dimanche, 22 mai 2022
Les tensions du vingtième siècle derrière le conflit Russie-Ukraine
Les tensions du vingtième siècle derrière le conflit Russie-Ukraine
Le rôle des États-Unis, le choc entre l'Ours et la Baleine tandis que l'Europe reste une "belle endormie"
par Giuseppe Del Ninno
Source: https://www.barbadillo.it/104453-le-tensioni-novecentesche-dietro-il-conflitto-russia-ucraina/
Le différend dans la mer d'Azov
La guerre en Ukraine a fait remonter à la surface des mouvements souterrains ataviques, mais elle a aussi confirmé des tendances récentes; de plus, elle a fait exploser des contradictions qui couvaient déjà dans nos sociétés, par exemple en remaniant les distinctions entre la droite et la gauche, au point que les lecteurs de "Avvenire" et de "La Verità" se sont retrouvés sur des positions opposées à l'envoi d'armes en Ukraine, et donc dans le camp opposé à celui occupé par les lecteurs de "Il Giornale", "Corriere" et "Repubblica". Parmi les motions ataviques, il faut surtout compter l'opposition dynamique entre Terre et Mer, déjà théorisée par Carl Schmitt, qui l'a identifiée dans le conflit entre Rome et Carthage, sa première manifestation dans l'histoire ; or, les événements guerriers qui se déroulent à deux heures de vol de chez nous en représentent une variante typique.
Ce n'est qu'avec l'avènement de l'arme nucléaire et l'extension à la planète entière du scénario sur lequel s'affrontent les nouveaux sujets en lutte pour le Pouvoir que s'est imposée la notion de "guerre par procuration", où les véritables protagonistes - l'un, les Etats-Unis, la baleine symbolique dans la métaphore de Carl Schmitt, l'autre le binôme russo-chinois, souvent dépeint comme un ours - choisissent des représentants théâtraux et tragiques de leurs intérêts respectifs, pour déclencher des conflits qui les impliquent le moins possible.
C'est un scénario que nous avons vu mis en scène depuis la guerre de Corée, avec les États-Unis directement engagés contre cette puissance régionale, mais en réalité contre la République populaire de Chine, comme ce fut également le cas au Vietnam. Dans la suite de l'histoire de ce vingtième siècle que l'on croyait "court", mais qui a étiré ses excroissances malignes jusqu'au vingt-et-unième, la superpuissance américaine a toujours été présente, soit à la première personne, soit comme leader de coalitions, sous le signe de cette "alliance atlantique" qui, par son nom même, souligne son appartenance à la catégorie "mer" : avant l'Ukraine, nous en avons eu un avant-goût en Syrie.
Dès lors, l'opposition réactivée entre cet ours et cette baleine, qui une fois de plus - après Belgrade et le Kosovo, autres exemples récents - a choisi l'Europe comme lieu de cette conflictualité représentative, atavique et tragique, ne doit pas surprendre. À nos yeux, ce sont donc moins les causes occasionnelles du conflit - que l'on veut de manière simpliste faire remonter et réduire à l'invasion russe de l'Ukraine - qui comptent que ces funestes tendances souterraines que nous avons mentionnées. Avec un minimum de prévoyance et de mémoire historique, le conflit, avec son cortège sanglant de mort et de dévastation, aurait pu être évité.
Quant au rôle évanescent de l'Europe, dans son pâle avatar qu'est l"Union européenne", nous sommes toujours dans le déjà vu: le chimérique "empire de 400 millions d'hommes" rêvé par des légions de politiciens et de penseurs d'orientations les plus diverses, de De Gaulle à Schumann en passant par Jean Thiriart, a ressemblé dès son origine à l'empire byzantin en déclin, destiné à être avalé par la jeune puissance islamique, dans ses diverses configurations impériales. Il n'est pas nécessaire d'en dire trop sur son asservissement à l'OTAN, le bras militaire de l'Hégémonie atlantique: même dans notre propre pays en lambeaux, après l'unanimité initiale pour défendre le pays envahi, des réserves et des distinctions sont émises, presque de tous les côtés de l'échiquier politique, et des questions sont posées sur les intérêts réels des acteurs en jeu. En effet, les Etats-Unis ne cachent pas leur intention fondamentale, qui ne consiste pas tant en un changement de régime qu'en l'usure de la puissance russe jusqu'à son déclassement économique, militaire et politique, jeu, qui plus est, qui se jouerait sur un théâtre éloigné de leur territoire; tandis qu'en Europe - notamment dans certaines de ses composantes comme l'Allemagne et l'Italie, qui dépendent de l'ours russe sur le plan de l'énergie - l'idée d'un éventuel élargissement et prolongement du conflit ne répond à aucune stratégie géopolitique cohérente et rationnelle.
Et à propos de l'Italie, il est à peine utile de noter l'inversion accessoire du rapport Gouvernement-Parlement, ce dernier étant appelé uniquement et de plus en plus rarement à ratifier les choix de l'Exécutif. Ce n'est que lorsqu'il s'est agi d'éviter la dissolution des Chambres - et le résultat défavorable probable d'élections anticipées pour les détenteurs du pouvoir depuis des décennies - que la nature de notre pays en tant que république parlementaire a été invoquée, avec l'assentiment "alimentaire" de nombreux députés et sénateurs, craignant de perdre prématurément leurs salaires et indemnités.
Il y a ensuite un aspect de cette guerre qui, s'il ne s'agissait pas d'un événement tragique, prêterait à sourire, à savoir la connotation "légaliste" de chaque initiative: la Russie de Poutine - et non le peuple russe, s'empresse-t-on de préciser - doit être punie pour avoir violé le droit international avec son "opération spéciale". D'ailleurs, l'une des conséquences de ce conflit se répercute sur l'utilisation des mots: ce n'est pas la guerre, mais précisément une "opération spéciale", et ce n'est pas la reddition du bataillon Azov, mais l'évacuation; ou bien on utilise des périphrases, pour ne pas définir comme "co-belligérants" ou "alliés" ceux qui fournissent des armes à l'une des parties en conflit. Mais quand la politique du pouvoir a-t-elle jamais adhéré aux règles du droit international? La diplomatie du XIXe siècle appelait déjà les traités "chiffon de papier"...
La guerre entre la Russie et l'Ukraine
Et maintenant, il suffirait de rappeler qu'aucune des guerres après 45 n'a été déclarée selon ces règles; sans parler de l'action de l'"intelligence" adverse et de l'organisation des différents "coups d'État": ces arguments suffiraient à démasquer "avec quelles larmes et avec quel sang" s'écrivent chaque politique impériale, chaque relation conflictuelle entre États. Ne parlons pas de la prétention de qualifier de "génocide" les massacres inévitables de tout conflit et d'invoquer les tribunaux internationaux pour frapper les perdants (mais on se garde bien d'appeler la République populaire de Chine à la barre, ne serait-ce que pour établir une responsabilité, dont les contours commencent à se dessiner, à l'égard de cette pandémie dans laquelle nous nous débattons encore). Malheureusement, nous avons vu des génocides au sens strict du terme, et ils n'avaient rien à voir avec ce qui se passe entre Lviv et Kharkiv, entre Kiev et Odessa : il suffit de penser au massacre des Amérindiens, à la persécution des Arméniens et, surtout, à l'Holocauste, pour comprendre ce que signifie le mot "génocide".
Parmi les dégénérescences de la culture "occidentale", en bref, il y a l'intention louable d'encadrer le conflit récurrent entre Léviathan et Béhémoth dans les catégories du droit, pour tenter de l'exorciser; mais le Mythe et la Technologie, qui donnent corps et âme à la Politique, ne se laissent pas gouverner par l'Économie et l'Éthique (en fait, en ce qui concerne ces dernières, les vainqueurs se posent toujours en gardiens et protecteurs de la Morale Unique). Et bien sûr, le corollaire du Droit - ou son incontournable contrepartie - est la Démocratie, que l'Hégémonie atlantique voudrait imposer au Globe entier, avec le fracs de ses bombes et l succession des coups d'Etat qu'elle organise ; une catégorie de la Pensée grecque transplantée outre-mer et exquisément européenne, qui s'est affinée au cours des millénaires et qu'elle voudrait maintenant imposer à des portions de la planète comme un corps étranger à ces cultures disparates. Dans le conflit russo-ukrainien, il y a aussi le recouvrement hypocrite des intérêts géopolitiques par des arguments de principe vertueux. Malheureusement, si notre Europe est la Belle au bois dormant du conte de fées, il n'y a pas de prince charmant à l'horizon prêt à la réveiller avec son baiser salvateur.
Giuseppe Del Ninno
10:31 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, russie, ukraine, affaires européennes, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 14 mai 2022
L'Europe peut-elle exister sans la Russie ?
L'Europe peut-elle exister sans la Russie?
par Michel Pinton
Source: https://www.ideeazione.com/puo-leuropa-esistere-senza-la-russia/
La question qui constitue le titre de cet article a été posée aux participants d'un séminaire que j'ai eu l'honneur d'organiser il y a trente ans. C'était en 1994. La Russie luttait pour émerger des ruines de l'empire soviétique. Sa longue captivité l'avait épuisé. Enfin libre, elle n'avait qu'une seule aspiration : retrouver sa force et être à nouveau elle-même. J'entends par là non seulement retrouver la prospérité matérielle que les bolcheviks avaient dilapidée, mais aussi reconstruire ses relations sociales détruites, son ordre politique effondré, sa culture déformée et son identité perdue.
À l'époque, j'étais membre du Parlement européen. Il me semblait essentiel de comprendre ce qu'était la nouvelle Russie, quelle voie elle empruntait et comment l'Europe occidentale pouvait travailler avec elle. J'ai eu l'idée de conduire une délégation de députés à Moscou pour discuter de ces questions avec nos homologues de la Douma fédérale. J'en ai parlé à Philippe Seguin, alors président de l'Assemblée nationale française, et il a immédiatement accepté mon projet. Les parlementaires russes ont répondu à notre demande en nous invitant à venir immédiatement. D'un commun accord, nous avons décidé d'élargir nos délégations respectives à des experts dans les domaines de l'économie, de la défense, de la culture et de la religion, afin que leurs réflexions éclairent nos discussions.
Seguin et moi n'étions pas seulement poussés par la curiosité envers cette nation alors indécise. Nous nous considérions comme les héritiers d'une école de pensée française selon laquelle l'Europe est une, de l'Atlantique à l'Oural, non seulement sur le plan géographique, mais aussi en termes de culture et d'histoire. Nous étions également convaincus que ni la paix, ni le développement économique, ni l'avancement des idées ne pouvaient être établis sur notre continent si ses nations se déchiraient les unes les autres, voire s'ignoraient. Nous avons voulu poursuivre la politique d'entente et de coopération initiée par Charles de Gaulle de 1958 à 1968 et brièvement reprise en 1989 par François Mitterrand dans sa proposition de "grande confédération européenne".
L'OTAN : un obstacle à nos projets
Nous savions qu'il y avait un obstacle à notre projet : il s'appelait OTAN. De Gaulle, le premier, n'avait cessé de dénoncer ce "système par lequel Washington tient la défense et par conséquent la politique et même le territoire de ses alliés européens". Il affirmait qu'il n'y aurait jamais de "véritable Europe européenne" tant que ses nations occidentales ne se seraient pas libérées de la "lourde tutelle" exercée par le Nouveau Monde sur l'Ancien. Il avait donné l'exemple en "libérant la France de l'intégration sous commandement américain". Les autres gouvernements n'ont pas osé le suivre. Mais la chute de l'empire soviétique en 1990, et la dissolution du Pacte de Varsovie, semblaient justifier la politique gaulliste: il était évident pour nous que l'OTAN, ayant perdu sa raison d'être, devait disparaître. Il n'y avait plus aucun obstacle à une entente étroite entre tous les peuples d'Europe. Seguin, en homme d'État visionnaire, pourrait envisager "une organisation spécifique de la sécurité en Europe" sous la forme "d'un Conseil européen de sécurité dans lequel quatre ou cinq des grandes puissances, dont la Russie et la France, auraient un droit de veto".
C'est avec ces idées que je me suis rendu à Moscou. Seguin a été retenu à Paris par une contrainte inattendue de la session parlementaire française. Notre séminaire a duré trois jours. L'élite russe est venue avec autant d'enthousiasme que les représentants de l'Europe occidentale. De nos échanges, j'ai tiré une leçon principale : nos interlocuteurs sont obsédés par deux questions fondamentales pour l'avenir de leur nation: qui est russe? Comment assurer la sécurité de la Russie?
La première question découle des frontières arbitraires que Staline avait imposées au peuple russe au sein de l'ancienne Union soviétique. La seconde était la réapparition des souvenirs tragiques des invasions passées. Certains pensaient que les réponses se trouvaient dans le commerce avec l'Europe occidentale, dont les nations avaient appris à négocier leurs limites et à travailler ensemble fraternellement pour le bien de tous. Et puis il y en avait d'autres qui, rejetant l'idée d'une vocation européenne de la Russie, considéraient qu'elle avait son propre destin, qu'ils appelaient "eurasien". Naturellement, c'est le premier groupe que nous avons encouragé. C'est à ce groupe que nous avons apporté nos propositions. Il était dominant à l'époque.
En relisant le compte rendu de ce séminaire trente ans plus tard, mon cœur se serre en redécouvrant l'avertissement que nous avait donné un éminent universitaire, alors membre du Conseil présidentiel : "Si l'Occident ne montre aucune volonté de comprendre la Russie, si Moscou n'acquiert pas ce à quoi elle aspire - un système de sécurité européen efficace - si l'Europe ne sort pas de son isolement, alors la Russie deviendra inévitablement une puissance révisionniste". Elle ne se contentera pas du statu quo et cherchera activement à déstabiliser le continent".
En 2022, c'est exactement ce qu'elle fait. Pourquoi notre génération d'Européens a-t-elle échoué si lamentablement dans l'œuvre d'unification qui semblait à portée de main en 1994 ?
Nous avons tendance à rejeter la faute sur un seul homme : Poutine, "un dictateur brutal et froid, un menteur invétéré, nostalgique d'un empire disparu", que nous devons combattre, voire éliminer, afin que la démocratie, le précieux trésor de l'Occident, puisse également prévaloir à l'Est et y établir la paix. C'est à cette tâche, sous l'égide de l'OTAN, que nous appelle le président américain Joe Biden. Son explication a l'avantage d'être simple, mais elle est trop intéressée pour être acceptée sans examen. Ceux qui ne sont pas dominés par les émotions de l'actualité n'ont aucune difficulté à comprendre que le problème de l'Europe est beaucoup plus complexe et profond.
L'histoire de notre continent au cours des trente dernières années peut se résumer à un éloignement progressif de l'Est de l'Ouest. Dans l'ancien empire soviétique, la principale préoccupation était, et est toujours, de reconstruire des nations qui renoueront avec leur passé et vivront en toute sécurité pour être à nouveau elles-mêmes. Pour la Russie, cela signifie réunir tous les peuples qui revendiquent la patrie, établir des relations stables et de confiance avec les nations sœurs du Belarus, de l'Ukraine et du Kazakhstan, et construire un système de sécurité européen qui la protège des dangers extérieurs.
L'obsession européenne
Les dirigeants d'Europe occidentale ont eu une préoccupation très différente. Depuis la chute du mur de Berlin, ils ont consacré leur attention, leur énergie et leur confiance à ce qu'ils ont appelé "l'Union européenne". Le traité de Maastricht, la construction de la monnaie unique, la "constitution" de Lisbonne - voilà ce sur quoi ils ont travaillé presque à plein temps. Alors qu'à l'Est, ils s'efforçaient de rattraper le temps perdu dans l'histoire nationale, à l'Ouest, les élites se sont laissées emporter par une mystique irrésistible, celle du dépassement des nations et de l'organisation rationnelle de l'espace commun. Le problème de la sécurité ne se pose plus à l'Ouest, puisque tous les différends entre les États membres doivent être réglés par des instances supranationales. La paix dans l'"Union" semblait être définitivement établie. En bref, l'Occident pensait avoir dépassé l'idée de nation et construit un système stable de fin heureuse de l'histoire. La Russie était confrontée à des questions brûlantes sur l'idée de nation et avait un sentiment croissant de rendez-vous déchirants avec l'histoire. Dans ces conditions, l'Est et l'Ouest n'avaient pas grand-chose à échanger, à l'exception du pétrole et des machines-outils, dont le niveau est trop bas pour atténuer leurs futures divergences.
En conséquence, l'OTAN est devenue une pomme de discorde encore plus grave qu'à l'époque des deux blocs. En Europe occidentale, l'organisation militaire dirigée par Washington est considérée comme une garantie bénigne contre les éventuels retournements de l'histoire. Elle permet à ses peuples membres de profiter des "dividendes de la paix" du monde extérieur sans s'en préoccuper, tout comme l'Union le fait pour sa paix intérieure. En Russie, l'OTAN apparaît comme une menace mortelle. C'est l'instrument d'une puissance qui a montré à de nombreuses reprises depuis la chute du mur de Berlin sa volonté d'hégémonie mondiale et de domination sur l'Europe. L'inclusion de la Pologne, des trois États baltes et de la Roumanie, tous si proches de la Russie, dans les territoires couverts par la suprématie américaine a été applaudie en Occident. À Moscou, elle a suscité l'inquiétude et la colère.
L'échec de la France
Et la France ? Pourquoi n'a-t-elle pas essayé d'empêcher la division progressive de notre continent ? Parce que sa classe dirigeante a toujours choisi d'accorder la priorité absolue à la mystique de l'"Union européenne". En conséquence logique, elle s'est laissée entraîner dans son complément naturel, l'OTAN. Jacques Chirac a participé, à contrecœur bien sûr, mais explicitement, à l'expédition décidée par Washington contre la Serbie. Sarkozy a pris le parti de rapprocher notre pays du système dominé par les Américains. Hollande et Macron nous ont liés toujours plus étroitement à l'organisation dont la tête est de l'autre côté de l'Atlantique. En nous liant toujours plus étroitement à l'OTAN, nos présidents ont perdu une grande partie du crédit international dont jouissait la France lorsqu'elle était libre de faire ce qu'elle voulait.
Un sursaut de conscience les a parfois amenés à rejeter la tutelle américaine et à reprendre la mission que de Gaulle avait commencée. Chirac a refusé de participer à l'agression de Bush contre l'Irak, Sarkozy s'est entendu à lui seul avec Moscou sur les termes d'un armistice en Géorgie, Hollande a négocié les accords de Minsk pour mettre fin aux combats en Ukraine, ils ont tous accompli des actes dignes de notre vocation européenne. Ils ont même réussi à engager l'Allemagne. Mais hélas, leurs efforts ont été improvisés, partiels et de courte durée.
C'est à cause de cette série de divergences que l'Europe a été une fois de plus coupée en deux. La malheureuse Ukraine, située sur la ligne de fracture du continent, est la première à en payer le prix en sang, larmes et destruction. La Russie le revendique au nom de l'histoire. L'Union européenne s'indigne au nom des valeurs démocratiques qui, selon elle, mettent fin à l'histoire. L'Amérique profite de ce différend insoluble pour avancer discrètement ses pions et rendre l'issue de la guerre encore plus compliquée.
Voilà où se trouve l'Europe un tiers de siècle après sa réunification : un abîme de malentendus la divise ; une guerre cruelle la déchire ; un nouveau rideau de fer, imposé cette fois par l'Occident, commence à séparer son espace ; la course aux armements a repris ; et, plus encore que la chute vertigineuse des échanges économiques, c'est la fin des échanges culturels qui menace chacune de ses deux faces. Le grand Européen Jean-Paul II avait coutume de dire que notre continent ne pouvait respirer qu'avec ses deux poumons. Aujourd'hui, en Occident comme en Orient, nous sommes condamnés à ne respirer qu'avec un seul. C'est un mauvais présage pour les deux moitiés. Mais les vrais Européens doivent refuser de se décourager. Même s'ils sont peu entendus aujourd'hui, ce sont eux et eux seuls qui peuvent ramener la paix sur notre continent et lui rendre sa prospérité et sa grandeur.
10 mai 2022
11:28 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, europe, russie, affaires européennes, politique internationale, otan, atlantisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 13 mai 2022
Le nouvel ordre multipolaire
Le nouvel ordre multipolaire
Germán Gorráiz López
Source: https://katehon.com/en/article/new-multipolar-order
Par chaos, nous entendons quelque chose d'imprévisible, quelque chose qui échappe à la vision myope de nos yeux, qui ne peuvent que saisir une pauvre esquisse de l'ensemble, face à des événements qui dépassent les paramètres connus, puisque notre esprit n'est capable de séquencer que des fragments de la séquence totale de l'immense génome du chaos, face auquel nous recourons inévitablement au dit "effet papillon" pour tenter d'expliquer la conjonction vertigineuse des forces centripètes et centrifuges qui finiront par configurer le puzzle disjoint du chaos ordonné qui est en train de prendre forme.
L'"effet papillon", que je viens de mentionner, quand il est transféré à des systèmes complexes, aurait pour effet collatéral l'impossibilité de détecter à l'avance un futur proche, puisque les modèles quantiques qu'ils utilisent ne seraient que des simulations basées sur des modèles antérieurs, pour lesquels l'inclusion d'une seule variable incorrecte ou l'apparition soudaine d'une variable imprévue fait que la marge d'erreur de ces modèles s'amplifie dans chaque unité de temps simulée jusqu'à dépasser la limite stratosphérique de cent pour cent, dont le Brexit serait un paradigme, tout comme l'apparition de la pandémie COVID, l'opération russe en Ukraine et le prochain krach boursier.
Le biologiste français Jacques L. Monod dans son essai Le Hasard et la nécessité (1970) explique que les variables du logos et le hasard de l'évolution humaine seraient des aspects complémentaires de la nécessaire adaptation évolutive des êtres vivants face à des changements drastiques pour assurer leur succès reproductif (leur survie) avec lesquels nous assisterions à l'émergence d'un "scénario téléonomique" par opposition au soi-disant "scénario téléologique" en vigueur dans les sociétés occidentales.
Le Brexit et le triomphe de Trump marqueront donc la fin du "scénario téléologique" dans lequel la finalité des processus créatifs était planifiée par des modèles finis qui pouvaient intermodéliser ou simuler divers futurs alternatifs et dans lequel l'intention, la finalité et la créativité prévalaient. et son remplacement par le "scénario téléonomique", marqué par des doses extrêmes de volatilité qui affecteront particulièrement les systèmes complexes tels que le changement climatique, la détection et la prévention des épidémies, les flux migratoires, la bourse et le nouvel ordre géopolitique mondial.
Ainsi, l'émergence sur la scène mondiale d'une nouvelle pandémie virale n'a pas été perçue par les experts de l'OMS car notre esprit n'est capable de séquencer que des fragments de la séquence totale de l'immense génome du chaos face à des événements qui dépassent les paramètres connus. De même, ils ont été incapables de reconnaître leur ignorance, puisque la différence entre un sage et un ignorant est que le premier est capable de reconnaître que la sagesse vient de la reconnaissance de l'ignorance, incarnée par la phrase emblématique attribuée à Socrate ("Je sais seulement que je ne sais pas que je ne sais rien").
Dans le domaine économique, la croissance stratosphérique des prix du pétrole brut et de l'énergie obligera les pays à adopter des politiques de décroissance avec la contraction subséquente du commerce mondial et qui provoquera le règlement de la mondialisation économique, ayant comme effets collatéraux la fin du tourisme de masse, le retour des entreprises délocalisées et l'intronisation de l'économie circulaire et des produits ECO-label qui finiront par dessiner le retour aux compartiments économiques isolés à l'horizon des cinq prochaines années.
De même, après la guerre en Ukraine, nous assisterons à la fin de l'unipolarité des États-Unis et de leur rôle de gendarme du monde et à son remplacement par la nouvelle doctrine de la multipolarité ou "géopolitique de pair à pair", formée par la troïka Etats-Unis, Chine et Russie (G3) ainsi qu'à l'irruption sur la scène géopolitique de la nouvelle vague involutive mondiale. Ladite vague involutive serait causée par des causes économiques (le déclin de l'économie mondiale) ; culturelles (le déclin des démocraties formelles occidentales dû à la culture de la corruption) ; politiques (la perte de crédibilité démocratique d'innombrables gouvernements de pays occidentaux et du tiers monde) et géopolitiques (l'émergence d'un nouveau scénario géopolitique mondial après le retour à l'endémisme récurrent de la guerre froide entre les États-Unis et la Russie).
16:18 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique, multipolarité | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le bâton américain est resté sans carotte
Le bâton américain est resté sans carotte
Leonid Savin
Source: https://katehon.com/en/article/american-stick-was-left-without-carrot
Les États-Unis exercent des pressions sur d'autres pays dans le cadre des relations avec la Russie, limitant de fait leur souveraineté!
Les États-Unis ont la capacité d'appliquer de vastes mesures pour exercer des pressions sur d'autres pays, non seulement dans le cadre de relations bilatérales, mais aussi par le biais d'organisations internationales contrôlées telles que le FMI et la Banque mondiale. Bien que ces mesures violent le droit international, elles sont devenues monnaie courante pour les praticiens de la diplomatie préventive, c'est-à-dire des menaces de sanctions ultérieures qui peuvent avoir un effet économique et politique à long terme.
En particulier, il a été noté précédemment que les pays qui votaient contre la position des Etats-Unis à l'ONU, étaient ensuite confrontés à des restrictions dans l'obtention de prêts ou de crédits auprès de ces organisations financières. Ce fut le cas lors du vote pendant l'opération Tempête du désert contre l'Irak. Les États-Unis ont appliqué une option similaire à la Russie. Cela explique la participation d'un si grand nombre de pays en développement à la liste des États qui ont voté contre la Russie à l'ONU.
Dans le même temps, afin d'éviter le coup de bâton américain, la Serbie amie a même voté contre Moscou ! Le président Aleksandr Vucic s'est défendu plus tard en disant que la décision a été prise sous la pression des pays occidentaux, mais la Serbie ne va pas imposer de sanctions contre la Russie. Compte tenu de l'occupation du Kosovo, la Serbie ne dispose pas de sa pleine souveraineté, même en théorie, et elle est donc obligée de trouver un équilibre entre le collectif occidental, au milieu duquel elle est encerclée, et la Russie.
Cependant, elle comprend que la restauration de sa souveraineté ne peut se faire que grâce à l'aide de la Russie, et non aux actions de l'Occident. Le temps le plus proche nous dira comment cette orientation se développera, surtout si l'on considère la récente fourniture d'armes par la Grande-Bretagne aux Kosovars, que Belgrade a considéré comme une action inamicale [i].
Le cas le plus évident d'ingérence américaine récente dans les affaires intérieures d'un autre pays en raison d'une position indépendante est le changement de gouvernement au Pakistan. Le Premier ministre était à Moscou lors du début de l'opération spéciale en Ukraine et a rencontré les dirigeants de notre pays [ii].
Le Pakistan n'a pas voté contre la Russie à l'ONU et a également refusé de condamner Moscou après un appel collectif des ambassadeurs de l'UE. De Washington, par l'intermédiaire de l'ambassadeur pakistanais aux États-Unis, on lui a dit qu'il devait démissionner, sinon ce serait pire pour le Pakistan. Imran Khan n'a pas eu peur de le dire ouvertement lors d'un rassemblement public, où il a déclaré qu'une ingérence évidente de l'extérieur avait eu lieu.
Mais le coup d'État parlementaire a quand même eu lieu, bien qu'il y ait eu des tentatives pour empêcher un vote de défiance. Il y a maintenant un gouvernement pro-américain au Pakistan, qui a commencé à changer les principaux ministres. Et le "Mouvement pour la solidarité" fait descendre des milliers de ses partisans dans les rues de différentes villes du pays. Des manifestations de masse sont prévues à Islamabad même, à la fin du mois sacré du Ramadan.
Aujourd'hui encore, le Pakistan connaît un niveau record de sentiment anti-américain. Imran Khan a juré de combattre à la fois l'ingérence américaine et le "gouvernement importé", par lequel il entend la coalition actuelle à l'Assemblée nationale de la Ligue musulmane-N et du Parti du peuple pakistanais.
Étant donné la situation fragile du Pakistan, ce "coup d'État" frappera en premier lieu le peuple pakistanais lui-même, qui souffre de turbulences à long terme et d'un manque de stabilité politique.
En Inde voisine, Washington a également tenté d'influencer les décisions relatives à l'interaction entre New Delhi et Moscou.
Lors du sommet 2+2 entre l'Inde et les États-Unis, qui s'est tenu le 12 avril dans la capitale indienne, les questions du conflit en Ukraine et d'éventuelles restrictions commerciales et économiques ont été abordées. Au cours de la conférence ministérielle conjointe, il y a eu une condamnation sans équivoque des morts civils et des appels à un cessez-le-feu immédiat, mais il n'a pas été possible d'obtenir que l'Inde cesse d'acheter des ressources énergétiques russes et même des armes aux États-Unis.
Bien que Blinken et le chef du Pentagone, Lloyd Austin, tentent d'attirer l'Inde dans leur orbite, New Delhi ne croit pas aux promesses et se montre pragmatique quant à l'élargissement de la coopération indo-américaine dans le domaine militaro-technique. La méthode du bâton n'est pas appliquée à l'Inde, même si les États-Unis n'ont pas vraiment de carotte.
Mais la Turquie a clairement succombé à la pression américaine. La veille, Ankara a annoncé la fermeture du ciel turc aux avions russes se rendant en Syrie. Comme l'a expliqué le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, l'autorisation de vol des avions russes a été délivrée pour trois mois et a été prolongée à plusieurs reprises, et maintenant elle a pris fin. Les Turcs en ont informé Moscou à l'avance. Cela s'applique aussi bien aux avions civils que militaires.
Tout cela ne va évidemment pas sans l'intervention des États-Unis, qui tentent d'exercer une pression maximale sur la Turquie, puisqu'elle ne s'est pas jointe aux sanctions contre la Russie (ce qui affecterait grandement les intérêts de la Turquie elle-même).
En Amérique latine, la Maison Blanche tente également, sinon de mettre sur pied une coalition anti-russe, du moins de forcer certains pays à imposer des sanctions anti-russes. À cet égard, les États-Unis ont obtenu le plus grand succès en Colombie, où de nouvelles élections présidentielles pointent le bout de leur nez et où, dans un contexte d'instabilité sociale aiguë, des accusations se font de plus en plus entendre en direction du Venezuela, où se trouveraient des militaires russes susceptibles de causer quelques dégâts en Colombie.
En outre, le président colombien Ivan Duque a tenu des propos sévères à l'encontre de la Russie, soulignant que les militants des FARC pourraient avoir certains liens avec la Russie. Et en relation avec sa rhétorique, une déclaration spéciale a été faite par la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Mariya Zakharova, notant la nécessité de préserver les relations amicales russo-colombiennes, malgré un tel ton ignorant du chef de la Colombie [iii].
Nous pouvons supposer que l'activité actuelle du département d'État américain, d'une manière ou d'une autre, est liée à la politique anti-russe. Si ce n'est pas directement, c'est au moins indirectement.
Vers le 20 avril, le secrétaire d'État américain Antony Blinken, accompagné du secrétaire à la sécurité intérieure Alejandro Mayorkas, s'est rendu au Panama pour discuter des questions de migration et des sanctions contre la Russie. Officiellement, Blinken a remercié les dirigeants panaméens pour leur position pro-américaine [iv].
Étant donné que pour le Panama, les États-Unis sont le principal partenaire économique et le principal investisseur direct (y compris l'exploitation du canal, où plus de 70 % des marchandises qui y transitent sont destinées aux États-Unis ou en proviennent), il est évident qu'ils suivront les instructions de Washington [v].
En outre, plus tôt, l'Ukraine, par l'intermédiaire de son ambassadeur dans ce pays, a essayé d'obtenir du Panama qu'il ferme le canal pour le passage des navires russes. Cependant, les autorités panaméennes ont refusé d'imposer de telles restrictions, invoquant le statut neutre du canal par rapport aux affaires internationales [vi].
Il est significatif qu'auparavant, l'affaire du dossier Panama contenant des données sur les comptes de divers oligarques ait été utilisée par les États-Unis contre la Russie pour imposer des sanctions supplémentaires [vi]. Il est probable qu'à l'avenir, le Panama imposera des restrictions sur l'utilisation de son pays pour les investissements russes ou un certain type de transactions financières. Mais les principaux acteurs d'Amérique latine résistent encore aux exigences anti-russes de Washington.
Le Mexique a refusé de se conformer aux sanctions contre la Russie, comme il l'a fait précédemment avec Cuba. Il ne faut pas oublier que le président Lopez Obrador est critique à l'égard des États-Unis, même s'il comprend la forte dépendance de son pays vis-à-vis de son voisin du nord [vii] - [viii].
Jusqu'à présent, l'Argentine fait face à cette pression avec succès - le ministre des affaires étrangères de ce pays, Santiago Cafiero, a déclaré que l'Argentine ne prendra pas de telles mesures [ix].
Le Brésil a généralement condamné les sanctions occidentales contre la Russie car elles exacerbent les conséquences économiques du conflit et nuisent aux peuples qui dépendent des ressources de base.
"[Ces sanctions] peuvent exacerber les conséquences économiques du conflit et affecter la principale chaîne d'approvisionnement", a déclaré début avril le ministre brésilien des Affaires étrangères, Carlos França, en référence à l'embargo imposé par l'Occident, dirigé par les États-Unis, contre la Russie.
Lors d'une audition devant la commission des relations étrangères du Sénat, le ministre brésilien des affaires étrangères a clairement indiqué que de telles mesures visent à réaliser les intérêts d'un petit groupe de gouvernements, tout en nuisant aux autres qui dépendent des ressources de base [x]. Il est nécessaire de prendre en compte la forte dépendance de ces deux pays à l'égard de la fourniture d'engrais russes, dont dépend le secteur agricole du Brésil et de l'Argentine.
Il existe encore de nombreux pays d'Afrique et d'Asie qui ont condamné extérieurement les actions de la Russie à l'ONU, mais qui continuent officiellement à coopérer. Tôt ou tard, Washington leur demandera de se joindre aux sanctions imposées ou d'établir des restrictions spéciales.
Évidemment, cela affectera leur propre souveraineté, et dans ce choix difficile, beaucoup dépend de la volonté politique des dirigeants. Toutefois, la diplomatie russe ne devrait pas attendre les nouvelles machinations du Département d'État, mais plutôt poursuivre activement sa politique étrangère et maximiser la coopération avec les États amis et neutres.
Notes:
[i] https://ria.ru/20220417/serbiya-1783965016.html
[ii] https://www.geopolitika.ru/article/chto-budet-s-pakistanom
[iii] https://mundo.sputniknews.com/20220421/rusia-lamenta-la-retorica-negativa-del-presidente-colombiano-en-su-contra-1124653073.html
[iv] https://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-and-homeland-security-secretary-alejandro-mayorkas-panamanian-foreign-minister-erika-mouynes-and-panamanian-public-security-minister-juan-manuel-pino-forero-at-a-joint-pr/
[v] https://www.state.gov/secretary-blinkens-trip-to-panama-commitments-to-a-regional-approach-to-hemispheric-migration-and-to-anti-corruption-efforts/
[vi] https://mundo.sputniknews.com/20220420/el-canal-de-panama-el-arma-que-occidente-no-podra-usar-contra-rusia-1124605364.html
[vii] https://www.telesurtv.net/news/EE.UU.-usara-Panama-Papers-para-imponer-mas-sanciones-a-Rusia-20160407-0026.html
[viii] https://www.business-standard.com/article/international/mexico-declines-to-join-russia-sanctions-seeks-to-stay-on-peaceful-terms-122030200448_1.html
[ix] https://ria.ru/20220423/sanktsii-1785124287.html
[x] https://www.hispantv.com/noticias/brasil/540594/sanciones-rusia-conflicto-ucrania
15:45 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : leonid savin, géopolitique, politique internationale, actualité, sanctions, sanctions antirusses, états-unis | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 12 mai 2022
Que faut-il attendre de l'élection présidentielle turque de 2023?
Que faut-il attendre de l'élection présidentielle turque de 2023?
Leonid Savin
Source: https://katehon.com/en/article/what-expect-2023-turkish-presidential-election
Pour la Russie, la défaite de Recep Erdogan peut être utile
Des élections présidentielles et législatives auront lieu en République de Turquie à l'automne 2023. Le pays ayant récemment connu une forme de gouvernement présidentiel (ce qui a donné lieu à des accusations d'usurpation du pouvoir par Erdogan de la part de l'opposition et des pays occidentaux), l'essentiel pour l'avenir de la Turquie n'est pas la répartition des sièges au parlement, mais le poste de chef d'État. L'orientation future de notre politique en dépend, tant dans la sphère extérieure que dans les affaires intérieures.
Le Parti de la justice et du développement de Recep T. Erdogan, au pouvoir, dispose aujourd'hui, selon les sondages, d'environ 33 % du soutien des électeurs. Les avoirs économiques créés sous le règne d'Erdogan sont orientés vers la Russie, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Asie.
Mais la politique étrangère d'Erdogan elle-même est clairement expansionniste - sous lui, la Turquie a pris pied dans le nord de la Syrie et dans certaines parties de l'Irak, a participé aux batailles en Libye et a étendu sa zone économique en Méditerranée, bien que de manière unilatérale. Les méthodes de soft power de la Turquie sont activement utilisées en Asie centrale, en Afrique et dans les Balkans.
Bien que des mesures conservatrices aient été prises en politique intérieure, comme le retrait de la Convention d'Istanbul, qui rapproche les positions de la Turquie et de la Russie, et assimile aux yeux de l'Occident le président Vladimir Poutine et Erdogan à des dirigeants autocratiques.
Quelles sont les ambitions politiques de l'opposition turque actuelle et des autres forces qui prétendent participer à la construction de l'État ?
Le principal concurrent du parti d'Erdogan est le Parti républicain du peuple aux racines historiques, puisqu'il a été créé par le fondateur de la Turquie moderne, Atatürk Kemal. Selon les sondages de sortie des urnes, ils ont maintenant 28%. Le parti n'a pas de programme et d'idéologie clairement perceptibles. Ils sont un mélange hétéroclite de libéraux de gauche, d'anciens communistes, d'Alevis (c'est-à-dire de minorités religieuses), de groupes laïques, de partisans du mariage homosexuel et d'autres pro-occidentaux.
Ils ont une position pro-allemande prononcée (il faut rappeler qu'un grand nombre de Turcs vivent en Allemagne), d'où l'orientation extérieure vers l'UE. En ce qui concerne l'agenda politique intérieur, ils s'appuient sur une opposition ouverte à Erdogan.
Le chef du parti est un politicien plutôt âgé, Kemal Kılıçdaroğlu (photo), qui est complètement dépendant des sociétés occidentales et des oligarques turcs liés à l'Europe. Il a déjà annoncé qu'il participerait aux élections en tant que candidat à la présidence. Sur les questions internes du parti, Kılıçdaroğlu est une figure de compromis qui règle les désaccords internes du parti.
Il est assez significatif que l'actuel maire d'Istanbul, Ekrem İmamoğlu, soit plus charismatique et plus performant. Il a également manifesté son intérêt à participer aux élections, mais la direction du parti lui a interdit de se présenter, considérant qu'il valait mieux occuper le poste de chef de la métropole.
Il convient d'ajouter que le parti dispose d'un assez bon financement, et que l'ancienne élite kémaliste le soutient par solidarité. L'Union des industriels et des entrepreneurs de Turquie, qui a précédemment établi des liens avec des structures européennes, est un donateur du Parti républicain du peuple.
Un autre personnage clé du Parti républicain du peuple est Ünal Çeviköz, qui est responsable de la politique étrangère. Ancien employé du ministère turc des Affaires étrangères, il est membre d'une loge maçonnique et a participé en 2019 à une réunion du club Bilderberg.
Il y a aussi le relativement nouveau Parti du Bien (IYI) - ce sont des nationalistes occidentaux, et le parti lui-même a en fait été créé par les États-Unis et l'UE afin d'arracher une partie de l'électorat au parti de Recep Erdogan. Il est paradoxal que les dirigeants de l'IYI s'opposent à la Russie, alors que l'électorat ordinaire nous traite normalement (y compris au sujet de l'opération en Ukraine).
Le chef du parti est une femme - Meral Akşener (photo), et elle est pro-occidentale dans ses convictions. Ils sont maintenant dans une coalition avec le Parti républicain du peuple. On ne sait pas encore si Meral Akşener se présentera en tant que candidate indépendante à la présidence.
Le Parti démocratique des peuples, qui représentait les intérêts des Kurdes, ne pourra probablement pas se remettre des purges et arrestations massives. Le chef du parti, Selahattin Demirtaş, est un politicien expérimenté, et les représentants locaux ont remporté de nombreux sièges à la mairie lors des dernières élections, mais ils ont tous été arrêtés car soupçonnés d'être impliqués dans le terrorisme. Théoriquement, leurs chances sont bonnes, mais le gouvernement actuel ne leur permet tout simplement pas de consolider officiellement leur victoire et d'étendre leur influence.
Toutefois, les analystes occidentaux soulignent que ce sont les Kurdes qui constitueront un atout important lors des prochaines élections, car ils ont une démographie croissante et comptent de nombreux jeunes de dix-huit ans et plus parmi eux.
Il se murmure qu'un parti trouble-fête pourrait être formé, composé de partisans du clan Barzani du Kurdistan irakien, car ils entretiennent de bonnes relations officielles avec Ankara. Barzani admet le bombardement turc d'une partie du Kurdistan irakien, où se trouve le siège du Parti des travailleurs du Kurdistan.
La question est de savoir comment convaincre la jeunesse kurde de Turquie de rejoindre ce parti, et quelle sera la position concernant la nomination d'un candidat à la présidence. Bien que tout cela ne soit que des affabulations théoriques et qu'il soit tout à fait possible qu'Erdogan poursuive le cours de la répression des Kurdes turcs.
Selon les sondages d'opinion, le Parti démocratique des peuples est le plus russophobe et le plus pro-occidental.
Enfin, il y a le Parti du mouvement national (dirigé par Devlet Bahçeli - photo). En fait, ce sont les fameux "loups gris", c'est-à-dire les nationalistes religieux. Ils sont maintenant les alliés d'Erdogan. D'ailleurs, de toutes les organisations répertoriées, ce sont les meilleures en Russie.
Et le dernier facteur de la politique turque est l'armée. Mais après une tentative de coup d'État ratée en 2016, l'armée a été sévèrement purgée. Maintenant, ils sont complètement subordonnés à Erdogan, et il n'y a aucune ambition politique parmi les militaires, à moins qu'à un niveau secret profond, il y ait un petit groupe de conspirateurs.
Si l'on parle de chances réelles, compte tenu de la situation actuelle, alors Recep Erdogan a les meilleures positions à l'heure actuelle. Bien que le pays connaisse un niveau élevé d'inflation et que la livre turque se soit effondrée il y a quelques mois, le parti au pouvoir dispose d'une ressource administrative et utilise la situation de la politique étrangère à son avantage.
À titre d'exemple, nous pouvons citer l'équilibre actuel des relations avec la Russie et l'Ukraine. Pour organiser le flux touristique de la Russie vers la Turquie, une compagnie aérienne supplémentaire est créée. Tandis que des drones Bayraktar sont livrés à l'Ukraine et qu'un soutien diplomatique est apporté.
Et c'est dans ces relations et cet équilibre des forces que la Turquie a un intérêt géopolitique important à affaiblir la Russie. Ce n'est pas un hasard si les Turcs s'intéressent activement à la Crimée et ne la reconnaissent pas comme faisant partie de la Russie, ainsi qu'au Caucase et à la région de la Volga. La Turquie a besoin du projet du panturquisme pour servir de parapluie et de justification à une éventuelle ingérence dans les affaires intérieures de la Russie.
La chaîne de télévision russophone TRT adhère à un cours ouvertement russophobe, qui soutient Navalny et Khodorkovsky, sans parler de l'incitation au séparatisme à l'intérieur de la Russie en mettant l'accent sur l'identité musulmane et turque. Le projet de "génocide circassien" y est également lié, ainsi que divers éléments commémoratifs, tels que des noms de rues en l'honneur de Dzhokhar Dudayev.
Comme le Parti de la justice et du développement se concentre sur l'identité religieuse turque, le souvenir de l'ancienne grandeur de l'Empire ottoman est également très important pour la politique moderne. Et là aussi, il y a une place pour les aspirations anti-russes, car la Turquie rappelle le rôle de l'Empire russe dans la libération des Balkans de la domination turque et une série de guerres russo-turques.
Par conséquent, l'affaiblissement possible de la Russie dans cette région est considéré comme une nouvelle opportunité pour le retour du pouvoir perdu. Et si vous le regardez à travers un prisme religieux, l'expansion turque pour Ankara est aussi la propagation de l'Islam dans de nouveaux territoires. Dans le même temps, la version turque de l'Islam est clairement différente de la version arabe classique.
Par conséquent, il est peu probable que le maintien du pouvoir suprême pour Erdogan conduise à une amélioration des relations avec la Turquie. Au mieux, une coopération pragmatique se poursuivra, notamment en raison de la forte dépendance de la Turquie vis-à-vis des approvisionnements en pétrole et en gaz russes. Mais dans le pire des cas, Ankara se comportera de manière plus persistante et agressive à l'égard de Moscou, et elle devra alors envoyer des signaux explicites, tels qu'une interdiction d'importation de légumes ou une suspension du flux touristique.
Si la situation s'avèrera encore pire, il est difficile d'imaginer quel niveau la confrontation entre la Russie et la Turquie pourra atteindre. Encore une fois, il faut se rappeler que la Turquie est membre de l'OTAN et peut se joindre aux sanctions occidentales à tout moment.
Considérons maintenant la version qui se produirait si des forces pro-occidentales prenaient le pouvoir en Turquie. Par exemple, avec l'aide d'injections financières et d'autres moyens, le chef du Parti républicain du peuple prendra le poste de président.
Tout d'abord, ils commenceront à éliminer les réalisations d'Erdogan, tenteront de revenir au format de la république parlementaire et promouvront activement un système politique laïc. Bien sûr, étant donné leur position pro-occidentale, les Etats-Unis et l'UE les presseront pour qu'ils se dressent contre la Russie. Mais il est peu probable qu'ils renoncent au gaz et au pétrole russes, même s'ils peuvent soutenir certaines des sanctions et le feront très probablement.
En général, il y aura un grand conflit d'intérêts. Cependant, il y aura le chaos à l'intérieur du pays, et compte tenu de cela, il est peu probable que les pro-occidentaux poursuivent une politique étrangère expansionniste. Le plus probable est qu'ils essaieront d'améliorer les relations avec l'UE, et encore une fois, ils attendront naïvement de rejoindre cette association.
Il est certain que les pays musulmans seront sceptiques à l'égard du nouveau gouvernement, ce qui signifie une réduction ou un retrait du soutien des riches États du Golfe. Et un tel affaiblissement de la Turquie sera bénéfique pour la Russie, car avec une approche compétente, il sera possible non seulement de préserver les acquis nécessaires, mais aussi de montrer à la société turque tous les avantages de relations bilatérales véritablement de bon voisinage.
23:02 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : leonid savin, actualité, turquie, élections turques, erdogan, russie, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 10 mai 2022
L'Ukraine, le monde à la croisée des chemins
L'Ukraine, le monde à la croisée des chemins
par Giacomo Gabellini
Propos recueillis par Luigi Tedeschi
Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/ucraina-il-mondo-...
Entretien avec Giacomo Gabellini auteur du livre "Ukraine, le monde à la croisée des chemins", Arianna Editrice 2022
1) Les frontières de l'Ukraine sont indéfinissables et son identité unitaire s'avère donc floue. L'Ukraine actuelle correspond à la République socialiste soviétique instituée par Staline à la fin de la 2e guerre mondiale. À l'intérieur des frontières ukrainiennes, il existe des populations ethniquement, culturellement, linguistiquement et même religieusement très diverses, telles que des Ukrainiens, des Russes, des Polonais, des Hongrois, des Tatars, etc. ... Par conséquent, avec la rupture définitive des liens politiques, culturels et économiques avec la Russie et la sécession des régions orientales et de la Crimée (territoires pro-russes), l'identité ukrainienne n'apparaît-elle pas comme celle d'un État créé artificiellement, c'est-à-dire sur la base des sphères d'influence russes ou américaines ? Les valeurs unificatrices ne sont-elles pas représentées uniquement par l'adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne, c'est-à-dire par l'occidentalisation américaniste et russophobe du pays ? N'assistons-nous pas à une énième reproduction de la logique de Versailles, qui s'est toujours révélée être un échec et un signe avant-coureur de nouveaux conflits potentiels ?
