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lundi, 27 septembre 2021

Gifle anglo-saxonne à Macron et solitude géopolitique de la France

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Gifle anglo-saxonne à Macron et solitude géopolitique de la France

Ex: http://www.elespiadigital.com/

La France subit les conséquences de sa plus grande défaite en politique étrangère depuis un quart de siècle, une défaite qui pourrait affecter la campagne électorale de Macron. Nous parlons du refus de l'Australie d'honorer le plus gros contrat avec la France ("le contrat du siècle", comme l'ont appelé les médias français) pour la construction de 12 nouveaux sous-marins de classe "Attack", qui a été finalement signé, après de longues et difficiles négociations, mais s'est retrouvé annulé en 48 heures au bénéfice des États-Unis et du Royaume-Uni. L'Australie a brusquement changé d'avis et a préféré les États-Unis à la France.

Dès le processus de négociation, la France, représentée par la société Naval Group, a assumé des coûts importants dans le projet, répondant ainsi aux souhaits des Australiens, mais la société américaine Lockheed Martin, qui a finalement obtenu le contrat, n'a reçu aucune demande de l'Australie. Le contrat perdu par la France s'élevait à 90 milliards de dollars, mais le montant du contrat avec la Grande-Bretagne et/ou les États-Unis est inconnu. Apparemment, il ne s'agit pas d'argent, mais de géopolitique.

Aujourd'hui, les Français commentent ce qui s'est passé en termes de "faux amis", de "coups de poignard dans le dos", de "coup de Trafalgar", en référence à la défaite de la France lors de la bataille de Trafalgar face à la Grande-Bretagne en 1805. Macron a même rappelé les ambassadeurs français en Australie et aux États-Unis pour des consultations afin de montrer son extrême ressentiment.

Le président français Macron a reçu une gifle de la part de l'alliance américano-britannique, déjà la deuxième ces dernières années, si l'on se souvient que lors d'une réunion dans la rue, un jeune homme a soudainement donné un coup de poing à Macron. L'incident a ensuite été étouffé, mais aujourd'hui, Macron se retrouve dans une position des plus humiliantes. Pour la culture politique française, compte tenu de son ambition, c'est prohibitif et douloureux.

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Le fait est que Macron a beaucoup investi dans ces négociations avec l'Australie : argent, temps, émotions, énergie. Il mettait tout à son actif et espérait passer triomphalement les élections. Depuis 2019, la commune de Cherbourg-en-Cotentin, où se trouve la base navale, accueille une partie du projet. Une école bilingue y a déjà été construite pour les enfants des Australiens venus s'entraîner sur la base, et deux artistes australiens ont été chargés de peindre le mur du poste de police avec des motifs aborigènes australiens.

Aujourd'hui, non seulement tous ces efforts ont été vains, mais les habitants de la commune sont privés du revenu attendu. Pour eux, cette situation, selon les médias français, est un séisme socio-économique. Macron est désormais perçu comme un homme politique faible, incapable de tenir ses promesses et de protéger ses citoyens et les intérêts nationaux de la France. Il a été humilié devant le monde entier, de surcroît d'une manière assez rude.

Les États-Unis sont convaincus que cela renforcera les arguments des adversaires de Macron et lui créera des problèmes, même si cela n'affectera pas le résultat de l'élection. Il est vrai que les Français vont désormais voter non pas pour les triomphalistes, mais pour les défaitistes. Maintenant, personne ne se souviendra que l'accord avec l'Australie a été élaboré par le prédécesseur de Macron, Hollande.

Le contrat a connu des difficultés, mais M. Macron a rencontré personnellement le Premier ministre australien Scott Morrison après le sommet du G7 à Londres, et les médias français ont ensuite écrit que "le contrat du siècle avait été sauvé". Macron aurait dû avoir un triomphe et aura en fin de compte une défaite.

On peut dire que la France a renoué avec le boomerang des Mistral. C'est elle qui a annulé le contrat avec la Russie pour les porte-hélicoptères déjà payés et construits. Cela a également été fait à la demande des États-Unis, mais il est incompréhensible que l'histoire n'ait rien appris aux Français. Quelle raison avaient-ils de croire que la Grande-Bretagne permettrait de telles actions au bénéfice de la France dans son fief ? Surtout si l'on considère qu'après le Brexit, les relations déjà difficiles entre la France et la Grande-Bretagne se sont encore détériorées.

Cette situation est particulièrement offensante pour Macron parce qu'il avait initialement soutenu les États-Unis contre le gazoduc germano-russe Nord Stream 2, ce qui a été fait de manière plus douce, sans pression polonaise, mais de manière diplomatique et sans équivoque. Macron a soutenu la Grande-Bretagne dans l'affaire des Skripals, dans le scandale du dopage, dans l'histoire de l'empoisonnement de Navalny, dans le problème de l'Ukraine. La France a été à l'avant-garde des alliés anglo-saxons sur des questions politiques de grande importance pour les États-Unis en Europe de l'Est.

Pour Macron, qui a servilement joué les utilités, la double souffrance n'est pas seulement le refus de l'Australie en soi, mais la façon dont il a été roulé dans la farine. En deux jours seulement, les fruits à long terme des efforts français ont complètement disparu. Dans le même temps, certains médias et partis politiques australiens vantent les mérites de la France.

La France aurait dû comprendre qu'elle ne pouvait pas prévenir et neutraliser les risques politiques dans ce contrat. Il ne s'agit pas d'argent, ou plutôt, il ne s'agit pas seulement d'argent. Nous parlons de géopolitique majeure, plus précisément de l'influence factuelle de la France dans la région Indo-Pacifique, qui est inacceptable pour la Grande-Bretagne et les États-Unis.

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En effet, selon la stratégie française dans les océans Indien et Pacifique, c'est là que se trouve 93% de la zone économique exclusive de la France. Cette zone abrite 1,5 million de citoyens français et 8 000 soldats français. La France revendique le statut de puissance non seulement européenne mais aussi africaine. Selon les experts, individuellement, tous les territoires de la présence française en Afrique n'ont pas de poids, mais tous ensemble, ils en ont.

Le problème est que l'Australie participe à une coalition américano-britannique contre la Chine, tout en maintenant des liens avec la France. L'échec de l'accord sur les sous-marins n'affectera pas ces liens. Les deux pays n'ont aucun intérêt à ce que les relations se détériorent. Mais la position de la France devient maintenant très difficile.

La France a toujours revendiqué une politique indépendante, tout en reconnaissant que c'était une illusion, étant donné son inclusion dans la sphère d'influence américaine. Washington prend en charge ces ambitions françaises et permet même parfois de les satisfaire dans une certaine mesure. Mais la France ne s'est jamais trop laissée aller et a bien compris sa place et son rôle dans le monde. Aujourd'hui, la France se retrouve non pas isolée, mais seule.

Son scepticisme (ndlr: germanophobe et beneluxophobe, hostilité rabique et haineuse à l'égard des "Boches de l'Est et du Nord", ainsi qu'aux "rats hollandais" selon Edith Cresson) à l'égard de Nord Stream 2 n'a pas renforcé sa position vis-à-vis de l'Allemagne. Avec la Russie aussi, il n'y a pas la liberté de manœuvre qui serait souhaitable pour Paris: Moscou n'oubliera pas tous les coups de poignard français. La Chine tient également compte (et rancune) de la volonté française de s'imposer en participant à des alliances anti-chinoises. Les relations avec la Grande-Bretagne sont compliquées; sans les États-Unis, elles ne sont pas réglementées. Aujourd'hui, les États-Unis ont fait preuve de mépris envers la France, sans se soucier de "sauver la face" du président français (qui se retrouve gros-Jean comme devant).

Dans sa hâte ambitieuse, la France s'est soudainement retrouvée seule. En même temps, elle a un conflit avec la Turquie, qu'elle ne peut pas résoudre sans les États-Unis et la Grande-Bretagne. Quel était l'intérêt de s'engager dans une relation sur une question majeure d'importance militaire et géopolitique dans une sphère complètement contrôlée par les Anglo-Saxons ?

Sur quoi étaient fondés les espoirs de succès et de vigilance passive des États-Unis et de la Grande-Bretagne - sur le fait qu'en échange d'une rhétorique contre la Russie et la Chine, ils permettraient à la France de renforcer son budget naval et de continuer à accumuler du pouvoir géopolitique ? La France avait toujours fait preuve jadis de la plus grande rationalité et du plus grand pragmatisme dans les négociations. Qu'est-il arrivé à la diplomatie française sous la misérable houlette du banquier Macron ?

D'une manière ou d'une autre, la France a subi une défaite écrasante en matière de politique étrangère, et il n'y a aucun pays qui n'en profitera pas d'une manière ou d'une autre. Cela se traduira par de nombreuses petites décisions et étapes, mais toutes seront très sensibles pour la France. Quelque part, les intérêts de la France seront ignorés plus ouvertement qu'auparavant, quelque part, des conditions plus strictes lui seront proposées.

La France doit sortir de sa solitude en prenant des mesures décisives à l'égard des adversaires des États-Unis et de la Grande-Bretagne, mais elle n'est pas libre pour de telles actions. Les États-Unis comprennent que Macron s'énerve, souffle et puis se calmera. La France est trop dépendante des États-Unis pour se permettre une opposition même minime.

Mais dans l'UE, la France devra redorer son blason. La question est de savoir si l'Allemagne laissera à la France l'espace nécessaire après tout ce qui s'est passé. Quoi qu'il en soit, les relations entre la France et les États-Unis ont tourné au vinaigre et, connaissant la rancœur des Français, il ne fait aucun doute que Macron ne l'oubliera pas et ne pardonnera pas. Il n'osera pas se venger des États-Unis, mais avec Londres, Paris sera désormais encore plus à couteaux tirés.

La Russie et la Chine regarderont avec intérêt Macron soigner une autre blessure, mais il aura encore une chance de se rétablir. La France cherchera un motif de vengeance. Les boomerangs d'Australie reviendront sur Londres.

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Analyse : Une nouvelle Triple Alliance est-elle en gestation ?

Vladimir Terekhov*

L'inauguration de l'AUKUS, une nouvelle configuration géopolitique comprenant l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (l'acronyme vient des lettres initiales des pays participants), a été l'un des développements les plus remarquables de la politique mondiale de ces dernières semaines.

Pour l'instant, il est difficile d'évaluer la nature d'une telle démarche. Il ne s'agit vraisemblablement pas d'un nouveau bloc militaire et politique, car les trois nations sont déjà liées par des engagements de défense mutuelle de longue date, un fait que la Maison Blanche n'a pas hésité à mentionner dans sa déclaration à ce sujet. La dernière phrase de ce document sur ces engagements indiquait notamment : "Nous nous engageons à nouveau dans cette vision".

À l'exception du paragraphe citant les plans visant à fournir huit sous-marins à l'Australie, le document est extrêmement médiocre et rappelle les discours de Mikhaïl Gorbatchev, toujours prêt à "intensifier et approfondir" ce qu'il juge nécessaire. Selon la déclaration, l'AUKUS est créé pour "renforcer le partenariat de sécurité trilatéral".

Toutefois, si l'objectif principal de ce pacte est de faire de l'Australie la première puissance régionale capable de contenir la Chine, cette démarche ne fait qu'ajouter à la confusion entourant la position politique du gouvernement australien vis-à-vis de la Chine, qui a presque toujours semblé être un désastre auto-infligé. Si cette hypothèse est vraie, ce cours commence à avoir l'air carrément suicidaire. La Chine a déjà prévenu que l'acquisition par l'Australie d'une flotte de sous-marins nucléaires pourrait faire de ce pays une cible pour une attaque nucléaire chinoise.

Toutefois, dans son ensemble, le projet AUKUS annoncé donne l'impression d'être improvisé et mal conçu, ce qui reflète son développement hâtif et, apparemment, les efforts déployés pour le dissimuler (aux concurrents ?). En outre, certains pensent qu'AUKUS pourrait avoir un impact négatif sur l'initiative QUAD, un autre projet que ses participants ont désespérément tenté de sauver de 15 ans d'oubli au Japon, qui ne savait apparemment rien du développement d'AUKUS. Plus important encore, l'Inde ne l'a pas fait non plus, ce qui signifie que la moitié des membres de QUAD ont été laissés dans l'ignorance.

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Jusqu'à présent, il semble que la principale raison derrière AUKUS était l'argent: ou, pour être précis, une somme forfaitaire exorbitante de 56 milliards d'euros, que l'Australie, un pays anglo-saxon, a "pour une raison ou une autre" décidé de donner en 2017 à des concurrents du monde anglo-saxon, les Français. À l'époque, la France a remporté un appel d'offres (les principaux concurrents étaient les Japonais) pour la construction de 12 sous-marins modernes à moteur diesel. Cette somme couvre non seulement les coûts de construction des sous-marins eux-mêmes, mais aussi le développement des infrastructures et la formation des équipages.

Il semble que l'Australie ait "reçu un ordre d'en haut", un entrepreneur de la défense d'un autre pays anglo-saxon, à savoir les États-Unis. "Vous en aurez plus pour votre argent. Vous aurez nos sous-marins à propulsion nucléaire". Mais qu'en est-il des appels d'offres "fondés sur des règles" ? La réponse est très simple: les "règles" sont un concept que les autres doivent respecter, pas nous.

Il n'est pas étonnant que le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ait été furieux après avoir appris la formation de l'AUKUS et son objectif (il a été tenu secret pour les principaux alliés). Il y a une explication tout à fait naturelle (et pas seulement sous-marine) à tout cela. La première réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense français et australiens (le "format 2 + 2") vient d'avoir lieu (le 30 août de cette année). Il s'est conclu par la déclaration d'un "partenariat stratégique renforcé".

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En d'autres termes, les relations bilatérales se déroulent sans encombre selon les grandes lignes tracées lors de la visite du président français Emmanuel Macron en Australie en mai 2018. Jean-Yves Le Drian lui-même a été directement impliqué dans le succès de l'appel d'offres susmentionné. Et voilà "le coup de poignard dans le dos". Il semble que le gouvernement de Scott Morrison était de connivence avec ses "partenaires stratégiques" au moment même où ils négociaient.

Quelle trahison, l'enfer de la politique étrangère !

La réponse française a été sévère, Paris rappelant ses ambassadeurs aux États-Unis (un geste sans précédent dans les relations diplomatiques entre alliés de l'OTAN) et en Australie. Pendant ce temps, le Royaume-Uni a échappé à la colère de la France, cette dernière estimant que Londres n'avait fait que "suivre aveuglément" les autres participants à l'AUKUS ("que peut-on attendre d'autre de ces simplets, vous savez?").

Compte tenu de la manière dont le parlement britannique a débattu de la question de la participation de la Grande-Bretagne à ce projet, Londres semble avoir adhéré au pacte plus ou moins dans ce sens. Apparemment, le processus de décision au Royaume-Uni est aussi chaotique qu'à Washington.

À quoi ressemble la politique chinoise de Londres? D'une part, plusieurs navires de la Royal Navy, menés par le porte-avions HMS Queen Elizabeth, viennent d'arriver au Japon pour participer à des exercices multilatéraux (avec un agenda anti-chinois évident) dans la région d'Okinawa. Pendant ce temps, Londres pointe du doigt Pékin.

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À cet égard, il convient de noter qu'Elizabeth "Liz" Truss, qui supervisait auparavant le commerce international, a été nommée ministre britannique des affaires étrangères. Elle a notamment mis en œuvre le volet commercial et économique de la politique globale du Royaume-Uni consistant à "s'incliner" vers la région indo-pacifique. Au demeurant, il est entendu que dans sa précédente publication, Elizabeth Truss préconisait le développement des relations avec Moscou.

Mais, dans l'ensemble, il semble que le projet AUKUS ait été développé dans la précipitation, sans tenir compte des conséquences possibles d'un projet aussi mal conçu. Les autorités responsables ont-elles vraiment été prises par surprise et n'ont-elles pas saisi les ramifications évidentes que le projet impliquait ? Car de tels projets ont tendance à se développer selon leur logique interne, ce qui surprend leurs auteurs.

En même temps, définir AUKUS comme une nouvelle "Triple Alliance" ravive quelques souvenirs désagréables en termes d'histoire. C'est la signature secrète de la "Triple Alliance" de 1882 entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie qui s'est avérée être un jalon historique, une date qui a marqué le début du somnambulisme de dirigeants européens qui les ont conduit inexorablement vers la Première Guerre mondiale, qui a entraîné de très graves conséquences pour l'humanité dans son ensemble, tant pour les vainqueurs que pour les vaincus.

Quant à la Russie, s'il ne faut pas exagérer l'importance d'AUKUS, le projet doit être analysé, car les déclarations écrites et orales ne suffisent pas à apporter beaucoup de clarté. Nous avons besoin d'au moins quelques détails qui n'apparaissent nulle part.

Du point de vue le plus élémentaire, ces événements reflètent l'urgence croissante de renforcer l'alliance sino-russe qui (ce point doit être souligné) ne doit être dirigée contre personne. En d'autres termes, il doit être entièrement défensif.

Entre-temps, il est nécessaire de chercher à établir des contacts avec les factions américaines qui favorisent la résolution des problèmes intérieurs (la question clé ici est probablement de contrôler la situation à l'intérieur du pays), de diminuer l'implication de Washington dans les conflits de politique étrangère dans le monde, et de forger des liens avec la Russie et la Chine. Ces pays ne sont pas intéressés par l'effondrement de cette puissance mondiale encore prédominante. La question de l'arsenal nucléaire américain et du contrôle des armements constitue à elle seule un énorme problème.

Il est nécessaire de rivaliser pour l'influence en Allemagne (avec la France comme concurrent), en Inde et même au Japon. La Russie et la Chine ont leurs propres pierres d'achoppement dans leurs relations avec chacune de ces puissances. Mais il existe des ouvertures qui ne semblent pas totalement déraisonnables. Cela dit, Moscou et Pékin devront faire preuve de souplesse et de patience dans leurs relations avec ces États.

* Expert ès-questions de l'aire Asie-Pacifique.

dimanche, 26 septembre 2021

Russie, territoire libre de l'Europe

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Russie, territoire libre de l'Europe

Par Claudio Mutti 

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/la-russia-territorio-libero-deuropa/#

L'année 2022 marquera à la fois le centenaire de la naissance et le trentième anniversaire de la mort de Jean Thiriart (1922-1922), un "géopoliticien militant" [1] dont ma revue Eurasia s'est occupé à plusieurs reprises, rendant accessible au public italien de nombreux articles publiés par lui dans des périodiques aujourd'hui pratiquement introuvables [2]. Défenseur acharné et infatigable, dans une Europe divisée entre le bloc atlantique et le bloc euro-soviétique, de la nécessité historique de "construire une grande Patrie: l'Europe unitaire, puissante, communautaire" [3], Thiriart en indique en 1964 les dimensions géographiques et démographiques: "Dans le cadre d'une géopolitique et d'une civilisation communes (...) l'Europe unitaire et communautaire s'étend de Brest à Bucarest. (...) Contre les 414 millions d'Européens, il y a 180 millions d'habitants des États-Unis et 210 millions d'habitants de l'URSS" [4].

Conçu comme une troisième force souveraine et armée, indépendante de Washington et de Moscou, l'"empire de 400 millions d'hommes", envisagé par Thiriart, devait établir une relation de coexistence avec l'URSS basée sur des conditions précises: "Une coexistence pacifique avec l'URSS ne sera pas possible tant que toutes nos provinces orientales n'auront pas retrouvé leur indépendance. La proximité pacifique avec l'URSS commencera le jour où l'URSS retournera dans les frontières de 1938. Mais pas avant: toute forme de coexistence qui pourrait impliquer la division de l'Europe n'est qu'une tromperie" [5].

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Selon Thiriart, la coexistence pacifique entre l'Europe et l'URSS trouverait son aboutissement le plus logique dans "un axe Brest-Vladivostok". (...) Si l'URSS veut garder la Sibérie, elle doit faire la paix avec l'Europe, avec l'Europe de Brest à Bucarest, je le répète. L'URSS n'a pas, et aura de moins en moins, la force de garder Varsovie et Budapest d'une part et Tchita et Khabarovsk d'autre part. Elle devra choisir, ou risquer de tout perdre. (...) L'acier produit dans la Ruhr pourrait très bien servir à défendre Vladivostok" [6].

L'axe Brest-Vladivostok théorisé à l'époque par Thiriart semblait avoir davantage le sens d'un accord visant à définir les zones d'influence respectives de l'Europe unie et de l'URSS, car " dans la première moitié des années 1960, Thiriart raisonne encore en termes de géopolitique "verticale" [7], ce qui le conduit à penser selon une logique plus "eurafricaine" qu'"eurasienne", c'est-à-dire à esquisser une extension de l'Europe du Nord au Sud et non d'Est en Ouest" [8].

Le scénario esquissé en 1964 a été développé par Thiriart au cours des années suivantes, de sorte qu'en 1982, il pouvait le définir ainsi: "Nous ne devons plus raisonner ou spéculer en termes de conflit entre l'URSS et nous-mêmes, mais en termes de rapprochement puis d'unification. (...) Nous devons aider l'URSS à se compléter dans la grande dimension continentale. Cela triplera la population soviétique qui, pour cette raison même, ne pourra plus être une puissance à "caractère russe" dominant. (...) Ce sera la physique de l'histoire qui obligera l'URSS à chercher des rivages sûrs: Reykjavik, Dublin, Cadix, Casablanca. Au-delà de ces limites, l'URSS n'aura jamais la tranquillité d'esprit et devra vivre dans une préparation militaire incessante. Et coûteuse" [9].

À cette époque, la vision géopolitique de Thiriart était devenue ouvertement eurasiste: "L'empire euro-soviétique - lit-on dans l'un de ses articles de 1987 - s'inscrit dans la dimension eurasienne" [10]. Ce concept a été réitéré par lui dans le long discours qu'il a prononcé à Moscou trois mois avant sa mort: "L'Empire européen - disait-il - est, par postulat, eurasien" [11].

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L'idée d'un "Empire euro-soviétique" a été formulée par Thiriart dans un livre écrit en 1984 et publié à titre posthume en 2018 (12). En 1984, il écrivit: "L'histoire donne aux Soviétiques l'héritage, le rôle, le destin qui, pendant un bref instant, avait été assigné au Reich: l'URSS est la principale puissance continentale en Europe, elle est le heartland des géopoliticiens. Mon discours actuel s'adresse aux chefs militaires de ce magnifique instrument qu'est l'armée soviétique, un instrument auquel manque une grande cause" [13]. Partant du constat que dans la mosaïque européenne composée d'États satellites des États-Unis et de l'URSS, le seul État véritablement indépendant, souverain et militairement fort était l'État soviétique, Thiriart attribuait à l'URSS un rôle similaire à ceux joués par le royaume de Sardaigne dans le processus d'unification italienne et par le royaume de Prusse dans le monde germanique ou, pour citer un parallèle historique plus ancien proposé par Thiriart lui-même, par le royaume de Macédoine en Grèce au IVe siècle avant J.-C.: "La situation de la Grèce en 350 av.J.C., morcelée en cités-états rivales et divisée entre les deux puissances de l'époque, la Perse et la Macédoine, présente une analogie évidente avec la situation de l'Europe occidentale actuelle, divisée en petits et faibles États territoriaux (Italie, France, Angleterre, Allemagne fédérale) soumis aux deux superpuissances" [14].

Par conséquent, tout comme il y avait un parti pro-macédonien à Athènes, il aurait été opportun de créer en Europe occidentale un parti révolutionnaire qui collaborerait avec l'Union soviétique; ce parti, en plus de se libérer des entraves idéologiques du dogmatisme marxiste incapacitant, aurait dû éviter toute tentation d'établir l'hégémonie russe sur l'Europe, sinon son entreprise aurait inévitablement échoué, tout comme la tentative de Napoléon d'établir l'hégémonie française sur le continent avait échoué. "Il ne s'agit pas, précise Thiriart, de préférer un protectorat russe à un protectorat américain. Non. Il s'agit de faire découvrir aux Soviétiques, qui n'en sont probablement pas conscients, le rôle qu'ils pourraient jouer: s'élargir en s'identifiant à l'ensemble de l'Europe. Tout comme la Prusse, en s'agrandissant, est devenue l'Empire allemand. L'URSS est la dernière puissance européenne indépendante disposant d'une force militaire importante. Il manque d'intelligence historique" [15].

* * *

L'URSS n'existe plus depuis trente ans. Pourtant, la Fédération de Russie, avec son immense territoire qui s'étend de la Crimée à Vladivostok, est aujourd'hui, comme l'URSS en 1984, le seul État véritablement indépendant et souverain dans une Europe qui est au contraire divisée en une multitude de petits États soumis à l'hégémonie de Washington.

En fait, le seul territoire européen qui n'est pas occupé par des bases militaires américaines ou de l'OTAN est le territoire russe. La seule armée qui n'est pas intégrée à une organisation militaire hégémonisée par les États-Unis d'Amérique est celle de la Fédération de Russie. La seule capitale européenne qui n'a pas à demander la permission aux États-Unis et à leur rendre des comptes est Moscou. Et même sur le plan spirituel et éthique, seule la Russie défend ces valeurs, héritage de la civilisation européenne authentique comme de toute civilisation normale, qui sont la cible de l'offensive massive déclenchée par les barbares de l'Occident "contre les fondements de toutes les religions du monde et contre le code génétique des civilisations, dans le but de renverser tous les obstacles sur la route du libéralisme". Ce sont les mots du ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, qui, dans une analyse parue dans le magazine russe Russia in Global Affairs, a dénoncé le danger mortel de la "guerre menée contre le génome humain, contre toute éthique et contre la nature"[16].

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Dans une Europe désormais incapable d'imaginer la possibilité et la légitimité d'un régime politique autre que le régime démocratique qui lui a été imposé dans les deux phases successives de 1945 et 1989, seule la classe dirigeante russe se montre consciente du fait que la démocratie n'est en aucun cas le seul ordre possible, valable indistinctement partout sur la terre, indépendamment des spécificités ethniques, culturelles et religieuses. Par exemple, commentant l'intervention américaine en Afghanistan, Sergueï Lavrov a déclaré : "La conclusion la plus importante est probablement que l'on ne doit apprendre à personne à vivre, et encore moins le forcer à vivre"; et il a rappelé les cas de l'Irak, de la Libye et de la Syrie, où "les Américains voulaient que chacun vive comme eux le voulaient" [17].

Quelques jours plus tôt, le 20 août 2021, Vladimir Poutine avait donné une semblable leçon de réalisme politique à une Europe acculée face au "Moloch de l'universel" - pour reprendre l'expression d'un philosophe admiré et lu par le président russe, Vissarion G. Belinskij (1811-1848). Poutine a déclaré : "Vous ne pouvez pas imposer votre mode de vie aux autres peuples, car ils ont leurs propres traditions. C'est la leçon à tirer de ce qui s'est passé en Afghanistan. Désormais, la norme sera le respect des différences, car on ne peut pas exporter la démocratie, qu'on le veuille ou non" [18].

