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lundi, 07 octobre 2019

Le pire des Premiers ministres britanniques

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Le pire des Premiers ministres britanniques

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Le pire des Premiers ministres du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ne s’appelle pas Boris Johnson. Chef du gouvernement de Sa Gracieuse Majesté depuis le 24 juillet dernier, l’élu de la circonscription londonienne d’Uxbridge et South Ruislip se démène dans un Brexit qui n’en finit plus. Ce n’est pas non plus l’« accident industriel » Theresa May, ni le travailliste Gordon Brown. Ce n’est même pas le belliciste menteur patenté à la solde des États-Unis Tony Blair ! C’est encore moins le conservateur John Major, la sociopathe carabinée Margaret Thatcher ou le tueur de masse en série Winston Churchill. Non, le pire des Premiers ministres de l’histoire britannique récente ne peut être que David Cameron.

David Cameron restera dans la postérité comme le principal responsable du désordre politique en cours outre-Manche. Soucieux de faire taire définitivement l’aile conservatrice anti-européenne et de marginaliser le national-mondialiste Nigel Farage, il soumet par référendum aux électeurs une question alambiquée sur la construction européenne. La victoire du Brexit, le 23 juin 2016, le déstabilise tellement qu’il démissionne moins d’un mois plus tard de toutes ses fonctions, y compris de son mandat de député de Witney. Il venait de comprendre que sa manœuvre retorse se retournait contre lui. En désertant le champ de bataille, à savoir les négociations épineuses de la sortie du Royaume-Uni de l’Union dite européenne, David Cameron pensait entreprendre une courte « traversée du désert » avant de revenir au pouvoir en homme providentiel des Tories. Raté ! Son calcul machiavélique s’est révélé vain.

Mais la plus grave faute de Cameron n’est pourtant pas le référendum; elle est bien plus ancienne. Le conservateur Cameron dirigea le Royaume-Uni de mai 2010 à juillet 2016. Il a la particularité d’avoir conduit un gouvernement de coalition entre 2010 et 2015. En effet, aux législatives de 2010, malgré le scrutin majoritaire uninominal à un seul tour, aucune majorité ne se dégage à la Chambre des Communes, premier indice d’une profonde désaffection des peuples des Îles britanniques envers leur Establishment pourri. Afin de renvoyer les travaillistes dans l’opposition, Cameron s’allie aux centristes libéraux-démocrates de Nick Clegg, promu vice-Premier ministre. L’entente gouvernementale torylib-dem dura toute la législature en dépit des inévitables frictions et contentieux, ce qui reste exceptionnel pour l’histoire politique britannique. Cette longévité étonnante revient à une loi votée en 2011 sur la pression des lib-dem, le Fixed-term Parliaments Act. Ce texte retire au Premier ministre le pouvoir discrétionnaire de dissoudre la Chambre des Communes pour le confier à l’assemblée elle-même par un vote à la majorité qualifiée des deux tiers.

Par cette loi, les libéraux-démocrates jouirent cinq années durant de leurs sinécures ministérielles. Or, en donnant au législatif le droit de se dissoudre, on constate que Boris Johnson est maintenant l’otage de Westminster avec le risque accru que le régime parlementaire britannique devienne à terme un régime d’assemblée, c’est-à-dire un système dans lequel le législatif à l’instar de la Convention française en 1792 – 1795 et de l’actuelle Confédération helvétique – commande un exécutif servile et dépendant.

La dissolution doit revenir à l’exécutif, soit au président dans un cadre plébiscitaire, soit au Premier ministre en tant que chef de la majorité parlementaire, ou, à la rigueur, au peuple lui-même par la voie référendaire. Incapable de former un gouvernement majoritaire, l’Israélien Benyamin Netanyahou l’a bien compris puisqu’il a demandé et obtenu de la Knesset nouvellement élue de se dissoudre aussitôt.

Face à une Chambre des Communes incapable de trancher entre un Brexit avec accord, un Brexit sans accord ou l’organisation d’un nouveau référendum, Boris Johnson devient la victime du piège involontairement tendu, huit ans auparavant, par David Cameron. Pour des motifs bassement politiciens, le pire des Premiers ministres britanniques a transformé ses successeurs en larbins plus ou moins dociles d’une clique politicienne attachée à ses privilèges.

Georges Feltin-Tracol.

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 141, mise en ligne sur TV Libertés, le 30 septembre 2019.

jeudi, 03 octobre 2019

Guerre civile en France : analyse des forces en présence

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Guerre civile en France : analyse des forces en présence

par Antonin Campana

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

 
Ce texte, signé Antonin Campana, est paru sur le site des Volontaires pour la France.
L’auteur sectorise sociologiquement la population de la France en 3 classes :
  • une classe dominante, autochtone, aisée, plutôt bobo, qui habite les grandes villes ;
  • une classe paupérisée, également autochtone, qui habite plutôt les zones rurales et à faible densité ;
  • et au milieu, une classe allochtone qui réside plutôt dans les banlieues des grandes métropoles.
Il faut connaitre les jeux de pouvoir entre ces 3 classes pour comprendre ce qui risque de se passer si la guerre civile éclate.

Cet article pertinent mérite d’être lu attentivement

En nous inspirant des analyses de Christophe Guilluy, nous observerons trois grandes « classes » sociales en France :
  • une classe dominante résidant dans les centres urbains
  • une classe allochtone résidant dans les banlieues
  • une classe populaire autochtone installée dans la France périphérique.
 
L’erreur de ceux qui pronostiquent la guerre civile est de ne considérer généralement que les autochtones et les allochtones et de faire disparaître de l’équation la classe des bobos urbains peuplant le centre des métropoles, classe, il faut le dire, en grande partie autochtone par son origine, mais largement étrangère par la sous-culture délirante qui lui donne son homogénéité. Dès lors, analyse et conclusions s’en trouvent largement faussées.

Cette classe dominante urbaine (enseignants, universitaires, journalistes, cadres, hauts fonctionnaires, artistes, juges… l’électorat incompressible d’un Macron, pour faire court) est en effet complètement déconnectée du peuple autochtone traditionnel, tel qu’incarné aujourd’hui par les Gilets jaunes. Le problème n’est pas uniquement social ou économique. Bien sûr, la classe dominante s’est enrichie grâce à la mondialisation et se prend à rêver d’un monde encore plus globalisé qu’il ne l’est, alors que la France périphérique s’est appauvrie et aspire à un retour à des frontières plus protectrices. Mais l’essentiel n’est pas là. En fait, le peuple autochtone originel s’est scindé en deux groupes qui ne se parlent pas, qui ne se connaissent pas, qui n’ont plus le même langage, qui n’ont plus les mêmes valeurs, qui se méprisent et qui sont entrés en opposition frontale dans de nombreux domaines.

En fait, ces deux groupes n’ont plus du tout le même regard sur les valeurs sociétales fondamentales grâce auxquelles une société gagne son homogénéité. La distance séparant la classe autochtone urbaine de la classe autochtone périphérique est désormais plus anthropologique que sociale à proprement parler. Dans la classe autochtone périphérique, on considère par exemple qu’un couple est naturellement constitué d’un homme et d’une femme. Dans la classe urbaine, on pense qu’un couple est la réunion de deux individus, quel que soit leur sexe. Dans la France rurale, la famille reste traditionnelle. Dans la France des métropoles, on valorise la famille LGBTQ+, voire le « trouple » (ménage à trois), qui est aujourd’hui très « tendance ». On a entendu parler de PMA et de GPA dans la France périphérique, mais c’est dans la France des métropoles qu’on les pratique. Dans la France périphérique, l’homosexualité est une bizarrerie. Dans la France des métropoles, c’est une banalité. Dans la France périphérique, l’immigré est un étranger. Dans la France des métropoles, l’immigré est un domestique. Dans la France périphérique, on est de quelque part. Dans la France des métropoles, on est de n’importe où. La France périphérique est contre l’immigration. La France des métropoles est no-border. La France périphérique voit des hommes et des femmes. La France des métropoles voit des genres. La France périphérique consomme de la viande. La France urbaine est vegan. La France urbaine admire l’art contemporain. La France périphérique le vomit. La France périphérique distingue des rôles sociaux masculin et féminin. La France urbaine indifférencie la femâle virile et le femâle fragile, la fake femme et le fake homme. La France urbaine veut sauver la planète. La France rurale veut sauver son emploi. La France urbaine adule Greta Thunberg. La France périphérique en rigole. Dans la France urbaine, les races n’existent pas. Dans la France rurale, on sait qu’un Bruno du Jura n’est pas un Setter anglais. Dans la France urbaine, la nation est surannée. Dans la France périphérique, la nation est une bouée…

Classe autochtone urbaine et classe autochtone périphérique vivent désormais en fonction de deux centres de gravité culturel complètement opposés. A ce point, cela n’était jamais arrivé dans notre histoire. Et pour cause : pour la première fois depuis le début des temps, une classe d’hommes composée de millions d’individus peut se payer le luxe inouï d’évoluer en fonction d’une réalité qui n’existe pas, sans en subir immédiatement la sanction. Deux univers parallèles se sont constitués dont l’un, composé d’une nébuleuse sectoïde émancipée des faits, repose entièrement sur la conviction plus ou moins implicite que le réel n’est qu’une construction de l’esprit. Il existe un espace où l’on peut croire qu’un homme peut vraiment devenir une femme, si tel est son choix. Que le quinquagénaire Mickaël Jackson était véritablement un enfant, puisqu’il le disait. Qu’un Malien peut vraiment devenir Français, par la vertu d’une simple décision administrative. Que l’immigration est vraiment une chance. Qu’il n’y a pas plus d’étrangers aujourd’hui qu’en 1930 ou que le « suprémacisme blanc » est le seul danger qui menace le « vivre ensemble ». Des gens croient véritablement tout cela ! Et le malheur veut que, pour l’essentiel, ces gens constituent la classe dominante.

La classe dominante vit dans une réalité fictionnelle mais assure néanmoins une domination sur le réel. La classe dominante domine : les lois qu’elle va établir vont traduire cette réalité fictionnelle, les décisions politiques et économiques qu’elle va prendre vont traduire cette réalité fictionnelle, le discours médiatique va traduire cette réalité fictionnelle… La domination dont il est question est en fait la domination de la fiction sur le réel : désormais, de par la loi et le politiquement correct, les hommes et les femmes n’existent plus, les nations n’existent plus, les peuples n’existent plus, les identités n’existent plus, les religions n’existent plus, les frontières n’existent plus, la culture française n’existe plus… La classe urbaine autochtone assure le règne de l’entropie généralisée. Elle déstructure le monde, le renvoie au chaos, alors que la classe autochtone vivant à la périphérie des métropoles lui oppose sans armes, arcbouté sur un réel démodé, une contre-entropie qui semble sans avenir.

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Mais il existe donc aussi une troisième « classe » : celle des étrangers qui peuplent les banlieues. Quelles sont les relations que cette classe entretient avec les deux autres ? On sait que la classe étrangère et la classe autochtone périphérique s’ignorent complètement. Leurs intérêts divergent trop, comme l’a montré l’épisode des Gilets jaunes. De plus, si ces classes se tolèrent pour le moment, elles ne s’aiment pas et ne se mélangent pas. Au contraire, la classe étrangère entretient avec la classe autochtone urbaine des rapports qui, objectivement, apparaissent comme beaucoup plus « symbiotiques ».

D’une part, les habitants des banlieues constituent l’essentiel de la domesticité de la classe dominante urbaine. C’est dans ce vivier humain que la classe dominante va chercher à bas prix les nounous pour ses enfants, le personnel nécessaire à l’entretien de ses propriétés (concierges, femmes de ménage, gardiens…), mais aussi les chauffeurs de taxi ou de VTC, les vigiles, les conducteurs de bus ou de métro, les serveurs de restaurant, les assistantes aux personnes âgées, le personnel des hôtels, les manutentionnaires, les épiciers, etc.

D’autre part, et en échange, la classe dominante assure à la classe étrangère, par le détournement de fonds prélevés sur la France périphérique, le versement régulier d’allocations et de subventions diverses. De plus, par les lois qu’elle vote, la classe dominante assure à la classe étrangère son installation définitive sur le territoire national et la criminalisation de tous ceux qui remettraient en cause cette installation. Ajoutons que les juges de la classe dominante font preuve d’une clémence toute particulière pour la racaille et que l’économie parallèle des banlieues, basée sur le trafic de drogue, n’est jamais sérieusement combattue, ce qui permet de maintenir le statu quo symbiotique.

Cependant, l’importance du petit personnel immigré astreint au service de la classe dominante ne peut justifier à lui seul les cadeaux faramineux (en termes de milliards déversés, de lois pro-immigrés et antinationales, de traitement laxiste de la délinquance, d’acceptation d’une économie parallèle basée sur les trafics en tous genres…) consentis par cette classe à la classe étrangère. En fait, cette « générosité » fait partie du « deal » et ne peut être comprise que si on la rapproche d’autres mesures avantageuses concédées aux allochtones.

Ainsi, la classe dominante a aussi pris un ensemble de mesures favorisant l’entrée massive des immigrés dans la fonction publique (mesures pudiquement baptisées « prise en compte de la diversité de la société française dans la fonction publique », avec à la clé un « label diversité » pour les administrations, des « allocations pour la diversité », une aide ciblée aux concours de la fonction publique, une diminution des exigences desdits concours et une « discrimination positive » qui s’assume, etc.). L’objectif déclaré, les sites gouvernementaux ne s’en cachent pas, est que les allochtones constituent à terme une part significative du personnel de toutes les administrations et institutions étatiques. S’il vous arrive de fréquenter un peu mairies, préfectures, conseils généraux, hôpitaux… vous vous êtes assurément rendu compte du changement ethnique dans la composition du personnel en place. Nous avions déjà indiqué (ici) que l’Etat avait fait sécession du peuple autochtone et qu’il s’était mué en une sorte de mécanique apatride au service des intérêts de la classe dominante. Nous avions souligné que le Grand Remplacement n’aurait pas pu se faire sans son concours actif. La présence en son sein d’allochtones de plus en plus nombreux indique qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Définitivement, l’Etat n’est plus nôtre.

Plus particulièrement, on observe que la classe dominante change de plus en plus rapidement la composition des institutions exerçant la violence ou qui sont susceptibles de l’exercer. Ainsi de la police et de l’armée, activement engagées « contre la discrimination » dans le recrutement.

En 2010, selon une enquête de l’INED, 20% des policiers étaient issus de l’immigration. Combien sont-ils aujourd’hui ? Il est difficile de le savoir. Selon les études, il apparaît que la « diversification ethnique » s’opère par le bas (brigades de police secours, BAC…). Au contraire, la féminisation de la police s’opère par le haut. En 2015, 24,7% des commissaires de police étaient des femmes ainsi que 24.2% des officiers de police. Cette féminisation correspond très exactement aux conceptions sociétales de la classe urbaine dominante, qui considère par ailleurs que les femmes ainsi « libérées » soutiendront naturellement le système qui les a promues socialement au détriment du mâle blanc.

Le même phénomène s’observe dans l’Armée. Les allochtones forment une part grandissante au niveau des hommes du rang et des sous-officiers. Il est néanmoins très difficile d’en estimer le nombre exact. En 2005, selon une enquête menée par Christophe Bertossi de l’Institut français des relations internationales (IFRI), les musulmans composaient entre 10 et 20% de l’armée de la République. Sur les 88 soldats morts en Afghanistan et les 22 soldats morts au Sahel (mars 2018), 14 au moins sont allochtones, du grade de 1ere classe à celui de capitaine (JDD). Cela nous donne une idée très approximative de la proportion d’allochtones dans les unités combattantes (13%), même si cette proportion peut être faussée par le refus de certains musulmans de servir en Afghanistan contre d’autres musulmans. A noter, pour Marlène Schiappa, que la parité n’a pas été respectée puisqu’aucune « soldate » n’a été tuée en Afghanistan ou au Sahel. Les femmes représentent pourtant 15,5 % des effectifs (23% dans l’armée de l’Air), et 7,8 % des officiers et officiers généraux. Cela n’est assurément pas suffisant. Aussi le ministre de la Défense, Florence Parly, a annoncé un « plan mixité » destiné à corriger cette anomalie insupportable.

La volonté affichée et revendiquée de « diversifier » ethniquement, de féminiser et même d’ouvrir aux transsexuels et aux homosexuels les portes de la police et de l’armée traduit certes les délires idéologiques de la classe dominante urbaine (féminisme, genrisme, transexualisme, antiracisme, refus du réel…) mais exprime surtout un désir d’évincer, autant que faire se peut, les autochtones issus de la France périphérique : ce qui est visé ici est évidement le mâle blanc hétérosexuel et chrétien !

On pourra objecter que les mâles blancs en question, policiers et CRS surtout, ont jusqu’à présent parfaitement fait leur travail de larbins au service de la classe dominante. Encore une fois, l’épisode des Gilets jaunes est là pour le prouver. D’autre part, s’il fallait une preuve supplémentaire, ces policiers sécurisent parfaitement les quartiers où habitent leurs maîtres, au détriment des quartiers où ils habitent eux-mêmes. Le fait que la classe dominante les remplace en partie par des gens issus des minorités est donc hautement significatif. D’une part, cela montre que les maîtres n’ont plus une confiance excessive en leurs larbins autochtones issus de la France périphérique. Il se pourrait, se disent-ils, que, dans une situation ethnique et sociale trop détériorée, ces autochtones aliénés retrouvent leur dignité et par la même occasion le sentiment de fidélité à leur classe. Il ne faudrait pas que la violence de ces dépositaires de l’autorité se retourne alors contre la classe dominante responsable de cette situation. Métisser, féminiser et rendre LGBTQ compatible la Police, la Gendarmerie, l’Armée et l’Etat en général est une bonne manière de neutraliser définitivement ces institutions. D’autre part, s’appuyer sur les minorités et faire de leurs membres des sortes de harkis au service du Système, Système dont par ailleurs ils profitent en retour, pourrait s’avérer un bon calcul pour neutraliser et marginaliser un peu plus cette classe autochtone populaire qui à l’évidence est considérée par la classe dominante comme LA classe dangereuse.

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Quoi qu’il en soit, ce mouvement de reflux des autochtones de la France périphérique au profit des minorités ethniques et sexuelles, mouvement organisé et conduit par les autochtones de la classe dominante urbaine, traduit une guerre menée par la France des métropoles contre la France périphérique. Une guerre que cette dernière est en train de perdre. La classe dominante a choisi les étrangers contre le peuple autochtone qui a construit ce pays. De là ces discours alambiqués sur l’islamisme qui ne serait pas l’islam, de là le laxisme judiciaire, de là la criminalisation de l’islamophobie : il s’agit de courtiser l’étranger pour s’en faire un allié. De là aussi la rigueur judiciaire envers les autochtones, de là la christianophobie à peine voilée, de là la culpabilisation de l’autochtone à travers la falsification de son histoire, de là la réduction de la culture européenne au racisme : il s’agit bien d’avilir, et l’histoire nous apprend que l’avilissement précède toujours la destruction.

Si l’on accepte cette description objective d’une classe dominante qui domine, d’une classe étrangère dont l’expansion est organisée par la classe dominante et d’une classe autochtone dont le reflux est lui-aussi organisé par cette classe, alors il faut conclure que la classe dominante est en guerre contre la classe autochtone. Et il faut admettre que dans cette guerre à mort, la classe dominante se sert de la classe allochtone contre les autochtones qu’elle trahit et sacrifie.

Le choix absurde de la classe dominante de se servir de la classe étrangère pour affaiblir le peuple autochtone découle de la réalité fictionnelle et de l’univers parallèle, hors du champ du réel, dont nous parlions plus haut : les bobos urbains croient vraiment, pour reprendre une expression de Bernard Lugan, que l’Africain est un Européen pauvre à la peu noire ; ils croient vraiment qu’une femme est un homme sans pénis ni testicules ; ils croient vraiment que l’islam est une religion de paix et d’amour ; ils croient vraiment que les sexes sont fluides ; ils croient vraiment au droit de choisir son genre ; ils croient vraiment que le mâle blanc est un « oppresseur raciste, sexiste et homophobe » qui empêche le « vivre ensemble » ; ils croient vraiment que l’islam et les mentalités africaines sont compatibles avec les valeurs LGBTQ+ ; ils croient vraiment que tout ce passera bien et que les allochtones incorporés dans leur police ou leur armée seront des harkis aussi fidèles que le sont leurs femmes de ménage africaines ! Bien sûr, ils commettent une lourde erreur. Leur univers parallèle est aussi entropique qu’il est contrenature et par avance condamné. La négation du réel ne peut durer qu’un temps. La classe dominante s’en apercevra bientôt et, sauf pour ceux qui sont au sommet de la pyramide, il sera alors trop tard pour sauver sa peau.

Quelle forme prendra le retour au réel ? Tôt ou tard les rapports de force s’inverseront. La classe populaire autochtone paraît incapable de se rassembler et de s’organiser. Pour le moment, elle ne compte pas. Si elle ne réagit pas rapidement, elle est sans doute condamnée. Par contre, la montée en puissance de la classe allochtone paraît inexorable. Quand le réel resurgira, les évènements commenceront. Il est probable que les allochtones investiront d’abord les métropoles où se concentrent les richesses et les principaux organes du pouvoir. Les anciens maîtres de la classe dominante auront alors tout loisir de réciter à leurs anciens esclaves les maximes de Greta Thunberg ou de leur expliquer que la sexuation des êtres humains est une pure construction sociale. La violence, les viols et les égorgements feront instantanément voler en éclats toutes ces sottises. Ce retour au réel sentira le sang, la pisse et les larmes. Pour ma part, pour ces gens, je ne lèverai pas le petit doigt. Ce monde sera leur monde, leur chose.
Qu’ils profitent à leur tour, mais dans la vraie vie cette fois, du vivre ensemble qu’ils nous ont imposé.
Comme le disent les publicités stupides dont ils nous abreuvent : « Enjoy ! ».

Antonin Campana
Source

mercredi, 02 octobre 2019

La Crimée: cinq années après les événements

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La Crimée: cinq années après les événements

Ex: https://www.zeit-fragen.ch

Développement – histoire – contexte

rt. Il y a cinq ans, en février 2014, la politique américaine d’encerclement de la Russie a culminé dans un coup d’Etat organisé sur le Maïdan à Kiev. L’objectif géostratégique d’intégrer l’Ukraine dans la sphère de pouvoir occidentale et, en même temps, de pouvoir stationner des troupes de l’OTAN directement à la frontière russe fut atteint grâce à cette opération clandestine. Peu après, la Crimée s’est séparée de l’Ukraine suite à un référendum pour rejoindre la Fédération de Russie.


Bien avant cela, la promesse de l’Occident – de ne pas avancer militairement davantage vers l’Est suite à l’effondrement du Pacte de Varsovie – fut rompue. Les opérations secrètes menées aux abords de la Russie et qualifiées de «révolutions de couleur», notamment celles ayant eu lieu à Tbilissi en 2003, à Kiev en 2004, à Bichkek en 2005 ou à Minsk en 2006, sont désormais clairement classées comme telles.


Comme nous le savons aujourd’hui, le coup d’Etat de Kiev en 2014, décrit dans les principaux médias occidentaux comme une protestation «justifiée», avait également été fomenté longtemps à l’avance. Ce n’est plus un secret que l’argent et le personnel de Washington ou des services alliés ont rendu ce coup d’Etat possible. Il est également largement connu que tout accord de paix entre l’Occident et la Russie est activement entravé et qu’on tente actuellement de mettre le pays à genoux par un boycott économique radical.


Dans les milieux d’affaires européens, il est rapidement apparu que le durcissement des sanctions économiques causent, d’une part, d’immenses dommages à l’économie européenne elle-même et, d’autre part, favorisent une coopération économique et militaire plus approfondie entre la Russie, la Chine et l’Inde – ce qui n’est pas vraiment dans l’intérêt de l’économie européenne.


La population de l’Ukraine est la grande perdante dans ce processus. Le bon fonctionnement du commerce avec la Russie a été interrompu, le transit lucratif de gaz de la Russie vers l’Europe occidentale a cessé, et le pays est appauvri par une politique corrompue dirigée par des oligarques, malgré sa richesse en matières premières et en bonnes terres arables.


Suite au coup d’Etat à Kiev, la Crimée s’est séparée et a rejoint la Russie. Ce détachement volontaire de l’Ukraine et le nouveau lien avec la Russie suite à un vote populaire (participation d’environ 80% des électeurs, accord de 95,5% des voix) sont toujours et encore présentés dans l’officiel langage occidental comme «annexion» par la Russie.


Le gouvernement russe ne pouvait accepter que la péninsule de Crimée «offerte» par  Khrouchtchev» à la République soviétique d’Ukraine en 1954, ne lui soit arrachée des forces occidentales. L’important port militaire de Sébastopol avec ses bâtiments de guerre, ses chantiers navals et son accès libre de glace fait partie de la zone centrale russe et demeure d’un intérêt vital pour le pays. Jusqu’à présent, la Russie avait été en mesure de continuer à exploiter le port maritime grâce à des contrats de location avec l’Ukraine. Mais déjà en 2013, avant le coup d’Etat du Maïdan, un département de la marine américain avait demandé des contrats de construction à Sébastopol – évidemment pas pour la construction de foyers pour enfants. Mais de l’avis des médias occidentaux, la Russie est toujours présentée comme la cause du conflit.


Les auteurs Ralf Rudolph et Uwe Markus ont publié l’ouvrage «Die Rettung der Krim» [Le sauvetage de la Crimée], une publication offrant une vision à la fois factuelle et fondée du prétendu «conflit de Crimée» et corrigeant l’image irréelle de la Russie.

 
 

rettungkrim.jpgLes auteurs accompagnent le lecteur à travers l’histoire de la sécession de la Crimée. On apprend un tas de choses sur les contextes historique, politique et économique de cette région. Comme les auteurs ont également de bonnes connaissances en histoire militaire, le lecteur est introduit dans les contextes géopolitiques. La constante politique d’encerclement de la Russie par les Etats-Unis, fortement guidée par leurs propres intérêts économiques, est présentée avec de nombreux faits, comme dans le différend sur les gazoducs dans la région de la mer Noire. Le bouleversement politique en Macédoine de 2016 apparaît soudainement sous un jour totalement nouveau. Le facteur décisif n’était pas les conflits internes, mais la construction prévue d’un gazoduc par un consortium dirigé par l’entreprise russe Gazprom via les Balkans vers l’Autriche.


Le lecteur apprend en détail comment le gouvernement russe a réussi, en quelques mois seulement, à approvisionner la Crimée malgré le blocus économique en violations du droit international imposé par l’Ukraine (interdiction des importations d’eau, de denrées alimentaires, de gaz, de pétrole et d’électricité). Il ne faut pas oublier que le boycott occidental initié par les Etats-Unis, toujours en vigueur, touche en premier lieu la population civile.


Dans un chapitre vers la fin du livre, le lecteur apprend que la Crimée est un lieu de vacances international très prisé avec de nombreux sites historiques.     •

Rudolph, Ralf; Markus, Uwe. Die Rettung der Krim. Phalanx. 2017. 237 p.; Contacts: www.phalanx-verlag.de ou markus-berlin@t-online.de

(Traduction Horizons et débats)

jeudi, 26 septembre 2019

CHISINAU FORUM III : Le système international actuel, du globalisme à la multipolarité

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CHISINAU  FORUM III

Le système international actuel, du globalisme à la multipolarité

par Irnerio Seminatore, président fondateur de l'Institut Européen des Relations Internationales

Table des matières:

  • Système et conjoncture;
  • Le système et ses niveaux de pouvoir;
  • Mouvements stratégiques et antinomies d'alliances en Eurasie;
  • Le système  multipolaire. "Un concert mondial des nations" ou une "gouvernance mondiale renforcée"?
  • De l'Europe à l'Eurasie. Un changement dans les paradigmes géopolitiques;
  • Le déclin d'Hégémon .Alternance hégémonique ou "révolution systémique";
  • A qui appartiendra le futur? L'espace planétaire, la démocratie et les Etats-Nations

Système et conjoncture

Le système international actuel, qui inclut le système interétatique, la société mondiale et la globalisation des économies, se caractérise par une triple dynamique, de fragmentation, de polarisation et de confrontation et cette dernière se traduit en une reconfiguration des alliances militaires, face aux risques de conflit entre la Chine, les États-Unis et la Russie, confrontés au piège de Thucydide ( G.Allison).

Ces risques appartiennent à l'ordre historique et instaurent une politique ambivalente, de rivalité-partenariat et antagonisme. Il s'agit d' une politique qui a pour enjeu le contrôle de l'Eurasie et de l'espace océanique indo-pacifique, articulant les deux stratégies complémentaires du Hearthland (1) et du Rimland (2).

Les rivalités, qui sécouent aujourd'hui plusieurs régions du monde ont forcé l'Est et l'Ouest à reserrer leurs alliances militaires et à s'interroger sur un nouveau projet de sécurité en Europe , de stabilité stratégique et d' unité  de l'espace européen.

Cependant toute tentative de définir un ordre régional quelconque ne peut être conçue que dans la perspective d'un ordre global et dans la recherche de formes d' équilibre et de stabilité à caractère planétaire.