Il est difficile de prévoir avec un haut degré de certitude la configuration que prendra l'État ukrainien. Tout porte à croire, cependant, que le véritable ciment de ce qui restera de l'Ukraine sera un nationalisme aux traits russophobes marqués et un désir de vengeance contre le Kremlin. Beaucoup ont tendance à attribuer ce résultat uniquement à l'attaque déclenchée par la Russie, mais en réalité, la radicalisation du pays représente un phénomène qui était déjà largement observable avant même le déclenchement du Jevromajdan. Il ne faut pas oublier qu'en 2010, le président de l'époque, Viktor Juščenko, arrivé au pouvoir en pleine révolution orange, a décerné le titre de "héros de l'Ukraine" à Stepan Bandera, leader de l'aile maximaliste de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), composée en grande partie de Novorusses catholiques de Galicie, vétérans des campagnes irrédentistes menées contre la Pologne dans les décennies précédant la "grande guerre". Le 21 juin 1941, à l'arrivée des troupes nazies, Bandera proclame l'indépendance de l'Ukraine et participe avec l'OUN et sa branche armée (UPA, l'Armée insurrectionnelle ukrainienne) à la fondation du bataillon Nachtigall, composé de volontaires ukrainiens et soumis à la chaîne de commandement de l'Abwehr (les services secrets militaires allemands). Travaillant aux côtés des envahisseurs et des divisions SS ukrainiennes comme celle de Galicia, l'Oun a activement contribué à l'extermination de dizaines de milliers de Juifs ukrainiens et à la campagne militaire allemande contre l'Union soviétique. L'association avec les envahisseurs a duré plusieurs mois, jusqu'à ce que l'échec de la reconnaissance allemande de l'indépendance ukrainienne, promise à l'Oun à la veille de l'opération Barbarossa, conduise Bandera et ses partisans à retourner leurs armes contre les Allemands. Le chef de l'Oun a ensuite été capturé par la Wehrmacht, puis libéré sur la base d'un accord avec l'Abwehr, qui prévoyait la formation d'une division ukrainienne du Schutz-Staffeln pour aider les troupes allemandes dans la déportation des Juifs et la répression des minorités polonaises. À leur tour, les Polonais ont riposté en s'alliant à l'Armée rouge et en brûlant des villages ukrainiens entiers, ce qui a donné lieu à une guerre civile prolongée et sanglante qui entraînera la mort de plus de 90.000 civils polonais et 20.000 civils ukrainiens. La guérilla antisoviétique menée par l'OUN sous la direction du chef militaire de l'UPA, Roman Šučevič, s'est poursuivie dans les années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais lorsque la perspective de la défaite a commencé à se profiler, un grand nombre de ses figures de proue ont fui à l'étranger. Bandera, son collaborateur de confiance Yaroslav Stetsko et Lev Rebet, ancien membre du gouvernement ukrainien collaborationniste, s'installent à Munich. Bandera et Rebet seront attrapés et assassinés par un tueur à gages du KGB entre 1957 et 1959, tandis que Stetsko a réussi à survivre et à entrer dans les bonnes grâces de certaines personnalités de la politique américaine telles que Ronald Reagan et George H.W. Bush. D'autres militants de l'OUN et de l'UPA profitent de l'intercession du directeur de la CIA, Allen Dulles, pour s'installer au Canada et aux États-Unis, où ils créeront des mouvements d'exil à vocation ultra-nationaliste marquée. Au lendemain de Jevromajdan, on assiste d'une part à un processus de "nationalisation des masses" par la prolifération de statues et de monuments portant le nom de personnalités telles que Bandera, Šučevič et Stetsko. D'autre part, l'inclusion de membres dirigeants de mouvements extrémistes tels que Azov, Aidar, Dnepr, Pravij Sektor, Natzionalnyj Korpus et C-14 dans les corps spéciaux et les rangs de la police, grâce à l'intercession du très puissant ministre de l'intérieur Arsen Avakov. C'est grâce aux efforts d'Avakov et aux ressources mises à disposition par des oligarques de la trempe d'Ihor Kolomojs'kyj - propriétaire de la chaîne de télévision qui a lancé la série Serviteur du peuple, qui a garanti à Zelens'kyj une grande popularité, et principal financier de la campagne électorale de l'ancien acteur - que l'Ukraine a pu devenir un centre de gravité de très haut niveau pour le monde de l'extrême droite, capable d'attirer de nouveaux militants de trois continents différents grâce à une utilisation particulièrement efficace des principaux réseaux sociaux. On se demande quels résultats l'Union européenne espère obtenir en accueillant dans ses rangs un pays constamment tenu en échec par des éléments de ce genre.
2) La guerre russo-ukrainienne revêt des significations géopolitiques qui vont au-delà des motivations spécifiques du conflit. La crise ukrainienne est, en fait, un conflit arbitré entre les États-Unis et la Russie, dont l'enjeu est l'existence même de deux grandes puissances. La Russie est un empire qui, depuis l'arrivée au pouvoir de Poutine, est animé par la nécessité de survivre à l'effondrement de l'URSS. La perte de l'Ukraine impliquerait la dissolution de la Russie elle-même, étant donné les liens historiques et culturels et l'interconnexion économique qui existent depuis des siècles entre les deux pays. L'Ukraine serait donc une partie intégrante et une terre ancestrale de la Russie. Pour les États-Unis, leur rôle de puissance mondiale disparaîtrait si un nouvel hégémon eurasien (Europe ou Russie) s'affirmait. La fin du leadership américain en Europe signifierait également la fin de la stratégie d'endiguement de la Chine dans l'Indo-Pacifique. La perspective d'un conflit qui pourrait s'étendre à de nombreux foyers de guerre étendus à l'ensemble de l'Eurasie, donnant lieu à une troisième guerre mondiale, bien que de faible intensité, entre la Russie et les États-Unis de durée indéterminée, n'est-elle pas en train de se dessiner ?
Comme l'a souligné l'influent politologue russe Sergei Karaganov, l'importance de l'Ukraine pour la Russie devrait être fortement réduite. Ce n'est pas tant parce que les liens historiques et culturels incontestables qui unissent les deux pays pourraient également résister à la formidable épreuve de l'agression russe, mais parce que la Russie est une nation inattaquable à tous égards. Toute la campagne de sanctions imposée par les États-Unis et l'Union européenne était fondée sur la prédiction que la Russie ne serait pas en mesure de résister à une longue période de pression économique et financière extérieure, en vertu de la faiblesse structurelle, du retard et des déséquilibres qui caractérisent son système productif. Les principales catégories de produits des exportations russes (pétrole, gaz, matières premières, produits agricoles) dressent le tableau d'une économie relativement peu avancée, à l'exception de quelques éléments discordants (les machines et équipements représentent la quatrième source de revenus d'exportation) et de quelques pics d'excellence dans les domaines aérospatial, informatique et militaire. Les économies avancées d'aujourd'hui, structurées comme elles le sont sur la base des orientations stratégiques suivies depuis les années 1980, reposent avant tout sur des activités à haute valeur ajoutée imputables au secteur tertiaire, qui contribuent bien plus à la formation du PIB que les macro-secteurs inclus dans les secteurs primaire et secondaire. Dans les économies modernes, les services financiers et d'assurance, le conseil, les technologies de l'information, les nouveaux systèmes de communication et le design prédominent sur l'agriculture, l'industrie manufacturière et l'extraction d'énergie et de minéraux. De plus, le PIB de la Russie est encore bien inférieur à celui du Japon, de l'Allemagne, de la France et même de l'Italie, mais il repose sur une production absolument indispensable car non remplaçable pour satisfaire les besoins de base. Les hydrocarbures, les métaux, les céréales, les engrais et le fourrage sont des ressources essentielles pour garantir le chauffage et la sécurité alimentaire et énergétique. Ces conditions sont assurées en période de calme, mais deviennent soudainement chancelantes en présence de situations géopolitiques hautement conflictuelles, dans lesquelles on redécouvre la primauté du pétrole, du gaz, de l'aluminium, du nickel, du blé, des engrais, etc. sur tout le reste. En d'autres termes, la Russie joue un rôle (géo-)économique énormément plus incisif et "lourd" que ce que l'on peut déduire de l'analyse aseptique des données relatives à la taille et à la composition de son PIB, de sorte à lui assurer une capacité de résilience presque inconcevable pour tout autre Pays. Ainsi qu'un éventail d'options alternatives à celle consistant à s'entêter à se tailler un rôle de co-protagoniste dans le "concert occidental". Pour l'Ukraine, cependant, c'est le contraire qui est vrai. Penser que la survie d'un pays aux caractéristiques similaires peut faire abstraction du rétablissement d'une relation de collaboration avec un colosse de la trempe de la Russie, avec laquelle il partage 2 000 km de frontière, est une pieuse illusion.
3) Le régime de sanctions sévères imposé par l'Occident à la Russie vise à provoquer non seulement la défaillance de la Russie elle-même, mais aussi un changement de régime conduisant à la défenestration de Poutine. Selon les plans de Washington, la fin du régime de Poutine entraînerait une nouvelle expansion économique et politique de l'Occident en Eurasie. De tels horizons sont-ils crédibles ? Actuellement, les sanctions ont entraîné une réorientation de la Russie vers l'Asie, avec de nouveaux accords commerciaux avec la Chine et l'Inde, ainsi que le renforcement des relations avec les pays arabes et le Moyen-Orient, pour lesquels l'importation de céréales et d'engrais en provenance de Russie est d'une importance vitale. La création de nouvelles zones commerciales avec des monnaies hors de la zone dollar (notamment le yuan chinois) se profile donc à l'horizon, afin de contourner les sanctions. Verrons-nous une contraction significative de la zone dollar dans le monde entier à court terme ? Par le biais de sanctions, l'Occident veut imposer l'isolement de la Russie dans le contexte mondial. Mais l'espace atlantique, dominé par le dollar, ne va-t-il pas se retrouver isolé et marginalisé tant sur le plan économique que géopolitique ?
Les sanctions n'ont pas réussi à provoquer des changements de régime dans des pays bien moins équipés pour amortir le choc, comme l'Iran et le minuscule Cuba, sans parler de la Russie. Où, comme l'aurait prédit toute personne ayant un minimum de connaissance de l'esprit du peuple russe, un sondage réalisé par le Levada Center (qualifié d'agent étranger par Moscou), qui n'est même pas proche du Kremlin, a certifié que le taux d'approbation de Poutine parmi la population russe est supérieur à 80%. L'attaque contre l'Ukraine a donné une brusque accélération au processus de réorientation géopolitique et économique de la Russie vers l'Est et le Sud, fondé précisément sur l'incapacité structurelle de la Fédération à faire face au commerce international. Les corollaires de ce changement de registre sont l'exclusion du dollar dans le commerce bilatéral, le développement de systèmes de paiement alternatifs à Swift, et la création d'infrastructures de communication alternatives à celles hégémonisées par les Etats-Unis. En bref, la Russie lance une attaque simultanée contre les piliers de l'ordre international sur lesquels les États-Unis ont fondé leur domination. En perspective, le conflit et la campagne de sanctions qui s'ensuit pourraient conduire à une segmentation du scénario international "mondialisé" en blocs géo-économiques beaucoup moins communicants que ce que nous avons vu jusqu'à présent. La première ressemble à une sorte de G-7 élargi avec environ un milliard de personnes, fortement inégalitaire du point de vue des balances commerciales et caractérisé par une position financière nette agrégée profondément négative. Sur le plan politique et culturel, ce bloc - et en particulier son pays le plus puissant, les Etats-Unis - remet en cause avec de plus en plus de vigueur le principe d'égalité formelle des Etats établi par la Charte des Nations Unies afin de préconiser l'introduction d'éléments discriminatoires favorables aux démocraties, qui priveraient peut-être la Russie et la Chine de leur droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU. Le second tourne autour du "triangle stratégique" - pour reprendre une expression d'Evgenij Primakov - Russie-Chine-Inde, réunissant plus de 3,4 milliards de personnes, associant pour la plupart des pays aux balances commerciales positives et enregistrant une position financière nette globale largement positive. Le "triangle stratégique" Russie-Chine-Inde est un bloc de structures économiques largement complémentaires dont l'énergie, les matières premières, les terres arables, l'industrie, la capacité de consommation et le savoir-faire technologique connaissent une croissance rapide. Ses pays membres sont généralement très impatients face à la prétention des pays occidentaux à être les porte-parole de l'ensemble de la communauté internationale, ce qui exclut clairement toutes les nations qui ne répondent pas aux exigences politiques, économiques et culturelles fixées de manière totalement arbitraire et discrétionnaire par l'alliance euro-atlantique. L'Union européenne est dépendante des importations d'énergie de la Fédération de Russie et survit grâce à des excédents commerciaux toujours plus colossaux, principalement avec les États-Unis et la République populaire de Chine, qui se traduisent par la compression systématique de la demande intérieure par des politiques d'assainissement budgétaire catastrophiques. Les Etats-Unis, avec une dette commerciale stratosphérique (859 milliards de dollars en 2021) et une position financière nette terriblement négative (plus de 13 000 milliards de dollars en 2021), n'ont plus de tissu industriel digne de ce nom, ne produisent que des services et importent toutes sortes de produits grâce à l'impression continue de dollars. Pour les Etats-Unis, l'accélération du processus de détérioration de la position dominante occupée par le dollar depuis 1945 en raison de l'abus de sanctions et des gigantesques déséquilibres structurels qui pèsent sur l'économie nationale représente une menace capitale. Le rééquilibrage d'une situation aussi critique ne peut faire abstraction du "confinement" de l'Amérique du Nord et de l'Europe dans le périmètre d'un espace énergétique-technologique-commercial transatlantique qui garantirait d'abord la rupture des liens de dépendance entre le "vieux continent" et les deux ennemis jurés des Etats-Unis, à savoir la Russie et la Chine. Si le projet de Washington devait aboutir, l'Europe serait confrontée à un avenir de colonie barbare, peu sûre et appauvrie des États-Unis.
4) La dissolution de l'URSS a déterminé l'expansion de l'OTAN à l'Est. La crise ukrainienne elle-même est tout à fait cohérente avec la stratégie américaine de pénétration en Eurasie, qui impliquerait de déplacer indéfiniment vers l'est les frontières du nouveau rideau de fer. Le démembrement de l'ex-URSS a entraîné une diminution de la composante européenne au sein de la Russie, tant en termes de territoire que de population. La menace expansionniste de l'OTAN a conduit à une réorientation économique et géopolitique de la Russie vers l'Asie. Le développement de l'échange économique croissant et la nécessité d'une défense commune contre l'expansionnisme américain ont donné lieu à l'émergence d'un nouvel axe géopolitique composé de la Chine et de la Russie. Dans ce contexte, pour la Russie, les revenus tirés de la fourniture de gaz à l'Europe ne sont plus aussi cruciaux. La politique américaine de russophobie, déjà historiquement héritée de la Grande-Bretagne, n'est-elle pas responsable de cette conversion de la politique étrangère russe en une politique asiatique ? La mémoire historique devrait mettre en garde l'Occident. Si l'URSS et la Chine de Mao avaient été alliées pendant les années de la guerre froide, quel aurait été le sort de l'Occident ? Et ce n'est pas tout. La dissolution des liens historico-politiques entre la Russie et l'Europe ne signifierait-elle pas la disparition du rôle géopolitique séculaire joué par la Russie en tant que pont entre l'Europe et l'Asie et, en même temps, en tant qu'avant-poste pour défendre l'Europe contre la pénétration asiatique en Europe même ?
La dissolution de l'Union soviétique a été décrite à juste titre par Poutine comme la principale catastrophe géopolitique du 20e siècle, car elle a réduit quelque 25 millions de Russes ethniques vivant en Ukraine, dans les États baltes et en Asie centrale au rang d'étrangers chez eux, voire d'apatrides purs et simples. D'autre part, l'échec substantiel des pourparlers de Pratica di Mare en 2001 et le processus d'expansion de l'OTAN vers l'est ont privé le soi-disant "rideau de fer" d'une localisation géographique précise. Alors que pendant la guerre froide, elle allait "de Stettin à Trieste", pour reprendre une expression formulée par Churchill en 1946, elle va aujourd'hui de Mourmansk à Sébastopol, en passant par l'axe Saint-Pétersbourg-Rostov. La "ligne de front" s'est donc déplacée de 1 200 km vers l'est, à une distance du cœur historique, démographique et économique de la Russie qui n'a jamais été aussi dangereusement réduite depuis l'époque d'Ivan le Grand. La présence de l'Alliance atlantique à proximité des frontières russes prive le Kremlin de l'espace nécessaire à toute forme de repli, obligeant Moscou à réagir à chaque initiative de l'arsenal ennemi avec la dureté et l'imprévisibilité que l'on retrouve chez tout sujet qui se trouve dans les conditions de devoir faire face à des menaces existentielles. D'où la fermeté avec laquelle Poutine a indiqué le maintien de l'Ukraine dans un état de neutralité géopolitique et la permanence de la Biélorussie dans la sphère d'influence russe - avec ou sans Loukachenko - comme les deux "lignes rouges" dont la violation ne sera dorénavant tolérée en aucune manière. Le principal effet généré par la russophobie atlantiste fervente a été de recalibrer l'esprit d'initiative du Kremlin envers l'Est, et en particulier envers la République populaire de Chine. Les relations de coopération entre Moscou et Pékin ne cessent de s'intensifier, notamment dans les domaines sensibles de l'énergie, de la défense et des hautes technologies. Du point de vue américain, la relation de coexistence heureuse établie par le "couple étrange" en question n'est pas destinée à durer pour des raisons historiques, culturelles et géopolitiques qui sont déjà apparues pendant la guerre froide. Contrairement à l'époque où la "diplomatie triangulaire" de Nixon et Kissinger exacerbait les tensions sino-soviétiques, jetant ainsi les bases de l'enrôlement actif de la République populaire de Chine dans le front occidental et, à son tour, de l'isolement de Moscou, la Russie et la Chine poursuivent actuellement des objectifs qui, à bien des égards, coïncident ou sont du moins compatibles, et toutes deux sont ancrées dans la défense de ce droit international que les États-Unis n'hésitent pas à fouler aux pieds avec une systématique obstinée. En d'autres termes, ce sont des nations qui ont identifié - certaines par volonté délibérée (la Chine), d'autres comme un "choix obligatoire" (la Russie) - la trajectoire stratégique à suivre pour procéder au démantèlement de l'ordre mondial défini par la logique atlantiste, auquel l'Europe dans son ensemble reste encore tragiquement ancrée. Tant que le "vieux continent" ne cherchera pas à s'affranchir de la "tutelle" octogénaire des Etats-Unis pour établir une relation de collaboration concrète avec une envergure eurasienne qui redonne à la Russie le rôle fondamental de pont entre l'Est et l'Ouest, il y aura très peu de chances d'enrayer le déclin politique, économique et culturel qui touche l'Europe.
5) Il est encore largement admis que cette guerre est un piège tendu par l'Occident pour user la Russie et provoquer la chute de Poutine. Selon Poutine, l'invasion de l'Ukraine est "une question de vie ou de mort pour la Russie". Il est clair que cette guerre transcende la question ukrainienne. La détérioration progressive des relations entre la Russie et l'Occident aurait conduit Poutine à un tournant géopolitique historique pour la Russie, qui entraînerait une révision complète de la stratégie de la Russie vis-à-vis de l'Asie et la fin de la politique d'intégration modernisatrice de la Russie à l'Occident. Cette rupture définitive entre la Russie et l'Occident ne va-t-elle pas générer, dans un avenir proche, une transformation radicale des équilibres mondiaux, avec la configuration d'un monde multipolaire, avec la fin de l'unilatéralisme américain et la fin de la mondialisation imposée par le modèle économique néo-libéral made in USA, qui sera remplacée par de nombreuses mondialisations de dimensions continentales ?
À mon avis, les États-Unis ont dépensé des ressources considérables depuis au moins 2004 pour transformer l'Ukraine en un couteau pointé du côté de la Fédération de Russie. En témoignent le soutien non dissimulé à la Révolution orange, l'intensification des relations entre certains oligarques très puissants (Viktor Pinčuk in primis) et le clan Clinton, la pénétration progressive de l'OTAN dans l'appareil de sécurité de Kiev, le soutien manifeste aux forces radicales qui ont dirigé le Jevromajdan, le sabotage des faibles et contradictoires tentatives de médiation de l'Allemagne et de la France (emblématisées par le célèbre "Fuck the European Union ! ", prononcée en 2014 par la fonctionnaire du Département d'État Victoria Nuland à l'ambassadeur des États-Unis à Kiev Geoffrey Pyatt), le maintien artificiel de l'État ukrainien par des crédits non remboursables fournis par le FMI (en violation de ses statuts), la fourniture d'armes et de formations aux forces militaires et paramilitaires ukrainiennes. L'objectif stratégique poursuivi par Washington consistait à ouvrir un fossé irrémédiable entre l'Europe et la Fédération de Russie, car dans la logique des "appareils" américains qui ont toujours manœuvré la politique depuis les coulisses, le danger mortel, encore plus grand que celui incarné par l'avancée à grande échelle de la République populaire de Chine, reste la synergie entre les ressources naturelles et la puissance militaire russe d'une part, et la technologie et la puissance industrielle européennes - et particulièrement allemandes - d'autre part. Mais il y a plus. Le "nouveau rideau de fer" qui s'élève des rives de la mer Baltique à celles de la mer Noire pourrait probablement faire office de barrière contre l'initiative chinoise "Belt and Road", qui menace de transformer l'ancien Empire céleste en point d'appui d'un nouvel ordre international fondé sur le dépassement de la phase unipolaire menée par les États-Unis.
6) Actuellement, l'Ukraine est déjà reconnue comme une partie intégrante de l'Europe. Cependant, les protagonistes exclusifs du conflit russo-ukrainien sont les États-Unis et la Russie, l'Europe étant complètement marginalisée. Si l'Ukraine devait rejoindre l'UE, la politique de domination économique de l'Allemagne serait répétée. C'est-à-dire incorporer l'Ukraine dans l'Europe de l'Est en tant que pays subordonné à l'espace économique allemand. L'Ukraine deviendrait un important fournisseur de matières premières et de main-d'œuvre bon marché, ainsi qu'un territoire attrayant pour les délocalisations industrielles. Mais, je me demande si le modèle d'expansionnisme économique allemand, déjà expérimenté en Europe de l'Est, est reproductible aujourd'hui, compte tenu de l'état du conflit interne et externe en Ukraine, destiné à se prolonger également dans l'après-guerre et en considération du changement profond de la stratégie géopolitique globale américaine ? L'Allemagne n'a-t-elle pas pu se hisser au rang de puissance économique mondiale dans le cadre d'un alignement politique et militaire sur l'Alliance atlantique, c'est-à-dire sur l'OTAN, qui s'oppose désormais aux intérêts de l'Allemagne ?
Au cours des premiers mois de 2014, alors que les tensions internes en Ukraine étaient à leur comble, l'attitude de l'Allemagne était pour le moins ambiguë, mais clairement dictée par le désir de tirer le meilleur parti de cette situation extrêmement critique. Plus précisément, l'ambition de Berlin n'était pas seulement de recruter l'Ukraine en tant que fournisseur direct de matières premières pour l'industrie allemande, mais de l'incorporer dans le bloc manufacturier étroitement soudé que l'Allemagne avait méticuleusement construit depuis la réunification. L'objectif, en d'autres termes, était d'intégrer l'Ukraine dans la périphérie fordiste du pôle industriel allemand, qui comprenait déjà la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie. Sous le prétexte fallacieux d'une pénurie de travailleurs hautement qualifiés dans leur pays, les entreprises manufacturières allemandes voulaient obtenir le feu vert pour étendre à l'Ukraine le phénomène, déjà systématiquement appliqué au reste de l'Europe centrale et orientale, des maquiladoras inversées, en référence aux usines mexicaines où sont assemblés des produits américains à haute valeur ajoutée. Dans ce contexte, l'industrie allemande a gardé son cerveau opérationnel chez elle, transplantant certaines de ses productions phares de l'autre côté de la frontière afin de recomposer cette Europe centrale plus "attractive", pour des raisons culturelles et de proximité géographique, que les usines italiennes, espagnoles et nord-africaines sur lesquelles elle s'était concentrée pendant la guerre froide. L'ambitieux projet expansionniste poursuivi par Berlin s'est soldé par un échec substantiel en raison de l'hostilité non pas tant de la Russie que des États-Unis. En 1990, Berlin avait obtenu de Washington l'autorisation de reconstruire son "arrière-cour" en Europe centrale et orientale - et donc de poursuivre ses propres intérêts économiques - en échange de l'adhésion du pays réunifié au camp occidental, conformément au fameux accord verbal conclu à l'époque par le président Mikhaïl Gorbačëv et le secrétaire d'État James Baker, selon lequel l'Alliance atlantique incorporerait l'Allemagne dans son giron sans s'étendre "d'un pouce" à l'est de l'Elbe. L'accord, dont l'existence a été niée par le secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, mais confirmée à la fois par l'ancien ambassadeur américain à Moscou, M. Jack Matlock, et par un document récemment découvert dans les archives nationales britanniques par l'hebdomadaire "Der Spiegel", a été violé depuis 1997, lorsque la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont rejoint l'Alliance atlantique. Le fait est que, de par ses lourdes implications commerciales et géopolitiques, le modèle mercantiliste allemand est entré dans le collimateur de Washington dès l'administration Obama, avec le fameux - et très instrumental - scandale du Dieselgate et les sanctions imposées à la Deutsche Bank, mais c'est sans doute sous Trump que la véritable escalade a eu lieu. Combinée à l'adoption d'une série de mesures protectionnistes, la redéfinition de l'ALENA selon une logique visant manifestement à frapper les exportations allemandes a infligé un coup dur à l'économie allemande, exposée comme nulle autre aux dynamiques extérieures. La position des États-Unis à l'égard de l'Allemagne n'a pas changé de manière significative, même après l'entrée en fonction de l'administration Biden, comme en témoigne la forte pression économique et politique exercée par les États-Unis pour bloquer la construction du gazoduc Nord Stream-2. Une continuité substantielle, prouvant que le mercantilisme teuton pouvait être toléré comme un "mal nécessaire" à l'époque de la guerre froide, certainement pas dans l'ordre géopolitique actuel tendant vers la multipolarité.
7) Cette guerre pèsera lourdement sur le sort de l'Europe. Incapable de jouer un rôle géopolitique autonome, qui aurait pu éviter cette guerre entre peuples européens, puisqu'une telle stratégie neutraliste aurait impliqué une rupture avec l'OTAN, l'Europe est condamnée à en subir les conséquences économiques et politiques, en tant que zone géopolitique subordonnée aux États-Unis. Surtout, n'y aura-t-il pas un déclassement de la puissance économique allemande, compte tenu de la perte de son importance politique et stratégique en Europe de l'Est, de ses liens énergétiques forts avec la Russie et des perspectives potentielles d'expansion économique dans le commerce avec la Chine ? De plus, avec le réarmement de l'Allemagne dans le contexte atlantique, la perspective d'une transformation de l'Allemagne elle-même, de leader économique incontesté en Europe à puissance géopolitique continentale ayant pour fonction de contenir la Russie en Europe de l'Est et de sauvegarder le leadership américain en Europe, est-elle crédible ?
La dynamique déclenchée par l'attaque russe contre l'Ukraine a entraîné une nette modification des objectifs initiaux poursuivis par les États-Unis à travers leur manipulation de l'Ukraine, qui consistaient essentiellement à séparer l'Europe de la Russie. La guerre et la campagne de sanctions qui a suivi risquent de faire de l'Europe une colonie, y compris économique, des États-Unis, car elles privent le "vieux continent" des approvisionnements à bas prix en matières premières, en énergie et en produits agricoles sur lesquels repose la compétitivité de son industrie, tout en ouvrant le marché européen aux armes, au gaz de schiste et aux produits agricoles américains. Un renversement des relations commerciales transatlantiques traditionnelles se profile à l'horizon, caractérisé par l'accumulation d'excédents commerciaux structurels avec l'Europe, que les États-Unis - pays débiteur par excellence à tous égards - entendent utiliser pour prolonger leur tendance à l'importation massive de marchandises chinoises, malgré le déclin constant du dollar en tant que monnaie de référence internationale. Dans ce contexte, il est illusoire de penser que par le réarmement, l'Allemagne peut se libérer de la relation de vassalité qui la lie aux États-Unis depuis 1945. Surtout dans la situation actuelle où le parti vert ultra-atlantiste - qui doit son succès à la campagne de propagande incarnée par Greta Thunberg, qui a ponctuellement disparu du radar maintenant qu'il est question d'importer du gaz de schiste américain, avec son impact environnemental littéralement dévastateur - exerce une influence décisive sur la politique du gouvernement dirigé par le chancelier Olaf Scholz. Dans la pratique, l'Europe ne peut même pas imaginer un avenir caractérisé par la reconstruction de sa relation avec les États-Unis sur une base non pas tant de parité, mais au moins de subordination moins marquée que ce n'est encore le cas aujourd'hui.
21:04 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Entretiens, Géopolitique, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, ukraine, russie, affaires européennes, géopolitique, entretiens, histoire, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 09 mai 2022
L'Occident : le non-être de l'Europe
L'Occident : le non-être de l'Europe
par Luigi Tedeschi
Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/occidente-il-non-essere-dell-europa
Une Europe toujours identique à elle-même
L'Europe s'est-elle retrouvée dans son unité, c'est-à-dire dans l'OTAN ? L'Europe, déjà embaumée et amorphe, s'est-elle transformée en un sujet géopolitique avec le choix atlantiste du terrain ? Non, la subordination soumise et consensuelle de l'Europe à l'OTAN est la manifestation claire et évidente de son aptitude génétique au non-choix. L'Europe reste en hibernation dans son non-être, en tant que territoire continental enchâssé dans l'Ouest atlantique. L'Europe reste subordonnée à la puissance américaine et, qui plus est, éloignée d'un contexte géopolitique mondial qui subit de profondes transformations.
L'UE, désormais en parfaite symbiose avec l'OTAN, ne veut que se préserver, avec sa structure technocratico-financière, son modèle économique néo-libéral, et sa stratification sociale éminemment fondée sur les classes. L'UE est en fait une entité supranationale immobile, qui s'est révélée irréformable dans ses équilibres oligarchiques. L'Europe est, et reste, toujours la même ; ni la crise pandémique ni la guerre en son sein n'ont affecté son manque d'identité. Les urgences récurrentes n'ont pas non plus amené les peuples d'Europe à se repenser et à repenser le rôle de l'Europe dans le monde.
La crise énergétique, déjà présente pendant la phase post-pandémique, a été encore aggravée par le conflit russo-ukrainien. Les propositions d'un accord entre les membres de l'UE sur les achats et les stocks communs d'énergie et l'établissement d'un plafond sur les prix de l'énergie se sont heurtées à un mur d'hostilité de la part des pays frugaux. Les prix de l'énergie sont négociés à la bourse d'Amsterdam. En fait, les prix de l'énergie sont le résultat de la spéculation financière, pas de la guerre. Ont également été rejetés les appels à un nouveau PNR pour faire face à la récession économique naissante et les propositions de partage de la dette contractée par les États pendant la crise de la pandémie. Il convient également de noter la rigidité dont font preuve les pays économes à l'égard d'une éventuelle réforme du pacte de stabilité, dont les faucons de l'austérité réclament le rétablissement en 2023. Ni la pandémie ni la guerre n'ont détourné les élites européennes des projets liés à la révolution numérique et à la transition environnementale. Avec quelles ressources de telles transformations structurelles à grande échelle peuvent être réalisées, nous ne le savons pas. Enfin, la question se pose de savoir quelle part des fonds du PNR sera détournée des investissements structurels pour être utilisée pour l'armement en soutien à la guerre américaine en Ukraine !
L'expansion de l'OTAN à l'est aurait signifié l'exportation vers l'Ukraine du modèle occidental, américaniste dans sa culture et néo-libéral dans son économie. Une Ukraine déracinée de son identité historico-culturelle et intégrée dans la zone d'influence russe, aurait l'américanisme comme seule valeur unificatrice, conformément à sa fonction géopolitique d'avant-poste de l'OTAN en Eurasie. L'Europe de l'OTAN a ainsi été transformée en un terrain intermédiaire fonctionnel pour l'expansion vers l'est du modèle d'entreprise néolibéral. Avec la propagande assourdissante de la guerre médiatique, le courant dominant induit les masses à croire qu'elles vivent dans le meilleur des mondes possibles, à concevoir l'Occident comme une civilisation supérieure, identifiable aux valeurs de la démocratie libérale, de l'égalité et du bien-être généralisé. Mais sans tenir compte du fait que le modèle libéral-démocratique se trouve aujourd'hui à un stade avancé de décomposition en Occident même, puisque l'avènement du néolibéralisme économique a généré une société de plus en plus élitiste et technocratique, avec la disparition progressive de l'aide sociale et du bien-être généralisé.
L'Europe du bien-être consumériste ne pouvait en aucun cas se transformer en une puissance géopolitique. Une puissance mondiale place ses propres objectifs politiques et stratégiques avant la croissance économique et le bien-être de ses citoyens. Cette confrontation/clash entre l'Occident et la Russie entraînera de profonds traumatismes pour l'Europe. L'occidentalisation économique a depuis longtemps conduit l'Europe à sortir de l'histoire. La Russie, quant à elle, affirme son rôle de puissance mondiale en s'appuyant sur des valeurs identitaires. Cette fracture irrémédiable entre l'Occident et la Russie est bien décrite par Pierangelo Buttafuoco dans une récente interview : "Pour l'Occident, la Russie est un ennemi plus hostile même que l'Union soviétique, car des décennies de matérialisme scientifique n'ont pas réussi à égratigner son identité et son esprit. La Russie est la première puissance chrétienne du continent européen, elle a de solides traditions, les Russes croient vraiment en Dieu. Tout ceci est inquiétant et détestable pour ceux qui regardent le monde à travers les yeux de la laïcité et du scientisme occidental.
L'UE : un échec qui se fait attendre
La guerre russo-ukrainienne se déroule depuis 2014 et a connu diverses évolutions. Dans un premier temps, la Russie a occupé la Crimée et le Donbass, suite au coup d'État pro-occidental de la place Maidan en Ukraine. Puis, dans une deuxième phase, l'invasion russe a eu lieu, contrée par la résistance ukrainienne. Une troisième phase est en cours, dans laquelle les États-Unis et la Russie sont indirectement montés l'un contre l'autre par le biais du soutien de l'OTAN à l'Ukraine.
Au-delà de l'unité monolithique actuelle entre l'UE et l'OTAN, compte tenu de la crise économique et énergétique qui va frapper l'Europe et de l'évidente divergence d'objectifs entre les Etats-Unis et l'Europe (éviction de Poutine et déstabilisation de la Russie pour les Américains - négociation avec la Russie et fin du conflit du côté européen), il ne peut y avoir que de profondes dissensions entre l'OTAN et l'Europe et au sein même de l'UE. Cette guerre a conduit à la mobilisation de l'Europe par les États-Unis, qui veulent protéger leurs intérêts stratégiques par l'action de l'OTAN. Cependant, les charges résultant de la guerre, des représailles russes aux sanctions économiques, ainsi que les coûts de la diversification énergétique, les dépenses d'armement et les conséquences de la crise économique, retombent sur les Européens. La stratégie américaine d'étranglement de la Russie, par le biais de sanctions et d'usure de la guerre, ne peut que conduire à la rupture des relations entre l'UE et la Russie et, par la suite, à l'inclusion (ou l'emprisonnement ?) de l'Europe dans l'espace géopolitique anglo-saxon-atlantique.
En fait, une réorientation géopolitique au sein de l'Europe est en cours. Le centre de gravité de l'Europe s'est déplacé vers l'est. Il faut dire que l'adhésion des pays d'Europe de l'Est à l'UE était conditionnée à leur adhésion à l'OTAN dans une fonction anti-russe. Ce n'est pas une coïncidence si aujourd'hui les pays d'Europe de l'Est, ainsi que les pays du Nord et les pays baltes, avec le soutien de la Grande-Bretagne, sont de fervents partisans d'une confrontation directe entre les États-Unis et la Russie (contrairement aux autres pays européens). Et comme le théâtre du conflit est l'Europe, il est clair que les USA veulent, en exacerbant leur politique de sanctions et leur conflit avec la Russie, provoquer l'éclatement de l'Europe. Si Poutine n'a pas réussi à diviser l'Europe, Biden réussira à la déstabiliser.
L'expansion de l'OTAN en Europe de l'Est est la cause profonde du conflit russo-ukrainien. Poutine a exigé des garanties écrites que l'Ukraine ne rejoindrait pas l'OTAN. Mais Biden a refusé toute négociation avec Poutine. Il convient également de noter que l'expansion de l'OTAN en Europe de l'Est s'est faite en violation ouverte du Traité atlantique et de la Charte des Nations Unies. En effet, le Traité de l'Atlantique prévoit le règlement pacifique des différends internationaux (Art. 1), la défense mutuelle des Etats membres (Art. 5/6), - mais l'Ukraine ne l'est pas - et surtout (Art. 7), que le Traité ne peut affecter les droits et obligations établis par le Statut de l'ONU à l'égard des Etats membres de l'ONU. Il est donc clair que l'expansion de l'OTAN vers l'est constitue une violation ouverte du traité de l'Atlantique et du statut de l'ONU, car elle empiète sur le droit de la Russie à la sécurité, c'est-à-dire celui d'un État membre. L'action de l'OTAN constitue donc une violation flagrante du droit international, comme le souligne Fabio Mini dans un article publié dans Limes n° 2/2022 intitulé "La route du désastre" : "La Russie fait partie des Nations unies et la politique de l'OTAN a porté atteinte à ses droits, compromettant la paix et la sécurité dans le monde entier. La réaction russe est basée sur cette blessure et il est surprenant qu'elle n'ait pas été déclenchée plus tôt.
L'article 10 stipule que les parties <peuvent>, par accord unanime, inviter tout autre État européen capable de favoriser le développement des principes du traité et <contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord> à adhérer au traité. Lors du sommet de l'OTAN à Bucarest en 2008, le président américain G.W. Bush, malgré l'avis contraire de ses propres services de renseignement, a parlé explicitement de l'admission de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'OTAN. Des pays qui ne pourraient pas contribuer à la sécurité de l'Alliance, voire l'aggraver".
Les effets de la politique de sanctions de Biden contre la Russie seront dévastateurs pour l'Europe, dont le rôle économique dans le monde sera considérablement réduit. Les sanctions n'entraîneront pas le défaut de paiement de la Russie, et encore moins l'implosion du système politique russe, qui s'en trouvera renforcé. Ils n'affecteront pas l'économie américaine, mais l'économie européenne sera détruite. La perte des capitaux européens investis en Russie s'élève à 310 milliards de dollars, tandis que les capitaux américains ne représentent que 14 milliards de dollars. Mais surtout, la hausse des prix de l'énergie provoquera une inflation et une récession économique en Europe, alors que les États-Unis sont autosuffisants en énergie. Les États-Unis visent à remplacer la dépendance énergétique européenne vis-à-vis de la Russie par une dépendance énergétique américaine. La diversification énergétique européenne impliquera l'importation de gaz de schiste américain et la nécessité d'importants investissements dans des usines de regazéification. Le coût du gaz de schiste importé des États-Unis (dont l'impact environnemental est dévastateur) est environ deux fois plus élevé que celui du gaz russe. Sur le sujet des sanctions contre la Russie, cependant, il existe un clivage important entre les pays européens. Giacomo Gabellini déclare dans son livre "Ukraine : le monde à la croisée des chemins" : "Au sein du camp euro-atlantique, cependant, une scission manifeste est apparue, séparant le groupe "extrémiste" formé par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Pologne et les pays baltes, du groupe aspirant à la mise en œuvre d'une désescalade, qui comprend la France, l'Allemagne et - dans une position plus éloignée - l'Italie. Pour eux, au-delà des proclamations grandiloquentes et des déclarations solennelles d'engagement, le rétablissement d'une relation moins conflictuelle avec la Russie est une nécessité économique vitale. En témoignent les déclarations retentissantes du PDG de Basf, l'une des plus grandes entreprises chimiques du monde, qui affirme que l'interruption de l'approvisionnement en gaz russe mettrait en péril la survie des petites et moyennes entreprises allemandes et provoquerait "la pire crise économique en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, capable de détruire notre prospérité".
L'impact décisif sur l'économie européenne de l'arrêt des importations de grains et céréales russes et ukrainiens est également noté. Entre autres choses, les importations alimentaires américaines vont-elles ouvrir les portes de l'Europe aux OGM ? Ainsi, les sanctions contre la Russie ouvriront de nouveaux marchés aux États-Unis, mais, dans le même temps, elles entraîneront la déconstruction de l'économie européenne. En outre, si le conflit devait se poursuivre, il y aurait une fuite inévitable des capitaux de la zone euro instable vers la zone dollar. Un phénomène qui s'est déjà produit plusieurs fois dans le passé se répéterait ainsi : les États-Unis ont souvent stimulé leur propre économie au détriment des pays en crise.
L'UE est un organisme construit sur la base d'un projet d'ingénierie financière totalement artificiel et révèle son incapacité à faire face aux crises récurrentes de la géopolitique mondiale. Pour survivre, l'Europe devra donc, au prix d'affronter des crises et des conflits, se réintégrer dans le contexte historico-politique contemporain, étant donné que cette crise représente pour l'UE un échec annoncé depuis trop longtemps. Gennaro Scala, à propos de la genèse de l'UE, a effectivement déclaré : "On ne peut pas penser à créer artificiellement ce que l'histoire n'a pas créé".
L'Allemagne, entre déclassement économique et réarmement
Cette guerre aura pour effet de bouleverser l'équilibre interne de l'Europe. En effet, outre la déstabilisation de la Russie, les objectifs américains incluent la rupture du lien historique entre Berlin et Moscou. En d'autres termes, les États-Unis visent à détruire la zone d'influence de la puissance économique allemande en Eurasie en mettant sous embargo le gaz et le pétrole russes et en faisant la guerre. Une attaque conjointe des États-Unis et de la Grande-Bretagne contre la suprématie économique de l'Allemagne au nom de la domination européenne est en cours. Les États-Unis veulent frapper le modèle économique allemand, qui s'est construit pendant 20 ans grâce à des relations privilégiées avec la Russie, à l'accès à des approvisionnements bon marché en matières premières et en énergie, et à la délocalisation industrielle vers les pays d'Europe de l'Est. Mais ce sont surtout les exportations allemandes et l'excédent commercial allemand, obtenu grâce à l'adoption de l'euro comme monnaie sous-évaluée par rapport au mark, un facteur qui a largement contribué à accroître la compétitivité des exportations allemandes sur les marchés américains, qui sont attaqués par les États-Unis. Avec cette guerre, Biden entend compléter la stratégie d'affaiblissement de l'économie européenne déjà initiée par Trump avec sa politique tarifaire.
Cette guerre entraînera le déclassement de la puissance allemande et européenne dans le monde. Le rôle géopolitique central joué par l'Allemagne en Europe dans le contexte de l'évolution de la stratégie géopolitique de l'Amérique va disparaître. Le rideau de fer a été déplacé vers l'est avec le renforcement de la présence de l'OTAN dans les pays baltes et dans les pays du Trimarium (une zone s'étendant de la Pologne à la mer Noire). La stratégie d'endiguement de l'OTAN à l'est de la Russie implique donc la dissolution de la sphère d'influence allemande en Europe orientale, la fin de l'interdépendance énergétique russo-allemande et la fracture des liens géopolitiques entre l'Allemagne et l'Eurasie. Dans le cadre de ce nouvel expansionnisme de l'OTAN, toute aspiration à l'autonomie européenne est écrasée.
Dans cette phase de transformation de la géopolitique européenne, les perspectives du réarmement allemand sont particulièrement importantes. Scholz a annoncé que 100 milliards d'euros, soit plus de 2% du PIB allemand, seront investis dans l'armement au cours des prochaines années. Le réarmement allemand représente-t-il donc un tournant décisif ? L'Allemagne passera-t-elle du statut de puissance économique mercantile à celui de puissance géopolitique ? Dans tous les cas, il s'agit d'un changement politique qui a eu lieu sur une base nationale, et donc certainement pas en vue de créer une armée européenne commune. Le réarmement allemand n'a pas été conçu pour répondre aux besoins de sécurité de l'Allemagne, mais plutôt dans le cadre de la stratégie de l'OTAN visant à contenir la Russie. La nouvelle Allemagne armée devient une puissance continentale, mais dans le cadre de la stratégie américaine de dévolution à l'Europe des coûts de défense du nouveau rideau de fer érigé par l'OTAN à la frontière avec la Russie.
La perspective du réarmement allemand est pleine d'inconnues. L'Allemagne est au bord d'une grave crise économique causée par la hausse des prix de l'énergie, les difficultés d'approvisionnement en semi-conducteurs pour la production industrielle et l'inefficacité de la chaîne de production suite à la pandémie. En outre, le spectre de l'inflation est réapparu, ce qui pourrait avoir un impact traumatisant sur la population allemande, compte tenu de son contexte historique. Dans ce contexte, comment le peuple allemand réagira-t-il à un gouvernement qui décide de consacrer des ressources importantes à l'armement, qui seraient autrement utilisées pour soutenir l'économie et les dépenses sociales afin de faire face à la crise post-pandémique ? Le réarmement allemand s'accompagne d'un déclassement économique et politique de l'Allemagne. Quel impact aura la perspective d'un réarmement allemand en termes anti-russes sur une population qui a vécu pendant des générations dans un climat de pacifisme post-historique et qui comprend des secteurs significatifs de l'opinion publique pro-russe, notamment dans les Länder de l'Est ? Quelqu'un a ironiquement dit, à propos de l'atlantisme servile du gouvernement Draghi, que l'Italie est le Belarus de l'Occident. Mais alors, l'Allemagne du réarmement ne deviendra-t-elle pas la DDR des USA ?
L'Occident : le non-être de l'Europe
La guerre russo-ukrainienne marque la fin de l'ère de la domination américaine globale et unilatérale qui a commencé avec la dissolution de l'URSS. L'échec de l'Union européenne, ainsi que les perspectives d'une future désintégration de l'UE, étaient déjà implicites dans sa genèse même, en tant qu'organe économique et financier supranational enchâssé dans le contexte atlantiste de l'OTAN.
L'Europe n'est pas un sujet géopolitique en tant que partie intégrante de l'Occident atlantique. L'identification entre l'Europe et l'Occident s'est avérée être une contradiction irrémédiable. L'affiliation de l'Europe à l'Occident a signifié une occupation militaire américaine et une souveraineté limitée pour l'Europe. L'Occident représente aujourd'hui le non-être de l'Europe. Toute perspective de souveraineté géopolitique européenne implique la séparation de l'Europe de la zone atlantique occidentale. Il est donc nécessaire d'identifier d'abord l'Occident comme l'ennemi irréductible de l'Europe. Franco Cardini déclare dans son essai "La guerre en Ukraine et l'Europe contre l'Eurasie" : "Ce qui est certain, c'est que les anciennes oppositions sociopolitiques et socioculturelles n'existent plus. Le processus de mondialisation, qui a commencé il y a un demi-millénaire, est presque terminé"... "Face à tout cela, un choix doit être fait : pas immédiatement peut-être, progressivement et sagement sans doute, mais avec une rigueur qui n'est pas encore claire pour tout le monde mais qui le deviendra. Maintenant que l'unanimité artificielle et forcée "pro-Ukraine" (c'est-à-dire pro-OTAN) commence à montrer des signes de métabolisation, alors qu'il devient de plus en plus clair que nous, Européens, paierons une grande partie du fardeau des sanctions insensées contre la Russie, qui sont directement ou indirectement dirigées contre nous aussi, et de celles du réarmement d'une armée qui est "la nôtre" et que nous ne commandons pas et qui n'agit pas sous nos ordres, la décision fondamentale reste la nôtre et uniquement la nôtre : si nous acceptons en tant qu'Européens d'être désormais "ameuropéens" (rappelez-vous l'Amérique amère d'Emmanuel Emmanuel) ou si nous acceptons d'être "ameuropéens" (rappelez-vous l'Amérique amère d'Emmanuel). (vous souvenez-vous de l'America amara d'Emilio Cecchi ?) ou reprendre une voie millénaire qui est la nôtre depuis l'Antiquité et, avec une conscience de plus en plus sévère, se dire "eurasien"... "Aujourd'hui, chacun de nous, Européens, est appelé à choisir s'il préfère vivre dans la périphérie occidentale de l'Eurasie ou dans la périphérie orientale de l'AmEurope. Le soleil s'est toujours levé à l'Est, il est toujours mort à l'Ouest. Laissez-nous décider."