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La circonstance dans laquelle Poutine a prononcé ces mots, fut une conférence de presse avec la chancelière allemande, où il a pu rappeler à certains les paroles visionnaires de Dostoïevski: "L'Allemagne a besoin de nous plus que nous ne le pensons". Et il n'a pas besoin de nous seulement pour une alliance politique temporaire, mais pour une alliance éternelle. L'idée d'une Allemagne réunifiée est grande et majestueuse et plonge ses racines dans la nuit des temps. (...) Deux grands peuples, donc, sont destinés à changer la face de ce monde" [19].

Aujourd'hui, ce n'est pas seulement l'Allemagne qui a besoin de la Russie, mais toute l'Europe, qui est désormais proche du point critique que Dostoïevski avait prévu lorsqu'il prédisait que "toutes les grandes puissances de l'Europe finiront par être anéanties, pour la simple raison qu'elles seront usées et subverties par les tendances démocratiques" [20] et que la Russie n'aurait qu'à attendre "le moment où la civilisation européenne atteindra son dernier souffle, pour reprendre ses idéaux et ses objectifs" [21].

Il est certain que la situation actuelle n'incite pas la Russie à envisager, ne serait-ce que comme une possibilité théorique, d'assumer le rôle de puissance agrégatrice en Europe. Cependant, si Moscou manque encore de ce que Jean Thiriart appelait "l'intelligence historique" nécessaire pour concevoir le grand dessein de la libération de l'Europe de l'occupation américaine et de la construction d'une superpuissance impériale entre l'Atlantique et le Pacifique, les conditions objectives auxquelles la Russie devra faire face dans les prochaines années favoriseront probablement la naissance d'une telle intelligence.

NOTES:

[1] Cette définition (cfr. “Eurasia” 2/2018, p. 13) a été choisie pour donner un titre à l'édition italienne de l'unique biographie de Jean Thiriart: Yannick Sauveur, Jean Thiriart, il geopolitico militante, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2021. Edition française: Qui suis-je ? Thiriart, Éditions Pardès, Grez-sur-Loing 2016. On lira aussi l'entretien que Sauveur a accordé à Robert Steuckers: Yannick Sauveur, biografo di Jean Thiriart, “Eurasia”, 4/2017, pp. 199-206.

[2] Praga, l’URSS e l’Europa, 1/2012; Criminale nocività del piccolo nazionalismo: Sud Tirolo e Cipro, 2/2013; La geopolitica, l’Impero, l’Europa, 1/2014; L’Europa fino a Vladivostok (prima parte), 4/2015; L’Europa fino agli Urali: un suicidio!, 2/2016; Intervista a Jean Thiriart (di Gene H. Hogberg), 2/2016; La NATO: strumento di servitù, 2/2017; Illusioni nazionaliste, 3/2017; L’Europa fino a Vladivostok (seconda parte), 4/2017; Esiste un “buon popolo” americano?, 1/2018; Carteggio col generale Perón, 1/2018; USA: un impero di mercanti, 2/2018; L’Occidente contro l’Europa, 3/2018; Dalla “Grande Europa” all’Europa più grande, 3/2018; L’imperialismo d’integrazione e gli Stati unitari, 4/2019; La stella polare della politica americana, 1/2019; Il vero pericolo tedesco, 2/2019; Il fallimento dell’impero britannico, 3/2019; Nazioni fittizie e nazionalismi illusori, 4/2019; Gli Arabi e l’Europa, 2/2020; Il mito europeo contro le utopie europee, 4/2020; La NATO: strumento di servitù, 1/2021; La pace americana: la pace dei cimiteri, 3/2021; La Russia in permanente stato d’assedio, 4/2021.

[3] Jean Thiriart, Un empire de 400 millions d’hommes: l’Europe, Bruxelles 1964. Trad. it. de Massimo Costanzo: Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, Giovanni Volpe, Roma 1965, p. 19. Trad. it. de Giuseppe Spezzaferro: L’Europa: un impero di 400 milioni di uomini, Avatar, Dublino, 2011.

[4] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., pp. 17-18.

[5] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., p. 21.

[6] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., pp. 26-29.

[7] Sur les concepts de géopolitique "verticale" et de géopolitique "horizontale", voir les observations critiques développées par Carlo Terracciano en rapport avec la géopolitique "verticale" d'Alexandre Douguine:  C. Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, “Eurasia”, 2/2005, pp. 181-197.

[8] Lorenzo Disogra, L’Europa come rivoluzione. Pensiero e azione di Jean Thiriart, Préface de Franco Cardini, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2020, p. 30.

[9] Jean Thiriart, Entretien accordé à Bernardo Gil Mugurza [rectius: Mugarza] (1982), in: AA. VV., Le prophète de la grande Europe, Jean Thiriart, Ars Magna 2018, p. 349.

[10] Jean Thiriart, La Turquie, la Méditerranée et l’Europe, “Conscience européenne”, n. 18, luglio 1987.

[11] Le long article L’Europe jusqu’à Vladivostok, diffusé en traduction russe par le périodique "Dyeïnn" puis publié en français dans le numéro 9 de “Nationalisme et République” en septembre 1992, est tiré du texte de la conférence de presse tenue par Thiriart à Moscou, le 18 août de la même année. La traduction italienne en est parue dans Eurasia: la première partie dans le n°4/2013 (pp. 177-183), la seconde partie dans le n° 4/2017 (pp. 131-145).

[12] Jean Thiriart, L’Empire euro-soviétique de Vladivostok à Dublin, Préface de Yannick Sauveur, Éditions de la Plus Grande Europe, Lyon-Bruxelles-Moscou 2018; trad. it. de C. Mutti: L’Impero euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, Yannick Sauveur éditeur, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2018.

[13] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 204.

[14] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 190.

[15] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 191.

[16] L’Occidente sta conducendo una guerra contro tutte le religioni e il codice genetico umano, afferma il diplomatico russo, https://strategika51.org, 30 giugno 2021.

[17] Lavrov su campagna militare Usa in Afghanistan: “non insegnate a nessuno come vivere”, Sputnik Italia, 25 agosto 2021.

[18] ANSA, Mosca, 20 agosto 2021.

[19] F. Dostoevskij, Diary of a writer, London 1949, vol. II, pp. 912-913.

[20] F. Dostoevskij, Diary of a writer, cit., vol. I, p. 296.

[21] F. Dostoevskij, Kriticeskie stat’i, in Sobranie sočinenij, Pietroburgo, 1894-1895, vol. IX, p. 25.

Précisions sur l'AUKUS

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Précisions sur l'AUKUS

Pierre-Emmanuel Thomann

1st Docteur en géopolitique, enseignant et expert sur les questions européennes et globales

Pour interpréter la configuration géopolitique émergente qui résulte de la création de l'alliance des Etats-Unis, de l'Australie et du Royaume-Uni (AUKUS) dans le cadre de la doctrine indo-pacifique, les enjeux doivent être abordés à l'échelle mondiale et pas seulement dans la zone Indo-Pacifique afin d'en souligner les ressorts profonds (carte ci-dessus : Stratégie géopolitique des Etats-Unis  contre la Russie et la Chine dans le contexte de la nouvelle rivalité des puissances, 2020).    
 
ll faut rappeler que selon la posture géopolitique Etats-Unis, la doctrine indo-pacifique (notion introduite par le Japon dès 2010), n'est que le volet asiatique d'une manoeuvre plus large qui consiste à encercler l'Eurasie, l'autre volet étant le front est-européen contre la Russie. AUKUS s'inscrit donc dans la volonté des Anglo-Saxons de se positionner au sommet de la hiérarchie des puissances.  
 
Cette alliance anglo-saxonne dans l'indo-pacifique est exclusive, car elle est liée à l'objectif des Anglo-Saxons de ralentir l'émergence du monde multipolaire à l'échelle mondiale, notamment contre la Chine mais aussi contre la Russie. Elle est complémentaire de la stratégie globale des Anglo-Saxons d 'empêcher aussi l'éventuelle émergence d'un bloc Ouest-européen autour de la France et l'Allemagne, avec à terme une entente avec la Russie, voire avec la Chine par voie continentale. L'objectif est aussi de forcer les Etats à choisir entre la Chine et les Etats-Unis, sur le mode, "vous êtes avec nous ou contre nous !". L 'AUKUS ne constitue donc qu'une escalade supplémentaire dans le cadre d'une grande stratégie des Etats-Unis vis-à-vis de l'Eurasie, avec pour objectif d'empêcher une puissance rivale de contrôler les zones côtières de ce continent (et mettre en danger sa suprématie). Elle trouve sa source dans la doctrine géopolitique de Spykman reconduite jusqu'à aujourd'hui (endiguement de l'URSS dans les années 1950) et de manière plus explicite, la désignation, de la Chine et la Russie comme adversaires des Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump.

L'angle spatial est le coeur de toute analyse géopolitique, et en s'inspirant de la formule du géographe allemand Friedrich Ratzel, "Im Raume lesen wir die Zeit" (Dans l'espace, nous lisons le temps), on peut ainsi dire "nous pouvons lire l'avenir dans les cartes !".

L'émergence de cette configuration était donc en grande partie prévisible. L'erreur de la diplomatie française (depuis le départ du général de Gaulle) a été de persister à croire qu'un rang privilégié pouvait lui être accordé en se coulant dans les priorités géopolitiques anglo-saxonnes (en s'inscrivant dans la doctrine indo-pacifique/en favorisant les élargissements de l'OTAN) tout en préservant une marge de manoeuvre tactique (en obtenant des contrats d'armements par exemple). Je souligne ici ma définition: une stratégie géopolitique, c'est l'anticipation sur l'espace temps des autres (alliés et ennemis). C'est désormais à la France de répliquer (prochain post).

samedi, 25 septembre 2021

L'Indo-Pacifique, banc d'essai de l'axe Moscou-Pékin

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L'Indo-Pacifique, banc d'essai de l'axe Moscou-Pékin

Emanuel Pietrobon

Ex: https://it.insideover.com/politica/indo-pacifico-il-banco-di-prova-dell-asse-mosca-pechino.html

La compétition entre les grandes puissances est entrée dans une nouvelle phase le 15 septembre, jour où les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie ont dévoilé au monde la formation d'un pacte indo-pacifique, le fameux AUKUS. L'alliance, comme on le sait, a été froidement accueillie au sein de l'Union européenne, notamment par la France - qui, sauf compensation, a perdu une commande de 65 milliards de dollars - et a donné l'impulsion à un bouleversement dans les eaux de plus en plus agitées de l'ancien océan Pacifique dont l'issue ne sera compréhensible que dans un avenir proche.

La conviction de l'administration Biden est que les Aukus peuvent contribuer à la stratégie de "mise en cage" de la République populaire de Chine dans un statut exclusivement tellurocratique - car c'est là l'un des grands leitmotivs géopolitiques des États-Unis contemporains - tout en encourageant les alliés européens à sortir de leur léthargie post-historique et en magnétisant les forces et les ressources des collaborateurs asiatiques sur le terrain.

La question de savoir si et dans quelle mesure les États-Unis parviendront à limiter et/ou à empêcher la montée incontrôlable de la Chine dépendra d'un certain nombre de facteurs et d'événements, que les Aukus pourraient déclencher ou inhiber, concernant les principales puissances d'Asie du Sud-Est, le Japon, l'indosphère et la non moins importante Russie.

Les répercussions possibles de l'affaire Aukus

L'Aukus est l'une des expressions les plus puissantes de la vision américaine de l'Indo-Pacifique, un fruit cultivé et mûri dans une plantation historiquement fertilisée par la stratégie belliciste de la chaîne d'îles et l'héritage de la "géopolitique du détroit" de la Compagnie des Indes orientales. Ce fruit a un moyen, l'anglosphère, et une fin, la Chine, mais ceux qui ont surveillé chaque étape de sa maturation ont peut-être négligé, ou complètement ignoré, le poids du facteur inconnu qu'est la Russie.

Pour le moment, Moscou n'a qu'une présence limitée dans les deux océans qui unissent les destins de l'indosphère, de la sinosphère et de l'anglosphère, car ils sont loin de ses frontières et donc moins importants pour la protection de sa sécurité nationale que, par exemple, l'Arctique ou l'Asie centrale. Et jusqu'à présent, en tout cas, l'expansion russe dans la région avait été conçue davantage comme un encerclement préventif de la Chine que comme une confrontation avec les États-Unis. Les Aukus, cependant, pourraient tout changer.

Depuis 2014, la Russie et la Chine collaborent activement sur les théâtres qui comptent, en se soutenant mutuellement et en opérant de manière à ne pas laisser de "vides de pouvoir" susceptibles d'être utilisés par des tiers, c'est-à-dire en agissant au nom d'une complémentarité syntonique et parfaite. En termes pratiques, cela signifie qu'il existe une division du travail entre le Kremlin et Zhongnanhai, le premier offrant ce que le second ne peut pas et/ou ne possède pas (et vice versa). Un modus operandi qui, jusqu'à présent, avait été appliqué partout (et avec succès) à l'exception de deux arènes : l'Afrique et l'Indo-Pacifique.

Après une décennie d'interventions ciblées, qui ont été utiles à la Russie pour empêcher la chute d'alliés clés comme le Venezuela et une pénétration occidentale excessive dans des endroits comme l'Asie centrale, il n'est pas exclu que l'entrée en scène des Aukus puisse encourager la Chine à demander un retour de faveur. Un retour qui pourrait prendre des formes inhabituelles, c'est-à-dire aller au-delà du simple soutien verbal et diplomatique, comme des exercices navals en mer de Chine méridionale, des patrouilles conjointes, des demandes de courtage et, non moins important, un soutien pour contourner la course d'obstacles qu'est la route maritime du sud.

Pivot vers l'Arctique

Les Aukus pourraient inciter Moscou et Pékin à tenter d'appliquer leur format de coopération complémentaire dans la région indo-pacifique, mais les tensions croissantes dans cette zone - qui abrite 46 % du commerce de la planète - pourraient également produire une réaction géographiquement asymétrique, c'est-à-dire concernant l'Arctique.

En effet, la Russie préférerait ne pas s'impliquer dans l'infinie aire indo-pacifique en raison des risques liés à une extension impériale excessive et des effets négatifs d'une homologation excessive aux politiques chinoises - il ne faut pas oublier que les principaux collaborateurs du Kremlin dans la région sont l'Inde, les Philippines et le Vietnam, trois des grands rivaux de la Chine -, donc, en plus d'une monstration musculaire symbolique (adressé aux États-Unis), elle pourrait profiter de l'occasion pour relancer la route (plus sûre) de la mer au Nord.

Car ce qui est en jeu dans l'Indo-Pacifique, ce n'est pas seulement l'existence de Taïwan, l'hégémonisation de la mer de Chine méridionale et la sortie de l'Empire céleste de sa condition tellurique, mais aussi (et surtout) le contrôle des routes maritimes qui relient les deux côtés du supercontinent eurasien. Des routes pleines d'obstacles, comme les fameux goulets d'étranglement, les pirates et l'armée américaine. Des routes dangereuses et de plus en plus obsolètes, comme l'a montré le récent accident du canal de Suez, qui pourraient être contournées en contournant facilement l'Eurasie par le nord.

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Certains événements semblent indiquer que la réaction géographiquement asymétrique pourrait être plus qu'une simple hypothèse. Dans l'ère post-Aukus, en fait, le Kremlin a montré profil bas dans l'Indo-Pacifique - parlant de l'alliance comme d'une menace pour la Chine - compensé par une publicité renouvelée pour la route arctique. Plus précisément, la Russie a dévoilé un paquet d'investissements supplémentaires pour le développement de cette route en devenir pour la période 2022-24 d'une valeur de plus de 250 millions de dollars. L'objectif déclaré de ce paquet est d'accélérer les travaux sur la route de 5.600 kilomètres, mais il pourrait y avoir plus que cela: le désir d'exploiter les turbulences de l'Indo-Pacifique au profit du passage du Nord-Est.

Le Pacte AUKUS et la guerre contre l'Eurasie

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Le Pacte AUKUS et la guerre contre l'Eurasie

Daniele Perra

Ex: https://www.geopolitica.ru/it/article/il-patto-aukus-e-la-guerra-alleurasia

La géopolitique thalassocratique classique définit le "monde insulaire", la World Island, comme l'ensemble des masses continentales eurasiennes et africaines. Cette "sphère majeure" est entourée d'un certain nombre de "sphères mineures" qui agissent comme ses satellites et qui, d'une manière ou d'une autre, ont historiquement cherché à exercer une pression constante sur elle et à contenir tout effort de coopération possible en son sein. Ce rôle de "satellite" a été historiquement attribué au Japon à l'Est, d'abord à la Grande-Bretagne ("une île européenne mais pas en Europe") puis aux États-Unis à l'Ouest, et aujourd'hui à l'Océanie au Sud de l'Eurasie.

Si l'on exclut l'archipel japonais, dont les ambitions de puissance ont été anéanties par deux bombes nucléaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont les ambitions technologiques ont été freinées par la concurrence déloyale des États-Unis eux-mêmes dans les années 1980, le schéma géopolitique qui se dessine est celui d'un encerclement par l'"anglosphère" de l'Eurasie.

Déjà le stratège Nicholas Spykman, après avoir reconnu l'impossibilité pour une puissance thalassocratique d'accéder au coeur de la masse terrestre de l'Asie centrale, soutenait l'idée que l'affrontement (qui refait toujours surface) entre les puissances maritimes et les puissances terrestres (qui utilisent des expressions telluriques même lorsqu'elles se réfèrent à la mer) ne pouvait avoir lieu que dans le rimland: c'est-à-dire dans la zone des marges du continent eurasien. Cet affrontement, selon Spykman, est principalement dû à une forme de bipolarité permanente: celle entre le "Nouveau Monde" (l'"Occident" dirigé par l'Amérique du Nord) et l'"Ancien Monde" (l'Eurasie). Et le même géopoliticien nord-américain a reconnu la supériorité potentielle de l'"Ancien Monde" sur le "Nouveau Monde". En effet, les États-Unis ne pourraient jamais faire face à une coalition anti-hégémonique de deux ou plusieurs puissances eurasiennes (l'Eurasie a deux fois et demie la superficie et dix fois la population de l'hémisphère occidental). C'est pourquoi leur objectif ne peut être autre que de semer le chaos dans l'espace eurasiatique susmentionné, de contenir toute tentative d'expansion maritime de ses puissances et d'empêcher toute coalition de ses centres de pouvoir: il s'agit donc d'empêcher l'interconnexion entre les ressources naturelles du centre et la force industrielle de la périphérie.

Le récent pacte AUKUS, signé entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, doit être interprété avant tout à la lumière de ces considérations stratégiques et idéologiques. Et surtout, à la lumière du fait que les États-Unis, malgré les preuves répétées de soumission, continuent de percevoir l'Europe (au moins dans certaines de ses composantes) comme un rival plutôt que comme un allié/partenaire.

En fait, le pacte AUKUS représente simplement une évolution des accords militaires et stratégiques qui remontent à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La surprise qu'elle a suscitée est plutôt déplacée. Déjà en 1946, un accord entre les États-Unis et le Royaume-Uni, connu sous le nom d'UKUSA, visait la coopération en matière de renseignement. C'est à cette époque qu'ont été élaborés les premiers plans anglo-américains d'attaque nucléaire contre l'Union soviétique (plans qui, en 1967, ont conduit à l'identification de 72 sites d'attaque atomique dans la seule région de Moscou).

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Winston Churchill, 5 mars 1946.

L'accord entre le Royaume-Uni et les États-Unis a été signé le 5 mars 1946, exactement le jour où Winston Churchill a utilisé l'expression "rideau de fer" dans son célèbre discours de Fulton. Le pacte a été élargi en 1948 au Canada et en 1956 à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande, devenant ainsi l'infrastructure mondiale de surveillance et d'espionnage complète et semi-puissante connue aujourd'hui sous le nom de "Five Eyes", un système qui n'a été reconnu par les gouvernements respectifs qu'au cours de la première décennie du XXIe siècle. Le secret de cette alliance était (et est) tel que le bureau du Premier ministre australien n'en a eu connaissance qu'en 1973 [1].

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L'accord secret prévoyait que chaque membre de l'alliance était responsable d'une zone géographique spécifique. Le Royaume-Uni était responsable de l'Europe, du Moyen-Orient, de la Russie occidentale et de Hong Kong (il convient de rappeler que les émeutes pro-chinoises de Hong Kong en 1967, contrairement aux manifestations séparatistes hétérodoxes d'aujourd'hui, ont été réprimées dans le sang par les forces de sécurité coloniales) [2]; les États-Unis étaient responsables du Moyen-Orient, de la Chine, de l'Afrique, de l'Amérique latine et de l'Union soviétique; l'Australie de l'Asie du Sud-Est; la Nouvelle-Zélande du Pacifique Sud; et le Canada de la Chine et de la Russie de l'intérieur.

Cette alliance secrète était d'ailleurs fondée sur des valeurs communes de démocratie libérale-capitaliste. Ce n'est pas un hasard si le père de la pensée géopolitique thalassocratique, l'amiral américain Alfred T. Mahan, a défini la "culture anglo-américaine" comme "une oasis de civilisation dans le désert de la barbarie". On retrouve des déclarations similaires à l'origine du mouvement sioniste, lorsque Theodor Herzl a présenté son projet de colonisation de la Palestine comme un avant-poste de la civilisation au milieu de la barbarie.

À vrai dire, le sionisme et l'anglosphère n'ont apporté que mort et destruction dans les espaces qu'ils ont occupés et dans lesquels ils ont tenté d'imposer leur influence. La Grande-Bretagne, par exemple, est également à l'origine de l'invention des camps d'internement pour la population civile, une pratique largement utilisée pendant les guerres anglo-boers au tournant des XIXe et XXe siècles. Les États-Unis, en revanche, outre le génocide des indigènes (également réalisé au moyen d'armes bactériologiques ante litteram, comme la propagation consciente de la variole), ont le mérite d'avoir perfectionné la "diplomatie alimentaire": la capacité de faire encore plus de victimes que la confrontation militaire par l'imposition de sanctions économiques, d'embargos et de blocus navals (l'actuel Ceasar Act étudié contre la Syrie est, en ce sens, l'un des exemples les plus récents et les plus criants).

Aujourd'hui, le rôle attribué aux "Five Eyes" est d'assurer la domination aérospatiale et maritime de l'Anglosphère vis-à-vis de l'Eurasie (dans ses deux composantes orientale et occidentale) afin de protéger les "valeurs partagées" susmentionnées. Ce point, à la lumière des événements récents, doit être analysé à plusieurs niveaux.

Tout d'abord, le pacte AUKUS utilise une fois de plus la rhétorique dépassée qui consiste à présenter des opérations ouvertement agressives comme soutenant la paix et la stabilité. En réalité, ce que l'on cherche à soutenir, c'est uniquement la stabilité de l'ordre mondial américano-centré par le partage de technologies militaires avancées (intelligence artificielle et propulsion nucléaire sous-marine) avec un allié central dans l'espace indo-pacifique (un terme à nouveau propre à la géopolitique thalassocratique).

Pour protéger cet ordre, l'US Navy déploiera des sous-marins nucléaires d'attaque de classe Virginia sur la base navale australienne de Perth ; de son côté, le Royaume-Uni fournira à l'Australie la technologie de propulsion nucléaire pour les sous-marins d'attaque de classe Astute afin de créer 8 sous-marins dans le chantier naval d'Adélaïde [3].

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Avant de se concentrer sur le malaise français, deux faits ressortent: l'exclusion du Canada et de la Nouvelle-Zélande (les deux autres membres des Five Eyes) de l'accord; l'exclusion d'autres " alliés " régionaux comme le Japon, la Corée du Sud et l'Inde du projet de partage de la technologie militaire.

Il est un fait que le Canada et la Nouvelle-Zélande sont en quelque sorte considérés comme le "ventre mou" de l'alliance, même si le Canada a fait preuve d'une loyauté absolue avec l'arrestation de Meng Wangzou, cadre de Huawei. Le discours concernant les alliés régionaux est plus complexe. L'Inde et le Japon font déjà partie du système quadrilatéral avec les États-Unis et l'Australie. En outre, Washington a signé un accord avec New Delhi pour le partage de données satellitaires sensibles le long des frontières indiennes avec la Chine et le Pakistan. Mais le rôle de l'Inde, bien que central dans la région indo-pacifique, ne peut être directement projeté dans la zone de la mer de Chine méridionale: l'une des zones méditerranéennes de l'Eurasie où, avec l'Afghanistan, se jouera le jeu le plus important de la nouvelle guerre froide. Et l'Inde, comme le Japon et la Corée du Sud, ne fait pas partie de l'anglosphère, malgré son passé colonial. Le Japon et la Corée du Sud, pour leur part, sont également trop proches des menaces directes de la Chine et de la Corée du Nord. Il est donc peu pratique de déployer des armes et des technologies facilement accessibles à l'"ennemi"[4].

En conclusion, on ne peut faire l'impasse sur l'analyse de la réponse française qui, malgré quelques vagues références à une armée européenne (absolument dépourvue de sens lorsqu'elle est associée à l'OTAN), peut être attribuée à ce nationalisme mesquin que Jean Thiriart n'a cessé de définir comme "imbécile".

Paradoxalement, la création de l'AUKUS, pour l'instant, bien qu'elle ouvre la course aux sous-marins nucléaires d'attaque et la militarisation de l'Indo-Pacifique, a mis la France en colère plus que la Chine. En effet, d'une part, l'AUKUS met fin aux ambitions de l'Union européenne de pouvoir compter (à travers son premier pays militaire) sur un théâtre stratégique fondamental au niveau mondial. De l'autre, elle fait perdre à Paris une commande de plus de 56 milliards d'euros pour la construction de 12 sous-marins conventionnels (de type Barracuda) signée avec Canberra en 2016. Et elle liquide l'ambition française de devenir une puissance thalassocratique à part entière.

Historiquement, une telle ambition s'est heurtée au caractère géographique d'un Etat, la France, qui est certes baignée sur plusieurs côtés par la mer, mais qui a dû partager une partie de ses frontières avec l'Allemagne, qui tient le centre de la "péninsule européenne", tout en la reliant à la vaste extension continentale de l'Eurasie.

Pour être juste, il faut dire que l'accord franco-australien, entre hausses de coûts et retards, ne progressait pas dans le meilleur des mondes. Toutefois, on pourrait en dire autant de l'accord anglo-australien sur la fourniture de quelques frégates à la Royal Australian Navy. Un accord qui, à son tour, a été signé au détriment de Fincantieri, lorsque le gouvernement australien, n'écoutant pas l'avis contraire de la marine elle-même, a opté "politiquement" pour les frégates britanniques au lieu des Fremm, déjà valables et testées. À cette occasion, malgré la perte d'une commande de 23 milliards de lires, le gouvernement italien, à la différence du gouvernement français, ne s'est même pas permis un petit sursaut d'orgueil.

