dimanche, 21 janvier 2024
La pensée philosophique de Nietzsche et l'Allemagne des années 30
La pensée philosophique de Nietzsche et l'Allemagne des années 30
La partie qui nous a semblé la plus intéressante dans l'essai publié par Controcorrente est la troisième, dans laquelle l'auteur aborde l'intérêt du philosophe pour le "quotidien", l'"humain".
par Giovanni Sessa
Source: https://www.barbadillo.it/112654-il-pensiero-filosofico-di-nietzsche-e-la-germania-negli-anni-trenta/?fbclid=IwAR1tphmP0aDtQTmzSpnadf8JfOb__6MxNEo4udrM1aucOueFO2zWL5qNaSU
Nietzsche est l'un des penseurs les plus lus de tous les temps. Différents facteurs ont contribué à cet engouement: le style poético-aphoristique qui caractérise son œuvre, son a-systématicité, le caractère radicalement dépassé de ses thèses, ainsi que l'exemplarité de leur apodicticité. Des aspects qui, de différentes manières, ont conduit à des lectures parfois divergentes de sa philosophie. Le moment le plus discuté et le plus problématique de la propositionphilosophique du penseur de Röcken se trouve dans ses rapports avec la politique. Matteo Martini, dans un volume récent publié par Controcorrente, Friedrich Nietzsche e il nazionalsocialismo e altre questioni nietzscheane (Friedrich Nietzsche et le national-socialisme et autres questions nietzschéennes), repropose la quaestio vexata des liens entre le penseur et le régime hitlérien (sur commande : controcorrente_na@alice.it, pp. 191, euro 18.00). Le volume comprend une préface de Francesco Ingravalle et une postface de Marina Simeone.
L'analyse des textes est menée par l'auteur avec une méthode très différente de celle adoptée par Giorgio Colli. Le grand spécialiste de l'antiquité estimait que l'exégèse du philosophe ne pouvait être abordée par le biais de simples citations, car cela conduirait à la "falsification" d'une pensée qui, au contraire, était articulée, complexe, voire en spirale. En outre, Martini cite, par choix explicite, presque exclusivement des textes écrits par Nietzsche dans les dernières années de sa vie, en particulier dans La Volonté de puissance. Cette méthode l'incite à soutenir que "Nietzsche a préparé sans équivoque les fondements philosophico-éthico-culturels sur lesquels le national-socialisme [...] allait proliférer" (p. 30). Cette affirmation peut être vraie dans le même sens qu'il est tout aussi vrai d'affirmer que la révolution conservatrice a préparé l'humus existentiel et politique qui a permis à Hitler de s'établir dans la société allemande de l'époque. Le problème est que, pour l'auteur, le national-socialisme a réalisé la trahison des idéaux nietzschéens et révolutionnaires-conservateurs (de nombreux révolutionnaires conservateurs ont vécu en marge, reclus ou à l'étranger pendant le régime). On ne peut donc pas affirmer que le programme nazi d'extermination des "indésirables" et des "différents" découle directement des aphorismes décontextualisés de Nietzsche, dont Martini reconnaît d'ailleurs les traits humains aimables et courtois.
Au contraire, il ressort à juste titre de ces pages que la référence aux valeurs aristocratiques chez le philosophe ne renvoie pas à des "exigences raciales" (p. 31), bien qu'une certaine ambiguïté de jugement caractérise certains fragments se référant aux juifs. Nietzsche "a tantôt des mots élogieux à leur égard, tantôt des mots méprisants, mais il ne fait jamais allusion à quoi que ce soit qui puisse ressembler à une exhortation à l'élimination systématique du peuple juif" (p. 33). Le penseur, note l'auteur, était totalement étranger aux idéaux du nationalisme allemand, ce qui avait notamment provoqué la rupture de ses relations avec Wagner. Pour le philosophe, la décadence grecque et européenne avait été préparée par la primauté donnée par Socrate au concept, qui avait contribué à occulter la conception tragique de la vie propre aux Hellènes archaïques. Avec le "socratisme", c'est la course au surmonde, au téléologisme, aux dualismes essence/existence, être/néant, qui trouvera son apogée dans la vision chrétienne. La "mort de Dieu" chez Nietzsche a le sens d'une constatation de fait d'une réalité historico-spirituelle en cours, qui concerne aussi bien son époque que la nôtre, ce qui ne coïncide pas, bien entendu, avec une position athée, comme semble le croire l'auteur. L'un des interprètes qu'il cite, Eugen Fink, était bien conscient que la construction du penseur était centrée sur un effort "théologique", certainement pas chrétien, ayant pour centre la récupération de la sacralité de la physis, lieu de l'origine printanière à laquelle tout revient.
Martini a certainement raison d'affirmer qu'Hitler n'a pas incarné l'idéal de l'"au-delà de l'homme", mais qu'il a tenté de reproposer, sans y parvenir et en la détournant tragiquement, une autre figure créée par Nietzsche, celle du "grand homme", du dominateur (princes de la Renaissance, Napoléon). Le "Surhomme" est celui qui accepte le tragique du monde et l'ennoblit par la création de nouvelles tables de valeurs. De "nouvelles valeurs" centrées sur le mensonge "anagogique" et non sur le mensonge "catagogique" (le surmonde et Dieu) qui produit la décadence. Il est prophète d'un avenir à venir (non incarné par le nazisme, qui au contraire, comme le reconnaissait de Benoist, avec sa devise "Un chef, un peuple, un empire", laissait entrevoir sa propre vocation monothéiste, loin d'être païenne !): il se savait "dynamite" parce qu'il était conscient que son annonce d'époque allait bouleverser la vie du "dernier homme", certainement pas comme prophète des drames de la Seconde Guerre mondiale !
La partie la plus intéressante du volume est la troisième, dans laquelle Martini aborde l'intérêt du philosophe pour le "quotidien", l'"humain". En fait, cet intérêt est lié au fait que Nietzsche, comme les Grecs, a en vue la vie nue. Son regard sur le corps, sur l'alimentation, sur le climat sont des preuves qu'il était conscient que tout ce qui est vivant est "animé", qu'il n'y a pas de dualisme âme/corps. Martini semble le sentir lorsqu'il écrit: "pour une raison qui n'est pas facile à expliquer [...] dans cette philosophie, pourtant caractérisée par un matérialisme débridé, il y a (...) quelque chose de spirituel, une sorte de "matérialisme raffiné"" (p. 120). Non, pas de "matérialisme", en Grèce le corps était sacré en tant qu'expression de la dynamis, la puissance du possible qui l'anime et qui anime pour Nietzsche tout ce qui est. C'est précisément dans la mesure où elle est possible que la dynamis n'a rien de providentiel, comme le voudrait l'auteur (la "confiance" dans la Volonté de puissance). Le philosophe de Röcken représente le dernier maillon de la dissolution de l'hégélianisme. Dans cette suite de penseurs, il y a beaucoup de noms qui ont contribué plus que Nietzsche à la définition de la culture politique nationale-socialiste. On peut tout au plus reprocher à Nietzsche de ne pas être parvenu à une récupération effective de la physis grecque. En témoignent les ambiguïtés de la doctrine de l'éternel retour de l'identique (également relevée à juste titre par Martini), pensée à travers la catégorie métaphysique par excellence, le principe d'identité. Cette limite a été saisie par Klages, qui l'a corrigée en parlant de l'éternel retour du semblable, en vigueur dans la nature et dans l'histoire.
Avec Klages, l'héritage nietzschéen et la volonté de puissance elle-même peuvent être lus et vécus au-delà de l'onto-théo-logie dont le penseur, selon Heidegger, était le dernier interprète. Si tel est le cas, la philosophie imaginaire de Nietzsche pourrait donner lieu à un nouveau départ de la civilisation européenne.
Giovanni Sessa
13:22 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, nietzsche, friedrich nietzsche, révolution conservatrice | |
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Iran et Israël: des héritages anciens qui façonnent le Moyen-Orient
Iran et Israël: des héritages anciens qui façonnent le Moyen-Orient
Constantin von Hoffmeister
Source: https://www.eurosiberia.net/p/iran-and-israel-ancient-legacies?utm_source=post-email-title&publication_id=1305515&post_id=140741968&utm_campaign=email-post-title&isFreemail=true&r=jgt70&utm_medium=email
L'ascension de l'Iran au Moyen-Orient s'inscrit dans le cadre de l'ordre multipolaire émergent, où les puissances régionales affirment leur influence, réduisant ainsi la domination unipolaire des États-Unis. Les actions de l'Iran illustrent une transition géopolitique des structures contrôlées par l'Occident vers une dynamique de puissance mondiale plus équitable.
Ce changement n'est pas uniquement une question d'alliances politiques éphémères ou de triomphes militaires fugaces ; il est au contraire profondément enraciné dans l'histoire ancienne et les héritages culturels durables qui définissent la région. Pour saisir pleinement l'importance du renforcement stratégique de l'Iran dans des pays comme la Syrie, le Liban et le Yémen, il faut plonger dans les profondeurs de l'histoire, en particulier à l'époque de l'Empire perse et de l'exil juif de Babylone.
L'Empire perse, à son apogée, était un bastion de la diversité culturelle et de l'ingéniosité administrative. C'était un empire qui transcendait la conquête de terres ; il représentait une intégration sophistiquée de diverses cultures sous une éthique impériale singulière. Cette toile de fond historique est essentielle pour comprendre les manœuvres géopolitiques actuelles de l'Iran. L'Iran, qui a hérité de l'Empire perse, incarne un État civilisationnel qui gravite naturellement autour d'un ordre mondial multipolaire, défiant l'hégémonie unipolaire des États-Unis de l'après-guerre froide.
L'exil juif de Babylone est un chapitre important de ce récit historique. Le judaïsme était fortement influencé par le zoroastrisme (dualisme : ciel et purgatoire, lumière et ténèbres, Yahvé et Satan, Ahura Mazda et Ahriman). Après la conquête de l'empire babylonien par le roi perse Cyrus en 539 av. J.-C., celui-ci promulgue un décret permettant au peuple juif, exilé à Babylone, de retourner dans sa patrie en Judée. Cet événement est notamment relaté dans la Bible, en particulier dans les livres d'Esdras et de Néhémie. Le décret de Cyrus permet non seulement aux Juifs de retourner en Judée, mais aussi de reconstruire le Temple de Jérusalem, qui avait été détruit par les Babyloniens. L'Empire perse, sous Cyrus et ses successeurs, a apporté un soutien politique et financier à la reconstruction du Temple, un geste qui a considérablement amélioré les relations entre les Perses et les Juifs.
Cette ancienne alliance met en évidence une mémoire historique partagée, qui transcende les alignements politiques et les clivages sectaires contemporains. C'est dans ce contexte qu'il faut envisager le potentiel d'une alliance naturelle entre l'Iran et l'Israël d'aujourd'hui. Ces deux nations, issues de trajectoires historiques riches et distinctes, se retrouvent en tant qu'entités non arabes dans une région majoritairement arabe. Cette distinction n'est pas simplement géographique ou ethnique ; il s'agit d'une caractéristique civilisationnelle profonde qui façonne leurs orientations géopolitiques.
La montée en puissance de l'Iran au Moyen-Orient ne doit donc pas être considérée de manière isolée ou comme une simple réaction à l'hégémonie occidentale. Elle s'inscrit dans un processus historique et civilisationnel plus large. Le soutien de l'Iran à ses alliés en Syrie, au Liban et au Yémen n'est pas seulement une manœuvre stratégique dans un jeu géopolitique ; c'est l'affirmation d'un rôle spécial, la reconquête d'un espace que la civilisation perse a historiquement occupé. De même, la position d'Israël dans la région, bien qu'elle soit souvent considérée à travers le prisme de la politique de l'après-guerre, est profondément liée à ses expériences historiques anciennes, notamment l'exil babylonien et la libération qui s'en est suivie.
Comme il est écrit dans la chronique du prophète Khorshidbakhsh datant de 1982 :
En vérité, dans la sagesse des temps passés, il est décrété que le Shah, gardien des anciens royaumes, reviendra au bercail. Et avec son ascension, que la lumière du zoroastrisme, aussi ancienne que les étoiles elles-mêmes, soit rallumée, brillant comme la lumière qui guide le chemin spirituel de l'État. Qu'il y ait une union forte et durable entre la vénérable terre de Perse et le peuple béni d'Israël. Ensemble, aux yeux du Très-Haut, ils se dresseront comme des piliers de force et de sagesse au milieu du Moyen-Orient. Les nations arabes qui les entourent, ces terres de mystère et de contes anciens, témoigneront de cette alliance et rendront hommage à la puissance et à la majesté de leurs protecteurs irano-juifs.
Pour recevoir régulièrement les articles de Constantin von Hoffmeister: https://www.eurosiberia.net/
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La Colombie face aux défis économiques et stratégiques
La Colombie face aux défis économiques et stratégiques
Ronald Lasecki
Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2024/01/kolumbia-wobec-wyzwan-gospodarczych-i.html
Gustavo Petro, premier président colombien souverain et de gauche du siècle, en poste à partir d'août 2022, est confronté au défi de trouver les ressources nécessaires pour financer ses politiques sociales ambitieuses, notamment la réforme agraire et les transferts financiers en faveur des pauvres.
Un exemple de ce dernier point est l'augmentation du salaire minimum de 12,06% à 1,3 million de pesos colombiens annoncée par le président le mardi 2 janvier. Selon la ministre colombienne du Travail, Gloria Inés Ramírez (foto), qui s'est exprimée aux côtés du président, malgré dix cycles de négociations entre le gouvernement, les représentants du capital et les syndicats, le secteur privé n'a pas accepté la décision du gouvernement (1).
Le ralentissement économique
La Colombie, quant à elle, se trouve dans une situation de récession économique, résultat du cycle naturel des périodes successives de croissance économique et de ralentissement du capitalisme. La situation actuelle est un ralentissement après l'épuisement de l'impact des stimuli destinés à relancer l'économie après l'austérité de l'épidémie COVID-19 et l'effet du resserrement de la politique monétaire pour lutter contre une inflation à deux chiffres.
La baisse des recettes publiques est le résultat d'un taux de croissance du PIB inférieur de 0,3 % en glissement annuel au troisième trimestre 2023, s'écartant sensiblement des prévisions de croissance de 0,5 %. Ce faisant, le recul de la croissance concerne principalement les secteurs de la construction et de l'industrie manufacturière, qui ont enregistré des baisses respectives de 8% et 6%. La banque centrale colombienne (Banco de la República, Banrep) prévoit une baisse de la croissance économique de 1,2% en 2023 à 0,8% en 2024.
Échec de la réforme fiscale
Des recettes estimées à 20.000 milliards de pesos colombiens par an pour financer les réformes étaient censées être apportées au budget colombien par la réforme fiscale de novembre 2022. Cependant, le 17 novembre 2023, la Cour constitutionnelle de Colombie (Corte Constitucional de Colombia) a annulé un élément clé de la réforme, laissant un trou financier de 3,2 billions de pesos colombiens, soit 15 % des recettes que la réforme était censée générer. La Cour constitutionnelle a jugé inconstitutionnelle l'interdiction faite aux compagnies pétrolières et charbonnières de déduire les redevances de l'impôt sur les sociétés, car elle violait le principe de l'égalité fiscale.
Politique monétaire restrictive
Un obstacle supplémentaire à la collecte d'argent pour le budget par les autorités colombiennes est la politique monétaire restrictive du conseil de politique monétaire de la Banco de la República, toujours nommé par les conservateurs, comme l'a souligné le président dans son discours lors de la cérémonie militaire du 15 novembre 2023. La banque centrale a maintenu les taux d'intérêt à 13,25% en novembre, ce qui a permis de contenir l'inflation, qui avait atteint un pic en mars : en août, elle était de 11,43%, en septembre de 10,99%, en octobre de 10,48 % et en novembre de 10,15%.
En décembre, le Banco de la República a annoncé une baisse des taux d'intérêt à 13 %. Selon les prévisions de la banque centrale, la tendance à la baisse de l'inflation devrait se poursuivre en 2024, pour atteindre 5,7 % à la fin de l'année (ce qui reste toutefois supérieur à l'objectif de 3%). L'activité économique enregistrée par Banrep a quant à elle reculé de 0,4% en glissement annuel en octobre, ce qui a conduit la banque centrale à abaisser sa prévision de croissance pour 2023 de 1,2% à 1% (2).
Relever la limite du déficit budgétaire
La première des mesures prises par G. Petro (photo) pour faire face au déficit de financement est de s'éloigner de la "regla fiscale" - une loi introduite en 2011, sous le gouvernement de Juan Manuel Santos (2010-2018), imposant des restrictions sur les emprunts du gouvernement et fixant une limite supérieure au déficit budgétaire de 71% du PIB.
Dans un discours prononcé le 15 novembre, le président colombien a qualifié la "regla fiscale" de produit du "fondamentalisme néolibéral", encourageant le débat sur son abandon. Il a souligné que la règle avait été contournée par ses auteurs mêmes, faisant une allusion apparente aux États-Unis d'Amérique et aux institutions financières de l'Union européenne. Selon le président, "lorsque le niveau d'investissement privé diminue, le niveau d'investissement public doit augmenter". Selon G. Petro, une réduction de l'un et de l'autre conduirait la Colombie à un désastre économique.
Le dirigeant colombien peut ici faire référence à la politique fiscale expansive menée par les plus fervents défenseurs de la discipline fiscale (les Etats-Unis, l'Allemagne et la Banque centrale européenne de facto sous leur contrôle) lors de la crise économique de 2008, mais surtout aux restrictions sanitaires sur fond d'hystérie autour du COVID-19. De telles politiques ont toujours eu plus de partisans à gauche qu'à droite, même si ce n'est pas la règle, comme en témoignent les gouvernements du PiS en Pologne.
Le premier problème de ce type de politique est que le relèvement de la limite de la dette de l'État entraînera probablement une hausse du prix des obligations d'État colombiennes, ce qui augmentera le coût de leur émission et de leur service, réduisant ainsi les ressources du budget de l'État - l'effet obtenu sera à l'opposé de ce que le président G. Petro souhaiterait obtenir. Après le discours de G. Petro, le peso colombien a vu sa valeur baisser par rapport au dollar américain.
Le deuxième problème est que l'augmentation des dépenses de l'Etat se fait dans l'hypothèse d'un remboursement ultérieur de la dette publique ainsi contractée dans le cadre d'une augmentation de l'activité du secteur privé. Or, cette croissance peut ne pas se produire du tout ou être plus faible que prévu, ce qui est d'autant plus probable que l'État complète d'autres segments du marché. Cela peut déclencher une avalanche incontrôlée de dépenses supplémentaires sur la dette publique toujours croissante, accompagnée d'une nouvelle augmentation du coût du service des titres de la dette publique et d'une baisse de la valeur de l'argent.
Gel des salaires dans le secteur public
Une autre idée du président pour combler le trou de 3 200 milliards de pesos colombiens (le ministre des finances, Ricardo Bonilla (photo), affirme qu'il faudra jusqu'à 6500 milliards de pesos colombiens pour boucler le budget) est de geler les salaires du secteur public pour 2024. Le gouvernement veut atteindre un déficit budgétaire de 4,3% du PIB en 2023 et de 4,5% du PIB en 2024. Sur cette question, le président peut compter sur le soutien des députés de l'Alianza Verde (AV) de centre-gauche, tandis que la centrale syndicale Central Unitaria de Trabajadores do Colombia (CUT) est sceptique, ses représentants affirmant que le président ne peut pas modifier unilatéralement des accords salariaux négociés et signés antérieurement.
L'aide de la Chine
Confronté à des difficultés financières, G. Petro a également décidé de demander l'aide de la Chine. La Colombie est traditionnellement l'un des pays les plus dépendants des États-Unis, mais son président actuel souhaite équilibrer la politique étrangère de Bogota, en prenant ses distances avec Washington et en critiquant sa politique étrangère, en particulier au Moyen-Orient, et en équilibrant l'avantage yankee par une alliance élargie avec la Chine.
Le président colombien s'est rendu à Pékin au cours du dernier trimestre d'octobre 2023 et y a rencontré Xi Jinping. La Colombie a adhéré à l'initiative chinoise "la Ceinture et la Route", offrant à ses partenaires chinois des investissements dans les énergies renouvelables et la construction d'une voie ferrée pour relier l'Atlantique au Pacifique et constituer une alternative au canal de Panama contrôlé par les États-Unis. Du côté chinois, les relations avec la Colombie sont passées à un "partenariat stratégique" (3).
Arrêt des enlèvements contre rançon
Par ailleurs, le gouvernement de G. Petro peut se targuer d'avoir réussi à pacifier la situation interne. La guerre civile de grande ampleur a pris fin définitivement grâce à un accord entre l'administration du président Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple (espagnol: Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo, FARC-EP) en novembre 2016. À l'époque, seuls un groupe dissident relativement restreint des FARC, l'Estado Mayor Central (EMC), et l'Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional, ELN), moins importante, restaient sur le champ de bataille, faisant toutefois l'objet d'une criminalisation progressive.
Le mardi 12 décembre, à l'issue d'un deuxième cycle de négociations qui s'est déroulé du 2 au 11 décembre, Camilo Gonzáles, représentant le gouvernement, et Oscar Ojeda ("Leopoldo Durán"), représentant l'EMC, ont signé un accord dans lequel l'EMC renonçait aux enlèvements contre rançon, sans toutefois indiquer de calendrier pour cette décision. Un nouveau cycle de négociations est prévu du 9 au 18 janvier, au cours duquel les questions de la culture illégale de la coca et des préoccupations sociales et environnementales de l'Amazonie (4) seront notamment abordées.
En revanche, l'abandon des enlèvements contre rançon a été annoncé par l'ELN le dimanche 17 décembre. Cette décision a été annoncée à l'issue du cinquième cycle de négociations à Ciudad de México, mené dans le cadre de la trêve de six mois annoncée en septembre. Les parties ont également convenu de ne pas impliquer les forces paramilitaires dans la guérilla pendant la durée du cessez-le-feu, de créer six "zones critiques" pour mettre en œuvre l'aide humanitaire et de faire participer le secteur social aux pourparlers de paix. Le prochain cycle de négociations doit avoir lieu à Cuba en janvier et portera sur la prolongation de la trêve (5).
L'abandon négocié des enlèvements contre rançon est un succès majeur pour le gouvernement de G. Petro : sur 287 enlèvements contre rançon au cours des dix derniers mois, l'ELN a été responsable de 11% et l'EMC de 10%. Selon le ministre colombien de la défense Iván Velásquez, au 7 décembre 2023, trente-huit personnes étaient retenues par l'ELN contre rançon. Le nombre de personnes enlevées contre rançon l'année dernière est le plus élevé depuis la démobilisation des FARC en 2016.
Ronald Lasecki
Soutenez mon travail d'analyse: https://zrzutka.pl/xh3jz5
Notes:
1) En bref : La Colombie augmente le salaire minimum (latinnews.com) (02.01.2024).
2) En bref : La Colombie baisse ses taux d'intérêt (latinnews.com) (02.01.2024).
3) COLOMBIE : Petro et sa corde raide budgétaire (latinnews.com) (02.01.2024)
4) COLOMBIE : Grabe reprend les négociations de paix avec l'ELN (latinnews.com) (02.01.2024).
5) COLOMBIE : L'ELN renonce aux enlèvements (latinnews.com) (02.01.2024).
12:20 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, colombie, amérique latine, amérique du sud, amérique ibérique, géopolitique | |
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samedi, 20 janvier 2024
Querelle « depardivine »
Querelle « depardivine »
par Georges FELTIN-TRACOL
Ça a été la discussion mouvementée des réveillons. Plutôt que de s’engueuler sur les 91 inculpations de Donald Trump, l’arrivée climatorusse de l’hiver ou la loi immigration dont les quelques timides avancées seront certainement censurées par le Conseil constitutionnel, les convives ont préféré s’écharper sur… Gérard Depardieu.
Mis en examen depuis 2020 pour « viols » et « agressions sexuelles », l’acteur conteste formellement ces accusations. Il revient à l’émission « Complément d’enquête » du 7 décembre 2023 sur France 2 de relancer la controverse avec des propos grossiers, grivois et graveleux qu’il tient sur de jeunes cavalières en Corée du Nord. Se déchaînent alors les nouvelles pétroleuses 3.0. L’ultra-féminisme en bandoulière, ces Érinyes post-modernistes expliquent doctement partout que la présomption d’innocence n’est qu’une notion juridique seulement valable au tribunal. Elles sous-entendent que dans la société prime une présomption de culpabilité qu’on aurait aimé voir appliquée aux assassins supposés de Thomas à Crépol…
Cantonnée à une petite coterie d’où se dégagent néanmoins des miasmes nauséabonds, la polémique prend une tournure politique avec l’intervention d’Emmanuel Macron, le 20 décembre, dans l’émission sirupeuse « C à vous » sur France 5. Il tacle sa ministresse de la Culture dorénavant remerciée et vole au secours de Depardieu. La prise de position présidentielle provoque une avalanche de pétitions et d’autres tribunes plus ou moins mal intentionnées.
Le Figaro du 25 décembre 2023 publie le texte collectif « N’effacez pas Gérard Depardieu ». Déjà, dans sa livraison du 1er octobre dernier, ce quotidien avait fait paraître une lettre ouverte de Gérard Depardieu. Cette nouvelle contribution suscite une vague d’indignations formatées. Un certain collectif MeToo Media signe dans Le Monde du 27 décembre une lettre publique adressée au chef de l’État. Deux jours plus tard, l’officine du journalisme de flicage, Médiapart, met en ligne une pétition lancée par un autre collectif « Cerveaux non disponibles » (sic !) qui recueille en 48 heures plus de 8000 signatures dont celles des chanteuses sans voix Angèle et Pomme, de la piètre actrice Corinne Masiero, de l’humoriste hautement risible Guillaume Meurice, de la performeuse porno Nikita Bellucci, de Rokhaya Diallo et même du fameux Médine. Le 31 décembre sort une « Adresse au vieux monde » signée par soixante-dix personnalités. Enfin, Libération du 1er janvier 2024 met en ligne une pétition de 150 artistes pour qui « L’art n’est pas un totem d’impunités » !
La mobilisation rapide et impressionnante des anti-Depardieu contraint certains signataires couards du texte de Noël à retirer leur nom au motif majeur que le principal rédacteur de « N’effacez pas Gérard Depardieu » est Yannis Ezziadi, contributeur au mensuel national-sioniste Causeur et proche des cénacles zemmouristes. Horreur! Ainsi l’extrême droite serait-elle à la manœuvre… Nos incendiaires nouvelle génération inclusives, décarbonées et festives voient l’extrême droite commencer sur le pas de leur porte.
Une véritable épuration wokiste s’opère contre celui qui interpréta Léopold Lajeunesse dans Uranus (1990) de Claude Berri. Adapté du roman éponyme de Marcel Aymé sorti en 1948, ce film se gausse du résistancialisme officiel. Pour preuves de l’effacement en cours de Depardieu, le Premier ministre du Québec, de centre-droit, François Legault, vient de lui retirer l’Ordre national du Québec. Le bourgmestre socialiste de Bruxelles lui reprend la médaille municipale de reconnaissance. Le musée Grévin enlève sa statue en cire. Une autre est démantelée dans une commune de Belgique. Les services de la Légion d’Honneur enquêteraient. Quant aux télévisions suisse romande et belge francophone, elles viennent de décider de ne plus diffuser le moindre film dans lequel joue Gérard Depardieu. Rappelons qu’aucun jugement judiciaire n’a été prononcé ! Plus anecdotique, la maison de l’acteur belge Benoît Poelvoorde a été taguée dans la nuit du 29 décembre 2023. On y lisait dans un français approximatif : « Depardieu, on l’aime pas, c’est un gros porc. »
Au-delà de la simple personne de Depardieu, on ne peut que relever l’habituel sectarisme des milieux de la culture et de la presse. Ces milieux hypocrites dénoncent régulièrement la préférence nationale, mais ils vivent de l’exception culturelle, une forme spécifique de priorité française. Dans les coupes budgétaires à venir afin d’apurer une dette astronomique, l’arrêt immédiat des subventions accordées à la presse, aux « cultureux », aux partis politiques incapables et aux syndicats parasitaires serait une mesure salutaire. Ne serait-il pas temps d’arrêter la perfusion permanente envers la nullité, la laideur et la désinformation ?
Toutefois, si l’insupportable mouvement anti-Depardieu se déconsidère de lui-même, on ne peut pas se ranger aux côtés des partisans de « GéGé ». Certes, il a offert un entretien à François Bousquet dans Éléments n°195 d’avril – mai 2022. Depardieu n’est cependant pas des nôtres et il ne l’a jamais été. L’engouement de la « dissidence » pour lui remonte à 2014 avec l’essai de Richard Millet, Le corps politique de Gérard Depardieu (Éditions Pierre-Guillaume de Roux). Clin d’œil anticipateur d’un auteur, victime scandaleuse en 2012 d’une persécution littéraire orchestrée par Annie Ernaux, envers une autre victime du psittacisme féministoïde actuel ! Or, si Depardieu aime bien manger et détient des domaines viticoles, il importe de souligner son absence d’enracinement tangible.
