent in this world. Nowhere is this deepest and most inhuman of hostilities more evident than in the manner in which the globalist hostile elite attacks what is most precious and vulnerable in all human societies: children. But before the New Right can properly expose this deepest of all evils, before it can achieve full awareness of this evil among the Western peoples, it must re-examine its original - and historic - purpose. What is the thing that the New Right first saw as evil in the globalist hostile elite? What was the demonic evil that the New Right was meant to fight and destroy? It is time to re-examine these questions - time to return to the almost-forgotten ‘Molyneux Moment’ of the New Right.

The Molyneux Moment

The proper study of mankind is man

- Alexander Pope

246px-Richard_b_spencer_cropped_retouched.jpgIn the mid-‘10s, a new ethno-nationalist movement arose across the Western world: the so-called ‘Alt-Right’ started appearing besides - and replacing - the growing civic-nationalist ‘populist’ movement: together, these movements caused several significant anti-globalist phenomena - ‘Brexit’ in the UK, ‘Trump’ in the US, ‘Lega’ in Italy and ‘FvD’ in the Netherlands. The ‘Alt-Right’ movement focused on metapolitical mobilization, asymmetric ‘memetic’ warfare and digital anti-MSM guerrilla tactics - it deliberately stayed away from institutional politics. The ‘Alt-Right’ wave was effective but short-lived: it was stopped by the hostile elite’s well-coordinated counter-strategy of ‘doxxing’ (character assassination, employer pressure), digital censorship (‘deplatforming’, ‘shadow bans’) and violent intimidation (‘antifa’, ‘home searches’). Its formal end is marked by ‘Charlottesville’, i.e. the sabotage, through infiltration and provocation, of the ‘Unite the Right’ rally in August 2017. The short-lived ‘Alt-Right’ movement, which owed its impetus to the autodidactic and digitally proficient ‘post-MSM’ generation, provided a much-needed boost to the older New Right movement that it became part of - it provided new faces, new ideas and new abilities. One new face widely. but not entirely correctly, associated with the ‘Alt-Right’ was that of Irish-Canadian podcaster Stefan Molyneux, who ran - and still runs - the independent media channel Freedomain Radio. The ‘extreme right’ and ‘white nationalist’ frame to which he has been assigned by the MSM - including the Great Soviet Encyclopaedia-style outfit ‘Wikipedia’ - is so self-evidently ridiculous that it is almost laughable: Stefan Molyneux is a (semi-)anarcho-libertarian philosopher whose online shows focus on men’s rights promotion, anti-feminist social critique, psychotherapy and philosophical analyses of current affairs. His intelligent, sincere and eloquent approach of various substantive issues in breach of political correctness, including the ‘controversial’ links between race and IQ, feminism and mass-immigration, welfare dependence and matriarchal social conditioning, apparently caused so much unease within the MSM that they have banished Molyneux to one-size-fits-all Devil’s Island of the ‘extreme right’. Of course, this idealistic Papillon is not exactly ‘at home’ in ‘extreme right’ exile. In fact, in the New Right - particularly among its impatient ‘young guards’ - Molyneux’ idealistic (cooperative-pacifist) ethics and naive (anarcho-libertarian) ideology are regarded with some suspicion. But the New Right would do well to pay attention to what Molyneux has to say: as a serious thinker and an amusing debater he deserves not only the benefit of the doubt but also the courteous consideration that was once part and parcel of Anglo-Saxon sportsmanship in the public arena. The author contends that the New Right owes Molyneux a debt of gratitude.

NINTCHDBPICT000510586530.jpgIn the early and mid-‘10s, many young Westerners owed their ‘red pill’ moment to Stefan Molyneux: their online discovery of his systematic deconstruction of liberal-left political correctness allowed them to break out of the perceptive straightjacket that they were being squeezed into by parents, schools and MSM. Many of them may look back at that moment as no more than a ‘stepping stone’, but, with hindsight, it may very well be that that particular moment was much more than just a developmental ‘stage’ - it may have been a crucial turning point in the collective Weltanschauung revolution of a whole generation. It was the moment that many young Westerners freed themselves from their deeply internalized psycho-social conditioning through Molyneux simple recipe: sustained thinking, consistent truthfulness and ruthless self-examination. This combination is resurrecting the true direction of an old but much-misunderstood discipline: above all else, philo-sophy is the ‘love of wisdom’. It is possible to point out many gaps and shortcomings in Stefan Molyneux’ philo-sophy (e.g. his emotive appeals to ethical philosophy and his - typically Anglo-Saxon - neglect of transcendental philosophy), but he should not be denied praise for his authentically philo-sophical dissection of the psycho-social conditioning of contemporary Western ‘counter-culture’. At the core of Molyneux’ approach, sustained throughout his enormous and omnivorous oeuvre over decades, is the search for awareness - consciousness at the personal level above all. He operationalizes this approach by deep-digging analyses of the poisonous (cultural-marxist) ideological roots of the devolutionary conditioning of Western children. He points to the psycho-historical origins and psycho-social dynamics of contemporary Western society - a society that heavy-weight cultural-historical critiques, such as those of Peter Sloterdijk and Pim Fortuyn, have called ‘orphaned’ and ‘fatherless’. Molyneux points out the many negative but unnamed effects of ‘social progress’ and ‘individual freedom’: the anti-civilizational effects of hyper-feminism (activist anti-hierarchy, hedonist anti-rationalism, sadomasochist narcissism), the neo-slavery effects of totalitarian state control (fiscal exploitation of productive white males to subsidize ‘single mothers’ and ‘ethnic diversity’), the all-levelling ‘idiocracy’ that results from the ‘dictatorship of the feminist-multiculturalist proletariat’ and the cultural-marxist ‘permanent revolution’ against everything that retains a trace of masculine honour, white identity and Western civilization.

Molyneux’ anarcho-libertarian approach consistently emphasizes the (ethical, psychological) individual resolution of these disastrous effects: he emphasizes their (psycho-social) synchronic impact rather than their (cultural-historical) diachronic causality.xviii Molyneux de-emphasizes their collective impact: he, rather idealistically, regards any possible collective response as nothing more than the sum total of supposedly newly-rational and newly-enlightened individual responses. Most New Right thinkers would beg to differ, but it cannot be denied that Molyneux’ rational and reasonable ‘ideal world’ represents more than just a philosophical utopia: it also represents a truly Christian vision. Even if Molyneux is, at least nominally, committed to the - typically Anglo-Saxon - principles of strictly ‘secular’ reasoning and strictly ‘scientific’ calculus, his outcome approximates the perfect balance between total personal freedom and total individual responsibility that is aimed at in the old Christian ‘Imitation of Christ’.xix New Right criticism of Molyneux world vision is as understandable as it is misplaced: his vision may be problematic in terms of practical implementation, but it still is an integral part of the theoretical ideal model of Western civilization that the New Right is supposed to protect. To abandon this impossibly high-aiming ideal model - rather akin to a ‘living art’ fontana di Trevi al meriggio moment suspended in time-spacexx - would be to abandon Western civilization itself. In its capacity as the self-appointed protector of Western civilization, the New Right must (re-)create the real-world outer conditions and structures within which the inner life of the doubly traditional (Christian) and futurist (anarcho-libertarian) ideal model can be (re-)lived. This means that the New Right, as protector, guardian, crusader, is required to stand outside - and above that ideal model: it should create the conditions in which the Western peoples may live in - and up to - that ideal model. As a man builds and guards a house for his family, as a soldier maintains and guards a wall around his city, as a king establishes and guards a border around his people.xxiWithin that house, within that wall and within that border, the idea of equality, liberty and brotherhood can be lived in what Cultural Anthropology knows as the ‘female sphere’. But when it comes to maintenance, survival and defence on the outside, hierarchy, responsibility and discipline must prevail in what Cultural Anthropology knows as the ‘male sphere’. On the outside patriotism (allegiance to the country that one’s ancestors fought and died for), nationalism (allegiance to the people that one is born into), hierarchism (allegiance to the particular societal functions of one’s birth group) and inter-gender loyalty (mutual respect for the bio-evolutionary roles of the male as protector and the female as caretaker) and personal honour (pursuit of higher interests than one’s own) are indispensable survival strategies.

81KbXqyHR5L.jpgEven if Molyneux’ analyses focus on the inner sphere of Western civilization, they are still relevant to the New Right as the guardian of its outer sphere: every individual human guardian originates in the inner sphere - it is there that he is raised, motivated and equipped for his task. To the extent that the guardian lacks in character, motivation and equipment he is forced to account for the failings of the inner sphere: he is forced to become aware of the reasons for these failings. In the contemporary West, these failings are profound and elementary: they stem from an existential crisis. The contemporary West suffers from nothing less than an identity crisis, as evidenced by a simultaneous failure of bio-evolutionary continuity (the biological group - race, nation, lineage) and cultural transmission (the cultural forms, norms and values attached to the biological group). It is exactly at this point that Molyneux’ analyses are of great value to the New Right: he consistently traces the collective identity crisis of the West - failing parenthood and failing education at the individual level. It is exactly here that the globalist hostile elite is most guilty of deliberate maliciousness: the subtle combination of socio-economic manipulation, psycho-social deconstruction and anti-identitarian ‘diversity’ that it is forcing upon the Western peoples cause Western parenting and education to fail. Thus, the argument returns to what was said earlier on: nowhere is the inhuman hostility of the globalist elite towards the Western peoples more in evidence than in its insidious and cowardly attack on its most precious and most vulnerable group: the children of the West.

How do you exercise power over another human being? How do you corrupt [him]? How do you take his natural integrity, intelligence, and all the wonder that is the human mind, and turn it against itself and get it to eat itself and get it to be sort of a snake consuming its own tail? How do you wrap people up in neuroses, and how do you make them obedient? How to get them to subjugate themselves to your will without you even having to lift a finger, barely even an eyebrow? ...I view certain damages that are done early to the mind in life as pretty irrevocable. The mind is not so plastic that you could, say, for instance, be locked in a cupboard for your first twenty years and [grow] up as a normal human being. You do experience some particular phases in your brain development which are pretty central and may or may not be reversible, and generally the earlier the experiences the less reversible they are. (Molyneux, ‘How to Control a Human Soul’, Freedomain Radio podcast 15 December 2007)

The Demons of ‘68

Sexual promiscuity is the gratuity with which society soothes its slaves

- Nicolás Gómez Dávila

The time has come for the New Right to seriously reconsider Molyneux’ fundamental critique of the ‘progressive’ anti-ethics with which the globalist hostile elite has brainwashed no less than two generations of Westerners: ever since its ‘Counter Culture’ and ‘Sexual Revolution’ apotheosis of ’68 it has deliberately subjected Western children to social engineering projects of matriarchal anti-parenting and anti-education. Here it is of crucial importance to note that whenever a child abuse affair is highlighted by the MSM, it is almost always at the expense of the remnant institutions of Western Christendom - its reporting most particularly tends to target the Catholic Church and the Jehovah’s Witnesses. It rarely talks about the widespread and systematic abuse practices prevailing in the new institutions of the post-Christian soixante-huitard hostile elite, even if the child abuse practices of the elite’s globalist operations - from its grandest ‘UN’ (‘peace-keeping’) and ‘Hollywood’ (‘Weinstein’) fronts, across its many ‘NGO’ and ‘charity’ foundations, to its smallest anti-family schemes of ‘foster care’ and ‘daycare’ - far outweigh every that has ever gone before it in terms of ‘quantity’ as well as ‘quality’.

cb68.jpgQuantitatively by the judicial outlaw status of traditional family structures and marriage contracts through the legalization, even the encouragement, of what any sane person would immediately recognize as irresponsible, even obscene, ‘freedoms’: ‘free partner choice’, ‘no-fault divorce’, ‘same-sex marriage’, ‘artificial insemination’, ‘donor reproduction’ and ‘free-choice abortion’. In combination with the suppression of traditional social controls over pre-marital intercourse, extra-marital childbirth and free-choice single motherhood these ‘new freedoms’ were bound to result in nothing less than neo-matriarchal and neo-primitivist social implosion. The exponentially multiplying non-standard ‘new family’ forms – step-parenting, adoptive parenting, foster parenting, open family parenting - are mathematically certain to lead in one direction: child abuse.

Qualitatively by deliberate ignoring, denying, glossing over, ‘explaining away’ and even ‘excusing’ of what is self-evidently evil. It is here that is found the great difference between the present-day hostile elite of the Western world and all earlier and other elites: the present-day hostile elite is characterized by its cultural-nihilist Umwertung aller Wertexxii - the globalist hostile elite of today constitutes the ultimate anti-authority of world history. Its nihilist-revolutionary purpose is exclusively negative: it aims at an inversion of values that structurally reverses the gains of two millennia of Western civilization. It is here that its - tolerated, encouraged, implemented - systemic child abuse diverges from that of the remnant institutions of Western Christendom, most prominently the Catholic Church and the Jehovah Witnesses. Whatever the organizational and human failures of these Christian institutions, they still had at least one redeeming feature: their ethical reference frame condemned abuse - at least they still acknowledged the difference between good and evil and at least they still recognized the corrective mechanism of shame, guilt, repentance and penance. For and in the globalist hostile elite, which is militantly secular and totally relativist, no such reference point and no such corrective mechanism exists: it acknowledges no good and evil and it recognizes no need for redemption. On the slippery slope of ‘social tolerance’ and ‘individual freedom’ all the ideals of soixante-huitard Counter Culture and Sexual Revolution are bound to end in one place only: in the neo-primitivist hell of post-modern anti-civilization.

Woe unto them that call evil good, and good evil

that put darkness for light, and light for darkness

that put bitter for sweet, and sweet for bitter

- Isaiah 5:20

The systematic anti-family policies of the globalist hostile elite, subliminally weaponized by appeals to ‘individual freedom’ and systematically reinforced by MSM promotion of hedonist ‘permissiveness’, have a severe and lasting impact on the most precious and most vulnerable group in society: the children. In the soixante-huitard calculus of ‘new freedoms’, their interests are nowhere taken into account. This despite the well-documented disastrous effects of any departure from the traditional - and classically stable - Western family model: in Western societies, all non-monogamic, non-biology-based ‘new family’ experiments end with mathematical certainty in a civilization-destroying wave - a vicious cycle of economic deprivation, social marginalization, domestic violence, child abuse, substance abuse and long-lasting psychological trauma. Thus, the globalist hostile elite is directly responsible for the social implosion that the Western peoples have suffered since the beginning of the soixante-huitard ‘Long March through the Institutions’. It bears full responsibility for a decades-old, deliberate and calculated anti-family policy aiming at the systematic ‘deconstruction’ of Western civilization and the Western peoples - this is the explicit goal of cultural-marxism and the implicit goal of neo-liberalism. Both ideologies are entirely incompatible with the true interest of the children of the West.

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The soixante-huitard elite has now completed its ‘Long March through the Institutions’ - it now dominates the political arena (in the Netherlands through a ‘party cartel’ that unites virtually all nominally separate political parties in a common agenda), the judicial arena (in the Netherlands through the ‘D66 judiciary’xxiii focussed on socio-political utility rather than justice) and the economic arena (boomer pensionados, bonus banksters and anonymous investors). Its feminist-minority-SJW successor generation is already following in its footsteps. A full generation of doubly cultural-marxist and liberal-normativist anti-education and media indoctrination has created a historically unique new ‘cadre’: in its successor generation of hyper-resentful and total-opportunist feminist-minority-SJW homines novi the boomer elite has cultivated the kind of ‘zombi-man’ that is capable of delivering the final blow to Western civilization. This new cadre, now gradually taking over the political stage through ‘identity politics’ publicity stunts is qualitatively far inferior to even the most brain-dead boomers: its Fourth Generation feminists, minority-rights advocates and LGBTTIQQ2SA activists operate outside the older political premises of cultural baggage, historical continuity, professional qualifications and ethical standards. Under the impending rule of this new anti-Western anti-elite, the children of the West will effectively lack any kind of protection: they will be subject to ‘transgender’ surgery when they are in kindergarten, they will be subject to ‘behavioural’ medication in primary school and they will be subject to the sexual fantasies of ‘free thinking’ ‘family’ at home. Perhaps the ultimate challenge of the New Right will be to fight this anti-elite - to fight it with all its power and destroy it so that the children of the West can live. Because the ‘new man’ vision represented by this coming anti-elite refers to something that lies far beneath what Nietzsche foresaw in the 19th Century as ‘last man’ and what the Old Right foresaw in the 20th Century as ‘sub-man’: man as devil.

It were better for him that a millstone were hanged about his neck,

and he cast into the sea, than that he should offend one of these little ones

- Luke 17:2

The Antinomian State of Marxist Liberalism

A marxist system can be recognized by its judicial protection of criminals

and criminalization of political opposition

- Aleksandr Solzhenitsyn

Before cultural-marxist dogmas and liberal-normativists indoctrination erased the concepts of ‘sin’ and ‘penance’ from the collective conscious of the West, its Christian Tradition distinguished between two kinds of sin: the sin of omission, i.e. sin through inaction, and the sin of commission, i.e. sin through action. But structural and systematic inaction is exactly the guiding principle of the ideological model that dominates the post-modern West: liberal-normativism.xxiv The socio-economic and psycho-cultural policy of the globalist hostile elite that were discussed in the preceding paragraph can be understood as a function of this principle: a deliberate policy of neglect. When governance becomes anti-governance, when politics becomes anti-politics and when law becomes anti-law, then the state and the nation are effectively abandoned to the anti-national and trans-national interests that are served by the globalist hostile elite - then the globalist interests of ‘high finance’ (banking cartel, investment funds, multinational business conglomerates, media monopolies) and the ‘letter institutions’ (UN, EU, IMF, NATO) prevail automatically. The hostile elite’s decision not to protect the Western nations against these interests constitutes a sin of omission of unprecedented scope - it also equals treason. The anti-family policies and the suffering of the children of the West that were discussed in the preceding paragraph are the direct results of this deliberate treason. The ultimate responsibility for the social implosion that deprives Western children of the protection and security of stable and orderly family life as well as the mass immigration that exposes Western children to ‘diversity’ phenomena such as the ‘lover boy’xxv and the ‘grooming gang’ rests squarely on the shoulders of the globalist hostile elite. The relation between the hostile elite and the Western peoples is now the equivalent of the relation between the false shepherd that opens the sheepfold to the wolf - and of that between the cruel stepfather who abuses his defenceless stepdaughter.

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It should be noted that the child abuse now tolerated and facilitated by the hostile elite also extends to several non-indigenous ethnicities now residing in the West. The South Asian ‘grooming gangs’, effectively tolerated and facilitated by the British ‘authorities’, do not only target white girls but also Sikh girls: next to the much more numerous Hindu and Muslim communities, the Sikh community constitutes a relatively vulnerable minority group. It should also be noted that the ‘inverse colonization’ mass-immigration policies of the hostile elite are also causing massive child abuse among the many underage ‘migrants’ that are pushed along ‘migration routes’ and through ‘asylum procedures’. Here too, the non-implementation of the law causes child abuse: ‘open borders’ policy equals anti-politics. Thus, many Subsaharan African girls are sent to Europe by their families and clans through debt slavery/people smuggling operations - in transit, they are subjected to ‘standard usage’ (the possible consequences of which are anticipated through preventative anti-conception medication). Willingly and knowingly, their clans and families expose these vulnerable ‘unaccompanied minors’ to the tender mercies of unscrupulous ‘smugglers’ and the ‘hands-on help’ of ‘humanitarian’ workers and activist volunteers. This abuse - occasionally to the point of permanent ‘disappearance’ in transit - follows them all the way, and beyond, their end destination: the alternative media give testimony to the many ‘unorthodox’ ways in which SJW-driven ‘clerics’ and ‘charitable’ baby boomers ‘welcome’ asylum children and youngsters in their shelters and villas. A whole generation of ‘unaccompanied minors’ from Africa and Asia has already run this gauntlet - without the intervention of Western law enforcement, Western judiciaries and the Western MSM. These are the same deliberate anti-politics of not seeing, not hearing, not speaking and not acting that have enabled whole legions of ‘peacekeepers’, ‘development workers’ and ‘humanitarian emissaries’ to abuse vulnerable children throughout the Third World for decades now (UN Mozambique 1994, Oxfam Haiti 2019, etc.). All this because the Brave New World of liberal-normativism itself, and its staff, remain beyond question - and beyond the law.

But the globalist hostile elite is guilty of more than the sin of omission, which is the category that covers most of the above-mentioned outrages: it is also guilty of the sin of commission. The alternative media have long suspected the hostile elite of grand-scale and systemic child abuse within the Western heartland itself. Very occasionally, when the facts are too grotesque and too well-known to ‘kill with silence’, this suspicion is confirmed in the MSM: ‘Dutrout’, ‘Pizzagate’, ‘Weinstein’, ‘Epstein’. What remains of these fragmentary confirmations, after systematic procedure-sabotage, ‘judicial errors’, disappearing evidence and remarkably weak media attention, is a strangely oppressive atmosphere: the impression that there exists a ruthless elite of ‘untouchables’ that it stands above the law and can escape any form of earthly justice in an intangible space of anonymous power. What remains of this impression among the Western masses is a half-subconscious and vague suspicion of the truth that occasionally expresses itself in some unproven - improvable - ‘conspiracy theory’. It is the same suspicion that occasionally finds artistic expression in a popular book or a movie, from Rosemary’s Baby (Polanski, 1968) up to Eyes Wide Shut (Kubrick, 1999). This suspicion then widens to include the visible ‘puppets’ of hostile elite power, leaving unanswerable questions such as this: are the ruthless inhuman policies and betrayals of power puppets such as Clinton and Macron not propelled by some sort of ‘Epstein’-style blackmail mechanisms?

Very occasionally, however, this suspicion finds actual, real-life confirmation in a tiny fragment of MSM reporting. As it did in the Dutch De Parool newspaper on 14 September 2019, in an in-depth article entitled ‘Witness Testimony: Child Abuse in ‘Swimming Clubs’ during the Fifties’ - an article that showed a dark side the highest-circle Dutch elite power that is rarely even suspected. It exposed highly organized child abuse networks that were frequented by many government dignitaries, respectable citizens and war heroes with high titles and famous names about sixty years ago. It may very well give a taste of what happens behind the closed doors of ‘high society’, ‘lodge fraternities’ and ‘old boy networks’ all around the West. Even if the New Right cannot but despise the MSM for its general bias, censorship and cowardice, it is still necessary to acknowledge the fact that, occasionally, even the MSM may give a hint of the truth - as a broken watch still indicates the correct time once a day. For the sake of documentary evidence this essay concludes with the applicable Dutch-language sources of this - old, almost forgotten - paedophile scandal. New Right researchers around the world with sufficient stamina - and stomach - for such material may very find traces of similar scandals in their own countries. New Right readers should occasionally be reminded of the dark reality behind the shining surface of liberal-normativist ‘business as usual’ - if only for the sake of the many innocent victims of the hostile elite that have taken their tragic secrets to their graves. It now becomes necessary to ask the most important question: is what happened then, over sixty years ago, perhaps also happening now? The answer to that still unanswerable question is suggested by an indisputable fact: the fact that the hostile elite’s thoughts and aims have not changed - the fact that it clings to the same poisonous ideologies and that it pursues the same perverse interests:

le libéralisme est le mal, le mal à l’état pur, le mal essentiel et substantiel

‘liberalism is absolute evil: it is evil in its purest form, evil in essence and substance’

- Robert Steuckers

‘Crime and Punishment’

The greatest error of modernity is not the thesis that God is dead,

but the belief that the devil is dead

- Nicolás Gómez Dávila

The New Right is still barred from the corridors of power, but perhaps not for always. Perhaps one day it will confront the need to sit in judgment over its now seemingly invincible enemy - to seek justice on behalf of the hostile elite’s countless, now still hidden victims. Until that day comes - the day that the hostile elite is brought to justice for all the, often unimaginable, evil that it has inflicted on its most innocent victims - there remains the Higher Judgment that none can escape. But once upon a day, long ago, Christianity gave people the option of not awaiting the Last Judgment: the option of confessing their sins and doing penance here and now. Perhaps there are, even among the lost souls and erring spirits of the hostile elite, a few people that can still comprehend and grasp that option. They would do well to repent now: to confess what they have witnessed and to do public penance as accomplices - they may mitigate their judgment by coming forward voluntarily. By breaking the ‘circle of silence’ of the hostile elite they may assuage the silent anguish of its many victims and they may help their people stand up to the evil that automatically rules when good men fail to act. Thus, they may yet help to bring down the hostile elite and they may yet grant their people - and themselves - a new lease of life:

 

Ab nou cor et ab nou talen,

ab nou saben et ab nou sen,

et ab nou belh captenemen,

vuelh un bon nou vers comensar;

e qui mos bons nous motz enten,

ben er plus nous a son viven,

qu’om vielhs s’en deu renovelar

‘With a new heart and with a new desire

with a new knowing and with a new longing

and with a beautiful new undertaking

I wish to commence a good new verse

and who listens to my good new words

will surely gain himself a new life,

so that even an old man will find himself renewed’

- Raimbaut d’Aurenga (translation Alexander Wolfheze)

‘Retribution’

Assuming that the hostile elite as a whole has now erred too far to ever retrace the old Christian path of remorse, confession and penance and to rediscover the old value of love of country and nation, it should be assumed that the neglected, manipulated and abused children of the West can only rely on themselves - that they must recover what they are owed by themselves. But in doing so, they can learn from the example of other colonized, marginalized and manipulated nations. In an earlier essay, the author has already pointed out the fact that the repressive mechanisms now activated by the globalist hostile elite in the West have already been experienced by many other so-called ‘primitive peoples’ at an earlier stage of Modernity.xxvi These repressive mechanisms, most dramatically activated in the ‘inverse colonization’ that subjects Western peoples to tribute (‘welfare’, ‘subsidy’) payment to foreign settlers in their own home nations, are aimed at dispossession (taking away land and property), replacement (changing habitat and lifecycle) and deracination (eradicating history and culture). The women and children of the dispossessed peoples are hard hit: as their men are pushed back and replaced (‘affirmative action’, ‘interracial marriage’) their resources diminish and their security is compromised. As male protection falls away, are increasingly subject to violence (‘jihadists’) and outrage (‘rapefugees’) and as male demands fall away, they increasingly descend into self-destructive behaviour (‘pornification’, ‘free relations’). These bio-evolutionary patterns are well documented in cultural-anthropological research among the indigenous peoples of the America’s (the Native Americans, the Amazon Indians) and Oceania (the Australian Aboriginals, the New Zealand Maoris). The tragic fate of the ‘lost children’ of these overseas ‘first nations’ is now also becoming visible among European nations. As they confront existential threats they are forced into existential choices: a struggle for physical and psychological survival. They are forced to choose between annihilation and restoration.

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One of the universal human mechanisms to achieve the restoration of personal identity is compensation: compensation of childhood trauma through adult achievement - through the exercise of adult power. The exercise of adult power can be achieved at various existential levels and in different dimensions, but such exercise always needs to - positively or negatively - relate to birth identity, at the collective as well as the individual level. Where young people are confronted with a (socio-economic, psycho-cultural) disadvantage in birth identity, as in present-day disadvantageous white ethnicity, they are forced into - either positive or negative - compensation strategies. They are forced to account for - and so become aware of - their own manipulated and rejected historical identity and to measure it against the non-own dominant contemporary norm. Retribution, in whatever form - including artistic abstraction and cosmic projection - can be a legitimate compensation strategy. Sooner or later, the universal mechanisms of compensation and retribution will have to be revisited and reinvented by the ‘lost children’ of the West. The New Right encourages them to opt for an early rather than a late revisiting: there is no more time to learn by ‘trial and error’. The New Right aims at steering the process of consciousness-raising in a positive direction: the New Right aims at instilling a new sense of social responsibility (in family values and behavioural norms) and cultural identity (through alternative media and heritage transmission). In this regard, a message of hope is essential: young people deserve the prospect of a better future - if need be in deviance of expectation and against the apparent course of history. The step, following awareness, is self-determination: the right to a future that is radically different from the dismal past and the low-life present. This message of hope is not based on ‘wishful thinking’: it is based on hard-fact history. Again and again, human history has shown that individuals and groups can regain their stolen birthright and their lost heritage: these may be redeemed in defiance of common expectation and rational calculus. This is the ‘retribution’ that every individual and every group may attempt: they can avenge the wrongs of the past by daring action in the future.

A remarkable example of ‘retribution’, by a single special individual on behalf of a whole ethnic group, may be found in the work of Canadian Inuit (Eskimo) singer Tanya Tagaq. Her own tragic - and tragically typical - past is ‘resolved’ in a strange - one is tempted to say ‘archaeo-futurist’ - ‘song’ that occupies the impossible middle ground between a neo-shamanist ‘exorcism’ and post-modern ‘pop art’: ‘Retribution’ (2016). Starting from a semi-cosmic indictment that covers a history of ecocide, genocide and colonization and prophesizes vengeance by Gaia - ‘Mother Earth’ - herself, ‘Retribution’ gradually descends into a trance state that combines totemic reference, dream quest and animal projection. It projects the rape and violation of a whole nation onto a single person - and avenges it. The style, vocabulary and setting of ‘Retribution’ may be utterly alien to young people from other cultures, but the existential choices that it expresses are not: it unmistakably establishes the universal power of the ‘retribution’ principle. ‘Retribution’ deals with the universally available breakthrough to a New Freedom.