Il y a une guerre en cours entre les États-Unis et la Russie qui transcende la crise ukrainienne. Nous assistons à un affrontement entre deux modèles géopolitiques alternatifs, dont l'issue déterminera des transformations importantes dans le cours de l'histoire des décennies à venir. On oppose la mondialisation néolibérale aux États et aux identités des peuples. Ce n'est pas une coïncidence si les États opposés à la domination américaine sont définis comme des "États voyous". A l'universalisme unilatéraliste américain s'oppose le pluriversalisme multilatéraliste des différentes cultures continentales. Comme le dit Pierangelo Buttafuoco, "D'un côté, il y a l''imperium', les puissances impériales, y compris les États-Unis : comme le dit Dario Fabbri, ce sont les peuples qui ne prennent pas d'apéritifs, qui ont un esprit combatif et des identités plurielles. D'autre part, il y a le "dominium" des Européens, la tentative de réunifier le monde avec une seule identité, un seul projet. Au lieu de perdre du temps avec la propagande, nous devrions réfléchir à une guerre qui défie la mondialisation. Nous, les Occidentaux, sommes convaincus d'avoir le dernier mot sur les événements de l'histoire, mais il existe un dessein mondial où des puissances spirituellement fortes se sont réunies : la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan". L'horizon immanentiste de la post-histoire de l'idéologie libérale est contré par le retour de l'histoire comme dimension naturelle de la vie de l'homme et des peuples.
Ces contrastes réapparaîtront au-delà du conflit actuel. Les conflits entre parties opposées font partie intégrante de la dialectique de l'histoire. Les régimes, les idéologies et les doctrines politiques sont destinés à se dissoudre au cours de l'histoire. Mais les peuples et leurs identités demeurent. Il est donc nécessaire de prendre parti sur la base de ses propres motivations idéales et géopolitiques, indépendamment de l'orientation politique et idéologique des classes dirigeantes des deux puissances en conflit. On ne peut pas être un fan de Poutine ou de Biden. Il est nécessaire de prendre parti parce que la transformation de l'ordre géopolitique mondial est en cours, parce que notre être dans l'histoire est en jeu. Parce que non seulement Poutine est tombé dans le "piège atlantique", mais surtout l'Europe. Nous devons prendre parti, car sinon les États-Unis prendront parti pour nous, en tant que sujets de l'empire mondial atlantique.
Quelle pourrait être la valeur unificatrice d'une alliance entre les peuples d'Europe ? Le rejet de l'américanisme, entendu comme matérialisme consumériste, économisme totalisant, infection mortelle de l'esprit, destruction de l'éthique des communautés humaines, expansionnisme armé de guerres sans fin. Il faut mettre en place un front européen du refus, c'est-à-dire une coalition transversale des peuples, transcendant les États et même les continents. De nouvelles identités et de nouveaux mouvements politiques émergeront de ce rejet, issus de la lutte pour la souveraineté des peuples et des États européens.
L'histoire a subi une accélération soudaine, ce qui implique des choix existentiels avant les choix politiques. L'éloignement de l'histoire conduirait à la dissolution fatale de l'Europe dans le nihilisme de la post-histoire.
21:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, affaires européennes, politique internationale, géopolitique, occident | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Géopolitique de l'énergie
Géopolitique de l'énergie
Konrad Rekas (*)
Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestrategia/37592-2022-05-01-20-21-36
Les universitaires ne s'accordent pas sur le fait qu'il existe 45 ou même 83 définitions de la sécurité énergétique. Leur compréhension varie en fonction du pays dans lequel elle est définie, de ses conditions géographiques, culturelles et de conscience. Il existe également différentes priorités au sein des sociétés, en fonction de la position dans la chaîne d'approvisionnement.
La définition la plus largement acceptée, celle de Yegrin, se concentre sur "l'adéquation, la fiabilité et le caractère raisonnable des prix". Mais cela peut indiquer confusément la priorité des intérêts des consommateurs (auxquels même les plus naïfs ont probablement cessé de croire au plus tard à l'automne 2021) et la "rationalité des marchés", ce qui est un oxymore. Non, des facteurs complètement différents sont décisifs et cela est clairement visible dans le choc de stratégies apparemment distinctes, comme le passage aux énergies renouvelables (ER), qui est actuellement présenté comme une réponse au changement climatique et aux actions occidentales liées à la guerre en Ukraine.
Changement (non)naturel
L'introduction de la dimension géopolitique dans l'analyse de la sécurité énergétique dans le contexte des énergies renouvelables ne semble que paradoxale, car cet aspect est souvent ignoré dans les discussions sur la transition énergétique. Mais il est évident que le passage aux ER ne susciterait pas autant d'intérêt de la part de certains gouvernements, notamment européens, sans avantages géopolitiques pour le continent qui ne possède que 1% des réserves mondiales de pétrole et 2% des réserves mondiales de gaz naturel. Les 27 États membres actuels de l'UE et le Royaume-Uni sont dépendants des approvisionnements énergétiques extérieurs. Même s'ils possèdent des réserves fossiles (comme le gaz ou le pétrole), rarement toutes en même temps, et jamais dans les quantités permettant de couvrir toute la demande (gaz néerlandais, pétrole écossais, uranium suédois). C'est pourquoi nous devons distinguer ces questions comme une "géopolitique énergétique" distincte.
Une telle discipline peut être considérée comme jeune, mais certains chercheurs osent établir des parallèles entre les cycles hégémoniques et le combustible fossile dominant: le charbon pour l'hégémonie britannique au XIXe siècle et le pétrole pour la domination américaine. Dans ce contexte, il est crucial, pour les futures considérations de sécurité énergétique, de déterminer si le passage supposé aux ER peut également avoir une dimension géopolitique, éliminant ou du moins affaiblissant la possibilité de l'émergence d'une autre hégémonie mondiale unipolaire.
Qui paie les factures ?
Au contraire, les caractéristiques immanentes de l'ER favoriseraient un réseau multipolaire, avec une implication particulière des acteurs non étatiques, notamment les ONG et la société civile mondiale. Il s'agirait également d'un changement de paradigme significatif au sein des théories des RI, qui déplacerait le fardeau d'une approche géopolitique réaliste, considérant la sécurité énergétique comme un jeu strictement compétitif, vers l'hypothèse d'une "gouvernance énergétique mondiale", basée sur la coopération et l'interdépendance, et donc naturellement pacifique. Une telle transition énergétique comprise signifierait également un changement social, les ER modifiant la forme de la hiérarchie sociale, augmentant l'importance des prosommateurs (c'est-à-dire des producteurs et des consommateurs à la fois), conduisant à un type de société renouvelé.
Cependant, c'est le facteur social qui rejette souvent le changement, les exemples les plus célèbres étant l'île française de Sein et la Crète grecque. L'acronyme courant pour une telle attitude est NIMBY: "Not In My Back Yard", ce qui signifie "Même si je ne remets pas en question la justesse du changement lui-même, je refuse d'en supporter les coûts". Et cette résistance est pleinement justifiée, car les coûts permanents sont toujours du côté des consommateurs et des travailleurs, et les bénéfices dans les comptes bancaires du Capital mondial. La vision même d'une société mondiale heureuse aux besoins minimaux, générant de l'énergie supplémentaire pour satisfaire de petites communautés indépendantes, semble séduire les mouvements anti-système de gauche et de droite, mais elle est clairement utopique et anachronique compte tenu de l'implication des acteurs étatiques et des entreprises mondiales. Ce n'est plus l'initiative de gentils hippies, juste un peu plus âgés, et au niveau de la prise de décision réelle, ça ne l'a probablement jamais été.
La nouvelle hégémonie
Le concept de l'influence positive sans équivoque des ER sur la réduction des risques géopolitiques est également remis en question. Il est évident que la part croissante des énergies renouvelables dans le mix énergétique réduit l'influence géopolitique des exportateurs de pétrole et de gaz. Les critiques affirment que cela ne peut signifier que des changements dans les postes de direction au sein de la compétition énergétique, sans violer les règles de ce défi. Juste à la place des fossiles, les exportateurs d'éléments de terres rares (REE / ETR) utilisés dans la production d'infrastructures d'ER gagneraient en importance. Citons par exemple l'embargo imposé par la Chine sur les exportations d'ETR vers le Japon en 2010, les différends sino-américains causés par le subventionnement de la production de panneaux solaires en 2012/2013, le différend sur les subventions aux producteurs d'éoliennes et la controverse sur les tarifs douaniers pour les ETR en Chine ou les relations commerciales entre les États-Unis, la Chine et l'Union européenne. Jusqu'à présent, ces controverses ont été résolues dans le forum de l'OMS, mais elles prouvent que les tensions en matière de RI ne disparaîtront pas du seul fait de l'évolution technologique de la production d'énergie.
Les universitaires soulignent la menace de chocs d'approvisionnement en ETR utilisés dans la production de véhicules électriques hybrides et de certains types d'éoliennes, provoqués par l'augmentation présumée de la demande de néodyme (augmentation prévue de 7 %) et de dysprosium (même une augmentation de 2600 % !) dans les 25 prochaines années. La demande de lithium utilisé dans les cellules de batterie devrait augmenter de 674 % d'ici 2030. Bien que les critiques admettent que tous les composants des technologies renouvelables avancées ne sont en fait pas si rares et peuvent être explorés dans beaucoup plus de pays que les hydrocarbures. Cependant, l'exploitation des ETR est associée à des coûts environnementaux élevés, difficiles à accepter dans les régions développées du monde, et la production dans les pays périphériques est souvent perturbée, comme dans le cas du cobalt utilisé pour les cellules des batteries, extrait en République démocratique du Congo. Il existe donc un risque potentiel à la fois de verrouillage des technologies basées sur le REL et de menace de nouveaux conflits hégémoniques sur les ressources, qui pourraient se produire, par exemple, dans le désert d'Atacama, riche en lithium.
Marché mondial totalitaire de l'énergie
La rareté de l'espace peut également être source de litige, alors que les fermes photovoltaïques et au sol pourraient nécessiter jusqu'à 100 fois plus de surface que les infrastructures de production d'énergie non renouvelable. Elle ouvre également la possibilité de conflits potentiels sur les nouvelles divisions du plateau marin pour les installations offshore. Même le fait de baser la coopération énergétique internationale sur le transfert transfrontalier d'électricité semble être controversé. Les partisans d'une telle transition affirment qu'elle favorise une interdépendance pacifique liée à des échanges mutuellement bénéfiques. Selon les critiques, il n'y aura que de nouvelles opportunités de "levier géopolitique" entre les exportateurs et les importateurs d'électricité. Le développement technologique des réseaux de transport, tel que la popularisation de l'UHV, peut créer de nouveaux défis tels que la nécessité d'une gestion globale unifiée du réseau, qui est à son tour en contradiction avec l'hypothèse d'un caractère plus local du nouveau système. Inversement, la dispersion de la production d'électricité peut être considérée comme une incitation au séparatisme et aux mouvements centrifuges. En particulier dans des conditions extrêmes, telles que la guerre ou l'escalade du terrorisme et du cyberterrorisme, cela peut non seulement empêcher l'intégration mondiale planifiée, mais même désintégrer les structures existantes en "îles énergétiques" géopolitiques sans lien entre elles, ce que nous pouvons observer en Libye comme un effet de l'agression occidentale. Le reste doit être géré et gouverné, de manière standardisée et uniforme. La question est de savoir par qui, alors que la transformation énergétique se poursuit au nom du renforcement du paradigme néolibéral, de la déréglementation et de la marchandisation. La conséquence logique est le Gouvernement Mondial, bien sûr en tant qu'outil dirigé par le Marché Mondial Totalitaire.
+++
De nouvelles ressources signifient de nouveaux investissements et donc aussi de nouveaux emplois et une stabilisation des revenus pour les pays et les sociétés qui relèvent de nouveaux défis, ce qui est également stabilisant dans le cadre des relations internationales" : ce sont des arguments que nous pouvons souvent entendre de la part des défenseurs des énergies renouvelables (ER). Mais cette hypothèse optimiste ignore ce que les économistes appellent le théorème de Rybczynski et la possibilité d'un "syndrome hollandais" dans les pays qui connaissent une croissance rapide grâce à l'exploitation des éléments de terres rares (ETR). Cela signifie une menace d'absorption de tout le capital et du potentiel d'investissement par un seul secteur, avec la régression des autres, ce qui pourrait être potentiellement déstabilisant.
La pandémie du "syndrome hollandais" et les guerres de brevets
On ne peut évidemment pas exclure l'émergence d'une asymétrie similaire dans les RI comme dans le cas du pétrole et du gaz. Les enthousiastes tentent de nous convaincre qu'il sera plus facile à surmonter et qu'il ne menace donc pas une escalade des tensions ou une domination permanente par quelques acteurs. Et car les cybermenaces ne sont en aucun cas le domaine exclusif des énergies renouvelables, en raison de la propagation de la numérisation également au sein de l'industrie énergétique des combustibles fossiles. Mais cela renvoie à une autre rivalité concernant les droits de propriété intellectuelle et l'accès aux technologies, également la cybersécurité, qui a déjà été contestée dans le cadre de l'ER impliquant la Chine, les États-Unis et l'UE dans le forum de l'OMC. Bien sûr, il n'y a rien pour décourager les vrais croyants. Enfin, ils peuvent toujours insister pour que les critiques pensent noir sur l'ici et maintenant, alors qu'ils s'efforcent d'avoir un avenir radieux. En un mot, c'est peut-être sombre, coûteux et guerrier pour de nouvelles ressources, mais le but est noble et justifie les moyens ! En fait, il y a beaucoup plus d'hypothèses sur ce qui pourrait éventuellement se produire et de pronostics sur la façon dont cela pourrait se produire. Une autre erreur consiste à ne pas distinguer la géopolitique de la transition elle-même des changements géopolitiques supposés qui en découlent. Malgré la relative multiplicité des études, aucune base théorique pour l'analyse géopolitique de la transition énergétique n'a été développée jusqu'à présent.
Gagnants et perdants ?
Bien que nous puissions trouver des listes de gagnants possibles et de perdants probables à la suite de la transition. La première comprend à la fois les pays les plus avancés dans les nouvelles technologies énergétiques et dans leur propre transition vers les ER, ainsi que les pays disposant de réserves d'ER. Le deuxième groupe se compose principalement d'exportateurs de pétrole et de gaz dont les réserves deviendront des actifs échoués à long terme. Ainsi, le palmarès comprend la Suède, la France, l'Islande et la Finlande ainsi que l'Uruguay, la République centrafricaine et la Mongolie. On s'attend également à ce que les États-Unis (actuellement exportateur) et la Chine (actuellement exportateur) et l'UE (actuellement exportateur) soient également sur la liste. Les États-Unis (actuellement exportateurs) et la Chine (principal importateur d'énergie) devraient également améliorer leur situation géopolitique grâce à la transition énergétique. La liste des perdants et des pays les plus exposés semble plus facile à compiler. Toutefois, en utilisant différents indices, seuls quelques noms se répètent, notamment la Russie, le Qatar, le Bahreïn et le Nigeria. Mais étant donné que les universitaires d'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ne sont pas d'accord sur la question de savoir si une monétisation plus rapide de leurs ressources ne leur permettrait pas de bénéficier des changements à temps. Le financement de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables par les Émirats arabes unis peut indiquer que les Émirats ont adopté une approche gagnant-gagnant de la transformation énergétique.
En raison de l'absence de recherches plus approfondies, il est difficile de prévoir le déroulement de la transition elle-même, lorsque des alliances entièrement nouvelles et de nouveaux oligopoles pourraient se former et que le rôle de l'énergie en tant qu'arme pourrait même s'accroître, notamment sous la pression du passage aux énergies renouvelables et du nouvel équilibre des pouvoirs prévu. Les chercheurs ont analysé plusieurs scénarios à cet égard, tous dans le cadre du "concept VUCA", c'est-à-dire en partant du principe que la période de transition sera "volatile, incertaine, complexe et ambiguë". Il est difficile de confronter l'hypothèse d'une démocratisation accrue, d'une participation et d'un rôle croissant des ONG en tant qu'acteurs sociaux du changement à RE avec la position de la Chine, qui bénéficiera de la transition, mais ne montre aucune tendance à changer son propre système politique. Ainsi, il semble que non seulement le nouvel ordre énergétique annoncé et la RI qui en découle sont incertains, mais que le changement lui-même pourrait provoquer plus de turbulences que ses défenseurs ne veulent bien l'admettre. En d'autres termes, les importateurs d'énergie désireux de modifier leur position peuvent considérer le programme de transformation de l'énergie comme bénéfique pour leurs intérêts particuliers, mais pas son emballage, c'est-à-dire la nature supposément populaire et, en général, l'attrait du capitalisme à visage humain et avec une fleur dans les cheveux. Parce que si vous tombez dans le panneau de la propagande, passer aux énergies renouvelables serait une garantie du maintien de la domination mondiale des multinationales, mise en œuvre par les États-Unis.
Il ne s'agit pas seulement de l'opposition des exportateurs actuels, mais aussi de l'attitude des consommateurs d'énergie et des entités commerciales impliquées dans la production et la distribution d'énergie, notamment les grandes compagnies pétrolières et gazières. Du point de vue du consommateur, il est particulièrement important de savoir ce qui distingue la transformation énergétique actuelle des précédentes, c'est-à-dire le passage de la biomasse au charbon, puis du charbon au pétrole et au gaz. Celles-ci étaient liées à l'augmentation de la demande et de la consommation d'énergie, alors qu'aujourd'hui, la principale hypothèse du passage aux ER est la réduction de la consommation, malgré l'augmentation supplémentaire observée de la demande. Elle serait également conforme à la tendance à la désindustrialisation dans les pays du noyau dur, ainsi qu'au déplacement de l'activité économique dominante vers les services. Cela signifie non seulement des actions visant à améliorer l'efficacité, mais aussi un changement de paradigme, qui est l'un des fondements du capitalisme mondial. La pandémie mondiale de COVID-19 était probablement une sorte de test dont nous parlerons plus tard. Ce ne sont donc pas seulement les politiques des États-nations qui sont réellement menacées, mais aussi la totalité des consommateurs mondiaux, notamment ceux qui sont directement exclus de l'énergie. Car il ne s'agit pas des tentatives d'augmentation de l'efficacité énergétique, dont on parle le plus, mais surtout d'un changement de paradigme, d'un changement des fondements du capitalisme mondial. Il s'agit de la fin du consumérisme fordiste.
Transformation à trois vitesses
Dans le contexte de la RI, il faut reconnaître que la consommation énergétique mondiale n'est pas répartie de manière égale. Le plus grand consommateur est la région Asie-Pacifique (43 % en 2017), avec une part nettement plus élevée de charbon dans le mix énergétique. L'Amérique du Nord arrive en deuxième position (21%), consommant principalement du pétrole, mais aussi une part importante de gaz. Et en troisième position se trouve l'Europe (15 %), avec également une prédominance du pétrole et du gaz naturel, mais la plus intéressée à atteindre des objectifs tels que la réduction des émissions de gaz à effet de serre en augmentant la part des ER dans le mix énergétique, avec une réduction simultanée de la consommation et une augmentation de l'efficacité d'au moins 32,5 % d'ici 2030. Jusqu'à présent, la transformation européenne s'est faite en partant du principe que le gaz naturel était un combustible de transition. Un élément important de ce processus est l'Energiewende allemand, actuellement en cours de reformulation en raison de la guerre russo-ukrainienne. Cependant, même avant cela, ce concept a été critiqué non seulement du point de vue des énergies renouvelables, mais aussi en soulignant le dilemme de Jarvis, selon lequel assurer la sécurité énergétique d'un pays peut violer la sécurité énergétique d'un autre pays.
Au moment où l'UE veut accélérer sa transformation, même au prix de visser les radiateurs (dans nos maisons) et d'éteindre les ampoules, d'ici 2029, la consommation d'énergie en Amérique du Nord devrait augmenter jusqu'à 19 %, malgré une demande relativement stable aux États-Unis. Indépendamment de l'hypothèse d'obtenir jusqu'à 50 % d'énergies renouvelables, le pétrole et le gaz (y compris le gaz de schiste) resteront les combustibles de transition pour les États-Unis (Fuentes et al., 2020, pp. 27-28). Les États-Unis déclarent que la sécurité nationale est une priorité, y compris l'autosuffisance énergétique encore principalement basée sur les combustibles fossiles. Il n'est pas certain que les États-Unis décident de maintenir leur position de leader mondial en redéfinissant leur implication dans le passage aux ER et/ou dans le domaine de la technologie nucléaire, qui peut également être une source de tensions dans les IR. La Chine, pour sa part, montre un intérêt croissant pour la diversification énergétique, mais avec la primauté du maintien de la croissance du PIB et de la production industrielle. En avril et octobre 2021, la Chine s'est engagée à réduire la consommation de carbone et les émissions de carbone d'ici 2040 et à augmenter la part de marché des véhicules à énergie nouvelle. Toutefois, les sceptiques considèrent que les objectifs révisés des contributions déterminées au niveau national sont insuffisants et incompatibles avec l'Accord de Paris, qui semble tout à fait conforme aux intentions réelles de Pékin.
Une brève comparaison montre la menace que représentent les différentes vitesses de transition énergétique, qui peuvent constituer une grave menace pour la sécurité internationale. Surtout en raison de priorités éventuellement incompatibles, lorsque la transition énergétique de l'UE est un élément de la politique de sécurité ; pour la Chine, un facteur de croissance, et pour les États-Unis, une méthode pour protéger leur propre position d'hégémonie.
Le climat est une nouvelle bulle
Il ne faut pas non plus oublier que les véritables acteurs des relations internationales sont les sociétés nationales et transnationales, car leur puissance financière dépasse le PIB de nombreux États et leurs stratégies ont un impact sur la sécurité internationale. Dans la réalité du marché, un argument économique devrait être décisif, comme l'hypothèse selon laquelle les ER seront le secteur énergétique qui se développera le plus rapidement et le plus intensivement au cours des prochaines décennies, ce qui signifie des bénéfices accrus pour les personnes impliquées dans le processus. Écologie : c'est une nouvelle bulle !" disait même le célèbre Gordon Gekko. Comme pour toute chaîne de Ponzi, cela signifie également une augmentation des bénéfices pour ceux qui sont impliqués dans le processus au bon moment.
Dans le cas des entreprises européennes et, dans une moindre mesure, américaines, il est également question d'une pression sociale croissante, d'un environnement culturel en mutation et d'un changement géoculturel, également au sein des entreprises elles-mêmes. Malgré les contradictions apparentes des modèles d'affaires et de gestion typiques des entreprises pétrolières et gazières, et les attitudes jusqu'ici associées aux ER, Royal Dutch Shell, Equinor, Total et ENI ont déjà annoncé leur transformation en "entreprises de transition énergétique". Cela implique de diversifier les paquets d'investissement et de recherche et de déclarer un rôle de leader dans le passage aux énergies renouvelables. Les sociétés américaines ExxonMobil et Chevron, la société britannique BP et la société brésilienne Petrobas ont réagi tardivement à cette nouvelle tendance, qui peut être associée aux politiques de leurs États et à l'accès à des réserves pétrolières plus importantes. BP, comme le Royaume-Uni, qui n'avait auparavant aucune stratégie claire en matière d'énergies renouvelables, a même fini par utiliser des panneaux solaires pour ses besoins internes. Il s'agit d'un levier financier évident qui réduit l'élément d'investissement et l'incertitude technologique. Les grandes compagnies pétrolières et gazières réagissent principalement aux "offres qu'elles ne peuvent refuser" et, historiquement, elles ne se sont jamais souciées de l'opinion publique à leur égard. Cela a eu un impact historique sur la sécurité internationale, les exemples les plus tristement célèbres de l'influence des préoccupations pétrolières étant le coup d'État iranien de 1953 et la crise de Suez de 1956. Contrairement au principe "olsonien" qui consiste à traiter les réglementations gouvernementales et internationales comme un obstacle aux activités commerciales, selon l'approche "stiglerienne", certaines réglementations (dans ce cas, la réglementation climatique) pourraient être soutenues comme un mécanisme permettant d'obtenir un avantage concurrentiel. Les grandes entreprises énergétiques ne sont pas des victimes de la révolution des énergies renouvelables, mais seulement ses moteurs et ses bénéficiaires, tout comme les autres mondialistes.
En fait, dans toute la géoculture occidentale, un principe est en vigueur : "Soyez original et indépendant = répétez ce que font les autres". Ceci est clairement visible dans l'exemple du changement climatique. Alors qu'elle est un élément de base de la géoculture depuis de nombreuses années, le sujet principal des médias et des divertissements, une justification commode pour la politique énergétique des gouvernements et une source de profits énormes pour les entreprises, elle est toujours présentée comme un élément culturel. Et personne ne se rend compte que si les employeurs organisent eux-mêmes une grève du climat, il ne s'agit pas d'une grève, mais d'une entreprise..... Des affaires, bien sûr, pour le capitalisme mondial. Et une menace pour la sécurité internationale.
*Journaliste et économiste polonais
20:21 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : énergie, géopolitique, terres rares | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 08 mai 2022
Technogéopolitique : réinterpréter la formule de Mackinder pour le pouvoir sur le monde
Technogéopolitique : réinterpréter la formule de Mackinder pour le pouvoir sur le monde
Par Leonid Savin
Source: https://noticiasholisticas.com.ar/tecnogeopolitica-reinte...
Dans son ouvrage classique intitulé Democratic Ideals and Reality, Halford Mackinder a souligné que le développement économique de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne au XIXe siècle et les actions ultérieures des gouvernements de ces pays, qui ont conduit à la Première Guerre mondiale, ont été influencés par la même source. - Il s'agit du livre d'Adam Smith Sur la richesse des nations.
En raison des différentes attitudes culturelles, des conclusions différentes ont été tirées et des méthodes différentes ont été utilisées. La Grande-Bretagne était une nation insulaire et utilise sa puissance maritime pour protéger ses intérêts, souvent au détriment des peuples colonisés. Bien que l'Allemagne possèdait également des colonies dans différentes parties du monde, elle donnait davantage le ton aux projets continentaux, d'où l'émergence d'une union douanière et de projets ferroviaires.
Avec le changement actuel de l'ordre technologique mondial, nous observons un phénomène similaire dans différentes régions: malgré les 30 dernières années de mondialisation active, il existe des signes évidents de protectionnisme national tant dans les pays industrialisés que dans les États qui sont encore en train de rattraper leur retard... Seulement, l'accent est désormais mis sur d'autres technologies.
Selon un rapport du Boston Consulting Group et de Hello Tomorrow, les technologies profondes pourraient "changer le monde comme l'a fait Internet". Les investissements dans ce domaine aux États-Unis ont quadruplé depuis 2016 dans des secteurs tels que la biologie synthétique, les matériaux avancés, la photonique et l'électronique, les drones et la robotique, et l'informatique quantique, en plus de l'intelligence artificielle. Alors que le rapport affirme qu'il n'existe pas de technologie profonde, il n'y a qu'une seule approche de la technologie profonde. [i]
Les entreprises deep tech partagent quatre caractéristiques communes: elles sont orientées vers les problèmes (elles ne commencent pas par la technologie pour ensuite chercher des opportunités ou des choses qui peuvent être résolues); elles sont à l'intersection des approches (science, ingénierie et design) et des technologies (96% des entreprises deep tech aux États-Unis utilisent au moins deux technologies). Ils s'articulent autour de trois pôles (matière et énergie, calcul et cognition, et détection, c'est-à-dire capteurs et mouvement); ils vivent dans un écosystème complexe; 83 % d'entre eux fabriquent un produit comportant un composant matériel, notamment des capteurs et de gros ordinateurs.
Ils font partie d'une nouvelle ère industrielle. Ces entreprises entrepreneuriales reposent sur un écosystème d'acteurs étroitement liés. Ils impliquent des centaines ou des milliers de personnes dans des dizaines d'universités et de laboratoires de recherche. Par exemple, Moderna et l'alliance BioNTech avec Pfizer ont utilisé le séquençage du génome pour mettre sur le marché leurs vaccins COVID-19 respectifs en moins d'un an.
Ces entreprises ont bénéficié des efforts de nombreux autres universitaires, de grandes entreprises et du soutien du secteur public. Tous, ainsi que les États-nations, sont des acteurs importants de cette vague de grande technologie qui est déjà en cours aux États-Unis, en Chine et ailleurs, ainsi que dans l'UE et ses États membres. [ii]
En termes de technologie, les composants nécessaires à sa mise en œuvre, tels que les métaux des terres rares et les semi-conducteurs, ainsi que les produits eux-mêmes, comme l'informatique quantique et l'intelligence artificielle, les systèmes sans pilote et automatisés, sont désormais l'enjeu de la confrontation géopolitique. des grandes puissances (et pas seulement).
La formule du pouvoir sur le monde de Mackinder peut maintenant être interprétée quelque peu différemment. Ce n'est pas celui qui contrôle l'Europe de l'Est qui possède le monde, mais celui qui contrôle les technologies critiques et nouvelles.
Lutte entre la Chine et les États-Unis
En octobre 2021, le bureau américain du directeur du renseignement national a publié une note sur les nouvelles technologies critiques. Il indique que "comme on s'attend à un champ technologique plus large à l'avenir, de nouveaux développements technologiques apparaîtront de plus en plus souvent dans de nombreux pays sans être annoncés. Si la démocratisation de ces technologies peut être bénéfique, elle peut aussi être déstabilisante sur le plan économique, militaire et social.
C'est pourquoi les avancées dans des technologies telles que l'informatique, la biotechnologie, l'intelligence artificielle et la fabrication requièrent une attention particulière pour prévoir les trajectoires des nouvelles technologies et comprendre leurs implications en matière de sécurité." [iii] Les agences de renseignement américaines accordent une attention particulière aux semi-conducteurs, à la bioéconomie, aux systèmes autonomes et aux ordinateurs quantiques.
Auparavant, en juillet 2021, le président américain Joe Biden a publié un décret visant à encourager la concurrence dans l'économie américaine. [iv] Elle est intervenue au milieu de discussions sur la nécessité de dompter le pouvoir croissant des grandes plates-formes technologiques dont la puissance nuit à la concurrence dans l'économie américaine, et sur la nécessité d'aider à maintenir la position des États-Unis en tant que leader technologique mondial face à la concurrence de la Chine.
Dans un communiqué de presse de la Maison Blanche daté du 2021, le président a reconnu l'importance du leadership dans les domaines technologiques critiques, tels que les normes sans fil et de cinquième génération (5G), et a annoncé un nouveau partenariat public-privé entre la National Science Foundation et le ministère de la Défense pour soutenir la recherche sur les réseaux et systèmes de prochaine génération. [v]
Cependant, les chercheurs du Renewing American Innovation Project estiment que le décret maintient le leadership de la Chine dans la 5G et pose donc un risque inutile pour la sécurité nationale, laissant le leadership américain dans cet espace vulnérable. Dans le même temps, la Chine reconnaît à la fois le pouvoir du renforcement des droits de propriété intellectuelle (PI) pour récompenser ses inventeurs, et le pouvoir de la loi antitrust comme outil de politique industrielle, tout en maintenant la viabilité de ses propres entreprises. [vi]
Les brevets sont reconnus comme l'un des seuls outils dont disposent les start-ups, les petites entreprises et les inventeurs pour protéger leurs idées, tandis que les grandes plateformes technologiques disposent de plusieurs autres moyens pour protéger et monétiser leurs idées, comme l'intégration verticale et la formation de conglomérats, où les deux stimulent l'économie. aux grandes plateformes.
C'est pourquoi les grandes plateformes technologiques se sont traditionnellement opposées à l'IA au Congrès et dans les tribunaux pour cette raison, selon les recherches. Les petites entreprises et les inventeurs individuels ne disposent souvent pas des investissements et des capitaux nécessaires pour traduire leurs intentions en produits et services commerciaux à grande échelle ou pour les monétiser sur des marchés connexes.
Au contraire, ils créent souvent des prototypes, espérant trouver d'autres développeurs pour fabriquer et commercialiser plus avant leurs inventions et récupérer leur investissement en recherche et développement (R&D) en concédant des licences de leurs inventions à ces développeurs. Cela est vrai non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour d'autres pays, dont la Russie.
La tendance actuelle est que la réglementation des brevets aidera la Chine à long terme, car elle dissuadera les entreprises américaines d'investir et permettra à Pékin de prendre la tête des normes critiques de la 5G (et de la future 6G).
Selon la communauté américaine du renseignement, si davantage de réseaux mondiaux fonctionnent avec Huawei et d'autres technologies chinoises, la Chine pourra alors voler des secrets commerciaux, recueillir des renseignements et influencer ses concurrents en fermant les infrastructures de communication et en punissant les détracteurs.
On peut attribuer cela à la politique anti-chinoise de Washington et à la manipulation des données reflétant l'implication croissante de la Chine. Toutefois, si l'on regarde les statistiques objectives, le nombre de délégués associés à des organisations chinoises participant au projet de partenariat de troisième génération (3GPP) a considérablement augmenté ces dernières années.
Ce projet, lancé en 1988, est un organisme de normalisation dont les membres sont les plus grandes entreprises de télécommunications du monde. Gagnant en influence au fil du temps avec l'introduction de la 4G et maintenant de la 5G, le 3GPP s'est retrouvé au centre d'un débat géopolitique sur l'importance de la 5G pour l'économie mondiale.
Pour l'instant, c'est la Chine qui compte le plus grand nombre de représentants d'autres pays. Et en novembre 2021, Huawei possédait le plus grand portefeuille 5G et annonçait le plus grand nombre de familles de brevets (un ensemble de brevets obtenus dans différents pays pour protéger une invention), ce qui en fait le leader et laisse derrière lui des acteurs tels que Qualcomm aux États-Unis, Samsung en Afrique du Sud, la Corée et Nokia en Finlande.
Aucune entreprise ni aucun pays ne peut combler aussi rapidement l'écart de leadership technologique, même si, pour l'instant, les États-Unis et l'Union européenne continuent de tenir la tête en matière de participation aux normes et à certaines technologies. Bien que le nombre de contributions et de divulgations de brevets ne soit pas une indication de la valeur ou de la qualité, ces modèles illustrent l'investissement croissant de la Chine dans la technologie cellulaire pour combler l'écart avec ses concurrents.
Les États-Unis tentent de contrer la Chine à la fois directement et indirectement, en créant de nouvelles initiatives avec leurs partenaires.
Le Conseil du commerce et de la technologie a été lancé lors du sommet États-Unis-UE de juin 2021. [vii]
Ses objectifs déclarés sont les suivants :
- Élargir et approfondir le commerce et les investissements bilatéraux ;
- Le rejet de nouvelles barrières techniques au commerce ;
- Collaboration dans les domaines clés de la technologie, du numérique et de la politique de la chaîne d'approvisionnement.
- Soutien à la recherche conjointe ;
- Coopération dans le développement de normes compatibles et internationales ;
- Promouvoir la coopération dans le domaine de la politique et de l'exécution ;
- Promouvoir l'innovation et le leadership des entreprises européennes et américaines.
Le Conseil comprendra initialement les groupes de travail suivants, qui traduiront les décisions politiques en résultats concrets, coordonneront les travaux techniques et rendront compte au niveau politique :
- Collaboration sur les normes technologiques (notamment l'intelligence artificielle et l'Internet des objets, entre autres technologies émergentes) ;
- Climat et technologies vertes ;
- Sécuriser les chaînes d'approvisionnement, y compris les semi-conducteurs ;
- Sécurité et compétitivité des TIC ;
- Gestion des données et plateformes technologiques ;
- L'utilisation abusive des technologies qui menacent la sécurité et les droits de l'homme;
- Contrôles des exportations ;
- Filtrage des investissements ;
- Promouvoir l'accès des PME aux technologies numériques et leur utilisation ;
- Questions relatives au commerce mondial.
Parallèlement, l'UE et les États-Unis ont établi un dialogue conjoint sur la politique de concurrence en matière de technologie qui se concentrera sur l'élaboration d'approches communes et le renforcement de la coopération en matière de politique de concurrence et d'application des règles dans les secteurs technologiques.
Le 3 décembre 2021, le Département d'État américain et le Service d'action extérieure de l'UE ont publié une déclaration commune sur les consultations de haut niveau sur la région indo-pacifique. Outre les déclarations de valeurs et d'intérêts communs, notamment les tendances actuelles liées à la pandémie de coronavirus et au changement climatique, il existe un certain nombre d'aspects techniques tels que les normes de travail, les infrastructures, les technologies critiques et émergentes, la cybersécurité, etc.
Sont également mentionnés l'approfondissement de la coopération avec Taïwan et l'intégration des initiatives d'infrastructure régionale Build Back Better World et EU Global Gateway. Le premier est mené par les États-Unis et le second par l'UE, respectivement. [Bien sûr, tout cela est fait pour contenir la Chine, y compris l'initiative "Belt and Road".
Il existe des exemples de confrontation flagrante, conduisant à ce que l'on appelle le découplage, c'est-à-dire la rupture des relations commerciales et économiques.
Le 24 novembre 2021, le ministère américain du Commerce a annoncé qu'il imposerait des contrôles à l'exportation à huit entreprises chinoises spécialisées dans l'informatique quantique. Une semaine plus tôt, Bloomberg a fait état de nouveaux contrôles à l'importation mis en place par un groupe industriel chinois quasi-étatique connu sous le nom de "Comité Xinchuan", qui établit effectivement une liste noire des entreprises technologiques détenues à plus de 25 % par des sociétés étrangères qui fournissent des industries sensibles. [X]
Le ministère du Commerce a déclaré dans un communiqué de presse qu'il avait ajouté huit entreprises chinoises spécialisées dans l'informatique quantique à la liste afin "d'empêcher que les nouvelles technologies américaines soient utilisées pour les efforts d'informatique quantique [militaires chinois]".
Il est interdit aux entreprises américaines d'exporter certains produits à des sociétés cotées en bourse sans demander une licence spéciale au département du commerce, et ces licences sont rares. Une telle liste a été créée à la fin des années 1990 pour répondre au problème de la prolifération des armes, mais est devenue depuis un instrument courant de pression des États-Unis sous couvert de protection de leurs intérêts économiques.
Et cela a entraîné une réaction correspondante de la Chine, comme dans le cas des sanctions contre la Russie. Les analystes chinois affirment que la création du comité Xinchuan et la recherche par la Chine de l'autosuffisance technologique sont le résultat direct des contrôles américains des exportations. Le cabinet de recherche Internet chinois iResearch a déclaré que "la politique d'endiguement des États-Unis, illustrée par la liste des entités, a été un catalyseur direct pour pousser la Chine à établir le secteur Xinchuan... [La liste des entités] a mis en évidence le besoin urgent pour la Chine d'investir davantage dans l'innovation technologique et de produire des technologies clés en Chine".
On prétend également que l'appel du président Xi Jinping à une plus grande autosuffisance technologique était motivé en partie par ce qu'il considérait comme l'impact des restrictions américaines à l'exportation sur Huawei.
En novembre, des rapports ont révélé que le régulateur central chinois de l'Internet a approché les cadres supérieurs du géant Didi Chuxing pour leur demander de proposer un plan visant à retirer la société de la Bourse de New York pour des raisons de sécurité des données. Ces gestes indiquent que le fossé technologique entre les États-Unis et la Chine va se poursuivre, malgré les assurances des deux dirigeants qu'ils sont prêts à résoudre le différend.
Les partenaires européens de l'OTAN des États-Unis sont également inclus dans la politique anti-chinoise. "La Chine constitue une menace non seulement du point de vue de la défense, mais aussi du point de vue économique, et pose également des défis à court et moyen terme pour la reprise post-pandémique et la transition vers une énergie propre. Ce domaine est la sécurité de l'approvisionnement en matières premières critiques et, en particulier, en éléments de terres rares", indique le site web du Centre international estonien pour la défense et la sécurité. [xi]
Il existe un groupe de 17 éléments dans le tableau périodique qui sont utilisés dans la production de biens de haute technologie, de supraconducteurs, d'aimants et d'armes (et plus récemment dans la production d'énergie propre), de sorte que l'utilisation de ces minéraux a considérablement augmenté la demande. pour eux, mais leur extraction et leur approvisionnement dépendent largement de la Chine.
La Commission européenne a déjà développé un système d'information sur les matières premières et continuera à le mettre à jour et à l'améliorer, mais il reste encore beaucoup à faire. La Commission renforcera son travail avec les réseaux de prospective stratégique afin de développer des preuves solides et des scénarios de planification pour l'offre, la demande et l'utilisation des matières premières dans les secteurs stratégiques.
Ces réseaux assurent une coordination politique à long terme entre toutes les directions générales de la Commission européenne. La méthodologie utilisée pour évaluer la criticité de certaines ressources pourra également être révisée en 2023 afin d'intégrer les dernières connaissances. [xi]
Surmonter les défis
La société de haute technologie Mitre, qui est l'un des contractants du Pentagone, a publié en août 2021 un rapport sur la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Il y est question de préparer une action nationale, c'est-à-dire un effort de collaboration impliquant le gouvernement, l'industrie et le monde universitaire, en réponse aux défis technologiques posés par les avancées et les ambitions de la Chine pour les États-Unis. [xiii]
Nous avons identifié trois recommandations qui sont de nature universelle, c'est-à-dire qu'elles peuvent être appliquées à tout État, y compris la Russie, en s'adaptant aux réalités nationales.
1.
"N'essayez pas trop fort. Plutôt que de supposer que n'importe qui peut identifier et gérer les nombreux facteurs qui stimulent l'innovation technologique et l'adoption dans l'ensemble de l'économie américaine, une politique fédérale prudente en matière de science et de technologie devrait se concentrer sur ce qui est le plus nécessaire pour assurer le succès concurrentiel national dans le domaine de la haute technologie, y compris l'élimination des défaillances réelles et identifiables du marché .....
Nous devons également remédier au manque de financement dans la "vallée de la mort" intermédiaire du cycle de vie technologique, entre la recherche fondamentale et le stade final de la commercialisation : c'est-à-dire les étapes où les nouvelles idées technologiques sont validées et démontrées dans un environnement approprié. Cette zone correspond à peu près à la zone située entre la zone académique traditionnelle de la recherche fondamentale et la zone de confort du secteur privé dans le prototypage et le déploiement de nouvelles applications.
2.
Fournir une approche "techno-systémique". Une stratégie technologique efficace ne doit pas seulement couvrir le développement de nouveaux gadgets en soi, mais aussi prendre en compte les vastes facteurs réglementaires, institutionnels, politiques et même sociologiques associés à l'adoption efficace de la technologie et au développement de nouveaux cas d'utilisation.
Cela nécessite une réflexion sur les "systèmes de systèmes", qui couvre également des questions plus pratiques sur le fonctionnement de l'économie technologique au sens large. De ce point de vue, la gestion de la technologie (par exemple, les normes techniques, les incitations fiscales, la sécurité de la chaîne d'approvisionnement, les contrôles technologiques, le suivi et l'audit du financement de la R&D, une main-d'œuvre de qualité) peut être aussi importante pour le succès que des idées techniques plus intelligentes.
Dans le cadre d'une stratégie scientifique et technologique nationale, c'est le gouvernement qui a un rôle particulier à jouer ici, car pour un tel "technosystème", les enjeux sont souvent liés à des problèmes et à des facteurs, qu'ils soient purement nationaux ou systémiques, comme la sécurité nationale. Il s'agit de questions sur lesquelles les entités du secteur privé ne sont généralement pas incitées à dépenser leurs ressources.
3.
Accrochez-vous à vos valeurs. Selon cette publication, face aux énormes défis économiques et technologiques de la Chine, les États-Unis ne peuvent pas poursuivre une stratégie analogue à la "fusion civilo-militaire" de Pékin, car les dirigeants américains ne doivent pas utiliser la coercition de l'État pour la coopération intersectorielle et l'utilisation des mécanismes du marché à des fins étatiques (en fait, de telles méthodes ont été utilisées dans l'histoire des États-Unis, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale - ndlr).
Il est demandé de veiller, quelle que soit la forme qu'elle prenne, à coordonner les efforts nationaux visant à intensifier la collaboration innovante et volontaire entre les processus publics, privés et éducatifs, ainsi que le financement fédéral de la recherche et du développement des entreprises, avec le rôle clé des organisations à but non lucratif. intermédiaires favorisant la collaboration et régulant les divisions entre les intérêts concurrents.
Outre les décisions politiques, une approche idéologique peut également être utilisée. Eileen Donahue, directrice exécutive du Stanford Global Digital Policy Incubator et ancienne ambassadrice des États-Unis auprès de l'ONU, estime que la numérisation, et notamment l'intelligence artificielle, peut contribuer à renforcer la démocratie libérale et donc la puissance américaine. Elle propose de considérer la concurrence dans le cyberespace à travers le prisme de la rivalité systémique, où la Chine est présentée comme un régime autoritaire qui représente une menace.
Selon elle, "les pratiques technologiques dont nous faisons preuve dans notre contexte national, les normes que nous défendons dans les forums technologiques internationaux et les investissements que nous faisons dans les nouvelles technologies et les infrastructures d'information démocratiques se renforceront mutuellement. Si cet ensemble complexe de tâches est embrassé et traité avec le sens de l'urgence et de l'objectif qu'il mérite, un avenir démocratique prospère et sûr peut être renforcé.
Ce sont les éléments les plus importants sur lesquels nous pouvons construire une société numérique démocratique." Cependant, étant donné les innombrables contradictions au sein des États-Unis, il est difficile de savoir comment mettre cela en pratique.
Énergie, semi-conducteurs et stockage en nuage
L'énergie propre est un autre domaine technologique prometteur.
Selon une étude du CSIS sur la production d'énergie propre aux États-Unis, une analyse et une évaluation sérieuses de la diversification énergétique et économique sont nécessaires pour optimiser les stratégies actuelles. [xv]
À l'heure actuelle, les sources sans carbone (énergies renouvelables et nucléaire) fournissent un faible pourcentage des électrons qui alimentent les bâtiments et le secteur des transports. Mais au fil du temps et de la croissance de la demande énergétique, les sources d'énergie sans carbone représenteront une part plus importante de la production. 21% des entreprises privées et 61% des gouvernements nationaux ont déjà fixé des objectifs ambitieux de décarbonisation ou d'émissions zéro.
Selon l'Agence internationale de l'énergie, d'ici 2040, avec une forte croissance de la production d'énergie éolienne et solaire, les énergies renouvelables représenteront environ 47 % du marché mondial de l'électricité, contre 29 % aujourd'hui (voir graphique). En 2050, les sources d'énergie renouvelables représenteront plus de 90 % de la production totale d'énergie et les combustibles fossiles moins de 10 %. [xxi]
Et la transition vers de nouveaux types d'énergie entraînera inévitablement la création d'un nouveau paysage technologique pour les flux énergétiques mondiaux. Actuellement, les chaînes d'approvisionnement complexes et puissantes reliant la production à la consommation sont constituées de pipelines et de routes maritimes avec des infrastructures pour les pétroliers et les gaziers.
Des pourparlers sont déjà en cours pour exporter de l'hydrogène vert vers l'Europe à partir d'endroits où l'électricité renouvelable bon marché est abondante, comme le Moyen-Orient et l'Islande, ou de l'Australie vers le Japon. Il existe déjà des projets de construction de réseaux de transmission d'électricité depuis les zones à fort potentiel de production d'électricité renouvelable vers les centres de demande, comme la ligne de transmission Australie-ASEAN reliant l'Australie à Singapour.