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S'il en était encore besoin, l'AUKUS démontre le caractère inégalitaire des alliances occidentales. L'anglosphère devient, à toutes fins utiles, le moteur stratégique de l'"Occident", tandis que l'Europe n'est qu'un simple troupeau d'alliés secondaires, utile uniquement pour constituer un débouché pour le complexe militaro-industriel d'outre-mer. Il suffit de dire que la tentation de se ranger immédiatement du côté du nouveau pacte à trois est largement perçue dans de nombreux pays européens: non seulement en Europe orientale, mais aussi en Italie, ce qui est induit par le fait que la France s'est rarement comportée comme un allié (pensez au cas libyen). D'autre part, l'une des principales stratégies de la géopolitique anglo-américaine a toujours été de maintenir l'Europe dans une condition de division interne et d'insipidité au niveau international, afin de garantir son hégémonie sur l'extrémité occidentale de l'Eurasie.

NOTES:

[1] Les Cinq Yeux. L'alliance de l'intelligence de l'anglosphère, www.ukdefencejournal.org.uk.

[2] Voir J. Cooper, Colony in conflict : the Hong Kong disturbances May 1967- January 1968, Swindon Book Company, Hong Kong 1970.

[3] Voir AUKUS, Submarines for Australia and the Lesson for Europe, www.analisidifesa.it.

[4] Pourquoi fournir des sous-marins nucléaires à l'Australie, mais pas à la Corée du Sud ou au Japon?, www.thediplomat.com.

Le Brésil adhèrera-t-il à l'OTAN ?

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Raphael Machado:

Le Brésil adhèrera-t-il à l'OTAN ?

Ex: http://novaresistencia.org/2021/09/23/

Joe Biden a offert au Brésil la position de partenaire non membre de l'OTAN, l'alliance militaire atlantiste créée pendant la guerre froide pour faire face à l'URSS et qui sert aujourd'hui à affronter la Russie et la Chine. Mais quelles sont les conditions ? Et cela servirait-il l'intérêt national du Brésil ?

Il y a quelques jours, l'hémisphère occidental a été surpris par l'invitation faite au Brésil de devenir un "partenaire mondial" de l'OTAN. Le Brésil n'est pas le premier partenaire militaire ibéro-américain de l'OTAN et des États-Unis. Dans la pratique, il y a actuellement trois pays de notre continent qui sont dans l'orbite de l'OTAN : l'Argentine, la Colombie et le Brésil.

À titre d'introduction, les relations de l'Argentine avec l'OTAN ne datent pas d'hier. L'Argentine a participé activement à la guerre du Golfe, a pris part aux opérations militaires en Bosnie et au Kosovo, ainsi qu'à de nombreux exercices et accords dans les années 1990. Toute la géopolitique argentine de la période Menem est marquée par un rapprochement avec les États-Unis, par une vassalité vis-à-vis des puissances atlantiques et par une volonté d'intégrer l'OTAN, pour finalement obtenir le statut d'allié non membre. Curieusement, le gouvernement brésilien, à l'époque sous le commandement du libéral Fernando Henrique Cardoso, a même critiqué le rapprochement de l'Argentine avec l'OTAN, affirmant que cela introduirait des éléments externes complexes dans le contexte de la sécurité régionale et entraverait les débats sur la construction d'un système de défense commun pour le Mercosur, ce qui semble en fait s'être produit, puisque c'est un thème qui a été oublié jusqu'à ce qu'il soit relancé par l'UNASUR.

Cependant, dès le début du gouvernement Lula, le Brésil a entamé un processus de rapprochement avec l'OTAN, initialement dans les domaines économique, logistique et matériel, sous la justification de l'ouverture de marchés pour l'industrie brésilienne. Une chose qui, en soi, et si elle s'arrêtait là, ne serait pas si problématique. Mais le Brésil a continué à être courtisé. Rappelons même que le Brésil faisait déjà partie d'un pacte militaire atlantique, le traité de Rio, qui prévoit que les membres défendront militairement tout pays, membre du pacte, qui serait attaqué par une puissance extérieure. À première vue, ce sont des termes raisonnables, mais le seul pays américain susceptible d'être attaqué par un État étranger est les États-Unis, celui-là même qui provoque la plupart des guerres, ce qui rend le traité de Rio douteux du point de vue de l'intérêt national des États ibéro-américains.

En complément, en 2018, la Colombie est devenue un partenaire global de l'OTAN, un niveau de coopération supérieur à celui d'un allié non membre. Cette décision est également intervenue après des années de rapprochements et d'accords entre les pays. Dans le cas de la Colombie, elle est intervenue au moment le plus tendu des relations avec le Venezuela, à la suite de manœuvres militaires conjointes entre le Pérou, la Colombie et le Brésil avec le soutien du Pentagone.

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Or, le projet d'intensifier le rapprochement entre le Brésil et l'OTAN intervient juste après la victoire électorale de Bolsonaro. Le secteur des relations internationales du gouvernement brésilien compte plusieurs personnages aux tendances millénaristes olaviennes, qui croient en un caractère salvateur et moral de l'OTAN (en tant que rempart contre la "menace communiste") et considèrent donc qu'il est essentiel que le Brésil s'aligne sur l'OTAN pour lutter pour le salut de la "civilisation occidentale".

Il est important de se rappeler qu'une alliance militaire est toujours dirigée contre un ennemi spécifique. Il n'y a pas de pacte militaire dans l'abstrait, même si l'ennemi n'est pas ouvertement déclaré, il y a toujours un ennemi en tête dans le chef de toute alliance militaire. Dans le cas des relations militaires avec les pays d'Amérique du Sud, la cible régionale est évidemment le Venezuela. C'est pourquoi, au-delà des délires millénaristes olaviens, il n'y a aucun avantage à cette association toujours plus étroite avec l'OTAN. Ce sont les États-Unis qui ont besoin de nous et qui veulent nous instrumentaliser contre une nation insoumise. Nous n'avons pas besoin des États-Unis pour les questions de sécurité régionale, car le Brésil n'a pas de problèmes majeurs de sécurité d'urgence impliquant des menaces émanant d'États étrangers, à l'exception de la menace américaine elle-même.

C'est donc dans ce contexte qu'intervient la décision de Trump de désigner le Brésil comme un allié non membre de l'OTAN en 2019. Notons que la liste des pays ayant ce statut est précisément la liste des pays non européens classiquement reconnus comme vassaux des États-Unis. Certains essaient de lire ce rapprochement comme ayant une importance purement commerciale, mais nous ne pouvons pas être d'accord avec ce point de vue. Elle a ouvert la possibilité de partenariats qui pourraient rendre le Brésil dépendant des systèmes de défense américains. Il s'agit d'une question fondamentale qui transcende le simple commerce, car celui qui vend de la technologie militaire possède également les moyens de faire face à cette technologie militaire. Ainsi, dans un scénario où une bonne partie des armes et des systèmes de défense brésiliens proviendraient des États-Unis, ils seraient pratiquement inutiles contre les États-Unis, précisément le pays du monde le plus susceptible de nous envahir ou de nous bombarder (comme ils ont déjà menacé de le faire à plusieurs reprises par le passé).

À titre d'exemple de la déviation de la tradition diplomatique brésilienne, il y a quelques mois, le Brésil a participé à un exercice militaire dans la mer Noire ukrainienne, un exercice dirigé contre la Russie, évidemment. De quelle manière la participation à cet exercice aurait-elle servi les intérêts du Brésil? L'inclusion du Brésil dans l'OTAN va à l'encontre de la politique de défense nationale brésilienne, qui souligne l'importance de l'Atlantique Sud (le concept d'"Amazonie bleue") et la construction de partenariats militaires avec d'autres pays de l'Atlantique Sud, notamment africains, pour protéger les ressources de la région. Cependant, cette politique va précisément à l'encontre des intérêts des pays de l'Atlantique Nord qui ont encore des possessions dans l'Atlantique Sud ou convoitent les ressources régionales.

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Nous en arrivons donc au développement le plus récent, avec l'invitation de Joe Biden. L'idée est d'élever le Brésil au rang de partenaire mondial, au même titre que la Colombie. Cela impliquerait même la possibilité d'une participation active du Brésil aux actions militaires de l'OTAN dans le monde. En échange, les États-Unis veulent que le Brésil empêche Huawei d'entrer sur le marché de la 5G au Brésil.

Maintenant, ni le blocage de Huawei n'intéresse le Brésil, ni l'entrée dans l'OTAN ne nous intéresse. Les États-Unis utilisent l'argument selon lequel la Chine peut utiliser cette technologie pour espionner les pays, mais le Brésil est victime de l'espionnage américain depuis des décennies, les récents scandales étant encore frais dans la mémoire. Pour Bolsonaro, il est important de plaire aux États-Unis en ce moment pour obtenir le soutien international dont il a tant besoin en cette période de crise intérieure maximale. D'autre part, la Chine est actuellement le principal partenaire économique du Brésil. En d'autres termes, en pratique, le Brésil perd avec cette approche, mais Bolsonaro peut avoir une petite victoire et les États-Unis une grande victoire.

Dans le contexte général, il s'agit donc, de la part des États-Unis, de faire face à l'expansion du projet Belt & Road (et de la Chine en général) à travers l'Atlantique Sud, ce qui, à l'heure du repli dans plusieurs autres zones géostratégiques de la planète, est fondamental pour les États-Unis. Après tout, nous sommes son "arrière-cour", comme il est devenu populairement connu.

Mais l'OTAN, relique de la guerre froide et incompatible avec un monde qui évolue vers la multipolarité, est une alliance qui a de moins en moins de prestige. Le retrait inattendu des États-Unis d'Afghanistan, faute de coordination avec leurs alliés, abandonnant ces derniers pour faire cavalier seul, a fait baisser le prestige militaire américain et terni l'image de Biden. Aujourd'hui, les dirigeants européens réfléchissent à nouveau à l'autonomie stratégico-militaire, mais tout dépendra des résultats des élections en Allemagne et en France.

La conclusion est donc qu'il n'est pas dans l'intérêt du Brésil de se rapprocher encore plus de l'OTAN. Nous perdrions plus que nous gagnerions. Ce sont les États-Unis qui ont besoin de nous. Il en va de même pour l'Argentine et la Colombie. Ce qui nous intéresse, c'est de recommencer à discuter, entre voisins, des questions fondamentales de la défense et de la sécurité ibéro-américaines, et de la manière de les résoudre de façon coordonnée.

Source : Diario La Verdad

jeudi, 23 septembre 2021

Les conséquences de l'accord AUKUS

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Les conséquences de l'accord AUKUS

Ex: http://aurorasito.altervista.org/?p=19902 & Moon of Alabama

L'accord AUKUS a permis à l'Australie d'annuler sa commande de sous-marins diesel à la France en acceptant l'offre américaine et britannique d'acquérir des sous-marins nucléaires. Il n'est pas du tout certain que l'Australie trouvera l'argent nécessaire pour payer des sous-marins nucléaires. Ils sont de 50 à 100 % plus chers que les produits conventionnels. L'Australie veut également s'assurer qu'au moins 60% du prix est réinjecté dans la production australienne. Mais il n'y a pas d'entreprises en Australie ayant une expertise dans la technologie nucléaire. Il est également peu probable que les États-Unis ou le Royaume-Uni laissent l'Australie acquérir une telle capacité. Il y a également peu de chances que l'un des nouveaux navires soit prêt avant 2040. D'ici là, il est probable que Taïwan sera sous le contrôle de Pékin et que la primauté navale de la Chine en mer de Chine méridionale n'aura fait que croître.

On peut donc s'interroger sur le calendrier et sur la finalité de cet accord jusqu'à présent. C'est peut-être parce que le plan réel est différent: "Le gouvernement Morrison envisage de louer à court terme des sous-marins à propulsion nucléaire au Royaume-Uni ou aux États-Unis, mais la Coalition insiste sur le fait que les armes nucléaires ne resteront pas en Australie. Le ministre des finances, Simon Birmingham, et le ministre de la défense, Peter Dutton, ont confirmé que la location des sous-marins des alliés AUKUS pourrait être une solution tampon jusqu'à ce que l'Australie en prenne livraison, potentiellement dans les années 2040. "La réponse courte est oui", avait répondu Dutton lorsqu'il avait été interrogé à ce sujet. M. Birmingham a déclaré que les accords de location n'augmenteraient pas nécessairement "le nombre de sous-marins et la capacité des nations partenaires", mais qu'ils contribueraient à la formation et au partage d'informations. "Cela pourrait nous donner l'occasion de former nos marins, de leur fournir les compétences et les connaissances nécessaires à notre fonctionnement', avait-il déclaré. Il nous aiderait à fournir les plates-formes nécessaires pour moderniser l'infrastructure de Perth, qui est nécessaire pour ces sous-marins. Je m'attends à voir... des accords de location ou des opérations conjointes accrues entre nos marines à l'avenir qui verront nos marins travailler en étroite collaboration et, en fait, potentiellement sur des navires britanniques et américains pour obtenir ces compétences, cette formation et ces connaissances."

Perth sera alors construit sur une base compatible avec le probable stationnement permanent de sous-marins nucléaires américains. Ils portent des armes nucléaires. Les bateaux "loués", ou du moins leur système de propulsion, continueraient bien entendu à être pilotés par des équipages américains ou britanniques. Les Australiens ont déjà des problèmes pour maintenir les équipages de leurs sous-marins. Les quelques équipages qui seront disponibles pour les bateaux "loués" ne seront pas suffisants pour les gérer.

Les Australiens paieraient grassement le privilège d'être invités à bord de sous-marins sans doute commandés par les États-Unis. Le gouvernement australien prévoit également d'acheter aux États-Unis des missiles à longue portée très coûteux. Cela permettra d'intégrer davantage leurs forces dans les plans américains de guerre contre la Chine.

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Comme nous l'avons écrit dans un article précédent: "Il s'agit d'une victoire énorme mais à court terme pour les États-Unis, avec un prix ridicule pour la Grande-Bretagne également, et une perte stratégique de souveraineté et de contrôle budgétaire pour l'Australie. La perte de souveraineté australienne, si du moins une telle souveraineté existe, est évidente. Ses nouveaux plans, comme les précédentes mesures anti-chinoises, auront également de mauvaises conséquences économiques. Les négociations en vue d'un accord de libre-échange avec l'UE vont désormais être interrompues: "L'un de nos États membres a été traité de manière inacceptable, nous voulons donc savoir ce qui s'est passé et pourquoi", a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ajoutant que la situation doit être clarifiée "avant de continuer à faire comme si de rien n'était"...

L'Union européenne était le troisième partenaire commercial de l'Australie en 2020, selon la Commission européenne. Le commerce de biens entre les deux s'est élevé à 36 milliards d'euros (42 milliards de dollars) cette année-là, tandis que le commerce de services s'est élevé à 26 milliards d'euros (30 milliards de dollars) en 2019... La menace d'un accord commercial avec l'UE est intervenue à un moment où l'Australie tente de développer de nouveaux marchés d'exportation après que les relations avec la Chine, jusqu'ici son principal partenaire commercial, se soient récemment envenimées. Le charbon, le vin, l'orge et le bœuf australiens ont déjà été affectés par les tensions commerciales avec la Chine et, selon les experts, les accords AUKUS ont encore aggravé l'antagonisme de Pékin".

La Chine reste le premier partenaire commercial de l'Australie. Le principal produit d'exportation de l'Australie est le minerai de fer. Mais même ce commerce est aujourd'hui en grande difficulté: "Le prix du minerai de fer, principal produit d'exportation de l'Australie, a continué à chuter alors que le principal client de la Chine a décidé de réduire sa production d'acier et ses émissions de carbone pour le troisième mois consécutif. Après avoir atteint un record de 230 dollars la tonne en mai, le matériau clé de la fabrication de l'acier a vu son prix divisé par deux et se négocie désormais à moins de 110 dollars la tonne, ce qui a fait chuter le cours des actions des poids lourds de l'industrie minière cotés à l'ASX: BHP, Rio Tinto et Fortescue".

D'autres raisons expliquent la baisse des besoins de la Chine en minerai de fer, et donc de son prix. L'effondrement imminent du groupe immobilier chinois Evergrande va marquer une pause dans le boom de la construction en Chine. La Chine recycle de plus en plus d'acier provenant d'anciennes infrastructures et a donc besoin de moins de minerai de fer brut, même si elle continue à construire de nouvelles usines. Le minerai de fer dont la Chine a encore besoin proviendra bientôt d'Afrique: "Le principal objectif de la diversification de la Chine est la Guinée. Un pays pauvre mais riche en minéraux en Afrique de l'Ouest. Une chaîne de collines de 110 km de long, appelée Simandou, contiendrait la plus grande réserve au monde de minerai de fer de haute qualité non encore exploité..... Le projet de développement de Simandou a été divisé en quatre blocs. La Chine a une participation directe ou indirecte dans chacun d'entre eux. La zone contient environ 2,4 milliards de tonnes de minerai classé à plus de 65,5 %. "L'extraction des réserves de minerai de fer de Simandou transformerait le marché mondial et catapulterait la Guinée au rang de centrale d'exportation de minerai de fer avec l'Australie et le Brésil", avait déclaré Lauren Johnston, chercheur associé à l'Institut de Chine de la SOAS à l'Université de Londres. Si la Chine débloque les réserves de Simandou et fait baisser les prix internationaux du minerai de fer, "vous verrez les marchés sélectifs des matières premières de plus en plus déterminés par la dynamique des pays en développement", a déclaré M. Johnston. Il serait plus facile pour la Chine de naviguer dans ces eaux que de devoir faire des affaires avec l'Australie, membre du Quadrilatère. (Le récent coup d'État en Guinée ne devrait pas modifier ces plans).

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Les mines de fer de Simandou

Le boom minier australien, alimenté par l'essor de la Chine, touche à sa fin. Le pays devra réduire son budget et chercher un nouveau modèle économique. Mais pourquoi parler d'une "victoire énorme mais à court terme" pour les États-Unis ?

C'est une victoire dans la mesure où les États-Unis ont acquis une base de sous-marins en Australie et seront payés pour l'utiliser. Cela semble bien une victoire si l'intention est de mener une guerre froide contre la Chine. Il est douteux qu'il s'agisse d'une stratégie nécessaire et il est tout aussi douteux qu'elle réussisse. Les fabricants d'armes vont évidemment adorer. Mais ce n'est qu'une victoire à court terme dans le sens où les États-Unis vont perdre de nombreux partenaires actuels et potentiels. Elle a relégué les partenaires de la QUAD, l'Inde et le Japon, au second plan et a renforcé les soupçons de l'Indonésie, de la Malaisie et même de Singapour quant à l'éventualité de plans malveillants à leur encontre: "En particulier, l'Indonésie et la Malaisie s'opposeraient fermement au projet de l'Australie d'acquérir sa flotte de sous-marins à propulsion nucléaire avec l'aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Même Singapour, l'allié le plus fiable de l'Australie dans la région, a exprimé son inquiétude... Si rien d'autre n'a été fait, la décision de sceller les accords AUKS a renforcé la perception largement répandue selon laquelle le mantra de l'Australie selon lequel elle fait "partie de la région" n'est en fait qu'un "discours creux". L'Australie a fermement signalé son intention de donner la priorité aux alliés anglo-saxons que sont les États-Unis et la Grande-Bretagne".

Un ancien ambassadeur britannique en France prédit des problèmes pour l'OTAN: "Peter Ricketts a déclaré que la décision de Canberra d'abandonner son contrat avec Paris pour des sous-marins diesel en faveur des sous-marins nucléaires de Washington creuserait un fossé entre les alliés et affaiblirait l'alliance transatlantique". Je pense qu'une telle démarche sape certainement la confiance des Français dans l'OTAN et les alliés de l'OTAN, et renforce donc le sentiment qu'ils doivent dicter l'autonomie stratégique européenne", a-t-il déclaré. "Je pense que cela ne peut que nuire à l'OTAN, car l'OTAN repose sur la confiance. Les travaux de réparation doivent commencer de toute urgence". 

En marge de l'Assemblée générale des Nations unies, les ministres des affaires étrangères de l'UE discuteront du nouveau pacte de défense signé entre les États-Unis, l'Australie et la Grande-Bretagne... M. Ricketts, représentant permanent auprès de l'OTAN en 2003-2006, a déclaré que la France verrait dans ce conflit un "tournant" dans les relations avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. "Il y a un sentiment accru à Paris que les Nord-Américains tournent de plus en plus le dos à leurs alliés européens en matière de sécurité et se concentrent sur leur contentieux avec la Chine", a-t-il ajouté. La France, l'Allemagne et d'autres pays européens veulent être les partenaires économiques de la Chine. Ils considèrent les tentatives américaines de lancer une nouvelle guerre froide comme une diversion inutile par rapport à d'autres problèmes. Il sera de plus en plus difficile pour les États-Unis de faire en sorte que les Européens "s'alignent" sur leurs plans. Dans l'ensemble, les États-Unis ont gagné un point d'appui et un partenaire mineur dans leur tentative désespérée de soumettre la Chine, quatre fois plus grande, mais ils ont perdu la confiance et le soutien du reste du monde. Il s'agit d'une erreur stratégique aux conséquences à long terme.

Traduction par Alessandro Lattanzio

mercredi, 22 septembre 2021

L'"anglosphère" s'en prend aussi à l'entreprise italienne Fincantieri

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L'"anglosphère" s'en prend aussi à l'entreprise italienne Fincantieri

par Alberto Negri

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-anglosfera-fa-fuori-anche-fincantieri

Aukus. Le méga-contrat avec l'Australie pour neuf frégates Fremm d'une valeur de 23 milliards a été annulé. Canberra a préféré la proposition britannique, même si le projet n'est encore que sur le papier. Le message des États-Unis est clair : il n'y a pas de place pour l'Europe dans le Pacifique.

L'"Anglosphère", le pacte Aukus américano-britannico-australien, a soulevé l'ire de la Chine et frappé durement la France, qui a retiré ses ambassadeurs à Washington et à Canberra. Les Français affirment avoir été tenus dans l'ignorance de l'annulation de la fourniture de sous-marins nucléaires par Naval Gorup, pour un montant de 56 milliards d'euros, mais en fait, il y avait déjà eu un signal d'alarme car, au début de l'été, les Italiens s'étaient également fait rouler par les Australiens.

Et précisément sur la maxi-fourniture de frégates Fremm à la marine australienne par l'entreprise publique Fincantieri, un projet dans lequel le groupe français Naval est également partenaire. En d'autres termes, le piège est double. C'est une histoire intéressante - passée sous silence par les médias nationaux italiens parce que personne n'aime être trompé - qui révèle le niveau de concurrence entre les Européens et le complexe militaro-industriel de l'"Anglosphère" qui, avec le pacte Aukus - l'OTAN dans le Pacifique - lancé par Biden, Johnson et Morrison veut mettre la Chine dans les cordes.

C'est ainsi que la plus importante commande navale italienne de ces dernières décennies, celle passée à l'Australie pour neuf frégates d'une valeur totale d'environ 23 milliards d'euros, a été annulée en juin. La commande a été remportée par l'entreprise anglaise Bae Systems, devant deux autres concurrents, Fincantieri et l'entreprise espagnole Novantia. Le rêve de vendre des navires italiens, qui étaient en fait le fruit d'une collaboration italo-française, a donc été brisé.

C'était un choix politique plutôt que technique, et pour cette raison, il était d'autant plus brûlant. De la comparaison entre la proposition gagnante et la proposition italienne, un aspect est ressorti avant tout : les frégates britanniques sont encore en phase de conception et ne seront disponibles qu'à la fin de la prochaine décennie, alors que les frégates italiennes sont déjà opérationnelles et testées, ce qui aurait permis aux Australiens d'avoir leurs premiers navires dans quelques années. Les Australiens ont donc misé sur un navire valable sur le papier, au lieu d'un navire qui a déjà prouvé son efficacité. Cette décision ne peut être justifiée sur le plan technique et opérationnel.
Le choix, en effet, n'avait aucune justification sur le plan technologique: les Fremms italo-françaises - souligne l'IAI, l'Institut des affaires internationales - sont les unités en service les plus avancées au monde. En outre, Fincantieri avait prévu d'investir directement en Australie pour la construction des navires et d'impliquer largement les fournisseurs locaux.

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Autres réalisations de la firme italienne Fincantieri

Afin de remporter cette commande, le système national était plus engagé que jamais. Une croisière spécifique d'un Fremm de la marine a été organisée, ainsi que la visite en Australie d'une délégation gouvernementale - militaire, diplomatique et industrielle - culminant avec l'arrivée du ministre de la défense puis du ministre des affaires étrangères.

Pour l'Italie, la perte de la commande navale australienne, qui semblait être une affaire réglée, a été une amère déception. Nous avons été battus par un modèle de frégate britannique qui n'existait que sur le papier. S'il est vrai que, dans le domaine naval, un choix est destiné à conditionner les plans militaires nationaux pendant trente ans, cela signifie que l'Italie (mais aussi la France, partenaire de Fincantieri, dans le cas des frégates) n'a pas été jugée suffisamment fiable. Une rebuffade.

En fait, en coulisses, une discussion animée et empoisonnée s'est engagée entre diplomates, militaires et industriels italiens, en raison de l'habituel transfert de responsabilités, suivi d'un silence assourdissant pour ne pas trop amplifier l'échec. Chut et chut, chut et encore chut... dans le pur style manzonien. Un choix qui s'impose également, étant donné que ces frégates Fremm, que nous avons déjà vendues à l'Égypte d'Al-Sisi et au Qatar, Fincantieri aimerait également les placer auprès de l'Arabie saoudite et du Maroc.

La zone d'expansion et d'influence du complexe militaro-industriel européen, non seulement italien, selon les plans de l'"Anglosphère" devrait être limitée, à quelques exceptions près, à la Méditerranée, au Golfe et à l'Afrique, mais ne pas s'étendre au Pacifique, qui est le quadrant stratégique de prédilection des États-Unis.

C'est l'un des messages qui accompagnent le Pacte d'Aukus. Et alors que l'Union européenne a lancé jeudi une nouvelle stratégie dans l'Indo-Pacifique, première pièce d'un projet baptisé Global Gateway avec lequel les Vingt-Sept veulent signer des accords internationaux qui vont bien au-delà du commerce, dans l'industriel, le numérique, la connectivité et, comme par hasard, dans la "sécurité maritime".

Le "coup de poignard dans le dos" dont parle le ministre français des Affaires étrangères Le Drian à propos du pacte Aukus est le début d'un grand jeu géopolitique qui vise d'une part à faire pression sur la Chine, mais aussi à redéfinir les zones d'expansion militaire et économique dans un monde qui investit l'Eurasie et le Pacifique.

Les États-Unis veulent aussi laisser des miettes à leurs alliés et quelques pièges pour occuper amis et ennemis, de l'Afghanistan à l'Irak, dont ils se retirent à la fin de l'année pour faire place à l'OTAN. Ils nous laissent vingt ans de désastres, de guerres, de millions de morts et de réfugiés civils, de déstabilisation éternelle, de chaos : et même pas un pourcentage des profits du complexe militaro-industriel. Ce sont les Français qui protestent, pas nous, comme d'habitude car nous sommes alignés et couverts.