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Postscript: Towards a New Freedom

On the eve of World War Two, Dutch political analyst Jacques de Kadt (1897-1988) wrote his monumental work Het Fascisme en de Nieuwe Vrijheid, ‘Fascism and the New Freedom’ (1939). He interpreted and described the phenomenon of the ‘Fascist Revolution’, which he understood as a revolt of peoples and cultures against elites and civilizations, with a sensitivity and a subtlety that is now effectively impossible in Western ‘public debate’. He understood that the original and idealistic aspect of the early Fascist Revolution constituted a natural and healthy ‘immune response’ against the pervasive cultural-nihilism that already characterized pre-war ‘demo-liberalism’. De Kadt’s pre-war ‘demo-liberalism’ simply constituted an earlier incarnation of the historical-materialist ideology that has lately grown into fully-fledged totalitarian liberal-normativism: an ideology driven by one-dimensional ‘money thinking’ (the proto-type of neo-liberalism) and bloodless intellectualism (the proto-type of cultural-marxism). De Kadt recognized the failures of pre-war fascism as functions of its specific historical trajectory: its failure to achieve inter-class solidarity, its failure to incorporate scientific progress and its failure to face political reality resulted in a poisonous mix of cynical anti-intellectualism, mindless militarism and barbaric gangsterism. But De Kadt also warned against a premature dismissal of the original impulse of the Fascist Revolution: in his view, this revolution reflected no mere historical aberration, but rather a universally recurring corrective mechanism.

410o9m-KRfL._SX308_BO1,204,203,200_.jpgAfter eighty years, De Kadt’s analysis has not lost its validity. The globalist hostile elite ruling the early 21st Century is combining the failures of fascism with the failures of the other two failed historical-materialist ideologies of the 20th Century: (communo-)socialism and (neo-)liberalism. The hostile elite ruling the contemporary West on behalf of the now openly totalitarian New World Order project of globalism has achieved a remarkable fusion between the lowest decay forms of each of these three ideologies: the all-levelling resentment of socialism, the low-life anti-intellectualism of fascism and the malicious ‘money mind’ of liberalism. The children of the West deserve a different future: they deserve to see the day that the rule of the globalist hostile elite ends - the day that its pathological ideas and its demonic practices are eradicated from the surface of the planet for once and for all. The time has come for them to break out into their New Freedom:

 

 

And this will be the day -

This will be the day when all of God's children will be able to sing with new meaning:

Free at last!

Free at last!

Thank God Almighty - we are free at last!

- Martin Luther King Jr., ‘I Have a Dream’

Dutch-language Source References:

Berg, Helmut van de, Verboden foto’s: een Amsterdamse roman (‘Forbidden Photos: A Novel from Amsterdam’). Heerhugowaard: GigaBoek, 2005. Note: this book contains a non-fiction autobiography that was written under a pseudonym and published as a ‘novel’.

Ligtvoet, Frank, ‘Andere naam of niet - H401 is nog altijd Castrum Peregrini’ (Whatever its New Name - H401 remains Castrum Peregrini), Medium.com 17 september 2019.

Pen, Hanneloes, ‘Getuigenis: misbruik in “zwemclubs” in de jaren vijftig’ (Witness Testimony: Child Abuse in ‘Swimming Clubs’ during the Fifties), Het Parool 14 september 2019.

Notes:

i A reference to the title of the ‘politically incorrect’ Dutch-language treatise Op de grens van twee werelden by then-former Prime Minister Hendrikus Colijn, previously CEO for the Royal Dutch Shell company, belonging to the neo-Calvinist ARP, or ‘Anti-Revolutionary Party’ (in 1980, this party merged with other confessional parties, forming the still-governing CDA, or ‘Christian Democratic Appeal’). ‘On the Border of Two Worlds’ was written in June 1940, a month after the occupation of the Netherlands by the Third Reich.

41MiJq2+OcL._SX280_BO1,204,203,200_.jpgii Nishida Kitaro, A Study of Good - orig. ‘Zen no kenkyū’ (New York, Westport and London 1960) 131.

iii Although the formal power base of the Freemasonic-controlled liberal Volkspartij voor Vrijheid en Democratie (‘People’s Party for Freedom and Democracy’) has been reduced to just over a fifth of parliamentary seats during PM Mark Rutte’s leadership, it still is the country’s largest party, leading an improvised anti-patriotic ‘cartel’ coalition.

iv De Telegraaf (‘The Telegraph’) newspaper is the Netherlands’ largest daily newspaper - it is owned by the Belgian media consortium Mediahuis, which now controls most Dutch and Belgian print and online media outlets.

v GeenStijl is an independent blog-style Dutch online current affairs magazine characterized by its iconoclastic language and non-conformist reporting. The fact that its ‘populist’, ‘anti-establishment’ content remains firmly embedded in a civic-nationalist and libertarian framework effectively puts it into the ‘controlled opposition’ category.

vi The Nederlandse Publieke Omroep (‘Dutch Foundation for Public Broadcasting’) is the Dutch governmental organization that regulates and dominates the Netherlands’ traditional television and radio media. It tends to focus on subliminal cultural-relativist and secular-nihilist manipulation of the public through a systematic promotion of anti-traditional ‘infotainment’ and ‘idiocracy’-style consumerism. In this sense, the NPO-controlled ‘public media’ represent the cultural-marxist counterpart to the Mediahuis-controlled ‘commercial media’ (cf. note 4 above), accurately reflecting the ‘liberal-left’ globalist alliance that has now controlled the Netherlands for over four decades.

vii ThePostOnline is an independent Dutch online current the older form of ‘quality journalism’ that characterized the now-defunct civic-minded libertarian press. Its steadfast adherence to outdated libertarian and civic-nationalist ideas explain much of its continuing hostility to the Netherlands’ New Right.

viii For a short overview of the psycho-historical development of globalist hostile elite’s ideological narrative, cf. Alexander Wolfheze, Alba Rosa. Ten Traditionalist Essays about the Crisis of the Modern West (Arktos: Londen, 2019) 4-6.

71EUfRtApLL.jpgix For a Eurasianist appraisal of the current Dutch political landscape, cf. Alexander Wolfheze, ‘Dutch Democracy: a Warning from History’, Geopolitica 31 December 2017 (https://www.geopolitica.ru/en/article/dutch-democracy-war...).

x For an investigation of the new ‘occupied territory’ status of the Netherlands, cf. Alexander Wolfheze, ‘Identitarian Iconoclasm’, Identiteit Nederland 18 August 2019 (http://www.idnl.org/en/commentary-essays/identitarian-ico...).

xi A reference to the title Franz Kafka’s 1915 symbolist novel The Metamorphosis which describes the mysterious transformation of the novel’s formerly human protagonist into an enormous and monstrous vermin.

xii The Dutch term regenten originally referred to the semi-hereditary urban ruling class of the Dutch Republic. Some members of this old republican mercantile elite were ennobled during the 19th Century. The present-day descendants of this class, still entrenched in the country’s high finance and big business power circles, tend to think of themselves as co-equal with the older Dutch nobility, especially because some of its members married into the original nobility - this sentiment, however, is not shared by anybody else.

xiii A reference to the ‘Rim City’ megalopolis of the virtually continuous urban belt that surrounds the shrinking ‘Green Heart’ of Holland and includes the Netherlands’ four largest cities of Rotterdam, Amsterdam, The Hague and Utrecht - its total population of 8,2 million inhabitants accounts for about half of the total Dutch population.

xiv For an ‘Archaeo-Futurist’ assessment of the contemporary New Right, cf. Alexander Wolfheze, ‘Deep Right Rising’, Identiteit Nederland 26 September 2019 ( http://www.idnl.org/en/commentary-essays/deep-right-rising/).

xv The principle representative of the New Right in the Low Countries is undoubtedly Belgian (mostly French-language) publicist Robert Steuckers, whose decades-long campaign can be sampled in his personal blog (http://robertsteuckers.blogspot.com/) and through his contributions to Euro-Synérgies (http://euro-synergies.hautetfort.com/). The author has written three reviews of Robert Steuckers’ recent works Europa and Sur et autour de Carl Schmitt - these can be accessed through the author’s reference page at Geopolitica (https://www.geopolitica.ru/en/person/alexander-wolfheze).

xvi Thierry Baudet’s new patriotic-libertarian Forum voor Democratie (‘Forum for Democracy’) party, riding the Alt-Right wave, managed to wrangle its way into the national parliament during the 2017 elections (cf. n.9).

xvii For the author’s preliminary assessment of the New Right’s ‘Corona Crisis moment’, cf. Alexander Wolfheze, ‘Decamerone Redux’, Arktos Journal 4-7 April 2020 (https://arktos.com/2020/04/04/decamerone-redux-readers-di...).

41S6Q5whmXL._SX355_BO1,204,203,200_.jpgxviii For the deep cultural-historical background to the Crisis of the Modern West, which the author approaches through the concept of ‘Cultural Nihilism’, cf. Alexander Wolfheze, The Sunset of Tradition and the Origin of the Great War (Cambridge Scholars: Newcastle upon Tyne, 2018) - samples freely available (under the button ‘View Extract’) at http://www.cambridgescholars.com/the-sunset-of-tradition-... (now also in paperback version).

xix A reference to the title of the Devotio Moderna classic De Imitatione Christi (ca. 1420) by Dutch monastic Thomas à Kempis (ca. 1380-1471).

xx A reference to the zenith third movement ‘The Trevi Fountain at Noon’ of the symphonic poem Fontane di Roma (‘Fountains of Rome’) by Italian composer Ottorino Respighi (1879-1936).

xxi For a reappraisal of the Traditionalist concept of the ‘Guardian’, represented by Carl Schmitt’s concept of the Katechon in legal philosophy, through the lens of Aleksandr Dugin’s essay ‘The Solar Hounds of Russia’, cf. Alexander Wolfheze, ‘Broken Arrow’, Geopolitica 2 October 2018 (https://www.geopolitica.ru/en/article/broken-arrow).

xxii ‘Transvaluation of values’, a concept from the cultural-historical prognoses of German philosopher Friedrich Nietzsche (1844-1900).

xxiii A reference to the left-liberal Democraten 66 (‘Democrats 66’) party dominated by the cultural-marxist institutional intelligentsia - it is infamous for its ultra-nihilist socio-economic agenda and publicly associated with sabotaging the country’s judicial system by non-implementation of law and order principles and by ignoring the ethnicity factor in crime statistics.

xxiv For a theoretical analysis of the normative-liberal ‘anti-state’ concept, cf. Alexander Wolfheze, ‘From the Arsenal of Hephaestus’, Geopolitica 10 January 2019 (https://www.geopolitica.ru/en/article/arsenal-hephaestus).

xxv In the Netherlands, ‘lover boy’ is a politically-correct euphemism for the local equivalent of the ‘grooming gang’ phenomenon that is increasingly dominating the life of vulnerable indigenous girls in Great Britain.

xxvi Cf. Alexander Wolfheze, ‘Operation Belisarius’, Identiteit Nederland18 August 2019 (http://www.idnl.org/en/commentary-essays/operation-belisa...).

 

jeudi, 14 mai 2020

Michel Maffesoli: « La stratégie de la peur »

Par Michel Maffesoli

Ex: https://liguedumidi.com

Depuis des mois, nous vivons dans la peur. Mais la crise sanitaire justifiait-elle que les contacts sociaux soient à ce point étouffés entre les individus ? Et quel bilan pouvons-nous tirer de cette période de confinement, du point de vue des relations humaines ? Michel Maffesoli nous livre son verdict.

MAFFESOLI_LMSI-f499c.jpgIl n’est pas question de dire que la crise sanitaire n’existe pas, nous sommes nombreux à avoir des amis qui s’en sont en allés, ou des proches qui sont atteints ! Mais nos regrets et notre tristesse ne doivent pas nous faire oublier qu’il est une crise de plus grande ampleur : crise civilisationnelle s’il en est !

On ne le redira jamais assez : « tout est symbole ». Il faut avoir la lucidité et le courage de dire, pour employer un vieux mot français, ce que « monstre » ce symbole. Fût-ce dans ses aspects monstrueux. En la matière et en paraphrasant ce que disaient en leur temps nos amis situationnistes, il convient donc d’établir un « véridique rapport » sur le libéral mondialisme !

Pourquoi les milliardaires sont-ils philanthropes ?

Puis-je le faire, tout d’abord, d’une manière anecdotique. Mais en rappelant qu’en son sens étymologique : « an-ekdotos », c’est ce qui n’est pas publié, ou ce que l’on ne veut pas rendre public. Mais qui, pour des esprits aigus, n’est pas sans importance ! On peut donc se poser cette question : pourquoi des milliardaires font-ils de la philanthropie ? Car, on le sait, il existe chez eux une étroite liaison entre leur morale et leur compte en banque.

Bill Gates, préoccupé par le « coronavirus », finance largement l’OMS. Sans oublier ses largesses pour bien le faire savoir. Ainsi en France, ce journal « de référence » qu’est Le Monde qui, oubliant sa légendaire déontologie, accepte, contre espèces sonnantes et trébuchantes, que le magnat en question publie un article pour expliquer ses généreuses préoccupations concernant le Covid-19.

Un tel fait est loin d’être isolé. Ceux qui détiennent le pouvoir économique, politique, journalistique sentant, pour reprendre le titre de George Orwell, leur « 1984 » menacé, tentent dans leur novlangue habituelle, de faire oublier que leur préoccupation est, tout simplement, le maintien du nouvel ordre mondial dont ils sont les protagonistes essentiels. Et, pour ce faire, ils surjouent, jusqu’à plus soif, la « panique » d’une pandémie galopante. Pour reprendre un terme de Heidegger (« Machenschaft »), ils pratiquent la manigance, la manipulation de la peur.

L’impéritie du pouvoir technocratique.

Il y avait, en effet, deux stratégies possibles :

  • celle du confinement a pour objectif la protection de chacun, en évitant le trop plein de contaminations entraînant une surcharge des services de réanimation accueillant les cas graves. Protection organisée par un État autoritaire et à l’aide de sanctions, une sorte de sécurité sanitaire obligatoire. Stratégie fondée sur les calculs statistiques et probabilistes des épidémiologistes. Selon l’adage moderne, n’est scientifique que ce qui est mesurable.
  • Autre stratégie, médicale celle-ci (la médecine est un savoir empirique, un art, pas une Science, en tout cas est fondée sur la clinique [expérience] et pas uniquement sur la mesure) : dépister, traiter, mettre en quarantaine les personnes contaminantes pour protéger les autres. Stratégie altruiste.

Une telle stratégie traduit la défiance généralisée du pouvoir, politiques et hauts fonctionnaires, envers le « peuple ».

Certes, l’impéritie d’un pouvoir technocratique et économiciste a privé sans doute la France des instruments nécessaires à cette stratégie médicale (tests, masques), certes l’organisation centralisée et étatique ne permet pas de telles stratégies essentiellement locales et diversifiées. Mais une telle stratégie traduit aussi la défiance généralisée du pouvoir, politiques et hauts fonctionnaires, envers le « peuple ». Protéger les gens fût-ce contre leur gré, au mépris des grandes valeurs fondant la socialité : l’accompagnement des mourants ; l’hommage aux morts ; les rassemblements religieux de divers ordres ; l’expression quotidienne de l’amitié, de l’affection. Le confinement est fondé sur la peur de chacun par rapport à chacun et la sortie du confinement va être encadrée par des règles de « distanciation sociale » fondées sur le soupçon et la peur.

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La stratégie de la peur.

Faire peur pour sauver un monde en décadence ! Faire peur afin d’éviter les soulèvements, dont on peut dire, sans jouer au prophète, qu’ils ne manquent pas (et surtout ne manqueront pas) de se multiplier un peu partout de par le monde. N’oublions pas qu’en France, le confinement a succédé à deux ans de révolte des Gilets jaunes suivies par les manifestions contre la technocratique et libérale réforme des retraites. On imagine la haine du « populo » qui anime nos élites ! Mais l’esprit de révolte est dans l’air du temps. Ortega y Gasset, dans La Révolte des masses parlait à ce propos d’un « impératif atmosphérique ». Cet impératif, de nos jours, c’est celui de la révolution, si on la comprend en son sens premier : revolvere, faire revenir ce que l’idéologie progressiste s’était employée à dépasser. Revenir à un « être-ensemble » traditionnel et enraciné.

C’est contre un tel impératif : le retour à un ordre des choses bien plus naturel, que les diverses élites s’emploient à attiser la peur, et ce pour faire faire perdurer les valeurs sociales qui furent celles des « temps modernes ». Pour le dire succinctement, émergence d’un individualisme épistémologique et ce grâce à un rationalisme généralisé au motif d’un progressisme salvateur.

Ce sont, en effet, ces valeurs qui engendrèrent ce que mon regretté ami Jean Baudrillard a appelé la « société de consommation », cause et effet de l’universalisme propre à la philosophie des Lumières (XVIIIe siècle) dont la « mondialisation » est la résultante achevée. Le tout culminant dans une société parfaite, on pourrait dire « trans-humaniste », où le mal, la maladie, la mort et autres « dysfonctionnements » auraient été dépassés.

Le scientisme.

Voilà bien ce qu’une maladie saisonnière érigée en pandémie mondiale s’emploie à masquer. Mais il est certain que les hypothèses, analyses, pronostics, etc., sur le « monde d’après » signifient bien que ce qui est en cours est un véritable changement de paradigme que l’aveuglement des élites au pouvoir n’arrive pas à occulter. En effet, les mensonges, vains discours et sophismes ont de moins en moins de prise. « Le roi est nu », et cela commence de plus en plus à se dire. Devant ce qui est évident : la faillite d’un monde désuet, les évidences théoriques des élites ne font plus recette.

Devant cette méfiance grandissante, ce « on » indéfini caractérisant la Caste au pouvoir agite le paravent scientifique, peut-être vaudrait-il mieux dire, pour reprendre le terme d’Orwell, elle va utiliser la novlangue scientiste.

Revêtant l’habit de la science, et mimant les scientifiques, le « scientisme » est en fait la forme contemporaine de la croyance béate propre au dogmatisme religieux. Les esprits fumeux ayant le monopole du discours public sont, en effet, les croyants dogmatiques du mythe du Progrès, de la nécessité de la mondialisation, de la prévalence de l’économie et autres incantations de la même eau.

Devant cette méfiance grandissante, ce « on » indéfini caractérisant la Caste au pouvoir agite le paravent scientifique. Il s’agit là d’un positivisme étriqué qui, comme le rappelle Charles Péguy, n’est qu’une réduction médiocre du grand « positivisme mystique » d’Auguste Comte. La conséquence de ce positivisme étriqué est le matérialisme sans horizon qui fut la marque par excellence de la modernité. Matérialisme brutal que n’arrivent pas à masquer les discours grandiloquents, doucereux, empathiques ou tout simplement frivoles propres au pouvoir politique et aux « médias mainstream » (véritable Ministère de la Propagande) lui servant la soupe.

C’est parce qu’il n’est pas enraciné dans l’expérience collective que le « scientiste » se reconnaît à la succession de mensonges proférés à tout venant. L’exemple des sincérités successives à propos des masques ou des tests, est, à cet égard, exemplaire. Mais ces mensonges soi-disant scientifiques sont aux antipodes de ce qu’est une science authentique.

Souvenons-nous, ici, de la conception d’Aristote. Avoir la science d’une chose, c’est en avoir une connaissance assurée. C’est-à-dire qui consiste à montrer en quoi cette chose est ainsi et pas autrement. C’est bien ce qu’oublie le « scientisme » dont se parent les élites politiques et divers experts médiatiques qui transforment la crise sanitaire en véritable fantasme. Et ce afin de « tenir » le peuple et de conforter sa soumission.

Le peuple-enfant.

Ce faisant, ce « on » anonyme qu’est le Big Brother étatique ne sert pas la science. Il se sert de la science pour des objectifs politiques ou économiques : maintien du consumérisme, adoration du « veau d’or du matérialisme », perdurance de l’économicisme propre à la modernité. C’est cela que profèrent, ad nauseam, ceux que L. F. Céline nommait, bellement, les « rabâcheurs d’étronimes sottises » ; chargés de reformater n’importe quel « quidam » en lui servant, à tout propos, la soupe de la bien-pensance[1]. Et ce afin de le maintenir dans une « réification » objectale qui est l’enjeu de la crise sanitaire devenue un fantasme de plus en plus envahissant. Car pour reprendre l’image du Big Brother et du psittacisme dominant, il s’agit bien d’infantiliser le peuple. Répéter, mécaniquement, des mots vides de sens, que même ceux qui les emploient ne comprennent pas, ou de travers.

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Considérer le peuple comme un enfant incapable de prendre les bonnes décisions, incapable de juger ou de discerner ce qui est bon pour lui et pour la collectivité, voilà bien l’essence même de la « populophobie » caractérisant les élites en faillite.

En faillite, car une élite est légitime lorsqu’elle est greffée sur la sagesse populaire. C’est ce qu’exprime l’adage : « omnis auctoritas ad populo ». Et parler, à tire larigot, de « populisme » est le signe que la greffe n’a pas pris, ou n’existe plus. En oubliant ce que j’ai, en son temps, nommé la « centralité souterraine », propre à la puissance du peuple, on ne peut plus saisir la poussée intérieure de la sève vitale. Ce qui est l’authentique science : avoir une connaissance essentielle de la substantielle réalité, celle de la vie quotidienne.

Les technocrates.

Voilà ce que sont incapables de faire les faux savants et les vrais sophistes qui dénaturent la raison authentique, celle s’appuyant sur le sensible, c’est-à-dire sur ce qui est Réel. Parler de populisme, c’est ne rien saisir de la bonhomie du peuple, ne rien comprendre à sa « popularité ».

Le signe le plus évident de cette déconnexion, c’est lorsqu’on entend l’actuel locataire de l’Élysée parler avec condescendance des manifestations, par exemple celles du Premier Mai, comme étant le fait de « chamailleurs » qu’il faut bien tolérer. Étant entendu, sous-entendu, que ces chamailleries ne doivent en rien perturber le travail sérieux et rationnel de la technocratie au pouvoir. Voilà ce que sont incapables de faire les faux savants et les vrais sophistes qui dénaturent la raison authentique, celle s’appuyant sur le sensible.

Technocratie incapable d’être attentive à la voix de l’instinct. Voix de la mémoire collective, amoncelée depuis on ne sait plus quand, ni pourquoi. Mais mémoire immémoriale, celle de la société officieuse devant servir de fondement à l’éphémère société officielle, celle des pouvoirs.

Cette voix de l’instinct avait, de longue tradition, guidé la recherche de l’Absolu. Et ce de quelque nom que l’on pare celui-ci. L’incarnation de l’absolu étant ce que l’on peut appeler, après mon maître Gilbert Durand, une « structure anthropologique » essentielle. Et c’est cette recherche que la modernité s’est employée à dénier en la vulgarisant, la « profanisant » en un mythe du Progrès au rationalisme morbide et au matérialisme on ne peut plus étroit. D’où sont sortis le consumérisme et le mondialisme libéral.

La socialité ordinaire.

71iVgJ7Hy+L._AC_SX522_.jpgAuguste Comte, pour caractériser l’état de la société propre aux Temps modernes disait judicieusement reductio ad unum. L’un de l’Universalisme, l’un du Progressisme, l’un du Rationalisme, de l’Économicisme, du Consumérisme etc. C’est bien contre cette unité abstraite que la colère gronde, que la méfiance s’accroit. Et c’est bien parce qu’elle pressent que des soulèvements ne vont pas tarder à se manifester que la Caste au pouvoir, celle des politiques et de leurs perroquets médiatiques, s’emploie à susciter la peur, le refus du risque, la dénégation de la finitude humaine dont la mort est la forme achevée.

C’est pour essayer de freiner, voire de briser cette méfiance diffuse que l’élite en déshérence utilise jusqu’à la caricature les valeurs qui firent le succès de ce que j’appellerais le « bourgeoisisme moderne ». Autre manière de dire le libéral mondialisme.

Ce que le Big Brother nomme le « confinement » n’est rien d’autre que l’individualisme épistémologique qui, depuis la Réforme protestante fit le succès de l’« esprit du capitalisme » (Max Weber). « Gestes barrières », « distanciation sociale » et autres expressions de la même eau ne sont rien d’autre que ce que l’étroit moralisme du XIXe siècle nommait « le mur de la vie privée ». Ou encore chacun chez soi, chacun pour soi.

Pour le dire d’une manière plus soutenue, en empruntant ce terme à Stendhal, il s’agit là d’un pur « égotisme », forme exacerbée d’un égoïsme oubliant que ce qui fonde la vie sociale est un « être-ensemble » structurel. Socialité de base que la symbolique des balcons, en Italie, France ou Brésil, rappelle on ne peut mieux.

L’effervescence en gestation va rappeler, à bon escient, qu’un humanisme bien compris, c’est-à-dire un humanisme intégral, repose sur un lien fait de solidarité, de générosité et de partage. Voilà ce qui est l’incarnation de l’absolu dans la vie courante. On ne peut plus être, simplement, enfermé dans la forteresse de son « chez soi ». On n’existe qu’avec l’autre, que par l’autre. Altérité que l’injonction du confinement ne manque pas d’oublier.

La mascarade des masques.

Amusons-nous avec une autre caricature : la mascarade des masques. Souvenons-nous que tout comme la Réforme protestante fut un des fondements de la modernité sous l’aspect religieux, Descartes le fut sous la dimension philosophique. Qu’ils en soient ou non conscients, c’est bien sous son égide que les tenants du progressisme développent leurs théories de l’émancipation, leurs diverses transgressions des limites et autres thématiques de la libération.

Descartes donc, par prudence, annonçait qu’il avançait masqué (« larvato prodeo »). Mais ce qui n’était qu’une élégante boutade devient une impérative injonction grâce à laquelle l’élite pense conforter son pouvoir. Resucée de l’antique, et souvent délétère, theatrum mundi !

On ne dira jamais assez que la dégénérescence de la cité est corrélative de la « théâtrocratie ». Qui est le propre de ceux que Platon nomme dans le mythe de la Caverne, « les montreurs de marionnettes » (République, VII). Ce sont les maîtres de la parole, faisant voir des merveilles aux prisonniers enchaînés au fond d’une caverne. La merveille de nos jours ce sera la fin d’une épidémie si l’on sait respecter la pantomime généralisée : avancer masqué. Le spectaculaire généralisé.

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N’est-ce point cela que Guy Debord annonçait lorsqu’après la « Société du spectacle » (1967) dans un commentaire ultérieur, il parlait du « spectacle intégré ». Sa thèse, connue ? comprise ? c’est l’aliénation, c’est-à-dire devenir étranger à soi-même à partir du consumérisme et ce grâce au spectacle généralisé. Ce qui aboutit à la généralisation du mensonge : le vrai est un moment du faux.

Dans la théâtralité de la Caste politique, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Le faux se présente masqué, comme étant un bien. Ce que Jean Baudrillard nommait le « simulacre » (1981) : masque du réel, ce qui masque la profonde réalité du Réel. Ce que Joseph de Maistre nommait la « réité » !

Comme ce que fut la série américaine « Holocauste », le masque consiste à susciter des frissons dissuasifs (de nos jours, la peur de l’épidémie, voire de la pandémie) comme « bonne conscience de la catastrophe ». En la matière, implosion de l’économicisme dominant où la valeur d’usage telle qu’Aristote l’analyse (Le Politique ch. III, par 11) est remplacée par la valeur d’échange.

C’est ce que les montreurs de marionnettes, inconsciemment (ils sont tellement incultes) promeuvent. Le masque, symbole d’une apparence, ici de la protection, ne renvoyant à aucune « réité », mais se présentant comme la réalité elle-même.

La finitude humaine.

Pour donner une référence entre Platon et Baudrillard, n’est-ce pas cela le « divertissement » de Pascal ? Cette recherche des biens matériels, l’appétence pour les activités futiles, le faire savoir plutôt qu’un savoir authentique, toutes choses qui, éléments de langage aidant, constituent l’essentiel du discours politique et des rabacheries médiatiques. Toutes choses puant le mensonge à plein nez, et essayant de masquer que ce qui fait la grandeur de l’espèce humaine, c’est la reconnaissance et l’acceptation de la mort.

Car pour le Big Brother le « crime-pensée » par excellence est bien la reconnaissance de la finitude humaine. De ce point de vue, le confinement et la mascarade généralisée sont, dans la droite ligne du véritable danger de toute société humaine : l’aseptie de la vie sociale. Protection généralisée, évacuation totale des maladies transmissibles, lutte constante contre les germes pathogènes.

Cette « pasteurisation » est, à bien des égards, tout à fait louable. C’est quand elle devient une idéologie technocratique qu’elle ne manque pas d’être elle-même pathogène. Très précisément en ce qu’elle nie ou dénie cette structure essentielle de l’existence humaine, la finitude. Ce que résume Heidegger en rappelant que « l’être est vers la mort » (Sein zum Tode). À l’opposé de la mort écartée, la mort doit être assumée, ritualisée, voire homéopathisée. Ce que dans sa sagesse la tradition catholique avait fort bien cristallisé en rendant un culte à « Notre Dame de la bonne Mort ».

Une communion nécessaire.

Si l’on comprend bien que, dans les cas de soins donnés à des personnes contagieuses, les soignants observent toutes les règles d’hygiène, masque, distanciation et protections diverses, ces mêmes règles appliquées urbi et orbi à des personnes soupçonnées a priori d’être contaminantes ne peuvent qu’être vécues comme un déni de l’animalité de l’espèce humaine. Réduire tous les contacts, tous les échanges aux seules paroles, voire aux paroles étouffées par un masque, c’est en quelque sorte renoncer à l’usage des sens, au partage des sens, à la socialité reposant sur le fait d’être en contact, de toucher l’autre : embrassades, câlins et autres formes de tactilité. Et refuser l’animalité expose au risque de bestialité : les diverses violences intra-familiales ponctuant le confinement comme les délations diverses en sont un témoignage probant.

Le confinement comme négation de l’être-ensemble, la mascarade comme forme paroxystique de la théâtralité, tout cela tente, pour assurer la perdurance du pouvoir économiciste et politique, de faire oublier le sens de la limite et de l’indépassable fragilité de l’humain. En bref l’acceptation de ce que Miguel de Unamuno nommait le « sentiment tragique de l’existence ».

C’est ce sentiment qui assure, sur la longue durée, la perdurance du lien social. C’est cela même qui est le fondement de la bonhomie populaire : solidarité, entraide, partage, que la suradministration propre à la technocratie est incapable de comprendre. C’est ce sentiment, également, qui au-delà de l’idéologie progressiste, dont l’aspect dévastateur est de plus en plus évident, tend à privilégier une démarche « progressive ». Celle de l’enracinement, du localisme, de l’espace que l’on partage avec d’autres. Sagesse écosophique. Sagesse attentive à l’importance des limites acceptées et sereinement vécues. C’est tout cela qui permet de comprendre la mystérieuse communion issue des épreuves non pas déniées, mais partagées. Elle traduit la fécondité spirituelle, l’exigence spirituelle propres aux jeunes générations. Ce qu’exprime cette image de Huysmans : « coalition de cervelles, d’une fonte d’âmes » !