Les technologies du cloud, qui offrent une puissance de calcul et une capacité de stockage de données accrues, constituent un autre domaine critique.
Actuellement, les États-Unis représentent près de 40 % des principaux centres de données Internet et de cloud computing, mais l'Europe, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Asie-Pacifique affichent des taux de croissance plus élevés. Aujourd'hui, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Australie représentent ensemble 29 % du total. Les fournisseurs mondiaux de centres de données en nuage hyperscale ne sont présents que dans quelques grands marchés émergents, tels que le Brésil et l'Afrique du Sud.
Ils sont principalement situés dans les pays à revenu élevé et moyen supérieur. Parmi les opérateurs hyperscale, Amazon, Microsoft et Google représentent collectivement plus de la moitié de tous les grands centres de données, ainsi que d'autres acteurs clés, dont Oracle, IBM, Salesforce, Alibaba et Tencent. Les plus grands fournisseurs de services en nuage exploitent des centres de données dans le monde entier, segmentant les clients en différentes régions qui peuvent s'étendre sur plusieurs pays, voire des continents entiers.
Les semi-conducteurs figurent également sur la liste des technologies critiques. Récemment, un terme spécial "chipageddon" est apparu, reflétant la pénurie mondiale de puces informatiques qui est apparue l'année dernière. [xviii]
Comme indiqué, tout a commencé par le fait que la demande d'électronique grand public a augmenté en raison de l'enfermement, car de nombreuses personnes ont été contraintes de travailler et d'étudier à la maison.
Les puces semi-conductrices sont également utilisées dans les appareils ménagers, les moniteurs et les automobiles. Par exemple, une voiture moderne peut avoir plus d'une centaine de puces.
Et la production de 60 à 70 % des puces à semi-conducteurs du monde et de 90 % des puces les plus avancées se fait à Taïwan. En 2021, le manque à gagner qui s'est produit est lié à diverses circonstances. Mais, en fait, la raison en est la sécheresse qui a sévi sur l'île en 2020. Le fait est que la fabrication des puces informatiques est assez laborieuse : il faut environ 8 000 litres d'eau pour produire un seul panneau de puces.
Si le secteur agroalimentaire taïwanais a été le plus sévèrement limité en 2020, les entreprises de puces à semi-conducteurs ont également réduit leurs volumes de production.
Dans ce contexte, l'environnement géographique devient un environnement technostratégique. Compte tenu de l'utilisation de technologies à double usage dans l'armée et de l'importance de l'innovation en matière de défense, les armées des pays leaders mettent également l'accent sur les priorités technologiques.
Le ministère américain de la défense a identifié onze de ces domaines : systèmes de contrôle de combat entièrement en réseau, 5G, technologies hypersoniques, guerre cybernétique/informationnelle, énergie dirigée, microélectronique, autonomie, IA/apprentissage machine, science quantique, espace et biotechnologie, dans lesquels des investissements sont réalisés. attirant activement. [xviii]
La Russie devrait également tirer certaines leçons de la concurrence technologique. Un protectionnisme approprié, la promotion de nos propres développements et le soutien au secteur scientifique et technique ne sont plus des questions d'économie domestique, mais de géopolitique mondiale.
Notes:
[i] https://hello-tomorrow.org/bcg-deep-tech-the-great-wave-of-innovation/
[ii] https://www.bcg.com/publications/2021/deep-tech-innovation
[iii] https://www.dni.gov/files/NCSC/documents/SafeguardingOurFuture/FINAL_NCSC_Emerging%20Technologies_Factsheet_10_22_2021.pdf
[iv] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/07/09/fact-sheet-executive-order-on-promoting-competition-in-the-american-economy/
[v] https://www.whitehouse.gov/ostp/news-updates/2021/04/27/the-biden-administration-invests-in-research-to-develop-advanced-communications-technologies/
[vi] https://www.csis.org/analysis/promoting-competition-american-economy
[vii] https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3909528
[viii] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_21_2990
[ix] https://www.state.gov/eu-us-joint-press-release-by-the-eeas-and-department-of-state-on-the-high-level-consultations-on-the -indo-pacifique/
[x] https://www.lawfareblog.com/us-china-tech-decoupling-accelerates-new-export-controls-chinese-quantum-computing-companies
[xi] https://icds.ee/en/chinas-rare-earth-dominance-is-a-security-risk-for-nato-and-western-supply-chain-resilience/
[xii] https://hcss.nl/report/energy-transition-europe-and-geopolitics/
[xiii] https://www.mitre.org/sites/default/files/publications/pr-21-2393-charting-new-horizons-technology-and-us-competitive-success.pdf
[xiv] https://www.justsecurity.org/78381/system-rivalry-how-democracies-must-compete-with-digital-authoritarians/
[xv] https://csis-website-prod.s3.amazonaws.com/s3fs-public/publication/211207_Higman_Clean_Energy_Opportunity.pdf?QdgdC6L90fRgz9F6PgP2F2DEDr0QySI
[xvi] https://www.strategy-business.com/article/State-of-flux
[xvii] https://www.abc.net.au/news/2021-05-07/what-does-chipageddon-have-to-do-with-climate-change/13327926
[xviii] https://cimsec.org/the-influence-of-technology-on-fleet-architecture/
15:43 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique, chine, états-unis, technologie, technogéopolitiqe, leonid savin | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Heartland et Rimland dans la géopolitique de la Chine, de la Russie et des États-Unis: un retour à la lutte pour le Rimland au 21e siècle?
Heartland et Rimland dans la géopolitique de la Chine, de la Russie et des États-Unis: un retour à la lutte pour le Rimland au 21e siècle?
Par Pedro Sánchez Herráez
Source: https://kontrainfo.com/heartland-y-rimland-en-la-geopolitica-de-china-rusia-y-eeuu-retorno-a-la-lucha-por-el-rimland-en-el-siglo-xxi-por-pedro-sanchez-herraez/
Dans un contexte de reconfiguration géopolitique de la planète, et à une époque où, en raison tant de l'essor des "nouvelles technologies" que de la pandémie de COVID-19, il semble que tout soit nouveau, que tout soit différent (1), que tout reparte de zéro ou, du moins, que nous nous trouvions à un tournant de l'histoire sans parangon, avec peu ou pas de références, et dans lequel tout ce qui précède n'est pas valable et ne sert même pas de point de départ à la réflexion. Après la fin du système bipolaire de la guerre froide, le pouvoir croissant des acteurs non étatiques et l'augmentation de leur capacité d'action contre les États - il suffit de rappeler le 11 septembre et le début de la "guerre contre le terrorisme" qui annonçait une nouvelle ère et la fin des "disputes classiques" - ont semblé mettre un bémol aux théories géopolitiques classiques et ont donné des ailes aux idées de la fin de la rivalité entre les puissances, une réalité qui, pendant des siècles, avait été le moteur et la cause des disputes, des guerres, des accords, des alliances, des trahisons..... C'est pourquoi, apparemment, la recherche de l'hégémonie par une nation et les efforts des autres pour l'éviter, ou au moins pour atteindre un point d'équilibre des forces, un équilibre toujours instable, mais pour le maintien duquel les efforts de toutes sortes et dans tout le spectre de la stratégie (diplomatique, politique, informative, de renseignement, militaire, économique, etc.) des autres nations étaient dirigés, semblaient être une sorte de défi. ) des autres nations, semblait appartenir au passé. Une nouvelle ère s'ouvrait.
Et si en plus, comme à d'autres périodes de l'histoire, les "talibans" d'une tendance ou d'une autre(2), ou des prophètes plus ou moins bien informés ou intéressés théorisent sur la perte de valeur de tout ce qui a précédé sur la base de la nouveauté - qu'elle soit réelle ou non - des nouveaux environnements contestés - de l'espace extra-atmosphérique au domaine cognitif - et que de "nouveaux" termes sont inventés - tels que "influence"(3), "zone grise"(4), "guerre hybride"(5)..., parmi beaucoup d'autres - il se pourrait qu'une interprétation radicale des "nouveautés" conduise au sentiment qu'il n'existe en effet aucun parallèle antérieur pour le moment de contestation globale dans lequel la planète se trouve plongée. Ainsi, la résurgence progressive de la Russie depuis 2000 - sous la direction de Poutine -, le décollage de la Chine et son positionnement comme deuxième économie mondiale en 2011, et son rapprochement dans tous les domaines avec ce qui reste la première puissance mondiale, les États-Unis d'Amérique, ainsi que le néo-ottomanisme croissant de la Turquie et son désir d'expansion, peuvent en être la raison, ou du moins d'influence sur la plupart des territoires de l'ancien Empire ottoman, face, dans une certaine ou grande mesure, à une réduction relative des capacités et peut-être de la volonté d'autres nations ou groupes de nations (comme l'Union européenne) d'occuper une place adéquate dans cette dispute pour "une place au soleil", tout cela peut créer un environnement sans équivalent dans le passé. Et peut-être que c'est le cas, et que rien du passé ne peut servir de point de référence. Ou bien le peut-il ?
Questions du passé : le Rimland ?
Au-delà de l'éternelle querelle entre thalassocraties et tellurocraties (puissances fondées respectivement sur la puissance maritime et la puissance terrestre), ce qui est certain, c'est que l'accès à la mer confère un avantage compétitif à une nation par rapport à celle qui ne possède pas cette possibilité ; pour cette raison, la recherche d'un débouché sur l'océan a été un facteur polémique classique, déclenchant des conflits tout au long de l'histoire de l'humanité. Et si, en plus, ce débouché sur la mer est souhaité à partir d'un espace qui occupe près d'un sixième des terres émergées de la planète, la situation acquiert évidemment une signification et un niveau mondiaux.
Cette grande masse terrestre du continent eurasien correspond essentiellement à l'espace que la Russie a occupé au cours des siècles dans plusieurs des différentes organisations politiques qui se sont succédé depuis le 18e siècle : l'Empire russe, l'Union soviétique (une partie de celle-ci) et la Fédération de Russie. Et ce n'est pas seulement "la taille qui compte", pas seulement l'espace qui est un facteur de puissance, mais sa position relative sur le continent et sur la planète qui est venue motiver sa définition comme "heartland". Le Britannique Halford J. Mackinder (1861-1947) a écrit en 1904 l'ouvrage The geographic pivot of history(6) dans lequel - sous une forme simplifiée et comme on peut le voir sur l'image ci-jointe - il a identifié le "monde insulaire" (Europe, Asie et Afrique) comme l'essence de la puissance mondiale, et au sein de cette vaste étendue de terre, il a défini un "heartland" - également connu sous le nom de pivot mondial - (coïncidant essentiellement avec l'Empire russe alors existant) ; et a divisé la planète en une "zone pivot", essentiellement ce cœur planétaire, entouré d'un arc (proximal ou marginal) de terre et d'eau autour de lui, laissant le reste des espaces dans un "anneau extérieur" défini.
La fin de la Première Guerre mondiale (1914-1918), outre la disparition de quatre empires, a vu un réarrangement des frontières en Europe et dans une grande partie du Moyen-Orient sans précédent dans le passé.
Cela a conduit Mackinder à indiquer non seulement que la guerre avait réaffirmé son point de vue, mais à l'étendre dans un nouvel ouvrage(8), en réitérant que la puissance qui occupait et dominait le cœur du pays dominerait le monde insulaire, et que celui qui dominait le monde insulaire dominerait la planète. Et il a ajouté un nouvel élément à cette lutte mondiale en soulignant que celui qui dominerait l'Europe de l'Est dominerait le centre du pays, celui qui dominerait le centre du pays dominerait le continent insulaire, et celui qui dominerait le continent insulaire dominerait le monde(9). (9) Évidemment, les critiques et les visions différentes et différentielles n'ont pas manqué (en fait, en 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Mackinder a répondu aux propositions de mise à jour de sa théorie par un nouvel essai, The Round World and the Winning of the Peace(10), la réaffirmant ; mais, malgré les différences, le schéma général, avec des nuances, a apparemment continué à avoir des visions et des adeptes similaires.
Également au milieu de la conflagration, alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage, Nicholas Spykman (1893-1943) a développé une théorie, largement complémentaire à celle de Mackinder, et qui a été exposée principalement dans son œuvre posthume, The Geography of Peace. Il y reprend également ce concept de heartland, dont il ne nie pas l'importance mais la nuance qu'il a introduite est la signification renouvelée de cet "anneau marginal", cet anneau de circonvallation - qu'il a appelé "Rimland", comme on peut le voir dans l'image ci-jointe - entourant la masse terrestre qui était posée comme l'essence même de la puissance mondiale dans la vision mackinderienne, soit une zone dont le contrôle maintiendrait cette puissance considérée comme mondiale isolée et incapable d'étendre son pouvoir sur sa périphérie. Par conséquent, il ne s'agissait pas de contrôler le Heartland, il suffirait de l'encercler. Spkyman a donc souligné que les efforts géopolitiques devraient être dirigés vers le contrôle du Rimland, car, a-t-il fait remarquer(11), celui qui le contrôle contrôle l'Eurasie, et celui qui contrôle l'Eurasie contrôle le destin du monde. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début de ce que l'on appellera la Guerre froide, les tensions permanentes entre les deux grandes superpuissances, les États-Unis et l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), dans un monde divisé en blocs, une grande partie des litiges se déroulent dans le Rimland, dans cette zone qui permet le confinement ou l'expansion mondiale du heartland, selon qui la domine.
Et de la théorie de Spykman découle ce qui sera connu sous le nom de "politique d'endiguement"(12), qui visait à empêcher l'expansion de l'URSS et qui a été menée dans toute la zone entourant l'URSS - en plus d'autres parties de la planète - en utilisant la diplomatie, l'espionnage, les relations commerciales, la subversion et même l'intervention militaire directe. La nécessité perçue de renforcer ce Rimland est ce qui donnera naissance au plan Marshall(13) (1947), destiné à reconstruire une partie de l'Europe dévastée après la Seconde Guerre mondiale afin d'éviter qu'elle ne devienne une proie facile pour l'adversaire soviétique, et motivera également la "doctrine Truman"(14), (14), énoncé par le président américain Harry Truman en 1947, dans lequel les États-Unis déclaraient qu'ils aideraient tout pays pour l'empêcher de tomber aux mains de Moscou - ou des pays communistes dans leur ensemble, suite à la proclamation de la République populaire de Chine par Mao Tse Tung en 1949. La Chine, un grand pays physiquement situé dans le Rimland contesté, est devenue un nouveau rival, ce qui a conduit les États-Unis à adopter la "théorie des dominos", selon laquelle il fallait empêcher un pays de tomber aux mains des communistes pour que les autres, comme les pièces du jeu de société susmentionné, ne tombent pas les uns après les autres. De la guerre de Corée (1950) à la guerre en Afghanistan (1979) et à la longue guerre du Vietnam, le Rimland est riche en conflits et a été le terrain d'utilisation de toutes sortes d'outils géopolitiques pour prendre le contrôle de cette grande bande de terre et de ces littoraux.
Après la chute du mur de Berlin en 1989 - et le départ de l'orbite soviétique de tous les pays "satellites" d'Europe de l'Est, un espace clé du Rimland - et la disparition de l'URSS en 1991, il semble que le vingtième siècle ait largement répondu au postulat géopolitique du heartland et de son expansion ou de son endiguement par le biais de différends dans le Rimland. Mais, coïncidence - ou non - ce postulat trouve ses racines, du moins les plus récentes, dans le siècle précédent, le 19e siècle.
L'expression "Grand Jeu", popularisée par Rudyard Kipling après son inclusion dans l'une de ses œuvres les plus connues (15), faisait référence à la lutte entre la Grande-Bretagne, la grande puissance maritime du 19e siècle, et l'Empire russe pour empêcher l'accès de ce dernier à la mer, notamment en Asie centrale, bien que l'expression, au fil du temps et par extension, a fini par s'appliquer à des actions menées sur toute la longueur de l'immense frontière russe, utilisant tout expédient imaginable, de la création d'États tampons (comme dans le cas paradigmatique de l'Afghanistan) au soutien de forces et de mouvements anti-russes locaux, en passant par l'utilisation de puissances rivales (comme dans le cas de l'Empire ottoman) avec la maxime "l'ennemi de mon ennemi est mon ami"... instrumentalisant dans ce "jeu" toutes les mesures (16) à la portée des Britanniques - et évidemment, recherchant l'effet inverse du côté russe (17) - afin d'éviter le contrôle des espaces donnant accès à ce "cœur" depuis l'océan, de manière à permettre à Moscou d'avoir une porte ouverte sur l'océan et sur le monde par laquelle elle pourrait projeter son énorme puissance et son potentiel. Dix-neuvième siècle, vingtième siècle... il semble que les mêmes questions - avec d'autres acteurs - soient abordées avec le même entêtement et la même ténacité... En sera-t-il de même au vingt-et-unième siècle ?
Une question d'actualité: alliance pour le Rimland ?
Au-delà des disquisitions et des arguments, pour et contre, quant à savoir si la planète connaît une nouvelle "guerre froide", ce qui est certain, c'est que le monde est en pleine reconfiguration géopolitique ; et que le monde est en pleine reconfiguration géopolitique ; et que le monde est en pleine nouvelle "guerre froide". Bien que la première puissance mondiale, les États-Unis d'Amérique, ait pivoté ses efforts vers l'Asie-Pacifique depuis 2011, face à la puissance et l'influence croissantes de la Chine, elle a aussi simultanément procédé à un relatif abandon géopolitique de nombreuses régions de la planète - de l'Afrique à l'affaiblissement du lien transatlantique - ce qui a généré un vide qu'exploitent ses concurrents et rivaux.
Mais l'ampleur du défi (le contrôle du Rimland) est énorme, il n'est donc pas possible pour une seule puissance de l'entreprendre; c'est une tâche complexe même pour une superpuissance.
La Russie est une puissance régionale, mais ce n'est pas l'ancienne Union soviétique, même si elle travaille activement à retrouver son statut de potentiel mondial ; la Turquie est un acteur régional puissant, qui tente d'étendre ses capacités et son influence.
La Turquie est un acteur régional puissant, qui cherche à étendre ses capacités et son influence dans cet espace carrefour entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique ; et la Chine, deuxième puissance économique mondiale mais qui présente encore des lacunes dans d'autres domaines (qu'elle comble à toute vitesse) et avec l'aspiration d'être la première puissance mondiale et le désir d'être une superpuissance à part entière, peut-être la superpuissance du 21e siècle.
En termes d'histoire et de potentiel, la Russie a été le champion de la lutte pour le Rimland. Mais confrontée à l'impossibilité de le faire seule, à la réalité de la montée en puissance de ses anciens rivaux - les relations de la Russie avec la Turquie et la Chine sont depuis des siècles loin d'être amicales (17) - et à la nécessité d'assurer un débouché à sa principale source de richesse, la vente d'hydrocarbures - à la fois parce que ces pays sont consommateurs, notamment la Chine, et parce qu'ils sont les points de transit des oléoducs et gazoducs, notamment la Turquie, outre le fait qu'un puissant réseau de ces "artères de la planète" traverse le Rimland contesté, par lequel des flux d'hydrocarbures pourraient s'effectuer hors du contrôle russe, ce qui n'est pas du goût de Moscou - il se pourrait qu'en fin de compte, bien qu'étant des "rivaux stratégiques", une "alliance tactique" ait été forgée qui permet, au moins, à l'"Occident" de refuser le Rimland. Ou du moins pour le moment, pendant que les postes de la région sont occupés.
Russie : l'ours sort à nouveau de la taïga
Pour la Fédération de Russie, pour la Russie, la sécurité de ses frontières, comprise dans un sens très large, a été une obsession tout au long de l'histoire. Par conséquent, sa position par rapport à son ancienne zone d'influence est toujours constante, et il est d'une importance vitale pour les intérêts de la Russie de consolider un périmètre de sécurité qui ne s'arrête pas à ses propres frontières(18). Et, associée à ce fait, s'ajoute la perception constante par la Russie de l'intention récurrente de ses rivaux de tenter de l'encercler et de l'isoler, de la séparer de la mer et de la repousser à l'intérieur de la steppe(19), loin du Rimland, quel que soit le modèle utilisé, qu'il s'agisse du "Grand Jeu" ou de la "politique d'endiguement". Et, au cours de ce siècle, comme le souligne Poutine lui-même, "Une fois que nous avons réussi à stabiliser la situation, une fois que nous nous sommes redressés [dans les années 2000], la politique d'endiguement a été immédiatement mise en œuvre. D'abord, pas à pas, puis de plus en plus. Et plus nous devenions forts, plus la politique d'endiguement devenait forte"(20). (20) Et à cette fin, toujours du point de vue russe, ses rivaux utilisent toutes sortes d'outils géopolitiques, ce qui, parmi de nombreuses autres conséquences, a conduit aux soi-disant révolutions de couleur(21), des révoltes qui, du point de vue de Moscou, ne sont rien d'autre que des subversions sous les auspices des États-Unis, ne sont rien d'autre que des subversions parrainées par d'autres nations, rien d'autre que l'utilisation de l'extrémisme comme outil géopolitique et la redistribution des sphères d'influence(22), rien d'autre qu'une nouvelle tentative pour essayer de séparer la Russie du soi-disant "espace post-soviétique".
Le but de la Russie est de regagner ou du moins de maintenir un haut degré d'influence dans cet espace, soit dans les anciennes républiques qui, avec la Russie, formaient l'URSS (23) - la Russie est jaune sur la carte et le reste des républiques soviétiques dans des couleurs autres que le gris; cette tension est aggravée par la vision panrusse du soi-disant "monde russe" (24), qui inclut non seulement les zones où il y a des minorités ou des groupes de "Russes", mais même les zones qui sont sympathiques à la Russie.
Comme l'a souligné le président russe de l'époque peu après la guerre avec la Géorgie en 2008, en ce qui concerne les lignes de la politique étrangère russe, Moscou a des régions d'intérêt privilégié, outre bien sûr les régions frontalières, mais pas seulement celles-ci(25). Et les accusations selon lesquelles l'Union européenne (UE) et l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) tentent de pénétrer son glacis sécuritaire(26) ont pris de l'ampleur dans les déclarations de Moscou depuis le milieu de la dernière décennie. Et si la Russie continue de chercher activement à maintenir sa sphère d'influence, cette partie de l'Eurasie qu'elle considère comme essentielle à ses intérêts et à sa sécurité, il n'en est pas moins vrai que la présence croissante de la Chine et de la Turquie met à l'épreuve les capacités de la Russie en Eurasie, Car si les relations sont complexes, il existe des points d'accord avec Pékin - et moins avec Ankara - car en plus de partager la vision d'un monde multipolaire (c'est-à-dire "non dominé par l'Occident"), Moscou ne les considère pas comme une menace pour son ordre interne(27). (27) La nécessité a conduit Moscou, du moins pour l'instant, à se tourner vers ses anciens rivaux pour obtenir un soutien.
Et quels sont les intérêts de ces alliés/rivaux ?
Turquie : le loup hurle à nouveau
La Turquie, en pleine tentative de récupération de la géopolitique néo-ottomane, continue d'employer différents outils pour étendre son influence et sa présence dans cette partie clé du monde.
Sa propre position en tant que point de passage terrestre entre le Moyen-Orient, l'Europe et l'Afrique - comme le montre l'image ci-jointe reflétant l'ancien Empire ottoman - ainsi que la présence de populations partageant les mêmes idées au Moyen-Orient et en Afrique - ainsi qu'au Moyen-Orient et en Afrique - comme le montre l'image ci-dessous.
La présence de populations apparentées sur le plan ethnique et linguistique, ainsi que de puissants efforts employant toute la panoplie des outils géopolitiques - y compris parfois face à des accusations de soutien au fondamentalisme islamique dans ses formes les plus violentes(28) - pour obtenir une position avantageuse dans la région, en font un acteur à considérer, au moins à l'échelle "régionale" dans ce Rimland contesté. Bien que la Russie et la Turquie, l'Empire russe et l'Empire ottoman, se soient livrés à des guerres continues jusqu'au XXe siècle, dans la quête de Moscou d'un débouché sur la mer, et que dans l'imaginaire et dans leurs visions du monde respectives, ils occupent des positions opposées, au cours de la dernière décennie, ils ont coopéré face aux différends que les deux nations ont avec l'Occident. Ainsi, des projets d'oléoducs et de gazoducs traversant le sol turc afin de transporter les hydrocarbures russes autour de l'Ukraine à la collaboration relative et aux accords conclus dans la guerre syrienne et dans le récent conflit du Nagorno-Karabakh (2020) dans le Caucase, la relation entre les deux puissances est basée sur le pragmatisme, mais sans oublier qu'en Libye, lors de la récente guerre civile, elles se sont rangées dans des camps opposés, ou que les rêves impériaux de la Turquie sont considérés avec suspicion par Moscou, car elles partagent des zones d'influence et un désir de contrôle. Ainsi, de temps à autre, il est possible de trouver des reportages sur la "grandeur des rêves impériaux de la Turquie"(29) dans les médias russes, soulignant l'appétit d'Ankara pour les régions des Balkans, du Caucase et de l'Asie centrale, et la manière dont elle y mène une politique active, voire agressive. La Turquie y voit une occasion d'essayer de restaurer la zone d'influence ottomane, de l'Adriatique à la Grande Muraille de Chine(30), et malgré sa rivalité avec la Russie, elle mène une politique étrangère très active, qui implique des négociations et des accords avec Moscou, soulignant que le 21e siècle sera le siècle de la Turquie (31).
Cependant, la Turquie, membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), en raison de ce néo-ottomanisme et de sa relation avec la Russie, est en désaccord avec plusieurs pays voisins, et même avec d'autres membres de l'OTAN, comme la Grèce et la France, avec lesquels il y a eu des incidents, surtout en Méditerranée orientale ; et en fait, les relations entre la Turquie et les États-Unis sont au plus bas, Washington évoquant même la perte d'un certain niveau de confiance(32). On fait également remarquer que les ambitions de la Turquie sont peut-être trop vastes et que, compte tenu de la nécessité éventuelle de choisir entre Washington et Moscou(33), les avantages pour Ankara seraient plus importants dans le premier cas qu'avec la Russie... le différend est couru d'avance. La maxime consistant à donner la priorité à ses propres intérêts sur toutes les autres questions est donc pleinement valable dans la lutte pour le Rimland... mais cet équilibre peut-il être maintenu face à la véritable puissance du Rimland, la Chine?
Chine : le dragon déploie ses ailes !
L'ascension irrésistible de la Chine au cours des dernières décennies lui a permis de dépasser le stade de "puissance émergente" pour devenir, au cours de la dernière décennie, une puissance "pleinement émergente", ce qui est apparu très clairement lorsqu'elle est devenue la deuxième plus grande économie du monde en 2011, dépassant le Japon.
En septembre 2013, lors d'une visite du président chinois Xi Jinping au Kazakhstan (un pays situé en Asie centrale, au milieu du Rimland), la Chine a lancé(34) la soi-disant Nouvelle route de la soie, une initiative qui sera complétée un mois plus tard par la proposition d'une Route de la soie maritime. Progressivement, la vision et les projets se sont développés en termes de portée, d'intensité et de domaines, ainsi qu'en termes de terminologie, l'acronyme OBOR (One Belt One Road) étant de plus en plus utilisé comme idée principale. Du point de vue chinois, la nouvelle route de la soie ne doit pas être considérée dans une perspective de guerre froide, ni comme un nouveau "plan Marshall", car il s'agit d'un élément de coopération(35) qui, en augmentant les possibilités de mobilité et d'interconnexion, augmentera également les possibilités de croissance économique pour tous les pays impliqués dans l'initiative, créant ainsi une sphère de prospérité partagée.
Mais cette nouvelle route de la soie - dont l'image ci-jointe montre l'une des diverses approches - envisage de contourner la l'espace centre-asiatique par voie terrestre et maritime et de créer une sphère de prospérité partagée, contournant donc le Heartland sur toute la longueur du Rimland, avec l'intention de la Chine de créer un autre axe majeur par le nord, à travers la Russie elle-même, le long du Transsibérien, qui n'a jamais été au goût de Moscou, indiquant que, bien qu'elle soutienne l'Initiative, elle n'en fait pas partie (36), et qu'elle fera toujours passer ses propres intérêts en premier.
Outre l'expansion de la Chine en Asie, dans la zone indo-pacifique (37) en utilisant, entre autres éléments, cette Initiative, elle se développe également dans de nombreuses régions de l'ancien espace post-soviétique, que ce soit en Asie centrale, dans le Caucase ou en Europe de l'Est même. Et la Russie voit nombre des nations dans lesquelles elle considère avoir un "intérêt privilégié" - selon sa propre terminologie - opter, à des degrés divers, pour le nouveau partenaire asiatique, ce qui entraîne une perte de la capacité d'influence de Moscou dans l'ensemble de son glacis de sécurité ; même au Belarus(38), la présence des investissements chinois est de plus en plus significative, ce qui ne satisfait pas pleinement les intentions et les prétentions russes, car Pékin offre une alternative puissante au précédent quasi-monopole de Moscou.
En effet, dans une zone d'influence russe classique comme les Balkans, la présence chinoise supplante progressivement Moscou ; des nouvelles telles que "la Chine remplace la Russie" comme principal investisseur au Monténégro" (39) ; "La Chine accroît sa présence dans les médias des Balkans"(40), ou "La Chine a dépassé la Russie comme principal allié de la Serbie" (41). D'autre part, et malgré l'approche possibiliste de l'Initiative, celle-ci comprend également, en plus de nombreux défis, la possibilité de plusieurs risques - entre autres, ceux communs à tout grand projet d'infrastructure -(42) : risque de dette et de non-paiement, risques de gouvernance (corruption), risque de travaux inachevés et non terminés, ainsi que risques environnementaux et sociaux. En effet, il est noté que l'Initiative change les villes et menace les communautés(43), alors que des projets massifs de construction d'infrastructures, de parcs d'affaires, de zones logistiques, de ports et d'aéroports, de pipelines, d'oléoducs et de gazoducs et d'autres projets d'infrastructures et de communication, etc. ne tiennent souvent pas compte, surtout dans les régions où la législation est plus laxiste, des aspects fondamentaux pour la qualité de vie et le développement des sociétés.
Le risque le plus analysé jusqu'à présent est ce que l'on appelle le "piège de la dette"(44), c'est-à-dire la situation générée par l'incapacité potentielle des pays à rembourser les prêts accordés et donc à rester dans une situation où ils sont incapables de payer leurs dettes et ainsi d'être laissés entre les mains de leur créancier - dans la plupart des cas, par rapport à l'Initiative, et sous différentes formes, la Chine. Et à cause de l'interdépendance des flux économiques, il est possible que la faillite d'une nation affecte celles qui l'entourent, au moins à l'échelle régionale, ce qui pourrait générer un nouvel "effet domino".
Cela pourrait générer un nouvel "effet domino" qui, comme par le passé, pourrait placer des régions entières du Rimland entre les mains d'une seule puissance. Et l'initiative se développe dans tous les domaines et espaces d'expansion possibles, en utilisant tous les outils géopolitiques disponibles ; dans un environnement pandémique, il est fait référence à la création d'une Route de la Soie saine(45) - liée à la diplomatie des masques et des vaccins pour le COVID-19 -, d'une Route de la Soie numérique(46) - dans le contexte de la lutte pour le déploiement des réseaux mondiaux de télécommunications et des technologies numériques dominantes... et il est même prévu de déployer une route de la soie polaire ! Sur ce dernier point, il faut noter que la Chine a obtenu le statut d'observateur pour l'Arctique en 2013(47), et que sa politique déclarée(48) pour ce nouvel espace en litige, qui, en raison du changement climatique, augmente sa capacité de navigation et l'exploitation de ses richesses, stipule que l'avenir de l'Arctique étant dans l'intérêt de toute l'humanité, sa gouvernance nécessite la participation de tous. Et la Chine est prête, dans le cadre de l'Initiative(49), à participer à toutes les activités dans l'Arctique, de la recherche active de ressources au déploiement de stations de surveillance sur terre, en passant par la création d'un corridor économique bleu dans l'océan Arctique.
Dans ce contexte, il convient de garder à l'esprit que, outre d'autres richesses potentielles, la région de la Sibérie du Nord devient de plus en plus un fournisseur d'hydrocarbures pour la Chine, et que l'intérêt pour la région et le secteur est croissant.
Des accords bilatéraux ont été signés entre Moscou et Pékin, y compris l'acquisition de parts dans le secteur du transport de l'énergie et d'autres infrastructures de transport dans l'Arctique(50) ; cependant, pour la Russie, l'Arctique, autrefois une zone passive en raison de la difficulté d'accès et de mobilité, constitue un nouveau flanc ouvert qui représente une menace puissante pour le cœur du pays et un espace sur lequel il est très actif.
L'Initiative atteint donc des espaces, des environnements, se matérialise dans des actions, génère des perceptions et de l'influence... elle constitue un outil géopolitique de premier ordre, englobant l'ensemble du Rimland - tant par voie terrestre que maritime -, s'aventurant dans la zone arctique et visant même à le faire directement à travers le heartland. La géopolitique à l'état pur. Face à cette réalité, il est souligné(51) que la Chine est très active et d'une manière qui implique fortement la sécurité de l'Alliance (OTAN) elle-même, puisque son contrôle d'une grande partie de l'infrastructure de l'Alliance - des réseaux de télécommunications aux infrastructures de transport et portuaires - affecte directement l'état de préparation, l'interopérabilité et la sécurité des communications des pays ; et que, compte tenu du système politique chinois, la distinction entre les secteurs militaire et civil, à certains niveaux, est très floue, de sorte que l'obtention de technologies et de connaissances du secteur civil, auprès d'entreprises chinoises déployées dans les pays membres de l'Alliance, pour une application ultérieure à des fins militaires n'est pas exclue ; De plus, Pékin planifie et exécute de puissantes campagnes d'information pour influencer les populations et les faiseurs d'opinion des pays de l'OTAN afin de diviser l'Alliance. Dans l'environnement actuel de conflit hybride en zone grise, cette réalité est dangereuse, même si elle peut être difficile à percevoir.
Et l'OTAN elle-même souligne que le concept stratégique de 2010 a été conçu pour une ère précédant la compétition entre grandes puissances ; mais cette ère est désormais à nos portes, et des mesures appropriées doivent donc être prises.
Mais nous sommes maintenant dans cette ère, et devons donc prendre des mesures appropriées(52), car les environnements gris et les conflits hybrides exigent de nouvelles approches de la dissuasion et de la défense. Face à un tel déploiement de capacités, face aux approches et aux positions des puissances qui se disputent le contrôle du Rimland, et dans la perspective d'un bloc de nations qui aspirent à avoir une représentativité et un poids au niveau mondial - ainsi qu'un intérêt direct et vital dans le différend - la question est : qu'en est-il de l'Europe ?
Et l'Europe ?
L'Europe, et surtout l'Europe de l'Est, est un espace très conditionné par cette question, non seulement parce qu'elle est une partie physique du Rimland, mais aussi parce que, si l'on se rappelle Mackinder, puisque c'est le contrôle de l'Europe de l'Est qui permet en fin de compte de contrôler et d'accéder au Heartland, cette partie de l'Europe devient - comme à d'autres moments de l'histoire - l'épicentre du Rimland et d'une bataille de dimension mondiale. Et pour illustrer cette réalité, l'image jointe à ce texte n'est pas celle de Mackinder d'il y a un siècle, elle est contemporaine et reflète la dite Plate-forme 17+1, qui comprend les pays d'Europe de l'Est, des Balkans et des Pays Baltes (53), 17 pays européens et la Chine, unis dans un cadre de coopération économique, commerciale, de développement économique et commercial, et de développement d'un nouveau partenariat mondial.
Apparemment, l'attitude du continent dans cette lutte mondiale est plus passive qu'active. Les propres contradictions et faiblesses de l'Europe (54) signifient qu'à l'ère du changement mondial, ce n'est pas seulement un échec: cette Europe n'est pas capable d'occuper une position adéquate dans le nouvel ordre qui se dessine, mais cela signifie aussi que son sol est aussi une partie contestée de cette reconfiguration planétaire. Et à une époque où de grands intérêts et de grandes forces sont en jeu, la non-union, voire la désunion, des pays européens pose un sérieux problème et rend impossible toute avancée réelle de l'UE. C'est là un grave problème et montre l'impossibilité de faire face à de puissants intérêts étrangers opposés aux leurs, sans oublier que la défense des valeurs de la démocratie et de la liberté au sens large, dont l'Europe est une référence mondiale, ne peut être défendue sans une position adéquate dans cet ordre.
Même les pays de l'Union européenne, en particulier ceux de l'Est et le soi-disant groupe de Visegrad (55), n'ont aucun problème à faire la sourde oreille à l'Union et à s'occuper des questions importantes d'un point de vue apparemment purement national, parfois en dépit des directives et des règles de Bruxelles. Dans cet environnement complexe, hybride, gris, où l'influence joue un rôle clé, il suffit de dire qu'à une époque aussi complexe que celle que nous vivons, tout comme lors de la première vague de la pandémie, on a inventé le terme de "diplomatie des masques", faisant allusion aux gains politiques recherchés par la livraison de ces éléments de protection à certaines nations, l'expression "géopolitique des vaccins" occupe déjà l'acquis international. Comme tout élément susceptible de générer un soutien, le vaccin contre le virus pandémique est devenu un nouvel instrument géopolitique(56), un moyen de renforcer les liens, de modifier les loyautés et de canaliser les sentiments vers une nation ou une autre, un moyen de gagner de l'influence. Le fait que le vaccin russe Sputnik V soit une propriété d'État signifie que le gouvernement peut clairement et directement décider à qui il est vendu, à qui il ne l'est pas et à quel prix, ce qui en fait un instrument direct de géopolitique pouvant être utilisé en fonction des besoins stratégiques du Kremlin (57) ; À cet égard, le président de la Commission européenne s'est interrogé sur les millions de doses offertes par la Russie à d'autres pays alors que Moscou progresse très lentement dans la vaccination de ses propres citoyens, ce à quoi la Russie répond qu'il s'agit de "politiser un problème de manière infondée [...]"(58).
Dans cette lutte et dans un contexte de pandémie, la géopolitique des vaccins est à son apogée. À tel point que même les pays de l'Union européenne ont demandé (et dans certains cas déjà reçu) le vaccin russe, arguant, selon les termes du Premier ministre slovaque, que la pandémie se moque de la géopolitique (59) ... bien que cette décision ait généré une crise au sein du gouvernement slovaque, étant donné que le vaccin russe (du moins jusqu'à présent) n'a pas été approuvé par l'Agence européenne des médicaments et où il a été suggéré par ceux qui sont en désaccord avec la décision d'accepter Sputnik-V qu'il ne s'agit pas seulement d'un vaccin, mais d'un instrument de guerre hybride (60). Et que des pays comme la Pologne, la Hongrie ou la Slovaquie envisagent - ou envisagent effectivement - de se procurer des vaccins auprès de la Chine ou même de la Russie(61) - une Russie à laquelle ces nations ne cessent de crier aide et soutien - est pour le moins surprenant. Face aux positions claires et fermes des puissances du Rimland, les ambiguïtés et les paradoxes des autres sont-ils d'une quelconque utilité ?
Conclusion : peut-il n'en rester qu'un ?
Apparemment, les grandes réalités reviennent toujours ; les moyens techniques changent, les possibilités et les domaines de litige évoluent, mais, dans de nombreux cas, les essences restent les mêmes. Et la géopolitique, comme la stratégie, sont des éléments de longue haleine, qui demandent de la clairvoyance et du recul, même si les objectifs peuvent être atteints par des étapes courtes, presque inaperçues. Il semble que, une fois de plus, il y ait une lutte pour le Rimland, menée par d'anciens et de nouveaux acteurs. Et ils "jouent" un jeu dangereux et prétendent, apparemment, dans cette circumnavigation du cœur, maintenir un équilibre qui semble inévitablement devoir disparaître à un moment ou à un autre, en fonction de la progression de l'influence et de la capacité d'action de l'un ou l'autre des principaux acteurs de la lutte. Bien que les choses puissent changer, et que des rivaux séculaires et structurels puissent devenir des alliés, il vaut peut-être la peine de se demander si ce qui se passe à Rimland n'est pas plus qu'une alliance "tactique", limitée dans le temps et l'espace, dans laquelle chacun cherche à obtenir une position avantageuse non seulement pour ses propres intérêts, mais aussi vis-à-vis des alliés du moment en vue d'une éventuelle confrontation ultérieure. Ce calcul du "risque pris" par ces puissances peut être très complexe, surtout lorsque l'un des acteurs est une puissance qui cherche à obtenir la primauté mondiale, qu'un autre a été une puissance mondiale et cherche à retrouver ce statut, et qu'un troisième aspire à gravir plusieurs échelons sur l'échelle de la puissance mondiale... les capacités de tous sont très différentes et les visions du monde elles-mêmes sont non seulement différentes, mais dans une large mesure, opposées.
Et si "un seul peut rester", l'Europe, qui "vit" dans le Rimland... quoi ?
Pedro Sánchez Herráez
Colonel de l'armée espagnole Docteur en paix et sécurité internationale. Membre de la faculté de sciences politiques et de sociologie. Département des sciences politiques et de l'administration I de l'Université Complutense de Madrid. Membre de l'Institut espagnol d'études stratégiques du Centro Superior de Estudios de la Defensa Nacional.
Notes :
1) AKON, Saifullah et RAHMAN, Mahfujur. "Remodeler l'ordre mondial dans l'ère post-COVID-19 : une analyse critique", Chinese Journal of International Review, juillet 2020, DOI : 10.1142/S2630531320500067. Disponible à l'adresse : https://www.researchgate.net/profile/SaifullahAkon/publication/343098068_Reshaping_the_Global_Order_in_the_Post_COVID19_Era_A_Critical_Analysis/links/5f6ad340458515b7cf46ebf2/Reshaping-the-Global-Order-in-the-PostCOVID-19-Era-A-Critical-Analysis.pdf?origin=publication_detail.
2) Dans ce sens SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. La lucha por el planeta y el futuro de las FAS españolas, Institut espagnol d'études stratégiques, document d'opinion 28/2017, 15 mai 2017. Disponible sur : http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_opinion/2017/DIEEEO28-2017_Struggle_Planet_Future_FAS_Espanolas_PSH.pdf
3) Pouvoir d'une personne ou d'un élément de déterminer ou de modifier la façon dont les autres pensent ou agissent. SCANZILLO, Thomas M. et LOPACIENSKI, Edward M. "Influence operations and the human domain", U.S. Naval War College, CIWAG, U.S. Naval War College. Naval War College, CIWAG Case Studies numéro 13, 2015. Disponible à l'adresse suivante : https://www.hsdl.org/?view&did=814708
4) Espace entre la concurrence pacifique et les conflits armés. JORDAN, Javier. "Escalade dans les stratégies hybrides et la zone grise", Global Stratégies hybrides et zone grise", Rapport de stratégie globale 11/2020. Disponible sur : https://globalstrategy.org/la-escalada-en-las-estrategias-hibridas-y-en-los-conflictos-en-la-zona-gris/
5) Conflit dans lequel toutes sortes de moyens et de procédures sont employés, qu'ils soient "guerriers" ou "non guerriers". SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. Comprender la guerra híbrida... El retorno a los clásicos ?, Instituto Español de Estudios Estratégicos. Institut espagnol d'études stratégiques, Document d'analyse 42/2016, 21 juin 2016. Disponible à l'adresse suivante : http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_analisis/2016/DIEEEA42-2016_Comprendre_la_guerre_hybride_Retour_aux_classiques_PSH.pdf
6) Réimprimé dans The Geographical Journal, volume 170, numéro 4, décembre 2004, pp. 298-321.
7) Ces changements peuvent être vus schématiquement dans TAZMAN, Howard. "Comment la Première Guerre mondiale a changé la carte du monde", Real Clear History, 29 novembre 2018. Disponible à l'adresse suivante :https://www.realclearhistory.com/articles/2018/11/29/how_world_war_i_changed_map_of_the_world_389.html
8) MACKINDER, Halford. "Idéaux démocratiques et réalité. Une étude de la politique de la reconstruction", Henry Holt and Company, New York, 1919.
9) Ibid. p. 194.
10) Publié dans Foreign Affairs, volume 21, numéro 4, juillet 1941, pp. 595-605.
11) SPKYKMAN, Nicholas J. 'The Geography of the Peace', Harcourt Brace, New York, 1944, p. 43.
12) Un bref résumé de ce qu'impliquait la politique d'endiguement peut être trouvé dans WILDE, Robert. "Containment : le plan américain contre le communisme", Thought.Co, 29 octobre 2018. Disponible à l'adresse suivante : https://www.thoughtco.com/what-was-containment-1221496
13) "Histoire du plan Marshall", La Fondation George C. Marshall. Disponible à l'adresse suivante :
14) LE PROJET AVALON, discours du président Harry Truman devant une session conjointe du Congrès, 12 mars 1947, Doctrine Truman. 12 mars 1947, Doctrine Truman. Disponible sur: https://web.archive.org/web/20041204183708/http://www.yale.edu/lawweb/avalon/trudoc.htm
15) L'œuvre en question est "Kim", publiée en 1901, qui a pour cadre la lutte entre l'Empire russe et l'Empire britannique en Asie centrale.
16) HOPKIRK, Peter. "The Great Game : the struggle for Empire in Central Asia", Kodanska America, New York, 1994.
17) Comme simple échantillon AYDIN, Mustafa. "La longue vue sur la rivalité et la coopération turco-russe", FMV, 8 juin 2020. Disponible sur : https://www.gmfus.org/publications/long-view-turkish-russianrivalry-and-cooperation ; YAU, Niva. "Russia and China's quiet rivalry in Central Asia", Foreign Policy Research Institute, septembre 2020. Disponible sur : https://www.fpri.org/wp-content/uploads/2020/09/cap1-yau.pdf
18) PIQUÉ, Josep. "Interpretar a Rusia para una relación posible", Política Exterior, 5 mars 2021. Disponible sur : https://www.politicaexterior.com/interpretar-a-rusia-para-una-relacion-posible/
19) En ce sens, SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. "Marco geopolítico de Rusia : constantes históricas, dinámica y visión en el siglo XXI", dans VVAA, Rusia bajo el liderazgo de Putin. La nueva estrategia rusa a la búsqueda de su liderazgo regional y el reforzamiento como actor global, Instituto Español de Estudios Estratégicos, Cuaderno de Estrategia número 178, Madrid, 2015, pp. 15-77. Disponible à l'adresse suivante : Cliquez pour accéder à CE_178.pdf.
20) "Poutine : les "forces adverses" exploitent le mécontentement social pour alimenter les protestations", Sputnik News, 13 février 2021. Disponible sur : https://mundo.sputniknews.com/20210213/1104021423.html
21) Très succinctement RT, Colour Revolutions, 6 mars 2015. Disponible à l'adresse suivante : https://actualidad.rt.com/actualidad/168235-revoluciones-colores-golpe-estado
22) 'Poutine : nous devons tirer la leçon des révolutions de couleur dans d'autres pays', RT, 20 novembre 2014. Disponible sur : https://actualidad.rt.com/actualidad/view/147716-putin-rusiarevoluciones-colores-extremismo
23) Dans les pays baltes : Estonie, Lituanie, Lettonie ; en Europe orientale : Biélorussie, Moldavie, Ukraine ; dans le Caucase : Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie ; en Asie centrale : Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan.