Outre sa nationalité française, celui qui fut Danton pour Andrzej Wajda en 1982 possède la citoyenneté russe depuis 2013. En septembre 2020, il s’est même converti à l’Orthodoxie dans la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky à Paris. Cela ne l’empêche pas de recevoir en 2022 une nouvelle citoyenneté, celle des Émirats arabes unis ! Son itinéraire politique est d’ailleurs plus que sinueux. Longtemps proche du Cuba des frères Castro, Depardieu a appuyé la réélection de François Mitterrand en 1988. Il a donné de l’argent au PCF. Aux municipales de 2008, il avoue son enthousiasme pour le candidat Vert, Jacques Boutault, à la mairie de Paris. Mais, en 2007 comme en 2012, il s’enticha de Nicolas Sarközy. En 2010, il clama toute son admiration pour le truculent populiste de gauche, Georges Frêche, maire de Montpellier (1977 - 2004) et président du conseil régional du Languedoc – Roussillon (2004 - 2010). Ces exemples d’engagements successifs et parfois contradictoires confirment un réel tropisme cosmopolite et plutôt politiquement correct.
La filmographie de Gérard Depardieu est enfin riche en œuvres corrosives, voire subversives. Dans le film de Francis Veber, Les Fugitifs (1986), Depardieu donne la réplique à Pierre Richard qui regrette maintenant d’avoir signé la tribune parue dans Le Figaro. Il faut dire que l’un de ses derniers film, Les Vieux Fourneaux 2. Bons pour l'asile (2022) est une ode en faveur des migrants qui sont, on l’a compris, des ingénieurs, des médecins et des architectes en puissance. La fin de la comédie Les Fugitifs annonce la transparentalité non binaire... Fuyant la police française, un ex-taulard – Jean Lucas alias Gérard Depardieu – franchit la frontière espagnole en compagnie de François Pignon (Pierre Richard) travesti en femme et de sa fille Jeanne.
Au fond, Gérard Depardieu demeure ce qu’il a toujours été : cette petite frappe de Jean-Claude dans Les Valseuses de Bertrand Blier en 1974. Mais, avec le changement de mentalités, les « valseuses » d’aujourd’hui sont des harpies prêtes à tout pour se payer une très grande célébrité politiquement naïve.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 98, mise en ligne le 16 janvier 2024 sur Radio Méridien Zéro.
11:39 Publié dans Actualité, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gérard depardieu, cinéma, actualité | |
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Retour sur René Guénon et les classes moyennes condamnées
Retour sur René Guénon et les classes moyennes condamnées
Nicolas Bonnal
Les classes moyennes sont condamnées en Occident et elles ont beau être bouchées, elles finissent par le savoir.
Christophe Guilluy a dit récemment au Figaro sur la révolte un peu tardive tout de même de notre classe moyenne française :
« Le soft power des classes populaires et moyennes est effectivement à l’œuvre. Il porte jusqu’au sommet des thématiques dont les pouvoirs n’ont jamais voulu entendre parler depuis trente ans. L’œil rivé sur les sondages, Gabriel Attal a compris le danger. Il sait que ceux que j’appelle les dépossédés sont prêts au grand basculement. Portés par un instinct de survie et un diagnostic forgé dans plusieurs décennies de crise sociale, économique et culturelle, ils contraignent les dirigeants à parler de ceux qu’ils ignoraient avant-hier et même à utiliser des mots qui leur écorchaient la bouche il y a quelque temps en évoquant la souveraineté ou (indirectement) l’insécurité culturelle. »
Cette incapacité à se défendre et cette inaptitude à comprendre ce qui leur arrive depuis quarante ou soixante ans, même en Amérique, me fascine. Avant de pleurer le sort de la classe moyenne, marquée par la médiocrité et la dépendance vis-à-vis de l’Etat-nation moderne, essayons de la comprendre. On commence par Taine et des formidables Fables de La Fontaine :
« Le bourgeois est un être de formation récente, inconnu à l'antiquité, produit des grandes monarchies bien administrées, et, parmi toutes les espèces d'hommes que la société façonne, la moins capable d'exciter quelque intérêt. Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu'ailleurs. Le gouvernement l'a déchargé des affaires politiques, et le clergé des affaires religieuses. La ville capitale a pris pour elle la pensée, et les gens de cour l'élégance. L'administration, par sa régularité, lui épargne les aiguillons du danger et du besoin. »
Bobo ou pas, notre bourgeois moyen est un rapetissé (Taine était correspondant de Nietzsche, qui décrit vers la même époque le dernier homme – et de Pearson qui salue de la formidablement médiocre Australie cette volonté de se débarrasser non du fardeau de l’homme blanc mais de celui de la personnalité) :
« Il vivote ainsi, rapetissé et tranquille. A côté de lui un cordonnier d'Athènes qui jugeait, votait, allait à la guerre, et pour tous meubles avait un lit et deux cruches de terre, était un noble. »
Le bourgeois froncé, « homme sans qualités », est spécialement médiocre. En effet, ajoute :
« Ses pareils d'Allemagne trouvent aujourd’hui une issue dans la religion, la science ou la musique. Un petit rentier de la Calabre, en habit râpé, va danser, et sent les beaux-arts. Les opulentes bourgeoisies de Flandre avaient la poésie du bien-être et de l'abondance. Pour lui, aujourd'hui surtout, vide de curiosités et de désirs, incapable d'invention et d'entreprise, confiné dans un petit gain ou dans un étroit revenu, il économise, s'amuse platement, ramasse des idées de rebut et des meubles de pacotille, et pour toute ambition songe à passer de l'acajou au palissandre. Sa maison est l'image de son esprit et de sa vie, par ses disparates, sa mesquinerie et sa prétention. »
Roland Barthes en a parlé, Walter Benjamin, d’autres encore.
Or ce bourgeois moyen étatisé et rapetissé est sans défense.
On en vient à Guénon ; lui en veut spécialement à notre classe moyenne (dont nous faisons tous plus ou moins partie) et il défend formidablement le peuple honni des élites actuelles ; il écrit dans Initiation et réalisation spirituelle, XXVIII :
« Le peuple, du moins tant qu’il n’a pas subi une « déviation » dont il n’est nullement responsable, car il n’est en somme par lui-même qu’une masse éminemment « plastique », correspondant au côté proprement « substantiel » de ce qu’on peut appeler l’entité sociale, le peuple, disons-nous, porte en lui, et du fait de cette « plasticité » même des possibilités que n’a point la « classe moyenne » ; ce ne sont assurément que des possibilités indistinctes et latentes, des virtualités si l’on veut, mais qui n’en existent pas moins et qui sont toujours susceptibles de se développer si elles rencontrent des conditions favorables. »
Inapte à la Tradition et à l’initiation, cette classe moyenne. Guénon ajoute :
« Quant à la « classe moyenne », il n’est que trop facile de se rendre compte de ce qu’on peut en attendre si l’on réfléchit qu’elle se caractérise essentiellement par ce soi-disant « bon sens » étroitement borné qui trouve son expression la plus achevée dans la conception de la « vie ordinaire », et que les productions les plus typiques de sa mentalité propre sont le rationalisme et le matérialisme de l’époque moderne ; c’est là ce qui donne la mesure la plus exacte de ses possibilités, puisque c’est ce qui en résulte lorsqu’il lui est permis de les développer librement. Nous ne voulons d’ailleurs nullement dire qu’elle n’ait pas subi en cela certaines suggestions, car elle aussi est « passive », tout au moins relativement ; mais il n’en est pas moins vrai que c’est chez elle que les conceptions dont il s’agit ont pris forme, donc que ces suggestions ont rencontré un terrain approprié, ce qui implique forcément qu’elles répondaient en quelque façon à ses propres tendances ; et au fond, s’il est juste de la qualifier de « moyenne », n’est-ce pas surtout à la condition de donner à ce mot un sens de « médiocrité » ?
Dans le Chapitre "Jonction des extrêmes", Guénon ajoute (dans une note) :
« En effet, l’industrie moderne est bien l’œuvre propre de la « classe moyenne », qui l’a créée et qui la dirige, et c’est pour cela même que ses produits ne peuvent satisfaire que des besoins dont toute spiritualité est exclue, conformément à la conception de la « vie ordinaire » ; cela nous semble trop évident pour qu’il y ait lieu d’y insister davantage. »
Ce qu’il nomme déviant, Marx le nomme « révolutionnaire ». Le bourgeois est le révolutionnaire par excellence dans le monde moderne. On devrait finir par le comprendre en France au bout de deux siècles et demi…
Rappelons cette page du Manifeste :
« La Bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle essentiellement révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens bariolés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié, pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, le dur paiement au comptant. Elle a noyé l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité petite-bourgeoise, dans les eaux glacées du calcul égoïste. »
Marx ajoute même :
« La Bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle les a enrôlés parmi les travailleurs salariés. La Bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples relations pécuniaires. »
Et le représentant de l’élite bourgeoise mondialisée a décidé aujourd’hui de liquider le trop-plein de population…
Il y a un autre texte de Guénon qui se rapproche de la situation actuelle, marqué par le commandement bourgeois ultime : le commandement totalitaire informatique via les CBDC, le contrôle social et compagnie ; c’est celui sur la Cité divine où tout est commandé par un smart cerveau :
« Aussi une autre image plus exacte est-elle donnée par le jeu des marionnettes, puisque celles-ci ne sont animées que par la volonté d’un homme qui les fait mouvoir à son gré ; et l’on trouve à cet égard un « mythe » particulièrement frappant dans le Kathâ-Sarit-Sâgara. Il y est question d’une cité entièrement peuplée d’automates en bois, qui se comportent en tout comme des êtres vivants, sauf qu’il leur manque la parole ; au centre est un palais où réside un homme qui est l’« unique conscience » (êkakam chêtanam) de la cité et la cause de tous les mouvements de ces automates qu’il a fabriqués lui-même ; et il y a lieu de remarquer que cet homme est dit être un charpentier, ce qui l’assimile à Vishwakarma, c’est-à-dire au Principe divin en tant qu’il construit et ordonne l’Univers. »
Les habitants devenus des automates ? C’est le rêve de la Montagne magique de Davos (relisez Thomas Mann dans ce sens).
Concluons rapidement : il y a une élite bourgeoise sacrément dangereuse, et une masse moyenne sans défense.
Sources :
https://strategika.fr/2021/10/14/charles-henry-pearson-le...
https://www.dedefensa.org/article/taine-et-le-cretinisme-...
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/christophe-guilluy-il...
http://classiques.uqac.ca/classiques/guenon_rene/initiati...
http://classiques.uqac.ca/classiques/guenon_rene/Symboles...
https://pandor.u-bourgogne.fr/archives-en-ligne/functions...
http://classiques.uqac.ca/classiques/taine_hippolyte/la_f...
https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/07/15/lecons-liber...
10:58 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, rené guénon, classes moyennes, karl marx, bourgeoisisme | |
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vendredi, 19 janvier 2024
Le saut technologique en Chine et la lutte des classes en Allemagne
Le saut technologique en Chine et la lutte des classes en Allemagne
par Pasquale Cicalese
Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/27227-pasquale-cicalese-il-salto-tecnologico-in-cina-e-la-lotta-di-classe-in-germania.html
Aujourd'hui, à la une de Il sole 24 ore, on apprend que la Chine est devenue le premier producteur mondial de voitures (30 millions), dépassant même le Japon en termes d'exportations (4,9 millions contre 4,3).
De plus, les voitures chinoises ont remplacé les voitures occidentales sur le marché russe.
Cette évolution vient compléter un processus d'industrialisation de haute qualité qui a débuté avec la loi sur le travail de 2008 (plus-value relative), que j'analyse dans Piano contro Mercato (Plan versus Marché).
Hier, le China Daily a annoncé que le Conseil d'État, afin d'aider les entreprises publiques et privées dans la tempête du marché mondial, caractérisée par des guerres, des fermetures et des boycotts, allait unifier et simplifier toutes les réglementations concernant le monde des affaires afin d'unir le marché mondial et le marché intérieur: ceux qui ont des problèmes sur le marché mondial seront aidés à trouver des débouchés sur le marché intérieur, la même chose en sens inverse. Le tout sous la bannière, selon le China Daily, de la "haute qualité".
Le saut technologique schumpétérien est en cours et la contribution du capital industriel, en tant que source de valeur, s'accroît.
Ne vous alarmez pas des baisses des taux d'investissement (ils en ont fait beaucoup trop au cours des dernières décennies) ou du marché immobilier (le PBOC travaille depuis des mois à résoudre ce problème). La Chine se préoccupe désormais du bien-être de sa population, à commencer par les personnes âgées et les enfants. Les soins médicaux seront étendus (nous attendons toujours la réforme des soins de santé sur notre modèle de 1978), l'éducation de plus en plus améliorée.
Maintenant, permettez-moi de m'exprimer sans détours: cela me fait rire que la Commission européenne confie à Draghi les leviers de la compétitivité de l'industrie européenne. Ce n'est plus de mise. Peut-être qu'en Allemagne on s'en rend compte, d'où les luttes de classes, et à l'avenir il pourrait y avoir un tournant vers la plus-value relative (ils l'ont, ne serait-ce que l'excédent de la balance courante, grâce à un euro faible, de ces décennies). Pas en Italie, où la "croissance", "glorifiée" par rapport à d'autres partenaires européens, n'est dictée en 2023 que par le "tourisme", une dépense quotidienne de 35 euros par jour. La misère de la classe dirigeante italienne, servante des Anglo-Saxons, des Israéliens et de la Commission, est révélée dans la page d'aujourd'hui de Il sole 24 ore. L'ILVA est en train de couler, la production industrielle est en baisse depuis octobre et l'affrontement en mer Rouge est encore loin d'avoir exporté ses effets. Et si l'on ajoute les taux d'intérêt élevés et la réduction des dépenses publiques pour se conformer à Maastricht, le tableau est complet. Messieurs, la marchandise n'a pas disparu, elle reste bien présente en Asie. Messieurs, la classe ouvrière n'a pas disparu, elle est bien présente en Asie.
19:51 Publié dans Actualité, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, économie, chine, allemagne, italie, asie, europe, affaires asiatiques, affaires européennes | |
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Une victoire électorale de l'AfD se profile à l'horizon ? Alors, modifions rapidement la législation électorale, n'est-ce pas?
Une victoire électorale de l'AfD se profile à l'horizon? Alors, modifions rapidement la législation électorale, n'est-ce pas?
Peter Logghe
Source: https://www.facebook.com/peter.logghe.94
Dans le Land allemand de Thuringe, la panique s'empare de nos amis de gauche, car l'AfD y deviendrait le plus grand parti - et fournirait ainsi le ministre-président. Le ministre de l'intérieur de Thuringe, Georg Maier (SPD), demande donc d'urgence des changements législatifs pour empêcher l'élection possible de figures politiques de l'AfD à toutes sortes de postes de haut niveau. Les prochaines élections en Thuringe auront lieu le 1er septembre 2024.
Dans l'état actuel de la législation, le poste de président du parlement du Land appartiendra de toute façon à l'AfD à ce moment-là, mais M. Maier, qui fait partie du gouvernement minoritaire rouge-rouge-vert de Bodo Ramelow (Die Linke), ne veut pas que cela se produise. Car, a déclaré le social-démocrate au journal allemand Süddeutsche Zeitung, "ce parti prendrait alors le contrôle du conseil économique et contrôlerait également la procédure de nomination d'un ministre-président".
La gauche est toujours mauvaise perdante, n'est-ce pas ?
Maier souhaite à présent modifier la loi afin que le parlement du Land puisse également élire des hommes politiques d'autres partis au poste de président du parlement du Land. "Nous devons réglementer ce point ainsi que la composition de l'organe de contrôle de la protection de l'environnement, sinon l'AfD obtiendra bientôt au moins deux sièges à ce niveau également".
Selon des sondages récents, l'AfD obtiendrait 34% des voix en Thuringe, soit 12% de plus que la CDU. Die Linke atteindrait encore 20 %, la SPD 9%, tandis que le parti libéral FDP et les Grünen disparaîtraient du parlement (avec seulement 4% chacun).
"Il faut garder à l'esprit qu'avec un tiers des voix, l'AfD pourrait empêcher la modification de la loi ou l'élection de certains juges", a déclaré encore Maier. Sur le fond, tous les partis sont d'accord pour dire que la loi devrait être "affinée", mais jusqu'à présent, toutes les tentatives ont échoué, parce que nous restons coincés dans des jeux politiques", a-t-il ajouté. Il a appelé "tous les démocrates" à prendre enfin des mesures pour clarifier la loi.
Le ministre-président de Thuringe, Bodo Ramelow (Die Linke), s'est prononcé contre ces changements rapides de la loi. Et la CDU veut d'abord prendre le Landesverfassungsgerichtshof en flagrant délit.
Une fois de plus, la gauche s'avère être un très mauvais perdant. Si l'électorat ne veut plus suivre, nous changerons les règles électorales, n'est-ce pas? Qu'attendent-ils pour abolir la démocratie?
19:33 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, allemagne, europe, politique, affaires européennes, afd, thuringe | |
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Kissinger n'était pas un Américain
Kissinger n'était pas un Américain
Ronald Lasecki
Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2024/01/kissinger-nie-by-amerykaninem.html
Henry Kissinger n'était pas un Américain. Non seulement en raison de ses origines - il est né il y a un siècle dans une famille juive de Bavière - mais aussi en raison du somptueux accent allemand qu'il a conservé tout au long de sa vie. Ce n'est pas non plus parce qu'il n'était pas américain que le somptueux accent allemand qu'il a conservé jusqu'à la fin de sa vie en était la preuve. Kissinger appartenait à l'Amérique, mais il n'était pas l'Amérique.
S'il était la figure la plus caractéristique de la politique étrangère yankee, il n'en représentait pas le trait le plus distinctif: un missionnisme démolibéral, donnant naissance au désir de transformer révolutionnairement le monde plus ou moins à chaque génération lorsque l'état des choses existant ne correspond plus graduellement aux idées de plus en plus libérales des héritiers idéologiques du protestantisme radical et de la révolution des Lumières de 1776.
Kissinger a cependant su profiter des opportunités offertes par la Mecque américaine, celle des exilés et des immigrés. Persécuté dans son pays d'origine, l'Allemagne, où il n'avait pas accès à l'enseignement, il s'est servi des institutions académiques pour gravir les échelons du pouvoir. Bénéficiant du rôle central des universités dans la sélection et la formation de l'élite qui contrôlait la politique étrangère des États-Unis dans la seconde moitié du 20ème siècle, il a bâti sa position sur ses réalisations académiques et son expertise en tant qu'historien.
Après s'être officiellement retiré de la scène politique, il a utilisé son expertise pour gagner de l'argent: son cabinet de conseil Kissinger Associates a reçu des commissions élevées de la part de généreux donateurs, y compris étrangers, offrant en retour aux entreprises et aux gouvernements des informations approfondies sur le système. Le canal d'information créé par Kissinger a été utilisé par huit présidents américains - de Carter à Biden - pendant un demi-siècle.
Un ordre stable et instable
Kissinger avait déjà consacré sa thèse de doctorat, The World Restored (1957), au Congrès de Vienne, en attirant l'attention sur les "problèmes de la paix", ce qui est révélé dans son sous-titre. La juxtaposition des mots "problèmes" et "paix" indique que l'auteur était fasciné non pas tant par la "paix" au sens de l'absence de guerres, mais par l'"ordre", l'"équilibre" - la "pax" à la romaine.
En effet, la paix peut être structurellement stable - convenue par les principaux centres de pouvoir, conjointement légitimée par eux, qu'ils s'engagent solidairement à préserver. Cette option reste en équilibre dynamique, car il s'agit d'un système de vases communicants et l'affaiblissement d'un de ses éléments est contrebalancé par la stabilisation du système par les autres. Tel était le système de Vienne construit par Metternich et négocié au Congrès de 1815 avec Castlereagh.
Mais il existe aussi une variante de la paix hégémonique: imposée par la puissance dominante du moment, unilatéralement favorable à celle-ci, donc contestée par les lésés, donc structurellement instable et, en bout de course, insoutenable. En effet, tout affaiblissement de l'hégémon ou la montée d'un centre de pouvoir concurrent désorganise le système hégémonique et conduit à son effondrement.
La stabilité d'un système hégémonique dépend d'un seul facteur, et non d'un système de facteurs multiples qui se complètent mutuellement, comme dans un système d'équilibre des pouvoirs. Par ailleurs, aucun facteur unique ne peut être permanent, car tout dans le monde est sujet à l'entropie et à la fluctuation ; un système hégémonique est donc structurellement défectueux et voué à l'effondrement. Contrairement aux systèmes pluralistes (équilibre des pouvoirs), les systèmes concentriques (hégémoniques) ont une capacité limitée d'homéostasie et sont moins flexibles, car moins adaptés à la nature dynamique et spontanée-créative de la réalité.
Kissinger a formulé son éloge du système d'équilibre des pouvoirs et sa critique du système hégémonique au milieu du 20ème siècle, mais ce n'est que le 1er janvier 1990 que Charles Krauthammer a annoncé l'avènement du "Moment unipolaire" dans les pages de Foreign Affairs, un forum semi-officiel de communication des opinions de l'élite politique américaine. Cela a activé le désir révolutionnaire, presque trotskiste, de la superpuissance victorieuse de la guerre froide de transformer le monde selon les critères de l'idéologie démolibérale.
Sur la Russie
Kissinger s'est engagé dans une autre direction. Contrairement aux dictats de la tradition politique yankee et de l'idéologie d'État, le secrétaire d'État des administrations des présidents Richard Nixon et Gerald Ford a cherché à intégrer d'autres centres de pouvoir au sein du système mondialiste yankee, plutôt que de les vaincre ou de les détruire.
Il s'agit avant tout de l'assouplissement des relations avec l'Union soviétique dans les années 1970, alors que les États-Unis sont enlisés en Indochine et perturbés par l'effondrement de leurs sous-systèmes socio-culturels et économiques internes. Le rapport entre la taille des armements de l'URSS et des États-Unis commence à se rapprocher dangereusement de la parité pour ces derniers.
Washington perd la guerre froide et craint une défaite géopolitique en Europe. Son élite dirigeante en vint à la conclusion que le pays avait besoin d'un moment de répit, tandis qu'en matière de politique étrangère, il fallait apaiser les tensions et gagner du temps. L'architecte de cette politique fut Kissinger, qui fut plus tard critiqué par le récit "Cassandre" qui, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, donna naissance au mouvement néoconservateur (qui n'avait pas encore de nom à l'époque).
La position de Kissinger sur la guerre actuelle en Ukraine s'est également écartée du politiquement correct. Il s'est montré sceptique quant à la possibilité de reprendre la Crimée et les territoires perdus par l'Ukraine au printemps 2022, refroidissant ainsi l'enthousiasme des partisans d'une hégémonie unilatérale de la grande puissance au drapeau Stars and Stripes, pour laquelle il serait nécessaire d'infliger une défaite décisive à Moscou. Kissinger a proposé de faire de l'Ukraine un tampon dans les relations avec la Russie, plutôt que d'envisager un "changement de régime" au Kremlin. Il a mis en garde contre la tentation de pousser la Russie dans les bras de Pékin avec une rhétorique aussi belliqueuse.
Sur la Chine
Le deuxième élément de la "grande stratégie" de Kissinger est l'ouverture des États-Unis à la Chine en 1972. Le secrétaire d'État de l'époque ne se contentait pas d'exploiter les fissures dans le bloc communiste et de retourner le plus faible des ennemis des États-Unis contre le plus fort - ce que Kissinger a pleinement réussi à faire et qui est encore considéré aujourd'hui comme un chef-d'œuvre de diplomatie, bien que les critiques reprochent à celui qui occupait alors le Harry S Truman Building à Foggy Bottom de ne pas avoir suffisamment exploité l'avantage de Washington et d'avoir fait des concessions trop importantes à Pékin sur la question de Taïwan.
Cependant, Kissinger voulait bien plus que monter le Zhönguó contre la Russie. Il voulait entraîner la République populaire de Chine dans la mondialisation yankee et faire de l'Empire du Milieu un partenaire junior de la bannière étoilée. Il ne croyait pas à la démocratisation et à l'occidentalisation de la Chine, estimant au contraire que - pour citer la déclaration de Xi Jinping lors de sa récente rencontre avec Joe Biden à San Francisco à la mi-novembre - "le monde est assez grand pour accueillir les États-Unis et la Chine". Il a cherché à construire un condominium mondial entre Pékin et Washington, convaincu de la nécessité de travailler ensemble pour maintenir l'ordre mondial (pax).
Ce qu'il ne croyait pas, c'est que les États-Unis seraient capables de maintenir cet ordre seuls. Il savait que l'effondrement de l'hégémonie américaine, structurellement instable, entraînerait également l'effondrement de l'importance mondiale des idéaux démocratiques libéraux yankees qui lui avaient permis, à la fin des années 1930, de trouver refuge en Amérique du Nord face aux national-socialistes allemands antisémites.
Kissinger a travaillé toute sa vie sur l'idée d'intégrer la Chine dans le système mondial yankee. Il voulait utiliser la préférence confucéenne du peuple chinois pour l'ordre et l'harmonie sociale, ce qui rappelle sa vision "européenne" du monde, dans laquelle il voyait le moyen d'harmoniser le globe comme un "concert de puissances" et la coordination des politiques des principaux acteurs au sein d'un système unique. Un autre facteur liant la Chine au sein d'un système mondial dirigé par les États-Unis était, dans sa conception, les avantages du commerce mondial, dont la sécurité des "goulets d'étranglement", sous la forme de détroits maritimes, devait être garantie par la thalassocratie nord-américaine.
En juillet 2023, Kissinger a été reçu à Pékin, ce qui témoigne de la recherche par Xi Jinping de canaux de communication pour atténuer les relations tendues avec Washington. Kissinger estime que les puissances nord-américaine et chinoise ont une responsabilité l'une envers l'autre et envers le monde ; "l'une a besoin de l'autre", tandis qu'"un conflit impliquant la technologie moderne [...] serait un désastre pour l'humanité". En mai, il a déclaré que "les dirigeants des deux pays ont le devoir d'empêcher cela" et de renouveler les canaux de communication. En conséquence, la "ligne directe" présidentielle a été relancée lors du sommet de San Francisco, le 15 novembre, et les communications entre l'armée américaine et l'Armée populaire de libération de la Chine ont repris.
La façon dont Kissinger a géré le Zhönguó s'explique par sa profonde compréhension des déterminants civilisationnels de la politique étrangère du pays, qu'il a démontrée dans son ouvrage On China (2011). Grâce à sa compréhension de la logique culturelle qui sous-tend les ambitions géopolitiques de la Chine et des déterminants de ses modes politiques, il a été plusieurs fois l'envoyé de Washington dans le pays, même après sa retraite - la dernière fois le 20 juillet 2023.
Kissinger a su parler aux Chinois - à partir de son expérience du renseignement et donc d'un négociateur extrêmement difficile, Zhou Enlai - grâce à sa compréhension des principes fondamentaux de la civilisation chinoise : les relations mutuellement bénéfiques (guanxi) et le respect de la contrepartie (mianzi). Il a compris que pour briser l'hostilité et établir des relations avec Pékin, il fallait créer un climat de confiance et de respect mutuel. Il a utilisé ces connaissances lors de ses visites dans l'Empire du Milieu en 1971, préparant ainsi le terrain pour l'établissement de relations diplomatiques entre les États-Unis et la RPC.
L'herméneutique et les menaces qui pèsent sur elle
En tant que conseiller à la sécurité nationale (1969-1975) et secrétaire d'État américain (1973-1977), Kissinger a introduit une nouvelle habitude, à savoir l'étude minutieuse des documents de renseignement éclairant la vie, l'éducation et la carrière des dirigeants mondiaux avec lesquels il entrait en contact. Kissinger cherchait à les comprendre, à pénétrer leur vision du monde et leurs intentions. En ce sens, il était un "Européen", un homme "du monde", si différent des "provinciaux" yankees qui cherchent à interpréter et à évaluer le comportement des autres à travers le prisme de leur propre axiologie et de leurs codes culturels.
Cette méthode de Kissinger est parfaitement évidente dans son récent ouvrage Leadership: Six Studies in World Strategy (2023), sous-apprécié au niveau international et passé totalement inaperçu en Pologne, consacré à une analyse des motivations de Konrad Adenauer, Charles de Gaulle, Richard Nixon, Anwar as-Sadat, Lee Kuan Yew et Margaret Thatcher. Kissinger formule sa vision de la politique extérieure américaine en tenant compte des codes géopolitiques et culturels des autres nations, tels qu'incarnés par leurs dirigeants politiques.
Kissinger a également mis en garde contre l'intelligence artificielle et les tendances civilisationnelles plus générales dont elle est une manifestation. Dans un article coécrit avec Eric Schmidt et Daniel Huttenlocher et publié dans le Wall Street Journal le 24 février 2023, il compare l'intelligence artificielle à l'invention de l'imprimerie en 1450. Or, si celle-ci a permis d'accélérer la communication du savoir humain abstrait et d'en étendre la portée, les nouvelles technologies d'aujourd'hui créent un fossé entre le savoir humain et sa compréhension.