C’est bien cette communion, qui, parfois s’exprime sous forme paroxystique. Les soulèvements passés ou à venir en sont l’expression achevée. À ces moments-là, le mensonge ne fait plus recette. Qui plus est, il se retourne contre ceux qui le profèrent. N’est-ce point cela que relève Boccace dans le Decameron : « Le trompeur est bien souvent à la merci de celui qu’il a trompé. » Acceptons-en l’augure.

A paraître le 20 mai :

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mercredi, 13 mai 2020

Oswald Spengler and the Destruction of Intelligence - Matt Raphael Johnson

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Oswald Spengler and the Destruction of Intelligence

Matt Raphael Johnson

 
Spengler cannot be summarized in an hour. Therefore, we concentrate on one important element of his thought, that around which all other elements revolve: the distinction between culture and civilization.
 
Culture is the organic state; the natural life. Civilization is the decay of that state into formalism and quantity. Authority turns into power. In thought, this is manifest in the over-formalization of the intellect and the rise of the mass-intellectual. This intellectual is not a scholar, he's an actor in a role. He's the pseudo-intellectual.
 
This lecture will briefly discuss Spengler in relation to the mass-intellectual and the means to tell the phoney from the legitimate scholar. It is an unpleasant excursion into the world of fakery and fraud.
 
Presented by Matt Johnson

dimanche, 10 mai 2020

Michel Maffesoli: Le confinement est négation de l’être-ensemble

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Le confinement est négation de l’être-ensemble

par le Prof. Michel Maffesoli
Ex: https://www.bvoltaire.fr

AVT_Michel-Maffesoli_334.gifPour le Big Brother, le « crime-pensée » par excellence est bien la reconnaissance de la finitude humaine. De ce point de vue, le confinement et la mascarade généralisée sont dans la droite ligne du véritable danger de toute société humaine : l’asepsie de la vie sociale. Protection généralisée, évacuation totale des maladies transmissibles, lutte constante contre les germes pathogènes.

Cette « pasteurisation » est, à bien des égards, tout à fait louable. C’est quand elle devient une idéologie technocratique qu’elle ne manque pas d’être elle-même pathogène. Très précisément en ce qu’elle nie ou dénie cette structure essentielle de l’existence humaine, la finitude. Ce que résume Heidegger en rappelant que « l’être est vers la mort » (Sein zum Tode). À l’opposé de la mort écartée, la mort doit être assumée, ritualisée, voire homéopathisée. Ce que, dans sa sagesse, la tradition catholique avait fort bien cristallisé en rendant un culte à « Notre Dame de la bonne Mort ».

Si l’on comprend bien que dans les cas de soins donnés à des personnes contagieuses, les soignants observent toutes les règles d’hygiène, masque, distanciation et protections diverses, ces mêmes règles appliquées urbi et orbi, à des personnes soupçonnées a priori d’être contaminantes, ne peuvent qu’être vécues comme un déni de l’animalité de l’espèce humaine. Réduire tous les contacts, tous les échanges aux seules paroles, voire aux paroles étouffées par un masque, c’est en quelque sorte renoncer à l’usage des sens, au partage des sens, à la socialité reposant sur le fait d’être en contact, de toucher l’autre : embrassades, câlins et autres formes de tactilité. Et refuser l’animalité expose au risque de bestialité : les diverses violences intrafamiliales ponctuant le confinement comme les délations diverses en sont un témoignage probant.

md30514063162.jpgLe confinement comme négation de l’être-ensemble, la mascarade comme forme paroxystique de la théâtralité, tout cela tente, pour assurer la perdurance du pouvoir économiciste et politique, de faire oublier le sens de la limite et de l’indépassable fragilité de l’humain. En bref, l’acceptation de ce que Miguel de Unanumo nommait le « sentiment tragique de l’existence ».

C’est ce sentiment qui assure, sur la longue durée, la perdurance du lien social. C’est cela même qui est le fondement de la bonhomie populaire : solidarité, entraide, partage, que la suradministration propre à la technocratie est incapable de comprendre. C’est ce sentiment, également, qui au-delà de l’idéologie progressiste, dont l’aspect dévastateur est de plus en plus évident, tend à privilégier une démarche « progressive ». Celle de l’enracinement, du localisme, de l’espace que l’on partage avec d’autres. Sagesse écosophique. Sagesse attentive à l’importance des limites acceptées et sereinement vécues. C’est tout cela qui permet de comprendre la mystérieuse communion issue des épreuves non pas déniées mais partagées. Elle traduit la fécondité spirituelle, l’exigence spirituelle propres aux jeunes générations. Ce qu’exprime cette image de Huysmans : « coalition de cervelles, d’une fonte d’âmes » !

C’est bien cette communion qui, parfois, s’exprime sous forme paroxystique. Les soulèvements passés ou à venir en sont l’expression achevée. À ces moments-là, le mensonge ne fait plus recette. Qui plus est, il se retourne contre ceux qui le profèrent. N’est-ce point cela que relève Boccace dans le Décaméron : « Le trompeur est bien souvent à la merci de celui qu’il a trompé. » Acceptons-en l’augure.

dimanche, 03 mai 2020

Tomislav Sunic: Die entstellte Identität

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Erstmal veröffentlicht  in Volk und Bewegung, 2-2020

Die entstellte Identität

(Bevölkerungsaustausch und Umvolkung nach 1945)

von Dr. Tomislav Sunic

Vermischte Völker und organisierte Masseneinwanderung sind Konzepte kapitalistischer und kommunistischer Ideologen. Der Kapitalismus will den unbegrenzten Waren-, Geld- und Personen- transfer, um den Profit zu erhöhen, der Kommunismus will entwurzelte und manipulierbare Menschen als Proletariatersatz. Beide Ideologien sind Relikte des merkantilistischen 19. Jahrhunderts, leugnen Völker, Rassen und Traditionen. Wiewohl Sieger im Zweiten Weltkrieg, haben sie bei der Gestaltung einer Friedensordnung versagt und versuchen die Welt in den Strudel ihres Niederganges hineinzuziehen. Der kroatische Diplomat und Dozent Tomislav Sunic geht den ideologischen Ursachen nach.

     *  *

Wir müssen zuerst einige Begriffe klären. Worte wie Bevölkerungsaustausch oder Umvolkung werden in der BRD-Medienlandschaft vermieden. BRD-Politiker benutzen meistens das Wort „Flüchtlinge“, wenn sie über die derzeitige Umvolkung reden. Der Sprachgebrauch in der BRD ist ein besonderer Fall, da alle politischen Redewendungen sowie alle politischen Begriffe in der BRD seit 1945 einer neuen Bedeutung unterliegen sollen. Je nach dem herrschenden Zeitgeist, je nach der politischen Sprachregelung werden manche Worte inflationär gebraucht oder vermieden. Die Wahl des Modewortes „Flüchtling“ soll Hilfsbereitschaft wecken. Dieses sentimentale Wort, statt des zutreffenden Wortes Einwanderer oder Migrant, soll die deutschen Nachkriegs-Schuldgefühle wachhalten und das Kriegsziel der ethnischen Vermischung mit außereuropäischen Migranten erreichen. Dies wird mit dem weitgehenden Asylrecht in Art. 16a des Grundgesetzes angesteuert, wobei Art. 16b ignoriert wird, der eine Einreise aus sicheren Drittländern untersagt. Weniger als 5 Prozent sind echte Flüchtlinge oder Vertriebene, aber selbst nach der Ablehnung des Asylstatus werden diese Einwanderer weiterhin geduldet und bezahlt. Die Frage, warum die Emigranten nicht in den benachbarten Ländern mit verwandter Kultur bleiben wollen, nämlich  Jordanien, Türkei, Saudi Arabien, sondern alle nur in Richtung Deutschland gehen, ist längst beantwortet: Hier gibt es die größte Aufnahmebereitschaft und finanzielle Ausstattung. Das Wort Flüchtling ist falsch, das Wort Migrant ist zu abstrakt, das Wort Wirtschaftsflüchtling kaum gebräuchlich.

9781912079391.jpgHinsichtlich der „Umvolkung“ oder des „Bevölkerungsaustausches“ sollte man darauf hinweisen, daß es dies immer schon gegeben hat und immer  geben  wird.  Vor   kurzem  gab es mehrere kleine Bevölkerungs-Austauschaktionen im ehemaligen Jugoslawien, wobei viele Kroaten, muslimische Bosniaken und  Serben in Bosnien ihre ehemaligen Wohnorte verlassen mußten. Vertreibung wäre hier ein besseres Wort für diese Aktion, da dieser Bevölkerungsaustausch in Ex-Jugoslawien mitten im Kriege stattgefunden hat.

In den 1920er Jahren gab es einen großen aber geregelten Bevölkerungsaustausch zwischen Griechenland und der Türkei. Solange ein Bevölkerungsaustausch freiwillig stattfindet, etwa nach einer Volksabstimmung, kann man sie akzeptieren. Das einzige Problem ist die Wortwahl. Anfang des 18ten Jahrhunderts gab es einen friedlichen Bevölkerungsaustausch im Heiligen Römischen Reich Deutscher Nation, wobei Hunderttausende Deutsche nach Ost- und Südosteuropa übersiedelten, nachdem sie dort als Siedler gerufen worden waren. Hier wäre es angemessen, von einer Völkerwanderung zu reden. Zwischen 1944 und 1947 gab es wieder einen gigantischen Bevölkerungsaustausch,  wobei über 12 Millionen Deutsche  gewaltsam  in das geschrumpfte Kerndeutschland vertrieben wurden. Hier ist allerdings der Begriff „Bevölkerungsaustausch“ unangemessen, da die blutige Vertreibung mehr als zwei Millionen Menschenleben kostete. Zudem war Deutschland Ende 1945 kein Schlaraffenland für die Vertriebenen; es war völlig zerbombt. Hier passen vielmehr   die   Worte „Flüchtling“ und „Vertriebene“, da diese Menschen aus dem Osten vor Tod oder Deportation fliehen mußten.  Über die  richtige  Wortwahl  in Bezug auf heutige außereuropäische Neuankömmlinge in der BRD kann man sich tagelang streiten.

Ursachen der Umvolkung

Die heutigen Systemmedien nehmen Fremdenhaß und Gewalttaten, also die Folgen der Masseneinwanderung, zum Anlaß, den Deutschen eine fehlende Bereitschaft zur Aufnahme von Einwanderern zu unterstellen. Viele „Experten“ wollen in bezahlten Studien die Wurzeln des Fremdenhasses analysieren. Nun, diese Wurzeln sind vielfältig. Nicht der Islam und nicht die außereuropäischen Migranten haben eine Schuld an diesem neuen Völkeraustausch. Die Hauptschuld liegt in der Ideologie des Liberalismus, im Multikulturalismus und ihren verschiedenen modernen Ablegern.

Es geht hier auch nicht um einen geheimen Plan von ein paar bösen Leuten oder eine Verschwörungstheorie angesichts des realen Bevölkerungsaustausches, der jetzt in Europa im Gange ist. Es gibt freilich übernationale Gruppen und Lobbies, die von   diesem Völkeraustausch profitieren, was aber nicht heißen muß, daß diese Gruppen alleine geheime Pläne schmieden. Sie folgen vielmehr einem Denkmuster.

Die heutige Umvolkung ist völkerrechtlich im Einklang mit dem liberalistischen Fortschrittsglauben. Dieser Fortschrittsglaube beruht auf dem Grundsatz der unbeschränkten Bewegung von Menschen und Waren, wobei folgerichtig auch Menschen zu Waren werden. Dieser liberalistische Grundsatz ist in UN- und EU-Dokumenten fest verankert. Der Händler oder der Spekulant duldet keine Grenzen und keine Staaten, und schon gar keine Völker, er sieht nur eine anonyme große Konsumgesellschaft. Dem Händler ist es egal, wer sein Kunde ist; ob sein Kunde Inder, Kroate oder Afrikaner  ist  – er will nur Profit machen. Der Zuzug  außereuropäischer  Migranten in die BRD, in die gesamte EU ist die logische Folge der Dynamik des Liberalismus und seines Ablegers Globalismus, und das ist ein Prozess, der schon rund zweihundert Jahre dauert.1) Wir haben die Auswirkung dieser Dynamik schon in der Mitte des 19ten Jahrhunderts gesehen.

9200000079458232.jpgDeswegen ist jegliche Kritik an der Masseneinwanderung ohne eine vorhergehende Kritik am liberalen Handel bzw. am Kapitalismus sinnlos. Und umkehrt. Die kleinen kriminellen Migrantenschlepper, die meistens aus dem Balkan stammen, sind nur ein Abbild der großen Gutmenschen-Migrantenschlepper, die in unseren Regierungen sitzen. Auch unsere Politiker, ob sie in Brüssel oder in Berlin sitzen, befolgen nur die Regeln des freien Marktes.

Auch die Linke irrt sich, wenn sie sich für die Masseneinwanderung ausspricht. Die Migranten  gelten  für die Linken als Ersatzproletariat. Die Linken schieben gerne „Menschenrechte“ vor und behaupten,  daß es keine Unterschiede  zwischen Menschen, Völkern und Rassen gäbe, und daß unsere ethnischen, geschlechtlichen, rassischen oder völkischen Identitäten ein bloßes Sozialkonstrukt seien, die man immer mit einer anderen Identität austauschen könne. Es ist auffallend, daß die linken Weltverbesserer, die ständig von Gleichheit und Austauschbarkeit aller Völker und Menschen träumen,    nie die  enormen Wohlstandsunterschiede zwischen dem globalen Establishment und den Migranten antasten wollen, sondern diese ökonomischen Ungleichheiten hinnehmen. Sie kommen auch nicht auf die Idee, die Fluchtursachen anzuprangern oder eine Hilfe in der Heimat der Migranten zu organisieren (siehe Beitrag „Das Sachs-Konzept“ in Ausgabe 1-2020). Nach Alain de Benoist: „Wer den Kapitalismus kritisiert und gleichzeitig die Einwanderung billigt, deren erstes Opfer  die lohnabhängige  Arbeiterschaft ist, sollte besser die Klappe halten. Wer die Einwanderung kritisiert, aber über den Kapitalismus schweigt, sollte das Gleiche tun“. 2)

Die BRD ist heute ein idealer Migrantenstaat, da sie seit 1945 ein krankes Land mit hochneurotischen Regierungen ist. Wenn man die Lage in der BRD oder in ganz Europa verstehen will, besonders in Bezug auf den Zuzug außereuropäischer Migranten, muß man immer wieder nach 1945 zurückblicken. Die BRD ist seit 1945 ein halb-souveräner Staat. Die von Panik geplagten BRD-Politiker, mit ihrer permanent geschwungenen Nazikeule, haben sich aus der Geschichte verabschiedet und haben dem Begriff des Politischen freiwillig entsagt. Die Schuldkultur der BRD-Etablierten erklärt, warum Deutschland  heute an der Spitze der sogenannten Willkommenskultur rangieren muß.  Deutsche Schuldgefühle gegenüber der ganzen Welt sind aber keine Garantie dafür, daß morgen oder übermorgen ein  feindlicher  Staat der heutigen BRD ein solches philanthropisches und selbsthassendes Verhalten honorieren wird. Wenn ich mich verweigere, meinen Feind als solchen zu benennen, wird das nicht heißen, daß mein Feind dasselbe tun wird. Genau das Gegenteil passiert. Immer mehr Politiker, sowohl europäische als auch außereuropäische, sehen die BRD als einen labilen Sicherheitsfaktor.

Außerdem bedeuten deutsche Gesten der Menschenliebe gegenüber den „Anderen“ längst nicht, daß die Anderen sich auf gleiche freundliche Art morgen gegenüber den Deutschen benehmen werden. Die meisten Leute in Merkels Umfeld sind sich dieser  neurotischen  Lage  in der BRD völlig bewußt; sie glauben jedoch, daß sie die sozialen Spannungen abbauen könnten, indem sie immer weiter dem Selbsthaß frönen und die Rolle des Prügelknaben weiterspielen.

US-Kriege und linker Fortschrittsglaube

Wieder benötigen wir einige Begriffserklärungen. Wir müssen einen wichtigen Unterschied zwischen Anlaß und Ursache der heutigen Migrationsströme erkennen. In jedem Fall sind die Migranten auch Opfer dieses globalistischen-liberalistischen Systems.  Die  wichtigsten  Anlässe zur jetzigen Umvolkung waren gescheiterte amerikanische Kriege am Anfang der neunziger Jahre des vorigen Jahrhunderts im Mittleren Osten und in Afrika sowie der Zusammenbruch des Mythos von guten und intelligenten Dritt-Welt-Ländern einschließlich der linken Fortschrittsprognosen für diese Völker. Die Entkolonialisierung Afrikas und Südasiens hat nicht Stabilität sondern mehr Chaos in Afrika und Asien verursacht. Dies waren die Anlässe für die heutigen Migrationsströme - aber nicht die Ursachen. Die Ursachen des heutigen Völkeraustausches liegen anderswo.

9200000086943706.jpgNatürlich könnte der heutige Bevölkerungsaustausch von jedem europäischen Staat jederzeit gestoppt oder auch rückgängig gemacht werden, solange Politiker Mut zur Macht haben, solange sie politische Entscheidungen treffen wollen, oder anders gesagt, solange sie die Entschlossenheit zeigen, den Zuzug der Migranten aufzuhalten.

Warum fehlt es bei deutschen Politikern am Mut zur politischen Entscheidung in Bezug auf den Einwanderungsstopp? Die Antwort ist leicht zu erraten: Seit dem Ende des Zweiten Weltkriegs fehlt es bei den Politikern in der BRD (aber auch in der EU) am Willen zur Macht. Diplomatisch gesagt, es fehlt ihnen der Begriff des Politischen. Allerdings ist solch unpolitisches Verhalten der heutigen BRD-EU-Politiker völlig im Ein- klang mit ihrem Zweckoptimismus, der aus dem Gründungsmythos des liberalen Systems seit 1945 herrührt. Das apolitische Verhalten der Regierenden in der BRD, in Europa und Amerika ist gar keine Überraschung für uns, da die zugrundeliegende Ideologie des Systems keine politische Souveränität der Völker dulden darf. Demzufolge sind Politiker eher lohnabhängige Angestellte des Systems. Dazu kommt die Angst der neurotischen BRD-Politiker, ihre Entscheidung über eine Abschiebung von Migranten könnte als  Faschismus oder Rassismus gebrandmarkt werden. Das ist ein Stigma, das kein deutscher Politiker über sich ergehen lassen darf.  „Der  Antifaschismus ist eine Fundamentalnorm der politischen Kultur Deutschlands seit 1945.“ 3)

Das verlorene deutsche Ich - oder die BRD-Doppelgänger

Es gibt im deutschen Kulturgeist eine besondere Neigung zur Selbstverleugnung. Diese Selbstverleugnung erzeugt den Typ eines Doppelgängers, der den Andersartigen nachahmt. Wir sehen diesen Typ des Doppelgängers bei vielen Romantikern, wie z.B. in E.T.A. Hoffmanns Novelle „Der Sandmann“, wo sich die Hauptfigur in einen Automaten verliebt, der einer schönen Frau ähnelt. Wir sind heute Zeuge einer solchen Automatenliebe, das heißt des Identitätsverlusts bei vielen Deutschen. Ein Beispiel sind die bußfertigen Pilgerfahrten deutscher Politiker nach Israel. Kanzlerin Angela Merkel hat vor einigen Jahren bei ihrem Besuch in Israel gesagt: „Für uns und auch für die deutsche Seite ist das (Israel) ein Teil unserer Identität.“  Das ist eine pastorale Selbsttäuschung, die häufig bei BRD-Politikern vorherrscht, zumindest in Verbindung mit einem bestimmten Amt. 4)

Über das deutsche politische Doppelgängertum, das sich in Selbsthaß, Selbstzensur, und Hypermoral gegenüber Drittweltbürgern offenbart, kann man lange reden. Diese geistige Beeinträchtigung, die sich  in zersplitterter Identität offenbart, hat der Dichter Gottfried Benn in seinem Gedicht „Verlorenes  Ich“  gut beschrieben. Friedrich Nietzsche hat seinerseits diese angstgetriebene, liberalistisch-weltverbessernde Hypermoral bei vielen deutschen Politikern schon vor fast 150 Jahren erkannt. „Wenn aber Goethe mit gutem Rechte gesagt hat, daß wir mit unseren Tugenden zugleich auch unsere Fehler anbauen, und wenn, wie jedermann weiß, eine hypertrophische Tugend – wie sie mir der historische Sinn unserer Zeit zu sein scheint – so gut zum Verderben eines Volkes werden kann wie ein hypertrophisches Laster: so mag mich nur einmal gewähren lassen“. 5) Diese deutschen Mimikry-Vorgänge, deren wir Zeuge sind, haben heute eine pathologische Grenze erreicht, wobei die BRD-Politiker ihre Gutmütigkeit gegenüber Fremden immer wieder verdoppeln müssen, um damit ihre vorgebliche historische Sünde besser loswerden zu können. Zum großen Teile ist deratige Mimikry Folge der alliierten Umerziehung, deren Ziel es war und noch immer ist, eine neue Menschenart herzustellen. Ja, den „Neuen Menschen“ wollte ja auch der Kommunismus.

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Disponible aux éditions du Lore: http://www.ladiffusiondulore.fr

Es wird oft übersehen, besonders bei den Linken in der  BRD,  daß  die Migranten gar keine homogene Masse darstellen; sie bekriegen sich auch gegenseitig. Unter Annahme einer real entdeutschten BRD werden sich die verschiedenen Bevölkerungsgruppen dann gegenseitig bekämpfen, was jetzt schon sichtbar wird. Hier soll man hinzufügen, daß Rassismus und Fremdenfeindlichkeit nicht nur ein Kennzeichen der Deutschen oder der „weißen Männer“ sind. In Amerika zum Beispiel, gibt es täglich kleine Zusammenstöße zwischen vielen schwarzen und hispanischen Banden. Zudem sind die Amerikaner ostasiatischer und japanischer Abstammung traditionell sehr feindselig gegenüber den Afro-Amerikanern und Latinos eingestellt. Aber derzeit soll nur den Weißen Schuld und Reue eingeimpft werden.

Die heilige Wirtschaftlichkeit

Es gibt in Westeuropa heute keinen einzigen Staat, der noch ethnisch und kulturell homogen ist, wie das noch vor ca. 50 Jahren der Fall war. Anders in Osteuropa. Im Durchschnitt besteht gegenwärtig die Bevölkerung jedes einzelnen westeuropäischen Staates aus ca. 15 % Bewohnern nichteuropäischer  Abstammung. In den USA beträgt dieser nichteuropäische Anteil sogar fast 50 %. Diesbezüglich kann man freilich über eine neues buntes Abendland reden, dessen  Parallelgesellschaften wenig Gemeinsamkeiten haben und früher oder später Unruhen und Kleinkriege zwischen und  inmitten der Neuankömmlinge auslösen werden. Der Grund, daß es derzeit noch keine massiven zwischenrassischen Konflikte in Westeuropa und Amerika gibt, liegt an der Tatsache, daß die USA und Westeuropa noch immer relativ wohlhabende Länder sind deren großzügige Sozialabgaben an außereuropäische Migranten den sozialen Frieden bewahren. Das westliche System und dessen kleiner Ableger, die EU, so wie wir es heute kennen, basiert seit 1945 auf dem Glauben an die „heilige Wirtschaftlichkeit“ , wie es einst von dem deutschen Soziologen Werner Sombart benannt wurde. 6) Dieses System, in dem der Fortschrittsglaube eine neue Religion geworden ist, wird zugrundegehen, sobald diese heilige Wirtschaft kein Heil für ihre multiethnischen Bewohner mehr auszuschütten vermag.

Chroniques-des-temps-postmodernes.jpgDemzufolge stellt sich die Frage, was bedeutet es heute, ein guter Europäer zu sein? Ist ein Bauer im ethnisch homogenen Rumänien oder Kroatien ein besserer Europäer, oder ist ein Nachkomme der dritten Generation eines Somaliers oder Maghrebiners, der in Berlin oder Paris wohnt, ein besserer Europäer?

Man soll auch sehr skeptisch sein gegenüber zahlreichen rechtsorientierten Gruppen in der BRD und Europa, die von einem Krieg gegen Muslime reden. Eines soll hier unterstrichen werden: Wenn ein neuer Bürgerkrieg in der BRD oder Europa ausbricht, wird es kein Krieg lediglich zwischen Europäern und Nicht- Europäern sein. Dieser Krieg wird keine klare Linie zwischen Feind und Freund aufzeigen. Viele linksorientierte Bürger werden auf der Seite der Migranten kämpfen. Hier sollen wir auch klar zwischen Religion und ethnischer Zugehörigkeit unterscheiden. Die meisten Zuwanderer, die jetzt  nach  Europa hineinströmen, sind tatsächlich muslimische Nicht-Europäer. Aber Religion und Nationalität sind keine Synonyme. Es gibt europäische Muslime wie die Bosniaken z.B., aber es gibt auch Muslime in Pakistan oder Somalia. Die haben gar nichts miteinander gemeinsam.

Identitäten erkennen

Die aktuellen nicht-europäischen Migrantenströme aus der Türkei könnten einerseits den Europäern helfen, indem sie sich selbst ihrer gemeinsamen europäischen biokulturellen Wurzeln bewußt werden. Anderseits könnten diese nichteuropäischen Migranten die  uralten zwischen-europäischen Auseinandersetzungen weiter vertiefen. Hier ein Beispiel: Derzeit gibt es ca. 20.000 bis 30.000 außereuropäische Migranten im benachbarten dysfunktionalen Staat Bosnien, wo vor kurzem drei verfeindete europäische Völker - Kroaten, muslimische Bosniaken und Serben - sich bekriegten und nun zusammenleben müssen. Die serbischen Verwaltungsbezirke im serbischen Teil Bosniens wollen diese Migranten nicht behalten, und statt dessen verschieben sie diese an die kroatische Grenze. Die kroatisch-serbische Spannung, die immer noch da ist, kann sich noch vertiefen. Ähnliches kann morgen geschehen, wenn sich z.B. Polen entschließt, Quotenmigranten nicht aufzunehmen, sondern sie der Frau Merkel überläßt. Dann könnten leicht die alten polnisch-deutschen Abneigungen neu geweckt werden.

Hier ist die große Frage für den guten Europäer: Wollen wir weiterhin auf unsere historischen  Kleinstaatereien und Auseinandersetzungen beharren, oder wollen wir unsere gemeinsame Identität verteidigen?

Die Kritik am Islam, wie sie bei vielen Rechten gängig ist, hat auch keinen Sinn, wenn man übersieht, daß die lautesten Befürworter der muslimischen Einwanderung die großen Kirchen, der Papst und die deutschen und amerikanischen Bischöfe sind und nicht die Antifaschisten. Das Christentum ist, ebenso wie der Islam, eine universale Offenbarungs- Religion. Beide kommen aus dem Judentum, das seine Quelle im Orient hat - nicht in Europa.  Der  Zuzug der Migranten wird heute psychologisch und per Gesetz von den Kirchen und dem Vatikan unterstützt und gesteuert. 7) Oft wird die Rolle etwa des höheren katholischen Klerus in Amerika und Europa im Bezug auf heutige außereuropäische Migrantenströme übersehen. Das Verhalten der Kirche steht ohnehin völlig im Einklang mit der christlichen Ökumene, bzw. dem christlichen Universalismus. Der Papst plädierte im Januar dieses Jahres nochmals für die Aufnahme der außereuropäischen Migranten mit den Worten: „Christen sollten den Migranten die Liebe Gottes, die von Jesus Christus offenbart wurde, zeigen, weil dies die Christen der Einheit, die Gottes Wille für uns ist, noch näher bringt". 8)

Um die Wurzeln dieses Bevölkerungsaustauschs und seiner Auswirkungen zu beseitigen, müssen wir demzufolge zunächst kritisch mit den Gleichheitslehren auseinandersetzen. Was wir jetzt im Westen beobachten, ist die endgültige und logische Folge der egalitären und universalen Lehre, die das Christentum seit zweitausend Jahren predigt. Die Lehre von der Gleichheit aller Menschen taucht heute freilich als Metastase in der Ideologie des Liberalismus, des Kommunismus und seiner verschiedenen egalitären und globalistischen Sekten, wie z.B. des Antifaschismus, auf. Sie alle predigen das Ende der Geschichte in einer großen multikulturellen und transsexuellen Umarmung.

Cover-Boek-Sunic.pngDie einzige Waffe, sich gegen den heutigen Völkeraustausch zu wehren, liegt in der Wiedererweckung unseres biologisch-kulturellen Bewußtseins. Ansonsten werden wir weiterhin nur die hohlen Floskeln der christlichen, liberalen oder kommunistischen Multikulti-Ideologie wiederkäuen. So richtig es ist, die Antifa oder den Finanzkapitalismus anzuprangern, dürfen wir nicht vergessen, daß die christlichen Kirchen die eifrigsten Boten des großen Bevölkerungsaustauschs sind.

Fußnoten:

1)   T. Sunic, “Historical Dynamics of Liberalism: From Total Market to Total State”, Journal of Social, Political & Economic Studies (winter 1988, vol. 13 No 4).

2)    Alain de Benoist, „ Immigration: The Reserve Army of Capital“ (übersetzt von T. Sunic), The Occidental Observer, April 2011.

3)   Prof. Dr. Hans-Helmuth Knütter, „Ein Gespenst geht um in Deutschland Deutschland driftet nach links!“ (Hamburg: Die Deutschen Konservativen, 2008).

4)   Siehe auch FAZ, “Verantwortung für die Shoa ist Teil der deutschen Identität“, der 2. Februar, 2005.