24) ZEVELEV, Igor. "La Russie dans l'espace post-soviétique en mutation", Russialist.org, 25 novembre 2020. Disponible sur : https://russialist.org/russia-in-the-changing-post-soviet-space/
25) PRÉSIDENT DE LA RUSSIE, Dmitry Medvedev interview avec les chaînes de télévision russes, 31 août 2008. Disponible sur : http://www.kremlin.ru/events/president/news/1276
26) PIQUÉ, Josep. "Interpretar a Rusia para una relación posible", Política Exterior, 5 mars 2021. Disponible sur : https://www.politicaexterior.com/interpretar-a-rusia-para-una-relacion-posible/
27) MANKOFF, Jeffrey. "Un ours plus gentil, plus doux ? Pourquoi les rumeurs de retraite post-soviétique de la Russie sont prématurées". Center for Strategic & International Studies, 17 décembre 2020. Disponible à l'adresse suivante : https://www.csis.org/analysis/kinder-gentler-bear-why-rumors-russias-post-soviet-retreat-are-premature
28) ALSUMAIDAIE, Mujahed, 'Turkish influence in Central Asia and Islamist extremism', European Eye on Radicalization, 22 juillet 2020. Disponible sur : https://eeradicalization.com/turkish-influence-in-centralasia-and-islamist-extremism/
29) "Illusions impériales : les Turcs pourraient-ils dévorer la Crimée et le reste du sud de la Russie ?", Sputnik News, 15 février 2021. Disponible sur : https://mundo.sputniknews.com/20210215/ilusiones-imperialespodrian-los-turcos-devorar-crimea-y-el-resto-del-sur-de-rusia-1106771069.html
30) MARCOU, Jean et ÇELIKPALA, Mitat. "Regard sur les relations turco-russes : de la rivalité dans un monde bípolaire à la coopération dans un monde euroasitique ?", Institut français d'études anatolinnes, 2020, paragraphe 17. Disponible sur : https://books.openedition.org/ifeagd/3178?lang=es
31) " PM : le 21e siècle sera le siècle de la Turquie ", agence de presse Trend, 17 novembre 2013. Disponible sur : https://en.trend.az/world/turkey/2212128.html
32) VVAA, "Biden gives Turkey the silent treatment", Foreign Policy, 3 mars 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://foreignpolicy.com/2021/03/03/biden-erdogan-turkey-silent-treatment-diplomacy-middle-east-syriacrisisnato/
33) ÖZEL, Soli. "Whither Turkey's ambitions ?", Institut italien d'études politiques internationales, 28 décembre 2020. Disponible sur : https://www.ispionline.it/en/publication/whither-turkeys-ambitions-28798
34) XINHUA, Chronologie de l'initiative chinoise "la Ceinture et la Route", 24 juin 2016. Disponible sur http://en.people.cn/n3/2016/0624/c90883-9077342.html
35) MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE, Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi rencontre la presse, 08 mars 2015. Disponible à l'adresse suivante : https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/t1243662.shtml
36) SHAH, Ankur. "La Russie desserre sa ceinture", Foreign Policy, 16 juillet 2020. Disponible à l'adresse suivante :
37) PARRA PÉREZ, Águeda. El juego geopolítico de la nueva Ruta de la Seda en Asia Pacífico, Instituto Español de Estudios Estratégicos. Institut espagnol d'études stratégiques, document d'opinion 126/2018, 10 décembre 2018. Disponible sur: http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_opinion/2018/DIEEEO126_2018AGUPAR-RutaSeda.pdf
38) STANDISH, Reid. "Pour tenir Poutine à l'écart, le Belarus invite les États-Unis et la Chine à entrer", Foreign Policy, 1er janvier 2020. Disponible sur : https://foreignpolicy.com/2020/01/01/belarus-lures-us-china-to-forestall-putinrussia/
39) "La Chine remplace la Russie comme premier investisseur au Monténégro", Balkan Insight, 20 octobre 2020. Disponible sur : https://balkaninsight.com/2020/10/20/china-replaces-russia-as-largest-investor-inmontenegro/
40) "China increasing its footprint in Balkan media, study concludes", Balkan Insight, 9 décembre 2020. Disponible sur : https://balkaninsight.com/2020/12/09/china-increasing-its-footprint-in-balkan-media-studyconcludes/
41) "La Chine a dépassé la Russie comme grand allié de la Serbie", Balkan Insight, 6 juillet 2020. Disponible à l'adresse suivante : https://balkaninsight.com/2020/07/08/china-has-overtaken-russia-as-serbias-great-ally/
42) "Initiative "Belt and Road"" La Banque mondiale, 29 mars 2018. Disponible à l'adresse suivante : https://www.worldbank.org/en/topic/regional-integration/brief/belt-and-road-initiative
43) "How China's Belt and Road initiative is changing cities and threatening communities", The Conversation, 2 février 2021. Disponible sur : https://theconversation.com/how-chinas-belt-and-road-initiative-ischanging-cities-and-threatening-communities-153515
44) 'Health Silk Road of China : A new 'Debt trap health Diplomacy' in making', Diplomatist, 29 juin 2020. Disponible sur : https://diplomatist.com/2020/06/29/health-silk-road-of-china-a-new-debt-trap-healthdiplomacy-in-making/
45) AKON, Saifullah et RAHMAN, Mahfujur. "Remodeler l'ordre mondial dans l'ère post-COVID-19 : une analyse critique", Chinese Journal of International Review, juillet 2020, DOI : 10.1142/S2630531320500067, p. 4. Disponible sur : https://www.researchgate.net/profile/SaifullahAkon/publication/343098068_Reshaping_the_Global_Order_in_the_Post_COVID19_Era_A_Critical_Analysis/links/5f6ad340458515b7cf46ebf2/Reshaping-the-Global-Order-in-the-PostCOVID-19-Era-A-Critical-Analysis.pdf?origin=publication_detail
46) "China's Digital Silk Road", Cyber Security Intelligence, 5 mars 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://www.cybersecurityintelligence.com/blog/chinas-digital-silk-road-5504.html
47) LANTEIGNE, Marc, "Les méandres de la route de la soie polaire", Over the Circle, 15 mars 2020. Disponible sur : https://overthecircle.com/2020/03/15/the-twists-and-turns-of-the-polar-silk-road/
48) LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE, Livre blanc, La politique arctique de la Chine, 26 janvier 2018.Disponible sur : http://english.www.gov.cn/archive/white_paper/2018/01/26/content_281476026660336.htm
49) Texte intégral : Vision de la coopération maritime dans le cadre de l'initiative "la Ceinture et la Route", Xinhuanet, 20 juin 2017. Disponible sur : http://www.xinhuanet.com/english/2017-06/20/c_136380414.htm
50) STAALESEN, Atle. "De l'argent chinois pour la route maritime du Nord", The Barents Observer, 12 juin 2018. Disponible sur : https://thebarentsobserver.com/en/arctic/2018/06/chinese-money-northern-sea-route
51) DE MAIZIÈRE, Thomas et WESS MITCHELL, A. "L'OTAN doit faire face à la Chine de front", Foreign Policy, 23 février 2021. Disponible sur : https://foreignpolicy.com/2021/02/23/nato-china-brusselssummit-biden-europealliance/
52) Dans ce sens, l'OTAN, OTAN 2030 : unis pour une nouvelle ère. Analyse et recommandations du groupe de réflexion nommé par le Secrétaire général de l'OTAN, 25 novembre 2020. Disponible à l'adresse suivante : Cliquez pour accéder à 201201-Reflection-Group-Final-ReportUni.pdf.
53) VVAA, 'Empty Shell no more : China's growing footprint in Central and Eastern Europe', Association for International Affairs, Policy Paper, International Affairs, Policy Paper, avril 2020. Disponible sur : https://chinaobservers.eu/wpcontent/uploads/2020/04/CHOICE_Empty-shell-no-more.pdf
54) SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. Europa... ¿semblanzas balcánicas ?, Instituto Español de Estudios Estrategicos, Document d'analyse 05/2021, 03 février 2021. Disponible à l'adresse suivante : http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_analisis/2021/DIEEEA05_2021_PEDSAN_SemblanzaBalcanica.pdf
55) Slovaquie, Hongrie, Pologne et République tchèque. Sur leur position vis-à-vis de Bruxelles, BBC NEWS, Ce qu'est le groupe de Visegrad, les "mauvais garçons" défiant la France et l'Allemagne dans l'Union européenne, 2 février 2018. Disponible sur : https://www.bbc.com/mundo/noticias-internacional-42879957
56) MOON, Suerie et ALONSO RUIZ, Adrián, La geopolítica de las vacunas contra el COVID-19, Política Exterior 199, 01 janvier 2021. Disponible sur https://www.politicaexterior.com/articulo/lageopolitica-de-las-vacunas-contra-el-covid-19/
57) "Vaccin contre Sputnik V : comment il est passé de la méfiance à l'outil d'influence de la Russie dans le monde", BBC NEWS, BBC NEWS, 15 février 2021. Disponible sur : https://www.bbc.com/mundo/noticiasinternacional-56012192
58) "La Russie est 'perplexe' face aux remarques de Von der Leyen sur les vaccins et dénonce la 'politisation'", Europa Press, 19 février 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://www.europapress.es/internacional/noticia-rusia-muestra-perpleja-palabras-von-der-leyenvacunas-denuncia-politizacion-20210219144956.html
59) "Sputnik V : pourquoi beaucoup en Russie ont des doutes sur leur propre vaccin", BBC NEWS, 4 mars 2021. Disponible sur : https://www.bbc.com/mundo/noticias-internacional-56266603
60) La coalition au pouvoir en Slovaquie en crise au sujet du vaccin Sputnik-V COVID-19, EURO NEWS, 4 mars 2021. Disponible sur : https://www.euronews.com/2021/03/04/slovakia-s-ruling-coalition-in-crisis-over-sputnik-vcovid-19-vaccine
61) "Certains tendent la main à Israël, d'autres se tournent vers la Russie et la Chine : plusieurs pays de l'UE se dissocient de Bruxelles pour rechercher davantage de vaccins", EURO NEWS, 4 mars 2021 & eldiario, 2 mars 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://www.eldiario.es/internacional/acercan-israel-miran-rusia-china-paises-ue-desmarcan-bruselasbuscar-atajos-vacunas_1_7265469.html
SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. 21e siècle : le retour à la lutte pour le Rimland ? Document d'analyse IEEE 12/2021.
15:00 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : heartland, rimland, géopolitique, actualitén, relations internationales | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 07 mai 2022
En limitant les mouvements de Moscou, Erdogan joue à la roulette russe
En limitant les mouvements de Moscou, Erdogan joue à la roulette russe
par Abdel Bari Atwan
Source: https://www.ideeazione.com/limitando-le-mosse-di-mosca-erdogan-sta-giocando-alla-roulette-russa/
La décision de la Turquie de fermer son espace aérien aux avions militaires et civils russes à destination du nord de la Syrie a surpris de nombreux observateurs. L'annonce de cette décision par le ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu aux journalistes turcs lors de sa tournée en Amérique latine a soulevé de nombreuses questions sur ses implications futures pour les relations russo-turques.
Il est peu probable que cette décision ait pu être l'un des résultats d'un accord turco-américain suite à des contacts discrets entre le président Recep Tayyip Erdogan et son homologue américain Joe Biden pour sévir contre la Russie. Contrairement à son prédécesseur Donald Trump, M. Biden estime qu'il est difficile d'assurer la sécurité régionale sans la Turquie, qui est un membre originel de l'OTAN. L'accord entre les deux pays prévoyait donc d'étendre la coopération économique et de répondre aux besoins de la Turquie en matière de défense, notamment en ce qui concerne les systèmes de missiles avancés F-35, Patriot et THAAD.
Il y a plusieurs explications à la décision d'Ankara. La première est que les États-Unis ont fait pression sur la Turquie après qu'il soit apparu que les Russes dirigeaient la bataille de Marioupol et d'autres zones du sud-est de l'Ukraine depuis la base aérienne russe de Hemeimim, dans le nord de la Syrie - d'où étaient menées des attaques stratégiques contre les forces ukrainiennes.
Une deuxième explication possible est qu'Erdogan a réussi à améliorer les relations de son pays avec Washington en profitant du besoin désespéré des États-Unis d'avoir des alliés régionaux dans la guerre par procuration de l'OTAN en Ukraine.
Mais là où l'un perd, un autre gagne. À la suite de la décision surprise de la Turquie, Téhéran a astucieusement proposé d'autoriser les avions russes à utiliser l'espace aérien iranien pour atteindre les bases navales et aériennes du nord de la Syrie. Bien que ces temps de vol puissent être plus longs, il y a des avantages immédiats pour les deux pays, en particulier pour l'Iran, qui a maintenant renforcé davantage sa relation stratégique avec l'axe Russie-Chine. L'Iran n'a pas été ambigu: depuis le début de la crise militaire ukrainienne, il n'a pas condamné les actions de Moscou et est resté tranquillement parmi les alliés tacites de la Russie.
Le président russe Vladimir Poutine s'est montré généreux envers son homologue turc. Il a pardonné à Erdogan son erreur de 2015, lorsque les défenses aériennes turques avaient abattu un avion russe Sukhoi qui avait pénétré pendant quelques secondes dans l'espace aérien de la Turquie, près de la frontière turco-syrienne. Il a fallu une série de sanctions russes de bonne envergure pour que le président turc s'excuse dans toutes les langues, y compris le russe, pour cette mésaventure.
Poutine a fait preuve de compréhension, voire de patience, à l'égard de l'occupation par la Turquie de zones dans le nord de la Syrie, contrairement aux souhaits de ses fidèles alliés à Damas. Toutefois, la dernière décision d'Ankara d'établir une zone d'exclusion aérienne russe ne sera pas si facile à pardonner, surtout si elle est suivie d'autres mesures telles que l'interdiction du passage des navires de guerre russes par les détroits du Bosphore et des Dardanelles vers la Méditerranée, conformément à l'accord de Montreux.
Cela reste une option à la lumière de l'amélioration rapide - bien que furtive - des relations turco-américaines; mais choisir de s'aligner sur Washington au sujet de l'Ukraine risque également d'accroître les coûts militaires, politiques et économiques de la Turquie, un an avant les élections cruciales du pays.
S'aligner davantage sur les États-Unis signifie également qu'Erdogan ne pourra pas continuer à jouer son rôle soigneusement élaboré de médiateur "neutre" dans cette crise, et accueillir la prochaine réunion au sommet entre les présidents turc et ukrainien.
Les aspirations turques à étendre la coopération commerciale avec la Russie à 100 milliards de dollars par an seront également touchées, et la vente de systèmes de défense antimissile russes S-400 supplémentaires à la Turquie sera peu probable. Plus sérieusement, la Russie pourrait réagir en développant ou en élargissant ses relations avec le parti séparatiste des travailleurs du Kurdistan (PKK) et en soutenant ses opérations en Turquie.
Politiquement parlant, l'opération militaire russe en Ukraine est une question de vie ou de mort pour Poutine. Par conséquent, sa réponse aux mouvements inamicaux d'Ankara sera probablement décisive et pourrait se jouer sur plusieurs fronts :
- Le front syrien : afin de maintenir l'équilibre dans les relations russes avec la Turquie, Poutine s'est fortement opposé au désir des dirigeants syriens d'envahir Idlib pour éliminer les groupes terroristes djihadistes qui y sont basés et rendre le contrôle de ce territoire à Damas. Même si la position de Moscou ne change pas encore, la reprise et l'intensité des opérations militaires russes à Idlib entraîneront la fuite d'un plus grand nombre de Syriens vers le territoire turc, qui accueille déjà plus de 3 millions de réfugiés syriens.
- Renforcement des relations russo-iraniennes : cela aura un impact négatif sur les ambitions régionales d'Erdogan - notamment en Asie occidentale et centrale - en tenant compte du fait que la Chine, qui constitue le troisième bras, et plus fort, dans cette alliance naissante, est un membre à part entière de cette troïka.
- Le front arabe : Le désir de la Turquie d'améliorer ses relations avec l'Arabie saoudite, l'Égypte et d'autres États du golfe Persique et du monde arabe pourrait être entravé par le rapprochement de ces pays avec la Russie et la Chine, qui coïncide avec la rupture de leurs relations avec leur allié américain traditionnel. L'alliance Russie-Iran-Chine (RIC) peut faire beaucoup en Asie occidentale pour perturber les relations d'Ankara dans la région. Il convient de noter que Riyad n'a pas encore répondu aux ouvertures diplomatiques turques, notamment en ce qui concerne la fermeture du dossier étatique sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Ces derniers mois, le leadership d'Erdogan a été caractérisé par la confusion et la volatilité. Parmi les récents développements politiques, citons le renforcement impopulaire des liens d'Ankara avec Israël, son implication progressive dans la crise ukrainienne et le réchauffement des relations avec Washington. Celles-ci interviennent à un moment critique, non seulement en pleine crise économique nationale, mais aussi un an avant les élections présidentielles et législatives qui menacent sérieusement le pouvoir détenu par Erdogan.
Le président Poutine a peut-être décidé dans un premier temps de fermer les yeux sur la vente par la Turquie des drones Bayraktar qui ont probablement contribué à la mort de quelque 2000 soldats russes en Ukraine, et a accepté à contrecœur le rôle d'intermédiaire joué par la Turquie dans la crise. Au niveau stratégique, cependant, il lui sera difficile de tolérer l'accélération des nouveaux rapports de la Turquie avec l'Occident américanisé.
Il est vrai que la Turquie est une puissance régionale, et qu'elle est militairement forte, mais il est également vrai que le camp dirigé par les États-Unis vers lequel elle penche est en déclin, déchiré par les divisions, et échoue dramatiquement dans son régime de sanctions économiques contre la Russie. De plus, ce camp est confronté à l'alliance de deux superpuissances, d'une troisième nucléaire (l'Inde) et d'une quatrième en devenir (l'Iran), qui représentent ensemble plus de la moitié de la population mondiale.
Le nouveau pari du président Erdogan relatif à la Russie est risqué et pourrait se retourner contre lui au mauvais moment.
4 mai 2022
22:02 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, turquie, russie, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 02 mai 2022
Vers une finlandisation de l'Ukraine?
Vers une finlandisation de l'Ukraine?
Erich Körner-Lakatos
Source: https://zurzeit.at/index.php/kommt-es-zur-finnlandisierung-der-ukraine/
Neutralité et renonciation à l'adhésion à l'OTAN : une alternative envisageable
Au vu de la situation en Ukraine, il est question ces derniers jours que le pays situé sur les rives du Dniepr pourrait à l'avenir renoncer à adhérer à l'OTAN et devenir un Etat durablement neutre. Des signes en ce sens sont même apparus dans la bouche du président Volodymyr Selenski (soit dit en passant, le prénom Volodymyr correspond à Vladimir; Zelenski et son adversaire Poutine partagent donc au moins le même prénom). Avant cela, Emmanuel Macron avait déjà évoqué le terme de finlandisation, car la Finlande et l'Ukraine sont tout à fait comparables d'un point de vue géographique: tous deux ont une longue frontière avec leur voisin oriental, la Russie, qui est militairement surpuissante.
En d'autres termes, la finlandisation signifie que le petit voisin ne peut affirmer son indépendance limitée que si sa neutralité présente une caractéristique particulière, à savoir un déséquilibre en faveur de la Russie. Un autre parallèle saute aux yeux: la Finlande et l'Ukraine ont longtemps fait partie de la Russie tsariste, l'Ukraine même après, pendant la période de domination communiste. Les deux pays n'ont pu obtenir leur indépendance étatique que pendant une période de faiblesse de la Russie.
Pour comprendre ce que signifie la finlandisation pour la future Ukraine, il est nécessaire de se pencher sur l'histoire de la Finlande pendant la période où cette forme particulière de neutralité a existé.
Comme on le sait, la Finlande faisait partie de la sphère d'intérêt soviétique en vertu du protocole additionnel secret au pacte Molotov-Ribbentrop d'août 1939. C'est pourquoi les troupes soviétiques ont envahi les trois États baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, sans rencontrer de résistance. Il en alla autrement en Finlande: pendant la guerre dite d'hiver en 1939/40, l'armée finlandaise, relativement petite, remporta des succès défensifs et mit à mal l'Armée rouge, affaiblie par les purges de Staline. Ce n'est qu'au bout de six mois que la supériorité de Moscou se fit sentir et qu'Helsinki dut demander un armistice et subir des pertes territoriales, tout en étant épargnée par l'occupation.
La situation fut similaire après la guerre de Continuation du côté allemand dans le cadre de l'opération Barbarossa. En 1944, la Finlande n'est pas non davantage occupée, mais commence alors une période qui durera jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique et qui est connue sous le nom de "finlandisation", c'est-à-dire de prise en compte particulière des sentiments et des souhaits de Moscou.
Sous les présidences de Juho Paasikivi (1946-1956) et d'Urho Kekkonen (1956-1981), la Finlande eut plutôt le statut de vassal de l'Union soviétique, du moins en politique étrangère. Kekkonen, qui appartenait au parti paysan du centre et gouverna de manière presque dictatoriale, fit participer les communistes finlandais au gouvernement. On murmure même que Kekkonen a travaillé pendant des années pour les services secrets soviétiques, le KGB.
L'obéissance anticipée d'Helsinki fut frappante. Lorsque la télévision suédoise diffusa un film basé sur la nouvelle d'Alexandre Soljenitsyne Un jour dans la vie d'Ivan Denissovitch, la Finlande coupa les émetteurs des îles Åland (un groupe d'îles dans le golfe de Botnie entre la Suède et la Finlande) parce que le bureau de la censure d'Helsinki interdit le film comme étant hostile aux Soviétiques. Le roman L'Archipel du Goulag, également écrit par Soljenitsyne, ne put pas être publié en finnois - le chef de l'État Kekkonen s'y opposa. Par crainte d'effrayer Moscou.
Les manuels scolaires ne devaient rien contenir qui puisse fâcher les amis russes (les deux pays ont signé un traité d'amitié en 1948). Même la vie culturelle fut soumise à une censure sévère: les acteurs et les artistes de cabaret qui se permettent de faire de petites blagues sur le voisin de l'Est n'obtenaient plus de rôles.
Leonid Brejnev et son Politburo vieillissant se réjouissent d'autant plus des quelque mille manifestations festives organisées en Finlande en 1970. L'occasion en est le retour du centenaire de la naissance de Vladimir Ilitch Lénine, le fondateur de l'Union soviétique.
D'autre part, entre 1945 et 1979, l'économie finlandaise connut un essor fulgurant, basé sur l'économie de marché occidentale. On se transforma pour le voisin de l'Est en une sorte d'épicerie fine, qui profita certes en premier lieu à la nomenklatura, c'est-à-dire à la classe des fonctionnaires du PC soviétique.
En ce qui concerne l'Ukraine, une neutralité à la finlandaise serait un moindre mal. D'autres scénarios - un État vassal à la manière de la Biélorussie, voire une incorporation totale dans la Fédération de Russie - ne sont probablement pas du goût des citoyens ukrainiens.
20:36 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : neutralité, finlande, ukraine, histoire, actualité, géopolitique, politique internationale, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
RICs et multipolarité
RICs et multipolarité
par le comité de rédaction de Katehon
Source: https://www.ideeazione.com/i-ric-e-la-multipolarita/
Ces dernières années, le monde est en crise, non seulement à cause de l'instabilité économique, mais aussi à cause des problèmes politiques relatifs au "déclin idéologique et à la perte d'identité". Un nouvel ordre mondial est en train d'émerger: d'un monde unipolaire, nous passons progressivement à un ordre mondial multipolaire. Cependant, sur le plan scientifique, la théorie du monde multipolaire (MMT) n'a pas été finalisée, car elle ne figure pas aujourd'hui parmi les théories et paradigmes classiques des relations internationales.
Malgré cela, un nombre croissant d'ouvrages sur la politique étrangère et la géopolitique liés au TMM sont apparus au fil du temps. L'historien britannique Paul Kennedy, spécialiste des relations internationales, a prédit dans son livre The Rise and Fall of the Great Powers (1987) que l'équilibre des forces militaires allait changer au cours des 20 à 30 prochaines années, pour aboutir à un monde multipolaire vers 2009. Jusqu'à présent, sa prédiction ne s'est pas réalisée, mais aujourd'hui, en 2022, nous faisons l'expérience d'un changement dans l'ordre mondial plus aigu que jamais. En 2000, la secrétaire d'État américaine Madeleine Albright a soutenu que l'ordre mondial émergent n'est plus unipolaire, mais plutôt multipolaire.
En 2009, le rapport Global Trends 2025 du National Intelligence Council américain a déclaré que les conditions préalables à l'émergence d'un "système multipolaire mondial" étaient en train de se mettre en place sur les deux prochaines décennies, vers 2029. Cette hypothèse sera testée par le temps. Le rapport cite les facteurs suivants: la montée en puissance de pays tels que la Chine, l'Inde, qui peuvent influencer la création d'un système mondial multipolaire. En 2025, il n'y aura plus une seule "communauté internationale" d'États-nations. Le pouvoir sera dispersé parmi les nouveaux acteurs politiques. Il y a aussi la dépendance des pays vis-à-vis des grands exportateurs de gaz, comme la Russie et l'Iran. Si les prix sont élevés, la puissance de ces pays augmentera considérablement. Le niveau du PIB de la Russie pourrait en théorie égaler celui du Royaume-Uni et de la France. Comme nous le savons, la question de l'approvisionnement en gaz de la Russie à l'UE n'a pas été résolue jusqu'à présent. En raison d'un nombre précédent de sanctions américaines et européennes contre la Russie, la Fédération de Russie a décidé de vendre du gaz exclusivement en roubles à partir du 1er avril 2022, ce qui a provoqué une vague d'indignation dans l'UE. Toutefois, le 25 avril 2022, on a appris que l'Arménie et l'Azerbaïdjan étaient passés au paiement du gaz en roubles. Ainsi, l'un des points d'influence de la Russie sur le monde pourrait être les ressources énergétiques.
Alors, quelle est la théorie du monde multipolaire? Il a été développé en Russie en 2012, grâce au philosophe, sociologue et penseur politique russe A. G. Douguine. Dans sa monographie intitulée The Theory of a Multi-polar World. Pluriversum, il a présenté le concept en détail. Le TMM est avant tout un concept politique, qui constitue une interprétation alternative du concept de multipolarité largement utilisé dans la théorie des relations internationales. La création de la théorie s'est appuyée sur diverses études politiques et culturelles-anthropologiques, ainsi que sur des systèmes socio-philosophiques tels que la géopolitique, l'eurasianisme et plusieurs autres. Ajoutons qu'elle s'appuie sur l'idéologie de la "révolution conservatrice" et le traditionalisme de la "nouvelle droite". Cette théorie vise à construire un nouveau système non occidental de relations internationales. En 1993, le politologue américain Samuel Huntington a proposé le concept du choc des civilisations, qui correspondait tout à fait aux idées de Douguine. Les "nouveaux centres", posés comme tels, sont une alliance de plusieurs États BRICS (Russie, Brésil, Chine, Inde et Afrique du Sud).
Cependant, les partisans américains de l'unipolarité rigide ne veulent pas reconnaître le terme "multipolarité". C'est pourquoi ils ont proposé un autre terme, la "non-polarité". Ce concept suppose que "les processus de mondialisation vont se développer davantage et que le modèle occidental d'ordre mondial va étendre sa présence parmi tous les pays et peuples de la terre". Ainsi, l'hégémonie intellectuelle des valeurs de l'Occident se perpétuera.
Toutefois, cette théorie soulève un certain nombre de doutes en raison des développements mondiaux actuels. La Chine, par exemple, devance désormais, en toute confiance de soi, les États-Unis dans un certain nombre d'indicateurs. Depuis 2013, l'initiative "Une Ceinture, une Route" s'est développée ("One Belt, One Road"). La Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures a été lancée, ce qui a été un succès pour la RPC. La Chine a commencé à promouvoir les idées du concept chinois de "l'avenir commun de l'humanité". L'un des postulats de ce concept est la création d'une "grande famille", qui peut être interprétée comme une interconnexion étroite entre les peuples du monde. Progressivement, la Chine s'éloigne du soutien à l'ordre mondial existant pour tenter de remplacer l'ancien hégémon, les États-Unis.
Une autre théorie, alternative à la théorie de la multipolarité, est celle d'un "monde multipolaire". C'est que les États-Unis ne doivent pas être la seule puissance hégémonique. Elle devrait plutôt tenir compte des positions de ses partenaires et parvenir à des solutions de compromis avec les autres pays. Mais comme nous le savons, la politique américaine à ce jour est en totale contradiction avec cette thèse.
Ensuite, il convient de définir un cadre clair pour un monde multipolaire. Il ne s'agit pas d'un retour des deux pôles tels que les États-Unis et l'URSS qui se faisaient face autrefois: dans un monde multipolaire, il doit y avoir plus de deux pôles. La multipolarité n'est pas non plus compatible avec les concepts de non-polarité et de multilatéralisme mentionnés précédemment.
Il est important de noter que la tendance à la multipolarité se fera dans les États qui sont principalement orientés vers un monde multipolaire: la Russie, la Chine, l'Inde et quelques autres. L'eurasisme, par exemple, est considéré comme l'une des stratégies pour un monde multipolaire. À ce jour, il existe plusieurs perspectives sur l'intégration eurasienne. Premièrement, l'Union économique eurasienne (UEE) en tant qu'interprétation de l'eurasisme. Deuxièmement, l'évaluation de l'EAEU comme un véritable concurrent qui pourrait menacer les intérêts de l'UE et des États-Unis. Troisièmement, la possibilité d'évaluer objectivement la relation entre la politique étrangère de la Russie et l'intégration eurasienne et les développements politiques mondiaux. Le projet chinois One Belt, One Road, mentionné plus haut peut être considéré comme un complément à l'eurasisme. Un projet comme celui de la Grande Eurasie est souvent considéré ici dans sa globalité. Par exemple, le diplomate sri-lankais D. Jayatilleka (photo, ci-dessus) estime que le plus faisable pour la géopolitique eurasienne de la Russie est "d'étendre le concept de "multivectorisme" de Primakov au domaine de l'idéologie et à l'évolution du soft power, qui est véritablement multivectoriel: droite, gauche et centre... Ce n'est qu'ainsi que la Russie pourra redécouvrir son rôle d'avant-garde d'un nouveau projet historique, de porteuse d'une nouvelle synthèse d'idées et de valeurs".
Il est également important de noter que le terme "eurasisme" est souvent utilisé pour décrire la Russie et les nouveaux États indépendants. Selon l'historienne française M. Laruelle, la plasticité de l'eurasisme en tant qu'idéologie explique sa popularité. Parmi les prémisses théoriques de l'eurasisme, Laruelle identifie les suivantes: le rejet de l'Occident et du capitalisme, l'affirmation de l'unité culturelle entre l'ancienne Union soviétique et certaines parties de l'Asie, la formation d'une forme impériale d'organisation politique, ainsi que la croyance en l'existence de constantes culturelles.
En outre, M. R. Johnson, un chercheur de Pennsylvanie travaillant sur l'histoire de la Russie, note que la société américaine ne peut tout simplement pas accepter l'idée de l'eurasisme en raison d'un manque de compréhension de l'ontologie globale de l'eurasisme, et Johnson ne cache pas que le développement de l'eurasisme, et donc la formation d'un monde multipolaire, est une menace potentielle pour les États-Unis. Un autre historien américain, T. Fox, estime que pour parvenir à une diffusion mondiale de l'eurasisme, et donc à la multipolarité, il faut créer un récit universel qui combine l'expérience historique et les valeurs culturelles communes.
Après avoir discuté des théories de la multipolarité de la Chine et de la Russie, il convient de s'intéresser à la théorie de la multipolarité en Inde. L'Inde considère le concept de multipolarité depuis une position participative comme l'un des pôles. Cette position a été exposée lors d'une discussion en janvier 2017 dans The New Normal : Multilateralism with Multipolarity. Ce concept cherche à relier les deux théories de la "multipolarité" et du "multilatéralisme", dont nous avons discuté la distinction précédemment. La théorie indienne de la multipolarité est une fusion de la philosophie occidentale avec la Russie et la Chine. L'Inde présente les relations internationales contemporaines en termes de formation non pas de "pôles" mais d'États agissant en tant que sujets de la multipolarité.
Le politologue hindou Suryanarayana estime que la formation de la multipolarité est possible si les pays au centre ont leur propre développement historique, leur identité culturelle, leur intérêt national et leurs stratégies politiques. Le politologue critique également les politiques de néocolonialisme et de messianisme caractéristiques de l'Occident. C'est ici qu'émerge un nouveau concept de "multipolarité" par les politologues indiens, à savoir la coopération et le partenariat égalitaire entre les États. Ainsi, la multipolarité n'est pas la domination des "superpuissances", mais la coopération totale entre les pays. Sanjaya Baru (photo, ci-dessus), en tant que directeur de la géo-économie et de la stratégie à l'Institut international d'études stratégiques en Inde, a souligné qu'il était dans leur intérêt de trouver un terrain d'entente et de résoudre les conflits avec le Pakistan, et de maintenir la coopération au plus haut niveau entre l'Inde, la Russie et la Chine. De cette manière, de nouveaux centres ont été identifiés qui, s'ils coopèrent, pourraient obtenir des résultats significatifs dans la réalisation d'un monde multipolaire. Un regard sur les concepts de la Russie, de l'Inde et de la Chine révèle que ces trois pays sont unis par des objectifs communs. S'il existe effectivement un équilibre des forces, une coopération bénéfique entraînera un changement de l'ordre mondial.
29 avril 2022
19:41 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ric, actualité, politique internationale, multipolarité, inde, chine, russie, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 27 avril 2022
La géopolitique des îles: litiges territoriaux et autres aspects de la géographie maritime
La géopolitique des îles: litiges territoriaux et autres aspects de la géographie maritime
Leonid Savin
Source: https://katehon.com/ru/article/geopolitika-ostrovov-territorialnye-spory-i-drugie-aspekty-morskoy-geografii
Bases militaires, postes d'étape et garantie du contrôle d'une zone économique exclusive
Début avril, deux événements apparemment sans rapport ont eu lieu: l'Argentine a célébré le 40e anniversaire du début de la guerre pour les îles Malouines (au début, l'opération était en faveur de Buenos Aires, mais les Britanniques ont fini par battre les Argentins et ceux-ci ont capitulé), ainsi que les préoccupations exprimées par certains pays au sujet du prochain traité entre la Chine et les îles Salomon dans l'océan Pacifique.
En fait, les deux cas reflètent un facteur très important de la géopolitique mondiale - l'importance des îles en tant que bastions, bases militaires et territoires souverains (autrement dépendants) contestés. Bien que l'un des premiers géopoliticiens, Halford Mackinder, ait utilisé le concept d'île mondiale pour l'Eurasie et l'Afrique, et que les îles britanniques ou Cuba soient également des sujets assez importants de la politique internationale, nous analyserons dans ce rapport la fonction, le rôle et l'importance d'îles plus petites, voire de rochers et d'atolls. Cela dit, de nombreux cas sont tout à fait uniques.
Le cas des Malouines (la version argentine et françaises des îlesnommées Falkland par les Britanniques) est un pur défi de souveraineté. Le 2 avril 1982, l'Argentine a tenté de reprendre les îles par la force et a pu y prendre pied pendant un certain temps. Cependant, le gouvernement de Margaret Thatcher a envoyé un groupe de porte-avions dans la zone de conflit, et pour un certain nombre de raisons objectives (indécision des dirigeants argentins, problèmes de munitions et de logistique), l'Argentine a perdu.
Quarante ans plus tard, la question n'a toujours pas été résolue. Dans le même temps, la plupart des pays d'Amérique latine reconnaissent la souveraineté argentine sur les Malouines (la Russie aussi, d'ailleurs), tandis que l'Occident collectif se range du côté de la Grande-Bretagne. Les îles sont importantes pour la sécurité de l'Atlantique Sud. En tant que membre de l'OTAN, la présence de la Grande-Bretagne près du littoral du cône sud du continent (qui s'ouvre à l'Antarctique) est une préoccupation constante pour les pays qui n'ont aucune sympathie pour les politiques anglo-saxonnes.
Un cas géographiquement plus proche est celui des îles Åland dans la mer Baltique, qui appartiennent formellement à la Finlande mais ont un statut autonome. En outre, ils ont leur propre juridiction douanière, un parlement et un gouvernement séparés.
Les îles ont un statut démilitarisé. La question se pose: que se passera-t-il si la Finlande rejoint l'OTAN ? Ces îles resteront-elles sans contingent militaire, ou leur statut sera-t-il révisé, comme cela s'est produit pour l'île suédoise de Gotland relativement récemment (manifestement sous l'influence d'une russophobie artificiellement gonflée) ?
Les États-Unis, après tout, sont les principaux experts en matière de manipulation des îles. Et les bases de cette politique manipulatoire ont été posées dès le 19e siècle. Le fondateur de l'atlantisme, Alfred Mahan, dans un article de 1890, écrivit: "Les États-Unis regardent vers l'extérieur"; il soulignait ainsi que "des conditions politiques instables, comme en Haïti, en Amérique centrale et dans de nombreuses îles du Pacifique, en particulier dans le groupe hawaïen, combinées à une grande importance militaire ou commerciale, comme dans le cas de la plupart de ces positions, entraînent, comme toujours, de dangereux germes de discorde, auxquels il est au moins sage de se préparer".
"Il ne fait aucun doute que l'état d'esprit général des nations est plus opposé à la guerre qu'il ne l'était autrefois. Si nous ne sommes pas moins égoïstes et avides que nos prédécesseurs, nous avons une grande aversion pour les inconvénients et les souffrances qui accompagnent la rupture de la paix; mais pour préserver cette paix si précieuse, et la jouissance sereine des profits du commerce, il est nécessaire de discuter avec l'ennemi à armes égales".
Et plus loin: "La France et l'Angleterre donnent déjà aux ports qu'elles détiennent un degré de puissance artificielle, inapproprié à leur importance actuelle. Ils se tournent vers l'avenir proche. Parmi les îles et sur le continent, de nombreux postes très importants sont désormais occupés par des États faibles ou instables. Les États-Unis sont-ils prêts à les vendre à un puissant concurrent? Mais quel droit invoqueraient-ils contre un tel changement? Ils ne peuvent revendiquer qu'une seule chose - ses politiques sensées soutenues par sa puissance" [i].
Aujourd'hui, Porto Rico dans les Caraïbes, et dans le Pacifique, Guam, Hawaï et un certain nombre d'îles et d'atolls au sud servent divers objectifs des États-Unis. Saisie de l'Espagne pendant la guerre en 1898, Guam est aujourd'hui une possession américaine, ce qui signifie que l'île ne fait pas partie des États-Unis et qu'elle est "officiellement répertoriée comme un territoire non associé organisé par les États-Unis".
Entre-temps, il y a un délégué de Guam à la Chambre des représentants des États-Unis, bien que sa fonction ne soit pas tout à fait claire puisqu'il n'a pas le droit de vote. Apparemment, il s'agit d'une sorte d'aumône symbolique de la part de Washington afin que les habitants ne soient pas particulièrement indignés, car il existe un mouvement pour l'indépendance sur l'île.
Et Washington a beaucoup à perdre - c'est maintenant la plus grande base militaire stratégique américaine dans le Pacifique. Les troupes américaines sont principalement concentrées sur la base aérienne d'Andersen et la base navale d'Apra Harbour. Étant donné que les distances dans le Pacifique ne sont pas proches (par exemple, la côte de la Chine est à environ cinq mille kilomètres, celle de l'Australie un peu moins), le Pentagone tentera de tenir cet avant-poste.
Les États-Unis ont également des bases dans des territoires étrangers. L'île de Taïwan est souvent considérée comme le plus grand porte-avions insubmersible des États-Unis. Mais la base militaire américaine la plus septentrionale, Thulé, est située au Groenland, qui appartient au Danemark, mais qui est des dizaines de fois plus grand que ce royaume d'Europe du Nord.
Au XXe siècle, les États-Unis ont utilisé certaines îles pour tester des armes nucléaires - les tristement célèbres atolls de Bikini (découverts, soit dit en passant, par un capitaine russe) et Eniwetok sur les îles Marshall ont subi la frappe de 67 ogives nucléaires. De nombreux natifs des îles voisines sont morts de cancer, et la radioactivité est toujours au-dessus des niveaux acceptables [ii].
On trouve des choses tout aussi intéressantes en Méditerranée. L'île grecque de Kastellorizo se trouve à deux kilomètres de la côte sud de la Turquie et à des centaines de kilomètres de la côte grecque, y compris d'autres îles importantes comme Rhodes et Chypre.
Le groupe d'îles, qui comprend Kastellorizo, Rho et Strongili, est très important pour la zone économique exclusive de la Grèce, car il s'agit du territoire le plus oriental de la Grèce. En vertu du droit maritime des Nations unies ainsi que du droit international coutumier, la Grèce peut revendiquer la majeure partie du bassin méditerranéen oriental.
En plus de ce groupe d'îles, il en existe d'autres dans la mer Égée qui sont proches de la Turquie, ce qui pose un problème de chevauchement des eaux territoriales et de l'espace aérien entre les deux pays [iii].
Chaque année, des incidents surviennent entre les deux pays. Les avions de guerre turcs envahissent régulièrement le territoire grec et la Grèce répond en faisant décoller ses avions de chasse pour les intercepter. Dans les années 90, il y a même eu des morts de pilotes des deux côtés. Jusqu'à présent, le problème n'a pas été résolu.
Un sujet assez proche est la zone de défense aérienne (ZDA). Ainsi, l'évolution du droit international au cours des dernières décennies a transformé les paramètres des zones de défense aérienne de l'Asie de l'Est et les revendications juridictionnelles connexes. Les zones de défense aérienne japonaise et sud-coréenne ont été établies avant la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui stipule que les eaux territoriales/espace aérien s'étendent à 12 milles nautiques (22 km) de la côte et la zone économique exclusive (ZEE) à 200 milles nautiques (370 km).
Le rocher submergé de Jeodo Rock dans la mer Jaune, à 149 km de l'île sud-coréenne de Jeju, se trouvait auparavant en dehors de la zone de défense aérienne de la Corée du Sud en raison d'un simple oubli. Séoul a étendu sa zone de défense aérienne en 2013 parce qu'il se trouvait dans les eaux internationales et non dans la zone de défense aérienne sud-coréenne lorsque celle-ci a été établie. L'extension de cette zone par la Corée du Sud a entraîné un chevauchement de sa zone de défense aérienne avec celle du Japon au-dessus de Yodo, bien qu'il n'y ait aucun désaccord entre le Japon et la Corée du Sud sur cette question.
Toutefois, alors que le droit international affirme qu'un rocher immergé situé en dehors des eaux territoriales d'un État ne peut faire l'objet d'un litige sur la zone, la Chine et la Corée du Sud se disputent depuis longtemps le droit de juridiction sur la zone maritime autour de Yodo, qui couvre les zones de défense aérienne des deux pays qui se chevauchent.
Le 23 novembre 2013. La Chine a atteint un degré établi de contrôle de l'espace aérien en mer de Chine orientale grâce à l'établissement de sa première zone de défense aérienne. La Chine a conçu sa zone de défense aérienne de manière à chevaucher les zones de défense aérienne du Japon, au Sud et à l'Est.
La Corée et Taïwan, malgré des juridictions territoriales et maritimes contestées telles que les îles Senkaku (Diaoyu dans la version chinoise) contrôlées par le Japon et les eaux autour de Yodo, qui ont suscité les protestations des responsables japonais, sud-coréens et américains [iv].
La Corée du Sud a demandé à la Chine de redessiner sa zone de défense aérienne pour supprimer ce chevauchement, mais la Chine a refusé d'apporter des modifications. En décembre 2013. La Corée du Sud a répondu en étendant sa zone de défense aérienne pour inclure Yodo. Aucun des trois pays en question ne reconnaît aujourd'hui la zone de défense aérienne de la Chine.
La Chine, en général, qui a mis en avant une stratégie unique consistant à créer des îles artificielles et à déclarer sa souveraineté sur celles-ci. C'est le cas des îles Paracel et Spratly, précédemment inhabitées, dans la mer de Chine méridionale.
Dans le cadre du concept géopolitique du collier de perles, la Chine a besoin des îles comme bases de transbordement et places fortes. C'est pourquoi Pékin s'emploie activement à conclure des baux avec les États insulaires et à proposer ses services. Au Sri Lanka, la Chine a aidé à construire des installations dans le port de Hambantota, et comme il n'y avait rien à payer, un bail à long terme a été négocié [vi].
Mais revenons aux îles Salomon dont nous avons commencé à évoquer dans le présent article. Jusqu'à présent, seule une ébauche de l'accord a été préparée.
"L'accord-cadre en six articles claironné par les médias occidentaux a une formulation plutôt vague. Les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande estiment qu'il permettra à la Chine de mener des opérations militaires et de renseignement diversifiées et à grande échelle, ainsi que de participer activement au maintien de l'ordre public en déployant "des policiers, des policiers armés, des militaires et d'autres forces de l'ordre et forces armées".
La souveraineté des Îles Salomon serait vraisemblablement protégée par des pouvoirs détaillés contrôlant l'intervention chinoise, tels que la délivrance de "consentements" pour les visites de navires de la marine chinoise. Cependant, l'inclusion d'une phrase qui donne soi-disant aux deux pays le droit d'agir "conformément à leurs propres besoins" a renforcé les craintes de ce qui pourrait arriver si l'accord prend effet.
L'accord accorderait également à tout le personnel chinois une "immunité légale et judiciaire" et les coûts seraient traités "par une consultation à l'amiable entre les parties".
La véracité du document n'a pas été confirmée jusqu'à ce que le gouvernement des Îles Salomon reconnaisse officiellement, le 25 mars 2022, qu'il recherchait "une coopération accrue en matière de sécurité avec davantage de partenaires". Ils ont également confirmé que l'accord-cadre avec la RPC n'est pas encore signé, bien que le gouvernement des îles Salomon ait l'intention de le compléter, malgré les pressions régionales croissantes.
La situation intérieure des Îles Salomon doit également être prise en compte ici, car les casques bleus régionaux d'Australie, de Nouvelle-Zélande, de Fidji et de Nouvelle-Guinée ont commencé à arriver à la demande du Premier ministre Manasseh Sogavare depuis le 26 novembre 2021. Cette demande d'assistance fait suite aux émeutes qui ont éclaté dans la capitale Honiara deux jours plus tôt. La résidence du chef du gouvernement et le bâtiment du parlement national étaient sur le point d'être envahis par les émeutiers.
Les émeutes elles-mêmes ont été déclenchées par des désaccords de longue date entre la province de Malaita (qui couvre toute l'île du même nom), la plus peuplée et la plus grande des îles Salomon, qui souffre d'un manque chronique de ressources, et la population de l'île principale de Guadalcanal (où se trouve Honiara), où de nombreux Malaitis doivent souvent s'installer pour trouver du travail.
Les tensions ont dégénéré en un conflit armé entre les Malaitis et la population de Guadalcanal en 1998. La situation s'est détériorée au point que la Mission d'assistance régionale aux îles Salomon (RAMSI), dirigée par l'Australie, est arrivée à la demande du premier ministre de l'époque en 2003 et est restée sur place jusqu'en 2017. À cette époque, l'Australie a signé un accord de sécurité avec les îles Salomon.
Les tensions non résolues entre Malaita et le gouvernement se sont à nouveau intensifiées en septembre 2019, lorsque le Premier ministre Sogaware a radicalement modifié l'engagement de 36 ans du pays envers Taïwan. Les politiciens de Malaita se sont opposés à cette décision, déclarant leur soutien continu à Taiwan.
Ils ont accusé le gouvernement Sogaware d'abandonner les projets de développement et d'autres formes de soutien à la province de Malaita en représailles de leur position pro-Taïwan, qui a été le déclencheur des émeutes. Ce faisant, les attaques visaient la communauté chinoise de Honiara. Et l'accord-cadre prévoit la "protection" du personnel chinois et des "grands projets" comme déclencheur de l'intervention chinoise.
Lorsque les forces de maintien de la paix régionales ont répondu à la demande d'aide de Sogaware (photo), les dirigeants de Malaita se sont opposés à l'intervention car, selon eux, elle soutenait un "dirigeant profondément corrompu et très impopulaire".
La superposition des tensions entre la RPC et Taïwan a connu une nouvelle escalade en décembre 2021, lorsque Sogaware a accusé les émeutiers d'être des "agents de Taïwan" et a annoncé que la Chine enverrait six formateurs de police avec des équipements "non létaux" pour travailler avec la police des îles Salomon.
Selon les experts américains, "le 80e anniversaire de la bataille épique de Guadalcanal pendant la Seconde Guerre mondiale, qui approche à grands pas, souligne l'importance critique des îles Salomon pour la sécurité de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (en particulier la nation en développement de Bougainville, située au nord de la frontière des îles Salomon), de la Nouvelle-Calédonie, du Vanuatu et des Fidji, ainsi que de la région au-delà des voisins immédiats des îles Salomon.