C'est par référence à la triangulation géopolitique et stratégique de la Russie, des États-Unis et de la Chine, et en subordre, de l'Europe, de l'inde et du Japon, que doit être comprise la liberté de manœuvre des puissances régionales au Moyen Orient ,au Golfe et en Iran et c'est là que se situe l'une des clés de la stratégie générale des grandes puissances.

Le système et ses niveaux de pouvoir

Du point de vue analytique, le système international superpose plusieurs niveaux de pouvoir :

− les pôles de puissances classiques , pluricentriques et virtuellement conflictuels( Amérique, Europe Russie, Chine, Inde..)

− un bipolarisme global dissimulé, fondé sur un condominium à caractère asymétrique (Etats-Unis et Chine)

− trois grandes zones d'influence, inspirées par trois aires de civilisation, constituées par l'Europe, les États-Unis et l'Empire du Milieu.

Dans ce contexte, la grande scène du monde abritera une multitude de stratégies, qui seront universelles pour les Nations-Unies, économiques pour les institutions de Bretton-Woods, sécuritaires et militaires par le système des alliances régionales (OTAN).

La singularité géopolitique des États-Unis, la grande île du monde, est qu'elle sera forcée  de se normaliser dans l'immense étendue de l'Eurasie, centre de gravité de l'Histoire.

L'Amérique deviendra-t-elle un pôle de puissance parmi d'autres, disputé, mais toujours dominant?

Mouvements stratégiques et antinomies d'alliances en Eurasie

Dans tout système international, le déclin de l'acteur hégémonique se signale par un resserrement des alliances militaires. Ce moment se présente comme une antinomie d' options entre les puissances  conservatrices (ou du « status quo ») et les puissances perturbatrices (révisionnistes ou insatisfaites). 
Se départagent ainsi aujourd'hui, les deux stratégies des acteurs majeurs de la scène mondiale, une stratégie défensive, de stabilisation et de vigilance active pour l'Ouest et une stratégie offensive, de subversion et de remise en cause de la hiérarchie de puissance , pour l'Est.

Ainsi, dans la conjoncture actuelle, deux mouvements stratégiques rivaux s'esquissent au niveau planétaire :

- l'alliance sino-russe, assurant l'autonomie stratégique du Hearthland, en cas de conflit et promouvant, en temps de paix, la coopération intercontinentale en matière de grandes infrastructures, (projet OBOR /One Belt, One Road/, avec la participation d'environ 70 pays)

- la stratégie du "containement" des puissances continentales par les puissances maritimes du "Rimland" (Amérique, Japon, Australie, Inde, Europe etc), comme ceinture péninsulaire extérieure à l'Eurasie

Rappelons que les deux camps sont en rivalité déclarée et leurs buts stratégiques opposés.

En effet, le couple sino-russe est défini « concurrent stratégique », ou « concurrent systémique » (notamment par l'UE) et refuse de se soumettre à l'ordre international issu de la deuxième guerre mondiale et dessiné par les États-Unis

Le système multipolaire. Un " concert mondial des nations" ou une "gouvernance globale renforcée"?

La caractéristique fondamentale du système multipolaire n'est pas celle de s'asseoir sur une mondialisation, comme "gouvernance mondiale renforcée", complétant le système des Etats -Nations par des institutions mutilatérales  (ONU, FMI,G7, ou G20), dans le but de favoriser leur intégration dans un jeu coopératif mondial, mais d'identifier les intérêts essentiels des acteurs principaux, dont les objectifs sont virtuellement conflictuels.

Ainsi le but n'est pas de cerner des équilibres, fondés sur les concepts d'échanges et de coopération, mais de prévoir les ruptures stratégiques , sous la surface  de la stabilisation apparente.

De l'Europe à l'Eurasie. Un changement dans les paradigmes géopolitiques

Ainsi la  fin de la bi-polarité , avec l'effondrement de l’empire soviétique a engendré une source de tensions , entre les efforts centrifuges mis en œuvre par les États de proximité, « les « étrangers proches », visant à s'affranchir  du  centre impérial et la réaction contraire de Moscou, pour reprendre son autorité à la périphérie, par une série d'alliances enveloppantes. (OTSC, OCS )

La Russie et l’ensemble des nations d’Asie Centrale jusqu’aux pays du Golfe, du Moyen Orient et du Maghreb manquent de leaders ayant fait l’expérience de la démocratie et l’Union Européenne n’a pas conceptualisé une limite stratégique globale entre l’Atlantique et l’Asie Centrale, passant par la bordure de la Méditerranée et remontant le plateau turc et le Caucase, pour parvenir au pivôt des terres, le Heartland, dans un but d’influence et de maîtrise des tensions.

C’est l’Alliance Atlantique qui a vocation à opérer la soudure de l’intérêt géopolitique de l'Ouest, dans cette immense étendue entre l’Amérique et l’Europe.

Le « déclin d'Hégémon ». Alternance hégémonique ou "révolution systémique"?

La question qui émerge du débat sur le rôle des Etats- Unis, dans la cojoncture actuelle est de savoir si la « stabilité hégémonique » (R.Gilpin), qui a été assurée pendant soixante dix ans par l'Amérique, est en train de disparaître, entraînant le déclin d'Hégémon et de la civilisation occidentale , ou si nous sommes confrontés à une alternance hégémonique et à un monde post-impérial.

L'interrogation qui s'accompagne de celle-ci est également centrale et peut être formulée ainsi : « Quelle forme prendra-t-elle cette transition ? »

La forme, déjà connue, d'une série de conflits en chaîne, selon le modèle de Raymond Aron, calqué sur le XXème siècle, ou la forme d'un changement d'ensemble de la civilisation, de l'idée de société et de la figure de l'homme, selon le modèle des « révolutions systémiques », de Stausz-Hupé, scandées par quatre grandes conjonctures révolutionnaires, embrassant l'univers des relations socio-politiques du monde occidental et couvrant les grandes aires de civilisations connues.

Chacun de vous comprendra qu'il s 'agit là de notre propre question,celle de notre temps et de notre forum.

A qui appartiendra-t il le futur ? L'espace planétaire, la démocratie et les Etats-Nations

Dans le cadre d'un environnement interdépendant progresseront les nations qui ont été façonnées sous forme d'États-Nations et d'États-Civilisation. En effet ces nations disposent de configurations durables, car elles ont pu se prévaloir d'une base de stabilité politique, traditionnelle ou moderne, et d'une cohérence géographique et environnementale qui a permis leurs affirmations au cours de l'histoire et qui leurs permet aujourd'hui d' assurer leur survie.

Au plan philosophique et stratégique la nouvelle approche du processus historique sera systémique, pluraliste et complexe, antithétique de la méthode dialectique et universalisante de l'hégélianisme occidental.

Aujourd'hui les dessous de l'Histoire font apparaître les déceptions amères d'une crise de légitimité des démocraties, des conceptions de l'État de droit et des droits universels, coupables d'avoir dissocié l'intime relation entre l'universel et le particulier au profit de concepts et de visions du monde sans transcendence, ouvrant la voie à la révolte de la tradition et du passé, comme formes d'historicité authentiques.

L'élargissement du « modèle démocratique » apparaîtra ainsi, en son abstraction, comme l'expression d'une vision utopique de l'Histoire et se heurtera, à une interprétation messianique du monde historique.

Dans cette analogie, la tradition et les sociétés traditionnelles témoignent de l'expression d'autres formes d' « historicité », indifférentes à l'idée de rationalisme , de doute et de « démocratie », sauf pour les couches intellectuelles cosmopolites, libertaires et non organiques, exclues des offices publics.

L'interprétation de la démocratie comme « modèle » est également la négation de l'évolution des régimes politiques selon leur propre loi, ou selon leur propre individualité historique, qui est en Europe souverainiste ou stato-nationale.

Si le « modèle démocratique » devait prendre partout racine, cela correspondrait au triomphe de la « cité céleste» sur la « cité terrestre» de Saint Augustin, ce qui, dans les relations internationales, représenterait la victoire de l'angélisme sur les deux monstres bibliques du cahos primitif, Léviathan et Béhémoth, révoltés contre le créateur .

Bruxelles, le 11 septembre 2019

(1) Heartland , "le pivot géographique de l'histoire" , 1904 , Halford MacKinder
(2) Rimland , la bordure maritime de l'Eurasie , ou "inner crescent" , concept géostratégique de Nicholas Johan Spykman.

Texte conçu en vue de sa présentation au "IIIème Forum de Chisinau" des 20 et 21 Septembre 2019

 

mercredi, 25 septembre 2019

« Au-delà du moment unipolaire – Perspectives sur le monde multipolaire émergent »

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Forum de Chișinău III: Conférence internationale

« Au-delà du moment unipolaire – Perspectives sur le monde multipolaire émergent »

 

Iurie Roşca,
journaliste et directeur de l’Université Populaire

Discours introductif

Chers amis, mesdames et messieurs, bonjour à toutes et à tous, bienvenue à la troisième édition du Forum de Chișinău intitulé « Au-delà du moment unipolaire – Perspectives sur le monde multipolaire émergent ».

Permettez-moi de me présenter aux personnes de différents pays qui sont en train de regarder en direct notre événement. Je m’appelle Iurie Roşca, je suis un journaliste et un éditeur de Moldavie, ainsi que le directeur de l’Université Populaire qui organise cette rencontre. Je suis un ancien dissident anticommuniste et un actuellement un dissident antiglobaliste. J’aimerais commencer notre conférence internationale en disant que la principale caractéristique de mon pays, la Moldavie, est son identité religieuse, l’Orthodoxie. Plus de 90% de nos citoyens appartiennent à l’Église Orthodoxe. Sans notre foi nous n’existerions pas, nous ne serions qu’une foule d’anciens Homo Sovieticus ou de nouveaux Homo Americanus. C’est pourquoi j’aimerais vous demander la permission de débuter notre événement par la prière du « Notre Père » dans ma langue maternelle roumaine… Tatăl Nostru… Merci beaucoup.

Et maintenant laissez-moi dire juste quelques mots sur les origines de notre initiative qui s’appelle Forum de Chișinău. L’idée a été discutée en 2017 par un groupe d’amis de différents pays qui partagent les mêmes valeurs conservatrices, traditionnelles, anti-système et antiglobalistes. Le philosophe russe Alexandre Douguine, l’écrivain et journaliste français Constantin Parvulesco, le prêtre orthodoxe italien Nicola Madaro, moi-même et d’autres personnes ont décidé d’initier ce projet en tant que rencontre internationale régulière rassemblant des intellectuels qui s’opposent fortement à l’hégémonie américaine, ainsi que la suprématie occidentale, qui contestent l’agenda globaliste et qui défendent la préservation de la diversité culturelle, religieuse, ethnique et nationale, les valeurs spirituelles et morales ainsi qu’une autre société, véridiquement humaine, plus juste et plus équitable. Notre conviction est que cette sorte de coopération entre intellectuels de différents pays peut précisément aider les voix dissidentes à devenir plus fortes dans notre confrontation avec le discours dominant qui est formé par les élites globales contre les intérêts de nos nations.

Et maintenant, pourquoi avons-nous choisi Chișinău comme lieu de nos rencontres ? Parce qu’elle est située entre l’Est et l’Ouest, et parce que cette terre ne doit plus jamais être vue comme une ligne de division de notre continent, ni comme faisant partie des luttes géopolitiques entre grandes puissances internationales. Dans notre vision, après la fin du moment unipolaire de l’hégémonie américaine, la Moldavie en tant que partie de notre grande patrie, le continent eurasien, doit devenir une terre de coopération, de confluences, de complémentarité entre les différents peuples, cultures et traditions qui appartiennent, finalement, à la même civilisation continentale.

Le premier Forum de Chișinău s’est déroulé du 26 au 27 mai 2017 et a rassemblé des intellectuels de France, d’Italie, de Russie, Moldavie, Roumanie, Grèce, Serbie, Géorgie et Belgique. Parmi les orateurs principaux à ce moment-là il y avait le penseur russe Alexandre Douguine, l’économiste et écrivain français qui est aujourd’hui membre du Parlement européen – Hervé Juvin, le leader d’opinion géorgien Levan Vasadze, l’activiste civique belge Kris Roman, etc. Durant notre premier forum nous avons adopté un document qui définit notre profil conceptuel. Nous l’avons appelé le Manifeste de Chișinău : « La création de la Grande Europe. Une esquisse géopolitique d’un monde multipolaire » (https://flux.md/stiri/the-chisinau-manifesto-creating-the-greater-europe).

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Notre second événement international s’est déroulé du 15 au 16 décembre 2017. Le thème de la conférence était « Le capitalisme financier et ses alternatives au XXIème siècle. Contributions à la Quatrième Théorie Économique » (see full video: https://flux.md/stiri/video-international-conference-financial-capitalism-and-its-alternatives-for-the-21st-century-contributions-to-the-4th-economic-theory-chisinau-15-december). La seconde édition du Forum de Chișinău a rassemblé un nombre impressionnant d’intellectuels importants de plusieurs pays qui ont mis en avant leur vision au sujet du modèle dominant politique et économique actuel et formulé plusieurs concepts clés concernant des modèles alternatifs au paradigme prédominant cupide, injuste et pervers qui est impasé globalement par les entreprises multinationales.

Malheureusement l’année dernière nous avons perdu l’opportunité d’avoir un autre forum ici à Chișinău seulement à cause de moi. Je parle de ma persécution par nos autorités qui n’ont aucune sympathie pour mon activité et ont essayé de m’emprisonner pour sept ans. Pour être honnête, je suis en profond désaccord avec leurs intentions mais je n’ai aucune hésitation à continuer mon combat pour des valeurs qui sont plus importantes que ma liberté. Quoiqu’il en soit en 2018 notre équipe internationale a continué son activité en organisant des conférences publiques et des présentations de livres, en écrivant des articles et en faisant des vidéos pour nos réseaux de médias alternatifs.

Au cours de ces trois années passées notre équipe s’est agrandie et renforcée, d’autres dissidents célèbres de différents pays ont rejoint notre famille intellectuelle. Ainsi, au cours de cette période, nous sommes devenus plus visibles et influents au niveau international. Aujourd’hui nous sommes heureux d’annoncer la présence à notre événement international d’amis qui sont venus à Chișinău de plus d’une dizaine de pays.

Le premier jour du Forum de Chișinău se focalisera sur notre thème principale concernant la fin de l’hégémonie américaine et les perspectives du monde multipolaire naissant. Demain nous aurons deux discussions de groupe. Nous commencerons à 9h du matin avec le premier groupe, appelé « La Syrie en flammes », en discutant de l’agression occidentale contre ce pays qui a commencé il y a 8 ans et faisant partie d’une guerre militaire et non-militaire, médiatique et économique plus large contre l’ensemble du Moyen Orient (Afghanistan, Iraq, Libye, Yémen et Iran).

Notre seconde discussion de groupe, qui se déroulera demain, se focalisera sur notre activité éditoriale. Nous aurons le plaisir d’écouter les discours de plusieurs auteurs français célèbres qui sont maintenant parmi nous : Lucien Cerise, Youssef Hindi et Pierre-Antoine Plaquevent. Je parle d’auteurs dont les livres ont été traduits en roumain et publiés par l’Université Populaire au cours des deux dernières années. J’aimerais mentionner le fait que parmi les auteurs français publiés par nos soins il y a aussi Jean Parvulesco, Ivan Blot, Hervé Juvin, Jean-Michel Vernochet, Valérie Bugault et Jean Rémy.

Un historienne française que j’admire beaucoup et qui est aussi avec nous aujourd’hui est Marion Sigaut. Elle participera aussi demain à notre second groupe d’experts. Dailleurs, j’espère publier au moins un de ses livres dans un avenir proche.

Et maintenant laissez-moi vous présenter mes collègues qui seront les co-modérateurs de notre événement. Daria Dugina, de Russie, est une historienne de la philosophie. Paul Ghițiu, un écrivain, journaliste, réalisateur et homme politique roumain. Youssef Hindi est un historien français des religions et un analyste géopolitique. Et maintenant j’aimerais vous inviter à écouter les discours de nos amis.

Merci pour votre attention !

mardi, 24 septembre 2019

Moldavie, la virgule euro-russe Conférence de Iurie Rosca et Robert Steuckers

Conférence de Iurie Rosca et Robert Steuckers

moldaviedrapeaucarte.jpgAncien vice-premier ministre de Moldavie, journaliste et éditeur, Iurie Rosca est le principal coordinateur des colloques eurasistes de Chisinau, qu’il présente comme un anti-Davos. Persécuté par les oligarques qui dirigent son pays, il avait été menacé en 2018 d’une peine de 7 ans de prison. C’est donc un authentique dissident anti-mondialiste que l’équipe d’ER Lille accueillait le samedi 23 mars prochain pour une rencontre avec le linguiste belge Robert Steuckers sur le rôle géopolitique de la « Moldavie, la virgule euro-russe ».

Nous vous proposons aujourd’hui ces conférences en vidéo.

Première partie: Introduction de Robert Steuckers

Deuxième partie: conférence de Iure Rosca

lundi, 23 septembre 2019

Michéa, Mitterrand et la destruction du peuple français

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Michéa, Mitterrand et la destruction du peuple français

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Pour gouverner, il faut d’abord changer le sens des mots. Après on peut remplacer les gens.

Depuis 1984, une gauche libérale-libertaire aux affaires domine le paysage politique et culturel et enfonce le petit peuple dans des termes féroces. On a cité Thierry Pfister et sa lettre ouverte, on recommandera aussi le très effrayant pamphlet de Guy Hocquenghem qui en 1987 expliquait – Houellebecq le refera -  cette conjonction des forces du marché et de la subversion/dérision. La page de gauche des magazines pour recommander un lobby ou une intervention en Afghanistan, la page de droite pour vendre du Vuitton. Habitué à être ainsi traité, le cerveau humain n’a plus rien d’humain et devient cette mécanique-canal humanitaire à réagir fluo et à consommer bio.

Jean-Claude Michéa a récemment rappelé ce qui s’est passé après le virage au centre de Mitterrand. Le sociétal allait remplacer le social. On l’écoute :

Mitterrand_(arms_folded).jpg« Plus personne n’ignore, en effet, que c’est bien François Mitterrand lui-même (avec la complicité, entre autres, de l’économiste libéral Jacques Attali et de son homme à tout faire de l’époque Jean-Louis Bianco) qui, en 1984, a délibérément organisé depuis l’Elysée (quelques mois seulement, par conséquent, après le fameux “tournant libéral” de 1983) le lancement et le financement de SOS-Racisme, un mouvement “citoyen” officiellement “spontané” (et d’ailleurs aussitôt présenté et encensé comme tel dans le monde du showbiz et des grands médias) mais dont la mission première était en réalité de détourner les fractions de la jeunesse étudiante et lycéenne que ce ralliement au capitalisme auraient pu déstabiliser vers un combat de substitution suffisamment plausible et honorable à leurs yeux. »

La farce sociétale se met encore en place, alors on peut taxer le pauvre et puis le remplacer. Insulté et ringard, ce beaufn’est plus digne de l’attente de nos grands commentateurs. Nota : pour imaginer la jeunesse  française d’avant l’ère Mitterrand, découvrez le rebelle de Gérard Blain.

Michéa encore :

 « Combat de substitution “antiraciste”, “antifasciste” et (l’adjectif se généralise à l’époque) “citoyen”, qui présentait de surcroît l’avantage non négligeable, pour Mitterrand et son entourage, d’acclimater en douceur cette jeunesse au nouvel imaginaire No Border et No limit du capitalisme néolibéral (et c’est, bien entendu, en référence à ce type de mouvement “citoyen” que Guy Debord ironisait, dans l’une de ses dernières lettres, sur ces « actuels moutons de l’intelligentsia qui ne connaissent plus que trois crimes inadmissibles, à l’exclusion de tout le reste: racisme, anti-modernisme, homophobie »). »

Il était alors important pour le capital, qui avait eu peur du peuple pendant plus de cent ans, de se montrer branché/progressiste, et de rejeter le prolétaire promu homme de la rue dans les poubelles de l’histoire - avec la complicité achetée/enthousiaste de tous les médias. Rappelons pour les plus jeunes de nos antisystèmes que les communistes quittèrent le bateau ivre de la présidence Mitterrand en 1984, et que dans 1984, le ministère de la vérité s’abrite dans une… pyramide.

 

Post-Scriptum

On vient d’apprendre qu’EDF va disparaitre. L’électricité de France viendra d’ailleurs, comme le peuple.

lundi, 16 septembre 2019

Le somnambulisme des peuples

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Le somnambulisme des peuples

par Georges FELTIN-TRACOL

Discours tenu à la Fête de la Ligue du Midi,

8 septembre 2019

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Camarades, Chers Amis,

Le thème de ce dimanche convivial se place sous une actualité brûlante : la « révolte des peuples ». En effet depuis sept – huit ans environ, de fortes réactions populaires que les chiens de garde médiatiques de la Caste mondialiste qualifient avec un dédain certain de « populistes » parcourent l’Europe, voire le monde entier. On peut d’un point de vue historique situer l’acte initial – le détonateur – aux années 2013 – 2014 avec La Manif pour Tous et ses millions de manifestants hostiles à la loi Taubira. Cette vive contestation rappelait aux plus anciens les manifestations pour l’école libre en 1984 et, un an auparavant, la protestation des étudiants en droit et en médecine contre la loi du socialiste Savary. Mais cette agitation a ensuite été dépassée par la crise des Gilets Jaunes.

En Allemagne, l’ouverture des frontières et l’accueil d’une main-d’œuvre immigrée corvéable à merci ébranle le gouvernement de la soi-disant chrétienne-démocrate Angela Merkel, ancienne militante zélée des Jeunesses communistes en RDA, et permet à l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) de s’opposer à la « Grande Coalition » sociale-démocrate-chrétienne. Le terrain fut préparé par les nombreuses manifestations du mouvement PEGIDA dès 2014. En Flandre belge, au soir du 26 mai dernier, après une décennie au moins de purgatoire électorale, le Vlaams Belang devient sur une ligne nettement sociale et anti-mondialiste la deuxième force politique du royaume derrière les nationaux-centristes de la Nouvelle Alliance flamande du matois Bart De Wever. En Italie, en 2012 – 2013, les Forconi (les « Fourches ») se soulevèrent contre le fisc, la corruption et les dysfonctionnements étatiques. Il en découla en 2018 l’entente gouvernementale inédite entre la Ligue de Matteo Salvini et le Mouvement Cinq Étoiles anti-Système de Luigi Di Maio qui a tenu quatorze mois avant que le « Capitaine » de la Lega ne décide de rompre. Qu’a fait Salvini pendant cette période ? Beaucoup d’esbrouffe. Les clandestins continuent à débarquer dans la péninsule. À sa décharge, il a contre lui l’administration, les médiats, les instances pseudo-européennes, les ONG, la « justice » et la cléricature conciliaire aux ordres de Bergoglio.

L’eurocratie bruxelloise avait déjà été atteinte par la terrible déflagration du Brexit de 2016. L’hyper-classe mondialiste au sens que l’entend Michel Geoffroy dan son essai (1) reçut une autre gifle, cinq mois plus tard, avec l’élection inattendue de Donald Trump à la Maison Blanche. Les prescripteurs officiels d’opinion s’inquiétèrent alors de l’émergence en Hongrie, en Pologne et en Turquie des démocraties illibérales. Le coup de grâce arriva avec le président russe Vladimir Poutine qui proclameait au Financial Time du 28 juin 2019 que « l’ère libérale est devenue obsolète » !

Au printemps de cette année, les Indiens viennent d’accorder au Premier ministre nationaliste Narendra Modi un second mandat et une majorité parlementaire écrasante pour le BJP (Parti du peuple indien). En place depuis six ans et demi, le Premier ministre national-conservateur japonais Shinzo Abe souhaite abroger l’article constitutionnel d’importation étatsunienne niant à l’Empire du Soleil Levant le droit souverain de déclarer la guerre. On pourrait poursuivre la litanie au point d’effrayer la clique ploutocratique qui ressasse l’antienne du « retour aux années 30 ». Si seulement elle avait pour la circonstance raison !

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Si on prend la peine de se pencher avec attention sur le soulèvement civique des peuples, on comprend vite que ce n’est pas une révolution. Les Gilets Jaunes témoignent d’une exaspération exceptionnelle qui n’induit aucune conséquence politique. Pour preuve, le bilan français des élections européennes. Dans un contexte d’agitation sociale élevée et de grandes menaces terroristes islamistes, la majorité présidentielle malgré une tête de liste technocratique et insignifiante arrive en deuxième position à 0,87 point du Rassemblement national, soit un écart de 207 924 voix. En dépit d’une progression notable de la participation, l’abstention atteint néanmoins 49,88 %. Pis, en pourcentage, la liste frontiste perd 1,52 % par rapport à 2014. Si on additionne les listes de Jordan Bardella, de Nicolas Dupont-Aignan, de Florian Philippot, du Gilet Jaune Christophe Chalençon et de l’écrivain impolitique Renaud Camus, on obtient un total de 6 233 226 voix, soit un déficit de 4 405 249 suffrages comparé au résultat de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017. C’est sciemment que la liste de la Reconquête présentée par La Dissidence Française n’intègre pas ce calcul. Elle doit représenter un indéniable aiguillon nationaliste-révolutionnaire et identitaire capable à terme de dynamiser le vaste camp (cloaque ?) national. Emmanuel Macron s’en sort bien mieux puisqu’il peut compter sur le report certain des deux tiers des électeurs Verts, d’un tiers des électeurs du centre-droit et d’un cinquième des électeurs de gauche. Les élections européennes de 2019 marquent donc pour le Rassemblement national une indiscutable victoire à la Pyrrhus.

Et pour quels effets pratiques au Parlement européen ? Le groupe héritier d’Europe des nations et de la liberté, Identité et Démocratie, compte 73 membres, principalement issus de la Lega, du RN et de l’AfD. Mais le grand groupe eurosceptique tant vanté au cours de la campagne n’existera jamais ! Différents protagonistes n’en veulent pas. Le Parti du Brexit du national-mondialiste Nigel Farage siège chez les non-inscrits. Le Fidesz de Viktor Orban demeure bien au chaud au sein de la droite gestionnaire et mercantile du Parti populaire européen (PPE) plutôt que de se compromettre avec un RN inapte à s’emparer du pouvoir. Quant aux Polonais de Droit et Justice de Jaroslaw Kacynzski, ils gardent leur propre groupe, Conservateurs et réformateurs européens, dont le tropisme ultra-atlantiste et russophobe les empêche de négocier avec un RN et une AfD bien trop « moscou-centrés » à leurs yeux…

Bien que cinquième groupe du Parlement européen en nombre de membres (un de moins que les Verts historiquement alliés aux régionalistes !), Identité et Démocratie pâtit du cordon sanitaire. Aucun de ses membres ne préside de commission et tous sont ostracisés. La faute en revient ici au mode de scrutin proportionnel qui favorise l’éclatement politique, les combinaisons politiciennes et les majorités transversales autour du PPE, des socialistes, des libéraux et des Verts. L’instabilité gouvernementale chronique en Italie, en Belgique, en Espagne, voire en Allemagne et en Autriche, résulte de l’application de la proportionnelle qui paralyse l’exécutif. Le scrutin majoritaire a lui aussi de très grands défauts. L’imbroglio tragi-comique du Brexit le prouve. L’existence des partis politiques rend les députés de la Chambre des Communes incapables et pleutres. Ils reflètent aussi leurs électeurs dépassés par les événements.

Le mieux serait encore un parlement désigné par les familles, les instances territoriales et les structures socio-professionnelles par le biais du tirage au sort et de la cooptation. L’élection et le vote dans l’isoloir sont des gestes de pure modernité. Avant la césure anthropologique de 1789 préparée plusieurs décennies auparavant par ce que Paul Hazard nomma dans sa remarquable étude éponyme, la crise de la conscience européenne (2), les communautés d’habitants pratiquaient rarement le vote. Elles préféraient la recherche du consensus et s’en remettaient au sort (3). Le simple fait de se porter candidat dénature déjà en soi l’acte politique. Quant aux partis politiques, leur présence dévalorise l’art politique. Comme le soulignait la philosophe Simone Weil dans sa Note sur la suppression générale des partis politiques, rédigée en 1940 et publiée après sa mort en 1950, il importe de se libérer de l’emprise partitocratique et, plus généralement du kratos, de la cratie, afin de mieux privilégier l’archie. Témoin attentif d’une Post-Modernité florissante en initiatives sociétales foisonnantes, moment obligé d’une crise de la conscience occidentale, Michel Maffesoli insiste sur l’avènement d’un monde baroque. Ce choc néo-baroque emportera tout sur son passage, y compris et surtout les illusions démocratiques conservatrices.

maurras-mes-idees-politiques-1ere.pngLe corps électoral est conservateur au sens que l’entend Charles Maurras dans Mes idées politiques. L’électeur craint que le suffrage populaire perturbe son confort petit-bourgeois proche de celui du Dernier Homme de Nietzsche. Souvenons-nous de sa méfiance lors du second tour de la présidentielle de 2017 en ce qui concerne le projet de sortie de la Zone euro proposée par Marine Le Pen sur les conseils de Florian Philippot. On l’observe encore à l’occasion du récent scrutin européen. En Italie, les listes sœurs ennemies de CasaPound et de Forza Nuova ne recueillent que 0,46 %. En Espagne, les électeurs ignorent l’alliance conclue entre la Phalange espagnole des JONS, Alternative espagnole, la Phalange et Démocratie nationale (0,05 %) et votent pour Vox, la dissidence droitière du Parti populaire. En Grèce, la répression policière et les entraves multiples fomentées par les syndicats, les maires, les journalistes et les juges ont fait perdre à Aube dorée tous ses députés, le 7 juillet dernier aux législatives anticipées. Hors de l’Union dite européenne, les Ukrainiens, lassés par la corruption endémique et l’absence de résultats économiques tangibles, dégagent le président sortant Petro Porochenko et choisissent largement l’acteur comique Volodymyr Zelenski. À peine investi, celui-ci dissout la Rada, le Parlement monocaméral, et permet à son parti, créé en quelques mois, Serviteur du peuple (du nom de la série télévisée qui fit connaître Zelenski) de remporter la majorité absolue pour la première fois depuis l’indépendance en 1991 ! Les électeurs se sont détournés des candidats nationalistes radicaux coalisés de Svoboda, de Secteur droit et du Corps nationalBataillon Azov.