5)          F. Nietzsche, Unzeitgemäße Betrachtungen (1893 Berlin: Herausgegeben von Karl-Maria Guth, 2016), S.71.

6)     Cf. Werner Sombart, Der Bourgeois, cf. „Die heilige Wirtschaftlichkeit“; (München und Leipzig: Verlag von Duncker and Humblot, 1923), 137-160.

7)     Cf. T. Sunic, « Non-White Migrants and the Catholic Church: The Politics of Penitence, » The Occidental Observer, April, 2017.

8)       Catholic News Agency, „Papst Franziskus: Migranten willkommen zu heißen, kann Christen vereinen“, den 22. Januar 2020.

 

samedi, 02 mai 2020

Merleau-Ponty in the footpath of Schelling ?

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Merleau-Ponty in the footpath of Schelling ?

Troy Southgate

(via Facebook)

schelling.jpgThe French existentialist, Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), drew upon the work of Schelling on many occasions and advanced the notion that the human body is the central means of knowing the world. Formerly, Western philosophers had argued that consciousness is the source of knowledge and Merleau-Ponty's unique approach to such matters had been influenced by the phenomenological writings of Husserl and Heidegger. As a leftist, however, Merleau-Ponty does not share Schelling's view that our inner voice is that of God and, instead, prefers to adopt a materialistic position and relegate this interior dimension to an aspect of humanity itself.

Borrowing Schelling's idea that artistic creativity represents a 'barbaric' expression that serves to release the indwelling spirit of nature in the form of both an actual and symbolic communion with the divine, something the German had explained in his On the Relation of the Plastic Arts to Nature (1807), Merleau-Ponty outlined what he came to interpret as the sacrament of colour. Discussing the work of Cézanne, in particular, the secular French thinker presents the creative dynamism that is bound up with artistic expression in profoundly religious terms: "Suddenly the sensible takes possession of [...] my gaze, and I surrender part of my body, even my whole body to this particular manner of vibrating and feeling space known as blue or red. Just as the sacrament not only symbolises in sensible species, an operation of Grace, but is also the real presence of god, which it calls to occupy a fragment of space and communicates to those who eat of the consecrated bread, provided that they are inwardly prepared, in the same way the sensible has not only a motor and vital significance, but is nothing other than a certain way of being in the world suggested to us from some point in space, and seized and acted upon by our body, provided it is capable of doing so, so that sensation is literally a form of communion."

9781412849401.jpgThese atypical thoughts were expressed in Merleau-Ponty's 1964 work, Eye and Mind, which approaches painting in the form of vision. The fact that he mentions the remarkable impact of Cézanne's work on the viewer who, presumably, is the recipient of this visual communion - echoes Schelling's own remarks about the effects on the artist himself, a process the latter describes as being "driven to production and even against an inner resistance". Two different perspectives, to be sure, but Merleau-Ponty nonetheless agrees with Schelling that such creativity is a gift or, in this case, a form of 'Grace' that denotes the presence of something mysteriously divine.

Although it seems unusual for a confirmed Marxist to be employing the spiritual terminology favoured by his German Idealist counterpart, Merleau-Ponty was more interested in the power of human will as a manifestation of primordial consciousness: "There really is inspiration and expiration of Being, action and passion so slightly discernible that it becomes impossible to distinguish between what sees and what is seen, what paints and what is painted."

Regrettably, whilst Merleau-Ponty had framed his discussion of artistry in distinctly spiritual terms he was determined to formulate his philosophy in accordance with his personal atheism. Just as the transubstantiation of the Holy Mass converts the communion bread and wine into the body and blood of Christ, Merleau-Ponty wished to transform the ontological release of human consciousness through art into "the flesh of the world". Colour, especially, becomes an element of Being and goes beyond Freud's limited theories of the unconscious in terms of transgressing the boundaries of the psychologically mundane.

51084973._SX0_SY0_.jpgThe unleashing of this 'barbaric' principle, the symbolic power of the imagination, is a reflection of "the inexhaustible depth" that Schelling had discussed more than a century earlier. For Merleau-Ponty, being able to unearth the hidden potential of human creativity represents a totality of perception that leads to the renewal of the individual. A final word from Schelling: "The unruly lies ever in the depths as though it might again break through, and order and form nowhere appear to have been original, but it seems as though what had initially been unruly had been brought to order. This is the incomprehensible basis of reality in things, the irreducible remainder that cannot be resolved into reason by the greatest exertion but always remains in the depth. Out of this which is unreasonable, reason in the true sense is born. Without this preceding gloom, creation should have no reality; darkness is its necessary heritage."

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vendredi, 01 mai 2020

Dépolitisez-vous !

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Dépolitisez-vous !

par Tibet Dikmen

Dans ces temps modernes, chaque aspect fondamental de l’humanité (et même plus) a été politisé. La politisation de ces valeurs fondamentales de la vie les a inévitablement menées à être revendiquées par des factions différentes en concurrence dans l’arène politique. La stagnation causée par ces « revendications » a rendu impossible d’apporter des solutions concrètes à des questions qui auparavant n’étaient même pas supposées être des questions. Comme tout sujet qui est politisé stagne, des valeurs importantes et authentiques sont délibérément politisées afin que leur destruction puisse être effectuée plus rapidement : justice, liberté économique, environnement et écologie, tradition et religion (ou ce qui est reste), famille et genre, planification urbaine et architecture, etc.

N’oublions pas non plus que, quelle que soit la faction qui réussit à devenir majoritaire, se faire « élire démocratiquement » et gagner des sièges, se qualifier officiellement avec des termes comme « gauche, centre, droite », ou attirer d’une façon ou d’une autre l’attention des médias, c’est se mettre directement ou indirectement au service du coté obscur.

La droite et la gauche appartiennent toutes deux au même dragon.

La politique, dans son concept moderne, est le dragon que combat l’Archange Saint-Michel, et elle est donc une menace pour la Vie.

Les humains sont des créatures biologiques, et font donc partie du Tout naturel.

Les concepts et les vertus corrompues qui nous sont imposés par des « gouvernements démocratiques » autoproclamés, comme l’égalité, les droits de l’homme, la liberté et d’autres choses, sont dans leur essence opposés à l’ordre naturel de l’Univers. Cela a entraîné une quantification graduelle et d’une certaine manière « inconsciente » des aspects qualitatifs de nos vies.

Il est toujours plus facile de supprimer des nombres que de supprimer des concepts abstraits et métaphysiques profondément enracinés. La nature destructrice de la démocratie peut aussi être vue en-dehors de nous et autour de nous, ses vertus modernes corrompues sont non seulement des ennemies de l’humanité mais aussi de toutes les choses vivantes sur cette planète. D’un point de vue objectif, les humains sont ceux qui ont le moins souffert de cette décadence. Cependant, cette illusion est seulement temporaire ; celui qui coupe la branche sur laquelle il est assis ne comprendra ses erreurs que lorsqu’il atteindra son but ultime.

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Pour « chevaucher le tigre » et survivre à l’effondrement civilisationnel et culturel, certains penseurs traditionalistes défendent une position « apolitique passive ». Cette position repose sur la perception que tôt ou tard ces hérétiques modernes s’anéantiront eux-mêmes en se noyant dans leur propre décadence. Cependant, même s’ils l’ont oublié, ceux-ci sont des êtres biologiques et sont directement liés au tout. Même s’ils sont cancéreux, ils font partie de l’organisme. Cela signifie que quand le moment de l’auto-anéantissement viendra, ils anéantiront la terre avec eux. Cela peut être comparé à un phénomène très moderne : l’auteur d’un attentat-suicide meurt avec la bombe qui explose. En prenant les vies de ceux qui sont autour de lui, et en endommageant l’environnement aussi. Il est inutile que j’insiste sur les conséquences que 7,5 milliards d’humains inconscients causeront sur cette planète fatiguée. Ce comportement est facilement prévisible et on peut déjà en voir des indications aujourd’hui. Avec l’apparition de cette pandémie « sujette à débat », certains individus ont tenté de contaminer les gens en crachant et en léchant des infrastructures publiques (un grand nombre de tels cas a été rapporté en Belgique, aux USA et en Chine). Cela pourrait être le résultat d’une mentalité individualiste défectueuse : « Si je meurs, tout le monde doit mourir avec moi ».

Pour empêcher cet effondrement mental mondial, un « apolitisme actif » est nécessaire.

Les hommes idéalistes doivent oublier leurs anciennes rivalités et gagner plus de conscience et d’unité.

Toutes les institutions, tous les concepts et autorités politiques ainsi que les établissements économiques devraient être boycottés. Tout ce qui est un résultat de la modernité devrait être boycotté, cela peut signifier jeter sa télévision par la fenêtre ou refuser de conduire une voiture. Tout l’espace-temps dans lequel nous sommes actuellement emprisonnés devrait être nié. Cela entraînera non seulement la reconnexion individuelle avec l’infini, mais détachera aussi l’individu de la mentalité d’« esclave volontaire » et lui donnera la conscience nécessaire pour la combattre. Les idéaux et les valeurs connectés avec l’infini sont les seules armes vraiment efficaces que nous pouvons utiliser.

Quant à l’ordre sociétal, une dépopulation et une décroissance forcées doivent être encouragées. Cela aidera directement ou indirectement la planète à guérir des profondes blessures que les humains modernes lui ont infligées avec leurs désirs hédonistes toujours croissants.

Certaines parties de la population mondiale placées face à cette « guérison forcée de la terre » prendront finalement conscience de leur « inutilité » et comprendront qu’ils prennent trop d’espace. Une grande majorité des « inutiles » devront se sacrifier pour le bien de « l’Univers,  la Nature et le Tout ».

Ceux qui sont trop égoïstes et qui ont trop peur de la mort se hâteront de tenter de se rendre utiles, certains réussiront à se trouver des talents cachés (qui ne pouvaient pas s’exprimer à cause du style de vie lobotomisant moderne), et certains qui n’y parviendront pas devront accepter la mort. Pour ceux qui répondent aux conditions naturelles pour rester en vie, ils devront rendre ce qui a été pris par la force. Notre devoir en tant que créatures honorables est de demander pardon et de reconstruire. Mais cette fois-ci ce ne sera pas pour la quantité ou le nombre, car la Vérité ne se préoccupe pas de concepts aussi réducteurs.

L’humanité doit prendre conscience de sa place dans l’ordre naturel le plus tôt possible et réapprendre la décence et l’humilité. Sinon, la ruine surviendra.

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Une planète de déchets

L’hédonisme autodestructeur n’est pas aussi moderne que nous pouvons le penser. Il est le résultat de notre « ego » depuis l’aube de l’humanité. Cependant, les proportions qu’il a prises dans les temps actuels sont le résultat d’un « idéal éclairé » dont le monde est si fier : l’individualisme. Le fait de diviser un organisme en entités séparées, chacune pensant que le monde tourne autour d’elle, et de nourrir de force leur « ego » comme des poulets emplis d’eau, a entraîné un siècle entier de dégénérescence.

C’est un agenda de « séparatisme » très bien programmé, séparant d’abord l’humanité du Tout et ensuite d’elle-même. Pour maintenir cette inconscience sur le long terme, les pulsions animales ont été fortement stimulées et gardées en vie afin de paralyser l’esprit. De plus, les désirs creux incessants et le comportement réducteur ont été encouragés avec succès à l’aide de la technologie. Cela prouve aussi que le progrès technologique, qui est un résultat du progrès démocratique, est aussi un ennemi de l’existence dès qu’il atteint son but ultime. Nourrir une population aussi énorme avec de telles atrocités n’est pas une tâche facile, et une grande proportion de la « vie » a donc été compromise pour satisfaire la demande.

D’innombrables sites industriels et de production de masse présents partout exploitent continuellement la planète (comment une chose à l’intérieur d’un emballage plastique avec un code-barres peut-elle être appelée nourriture ?). Un enfant exploitant sa mère pour nourrir son hédonisme doit être la plus grande hérésie de notre époque.

Les actions nécessaires qui doivent être entreprises pour stopper cela, comme nous l’avons dit plus haut, mettront fin à cette gloutonnerie et à cette surexploitation excessives. Cependant, un énorme tas de déchets de béton à coté de la dévastation chimique et biologique restera.

Que faire des gratte-ciels vides, des grossiers blocs de béton, des innombrables quantités de déchets et de cadavres ?

jeudi, 30 avril 2020

Attali ou Confucius !

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Attali ou Confucius !

par Bruno Guige

via Facebbok

Il va tout de même falloir se demander pourquoi les pays d'Asie, dans l'ensemble, font face à la pandémie avec davantage d'efficacité que les pays occidentaux. Les raisons en sont politiques, bien sûr, les États socialistes comme la Chine et le Vietnam étant de loin ceux qui s'en sortent le mieux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils ont pris la mesure du phénomène avant les autres, et que l'État a refusé d'arbitrer entre sauver des vies et sauver des points de croissance, tandis que les pays capitalistes prônent l'immunité collective, c'est-à-dire l'euthanasie des faibles et des vieux, comme l'a avoué le vice-gouverneur du Texas, véritable génie politique qui s'est fait le porte-parole du malthusianisme néolibéral et le digne héritier spirituel de Jacques Attali, chantre de l'euthanasie des anciens et de la société sans retraite. Au moins c'est clair.

Mais la politique n'explique pas tout, du moins en Asie, et c'est ce que montre le débat sur le port du masque. Ce qui est fascinant, en effet, c'est sa dimension anthropologique. Car cet ustensile, comme on le sait, n'a aucun intérêt immédiat pour l'individu qui le porte. Il ne sert pas à se protéger, mais à protéger les autres. C'est pourquoi on l'utilise depuis longtemps dans les pays de tradition confucéenne. En Chine, au Vietnam, et dans les pays d'Asie marqués par cette conception éthique vieille de 2500 ans, la collectivité prime sur l'individu. Ou plutôt, l'individu n'existe que comme produit social. Comme dit le philosophe chinois Zhao Tingyang, "la coexistence précède l'existence". L' être n'est pas substance mais relation.

J'entends déjà les cris d'horreur des individualistes forcenés, mais ce n'est pas parce qu'ils croient à des chimères que le réel va se plier à leurs désirs. Car si l'individu se croit libre, il n'existe en réalité que comme tissu de relations sociales, la qualité de son existence individuelle dépendant de la qualité de ses relations sociales et de rien d'autre. Marx l'avait d'ailleurs remarquablement mis en lumière, mais on ne va quand même pas demander aux bobos parisiens qui croient accomplir un acte révolutionnaire en bravant l'interdiction de sortir de chez soi pour danser sur Dalida de lire Marx. C'est peine perdue.

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Le dernier aspect de la question, et peut-être le plus important, c'est la dimension rituelle du port du masque, comme illustration de ce dont les sociétés asiatiques sont capables, et dont nous sommes, nous, incapables. Un rite, dans l'éthique confucéenne, n'est pas un geste purement formel que l'on accomplit par une sorte de soumission aveugle à des règles surannées. "Les rites, dit Confucius, c'est ce qui met de l'ordre dans ce qu'on fait". La ritualisation de la vie sociale a pour vertu de discipliner les comportements en regard du bien commun, elle éduque, oriente et civilise. Ce n'est pas un hasard, non plus, si les rites s'ordonnent à cette conception fondamentale de la société chinoise comme élargissement de la famille, noyau et paradigme de toutes les relations inter-humaines, et si de cette conception le culte des ancêtres est la source vive, celle qui relie entre elles, d'un fil invisible, les générations successives.

Qu'il s'agisse du culte des ancêtres, des liturgies funéraires, des fêtes familiales, sociales ou patriotiques, la forme des rites est inculquée aux individus pour les mettre en capacité de remplir leurs obligations. Le ritualisme repose sur cette idée, très profonde, que la bonne conduite ne peut venir que de pratiques répétées. Comme le respect dû aux anciens, dont il est la conséquence logique puisqu'il s'agit de protéger nos aînés, le port du masque fait partie de ces rituels sociaux qui signalent une collectivité responsable. Les sociétés asiatiques ont fait ce choix depuis longtemps. A nous de faire les nôtres, en nous demandant si nous voulons une société qui euthanasie les anciens ou une société qui les honore. C'est Attali ou Confucius.

mercredi, 29 avril 2020

André Suarès, une vision paraclétique

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Luc-Olivier d’Algange:

André Suarès, une vision paraclétique  

« Lucere et ardere, perfectum est. » 

Saint-Bernard 

« Ils m'ont tant méconnu, qu'enfin je me connais.

Ils m'ont tant dépeuplé que j'ai créé dans le désir un monde.

Ils m'ont fait si solitaire que j'ai passé tous les déserts sans  encombre: j'ai été d'oasis en oasis jusqu'à la source délicieuse, de flamme fraîche et d'ombre blonde » 

André Suarès

         Nul ne fut plus artiste qu'André Suarès; nul mieux que lui n'osa concevoir le sens de l'Art comme une question de vie ou de mort. Pour André Suarès, voir le monde en artiste, ou en poète, ce n'est pas seulement opposer la vie à la mort, vouloir le triomphe de la vie sur la mort, c'est aussi discerner ce qu'il y de mort chez les vivants, et les en vouloir délivrer; et pressentir dans la mort, dès lors que nous cessons de la craindre, pour l'avoir défiée, la possibilité inépuisable d'une renaissance immortalisante. On a parlé, à propos d'André Suarès d'une « mystique de l'Art », qui précéderait celle de Malraux. Toutefois l’Art, selon André Suarès, ou la poésie,  ne se substituent pas exactement à la Religion mais s'en trouvent être la manifestation précellence et l'expression essentielle. Il serait ainsi plus exact d'évoquer une métaphysique de l'Art.

Si la nature symbolise avec l'Art, l'Art lui-même symbolise avec une réalité qui lui est supérieure sans en être distincte ni lui être antérieure. L'Art témoigne mais ce dont il témoigne se tient tout entier dans le témoignage. Lorsque l'homme, conquis par sa plus haute exigence, laisse derrière lui le monde tel que le conçoivent les utilitaires et les « « sots moralisateurs », il s'empare des mots, des sons, des lignes, des couleurs, autrement dit des formes et des idées (au sens grec, l'idéa n'est autre que la forme) et s'achemine, à travers les œuvres qu'il suscite, vers une gloire qui n'est plus de ce monde. Il témoigne alors d'une autre réalité qui n'est point antérieure ni séparée mais qui se trouve être au cœur, son propre cœur bruissant, flamboyant: ce buisson ardent de l'herméneutique spirituelle en attente du Paraclet, qui laisse aux visages, aux paysages et aux Cités une chance d'être en concordance avec ce qui les dépasse et dont ils procèdent. Cette chance cependant n'est point donnée mais conquise, ou, plus exactement, donnée, elle doit encore être reconquise contre tout ce qui, en ce monde, conspire à nous faire méconnaître ce don, à nous l'obscurcir, à nous en tenir éloignés. Mieux que d'autres en son temps, André Suarès nous avertit que l'Art est un combat contre son temps, contre cet insensé rabougrissement de l'imagination et de l'entendement que les « progressistes » nous proposent comme une « libération » ou un accomplissement final de l'humanitas.

51a6zLEF2LL.jpg         « Tout est voile en plein ciel. Rien n'est allégorie et tout est Symbole ». Là se précise la métaphysique d'André Suarès dont l'œuvre toute entière semble destinée à nous délivrer de la fadaise allégorique et à laisser resplendir en nous la beauté et la vérité du Symbole. Alors que l'allégorie s'abolit dans ce qu'elle allégorise, qu'elle n'est qu'une formulation provisoire, vouée à périr dans l'abstraction qu'elle désigne, le Symbole sauvegarde le visible dans l'invisible et l'invisible dans le visible. La part visible du Symbole est inséparable de sa part invisible; elle demeure dans le mystère ingénu de sa forme, de sa vocation; et de ne point s'étioler dans l'invisible auquel elle se rapporte, lorsque nous l'atteignons, elle acquiert, ici-bas, comme pour la première fois, la splendeur de la beauté dont elle est le nom et l'épiphanie.

         Loin de se laisser traduire d'un langage à l'autre, comme l'allégorie, de se laisser convertir du concret à l'abstrait, le Symbole demeure dans sa vérité de part et d'autre de l'orée qui distingue et unit le sensible et l'intelligible. Cette « voile en plein ciel » est notre songe et notre ivresse. Elle est aussi le voile qui révèle en revoilant. Ce monde où tout est Symbole nous lance dans les Hauteurs car tout Symbole symbolise lui-même avec un autre Symbole: telle est la clef de la grandeur, de la vastitude. Toute chose symbolise, et sans doute n'y a-t-il que l'espace qui ne symbolise avec rien d'autre qu'avec lui-même.

         Le métaphysicien le plus aigu, l'herméneute spirituel le plus audacieux, se trouvent ainsi, dans leur méditation du Symbole, plus proches de la simple croyance, de la naïve et lumineuse ferveur, que de la Théologie rationnelle qui change les Symboles en allégories et finit par ne voir en celles-ci que des ombres inutiles de quelque « morale citoyenne ». Si la procession liturgique, l'Ange et toute la splendeur architecturale et musicale de la Religion sont, en effet, des Symboles d'une réalité plus haute, leur réalité ici-bas n'en est que plus réelle, leur « acte d'être », offert à nos sens, n'en est que plus intense et plus adorable.

         Prenons, mais nullement au hasard, pour exemple, les récits de la légende arthurienne et de la Quête du Graal. Le cheminement, les combats, le Graal lui-même symbolisent avec une réalité supérieure, mais est-ce à dire qu'ils s'abolissent pour autant en celle-ci, qu'ils disparaissent dans la réalité qui les suscite ? Si le Graal est la vérité ultime, la « rejuvénation » du monde et de l'âme, celles-ci n'en demeurent pas moins le Graal. L'herméneutique spirituelle des Symboles se fonde ainsi sur la reconnaissance d'un surnaturel concret, d'une vérité qui est réelle et d'une réalité qui est vraie et non point sur une simple résorption du sensible dans l'intelligible. Si Dieu est bien « ce trésor caché qui aspire à être connu », les formes qui le manifestent sont aussi indispensables à cette aspiration que l'Intellect qui, par l'intuition lumineuse, le rejoint. Telle serait la mission paraclétique de l'œuvre d'Art.

suares.jpg        Les ultimes pages écrites par André Suarès, réunies sous le titre Le Paraclet (et que nous devons lire exactement, selon la formule consacrée, comme son « testament spirituel ») ressaisissent en un seul geste les préoccupations esthétiques, métaphysiques, religieuses et morales de l'auteur. Elles sont à la fois son Ecce homo et un viatique pour ses successeurs. Elles récapitulent non moins qu'elles annoncent. Le dernier mot est toujours un avant-dire.

         Le ressouvenir de ces grands intercesseurs, que furent pour André Suarès les écrivains et les artistes qu'il aima, s'accomplit, en ces pages frontalières (voiles dans le ciel !) dans le pressentiment de l'accomplissement prophétique. Ces formes de la beauté qui frémissent et brûlent, ces  « ombres blondes », ces « sources de flamme fraîche » », cette terre paradisiaque qui ondoie dans le piano de Ravel ou les orchestrations de Debussy, sont annonciatrices. Elles ne se résolvent point dans leurs mécanismes; elles ne renvoient point seulement à elles-mêmes; elles ne s'éteignent point dans les objets qu'elles inventent: elles préfigurent l'advenue d'un Règne, et ce Règne est celui du Saint-Esprit, du Paraclet, qu'annonce l'Evangile de Jean.

         Avant d'être cet « esthète », cet amoureux exclusif du Beau à quoi l'on s'obstine à le réduire, André Suarès fut le héraut d'une métaphysique radicale de l'Art. Qu'est-ce que la Beauté, si elle ne symbolise, sinon une catégorie, par surcroît relative, du sentiment, à la merci des époques, des modes, ou d'autres capricieuses variations d'humeur ? Vaudrait-elle ce combat, ces héros et ces martyrs dont André Suarès récita la geste ? Ne serait-elle point alors un banal épiphénomène de l'entendement; et destinée, alors, à rendre ses armes, toutes ses armes étincelantes de jeunesse, de courage, de légèreté et de rêve, à ces hommes sérieux, ces Messieurs Homais qui planifient le monde et entendent objectivement le « gérer », selon ce mot ignoble qui souille désormais toutes les bouches.

         Le parti-pris de laideur, d'insignifiance, de vulgarité (qui se veut « dérision ») d'une certaine production « artistique » moderne abonde en cette hypothèse qui procède elle-même d'une volonté idéologique d'éradiquer, dans l'Art comme dans la vie, toute survivance métaphysique ainsi que toute attente eschatologique. Je ne vois, pour ma part, rien de plus pompier que ces « installations » qui ravissent les « gogos du vieil art moderne », et rien de plus fastidieusement allégorique que les commentaires spécialisés qui les accompagnent, ces modes d'emploi pour demeurés, qui conjuguent un jargon digne des bulletins officiels de l'Education nationale avec la fumisterie éventée. Quelle tristesse ! Ce nihilisme de pacotille ne cesse d'apporter la démonstration massive que l'informe est au principe des pires conformismes. Observons, en passant, comment ces cléricatures se défendent contre ceux qui osent les contester: ces gens-là, qui s'affichent « contestataires » manient l'excommunication et le lynchage avec la même diligence dont ils usent, en général, à mettre la main sur les subventions de l'Etat. Il existe bien un « art officiel » de ces dernières décennies et il se trouve être aussi bourgeois et pompier, mais avec le savoir-faire artisanal en moins, que « l'art officiel » du dix-neuvième siècle. Cet « art » qui se vante de n'avoir pas de sens, qui s'édifie, et de la façon la plus bonhomesquement édifiante, sur la négation du Sens, ne s'en oriente pas moins vers les poubelles de l'Histoire. Il n'en restera pas davantage que des scènes mythologiques léchées ou les portraits empesés des notaires de province que les critiques préféraient naguère à Monet ou à Cézanne.

2bbd241f62129dde0fb4bfe764e365bc.jpg        Ne nous leurrons pas davantage: l'Art sera paraclétique ou ne sera pas. Tout Art est sacré par définition, c'est-à-dire par provenance et par destination. L'Art profane fut une utopie fallacieuse qui finit comme nous la voyons: en calembredaines publicitaires. Le grand Art moderne fut une reconquête du sacré contre les bondieuseries et les saintsulpiceries « réalistes ». Le retour aux ibères et aux étrusques de Picasso, le catholicisme mystique de Cézanne (dont il conviendrait de relire les écrits), les subtiles épiphanies de Vuillard qui irisent et approfondissent le réel, qui dévoilent ce réel qui est vrai et cette vérité qui est réelle, offrent au regard ce qu'il faut bien considérer comme les étapes d'un cheminement, les moments d'un combat qui ne sauraient se résoudre en une théologie rationnelle. « Paraclet, Paraclet, Saint-Esprit, sois l'hôte: reçois et sois reçu ».

         Le traité du Paraclet d'André Suarès se distribue en trois livres: Livre I, La Voie, livre II, Le Seuil, livre III, Le Règne. Ces trois moments procèdent de cet appel premier, de cette métaphysique de l'être à l'impératif qui est aussi une éthique de l'hospitalité. « Le monde, écrit Hugues de Saint-Victor, est la grammaire de Dieu ». Tout le mystère de l'Esprit se joue, en effet, dans ce dépassement du substantif et de l'infinitif et dans la brusque surrection de l'impératif.  « Par Saint-Esprit, j'entends l'intuition pure, le miracle intérieur, la lumière sans méthode, sans étude et sans règle, éclairant tout d'un coup la pensée, pliant les mœurs et la conduite. Intuition: vue du fond par le dedans: quel que puisse être le sens rationnel par où l'on doive conclure ». Le Dieu dont le Paraclet est l'intercesseur ne saurait donc être un « étant suprême », un potentat auquel on pourrait se contenter d'obéir, une « entité » plus puissante, mais semblable à d'autres qui peuplent le monde: c'est assez dire qu'il n'est pas un substantif. Il n'est pas davantage l'être, à l'infinitif, dont nous parle l'ontologie, de Parménide à Heidegger, qui repose dans son « éclaircie ». Il est l'être à l'impératif, esto !, l'Un dans le chacun, c'est-à-dire l'hôte, au double sens du mot: celui qui reçoit et celui est reçu.

         Cette métaphysique de l'être à l'impératif éclaire la morale d'André Suarès toute entière dévouée à s'arracher à la nature, à l'infantilisme et à la bestialité. L'Art est ainsi non plus « l'Art pour l'Art » (encore que l'Art pour l'Art soit aux yeux d'André Suarès infiniment préférable à l'Art au service d'un grégarisme) mais l'Art pour l'au-delà de la vie et de la mort: « Humble superbe, quasi divine superbe divinité qui s'humilie. On s'élève dans l'ordre de l'esprit, le seul qui compte. On se fait soi-même un être neuf et grand au long parcours. On se crée enfin, car tel quel l'homme n'est pas créé: il est encore à naître. Qu'est-ce qu'une vie qui ne s'est pas dépassée ? »

         L'Art, comme métaphysique de l'être à l'impératif, tient ainsi ensembles dans son geste, la morale, l'esthétique et le sacré. La morale qui correspond à cette métaphysique ne saurait être qu'une morale héroïque, au sens exact, chevaleresque, c'est-à-dire une morale, non de bourgeois, mais de Noble Voyageur. Dans cette hiérarchie des « actes d'être » qui vont du plus épais au plus subtil, du plus lourd au plus léger, du moins intense au plus intense, l'Art apparaît à André Suarès comme une trans-ascendance guerroyant: « On entre alors dans une lutte sans merci. La lutte est la somme de l'être et de l'homme. La lutte est ouverte contre tous les anges et tous les démons: ils sont postés sur toutes les routes pour perdre l'homme: ils font le guet pour le noyer comme  un chat dans son destin. La nature n'aime pas l'homme: ils sont ennemis. La ruine propre de l'homme engage la ruine de la pensée et du monde ».