Au niveau politique, on assiste à une compression temporelle des processus de décision à une échelle qui les empêche d'être menés de manière rationnelle, ce qui menace l'équilibre du système international. Selon Kissinger, à l'ère de l'intelligence artificielle, de nouvelles conceptions de la connaissance humaine et de la relation entre l'homme et la machine devront être développées. L'intelligence artificielle est, selon les auteurs de l'essai, une manifestation de l'ère de la "distraction", où il n'est plus difficile d'assimiler des concepts profonds. Étudier un livre aujourd'hui est devenu un geste non conventionnel", nous dit Kissinger. La connaissance herméneutique que l'auteur de Leadership et de On China a développée à propos de la psyché des nations et des dirigeants est en train de perdre du terrain.
Kissinger arrive à une conclusion non moins pessimiste que dans l'essai du WSJ dont il est question dans le chapitre final de son ouvrage Leadership; il y souligne l'importance de l'éducation humaniste et civique et du substrat religieux pour la formation des dirigeants politiques modernes dans les conditions de la méritocratie qui a aujourd'hui remplacé l'ancienne aristocratie.
Selon Kissinger, cependant, l'idéal de l'éducation humaniste est en train de mourir dans les universités, ce qui, à son avis, menace la formation de fonctionnaires compétents. Les universités, selon lui, forment des technocrates étroitement spécialisés et des activistes idéologisés. L'étude, selon Kissinger, perd sa perspective philosophique et historique plus large.
La disparition de la culture civique, à son tour, selon l'auteur de Leadership, provoque un fossé croissant entre la multitude du peuple et les élites. Les élites et le peuple se font de moins en moins confiance et sympathisent, ce qui fait que le système devient de plus en plus oligarchique et que les tendances populistes anti-oligarchiques se développent dans la société.
Le passage d'une culture écrite à une culture visuelle s'opère, comme le note Kissinger, par le biais d'Internet et des nouveaux médias, ce qui déforme considérablement la conscience collective de la société. Le raccourcissement de la perspective et l'émotionnalisation qui caractérisent l'ère de l'Internet menacent, selon lui, une compréhension plus profonde et holistique des faits.
L'analyse rationnelle cède le pas, selon Kissinger, à des images émotionnellement suggestives dans la nouvelle ère de l'Internet. Les moyens de communication de masse exercent également des pressions conformistes croissantes dont les décideurs ne peuvent se protéger. Cependant, la marge d'erreur acceptable dans la prise de décision, comme le souligne Kissinger, se réduit face à l'émergence de nouveaux défis tels que l'intelligence artificielle, la cyberguerre et les nouvelles tensions internationales.
À propos de l'Amérique
Ce n'est pas un hasard si Richard Nixon figure parmi les dirigeants mondiaux analysés dans les pages de Leadership. Kissinger, sans jamais être devenu mentalement américain, comprenait les États-Unis comme personne d'autre. Il est impossible de comprendre l'idée que les Yankees se font d'eux-mêmes et de leur pays sans lire Kissinger. Sa caractérisation du caractère national yankee peut être placée avec succès aux côtés de De la démocratie en Amérique (1835-1840) d'Alexis de Tocqueville, de L'Amérique (1986) de Jean Baudrillard ou de Qui sommes-nous ? (2004) de Samuel Huntington.
La phrase lapidaire tirée de Diplomatie de Kissinger, "Les États-Unis ne peuvent ni se retirer du monde ni le dominer", résume le mieux la "tragédie" du rôle international de cette superpuissance. Comme dans le cas de la Chine (dans l'ouvrage On China), Kissinger approfondit les déterminants psycho-politiques des projets internationaux des États-Unis et met en évidence les déterminants mentaux et culturels de leur politique étrangère. Alliant l'expérience de l'homme d'État à la sensibilité de l'historien, il identifie les composantes de l'attitude nationale des Américains à l'égard du monde extérieur et de leurs perceptions politiques. A titre d'exemple, citons trois de ces traits du caractère national yankee relevés et décrits par Kissinger :
Premièrement, les Américains rejettent la conception européenne (associée à Richelieu) de la raison d'État comme la poursuite par des moyens rationnels d'objectifs de politique étrangère rationnellement mesurés et donc d'intérêts rationnellement définis. Le moralisme est ancré dans les hypothèses de la république nord-américaine qui, du point de vue des autres centres de pouvoir et du système international dans son ensemble, est un facteur de désorganisation et une menace pour la durabilité de l'équilibre dynamique.
Nous devons ajouter que des représentants de sectes chrétiennes fondamentalistes se sont installés dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord, traitant les préceptes moraux de cette religion au pied de la lettre et avec le plus grand sérieux. Alors que dans les pays orthodoxes et catholiques, des "soupapes de sécurité" ont été développées pour réconcilier la morale et l'anthropologie chrétiennes avec les exigences du fonctionnement du monde, aux États-Unis, la philosophie du "pragmatisme", supposant la possibilité d'"écraser" la réalité matérielle conformément aux exigences morales, est devenue populaire au début du 20ème siècle. Sous sa forme sécularisée des Lumières, dérivée d'un christianisme fondamentaliste, le moralisme a été inscrit dans les documents fondateurs des États-Unis et a trouvé son expression dans la jurisprudence judiciaire.
La leçon de Kissinger sur la "vision païenne du monde" est également pertinente sur ce point pour la Pologne, qui est liée à la république nord-américaine en déduisant sa politique extérieure de prémisses morales et idéologiques. En Pologne, cela n'est pas conditionné par le fondamentalisme chrétien, mais par un messianisme "latin" de liberté-république, et conduit à des échecs successifs du centre de pouvoir polonais dans ses relations avec les centres de pouvoir allemand et russe guidés par la "Realpolitik".
Deuxièmement, les Américains rejettent la conception européenne de la politique, qui consiste à gérer les problèmes plutôt qu'à les résoudre. Comme Lucius Cincinnatus, les Américains aimeraient, après avoir "gagné la guerre", "abandonner la politique" et retourner tranquillement "travailler la terre". Après avoir accompli sa mission, qui consiste à "résoudre le problème une fois pour toutes", le Yankee "rentre chez lui". Pour le yankee, la politique étrangère est une tâche qui a un début et une fin. En Europe, en revanche, la politique est comprise comme un processus qui n'a jamais de fin.
Ajoutons que le code culturel susmentionné du yankee trouve également ses racines dans le christianisme: dans la conception linéaire du temps qui atteint sa fin, après quoi le bonheur éternel est censé régner. Sous une forme sécularisée de l'idée des Lumières de la "paix éternelle", ce christianisme des fondamentalistes protestants a inspiré les visions yankees ultérieures de la "fin de toutes les guerres" et de la "justice" mondiale - du concept de la Société des Nations à celui du "Grand Moyen-Orient".
Kissinger, probablement inconsciemment, s'écarte ici de l'historicisme judéo-chrétien pour adopter une vision païenne du monde: le monde est un "devenir" continu sans "but" ni "logique" ; au-delà de ses frontières, aucun "monde meilleur" ne nous attend, car c'est celui dans lequel nous vivons qui est bon - parce qu'il est celui dans lequel nous vivons (le principe anthropique éthique). Le monde ne peut donc pas être "amélioré", mais seulement mal géré ou bien géré en fonction des intérêts de chacun et des interrelations de ses éléments ; une bonne gestion est telle que ces relations sont structurellement stables, et donc rationnellement prévisibles.
Troisièmement, le code politique yankee est un code libéral. Les Américains considèrent comme bon et juste un monde dans lequel le commerce remplace la guerre et le droit remplace la force. Les États-Unis se présentent comme les champions d'un ordre mondial régi par le droit. Ce courant traverse toute l'histoire intellectuelle des États-Unis et remonte bien plus loin que l'émergence de la Cour pénale internationale, l'idée d'"intervention humanitaire" après la fin de la guerre froide pour masquer les guerres d'agression, ou la fondation de l'ONU et avant elle de la Société des Nations. Kissinger, quant à lui, conçoit la politique à travers le prisme des rapports de force, ce en quoi il est extrêmement "anti-américain".
Le code yankee de compréhension de la politique, comme nous l'avons mentionné, est un code libéral. Le libéralisme expose au grand jour des idées chrétiennes sécularisées telles que la liberté, l'individu, l'égalité, le rationalisme, qui, dans la doctrine des églises chrétiennes d'Europe continentale, ont été "couvertes" par des formules philosophiques et culturelles qui atténuent leur contenu subversif. Chez les fondamentalistes protestants des colonies anglaises d'Amérique du Nord, déracinés du milieu civilisationnel européen, ces idées ont été mises au premier plan et ont ensuite trouvé leur expression dans la pensée séculière des Lumières nord-américaines et, enfin, dans le libéralisme yankee.
Kissinger l'Européen
Kissinger a écrit pour l'élite politique yankee, mais ses idées ne sont pas populaires parmi elle. Les États-Unis parient désormais sur l'encerclement et l'isolement de la Chine, plutôt que sur son intégration dans le système mondial qu'ils dirigent toujours. Washington traite la Russie et d'autres acteurs mondiaux non pas comme des piliers régionaux de l'ordre mondial, mais comme des rivaux à abattre ou à détruire. Les idées de Kissinger ne sont pas et ne seront pas mises en œuvre dans la politique étrangère américaine dans un avenir prévisible.
Car dans sa construction intellectuelle, sa mentalité et sa conscience, Kissinger n'était pas un Américain, mais un Européen. Malgré son départ d'Allemagne lorsqu'il était encore enfant et ses origines juives, Kissinger est toujours resté mentalement "allemand". C'est pourquoi ses analyses sont plus populaires en Europe continentale et en Chine qu'aux États-Unis, son pays d'origine. Le tempérament et la mentalité de Kissinger étaient purement "tellurocratiques".
En Pologne, qui se nourrit du ressentiment anti-européen (et surtout anti-russe), Kissinger est perçu de manière plutôt critique - comme insuffisamment anti-russe. La supériorité de Brzezinski sur Kissinger a été récemment démontrée par le conservateur polonais Marek A. Cichocki, qui a souligné l'idéologisation démolibérale de sa conception de la politique à l'égard de la Russie comme facteur de cette prétendue supériorité de Brzezinski.
Une telle évaluation de la part d'un conservateur serait bien sûr absurde, à moins de reconnaître le fait que les Polonais partagent l'idéologisation démolibérale avec les Américains - sauf que les conservateurs polonais, au lieu d'utiliser le terme libéral-démocrate, préfèrent "liberté-républicain". La différence n'est toutefois que cosmétique, car dans les deux cas, il s'agit de lier la raison à une sinistre superstition idéologique démolibérale.
Ronald Lasecki
Publié à l'origine dans Myśl Polska, numéro 51-52 (17-24.12.2023).
19:11 Publié dans Géopolitique, Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diplomatie, henry kissinger, états-unis, politique internationale, histoire, hommage, géopolitique | |
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Politique d'insécurité et préparation à la guerre
Politique d'insécurité et préparation à la guerre
Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2024/01/09/turvattomuuspolitiikkaa-ja-sotaan-valmistautumista/
La conférence sur la sécurité Folk och försvar (Peuple et Défense) s'est tenue à Sälen, en Suède, où les discussions ont porté sur la stagnation du processus d'adhésion à l'OTAN en Suède, la guerre en cours en Ukraine et la préparation à une éventuelle guerre majeure entre l'Occident et la Russie.
Volodymyr Zelenskyi, acteur présidentiel ukrainien et magnat occidental de l'industrie de l'armement, est également apparu en mode distanciel lors de la cérémonie d'ouverture, remerciant ses partisans pour leur "solidarité" tout en appelant à "une plus grande production d'armes" en Europe.
Si la Suède attend encore l'accord de la Turquie et de la Hongrie, son rôle dans l'alliance militaire est déjà planifié. Selon le Premier ministre Ulf Kristersson, la Suède est un "lieu géographiquement important" qui servirait de voie de transit pour les transports d'équipements afin de permettre à l'OTAN de mieux se déplacer en Europe.
En outre, en tant que membre de l'OTAN, la Suède prévoit de transférer huit cents soldats suédois en Lettonie et de les inclure à une force dirigée par le Canada, en prévision de futurs combats. L'armée suédoise prépare cette opération depuis un certain temps et elle a reçu l'approbation du gouvernement.
Le commandant des forces de défense suédoises, Micael Bydén, et le ministre de la protection civile, Carl-Oskar Bohlin, ont également pris la parole lors de la conférence. Ils ont tous deux exhorté la population à se préparer mentalement à la guerre en Europe.
Il est intéressant de noter qu'en Suède, qui attend d'adhérer à l'OTAN, l'élite au pouvoir suscite déjà le même type d'hystérie guerrière et de panique collective qu'en Finlande et dans d'autres États membres de l'UE ces dernières années.
Ce n'est pas une coïncidence, comme le montrent les "accords de défense" bilatéraux avec Washington. Les États-Unis envisagent de militariser fortement la région et d'impliquer leurs vassaux locaux dans leur conflit géopolitique avec la Russie.
Les experts américains en communication stratégique travaillent donc activement à promouvoir un récit qui justifie cette militarisation et assure son acceptation par les populations des pays sur le territoire desquels Washington entend mener ses opérations militaires.
Le moyen le plus rapide de s'assurer de cette obéissance est sans doute de susciter la peur. Depuis un certain temps, l'OTAN occidentale tente de promouvoir le récit selon lequel la fin de la guerre sur le territoire de l'(ex)-Ukraine signifie, en pratique, le transfert du conflit en Europe.
Aujourd'hui, on entend dire qu'une fois l'Ukraine revenue dans le giron de la Russie, le méchant Poutine tournera son regard vers l'Europe, et que personne ne sera en sécurité ici. L'objectif de l'"OTANisation" n'était donc pas d'accroître la sécurité de la Finlande, mais au contraire d'amener les Finlandais, qui se laisseront berner par les puissances occidentales, vers une nouvelle ligne de front dans le conflit.
En renforçant le climat de peur et d'insécurité anti-russe, Washington s'assure le soutien de l'opinion publique européenne à la présence de forces d'occupation américaines et à la militarisation des régions voisines de la Russie. L'industrie de l'armement accroît également ses profits, car la menace de guerre nécessite des augmentations significatives des budgets de défense.
Qu'il y ait ou non une nouvelle guerre majeure, le fait d'attiser la peur en Europe servira les intérêts politiques, militaires et économiques de l'actuelle administration de Washington. Le plus déprimant, c'est que la plupart des dirigeants et des hommes politiques européens agissent comme des renégats consciencieux, comme des animateurs de gouvernements fantoches sous le régime d'occupation américain.
16:28 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, otan, atlantisme, scandinavie, finlande, suède, mer baltique, europe, affaires européennes, politique internationale | |
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jeudi, 18 janvier 2024
Taïwan: Ombres chinoises
Taïwan: Ombres chinoises
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/ombre-cinesi/#google_vignette
Élections à Taïwan. Qui, officiellement, porte toujours le nom de République de Chine. Parce que c'est là que se sont retranchés les derniers partisans du Kuomintang, dirigé par Chang Kai-shek après la défaite subie par les communistes dirigés par Mao Dze Dong. Retour en 1949.
Les nationalistes du KMT - comme on les appelle de manière trop simpliste dans nos médias - se sont toujours réclamés de la Chine. Et aspirent, au moins en paroles, à reprendre le pouvoir à Pékin et dans tout l'Empire du Milieu.
Une précision nécessaire, puisque nos médias ont tendance à les présenter comme "pro-chinois". C'est-à-dire soumis aux intérêts de Pékin. Alors qu'historiquement, ils sont les ennemis des "communistes" au pouvoir dans la Cité interdite.
Mais le KMT est chinois. Et il considère que Taïwan fait partie de la Chine. Alors que le "Parti démocratique progressiste", aujourd'hui au pouvoir à Taipei, tend à marquer une autre identité taïwanaise. Sans aucun rapport avec l'orbe chinois.
Ce parti est une création récente. Créé, on peut dire "in vitro", en 1986. Et définitivement influencé par les modèles politiques et culturels occidentaux. Ou, plus précisément, américains. À tel point qu'une bonne partie de sa classe dirigeante a été formée aux États-Unis. En particulier, le président nouvellement élu - qui avait déjà été vice-président et, avant cela, chef du gouvernement - est un néphrologue formé à Harvard. Son nom chinois serait Lai Ching-te, mais il préfère être appelé William Lai (photo). Voilà qui en dit long.
Le PPD représente une forme de nationalisme différente, voire antithétique, de celle du KMT. Un nationalisme taïwanais. Construit, cependant, dans l'abstrait.
En fait, sur les 28 millions d'habitants de l'île, seuls moins de 2% appartiennent à ce que l'on appelle les Gaoshan, les aborigènes taïwanais d'avant la sinisation, avec leurs propres langues, leurs origines malaises et leurs traditions. Le reste est chinois et la langue officielle est le mandarin. En outre, le KMT s'est toujours efforcé de faire de Taïwan le sanctuaire de la plus pure tradition chinoise, revendiquant la continuité avec la tradition impériale. Et la souveraineté sur toute la Chine continentale et la Mongolie.
Une position inconfortable pour Washington. Qui, depuis la normalisation des relations avec Pékin en 1979, s'est progressivement employé à faire de Taïwan une entité différente de la Chine communiste. Un bastion du modèle démocratique libéral occidental. C'est ainsi que les nouvelles générations taïwanaises ont commencé à nourrir le sentiment d'une identité nationale complètement différente de celle de la Chine.
Un processus qui, bien que plus long, ressemble beaucoup à celui mis en œuvre pour fomenter une identité nationale ukrainienne séparée de la Russie. Ce qui a conduit, en un peu plus de vingt ans, à la situation que nous avons sous les yeux.
À Taïwan, le processus a été plus prudent. Et lent. Mais aujourd'hui, il a amené le PPD au gouvernement de l'île. Lequel, bien que de manière assez nuancée, s'emploie déjà depuis une décennie à marquer progressivement la distance culturelle et politique qui le sépare de la mère patrie chinoise. Une mère patrie désormais clairement répudiée avec l'arrivée à la présidence de William Lai, qui représente l'aile la plus radicalement anti-chinoise du PPD.
Bien entendu, son élection est perçue comme de la poudre aux yeux à Pékin. Car les dirigeants chinois sont prêts à accepter l'existence d'une Chine nationaliste séparée. Mais pas une République de Taïwan à l'identité totalement étrangère.
En politique, les Chinois ont l'habitude de penser en termes de délais très longs. Et Xi Jinping a déclaré à plusieurs reprises qu'il souhaitait le retour de la "province de Taïwan" à la mère patrie d'ici 2049, c'est-à-dire cent ans après la séparation.
Pour nous, c'est très long... pour le modus pensandi chinois, c'est juste le lendemain.
Il y a trois très bonnes raisons pour lesquelles Pékin ne veut pas d'une République de Taïwan étrangère à l'histoire et à la culture chinoises.
Premièrement, elle deviendrait une épine contrôlée par Washington dans l'espace vital de la Chine. À bien des égards, c'est déjà le cas, mais l'ambiguïté de la situation, la perspective, même lointaine, d'une réunification, dilue la menace. Une nation taïwanaise séparée et distincte pourrait être un dangereux détonateur. Et affecter d'autres identités nationales qui ont été assimilées au fil du temps par Pékin. Et qui auraient des raisons historiques bien plus importantes de revendiquer leur propre spécificité. Pensez aux Ouïgours du Xinjang et aux Tibétains....
Jouer sur les identités nationales particulières a été une arme puissante qui a provoqué l'implosion de l'Empire russe après la fin de l'URSS. Les dirigeants de Pékin ne veulent pas tomber dans le même piège.
Taïwan est extrêmement important sur le plan économique. Bien plus que Hong Kong. Il s'agit notamment d'un leader mondial dans le domaine de la haute technologie. En particulier dans la production/exportation de microprocesseurs.
Et puis, il y a la question des principes. Dans sa "doctrine", Xi Jinping a fermement défendu l'unité monolithique, tant culturelle que politique, de l'ensemble de l'univers chinois. Un principe fondamental et inaliénable.
Avec l'élection de William Lai, les risques d'une crise, même militaire, entre Pékin et Taïwan ont incontestablement augmenté. Et Washington maintient une position ambiguë. Joe Biden a déclaré qu'il n'entendait pas reconnaître une République taïwanaise indépendante, ce qui irait à l'encontre des accords bilatéraux de 1979 conclus par Kissinger. Mais dans le même temps, son secrétaire d'Etat Blinken s'est empressé de saluer avec enthousiasme la victoire de Lai.
Victoire toutefois entachée par la perte de sa majorité à l'assemblée nationale. Un peu plus de 40%. Ce qui conseille au nouveau président d'être très prudent. Conseillerait... malheureusement, l'utilisation du conditionnel est obligatoire.
18:47 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : taiwan, chine, asie, affaires asiatiques, politique internationale | |
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Les larbins européens de l'Oncle Sam et la confusion sur la guerre au Moyen-Orient
Les larbins européens de l'Oncle Sam et la confusion sur la guerre au Moyen-Orient
Augusto Grandi
Source: https://electomagazine.it/i-maggiordomi-europei-e-la-confusione-sulla-guerra-in-medio-oriente/
Confusion
Confusion
Je suis désolé
Si vous êtes un enfant de l'illusion habituelle
Et si vous sombrez dans la confusion
"Confusione". L'une des chansons les moins jouées de Lucio Battisti. Elle serait pourtant parfaite pour expliquer les réactions des hommes politiques, des économistes et des journalistes italiens et occidentaux face à ce qui se passe en mer Rouge. Car il ne fait aucun doute que la réaction des Houthis yéménites pénalise le commerce et réduit le transit dans le canal de Suez. Mais la solution proposée par les laquais de Washington est une rustine pire encore que le trou de la fuite.
En effet, pour satisfaire leur maître américain, les larbins italiens voudraient élargir le conflit en faisant participer l'Italie aux bombardements du Yémen. Pour protéger le commerce, ça va sans dire. Pas pour donner une leçon aux ennemis de l'Occident qui, dans ce cas, sont les ennemis de Tel Aviv et de ses protecteurs.
Mais, comme le chantait Battisti, il y a là une confusion. Car on feint d'oublier que les attaques des Houthis sont une réponse à la boucherie israélienne à Gaza. A ce jour, si l'on tient compte des milliers de disparus sous les décombres des bombardements, les victimes palestiniennes s'élèvent à plus de 30.000. La grande majorité d'entre elles sont des victimes civiles, des femmes et des enfants. Les Houthis ont commencé à lancer des missiles pour arrêter le massacre.
Alors, si l'on voulait vraiment rétablir le trafic de marchandises à Suez, il suffirait de bloquer le boucher Netanyahou. Le grand allié de Washington, l'ami des larbins européens. Au lieu de cela, on ne fait absolument rien. Mieux vaut bombarder le Yémen. Mieux vaut augmenter le nombre de morts.
En réalité, il n'y a que les larbins européens qui ne savent plus où ils en sont. Car les Américains sont parfaitement satisfaits de la situation. Ils sont occupés à détruire toute capacité compétitive de l'économie européenne. Avec la guerre en Ukraine, ils ont plongé l'Allemagne dans la récession et toute l'Europe dans une stagnation désastreuse. L'inflation ralentissait-elle ? Et la réduction du trafic à Suez, avec le contournement de l'Afrique qui en découle, entraînera à nouveau une hausse des prix et de l'inflation. Mais elle réduira aussi les exportations chinoises et pénalisera les économies du Sud.
Un chef-d'œuvre, vu de Washington et de Wall Street. Un désastre, vu d'Europe. Un danger, pour Pékin, New Delhi, Riyad. Mais personne n'interviendra pour arrêter le boucher. Mieux vaut augmenter les ventes d'armes en fomentant de nouveaux conflits.
18:21 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, affaires européennes, gaza, proche-orient, mer rouge, houthis, yémen | |
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Clausewitz et la Russie
Clausewitz et la Russie
Daniele Perra
Source: https://novaresistencia.org/2024/01/04/clausewitz-e-a-russia/
L'étude de Clausewitz, ainsi que d'autres classiques de la doctrine militaire, nous permet de mieux comprendre la position historique de la Russie qui consiste à "se défendre en attaquant", ce qui a été évident tout au long de l'opération militaire spéciale.
Dans les Principes fondamentaux de la guerre, véritable manifeste de l'armée prussienne, dont la pertinence historique ne peut être comparée qu'au Livre rouge de Mao Zedong pour l'armée populaire de Chine, Frédéric II le Grand (également célébré par la cinématographie nationale-socialiste en Allemagne dans les années 1930 et 1940), affirme que la politique et l'armée, base de la préservation de la gloire de l'État, doivent toujours travailler ensemble pour déterminer les objectifs d'une campagne militaire. Car, selon lui, avant de se lancer dans une aventure guerrière, il faut toujours connaître le terrain d'affrontement, la force et les alliances de l'adversaire éventuel, afin de déterminer le temps et les moyens nécessaires [1].
Il n'est pas nécessaire de rappeler l'influence de l'œuvre de Frédéric de Prusse sur le Vom Kriege de Carl von Clausewitz, qui n'a jamais été achevé. Le théoricien militaire prussien, en effet, comme le souverain, souligne à la fois le lien fondamental entre guerre et politique et le fait que la guerre, sorte de duel prolongé, se présente toujours comme un acte de violence ayant pour but de réduire l'adversaire à sa volonté. Par conséquent, la force est le moyen, tandis que la réduction de l'ennemi à sa volonté est la fin.
Ceci permet d'approcher le thème de cette contribution : la relation entre la doctrine militaire russe et la théorie clausewitzienne. Clausewitz lui-même affirme que "le désarmement de l'ennemi est le but de la guerre" [2] : en d'autres termes, il s'agit de l'amener à une situation dans laquelle la poursuite de la belligérance conduit à des conditions de plus en plus désavantageuses: le désarmement total ou la menace d'un désarmement rapide. Ce n'est que lorsqu'il n'y a plus de changement réel dans l'équilibre du champ de bataille que la paix peut être justifiée.
Or, l'intervention directe de la Russie dans le conflit civil ukrainien visait avant tout à "désarmer l'ennemi", c'est-à-dire à le rendre inoffensif et à le soumettre à sa volonté. Pour ce faire, les stratèges russes ont suivi à la lettre le schéma clausewitzien, qui consiste à 1) conquérir une ou plusieurs provinces du territoire ennemi ; 2) chercher à négocier ; 3) se préparer à la défense, si la tentative de négociation échoue.
À cet égard, dans les Principes fondamentaux de la guerre mentionnés ci-dessus, Frédéric le Grand souligne que la guerre est toujours une concaténation d'actions offensives et défensives basées sur des plans différents. Les actions défensives, en ce sens, doivent toujours viser à épuiser l'adversaire, à inhiber sa volonté d'offenser - certaines des pratiques mises en œuvre par l'armée russe en Ukraine, telles que les pièges "aveugles" qui ont rendu les tentatives de déminage inutiles, stressantes et avec un risque considérable de pertes, et la préparation du terrain pour l'offensive, peuvent être emblématiques.
Une fois encore, Clausewitz, en écho au souverain prussien, affirme que "pour renverser l'ennemi, il faut mesurer l'effort à sa capacité de résistance" [3]. Cela nécessite bien sûr une évaluation des moyens disponibles et de la force de volonté de l'adversaire et de la sienne. Car la guerre est dominée par une sorte de trinité: l'instinct naturel aveugle, qui correspond à sa nature populaire; l'activité libre de l'homme, qui appartient à l'aspect du commandement; l'intellect pur, la finalité politique qui appartient à l'activité du gouvernement et la décision "schmittienne" de l'"état d'urgence". La trinité politique-guerrier, à son tour, fait ressortir les quatre éléments constitutifs de l'atmosphère dans laquelle se déroule la guerre: le danger, le défi physique, l'incertitude et le hasard. Et toute l'œuvre de Clausewitz vise à éduquer le décideur dans cette atmosphère précise: ou plutôt, dans son auto-éducation, en lui fournissant seulement des lignes directrices générales et une richesse d'idées et de concepts opérationnels (tirés de l'expérience et filtrés par une critique née de la dialectique hégélienne) avec lesquels son esprit peut s'enrichir.
Cette "trinité" démontre également que la théorie devient toujours infiniment plus complexe dès qu'elle entre en contact avec le champ spirituel lui-même. La guerre, en effet, est un "art" lié à une "matière vivante", l'homme. Comme l'affirme Clausewitz, "l'activité guerrière ne s'applique pas à la matière pure, mais aussi et toujours à la force spirituelle qui anime cette matière [la rend vivante] et il est impossible de séparer l'une de l'autre" [4].