Le meurtre géopolitique d'Alfred Herrhausen

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Le meurtre géopolitique d'Alfred Herrhausen

par Giacomo Gabellini

Source : Giacomo Gabellini & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-omicidio-geopolitico-di-alfred-herrhausen

Avant d'embrasser une carrière de banquier et de s'attirer les bonnes grâces du chancelier Helmut Kohl, Alfred Herrhausen avait géré avec une grande intelligence la restructuration de Daimler-Benz, à qui il avait imposé un processus de diversification aboutissant à la transformation de l'entreprise en un groupe technologique intégré, doté du savoir-faire nécessaire pour opérer dans les secteurs stratégiques de l'aérospatiale, de la défense, de l'électronique et de la technologie ferroviaire. Dans le cadre du plan de Herrhausen, la division Mercedes a été progressivement rejointe par les trois autres divisions principales, Dasa, axée sur l'aérospatiale et la défense, Aeg, axée sur l'électronique, et Debis, axée sur les finances.

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En bon industriel "prêté" au monde de la finance, Herrhausen avait prévu de se débarrasser des coûts de la réunification en mettant les hautes compétences des anciens ingénieurs et ouvriers est-allemands au service d'un projet visant à la relance économique de toute l'Europe de l'Est. D'ici dix ans", déclare Herrhausen, "l'Allemagne de l'Est deviendra le complexe le plus avancé technologiquement en Europe et le tremplin économique vers l'Est, de sorte que la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et même la Bulgarie joueront un rôle essentiel dans le développement européen" (1).

Dans un article publié dans le journal économique allemand Handelsblatt, Herrhausen a dénoncé le fait que la politique d'endettement adoptée par les banques, en particulier les banques américaines, à l'égard des pays en difficulté financière visait à aggraver leurs conditions, et a indiqué que les mesures à adopter pour parvenir à une reprise économique vigoureuse dans les pays en développement étaient une forte réduction du fardeau de la dette (jusqu'à 70 %) des pays pauvres, une réduction des taux d'intérêt à cinq ans et un allongement de la durée des prêts. Une telle recette permettrait en effet "à ces nations de réaffecter à la relance économique les ressources jusqu'alors allouées au service de la dette". (2). 

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Le concept de Herrhausen s'inspire de l'accord de Londres sur la dette de 1953, grâce auquel l'Allemagne de l'Ouest a pu opérer un puissant redressement industriel. Le banquier a estimé que les déséquilibres de la dette constituaient un "risque systémique" et a donc proposé de les atténuer en créant à Varsovie un organisme inspiré de la Kfw, qui avait géré avec succès la relance de l'économie allemande après la Seconde Guerre mondiale. Un organisme alternatif à la Banque mondiale et au FMI, chargé d'accorder des prêts dans le cadre d'un "nouveau plan Marshall" visant à la relance des pays d'Europe de l'Est, et non à leur conversion immédiate au système néolibéral. Dans le droit fil de cette "nouvelle Ostpolitik", le banquier allemand a fait pression pour l'abolition de la dette "intra-entreprise", un chiffre comptable qui accablait les anciennes industries communistes (en 1994, il atteignait 200 milliards de marks) et grâce auquel la Banque mondiale et le FMI tenaient les pays d'Europe de l'Est entre leurs mains.

Le président de la Deutsche Bank est même allé jusqu'à souligner que la renaissance économique de l'ancienne zone soviétique et son intégration dans la structure productive de l'Europe occidentale étaient dans l'intérêt de l'Allemagne qui, pour y parvenir, devrait allouer des ressources à la construction de lignes ferroviaires rapides capables d'assurer le transport rapide des matières premières de la Russie vers les centres industriels allemands. Il s'agissait précisément du type de projet auquel la Grande-Bretagne, puis les États-Unis, avaient opposé une résistance acharnée au cours des décennies précédentes, comme Kissinger l'a lui-même candidement admis: "Si les deux puissances [l'Allemagne et la Russie] devaient s'intégrer économiquement et forger des liens plus étroits, leur hégémonie serait menacée" (3).

Dans la vision profondément novatrice de Herrhausen, l'Allemagne devait être transformée en un pont entre l'Est et l'Ouest et en un moteur pour la reconversion industrielle de l'Europe de l'Est - en particulier de la Pologne, qui était considérée comme la nation clé de la région. Alors qu'il s'efforçait de mettre en pratique ses plans, qui consistaient à libérer l'ensemble du "vieux continent" de la "tutelle" économique américaine par la Banque mondiale et le FMI, Herrhausen a révélé qu'il s'était heurté à des "critiques massives", en particulier de la part du président de la Citibank, Walter Reed, notamment après qu'il eut publiquement plaidé en faveur d'un moratoire sur la dette de l'Europe de l'Est pendant quelques années. 

Malgré la forte résistance à laquelle il est confronté, Herrhausen parvient néanmoins à étendre le champ d'action de la Deutsche Bank en absorbant la Bank of America and Italy, les banques d'affaires Mdm (portugaise), Albert de Bary (espagnole) et Morgan Grenfell (une prestigieuse banque d'investissement londonienne). Le renforcement de ce qui était déjà la plus grande institution de crédit allemande était nécessaire pour constituer un pôle économique valable et puissant pour faire contrepoids aux grands groupes financiers anglo-américains, qui menaient une vaste campagne d'expansion monétaire en accordant des prêts à fort taux d'intérêt aux pays pauvres. Du point de vue de Washington, le projet de Herrhausen représentait une menace particulièrement insidieuse car il remettait en cause l'emprise des États-Unis sur les pays en développement (le président mexicain Miguel de la Madrid, impressionné par les idées de Herrahusen, l'a invité à Mexico en 1987 pour analyser ses propositions) dont dépendait le maintien de l'ordre économique établi pendant l'ère Reagan. "Les marchés financiers et monétaires mondialisés sont désormais une question de sécurité nationale pour les États-Unis" (4), a déclaré sans ambages le directeur de la CIA William Colby, faisant écho à son collègue de la CIA William Webster, qui a déclaré qu'avec la chute du mur de Berlin, "les alliés politiques et militaires de l'Amérique sont désormais [devenus] ses rivaux économiques" (5).

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Le 1er décembre 1989, un engin explosif à déclenchement laser placé devant le domicile de Herrhausen à Bad Homburg (banlieue cossue de Francfort) fait exploser la voiture blindée dans laquelle le banquier venait de monter. La responsabilité a été attribuée au groupe terroriste d'inspiration communiste Rote Armee Fraktion (Raf), bien que la sophistication de l'attaque ait suggéré un spectre plus large d'investigations. Ce n'est pas une coïncidence si les trois membres de la "nouvelle génération" de l'ancienne bande Baader-Meinhof, qui ont été arrêtés au cours des enquêtes initiales, se sont avérés par la suite ne pas être impliqués dans l'attentat. À ce jour, la justice allemande n'a pas été en mesure d'identifier les coupables.

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Le colonel Fletcher Prouty, un vétéran de la CIA qui avait déjà décrit au procureur Jim Garrison le contexte politique dans lequel l'assassinat de John F. Kennedy avait eu lieu, a révélé que l'assassinat de Herrhausen avait eu lieu "quatre jours avant que [le banquier] ne vienne aux États-Unis pour faire un discours qui pourrait changer le destin du monde". Le mur de Berlin était tombé et Herrhausen voulait expliquer aux Américains les nouveaux horizons de l'Europe [...]. Herrhausen a parlé d'une grande Europe unie, sans l'interférence de la Banque mondiale. Il a parlé d'un projet d'intégration entre l'Europe de l'Est et de l'Ouest. Une opération qui aurait changé les relations internationales et qui a été étouffée dans l'œuf". (6). C'est pourquoi, selon Prouty, l'assassinat du président de la Deutsche Bank s'inscrit dans le même cadre général que celui dans lequel se sont déroulés les meurtres d'Enrico Mattei et d'Aldo Moro.

Notes:

1) Voir Engdahl, William, What went wrong with East's Germany economy, "Executive Intelligence Review", 2 octobre 1992.
2) Herrhausen, Alfred, Die Zeit ist reif. Schuldenkrise am Wendepunkt, 'Handelsblatt', 30 juin 1989.
3) Cf. Kissinger : "Der Western muß sich an das neue Selbstbewußtsein der Deutschen gewöhnen", "Welt am Sonntag", 3 mai 1992.
4) Cf. Taino, Danilo, Belzébuth sur le yacht, "Corriere della Sera", 10 mars 1993.
5) Voir le directeur de la CIA, Webster, qui cible les alliés américains, "Executive Intelligence Review", 13 octobre 1989.
6) Voir Cipriani, Antonio, Colonel Prouty : "Je vous explique qui gouverne le monde", "L'Unità", 19 mars 1992.

La France est devenue une puissance régionale de second rang

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La France est devenue une puissance régionale de second rang

Andrei Martyanov

Source Reminiscence of the future

Eh bien, je vais aussi en parler. Je veux dire toute cette affaire AUKUS et la perte par la France d’un énorme contrat pour fournir des sous-marins à la Royal Australian Navy. À ce stade, je ne suis pas intéressé par les détails techniques de cette histoire, car il est inutile de se concentrer sur les détails techniques de quelque chose qui peut encore changer plusieurs fois, peut-être même ne jamais se concrétiser. En revanche, je m’intéresse, comme toujours, aux facteurs fondamentaux qui définissent le cadre du problème. Le Drian et toute personne au sommet de la politique française peuvent bien exprimer leur frustration et jouer aux jeux géopolitiques qu’ils veulent :

Vendredi, la France a rappelé ses ambassadeurs à Washington et à Canberra 
après que l'Australie a abandonné un important programme de sous-marins avec
la France en faveur de l'acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire
avec l'aide des États-Unis et du Royaume-Uni. Paris a violemment protesté
contre le nouvel accord entre l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni,
connu sous le nom d'AUKUS. Le Drian a qualifié l'abandon du programme
franco-australien de "coup de poignard dans le dos".

Cela ne change rien au fait qu’en ces temps de crise grave et terminale de la Pax Americana et du libéralisme occidental, la France n’est plus une superpuissance mondiale et n’est importante que parce qu’elle suit le monde anglo-saxon qui mène une lutte désespérée pour sa survie en tant que puissance mondiale. C’est aussi simple que cela. La France n’est tout simplement pas vraiment importante pour cette lutte existentielle. En fin de compte, D.C. et Londres se préoccupent d’abord d’eux-mêmes, aussi déformée et illusoire que soit cette préoccupation, et Paris est considérée comme une simple « nourriture » qui sera consommée si la nécessité et l’opportunité se présentent. Vous pouvez toujours rétorquer que la France a sa propre dissuasion nucléaire, qu’elle possède Renault et le siège d’Airbus, qu’elle a son propre programme spatial, etc. C’est vrai. Tout cela est un fait, mais n’oublions pas la définition, et non la pseudo-science politique de l’Ouest, de la puissance globale. Bien, la définition est celle des 14 critères de Jeffrey Barnett (à ne pas confondre avec Corelli Barnett) et permettez-moi de vous rappeler ce qu’ils sont. Barnett les a énumérés dans le trimestriel « Paramètres de l’US Army War College », en 1994.  Quelle que soit la façon dont les réalisations de la France sont considérées, dont certaines avec un respect bien mérité, la France ne correspond tout simplement à aucun de ces 14 critères.

La France ne domine pas l’accès à l’espace, les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde le font ; la France ne contrôle pas les voies de communication maritimes (SLOC), les États-Unis, la Chine et la Russie le font, la France ne fournit certainement pas la majorité des produits finis, la Chine le fait et la France ne domine certainement pas l’industrie de l’armement de haute technologie, les États-Unis et la Russie le font. Même si l’on imagine que demain la Marine Nationale ajoute deux autres porte-avions à propulsion nucléaire à sa flotte, cela ne fera toujours pas de la France une puissance mondiale. Militairement et économiquement, la France est une puissance de second rang, qui a cédé une partie de sa souveraineté à des organisations supranationales telles que l’OTAN et l’UE et qui ne remplit donc pas le critère le plus important définissant une puissance mondiale ou une superpuissance : des politiques mondiales totalement indépendantes et protégées. La France n’est pas non plus capable de créer et de maintenir une quelconque alliance significative par elle-même. Les États-Unis et la Russie le peuvent, tandis que la Chine, en raison de son énormité économique et démographique, est une alliance en soi. De plus, la Chine et la Russie ont des alliances entre elles.

Donc, dans ce cas, étant une puissance régionale de second rang, la France ne peut pas s’attendre à ce que ses intérêts soient sérieusement pris en compte lorsque l’on parle de projets aussi immenses, financièrement parlant, que l’AUKUS. Les alliances sont créées non seulement contre quelqu’un mais aussi pour un accès exclusif aux capitaux et aux marchés, en particulier les marchés d’armes, au sein de ces alliances. Dans ce cas particulier, la France est un outsider et peu importe les hyperboles utilisées par les politiciens français frustrés pour décrire la « trahison » de la France par les Anglo-Saxons, c’est une réalité. Scott Ritter a peut-être raison lorsqu’il décrit l’affaire AUKUS comme une histoire d’achats militaires géopolitiques devenus fous. Mais si l’on considère l’état économique des États-Unis qui est en bout de course, tous les moyens sont bons pour maintenir un flux de trésorerie et la France a simplement été supprimée sur la route de ce flux de trésorerie. C’est aussi simple que cela. A temps désespérés, mesures désespérées. Un truisme, vraiment.

Ainsi, quelques soient les détails techniques de tout ce cirque, certaines leçons sont déjà évidentes et je souscris ici à chaque mot de la conclusion de Ritter :

Mais le fait demeure que les États-Unis n'ont pas de riposte militaire significative 
face à la Chine, que le Royaume-Uni n'est pas capable de maintenir une présence
militaire crédible dans le Pacifique et que l'Australie ne peut pas se permettre
d'acquérir et d'exploiter une force de huit sous-marins d'attaque à propulsion
nucléaire. Le projet de sous-marin nucléaire australien est une plaisanterie
dangereuse qui ne fait qu'exacerber la crise géopolitique existante avec la
Chine en y injectant une dimension militaire qui ne servira à rien.

Toute cette histoire d’AUKUS, comme je l’ai déjà dit précédemment, est un excellent indicateur du déclin de la puissance des États-Unis, qui, dans leurs tentatives désespérées de préserver les restes de leur hégémonie mondiale autoproclamée, sont prêts à tout, sauf, espérons-le, à la guerre nucléaire, et s’il faut humilier et « sacrifier » la France, qu’il en soit ainsi. L’Europe occidentale devrait se préparer à l’être aussi, comme je l’écris depuis de nombreuses années (je cite un article d’il y a 2 ans) :

Macron fait une erreur ici. Eh même plusieurs erreurs, en fait. Pour commencer, 
"pousser la Russie hors d'Europe" n'était pas une "erreur stratégique" - c'était
le plan et l'objectif principal de Washington, dirigé à l'époque par Obama et
continuellement mis en œuvre maintenant par l'administration Trump. De plus,
"chasser la Russie" ne concerne pas seulement la Russie, mais aussi l'Europe
elle-même. L'Europe, telle qu'elle existe aujourd'hui, ne présente aucun intérêt
pour la Russie dans un sens métaphysique, si ce n'est un intérêt purement économique
en tant que marché, mais la majorité des Russes se félicitent aujourd'hui de la
réussite de cette "mise à l'écart". L'Europe, pendant ce temps, est un agneau
sacrifié pour les États-Unis qui, dans une tentative désespérée de sauver leur
peau, vont démolir l'Europe économiquement parce que les élites européennes
sont une pathétique parodie de direction politique, certaines d'entre elles
sont carrément des imbéciles, sans oublier qu’un certain nombre sont effectivement
des produits de la sélection américaine. Donc, non - laissez l'Europe traiter avec
les États-Unis, ou vice-versa, et laissez la Russie en dehors de cela.

Alors, ne me dites pas que je ne vous ai pas prévenu. Oh, allez, les États-Unis ont besoin de manger aussi. Au moment où la France a réintégré pleinement l’OTAN en 2009, un processus défendu par le président de l’époque, Sarkozy , tout a été fini pour elle. Dommage qu’elle ne l’ait pas vu venir. Eh bien, elle le voit maintenant. Comme on dit : mieux vaut tard que jamais. Tolstoï l’avait déjà vu il y a longtemps :

Un Français est sûr de lui parce qu'il se considère personnellement, tant dans 
son esprit que dans son corps, comme irrésistiblement attirant pour les hommes
et les femmes. Un Anglais est sûr de lui, car il est citoyen de l'État le mieux
organisé du monde, et donc, en tant qu'Anglais, il sait toujours ce qu'il doit
faire et sait que tout ce qu'il fait en tant qu'Anglais est indubitablement correct.
Un Italien est sûr de lui parce qu'il est excitable et qu'il s'oublie facilement
et oublie les autres. Le Russe est sûr de lui parce qu'il ne sait rien et ne
veut rien savoir, car il ne croit pas que l'on puisse savoir quoi que ce soit.
L'assurance de l'Allemand est la pire de toutes, la plus forte et la plus
répugnante de toutes, car il s'imagine connaître la vérité - la science - qu'il
a lui-même inventée mais qui est pour lui la vérité absolue.

Eh bien, que dire. Nous sommes au XXIe siècle et la France n’a absolument rien appris depuis le départ de son dernier Titan et Héros, parti en 1969. Ou, plutôt, chassé par ce que beaucoup considèrent encore comme une révolution de couleur organisée par les États-Unis. Il est donc temps de faire face aux conséquences.

Pendant ce temps, la Russie continue de construire ces corvettes à missiles comme s’il n’y avait pas de lendemain, la dernière en date, Grad (Grêle), a été mise à l’eau à Zelenodolsk hier (vidéo en russe):

https://www.youtube.com/watch?v=FTSAcvhVL8M

Avec les nouveaux 3M14M d’une portée de 4 500 km, ces navires peuvent frapper n’importe quel pays d’Europe à partir d’un fleuve ou d’un lac situé au cœur du territoire russe. Au cas où. Autre nouvelle connexe :

TEHRAN (Iran News) - L'Agence fédérale russe du transport aérien (Rosaviatsia) 
et l'Organisation de l'aviation civile de la République islamique d'Iran ont
signé le 6 septembre 2021 un protocole d'accord visant à "créer des conditions
favorables à l'approbation de la conception standard des équipements de l'aviation
civile russe exportés en Iran"
. L'accord est le résultat des négociations qui ont

eu lieu entre les deux autorités aéronautiques en juin 2021, a expliqué Rosaviatsia
dans un communiqué.

L’Iran recevra un grand nombre de SSJ-100R entièrement russifiés. Le MS-21 est en cours, une fois que la Russie aura satisfait ses besoins internes en matière d’aviation commerciale.

Andrei Martyanov

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

mardi, 21 septembre 2021

La dialectique technologique sino-américaine

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La dialectique technologique sino-américaine

Daniel Miguel López Rodríguez

Ex: https://posmodernia.com/la-dialectica-tecnologica-chino-estadounidense/ 

Au cours des dernières décennies, et surtout ces dernières années, la Chine a fait un grand bond en avant économique et technologique, ce qui est alarmant pour les États-Unis et peut-être pour ce que nous appelons "l'Occident" (une expression qui semble dire beaucoup pour ne rien dire). 

Le gouvernement chinois n'est pas soumis à des cycles électoraux courts, comme c'est le cas dans les démocraties occidentales, et le comité central des dirigeants peut donc s'engager dans une planification à long terme, comme le prévoient leurs plans quinquennaux. Cela a été fondamental pour la croissance de la Chine dans les domaines de l'éducation, de la santé, des infrastructures, de la recherche et du développement. Voici l'une des raisons pour lesquelles la Chine est devenue l'une des principales nations technologiques du 21e siècle. 

La Chine s'est plainte et a averti Trump "de ne pas créer un champ de bataille dans l'espace", car les États-Unis "ont poussé leur stratégie de domination de l'espace, allant plus loin dans la voie de l'arsenalisation de l'espace et risquant de le transformer en un nouveau théâtre de guerre" (cité par Alfredo Jalife-Rahme, Guerra multidimensional entre Estados Unidos y China, Grupo Editor Orfila Valentini, Mexico 2020, p. 269). Les trois superpuissances s'affronteront-elles sur terre, sur mer et dans les airs, mais aussi dans le cyberespace et l'espace orbital ? 

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En 1967, deux ans avant qu'Apollo 11 ne se pose sur la lune, le traité sur l'espace extra-atmosphérique a été signé et ratifié par 110 pays interdisant la militarisation de l'espace (dont les États-Unis et l'Union soviétique, ainsi que la Chine de Mao). Cela semble désormais être une lettre morte, et il est plus réaliste de parler de "guerre des étoiles" que de "paix céleste".     

Le système de défense antimissile américain est plus présent dans différents pays et régions, avec des cibles russes et chinoises à portée, comme le système de défense de zone terminale à haute altitude (THAAD) construit par l'entrepreneur militaire Lockheed Martin.

Alors que les États-Unis dépensent 3.000 milliards de dollars en dépenses militaires, ce que fait également la Russie, bien qu'à une moindre échelle, la Chine ne dépense pas un seul yuan pour la guerre (elle dépense un seul yuan pour construire une bonne armée, ce qui est une autre question). L'Empire du Milieu n'est pas entré en guerre depuis 1979, alors que les Etats-Unis sont en guerre en permanence (pour la plus grande gloire et le plus grand profit du complexe militaro-industriel). La Chine investit dans les infrastructures, se targuant de 30.000 kilomètres de voies ferrées à grande vitesse, de la 5G de Huawei et de l'alunissage sur la face cachée de la lune. C'est précisément sur la lune que la Chine entend se fournir en hélium 3, une substance qui pourrait fournir 10.000 ans d'énergie (40 grammes d'hélium 3 peuvent remplacer 5 000 tonnes de charbon).

L'intelligence artificielle est également très importante pour la guerre. Eric Schmidt, président d'Alphabet Inc, filiale de Google, a prévenu que "la Chine dépassera les États-Unis dans le domaine méga-stratégique de l'intelligence artificielle (IA) d'ici 2025, puis dominera le secteur d'ici 2030" (Alfredo Jalife-Rahme, Multidimensional war between the United States and China). Bien que les États-Unis aient été les pionniers de l'IA, ils semblent être en passe d'être dépassés par la Chine, ce qui va poser un très sérieux problème à la cabale GAFAT (Google, Apple, Facebook, Amazon, Twitter) de la Silicon Valley associée au Pentagone, plus précisément au segment du Defence Innovation Board (DIB). Selon les experts, la Chine a déjà dépassé les États-Unis en matière de 5G et d'IA d'au moins 10 ans. 

Avec la "guerre commerciale", les États-Unis (avec Trump et Biden) tentent d'affaiblir l'avancée de la Chine dans le domaine de l'intelligence artificielle et de la robotique, domaine dans lequel l'avancée chinoise semble imparable. Les États-Unis achètent beaucoup plus à la Chine que la Chine n'achète au pays américain, d'où l'excédent commercial que la nation asiatique a acquis. Trump a exigé la réciprocité de la Chine, mais pendant que cette asymétrie s'éternisait, la Chine s'est surdéveloppée.

Le projet "Made in China 2025" englobe l'intelligence artificielle, la robotique, l'informatique quantique, les nouveaux véhicules à énergie autonome, les dispositifs médicaux à haute performance, les composants de navires de haute technologie et d'autres industries émergentes pour la défense nationale. Avec toute cette haute technologie, Pékin cherche l'autarcie, mais dans un monde globalisé (nous nous référons à la globalisation positive qui existe réellement et que nous avons décrite dans les pages de Posmodernia : https://posmodernia. com/globalizacion-positiva-y-globalizacion-aureolar/) avec l'interdépendance croissante, surtout entre la Chine et les États-Unis, l'autarcie est quelque chose qui semble impossible, même s'il s'agit d'une "autarcie technologique" telle que présentée sous la forme d'un plan quinquennal lors de la cinquième session plénière du Parti communiste chinois (PCC) ; car il y aura toujours des confrontations corticales, et même inévitablement des accords ponctuels et donc des échanges technologiques et de toutes sortes. Même si, comme l'a dit Kissinger en 2018, la Chine et les États-Unis sont presque destinés à un conflit, et là, l'interdépendance serait un combat, comme un bataillon d'hoplites. Quoi qu'il en soit, l'objectif des autorités de Pékin est de faire de l'Empire du Milieu une superpuissance technologique, même si cela, à la crainte de beaucoup, peut déjà être affirmé sans réserve.

Huawei est la seule marque de téléphones à défier Samsung et Apple, étant la marque phare de l'ambitieux projet Made in China 2025. D'où le veto américain à l'encontre de Huawei. C'est pourquoi le conseiller juridique de l'entreprise, Song Liuping, s'en est pris à M. Trump en lui reprochant d'aller "à l'encontre du marché libre et de la liberté de choix des consommateurs" (https://www.naiz.eus/es/hemeroteca/7k/editions/7k_2019-12-08-06-00/hemeroteca_articles/la-guerra-fria-del-siglo-xxi). Huawei est une entreprise privée, mais Trump a insisté sur le fait qu'elle travaillait pour le gouvernement de Pékin (ce qui n'est en aucun cas une affirmation farfelue de l'homme aux cheveux blonds, comme il est caricaturé dans la presse mondialiste). 

Comme l'a déclaré Ren Zhengfei, fondateur et PDG de l'entreprise, "il est ironique que les États-Unis, dont nous savons pertinemment qu'ils espionnent leurs citoyens et d'autres personnes à l'étranger parce qu'Edward Snowden l'a révélé, accusent une entreprise chinoise de collaborer avec le gouvernement chinois sans que personne n'ait trouvé le moindre lien". "Vendre la Chine comme le mal est devenu à la mode" (Ibid.). Et cela concerne à la fois l'élite financière mondialiste (Soros ne s'est pas privé de pointer du doigt la Chine, mais aussi la Russie) et l'élite nationaliste derrière Trump. 

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En décembre 2018, le PDG de Huawei, Meng Wanzhuo, a été arrêté au Canada pour fraude, complot et détournement de fonds. Les Américains ont vu dans le réseau 5G une technologie destinée à l'espionnage chinois, bien que l'espionnage n'ait pas été étranger aux États-Unis, il suffit de demander à Snowden. Pour éviter l'espionnage américain, les Chinois ont créé leurs propres réseaux sociaux, tels que WeChat et Weibo.

Xi Jinping entend "construire une Chine numérisée et une société intelligente" en augmentant les "forces stratégiques scientifiques et technologiques" (http://spanish.xinhuanet.com/2017-11/03/c_136726335.htm).     