1403863863589277.png         C'est assez pour comprendre que le Paraclet est à la fois au principe d'une Quête chevaleresque et d'une attente eschatologique. Toutefois cette attente ne sera point passive: elle ne sera pas ce consentement au destin que les matérialistes nomment déterminisme et que certains dévots veulent faire passer, en la profanant odieusement, pour un assentiment à la divine Providence. Pour André Suarès, le Règne n'advient que pour autant que nous le fassions advenir. L'attente n'est point soumise, elle est ardente: elle est cette attention ardente qui est le sens et la vertu même de la poésie, de l'acte d'être à l'impératif de celui qui crée dans le péril, dans l'attente extrême où tout se joue dans l'instant et à jamais: « A chaque pas, le coup de dé: le risque de tout perdre se joue contre une chance éternelle. Il ne s'agit pas de repos: la paix est dans la victoire, et l'on ne vainc que dans la lutte. Cette palme pousse sur l'arbre sacré de la connaissance. Le jardin de l'esprit est l'Eden, dont nul ne peut être chassé, s'il entre. Ouvre-le, Paraclet: c'est ton paradis. En proie à ton désir insatiable, l'homme en quête de son éternité, Paraclet, t'invoque: il t'appelle, entends sa voix et réponds-lui ».

         Révolte contre le destin, la nature, les religiosités soumises, les cléricatures de toutes sortes, le Paraclet est, au vrai, une Convocation et cette Convocation, cet Appel est, en même temps « seule réalité ».  « Paraklétos est le terme sacré, le cri qui répond à la condition humaine: il veut dire le Prié, l'Invoqué, l'Appelé au secours ». Il s'agit bien, dans l'ardeur de l'attente, de répondre à l'Appel de toutes ses forces car le secours vient de part et d'autre et il n'est rien moins allégorique. Le Paraclet exige de nous autant que nous attendons de lui; et sa première exigence est de nous délivrer du narcissisme religieux qui nous fige derrière la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes, à travers nos Eglises, nos Dogmes, nos « raisons » plus ou moins bonnes ou mauvaises. « Voici le seuil de la maison divine: le Paraclet. Qu'il a fallu de siècles, et d'efforts, de douleurs et d'Apocalypses pour y atteindre. Parsifal est le pèlerin du Paraclet. Il croit chercher le Saint Graal; mais cette coupe où brûle à jamais le sang d'un dieu, est le Paraclet: il l'ignore. La quête du Paraclet est le destin et l'espoir de l'homme racheté ».

         Le Paraclet est à la fine pointe de ce que nous disent l'Evangile de Jean, l'Apocalypse, et les récits de la Quête du Graal. Il y aurait ainsi une Ecclésia spiritualis, distincte, et même opposée aux cléricatures, et annonciatrice d'un autre Règne, celui de l'Esprit succédant aux Règnes du Père et au Règne du Fils. Que dit, en effet l'Apocalypse de Jean ? « Puis je vis le Ciel ouvert, et voici: parut un cheval blanc. Celui qui le montait s'appelle Fidèle et Véritable, et il juge et combat avec justice. Ses yeux étaient comme une flamme de feu; sur sa tête étaient plusieurs diadèmes; il avait un Nom écrit que personne ne connaît si ce n'est lui-même; et il était revêtu d'un vêtement teinté de sang. Son nom est la parole de Dieu. Les armées qui sont dans le Ciel le suivaient sur des chevaux blancs, revêtues de lin fin, blanc et pur... Il avait sur son vêtement et sur la cuisse un nom écrit: Roi des rois et Seigneur des seigneurs. »  Comment comprendre cette vision, sans la réduire à l'allégorie ? La distinction qu'établit André Suarès entre l'allégorie et le Symbole s'avère ici particulièrement opérative. Le Tiers Règne qu'annoncent ses écrits paraclétiques, celui-là même dont parle Joachim de Flore, suppose la reconnaissance de toute chose, non plus comme allégorie, mais comme Symbole. Dans un commentaire d'un extraordinaire récit initiatique ismaélien, Henry Corbin, revient sur cette aperception apocalyptique, ce retour de la chose vue à son « apparaître même » qui « réalise », au sens alchimique, le sens de l'herméneutique spirituelle: « Il ne s'agit point, écrit Henry Corbin, de faire de la vision une allégorie, ni d'en abolir ou détruire les configurations concrètes, puisque c'est précisément la réalité intérieure cachée qui provoque le phénomène visionnaire et soutient la réalité de la vision. Il s'agit de percevoir ce qu'annonce chacune de ses apparentiae reale. » Ainsi, le « ciel ouvert » est le sens intérieur du Verbe. Le « cheval blanc » est l'intelligence spirituelle et le cavalier est le Verbe de Dieu. Après le Règne du Père, c'est -à-dire de la prophétie législatrice, après de Règne du Fils, c'est-à-dire celui de l'amour sacrifié viendra le Règne de l'Esprit, de la révélation du sens caché des textes sacrés. Alors, comme il est dit dans l'Evangile de Jean, nous ne serons plus serviteurs mais amis.

001070019.jpg        Nulle âme ne fut moins servile que celle d'André Suarès, nulle n'aspira avec une telle ferveur, faite d'humilité et de colère, à l'amitié divine. D'où sa méfiance constante pour les religiosités légalitaires, les théologies rationnelles, et les dévotions grégaires. « Après le Père, le Fils; après le Fils, le Saint-Esprit: les grandeurs ne se distinguent pas, elles s'accomplissent. Le Troisième Règne n'est pas la confusion ni l'opposition des deux autres, mais leur révélation dans la conscience de l'homme. Et l'homme alors possédé par l'Esprit, doit entrer en possession. Les plus amants de Dieu, les plus spirituels et les plus mystiques sont les plus suspects d'hérésie. »

         Cette hérésie, au demeurant, est moins une hérésie à l'égard du Dogme qu'une hérésie à l'égard de la société, de ce qu'en langage platonicien, Simone Weil, nomme « le gros animal » en quoi s'accomplissent, dans l'hybris, la vulgarité, la cupidité et la laideur, toutes les bestialités à visage humain : « J'ai su, dès longtemps, que nous étions à la fin d'une ère. On pouvait déjà voir les forces en guerre, celles que l'on croit en déclin, parce qu'elles ne savent plus se défendre, et celles qui se vantent de l'ascension. Toute la crasse de la conscience est sous nos yeux: la haine de la brute pour l'esprit, la rage de Caliban le Romain contre Archimède; la fureur de l'antisémite, qui masque le dessein d'anéantir l'Evangile; l'assaut du nombre et des masses; la rébellion de la matière, le monde aveugle du ventre et de l'automate contre le génie libre; la technique, cette servante maîtresse, dressée contre l'esprit qui, après l'avoir su créer, ne sait plus la tenir à la chaîne: enfin, tout ce qui doit obéir et qui n'est plus contenu, tout ce qu'il faut contenir et qui met la main sur le règne. »

         Le Mal, pour André Suarès n'est autre que la Matière où s'abolissent toutes les formes, où s'éteignent les « actes d'être » de la forme. D'où précisément la mission paraclétique de l'Art. L'esthétique et la métaphysique, loin de s'exclure ou de parcourir des voies parallèles, n'existent que l'une par l'autre. La beauté est une victoire métaphysique de la forme sur la Matière: elle est aussi une victoire de la vérité et du bien. Cette victoire métaphysique est l'accomplissement de cette métaphysique de l'être à l'impératif qui s'écarte du dogme lorsque le dogme nous présente le destin indifférent comme une manifestation de la divine Providence. Pour André Suarès, il n'est pas question de se soumettre à la laideur, au mal, à la mort, sous prétexte qu'ils seraient eux aussi l'expression de la volonté divine. La Mal est privation du vrai, du beau et bien; il est ce paradoxal « être du non-être » qu'il faut affronter et surmonter par la remémoration et l'invention des formes. Le Mal est l'informe qui nous lie, nous englue, et tend à nous dissoudre dans cet égoïsme grégaire, dans cet individualisme de masse qui n'est autre que le triomphe de la Matière. « Le sort de la métaphysique est lié à celui du Paraclet. On ne vivra plus pour la misérable vie d'ici-bas, si bornée, si vaine, et qui est toute inscrite dans le cercle de l'intérêt égoïste: on cessera d'être en viager, pour toucher la rente d'une âme basse et sordide. Toute vie devra tendre à la sphère immortelle, où chacun n'aura et ne peut avoir que la place qu'il s'y est faite. »

         Il ne saurait y avoir de véritable métaphysique de l'Art sans un double refus essentiel. Ni la pure soumission au destin (qu'abusivement des clercs fallacieux nommeront Providence), ni le refus du monde ne sauraient satisfaire à l'exigence chevaleresque d'André Suarès. Au renoncement, comme au consentement au destin comme il va, Suarès le Condottiere oppose un vigoureux: non possum ! Le Mal n'appartient pas à Dieu; il n'en est que l'absence ou l'oubli, comme la Matière n'est que l'absence de la Forme. Quand bien même il voit le monde comme l'espace tourmenté d'un combat contre le Mal, Suarès n'en demeure pas moins plus plotinien que manichéen ou cathare. Ce monde odieux, qui inclinerait presque au taedium vitae, au dégoût de la vie, n'est que la privation d'un autre monde, celui du Paraclet, qui flamboie dans l'attente ardente, sur l'horizon eschatologique. « L'ennui des grandes âmes ne vient pas d'elles-mêmes, mais des autres. On ne s'ennuie qu'avec les hommes, avec tous les neutres. On ne s'ennuie pas avec Dieu. »

   9782246444121-T.jpg      Ce monde est « en creux » du Paraclet. Il est le « non-être », l'ennui, l'informe, le malheur que l'on combat et ce combat est de chaque seconde car, en chaque seconde, se tient la promesse du Paraclet, du Tiers Règne, que nous faisons advenir. « Ce qui nous sépare de l'Esprit est le seul malheur qui compte: hélas, il surgit de toute part; tout lui est occasion de nous faire obstacle. Ce mal nous guette, il est partout. » L'attente paraclétique est ainsi, non point passivité, mais activité créatrice où les formes nouvelles renaissent des formes vaincues, où l'instrument même de l'Art en vient à modifier celui qui en use, dans une connaissance plus profonde du monde et de lui-même. « Connaître Dieu, c'est être et faire. Etre dans le faire, et faire dans être. Tel est le miracle: une connaissance si adéquate de l'objet qu'elle est l'objet même ». L'être est « acte d'être », le « faire », autrement dit la poésie, est l'être même. Il n'est point antérieur à l'être; il est sa puissance instauratrice, éternellement contemporaine de ce qu'elle instaure. L'Art métaphysique est ce site incandescent où l'être et le faire sont une seule et même réalité.

         L'Art paraclétique, tel que le conçoit André Suarès, en ressaisissant dans un même geste la métaphysique et la poésie, le vrai et le réel, serait ainsi le principe moral et politique par excellence : « Quel homme, s'il pense et se connaît digne de penser n'a pas senti qu'il tombe s'il ne s'élève ? » Azizoddin Nasafî, le grand philosophe persan de lignée ismaélienne et d'inspiration paraclétique, Jacob Böhme, Joachim de Flore, Marsile Ficin et les autres néoplatoniciens de la Renaissance tel que Pic de la Mirandole ou le Cardinal Egide de Viterbe, ne disent pas autre chose: l'homme dispose du pouvoir d'être, selon son cœur, supérieur aux Anges ou inférieur aux bêtes. L'humanitas n'est point une espèce parmi d'autre, comme le songent creusement les écologistes et les darwiniens, mais, en chaque individu, la possibilité magnifique, la liberté indicible d'être l'au-delà ou l'en-deçà de lui-même : « Fi de ce monde épais, compact et brutal. La masse est compacte. Le nombre est brutal. Tout ce qui est du nombre et de la masse est de la bête: la brute sent alors sa force et se connaît des droits contre l'esprit. Saint-Michel contre le dragon, Persée qui délivre Andromède, toujours l'esprit qui tombe vertical sur la brute. Tous les insectes tendent à l'unité dans le bonheur de la matière: plus de termites un à un, mais une seule termitière, et bientôt toutes les termitières en une seule. Le train mécanique du monde favorise ce mouvement: un seul tissu, le plus grossier de tous, et un organe unique. »

         Cette termitière mondialiste, nous y sommes. Le Tribulat Bonhomet de Villiers de l'Isle-Adam y règne en maître, grosse termite forant ses galeries technologiques et financières dans les poutres du vieux monde. Nul compromis possible avec cette épaisseur, cette compacité, cette brutalité ! La rupture est totale, la guerre de tous les instants. Les âmes les plus conciliantes, les plus naturellement éprises de paix, les plus assoiffées de réconciliation, les plus douces, si elles sont grandes, sont conduites ainsi à un combat sans merci, à un cheminement, entre la Mort et le Diable, vers le scintillement nocturne de la Jérusalem Céleste. Là, enfin, si nous résistons (et la partie n'est point gagnée, loin s'en faut), notre esprit tombera vertical sur la brute, le Paraclet effusera en nous et la divine seigneurialité sera notre statut !

         « Rien n'est moins près du Paraclet, que le dogme et le docteur, le temple et la théologie. La religion vit d'hérésie et meurt de scholastique. » Ces phrases dures, ces phrases qui heurtent ne sont pourtant pas le fait d'un homme qui méconnaît les splendeurs et les vérités de la Théologie. Mais que reste-t-il, à dire vrai, de la Théologie, quel office est celui des docteurs ? Ne s'accordent-ils point trop au monde comme il va ? L'hérésie telle que la nomme André Suarès ne serait-elle point ce retour à la « flamme blonde » et « l'ombre fraîche » de la véritable et immémoriale Sapience ? Si le Paraclet doit advenir, si le Tiers Règne transparaît déjà dans les œuvres des poètes et des métaphysiciens, dans le courage et le silence d'or de la sainteté, dans la ferveur des Amis de Dieu, n'est-ce point à dire que les théologies anciennes, les prophéties législatrices, les dogmes sont aussi destinés à s'ouvrir, à révéler enfin, comme la pierre brute les gemmes qu'elle dissimule, d'autres éclats, d'autres couleurs que les « docteurs de la loi » méconnurent ? Le Paraclet sera la Parole Retrouvée après la Parole Perdue, mais ces retrouvailles nous appartiennent; elles ne se délèguent point, elles ne se laissent point endiguer: elles emportent torrentueusement l'âme du pèlerin dans des épreuves qui n'appartiennent qu'à lui, de même que les œuvres d'un artiste, pour impersonnelles ou supra-personnelles qu'elles soient, n'en appartiennent pas moins à celui-ci, « par la triple précellence de la priorité, de la recherche et de la lutte »

     AScornwall.jpg    Nous empruntons cette citation, non plus à André Suarès, mais à ce roman initiatique ismaélien, commenté par Henry Corbin, auquel nous faisions allusion plus haut: «  Savoir, c'est recevoir une information d'un autre. Comprendre, c'est voir soi-même de ses propres yeux. » Le Paraclet n'appartient point au dogme, il ne se récite point, il n'administre aucune conformité, il advient, il est le regard même, lorsque les yeux de chair se changent en yeux de feu. L'espace et le temps profanes sont alors frappés d'inconsistance, car le temps est devenu espace. Et ce qui se disait dans le secret des gnoses iraniennes entre en concordance avec l'attente de Caërdal et du Condottiere, ces deux figures suarésiennes. Il est ainsi permis de voir en André Suarès à la fois l'héritier et l'intercesseur, le continuateur et le recréateur de cet éternel combat entre le dogme oublieux de son propre sens, et le sens reconquis, la Parole Retrouvée par ses propres forces, par l'entremise d'un homme. « La vue du Paraclet est à moi. Tout ce qu'elle a de merveilleux est mien (...), je ne veux pas me laisser dépouiller d'une vaste espérance. Je ne laisse pas mon droit d'aînesse pour un plat de lentilles véreuses, bouillies dans un journal ». La révolte d'André Suarès est légitime, sa vision lui appartient, même si elle apparût à d'autres, et par-delà dix siècles le philosophe inconnu iranien lui donne raison: « C'est qu'en effet celui qui cherche le vrai sans connaître les portes de la recherche, celui-là sera d'autant plus prompt à accuser les autres d'erreur, et cela parce que les éclats du faux se manifestent par l'hypocrisie et l'accord des opinions, le conformisme ou de dogmatisme du groupe, tandis que les éclats du Vrai se manifestent par l'épreuve que l'on affronte et les passions que l'on déchaîne contre soi. »

         Les « éclats du vrai » pour être les éclats d’une vérité universelle, verticale, n'en appartiennent pas moins, comme son espérance, à celui qui affronte l'épreuve et déchaîne les passions contre soi. Suarès, au contraire de tant d'écrivains de son siècle, prompts à se reposer dans quelque idéologie, poursuit son périple, jusqu'à la fin, sans égards pour tout ce qui peut affaiblir son élan, assourdir ses appels, l'incliner enfin vers l'un ou l'autre bords qui feignent de s'affronter mais qui ne vivent que l'un de l'autre, complices histrionesques et meurtriers, où le dévot n'existe que par l'anticlérical et inversement, où les opinions, de plus en plus rudimentaires tiennent lieu de pensée, reléguant toute véritable pensée dans la marge. « Dans la marge où s'allument les étoiles et la lumière, au flanc de la révélation et de la réalité religieuse, il y a une métaphysique de Saint-Paul et de Saint-Jean: elle est héroïque, à mon sens comme elle est sainte: une pensée nouvelle est là, un monde neuf de l'esprit. La plupart des théologiens sont les esclaves de l'expression. »

         Ne pas être esclave de l'expression, tout est là. Retourner en amont dans la chose dite vers le Dire lui-même, le Logos ou le Verbe. « La connaissance, nous dit le récit ismaélien, est vastitude ». Nous n'eussions pas été surpris de trouver la même phrase sous la plume de Suarès. Rien d'étonnant à cela puisque le « Javanmard » persan, le chevalier spirituel, et le poète français cherchent la même chose, sont en attente du même bien, avec la même violence du cœur, avec la même grandeur d'âme.

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  Il est difficile de contenter une grande âme. Les idéologies, ces hochets babouinesques, n'y parviennent. Les « grandes idées » elles-mêmes, lorsqu'elles sont générales, y défaillent. Le Paraclet quoiqu'on en veuille, n'appartient pas aux médiocres mais aux indomptables, il n'annonce pas une conformité nouvelle, une autre Loi, d'autres doctorales certitudes, mais une vastitude jusqu'alors impressentie. Les charmes du beau langage, les puissances rhétoriques ne suffisent point à combler, elles ne sauraient tenir lieu de révélation. Entre Bossuet et Pascal, Suarès choisit Pascal, qui résiste: « L'indomptable génie qui s'élève au plus haut dans l'ordre de la charité, rien n'est si grand. Au prix de cette grandeur, les politiques et les conquérants sont des bousiers ». Il y a chez les clercs, enclins à la trahison, cette honte, cette mauvaise conscience poisseuse dont ils croient s'affranchir en s'adonnant à une puissance du temps, un déterminisme majeur qui peut être le prolétariat ou la race, l'Etat ou l'économie, peu importe. Si craintifs dans leur solitude studieuse, dont ils déméritent, dont ils ne savent pas voir ni soutenir la grandeur, ils s'agrègent à tout ce qui leur semble devoir être le « sens de l'histoire », le « progrès », l'avancée du monde comme il va. De la sorte, ils se rendent superflus en croyant se rendre nécessaires, voire en s'affirmant à  « l'avant-garde » de cette nécessité. De ce lamentable mensonge,  de cette odieuse traîtrise, André Suarès fut bien l'un des rares à être entièrement exempt. Ces chantres de la termitière ne troublèrent jamais son jugement, et ce qu'il dit de Pascal vaut pour lui-même: « seul contre tous » ! Cette solitude toutefois n'est pas une pure autarcie; elle est une solitude de communion, de prière. Elle n'est pas même, comme on l'a dit assez bassement, « ombrageuse ». Pour le caractère, une devise suffit: ne pas aboyer avec les chiens, ne pas être de la meute. Cette exigence morale suffit-elle à nous faire « ombrageux » aux yeux du monde: c'est alors que le monde est bien pénombreux !

         « On ne doit rien rendre à César que ce qui ne vaut pas la peine qu'on le garde. La prise de César sur le Paraclet fait horreur, comme celle du corps sur l'Esprit, et de la pourriture sur l'âme. La chair est vouée à la corruption, quoiqu'il arrive. Le désastre de l'âme est qu'elle soit corrompue: car elle peut être incorruptible. » C'est assez dire que le Paraclet n'est pas un mouvement de la dialectique de l'Histoire, qu'il ne succède point, dans le temps, à d'autres puissances dont l'abrogation ne serait qu'un changement de masque. Le Paraclet ne vaut que pour l'Esseulé, et c'est alors qu'il vaut pour tous, pour tous les hommes et tous les anges, tous les arbres, tous les oiseaux, toutes les pierres, et même pour les insectes ou les reptiles blafards qui vivent sous les pierres. « On fait soi-même sa vie éternelle. On n'est jugé que par soi. »

         Que n'avons-nous tressé des louanges à la France, que n'avons-nous chanté l'Europe clairvoyante et musicienne ! Que de liens subtils nous unissent à notre histoire, et pour commencer ce fil d'Ariane du langage écrit qui trace ses boucles infiniment au fil de notre pensée. Nous sommes les premiers à nous reconnaître héritiers et presque inépuisablement redevables aux hommes qui nous précédèrent; mais cette gratitude, il nous appartient encore de la dire; cette lieutenance nous incombe dans la solitude. Et dans les temps obscurs, il advient qu'un « seul contre tous » soit, dans son esseulement même, la sauvegarde de tous les autres, qu'il soit la mémoire préservée et la révolte sainte contre le destin. Cet "Unique pour un Unique", ou, comme l'eût dit Angélus Silésius, cet « éclair dans un éclair » est la pure éclaircie où le Moi s'abolit dans sa lieutenance divine.

         9782846212793_1_75.jpgL'impératif divin, le « soit ! » illuminateur se prouve en faisant de chacun un « unique ». Qu'en ce monde toute chose fût dissemblable, qu'il n'y eût point un flocon de neige à l'exacte ressemblance de son voisin dans la nuit de Décembre, cela vaut bien toutes les démonstrations de l'existence de Dieu. Au demeurant, Dieu n'existe pas. C'est à trop croire en l'existence de Dieu que se gonflent les grenouilles de bénitier, que s'hypertrophie le Moi des fanatiques, ces bœufs attelés. Là où il faudrait se dépouiller, se dénuder, s'abolir, le fanatique se vêt, s'adorne, s'affirme. Il ne mesure nullement ce qu'il convient de restituer à César car il veut être César à la place de César. Le pouvoir l'enivre plus encore que la puissance, l'existence lui paraît plus adorable que l'être, surtout lorsque ce qui existe, il croit le posséder. Le fanatique est ainsi l'avers du progressiste. Là encore Suarès voit juste, avant tout le monde. Ce ne sont point des contraires qui se combattent, mais des semblables, autrement dit deux formes de grégarisme au sein de la même termitière, et l'on hésite franchement à trancher pour savoir laquelle est la pire. Le pire ne se mesure point. « Au fond de tous les fanatiques, grouille l'hydre: le plus hideux amour-propre. Ils font semblant de servir un Dieu; plus d'un le croit peut-être, tant les fanatiques ont de complaisance à eux-mêmes, tant ils sont étroits et obscurcis par leurs propres ténèbres. Mais ils ne respirent que l'orgueil d'être soi. Ils sont prêts à tous les attentats, à tous les crimes pour continuer de prévaloir. Et ils font parler Dieu, l'Etat, la gloire, ou quelque autre abjecte incarnation de l'Empire. Ils sont stupide à la racine; et d'autant plus forte est la racine en eux qu'ils sont plus stupides. Le propre du fanatisme, en attendant que Dieu parle, est de faire parler Dieu. Et, bien entendu, la plupart ils n'y croient pas: il leur suffit de confondre Dieu avec soi. Les plus scélérats y réunissent mieux que les autres. »

         Le Paraclet, le Troisième Règne, est ainsi une tierce voie, à égale distance de l'adorateur de la Matière et du narcissique religieux qui se renvoient l'un à l'autre cette ombre du Mal qu'ils refusent de voir en eux-mêmes. « La venue du Paraclet est une révélation, l'Avent de l'Esprit. Ce que les mystiques de l'Age Chrétien ont entendu par le Saint-Esprit n'est qu'une prophétie, comme celles d'Isaïe annoncent le Nouveau Testament dans la langue, la trame et les mœurs  de l'Ancien. Mais ceux-là ne sont qu'à la surface de la pensée, qui n'ont pas le pressentiment de l'objet réel que la prophétie décèle dans le brouillard même où elle s'enveloppe. Comme le sait si bien le plus vaste des voyants, Shakespeare, il est un monde entre le ciel et la terre: inconnu, il est à connaître, tout de même que l'homme est à être, car il n'est pas. Ou, du moins, pas encore: il ne tient à l'esprit, à la charité et à l'amour que par des radicelles: le grand chêne n'est pas sorti de terre, dans toute sa hauteur et toutes son étendue. »

         La prose d'André Suarès est une rafale de flèches qui, presque toutes, touchent au centre des cibles. S'il est une esthétique du style, chez Suarès, elle est de saisir l'idée au vif de l'instant, de s'emparer d'elle immédiatement. Telle idée laissée à l'abandon, lorsque nous la retrouvons, est moisie. Telle autre, laissée à d'indignes propagandistes devient adipeuse. Le Paraclet, cet « Avent de l'Esprit » choisit ses élus parmi les sveltes et les rapides. La métaphysique de Suarès gagne à son allure stendhalienne. La hâte, l'impatience loin d'être des défauts sont les conditions nécessaires à la justesse, surtout lorsqu'il est question du Paraclet. Car le Paraclet nous tarde; nous n'en pouvons plus d'en être éloigné. Le poète-métaphysicien du Paraclet est, par définition, un impatient. Il ne consent plus aux atermoiements. C'est ainsi que, pour Suarès, le Paraclet ne saurait être une nouvelle prophétie mais bien l'accomplissement présent, dans la lumière et le feu, des prophéties anciennes. Il ne s'agit point de se reporter à quelque futur hypothétique, mais de faire advenir le Paraclet, ou, plus exactement, de prendre conscience qu'il est déjà advenu. « Le Paraclet met fin à toute Eglise. Dieu n'est pas avec les Eglises; car les Eglises mettent la main sur Dieu. Toutes, leur vœu est de tenir l'Esprit en esclavage. Par elles, il tombe sous la tutelle de César, d'Assur et de la force. Le règne du Paraclet n'est rien s'il n'est celui qui met fin au règne de la force. »

         Au règne de la Théologie doit  succéder le Règne de la Théognosis, de même qu'au savoir doit succéder la connaissance et à l'obéissance l'amour. « Voilà enfin la raison qui prend conscience de la raison. » Cette raison qui s'est interrogée sur sa propre raison d'être, qui ne s'est point idolâtrée elle-même comme « déesse raison », est la fine pointe du doute et du réel qui s'offre à la prière. « La France pense toujours dans le concret métaphysique, chaque fois qu'elle s'élève à philosopher. » Cette métaphysique concrète n'est autre que le réel que nous masquent les convictions, les abstractions, les idéologies, les fanatismes de toutes sortes, dont le moindre n'est pas le fanatisme de la raison et de la Matière.

       9791096011360.jpg  Métaphysique concrète, la prière est le « faire advenir », l'acte poétique accomplissant le pressentiment prophétique. « Non plus serviteur mais ami », comme le dit l'Evangile de Jean, l'homme de prière, selon la formule de Maître Eckhart, « ne trafique point avec Notre Seigneur » ni ne renonce aux ressources de la raison. Les œuvres sont des prières destinées à sauver ceux qui ne pas savent prier et ceux-là encore qui savent prier mais n'entendent point d'échos dans les nuées amassées au-dessus de leurs têtes. Ils se courbent alors et veulent convaincre autrui à vivre, comme eux, penchés: ce qu'ils nomment leur « prosélytisme ». L'inclination est forte, chez les dévots, à vouloir faire croire d'autres qu'eux-mêmes à ce dont ils croient si peu. Le fanatisme, dont on glose beaucoup ces derniers temps, n'est pas une intensification de la croyance, mais son épuisement. Les fanatiques ne vivent que dans une seule crainte: n'être pas assez nombreux, n'être pas assez agrégés dans leurs incertitudes. D'où leur girouettisme notoire. Mais ce n'est point le souffle de l'Esprit qui les oriente mais le typhon de l'Histoire humaine « pleine de bruits et de fureurs ».  Ils veulent rassembler, marcher du même pas, chanter ou vociférer en chœur au bord des routes, ou, mieux encore, sur les écrans de télévision. Ils ignorent tout de la solitude du cœur, de l'esseulement de la pensée, de l'Un dont ils se targuent et qu'ils réduisent aux dimensions de leur Moi, voire de leurs petites affaires financières. 