Une approche similaire a été proposée par l'un des pères de la géopolitique: Karl Haushofer. Dans une tentative de donner une définition à une "science antimoderne" (inévitablement imprécise) qui dépassait la sphère étroite du déterminisme géographique (dans laquelle les auteurs d'aujourd'hui ont tendance à opérer), Haushofer a déclaré: "La géopolitique sait parfaitement qu'il y aura toujours de grands esprits qui ne se contenteront pas de la médiocrité; elle sait qu'il est toujours nécessaire que des ruptures, de nouvelles fécondations et de nouvelles formations se produisent. En raison de l'arbitraire qui caractérise l'action politique humaine, la géopolitique ne peut se prononcer avec précision que dans environ 25% des cas. N'est-ce pas déjà un bon résultat si, dans une évolution où tout doit être laissé à l'arbitraire humain et aux humeurs des masses, au moins un quart des cas accessibles à la prévoyance et à la raison active sont prédits par la géopolitique" [5]?
Cela s'applique donc aussi à l'effort de guerre, où il y a toujours un élément de hasard dicté par le fait que, malgré l'énorme développement des appareils d'espionnage et/ou de surveillance (y compris les relevés par satellite) et leur efficacité, on ne peut jamais avoir d'informations sûres à 100% sur les capacités réelles de l'adversaire. En ce sens, par exemple, on ne peut exclure la possibilité que les Russes aient initialement fait des évaluations erronées de la capacité de résistance de l'Ukraine (étant donné que, sans l'intervention massive qu'a été le soutien occidental, Kiev se serait effondrée au bout de quelques mois); tout comme il semble évident que les dirigeants militaires ukrainiens ont fait une erreur, peut-être guidés par des évaluations tout aussi erronées de l'OTAN, au moment de lancer la soi-disant "contre-offensive". Cela montre que, indépendamment des données technologiques, l'élément prédominant du conflit reste le risque; et les qualités prédominantes de l'esprit dans une situation risquée sont, pour revenir à Clausewitz, le courage et la détermination, qui doivent être compris comme un acte d'intelligence qui prend conscience de la nécessité du risque et détermine le "triomphe de la volonté". Si la guerre change constamment de nature, l'esprit humain doit pouvoir s'y adapter tout aussi rapidement. Le "décideur" schmittien, pour ne pas se retrouver dans une impasse, doit veiller à ce que sa décision soit composée de plusieurs actes, afin que le "précédent" puisse devenir, dans toutes ses manifestations, le paramètre et la mesure de l'action suivante. En d'autres termes, il doit être capable d'apprendre et de comprendre ses erreurs pour évoluer et pouvoir les utiliser contre l'adversaire. A cet égard, la Russie (dont la doctrine militaire ne contient pas de méthode univoque de conduite des opérations militaires), contrairement à son adversaire direct actuel, a développé la capacité de "recoudre" les actions de combat en fonction des besoins spécifiques du moment (capacité déjà démontrée lors du second conflit en Tchétchénie et lors de la confrontation en Géorgie en 2008), en exploitant, outre sa puissance de feu supérieure, l'instinct d'adaptation d'éléments conventionnels et asymétriques; un facteur indispensable, à savoir que les forces russes ne disposent plus de l'avantage numérique - en termes de capital humain utilisable dans le conflit - qu'elles pouvaient avoir à l'époque soviétique. Ce facteur, après presque deux ans de guerre conventionnelle, nuit à la partie ukrainienne, dont le réservoir (où puiser le soutien à l'effort de guerre) est de plus en plus étroit et ne peut être remplacé, même par un recours massif à des forces mercenaires. Dans un avenir proche, cela conduira à une intervention directe de l'OTAN dans le conflit ou, plus probablement, à l'abandon progressif de la "cause ukrainienne", avec pour conséquence la recherche d'une solution négociée.
Pour revenir au niveau théorique, tout comme l'approche de Haushofer en matière de géopolitique, la valeur de la pensée de Clausewitz (et c'est ce qui rend son œuvre encore pertinente aujourd'hui, malgré l'évolution évidente des méthodes de combat) réside dans la revendication du caractère politique et spirituel de l'activité de la guerre et dans la polémique contre les tentatives de la soumettre aux schémas rationalistes des modèles dérivés de ce que l'on appelle le "siècle des Lumières". Un domaine dans lequel, par ailleurs, un autre théoricien militaire important du 19ème siècle, qui a servi à la fois Napoléon et le tsar et est étudié à West Point, a excellé : le Suisse Antoine-Henri Jomini, qui mettait l'accent sur les caractéristiques "géométriques" (lignes stratégiques, bases, points clés, quadrilatères défensifs) et logistiques du conflit.
Ainsi, si la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, idée qui a conduit Engels et Lénine à apprécier grandement l'œuvre de Clausewitz et à faciliter sa diffusion dans les écoles militaires soviétiques, la politique est la sphère d'intelligence de l'État considéré comme une "personne collective politico-spirituelle" (Friedrich Ratzel). Et encore une fois, si la guerre n'est jamais une activité autonome par rapport à la politique, il est clair qu'un Etat apolitique (par exemple l'Italie d'aujourd'hui, où la politique est réduite au minimum, à la simple gestion des affaires intérieures) ne peut pas "faire la guerre", mais simplement s'aligner docilement et/ou participer, toujours "au minimum", à l'effort de guerre d'autrui.
Cet aspect impose également un autre type de raisonnement, qui différencie les approches "occidentales" des conflits des approches plus proprement "orientales". Dans le cas "occidental", en effet, au moins depuis la Première Guerre mondiale (mais on peut en dire autant de la guerre civile américaine), on est confronté à une interprétation du conflit selon une clé essentiellement économique, où les flux d'argent priment sur les flux de sang: l'affrontement militaire, même s'il est présenté selon une clé existentielle et/ou eschatologico-messianique (le "bien" contre le "mal absolu"), doit toujours être évalué en termes d'opportunités, de coûts et de transferts purement matériels. Par exemple, dans le cas du conflit actuel à Gaza, l'exploitation des ressources gazières de la mer adjacente à la Bande ou la transformation de la Bande elle-même en une attraction touristique une fois le "problème palestinien" éliminé. L'approche "orientale", quant à elle, est restée, depuis l'époque de Sun Tzu, une approche presque exclusivement politique: l'action guerrière, si elle est inévitable, doit avant tout produire des avantages et des résultats politiques tangibles.
Aujourd'hui, quel est le principal avantage politique dans le cas spécifique de la Russie? Sans tenir compte du niveau des relations internationales et de l'évolution de leur structure centrée sur les États-Unis, la réponse est assez simple: la défense de la souveraineté et de l'intégrité du territoire national. Les forces armées russes - comme l'indique également le plus important centre d'études stratégiques de l'atlantisme (le Rand Corp) - sont structurées avant tout pour défendre le territoire russe [6]. Même l'attaque, en ce sens, fait toujours partie d'une stratégie défensive plus complexe. C'était le cas à l'époque de Pierre le Grand et de Catherine II, qui considéraient l'expansion des frontières impériales comme nécessaire pour sauvegarder le noyau intérieur de l'État russe; c'était le cas à l'époque soviétique, lorsque Staline a opté pour la formation d'une structure d'États satellites proches des frontières occidentales de l'URSS; c'est le cas aujourd'hui, alors que cette "structure" (et avec elle l'Union soviétique) s'est effondrée à la suite de la fin de la guerre froide, laissant la Russie à découvert et facilement attaquable sur plusieurs fronts. L'affrontement contre Napoléon, auquel Clausewitz participa activement en quittant la Prusse (contrainte par Napoléon de participer à la campagne de Russie) et en rejoignant l'armée du Tsar, fut également purement défensif; Clausewitz participa à la bataille de Borodino, magistralement décrite par Tolstoï dans Guerre et Paix, qui, si elle n'empêcha pas le souverain français d'entrer à Moscou, décima son armée et rendit vain tout espoir d'une victoire complète.
Bien qu'il ait apprécié les dons militaires et stratégiques de Bonaparte (capable, plus encore que Frédéric le Grand, de transformer la guerre d'une partie d'échecs entre dynasties aristocratiques en une cause populaire exigeant l'engagement actif des masses), Clausewitz a rejeté son message anti-traditionnel sous-jacent, lié à l'idéologie libérale issue de la Révolution française. Cela a conduit Napoléon lui-même à donner naissance au premier texte sioniste de l'histoire européenne, non sans les intérêts géopolitiques spécifiques qui conduiraient plus tard les Britanniques à soutenir la même cause: la "Proclamation à la nation juive" [7]. La Proclamation, qui ne fut jamais publiée en raison de l'échec de la campagne au Levant, disait: "Bonaparte, chef des armées de la République française en Afrique et en Asie, aux héritiers légitimes de la Palestine, les Israélites [...] La Grande Nation [la France], qui ne fait pas commerce d'hommes et de pays [...] ne vous demande pas de conquérir votre héritage. Non, elle vous demande seulement de prendre ce qu'elle a déjà conquis. Et, avec votre appui et votre permission, de rester maîtres de cette terre" [8].
Les valeurs de la Révolution française et les idéaux des Lumières et de la franc-maçonnerie ont également inspiré le colonel russe Pavel Ivanovitch Pestel, l'un des principaux acteurs des révoltes décembristes dont l'objectif politique, outre l'établissement d'un gouvernement républicain en Russie, était la création d'un État juif dans le Levant ottoman [9].
Notes:
[1] Federico il Grande, I principi fondamentali della guerra, Tumminelli Editore, Rome 1940, p. 22.
[2] C. von Clausewitz, Pensieri sulla guerra, Oaks Editore, Milano 2022, p. 8.
[3] Ibidem, p. 23.
[4] Ibidem, p. 59.
[5] K. Haushofer, Che cos'è la geopolitica, "Eurasia. Rivista di studi geopolitici". Vol. LI, n. 3/2018.
[6] Voir S. Boston - D. Massicot, The Russian way of warfare, www.rand.org.
[7] S. Azzali, Theodor Herzl e il Sultano, "Eurasia. Rivista di studi geopolitici", Vol. LXXIII, n. 1/2024.
[8] J. Attali, Le juifs, le monde et l'argent, Fayard, Parigi 2002, p. 333.
[9] Theodor Herzl e il Sultano, ivi cit.
17:57 Publié dans Histoire, Polémologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : clausewitz, polémologie, russie, prusse, histoire | |
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Emmanuel Todd et la défaite de l'Occident
Emmanuel Todd et la défaite de l'Occident
Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2024/01/12/emmanuel-todd-ja-lannen-tappio/
L'historien et sociologue français Emmanuel Todd, qui avait prédit dès 1976 la chute prochaine de l'Union soviétique, évalue dans son nouveau livre La Défaite de l'Occident la fin imminente de l'Occident.
Décrit comme un "conservateur de gauche", Todd estime que l'OTAN est déjà en train de perdre le conflit en Ukraine. Malgré la situation actuelle enflammée, il conclut également que la défaite finira par culminer avec la réconciliation de la Russie avec l'Europe et son rapprochement avec l'Allemagne, contre la volonté des États-Unis. Cette affirmation semble bien téméraire.
L'historien français condamne l'attitude brutale de l'Occident à l'égard de la Russie, affirmant que "la prévention du rapprochement entre l'Allemagne et la Russie était l'un des objectifs des États-Unis". Ce rapprochement aurait signifié l'éviction des États-Unis de la structure du pouvoir européen. Ainsi, les Américains "préférent détruire l'Europe plutôt que de sauver l'Occident".
Dans sa nouvelle analyse, Todd souligne le déclin de "l'Amérique, plongée dans le nihilisme" en tant que superpuissance mondiale et l'affaiblissement de son industrie de guerre. Le penseur français cite également la perte d'influence de l'Europe, autrefois représentée par le partenariat franco-allemand.
Suite au conflit en Ukraine, l'Union européenne a pris ses distances avec la Russie, au détriment de ses propres intérêts commerciaux et énergétiques. Selon M. Todd, nous vivons désormais dans un "monde poutinophobe et russophobe" saturé par le discours occidental. Il n'est pas surprenant que ses opinions lui aient déjà valu l'étiquette de "poutiniste".
Mais Todd est un penseur ouvert et défend le pluralisme, qui reconnaît la valeur des différentes perspectives. Il souhaite que l'Occident reste pluraliste, même si, à l'heure actuelle, il semble qu'une seule version politisée de la réalité soit acceptée.
Todd ne pense pas que les prochaines élections présidentielles américaines changeront le cours du conflit actuel. Il pense que la Russie est fermement attachée à sa ligne de conduite. Le changement de leadership à la Maison Blanche n'a aucune importance pour le Kremlin, car "la Russie est en guerre contre les États-Unis".
L'historien considère que la situation en France est sombre. Pour Todd, "la France n'existe même plus parce qu'elle est alliée aux États-Unis et contrôlée par l'OTAN". La France de Macron ne semble de toute façon pas être une puissance très sérieuse: l'élite népotique vient d'élever un inexpérimenté de 34 ans, ouvertement homosexuel, Gabriel Attal, au poste de premier ministre.
D'un point de vue géopolitique, la dégradation de l'Europe ne se limite pas à la France. Les États existent grâce à leurs divers intérêts et à leur souveraineté nationale; dès lors qu'ils acceptent l'élément de vassalité volontaire, ils cessent d'exister. La guerre mondiale est loin, mais l'Europe vit toujours en territoire occupé par les Américains.
Selon Todd, la meilleure chose qui puisse arriver à l'Europe serait que les États-Unis se retirent de l'ensemble du continent. Alors que les euro-atlantistes habitués à l'hégémonie de Washington et souffrant du syndrome de Stockholm politique pourraient se demander "que nous arriverait-il alors?", Todd voit une paix s'étendre partout dans un espace européen libéré du joug américain.
Bien entendu, on peut se demander si le départ des États-Unis de l'Europe nécessite d'abord une guerre. La géopolitique est revenue au premier plan dans les relations internationales et la "gouvernance mondiale" est en pleine mutation. Qui déterminera finalement le nouvel ordre si et quand la domination de l'Occident, selon l'hypothèse de Todd, prendra fin ?
17:25 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, emmanuel todd, occident, europe, affaires européennes, livre | |
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mercredi, 17 janvier 2024
Jeux de Risk et dangers réels
Jeux de Risk et dangers réels
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/risiko-e-rischi/
C'est un jeu de Risk très complexe qui s'est ouvert avec la crise de Gaza. Et qui s'étend maintenant à la mer Rouge et au golfe Persique. Tendant, je dirais inévitablement, à impliquer l'ensemble de notre Méditerranée.
Un risque qui voit converger dans cette région spécifique des tensions et des ambitions qui dépassent ses frontières. Et qui impliquent, en premier lieu, les trois plus grandes puissances mondiales.
Les États-Unis, la Russie et la Chine sont en effet plus ou moins directement impliqués dans les conflits qui éclatent en chaîne dans toute la région du Moyen-Orient. Une implication plus profonde que jamais. Plus profonde qu'à l'époque où, par exemple, Moscou et Washington jouaient une partie d'échecs dans laquelle les pays du Moyen-Orient n'étaient que de simples pions. Et le scénario, même s'il n'est pas sans importance, est resté périphérique par rapport au centre de l'"échiquier". Représenté par l'Europe, d'une part, et l'Asie du Sud-Est, d'autre part.
Aujourd'hui, la situation est très différente. Le Moyen-Orient représente le pivot du Grand Jeu. Son contrôle, ou son instabilité, est déterminant pour tous les équilibres mondiaux. La preuve en est qu'au fur et à mesure de l'évolution de la crise de Gaza, le conflit en Ukraine est passé au second plan. Et, de fait, Zelensky est de plus en plus abandonné à son sort. L'Ukraine, rappelons-le, est le territoire frontalier entre la Russie et l'Europe centrale et occidentale.
Pour la Chine, la stabilité du Moyen-Orient est essentielle. Elle garantit son commerce le long de cette Route de la soie maritime, ou de ce "Noble collier de perles", qui constitue le cœur de sa stratégie. C'est aussi l'épine dans le pied de Washington, qui voit en Pékin son plus grand adversaire dans un avenir proche.
Les Chinois sont présents dans toute la région de la Corne de l'Afrique. Une présence économique, non sans insertion militaire. La crise de Gaza était déjà une menace pour eux. Le raid américain au Yémen est perçu, dans la Cité interdite, comme une véritable déclaration de guerre déguisée en opération anti-terroriste.
En fait, il est clair que les attaques américaines contre les Houthis n'amélioreront pas la situation du trafic en direction de Suez. Au contraire, elles créeront une situation d'instabilité qui pourrait gravement affecter les intérêts chinois. En fermant l'accès à la Méditerranée.
En revanche, l'inévitable hausse des prix du gaz et du pétrole, déjà amorcée en ces heures, ne nuira pas aux Etats. Au contraire, ils seront plus à l'aise pour transporter leurs produits via les routes atlantiques. Sans la concurrence de la mer Rouge.
Moscou, bien qu'occupée sur le front ukrainien, semble extrêmement préoccupée par le risque d'implication de l'Iran dans le conflit. Lequel est son meilleur allié dans la région. Une implication de plus en plus étroite, compte tenu de l'intensification de l'action de l'OTAN en Syrie, et de l'escalade des affrontements entre Israël et le Hezbollah à la frontière libanaise.
Il est donc probable que le Kremlin décide d'accélérer les opérations en Ukraine. De manière à clore rapidement le jeu et à avoir les mains libres pour une éventuelle implication au Moyen-Orient.
Le jeu de Washington est différent. La Maison Blanche, pour le moment, semble apprécier l'instabilité de la région. Une instabilité qui n'affecte que très peu ses intérêts, tout en portant gravement atteinte à ceux de ses rivaux.
En outre, il s'agit d'une stratégie de pouvoir thalassocratique classique. Elle ne cherche pas à contrôler directement une région clé, mais les mers et les voies d'accès. Elle empêche les autres, ses rivaux, d'en prendre le contrôle.
Cependant, cette stratégie risque de nuire gravement aux puissances moyennes alliées aux Etats. L'Égypte d'abord, qui tire une part importante de son PIB du commerce via Suez. Ensuite, la Turquie, qui a des intérêts considérables dans la Corne de l'Afrique. Et ce n'est pas un hasard si la réaction d'Erdogan a été pour le moins courroucée.
Il y a aussi les intérêts commerciaux des Émirats arabes, qui ont exprimé leur vive inquiétude face au nouveau front qui s'est ouvert au Yémen.
Mais le silence de Riyad est encore plus révélateur.
Le prince Mohammed bin Salman, héritier du trône et homme fort de la famille Saoud, a été l'architecte d'une stratégie d'apaisement tant avec l'Iran, prônée par Pékin, qu'avec Israël. Et, dans le même temps, il cherchait un rapprochement progressif avec les BRICS.
La guerre de Gaza d'abord, puis, plus encore, celle du Yémen (c'est-à-dire à sa porte) le mettent en très grande difficulté. Il risque d'être entraîné dans un affrontement direct avec Téhéran. C'est ce qui ressort d'une nouvelle édition de la Fitba, la guerre entre sunnites et chiites. Ce qui pourrait s'avérer exacerbant pour l'avenir de la dynastie saoudienne.
Et puis, il y a l'Europe. Ou plutôt l'absence d'Europe. Dépourvue de stratégie commune, et même de conscience d'intérêts communs. Et dont, bien sûr, Londres ne fait pas partie, et n'a jamais vraiment fait partie.
Une Europe sans leadership, avec l'absence totale de l'Allemagne, la France jouant comme d'habitude le rôle du poisson dans le tonneau, et l'Italie... obtusément aplatie par les décisions de Washington. Sans conscience de ses propres intérêts.
16:38 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique | |
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La banalisation de l'antifascisme
La banalisation de l'antifascisme
Brecht Jonkers
Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/commodification-anti-fascism
En 2015, l'Atlantic Council, un groupe de réflexion influent qui se consacre à la promotion des politiques atlantistes et qui, selon ses propres termes, "galvanise le leadership et l'engagement des États-Unis dans le monde", a publié sur son site web un article au titre plutôt évasif : "La Russie de Poutine est-elle fasciste ?". Publié immédiatement après le coup d'État de l'année précédente en Ukraine, coup soutenu par les États-Unis, et la réaction révolutionnaire qui s'en est suivie à Donetsk et à Louhansk, la machine de propagande atlantiste a fait des heures supplémentaires.
Le Conseil atlantique, dans un geste qui allait s'avérer être une nouvelle tendance dans la politique géopolitique occidentale, a mentionné que le terme "fascisme" avait gagné en popularité parmi les observateurs de la Russie pour désigner la Fédération de Russie sous la présidence de Vladimir Poutine. Comme s'il voulait réfuter les critiques qui ne manqueraient pas de suivre, le groupe de réflexion a immédiatement affirmé que le terme n'était absolument pas utilisé "avec désinvolture ou comme une forme d'opprobre", mais comme l'expression très véridique d'une profonde inquiétude.
Nombreux parmi nos lecteurs connaissent sans doute le concept de la loi de Godwin : l'adage Internet selon lequel plus une discussion en ligne s'éternise, quel que soit le sujet, plus le risque que quelqu'un introduise une analogie avec le nazisme ou le fascisme dans le mélange devient presque inévitable. D'un point de vue plus scientifique, ce concept est connu sous le nom de reductio ad Hitlerum, la tentative d'invalider l'opinion d'un adversaire en affirmant qu'une position similaire a déjà été défendue par Adolf Hitler lui-même ou par la NSDAP en général. Bien qu'il ait été initialement inventé pour dénoncer les associations ridicules et farfelues faites par des commentateurs sur Internet, ce concept a également été utilisé comme argument préventif par des organisations néofascistes réelles afin de discréditer leurs détracteurs et de dénigrer ainsi les politiques et les opinions fascistes très réelles auxquelles ces groupes sont réellement attachés.
On pourrait penser que la connaissance relativement répandue de cet adage inciterait les analystes et les experts à réfléchir à deux fois avant de brandir les allégations de fascisme. Pourtant, c'est le contraire qui semble se produire.
La même année que le seul rapport du Conseil atlantique, Mikhail Iampolski, professeur à l'université de New York, a écrit dans Newsweek un article au titre pompeux : "La Russie de Poutine est sous l'emprise du fascisme". Le commentateur Evgeny Ikhlov, dans un article publié par le site web du tristement célèbre activiste pro-occidental Garry Kasparov et repris par The Interpreter, a accusé Poutine de "restaurer le fascisme de gauche de la fin de la période soviétique". Dans une étrange manipulation des mots, Ikhlov affirme que ce qu'il appelle le poutinisme est "de gauche parce qu'il est anti-marché et quasi-collectiviste, mais c'est un fascisme parce qu'il est une forme de philistinisme militant et très primitif et qu'il cultive les tendances les plus conservatrices dans l'art et la science".
Andrei Zoubov, ancien employé de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou, a donné des exemples similaires de démonstration rhétorique en affirmant que la Russie contemporaine est caractérisée par "un État corporatif de type fasciste emballé dans l'idéologie soviétique, l'idéologie du stalinisme". Apparemment, être capable de former une phrase cohérente sans contradictions absolues n'est pas une exigence professionnelle pour devenir un polémiste zélateur de l'atlantisme.
"Mais les analystes ont-ils raison ?", se demande innocemment l'Atlantic Council, avant de passer immédiatement à la vitesse supérieure et d'expliquer comment la Russie est effectivement le grand monstre fasciste de l'Est. En effet, poursuit le texte, Moscou présente "un ethos hyper-nationaliste, un culte de la violence, une mobilisation massive de la jeunesse, des niveaux élevés de répression, de puissantes machines de propagande et des projets impérialistes". Il est intéressant de noter que l'on peut être pardonné de penser à première vue que cette liste de contrôle fait référence aux États-Unis.
L'ironie d'une organisation dédiée à la galvanisation du leadership américain dans le monde qui non seulement utilise ces concepts comme définition du fascisme, mais qui a l'audace d'accuser un autre pays d'y correspondre, est absolument palpable.
En 2017, le bien nommé site web The American Interest a fait une déclaration similaire dans un article intitulé "Putin's Russia : A Moderate Fascist State" (notez la forme possessive qui sert à convaincre le lecteur que le plus grand pays du monde est en quelque sorte la possession personnelle d'un grand méchant dirigeant, en l'occurrence Vladimir Poutine).
"Selon la définition universitaire standard, la Russie d'aujourd'hui n'est pas une démocratie illibérale : c'est un État fasciste à un stade précoce", tel est le titre explosif par lequel débute l'article. L'auteur, Vladislav Inozemtsev, tente immédiatement d'écarter toute critique en se retranchant derrière cette soi-disant "définition savante du fascisme". Il ne fait aucun doute que cet article doit être aussi impartial que possible, puisque l'auteur partage l'opinion de ces universitaires qui décrivent le fascisme comme "un type de régime particulier en ce qui concerne trois relations clés: la structure de l'économie politique, la relation idéalisée entre la société, l'État et l'autorité morale, et la position de l'État par rapport aux autres États".
Une grande partie de l'article est consacrée à déplorer le rôle croissant du gouvernement russe dans l'économie, l'animosité à l'égard des puissances occidentales et un sentiment permanent de menace de victimisation et de déclin. De manière typique, il n'est évidemment pas fait mention des faits très concrets selon lesquels la Russie a effectivement connu une période horriblement traumatisante de victimisation et de déclin dans les années 1990. Bien entendu, il faut expressément évoquer la référence au renforcement des forces militaires et de sécurité russes au cours des dernières années, ce qui est encore une fois ironique du point de vue des États-Unis, la société la plus militarisée de la planète.
Ceux qui accusent Moscou de fascisme se heurtent naturellement à un problème majeur: l'absence quasi-totale de racisme institutionnel en Russie. La Russie n'est même pas un État-nation selon les définitions occidentales traditionnelles (mais plutôt ce que l'on appelle aujourd'hui un État-civilisation) et n'a jamais prétendu être un État exclusivement réservé à la "race russe". Au contraire, l'influence considérable de penseurs tels que Lev Goumilev, fondateur du concept d'ethnogenèse et fervent défenseur de l'aspect tatar de l'identité russe, et les écoles de pensée eurasiennes, est diamétralement opposée aux concepts raciaux qui étaient si répandus chez la plupart des fascistes du 20ème siècle.
Même Inozemtsev doit l'admettre, mais il tente de le tourner en faveur de son récit.
"La Russie est donc un cas unique de régime fasciste essentiellement dépourvu des éléments raciaux du nazisme, et ce fait laisse perplexes ceux qui tentent de réfléchir à sa nature politique. C'est pourquoi, malgré l'attention considérable portée à l'idée du "monde russe", mentionnée plus haut, il ne s'agit pas d'une question raciale, mais culturelle. C'est une question de langue, pas de sang. (...) Ce n'est donc pas la pureté raciale, mais l'inverse, qui définit ce que les Russes sont censés être sur le plan génétique. Pour Poutine et de nombreux Russes, le concept de "russité" est ouvert et inclusif".
Il semble que nous soyons arrivés à la mise en place d'une forme "ouverte et inclusive" de fascisme russe. Et, si cela ne ressemble pas encore à une réécriture complète du terme juste pour avoir un mot à la mode à jeter sur la Russie, l'auteur indique très clairement quelques phrases plus loin que c'est exactement ce qu'il cherche à atteindre.
"Il est donc évident que si les chercheurs occidentaux définissent a priori cette combinaison comme étant incompatible avec leur définition du fascisme, alors la Russie ne peut pas être fasciste. C'est leur définition qui pose problème".
Et voilà, un aveu étonnamment clair de ce dont il s'agit. Si la Russie ne remplit pas les conditions pour être définie comme fasciste, alors nous devons simplement redéfinir ce que signifie être fasciste. Tout est permis, tant que cela donne à la presse occidentale un mot effrayant à mettre dans la prochaine campagne de peur visant le Kremlin.
Les formulations bizarres et souvent contradictoires que l'on trouve dans la plupart de ces analyses illustrent clairement un facteur constant qui réapparaît dans la propagande occidentale: le fait qu'ils n'ont aucune idée de la manière de définir le fascisme.
Le terme fascisme est devenu une sorte de mot à la mode dans le discours géopolitique occidental, un terme effrayant que l'on peut lancer à volonté dès que l'on parle de politique. Plus particulièrement, toute personne en désaccord avec l'agenda libéral se voit souvent coller l'étiquette de fasciste.
Le terme n'a plus de contenu réel. Il ne décrit plus une idéologie politique déterminée par le corporatisme économique, le nationalisme extrême, le militarisme et l'anticommunisme. Aujourd'hui, n'importe quel ensemble de positions socialement conservatrices peut qualifier quelqu'un de fasciste, surtout si l'on remet en question des valeurs libérales telles que le libertinage sexuel, le système néolibéral de libre marché ou l'absence totale de religion dans la sphère publique.
En d'autres termes, la tendance libérale à simplement déformer, redéfinir ou simplement vider le sens des mots s'étend à la terminologie d'idéologies telles que le fascisme. Un mot vide, à utiliser comme munition de propagande quand cela convient aux besoins des pouvoirs en place. Dans une telle atmosphère, un pays comme la Russie, avec sa fierté patriotique, une population souvent pieuse et un État fort, est la cible idéale pour être accusé de fascisme.
