C’est un fait : la crise financière qui a débuté au début de l’été 2007 s’est transformée en crise économique majeure. Les économies occidentales sont déjà entrées en récession où sont sur le point de le faire. Le coup de frein a été si brutal que personne n’entrevoit un redémarrage avant 2010 au mieux. Pis, il se pourrait, de l’avis de nombreux économistes, que 2009 enregistre une récession globale, ce qui serait une première depuis la crise de 1929. Dans une note d’avril 2008 sur les "Perspectives de l’économie mondiale", le Fonds monétaire international (FMI) tablait sur une croissance mondiale de 3,7% en 2008 comme en 2009. Les services de l’institution évaluaient alors à "25% la probabilité d’un ralentissement de la croissance mondiale à 3% ou moins en 2008 et en 2009, ce qui équivaudrait à une récession mondiale". Le FMI a annoncé début octobre qu’il attendait pour 2009 une croissance mondiale de 3% avec une progression de 0,5% pour les pays développés, dont 0,1% pour les Etats-Unis et 0,2% pour la zone euro.
Selon certains experts, les indicateurs récents montrent que le choc devrait être si violent qu’il est pratiquement acquis que le Produit intérieur brut (PIB) devrait être en recul sur l’ensemble de l’année en Europe et aux Etats-Unis. Les optimistes estiment que le relais pourrait être pris par les pays émergents. Après tout, le FMI table sur une croissance de 6,1% pour eux (contre 6,7% en juillet). Il prévoit 9,3% pour la Chine contre 11,4% en 2007 et 10,4% au premier semestre 2008. Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution. Malgré son développement accéléré ces dernières années, la Chine n’est pas en mesure d’être le moteur principal de l’économie mondiale. En 2007, son PIB était de 3.430 milliards de dollars quand celui des Etats-Unis dépassait les 14.000 milliards. Surtout, outre le fait que les statistiques officielles sont sujettes à caution, rien ne dit que le ralentissement ne sera pas plus important qu’anticipé. Car, l’économie chinoise est tirée par les exportations, en particulier vers les Etats-Unis. En cas de récession dans ce pays, les exportations chinoises ne peuvent que baisser de manière très importante, ce qui ne peut que peser sur la situation économique et sociale intérieure. Dans ce contexte, la récession globale est quasiment acquise pour 2009 et elle pourrait même s’aggraver. Quelle sera sa durée ? Comme on l’a déjà expliqué ici (voir chronique "Refonder le capitalisme ?" du 26 septembre), après un choc économique on commence à parler de reprise quand les prix de l’immobilier se stabilisent. Pour le moment, ce n’est le cas ni aux Etats-Unis ni en Europe. L’opinion la plus répandue est que l’économie en Occident stagnera jusqu’en 2010 et qu’une vraie reprise n’est pas attendue avant 2011.
Une régulation plus stricte du secteur financier
Mais de quelle reprise s’agira-t-il ? Cette crise partie du marché américain du crédit hypothécaire pour ébranler toute la finance internationale va, par la force des choses, aboutir à un nouveau modèle économique. Si les Etats-Unis ont connu une croissance du PIB de 3% à 4% en moyenne par an depuis le milieu des années 1990, ils le doivent au formidable développement des technologies de l’information et de la communication, qui ont permis d’améliorer significativement la productivité, mais aussi aux innovations dans le secteur financier. Les banques ont élaboré des outils permettant aux entreprises de se financer à un coût acceptable, ce qui a permis de doper l’investissement. Ces outils sont les produits dérivés. L’impact de ces instruments a été tel que le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, a encouragé leur développement et s’est opposé à leur régulation au nom de la croissance américaine. Ces produits dérivés, qui concernent aussi bien les actions que les obligations et les monnaies et les crédits d’entreprises, représentaient un montant notionnel de 106.000 milliards de dollars en 2002 et devraient totaliser 531.200 milliards cette année, selon les données de l’International Swaps and Derivatives Association publiées récemment par le New York Times.
Avec l’éclatement de la bulle immobilière et l’explosion du marché des prêts hypothécaires à risque (subprime), nombreux sont ceux qui pensent que les innovations sont allées trop loin. Le secteur financier va être régulé de manière plus stricte. A l’occasion de l’entrée de l’Etat au capital des banques américaines, il est question de renforcer sensiblement les ratios de solvabilité et de durcir les conditions d’octroi de crédit, cette dernière mesure pesant directement sur la consommation puisque les foyers pouvaient jusqu’ici "gager" en quelque sorte leur bien immobilier pour obtenir de nouveaux crédits. Cette régulation plus stricte conduira forcément à un abaissement de la rentabilité. Fini le temps où les banques pouvaient afficher un taux de retour sur fonds propres de 25% voire plus. La norme devrait être désormais de 15%, selon des analystes. Cela change tout pour la valorisation des établissements concernés et cela change aussi beaucoup pour l’économie américaine. Car les entreprises ayant besoin d’argent devront apporter des garanties pour obtenir des prêts. Tout le monde ne pourra pas financer son développement à crédit.
Moins de croissance, moins de richesses, moins d’emplois…
C’est un changement radical aux Etats-Unis. Et la croissance du Produit intérieur brut devrait en pâtir. A moyen terme, "les taux de croissance moyens seront significativement moins élevés qu’entre 1995 et 2008", expliquait Andreas Hoefert, chef économiste chez UBS Wealth Management, lors d’un passage à Paris la semaine dernière. On pourrait ainsi avoir un taux moyen de 1,5% à 2% contre 3% à 4%. Cela signifie que les Etats-Unis auraient à peu près le même rythme que l’Europe. Cela ne va pas sans poser des problèmes : une économie américaine tournant au ralenti va-t-elle séduire les investisseurs étrangers qui ont alimenté sa croissance ces dernières années ? Selon les chiffres d’UBS, sans le capital venant de l’étranger, le taux de croissance du PIB américain serait amputé de 0,4 point. Quel serait l’impact sur l’économie mondiale sachant que les Etats-Unis sont le premier moteur de la croissance ? Les pays émergents ne peuvent pas prendre le relais et l’Europe sera moins encline à adopter les réformes libérales que réclamaient les experts américains pour "doper" sa croissance.
D’ où un ralentissement général dont on ne mesure pas encore les effets. Une croissance moindre signifie moins de création de richesses et moins d’emplois. Pour des pays pauvres, c’est un problème social inquiétant qui se profile. La Chine et l’Inde, par exemple, ont réussi à sortir des dizaines de millions de personnes de la pauvreté ces dernières années grâce à leur développement rapide. Qu’en sera-t-il demain si ces pays perdent des débouchés américains alors que leur marché intérieur n’est pas en mesure de tirer leur croissance ? De fait, après s’être mobilisés pour sauver le système financier international, les dirigeants politiques doivent se pencher sur la question du modèle de développement acceptable aussi bien par le monde développé que par les pays émergents.
(chronique publiée sur le site Globalix.fr)