         L'Un instaurateur, le Dieu transcendant exige beaucoup moins et infiniment plus, il nous dit Esto !  Ce « soit ! » à l'impératif, est le principe de la prière qui est vastitude reconquise, délivrance de la bestialité collective. L'homme qui s'offre à la prière, peu lui importe que ces mots s'accordent ou non aux convenances du temps : « Il lui faut un espace sans mesure à la prison où il est confiné. Ne sachant ni le pays ni la route, aveugle même, il vole en esprit: il bondit vers il ne sait qui d'infiniment supérieur à lui-même, et à toute la nature, d'infiniment meilleur, d'infiniment plus beau, plus vrai, plus doux et plus puissant: une réalité qui les contient et les accomplit toutes. En sorte que se connaître pleinement soi-même, c'est déjà être forcé de prier. Et ceux qui ne prient pas ou s'en moquent, si fameux philosophes qu'ils se croient, si libres ou si hardis, sont des oiseaux sans ailes: ils sont bornés à la basse-cour: ces volatiles s'élèvent jusqu'au perchoir logique, ainsi les paons, ces dindons rois de Golconde. Mais ils n'ont pas l'envergure. La prière est de l'amour qui prend son vol vers l'Esprit. »                                                           

mardi, 28 avril 2020

Société totale

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Société totale

par Eric Werner

Ex: https://ericwerner.blogspot.com

Ce qui se passe aujourd'hui est d'une bien plus grande importance que le 11 septembre, dit l'Avocate. Sauf que c'est le même paradigme. Les lois antiterroristes avaient pour but la création d'un Etat total. En grande partie, c'est maintenant chose faite. Mais les dirigeants n'entendent pas en rester là. Ils veulent aller plus loin. L'Etat total c'est bien. Mais au-delà de l'Etat total, il y a la société totale. Une définition possible de l'Etat total est de dire qu'il donne tous les pouvoirs à la police. La police fait ce que bon lui semble, elle fonctionne en roue libre. Voilà l'Etat total. La société totale, c'est autre chose encore. L'objectif, en l'espèce, est une refonte complète du mode et des habitudes de vie. L'actuelle pandémie en offre l'opportunité. On profite du choc ainsi créé pour avancer un peu plus encore dans la voie de l'Etat total, mais surtout pour jeter les bases de la société totale. Des pans entiers de l'économie sont d'ores et déjà passés à la trappe (jusqu'à 50-60 % des PME notamment). On crée ainsi les conditions de possibilité d'une nouvelle société: la société totale, justement. Ubérisation du travail, Bullshit jobs, télémédecine, "homme augmenté", traçage numérique, certificat de santé, euthanasie, confinement-déconfinement, revenu unique de base : telles en sont les caractéristiques. Avec cette pandémie, les gens se voient par ailleurs condamnés à l'isolement. On pourrait ici citer Aristote et ce qu'il dit de la tyrannie. Pour le tyran, explique-t-il, rien n'importe tant que de séparer les individus les uns des autres. Ils ne doivent pas se parler ni avoir de contacts. Grâce à la pandémie, cela cesse d'être un souci.

(1) Voir "Aller et venir", 21 mars 2020.
 

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Risque et incertitudes au temps du virus

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Risque et incertitudes au temps du virus

par François-Bernard Huyghe

Ex: http://www.huyghe.fr

Le risque naît la rencontre d'une probabilité et d’un dommage : tel événement malheureux a plus ou moins de "chances" de se produire. Avec telles ou telles pertes en perspective. Le plus improbable (ou le moins anticipé) n’est pas forcément le moins dommageable. Ni celui qui changera le moins les règles du jeu. Un aléa très peu vraisemblable ou un peu oublié (un virus déjà connu mute, comme se doit pour un virus, et son nouvel ARN le rend, sinon extrêmement létal, du moins très facilement transmissible..) peut paralyser la moitié de la planète.

Initialement le risque est l’écueil qui menace les navires, puis il prend le sens d’un malheur que ne provoque aucune intention humaine et qui relève du probable et de l’aléa. Le risque, exalté par la philosophie libérale comme rançon du succès, se manifeste souvent sous la forme de l’accident, du malheur qui survient de façon brusque, et surtout de l’accident industriel. La multiplication des machines, des vitesses, des forces en action, des contacts, des innovations…, semblent intrinsèquement porteuse de tels malheurs. Elles s’ajoutent aux aléas inhérents à la vie : maladie, chômage, vieillesse…

Mais cette possibilité peut être réduite de deux façons Soit par la prévoyance (que l’on recommande particulièrement aux classes pauvres pendant longtemps) renforcée par la prévention (perfectionnement des moyens d’agir sur les causes des risques). Soit le risque dont on sait qu’il est soumis à des règles de probabilité peut être mutualisé et assuré (que ce soit par l’individu ou par l’État Providence). Notre système de protection sociale est fondé sur la seconde solution et sur sa logique qui est celle de l'assurance : le risque statistiquement prévisible et globalement destiné à diminuer avec le progrès peut être réparti pour être supportable. Ou au moins compensé en partie.

Vers la fin du XXe siècle se propage la notion du « zéro risque » . Nos sociétés qui sont objectivement de moins en moins dangereuses souffrent pourtant d’une perception subjective ou d’une aversion au risque que ne connaissaient pas nos ancêtres qui vivaient bien moins longtemps et considéraient épidémies, guerres ou accidents comme choses presque naturelles. S’ajoute la rhétorique de la responsabilité, y compris à l’égard des générations suivantes, et l’impératif, notamment écologique, de refuser tout choix porteur d’un danger même lointain pour la vie.

Pour une part, cette évolution s’explique par des facteurs objectifs, notamment de spectaculaires catastrophes « révélatrices » de nos vulnérabilités dans les années 80/90 ; elle reflète aussi une évolution des esprits : aversion au risque, obsession de la figure de la victime, judiciarisation des rapports sociaux. Notre perception du risque et de sa réalité est largement déterminée par les médias et par l’influence de groupes d’experts ou d’autorités morales : elle constitue un enjeu politique majeur.
Cela soulève quatre paradoxes, notamment à travers les controverses qui entourent la notion de précaution:

-      Un paradoxe du temps : celui de la décision et de l’urgence s’oppose au temps long, celui de la chaîne des conséquences enchevêtrées, surtout dans le domaine écologique ou celui des effets sur la santé (cf l'amiante censée initialement sauver des vies). Notre monde de l’éphémère est aussi obsédé par la crainte du futur envisagé comme remords virtuel. L’histoire des masques l’illustre parfaitement : pourquoi garder des stocks dans un monde de flux, et ce d’autant plus que des épidémies comme H1N1 se sont révélées beaucoup moins terribles que prévu ? et pourtant...

-      Un paradoxe cognitif : notre exigence de prouver, si possible en amont, l’innocuité de toute action entreprise s’oppose à la complexité du futur, une complexité que la science augmente plus qu’elle ne la diminue. Nous pensions que nous irions vers la réduction de l'incertitude, nous découvrons - ô surprise - que la science est porteuse de risques et qu'elle n'est pas toujours en mesure de prédire les dangers qui résultent des innovation. Nous découvrons aussi qu’elle ne parle pas d’une voix unanime (cf. l’affaire de la chloroquine). L’équation pandémie (extension planétaire de la contamination), plus infodémie (prolifération parallèle d’informations fausses ou douteuses sur le sujet), plus panique (terreur soudaine, obsession d’un danger, tout aussi contagieuse) est redoutable.

Le Covid-19 nous ainsi donne l’occasion de constater a) que savants et experts divergent entre eux et que leurs avis peuvent varier dans le temps (ce qui paraît scandaleux avec l’illusion rétrospective que « l’on aurait dû savoir ») b) qu’un gouvernement qui dit n’agir que sous l’égide de la science (comités d’experts & co.) peut se contredire et les contredire (ouverture des classes p.e., ), c) que la mobilisation des expertises n’empêche pas, bien au contraire la prolifération des théories alternatives ou dites complotistes d) que décider, décider politiquement, ce n’est pas apporter la bonne solution d’une équation.

-      Un paradoxe éthique : le crainte d’être complice d’un dommage ou d’une violence, fut-ce par ignorance devient déterminante dans une société où l’ultime valeur est la prolongation de la vie humaine sans souffrances excessives. Or cet idéal du respect et de l’innocence fait regarder tout aléa comme un scandale. Mais, dans la mesure où la réponse suppose un contrôle accru, il mobilise une puissance technique qu’il dénonce par ailleurs et suppose parfois des mesures autoritaires ou de surveillance (notamment numériques) qui apparaîtraient scandaleuses en d’autres circonstances.

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Mais tout cela implique un quatrième paradoxe : l'aversion au risque, la recherche de la précaution ou de la réduction sont intrinsèquement générateurs de crises.

Plus nous abaissons le seuil de ce qui paraît inacceptable ou scandaleux, plus nous sommes déterminés à supprimer les facteurs qui peuvent le déclencher ou nous efforçons d'en atténuer les conséquences, plus nous sommes obsédés par la sécurité, plus nous multiplions les systèmes d'alerte, plus nous accroissons la probabilité des crises allant depuis la réaction d'une organisation qui se sent menacée dans son image et sa réputation jusqu'à une franche panique.

On peut se féliciter et se dire que la sensibilité croissante du système se traduit objectivement en préservation de vies humaines, en réduction du nombre de catastrophes ou en meilleur traitement de leurs conséquences..., mais il n'y a pas moyen d'échapper à cette spirale. Et par exemple d’empêcher qu’une mesure comme le confinement n’enclenche toute une spirale économique, sociale, culturelle de conséquences génératrices de nouveaux risques.

jeudi, 23 avril 2020

Günther Anders écrivait en 1956...

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Günther Anders écrivait en 1956...
 
Tout était dit !

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

41S+s7JJL5L._SX319_BO1,204,203,200_.jpgSurtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe: on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.

En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclu du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »

"L’Obsolescence de l'homme".-

jeudi, 16 avril 2020

Vivre un monde où plus rien n’est humain, où l’homme est un masque ?...

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Vivre un monde où plus rien n’est humain, où l’homme est un masque ?...

par Hervé Juvin
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la crise sanitaire et à ses responsables. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

Vivre un monde où plus rien n’est humain, où l’homme est un masque ?

La cause est entendue, contrairement à ce qu’ont asséné avec certitude les autorités sanitaires françaises en mars dernier encore, le port du masque est efficace et conseillé. Deviendra-t-il obligatoire et durable ? Porter le masque deviendra-t-il le nouvel état normal des contacts humains ? Certaines municipalités ont franchi le pas. À Nice, par exemple, plus question de sortir sans un masque. Et le déconfinement pourrait bien être subordonné au port du masque – et à leur mise à disposition…

Le masque, la nouvelle frontière

Je me souviens de ces arrivées dans les capitales de l’Asie en ébullition, où l’exotisme n’était pas dans les palmiers, les filets anti-requins ou les odeurs d’épices, mais dans les masques portés par une majorité de passants dans la rue. Et de ces deux réactions spontanées : quelle tristesse que ce monde où il faut porter un masque pour sortir dans la rue ! Et, aussitôt après, heureusement que chez nous, ça n’arrivera jamais !

Naïveté du visiteur, persuadé que chez lui… et bêtise devant la réalité criminelle de la globalisation, de la mobilité des hommes, de l’ouverture des frontières et des migrations de masse. Quand le monde se déverse dans les aéroports et le métro, le virus aussi y arrive. Et quand la frontière n’arrête plus la mobilité globale, la dernière frontière, c’est la peau.

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Nous ne pouvons plus ne pas regarder la réalité en face. Quand les Nations n’ont plus de frontières, les individus se masquent. Quand les communautés ne se séparent plus les unes des unes, ce sont les individus qui se séparent les uns des autres, et de la manière la plus radicale. Après le préservatif, la distance sociale. Après la distance sociale, le masque sur le visage. Après le masque, quoi ? Sinon l’interdiction de se serrer la main de s’embrasser, de se promener main dans la main, d’ouvrir son lit à l’inconnu(e) de rencontre… voilà le résultat du globalisme, du sans frontiérisme, de l’affirmation stupide que tous les hommes sont les mêmes, que nous ne sommes de nulle part et que la frontière est une barbarie antique.

La globalisation tue.
Les mouvements de population tuent.
L’ouverture des frontières tue.

Le Crime des Davos’guys

Le nomadisme imposé à ceux à qui le marché vole leurs terres et promet l’idéal des mobiles sans terre, tue. Ceux qui ont promu le nomadisme comme la condition humaine de la modernité savent-ils le mal qu’ils commettent ? Car le nomadisme comme adaptation forcée des modes de vie à la globalisation, fait des hommes d’une Nation, des citoyens d’une terre, d’une loi et d’une société, des hommes hors sol, des hommes de rien, ceux qui se croient plus que des hommes parce qu’ils vont d’un aéroport à un centre de congrès, et qui sont moins qu’un homme, celui qui sait qu’il doit sa terre à ceux qui l’ont conquis, défendue et travaillée pour lui, et aux enfants de ses enfants qui la défendront et la travailleront comme il l’a fait.

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Le développement, qui provoque l’explosion démographique africaine sans offrir la contrepartie en ressources, en capital et en formation, tue.

Le pouvoir sanitaire qui interdit que soient rendus les devoirs les plus universels, comme celui de l’assistance aux mourants, qui ferme les lieux de culte, les forêts et les sentiers, entérine un nouveau recul du sacré. Car le sacré commence avec l’idée qu’il y a plus que la vie, et qu’un homme commence avec ce qui justifie qu’il puisse tuer ou mourir pour autre chose que son intérêt individuel. Voilà pourquoi l’ordre nouveau des marchands et des financiers veut en finir à jamais avec la Nation, comme avec la religion, comme avec la famille et la nature ; car elles sont ce pourquoi tuer ou mourir, car elles sont tout ce qui s’oppose à la liquidation universelle de la vie pour le rendement financier.

La séparation des proches de leurs proches au moment de leur mort, la séparation des fidèles de leur lieu de culte, église, synagogue, temple ou mosquée, appellent Antigone. Mais où est-elle, celle qui se lèvera face à l’inhumanité des règles de confinement, face aux manipulations des laboratoires pharmaceutiques et des édiles de la santé publique, pour dire qu’il y a plus que la vie, et qu’autre chose compte que la loi des hommes ?

Nous ne pouvons plus voir les masques, porter les masques, faire face au masque obligé sur le visage de nos amis, de nos voisins, de nos proches, sans être certains du recul de la civilisation. Et nous ne pouvons suivre le chemin parcouru depuis le préservatif jusqu’au masque, sans constater que le rapport humain direct, amical et confiant est la victime achevée de l’individualisme radical, cette autocréation de chacun par lui-même, cette quête de l’indétermination absolue, cette négation de notre condition politique et humaine.

Il faudra que les socialistes qui ont tout sacrifié à un internationalisme forcené mesurent ce qu’ils ont fait quand ils ont abandonné l’ouvrier français pour le migrant, le combat social pour la promotion des minorités autoproclamées, et le progrès du citoyen dans sa Nation pour l’utopie de la société globale et de l’humanité unie. Quant aux écologistes qui s’accrochent encore au discours global, mesurent-ils que c’est l’urgence écologique qu’ils mettent en danger à force de la détourner pour un agenda libéral totalement et définitivement hostile à la vie — celui de la climatisation généralisée et de la vaccination universelle ?

Il faudra tôt ou tard que ceux qui ont imposé leur agenda criminel par haine de l’Europe et des Nations paient. Derrière leurs Fondations et leurs ONG qui blanchissent si bien l’argent du crime, les Davos’guys, les prêcheurs du nomadisme, les pirates de la Silicon Valley, sont coupables de crime contre la civilisation, cette civilisation qui n’existe que dans la diversité, donc la séparation, donc la discrimination.

claude-levi-strauss-250.jpgQu’en aurait dit le grand ethnologue défenseur passionné de la diversité des sociétés humaines, Claude Lévi Strauss ? Lui qui, âgé alors de plus de cent ans, confiait qu’il allait quitter sans regret un monde où plus rien ne demeurait de ce qu’il avait aimé ? Que dirait-il devant la prolifération de ces masques qui font de chacun, de chacune, un fantôme aseptisé ? Et que dirait Emmanuel Levinas, lui qui a fondé sa philosophie de l’altérité sur le contact direct avec le regard et le visage de l’autre, dans des villes où le masque cache à chacun le visage de l’autre ?

Le port du masque instaure cette Grande Séparation qui s’annonçait, voici bientôt dix ans (1). Nous vivons l’effet monstrueux de la négation de la distance, de la séparation, de l’éloignement. S’il faut porter un masque dans la rue, s’il faut se cacher derrière un masque pour sortir, rencontrer, côtoyer, la question se posera à beaucoup ; est-ce vraiment là le monde dans lequel nous avons envie de vivre ? Et la réponse s’imposera ; que paient ceux qui ont fait de lui ce qu’il est devenu ! Le prix ne sera jamais trop élevé.

Hervé Juvin

Note :

1) pour une fois, je ne peux que rappeler mon livre, « La Grande Séparation », Gallimard, « Le Débat », 2014.

mardi, 14 avril 2020

La conception de la nation de Fichte

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La conception de la nation de Fichte

Le philosophe Johann Gottlieb Fichte, né à Rammenau, près de Dresde, en 1762, et décédé à Berlin, en 1814, est une des grandes figures de l’Idéalisme allemand, aux côtés d’Emmanuel Kant (1724-1804), de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) et de Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (1775-1854).

Parmi les productions littéraires les plus connues de Fichte figurent les Discours à la nation allemande, tenus durant l’hiver 1807-1808, alors que les armées de Napoléon occupent la Prusse, à Berlin et publiés en 1808 dans cette ville. Ils visent à réveiller le sentiment national allemand et à la réalisation d’un État regroupant les Allemands.

Au sein de l’introduction de la tr411000640.jpgaduction française parue en 1992 à l’Imprimerie Nationale à Paris(1) et réalisée par le philosophe français, né en 1948, Alain Renaut, ce dernier se pose la question de la conception de la nation mise en avant par Fichte : celle née de la Révolution française, qui considère que le Tiers état la constitue, ou celle du romantisme allemand, « dont on a parfois soutenu qu’elle avait émergé avec la notion herderienne(2) de Volksgeist »,(3) qui veut que seuls les descendants de membres de la nation appartiennent à cette dernière ?

La nation révolutionnaire

« Plutôt qu’un corps auquel on appartient, la nation révolutionnaire est un édifice que l’on bâtit à partir d’un lien contractuel, qu’il faut donc penser en termes de volonté. La nation désigne ici l’ensemble des sujets contractants et décidant de remettre le pouvoir à la volonté générale. Ainsi Robespierre, en mai 1790, s’appuie-t-il sur une telle idée pour récuser que le roi soit un ‘’représentant de la nation‘’ : il en est, dit-il, le ‘’commis et le délégué‘’, détenteur de ‘’la charge suprême d’exécuter la volonté générale‘’. Politiquement, l’horizon de l’idée de nation, entendue sur ce mode, est donc la communauté démocratique, définie par l’adhésion volontaire à des principes publiquement programmés, tels que ceux de la Déclaration des droits de l’homme. Et il faut préciser que, dans cette logique, il n’y a par le monde plusieurs nations que parce qu’il y a plusieurs régimes politiques, dont les principes ne sont pas tous ceux de la démocratie et de l’État de droit : la différence entre nations est politique, donc de fait, et non pas naturelle, donc de droit, je veux dire : infrangible. »(4)

En conséquence, la frontière marque la limite de l’application du contrat social et n’est pas une limite territoriale ou ethnique. L’appartenance nationale n’est pas une détermination naturelle, mais « un acte d’adhésion volontaire à la communauté démocratique ou au contrat social. »

« La nationalité se résorbe ainsi dans la citoyenneté et elle se définit moins comme un lien affectif que comme une adhésion rationnelle à des principes ; la patrie, au sens révolutionnaire du terme, c’est la communauté démocratique en tant que patrie des droits de l’homme, et si les citoyens sont des ‘’enfants de la patrie‘’, c’est avant tout en tant qu’ils constituent les héritiers de la Révolution – l’héritage se définissant précisément comme celui des droits de l’homme. »(5)

fichte.jpg« Si la nationalité procède d’un acte d’adhésion volontaire, l’accès à cette nationalité relève d’un libre choix : dans la logique révolutionnaire, il suffit de déclarer son adhésion aux droits de l’homme et, à partir de 1791, à la Constitution, pour devenir français.(6)

Une demande d’adhésion peut dans cette optique être imposée, mais ne conduit pas à un refus. Le citoyen peut aussi, toujours selon cette vision, perdre la nationalité à partir du moment où il décide de ne plus adhérer à ces valeurs.

Jusqu’en 1799, Fichte se dit français, « sans d’ailleurs, à son vif désespoir, rencontrer quelque écho du côté de l’administration républicaine. »(7)

La nation issue de la Révolution française est donc amenée à englober l’ensemble des individus de la planète, lorsque ceux-ci auront adhéré à ses valeurs.

La nation romantique

La nation selon les romantiques se situe aux antipodes du concept de celle-ci développé lors de la Révolution française. Elle est fondée sur l’idée qu’il existe des différences naturelles entre les hommes et que la nationalité est liée à la naissance, la « naturalisation » n’étant qu’un pis-aller. La nationalité peut être refusée, notamment à ceux qui disposent d’une connaissance trop faible de la langue nationale. La nationalité ne se perd pas, même si l’individu vit dans un autre endroit du monde.

Le tournant

La question qui se pose est de savoir quand l’idée de nation est passée, au sein de l’espace germanophone, du concept des Lumières à celui du romantisme.

Alain Renaut rejette l’idée que Herder est à l’origine de ce tournant et met en avant le fait que ce dernier n’a jamais expressément utilisé la notion de Volksgeist et que Isaiah Berlin (1907-1999) a montré que Herder reste universaliste : « C’est en premier lieu le romantisme allemand, à partir des Schlegel notamment, qui, à travers sa critique bien connue de toute forme d’humanisme abstrait, en viendra ainsi à l’affirmation corrélative d’une hétérogénéité absolue des cultures nationales. »

Il précise que si la vision de la nation née en France est passée en Allemagne, celle née dans les territoires germanophones a aussi pénétré la France.

Johann_G._Fichte_Karikatur.jpgL’idée fichtéenne de nation

L’idée de nation chez Johann Gottlieb Fichte relève-t-elle des Lumières ou du romantisme se demande Alain Renaut. Il met en avant le fait que la conception de la nation évolue chez Fichte : ses textes les plus anciens attribuent au terme de nation un sens proche de celui des Lumières, alors que dans les Discours à la nation allemande, ce concept glisse vers celui du romantisme.

Au sein de la vision fichtéenne, de l’époque des Discours à la nation allemande, de la nation figurent des éléments qui renvoient à la conception romantique de cette dernière : la langue, la valorisation du Moyen Âge et la mise en relation de la défaite de la Prusse et de « la destruction par le rationalisme de l’important facteur de cohésion nationale qu’avait été la religion ».(8)

Cependant, des éléments de critique du romantisme sont également contenus au sein des Discours à la nation allemande. En effet, le renvoi au Moyen Âge de Fichte est dirigé vers les villes libres et pas vers les princes et la noblesse, donc pas vers les « ordres ». Fichte ne se rallie donc pas à un modèle antithétique à la démocratie émergeant des Lumières. Alors que les romantiques exaltent le catholicisme, Fichte prend position en faveur de la Réforme. Bien que Fichte enracine l’idée de nation dans la langue, il écrit, au sein d’une lettre datant de 1795 : « Quiconque croit à la spiritualité et à la liberté de cette spiritualité, et veut poursuivre par la liberté le développement éternel de cette spiritualité, celui-là, où qu’il soit né et quelle que soit sa langue, est de notre espèce, il nous appartient et fera cause commune avec nous. Quiconque croit à l’immobilité, à la régression et à l’éternel retour, ou installe une nature sans vie à la direction du gouvernement du monde, celui-là, où qu’il soit né et quelle que soit sa langue, n’est pas allemand et est un étranger pour nous, et il faut souhaiter qu’au plus tôt il se sépare de nous totalement. »(9)

Il considère donc que tous ont la possibilité de devenir allemands à partir du moment où ils adhèrent « aux valeurs universelles de l’esprit et de la liberté. »(10)

« Un tel patriotisme et le cosmopolitisme, Fichte le suggérait en 1806 dans ses Dialogues patriotiques,(11) ne s’excluraient nullement : on ne naît pas Allemand, on le devient et on le mérite. »(12)

D’autre part, si les Discours à la nation allemande refusent le romantisme politique, ils critiquent sévèrement les Lumières, au moins sur trois points. En effet, ceux-ci accusent ces dernières d’avoir détruit le lien religieux entre les individus qui séparent désormais leurs intérêts personnels de la destinée commune. De plus, la conception de l’éducation des Lumières, qui vise à réaliser le bonheur de l’individu et évacue tout idéal moral, renonce à former l’homme, « à aller contre la nature pour faire surgir la liberté, elle vise seulement à ‘’former quelque chose en l’homme’’, par exemple tel ou tel talent ; on présuppose ainsi que le libre arbitre existe naturellement, qu’il n’y a pas à le former, mais seulement à lui donner tel ou tel objet. […] À l’éducation des Lumières, les Discours opposent alors une éducation qui, loin de valoriser la nature et le culte du bonheur, ne présuppose pas la liberté, mais la forme par contrainte de ce qui représente en nous la nature. »(13)

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Les Allemagnes en 1813

Et encore, l’idéal politique des Lumières consistant en « une sorte d’automate où chaque rouage serait forcé de contribuer à la marche de l’ensemble, simplement par intérêt bien compris » est voué, selon Fichte, à l’échec.

Fichte renvoie les Lumières et le romantisme dos-à-dos, leur reprochant à tous deux la primauté de la nature individuelle sur la loi. En conséquence, en 1807-1808, le concept de nation de Fichte est-il une transition entre celui des Lumières et celui du romantisme, ou une troisième idée de celui-ci fondée non pas sur une appartenance ou une adhésion à la nation, « mais pensée en termes d’éducabilité » ?

Fichte estime donc que toute personne peut adhérer à la communauté nationale, dès lors qu’elle reconnaît les valeurs de l’esprit et de la loi. Mais, « il nous lègue aussi cette considération selon laquelle la liberté, qui fonde l’adhésion, est, non une liberté métaphysique, transcendant le temps et l’histoire, mais toujours une liberté-en-situation, bref, que, pour s’exercer de façon significative, cette liberté doit s’inscrire dans une culture et une tradition pour lesquelles les valeurs de l’esprit et de la loi ont un sens. Comment toutefois penser cette inscription ? […] Fichte a conçu en fait que le signe visible de l’inscription d’une liberté au sein d’une culture et d’une tradition consiste dans la capacité d’être éduqué, dans l’éducabilité aux valeurs de cette liberté et de cette tradition. De là son insistance sur l’éducation nationale comme éducation à la nation. De là aussi […] qu’il a pu mettre en avant l’importance de la donnée linguistique, hors laquelle l’éducabilité est problématique, mais sans faire de cette donnée une condition sine qua non, comme l’eût fait une théorie de la nation fondée, non sur l’éducabilité, mais sur l’appartenance. »(14)

Ce modèle a permis à Fichte de dénoncer la conception de la nation, tant des Lumières que du romantisme, et au-delà de celle-ci de ces deux systèmes de pensées.

Notes

(1) Johann Gottlieb Fichte (présentation, traduction et notes d’Alain Renaut), Discours à la nation allemande, Imprimerie nationale, Paris, 1992.

(2) Johann Gottfried Herder est né en 1744 et mort en 1803.

(3) Esprit du peuple ou génie national.

(4) Johann Gottlieb Fichte, Discours à la nation allemande, p. 13.

(5) Ibid., p. 14.

(6) Ibid.

(7) Ibid.

(8) Ibid., p. 29.

(9) Ibid., p. 32.

(10) Ibid.

(11) (Traduction par Luc Ferry et Alain Renaut), in : Johann Gottlieb Fichte, Machiavel et autres écrits philosophiques et politiques de 1806-1807, Payot, Paris, 1981.

(12) Johann Gottlieb Fichte, Discours à la nation allemande, p. 32-33.

(13) Ibid., p. 36.

(14) Ibid., p. 42-43.

 

lundi, 13 avril 2020

Revolution in the Education of the 21st century

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Revolution in the Education of the 21st century

Ex: https://medium.com/@natella.speranskaya/

Kirill Boldyrev’s interview With Natella Speranskaya, a philosopher and founder of the Janus Academy project.

You often write about the crisis of the modern educational system, about the need to return to the roots (in particular, to revive the idea of Paideia, Socratic maieutics, and dialogue). In other words, Your criticism relates to the Western model of education. What can you say about education in the East, and what, in your opinion, are the significant differences between these systems?

— I will allow myself to refer to the book “Cultural Foundations of Learning: East and West” by Jin Li, where this issue discussed. The author believes that the main difference between the Western and Eastern (we are talking mainly about the Chinese, based on Confucianism) educational systems is that the first focused on the knowledge of the external world based on reason, and the second — on man’s knowledge of himself based on virtue. I don’t quite agree with that.

If we turn to the origins of the Western educational system, we find that based on the principle of “know thyself” (the inscription on the pediment of the Delphic temple read: Γνῶθι Σεαυτόν). This knowledge was directly connected, on the one hand, with the Mysteries that changed the ontological status of man, and on the other — with the philosophical schools of Antiquity.

In the Middle ages, as well as in the Renaissance, education not supported on the knowledge of the external world based on reason; this principle arose in the educational paradigm of the New time (rationalism of the Descartes, the empiricism of Bacon). And became dominant in the age of Enlightenment, the main idea of which is expressed by Kant: “Have the courage to use your mind.” It is not for nothing that Jin Li cites Faust as the embodiment of an approach to learning and knowledge that was an integral part of the Western world. As for the reliance on virtue, it is difficult to deny that in the Ancient world virtue was the foundation of education and upbringing (Paideia, the idea of kalokagathos, τὸ ἀγαθόν by Plato, the “Nicomachean Ethics” by Aristotle). Is it worth Recalling the role of virtue in the Christian Middle Ages or the significance of virtu — the main defining category of the humanistic ideal of the individual in the Renaissance?

Thus, what is Jin Li said about the Western education system does not affect its origins (where it, frankly, coincides with the Eastern one), but refers exclusively to the model of education that arose during the Enlightenment. If we turn again to Antiquity, we will have to admit that the works of Ancient Greek thinkers were “spiritual exercises” (Pierre Hadot), aimed at the formation of the soul and mind, at the metamorphosis of the personality, at its transformation. And in the philosophical schools of Antiquity, there was no informing of students (which is typical of modern education), but the only formation. Moreover, I would like to make a bold conclusion: in the epochs, when a person’s worldview had a religious foundation (Antiquity — the Middle ages — the Renaissance), education always meant the formation and transformation of the individual. During the triumph of rationalism and materialism and the advent of a secular worldview, the goals of education change dramatically. It is this educational model that I criticize.

It was in the Age of Enlightenment that intellectual specialization appeared, and various disciplinary knowledge, as noted by Waqas Ahmed in the book “Polymath”, was institutionalized in the form of academic departments at universities. The unprecedented fragmentation of disciplines has led to the fact that polymaths with extensive knowledge in various fields have been pushed to the periphery of social processes, giving way to the now famous specialists of a narrow profile. The Eastern educational system has been more successful in maintaining its roots than the Western one.