Que penser alors du chaos en cours dans l’Anglosphère ? Séduits par la rhétorique protectionniste, isolationniste et anti-interventionniste, les démocrates pro-Trump de la « Ceinture de la Rouille » (Pennsylvanie, Virginie-Occidentale, Ohio, Indiana, Michigan, etc.) en 2016 s’estiment-ils trahis par un président en partie sous la coupe des faucons néo-conservateurs bellicistes ? En bon larbin de la finance anonyme et vagabonde, le 45e président des États-Unis criminalise la République bolivarienne du Venezuela, la République islamique d’Iran ainsi que le mouvement de résistance libanais Hezbollah. Quant à l’avenir de la Grande-Bretagne en plein Brexit, on ne peut que saluer une fois de plus la vision prophétique de Charles De Gaulle qui refusait l’adhésion de Londres dans l’ensemble européen. Boris Johnson a évincé la très guindée Theresa May. Des responsables supposés nationalistes en Europe ont salué cette arrivée au 10, Downing Street. Ce n’est pas parce que Le Monde, Libération et Arte dépeignent Alexander Boris de Pfeffel Johnson en méchant populiste qu’il faut prendre le contre-pied systématique. Ce natif de New York, rejeton d’une famille cosmopolite, fut de 2008 à 2016 le maire multiculturaliste de Londres. Cet admirateur de deux criminels de guerre britanniques, Winston Churchill et Margaret Thatcher, est foncièrement un ultra-libéral financiariste qui rêve de transformer Londres en « Singapour-sur-Tamise » et son pays en « Global United Kingdom », c’est-à-dire en un Royaume Uni mondialisé. Y voyez-vous un quelconque triomphe pour l’identité, l’enracinement et les traditions ? Souhaitons seulement que le Brexit favorise in fine l’indépendance de l’Écosse, l’autodétermination du Pays de Galles, le rattachement de l’Ulster à la République d’Irlande, le retour de Gibraltar à l’Espagne et la réintégration des îles Malouines à l’Argentine.

Presidente_Jair_Messias_Bolsonaro.jpgLe président brésilien Jair Bolsonaro appartient lui aussi à cette coterie nuisible d’imposteurs grotesques qui déforme et bafoue le combat identitaire, délaisse la priorité sociale anti-libérale et sous-estime l’enjeu écologique enraciné. « Les populistes sincères devraient s’interroger à chaque fois qu’on leur propose un candidat trop détesté par la gauche, prévient avec raison Julien Langella. Ce n’est souvent qu’un cuck, diminutif de cuckservative, “ conservateur cocu ” dans la langue du général Lee : défenseur des valeurs morales ou de la famille mais ouvert au libre-échange et donc aux attaques sur les anticorps spirituels de la nation (4). » Victimes d’une classe politicienne corrompue et d’une insécurité record, les Brésiliens ont soutenu sans aucune hésitation un obscur député fédéral de Rio de Janeiro qui tenait un discours exagéré et provocateur d’ordre, d’autorité et de discipline. Mais Bolsonaro n’a rien d’un continuateur de l’Action intégraliste de Plinio Salgado. C’est évident quand le gouvernement brésilien aligne sa diplomatie sur la centrale mondiale du terrorisme d’État, les États-Unis, s’affiche sioniste chrétien, accélère la déforestation de l’Amazonie et nie tout droit aux peuples autochtones amérindiens. Ces tribus sont elles aussi frappées par un « grand remplacement » pratiqué par les industries agro-alimentaires, les sectes évangéliques et les grandes compagnies minières. Défendre le principe intangible d’« une terre, un peuple » implique par conséquent le rejet de tout apport exogène moderniste ou progressiste ainsi que de toute tentative d’assimilation à la Mégamachine mondialiste génocidaire. « Si par “ exploitation rationnelle ”, il s’agit de transformer les petits fermiers indiens, pauvres mais libres, en ouvriers agricoles inhalant du glyphosate toute la journée, ou en employés des mines dont l’horizon se borne au plateau-repas devant Hanouna, alors, que les Indiens utilisent tous les moyens même légaux pour conserver leurs terres, écrit encore Julien Langella. Si c’est pour intégrer les Indiens à une société occidentale consumériste en phase terminale, alors nous ne pouvons que souhaiter aux Indiens de résister de toutes leurs forces contre le rouleau-compresseur de l’uniformisation mondiale. Si, par “ êtres humains comme nous ”, Bolsonaro entend “ consommateurs zombies déracinés ”, alors que les Indiens ne lâchent rien ! (5) » Les Amérindiens sont chez eux en Amazonie comme les Albo-Européens le sont en Europe et les Hispaniques sur des terres mexicaines volées en 1848 par la grande catin étoilée. Le 2 août dernier, un certain Patrick Crusius déclenchait une fusillade, tuait vingt-deux personnes et en blessait vingt-quatre autres parce qu’il condamnait l’« invasion latino » à El Paso, dont le nom même assure de l’antériorité évidente des Anglo-Saxons à cet endroit…

Greg-johnson-seattle-1_headcrop.jpgSurgi des franges les plus loufoques de l’Alt Right nord-américaine, le nationalisme blanc est propagé par le Californien Greg Johnson (photo, ci-contre) dont les écrits sont diffusés en France par une obscure maison d’édition se croyant dissidente qui soutient par ailleurs un traducteur syldavo-poldève au caractère aigri et suffisant. Le nationalisme blanc peut éventuellement résoudre les tensions sociales et ethniques inhérentes à la psychopathologie collective propre à l’âme américaine du Nord en prônant la sécession territoriale. Cette option séparatiste est en revanche pour l’Europe une dangereuse fiction. Le nationalisme blanc sert les desseins d’une faction de l’État profond étatsunien. Contrairement à ce qu’assène Greg Johnson, ce qu’il qualifie avec dédain de « nationalisme grandiose » (6), à savoir la quête d’un Imperium paneuropéen, constitue l’ultime recours des peuples autochtones d’Europe.

Parler dans ces conditions de « révolte des peuples » sonne faux à l’aune de ce décryptage politiquement très incorrect. Les peuples ne se révoltent pas; ils maugréent. Colonisés par l’idéologie de la marchandise, ils expriment une insatisfaction chronique, soudaine et passagère. Certains femmes Gilets Jaunes interrogées au début du mouvement expliquaient leur engagement sur les ronds points par leur impossibilité de se payer de temps en temps un restaurant le samedi soir. Bien des Gilets Jaunes ne veulent pas changer le Système en place; ils souhaitent au contraire s’y conformer, d’où l’échec des quelques tentatives de noyautage par la « droite radicale » et l’entrisme croissant de la part de certaines centrales syndicales et de militants gauchistes.

Dominique Venner disait souvent que l’Europe est pour l’heure en dormition. Mais un jour viendra où elle s’éveillera. Son sacrifice dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 21 mai 2013, incitait à ce réveil. Romantique politique, l’auteur de Baltikum était optimiste. Malgré tous les efforts louables et les appels au sursaut salvateur, les peuples européens ne bougent pas ! Toutes les manifestations électorales qui terrorisent tant les médiacrates n’expriment qu’un somnambulisme tenace. Ce somnambulisme politique désigne le comportement collectif des Européens, voire des Occidentaux, qui se complaisent dans une suave et mortelle léthargie. Ce renoncement se caractérise aussi par une profusion de faux héros réactionnaire ou contre-révolutionnaires.

ThM-CR.jpgQu’est-ce que le faux héros contre-révolutionnaire ou réactionnaire ? Le philosophe catholique d’origine hongroise Thomas Molnar qui vécut longtemps aux États-Unis et qui conseilla Viktor Orban pendant son premier mandat (1998 – 2002), l’explicite dans un essai méconnu La Contre-Révolution. Le faux héros « est en partie le produit de circonstances que l’on peut bien identifier et qui se retrouvent de temps à autre. Si l’on pouvait en dresser un portrait, cela donnerait un personnage né ou élevé dans un milieu contre-révolutionnaire, ou du moins dont on suppose qu’il partage les convictions contre-révolutionnaires. L’opinion publique le classe comme un contre-révolutionnaire et, par conséquent, il a des partisans et des adversaires, un profil politique défini. L’impression est d’autant plus marquée que son style de vie et son style de pensée, choses plus importantes que les jugements intellectuels, divisent automatiquement les gens en amis et ennemis, en sympathisants et adversaires. Pourtant, une ambiguïté considérable s’attache à lui du fait que le style et le contenu de sa pensée ne sont pas toujours en harmonie : jusqu’à ce qu’il détienne fermement le pouvoir, il ne laisse pas découvrir de quel côté penche la balance. Dans la période que précède la prise du pouvoir, cette ambiguïté garantit au faux “ héros ” contre-révolutionnaire une grande liberté d’action; ce n’est qu’au moment décisif qu’il se découvre, explique Thomas Molnar : il accepte l’autorité que lui proposent les contre-révolutionnaires, mais sa politique suit le schéma révolutionnaire et en fin de compte favorise la cause révolutionnaire. Son succès vient donc de son art d’utiliser le temps, et s’il domine le facteur temps c’est précisément que ni ses partisans ni ses adversaires naturels ne sont capables de calculer ni d’évaluer à l’avance quels seront ses faits et gestes; leur perplexité permet au faux “ héros ” de gagner du temps, ce qui est essentiel pour qu’il puisse réaliser ses manœuvres compliquées (7). » Écrites en 1969, ces lignes s’attardent ensuite sur Charles De Gaulle, Paul VI et Richard Nixon.

En 1996, Jean Renaud interroge Thomas Molnar et insiste sur cette notion clé de « faux héros ». « La droite, qui se plaît dans le rôle de l’éternelle victime et qui en est paralysée, n’a pas le choix, répond Thomas Molnar. Du fond de son désespoir, elle accueille ses pires ennemis, du moment que ceux-ci, pour des raisons tactiques et électorales, lui jettent quelques mots à demi rassurants. Le “ faux-héros ” recueille tous les avantages de cette situation. S’il possède assez de caractéristiques pour plaire à la droite, assure Thomas Molnar, il n’en reste pas moins que sa décision est depuis longtemps prise : faire une politique de gauche, la seule qui lui permette de gouverner dans une relative tranquillité (8). » Thomas Molnar prédisait avec une décennie d’avance le quinquennat calamiteux de l’ineffable Nicolas Sarközy. Sarközy, c’est François Hollande en pire. L’ancien maire de Neuilly a même reconnu que s’il avait été réélu en 2012, il aurait poussé encore plus loin l’« ouverture ». Jusqu’où ? À Bernard Tapie ? À Ségolène Royal ? À Olivier Besancenot ? Des trumpistes français peuvent rétorquer que Donald Trump ne gouverne pas dans la quiétude, bien au contraire ! Ayant contre lui l’ensemble de la médiacratie ainsi que divers cénacles influents du Complexe militaro-industriel bankstériste, le New Yorkais dirige dans le feu et la fureur. Ces conditions matérielles difficiles n’en font pourtant pas la réincarnation de Nathan Bedford Forrest, le fondateur du Ku Klux Klan.

« Encore une fois, ajoute Thomas Molnar, la droite n’a pas le choix : autoexilée de la politique, elle déplore cet exil qui promet d’être permanent, elle ferme les yeux et préfère s’illusionner. La principale illusion réside dans ce personnage ambigu du faux héros, capable d’endormir la droite juste le temps nécessaire pour consolider son règne (9). » Ce qu’expose le philosophe politique ne concerne pas que des personnalités publiques, politiques ou intellectuelles; son avertissement s’applique pleinement à certains slogans creux, stériles et finalement incapacitants comme l’« union des droites ».

ISSEP-Marion-Marechal-1.jpgL’« union des droites » serait une merveilleuse panacée. Future retraitée de la vie politique, Marion Maréchal estimait en 2017 que « la stratégie victorieuse réside dans l’alliance de la bourgeoisie conservatrice et des classes populaires. C’était la synergie qu’avait réussie Nicolas Sarkozy en 2007. […] Ce qui reste possible, c’est l’union des hommes. Il existe aujourd’hui une zone blanche, entre certains courants chez Les Républicains, que je qualifierais de droite nationale conservatrice, Nicolas Dupont-Aignan, ceux qui sortent du champ politique, comme Philippe de Villiers, certains élus et cadres de la droite, et le FN. Dans cette zone blanche, il y a une recomposition à opérer, qui s’apparenterait à l’union de certaines droites. Mais sans doute pas avec cette droite des Républicains, qui est une droite reniée (10) ». On doit lui reconnaître une réelle persévérance avec son école lyonnaise de cadres qui n’ose avouer sa véritable finalité et le soutien intéressé de quelques titres imprimés (L’Incorrect, Causeur, bientôt Conflits).

Cette « union des droites » est aussi l’antienne principale de la fameuse « droite hors les murs » qui, de Robert Ménard à Érik Tegnér, rêve d’un candidat apte en 2022 de battre Emmanuel Macron en réunissant les libéraux-conservateurs bourgeois coincés de Wauquiez et de Bellamy, les nationaux-conservateurs de Nicolas Dupont-Aignan, et l’électorat populaire radicalisé du Rassemblement national. Une congruence que pourrait susciter Éric Zemmour si celui-ci n’était pas un essayiste talentueux qui se refuse d’aborder les rivages de la politique. Dans une « union des droites », les floués seraient les catégories populaires déclassés de la mondialisation libérale. N’oublions jamais que si le « mariage pour tous » a indigné les beaux quartiers de Paris, de Lyon, de Bordeaux et de Versailles, ces mêmes beaux quartiers se félicitent de la généralisation du travail dominical et encouragent à l’encontre de toute étude sérieuse l’augmentation du temps de travail hebdomadaire.

todd-qui-est-charlie.jpgReconnaissons en revanche la clairvoyance de l’intellectuel souverainiste républicain de gauche Emmanuel Todd dans son livre polémique Qui est Charlie ? (11). Il examine une France de « catholiques – zombies ». Les récentes élections européennes confortent son analyste. L’électeur catho-zombie déteste les Gilets Jaunes, justifie l’impitoyable répression de Galliffet – Castener et donne son vote à La République en marche, formation politique idoine en matière de contre-populisme avéré. Même Patrick Buisson en convient aujourd’hui volontiers; l’« union des droites » ou, pour être plus précis, la combinaison du conservatisme et du libéralisme est désormais révolue. Il encourage maintenant l’« union des anti-libéraux » (12). Encore faut-il comprendre ce qu’il entend… S’agit-il d’une simple entente contre la mondialisation libérale ou bien un vrai front contre le libéralisme culturel et économique, soit l’alliance effective de Pierre-Joseph Proudhon et de Carl Schmitt ?

À l’heure des réseaux sociaux abrutissants, du numérique envahissant et d’Internet censeur implacable, la révolte concrète des peuples se révèle éphémère sinon impossible. Sur l’échelle du temps, ce ne sont que des soubresauts qui marquent la transition du XXe au XXIe siècle. Parfois violentes, ces agitations populaires ne s’inscrivent pas dans la durée, car il leur manque le facteur déterminant de la jeunesse. Les révolutions en Europe entre les XVIIIe et le XXe siècles provenaient d’hommes jeunes : Robespierre avait 36 ans quand il monta sur l’échafaud, Danton 34 ans au moment de son exécution, Napoléon devient Premier Consul à 30 ans, 39 ans pour Benito Mussolini à sa nomination à la présidence du Conseil. Cet élan de trentenaires manque fortement pour alimenter d’authentiques brasiers populaires et sociaux.

Avec la propagande qu’ils subissent à l’école, sur Internet, dans les films et par la publicité, les jeunes générations préfèrent marcher pour le climat au côté de la gracieuse Greta Thunberg. En faisant la grève scolaire contre le réchauffement climatique, les adolescents montrent leur inconséquence, eux qui sont les premiers à se plaindre dès qu’ils perdent leurs smartphones au coût écologique exorbitant en métaux rares et en transports.

La victoire n’est ni pour demain, ni même pour après-demain. Elle se détournera même de la modeste phalange que nous formons tant que les peuples du Vieux Continent persisteront dans leur périlleux somnambulisme. La mort paraît toujours plus douce quand elle arrive en plein sommeil.

Je vous remercie.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : Michel Geoffroy, La super-classe mondiale contre les peuples, préface de Jean-Yves Le Gallou, Via Romana, 2018.

2 : Paul Hazard, La crise de la conscience européenne (1680 – 1715), Boivin – Librairie générale française, 1935.

3 : cf. Olivier Christin, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Le Seuil, coll. « Liber », 2014.

4 : Julien Langella, « Bolsonaro, les Indiens et nous : le populisme en question », dans Présent du 20 juin 2019.

5 : Idem.

6 : cf. Greg Johnson, « Nationalisme grandiose » mis en ligne sur Counter-Currents, le 27 mars 2016.

7 : Thomas Molnar, La Contre-Révolution, La Table Ronde, 1982, pp. 175 – 176.

8 : Thomas Molnar, Du mal moderne. Symptômes et antidotes, entretiens avec Jean Renaud, Éditions du Beffroi, 1996, p. 97.

9 : Thomas Molnar, Du mal moderne, op. cit., pp. 97 – 98.

10 : « Le testament politique de Marion Maréchal – Le Pen (entretien avec Geoffroy Lejeune) », dans Valeurs Actuelles du 18 mai 2017.

11 : Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Le Seuil, 2015.

12 : cf. Patrick Buisson, « Il n’y a aucune convergence possible entre libéralisme et populisme (entretien) », dans L’Opinion du 31 juillet 2019.

Conférence prononcée à l’invitation de la Ligue du Midi en Occitanie, le 8 septembre 2019.

jeudi, 12 septembre 2019

Les dirigeants européens sont atteints du syndrome de Stockholm face aux intimidations états-uniennes

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Les dirigeants européens sont atteints du syndrome de Stockholm face aux intimidations états-uniennes

par Finian Cunningham 

Ex: http://www.zejournal.mobi

La situation psychologique connue sous le nom de syndrome de Stockholm, dans laquelle les otages sympathisent de manière irrationnelle avec leurs ravisseurs, pourrait très bien s’appliquer aux dirigeants européens face aux intimidations états-uniennes.

Les États-Unis ont toujours été le parti dominant – et dominateur – de la relation transatlantique. Mais les administrations précédentes, à Washington, avaient pris soin de présenter les États européens comme des «partenaires» dans une alliance «apparemment» mutuelle.

Sous le Président Donald Trump, les pressions et les harcèlements dont sont l’objet les Européens mettent en lumière leur véritable statut de simples vassaux de Washington.

Prenez le projet Nord Stream 2. Le gazoduc sous-marin d’une longueur de 1 220 km, qui augmentera considérablement la capacité de livraison de gaz en Europe, devrait être achevé d’ici la fin de l’année. Cette nouvelle offre profitera à l’économie de l’Union Européenne, en particulier à celle de l’Allemagne, en fournissant du gaz moins cher pour les entreprises et pour le chauffage des logements.

Eh bien, la semaine dernière, le sénateur américain Ted Cruz a déclaré que son pays avait le pouvoir d’arrêter l’achèvement du projet. Cruz fait partie de la commission des affaires étrangères du Sénat US qui a adopté en juillet dernier un projet de loi imposant des sanctions aux entreprises impliquées dans la construction du pipeline. L’Allemagne, l’Autriche, la France et la Grande-Bretagne font partie du consortium de construction, aux côtés de la société russe Gazprom.

Ironiquement, le projet de loi du Sénat US s’appelle «Protéger la sécurité énergétique de l’Europe». C’est une bien curieuse forme de «protection» lorsque les sanctions appliquées par les USA pourraient priver les entreprises européennes et les consommateurs de gaz à un prix abordable.

Cruz, comme le Président Trump, a accusé la Russie d’essayer de resserrer son emprise économique sur l’Europe. Plus proche de la vérité et plus cynique, Washington souhaite que l’Europe achète son gaz naturel liquéfié, plus coûteux. Le Texas, la plus grande source de gaz américain, est l’État d’origine de Cruz. Son projet de loi devrait peut-être être renommé «Protection des exportations américaines d’énergie».

À cela s’ajoute l’imposition plus large, par Washington et l’Europe, de sanctions à l’encontre de la Russie depuis 2014. Plusieurs raisons ont été invoquées pour justifier les mesures punitives prises contre Moscou, notamment une prétendue déstabilisation de l’Ukraine et une «annexion» de la Crimée, une ingérence présumée dans les élections et l’affaire Skripal. Cette politique de
sanctions a été largement initiée et promue par Washington, suivie servilement par l’Europe.

La semaine dernière, les représentants de l’UE ont voté en faveur d’une prolongation des sanctions de six mois, alors qu’elles sont beaucoup plus dommageables pour l’économie européenne que pour celles des États-Unis et que les entreprises allemandes, en particulier, s’opposent à l’hostilité économique contre-productive à l’égard de Moscou.

L’absence de toute opposition européenne à une ingérence aussi flagrante de la part des États-Unis dans leur prétendue souveraineté et leur indépendance sur des questions d’intérêt vital est tout simplement stupéfiante.

Un autre exemple frappant est la façon dont l’administration Trump insiste pour que les États européens abandonnent d’importants projets d’investissement avec la société de télécommunication chinoise Huawei pour moderniser les infrastructures de téléphonie mobile et d’Internet. Washington a menacé de sanctions de représailles si l’Europe s’associait à Huawei. Les États-Unis ont également averti qu’ils pourraient empêcher le « partage de renseignements » des « alliés » européens sur les risques liés à la sécurité et au terrorisme. Fait-on cela à un « ami » ?

Là encore, les dirigeants européens font preuve de la même velléité d’acquiescement, au lieu de s’opposer aux États-Unis pour qu’ils s’occupent de leurs propres affaires.

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L’accord nucléaire conclu entre le JCPOA et l’Iran est une autre preuve éclatante de la relation fondamentalement abusive que Washington entretient avec l’Europe. Cette semaine, l’administration Trump a rejeté la proposition française d’étendre une ligne de crédit de 15 milliards de dollars à Téhéran. La proposition française visait à atténuer la pression économique sur l’Iran et à le maintenir dans l’accord nucléaire défaillant.

Washington a simplement déclaré « qu’il sanctionnera quiconque achètera du pétrole brut iranien« . Il n’y aura pas de dérogations ni d’exceptions aux sanctions américaines. Cela impose à peu près à l’Union Européenne d’oublier ses efforts hésitants pour sauver l’accord nucléaire avec l’Iran, dont elle est signataire, aux côtés de la Russie et de la Chine.

Donc, comme Trump s’est écarté de l’accord, cela signifie, dans sa vision dominatrice, que les Européens doivent également le faire,. De toute évidence, l’UE n’a pas la liberté d’agir indépendamment du diktat américain. Détruire les relations entre l’Europe et l’Iran mettra en péril les intérêts économiques et les préoccupations de sécurité liées aux conflits et à la non-prolifération des armes dans la région. Les préoccupations européennes sont-elles si peu pertinentes pour Washington ?

Maintenant, accrochez-vous à la formidable double pensée suivante. Le Secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, a incité la semaine dernière ses «amis» européens à faire preuve de plus de vigilance pour lutter contre les supposées malignités russes et chinoises.

Tenu devant le groupe de réflexion du Royal United Services Institute à Londres, ce discours a été présenté comme le premier discours majeur d’Esper depuis qu’il est devenu chef du Pentagone en juillet.

« Il est de plus en plus clair que la Russie et la Chine veulent perturber l’ordre international en obtenant un droit de veto sur les décisions économiques, diplomatiques et de sécurité d’autres nations« , a-t-il déclaré.

«En termes simples, la politique étrangère de la Russie continue de faire fi des normes internationales», a ajouté, sans aucune honte, l’ancien lobbyiste de Raytheon et d’autres fabricants d’armes américains.

Quelle a été la réponse de l’Europe ? Les dirigeants européens et les médias ont-ils éclaté de rire devant une telle absurdité, hypocrisie et inversion accusatoire ? Existe-t-il des déclarations officielles ou des éditoriaux sévères invitant le représentant américain du complexe militaro-industriel à ne pas insulter la simple intelligence ?

La tolérance de l’Europe aux comportements abusifs de son «partenaire» américain est bien un problème de syndrome de Stockholm. Bien sûr, parfois les dirigeants européens tels que Merkel ou Macron s’interrogent sur la nécessité de renforcer leur indépendance par rapport à Washington, mais quand les cartes sont minces, ils témoignent tous d’une allégeance méprisable pour la politique américaine, même si cela nuit réellement à leurs intérêts nationaux.

Lorsque Trump a recommandé que la Russie soit admise au récent sommet du G7 en France, le mois dernier, le reste du groupe a réagi avec horreur en demandant le maintien de l’exclusion de Moscou. Comment expliquer cette attitude ? Des chefs européens pathétiques veulent rester dans un club avec leur plus grand bourreau – Washington – tout en excluant un pays voisin et un partenaire stratégique potentiellement important. Comment peut-on faire plus irrationnel?

Les psychologues expliquent le syndrome de Stockholm en tant que «mécanisme d’adaptation» pour traiter les traumatismes. Il est observé parmi les otages, les prisonniers de guerre, les survivants des camps de concentration, les esclaves et les prostituées.

La sympathie irrationnelle envers un parti qui inflige des difficultés et des blessures est un moyen de minimiser les traumatismes en semblant adopter les mêmes valeurs.

Apparemment, le syndrome peut être traité et guéri. Les victimes doivent être progressivement familiarisées avec la vérité objective de leur situation. L’Europe doit se réveiller de ses illusions sur son «allié américain».

Traduit de l’anglais par Dominique Delawarde


- Source : RT (Russie)

Quand la CIA étudiait la French theory: sur le travail intellectuel de démembrement de la gauche culturelle

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Quand la CIA étudiait la French theory: sur le travail intellectuel de démembrement de la gauche culturelle

Par Gabriel Rockhill 

Source The Philosophical Salon

On présume souvent que les intellectuels ont peu ou pas de pouvoir politique. Perchés au sommet d’une tour d’ivoire privilégiée, déconnectés du monde réel, mêlés à des débats académiques dénués de sens sur des détails infimes, ou flottant dans les nuées absconses de théories abstraites, les intellectuels sont souvent dépeints comme non seulement coupés de la réalité politique, mais comme incapables d’avoir un impact significatif sur elle. Ce n’est pas ce que pense la CIA.

En fait, l’agence responsable de coups d’État, d’assassinats ciblés et de manipulations clandestines des gouvernements étrangers ne croit pas seulement au pouvoir de la théorie, mais elle a consacré des ressources importantes pour qu’un groupe d’agents secrets étudient ce que certains considèrent comme la théorie la plus complexe et absconse jamais produite. En effet, dans un article de recherche intrigant écrit en 1985, et récemment publié avec des retouches mineures en raison du Freedom of Information Act, la CIA révèle que ses agents ont étudié la très complexe, avant-gardiste et internationale French theory, [ou théorie de la déconstruction, NdT] adossée aux noms de Michel Foucault, Jacques Lacan et Roland Barthes.

L’image d’espions américains se réunissant dans des cafés parisiens pour étudier assidûment et comparer leurs notes sur les écrits des grands prêtres de l’intelligentsia française choquera ceux qui présument que ce groupe d’intellectuels est constitué de sommités dont la sophistication éthérée ne pourrait jamais être saisie par un filet aussi grossier, ou qui, au contraire, les considèrent comme des charlatans colportant une rhétorique incompréhensible sans impact sur le monde réel ou presque. Cependant, cela ne devrait pas surprendre ceux qui connaissent l’investissement de la CIA, ancien et permanent, dans la guerre culturelle mondiale, y compris par le soutien à ses formes les plus avant-gardistes, qui a été bien documenté par des chercheurs comme Frances Stonor Saunders, Giles Scott-Smith, Hugh Wilford (et j’ai moi-même apporté ma propre contribution dans Radical History & the Politics of Art).

Thomas W. Braden, l’ancien superviseur des actions culturelles à la CIA, a expliqué avec franchise la puissance de l’offensive intellectuelle de l’Agence dans un compte rendu à destination de ses membres, publié en 1967 :

Je me souviens de l’immense joie que j’ai ressentie lorsque le Boston Symphony Orchestra [qui avait reçu l’appui de la CIA] a recueilli plus d’éloges pour les États-Unis à Paris que John Foster Dulles ou Dwight D. Eisenhower n’aurait pu en obtenir en une centaine de discours.