Le ministre des sciences et de la technologie, Wang Zhigang, a déclaré que la Chine entrait dans une nouvelle phase dans laquelle "c'est la première fois qu'un plan quinquennal était consacré au chapitre spécifique de la technologie" (cité par Jalife, US-China Multidimensional Warfare, p. 375). Le plénum du Comité central du PCC s'est tenu juste avant l'élection américaine tendue entre Joe Biden et Donald Trump, comme si les Chinois voulaient laisser un message au vainqueur (qui s'est avéré être, non sans contestation, le candidat démocrate). 

Trump a qualifié le leadership de la Chine dans le réseau 5G de menace pour la "sécurité nationale des États-Unis". Selon les stratèges américains, "tout pays qui maîtrise la 5G aura un avantage économique, d'espionnage et militaire pour la majeure partie de ce siècle", car la 5G ou l'internet des objets va être une révolution : "elle sera plus importante que l'électricité" (cité par Alfredo Jalife-Rahme, Guerre multidimensionnelle entre les États-Unis et la Chine). 

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Mais plus inquiétant pour cette sécurité est l'alunissage. Outre la 5G et l'intelligence artificielle, il y a les missiles supersoniques, comme le missile Dong Feng-17, qui sera difficile à contrer pour le système de détection américain et qui constitue donc le grand espoir militaire de la Chine pour les années à venir. Cependant, il semble que la Chine n'ait pas l'intention de s'étendre militairement, mais qu'elle ait l'intention de s'étendre commercialement (comme nous le voyons en Afrique et aussi avec les routes de la soie dans une grande partie du monde). Mais comme l'économie est toujours économico-politique, les résolutions militaires et leurs conséquences géopolitiques correspondantes ne sont pas à exclure. 

En ce qui concerne la technologie quantique, qui constitue également un problème de sécurité nationale pour les États-Unis, la Chine possède deux fois plus de brevets que les États-Unis. Mais les États-Unis possèdent trois fois plus d'ordinateurs quantiques, même si la Chine est loin d'être à la traîne et pourrait, en 2030, comme proposé, prendre la tête dans ce domaine également.

La Chine détient également 20 % de la construction mondiale de câbles sous-marins, construisant une sorte d'autoroute de l'information reliant l'Europe et l'Afrique (câble Peace, dont l'achèvement est prévu pour la fin 2021).

Daniel Miguel López Rodríguez

Né en 1980. Vit à Cortegana (Huelva). Diplôme de philosophie de l'université de Séville. Master en philosophie et culture moderne. Docteur en philosophie (Summa Cum Laude) dans le cadre de la thèse intitulée "Matérialisme et spiritualisme. La critique du matérialisme philosophique au marxisme-léninisme".

Les Etats-Unis s'orientent vers le Pacifique et contre la Chine: l'Europe demeure dans l'obscurité.

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Les Etats-Unis s'orientent vers le Pacifique et contre la Chine: l'Europe demeure dans l'obscurité

Enric Ravello Barber

Ex: https://www.enricravellobarber.eu/2021/09/estados-unidos-se-desplaza-al-escenario.html#.YUjJjX06-Ul

Les États-Unis renforcent leur puissance dans le Pacifique en créant une alliance militaire anti-chinoise avec le Royaume-Uni et l'Australie. La tension dans la zone Pacifique entre les deux grandes puissances mondiales (la Chine et les États-Unis) a gagné en intensité ces dernières semaines, avec un regain de tension sur une question qui oppose Washington à Pékin depuis des décennies : la souveraineté de l'île de Taïwan, que la Chine revendique comme son propre territoire et sur laquelle Pékin a fixé une date limite pour son incorporation complète, 2049, année du centenaire de la proclamation de la République populaire de Chine.

Il ne s'agit pas d'une décision majeure de l'actuel président Joe Biden, mais simplement de la poursuite d'une politique déjà annoncée par Obama : le centre géostratégique du monde se déplace vers le Pacifique et les États-Unis s'installent sur la nouvelle grande scène de la politique mondiale. Selon Barack Obama lui-même, 60% de la flotte de guerre américaine devait être située dans l'océan Pacifique.

L'alliance militaire AUKUS (Australie + Royaume-Uni + États-Unis) correspond parfaitement à la recherche par les États-Unis d'alliés dans la région pour contrebalancer la puissance chinoise. Logiquement, ses premiers et plus fidèles alliés seront recherchés dans le monde anglo-saxon (1). L'Australie a dû choisir entre son premier allié commercial (la Chine) et son premier allié militaire (les États-Unis), avec lesquels elle entretient des liens culturels et ethniques déterminants, liens qu'elle partage avec la "mère patrie" britannique commune.

Cette alliance dans le Pacifique comprend déjà - suivant la même logique de recherche d'alliés - le Canada et la Nouvelle-Zélande (les "Five Eyes"), qui sont susceptibles de rejoindre l'alliance militaire dans un avenir proche.  Dans la stratégie américaine, cela représente une nouvelle étape clairement définie dans sa stratégie: l'abandon de l'Europe occidentale. Les scénarios ont changé et l'Atlantique est désormais un océan secondaire.

La France, qui est désormais la seule voix de l'Europe dans la politique internationale, a réagi contre la décision de l'Australie pour deux raisons précises: 1) la rupture du contrat d'achat de sous-marins nucléaires signé entre Paris et Canberra, qui les achètera désormais aux Etats-Unis, et 2) sa non-inclusion dans la stratégie militaire du Pacifique qui laisse ses possessions du Pacifique sans le parapluie militaire du Pentagone (2). Mais Paris sait que la raison profonde est la suivante: la France, comme toute l'Europe, est en train de devenir un acteur secondaire ou tertiaire dans la géopolitique militaire mondiale et que l'OTAN n'aura bientôt plus aucun sens, ne protégera plus l'Europe, et que l'UE doit maintenant commencer à construire une armée européenne. Les déclarations du ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, sont claires pour qui veut les comprendre (3). Le véritable problème n'est pas que les États-Unis ne soient plus un "allié fiable". Les États-Unis n'ont jamais été un allié, mais la puissance dominante qui a soumis l'UE à un contrôle colonial. Aujourd'hui, les scénarios changent et l'Europe ne constitue plus un intérêt majeur pour Washington, qui, comme le font tous les pays forts, se désengage simplement, se débarrasse d'un fardeau qui ne lui est plus utile.

La Chine, puissance montante, a menacé de qualifier cette alliance d'"irresponsable" (4). Pékin ne réagira pas immédiatement; sur le plan militaire elle sait qu'elle n'est pas encore en mesure de le faire, et, diplomatiquement, elle vient d'enregistrer ses deux derniers triomphes: l'accord avec les Talibans en Afghanistan et la récente incorporation de l'Iran dans l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), triomphes qui lui donnent un grand avantage stratégique dans son premier objectif géopolitique actuel: la construction de la nouvelle route de la soie sous son contrôle.

A l'exception de la voix de Paris, l'UE, pathétique alliance de faiblesses délétères, montre son impuissance dialectique en déclarant, en pleurnichant abondamment, que "Nous n'avons pas été informés". Ce que je me demande personnellement, c'est si les dirigeants de l'UE seront capables de percevoir les changements stratégiques que l'Europe sera obligée de faire dans le très court terme, et qui passent inévitablement par un rapprochement avec la Russie.

Notes:

(1) https://www.elconfidencial.com/mundo/2021-09-15/eeuu-influencia-china-respuesta-alianza-uk-australia_3290279/

(2) https://www.abc.es/internacional/abci-francia-denuncia-pacto-eeuu-australia-y-reino-unido-punala-espalda-202109161151_noticia.html

(3) https://www.elmundo.es/internacional/2021/09/18/61464634fdddffe8248b45bb.html

(4) https://www.ansa.it/sito/notizie/mondo/2021/09/16/cina-irresponsabile-accordo-usa-australia-su-sottomarini_4406874f-76c8-4fa0-9121-a8ef006df627.html

 

lundi, 20 septembre 2021

Du 9/11 aux Guerres Infinies

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Du 9/11 aux Guerres Infinies

 
Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
 
Émission du vendredi 17 septembre 2021 (enregistrée le 13 septembre 2021) avec Gilbert Dawed et Jaques Borde.
 
 
Pourquoi l’Amérique ? 11 Septembre 2001 – Jacques Borde https://avatareditions.com/livre/pour...
 

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vendredi, 17 septembre 2021

Le pacte AUKUS et l'Europe

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Le pacte AUKUS et l'Europe

Ex: https://www.kulturaeuropa.eu/2021/09/17/il-patto-aukus-e-leuropa/

Le Pacte AUKUS est né. L'Australie, l'Angleterre et les États-Unis s'unissent dans un pacte militaire, qui aura également une dimension économique, dans le but déclaré de maintenir la zone indo-pacifique "libre et ouverte". Il va sans dire que l'intention, même si elle est mal dissimulée, est d'endiguer la (sur)puissance croissante et de plus en plus rampante de la Chine.

Mais ce qui devrait nous faire réfléchir, c'est que les États-Unis et le Royaume-Uni ne se sont même pas posé le problème de savoir qui devrait être leur partenaire dans cette nouvelle frontière géopolitique: l'Europe doit être hors jeu, ils se tournent donc vers l'Australie. Celle-ci n'est certainement pas un partenaire militairement stratégique, mais elle l'est à coup sûr tactiquement dans une position clé dans la région, même s'il faut dire qu'au troisième millénaire, le dernier problème pour l'armée Stars and Stripes est de trouver un point d'ancrage. Cela suggère que le seul objectif, en fin de compte, était de donner une gifle au Vieux Continent. Et ça a marché, ça a vraiment marché. La France, à l'occasion de la naissance de ce nouvel accord, a perdu une commande d'environ 31 milliards d'euros pour l'achat de sous-marins à propulsion nucléaire qu'elle s'apprêtait à vendre à l'Australie.

L'Alliance atlantique s'effrite, comme en témoignent les déclarations de Rome, Paris et Berlin (les capitales des pays les plus influents de l'UE) qui ont ouvertement admis qu'ils n'avaient nullement été informés. Ainsi, le très apprécié et acclamé Joe Biden, après une retraite de Kaboul, à la limite de la lâcheté et de l'embarras, a porté un nouveau coup à ce qui serait l'Alliance des pays les plus à même de garantir l'"équilibre" au niveau mondial. 

Il faut admettre que l'équilibre de l'OTAN a déjà été mis à l'épreuve, il n'est donc pas surprenant que les Anglo-Américains continuent à tirer les ficelles. En effet, pour être précis, suite à la déclaration de la future projection de l'UE dans la zone indo-pacifique, les Etats-Unis indiquent clairement qu'ils veulent et désirent évidemment que leurs alliés européens soient là où ils mènent leurs guerres (même si elles sont plus ou moins froides), mais plus généralement les Etats-Unis veulent que les Européens soient et se déplacent comme eux le veulent, sans jamais agir de manière autonome.

Dans ce contexte, que faire ? Malheureusement rien, l'UE n'est qu'un grand fourre-tout qui s'effondre et qui a réussi à réveiller un nationalisme renaissant, mais qui n'a aucune intention apparente de se transformer en un véritable État qui prend des décisions dans son propre intérêt.

Le temps nous dira comment les choses évolueront, mais ce qui est certain, c'est que nous semblons toujours aimer nous montrer comme d'humbles serviteurs. Pas étonnant qu'ils nous traitent de cette façon.

mercredi, 15 septembre 2021

Les Balkans: une crise permanente

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Les Balkans: une crise permanente

L'Europe de l'Est dans une nouvelle situation géopolitique

Ex: https://katehon.com/ru/article/balkany-permanentnyy-krizis

Bulgarie : une troisième élection ?

Depuis le début de l'année 2021, la Bulgarie se trouve dans un état de crise politique permanente. Dans le contexte des manifestations de masse contre le parti libéral de droite au pouvoir, le GERB, des élections législatives ont été organisées début avril. En conséquence, aucune des forces politiques n'a été en mesure de former un gouvernement. De nouvelles élections ont eu lieu en juin. Cependant, aucun gouvernement n'a encore été formé.

Le parti de protestation, qui porte pour nom "Il existe de telles personnes", dirigé par le présentateur de télévision Slavi Trifonov (photo), a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections de juin. Mais l'équilibre des pouvoirs au Parlement est tel qu'il est très peu probable qu'un gouvernement soit formé. La Bulgarie doit donc affronter sa troisième élection parlementaire en un an.

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Lors des élections de juin, le GERB et le parti de M. Trifonov, qui se distingue par l'absence d'une idéologie claire, ont obtenu un nombre de sièges à peu près égal - 65 et 63 - mais n'ont pas pu former un gouvernement, car il a besoin d'un partenaire parmi les partis libéraux minoritaires, mais refuse simultanément de soutenir l'une ou l'autre des deux forces politiques.  Le président bulgare Rumen Radev a confié le mandat de former un gouvernement au "Parti socialiste bulgare", arrivé troisième aux élections. Si cette troisième tentative de formation d'un cabinet échoue également, le chef de l'État dissoudra le Parlement et décidera d'un troisième tour d'élections législatives anticipées.

En général, toutes les forces politiques qui se partagent le pouvoir en Bulgarie se distinguent par leur orientation vers l'OTAN et l'UE. Les populistes de "droite", populaires auparavant, ont perdu toute crédibilité. "Le parti socialiste bulgare - également pro-OTAN et pro-UE mais exploitant des sympathies pro-russes - a également perdu ses anciens soutiens.

Dans le contexte de la crise politique que traverse la Bulgarie, le lobby occidental s'est employé à attiser le sentiment anti-russe. En mars 2021, plusieurs personnes soupçonnées d'espionnage pour la Russie ont été arrêtées en Bulgarie. Il s'agit de la sixième arrestation depuis 2019 pour des accusations similaires.

Le service russe de renseignement extérieur a commenté l'arrestation des "espions" dans le cadre d'une campagne visant à accroître la russophobie en Bulgarie : "Selon les informations reçues, les services de renseignement américains ont lancé une campagne à grande échelle visant à compromettre les personnalités politiques et publiques des pays d'Europe orientale qui prônent le développement de relations de bon voisinage avec la Russie. A cette fin, les agents et les organisations non gouvernementales financés par les agences officielles américaines sont mobilisés.

En Bulgarie, l'organisation Bellingcat, déjà mentionnée, a tenté de promouvoir un scandale avec une implication russe présumée dans les attentats à la bombe en République tchèque en 2014. Ses représentants ont déclaré que l'attentat visait les activités du marchand d'armes bulgare Emelian Nagrev, qui stockait des armes et des munitions en République tchèque pour les envoyer en Ukraine.

Serbie et Monténégro : entre eurasisme et atlantisme

En juillet 2021, le gazoduc Balkan Stream, une branche du Turkish Stream, a atteint la Hongrie. Il a fallu un peu plus d'un an et demi pour faire passer le gazoduc par la Serbie. Au cours de l'année et demie précédente, on a essayé de construire le pipeline à travers la Bulgarie, en rencontrant de nombreux obstacles. La Serbie a démontré qu'elle était un partenaire plus fiable pour la Russie.

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Dans l'ensemble, les dirigeants serbes maintiennent des liens avec l'Occident et une orientation générale vers l'adhésion à l'UE, qu'ils combinent toutefois avec un nationalisme serbe occasionnel et des sentiments pro-russes.

Parmi les exemples de l'utilisation de l'agenda nationaliste, citons les contacts entre Aleksandrov Živuć et le membre serbe de la présidence de Bosnie-Herzégovine Rostislav Godik, les contacts entre la Serbie et la Republika Srpska et l'utilisation du syntagme "monde serbe" par les dirigeants serbes.

Les dirigeants serbes s'opposent à l'élargissement de la liste des pays qui ont reconnu l'indépendance du Kosovo. Toutefois, l'attitude de Belgrade à l'égard des États-Unis reste la plus bienveillante. Les États-Unis ont soutenu l'initiative visant à créer un espace économique commun entre la Serbie, le nord de la Macédoine et l'Albanie - Opera Balkan. Cette initiative est soutenue par l'administration Vucic, mais les autorités sécessionnistes du Kosovo refusent de rejoindre le bloc.

Les négociations entre Pristina et Belgrade, par lesquelles les États-Unis et l'UE espèrent faire avancer la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et l'absorption ultérieure de la Serbie dans les structures de l'UE et de l'OTAN, ont jusqu'à présent peu progressé. Les résultats des élections de mars 2020 au Kosovo n'y ont pas contribué non plus. Le leader du mouvement d'autodétermination, Albin Kurti (photo), qui est farouchement opposé à tout compromis avec Belgrade, est devenu premier ministre. Kurti est orienté vers les cercles de gauche-libéraux en Europe et le parti démocrate américain.

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La Bosnie reste un point d'instabilité potentiel, où le chef du bureau du Haut Représentant, l'Autrichien Valentin Inzko, avec le soutien des communautés croates et musulmanes, a fait passer une loi criminalisant la non-reconnaissance du "génocide" de Srebrenica. La loi est dirigée contre la Republika Srpska.

L'une des principales vulnérabilités des élites des Balkans est la corruption et les liens avec la mafia (principalement la mafia de la drogue). Cela permet aux Atlantistes de contrôler les élites de ces pays et d'exercer une pression en faisant chanter les représentants du gouvernement et des entreprises. Ces derniers mois, des accusations de liens avec la mafia ont également été utilisées contre le président serbe Aleksandar Vučić.

En juin, le parlement monténégrin a adopté une résolution sur le "génocide de Srebrenica". En substance, elle interdit de considérer les événements tragiques de 1995 dans cette localité bosniaque comme autre chose qu'un "génocide". La résolution a démontré la faiblesse du gouvernement de Zdravko Krivokapic, qui dépend du soutien des partis libéraux pro-occidentaux. Le fait qu'il ait été poussé par le président Milo Djukanovic et soutenu par Krivokapic montre que Djukanovic reste une personnalité politique sérieuse, capable de faire passer des solutions qui éloignent le Monténégro de la Serbie.

L'accord entre l'Église orthodoxe serbe et le Monténégro a également causé des difficultés. Krivokapic devait signer un accord de base sur le statut juridique de l'Église orthodoxe serbe au Monténégro en mai 2021, mais ne l'a pas fait. L'Église orthodoxe serbe a reçu l'accord modifié au début du mois d'août et ne fait encore que s'y familiariser. Zdravko Krivokapic a justifié son refus de normaliser les relations avec l'UOC (d'autres confessions du pays ont déjà de tels accords avec l'État) par la crainte d'être arrêté sous prétexte de violer la constitution du Monténégro. Krivokapic a déclaré qu'il ne se rendrait pas dans la capitale historique du Monténégro, Cetinje, pour la cérémonie d'intronisation du nouveau métropolite du Monténégro, le prêtre Joannikije, le 5 septembre 2021.

Le régime de Milo Djukanovic a été renversé par des protestations contre sa politique anti-églises. La grande majorité des Monténégrins sont des fidèles de l'Église orthodoxe serbe. Cependant, pour l'Occident, il est important de briser l'unité spirituelle des Serbes et des Monténégrins, car les Serbes sont perçus comme le facteur continental le plus important.

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L'intronisation du Métropolite Joannikije (photo), le 5 septembre, s'est déroulée dans un contexte d'agitation des nationalistes monténégrins soutenus par Milo Dukanovic. Le conseiller de Milo Djukanovic, Veselin Velovic, figurait parmi les instigateurs de l'émeute détenus par les forces de l'ordre. Jusqu'à présent, les nationalistes monténégrins d'orientation atlantiste n'ont pas réussi à influencer sérieusement la situation de l'Église. Cependant, ils ont montré leur force, ce qui signifie que l'Occident - et surtout les États-Unis - soutiendra cette tendance comme étant prometteuse. Zravko Krivokapic s'est révélé être un politicien faible, facilement soumis à la pression et incapable de défendre le choix des Monténégrins orthodoxes qui l'ont porté au pouvoir - le choix en faveur de l'amitié avec la Serbie et de la protection de l'église canonique.

Albanosphère

L'Albanie, la Macédoine du Nord et le Kosovo continuent de mener des politiques extrêmement pro-américaines. Par exemple, les trois pays ont accepté d'accueillir des réfugiés d'Afghanistan après le retrait des troupes américaines de ce pays. Dans tous ces pays, y compris en Macédoine du Nord, le rôle principal est joué par des élites albanaises étroitement liées à la mafia de la drogue. En Macédoine du Nord, le gouvernement du social-démocrate atlantiste Zoran Zaev est au pouvoir et dépend entièrement des partis albanais. La majorité slave de ce pays est devenue l'otage de facto d'une minorité de libéraux et d'Albanais, faisant de la Macédoine du Nord un pays albanais de facto.

En août 2020, ces trois pays ont déclaré à l'unanimité qu'ils étaient prêts à accueillir des réfugiés afghans, en coopérant pour la plupart avec les États-Unis. Outre l'aspiration à plaire au partenaire étranger, on peut y voir les intérêts de la mafia albanaise de la drogue intéressée par le renforcement des communications avec l'Afghanistan et l'ajustement des communications avec les réseaux de drogue de ce pays. C'est précisément la mafia albanaise de la drogue qui contrôle de facto les frontières communes de l'Albanie, de la Macédoine du Nord et du Kosovo.

Albin Kurti, le premier ministre du Kosovo depuis mars 2021, n'a pas modifié la politique étrangère des séparatistes de Pristina. En avril, M. Kurti a voté par défi aux élections en Albanie, soulignant qu'il possède une double nationalité. Nationaliste albanais et atlantiste, il est aussi anti-serbe que les anciens dirigeants de la République autoproclamée du Kosovo.

Une extension de la sphère du séparatisme albanais a été l'entrée de la municipalité serbe de Bujanovac dans l'"Union des communautés albanaises" à l'été 2021. Cette organisation comprend Tirana, Pristina, Presevo (Serbie), Tetovo (Macédoine du Nord) et Ulcinj (Monténégro). En novembre 2020, le ministre albanais des Affaires étrangères, Gent Cacaky, a déclaré que Tirana soutiendrait les Albanais du sud de la Serbie qui seraient victimes de discrimination.

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Le Kosovo, l'Albanie et la Macédoine du Nord continuent de renforcer leurs liens avec la Turquie.  Ankara a généralement manifesté sa volonté de développer des relations avec tous les pays de la région, y compris la Serbie, et lors de la tournée d'Erdogan dans les Balkans (Bosnie-Herzégovine-Monténégro) en août 2021, ce dernier a déclaré que "la Turquie a une responsabilité historique" envers les pays de la région. L'Albanie développe des liens militaires étroits avec la Turquie, fournissant une base sur l'Adriatique pour la marine turque. L'Albanie et le Kosovo achètent des armes turques. En juin, Tirana a annoncé sa décision d'acheter des drones turcs pour un montant de 8,2 millions d'euros.

Dans l'ensemble, cependant, les perspectives d'adhésion des Balkans à l'UE restent faibles. Par exemple, les négociations sur l'adhésion de la Macédoine du Nord à l'UE sont bloquées par la Bulgarie en raison du différend sur l'histoire et l'identité du pays (la Bulgarie considère la population slave du pays non pas comme une nation distincte - les Macédoniens, mais comme des Bulgares). La France, les Pays-Bas et le Danemark, pour leur part, bloquent les négociations entre l'UE et l'Albanie. L'UE, qui connaît de nombreux problèmes internes au milieu d'une pandémie de coronavirus, démontre son incapacité à accepter que des pays corrompus, criminels et pauvres assument la responsabilité de leur développement. Les pays des Balkans avaient espéré que l'adhésion à l'OTAN serait le premier tremplin vers l'adhésion à l'UE, associée à la perspective de la prospérité économique. Aujourd'hui, pour les membres de l'OTAN comme l'Albanie et la Macédoine du Nord, l'adhésion à l'UE semble une perspective lointaine et la "prospérité" économique un objectif insaisissable.

mardi, 14 septembre 2021

La course à trois pour la chancellerie : ce que disent les sondages allemands

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La course à trois pour la chancellerie: ce que disent les sondages allemands

Andrea Muratore

Ex: https://it.insideover.com/politica/elezioni-germania-2021-sondaggi.html

A moins d'un mois des élections allemandes, le jeu que dessinent les sondages est plus complexe que jamais. Alors que le nombre de jours qui restent avant l'élection qui sanctionnera le début de l'ère post-Merkel diminue, les prévisions semblent avoir complètement démenti le scénario qui voyait une course à deux voies entre le Cdu d'Angela Merkel et les Verts décidés à éroder le consensus du parti social-démocrate. Porté par l'effet propulseur de la candidature du ministre des finances Olaf Scholz, c'est le SPD qui, désormais, se taille la part du lion dans les sondages.

L'été allemand a apporté divers éléments de discussion pour les politologues et les initiés, qui ont signalé un renversement des perspectives avec la montée progressive mais inexorable des sociaux-démocrates (SPD) due à la baisse de confiance dans les deux partis considérés comme leaders et à la hausse de la popularité de leur candidat chancelier.

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Le fait que Scholz fasse partie intégrante du gouvernement de Merkel et puisse revendiquer la continuité de son action politique, les gaffes d'Annalena Baerbock ces dernières semaines et l'impréparation manifeste du dauphin de Merkel, Amin Laschet, face au chaos des inondations de juillet ont contribué à rebattre les cartes pour la énième fois dans cette longue course électorale. Fin août, les sondages ont montré que les sociaux-démocrates dépassaient l'Union Cdu/Csu, ce qui était inattendu il y a seulement quelques semaines. Au début du mois de septembre, ils semblent certifier que le parti de Scholz a pris la tête.

Les sondages récompensent les sociaux-démocrates

Après des années en tant que partenaire junior de la Cdu dans les gouvernements de coalition et après une série de défaites électorales, la SPD est-elle tirée en avant par Scholz au point d'amorcer un dépassement inattendu du parti de Merkel ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais les sondages semblent indiquer une tendance positive pour le centre-gauche allemand. Et l'avance se creuse de jour en jour.

Fin juillet, les principaux sondages (de l'institut Insa à ceux de Forsa, en passant par l'agence démoscopique Allensbach) estimaient que le SPD était épinglé en dessous des niveaux décevants des élections de 2017, entre 15 et 17% de consensus. Un mois plus tard, cependant, les estimations variaient entre les 19,5 % d'Allensbach et les 23 % attribués à Forsa (semaine du 16 au 23 août) et à Insa (20 au 23 août), ce qui plaçait le parti de Scholz au moins un point au-dessus de la Cdu-Csu quinze ans après la dernière fois qu'un tel chiffre avait été enregistré. Et tous les sondages s'accordent sur le rôle positif joué par le candidat chancelier dans l'évolution des sondages.

YouGov, Kantar et Forschungsgruppe Wahlen pour la période allant de la dernière semaine d'août au 2 septembre montrent une croissance de 25% pour les sociaux-démocrates. L'institut Wahlkreisprognose les situe même à 27%. Surtout, aucun institut de recherche ne semble désormais sanctionner un avantage pour les chrétiens-démocrates.