One of the primary skills of the XXI century is called the Ability to Learn. Books on to “Learning How to Learn” tell you about the organization of the learning process, as well as provide effective planning methods and skills for conscious learning. One of them is written by Ulrich Boser, a scientific journalist, and researcher in the field of education. Do You attach importance to this skill, and do You focus on it in Your projects?

page_1.jpg— I’m familiar with Boser’s work. The book provides many examples of successful application of various skills of working with information, immersion in a particular problem and the development of new professional competencies. However, I did not have enough perspective in it, which includes methods of teaching polymaths, people who have the ability to create atypical combinations of skills, to combine and synthesize knowledge from different disciplines. The type of thinking and perception of such people is radically different from the thought and understanding of narrow specialists. The methods of learning that polymaths use are not even discussed in the book, but it is these individuals who can significantly enrich the understanding of the idea of “Learning How to Learn.” Although we must admit that we do not often think about how we feel, how we learn as if our mental tools are used unconsciously, automatically; Boser writes that even masters are often lost as soon as it becomes necessary to explain exactly how they acquired such a high degree of skill. In Boser’s book, I did not have enough examples of using non-traditional but efficient forms of learning. I am engaged in this topic not only as a researcher and theorist, but also as a practitioner, so I pay great attention to everything that forms the new educational landscape today.

-For example?

- Already in the Preface, Boser writes about the ineffectiveness of traditional lectures. Many people write about this, giving endless statistics. I will allow myself to dwell on this in more detail. I assure you, it is worth thinking about this not only for people who teach certain disciplines in educational institutions but also for everyone who is related to any institutions where there is at least a small hint of learning (from cultural centers with educational programs to tiny cafes where some lectures are given from time to time).

The academic format of training implies a standard mono-process when there is a lecturer who brings certain information to a passive (I emphasize) audience. It does not take into account that each listener has its type of perception, thinking, speed of information processing, it’s accumulated cultural, philosophical, historical background. And now the lecturer notes with displeasure that the audience one by one turns off their attention and transfers it to gadgets, to each other, to their internal monologue, to the view from the window, etc. And the lecturer doesn’t know how to hold their attention. There is no involvement of listeners in the overall process. They don’t feel part of it. In the “Manifesto for Liberal Education” by Eva Brann emphasizes that lectures are not an integral and mandatory part of humanitarian education (I would not limit myself to the “humanitarian” direction since this is a phenomenon that affects the educational system as a whole). Since the latter is dialogue-oriented by its nature, the student in the learning process becomes not a passive recipient of knowledge, but an active participant in the general search. Brann calls such education “dialectical education,” which should be understood in the key of the “dialectical method of Socrates.”

As someone who occasionally engages in personalized Learning, I invariably choose dialogue, not lecture. As for the broad audience, then this is not a dialogue, but a polylogue (the conversation of many participants). The method remains the same. I call it the “polylogic method.” When you break the old format and make students direct participants, you turn the learning process into a mutual exchange of knowledge, thanks to which participants learn to hear each other, express and argue their point of view, and most importantly — to focus their attention.

Moreover, this is how the intellectual and creative environment forms. Not the sum of atomic individuals who fill the audience to listen to your monologue, but individuals who have come not only to learn but also to teach, not only to take but also to give. When I conceived the JanusAcademy project and planned what courses I would teach there myself, I began to develop these courses based on the “polylogic method.”

What are non-traditional lecture formats You talking about? Which ones do You use yourself?

— First, a Lecture by two teachers. Two teachers give a lecture, interacting both with each other and with the audience — the dialogical communication between lecturers and listeners. The latter find themselves in a socially active position and are involved in a dialogue. All types of non-traditional lectures, which I will briefly describe, are aimed at immersing listeners in the process of constant “co-thinking” with the lecturer (s) and active dialogue. This increases both the level of attention and the level of motivation. A person becomes interested in learning. He is involved in the process.

Second, a Lecture with PLANNED ERRORS. This type of lecture will also be called a “provocation lecture.” Important: this lecture requires a severe level of preparation, a lot of work, the element of improvisation in it is almost excluded. It is written as a “scenario”. The lecturer announces the topic of the lecture and then warns the audience that in the process of reading it, he will make a certain number of deliberate mistakes that students must track down. Naturally, he should prepare these errors in advance and have a list before his eyes. Usually, the number of errors does not exceed ten. At the end of the lecture, students need to name the errors found. Then they reflect on them with the lecturer and give the correct answers.

Third, Lecture-Discussion. I don’t think this type needs any comments. This is a discussion between specialists (which makes it possible to assemble a real interdisciplinary team), with whom the audience actively interacts.

Fourth, a Problematic Lecture. The lecturer does not just give a lecture but creates a problem situation in which the entire audience is involved. Again, it’s a Dialogic form of interaction.

Fifth, the Lecture-Performance. The learning process becomes an artistic act. This type of lecture requires a lot of preparation (including rehearsals). It is the creation of an interdisciplinary field where the union of science and art, music, and mathematics can be realized. There can be a great variety of forms of performative lectures, and it all depends on the imagination of their creators.

Sixth, the lecture-dialogue, which I have already described.

There are other formats, but I have mentioned only the most well-known ones.

How did You come up with the idea to create Your educational project? What task do You set for Janus Academy?

— Revolutionary task. Israeli historian Yuval Harari calls our time the Era of Algorithms, of Big Data. But we must understand that Big Data is not a substitute for Big Ideas. It is the absence of Big Ideas that is the main characteristic of the modern era. Big Ideas always carry transformational potential, imply radical transformations, changes, and those who dare to express them, as a rule, are tested by distrust, skepticism, and accusations of unrealistic fantasies — from a society that is not ready for change. But only these people have had and will have an impact on the course of human history.

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Thaddeus Zelinsky

In the Silver age, there was a Big Idea that went down in history as the “Third Renaissance.” For the first time, the famous classical philologist Thaddeus Zelinsky, a Russian by language and birth, a Pole by blood and a Hellenic by spirit, spoke about it. The essence of this idea was that the European world experienced two great Renaissance of Antiquity — the Romanesque Renaissance; this is the XIV-XVI centuries. And the German Renaissance, which occurred in the XVIII-XIX centuries. Zelinsky founded the Union of the Third Renaissance, which included such people as I. Annensky, the Bakhtin brothers, Gustav Shpet, and others. The Third Renaissance was a grandiose project of the Silver age of Russian culture. And I, as a person whose intellectual activity connected with Classical Reception Studies, immediately “inherited” the idea of the Third Renaissance and made it сentral both in my educational mission and the Janus Academy project.

Hence, it became necessary to transform the educational system since it is absurd to talk about a Renaissance in the current circumstances. Observing what is happening in the educational environment in the West, I saw that all the trends that I initially put in the Janus Academy project are now gaining significant influence. A new type of intellectual, which embodies the idea of homo universalis, today openly advocates a polymathic approach to learning, insists on interdisciplinarity, and advocates the revival of the Humanities.

I am one of those who are worried about everything that happens in the educational and cultural spheres. Many years of thinking about the current situation in the field of education, the cultural crisis, the intellectual desert, led me to the idea of creating a new Academy. Of course, I had specific intellectual reference points: the Mouseion at Alexandria, the Platonic Academy, the Platonic Academy of Florence. This idea matured gradually. When I was searching for teachers for Janus Academy, I had to read books by modern researchers continually, scientists, philosophers, specialists in various fields, listen to lectures, watch videos, find interviews, and pass through a massive amount of analyzing information. I was searching for new names to introduce them to the Russian-speaking intellectual space gradually, I followed the processes taking place in different communities of the Western world (philosophical, scientific, artistic, etc.); I compared their experience with the experience of the predecessors, I identified archetypal models based on the paradigm that were created educational institutions, and educational projects are built.

Even at the initial stage of creating the project, I set a goal — to reform the entire educational system.

Not on the scale of one educational institution, but the size of a whole country. My task was to create a kind of laboratory of elite culture. This cultural and educational center would form a new cultural and philosophical paradigm, influence the educational system, discover new names, identified new intellectual and artistic trends of the era, and conduct a constant “dialogue of cultures” (“dialogue of minds”!) with the West and the East.

This project is large-scale, but this does not make it unrealizable. Today, in the face of a terrifying intellectual crisis, the only thing we can and should do is thinking large-scale. Unfortunately, we have begun to forget that education has always been a way of inheriting culture. Changing the educational model, making specific educational trends dominant, we inevitably change the culture.

Your Academy is already being compared to the Eranos Society. Do I understand correctly that You do not want to create a universal online educational platform and are more focused on live learning? You have planned both lecture tours and the formation of communities of polymaths around the project.

— I chose the best of the best for the Academy as Lorenzo de’ Medici had done. Only the most outstanding philosophers, scientists, researchers, cultural, and artistic figures can change the prevailing paradigm and, accordingly, lead to its change. From the very beginning, I decided that learning at the Academy will be Blended, but the emphasis will undoubtedly be on active learning. You are right, the project includes both lecture tours and communities of polymaths. First, it is a community of polymaths-students engaged in project work, interdisciplinary research, the creation of intellectual clubs, creative laboratories, etc. Secondly, the community of polymaths-teachers. For them, the Academy will become a multidisciplinary platform for the exchange of knowledge and experience, a territory for the development of international cooperation. The Academy can itself initiate the creation of temporary communities of interdisciplinary scientists and researchers to solve global problems (environmental problems, demographic crisis, possible AI threats, space exploration, terrorism, social inequality, atmospheric pollution, etc.). Today, in the face of a pandemic, this becomes even more relevant.

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Lorenzo de Medici

Janus Academy is

1. Formation of a fundamentally new educational paradigm based on the “union of music and mathematics”, science and art:

- a complex of Humanities disciplines which provide students with fundamental knowledge,

- a STEM complex (Science, Technology, Engineering, Mathematics), developing innovative thinking and an ability to collect, analyze, organize, and critically evaluate information.

2. 32 directions.

3. More than 150 author courses forming a unique educational complex that you will not meet in any of the educational institutions. Each teacher receives an individual order to create a course of lectures, which is then taught at the Academy.

4. Outstanding teaching staff (about 200 leading Russian and Western scientists and specialists, researchers, philosophers, artists).

5. Polymathic approach to learning. The formation of a polymath, homo universalis, Renaissance man, generalist.

I understand that when dealing with such a large-scale project, I will have to be patient and decide on a gradual implementation of the idea.

In the educational sphere, I am creating a niche that does not yet exist.

It is an expensive project, and I realize that I need an ambitious patron who is dissatisfied with the modern educational system.

As far as I know, Your Academy is planning rather rare courses? Tell me about it.

— I can only open a few cards. For example, Janus Academy will develop an entire field — Imagination Studies-which will combine several courses at once. This field includes the sociology of the imagination by Gilbert Durand, the research of the imagination of Henry Corbin, the iconological method by Aby Warburg (and his mysterious the Mnemosyne Atlas will be studied in a comprehensive, interdisciplinary way, involving both acting methodology and ancient mnemonic techniques), and the legacy of some members of the legendary community “ERANOS.” In this direction, I am currently developing a powerful program that is not similar to any of the existing in the educational institutions and research centers.

The modern science of imagination appeared in the middle of the 20th century thanks to the efforts of philosophers, theorists, and historians of religion: Gaston Bachelard, Henry Corbin, Mircea Eliade, Charles Baudouin, Charles Moron, Gilbert Durand, etc. Currently, there are more than 40 research laboratories and institutes of imagination in the world, United in a single network (CRI — centers de Recherches sur l’imaginaire), with centers in France, Belgium, Brazil, Israel, Portugal, Spain, Korea, Poland, the Czech Republic, and Romania.

Also, I plan to launch the course “ARS MEMORIA. Ancient and modern mnemonic techniques”, and has already found three teachers who will not just provide some information (which you can find in The Art of Memory by Frances A. Yates), but will provide you with useful tools and pass on new methodologies based on ancient techniques Dating back to Antiquity. I even found a polyglot who created a method of learning languages based on the medieval Ars Memoria and now consults for diplomats.

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Of course, I will do my best to promote the Mnemosyne Atlas by Aby Warburg and look for an opportunity to give impetus to Warburgian Studies in Russia. In particular, I plan to find a basis for an interdisciplinary dialogue: iconology of Warburg — acting methodology (Dr. Mischa Twitchin is already developing this direction) — the legacy of Henry Corbin — The Anthropological Structures of the Imaginary by Gilbert Durand. You feel that this is the creation of a new “Eranos,” so the comparison was not accidental?

I was able to find a follower of Joseph Campbell (I’m sure all of you have read or at least heard of his book “The Hero with a Thousand Faces”), who traveled with him in the late 70s, and then began teaching (including at the C. G. Jung Institute Zürich, Küsnacht), and now developing new approaches to mythological studies. He continues on the path of Campbell. Of course, I want him to teach at the Academy.

An essential place in the program occupied by courses related to new technologies, but this is a separate conversation, and I am not ready for it yet. I opened four cards out of 150, which is not bad.

If You allow me, I will still ask a question about new technologies. It does not directly concern Your project. You translated Tobias Rees’s article, “Why tech companies need philosophers — and how I convinced Google to hire them.” On Syg.ma it has received a large number of views. The modern Western tendency to introduce humanitarians into large business corporations for Russia is somewhat surprising. Do You think that this trend is likely to appear in our country shortly?

Let’s start with the main thing. What does Tobias Rees do? In this article, Tobias Rees demonstrates a revolutionary approach to areas such as Artificial Intelligence and synthetic biology and proposes that they are perceived as philosophical and artistic “laboratories” where new concepts of human, politics, understanding of nature and technology are formed. What was traditionally associated with the main tasks of the Humanities, which were centered on humans, has now moved to the fields of natural and technical sciences. The Humanities no longer answer the question: “What is a human?» More precisely, they stopped answering the question: “What is human in the current world, what is his relationship with nature, with technology?» But it is the question of what it means to be a human being that is fundamental and key today.

Tobias Rees embeds philosophers and artists to the world’s largest corporations, so that they, along with engineers and technologists, form a new idea of the human. It is a method that, in my opinion, can completely transform not only the business sphere but also the educational paradigm. Unfortunately, nothing like this is happening in Russia yet. But I dare hope it is only a matter of time.

https _specials-images.forbesimg.com_imageserve_57e344d04bbe6f24d1f87b3a_0x0.jpg background=000000&cropX1=2&cropX2=720&cropY1=177&cropY2=896.jpgIt is important to note that the studies of Tobias Rees (Transformations of the Human Program) conducte at the Berggruen Institute, which is one of the key think tanks today. I am deeply convinced of this.

Nicholas Berggruen, in my opinion, is the new Lorenzo de’ Medici, who decided to unite all the most outstanding minds of our century. And in this, our goals are similar.

Berggruen attaches great importance to ideas, seeks to bring philosophy back to the center of life, and in fact, creates a Mecca for scientists, one of whom is undoubtedly Tobias Rees. These people are shaping the future. As for Russia, much will depend on whether we will have our own Medici.

Friedrich Nietzsche: das Leben bejahen mit Volker Gerhardt

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Friedrich Nietzsche: das Leben bejahen mit Volker Gerhardt

Sternstunde Philosophie | SRF Kultur

 
Barbara Bleisch diskutiert in der SRF Sternstunde Philosophie mit Nietzsche-Experte Volker Gerhardt. Die Beziehung Nietzsche-Wagner begann als Freundschaft: Beide verehrten Schopenhauer und liebten die Musik. Doch während Wagner die jenseitige Erlösung pries, feierte Nietzsche die diesseitige Bejahung des Lebens. Ein Gespräch über Lebensfreude, über den Tod Gottes und den Triumph der Kunst.
 
Sternstunde Philosophie vom 12.05.2013
 
 
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dimanche, 12 avril 2020

Günter Figal: Nietzsche und Heidegger über die Kunst der Moderne

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Günter Figal: Nietzsche und Heidegger über die Kunst der Moderne (21.01.2010)

 
 
Ringvorlesung der Nietzsche-Forschungsstelle der Heidelberger Akademie der Wissenschaften am Deutschen Seminar der Universität Freiburg in Zusammenarbeit mit dem Studium generale. Gottfried Benn nannte Nietzsche das "größte Ausstrahlungsphänomen der Geistesgeschichte". Entscheidend wirkte er auf Thomas Mann, Hofmannsthal, Musil, Benn, Freud und Heidegger. Zahlreiche Autoren weltweit stehen bis heute im Bann seines revolutionär modernen Denkens. Ausgehend von Erfahrungen des 19. Jahrhunderts, entwickelte Nietzsche eine intellektuelle Sprengkraft, die bestehende Wertvorstellungen, gewohnte Formen des Philosophierens und auch die Konventionen der Wissenschaft erschütterte. An der Schwelle zum 20. Jahrhundert wurde er eine Leitfigur moderner Lebensphilosophie, Kulturkritik und Anthropologie. Die Vorlesungsreihe, bei der führende Nietzsche-Spezialisten zu Wort kommen, will alle diese Aspekte umfassend beleuchten.
 

mercredi, 08 avril 2020

COVID-19 : Les chaines brisées de la transmission

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COVID-19 : Les chaines brisées de la transmission

Par Marc CHEVRIER

Ex: https://metainfos.fr

 Parmi les nombreuses manchettes affolées que la pandémie du covid19 a suscitées dans les médias, il en est une qui a capté à sa façon, par sa double signification, l’esprit particulier de notre époque. Elle coiffait un texte paru dans le New York Times qui appelait la jeunesse américaine à arrêter la chaîne de transmission. « You can help break the chain of transmission[1] ». Dans son sens premier, cette phrase exhorte la jeunesse à prendre conscience de ses responsabilités face à l’épidémie, elle lui parle dans un langage qu’elle peut comprendre et qui la flatte : vous avez ce pouvoir entre vos mains. Mais si on l’interprète plus largement, on y reconnaît aussi l’une des grandes passions de notre époque : vouloir à tout prix, pour flatter la présomption, l’outrecuidance, l’égoïsme, la vanité ou le mal-être des vivants, empêcher que leur existence accomplisse la transmission d’un héritage, d’une culture, d’une civilisation et même qu’elle cesse de transmettre la vie. Il s’agit alors de casser les chaînes de la transmission, ces chaînes devenues trop lourdes pour les vivants aux frêles épaules.

Par l’idée de transmission, nous exprimons des réalités de différents niveaux. La transmission vaut pour les virus et les infections de toutes sortes, dont on craint la propagation rapide dans les rapports humains et dont les épidémiologistes cartographient la chaîne. La transmission des données les plus rapides et les plus fiables nourrit l’une des obsessions de l’économie mondialisée. Les jeunes prenant le relais des plus vieux, la vie roule grâce à la transmission de patrimoines entre les générations. Depuis des temps immémoriaux, l’humanité est absorbée dans la naissance et l’éducation des enfants et tâche, depuis qu’elle a des écoles, de leur transmettre un bagage de connaissances adéquat et ce qui forme le socle commun d’une culture dans une société. Mais transmettre ne semble plus aller de soi aujourd’hui, notamment en raison de l’éloignement constaté entre les générations, qui évoluent maintenant dans leurs espaces parallèles et se tancent avec suspicion. Et comme l’a souligné le philosophe Pascal Bruckner au sujet du « jeunisme » dont se drape aujourd’hui la maturité : « Jadis, les gens vivaient la vie de leurs ancêtres, de génération en génération, désormais les ancêtres veulent vivre la vie de leurs descendants[2]. »

La transmission au temps des orgies flottantes

Une image qui restera longtemps attachée au souvenir de cette pandémie : tous ces navires de croisière amarrés de force et remplis de vacanciers mis en quarantaine dans leur cabine, souvent sans fenêtre, qui voient leurs vacances de rêve virer en cauchemars. La belle insouciance promise à bord, où la dolce vita berce les retraités pour tuer l’ennui ou pour cueillir les récompenses méritées d’une longue carrière travailleuse, avait, jusqu’à ces arraisonnements catastrophiques, fait prospérer une industrie qui ne craignait pas de mettre à flot des bateaux gigantesques comme des villes flottantes vouées au divertissement effréné et au remplissage des estomacs. Emblématique de l’économie mondialisée, l’industrie de la croisière de luxe révèle aussi le rapport nouveau à la transmission qui apparaît même chez les plus âgés. Aux anciennes générations qui voyaient dans le travail la valeur première et qui léguaient à leurs enfants un patrimoine après de grands sacrifices, ont succédé des « aînés » avides de profiter à plein de l’été indien de la vie — expression de Bruckner —, c’est-à-dire de ces années de loisir et de vitalité prolongée qui offrent désormais au « troisième âge » l’occasion de coûteuses récréations. Travailler consiste alors à différer une vive jouissance, celle qu’octroiera la retraite et qui, le temps de quelques jours ou quelques semaines, vous transporte dans la vie de grands seigneurs à bord d’un palace qui accoste aux rivages les plus enchanteurs.

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Représentation du navire de Caligula, qui y organisait des orgies

Les aristocrates anglais, semble-t-il, se seraient les premiers adonnés aux croisières, qui devinrent une activité de tourisme à la faveur du voyagiste Thomas Cook, lequel organisa des croisières sur le Nil après l’ouverture du canal de Suez en 1869. On observe que « [l]a liste des passagers est ouverte aux classes bourgeoises, aux employés de banque, aux commerçants ou à la profession libérale et [que] le décalage des standings nourrit les sarcasmes de la presse britannique, dont les caricatures ridiculisent les Cooks et Cookesses à la recherche éperdue des divas de l’aristocratie cosmopolite[3]. » On doit cependant remonter par-delà le Nil pour saisir l’esprit de la croisière. Dans ses Vies des douze Césars, l’historien romain Suétone rapporte que l’empereur Caligula fit construire de somptueuses galères qui longeaient les côtes de la Campanie et où l’on répandait les soins et les plaisirs les plus raffinés. Suétone écrit en effet : « il fit construire des galères liburniennes à dix rangs de rames, aux poupes ornées de pierres précieuses, aux voiles aux couleurs changeantes, où l’on trouvait des thermes, des portiques, des salles à manger d’une grande étendue, voire même diverses sortes de vignes et d’arbres fruitiers ; c’était pour y donner des festins, en plein jour, au milieu des danses et des concerts, en longeant les rivages de la Campanie[4]. »  Des fouilles archéologiques ont aussi découvert au fond d’un petit lac au pied des monts Albains, à trente kilomètres au sud-est de Rome, de grandes épaves ornées à leur poupe de tête, de lion et de léopard et qui devaient vraisemblablement être le théâtre, sous de riants décors, d’une « débauche de richesse, fêtes et orgies[5]. » 

navireorgierome.jpgLes analogies sont nombreuses entre les galères orgiaques de Caligula et les paquebots de croisière que rien n’arrête dans leurs circumnavigations, excepté un coronavirus. Ces galères et ces paquebots érigent aux excès du désir humain des temples flottants, coupés du monde, où une armée de serviteurs se dévoue aux lubies de passagers à peine remis de leur décalage horaire. Mais le paquebot qui mouille près des fjords de l’Alaska ou de Norvège ou qui fait escale à une île des Tropiques dépasse en dépense ce qu’aucune des débauches de Caligula n’eût jamais atteint. La barque joyeuse du lac Nemi paraît bien inoffensive aux côtés d’un paquebot-cité conçu pour divertir des milliers de personnes ; cet ogre énergétique vogue sur mer grâce à la consommation d’un fioul lourd à haute teneur en soufre, beaucoup plus polluant que le diesel utilisé par d’autres navires plus petits[6]. Chaque jour, chacun de ces navires produit une quantité énorme d’eaux usées et de rejets toxiques. De plus, si l’on compte tous les trajets aéroportés et autres déplacements faits par chacun des passagers pour monter à bord puis revenir dans son patelin, chaque croisière qui s’amuse déclenche une explosion orgiaque de dépense énergétique, dispersée à tout vent sur la crête des flots.

Dans l’histoire de l’humanité, aucune civilisation n’a réussi à pousser aussi loin la dissipation énergétique. Ces réserves ensommeillées d’énergie, enfouies dans les entrailles de la Terre, par compaction de la biomasse déposée aux fonds des océans et des deltas il y a de 20 à 350 millions d’années, remontent ainsi violemment à la surface et se consument dans un épisode aussi court qu’une pirouette de tango ou de salsa, exécutée sur une piste où des retraités repus croient renouer avec leurs élans de jeunesse. Cependant, le paquebot révèle l’aspect profondément aristocratique de la civilisation occidentale pétrolière. C’est Nietzsche lui-même qui voyait dans le gaspillage ostentatoire la marque de l’aristocratie : « L’expérience de l’histoire montre que les races fortes se déciment réciproquement : par les guerres, les désirs de puissance, les aventures, les fortes passions, le gaspillage — (on ne capitalise plus de forces et il se forme des troubles intellectuels par une tension exagérée). Leur existence est coûteuse, bref — elles s’usent les unes les autres[7]. » Il ajoute : « Les races fortes sont des races prodigues. » En somme, l’idéal aristocratique boit aux fontaines de l’abondance gaspilleuse et tapageuse.

Le monde capitaliste fonde ses hiérarchies sur un ordre énergétique. Aux richissimes l’accès à la grande consommation par le moyen des avions et des yachts privés, qui occupent le sommet de la dépense énergétique ; viennent ensuite les classes aisées supérieures qui les imitent en s’offrant la première classe dans les voyages aéroportés et nautiques ; puis les classes moyennes, qui essaient de faire de même, mais se contentent de la classe économique ou des cabines des ponts inférieurs ou sans hublots. Chaque paquebot recrée en son sein un microcosme stratifié entre diverses catégories de serviteurs de toutes nationalités, aux conditions de travail souvent précaires et médiocres. Le « tout-inclus » des vacanciers en croisière inclut d’être traités illusoirement en seigneurs par une domesticité besogneuse de majordomes, maîtres d’hôtel, agents de bord, préposés à l’entretien, maîtres queux et sauciers, masseurs, acuponcteurs, coiffeurs, manucures et pédicures, etc., recrutés sous le régime d’un droit du travail allégé, grâce à l’immatriculation de ces châteaux flottants dans des pays connus pour être des paradis fiscaux et légaux comme les Bermudes, le Panama et le Libéria. Ainsi, par la croisière de masse, l’opulence aristocratique se démocratise, sans remettre en cause les hiérarchies dans la consommation énergétique, l’ordre social et la division du travail entre les nations. 

Les interruptions dans la transmission des patrimoines

Beaucoup de vacanciers croisiéristes se sont posé cette question : « Au soir de ma vie, suis-je en droit de me payer de folles escapades au bout du monde ou devrais-je en laisser un peu plus à mes enfants et petits-enfants ? » Ce genre de dilemme est devenu assez commun à l’ère du tourisme de masse, encore qu’il ne soit pas prouvé que beaucoup de retraités, par excès de tels scrupules, ont renoncé à leur croisière annuelle. Selon plusieurs experts en finances, nous assistons depuis plusieurs années à des transferts massifs de patrimoine ; les générations actuelles meurent plus riches que les précédentes, laissant des héritages sources de convoitises au sein des familles et dont certains défunts ont disposé avec une liberté parfois déconcertante. Chez nombre de baby-boomers s’est même développée l’idée que vivre en vue de laisser un héritage appartient à une autre époque et qu’il vaut mieux tout dépenser de son vivant, pour jouir au maximum de sa richesse accumulée. Un livre paru aux États-Unis en 1997, sous le titre Die Broke[8] (Mourir sans un rond), a popularisé l’idée que le meilleur plan de retraite consiste à quitter la scène sans même laisser assez d’argent au croquemort. Un autre livre, paru au Québec, entonne un refrain hédoniste clair : Arrêtez de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir[9]. Un notaire de Québec a bien résumé dans une entrevue le nouvel esprit de transmission habitant cette génération : « Il y a 20 ans, les gens tenaient à pouvoir léguer un héritage, même modeste, après leur décès. Il y avait une sorte de fierté à pouvoir laisser quelque chose. Aujourd’hui, les gens accordent moins d’importance au fait de laisser un héritage. Ils veulent profiter de la vie. Et ils cherchent plus à analyser la situation dans son ensemble et visent une démarche qui commencerait avant leur décès et qui pourrait se poursuivre après[10]. » Bref, la transmission d’un héritage aux enfants a cessé d’être un automatisme social.

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Dans les sociétés européennes, les législateurs n’ont guère abandonné la transmission des patrimoines aux caprices des défunts ; ils ont imposé des règles, comme la réserve héréditaire, qui prévoit qu’une portion de l’héritage doit obligatoirement revenir aux membres de la famille immédiate du défunt. C’est le régime que suivent encore plusieurs pays comme la France, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, mais aussi l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède. Dans les pays anglo-saxons de common law, le droit successoral consacre en général la liberté de tester du défunt et n’impose pas de répartition obligatoire. Il n’empêche que le droit européen a contribué à affaiblir le système des réserves héréditaires usité dans les pays au droit de tradition romane, tant et si bien que depuis un règlement européen adopté en 2015, le citoyen d’un pays connaissant la réserve héréditaire peut néanmoins déshériter un des enfants en s’établissant dans un pays où une telle réserve n’existe pas[11]. On a vu se multiplier en France des sites de gestion de patrimoine indiquant comment déshériter ses enfants ou « sauter une génération » — donner à ses petits-enfants plutôt qu’à ses enfants. En Amérique, bien que le Conquérant anglais ait rétrocédé au Québec la jouissance de son droit civil français en 1774, il l’a depuis lors assujetti au régime de la liberté de tester à l’anglo-saxonne, principe que les juristes québécois ont naguère critiqué comme une atteinte à la protection économique du défunt survivant et des enfants, mais avec lequel beaucoup se sont ensuite réconciliés, au nom d’une vision individualiste de la propriété et du droit[12]. La liberté de tester pratiquée en pays de common law n’enlève toutefois pas au législateur la capacité de prescrire une répartition obligatoire en cas de succession sans testament, ab intestat. Dans le droit anglo-saxon, les défunts riches peuvent s’acheter une forme d’immortalité par la création de trusts — fiducies — qui affectent, pour une durée illimitée, le produit de leur fortune à des fins philanthropiques ou artistiques. Le trust est aussi utilisé pour contourner la dispersion des grandes fortunes et ainsi maintenir le lien dynastique dans la famille. À l’occasion de la réforme de son code civil, le Québec a introduit le trust dans son droit sous la forme de la fiducie, régie par des règles distinctes de son équivalent anglo-saxon.