En aucune façon, il ne s’agissait d’une petite opération à la marge. En fait, comme Wilford l’a fort justement décrit, le Congrès pour la liberté de la culture (CCF), dont le siège social se trouvait à Paris et qui s’est par la suite avéré une organisation de façade de la CIA dans la partie culturelle de la guerre froide, était l’un des plus importants mécènes dans l’histoire universelle. Il soutenait une incroyable gamme d’activités artistiques et intellectuelles. Il avait des bureaux dans 35 pays, publiait des dizaines de magazines de prestige, était impliqué dans l’industrie du livre, organisait des conférences internationales de haut niveau ainsi que des expositions d’art, coordonnait des spectacles et des concerts et contribuait largement au financement de divers prix et bourses culturels, ainsi que d’organismes de soutien comme la Fondation Farfield.

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L' »Appareil » parisien : l’agent de la CIA et chef du CCF Michael Josselson (au centre) dans un déjeuner de travail avec John Clinton Hunt et Melvin Lasky (à droite)

La CIA comprend que la culture et la théorie sont des armes cruciales dans l’arsenal global qu’elle déploie pour protéger les intérêts étasuniens dans le monde entier. Le rapport de recherche de 1985, récemment publié, intitulé « France : Defection of the Leftist Intellectuals » (Défection des intellectuels de gauche en France) examine, sans aucun doute pour la manipuler, l’intelligentsia française et son rôle fondamental dans l’orientation des tendances qui à leur tour génèrent les orientations politiques. Le rapport suggère qu’il a existé un équilibre idéologique relatif entre la gauche et la droite dans l’histoire intellectuelle française, puis souligne le monopole de la gauche dans l’immédiat après-guerre (auquel, nous le savons, l’Agence était farouchement opposée) en raison du rôle clé des communistes dans la résistance au fascisme et de leur victoire finale. Bien que la droite, selon les mots de la CIA, ait été massivement discréditée en raison de sa contribution directe aux camps nazis, ainsi que de son programme globalement xénophobe, anti-égalitaire et fasciste, les agents secrets anonymes qui ont rédigé le plan d’étude constatent avec un vif plaisir son retour intellectuel depuis le début des années 1970 environ.

Plus précisément, les soldats camouflés de la culture applaudissent ce qu’ils considèrent comme un double mouvement qui contribue à ce que les cercles intellectuels détournent leurs critiques des États-Unis vers l’URSS. A gauche, il existait une désaffection intellectuelle croissante envers le stalinisme et le marxisme, un retrait progressif des intellectuels radicaux du débat public, et un mouvement théorique de prise de distance envers le socialisme et le Parti socialiste. Plus loin, à droite, les opportunistes idéologiques appelés Nouveaux philosophes ainsi que les intellectuels de la Nouvelle droite avaient lancé une campagne médiatique de critique du marxisme.

Tandis que d’autres tentacules de la CIA étaient impliqués dans le renversement de dirigeants démocratiquement élus, fournissant des informations et des financements à des dictateurs fascistes, soutenant les escadrons de la mort, l’état-major culturel parisien recueillait des données sur la manière dont le glissement du monde intellectuel vers la droite pourrait directement bénéficier à la politique étrangère américaine. Les intellectuels de gauche de l’après-guerre avaient ouvertement critiqué l’impérialisme américain. L’influence médiatique de Jean-Paul Sartre en tant que critique marxiste, et son action notable, en tant que fondateur de Libération, dans le dévoilement du dirigeant de la CIA à Paris ainsi que de dizaines d’agents infiltrés, étaient surveillées de près par l’Agence et considérées comme un très grave problème.

Par contraste, l’atmosphère anti-soviétique et anti-marxiste de l’ère néolibérale en cours d’émergence détournait l’attention du public et fournissait une excellente couverture pour les sales guerres de la CIA en rendant « très difficile pour quiconque de mobiliser parmi les élites intellectuelles une opposition significative à la politique des États-Unis en Amérique centrale, par exemple. » Greg Grandin, un des meilleurs historiens de l’Amérique latine, a parfaitement résumé cette situation dans The Last Colonial Massacre :

En plus des interventions visiblement désastreuses et mortelles au Guatemala en 1954, en République dominicaine en 1965, au Chili en 1973 et au Salvador et au Nicaragua au cours des années 1980, les États-Unis ont attribué des ressources financières stables et discrètes, et leur soutien moral aux États terroristes contre-insurgés. […] Mais l’énormité des crimes de Staline assure que ces histoires sordides, qu’elles soient convaincantes, approfondies, ou accablantes, ne perturbent pas le fondement d’une vision du monde où le les États-Unis jouent un rôle exemplaire dans la défense de ce que nous appelons aujourd’hui démocratie.

C’est dans ce contexte que les mandarins masqués saluent et soutiennent la critique implacable qu’une nouvelle génération de penseurs anti-marxistes comme Bernard-Henri Levy, André Glucksmann et Jean-François Revel lancent contre « la dernière clique d’intellectuels communistes » composée, selon les agents anonymes, de Sartre, Barthes, Lacan et Louis Althusser. Étant donné que ces anti-marxistes avaient penché à gauche dans leur jeunesse, ils fournissaient un modèle parfait auquel adosser des récits trompeurs qui confondent une prétendue prise de conscience politique personnelle avec la marche progressiste du temps, comme si la vie individuelle et l’histoire étaient simplement une question de maturité qui consiste à admettre que l’aspiration à une profonde transformation sociale vers l’égalité est une chose du passé, à l’échelle personnelle et à l’échelle historique. Ce fatalisme condescendant et omniscient ne sert pas seulement à discréditer les nouveaux mouvements, en particulier ceux dirigés par des jeunes, mais il interprète également les succès relatifs de la répression contre-révolutionnaire comme le progrès naturel de l’histoire.

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Le philosophe français anti-marxiste Raymond Aron (à gauche) et sa femme Suzanne en vacances avec l’agent infiltré de la CIA Michael Josselson et Denis de Rougemont (à droite)

Même les théoriciens qui n’étaient pas aussi opposés au marxisme que ces réactionnaires ont apporté une contribution significative à une atmosphère de désillusion envers l’égalitarisme transformateur, de prise de distance envers la mobilisation sociale et d’« enquête critique » dépourvue de point de vue politique radical. Ceci est extrêmement important pour comprendre la stratégie globale de la CIA dans ses tentatives puissantes et profondes de démanteler la gauche culturelle en Europe et ailleurs : reconnaissant qu’il était peu probable qu’on puisse l’abolir entièrement, la CIA a cherché à déplacer la culture de gauche d’une politique anti-capitaliste et résolument transformatrice vers une position réformiste de centre-gauche moins ouvertement critique des politiques étrangères et nationales étasuniennes. En fait, comme Saunders l’a démontré en détail, dans l’après-guerre l’Agence a influencé le Congrès maccarthyste pour qu’il soutienne et assure une promotion directe des projets de gauche qui permettaient d’attirer les producteurs et les consommateurs culturels à l’écart d’une gauche résolument égalitaire. En isolant et en discréditant cette dernière, la CIA aspirait aussi à fragmenter la gauche en général, laissant à ce qui restait du centre gauche un pouvoir et un soutien public minimaux en plus d’être potentiellement discrédité en raison de sa complicité avec la politique de droite, une question qui continue de tourmenter les partis institutionnalisés contemporains de gauche.

C’est dans cette lumière que nous devons comprendre le penchant de la CIA pour les récits de conversion et son profond intérêt pour les « marxistes repentis », un leitmotiv qui traverse le rapport de recherche sur la Déconstruction française. « Encore plus efficaces pour saper le marxisme », écrivent les taupes, « il y a ces intellectuels qui, comme de vrais croyants, se sont mis en tête d’appliquer la théorie marxiste aux sciences sociales, et qui ont fini par repenser et rejeter l’ensemble du corpus théorique. » Les agents citent en particulier la puissante contribution de l’École des Annales d’historiographie et le structuralisme (en particulier Claude Lévi-Strauss et Foucault) à la « démolition critique de l’influence marxiste dans les sciences sociales ». Foucault, identifié comme « le penseur le plus profond et le plus influent en France », est particulièrement applaudi pour ses éloges à l’endroit des intellectuels de la Nouvelle droite pour avoir rappelé aux philosophes que des « conséquences sanglantes » ont « découlé de la théorie sociale rationaliste des Lumières du XVIIIème siècle et de l’ère révolutionnaire ». Bien sûr, ce serait une erreur de juger la théorie ou la pratique politique d’un penseur sur une seule position ou un seul résultat, mais le gauchisme anti-révolutionnaire de Foucault et sa perpétuation du chantage au Goulag (c’est-à-dire l’affirmation selon laquelle les mouvements radicaux conquérants visant une transformation sociale et culturelle profonde ne font que ressusciter les traditions les plus dangereuses), sont parfaitement alignés avec les stratégies globales de guerre psychologique de l’Agence.

frenchtheorylivreLD.jpgL’interprétation de la French theory par la CIA devrait nous faire réfléchir, dans ce cas, à reconsidérer le vernis radical chic qui a accompagné en grande partie sa réception anglophone. Selon une conception étapiste d’une histoire progressiste (généralement aveugle à sa téléologie implicite), l’œuvre de figures comme Foucault, Derrida et d’autres théoriciens français d’avant-garde est souvent intuitivement associée à une forme de critique radicale et sophistiquée qui dépasse sans doute de loin tout ce que l’on trouve dans les traditions socialistes, marxistes ou anarchistes. Il est certainement vrai, et mérite d’être souligné que la réception anglophone de la French theory, comme John McCumber l’a souligné à juste titre, a eu d’importantes implications politiques en tant que pôle de résistance aux fausses neutralités politiques, aux formalismes techniques rassurants de la logique et du langage, ou au conformisme idéologique direct opérant dans la tradition philosophique anglo-américaine et soutenu par McCarthy. Cependant, les pratiques théoriques des philosophes qui ont tourné le dos à ce que Cornelius Castoriadis nommait la tradition de la critique radicale, (c’est-à-dire la résistance capitaliste et anti-impérialiste) ont certainement contribué à la mise à l’écart idéologique de la matrice de transformation sociale. Selon la CIA elle-même, la French theory post-marxiste a directement contribué au programme culturel de l’Agence consistant à entraîner la gauche vers la droite, tout en discréditant l’anti-impérialisme et l’anti-capitalisme, créant ainsi un environnement intellectuel dans lequel les projets impériaux pourraient être poursuivis sans l’entrave d’un examen critique sérieux des cercles intellectuels.

Comme nous le savons grâce aux recherches sur le programme de guerre psychologique de la CIA, l’organisation n’a pas seulement cherché à contraindre des individus, mais elle a toujours voulu comprendre et transformer les institutions de production et de distribution culturelles. En effet, son étude sur la Déconstruction met en évidence le rôle structurel des universités, des maisons d’édition et des médias dans la formation et la consolidation d’un ethos politique collectif. Dans des descriptions qui, comme le reste du document, devraient nous inviter à penser de manière critique à la situation académique actuelle dans le monde anglophone et au-delà, les auteurs du rapport mettent au premier plan les méthodes par lesquelles la précarisation du travail universitaire contribue à la démolition de la gauche radicale. Si la gauche la plus résolue ne peut pas se procurer les moyens matériels nécessaires à l’exécution de son travail, ou si nous sommes plus ou moins subtilement contraints de nous plier à une conformité pour trouver un emploi, publier nos écrits ou acquérir un auditoire, alors les conditions structurelles pour une communauté de gauche radicale sont affaiblies. La professionnalisation de l’enseignement supérieur est un autre outil utilisé à cette fin, puisqu’il vise à transformer les gens en rouages technoscientifiques de l’appareil capitaliste plutôt qu’en citoyens autonomes pourvus d’outils fiables en vue de la critique sociale. C’est pourquoi les mandarins théoriciens de la CIA font l’éloge des efforts déployés par le gouvernement français pour « pousser les étudiants à suivre des cursus de commerce et de technologie ». Ils soulignent également les contributions de grandes maisons d’édition comme Grasset, des médias ainsi que la vogue de la culture américaine pour faire avancer leur matrice post-socialiste et anti-égalitaire.

Quelles leçons pouvons-nous tirer du document, en particulier dans le contexte politique actuel d’une offensive permanente contre les cercles de l’intelligence critique ? Pour commencer, cette enquête devrait être un rappel convaincant que si certains présument que les intellectuels sont impuissants, et que leurs orientations politiques sont impuissantes, ce n’est pas ce que pense l’organisation qui a été l’un des plus puissants courtiers de puissance dans la politique mondiale contemporaine. La Central Intelligence Agency, comme son nom l’indique ironiquement, croit au pouvoir de l’intelligence et de la théorie, et nous devrions prendre cela très au sérieux. En présumant que le travail intellectuel a peu d’influence sur le « monde réel », ou n’en a pas, nous ne nous bornons pas à dénaturer les implications pratiques du travail théorique, nous courons aussi le risque de nous aveugler dangereusement sur des projets politiques pour lesquels nous pouvons facilement devenir les ambassadeurs involontaires. Même s’il est vrai que l’Etat-nation et l’appareil culturel français fournissent une matrice publique beaucoup plus efficace pour les intellectuels que ce que l’on trouve dans de nombreux autres pays, le souci de la CIA de cartographier et de manipuler la production théorique et culturelle partout ailleurs devrait tous nous réveiller.

Deuxièmement, les courtiers de pouvoir actuel ont un intérêt direct à cultiver des cercles intellectuels dont l’acuité critique aura été assombrie ou aveuglée en encourageant les institutions fondées sur les intérêts des affaires et de la techno-science, en assimilant la gauche à l’anti-scientifisme, en mettant en corrélation la science avec une neutralité politique prétendue (mais fausse), en assurant la promotion de médias qui saturent les ondes de pratiques conformistes, en tenant la gauche la plus déterminée à l’écart des grandes institutions universitaires et des projecteurs, et en discréditant tous les appels à une transformation égalitaire et écologique radicale. Idéalement, ils cherchent à nourrir une culture intellectuelle de gauche neutralisée, immobilisée, apathique et limitée au fatalisme, ou à la critique passive des mobilisations de la gauche radicale. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous pourrions considérer l’opposition intellectuelle à la gauche radicale, qui prédomine dans l’université américaine, comme une position politique dangereuse : n’est-elle pas directement complice du programme impérialiste global de la CIA ?

Troisièmement, pour contrer cette offensive institutionnelle contre une culture de gauche affirmée, il est impératif de résister à la précarisation et à la professionnalisation de l’enseignement. Il est tout aussi important de créer des sphères publiques de débat réellement critique, offrant une matrice élargie à ceux qui reconnaissent qu’un autre monde est non seulement possible, mais est nécessaire. Nous devons aussi nous unir pour contribuer aux médias alternatifs, aux modèles d’éducation différents, aux contre-institutions et aux collectifs radicaux. Il est vital de favoriser précisément ce que les combattants secrets de la culture veulent détruire : une culture de gauche radicale et son vaste cadre institutionnel de soutien, un large ancrage public, une puissance médiatique conquérante et un pouvoir de mobilisation contagieux.

Enfin, les intellectuels du monde devraient s’unir pour reconnaître notre pouvoir et le saisir afin de faire tout ce que nous pouvons pour développer une critique systémique et radicale, égalitaire et écologiste, anti-capitaliste et anti-impérialiste. Les positions que l’on défend en cours ou en public sont importantes pour définir les termes du débat et tracer le champ des possibilités politiques. En opposition directe à la stratégie culturelle fragmentaire et polarisante de la CIA, par laquelle l’Agence a cherché à diviser et isoler la gauche anti-impérialiste et anti-capitaliste, tout en l’opposant à des positions réformistes, nous devrions fédérer et mobiliser en reconnaissant l’importance de travailler ensemble (dans toute la gauche, comme Keeanga-Yamahtta Taylor nous l’a rappelé récemment) pour cultiver les conditions d’une intelligentsia réellement critique. Plutôt que de proclamer ou de déplorer l’impuissance des intellectuels, nous devrions exploiter la capacité de dire les mots justes au pouvoir en travaillant ensemble et en mobilisant notre capacité à créer collectivement les institutions nécessaires à un monde de gauche culturelle. Car c’est seulement dans un tel monde, et dans les chambres d’écho de l’intelligence critique qu’il génère, que les vérités énoncées pourraient effectivement être entendues, et ainsi changer les structures mêmes du pouvoir.

Gabriel Rockhill

Note du Saker Francophone

- Des deux parties de cet article, la 1ère est de loin la plus intéressante 
car elle met en contexte le paysage intellectuel français très polarisé des
années 70. À titre personnel j'y vois par exemple un lien avec
l'affaire Marchais révélée par L'Express en 1980, pour laquelle les
explications de J.-F. Revel m'ont toujours semblé pour le moins évasives.
- Il est tout à fait possible que la CIA ait programmé le débordement
de la gauche marxiste classique par la French Theory (rien que le nom...),
et on peut également se dire que cette théorie aura ensuite
été laissée libre de poursuivre sa trajectoire pour s'attaquer au socle
intellectuel et anthropologique occidental, empêchant ainsi toute pensée
critique structurée. Une sorte de gestion du chaos intellectuel, en fait.
Vous savez, les régressives études de genre, décoloniales, intersectionnelles etc.
En ce sens, malgré la pauvreté finale de son article, Gabriel Rockhill
aurait doublement raison.
- Vous trouverez ici un bon texte de Yannick Jaffré sur Katehon complétant celui-ci.

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

mercredi, 11 septembre 2019

Mettre l’Union européenne à l’heure suisse

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Mettre l’Union européenne à l’heure suisse

par Georges FELTIN-TRACOL

Chers Amis de TV Libertés,

Ancien directeur de La Tribune de Genève et député à l’assemblée cantonale de Genève d’abord sous l’étiquette démocrate-chrétienne, puis comme indépendant, le Russo-Suisse Guy Mettan vient de signer un essai qui mécontentera les européistes « bruxellobéats » et agacera les souverainistes nationaux, Le continent perdu. Plaidoyer pour une Europe démocratique et souveraines (les Éditions des Syrtes, 2019, 266 p., 19 €).

Il jette en effet un regard extérieur sur la question européenne ou, pour être plus précis, sur le devenir de l’Union européenne. Guy Mettan commet toutefois une erreur fréquente, celle de confondre l’Europe et l’Union dite européenne. L’auteur ne cache pas avoir été un chantre de l’adhésion suisse au grand ensemble continental voisin. Il en est aujourd’hui revenu au point de le qualifier de « machine déréglée (p. 109) » au « circuit législatif abscons (p. 123) » qui pratique « un coup d’État judiciaire permanent (p. 121) ». Il juge les institutions actuelles de l’UE ne pas être à la hauteur des défis.

Fort des précédents historiques, Guy Mettan s’inquiète de l’inertie croissante du processus européen qui suscite en revanche une décomposition étatique inouïe avec le Brexit, générateur d’une incroyable instabilité politique outre-Manche, les revendications indépendantistes de la Catalogne, de l’Écosse, de la Flandre ou les tentations illibérales en Europe centrale. Ces phénomènes politiques profonds affaiblissent des États européens qui deviendront bientôt des proies faciles pour la Chine ou l’Inde. Il craint par ailleurs que le destin des nations européennes soit de finir digérées par les États-Unis comme les cités grecques le furent par Rome…

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L’auteur déplore en outre la confrontation stérile entre de faux européistes qui croient l’UE comme un accélérateur de dépolitisation du monde au profit d ela technique, du droit et de l’économie, et des souverainistes populistes qui préfèrent se rétracter sur le seul cadre national. Guy Mettan ose pour sa part proposer un projet européen souverainiste et fédéraliste, ce qui peut paraître contradictoire pour un esprit français. Pas du tout quand on s’inspire de l’exemple helvétique. Ainsi défend-t-il que « l’Europe, plutôt que de vouloir devenir un empire non impérial, devrait au contraire avoir l’ambition de se transformer en un “ anti-empire ”, en un État fédéral fort, libre, démocratique, souveraine et respectueuse des autres (p. 222) ».

Hormis l’emploi dans une acception courante, inexacte et polémique du concept d’empire, l’auteur avance, à rebours de la doxa dominante, que le processus européen ne peut se concrétiser qu’autour de « la neutralité (ou le non-alignement) comme principe d’action (p. 248) ». Certes, « évoquer cette perspective, concède-t-il, fera naturellement bondir les atlantistes fanatiques et les intellectuels partisans de l’ingérence humanitaire et de la mission civilisatrice de l’Europe, censées apporter les lumières de la démocratie et des droits de l’homme au reste du monde plongé dans les ténèbres de la barbarie (idem) ». Si la neutralité coïncide à la spécificité suisse, correspondrait-elle à l’âme européenne définie naguère par Robert Dun ? Or il existe une subtile différence entre la neutralité et le non-alignement.

Charles De Gaulle esquissa aux débuts de la Ve République une diplomatie non-alignée en vive opposition avec le bloc atlantique anglo-saxon. La neutralité suisse est par nature dépolitisante puisqu’elle récuse toute puissance. Or, l’hypothétique non-alignement alter-européen qui impliquerait au préalable la fin de l’OTAN et la présence militaire étatsunienne serait quant à lui résolument politisé, axé sur la notion de puissance, et s’incarnerait dans une « Europe cuirassée » comme l’entendait Maurice Bardèche. L’État européen de demain (ou d’après-demain ?) pourra bien sûr se mettre à l’heure de Genève mais à la condition impérative de se placer au centre du grand jeu tragique des rapports de forces géopolitiques et non point à l’écart.

Bonjour chez vous !

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 136, mise en ligne sur TV Libertés, le 29 juillet 2019.

Pourquoi cette rupture entre la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles ?

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Pourquoi cette rupture entre la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles ?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

En Italie, la rupture qui vient de se produire le 7-8 Août entre les deux mouvements politiques La Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) jusqu'à présent alliés pour se partager le pouvoir, était prévisible aux yeux de beaucoup.

Ceux-ci sont profondément différents. La Ligue représente les puissants intérêts industriel de Turin et Milan, Cinq Etoiles voulant incarner les petites et moyennes entreprises de l'Italie centrale où le tourisme joue un rôle important.

Certes il y a un an ils s'étaient rapprochés pour combattre les nouveaux impôts que prévoyait le gouvernement précédent soumis aux impératifs de rentabilité imposés par l'Union Européenne. Mais la tension entre les deux alliés était apparente depuis de longs mois. Notamment depuis les élections européennes, au mois de mai 2019, qui se sont traduites par un triomphe de la Ligue et un échec retentissant pour le Mouvement 5 étoiles.

Des oppositions personnelles entre Matteo Salvini, chef de la Ligue  et Luigi di Maio, chef du L5S, étaient évidentes. Tous deux manifestement ambitionnaient d'exercer seuls le pouvoir, à titre personnel mais aussi au regard des multiples avantages que confère l'exercice du gouvernement dans un pays où règne encore une forte corruption.

Une intervention d'Outre Atlantique

Mais ceci n'est pas la seule explication. Il convient aussi de se demander si le gouvernement dit « populiste » qu'ils incarnaient au sein de l'Union européenne n'a pas provoqué l'alliance de tous les intérêts extérieurs à l'Italie qui craignaient de voir de leur fait remettre en cause l'influence qu'ils exercent sur l'Union européenne elle-même.

On doit penser notamment que le complexe militaro-industriel qui gouverne de fait à Washington a voulu arrêter ce qu'il considérait comme une dérive dangereuse du gouvernement italien, sous l'autorité de Matteo Salvini. vers un désengagement à l'égard d'une Union Atlantique dominée par les Américains, non seulement au plan économico-financier mais au plan diplomatique, ceci afin d'en faire une machine de guerre contre la Russie et la Chine.

Matteo Salvini avait en effet laissé entendre qu'il préparait une rencontre à Moscou avec Vladimir Poutine ou l'un de ses représentants les plus influents. L'objet en aurait été d'examiner le rôle que pourrait jouer l'Italie pour désamorcer les tensions, pour ne pas parler des menaces de conflits militaires, que préparait le Pentagone contre la Russie, coupable à ses yeux de combattre l'influence prise, en Europe du Nord et en Europe méditerranéenne, par les forces armées américaines.

Son tort encore plus grand avait été de favoriser l'ouverture de l'Italie au grand programme chinois dit des Nouvelles Routes de la Soie ou OBOR. Washington voit dans ce programme, non sans raison, une menace pour la domination quasi absolue qu'exercent encore les intérêts économiques et militaires américains en Europe.

 

mardi, 10 septembre 2019

Macron et la déshérence du projet occidental

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Macron et la déshérence du projet occidental

Par Nicolas Bonnal

Source nicolasbonnal.wordpress.com

Philippe Grasset a eu le nez creux en relevant ce texte extraordinaire. Que se passe-t-il quand le représentant du système se met à parler juste, quand il nous coupe l’herbe sous le pied ? Car Macron peut désintégrer son opposition antisystème avec ce discours aux ambassadeurs, qui succède à un faux G7-simulacre où le Donald s’est fait piéger comme un alevin.

Macron avait reçu Poutine après son élection, et il l’a revu à Brégançon, mettant fin à la débile/soumise diplomatie héritée des années Hollande-Obama. Et comme en plus il reconnaît la violence de l’ordre néo-libéral financiarisé et la logique des révoltés… en bref, on a un chef d’État qui a compris, ce qui vaut mieux qu’un chef d’État qui fait semblant de nous avoir compris. On étudiera ici la justesse de la pensée, et pas les résultats d’une politique qui nous indiffère du reste.

Et dans ce long discours (17 000 mots) dont on a surtout apprécié la première partie analytique, on a relevé cette observation sur la fin de la domination occidentale :

Nous le vivons tous ensemble ce monde et vous le connaissez mieux que moi, mais l’ordre international est bousculé de manière inédite mais surtout avec, si je puis dire, un grand bouleversement qui se fait sans doute pour la première fois dans notre histoire à peu près dans tous les domaines, avec une magnitude profondément historique. C’est d’abord une transformation, une recomposition géopolitique et stratégique. Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde.

Puis, comme un savant synthétiseur qu’il est, Macron rappelle finement :

Nous nous étions habitués à un ordre international qui depuis le 18ème siècle reposait sur une hégémonie occidentale, vraisemblablement française au 18ème siècle, par l’inspiration des Lumières ; sans doute britannique au 19ème grâce à la révolution industrielle et raisonnablement américaine au 20ème grâce aux 2 grands conflits et à la domination économique et politique de cette puissance. Les choses changent.

Oui, l’Angleterre c’était l’usine, l’Amérique la guerre (froide, tiède, interminable, et il le fait bien comprendre). La France c’était la culture.

Ensuite, surtout, ce président incrimine la médiocrité occidentale et ses méchantes manières :

Et elles sont profondément bousculées par les erreurs des Occidentaux dans certaines crises, par les choix aussi américains depuis plusieurs années et qui n’ont pas commencé avec cette administration mais qui conduisent à revisiter certaines implications dans des conflits au Proche et Moyen-Orient et ailleurs, et à repenser une stratégie profonde, diplomatique et militaire, et parfois des éléments de solidarité dont nous pensions qu’ils étaient des intangibles pour l’éternité même si nous avions constitué ensemble dans des moments géopolitiques qui pourtant aujourd’hui ont changé.

Puis on remarque que le monde est de facto multipolaire malgré les tweets de Dumb-Trump et Dumber-Bolton :

Et puis c’est aussi l’émergence de nouvelles puissances dont nous avons sans doute longtemps sous-estimé l’impact.

La Chine au premier rang mais également la stratégie russe menée, il faut bien le dire, depuis quelques années avec plus de succès. J’y reviendrai. L’Inde qui émerge, ces nouvelles économies qui deviennent aussi des puissances pas seulement économiques mais politiques et qui se pensent comme certains ont pu l’écrire, comme de véritables États civilisations et qui viennent non seulement bousculer notre ordre international, qui viennent peser dans l’ordre économique mais qui viennent aussi repenser l’ordre politique et l’imaginaire politique qui va avec, avec beaucoup de force et beaucoup plus d’inspiration que nous n’en avons.

Essentiel aussi, on souligne l’habileté et la stratégie de ces nouveaux venus (encore que l’Inde de Modi fasse plutôt grimacer) qui contraste avec l’absence de méthode des américains, digne du colonel Kurz :

Regardons l’Inde, la Russie et la Chine. Elles ont une inspiration politique beaucoup plus forte que les Européens aujourd’hui. Elles pensent le monde avec une vraie logique, une vraie philosophie, un imaginaire que nous avons un peu perdu.

L’occident, coquille vide qui a perdu le sens, cela nous fait un beau débat, qui va de Goethe à Valéry… Enfin un qui a compris que la Chine et la Russie sont dirigées de main de maître.

Vient une autre surprise. Le commis présumé des banques et des oligarques reconnaît que la matrice a fourché… Et cela donne :

D’abord elle s’est profondément financiarisée et ce qui était une économie de marché, que certains avaient pu même parfois théoriser en parlant d’économie sociale de marché et qui était au cœur des équilibres que nous avions pensé est devenue une véritable économie d’un capitalisme cumulatif où, il faut bien le dire, d’abord la financiarisation puis les transformations technologiques ont conduit à ce qu’il y ait une concentration accrue des richesses chez les champions, c’est-à-dire les talents dans nos pays, les grandes métropoles qui réussissent dans la mondialisation et les pays qui portent la réussite de cet ordre.