Une campagne de diffamation s'est propagée au-delà des clivages politiques dans de nombreux États occidentaux, avec des pays comme la Russie et la Chine dans le collimateur. Plutôt que d'utiliser des informations factuelles pour expliquer leur bellicisme contre la Russie, ce qui serait impossible puisqu'il n'existe aucune justification rationnelle à une telle guerre, les médias grand public se concentrent sur une stratégie à deux volets : accuser la Russie d'être la résurgence du fascisme, d'une part, et accuser la "collusion russe", l'espionnage et l'influence russe généralisée en coulisses sur d'autres pays, d'autre part.
Ces deux tactiques vont de pair. La propagation des mouvements d'extrême droite et la montée des leaders populistes à travers l'Europe et l'Amérique du Nord, du Fidesz en Hongrie à Marine Le Pen en France, en passant par Donald Trump lui-même, sont trop souvent imputées aux Russes. Partant de l'idée que "ce n'est pas ce que nous sommes", les experts libéraux sont plus qu'enthousiastes à l'idée de rejeter la faute sur le Kremlin. Car il est impensable, bien sûr, qu'une colère populaire généralisée existe dans un pays comme la France, que le racisme soit un phénomène répandu dans l'Occident civilisé, ou que le sentiment omniprésent d'un effondrement imminent et inévitable de l'ordre mondial libéral habite l'esprit et le cœur d'un nombre croissant de personnes. Il est certain que c'est Poutine et ses partisans qui sont derrière tout ce qui va mal en Occident.
Cette ligne de pensée sert également un autre objectif, à savoir dissimuler le fait que le fascisme, en tant qu'idéologie, était en grande partie un représentant de l'idéologie occidentale typique, capitaliste et, oui, libérale. Aussi anti-individualiste que le fascisme prétende être, les principes fondamentaux qu'il a empruntés étaient indubitablement enracinés dans les traditions du libéralisme anglo-saxon. Les théories raciales défendues par Hitler et ses partisans sont loin d'être nouvelles, mais elles s'inspirent ouvertement du colonialisme britannique et du racisme institutionnel américain.
Les idées nazies d'une pyramide de races supérieures et inférieures étaient presque des copies conformes de la suprématie anglo-saxonne qui était à la base des États-Unis d'Amérique. N'oublions pas que, outre le symbolisme maçonnique et païen qui fait partie intégrante de l'héraldique américaine depuis le début, le dessin original du grand sceau des États-Unis comportait une référence flagrante aux "pays dont ces États ont été peuplés". Ces pays et ces peuples, considérés comme les seuls véritables citoyens de la nouvelle "république libre", étaient représentés par leur héraldique sur le blason proposé : L'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, la France, la Hollande et l'Allemagne. En d'autres termes, chaque lieu est un territoire gouverné par des souverains anglo-saxons et culturellement assimilé au monde culturel germanique (l'Irlande et l'Écosse étant, à ce moment de l'histoire, fermement contrôlées par les souverains anglo-saxons de Londres).
Ce fait est toutefois très gênant pour les élites libérales de l'Europe contemporaine et de l'Amérique du Nord, car il menace directement la noble hagiographie libérale qui décrit un progrès constant de la société depuis le siècle des Lumières, caractérisé uniquement par les avancées scientifiques, le rationalisme, la liberté et la démocratie. Tout ce qui contredit cette interprétation de l'histoire, comme le développement de l'impérialisme et l'assassinat d'innombrables millions de personnes dans le Sud aux mains des puissances coloniales, est considéré comme une aberration ou tout simplement ignoré. Entrez dans l'ère actuelle, dans laquelle les États illibéraux du Sud commencent à se soulever et à réclamer leur place légitime sur la scène mondiale, et vous pouvez voir une raison parfaite pour la propagande occidentale de dépoussiérer le vieux journalisme jaune et l'incitation à la peur.
Il est toutefois difficile d'expliquer au public pourquoi il est censé haïr la Russie, l'Iran ou la Chine. D'autant plus que l'Occident devrait expliquer le contexte historique qui sous-tend les sentiments d'animosité à l'égard du noyau impérial. La guerre de l'opium, le coup d'État iranien de 1953 ou les invasions impérialistes de la Russie en 1918 sont difficiles à expliquer, même aux Occidentaux les moins soucieux de suprématie. Cependant, si vous leur faites croire que des hordes fascistes d'envahisseurs orientaux se massent aux portes de leur pays, il devient beaucoup plus facile d'amener l'opinion publique à soutenir la guerre. Ironiquement, c'est exactement le type de stratégie mentale utilisée par les nazis et les fascistes pour appeler à la guerre contre l'Union soviétique. Non seulement les élites libérales-capitalistes appellent à la guerre et à l'asservissement de l'Est et du Sud, mais, dans une tournure de rhétorique particulièrement cynique, elles le font sous couvert de "lutte contre le fascisme".
Il y a une autre raison pour laquelle "rejeter la faute sur les Russes" est une astuce si populaire de nos jours. La résurgence du mouvement populiste de droite, qu'il s'agisse des manifestations des chauffeurs routiers au Canada ou des partisans de Marine Le Pen en France, se compose généralement de deux groupes de personnes. D'une part, il y a les partisans d'une colère populaire légitime qui se laissent entraîner par un mouvement qui exige le changement. Il s'agit de personnes souvent peu politisées, mais motivées par des préoccupations très réelles qui affectent leur vie quotidienne : pauvreté, répressions, hausse du coût de la vie, criminalité galopante, services publics délabrés, etc. D'autre part, il y a ceux, souvent les responsables, qui servent fondamentalement les mêmes intérêts économiques et géopolitiques que les élites libérales et conservatrices contre lesquelles ils sont censés se rallier. Il s'agit souvent de leaders charismatiques qui comprennent que, plutôt que de mépriser ouvertement les masses, ils peuvent essayer d'utiliser et de guider la colère populaire en l'éloignant des causes réelles de leur souffrance et en la dirigeant vers des groupes au sein de la société auxquels ils attribuent la responsabilité de la situation.
C'est pour cette raison que, malheureusement, la montée de la colère populaire justifiée contre l'exploitation aux mains de la cabale libérale-néoconservatrice au pouvoir en Occident est souvent combinée à une islamophobie flagrante et à un suprémacisme blanc. Une grande partie de l'Occident s'est transformée en une impasse politique entre deux forces, toutes deux généralement destructrices. D'un côté, il y a l'élite traditionnelle, qui promeut l'économie néolibérale, le libre-échange, le capitalisme débridé, les valeurs éthiques libérales et, depuis peu, la cooptation du mouvement dit "woke". D'autre part, il y a la tendance populiste de droite, souvent même l'alt-right, caractérisée par un conservatisme moral, des tendances racistes, une forte intervention de l'État et des politiques judiciaires plus sévères.
La montée du mouvement dit de l'alt-right en Europe et en Amérique du Nord est devenue un fait indéniable de la vie politique contemporaine. L'élite libérale et néoconservatrice traditionnelle du monde occidental s'est montrée totalement incapable d'endiguer cette vague, à supposer même qu'elle cherche à l'arrêter en premier lieu. Mais bien sûr, les voix les plus racistes, islamophobes et ethnocentristes qui sont entrées dans le débat dominant en conséquence sont difficiles à faire rimer avec la propagande officielle de l'État occidental en tant que société pacifique et tolérante. D'où la nécessité de rejeter la responsabilité des causes internes, telles que l'augmentation rapide des niveaux de pauvreté, d'inégalité des richesses et de sans-abrisme et l'effondrement apparemment inéluctable du tissu moral de la société, sur des menaces externes inventées de toutes pièces, telles que la Russie.
Présenter la Russie comme le croque-mitaine de la montée du fascisme répond parfaitement aux objectifs des dirigeants occidentaux. Plutôt que de se concentrer sur les problèmes économiques, sociaux, moraux et éthiques très réels et profondément enracinés de l'Occident, y compris les contradictions fondamentales qui affligent le cœur libéral depuis des siècles déjà, les puissances de Washington, Londres, Paris et Bruxelles ont opté pour la stratégie de propagande séculaire consistant à rejeter la faute sur "l'autre". Il appartient désormais aux peuples occidentaux de faire la lumière sur cette campagne de mensonges.
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mardi, 16 janvier 2024
Alexandre Douguine: 2024. Vers une révolution européenne !
2024. Vers une révolution européenne !
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/2024-k-evropeyskoy-revolyucii
Cette année, l'Occident va connaître une révolution.
Il y a deux Occident : l'Occident mondialiste et l'Occident... ordinaire. Les mondialistes représentent l'Occident 1. Ce faisant, ils refusent de reconnaître qu'il n'y a personne d'autre qu'eux dans le monde. Ils insistent donc sur le fait qu'il n'y a pas de "deuxième" Occident, d'Occident-2. Mais il y en a un.
Nous, le monde multipolaire, devons reconnaître aussi clairement que possible l'existence de cet Occident-2.
Il se compose d'une variété de forces qui ne sont pas d'accord avec l'agenda mondialiste ultra-libéral des élites.
Il y a les gens de gauche, comme Sarah Wagenknecht et son nouveau parti. La "Sarah rouge" (une Valkyrie de double origine, iranienne et allemande) est en train de devenir le symbole de la gauche illibérale en Europe.
En Italie, Diego Fusaro, disciple du marxiste et antimondialiste Costanzo Preve, est un théoricien de la même tendance.
En France, nous avons Alain Soral, ainsi que Michel Onfray, Jean-Claude Michéa et Serge Latouche.
Ces hommes et femmes de gauche sont avant tout des ennemis du capital mondial. Ils se distinguent de la pseudo-gauche achetée par Soros : cette dernière est avant tout en faveur des LGBT, du nazisme ukrainien, du génocide de Gaza et des migrations incontrôlées, mais contre la Russie et ce que leurs maîtres capitalistes, eux-mêmes nazis libéraux, appelleraient le "fascisme".
Il y a aussi une composante de droite - mal en point, mais qui, dans de nombreux pays européens, représente la deuxième force politique la plus importante. Par exemple, Marine Le Pen en France.
En Allemagne, Alternative pour l'Allemagne et d'autres mouvements plus modestes gagnent en puissance. En particulier en Prusse (ex-RDA).
En Italie, malgré l'infirmité libérale de Meloni, la moitié droite de la société n'a pas progressé.
Et tout le populisme de droite n'a pas progressé non plus.
Mais à l'Ouest 2, ce sont surtout les gens ordinaires qui se dressent, ceux qui ne comprennent rien à la politique. Ils ne peuvent tout simplement pas suivre les demandes de changement de sexe, de castration forcée de leurs petits fils, de mariage avec des chèvres, d'arrivée et d'entretien d'un plus grand nombre d'immigrés et de maniaques ukrainiens sauvages, incapables d'une hygiène de base et de soins personnels, de manger des cafards, de réciter des prières telles celles de Greta Thunberg à l'heure du coucher et de maudire les Russes, qui ne leur ont rien fait de mal. L'homme ordinaire occidental, la petite bourgeoisie, est le pilier du soulèvement à venir. Cet homme ordinaire ne comprend plus les élites libérales. Il est irrémédiablement opposé à l'accélération de la dégénérescence et de l'avilissement que ces élites exigent de lui.
Le monde multipolaire doit aider la révolution européenne.
Les Occidentaux sont des gens ordinaires qui ne sont coupables de rien. Ils n'ont aucune chance de changer la situation démocratiquement, tout simplement parce qu'il n'y a plus de démocratie en Occident depuis longtemps, et que l'Occident 1 a établi une dictature libérale mondialiste directe - surtout, justement, sur l'Occident 2.
Il ne reste plus qu'une chose: chasser le pouvoir des usurpateurs par des moyens révolutionnaires.
Tel est l'agenda 2024 pour l'Europe.
Votre liberté est entre vos mains.
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Les manifestations paysannes allemandes
Les manifestations paysannes allemandes
par Joakim Andersen
Source: https://motpol.nu/oskorei/2024/01/15/de-tyska-bondeprotesterna/
Depuis une semaine, des manifestations massives de paysans paralysent une partie de l'Allemagne, des convois de milliers de tracteurs investissant le centre symbolique du pays. De nombreux agriculteurs et d'autres personnes se sont rassemblés devant la porte de Brandebourg pour manifester leur mécontentement à l'égard de l'actuel gouvernement de centre-gauche. Ce qui se passe est d'un intérêt historique contemporain, bien qu'il n'ait reçu qu'une couverture limitée de la part des grands médias. À bien des égards, les événements en Allemagne nous rappellent les manifestations paysannes aux Pays-Bas en 2022, sur lesquelles nous avons écrit l'article intitulé La rébellion des paysans néerlandais ( http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/07/16/la-rebellion-des-paysans-neerlandais.html). En même temps, il y a des différences entre les deux révoltes.
Dans les deux pays, il s'agit de la lutte des classes, non pas tant au sens marxien qu'au sens post-marxien, lequel est plus compatible avec ce qu'il est convenu d'appeler "la droite"; ce concept de lutte a été développé par Samuel Francis dans son ouvrage posthume Leviathan & It's Enemies, où le conflit se situe entre les couches managériales, les bureaucrates des secteurs public et privé, d'une part, et les "gens ordinaires", d'autre part. Cet aspect du conflit est l'aspect populiste, le conflit d'intérêts entre le peuple et l'establishment. Il y a un facteur économique, les agriculteurs réagissant aux projets du gouvernement de réduire les avantages fiscaux sur leur carburant. Il y a également un facteur politico-économique, les agriculteurs réagissant à un cadre réglementaire complexe et flou. Une différence intéressante entre les Pays-Bas et l'Allemagne semble être que les agriculteurs allemands sont jusqu'à présent représentés par des organisations ayant un pied dans l'establishment, alors qu'aux Pays-Bas, il y avait un élément plus net qui permettait d'assimiler le soulèvement à des "grèves sauvages".
Dans le même temps, le mécontentement à l'égard du gouvernement unit les agriculteurs allemands au grand public, car beaucoup de citoyens lambda ont été touchés par les mesures d'austérité économique. En conséquence, le soutien aux agriculteurs est important, beaucoup les considérant comme des représentants de la population, les encourageant ou leur offrant du café. Un sondage d'opinion a montré que 81% des personnes interrogées étaient favorables aux protestations des agriculteurs. C'est l'AfD (Alternative pour l'Allemagne) qui bénéficie du plus grand soutien, avec 98%, mais les électeurs sociaux-démocrates et verts ne sont pas en reste (70% et 61% respectivement). Les manifestations coïncident avec un rejet record du gouvernement en place, dont trois électeurs allemands sur quatre ne sont pas satisfaits, selon un autre sondage. Il s'agit là d'un aspect national.
Outre les facteurs économiques, il existe un aspect intangible. Les agriculteurs expriment une vision plus ancienne de la relation entre la terre et l'agriculture, avec des affiches telles que "stirbt der Bauer stirbt das Land" ("si l'agriculteur meurt, la terre meurt"). Il s'agit d'une marginalisation à la fois perçue et bien réelle dans le récit public, qui traite aujourd'hui de groupes complètement différents de ceux des habitants de la campagne. Le complexe d'idées exprimé par les agriculteurs se retrouve traditionnellement plus souvent à droite, où la campagne est considérée comme le cœur de la nation. Compte tenu des tendances industrielles de l'agriculture, cette relation n'est pas sans poser de problèmes, mais les agriculteurs en tant que représentants symboliques et politiques du peuple constituent une évolution intéressante et quelque peu inattendue. Surtout lorsqu'elle a lieu en Allemagne, le cœur de l'Europe dans un sens bien plus vaste que simplement géographique. C'est l'aspect de droite, voire de droite profonde, des protestations, même s'il ne peut être que trop vaguement perçu jusqu'à présent.
En tout cas, cela semble être perçu même par l'establishment, puisque presque chaque article sur les manifestations contient des paragraphes obligatoires, souvent recyclés, sur les "préoccupations de l'extrême droite", les "extrémistes de droite" qui tentent d'"infiltrer" les manifestations, etc. Ces paragraphes expriment les névroses de l'establishment et sont en même temps des outils familiers de la politique conventionnelle pour stigmatiser le mécontentement et les opinions des gens ordinaires. Il convient toutefois de noter que lors de manifestations de ce type, de nombreux participants se rendent compte que la catégorie "extrémistes de droite" est une catégorie artificielle, les électeurs de l'AfD et d'autres ne sont pas nécessairement différents des autres citoyens ordinaires qui en ont assez de la politique. Ce qui est intéressant dans ce contexte, c'est que l'AfD, d'une part, a voté en faveur de la politique à laquelle les agriculteurs s'opposent et, d'autre part, soutient les manifestations. En même temps, il ne faut pas exagérer l'importance des manifestations. Aux Pays-Bas, le parti agricole BBB a remporté un succès électoral significatif après 2022, en partie en prenant des électeurs à d'autres partis de droite. Cependant, l'importance des manifestations ne doit pas non plus être considérée indépendamment de l'histoire contemporaine; cela fait partie d'un conflit à long terme, en cours, dans lequel l'une des parties devient de plus en plus consciente des lignes de conflit et de plus en plus habituée à occuper physiquement les centres symboliques du pouvoir. Ce dernier point peut rappeler les soulèvements paysans médiévaux, mais ce n'est pas le cas du premier. Les conditions sont différentes aujourd'hui, pour le meilleur ou pour le pire, ce qui signifie que le cycle historique des révoltes paysannes qui éclatent et sont réprimées ne se répétera pas nécessairement aujourd'hui. Le fait que les aspects populistes, nationalistes et de droite coïncident largement dans le scénario actuel en est la preuve.
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Fabio Vighi et le scénario multi-crise du capitalisme
Fabio Vighi et le scénario multi-crise du capitalisme
Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2024/01/05/fabio-vighi-ja-kapitalismin-monikriisiskenaario/
"Comment est-il possible qu'au milieu du déclin socio-économique et de la violence militaire sadique [normalisation du massacre de Gaza], les marchés boursiers occidentaux jouissent d'un phénoménal bal du Père Noël à la fin de l'année 2023 ?", s'interroge Fabio Vighi, professeur à l'université de Cardiff.
"Le lien de causalité entre la politique monétaire, l'hyper bulle, le secteur financier euphorique et les guerres et urgences en cours se cache sous nos yeux", suggère le chercheur italien. "Et pourtant, nous choisissons de l'ignorer".
Le gel des taux d'intérêt annoncé par la Réserve fédérale américaine à la fin de l'année, combiné au fait que le complexe industriel de guerre entretient des conflits géopolitiques en Ukraine, à Gaza et maintenant en mer Rouge, a poussé les marchés financiers occidentaux vers des sommets étonnants.
L'assouplissement de la politique monétaire est une raison évidente de la pingrerie du marché. La tendance à la réduction des taux d'intérêt est "une bouée de sauvetage prévisible pour les marchés financiers dépendants du crédit, dont les entreprises zombies devront faire face à des remboursements de dette décourageants en 2024 et 2025".
Dans la théorie économique de Vighi, "les crises et les projets militaires sont conçus pour éviter le carnage des marchés et les pièges de la dette souveraine". Il réitère son point de vue selon lequel "l'illusion d'un capitalisme ultra-financiarisé est maintenue en vie par la suppression artificielle des rendements obligataires (coûts du service de la dette ou paiements d'intérêts)".
À cet égard, même la guerre fait des merveilles: même la menace d'une guerre augmente le flux de liquidités sur le marché obligataire, ce qui fait baisser les rendements et ouvre la porte aux liquidités pour gonfler à nouveau les bulles boursières.
Des liquidités bon marché permettent de gagner du temps. Si la Réserve fédérale américaine (et les banques centrales qui en dépendent) ne parvenait pas à réduire les taux d'intérêt et à imprimer de l'argent magique, l'ensemble de l'économie pourrait s'effondrer. Cependant, la tentative de "sauver le système" en y injectant de plus en plus d'argent ne fera qu'affaiblir le pouvoir d'achat des monnaies fiduciaires et alimenter une nouvelle vague d'inflation.
Dans ce contexte, selon M. Vighi, "les conflits géopolitiques mondiaux jouent un rôle stratégique crucial". Les dirigeants politiques et les milieux financiers ont "réussi à créer un scénario idéal de multi-crise". En d'autres termes, "ils peuvent jouer à plusieurs tables et disposer de plusieurs boutons rouges sur leurs écrans tactiles".
La dernière étape du jeu de la récession politique et économique mondiale est l'escalade de la guerre à Gaza. En mer Rouge, plaque tournante du commerce mondial et en particulier des échanges entre l'Asie et l'Europe, les rebelles houthis du Yémen, solidaires de la cause palestinienne, ont attaqué des cargos affiliés à Israël.
La perturbation de l'une des plus importantes routes commerciales du monde a déjà entraîné une forte hausse des coûts de transport et d'assurance, les entreprises devant acheminer leurs marchandises sur des routes maritimes plus longues.
Les États-Unis ont donc formé une coalition et lancé l'opération "Prosperity Guardian", au nom comique, pour protéger les cargos commerciaux et les pétroliers en partance pour le canal de Suez.
Le conspirationniste Vighi soupçonne cependant que l'objectif de l'opération est à l'opposé de ce qui est publiquement annoncé. Et si son but n'était pas de protéger le commerce mondial, mais de "déclencher une récession généralisée par le biais d'un incident contrôlé, suivi d'une nouvelle intervention militaire et d'un retournement plus rapide des baisses de taux d'intérêt et des liquidités obtenues d'un clic de souris" ?
"Le casino financier d'aujourd'hui, basé sur la dette, cherche désespérément des boucs émissaires pour son addiction au crédit. Comme à l'époque de Corona, les crises géopolitiques et la création de liquidités vont de pair. Nous nous dirigeons maintenant vers une récession qui est intrinsèquement désinflationniste, voire carrément déflationniste", explique M. Vighi.
Ce n'est qu'une fois qu'une telle récession aura été officiellement attribuée au chaos extérieur que les vannes seront ouvertes. En d'autres termes, les banquiers centraux sont prêts à tout pour annoncer une récession (que nous vivons déjà en plein milieu), mais ils sont encore plus prêts à trouver des victimes.
En 2024, le fossé entre l'économie et les marchés boursiers se creusera davantage, ce qui explique pourquoi Vighi suppose qu'une sorte de "fin de partie" se profile à l'horizon. À un moment donné, la "bulle de tout" éclatera. "D'ici là, le système de contrôle physique du peuple devra être mis en place, car l'infrastructure de contrôle monétaire (qui contrôle la politique monétaire flottante) ne fonctionnera plus. Le Nouvel Ordre Mondial a donc besoin du totalitarisme.
Vighi continue d'affirmer que la mise en scène pandémique était la première étape claire dans cette direction, testant, entre autres, la façon dont le chaos et l'instabilité mondiaux peuvent être maîtrisés. Il sera bientôt à nouveau nécessaire d'attiser la "panique mondiale". Pour la plupart des gens, une brève pause suffira à faire oublier les excès de l'ère coronaviresque et ils seront bientôt prêts à se soumettre à nouveau aux règles du nouvel "état d'urgence".
Vighi s'étonne que presque personne ne semble intéressé par une "réflexion sérieuse sur la nature destructrice du capitalisme de crise". Il est plus facile d'accepter passivement la manipulation et la propagande, ou de se contenter de moraliser et de blâmer.
Comme lors de la période précédant la crise financière de 2007-2008, les choses sont bien pires sous la surface que ne le laissent entendre nos "dirigeants", à la différence près que, cette fois, les plans de sauvetage ne suffiront pas. "Comme on dit, le gouvernail ne fonctionne pas lorsque l'on tombe d'une falaise", a déclaré M. Vighi.
Selon le discours des gouvernants, l'inflation est toujours sous contrôle. En effet, au cours des deux dernières années, "nous n'avons connu que les premiers symptômes d'une maladie inflationniste structurelle qui continue à se propager sous le couvert de la désinformation et qui explosera inévitablement dans une nouvelle vague dévastatrice de dévaluation monétaire".
Une partie du problème réside dans le fait que "à un niveau existentiel profond, la grande majorité des classes moyennes actuelles s'identifie toujours à l'utopie d'une croissance sans fin de la consommation", ayant des "crises de panique face à la perte de leur pouvoir d'achat et de leur statut". Vighi a probablement raison dans son évaluation sceptique selon laquelle cette panique ne "conduira pas à une prise de conscience significative de l'effondrement du système".
Au contraire, les gens "ont tendance à chercher le salut en acceptant une "nouvelle normalité" qui exige des doses croissantes d'"ignorance active" face à la barbarie débridée déclenchée par les flux de capitaux transfrontaliers".
Le plus triste avec Vighi, c'est que nous sommes collectivement incapables d'imaginer la possibilité d'un "autre monde". Derrière le conformisme de la plupart des gens se cache un attachement désespéré aux privilèges socio-économiques du mode de vie capitaliste.
La voix de l'autorité qui promet le salut suite au virus est la même que celle qui promet le salut par l'effondrement économique. Vighi affirme qu'un esprit réfléchi dans les circonstances actuelles devrait remettre en question "tout idéal de solidarité mobilisé par le pouvoir capitaliste", qu'il s'agisse de "la crise sanitaire mondiale", de "la guerre de Poutine" ou de "l'attaque du Hamas".
17:37 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : crise, fabio vighi, capitalisme, actualité | |
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La vérité du patriarcat
La vérité du patriarcat
Ronald Lasecki
Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2023/10/prawda-patriarchatu.html
Notre nature a été façonnée par notre préhistoire. L'homme moderne qui manifeste des comportements religieux, utilise des armes et est capable de naviguer sur les mers s'est finalement formé il y a 50.000 ans. Cependant, les racines de notre espèce remontent à 300.000 ans dans le passé, lorsque l'espèce Homo sapiens a évolué. Le passé le plus lointain de l'humanité, comme l'indique dans son livre The history of man from his beginnings to the 4th millennium BC ("L'histoire de l'homme, de ses origines au 4e millénaire avant J.-C.") le paléoanthropologue Ian Tattersall (photo), se situe entre 13 et 5 millions d'années, lorsque la lignée évolutive menant à l'homo sapiens s'est séparée des lignées menant à nos parents les plus proches - les chimpanzés et les bonobos.
Entre-temps, comme l'écrit le même auteur, des créatures de type humain sont passées des forêts aux savanes et ont adopté une posture verticale (il y a 6 millions d'années), ont commencé à utiliser des outils (il y a 3,3 millions d'années), ont augmenté la taille de leur cerveau (il y a 2,3 millions d'années), ont commencé à coloniser l'Eurasie (il y a 2 millions d'années) et ont commencé à utiliser le feu (il y a 1,5 million - 0,5 million d'années). L'histoire écrite de l'humanité civilisée n'est donc qu'un clin d'œil par rapport à notre histoire naturelle.
L'homme en tant que "singe nu"
Notre cerveau, notre organisme, notre corps, notre biologie et notre biochimie ont été façonnés par notre préhistoire. Du point de vue de l'évolution, nous sommes toujours des "singes nus" errant dans les savanes africaines en clans d'une douzaine d'individus. Le fait que nous soyons en mode détendu face aux couleurs verte et bleue est, comme Natalie Angier le souligne dans son livre Canon. A Whirling Tour of the Beautiful Basics of Science (Canon. Une expédition galopante à travers les belles fondations de la science), un héritage de l'époque où nos ancêtres, dans la région du Grand Rift africain, voyaient le vert des herbes et des arbres tout autour d'eux et le bleu du ciel au-dessus d'eux. Le fait que nous puissions, sans compter, déterminer le nombre d'objets ne dépassant pas cinq est une capacité inscrite dans notre cerveau par le fait que, pendant des millions d'années, nos ancêtres ont vu les cinq doigts de leur propre main devant eux.
Il en va de même pour nos relations sociales. C'est dans un groupe de quelques dizaines de personnes que nous nous sentons le mieux. C'est le nombre d'amis que nous avons généralement et avec lesquels nous entretenons des relations sociales intimes. C'est le nombre de personnages que comptent les œuvres de fiction littéraires et cinématographiques. C'est le nombre de membres des unités militaires de base et des équipes sportives. Tout ce qui dépasse ce nombre devient de plus en plus une "communauté imaginée", car nous ne pouvons nous souvenir que de quelques dizaines de personnes au maximum - autant que les hordes humaines archaïques les plus nombreuses. Ce qui n'atteint pas ce nombre nous laisse une impression de solitude.
Nature contre idéologie
Ces adaptations, besoins et formations ne sont déracinés par aucune idéologie, philosophie arbitraire ou religion. Les phénomènes culturels existent depuis beaucoup moins longtemps que les formations biologiques. Le rythme de l'évolution culturelle est incomparablement plus rapide que le rythme de l'évolution biologique; les phénomènes culturels peuvent prendre des décennies, voire des mois, pour évoluer, alors que les changements biologiques se produisent sur des millions d'années. Il est donc impossible de modifier la biologie de l'espèce humaine ou les caractéristiques biologiquement conditionnées de la nature humaine en recourant à l'ingénierie sociale et culturelle.
En modifiant notre environnement de vie par rapport à nos conditions naturelles, nous pouvons tout au plus provoquer la dégénérescence et la décadence d'un ethnos donné. Cependant, de même que nous ne pouvons pas dresser un chat à manger végétalien (les adeptes du végétalisme en Occident n'ont fait qu'affamer leurs protégés félins de cette manière), nous ne pouvons pas, par exemple, éradiquer culturellement l'agressivité masculine ou adapter l'humanité à la vie dans une société de masse. Nous pouvons soumettre les gens à une ingénierie sociale, pharmacologique, culturelle ou même chirurgicale, mais tout ce que nous obtiendrons de cette manière, c'est la corruption de la race.