La réception de l’héritage illustre un autre volet problématique de la transmission successorale. L’héritier n’est pas tenu de conserver le bien reçu, ni toujours d’en user conformément à sa destination première. On distingue chez certains héritiers la volonté d’en finir avec le bien reçu : il y a les « mangeurs d’héritage », qui le dilapident au plus vite, et les « donneurs d’héritages », qui s’en débarrassent par des dons pour ne compter que sur leurs seules ressources personnelles[13]. À cela s’ajoute la difficulté qu’éprouvent les dirigeants d’entreprises à trouver des successeurs dans leur progéniture et qui doivent envisager de vendre leur bien à un tiers ou même de cesser leurs opérations. Certains legs deviennent même embarrassants. Pensons au scandale qui éclata en Espagne quand la presse révéla à la mi-mars 2020 que le roi du pays, Philippe VI, devrait hériter des fonds aux origines obscures administrés dans une fondation étrangère au bénéfice de son père, le roi émérite Juan Carlos. Le fils régnant a décidé de renoncer solennellement à tout héritage qui pourrait provenir de son père et de lui couper l’allocation annuelle fournie par la maison royale[14]. C’est comme si un fils reniait son père encore vivant et renonçait à hériter quoi que ce soit de lui – à part bien sûr la Couronne, que le père avait déjà transmise à son fils par abdication en 2014.

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Outre les aspects individuel et intrafamilial de la succession, celle-ci comporte une dimension collective. Il est ainsi loisible à l’État de prélever ou non sa part dans la transmission des héritages. Historiquement, les États ont prélevé des impôts sur les successions pour notamment répartir la richesse. Or, en Occident, on constate un retrait ou une diminution généralisés des droits de succession. Alors qu’au Royaume-Uni jusqu’à 18 % des recettes fiscales, et aux États-Unis, jusqu’à 10 % de ces dernières, ont pu provenir de ce type d’impôt durant la première moitié du XXe siècle, les droits de succession représentent aujourd’hui à peine un peu moins de 1 % du PIB. Beaucoup de pays ont supprimé ces droits, à commencer par le Canada dès 1972, où notamment le Québec le fit en 1985. La Belgique et la France les prélèvent encore, bien que le pourcentage de ces droits dans les recettes fiscales atteigne seulement 1,3 % en France. Or, la réglementation et la taxation de l’héritage ont longtemps été considérées comme « un instrument clef de réforme sociale », tel qu’en témoignent les réflexions d’Alexis de Tocqueville et de John Stuart Mill à ce sujet ; on constate toutefois que les sciences sociales ont cessé de s’y intéresser et que la défaveur du public pour les impôts sur les héritages est allée croissant[15]. Selon l’économiste André Masson, le déclin des droits de succession s’expliquerait par l’action efficace d’une coalition de puissants intérêts prônant des philosophies compatibles. Ainsi se sont alliés de riches néo-libéraux et les « familialistes » qui ont réussi dans nombre de pays à décrier l’impôt successoral comme une façon de pénaliser « les fruits de travail et l’accumulation du capital » et de saper « les solidarités familiales »[16]. Dans son étude publiée en 2018, Masson soutient que « seul un choc de grande ampleur[17] » pourra fragiliser cette coalition redoutable ; des arguments théoriques n’y suffiront pas. Peut-être que la pandémie du covid19 sera de nature à secouer les esprits sur cette question fondamentale.

Du refus de transmettre un héritage culturel

Outre les biens matériels, la transmission de la culture est demeurée dans l’Occident gagné par le doute sur la valeur de sa tradition et de ses réalisations une autre question épineuse. Mais doit-on envisager la transmission de la culture comme celle du patrimoine matériel ? Pour le jeune philosophe François-Xavier Bellamy, c’est une erreur de penser que le partage de la culture consiste à séparer des portions d’une entité finie, comme on découpe une tarte ou des avoirs financiers. Il déclare : « Il y a cependant une singularité de la transmission quand elle concerne la culture : elle n’est plus un jeu à somme nulle, mais une multiplication créatrice. C’est ce qui la distingue, me semble-t-il, de la transmission matérielle[18]. » Beaucoup de sociologues, après les analyses célèbres de Pierre Bourdieu sur la transmission et la reproduction culturelles, ont popularisé l’idée que la culture, à l’instar des biens matériels, constitue un capital. Or, selon Bellamy, la culture, contrairement au capital économique, « s’accroît à mesure qu’elle est transmise. Lorsqu’un enseignant, par exemple, transmet un savoir, chacun des élèves peut le recevoir tout entier — et l’enseignant lui-même ne le perd pas ; au contraire, d’ailleurs : j’ai pu vérifier empiriquement moi-même que, comme le veut l’adage, on découvre mieux encore un sujet quand on est conduit à l’enseigner[19]. »

41sZH9U5CzL._SX296_BO1,204,203,200_.jpgLe philosophe croit que Descartes, Rousseau et Bourdieu ont par leurs écrits conforté le refus de transmettre un héritage, notamment dans les institutions éducatives rongées par toutes sortes de scrupules. Avec Descartes, le doute méthodique a délogé l’autorité du maître ou de la tradition. La philosophie éducative exprimée dans l’Émile de Rousseau dépeint la culture transmise par la société comme un étouffoir de la nature et de la spontanéité primordiales de l’individu ; enfin, avec Bourdieu, la culture, suspectée de servir des intérêts, établit des marques de distinction sociale qui profitent aux classes privilégiées et confortent leur domination. C’est d’ailleurs en se fondant sur les travaux de Bourdieu que l’écrivain équatorien Mario Campaña a soutenu dans un essai publié en 2017 que l’humanisme classique né de la culture gréco-romaine et que l’Europe, puis les Amériques ont longtemps enseigné dans leurs meilleures écoles, a promu une vision essentiellement aristocratique de l’homme, contraire aux idéaux démocratiques et qui suppose divers degrés d’humanité plus ou moins achevés[20]. Grâce aux grands idéaux classiques comme le mérite, l’excellence, le culte de la personnalité, la gloire, le culte du grand homme et de l’individualité, les familles patriciennes et bourgeoises se sont alliées en Europe comme dans les Amériques pour exercer une domination morale sur les plus humbles. Les soupçons à l’égard de la haute culture européenne, nés en Europe, ont donc aussi migré vers les Amériques.

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Mario Campana

Selon Bellamy, le désir de transmettre a ainsi disparu, mais « fort heureusement, la soif de recevoir demeure intacte. » Interrompre la transmission culturelle est même devenu un projet conscient, voire pour certains, un acte de libération ou de salubrité mentale. L’interruption dans la transmission peut se faire tout d’un coup, comme l’illustre la décision prise par l’université Yale en janvier 2020 de retirer un cours donné par un historien de l’art réputé prenant sa retraite, Vincent Scully; la raison invoquée : ce cours d’histoire de l’art de la Renaissance à nos jours mettait trop en valeur des hommes blancs, hétérosexuels et européens[21]. Cette volonté de purifier la culture occidentale ne semble pas propre qu’aux États-Unis. Dans une chronique publiée dans le quotidien montréalais Le Devoir, Christian Rioux est revenu sur l’abolition de ce cours à l’université Yale. Il y a vu à l’œuvre la puissance dogmatique de la rectitude politique qui réduit « le savoir, l’art et la littérature à des truismes de race et de sexe, d’identités de “genre” et d’orientations sexuelles », ce qui relève selon lui « d’une véritable entreprise d’autodestruction. » Mal lui en prit ! Quelques jours plus tard, une lettre d’une centaine de signataires issus de l’histoire de l’art et du milieu muséal l’accusa d’« automatisme pavlovien digne d’un animateur de radio-poubelle ». Quel fut le tort du journaliste ? Avoir osé mettre en doute la démarche intellectuelle qui a semblé motiver les professeurs de Yale dans le retrait du cours devenu polémique. Les signataires du texte ont ainsi appelé « élargissement des horizons » et « problématisation des idées reçues » la mise en évidence des éléments coloniaux, sexistes et condescendants pour les humbles dans les canons de l’art[22]. Dans sa réponse aux « pétitionnaires », Rioux demeure convaincu qu’ils cèdent à l’idéologie en voulant juger de l’histoire de l’art « en fonction de la morale du jour ».

Les interruptions dans la transmission culturelle proviennent souvent des révolutions ou des périodes de grandes mutations sociales. Pensons au Québec qui a décidé, à la fin des années 1960, de liquider la culture classique dispensée dans les collèges tenus par les congrégations religieuses en faveur d’un enseignement supérieur confié à des collèges publics où la philosophie et la littérature, dans les collèges francophones du moins, relaieraient les théories critiques, marxistes, féministes, anticolonialistes dont les intellectuels en Occident se sont engoués. Ce changement dans le cursus s’est accompagné d’un renouveau pédagogique radical, puisant aussi bien dans le personnalisme chrétien, comme chez l’éducateur Pierre Angers[23], que dans la théorie constructiviste de l’apprentissage développée chez Jean Piaget ou les théories socioconstructives, qui se concentrent sur les interactions de l’enfant avec les autres. Ce renouveau pédagogique a conduit à minimiser ou à nier l’importance de la transmission des connaissances au profit de l’acquisition de compétences par l’étudiant, considéré comme un « apprenant », un créateur de ses apprentissages sous le pilotage d’enseignants-animateurs aussi peu autoritaires que possible.

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Pierre Angers

Plusieurs pédagogues militants ont ainsi pris en horreur l’idée de transmettre quoi que ce soit, parce qu’elle vouait l’enfant à la passivité, au bourrage de crâne, au gobage de préjugés et de notions indémontrables, et parce qu’elle obligerait le maître lui-même à reconnaître que son jugement personnel doit s’incliner devant ceux que plusieurs générations de savants et de créateurs ont exprimés avant lui dans plusieurs disciplines selon des échelles graduant le vrai, le vraisemblable, l’utile, le juste, le beau et le bien, etc. L’accent mis sur les compétences qui engagent l’activité propre des apprenants en classe avait aussi l’avantage d’inféoder l’éducation aux nécessités de la société technique et capitaliste, incessamment à la recherche de travailleurs capables de s’adapter à ses exigences sans s’embarrasser d’un savoir « humaniste » ou « généraliste » jugé superflu. Cependant, l’éducation axée sur les compétences a fragilisé les transmetteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les enseignants, puisque leur prestige en société et leur autorité en classe reposent moins sur la maîtrise des savoirs. S’en trouve aussi compromise la possibilité de dispenser un cursus véritablement commun au sein d’une nation ; en effet, les directives pointues sur les compétences à susciter en classe que les enseignants reçoivent les livrent à eux-mêmes pour le choix des œuvres ou des matières précises à enseigner. Des cohortes entières d’étudiants sont diplômés sans posséder de bagage culturel commun ; elles sont tiraillées entre les apprentissages formels de l’école et la propagande ensorceleuse de la publicité et des réseaux sociaux. Plusieurs professeurs pensent même que les écoles, les collèges (ou lycées en Europe) ainsi que les universités diplôment l’ignorance.

Parmi les inspirations philosophiques qui ont contribué à délégitimer la transmission des connaissances en éducation on peut compter assurément le postmodernisme, qui a fondé plusieurs intellectuels à relativiser l’idée du vrai, comme le rappelle le philosophe de l’éducation Normand Baillargeon :

Le vrai, qui est indépendant de nous, a été décrété par certains de ces maîtres à penser de la postmodernité n’être que la résultante provisoire d’un rapport de force au sein de ce que Foucault appelle un « régime de la vérité ». Ce vrai est donc variable en fonction de la perspective adoptée, du socle épistémique relatif au moment historique. Dans un constructivisme sans limites, le vrai, la science elle-même, tout cela n’est plus conçu que comme jeu de langage particulier, sans privilège épistémique. L’individu lui-même ne serait que le produit de ces rapports de pouvoir s’exerçant sur lui. L’éducation, dont on se demande dès lors comment on pourrait la penser en y faisant place au savoir, à l’autonomie, à la raison, à l’émancipation, se réduit à un exercice de pouvoir destiné à discipliner les corps et les esprits[24]. 

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Normand Baillargeon

Baillargeon aurait pu citer un autre de ces maîtres à penser, fort en vogue dans les « sciences de l’éducation », Gilles Deleuze, qui exerce encore une grande fascination[25]. Dans un livre publié en 1965 sur l’œuvre de Nietzsche, Deleuze résume en une phrase ce qui deviendra le programme de recherche d’une bonne partie des sciences sociales actuelles : « Toute interprétation est détermination du sens d’un phénomène. Le sens consiste précisément dans un rapport de forces, d’après lequel certaines agissent et d’autres réagissent dans un ensemble complexe et hiérarchisé[26]. » Dès lors, même les œuvres littéraires ou philosophiques, au même titre que la loi et la science, tendent des pièges de symboles grâce auxquels les plus forts se séparent des plus faibles et se grandissent dans leur différence par l’abaissement de ces derniers. Le professeur s’érige ainsi en inquisiteur ou en prophète qui démasque les rapports de pouvoir et les hiérarchies aliénatrices que renferment les œuvres ou le discours des détenteurs d’autorité ; il instruit en quelque sorte, contre des morts et des vivants qui n’ont reçu aucune citation à comparaître, des procès par contumace devant des étudiants envoûtés par la parole accusatrice d’un maître qui exécute lui-même ses sentences. Déconstruction et volonté de puissance semblent ainsi boire à la même eau. Plutôt que de chercher à comprendre les créations les plus accomplies du patrimoine humain, l’esprit justicier s’enivre à détricoter, dans un langage souvent jargonnant, les tapisseries finement tissées que l’histoire avait déroulées jusqu’aux abords du présent. Interrompre, découdre, déchirer deviennent plus exaltants que continuer. La récréation de l’esprit se métamorphose en création jubilatoire.

L’intransmission ou l’art de se supprimer soi-même

Dans les fragments posthumes de Nietzsche, on retrouve cette phrase significative : « Je veux enseigner la pensée qui donnera à beaucoup d’hommes le droit de se supprimer, — la grande pensée sélectrice[27]. » Les sociétés contemporaines semblent fascinées en effet par les possibilités techniques qu’offre la science médicale pour sélectionner la suppression de certains types d’êtres humains — par les solutions eugéniques de l’avortement préventif — ou pour permettre à un individu de hâter sa disparition sous la forme de l’euthanasie consentie, rebaptisée gentiment l’aide médicale à mourir. Autre phénomène d’intransmission volontaire, l’annonce faite par certaines personnes, souvent de manière tonitruante et répercutée dans les médias et les réseaux sociaux, de ne pas vouloir d’enfants, au point que le fait de se faire stériliser à moins de trente ans passe pour un acte d’héroïsme et de conscience sociale[28].

Le phénomène des adultes sans enfants n’a en soi rien de nouveau. Les célibataires et les couples sans enfants ont toujours existé, et la proportion des couples sans enfants reste encore moindre que celle qui a été observée au XIXe siècle dans certains pays comme les États-Unis et l’Australie[29]. Mais d’ordinaire les couples se gardaient bien de publiciser leur infécondité comme un exploit retentissant. De plus, les grandes religions comme le christianisme et le bouddhisme ont privilégié souvent le célibat comme voie d’accès à une vie spirituelle plus complète. Dans la tradition catholique, le célibat dégage le prêtre des attaches envers une seule personne pour mieux se consacrer à l’amour de Dieu et pour porter cet amour auprès des hommes ; il renonce à la fécondité biologique au profit d’une fécondité d’un autre niveau, spirituelle[30]. Les prêtres, selon le Code du droit canonique, « sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s’unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s’adonner plus librement au service de Dieu et des hommes[31]. » L’infécondité maintenant assumée et proclamée par certains individus s’inscrit dans un autre registre : pour plusieurs féministes, le choix de ne pas avoir d’enfants est apparu comme une « ultime libération », après l’avènement de la contraception et de l’accès à l’avortement. Dès 1972 s’organisa en Californie une organisation de défense des parents sans enfants, la National Organization for Non-Parents, dont la fondatrice est restée célèbre pour un ouvrage intitulé The Baby Trap[32] (Le piège de l’enfant.) Ellen Peck y avance toutes sortes d’arguments pour détourner les adultes de la parenté obligatoire. Elle présente d’ailleurs déjà l’Homme comme une espèce qui, sous l’emprise sa culture, n’arrive pas à se fier aux mécanismes de la Nature pour juguler sa surpopulation. Elle écrit (traduction) :

51WzQNp6qFL._SX301_BO1,204,203,200_.jpgEt avec le progrès de la civilisation, qui, des forêts aux villes, s’éloigne de la Nature sur le chemin de l’évolution, la nécessité de la reproduction a certainement diminué. Notre société est urbaine et surpeuplée. Chez les espèces surpeuplées autres qu’humaine, la Nature réagit en déprimant le désir d’accouplement et le taux de reproduction. Mais la Nature ne fonctionne pas ainsi pour nous. Des facteurs simples, mais puissants qui incitent à la reproduction, ne donnent pas à la Nature une telle chance[33].

Outre la cause féministe, les sans-enfants arguent désormais de la volonté de « sauver la planète », en raison aussi de la nature déficiente de l’Homme. Ce sont maintenant les individus qui revendiquent pour eux-mêmes une politique de malthusianisme — de limitation des naissances — pour garder la terre des méfaits d’une espèce humaine devenue néfaste et trop nombreuse. Ce qui jette le doute sur la légitimité même des « sans-enfants » résolus de ne pas continuer l’espèce à travers leur existence. Si l’homo sapiens est si mauvais, en vertu de quoi un individu serait-il fondé à vivre pour lui-même — que ce soit, d’ailleurs, avec ou sans enfants ? Les anciennes aristocraties mettaient d’ordinaire un point d’honneur à se reproduire dans une lignée qui perpétue leur prestige, leur richesse et leurs qualités distinctives. Nous assistons peut-être aujourd’hui à la naissance d’une aristocratie qui agit par soustraction : convaincue de la perfection morale de son propre jugement, elle croit bon d’arrêter l’aventure humaine dans chaque être particulier qui défait la chaîne de la transmission.

1241505.jpgUne autre façon contemporaine d’entraver la transmission biologique consiste à éliminer l’un des transmetteurs, soit l’élément le plus fragile dans l’union d’une femme et d’un homme en vue d’enfanter. Gilles Deleuze et Félix Guattari ont déjà écrit que « l’inconscient est orphelin, et se produit lui-même dans l’identité de la nature et de l’homme » en reprochant à la psychanalyse de prendre « part à l’œuvre de répression bourgeoise la plus générale, celle qui a consisté à maintenir l’humanité européenne sous le joug de papa-maman, et à ne pas en finir avec ce problème-là[34]. » S’il est difficile de faire sauter tout entier le joug de papa-maman, il est devenu maintenant concevable, sur les plans clinique et légal, de se débarrasser du joug de papa, grâce à la procréation médicalement assistée, comme celle que la France s’apprête à autoriser, après d’âpres débats.

En vertu de ce nouveau régime procréatif instauré par une loi sur la bioéthique, il sera possible en France à un couple de lesbiennes et à une femme non mariée d’avoir accès à la procréation médicale assistée (PMA) pour mettre au monde un enfant, auquel l’état civil reconnaîtra soit deux mères, soit une mère seule. Le projet original prévoyait le remboursement des dépenses engagées pour la PMA par l’État, mais en février 2020, le Sénat a restreint par un amendement la portée du remboursement aux cas d’infertilité. Quoi qu’il advienne de cet amendement — l’Assemblée nationale a le dernier mot en France en matière législative —, on encadre donc légalement l’enfantement sans père, sans homme exerçant le rôle de parent, celui-ci étant réduit à un pourvoyeur anonyme de gamètes.

La France n’est pas la seule à choisir cette direction ; plusieurs pays d’Europe du Nord et du Sud autorisent la PMA pour les couples lesbiens et les femmes célibataires ; l’Autriche la permet pour les couples lesbiens seulement. Des pays de l’Europe de l’Est l’ont instituée pour les femmes célibataires seulement. (Au Québec, le législateur a « fait preuve d’audace, ou d’inconscience[35] », en réinventant la filiation, si bien que depuis 2002, les couples lesbiens ou les femmes seules peuvent se prévaloir de la procréation assistée, et que l’adoption est offerte aux couples homosexuels, féminins et masculins.) Les opposants à la PMA en France ont certes déploré l’effacement du père entériné par la PMA, comme la philosophe Chantal Delsol : « beaucoup de Français sont sensibles à la place du père : celui-ci doit-il disparaître de la parentalité ? Cet effacement du père est d’autant plus troublant que la parité entre les sexes est aujourd’hui célébrée[36]. » D’autres, marchant contre la PMA, ont dénoncé la bénédiction légale donnée à l’enfantement d’orphelins de père et la « marchandisation du vivant ».

Malgré ces protestations, la PMA, en France comme ailleurs en Europe, s’introduit dans les mœurs. Devenu une affaire strictement personnelle, qui regarde d’abord sinon exclusivement la femme, le désir d’enfant devient un projet pour soi, et non plus le croisement de deux désirs, l’enfant-pour-moi et l’enfant-de-toi. Cet enfant-là que je mets au monde sans la médiation embêtante, pesante et incontrôlable d’un homme postulant au rôle de père devient mon bébé à moi, mon prolongement, mon œuvre à laquelle peut certes participer une mère adoptive. Toutefois, la reproduction sexuée repose sur une altérité, une médiation, qui fait que l’enfant n’est ni sa mère, ni son père, ni même la simple sommation des deux et qu’il advient souvent — certes pas tout le temps — parce qu’une femme a eu envie d’avoir un enfant de son homme, et vice-versa. Par la « PMA pour toutes », on accentue l’inégalité naturelle entre femmes et hommes dans l’enfantement ; la maternité est consacrée première et indispensable ; la paternité, secondaire et facultative, compressible à la taille de spermatozoïdes congelés. Aux yeux des non-chrétiens et même des chrétiens dubitatifs, que Dieu le Père ait eu recours à la médiation d’une femme de chair pour donner à l’humanité son Fils a fait scandale[37]; aujourd’hui, en des temps moins chrétiens, le scandale s’est déplacé, et c’est le désir devenu sacré d’engendrer de la femme qui bute sur la médiation inopportune d’un homme charnel. Au fond, l’enfantement sans père participerait de ce fantasme qui travaille les individus contemporains, celui de l’Homme autoconstruit qui s’engendre lui-même, et qui, dans le cas de la PMA, se libère à la fois de la sexualité et du père, en faisant peser sur un seul sexe, à l’exclusion de l’autre, la transmission biologique[38].

***

Au bout du compte, les barques joyeuses de Caligula qui voguaient calmement sur le lac de Nemi nous fournissent une image qui restitue l’état d’esprit de l’homme contemporain occupé à briser les chaînes de la transmission. On l’imagine dansant, tournoyant sur un tapis de mosaïques déroulé au fond de la barque, qui elle-même accomplit de petits ronds, à la manière d’un gros nénuphar ondoyant où se complaît une grenouille lascive chauffée au soleil. Pendant que se succèdent les fêtes sous les hourras des convives qui jettent sur le noceur des regards familiers et approbateurs, défile sur les rivages la même succession de paysages, tel un film qu’on rejoue sans cesse au loin. Et puis, après des années de ce jeu fébrile, sans crier gare, la barque coule au fond, sur décision peut-être de son empereur, en engouffrant tout cet équipage sans rien laisser flotter à la surface, où l’éternel retour des saisons imprime ses reflets.

Dans Le gai savoir, Nietzsche évoque un lac aperçu dans le village alpestre de Sils-Maria en Suisse :

C’était ici que j’attendais, que j’attendais, n’attendant rien

Par-delà le bien et le mal, jouissant tantôt de la lumière

Tantôt de l’ombre, abstrait de moi, tout jeu, pur jeu,

Tout lac, tout midi, temps sans but[39].

Ce lac, pourrait-il être aussi celui de Nemi ?

Notes


[1] Siobhan Roberts, « You can help break the chain of transmission », The New York Times, 19 mars 2020.

[2] Pascal, Bruckner, « L’été indien de la vie », Le Débat, vol. 202, no. 5, 2018, p. 165.

[3] Sandrine Gamblin, « Thomas Cook en Égypte et à Louxor : l’invention du tourisme moderne au XXe siècle, Téoros, 2006, 25-6, par. 6. En ligne : https://journals.openedition.org/teoros/1476 ,

[4] Suétone, Vies des douze Césars, Paris, Gallimard, 1975, p. 245.

[5] Bernadette Arnaud, « Un troisième navire de Caligula repose-t-il au fond du lac Nemi? », Science et Avenir, 18 avril 2017, en ligne : https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/... .

[6] Denis Fainsilber, « Pollution, la face cachée des paquebots », Les échos, 6 septembre 2018, en ligne : https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-trans...

[7] F. Nietzsche, Traduction par Henri Albert. Œuvres complètes de Nietzsche, Paris, Mercure de France, 1903, vol. 13, tome II, par. 386.

[8] Stephen Pollan et Marl Levine, Die Broke, New York, HarperBusiness, 1997.

[9] Dany Provost, Arrêter de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir, Montréal, Éditions transcontinental, 2005.

[10] Éric Desrosiers, « Père gâté, fils fauché », Le Devoir, 13 octobre 2007, en ligne : https://www.ledevoir.com/economie/160427/pere-gate-fils-f... .

[11] Voir cette note publiée par le cabinet d’avocats Picovschi, « Déshériter : le droit français comparé au droit international », 14 février 2018, https://www.avocats-picovschi.com/desheriter-le-droit-fra... .

[12] Christine Morin, « La liberté de tester : évolution et révolution dans les représentations de la doctrine québécoise », R.D.U.S., 38, 2008, p. 339-384.

[13] André Masson. « L’impôt sur l’héritage. Débats philosophico-économiques et leçons de l’histoire », Revue de l’OFCE, vol. 156, no. 2, 2018, p. 123-174, voir par. 8.

[14] Mariángel Alcázar, « El Rey renuncia a la herencia de Juan Carlos I y le retira la asignación », La Vanguardia, 15 mars 2020.

[15] Masson, déjà cité, par. 40.

[16] Masson, déjà cité, par. 115.

[17] Masson, déjà cité, par. 124.

[18] Laurent Ottavi, entretien, François-Xavier Bellamy, « Le désir de transmettre a disparu, mais la soif de recevoir demeure intacte. », Revue des deux Mondes, 25 avril 2018. En ligne : https://www.revuedesdeuxmondes.fr/francois-xavier-bellamy... .

[19] Ibid.

[20] Mario Campaña, Una sociedad de señores, Mexico, Jus, 2017.

[21] Margaret Hedeman et Matt Kristoffersen, « Art history department to scrap survey course », 24 janvier 2020, Yale Daily News, en ligne : https://yaledailynews.com/blog/2020/01/24/art-history-dep... .

[22] Collectif d’auteurs, « L’art du passé nous parle souvent des enjeux du présent », Le Devoir, 5 mars 2020.

[23] Éric Bédard, « Les origines personnalistes du “renouveau pédagogique”, Pierre Angers s.j. et l’activité éducative », dans Marc Chevrier (dir.), Par-delà l’école-machine, Québec, 2010, p. 135-171.

[24] Normand Baillargeon, « Quelques vérités sur la post-vérité », Argument, vol. 20, no 2, été 2018, p. 20.

[25] Voir par exemple Yoann Barthod Malat, « Note : Deleuze et les sciences de l’éducation », Philosophique [en ligne], 19, 2016 ; Itay Snir, « Making sense in education: Deleuze on thinking against common sense, Educational Philosophy and Theory », 50, no. 3, 2018, p. 299-311; Inna Semetsky et Diana Masny, « The Untimely Deleuze : some implications for educational policy », Policy Futures in Education [en ligne], vol. 9, no. 4, 2011.

[26]Gilles Deleuze, Nietzsche, Éditions de Minuit, PUF, 1965, p. 23.

[27] F. Nietzsche, déjà cité, par. 377.

[28] Émilie Rivard-Boudreau, « Son combat pour une ligature des trompes à 28 ans », Journal de Montréal, 8 mars 2020, en ligne : https://www.journaldemontreal.com/2020/03/08/un-chemin-de... .

[29] Anne Gotman. « Le choix de ne pas avoir d’enfant, ultime libération ? », Travail, genre et sociétés, vol. 37, no. 1, 2017, p. 37-52.

[30] Voir la page « Le célibat des prêtres », Église catholique de France, https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/vivre-sa-... .

[31] Code de droit canonique, article 277, 1983, en ligne : http://www.vatican.va/archive/FRA0037/_INDEX.HTM .

[32] Ellen Peck, The Baby Trap, New York, Pinnacle Books, 1971.

[33] Ibid., p. 18.

[34] Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Éditions de Minuit, 1972/1973, p. 57 et 59.

[35] Marie Pratte, « La filiation réinventée : l’enfant menacé ? », R.G.D, 33, 2003, p. 560 ; voir aussi la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, Lois de l’état du Québec. 2002, c. 6.

[36] Vincent Tournier, entrevue avec Chantal Delsol, « Véritable résignation ou résignation ? Ce que révèle l’opinion des Français sur la PMA pour toutes », Atlantico, 24 septembre 2019, en ligne : https://www.atlantico.fr/decryptage/3579682/veritable-acc... .

[37] Voir cet essai oublié de Charles de Koninck, Le scandale de la médiation, Paris, Nouvelles éditions latines, 1962.

[38] Voir notamment Olivier Rey, Une folle solitude, Paris, Seuil, p. 193-202.

[39] Nietzsche, Le gai savoir, Paris, Éditions Gallimard, 1950, p. 376-377.

 

source : http://encyclopedie.homovivens.org/