L’économie de marché nous replonge dans la pauvreté après un siècle et demi de succès :

Et donc l’économie de marché qui jusqu’à présent par la théorie des avantages comparatifs et tout ce que nous avions sagement appris jusque-là et qui permettait de répartir la richesse et qui a formidablement marché pendant des décennies en sortant de manière inédite dans l’histoire de l’humanité des centaines de millions de concitoyens du monde de la pauvreté, a replongé et conduit à des inégalités qui ne sont plus supportables. Dans nos économies, la France l’a vécu ces derniers mois, très profondément mais en fait nous le vivons depuis des années et dans le monde entier. Et cette économie de marché produit des inégalités inédites qui au fond viennent bousculer en profondeur là aussi notre ordre politique.

C’est l’économie des manipulateurs de symboles dont nous avions parlé en citant Robert Reich (« The work of nations« ).  Macron reconnaît et donc comprend la colère des classes moyennes :

Quand les classes moyennes qui sont le socle de nos démocraties n’y ont plus leur part, elles doutent et elles sont légitimement tentées ou par des régimes autoritaires ou par des démocraties illibérales ou par la remise en cause de ce système économique…

Et sur les britanniques qui ont voulu sortir de cette Europe bureaucrate notre orateur remarque :

Et au fond, ce que les brexiteurs ont proposé au peuple britannique qui était un très bon mot d’ordre : reprendre le contrôle de nos vies, de notre nation. C’est ce que nous devons savoir penser et agir dans une nation ouverte. Reprendre le contrôle. Fini le temps où on expliquait à nos concitoyens la délocalisation, c’est l’ordre des choses, c’est une bonne chose pour vous. Les emplois vont en Pologne ou en Chine, au Vietnam et vous allez retrouver le … on n’arrive plus à expliquer cette histoire. Et donc, nous devons trouver les moyens de peser dans la mondialisation mais aussi de repenser cet ordre international.

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Une bonne petite mise au point sur les américains :

Les États-Unis d’Amérique sont dans le camp occidental mais ils ne portent pas le même humanisme. Leur sensibilité aux questions climatiques, à l’égalité, aux équilibres sociaux qui sont les nôtres n’existe pas de la même manière.Il y a un primat de la liberté qui caractérise d’ailleurs la civilisation américaine très profondément et qui explique aussi nos différences même si nous sommes profondément alliés. Et la civilisation chinoise n’a pas non plus les mêmes préférences collectives pour parler pudiquement, ni les mêmes valeurs.

Car Macron voudrait éviter la soumission à un bloc ou à l’autre. Il faudrait donc l’Europe.  Il ajoute étonnamment :

Le projet de civilisation européenne ne peut pas être porté ni pas par la Hongrie catholique, ni par la Russie orthodoxe. Et nous l’avons laissé à ces deux dirigeants par exemple, et je le dis avec beaucoup de respect, allez écouter des discours en Hongrie ou en Russie, ce sont des projets qui ont leurs différences mais ils portent une vitalité culturelle et civilisationnelle, pour ma part, que je considère comme erronée mais qui est inspirante.

Il préfère se réclamer de la Renaissance et des Lumières. Aucun commentaire.

Il nous rassure sur son armée :

Nous sommes en passe de devenir de manière indiscutable la première armée européenne par les investissements que nous avons décidé, par la loi de programmation militaire, par la qualité de nos soldats et l’attractivité de notre armée. Et aujourd’hui, en Europe, personne n’a cette vitalité et personne n’a décidé ce réinvestissement stratégique et humain. Ce qui est un point essentiel pour pouvoir peser. Et nous restons une grande puissance diplomatique, membre permanent du Conseil de sécurité, au cœur de l’Europe et au cœur de beaucoup de coalitions.

Il met en garde sur la Russie, tel John Mearsheimer :

Je pense en plus que pousser la Russie loin de l’Europe est une profonde erreur stratégique parce que nous poussons la Russie soit à un isolement qui accroît les tensions, soit à s’allier avec d’autres grandes puissances comme la Chine, qui ne serait pas du tout notre intérêt.

Une mise au point pour l’Amérique :

Mais pour le dire en termes simple, nous ne sommes pas une puissance qui considère que les ennemis de nos amis sont forcément les nôtres ou qu’on s’interdit de leur parler…

Et d’ajouter sur cette architecture de confiance et de sécurité qui lui avait valu les gluants sarcasmes du Donald :

Nous sommes en Europe, et la Russie aussi. Et si nous ne savons pas à un moment donné faire quelque chose d’utile avec la Russie, nous resterons avec une tension profondément stérile. Nous continuerons d’avoir des conflits gelés partout en Europe.

Je crois qu’il nous faut construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie.Ce n’est pas l’intérêt de certains de nos alliés, soyons clairs avec ce sujet.

On rappelle les faiblesses de la Russie – en les outrant certainement :

… cette grande puissance qui investit beaucoup sur son armement, qui nous fait si peur a le produit intérieur brut de l’Espagne, a une démographie déclinante et un pays vieillissant, et une tension politique croissante. Est-ce que vous pensez que l’on peut durer comme cela ? Je pense que la vocation de la Russie n’est pas d’être l’alliée minoritaire de la Chine…

Sur la Chine il rappelle :

Nous respectons les intérêts et la souveraineté de la Chine, mais la Chine doit elle aussi respecter pleinement notre souveraineté et notre unité, et sur ce plan la dynamique européenne est essentielle. Nous avons commis des erreurs profondes il y a 10 ans sur ce sujet.

Que d’erreurs occidentales décryptées… Et pour parler comme Laetitia, « pourvu que ça dure », cette lucidité et ce rapprochement avec la Russie. Pour le reste, les rassemblements nationaux et autres France insoumises ont du souci à se faire. Et les antisystèmes aussi…

Le fait d’avoir assimilé le basculement mondial de ces dernières décennies et d’avoir pris la mesure des inégalités créées par une économie postindustrielle ne donne pas à cette présidence une garantie pour échapper à l’échec ou à la manip’ ; mais reconnaissons aussi que pour la première fois depuis longtemps un esprit présidentiel est capable de saisir et d’analyser les grandes transformations de cette époque étrange.

lundi, 09 septembre 2019

Dans les coulisses de la construction européenne

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Dans les coulisses de la construction européenne

par Georges FELTIN-TRACOL

« L’affichage d’une super-nation européenne n’est qu’un discours d’apparence. On voit bien qu’il n’y a pas d’« Europe-puissance » en vue, qu’il n’y en a jamais eu. Et que tous les protagonistes ont toujours fini par renoncer, de gré ou de force, à l’Europe européenne. Au contraire, on fabrique, en secret, une Europe de la diminutio capitis vassalisée, aliénée, soumise, et donc impuissante (p. 150). » Désormais retiré de la vie politique active, Philippe de Villiers résume dans ce nouvel ouvrage ses recherches dans les archives consacrés au processus européen.

Depuis la campagne du « non » à Maastricht en 1992 et la liste eurosceptique de 1994 sur laquelle figurait le milliardaire franco-britannique Jimmy Goldsmith, il pourfend une certaine Europe, celle des atlantistes, des fonctionnaires et des financiers. Il adopte les mâles propos de l’ancien Garde des Sceaux du Général De Gaulle, Jean Foyer, pour qui « leur Europe n’est pas un but, c’est une “ construction ” sans fin : elle se définit par son propre mouvement. Ce traité a été pensé, écrit même, pour faire coulisser un nœud coulant invisible. Il suffit de resserrer chaque jour le nœud : celui dont les juristes, les commissaires, tiennent la corde, et plus encore le nœud prétorien, le nœud des juges qui vous glissent la corde autour du cou (p. 153). » Député français au Parlement européen par intermittence entre 1994 et 2014, l’ancien président du Mouvement pour la France (MPF) a assisté à la neutralisation politique de l’Union européenne, corollaire de la prépondérance bureaucratique, car « selon la théorie fonctionnaliste qui vient des États-Unis, la plupart des questions appellent des réponses techniques (p. 135) ».

Contre le trio fondateur

PhV-fil.jpgPhilippe de Villiers en vilipende les fondements intellectuels. Ceux-ci reposeraient sur un trio infernal, sur une idéologie hors sol ainsi que sur un héritier omnipotent. Le trio regroupe Robert Schuman, Walter Hallstein et Jean Monnet. Le premier fut le ministre démocrate-chrétien français des Affaires étrangères en 1950. Le deuxième présida la Commission européenne de 1958 à 1967. Le troisième incarna les intérêts anglo-saxons sur le Vieux Continent. Ensemble, ils auraient suscité un élan européen à partir des prémices du droit national-socialiste, du juridisme venu d’Amérique du Nord et d’une défiance certaine à l’égard des États membres. Quant à l’héritier, il désigne « le fils spirituel (p. 255) », George Soros.

J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu est un gros pamphlet au ton partial. L’ancien président du conseil général de Vendée accuse par exemple Robert Schuman, né à Luxembourg, d’avoir été Allemand pendant la Première Guerre mondiale, puis d’être resté pacifiste au conflit suivant. Villiers regrette ouvertement que la famille Schuman n’ait pas choisi la France en 1871. Il cite à contre-sens l’un de ses biographes, François Roth dans son Robert Schuman (1), pour qui « Schuman n’avait pas le sens de la frontière, car il se sentait chez lui dans tout l’espace lotharingien, en Lorraine, en Alsace, au Luxembourg, en Belgique et dans les pays du Rhin (p. 66) ». En homme du bocage de l’Ouest, Villiers ne peut pas comprendre ce sentiment propre aux marches de l’Est, qui dépasse la sotte « Ligne bleue des Vosges », cette nostalgie rémanente qui liait Robert Schuman au Chancelier Konrad Adenauer, favorable au début des années 1920 à l’autonomie de la Rhénanie, et à l’Italien Alcide De Gasperi, longtemps sujet de l’Empire d’Autriche – Hongrie en tant que natif du Trentin – Haut-Adige – Tyrol du Sud. Ils concevaient la politogenèse européenne comme la reconstitution de l’Empire carolingien sur une assise territoriale franque correspondante à la Francie médiane de l’empereur Lothaire, l’aîné des petits-fils de Charlemagne.

Le parti-pris de Philippe de Villiers l’entraîne à considérer que « les architectes de l’Europe n’étaient pas des réfractaires à l’ordre de la peste brune : Schuman fut frappé d’« indignité nationale », il n’a jamais résisté, il était à Vichy. Monnet s’appuya sur la pensée d’Uriage, c’est-à-dire de Vichy. Il n’a jamais résisté non plus. Le troisième “ Père de l’intégration européenne ”, Hallstein, fut un officier instructeur du nazisme. Il a servi Hitler. Il prétendait même que la grande Europe connaissait là ses premiers épanouissements. L’assimilation des eurosceptiques au prurit fasciste des années trente est insupportable. L’européisme fut nourri au lait de ses premières comptines dans le berceau de la Collaboration et du nazisme. Et, depuis soixante-dix ans, on nous l’a caché (pp. 268 – 269) ». Il veut faire croire au lecteur qu’il vient de découvrir un scandale historique. Il n’est guère étonnant que la bibliographie ne mentionne pas « L’Europe nouvelle » de Hitler de Bernard Bruneteau (2) qui étudie l’« européisme des années noires ». Sans ce malencontreux oubli, Villiers n’aurait pu jouer à peu de frais au preux chevalier.

Un antifa qui s’ignore ?

hallstein.jpgOutre le rappel du passé national-socialiste de Hallstein, il insiste que Robert Schuman, « le père de l’Europe fut ministre de Pétain et participa à l’acte fondateur du régime de Vichy (p. 67) ». Oui, Robert Schuman a appartenu au premier gouvernement du Maréchal Pétain. Il n’était pas le seul. Philippe de Villiers ne réagit pas quand Maurice Couve de Murville lui dit à l’occasion d’une conversation au Sénat en juillet 1986 : « Je me trouvais à Alger […] quand Monnet a débarqué. J’étais proche de lui, depuis 1939. À l’époque, j’exerçais les fonctions de commissaire aux finances de Vichy (p. 109). » L’ancien Premier ministre du Général De Gaulle aurait pu ajouter que membre de la Commission d’armistice de Wiesbaden, il était en contact quotidien avec le Cabinet du Maréchal. Sa présence à Alger n’était pas non plus fortuite. Il accompagnait en tant que responsable des finances l’Amiral Darlan, le Dauphin du Maréchal !

L’auteur oublie facilement qu’en 1918 – 1919, la République française réalisa une véritable épuration ethnique en expulsant des milliers d’Allemands installés ou nés en Alsace – Lorraine depuis 1871. Il considère par ailleurs l’École des cadres d’Uriage comme la matrice intellectuelle de la pensée officielle eurocratique. Or il ne cite jamais la somme magistrale de Bernard Comte, Une utopie combattante (3), qui montre qu’après sa fermeture en 1942, bien des élèves d’Uriage ont rallié les maquis et la France combattante. Philippe de Villiers n’a-t-il pas lu ce qu’a écrit Éric Zemmour à ce sujet ? « Paul Delouvrier, qui aménagera le quartier de La Défense sous les ordres du général de Gaulle, penant les années 1960, écrit son commensal à La Rotonde, avait été formé par l’école des cadres d’Uriage, créée par Vichy. Cette même école où Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde, avait fait ses premières armes (4). » Villiers verse dans le manichéisme le plus simpliste.

Il a en revanche raison d’insister sur Jean Monnet dont « l’œuvre à produire [ses mémoires] a […] été commandée et financée par les Américains (p. 36) ». L’actuelle Union dite européenne sort tout droit des vœux cosmopolites du négociant bordelais. « Ni Europe des États ni Europe-État, l’Union est une broyeuse œuvrant au démantèlement progressif des lois et réglementations nationales et à la régulation au moyen d’un abondant flux de normes introduites dans les systèmes juridiques nationaux. Ce réaménagement bouleverse l’ordonnancement hiérarchique des pouvoirs, c’est-à-dire des États, des souverainetés et des relations internationales telles qu’elles s’étaient construites après-guerre (p. 160). » En effet, « on ne saurait mieux dire que, sous le beau nom d’« Union européenne », se cache une entreprise de liquidation de l’Europe et des Européens véritables, une entreprise littéralement antieuropéenne (p. 229) ». Qui en porte la responsabilité ? L’auteur ne répond pas vraiment. Certes, il mentionne « l’European Council on Foreign Relations, le premier think tank paneuropéen (p. 130) » et s’attarde sur les pages 162 à 164 sans jamais entrer dans les détails le Club Bilderberg. « Jean Monnet s’est trouvé ainsi au point de rencontre de la Révolution bolchevique et de la haute finance anglo-saxonne. Peut-être a-t-il cru, comme tant d’autres Anglo-Saxons, à l’époque, qu’un mariage était possible entre les deux systèmes, et que ce mariage des contraires enfanterait un monde unifié, sous clé américaine (p. 94). » Jamais l’auteur ne cite les travaux précurseurs de Pierre Hillard qui se penche sur le sujet depuis au moins deux décennies. Il aurait pu seulement se reporter à sa récente préface au Nouvel Ordre mondial de H.G. Wells (5). Villiers garde le silence sur la Commission Trilatérale et sur d’autres officines mondialistes d’origine anglo-saxonne tout aussi nuisibles que celles qu’il cite. Pis, il croit révéler que la CIA finançait dans les années 1950 et 1960 les organisations paneuropéennes dont les mouvements de l’ancien résistant Henri Frenay. Or Robert Belot dans sa biographie sur ce dernier (6) y consacrait plusieurs chapitres dès 2003 !

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Impuissante union

Le fondateur du Puy du Fou a en revanche bien compris l’intérêt des Étatsuniens de se servir de l’Union dite européenne comme d’un domestique efficace et obéissant. « Cette entreprise s’alimenta de la conviction profonde chez les Américains que leur architecture fédérale devait être transplantée en Europe, et ailleurs dans le monde. Les Américains sont convaincus de la supériorité de leur Constitution sur toutes les autres, en ce qu’elle permettrait le vivre-ensemble de populations venues de la terre entière qui se reconnaîtraient ainsi comme les nationaux d’une puissance universelle (p. 115). » De quoi de plus normal que déplorer dans ces conditions l’impuissance volontaire de l’entité pseudo-européenne ? « Où est donc le “ bouclier ” qu’était censé incarner l’euro, quand les entreprises européennes doivent fuir d’Iran sur injonction américaine, au nom des privilèges extraterritoriaux du “ roi dollar ”, et quand les banques européennes sont tétanisées dès qu’il est question d’un contrat avec un partenaire russe ou iranien ? Que peut donc bien signifier l’affichage d’une politique de défense européenne, alors qu’en réalité c’est à l’OTAN, c’est-à-dire aux États-Unis, que celle-ci est déléguée, avec, pour contrepartie, l’obligation de s’approvisionner en armements américains ? Le choix récent du chasseur F35 américain par la Belgique pour moderniser sa flotte de combat est emblématique (p. 277). » Il en résulte une monstruosité historique, géopolitique et juridique sans précédent. « Cette Europe-là a immolé son enveloppe charnelle, c’est une Europe sans corps. C’est l’union post-européenne. Elle se présente comme un marché ouvert et un espace en extension indéfinie, aux domaines de compétences eux-mêmes en expansion illimitée. L’Union européenne est un espace et un marché sans existence particulière, sans être propre, bientôt pulvérisée en une poussière d’impuissances et d’insignifiances. Ayant stérilisé la vie, elle s’avance dans le troisième millénaire au pas lourd d’un éléphant en phase terminale. Elle n’a pas cherché à être un corps politique, elle n’est qu’un corpus juridique : peu à peu, elle se retire pour faire la place à l’Autre (p. 213). » Pourquoi ? « Jean Monnet ne voulait pas d’une super-nation européenne qui viendrait fondre les nations préexistantes, à l’inverse de quelques-uns de ses disciples. […] “ Le plus grand danger pour l’Europe, ce serait un patriotisme européen ” (p. 160). » Incroyable aveu de la part du Bordelais ! Il convient par conséquent de détourner l’idée européenne en l’orientant vers un authentique esprit identitaire et une véritable aspiration à la puissance géopolitique propre à ce grand espace civilisationnel invertébré. Promouvoir un patriotisme européen, voire un « souverainisme », un « nationalisme » ou même un nouvel intégralisme continental, est une impérieuse et vitale nécessité.

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Digne successeur de Jean Monnet, un personnage interlope combat cette perspective, lui qui s’épanouit dans la fluidité et la plasticité du monde occidental. L’auteur cite la remarquable enquête de Pierre-Antoine Plaquevent, (7). On connaît la nocivité, sinon la malfaisance de George Soros. Philippe de Villiers ajoute que « Soros pèse sur d’autres organisations supranationales. Son influence sur la nomination des juges auprès de la Cour européenne des droits de l’homme est de plus en plus visible et redoutée. Plusieurs juges de la CEDH sont des “ anciens ” de chez Soros, car le règlement de cette cour permet à une personne d’être nommée juge même si elle n’a jamais exercé auparavant la fonction de magistrat. Ainsi, les anciens “ militants des droits de l’homme ” deviennent les arbitres du contentieux entre les citoyens et leurs États respectifs, et imposent leur vision radicalement déformée de la nature humaine pour travailler à un véritable changement de civilisation (pp. 265 – 266) ». Un peu comme au Conseil constitutionnel français qui accueille à peu près n’importe qui, mais jamais un Jean-Marie Le Pen ou un Bruno Gollnisch…

Méconnaissance du fédéralisme

Épris du modèle westphalien de l’État-nation, Philippe de Villiers juge que « l’Europe n’a pas de langue commune, ni de frontières véritables ou définitives. Au contraire des États-Unis et de toutes les nations fédérales du monde, il n’y a pas de peuple fédéral en Europe. Et l’on ne fait pas de fédération sans fédérateur. À moins de le choisir à l’extérieur (p. 116) ». Il ignore sûrement que le modèle fédéral concerne des citoyens de peuples différents. Les États-Unis d’Amérique constituent un cas très particulier puisqu’ils représentent le plus vaste dépotoir génétique ultra-individualiste de l’histoire seulement tenue par les médiats, une « justice » intéressée et la croyance suprémaciste en la « destinée manifeste ». Si chaque fédération est spécifique, la plupart des ensembles fédéraux savent inclure divers peuples, langues et religions, d’où des institutions complexes et bigarrées. Sans aller jusqu’à étudier l’Inde, Philippe de Villiers aurait pu se focaliser sur la seule Suisse. Nulle part dans son ouvrage, l’auteur ne mentionne l’hégémonie de l’anglais, ou plus exactement du globish, dans les institutions pseudo-européennes, y compris à l’heure du Brexit. Une fois la Grande-Bretagne sortie de la pétaudière bruxelloise, l’anglais devrait perdre son rang de langue d’usage au sein de l’UE puisque aucun des 27 n’a désormais la langue de Shakespeare comme langue officielle (Malte et l’Irlande, deux États anglophones au quotidien, ont le gaélique et le maltais). Ce silence surprenant.

Malgré tout le tintamarre orchestré autour de J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu, ce livre n’éclaire qu’une partie du désastre. L’Hexagone est lui aussi pleinement infesté par ce que dénonce l’auteur à l’échelle européenne et qui atteint aussi les patries charnelles. Pourquoi se tait-il à propos de la French American Foundation ? N’a-t-il jamais rencontré au cours de sa carrière politique des habitués aux soirées de l’ambassadeur yankee à Paris ? Philippe de Villiers révèle finalement bien peu de choses à l’esprit averti féru de questions européennes. Son livre reflète toutefois la pesanteur accrue d’une formidable chape de plomb qui asphyxie toute réflexion intellectuelle en France. Un universitaire souverainiste lui déclare à propos des documents parus en annexes : « — Ce n’est pas de la timidité, c’est de la prudence. Les universitaires ne sont pas téméraires.

— Il y aurait vraiment des risques à publier la copie des archives ?

— Oui, le risque de perdre sa chaire, sa charge d’enseignement, son job, son éditeur… (p. 20) »

Comme l’aventure européenne, l’Université française ressemble toujours plus à un navire en perdition. L’américanisation de ses structures et le nivellement par le bas des étudiants projettent à vive allure les générations dans le mur, sinon vers le précipice. Le mensonge est total; il a été très bien assimilé par la population.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : François Roth, Robert Schuman, Fayard, 2008, p. 201.

2 : Bernard Bruneteau, « L’Europe nouvelle » de Hitler. Une illusion des intellectuels de la France de Vichy, Éditions du Rocher, coll. « Démocratie ou totalitarisme », 2003.

3 : Bernard Comte, Une utopie combattante. L’École des cadres d’Uriage, préface de René Rémond, Fayard, coll. «Pour une histoire du XXe siècle », 1991.

4 : Éric Zemmour, Destin français, Albin Michel, 2018, p. 526.

5 : H.G. Wells, Le Nouvel Ordre mondial, préface de Pierre Hillard, Éditions du Rubicon, coll. « Influences », 2018.

6 : Robert Belot, Henri Frenay. De la Résistance à l’Europe, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 2003.

7 : Pierre-Antoine Plaquevent, Soros et la société globale. Métapolitique du globalisme, avant-propos de Xavier Moreau et postface de Lucien Cerise, Le retour aux sources, 2018.

• Philippe de Villiers, J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu, Fayard, 2019, 415 p., 23 €.

dimanche, 08 septembre 2019

Introduction succincte à la géopolitique et à l’historiographie géopolitique des Bas-Pays

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Louvain, 17 novembre 2018

Discours tenu lors du IIème Colloque du « Geopolitiek Instituut Vlaanderen-Nederland »

Introduction succincte à la géopolitique et à l’historiographie géopolitique des Bas-Pays

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

GIVN-RS.jpgLes principaux manuels de géopolitiques, notamment celui que le Professeur David Criekemans a rédigé selon les critères de la plus haute scientificité dans le cadre de l’Université de Louvain, commencent presque toujours par une histoire de cette discipline depuis les premières tentatives de saisir conceptuellement les faits géographiques, non pas tant dans une perspective purement empirique mais surtout dans une perspective stratégique, notamment à l’aide de la cartographie établie par Carl Ritter, de l’anthropo-géographie de Ratzel ou des définitions données par le Suédois Rudolf Kjellén. C’est, personne ne le niera, un travail des plus utiles, ce qui était aussi mon intention lorsque feu le Professeur Jean-François Mattéi m’avait invité à présenter les penseurs de la géopolitique dans sa remarquable Encyclopédie des Œuvres philosophiques entre 1990 et 1992, encyclopédie qui fut ultérieurement publiée aux Presses Universitaires de France. L’intention du Prof. Mattéi correspondait à celle qu’avait déjà formulée le géopolitologue Yves Lacoste, à savoir élargir le cadre de la discipline, philosophique pour le premier, géographique/géopolitique pour le second. Mattéi voulait donc élargir le champ de la philosophie, tout simplement parce que plus aucune philosophie sérieuse ne peut encore être pensée sans tenir compte du temps et de l’espace, de l’émergence de tous les phénomènes, faits, modes de pensée et aspirations religieuses ou éthiques qui, tous, nécessairement, se déploient en des lieux et des périodes précises qu’ils influencent ensuite en profondeur, les inscrivant dans la durée et leur assurant une résilience difficilement éradicable.

Yves Lacoste, fondateur et ancien éditeur de la célèbre revue Hérodote, voulait, lui aussi, élargir le champ scientifique de sa propre discipline, la géographie, dans le sens où même la description la plus purement factuelle d’un espace géographique ou d’une zone maritime sert le chef de guerre, si bien que, de ce fait, elle cesse d’être une science véritablement exacte : la géographie sert donc à faire la guerre, dit Lacoste, et toute guerre est menée au départ d’une perspective politique, historique ou religieuse, où des valeurs organiques, par définition non rationnelles, jouent un rôle toujours décisif, état de choses qui fait que tout géopolitologue doit prendre en considération ces valeurs, notamment à cause des dynamiques qu’elles suscitent, de l’impact qu’elles ont ensuite sur l’organisation d’un pays, de son agriculture et de ses armées, même si cet impact n’est pas exclusivement de nature géographique.

YL-géo.jpgLacoste a prouvé que la géographie sert les chefs de guerre en démontrant que les premières tentatives de dessiner des cartes dans la Chine de l’antiquité servaient à indiquer les voies à suivre aux chefs de guerre, de manière à ce qu’ils puissent mouvoir leurs armées de manière optimale dans les paysages et terrains divers de leur propre pays ou dans le pays de l’ennemi. Ensuite, dans un livre succinct, mais rédigé de manière magistrale, il nous a montré que le Prince Henri du Portugal, Anglais par sa mère, a fondé  et soutenu son « école de la mer »  afin de trouver de nouvelles voies maritimes extra-méditerranéennes pour que l’écoumène chrétien/européen de son époque puisse trouver le chemin vers les épices indiennes et vers le mystérieux « Cathay » en échappant aux blocus terrestres et maritimes que lui imposait le contrôle turc/ottoman des accès aux routes continentales vers l’Asie et des voies maritimes en Méditerranée. Quelques décennies plus tard, les Portugais livreront bataille dans la Corne de l’Afrique et des navires lusitaniens surgiront face aux côtes du Gujarat en Inde pour vaincre glorieusement une flotte musulmane. Tant les seigneurs de la guerre que les empereurs chinois du monde antique et que le Prince Henri du Portugal ont donc fait dessiner des cartes pour que des militaires ou des marins avisés puissent mener la guerre ou des expéditions exploratrices de manière optimale. Le raisonnement de Lacoste est parfaitement exact, et fut posé en dépit de son engagement idéologique dans les rangs de la gauche pacifiste.

Halford John Mackinder prononce un célèbre discours en 1904 en Ecosse où il évoque le Heartland, la « Terre du Milieu » ou le « Cœur du Monde », capable de se soustraire à tous les efforts que la puissance navale britannique pourrait déployer pour y détruire la puissance continentale, russe, allemande ou chinoise, qui en serait devenue la maîtresse parce que le feu terrifiant des dreadnoughts de la flotte anglaise ne pourrait frapper ses points névralgiques. La puissance navale britannique se voyait dès lors contrainte de neutraliser et d’occuper, dans la mesure du possible, les rimlands, les bandes littorales plus ou moins profondes, du grand continent eurasiatique et de les « protéger » contre toute tentative du Heartland de les conquérir. On a appelé cette stratégie la stratégie de l’endiguement (containment), y compris après 1945, après que l’alliance entre les puissances anglo-saxonnes et l’Union Soviétique se soit dissoute et que les anciens partenaires soient devenus ennemis dans le cadre de la guerre froide. Les Etats-Unis vont alors organiser militairement les rimlands, en créant trois organisations défensives : l’OTAN, le CENTO (ou « Pacte de Bagdad », dissout partiellement en 1958 après le retrait de l’Irak baathiste) et l’OTASE pour l’Asie du Sud-Est. Après Mackinder, qui meurt en 1947, cette nouvelle stratégie de la guerre froide est théorisée par Nicholas Spykman, un stratégiste et géopolitologue américain d’origine néerlandaise, dont l’itinéraire et les idées ont été récemment étudiées par le Prof. Olivier Zajec, par ailleurs auteur d’une Introduction à l’analyse géopolitique (Ed. du Rocher, sept. 2018). On peut donc parler d’une lutte quasi permanente entre puissances continentales et puissances maritimes, permanence immuable sur l’échiquier global que ne cesse d’explorer et d’expliciter le discours géopolitique.