La Cdu divisée sur l'après-Merkel

L'alliance Cdu-Csu, elle, risque de perdre quinze à vingt points du vote de 2017 au terme d'une campagne électorale où, en un an et demi, l'Union est passée d'un positionnement autour de 40% des intentions de vote dans la phase initiale de la pandémie à un premier recul devant les Verts alors que la deuxième vague de Covid-19 faisait rage et que le chaos vaccinal commençait, pour ensuite capitaliser sur le redressement de l'exécutif et de la Chancelière.

À l'approche de la fin de l'ère Merkel, le parti s'est retrouvé orphelin et divisé entre l'aile plus ouverte aux compromis acceptés sur l'économie et la gouvernance politique au cours de cette année et demie et la faction plus rigoureuse, rangée pour défendre l'austérité et le retour au passé, et par conséquent polarisée dans son jugement sur la chancelière. L'hémorragie considérable du consensus, vécue par la Cdu-Csu au bénéfice des libéraux (Fdp), parmi les plus farouches partisans de la rigueur, doit être lue dans cette optique. Quand la Cdu-Csu avait entre 30 et 35% des voix en février et mars, les libéraux étaient entre 6 et 7%. Jusqu'à la fin du mois d'août, les sondages montraient une symétrie entre la progression de leur soutien, qui se situait entre 12 % (Forsa) et 13 % (Insa), et le déclin de l'Union, qui ne bénéficiait d'un avantage considérable sur le SPD que grâce à Allensbach, qui lui donnait une avance d'environ 25 % et 27,5 % des voix, mais que les principales agences considéraient désormais comme inférieure à 25 %.

Les révélations les plus récentes amènent à niveler encore ce chiffre vers le bas. La Cdu se situerait autour de 20-22%, et le plus intéressant à noter est le fait que, début septembre, un transfert de voix vers le parti de Scholz a commencé, capitalisant sur son rôle de véritable "héritier" de Merkel.

Les sondages pour les Verts

De ce point de vue, les sondages indiquent un recul de la vague verte qui, à partir de 2017, a conduit les écologistes désormais dirigés par Annalena Baerbock à aspirer sérieusement à des rôles gouvernementaux au niveau fédéral. Certes, en termes absolus, il s'agira tout de même d'une avancée considérable: sixième parti avec 8,9 % des voix en septembre 2017, les Verts ont été largement crédités ces derniers mois de la deuxième place dans les sondages.

Stables autour de 20% depuis des mois, avec quelques incursions jusqu'à 25%, les Verts semblent aujourd'hui plus restreints dans leurs succès potentiels après les gaffes qui ont miné le parcours de Baerbock et après la démonstration des limites d'un agenda programmatique accusé de "moralisme" excessif par leurs adversaires. Les derniers sondages Insa, Kantar, Allensbach et Forsa placent les Verts entre 17 et 19% en tant que troisième parti : ce qui est surprenant, c'est qu'il ne semble pas y avoir eu de transfert direct de voix vers les sociaux-démocrates, qui puisent principalement dans la Cdu et chez les anciens abstentionnistes, témoignant du fait que, selon toute vraisemblance, les écologistes allemands, progressistes et enracinés dans les zones urbaines, ont également construit un bloc sensiblement homogène. Leur expansion, cependant, apparaît désormais de plus en plus marquée de complexité.

Les effets du second débat sont attendus

Jamais auparavant il n'a été aussi clair que lors de ces élections que l'acceptation des dirigeants par l'électorat allemand jouera un rôle décisif. L'effet Scholz est, selon les sondages, en même temps l'effet Laschet-Baerbock : le ministre des finances convainc parce qu'il est considéré comme plus pragmatique et préparé que ses concurrents. Le deuxième débat télévisé du dimanche 12 septembre a donc pris de l'importance. Laschet est passé à l'attaque contre Scholz et est même allé jusqu'à critiquer le gouvernement de large coalition dont il est le ministre des finances, dirigé par Angela Merkel : "Si mon ministre des finances travaillait comme vous, je prendrais des mesures", a déclaré Laschet, attaquant Scholz pour les scandales de ces dernières années, avant que Baerbock n'intervienne et s'en prenne à toute la structure de pouvoir du gouvernement noir-rouge avec ses déclarations. Les effets de ce duel sur les sondages à quelques semaines du vote sont attendus dans les prochains jours.

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Comment se portent l'Afd et Linke

En ce qui concerne les autres formations, les libéraux ont été mentionnés : avec les chiffres qu'elle peut désormais alignés, la Fdp pourrait aspirer à la fois à un gouvernement avec la SPD et les Verts et à rechercher une coalition avec la Cdu et les écologistes, se positionnant en tête des futures négociations gouvernementales.

L'Alternative für Deutschland, parti de droite populiste, serait en reflux dans ses bastions d'Allemagne de l'Est, voué à être contre-attaqué par les libéraux et à reculer par rapport aux 12,6 % qu'il avait obtenus en 2017. Tous les principaux sondages placent la formation entre 10 et 11%, juste au-dessus de l'extrême gauche de Die Linke, perchée entre 6,5% et 7%. Les deux groupes les plus radicaux pourraient, avec ces chiffres, être destinés à former les plus petits groupes du prochain Bundestag : à sa manière, par rapport à il y a quelques années, cela pourrait être l'un des principaux thèmes du vote de septembre. Avec ces chiffres, il semble de plus en plus probable que la formation du gouvernement se jouera entre les trois grands partis, les libéraux pouvant faire pencher la balance.

lundi, 13 septembre 2021

Comment la Chine s'est ouverte au monde

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Comment la Chine s'est ouverte au monde

Ex: https://katehon.com/ru/article/kak-kitay-otkrylsya-dlya-mira

La Chine a été en mesure d'atteindre un nouveau niveau de développement économique, prenant sa place parmi les géants économiques du monde.

Bien que l'Occident parle constamment de tolérance et accuse les autres pays de violer les droits de l'homme, une image bien différente se dessine dans les pays qu'il fustige ainsi, ridiculisant l'entêtement des pays occidentaux. Bien que la vision du monde de la Chine divise le monde entre Chinois et barbares, sa politique actuelle vise à une interaction réussie entre tous les pays du monde sur la base de droits égaux.

L'étude des pictogrammes chinois permet d'en savoir plus sur la culture de ce peuple, y compris sur sa forme contemporaine.

Même dans les caractères eux-mêmes 中国 (zhōngguó), qui sont utilisés pour désigner la Chine, il y a une philosophie ancienne que les Chinois suivent depuis des siècles. Le premier caractère (zhōng) signifie "milieu", (guó) signifie littéralement "état". Traduit littéralement, la Chine est l'"État du milieu". En d'autres termes, le peuple chinois se considérait à l'origine comme le centre de la terre et les autres comme de simples nations barbares, ce qui explique en partie pourquoi la Chine ancienne a été un État fermé pendant des siècles.

Au départ, l'idéologie chinoise solidement établie était très difficile à changer. Au fil du temps, cependant, la Chine s'est progressivement ouverte au monde - ou, pour être plus précis, le monde a commencé à "s'ouvrir" à la Chine. Cette démarche a été motivée par des événements déplaisants: les guerres dites de l'opium (première guerre de l'opium, 1839-1842; deuxième guerre de l'opium, 1856-1860), qui visaient à protéger les intérêts commerciaux britanniques dans l'empire Qing. En 1861, l'impératrice Cixi a adopté une toute nouvelle politique d'autogestion pour la Chine. Le but de cette politique était d'emprunter la technologie occidentale (puisque le développement technologique chinois de l'époque était très en retard sur la technologie occidentale), ainsi que d'utiliser les nouvelles connaissances techno-scientifiques. Plus tard, les Chinois ont même commencé à se rendre à l'étranger pour s'y instruire.

En 1949, la République populaire de Chine a été fondée, et le pays s'est ouvert, bien que principalement aux seuls États communistes.

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En 1978, le grand réformateur chinois Deng Xiaoping a proposé un programme de réforme économique connu sous le nom de "politique de réforme et d'ouverture". Le pays s'est ouvert aux investissements étrangers et la main-d'œuvre chinoise bon marché était recherchée dans le monde entier. Cette phase a préparé le terrain pour la création d'une nouvelle image de la Chine en tant qu'État fort et à croissance rapide.

La politique initiée depuis longtemps par Deng Xiaoping se poursuit aujourd'hui. Le nouveau dirigeant de la République populaire de Chine, Xi Jinping, continue activement à renforcer la position de la Chine dans le monde et à créer une image de la Chine attrayante pour les pays voisins.

Une caractéristique importante de la politique étrangère de Xi Jinping est sa décision de mettre en œuvre le 13ème plan quinquennal de développement de la RPC, qui devait s'étendre de 2016 à 2020. L'objectif de ce plan était de construire une société à revenu moyen d'ici 2020. Les concepts clés pour la mise en œuvre de ce plan étaient l'écologie, l'innovation, l'ouverture et l'orientation de l'économie chinoise vers la demande intérieure du pays. Grâce à cela, la Chine a pu atteindre un nouveau niveau de développement économique, prenant sa place parmi les géants économiques du monde. La Chine a un plan clair de développement économique, dont une partie a été la décision de faire revivre la "route de la soie" chinoise dans le concept moderne de "One Belt, One Road", qui a été proposé lors de la visite du représentant chinois au Kazakhstan.

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Une idée particulièrement importante de Xi Jinping a été la création d'un concept appelé "Communauté d'un seul destin pour l'humanité", qui repose sur les principes de sécurité universelle et de paix durable, de prospérité partagée, d'ouverture et d'inclusion.

Le dirigeant chinois a exprimé à plusieurs reprises l'objectif d'établir une zone de libre-échange en Asie-Pacifique.

Renforcer sa position dans la région asiatique est la tâche prédominante du dragon chinois que de nombreux pays craignent. Beaucoup pensent qu'en adoptant le mode de développement chinois, ils deviendront dépendants de la Chine elle-même.

Malgré cela, la Chine a annoncé une nouvelle forme de politique étrangère qui s'appuie sur le "soft power". Le gouvernement chinois, malgré toutes les réalisations des dernières décennies, présente la Chine à tous comme un pays en développement. Elle le fait afin d'être respectée et de s'engager sur un pied d'égalité avec les autres "pays en développement" (qui sont désormais majoritaires dans le monde).

Si la Chine a, après des années, révisé pour le mieux son attitude à l'égard des États qui l'entourent, pourquoi l'Occident n'essaierait-il pas de faire de même ?

dimanche, 12 septembre 2021

Élections allemandes : qui remplacera Mme Merkel et comment les relations entre Berlin et Moscou vont-elles évoluer ?

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Élections allemandes: qui remplacera Mme Merkel et comment les relations entre Berlin et Moscou vont-elles évoluer?

Daria Platonova

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/vybory-v-germanii-kto-smenit-merkel-i-kak-izmenyatsya-otnosheniya-berlina-s-moskvoy

L'Allemagne tiendra des élections législatives le 26 septembre pour élire les membres du vingtième Bundestag. Pour la première fois depuis 2005, Angela Merkel ne sera pas chancelière. Cette décision, probablement justifiée à la fois par la fatigue politique et la baisse de la cote de son parti, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), a été prise le 29 octobre 2018. En outre, les sondages d'opinion préliminaires montrent que les élections pourraient entraîner une fragmentation importante du Bundestag, ce qui pourrait conduire à de longues négociations sur la formation de la coalition à hisser au pouvoir (trois à six mois, comme ce fut le cas en 2013 ou 2017) .

Après les élections, les partis allemands négocieront la formation d'un gouvernement et, par conséquent, la nomination d'un chancelier. Le chancelier devra être soutenu par une majorité de tous les membres élus du Bundestag. Si, après trois tentatives, le Bundestag ne parvient pas à nommer un chancelier, le président allemand (une figure presque nominale dans une république parlementaire) a le droit de nommer un candidat qui obtient une pluralité de voix, créant ainsi un gouvernement minoritaire.

Les successeurs possibles de Mme Merkel sont actuellement Armin Laschet (CDU/CSU), Olaf Scholz (SPD) et Annalena Baerbock (Verts).

LES PRINCIPAUX ACTEURS : UNE CARTE DES FORCES POLITIQUES EN ALLEMAGNE

Il y a six acteurs principaux dans ces élections - le Parti social-démocrate, la coalition gouvernementale composée des partis CDU et CSU, les Verts, le Parti démocratique libre (FDP), l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), la Gauche (Die Linke).

- Le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) - défend la redistribution des impôts en faveur des moins bien lotis, a une position géopolitiquement européenne, et fait partie d'une coalition gouvernementale avec la CDU/CSU depuis 2013. Le candidat du parti au poste de chancelier est Olaf Scholz. Selon les sondages, le parti bénéficie d'un soutien de 25%. La cote du parti a recommencé à augmenter à la fin du mois de juillet, pour atteindre et dépasser celle de la CDU/CSU le 23 août (le public en a assez du statu quo).

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- L'Union chrétienne-démocrate (CDU), le principal parti conservateur, dirige le gouvernement depuis 2005. Ses homologues bavarois sont le parti de l'Union chrétienne-sociale (CSU). Ce parti a une orientation droite-libérale, est officiellement orienté vers le partenariat atlantique, et a traditionnellement suivi une voie vers une Europe unie. Le candidat du parti au poste de chancelier est Armin Lachet. Selon les derniers sondages, le bloc CDU/CSU obtient 19% des voix. Depuis février 2021, la cote de ce bloc a commencé à baisser de manière intensive (à la fin du mois de janvier 2021, elle était de 36 %). En outre, de nombreux Allemands sont mécontents de la manière dont les autorités gèrent les conséquences des inondations désastreuses qui ont touché certaines régions du pays cet été.

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- Les Verts sont un parti à vocation mondialiste dont le principal message est la nécessité de protéger la nature et l'environnement sous le contrôle de l'État. Elle promeut aussi activement les droits des minorités sexuelles et des migrants. Depuis 2018, sa coprésidente est Annalena Baerbock (la plus jeune candidate à la chancellerie, elle a 40 ans). Selon les sondages préliminaires, le parti pourrait obtenir 17% des voix. Le parti a atteint le sommet de sa popularité en mai 2021 (lorsque les Verts ont atteint jusqu'à 25%), mais une série de scandales liés au livre d'Annalena Baerbock, accusée de plagiat, ont réduit la popularité du mouvement.

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- Le Parti démocratique libre (FDP) est un parti libéral qui prône une diminution générale des impôts, moins de bureaucratie, le maintien des libertés individuelles et les droits de l'homme. Le candidat du parti au poste de chancelier est Christian Lindner. Selon les sondages, leur cote est de 13% des voix.

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- Alternative für Deutschland (AfD) est un parti eurosceptique de droite avec un programme anti-migration bien développé. Jeune mais gagnant activement en popularité, le parti est désormais représenté dans toutes les circonscriptions d'Allemagne. Les candidats du parti au poste de chancelier sont Alice Weidel et Tino Chruppala. Selon les sondages, ils ont un taux d'approbation de 11 %.

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- La gauche (anciens communistes) est un parti qui critique la mondialisation, l'américanisation de l'UE, et qui est favorable à une régulation de l'économie par l'État. Le candidat chancelier du parti est Jeanine Wissler, Dietmar Bartsch. Les derniers sondages indiquent une part de 6 % des voix.

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PRÉVISIONS POUR LA RUSSIE

Si Armin Lachet (CDU) ou Scholz (SPD) est élu chancelier, nous pouvons nous attendre à ce que les relations avec la Russie soient fondées sur une approche pragmatique recherchant un bénéfice mutuel, dans l'esprit de Merkel et, éventuellement, dans le climat actuel d'affaiblissement de l'hégémonie américaine en Europe.
 
De tous les candidats à la direction de la CDU, Armin Lachet est le plus favorable à la coopération avec la Russie, comme le montrent ses appels à ne pas diaboliser notre pays, et contrairement à ses rivaux de la CDU, Röttgen et Merz, il est également plus positif au sujet de Nord Stream 2. Cependant, Lachet ne peut pas non plus être qualifié de "pro-russe", il s'est inquiété, comme Merkel, de "l'empoisonnement de Navalny" et a également soutenu les sanctions occidentales contre la Russie.

M. Scholz, appelé en plaisantant "Scholzomat" en Allemagne pour ses discours mécaniques et technocratiques, est partisan d'une politique réservée et dure à l'égard du Kremlin. Il a critiqué la réunification de la Russie avec la Crimée et la politique de Moscou à l'égard des minorités sexuelles, et a également évoqué à plusieurs reprises le thème de "l'empoisonnement de Navalny" pour faire pression sur le Kremlin. En même temps, le parti social-démocrate lui-même a une évaluation plutôt positive de la coopération avec la Russie: l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, qui a prôné la formation d'un axe géopolitique continental Paris-Berlin-Moscou, est issu de la SPD.
 
L'arrivée de Baerbock (Verts) au poste de chancelier pourrait, au contraire, conduire à un net refroidissement des relations germano-russes. C'est d'autant plus probable que, selon plusieurs publications allemandes, le parti est financé par des mouvements environnementaux qui font partie d'un réseau lié à l'Open Society de George Soros. C'est elle qui s'est activement opposée à Nord Stream 2 et qui a également demandé à plusieurs reprises de nouvelles sanctions contre la Russie. Il est également possible que Mme Baerbock soit nommée ministre des affaires étrangères dans le nouveau gouvernement, auquel cas elle tentera également de saboter les relations russo-allemandes.
 
Les plus pro-russes sont les représentants des partis de la Gauche (Die Linke) et de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD). Ils plaident activement en faveur d'une alliance avec la Fédération de Russie et l'un de leurs dirigeants, Sarha Wagenknecht, a appelé à plusieurs reprises à une révision de la politique allemande à l'égard de la Russie, ainsi qu'à l'abandon de la "politique unilatérale voulue par les États-Unis". Entre-temps, le parti lui-même a déclenché une guerre des clans et, à la veille des élections, Sarha Wagenknecht, l'étoile la plus brillante de la gauche allemande, a même fait l'objet d'une tentative d'exclusion du parti pour son livre Die Selbstgerechten, dans lequel elle critiquait le parcours libéral-gauchiste de ses camarades du parti.

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 L'"Alternative pour l'Allemagne", dont les principaux dirigeants sont Alice Weidel et Tino Chrupalla, prône une réinitialisation des relations entre l'Allemagne et la Russie et est extrêmement sceptique à l'égard du mondialisme, déclare que l'Allemagne doit quitter l'UE et revenir à une politique souveraine, reconnaît la nécessité de lever les sanctions contre la Russie car elles frappent également l'économie allemande, et a activement soutenu la construction de Nord Stream 2. Les députés du parti ont déclaré à plusieurs reprises que "l'abandon du gazoduc signerait la fin du pays en tant que puissance industrielle développée".

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Les candidats de la Gauche et de l'Alternative pour l'Allemagne n'ont aucune chance réaliste de devenir chancelier lors de ces élections, mais en fonction des résultats, ils pourraient faire partie de la coalition gouvernementale et ainsi influencer la composition du gouvernement.

L'ALLEMAGNE VA-T-ELLE SE COMPLAIRE DANS LA CRISE ?

Le groupe de réflexion bien connu et apprécié, Stratfor, note que les prochaines élections en Allemagne "donneront naissance à un gouvernement modéré qui soutiendra l'adhésion à l'UE et à l'OTAN, cherchera à assainir les finances publiques après la pandémie de COVID-19 et mettra en œuvre des politiques visant à réduire les émissions de carbone au fil du temps". Selon Stratfor, le rythme d'un tel programme dépendra de la composition idéologique de la prochaine coalition gouvernementale.
 
Toutefois, il convient de noter qu'il existe des contradictions irréconciliables entre les principaux acteurs de la course électorale sur tous les fronts susmentionnés. L'adhésion de l'Allemagne à l'UE est critiquée par l'AfD, on trouve même des critiques modérées de l'UE au sein de la CDU/CSU (en termes d'attitude à l'égard des mesures aggravant la division des marchés financiers dans la zone euro - l'introduction d'une garantie commune des dépôts pour les banques de l'UE), la gauche (Die Linke) est activement opposée à l'OTAN. L'agenda vert, malgré sa présence dans les programmes du SPD et de la CDU/CSU, divise également les partis - car les Verts poussent à une transition énergétique rapide tandis que le SPD et la CDU/CSU considèrent qu'il est plus approprié de maintenir un équilibre entre la transition énergétique et la protection de la compétitivité de l'industrie allemande. L'agenda environnemental a déjà conduit à l'échec des pourparlers de formation d'une coalition entre la CDU/CSU et les Verts après les élections de 2017.
 
Ainsi, aucun consensus de parti ne peut émerger dans la situation politique actuelle, contrairement aux prédictions des think tanks américains, et l'Allemagne risque de plonger dans une crise prolongée assortie d'un long processus de formation d'un nouveau gouvernement. Personne ne peut prédire quelle en sera l'issue à l'heure actuelle. De nombreux analystes allemands estiment que l'Allemagne entre dans une zone de turbulences politiques. La crise évidente de la communauté atlantique après le retrait américain d'Afghanistan, la récession économique dans l'UE, les problèmes sanitaires, juridiques et technologiques exposés à l'ère de la pandémie, tout cela crée une atmosphère très défavorable pour qu'une société allemande calme et équilibrée continue à le rester.
 

 

mercredi, 08 septembre 2021

Etats-Unis-Talibans : une histoire de guerres, de pétrole et de lithium

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Etats-Unis-Talibans : une histoire de guerres, de pétrole et de lithium

par Germana Leoni

Ex: https://piccolenote.ilgiornale.it/52831/usa-talebani-storia-di-guerre-di-petrolio-e-di-litio

Kaboul, 16 août 2021 : rien d'autre que l'épilogue prévisible d'une page d'histoire écrite en février 1989, lorsque le général de l'Armée rouge Boris Gromov a symboliquement traversé l'Amu Darya à pied : le dernier soldat soviétique à quitter l'Afghanistan !

Le pays est alors plongé dans une guerre civile sanglante entre diverses factions et groupes ethniques, un conflit qui, en 1994, voit pour la première fois une nouvelle génération de combattants islamistes faire parler d'elle : les Talibans.

Ils étaient les fils du djihad, des émanations de ces mêmes moudjahidines qui avaient combattu les Soviétiques pour le compte des Américains dans les années 1980. Ils étaient le "lumpenproletariat" afghan.

Après avoir conquis Kaboul en 1996, ils imposeront au pays un régime de terreur sans précédent, mais une terreur avec laquelle Washington est bien disposé à s'entendre. L'enjeu était un territoire stratégique pour le contrôle des ressources énergétiques de l'Eurasie.

Et Washington a commencé secrètement à courtiser les talibans pour soutenir la politique d'Unocal, la compagnie pétrolière qui, en octobre 1995, avait signé un contrat avec le président turkmène Saparmurat Niyazov pour la construction du Trans Afghanistan Pipeline (Tap) : une cérémonie supervisée par Henry Kissinger, un consultant exceptionnel d'Unocal (1).

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Il s'agit de la construction d'un premier gazoduc de 1400 km depuis le Turkménistan pour acheminer le gaz des républiques d'Asie centrale vers la ville pakistanaise de Multan, puis vers l'Inde. Prévu pour passer par Herat et Kandahar, le corridor devait désormais obtenir le consentement des talibans qui, devenus les arbitres de la guerre des pipelines, se sont retrouvés catapultés dans le grand jeu géopolitique des superpuissances.

En 1997, deux de leurs représentants se sont envolés pour le Texas afin de rencontrer Zalmay Khalilzad (photo, ci-dessous), un autre consultant d'Unocal qui avait servi au département d'État de l'ère Reagan : un lobbyiste infatigable pour les Talibans. Et l'année suivante, un autre émissaire du mollah Omar était l'invité d'honneur d'une réception officielle à l'ambassade des États-Unis à Islamabad (2). 

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L'oléoduc avait apparemment une valeur suffisante pour légitimer un régime responsable des crimes les plus odieux ; un régime brutal qui était désormais le foyer permanent d'Oussama ben Laden, le terroriste le plus dangereux de l'histoire pour Washington.

Mais en 1998, les négociations ont été rompues à la suite des attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salaam, attribués au prince de la terreur. C'était la raison officielle. Mais, en coulisses, il semble que les anciens étudiants coraniques aient exigé des droits exorbitants pour permettre le passage du Tap en territoire afghan.

Les contacts ont été secrètement repris lorsque George W. Bush a pris ses fonctions à la Maison Blanche. Et en mars 2001, Sayed Rahmatullah Hashemi, ambassadeur itinérant du Mollah Omar, a été reçu avec tous les honneurs aux Etats-Unis. À l'époque, les talibans avaient déjà fait sauter les statues millénaires des bouddhas de Bamiyan, et deux mois plus tard, ils ordonnaient aux hindous de porter un badge jaune comme signe de distinction : un déjà-vu macabre. Pourtant....

Pourtant, les négociations secrètes se sont poursuivies jusqu'à l'été 2001 : une dernière réunion à Berlin et les négociations ont échoué (3). Ce n'est qu'alors que les talibans sont devenus une force dans l'axe du mal.

En septembre, les tours jumelles ont également explosé et en octobre, le bombardement du pays a commencé : vingt ans de guerre, des milliers de milliards de dollars et une contribution incalculable en vies humaines juste pour revenir à la case départ ? Et Washington a battu en retraite et a laissé le champ libre aux Chinois et aux Russes ? Vraiment ?

Les prémisses de la débâcle américaine résident dans un accord signé le 29 février 2020 à Doha entre une délégation américaine et une délégation talibane : une négociation sur le retrait des troupes, qui a en fait légitimé le régime taliban et délégitimé le gouvernement de Kaboul, qui n'était pas présent à la table des négociations.

L'architecte des négociations était à nouveau Zalmay Khalilzad, ancien ambassadeur en Afghanistan et en Irak et, en 2018, envoyé spécial pour la paix en Afghanistan : le même diplomate qui, plus de 20 ans auparavant, avait traité avec les talibans en tant que consultant d'Unocal.

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A l'époque, il a échangé un pipeline contre une reconnaissance officielle des Talibans. Et aujourd'hui, il l'échangeait pour rien dans l'Eldorado du futur, paradis des terres rares et des métaux précieux, dont le lithium, indispensable aux transactions énergétiques mondiales ?

En 2010, un rapport interne du Pentagone a qualifié l'Afghanistan d'"Arabie saoudite du lithium". Et c'est précisément cette année-là que, après une longue période d'absence, des responsables américains ont rencontré à nouveau un émissaire taliban à Munich. Un hasard ?

De partenaire à paria, puis à nouveau partenaire ? D'arbitres de la guerre des pipelines à la guerre des métaux rares ? Quelle autre tragédie pour le peuple afghan ?

Notes: 

1) Ahmed Rashid, Talebani, Feltrinelli, 2001.

2) Richard Labévière, Dollars for Terror, Algora Publishing, New York, 2000.

3) Jean Charles Brisard et Guillaume Dasquié, Ben Laden : La Vérité Interdite, Editions Denoel, Paris, 2021.