Les doctrines individualistes n'éradiqueront donc jamais le besoin d'appartenance à une communauté, le besoin d'un sentiment de sécurité, de proximité, de chaleur des liens sociaux personnels. Ils ne seront jamais remplacés par une bureaucratie anonyme avec ses crèches, ses écoles, ses aides sociales et toute l'infrastructure de l'"État-providence" moderne. Les liens sociaux ne seront pas non plus remplacés par les masses anonymes des "nations" modernes, de l'"humanité" des Lumières, des "mouvements urbains" postmodernes ou des "masses laborieuses" marxistes.
Nos besoins de sécurité sociale, de transmission culturelle, de soins médicaux holistiques, d'auto-organisation et d'autonomie ne peuvent être remplacés par aucune démocratie, aucun socialisme, aucun nationalisme, aucune association ou autre produit de la pensée moderne. Ils ont fleuri en réponse au besoin de communauté. Cependant, ils se sont déjà développés dans les sociétés de masse et tentent de réaliser ce besoin en se référant aux sociétés de masse. Cela ne peut pas marcher, car ces grandes communautés humaines peuvent au mieux former une foule et non une communauté organique. D'ailleurs, le comportement hystérique des "sociétés démocratiques modernes", dont l'exemple le plus récent est celui que nous avons expérimenté lors de l'épidémie de SRAS CoV-2, rappelle davantage les réactions d'une foule mise en mouvement par la force d'inertie (en l'occurrence intellectuelle) que celles de communautés conscientes et compactes.
La civilisation des masses
Les collectivismes imposés à l'échelle des masses, toutes ces tentatives de façonner des "nations", des "races", des "classes", une "humanité" à partir de multitudes humaines atomisées, détruisent également le polycentrisme, le pluralisme et le polymorphisme naturels des sociétés. Les doctrines de cooptation sociale telles que le catholicisme social, le corporatisme, le nationalisme économique - appliquées à des masses humaines de plusieurs millions d'individus à l'échelle nationale - suppriment les processus naturels de différenciation et de sélection. Elles suppriment l'initiative, l'esprit d'entreprise, bloquent la concurrence et la sélection naturelle. Ainsi, un peuple donné et une entité politique donnée stagnent, perdent leur résistance, s'ossifient et réduisent leur position concurrentielle par rapport à d'autres communautés.
Le défi auquel sont confrontés pratiquement tous les peuples du monde, ou en tout cas presque tous, est celui de la croissance numérique, de la concentration et de la centralisation, avec pour conséquence l'émergence de sociétés de masse anonymes. Les doctrines collectivistes destinées à les unir ne fonctionnent pas. L'individualisme provoque l'atrophie culturelle et la dégénérescence de la race: les perversions et les maladies mentales se répandent, les besoins sociaux insatisfaits sont transférés sur les biens matériels et s'expriment dans des réflexes morbides tels que le consumérisme compulsif, la promiscuité sexuelle ou le comportement naturellement adopté à l'égard des enfants, qui commence à s'appliquer aux animaux domestiques.
Les clans traditionnels
Pour sortir de ce piège civilisationnel, il est possible de revenir aux formes de vie naturelles de l'homme. C'est-à-dire la démassification, la déconcentration, la décentralisation. Pluralisme, polycentrisme, dynamisme, compétition et flexibilité adaptative. Mais aussi sécurité communautaire, sociale, affective, sanitaire, culturelle, etc. Nous devons recommencer à vivre en clans et en hordes, qui sont des ensembles sociaux "à l'échelle humaine". Il semble que nous ayons tous apprécié le film "Le Parrain", et plus particulièrement le motif du clan patriarcal dans son intrigue. Nous regardons tous avec curiosité les clans écossais ou même les familles nobles polonaises. C'est l'expression naturelle de ce désir social, tout comme le fait que nous nous sentions à l'aise dans des intérieurs en bois avec des peaux d'animaux sur le sol exprime les besoins naturels des individus sains de notre espèce.
Les sociétés humaines traditionnelles sont précisément ce type de clans qui, selon les circonstances, se transforment en hordes-confédérations plus nombreuses. L'un des clans les plus célèbres est celui des Pintupi Nine (photo), considérés comme les derniers habitants indigènes de l'Australie à n'avoir eu aucun contact avec la civilisation moderne. Elle se composait des deux femmes du patriarche défunt et de leurs sept enfants. Le groupe est entré en contact avec la civilisation blanche en 1984, après avoir vécu un mode de vie de chasseur-cueilleur dans le désert de Gibson, à l'ouest du continent australien.
Le clan traditionnel était donc dirigé par un patriarche mâle et comprenait, selon le niveau de développement du groupe, des frères et des cousins plus jeunes, des épouses, des vieillards infirmes, des fils et des filles. Ensemble, ils formaient un foyer dont l'homme était le chef. Cependant, ce foyer comprenait aussi parfois des esclaves, et toujours des animaux, des plantes, des biens et des terres.
La vision traditionnelle du monde
La vision du monde de l'homme traditionnel est proche de ce que les spécialistes des religions appellent aujourd'hui l'animisme. Il voit des éléments de personnalité et donc de subjectivité dans les êtres non humains et même dans les phénomènes naturels, les lieux, etc. Dans tous les éléments importants et caractéristiques de son environnement, de son cadre de vie, l'homme traditionnel voit un élément personnel et traite ces éléments de manière subjective. Il cohabite avec ses ancêtres, les esprits de la nature, les esprits gardiens des lieux, des animaux et des plantes.
L'anthropologue français Pascal Boyer, dans son livre Et l'homme créa les dieux, avance la thèse que l'homme, ayant commencé à communiquer par la parole avec les autres membres de son espèce, a perçu les autres éléments de son environnement de manière similaire à eux. Il percevait les arbres, les animaux, les éléments caractéristiques du paysage, les objets astronomiques et les phénomènes atmosphériques comme il percevait les personnes. Il les voyait comme des entités personnelles, leur parlait et envisageait ses relations avec eux en ces termes. Selon P. Boyer, cela a donné lieu à des cultes fétichistes, puis à des dieux patrons de domaines particuliers de la vie, et enfin à des constructions théologiques de plus en plus abstraites et universalistes de la part de l'homme, jusqu'à l'idée d'un dieu universel.
La réalité du mythe
La théorie résumée ci-dessus de l'anthropologue français semble plausible, bien qu'il faille préciser qu'elle n'implique pas nécessairement l'athéisme. Comme nous le savons, les différentes espèces animales perçoivent le monde de manière très différente ; par exemple, l'œil de la mouche lui permet de voir son environnement différemment de l'œil du chien, et l'œil du chien lui permet de voir son environnement différemment de l'œil de l'homme. Aucune de ces perceptions n'est "meilleure" ou "pire", mais toutes constituent au contraire la meilleure adaptation possible aux besoins des individus de l'espèce. Il en va de même pour les visions du monde humaines: lorsqu'elles fournissent une image de la réalité avec une marge d'erreur suffisamment petite, sur la bonne échelle de précision, et suffisamment suggestive et stimulante, elles sont vraies.
La vision mythique du monde n'est donc en rien "inférieure" à la vision scientiste du monde. D'autant plus que la première utilise trop souvent des modèles arbitraires (par exemple de particules élémentaires), n'étant dans de nombreux cas qu'une technique pour imaginer et modéliser de manière suggestive des niveaux de réalité qui ne sont pas accessibles à notre perception directe. En revanche, la vision mythique du monde, dans laquelle nous percevons le monde comme une "grande famille" de manifestations individuelles de la Vie, nous semble plus naturelle (comme le souligne P. Boyer, déjà cité) que les modèles contre-intuitifs proposés, par exemple, par la physique.
Ajoutons enfin que les sciences naturelles actuelles fournissent de plus en plus d'illustrations du fait que les différents êtres vivants présentent de nombreux comportements que, dans le cadre de la superstition occidentale moderne, nous en sommes venus à considérer comme exclusivement humains; nous savons déjà que les animaux, et même les plantes, communiquent entre eux, rient, montrent de l'affection, de la peur, de la douleur, coopèrent, souvent même domestiquent d'autres espèces, peut-être même manifestent-ils un comportement proto-religieux, et surtout que chacun d'entre eux s'efforce de se conserver pour éviter la mort. Nous savons donc déjà aujourd'hui que la différence entre l'homme et les autres êtres vivants est une différence "quantitative" - une différence d'intensité de certaines caractéristiques, et non une différence "qualitative" - essentielle.
Sujet plutôt qu'objet, domination plutôt que possession
Pour comprendre la nature du clan patriarcal archaïque, il faut encore prendre conscience de deux faits. Premièrement, la vision holistique et cosmo-centrique du monde de l'homme archaïque ne connaissait pas une séparation aussi nette entre "sujet" et "objet" que celle adoptée dans la vision analytique du monde de la civilisation occidentale. Comme je l'ai mentionné plus haut, pour l'homme de la Tradition, le cosmos tout entier forme un tout complémentaire. Tous ses éléments possèdent les attributs de la vie, de l'individualité personnelle et de la subjectivité, tout en étant interdépendants. L'intensité de la vie, de l'individualité personnelle et de la subjectivité n'est bien sûr pas la même dans les différentes entités, et toutes ces entités peuvent donc être ordonnées sur cette variable dans une séquence ascendante.
Deuxièmement, ce qui est par ailleurs dérivé du premier, l'homme archaïque ne connaît pas la notion occidentale et exclusiviste de "propriété". Dans la société traditionnelle, la propriété est plutôt le droit d'utiliser une certaine chose dans une certaine mesure. Ces droits sur une même chose sont généralement détenus par de nombreuses personnes (y compris des non-humains - esprits, ancêtres, autres organismes vivants, etc.), voire des communautés, de sorte que ces droits ne sanctionnent qu'exceptionnellement l'utilisation d'une chose jusqu'à sa destruction complète. Les droits d'utilisation des choses dans la société traditionnelle n'ont donc rien à voir avec le pouvoir absolu sur ces choses sanctionné par les "droits de propriété" occidentaux.
Le patriarcat dans la vision traditionnelle du monde
Ces deux réserves faites, nous pouvons revenir à notre thème fondamental, à savoir l'unité sociale de base sous la forme du clan. Dans les sociétés indo-européennes adaptées aux conditions de vie du nord de l'Eurasie, il s'agissait de clans patriarcaux, comme l'écrit par exemple l'anthropologue yankee David W. Anthony dans son excellent ouvrage The Horse, the Wheel and Language (Le cheval, la roue et le langage). Un tel clan était dirigé par un patriarche mâle dont la maison comprenait des femmes, des filles, des fils, des esclaves, des animaux, etc. Tous ces éléments faisaient partie de ses possessions, ou - comme nous pourrions le dire différemment - de sa "progéniture". Le patriarche mâle les présidait et en était responsable.
Cependant, son pouvoir patrimonial (c'est-à-dire paternel, de garde) ne doit pas être vu à travers le prisme des formules utilitaires pathologiques produites par la modernité occidentale. Alors que l'institution occidentale de la propriété est utilitaire et orientée vers l'objet, le patriarcat indo-européen est patrimonial et orienté vers le sujet. Le patriarche ne traite pas ses possessions comme du matériel à "utiliser et à consommer", mais fonde l'autorité de son pouvoir sur le respect de l'autonomie et de la subjectivité des femmes, des animaux, des esprits, des jeunes hommes - tous ceux qui lui ont fait confiance et qu'il dirige. Le patriarche, en tant que "mâle alpha", peut même écouter et parfois tenir compte des conseils d'autres membres de son clan, voire de sa maisonnée plus large et même du Cosmos - voir : le recours à la divination, les conseils des sages et l'assistance des vieilles femmes, l'invocation des ombres ancestrales, etc.
Le patriarcat est fondé sur l'autorité et non sur la "propriété". Il est de nature autoritaire plutôt qu'utilitaire. Il s'agit d'une composition de droits et d'autonomie, et non d'une tyrannie. La position de l'homme y est plus forte que dans la modernité occidentale égalitaire, tandis que les sujets individuels de sa maison (femmes, animaux, biens matériels) sont plus respectés dans leur nature que dans la modernité occidentale, qui est imprégnée d'une attitude objectiviste et utilitaire à l'égard de la réalité. Non seulement la femme, mais aussi l'enfant, l'animal domestiqué, la terre cultivée, les ancêtres et les esprits de la ferme sont respectés dans leur nature.
Le patriarcat représente donc la seule véritable "émancipation" de la femme. Il lui permet le Dasein - d'être elle-même, d'être en elle-même, d'être naturelle. Mais le patriarcat est aussi un tel Dasein pour tous nos descendants: pour les animaux, pour les plantes, pour toute la nature. Car dans la vision traditionnelle du monde, il n'y a pas de fossé ontologique entre l'homme et le reste de la nature, et il n'est donc pas désobligeant pour l'homme de les compter dans le même ensemble et de les mettre côte à côte.
Ronald Lasecki
Publié à l'origine dans Chrobry Szlak, septembre 2023.
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lundi, 15 janvier 2024
Changement de stratégie médiatique: ce n'est pas Poutine qui est isolé, mais l'Occident en état de siège
Changement de stratégie médiatique: ce n'est pas Poutine qui est isolé, mais l'Occident en état de siège
Augusto Grandi
Source: https://electomagazine.it/cambia-la-strategia-dei-media-non-e-putin-ad-essere-isolato-ma-loccidente-sotto-assedio/
Presque un miracle: sur La 7, quelqu'un a compris que ce n'est pas Poutine qui est isolé, dans le monde, mais l'Occident. Peut-être que l'information atteindra, tôt ou tard, les pleurnichards de Tg5 et de la RAI qui sont occupés à raconter une vérité alternative depuis Kiev et Tel Aviv. Mais il n'y a aucune illusion d'honnêteté intellectuelle à avoir devant les organes de désinformation. Seules les stratégies ont changé.
Car on s'est rendu compte que le triomphalisme anti-Poutine et pro-Yankee ne payait pas. L'opinion publique italienne et internationale était parfaitement capable d'évaluer les mensonges de la désinformation indécente. Tout comme on s'est rendu compte que le boucher Netanyahou ne convainquait même pas l'opinion publique pro-israélienne. Il fallait donc changer de registre.
Et l'on s'est tourné vers l'appel aux armes du monde blanc assiégé par toutes les personnes de couleur partout dans le monde. Nous, les bons, les démocrates, les exportateurs de paix par les bombes, sommes attaqués par un monde mauvais qui ne veut pas de notre démocratie, de notre mode de vie, de nos multinationales. Nous devons nous défendre. Nous devons bombarder davantage, nous devons exterminer certaines populations de la planète. Exterminer un peuple pour en éduquer 100.
C'est là le mode de vie américain. Exactement. C'est l'américanisation de l'Occident qui passe d'abord par l'américanisation de l'Europe. C'est-à-dire la destruction de l'Europe. Qui existe dans la mesure où elle est profondément différente des États-Unis.
Paradoxalement, les attaques contre les Blancs, contre le pouvoir blanc, ne partent donc pas des anciens pays coloniaux mais des États-Unis eux-mêmes. Cela démontre l'échec de toutes leurs politiques d'inclusion, d'intégration.
Mais, en fin de compte, Washington s'en accommode parfaitement. Car le front avec le reste du monde ne passe pas par les États-Unis, à l'exception de la frontière avec le Mexique. Il passe par l'Europe, une partie du continent eurasien qui, en réalité, comprend également l'Afrique. C'est donc l'Europe qui doit traiter avec ses voisins. Et qu'elle aura de plus en plus de mal à le faire si elle devient un avant-poste des intérêts américains en totale opposition avec ceux de l'Asie, de l'Afrique et de l'Europe elle-même.
Mais plutôt que de réfléchir à de nouvelles relations géopolitiques, les majordomes de Rimban-Biden préfèrent se poser en victimes d'un monde cruel qui ne veut pas se soumettre au bien universel correspondant aux intérêts de Washington et de Wall Street. Avec l'aide de journalistes alignés et couverts.
21:24 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, médias, politique internationale | |
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Vladislav Deinego : L'Europe trahie par les États-Unis et l'Ukraine
Vladislav Deinego : L'Europe trahie par les États-Unis et l'Ukraine
Lucas Leiroz
Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/vladislav-deinego-europa-traida-pelos-eua-e-pela-ucrania
Le conflit actuel en Ukraine est le résultat direct de l'échec des accords de Minsk.
Entre 2014 et 2015, la Russie et l'Union européenne ont mené des négociations entre les républiques séparatistes du Donbass et le gouvernement de Kiev, parvenant à un protocole mutuellement bénéfique qui espérait garantir la paix régionale. Cependant, les termes du pacte n'ont jamais été respectés par le régime ukrainien, qui a continué à attaquer constamment les républiques et à faire avancer son projet de "dé-russification" et de nettoyage ethnique.
Selon l'ancienne chancelière allemande Angela Merkel, les accords n'ont pas échoué, mais ont rempli leur véritable objectif: préparer l'Ukraine à une guerre contre la Russie dans un avenir proche. Commentant le début de l'opération militaire spéciale de Moscou et l'escalade du conflit dans le Donbass, l'ancienne chancelière allemande a déclaré que cette confrontation était attendue depuis le début, le cessez-le-feu établi à Minsk n'agissant que comme un moyen d'apaiser temporairement les tensions, permettant à Kiev de gagner du temps.
Cependant, cela ne semble pas être l'avis de certains autres membres qui ont également été profondément impliqués dans les négociations dans la capitale biélorusse. J'ai récemment eu l'occasion de me rendre dans la région du Donbass en tant que correspondant de guerre. J'y ai interviewé un certain nombre de dirigeants locaux, d'hommes politiques et de fonctionnaires, dont le ministre des affaires étrangères de la République populaire de Lougansk, Vladislav Deinego, qui était l'un des négociateurs du processus de Minsk.
Au cours de notre conversation, j'ai demandé au ministre son avis sur l'échec des accords de Minsk et je l'ai entendu expliquer longuement comment la situation était devenue incontrôlable et avait dégénéré en guerre. Selon M. Deinego, Mme Merkel ment lorsqu'elle affirme que l'objectif a toujours été de préparer l'Ukraine. Pour lui, l'Europe avait un véritable intérêt à parvenir à la paix dans la région et à stabiliser ses relations avec la Russie, en évitant une escalade militaire qui mettrait en péril l'ensemble de l'architecture de sécurité continentale.
Deinego affirme que Kiev voulait une guerre totale depuis le début. Le ministre explique qu'avant la conclusion des accords de Minsk, les séparatistes ont tenté de résoudre la situation de diverses manières sur le plan diplomatique. Après l'échec des moyens non militaires, les républiques ont proposé à Kiev de limiter quelque peu les combats afin d'éviter les pertes civiles.
Elles ont d'abord proposé d'interdire l'utilisation de l'artillerie et de l'aviation, ce que Kiev a rapidement refusé. Ensuite, les dirigeants du Donbass ont tenté d'établir des zones de sécurité, limitant l'utilisation d'armes lourdes en fonction de leur distance par rapport aux zones civiles. Dans ce modèle, l'artillerie ne serait autorisée que dans les régions éloignées des villes habitées, tandis qu'à la "ligne zéro", les combats seraient limités à l'utilisation régulière de l'infanterie, empêchant ainsi les civils d'être touchés par les armes lourdes. Néanmoins, l'Ukraine a nié l'existence d'un tel accord.
Cette insistance du régime néo-nazi à mener une guerre totale contre les séparatistes, selon le ministre, a suscité de réelles inquiétudes parmi les Européens. Plus les incursions ukrainiennes sont profondes, plus les attaques se rapprochent des frontières russes, exacerbant la crise sécuritaire. En pratique, la situation pourrait à tout moment évoluer vers une violence absolue dans laquelle Moscou serait contraint d'intervenir, générant un conflit majeur en Europe. Cette situation inquiète les membres de l'UE, en particulier l'Allemagne, qui est très dépendante de son partenariat avec la Russie.
En tant que principal importateur de gaz russe et tributaire de l'amitié avec Moscou pour garantir sa stabilité économique et sociale, Berlin s'est fortement impliqué dans le processus diplomatique pour tenter de mettre fin au conflit, ou du moins de le geler. C'est pourquoi l'Allemagne a été le principal négociateur du côté de Kiev à Minsk, tandis que la Russie négociait en faveur des républiques du Donbass. En ce sens, après de nombreuses négociations, le pacte a finalement été signé, établissant des mesures telles qu'un cessez-le-feu, la libération de prisonniers et le respect de l'autonomie politique des régions russophones.
Deinego estime que la mise en œuvre effective des accords serait le meilleur scénario pour les Européens, car elle garantirait la stabilité des relations entre la Russie et l'UE, malgré l'hostilité des Ukrainiens à l'égard de Moscou. Cependant, comme on le sait, Kiev n'a jamais respecté les conditions de Minsk et la violence s'est poursuivie dans la région, même si l'intensité des combats a manifestement diminué. M. Deinego estime que cela n'a jamais été dans l'intérêt de l'Europe et que, en fait, l'évolution du conflit a montré l'échec de la diplomatie européenne.
En effet, à l'époque, les relations Russie-UE étaient florissantes, malgré la rivalité idéologique et géopolitique. Il n'y avait aucune raison pour que les Européens acceptent de participer à un plan de guerre dans lequel ils seraient gravement lésés. Cela nous amène à penser que d'autres sont intervenus pour aggraver la crise, sans tenir compte des intérêts européens. Les États-Unis, qui ont toujours voulu la guerre avec la Russie, en sont certainement responsables.
Les circonstances montrent que Washington a probablement profité de la "stabilité" générée par les accords de Minsk pour préparer Kiev à agir par procuration contre la Russie. Les Européens n'ont jamais participé à ce plan et ont été trahis par l'OTAN, tout comme les Russes. Aujourd'hui, l'Europe continue d'être victime des plans de guerre de l'OTAN, contrainte par les États-Unis d'imposer des sanctions suicidaires contre la Russie, qui affectent sa propre économie.
L'avis d'une personne impliquée dans le processus de Minsk est essentiel pour montrer les vraies raisons du conflit. Dans la pratique, Deinego démontre que les relations entre les États-Unis et l'UE sont semi-coloniales, les Européens étant utilisés par Washington dans des plans de guerre, sans que leurs intérêts soient respectés.
21:04 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ukraine, donbass, vladislav deinego, europe, affaires européennes, accords de minsk | |
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Jacques Delors a fait de l'Europe unie un dispositif néolibéral irréformable
Jacques Delors a fait de l'Europe unie un dispositif néolibéral irréformable
par Alessandro Somma
Source: https://www.sinistrainrete.info/europa/27128-alessandro-somma-jacques-delors-ha-reso-l-europa-unita-un-dispositivo-neoliberale-irriformabile.html
Le plein emploi contre la stabilité des prix
Selon le récit dominant, l'Europe unie est née pour assurer un avenir pacifique au Vieux Continent. Elle a cependant vu le jour à une époque marquée par la guerre froide, et a donc été conçue pour renforcer le front des pays capitalistes luttant contre le bloc socialiste. Cela n'a pas empêché les États de promouvoir une condition préalable au maintien de la paix: une redistribution des richesses par les pouvoirs publics hors du marché par le biais de l'aide sociale, et dans le marché avec la protection du travail et le plein emploi.
Bref, l'Europe unie, dans ses premières années, n'était pas totalement hostile au compromis keynésien. C'est précisément le plein emploi qui est mentionné dans le traité instituant la Communauté économique européenne parmi les objectifs que la coordination des politiques fiscales et budgétaires nationales doit poursuivre. Mais parmi ceux-ci figurait également la stabilité des prix et donc la lutte contre l'inflation, c'est-à-dire un objectif centré sur le plein emploi: pour le poursuivre, il fallait soutenir la demande en augmentant les salaires et donc éviter les politiques monétaires visant à freiner la masse monétaire, nécessaires pour promouvoir la stabilité des prix.
Dans tout cela, on pensait que les pays participant à l'intégration européenne ne devraient pas se limiter à coordonner leurs politiques fiscales et budgétaires, c'est-à-dire qu'ils les céderaient tôt ou tard à Bruxelles. On a alors pensé que cette étape devait accompagner, voire précéder, la mise en place d'une politique monétaire commune.
En d'autres termes, le lancement de la monnaie unique devait être précédé du choix de l'objectif de politique fiscale et budgétaire à privilégier: il fallait décider si l'on accordait plus d'importance au plein emploi ou à la stabilité des prix, puis identifier une politique monétaire cohérente avec cet objectif.
Au cours des années 1980, cette feuille de route a été bouleversée par la décision d'adopter une politique monétaire commune en l'absence de politiques fiscales et budgétaires communes, et surtout de le faire avec un seul objectif: la stabilité des prix. Ainsi, bien que les politiques fiscales et budgétaires restent entre les mains des États membres, ceux-ci sont empêchés de rechercher le plein emploi [1].
L'architecte d'une telle transformation a été Jacques Delors, qui a d'abord provoqué l'échec d'une expérience gouvernementale hostile à l'orthodoxie néolibérale et a ensuite été récompensé par la présidence de la Commission européenne: un poste qu'il a occupé pendant trois mandats, de 1985 à 1995. Il ne s'agit donc pas d'un père éclairé de l'Europe unie, mais du principal responsable du montage qui l'a conduite à devenir un dispositif néolibéral irréformable, incapable d'endiguer la virulence des marchés et l'effondrement de la participation démocratique qui en découle. N'en déplaise à ceux qui pensent que la phase actuelle indique un renversement de tendance et non la consolidation définitive de l'ordre construit par Delors. Et surtout de ceux qui pensent que l'absence d'une politique fiscale et budgétaire commune est une anomalie et non un arrangement souhaité pour les effets qu'il produit inévitablement.
Ministre français des finances
On a parlé de l'expérience gouvernementale hostile à l'orthodoxie néo-libérale à l'échec de laquelle Delors a apporté une contribution fondamentale. Il s'agit d'une affaire qui a pris naissance en France au début des années 1980: lorsque s'ouvre la saison politique de François Mitterrand, élu président de la République en 1981 et reconduit pour deux septennats, il inspire la naissance d'une première coalition.
Il a inspiré la naissance d'un premier exécutif de coalition présidé par Pierre Mauroy, qui comprenait des socialistes, des radicaux de gauche et des communistes, engagés dans un programme comprenant la relance de la protection sociale, le renforcement de la protection des travailleurs, l'augmentation des salaires et la nationalisation des entreprises d'intérêt national en situation de monopole. La conséquence est une hausse de l'inflation, et avec elle le risque de remettre en cause la participation de la France au système monétaire européen [2], que l'on veut contrer par des instruments incompatibles avec l'élan keynésien du programme.
En effet, la stabilité des prix est devenue le point de référence des politiques décidées par la coalition, qui s'est ainsi trouvée dans l'incapacité d'alimenter des politiques de plein emploi. C'est le fil conducteur des initiatives prises par le deuxième et surtout le troisième exécutif présidé par Mauroy, dans lequel Delors, ministre des Finances d'emblée critique à l'égard de l'approche keynésienne, s'est distingué par le zèle avec lequel il a voulu imposer la modération salariale et limiter les dépenses publiques [3].
Tout cela n'a pas relancé l'économie française, en proie à un appauvrissement des familles et à une montée du chômage, auxquels il a voulu s'attaquer par de nouvelles mesures d'inspiration néolibérale: en premier lieu, le désengagement économique de l'État. Delors devait consolider le redressement en assumant le poste de premier ministre, mais sa carrière politique a pris une autre tournure: en 1985, il est devenu président de la Commission européenne, un poste qui, comme nous l'avons dit, a été renouvelé à deux reprises jusqu'en 1995.
Président de la Commission européenne
En tentant de dresser le bilan de cette décennie, beaucoup ont célébré la contribution de Delors au développement de l'intégration européenne en exaltant son profil de personnalité qui ne pouvait être rangée dans le camp des partisans du laissez-faire [4]. Pourtant, on doit à Delors l'ancrage définitif de la construction à l'orthodoxie néolibérale, ne serait-ce que par la réalisation d'un préalable à sa diffusion: l'élimination des obstacles à la libre circulation des capitaux. Tout cela comme un premier pas vers le lancement d'une politique monétaire commune, le principal héritage de Delors et l'événement pour lequel il est toujours célébré comme le père de la construction européenne.
Le premier acte politique de Delors à la tête de la Commission est la rédaction du Livre blanc sur "l'achèvement du marché", qui n'est plus défini comme "commun" mais comme "intérieur": une expression jusqu'alors utilisée pour le niveau national, dont l'emploi souligne la volonté de "souder les marchés individuels des États membres". Il s'agit d'intervenir dans la libre circulation des marchandises, compromise au cours des années 1970 par des politiques nationales protectionnistes, qui se sont multipliées en réaction à la crise économique et ont finalement été tolérées par le niveau européen [5]. Elle appelle ensuite à réaliser enfin la libre circulation des capitaux, pour laquelle il faut procéder à "l'harmonisation des dispositions nationales régissant les activités des intermédiaires financiers et des marchés financiers". Enfin, les distorsions de concurrence devaient être vigoureusement combattues et, en particulier, les aides d'État aux entreprises "non compétitives" [6] devaient être ciblées.