RH-geo.pngMais s’il existe des permanences immuables en géopolitique, comment devons-nous repérer celles qui se manifestent dans le cadre géographique de nos bas pays ? La méthode, que je souhaite utiliser ici, et que j’ai toujours utilisée notamment dans l’écriture de ma trilogie, qui porte pour titre Europa, est celle d’un géopolitologue non politisé du temps de la République de Weimar. Son nom était Richard Henning (1874-1951), auteur d’un ouvrage très copieux, Geopolitik – Die Lehre vom Staat als Lebewesen, qui a connu cinq éditions successives. Henning avait une écriture très claire, limpide, n’utilisait jamais un jargon compliqué et illustrait chacun de ses arguments par des cartes précises. Au départ, sa discipline était la géographie des communications et des transports, renforcée par une géographie historique, où il mettait toujours l’accent sur le rôle des états, des hommes d’état et des surdoués politiques dans l’organisation et la transformation des espaces. Sa thèse centrale était de dire, à son époque, que les données spatiales d’un peuple devaient être davantage valorisées conceptuellement plutôt que les facteurs raciaux, ce qui le fit entrer en conflit avec les thèses officielles du pouvoir sous le Troisième Reich, même si, Prussien natif de Berlin, il défendait le principe clausewitzien d’une nécessaire militarisation défensive de tout état, en tenant compte, bien sûr, du vieil adage romain, Si vis pacem, para bellum. Dans les années 50 et 60 du 20ème siècle, son œuvre exerça une influence importante en Argentine sous le régime du Général Juan Peron et, plus tard, s’est retrouvée en filigrane dans les cours des écoles militaires du pays.

pye-livre.jpgPar suite, si je privilégie l’exemple d’un historien-géographe comme Henning dans ma façon de raisonner en termes géopolitiques, je dois me limiter aux bas pays dans un exposé aussi bref que celui que je vais tenir aujourd’hui à Louvain, car il m’est impossible de parler de tous les pays qu’Henning a étudiés. Le temps qui m’est accordé est de fait limité et mon exposé se bornera à suggérer un certain nombre de pistes que nous devrons, ultérieurement, approfondir tous ensemble. Dans un ouvrage relativement récent de l’historien britannique Michael Pye, The Edge of the World – How the North Sea Made Us Who We Are (Viking/Penguin, London, 2014), nous trouvons, très largement esquissé, un cadre historique précis dans lequel Pye suggère l’émergence d’une histoire culturelle particulière qui se déploie, du moins au tout début de notre histoire, entre l’Islande et Calais et entre le Skagerrak danois/norvégien et les eaux de la Mer Baltique. Pour Pye, c’est en cette région que nait un monde à part, qui entretient certes des contacts, d’abord ténus, avec l’espace méditerranéen tout en restant plutôt autonome dans ses limites intérieures et où Bruges en constitue la plaque tournante méridionale à proximité du Pas-de-Calais. La Flandre médiévale abrite de ce fait le port principal de cette région de la Mer du Nord et de la Baltique qui doit nécessairement entretenir des contacts avec la Normandie, la Bretagne et surtout les côtes atlantiques du nord de l’Espagne, principalement le Pays Basque puis le Portugal, libéré par des croisés venus justement de toutes les régions du pourtours de la Mer du Nord, opération réussie dès le 12ème siècle qui démontre qu’il y avait une visée géopolitique implicite cherchant à étendre l’écoumène nordique à toutes les côtes de l’Atlantique européen. Cette Flandre prospère, pointe avancée vers le sud de cet espace nordique défini par Pye, cherche aussi à ouvrir une voie terrestre entre le Pays Basque et la Catalogne, sur le cours de l’Ebre, voie la plus courte vers les produits de la Méditerranée à une époque où la péninsule ibérique est encore sous contrôle musulman et ne peut être contournée sans danger.

Le site particulier de la Mer du Nord détenait pourtant sa spécificité bien avant le dynamisme marchand et hanséatique de la Flandre médiévale : bien peu d’entre nos contemporains se souviennent encore d’une figure de l’époque romaine dans nos régions. Il s’agit d’un militaire romain du nom de Carausius. Il vécut au 3ème siècle, était ethniquement parlant un Ménapien, originaire de la Gallia Belgica. Après plusieurs décennies de turbulences dans les Gaules romaines, il est nommé par ses troupes « Imperator Britanniarum » ou « Empereur du Nord ». Il a régné à ce titre sur les provinces romaines de Britannia, de Gallia Belgica Prima et Secunda pendant treize ans. Commandant de la « Classis Britannica », c’est-à-dire de la flotte de la Manche, il avait reçu pour tâche de détruire la piraterie franque et saxonne qui en écumait les eaux, troublant le commerce de l’étain en provenance des Cornouailles. Les Romains l’ont accusé de coopérer avec ces pirates pour acquérir personnellement du butin. En réaction contre ces accusations, il se crée un propre empire dans la Manche et la Mer du Nord (Mare Germanicum) avec l’appui de quatre légions, de troupes auxiliaires indigènes, de sa propre flotte et de celle des pirates qu’il avait dû préalablement combattre, avant de s’en faire des alliés. Il est assassiné en 293. Carausius, toutefois, est le premier chef de guerre, sur terre et sur mer, qui a considéré l’ensemble de nos régions comme une unité géostratégique, non plus seulement autour des trois grands fleuves, le Rhin, la Meuse et l’Escaut mais autour des espaces maritimes de la Manche et de la Mer du Nord.

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L’approche romaine du territoire était plutôt axée sur les rivières : en effet, César a d’abord dû contrôler le bassin du Rhône pour le protéger contre les Helvètes celtiques ou contre les Germains d’Arioviste qui, au départ de la Forêt Noire, traversaient le Rhin à hauteur de Bâle, remontaient le Doubs, soit le principal affluent de la Saône qui, elle, était le principal affluent du Rhône. Or si l’on veut contrôler le cours tout entier de la Saône, on doit tenir aussi le Plateau de Langres, principal château d’eau des Gaules, où la Seine et la Marne, et aussi la Meuse, prennent leur source. Toute puissance qui entend utiliser l’atout hydropolitique du Plateau de Langres doit également avoir pour but le contrôle des bassins de la Seine, de la Meuse et de la Moselle et toute puissance qui veut empêcher que le Doubs devienne la première porte d’entrée des Germains en marche vers Provence, contrôlée par Rome, doit nécessairement contrôler le Rhin jusqu’à son embouchure dans la Mer du Nord.

Le destin géopolitique des bas pays dépend donc des rivières et fleuves, surtout de la Meuse et de l’Escaut et aussi, en ce qui concerne le Luxembourg, de la Moselle. Mais ils dépendent aussi de l’écoumène qui a surgi, au cours de l’histoire, autour de la Mer du Nord depuis l’époque de ce fameux Carausius, dont l’un des héritiers sera le Danois Knut ou Canute au début du 11ème siècle, qui règnera sur l’Angleterre, la Norvège et le Danemark.

L’écoumène de la Mer du Nord a été lié, pendant toute l’époque médiévale, à la Mer Baltique, avec le Danemark comme plaque tournante, un Danemark qui exigeait parfois d’énormes droits de passage pour les navires flamands ou anglais qui entendaient se rendre dans les eaux de la Baltique. La Hanse, bien qu’elle constitue un idéal pour ceux qui rêvent d’un monde nordique autonome, à l’abri des turbulences de la Méditerranée, n’a pourtant pas été une structure idéale à cause des concurrences diverses qui surgissaient entre les villes qui la composaient et à cause d’alliances parfois problématiques entre certaines villes et certains pirates contre d’autres villes et d’autres pirates. Plus tard, la Prusse, puissance montante dans l’hinterland des deux mers, aura pour objectif géopolitique d’en contrôler les côtes et d’en éliminer toutes les formes de concurrence stérile, en s’opposant parfois à la Suède.

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Revenons au continent. Lorsque les petits-fils de Charlemagne se partagent l’Empire de leur aïeul lors du Traité de Verdun en 843, cette division de l’héritage est souvent apparue comme absurde. Or elle était rationnelle dans la mesure où les trois héritiers se partageaient des bassins fluviaux. Leur géopolitique implicite était de fait une hydropolitique. A Verdun en 843 s’amorce une dynamique qui conduira aux trois guerres franco-allemandes depuis 1870. Le plus jeune des petits-fils, Louis, dit Louis le Germanique, s’empare in fine de la partie centrale qui avait été dévolue à feu son frère aîné, Lothaire, ce qui heurte les intérêts de Charles, devenu roi de la Francie occidentale, la future France, qui fera tout pour reprendre les deux parties de la grande « Lotharingie » de Lothaire, en vain dans la première phase de cette lutte pluriséculaire. L’héritage de ce Lothaire, mort prématurément, consistait en une Basse Lotharingie et une Haute Lotharingie, une Burgondie ou un  Arélat, ce qui correspond à nos Pays-Bas pour la Basse Lotharingie et à la Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté et la Suisse romande pour la Haute Lotharingie ; quant à la Burgondie ou Arélat, elle est formée par le bassin du Rhône jusqu’à la Méditerranée provençale (comprenant la Bresse, la Savoie, le Dauphiné et la Provence). Lothaire possédait aussi l’Italie du Nord, plus exactement le bassin du Pô. De Philippe le Bel à Napoléon III, qui annexera la Savoie, Paris s’emparera systématiquement de territoires qui firent partie de l’héritage de Lothaire, si bien que nous pouvons aujourd’hui décrire la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg comme de minuscules résidus d’un empire potentiellement puissant qui n’a jamais pu se développer sauf pendant le règne bref de l’Empereur germanique Konrad II, au 11ème siècle.

Isabelle_de_Portugal_(1397-1471).jpgLes ducs de Bourgogne essaieront, par une politique habile, de ressusciter l’Empire de Lothaire mais sans succès. Pour comprendre la dynamique de l’histoire européenne dans nos régions, nous devons donc, aujourd’hui, étudier la géopolitique implicite de ces ducs qui entendaient consolider une alliance avec l’Angleterre et englober la Lorraine et l’Alsace dans leur orbite politique afin de joindre leurs possessions de l’ancienne Basse Lotharingie (« Pays de Par-Deça ») avec celles de l’ancienne Haute Lotharingie et de la Bourgogne (fief français inclus dans la Francie occidentale de Charles le Chauve). Cependant, dans cette étude, nous ne devons surtout pas oublier que la tête pensante de cette géopolitique bourguignonne a été Isabelle de Portugal (ou Isabelle de Bourgogne), épouse de Philippe le Bon et mère de Charles le Hardi (dit le « Téméraire » en France). Isabelle de Portugal était la sœur du Prince Henri, dit « Henri le Navigateur », fils du roi du Portugal et de Philippine de Lancaster, princesse anglaise. Le Prince Henri (1394-1460) a fondé son école maritime, école géopolitique avant la lettre, à Sagres au Portugal, dans le but de créer les conditions requises pour le développement de flottes de haute mer et de mobiliser tous les savoirs pratiques disponibles pour pouvoir, à terme, contourner les empires musulmans et trouver de nouvelles voies vers l’Inde et la Chine. Yves Lacoste, fondateur de la revue Hérodote et pionnier de la redécouverte des théories géopolitiques en France à partir des années 1970, a consacré une bonne part de son livre sur l’histoire de la cartographie à la figure d’Henri le Navigateur et a ainsi démontré que ce prince fut l’impulseur premier de la conquête européenne du monde.

Isabelle de Portugal voulait poursuivre sa politique maritime et continentale à une époque où la France était sortie victorieuse de la guerre de cent ans et où l’Angleterre avait sombré dans une guerre civile entre les Maisons de York et de Lancastre. Philippe le Bon voulait, lui, retourner à une politique française parce que l’Angleterre semblait hors-jeu tandis que son épouse et son fils voulaient maintenir une ligne pro-anglaise contre Charles VII de France et son fils, le futur Louis XI. Finalement, la géopolitique bourguignonne débouchera sur une double alliance continentale, avec l’entrée en scène des Habsbourgs pour sauver les Pays-Bas de l’invasion française, ensuite avec la Castille et l’Aragon pour créer un bastion anti-français dans le sud de l’Europe, créant ainsi dans le delta des fleuves et dans la péninsule ibérique la fusion géostratégique rêvée par les marchands hanséatiques flamands du 12ème siècle. L’Empereur Charles-Quint règnera sur l’ensemble de ces terres rassemblées par son aïeul Charles, son bisaïeul Philippe et son arrière-grand-mère Isabelle et nous savons tous, Flamands comme Néerlandais, quel sort tragique les bas pays et l’Allemagne ont connu dans cette orbe impériale qui, hélas, ne fut jamais harmonisée.

Rey_Felipe_III.jpgSous Philippe III d’Espagne, fils de Philippe II que nous n’aimions guère, se déchaîne une véritable guerre mondiale entre les puissances réformées et les puissances catholiques, qui n’eut pas que l’Europe comme théâtre d’opération mais où les affrontements eurent également lieu en Afrique, en Amérique et, ce que l’on oublie généralement, dans les eaux de l’Océan Pacifique, considéré à l’époque comme un « océan espagnol ».  Sous le règne de Philippe III, tous les conflits d’ordre géopolitique, tous les conflits nés de la volonté des uns et des autres de maîtriser des sites stratégiques indispensables le long des voies maritimes ont émergé et sont parfois encore virulents aujourd’hui: plusieurs puissances non européennes de nos jours les activent encore régulièrement, notamment dans la Mer de Chine du Sud et entre les Philippines et les côtes de la Chine continentale. Une étude de cette période, dont nous ne nous souvenons plus sauf peut-être l’épisode du siège d’Ostende, s’avère nécessaire pour comprendre la situation géopolitique des bas pays car leurs provinces méridionales faisaient partie, volens nolens, de cet empire espagnol et devinrent, au cours des innombrables affrontements durant le règne de Philippe III et de ses successeurs, ce que les historiens anglais nomment aujourd’hui la fatal avenue, le « corridor fatal », où passaient et s’affrontaient les armées.

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La bataille de Rocroi (1643) fut la dernière bataille des fameux tercios espagnols, où ils ont appliqué leurs techniques de combat, auparavant imparables. Ils furent battus mais leur sacrifice ne fut pas inutile. Ils y ont rudement éprouvé l’ennemi, si bien qu’il a été impossible aux Français de marcher sur Bruxelles après le choc. Il n’existe qu’une seule brochure sur la « géopolitique du Nord-Ouest » (de l’Europe), qui expliquent les motivations géographiques des belligérants sur ce territoire, notamment au temps de cette bataille de Rocroi. Elle a été écrite par un homme qui est demeuré totalement inconnu, un certain J. Mercier, qui l’a rédigée pendant la seconde guerre mondiale sans s’orienter sur une politique pro-belge ou pro-allemande. Pour lui, les Pays-Bas du Sud sont composés de trois parties du point de vue géopolitique : la Flandre occidentale, à l’ouest de l’Escaut et de la Lys ; le centre qu’il appelle « l’espace scaldien » parce qu’il se situe entre le cours de l’Escaut et celui de la Meuse ; et, enfin, le glacis ardennais à l’est de la Meuse. La dynamique qui articulait ce triple ensemble était la suivante :

  • La Flandre occidentale était une région qui servait aux Français à encercler, le cas échéant, le centre (« l’espace scaldien ») ; c’est la raison pour laquelle la France de Louis XIV a, un moment, annexé Furnes, Ypres et Ostende ;
  • Le centre était considéré, normalement, comme l’objectif le plus important de toute conquête éventuelle de l’ensemble des Pays-Bas Royaux ou espagnols, parce que Bruxelles et Anvers s’y trouvaient ;
  • Le glacis ardennais était un espace de réserve qui, après Rocroi, a accueilli les troupes vaincues du Colonel Fontaine (« de la Fuente » dans certaines sources espagnoles) pour les joindre à celles d’un autre colonel espagnol, von Beck, commandant des tercios allemands et luxembourgeois, prêt à lancer une nouvelle offensive contre les vainqueurs.

meusegéo.jpgLa Meuse est un axe de pénétration géostratégique dans la direction d’Aix-la-Chapelle, capitale symbolique du Saint-Empire : ce qui explique les tentatives répétées de Richelieu pour acheter la neutralité de la Principauté épiscopale de Liège et l’entêtement des Néerlandais du Nord, et plus tard des Prussiens, de conserver la place forte de Maastricht, de la soustraire aux Français ou à une Belgique qui serait inféodée à la France. La brochure de J. Mercier est un survol assez bref de la situation géopolitique des Pays-Bas et, plus particulièrement, de la fatal avenue, que leur portion méridionale allait devenir au cours de l’histoire. Le contenu de cette brochure mériterait d’être étoffé de bon nombre de faits historiques sur la période bourguignonne, sur le régime espagnol du Duc d’Albe à 1713, sur la période autrichienne au 18ème siècle et sur les stratégies défensives au temps des conquêtes de la France révolutionnaire, jusqu’à l’ultime bataille de Waterloo en juin 1815.

Dans la production littéraire et historiographique du mouvement flamand existe un gros volume, aujourd’hui oublié, dû à la plume de Maurits Josson et datant de 1913 ; cet ouvrage copieux et dense récapitule toutes les batailles qui ont été livrées pour contenir, avec des fortunes diverses, les invasions venues du Sud. Le livre a été publié juste avant la mort de Josson et le déclenchement de la première guerre mondiale. Josson était une figure intéressante de son époque, de la Belgique d’avant 1914 : il devint célèbre comme reporter pendant la guerre des Boers en Afrique du Sud, devenant dans la foulée un critique virulent de l’impérialisme britannique dans le cône austral du continent noir. Son étude en trois volumes de la révolte belge de septembre 1830 (« de Belgische Omwenteling ») et de ses prolégomènes mérite toute notre attention si nous voulons approfondir la géopolitique des Pays-Bas du Sud. Son livre sur « la France comme ennemis pluriséculaire de la Belgique » a été écrit, notamment, quand sévissaient de houleux débats dans le parlement belge sur la question des chemins de fer entre Bruxelles et Liège et entre Liège et l’Allemagne. Les Français avaient exercé une pression économique et menacé la Belgique de guerre si les chemins de fer et l’industrie belge de l’acier étaient reliés aux lignes ferroviaires allemandes, donc à la région de la Ruhr, et si la ligne Cologne-Liège était prolongée jusqu’à Bruxelles et Anvers. Nous retombons ici dans une problématique toute actuelle : la construction de chemins de fer et l’établissement de communications terrestres, ajoutant de la qualité à un espace, quel qu’il soit, suscitent encore et toujours la méfiance, notamment, aujourd’hui, à Washington parce que les politiques de développement en ces domaines viennent désormais de Chine. Ici, une fois de plus, Richard Henning, a raison dans sa méthode : l’organisation de toutes formes de réseaux de communication détermine la géopolitique d’un pays et aussi les réactions de ses ennemis, même s’ils appartiennent à la même « race ».

Day-of-the-Saxon-1.jpgImmédiatement avant la première guerre mondiale, en 1912, meurt une autre figure importante de la pensée géopolitique concernant nos régions : Homer Lea, auteur de The Day of the Saxon. Lea avait été un élève handicapé de West Point qui avait su maîtriser avec brio toutes les disciplines théoriques de sa célèbre école militaire mais ne pouvait évidemment pas servir sur le terrain, au sein d’un régiment, vu son pied bot. Il fut actif en Chine pour soutenir le mouvement modernisateur de Sun Ya Tsen dans l’espoir de faire éclore une alliance durable entre l’Empire du Milieu, devenu république moderne, et les Etats-Unis. Son livre me parait, à moi comme au stratégiste suisse Jean-Jacques Langendorf, aussi important que le texte de Mackinder où le géographe écossais esquisse la dualité terre/mer et jette les fondements de la géostratégie globale des puissances anglo-saxonnes. Dans The Day of the Saxon, Lea explique comment la Grande-Bretagne et les Etats-Unis doivent, en toutes circonstances, empêcher la Russie de dépasser la ligne Téhéran/Kaboul. L’état actuel de conflictualité diffuse entre la telluricité russe et le thalassocratisme anglo-saxon depuis 1979, qui a commencé dès l’intervention soviétique en Afghanistan, est donc une application du précepte préconisé par Lea dans son livre, puisque l’Armée rouge de Brejnev avait franchi cette ligne fatidique. Pour ce qui concerne les Pays-Bas, les Low Countries, Lea a esquissé, bien avant les coups de feu de Sarajevo, les raisons d’une future guerre anglo-allemande, que Londres, à ses yeux, devait impérativement mener : les côtes de la Hollande, de la Belgique et du Danemark ne peuvent en aucun cas tomber entre les mains des Allemands et les « Saxons » doivent s’apprêter à défendre la France contre l’Allemagne pour que les ports de Dunkerque et de Calais ne soient pas occupés par la Kriegsmarine et pour que les armées du Kaiser ne prennent pas pied en Normandie sur les côtes de la Manche. Il était évident, dès lors, que l’Angleterre allait combattre l’Allemagne si celle-ci violait la neutralité belge ou néerlandaise. Pour la Belgique, une telle violation, en fait, n’avait guère d’importance puisque, de facto, elle faisait partie de la Zollunion allemande, de même que les Pays-Bas. A la limite, elle pouvait récupérer les départements du Nord et du Pas-de-Calais, perdus depuis le 17ème siècle. En revanche, pour le Congo, c’était une autre histoire : le Roi Albert I ne pouvait accepter le transit des troupes allemandes vers la France car, dans ce cas, les Anglais auraient immédiatement occupé le Congo et plus particulièrement le Katanga, tout simplement parce que cette province, riche en mines de cuivre, formait surtout un obstacle territorial au grand projet de Cecil Rhodes, celui de relier le Cap au Caire par une même ligne de communications terrestres. Il y avait aussi un précédent que méditaient les chancelleries : les colonies hollandaises du Cap, de l’Ile Maurice et de Ceylan avaient été envahies et annexées au moment où Napoléon Bonaparte avait transformé les Pays-Bas du Nord en une série de départements français, prétextant que le territoire de la Hollande était français puisqu’il provenait d’alluvions de fleuves français.

Pour résumer la problématique :

Les Français veulent contrôler le Rhin et utiliser le cours de la Meuse pour réaliser un des objectifs éternels de leur politique : être présents en Mer du Nord, au nord du Pas-de-Calais, ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire, puisque le Comté de Flandre, initialement fief français qui leur donnait accès à cette mer tant convoitée, s’est toujours montré rebelle et rétif.

bimrgg.jpgLes Allemands veulent contrôler les côtes de la Mer du Nord et, éventuellement, celles de la Manche ; pendant la première guerre mondiale, ils développent considérablement les infrastructures des ports flamands d’Ostende et de Zeebrugge ; leur objectif est donc de déboucher également dans la Manche pour avoir meilleur accès à l’Amérique. C’était déjà le but de Maximilien de Habsbourg, époux de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Hardi dit le Téméraire, à la fin du 15ème siècle, avant même la découverte du Nouveau Monde par Colomb ; Maximilien avait voulu contrôler la Bretagne, excellent tremplin vers l’Amérique, en en épousant la duchesse et en liant cette péninsule armoricaine aux Pays-Bas.

Les Anglais ne voulaient à aucun prix qu’Anvers, Flessingue et le « Hoek van Holland » ne tombent aux mains des Français ou des Allemands car la possession de ces ports par une puissance dotée d’un vaste hinterland continental est, pour eux, un cauchemar, celui de voir, comme au 17ème siècle, un nouvel amiral de Ruyter partir d’un port néerlandais pour atteindre Londres en une seule nuit (au temps de la marine à voiles). Les Pays-Bas, du Nord comme du Sud, doivent donc demeurer divisés et « neutralisés », c’est-à-dire ne rejoindre aucune alliance trop étroite avec la France ou avec l’Allemagne, selon l’adage latin Divide ut impera, que l’Angleterre conquérante n’a jamais cessé de vouloir concrétiser, partout sur le globe.

J’ai esquissé, trop brièvement, j’en ai bien conscience, le cadre initial, au départ duquel nous devons articuler nos réflexions d’ordre géopolitique, en récapitulant les voies globales qui furent jadis ouvertes à partir de notre espace, défini par Pye : vers l’Atlantique Nord en suivant les bancs de morues, vers l’Arctique à partir de la découverte, par les Scandinaves, des Iles Svalbard, porte d’entrée de l’Arctique, vers tous les comptoirs de la Hanse et, par la Manche, vers les ports de la partie septentrionale de la péninsule ibérique et du Portugal et, de là, à partir de la découverte de l’Amérique par Colomb, vers l’Amérique du Sud et l’Antarctique, sans oublier le désir des Croisés, des Ducs de Bourgogne et des Rois d’Espagne de rouvrir les routes de la soie, maritimes et terrestres vers la Chine, en ancrant une présence hispano-habsbourgeoise dans le Pacifique, ce que n’ont jamais omis non plus les futurs Etats contemporains de nos Pays-Bas divisés, en Insulinde par le biais de la colonisation nord-néerlandaise, en Chine et au Japon par la voie d’une diplomatie belge, du moins quand elle n’était pas encore totalement inféodée à l’atlantisme, incluse dans le « Spaakistan » comme le rappelle le Prof. Rik Coolsaet de l’Université de Gand.

Donc les questions qui se posent à nous aujourd’hui sont les suivantes :

  • Devons-nous participer ou non à une nouvelle dynamique qui se dessine en Europe centrale et en Europe orientale et cela, sans aucune limite ?
  • Devons-nous participer à l’élaboration de nouvelles voies de communication, selon le projet chinois de la « Route de la Soie », tout en tenant compte du fait bien évident que les ports de Rotterdam et d’Anvers sont les ports les plus importants qui réceptionnent de nos jours les marchandises importées de Chine et, simultanément, les ports les plus importants d’où partent les marchandises européennes exportées vers la Chine, situation qui se confirmera, a fortiori quand la route arctique sera bientôt ouverte ?
  • Devons-nous encore et toujours dépendre mentalement de l’idéologie occidentale, qui nous empêche, de commercer normalement avec la Russie, qui fut, pour la Belgique, le principal partenaire commercial avant 1914, qui a fait de la Belgique un pays très riche avant le cataclysme de la première guerre mondiale ?
  • Devons-nous opter avec l’Amérique, une Amérique avec ou sans Trump, pour l’isolement atlantique au détriment de toute coopération eurasiatique ?
  • Devons-nous développer une géopolitique originale, pour le bénéfice de nos bas pays, où l’historien et le géopolitologue doivent coopérer pour additionner tous les faits qui, au fil des siècles, se sont avérés positifs pour nos régions et pour vulgariser ces perspectives innovantes de façon à ce qu’elles se diffusent dans la population et chez les décideurs ?
  • Devons-nous nous souvenir ou devons-nous oublier que nous fîmes partie de l’Empire de Charles-Quint et, du moins pour les Pays-Bas du Sud, de l’empire espagnol en Amérique et dans le Pacifique, sous les règnes de Philippe III, Philippe IV et Charles II, et que nous fûmes actifs sur toutes ces parties du globe, en n’oubliant pas non plus que le Père Ferdinand Verbist fut le principal ministre de la Chine du 17ème siècle ?
  • Devons-nous oublier et abandonner ce tropisme chinois qui fut toujours, tacitement, un désir fécond de la politique et de la diplomatie belges ?
  • Devons-nous aussi oublier que nous avons tous vécu de formidables aventures en Indonésie, dans le Pacifique et dans les Amériques, que ce soit sous la bannière catholique ou réformée et que nous avons été des acteurs féconds dans tous les coins du monde (cf. : « Vlaanderen zendt zijn zonen uit ») ?

Voilà donc les questions que nous devons nous poser, auxquelles nous devons répondre, positivement et activement, tant que nous sommes en vie, tant que nous sommes actifs pour le bien-être de nos peuples.

Je vous remercie pour votre attention.

Robert Steuckers,

17 novembre 2018.

Sur le même sujet, à lire: http://robertsteuckers.blogspot.com/2018/06/geopolitique-de-la-belgique.html

 

 

mercredi, 21 août 2019

Se rapprocher de la Russie, une urgence pour la survie de l'Europe ?...

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Se rapprocher de la Russie, une urgence pour la survie de l'Europe ?...

par Caroline Galactéros

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
 
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli dans Marianne et consacré à l'indispensable rapprochement entre l'Union européenne et la Russie. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé récemment, avec Hervé Juvin entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

Se rapprocher de la Russie n'a jamais été aussi urgent pour la survie de l'Europe

A l’heure où j’écris ces lignes, depuis le sud d’une Europe étourdie de torpeur estivale telle l’insouciante cigale de la fable, un calme étrange semble régner sur les grandes affaires du monde. Un silence inquiétant aussi, comme celui qui précède l’orage en montagne ou le tsunami en mer. En matière de guerre comme de paix, le silence est toujours un leurre. Il se passe en fait tant de choses « à bas bruit » qui devraient mobiliser les chancelleries occidentales et leur faire élaborer des politiques nouvelles, ne serait-ce même que de simples « éléments de langage » disruptifs.

Le nouveau partage du monde n’est pas une césure infranchissable. L’approfondissement du discrédit moral et politique des États-Unis, notamment depuis l’arrivée de Donald Trump, président grandement sous-estimé mais jugé imprévisible et changeant souvent de pied, pousse les acteurs de deuxième rang, pour survivre en dessous du nouveau duo de tête sino-américain, à ne plus mettre tous leurs œufs dans le même panier, tandis que Washington détruit méthodiquement tous les mécanismes et instruments multilatéraux de dialogue.