Il convient de réfléchir au coût de cette bataille pour toutes les parties, car les habitants des îles Salomon sont toujours aux prises avec des débris militaires résiduels et dangereux. Bien que la situation en matière de sécurité ait radicalement changé au cours des huit décennies qui se sont écoulées depuis la bataille de Guadalcanal, les principes de base qui ont rendu cette bataille cruciale pour renverser le cours de la guerre et empêcher une invasion japonaise imminente de l'Australie restent les mêmes.
Les îles Salomon se trouvent à 2000 miles (ou moins de quatre heures d'avion) à l'est du nord de l'Australie. Ils traversent des voies de navigation et de communication critiques, de sorte que, comme en 1942, leur contrôle par une puissance hostile constitue une menace pour la capacité de défense de l'Australie et au-delà.
L'accord-cadre assurerait une présence militaire importante pour l'Armée populaire de libération dans les îles Salomon (les troubles civils serviraient probablement de prétexte à l'APL pour envahir les îles Salomon) et permettrait également à la marine de l'APL de visiter régulièrement les navires et de réapprovisionner la logistique.
La réaction régionale, menée par l'Australie et la Nouvelle-Zélande, s'est fortement opposée à l'accord. Le Premier ministre néo-zélandais, Jacinda Ardern, l'a qualifié d'"extrêmement préoccupant". L'accord proposé n'est pas seulement le résultat de la coopération régionale et du soutien apporté au gouvernement des Îles Salomon pour l'envoi de soldats de la paix en novembre dernier, il s'accompagne également d'autres manifestations de soutien.
Il s'agit notamment de l'annonce, en février 2022, lors de la visite du secrétaire d'État Anthony Blinken dans le Pacifique, de la réouverture de l'ambassade des États-Unis à Honiara, fermée depuis 1993. Lors de l'annonce, M. Blinken a déclaré que cette mesure visait à empêcher la Chine de "s'implanter fermement" dans la nation du Pacifique Sud.
Confronté à une rude bataille de réélection où les relations avec la Chine sont un facteur majeur, le Premier ministre australien Scott Morrison a essuyé des critiques selon lesquelles ses politiques sur le changement climatique et les coupes dans l'aide étrangère, notamment aux îles Salomon, ont sapé l'influence de l'Australie au bénéfice de la Chine.
Le gouvernement Morrison a largement utilisé l'expression "famille du Pacifique" pour exprimer les liens profonds entre les acteurs traditionnels du Pacifique, ce qui exclut implicitement la Chine. Le déploiement de cette rhétorique sentimentale ne semble pas avoir réussi en tant que stratégie.
Il ne fait aucun doute que l'émergence de l'accord-cadre est une pilule amère à avaler pour tous les pays qui ont travaillé ensemble ces derniers mois pour contrer l'influence de la Chine dans le Pacifique par divers moyens. Il est impossible d'éviter le sentiment que ce regain d'intérêt pour le Pacifique arrive trop tard.
Ce récent regain d'activité est évident dans le pacte de sécurité AUKUS entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, annoncé en septembre 2021, et dans la stratégie indo-pacifique lancée par la Maison Blanche de M. Biden en février 2022. Certains commentateurs appellent maintenant à une révision complète de la stratégie des îles Salomon, en particulier en ce qui concerne le Premier ministre Sogaware et son gouvernement" [vii].
Ainsi, le Centre d'études stratégiques et internationales, au nom de son expert, a trahi les véritables objectifs et intérêts des États-Unis, qui sont de maintenir leur contrôle sur l'océan Pacifique. Et dans le cadre de la stratégie indo-pacifique, nous voyons une tentative d'étendre sa zone d'influence [viii].
En réalité, les différentes îles peuvent être plus que de simples points d'appui aériens ou navals. Si la souveraineté d'un État, aussi petit soit-il, est établie sur un point de terre dans l'océan, le droit international étend cette souveraineté à la zone économique exclusive ainsi qu'à l'espace aérien.
La surface de l'eau peut être utilisée pour la capture de fruits de mer et le plateau continental pour la prospection et l'extraction de ressources naturelles - hydrocarbures, minéraux et métaux et terres rares. L'épuisement des exploitations minières traditionnelles dans divers pays oblige de nombreuses entreprises à se tourner de plus en plus vers cette forme prometteuse d'extraction des ressources naturelles.
"L'économie bleue", comme les explorateurs modernes appellent les projets impliquant des ressources marines, même si elles se trouvent en eaux profondes, présente un sérieux potentiel d'enrichissement. Et la présence d'îles facilite grandement l'exploitation des fonds marins en permettant l'équipement, le personnel, le stockage et le traitement des ressources, ainsi que la poursuite de la logistique en fonction de leurs intérêts.
Cela encourage à son tour les pays à prendre plus au sérieux la protection de leurs îles et territoires d'outre-mer. La France, par exemple, possède les îles Wallis et Futuna en Océanie, qui sont formellement les royaumes d'Alo et de Sigaw, mais font partie de la République française en vertu du traité de protectorat de 1887.
De ce fait, la France revendique une présence commerciale, économique, politique et donc militaire dans le Pacifique. Et le domaine maritime total de la France s'élève à plus de 11 millions de kilomètres carrés, soit vingt ( !) fois plus que le territoire continental de la France.
La première place en termes de possessions maritimes revient aux États-Unis, les véritables maîtres des mers. De manière révélatrice, la disponibilité des ressources peut provoquer des tensions politiques entre la métropole et les provinces. Par exemple, lorsque les habitants de Wallis et Futuna, ainsi que leurs dirigeants, ont découvert qu'un groupe minier français, Eramet, prévoyait de draguer le cratère du Culolassi, qui contient des gisements de métaux de terres rares, ils ont protesté auprès de Paris et ont même menacé de faire sécession.
Et combien d'autres micro-îles de ce type peuvent être trouvées dans les océans Pacifique et Atlantique, et les grandes entités n'hésitent pas à transformer leurs économies dans les bonnes conditions et à se joindre à la course aux terres rares et autres ressources des fonds marins.
Ces facteurs complexes ont toujours été associés aux îles, mais à l'ère actuelle de la mondialisation et de la transformation simultanée de l'ordre géopolitique mondial, leur rôle et leur statut sont considérablement renforcés.
Notes:
[i] Alfred T. Mahan, "The United States Looking Outward", Atlantic Monthly, LXVI (décembre, 1890), 816-24.
[ii] https://phys.org/news/2019-07-radioactivity-marshall-islands-higher-chernobyl.html
[iii] http://www.turkishweekly.net/pdf/aegean_sea.pdf
[iv] https://fas.org/wp-content/uploads/2020/08/ADIZ-Report.pdf
[v] https://www.gazeta.ru/business/2015/04/17/6644201.shtml
[vi] https://www.ng.ru/world/2021-02-25/6_8090_%20srilanka.html
[vii] https://www.csis.org/analysis/framework-agreement-china-transforms-solomon-islands-pacific-flashpoint
[viii] https://www.fondsk.ru/news/2018/07/04/indo-tihookeanskij-region-ssha-v-prostranstve-dvuh-okeanov-46398.html
20:19 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, politique internationales, iles, archipels, océans, mers | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 26 avril 2022
Quels sont les atouts dans la manche de l'Iran ?
Quels sont les atouts dans la manche de l'Iran?
Anastasia Solyanina
Source: https://www.geopolitika.ru/article/kakie-kozyri-v-rukave-irana
Le cœur du Moyen-Orient
L'Iran (République islamique d'Iran) est l'un des plus anciens pays du monde. Le pays a une histoire riche et une variété de particularités culturelles. Il est important de noter que jusqu'en 1935, l'Iran était appelé Perse. D'après les événements historiques, la Perse était l'un des États les plus puissants. Toutefois, en raison de l'impact des États-Unis sur l'opinion publique, l'Iran est désormais identifié comme un pays du tiers monde sous-développé et menaçant sur le plan du terrorisme. L'Amérique a souvent profité des capacités des pays qui lui étaient ou sont alliés. Cependant, comme nous le savons, l'Amérique est célèbre pour sa "politique spéciale", dans laquelle il est important pour un pays allié d'exister seulement selon le principe élaboré par les États-Unis.
Dès qu'un État va à l'encontre de l'agenda politique de l'Amérique, il passe automatiquement du statut de pays ami à celui de pays inamical.
La pierre d'achoppement actuelle de la coopération de l'Iran avec l'Occident et les États-Unis est le "programme nucléaire". L'Iran développe sa propre puissance nucléaire depuis les années 1950, donc déjà sous le règne du Shah Mohammad Reza Pahlavi, un allié des Etats-Unis au Moyen-Orient. Le président américain Dwight Eisenhower a soutenu l'idée dans le cadre du programme Atomes pour la paix, et en 1957, il a signé un accord avec l'Iran pour "l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire".
En 1958, l'Iran est devenu membre de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique. L'objectif du développement de l'énergie nucléaire en Iran était de développer une supériorité technologique sur les pays arabes. Il convient également de noter qu'outre les États-Unis, des pays comme la France, le Royaume-Uni, l'Italie, la Belgique et l'Allemagne ont participé au programme de développement de l'énergie nucléaire en Iran dans les années 1960 et 1970. Le projet de diversification de l'énergie nucléaire en Iran devait être achevé en 1994, mais le plan a été entravé par la vague révolutionnaire islamiste qui a éclaté en 1979. En conséquence, tous les projets ont été réduits à néant et tous les contrats avec les partenaires américains et européens ont été annulés.
À partir de la seconde moitié des années 1980, l'Iran a commencé à coopérer avec la Chine après l'échec des tentatives de rapprochement avec l'Occident. Toutefois, sous la pression des États-Unis, la Chine s'est également retirée de la coopération avec l'Iran. Ainsi, après cela, presque tous les pays ont refusé de coopérer avec l'Iran. Ce n'est qu'au début des années 1990 que la Russie a commencé à coopérer avec l'Iran, période durant laquelle un accord intergouvernemental a été signé entre la Russie et l'Iran. En août 2002, le Conseil national de la résistance iranienne a exposé les usines d'enrichissement d'uranium non déclarées de l'Iran à Natanz. Il convient également de noter que la coopération entre la Russie et l'Iran se situe à un niveau élevé. Le chiffre d'affaires commercial entre la Russie et l'Iran à la fin de 2021 a atteint un record historique de 4 milliards de dollars.
L'année 2003 a été marquée par le début des négociations avec l'Iran sur le "dossier nucléaire". Au départ, trois pays européens participaient aux pourparlers: la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. En 2006, les États-Unis, la Russie et la Chine les ont rejoints. Cela a été facilité par l'émergence du format 5+1 ou JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action). Il convient également de noter qu'un certain nombre de trains de sanctions ont été imposés à l'Iran entre 2006 et 2010. Cependant, les sanctions à l'encontre de l'Iran remontent aux années 1950, lorsque l'Iran a nationalisé l'Anglo-Iranian Oil Company, qui était détenue par la Grande-Bretagne. Pendant 30 ans, les États-Unis ont rompu tout contact avec l'Iran, interdisant toute forme de commerce.
Le 14 juin 2015, la version finale du JCPOA a été approuvée à Vienne. L'Iran s'est engagé à ne pas produire de plutonium de qualité militaire pendant 15 ans, à ne pas détenir plus de 3,67 % d'uranium enrichi et à utiliser ses installations nucléaires exclusivement à des fins pacifiques. Depuis lors, les sanctions ont été assouplies. Mais à peine 2 ans plus tard, en février 2017, l'administration du président Donald Trump a annoncé de nouvelles sanctions, contre l'Iran. En effet, Trump, un républicain, avait accusé l'Iran de ne pas respecter les accords adoptés par le format des Six-Parties.
Encore une fois, en 2017, l'Iran est un État voyou. Cependant, l'Iran détient le record des réserves d'hydrocarbures liquides. Il convient de noter ici que les changements dans l'environnement géopolitique, tels que l'imposition ou la levée des sanctions contre l'Iran, affectent les prix du pétrole. En mai 2018, ignorant la déclaration de l'AIEA selon laquelle l'Iran respecte toutes ses obligations, les États-Unis ont annoncé leur retrait de l'accord sur le nucléaire iranien. Les États-Unis ont formulé de nouvelles demandes, avec l'intention de parvenir à un nouvel accord. Et depuis le 5 novembre 2018, ils ont renouvelé les sanctions contre l'Iran. En mai 2019, le bras de fer entre l'Iran et les États-Unis s'est intensifié, en raison de l'escalade de la situation dans le golfe Persique. Ceci était dû à des informations présumées selon lesquelles les troupes iraniennes se préparaient à attaquer les installations américaines situées au Moyen-Orient. Les États-Unis ont également accusé l'Iran d'avoir attaqué des pétroliers au large des côtes des Émirats arabes unis (EAU). Les États-Unis imposent à nouveau une série de sanctions contre l'Iran.
Le conflit s'est encore intensifié en janvier 2020. Le gouvernement américain a lancé une frappe de missiles pour détruire le Corps des gardiens de la révolution islamique, Al-Quds. L'Iran a ensuite déclaré que l'armée américaine était une "organisation terroriste".
En mars 2021, sous la pression des sanctions américaines, la Chine et l'Iran concluent une coopération globale de 25 ans, ce qui renforce la coopération entre la Chine et l'Iran. Ici aussi, la confrontation stratégique de l'Iran avec les États-Unis en entrant en coopération avec des pays désignés par l'Amérique comme une menace est remarquable. Outre la Chine et la Russie, l'Iran coopère également avec la RPDC et le Venezuela.
Il convient de mentionner qu'en 2002, le président américain George W. Bush a déclaré les pays qui sont menacés par une activité terroriste accrue et les a nommés "axe du mal". Il s'agit de l'Iran, de l'Irak et de la RPDC, et plus tard, en 2007, la Russie et la Chine ont été ajoutées à la liste. Par conséquent, la coopération entre ces pays pourrait être considérée comme la bonne décision stratégique. Après tout, la Corée du Nord et le Venezuela sont sous sanctions depuis un total combiné de plus de 60 ans. Les pays tentent de s'entraider pour affronter les États-Unis. La RPDC avec ses secrets nucléaires et militaires, l'Iran avec ses capacités de raffinage du pétrole, et le Venezuela avec ses réserves naturelles et sa position stratégique vu la proximité géographique des États-Unis. La coopération entre l'Iran et la Corée du Nord est très controversée, mais les modes de développement des programmes nucléaires des deux pays sont similaires, sauf que la RPDC a développé son programme nucléaire sans le soutien des États-Unis. En effet, l'Amérique voyait un avantage à aider Téhéran, poussée par un intérêt personnel dans les réserves de pétrole de l'Iran. Pourtant, le Venezuela est considéré comme une source principale de réserves de pétrole, représentant environ 17,2% du total mondial. Les États-Unis ont également imposé des sanctions au Venezuela depuis 2005, pour des allégations de trafic de drogue et de terrorisme. L'énergie peut donc être considérée comme un domaine clé de la coopération entre le Venezuela et l'Iran. Les pays coopèrent dans le cadre de l'OPEP et s'encouragent également mutuellement pour maintenir des prix élevés pour les hydrocarbures.
Le 29 novembre 2021, des pourparlers entre Téhéran et Washington sur l'"accord sur l'Iran" ont eu lieu à Vienne. Les pays occidentaux n'étaient prêts à discuter des sanctions que dans le cadre de "l'accord nucléaire". Le résultat idéal pour l'Occident aurait été de limiter non seulement le programme nucléaire de l'Iran, mais aussi son programme de missiles. Cependant, l'Iran a fait des demandes réciproques, en premier lieu la levée totale de toutes les sanctions. Mais l'Occident et l'Iran ne sont pas parvenus à un nouvel accord sur le programme nucléaire.
De plus, à ce jour, la situation n'a pas changé ; après 11 mois de négociations, la signature d'un nouvel accord nucléaire va dérailler. La raison en était l'opération spéciale de la Russie en Ukraine. Politico note qu'il est très difficile de négocier un accord nucléaire dans les circonstances actuelles. La Russie est actuellement sous le coup de sanctions américaines et européennes. L'UE étudie actuellement un moyen de reprendre l'accord nucléaire sans la participation de la Russie, mais dans la pratique, elle est toujours dans l'embarras.
Il convient également de noter que le 13 avril 2022, l'Iran a annoncé qu'une usine fabriquant des pièces pour une centrifugeuse à uranium à Natanz avait été mise en service.
Le 20 avril 2022, les États-Unis ont soulevé la question du bénéfice de la Russie, sous réserve de l'accord de l'Iran sur son programme nucléaire. Plus tôt, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a déclaré que la reprise des négociations sur le programme iranien touchait à sa fin. Par conséquent, les préoccupations des États-Unis sont immédiatement compréhensibles. Après tout, la coopération entre l'Iran et la Russie pourrait constituer une menace sérieuse pour les politiques menées par les États-Unis.
L'Iran joue un rôle clé dans la région de l'Asie occidentale et occupe une position militaro-stratégique vitale en raison de sa situation géographique avantageuse.
L'Iran est également désigné comme le cœur du Grand Moyen-Orient. De plus, comme il a été mentionné précédemment, l'Iran dispose de réserves de pétrole, ce qui lui permet d'influencer l'environnement géopolitique mondial. Le soutien de l'Iran à des pays comme la Chine, la Russie joue un rôle important dans la formation d'un monde multipolaire. Il convient ici de prêter attention à la théorie de la multipolarité. Il s'agit d'un modèle politique qui suppose l'existence non pas d'un seul centre, mais d'un certain nombre de centres de pouvoir qui seraient à la mesure de leurs capacités politiques, militaires, culturelles et économiques. Un autre facteur important de ce modèle est d'éviter de "marcher sur les pieds", en d'autres termes, d'étendre l'influence d'un pays sur un autre en appliquant le genre de double standard que l'Amérique a si souvent utilisé.
La réorientation du monde d'unipolaire à multipolaire dépend dans une large mesure des pays BRICS (Russie, Chine, Brésil, Inde). Par conséquent, l'Iran, en raison de sa situation géographique avantageuse et de ses réserves de pétrole, est déjà capable d'influencer les changements dans l'ordre mondial. Et avec l'aide des alliés mentionnés précédemment comme le Venezuela et la RPDC, ainsi que des pays du BRICS, la Chine et la Russie font partie des alliés qui peuvent obtenir des résultats s'ils unissent leurs forces. Cependant, il est important de dire que c'est la coopération égale des pays qui créera un monde multipolaire. Mais la question se pose ici de savoir si des États tels que la Chine et la Russie coopéreront sans exercer leur influence sur d'autres "États moins importants" : il est important de maintenir un équilibre et de répartir les rôles intelligemment. L'Iran est le plus susceptible de jouer un rôle sur la voie d'un monde multipolaire - un pays servant de lien entre d'autres États de valeur.
18:39 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : iran, moyen-orient, asie, affaires asiatiques, géopolitique, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Après la conquête de la mer d'Azov
Après la conquête de la mer d'Azov
par Federico Dezzani
Source: https://www.ariannaeditrice.it/articoli/dopo-la-conquista-del-mare-di-azov & Federico Dezzani
Au 57e jour de la guerre russo-ukrainienne, le ministère russe de la Défense a annoncé la conquête de la ville de Marioupol. Il est temps d'analyser comment la campagne militaire a évolué au cours des deux derniers mois, comment elle pourrait évoluer dans un avenir proche et, surtout, quelles seront ses répercussions internationales: il est de plus en plus évident que les puissances anglo-saxonnes veulent utiliser le conflit pour affaiblir la Russie et, en même temps, déstabiliser l'Allemagne et l'Italie.
Une guerre par procuration tous azimuts
Un peu moins de deux mois après le début des hostilités russo-ukrainiennes, le ministère russe de la Défense a annoncé la conquête de la ville de Marioupol, qui compte environ 400.000 âmeset est située sur le littoral de la mer d'Azov: seul le grand complexe sidérurgique, qui fait partie du kombinat de l'acier construit dans le Donbass dans les années 1930, reste encore aux mains des troupes ukrainiennes désormais clairsemées, mais sa chute est une question de temps. La Russie a donc obtenu un premier résultat stratégique tangible: elle a recréé un pont terrestre avec la péninsule de Crimée (annexée en 2014) et transformé la mer d'Azov en un lac intérieur. Les frontières russes sont donc revenues, sur le front sud, à la conformation de la première moitié du XVIIIe siècle, lorsque l'empire tsariste a réussi à arracher la mer d'Azov aux Turcs et à entrer dans les mers chaudes.
Il est particulièrement utile de reconstituer comment la Russie est parvenue à ce résultat en l'espace de deux mois. Dans notre analyse effectuée au "jour -1", nous avions supposé une campagne militaire de grande envergure, d'une durée de 30 à 40 jours, qui conduirait les Russes jusqu'au Dniepr et à partir Odessa jusqu'au Dniestr. Les faits montrent toutefois que cette option, une campagne militaire de grande envergure sur le territoire ukrainien, n'a jamais été envisagée par les stratèges russes qui pensaient à tort pouvoir se limiter à une "opération militaire spéciale" aux fins éminemment politiques, à savoir le renversement du gouvernement Zelensky et l'avènement d'une junte militaire qui rétablirait la coopération traditionnelle entre la Russie et l'Ukraine. Appeler les opérations qui ont duré du 25 février au 31 mars la "bataille de Kiev" est erroné: on peut tout au plus parler d'une "intimidation de Kiev", car les Russes n'ont jamais envisagé de conquérir la ville dans cette phase de la guerre. La "première phase" de la campagne militaire peut être résumée par l'appel lancé par Poutine aux militaires ukrainiens le 26 février 2022 pour qu'ils prennent le pouvoir et se débarrassent de la "bande de drogués et de néonazis", facilitant ainsi le début des négociations.
Ces calculs se sont révélés erronés, car Moscou a sous-estimé le degré de pénétration des puissances anglo-saxonnes dans l'appareil ukrainien: en huit ans (le temps écoulé entre la révolution colorée de 2014 et aujourd'hui), Londres et Washington ont eu les moyens de s'insinuer jusque dans le coin le plus caché de l'État et de l'armée ukrainiens, éliminant les éléments qui auraient pu accepter l'appel de Poutine et renverser Zelensky. À ce moment-là, les Russes se sont retrouvés dans une position militaire aussi inconfortable qu'improductive: une tête de pont autour de Kiev, alimentée avec de grandes difficultés logistiques par la Biélorussie et exposée à la guérilla des nationalistes ukrainiens. Tant qu'il y avait la possibilité d'un règlement politique du conflit (les négociations tenues en Biélorussie puis en Turquie), les Russes sont restés aux portes de Kiev. Une fois ce scénario écarté, ils se sont retirés en bon ordre du nord de l'Ukraine pour poursuivre des objectifs militaires plus concrets dans le sud-est de l'Ukraine: c'est la "phase deux", annoncée dans les derniers jours de mars. La nomination du général Aleksandr Dvornikov, déjà en charge des opérations militaires en Syrie, comme commandant unique du front ukrainien, annoncée le 9 avril, peut être considérée comme le tournant de la campagne, qui prend de moins en moins de connotations politiques et de plus en plus de connotations militaires. Il convient toutefois de noter que deux mois après l'ouverture du conflit, la Russie ne s'était pas encore lancée dans la destruction systématique des infrastructures ukrainiennes, qui, si une approche purement militaire avait été suivie, aurait dû avoir lieu dès les premières heures de la campagne.
La conquête de Mariupol (avec ses aciéries, photo ci-dessus) annoncée le 21 avril, avec le déploiement consécutif des troupes engagées dans la ville, devrait être le prodrome de la déjà célèbre "bataille du Donbass", dont les Russes ont jeté les bases en conquérant, le 24 mars, le saillant d'Izyum: sur le papier, elle se préfigure ainsi comme une grande tenaille qui, partant du nord et du sud, devrait se refermer sur la ville de Kramatosk. Les avantages que pourraient obtenir les Russes seraient multiples: la destruction de l'armée ukrainienne concentrée depuis le début des hostilités dans le Donbass (estimée à environ 40.000-60.000 unités) et l'affinement des futures frontières, de manière à rendre compacte la région à annexer à la Russie. Quoi qu'il en soit, même en cas de défaite sévère de l'armée ukrainienne, il est peu probable que la "bataille du Donbass" marque la fin des hostilités.
Les puissances anglo-saxonnes ont intérêt à prolonger le conflit le plus longtemps possible et, à cette fin, s'apprêtent à déverser de plus en plus d'armes en Ukraine pour alimenter la "résistance". Le Royaume-Uni, en particulier, qui joue un rôle de premier plan en Ukraine, comme en témoigne le voyage de Johnson à Kiev le 9 avril, a promis d'envoyer des instructeurs, de l'artillerie, des missiles anti-navires Harpoon et même des véhicules blindés pour transporter les systèmes anti-aériens Starstreak. Cet activisme britannique s'explique par le fait que dans la "troisième guerre mondiale" menée par les puissances anglo-saxonnes contre les puissances continentales pour le contrôle du Rimland, le quadrant européen de l'Eurasie a été mis entre les mains de Londres, tandis que Washington et Canberra doivent se concentrer sur le Pacifique et la Chine.
Qu'est-ce que les puissances anglo-saxonnes espèrent gagner en prolongeant jusqu'au bout la guerre en Ukraine, à créer une nouvelle "Syrie" au cœur de l'Europe? Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises dans nos analyses, toute compréhension géopolitique des événements actuels doit englober l'Eurasie dans son ensemble et donc l'axe horizontal Chine-Russie-Allemagne (avec ses nombreuses branches verticales en Birmanie, au Pakistan, en Iran, en Italie, etc.). En prolongeant le conflit pour au moins toute l'année 2022, en jetant de plus en plus d'armes létales sur le théâtre ukrainien, les puissances maritimes anglo-saxonnes espèrent :
- affaiblir davantage la Russie, de manière à rendre possible la chute de Poutine et la relocalisation stratégique du pays dans une fonction anti-chinoise (ou du moins la disparition de la Russie en tant que facteur de puissance, dans le sillage d'une crise politique et d'un effondrement socio-économique) ;
- mener à bien la déstabilisation de l'Europe, en mettant un accent particulier sur l'Allemagne et l'Italie.
A plusieurs reprises, en effet, il a été souligné que les objectifs anglo-saxons de la guerre en Ukraine se situaient sur deux fronts: le russe et l'allemand. Les invectives de plus en plus violentes de Zelensky à l'encontre des dirigeants allemands, coupables de ne pas fournir suffisamment d'armes et de faire obstacle à l'embargo total sur la Russie, illustrent bien ce phénomène. En exacerbant le conflit en Ukraine et en le faisant traîner jusqu'à l'automne prochain, les Anglo-Américains espèrent imposer le blocus convoité sur les approvisionnements énergétiques en provenance de Russie, plongeant ainsi l'Allemagne et l'Italie, qui sont les plus dépendantes du gaz russe, dans une récession économique grave et prolongée. À ce moment-là, l'"axe médian" de l'Europe, qui a son prolongement naturel en Algérie et qui tend naturellement à converger vers la Russie et la Chine, serait jeté dans le chaos ou, du moins, sérieusement affaibli, également parce que les Anglo-Saxons travaillent activement à faire de la terre brûlée partout où les Italiens et les Allemands peuvent s'approvisionner, en Libye comme en Angola. Chaque missile Starstreak envoyé par les Britanniques en Ukraine est un missile visant à laisser l'Allemagne et l'Italie sans énergie: tout porte à croire que l'automne 2022 sera l'un des plus difficiles de mémoire d'homme.
16:03 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, ukraine, géopolitique, mer d'azov, mer noire, espace pontique, russie, allemagne, italie, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 25 avril 2022
Nord Stream 2, une des clés de la guerre en Ukraine
Nord Stream 2, une des clés de la guerre en Ukraine
Daniel Miguel López Rodríguez
Source: https://posmodernia.com/nord-stream-2-una-de-las-claves-de-la-guerra-de-ucrania/
Le flux du Nord
Le sous-sol ukrainien contient un réseau de gazoducs par lequel passe une partie de l'approvisionnement russe vers l'Europe. Entre 2004 et 2005, 80 % du gaz russe destiné à l'Europe a transité par le sous-sol ukrainien. Lorsque Gazprom (le géant russe de l'énergie appartenant à l'État) a interrompu l'approvisionnement des Ukrainiens en janvier 2006 et en janvier 2009, ces derniers ont saisi le gaz destiné à l'Europe, ce qui a entraîné des pertes énormes pour ces pays, qui sont très dépendants du gaz russe, et a jeté un sérieux discrédit sur la Russie en tant que fournisseur.
Afin d'éviter ce transit ukrainien, les Russes ont décidé de construire deux nouveaux gazoducs. Gazprom a fait valoir que le fait de relier un gazoduc directement à l'Allemagne sans avoir besoin de passer par des pays de transit permettrait d'éviter que les exportations de gaz russe vers l'Europe occidentale ne soient coupées, comme cela s'est produit deux fois auparavant. C'est ainsi qu'est né le projet Nord Stream (Севеверный поток), un gazoduc qui relierait la Russie à l'Europe (directement à l'Allemagne via la mer Baltique) sans devoir passer par l'Ukraine ou la Biélorussie.
En avril 2006 déjà, le ministre polonais de la défense, Radek Sikorski, comparait les accords sur la construction d'un gazoduc au pacte de non-agression germano-soviétique, le pacte Ribbentrop-Molotov signé aux premières heures du 24 août 1939, car la Pologne est particulièrement sensible aux accords passés par-dessus sa tête (https://www.voanews.com/a/a-13-polish-defense-minister-pi... ). Tout pacte conclu par la Russie et l'Allemagne y fera penser et sera diabolisé (telle est la simplicité de la propagande, mais elle est tout aussi efficace non pas en raison du mérite des propagandistes mais du démérite du vulgaire ignorant, qui abonde).
Le ministre suédois de la défense, Mikael Odenberg, a indiqué que le projet constituait un danger pour la politique de sécurité de la Suède, car le gazoduc traversant la Baltique entraînerait la présence de la marine russe dans la zone économique de la Suède, ce que les Russes utiliseraient au profit de leurs renseignements militaires. En fait, Poutine justifierait la présence de la marine russe pour assurer la sécurité écologique.
L'hebdomadaire allemand Stern a émis l'hypothèse que le câble à fibre optique et les stations relais le long du gazoduc pourraient être utilisés pour l'espionnage russe, mais Nord Stream AG (le constructeur du gazoduc) a répondu en arguant qu'un câble de contrôle à fibre optique n'était pas nécessaire et n'avait même pas été prévu. Le vice-président du conseil d'administration de Gazprom, Alexander Medvedev, minimise la question en soulignant que "certaines objections sont soulevées qui sont risibles : politiques, militaires ou liées à l'espionnage. C'est vraiment surprenant car dans le monde moderne, il est ridicule de dire qu'un gazoduc est une arme dans une guerre d'espionnage" (https://web.archive.org/web/20070927201444/ et http://www.upstreamonline.com/live/article138001.ece ). Où que soient les Russes, on craint toujours les espions (on ne se méfie pas autant des Ricains, malgré les révélations d'Edward Snowden : l'enfer, c'est toujours les autres).
Le Rockefellerien Greenpeace se plaindrait également de la construction du gazoduc, car il traverserait plusieurs zones classées comme aires marines de conservation.
Le 13 juin 2007, face aux préoccupations écologiques, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a déclaré que "la Russie respecte pleinement le désir d'assurer la durabilité environnementale à 100 % du projet et soutient entièrement cette approche, et toutes les préoccupations environnementales seront traitées dans le cadre du processus d'évaluation de l'impact environnemental" (https://www.upstreamonline.com/online/russia-backs-green-... ).
Le gazoduc devait être inauguré le 8 novembre 2011 lors d'une cérémonie dans la municipalité de Lubmin (Mecklembourg-Poméranie occidentale) par la chancelière Angela Merkel et le président russe Dmitri Medvedev ; étaient également présents le Premier ministre français François Fillon et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte.
Il était également prévu de construire South Stream, un gazoduc qui devait relier la Russie à la Bulgarie en traversant la mer Noire jusqu'à la Grèce et l'Italie. Mais il a finalement été annulé au profit de Blue Stream, qui transporte du gaz naturel du sud de la Russie vers la Turquie via la mer Noire. Grâce à ce gazoduc, la Turquie est le deuxième plus grand importateur de gaz russe, juste derrière l'Allemagne.
Alors que l'Allemagne a pu réaliser le projet Nord Stream 1, la Grèce et l'Italie ont vu leur projet South Stream mis au rebut. C'est un signe de qui a le plus de pouvoir dans la prétentieuse Union européenne. Mais Nord Stream 2 n'est pas allé aussi loin et - comme nous le verrons - les Allemands se sont pliés aux diktats des Américains.
Nord Stream 1 se compose de deux pipelines allant de Vyborg (nord-ouest de la Russie) à Greifswald (nord-est de l'Allemagne). Il a la capacité de transporter 55 milliards de mètres cubes par an, même si en 2021, il était capable de transporter 59,2 milliards de mètres cubes. Il s'agit du gazoduc par lequel transite le plus grand volume de gaz à destination de l'UE.
Les travaux sur le gazoduc Nord Stream 2 ont duré de 2018 à 2021, et on estime que le matériau du gazoduc peut durer environ 50 ans. Le pipeline part de la station de compression Slavyanskaya, près du port d'Ust-Luga (dans le district Kingiseppsky de l'Oblast de Leningrad), et va jusqu'à Greifswald (Poméranie occidentale). En 2019, la société suisse Allsea, qui était chargée de poser le gazoduc, a abandonné le projet et Gazprom a dû le mener à bien par ses propres moyens. La première ligne a été achevée en juin 2021 et la seconde en septembre. Son ouverture était prévue pour le milieu de l'année 2022, ce qui devait permettre de doubler le gaz transporté pour atteindre 110 milliards de mètres cubes par an. Outre Gazprom, les partenaires pour la construction de Nord Stream 2 ont été Uniper, Wintershall, OMV, Engie et Shell plc.
Le gouvernement allemand a approuvé le projet en mars 2018, afin d'éloigner l'Allemagne du nucléaire et du charbon (c'est-à-dire pour des raisons environnementales, toujours aussi sensibles en Allemagne, déjà depuis des temps pas particulièrement démocratiques). Les coûts du gazoduc sont estimés à 9,9 milliards d'euros, Gazprom apportant 4,75 milliards d'euros et ses partenaires le reste.
Nord Stream 2 aurait complété les troisième et quatrième lignes (par rapport aux première et deuxième lignes de Nord Stream 1). À travers la Baltique, Nord Stream 1 et 2 suivent fondamentalement le même itinéraire. Les deux pipelines tirent leur gaz des gisements de la péninsule de Yamal et des baies d'Ob et de Taz. Avec ces deux gazoducs (avec quatre lignes au total), l'Allemagne fournirait du gaz russe à d'autres pays, ce qui améliorerait sans aucun doute la situation sur le marché européen et permettrait de surmonter la crise énergétique. Les Allemands sont allés jusqu'à affirmer que le Nord Stream 2 serait plus rentable que les livraisons terrestres via l'Europe de l'Est. La Russie a fourni 35,4 % du gaz arrivant en Allemagne (et avec Nord Stream 2, elle aurait doublé cette quantité) et 34 % du pétrole.
Les principaux opposants à Nord Stream 2 ont été les pays baltes, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie ( ?), la Roumanie, la Croatie, la Moldavie et principalement la Pologne et l'Ukraine, tous soutenus par la Commission européenne et les États-Unis. Ces pays se sont opposés à Nord Stream 2 au motif qu'un gazoduc direct vers l'Allemagne pourrait entraîner l'arrêt de leur approvisionnement en énergie et les priver des lucratifs frais de transit.
Chronologie de la politique américaine contre Nord Stream 2
Les plaintes américaines contre le gazoduc ne sont pas propres à l'administration Biden (qui a subi la pression de ses collègues démocrates pour adopter une ligne dure contre la Russie, qualifiant ainsi Poutine de "meurtrier" - comme si l'administration Obama dont il était le vice-président n'avait pas commis d'innombrables crimes de guerre, bien plus que la Russie ne l'a jamais fait : mais le premier président afro-américain est un démon qui "ne sent pas le soufre"). Déjà sous Obama, les protestations ont commencé alors que le projet n'avait pas encore totalement pris forme (l'idée du projet a commencé à prendre forme en octobre 2012).
Sous l'administration Trump, les plaintes se sont poursuivies et n'ont jamais cessé, même si Trump a d'abord affirmé qu'il n'appliquerait pas la loi contre les ennemis de l'Amérique par le biais de sanctions sur les exportations énergétiques russes, mais il a rapidement changé d'avis. M. Trump a même menacé d'imposer des droits de douane aux pays de l'UE et a proposé de rouvrir les négociations en vue de conclure un accord commercial entre les États-Unis et l'UE si le projet était annulé.
Le 27 janvier 2018, coïncidant avec le 73e anniversaire de la libération du camp de concentration d'Auschwitz, le secrétaire d'État Rex Tillerson (un ancien PDG d'Exxon Mobil, c'est-à-dire un homme de Rockefeller infiltré dans l'administration Trump, qui sera finalement évincé par le plus loyal Mike Pompeo) a fait valoir que les États-Unis et la Pologne s'opposaient à Nord Stream 2 en raison du danger qu'il représente pour la sécurité et la stabilité énergétiques de l'Europe, "tout en donnant à la Russie un outil supplémentaire pour politiser le secteur de l'énergie" ( https://www.expansion.com/economia/politica/2018/01/27/5a... ).
Les sénateurs américains des deux partis se sont inquiétés en mars 2018, lorsque le gouvernement allemand a approuvé le projet, et ont écrit que "en contournant l'Ukraine, Nord Stream II éliminera l'une des principales raisons pour lesquelles la Russie évite un conflit à grande échelle dans l'est de l'Ukraine, comme le Kremlin le sait bien" (https://www.cfr.org/in-brief/nord-stream-2-germany-captiv... ).
Le transit ukrainien fournissait autrefois 44 % du gaz russe à l'UE, ce qui permettait aux caisses de l'État (de plus en plus corrompu) d'empocher quelque 3 milliards de dollars par mois. Mais avec Nord Stream 2, cela devait changer et le transit par le sous-sol ukrainien devait être encore décuplé. Cela aurait fait perdre à l'Ukraine 3 % de son PIB. L'Ukraine y voyait une atteinte à sa souveraineté, mais aussi à la sécurité énergétique collective de l'Europe dans son ensemble, car le transit du gaz par l'Ukraine dissuade l'agression russe. L'ouverture de Nord Stream 2, qui aurait fait de l'Allemagne la première plaque tournante du gaz en Europe, aurait mis fin à cette situation.
En janvier 2019, l'ambassadeur américain en Allemagne, Richard Grenell, a envoyé une lettre aux entreprises qui construisent le gazoduc, les exhortant à abandonner le projet et les menaçant de sanctions si elles le poursuivent. En décembre de la même année, les sénateurs républicains Ted Cruz et Ron Johnson ont également fait pression sur les entreprises impliquées dans le projet.
Le président du Conseil européen Donald Tusk, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et le ministre britannique des Affaires étrangères de l'époque Boris Johnson ont protesté contre la construction de Nord Stream 2. Tusk a clairement indiqué que le gazoduc n'était pas dans l'intérêt de l'Union européenne. Les fonctionnaires de la Commission européenne ont déclaré que "Nord Stream 2 n'améliore pas la sécurité énergétique [de l'UE]" (https://euobserver.com/world/141584 ).
Nord Stream 2 est quelque chose qui a divisé l'UE. Bien que lorsque Donald Trump était dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le projet ne semblait pas si mauvais, et la France, l'Autriche et l'Allemagne, plus la Commission européenne, ont critiqué les États-Unis (c'est-à-dire l'administration Trump) pour les nouvelles sanctions contre la Russie au sujet du pipeline, se plaignant que les États-Unis menaçaient l'approvisionnement énergétique de l'Europe.
Le chancelier autrichien Christian Kern et le ministre allemand des Affaires étrangères Sigman Gabriel se sont plaints dans une déclaration commune : "L'approvisionnement énergétique de l'Europe est l'affaire de l'Europe, pas celle des États-Unis d'Amérique" (https://www.usnews.com/news/business/articles/2017-06-15/... ). Et ils ajoutent : "Menacer les entreprises d'Allemagne, d'Autriche et d'autres États européens de sanctions sur le marché américain si elles participent ou financent des projets de gaz naturel comme Nord Stream 2 avec la Russie introduit une qualité complètement nouvelle et très négative dans les relations entre l'Europe et les États-Unis" (https://www.politico.eu/article/germany-and-austria-warn-... ). Mais - comme nous le verrons - les politiciens allemands, avec un gouvernement social-démocrate, n'ont pas été aussi audacieux avec l'administration Biden.
Isabelle Kocher, PDG du groupe ENGIE (un groupe local français qui distribue de l'électricité, du gaz naturel, du pétrole et des énergies renouvelables), a critiqué les sanctions américaines et a affirmé qu'elles tentaient de promouvoir le gaz américain en Europe (ce qui est la clé de toute l'affaire). Olaf Scholz, lorsqu'il était ministre des finances dans le gouvernement de coalition dirigé par Merkel, a rejeté les sanctions comme "une intervention sévère dans les affaires intérieures allemandes et européennes". Un porte-parole de l'UE a critiqué "l'imposition de sanctions contre des entreprises de l'UE faisant des affaires légitimes" (https://www.dw.com/en/germany-eu-decry-us-nord-stream-san... ).
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Mass, a déclaré sur Twitter que "la politique énergétique européenne se décide en Europe, pas aux États-Unis". M. Lavrov a affirmé que le Congrès américain "est littéralement submergé par le désir de tout faire pour détruire" les relations avec la Russie (https://www.cnbc.com/2019/12/16/ukraine-and-russia-look-t... ). Toutefois, il convient de noter que l'Allemagne a fortement soutenu les sanctions contre la Russie suite à l'annexion de la Crimée en 2014.
L'Association allemande des entreprises orientales a déclaré dans un communiqué que "les États-Unis veulent vendre leur gaz liquéfié en Europe, pour lequel l'Allemagne construit des terminaux. Si nous arrivons à la conclusion que les sanctions américaines visent à chasser les concurrents du marché européen, notre enthousiasme pour les projets bilatéraux avec les États-Unis se refroidira considérablement" (https://www.dw.com/en/nord-stream-2-gas-pipeline-faces-sa... ).
Le 21 décembre 2019, Trump a signé une loi imposant des sanctions aux entreprises ayant contribué à la construction de l'oléoduc, qui a été interrompue après la signature de Trump, mais reprendrait en décembre 2020, après l'élection de Joe Biden à la présidence. Mais immédiatement, le 1er janvier 2021, un projet de loi annuel sur la politique de défense adopté par le Congrès américain prévoyait des sanctions pour les entreprises travaillant sur le pipeline ou le sécurisant. Le 26 janvier, la Maison Blanche a annoncé que le nouveau président estime également que "Nord Stream 2 est une mauvaise affaire pour l'Europe", et que son administration va donc "revoir" les nouvelles sanctions (https://www.reuters.com/article/us-usa-biden-nord-stream-... ).
Ainsi, le bipartisme au Capitole s'est prononcé contre l'achèvement du gazoduc Nord Stream 2, non pas parce que c'est "une mauvaise affaire pour l'Europe", mais parce que c'est une mauvaise affaire pour les États-Unis. Sur ce point, les "mondialistes" et les "patriotes" sont d'accord.
Le 30 juillet 2020, le secrétaire d'État Mike Pompeo s'est adressé au Sénat en critiquant la construction de Nord Stream 2 : "Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que ce gazoduc ne menace pas l'Europe. Nous voulons que l'Europe dispose de ressources énergétiques réelles, sûres, stables, sûres et non convertibles". C'est comme s'il disait : "Nous ferons tout ce que nous pouvons pour nous assurer que ce pipeline ne menace pas les États-Unis. Nous voulons que l'Europe dispose de ressources énergétiques qu'elle achète aux États-Unis". Il a ajouté que le département d'État et le département du Trésor "ont très clairement indiqué, dans nos conversations avec ceux qui ont des équipes sur place, la menace expresse que représente pour eux la poursuite des travaux d'achèvement du pipeline" (https://www.rferl.org/a/pompeo-u-s-will-do-everything-to-... ).
Le 20 avril 2021, on pouvait lire sur le site Web du Conseil européen des relations étrangères (think tank de Soros) : "Ce serait mauvais pour l'Europe si la pression américaine devait forcer l'annulation du gazoduc et laisser l'Allemagne et les autres États membres dont les entreprises participent à sa construction amers et meurtris. Ce serait également mauvais pour l'Europe si le gazoduc finissait par balayer les réticences de la Pologne et par dépeindre l'Allemagne comme un acteur égoïste qui ne se soucie pas de ses partenaires. L'un ou l'autre résultat affaiblirait également l'alliance transatlantique et, plus ou moins directement, profiterait à Moscou... si Washington arrête le projet, Moscou trouvera une autre raison de rejeter l'Europe comme un acteur politique qui manque de crédibilité. Bien sûr, cela ne doit pas signifier que l'Europe doit sauver Nord Stream 2 juste pour impressionner la Russie. Le raisonnement de l'UE devrait avoir des racines plus profondes que cela". Il s'agit donc d'un "problème de gestion des relations" (https://ecfr.eu/article/the-nord-stream-2-dispute-and-the... ).
Cependant, le 19 mai 2021, le gouvernement américain a levé les sanctions contre Nord Stream AG, mais a imposé des sanctions contre quatre banques russes et cinq sociétés russes. Sergueï Ryabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a salué cette démarche et y a vu "une opportunité pour une transition progressive vers la normalisation de nos liens bilatéraux" (https://www.bbc.com/news/world-us-canada-57180674 ).
Le sénateur républicain Jim Risch a déclaré qu'une telle démarche était "un cadeau à Poutine et ne fera qu'affaiblir les États-Unis" (https://www.reuters.com/business/energy/us-waive-sanction...).
Yurity Vitrenko de Naftogaz (la compagnie pétrolière et gazière d'État ukrainienne) s'opposerait à cette démarche et affirmerait que l'Ukraine fait pression sur les États-Unis pour qu'ils réimposent des sanctions afin d'empêcher l'ouverture du pipeline. Biden prétendrait qu'il a mis fin aux sanctions parce que le pipeline était presque terminé et parce que les sanctions avaient nui aux relations entre les États-Unis et l'Union européenne.
Le président ukrainien, alors inconnu en Occident, Volodymyr Zelensky, s'est dit "surpris et déçu" par la décision de l'administration Biden, qui a également refusé de sanctionner le PDG de Nord Stream AG, Mathias Warning, un allié de Poutine.
Cependant, en juin 2021, la pose des deux lignes de pipelines a été entièrement achevée. Le 20 juillet 2021, Biden et une Angela Merkel sortante ont convenu que les États-Unis pourraient sanctionner la Russie si elle utilisait Nord Stream 2 comme une "arme politique", dans le but d'empêcher la Pologne et l'Ukraine de manquer de gaz russe.
Mme Merkel est une atlantiste avouée et n'était pas exactement enthousiaste à l'égard du projet Nord Stream 2, mais elle ne voyait aucun moyen de faire marche arrière. Pour elle, c'était une situation très délicate.
L'Ukraine obtiendrait un prêt de 50 millions de dollars pour investir dans les technologies vertes jusqu'en 2024, et l'Allemagne créerait un fonds d'un milliard de dollars pour la transition de l'Ukraine vers l'énergie verte, afin de compenser la perte de droits de douane due au fait que tout le gaz russe qui devait passer par le gazoduc Nord Stream 2 ne passerait pas par son sous-sol.
Après cette étrange hésitation, le département d'État américain prendra une décision complète et imposera, en novembre 2021, de nouvelles sanctions financières aux entreprises russes liées à Nord Stream 2.
Le 9 décembre 2021, le Premier ministre polonais Mateusz Marawiecki a fait pression sur le nouveau chancelier allemand, le social-démocrate Olaf Scholz, pour qu'il n'inaugure pas le Nord Stream 2 et ne cède pas à la pression russe, et donc "ne permette pas que le Nord Stream 2 soit utilisé comme un instrument de chantage contre l'Ukraine, comme un instrument de chantage contre la Pologne, comme un instrument de chantage contre l'Union européenne" (https://www.metro.us/polish-pm-tells-germanys/ ).