Jusqu'à présent, la note de Germania Leoni, que nous hébergeons volontiers sur notre site, comme elle nous a été envoyée, compte tenu des éclairages qu'elle apporte sur le complexe conflit afghan. Pour confirmer cela, nous aimerions nous référer à un article du New York Times intitulé : "US identifies vast mineral wealth in Afghanistan", qui identifie l'Afghanistan comme "l'Arabie Saoudite du lithium", un minéral essentiel pour l'avenir vert.

Voici le début de l'article : "Les États-Unis ont découvert près de 1 000 milliards de dollars de gisements minéraux inexploités en Afghanistan, bien au-delà des réserves connues jusqu'alors et suffisamment pour modifier radicalement l'économie afghane et peut-être la guerre en Afghanistan elle-même, selon de hauts responsables du gouvernement américain.

 

Afghanistan : G-7 ou G-20, tel est le dilemme

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Afghanistan : G-7 ou G-20, tel est le dilemme

Ex: https://piccolenote.ilgiornale.it/52844/afghanistan-g-7-o-g-20-questo-e-il-dilemma

Il y a beaucoup de nouvelles en provenance d'Afghanistan, qui est actuellement au centre du monde. Parmi celles-ci, il convient de noter celles qui sont de première importance, c'est-à-dire celles qui ouvrent des perspectives.

La première concerne les répercussions géopolitiques du retrait : la guerre perdue par les États-Unis semble avoir ouvert de nouvelles possibilités de manœuvre pour éloigner l'Europe de Washington.

G-7 vs G-20

Elargir l'Atlantique était la mission impossible de la communauté européenne, née comme une entité autonome, mais incapable de s'écarter des lignes directrices du dogme atlantiste, d'abord par les consignations de Yalta et ensuite par la superfétation de l'Amérique comme seule puissance mondiale.

Cette mission impossible semble être soudainement devenue possible, du moins aux yeux de certains politiciens européens, après la défaite afghane. C'est ce qu'a déclaré explicitement le ministre britannique de la défense, selon lequel les États-Unis ne sont désormais "plus une puissance mondiale, juste une puissance (parmi d'autres)".

Ainsi, par exemple, l'hypothèse de la création d'une armée européenne a regagné du terrain, comme le souhaitait récemment le président Mattarella, ce qui retirerait les États-Unis de la gestion des forces armées du Vieux Continent par le biais de l'OTAN. Cette hypothèse, cependant, a toujours été reprise et toujours rejetée. Nous verrons bien.

Au-delà des suggestions d'un élargissement de l'Atlantique, l'autre controverse déclenchée par le retrait américain concerne la modalité avec laquelle l'Occident doit aborder le rébus afghan.

Il y a une véritable guerre, sous la surface, entre les deux hypothèses présentes sur le terrain. La première voit l'Occident faire pression pour que le nouveau gouvernement afghan évite d'établir des relations politiques et économiques avec la Chine et la Russie, dans l'hypothèse où le pays pourrait devenir une plaque tournante pour des actions de déstabilisation envers ces deux puissances et envers les pays asiatiques qui leur sont liés.

La seconde consiste à aborder la question afghane de manière coordonnée avec Moscou et Pékin, une démarche qui pourrait offrir de réelles opportunités de détente internationale entre les trois puissances à projection mondiale.

Aujourd'hui, la controverse sur le sujet se concentre sur la possibilité de créer un G-20 sur l'Afghanistan, ou des variantes sur le même sujet (G-7 élargi à Moscou et Pékin, etc.), ou si l'on se limite à un accord entre les seuls pays occidentaux qui inclut, au moins provisoirement, quelques pays asiatiques, en premier lieu l'Inde, le Japon et le Pakistan, mais de manière subordonnée aux diktats occidentaux.

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De ce point de vue, la tentative de Mario Draghi apparaît positive, lui qui - au nom et pour le compte des milieux européens et américains qui poussent dans ce sens - après avoir contacté Moscou, a eu ce matin, 7 septembre 2021, une conversation téléphonique avec Xi Jinping pour relancer l'hypothèse du G-20.

Résistance

Cette guerre secrète, car c'est bien de cela qu'il s'agit, se mêle à celle qui oppose ouvertement les talibans à la résistance du Panjshir, où le fils du mythique Ahmed Masoud, qui avait à l'époque stoppé l'avancée des talibans dans le pays, s'est proposé de suivre les traces de son père en créant une résistance contre le nouveau gouvernement.

Une initiative qui a trouvé un soutien chez ceux qui, en Amérique, n'ont pas accepté le retrait de Biden. Un soutien qui n'est pas seulement moral, puisque le Washington explique que la guérilla de Masoud a des "communications régulières" avec "l'équivalent afghan de la Cia et des Bérets verts", c'est-à-dire de ces franges de la sécurité afghane gérées directement par l'Agence et par les forces spéciales américaines.

Mais les demandes d'aide officielle des États-Unis, avancées par la résistance, sont tombées dans l'oreille d'un sourd : d'une part, Washington ne peut pas négocier avec le gouvernement de Kaboul, comme il le fait, et, en même temps, aider ses opposants armés.

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Elle ne semble pas non plus avoir profité de l'éloge dithyrambique de cette résistance par Bernard-Henri Lévy, le chantre des guerres néo-con, qui a légitimé de sa plume toutes les iniquités des guerres sans fin, de l'intervention en Afghanistan à la guerre en Irak, de la guerre en Libye à la guerre en Syrie.

Il ne s'agit pas de criminaliser le fils du grand général Masoud, mais seulement de rendre compte de la complexité du problème afghan et des multiples instrumentalisations possibles de ce qui s'y passe.

Et d'observer la tentative de résistance avec la relativité du cas : s'il est vrai que l'émirat afghan n'est pas une perspective réjouissante pour la population, tenter de résoudre la question par les armes ne semble pas le plus approprié, étant donné que cela ne ferait que prolonger l'interminable conflit afghan.

Cela dit, il semble que la résistance soit à bout de souffle ou même, selon les communiqués des talibans, qui affirment avoir pris le contrôle du Panjshir, qu'elle soit déjà terminée.

Masoud, le fils, ne peut pas compter sur le soutien russe et européen dont bénéficiait son père, ni sur celui de la Chine, alliée au Pakistan, qui entretient des relations profitables avec les talibans. Ni, semble-t-il, de celle de la Turquie, qui négocie avec Kaboul.

D'où la difficulté de recevoir l'aide également par le Turkménistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan et l'Ouzbékistan, qui sont étroitement liés aux pays susmentionnés limitrophes de l'Afghanistan. Et sans lignes d'approvisionnement adéquates, il est difficile d'organiser la résistance,

En bref, la tentative de Masoud semble jusqu'à présent irréaliste, et il ne semble pas que les tentatives d'accord avec Kaboul, qui ont également été avancées, avec leurs contre-propositions restées secrètes, aient abouti,

Ainsi, malgré certains démentis, le communiqué de victoire des talibans, qui clôt cette variable, semble avoir du crédit.

Il reste donc à voir comment se terminera la véritable guerre, celle qui se déroule dans les cercles du pouvoir occidental, entre ceux qui soutiennent qu'il faut négocier avec Kaboul en accord avec la Chine et la Russie et ceux qui rêvent encore d'utiliser ce pays tourmenté dans le Grand Jeu Asiatique, en l'utilisant contre Pékin et Moscou.

Une perspective déjà perdue, après tant d'années de massacres inutiles, mais donnée factuelle à laquelle de nombreux milieux ne se résignent toujours pas.

mardi, 07 septembre 2021

Les effectifs de l'armée européenne

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Les effectifs de l'armée européenne

Paolo Mauri

Ex: https://it.insideover.com/difesa/i-numeri-dellesercito-europeo.html

L'issue dramatique de la guerre en Afghanistan a rouvert un fossé au sein de l'OTAN qui semblait avoir été comblé par l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. En effet, le nouveau président des États-Unis avait entrepris d'abandonner l'unilatéralisme trumpien pour reprendre le dialogue avec les alliés européens sur la base d'une approche multilatérale renouvelée - et idéalement revigorée.

En réalité, lors de son premier véritable test, cette posture décisionnelle a été mise de côté: l'évacuation de Kaboul a pris les autres pays de l'OTAN par surprise, puisqu'ils ont été mis au courant des décisions américaines alors que "les hélicoptères américains volaient déjà au-dessus de leurs têtes". La même opération d'évacuation des collaborateurs, ainsi que le pont aérien de la capitale afghane, ont été "filtrés" par les États-Unis dans le cadre des accords de Doha, signés avec les talibans en février 2020.

La gestion fortement centralisée de l'évacuation, surtout dans les premiers jours, a provoqué de fortes frictions entre les États-Unis et les alliés qui avaient leurs contingents en Afghanistan, et comme conséquence directe en Europe, ou mieux, dans les pays de l'Union européenne, la politique a recommencé à réfléchir avec plus de volonté de décision sur la possibilité de se doter d'un "instrument de défense" communautaire.

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Très récemment, même en Italie, l'un des plus fidèles alliés des États-Unis, les plus hautes autorités politiques ont exprimé la nécessité pour l'UE d'adopter une politique étrangère et de sécurité commune. Une chose qui, si elle était réellement mise en place, en mettant de côté les exigences de chaque membre de l'Union, serait un précurseur de la naissance d'une armée européenne.

D'un point de vue politique et technique, il existe de nombreuses ficelles (voire de véritables chaînes) qui pourraient empêcher ces deux possibilités, mais avant de les passer en revue, faisons un exercice purement académique en allant voir quelle serait la taille d'une hypothétique armée européenne.

Les 27 pays appartenant à l'Union européenne seraient en mesure de se doter d'environ 1,2 million d'hommes appartenant aux forces armées. À titre de comparaison, les États-Unis en comptent 1,4 million, la Chine 2,8 millions et la Russie 1,14 million.

Quant à l'armée de l'air, l'UE disposerait de 2012 chasseurs-bombardiers (de défense aérienne et d'attaque) et de quelque 609 avions de transport de toutes tailles, les États-Unis en ayant 2717 et 845, la Russie 1531 et 429, et la Chine 1571 et 264. Toujours en ce qui concerne les moyens aériens, l'UE pourrait déployer environ 42 des principaux avions-citernes et quatre Awacs (E-3 français).

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En termes de chars (toutes catégories de poids confondues), les armées des 27 nations européennes en comptent 5081, tandis que les États-Unis en possèdent 6100, la Chine 3205 et la Russie 13.000.

Le nombre total d'unités navales majeures pour l'UE est le suivant: 4 porte-avions, 91 frégates, 15 destroyers, 25 sous-marins (de différents types). La marine américaine compte 11 porte-avions (plus 10 porte-avions d'assaut amphibie), 21 croiseurs, 71 destroyers et 69 sous-marins (y compris ceux en construction et en commande). La flotte de Voenno-morskoj recense dans ses livres un porte-avions, 5 croiseurs, 13 destroyers, 11 frégates et 64 sous-marins, tandis que la marine de la République populaire de Chine a deux porte-avions, environ 50 destroyers, 46 frégates et 79 sous-marins.

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Ces chiffres tiennent compte des actifs "sur papier", c'est-à-dire qu'ils incluent également ceux qui ne sont pas en service parce qu'ils sont en réparation ou n'ont pas encore été mis en service mais sont en cours de livraison. En ce qui concerne l'UE, les 27 F-35A qui devraient entrer en service dans l'armée de l'air danoise et les 18 Rafale prévus pour la Grèce ont été exclus du décompte des chasseurs.

En termes de dépenses militaires, l'UE dans son ensemble dépense environ 185 milliards de dollars chaque année, contre 740 milliards pour les États-Unis, 178 milliards pour la Chine et 42 milliards pour la Russie. Lorsqu'on parle de financement de la défense, il est toujours bon de tenir compte du fait que chaque monnaie a un pouvoir d'achat différent en fonction du coût de la main-d'œuvre, de la dévaluation, de la disponibilité des matières premières, etc., de sorte que, par exemple, il faut beaucoup moins de "dollars" pour acheter un missile intercontinental en Chine qu'aux États-Unis ou en Russie.

Comme nous l'avons déjà mentionné, il existe des "lacets, des cordes et des chaînes". La chaîne la plus lourde est l'arsenal atomique qui, dans l'UE, est en possession de la seule France (maintenant que le Royaume-Uni est sous le coup du Brexit). Paris dispose de plusieurs têtes nucléaires montées sur des Slbm dans les sous-marins de la classe Le Triomphant, seule composante stratégique restante après la fermeture des silos du Plateau d'Albion et compte tenu du fait que le missile de croisière Asmp est classé "préstratégique".

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L'Elysée ne partagerait pas la gestion de sa dissuasion atomique si les autres pays européens ne supportaient pas les coûts de création d'un nouvel arsenal nucléaire (par exemple, de nouveaux Ssbn, de nouveaux missiles, de nouvelles ogives et peut-être même de nouveaux silos au sol). Une telle option constituerait une violation du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et, de plus, il est décidément difficile qu'elle soit réalisable dans un délai raisonnable, pendant lequel le parapluie atomique français serait le seul à protéger l'UE (dans l'hypothèse d'un retrait américain inévitable) et où Paris devrait donc partager la charge financière de la gestion, sans permettre aux autres pays de l'UE d'entrer dans la chaîne de décision du déploiement.

Une Europe sans parapluie atomique est impensable à une époque où la dissuasion nucléaire redevient importante, compte tenu de la fin d'importants traités de désarmement (tels que le FNI).

Par ailleurs, la création et la gestion d'un arsenal atomique seraient, à moyen/long terme, également plus avantageuses sur le plan économique, dans la mesure où il s'agirait d'une dépense moindre par rapport à la nécessité de s'équiper d'un arsenal conventionnel qui, pour avoir un effet dissuasif, devrait être très cohérent et moderne.

Si la question nucléaire représente la plus grande chaîne, il en existe d'autres qui ne sont pas indifférentes. En fait, il faut considérer qu'avec la naissance d'une force armée européenne, il serait nécessaire d'opter pour la fin de la participation des pays de l'UE à l'OTAN, car il est peu probable que l'on puisse penser à une duplication des commandements (donc des infrastructures et du personnel). Cette option, certes courageuse, est difficile à mettre en œuvre car il existe au sein de l'UE des pays qui ont des liens très particuliers avec l'Alliance Atlantique, souvent dictés par des contingences politiques.

Cela nous amène à une autre question cruciale et difficile à résoudre:

Unir les visions stratégiques en matière de politique étrangère et de défense de 27 pays est presque impossible.

De ce point de vue, l'OTAN elle-même est un exemple de la façon dont, parmi ses 30 membres, il n'y a pas les mêmes perceptions de la menace pour leur propre sécurité, les pays d'Europe de l'Est regardant avec inquiétude la Russie et les pays méditerranéens se concentrant davantage sur le "front sud". Il faut maintenant imaginer, en regardant la carte de l'UE, la reproposition du même mécanisme, mais sans un "maître" comme les États-Unis, qui, en dernière instance, décide de ce qu'il faut faire.

L'Union européenne pourrait toutefois se doter d'un mécanisme militaire unique pour les missions internationales, qui devraient être décidées sur la base de nos intérêts en tant qu'Européens et non en suivant uniquement les résolutions de l'ONU ou la volonté de l'OTAN (c'est-à-dire Washington). Dans ce cas, on pourrait penser à un contingent très mobile de forces légères, interarmées et donc capables de disposer de moyens terrestres, maritimes et aériens, géré par un commandement conjoint dans lequel il y aurait une présence permanente des pays de l'UE qui ont les forces armées les plus "substantielles" (France, Allemagne, Italie, Espagne) et, par rotation, un représentant de tous les autres. Sans oublier que pour avoir une armée commune (ou une force d'intervention rapide commune), il est nécessaire d'avoir une formation commune, les mêmes procédures, la même logistique et, surtout, une vision géopolitique commune, car s'il y a quelque chose que les conflits asymétriques du siècle dernier (Vietnam, Afghanistan) nous ont - ou auraient dû - apprendre, c'est que pour gagner une guerre, il faut savoir exactement quoi faire, et il est impensable que l'Union européenne puisse mener une mission militaire sans un objectif unique qui s'applique à tous.

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lundi, 06 septembre 2021

Quel est l'avenir de la Russie en tant que grande puissance?

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Enric Ravello Barber

Quel est l'avenir de la Russie en tant que grande puissance?

Ex: https://www.enricravellobarber.eu/2021/09/cual-es-el-futuro-de-rusia-como-gran.html#.YTYEiN86-Uk

Le scénario mondial actuel, que de nombreux spécialistes qualifient de "multipolaire", est en réalité un moment de transition entre le déclin de la puissance hégémonique jusqu'ici dominante, les États-Unis, et la montée en puissance de celle qui sera hégémonique dans les prochaines décennies: la Chine.

C'est dans ce scénario qu'un troisième acteur, doté de pouvoir et d'influence sur la scène mondiale mais un cran en dessous, pourrait devenir une grande puissance mondiale s'il sait agir stratégiquement, corriger ses défauts et développer son potentiel. Ce troisième acteur est la Russie.

I. La Russie : histoire, déclin et redressement

En termes d'histoire, de culture, de langue et de tradition, la Russie est une nation pleinement européenne. Le russe est une langue slave de la famille indo-européenne, à laquelle appartiennent également les langues latines, helléniques, germaniques, celtiques et baltes, ce qui indique une origine commune très ancienne de tous ces peuples européens. Plus précisément, les peuples slaves entreront dans l'histoire aux alentours des 2e-3e siècles de notre ère, lorsqu'ils seront nommés et mentionnés dans les sources latines. Au cours du développement historique ultérieur, ils vont progressivement se différencier les uns des autres et donner naissance aux peuples slaves que nous connaissons aujourd'hui. Le dernier noyau slave indifférencié était russe-biélorusse-ukrainien, ce à quoi Vladimir Poutine a fait référence dans son récent article "Sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens".  Le premier État russe a été fondé par des Vikings suédois (Varangiens/Varègues) à Kiev, le duché de Moscou a lutté contre les invasions mongoles, le titre de tsar dérive du latin "Caesar" pour revendiquer Moscou comme une Troisième Rome (continuation de l'Empire byzantin) et l'Empire russe a toujours été une barrière contre l'avancée de l'expansionnisme turco-musulman. Peut-on douter que la Russie est non seulement européenne, mais aussi l'une des nations vitales dans l'histoire de notre continent ?

La Russie est devenue une puissance sous le règne de Pierre le Grand - le premier tsar russe à utiliser le titre d'empereur - notamment après ses victoires contre la Suède lors des guerres de la Baltique. A partir de ce moment, la Russie n'est plus seulement une puissance européenne luttant contre des ennemis extérieurs (Mongols, Turcs) mais devient une puissance vitale dans l'équilibre militaire et politique continental.

Après l'effondrement de l'URSS dû à la vision infantile de Gorbatchev, Boris Eltsine et ses politiques libérales de soumission politique à l'Occident et de corruption des magnats locaux ont eu des effets désastreux sur l'économie et la société russes. Le rejet de la demande d'adhésion de la Russie à l'OTAN a été perçu comme un rejet de la Russie par l'Europe et l'Occident, ce qui a fait basculer la Russie volens nolens vers la Chine. Le déclin politique d'Eltsine a été accueilli par de fortes réactions populaires - y compris des coups d'État - qui annonçaient le désir du peuple russe de retrouver sa fierté nationale. C'est l'argument politique que Vladimir Poutine, défenseur pragmatique de son pays, a habilement utilisé pour arriver au pouvoir. Son arrivée au Kremlin signifiait le redressement de la Russie. Le tournant a été la deuxième guerre de Tchétchénie et sa reconfirmation internationale dans les actions de l'armée et de la diplomatie russes dans la guerre de Syrie.

II. L'heure de la Russie. Éléments et problèmes pour devenir une puissance mondiale

- La guerre hybride permanente des États-Unis contre la Russie, qui vise à l'isoler de l'ancien bloc de l'Est, et maintenant de l'espace européen ex-soviétique lui-même, la forçant ainsi à être une puissance n'ayant pratiquement aucune influence en Europe. Le maintien de l'OTAN et son extension aux anciens pays du Pacte de Varsovie, l'agression contre la Serbie - un allié traditionnel de la Russie dans les Balkans - et le déploiement du bouclier antimissile ont été les épisodes de cette première phase. La crise en Ukraine et la tentative de révolution "orange" au Belarus ont été les épisodes de la deuxième phase.

- Le tournant asiatique qui, à mon avis, a une double nature.

1) La création d'organisations autour de la Russie, englobant l'ancien espace soviétique de l'Asie centrale. L'objectif est la coopération économique et la défense militaire de cette région menacée par le radicalisme islamique, et la manipulation américaine pour affaiblir le pouvoir russe dans cette zone vitale pour le contrôle du monde (Traité de sécurité collective et Union économique eurasienne).

2) L'Organisation de Shanghai, née du rapprochement avec la Chine en réponse au rejet de la Russie par l'Occident. Si la vocation de la Russie est de se rapprocher de l'Europe et non de la Chine, sa participation à l'Organisation de Shanghai - la plus grande du monde et où il existe un équilibre entre les États-nations et sa dimension supranationale - réaffirme la position globale de la Russie, la stabilité en Asie et éloigne l'influence et la capacité d'intervention des États-Unis sur le continent asiatique.

- La route de l'Arctique. Si la Chine construit la nouvelle route de la soie comme un pari stratégique, le pari de la Russie doit être de faire de l'Arctique la grande route commerciale mondiale dominée par Moscou. La fonte des glaces fera de l'Arctique une mer navigable toute l'année pour les décennies à venir, et la Russie a déjà commencé à activer cette route pendant les mois de travail. L'Arctique sera la clé du commerce mondial. La Russie est en première ligne pour contrôler cette route; pour réaffirmer ce contrôle, elle devra: étendre ses eaux territoriales arctiques jusqu'aux frontières contestées et étendre sa présence militaire le long de sa côte nord.  Moscou doit assurer sa primauté dans l'Arctique sur la Chine, qui commence déjà à jeter son dévolu sur la région, et sur les États-Unis, qui ne l'ont pas encore fait et qui devraient se retrouver avec un statu quo favorable à la Russie lorsqu'ils le feront.

- Les hydrocarbures et le marché de l'énergie. Surmontant le boycott constant des États-Unis, et malgré le fait que les États-Unis conservent une grande capacité de sabotage, l'achèvement de la branche Nord Stream 2 en Allemagne est une preuve supplémentaire du besoin actuel et croissant de l'Europe occidentale en hydrocarbures russes. C'est une réalité qui contribue à un rapprochement euro-russe, qui dans ce cas est également bénéfique pour les deux parties.

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- Une diversification économique nécessaire.  Malgré son leadership dans le domaine des hydrocarbures, la Russie doit diversifier et mettre en œuvre son économie. C'est son point faible si elle veut devenir une grande puissance mondiale. La Russie va dans cette direction. Son ministre de l'économie, Mikhail Mishustin (photo), promeut un programme ambitieux qui va de la construction d'infrastructures (routes et chemins de fer) à des investissements massifs dans l'éducation.  Le ministre de la défense, Sergey Shoigu, propose la création de nouvelles villes en Sibérie qui seront de futurs centres de technologie de pointe. Tous deux parlent de placer la Russie parmi les quatre premières puissances économiques d'ici la fin de la décennie.

- Leadership dans la technologie militaire. Le test réussi du missile hypersonique Tsirkon en juillet dernier confirme le leadership de la Russie en matière de technologie des missiles. Si l'économie est le grand défi, la technologie militaire est le grand avantage de la Russie, un avantage que personne, semble-t-il, ne pourra contester et qui lui confère une force énorme dans sa position mondiale. 

III. De Lisbonne à Vladivostok La grande Europe et le destin du monde

La Chine développe une pensée stratégique, et planifie déjà ses actions après 2050 en tenant compte des générations futures, ainsi que de la projection du peuple Han dans le monde. L'élite chinoise actuelle sait qu'elle ne sera plus en vie en 2050, mais sa conception du peuple, du destin et de la nation transcende son intérêt personnel; ce sera l'une des clés - probablement la plus importante - du succès de la Chine dans un avenir proche. Les élites mondialistes qui dirigent les États-Unis ont un plan sinistre à mettre en œuvre pour l'humanité dans les décennies à venir. Les dirigeants de l'Europe occidentale ne sont que des nains politiques dont l'horizon ne dépasse jamais quatre ans, c'est-à-dire la prochaine élection, et leur objectif est simplement leur réélection.

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Dans ce scénario compliqué, la Russie a un rôle décisif et vital à jouer. L'Europe occidentale n'a absolument aucun pouvoir, et pire, aucune volonté d'agir en tant que sujet sur la scène mondiale. Son triste destin est simplement de rester une marionnette des États-Unis ou de tomber d'ici quelques années dans la sphère de contrôle chinoise, ce qui pourrait être beaucoup plus dur et infâme que ne le pense le confortable esprit européen.  Ainsi, aujourd'hui, la civilisation européenne, y compris notre vision humaniste du monde, nos valeurs et notre mode de vie, n'a qu'un seul espoir: que la Russie devienne une grande puissance mondiale. La Russie possède une classe dirigeante capable de penser en termes de civilisation, de pouvoir et d'avenir, comme l'a montré le président Vladimir Poutine en proposant l'intégration eurasienne de Lisbonne à Vladivostok comme une alternative géopolitique possible à la puissance des États-Unis et de la Chine.  La Russie n'est pas seulement l'Europe, elle est aujourd'hui le grand espoir de la civilisation européenne.

Le projet de Poutine ne sera pas réalisable à court ou même éventuellement à moyen terme, mais c'est l'objectif que tous les Européens, de Lisbonne à Vladivostok, devraient embrasser. Des défis majeurs doivent être relevés pour que la route vers cet objectif soit possible.

- L'opposition continue des États-Unis à tout rapprochement euro-russe.  Après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe occidentale est devenue une colonie américaine. Avec la chute du communisme, cette Europe occidentale a commencé à avoir des intérêts antithétiques par rapport à ceux de Washington. La logique européenne serait de se rapprocher de la Russie et de consolider le fameux axe Paris-Berlin-Moscou. C'est une chose que l'administration américaine ne veut pas permettre, d'où sa politique de tutelle absolue sur l'UE et surtout sur son pays le plus puissant, l'Allemagne, un État qui, politiquement, n'a même pas de traité de paix et qui est né après la Seconde Guerre mondiale sous contrôle américain.

- L'incapacité absolue d'une UE catatonique. L'UE est la somme d'États impuissants, sans aucun poids, pouvoir ou autonomie dans la politique internationale. Le résultat de cette union de l'impuissance est logique: une grande impuissance pachydermique, soumise aux États-Unis, au point d'adopter des mesures commerciales contre la Russie plus strictes que celles imposées par les États-Unis et énormément dommageables pour sa propre économie.

Poutine a oscillé dans son projet d'unité eurasienne. Si, dans un premier temps, il considérait l'UE comme un partenaire, il semble désormais pencher pour des négociations avec ses différents États. La solution ne semble pas vraiment meilleure - l'incapacité de ces États individuels restera manifeste - mais elle offre un peu plus de marge de manœuvre.

- La Russie doit améliorer sa propagande. Si la Russie veut devenir le leader continental et le catalyseur du projet euro-asiatique, elle doit développer un discours continental mobilisateur et acceptable pour les pays qui composent ce que nous pourrions appeler l'espace Visegrad-Intermarium, qui s'étend de la Baltique à la mer Noire. Les pays baltes et la Pologne sont profondément russophobes, ce qui en fait des instruments dociles des États-Unis et de l'OTAN dans leur harcèlement de la Russie. Si cela est possible, c'est parce que l'opinion publique de ces pays continue à craindre la Russie ; on peut en dire autant de l'Ukraine et de la République tchèque. Il en va de même pour la Hongrie, un pays de plus en plus éloigné de Bruxelles, ennemi de George Soros et accusé par Joe Biden de "dictature" - tout comme la Pologne - que la Russie devrait pouvoir attirer dans son orbite avec facilité. Le Kremlin devrait développer un discours inclusif de la part de la Russie qui empêcherait la situation actuelle dans laquelle les États-Unis agissent dans cet espace régional non seulement pour harceler la Russie mais aussi pour empêcher tout rapprochement entre l'Europe occidentale et la Russie, en utilisant ces pays comme un coin pour leurs intérêts.

L'Europe de Lisbonne à Vladivostok est sans doute un projet aussi illusoire que complexe. La première est le capitalisme d'État chinois qui, ayant abandonné le communisme, se fonde sur un néo-confucianisme combiné à un nationalisme agressif et à un racisme qui méprise les autres peuples du monde. L'autre est le délire mondialiste dont les États-Unis sont l'exécuteur et dont le cauchemar est un monde dirigé par "une technocratie mondiale issue de la fusion du grand gouvernement et des grandes entreprises, dans laquelle l'individualité est remplacée par la singularité transhumaniste". 

Il n'y a qu'une seule alternative à ces deux cauchemars, le projet européen de Lisbonne à Vladivostok proposé par Moscou. Ses difficiles chances de succès dépendent avant tout de l'engagement et de la détermination des éléments les plus consciencieux des "trois Europes": l'Ouest, l'Europe centrale et la Russie. 

L'histoire nous donnera le verdict.

La grande hypocrisie sur la fin de la "guerre sans fin"

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La grande hypocrisie sur la fin de la "guerre sans fin"

Lorenzo Vita

Ex: https://it.insideover.com/politica/la-grande-ipocrisia-sulla-fine-della-guerra-infinita.html

Les guerres sans fin ne sont pas terminées. L'une d'entre elles est terminée, celle de l'Afghanistan, mais il est difficile de croire que la "guerre" que les États-Unis ont menée, mènent et veulent mener est réellement terminée. Ni contre le terrorisme, ni contre d'autres ennemis stratégiques que Washington a depuis longtemps identifiés comme des cibles.

Le Président des Etats-Unis, Joe Biden, s'est empressé ces dernières heures de rappeler un concept: la volonté de mettre fin à ces conflits dont on ne comprend pas la fin et, surtout, les moyens d'y mettre fin. L'Afghanistan en était devenu le symbole: une guerre qui durait depuis vingt ans, avec des objectifs complètement différents, et qui avait atteint le paradoxe selon lequel Washington remettait le pouvoir à ceux-là mêmes qu'il avait chassés de Kaboul et combattus. Un exemple plastique de l'hétérogénéité des finalités qui a fait comprendre, mieux que tout, ce qu'est devenu en pratique le long conflit afghan du point de vue américain.

Cette perception court toutefois le risque d'aller dans le sens de l'idée que l'Amérique a mis fin à une guerre qui s'est terminée en raison de l'absence d'objectifs ou d'ennemis. Une façon de penser risquée, pour la simple raison que le président des États-Unis lui-même a tenté de faire comprendre à son pays que la guerre contre le terrorisme sera simplement menée sous d'autres formes, et qu'il existe d'autres rivaux stratégiques vers lesquels son Amérique se tournera. En bref, la guerre est loin d'être terminée. Elle a simplement mis fin à une forme de cette grande guerre: au mieux, sa plus longue bataille, ou, dans un sens plus large, son front le plus sanglant et le plus coûteux.

Les experts commencent donc à se demander s'il est vraiment nécessaire de considérer comme terminée une guerre qui n'a en fait jamais pris fin. DefenseOne, l'un des sites américains les plus connus traitant des questions stratégiques, a même accusé la politique américaine dans son ensemble de raconter des mensonges aux électeurs. Il l'a fait dans un éditorial cinglant de son rédacteur en chef, Kevin Baron. Foreign Affairs, le magazine américain qui fait autorité, a publié un article au titre illustratif, "The Good Enough Doctrine", que l'on pourrait traduire par la doctrine du "suffisant" ou du "bon".

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En substance, le concept exprimé est qu'il faut accepter la coexistence avec le terrorisme, comprendre qu'il existera toujours une forme de terrorisme de matrice islamiste capable de frapper dans le monde et que la seule chose que l'on puisse faire est de le limiter en le rendant inoffensif par rapport à la sécurité des États-Unis. Le général Mark McKilley, chef d'état-major interarmées des États-Unis, a également repris ce thème. Lors de son point de presse, parlant de l'Afghanistan, il a admis qu'"au cours des 20 dernières années, il n'y a pas eu d'attaque sérieuse contre notre pays, et il nous incombe maintenant de veiller à ce que nous poursuivions nos efforts en matière de renseignement, nos efforts de lutte contre le terrorisme, nos efforts militaires pour protéger le peuple américain au cours des 20 prochaines années, et nous, les militaires américains, sommes déterminés à le faire". Des phrases qui, associées à l'image des talibans entrant triomphants dans Kaboul, révèlent très clairement qu'aucune mission n'a été achevée, ni que la guerre contre l'islamisme a été gagnée. D'autant plus que certains pensent qu'il s'agit désormais d'un mal endémique avec lequel l'Occident, incapable de le vaincre, ne peut qu'apprendre à vivre.

Une coexistence qui, toutefois, met à nu une certaine hypocrisie qui sous-tend les phrases avec lesquelles Biden et la politique américaine ont décidé de décrire le retrait d'Afghanistan. Alors que les raids dans la Corne de l'Afrique se poursuivent, que les porte-avions américains se déplacent en mer d'Arabie pour frapper, dans le cadre d'opérations "au-delà de l'horizon", les bastions de l'autoproclamé État islamique, et alors que des questions restent ouvertes avec l'Irak et la Syrie et que les acronymes de la terreur n'ont pas disparu, ce que Washington veut, c'est simplement arrêter l'hémorragie de l'argent des contribuables et des vies humaines dans une confrontation avec ses propres unités sur le terrain. Mais la guerre "sans fin" est restée telle quelle.

La longue "nakba" américaine en Afghanistan et la "nouvelle guerre froide"

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La longue "nakba" américaine en Afghanistan et la "nouvelle guerre froide"

Un changement dans le nomos de l'Empire

Irnerio Seminatore

Ex: https://www.ieri.be/

La compléxité du thème abordé tachera de faire le point sur deux aspects de la situation afghane , idéologique et géopolitique et touchera à la surface les deux concepts-clés de la puissance impériale, celui de la territorialité et celui de la crédibilité internationale du leadership dans la solidarité des alliances

Sur le plan idéologique, l'entreprise de démocratisation forcée des peuples s'imposant aux  régimes autochtones  les plus divers a été partout  un échec et a comporté partout une défaite; en Libye , en Irak, en Syrie, au Vietnam et aujourd'hui en Afghanistan. Paradoxalement les croisades, idéologiques ou théologico-politiques, condamnent tôt ou tard  les croisés. En effet , derrière les messianismes des envahisseurs on oublie souvent l'âme des peuples qui vivent dans la tradition, armés de la force du passé, par opposition à l'esprit des utopistes qui se complaisent  dans le monde des idées et vivent, en faux réformateurs, dans l'ingrate problématisation de l'avenir, totalement à inventer.

Une défaite est une défaite! Symbolique, militaire, intellectuelle et stratégique. Dès lors la conception de l'ordre d'une période historique révolue apparaît d'un coup comme  caduque. L'ordre occidental, qui se révélait au milieu du XXème siècle comme un modèle d'équilibre sociétal avancé, oscillant entre progrès et réformes, dévoile sa fragilité et son mythe. La démocratie au bout des baïonnettes n'est que l'absence d'un équilibre local entre élites inféodées à l'étranger et leur protecteur systémique, russe ou occidental. La colonisation démocratique, par un Impérium dépourvu d'autorité morale ou d'un magistère spirituel a payé son prix! Commencée avec le régime soviétique en 1979, elle s'est conclue dans  le déshonneur américain en 2021.

L'ingérence dans les affaires intérieures d'autres Etats de la part du globalisme supra-national se poursuit encore en Ukraïne, en Biélorussie et dans les Pays Baltes à l'Est de l'Europe et, dans l'Europe de l'Ouest, en Hongrie et en Pologne. Mais il s'agit toujours d'un normativisme abstrait Cependant l'horizon final de l'ingérence porte un nom, Nakba, autrement dit catastrophe. L'indignité d'un Etat impérial d'avoir cédé à une violence sans Etat. Ce n'est point l'erreur d'un homme, faible et inadapté, c'est la faillite d'un système  de pensée, l'uniformisation du monde par un concept ou un système de concepts! Or, il n'est pas d'empires qui ne soient nés par la force et morts sans soubresauts ou destitutions d'Etats. La supériorité des idées importées, doit se traduire en supériorité sur l'enracinement et les convictions profondes face aux tempêtes de l'Histoire.

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L'effondrement de l'Union Soviétique n'a pas encore absorbé ses répercussions systémiques. Il a engloutit la grandeur impériale, d'abord tsariste, puis britannique , successivement communiste et enfin américaine. Mais la tradition tribale en Asie centrale a résisté à la modernité étatique et occidentalisante. Aujourd'hui l'Asie semble tendre vers un système d'Etats qui ne répliquera pas le système européen du XXème siècle et différera de la conjoncture historique de la fin de la deuxième guerre mondiale, au temps où, suite à l'affaiblissement des nations européennes, débutait le long processus de la première "guerre froide" en Europe et simultanément  montait dans l'univers colonial, la lutte pour l'indépendance nationale et l'émancipation politico- économique espérée et érigée en mythes, à laquelle on peut assimiler aujourd'hui la longue guerre d'Afghanistan.

Au plan géopolitique, une page de la géopolitique mondiale se tourne, impliquant une reconfiguration des rapports de pouvoir dans toute la région d'Asie centrale et l'entrée dans une nouvelle "guerre froide", plus large, plus flexible et plus dynamique que celle, relativement statique et codifiée, du monde bipolaire de l'immédiat après guerre, centrée sur le contrôle bipartite de l'Europe. Il s'agit d'une compétition belliqueuse, intense et permanente, fondée sur l'étrange mixité de coopération et de conflit et ce dernier, considéré comme le but de fond du procès historique, est lui même, direct, indirect et hybride.uA la lumière de ces considérations, la chûte de l'Afghanistan apparait comme un retrait stratégique de la puissance dominante des Etats-Unis, un recentrage asiatique, longtemps différé, remodelant la confrontation entre acteurs "pivots" (importants pour leur position sur l'échiquier mondial) et les acteurs géo-stratégiques ou systémiques,(importants pour leurs desseins, ambitions, influence et capacité de projection des forces).

Cette chute affecte le Heartland, le coeur de la terre centrale et déplace le maelstrom socio-politique de la coopération et du conflit vers le coeur de l'Indo-Pacifique, plus au Sud, caractérisé par deux ordres spatiaux, ceux de la mer libre et de la terre ferme. La mer libre et disputée, constituée d'îles, presqu'îles et archipels, est conjointe aux  bordures océaniques et à la masse continentale autrefois inaccessible, mais ouvertes aujourd'hui par les routes de la soie. Ainsi  la région de l'Indo-Pacifique devient le coeur d'un processus d'influence, de polarisation et de prééminence, économique et culturelle entre les deux titans du système, l'Empire du milieu et la Grande Ile du monde. Ici les puissances moyennes et les acteurs mineurs sont obligés de choisir la forme de pouvoir qui leur donne le maximum de protection et de sécurité et le minimum de risque en cas de crise majeure.

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L'humiliation de l'Amérique ne favorise pas un calcul facile des intérêts conflictuels et des futurs rapports de force. Culture et politique, histoire et conjoncture déterminent la modification de la balance mondiale et premièrement le statut de pouvoir des Talibans. La parenté ethnique et culturelle  avec le Pakistan , le "Pays des Purs", prévaudra-t-elle sur le poids de la Chine, grande créatrice de biens publics (les infrastructures  du monde post-moderne)? La "stratégie du chaos" ou de la terre brulée, ou le renvoi de la pomme de terre bouillante, laissée par les forces d'occupation servira t-elle davantage la Russie ou l'Amérique? L'ambition ottomane d'Erdogan se révèlera-t-elle une utopie ou une velléité hors de portée? Dans la géopolitique du "Grand Jeu", quelle place pour la rivalité d'un autre empire de proximité, héritier lointain de celui de Xerxes , le Rois des Rois de l'antiquité? A l'Ouest de l'Eurasie, l'affront  de l'Occident a été également l'humiliation de l'Otan divisée et obsolète, en voie de redéfinition de ses relations avec la Russie.

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Ainsi le bipolarisme systémique et non dissimulé, sous couvert de triade (Chine, Etats-Unis et Russie) est non seulement plus diffus et différencié, en termes de pouvoir et de souverainetés militaires, du bipolarisme codifié et statique du vieux monde conflictuel,  essentiellement russo-occidental, mais définit aussi "une nouvelle guerre froide", celle  des grands espaces et un changement de taille et d'époque dans la souveraineté impériale et dans la domination du monde. La longue"Nakba" étasunienne en Afghanistan remet par ailleurs en cause la crédibilité du Leader du bloc, perçu comme régulateur politique de l'espace mondial et garant de la protection de ses alliés, harcelés  par le danger d'un retour à la terreur islamique.

Suivant la logique de formes d'interdépendances asymétriques, cette menace fait rebondir les risques et les préoccupations sécuritaires vers l'Europe, où couvent, sous des cendres dangereuses, des conflits dormants et irréductibles. Or la logique des grands espaces rapproche les différenciations et les intérêts civils et militaires de pays lointains, favorisant les divisions et les manipulations impériales, dictées par la rivalité autour de la prééminence mondiale et de la recherche d'alliances crédibles, régionales et planétaires.

Sur la territorialité des empires et sur la pertinence de son exercice

Ce changement de taille et d"époque est un dépassement des deux conceptions de la territorialité, de la terre ferme et de la mer libre , qui avaient dominé le monde depuis l'ordre spatial de la "Respublica Christiana". Mais il est aussi un changement de nature de "l'universale" et du "particulare" et de la différente division du monde, des pouvoirs et des idées qui sont intervenus depuis. De surcroît, la portée de ce changement demeure incompréhensible, si on n'y intègre pas les deux dimensions de l'espace post-moderne, non territorial, celui virtuel de l'univers cybernétique  et celui eso-atmosphérique des grandes puissances ballistico-nucléaires. Cependant les outils techniques des révolutions scientifiques ne changent en rien les buts de la guerre et du conflit, qui  demeurent éminemment politiques, puisqu'ils concernent le gouvernement des hommes par d'autres hommes, dans leurs rapports de culture, de commandement et d'obéissance, car on commande et on obéit toujours à l'intérieur d'une culture.

Il s'agit de la transformation de l'impérialité hégémonique nationale ou régionale en une conception hégémonique du système international comme un tout et donc comme régulateur suprême de la paix et de la guerre. A la lumière de cette hypothèse la crédibilité de l'empire est essentielle à celui-ci, pour se maintenir et pour fonder ses alliances sur son soutien. En effet, au delà du principe "pacta sunt servanda", "l'ultima ratio regum", pour maintenir la cohésion d'un ensemble territorial composite, demeure toujours la décision impériale de l'épée et de la guerre. Depuis 1945, l'hémisphère occidental a été placé sous l'hégémonie des Etats-Unis et le droit international public d'inspiration universaliste, sous l'égide des Nations Unies, a cautionné les grandes orientations  de l'Occident.

Or, par antithèse à l'ordre purement normatif du monde global, posé en universel abstrait, hors de toute référence géopolitique, l'idée d'un "ordre concret" oppose au premier, selon une approche "réaliste", un ordre international fondé sur la coexistence de plusieurs grands espaces politiques, dominés chacun par une puissance hégémonique. La notion d'empire devient ainsi le cadre de référence de ce nouveau "Nomos", irradiant les "idées" poitiques, portées par des peuples, conscients de leur mission historique. C'est la trace sousjacente du monde multipolaire actuel. La territorialité, constituée de peuples, cultures, environnements et traditions diverses, devient l'espace d'un ordre planétaire concret, puisque, tout ordre politique fondamental est d'ordre spatial. Le  "Nomos" y est spécifique, car lié a des territoires, des phonèmes et des lumières originaux et incomparables. A une approche de synthèse , à la base de la territorialité et des ordres  politiques spatiaux, il y a toujours des phénomènes de puissance et l'ordre normatif international et supranational, qui vient de communautés étrangères et lointaines ( ONU, OTAN, , etc..) y est réduit visiblement, car la projection d'un pouvoir de contrôle démeure inacceptable et incompréhensible aux populations locales, comme ce fut le cas en Afghanistan et ailleurs.

Le "Nomos de l'impérialité et la multipolarité discriminatrice de la géopolitique

L'ordre politico-diplomatique de la multipolarité, proche de la théorie des grands espaces, a pour fondement une stratégie de régulation différenciée et autarcique. A territorialités différenciées, gouvernement politique "disciminatoire" et concret! Si tout ordre politique est spatial, cet ordre est un "Kat-échon", selon C.Schmitt, c'est à dire un ordre conservateur, qui préserve une communauté donnée de sa dissolution et de son épuisement historiques. Dans cette perspective change le "sens" de la guerre ou de la volonté de contrôle de l'Hégémon et, au delà, de l'impérialité hégémonique même ,en tant que concept, porteur de visages historiques multiples.

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Le "Nomos" de l'impérialité découle d'un ordre permanent de crise et d'équilibre entre centre et périphérie, ainsi que d'une option stratégique entre manoeuvres de la terre et de la mer, mais aussi, à un niveau tactique, entre l'impérialité comme idée-limite d'un césarisme centraliste total et d'un degré de liberté des régimes politiques locaux. Il est également la résultante concrète d'un césaro-papisme post-moderne et gibelin, qui remplace la religion par la laïcité et l'Eglise dispensatrice de la grâce, par des médias pourvoyeurs de légitimité partisane. Au coeur d'un humanisme neutralisant et dévoyant., officié autrefois par le Souverain Pontif de Rome, s'installent désormais l'anarchisme, le néo-réformisme religieux et le piétisme droit-de-l'hommisme triomphants. Ce Nomos est donc non seulement sans trascendance (sans l'appui religieux du papisme), mais sans une légitimité reconnue et universelle. De surcroit, dans la dialectique contemporaine du pouvoir et de sa contestation permanente, à l'anarchie contrôlée des Etats souverains s'oppose le nihilisme normativiste des épigones du globalisme et les turbulences destructivistes des fronts républicains écolos-populaires.

En Afghanistan nous avons dû constater que les deux camps opposés n'étaient pas sur le même plan politico-juridique, puisque la qualité des belligérants confrontait des Etats souverains reconnus à des rebelles sans autre titularité que la normativité de la force. Cette disparité de droit aura une importance successive dans la normalisation internationale de la situation et dans la reconnaissannce du gouvernement taliban. Les Etats ont essayé de déthéologiser les conflits ordinaires de la vie publique et de neutraliser les antagonismes de la vie civile confessionnelle, inversant le processus qui avait conduit en Europe à une rationalisation et limitation de la guerre dès les XVIème et XVIIème siècles. Mais la connexion de la guerre civile et de la guerre anti-islamique n'a pas réussi à circonscrire la guerre à l'aide de la politique, du concept d'Etat ou d'une coalition d'Etats. L'ennemi a échappé à toute qualification juridique et à toute discrimination entre l'hostis et le rebelle, ce qui aurait comporté la reconnaissance de la parité dans un cas et une guerre d'anéantissement dans l'autre. Ainsi le Nomos d'Empire ne peut être pensé par lignes globales ni par théâtres. selon une répartition par hémisphères ou par zones de légitimité compatibles.

Il s'agit d'un fil conducteur de l'histoire et des régimes politiques, qui a perdu toute injonction normative et conduit à la saisie du sens concret du devenir, mais aussi à la distinction entre limites des deux hiérarchie de pouvoir, celui de la potestas ou pouvoir militaire de l'Impérium  et celui de l'auctoritas ou du pouvoir moral de la religion.

Bruxelles le 5 Septembre 2021

 

Dynamiques politiques au Moyen-Orient

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Dynamiques politiques au Moyen-Orient

Un certain nombre d'acteurs régionaux ont entamé un rapprochement actif entre eux.

L'Irak à la veille des élections

Des élections générales sont prévues pour le 10 octobre en Irak. Des représentants de plus de 75 pays et organisations internationales ont été invités en tant qu'observateurs.

Les experts externes et les hommes politiques irakiens attendent beaucoup des prochaines élections, car l'Irak a été secoué ces derniers mois par des crises allant des grèves aux effets de l'épidémie de coronavirus, en passant par des problèmes de sécurité non résolus.

Dans le même temps, l'éventuel retrait des troupes américaines du pays a été discuté. Yossi Cohen, l'ancien chef des services secrets israéliens MOSSAD, a récemment laissé entendre que les États-Unis pourraient se retirer prochainement d'Irak.

Des responsables irakiens ont exprimé des points de vue similaires.

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D'autres développements intéressants ont lieu. Le ministre irakien de la Défense, Juma Inad (photo), a annoncé le 27 août que l'Irak avait conclu un accord préliminaire pour acheter à la Turquie un ensemble d'armes pour plusieurs millions de dollars comprenant des drones armés, des hélicoptères d'attaque et des systèmes de guerre électronique.

Selon des sources turques, les négociations sont en cours depuis plus d'un an, avec une éventuelle pression des États-Unis. D'autre part, le gouvernement irakien n'a cessé d'exprimer ses protestations à la Turquie concernant les opérations militaires contre le Parti des travailleurs du Kurdistan. Toutes les actions de l'armée turque violent la frontière irakienne, mais Ankara se justifie en disant qu'elle ne viole pas la souveraineté irakienne, mais veut seulement s'occuper des terroristes. Récemment, la partie turque a exprimé son intention d'établir une base militaire permanente dans la région de Metina, dans le nord de l'Irak.

Le facteur kurde

La question turco-kurde reste assez compliquée et confuse. En apparence, on a l'impression que les Kurdes et les Turcs sont des ennemis irréconciliables. Mais sur le plan politique et économique, il y a une coopération. Par exemple, une partie du pétrole produit au Kurdistan irakien est vendue à la Turquie. On a appris l'autre jour que le président du Kurdistan irakien, Nechirvan Barzani, avait facilité une réconciliation entre le président turc Recep Erdogan et le prince héritier d'Abu Dhabi Mohammed bin Zayed.

M. Barzani s'est rendu aux Émirats arabes unis en juin et a discuté d'un large éventail de questions avec les dirigeants.

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La couverture médiatique la plus importante a porté sur la lutte contre le terrorisme et l'aide des EAU au Kurdistan irakien.

Cependant, une visite du conseiller à la sécurité nationale des EAU, Tahnoon bin Zayed al Nahyan, à Ankara a suivi quelque temps plus tard, au cours de laquelle il a rencontré le chef de la république turque.

EAU et Qatar

Il est connu que les investissements des EAU vers la Turquie ont été discutés. Toutefois, il n'est pas dit ce qui a été décidé au sujet de la principale contradiction à l'origine du désaccord entre la Turquie et les EAU - l'activité des Frères musulmans (interdits dans la région). Alors que les Émirats arabes unis avaient auparavant critiqué de nombreuses actions d'Ankara, la rhétorique a maintenant changé. Par exemple, Anwar Gargash, qui était auparavant ministre des affaires étrangères des Émirats arabes unis et qui occupe aujourd'hui le poste de conseiller en politique étrangère, a qualifié la réunion d'Ankara d'historique et de positive.

Par ailleurs, les Émirats arabes unis avaient déjà tenté de persuader la Turquie de rétablir des relations normales avec Damas. En contrepartie, la Turquie comptait sur une certaine influence des EAU sur les Kurdes syriens. Nous devons maintenant observer dans quelle mesure la position officielle d'Ankara sur les Frères musulmans va évoluer.

L'amélioration des liens avec les autorités égyptiennes officielles serait également le signe d'un changement de la politique turque à l'égard des radicaux. Mais il semble que la Turquie va progressivement, étape par étape, changer sa stratégie, en s'orientant vers l'établissement de bons contacts avec les EAU et l'Égypte.

En juin dernier, les chaînes de télévision égyptiennes d'opposition basées en Turquie ont été sommées de cesser d'émettre.

Plus tôt encore, les médias turcs avaient également cessé de critiquer les autorités égyptiennes.

En même temps, il y a eu un rapprochement entre les EAU et le Qatar. Doha, comme Ankara, soutient les Frères musulmans, si bien que les relations avec les Émirats sont difficiles.

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Le Qatar, en revanche, était auparavant en mesure de nouer des relations avec les alliés idéologiques des EAU que sont l'Arabie saoudite et l'Égypte. Cela a permis à Doha de coopérer avec Le Caire pour faciliter un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, repoussant Abu Dhabi, car les Émirats n'avaient pas tenu leur promesse d'utiliser les accords d'Abraham pour faire avancer le processus de paix.

L'Arabie saoudite et le Qatar, quant à eux, ont discuté d'une coopération plus étroite sur toute une série de fronts, avec pour point d'orgue la création du Conseil de coopération Arabie saoudite-Qatar - le tout avec en toile de fond la manière dont les liens bilatéraux entre Abou Dhabi et Riyad sont passés d'une phase de "lune de miel" en 2017 à une confrontation en 2021.

Les Émirats arabes unis ont mis fin à leur soutien à l'Arabie saoudite au Yémen, tout en affichant son triomphe.

Il est vrai que la Turquie estime que les Émirats n'ont pas d'autre choix, car ils ne peuvent plus compter sur les États-Unis et, comme les relations avec l'Arabie saoudite sont au point mort, ils ont besoin du soutien d'autres acteurs régionaux pour tenir tête à l'Iran.

Toutefois, ni le Qatar ni la Turquie ne sont des adversaires irréconciliables de l'Iran comme l'Arabie saoudite. Il semble plutôt qu'il s'agisse pour les Émirats de mener une politique étrangère plus équilibrée, sans actions agressives ni ambitions excessives.

Source: https://katehon.com/ru/article/politicheskaya-dinamika-na-blizhnem-vostoke