Rééquilibrage mondial

La crise du détroit d’Ormuz creuse les fractures attendues, comme celle qui oppose les Etats-Unis, Israël et l’Arabie saoudite à l’Iran secondé par Moscou et Ankara sous le regard gourmand de Pékin. Elle révèle aussi l’approfondissement de rapprochements plus insolites, tel celui de Moscou et de Ryad, chaque jour plus visible en Syrie au grand dam de Washington. En témoigne, outre leur rapprochement pour maintenir les cours du pétrole, l’amorce d’une coopération militaire entre les deux pays avec des achats de S400 par Ryad (comme d’ailleurs par Ankara dont l’opportunisme ne connait plus de limites). Ryad achètera aussi aux Chinois des technologies de missiles et des drones.

Quant aux Émirats arabes unis, ils ont annoncé au salon IDEX 2019, des acquisitions d’armements divers à la Russie pour 5,4 milliards de dollars et notamment de systèmes anti-aériens Pantsir-ME. Les enchères montent. Autre signe de ce « rééquilibrage », le récent jeu de chaises musicales au sein des services syriens de sécurité, sous la pression de Moscou, au profit de personnalités sunnites adoubées par Ryad, contre l’influence iranienne jusque-là dominante. Même le Hezbollah prendrait quelques ordres à Moscou désormais. De là à penser que la Russie mènera pour longtemps la danse en Syrie, mais souhaite néanmoins favoriser un règlement politique ayant l’imprimatur discret de Washington, Ryad et Tel Aviv – et donc défavorable au clan Assad (le bras-droit du frère de Bachar el-Assad, Maher, putatif remplaçant, vient d’être arrêté) et à son tuteur iranien – il n’y a qu’un pas…

Ce qui ne veut pas dire que Moscou laisse tomber Téhéran. Elle s’en sert pour optimiser son positionnement entre Washington et Pékin. La Russie vient d’annoncer de prochaines manœuvres militaires conjointes. L’Iran, étouffé de sanctions, ne peut évidemment tolérer d’être empêché de livrer même de toutes petites quantités de brut qui assurent la survie politique du régime et la paix sociale. La République islamique a donc répliqué à l’arraisonnement par les Britanniques – à la demande de Washington – du Grace One près de Gibraltar le 4 juillet dernier (pétrolier transportant du pétrole brut léger) et prend la main : saisie le 13 juillet, du pétrolier MT-RIAH puis, le 19 juillet, du britannique Stena Impero…. et enfin le 4 août, par celle d’un troisième bâtiment.

Iran/Etats-Unis : qui a la main sur qui ?

Téhéran menace désormais d’interdire le Détroit d’Ormuz (un tiers du transit mondial d’hydrocarbures) dont elle partage la propriété avec Oman et les Émirats arabes unis (la passe étant par endroits trop étroite pour constituer des eaux internationales) et tolère l’usage international à certaines conditions par les seuls signataires de la Convention maritime internationale de 1982. Il est vrai que Washington met de l’huile sur le feu jour après jour et vient d’imposer illégalement de nouvelles sanctions à l’encontre du ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif- peut être l’ultime et plus compétent négociateur pouvant arrêter l’escalade – notamment pour entraver ses déplacements. Qui veut la paix ? Qui veut la guerre ? De provocations en enfantillages, certains dirigeants semblent avoir perdu tout sens de leurs responsabilités envers la paix mondiale. Car si le Détroit d’Ormuz venait à être véritablement interdit par Téhéran au passage des tankers, l’explosion du prix du brut qui s’ensuivrait serait très vite insupportable pour l’économie mondiale et une gigantesque récession surviendrait. En dépit des apparences, c’est donc l’Iran qui tient le sort des États-Unis et de l’économie occidentale entre ses mains.

La « pression maximale » crânement brandie comme un trophée par le président Trump à l’encontre de Téhéran s’exerce donc dans les deux sens. Cette folle politique de Washington qui prétend contraindre le pouvoir à élargir le spectre de l’accord sur le nucléaire de 2015 (attente parfaitement utopique ou trompeusement avancée pour provoquer un conflit) est un échec patent. Certes, Londres par la voix de son nouveau premier ministre Boris Johnson, dont le pedigree personnel dessine une possible et gravissime double allégeance, a choisi, as usual, « le Grand Large » comme en a témoigné l’arraisonnement du Grace One. L’Allemagne se montre quant à elle prudente, cherchant à ménager la chèvre et le chou et à profiter du manque de discernement de la France.

Bientôt un Yalta 2.0 ?

Paris en effet, s’oppose (pour combien de temps) à une coalition pour garantir la circulation dans le détroit d’Ormuz que demande évidemment Washington, et essaie de s’accrocher à l’Accord moribond… après avoir commis l’insigne faute d’appeler à son extension aux questions balistiques pour complaire à Washington et Tel Aviv. Nous avons donc encore une fois joué, inconsciemment faut-il l’espérer, une partition américaine qui contrevient à tous nos intérêts et précipite la guerre.

Ce focus sur l’actualité internationale du moment ne fait que manifester l’ampleur des enjeux du Yalta 2.0 qui s’annonce. Mais « le Rideau de fer » de ce nouveau partage s’est déplacé vers l’Oural, à l’extrême est de l’Europe, et cette translation met clairement la Russie dans le camp de l‘Europe. En effet, si l’Oural sépare géographiquement l’Europe de l’Asie, à sa verticale se trouvent précisément les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale, qui font toujours partie de la ceinture de sécurité de la Russie et sont désormais convoitées par la Chine. Or, si l’Eurasie est toujours au cœur des convoitises des grands acteurs (dont les États-Unis), il est une autre opposition que nous ne voyons pas alors qu’elle devrait pourtant focaliser notre capacité d’analyse stratégique et notre action diplomatique : c’est la rivalité montante entre la Chine et la Russie pour la domination économique et politique de l’Asie centrale et même du Caucase.

Les tracés nord (Chine-Kazakhstan-sud Russie-nord Caucase jusqu’en Mer noire sur le territoire russe) et centre (Ouzbékistan-Turkménistan-Iran-Turquie) des Nouvelles Routes de la Soie visent en effet à mettre sous dépendance économique progressive les « Stans », et donc, au prétexte de la lutte contre les Ouigours musulmans, à permettre à Pékin de disposer progressivement d’un levier de déstabilisation économique et sécuritaire important sur Moscou. L’influence est aussi (et souvent avant tout) faite de capacité de nuisance.

Et l'Union européenne dans tout cela ?

En conséquence, « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » – englobant la partie européenne de la Russie – n’a jamais été aussi nécessaire et urgente pour la sauvegarde de l’Union européenne, si cette dernière espère compter entre États-Unis et Chine et éviter le dépècement et la dévoration. Pourtant le rapprochement de l’Union européenne avec la Russie reste ignominieux, inconcevable, indéfendable à nos dirigeants piégés par une vision idéologique et faussée de leurs intérêts comme des nouveaux rapports de force du monde. C’est l’impensé, l’impensable, l’angle mort de la projection stratégique de l’Europe. Pour les élites et institutions européennes, la Russie – que l’on assimile toujours à l’URSS -, est par principe vouée aux Gémonies, l’Amérique idéalisée, le péril chinois minimisé, l’Inde ignorée, le Moyen-Orient déformé et l’Afrique sous-estimée. Les ravages de « la pensée magique » touchent malheureusement aussi la politique extérieure.

Pour entraver une dérive collective vers une nouvelle loi de la jungle internationale qui ne s’embarrassera même plus de gardes fous juridiques imparfaits, il est urgent de retrouver les bases d’une coexistence optimale entre les grands acteurs et ensembles régionaux. Urgent surtout de cesser de croire en la chimère d’un magistère moral occidental ou simplement européen qui a volé en éclats. Dans un saisissant paradoxe, le dogmatisme moralisateur ne passe plus la rampe et une révolution pragmatique et éthique de la pensée stratégique occidentale s’impose. La France peut encore en prendre la tête et entrer en cohérence avec elle-même pour se protéger, compter et convaincre.

Caroline Galactéros (Marianne, 6 août 2019)

mardi, 20 août 2019

Il est temps de revenir a une politique plus réaliste avec la Russie

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Il est temps de revenir a une politique plus réaliste avec la Russie

Par Hubert Védrine *

Propos recueillis par Eugénie Bastié et Guillaume Perrain

Le 19 aout, Emmanuel Macron recevra Vladimir Poutine à Brégançon, avant le G7 de Biarritz. Comment analysez-vous ce geste ?

Hubert Védrine. – C’est une tentative très  ulile pour sortir la France et si possi­ble l'Europe d'une impasse, d'une guerre de positions stérile engagée depuis des années, avec des torts partagés des deux côtés, notamment depuis le troisième mandat de VJadimir Poutine, et qui a abouti à une absurdité stratégique : nous avons des rapports plus mauvais avec la Russie d'aujourd'hui qu'avec l'URSS pendant les trois dernières décennies de son existence! Ce n'est pas dans notre in­térêt. Essayer d'entamer un processus différent m'apparaît très justifié, même s'il ne faut pas attendre de cette rencontre des changements immédiats. La date choisie par Emmanuel Macron pour ce geste est très opportune : il reçoit Vladi­mir Poutine juste avant le G7 de Biarritz, qu'il préside. Le G7 était devenu G8, mais la Russie en a élé exclue en 2017 à la suite de l’annexion de la Crimée. Tout cela aurait pu être géré autrement. La volonté américaine d’élargir l’Otan à l’Ukraine était malencontreuse, mais il faut regarder l’avenir.

Certains évoquent une « complaisance du président français à l’égard d’un autocrate ?

Ce genre de propos ne conduit à rien. L'Occident a été pris d'une telle arrogan­ce depuis trente ans, d'une telle hubris dans l'imposition des valeurs au reste du monde, qu'il faut réexpliquer le b.a.-ba des relations internationales: rencontrer ce n' est pas approuver; dis­cuter, ce n’est pas légitimer ; entretenir des relations avec un pays. œ n'est pas être «amis » C'est juste gérer ses intérêts. Il faut évidemment que la France entretienne des relatioons avec les dirigeants de toutes les puissances, surtout quand est en jeu la question cruciale de la sécurité en Europe, aJors que les grands accords de réduction des armements conclus à la fin de  la guerre froide par Reagan puis Bush et Gorbatchev sont abandonnés les uns après les autres et ne sont encore remplacés par rien. Cette rencontre n'indigne que de petits groupes enfermés dans une attitude de croisade antirusse. Ils ne proposent aucune solution concrète aux problèmes géopolitiques et se contentent de camper dans des postures morales inefficaces et stériles.

« L’idée libérale est devenue obsolète », a déclaré Poutine au Financial Times. Que pensez de pareille déclaration ?

Depuis le début de son troisième mandat, Vladimir Poutine aime les provocations, assez populaires dans son pays. Durant ses deux derniers mandats il avait tendu la main aux occidentaux qui ont eu le tort de ne pas répondre vraiment. Même Kissinger pense ça ! Poutine est loin d’être le seul à contester l’hégémonie libérale occidentale. D’autres l’ont théorisé avant lui, notamment plusieurs penseurs asiatiques de la géopolitique. Eux considèrent même, à l’instar du Singapourien Kishore Mahbubani, que nous vivons la fin de la « parenthèse » occidentale.  Je préfère quant à moi parler de la fin du « monopole » occidental sur la puissance et les valeurs. Par ailleurs, on ne serait pas aussi vexé et ulcéré par les déclarations de Poutine si les démocraties occidentales n’étaient pas contestées de l’intérieur par les populismes, sous-produit de la perte de confiance des peuples dans les élites qui ont la mondialisation et l’intégration européenne. Poutine ou pas, il faut trouveer à ce défi des réponses chez nous, par nous-mêmes.

Plusieurs centaines d’opposants ont été arrêtés lors de manifestations réclamant des élections libres. N’est-ce pas le signe d’un durcissement préoccupant ?

Les Occidentaux se sont fait des illusions sur une démocratisation rapide de la Russie, illusions comparables à celles qu’ont eues les Américains sur l’entrée de la Chine à l’OMC en 2000, qui allait selon eux apporter mécaniquement la démocratie libérale. Ce n’est pas ce qui s’est produit : loin de se transformer en démocrates scandinaves, les Russes sont restés… russes. On leur en veut pour cela. Ce n’est ni un un régime démocratique à notre façon ni une dictature comme avant. Une partie der l’opinion occidentale enrage, mais, c’est ainsi : nous ne changerons pas la Russie, elle évoluera d’elle-même, à son propre rythme et selon sa manière. Nous nous sommes beaucoup trompés : il est temps de revenir à une politique plus réaliste tout en souhaitant publiquement un meilleur  respect des règles électorales et démocratiques. Cela ne devrait pas empêcher, au contraire, un dialogue musclé avec Vladimir Poutine sur toutes ces questions et tous les sujets de désaccord ou d’inquiétude. Mais, pour cela, il faut qu’il y ait un dialogue régulier.

Précisément, comment devraient évoluer les relations entre l’Europe et la Russie ? La France a-t-elle un rôle particulier à jouer ?

L’objectif très juste, formulé à plusieurs reprises par Emmanuel Macron, est de « réarrimer la Russie à l’Europe » et donc de corriger la politique occidentale inconséquente des dernières années qui a poussé la Russie vers la Chine. Notre relation doit être exigeante et vigilante sans être vindicative et prosélyte. Il faut établir, ou rétablir, de bons rapports de force dans les domaines militaires, spatial et numérique. Mais aussi redevenir pragmatiques car nous aurons toujours à gérer les relations de voisinage avec la Russie. Et donc parler, discuter, négocier, faire des propositions. L’urgence est celle de la sécurité : il faut rebâtir, en repartant presque de zéro, une politique de contrôle des armements et de désarmement équilibrée. Je pense que nous avons bien d’autres terrains de coopération : la lutte contre le terrorisme islamiste, mais aussi l’écologisation de nos économies, enjeu principal du 21e siècle. Macron essaye, et il a raison. S’il arrive à déclencher un processus, d’autres pays européens suivront, et il pourrait y avoir un effet d’entraînement plus large. Il faut réinventer nos rapports avec la Russie sans attendre Trump, qui, s’il est réélu, réenclenchera une dynamique entre les Etats-Unis et la Russie sans tenir aucun compte des intérêts de l’Europe.

(*) Hubert Védrine est l'ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Lionel Jospin de 1997 à 2002. Il a été secrétaire général de l'Elysée de 1991 à 1995.

Source : Le Figaro 17/08/2019

lundi, 01 juillet 2019

Au lendemain des européennes, quel bilan pour la radicalité ?

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Au lendemain des européennes, quel bilan pour la radicalité ?

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Dans Charlie Hebdo du 5 juin dernier, le politologue Jean-Yves Camus se félicite de la très faible audience des formations de droite radicale enregistrée aux récentes élections européennes.

L’entente électorale entre les phalangistes et les nationalistes en Espagne ne pèse que 0,05 %. En France, la « Ligne claire » de l’écrivain impolitique Renaud Camus plafonne à 0,01 % tandis que l’excellente « Liste de la Reconquête » de Vincent Vauclin ne réalise que 0,02 % des suffrages, mais il fallait imprimer soi-même le bulletin. Le Parti national rénovateur au Portugal passe de 0,46 à 0,49 %. Si le Parti national slovène stagne à 4 %, le Jobbik hongrois perd 8,33 points et se retrouve à 6,39 %. Sa dissidence plus radicale, le Mouvement Notre Patrie, obtient dès sa première élection 3,31 %.

L’unique député allemand au Parlement européen du NPD, Udo Voigt, perd son siège. En effet, le NPD ne fait plus que 0,27 %. Outre un vote utile en faveur de l’AfD, il a pâti de La Droite, créée en 2012 sur l’héritage de la DVU (Union du peuple allemand), et de Troisième Voie, lancée en 2013, qui obtiennent respectivement 0,07 et 0,03 %. Victime d’une formidable répression étatique de la part du gouvernement gaucho-bancaire du Grec Alexis Tsipras, Aube Dorée perd 4,51 points et un siège pour ne faire que 4,88 %. L’alliée officielle du RN, Nouvelle Droite, reste à 0,66 % tandis qu’une coalition entre le Front national, la Ligue patriotique et le Mouvement des lions ne recueille que 0,19 %.

À côté des Vrais Finlandais (13,80 % et deux sièges), le quidam d’Helsinki épris de radicalité pouvait choisir entre le mouvement Finlandais d’abord (0,10 %) qui exige la sortie de la Finlande de l’UE et de la Zone euro, et le Mouvement Sept Étoiles (0,90 %), lui aussi hostile à l’immigration extra-européenne, directement inspiré du Mouvement Cinq Étoiles italien et des « Gilets jaunes » français. En République tchèque, l’allié du RN, Libertés et démocratie directe de Tomio Okamura fait 9,14 % (deux élus). Un autre allié de Marine Le Pen et de Matteo Salvini, le Vlaams Belang devient, avec 19,08 % soit une hausse de 12,32 points, la deuxième force politique de Flandre. Suite à ces résultats, le roi des Belges Philippe a pour la première fois reçu son président, Tom Van Grieken.

pispologne.jpgEn Pologne, avec 45,38 %, Ordre et Justice (PiS) bénéficie d’une réelle adhésion populaire et écrase tous ses concurrents à droite. Troisième force politique à la Diète, Kukiz’15 du chanteur punk proto-nationaliste Pawel Kukiz n’obtient que 3,69 %, un peu moins que la Confédération (4,55 %), un assemblage hétéroclite de libertariens, de catholiques de tradition, de monarchistes et de nationalistes populistes. À Chypre, malgré 8,25 % des votes et une progression notable de 5,56 points, le Front populaire national (ou ELAM) n’a aucun élu. C’est une vraie déception en partie compensée par un beau succès en Slovaquie. L’allié habituel du FN de Jean-Marie Le Pen, le Parti national slovaque s’effondre à 4,09 %. Son électorat rallie maintenant le Parti populaire – « Notre Slovaquie » de Marian Kotleba. Déjà quatrième à la présidentielle de ce printemps avec 10,60 %, ce mouvement anti-UE, anti-corruption et anti-OTAN gagne 12,07 % et envoie deux députés européens. Ils pourraient travailler en liaison avec les deux euro-députés d’Aube Dorée.

lowelleuropa.jpgEnfin, si le Mouvement patriotique maltais, très hostile à l’islam, ne recueille que 0,30 %, la troisième place revient, avec 3,17 % et en constant progrès, à Imperium Europa. Fondé en 2000 par l’écrivain, artiste et spécialiste en arts martiaux Norman Lowell, ce mouvement lui aussi opposé à l’immigration de peuplement prône une véritable union des peuples européens dans le cadre d’un authentique empire géopolitique grand-continental. Aussi se réclame-t-il de l’œuvre de l’essayiste euro-américain martyr Francis Parker Yockey. Ce résultat venu du Sud est prometteur pour l’avenir.

On le constate volontiers, ce panorama non exhaustif présente de nombreux contrastes. Il confirme qu’une prise de conscience identitaire émerge dans la plupart des États européens. Il est toutefois regrettable qu’elle soit pour l’instant aussi tournée contre le principe même d’Europe aux Albo-Européens. Mais les cas maltais, slovaque et chypriote montrent que tout reste possible à condition que se poursuive et s’accentue la saine radicalisation des opinions publiques du Vieux Continent.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 131, mise en ligne sur TV Libertés, le 24 juin 2019.

mercredi, 26 juin 2019

Un Etat, plusieurs langues ?

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Un Etat, plusieurs langues ?

par Eugène Guyenne

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Puisque le Parti des Européens propose à l’Europe, la solution d’un Etat unitaire, il n’en reste pas moins complexe d’aborder toutes les questions qui s’y poseraient en conséquence. Comme la question de la langue. Si les États-nations sont basés majoritairement sur une même langue, une langue « nationale », il n’en reste pas moins qu’il existe des contre-exemples d’États-nations reconnaissant officiellement plusieurs langues à la fois, ne constituant donc pas des « langues nationales » mais des langues dédiées à des communautés distinctes.

En Europe notamment, on trouve comme contre-exemples des États comme la Suisse, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Russie, l’Irlande et encore Malte. On pourrait même aller plus loin en évoquant d’autres territoires, non reconnus comme États, mais « pays » (au sens large) et où pourtant y sont parlées plusieurs langues. Comme les divers territoires britanniques (Écosse, Pays de Galles, île de Man, de Guernesey, Jersey, Gibraltar), la Catalogne, l’Alsace, le Pays de Bade, la Wallonie ou encore la Silésie.

En effet, prenons 3 cas : Malte, Belgique, Russie. A Malte, on y parle la langue locale, reconnue comme « nationale », le maltais (langue chamito-sémitique). Et l’anglais, langue du dernier occupant. En Belgique, cas très particulier, on n’y parle pas plus le belge (dialecte celtique) depuis l’Antiquité ce qui fait qu’il n’y a pas de « langue nationale », au sens où la langue rassemble les gens de même naissance. Il y a trois langues officielles, toutes issues des anciennes puissances frontalières ayant occupé le territoire (Royaume de France, Provinces-Unies, Saint-Empire-Romain-Germanique).

En Russie et dans de nombreux territoires (oblasts, kraïs), on y parle la langue « nationale », le russe (langue slave). Plus d’autres langues propres aux régions autonomes (pour ne citer qu’un exemple, l’ingouche pour l’Ingouchie), tirant des souches non indo-européennes, qu’elles soient caucasiennes (adyguéen, kabarde, ingouche, tchétchène), altaïques (bouriate, kalmouk, bachkir, iakoute, tatar, touvain, khakasse, tchouvache, altaïen), ouraliennes (komi, mari, oudmourte) ou finno-ougriens (vote, vepse). Seule la langue ossète, composante du groupe iranien est parlée en Ossétie du Nord, région rattachée à la Fédération.

Pour revenir au thème principal, oui il est possible d’avoir plusieurs langues officielles, car il ne s’agit que de cela, dans un Etat. Pour la « cohésion nationale » est-ce que cela remet en cause les principes de l’Etat-nation, du bien commun et d’entente d’une même société ? Non. Le problème de la Suisse et de la Belgique n’est pas la répartition entre trois communautés européennes. Le problème de la Russie, État disparate sur le plan ethnolinguistique, est plutôt lié aux valeurs qui y sont véhiculées notamment par des gens comme le tchétchène Ramzan Kadyrov.

Alors quelle(s) langue(s) officielle(s) pour l’Europe de demain? Certains germanophobes vous répondront l’allemand. Certains anglophobes vous répondront l’anglais. Le latin était un choix de proposition de Gérard Dussouy, en y faisant mention dans son ouvrage « Fonder un Etat européen » parut en 2013, « langue de la civilisation européenne par excellence […] longtemps pratiquée par toutes les populations éduquées d’Europe » (voir l’interview de Thomas Ferrier le 2 juin 2013). L’ « europaiom » (proto-indo-européen modernisé) est une des pistes d’ouverture à étudier. Le Parti des Européens a un avis sur cela : les langues les plus parlées par les Européens devront être reconnues et praticables sur l’ensemble du territoire (sans être un chiffre conséquent ni exhaustif) : 7. Soit l’anglais, le français, l’allemand, l’espagnol, l’italien, le russe et le polonais, soit deux langues germaniques, trois langues romanes, deux langues slaves. Plus les langues régionales, propres aux régions (le dialecte navarrais, badois, mannois, vénitien, etc…).

Eugène Guyenne (Le Parti des Européens)

mardi, 25 juin 2019

La question des minorités ethniques européennes en Europe

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La question des minorités ethniques européennes en Europe

par Eugène Guyenne

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Afin d’éviter tout malentendu, cet article n’aura pas pour but de réveiller une quelconque velléité de domination d’une communauté ethnolinguistique envers une autre. Mais au contraire, d'essayer d’aborder une problématique devenue (heureusement) marginale au niveau européen, quoique encore présente dans certaines régions (Balkans, Caucase), à travers l’histoire contemporaine (suivant le schéma universitaire post-1789), ce qu’il en est aujourd’hui et les possibilités pour demain.

Pour faire un petit rappel historique, la problématique des « nationalités », des minorités ethniques en Europe remonte au milieu du XIXe siècle et plus précisément sous l’empire austro-hongrois, où la double couronne rassemblait à l’intérieur des Germains (Allemands, Autrichiens), des Slaves (Tchèques, Slovaques, Slovènes, Polonais, Ukrainiens, Serbes, Croates), des Latins (Italiens, Roumains) et des Magyars (Hongrois). Avec une multiplicité de différences religieuses : chrétiennes (à l’écrasante majorité, un peu moins de 95% : catholiques, protestants, orthodoxes), juive et musulmane (1,3%).

Après les révolutions en 1848, deux courants se sont développés tels que le panslavisme et l’austro-slavisme. Le premier courant visait à l’unification politique des différents territoires slaves. Le second courant visait au contraire au rattachement politique des Slaves sous la double-couronne. On peut aussi mentionner e cas de l’empire russe, où la couronne tsariste rassemblait des Slaves (Russes, Ukrainiens, Biélorusses, Polonais), des Finno-Ougriens (Finnois, Estoniens), des Latins (Moldaves), des Turcs (Tatars, Kirghizes dont Kazakhs, Turkmènes, Ouzbeks) et des Caucasiens (Géorgiens, Arméniens, Ingouches, Tchétchènes, Tcherkesses). Avec une multiplicité de différences religieuses là aussi : chrétiennes (majoritairement : orthodoxes, catholiques, uniates et protestants) et musulmanes. Ces minorités ethniques vont perdurer au cours du XXe siècle, malgré la révolution russe de 1917 et la recomposition territoriale en Europe centrale et orientale après la Grande Guerre. Puisque la Russie ou Grande-Russie, calquée sur un système impérial socialement marxiste, sera constituée d’une multitude de républiques socialistes : le Tatarstan en 1920 (pour les Tatars), la Kabardino-Balkarie en 1936 (pour les Kabardes), l’Adyguée en 1922 (pour les Adyguéens), l’Arménie en 1920 (pour les Arméniens), la Géorgie en 1921 (pour les Géorgiens), l’Ukraine en 1919 (pour les Ukrainiens).

La recomposition territoriale en Europe centrale et orientale, via les traités de paix, avait prévu la dissolution de l’empire austro-hongrois et du retour à une petite-Autriche et une petite-Hongrie. Pour ce qui est de l’Europe centrale, la Tchécoslovaquie émerge sous la forme de la Première République en 1918, incluant des territoires exclusivement slaves (tchèques, slovaques, ruthène subcarpathique jusqu’en 1945). D’abord unitaire puis fédérale, la Tchécoslovaquie va ensuite perdre la Ruthénie subcarpathique qui sera rattachée en 1945 à la RSS d’Ukraine. Après le coup de Prague (1948), elle va devenir centraliste, totalitaire, socialement communiste via le parti unique au pouvoir, avant de mourir lors de la "révolution de velours" (entre le 16 novembre et 29 décembre 1989) dont Vaclav Havel fut l’un des plus célèbres partisans, provoquant ainsi petit à petit la scission entre Tchèques et Slovaques, avant d’être définitive en 1993.

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Pour ce qui est des Balkans, la Yougoslavie émerge via le « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes » après un front commun en 1912 mené par la Ligue Balkanique (comprenant la Grèce, la Serbie, le Monténégro) contre l’Empire ottoman, la même année où l’Albanie prend son indépendance. Cette première Yougoslavie comprenait donc les royaumes serbe, monténégrin, croate et les régions de langue serbo-croate de Voïvodine (majoritairement orthodoxe, avec des minorités allemandes, magyares ou encore roumaines), de Bosnie-Herzégovine (avec des religions orthodoxe, musulmane et catholique) et de Slovénie (de langue slovène et de religion catholique). Après les défaites de l’Italie fasciste et de la Croatie oustachi, la Yougoslavie devient un régime dictatorial de type socialiste, que Tito, après une rupture avec l’URSS de Staline à la fin des années 1940, va diriger de 1953 à 1980.

A sa mort, c’est Slobodan Milosevic, deuxième homme du KPJ (Parti Communiste Yougoslave), qui après avoir organisé des révolutions en Voïvodine et au Monténégro, va décider de supprimer le statut d’autonomie du Kosovo en 1989, réveillant le nationalisme albanais où Ibrahim Rugova va faire de cette région une république par une déclaration constitutionnelle. Réveillant ainsi le début du conflit contemporain où l’Histoire montre que ce territoire n’était qu’une succession d’occupations politiques serbes et turques et entre populations serbes et albanaises (dont la première population était illyrienne, ancêtre des Albanais, occupation serbe entre le XIIe et XIVe siècle puis entre 1912 et 1939, occupation ottomane entre le XIVe et XIXe siècle) qui s’étaient pourtant battus ensemble en 1389 (car les Albanais, minoritaires encore à l’époque, étaient catholiques ou orthodoxes).

Sous la République socialiste d’Albanie, Enver Hoxha va interdire la pratique religieuse en 1967 et « désislamiser » le pays. Alors aujourd’hui qu’en est-il de ces minorités ethniques européennes ? En Russie, les minorités turciques, mongoles et caucasiennes bénéficient d’un statut à part de « république autonome », tout en étant intégrées à la Fédération. Et les présidents de ces territoires appartiennent majoritairement au parti du gouvernement « Russie Unie ». C’est le cas de Murat Kumpilov en Adyguée, de Alexey Tsydenov en Bouriatie, de Vladimir Vassiliev au Daghestan, de Vladimir Volkov en Mordovie, de Rustam Minnikhanov au Tatarstan ou encore de Ramzan Kadyrov en Tchétchénie.