Après avoir détecté des troupes russes à la frontière orientale de l'Ukraine, le secrétaire d'État Antony Blinken a annoncé de nouvelles sanctions le 23 décembre.
Olaf Scholz serait pressé d'arrêter l'ouverture du pipeline lors du sommet de l'UE. Le 7 février 2022, il rencontrera Biden à la Maison Blanche et, lors de la conférence de presse, il déclarera que les États-Unis et l'Allemagne sont "absolument unis et nous ne prendrons pas de mesures différentes". Nous prendrons les mêmes mesures et elles seront très, très dures pour la Russie et ils doivent le comprendre. Toutes les mesures que nous prendrons, nous les prendrons ensemble. Comme l'a dit le président [Biden], nous nous y préparons. Vous pouvez comprendre et vous pouvez être absolument sûrs que l'Allemagne sera de concert avec tous ses alliés et surtout les États-Unis, que nous prendrons les mêmes mesures. Il n'y aura aucune différence dans cette situation. Je dis à nos amis américains que nous serons unis. Nous agirons ensemble et nous prendrons toutes les mesures nécessaires et toutes les mesures nécessaires que nous prendrons ensemble" (https://edition.cnn.com/2022/02/07/politics/biden-scholz-... ).
On peut voir qu'il ne se plaignait plus de l'intervention des États-Unis "dans les affaires intérieures allemandes et européennes", comme on l'a vu dire lorsqu'il était ministre des finances dans le gouvernement de coalition avec Merkel, alors que Trump était à la Maison Blanche.
Pour sa part, Joe Biden a averti que si la Russie envahit l'Ukraine, avec "des chars et des troupes", comme cela finirait par arriver, "alors il n'y aura plus de Nord Stream 2 : nous y mettrons fin" (https://edition.cnn.com/2022/02/07/politics/biden-scholz-... ).
Face aux menaces de Biden envers la Russie, Scholz a gardé un silence timide, ne disant absolument rien sur l'ingérence flagrante des États-Unis dans les relations économiques de l'Allemagne avec la Russie. Il s'est plié aux diktats de Washington.
Le 15 février, Scholz devait rencontrer Poutine à Moscou, où le dirigeant russe a affirmé que le gazoduc renforcerait la sécurité énergétique européenne et qu'il s'agissait d'une question "purement commerciale" (https://www.reuters.com/business/energy/putin-says-nord-s... ). Comme si l'économie n'était pas une économie-politique et une question géopolitique de la plus haute importance et, comme nous l'avons vu, d'une transcendance vitale.
Scholz a affirmé que les négociations avaient été intenses mais confiantes et a supplié la Russie d'éviter toute interprétation dans le conflit avec l'Ukraine.
Lors de la conférence de presse, Poutine est allé jusqu'à dire : "L'Allemagne est l'un des principaux partenaires de la Russie. Nous nous sommes toujours efforcés de favoriser l'interaction entre nos États. L'Allemagne est le deuxième partenaire commercial extérieur de la Russie, après la Chine. Malgré la situation difficile causée par la pandémie de coronavirus et la volatilité des marchés mondiaux, à la fin de 2021, les échanges mutuels ont augmenté de 36 % et ont atteint près de 57 milliards. Dans les années 1970, nos pays ont mis en œuvre avec succès un projet historique. Il s'appelait "Gaz pour les tuyaux". Et depuis lors, les consommateurs allemands et européens sont approvisionnés en gaz russe de manière fiable et sans interruption. Aujourd'hui, la Russie satisfait plus d'un tiers des besoins de l'Allemagne en matière de transport d'énergie" (https://1prime.ru/exclusive/20220220/836108179.html ).
Le projet "Gaz pour les pipelines" a été possible malgré la guerre froide. Les États-Unis ont tenté d'empêcher la construction du gazoduc Urengoy-Pomary-Uzhgorod et ont également essayé d'empêcher les entrepreneurs allemands de participer au projet, bien qu'il ait finalement été construit en 1982-1984 et officiellement ouvert en France, complétant le système de transport transcontinental de gaz Sibérie occidentale-Europe occidentale qui était en place depuis 1973. Ce gazoduc traverse l'Ukraine, pompant du gaz vers la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. À cette époque, l'URSS n'avait pas la capacité de produire les pipelines nécessaires. Après la construction, d'importantes livraisons de gaz en provenance de Russie ont commencé, depuis le gigantesque champ de Vengoyskoye vers l'Allemagne et d'autres pays européens. Les conséquences d'une telle quantité de gaz ont été le remplacement du charbon américain sur le marché européen, et la RFA a bénéficié d'un énorme élan économique. Nous constatons que les accords gaziers entre la Russie et l'Europe (alors l'URSS) n'ont pas profité aux États-Unis, où ils en prendraient acte.
Scholz a ensuite rencontré Zelensky, accusé d'avoir utilisé le "livre de jeu de Merkel" en évitant les questions sur le gazoduc lors de la conférence de presse qu'il a donnée avec le président ukrainien (https://www.telegraph.co.uk/news/2022/02/14/olaf-scholz-f... ).
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a affirmé que l'avenir du pipeline dépendrait du comportement de la Russie en Ukraine. Le 19 février, elle a déclaré à la Conférence sur la sécurité de Munich que l'Europe ne pouvait pas être aussi dépendante de la Russie pour ses besoins énergétiques (peut-être veut-elle qu'elle soit dépendante des États-Unis, et pas seulement sur le plan énergétique mais aussi sur le plan géopolitique, ce qui est la conséquence logique). "Une Union européenne forte ne peut pas être aussi dépendante d'un fournisseur d'énergie qui menace de déclencher une guerre sur notre continent. Nous pouvons imposer des coûts élevés et des conséquences graves sur les intérêts économiques de Moscou. La pensée bizarre du Kremlin, qui découle directement d'un passé sombre, pourrait coûter à la Russie un avenir prospère. Nous espérons encore que la diplomatie n'a pas dit son dernier mot" (https://www.dw.com/en/natos-jens-stoltenberg-urges-russia... ).
Le 22 février, le lendemain de la reconnaissance par la Russie des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, Olaf Scholz, qui a toujours été favorable au projet mais qui venait de voir Biden (alors qu'il devait rendre visite à Poutine immédiatement après), a suspendu la certification de Nord Stream 2. <...> Il s'agit d'une étape nécessaire pour que la certification du pipeline ne puisse avoir lieu maintenant. Sans cette certification, Nord Stream 2 ne peut être lancé" (https://www.vedomosti.ru/economics/articles/2022/02/22/91... ). La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Berbock, a déclaré aux journalistes que le gouvernement allemand avait "gelé" le projet.
Le 23 février, M. Biden a ordonné des sanctions contre l'exploitant du gazoduc, Nord Stream 2 AG, ainsi que contre des responsables de la société. "Ces mesures sont une autre partie de notre tranche initiale de sanctions en réponse aux actions de la Russie en Ukraine. Comme je l'ai dit clairement, nous n'hésiterons pas à prendre de nouvelles mesures si la Russie poursuit l'escalade." Ces sanctions ont été imposées après des "consultations étroites" entre les gouvernements américain et allemand. Et il a remercié Scholz pour son "étroite coopération et son engagement inébranlable à tenir la Russie responsable de ses actions" ; en d'autres termes, il l'a remercié pour sa soumission aux États-Unis. En reconnaissant les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, Poutine, a déclaré Biden, "a donné au monde une incitation irrésistible à abandonner le gaz russe et à passer à d'autres formes d'énergie" (https://www.rbc.ru/politics/23/02/2022/621684c49a794730b4... ).
Le jour suivant, la Russie commencera une "opération militaire spéciale" en Ukraine. Les États-Unis avaient donc déjà la guerre qu'il leur fallait pour empêcher l'ouverture du gazoduc Nord Stream 2 et la rupture des relations germano-russes ; même si Nord Stream 1 continuerait à transporter du gaz vers l'Allemagne, fonctionnant comme les autres gazoducs approvisionnant l'Europe, dont la Russie empoche quelque 800 millions d'euros par jour, plus 260 millions d'euros pour l'exportation de pétrole.
Le 8 mars, les États-Unis ont interdit toute importation de pétrole et de gaz en provenance de Russie, établissant un record historique pour le prix de l'essence (7 % du pétrole consommé aux États-Unis est russe).
Le 9 mars, le secrétaire de presse du président russe, Dmitry Preskov, a répondu à la sous-secrétaire d'État américaine aux affaires politiques, Victoria Nuland - la femme qui a dit "fuck the EU" (https://www.youtube.com/watch?v=dO80WVMy5E4&ab_channe... ), en déclarant que Nord Stream 2 est "mort et ne sera pas ressuscité" (un jour plus tôt, devant le Congrès américain, elle avait déclaré que le gazoduc n'est qu'"un tas de métal au fond de la mer") - en lui disant que le gazoduc est prêt à être utilisé, en ajoutant que les États-Unis déclarent la guerre économique à la Russie.
Un différend géo-économique et donc géopolitique
Plutôt qu'un projet d'infrastructure dans le pouvoir fédérateur (ou le commerce international) des couches corticales des États concernés, Nord Stream 2 ressemble davantage à un symbole de discorde dans le pouvoir diplomatique, voire militaire, que l'on observe en Ukraine. Il ne fait aucun doute que Nord Stream 2 et tous les gazoducs et oléoducs entraînent des problèmes géopolitiques, car les ressources de base sont intégrées dans les problèmes corticaux de la dialectique des États (l'économie est toujours l'économie-politique ; c'est-à-dire que les deux ne peuvent être compris comme des sphères mégaréales mais comme des concepts conjugués : conceptuellement dissociables, existentiellement inséparables).
Sans aucun doute, comme on l'accuse à juste titre, la Russie utilise sa puissance énergétique comme une arme géopolitique et géostratégique, tout comme les États-Unis. En effet, cette puissance russe est énorme. En additionnant les exportations de pétrole, de gaz et de charbon, la Russie serait le premier exportateur mondial de ces produits.
Si Nord Stream 2 avait été mis en œuvre, les États-Unis auraient perdu leur influence sur l'UE et aussi sur l'Ukraine. Cela rendrait les pays européens, notamment l'Allemagne, encore plus dépendants des ressources énergétiques russes. Certains de ces pays et bien sûr le meneur de la bande, les États-Unis, ont pris position contre la construction de ce pipeline. L'Ukraine est considérée comme l'une des économies les plus touchées si le Nord Stream 2 est mis en service, car une grande quantité de matières premières en provenance de Russie ne passerait plus par son sous-sol (bien que cela affecte également le Belarus, allié plutôt vassal de la Russie).
Les Russes affirment qu'avec Nord Stream 2, le prix du gaz baisserait, car quelque 55 milliards de mètres cubes de gaz seraient transportés par an (plus ou moins la même quantité que Nord Stream 1). Il ne faut pas oublier qu'un peu plus d'un tiers du gaz qui atteint l'Europe provient de Russie.
En Espagne, seulement 10 % du gaz que nous recevons est russe. L'Algérie (alliée historique de la Russie) est notre principal exportateur de gaz (30 % de son gaz finit en Espagne), et le gouvernement de Pedro Sánchez ne fait pas vraiment preuve de tact diplomatique avec ce pays ; il le traite même avec une extrême insouciance, cédant le Sahara au Maroc (abandonnant pour la deuxième fois les pauvres Sahraouis). C'est peut-être la récompense que le sultanat a reçue pour avoir reconnu Israël. Mais puisqu'en Espagne, depuis plusieurs décennies, la politique étrangère est une trahison continue plutôt qu'une politique étrangère ?
Regardez ce que dit le rapport 2019 de l'important groupe de réflexion américain RAND Corporation : "Augmenter la capacité de l'Europe à importer du gaz de fournisseurs autres que la Russie pourrait étirer la Russie sur le plan économique et protéger l'Europe de la coercition énergétique russe. L'Europe avance lentement dans cette direction en construisant des usines de regazéification de gaz naturel liquéfié (GNL). Mais pour être vraiment efficace, cette option nécessiterait que les marchés mondiaux du GNL deviennent plus flexibles qu'ils ne le sont déjà et que le GNL devienne plus compétitif en termes de prix par rapport au gaz russe" (https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html ).
L'Allemagne verrait sa sécurité énergétique menacée si Nord Stream 2 n'est pas mis en service. Et il ne faut pas oublier que ce projet a été construit à l'initiative de Berlin et non de Moscou. Et pourtant, l'Allemagne s'est rangée du côté de l'Ukraine (se pliant ainsi aux diktats de l'empire de Washington).
Mais il faut garder à l'esprit qu'avec Nord Stream 2, la relation entre la Russie et l'Allemagne ne serait pas exclusivement une relation de dépendance de la seconde vis-à-vis de la première, puisque la Russie dépendrait également de l'Allemagne, c'est-à-dire qu'une relation de coopération serait établie, ce que les États-Unis ne veulent pas. Et l'Allemagne distribuerait à son tour le gaz qui arrive de Russie aux autres pays.
Le problème serait que si ce gazoduc commence à pomper du gaz, les États-Unis pourraient alors perdre la vassalité de l'Allemagne et d'autres pays européens. Les États-Unis ont toujours essayé d'empêcher les relations commerciales entre l'Allemagne et la Russie de s'épanouir (comme ils l'ont fait lorsqu'il s'agissait de la RFA et de l'URSS, comme nous l'avons vu).
D'où les plaintes de Biden (ainsi que celles de Trump, et déjà celles d'Obama), car les États-Unis veulent à tout prix empêcher l'ouverture de Nord Stream 2. Ce gazoduc n'aiderait-il pas la Russie à consolider le leadership allemand dans l'UE ? Bien qu'historiquement, malgré Napoléon, la Russie a eu de meilleures relations avec la France. Et les Russes n'oublient certainement pas les deux guerres mondiales, en particulier la Grande Guerre patriotique.
L'Allemagne a fait valoir que Nord Stream 1 n'empêchait pas le Reich d'adopter une ligne dure contre l'expansionnisme russe. Et, élément crucial, que les États-Unis se sont opposés au projet parce qu'ils voulaient vendre davantage de gaz naturel liquéfié sur les marchés européens (cela résume l'intrigue).
Près d'un quart de la consommation énergétique de l'UE est constituée de gaz naturel, dont un tiers provient de Russie, les pays de l'Est étant évidemment plus dépendants de ce gaz. L'UE obtient 40 % de son gaz de la Russie, ainsi que 27 % de son pétrole. Les États-Unis ne reçoivent pas de gaz russe, bien que - comme nous l'avons déjà dit - ils reçoivent 7 % de leur pétrole (qu'ils ont maintenant l'intention de remplacer par du pétrole vénézuélien). Le 25 mars 2022, l'UE a signé un accord dans lequel les États-Unis fourniront 15 milliards de mètres cubes de gaz liquéfié au marché européen cette année. Et entre maintenant et 2030. Mission accomplie : l'Europe courbe la tête devant son serviteur.
Et comment les États-Unis peuvent-ils se permettre de freiner un projet entre deux nations souveraines derrière un chantier pharaonique à des milliers de kilomètres de distance ? Se pourrait-il que l'Allemagne, qui avec la France dirige l'UE, ne soit rien d'autre qu'un vassal des États-Unis, même si elle a maintenant l'intention de se réarmer ? Et si l'axe franco-allemand est un vassal des États-Unis, l'Espagne, l'Espagne délaissée, ne sera-t-elle pas un vassal des vassaux ? Quoi qu'il en soit, les États-Unis se sont comportés envers l'Allemagne comme le gangster extorqueur : celui qui oblige les commerçants sous la menace d'une arme à acheter ses marchandises. Puis, armés d'un visage en diborure de titane, ils appellent cela un "marché libre".
Selon un rapport de la Commission européenne intitulé "EU-US LNG trade", en 2021, le record d'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis vers l'UE a été battu, dépassant les 22 milliards de mètres cubes. En janvier 2022, elle a déjà atteint 4,4 milliards de mètres cubes (si elle continue à ce rythme, elle atteindra plus de 50 milliards). Mais cela ne suffit pas pour les États-Unis. Bien que la Commission européenne soit favorable à ce que les Yankees soient les principaux fournisseurs de gaz naturel sur le marché européen.
Au vu de tout cela, on pourrait dire que les États-Unis ont fomenté une guerre en Ukraine afin de restreindre la coopération économique de l'UE avec la Russie, ce qui va à l'encontre des intérêts de l'Union, qui s'est comportée dans cette crise comme un ensemble d'États vassaux de Washington ; ce qui est le cas depuis longtemps, pratiquement depuis la Seconde Guerre mondiale, sauf que cela apparaît maintenant de manière embarrassante.
Dans une interview avec Jacques Baud, colonel de l'armée suisse, expert en renseignement militaire et député à l'OTAN et à l'ONU, il a déclaré : "Je suis sûr que Poutine ne voulait pas attaquer l'Ukraine, il l'a dit à plusieurs reprises. De toute évidence, les États-Unis ont exercé des pressions pour déclencher la guerre. Les États-Unis ont peu d'intérêt pour l'Ukraine elle-même. Ce qu'ils voulaient, c'était augmenter la pression sur l'Allemagne pour qu'elle ferme Nord Stream II. Ils voulaient que l'Ukraine provoque la Russie, et si la Russie réagissait, Nord Stream II serait gelé" (https://www.lahaine.org/mundo.php/militar-suizo-experto-d... ).
Le Royaume-Uni semble également devoir bénéficier de son statut de pays de "transit" pour l'approvisionnement en gaz naturel de l'Europe, via le gazoduc traversant la Belgique et les Pays-Bas, qui tentera de se sevrer de sa dépendance au gaz russe, comme le prévoit pour cet été le seul opérateur énergétique britannique qui collecte le gaz de la mer du Nord en Norvège : National Grid. Selon le Daily Telegraph, National Grid pense pouvoir exporter environ 5,1 milliards de m3 vers l'Europe cet été. Elle envisage également d'importer du gaz liquéfié des États-Unis au Royaume-Uni pour le transformer en gaz normal et l'exporter en Europe.
En raison de l'opération militaire russe dans la marine des pays de l'OTAN (pas tous) en Ukraine, la non-ouverture de Nord Stream 2 n'a pas divisé les pays européens, comme ce fut le cas en 2003 avec la guerre en Irak, même si le Royaume-Uni a quitté l'UE. Il semble y avoir un consensus anti-russe (la Hongrie anti-sorosienne est peut-être l'exception, quoique de manière ambiguë).
Pour gagner l'alliance de la Russie contre la Chine, ni l'administration Trump (ce qui était son intention) ni l'administration Biden (qui a montré au monde sa russophobie exacerbée, dans la lignée du trilatéraliste-rockefellerien polonais et américain Zbigniew Brzezinski) n'ont su agir avec tact diplomatique. Et ils devraient savoir que les alliances sont aussi importantes que les forces elles-mêmes. C'est pourquoi la Russie a conquis l'allié chinois, mais toujours avec la crainte que ce dernier ne l'absorbe ou ne la trahisse à un moment donné (l'hypocrisie est notre pain quotidien dans les relations internationales).
L'humiliation du président allemand par Zelensky
Pendant des années, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a entretenu une relation cordiale avec Vladimir Poutine, dont il a fait l'éloge en tant que chancelier sous Gerhard Schröder, puis en tant que ministre des affaires étrangères sous Angela Merkel. Et il a également montré son plus grand soutien au projet Nord Stream 2 pendant ces années, jusqu'à juste avant la guerre, ce que, après l'entrée des troupes russes en Ukraine, le chef d'État allemand a admis comme une "erreur manifeste". Une erreur qu'il a entretenue pendant des années, presque une décennie ? Après la diffusion sur Twitter de photos de M. Steinmeier embrassant le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le président a exprimé ses remords. Pour cela, il ne serait pas le bienvenu à Kiev, et a dû annuler sa visite : "Il semble que ma présence ne soit pas souhaitée" (https://www.elmundo.es/internacional/2022/04/12/6255a91f2... ). "Nous n'avons pas réussi à créer une maison européenne commune qui inclut la Russie. Nous n'avons pas réussi à inclure la Russie dans l'architecture de sécurité globale. Nous nous sommes accrochés à des ponts auxquels la Russie ne croyait plus, comme nos partenaires nous en avaient avertis" (https://ria.ru/20220404/evropa-1781787894.html ). Tout cela montre la honteuse servilité de l'Allemagne envers les États-Unis.
L'ambassadeur ukrainien à Berlin, Andriy Melnyk, poursuit en soulignant que l'Allemagne a "trop d'intérêts particuliers" en Russie et que Steinmeier est en grande partie à blâmer, car il a passé des décennies à tisser une toile d'araignée de contacts avec la Russie (tout comme Merkel, avec qui Poutine a parlé en russe et en allemand). "Beaucoup de ceux qui sont maintenant en charge dans la coalition (allemande) sont impliqués dans cette affaire" (https://www.elmundo.es/internacional/2022/04/12/6255a91f2... ).
Le porte-parole adjoint du gouvernement allemand, Wolfgang Büchner, a calmé les esprits en comprenant "la situation exceptionnelle" que traverse l'Ukraine. Il a déclaré que "l'Allemagne a été et est l'un des plus ardents défenseurs de l'Ukraine... et continuera de l'être. Le président a une position claire et sans équivoque en faveur de l'Ukraine" (https://www.elespanol.com/mundo/europa/20220413/zelenski-... ).
Dans le magazine allemand Spiegel, Steinmeier a rappelé qu'en 2001, Poutine avait prononcé un discours en allemand au Bundestag même : "Le Poutine de 2001 n'a rien à voir avec le Poutine de 2022, que nous voyons maintenant comme un fauteur de guerre brutal et retranché" (https://www.elespanol.com/mundo/europa/20220413/zelenski-... ). Et qu'il attendait toujours "un reste de rationalité de la part de Vladimir Poutine" (https://www.spiegel.de/politik/frank-walter-steinmeier-ue... ).
Mais nous avons déjà montré de manière assez puissante dans les pages du Postmodernisme, en réfléchissant contre l'hystérie des politiciens et des journalistes, que Poutine n'est pas fou : https://posmodernia.com/putin-esta-loco/ .
20:22 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, politique internationale, allemagne, russie, ukraine, états-unis, nord stream 2, gazoducs, gaz, gaz naturel, hydrocarbures, mer baltique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 22 avril 2022
Incendie en Europe - Intérêts géopolitiques et défi à l'ordre libéral
Incendie en Europe
Par Andrés Berazategui*
Source: https://nomos.com.ar/2022/04/19/fuego-en-europa/?fbclid=IwAR1-F33Lt9hPuz8XmKAezJvqzASFrI9ihsVdoDidWu4IH2x8f1_TtUa6SkM
Intérêts géopolitiques et défi à l'ordre libéral
Lorsque l'intervention de la Russie en Ukraine a débuté le 24 février, la principale raison invoquée par Vladimir Poutine pour lancer les opérations était le conflit vieux de huit ans au Donbass. Nous ne nous attarderons pas sur les faits, étant donné l'importante couverture médiatique en cours. Depuis quelques années, la situation dans la région semblait se calmer en raison de l'impasse qui a créé une frontière de facto entre les territoires contrôlés par les forces loyales au gouvernement ukrainien et ceux sous le contrôle des insurgés des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Il est donc clair que la décision du président russe de lancer une telle opération ne peut être uniquement liée au conflit dans le Donbass. Le différend entre la Russie et l'Ukraine doit être placé dans un cadre plus large dans lequel nous soulignerons deux aspects: d'une part, des considérations géopolitiques liées aux questions de sécurité et à la lutte pour l'hégémonie en Eurasie; et, d'autre part, un défi plus large où une Russie revigorée remet en question l'ordre international en déclin dirigé par les États-Unis.
La Russie et la géopolitique eurasienne
En stratégie, un "intérêt vital" est défini comme un intérêt pour lequel un acteur est déterminé à faire la guerre afin de le défendre. Dans la politique interétatique, la vie de la population, la possession ou l'accès à des ressources critiques, ou le territoire lui-même peuvent être identifiés comme des facteurs d'intérêt vital pour un État. Les États élaborent des stratégies pour neutraliser les menaces, c'est pourquoi les politiques de sécurité et de défense figurent souvent en bonne place dans les agendas publics. Il n'est pas surprenant que les puissances aient tendance à consacrer d'importantes ressources à cet effet. L'ex-URSS ne faisait pas exception, bien au contraire, et sa désintégration a laissé un grand nombre de conflits potentiels qui pourraient être très problématiques pour son principal État, la Russie d'aujourd'hui. Vladimir Poutine considère que l'effondrement de l'URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle. Il a toutes les raisons de le croire. Mais le plus grave, au vu des événements qui ont suivi cet automne, était la menace que la Russie percevait dans une OTAN avançant vers l'est. Historiquement, le principal défi de la Russie a été de défendre son espace national contre une multitude de voisins actifs et souvent instables. Il n'est donc pas surprenant que l'avancée de l'alliance atlantique ait mis les dirigeants russes mal à l'aise. La raison est classique: aucune puissance ne veut de menaces près de ses frontières. Les Américains toléreraient-ils une alliance militaire chinoise incluant, par exemple, des pays des Caraïbes, le Canada ou même le Mexique ? Comment les États-Unis ont-ils réagi lorsque les Soviétiques ont envoyé des missiles à Cuba ? Pourtant, une Russie encore faible ne pouvait rien faire en 1999 lorsque la première expansion de l'OTAN de l'ère post-soviétique a eu lieu, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne rejoignant l'alliance.
Selon certains analystes, la Russie ne s'inquiétait guère, au début des années 1990, de la capacité de l'OTAN à contenir une Allemagne nouvellement unifiée. Il n'y avait pas non plus de signe public de la volonté de l'OTAN de "marcher vers l'est", sans parler du fait que beaucoup en Russie estimaient que la propagation de la démocratie ne nécessitait pas l'expansion parallèle d'une alliance militaire. Mais plus d'un Occidental a considéré l'élargissement de l'OTAN comme une grave erreur, y compris le stratège George Kennan, celui-là même qui a conçu la politique d'endiguement de l'URSS pendant la guerre froide, dans un article du New York Times d'aujourd'hui intitulé "A fateful error" [1].
Cependant, d'autres voix se sont fait entendre et la géostratégie finalement conçue avait réservé à l'OTAN et à l'Union européenne le rôle fondamental d'être la "tête de pont démocratique" des Etats-Unis sur l'Eurasie, comme le soutenait Zbigniew Brzezinski en 1997 [2]. Il a écrit une stratégie séduisante pour Washington avec une relecture néo-mackinderienne de la géopolitique, car il voyait l'Eurasie comme le principal échiquier dans la lutte pour l'hégémonie mondiale et où il était nécessaire d'opérer sur trois fronts : L'Europe de l'Est, où l'UE et l'OTAN (deux architectures institutionnelles qui allaient de pair) devaient s'étendre; les "Balkans eurasiens", une région qui s'étend de l'est de la Turquie et d'une grande partie de l'Iran à l'Asie centrale, où régnait une grande instabilité qui devait être gérée par la diplomatie et l'équilibre; et enfin l'Extrême-Orient, où une Chine en pleine expansion devait être contenue afin de demeurer uniquement une puissance régionale.
La plus grande crainte de Brzezinski était qu'une alliance anti-hégémonique prenne forme, qui contesterait la suprématie mondiale des Etats-Unis et finirait par chasser les Etats-Unis d'Eurasie. Une telle alliance, selon le stratège, pourrait se faire entre la Russie, la Chine et éventuellement l'Iran. Brzezinski avait des craintes particulières au sujet de la Russie, car son territoire lui permet d'opérer à la fois en Europe et en Extrême-Orient, mais aussi parce qu'elle est une puissance nucléaire.
Les universitaires libéraux ont joué leur rôle dans la politique d'expansion vers l'est de l'UE et de l'OTAN : ils étaient profondément ancrés dans l'idée que les États-Unis étaient destinés à apporter la liberté, la démocratie et la prospérité au monde entier. Le modèle américain de capitalisme et de démocratie avait réussi à résoudre les contradictions de l'histoire, ce n'était donc qu'une question de temps avant que ce modèle puisse être apporté au monde entier. C'est du moins ainsi que Francis Fukuyama l'a formulé, et beaucoup l'ont cru.
Ce n'est pas ce que pensaient les dirigeants russes ou de nombreux autres dirigeants dans le monde. Très tôt, Poutine a clairement indiqué que l'expansion de l'OTAN constituait une menace pour la sécurité de la Russie et il n'était pas disposé à tolérer la présence de membres de l'OTAN parmi les pays voisins. Cependant, la Russie ne pouvait rien faire non plus en 2004, lorsqu'un nouveau cycle d'élargissement est arrivé: cette fois, la Bulgarie, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et pas moins de trois pays voisins, la Lettonie, l'Estonie et la Lituanie (qui jouxte Kaliningrad), ont rejoint l'alliance. Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase est arrivée en avril 2008 lorsque l'OTAN a déclaré sa volonté d'intégrer l'Ukraine et la Géorgie. Comme si cela ne suffisait pas, le mois suivant a vu le lancement officiel du Partenariat oriental, une initiative visant à établir des relations communes avec les pays d'Europe de l'Est sur la base de la promotion de valeurs, d'institutions et d'intérêts communs proclamés entre cette région et l'UE. Suite à une action militaire géorgienne dans deux régions séparatistes, la Russie est intervenue dans la zone et a soutenu les régions d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie contre la Géorgie. Cette intervention russe aurait dû faire comprendre aux Occidentaux ce que Poutine pense de ses voisins qui ont manifesté leur décision de rejoindre l'OTAN.
À l'Ouest, cependant, les politiciens n'ont pas changé de cap et ont soutenu une "révolution colorée" en Ukraine qui a réussi à évincer le président pro-russe Ianoukovitch en 2014, tournant une fois de plus l'Ukraine vers l'Ouest. Le conflit a alors éclaté au Donbass, mais pas seulement là, mais dans presque toutes les régions russophones. Profitant de l'escalade, une Russie déterminée et active s'empare de la péninsule de Crimée. Malgré tout cela, loin de s'orienter vers une politique de négociations qui établirait la fin de la marche de l'OTAN vers l'est et définirait la neutralité de l'Ukraine, cette dernière a insisté sur l'intégration à l'Occident et l'OTAN a déclaré avec insistance que chaque pays pouvait décider de ce qu'il voulait faire. Les événements se sont radicalisés lorsque le Kremlin a pressenti l'intégration imminente de l'Ukraine dans l'alliance et que des missiles seraient déployés sur son territoire.
Le défi de l'ordre libéral international
Aussi important qu'il soit d'analyser la concurrence géopolitique sur l'échiquier eurasien, ce fait à lui seul n'explique pas entièrement les intentions de la Russie, car dans un aspect plus vaste, Vladimir Poutine remet en question l'ordre international libéral dirigé par les États-Unis. Le président russe a critiqué à plusieurs reprises les valeurs incarnées par l'Occident, notamment dans ses discours au Club Valdai. En outre, le défi est même logique, étant donné que la Russie, en tant qu'État revigoré, vise à revenir au pouvoir en proposant ouvertement la fin de l'ordre international actuel pour donner naissance à un ordre qui lui serait plus favorable. Poutine souhaite qu'un tel ordre lui permette d'avoir son mot à dire sur les questions importantes de politique internationale, en particulier les questions de sécurité. En outre, le Kremlin ne souhaite pas simplement adapter les changements à l'ordre international actuel, mais les dirigeants russes veulent en construire un qui tienne compte des nouvelles réalités de la répartition mondiale du pouvoir. Au fil du temps, il semble devenir évident que le monde évolue vers la multipolarité. Un commentaire sur ce point. La polarité du système international est donnée par sa structure, c'est-à-dire par la forme que prend le système international. C'est-à-dire que même si le système international est toujours un et le même, il peut prendre différentes formes en fonction des différentes répartitions des capacités matérielles: avec une seule puissance hégémonique, il sera unipolaire; avec deux puissances, bipolaire; avec trois puissances ou plus, multipolaire...
Cependant, après la fin de la bipolarité et la chute de l'URSS, le "moment unipolaire" est né lorsque les États-Unis sont devenus la seule superpuissance. Ainsi, ce pays s'est consacré à étendre ses propres valeurs et institutions au monde entier, dans ce qui semblait être le triomphe du libéralisme à l'échelle mondiale. C'est dans ce contexte de triomphalisme qu'est née la théorie de la paix démocratique, une théorie qui affirme que les démocraties ne se font pas la guerre, de sorte que le modèle démocratique et capitaliste occidental devait être élargi afin de parvenir à la paix internationale. Et cette expansion de la démocratie libérale était positive pour les États-Unis pour deux raisons. D'une part, s'il est vrai que les démocraties ne se font pas la guerre, quelle meilleure contribution à la paix internationale que de faire de tous les États des pays démocratiques ? Mais d'un autre côté, étant un ordre pacificateur, il a été interprété que les Américains eux-mêmes seraient plus en sécurité chez eux, puisqu'ils ne seraient pas "forcés" de s'impliquer à l'étranger et pourraient s'occuper de leur propre politique intérieure. Les libéraux américains des années 1990 ont défendu l'expansionnisme de leur propre modèle d'ordre, identifiant l'intérêt international pour la paix à leur propre intérêt national. Il se trouve que les puissances ont tendance à rechercher des ordres internationaux qui leur profitent, et ces ordres naissent comme une expression de la façon dont chaque peuple conçoit la réalité. C'est-à-dire que de chaque esprit national naît une vision du monde à partir de laquelle est projetée une manière de comprendre comment le monde devrait être ; appliquée à la politique internationale, c'est le substrat sur lequel sont conçus les ordres internationaux, et ce sont les puissances qui ont la volonté et les capacités matérielles de les construire et de les maintenir.
Mais les Russes n'ont pas la même vision du monde que les Américains. L'ordre international actuel repose sur une philosophie libérale, une philosophie qui considère l'individu comme l'alpha et l'oméga de tout ordre social. Fondée sur une confiance aveugle dans le pouvoir de la raison, cette philosophie part du principe que, tôt ou tard, toute l'humanité atteindra le même objectif dans le futur; le progrès est inéluctable. Mais alors que le progrès avance, il est évident que les individus ont des religions, des idées ou des intérêts différents, alors comment résoudre le problème de la coexistence tout en atteignant le but final de l'histoire? Avec un contrat né de volontés libres, rationnelles et suffisamment informées. C'est ainsi que sont nés le contractualisme, la pensée "sociétale" et les régimes démocratiques modernes. Transposez ce même raisonnement à la politique interétatique et vous obtenez l'ordre libéral international, un ordre fondé sur la promotion des droits de l'homme, de la libre économie et de la démocratie.
Bien sûr, le créateur, le soutien et le garant de cet ordre était et est toujours les États-Unis, qui ont leur propre façon de comprendre ces facteurs. Ainsi, avec l'ascension des États-Unis au sommet de la puissance mondiale, les droits de l'homme sont interprétés de manière individualiste, en prenant pour acquis l'existence d'atomes rationnels et libres guidés par l'intérêt personnel. L'économie de marché implique la déréglementation, la limitation de l'interventionnisme de l'État et la recherche acharnée du profit. Enfin, la démocratie se comprend non pas en termes de "volonté du peuple", mais dans l'articulation d'un système de contrepoids entre des pouvoirs équivalents, avec un système politique dont la représentation est monopolisée par les partis politiques et où l'alternance dans l'exercice du pouvoir est recherchée. Pour les États-Unis, toutes ces choses étaient positives lorsqu'ils ont décidé de les étendre dans les années 1990, car lorsqu'elles sont appliquées à la politique internationale, elles créent "un monde basé sur des règles". Mais bien sûr, les organisations et les institutions qui étaient censées faire respecter ces règles ont été largement créées et façonnées par les États-Unis eux-mêmes... il en a été de même pour l'ONU, le FMI, l'OMS, l'OTAN et ainsi de suite.
C'est cette situation que la Russie conteste et veut changer. Ses valeurs ne conçoivent pas les individus repliés sur eux-mêmes en marge de la vie collective, ni l'État comme un acteur secondaire de l'économie. Et quelle valeur peut avoir la démocratie de type occidental dans la tradition autocratique de la Russie ? Il est inacceptable pour le Kremlin de continuer à participer à un monde fondé sur l'expansion d'un ordre qui, selon lui, ne les représente pas adéquatement. C'est pourquoi nous affirmons que l'Ukraine ne concerne pas seulement le sort des territoires. Il est certain que la géopolitique est la première clé pour comprendre les intérêts de l'État russe. Mais le point principal à noter est le défi lancé par Vladimir Poutine à l'ordre libéral international.
Une perspective américaine
L'Argentine doit calibrer ses décisions de politique étrangère à la lumière des deux aspects que nous avons évoqués : le retour de la politique de puissance entre les puissances, avec son cortège de tensions géopolitiques, et l'évolution vers un nouvel ordre international qui est en cours. Avant d'analyser l'impact de ces réalités, disons quelques mots sur la construction du pouvoir national. Quel que soit le scénario qui se dessine, notre pays doit profiter des tensions et des réalignements internationaux à venir pour renforcer sa puissance nationale et accroître sa liberté d'action. La question est simple: peu de pouvoir, peu d'options; trop de pouvoir, trop d'options. Tous les scénarios sont mauvais pour un État faible. Et la puissance nationale se construit en renforçant des attributs matériels tels que le territoire, la population, l'économie ou la capacité militaire; mais aussi en renforçant des attributs immatériels tels que la volonté nationale, l'éducation de la société, la qualité des institutions ou la professionnalisation des élites dirigeantes. Vient ensuite, bien sûr, la capacité de ceux qui dirigent un État à traduire ce pouvoir en stratégies efficaces et efficientes pour atteindre les objectifs nationaux.
Passons maintenant aux deux questions prioritaires que nous avons identifiées. En ce qui concerne les tensions géopolitiques actuelles, un point est évident, mais mérite d'être souligné: l'échiquier fondamental de la compétition entre les puissances continuera d'être l'Eurasie, et notre pays et l'Amérique du Sud n'y sont pas. Les pays de notre région (et nous faisons expressément référence à l'Amérique du Sud) devraient avoir une politique cohérente et unifiée par rapport à ce scénario. Il est encore plus important de comprendre que l'Argentine ne doit pas adopter une stratégie d'alignement automatique sur l'un des acteurs du conflit. Il n'y a aucune raison de s'impliquer en "prenant parti" définitivement pour l'un ou l'autre des concurrents, car leurs principaux intérêts stratégiques se situent précisément là-bas en Eurasie, et non ici en Amérique du Sud. Par conséquent, il peut être commode pour eux de nous avoir comme alliés aujourd'hui, mais pas demain.
Un autre point, en rapport avec la concurrence sur l'échiquier eurasien, est qu'il n'est pas dans l'intérêt des États de notre région qu'une alliance anti-hégémonique expulse définitivement les États-Unis d'Eurasie, si cela peut se produire un jour. Une puissance nord-américaine expulsée du plateau de jeu principal (ou dont l'influence serait réduite à un niveau secondaire) se retirerait du grand continent eurasien, réévaluerait le concept de l'hémisphère occidental et tournerait ses principales ressources diplomatiques et militaires vers notre région ; dans cette nouvelle réorganisation, les États-Unis chercheraient à créer une nouvelle architecture de sécurité hémisphérique afin de protéger leurs intérêts et nos gouvernements seraient certainement confrontés à une pression encore plus forte de la part des États-Unis. Le meilleur scénario, pour les pays de notre Amérique, est celui d'une Amérique retirée de notre région, constamment et principalement impliquée dans l'Eurasie luttant pour l'hégémonie contre d'autres puissances.
En ce qui concerne l'émergence potentielle d'un nouvel ordre international, le fait que la Russie - ou toute autre puissance - défie les États-Unis est en soi une bonne nouvelle. Pour l'Argentine et les pays de notre région, les politiques interventionnistes américaines ont presque toujours laissé de mauvais souvenirs et, dans notre cas, seulement de mauvaises nouvelles. Nous n'avons pas bénéficié de l'alignement automatique dans les années 1990, bien au contraire. Et les architectures sécuritaires et économiques que les États-Unis ont créées, telles que la TIAR, le FMI, la BM, par exemple, ont été inefficaces ou ont rendu notre situation bien pire. Un ordre international dans lequel il y a plus d'acteurs importants sera plus positif pour des pays comme l'Argentine, car il y aura plus d'alternatives pour rassembler des intérêts ou chercher des ressources. Tout cela tient également compte du fait que la Russie tient tête à l'OTAN, une alliance militaire dont l'un des membres usurpe une partie de notre territoire, ce qui devrait faire réfléchir les politiciens argentins sur la manière de planifier la diplomatie et la défense nationale en ce qui concerne l'Atlantique Sud.
Mettons tout de suite les choses au clair : les États-Unis pensent aussi à l'évolution vers un monde multipolaire [3]. À Washington, on accepte de plus en plus le déclin des États-Unis en tant que puissance hégémonique, qui est perçu comme le produit d'une nouvelle répartition des capacités au niveau mondial. Il faut donc comprendre que nous ne sommes pas face à une compétition entre des Etats-Unis qui veulent revenir à l'unipolarité et une Russie ou une Chine qui promeuvent la multipolarité : nous sommes en présence de différentes manières de vouloir organiser un système international avec plus d'une puissance dans un futur proche; il se peut même qu'à long terme il n'y en ait que deux. On ne sait pas encore exactement à quoi ressemblera la nouvelle répartition du pouvoir.
Maintenant, pour revenir à notre pays et à notre région: nous devons construire une puissance nationale qui soit également orientée vers l'intégration avec le reste des pays d'Amérique du Sud. Le grand espace sud-américain doit devenir un acteur significatif reconnu et qui obtient une représentation adéquate et équitable dans l'ordre international à venir. En ce qui concerne la lutte qui se déroule en Eurasie, il convient d'élaborer des stratégies visant à tirer le meilleur parti de la marge de manœuvre qui subsiste toujours dans la politique internationale lorsqu'il y a plus d'une puissance. Lorsqu'il n'y a qu'une seule puissance hégémonique, comme ce fut le cas dans les années 1990, les options de politique étrangère sont considérablement réduites. Pour un pays comme l'Argentine, un monde multipolaire est en soi plus bénéfique qu'un monde unipolaire. Non pas parce qu'un système international avec plusieurs "pôles" est plus juste et plus pacifique qu'un système avec une seule puissance au sommet du pouvoir ; en effet, un monde multipolaire est peut-être plus instable et insécurisé, précisément parce que c'est un monde avec plusieurs acteurs concurrents. Non seulement cela, mais sous cette compétition, il y aurait une multiplicité d'États qui se disputeraient l'avantage. C'est pourquoi, pour notre pays, la neutralité active est la meilleure solution : une position qui évite de s'aligner automatiquement et en permanence sur un seul acteur, mais qui cherche activement à maximiser le pouvoir et à obtenir des ressources en profitant des tensions entre les grandes puissances. C'est un monde en transition où plusieurs alternatives vont émerger. Il s'agit d'en tirer parti.
*Andrés Berazategui, membre de Nomos, est titulaire d'une licence en relations internationales de l'Universidad Argentina John F. Kennedy, et d'un master en stratégie et géopolitique de l'Escuela Superior de Guerra del Ejército (ESGE).
Notes:
[1] Voir George Kennan, "A fateful error", dans The New York Times, 5 février 1997.
[2] Dans son livre The Great World Chessboard. La supremacía estadounidense y sus imperativos geoestratégicos, Paidem
Impératifs géostratégiques, Paidós, Barcelone, 1998.
[3] Voir, par exemple, l'article "Le nouveau concert des puissances. Comment prévenir les catastrophes et promouvoir la stabilité dans un monde multipolaire", publié le 23 mars 2021 dans Foreign Affairs, par Richard N. Haass et Charles A. Kupchan. Haass est président du Council on Foreign Relations.
17:01 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique, relations internationales, politique internationale, argentine, amérique latine, amérique du sud, amérique ibérique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 21 avril 2022
Le brouillard de la guerre et le changement de paradigme mondial
Le brouillard de la guerre et le changement de paradigme mondial
Fabio Reis Vianna*
Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/37413-la-niebla-de-la-guerra-y-el-cambio-de-paradigma-global
La maxime du penseur brésilien José Luís Fiori selon laquelle "l'expansionnisme et la guerre sont deux parties essentielles de la machine à produire du pouvoir et de la richesse dans le système interétatique" n'a peut-être jamais été aussi pertinente et semble se confirmer dans le moment historique exact auquel nous assistons.
Les événements extraordinaires résultant de l'intervention russe en Ukraine, qui a débuté le 24 février, laissent des traces indélébiles et confirment certaines des perceptions que nous avons déjà mentionnées dans d'autres de nos articles.
L'ordre international dirigé par l'Occident est clairement remis en question dans sa hiérarchie de pouvoir, et la guerre en Ukraine est un symptôme clair de ce défi.
Ce qui est vraiment frappant, cependant, c'est la perception que cette guerre pointe vers quelque chose de beaucoup plus grand qu'il n'y paraît à première vue, car il ne s'agirait pas d'une guerre régionale, mais d'une guerre aux proportions mondiales: une guerre hégémonique.
Le changement de paradigme représenté par l'intervention de la Russie en Ukraine consolide ainsi la voie d'un nouveau système international plus fragmenté, dans lequel la puissance occidentale est affaiblie. Dans ce scénario, les plaques tectoniques du système international se déplacent lentement face au monde nouveau et sans précédent qui s'ouvre.
Par conséquent, qu'on le veuille ou non, les élites de pays comme le Brésil, si inféodées à la stratégie de sécurité américaine, sont poussées vers une solution consensuelle en direction de l'expérience eurasienne par le biais des BRICS. Ainsi, les militaires brésiliens, si réactionnaires et obéissants à Washington, sont confrontés à un nouveau monde, apparemment déjà compris par la tradition diplomatique de l'"Itamaraty"(palais du ministère des affaires étrangères au Brésil - photo, ci-dessous), et même par le puissant lobby brésilien de l'agrobusiness.
Le palais d'Itamaraty à Brasilia, oeuvre de l'architecte Oscar Niedermeyer.
A l'inverse, l'aveuglement des élites européennes provoque la stupeur en alimentant un jeu qui plonge l'Europe dans ce qu'elle a toujours été: la grande arène de la compétition militaire interétatique depuis 500 ans.
Par conséquent, en tenant compte de cette terrible prémisse, l'armistice qui a rendu possible la création de l'Union européenne, ainsi que la monnaie commune, n'aurait été qu'un simple interrègne de paix, jusqu'à la prochaine guerre.
Reprenant sa place tragique dans le système international classique, l'Europe est à nouveau la scène du vieux théâtre de la mort, et la maxime selon laquelle "la paix est presque toujours une trêve qui dure le temps imposé par la contrainte expansive des vainqueurs et le besoin de vengeance des perdants" n'a jamais été aussi appropriée.
Dans ce contexte, l'humiliation allemande suite au veto américain à l'encontre du gazoduc Nord Stream 2 est paradigmatique. Le 7 février, en pleine Maison Blanche, et avant même l'intervention russe en Ukraine, Joe Biden désavoue publiquement le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz, en déclarant catégoriquement que le gazoduc Nord Stream 2 sera arrêté.
Cela pourrait être considéré comme le déclencheur de l'intervention russe et l'ouverture de la boîte de Pandore pour le nouveau monde qui s'ouvre. En plus de représenter, en termes symboliques, l'humiliation de l'Allemagne en tant que pays souverain, il consolide le "coup d'État" définitif dans le projet d'intégration européenne.
Le président ukrainien Vladimir Zelensky étant une sorte de porte-parole d'un scénario écrit à Washington - ou, qui sait, à Hollywood - les attaques répétées contre les dirigeants européens qui ont travaillé si dur pour normaliser les relations russo-européennes, comme la récente attaque contre l'ancienne chancelière Angela Merkel, indiquent que les instruments de la guerre de quatrième génération, déjà utilisés par les États-Unis dans d'autres régions de la planète, s'intensifient au sein de l'alliance occidentale.
Non seulement le maintien, mais l'approfondissement de la reproduction et de l'expansion continues et illimitées de l'empire militaire américain est une réalité qui est devenue encore plus claire après l'entrée du premier char russe sur le territoire ukrainien, quitte à déstabiliser, voire à détruire des alliés fidèles et de longue date.