Libre circulation des capitaux
Le Livre blanc n'a pas été mis en œuvre dans toutes ses parties, mais sa structure a inspiré l'Acte unique européen de 1986. Celui-ci modifie le traité CEE en faisant notamment référence à la création d'un "espace sans frontières dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée" (article 8A).
En outre, l'Acte unique, contrairement au Livre blanc, prenait en compte un certain effet de la libre circulation des capitaux: celle-ci exacerberait la concurrence et provoquerait donc des tensions qu'il faudrait quelque peu apaiser au moyen d'instruments de pacification sociale [7]. C'est dans ce contexte qu'une disposition a été ajoutée au traité fondateur de la CEE concernant l'engagement de la Communauté à "réduire l'écart entre les diverses régions et le retard des régions les moins favorisées" (art. 130A).
À cette fin, l'utilisation des fonds structurels a été prescrite, ceux-ci étant conçus comme des instruments de redistribution des ressources [8]. Cependant, au fil des années, leur discipline a été capturée dans un mécanisme que l'on peut définir en termes de marché des réformes: le mécanisme par lequel toute aide financière fournie par le niveau européen est conçue comme une contrepartie pour l'adoption de réformes visant à consolider l'adhésion à l'orthodoxie néolibérale [9]. Il a ensuite été définitivement consacré par un règlement stipulant "qu'un lien plus étroit devrait être établi entre la politique de cohésion et la gouvernance économique de l'Union afin de garantir que l'efficacité des dépenses au titre des Fonds structurels et d'investissement européens repose sur des politiques économiques saines". Ce lien est associé à un système de sanctions conçu pour protéger ce marché de réformes spécifique: "si un État membre ne prend pas de mesures efficaces dans le cadre du processus de gouvernance économique, la Commission devrait soumettre au Conseil une proposition visant à suspendre, en partie ou en totalité, les engagements ou les paiements pour les programmes dans cet État membre" [10].
A y regarder de plus près, une telle issue était anticipée par une précision de Delors, selon laquelle "les instruments communautaires doivent cesser d'être considérés comme des éléments d'un système de compensation financière", "puisqu'ils sont destinés à jouer, parallèlement et de concert avec les politiques nationales et régionales, un rôle important dans la convergence des économies" [11]. Il n'est donc pas nécessaire d'évoquer le rôle de Delors en tant que défenseur de la monnaie unique pour documenter sa ferveur néolibérale, et plus précisément son rôle en tant que principal architecte de la construction d'une Europe unie sous la forme d'un dispositif néolibéral irréformable. Il suffit de reconstituer son engagement en faveur de la réalisation de la libre circulation des capitaux, c'est-à-dire le principal mécanisme visant à saper le compromis keynésien.
C'est précisément pour protéger ce compromis qu'un ordre économique international fondé sur la libre circulation des marchandises, mais aussi des capitaux, a été imaginé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers, comme le précisent les statuts du Fonds monétaire international, doivent pouvoir être contrôlés par les États (art. 6). Et si pour relancer le commerce international, et en amont l'emploi, il fallait fournir des capitaux aux pays qui en avaient besoin, cela devait se faire par des prêts à faible taux d'intérêt et en tout cas identifiés à des dynamiques éloignées du marché: d'où l'institution de la Banque mondiale [12].
C'est à Delors que l'on doit le sabordage de ce schéma qui a tenu la route pendant quarante ans. Si les États, à la merci de la libre circulation des capitaux, ont été contraints de mettre en œuvre les seules politiques capables d'attirer les investisseurs internationaux: celles qui visent à précariser et à dévaloriser le travail, à alléger la charge fiscale des entreprises, et donc à détruire la protection sociale. C'est grâce à Delors que l'Europe unie est devenue un dispositif néolibéral irréformable, radicalement incompatible avec l'aspiration à restaurer le compromis keynésien.
Notes:
[1] A. Somma, L'Union européenne n'est pas un projet inachevé ni même réformable : c'est un dispositif néolibéral réussi, in Raison pratique, 2023, p. 161 et suivantes.
[2] Par exemple G. Mammarella et P. Cacace, Storia e politica dell'Unione europea, Rome et Bari 2008, p. 177 et suivantes.
[3] Par exemple G. Duby, Histoire de France. I tempi nuovi dal 1852 ai giorni nostri (1991), 3e édition, Milan 1997, p. 1388.
[4] Par exemple, J. Gillingham, European Integration 1950-2003 : Superstate or New Market Economy ?, Cambridge 2003, p. 160.
[5] L'achèvement du marché intérieur. Livre blanc de la Commission pour le Conseil européen du 14 juin 1985, Com/85/310 fin.
[6] Ibid.
[7] H.J. Glaesner, L'Acte unique européen, "Revue du marché commun", 29, 1986, p. 317.
[8] J.-P. Jacqué, L'Acte unique européen, "Revue trimestrielle de droit européen", 22, 1986, p. 602 s.
[9] A. Somma, Le marché de la réforme. How Europe became an unreformable neoliberal device, in E. Mostacci and A. Somma (eds.), Dopo le crisi. Dialogues sur l'avenir de l'Europe, Rome 2021, p. 229 et suivantes.
[10] Considérant 24 Règlement portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour la mer et la pêche et portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen, le Fonds de cohésion et le Fonds européen pour la mer et la pêche du 17 décembre 2013, 1303/2013/UE.
[11] Réussir l'Acte unique : une nouvelle frontière pour l'Europe du 18 février 1987, Com/87/100 final.
[12] Par exemple, M.A. Clemens et M. Kremer, The new role for the World Bank, in 30 Journal of Economic Perspectives, 2016, p. 53 ff.
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Césarisme ou juristocratie: la fracture inattendue dans les démocraties contemporaines
Césarisme ou juristocratie: la fracture inattendue dans les démocraties contemporaines
Raphael Machado
Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/cesarismo-ou-juristocracia-inesperada-bifurcacao-das-democracias-contemporaneas
Nous avons été élevés dans l'idée que le terme "démocratie libérale" était pratiquement un nom composé, et nous nous sommes politiquement habitués à considérer que toute démocratie est libérale et que tout libéralisme est démocratique. Les exceptions étaient des accidents et des distorsions historiques, facilement rejetées.
Cette perspective était également associée à un certain optimisme pseudo-messianique, comme chez Francis Fukuyama, qui prédisait que cette formule de "démocratie libérale", dont la vérité et la supériorité avaient été démontrées par le triomphe de l'Occident suite à la guerre froide, deviendrait effectivement universelle.
Chaque pays du monde, de l'Islande à l'Érythrée, de la Bolivie au Cambodge, deviendrait une petite copie des États-Unis (ou de la France), avec "l'État de droit", la primauté des droits de l'homme, l'économie de marché, l'égalitarisme abstrait (le "voile d'ignorance" de Rawls), les centres commerciaux et les magazines Playboy, et tout ce que nous avons appris à identifier au "modèle occidental" au début des années 90.
Le processus d'ingénierie sociale planétaire appelé "globalisation" a certes progressé jusque dans les coins les plus inhospitaliers de la planète, mais la "McDonaldisation" du monde ne s'est pas accompagnée d'une amélioration objective des conditions matérielles des secteurs productifs (prolétariat, paysannerie et classe moyenne) dans le premier ou le tiers monde.
Au contraire, dans le sillage des "Reaganomics", les salaires dans la plupart des pays n'ont plus suivi l'augmentation de la productivité. On a assisté à une poussée vers la déréglementation du travail et la déstabilisation économique, accompagnée d'une déterritorialisation des entreprises. Si, d'un côté, cela a accéléré l'accumulation du capital, de l'autre, cela a commencé à pousser la classe moyenne vers le bas et le prolétariat vers le précariat.
D'autres processus ont accompagné le phénomène, selon les pays ou les continents. Par exemple, l'Europe a vu l'annulation directe de la volonté populaire face à tout résultat jugé négatif lors des référendums sur l'adhésion à l'Union européenne; la solution trouvée par les élites a été de répéter les référendums autant de fois qu'il le fallait pour obtenir finalement une approbation. À cela s'ajoute l'augmentation vertigineuse de la criminalité au cours des 30 dernières années, liée à l'affaiblissement des contrôles aux frontières et à l'immigration de masse.
En ce sens, il y a des "gagnants et des perdants" en matière de mondialisation. Dans l'utopie de la "fin de l'histoire", certains ont manifestement des existences plus utopiques que leurs concitoyens.
C'est la perception de cette aggravation des contradictions et du degré croissant d'aliénation des élites par rapport au peuple qui a donné naissance au phénomène (complexe et généralement mal compris) du populisme. En théorie, le processus continu d'accumulation et d'aliénation du capital a transformé les couches "triomphantes" des élites nationales en élites transnationales dotées d'un caractère déraciné et nomade. Cette élite n'est plus composée de travailleurs-entrepreneurs, qui commandent leur "force de travail" depuis l'usine ou l'entreprise, comme des capitaines d'industrie (et qui ont donc toujours une relation directe avec leur propre communauté, malgré les contradictions de classe); mais d'une sorte de caste purement financiarisée, anonyme, sans visage, déconnectée du processus de production et de l'espace physique et social même dans lequel ces relations socio-économiques se déroulent.
Ce détachement fait perdre une certaine sensibilité réaliste qui fait la longévité des élites dirigeantes. Il en résulte que les programmes égocentriques des élites ne sont plus reconnus par les masses; ce rejet s'exprime à travers la démocratie "sacrée", dans les défaites électorales des partis identifiés à ces intérêts élitistes. Quelle n'est pas la surprise des peuples lorsque, face à des résultats "désagréables" lors de référendums ou d'élections, les élites recourent à divers mécanismes (vides juridiques, précédents obscurs, analogies stupides, allégations d'exception ou de "force majeure", etc.).
Le sens classique de la démocratie comme gouvernement des citoyens par la méthode majoritaire, voire comme expression juridico-institutionnelle de la volonté générale rousseauiste, est confondu avec ses "appendices" libéraux jusqu'au paroxysme, culminant dans l'auto-inversion. Les élites en arrivent à la conclusion que pour sauver la "démocratie", elles doivent la suspendre.
En d'autres termes, on ne peut plus "faire confiance" au peuple. Il est trop "stupide", trop "conservateur", encore "attaché aux superstitions religieuses", etc. Ils ne sont donc pas "prêts pour la démocratie". On ne peut pas lui faire confiance pour prendre les "bonnes décisions", il faut donc créer des mécanismes pour "gérer" la démocratie, l'orienter dans la "bonne direction", quitte à aller à l'encontre de ce qui est manifestement l'opinion majoritaire, voire à empêcher le peuple d'exprimer son point de vue.
Cette gestion de la démocratie par des élites "éclairées" peut se faire par une myriade de méthodes, mais le moyen qui s'est avéré le plus efficace au cours des 30 dernières années semble avoir été la judiciarisation de toutes les questions sociales, c'est-à-dire le transfert du "dernier mot" sur chaque conflit ou controverse entre les mains du pouvoir judiciaire de chaque pays.
À cet égard, il est facile de comprendre pourquoi le pouvoir judiciaire est un outil intéressant: dans la plupart des pays, il n'est pas élu, de sorte que les positions de ce pouvoir ne sont pas soumises au principe démocratique, la racine du "problème"; pour la même raison, comme il n'y a pas de mandats, les juges en position permanente sont mieux placés dans leurs positions, le pouvoir judiciaire devenant une sorte d'"État profond", un corps permanent de fonctionnaires mieux placés pour influencer la direction de l'État que les politiciens en rotation permanente. Il va sans dire que le caractère "méritocratique" de la magistrature, compte tenu de la quasi indigence intellectuelle qui a caractérisé les pouvoirs législatif et exécutif dans de nombreux pays du monde, est également pertinent.
Mais ce rôle hypertrophié assumé par le pouvoir judiciaire n'est pas apparu soudainement comme une solution d'urgence à un problème conjoncturel.
Il faut ici souligner le rôle de la consolidation du néo-constitutionnalisme en tant que fondement théorique et institutionnel qui a rendu possible la transformation de la démocratie en juristocratie. Par néo-constitutionnalisme, nous entendons l'idéologie qui : a) affirme la suprématie de la Constitution, des principes et des normes qu'elle contient, dans l'ordre juridique ; b) soumet tous les actes exécutifs, législatifs et judiciaires au contrôle concentré d'un seul organe (la Cour suprême); c) lie le droit à la morale; d) place la défense et la promotion des soi-disant "droits de l'homme" comme une fonction de l'État et de la loi.
Le fait même que de nombreuses personnes considèrent certainement toutes ces caractéristiques comme "naturelles", "évidentes", "consensuelles", etc., plutôt que comme le fruit d'un choix idéologique spécifique, une option parmi d'autres, montre que le travail des défenseurs de la Juristocratie a été bien fait et que ses racines sont profondes; que le problème n'est pas un juge de la Cour Suprême occupant actuellement l'un de ses sièges, mais un système qui a été cultivé pendant des décennies.
Comme antidote à la normalisation, il suffit de rappeler que cet activisme judiciaire typique de la Juristocratie est une importation anglo-saxonne qui va à l'encontre de la tradition romano-germanique, dans laquelle le juge est un bureaucrate apolitique éloigné de la prise de décision sur les questions fondamentales. En fait, le néo-constitutionnalisme a été conçu dans le contexte d'un prétendu dépassement d'une tradition "positiviste" responsable de l'Holocauste.
La Constitution cesse alors d'être un document politique fondateur, dont l'objectif principal serait d'organiser l'État et de servir de guide et de paramètre aux administrateurs et aux législateurs, pour devenir un document normatif, dont les principes sont immédiatement applicables dans toute affaire portée devant un juge, selon l'interprétation que ce dernier fait des normes constitutionnelles.
Dès lors, le droit ne peut plus être séparé de la morale, dont le contenu est donné par l'idéologie des droits de l'homme, qui gagne en popularité et en consensus comme base commune pour établir des relations entre des peuples et des cultures si différents.
Idéalement, cette morale des droits de l'homme devrait être incorporée dans la Constitution, comme son noyau et comme l'axe herméneutique non seulement du texte constitutionnel lui-même, mais aussi de tout le système juridique - la Cour suprême décidant des éventuelles contradictions, ainsi que de l'interprétation correcte à donner aux règles, à la lumière de ces principes.
Il va sans dire que l'idéologie des droits de l'homme n'est pas une construction nationale (elle est le fruit d'un travail intellectuel et militant qui se déroule dans des organisations transnationales et des congrès académiques internationaux, et qui est en perpétuelle expansion), que le résultat est que les règles changent toujours sans que le peuple ou ses représentants élus n'aient changé quoi que ce soit - d'une année à l'autre, la Cour suprême d'un pays, interprétant les mêmes règles, mais déjà à la lumière des nouveaux "droits de l'homme" inventés à New York, Bruxelles et Genève, fait de ce qui était auparavant permis un délit pénal, ou autorise ce qui était auparavant interdit.
Récemment, par exemple, la Cour suprême du Mexique a dépénalisé l'avortement, alors que certains sondages d'opinion indiquent que la majorité des Mexicains sont opposés à l'avortement. Qu'en est-il du principe démocratique ? La juristocratie éclairée, dans son herméneutique des droits de l'homme, "comprend" que le "droit de l'homme" à l'avortement l'emporte sur la démocratie en tant que valeur universelle.
Le raisonnement sous-jacent est aussi impénétrable que les paroles des sibylles de Delphes. On n'explique pas, par exemple, pourquoi les juges et les juristes devraient être considérés comme de meilleurs "porte-parole" des droits de l'homme que le peuple lui-même, par le biais du vote. Ou pourquoi, lorsqu'il y a un conflit dans une nation entre différents droits de l'homme ou entre un droit de l'homme et un autre principe supposé universel, ce sont les juges et les juristes qui devraient décider ce qui est le plus important, et non le peuple, que ce soit par le biais du vote ou de la démocratie directe.
Cette logique d'affaiblissement et de discrédit de la démocratie réelle n'est cependant pas légitimée par des attaques verbales contre la démocratie. Au contraire, l'accélération de la dilution de la démocratie est directement proportionnelle à la défense verbale et rituelle de la démocratie et à la demande de sanctions draconiennes pour ceux qui sont coupables (ou soupçonnés) de l'attaquer. En effet, la consécration du concept de démocratie, achevée après l'effondrement du totalitarisme, ne permet pas de l'abandonner. Il faut donc imposer un régime de révision permanente du contenu du concept, tandis que son nom est crié de plus en plus fort, comme un slogan vide, pour détourner l'attention de l'opération.
Ce type d'opération ne peut que conduire à un discrédit de la démocratie elle-même. Il y a quelques semaines, l'Open Society a publié un sondage indiquant que près de 40% des personnes âgées de 18 à 35 ans soutiendraient un dirigeant fort qui se débarrasserait des élections et des assemblées législatives, à condition qu'il puisse garantir une série de besoins et d'exigences populaires.
Il convient de noter que de nombreux pays avaient déjà commencé à adopter ce que l'on appelle le "contrôle concentré de la constitutionnalité" (dans lequel la suprématie de la Constitution sur le reste du système juridique est garantie par un organe judiciaire spécifique qui juge de la constitutionnalité des normes). Cela signifie que lorsque le néo-constitutionnalisme s'est développé et que les constitutions ont été vulgarisées dans les manifestes néo-lumières, les conditions institutionnelles étaient déjà parfaites pour que les juges de la Cour suprême aient un pouvoir beaucoup plus important que les pouvoirs législatif et exécutif, ce qui n'a été pleinement réalisé qu'au cours des dernières années.
Ce différentiel de pouvoir n'est pas seulement important pour des raisons institutionnelles, mais aussi pour des raisons de légitimité. Le pouvoir judiciaire s'est donné un certain caractère de "sainteté", les juges étant considérés comme les champions de la nouvelle morale cosmopolite, investis d'une mission sacrée de civiliser les pays du monde, et leur auto-attribution a été reconnue par la classe journalistique, une grande partie du monde universitaire, les organisations internationales, les ONG, etc.
En ce sens, si les raids entre l'exécutif et le législatif sont considérés comme une simple lutte de pouvoir ou comme une tentative d'équilibrer les relations entre les pouvoirs, toute attaque similaire de l'exécutif ou du législatif contre le judiciaire est considérée comme une "attaque contre la démocratie", une "menace pour les institutions", un "risque de dictature", etc.
Si dans une démocratie digne de ce nom, la légitimité suprême est incarnée par la fonction élue à la majorité (généralement l'exécutif), dans le système actuel au Brésil et dans plusieurs pays du monde, la légitimité suprême (du moins selon tous ceux dont la voix a porté) est incarnée par une caste oligarchique et perpétuelle de spécialistes dont les valeurs sont manifestement incompatibles avec les valeurs du peuple.
Cette "légitimité" auto-attribuée et reconnue par les élites formatrices de l'opinion garantit au pouvoir judiciaire une "carte blanche" pour l'activisme judiciaire qui va de pair avec le néo-constitutionnalisme et lui donne une orientation. Si le néo-constitutionnalisme est un phénomène aux racines européennes, bien que construit en dialogue avec le monde juridique américain, l'activisme judiciaire est une importation fondamentalement yankee, dont les racines se trouvent dans le rôle prépondérant de la figure du "juge" dans la structure sociopolitique américaine.
Une généalogie métapolitique du phénomène nous conduirait nécessairement au "légalisme" anglo-saxon avec des racines puritaines (qui, à son tour, a ses racines dans le légalisme juif), comme source à la fois de l'idée de la "règle de droit" et du rôle plus actif de la figure du "juge" et, plus tard, du juge en tant que promoteur de la moralité publique (qu'il soit puritain ou, aujourd'hui, libéral-progressiste).
Avec la "constitutionnalisation" du droit, la Cour suprême des États-Unis a été le protagoniste de l'imposition de changements législatifs à grande échelle, de sa propre initiative, surtout à partir de la fin des années 1940, en exorbitant les lois sous prétexte de "combler des lacunes" ou de "garantir les droits fondamentaux".
Dans le cas du Brésil, le phénomène de l'activisme judiciaire est apparu avec force surtout depuis la Sixième République, dont la Constitution, patchwork plein de contradictions et de demi-mesures et de tentatives de concilier l'inconciliable, a été construite précisément dans l'esprit du néo-constitutionnalisme d'inspiration américaine.
Le discours utilisé dans les facultés de droit pour légitimer l'activisme judiciaire et la judiciarisation de toutes les relations sociales est d'une nature antidémocratique flagrante, ce qui passe évidemment inaperçu pour la plupart des étudiants. L'explication avancée, en particulier depuis l'affaire Mensalão, est que les pouvoirs exécutif et législatif ont été discrédités et ont aujourd'hui de moins en moins de légitimité sociale, et qu'ils ne sont pas fiables lorsqu'il s'agit de faire avancer des programmes et des questions qui sont considérés comme "nécessaires" (par les ONG et les organisations internationales), mais controversés en raison de la nécessité de rendre des comptes à la population au moment des élections.
Les jeunes juristes sont donc préparés à servir le peuple non pas comme des "opérateurs du droit", outils bureaucratiques discrets de l'État utilisés pour "dire le droit" face à toute controverse judiciarisable, mais comme une technocratie d'hommes éclairés dont le travail consiste à "sauver le pays" d'une élite politique "corrompue" et d'un peuple "ignorant" et "arriéré".
Il est cependant curieux de constater que cette bifurcation a commencé à conduire certains pays dans une direction diamétralement différente de celle suivie par les régimes dans lesquels les élites libérales ont réussi à s'emparer plus fermement du pouvoir et, surtout, de la construction des consciences.
Nous pouvons résumer toute cette tendance décrite ci-dessus comme un processus d'aliénation du peuple dans la décision de ses propres intérêts souverains, orchestré par des élites libérales qui s'appuient sur une technocratie juridique pour garantir la légitimité de la post-démocratie. Et l'on peut souligner que, face à ce phénomène, il est possible de se rendre compte qu'il est contré par la montée de leaders charismatiques à la tête de partis antilibéraux, qu'ils soient de droite ou de gauche.
C'est ce phénomène que l'on appelle péjorativement le "populisme" qui, comme tout concept politique utilisé par des adversaires pour désigner l'objet de leur inimitié, est difficile à définir et de portée variable.
Peu de ces projets dits "populistes" ont été portés au pouvoir en Europe, où le phénomène semble avoir été mieux analysé. Et ceux qui l'ont fait, comme dans le cas italien de la Lega, ont dû gouverner au sein de coalitions hétérogènes et composer avec des conditions plutôt défavorables à la mise en œuvre de leurs idées.
Nous pourrions mentionner le gouvernement de Donald Trump aux États-Unis, qui a non seulement cédé aux pressions internes de ce que l'on appelle l'État profond, mais s'est également défenestré lors des dernières élections présidentielles. Au Brésil, les phénomènes de Bolsonaro et de Lula, simultanément, sont les plus proches de l'idée, mais ils semblent avoir adopté le populisme uniquement comme une technique électorale et pour mobiliser des partisans, plutôt que comme quelque chose de plus profond.
Un cas plus réussi semble être celui de Nayib Bukele au Salvador, qui semble avoir atteint un certain degré de stabilité et pourrait être en mesure de s'accrocher au pouvoir pendant un certain temps.
Dans tous ces cas, plus ou moins réussis, il s'agit d'une pratique politique de mobilisation populaire permanente, à travers la connexion directe entre un leader charismatique et une masse qui représenterait "la majorité", en contournant les instances intermédiaires de représentation (considérées comme corrompues, cooptées ou inutiles). A la tête de cette "majorité", le leader populiste s'attaque alors aux élites libérales et aux maux qu'elles provoquent: de l'exclusion des bénéfices économiques de la mondialisation à la perte de souveraineté, en passant par l'idéologie "woke" et une myriade d'autres problèmes. Mais le défi fondamental est, dans tous les cas, la suppression ou la dilution de la démocratie en faveur d'une forme technocratique de gestion.
Les opposants libéraux, dans leur pays et à l'étranger, qualifient généralement ces personnages de "dictateurs" et de "fascistes" (le terme est même utilisé pour le Vénézuélien Nicolás Maduro), et appellent à un affrontement quasi apocalyptique contre eux au nom de la "civilisation" et contre la "barbarie"; un affrontement dans lequel tout est légal (jusqu'à la manipulation des résultats des élections) et tout est légitime (jusqu'à l'anéantissement physique de l'ennemi).
C'est ce discours, notons-le, qui donne le ton aux grandes questions politiques contemporaines, mettant Bukele et Maduro, Orban et Xi du même côté dans le camp de "l'Axe du Mal", qu'ils le veuillent ou non, qu'ils acceptent ou non le nouvel axe de coordonnées politiques. A cet égard, les discours d'auteurs inconnus lus par Joe Biden sur le téléprompteur sont éclairants.
Le phénomène que nous décrivons est bien sûr radicalement différent de ce que nous entendons par démocratie libérale, et surtout de ce qu'elle est devenue au cours des 20 dernières années. Mais le terme de "dictature", trivialement distribué aux ennemis, n'est pas adapté au sens strict.
Au sens strict, la dictature, en tant qu'institution d'origine romaine, est la suspension de l'ordre juridique commun dans un moment de crise et d'urgence, afin qu'un personnage, investi de pouvoirs exceptionnels, puisse faire face à la situation de crise. Il ne s'agit donc pas d'un "régime politique", mais d'un "phénomène politico-juridique".
Chez les Romains, tout cela était prévu par la loi, ce qui constitue une exception historique. La définition de la dictature comme la suspension de la législation ordinaire avec l'élévation d'un législateur-exécuteur extraordinaire dans une situation de crise a cependant perduré, apparaissant chez Gabriel Naudé, Juan Donoso Cortés et Carl Schmitt, entre autres.
Selon cette définition classique, ni la Russie ni la Chine ne peuvent être considérées comme des dictatures. La dictature n'est pas synonyme d'"autoritarisme" ou de "concentration du pouvoir dans l'exécutif", mais simplement de gouvernement supra-légal dans un état d'exception. On peut même faire un coup d'État et régner en dictateur après avoir suspendu une constitution, mais à partir du moment où le nouveau statu quo est juridiquement consolidé dans une nouvelle constitution et que les pouvoirs du putschiste deviennent le droit commun, il n'y a plus de dictature, même si cette transition s'est faite sans élections et si elle consacre un certain degré de concentration des pouvoirs.
Loin de pouvoir inscrire le phénomène populiste dans la logique de la dictature, puisqu'il n'y a pas de preuve de suspension de la Constitution ou de gouvernement par décret en état d'exception dans les pays dits populistes (contrairement à de nombreux pays libéraux lors de la crise sanitaire), tous les gouvernements populistes ont eu tendance à chercher à revigorer la démocratie par un lien plus direct avec le peuple. Dans cette optique, le siège du pouvoir exécutif par le pouvoir judiciaire, qui s'est accru au cours des dernières décennies, est considéré comme une usurpation du vote populaire.
Cependant, même si le pouvoir judiciaire est considéré comme un adversaire politique, les initiatives dirigées contre lui, au-delà des discours d'agitation de masse, se sont déroulées dans le cadre de la légalité, avec la nomination de juges, des changements législatifs suivant les procédures ordinaires ou, dans certains cas, la convocation d'assemblées constituantes pour réformer les constitutions et redistribuer ainsi les prérogatives.
Au lieu de "dictature", il serait donc plus logique de parler de "démocratie illibérale" ou de "démocratie césariste", voire de "démocratie plébiscitaire". Le technocrate et politologue russe Vladimir Sourkov (photo), considéré comme "l'architecte du poutinisme", a inventé le terme de "démocratie souveraine" pour décrire le système russe.
Tous ces termes, qu'ils soient inventés par les opposants ou par leurs défenseurs, semblent appropriés et raisonnables pour désigner la transformation politique représentée par le populisme.
Si le bonapartisme - concept également proche de celui dont nous parlons - s'est imposé en science politique grâce au 18 Brumaire de Karl Marx (au point d'être utilisé, par exemple, par certains auteurs marxiens pour décrire Kadhafi et d'autres personnages du 20ème siècle), l'idée d'une "démocratie césariste" dialogue avec les racines latines du Brésil.
Indépendamment du nom, cependant, la distinction fondamentale que nous voyons dans les manifestations de ce phénomène en Europe occidentale et dans les Amériques par rapport à l'Europe de l'Est, à l'Eurasie et au reste du monde, est qu'en dehors de l'axe atlantique, ce "césarisme" a dépassé le populisme en tant qu'agitation populaire et a trouvé des formes d'institutionnalisation et de normalisation juridiques qui renvoient aux traditions de chaque pays.
Il est donc impossible de dissocier le modèle de gouvernement de la Chine, fondé sur le parti, de la bureaucratie méritocratique de l'Empire chinois, ancrée dans la tradition confucéenne. De même qu'après ses aventures communistes et néolibérales, la Russie est revenue à un système qui rappelle l'autocratie russe pré-absolutiste du début de la dynastie des Romanov, lorsque le tsar était conseillé par le Zemsky Sobor, l'assemblée qui réunissait les boyards (les "oligarques" de l'époque), les bureaucrates, le synode orthodoxe et les représentants du peuple.
Penser à une démocratie césariste brésilienne pour sortir de la crise de la démocratie libérale et de la juristocratie sera extrêmement difficile et nécessitera de sortir des sentiers battus. Mais nous avons aussi des précédents historiques de leadership fort qui peuvent être repensés en termes d'un nouveau républicanisme démocratique illibéral qui surmonte le discrédit des institutions intermédiaires, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, par exemple en recourant largement à des formes de consultation populaire.
Cela nécessiterait évidemment de rééquilibrer la division tripartite des pouvoirs, qui est excessivement biaisée en faveur du pouvoir judiciaire en raison des processus historico-intellectuels décrits ci-dessus. Le pouvoir judiciaire ne peut plus être l'outil de suspension de la souveraineté populaire, comme il l'a été ces dernières années.
Curieusement, la juristocratie semble avoir été la solution au problème que Carl Schmitt avait signalé dans l'État libéral de l'ère Weimar. L'État de droit, fondamentalement contrôlé par le législateur, en réduisant le politique à la parole et à la négociation et en n'envisageant pas de mécanismes extraordinaires pour faire face aux crises générées par l'inaction typique du modèle de démocratie législative, a trouvé dans le libéralisme contemporain la solution de l'exceptionnalisme judiciaire.
Le césarisme, quant à lui, dans son expression de démocratie populaire, apparaît comme une autre solution à la crise de l'État de droit, faisant appel non pas à la dictature (comme le suggérait Schmitt), mais à un retour à la source de la souveraineté, le peuple, radicalisant la démocratie à travers la mobilisation politique constante des masses contre les oligarchies libérales.
Au-delà des dichotomies entre "civilisation" et "barbarie" ou "démocratie" et "autocratie", il semble que le paysage politique mondial se redessine selon une contradiction entre "démocraties césaristes" et "juristocraties libérales".
19:42 Publié dans Actualité, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théorie politique, philosophie politique, politolmogie, sciences politiques, césarisme, juristocratie | |
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dimanche, 14 janvier 2024
Fin de la droite et de la gauche, triomphe du turbocapitalisme
Fin de la droite et de la gauche, triomphe du turbocapitalisme
Diego Fusaro
Source: https://geoestrategia.es/noticia/42063/opinion/fin-de-la-derecha-y-la-izquierda-triunfo-del-turbocapitalismo.html
En suivant les "aventures de la dialectique", comme les appelait Merleau-Ponty, le passage au turbocapitalisme (ou capitalisme absolu-totalitaire) peut être interprété comme la transition historique d'une forme de capitalisme caractérisée par la présence de deux classes (bourgeoise et prolétarienne) à une forme inédite de capitalisme "post-classe", qui ne se distingue plus par l'existence de classes au sens strict (en tant que subjectivité in se et per se) et qui, en même temps, se caractérise par une inégalité maximale. Ce processus évolutif a également déterminé la raison profonde de l'obsolescence de la dichotomie gauche-droite, "deux mots désormais inutiles".
Par capitalisme "post-classe", c'est-à-dire littéralement "sans classe", il ne faut pas entendre un mode de production dépourvu de différences individuelles et collectives en matière de connaissance, de pouvoir, de revenu et de consommation. En effet, ces différences augmentent de manière exponentielle dans le contexte de la cosmopolitisation néolibérale (dont le mot d'ordre est précisément le slogan "Inégalités"). Mais pas en formant, en soi et pour soi, des "classes" en tant que subjectivités conscientes et porteuses de différences culturelles et idéelles. Car en tant que "classes", en soi et par soi, ni le Serviteur national-populaire ni le Seigneur mondial-élitiste ne peuvent être pris en considération. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au moment où - à Berlin, en 1989 - le capital commence à devenir plus classiste que jamais et à donner lieu à des inégalités plus radicales qu'auparavant, les classes comprises comme des groupes dotés d'une "en-soi-ité" et d'une "pour-soi-ité" seront éclipsées. Plus concrètement, les prolétaires ne cessent pas d'exister et augmentent même en nombre, du fait de la concentration de plus en plus asymétrique du capital. Mais ils ne possèdent plus la "conscience de classe" antagoniste et, à proprement parler, le prolétariat lui-même devient un "précariat", condamné à la flexibilité et au nomadisme, à la mobilité et à la rupture de tout lien solide, en fonction des nouveaux besoins systémiques du turbo-capitalisme. La classe bourgeoise, quant à elle, perd sa conscience malheureuse et, avec elle, sa condition matérielle d'existence. Elle se prolétarise et, depuis 1989, plonge progressivement dans l'abîme de la précarité.
Tant que le système capitaliste, dans sa phase dialectique, était caractérisé par la division en deux classes et deux espaces politiques opposés, il était, dès le départ, intrinsèquement, fragile. En effet, il était traversé par des contradictions et des conflits, qui se manifestaient dans la conscience bourgeoise malheureuse, dans les luttes prolétariennes pour la reconnaissance du travail, dans les utopies futuristes de réorganisation du monde et enfin dans le programme "rédempteur" de la gauche (qu'elle soit socialiste-réformiste ou communiste-révolutionnaire). D'un point de vue hégélien, le capital se trouve dans son propre être-autre-que-soi, dans son propre éloignement de soi qu'il doit dialectiquement "surmonter" afin de pouvoir coïncider pleinement avec lui-même sous la forme d'un dépassement de sa propre négation.
Le Capital, comme la Substance dont parle Hegel, coïncide avec le mouvement de dépossession de soi et avec le processus de devenir autre-que-soi-avec-soi. Il s'agit donc de l'égalité auto-constitutive après la division. Pour le dire encore avec Hegel, il s'agit de devenir égal à soi-même à partir de son propre être-autre. Son essence n'est pas la Selbständigkeit abstraite, l'égalité immobile avec elle-même, mais le "devenir égal à soi-même" : l'identité "avec soi-même" n'est pas donnée, mais est atteinte comme résultat du processus. C'est pourquoi, à l'instar de l'Esprit théorisé par Hegel, le Capital peut aussi être compris comme das Aufheben des/seines Andersseyns, "le dépassement de son propre être-autre". En se développant au rythme de son propre Begriff, c'est-à-dire - selon la Science de la Logique - comme une réalité ontologique en développement dialectique, le capitalisme produit un dépassement à la fois des classes antagonistes, de la dichotomie gauche-droite et, en perspective, de tout autre élément dialectique capable de menacer sa reproduction.
En particulier, ce processus, sur la pente qui va de 1968 à 1989 et de là à aujourd'hui, se développe - comme l'a montré Preve - en subsumant sous le capital toute la sphère des antagonismes et des contestations, tant de la part de la droite (traditionalisme culturel in primis et protestations de la petite bourgeoisie contre la prolétarisation), que - surtout - de la part de la gauche, qu'elle soit démocratique, socialiste ou communiste (réformisme keynésien, pratiques redistributives, welfarisme, praxis révolutionnaire, utopie de la réorganisation égalitaire de la société). La droite et la gauche sont dialectiquement "dépassées" (aufgehoben), au sens hégélien du terme. Elles se transforment en parties abstraitement opposées et concrètement interchangeables de la reproduction capitaliste. Ils apparaissent comme des pôles qui, alternant dans la gestion du statu quo, nient l'alternative. Et ils trompent les masses sur l'existence d'une pluralité qui, en réalité, a déjà été résolue pour toujours dans le triomphe prédéterminé du parti unique articulé du turbo-capitalisme.
C'est pourquoi le dépassement du binôme gauche-droite ne doit être compris ni comme le simple résultat d'une "trahison" des leaders de la gauche, ni comme une subtile tentative contemporaine de la droite radicale d'infiltrer le "monde des gentils". Au contraire, il s'agit d'un processus en acte co-essentiel à la logique dialectique du développement du capital. Et en synthèse, l'incapacité à interpréter correctement le contexte réel constitue l'erreur des tentatives herméneutiques encore généreuses et naïves du vieux marxisme survivant, encore guidées par la prétention illusoire de superposer au turbo-capitalisme les contours du cadre dialectique précédent maintenant dissous, tombant ainsi dans le théâtre de l'absurde; un théâtre de l'absurde sur la scène duquel on continuerait à représenter le conflit entre la bourgeoisie et le prolétariat, et par conséquent, on pourrait "refonder" la gauche par un retour au passé injustement oublié (alors que la vérité crue est que le conflit réellement existant, aujourd'hui, est celui entre "le haut" et "le bas", entre le "haut" de l'oligarchie financière et le "bas" des classes moyennes et des travailleurs, de plus en plus réduits à la misère).
La gauche ne peut se refonder principalement pour deux raisons: a) le cadre historique a muté (ce qui nécessite donc de nouveaux paradigmes philosophico-politiques qui comprennent et contestent opérationnellement la mondialisation capitaliste et le néolibéralisme progressiste); b) elle héberge depuis son origine dans une partie d'elle-même - comme l'a montré Michéa - un double vulnus fondamental : 1) la conception du progrès comme rupture nécessaire avec les traditions et les liens antérieurs, c'est-à-dire l'élément décisif qui le conduira infailliblement à adhérer au rythme du progrès néolibéral; et 2) l'individualisme hérité des Lumières, qui conduit nécessairement à la monadologie concurrentielle néolibérale. La défense de la valeur individuelle contre la société d'Ancien Régime s'inverse dans l'individualisme capitaliste et son anthropologie monadologique, de même que le renversement en bloc des traditions génère l'intégration de l'individu non plus dans la communauté égalitaire, mais dans le marché mondial des biens de consommation.
Le fondement du capitalisme absolu-totalitaire, dans le contexte socio-économique, n'est plus la division entre la bourgeoisie de droite et le prolétariat de gauche. Et ce n'est même pas, politiquement, l'antithèse entre la droite et la gauche. Le nouveau fondement du capitalisme mondial est la généralisation non-classiste et omni-homologisante de la forme marchandise dans toutes les sphères du symbolique et du réel. C'est précisément parce qu'il est absolu et totalitaire que le capitalisme surmonte et résout - au sens capitaliste du terme - les divisions qui menacent sa reproduction de diverses manières. C'est pourquoi le turbo-capitalisme n'est ni bourgeois ni prolétarien. Il n'est pas non plus de droite ou de gauche. En fait, il a dépassé et résolu ces antithèses, valables et opérantes dans sa phase dialectique précédente.
Avec l'avènement du turbo-capitalisme, le prolétariat et la bourgeoisie sont "dépassés" et "dissous" - non pas "in se" et "per se" (en soi et pour soi), dirait-on avec Hegel - dans une nouvelle plèbe post-moderne de consommateurs individualisés et résilients, qui consomment des marchandises avec une euphorie stupide et supportent avec une résignation désenchantée le monde subsumé sous le capital, c'est-à-dire un monde de plus en plus inhabitable écologiquement et déshumanisé anthropologiquement. D'où la société de Narcisse, le dieu postmoderne des selfies, des "autoportraits" de gens tristes qui s'immortalisent en souriant.
De même, droite et gauche sont "dépassées" et "dissoutes" dans une homogénéité bipolaire, articulée selon la désormais perfide alternance sans alternative d'une droite néolibérale peinte en bleu et d'une gauche néolibérale peinte en fuchsia. Ils ne se battent pas pour une idée différente et peut-être opposée de la réalité, fondée sur des ordres de valeurs différents et sur leurs Weltanschauungen irréconciliables. Au contraire, ils rivalisent pour réaliser la même idée de la réalité, celle décidée souverainement par le marché et le bloc oligarchique néolibéral, par rapport à laquelle ils jouent désormais le rôle de simples majordomes, bien que dans une livrée de couleur différente. Au sommet, sur la passerelle de contrôle, il y a une nouvelle classe post-bourgeoise et post-prolétarienne, qui n'est ni de droite ni de gauche, ni bourgeoise ni prolétarienne. C'est la classe du patriciat financier cosmopolite qui, plus précisément, est de droite en économie (compétitivité sans frontières et marchandisation intégrale du monde), de centre en politique (alternance sans alternative du centre-droit et du centre-gauche également néolibéraux), et de gauche en culture (ouverture, dérégulation anthropologique et progressisme comme philosophie du plus jamais ça).
En bref, la transition vers la nouvelle figure du capitalisme absolu-totalitaire se développe le long d'une trajectoire qui nous suit de 1968 au nouveau millénaire, en franchissant la date fondatrice de 1989. En effet, de 1968 à nos jours, le capitalisme a dialectiquement "surmonté" (aufgehoben) la contradiction qu'il avait lui-même provoquée dans la phase antithétique-dialectique, représentée par le double nœud d'opposition entre bourgeoisie et prolétariat, et entre droite et gauche. Ainsi, le capitalisme actuel absolu-totalitaire se caractérise: d'une part, par l'éclipse du lien symbiotique entre les deux instances de la "conscience malheureuse" bourgeoise et des "luttes pour la reconnaissance du travail servile" prolétariennes ; et d'autre part, par l'élimination de la polarité entre la droite et la gauche, désormais convertie en deux ailes de l'aigle néolibéral. Le turbo-capital a "dépassé" ces antithèses, propres au moment de l'"immense puissance du négatif" (c'est-à-dire de l'être-autre-de-soi), et les a "subsumées" sous lui-même, en reconquérant sa propre identité avec lui-même à un niveau plus élevé que dans la phase thétique, comme le fruit du passage par son propre auto-étranglement.
15:21 Publié dans Actualité, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diego fusaro, droite, gauche, philosophie, néolibéralisme, turbocapitalisme | |
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Le Yémen: un pays stratégique sur l'échiquier géopolitique
Le Yémen: un pays stratégique sur l'échiquier géopolitique
par Paolo Arigotti
Source: https://www.sinistrainrete.info/geopolitica/27195-paolo-a...
Le discours dominant présente souvent les Houthis - également connus sous le nom d'Ansar Allah ("partisans de Dieu") - comme un groupe rebelle, presque comme pour souligner le caractère non officiel de ce qui, qu'on le veuille ou non, représente le gouvernement du Yémen, du moins d'une bonne partie de cette nation tourmentée, y compris la capitale Sanaa [1]. Son potentiel militaire ne doit pas non plus être sous-estimé, puisqu'il s'agit d'un mouvement de résistance chiite qui a réussi à s'imposer face à la coalition dirigée par l'Arabie saoudite depuis 2015 dans le cadre d'une longue et sanglante guerre civile qui a frappé le pays le plus pauvre de la péninsule arabique.
Les Houthis ont refait les gros titres en défiant ouvertement la quintessence de la puissance thalassocratique, les États-Unis, dans le contexte de l'un des "goulets d'étranglement" stratégiques les plus importants au monde: le détroit de Bab al-Mandeb sur la mer Rouge, qui fait la jonction avec l'océan Indien. Les motivations des Houthis ne font aucun doute et se lisent dans les déclarations officielles du gouvernement yéménite, où transparaît le caractère de représailles de la stratégie mise en œuvre depuis le 14 novembre, bien que la première attaque ait eu lieu le 19 octobre, lorsque le destroyer américain USS Carney a intercepté trois missiles tirés depuis les côtes du Yémen. Le groupe chiite, en réponse aux violences perpétrées par les forces armées israéliennes dans la bande de Gaza, qui ont déjà coûté la vie à plus de vingt mille personnes (principalement des femmes et des enfants), a annoncé son intention de cibler, à l'aide de drones et de missiles, tout navire lié à Israël qui transiterait par Bab al-Mandeb, qui sert également de porte d'entrée au canal de Suez, par lequel transitent - rappelons-le - environ 10% du commerce mondial et quelque 8,8 millions de barils de pétrole, ce qui correspond plus ou moins à un dixième de l'approvisionnement mondial, sans compter environ 8% de gaz liquide.
À cela s'ajoute le fait que les câbles de fibre optique, ceux qui assurent la circulation des données et la connexion entre l'Europe, l'Afrique, les pays arabes, l'Inde et l'Extrême-Orient, sont situés dans cette même partie du monde, et que ces connexions pourraient être mises en péril par le déclenchement d'un conflit, avec des effets imprévisibles sur les télécommunications mondiales et le trafic Internet [2].
En outre, le 9 décembre, Ansar Allah a annoncé une extension de ses opérations, ne ciblant plus seulement les navires battant pavillon de l'État juif, mais tout navire à destination d'Israël, quelle que soit sa nationalité, dans le but ultime de couper tout approvisionnement en nourriture et en médicaments, tout comme Israël l'a fait à Gaza.
Pour éviter toute ambiguïté, il ne s'agit pas d'actions indiscriminées, car seuls les navires liés à et/ou à destination d'Israël sont touchés, tandis que les pétroliers russes, chinois, iraniens et autres en provenance du sud de la planète transitent sans encombre par le Bab al-Mandeb et la mer Rouge: une piste de réflexion intéressante sur l'évolution des équilibres mondiaux, sans compter que les Russes et les Chinois disposeraient également de la route de l'Arctique.
Un autre point qu'il convient de préciser d'emblée est que les Houthis ne veulent pas la destruction d'Israël et de son peuple, mais seulement la fin des massacres à Gaza et l'afflux d'aide humanitaire, en utilisant le blocus naval comme moyen de pression. Et à ce stade, on peut se demander si la réponse à ces demandes, qui ne sont pas vraiment déraisonnables ou infondées, ne pourrait pas être une action militaire, qui compte déjà les premières victimes [3]. Nous laissons au lecteur le soin de répondre à cette question.
A la fin de l'année, neuf navires avaient déjà été pris pour cible, ainsi que la saisie en mer Rouge d'un autre navire dont l'origine est israélienne, obligeant plusieurs grandes compagnies maritimes (et pétrolières) internationales à modifier leurs itinéraires, en contournant l'Afrique et en passant par le Cap de Bonne Espérance, augmentant ainsi la durée du voyage et, bien sûr, les coûts du carburant, de l'assurance et autres frais connexes.
Les actions d'Ansar Allah ne se sont pas limitées aux eaux maritimes, puisque les Yéménites ont lancé plusieurs attaques de missiles et de drones sur la ville portuaire d'Eilat, dans le sud d'Israël, interrompant presque complètement son trafic maritime commercial.
L'ensemble de ces actions est un camouflet pour la Maison Blanche, qui avait garanti dans sa stratégie de sécurité qu'elle ne permettrait aucune entrave à la liberté de navigation, qui a toujours été l'un des éléments clés de la thalassocratie américaine, basée précisément sur le contrôle des fameux "goulets d'étranglement" [4].
Face à la détermination des Yéménites, les Etats-Unis ont réagi, le secrétaire d'Etat Lloyd Austin annonçant le 18 décembre le lancement d'une opération navale, baptisée Prosperity Guardian, avec la participation de vingt pays, dont l'Italie, dans le but de contrer les attaques en cours et de garantir la sécurité du transit en mer Rouge. Pour mémoire, le seul pays arabe à avoir adhéré est le petit Bahreïn, tandis que l'Egypte, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes, sur le papier alliés de Washington, ont décliné l'invitation, peut-être conscients pour ces deux derniers que les missiles du Yémen seraient parfaitement capables de frapper leurs champs pétroliers et de les mettre hors d'état de fonctionner pour un bon moment.
L'annonce de l'initiative n'a pas du tout intimidé Ansar Allah, qui a réaffirmé la continuité de ses opérations, et a en même temps fait apparaître les premières fractures au sein de la coalition des "volontaires". Si certaines nations européennes abstraitement impliquées, comme le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège, ont annoncé un soutien minimal, même le gouvernement atlantiste de Meloni a réduit l'ampleur de sa contribution [5]: comme l'a indiqué le ministre de la Défense Guido Crosetto, la frégate italienne "Virginio Fasan", opérationnelle en mer Rouge, sera sous commandement national et ne s'occupera que de la protection du trafic marchand, à la demande des armateurs italiens, en dehors de l'opération "Prosperity Guardian" [6]. Une décision similaire a été prise par la France, qui a déclaré ne pas avoir l'intention d'envoyer de nouveaux navires dans la région, ce qui pourrait être le prélude à une rétractation rapide de l'administration américaine, du moins à une moindre détermination, Washington ayant été pratiquement laissé en plan par la plupart de ses "satellites".
Comme l'écrit Michael Whitney, analyste géopolitique et social américain, "les Etats-Unis ne peuvent pas former une coalition maritime de grande envergure parce que les alliés américains ne font plus confiance au jugement de Washington et ne croient plus en son autorité morale. La marine ne dispose pas non plus d'une flottille suffisamment grande ou agile pour protéger les voies navigables et les couloirs de transit qui soutiennent les économies occidentales. Il ne s'agit pas d'un problème anodin. Zoran Kusovac, sur Al Jazeera, ajoute que "si la marine américaine finit par attaquer le Yémen, les Européens pourront prétendre qu'ils n'ont pas contribué à l'escalade de la guerre, rejetant toute la responsabilité sur les États-Unis" [8].
Il faut considérer que les porte-avions et les missiles de Washington ne pourraient guère, à eux seuls, contrer les attaques yéménites, surtout à long terme, et c'est là un nouveau et grave camouflet pour les Etats-Unis, qui pourraient se révéler incapables de tenir tête au plus pauvre des pays de la région, qui s'appuie sur des armements bon marché - drones et missiles - (environ un dixième de ceux des Etats-Unis).
Le journal Politico [9] rapporte que certains responsables du Département de la Défense ont admis que les coûts de la lutte contre les actions de Sanaa augmentaient de manière inquiétante: selon les premières projections, les Yéménites ont lancé jusqu'à présent plus d'une centaine d'attaques, touchant une douzaine de navires d'origines diverses, pour un coût relativement faible, alors que les Etats-Unis ont déjà été appelés à soutenir un coût estimé à plus de 200 millions de dollars, sans compter que les stocks de missiles aux mains des Américains ne sont pas infinis, pas plus que les capacités de production de leur industrie de guerre. Et la perspective de rester sans protection ne serait pas seulement un danger pour l'échiquier de la mer Rouge, mais aussi pour d'autres contextes stratégiques, comme la Méditerranée ou l'Indo-Pacifique.
On aboutirait ainsi à une situation paradoxale dans laquelle la plus grande puissance militaire du monde subirait une raclée de la part de ce qu'elle considère comme de simples rebelles, équipés d'armements bien inférieurs, mais qui ont l'avantage de coûter peu et d'être plus facilement disponibles. Un scénario qui n'est pas sans rappeler celui de l'Ukraine, où la capacité de production d'obus des Russes - estimée à environ deux millions de pièces par an, à un coût très faible - est le pendant des moins de trois cent mille obus actuellement produits par le complexe industriel de Washington, qui plus est à des coûts beaucoup plus élevés.
Une autre inconnue est le risque d'extension du conflit. Les Houthis, on le sait, sont chiites, donc si l'Iran venait à leur secours, l'équilibre changerait à nouveau. Téhéran, pour l'instant, a renvoyé à l'expéditeur les accusations américaines d'implication et/ou d'actions de force contre des navires commerciaux (comme la nouvelle diffusée par des sources des forces armées américaines à propos d'un chimiquier qui aurait été touché dans l'océan Indien par un drone lancé par l'Iran), ce qui n'exclut pas la possibilité que la République islamique - qui possède un arsenal de missiles respectable - en décide autrement à l'avenir, comme pourraient le suggérer certaines déclarations diffusées dans les derniers jours de décembre, sous le coup de l'émotion suscitée par la montée de la violence à Gaza.
La République islamique a déjà appelé à l'application de sanctions économiques et d'un embargo sur les fournitures d'énergie à l'encontre de l'État juif qui, contrairement à la Russie qui dispose de bien plus de ressources, s'en sortirait très probablement avec les os brisés. Et n'oublions pas que si les Houthis peuvent entraver la navigation sur Bab al-Mandeb, les Iraniens pourraient faire de même avec Ormuz, avec des effets encore plus dévastateurs sur l'approvisionnement énergétique mondial. C'est aussi pour cette raison que l'hypothèse, également diffusée, d'une attaque directe contre le Yémen, déchiré par un conflit civil qui a fait des centaines de milliers de victimes et dans lequel la complicité américaine, saoudienne et émiratie est bien connue, pourrait au mieux être considérée comme une provocation, étant donné qu'une telle sortie provoquerait, si l'on est optimiste, un conflit régional aux résultats imprévisibles.
Certains voient dans tout cela, et même dans les événements de Gaza, une stratégie américaine, soutenue par Israël, pour se débarrasser de l'Iran, mais même si un tel plan existait, il pourrait s'avérer être un boomerang pour certains des dirigeants politiques et stratégiques les plus diligents, souffrant d'un bellicisme agressif, qui vivent pour la plupart de l'autre côté de l'océan et qui, pour l'instant, sont éloignés des théâtres de conflit.
Si, comme nous le disions, la nation la plus pauvre et la plus dévastée de la péninsule arabique a été et/ou s'avère capable, malgré son histoire troublée et le peu de moyens dont elle dispose, de faire jouer autant d'équilibres, démontrant que lorsqu'on le veut - un message qui s'applique aussi à plusieurs dirigeants du monde arabe - les outils pour faire valoir ses propres raisons existent même contre les Américains, il y a lieu de se poser quelques questions et de douter.
A ce stade, face à tous les faits - y compris les défections, le danger d'escalade et la spirale de la guerre - tout en étant conscient du poids israélien dans la politique étrangère et intérieure américaine [10], d'autant plus dans la perspective de l'élection de novembre 2024 [11], on se demande combien de temps encore il sera possible (et concevable) de poursuivre certaines politiques en feignant d'ignorer l'ampleur des crimes perpétrés à Gaza au nom de prétendues raisons défensives ou sécuritaires auxquelles, en toute honnêteté, plus personne ou presque ne croit.
Et combien de temps encore le monde devra-t-il subir des conflits orchestrés au nom d'une prétendue supériorité et/ou volonté hégémonique, de plus en plus démenties par les faits, et qui ne trouvent d'autre justification que les intérêts des cercles étroits de pouvoir derrière des décisions insensées qui n'apportent que la mort, la faim et le désespoir ?
Pour ceux qui n'auraient pas compris, dans ce dernier passage, nous ne faisions pas seulement référence à Gaza, mais aux nombreux, trop nombreux, peuples sacrifiés au nom du "néant cosmique": la soif de pouvoir d'une toute petite élite, qui ne représente rien ni personne d'autre qu'elle-même.
SOURCES
new.thecradle.co/articles/how-yemen-is-blocking-us-hegemony-in-west-asia
www.limesonline.com/huthi-attacchi-governo-yemen-iran-gue...
fr.insideover.com/war/alert-for-the-cradles/how-yemen-is-blocking-us-hegemony-in-west-asia.html
fr.insideover.com/guerre/le-reveil-de-la-guerre-des-houthis-entre-israel-et-hamas-a-reactivé-la-milice-scientifique.html
www.aljazeera.com/news/2023/12/25/analysis-has-the-us-led...
new.thecradle.co/articles/how-yemen-changed-everything
www.globalresearch.ca/will-biden-forced-send-ground-troop...
www.analisidifesa.it/2024/01/nuove-tensioni-tra-mar-rosso...
www.agi.it/estero/news/2023-12-31/usa-colpiscono-houthi-i...
www.analisidifesa.it/2023/12/missione-navale-nel-mar-ross...
www.lindipendente.online/2023/11/19/yemen-houthi-sequestr...
www.globaltimes.cn/page/202401/1304591.shtml
www.lantidiplomatico.it/dettnews-un_piccolo_consuntivo_ge...
www.aljazeera.com/news/2024/1/1/us-sinks-houthi-boats-in-...
www.aljazeera.com/news/2023/12/27/analysis-in-the-red-sea...
www.limesonline.com/rubrica/crisi-stati-uniti-bilancio-fi...
www.limesonline.com/cartaceo/la-vera-posta-in-gioco-della...
www.lantidiplomatico.it/dettnews-yemen_la_straordinaria_l...
Notes
[1] www.ansa.it/sito/notizie/mondo/2023/12/19/chi-sono-gli-ho...
[2] www.limesonline.com/cartaceo/la-vera-posta-in-gioco-della...
[3] www.globaltimes.cn/page/202401/1304591.shtml
[4] podcasts.apple.com/fr/podcast/geopolitics-of-the-sea-interests-of-italy-china-states/id1537596607?i=1000550065085 (Géopolitique de la mer)
[5] www.lidentita.it/g7-a-presidenza-italiana-tajani-sente-bl...
[6] www.analisidifesa.it/2023/12/missione-navale-nel-mar-ross...
[7] www.globalresearch.ca/will-biden-forced-send-ground-troop...
[8] www.aljazeera.com/news/2023/12/27/analysis-in-the-red-sea...
[9] english.almayadeen.net/news/politics/us-concern-over-cost-of-intercepting-yemen-s-red-sea-attacks
[10] www.lantidiplomatico.it/dettnews-la_lobby_israeliana_e_gl...
[11] www.limesonline.com/rubrica/crisi-stati-uniti-bilancio-fi...
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