Globalement, les Balkans connaissent une nouvelle prospérité. Malgré le conflit serbo-kosovar évidemment, qui a vu récemment une nouvelle modification territoriale. Comme le changement de nom pour la Macédoine slave, devenue « Macédoine du Nord » pour être différenciée de la Macédoine hellénique. Malgré la chute de la Yougoslavie, il existe toujours des minorités ethniques. Représentées par des partis politiques. En Serbie, avec des minorités albanaise et hongroise représentées respectivement par la Coalition albanaise de la vallée de Presevo et la Coalition hongroise. En Grèce, avec une minorité macédonienne par le Vinozhito. En Roumanie, il y a une minorité hongroise, représentée par le Parti Populaire Hongrois de Transylvanie. En Italie, il y a des minorités germaniques et slovènes, représentées respectivement par le Süd-tyroler Freiheit et le Slovenska Skunopost. Et en Autriche, avec une minorité slovène via l’Entna Lista.

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Si comme on l’a dit, les conflits ethniques sur l’ensemble du territoire européen se sont globalement apaisés, et il faut s’en réjouir, ces minorités n’ont pas trop leur mot à dire dans les Etats dans lesquels ils sont (puisque la seule langue reconnue en Serbie est le serbe, l’Autriche, l’allemand, le grec en Grèce, le roumain en Roumanie, etc…). Demain, la République européenne ne reconnaîtra plus les Etats-nations actuels existants. Puisqu’ils sont jacobins pour la plupart et divisent l’Europe. Seul un modèle d’Etat européen unitaire et décentralisé pourra régler une bonne fois pour toutes cette question. Il y a déjà cette erreur française consistant à de confondre « nationalité » et « citoyenneté ». Lié à l'idée de "naissance", "nation" et "nationalité" doivent s'interpréter comme des notions d'ascendance commune partagée.

Un basque n'a pas forcément la même "nationalité" qu'un occitan et pourtant tous deux ont factuellement la "citoyenneté" française. Il n’y aura donc pas plusieurs nations au sein de l'Europe-Nation, puisque la "nation" n’a pas seulement un sens de "natif". C’est un préalable mais ça ne fait pas tout : car ils doivent aussi témoigner d'une conscience d'appartenir à une même communauté. Après cet examen de conscience, cela se traduira par une révolution (qui sera démocratique), puis par l'établissement d'un État en finalité où ceux-ci ne forment plus qu'un politiquement. Il y a des nationalités aujourd’hui mais ça n'en fait pas des nations ! Les exemples sous la Double-Couronne et la couronne tsariste ont été démontrés. Aujourd'hui, les minorités ethniques slovènes en Italie et Autriche, sont-elles pour autant une "nation" ? Des nationalités éparpillées auprès de leur Maison-Mère ! L'Europe a vocation a être une Nation, puisque réunissant au préalable des Européens de même souche civilisationnelle. Nous sommes encore au stade encore de la prise de conscience commune. Les minorités garderont leur "nationalité" mais qui ne sera pas juridique. En revanche ils seront de nationalité ("citoyenneté") européenne, celle-ci définit uniquement sur le principe d'ascendance.

Eugène Guyenne (Le Parti des Européens)

lundi, 24 juin 2019

Éclairer l’Europe !

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Éclairer l’Europe !

par John Manzanares

Ex: http://www.thomasferrier.hautetfort.com

L’énergie nucléaire, c’est cet équilibre à l’échelle atomique qui permet à nos villes de fonctionner. Elle est le résultat de longue recherche d’abord en Allemagne , puis mis en pratique aux Etats-Unis et en URSS à grande échelle en premier lieu pour le civil.

L’énergie nucléaire pour résumer c’est la création de chaleur qui génère de la vapeur d’eau pour entraîner un alternateur, résultant du fait de casser des atomes d’uranium 235, ce que l’on appelle concrètement la fission. Cela provoque la perte de masse des atomes d’uranium donc la création d'énergie, donc de la chaleur pour chauffer l’eau. Aujourd’hui 10% de l'énergie mondiale vient du nucléaire; pour l’Union européenne la part est de 25% et pour la Russie de 18%. La France à elle seule représente 48% de la production européenne totale ce qui est considérable, lui conférant une avance technologique indéniable dans ce domaine à l’échelle mondiale.

Cette énergie est la plus écologique de toutes pour plusieurs raisons. En premier lieu, elle nécessite très peu de matière première en comparaison des centrales thermiques classiques. Ainsi 1 gramme d’uranium produit autant d’énergie que 2 tonnes de charbon. Cela permet d’économiser beaucoup de ressources et d'éviter de polluer autrement. Il est également plus dangereux pour la santé de vivre proche d’une centrale à charbon que d’une centrale nucléaire. Vivre à côté d’une centrale nucléaire est aussi dangereux que de dormir à côté de quelqu’un pendant 100 ans. Ou encore qu’être un fumeur régulier qui par sa pratique ingère une dose de radiation chaque année équivalente à 300 radios du thorax à cause d’un isotope radioactif contenu dans la cigarette.

L'inconvénient majeur est la gestion du combustible usé de haute radioactivité. Pour le moment, ceux-ci doivent être enterrés pour les plus dangereux à plus de 300 mètres sous terre dans des couches géologiques stables. Ou être retraités en étant ré-enchéris. La part du combustible nucléaire recyclé représente 10% de la production d’électricité française. Ceux non-recyclables sont divisés en deux parties: 90% des déchets nucléaires actuels sont dits à “durée de vie courte” , ainsi ils perdent la moitié de leurs radioactivité en 30 ans seulement. Les autres sont transformés en blocs de verre inaltérables prêts pour enfouissement. À titre de comparaison une centrale nucléaire classique du calibre de celle de Fessenheim produit par an autant de déchet dangereux qu’ils pourraient rentrer dans votre salon, soit 10 mètres cube.

Contrairement aux centrales thermiques où les résidus viennent se stocker dans vos poumons, le but d’entreposer ces déchets s'inscrit dans l’attente de trouver une solution pour soit les réutiliser soit les détruire définitivement sans risque. Ainsi on peut supposer que les envoyer dans le soleil serait une bonne solution. Mais il faut pour cela attendre que les fusées soient moins chères et que leurs carburants soient plus sûrs.

Où trouver l’uranium dans le cadre d’une grande Europe ? Pour ne pas dépendre des ressources venant de pays du tiers monde pour leurs bien et le nôtre ? Déjà il faut enterrer le mythe que l’uranium vient en grande partie du continent Africain. Actuellement les réserves d'uranium mondial sont au Kazakhstan, en Australie, au Canada et plus récemment en Russie avec 9% des réserves mondiales en 2013 selon la dernière prospection. Donc une grande Europe n’aurait aucun problème d'approvisionnement d’une part car elle comprendrait la Russie. Puis rien n'empêche de faire des partenariats avec des nations proche comme l'Australie ou le Canada. Le Kazakhstan également par proximité et son histoire avec la Russie serait aussi un partenaire viable.

Quand vous dites "centrale nucléaire", vous pensez forcément au tristement célèbre réacteur n°4 de la RSS d’Ukraine et de la catastrophe qu'a engendrée l’explosion du réacteur RBMK de la centrale de Tchernobyl en 1986. Argument souvent utilisé par les anti-nucléaire pour dire de fermer les centralesa, alors que la centrale a accumulé les défauts de conception comme l’absence de structure de confinement pour limiter les coûts de construction et servait à un usage militaire couplé à l’usage civil pour produire du plutonium militaire. Ajoutons à cela les erreurs des opérateurs qui ont pris une succession de mauvaise décisions causant la catastrophe lors d’un test qui n’aurait jamais dû être fait avec un réacteur connu pour être instable à faible régime.

La série Chernobyle diffusée sur HBO dépeint très bien les événements et a été repris par la propagande des "écologistes" de gauche. Le message de cette série est en réalité de montrer que les mensonges de la bureaucratie soviétique sont les uniques responsables de la catastrophe et de rendre hommage aux liquidateurs. Ainsi les futurs réacteurs nucléaires pourront permettre à la grande Europe d’avoir l’énergie la plus propre et la moins chère au monde.

D’autant que l’évolution technologique du nucléaire donnera naissance à des réacteurs encore plus puissants, plus propres et plus sûrs. Caractéristiques développées dans le cahier des charges du forum “génération IV” ,nom donné aux futures centrales. Le travail en Europe reste à faire , car il reste de nombreuses centrales à charbon dont les plus polluantes se trouvent au Royaume-Uni, en Allemagne et en Pologne . Le nouveau combat pour les partisans de la vraie écologie qui préserve réellement notre environnement et qui n’est pas un énième moyen de prendre de l’argent aux contribuables est de défendre cette énergie propre et abordable face aux faux écologistes !

John Manzanares (Le Parti des Européens)

Le danger d’une politique mono-thématique

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Le danger d’une politique mono-thématique

par Georges FELTIN-TRACOL

Quelques jours après les élections européennes, les Danois votaient une nouvelle fois, le 5 juin 2019, pour choisir leurs 179 députés du Folketing, leur Assemblée nationale. Ces législatives ont vu la victoire des sociaux-démocrates qui gouverneront le Danemark avec les Verts.

dahl.jpgLe fait marquant du scrutin reste l’effondrement du Parti du peuple danois (DF) qui, à 8,73 %, perd 12,4 points et vingt-et-un sièges pour n’en conserver que seize. Ce mauvais résultat confirme et amplifie le scrutin européen au cours duquel le parti de Kristian Thulesen Dahl n’a obtenu que 10,76 % et gardé qu’un unique siège au Parlement européen qui rejoint le nouveau groupe Identité et Démocratie composé par les euro-élus du RN et de la Lega.

La déroute du DF s’explique d’abord par la présence de deux autres listes concurrentes. Créée en 2015 par des dissidents du Parti populaire conservateur, la Nouvelle Droite réalise 2,36 % et gagne quatre sièges. Son président, Pernille Vermund, pourra utiliser cette tribune publique pour défendre sa vision économique libertarienne, conspuer la mollesse supposée des politiques anti-immigration appliquées par les gouvernements de droite avec l’assentiment du DF, et proposer la sortie de Copenhague de l’Union européenne. Lancée en 2017 par l’avocat médiatique Rasmus Paludan, la Ligne dure ne recueille que 1,8 % et aucun élu. Tenant des positions ethno-nationalistes, identitaires, libérales et à 1 000 % anti-islam, son fondateur, proche des néo-conservateurs occidentalistes, a l’habitude de brûler en public des exemplaires du Coran. On attend qu’il fasse de même avec la Déclaration des droits de l’homme ou un quelconque bouquin féministe…

Le Parti du peuple danois a commis l’erreur stratégique de se focaliser sur la seule immigration au point que son discours a été récupéré par l’ensemble des formations politiques dont les sociaux-démocrates qui feraient maintenant passer Jordan Bardella pour un auxiliaire zélé des ONG pro-migrants… Ce net recul sonne comme un avertissement au moment où réapparaît en France ce serpent de mer qu’est la soi-disant « union des droites ». Se contenter de refuser un destin de Tiers-Monde à la France tout en professant par ailleurs des lubies libérales conduit tôt ou tard au déclin électoral et à l’échec politique.

Il est au contraire primordial d’associer le défi identitaire (la lutte indispensable contre l’immigration sauvage) à l’impératif écologique (au nom de l’enracinement charnel et de l’indépendance énergétique) ainsi qu’aux enjeux économiques. Refuser la mondialisation et le Diktat des banksters implique de concevoir une troisième voie économique et sociale qu’on peut qualifier de « solidariste » ou de « justicialiste ».

Faire des travailleurs les coresponsables de leur entreprise par des formules d’intéressement, de participation et de cogestion renforcerait le pilier socio-économique d’un mouvement politique radical et démontrerait ainsi ses intentions ouvertement révolutionnaire-conservatrices.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 130, mise en ligne sur TV Libertés, le 17 juin 2019.

samedi, 22 juin 2019

L'Europe occidentale et orientale au grand tournant - Mort de l'intégration et retour aux souverainetés nationales?

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Institut Européen des Relations Internationales
 
L'Europe occidentale et orientale au grand tournant
 
Mort de l'intégration et retour aux souverainetés nationales?
 
Irnerio Seminatore

Le verdict du 26 mai a-t-il sonné la "mort de l'intégration" et le retour aux souverainetés nationales? Assistons nous "à une insurrection d'ampleur mondiale contre l'ordre libéral progressiste post-1989"? (Ivan Krastev)

Au delà des résultats, ces élections marquent un tournant idéologique et un changement d'époque et constituent un démenti sur l'illusion du triomphe planétaire de la démocratie libérale et sur la régulation mondiale de l'humanité par le droit et le marché.

La photographie électorale des pays-membres, après le verdict des urnes, a fait ressortir une grande différenciation européenne, de sociétés, de gouvernance, de convictions, d'espoir et de prises de conscience sur l'avenir.

A quoi ressemble-t-elle cette Europe du grand tournant?

A l'incertitude et à l'absence de perspectives aux milieu de l'échiquier politique, à la colère et à la révolte aux deux extrêmes.

Les européens de l'Ouest et de l'Est, par leur vote, ont considéré que leurs espoirs ont été trahis. En effet, dans le cadre de ces élections les partis de centre et de gauche ont été désavoués et la montée des souverainistes confirmée.

Partout on s'interroge sur les causes du suffrage et partout les vérités sont apparues fragmentaires et partielles. Les média ont fait éclater le visage du continent, émiettant les ensembles sociétaux et leurs sens.

Ainsi l'ère des grands principes s'est éloignée et la toute puissance des instincts violents oppose désormais les européens de souche et les immigrés sur les grands thèmes du présent et de l'avenir.

Fédérer une nébuleuse d'opinions, les progressistes pro-européens, les nationalistes anti-intégrationnistes, les eurosceptiques, les conservateurs, les centristes et les écologistes, les "gilets jaunes" et les "gilets noirs", est une tâche existentielle qui ressemble à la fatigue de Sisyphe, de telle sorte que la "société de confiance" du passé cède le pas à une société de "contrainte" ou de "régression", simplificatrices et radicales.

L’idolâtrie de "l'homme fort" prend le pas désormais sur la démocratie "discutidora" et sur la "pensée faible" et permissive.

Il en ressort que le fait démocratique est désavoué par le 38% des jeunes entre 18 et 34 ans (Rapport sur la démocratie dans le monde, sous la direction de D.Reynié) et trouve confirmation la vieille expression du Léviathan, anti-rationaliste et décisionniste, selon lequel : "Auctoritas , non veritas, facit legem!"

La hiérarchie devient désormais une valeur rassurante et la force, comme il se doit, le fondement de tout pouvoir.

Depuis la chute du mur de Berlin, l'Europe est entrée dans un cycle de turbulences internes et extérieures, qui l'ont fait passer de la grande illusion sur le projet européen, à la désillusion et au ressentiment diffus et, selon certains, à une forme de totalitarisme "soft".

Ainsi, un sentiment de menace pour son identité et pour son sentiment d'appartenance, ont conduite l'U.E, étape par étape, à la crise destructrice du Brexit.

Suite aux élections du parlement européen, l'Europe a tremblé sur ses bases et ses idoles sont tombés dans la fange. Thérèsa May, Angela Merkel et leurs médiocres copies européennes, J.C.Juncker, D.Tusk, A.Tajani, ont glissé irrésistiblement vers la porte de sortie et sur une pente descendante.

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En termes d'idées, les pays de l'Europe centrale (Pologne et Hongrie) ont reproché à l'Ouest d'avoir abandonné les vielles racines chrétiennes pour un laïcisme relativiste et un immigrationnisme débridé. A l'heure où l'équilibre géopolitique des forces passe à l'Est du continent, le centre de gravité des alliances politiques se colore d'une opposition nationaliste et anti-européenne.

Sous cet angle, l'affrontement entre Macron et Orban va bien au delà de l'échiquier parlementaire et peut être lu comme un épisode de la lutte entre la marche éradicatrice de l'anti-traditionalisme et la défense de la foi chrétienne. C'est un retour au principe de souveraineté comme droit inaliénable de décider sur la menace existentielle et surtout de choisir son destin.

L'échec cuisant du PPE et du PSD pour leur représentation au Parlement européen,rend nécessaire une recomposition politique des droites, que les craintes de politique étrangère et les tentatives de rééquilibrage vis à vis de la Russie rendent difficile pour la Pologne, dans une vision purement eurocentrique.

La rafale de démissions politiques en France et en Allemagne (Wauquiez et Nahles) souligne l'émiettement politique et l'importance des alliances comme clé de résolution des problèmes. Mais elle met en évidence aussi l'absence de programmes et le vide d'idées, qui constituent désormais un espace de manœuvre pour des coalitions élargies ou pour des tentatives de refondation institutionnelle.

En France, où il est bon de vivre pour des idées et mourir pour des utopies, un mouvement tectonique est en train de modifier en profondeur la structure représentative des démocraties modernes, que, selon certains analystes, de bi-polaire deviendrait tripolaire (P.Martin IPL). Les conséquences en termes d'options  stratégiques seront décisives pour la place de la France dans le monde.

Dans ce laboratoire social, se confondent et s'entremêlent en effet, des tendances étatistes et bonapartistes inextirpables, des pulsions anarchistes et libertaires passionnelles, des frustrations globalistes et néo-libéristes rêvant d'une révolution cyber-numérique et une haine anti-traditionnaliste du monde moderne, de lointaine origine religieuse.

L'alchimie politique qui en résulte est l'apparition simultanée d'un mélange de modération et d'extrémisme au sein des trois pôles, de droite, "les conservateurs identitaires", de centre, "les libéraux mondialisateurs", et de gauche, les "démocrates éco-socialistes".

Cependant, rappelle J. Juillard (le Figaro du 3 juin), l'accession au pouvoir est toujours conditionnée, dans une élection, par la prédominance des modérés sur les extrémistes, car le suffrage est le meilleur garant de la paix sociale.

En passant à la situation européenne et aux verdicts électoraux, il apparaît difficilement contestable que l'Europe des dernières années a été secouée d'en bas par le peuple, d'en haut par le Brexit, de l'extérieur par Trump, Poutine et Xi-Jin-Ping, et de l'intérieur, par Orban, Kacszynski, Kurz, Salvini, Marine le Pen et Nigel Farrage.

Que faire donc? Abattre l'édifice ou le restaurer?

A l'heure où l'on pose à Bruxelles et ailleurs le problème de la légitimité politique de l'Union Européenne et, implicitement le problème de la souveraineté (qui décide et sur quoi ?), et celui de la démocratie (le rôle de l'opposition et de la politique), comment ce changement de méthode et de système institutionnel est il ressenti dans les différents pays (en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Hongrie, en Espagne ou en Pologne?).

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En Allemagne, la sanction historique contre la coalition conduite par Angela Merkel entre la CSU/CDU et le SPD a fait détourner de ces deux partis une grande masse d'électeurs, dont le vote s'est porté sur le parti écologiste, réincarnation diluée de l'utopie socialiste.

Ici les deux piliers traditionnels de la démocratie allemande sont entrés en crise et le défi majeur pour la recherche de nouveaux équilibres a été identifié par Götz Kubischek, dans une nouvelle orientation de l'échiquier politique, le bipolarisme des Verts et de l'AfD. Leur opposition résulte d'une lecture irréconciliable de la situation du pays, fondée pour les Verts sur l'individu et l'humanité et pour l'AfD, sur la famille, le travail et la nation.

La remise en cause de la coalition, qui favorise les alternatives et les extrêmes, priverait l'Allemagne de ses capacités d'agir en Europe et dans le monde et la conduirait à des longs mois d'immobilisme. Il en suivrait alors une situation caractérisée par une crise gouvernementale irrésolue ou à une campagne électorale permanente.
Par ailleurs, si à l'Ouest du pays les Verts dominent l'échiquier politique, l'inverse est vrai pour l'Est, où la réunification du pays n'a pas encore été absorbée et la crainte de l'immigration hante en permanence les esprit.

En Allemagne, comme en France, il faudra choisir: être ou non avec Macron et Angela Merkel. De son côté Marion Maréchal en France a appelé "un courant de droite à accepter le principe d'une grande coalition avec le Rassemblement national".

Ainsi ce scénario, qui coaliserait contre Macron,représentant de l'alliance des bourgeoisies de droite et de gauche, une union des droites, sur une base "national conservatrice, ne pourrait réconcilier, sur un projet européen-progressiste la totalité des sensibilités qui composent  l'échiquier souverainiste du pays et rendrait caduque l'existence d'un parti fédérateur de droite (RN).

Dans ce contexte les forces de gauche, tentent de survivre à la ruine qu'elles ont elles mêmes contribuées à créer. Ainsi, aucune remise en cause à gauche, dans le but de promouvoir une recomposition impossible, ce qui renforce le camp des "marcheurs", régressés mais survivants.

Par ailleurs, en Autriche, l’événement et la surprise ont été représentés par la destitution du Chancelier Kurz par un vote de défiance venu paradoxalement du Parlement, au lendemain de son succès européen et après avoir brisé, aux législatives d'octobre 2017, la grande coalition socialistes-conservateurs.

Même tremblement de terre au Royaume-Uni, où le "Brexit Parti" de Nigel Farrage a anéanti au même temps les Tories et le Labour, polarisant l'électorat britannique entre partisans d'une sortie de l'U.E sans accord, "No Deal" et citoyens d' une ultérieure remise en cause du référendum, "No Brexit".

Pas du tout dissemblable la situation de l'Italie, où le pays a renouvelé la confiance au "gouvernement du changement" et les deux composantes de la majorité gouvernementale ont vu inverser les rapports de forces au profit de l'une d'entre elles, la "Lega" de Salvini, devenu de facto l'inspirateur volontariste des réformes.

L'équilibre entre les deux forces paraît cependant fragilisé dans un situation où des élections anticipées pourraient assurer une majorité suffisante au Parlement aux deux forces de droite, "Fratelli d'Italia" et "La Lega", dans une conjoncture où la Commission européenne, qui a déclenché une procédure pour endettement excessif, est susceptible de radicaliser la fracture pro et anti-européenne du pays, jadis euro-entousiaste.

Rare exception en Espagne pour le socialistes, non sanctionnés par leurs électeurs et qui arriveront au Parlement de Strasbourg et à Bruxelles pour revendiquer des portefeuilles-clés, démontrant la confiance qu'inspire à ses partenaire une Espagne europhile, mais sans boussole sur la direction de marche de l'Union de demain, dans un contexte général europhobe ou euro-sceptique.

C'est d'un dessein ambitieux dont l'Union a besoin pur survivre et pour se reformer, si elle ne veut pas périr de l'inévitable bouleversement qui affecte dans tous les domaines la vie des nations et si elle veut éviter les cataclysmes périlleux d'une conjoncture tectonique.

Bruxelles 5 juin 2019

Information

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Tel : +32 (0)2 280 14 95

vendredi, 21 juin 2019

Dynamiques eurasiennes...

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Dynamiques eurasiennes...

Nous vous signalons la publication du numéro 24-25 de la revue Perspectives libres consacré à la perspective eurasienne.

La revue Perspectives libres, dirigée par Pierre-Yves Rougeyron, est publiée sous couvert du Cercle Aristote et est disponible sur le site de la revue ainsi qu'à la Nouvelle Librairie.

Au sommaire :

Pierre Yves Rougeyron – Dévoilement 

DOSSIER

James O’Neill – La géopolitique mouvante de l’Eurasie : un panorama

Clément Nguyen – Le flanc occidental du Heartland : théâtre des interactions stratégiques

Romain Bessonnet – Politique eurasiatique de la Russie : histoire d’un pivot géostratégique

Dmitry Mosyakov – « La politique russe en Mer de Chine méridionale ».

Dr Pavel Gudev – Les problématiques et perspectives de la route maritime arctique

Martin Ryan –  « Belt and Road Initiative » : nouvelle étape dans l’autonomisation des pays du Caucase du Sud ?

Paulo Duarte – La place de l’Afghanistan dans la « Belt and Road Initiative »

Shebonti Ray Dadwal – Les approvisionnements énergétiques de l’Inde sous le gouvernement Modi.

Clément Nguyen – La  « Belt & Road Initiative » s’étend à l’Afrique

Nicolas Klein – Les miettes du festin : Commentaire succinct sur l’insertion de l’Espagne dans la Nouvelle Route de la soie

Francisco José Leandro – Géopolitique de la  « Belt ans Road Initiative» : Le nouvel institutionnalisme financier

Kees van der Pijl- La mondialisation et la doctrine de la Guerre Perpétuelle

Yves Branca – Tianxia : Le monde en tant que corps et sujet politique ?

LIBRES PENSEES

Thierry Fortin – Les accords de Lancaster House face au BREXIT : consolidation ou décomposition ?

Philippe Renoux – La dictature du dollar


mercredi, 19 juin 2019

Ganaches en culottes courtes

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Ganaches en culottes courtes

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Les bons résultats électoraux des Verts en Allemagne et en France aux récentes européennes ravissent la presse mensongère officielle. Le 26 mai dernier, le bloc environnementaliste, c’est-à-dire les Verts de Yannick Jadot, Urgence écologie de Dominique Bourg, le surprenant Parti animaliste qui talonne désormais le PCF, l’Alliance jaune de Francis Lalanne, la liste espérantiste et celle des décroissants, a réuni 4 106 388 voix, soit 18,12 % des suffrages exprimés.

Les échéances en 9 paraissent favorables au vote environnemental (1989 : percée des Verts d’Antoine Waechter; 1999 : élection de neuf Verts et de six chasseurs – pêcheurs; 2009 : succès des listes Cohn-Bendit). Cette année, les Verts ont bénéficié d’un effet Greta Thunberg, cette autiste suédoise de 16 ans qui fait la grève scolaire afin de sauver le climat. On l’imite non seulement en Suède, mais aussi en Finlande, au Danemark, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Belgique, en Espagne et en Australie. En France, chaque vendredi, des lycéens abandonnent de pesants cours et s’indignent du réchauffement climatique en attendant de s’élever contre la grippe, la nuit et la pluie. Les jeunes générations seraient-elles plus soucieuses de l’avenir de la planète que leurs aînées ? Difficile de l’affirmer quand on observe que le vote Vert, Corse mise à part, représente d’abord et avant tout un choix protestataire urbain, convenu et bo-bo.

Il y a vingt ans, les lycéens grévistes d’un jour auraient vociféré contre l’extrême droite. Aujourd’hui, des pourcentages élevés rendent de telles mobilisations relativement superflues. Ces manifestations hebdomadaires enfreignent l’obligation de scolarité sans susciter la réaction des professeurs et des instances de l’Éducation nationale. Comment auraient-ils réagi si les lycéens avaient manifesté contre l’immigration ou pour la peine de mort ? Par ailleurs, derrière le psittacisme climatiquement correct, les jeunes manifestants à la cervelle erratique agissent en vieillards précoces. Faute peut-être d’une culture classique suffisante maîtrisée ou même acquise, ils ne comprennent pas la réalité du monde et persistent à ne pas considérer que les questions écologique, sociale et identitaire constituent les facettes d’un même problème, celui de la mondialisation.

Il est intéressant de relever que la plupart des grévistes proviennent des lycées d’enseignement général. Les filières professionnelles et technologiques se sentent moins concernées par ces actions dignes des charges de Don Quichotte contre les moulins à vent. Ces monômes lycéens qui remplacent le bizutage d’antan n’effacent en rien leur ambiguïté, voire leurs contradictions.

Les benêts ès – lycée sont-ils prêts en effet à changer leur mode de vie et à entrer dans une décroissance matérielle effective ainsi que dans une véritable décolonisation de leur imaginaire ? Vont-ils renoncer aux smartphones et aux tablettes dont les composantes en terres rares polluent les lieux d’extraction, à quitter progressivement les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Snapchat), à arrêter de fumer cigarettes et pétards, à cesser de s’alcooliser en fin de semaine, à s’affranchir des codes totalitaires de la mode vestimentaire lancée par des vedettes de variétés surévaluées ? Dès leur 18 ans, ces jeunes et naïfs adultes s’engageront-ils à privilégier les transports en commun plutôt qu’une voiture particulière offerte par Maman, Papa, Mamie, Papy, Tatie, Tonton, le chien et le chat ? Seraient-ils prêts à fermer les frontières, y compris communales, et à contenir l’explosion démographique africaine par des mesures anti-natalistes autoritaires ?

Les « Vendredis pour le climat » ne sont que de l’esbroufe typique de notre époque hyper-moderne puisque ceux qui y participent font le contraire les six autres jours. Les lycéens de l’Hexagone devraient regarder au-delà des Alpes. En Italie, des milliers de jeunes diplômés réduits au chômage ont choisi de retourner à la terre et de se lancer qui dans l’agriculture biologique, qui dans l’élevage traditionnel ou dans l’artisanat rural. S’ils étaient conséquents avec eux-mêmes, Greta Thunberg la première, les lycéens français devraient se réorienter, récuser toute ambition d’intégrer une école de commerce prestigieuse et entreprendre une carrière paysanne, sinon leurs manifs renforceront l’« escrologie » politique ambiante.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 129.