En ce sens, le vieux postulat soutenu par de nombreux spécialistes de l'école "réaliste" des relations internationales, ainsi que par les grands penseurs du Système mondial, selon lequel la concentration du pouvoir mondial dans un seul État serait une condition essentielle à une paix mondiale durable, tombe à l'eau.
Le "Paradoxe de l'hyperpuissance" est confirmé comme une gifle au visage de l'énorme consensus théorique développé depuis le milieu des années 1970.
En d'autres termes, depuis la première minute du bombardement américain de l'Irak en 1991, qui a précédé les 48 interventions militaires des années 1990, et les 24 interventions des deux premières décennies du XXIe siècle, qui ont à leur tour abouti à 100.000 bombardements dans le monde - le système international est plongé dans un sinistre processus de guerre permanente, ou infinie, qui contredit l'utopie kantienne de la paix perpétuelle reflétée dans l'idée de stabilité hégémonique.
Ainsi, c'était une erreur de considérer que la puissance mondiale unipolaire qui a émergé avec la victoire de la guerre froide pouvait exercer son hégémonie au nom de la paix et de la stabilité mondiale, assumant ainsi un leadership responsable et au nom de la grande gouvernance.
Au lieu de cela, ce à quoi nous avons assisté au cours des 30 dernières années, c'est à l'escalade de la concurrence interétatique, les autres États réagissant au processus insensé et sans conséquence d'expansion du pouvoir de l'empire militaire américain.
En conséquence, nous sommes confrontés à un monde qui semblait n'appartenir qu'aux livres d'histoire ; où les intérêts nationaux des grandes puissances reviennent avec la force que, finalement, ils n'ont jamais cessé d'avoir, mais qui est seulement restée en sommeil.
Cette nouvelle (ancienne) géopolitique des nations laisse donc sa marque la plus nette avec ce que la Russie impose dans son intervention en Ukraine: la remise en cause du primat selon lequel seuls les Occidentaux ont la légitimité d'imposer leur volonté par la guerre.
C'est la nouveauté qui ébranle les structures du système international.
Face à cette guerre imminente aux proportions mondiales, résultant de la défiance russe et de l'intensification de la course aux armements - avec le retour alarmant de l'Allemagne et du Japon dans le jeu - nous nous dirigeons inexorablement vers une aggravation du chaos systémique interétatique, ainsi que vers l'escalade du conflit social systémique, notamment en Europe.
Comme à d'autres moments de l'histoire du système mondial, l'Europe est à nouveau le centre névralgique de la lutte mondiale pour le pouvoir. Et comme dans d'autres moments tragiques de l'histoire, le comportement des dirigeants européens est une fois de plus irrationnel; au milieu d'un jeu à somme négative. Les Européens sont largement perdants.
* LL.B., étudiant en master de relations internationales à l'Université d'Évora (Portugal), écrivain et analyste géopolitique.
19:24 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, affaires européennes, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 19 avril 2022
La Russie, les Etats-Unis et la Chine dans une conjoncture de conflit. Quels sont les objectifs prioritaires de la "nouvelle guerre froide"?
La Russie, les Etats-Unis et la Chine dans une conjoncture de conflit. Quels sont les objectifs prioritaires de la "nouvelle guerre froide"?
Puisque la politique internationale a été tenue depuis toujours comme politique de puissance, Macht-Politik dans la culture allemande et Power politics dans le monde anglo-saxon, la conversion idéaliste des Etats en porteurs d'avenirs pacifiés n'a concerné que l'Europe post-moderne, héritière du droit des gens, des empires universels du passé et du cosmopolitisme des élites intellectuelles des XVIIIème et XIXème siècles.
La morphologie triadique du système multipolaire actuel distingue toujours entre objectifs historiques et objectifs éternels et accorde à la géopolitique et à dialectique de l'antagonisme la tâche de distinguer entre types de paix et types de guerres. En fonction des rôles joués par les grands acteurs historiques nous passerons en revue - et à des seules finalités de connaissance,- les différents types de paix, car ils déterminent non seulement les types de guerre, mais également les stratégies générales des acteurs majeurs du système.
Pour l'Europe l’Idéal-type de paix dans un système planétaire est une paix d'équilibre entre l'Amérique et la Russie, puisque le continent est situé à la jonction du Rimland et du Heartland, entre la terre centrale et la grande île du monde ; pour la Russie une paix d'empire, fédératrice de plusieurs peuples, de plusieurs terres et de multiples confessions religieuses. Une paix d'Hégémonie est celle qui convient au choix de l'Amérique, vouée, par sa mission universelle, à exercer son pouvoir sur les trois Océans, Indien, Pacifique et Atlantique, en respectant la souveraineté des pays de la bordure des terres. Pour l'Empire du milieu, le mandat du ciel situe le meilleur type de paix entre une architecture régionale équilibrée et une vision planétaire à long terme, déterminée en partie par sa position géopolitique et en partie par la rivalité qui découle de sa culture et du système mondial des forces. Quant à la crise ukrainienne et à son issue, la superposition de trois types d'hostilité et donc d'insécurité alimentera un conflit de longue durée. S'y entremêlent de manière contrastée:
- Une hostilité/insécurité de la Russie vis-à-vis l'Otan et des Etats-Unis.
- Une inimitié de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie. Une ambiguïté de la Chine quant à la pression américaine sur les sanctions occidentales, concernant l'économie russe et ses conséquences et ces incertitudes influent sur le dilemme de fond de notre époque, "affrontement ou condominium" sino-américain, auquel est subordonnée la paix mondiale.
Dans cette conjoncture de changement, le continent européen, sans hauteur symbolique et historique devient le reflet du type d'ordre qui règne dans le monde selon la formule d'une "Nouvelle guerre froide", contestée par certains (G. H. Soutou).
Les objectifs prioritaires de la "Guerre Froide" de l'âge de la bipolarité. Une approche comparée
Le conflit entre les deux blocs de l'époque de la bipolarité n'était qu'un aspect du processus de transformation et de passage du capitalisme au socialisme, qui se voulait révolutionnaire. Il conjuguait tous les aspects de la vie collective des peuples et des nations et excluait des accords durables comme celui d'une coexistence pacifique entre les deux systèmes. Tout devait se passer suivant le primat du conflit et guère de la paix, selon les lois inexorables et objectives de l'histoire.
Cependant l’objectif stratégique de l'Occident, selon un courant de pensée américain offensif, représenté par Robert Strausz-Hupé, William R. Kintner et Stefan T. Possony et exposé dans le livre "A forward strategy for America", devait exiger comme "objectif prioritaire, la préservation et la consolidation de notre système politique, plutôt que le maintien de la paix". Selon ce courant, la survie du régime politique des Etats-Unis, n'autorisait "d'autre choix qu'une stratégie à la Caton": "Carthago delenda est !". La coexistence de deux empires rivaux était conçue comme une cause d'instabilité profonde, qui devait déboucher fatalement sur une guerre inexpiable. La situation multipolaire d'aujourd'hui est-elle comparable à celle de l'époque? Change-t-elle sur le fond, à l'essence de la rivalité et à la structure de l'hostilité déclarée? La précarité apportée à la sécurité de la Russie est-elle le premier pas d'une stratégie générale d'élimination d'un adversaire, pour qu'il ne s'allie au troisième, en vue d'un guerre totale, difficile à gagner ?
Le triple rôle de la Russie, national, eurasien et mondial
La rivalité est-elle compatible avec la paix, indépendamment du rôle historique d'un acteur de l'importance de la Russie ? Cet immense pays remplit aujourd'hui un triple rôle, national ou de régime, régional ou eurasien, et mondial ou de système. En fonction du premier, il constitue un modèle spécifique d'autocratie, porteuse d'une Weltanchauung anti-occidentale, qui doit résoudre en permanence le problème de la légitimité du pouvoir et du consensus des opinions; en rapport au deuxième, un facteur de stabilité et d'équilibre en Eurasie, convoité par le grand Turc. Par référence au système planétaire, un type d'ordre, de meneur du jeu et de leadership, qui apparaît indispensable contre l'entreprise multipolaire et désagrégeante de l'hégémonie américaine. Sur sa face européenne la menace d'une alliance germano-russe ferait de Moscou une candidate moderne à l'empire universel, ôtant la liberté des pays d'Europe centrale; sur l'échiquier de la jonction du Rimland planétaire et du Heartand continental, la Turquie et l'Iran se disputeraient le rôle d'alliés privilégiés pour un condominium, excluant l'hégémon de la terre centrale et agrégeant l'Inde à une entreprise de long terme. Et, dans la profondeur des espaces et du temps, vers les bordures des deux océans, indien et pacifique, la Russie se joindrait à l'Empire du milieu pour donner vie à une civilisation renouvelée et non décadente s'imposant sur la multiplicité des centres asiatiques de décision. Ce rôle de la Russie est à la fois ambivalent, entrainant et dangereux, pour l'Est et pour l’Ouest. Pour l'ensemble des menaces actuelles, politiques, idéologiques et militaires, la stratégie de Caton, définie dans les années soixante, demeure-t-elle toujours valable. "Carthago delenda est!". L'Occident et l'Otan recommandent l'asphyxie de l’économie russe, en pratiquant au même temps la stratégie de la provocation, de l'usure et de l'escalade militaire.
Se faire justice soi même
Puisque la théorie des relations internationales part de l'idée que chaque unité politique a le droit, en dernier recours, de se faire justice d'elle -même, l'enjeu de la décision finale sur la paix et la guerre est défini par le Chef de l'Etat- Chef de guerre. Comment les opérations militaires engagées sur le terrain des combats, peuvent-elles être reconduite à la logique de la négociation et du compromis? Et, faute d'univocité et d'objectifs communs, qui peut jouer, à une échelle diplomatique, le rôle du médiateur et de l’arbitre?
Qui peut juger enfin de la pertinence et satisfaction des objectifs atteints? La stratégie du Blitz initial imputée au Chef d'Etat-Chef de guerre du pouvoir perturbateur part du principe de la primauté du système interétatique, ce qui exclut la prédominance explicative du facteur économique. En effet la guerre d'Ukraine est une guerre politique et pas une guerre personnelle, d'homme à homme, soumise à l'idée d’une punition ou d'un crime.
Le système interétatique est un système dans lequel s'intègrent les Etats, dont aucun n'est soumis à un pouvoir central de contrôle et qui s'organise autour du principe de survie. En ce sens le recours à des fictions comme celles de la paix par la morale ou de la paix par le droit, voilent les relations d'inimitié, idéologiques ou géopolitiques. A ce propos, le changement de stratégie opérationnelle pratiquée par l'Etat major russe, après l'attaque initiale et le siège des métropoles, a été de consolider l'emprise sur la mer d'Azov et de lier plus étroitement la Russie à la Crimée, soustrayant celle-ci et l'intégralité de la Mer Noire, au contrôle de l'Otan. Par ailleurs et à propos de la conduite de terrain, tactique ou stratégique, le principe de solidarité des Etats-nucléaires face au risque paroxystique de l'atome, se fonde sur le principe du concept "d'acteur rationnel" et exclut toute notion d'effets pervers, par vice mental ou par égarement de la raison, qui constitue un des sujets de prédilection de la communication psycho-politique occidentale.
Inimitié et hostilité
Or, l'enjeu du conflit ukrainien, de nature géopolitique et sécuritaire, oppose deux frères-ennemis, qui ont beaucoup de choses en commun (ethnie, religion, histoire) et appartiennent à une même zone de civilisation, se réclamant des mêmes principes, poursuivis alternativement par le dialogue ou par le combat. Le dialogue a donné lieu à l'intérieur de l'aire culturelle de l'ancienne Byzance à l'antithèse classique de l'Etat et de l'Eglise sous la forme du césaro-papisme, come subordination du pouvoir idéologico-religieux au pouvoir étatique et à l'hybridation bicéphale de la souveraineté encore effective sous le régime soviétique. Le combat a marqué la division de l'Ukraine en deux zones culturelles, lors de la deuxième guerre mondiale, exploitées intensément par les médias mainstream et par leurs efforts de propagande.
Persuasion et subversion à l'heure du conflit ukrainien
L'effort constamment entretenu pour dresser les opinions contre leurs élites, (oligarques à l'Est, et anti-souverainistes à l'Ouest), désigne un mode d'action qui a pour but une conversion des esprits au profit de la cause défendue par l'un ou l'autre des deux belligérants. En l'absence d'un objectif commun d'ordre et de stabilité, visant à délimiter des zones d'influence légitimes, la mobilisation mondiale autour du conflit, acquiert la signification d'un choix entre globalisme occidental et souverainisme oriental (Russie et Chine) et cette signification a pour origine l'hétérogénéité des intérêts et des cultures des deux camps, démocratique en Occident et autocratique en Eurasie. L'objet de dispute demeure cependant la sécurité, et, en amont, la préservation d'une certaine conception de l'aire civilisationnelle, de la société et de ses mœurs. La propagande forcée du temps de la bipolarité est devenue guerre de l'information, brouillard de Fake news et théâtre de cyberwars. L'un et l'autre camps considèrent cette propagande comme une entreprise de subversion et tiennent la sienne propre pour persuasion.
Homogénéité et hétérogénéité des deux camps
Du point de vue des régimes constitutionnels pluralistes, l'hétérogénéité des structures politiques et sociales des pays de l'Ouest, favorise la liberté d'expression et la compétition des idées, tandis que l'homogénéité organisée, entretenue par les régimes autocratiques, de Russie ou de Chine, décourage la critique ou l'opposition et la propagande apparaît comme l'une des armes de l'arsenal politique du pouvoir en place. Les campagnes multiples contre les maux de la société post-moderne, par lesquels les opposants aux régimes occidentaux, s'efforcent de gagner des adeptes, sont amplifiés par une militance plus au moins déguisée, mais présentés comme des infiltrations intellectuelles du camp d'en face. Cette infiltration ne réussit pas à éliminer l'engagement du camp adverse, se situant entre le pouvoir et le peuple.
Dans le cadre du conflit ukrainien ces infiltrations sont emphatisées ou suscitées de toute pièce pour dénigrer le régime adverse. Ainsi les trois voix de la Triade (Chine, Occident et Russie), sont différemment audibles, car elles sont différemment ostracisées et l'adhésion intellectuelle et morale aux régimes du Heartland (Chine, Russie et Iran), ou du Rimland (Amérique, Europe, Grande Bretagne et Indopacifique ), est exaspérée et poussée aux extrêmes par la dialectique de la subversion et de la persuasion des deux camps, qui se rejettent réciproquement l'accusation d'agresseurs, de dangers publics et de criminels de guerre. Chacun des deux justifie son combat au nom de deux conceptions de la géopolitique actuelle qui oppose l'eurasisme au globalisme et donc le souverainisme du premier à l'individualisme démocratique du deuxième. Or, si , dans ce dialogue péremptoire et confus, la persuasion consiste à convaincre, la subversion et le langage de la passion attisent la flamme du mécontentement et incitent à la rébellion et à la révolte. Cependant la subversion suppose l'existence d'agents dormants et de structures opérationnelles, aptes à la transformation du mécontentement en rébellion et de la rébellion en révolte, puis, de celle-ci en révolution, de couleur ou pas et, à l'extrême en coup d'Etat de Palais A ce point, ce qui est décisif, ce sont la prise de pouvoir et le changement de régime, effectués grâce aux alliances militaires, supportées de l'extérieur par le pouvoir en place.
Les Etats-Unis et le "Regime change"
Une des finalités de l'action politique contemporaine est de mettre en œuvre la démocratie, de dénigrer le pouvoir autoritaire et d'assurer la stabilité du pouvoir. Une dégradation des conditions de vie ou un affaiblissement du soutien conscient et intentionnel du gouvernement peuvent inverser très rapidement les bases sociales ou le socle idéologique du pouvoir établi. Pour rappel, la politique américaine du "regime change" a été le cadre théorique de l'interventionnisme militaire dans plusieurs pays jugés faibles, au nom des intérêts stratégiques des Etats-Unis et de politiques d'incitation à des réformes politiques. Or, dans le cadre de sa visite à Varsovie du 27 mars dernier, le Président J. Biden, n'a pas hésité à proclamer, dès son arrivée, que le départ de Poutine du pouvoir, n'était pas un but de guerre pour les Etats-Unis, pendant que la presse anglaise formulait l'hypothèse qu'un insuccès militaire de l'armée russe condamnerait le Chef du Kremlin à quitter le pouvoir dans les deux ans. Ainsi dans une campagne orchestrée autour des résultats obtenus par l'invasion de l'Ukraine, de sa surprise stratégique et de son enlisement présumé, l'ex-oligarque et opposant russe Mikhail Khodorkovski, après 10 ans de prison, purgés en Sibérie pour "fraude fiscale", en appelle à l'histoire, pour prophétiser une chute prochaine de Poutine, comme une constante de l'histoire russe, en cas d'échec politique ou militaire. La guerre prochaine,- dit-il - dans une interview accordée au Figaro du 29 mars dernier, contre la Pologne ou un pays balte, scellera une prise de risque supplémentaire, marquant un décalage entre la vision des occidentaux et celle de Poutine.
A titre de rappel la politique d'Obama/Bush de "regime change", recherchant une ligne directrice pour résoudre le dilemme entre démocratie et stabilité, ou de l'actuelle administration démocrate pour articuler une stratégie globale et définir une doctrine pour le paix en Europe et dans le monde, a été de construire un ordre international pacificateur, en incitant les régimes en place à des réformes politiques et socio-économiques. Cependant, en partant de perspectives historiques antagonistes, les objectifs opposés de l'Occident et des puissances de l'Eurasie et du Pacifique, peuvent-ils trouver une conciliation dans leurs intérêts et stratégies divergentes? Ou bien, en revanche, ne contribuent-ils pas à frayer la voie des seules puissances montantes, visant à définir un nouvel ordre international plus adapté à l'époque de la multipolarité et, à l'aide de celui-ci, à définir un système post-wesphalien plus stable et une conception plus conséquente de la démocratie?
Bruxelles le 31 mars 2022.
19:17 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, ukraine, chine, états-unis, russie, politique internationale, géopolitique, relations internationales | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Unipolarité, bipolarité, multipolarité et la guerre d'Ukraine
Unipolarité, bipolarité, multipolarité et la guerre d'Ukraine
Vers une multipolarité de plus en plus complexe: scénario pour l'avenir
Enric Ravello Barber
Source: https://www.enricravellobarber.eu/2022/04/unipolaridad-bipolaridad-multipolaridad.html#.Yl5zFNPP2Uk
Derrière la prétendue fin de l'histoire proclamée par le publiciste du Pentagone Francis Fukuyama, se cachait une aberration philosophique : sortir l'homme de son habitat, celui de l'Histoire, entendue comme son "faire-dans-le-monde", et ouvrir la porte au post-humanisme qui nous apparaît déjà aujourd'hui comme une réalité de fait. Cette entorse à l'histoire a signifié la mise en œuvre urbi et orbi de ce que les occupants successifs de la Maison Blanche, sans la moindre dissimulation, ont appelé le Nouvel Ordre Mondial - nous insistons sur le mot "Monde" - : c'est-à-dire l'unification du monde sous la direction des Etats-Unis, ou, en d'autres termes, un monde unipolaire, c'est-à-dire avec un seul centre de pouvoir : Washington.
Les erreurs stratégiques des administrations américaines successives, toujours sous inspiration néo-con unipolaire, ont donné à la Russie le temps nécessaire pour se reconstruire en tant que puissance militaire et la Chine a émergé comme une puissance mondiale de premier ordre, non seulement en tant que puissance militaire mais aussi en tant que puissance globale (économique, stratégique, industrielle, technologique et diplomatique).
La Chine est devenue le principal acteur de la deuxième vague de mondialisation. Ce n'était qu'une contradiction apparente pour une puissance communiste de prôner la réduction de tous les obstacles au commerce mondial, puisque la vente de ses produits manufacturés sur les marchés mondiaux était la principale cause de sa croissance en tant que puissance.
L'essor de la Chine annonce en quelque sorte la fin du rêve unipolaire des Etats-Unis et montre une nouvelle réalité bipolaire. Quelques décennies après la chute de l'URSS, le monde vit à nouveau la lutte pour l'hégémonie planétaire entre deux puissances: les États-Unis et la Chine.
La Russie, devenue le troisième acteur mondial, propose un pas en avant, une nouvelle correction au Nouvel Ordre Mondial de Washington: le monde multipolaire. La Russie constituerait un troisième pôle géopolitique, une situation qui se conjuguerait également avec l'émergence de puissances régionales qui fragmenteraient davantage le plan de domination mondiale de la Maison Blanche: la Turquie, l'Iran et l'Inde joueraient ce rôle.
Dans cette réalité, l'Europe, le non-sujet géopolitique par excellence, pourrait cependant jouer un rôle décisif - comme l'ont constaté certains de ses dirigeants. Dans ce contexte multipolaire, l'Europe devrait s'émanciper de sa soumission aux États-Unis et devenir un autre centre de pouvoir, capable d'agir sur la scène internationale selon ses propres dynamiques et intérêts, de plus en plus opposés et divergents de ceux de la métropole colonisatrice Stars and Stripes. Et pour cela, l'une des conditions nécessaires - de la culture à l'énergie - serait une synergie entre l'Europe et la Russie, qui renforcerait le rôle de ces deux réalités et, partant, remettrait en question et diminuerait celui des États-Unis.
Aujourd'hui, tous ces scénarios sont en jeu dans la guerre d'Ukraine. Les États-Unis, qui provoquent depuis des années des situations inacceptables pour Moscou, voient dans cette guerre la possibilité ultime de couper le rapprochement et la collaboration croissante entre la Russie et l'Allemagne - dont le gaz est l'un des éléments clés - et de détruire ainsi l'option de ce troisième pôle et la construction d'un monde multipolaire: son premier objectif est d'isoler Moscou de ses partenaires géopolitiques potentiels, le second est de détruire la Russie en tant que puissance et de réduire encore l'UE au statut de colonie. C'est pourquoi elle est aujourd'hui la principale intéressée à prolonger la guerre en Ukraine, afin que Washington regagne du terrain dans une logique unipolaire. La Chine joue une fois de plus son grand atout diplomatique, la patience, l'objectif est aussi un affaiblissement progressif de la Russie et son éloignement de l'Europe, une Russie faible et isolée dépendrait de plus en plus de sa relation avec Pékin, ce qui ferait de la Chine à nouveau la seule puissance disputant la domination du monde aux Etats-Unis (logique bipolaire). Une Russie renforcée, confortée dans son prestige diplomatique et militaire, renforcerait la logique multipolaire, une logique que certains dirigeants européens tentent de soutenir dans le peu de marge de manœuvre dont ils disposent ; le refus d'inclure le gaz et l'énergie dans les sanctions contre la Russie est la preuve de cette réalité.
En bref, l'issue finale de la guerre en Ukraine marquera le scénario mondial des prochaines décennies, et surtout pour les Européens. Deux options s'offrent à eux : soit la non-existence géopolitique et la soumission absolue à l'atlantisme américain, soit l'émancipation géopolitique et l'articulation en tant qu'acteur international dans une réalité multipolaire, et nous le répétons, cette dernière pour une synergie - et non une soumission - avec une Russie puissante et antagoniste à l'unipolarisme de Washington et au bipolarisme de Pékin.
10:27 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : unipolarité, bipolarité, multipolarité, relations internationales, politique internationale, europe, affaires européennes, chine, russie, états-unis, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 18 avril 2022
La mémoire sélective de Robert Kagan
La mémoire sélective de Robert Kagan
Andrew Bacevich
Source: https://katehon.com/ru/article/izbiratelnaya-pamyat-roberta-kagana
Selon un journaliste de Foreign Affairs, la Russie est entrée en Ukraine parce que les Etats-Unis ne sont pas suffisamment impliqués dans les conflits mondiaux.
Récemment, dans les pages de Foreign Affairs, l'infatigable Robert Kagan a fait un autre plaidoyer enflammé au nom de l'empire. En véritable Américain, Kagan évite bien sûr d'utiliser le mot "I(mperium)", qui est offensant. Il préfère le terme "hégémonie", qui, explique-t-il, est doux et n'implique ni domination ni exploitation, mais une soumission volontaire - "une condition plutôt qu'un objectif". En grattant la surface, cependant, vous verrez que The Price of Hegemony offre une variation sur le thème standard de Kagan : l'impératif de la domination mondiale militarisée des États-Unis, quel qu'en soit le prix et sans trop se soucier de qui paie.
Peu de gens accuseraient Kagan d'être un penseur profond ou original. En tant qu'écrivain, il est moins un philosophe qu'un pamphlétaire, bien qu'il ait un véritable don pour formuler ses pensées. Considérez, par exemple, sa célèbre déclaration selon laquelle "les Américains viennent de Mars et les Européens de Vénus". Cette phrase "les guerriers contre les faibles", autrefois considérée comme exprimant la vérité du fond de la pensée de Lippmann, a depuis perdu beaucoup de son attrait persuasif, notamment parce que les guerriers, également connus sous le nom de "troupes", ne se sont pas particulièrement bien débrouillés lorsqu'ils ont été envoyés pour libérer, soumettre ou renverser qui que ce soit.
Ainsi, Kagan est susceptible de partager le sort non seulement de Walter Lippmann, mais aussi de Scotty Reston ou de Joe Olsop, autrefois éminents chroniqueurs de Washington, aujourd'hui complètement oubliés. Bien sûr, le même sort attend toute la foule de commentateurs (y compris l'auteur de ces lignes) qui fulminent sur le rôle de l'Amérique dans le monde, croyant à tort que des responsables de haut rang à la Maison Blanche, à Foggy Bottom ou au Pentagone leur demandent conseil. Ils le font rarement.
Néanmoins, Kagan se distingue des autres sur un point : sa capacité à combiner cohérence et flexibilité est inégalée. Il est lui-même tout à fait agile. Quoi qu'il arrive dans le monde réel, il est prêt à expliquer comment les événements confirment le caractère indispensable d'un leadership américain affirmé. À Washington (et dans les pages de Foreign Affairs), cela est toujours bienvenu.
Cette dextérité se manifeste de manière éclatante dans son dernier essai, dont le sous-titre pose la question suivante : "L'Amérique peut-elle apprendre à utiliser sa puissance?". Kagan arrive à sa propre réponse - les États-Unis non seulement peuvent apprendre, mais ils doivent le faire - même s'il ignore complètement ce qu'ils ont finalement obtenu avec le vigoureux déploiement de la puissance américaine au cours des deux dernières décennies et à quel prix.
Ainsi, son essai contient diverses références sinistres au mauvais comportement de la Russie, ainsi que des allusions à quelques actions indésirables de la Chine. Peut-être inévitablement, Kagan jette aussi quelques allusions tout aussi sinistres à l'Allemagne et au Japon à l'approche de la Seconde Guerre mondiale, la source d'enseignement historique faisant autorité dans les cercles de Washington. Cependant, il est silencieux sur les guerres américaines en Afghanistan et en Irak après le 11 septembre. Ils n'ont pas reçu la moindre mention - aucune, zéro.
Selon Kagan, la guerre russo-ukrainienne en cours s'est produite au moins en partie à cause de la passivité américaine. Les administrations américaines successives depuis la fin de la guerre froide ont refusé de faire leur travail. En termes simples, ils n'ont fait aucun effort pour garder la Russie sous contrôle. Alors qu'il serait "obscène de blâmer les États-Unis pour l'attaque inhumaine de Poutine contre l'Ukraine", écrit Kagan, "insister sur le fait que l'invasion n'était absolument pas provoquée est trompeur". Les États-Unis "ont mal joué la carte de la puissance". Ce faisant, ils ont donné à Vladimir Poutine une raison de penser qu'il pouvait s'en tirer avec une agression. Ainsi, Washington, comme si elle était restée les bras croisés pendant les deux premières décennies de ce siècle, a provoqué Moscou.
"En gérant l'influence des États-Unis de manière plus cohérente et plus efficace", les présidents, à commencer par Bush père, auraient pu empêcher la dévastation dont ont souffert les Ukrainiens. Du point de vue de Kagan, les États-Unis ont été trop passifs. Aujourd'hui, écrit-il, "la question est de savoir si les États-Unis continueront à commettre leurs propres erreurs" - des erreurs d'omission, selon lui - "ou si les Américains apprendront à nouveau qu'il vaut mieux dissuader les autocraties agressives avant qu'elles ne s'emparent de la puissance".
La référence précoce à l'endiguement des autocraties agressives doit être déchiffrée. Kagan fait semblant de le faire. Ce qu'il suggère en fait, c'est de poursuivre l'expérimentation de la guerre préventive, qui est devenue un élément central de la politique de sécurité nationale américaine depuis le 11 septembre. Kagan, bien sûr, a soutenu la doctrine Bush de la guerre préventive. Il était pleinement préparé à l'invasion de l'Irak. Mise en œuvre en 2003 sous la forme de l'opération Iraqi Freedom, la doctrine Bush a eu des résultats désastreux.
Aujourd'hui, même deux décennies plus tard, Kagan ne peut se résoudre à reconnaître l'immensité et le grotesque de cette erreur, ni ses effets secondaires, notamment la montée du Trumpisme et tous les maux qui en découlent.
"L'Amérique peut-elle apprendre à utiliser sa puissance ?" - Que cette question soit évaluée comme une question urgente est certainement vrai. Cependant, penser que Robert Kagan est qualifié pour donner une réponse cohérente est trompeur.
16:47 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert kagan, actualité, hégémonisme, hégémonisme américain, états-unis, géopolitique, néoconservatisme, bellicisme américain, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Que nous réserve la région Asie-Pacifique ?
Que nous réserve la région Asie-Pacifique ?
Un rapport de l'ONU révèle une baisse de la croissance économique
Source: https://katehon.com/ru/article/chto-zhdet-aziatsko-tihookeanskiy-region
La reprise économique dans la région Asie-Pacifique après la pandémie et d'autres chocs mondiaux devrait être basée sur un "nouveau pacte social" complet pour protéger les personnes vulnérables dans les années à venir, selon un rapport publié mardi 12 avril par la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l'Asie et le Pacifique (CESAP).
Outre la pandémie, le rapport montre que les économies régionales sont confrontées à "plusieurs risques baissiers" liés à une chaîne d'approvisionnement mondiale non durable, à "des pressions inflationnistes croissantes, à la perspective d'une hausse des taux d'intérêt, au rétrécissement de l'espace fiscal" et aux conséquences économiques mondiales émergentes de la crise en cours en Ukraine.
La croissance économique des pays en développement de cette vaste région devrait se contracter à 4,5 % en 2022 et à 5 % en 2023, en baisse par rapport à un taux de croissance antérieur de 7,1 % en 2021.
La perte de production cumulée due à la pandémie pour les économies en développement de la région est estimée à près de 2000 milliards de dollars de 2020 à ce jour.
L'étude met en garde contre les réductions des dépenses publiques dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la protection sociale "afin de protéger les acquis du développement des dernières décennies et d'empêcher un nouveau creusement des inégalités dans la région".
Le rapport note que la pandémie a privé plus de 820 millions de travailleurs informels dans la région de la CESAP et plus de 70 millions d'enfants issus de familles à faibles revenus d'un accès adéquat aux revenus et à la scolarité. "Ce résultat aura un impact négatif sur le potentiel de gain futur de ces personnes et sur la croissance globale de la productivité", indique le communiqué de presse de l'ESCAP, alors que 85 autres millions de personnes dans la région Asie-Pacifique ont déjà été poussées dans l'extrême pauvreté en 2021.
"Alors que les pays en développement de la région vont de l'avant, apprenant à vivre avec le virus, en trouvant un équilibre entre la protection de la santé publique et les moyens de subsistance, il est temps de jeter les bases d'un avenir plus équitable avec des chances égales et des résultats inclusifs", a déclaré Armida Salcia Alisjahbana, Secrétaire exécutive de la CESAP, dans un communiqué.
La Commission recommande un "programme politique à trois volets" visant à construire une économie inclusive pour la région. Tout d'abord, au lieu de procéder à des réductions, les pays en développement de la région devraient orienter les dépenses publiques vers les soins de santé universels de base, continuer à progresser vers l'éducation primaire et secondaire universelle et étendre la couverture de la protection sociale. La Commission fait valoir qu'une politique fiscale "intelligente" peut améliorer l'efficacité et l'efficience globales des dépenses publiques et de la perception des recettes. Dans le même temps, il convient d'explorer de nouvelles sources de revenus, comme la taxation de l'économie numérique, et de déplacer la charge fiscale vers les ménages à hauts revenus.
Deuxièmement, l'étude 2022 soutient que les banques centrales de la région peuvent et doivent modifier leurs politiques monétaires traditionnelles pour promouvoir un développement inclusif. Tout en restant concentrées sur le maintien d'une inflation faible et stable, les banques centrales peuvent investir une partie de leurs réserves officielles dans des obligations sociales, étudier comment la monnaie numérique d'une banque centrale peut élargir l'accès aux services financiers, et encourager des instruments financiers plus innovants pour assurer la protection sociale.
Troisièmement, les gouvernements peuvent également guider, façonner et gérer activement la transformation économique structurelle de plus en plus induite par la révolution numérique de la robotique et de l'intelligence artificielle pour obtenir des résultats plus inclusifs. Cela comprend le soutien au développement de technologies à forte intensité de main-d'œuvre, l'accès inclusif à une éducation de qualité, le recyclage, le renforcement des capacités dans les négociations du travail et les planchers de protection sociale.
L'Étude économique et sociale de l'Asie et du Pacifique, publiée pour la première fois en 1947, est l'enquête économique et sociale annuelle la plus ancienne et la plus complète des Nations Unies, qui sert de base à l'élaboration des politiques dans la région.
Quelle leçon la Russie peut-elle en tirer, compte tenu de sa confrontation avec l'Occident? Seule une poignée d'États de la région nous ont imposé des sanctions. Les autres sont favorables à la coopération, d'où la possibilité d'ouvrir de nouvelles niches de coopération, compte tenu des risques mentionnés et de la baisse des taux de croissance. Les pays d'Asie-Pacifique peuvent tirer parti de l'évolution de l'environnement mondial et offrir des biens et services de substitution identiques à ceux que nous recevions auparavant de l'Occident collectif. À son tour, la région a un besoin constant de ressources énergétiques, que la Russie possède en abondance. Tout compte fait, une réorientation vers l'Est est nécessaire à long terme en raison de la croissance de la technologie, de la main-d'œuvre et de l'accumulation de richesses dans cette partie du monde.
16:14 Publié dans Actualité, Economie, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, économie, géopolitique, asie, affaires asiatiques, océan pacifique, asie-pacifique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 17 avril 2022
Le corridor de transport nord-sud (NSTC) est un projet d'intégration trans-civilisationnelle
Le corridor de transport nord-sud (NSTC) est un projet d'intégration trans-civilisationnelle
Andrew Korybko
Source: https://katehon.com/en/article/north-south-transport-corridor-trans-civilizational-integration-project
Le NSTC représente la convergence physique des grands plans stratégiques de la Russie, axés sur le sud, qui visent à équilibrer les ancrages irano-pakistanais de son pivot de l'Oumma dans cette partie particulière du supercontinent avec le Néo-NAM qu'elle poursuit conjointement avec l'Inde. L'optique trans-civilisationnelle est extrêmement importante car elle montre que la prédiction du soi-disant "choc des civilisations" de Huntington n'était qu'un exemple de vœu pieux mal intentionné (si ce n'est une proposition politique provocante) et qu'elle a été incontestablement remise en question par la convergence des civilisations entre le christianisme oriental, l'islam et l'hindouisme incarnée par le NSTC.
L'émergence de l'ordre mondial multipolaire (ou "nouvel ordre mondial" comme l'appelle le président américain Joe Biden) a été accélérée par les conséquences induites par la réponse sans précédent et dûment planifiée depuis longtemps par l'Occident dirigé par les États-Unis dès qu'a commencé l'opération militaire spéciale en cours de la Russie en Ukraine, que l'Amérique a elle-même provoquée. L'une des tendances les plus importantes de cette transition systémique mondiale est la montée des civilisations en tant qu'acteurs internationaux, qui a été prédite en détail par l'universitaire russe Leonid Savin dans son livre de 2020 Ordo Pluriversalis : The End Of Pax Americana And The Rise Of Multipolarity que l'auteur a chroniqué ici peu après sa sortie. Le corridor de transport nord-sud (NSTC) entre la Russie, l'Azerbaïdjan, l'Iran et l'Inde - et qui peut aussi facilement s'étendre au Pakistan voisin pour renforcer le commerce bilatéral croissant avec la Russie - jouera un rôle irremplaçable à cet égard.
Ce projet ambitieux relie la civilisation chrétienne orthodoxe orientale de la Russie aux civilisations musulmanes de l'Azerbaïdjan, de l'Iran et du Pakistan, ainsi qu'à la civilisation majoritairement hindoue de l'Inde. Étant donné que l'Inde, l'Iran et le Pakistan sont devenus plus importants que jamais pour la Russie en raison de leur neutralité de principe qui leur permet de lui servir de soupape de pression économique stratégique, il ne fait aucun doute que le NSTC, auquel les deux premiers pays participent et le troisième pourrait éventuellement le faire aussi, deviendra un projet phare multipolaire aux côtés du gazoduc Pakistan Stream (PSGP) et du PAKAFUZ. Ce que tous ces projets ont en commun, c'est qu'il s'agit de projets de connectivité Nord-Sud, ce qui prouve que la grande réorientation stratégique de la Russie vers le Sud après 2014 n'était pas purement axée sur la Chine comme beaucoup le pensaient, mais que Moscou a équilibré son "pivot vers l'Oumma" et sa vision "néo-NAMienne" avec l'Inde.
Cela ne veut pas dire que la Chine ne joue pas un rôle crucial dans la grande stratégie russe - en vérité, ces deux grandes puissances servent de double moteur à l'ordre mondial multipolaire émergent - mais simplement que le Kremlin a sagement cherché à éviter de manière préventive toute dépendance disproportionnée potentielle vis-à-vis de la République populaire par le biais de ces initiatives complémentaires axées sur le Sud. Le "pivot de l'Oumma" fait référence à la priorité qu'il accorde à des partenaires non traditionnels à majorité musulmane comme l'Iran et le Pakistan, tandis que le Neo-NAM est le plan officieux des relations russo-indiennes, par lequel ces deux pays cherchent conjointement à créer un troisième pôle d'influence dans la phase de transition bimultipolaire entre unipolarité et multipolarité. Le Pivot de l'Oumma et le Néo-NAM s'équilibrent l'un l'autre, ce qui équilibre à son tour la Chine dans cette grande stratégie kissingerienne post-moderne poursuivie par la Grande Puissance eurasienne.
Le NSTC représente la convergence physique des plans stratégiques de la Russie axés sur le sud, qui visent à équilibrer les ancrages irano-pakistanais de son pivot de l'Oumma dans cette partie particulière du supercontinent avec le Néo-NAM qu'elle poursuit conjointement avec l'Inde. L'optique trans-civilisationnelle est extrêmement importante car elle montre que la prédiction du soi-disant "choc des civilisations" de Huntington n'était qu'un exemple de vœu pieux mal intentionné (si ce n'est une proposition politique provocante) et a été indiscutablement remise en question par la convergence des civilisations entre le christianisme oriental, l'islam et l'hindouisme incarnée par le NSTC. Cela constitue un exemple puissant pour la communauté internationale (qui, dans ce contexte, fait également référence à la société civile mondiale) à deux égards : premièrement, cela réfute l'"inévitabilité" du choc des civilisations ; et deuxièmement, cela montre que la Chine n'en a pas le monopole.
Pour développer ce dernier point, on a considéré jusqu'à présent que l'initiative Belt & Road (BRI) de la Chine était le seul moyen physique de rassembler diverses civilisations à travers l'objectif commun d'un commerce, d'un investissement et d'un développement socio-économique mutuellement bénéfiques, mais l'existence même du NSTC montre que la Russie et ses partenaires azerbaïdjanais, iraniens, indiens et peut-être même bientôt pakistanais peuvent tous s'unir pour poursuivre ce même objectif. En fait, la Chine a également un rôle crucial à jouer dans le NSTC puisque le pacte de partenariat stratégique conclu au printemps dernier avec l'Iran aurait vu la République populaire accepter d'investir plus de 400 milliards de dollars dans la République islamique au cours du prochain quart de siècle, ce qui se traduira probablement par des investissements impressionnants dans les infrastructures pour faciliter le NSTC à certains égards, notamment en termes de connectivité irano-pakistanaise du fait que ce dernier accueille le CPEC.
"La quête de souveraineté économique de la Russie n'est pas synonyme d'isolationnisme", contrairement à ce que certains observateurs occidentaux ont faussement prétendu, car personne ne peut nier la vision transcivilisationnelle et transcontinentale avancée par le NSTC dans lequel Moscou joue un rôle clé. "Le coup de judo géo-économique de Poutine vient de renverser les tables financières de l'Occident" après que le dirigeant russe a décrété que tous les contrats de gaz avec les pays nouvellement conçus comme inamicaux, tels que ceux de l'UE, doivent être payés en roubles, ce qui aura pour conséquence soit de soutenir le rouble s'ils s'y conforment, soit de risquer une crise économique totale en Occident s'ils refusent, les deux résultats étant bénéfiques à Moscou à leur manière. Dans le contexte de la présente analyse, ces derniers développements signifient que l'importance stratégique du NSTC va continuer à augmenter pour toutes ses parties prenantes, qui pourraient prospectivement s'étendre pour inclure également leurs autres partenaires du Sud.
14:56 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, corridor nord-sud, optique transcivilisationnelle, europe, asie, affaires européennes, russie, iran, pakistan, chine, affaires asiatiques, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
La fin de la domination mondiale des États-Unis & Ce qui est en jeu
La fin de la domination mondiale des États-Unis & Ce qui est en jeu
Karl Richter
Source: https://www.facebook.com/karl.richter.798
Depuis quelques heures, nous y voyons plus clair. Les pièces du puzzle s'assemblent pour nous former une image globale. Le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov a annoncé cet après-midi sur la chaîne de télévision russe "Russia 24", à la surprise générale, un autre objectif de guerre de la Russie en Ukraine, sans que les médias occidentaux n'en soufflent un mot : "Notre opération spéciale doit mettre fin à l'expansion inconsidérée, à la domination totale des Etats-Unis dans le monde, une domination qui s'accompagne de violations du droit international". (Source : https://m.ura.news/news/1052544901 )
Lavrov a cité les actions américaines au Kosovo et en Irak comme exemples de telles violations du droit international par les Etats-Unis.
Les cartes sont désormais sur la table et chacun sait désormais de quel côté il faudra se situer. Chacun doit assumer la responsabilité de ses choix et de leurs conséquences. Nous assistons actuellement à la poursuite de l’objectif poursuivi suite à la crise sanitaire : si quelqu'un se fait piquouzer, sans que l’on ait à demander le pourquoi, on en concluera que chacun décide lui-même et en assume également les conséquences. Je vous renvoie à mon post d'hier ("Ce qui est en jeu", cf. infra). Depuis cet après-midi, c'est officiel et plus personne ne peut se soustraire à la décision : soit on est du côté de l’instance criminelle mondiale qu'est l'Amérique, soit on ne l'est pas. Il n'est plus nécessaire d'en débattre.
***
Ce qui est en jeu
Ces dernières semaines, des militants bien intentionnés ne cessent de répéter que la guerre en Ukraine n'est pas la nôtre et que nous devrions plutôt nous occuper de l'Allemagne. Mais ce n'est pas suffisant.
En Ukraine, c'est l'avenir du monde qui est en jeu, indépendamment de la durée de la guerre et de la possibilité qu'elle se termine par une solution négociée qui ne ferait que retarder le conflit en soi. Mais les "masterminds", qu'ils s'appellent Alexandre Douguine ou Francis Fukuyama, sont tout à fait d'accord sur le fait que l'issue du conflit ukrainien sera déterminante pour l'orientation future de la situation mondiale. Soit l'Occident l'emporte, soit ce n'est pas le cas : la Russie, la Chine et l'Eurasie en formation auront alors acquis la maîtrise de la situation. Dans ce sens, l'issue de la guerre est très importante pour notre propre avenir. Comme l'Allemagne n'a actuellement ni les moyens ni même la volonté d'adopter une position neutre, elle participe inévitablement à la confrontation entre les blocs et en subira les conséquences, dans un sens ou dans l'autre. Face à cela, chacun devra d'une manière ou d'une autre se positionner et expliquer quelles sont les conséquences du jeu en acte qu'il préfère et quelles sont celles qu'il préfère épargner à notre pays.
Celui qui ne fait rien - de même que celui qui soutient l'Ukraine - soutient la poursuite de l'hégémonie américaine, des "valeurs dites occidentales", du pillage du monde par Big Money. Il soutient le fait que l'Allemagne reste une plaque tournante pour les guerres d'agression américaines dans le monde entier et devienne la cible d'éventuelles attaques militaires de toute partie adverse. Il soutient aussi le suicide économique de l'Europe qui a soutenu une politique énergétique délirante et des sanctions absurdes. Il soutient le programme satanique des élites occidentales, qui se résume à la destruction de la famille, à la destruction de notre santé et de notre intégrité physique, à l'effacement de l'identité personnelle (via le transhumanisme !).
En supposant que la Russie ne fasse PAS partie du Great Reset : la Russie, la Chine et l'Eurasie représentent au contraire la fin de la domination mondiale du dollar américain, l'avènement d'un véritable ordre mondial multipolaire, le respect des valeurs traditionnelles telles que la famille, la patrie et l'identité, et le rejet de toutes les formes de décadence libérale occidentale, qui est de facto une "culture de mort". Au printemps 2020, Poutine a déclaré que tant qu'il serait au pouvoir, il n'y aurait pas de "mariage homosexuel" en Russie - une déclaration parmi d'autres.
Oui, il y a des nuances de gris et des nuances intermédiaires : des pays comme la Russie et la Hongrie ont également mis en œuvre cette mise en scène mondiale que fut le « confinement sanitaire », parfois en adoptant des mesures drastiques ; la Chine l’a pratiqué de manière encore plus coercitive. La Chine en particulier, avec son système de crédit social et l'un des régimes sanitaires les plus rigides au monde, et, là, ce n'est pas nécessairement un modèle pour nous. Personne ne devrait non plus être naïf en ce qui concerne la Russie : personne ne s'attend à ce que la Russie nous "libère". Mais si elle poussait les Américains hors d'Europe, ce serait déjà un saut quantique pour notre partie du monde, dont les conséquences seraient difficilement prévisibles ; encore plus pour la répartition globale du pouvoir.
Au fond, c'est très simple. Les Américains ont encore du mal à accepter le fait qu'ils ne jouent plus dans la cour des grands. La Chine a remplacé les Etats-Unis en tant que championne du monde des exportations, le dollar perd du terrain à grande échelle (ce qui explique la course folle à la guerre de l'Occident, qui utilisent les malheureux Ukrainiens pour arriver à ses fins) ; l'Inde et l'Arabie saoudite sont en train de passer au paiement en roubles, et en Europe, Orbán fait ses premiers pas en ce sens. Et, enfin, la Russie et la Chine disposent d'armes hypersoniques, mais non les Américains. Ce qui signifie que les Américains sont en train de passer en deuxième division. Pour l'instant, ils ont encore du mal à l'accepter. Quelques coups sensibles, de nature militaire mais aussi monétaire, pourraient éventuellement leur faire comprendre qu'ils n'ont plus rien à faire en Europe. Biden ne sera pas assez fou pour risquer une guerre nucléaire à cause de l'Ukraine - ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'utilisation d'armes nucléaires tactiques en Europe.
L'Europe, l'UE, va passer à l'état de décomposition active dans les prochains mois, dans un an ou dans trois ans au maximum. Poutine n'a même pas encore commencé à fermer le robinet du gaz et tend toujours la main à l'Occident. L’eurocratie de Bruxelles est assez folle pour se tirer une balle dans le pied. L'Europe s'apprête à vivre un interrègne sanglant et agité : elle pourrait échanger un hégémon contre un autre, et le retour à sa propre force est loin d'être visible. Mais la catastrophe peut ouvrir de nouvelles voies qui ne sont pas encore perceptibles aujourd'hui. En attendant, il se peut que les valeurs de l'Europe - les vraies - soient mieux conservées à Moscou qu'à Bruxelles et à Washington.
14:14 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, russie, europe, allemagne, ukraine, affaires européennes, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook