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lundi, 18 octobre 2010

L'Occident américanisé veut-il un "anti-terrorisme politiquement correct"?

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L’Occident américanisé veut-il un « anti-terrorisme politiquement correct » ?

Début octobre 2010, le secrétaire du conseil russe de sécurité, Nicolaï Patrouchev a déclaré, devant les représentants d’un sommet rassemblant 44 pays à Sotchi : « L’objectif principal d’Al Qaeda est la création d’un califat islamique. Le réseau terroriste vise les pays d’Asie centrale, d’Afrique du Nord ainsi que les républiques caucasiennes de la Fédération de Russie. Les peuples musulmans de ces régions sont dès lors invités à renverser leurs gouvernements ». Patrouchev, qui a derrière lui une longue carrière dans les services soviétiques et russes, et officie aujourd’hui au FSB, est convaincu d’un fait : Al Qaeda déploie des activités terroristes dans le monde entier, ce qui indique que cette organisation dispose de structures internationales efficaces, dirigées en ultime instance par un chef ou du moins une direction unique.

Cette déclaration et cette conviction de Patrouchev ne doivent pas nous faire oublier que presque tous les attentats commis dans le monde sont attribués par les médias à Al Qaeda ou à ses filières et avatars. Or les services américains et russes ne jugent pas ces filières et avatars de la même façon. Leurs analyses sont très souvent divergentes. Exemple : le Hizb ut-Tahrir, soit le « Parti de la libération », qui a pour but avoué d’édifier le califat universel, est considéré par les Russes et les dirigeants des pays d’Asie centrale comme une organisation terroriste dangereuse. Pour la Maison Blanche, ce n’est pas le cas. Ce groupe de la mouvance djihadiste a pignon sur rue aux Etats-Unis. Il y est toléré et nullement banni.

L’indulgence américaine pour certains avatars avoués d’Al Qaeda est suspecte. En effet, quand l’exécutif russe use de la manière forte dans les affrontements qui l’opposent aux terroristes islamistes, l’Occident atlantiste s’insurge, avec gros trémolos dans la voix, contre la « barbarie russe ». Récemment encore, en septembre 2010, la Présidente de la sous-commission pour les droits de l’homme du Parlement européen, Heidi Hautala, s’est déclarée fort préoccupée par la situation dans le Caucase septentrional, région qui fait partie de la Fédération de Russie. Madame Hautala se trouvait, il y a quelques semaines, à Beslan, la ville martyre de l’Ossétie du Nord : elle n’a trouvé qu’à se lamenter sur les retards pris par la Russie à appliquer les critères des droits de l’homme dans le Caucase et a fait inscrire ses inquiétudes à l’ordre du jour de consultations bilatérales entre la Russie et l’UE.

 

En clair, ces réticences atlantistes, exprimées par Madame Hautala, ne participent pas d’une compassion anticipée et réelle pour ceux qui seraient éventuellement victimes d’un arbitraire de l’exécutif, comme elle ne relèvent pas davantage d’un sentiment de pitié pour les enfants innocents massacrés par centaines par les terroristes islamo-tchétchènes. Non, ce discours vise à faire pression sur la Russie pour qu’aucune mesure de lutte efficace contre le terrorisme ne soit prise dans la région. Et, par extension, dans toutes les républiques musulmanes d’Asie centrale. Il s’agit dès lors d’une intervention indirecte dans les affaires intérieures de la Fédération de Russie et des républiques d’Asie centrale.

Il est étrange, aussi, que jamais les instances moralisatrices de l’UE ne se soient insurgées contre les entorses apportées à la liberté de circulation et au droit d’association et contre les autres mesures vexatoires (visa, fouilles corporelles, mesures policières agressives dans les aéroports américains à l’encontre de citoyens européens totalement innocents) prises aux Etats-Unis à la suite des attentats de septembre 2001. Sous prétexte qu’Al Qaeda a commis des attentats à New York, des citoyens européens sont malmenés aux Etats-Unis, souvent sous des prétextes futiles ou totalement idiots, sans que l’UE, le Parlement européen ou la sous-commission dans laquelle s’agite Madame Hautala ne croient bon de protester vigoureusement et d’interpeller les autorités américaines. Deux poids, deux mesures.

La Russie et les pays d’Asie centrale sont également des victimes d’Al Qaeda. Les donneurs de leçons atlantistes n’auraient pourtant, en toute logique, rien à récriminer contre les mesures préventives et répressives que ces pays pourraient prendre : les Etats-Unis ont, eux aussi, pris des mesures, parfois draconiennes. Et si les Etats victimes du terrorisme rampant que sont la Fédération de Russie et les pays d’Asie centrale se montraient trop laxistes à l’endroit des terroristes, ils pourraient être accusés par les mêmes atlantistes de porter assistance à Al Qaeda et deviendraient alors, par une simple pirouette dialectique, des « Etats voyous », au même titre que l’Iran ou la Syrie.

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a profité du sommet de l’ASEM (Asia Europe Meeting), pour demander aux Occidentaux de mettre un terme à leur politique hypocrite de deux poids, deux mesures dans quelques questions épineuses, celles du terrorisme, du trafic de drogues et de la criminalité internationale. Le camp atlantiste parle en effet beaucoup de morale mais couvre des pratiques qui ne sont aucunement morales.

Source : Pietro FIOCCHI (p.fiocchi@rinascita.eu ), in : Rinascita, Rome, 6 octobre 2010 ; http://www.rinascita.eu ).        

mercredi, 13 octobre 2010

Spirit and Resistance - Vive la contre-révolution!

Spirit and Resistance

Vive la Contre-Révolution

 
 
 
Spirit and Resistance
 

Traditionalists are often painted as partisans of lost causes. The ideologues of modernity and “progress” thus consign actual rightist movements to history’s dark remnants, all the while leading humanity’s march into a radiant future of equality and liberty.

We have witnessed their future, and all its supposed radiance is but an artifice. Modern civilization offers a plethora of material goods to mask the denial of the one true Good; it creates virtual worlds of distractions and amusements to convince man to forget how he abandoned the one true God.

Ivan Ilyin, the philosopher and premier theorist of the White Russian movement, saw this earlier than most. The Whites were first into battle in the confrontation with one particularly savage program of the Revolution, Soviet Bolshevism. As an unabashedly faithful Christian, monarchist and patriot, Ilyin understood the full gravity of the threat and how to combat it; above all else, he knew victory could only be achieved through the will to spiritual resistance, in a war beginning in our own hearts.

Ilyin’s notions may have seemed fantastic at the time of his speech below, but where is Soviet power today? The immutable principles of faith, loyalty and honor show themselves ultimately triumphant over the destruction wrought by the materialist ideologies of our age. Contemporary Russia’s survival, like that of any nation, cannot be guaranteed, but she also shows signs of hope and rebirth. We in the West would do well to remember that not all lost causes are lost.

***

The Sovereign Meaning of the White Army

Speech delivered by Ivan A. Ilyin in Berlin, November 19th, 1923 (The 6th Anniversary of the  Russian Volunteer Army). Translated by Mark Hackard from the text "Rodina i My"; italics are from the original.

One of the most genuine and spiritually significant victories accomplished in the history of man is the triumph of the Russian White Army. If we can take everything from this victory that was laid into it, then Russia will soon be reborn in power and glory and evince still unseen greatness. And this greatness will be a living edification and support for the rebirth of other nations. This is the primary meaning of our “White” existence and suffering.

Strategic naivete, historical ignorance, the inertia of prejudice or reactionary stubbornness are nowhere behind this claim. Our opponents and enemies can be sure that we are fully possessed of sufficient factual knowledge, historical cognition and political realism to understand the elementary and superficial, what they “understand”. But the fates of nations and states have yet a different, deeper dimension open to the religious spirit and closed to the heart without God. And to abide in this dimension allows the discovery of unique meaning behind all strategic, historical and political events…

First, we shall establish that the entire struggle of Russian patriots, both military and civilian, who attempted to prevent Russia’s defeat in the Great War and her complete decomposition in the Revolution, who attempted by armed force to overturn the power of internationalist adventurers, did not reach its direct goal. The war prematurely ended with the opening of the front, and the Revolution flooded into the entire country and sank, both in quality and intensity, to the very bottom. All of Russian culture, all Russian people, and all the land were made to stand face to face with revolutionary possession: with the blasphemy of the godless, the assault of bandits, the shamelessness of the madman, the attempts at murder. All of us had to look into the eyes of Satan, tempting us with his latest seductions and frightening us with his newest terrors.

Behind the entire external appearance of the Revolution- from documentation to execution, from the ration to the tribunal, from round-up to exile and emigration, from torture by hunger, cold, degradation and fear to stolen wealth and pretension to world power - behind all this is concealed the Revolution’s single and central reason, in relation to which all of these phenomena are but changing forms, a shell, the outer shape of things. This reason is given through the words spiritual seduction and religious inquiry.

The secret and deepest meaning of the Revolution is held in the fact that it is most of all a great spiritual seduction; a harsh, cruel test; it burns through souls and tempers them by fiery trial.

This test posed to every Russian soul the same direct question: Who are you? By what do you live? What do you serve? What do you love? Do you love that which you “love”? Where is the center of your life? And are you devoted to it, and are you loyal to it? The hour has struck. There are no more delays and there’s nowhere to hide. And there are not many paths before you- only two: to God or against God. Stand up and reveal yourself. For if you do not do so, you will be made to stand and show who you are: the tempters will find you in the fields and at home, at the mill and at the altar, in your property and in your children, in the spoken word and in silence. They’ll find you and place you in the light- that you announce without ambiguity whether you are with God or against Him.

And if you are against God, then you’ll be left to live. They won’t take everything from you, and they’ll make you serve the His enemies. They’ll feed you, indulge you and reward you; they’ll let you harm others, torment them and take away their property; they’ll give you power, profit and all the appearance of disgraceful esteem.

And if you are for God and choose the path to God, then your property will be seized, and your wife and children will be disinherited. And you will be wearied with deprivations, humiliations, darkness, interrogations and terror; you’ll see how your mother and father, your wife and children slowly, like a candle, melt away in hunger and disease- and you can’t help them. You will see how your obstinacy will not save your Motherland from downfall, souls from corruption, or churches from abuse. You will gnash your teeth in powerlessness and slowly grow feeble. And if you openly resist, then you will be killed in a basement and buried, unrecognized, in some unmarked pit.

Choose and decide…

No one in Russia escaped this trial; this test overtook every man: from the Tsar to the soldier, from the Most Holy Patriarch to the last atheist, from the rich to the destitute. And each was put to an unprecedented test- to stand before the face of God and testify: either by the word, which became equivalent to the deed, or by the deed, which became equivalent to death.

The ordeal was fiery and deep, for what began and took place- and what still takes place- is not based upon party or class, or even the whole people, but is an inquiry of man across the world, a spiritual division, a religious selection, a religious differentiation of humanity. This differentiation is still far from finished, and it has only just begun; Europe, already associated with it, will sooner or later see it roaring through her own depths. The twentieth century has only just begun its business of purification and settling accounts.

In this religious trial, taking the form of a world cataclysm, the victor will be neither the man who seizes power for a time somewhere, nor he who occupies some territory; for power can expose, can compromise and ruin an invader. And the occupation of territory can turn out to be fatal for the occupier. But the one who resists, who has already withstood the storm; that endured the trial and remained loyal; who found within himself love and the force of love for his choice; that found within himself a word equivalent to action, and committed an action equivalent to the resolve to die.

The victor is neither he who temporarily and physically overcame, and perhaps in so doing condemning himself; nor is it the man who became strong on another’s weakness, another’s nothingness and failure, the baseness of the mob and the darkness of the masses. For the true man of strength is strong within himself, by his creation, which opens in him ever newer power from the original charge of life; no, the victor is he who rose against: rose against seduction, not falling to it, and rose against terror, not taking fright.

It is he who in that terrible moment of choosing, that moment of great solitude- when no one will decide for you, and no one will notice when another’s advice is of no help- in that moment of great solitude, when man stands, longing- choosing between a shameful life and an honorable death; when man inquires into his own last darkness and depth- and instinct begs for life, even a shameful one, and the spirit demands loyalty, even in death; so the victor is he who in this moment of solitude before the face of God would not accept the dishonor of life.

And it is possible that death will not come, and that he will keep living, but namely then and therefore his life will not be shameful, and he will be a conqueror

He triumphs who agrees to lose everything to save something of God’s.

lundi, 11 octobre 2010

Gli Osseti e la cinica Europa

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Gli osseti e la cinica Europa

di Giulietto Chiesa

Fonte: megachip [scheda fonte]

Tzkhinval, cos’era?, o cos’è? Se uscite di casa e, una volta superate le asperità della pronuncia, chiedete ai primi dieci passanti se hanno un’idea a proposito di questa parola, nessuno saprà rispondere. La risposta è: la capitale dell’Ossetia del Sud. Resta da chiarire dov’è e cos’è questo paese. Si trova sul versante sud del Caucaso ed era, fino a 20 anni fa, nei confini della Repubblica Socialista Sovietica di Georgia.


Il 20 settembre l’Ossetia del Sud ha celebrato i suoi 20 anni di indipendenza dalla Georgia. Ma c’è un problema: la Georgia non ha mai accettato la loro indipendenza e, in tutto il secolo XX, ha ripetutamente cercato di schiacciare gli osseti, sia cacciandoli da quella terra, sia assoggettandoli, sia - quando non gli è riuscita nè l’una nè l’altra cosa - sterminandoli.

 

Il perché è complicato da spiegare e da raccontare in poche righe, ma forse basta elencare alcune specificità.

La prima è che gli osseti non sono mai stati “georgiani”.

La seconda è che parlano una lingua che non ha nessuna parentela con il georgiano (ed è questa una discreta prova che provengono da un’altra storia, alla quale non vogliono rinunciare, avendone pieno diritto).

La terza è che sono stati divisi in due parti, gli osseti, da una storia crudele e più forte di loro: la parte più grande è rimasta dentro i confini della attuale Federazione Russa, è una repubblica autonoma, con capitale Vladikavkaz, e sta a nord della imponente catena montuosa del Caucaso. La parte più piccola è invece a sud del Caucaso, con una popolazione di circa 70 mila persone, esseri viventi all’incirca uguali a noi (anche se facciamo finta di non saperlo). Fino a che i due pezzi fecero parte di un unico Stato, l’Unione Sovietica, la divisione fu meno dolorosa e i piccoli “sudisti” si sentirono relativamente protetti dal Grande Fratello ortodosso. I guai riesplosero con la fine dell’Urss.

Chiesero, ma non ottennero, la autonomia da una Georgia che si dichiarava ora “democratica”, cioè non più socialista, ma che si proponeva ancora una volta di liquidarli. Subirono tre massacri, l’ultimo dei quali nella “guerra dei tre giorni” scatenata contro di loro la notte tra il 7 e l’8 agosto del 2008 dal “democratico” presidente della Georgia, con l’aiuto dell’allora presidente, anche lui molto democratico, dell’Ucraina.

La Russia di Medvedev e Putin, che molto democratici (secondo i nostri metri) non sono, intervenne in forze e, sconfitta la Georgia, riconobbe la Repubblica dell’Ossetia del Sud come sovrana e indipendente e mise la sue armata a presidio di un tale riconoscimento. Che, allo stato dei fatti elenca solo quattro paesi: Russia, Nicaragua, Venezuela, Nauru (chi vuole saperne di più vada a vedere dalle parti della Nuova Zelanda).

Ma non ha molta importanza, perchè nessuno è ora in condizione di cambiare il mazzo di carte.

Come testimone diretto delle guerre di questi ultimi venti anni sono stato invitato a partecipare ai festeggiamenti. Il problema è che l’Europa e gli Usa, e con loro tutto l’Occidente, non riconoscono nè l’esistenza dell’Ossetia del Sud, nè quella, parallela e contemporanea, dell’Abkhazia, altra regione che non ne vuole più sapere della Georgia. Entrambi pezzi non dell’ambizione russa, ma della stupidità sesquipedale dei leader georgiani. Perché?

Ufficialmente per il principio della intangibilità delle frontiere, sancito dalle Nazioni Unite. In realtà perché gli Usa vogliono includere la Georgia nella Nato, estendendo a sud l’accerchiamento della Russia, che perseguono dal momento della caduta dell’Urss.

L’Europa, come al solito, segue fedelmente. Gli altri, variamente ricattati, fanno altrettanto. Eppure c’è un altro principio che sarebbe utile non dimenticare, anche quando la Realpolitik impone di seguire il dettato dell’Impero: quello dell’autodeterminazione dei popoli.

 Chi non ha la memoria troppo corta si ricorderà che fu proprio questo principio che venne invocato, pochi mesi prima della guerra contro l’Ossetia del Sud, da tutti i paesi occidentali che avevano una gran fretta di riconoscere la indipendenza del Kosovo dalla Serbia.

 


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jeudi, 07 octobre 2010

Les thèmes de la géopolitique et de l'espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2002

Les thèmes de la géopolitique et de l'espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945

Karl Haushofer, Oskar von Niedermayer & Otto Hoetzsch

Intervention de Robert Steuckers à la 10ième Université d'été de «Synergies Européennes», Basse-Saxe, août 2002

Analyse : Karl SCHLÖGEL, Berlin Ostbahnhof Europas - Russen und Deutsche in ihrem Jarhhundert, Siedler, Berlin, 368 S., DM 68, 1998, ISBN 3-88680-600-6. 

En 1922, après l'effervescence spartakiste qui venait de secouer Berlin et Munich, un an avant l'occupation franco-belge de la Ruhr, le Général d'artillerie bavarois Karl Haushofer, devenu diplômé en géographie, est considéré, à l'unanimité et à juste titre, comme un spécialiste du Japon et de l'espace océanique du Pacifique. Son expérience d'attaché militaire dans l'Empire du Soleil Levant, avant 1914, et sa thèse universitaire, présentée après 1918, lui permettent de revendiquer cette qualité. Haushofer entre ainsi en contact avec deux personnalités soviétiques de premier plan: l'homme du Komintern à Berlin, Karl Radek, et le Commissaire aux affaires étrangères, Georgi Tchitchérine (qui signera les accords de Rapallo avec Rathenau). Dans quel contexte cette rencontre a-t-elle eu lieu? Le Japon et l'URSS cherchaient à aplanir leurs différends en entamant une série de négociations où les Allemands ont joué le rôle d'arbitres. Ces négociations portent essentiellement sur le contrôle de l'île de Sakhaline. Les Japonais réclament la présence de Haushofer, afin d'avoir, à leurs côtés "une personnalité objective et informée des faits". Les Soviétiques acceptent que cet arbitre soit Karl Haushofer, car ses écrits sur l'espace pacifique —négligés en Allemagne depuis que celle-ci  a perdu la Micronésie à la suite du Traité de Versailles—  sont lus avec une attention soutenue par la jeune école diplomatique soviétique. Qui plus est, avec la manie hagiographique des révolutionnaires bolcheviques, Haushofer a connu les frères Oulianov (Lénine) à Munich avant la première guerre mondiale; il aimait en parler et relatera plus tard ce fait dans ses souvenirs. L'intérêt soviétique pour la personne du Général Haushofer durera jusqu'en 1938, où, changement brusque d'attitude lors des grandes procès de Moscou, le Procureur réclame la condamnation de Sergueï Bessonov, qu'il accuse d'être un espion allemand, en contact, prétend-il,  avec Haushofer, Hess et Niedermayer (cf. infra). Les mêmes accusations avaient été portées contre Radek, qui finira exécuté, lors des grandes purges staliniennes.

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Ces trois faits d'histoire —la présence de Haushofer lors des négociations entre Japonais et Soviétiques, le contact, sans doute fort bref et parfaitement anodin, entre Haushofer et Lénine, les condamnations et exécutions de Radek et de Bessonov—  indiquent qu'indépendamment des étiquettes idéologiques de "gauche" ou de "droite", la géopolitique, telle qu'elle est théorisée par Haushofer à Munich et à Berlin dans les années 20, ne s'occupe que du rapport existant entre la géographie et l'histoire; elle est donc considérée comme une démarche scientifique, comme un savoir pratique et non pas comme une spéculation idéologique ou occultiste, véhiculant des fantasmes ou des intérêts. A l'époque, on peut parler d'une véritable "Internationale de la géopolitique", transcendant largement les étiquettes idéologiques, tout comme aujourd'hui, un savoir d'ordre géopolitique, éparpillé dans une multitude d'instituts, commence à se profiler partout dans un monde où les grands enjeux géopolitiques sont revenus à l'ordre du jour : la question des Balkans, celle de l'Afghanistan, remettent à l'avant-plan de l'actualité toutes les grandes thématiques de la géopolitique, notamment celles qu'avaient soulignées Mackinder et Haushofer.

 

Une démarche factuelle et matérielle, sans dérive occultiste

 

A partir de 1924, Haushofer publie sa Zeitschrift für Geopolitik (ZfG; "Revue pour la géopolitique"), où il met surtout l'accent sur l'espace du Pacifique, comme l'attestent ses articles et sa chronique, rédigée notamment grâce à des rapports envoyés par des correspondants japonais. La teneur de cette revue est donc politique et géographique pour l'essentiel, contrairement aux bruits qui ont couru pendant des décennies après 1945, et qui commencent heureusement à s'atténuer; ces "bruits" évoquaient une fantasmagorique dimension "ésotérique" de la Zeitschrift für Geopolitik (ZfG);  on a raconté que Haushofer appartenait à toutes sortes de sectes ésotériques ou occultes (voire occultistes). Ces allégations sont bien sûr complètement fausses. De plus, l'intérêt porté à Haushofer et à ses thèses sur l'espace du Pacifique par la jeune diplomatie soviétique, par Radek et Tchitchérine, est un indice complémentaire  —et de taille!—  pour attester de la nature factuelle et matérielle de ses écrits; les sectes étant par définition irrationnelles, comment un homme, que l'on dit plongé dans cet univers en marge de toute rationalité scientifique, aurait pu susciter l'intérêt et la collaboration active de marxistes matérialistes et historicistes? De marxistes qui tentent d'expurger toute irrationalité de leurs démarches intellectuelles?  L'accusation d'occultisme portée à l'encontre de Haushofer est donc une contre-vérité propagandiste, répandue par les services et les puissances qui ont intérêt à ce que son œuvre demeure inconnue, ne soit plus consultée dans les chancelleries et les états-majors. Il va de soi qu'il s'agit des puissances qui ont intérêt à ce que le grand continent eurasien ne soit pas organisé ni aménagé territorialement jusqu'en ses régions les plus éloignées de la mer.

 

Le principal ouvrage géopolitique et scientifique de Haushofer est donc sa Geopolitik des Pazifischen Raumes ("Géopolitique de l'espace pacifique"), livre de référence méticuleux qui se trouvait en permanence sur le bureau de Radek, à Berlin comme à Moscou. Karl Radek jouait le rôle du diplomate du PCUS ("Parti communiste d'Union Soviétique"). Il a cependant plaidé, au moment où les Français condamnent à mort et font fusiller l'activiste nationaliste allemand Albert Leo Schlageter, pour un front commun entre nationaux et communistes contre la puissance occidentale occupante. Plus tard, Radek sera nommé Recteur de l'Université Sun-Yat-Sen à Moscou, centre névralgique de la nouvelle culture politique internationale que les Soviets entendent généraliser sur toute la planète. Radek organisera, au départ de cette université d'un genre nouveau, un échange permanent entre universitaires, dont le savoir est en mesure de forger cette nouvelle culture diplomatique internationale.

 

Trois figures emblématiques

 

Dans le cadre de cette Université Sun-Yat-Sen , trois figures emblématiques méritent de capter aujourd'hui encore notre attention, tant leurs démarches peuvent encore avoir une réelle incidence sur toute réflexion actuelle quant au destin de la Russie, de l'Europe, de l'Asie centrale et quant aux théories générales de la géopolitique: Mylius Dostoïevski, Richard Sorge et Alexander Radós.

 

Mylius Dostoïevski est le petit-fils du grand écrivain russe. Qui, rappelons-le, a jeté les bases d'une révolution conservatrice en Russie, au-delà des limites de la slavophilie du début du 19ième siècle, et a consolidé, par ricochet, la dimension russophile de la révolution conservatrice allemande, par le biais de ses réflexions consignées dans son Journal d'un écrivain, ouvrage capital qui sera traduit en allemand par Arthur Moeller van den Bruck. Mylius Dostoïevski s'était spécialisé en histoire et en géographie du Japon, de la Chine et de l'espace maritime du Pacifique. Il appartiendra à la jeune garde de la diplomatie soviétique et sera un lecteur attentif de la ZfG; pour rendre la politesse à ces jeunes géographes soviétiques, selon sa courtoisie habituelle, Karl Haushofer rendra toujours compte, avec précision, des évolutions diverses de la nouvelle géopolitique soviétique. Il estimait que les Allemands de son temps devaient en connaître les grandes lignes et la dynamique.

 

Richard Sorge, autre lecteur de la ZfG, était un espion soviétique en Extrême-Orient. On connaît son rôle pendant la seconde guerre mondiale. En 1933, au moment où Hitler prend le pouvoir en Allemagne, Sorge était en contact avec l'école géopolitique de Haushofer. Il le restera, en dépit du changement de régime et en dépit des options anti-communistes officielles, preuve supplémentaire que la géopolitique se situe bien au-delà des clivages idéologiques et politiciens. Au cours des années qui suivirent la "Machtübernahme" de Hitler, il écrivit de nombreux articles substantiels dans la ZfG. Sa connaissance du monde extrême-oriental  —et elle seule—  justifiait cette collaboration.

 

Alexander Radós et "Pressgeo"

 

Indubitablement, le principal disciple soviétique de Karl Haushofer a été l'Israélite hongrois Alexander Radós, un géographe de formation, qui a servi d'espion au profit de la jeune URSS, notamment en Suisse, plaque tournante de nombreux contacts officieux. Radós est l'homme qui a forgé tous les nouveaux concepts de la géographie politique soviétique. Il est, entre autres, celui qui forgea la dénomination même d'«Union des Républiques Socialistes Soviétiques». Radós fut principalement un cartographe, qui a commencé sa carrière en établissant des cartes du trafic aérien, lesquelles constituaient évidemment une innovation à son époque. Il enseignait à l'«Ecole marxiste de formation des Travailleurs» ("Marxistische Arbeiterschulung"). Il fonde ensuite la toute première agence de presse cartographique du monde, qu'il baptise "Pressgeo", où travaillera notamment une future célébrité comme Arthur Koestler. La fondation de cette agence correspond parfaitement aux aspirations de Haushofer, qui voulait vulgariser  —et diffuser au maximum au sein de la population—  un savoir pragmatique d'ordre géographique, historique et économique, assorti d'un esprit de défense. La carte, esquisse succincte, instrument didactique de premier ordre, sert l'objectif d'instruire rapidement les esprits décisionnaires des armées et de la diplomatie, ainsi que les enseignants en histoire et en science politique qui doivent communiquer vite un savoir essentiel et vital à leurs ouailles.

 

Haushofer parlait aussi, en ce sens, de "Wehrgeographie", de "géographie défensive", soit de "géographie militaire". L'objectif de cette science pragmatique était de synthétiser en un simple coup d'œil cartographique toute une problématique de nature stratégique, récurrente dans l'histoire. Pédagogie et cartographie formant les deux piliers majeurs de la formation politique des élites et des masses. Yves Lacoste, en France aujourd'hui, suit une même logique, en se référant à Elisée Reclus, géographe dynamique, réclamant une pédagogie de l'espace, dans une perspective qu'il voulait révolutionnaire et "anarchique". Lacoste, comme Haushofer, a parfaitement conscience de la dimension militaire de la géographie (et, a fortiori, de la "Wehrgeographie"), quand il écrit, en faisant référence aux premiers cartographes militaires de la Chine antique: «La géographie, ça sert à faire la guerre!».

 

De l'utilité pédagogique de la cartographie

 

Michel Foucher, professeur à Lyon, dirige aujourd'hui un institut géographique et cartographique, dont les cartes, très didactiques, illustrent la majeure partie des organes de presse français, quand ceux-ci évoquent les points chauds de la planète. Dans ce même esprit pluridisciplinaire,  à volonté clairement pédagogique,  —qui, en France et en Allemagne, va de Haushofer à Lacoste et à Foucher—  Alexander Radós, leur précurseur soviétique, publie, en URSS et en Allemagne, en 1930, un Atlas für Politik, Wirtschaft und Arbeiterbewegung  ("Atlas de la politique, de l'économie et du mouvement ouvrier"). Radós est ainsi le précurseur d'une manière innovante et intéressante de pratiquer la géographie politique, de mêler, en d'audacieuses synthèses, un éventail de savoirs économiques, géographiques, militaires, topographiques, géologiques, hydrographiques, historiques. Les synthèses, que sont les cartes, doivent servir à saisir d'un seul coup d'œil des problématiques hautement complexes, que le simple texte écrit, trop long à assimiler, ne permet pas de saisir aussi vite, d'exprimer sans détours inutiles. Ce fut là un grand pas en avant dans la pédagogie scientifique et politique, dans le sens inauguré, un siècle auparavant, par le géographe Carl Ritter.

 

Cette cartographie facilite le travail du militaire, du géographe et de l'homme politique; elle permet, comme le soulignait Karl August Wittfogel, de sortir d'une impasse de la vieille science géographique traditionnelle (et "réactionnaire" pour les marxistes), où, systématiquement, on avait négligé les macro-processus enclenchés par le travail de l'homme et, ainsi, le caractère "historique-plastique" de ce que l'on croyait être des "faits éternels de nature". C'est dans cette position épistémologique fondamentale,  qu'au-delà des clivages idéologiques, fruits d'"éthiques de la conviction" aux répercussions calamiteuses, se rejoignent Elisée Reclus, Haushofer, Radós, Wittfogel, Lacoste et Foucher. Wittfogel , qui se pose comme révolutionnaire, reconnaît cette "plasticité historique" dans l'œuvre du "géopolitologue bourgeois" Karl Haushofer. Les deux écoles, l'haushoférienne et la marxiste, veulent inaugurer une géographie dynamique, où l'espace n'est plus posé comme un bloc inerte et immobile, mais s'appréhende comme un réseau dense de relations, de rapports, de mouvements, en perpétuelle effervescence (on songe tout naturellement au "rhizome" de Gilles Deleuze, qui inspire les "géophilosophes" italiens actuels). Au sein de ce réseau toujours agité, le temps peut apporter des époques de repos, de plus grande quiétude, comme il peut injecter du dynamisme, de la violence, des bouleversements, qui contraignent les personnalités politiques de valeur à œuvrer à des redistributions de cartes. Le travail de l'homme, qui domestique certains espaces en les aménageant et en créant des moyens de communication plus rapides, est un travail proprement "révolutionnaire"; les hommes politiques qui refusent d'aménager l'espace, dans un esprit de défense territoriale ou dans l'esprit d'assurer aux générations futures communications et ressources, sont des "réactionnaires", des lâches qui préfèrent de lents pourrissements à la dynamique de transformation. Des capitulards qui font ainsi le jeu pervers des thalassocraties.

 

Par conséquent, évoquer des hommes comme Mylius Dostoïevski, Richard Sorge, Alexander Radós ou Karl August Wittfogel,  nous apparaît très utile, intellectuellement et méthodologiquement, car cela prouve:

◊ que l'intérêt général pour la géopolitique aujourd'hui ne peut plus être mis en équation avec un intérêt malsain pour le passé national-socialiste (contexte dans lequel Haushofer a dû œuvrer);

◊ qu'aucune morbidité d'ordre ésotérique ou occultiste ne se repère dans l'œuvre de Haushofer et de ses disciples allemands ou soviétiques;

◊ que ces écoles ont posé d'important jalons dans le développement de la science politique, de la géographie et de la cartographie;

◊ qu'elles ont laissé en héritage un bagage scientifique de la plus haute importance;

◊ que nous devrions davantage nous intéresser aux développements de la géopolitique soviétique des années 20 et 30 (et analyser l'œuvre de Radós, par exemple).

 

Oskar von Niedermayer, le "Lawrence allemand"

 

Niedermayer.jpgOutre Haushofer, une approche du savoir géopolitique, tel qu'il sera déployé à Berlin dans les années 20, 30 et 40, ne peut omettre d'étudier la figure du Chevalier Oskar von Niedermayer, celui que l'on avait surnommé, le "Lawrence d'Arabie" allemand. Né en 1885, Oskar von Niedermayer embrasse la carrière d'officier, mais ne se contente pas des simples servitudes militaires. Il étudie à l'université les sciences naturelles physiques, la géographie et les langues iraniennes (ce qui lui permettra d'avoir des contacts suivis avec la Communauté religieuse Ba'hai, qui, à l'époque, était quasiment la seule porte ouverte de l'Iran sur l'Occident). De 1912 à 1914, il effectue un long voyage en Perse et en Inde. Il sera ainsi le premier Européen à traverser de part en part le désert de sable du Lout (Dacht-i-Lout). En 1914, quand éclate la première guerre mondiale, Oskar von Niedermayer, accompagné par Werner Otto von Henting, sillonne les montagnes d'Afghanistan pour inciter les tribus afghanes à se soulever contre les Anglais et les Russes, afin de créer un "abcès de fixation", obligeant les deux puissances ennemies de l'Allemagne à dégarnir partiellement  leurs fronts en Europe, dans le Caucase et en Mésopotamie. Cette mission sera un échec. En 1919, Niedermayer se retrouve dans les rangs du Corps Franc du Colonel Chevalier Franz von Epp qui écrase la République des Conseils de Munich. En dépit de son rôle dans l'aventure de ce Corps Franc anti-communiste, Niedermayer est nommé dans la foulée officier de liaison de la Reichswehr auprès de la nouvelle Armée Rouge à Moscou. Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu'il était, avant toutes choses, un expert de l'Afghanistan, des idiomes persans et de toute cette zone-clef de la géostratégie mondiale qui va de la rive sud de la Caspienne à l'Indus. C'est donc Niedermayer  qui négociera avec Trotski et qui visitera, pour le compte de la Reichswehr, dans la perspective de la future coopération militaire entre les deux pays, les usines d'armement et les chantiers navals de Petrograd (devenue "Leningrad"). Oskar von Niedermayer a donc été l'une des chevilles ouvrières de la coopération militaire et militaro-industrielle germano-russe des années 20. En 1930, il devient professeur de "Wehrgeographie" à Berlin.

 

Le "marais" et ses éthiques de conviction

 

La principale leçon qu'il tire de ses activités politiques et diplomatiques est une méfiance à l'endroit des politiciens du "centre", du "marais", incapables de comprendre les grands ressorts de la politique internationale, du "Grand Jeu". Ses critiques s'adressaient surtout aux sociaux-démocrates et aux centristes de tous plumages idéologiques; avec de tels personnages, il est impossible, constate von Niedermayer dans un rapport où il ne cache pas son amertume, d'articuler sur le long terme une politique étrangère durable, rationnelle et constante. Il les accuse de tout critiquer publiquement, par voie de presse; de cette façon, aucune diplomatie secrète n'est encore possible. Pire, estime-t-il, par le comportement délétère de ces bateleurs sans épine dorsale politique solide, aucun ressort habituel de la diplomatie inter-étatique  ne fonctionne encore de manière optimale. Car les éthiques de conviction (terminologie de Max Weber: "Gesinnungsethik") qui animent toutes les vaines agitations politiciennes de ces gens-là, altèrent l'esprit de retenue, de sérieux et de service, qui est nécessaire pour faire fonctionner une telle diplomatie traditionnelle. La priorité accordée aux convictions revient à trahir les intérêts fondamentaux de l'Etat et de la nation. L'amertume de Niedermayer est née à la suite d'un incident au Reichstag, où le socialiste Scheidemann, animé par un pacifisme irréaliste et de mauvais aloi, avait dénoncé un accord militaire secret entre l'URSS et le Reich, sous prétexte que le commerce et l'échange d'armements ne sont pas "moraux". Le lendemain, comme par hasard, la presse londonienne à l'unisson, reprend l'information et amorce une propagande contre les deux puissances continentales, qui avaient contourné les clauses de Versailles relatives aux embargos. Cet incident montre aussi que bon nombre de journalistes servent des intérêts étrangers à leur pays. En cela, rien n'a changé aujourd'hui: les Etats-Unis bénéficient de l'appui inconditionnel de la plupart des ténors de la presse parisienne.

 

Youri Semionov, spécialiste de la Sibérie

 

Dans les années 30, Niedermayer rencontre Youri Semionov, Russe blanc en exil et spécialiste de l'économie, de la géographie, de la géologie et de l'hydrographie sibériennes. Semionov est l'auteur d'un ouvrage, toujours d'actualité, toujours compulsé en haut lieu, sur les trésors de la géologie sibérienne. Egalement spécialiste de l'empire colonial français, Semionov a compilé ses réflexions successives dans un volume dont la dernière édition allemande date de 1975 (cf. Juri Semjonow, Erdöl aus dem Osten - Die Geschichte der Erdöl- und Erdgasindustrie in der UdSSR, Econ Verlag, Wien/Düsseldorf, 1973 & Sibirien - Schatzkammer des Ostens, Econ Verlag, Wien/Düsseldorf, 1975). Né en 1894 à Vladikavkaz dans le Caucase, Youri Semionov a étudié à l'Université de Moscou, avant d'émigrer en 1922 à Berlin, où il enseignera l'histoire et la géographie de la Russie, et plus particulièrement celles des territoires sibériens. Après la chute du IIIe Reich, il émigre en 1947 en Suède, où il enseignera à Uppsala et finira ses jours. Dans Sibirien - Schatzkammer des Ostens, il retrace toutes les étapes de l'histoire de la conquête russe des territoires situés au-delà de l'ex-capitale des Tatars, Kazan. Il démontre que la conquête de tout le cours de la Volga, de Kazan à Astrakhan, permet à la Russie de spéculer sur une éventuelle conquête des Indes. Semionov replace tous ces faits d'histoire dans une perspective géopolitique, celle de l'organisation du Grand Continent, de la Mer Blanche au Pacifique. Les chapitres sur le 19ième siècle sont particulièrement intéressants, notamment quand il décrit la situation globale après la décision du Tsar Alexandre III de faire financer la construction d'un chemin de fer transsibérien.

 

Cet extrait du livre de Semionov (pp. 356-357) résume parfaitement  cette situation : «Nous savons que toute la politique de "concentration des forces sur le continent", telle celle que l'on avait envisagée en Russie, provoquait une inquiétude faite de jalousie en Angleterre. Tout mouvement de la Russie en Asie y était considéré comme une menace pesant sur l'Inde. L'Amiral Sterling a vu cette menace se concrétiser dès l'installation de la présence russe le long du fleuve Amour. L'écrivain anglais, oublié aujourd'hui, mais très connu à l'époque, Th. T. Meadows, évoquait en 1856, dans un de ses écrits, un "futur Alexandre le Grand" russe, qui s'en irait conquérir la Chine, puis, sans difficulté aucune, détruirait l'empire britannique et soumettrait le monde entier. Ce cri d'alarme pathétique, répercuté par la presse anglaise, est apparu soudain très réaliste, lorsque, dans les années 80 du 19ième siècle, les Russes avancent en Asie centrale et s'approchent de la frontière afghane. En 1884, se déroule le fameux "incident afghan"; un détachement russe s'empare d'un point contesté sur la frontière; ensuite, les Afghans, qui agissaient sur ordre des Anglais, attaquent ce poste, mais sont battus et dispersés par les Russes. Le premier ministre britannique Gladstone déclare, face au Parlement de Londres, que la guerre avec la Russie est désormais inévitable. Seul le refus de Bismarck, de soutenir les Anglais, empêcha, à l'époque, le déclenchement d'une guerre anglo-russe». Toute l'actualité récente semble résumée dans ce bref extrait.

 

Les chapitres consacrés à l'œuvre de Witte, père du Transsibérien, sont également lumineux. Semionov rappelle que Witte est un disciple de l'économiste Friedrich List, théoricien de l'aménagement des grands espaces. Il existait, avant la première guerre mondiale et avant la guerre russo-japonaise, une véritable idée grande continentale. Elle était partagée en France (Henri de Grossouvre nous a rappelé l'œuvre de Gabriel Hanotaux), en Allemagne (avec le souvenir de Bismarck) et en Chine, avec Li Hung-Tchang, qui négociera avec Witte. L'Angleterre réussira à briser cette unité, ce qui entraînera le cortège sanglant de toutes les guerres du 20ième siècle.

 

Oskar von Niedermayer  rencontre également le Professeur Otto Hoetzsch, dont nous allons retracer l'itinéraire dans la suite de cette intervention. En dépit de leurs itinéraires bien différents et de leurs options idéologiques divergentes, Haushofer, Niedermayer, Semionov et Hoetzsch se complètent utilement et la lecture simultanée de leurs œuvres nous permet de saisir toute la problématique eurasienne, sans la mutiler, sans rien omettre de sa complexité.

 

Du professorat à la 162ième Division

 

En 1937, Hitler ordonne la fondation d'un "Institut für allgemeine Wehrlehre" (= "Institut pour les doctrines générales de défense"). Niedermayer, bien que sceptique, servira loyalement cette nouvelle institution d'Etat, dont l'objectif, recentré sur l'ethnologie vu l'intérêt des nationaux-socialistes pour les questions raciales, est d'étudier les rapports mutuels entre peuple(s) et espace(s). Hostile à la "Gesinnungsethik" des nationaux socialistes, comme il avait été hostile à celles des sociaux démocrates ou des centristes, Niedermayer proteste contre les campagnes de diffamation orchestrées contre des professeurs que l'on décrit comme des "intellectuels  apolitiques", comportement hitlérien qui trouve parfaitement son pendant dans les campagnes de diffamation orchestrées par un certain journalisme contemporain contre ceux qui demeurent sceptiques face aux projets d'éradiquer l'Irak, la Libye ou la Serbie et d'appuyer des bandes mafieuses comme celles de l'UÇK ou du complexe militaro-mafieux turc. Aujourd'hui, on ne traite pas ceux qui entendent raison garder d'"intellectuels apolitiques", mais d'"anti-démocrates". 

 

De la prison de Torgau à la Loubianka

 

Comme la plupart des experts ès-questions russes de son temps, Niedermayer déplore la guerre germano-soviétique, déclenchée en juin 1941. En 1942, sur la suggestion de Claus von Stauffenberg, futur auteur de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, Niedermayer est nommé chef de la 162ième Division d'Infanterie de la Wehrmacht, où servent des volontaires et des légionnaires de souche turque (issus des peuples turcophones d'Asie centrale). Cette unité connaît des fortunes diverses, mais l'échec de la politique nationale-socialiste à l'Est, accentue considérablement le scepticisme de Niedermayer. Stationné en Italie avec les restes de sa division, il critique ouvertement la politique menée par Hitler sur le territoire de l'Union Soviétique. Ce qui conduit à son arrestation; il est interné à Torgau sur l'Elbe. Quand les troupes américaines entrent dans la ville, il quitte la prison et est arrêté par des soldats soviétiques qui le font conduire immédiatement à Moscou, où il séjourne dans la fameuse prison de la Loubianka. Il y mourra de tuberculose en 1948.

 

La mort de Niedermayer ne clôt pas son "dossier", dans l'ex-URSS. En 1964, les autorités soviétiques utilisent les textes de ses dépositions à Moscou en 1945 pour réhabiliter le Maréchal Toukhatchevski. Il faudra attendra 1997 pour que Niedermayer soit lui-même totalement réhabilité. Donc lavé de toutes les accusations incongrues dont on l'avait chargé.

 

Le pivot indien de l'histoire et la nécessité du "Kontinentalblock"

 

Nous avons énuméré bon nombre de faits biographiques de Niedermayer, pour faire mieux comprendre le noyau essentiel de sa démarche d'iranologue, d'explorateur du Dacht-i-Lout, d'agitateur allemand en Afghanistan et de commandeur de la Division turcophone de la Wehrmacht. Deux idées de base animaient l'action de Niedermayer: 1) l'idée que l'Inde était le pivot de l'histoire mondiale; 2) la conscience de la nécessité impérieuse de construire un bloc continental (eurasien), le fameux "Kontinentalblock" de Karl Haushofer (projet qu'il a très probablement repris des hommes d'Etats japonais du début du 20ième siècle, tels le Prince Ito, le Comte Goto et le Premier Ministre Katsura, avocats d'une alliance grande continentale germano-russo-japonaise). Si Niedermayer reprend sans doute cette idée de "bloc continental" directement de l'œuvre de Haushofer, sans remonter aux sources japonaises —qu'il devait sûrement ignorer—  l'idée de l'Inde comme "pivot de l'histoire" lui vient très probablement du Général Andreï Snessarev, officier tsariste passé aux ordres de Trotski, pour devenir le chef d'état-major de l'Armée Rouge. Ce général, hostile aux thalassocraties anglo-saxonnes, représentant d'un idéal géopolitique grand continental transcendant le clivage blancs/rouges, se plaisait à répéter: «Si nous voulons abattre la tyrannie capitaliste qui pèse sur le monde, alors nous devons chasser les Anglais d'Inde».

 

Principes thalassocratiques, libéralisme à l'occidentale, permissivité politique et morale, capitalisme dont les ressorts annihilent systématiquement  les traditions historiques et culturelles (cf. Dostoïevski et Moeller van den Bruck), logique marchande, étaient synonymes d'abjection pour cet officier traditionnel: peu importe qu'on les combatte sous une étiquette blanche/traditionaliste ou sous une étiquette rouge/révolutionnaire. Les étiquettes sont des "convictions" sans substance: seule importe une action constante visant à réduire et à détruire les forces dissolvantes de la modernité marchande, car elles conduisent le monde au chaos et les peuples à une misère sans issue. Comme nous le constatons encore plus aujourd'hui qu'à l'époque, l'industriel, le négociant  et le banquier, avec leur logique d'accumulation monstrueuse, apparaissent comme des êtres aussi abjects qu'inférieurs, foncièrement malfaisants, pour cet officier supérieur russe et  soviétique qui ne respecte que les hommes de qualité: les historiens, les prêtres, les soldats et les révolutionnaires. Les impératifs de la géopolitique sont des constantes de l'histoire auquel l'homme de longue mémoire, seul homme valable, seul homme pourvu de qualités indépassables, se doit d'obéir. A la suite de ce Snessarev, qu'il a sans doute rencontré au temps où il servait d'officier de liaison auprès de l'Armée Rouge, Niedermayer, fort également de ses expériences d'iranologue, d'explorateur du Dacht-i-Lout et de spécialiste de l'Afghanistan, clef d'accès aux Indes depuis Alexandre le Grand, savait que le destin de l'Europe en général, de l'Allemagne, son cœur géographique, en particulier, se jouait en Inde (et, partant, en Perse et en Afghanistan). Une leçon que l'actualité a rendue plus vraie que jamais.

 

Exporter la révolution et absorber le "rimland"

 

Pour Niedermayer, officier allemand, ce rôle essentiel du territoire indien pose problème car son pays ne possède aucun point d'appui dans la région, ni dans son environnement immédiat. La Russie tsariste, oui, et, à sa suite, l'URSS, aussi. Par conséquent, les positions militaires soviétiques au Tadjikistan et le long de la frontière afghane, sont des atouts absolument nécessaires à l'Europe dans son ensemble, à toute la communauté des peuples de souche européenne. C'est la possession de cet atout stratégique en Asie centrale qui doit justifier, aux yeux de Niedermayer, l'indéfectible alliance germano-russe, seule garante de la survie de la culture européenne dans son ensemble. Pour les tenants du bolchevisme révolutionnaire autour de Trotski et Lénine, la solution, pour faire tomber le capitalisme, c'est-à-dire la puissance planétaire des thalassocraties libérales, réside dans la politique d'"exporter la révolution", d'agiter les populations colonisées et assujetties par un bon dosage de nationalisme et de révolution sociale. Ainsi, les puissances continentales de la "Terre du Milieu" pourront porter leurs énergies en direction du "rimland" indien, persan et arabe, réalisant du même coup les craintes formulées par Mackinder dans son discours de 1904 sur le "pivot" sibérien et centre-asiatique de l'histoire. Propos qu'il réitèrera dans son livre Democratic Ideals and Reality  de 1919. Cependant, pour pouvoir libérer l'Inde et y exporter la révolution, il faut déjà un bloc continental bien soudé par l'alliance germano-soviétique, prélude à la libération de toute la masse continentale eurasiatique.

 

Pour structurer l'Europe: un chemin de fer à voies larges

 

Pour parfaire l'organisation de cette gigantesque masse continentale, il faut se rappeler et appliquer les recettes préconisées par le Ministre du Tsar, Sergueï Witte, père du Transsibérien. Dans le Berlin des années 20, un projet circule déjà et prendra corps pendant la seconde guerre mondiale: celui de réaliser un chemin de fer à voie large ("Breitspurbahn"), permettant de transporter un maximum de personnes et de marchandises, en un minimum de temps. Cette idée, venue de Witte, n'est pas entièrement morte, constitue toujours un impératif majeur pour qui veut véritablement travailler à la construction  européenne: le Plan Delors, esquissé dans les coulisses de l'UE, préconisait naguère des grands travaux publics d'aménagement territorial, y compris un système ferroviaire rapide, désormais inspiré par le TGV français. En 1942, Hitler, en évoquant le Transsibérien de Witte, donne l'ordre à Fritz Todt d'étudier les possibilités de construire une "Breitspurbahn", avec des trains roulant entre 150 et 180 km/h pour le transport des marchandises et entre 200 et 250 km/h pour le transport des personnes. Le projet, confié à Todt, ne concerne pas seulement l'Europe, au sens restreint du terme, n'entend pas seulement relier entre elles les grandes métropoles européennes, mais aussi, via l'Ukraine et le Caucase, les villes d'Europe à celles de la Perse. Ces projets, qui apparaissaient à l'époque comme un peu fantasmagoriques, n'étaient nullement une manie du seul Hitler (et de son ingénieur Todt); en Union Soviétique aussi, via des romans populaires, comme ceux d'Ilf et de Petrov, on envisage la création de chemins de fer ultra-rapides, reliant la Russie à l'Extrême-Orient.

 

Le destin tragique du Professeur Otto Hoetzsch

 

ottohoetzsc.jpgLe volet purement scientifique de cet engouement pour le Grand Est sera incarné à Berlin, de 1913 à 1946 par un professeur génial, autant que modeste: Otto Hoetzsch. Il a connu un destin particulièrement tragique. Après avoir accumulé dans son institut personnel une masse de documents et de travaux sur la Russie, pendant des décennies, les bombardements sur Berlin en 1945, à la veille de l'entrée des troupes soviétiques dans la capitale allemande, ont réduit sa colossale bibliothèque à néant. Cette tragédie explique partiellement le sort misérable de tout le savoir sur la Russie et l'Union Soviétique à l'Ouest. La majeure partie des documents les plus intéressants avait été accumulée à Berlin. La misère de la soviétologie occidentale est partiellement  le résultat navrant de la destruction de la bibliothèque du Prof. Hoetzsch. En 1945 et en 1946, celui-ci, âgé de 70 ans, erre seul dans Berlin, privé de sa documentation; cet homme, brisé, trouve néanmoins le courage ultime de rédiger une conférence, la dernière qu'il donnera, où il nous lègue un véritable testament politique (titre de cette conférence : "Die Eingliederung des osteuropäischen Geschichte in die Gesamtgeschichte"; = L'inclusion de l'histoire est-européenne dans l'histoire générale).

 

Slaviste et historien de la Russie, Otto Hoetzsch s'était aperçu très tôt que les Européens de l'Ouest, les Occidentaux en général, ne comprenaient rien de la dynamique de l'histoire et de l'espace russes; ce que les Russes repèrent tout de suite, ce qui les navrent et les fâchent. Cette ignorance, assortie d'une prétention mal placée et d'une irrépressible et agaçante propension à donner des leçons, vaut également pour l'espace balkanique (sauf en Autriche où les instituts spécialisés dans le Sud-Est européen ont réalisé des travaux remarquables, dont les chancelleries occidentales ne tiennent jamais compte). Hoetzsch constate, dès le début de sa brillante carrière, que la presse ne produit que des articles lamentables, quand il s'agit de commenter ou de décrire les situations existantes en Russie ou en Sibérie. Il va vouloir remédier à cette lacune. A partir de 1913, il se met à rassembler une documentation, à étudier et à lire les grands classiques de la pensée politique russe, à lire les historiens russes, ce qui le conduira à fonder en 1925, quelques mois après la sortie du premier numéro de la ZfG de Haushofer, une revue spécialisée dans les questions russes et centre-asiatiques, Osteuropa. Captivé par la figure du Tsar Alexandre II, sur lequel il rédigera un maître-ouvrage, dont le manuscrit sera sauvé in extremis de la destruction à Berlin en 1945; Hoetzsch le transportait dans sa valise en fuyant Berlin en flammes. Pourquoi Alexandre II? Ce Tsar est un réformateur social, il lance la Russie sur la voie de l'industrialisation et de la modernisation, ce que ne peuvent tolérer les thalassocraties. Il périra d'ailleurs assassiné. En dépit du ressac de la Russie sous Nicolas II, de sa lourde défaite subie en 1905 face au Japon, armé par l'Angleterre et les Etats-Unis, en dépit du terrible ressac que constitue la prise du pouvoir par les Bolcheviques, l'œuvre d'Alexandre II doit, aux yeux de Hoetzsch, demeurer le modèle pour tout homme d'Etat russe digne de ce nom.

 

Ami des Russes blancs et "Républicain de Raison"

 

Hoetzsch est un libéral de gauche, proche de la sociale démocratie, mais il déteste les Bolcheviques, car, pour lui, ce sont des agents du capitalisme anglais, dans la mesure où ils détruisent l'œuvre des Tsars émancipateurs et modernistes; ils ont comploté contre ceux-ci et contre d'excellents hommes d'Etat comme Witte et Stolypine (qui sera également assassiné). Hoetzsch fréquente l'émigration blanche de Berlin, consolide son institut grâce aux collaborations des savants chassés par les Bolcheviques, mais reste ce que l'on appelait à l'époque, dans l'Allemagne de Weimar, un «Républicain de Raison» ("Vernunftrepublikaner"), ce qui le différencie évidemment d'un Oskar von Niedermayer. Son institut et sa revue connaissent un essor bien mérité au cours des années 20; ce sont des havres de savoir et d'intelligence, où coopèrent Russes et Allemands en toute fraternité. En 1933, avec l'avènement au pouvoir des nationaux socialistes, Hoetzsch cumule les malchances. Pour le nouveau pouvoir, les "Vernunftrepublikaner" sont des émanations du "marais centriste" ou, pire, des "traîtres de novembre" ("Novemberverräter") ou des "bolchevistes de salon" ("Salonbolschewisten"). L'institut de Hoetzsch est dissous. Hoetzsch est "invité" à prendre sa retraite anticipée. La fermeture de cet institut est une tragédie de premier ordre. Le destin de Hoetzsch est pire que celui de l'activiste politique et éditeur de revues nationales révolutionnaires, Ernst Niekisch. Car on peut évidemment, avec le recul, reprocher à Niekisch d'avoir été un passionné et un polémiste outrancier. Ce n'était évidemment pas le cas de Hoetzsch, qui est resté un scientifique sourcilleux.

 

Pour une approche grande-européenne de l'histoire

 

Dans la conférence qu'il prépare dès août 1945, et qu'il prononcera peu avant de mourir en 1946, dans sa chère ville de Berlin en ruines, Otto Hoetzsch nous a laissé un message qui reste parfaitement d'actualité. L'objectif de cette conférence-testament est de faire comprendre la nécessité impérieuse, après deux guerres mondiales désastreuses, de développer une vision de l'histoire, valable pour l'Europe entière, celle de l'Ouest, celle de l'Est et la Russie ("gesamteuropäische Geschichte"). Personnellement, nous estimons que les prémisses pratiques d'une telle vision grande européenne de l'histoire se situent déjà toutes en germe dans l'œuvre politique et militaire du Prince Eugène de Savoie, qui parvient à mobiliser et unir les puissances européennes devant le danger ottoman et à faire reculer la Sublime Porte sur tous les fronts, au point qu'elle perdra le contrôle de 400.000 km2 de terres européennes et russes. Le Prince Eugène a définitivement éloigné le danger turc de l'Europe centrale et a préparé la reconquête de la Crimée par Catherine la Grande. Plus jamais, après les coups portés par Eugène de Savoie, les Ottomans n'ont été victorieux en Europe et leurs alliés français n'ont plus été vraiment en mesure de grignoter le territoire impérial des Pays-Bas espagnols puis autrichiens; les Ottomans n'ont même plus été capables de servir de supplétifs à cette autre puissance anti-impériale et anti-européenne qu'était la France avant Louis XVI.

 

Le testament de Hoetzsch nous interpelle !

 

Mais le propos de Hoetzsch, dans sa dernière conférence, n'était pas d'évoquer la figure du Prince Eugène, mais de jeter les bases d'une méthodologie historique et sociologique pour l'avenir; elle devait reposer sur les acquis théoriques de Karl Lamprecht, de Gustav Schmoller (inspirateur du gaullisme dans les années 60 du 20ième siècle) et d'Otto Hintze. Il faut, disait Hoetzsch, développer une histoire intégrante et comparative pour les décennies à venir. En affirmant cela, il n'avait aucune chance de se voir exaucer en 1946, encore moins en 1948 quand, après le Coup de Prague, le Rideau de Fer s'abat sur l'Europe pour quatre décennies. En 1989, immédiatement après l'élimination du Mur de Berlin et l'ouverture des frontières austro-hongroises et inter-allemandes, l'Europe et la Russie auraient eu intérêt à remettre les propositions de Hoetzsch sur le tapis. Au niveau scientifique, des études remarquables ont été réalisées effectivement, mais rien ne semble transparaître dans la presse, faute de journalistes professionnels capables d'appliquer les leçons pédagogiques de Haushofer et de Radós. Les journalistes ne sont plus des hommes et des femmes en quête de sujets intéressants, innovateurs, mais bel et bien ceux que Serge Halimi nomme avec grande pertinence les "chiens de garde" du système. Les journaux et les revues constituaient la voie de pénétration vers le grand public dont disposaient jadis les instituts de sciences humaines et les universités; pour tout ce qui est véritablement innovateur, pour tout ce qui va à l'encontre des poncifs répétés ad nauseam, cette voie est désormais bien verrouillée, dans la mesure où les journalistes ne sont plus des hommes libres, animés par la volonté de consolider le Bien public, mais d'ignobles et méprisables mercenaires à la solde du système et des puissances dominantes.  Toutefois, le défi que nous a lancé Brzezinski en 1996, en publiant son fameux livre, The Grand Chessboard, où sont étalées sans vergogne toutes les recettes thalassocratiques pour neutraliser l'Europe et la Russie, avec l'aide de cet instrument qu'est le complexe militaro-mafieux turc,  —potentiellement étendu à toute la turcophonie d'Asie centrale—  montre une nouvelle fois qu'une riposte européenne et russe doit nécessairement passer par une vision claire de l'histoire, vulgarisable pour les masses. Le destin tragique de Hoetzsch, son courage opiniâtre qui force l'admiration, sa modestie de grand savant, nous interpellent directement: notre amicale paneuropéenne a pour devoir de travailler, modestement, dans son créneau, à l'avènement de cette historiographie grande européenne que Hoetzsch a voulu. Au travail!

 

Robert STEUCKERS.

(Forest-Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, août 2002).

mardi, 05 octobre 2010

La place de la Russie dans l'histoire de la diplomatie européenne

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES- 1997

La place de la Russie dans l'histoire de la diplomatie européenne

 

Intervention de Robert Steuckers lors du 1er Colloque de l'Atelier régional d'Ile-de-France de Synergies Européennes, le 8 mars 1997

 

On ne peut évaluer la place et l'importance de la Russie dans la tradition diplomatique européenne que sur base des textes existants. Les premiers textes valables pour juger l'émergence de la Russie dans la réalité politique européenne datent de l'époque de Pierre le Grand. Ce Tsar a manifesté durant son règne la volonté de faire de la Russie un Etat organisé à l'européenne, participant pleinement au concert des Etats européens. Cette volonté peut se concrétiser dès l'effondrement de la puissance polono-lithuanienne qui conduira aux partages successifs de la Pologne, achevés tout à la fin du XVIIIième siècle.

 

Cependant, en dépit de la volonté de Pierre le Grand, la Russie ne se laissera jamais appréhender par les mêmes concepts politiques et géographiques que le reste de l'Europe. Cette différence est due à la qualité, aux dimensions et à l'immensité de son territoire, qui fait charnière entre l'Europe et l'Asie. Dès le départ, dès les premiers textes rédigés en Europe sur la Russie et destinés aux chancelleries, on perçoit la dimension eurasienne de la Russie, malgré la volonté de Pierre le Grand de s'aligner exclusivement sur l'Europe.

 

Aujourd'hui, les cercles politiques et culturels européens, toutes tendances confondues, font désormais face à une Russie complexe, immense, tout à la fois européenne et asiatique, échappant aux règles des idéologies occidentales. Ils ne font plus face à une URSS à l'idéologie monolithique, parfois plus aisée à comprendre, encore que les arcanes peu déchiffrables de la soviétologie ont souvent induit en erreur des soviétologues patentés comme Alain Besançon ou Hélène Carrère d'Encausse... Récemment, pendant l'été 1993, la presse à sensation de Paris a parlé d'une alliance entre “rouges” et “bruns”, de l'émergence inquiétante d'un bloc “national-communiste”, en embrayant sur des phénomènes somme toute superficiels et sans tenir nullement compte de la longue histoire des rapprochements et des ruptures entre la Russie, d'une part, et les autres puissances européennes, d'autre part. La phobie du complot “rouge-brun” a fait long feu car les connaissances historiques la­cunaires des quelques journalistes fort prétentieux et très braillards qui ont déclenché le scandale étaient bien maigres. Leur bricolage n'était qu'un jeu médiatique. Quant à ceux qui se sont déclarés “rouges-bruns”  dans la foulée, pour entrer dans le jeu des hystéries médiatiques et faire parler de leurs personnes, on décèle aisément chez eux une volonté d'apparaître comme de “grands scandaleux”, de “grands méchants loups”, additionnant toutes les rigueurs des totalitarismes stalinien et hitlérien de ce XXième siècle.

 

Pour éviter la répétition malheureuse de telles sensations médiatiques, pour échapper aux hypersimplifications de la presse parisienne, il m'apparaît nécessaire de retourner à l'histoire de la diplomatie européenne et de voir comment le rapport Europe/Russie est perçu dans les chanceleries et comment il transcende et chevauche les étiquettes de “gauche” et de “droite”. Il convient d'examiner comment les concepts de la géopolitique sont nés il y a près de 300 ans, au départ de ré­flexions sur l'immensité du territoire russe, ensuite de voir comment ils ont été articulés dès l'époque napoléonienne. Il con­vient de déceler quelles polarités ont été mises en exergue dans le contexte tourmenté des guerres de la Révolution et de l'Empire, de voir comment les conflits ont été explicités.

 

Accusé d'avoir fait partie de ce complot “rouge-brun” pour avoir participé à un débat avec Ziouganov, président du PCFR, et Volodine, son ajoint et conseiller, à Moscou en avril 1992, débat portant sur une alternative éthique au néo-libéralisme (!), sur l'œuvre de François Perroux, sur l'anti-utilitarisme, débat retransmis ensuite dans la presse russe (Dyeïnn) et serbe (Duga), j'étais redevable d'une explication, non pas aux ignares de la presse parisienne mais à mes lecteurs et à mes abonnés. Je m'étais déjà expliqué par bribes dans un interview (cf. NdSE n°2; versions portugaise et néerlandaise également disponibles). J'entends, dans cette allocution qui deviendra très prochainement texte, être plus exhaustif. J'avais le devoir d'approfondir la question pour confondre les piteux, médiocres et minables journalistes parisiens du Monde et d'autres gazettes de bas étage qui se sont donnés en spectacle pendant l'été 1993. J'avais le devoir intellectuel de retourner au réel pour réduire à néant les simplifications esthétisantes des néodroitistes et nationaux-révolutionnaires parisiens, relevant de la même engeance journa­listique que leurs adversaires, qui n'ont pas de projets cohérents ni de discours étayés, mais qui aiment à répéter “je suis un grand méchant” ou un “grand-pervers-qui-pense-tout-ce-qui-est-interdit-de-penser”. Afin, bien sûr, de ne plus jamais se lais­ser embarquer dans un jeu médiatique aussi stérile que celui de l'été 1993.

 

Les spéculations sur la nature politique et géographique de la Russie commencent dans l'œuvre de Leibniz, qui a cumulé les positions de philosophe, de mathématicien, de conseiller du Prince et de diplomate. Pour la première fois, Leibniz livre à ses lecteurs européens une réflexion politique profonde sur la Russie. Leibniz a forgé des concepts instrumentalisables pour faire face à la nouvelle réalité géographique et politique qui se présentait aux portes de l'Europe. Pierre le Grand venait en effet d'annoncer qu'il ferait de la Russie un Etat européen, participant au concert des nations européennes. En 1669, Leibniz réagit face à la question polonaise. La Pologne, voisine de la Russie, était, avant l'émergence de celle-ci, la puissance la plus “orientale” de l'Europe. Cette Pologne était une “république aristocratique”, tolérante sur le plan religieux, fantaisiste sur le plan culturel et littéraire, brillante dans les arts, fébrile et mobile sur le plan militaire, avec sa cavalerie portée par un “mythe sar­matique”, où l'aristocratie polonaise se décrivait comme la descendante de cavaliers sarmates venus d'Iran, du Caucase et des régions pontiques. La monarchie de cette Pologne était élective. Avant l'élection du nouveau monarque, l'Allemand Leibniz donne son avis: il est alors “russophobe”, se méfie de cet immense pays dont on connaît finalement peu de choses, et espère la défaite du candidat qui a les faveurs de la Moscovie. Sinon, dit-il, le “rempart polonais” qui protège l'Europe va tomber, ce qui amènera les “barbares asiatiques” au centre de notre sous-continent et aux frontières du Reich. Ceci est la première posi­tion de Leibniz et elle est anti-russe.

 

Mais très vite, cette position se juxtaposera à une deuxième: il faut inclure la Russie dans une grande alliance européenne anti-turque («Quid si ergo posset Moscus quoque in anti-turcicum foedus pellici»). En effet, avant sa longue désagrégation, la Pologne était forte. Rappelons l'intervention des troupes de Jan Sobiesky et du Hongrois Janos Hunyadi lors des Croisades anti-ottomanes dans les Balkans et lors de la défense de Vienne aux XVième et XVIième siècles. La Russie de Pierre le Grand devra reprendre à son compte la fonction de cette puissante Pologne de Sobiesky. Telle est la seconde position de Leibniz.

 

Dans la troisième position qu'il adopte face à la Russie montante, Leibniz jette les bases de ce qu'il est convenu d'appeler l'“eurasisme”. Dans son texte de 1697, Novissima Sinica, Leibniz écrit que la masse continentale euro-asiatique compte deux anciennes civilisations: 1. Rome/Europe (le Reich); 2: La Chine. La Russie, poursuit-il, doit faire le lien entre ces deux civili­sations en organisant son propre territoire. L'Europe acquerra un avantage si c'est elle qui communique à la Russie les re­cettes de la “bonne” organisation politique, territoriale, administrative, etc.

 

Dans sa quatrième position, Leibniz parle de la Russie comme d'une tabula rasa, comme d'un espace vierge, où l'on pourra tester toutes sortes d'expériences. La Russie est un pays qui offre des milliers de possibilités (comme on le dira plus tard des Etats-Unis). Il permettra d'absorber une immigration paysanne allemande.

 

Dans sa cinquième position, prise en 1712 lors de la guerre entre la Suède et la Russie pour la maîtrise de l'axe fluvial “gothique”, joignant la Baltique à la Mer Noire, afin d'assurer la translation de l'héritage polono-lithuanien. Leibniz, Allemand, s'oppose à toute expansion de la Russie vers le Nord, mais favorise toute expansion vers le Sud. Cette position allemande est une constante: on l'a vu se manifester lors de l'indépendance des Pays Baltes (en 1919 comme en 1991), de la Finlande, dans les intentions lisibles en filigrane dans les clauses du Pacte germano-soviétique de 1939, dans les concessions accordées en théorie par Jirinovski aux Suédois et aux Allemands dans son projet de “grande avancée vers le Sud”. Symptomatique est le fait que Jirinovski insiste si fortement en Allemagne et en Suède sur l'orientation méridionale des hypothétiques efforts de “sa” future Russie.

 

Dans sa sixième position, Leibniz approfondit sa réflexion sur la qualité de tabula rasa  du territoire russe. La Russie est vierge, dit-il, on peut y importer tant les vices que les vertus de l'Europe. Mais Leibniz est pessimiste, conservateur. Pour lui, l'Europe décadente est travaillée et minée par ses vices. Il raisonne binairement en opposant une Europe décadente à une Russie pure. Adepte de l'idéologie des Lumières à ses débuts, Leibniz poursuit un objectif pédagogique: si la Russie est pure, vierge et “mineure”, elle peut devenir l'objet d'une pédagogie vertueuse et éviter ainsi d'entrer directement en décadence à cause de ses nouveaux contacts avec l'Europe malade.

 

En résumé: l'Europe, par la voix de Leibniz, est favorable à la Russie quand elle avance ses pions vers le Sud contre les Turcs, vers la Mer Noire, mais pas encore vers les Balkans, territoire réservé à l'époque aux Hongrois et aux Autrichiens, protecteurs des Serbes, après la libération de Belgrade en 1717/18. En revanche, l'Europe se montre hostile à la Russie quand elle avance ses pions vers le Nord. Comme Leibniz, elle se montre pro-suédoise, pro-polonaise (puis pro-ukrainienne), car, pour elle, l'axe gothique est un espace intermédiaire entre la Russie et l'Europe, qui a une logique propre qu'il convient de con­server, tandis que l'espace balte est un indispensable espace de transition entre Russes, Suédois et Allemands

 

Herder précisera cette vision d'un espace balte d'échange culturel. Herder est le père des nationalismes germaniques et slaves, le théoricien de la relativité culturelle, des différences, de la valorisation des origines de toute culture au détriment des époques plus tardives, jugées déclinantes. En 1769, dans le journal qu'il a écrit au cours de son voyage de la Livonie (en Lettonie actuelle) à Nantes, Herder écrit que l'Europe est vieillie, décadente, qu'elle a épuisé ses potentialités. Face à elle, la Russie possède encore des atouts, des potentialités. Il faut travailler la Russie, dit Herder, pour en faire un modèle pour le reste de l'humanité. La pensée de Herder est à la fois liée aux Lumières car elle est pédagogique, elle veut étendre au monde entier des idées européennes qui ne sont ni le rationalisme occidental ni le césaro-papisme catholique. Mais si cette pensée de Herder est liée aux Lumières, elle est en même temps critique à leur égard. La critique de Herder s'articule surtout autour de l'optimisme et de la prétendue unicité du modèle des Lumières. Pour Herder, théologien protestant, toute culture est une manifestation voulue par Dieu et celui-ci se manifeste de multiples façons, donc seule la pluralité des cultures est légitime, est œuvre de Dieu. L'histoire d'un peuple particulier est simultanément l'histoire d'un possible humain, universellement valable.

 

Sur base de ces principes, Herder énonce des projets pour l'Europe orientale et la Russie. Il privilégie les Pays Baltes, dont il est issu, comme espace d'échanges entre l'Europe germanique et la Russie. Mais il concocte également des projets sédui­sants pour l'Ukraine, la Crimée et la rive septentrionale de la Mer Noire. La mission de la Russie, à ses yeux, est de recréer un nouvel hellénisme sur le pourtour de la Mer Noire et de faire de la Crimée sa capitale. En énonçant ce grand projet, il re­prend l'idée allemande d'un “Drang nach Süden” russe et souligne l'importance capitale de la Crimée sur le plan géopolitique (pendant la guerre civile entre Blancs et Rouges, la Crimée, sous le Général Wrangel, a été un enjeu majeur du conflit; le IIIième Reich concoctait également des plans germanisants/hellénisants pour la Crimée et le conflit russo-ukrainien d'aujourd'hui rappelle l'importance géopolitique de cette presqu'île). Le “Projet grec” de Herder sera repris par Catherine II et instrumentalisé contre l'Empire ottoman que la fougueuse Tsarine chassera des rives septentrionales de la Mer Noire.

 

Le jugement que porte Herder sur l'œuvre de Pierre le Grand est également fort intéressant. Herder reproche au Tsar Pierre d'avoir négligé la culture “naturelle” de la Russie, de ne pas avoir tablé sur ses atouts nationaux et surtout d'avoir fait de la Russie une “pyramide inversée” qui risque de s'effondrer tôt ou tard dans la catastrophe. Herder prédit ainsi pour la première fois la révolution russe de 1917.

 

De 1789 à 1820, c'est-à-dire de la Révolution française à l'avènement de la Monarchie de Juillet, la réflexion sur la Russie va s'articuler autour de trois oppositions:

1. L'opposition entre liberté et despotisme, où l'Ouest est la liberté et la Russie, le despotisme (Marx reprendra cette di­chotomie russophobe, et, dans le marxisme, on parlera parfois de “despotisme oriental”).

2. L'opposition entre légitimité et révolution, où la Russie est le bastion de la contre-révolution. Nous avons là ante litte­ram une dialectique Est-Ouest, où la droite légitimiste est pro-orientale et anti-occidentale, contrairement à ce que nous avons connu pendant la guerre froide. Dans l'Allemagne de la “révolution conservatrice”, Moeller van den Bruck, traducteur de Dostoïevski, réfléchit sur l'itinéraire de ce dernier: révolutionnaire dékabriste, il deviendra légitimiste, en percevant l'insuffisance des idées occidentales. Moeller et, à sa suite, les diplomates allemands conserveront l'espoir légitimiste-con­servateur en la Russie, en dépit de la révolution bolchevique.

3. L'opposition Terre/Mer ou Russie/Angleterre. Ces réflexions ont annoncé la géopolitique de McKinder et de Haushofer, ainsi que l'œuvre de Carl Schmitt. Face à cette dualité Terre/Mer, notons la position intermédiaire prise par la France. La France est une “civilisation équilibrée” entre Terre et Mer, elle s'oppose également au “navalisme anglais” et au “despotisme exclusivement tellurique” de la Russie. Quand, sous Napoléon, la France s'identifie à l'Europe, comme l'Allemagne s'y identi­fiera pendant les deux guerres mondiales, les Continentaux percevront l'Europe comme le centre du monde et de l'histoire mondiale.

 

La période qui s'étend de 1789 à 1830 est une période de grande effervescence. Pour reprendre la terminologie de Carl Schmitt, c'est la fin du jus publicum europæum. L'idée révolutionnaire veut se planétariser, ne connaît ni repos ni mesure. Au cours de cette période, les diplomates écrivent une quantité impressionnante de rapports dont la teneur est proprement géopolitique. Nous allons examiner ceux qui concernent notre propos d'aujourd'hui: la Russie.

 

En 1791, un rapport anglais anonyme, intitulé Russian Armament, jette les bases de l'hostilité anglo-saxonne à l'encontre de la Russie. La Russie est désignée clairement comme l'ennemi car elle vise l'élimination de la présence ottomane en Mer Noire et dans les Balkans. Nous avons là le premier indice de l'alliance réelle et tacite entre Londres et la Turquie, entre la thalasso­cratie anglo-saxonne et la Sublime Porte. Le rapport poursuit: l'avancée de la Russie vers Constantinople menace 1) l'Egypte (on prévoit déjà en Angleterre le percement du Canal de Suez) et 2) le commerce du Levant. Donc, pour les diplomates an­glais, l'existence de l'Empire Ottoman, y compris sa présence dans les Balkans, garantit l'équilibre européen (l'argument sera repris lors de la Guerre de Crimée); l'Empire Ottoman est un barrage contre la Russie qu'on soupçonne vouloir s'emparer des Indes (en 1800-1801, effectivement, le Tsar Paul I, allié de Napoléon, projette l'invasion des Indes). Dans d'autres mani­festes anonymes parus entre 1792 et 1793, des observateurs anglais envisagent une alliance entre la France, l'Angleterre et la Turquie, pôle de la liberté, contre l'Autriche, la Prusse et la Russie, pôle du despotisme.

 

Cette tentative de rapprochement, en pleine guerre, de l'Angleterre avec la France révolutionnaire peut s'expliquer clairement si l'on a lu le livre de l'historien français Olivier Blanc, Les hommes de Londres. Histoire secrète de la Terreur (Albin Michel, 1989). Blanc nous y démontre les mécanismes d'organisation de la guerre civile en France, mis en œuvre depuis Londres, afin de venger la bataille de Yorktown (1781) qui avait donné la victoire aux insurgés américains avec l'appui de troupes et de vaisseaux français. Par ailleurs, l'Angleterre visait à détruire les ressorts de la politique navale de Louis XVI, qui avait connu quelques succès militaires. Les manifestes anonymes réclamant une alliance avec la France demandent implicitement l'arrêt de cette politique secrète d'organisation de la guerre civile en France, d'autant plus que les troupes autrichiennes et prus­siennes avancent dans le Nord et en Lorraine, risquant d'affaiblir définitivement la France et de souder au Nord et au centre de l'Europe un bloc germanique et impérial solide. L'Angleterre, au nom de l'équilibre continental, cherche à changer d'alliés et à se ranger du côté du plus faible. Mais, coup de théâtre, la France est victorieuse à la bataille de Fleurus en 1793: elle devient la plus forte puissance européenne, s'installe en Brabant et à Anvers, ce qui, pour Londres, est intolérable. L'Angleterre, pour respecter sa politique d'équilibre, doit lui faire la guerre, de concert avec les Prussiens et les Autrichiens. Quand l'Allemagne, après Bismarck, sous Guillaume II et avec la politique navale de von Tirpitz, deviendra la plus forte des puissances euro­péennes, l'Angleterre fera la guerre contre elle, en utilisant les ressources humaines de la France.

 

C'est sur cet arrière-plan que Wilhelm von Byern en 1794 propose une alliance germano-russe contre la France révolution­naire et E. von Zimmermann une alliance germano-franco-anglo-russe contre le challengeur qui pointe à l'horizon, l'Amérique. Mais le théoricien le plus pointu qui a esquissé les grandes lignes d'une politique générale pour vertébrer l'Europe, pendant cette époque de troubles et de désorientements, reste le Français Bertrand Barère de Vieuzac. En 1798, il rédige un manifeste intitulé La liberté des mers ou le gouvernement anglais dévoilé;  ce texte fondamental annonce et anticipe véritable­ment le noyau central des doctrines géopolitiques allemandes de ce siècle (Haushofer) et les positions telluriques et anti-tha­lassacratiques de Carl Schmitt. Pour Barère de Vieuzac, le véritable principe dissolvant n'est pas tant la révolution que le “principe industriel”, générateur de flux incontrôlables. L'industrie anglaise, dit Barère de Vieuzac, découle de la navigation, dès lors les flots générés par la production de marchandises correspondent aux flots océaniques, sur lesquelles rien ne peut se construire. L'industrie induit une démonie de la technique, qui abolit toutes les barrières, frontières, etc. Elle abolit le prin­cipe traditionnel de la famille avec son ancrage dans la Terre. C'est au départ de ce texte de Barère de Vieuzac que le poète Rudolf Pannwitz (cf. NdSE n°19) chantera son apologie de la Terre et de l'Imperium Europæum et que le Carl Schmitt d'après 1945 élaborera son anti-thalassocratisme fondamental (cf. Terre et Mer & Glossarium). Pour Barère de Vieuzac, l'Europe est une terre de civilisation et d'enracinement qui s'oppose tout naturellement à l'Angleterre, qui domine l'espace fluide de la mer sur lequel aucune civilisation ne peut éclore, et à la Russie, qui domine un espace mouvant de terres non travaillées. Son dis­ciple Eschasserieux propose dès lors une alliance franco-prussienne contre l'Angleterre et la Russie. C'est dans les travaux de Barère de Vieuzac et d'Eschasserieux qu'on trouve l'origine des rapprochements franco-allemands, depuis le napoléo-gaullisme de Pannwitz jusqu'à la réconcialisation préconisée par Adenauer et De Gaulle en 1963 et à la présence d'un Ernst Jünger lors de la visite de Kohl et Mitterand à Verdun.

 

Chez les nationalistes allemands de la première génération, nous trouvons d'autres approches, qui, elles aussi, ont connu une postérité. Pour Ernst Moritz Arndt, auteur de Deutsche Volkswerdung,  l'analyse est plus subtile: l'opposition fondamentale, pour Arndt, n'est pas tant la révolution ouest-européenne contre la contre-révolution russe, ou la civilisation française, alle­mande et européenne contre la barbarie russe (comme le voulaient les russophobes napoléoniens), mais l'opposition entre pays fermés non organisés et pays ouverts à la mer (sans pour autant être thalassocratiques). Arndt préfigure là la géopo­litique de Ratzel.

 

Quant au poète Jean-Paul en 1810, il se moque de la russophobie qui décrit les Russes comme des “barbares”, mais reste attaché à l'idée pédagogique de l'Aufklärung (que l'on a repérée de Leibniz à Herder). Selon cette idée laïque et missionnaire, la Russie est certes encore “barbare” mais elle se civilisera sous l'influence européenne. Remarquons que la russophilie de Jean-Paul n'est pas encore celle des narodniki russes: il ne rejette pas l'intellectualisme de l'Aufklärung mais ne parie pas sur les ressorts naturels du peuple russe, qu'il juge encore “inférieurs” et “mineurs”.

 

Heinrich von Kleist, dans son essai Über das Marionettentheater  (1810) décrit un monde futur totalement technicisé et ratio­nalisé, mais, dans ce monde figé, tout à coup, un ours déboule sur la scène; il est le symbole de l'Est, de la Russie; il repré­sente la force de l'instinct qui domine toute technique. Contre l'instinct, inutile de se battre, il ne faut attendre aucune victoire. L'Ouest, c'est Napoléon, l'ours, c'est la Russie. Cette argumentation sera reprise par Niekisch dans ses articles “nationaux-bolcheviques” de la revue Widerstand.

 

En France, c'est le traditionalisme anti-révolutionnaire qui développera des réflexions intéressantes sur la Russie. Pour Louis de Bonald (1754-1840), dans ses Discours politiques sur l'état actuel de l'Europe  (1802), la Russie est, depuis la chute de l'Empire romain, la plus grande force d'expansion à l'œuvre en Europe. Mais, ajoute-t-il, son christianisme est “byzantin”, donc, du point de vue catholique de Bonald, il est un mélange de “superstitions” d'“idolâtrie” et de “morceaux de christia­nisme”. Dans les droites catholiques et françaises, Bonald introduit un ferment russophobe d'anti-byzantinisme, contre lequel s'insurgera le Russe Leontiev (cf. Vouloir n°6/1996). A cet anti-byzantinisme, Bonald ajoute un jugement sur l'œuvre de Pierre le Grand: il estime qu'avoir voulu l'européanisation de la Russie est une bonne initiative, mais, déplore Bonald, “il a introduit la corruption avant de former la raison”. Bonald veut dire par là que Pierre le Grand a d'abord favorisé le commerce et l'industrie avant d'établir des lois. Il aurait dû favoriser les classes rurales, puis assurer le primat de la chose militaire, de la souverai­neté et de la paysannerie sur les fonctions de négoce. Bonald développe une critique conservatrice de l'idéologie marchande, vectrice de corruption, mais souhaite la conversion de la Russie au catholicisme. Il introduit ainsi un motif de russophobie ré­current dans la pensée politique conservatrice en France.

 

Joseph de Maistre (1753-1821) critique à son tour l'œuvre de Pierre le Grand, qui s'est laissé entraîner par “l'esprit de fabri­cation”. Comme cet esprit de “fabrication” (on dirait aujourd'hui: ce “constructivisme”) s'est insinué dans la vie politique russe dès l'origine de son européanisation, il est appelé à s'accentuer en dépit des barrières traditionnelles et provoquera une révo­lution (avec la critique de Herder qui voit dans la Russie de Pierre le Grand une “pyramide inversée” prête à basculer, la cri­tique de J. de Maistre est la seconde prédiction de la révolution russe, un siècle avant les faits).

 

La fin de l'aventure napoléonienne se déroule sous le règne du Tsar Alexandre I. Celui-ci fournit le gros des troupes de la coa­lition anti-napoléonienne, si bien qu'il acquiert le titre de “Libérateur de l'Europe”. Il est forcément peu perçu comme tel en France mais bien en Allemagne ou en Belgique (où le souvenir de “Pietje le Cosaque”, à Gand, au moment des premières manifestations flamingantes, reste dans les mémoires). L'idée motrice d'Alexandre I était de constituer une “Sainte-Alliance” en Europe. La mission de la Russie est de donner corps à cette initiative, visant à terme la “monarchie universelle”, que ses adversaires déclareront bien vite “despotique”. Cette idée du Tsar Alexandre I provient de deux sources:

1) La “pansophie” de Louis-Claude de Saint-Martin, qui visait à transcender les clivages religieux en Europe entre orthodoxes, protestants et catholiques.

2) Le “Mouvement du Réveil” de l'Allemand Jung-Stilling.

 

Jung-Stilling (1740-1817) veut fusionner le piétisme et la mystique protestante. Il élabore le concept de “nostalgie” (Heimweh, également titre d'un roman). La nostalgie est toujours nostalgie de la patrie céleste, de l'Empire de Dieu à construire. Pour Jung-Stilling, cet empire commencera à l'Est. Le christianisme s'est développé d'Est en Ouest et a décliné. Il faut faire le chemin inverse. Son disciple Johann Albrecht Bengel voit dans la Russie l'instrument de Dieu pour punir les nations: Napoléon est l'Antéchrist, Alexandre I, l'Ange de l'Apocalypse. En 1817, quand une famine éclate en Allemagne du Sud, les paysans adeptes du “Mouvement du Réveil” (catholiques et protestants confondus) émigrent vers la Russie, afin de s'installer dans l'antichambre du futur paradis et de fuir l'Europe qui allait subir une punition méritée.

 

Franz von Baader (1765-1841) recueille l'héritage de la mystique allemande de Jakob Boehme, de Louis-Claude de Saint-Martin, de Jung-Stilling et de Görres. Son objectif se confond avec celui d'Alexandre I: réconcilier catholiques et protestants dans l'orthodoxie, raviver la dimension religieuse eschatologique et mystique, faire de la Russie le site de la synthèse de ce renouveau religieux et de son armée l'instrument destiné à sauver l'Europe de la dissolution révolutionnaire.

 

Les idées traditionalistes, la coalition anti-napoléonienne, le “Mouvement du Réveil” poursuivaient un même objectif. D'où la théocratie chrétienne et pansophique, l'utopie tirée du “Mouvement du Réveil”, l'“entremission organique” (organische Vermittlung) participent du “Principe d'Etat” qui s'oppose à l'Etat mécanique des révolutionnaires (procédant de l'“esprit de fa­brication”) et au “Dieu mécanique” des philosophes. Mais la grande différence entre, d'une part, Baader et les catholiques pan­sophiques et pro-orthodoxes et, d'autre part, et Bonald, de Maistre et les catholiques stricto sensu, c'est que Baader est mo­niste (il veut façonner le futur et affirme que la bonne politique organique adviendra) tandis que Bonald et de Maistre sont dua­listes et prétendent que la bonne politique est une chose définitivement passée. Face à la position pro-orthodoxe de Baader, de Maistre avance que l'orthodoxie est figée. Baader lui répond que cela la rend imperméable aux idées révolutionnaires. Pour Baader en revanche, c'est le “papisme” qui est figé car il jette le soupçon sur l'intelligence et le savoir (selon l'adage: “point trop de science”). Le protestantisme selon Baader laisse libre cours au savoir et l'accumulation de “science” désoriente les hommes, incapables de maîtriser les flux de la connaissance. Pour Baader, science et foi ne doivent pas être distinctes: telle est la mission d'Alexandre I, de la Sainte-Alliance, du “Mouvement du Réveil”, de la Russie et de l'orthodoxie, face à l'“Ouest pourri” (gniloï zapad). Mais les forces les plus conservatrices de l'Eglise orthodoxe russe refusent la démarche d'Alexandre, jugé trop ouvert aux Catholiques et aux Protestants, les “Réveillés” sont expulsés de Russie, de même que Baader, qui ne peut plus s'y rendre et tire les conclusions de sa tentative avortée: «Le retour à une politique ecclésiale conservatrice va pro­voquer l'expansion du matérialisme en Russie et, sous le manteau d'une Eglise d'Etat, les tendances anti-chrétiennes pourront agir plus secrètement, donc plus destructivement». Troisième prévision de la révolution bolchevique...

 

Autre figure-clef de l'époque, l'Abbé Dufour de Pradt (1759-1837), archevêque et confesseur de Napoléon. Pour Dufour de Pradt, le monde contient “deux zones de principes et de langage”, la zone de l'“ordre absolu” et la zone de l'“ordre constitution­nel à des degrés divers”. Ces deux zones se livreront une lutte à mort. Dufour de Pradt annonce au fond la bipolarité de la guerre froide... L'Europe n'a plus le choix qu'entre devenir un protectorat anglais et devenir un protectorat russe. En 1819, Dufour de Pradt prévoit que l'Amérique remplacera l'Angleterre sur mer, avant même que le Président Monroe ne proclame sa célèbre “doctrine” en 1823. Pourquoi? Parce que tant la Russie que l'Amérique disposent d'espace. Dufour du Pradt écrit: «La Russie jouit de tous les avantages dont sont privés les anciens Etats de l'Europe, dans lesquels les espaces sont occupés par la population et par les cultures destinées à la subsistance. On a calculé l'époque à laquelle les Etats-Unis d'Amérique possèderaient une population de cent vingt millions d'habitants, la progression a même dépassé les prévisions. Pourquoi, dans un temps donné, la Russie ne s'élèverait-elle pas au même degré, car elle possède des éléments parfaitement semblables et égaux à ceux qui promettent aux Etats-Unis ce rapide accroissement? La faculté de nourrir sa famille est la limite de la popu­lation; c'est elle qui, dans les Etats peuplés, réduit les mariages à un si petit nombre. Mais il faut un long cours de siècles pour que cette limite sera atteinte en Russie, comme en Amérique; elle se peuplera donc à l'infini...».

 

Aux Etats-Unis, le diplomate Alexander H. Everett (1790-1847) constate que tous les mouvements politiques de son époque sont les conséquences de la Révolution, cherchent à poursuivre la Révolution. L'Europe, dit-il, doit s'unir sinon elle subira le sort des cités grecques, face à la puissante machine militaire et administrative romaine. Mais pour que cette unification ait lieu dans l'équilibre des forces, il faut en exclure la Russie, parce qu'elle a beaucoup d'espace et rompt cet équilibre. Néanmoins, elle va sauver l'Europe en l'unifiant de force: c'est alors que prendra fin l'ère révolutionnaire.

 

En Allemagne le Baron von Haxthausen (1792-1866) écrit que l'atout slave/russe majeur dans le concert politique européen de l'époque est le sens intact de la communauté (mir/obchtchina). Haxthausen influencera directement la pensée populiste russe, tant dans l'expression qu'elle s'est donnée chez Alexander Hertzen que dans celle des narodniki  (les slavophiles) ou des marxistes russes. Entre les uns et les autres, face à cette revendication de la “communauté”, il y tout de même des diffé­rences d'approche: les “progressistes” voient dans le mir une condition sociale favorisant l'avènement du socialisme, tandis que les narodniki y voient une suprématie morale. Pour Haxthausen, les “communautés” russes sont le fondement de l'ordre social car elles empêchent l'émergence d'un prolétariat. Haxthausen était conscient de la différence entre démocrarie orga­nique et démocratie atomisée.

 

Vu d'Europe, voici donc un vaste éventail de réflexions sur la Russie qui inspirent toujours les chanceleries. Elles apparais­sent limpides dans leur simplicité et continuent à structurer toute la pensée géopolitique, même si les noms de leurs auteurs sont aujourd'hui tombés dans un oubli non mérité.

 

Il nous reste à dire quelques mots sur l'Eurasisme. Les Anglais ont un mot pour désigner la lutte planétaire pour le contrôle de l'Asie Centrale et himalayenne: “The Great Game”, “le Grand Jeu”. ce “Grand Jeu” consiste à contrôler les espaces vides entre les grands pôles civilisationnels de l'Inde, de la Chine et de l'Europe. Car la maîtrise de ces espaces assure la domina­tion de la planète. Leibniz s'en était déjà confusément aperçu en rédigeant sa Novissima Sinica en 1697. Dès la fin du XVIIIième siècle, en 1796-97, les Anglais devinent que l'Europe (allemande ou française) et la Russie vont un jour ou l'autre contester ses positions en Inde. Pour les Anglais, il y avait des signes avant-coureurs, comme la conquête de Sébastopol par les troupes de Catherine II en 1783, qui devient port russe en 1784, prélude à l'annexion complète de la côte pontique entre le Dniester et le Boug à la suite de la Paix de Jassy en 1792. La Mer Noire devient un lac russe, tandis que les Pays-Bas méri­dionaux tombent aux mains des hordes révolutionnaires.

 

Napoléon, lui, se rend compte du désastre que constitue pour la France la perte de ses comptoirs indiens. D'où son plan de couper la route des Indes en s'installant en Egypte. Avant de se lancer dans cette entreprise, il dévore tous les livres sur l'Egypte: «J'étais plein de rêves. Je me voyais fondateur d'une nouvelle religion, marchant à l'intérieur de l'Asie monté sur un éléphant, avec un turban sur la tête et à la main le nouveau Coran que j'aurais écrit pour répondre à mes besoins». Le 19 mai 1798 une armada française, avec 40.000 hommes, quitte Toulon et Marseille pour se diriger vers l'Egypte. Aussitôt les Anglais envoient tous leurs navires du Cap et de Calcutta pour bloquer la Mer Rouge. Nelson détruit la flotte française en mouillage à Aboukir (1 août 1798).

 

En 1801, le Tsar Paul I suggère à Napoléon d'envahir l'Inde par la terre et met 35.000 cosaques à la disposition de ce projet. Pour les appuyer, il demande à Napoléon de lui envoyer une armée française par le Danube, la Mer Noire et la Caspienne. Napoléon juge le projet irréalisable. Le 24 janvier 1801, 22.000 cosaques et 44.000 chevaux quittent le sud de la Russie pour se diriger vers l'Asie centrale. Mais le 23 mars 1801, Paul I est assassiné et Alexandre I monte sur le trône. Les Anglais réagissent en envoyant au Moyen-Orient le jeune John Malcolm, un orientaliste, spécialiste de la Perse, nommé officier dès l'âge de 13 ans. Malcolm a pour mission de forger une alliance avec l'Iran, pour bloquer sur le “rimland” toute avancée française (ou russe ou européenne ou, plus tard, allemande) dans la zone s'étendant de la Syrie au Béloutchistan. La réaction russe est immédiate: le Tsar annexe la Géorgie en septembre 1801. En juin 1804, les Russes sont en Arménie, mettent le siège devant Erivan et engagent la guerre contre la Perse pour forcer le passage vers les Indes.

 

En 1804, les Perses appellent les Anglais au secours. Mais 1804 est également l'année où Napoléon devient “empereur”, pro­voquant un renversement des alliances et un rapprochement entre Russes et Anglais. Les Anglais ne font plus pression sur le Tsar pour qu'il rende à la Perse la Géorgie et l'Arménie. Le Shah n'a plus d'autre alternative que de se tourner vers la France. De 1804 à 1807, les tractations entre le Shah et Napoléon sont ininterrompues, la Perse devant servir de tremplin pour une re­conquête française des Indes. L'armée persane est entraînée par des instructeurs français. En 1807, à Friedland, Alexandre se rapproche à nouveau de Napoléon et participe au blocus continental; Français et Russes sont à nouveau alliés contre les Anglais. A Tilsit, la France et la Russie envisagent de bouter les Ottomans hors d'Europe, de s'allier avec la Perse pour mar­cher de concert sur les Indes, mais la France ne peut plus demander aux Russes de rendre la Géorgie et l'Arménie, poussant les Perses dans une nouvelle alliance anglaise!

 

Tels ont été les préludes du “Grand Jeu”. L'affrontement Terre/Mer entre la Russie et l'Angleterre se poursuivra pendant tout le XIXième siècle, véritable épopée avec, de part et d'autre, des héros sublimes et des aventuriers extraordinaires. Parmi les autres facettes du “Grand Jeu”, il y a eu la volonté de contrôler le Tibet (et surtout les sources des grands fleuves chinois, indochinois et birmans), de maîtriser la “Route de la Soie” et surtout le Turkestan chinois (ou Sinkiang). Des missions allemandes tenteront de forger une “alliance diagonale” entre le Reich, l'Empire Ottoman, la Perse, l'Inde et l'Indonésie. Le pantouranisme sera instrumentalisé par les Allemands en 1914, par les Britanniques après 1918. Pendant la guerre civile russe, les Anglais ont tenté de détacher le Caucase de la Russie, en incitant au massacre des commissaires communistes arméniens. Le Japon y participera en soutenant Koltchak et Unger-Sternberg en Asie. Aujourd'hui, avec la tentative de souder à la Turquie, alliée des Etats-Unis, toutes les républiques musulmanes de l'ex-Union Soviétique, le “Grand Jeu” est loin d'être terminé. Pour nous, il s'agit d'en étudier tous les mécanismes, d'en connaître l'histoire jusqu'en ses moindres détails.

 

Robert STEUCKERS

samedi, 02 octobre 2010

Fehler und Schwächen

Fehler und Schwächen

Die EU-Nachbarschaftspolitik grenzt Rußland aus
 

Ein wichtiges Instrument der Europäischen Union zur Gestaltung der Beziehungen zu angrenzenden Regionen wie dem südlichen Mittelmeerraum oder dem Kaukasus ist die „Europäische Nachbarschaftspolitik“. Nicht miteinbezogen sind hingegen die Balkanstaaten, die für Brüssel keine Beitrittsperspektive haben, weshalb die Länder dieses Teils Europas bereits an der Ernsthaftigkeit der Brüsseler Versprechen Zweifel anmelden. Dabei wäre es für Frieden und Sicherheit in Europa essentiell, wenn die EU hier Zeit und Ressourcen investierte. Schließlich gibt es auf dem Balkan immer noch eine ganze Reihe ungelöster Konflikte, die jederzeit wieder aufbrechen könnten.

Nicht gerade als Lehrbeispiel politischer Weitsichtigkeit erweist sich der Umstand, daß ausgerechnet Rußland nicht in die Europäische Nachbarschaftspolitik eingebunden ist. Schließlich ist Rußland nicht nur für die Energieversorgung Europas von herausragender Bedeutung, sondern auch ein unverzichtbarer strategischer Partner, wenn sich Brüssel außen- und sicherheitspolitisch von den USA emanzipieren will. Aber anstatt die Beziehungen zu Moskau zu vertiefen, hat die Europäische Union in den letzten Jahren mit einer Reihe bilateraler Abkommen mit ehemaligen Sowjetrepubliken den Eindruck erweckt, daß es um die Herauslösungen von Staaten aus der russischen Einflußsphäre geht. Und die Förderung von neuen Rohrleitungen wie „Nabucco“, mit der unter Umgehung Rußlands Erdgas vom Kaspischen Meer nach Europa gepumpt werden soll, ist alles andere als eine vertrauensbildende Maßnahme. Mit „Nabucco“ wird zwar, wie von der Brüsseler Zentrale gewünscht, die energiepolitische Abhängigkeit Europas von Rußland verringert, aber gleichzeitig eine zum Transitland Türkei aufgebaut, was für die Osmanen-Lobby ein zusätzliches Argument für die „Notwendigkeit“ eines türkischen EU-Beitrittes ist.

Was nun die Europäische Nachbarschaftspolitik betrifft, ist für einige EU-Mitgliedstaaten dieses Instrument untrennbar mit den nächsten Erweiterungsrunden verbunden. Und die Möglichkeit dazu besteht. Im Rahmen zu schaffender Freihandelszonen müssen Partnerländer wie etwa die nordafrikanischen Mittelmeeranrainerstaaten ihren Rechtsbestand an jenen der Europäischen angleichen, und zusätzlich werden Hoffnungen geweckt, die nicht enttäuscht werden wollen. Aber zu einer Art von Beitrittsvorbereitungs-Automatismus darf die Europäische Nachbarschaftspolitik nicht mißbraucht werden.

mercredi, 29 septembre 2010

Poutine-Medvedev, le mythe de la discorde ou quand l'Occident se fait plaisir au détriment de la réalité

Poutine-Medvedev, le mythe de la discorde ou quand l'Occident se fait plaisir au détriment de la réalité

Par Xavier Moreau

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

L’élection de Dimitri Medvedev à la présidence russe a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les milieux atlantistes occidentaux. L’allure moins martiale du successeur de Vladimir Poutine a nourri l’espoir que la Russie serait de nouveau ouverte aux différentes tentatives de déstabilisation de la part des ONG pro-occidentales, lesquelles n’ont jusqu’à présent réussi que dans les pays où les élites sont facilement corruptibles.

La résolution du conflit russo-géorgien d’août 2008 a été une première douche froide pour les atlantistes, qui n’auront pu envoyer en renfort aux unités américano-géorgiennes en déroute, qu’une poignée de philosophes ex-maoïstes sans grande influence sur les parachutistes russes… La manière dont Dimitri Medvedev a alors dicté ses conditions au Président Sarkozy aurait dû enterrer définitivement tout espoir de dislocation du pouvoir russe.

Il est désormais clair, pour un observateur un tant soit peu lucide, que les deux anciens élèves d’Anatoly Sobchak * forment un tandem redoutable, mettant en œuvre de manière implacable le projet politique initié par Vladimir Poutine. Rien de secret dans tout cela d’ailleurs ; le recueil intitulé « NatsionalnyPriorität », composé de textes et de déclarations des deux hommes et publié en 2005, est un manifeste de ce que va être la politique intérieure des dix prochaines années en Russie. Concernant les relations internationales, c’est encore et toujours le discours poutinien de février 2007 à Munich, qui reste le texte de référence d’une politique étrangère menée sans état d’âme par Sergueï Lavrov.

 

Sacrifiant sans hésiter sa position présidentielle pour mieux servir l’idée qu’il se fait de la Russie, Vladimir Poutine a endossé le costume de premier ministre sans arrière-pensée, alors que l’intelligentsia occidentale, décidément incapable de saisir le jeu subtil de l’ancien espion, attendait une manipulation constitutionnelle à la sud-américaine. Depuis deux ans, le tandem fonctionne parfaitement, entretenant parfois, d’ailleurs non sans un certain humour, les opinions occidentales dans le fantasme de la concurrence.

Le conflit géorgien avait déjà démontré qu’un Poutine sur le terrain, qui rend compte à un Medvedev décisionnaire au Kremlin, était une image particulièrement bien reçue par la population russe. Le modèle a servi encore, avec le même succès, lors des incendies, si bien que même les commentateurs les plus hostiles au Kremlin ont fini par admettre que la discorde entre les deux hommes n’existe pas. Comme pour décourager les derniers espoirs atlantistes, le Président Medvedev a fait voter, en juillet dernier, une loi qui renforce les pouvoirs du FSB.

La « grande » presse française continue de tromper le public en entretenant ce fantasme de la dispute. Il y a pourtant bien longtemps que les spécialistes de la Russie ont écarté cette hypothèse. La palme du contresens revient une nouvelle fois au Figaro et à son correspondant, Pierre Avril, lequel encore récemment, en utilisant des déclarations de Vladimir Poutine grossièrement tronquées, tentait malhonnêtement d’accréditer cette idée, à propos de la protection de la forêt de Khimki (pour l’intégralité des déclarations à ce sujet, se reporter au site de RussiaToday).

Ce manichéisme atlantiste, confusion classique de l’analyse avec les espoirs, partage d’ailleurs avec l’antisionisme le même déni du réel. Les deux idéologies tendent à nier la realpolitik au profit d’une lecture purement idéologique de l’événement. C’est ce qui explique que les antisionistes aient été profondément déçus par le vote russe des sanctions contre l’Iran. Ils n’en cernent pas les causes véritables.

Le vote des sanctions contre l’Iran par les Russes n’est en fait que le résultat de l’affrontement russo-turc dans le Caucase, et du recadrage par Moscou de Téhéran, à cause du projet Nabucco. La mise en route de la centrale nucléaire de Busher, le 21 août dernier, est là pour confirmer la permanence de la politique étrangère russe.

Thierry Meyssan a immédiatement interprété ces sanctions comme une défaite de la Russie au Moyen-Orient, déçu que celle-ci ne reprenne pas l’étendard de la lutte antisioniste. Comme le Président Ahmadinejad, il concentre ses attaques sur le Président Medvedev. Le leader musulman doit justifier devant son électorat le « lâchage » russe, dont la politique iranienne vis-à-vis de la Turquie est pourtant la seule responsable.

La mécompréhension de la politique russe est sans doute également liée à l’influence sur l’intelligentsia antisioniste du penseur philosophe « folklorique » Alexandre Douguine, autoproclamé conseiller de Vladimir Poutine et qui, dans ses cours de sociologie, disponibles sur son blog, dénonce les espions pro-occidentaux qui tourneraient autour de Vladimir Poutine et dont ferait partie Dimitri Medvedev.

Les prochaines élections présidentielles démontreront sans doute la vacuité de ces simplifications idéologiques. Elles confirmeront probablement que la Russie ne retombera dans aucune idéologie, ni marxiste, ni atlantiste, ni sioniste, ni antisioniste.

La seule règle qui s’impose à Dimitri Medvedev et à Vladimir Poutine, est ce qu’ils jugent être l’intérêt supérieur de la Russie. Refuser de l’admettre, c’est se condamner à rejoindre les médias français dans leur incompréhension totale et maladive de la réalité russe. Pour conclure sur la relation entre les deux hommes, le mieux est de laisser Vladimir Poutine la qualifier lui-même : « Nous sommes issus du même sang et de la même vision politique ».

* Ancien maire de Saint-Pétersbourg et premier grand réformateur russe. Une bonne partie de la nouvelle élite politique russe est issue de la Faculté de Droit de Saint-Pétersbourg et ses plus éminents représentants sont d’anciens élèves et collaborateur d’Anatoli Sobchak, comme Vladimir Poutine ou Dimitri Medvedev.

Realpolitik.tv

(Pour rendre plus aisément accessible cet article « difficile », des liens supplémentaires ont été insérés dans le texte par fortune.fdesouche.com)

samedi, 25 septembre 2010

Hambourg, porte de l'Eurasie et terminus du Transibérien?

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986

Hambourg, porte de l'Eurasie et terminus du Transibérien?

Un nouveau destin pour le port et la ville de Hambourg? La métropole allemande deviendra-t-elle l'avant-poste de l'Extrême-Orient en Europe? Une "nouvelle Hanse" est-elle en gestation? Comment cela se réalisera-t-il? Un groupe d'architectes, rassemblés autour des époux VOLKENBORN, projettent, avec l'aide officielle du Sénat de la ville, de construire sur les rives de l'Elbe, dans le faubourg d'Altona, un nouveau port qui sera simultanément gare terminale du Transsibérien.

 

Le port de Hambourg connaît de sérieuses difficultés économiques: sur une longueur de 6 km, site envisagé pour la gare terminale du Transsibérien, les grues rouillent et les quais s'effritent. Les forces vives doivent émigrer et le chômage guette ceux qui restent. Hambourg est en cela une sorte de microcosme de l'Europe industrielle. Deux projets existent à l'heure actuelle pour effacer du paysage nord-allemand ce site déshérité: le premier envisage d'y installer un gigantesque lunapark; le second, nous venons de le révéler, c'est d'y construire une installation portuaire et ferroviaire telle, qu'elle révolutionnera le trafic international comme jadis le creusement des canaux de Suez et de Panama.

 

Le Groupe des VOLKENBORN envisage de construire une île artificielle face au vieux port désaffecté, d'où partiraient des voies larges de chemin de fer (identiques à celles du Transsib') qui conduiraient à Lübeck, le port baltique. De là, un ferry transporterait les trains jusqu'à Klaipeda (Memel) en Lituanie soviétique. Dès leur débarquement à Klaipeda, les trains retrouveraient la voie la plus longue du monde, le Transsibérien, qui pourra les conduire jusqu'au rives du Pacifique, en face du Japon.

 

Hambourg deviendrait ainsi la plaque tour-nante d'un circuit d'échanges eurasiens: les marchandises d'Extrême-Orient y seraient débarquées à destination de l'Europe et de l'Afrique tandis que les marchandises européennes et africaines y seraient embarquées à destination des marchés soviétique, chinois et japonais. A plus grande échelle, Hambourg et Lübeck retrouveraient leur rôle du temps de la Hanse: échanger des fourrures russes contre du drap anglais ou flamand.

 

De leur côté, les Soviétiques, qui ont en-tamé des négociations avec les Allemands, veillent à terminer le BAM (Baïkal-Amour-Magistral), une ligne de chemin de fer ultra-moderne, tracée au nord du Transsibérien terminé en 1902 et raccourcissant de 500 à 600 km le trajet Klaipeda-Vladivostock. Ces trains rouleront à 250 km/h et diminueront de manière conséquente la durée et la lon-gueur du trajet maritime usuel. Tandis que les navires à conteneurs les plus modernes mettent, via Suez, trente jours pour arriver en Extrême-Orient et parcourir les 22.000 km qui nous en séparent, le BAM mettra 16 jours pour relier Londres à Yokohama (13.000 km). En outre les coûts de transport seront de 10 à 15% inférieurs à ceux que demandent aujourd'hui les armateurs. La quantité transportable de marchandises sera, quant à elle, multipliée par quatre.

 

Ce projet est appuyé par le bourgmestre de Hambourg, Klaus von DOHNANYI, grand spécialiste du commerce avec l'Extrême-Orient. En 1969 déjà, il avait rédigé un ou-vrage sur les stratégies économiques japo-naises. Entretemps, plus de 150 firmes nippones ont installé leur siège à Hambourg, même si la majorité d'entre elles préfèrent toujours Düsseldorf. Depuis peu, ce sont les Chinois qui se mettent à considérer la cité hanséatique comme la ville d'Europe la plus importante. Les Chinois veulent importer une brasserie complète et prévoient la construction d'un mini-Airbus germano-chinois. Les nouvelles relations commericales sino-germaniques contribuent, indirectement, à apaiser le contentieux sino-soviétique. En ef-fet, les Chinois, pour le transport de leurs marchandises, préfèrent de loin le fer à la mer et conçoivent l'importance du Transsib' et du BAM. Leur intérêt premier sera donc de négocier avec les Soviétiques une utili-sation commune de ces voies ferrées.

 

Autre problème politique qui se verrait ré-glé: les Soviétiques et les Allemands pour-raient éviter, grâce au ferry baltique, de passer par la Pologne, perpétuellement en crise et dangereusement manipulée par les forces rétrogrades de l'Eglise de Rome. Mais, ces forces calamiteuses ne sévissent pas qu'en Pologne: en Allemagne Fédérale, tous les politiciens n'ont pas la clairvoyance de von DOHNANYI et de ses architectes. A Bonn, les armateurs (qui se verraient ruinés), les clowns militaires otanesques, les profes-sionnels de l'anti-communisme à la Fola-mour, ont tout entrepris pour saboter le projet et pour retarder les négociations (Cf. VOULOIR no.14). A Moscou, les dirigeants soviétiques, las de toutes ces tergiversations puériles, n'insistent plus et les autorités est-allemandes entreprennent la construction de ports de ferries à Mukran (Ile de Rügen) et à Wismar.

 

Le projet hambourgeois est-il définitivement mort? Les réalisations est-allemandes à Rügen et à Wismar parviendront-elles à remplacer la fenêtre sur la Mer du Nord qu'est Hambourg? On en doute... Ce projet représente finalement le plus grand défi géopolitique du siècle. S'il se réalise, nos maîtres à penser Karl HAUSHOFER et Hallford John MACKINDER auront eu raison à titre post-hume. La grande unité eurasienne, avec collaboration étroite entre Allemands, Russes, Chinois et Japonais se réalisera. Les mar-chandises africaines pourront atteindre aisément les profondeurs continentales de Sibérie et d'Asie Centrale. La qualité de vie en bénéficiera et les immensités sibériennes pourront s'avérer plus attrayantes. Dans la lutte entre le Léviathan et Béhémoth (Carl SCHMITT), la Terre aura enfin vaincu...

 

En revanche, la non-réalisation du projet, à cause des pressions atlantistes et des intérêts sectoriels des armateurs, condamnera Hambourg à devenir un lunapark ou une cité touristique balnéaire. Où est l'utopie? Certes pas dans le cerveau des époux VOLKENBORN. Le choix entre Orient et Occident, entre le réalisme et les chimères trahit ici un choix de civilisation: ou bien le bon sens de la survie économique à très long terme ou bien les attractions du Cirque Gros-Occidental... Au fond, nous pourrions envoyer pas mal d'"artistes" à Hambourg, si le projet VOLKENBORN est expédié à la poubelle au profit du lunapark: les parlementaires belges, le gouvernement Martens, les Jeunesses Atlantistes, le Général Close Badaboum, les Moonistes et les disciples de LaRouche, les Le Pen Boys, la fine équipe du PTB, Marchais, le couple de pitres paléo-communistes "Rosine Lewine et Louis Van Geyt", l'ex-gouvernement Mitterand, Yves Montand, BHL, une masse impressionnante de prêtres et de pasteurs privés de paroissiens,...

 

Vincent GOETHALS.

 

Source: "Der Spiegel" 1986/No.29 (14-VII); article intitulé "Für China die wichtigste Stadt Europas" (pp. 60 à 67).   

 

jeudi, 16 septembre 2010

L'influence atlantiste en Allemagne et en Russie

L'influence atlantiste en Allemagne et en Russie

Par Michel Drac

 Ex: http://fortune.fdesouche.com/

Par commodité, nous réputerons ici que l’ensemble USA/Grande-Bretagne/Israël constitue une entité capable d’agir de façon coordonnée sur le plan géopolitique. Nous appellerons cette entité : l’Empire.

Cet Empire est confronté à son déclin. Sa réaction est maintenant visible. Confronté à un défi géostratégique qu’il ne parvient pas à relever, celui de la Chine ; confronté encore à la volonté manifeste de la Russie de se poser en acteur géostratégique de premier plan, à nouveau ; confronté, enfin, au risque de voir l’Europe échapper à son assujettissement, l’Empire a choisi de combattre, pour l’instant, en usant de stratégies d’influence. L’attaque sur l’Iran, pour l’instant toujours, n’a pas eu lieu. La guerre ouverte n’est pas, à ce stade, l’option choisie par les dirigeants de l’Anglosphère (et de son annexe israélienne).

Cela peut changer du jour au lendemain, bien sûr.

Mais jusqu’ici, l’influence semble bel et bien la stratégie privilégiée. Elle prend la forme d’une entreprise de cooptation sélective des élites des puissances que l’Empire doit ou conserver en sujétion (l’Allemagne et la France, pour faire court), ou tenir en respect (la Russie).

Le point sur la question.

*

En France, la promotion de Dominique Strauss-Kahn par les médias dominants est si grossière qu’elle risque de devenir franchement contre-productive. DSK (qui, rappelons-le, a explicitement avoué qu’il était entré en politique « pour défendre Israël ») est par exemple promu via des sondages de commande par Libération (quotidien désormais possédé par la famille Rothschild). Le plan apparaît cousu de fil blanc : il s’agit de remplacer un atlantiste « de droite » (Sarkozy) par un atlantiste « de gauche » (DSK). Plan si cousu de fil blanc, au demeurant, que la probabilité de le voir échouer semble désormais assez grande. La présidentielle 2012 s’avère risquée pour les atlantistes…

Bref, on n’épiloguera pas.

Intéressons-nous plutôt à l’Allemagne. Inutile de disserter longuement sur la situation française, elle est bien connue de nos lecteurs. Il n’en va pas de même de l’évolution outre-Rhin, qui pourtant, elle aussi, révèle une très nette accentuation de l’emprise atlantiste sur les élites.

Quelques points de repère pour commencer.

Angela Merkel a été propulsée à la chancellerie par les milieux atlantistes. Cela s’est fait en deux temps.

Tout d’abord, à la fin des années 1990, avec l’affaire de la « caisse noire » de la CDU. Walther Leisler Kiep (WLK), trésorier de la CDU et accessoirement homme fort de la fondation Atlantik Brücke (en gros, l’équivalent allemand de notre French American Foundation) avait reçu une forte somme d’argent d’un marchand d’armes. Ce fut l’occasion d’entraîner Helmut Kohl, et surtout ses hommes liges, dans un vaste scandale, où fut mis à jour le système de financement occulte de la droite d’affaire allemande. Wolfgang Schaüble (WS), jusque là pressenti comme le successeur naturel de Kohl, en paya le prix – et c’est ainsi que Merkel se retrouva à la tête de la CDU. Il est probable que sous les remous provoqués à la surface par cette opération mains propres, une lutte d’influence féroce se joua à ce moment-là, au sein de la droite d’affaires allemande. On ignore, à ce stade, les détails de cette lutte, mais on sait en tout cas qu’avec Merkel, les milieux atlantistes sauvaient au moins l’essentiel : leur capacité d’influence décisive au sommet de l’appareil.

En 2002, le leader de la campagne CDU/CSU était Edmund Stoiber, homme politique bavarois (le détail a son importance, la CSU bavaroise étant traditionnellement moins atlantiste que la CDU de l’Allemagne du nord). Il perdit de justesse les élections, après une campagne où les choix de la grande presse, pour une fois, ne fut pas particulièrement net en faveur de la droite d’affaires (un choix de la grande presse à peu près aussi clair, à vrai dire, que les positions alambiquées de Stoiber sur la guerre d’Irak…).

La route était désormais dégagée pour Merkel, qui bénéficia, elle, en 2005, d’un soutien total de la part des médias – et remporta donc les élections. Ainsi alla la carrière de celle que les médias présentent comme « la femme la plus puissante d’Europe », et que les esprits mal intentionnés voient plutôt comme la soubrette du capital germano-américain.

Cependant, comme toujours, rien n’est simple. La très forte culture du consensus qui caractérise les élites allemandes fait qu’il pratiquement impossible de rattacher un politicien quelconque à un « camp » stable et bien défini, au regard d’un problème donné. En fait, si l’on excepte les situations où ils s’organisent collectivement pour incuber deux lignes le temps que l’histoire décide à leur place laquelle était la bonne, les politiciens allemands ont pour habitude de prendre des positions molles et flexibles, et de gérer en interne leurs débats, portes closes. La population s’en accommode majoritairement, l’ambiguïté consensuelle étant, là-bas, un mode de fonctionnement collectif très prisé.

Bref, on ne peut pas présenter Merkel comme une atlantiste inflexible, même si elle a, en 2003, pris position plutôt en faveur de la guerre d’Irak. Disons qu’elle est plus atlantiste que la moyenne des politiciens de son camp, eux-mêmes très atlantistes – mais cela peut changer, tout dépend des circonstances.

Or, justement, depuis quelques temps, cela a tendance à changer. Depuis la crise de 2007, Merkel semble, d’une manière générale, agir comme un poids mort, qui retarde et affaiblit la remise en cause du lien transatlantique – mais qui ne fait plus grand-chose pour le promouvoir franchement. La nuance n’a pas échappé aux observateurs attentifs.

Fondamentalement, Merkel est une opportuniste. Elle incarne au fond les qualités et les défauts des femmes en politique : elle sait remarquablement bien naviguer en fonction du vent – mais justement, quand il faut faire vent contraire, elle n’est pas à son aise. Et aujourd’hui, pour être atlantiste, au sein de la droite d’affaires allemande, il faut affronter un vent de face modéré, mais bien présent. Cette physicienne de formation, auteur d’un mémoire sur l’effet des hautes pressions dans la combinaison des molécules, est sans doute plus prompte à tenir un rôle de coordinatrice qu’à imposer ses vues brutalement. Dans le contexte actuel, il n’est donc pas certain qu’elle soit encore « l’homme » de la situation, pour ses sponsors atlantistes eux-mêmes confrontés à une situation très tendue, où le temps leur manque, et où chaque erreur peut se payer cash.

En 2007, Merkel s’est rendue en Chine, et a pris position pour un renforcement des relations commerciales sino-allemandes. Elle y a, certes, souligné que la Chine devait « jouer le jeu » du commerce international, mais concrètement, il s’agissait bel et bien de poursuivre l’ancrage de l’économie allemande dans la sphère de croissance constituée par l’Asie émergente, avec laquelle le patronat d’Outre-Rhin a trouvé un modus vivendi original (intégration logistique, l’Allemagne se réservant les activités à forte intensité technologique et capitalistique).

La suite l’a d’ailleurs très bien montré :


(source)

Commentaire : alors qu’entre 2007 et 2010, le commerce extérieur allemand régressait fortement (comme l’ensemble du commerce international), les relations germano-chinoises sont restées pratiquement constantes. Bien entendu, s’agissant de l’année 2010, le chiffre est une projection.

On remarquera qu’entre 2005 et 2010, les exportations allemandes vers les USA ont, quant à elles, baissé de 25 % environ (estimation).

Toute atlantiste qu’elle soit, Merkel ne peut tout simplement rien contre une dynamique économique de fond – le recul des USA, la montée en puissance de la Chine. Pour l’instant, les USA ont réussi à limiter leur décrochage – le financement d’une fausse reprise, en trompe l’œil et par le déficit budgétaire, ayant temporairement maintenu à flots le marché US. Mais on voit bien que si cette « reprise » craque (ce qu’elle fera certainement), l’Allemagne pourrait assez vite se retrouver avec la Chine comme premier client et premier fournisseur – ce qui imposera sans doute de revoir fondamentalement l’orientation économique globale du pays, et donc sa géostratégie.

Moins cruciales sur le strict plan économique, les relations germano-russes sont peut-être encore plus sensibles que les relations sino-allemandes en termes stratégiques. Et là encore, Merkel, tout en conservant un parfait atlantisme de façade, n’a finalement rien fait pour endiguer sérieusement le développement des relations commerciales bilatérales (peut-elle, d’ailleurs, faire quoi que ce soit ?).

Evolution en millions d’euros du commerce germano-russe (document allemand)

L’analyse de l’Ost Europa-Institut précise : « Le commerce extérieur germano-russe se développe indépendamment des changements politiques intérieurs ».

Non seulement le commerce allemand en Russie n’a pas régressé sous Merkel (en fait, il a progressé plus vite que sous Schröder !), mais en outre, les investissements allemands en Russie, il est vrai initialement fort modestes, ont littéralement explosé :

(Investissements directs allemands en Russie, en millions d’euros, même source – la progression est impressionnante, de sorte que, même si en 2007 les investissements allemands en Russie ne représentaient encore que 5 % des investissements allemands à l’étranger, la Russie commence à devenir un moteur de développement très significatif pour l’Allemagne).

Ces trois dernières années, l’évolution s’est poursuivie si l’on ramène le commerce germano-russe à l’évolution globale du commerce extérieur allemand (marquée, comme partout sur la planète, par une très forte chute). Pour les dernières données disponibles sur le web (2008 et une partie de 2009), le poids de la Russie dans le commerce extérieur allemand continue de croître, à un rythme de l’ordre de +10% par an. La crise russe a sans doute endigué momentanément cette tendance, mais la dynamique d’ensemble n’est pas brisée.

Nul doute dans ces conditions que dans les cercles atlantistes, la cote de popularité de Frau Merkel est aujourd’hui assez loin du zénith atteint en 2003. Si le développement des relations germano-russes s’accompagnait d’une « démocratisation » de la Russie (c’est-à-dire de son occidentalisation), la démarche aurait probablement l’appui des USA. Mais ce n’est pas ici de cela qu’il s’agit ; on dirait plutôt que l’Allemagne a de moins en moins d’intérêts communs avec l’Ouest, et de plus en plus avec l’Eurasie. Et cela, ça ne doit pas plaire à Washington.

On relèvera donc avec intérêt que, depuis quelques temps, les milieux atlantistes semblent investir beaucoup sur un politicien totalement inconnu en France, mais doté en Allemagne d’une influence certaine : Friedrich Merz.

Un personnage haut en couleur, dont le portrait mérite le détour, tant il est révélateur. C’est lui qui va nous servir de « fil rouge » pour analyser, à travers un exemple assez croustillant, les stratégies d’influence de l’Empire en Allemagne.

Merz est avocat d’affaires. Sa notice Wikipédia nous apprend qu’il fut membre de l’association des étudiants catholiques, qu’il a été employé au début de sa carrière par l’industrie chimique, comme juriste, et qu’il fut tour à tour député européen et député au Bundestag (la CDU/CSU le positionna très bien au sein du comité des finances). Plutôt dans le sillage de Schaüble au début des années 2000, il survécut à la victoire de Merkel, et conserva l’essentiel de ses attributions au parlement. Il en profita pour enfourcher deux principaux chevaux de bataille : la libéralisation tous azimuts (réforme fiscale) et la critique du « passéisme » des musulmans immigrés en Allemagne. Bref, un politicien libéral néoconservateur bon teint.

Mais il y a aussi ce que Wikipédia ne dit pas. Par exemple, que depuis 2004, tout en poursuivant une carrière politique, Merz a travaillé pour « Mayer, Brown, Rove & Maw », une firme américano-britanico-mondialisée, en charge, entre autres, de la défense juridique de la compagnie « Hudson Advisors ». C’est intéressant, parce que cette compagnie racheta la banque IKB, après sa faillite en 2007, dans des conditions plus que douteuses (achat pour 150 millions d’euros, en échange d’une garantie gouvernementale de 600 millions d’euros). L’affaire a fait grand bruit Outre-Rhin, où un collectif des investisseurs spoliés s’est même constitué.

Plus croustillant encore, Merz, dont l’agenda semble indéfiniment extensible, a trouvé le temps, en 2005, de conseiller la banque Rothschild en Allemagne, au moment où un de ses fonds d’investissement, TCI (« the children investment ») attaquait la bourse allemande (pour dissuader le président de la Deutsche Börse de prendre le contrôle du London Stock Exchange). On remarquera ici, toujours pour le côté croustillant de l’affaire, que TCI fut officiellement constitué pour aider au développement des pays du tiers-monde via le microcrédit (comme si un hedge fund pouvait être une œuvre caritative !). Et que ce fonds spéculatif est en réalité connu pour pratiquer fréquemment de très agressives spéculations à la baisse, pratiquement assimilables à des manipulations de cours. TCI peut compter, pour appuyer sa démarche, sur la complicité des agences de notation, d’où sa forte profitabilité. Voilà pour les œuvres caritatives de monsieur Merz.

Sans doute parce qu’après ces affaires successives, un véritable concert de casseroles se faisait entendre derrière lui dans les couloirs du Bundestag, Merz ne s’est pas présenté aux élections de 2009, se mettant en quelque sorte « en retrait » de la vie politique officielle. Cela ne l’a pas empêché de continuer à faire avancer les affaires de ses mandants.

Merz, en quittant le Bundestag, devint président de la fondation Atlantik Brücke. Or, ces dernières semaines, on a assisté, au sommet de l’organigramme de cette fondation, à un curieux ballet. Friedrich Merz a été violemment attaqué par WLK (voir ci-dessus), au motif que Merz entraînait la fondation dans un conflit avec Merkel. Merz a en effet rédigé récemment un livre avec une figure du SPD (1), et ce serait la raison de l’ire de WLK – même si on subodore que ce n’est là qu’un prétexte, et qu’il s’agit ici de bien autre chose que d’un vulgaire bouquin.

WLK est président d’honneur de la fondation Atlantik Brücke depuis sa condamnation suite à l’affaire de la caisse noire de la CDU (une sorte de récompense pour avoir porté le chapeau, probablement). Président d’honneur, mais doté d’une influence plus qu’honorifique, il est parvenu, dans un premier temps, à obtenir l’éviction de Merz.

Mais dans un deuxième temps, celui-ci a regroupé ses soutiens, et finalement triomphé. Et cela n’est pas tout à fait anodin.

Un journaliste d’investigation allemand, Jürgen Elsässer, a eu la curiosité de regarder qui, au sein de la fondation Atlantik Brücke, avait soutenu WLK ou Merz. Et il s’est aperçu de quelque chose d’assez révélateur (2) : en substance, ce sont les représentants de la partie allemande de l’axe germano-américain qui ont soutenu WLK (la grande industrie), tandis que les représentants de la partie sous dominance capitalistique américaine (par exemple le rédacteur en chef de Bild Zeitung) appuyèrent Merz, lequel bénéficia dans l’ensemble du soutien de la grande presse (3). A l’intérieur de la fondation Atlantik Brücke, il y a donc eu reprise en main par les agents d’influence américains, au détriment de leurs associés plus soucieux des intérêts proprement allemands.

En somme, il se pourrait bien qu’avec l’affaire Merz, les milieux atlantistes aient envoyé un message à Merkel : n’oublie pas qui t’a fait roi. Une épée de Damoclès surmonte désormais la tête de Frau Merkel. A elle de ne pas se tromper à l’avenir. Le sacrifice de WLK et le sauvetage de Merz ressemblent bigrement à un avertissement adressé, par les milieux atlantistes, à des élites allemandes de moins en moins enclines à coupler leur économie à une Amérique qui leur a certes beaucoup rapporté par le passé, tant que les USA s’endettaient, mais qui risque maintenant de se transformer en fardeau, puisqu’ils sont ruinés.

*

Nous sommes moins bien renseignés sur la Russie que sur l’Allemagne. Il faut bien dire que le Kremlin n’est pas précisément réputé pour sa transparence…

Décidément, la Russie restera toujours la Russie. Pour qui voit les choses de loin, aujourd’hui, il y a, à Moscou, un Grand Tsar (Poutine), un héritier ambitieux (Medvedev) et des boyards comploteurs (les oligarques). Le Tsar a le soutien du peuple, l’héritier est obligé de s’appuyer sur les boyards pour acquérir de l’influence, et les agents étrangers naviguent entre les factions rivales dans une ambiance de cour byzantine. Le Grand Souverain parviendra-t-il à déjouer les complots des boyards pour sauver la Sainte Russie ? – Telle est la question. Il ne manque plus qu’un moine mystique dans la pénombre, et on se croirait dans un roman historique !

Bref, trêve de plaisanteries.

Essayons, armés du peu d’informations dont nous disposons, de démêler l’écheveau de la vie politique russe (la vraie, celle qui se joue dans les coulisses). Nous verrons que la Russie reste la Russie, mais que les choses sont, tout de même, un peu plus compliquées que dans un film d’Eisenstein.

Petit rappel du paysage russe, pour commencer.

Dans les années 1990, après l’écroulement de l’URSS, quelques dizaines d’oligarques se sont littéralement partagé les dépouilles de l’économie russe. C’est probablement le plus grand pillage de tous les temps, en tout cas la plus formidable disparition de valeurs jamais vue en temps de paix. De véritables colosses industriels ou miniers ont été bradés par Eltsine à ses « amis », c’est-à-dire, en fait, ses financiers.

En reprenant le pays, en 2000, Poutine fit preuve de pragmatisme. Conscient des rapports de force, il n’a pas attaqué frontalement les oligarques. Il s’est contenté de leur fixer les règles du jeu : ils eurent le droit de conserver leurs propriétés, même mal acquises, à une condition, les mettre au service de la grandeur et de la puissance de la Russie. L’officialisation de cette position s’est faite en deux temps : d’abord, dès son entrée en fonction, Poutine signa un décret qui exemptait Eltsine et son entourage de toute enquête sur leurs malversations (sans doute était-ce le prix à payer pour entrer en fonction) ; ensuite, ayant rassuré, il punit. Il disposait pour cela d’une force d’appoint décisive : le soutien des réseaux ex-KGB, bien décidés à restaurer la « verticale du pouvoir » (en d’autres termes : en finir avec l’anarchie destructrice des années Eltsine).

Mikhaïl Khodorkovski est alors le président du géant pétrolier Ioukos, qu’il a acquis pour une somme dérisoire par rapport à sa valeur réelle (à peu près 1,25 % d’après des estimations sérieuses). Il envisage de revendre l’entreprise à un groupe occidental. Poutine s’y oppose, mais Khodorkovski persiste – il vient de transmettre ses parts au financier britannique Jacob Rothschild. Cette fois, l’oligarque a passé une ligne rouge : il est arrêté et condamné à huit ans de prison. Le message est simple : tant que vous obéissez à Poutine, on ne vous demande pas de compte sur la période Eltsine. Mais si vous désobéissez, vous aurez l’insigne honneur de participer avec enthousiasme à la colonisation de la Sibérie (Khodorkovski est, aux dernières nouvelles, à l’isolement dans une colonie pénitentiaire située sur un gisement d’uranium à ciel ouvert – Elie Wiesel a d’ailleurs lancé une campagne pour essayer de le sortir de là – on lui souhaite bonne chance).

La plupart des oligarques se sont accommodés de la méthode Poutine. D’abord parce qu’ils n’avaient pas envie de finir à l’isolement sur un gisement d’uranium, ensuite parce qu’au fond, ils savent bien que la « verticale du pouvoir » est indispensable en Russie.

Parmi les oligarques qui se rallièrent à Poutine (Roman Abramovitch, Pavel Fedoulev, Vladimir Potanine…), le plus important était sans doute Anatoli Tchoubaïs. Retenons ce nom, ce sera notre « fil rouge » pour décoder l’influence atlantiste en Russie.

Les milieux d’affaires occidentaux ont toléré mise en place du système Poutine parce qu’ils n’avaient tout simplement pas le choix. Ils ont bien tenté de financer des partis libéraux, avec Gary Kasparov en figure de proue, mais le libéralisme est, en Russie, assimilé à l’ère Eltsine, de sorte qu’il culmine à 5 % des votes. En réalité, il est complètement impossible de réaliser, en Russie, une « révolution colorée » à la Soros (comme celle qui fut tentée et, provisoirement, réussie en Ukraine), parce qu’à part Moscou et Saint-Pétersbourg (et encore), le pays est totalement imperméable au projet libéral anglo-saxon. Comme il n’est pas non plus envisageable d’attaquer militairement la Russie, dès lors que le Kremlin est unifié et déterminé, les acteurs sous influence occidentale ne peuvent jouer qu’un rôle subalterne.

Mais les données du problème changent dès lors que le Kremlin n’est plus unifié. La rupture apparente du tandem Poutine-Medvedev offre donc, depuis quelques mois, de nouvelles possibilités d’action aux « occidentaux ».

L’homme à suivre en premier lieu est, sans doute, notre « fil rouge » : Anatoli Tchoubaïs. Surnommé « le père de tous les oligarques », c’est de toute manière un personnage-clef. C’est lui qui organisa, en grande partie, la privatisation-pillage des années 90. C’est encore lui, aujourd’hui, dont l’influence grandit au sein du cercle Medvedev – du moins dans la mesure où nous sommes informés correctement des évolutions au sein d’une direction moscovite fort peu transparente.

Tchoubaïs fait partie des milieux économiques qui souhaitent orienter la Russie vers les technologies de pointe, en particulier l’informatique civile et les nanotechnologies, pour diversifier une économie trop dépendantes des exportations de matières premières – ce en quoi il n’a pas forcément tort. Il est surprenant qu’un pays à la pointe de la recherche militaire (développement des systèmes laser anti-détection sur les avions de chasse, sous-marins nucléaires ultra-furtifs de quatrième génération, chasseur T-50 de cinquième génération, comparable au F-22 américain) ne soit capable d’exporter que des matières premières… et des armes.

Or, on a pu constater, ces dernières semaines, que Medvedev semblait s’approprier le projet « high tech » de Tchoubaïs. En mai 2010, dans un discours au comité pour la modernisation de l’économie russe, il a pris position en faveur du développement accéléré des technologies de l’information et de la communication. On remarquera ici, au passage, que ce choix impliquerait le développement d’une plus forte intégration entre l’économie russe et le leader dans ce domaine, leader qui reste (au moins pour ce qui relève du software) les Etats-Unis – et impliquerait, en contrepoids, un moindre investissement dans le projet industriel classique qui sous-tend évidemment le commerce germano-russe.

En filigrane, on doit peut-être ici discerner un axe Tchoubaïs-Medvedev, le premier « vendant » au second l’intégration de la Russie dans l’économie occidentale, sur un pied d’égalité, le second s’empressant de croire à la promesse (pourtant bien nébuleuse) du premier, afin de se doter d’un soutien de poids, dans la perspective d’un face-à-face avec Poutine aux élections prochaines. La communication très « occidentalisante » adoptée par Medvedev ces derniers temps (rencontre avec Bono, le leader de U2, etc.) laisse penser que c’est le cas.

Si cette analyse est correcte, alors il semble bien que Tchoubaïs ait décidé de miser sur Medvedev en vue d’accroître le pouvoir des oligarques – une intrigue de palais, au sein des tout petits milieux pétersbourgeois qui trustent les postes de responsabilité à Moscou, depuis dix ans (Tchoubaïs, Poutine et Medvedev sont tous trois issus de la « suite » d’Anatoli Sobtchak, ex-maire de Saint-Pétersbourg). Mais peut-être est-ce, aussi, un peu plus qu’une intrigue de palais… Dans quelle mesure Tchoubaïs agit-il ici sur ordre des occidentaux ? Bien malin qui pourrait répondre à cette question. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que son influence joue en faveur d’un retour de l’Occident en Russie.

Poutine, l’homme de l’alliance chinoise, contre Medvedev, l’homme de l’OTAN ? Sans aller jusque là, force est de constater que les lignes de communication respectives des deux hommes, à ce stade, laissent penser qu’un véritable affrontement se prépare. D’un côté, Medvedev, l’ex-fan de hard rock, partisan de l’inscription de la Russie dans l’univers occidental (virtualisme, nouvelles technologies). En face, Poutine, l’homme de la Russie profonde, partisan d’une politique de puissance et champion de la lutte anti-corruption (récent discours très dur, sur ce sujet, pour dénoncer les dérives de la bureaucratie au niveau local – purges en perspective ?).

Poutine est fort de son bilan (la gestion de la crise financière de 2008 a été remarquable, la dévaluation du rouble a permis une relance rapide). Medvedev, lui, entend communiquer sur un retour du rêve occidental.

Medvedev propose implicitement à la Russie de capitaliser sur son statut de puissance retrouvé (symbole fort : pour la première fois, en 2009, les ventes d’armes russes ont dépassé celles des USA en Amérique Latine). Dans la logique Medvedev, il s’agit, à présent que le siège semble brisé (axe économique germano-russe en construction, Ukraine à nouveau sous contrôle, présence marquée en Asie Centrale, abandon du projet antimissiles US en Europe de l’est) d’encaisser les dividendes : principalement, obtenir le soutien de l’Occident pour une intégration accélérée dans l’OMC (4), et de manière plus générale une place honorable dans l’ordre économique international. Le président russe peut compter, pour déployer cette communication, sur le soutien d’une partie des médias. Et il dispose, il ne faut pas s’y tromper, d’arguments réels : pour diversifier son économie, la Russie a besoin d’importer du savoir-faire occidental, comme la Chine l’a fait ces dernières décennies – et cela, c’est un fait.

Poutine, de son côté, a déjà fait donner ses propres réseaux (l’appareil d’Etat, principalement) pour contrebattre la ligne de communication Medvedev. En filigrane, derrière ces discours pro-Poutine, on devine une mise en garde : le « rêve occidental » n’est qu’un leurre. Le siège n’est pas définitivement brisé, il est trop tôt pour encaisser les dividendes. L’influence anglo-saxonne continue, partout où elle le peut, de contrecarrer le retour de la Russie (en Asie centrale, en Europe de l’est, mais aussi, désormais, en Amérique Latine). Les livraisons d’armements OTAN à la Géorgie se poursuivent. Comment attendre quoi que ce soit de l’Occident, dans ces conditions ?

Ce qui rend ce heurt apparent très difficile à analyser, c’est qu’il est impossible, en Russie, de séparer les prises de position des deux hommes du consensus latent des élites qui les soutiennent. Or, ces élites sont caractérisées par une opacité extrême, et une stabilité sous-jacente qu’on n’imagine pas en Occident. Détail révélateur, c’est la même plume qui rédige aujourd’hui les discours de Medvedev, rédigeait hier ceux de Poutine, et avant-hier ceux de Eltsine. En fait, il faut bien garder en tête, ici, que nous pouvons avoir l’impression d’un clivage Poutine / Medvedev, et que cependant, dans la réalité, dans la coulisse, il y a consensus pour négocier un accord avant la prochaine élection présidentielle. Tout ce qu’on peut dire à ce stade de solide et sérieux, c’est que la marge de manoeuvre de Medvedev, jusque là presque nulle, semble croître, et que des influences pro-US très fortes se manifestent désormais au niveau des classes dirigeantes russes.

Medvedev n’est pas l’homme qui fera basculer la Russie dans l’atlantisme, c’est plus compliqué que cela. Il faut toujours se souvenir que Poutine voulait initialement se lier avec les USA, et que c’est Washington, au départ, qui a refusé sa proposition de partenariat, il y a dix ans. En Russie, rien n’est simple, tout est possible.

*

Derrière l’affaire Merz en Allemagne et le cas Tchoubaïs en Russie, une isomorphie : un Empire en train de perdre la maîtrise de la mondialisation qu’il impulse, et qui, pour retarder et si possible annuler les conséquences de son déclin dans l’économie réelle, pour contrôler les élites rivales et maîtriser leurs choix, mise sur la cooptation sélective au sein de ces élites.

Plutôt que la « révolution colorée » méthode Soros, et (pour l’instant) aux antipodes de la brutalité néoconservatrice, on retrouve là le schéma d’influence proposé par Z. Brzezinski, l’éminence grise de Barack Obama.

Quelques citations de son ouvrage principal, « Le Grand Echiquier » (5) :

« Par définition, les empires sont des entités politiques instables, parce que les unités subordonnées préfèrent, presque toujours, acquérir une plus grande autonomie. Et presque toujours, les contre-élites gérant ces unités s’emploient à accroître leur autonomie. » (citation que Z.B. tire de l’universitaire Donald Puchala.)

« Pour l’Amérique, l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie. Depuis cinq siècles, les puissances et les peuples de ce continent ont dominé les relations internationales. Aujourd’hui, c’est une puissance extérieure [l’Amérique] qui prévaut en Eurasie. Et sa primauté globale dépend étroitement de sa capacité à conserver cette position. »

« Tous les rivaux politiques et/ou économiques des Etats-Unis sont situés en Eurasie. Leur puissance cumulée dépasse de loin celle de l’Amérique. Heureusement pour cette dernière, le continent est trop vaste pour réaliser son unité politique. »

« Si l’espace central de l’Eurasie [la Russie] peut être attiré dans l’orbite de l’ouest [l’Europe], où les Etats-Unis sont prépondérants, […] et si l’Est [Chine-Japon] ne réalise pas son unité de sorte que l’Amérique se trouve expulsée de ses bases insulaires, cette dernière conservera une position prépondérante. »

« L’arme nucléaire a réduit, dans des proportions fantastiques, l’usage de la guerre comme prolongement de la politique. […] Ainsi les manœuvres, la diplomatie, la formation de coalitions, la cooptation et l’utilisation de tous les avantages politiques sont désormais les clefs du succès dans l’exercice du pouvoir géostratégique. »

« Dans la terminologie abrupte des empires du passé, les trois grands impératifs géostratégiques se résumeraient ainsi : éviter les collusions entre vassaux et les tenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité ; cultiver la docilité des sujets protégés ; empêcher les barbares de former des alliances offensives. »

« La France et l’Allemagne sont assez puissantes pour avoir une influence régionale au-delà de leur voisinage immédiat. […] De plus en plus, l’Allemagne prend conscience des atouts qu’elle a en propre. […] Du fait de sa situation géographique, l’Allemagne n’exclut pas la possibilité d’accords bilatéraux avec la Russie. »

« La Russie a de hautes ambitions géopolitiques qu’elle exprime de plus en plus ouvertement. Dès qu’elle aura recouvré ses forces, l’ensemble de ses voisins, à l’est et à l’ouest, devront compter avec son influence. »

« Un scénario présenterait un grand danger potentiel : la naissance d’une grande coalition entre la Chine, la Russie et peut-être l’Iran. »

« On peut s’inquiéter d’un échec du processus [d’unification européenne] et de ses conséquences […] pour la place de l’Amérique sur le continent. […] La Russie et l’Allemagne pourraient tirer parti de cette nouvelle situation et se lancer dans des initiatives visant à satisfaire leurs propres aspirations géopolitiques. »

Ce paragraphe, très important dans le contexte actuel, signifie que Brzezinski souhaite dans une certaine mesure le développement des liens germano-russes, mais seulement si l’Allemagne est, via l’Union Européenne codirigée avec une France capable de maintenir une forme de parité, ancrée dans un monde atlantique lui-même sous leadership américain. Brzezinski parle, pour décrire l’Europe qu’il souhaite, de « tête de pont de la démocratie » (en clair : de l’Amérique). Et donc, une situation, où la France serait trop faible pour maintenir cette parité, modifierait fondamentalement l’attitude des USA à l’égard de la question germano-russe – surtout si, dans le même temps, l’Amérique est si affaiblie qu’elle n’a plus les moyens de faire clairement percevoir son leadership global.

Nous avons confirmation de cette lecture plus loin : « A long terme, la France est un partenaire indispensable pour arrimer définitivement l’Allemagne à l’Europe. […] Voilà pourquoi, encore, l’Amérique ne saurait choisir entre la France et l’Allemagne. »

En clair : aussi longtemps que l’Europe s’unifie sous la tutelle américaine, l’Allemagne doit être poussée à étendre sa zone d’influence vers l’est. Mais si ce nouveau Drang nach Osten devait déboucher sur la définition d’un axe Berlin-Moscou émancipé de la tutelle US, alors il faudrait que les USA donnent les moyens à la France de rééquilibrer l’Europe. Ce point est, évidemment, pour nous, Français, d’une grande importance. Nous allons peut-être avoir, enfin, la possibilité de desserrer l’étau de l’alliance germano-américaine.

*

De tout ceci, en attendant, on peut tirer une conclusion simple s’agissant de l’Empire : nous assistons probablement, derrière l’affaire Merz et le cas Tchoubaïs, au déploiement d’une vaste stratégie US, dont la finalité est d’empêcher que la « tête de pont de la démocratie » se mue, en éclatant, en tête de pont de l’économie eurasiatique.

Profondément affaiblie par la crise économique, l’Amérique perd la maîtrise de la mondialisation. Si, comme on peut le penser, sa « reprise » en trompe-l’œil, financée par le déficit budgétaire, implose dans les deux ans qui viennent, la balance pourrait commencer à peser de plus en plus nettement en faveur de la Chine, y compris au sein des classes dirigeantes européennes – et allemandes en premier lieu. Une situation qui pourrait entraîner, à long terme, la constitution d’une économie eurasiatique dynamique et partiellement intégrée, dont l’Amérique, déclassée, ne serait plus qu’une périphérie.

Le troisième impératif de Brzezinski, « empêcher les barbares de former des alliances offensives », ne serait alors plus garanti, puisque le premier, « éviter les collusions entre vassaux », aurait volé en éclat. Il y a treize ans, dans « Le Grand Echiquier », Brzezinski écrivait, en substance, que pour conduire à terme le projet mondialiste dans de bonnes conditions, il fallait que l’hégémonie US soit maintenue encore pendant une génération – il est de plus en plus évident que cette condition sera peu aisée à remplir. Le fond du problème est évident, il suffit de relire « Le Grand Echiquier » pour le comprendre : la montée en puissance de la Chine va beaucoup plus vite que ce qui avait été anticipé par Brzezinski.

Peu capables de s’opposer à cette dynamique économique de fond, les milieux atlantistes ont, de toute évidence, choisi pour l’instant de jouer sur les armes d’influence recommandées par Brzezinski : « les manœuvres, la diplomatie, la cooptation ».

Sur ce dernier point, il écrit, dans « Le Grand Echiquier » : « Deux étapes fondamentales sont donc nécessaires. Premièrement, identifier les Etats géopolitiquement dynamiques qui ont le potentiel de créer un basculement important en terme de distribution internationale du pouvoir, et décrypter les objectifs poursuivis par leurs élites politiques, et les conséquences éventuelles. Deuxièmement, mettre en oeuvre des politiques US pour les compenser, coopter, et/ou contrôler. »

Compenser : Medvedev contre Poutine, la fondation Atlantik Brücke contre une partie du haut patronat allemand. Coopter : Merz. Contrôler : Tchoubaïs.

Si la démarche échoue, il ne restera plus à l’Empire qu’à choisir entre la défaite et la guerre.

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Notes :

(1) « Ce qu’il faut faire maintenant : l’Allemagne 2.0 », coécrit avec un ancien politicien SPD, « de gauche », Wolfgang Clement. L’étiquette « gauche » ne doit pas ici abuser le lecteur. Ce monsieur Clement, maintenant retiré de la vie politique, siège à de nombreux conseils de surveillance – sans doute une récompense pour avoir conduit une bonne partie des réformes social-libérales de l’ère Schröder.

(2) Source : « Est-ce que les cercles anglo-américains préparent une rocade du pouvoir en Allemagne ? », Jürgen Elsässer Blog

(3) Par exemple, la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ, l’équivalent allemand du Figaro) a publié, en mai 2010, un article présentant les critiques de WLK comme « peut-être » infondées, et « peut-être » motivées par de vulgaires considérations financières : « Bataille boueuse ».

Cet article a été écrit par un monsieur Majid Sattar, d’origine irakienne, qui a fait ses études aux USA.

(4) Il est utile, pour comprendre le positionnement de Medvedev, de se souvenir que lorsqu’il discute avec les Américains de l’Iran, par exemple, c’est entre deux séances de travail sur l’admission de la Russie à l’OMC.

(5) Le texte de Brzezinski est entouré de circonlocutions et formules obligées visant à nous présenter son projet comme l’expression d’une hégémonie américaine « bienveillante », destinée à conduire le monde vers la paix universelle et la démocratie. J’épargnerai au lecteur de subir ici ces formules hypocrites, pour mettre plutôt en exergue les passages qui traduisent, selon toute probabilité, la pensée profonde de l’auteur : défendre un Empire inégalitaire et prédateur, pour les meilleurs intérêts de ses classes dirigeantes corrompues.

(6) Ce texte a été rédigé avec l’aide bénévole de l’ami Fritz et d’oncle Vania, que l’auteur tient à remercier tout en respectant leur anonymat.

Scriptoblog

mardi, 14 septembre 2010

Marc Rousset: la nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou

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Marc Rousset:

"La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou"

Ed. Godefroy de Bouillon

 Présentation de l'éditeur

Sommes-nous des citoyens transatlantiques ou des citoyens paneuropéens ? Pourquoi les Européens devraient-ils s' insérer dans un quelconque Commonwealth du XXIe siècle piloté par Washington ? L Europe ne va pas de Washington à Bruxelles, mais de Brest à Vladivostok. La Russie est européenne par ses vingt-cinq millions de morts qui ont scellé pendant les deux dernières guerres mondiales le destin de l' Europe. Si le catholicisme et l'orthodoxie sont les deux poumons de l'Eglise, ils sont aussi ceux de l Europe. Le contrôle de la Sibérie sera l enjeu stratégique du XXIe siècle entre la Grande Europe et la Chine. La Russie est à la fois l'Hinterland , le Far East de l' Europe par ses grands espaces et un avant-poste par rapport à la Chine et à l' Islam de l Asie centrale. Dans ces régions, l' Européen, c' est le Russe. L objectif ultime à atteindre serait la constitution d un arc boréal paneuropéen de nations qui intégrerait le monde slave et orthodoxe. Il se concrétiserait par le rapprochement entre l' Europe carolingienne, capitale Strasbourg, et la Russie, seule alliance bipolaire capable d arrimer efficacement sur le Rhin et la Moskova cette nouvelle Grande Europe. L ' avenir de l' Europe n' est donc pas dans une Union européenne qui gonfle démesurément, jusqu à en perdre son identité, mais dans la création de deux alliances ouest et est européennes qui s équilibrent mutuellement et rivalisent amicalement.

Biographie de l'auteur

Marc Rousset, diplômé H.E.C, Docteur ès Sciences Economiques, MBA Columbia University, AMP Harvard Business School, a occupé pendant 20 ans des fonctions de Directeur Général dans les groupes Aventis, Carrefour et Veolia. Il est l auteur de Pour le Renouveau de l Entreprise (préface de Raymond Barre, aux Editions Albatros, 1987), de la Nouvelle Europe de Charlemagne (préface d Alain Peyrefitte, aux Editions Economica, 1995, Prix de l Académie des Sciences Morales et Politiques) et des Euroricains (préface d Yvon Gattaz de l Institut aux Editions Godefroy de Bouillon, 2001).
 
Et, pour alimenter la polémique, ces observations:
 
"J’ai reçu certaines remarques à propos de mon commentaire de ce livre (*), qui montrent bien que le sujet traité par Marc Rousset  fait débat.

D’abord sur la nécessité d’une entité européenne, indépendante des Etats-Unis d’Amérique et plus proche de la Russie.

Pour Marc Rousset, s’il ne se constitue pas un « noyau carolingien » de 160 millions d’hommes, les nations européennes disparaîtront dans un monde où l’Amérique atteindra 500 millions d’hommes et la Chine 1,3 milliard d’habitants. Cette entité a à la fois vocation et intérêt à se rapprocher de la Russie, pour être en quelque sorte l’hinterland européen de ce pays qui lutte pour sa survie alors qu’il demeure le plus solide rempart de la civilisation européenne.

Sans doute l’auteur ne confond-il pas, dans son analyse, et je me dois de le signaler, ce rapprochement avec une soumission du genre de celle que l’Europe actuelle témoigne aux Etats-Unis. Mais plutôt y voit-il une alliance fondée sur la continentalité, la culture commune, les intérêts convergents.

De même, certains regrettent que ne soit pas détaillée plus avant la thèse de Marc Rousset sur la nécessité d’une langue commune, pour contrer l’anglo-américain actuellement dominant. Pour l’auteur, elle a toujours été nécessaire depuis l’origine des grandes entités et il rappelle avec justesse qu’en Europe ce fut, un moment, le français. Si les Européens n’adoptent pas un langage commun, leurs Etats, dont par exemple la France, ne pourront se défendre contre la contagion actuelle et deviendront à terme des « Louisiane » : l’espéranto devrait, à défaut du français, jouer ce rôle.

Je fais donc ces mises au point par souci d’objectivité.

Mais je persiste et signe : Avons-nous besoin de grands ensembles, constitués de pays qui ont de grandes différences de mœurs et de cultures lesquels sont façonnés par l’Histoire de chacun d’eux et nos intérêts économiques sont-ils toujours convergents ? De solides alliances militaires entre nations libres et souveraines, par exemple sur le modèle du traité de Washington pour l’Otan (quand elle servait à quelque chose), de bons accords commerciaux et de libre-échange ne suffisent-ils pas à assurer la paix et la prospérité aux citoyens de ces nations qui devraient rester indépendantes et n’épouser aucune querelle étrangère ?

Certes, la Russie n’est plus l’Union soviétique et Marc Rousset à raison de le dire. Certes, le bon sens devrait suffire à comprendre que nous avons plus d’affinités avec ce pays chrétien continental dont l’histoire est longue et riche. Mais la réalité est souvent cruelle et la prudence demeure de mise lorsqu’il s’agit de la liberté fondamentale des nations.

Mais le débat est ouvert, grâce à cet ouvrage qui est un vrai pavé dans la mare de la pensée politiquement conforme".

Pierre Millan

dimanche, 12 septembre 2010

Relire Soljénitsyne

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Robert STEUCKERS :

Relire Soljénitsyne

 

Conférence tenue à Genève, avril 2009, et au « Cercle de Bruxelles », septembre 2009

 

Pourquoi évoquer la figure d’Alexandre Soljénitsyne, aujourd’hui, dans le cadre de nos travaux ? Décédé en août 2008, Soljénitsyne a été une personnalité politique et littéraire tout à la fois honnie et adulée en Occident et sur la place de Paris en particulier. Elle a été adulée dans les années 70 car ses écrits ont servi de levier pour faire basculer le communisme soviétique et ont inspiré, soi-disant, la démarche des « nouveaux philosophes » qui entendaient émasculer la gauche française et créer, après ce processus d’émasculation, une gauche anti-communiste, peu encline à soutenir l’URSS en politique internationale. Après cette période d’adulation presque sans bornes, la personne d’Alexandre Soljénitsyne a été honnie, surtout après son discours à Harvard, essentiellement pour cinq motifs : 1) Soljénitsyne critique l’Occident et ses fondements philosophiques et politiques, ce qui n’était pas prévu au programme : on imaginait un Soljénitsyne devenu docile à perpétuité, en remercîment de l’asile reçu en Occident ; 2) Il critique simultanément la chape médiatique qui recouvre toutes les démarches intellectuelles officielles de l’Occident, brisant potentiellement tous les effets de la propagande « soft », émanant des agences de l’ « américanosphère » ; 3) Il critique sévèrement le « joujou pluralisme » que l’Occident a voulu imposer à la Russie, en créant et en finançant des cénacles « russophobes », prêchant la haine du passé russe, des traditions russes et de l’âme russe, lesquelles ne génèrent, selon les « pluralistes », qu’un esprit de servitude ; par les effets du « pluralisme », la Russie était censée s’endormir définitivement et ne plus poser problème à l’hegemon américain ; 4) Il a appelé à la renaissance du patriotisme russe, damant ainsi le pion à ceux qui voulaient disposer sans freins d’une Russie anémiée et émasculée et faire main basse sur ses richesses ; 5) Il s’est réconcilié avec le pouvoir de Poutine, juste au moment où celui-ci était décrié en Occident.

 

Jeunesse

 

Ayant vu le jour en 1918, Alexandre Soljénitsyne nait en même temps que la révolution  bolchevique, ce qu’il se plaira à souligner à maintes reprises. Il nait orphelin de père : ce dernier, officier dans l’armée du Tsar, est tué lors d’un accident de chasse au cours d’une permission. Le jeune Alexandre est élevé par sa mère, qui consentira à de durs sacrifices pour donner à son garçon une excellente éducation. Fille de propriétaires terriens, elle appartient à une famille brisée par les effets de la révolution bolchevique. Alexandre étudiera les mathématiques, la physique et la philosophie à Rostov sur le Don. Incorporé dans l’Armée Rouge en 1941, l’année de l’invasion allemande, il sert dans un régiment d’artillerie et participe à la bataille de Koursk, qui scelle la défaite de l’Axe en Russie, et à l’Opération Bagration, qui lance la première grande offensive soviétique en direction du Reich. Cette campagne de grande envergure le mènera, devenu officier, en Prusse Orientale, au moment où l’Armée Rouge, désormais victorieuse, s’apprête à avancer vers la Vistule et vers l’Oder. Jusque là son attitude est irréprochable du point de vue soviétique. Soljénitsyne est certes un patriote russe, incorporé dans une armée soviétique dont il conteste secrètement l’idéologie, mais il n’est pas un « vlassoviste » passé à l’Axe, qui entend délivrer la Russie du stalinisme en s’alliant au Reich et à ses alliés (en dépit des réflexes patriotiques que ce même stalinisme a suscité pour inciter les masses russes à combattre les Allemands).

 

Arrestation et emprisonnement

 

Mais ce que voit Soljénitsyne en Prusse Orientale, les viols, les massacres, les expulsions et les destructions perpétrées par l’Armée Rouge, dont il est officier, le dégoûte profondément, le révulse. L’armée de Staline déshonore la Russie. Le séjour de Soljénitsyne en Prusse Orientale trouve son écho littéraire dans deux ouvrages, « Nuits en Prusse Orientale » (un recueil de poèmes) et « Schwenkitten 45 », un récit où il retourne sur les lieux d’août 1914, où son père a combattu. Le NKVD, la police politique de Staline, l’arrête peu après, sous prétexte qu’il avait été « trop tendre » à l’égard de l’ennemi (ce motif justifiait également l’arrestation de son futur compagnon d’infortune Lev Kopelev) et parce qu’il a critiqué Staline dans une lettre à son beau-frère, interceptée par la police. Staline y était décrit comme « l’homme à la moustache », désignation jugée irrespectueuse et subversive par les commissaires politiques (1).  Il est condamné à huit ans de détention, d’abord dans les camps de travail du goulag (ce qui donnera la matière d’ « Une journée d’Ivan Denissovitch » et de « L’Archipel Goulag », puis dans une prison réservée aux scientifiques, la fameuse « prison spéciale n°16 », la Sharashka, dans la banlieue de Moscou. Cette expérience, entre les murs de la prison spéciale n°16, constitue tout à la fois la genèse de l’œuvre et de la pensée ultérieure de notre auteur, y compris les linéaments de sa critique de l’Occident, et la matière d’un grand livre, « Le premier cercle », esquivé par les « nouveaux philosophes » qui n’y auraient pas trouvé leur miel mais, au contraire, une pensée radicalement différente de la leur, qui est, on le sait trop bien, caractérisée par une haine viscérale de toutes « racines » ou enracinements.

 

Le décor de la Sharashka

 

Dans la « Sharashka », il rencontre Lev Kopelev (alias le personnage de Roubine) et Dmitri Panine (alias Sologdine). Dans « Le premier cercle », Soljénitsyne lui-même sera représenté par le personnage de « Nergine ». « Le premier cercle » est constitué de dialogues d’une grande fécondité, que l’on peut comparer à ceux de Thomas Mann, tenus dans le sanatorium fictif de la « Montagne magique ». Le séjour à la Sharashka est donc très important pour la genèse de l’œuvre, tant sur le plan de la forme que sur le plan du fond. Pour la forme, pour la spécificité de l’écriture de Soljénitsyne, la découverte, dans la bibliothèque de cette prison, des dictionnaires étymologiques de Vladimir Dahl (un philologue russe d’origine danoise) a été capitale. Elle a permis à Soljénitsyne de récréer une langue russe débarrassée des adstrats maladroits du soviétisme, et des apports étrangers inutiles, lourds et pesants, que l’internationalisme communiste se plaisait à multiplier dans sa phraséologie.

 

Les pensées des personnages incarcérés à la Sharashka sont celles de larges strates de la population russe, en dissidence par rapport au régime. Ainsi, Dmitri Panine/Sologdine est dès le départ hostile à la révolution. De quelques années plus âgé que Soljénitsyne/Nergine, Panine/Sologdine a rejeté le bolchevisme à la suite d’horreurs dont il a été témoin enfant. Il a été arrêté une première fois en 1940 pour pensée contre-révolutionnaire et une seconde fois en 1943 pour « défaitisme ». Il incarne des valeurs morales absolues, propres aux sociétés fortement charpentées par la religion. Ces valeurs morales vont de paire avec un sens inné de la justice. Panine/Sologdine fascine littéralement Soljénitsyne/Nergine. Notons que des personnages similaires se retrouvent dans « L’Archipel Goulag », ouvrage qui a servi, soi-disant, de détonateur à la « nouvelle philosophie » parisienne des années 70. Mais, apparemment, les « nouveaux philosophes » n’ont pas pris acte de ces personnages-là, pourtant d’une grande importance pour le propos de Soljénitsyne, ce qui nous permet de dire que cette approche fort sélective jette le doute sur la validité même de la « nouvelle philosophie » et de ses avatars contemporains. Pur bricolage idéologique ? Fabrication délibérée ?

 

Kopelev / Roubine

 

Lev Kopelev/Roubine est juif et communiste. Il croit au marxisme. Pour lui, le stalinisme n’est qu’une « déviation de la norme ». Il est un homme chaleureux et généreux. Il donne la moitié de son pain à qui en a besoin pour survivre ou pour guérir. Ce geste quotidien de partage, Soljénitsyne l’apprécie grandement. Mais, ironise Soljénitsyne/Nergine, il a besoin d’une agora, contrairement à notre auteur qui, lui, a besoin de solitude (ce sera effectivement le cas à la « prison spéciale n°16 », à Zurich dans les premières semaines d’exil et dans le Vermont aux Etats-Unis). Mort en 1997, Kopelev restera l’ami de Soljénitsyne après leur emprisonnement, malgré leurs différences philosophiques et leurs itinéraires divergents. Il se décarcassera notamment pour trouver tous les volumes du dictionnaire de Dahl et les envoyer à Soljénitsyne. Pourquoi ce communiste militant a-t-il été arrêté, presqu’en même temps que Soljénitsyne ?  Il est, dès son jeune âge, un germaniste hors pair et un philosophe de talent. Il sert dans une unité de propagande antinazie qui émet à l’attention des soldats de la Wehrmacht. Il joue également le rôle d’interprète pour quelques généraux allemands, pris prisonniers au cours des grandes offensives soviétiques qui ont suivi la bataille de Koursk. Mais lui aussi est dégoûté par le comportement de certaines troupes soviétiques en Prusse Orientale car il reste un germanophile culturel, bien qu’antinazi. Kopelev/Roubine est véritablement le personnage clef du « Premier cercle ». Pourquoi ? Parce qu’il est communiste, représente la Russie « communisée » mais aussi parce qu’il culturellement germanisé, au contraire de Panine/Sologdine, incarnation de la Russie orthodoxe d’avant la révolution, et de Soljénitsyne/Nergine, et, de ce fait, partiellement « occidentalisé ». Il est un ferment non russe dans la pensée russe, respecté par le russophile Soljénitsyne. Celui-ci va donc analyser, au fil des pages du « Premier cercle », la complexité de ses sentiments, c’est-à-dire des sentiments des Russes soviétisés. Au départ, Soljénitsyne/Nergine et Kopelev/Roubine sont proches politiquement. Nergine n’est pas totalement immunisé contre le soviétisme comme l’est Sologdine. Il en est affecté mais il va guérir. Dans les premières pages du « Premier cercle », Nergine et Roubine s’identifient à l’établissement soviétique. Ce n’est évidemment pas le cas de Sologdine.

 

Panine / Sologdine

 

Celui-ci jouera dès lors le rôle clef dans l’éclosion de l’œuvre de Soljénitsyne et dans la prise de distance que notre auteur prendra par rapport au système et à l’idéologie soviétiques. Panine/Sologdine est ce que l’on appelle dans le jargon des prisons soviétiques, un « Tchoudak », c’est-à-dire un « excentrique » et un « inspiré » (avec ou sans relents de mysticisme). Mais Panine/Sologdine, en dépit de cette étiquette que lui collent sur le dos les commissaires du peuple, est loin d’être un  mystique fou, un exalté comme en a connus l’histoire russe. Son exigence première est de retourner à « un langage de la clarté maximale », expurgé des termes étrangers, qui frelatent la langue russe et que les Soviétiques utilisaient à tire-larigot. L’objectif de Panine/Sologdine est de re-slaviser la langue pour lui rendre sa pureté et sa richesse, la dégager de tous les effets de « novlangue » apportés par un régime inspiré de philosophies étrangères à l’âme russe.

 

Le prisonnier réel de la Sharashka et le personnage du « Premier cercle » qu’est Panine/Sologdine a étudié les mathématiques et les sciences, sans pour autant abjurer les pensées contre-révolutionnaires radicales que les scientismes sont censés éradiquer dans l’esprit des hommes, selon les dogmes « progressistes ». Panine/Sologdine entretient une parenté philosophique avec des auteurs comme l’Abbé Barruel, Joseph de Maistre ou Donoso Cortès, dans la mesure où il perçoit le marxisme-léninisme comme un « instrument de Satan », du « mal métaphysique » ; de plus, il est une importation étrangère, comme les néologismes de la langue (de bois) qu’il préconise et généralise. La revendication d’une langue à nouveau claire, non viciée par les alluvions de la propagande, est l’impératif premier que pose ce contre-révolutionnaire indéfectible. C’est lui qui demande que l’on potasse les dictionnaires étymologiques de Vladimir Dahl car le retour à l’étymologie est un retour à la vérité première de la langue russe, donc de la Russie et de la russéité.  Les termes fabriqués par l’idéologie ou les importations étrangères constituent une chape de « médiateté » qui interdit aux Russes soviétisés de se réconcilier avec leur cœur profond. « Le Premier cercle » rapporte une querelle philosophique entre Panine/Sologdine et Soljénitsyne/Nergine : ce dernier est tenté par la sagesse chinoise de Lao Tseu, notamment par deux maximes, « Plus il y a de lois et de règlements, plus il y aura de voleurs et de hors-la-loi » et « L’homme noble conquiert sans le vouloir ». Soljénitsyne les fera toujours siennes mais, fidèle à un anti-asiatisme foncier propre à la pensée russe entre 1870 et la révolution bolchevique, Panine/Sologdine rejette toute importation de « chinoiseries », proclame sa fidélité indéfectible au fond qui constitue la tradition chrétienne orthodoxe russe, postulant une « foi en Dieu sans spéculation ».

 

L’éclosion d’une pensée politique véritablement russe

 

Dans le contexte même de la rencontre de ces trois personnages différents entre les murailles de la Sharashka, avec un Soljénitsyne/Nergine au départ vierge de toute position tranchée, la pensée du futur dissident soviétique, Prix Nobel de littérature et fustigateur de l’Occident décadent et hypocrite, va mûrir, se forger, prendre les contours qu’elle n’abandonnera jamais plus. Face à ses deux principaux interlocuteurs de la Sharashka, la première intention de Soljénitsyne/Nergine est d’écrire une histoire de la révolution d’Octobre et d’en dégager le sens véritable, lequel, pense-t-il au début de sa démarche, est léniniste et non pas stalinien. Pour justifier ce léninisme antistalinien, Soljénitsyne/Nergine interroge Kopelev/Roubine, fin connaisseur de tous les détails qui ont précédé puis marqué cette révolution et la geste personnelle de Lénine. Kopelev/Roubine est celui qui fournit la matière brute. Au fil des révélations, au fur et à mesure que Soljénitsyne/Roubine apprend faits et dessous de la révolution d’Octobre, son intention première, qui était de prouver la valeur intrinsèque du léninisme pur et de critiquer la déviation stalinienne, se modifie : désormais il veut formuler une critique fondamentale de la révolution. Pour le faire, il entend poser une batterie de questions cruciales : « Si Lénine était resté au pouvoir, y aurait-il eu ou non campagne contre les koulaks (l’Holodomor ukrainien), y aurait-il eu ou non collectivisation, famine ? ». En tentant de répondre à ces questions, Soljénitsyne demeure antistalinien mais se rend compte que Staline n’est pas le seul responsable des errements du communisme soviétique. Le mal a-t-il des racines léninistes voire des racines marxistes ? Soljénitsyne poursuit sa démarche critique et en vient à s’opposer à Kopelev, en toute amitié. Pour Kopelev, en dépit de sa qualité d’israélite russe et de prisonnier politique, pense que Staline incarne l’alliance entre l’espérance communiste et le nationalisme russe. En prison, à la Sharashka, Kopelev en arrive à justifier l’impérialisme rouge, dans la mesure où il est justement « impérial » et à défendre des positions « nationales et bolcheviques ». Kopelev admire les conquêtes de Staline, qui est parvenu à édifier un bloc impérial, dominé par la nation russe, s’étendant « de l’Elbe à la Mandchourie ».  Soljénitsyne ne partage pas l’idéal panslaviste, perceptible en filigrane derrière le discours de Kopelev/Roubine. Il répétera son désaccord dans les manifestes politiques qu’il écrira à la fin de sa vie dans une Russie débarrassée du communisme. Les Polonais catholiques ne se fondront jamais dans un tel magma ni d’ailleurs les Tchèques trop occidentalisés ni les Serbes qui, dit Soljénitsyne, ont entrainé la Russie dans une « guerre désastreuse » en 1914, dont les effets ont provoqué la révolution. Dans les débats entre prisonniers à la Sharashka, Soljénitsyne/Nergine opte pour une russéité non impérialiste, repliée sur elle-même ou sur la fraternité entre Slaves de l’Est (Russes/Grands Russiens, Ukrainiens et Biélorusses).

 

Panine, le maître à penser

 

Pour illustrer son anti-impérialisme en gestation, Soljénitsyne évoque une réunion de soldats en 1917, à la veille de la révolution quand l’armée est minée par la subversion bolchevique. L’orateur, chargé de les haranguer, appelle à poursuivre la guerre ; il évoque la nécessité pour les Russes d’avoir un accès aux mers chaudes. Cet argument se heurte à l’incompréhension des soldats. L’un d’eux interpelle l’orateur : « Va te faire foutre avec tes mers ! Que veux-tu qu’on en fasse, qu’on les cultive ? ». Soljénitsyne veut démontrer, en évoquant cette verte réplique, que la mentalité russe est foncièrement paysanne, tellurique et continentale. Le vrai Russe, ne cessera plus d’expliquer Soljénitsyne, est lié à la glèbe, il est un « pochvennik ». Il est situé sur un sol précis. Il n’est ni un nomade ni un marin. Ses qualités se révèlent quand il peut vivre un tel enracinement. Ce « pochvennikisme », associé chez Soljénitsyne à un certain quiétisme inspiré de Lao Tseu, conduit aussi à une méfiance à l’endroit de l’Etat, de tout « Big Brother » (à l’instar de Proudhon, Bakounine voire Sorel). Ce glissement vers l’idéalisation du « pochvennik » rapproche Soljénitsyne/Nergine de Panine/Sologdine et l’éloigne de Kopelev/Roubine, dont il était pourtant plus proche au début de son séjour dans la Sharashka. Le fil conducteur du « Premier cercle » est celui qui nous mène d’une position vaguement léniniste, dépourvue de toute hostilité au soviétisme, à un rejet du communisme dans toutes ses facettes et à une adhésion à la vision traditionnelle et slavophile de la russéité, portée par la figure du paysan « pochvennik ». Panine fut donc le maître à penser de Soljénitsyne.

 

Ce ruralisme slavophile de Soljénitsyne, né à la suite des discussions entre détenus à la Sharashka, ne doit pas nous induire à poser un jugement trop hâtif sur la philosophie politique de Soljénitsyne. On sait que le rejet de la mer constitue un danger et signale une faiblesse récurrente des pensées politiques russes ou allemandes. Oswald Spengler opposait l’idéal tellurique du chevalier teutonique, œuvrant sur terre, à la figure négative du pirate anglo-saxon, inspiré par les Vikings. Arthur Moeller van den Bruck préconisait une alliance des puissances continentales contre les thalassocraties. Carl Schmitt penche sentimentalement du côté de la Terre dans l’opposition qu’il esquisse dans « Terre et Mer », ou dans son « Glossarium » édité dix ans après sa mort, et exalte parfois la figure du « géomètre romain », véritable créateur d’Etats et d’Empires. Friedrich Ratzel et l’Amiral Tirpitz ne cesseront, devant cette propension à « rester sur le plancher des vaches », de dire que la Mer donne la puissance et que les peuples qui refusent de devenir marins sont condamnés à la récession permanente et au déclin politique.  L’Amiral Castex avancera des arguments similaires quand il exhortera les Français à consolider leur marine dans les années 50 et 60.

 

Les ouvrages des années 90

 

Pourquoi l’indubitable fascination pour la glèbe russe ne doit pas nous inciter à considérer la pensée politique de Soljénitsyne comme un pur tellurisme « thalassophobe » ? Dans ses ouvrages ultérieurs, comme « L’erreur de l’Occident » (1980), encore fort emprunt d’un antisoviétisme propre à la dissidence issue du goulag, comme « Nos pluralistes » (1983), « Comment réaménager notre Russie ? » (1990) et « La Russie sous l’avalanche » (1998), Soljénitsyne prendra conscience de beaucoup de problèmes géopolitiques : il évoquera les manœuvres communes des flottes américaine, turque et ukrainienne en Mer Noire et entreverra tout l’enjeu que comporte cette mer intérieure pour la Russie ; il parlera aussi des Kouriles, pierre d’achoppement dans les relations russo-japonaises, et avant-poste de la Russie dans les immensités du Pacifique ; enfin, il évoquera aussi, mais trop brièvement, la nécessité d’avoir de bons rapports avec la Chine et l’Inde, ouvertures obligées vers deux grands océans de la planète : l’Océan Indien et le Pacifique. « La Russie sous l’avalanche », de 1998, est à cet égard l’ouvrage de loin le mieux construit de tous les travaux politiques de Soljénitsyne au soir de sa vie. Le livre est surtout une dénonciation de la politique de Boris Eltsine et du type d’économie qu’ont voulu introduire des ministres comme Gaïdar et Tchoubaïs. Leur projet était d’imposer les critères du néo-libéralisme en Russie, notamment par la dévaluation du rouble et par la vente à l’encan des richesses du pays. Nous y reviendrons.

 

Asoljenitsyn1953.jpgLa genèse de l’œuvre et de la pensée politique de Soljénitsyne doit donc être recherchée dans les discussions entre prisonniers à la Sharashka, dans la « Prison spéciale n°16 », où étaient confinés des intellectuels, contraints de travailler pour l’armée ou pour l’Etat. Soljénitsyne purgera donc in extenso les huit années de détention auxquelles il avait été condamné en 1945, immédiatement après son arrestation sur le front, en Prusse Orientale. Il ne sera libéré qu’en 1953. De 1953 à 1957, il vivra en exil, banni, à Kok-Terek au Kazakhstan, où il exercera la modeste profession d’instituteur de village. Il rédige « Le Pavillon des cancéreux », suite à un séjour dans un sanatorium. Réhabilité en 1957, il se fixe à Riazan. Son besoin de solitude demeure son trait de caractère le plus spécifique, le plus étalé dans la durée. Il s’isole et se retire dans des cabanes en forêt.

 

La parution d’ « Une journée d’Ivan Denissovitch »

 

La consécration, l’entrée dans le panthéon de la littérature universelle, aura lieu en 1961-62, avec la publication d’ « Une journée d’Ivan Denissovitch », un manuscrit relatant la journée d’un « zek » (le terme soviétique pour désigner un détenu du goulag). Lev Kopelev avait lu le manuscrit et en avait décelé le génie. Surfant sur la vague de la déstalinisation, Kopelev s’adresse à un ami de Khrouchtchev au sein du Politburo de l’Union Soviétique, un certain Tvardovski. Khrouchtchev se laisse convaincre. Il autorise la publication du livre, qu’il perçoit comme un témoignage intéressant pour appuyer sa politique de déstalinisation. « Une journée d’Ivan Denissovitch » est publiée en feuilleton dans la revue « Novi Mir ». Personne n’avait jamais pu exprimer de manière aussi claire, limpide, ce qu’était réellement l’univers concentrationnaire. Ivan Denissovitch Choukhov, dont Soljénitsyne relate la journée, est un paysan, soit l’homme par excellence selon Soljénitsyne, désormais inscrit dans la tradition ruraliste des slavophiles russes. Trois vertus l’animent malgré son sort : il reste goguenard, ne croit pas aux grandes idées que l’on présente comme des modèles mirifiques aux citoyens soviétiques ; il est impavide et, surtout, ne garde aucune rancune : il pardonne. L’horreur de l’univers concentrationnaire est celle d’un interminable quotidien, tissé d’une banalité sans nom. Le bonheur suprême, c’est de mâchonner lentement une arête de poisson, récupérée en « rab » chez le cuisinier. Dans cet univers, il y a peut-être un salut, une rédemption, en bout de course pour des personnalités de la trempe d’un Ivan Denissovitch, mais il n’y en aura pas pour les salauds, dont la définition n’est forcément pas celle qu’en donnait Sartre : le salaud dans l’univers éperdument banal d’Ivan Denissovitch, c’est l’intellectuel ou l’esthète désincarnés.

 

Trois personnages animent la journée d’Ivan Denissovitch : Bouynovski, un communiste qui reste fidèle à son idéal malgré son emprisonnement ; Aliocha, le chrétien renonçant qui refuse une église inféodée à l’Etat ; et Choukhov, le païen stoïque issu de la région de Riazan, dont il a l’accent et dont il maîtrise le dialecte. Soljénitsyne donnera le dernier mot à ce païen stoïque, dont le pessimisme est absolu : il n’attend rien ; il cultive une morale de la survie ; il accomplit sa tâche (même si elle ne sert à rien) ; il ne renonce pas comme Aliocha mais il assume son sort. Ce qui le sauve, c’est qu’il partage ce qu’il a, qu’il fait preuve de charité ; le négateur païen du Dieu des chrétiens refait, quand il le peut, le geste de la Cène. En cela, il est le modèle de Soljénitsyne.

 

Retour de pendule

 

« Une journée d’Ivan Denissovitch » connaît un succès retentissant pendant une vingtaine de mois mais, en 1964, avec l’accession d’une nouvelle troïka au pouvoir suprême en Union Soviétique, dont Brejnev était l’homme fort, s’opère un retour de pendule. En 1965, le KGB confisque le manuscrit du « Premier cercle ». En 1969, Soljénitsyne est exclu de l’association des écrivains. En guise de riposte à cette exclusion, les Suédois lui accordent le Prix Nobel de littérature en 1970. Soljénitsyne ne pourra pas se rendre à Stockholm pour le recevoir. La répression post-khrouchtchévienne oblige Soljénitsyne, contre son gré, à publier « L’Archipel goulag » à l’étranger. Cette publication est jugée comme une trahison à l’endroit de l’URSS. Soljénitsyne est arrêté pour trahison et expulsé du territoire. La nuit du 12 au 13 février 1974, il débarque d’un avion à l’aéroport de Francfort sur le Main en Allemagne puis se rend à Zurich en Suisse, première étape de son long exil, qu’il terminera à Cavendish dans le Vermont aux Etats-Unis. Ce dernier refuge a été, pour Soljénitsyne, un isolement complet de dix-huit ans.

 

Euphorie en Occident

 

De 1974 à 1978, c’est l’euphorie en Occident. Soljénitsyne est celui qui, à son corps défendant, valorise le système occidental et réceptionne, en sa personne, tout le mal que peut faire subir le régime adverse, celui de l’autre camp de la guerre froide. C’est la période où émerge du néant la « nouvelle philosophie » à Paris, qui se veut antitotalitaire et se réclame de Soljénitsyne sans pourtant l’avoir lu entièrement, sans avoir capté véritablement le message du « Premier cercle », le glissement d’un léninisme de bon aloi, parce qu’antistalinien, vers des positions slavophiles, totalement incompatibles avec celles de la brochette d’intellos parisiens qui se vantaient d’introduire dans le monde entier une « nouvelle philosophie » à prétentions universalistes. La « nouvelle philosophie » révèle ainsi son statut de pure fabrication médiatique. Elle s’est servi de Soljénitsyne et de sa dénonciation du goulag pour faire de la propagande pro-américaine, en omettant tous les aspects de son œuvre qui indiquaient des options incompatibles avec l’esprit occidental. Dans ce contexte, il faut se rappeler que Kissinger avait empêché Gerald Ford, alors président des Etats-Unis, d’aller saluer Soljénitsyne, car, avait-il dit, sans nul doute en connaissant les véritables positions slavophiles de notre auteur, « ses vues embarrassent même les autres dissidents » (c’est-à-dire les « zapadnikis », les occidentalistes). Ce hiatus entre le Soljénitsyne des propagandes occidentales et de la « nouvelle philosophie », d’une part, et le Soljénitsyne véritable, slavophile et patriote russe anti-impérialiste, d’autre part, conduira à la thèse centrale d’un ouvrage polémique de notre auteur,  « Nos pluralistes » (1983). Dans ce petit livre, Soljénitsyne dénonce tous les mécanismes d’amalgame dont usent les médias. Son argument principal est le suivant : les « pluralistes », porte-voix des pseudo-vérités médiatiques, énoncent des affirmations impavides et non vérifiées, ne retiennent jamais les leçons de l’histoire réelle (alors que Soljénitsyne s’efforce de la reconstituer dans la longue fresque à laquelle il travaille et qui nous emmène d’août 1914 au triomphe de la révolution) ; les « pluralistes », qui sévissent en Russie et y répandent la propagande occidentale, avancent des batteries d’arguments tout faits, préfabriqués, qu’on ne peut remettre en question, sous peine de subir les foudres des nouveaux « bien-pensants ». Le « pluralisme », parce qu’il refuse toute contestation de ses propres a priori, n’est pas un pluralisme et les « pluralistes » qui s’affichent tels sont tout sauf d’authentiques pluralistes ou de véritables démocrates.

 

Dès 1978, dès son premier discours à Harvard, Soljénitsyne dénonce le vide spirituel de l’Occident et des Etats-Unis, leur matérialisme vulgaire, leur musique hideuse et intolérable, leur presse arrogante et débile qui viole sans cesse la vie privée. Ce discours jette un froid : « Comment donc ! Ce Soljénitsyne ne se borne pas à n’être qu’un simple antistalinien antitotalitaire et occidentaliste ? Il est aussi hostile à toutes les mises au pas administrées aux peuples par l’hegemon américain ! ». Scandale ! Bris de manichéisme ! Insolence à l’endroit de la bien-pensance !

 

« La Roue Rouge »

 

De 1969 à 1980, Soljénitsyne va se consacrer à sa grande œuvre, celle qu’il s’était promise d’écrire lorsqu’il était enfermé entre les murs de la Sharashka. Il s’attelle à la grande fresque historique de l’histoire de la Russie et du communisme. La série intitulée « La Roue Rouge » commence par un volume consacré à « Août 1914 », qui paraît en français, à Paris, en 1973, peu avant son expulsion d’URSS. La parution de cette fresque en français s’étalera de 1973 à 1997 (« Mars 1917 » paraitra en trois volumes chez Fayard). « Août 1914 » est un ouvrage très dense, stigmatisant l’amateurisme des généraux russes et, ce qui est plus important sur le plan idéologique et politique, contient une réhabilitation de l’œuvre de Stolypine, avec son projet de réforme agraire. Pour retourner à elle-même, sans sombrer dans l’irréalisme romantique ou néo-slavophile, après les sept décennies de totalitarisme communiste, la Russie doit opérer un retour à Stolypine, qui fut l’unique homme politique russe à avoir développé un projet viable, cohérent, avant le désastre du bolchevisme. La perestroïka et la glasnost ne suffisent pas : elles ne sont pas des projets réalistes, ne constituent pas un programme. L’espoir avant le désastre s’appelait Stolypine. C’est avec son esprit qu’il faut à nouveau communier. Les autres volumes de la « Roue Rouge » seront parachevés en dix-huit ans (« Novembre 1916 », « Mars/Février 1917 », « Août 1917 »). « Février 1917 » analyse la tentative de Kerenski, stigmatise l’indécision de son régime libéral, examine la vacuité du blabla idéologique énoncé par les mencheviks et démontre que l’origine du mal, qui a frappé la Russie pendant sept décennies, réside bien dans ce libéralisme anti-traditionnel. Après la perestroïka, la Russie ne peut en aucun cas retourner à un « nouveau février », comme le faisait Boris Eltsine. La réponse de Soljénitsyne est claire : pas de nouveau menchevisme mais, une fois de plus, retour à Stolypine. « Février 1917 » rappelle aussi le rôle du banquier juif allemand Halphand, alias Parvus, dans le financement de la révolution bolchevique, avec l’appui des autorités militaires et impériales allemandes, soucieuses de se défaire d’un des deux fronts sur lequel combattaient leurs armées. Les volumes de la « Roue Rouge » ne seront malheureusement pas des succès de librairie en France et aux Etats-Unis (sauf « Août 1914 ») ; en Russie, ces volumes sont trop longs à lire pour la jeune génération.

 

Retour à Moscou par la Sibérie

 

Le 27 mai 1994, Soljénitsyne retourne en Russie et débarque à Magadan en Sibérie orientale, sur les côtes de la Mer d’Okhotsk. Son arrivée à Moscou sera précédée d’un « itinéraire sibérien » de deux mois, parcouru en dix-sept étapes. Pour notre auteur, ce retour en Russie par la Sibérie sera marqué par une grande désillusion, pour cinq motifs essentiellement : 1) l’accroissement de la criminalité, avec le déclin de toute morale naturelle ; 2) la corruption politique omniprésente ; 3) le délabrement général des cités et des sites industriels désaffectés, de même que celui des services publics ; 4) la démocratie viciée ; 5) le déclin spirituel.

 

La position de Soljénitsyne face à la nouvelle Russie débarrassée du communisme est donc celle du scepticisme (tout comme Alexandre Zinoviev) à l’égard de la perestroïka et de la glasnost. Gorbatchev, aux yeux de Soljénitsyne et de Zinoviev, n’inaugure donc pas une renaissance mais marque le début d’un déclin. Le grand danger de la débâcle générale, commencée dès la perestroïka gorbatchévienne, est de faire apparaître le système soviétique désormais défunt comme un âge d’or matériel. Soljénitsyne et Zinoviev constatent donc le statut hybride du post-soviétisme : les résidus du soviétisme marquent encore la société russe, l’embarrassent comme un ballast difficile à traîner, et sont désormais flanqués d’éléments disparates importés d’Occident, qui se greffent mal sur la mentalité russe ou ne constituent que des scories dépourvus de toute qualité intrinsèque.

 

Critique du gorbatchévisme et de la politique d’Eltsine

 

Déçu par le gorbatchévisme, Soljénitsyne va se montrer favorable à Eltsine dans un premier temps, principalement pour le motif qu’il a été élu démocratiquement. Qu’il est le premier russe élu par les urnes depuis près d’un siècle. Mais ce préjugé favorable fera long feu. Soljénitsyne se détache d’Eltsine et amorce une critique de son pouvoir pour deux raisons : 1) il n’a pas défendu les Russes ethniques dans les nouvelles républiques de la CEI ; 2) il vend le pays et ses ressources à des consortiums étrangers.

 

Au départ, Soljénitsyne était hostile à Poutine, considérant qu’il était une figure politique issue des cénacles d’Eltsine. Mais Poutine, discret au départ, va se métamorphoser et se poser comme celui qui combat les stratégies de démembrement préconisées par Zbigniew Brzezinski, notamment dans son livre « Le Grand Echiquier » (« The Grand Chessboard »). Il est l’homme qui va sortir assez rapidement la Russie du chaos suicidaire de la « Smuta » (2) post-soviétique. Soljénitsyne se réconciliera avec Poutine en 2007, arguant que celui-ci a hérité d’un pays totalement délabré, l’a ensuite induit sur la voie de la renaissance lente et graduelle, en pratiquant une politique du possible. Cette politique vise notamment à conserver les richesses minières, pétrolières et gazières de la Russie entre des mains russes.

 

Le voyage en Vendée

 

En 1993, sur invitation de Philippe de Villers, Soljénitsyne se rend en Vendée pour commémorer les effroyables massacres commis par les révolutionnaires français deux cent années auparavant. Les « colonnes infernales » des « Bleus » pratiquaient la politique de « dépopulation » dans les zones révoltées, politique qui consistait à exterminer les populations rurales entrées en rébellion contre la nouvelle « république ». Dans le discours qu’il tiendra là-bas le 25 septembre 1993, Soljénitsyne a rappelé que les racines criminelles du communisme résident in nuce dans l’idéologie républicaine de la révolution française ; les deux projets politiques, également criminels dans leurs intentions, sont caractérisés par une haine viscérale et insatiable dirigée contre les populations paysannes, accusées de ne pas être réceptives aux chimères et aux bricolages idéologiques d’une caste d’intellectuels détachés des réalités tangibles de l’histoire. La stratégie de la « dépopulation » et la pratique de l’exterminisme, inaugurés en Vendée à la fin du 18ème siècle, seront réanimées contre les koulaks russes et ukrainiens à partir des années 20 du 20ème siècle. Ce discours, très logique, présentant une généalogie sans faille des idéologies criminelles de la modernité occidentale, provoquera la fureur des cercles faisandés du « républicanisme » français, placés sans ménagement aucun par une haute sommité de la littérature mondiale devant leurs propres erreurs et devant leur passé nauséabond. Soljénitsyne deviendra dès lors une « persona non grata », essuyant désormais les insultes de la presse parisienne, comme tous les Européens qui osent professer des idées politiques puisées dans d’autres traditions que ce « républicanisme » issu du cloaque révolutionnaire parisien (cette hostilité haineuse vaut pour les fédéralistes alpins de Suisse ou de Savoie, de Lombardie ou du Piémont, les populistes néerlandais ou slaves, les solidaristes ou les communautaristes enracinés dans des continuités politiques bien profilées, etc. qui ne s’inscrivent dans aucun des filons de la révolution française, tout simplement parce que ces filons n’ont jamais été présents dans leurs pays). On a même pu lire ce titre qui en dit long dans une gazette jacobine : « Une crapule en Vendée ». Tous ceux qui n’applaudissent pas aux dragonnades des « colonnes infernales » de Turreau reçoivent in petto ou de vive voix l’étiquette de « crapule ».

 

Octobre 1994 : le discours à la Douma

 

En octobre 1994, Soljénitsyne est invité à la tribune de la Douma. Le discours qu’il y tiendra, pour être bien compris, s’inscrit dans le cadre général d’une opposition, ancienne mais revenue à l’avant-plan après la chute du communisme, entre, d’une part, occidentalistes (zapadniki) et, d’autre part, slavophiles (narodniki ou pochvenniki, populistes ou « glèbistes »). Cette opposition reflète le choc entre deux anthropologies, représentées chacune par des figures de proue : Sakharov pour les zapadniki et Soljénitsyne pour les narodniki. Sakharov et les zapadniki défendaient dans ce contexte une « idéologie de la convergence », c’est-à-dire d’une convergence entre les « deux capitalismes » (le capitalisme de marché et le capitalisme monopoliste d’Etat). Sakharov et son principal disciple Alexandre Yakovlev prétendaient que cette « idéologie de la convergence » annonçait et préparait une « nouvelle civilisation mondiale » qui adviendrait par le truchement de l’économie. Pour la faire triompher, il faut « liquider les atavismes », encore présents dans la religion et dans les sentiments nationaux des peuples et dans les réflexes de fierté nationale. La liquidation des atavismes s’effectuera par le biais d’un « programme de rééducation » qui fera advenir une « nouvelle raison ». Dans son discours à la Douma, Soljénitsyne fustige cette « idéologie de la convergence » et cette volonté d’éradiquer les atavismes. L’une et l’autre sont mises en œuvre par les « pluralistes » dont il dénonçait déjà les manigances et les obsessions en 1983. Ces « pluralistes » ne se contentent pas d’importer des idées occidentales préfabriquées, tonnait Soljénitsyne du haut de la chaire de la Douma, mais ils dénigrent systématique l’histoire russe et toutes les productions issues de l’âme russe : le discours des « pluralistes » répète à satiété que les Russes sont d’incorrigibles « barbares », sont « un peuple d’esclaves qui aiment la servitude », qu’ils sont mâtinés d’esprit mongol ou tatar et que le communisme n’a jamais été autre chose qu’une expression de cette barbarité et de cet esprit de servitude. Le programme du « républicanisme » et de l’ « universalisme » français (parisien) est très similaire à celui des « pluralistes zapadnikistes » russes : les Français sont alors campés comme des « vichystes » sournois et incorrigibles et toutes les idéologies françaises, même celles qui se sont opposées à Vichy, sont accusées de receler du « vichysme », comme le personnalisme de Mounier ou le gaullisme. C’est contre ce programme de liquidation des atavismes que Soljénitsyne s’insurge lors de son discours à la Douma d’Etat. Il appelle les Russes à le combattre. Ce programme, ajoutait-il, s’enracine dans l’idéologie des Lumières, laquelle est occidentale et n’a jamais procédé d’un humus russe. L’âme russe, par conséquent, ne peut être tenue responsable des horreurs qu’a générées l’idéologie des Lumières, importation étrangère. Rien de ce qui en découle ne peut apporter salut ou solutions pour la Russie postcommuniste. Soljénitsyne reprend là une thématique propre à toute la dissidence est-européenne de l’ère soviétique, qui s’est révoltée contre la volonté d’une minorité activiste, détachée du peuple, de faire advenir un « homme nouveau » par dressage totalitaire (Leszek Kolakowski). Cet homme nouveau ne peut être qu’un sinistre golem, qu’un monstre capable de toutes les aberrations et de toutes les déviances politico-criminelles.

 

« Comment réaménager notre Russie ? »

 

Mais en quoi consiste l’alternative narodniki, préconisée par Soljénitsyne ? Celui-ci ne s’est-il pas contenté de fustiger les pratiques métapolitiques des « pluralistes » et des « zapadnikistes », adeptes des thèses de Sakharov et Yakovlev ? Les réponses se trouvent dans un ouvrage paru en 1991, « Comment réaménager notre Russie ? ». Soljénitsyne y élabore un véritable programme politique, valable certes pour la Russie, mais aussi pour tous les pays souhaitant se soustraire du filon idéologique qui va des « Lumières » au « Goulag ».

 

Soljénitsyne préconise une « démocratie qualitative », basée sur un vote pour des personnalités, dégagée du système des partis et assise sur l’autonomie administrative des régions. Une telle « démocratie qualitative » serait soustraite à la logique du profit et détachée de l’hyperinflation du système bancaire. Elle veillerait à ne pas aliéner les ressources nationales (celles du sol, les richesses minières, les forêts), en n’imitant pas la politique désastreuse d’Eltsine. Dans une telle « démocratie qualitative », l’économie serait régulée par des normes éthiques. Son fonctionnement serait protégé par la verticalité d’un pouvoir présidentiel fort, de manière à ce qu’il y ait équilibre entre la verticalité de l’autorité présidentielle et l’horizontalité d’une démocratie ancrée dans la substance nationale russe et liée aux terres russes. 

 

La notion de « démocratie qualitative »

 

Une telle « démocratie qualitative » passe par une réhabilitation des villages russes, explique Soljénitsyne en s’inscrivant très nettement dans le filon slavophile russe, dont les inspirations majeures sont ruralistes et « glèbistes » (pochvenniki). Cette réhabilitation a pour corollaire évident de promouvoir, sur les ruines du communisme, des communautés paysannes ou un paysannat libre, maîtres de leur propre sol. Cela implique ipso facto la liquidation du système kolkhozien. La « démocratie qualitative » veut également réhabiliter l’artisanat, un artisanat qui serait propriétaire de ses moyens de production. Les fonctionnaires ont été corrompus par la libéralisation post-soviétique. Ce fonctionnariat devenu voleur devrait être éradiqué pour ne laisser aucune chance au « libéralisme de type mafieux », précisément celui qui s’installait dans les marges du pouvoir eltsinien. La Russie sera sauvée, et à nos yeux pas seulement la Russie, si elle se débarrasse de toutes les formes de gouvernement dont la matrice idéologique et « philosophique » dérive des Lumières et du matérialisme qui en découle. Les formes de « libéralisme » et de fausse démocratie, de démocratie sans qualités, ouvrent la voie aux techniques de manipulation, donc à l’asservissement de l’homme par le biais de son déracinement, conclut Soljénitsyne. Dans le vide que créent ces formes politiques dérivées des Lumières, s’installe généralement la domination étrangère par l’intermédiaire d’une dictature d’idéologues, qui procèdent de manière systématique et sauvage à l’asservissement du peuple. Cette domination, étrangère à la substance populaire, enclenche un processus de décadence et de déracinement qui détruit l’homme, dit Soljénitsyne en se mettant au diapason du « renouveau ruraliste » de la littérature russe des années 60 à 80, dont la figure de proue fut Valentin Raspoutine.

 

De la démarche ethnocidaire

 

Soljénitsyne dénonce le processus d’ethnocide qui frappe le peuple russe (et bon nombre d’autres peuples). La démarche ethnocidaire, pratiquée par les élites dévoyées par l’idéologie des Lumières, commence par fabriquer, sur le dos du peuple et au nom du « pluralisme », des sociétés composites, c’est-à-dire des sociétés constituées d’un mixage d’éléments hétérogènes. Il s’agit de noyer le peuple-hôte principal et de l’annihiler dans un « melting pot ». Ainsi, le système soviétique, que n’a cessé de dénoncer Soljénitsyne, cherchait à éradiquer la « russéité » du peuple russe au nom de l’internationalisme prolétarien. En Occident, le pouvoir actuel cherche à éradiquer les identités au nom d’un universalisme panmixiste, dont le « républicanisme » français est l’exemple le plus emblématique.

 

ASOL3-VP.jpgLe 28 octobre 1994, lors de son discours à la Douma d’Etat, Soljénitsyne a répété la quintessence de ce qu’il avait écrit dans « Comment réaménager notre Russie ? ». Dans ce discours d’octobre 1994, Soljénitsyne dénonce en plus le régime d’Eltsine, qui n’a pas répondu aux espoirs qu’il avait éveillés quelques années plus tôt. Au régime soviétique ne s’est pas substitué un régime inspiré des meilleures pages de l’histoire russe mais une pâle copie des pires travers du libéralisme de type occidental qui a précipité la majorité du peuple dans la misère et favorisé une petite clique corrompue d’oligarques vite devenus milliardaires en dollars américains. Le régime eltsinien, parce qu’il affaiblit l’Etat et ruine le peuple, représente par conséquent une nouvelle « smuta ». Soljénitsyne, à la tribune de la Douma, a répété son hostilité au panslavisme, auquel il faut préférer une union des Slaves de l’Est (Biélorusses, Grands Russiens et Ukrainiens). Il a également fustigé la partitocratie qui « transforme le peuple non pas en sujet souverain de la politique mais en un matériau passif à traiter seulement lors des campagnes électorales ». De véritables élections, capables de susciter et de consolider une « démocratie qualitative », doivent se faire sur base locale et régionale, afin que soit brisée l’hégémonie nationale/fédérale des partis qui entendent tout régenter depuis la capitale. Les concepts politiques véritablement russes ne peuvent éclore qu’aux dimensions réduites des régions russes, fort différentes les unes des autres, et non pas au départ de centrales moscovites ou pétersbourgeoises, forcément ignorantes des problèmes qui affectent les régions.

 

« Semstvo » et « opoltcheniyé »

 

Le peuple doit imiter les anciens, ceux du début du 17ème siècle, et se dresser contre la « smuta » qui ne profite qu’à la noblesse querelleuse (les « boyards »), à la Cour, aux faux prétendants au trône et aux envahisseurs (en l’occurrence les envahisseurs polonais et catholiques). Aujourd’hui, c’est un nouveau profitariat qui exploite le vide eltsinien, soit la nouvelle « smuta » : les « oligarques », la clique entourant Eltsine et le capitalisme occidental, surtout américain, qui cherche à s’emparer des richesses naturelles du sol russe. Au 17ème siècle, le peuple s’était uni au sein de la « semstvo », communauté politique de défense populaire qui avait pris la responsabilité de voler au secours d’une nation en déliquescence. La notion de « semstvo », de responsabilité politique populaire, est inséparable de celle d ‘ « opoltcheniyé », une milice d’auto-défense du peuple qui se constitue pour effacer tous les affres de la « smuta ». C’est seulement à la condition de réanimer l’esprit et les pratiques de la « semstvo » et de l’ « opoltcheniyé » que la Russie se libèrera définitivement des scories du bolchevisme et des misères nouvelles du libéralisme importé pendant la « smuta » eltsinienne. Conclusion de Soljénitsyne : « Pendant la Période des Troubles (= « smuta »), l’idéal civique de la « semstvo » a sauvé la Russie ». Dans l’avenir, ce sera la même chose.

 

Propos de même teneur dans un entretien accordé au « Spiegel » (Hambourg, n°44/1994), où Soljénitsyne est sommé de s’expliquer par un journaliste adepte des idées libérales de gauche : « On ne peut appeler ‘démocratie’ un système électoral où seulement 30% des citoyens participent au vote ». En effet, les Russes n’accouraient pas aux urnes et les Américains ne se bousculaient pas davantage aux portillons des bureaux de vote. L’absentéisme électoral est la marque la plus patente des régimes démocratiques occidentaux qui ne parviennent plus à intéresser la population à la chose publique. Toujours dans les colonnes du « Spiegel », Soljénitsyne exprime son opinion sur l’Amérique de Bush : « En septembre 1992, le Président américain George Bush a déclaré devant l’Assemblée de l’ONU : ‘Notre objectif est d’installer partout dans le monde l’économie de marché’. C’est une idée totalitaire ». Soljénitsyne s’est ainsi fait l’avocat de la pluralité des systèmes, tout en s’opposant aux prédicateurs religieux et économiques qui tentaient, avec de gros moyens, de vendre leurs boniments en Russie.

 

Conclusion

 

L’œuvre de Soljénitsyne, depuis les réflexions inaugurales du « Premier cercle » jusqu’au discours d’octobre 1994 à la Douma et à l’entretien accordé au « Spiegel », est un exemple de longue maturation politique, une initiation pour tous ceux qui veulent entamer les démarches qu’il faut impérativement poser pour s’insurger comme il se doit contre les avatars de l’idéologie des Lumières, responsables d’horreurs sans nom ou de banalités sans ressort, qui ethnocident les peuples par la violence ou l’asservissement. Voilà pourquoi ses livres doivent nous accompagner en permanence dans nos réflexions et nos méditations.

 

Robert STEUCKERS.

(conférence préparée initialement pour une conférence à Genève et à Bruxelles, à Forest-Flotzenberg, à Pula en Istrie, aux Rochers du Bourbet et sur le sommet du Faux Verger, de janvier à avril 2009).

 

La présente étude est loin d’être exhaustive : elle vise essentiellement à montrer les grands linéaments d’une pensée politique née de l’expérience de la douleur. Elle ne se concentre pas assez sur le mode d’écriture de Soljénitsyne, bien mis en exergue dans l’ouvrage de Georges Nivat (« Le phénomène Soljénitsyne ») et n’explore pas l’univers des personnages de l’ « Archipel Goulag », l’œuvre étant pour l’essentiel tissée de discussions entre dissidents emprisonnés, exclus du raisonnement politique de leur pays. Une approche du mode d’écriture et une exploration trop approfondie des personnages de l’ « Archipel Goulag » aurait noyé la clarté didactique de notre exposé, destiné à éclairer un public non averti des subtilités de l’oeuvre.  

 

Notes :

(1)     Dans son ouvrage sur la bataille de Berlin, l’historien anglais Antony Beevor rappelle que les unités du NKVD  et du SMERSH se montrèrent très vigilantes dès l’entrée des troupes soviétiques sur le territoire du Reich, où celles-ci pouvaient juger les réalisations du régime national-socialiste et les comparer à celle du régime soviétique-stalinien. Le parti était également inquiet, rappelle Beevor, parce que, forte de ses victoires depuis Koursk, l’Armée gagnait en prestige au détriment du parti. L’homme fort était Joukov qui faisait de l’ombre à Staline. C’est dans le cadre de cette nervosité des responsables communistes qu’il faut replacer cette vague d’arrestations au sein des forces armées. Beevor rappelle également que les effectifs des ultimes défenseurs de Berlin se composaient comme  suit : 45.000 soldats d’unités diverses, dont bon nombre d’étrangers (Norvégiens, Français,…), avec, au moins 10.000 Russes ou ex-citoyens soviétiques (Lettons, Estoniens, etc.) et 40.000 mobilisés du Volkssturm.

(2)     Le terme « smuta », bien connu des slavistes et des historiens de la Russie, désigne la période de troubles subie par la Russie entre les dernières années du 16ème siècle et les premières décennies du 17ème. Par analogie, on l’a utilisée pour stigmatiser le ressac général de la Russie comme puissance après la chute du communisme.

 

Bibliographie :

 

Outre les ouvrages de Soljénitsyne cités dans cet article, nous avons consulté les livres et articles suivants :

 

-          Jürg ALTWEGG, « Frankreich trauert – Der ‘Schock Solschenizyn’ » , ex : http://www.faz.net/ ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 4 août 2008 (l’article se concentre sur l’hommage des anciens « nouveaux philosophes » par un de leurs ex compagnons de route ; monument d’hypocrisie, truffé d’hyperboles verbales).

-          Ralph DUTLI, « Zum Tod von Alexander Solschenizyn – Der Prophet im Rad der Geschichte », ex : http://www.faz.net/ ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 5 août 2008.

-          Aldo FERRARI, La Russia tra Oriente & Occidente, Edizioni Ares, Milano, 1994 (uniquement les chapitre sur Soljénitsyne).

-          Giuseppe GIACCIO, « Aleksandr Solzenicyn : Riconstruire l’Uomo », in Diorama Letterario, n°98, novembre 1986.

-          Juri GINZBURG, « Der umstrittene Patriarch », ex : http://www.berlinonline.de/berliner-zeitung/archiv/ ou Berliner Zeitung / Magazin, 6 décembre 2003.

-          Kerstin HOLM, « Alexander Solschenizyn : Na islomach – Wie lange wird Russland noch von Kriminellen regiert ? », ex : http://www.faz.net/s/Rub79…/ ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 20 juillet 1996, N°167, p. 33.

-          Kerstin HOLM, « Alexander Solschenizyn : Schwenkitten ’45 – Wider die Architekten der Niedertracht », in Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 octobre 2004 ou http://www.faz.net/ .

-          Kerstin HOLM, « Die russische Krise – Solschenizyn als Geschichtskorektor », ex : http://www.faz.net/s/Rub…  ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 mai 2006.

-          Kerstin HOLM, « Solschenizyn : Zwischen zwei Mühlsteinen – Moralischer Röntgenblick », ex : http://www.faz.net/s/ ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 26 mai 2006, n°121, p. 34.

-          Kerstin HOLM, « Das Gewissen des neuen Russlands », ex : http://www.faz.net/ ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 5 août 2008.

-          Michael T. KAUFMAN, « Solzhenitsyn, Literary Giant Who defied Soviets, Dies at 89 », The New York Times ou http://www.nytimes.com/ .

-          Hildegard KOCHANEK, Die russisch-nationale Rechte von 1968 bis zum Ende der Sowjetunion – Eine Diskursanalyse, Franz Steiner Verlag, Stuttgart, 1999.

-          Lew KOPELEW, Und dennoch hoffen / Texte der deutsche Jahre, Hoffmann und Campe, 1991 (recension par Willy PIETERS, in : Vouloir n°1 (nouvelle série), 1994, p.18.

-          Walter LAQUEUR, Der Schoss ist fruchtbar noch – Der militante Nationalismus der russischen Rechten, Kindler, München, 1993 (approche très critique).

-          Reinhard LAUER, « Alexander Solschenizyn : Heldenleben – Feldherr, werde hart », ex : http://ww.faz.net/s/Rub79… ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 avril 1996, n°79, p. L11.

-          Jean-Gilles MALLIARAKIS, « Le retour de Soljénitsyne », in Vouloir, n°1 (nouvelle série), 1994, p.18.

-          Jaurès MEDVEDEV, Dix ans dans la vie de Soljénitsyne, Grasset, Paris, 1974.

-          Georges NIVAT, « Le retour de la parole », in Le Magazine Littéraire,  n°263, mars 1989, pp. 18-31.

-          Michael PAULWITZ, Gott, Zar, Muttererde : Solschenizyn und die Neo-Slavophilen im heutigen Russland, Burschenschaft Danubia, München, 1990.

-          Raf PRAET, « Alexander Solzjenitsyn – Leven, woord en daad van een merkwaardige Rus » (nous n’avons pas pu déterminer l’origine de cet article ; qui peut nous aider ?).

-          Gonzalo ROJAS SANCHEZ, « Alexander Solzhenitsyn (1918-2008), Arbil, n°118/2008, http://www.arbil.org/ .

-          Michael SCAMMELL, Solzhenitsyn – A Biography, Paladin/Grafton Books, Collins, London/Glasgow, 1984-1986.

-          Wolfgang STRAUSS, « Février 1917 dans ‘La Roue Rouge’ de Soljénitsyne », in http://euro-synergies.hautetfort.com/ (original allemand in Criticon, n°119/1990).

-          Wolfgang STRAUSS, « La fin du communisme et le prochain retour de Soljénitsyne », in Vouloir, N°83/86, nov.-déc. 1991 (original allemand in Europa Vorn, n°21, nov. 1991).

-          Wolfgang STRAUSS, « Soljénitsyne, Stolypine : le nationalisme russe contre les idées de 1789 », in Vouloir, n°6 (nouvelle série), 1994 (original allemand dans Criticon, n°115, 1989).

-          Wolfgang STRAUSS, « Der neue Streit der Westler und Slawophilen », in Staatsbriefe 2/1992, pp. 8-16.

-          Wolfgang STRAUSS, Russland, was nun ?, Eckhartschriften/Heft 124 - Österreichische Landmannschaft, Wien, 1993

-          Wolfgang STRAUSS, « Alexander Solschenizyns Rückkehr in die russische Vendée », in Staatsbriefe 10/1994, pp. 25-31.

-          Wolfgang STRAUSS, « Der Dichter vor der Duma (1) », in Staatsbriefe 11/1994, pp. 18-22.

-          Wolfgang STRAUSS, « Der Dichter vor der Duma (2) », in Staatsbriefe 12/1994, pp. 4-10.

-          Wolfgang STRAUSS, « Solschenizyn, Lebed und die unvollendete Revolution », in Staatsbriefe 1/1997, pp. 5-11.

-          Wolfgang STRAUSS, « Russland, du hast es besser », in Staatsbriefe 1/1997, pp. 12-14.

-          Wolfgang STRAUSS, « Kein Ende mit der Smuta », in Staatsbriefe 3/1997, pp. 7-13.

-          Reinhard VESER, « Russische Stimmen zu Solschenizyn – Ehrliches Heldentum », ex : http://www.faz.net/  ou Frankfurter Allgemeine Zeitung, 4 août 2008.

-          Craig R. WHITNEY, «Lev Kopelev, Soviet Writer In Prison 10 Years, Dies at 85 », The New York Times, June 20, 1997 ou http://www.nytimes.com/1997/06/20/world/ .

-          Alexandre ZINOVIEV, « Gorbatchévisme », in L’Autre Europe, n°14/1987.

-          Alexandre ZINOVIEV, Perestroïka et contre-perestroïka, Olivier Orban, Paris, 1991.

-          Alexandre ZINOVIEV, La suprasociété globale et la Russie, L’Age d’Homme, Lausanne, 2000.

 

Acquis et lu après la conférence :

- Georges NIVAT, Le phénomène Soljénitsyne, Fayard, Paris, 2009. Ouvrage fondamental !

 

samedi, 11 septembre 2010

Konstantin Vasiliev: Aigle

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Ex: http://www.vasilyev-museum.ru/

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vendredi, 10 septembre 2010

Sur la situation actuelle de la Russie (2005)

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2005

 

Sur la situation actuelle de la Russie

Extrait d’une allocution de Robert Steuckers à la Tribune de “Terre & Peuple-Lorraine”, à Nancy, le 26 novembre 2005

 

La situation actuelle de la Russie est assez aisément définissable: cette superpuissance européenne en recul dramatique fait face, depuis la fin de l’ère Gorbatchev, à trois offensives de guerre indirecte; 1) elle subit une stratégie d’encerclement; 2) elle subit une deuxième stratégie, qui vise son morcellement; 3) elle subit un processus de subversion intérieure qui mine ses capacités de résister aux défis du monde extérieur.

 

◊1. La stratégie d’encerclement est clairement perceptible: à la périphérie du territoire de l’actuelle Fédération de Russie, sur des zones qui firent partie de l’empire des Tsars et de l’ex-URSS ou qui en furent des glacis, nous voyons, depuis la fin de l’ère Gorbatchev, se constituer une zone de turbulences permanentes. Cette zone comprend le Caucase, l’Asie centrale, l’Ukraine et, potentiellement, dans une éventuelle offensive ennemie ultérieure, le bassin de la Kama, avec une agitation programmée à l’extérieur des Tatars et des Bachkirs, regroupés dans des “républiques” autonomes de la Fédération (les investissements étrangers dans ces régions sont d’ores et déjà bien plus élevés que dans le reste de la Fédération). Après les glacis conquis depuis Pierre le Grand, on programme, à Washington, l’émergence d’un islam très septentrional, sur le site même des khanats tatars terrassés jadis par Ivan le Terrible. Après l’encerclement de l’ancien empire russe et soviétique, viendra peut-être l’encerclement du tremplin moscovite, du  noyau premier de cet empire. Cette stratégie d’encerclement prend le relais de la stratégie d’endiguement, qui fut celle préconisée par Mackinder et ses successeurs, dont Lord Curzon, contre la Russie de Nicolas II et contre l’Union Soviétique de Lénine à Gorbatchev.

 

◊2. La stratégie du morcellement de l’espace russe, dont nous parlait Alexandre Douguine lors de ses récentes interventions à Anvers (11 nov. 2005) et à Bruxelles (12 nov. 2005) découle très logiquement de la stratégie d’encerclement , qui, notamment, vise à agiter les peuples ou les ethnies ou les communautés religieuses ou mafieuses de la “zone des turbulences permanentes” de façon à les détacher de l’espace impérial russe défunt et de l’espace spirituel de la “civilisation russe” (Douguine), concept dynamique que l’on comparera utilement à la notion de “civilisation iranienne” qu’évoquait le dernier Shah d’Iran dans le plaidoyer pro domo qu’il adressait à l’histoire (cf. Mohammad Reza Pahlavi, Réponse à l’histoire, Albin Michel, 1979). L’espace de la “civilisation russe” a connu son extension maximale avec l’URSS de Brejnev, avec, en prime, une “Wachstumspitze” (une “pointe avancée”) en Afghanistan. Malheureusement, la période de cette extension maximale n’était pas marquée par une grandeur traditionnelle, comme sous certains tsars ou comparable à ce que le Shah entendait par “civilisation iranienne”, mais par une idéologie froide, mécaniciste et guindée, peu susceptible de susciter les adhésions, de gagner la bataille planétaire au niveau de ce que les Américains, avec Joseph Nye, appellent aujourd’hui le “soft power”, soit le pouvoir culturel.

 

◊3. La stratégie de subversion vise plusieurs objectifs, déjà implicites dans les deux stratégies que nous venons d’évoquer: 1) imposer à la Russie un idéal démocratique importé, fabriqué de toutes pièces, comparable à celui que véhiculait la “révolution orange” en Ukraine l’an dernier. 2) contrôler les médias russes et suggérer un “way of life” de type américano-occidental, irréalisable pour la grande masse du peuple russe. 3) gagner en Russie une bataille métapolitique en faisant jouer le prestige du “soft power” occidental. Cette stratégie de subversion est portée par diverses officines téléguidées depuis les Etats-Unis et financées par des réseaux capitalistes internationaux. Nous avons là, pêle-mêle, la Freedom House, l’International Republican Institute, le National Endownment for Democracy, la Fondation Soros, le National Democratic Institute, l’Open Society Institute (dont bon nombre de subdivisions et de départementssont consacrés aux Balkans, à l’Ukraine et à la Biélorussie), etc. Le concours de toutes ces fondations, avec l’aide des grandes agences médiatiques internationales, a contribué à mettre sur pied des mouvements comme Otpor en Serbie (pour renverser Milosevic), comme Pora en Ukraine (avec la révolution orange de la belle Ioulia), comme Kmara en Géorgie pour faire triompher un candidat qui accepterait l’inféodation complète du pays à l’OTAN, ou comme la révolution des tulipes au Kirghizistan et, enfin, comme une révolution qui, elle, contrairement aux autres, a du mal à démarrer, parce que la leçon a été apprise: je veux parler ici de l’agitation, timide et jugulée, du mouvement “Subr” (= “Bison”) en Biélorussie. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel, dans un article de longue haleine publié en deux volets, explicitait le mode de fonctionnement de cette vaste entreprise de subversion, à têtes multiples telle l’hydre de la mythologie grecque. Les enquêteurs de cet hebdomadaire de Hambourg nous apprenaient comment se déroulait effectivement la formation des personnages principaux de cette vaste entreprise. Le Spiegel nous rappelle, fort utilement, que l’essentiel de cette formation se trouve consigné dans un film de Peter Ackerman, intitulé “Bringing Down a Dictator” (= Faire tomber un dictateur). Le titre dévoile clairement les intentions des auteurs: faire tomber, non pas véritablement des dictateurs, mais des leaders politiques qui déplaisent à l’Amérique ou qui ne veulent pas s’aligner sur les diktats du néo-libéralisme. En juin 2005, les jeunes recrutés dans les pays à subvertir et engagés dans ces entreprises de subversion destinées à de larges franges de la zone des turbulences, se sont réunis en Albanie pour mettre au point les nouveaux aspects de la stratégie et planifier l’avenir de leurs activités.

 

Pour résumer, l’objectif des Etats-Unis, héritiers de la stratégie anglo-saxonne mise au point par Mahan, Mackinder et Lea dans la première décennie du 20ième siècle, est 1) d’encercler la Russie selon les thèses géopolitiques et géostratégiques des géopolitologues Lea et Mackinder; 2) de morceler et satelliser la zone de tubulences et, ensuite, dans une phase ultérieure, le reste de la Fédération russe selon la stratégie de balkanisation mise au point par Lord Curzon à partir du Traité de Versailles de 1919; effectivement, après la révolution bolchevique et la guerre civile entre Rouges et Blancs, Lord Curzon souhaitait créer ou faire émerger un maximum d’Etats tampons, dépendants et économiquement précaires, entre l’Allemagne de Weimar et la nouvelle URSS. Cette stratégie visait à appuyer la Pologne, avec le concours de la France, sans que cette Pologne instrumentalisée ne puisse développer une industrie autonome et viable, tout en étant obligée de consacrer 39% de son budget à l’entretien d’une armée. Selon le Colonel russe Morozov, ce stratagème a été ressorti du placard dans les années 90, dans la mesure où l’armée polonaise a augmenté ses effectifs dans l’OTAN tandis que la Bundeswehr allemande a été réduite (aux mêmes effectifs que la nouvelle armée polonaise) et que l’armée russe connaît un ressac épouvantable, faute de budgets substantiels. Aujourd’hui, la réactualisation des projets de morcellement à la Curzon, est perceptible dans le Caucase et en Asie centrale, non seulement contre la Russie mais aussi contre l’Iran. Enfin, 3) de subvertir la Russie par tous les moyens que peut fournir un “soft power” dominant. En gros, il s’agit de provoquer en Russie un soulèvement orchestré par les médias contre Poutine sur le modèle de ce qui s’est passé en Ukraine fin 2004.

 

Double pari: sur le pantouranisme, sur l’islamisme saoudien

 

C’est dans ce cadre qu’il faut analyser le double pari des stratèges américains de ces trois dernières décennies : le pari sur le monde turc/turcophone et le pari sur la carte musulmane wahhabite saoudienne. Le pari sur le monde turc était bien clairement exprimé sous Clinton, un Président sous lequel les trois stratégies énumérées dans la première partir de cet exposé ont été mises en oeuvre. De surcroît, pour injecter dans la région un soft power puissant mais inféodé aux agences américaines, on prévoyait le lancement d’un satellite de télécommunication afin de créer une chaîne unique turcophone, dans une langue turque unifiée et standardisée, capable de diffuser un message bien orchestré en Asie centrale jusqu’aux confins de la Chine.

 

Le pari sur les réseaux wahhabites saoudiens remonte à l’époque où il fallait recruter des hommes de main contre les troupes soviétiques présentes en Afghanistan. Des combattants de la foi musulmane, les mudjahiddins, s’engageaient dans des formations militaires bien entraînées pour appuyer les Pachtouns hostiles à la présence russe. Parmi eux, un certain Oussama Ben Laden, qui financera et appuyera les “talibans”.

 

Le pari sur le monde turc était un pari plus homogène et plus cohérent, en fin de compte, plus “impérial” que “nomade”, dans la mesure où l’empire ottoman, héritier de bon nombre d’institutions impériales de la Perse sassanide et de la romanité greco-byzantine, possédait les structures organisées d’un empire tandis que l’islam wahhabite garde toutes les caractéristiques des tribus de la péninsule arabique, qui ont eu l’enthousiasme de bousculer les empires byzantin et perse moribonds mais non l’endurance de gérer ces territoires civilisés et urbanisés sur le long terme. Mais le pari sur le monde turc, du temps de Clinton, n’était pas un néo-byzantinisme ou un néo-ottomanisme. Il pariait bien plutôt sur une idéologie nouvelle, datant du 20ième siècle, qui posait la Turquie comme l’avant-garde des peuples mobiles, pasteurs, nomades et cavaliers du Touran, d’Asie centrale. Cette idéologie est le panturquisme ou le pantouranisme. Elle a servi un objectif anti-communiste et anti-soviétique, depuis le temps de l’Allemagne nazie jusqu’aux Etats-Unis de Clinton, où la Turquie était posée tout à la fois comme cette avant-garde pantouranienne en direction de l’Ouest et comme l’avant-garde de l’OTAN dans la zone  sensible de la Mer Noire.

 

Pantouranisme: un lien millénaire avec les peuples turcs d’Asie centrale

 

Le pantouranisme est une idéologie diffuse, grandiloquente, qui ne peut trouver aucune concrétisation sans un appui extérieur, sans l’aide d’une puissance étrangère dominant les mers et possédant une solide infrastructure industrielle. L’idéologie pantouranienne a toujours été latente dans l’histoire turque, mais elle n’a été théorisée, de façon complète, que dans les années 20 du 20ième siècle, à la suite et sur le modèle des idéologies pangermanistes et panslavistes. Elle est portée par un argument historique valable du point de vue turc: c’est en effet toujours un apport turc (turkmène, tatar ou ouzbek) venu d’Asie centrale qui a permis à l’Empire ottoman de renforcer ses armées et de mener des opérations en Europe et au Moyen-Orient, contre la Sainte-Ligue, l’Autriche-Hongrie ou l’Empire perse. Quelques exemples: le calife de Bagdad fait appel aux troupes turques de Toghrul Bey venues du fonds de la steppe pour rétablir l’ordre dans le califat arabe en déliquescence; les Seldjouks, qui arrivent au 11ième  siècle et battent les Byzantins à Manzikert en 1071, viennent eux aussi d’Asie centrale; les derniers Grecs de Trébizonde doivent finir par céder face aux masses rurales de l’arrière-pays, entièrement composées de pasteurs turkmènes, alliés des Ottomans; à Vienne en 1683, l’armée ottomane est appuyée par des colonnes volantes de cavaliers-raiders tatars et turkmènes qui rançonnent, pillent et saccagent la Hongrie, la Slovaquie et de vastes régions d’Autriche. Les peuples turcs d’Asie centrale ont constitué la réserve démographique et militaire de l’empire ottoman.

 

Dans les années 20 et 30 du 20ième siècle, le pantouranisme est l’idéologie de quelques savants turcologues; elle ne connait pas de traduction politique; elle est à ce titre désincarnée mais d’autant plus virulente  sur le plan intellectuel. En 1942, quand le sort des armes paraît favorable au Troisième Reich et que les services de celui-ci encouragent les peuples non russes à déserter le service de Staline, le pantouranisme, qui veut profiter de cette aubaine, gagne des adeptes et sort de la discrétion. Un certain Turkes, qui deviendra le leader des “Loups Gris” nationalistes, fait partie de ceux qui réclament une alliance rapide avec l’Allemagne pour participer au démantèlement de l’Union Soviétique jugée trop vite moribonde, parce qu’elle n’a pas encore reçu, via l’Iran occupé, un matériel moderne  venu des Etats-Unis. Le mouvement des “Loups Gris”, intéressant à plus d’un titre et bien structuré, s’alignera sur des positions panturques pures et laïques jusqu’en 1965, année où il fera une sorte d’aggiornamento et admettra un “islamisme” offensif, à condition qu’il soit dirigé par des éléments turcs. Aujourd’hui, ce mouvement, qui a connu la répression du régime, est partagé: ainsi, il ne veut pas d’une adhésion turque à l’Europe, car, prétend-il, une immersion de l’Etat turc dans l’UE conduirait à lui faire perdre toute “turcicité”. Il me paraît dès lors important de ne pas confondre trois strates idéologiques présente en Turquie actuellement: le kémalisme, l’idéologie nationaliste des Loups Gris et le pantouranisme, dans son orientation libérale et pro-occidentale.

 

Diverses idéologies turques

 

En effet, le kémalisme voulait et veut encore (dans la mesure où il domine) aligner la Turquie sur l’Europe, l’européaniser sur les plans intellectuels et spirituels sans pour autant la christianiser.  Dans ce but, Kemal Ataturk développe un mythe “hittite”. Pour lui, la Turquie est l’héritière de l’empire hittite, peuple indo-européen venu de l’espace danubien pour s’élancer vers le Proche-Orient et se heurter à l’Egypte. C’est la raison pour laquelle il crée un musée hittite à Ankara et encourage les fouilles pour redécouvrir cette civilisation à la charnière de la proto-histoire et de l’histoire. L’idéologie des Loups Gris, qui se dénomment eux-mêmes les “idéalistes”, est panturquiste mais ses avatars ont parfois admis l’islamisation et ont refusé, récemment, l’adhésion à l’UE, que préconiserait tout néo-kémalisme fidèle à ses options de base. Les libéraux et les sociaux-démocrates turcs (pour autant que ces labels idéologiques aient une signification en dehors de l’Europe occidentale) sont souvent à la fois panturcs et pro-américains, anti-arabes, anti-russes et pro-UE.

 

Après la défaite électorale des démocrates américains et l’avènement de Bush à la présidence, la stratégie américaine s’est quelque peu modifiée. L’alliance qui domine est surtout wahhabite-puritaine; elle mise sur un islamisme simplifié et offensif plus exportable et, en théorie, détaché des appartenances ethniques. L’objectif est de fabriquer une idéologie mobilisatrice d’éléments agressifs pour réaliser le projet d’un “Grand Moyen Orient” intégré, servant de débouché pour une industrie américaine toujours en quête de clients. Ce “Grand Moyen Orient” a l’atout d’avoir une démographie en hausse, ce qui permet de prévoir d’importantes plus-values (l’iranologue français Bernard Hourcade, dans une étude très fouillée, constate toutefois le ressac démographique de l’Iran, en dépit de l’idéologie natalisme du pouvoir islamique; cf. B.  Hourcade, Iran. Nouvelles identités d’une république, Ed. Belin/Documentation Française, 2002).

 

L’alliance wahhabite-puritaine recouvre aussi  —c’est l’évidence même—  une alliance économique axée sur le pétrole (saoudien et texan). Avec Bush, c’est une stratégie plus pétrolière que historico-politique qui s’installe, et qui bouleverse certaines traditions diplomatiques américaines, notamment celles qu’avaient déployées les démocrates et les conservateurs classiques (que l’on ne confondra pas avec les néo-conservateurs actuels). Cette nouvelle stratégie pétrolière ne satisfait pas les rêves turcs. Qui, eux, visent essentiellement à récupérer le pétrole de Mossoul. En effet, la Turquie, de Mustafa Kemal à aujourd’hui, est un Etat aux ressources énergétiques rares, insuffisantes pour satisfaire les besoins toujours plus pressants d’une population en croissance rapide. Les nappes pétrolifères de l’Est du pays, dans le Kurdistan montagnard en ébullition, à proximité de la frontière irakienne, sont insuffisantes mais nécessaires, ce qui explique aussi la hantise et la phobie du régime turc pour toute idée d’une émancipation nationale kurde pouvant aboutir à une sécession. Les départements autour de ces quelques puits de pétrole sont tous sous le statut d’état d’exception, notamment la région de Batman où se situe la principale raffinerie de pétrole turc. Pour Ankara, la fidélité à l’alliance américaine devait à terme trouver une récompense: recevoir une certaine indépendance énergétique, par le biais de revendications  territoriales issues d’une idéologie panturquiste ou néo-ottomane, soit en annexant le Kurdistan irakien, soit en forgeant une alliance avec l’Azerbaïdjan, Etat turcophone mais iranisé, soit en recevant toutes sortes d’avantages dans l’exploitation du pétrole de la région caspienne, du moins dans ses parties turcophones. La stratégie pétrolière de Bush vise, elle, à concentrer un maximum de ressources en hydrocarbures entre les mains de ceux qui, au Texas comme dans la péninsule arabique, en possèdent déjà beaucoup. La Turquie, comme personne d’autre, n’est invitée au partage. Dans de telles conditions, la Turquie ne peut espérer récupérer Mossoul.

 

“Hürriyet” et la question kurde

 

Récemment, le principal quotidien turc, “Hürriyet”, suggère indirectement une paix aux Kurdes, dans la mesure où il dit ne plus craindre ouvertement la création d’un Kurdistan indépendant dans le nord de l’Irak. Pour “Hürriyet”, désormais, le Kurdistan indépendant du nord de l’Irak pourrait parfaitement cohabiter avec un Kurdistan autonome sur le territoire de la république turque, à condition que s’instaure une sorte de marché commun turco-kurde, dont la principale source d’énergie serait ce pétrole tant convoité de Mossoul. C’est la première fois qu’un quotidien turc, de l’importance de “Hürriyet”, ose évoquer l’idée d’un Kurdistan autonome. L’objectif de ce nouvel engouement kurde est à l’évidence de récupérer le pétrole de Mossoul, cédé à contre-coeur par la Turquie en 1923, et d’empêcher les Chiites irakiens, alliés des Etats-Unis, de faire main base sur l’ensemble des ressources en hydrocarbures de l’Irak dépecé. Le vent est en train de tourner en Turquie et Bush, contrairement à Clinton, n’a pas carressé son allié turc dans le sens du poil. Une négligence qui pourrait être lourde de conséquence.

 

L’alliance entre Washington et les Wahhabites est un fait, malgré les rideaux de fumée médiatiques, évoquant une guerre des civilisations entre un Occident dominé par l’Amérique et un monde arabo-musulman travaillé par l’idéologie de Ben Laden. Posé comme l’ennemi  public n°1 sur la planète entière après les attentats de New York en septembre 2001, Oussama Ben Laden reste curieusement introuvable, ce qui permet de faire de sa personne le croquemitaine universel, se profilant derrière tous les attentats sordides qui ensanglantent la planète. Ben Laden est sans doute le modèle tout trouvé pour des musulmans déboussolés dans les grandes banlieues sinistres où l’on parque les immigrés en Occident, mais il est loin de représenter tout l’islam. Son islam n’est pas celui de l’Iran, qui choisit d’autres alliances stratégiques, avec la Chine ou avec la Russie. Son islam n’est pas non plus celui de l’islam russophile d’Asie centrale, qui, même s’il est fortement battu en brèche depuis l’effondrement du soviétisme, ne souhaite pas se voir inféodé à un “Grand Moyen Orient”, entièrement sous la tutelle des trusts américains. Il existe non pas un islam mais des islams comme le disait très justement le géopolitologue français Yves Lacoste. Les islamismes radicaux, qui se proclament bruyamment anti-américains, font souvent le jeu de Washington et peuvent, le cas échéant, être considérés comme des créations des services spéciaux, servant de leviers à des opérations de guerre indirecte.

 

L’islamisme : un levier de déstabilisation permanente

 

Bon nombre de ces islams radicaux sont effectivement des leviers pour créer du désordre partout. C’est le cas en France pour briser et affaiblir l’une des principales puissances de l’axe potentiel unissant Paris, Berlin et Moscou. C’est le cas dans le sud de la Thaïlande, déstabilisé par sa minorité musulmane. Ce sera demain le cas en Inde, un pays qui se développe plus lentement et plus sûrement que la Chine, déjà dans le collimateur de Washington.

 

Pour ce qui concerne la Russie, l’alliance Washington-Ankara permettait  aux Etats-Unis d’occuper l’Anatolie, base de départ de la conquête ottomane des Balkans, dont la façade orientale, avec la Bulgarie et la Roumanie, était inféodée, à partir de 1945, à la puissance soviétique; de se trouver proche du Caucase que les Allemands n’avaient pas pu conquérir en 1941-42 et de tenir en échec les puissances arabes du Proche-Orient et l’Egypte, alors alliées de l’URSS. Aujourd’hui, la Turquie sert de base arrière aux terroristes tchétchènes et d’alliée des Azeris. Seule la question de Mossoul a jeté un froid sur les relations turco-américaines et permis un rapprochement avec la Russie. L’alliance entre Washington et les wahhabites permet d’instrumentaliser des islamistes dans le conflit tchétchène et ailleurs en Asie centrale, voire de trouver des sources de financement pour remettre l’Albanie anti-serbe sur les rails.

 

Le panturquisme et l’islamisme wahhabite sont des leviers, tout comme la Fondation Soros, et toutes les fondations de même nature, pour parfaire ce que les géopolitologues anglo-saxons ont nommé le “Grand Jeu”, qui est, hier comme aujourd’hui, la volonté de contenir ou de détruire la puissance impériale russe.

 

Robert STEUCKERS,

Forest-Flotzenberg/Nancy, 26 novembre 2005.

jeudi, 26 août 2010

La Russie entre canicule climatique et agression médiatique

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Alexandre LATSA:

 La Russie entre canicule climatique et agression médiatique

 
Vivre à Moscou est très plaisant, les saisons y sont prononcées, la ville est vibrante, très verte et c'est sans doute l'un des endroits au monde ou vos amis de l'étranger vous demandent le plus fréquemment si « tout va bien ». Prenons cette année 2010, lorsque j'ai affiché sur ma page Facebook les températures de cet hiver, mes amis se sont rués pour me demander comment survivre par un froid aussi polaire. Au printemps, les odieux attentats perpétrés dans le métro ont déclenché angoisses bien justifiées chez ces mêmes amis. Récemment, la semaine dernière, ils m'ont demandé si l'on pouvait "survivre" à Moscou avec ce cocktel de fumée et de grande chaleur. Je leur ai répondu que contrairement à ce que l'on pouvait lire sur le net, comme par exemple qu'il était impossible de passer plus de 72 heures d'affilée à Moscou, la vie ne s'était pas arrêtée, et que les Moscovites avaient continués à travailler, faire leur course et sortir, prenant leur mal en patience. Je ne pense pas avoir des amis particulièrement craintifs ou angoissés, mais des amis qui, comme beaucoup de gens de leur génération, surfent et lisent les synthèses d'actualité que Internet propose. Comment pourraient t-il dès lors être sereins ?
Au coeur de cette année croisée, la presse francaise s'est en effet relativement "emporté" sur l’analyse des évènements difficiles que la Russie traverse. La seule lecture des titres des articles ne donnaient pas il est vrai une impression très positive de la situation en Russie si l’on en juge à ces quelques exemples pris au hasard: "Armageddon", "Tchernobyl", "Enfer", "Danger nucléaire", "Le pouvoir incapable de faire face" etc etc.
Hormis avoir ajouté de l’huile sur le feu (ce que le journaliste Hugo Natowitcz a parfaitement bien expliqué dans cet article : «  Offensive contre un pays en flammes »), la presse n’a au final pas été fichue d’informer objectivement les francais sur la réalité des évenements. Normal, son objectif n’était visiblement pas celui la, a en juger par l’obsession hystérique de certains correspondants (prenons l’exemple de la journaliste de France 2 qui m’a contacté) à vouloir à tout prix démontrer une hypothétique responsabilité du pouvoir Russe et notamment une « faille du système Poutine ». L’argument massue de « nos amis les journalistes » : la réforme du code forestier de 2006, voulue par Poutine, qui supprimait le système fédéral centralisé de « prévention et gestion des incendies » (et les 70.000 postes de gardes forestiers liés) pour déléguer aux autorités régionales la gestion de leurs espaces verts, et donc également leur protection.  On ne peut qu'être à moitié surpris que ceux qui furent les premiers à dénoncer la re-centralisation du pouvoir Russe dans les premières années du règne Poutine (dénoncée à l’époque comme quasi-totalitaire), soient aujourd'hui également les premiers à dénoncer les très hypothétiques effets pervers de cette même décentralisation qu'ils ont pourtant continuellement défendus.
Trève de plaisanteries, tentons d'être un tout petit peu objectif, à l'inverse de certains, qui se sont permis dans un excès de chauvinisme mal venu de comparer le système Francais de gestion et protection des incendies au système Russe, en pointant du doigt que la Russie ne comprend que 22.000 pompiers, soit deux fois moins que la France alors que le pays est 26 fois plus étendu. Pourtant comment comparer l'incomparable ? 
La Russie s’étend sur plus de 17 millions de km². Son immense ceinture forestière Russe s'étend elle sur une surface totale de 8 millions de km² (45% de la surface du pays), ce qui fait de la Russie le pays du monde ayant la plus grande surface boisé, devant l'Amérique, le Brésil ou le Canada. Une grande partie de cet espace boisé est composée de résineux, et de forêts dites "sauvages", c'est-à-dire non entretenues. Au cœur de ces forêts, de nombreux villages de maisons en bois, parfois sans lac à proximité, et sans eau courantes, ont été construits, souvent de façon anarchiques, et cela dès les années 1980. Le grand éparpillement de ces « maisons » et « villages » rend très difficile leur protection.
La France en comparaison s'étend sur 650.000 km² et les forêts (très entretenues) sur 150.000 km/² (soit 23% de la surface du pays). Le nombre de pompiers professionels y est de 51.000 soit un pompier professionnel pour 3 km² de forêt. Autre comparaison, aux Etats-Unis d'Amérique, les forêts occupent 780.000 km² sur 9.800.000 km² soit 8% de la surface du pays. Le nombre de pompiers professionels y est de 321.700 soit un pompier professionnel pour 2,4 km² de forêt.
Un équivalent Franco-Américain en russie signifierait tout simplement 2.500.000 pompiers, soit presque 3% de la population adulte du pays (les 16-64 ans étant 96 millions en 2009). On comprend bien le ridicule d'un tel argument.
Et pourtant, malgré cela, les incendies n'épargnent pas la France ni l'Amérique. En France chaque année brûlent en moyenne 30.000 hectares, soit 0,05% de la surface du pays. Aux états-unis, chaque année, les flammes emportent 1.740.000 hectares soit 0,18% du territoire. En 1991 par exemple l'incendie d'Oakland Hills avait détruit 2.900 maisons et tués 25 personnes, l'incendie de Cedar en 2003 avait lui détruit 4.847 maisons (source et source). En 2007 et 2008, rien qu’en Californie, plus de 800.000 hectares ont brulés.
A titre indicatif, en Russie depuis le début de ces incendies, 28.000 foyers d’incendies ont brûlés près de 850.000 hectares, 3.000 personnes ont perdu leurs logements et 52 seraient mortes. Cela correspond à une surface de 8.500 km², soit 0,05% de la surface du pays. A comparer aux chiffres fournis ci-dessus. On se demande au vu de ces chiffres les justifications des critiques excessives contre le pouvoir Russe, personne ne critiquant le pouvoir Américain, démocrate ou républicain, lorsque chaque année, l'Amérique est tragiquement en proie aux flammes.
*
Plus grave, et bien plus important qu’une simple démonstration statistique, le même scénario se répète dans le traitement des « victimes » de ces incendies. Les gens dont les maisons ont brulées n’intèressent finalement que les médias Francais que lorsque ceux-ci « crient » sur Poutine ou se « plaignent » du pouvoir. L’express a par exemple titré : « un village tient tête à Poutine » , en utilisant cette vidéo montrant des femmes dont les maisons avaient brûlée parler virulement au premier ministre. Comment ne pas comprendre le désespoir de ces femmes qui ont tout perdu ? Comment aurait t-elles pues être calme ? Pourquoi néanmoins en tirer des conclusions hâtives qui seraient que « elles incrimineraient Vladimir Poutine » alors qu’une simple écoute de la vidéo montre que ce n’est pas le cas ? Serait ce pour influencer les lecteurs non Russophones ?
Reprenant la même source, la tribune de Genève affirmait le 03 aout 2010, par la voix de son « pigiste » du moment, Frédéric Lavoie que « Poutine était dépassé par les incendies », rien que ca. L’article décrivait une situation catastrophique, précédant une éventuelle fin du monde et en portant bien plus d’intêret à la responsabilité d’un Poutine soi disant dépassé qu’aux victimes Russes. Pour le quotidien régional Alsacien, Poutine est « otage de son système »..
Je le répète, l’obsession poutinophobe qui a frappé nombre de correspondants de presse ne me semble pouvoir se justifier que par l’excès de CO2 respiré, et se traduire par l’adage suivant : « La Russie se calcine, c'est la faute à Poutine", "Je suis tombé par terre/C'est la faute à Voltaire.. »
Les exemples sont légions, les victimes qui intéressent nos « amis les journalistes » seraient donc principalement les victimes urbaines de la canicule. Sans chiffres réels, mais en se basant sur des « on dits », la presse Francaise n’a pas manqué de rappeler que la mortalité pour les mois de juin et surtout juillet devrait être plus deux fois plus élevée que la normale. Pour ma part j’attends les chiffres officiels et ne serait pas surpris d’une hausse de la mortalité des personnes agés, surmortalité qui, si nous envisageons la situation d’un point de vue statistique, « améliorera » la baisse de de la mortalité dans les prochains mois. Je rappelle néanmoins que cette même presse Francaise s’est fait bien plus discrète quand au décès de 15.000 personnes en 2003 en France, et pour voir plus large, se fait encore plus discrète quand au fulgurant rétablissement démographique que la Russie connait depuis 2005.
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L’obsession à dénoncer le « culte du silence », « les vieux démons » est perceptible dans nombre d’articles de la presse soit disant spécialisée ou régionale. Si l’on lit avec beaucoup d’attention la majorité des articles, on s’apercoit que la propagande n’est pas la ou elle est montrée du doigt. La « voix du nord » a par exemple trouvé des Français de Russie, visiblement non Russophones, qui affirment que l’ambiance de fin du monde à Moscou était accrue car je cite « En Russie, il n'y a pas d'infographies ni de cartes détaillées. Le pouvoir refuse de communiquer ». Enormité parmie les énormités, il suffit de voir la page d’acceuil du site Yandex, ou bien alors sur le site de l’agence ria novosti en 9 langues pour trouver les fameuses cartes interactives et détaillées qui « soi disant » manquent.
Un autre exemple, le Figaro le 10 08 2010 publiait un article signé Yves Myserey pour nous expliquer que la vague de chaleur qui frappait Moscou était la plus forte depuis « 1000 ans » ! Rien que ca ! Un rappel millénariste et ésotérique effrayant, si le pigiste enfermé dans son petit bureau Parisien n’avait pas confondu le Mexique et la Russie en nous présentant en image pour illustrer son article des citoyens en grands chapeaux blancs. Non il ne s’agit pas de touristes Mexicains à Moscou, mais de .. Grévistes de la faim de Kabardino Balkarie qui protestent contre une loi fédérale pour portéger leur identié locale, bref rien à voir avec les incendies ! On ne peut que rester ébahi devant le choix du Figaro d’illustrer la canicule à Moscou avec une image de militants identitaires, grévistes de la faim. Quand à une vague de chaleur « jamais vue depuis 1000 ans », une simple recherche sur internet nous prouve le contraire, source en Russe la et en anglais ici.
Enfin les Français se sont fait forts de dénoncer le silence terrible des autorités Russes sur les incendies dans les zones radioactives, autour des centres nucléaires, ou de retraitement des déchêts, mais également celles contaminées par tchernobyl, à la frontière Ukrainienne. Je me demande quel silence parle t-on, alors que l’agence RIA Novosti, agence d’état, propose sur sa page en « anglais » une carte interactive des « émanations  radioactives ».
Mais visiblement, au pays de la presse francaise de 2010,  on a rien à envier à la Pravda. Mauvaise foi ou incompétence ?
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Loin des mensonges, de la propagande et de la mauvaise foi, ou en est t-on objectivement aujourd’hui sur le front des incendies, de l’effondrement de popularité qui attend Poutine et Medvedev et enfin de l’alerte rouge sur la production de blé qui guette la Russie ?
Selon le ministère russe des Situations d'urgence, 27.724 foyers d'incendies naturels d'une superficie totale de 856.903 ha sont apparus en Russie depuis le début de l'été, y compris 1.133 feux de tourbières sur une superficie de 2.051 ha. En ce 19 aout 2010 les incendies ont été réduits à a peu près 20.000 hectares. Oui la Russie aurait pu « empêcher » une grande partie de ces incendies, mais en premier lieu via les « citoyens » qui doivent s’approprier des comportements écologiques, essentiels. Oui il faut que les Russes « cessent » de laisser trainer leur déchêts lors des pic-nics, les milliers de bouteilles en verre abandonnées ayant eu un effet loupe, déclencheur d’un très grand nombre, si ce n’est malheureusement sans doute de la majorité des incendies.
Non l’effondrement de popularité n’est pas arrivé, au contraire les côtes de popularité du président et du premier ministre remontent passant de 53% en juin à 57% en aout pour Dimitri Medvedev et de 61% à 64% sur la même période pour Vladimir Poutine. Des côtes de popularité qui ferait envie à tous les leaders Occidentaux à la sortie d’une telle crise, quoi qu’en pensent nos « amis les journalistes » trop habitués à écouter les « spécialistes » de Carnégie et pas assez le peuple Russe.
Non, la Russie ne subira pas une explosion des prix qui entrainera une révolution sociale qui entrainera la destitution de Poutine, la crise du blé que va connaitre la Russie n’aura que des effets minimes, et l’embargo à le soutien des producteurs locaux.

Non, chers amis journalistes, contrairement à ce que vous avez pu écrire, aucune « censure » comme vous en parlez n’a eu lien, les commentaires des gens « ulcérés » par la situation ont été publiés, comme vous pouvez le voir ici ou la. A noter d’ailleurs l’échange publié sur internet entre un Vladimir Poutine plein d’humour et Aleksey Venediktov, rédacteur en chef de la radio « écho de Moscou ».
Non Poutine n’a pas passé ces 3 dernières semaines à allumer des incendies la nuit pour les éteindre la journée en jouant au « canadair » et afin de passer à la télévision, puisque il a pris le sens tragique des évenements en comparant les incendies à : « la Seconde Guerre Mondiale,  l'invasion des Petchenègues, des Cumans et des chevaliers qui ont déchiré la Russie »
Vladimir Poutine a d’autant plus de raisons d’être concerné par de tels évènements que en 1996 c’est sa propre Dacha qui a brûlé. Enfin, vous avez omis « amis journalistes Francais » de parler des remerciements de Vladimir Poutine envers les pompiers étrangers, notamment les sapeurs Français, surnommés « escadron Normandie Niemen ».
Non, la centralisation politique, que vous avez sans cesse décriée comme étant Fascisante avait des raisons d’être, comme le rappellait Izvestia à la lumière de ces incendies: « Скорее всего к централизованной системе придется вернуться. Слишком дорогой ценой дается нам победа над огнем »...  Mais sans doute faut-il un traducteur pour comprendre ce qui est écrit .. En attendant, les reconstructions sont lancées, et les nouveaux logements doivent être prêts avant le 1ier novembre. La surface des habitations sera de 100m², à raison de 30.000 roubles (750 eurs) par mètre carré (source).
Alexandre Latsa, Moscou, 18 aout 2010

vendredi, 20 août 2010

Pavel Florenskij : Il pensiero contro l'ideologia

Pavel Florenskij: Il pensiero contro l'ideologia

di Vito Mancuso

Fonte: La Repubblica [scheda fonte]

florenskij.jpgL'incontro con Pavel Florenskij ha segnato profondamente la mia vita e quindi questo articolo lo si deve intendere come una dichiarazione d'amore. L'occasione è la nuova edizione del capolavoro del 1914 La colonna e il fondamento della verità grazie al contributo encomiabile di Natalino Valentini, al quale si deve la cura di molti altri scritti, tra cui Bellezza e liturgia, l'epistolario dal gulag Non dimenticatemi e le memorie Ai miei figli. Come ogni dichiarazione d'amore, anche questa si rivolge alla più intima umanità dell'interessato, a quel mistero personale non riassumibile nelle sue conoscenze. Dico questo per liberare Florenskij dall'incanto della sua genialità («il Leonardo da Vinci della Russia») per l'essere stato matematico, fisico, ingegnere, e, sull'altro versante, teologo, filosofo, storico dell'arte. Marito e padre di cinque figli, fu anche sacerdote ortodosso, status che gli costò la vita nel 1937. Essere sacerdote e insieme scienziato era una smentita vivente dell'ideologia comunista, per la quale la fede era solo ignoranza: la dittatura non poteva tollerarlo e non lo tollerò.

Da una lettera del 1917 emerge la sua inconfondibile personalità: «Nello spazio ampio della mia anima non vi sono leggi, non voglio la legalità, non riesco ad apprezzarla... Non mi turba nessun ostacolo costruito da mani d'uomo: lo brucio, lo spacco, diventando di nuovo libero, lasciandomi portare dal soffio del vento». Eccoci al cospetto di un nesso incandescente: dedizione assoluta per «la colonna e il fondamento della verità» e insieme vibrante ribellione a ogni legaccio della libertà. Si comprende così come non solo per il regime ma anche per la Chiesa gerarchica il suo pensiero era ed è destabilizzante, tant'è che ancora oggi, nonostante il martirio, Florenskij non è stato beatificato. Durante la prigionia scriveva al figlio Kirill: «Ho cercato di comprendere la struttura del mondo con una continua dialettica del pensiero». Dialettica vuol dire movimento, pensiero vivo, perché «il pensiero vivo è per forza dialettico», mentre il pensiero che non si muove è quello morto dell'ideologia, che, nella versione religiosa, si chiama dogmatismo.

Il pensiero si muove se è sostenuto da intelligenza, libertà interiore e soprattutto amore per la verità, qualità avverse a ogni assolutismo e abbastanza rare anche nella religiosità tradizionale. Al riguardo Florenskij racconta che da bambino «il nome di Dio, quando me lo ponevano quale limite esterno, quale sminuimento del mio essere uomo, era in grado di farmi arrabbiare tantissimo». La sua lezione spirituale è piuttosto un'altra: la fede non è un assoluto, è relativa, relativa alla ricerca della verità. Quando la fede non si comprende più come via verso qualcosa di più grande ma si assolutizza, si fossilizza in dogmatismo e tradisce la verità.

La dialettica elevata a chiave del reale si chiama antinomia, concetto decisivo per Florenskij che significa «scontro tra due leggi» entrambe legittime. L'antinomia si ottiene guardando la vita, che ha motivi per dire che ha un senso e altri opposti. Di solito gli uomini scelgono una prospettiva perché tenerle entrambe è lacerante, ma così mutilano l'esperienza integrale della realtà. Ne viene che ciò che i più ritengono la verità, è solo un polo della verità integrale, per attingere la quale occorre il coraggio di muoversi andando dalla propria prospettiva verso il suo contrario. Conservando la propria verità, e insieme comprendendone il contrario, si entra nell'antinomia.

«La verità è antinomica e non può non essere tale», scrive Florenskij nello straordinario capitolo della Colonna dedicato alla contraddizione dove convengono Eraclito, Platone, Cusano, Fichte, Schelling, Hegel. Ma è per Kant l'elogio più alto: «Kant ebbe l'ardire di pronunciare la grande parola "antinomia", che distrusse il decoro della pretesa unità. Anche solo per questo egli meriterebbe gloria eterna». In realtà questa celebrazione della vita aldilà del concetto è il trionfo dell'anima russa, quella di Puskin, Gogol', Dostoevskij, Tolstoj, Cechov, Pasternak, e che pure traspare da molte pagine di Florenskij cariche di poesia.

Per lui anche la Bibbia e la dottrina sono colme di antinomie, in particolare la Lettera ai Romani è «una bomba carica di antinomie». Ma di ciò si deve preoccupare solo chi ha una concezione dottrinale del cristianesimo, non chi, come Florenskij, lo ritiene funzionale alla vita.

Tra i due nomoi dell'antinomia non c'è però per Florenskij perfetta simmetria: operativamente egli privilegia il polo positivo. Pur sapendo bene che «la vita non è affatto una festa, ma ci sono molte cose mostruose, malvagie, tristi e sporche», non cede mai alla rassegnazione o al cinismo; al contrario insegna ai figli che «rendendosi conto di tutto questo, bisogna avere dinnanzi allo sguardo interiore l'armonia e cercare di realizzarla».

Tale armonia non può venire dal mondo, dove regna l'antinomia, ma da una dimensione più profonda. La voglio illustrare con alcune righe del testamento spirituale, iniziato nel 1917, l'anno della rivoluzione, avendo subito intuito la minaccia che incombeva su di lui: «Osservate più spesso le stelle. Quando avrete un peso sull'animo, guardate le stelle o l'azzurro del cielo. Quando vi sentirete tristi, quando vi offenderanno, quando qualcosa non vi riuscirà, quando la tempesta si scatenerà nel vostro animo, uscite all'aria aperta e intrattenetevi, da soli, col cielo. Allora la vostra anima troverà la quiete».


Tante altre notizie su www.ariannaeditrice.it

 

samedi, 31 juillet 2010

Die neue geopolitische Bedeutung von Lubmin

Lubmin.jpg

 

Die neue geopolitische Bedeutung von Lubmin

F. William Engdahl / ex: http://info.kopp-verlag.de/

 

In der Nachkriegsgeschichte der Bundesrepublik verschwinden die deutschen Bundeskanzler zumeist in der Versenkung, sobald sie politische Ziele verfolgen, die zu stark von Washingtons globalen Absichten abweichen. Im Fall von Gerhard Schröder gab es gleich zwei unverzeihliche »Sünden«. Die erste war 2003 sein offener Widerstand gegen die Irak-Invasion. Die zweite, strategisch sehr viel schwerwiegendere, war seine Verhandlung mit Putin über den Bau einer neuen großen, direkt von Russland nach Deutschland führenden Erdgas-Pipeline, die das Hoheitsgebiet des damals feindlich gesinnten Polen umgehen sollte. Heute hat der erste Abschnitt dieser »Nord-Stream«-Gaspipeline das Ostseebad Lubmin in Mecklenburg-Vorpommern erreicht. Lubmin wird damit zu einem geopolitischen Dreh- und Angelpunkt für Europa und Russland.

 

 

 

Tatsächlich verdankte Gerhard Schröder seinen Posten dem stillen, aber nachdrücklichen Rückhalt durch US-Präsident Clinton, der nach Angaben unserer Quellen in der deutschen SPD verlangt hatte, eine rot-grüne Koalition müsse im Fall ihrer Wahl 1999 einen Krieg gegen Serbien unterstützen. Washington wollte ein Ende der Ära Helmut Kohl. Doch 2005 verhielt sich Schröder nach Washingtons Geschmack viel zu »deutsch«, deshalb soll sich die Regierung Bush vordringlich darum bemüht haben, einen möglichen Amtsnachfolger aufzubauen.

Seine letzte Amtshandlung als Bundeskanzler war die Genehmigung der riesigen Gaspipeline Nord Stream, die von der russischen Hafenstadt Vyborg nahe der finnischen Grenze nach Lubmin verläuft. Sofort nach dem Ausscheiden aus dem Amt des Bundeskanzlers wurde Schröder Vorsitzender des Aktionärsausschusses der Nord Stream AG, einem Joint Venture des staatlichen russischen Energiekonzerns Gazprom und den deutschen Unternehmen E.ON Ruhrgas und BASF-Wintershall. Er verstärkte in der Folgezeit auch seine öffentlich geäußerte Kritik an der US-Außenpolitik, beispielsweise beschuldigte er den US-Marionettenstaat Georgien, 2008 den Krieg gegen Südossetien begonnen zu haben.

2006 verglich der polnische Außenminister Radoslaw Sikorski, ein enger Vertrauter Washingtons und bekennender Neokonservativer, das Nord-Stream-Konsortium mit dem 1939 geschlossenen Pakt zwischen den Nazis und der Sowjetunion. Seit dem Zusammenbruch der Sowjetunion ist die Politik Washingtons darauf gerichtet, Polen als Keil zu benutzen, um eine engere wirtschaftliche und politische russisch-deutsche Zusammenarbeit zu verhindern. Das ist auch der Grund für die Entscheidung, in Polen amerikanische Raketenabwehrsysteme und jetzt auch Patriot-Raketen zu stationieren, die gegen Russland gerichtet sind.

Trotz vehementen politischen Widerstands aus Polen und anderen Ländern erreichte Schröders Nord-Stream-Projekt in diesem Monat das erste wichtige Ziel, als der erste der beiden Rohrstränge plangemäß in Lubmin das Festland erreichte. Wenn später in diesem Monat auch der zweite Rohrstrang an Land gezogen wird und die Pipeline 2011 den Betrieb aufnimmt, dann wird sie die größte unterseeisch verlaufende Pipeline der Welt sein, die jährlich 55 Milliarden Kubikmeter Gas quer durch Europa transportiert. Die unterseeische Route verläuft durch die Hoheitsgewässer und Wirtschaftszonen Finnlands, Schwedens, Dänemarks und Deutschlands, sie umgeht das Gebiet Polens und der baltischen Staaten Estland, Lettland und Litauen.

Von der Übernahmestation Lubmin aus wird die OPAL-Anbindungsleitung 470 km durch Mecklenburg-Vorpommern, Brandenburg und Sachsen bis zur tschechischen Grenze verlaufen. Andere westliche Pipelinerouten werden russisches Gas über eine bestehende Pipeline nach Holland, Frankreich und Großbritannien transportieren, was die Energie-Bindungen zwischen der EU und Russland erheblich stärken wird – eine Entwicklung, die Washington ein Dorn im Auge ist. Die französische GDF Suez, ehemals Gaz de France, hat gerade neun Prozent der Anteile an der Nord Stream AG gekauft, der niederländische Gasinfrastrukturkonzern N.V. Nederlands Gasunie besitzt ebenfalls neun Prozent. Das Projekt ist also in der EU gut verankert – eine große geopolitische Leistung der Regierung Putin-Medwedew angesichts starken Widerstands der USA. Nord Stream verfügt zurzeit über zwei langfristige Verträge über die Lieferung von Erdgas an Dänemark, Frankreich, Belgien, die Niederlande und Deutschland.

Die Gazprom verfolgt noch ein zweites großes Pipeline-Projekt, die South Stream, über die Gas von der russischen Schwarzmeerküste unter dem Schwarzen Meer hindurch nach Bulgarien und weiter nach Italien transportiert werden soll. Washington hat auf die EU-Länder und die Türkei erheblichen Druck ausgeübt, eine alternative Gaspipeline, die Nabucco, zu bauen, die Russland umgehen würde. Bisher findet Nabucco in der EU jedoch wenig Unterstützung, es gibt auch nicht genügend Gas, um die Pipeline zu füllen. Aus geopolitischer Sicht würde die Fertigstellung von South Stream die Länder der EU und Russland stärker zusammenschweißen – ein geopolitischer Albtraum für Washington. Seit Ende des Zweiten Weltkriegs war die Politik der USA darauf gerichtet, Westeuropa zu beherrschen, darum wurde zunächst der Kalte Krieg mit der Sowjetunion angefacht und nach 1990 die NATO-Osterweiterung bis an die Grenzen Russlands betrieben. Ein zunehmend unabhängiges Europa, das sich gen Osten statt über den Atlantik orientiert, bedeutet eine empfindliche Niederlage für die fortgesetzte Herrschaft der »einzigen Supermacht« USA. Damit wird das idyllische Seebad Lubmin im Nordosten Deutschlands de facto zu einem wichtigen Dreh- und Angelpunkt des geopolitischen Dramas zwischen Washington und Eurasien – ob sich die Einwohner dessen bewusst sind oder nicht.

 

jeudi, 15 juillet 2010

Foundations of Russian Nationalism

Foundations of Russian Nationalism

Robert Steuckers
 
Ex: http://www.counter-currents.com/
 

Medal of the Soviet Order of Alexander Nevsky, 1942

Translated by Greg Johnson

Throughout its history, Russia has been estranged from European dynamics. Its nationalism and national ideology are marked by a double game of attraction and revulsion towards Europe in particular and the West in general.

The famous Italian Slavist Aldo Ferrari points out that from the 10th to the 13th centuries, the Russia of Kiev was well-integrated into the medieval economic system. The Tartar invasion tore Russia away from the West. Later, when the Principality of Moscow reorganized itself and rolled back the residues of the Tartar Empire, Russia came to see itself as a new Orthodox Byzantium, different from the Catholic and Protestant West. The victory of Moscow began the Russian drive towards the Siberian vastness.

The rise of Peter the Great, the reign of Catherine the Great, and the 19th century brought a tentative rapprochement with the West.

To many observers, the Communist revolution inaugurated a new phase of autarkic isolation and de-Westernization, in spite of the Western European origin of its ideology, Marxism.

But the Westernization of the 19th century had not been unanimously accepted. At the beginning of the century, a fundamentalist, romantic, nationalist current appeared with vehemence all over Russia: against the “Occidentalists” rose the “Slavophiles.” The major cleavage between the left and the right was born in Russia, in the wake of German romanticism. It is still alive today in Moscow, where the debate is increasingly lively.

The leader of the Occidentalists in the 19th century was Piotr Chaadaev. The most outstanding figures of the “Slavophile” camp were Ivan Kireevski, Aleksei Khomiakov, and Ivan Axakov. Russian Occidentalism developed in several directions: liberal, anarchist, socialist. The Slavophiles developed an ideological current resting on two systems of values: Orthodox Christendom and peasant community. In non-propagandistic terms, that meant the autonomy of the national churches and a savage anti-individualism that regarded Western liberalism, especially the Anglo-Saxon variety, as a true abomination.

Over the decades, this division became increasingly complex. Certain leftists evolved towards a Russian particularism, an anti-capitalist, anarchist-peasant socialism. The Slavophile right mutated into  “panslavism” manipulated to further Russian expansion in the Balkans (supporting the Romanians, Serbs, Bulgarians, and Greeks against the Ottomans).

Among these “panslavists” was the philosopher Nikolay Danilevsky, author of an audacious historical panorama depicting Europe as a community of old people drained of their historical energies, and the Slavs as a phalange of young people destined to govern the world. Under the direction of Russia, the Slavs must seize Constantinople, re-assume the role of Byzantium, and build an imperishable empire.

Against the Danilevsky’s program, the philosopher Konstantin Leontiev wanted an alliance between Islam and Orthodoxy against the liberal ferment of dissolution from the West. He opposed all conflict between Russians and Ottomans in the Balkans. The enemy was above all Anglo-Saxon. Leontiev’s vision still appeals to many Russians today.

Lastly, in the Diary of Writer, Dostoevsky developed similar ideas (the youthfulness of the Slavic peoples, the perversion of the liberal West) to which he added a radical anti-Catholicism. Dostoevsky came to inspire in particular the German “national-Bolsheviks” of the Weimar Republic (Niekisch, Paetel, Moeller van den Bruck, who was his translator).

Following the construction of the Trans-Siberian railroad under the energetic direction of the minister Witte, a pragmatic and autarkical ideology of “Eurasianism” emerged that aimed to put the region under Russian control, whether directed by a Tsar or a Soviet Vojd (“Chief”).

The “Eurasian” ideologists are Troubetzkoy, Savitski, and Vernadsky. For them, Russia is not an Eastern part of Europe but a continent in itself, which occupies the center of the “World Island” that the British geopolitician Halford John Mackinder called the “Heartland.” For Mackinder, the power that managed to control “Heartland” was automatically master of the planet.

Indeed, this “Heartland,” namely the area extending from Moscow to the Urals and the Urals to the Transbaikal, was inaccessible to the maritime powers like England and the United States. It could thus hold them in check.

Soviet policy, especially during the Cold War, always tried to realize Mackinder’s worst fears, i.e., to make the Russo-Siberian center of the USSR impregnable. Even in the era of nuclear power, aviation, and transcontinental missiles. This “sanctuarization” of the Soviet “Heartland” constituted the semi-official ideology of the Red Army from Stalin to Brezhnev.

The imperial neo-nationalists, the national-Communists, and the patriots opposed Gorbachev and Yeltsin because they dismantled the Eastern-European, Ukrainian, Baltic, and central-Asian glacis of this “Heartland.”

These are the premises of Russian nationalism, whose multiple currents today oscillate between a populist-Slavophile pole (“narodniki,” from “narod,” people), a panslavist pole, and an Eurasian pole. For Aldo Ferrari, today’s Russian nationalism is subdivided between four currents: (a) neo-Slavophiles, (b) eurasianists, (c) national-Communists, and (d) ethnic nationalists.

The neo-Slavophiles are primarily those who advocate the theses of Solzhenitsyn. In How to Restore Our Russia?, the writer exiled in the United States preached putting Russia on a diet: She must give up all  imperial inclinations and fully recognize the right to self-determination of the peoples on her periphery. Solzhenitsyn then recommended a federation of the three great Slavic nations of the ex-USSR (Russia, Belarus, and Ukraine). To maximize the development of Siberia, he suggested a democracy based on small communities, a bit like the Swiss model. The other neo-nationalists reproach him for mutilating the imperial motherland and for propagating a ruralist utopianism, unrealizable in the hyper-modern world in which we live.

The Eurasianists are everywhere in the current Russian political arena. The philosopher to whom they refer is Lev Goumilev, a kind of Russian Spengler who analyzes the events of history according to the degree of passion that animates a people. When the people are impassioned, they create great things. When inner passion dims, the people decline and die. Such is the fate of the West.

For Goumilev, the Soviet borders are intangible but new Russia must adhere to the principle of ethnic pluralism. It is thus not a question of Russianizing the people of the periphery but of making of them definitive allies of the “imperial people.”

Goumilev, who died in June 1992, interpreted the ideas of Leontiev in a secular direction: the Russians and the Turkish-speaking peoples of Central Asia were to make common cause, setting aside their religious differences.

Today, the heritage of Goumilev is found in the columns of Elementy, the review of the Russian “New Right” of Alexandre Dugin, and Dyeïnn (which became Zavtra, after the prohibition of October 1993), the newspaper of Alexander Prokhanov, the leading national-patriotic writers and journalists. But one also finds it among certain Moslems of the “Party of Islamic Rebirth,” in particular Djemal Haydar. More curiously, two members of Yeltsin’s staff, Rahr and Tolz, were followers of Eurasianism. Their advice was hardly followed.

According to Aldo Ferrari, the national-Communists assert the continuity of the Soviet State as an historical entity and autonomous geopolitical space. But they understand that Marxism is no longer valid. Today, they advocate a “third way” in which the concept of national solidarity is cardinal. This is particularly the case of the chief of the Communist Party of the Russuan Federation, Gennady Zyuganov.

The ethnic nationalists are inspired more by the pre-1914 Russian extreme right that wished to preserve the “ethnic purity” of the people. In a certain sense, they are xenophobic and populist. They want people from the Caucasus to return to their homelands and are sometimes strident anti-Semites, in the Russian tradition.

Indeed, Russian neo-nationalism is rooted in the tradition of 19th century nationalism. In the 1960s, the neo-ruralists (Valentine Raspoutin, Vassili Belov, Soloukhine, Fiodor Abramov, etc.) came to completely reject “Western liberalism,” based on a veritable “conservative revolution”—all with the blessing of the Soviet power structure!

The literary review Nache Sovremenik was made the vehicle of this ideology: neo-Orthodox, ruralist, conservative, concerned with ethical values, ecological. Communism, they said, extirpated the “mythical consciousness” and created a “humanity of amoral monsters” completely “depraved,” ready to accept Western mirages.

Ultimately, this “conservative revolution” was quietly imposed in Russia while in the West the “masquerade” of 1968 (De Gaulle) caused the cultural catastrophe we are still suffering.

The Russian conservatives also put an end to the Communist phantasm of the “progressive interpretation of history.” The Communists, indeed, from the Russian past whatever presaged the Revolution and rejected the rest. To the “progressivist and selective interpretation,” the conservatives opposed the “unique flow”: they simultaneously valorized all Russian historical traditions and mortally relativized the linear conception of Marxism.

Bibliography

Aldo FERRARI, «Radici e prospettive del nazionalismo russe», in Relazioni internazionali, janvier 1994.

Robert STEUCKERS (éd.), Dossier «National-communisme», in Vouloir, n°105/108, juillet-septembre 1993 (textes sur les variantes du nationalisme russe d’aujourd’hui, sur le “national-bolchévisme” russe des années 20 et 30, sur le fascisme russe, sur V. Raspoutine, sur la polé­mique parisienne de l’été 93).

Gerd KOENEN/Karla HIELSCHER, Die schwarze Front, Rowohlt, Reinbeck, 1991.

Walter LAQUEUR, Der Schoß ist fruchtbar noch. Der militante Nationalismus der russi­schen Rechten, Kindler, München, 1993.

Mikhaïl AGURSKI, La Terza Roma. Il nazionalbolscevismo in Unione Sovietico,  Il Mulino, Bologne, 1989.

Alexandre SOLJENITSYNE, Comment réaménager notre Russie?, Fayard, Paris, 1990.

Alexandre DOUGUINE (DUGHIN), Continente Russia, Ed. all’insegna del Veltro, Parme, 1991. Extrait dans Vouloir n°76/79, 1991, «L’inconscient de l’Eurasie. Réflexions sur la pensée “eurasiatique” en Russie». Prix de ce numéro 50 FF (chèques à l’ordre de R. Steuckers).

Alexandre DOUGUINE, «La révolution conservatrice russe», manuscrit,  texte à paraître dans Vouloir.

Konstantin LEONTIEV, Bizantinismo e Mondo Slavo, Ed. all’insegna del Veltro, Parme, 1987 (trad. d’Aldo FERRARI).

N.I. DANILEVSKY, Rußland und Europa, Otto Zeller Verlag, 1965.

Michael PAULWITZ, Gott, Zar, Muttererde: Solschenizyn und die Neo-Slawophilen im heutigen Rußland, Burschenschaft Danubia, München, 1990.

Hans KOHN, Le panslavisme. Son histoire et son idéologie, Payot, Paris, 1963.

Walter SCHUBART, Russia and Western Man, F. Ungar, New York, 1950.

Walter SCHUBART, Europa und die Seele des Ostens, G. Neske, Pfullingen, 1951.

Johan DEVRIENDT, Op zoek naar de verloren harmonie – mens, natuur, gemeenschap en spi­ritualiteit bij Valentin Raspoetin, Mémoire, Rijksuniversiteit Gent/Université d’Etat de Gand, 1992 (non publié).

Koenraad LOGGHE, «Valentin Grigorjevitsj Raspoetin en de Russische traditie», in Teksten, Kommentaren en Studies, n°71, 1993.

Alexander YANOV, The Russian New Right. Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR, IIS/University of California, Berkeley, 1978.

Wolfgang STRAUSS, Rußland, was nun?, Österreichische Landmannschaft/Eckart-Schriften 124, Vienne, 1993.

Pierre PASCAL, Strömungen russischen Denkens 1850-1950, Age d’Homme/Karolinger Verlag, Vienne (Autriche), 1981.

Raymond BEAZLEY, Nevill FORBES & G.A. BIRKETT, Russia from the Varangians to the Bolsheviks, Clarendon Press, Oxford, 1918.

Jean LOTHE, Gleb Ivanovitch Uspenskij et le populisme russe, E.J. Brill, Leiden, 1963.

Richard MOELLER, Russland. Wesen und Werden, Goldmann, Leipzig, 1939.

Viatcheslav OGRYZKO, Entretien avec Lev GOUMILEV, in Lettres Soviétiques, n°376, 1990.

Thierry MASURE, «De cultuurmorfologie van Nikolaj Danilevski», in Dietsland Europa, n°3 et n°4, 1984 (version française à paraître dans Vouloir).

 

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2010/06/14/fondements-du-nationalisme-russe.html

mardi, 06 juillet 2010

Florenskij, nozze mistiche tra fede e scienza

Florenskij, nozze mistiche tra fede e scienza

di Marcello Veneziani

Fonte: il giornale [scheda fonte]

 


Tornano le opere più importanti del filosofo e sacerdote russo fucilato nei gulag nel 1937 perché anti-materialista. La sua figura e i suoi scritti dimostrano come si possano conciliare i dogmi religiosi con i principi della matematica

Meriterebbe di esistere Dio, la Verità e la Santissima Trinità e meriterebbe che la fede fosse davvero la via della salvezza eterna, anche solo per coronare la vita, la morte e il pensiero ardente di Pavel Florenskij, filosofo, matematico e sacerdote. Non merita di perdersi nel nulla e nel vuoto una vita eroica così spesa, una tensione di pensiero così potente e incandescente, un amore così colmo di sacrifici e dedizione come quello che riversò Florenskij scommettendo tutto se stesso sulla verità. Sarebbe un peccato mortale subito dall’uomo, uno spreco divino, vanificare la vita e il pensiero di Florenskij; sarebbe un oltraggio imperdonabile alla pietà e all’intelligenza umana e divina.

La mente eroica di cui parlava Vico si incarna nel filosofo, scienziato e mistico russo, fucilato nell’Unione sovietica nel giorno dell’Immacolata, nel 1937, dopo anni di gulag. Ho davanti agli occhi la ristampa recente de La colonna e il fondamento della verità di Pavel Florenskij (San Paolo, pagg. 816, euro 64), il ponderoso capolavoro pubblicato nel 1914 e uscito la prima volta in Italia nel 1974 grazie a Elémire Zolla e Alfredo Cattabiani, che allora dirigeva la Rusconi libri. L’edizione italiana precedette anche quella russa del 1990, dopo la caduta del Muro. Colpisce in copertina il suo sguardo metafisico, i suoi occhi sono il riassunto esistenziale della sua fede e del suo pensiero, guardano dentro e altrove.

Fa impressione in questo testo il suo lucido e implacabile argomentare scientifico e matematico, il rigore della sua filosofia, la vastità della sua cultura, uniti a una fede assoluta in Dio, nel dogma trinitario, e una totale devozione alla Madonna. Lui presbitero della Chiesa ortodossa, padre di cinque figli e insieme autore di importanti scoperte scientifiche. Al punto da essere costretto dal regime comunista a continuare la sua ricerca scientifica tra lavori forzati, torture e gulag. Ma come egli stesso scrisse: «Il destino della grandezza è la sofferenza, causata dal mondo esterno e dalla sofferenza interiore».

Eppure Florenskij, nato in Caucaso il 1882, proveniva da una famiglia laica, di cultura positivista, e approdò con gli anni alla fede in Cristo e in Dio, quando discese in lui lo Spirito Santo, come amava dire, conservando tuttavia «la carnalità del pensiero» e l’attitudine alla matematica e alla fisica. Ma Florenskij visse tra antinomie fortemente marcate e le teorizzò alla luce della fede e del pensiero. A cominciare dalla prima radicale antinomia: «La verità è irraggiungibile - non si può vivere senza la verità». Arrivando a scegliere la Verità indipendentemente se sia possibile: «Io non so se la Verità esista o meno, ma con tutto il mio essere sento che non posso farne a meno, so che, se esiste per me è tutto: ragione, bene, forza, vita, felicità. Forse non esiste ma io l’amo più di tutto ciò che esiste... Metto nelle mani della verità il mio destino».

L’opera di Florenskij è percorsa dal pensiero simbolico («Per tutta la vita ho pensato a una sola cosa... il simbolo»), dal valore magico della parola, della bellezza e della liturgia e dal valore sacro della memoria, che è la presenza nel tempo dell’eternità. A cominciare dalla memoria dell’infanzia, che per Pavel aveva il duplice incanto di percepire integralmente la realtà e insieme di penetrare nella favola profonda del mondo. Il segreto della genialità, sosteneva, sta proprio nel saper custodire la disposizione d’animo dell’infanzia.

L’opera di Florenskij, amata in Italia da Augusto Del Noce e da Sergio Quinzio, da Padre Mancini e da Cristina Campo, ma prediletta anche da Massimo Cacciari, rivede la luce grazie al lavoro di Natalino Valentini, che ha curato anche altre opere di Florenskij dedicate al simbolo, a Bellezza e liturgia, fino alle memorie dedicate Ai miei figli o le lettere dal Gulag, dal titolo evocatore Non dimenticatemi (tutte disponibili negli Oscar Mondadori).

Resta il mistero di un matematico che fu sacerdote, di un mistico che fu uno scienziato. Come è possibile la ricerca scientifica se si è abbagliati dalla Verità divina e dal dogma trinitario, obietta il comune senso laico. Si può essere ingegneri, elettrificare la Russia e insieme sostenere che non c’è scampo tra «la ricerca della Trinità o la morte nella pazzia», studiare la Natura al microscopio e insieme pregare la Madonna “deipara”, come lui la definisce? L’opera di Florenskij sta a dimostrare che è possibile, anzi suggerisce che il pensiero di Dio può potenziare la vita e la scienza anziché mortificarli. La ricerca del mistero può suscitare la passione della ricerca scientifica perché spinge oltre i confini del risaputo. Florenskij non si accontentava delle regolarità delle leggi naturali, perché ricercava sempre l’eccezione, l’inspiegabile: la sua vocazione alla mistica, al miracolo e al mistero diventava così la molla per l’indagine scientifica, per la scoperta e per il calcolo matematico. L’amore per il soprannaturale lo spingeva a non fermarsi all’evidenza, alle leggi ripetitive della natura ma a cercare, tramite l’eccezione, l’irruzione del noumeno nel fenomeno. «Fu il Disegno Divino a educarmi alla trepidazione di fronte ai fenomeni» e alla ricerca. La fede apriva in lui gli orizzonti dell’intelligenza anziché precluderli.

Resta stridente il contrasto tra il pensiero mistico, la vita ascetica di Florenskij e il nostro mondo e il nostro tempo. Ma come egli stesso scrive: «Gli asceti della Chiesa sono vivi per i vivi e morti per i morti».
Di Florenskij in Russia non restarono neanche le spoglie. Nel luglio del 1997 furono ritrovate le fosse comuni di prigionieri delle isole Solovki dov’era detenuto Florenskij. In una delle sue ultime lettere dal gulag, Florenskij scriveva: «La vita vola via come un sogno e spesso non riesci a far nulla prima che ti sfugga l’istante nella sua pienezza. Per questo è fondamentale apprendere l’arte del vivere, tra tutte la più ardua ed essenziale. Colmare ogni istante di un contenuto sostanziale, nella consapevolezza che esso non si ripeterà mai più come tale». Pavel, Padre e Maestro.

 


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lundi, 21 juin 2010

Fondements du nationalisme russe

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES & du CRAPOUILLOT - 1994

Fondements du nationalisme russe

 

La Russie, dans son histoire, a toujours été étrangère aux dynamiques euro­péennes. Son nationalisme, son idéologie nationale, sont marquées par un double jeu d'attraction et de répulsion envers l'Europe en particulier et l'Occident en général. Le célèbre slaviste italien Aldo Ferrari nous le rappel­le: du 10ème au 13ème siècles, la Russie de Kiev est bien inserée dans le sys­tème économique médiéval. L'invasion tatare l'arrache à l'Occident, puis la Principauté de Moscou, en se réorganisant et en combattant les résidus de l'Empire Tatar, se veut une nouvelle Byzance orthodoxe, différente de l'Oc­cident romain ou protestant. La victoire de Moscou amorce l'élan de la Rus­sie vers les immensités sibériennes. De l'avènement de Pierre le Grand au règne de Catherine II et au 19° siècle, s'opère un timide rapprochement avec l'Ouest. Pour bon nombre d'observateurs, la révolution communiste inau­gure une nouvelle phase de fermeture autarcique, de désoccidentalisation, en dépit de l'origine ouest-européenne de son idéologie, le marxisme.

 

Mais l'occidentalisation du 19° siècle n'a pas été unanimement acceptée. Dès le début du siècle, un courant fondamentaliste, romantique, nationaliste, se manifeste avec véhémence dans toute la Russie: contre les “occidentalistes”, il se veut “slavophile”. Le clivage majeur opposant la gauche et la droite ve­nait de naître en Russie, dans le sillage du romantisme allemand. Il est tou­jours vivant aujourd'hui, où le débat est de plus en plus vif à Moscou. Le chef de file des occidentalistes du 19° était Piotr Tchaadaïev. Les figures les plus marquantes du camp “slavophile” étaient Kiréïevski, Khomiakhov et Axakov. L'occidentalisme russe s'est éparpillé en plusieurs directions: libé­raux, anarchistes, socialistes. Les slavophiles développèrent un courant i­déologique reposant sur deux systèmes de valeurs: la chrétienté orthodoxe et la communauté paysanne. En termes moins propagandistes, cela signifie l'autonomie des églises nationales (“autocéphales”) et un anti-individualis­me farouche qui considèrent le libéralisme occidental, surtout l'anglo-sa­xon, comme une véritable abomination.

 

Au fil des décennies, ce dualisme va se complexifier. La gauche va, dans cer­taines de ses composantes, évoluer vers un particularisme russe, vers un so­cialisme anarcho-paysan anti-capitaliste. La droite slavophile va se muer en un “panslavisme” manipulé par le pouvoir pour assurer l'expansion russe en direction des Balkans (appui aux Roumains, aux Serbes, aux Bulgares et aux Grecs contre les Ottomans). Parmi ces “panslavistes”, le philosophe Ni­kolaï Danilevski, auteur d'une fresque historique audacieuse où l'Europe est considérée comme une communauté de peuples vieux, vidés de leurs é­nergies historiques, et les Slaves comme une phalange de peuples jeunes, appelés à régir le monde. Sous la direction de la Russie, les Slaves doivent s'emparer de Constantinople, reprendre le rôle de Byzance et construire un empire impérissable.

 

Face à ce programme de Danilevski, le philosophe Konstantin Leontiev, lui, veut une alliance entre l'Islam et l'Orthodoxie contre les ferments de disso­lution libérale que véhicule l'Occident. Il s'oppose à toute guerre entre Rus­ses et Ottomans dans les Balkans. L'ennemi est surtout anglo-saxon. La pers­pective de Leontiev séduit encore beaucoup de Russes aujourd'hui. Enfin, dans le Journal d'un écrivain, Dostoïevski développe des idées simi­laires (jeunesse des peuples slaves, perversion de l'Occident libéral) auxquelles il ajoute un anti-catholicisme radical qui inspirera notamment les “natio­naux-bolchéviques” allemands du temps de Weimar (Niekisch, Paetel, Moeller van den Bruck qui fut son traducteur).

 

A la suite de la construction du chemin de fer transsibérien sous l'énergique impulsion du Ministre Witte, émerge une idéologie pragmatique et autar­cique, l'“eurasisme” qui veut se mettre au service de l'espace russe, que ce­lui-ci soit dirigé par un Tsar ou par un Vojd  (un “Chef”) soviétique. Les idéologues “eurasiens” sont Troubetzkoï, Savitski et Vernadsky. Pour eux, la Russie n'est pas un élément oriental de l'Europe mais un continent en soi, qui occupe le centre des terres émergées que le géopoliticien britannique Halford John Mackinder appelait la “Terre du Milieu”. Pour Mackinder, la puissance qui parvenait à contrôler la “Terre du Milieu” se rendait automa­tiquement maîtresse de la planète. En effet, cette “Terre du Milieu”, en l'oc­currence la zone s'étendant de Moscou à l'Oural et de l'Oural à la Transbaï­kalie, était inaccessible aux puissances maritimes comme l'Angleterre et les Etats-Unis. Elle pouvait donc les tenir en échec. La politique soviétique, sur­tout à l'heure de la guerre froide, a toujours tenté de réaliser dans les faits les craintes du géopoliticien Mackinder, c'est-à-dire à rendre le centre russo-sibérien de l'URSS inexpugnable. Même à l'ère du nucléaire, de l'aviation et des missiles transcontinentaux. Cette “sanctuarisation” de la “Terre du Milieu” soviétique a constitué l'idéologie officieuse de l'Armée Rouge, de Staline à Brejnev. Les néo-nationalistes impériaux, les nationaux-commu­nistes, les patriotes actuels s'opposent à Gorbatchev et à Eltsine parce qu'ils les accusent d'avoir dégarni les glacis est-européens, ukrainiens, baltes et centre-asiatiques de cette “Terre du Milieu”.

 

Voilà pour les prémisses du nationalisme russe, dont les multiples va­rian­tes actuelles oscillent entre un pôle populiste-slavophile (“narodniki”, de “narod”, peuple), un pôle panslaviste et un pôle eurasien. Pour Aldo Fer­rari, le nationalisme russe actuel se subdivise entre quatre courants: a) les néoslavophiles; b) les eurasistes; c) les nationaux-communistes; d) les natio­nalistes ethniques.

 

Les néoslavophiles sont essentiellement ceux qui épousent les thèses de Sol­jénitsyne. Dans Comment réaménager notre Russie?, l'écrivain exilé aux E­tats-Unis prône une cure d'amaigrissement pour la Russie: elle doit aban­donner toutes ses velléités impériales et reconnaître pleinement le droit à l'auto-détermination des peuples de sa périphérie. Soljénitsyne préconise ensuite une fédération des trois grandes nations slaves de l'ex-URSS (Rus­sie, Biélorussie et Ukraine). Il vise ensuite la rentabilisation maximale de la Sibérie et suggère une démocratie basée sur de petites communautés, un peu sur le modèle helvétique. Les autres néo-nationalistes lui repro­chent de mutiler la patrie impériale et de propager un utopisme ruraliste, irréalisable dans le monde hyper-moderne où nous vivons.

 

Les eurasistes sont partout dans l'arène politique russe actuelle. Le philoso­phe auquel ils se réfèrent est Lev Goumilev, une sorte de Spengler russe qui analyse les événements de l'histoire d'après le degré de passion qui anime les peuples. Quand les peuples sont passionnés, ils créent de grandes choses. Quand la passion intérieure s'estompe, les peuples déclinent et meurent. Tel est le sort de l'Occident. Pour Goumilev, les frontières sovié­tiques sont intangibles mais la Russie nouvelle doit respecter le principe du pluri­ethnisme. Pas question donc de russifier les peuples de la périphérie mais d'en faire des alliés définitifs du “peuple impérial”. Goumilev, décédé en juin 1992, interprétait dans un sens laïc les idées de Leontiev: peuples turco­phones d'Asie centrale et Russes devaient faire cause commune, sans tenir compte de leurs différences religieuses. Aujourd'hui, l'héritage de Goumi­lev se retrouve dans les colonnes d'Elementy, la revue de la “nouvelle droi­te” russe d'Alexandre Douguine, et de Dyeïnn (devenu Zavtra, après l'in­terdiction d'octobre 1993), le journal d'Alexandre Prokhanov, chef de file des écrivains et journalistes nationaux-patriotiques. Mais on le retrouve aussi chez certains musulmans du “Parti de la Renaissance Islamique”, no­tamment Djemal Haïdar. Plus curieux, deux membres du staff d'Eltsine, Rahr et Tolz, sont des adeptes de l'eurasisme. Leurs conseils n'ont guère été suivis d'effet jusqu'ici.

 

Les nationaux-communistes revendiquent la continuité de l'Etat soviétique en tant qu'entité historique et espace géopolitique autonome, précise Aldo Ferrari. Mais ils ont compris que les recettes marxistes n'étaient plus vala­bles. Ils se revendiquent aujourd'hui d'une “troisième voie” où la notion de solidarité nationale est cardinale. C'est notamment le cas du chef du PC de la Fédération de Russie, Guennadi Zouganov.

 

Les nationalistes ethniques s'inspirent davantage de l'extrême-droite russe d'avant 1914, qui entend préserver la “pureté ethnique” du peuple. En un certain sens, ils sont xénophobes et populistes. Ils souhaitent le retour des Caucasiens dans leur pays et manifestent parfois un antisémitisme virulent, selon la tradition russe.

 

Le néo-nationalisme russe s'inscrit bel et bien dans la tradition nationale et s'enracine dans des corpus doctrinaux du 19° siècle. En littérature, dans les années 60, les néo-ruralistes (Valentin Raspoutine, Vassili Belov, Soloükhi­ne, Fiodor Abramov, etc.) parviennent à évincer totalement les “libéraux occidentalistes”, amorçant de la sorte une véritable “révolution conservatri­ce”, avec la bénédiction du pouvoir soviétique! La revue littéraire Nache Sovremenik  s'est faite le véhicule de cette idéologie néo-orthodoxe, paysan­ne, conservatrice, soucieuse des valeurs éthiques, écologiste. Le communis­me, disent-ils, a extirpé la “conscience mythique” et créé une “humanité de monstres amoraux”, totalement “dépravés”, prêts à accepter les mirages oc­cidentaux. Enfin, cette “révolution conservatrice” s'imposait tranquille­ment en Russie tandis qu'en Occident la “chienlit” soixante-huitarde (De Gaulle) provoquait la catastrophe culturelle que nous subissons encore. Les conservateurs russes mettaient aussi un terme au fantasme communiste du “filon progressiste de l'histoire”. Les communistes, en effet, sélectionnaient dans le passé russe ce qui annonçait la révolution et rejetaient tout le reste. Au “filon progressiste et sélectif”, les conservateurs op­posaient le “flux uni­que”: ils valorisaient du même coup toutes les traditions historiques russes et relativisaient mortellement la conception linéaire du marxisme.

 

Robert STEUCKERS.

 

Bibliographie:

- Aldo FERRARI, «Radici e prospettive del nazionalismo russe», in Relazioni internazionali, janvier 1994.

- Robert STEUCKERS (éd.), Dossier «National-communisme», in Vouloir, n°105/108, juillet-septembre 1993 (textes sur les variantes du nationalisme russe d'aujourd'hui, sur le “national-bolchévisme” russe des années 20 et 30, sur le fascisme russe, sur V. Raspoutine, sur la polé­mique parisienne de l'été 93).

- Gerd KOENEN/Karla HIELSCHER, Die schwarze Front, Rowohlt, Reinbeck, 1991.

- Walter LAQUEUR, Der Schoß ist fruchtbar noch. Der militante Nationalismus der russi­schen Rechten,  Kindler, München, 1993.

- Mikhaïl AGURSKI, La Terza Roma. Il nazionalbolscevismo in Unione Sovietico,  Il Mulino, Bologne, 1989.

- Alexandre SOLJENITSYNE, Comment réaménager notre Russie?,  Fayard, Paris, 1990.

- Alexandre DOUGUINE (DUGHIN), Continente Russia, Ed. all'insegna del Veltro, Parme, 1991. Extrait dans Vouloir  n°76/79, 1991, «L'inconscient de l'Eurasie. Réflexions sur la pensée “eurasiatique” en Russie». Prix de ce numéro 50 FF (chèques à l'ordre de R. Steuckers).

- Alexandre DOUGUINE, «La révolution conservatrice russe», manuscrit,  texte à paraître dans Vouloir.

- Konstantin LEONTIEV, Bizantinismo e Mondo Slavo,  Ed. all'insegna del Veltro, Parme, 1987 (trad. d'Aldo FERRARI).

- N.I. DANILEVSKY, Rußland und Europa,  Otto Zeller Verlag, 1965.

- Michael PAULWITZ, Gott, Zar, Muttererde: Solschenizyn und die Neo-Slawophilen im heutigen Rußland,  Burschenschaft Danubia, München, 1990.

- Hans KOHN, Le panslavisme. Son histoire et son idéologie, Payot, Paris, 1963.

- Walter SCHUBART, Russia and Western Man, F. Ungar, New York, 1950.

- Walter SCHUBART, Europa und die Seele des Ostens,  G. Neske, Pfullingen, 1951.

- Johan DEVRIENDT, Op zoek naar de verloren harmonie - mens, natuur, gemeenschap en spi­ritualiteit bij Valentin Raspoetin, Mémoire, Rijksuniversiteit Gent/Université d'Etat de Gand, 1992 (non publié).

- Koenraad LOGGHE, «Valentin Grigorjevitsj Raspoetin en de Russische traditie», in Teksten, Kommentaren en Studies, n°71, 1993.

- Alexander YANOV, The Russian New Right. Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR,  IIS/University of California, Berkeley, 1978.

- Wolfgang STRAUSS, Rußland, was nun?,  Österreichische Landmannschaft/Eckart-Schriften 124, Vienne, 1993.

- Pierre PASCAL, Strömungen russischen Denkens 1850-1950,  Age d'Homme/Karolinger Verlag, Vienne (Autriche), 1981.

- Raymond BEAZLEY, Nevill FORBES & G.A. BIRKETT, Russia from the Varangians to the Bolsheviks,  Clarendon Press, Oxford, 1918.

- Jean LOTHE, Gleb Ivanovitch Uspenskij et le populisme russe, E.J. Brill, Leiden, 1963.

- Richard MOELLER, Russland. Wesen und Werden,  Goldmann, Leipzig, 1939.

- Viatcheslav OGRYZKO, Entretien avec Lev GOUMILEV, in Lettres Soviétiques,  n°376, 1990.

- Thierry MASURE, «De cultuurmorfologie van Nikolaj Danilevski», in Dietsland Europa,  n°3 et n°4, 1984 (version française à paraître dans Vouloir).

 

 

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dimanche, 20 juin 2010

"Weitere Revolutionen werden vorbereitet"

revOrangaIT.jpg"Weitere Revolutionen werden vorbereitet“

Ex: http://zurzeit.at/

Duma-Abgeordneter Markow über das Wesen der „Farbenrevolutionen“ und das Verhältnis Rußlands zu Europa und den USA

Herr Abgeordneter, inwiefern hat sich das Verhältnis zwischen Moskau und Washington verbessert, seit Barack Obama US-Präsident ist?

Sergej Markow: Barack Obama hat die Aggression gegen Rußland beendet und aufgehört, die Ukraine in die NATO zu holen, wo nur 15 Prozent der Bevölkerung für einen NATO-Beitritt sind. Auch hat Obama aufgehört, den Kriegsverbrecher (und georgischen Präsidenten, Anm.) Saakaschwili zu unterstützen, und aufgehört, Rußland auf dem internationalen Parkett offen zu kritisieren. Es ist eine gute Atmosphäre entstanden, aber es gibt noch keine konkreten Ergebnisse. Es gibt zwar Ergebnisse im Vertrag über die nukleare Abrüstung, aber dieser Vertrag ist für Obama wichtiger als für uns.

Wird nun die US-Politik zur Einkreisung Rußlands durch die NATO zu Ende sein oder wird sie unter vielleicht anderen Vorzeichen fortgeführt werden?

Markow: Die Zukunft ist offen. Die EU leidet derzeit unter einer Wirtschaftskrise, und ich glaube es gibt nur wenige, die in dieser Lage zu politischen Abenteuern bereit sind. Wir sind ja Befürworter einer strategischen Union zwischen Rußland und der EU, um gemeinsam ein großes Europa zu bauen. Es ist klar, daß Rußland und die Ukraine nicht Mitglieder der EU sein werden, aber was uns vorschwebt, ist eine wirtschaftliche europäisch-östliche Union, der Rußland, Weißrußland, die Ukraine, Aserbaidschan, Armenien und die Türkei angehören. Diese europäisch-östliche Union wäre kein Nachzügler, sondern ein Partner der Europäischen Union, und wir können Europa die Rolle eines wirklich wichtigen Spielers in der Politik zurückgeben.

Darüber hinaus können wir Europa seine wirtschaftliche Unabhängigkeit, vor allem was die Ressourcen betrifft, zurückgeben. Auch der anderen Seite möchten wir von der EU mehr moderne Technologie für unsere Wirtschaft haben. Wir wollen unsere Energieressourcen nicht nur für Geld verkaufen und diese Gelder auf den internationalen Finanzmärkten anlegen – nein, wir wollen unsere Ressourcen eintauschen. Jenes Land, das hier die Initiative ergreift, wäre dann ein wirklich führendes Land in der EU.

Aber die USA werden etwas dagegen haben, wenn zu einer Union zwischen Rußland und der EU kommen sollte, wie auch immer diese aussehen mag.

Markow: Hier gibt es die aggressive Politik Amerikas, die verhindern will, daß es eine strategische Vereinigung zwischen Europa und Rußland gibt. Aber gerade diese strategische Verbindung zwischen Rußland und Europa könnte ja auch zu einer Art Dreieck mit Amerika führen, weil Amerika schließlich auch auf christlichen Grundlagen gegründet ist. Wir sind nicht gegen Amerika, sondern wir sind nur dagegen, daß Amerika Europa dominiert. Wir wollen, daß Europa durch die Union mit Rußland selbständig und ein gleichwertiger Partner Amerikas wird, damit wir dann gemeinsam diese sogenannte europäische Zivilisation verteidigen können. Wir wollen Amerika nicht zerstören, aber wir wollen, daß Amerika für unsere allgemeinen europäischen Werte arbeitet.

Halten Sie es für möglich, daß es in den kommenden Jahren im postsowjetischen Raum zu von außen angezettelten Revolutionen kommen wird?

Markow: Diese Revolutionen werden jetzt vorbereitet in Weißrußland, in Pridnestrowje (die von Moldawien abtrünnige Republik Transnistrien, Anm.), im Iran, in Venezuela und vielleicht auch in der Türkei, wenn sich die Türkei weiterhin von Amerika entfernt. Und natürlich kann es noch mal den Versuch einer Farbenrevolution in der Ukraine geben und in gewissem Maß auch in Usbekistan. Weil die sogenannten Farbenrevolutionen die technologischen Revolutionen des 21. Jahrhunderts sind, wird es davon immer mehr geben. Im 19. Jahrhundert brauchte man für eine Revolution das Militär, im 20. Jahrhundert brauchte man politische Parteien und im 21. Jahrhundert braucht man für Revolutionen verschiedene Netzwerke: Man braucht Masseninformationsmittel, intellektuelle Kreise und öffentliche Meinungsbilder, die Einfluß nehmen.

Wie das Beispiel der Ukraine zeigt, beginnt es mit der Dämonisierung der gegenwärtigen Macht. Es wird ein Thema geschaffen, auf das die Netzwerke aufspringen und die optimale Zeit sind dabei Wahlen. 2004 war Janukowitsch der Wahlsieger, was die Organisation für Sicherheit und Zusammenarbei in Europa (OSZE) auch bestätigte. Aber dann kam im Zuge der Revolution Juschtschenko an die Macht, und damit wurde dem Land die Souveränität weggenommen.

Welchen Einfluß haben heute in Rußland eigentlich die unzähligen Stiftungen der USA oder die verschiedenen Organisationen des Herrn Soros?

Markow: Soros haßt Rußland, weil er keine Möglichkeit hat, Einfluß zu nehmen. Wenn man es so sagen will, dann haben die vielen kleinen russischen Sorose den großen amerikanischen Soros betrogen und deshalb mag er sie nicht mehr, weil er viel Geld verloren hat.

 
Das Gespräch führte Bernhard Tomaschitz.

Bild: Lizar

Sergej Markow
ist Abgeordneter zur russischen Staatsduma und außenpolitischer Sprecher der Partei „Einheitliches Rußland“.

 

L'occidentalizzazione del mondo nel pensiero di Aleksandr Zinov'ev

L’occidentalizzazione del mondo nel pensiero di Aleksandr Zinov’ev

di Francesco Lamendola

Fonte: Arianna Editrice [scheda fonte]





Se n’è andato, alla fine, nel 2006, il terribile vecchio, all’età di ottantatre anni.
Filosofo prestigioso, specializzato in questioni di logica; matematico geniale; romanziere amaro ed eccentrico; critico implacabile di tutto e di tutti: del comunismo e del post-comunismo; della Russia e dell’Occidente; del totalitarismo e della democrazia; uomo contro per eccellenza, ostinato, implacabile accusatore e irriducibile derisore di ogni conformismo, di ogni pigrizia mentale, di ogni acquiescenza al potere, qualunque esso sia: tale è stato Aleksandr Zinov’ev. Se l’è portato via, ancora indomito, un tumore al cervello; ma non se n’è andato in punta di piedi, bensì ruggendo e irridendo tutte le ipocrisie e tutte le forme di demagogia.
In Occidente non se ne sono accorti in molti, perché il personaggio era talmente scomodo che si è fatto di tutto per non propagarne li pericoloso messaggio: aveva attaccato Stalin e criticato Gorbaciov, accusato Eltsin e denunciato Putin; aveva, soprattutto, messo in guardia contro la ridicola pretesa occidentale (Fukuyama e soci) che, con la caduta dell’Unione Sovietica, anche il comunismo fosse finito per sempre. «Ritornerà - aveva detto - magari in forme inusuali ed inedite»; e non già perché ne avesse nostalgia, lui che fin dal 1976 era stato costretto all’esilio a causa della pubblicazione, in Germania, del suo romanzo «Cime abissali», ma che pure, davanti alle brutture del post-comunismo in Russia, aveva fatto il tifo per Gennadij Zjuganov, leader del vecchio Partito Comunista russo.
Gli avevano tolto tutti gli incarichi universitari; lo avevano espulso dalle istituzioni sovietiche; gli avevamo perfino strappato dal petto le decorazioni al valor militare guadagnate durante la seconda guerra mondiale (era stato un valoroso pilota di aviazione); ma non erano riusciti a ridurlo al silenzio. Poi, però, una volta caduta l’Unione Sovietica (come lui aveva previsto, allorché aveva criticato la “katastrojka” gorbacioviana), l’Occidente non aveva più avuto bisogno di lui; di lui che si era mostrato subito estremamente critico verso le forme sgangherate e mafiose del neocapitalismo proliferate in Russia sulle ceneri dell’ideologia marxista-leninista e che aveva denunciato come la sua patria fosse divenuta una semplice “colonia” dell’Occidente. Di lui che, soprattutto, si era mostrato critico implacabile delle “magnifiche sorti e progressive” promesse all’intera umanità dai fautori della globalizzazione.
Per lui, c’era qualcosa di ancor peggiore, sociologicamente parlando, dell’”uomo comunista”, ed era l’”homo sovieticus”: un tipo umano che voleva unire l’ozio e il parassitismo sociale, tipico della vecchia Unione Sovietica, con lo sfrenato desiderio del “tutto e subito” della Russia eltsiniana e putiniana, dominata da innominabili cricche e da squali della finanza e da avventurieri al caviale, mentre la massa del popolo faceva ancora le code nei negozi e non era in grado di pagarsi l’affitto di una abitazione decente.
Non che il mito del “popolo” facesse molta presa in lui, critico corrosivo ed implacabile demistificatore di tutte le ideologie umanitarie e progressiste della modernità; la stessa “umanità” era, per lui, una delle più subdole e delle più esiziali invenzioni dell’Occidente.
Vittorio Strada, in un celebre articolo sul «Corriere della Sera» del 30 dicembre 1997, così riassumeva le sue idee in proposito:

«C’era una volta l’Umanità… Inventata dagli stoici, spiritualizzata dal cristianesimo, secolarizzata dall’illuminismo, l’umanità, non come specie biologica classificata tra i mammiferi, ma come entità culturale inclassificabile tra gli organismi, è giunta al suo più alto grado di sviluppo o, meglio, di progresso,che ne segna però il tramonto, già iniziato in questa fine di secolo. […]  Iniziato con  la lieta novella che il nostro è forse “l’ultimo secolo umano”, cui seguiranno secoli di “storia superumana o postumana”questo “romanzo sociofuturologico” [ossia «L’umanaio globale»] non è tutto tenebroso, poiché a rischiararlo qua e là intervengono squarci di nostalgiche rievocazioni del comunismo sovietico che Zinov’ev criticò non per abbatterlo ma per salvarlo. Un comunismo che egli, in una variante mostruosamente peggiorata perché totalmente razionalizzata, ritrova proprio nell’umanaio occidentale, del quale la Russia, disse crucciato Zinov’ev, è diventata una colonia…»

Ora, di “occidentalizzazione” del mondo ci aveva già parlato Serge Latouche, ma con riferimento pressoché esclusivo ai paesi del Terzo e Quarto Mondo; mentre il punto di vista di Zinov’ev è molto più interessante, perché è quello di un russo che ha visto la sua patria “occidentalizzarsi” a tappe forzate, nel giro di pochi anni o pochissimi decenni; benché il processo fosse iniziato già da alcuni secoli e si fosse accelerato con l’azione riformatrice dello zar Pietro il Grande, per non parlare della “grande” Caterina, la sovrana illuminata…
Il punto di vista di Zin’ov è più ampio e più penetrante: da russo che ha visto e vissuto il traumatico passaggio dal totalitarismo sovietico, burocratico e inefficiente, al capitalismo d’assalto e semi-mafioso, ma con le stesse classi dirigenti gattopardescamente traghettate dall’uno all’altro, egli ci aiuta ad osservare il fenomeno dell’occidentalizzazione non solo nella sua dimensione coloniale o semicoloniale, ma anche in quella, più sottile e insidiosa, della cooptazione ideologica in guanti di velluto, basata sulla seduzione consumista e sulla filosofia cialtrona e irresponsabile del “tutto e subito”.
Il grande Dostojevskij lo aveva previsto o quantomeno paventato: occidentalizzandosi, la Russia avrebbe perduto la propria anima in cambio di un piatto di lenticchie. Ma Zinov’ev non ha più nemmeno l’illusione della “santa Russia”, l’illusione di quella arcaica e patriarcale Rus’ in cui ancora Sergej Esenin, ai primi del Novecento, aveva creduto, o voluto credere, con tutto il suo palpitante e disperato amore di poeta. Ciò rende l’analisi di Zinov’ev amara, impietosa, ma lucidissima e difficilmente confutabile.
Citiamo un passaggio chiave da «L’umanaio globale» (titolo originale: «Globalnyj Celovejnik», Mosca, Tsentrpoligraf, 1997; traduzione italiana di Alexei Hazov e Anna Cau, Milano, Spirali, 1998, pp. 167-173):

«I paesi occidentali si sono strutturati storicamente in “stati nazionali”, come organizzazioni sociali di livello organizzativo relativamente superiore al resto dell’umanità, come particolare “sovrastruttura” superiore alle altre.  Essi hanno sviluppato al loro interno  forze e capacità dio conquista  e di dominio sugli altri popoli.  E il concorso delle circostanze storiche ha dato loro la possibilità  di sfruttare il proprio vantaggio.  Io on ravviso in questo niente di amorale e di criminale.  I criteri della morale e del diritto non hanno senso se applicati ai processi storici.
L’aspirazione dei paesi occidentali a dominare il mondo  circostante non è soltanto frutto di malafede o di qualche loro particolare ambito. È condizionata dalle leggi dell’essere sociale.  L’influsso esercitato sull’evoluzione dell’umanità è stato contraddittorio. È stata una possente fonte di progresso. Ma è stata anche una non meno possente fonte di sciagure.  Ha prodotto innumerevoli guerre sanguinose, comprese due guerre mondiali “calde” e una “fredda”. Non solo non è scomparsa  col tempo, ma si è rafforzata.  Ha assunto nuove forme. Tra l’altro, la conquista di altri paesi e popoli è diventata una condizione indispensabile  per la sopravivenza dei paesi e dei popoli dell’Occidente. La tragedia della grande storia non consiste nel fatto che qualche uomo  malvagio, rapace e stupido spinga  l’umanità nella direzione sbagliata, ma nel fatto che l’umanità  è costretta a muoversi in questa direzione nonostante la volontà e i desideri di uomini buoni, generosi e intelligenti.
Con l’ovestismo l’Occidente ha sviluppato al suo interno un metabolismo incredibilmente intenso. Ha bisogno di risorse naturali, di mercati di sbocco,  di sfere d’investimento dei capitali, di forza lavoro a basso costo, di fonti di energia, ecc., in misura sempre crescente. Ma le possibilità sono limitate. E compaiono nuovi concorrenti,  che limitano ancora di più queste possibilità fino a minacciare l’esistenza  e il benessere dell’Occidente. La spinta dell’Occidente  al dominio mondiale, qualsiasi veste ideologica indossi,  è il bisogno vitale di conservare le posizioni raggiunte e sopravvivere in condizioni storiche rischiose.  L’intero sviluppo storico induce l’Occidente a perseguire un ordine mondiale  rispondente ai suoi interessi. E ha le forze per farlo. Durante la guerra fredda l’Occidente aveva elaborato una strategia politica, volta a stabilire un nuovo ordine conforme alla nuova situazione mondiale. Io l’ho denominata “occidentalizzazione” (“wetsernizzazione”).L’occidentalizzazione è l’aspirazione del’Occidente a rendere gli altri paesi simili a sé per ordinamento sociale, sistema economico e politico, ideologia, psicologia e cultura.  Dal punto di vista ideologico viene presentata come una missione umanitaria, disinteressata e liberatoria dell’Occidente, che ha la sua massima espressione nello sviluppo ella civiltà e nella concentrazione di tutte le virtù concepibili.  Noi siamo liberi, ricchi e felici - dice l’Occidente ai popoli da occidentalizzare - e vogliamo aiutarvi  a diventare liberi, ricchi e felici. Ma la reale sostanza dell’occidentalizzazione è tutt’altra.
Lo scopo dell’occidentalizzazione è assorbire gli altri paesi nella propria sfera d’influenza, , di potere e di sfruttamento. Assorbirli non con il ruolo di partner a pari potere e diritto - è praticamente impossibile vista la disparità di fatto delle forze -, ma con quello che l’Occidente ritiene più vantaggioso per sé. Tale ruolo può soddisfare una parte di cittadini dei paesi occidentalizzati, sia oppure per breve tempo. Ma nel complesso, è un ruolo di secondo piano e ausiliario. L’Occidente ha una potenza tale da non consentire la comparsa di paesi di tipo occidentale da esso indipendenti., che minacciano il suo dominio su una parte del pianeta conquistata e, in prospettiva, sull’intero pianeta.
L’occidentalizzazione di un dato paese non è solamente un’influenza dell’occidente su di esso, non è semplicemente l’imitazione di singoli fenomeni del modo di vita occidentale, non significa utilizzare i valori prodotti dall’Occidente, non è la possibilità di viaggiare in Occidente, ecc., ma è  qualcosa di molto più profondo e importante per esso.  È la ristrutturazione delle sue stesse fondamenta, della sua organizzazione sociale, del sistema di governo dell’ideologia, della mentalità della popolazione. Queste trasformazioni non sono fini a se stese, ma sono un mezzo per ottenere  quanto abbiamo detto prima.
L’occidentalizzazione non esclude la volontà dei paesi occidentalizzati, e neanche il desiderio, di percorrere questa via. Proprio a questo aspira l’Occidente: che la vittima predestinata si offra da sola al sacrificio, e che provi, per questo, anche riconoscenza. A tal fine è stato creato un potente sistema di seduzione e d’indottrinamento ideologico delle masse. Ma in ogni circostanza l’occidentalizzazione è unì’operazione attiva dell’Occidente, che non esclude neppure la violenza. La volontà da parte dei paesi occidentalizzabili non significa che tutta la loro popolazione accetti già questo orientamento della propria evoluzione. All’interno vi sono categorie in lotta  a favore o contro l’occidentalizzazione. L’occidentalizzazione non sempre riesce a spuntarla, come, ad  esempio,  è successo in Iran e in Vietnam.
L’intera attività di liberazione e di  civilizzazione dell’Occidente ha avuto in passato un unico scopo: la conquista del mondo per sé e non per gli altri, l’assoggettamento del pianeta ai propri interessi  e non a quelli altrui. Ha trasformato tutto ciò che lo circonda, perché gli stessi paesi occidentali potessero viverci comodamente. Quando qualcuno ha cercato di ostacolarlo, non ha avuto scrupoli a ricorrere a qualsiasi mezzo.  Il percorso storico del mondo è stato costellato di violenza, truffa e rappresaglia. Adesso le condizioni sono cambiate. L’Occidente è ormai diverso.  Ha mutato la propria strategia e tattica. La sostanza però  non è cambiata. Del resto non può essere diversamente, perché è una legge della natura. Ora, l’Occidente propugna la soluzione pacifica dei problemi, perché quella militare è pericolosa, e i metodi pacifici  gli creano una reputazione di arbitro supremo e giusto. Tali metodi pacifici hanno una particolarità: sono pacifico-coercitivi.  L’Occidente ha una potenza economica, propagandistica ed economica sufficiente a costringere i recalcitranti con metodi pacifici a fare ciò che gli serve. L’esperienza dimostra  che i mezzi pacifici possono essere integrati da quelli militari. Per questo motivo, qualunque sia la fase iniziale dell’occidentalizzazione di questo o quel paese, si evolverà comunque in un’occidentalizzazione forzata.
Per operare l’occidentalizzazione è stata messa a punto una tattica speciale. Vengono utilizzati i seguenti provvedimenti. Gettare discredito su tutti i principali attributi dell’ordinamento sociale del paese da occidentalizzare. Destabilizzarlo. Favorire la crisi dell’economia, dell’apparato statale e dell’ideologia. Dividere la popolazione in gruppi reciprocamente ostili, disgregarla, sostenere qualsiasi movimento d’opposizione, corrompere l’élite intellettuale e gli strati privilegiati. Contemporaneamente, propagandare i pregi della vita occidentale. Incitare la popolazione a invidiare l’abbondanza occidentale.  Creare l’illusione che quest’abbondanza sia raggiungibile anche da esso in brevissimo tempo se si porrà sulla via  delle trasformazioni seguendo i modelli occidentali.  Contagiarlo con i vizi della società occidentale, presentandoli  come manifestazioni di autentica liberà individuale. Aiutare economicamente il paese solo nella misura in cui ciò favorisce la distruzione della sua economia e la rende dipendente dall’Occidente,m mentre l’Occidente appare come suo disinteressato salvatore dai mali del modello di vita recedente.
L’occidentalizzazione è una forma particolare di colonialismo, in seguito al quale nel paese colonizzato si crea un modello sociopolitico di “democrazia coloniale” (secondo la mia terminologia),. Per alcuni tratti è la continuazione della vecchia strategia coloniale dei paesi occidentali, soprattutto della Gran Bretagna. Ma nel complesso è un uovo fenomeno, tipico del mondo contemporaneo. La sua paternità può essere attribuita, a ragion veduta, agli Usa.
La democrazia coloniale non è il risultato dell’evoluzione naturale dei paesi  colonizzati, in virtù  delle condizioni  interne e delle regole del suo ordinamento sociopolitico.  È qualcosa di artificioso, imposto dall’esterno e contro le tendenze evolutive manifestatesi storicamente. È sostenuta  dai metodi del colonialismo. Inoltre,  il paese colonizzato viene staccato dal sistema preesistente di rapporti internazionali. Ciò si ottiene distruggendo  i blocchi di paesi e disintegrando i grandi paesi, come è successo al blocco sovietico, all’Unione Sovietica e alla Jugoslavia.
Il paese avulso dal precedente sistema di rapporti   mantiene una parvenza di sovranità. Con esso si stabiliscono rapporti di partenariato apparentemente alla pari.  Gran parte della popolazione mantiene alcuni aspetti del modo di vivere precedente.  Si creano oasi economiche di modello quasi occidentale., sotto il controllo delle banche e delle compagnie occidentali,  nonché imprese  esclusivamente occidentali o miste. Ho usato la parola “quasi”, poiché queste oasi economiche  sono solo un’imitazione dell’economia occidentale moderna.
Al paese vengono imposti attributi esteriori  del sistema politico occidentale: multipartitismo,  parlamento, libere elezioni,  presidente, ecc. In realtà sono solo la copertura  di un sistema affatto democratico, ma piuttosto dittatoriale (“autoritario”). Lo sfruttamento del paese nell’interesse dell’Occidente  avviene con l’aiuto di una parte irrilevante della popolazione, che si nutre di questa funzione. Questi uomini hanno un elevato livello di vita, paragonabile a quello dei più ricchi strati dell’Occidente.
Il paese da colonizzare viene ridotto in uno stato tale che non può più funzionare autonomamente. Viene poi smilitarizzato fino a non essere più assolutamente in grado di opporre resistenza. Le forze armate servono solo a contenere le proteste della popolazione e a circoscrivere i tentativi dell’opposizione di cambiare lo status quo.
La cultura nazionale scade a un livello pietoso. Il suo posto viene occupato dai campioni più primitivi di cultura, o meglio, di pseudocultura occidentale. Alle masse vengono concessi: un surrogato della democrazia sotto forma  di libertinaggio, una blanda sorveglianza  da parte delle autorità, accesso ai divertimenti, un sistema di valori che affranca gli uomini dalla necessità di controllarsi e dalla morale.»

Come si vede, la posizione di Zinov’ev non è moralistica, poiché egli sgombra li terreno della storia dalla morale fin dall’inizio e sostiene (un residuo dell’hegelismo e dello stesso marxismo?) che la direzione della storia è quella che è, e pertanto che sarebbe vano deprecare certe conseguenze, una volta compresa la “necessità” delle premesse.
Ciò non toglie che la sua analisi sia lucida, penetrante, quasi spietata. Zinov’ev è un formidabile demistificatore: leggendo le sue pagine, non si può fare a meno di correre col pensiero all’Afghanistan, all’Iran, a tutti quei casi nei quali la posta in gioco del conflitto con l’Occidente è, appunto, l’occidentalizzazione, intesa come omologazione totale di quei Paesi ai valori, ai sistemi economici e finanziari, alla mentalità occidentale; ossia, allo scardinamento irreparabile dei precedenti sistemi social, economici e culturali, attuato nell’interesse di una parte minoritaria della popolazione e a danno della maggioranza di essa.
La democrazia, il parlamentarismo, non sono che specchietti per le allodole. Oppure qualcuno pensa davvero che il corrotto Kharzai sia preferibile al mullah Omar, non per l’egoistico tornaconto dell’Occidente, ma per gli interessi reali del popolo afghano? E che dire del tam-tam mediatico scatenato dall’Occidente intorno all’opposizione interna iraniana, spingendo migliaia di studenti a farsi massacrare dai Guardiani della Rivoluzione di Teheran, nell’interesse e col denaro dei servizi segreti occidentali, americani in primis?
C’è tuttavia una precisazione da fare, secondo noi, riguardo alle riflessioni sviluppate da Zinov’ev in merito al termine e al concetto stesso di “occidentalizzazione”.
Da buon russo, Zinov’ev considera “Occidente” tutto ciò che sta ad ovest della Russia, a cominciare dalla Polonia; e, d’accordo con la terminologia invalsa già da alcuni decenni, non distingue affatto tra Europa centro-occidentale e l’entità Stati Uniti-Canada; anzi, è fuori di dubbio che egli vi includa mentalmente anche l’Australia e la Nuova Zelanda.
Questa, però, è una grossolana semplificazione. Per un Italiano, un Francese o un Tedesco, “Occidente” è un termine ambiguo, che accomuna come se fossero omogenee, delle parti profondamente differenziate. Proponiamo pertanto che non si parli di “occidentalizzazione” del mondo, ma di “americanizzazione” : processo che è iniziato durante la prima guerra mondiale e che ha ricevuto la spinta decisiva durante la seconda, per poi proseguire “a tappeto” nella seconda metà del Novecento, grazie non solo al Piano Marshall, ma anche a Hollywood, al “blues”, al “jazz”, al “rock and roll”, alla televisione, alla pubblicità, a Hemingway, Faulkner, Fitzgerald, alla bomba atomica, alla Coca-Cola, al chewing-gum, alla conquista della Luna, alla “gioventù bruciata”, al mito scintillante di Manhattan e di Las Vegas, alla rivolta di Berkeley.
L’Italia, per esempio: cuore della civiltà europea per almeno tre volte - con l’Impero Romano, con la Chiesa cattolica e con il Rinascimento - non è diventata “Occidente” se non a partire dalla seconda guerra mondiale: prima con i devastanti bombardamenti arerei dei “liberatori” criminali, nel 1943-45; poi con il pane bianco, le sigarette e i dollari “generosamente” profusi dagli Usa per la ricostruzione; infine con il mito del “boom” economico e la distruzione della civiltà contadina, fra gli anni Cinquanta e Sessanta del ‘900.
Lo schema è sempre lo stesso: prima la seduzione culturale dell’american way of life, della musica leggera, del cinema (come è avvenuto tra le due guerre); poi l’attacco armato, brutale, spietato, scientificamente distruttivo; infine, di nuovo, l’invasione culturale, resa ancor più irresistibile dall’alone di gloria che sempre circonfonde i vincitori di turno. È lo stesso schema che abbiamo visto in atto nell’Afghanistan, dopo il 2001: come gli Afghani, anche noi abbiamo sperimentato i tre tempi: seduzione culturale; guerra e bombardamenti; invasione economico-finanziaria e nuova, definitiva ondata culturale.
Sarebbe ora di distinguere fra “Occidente” ed “Europa”. L’Europa, come giustamente affermava De Gaulle, va dall’Atlantico agli Urali. Comprende la Russia (senza la parte asiatica), di certo non comprende gli Stati Uniti e il Canada; a nostro avviso, inoltre, comprende solo in parte la Gran Bretagna. Il Canale della Manica è molto più largo di quel che non dica la geografia: fin dai tempi di Elisabetta Tudor, anzi fin dai tempi della Guerra dei Cent’Anni, per gli Inglesi l’Europa è “il continente”, una trascurabile appendice della loro inimitabile isola; per loro (ed hanno perfettamente ragione), gli Stati Uniti sono molto più vicini della Francia o dell’Olanda, in tutti i sensi; per non parlare dell’Ungheria, della Svezia o della Russia.
Loro guidano a sinistra; non si sentono veramente europei, ma isolani; l’Europa è quel continente che hanno sempre cercato di tenere diviso, indebolito, pieno di rancori, per poterlo meglio dominare finanziariamente ed economicamente.
Quando non ci sono più riusciti con le sole loro forze, a partire dal 1917, hanno chiesto aiuto ai loro nipotini americani.
Anche noi siamo stati occidentalizzati, caro Zinov’ev, nel senso di americanizzati: col bastione e con la carota; e anche noi, da ultimo, lo abbiamo fatto con zelo, con entusiasmo, addirittura con frenesia.


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Octobre 1993: les événements tragiques de Moscou

moscou93.jpgSYNERGIES EUROPÉENNES

VOULOIR

OCTOBRE 1993

Les événements tragiques de Moscou

 

Communiqué de presse du comité de rédaction de VOULOIR

 

Le comité de rédaction de la revue VOULOIR déplore les événements tragiques qui viennent de se dérouler à Moscou. Il estime:

- que, dans la querelle qui oppose le Parlement à la Présidence, il n'a pas été suffisamment tenu compte des conseils modérateurs du Dr. ZORKINE, Président du Tribunal Constitutionnel russe, qui prône un équilibre entre l'exécutif et le législatif.

- que les appels du Patriarche Alexis ll, qui s'était naguère insurgé contre l'américanisation des mœurs en Russie, sont dignes d'être écoutés et devraient davantage susciter l'intérêt de nos médias.

- que la position de Gorbatchev, peu suspect de soutenir les nationalistes ou les communistes du Parlement, est aux antipodes du manichéisme de nos médias; en effet, Gorbatchev déplore, comme nous, le recours à la force et la dissolution du Parlement proclamée récemment par l'exécutif. Cette position commune de Gorbatchev, de certains parlementaires russes et de notre groupe, montre qu'on ne peut construire une démocratie ex nihilo, et que toute démocratie russe doit reposer sur les structures déjà existantes, quitte à les réformer progressivement.

 - que les événements tragiques de ces deux derniers jours sont le résultat d'une déplorable précipitation et que la libéralisation de l'économie russe aurait dû s'effectuer sur le mode chinois, comme l'ont mentionné conjointement dans un débat à Moscou, le 1 er avril 1992, Alain de BENOIST (chef de file de la "Nouvelle Droite" française), Robert STEUCKERS (Directeur de Vouloir), Edouard VOLODINE (idéologue du FSN) et Guennadi ZOUGANOV (Président du nouveau "Parti Communiste Russe"). La Chine a procédé graduellement à une libéralisation de son économie, zone après zone. C'est ce modèle que préconise le FSN, à juste titre, nous semble-t-il.

- que les responsabilités de l'immense gâchis russe incombent principalement aux protagonistes de l'idéologie libérale pure, injectée dans la société russe lors de la libéralisation des prix de janvier 1992 par l'équipe de Mr. GAlDAR. Cette libéralisation a jeté de larges strates de la population moscovite dans la plus extrême précarité.

- que la position d'ELTSlNE a été fragilisée par les événements des 2 et 3 octobre 1993, du fait que sa police n'a pas pu tenir la rue, contrairement à ce qui avait été promis solennellement, et que sa démocratie s'impose en pilonnant le Parlement, alors que ce bâtiment aurait dû demeurer inviolable envers et contre tout, servir ultérieurement d'instrument à une démocratie réformée, partant de la base, des "Conseils" élargis à tous les éléments dynamiques de la population.

- Enfin, notre comité de rédaction déplore que le sang russe ait coulé, présente ses hommages et ses respects à toutes les victimes de cette tragédie, quel que soit leur camp. Par aileurs, nous signalons que Michel SCHNEIDER, qui avait accepté d'être l'un de nos correspondants à Moscou, a été blessé à l'épaule à proximité des bâtiments de la télévision dimanche soir. Et que Mme Larissa GOGOLEVA, qui était son interprète, a été très grièvement blessée par balle au même endroit. Notre comité rend hommage au courage de cette jeune femme, tombée dans l'exercice de sa profession et rappelle qu'elle avait traduit en russe plus d'un texte émanant de nos publications.  

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samedi, 19 juin 2010

La "Mère Volga" se meurt...

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Article de La Libre Belgique (15/06/2010)

Le plus grand fleuve de Russie est une catastrophe écologique. En cause, l’activité humaine et l’indolence des pouvoirs publics.

Boris Toumanov

Correspondant à Moscou

La Volga, le plus grand fleuve du continent européen (3 530 kilomètres) et un des symboles mondialement connus de la Russie, continue de s’éteindre sous le poids insupportable de la pollution due à l’activité et à la négligence humaine. Selon l’Institut écologique du bassin de la Volga, les ressources hydriques du fleuve subissent actuellement une charge huit fois plus grande par rapport à celle subie en moyenne par l’ensemble des autres ressources hydriques de la Russie.

Ce chiffre ne donne pourtant qu’une très faible idée de la vraie dimension du désastre. Selon les statistiques officielles, 45 % de la production industrielle et 50 % de la production agricole de la Russie sont concentrés dans le bassin de la Volga. C’est dans cet espace également que se trouvent 60 villes qui figurent sur la liste des 100 agglomérations urbaines les plus polluées du pays. Le volume des écoulements pollués déversés dans les eaux de la région constitue 38 % du chiffre général pour toute la Russie.

A cause de ça, les petits affluents de la Volga se trouvent dans un état critique. Selon les activistes du mouvement écologique local "Aidons les fleuves", les douze rivières de Nijni Novgorod, un des plus grands centres industriels du bassin de la Volga, sont d’ores et déjà "mortes". Précisons également que sur toute la longueur de la partie navigable du fleuve, on dénombre quelque deux milles et demi de bateaux abandonnés ou coulés avec leur chargement qui contaminent les eaux par le reste de combustibles ou par les produits chimiques.

Cette situation est aggravée par le fait que la cascade de barrages des huit centrales hydro-électriques ont transformé la Volga en un chapelet de lacs stagnants que sont devenus les réservoirs d’eau. C’est aussi une des raisons pour lesquelles l’eau du fleuve qui était potable aux années 50 du siècle dernier, ne l’est plus, ayant perdu sa capacité naturelle d’auto-purification.

Ajoutons que, selon les chercheurs de l’Université California Santa Barbara, le delta de la Volga se trouve dans la dizaine de zones côtières les plus polluées du monde. Cela ne surprend guère quand on sait que les berges cultivées - pour ne parler que de cette source de pollution - déversent dans le fleuve des tonnes et des tonnes d’engrais chimiques.

Inutile de dire que l’ensemble de ces facteurs a gravement déséquilibré le milieu biologique du fleuve, ce qui a fait de lui une puissante source de pollution. Des centaines de millions de poissons déchiquetés par les huit barrages contribuent à la destruction du milieu naturel de la Volga en catalysant la profusion des algues bleu-vert qui couvrent de 20 à 30 % de la surface des réservoirs d’eau. Elles dégagent 300 espèces de substances organiques toxiques dont 200 restent inconnues à cause de l’absence du biomonitoring expliquée par le manque de moyens financiers. Cette masse à acidification élevée est capable d’autoreproduction, ce qui rend irréversible le cercle vicieux de la pollution. Résultat : dans certains secteurs de la Volga, la part des poissons mutants a atteint en 2007 90 % !

Les efforts sporadiques entrepris par les autorités locales et les écologistes pour remédier à cette situation restent manifestement insuffisants face à l’indolence traditionnelle de la population et des chefs d’entreprises industrielles et agricoles. En attendant la Volga va vers une catastrophe écologique.

mercredi, 16 juin 2010

Perché Russia e Cina hanno votato le sanzioni all'Iran

Perché Russia e Cina hanno votato le sanzioni all’Iran

di Daniele Scalea

Fonte: eurasia [scheda fonte]


Perché Russia e Cina hanno votato le sanzioni all’Iràn

1. Mercoledì 9 giugno il Consiglio di Sicurezza dell’ONU ha imposto nuove sanzioni all’Iràn per il suo programma nucleare. Molti analisti sono rimasti sorpresi dal voto favorevole di Russia e Cina alle sanzioni, sebbene si tratti della quarta tornata di misure prese contro l’Iràn, e tutte avallate da Mosca e Pechino. A stupire è stato soprattutto che tali sanzioni facessero seguito ad un accordo concluso da Tehrān con la Turchia e il Brasile, per evitare l’arricchimento dell’uranio sul suolo iraniano senza privare il paese persiano della tecnologia atomica. In realtà, proprio quest’accordo ha costituito una delle principali motivazioni per cui Russia e Cina hanno accolto le nuove sanzioni.

2. L’accordo turco-iraniano mediato dal presidente brasiliano Lula prevede che nel corso dell’anno l’Iràn consegni 1200 kg d’uranio a basso arricchimento (ossia composto per meno del 20% dall’isotopo 235U, che può essere sottoposto a fissione nucleare; nel caso iraniano parliamo di uranio al 3,5%) alla Turchia, ricevendone in cambio 120 kg di combustibile nucleare arricchito al 19,5%; tale combustibile sarebbe destinato al Centro di Ricerca Nucleare di Tehrān, che lavora alla sviluppo d’isotopi a scopo medico. Dall’isotopo 235U, infatti, si può estrarre il molibdeno-99, da cui si ottiene il tecnezio-99m, usato nell’85% dei procedimenti diagnostici di medicina nucleare. Attualmente il 95% della produzione mondiale di molibdeno-99 avviene in sei reattori dislocati rispettivamente in Canada, Belgio, Olanda, Francia, Germania e Sudafrica, i quali utilizzano uranio-235 fornito prevalentemente dagli USA. Gli Stati Uniti d’America, col 4,5% della popolazione mondiale, impiegano il 40% della produzione globale di molibdeno-99, mentre l’Iràn, dove si trovano l’1% degli abitanti della Terra, ne impiega lo 0,25% della produzione totale. Fino al 2007 l’Iràn importava tutto il molibdeno-99 di cui abbisogna: da allora riesce a produrlo autonomamente, ma solo grazie a scorte di combustibile nucleare che risalgono ai primi anni ‘90 (fornite dall’Argentina) e che sono destinate ad esaurirsi nel giro di qualche mese. Gl’Iraniani si sono dichiarati disposti ad acquistare sul mercato internazionale nuovo LEU al 19,5%, ma hanno finora incontrato il veto degli USA, che pretendono in cambio una rinuncia completa al programma nazionale d’arricchimento dell’uranio (che pure è un diritto garantito dal Trattato di Non Proliferazione Nucleare, di cui la Repubblica Islamica è una firmataria). Rimangono perciò poche alternative: una rinuncia iraniana a produrre isotopi medici, tornando ad acquistarli dall’estero (l’opzione più gradita a Washington, ma giudicata inaccettabile da Tehrān); l’arricchimento dell’uranio al 19,5% da parte dell’Iràn (l’eventualità temuta dagli Atlantici, e non ancora tecnicamente sperimentata dai persiani); lo scambio di LEU al 3,5% con combustibile al 19,5%, proprio come previsto dal recente accordo con la Turchia (la soluzione di compromesso che, in teoria, dovrebbe accontentare tutti).

Val la pena notare che: i 1200 kg d’uranio a basso arricchimento (LEU secondo l’acronimo inglese) che l’Iràn consegnerebbe alla Turchia costituiscono più della metà delle sue scorte totali d’uranio; il LEU iraniano raggiunge al momento il 3,5% d’arricchimento, ancora ben lontano dalla soglia del 20% oltre il quale si realizza l’uranio ad alto arricchimento (HEU); per realizzare armi atomiche minimamente efficienti servono grosse quantità di uranio altamente arricchito (anche 90%).

3. L’accordo Turchia-Brasile-Iràn ricalca una precedente bozza negoziale proposta proprio dall’Agenzia Internazionale per l’Energia Atomica (AIEA) dell’ONU ed avallata dalle grandi potenze, USA compresi. Tale bozza d’accordo prevedeva che l’Iràn consegnasse i 1200 kg di LEU alla Russia: quest’ultima li avrebbe arricchiti al 19,5% e girati alla Francia, la quale li avrebbe incorporati in combustibile nucleare e consegnati all’Iràn. L’accordo era stato accettato con riserva da Tehrān: gl’Iraniani volevano infatti che lo scambio avvenisse simultaneamente e sul territorio iraniano, mentre le grandi potenze pretendevano che lo scambio fosse sequenziale (prima l’uranio iraniano alla Russia, e solo dopo il completamento del processo d’arricchimento il combustibile francese all’Iràn). La diffidenza iraniana derivava da precisi trascorsi negativi avuti con Parigi e Mosca.

Negli anni ‘70 l’Iràn investì circa 1 miliardo di dollari in Eurodif, un consorzio basato in Francia per l’arricchimento dell’uranio. Dopo la Rivoluzione Islamica del 1979, Parigi non solo si è rifiutata di consegnare l’uranio arricchito a Tehrān, ma per giunta si è tenuta i soldi pagati dagl’Iraniani. Con la Russia è successo qualcosa di simile. Nel dicembre 2005 fu siglato un contratto per la fornitura di missili terra-aria S-300 dalla Russia all’Iràn, ma da allora Mosca ha sempre addotto generiche e poco credibili scuse pur di non onorare l’impegno preso. Da qui il comprensibile timore dell’Iràn che, una volta consegnate le proprie scorte di LEU a Russia e Francia, questi due paesi possano rimangiarsi la parola data e non dare la contropartita pattuita.

Grazie alla mediazione di Lula da Silva, si è raggiunto l’accordo che in linea teorica permetterebbe di superare quest’ostacolo: agl’inaffidabili Russi e Francesi si sostituirebbero i Turchi, che godono della fiducia iraniana.

4. L’accordo a tre Iràn-Turchia-Brasile ha subito suscitato una reazione di difesa nel “concerto” delle grandi potenze vincitrici della Seconda Guerra Mondiale, ossia quelle dotate di seggio permanente e diritto di veto al Consiglio di Sicurezza dell’ONU: USA, Francia, Gran Bretagna, Russia e Cina. Questi cinque paesi hanno fin dall’inizio preso in mano la gestione del dossier nucleare iraniano, ammettendo al proprio fianco la sola Germania (il cosiddetto sistema “5+1”). L’iniziativa di Brasile e Turchia è stata immediatamente percepita come un’intrusione di nuove potenze emergenti nell’egemonia diplomatica delle potenze tradizionali. Non a caso, al Consiglio di Sicurezza i “cinque grandi” hanno fatto causa comune, votando all’unisono per sanzioni contro l’Iràn, trovando la scontata opposizione di Brasile e Turchia e l’astensione del piccolo Libano, conteso tra la sfera d’influenza siro-iraniana e quella saudita-nordamericana. La spaccatura dei “cinque grandi” in due fronti (gli Atlantici da una parte, Cina e Russia dall’altra) si è momentaneamente ricomposta per ribadire la propria posizione privilegiata nel panorama diplomatico internazionale. Non a caso Lula e Erdoğan hanno criticato la deliberazione del Consiglio di Sicurezza affermando che ne indebolisce l’autorità. Lo strapotere diplomatico dei vincitori della Seconda Guerra Mondiale appare ormai anacronistico, ma le nuove grandi potenze emergenti (non solo Brasile e Turchia, ma anche Germania, India e Giappone) non sono ancora abbastanza solide ed unite per abbatterne l’egemonia. Tuttavia, pure i “cinque grandi” da anni lavorano ad una riforma del Consiglio di Sicurezza, palese segnale che loro stessi si sono accorti di come la sistemazione attuale sia insostenibile sul lungo periodo.

5. La Russia, che fino a pochi mesi fa appariva la principale protettrice dell’Iràn, aveva delle motivazioni aggiuntive per votare la nuova tornata di sanzioni. La prima è affermare il proprio ruolo di potenza mediatrice nel Vicino Oriente.

Durante la Guerra Fredda il Vicino Oriente era quella che i geopolitici moderni definiscono una shatterbelt, ossia un teatro regionale in cui le rivalità interne coinvolgono i competitori globali. Nello scontro tra paesi arabi e paesi non arabi (Israele, Turchia e Iràn) s’inserirono le due potenze mondiali, l’URSS coi primi e gli USA coi secondi. La posizione regionale di Mosca, che dovette essere costruita ex novo negli anni ‘50 e ‘60 (prima il Vicino Oriente era un condominio franco-anglosassone), s’indebolì tuttavia molto presto col passaggio dell’Egitto e di altri paesi arabi nel campo atlantico. Il crollo dell’URSS ha portato negli anni ‘90 ad una completa esclusione dei Russi dalla regione, tant’è vero che per oltre un decennio Washington è stata arbitra indiscussa degli equilibri locali.

Negli ultimi anni, tuttavia, il prestigio statunitense nel Vicino Oriente è stato minato da tre fattori: l’eccessiva accondiscendenza verso Israele, che non conferisce credibilità alcuna al preteso ruolo di “mediatore”; la maldestra decisione strategica di liquidare l’Iràq baathista aprendo la via all’influenza iraniana, che ha preoccupato i paesi arabi del Golfo; le difficoltà militari incontrate nel paese mesopotamico.

Il Cremlino cerca d’avvantaggiarsi delle difficoltà di Washington, ma non si sente pronto ad avviare un nuovo bipolarismo regionale, facendosi tutore d’una delle due fazioni che si vanno configurando nel Vicino Oriente (da un lato Iràn, Siria ed alcuni movimenti palestinesi, libanesi ed iracheni; dall’altro Israele ed i restanti paesi arabi, spalleggiati dagli USA). I Russi si sono perciò limitati a dare una discreta assistenza alla Siria e all’Iràn per ristabilire un maggiore equilibrio delle forze in campo, e quindi cercare d’inserirsi come potenza mediatrice neutrale. Ciò richiede però due cose: Mosca non deve apparire troppo schierata (e perciò accondiscendere di tanto in tanto alle richieste d’Israele); nessun’altra potenza deve cercare d’inserirsi nel medesimo ruolo equilibratore. Quest’ultimo fattore crea qualche incomprensione tra Mosca e Ankara, pur in un quadro di marcata distensione ed avvicinamento. Anche la Turchia, infatti, nel momento in cui sostiene Iràn e Siria cerca anche di porsi come protettrice dei paesi arabi, in un’ottica definita spesso “neo-ottomana”. Di fatto, Ankara vorrebbe diventare il polo regionale, che unisca tutti i paesi del Vicino Oriente sulla base dell’esclusione d’uno solo: Israele. Potrebbe trattarsi solo d’un caso, ma lo sgarbo russo alla Turchia rappresentato dalle sanzioni all’Iràn segue di poche settimane il più sanguinoso oltraggio sionista alla dirigenza anatolica, ossia l’attacco alla Freedom Flotilla.

Mosca deve fare attenzione a non discendere lungo una china pericolosa. L’amicizia turca è fondamentale per la geostrategia russa, perché il paese anatolico può, potenzialmente, minarne l’influenza nei Balcani, nel Mar Nero, nel Caucaso e nell’Asia Centrale, ed anche in Europa se si pone come fulcro energetico alternativo. Al contrario, collaborando con esso Mosca può più facilmente proiettarsi nel Vicino Oriente. Fortunatamente per i Russi, al momento non ci sono segnali che indichino nulla più d’una contingente incomprensione coi Turchi, in un quadro di crescente amicizia e collaborazione.

6. D’altro canto, in Russia c’è sempre stato un acceso dibattito sulle relazioni da instaurare con l’Iràn. Mentre alcuni settori vorrebbero stringere una vera e propria alleanza in funzione anti-statunitense, altri – che per ora hanno il sopravvento – si mostrano più cauti. Per costoro la situazione attuale, di contrasto latente ma non bellico tra l’Iràn e il Patto Atlantico, è la più proficua per la Russia. E non solo perché permette ai Russi di concludere eccellenti contratti col paese persiano sfruttandone il semi-isolamento.

L’Iràn possiede le seconde maggiori riserve di gas naturali al mondo, seconde solo a quelle della Russia. Tuttavia, consuma quasi tutta la produzione per soddisfare il proprio fabbisogno interno, sicché è appena il ventinovesimo esportatore mondiale. Potenzialmente, un Iràn dotato di energia nucleare e non più ai ferri corti con gli Atlantici potrebbe cominciare ad esportare ingenti quantità di gas naturale in Europa, magari tramite il Nabucco (che parte da Erzurum, non molto distante dal confine iraniano), e quindi porsi come competitore della stessa Russia. Ma finché i rapporti tra queste due entità si mantengono tesi, Mosca non rischia nulla, e può invece cercare di convincere l’Iràn a vendere il gas all’India e quest’ultima ad acquistarlo, lasciando così intatta la leva energetica che la Russia possiede nei confronti dell’Europa.

7. Proprio l’energia è uno dei capisaldi della nuova politica estera russa. Mosca vuole mantenere ed anzi rinsaldare il proprio ruolo di perno energetico mondiale, o quanto meno eurasiatico. In tale scenario rientrano proprio gli accordi di cooperazione nucleare con l’India, la Turchia e l’Iràn. Come già riferito, l’accordo mediato da Lula non faceva altro che sostituire la Turchia alla Russia nel medesimo ruolo di fornitore del combustibile nucleare all’Iràn. Mosca non ha gradito e si è messa di traverso, facendo così capire chiaramente che qualsiasi accordo futuro dovrà coinvolgerla in prima persona.

8. Del resto, tra Russia e Iràn non è la fine della relazione. Il loro rapporto di collaborazione proseguirà, anche se – almeno nei prossimi mesi – con maggiore freddezza. I Russi promettono di aprire la centrale di Bushehr in agosto. Col voto favorevole alle sanzioni e col rifiuto di ammettere l’Iràn all’Organizzazione per la Cooperazione di Shanghai hanno voluto chiarire a Tehrān di non accettare ruoli da comprimari, ma di voler condurre le danze essi stessi. Mosca vorrebbe instaurare con l’Iràn un rapporto “ineguale”, com’è quello con la Siria: da un lato il tutore, dall’altro il protetto. È comprensibile, ma i Russi non dovrebbero mai dimenticare che l’Iràn è una vera e propria potenza regionale emergente, di ben altra pasta rispetto alla Siria. Le relazioni con Tehrān andranno modulate su basi differenti, oppure finiranno con l’essere conflittuali, a tutto vantaggio di Washington che prenderebbe due piccioni con una fava, mettendo una contro l’altra due potenze rivali.

9. Va infine tenuto conto della probabilità di un “voto di scambio”. Il Cremlino avrà chiesto qualche contropartita alla Casa Bianca in cambio del proprio assenso alle sanzioni, e la più plausibile è un rallentamento del programma di scudo anti-missili balistici portato avanti dagli USA. Evidentemente Mosca non si sente ancora pronta ad ingaggiare una nuova corsa agli armamenti con Washington, e perciò cerca di rimandarla il più possibile con ogni mezzo.

10. La Cina, dal canto suo, aveva molte meno ragioni per avallare la nuova tornata di sanzioni, e proprio per tale motivo è stata l’ultima ad accettarle e, secondo alcune voci, molto più della Russia avrebbe lavorato per ammorbidirle. Probabilmente, Pechino ha voluto evitare l’isolamento e continuare a muoversi in accordo con Mosca sul dossier iraniano: rimanendo sola contro tutti la propria capacità contrattuale nella questione si sarebbe alquanto indebolita.

11. Pechino e Mosca hanno modellato le sanzioni di modo da non compromettere i propri interessi economici in Iràn. Gli USA ed alcuni paesi europei faranno il resto, varando sanzioni unilaterali aggiuntive. In tal modo, il peso economico di Cina e Russia in Iràn andrà rafforzandosi ulteriormente nei prossimi mesi, a maggiore detrimento di quel che resta degli operatori europei.

12. In definitiva, l’assenso russo e cinese alle nuove sanzioni contro l’Iràn s’inserisce nel complesso ed intricato quadro delle interazioni tra le grandi potenze, un gioco diplomatico che prevede ambiguità ed apparenti voltafaccia, soprattutto da parte di quei paesi non abbastanza forti da mostrarsi intransigenti su ogni questione, di grande o piccolo conto (una possibilità oggi appannaggio solo degli USA). Tuttavia, lo scenario di medio e lungo termine non è destinato a mutare. Russia e Cina operano per scalzare l’influenza statunitense anche dal Vicino Oriente, e l’accordo con gli Atlantici verrà meno già nelle prossime settimane, quando questi ultimi cercheranno di varare sanzioni unilaterali che colpiscano anche quelle compagnie di paesi terzi che fanno affari con Tehrān. Perciò Russia e Cina continueranno ad essere per l’Iràn, se non gli amici più sinceri, di sicuro quelli più utili e potenti.


* Daniele Scalea è redattore di “Eurasia” e autore de La sfida totale. Equilibri e strategie nel grande gioco delle potenze mondiali (Fuoco, Roma 2010)


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Note sur une lignée d'écrivains: de Stendhal à Dostoïevski et Ernst von Salomon

stendhal_1214892515.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Note sur une lignée d'écrivains: de Stendhal à Dostoïevski et Ernst von Salomon

par Jérémie BENOIT

 

“Timidement, je caresse la reliure avec le dos de ma main. Je tourne la feuille de garde et je lis: «Stendhal, le Rouge et le Noir»”. Ainsi s'achève l'un des chapitres du roman d'Ernst von Salomon (1902 - 1972), Les Réprouvés (Die Geächteten) (1), œuvre phare de l'époque des corps-francs en Allemagne après la défaite de 1918. L'admiration envers Stendhal (1783-1842) dont témoigne la phrase de von Salomon suscite évidemment une réflexion sur les rapports que l'on peut établir entre ces deux écrivains, éloignés d'un siècle dans le temps, et a priori fort différents par leur culture. Mais le débat devra encore être élargi grâce à un aphorisme de Nietzsche (1844-1900), qui marque un relais dans la filiation Stendhal/von Salomon, en introduisant la personnalité de Dostoïevski (1821-1881). Dans Le Crépuscule des Idoles  en effet (2), Nietzsche relève: «Dostoïevski est, soit dit en passant, le seul psychologue qui ait eu quelque chose à m'apprendre. - Je le compte au nombre des plus belles aubaines de ma vie, plus encore que ma découverte de Stendhal»).

 

C'est donc cette lignée d'écrivains que nous allons tenter d'appréhender ici, sachant que, plutôt qu'à leur style, c'est à leur démarche intellectuelle, à leur idéologie, que nous nous attacherons prioritairement. Car Julien Sorel, le héros stendhalien apparaît comme le prototype de tout un courant d'idées dont le XXe siècle a vu —et voit encore—  se développer la descendance, au travers de personnages que l'on a qualifié de nihilistes, mais qui sont en fait des révolutionnaires détachés des contingences de la société bourgeoise.

 

La haine sociale

 

A propos du Rouge et le Noir, Paul Bourget notait en effet: «Plus nous avançons dans la démocratie, plus le chef-d'œuvre de Stendhal devient actuel» (3). C'est une manière de projeter le roman dans le XXe siècle, et donc de poser le principe d'un rapport direct, si l'on veut, avec Les Réprouvés de von Salomon. La grande figure de Julien Sorel incarne en effet «la rébellion moderne», selon les termes de Maurice Bardèche (4). Cette rébellion, personne mieux qu'Ernst von Salomon ne l'a décrite: «Nous étions enragés, écrit-il. Des drapeaux de fumée noire jalonnaient notre route. Nous avions allumé un bûcher où il n'y avait pas que des objets inanimés qui brûlaient: nos espoirs, nos aspirations y brûlaient aussi, les lois de la bourgeoisie, les valeurs du monde civilisé, tout y brûlait, les derniers vestiges du vocabulaire et de la croyance aux choses et aux idées de ce temps, ce bric-à-brac poussiéreux qui traînait encore dans nos cœurs» (5). Libération, purification, régénération, telles sont les thèses que pose ainsi Ernst von Salomon dans son roman. La question est finalement de retrouver l'homme au sein du dédale social. L'identité humaine, la recherche passionnée du moi, sont ainsi les seules valeurs qui subsistent aux yeux de l'écrivain.

 

Mieux que dans Les Réprouvés cependant, l'analyse de la révolte contre l'ordre établi se rencontre dans Le Rouge et le Noir. «La haine extrême qui animait Julien contre les riches allait éclater», écrit Stendhal au chapitre 9, puis: «Il ne vit en Mme de Rénal qu'une femme riche, il laissa tomber sa main avec dédain, et s'éloigna» (6). Ce sentiment d'abjection envers tout ce qui médiatise l'homme pour en faire un être social, empêtré dans des idées préétablies, forme le fond de l'attitude de Julien Sorel, quand bien même il cherche à entrer dans cet univers maniéré qu'il perçoit cependant comme ridicule. Car il n'y croit pas. Dès le premier contact avec la société policée, il se sent étranger, différent. Il aspire avant tout à se libérer du carcan social, pour se retrouver lui-même, homme. Supérieurement intelligent, ce cérébral ne pouvait laisser Nietzsche indifférent. Il possède son effet en lui les qualités du surhomme, capable de se surpasser, de transgresser les valeurs. La réflexion, l'analyse et finalement le crime de Julien Sorel trouvent un écho dans la démarche de Rodion Romanovitch Raskolnikov, le héros de Crime et Châtiment, œuvre de Dostoïevski (7).

 

La recherche de l'homme intégral

 

Raskolnikov, conscient lui aussi de sa supériorité, cherche également à se libérer du bourbier social, et sa pensée se fixe sur une vieille usurière, Aliona Ivanovna. «Quelle importance a-t-elle dans la balance de la vie, cette méchante sorcière?», se dit-il. Mais au-delà de la seule réflexion sociale, qui fait finalement le fond du roman de Stendhal, Dostoïevski introduit de plus une dimension psychologique propre à son œuvre. Si la vieille est l'obstacle social à abattre pour se libérer  —« Ce n'est pas une créature humaine que j'ai assassinée, c'est un principe»—  l'idée du crime germe aussi comme un défi à la propre libération du héros. «Suis-je capable d'exécuter cela?», se demande Raskolnikov. Car le héros étouffe entre les murs de la morale officielle. Il se sent, comme Julien Sorel, différent du troupeau de l'humanité. Le destin l'a désigné pour, ainsi que le dit Henri Troyat (8), «la terrible aventure de l'indépendance spirituelle». Des êtres comme lui possèdent le droit de dépasser les limites du social. Leur but unique est la recherche de l'homme intégral. Cette démarche en fait des sur-hommes nietzschéens. Car ni Julien Sorel, ni Raskolnikov ne regrettent leur crime. «Après tout, je n'ai tué qu'un pou, un sale pou, inutile et malfaisant», s'écrie Raskolnikov, tandis que Julien Sorel attend son exécution avec sérénité, entièrement libéré et purifié. «J'ai aimé la vérité... dit-il, Où est-elle?... Partout hypocrisie, ou du moins charlatanisme (...). Non, l'homme ne peut pas se fier à l'homme».

 

Leur recherche est donc essentiellement celle de l'humanité sincère. Par-delà les considérations sociales, Julien Sorel analyse ainsi la situation: «Avant la loi, il n'y a de naturel que la force du lion, ou le besoin de l'être qui a faim, qui a froid, le besoin en un mot». Car ajoute-t-il, en rupture totale avec la pensée rousseauiste sur laquelle s'appuie la société bourgeoise du XIXe (et du XXe) siècle, «il n'y a point de droit naturel». Au droit, il substitue le besoin, à la société, il oppose l'homme. Cette position est celle, nous l'avons vu plus haut, d'Ernst von Salomon, dégagé de toute contrainte avec ses camarades des corps-francs.

 

Chez Stendhal et Dostoïevski se trouvent les prémisses de la pensée libératrice de Nietzsche. L'homme est une créature naturelle, et comme telle, il est un prédateur. Tout homme supérieur a le droit et le devoir de prélever sa proie dans le troupeau. C'est pourquoi Raskolnikov se demande pour quelle raison son acte apparaît aussi odieux à son entourage: «Parce que c'est un crime? Que signifie le mot crime? Ma conscience est tranquille». Et, tout comme Julien Sorel, il s'offre en pâture à la société: «Certes, j'ai commis un assassinat... Eh bien! pour respecter la lettre de la loi, prenez ma tête et n'en parlons plus...». C'est à peu de choses près ce qu'exprime Julien Sorel au juge venu le visiter dans sa prison: «Mais ne voyez-vous pas, lui dit Julien en souriant, que je me fais aussi coupable que vous pouvez le désirer? Allez, monsieur, vous ne manquerez pas la proie que vous poursuivez».

 

Napoléon, modèle de liberté

 

La parallélisme entre Raskolnikov et Julien Sorel rencontre encore un autre écho dans l'admiration semblable qu'ils portent à Napoléon. «Un vrai maître, à qui tout est permis, songe le héros de Dostoïevski, canonne Toulon, organise un massacre à Paris, oublie son armée en Egypte, dépense un demi million d'hommes dans la campagne de Russie, et se tire d'affaires, à Vilna, par un jeu de mots. Et c'est à cet homme qu'après sa mort on élève des statues. Ainsi donc, tout est permis...». C'est là la terrible conclusion de Dostoïevski, qui hante toute son œuvre (9). Cette conclusion, nous la retrouvons chez Stendhal, bien que moins nettement dégagée: «Depuis bien des années, Julien ne passait peut-être pas une heure de sa vie sans se dire que Bonaparte, lieutenant obscur et sans fortune, s'était fait le maître du monde avec son épée» (10). Ernst von Salomon écrit quant à lui: «Dans une armoire, j'avais encore un portrait du Corse que j'avais décroché au début de la guerre» [de 1914]. Cette phrase montre là encore la totale admiration de tous les révolutionnaires pour Napoléon, quand bien même ils condamnent l'expansionnisme français.

 

Un prédateur régénéré dans la violence

 

Car ni Dostoïevski, ni von Salomon ne sont des adulateurs de l'Empereur. Leur nationalité limite l'enthousiasme que l'on ressent chez Julien Sorel. Abstraction faite de cette réserve, Napoléon est cependant un modèle absolu, celui de l'homme libéré du carcan social, du poids des considérations sociales. Lui seul porte à agir Julien Sorel et Raskolnikov, qui brûlent, l'un comme l'autre, de passer à l'action, et que les conditions sociales de leur époque empêchent de donner leur mesure. Le meurtre apparaît ainsi comme le substitut à l'héroïsme qu'on ne leur offre pas. Stendhal relève d'ailleurs dans son roman: «Depuis la chute de Napoléon (...) l'ennui redouble» (11). Ce sont ces contraintes qui poussent parfois Julien Sorel à se dévoiler violemment: «L'homme qui veut chasser l'ignorance et le crime de la terre doit-il passer comme la tempête et faire le mal comme au hasard?». Nous tenons là le véritable lien qui relie Stendhal à Ernst von Salomon. Prédateur, l'homme ne peut se régénérer que dans la violence, que déchaînent la guerre ou la révolution. Or, à l'inverse de Julien Sorel et de Raskolnikov, le destin d'Ernst von Salomon  —héros de son propre roman—  se dessina dans une époque de périls pour l'Allemagne, après la Première Guerre mondiale. Comme le personnage de Stendhal, il fut, en tant qu'élève à l'école des Cadets, frustré de «sa» guerre. Mais il put cependant se libérer grâce à l'épopée des corps-francs. Il ne s'agissait d'ailleurs pas seulement d'une lutte pour sauvegarder l'intégrité du territoire allemand, il s'agissait aussi  —et peut-être surtout—  de mettre en pratique cette nouvelle mentalité révolutionnaire, en conquérant de nouveaux espaces. Ce fut l'aventure du Baltikum qui permit de dépasser le nihilisme et de briser l'individualisme...

 

Le lieutenant Erwin Kern, compagnon de von Salomon, et l'un des assassins de Walter Rathenau en 1922, également héros du roman, recoupe entièrement ce que pensent Julien Sorel et Raskolnikov, lorsqu'il dit: «Pourquoi sommes-nous différents? Pourquoi existe-t-il des hommes comme nous, des Allemands comme nous, étrangers au troupeau, à la masse des autres Allemands? Nous employons les mêmes mots et pourtant nous ne parlons pas le même langage. Quand ils nous demandent “Que voulez-vous?”, nous ne pouvons pas répondre. Cette question n'a pas de sens pour nous. Si nous tentions de leur répondre, ils ne nous comprendraient pas. Quand ceux d'en face disent “intérêt”, nous répondons “purification”» (12). Purification, c'est-à-dire libération, sur-humanisation nietzschéenne.

 

De la liberté à la politique

 

Si la filiation s'établit assez facilement de Stendhal et Dostoïevski à Nietzsche et Ernst von Salomon, il existe cependant une grande différence entre les XIXe et XXe siècles. Les personnalités des différentes figures que nous avons considérées s'expliquent parfaitement d'un point de vue social et psychologique. Cependant, la révolte de Julien Sorel ou de Raskolnikov n'est pas la révolution programmée d'Ernst von Salomon, annoncée par Nietzsche (et d'autres penseurs). Il ne s'agit plus de se reconnaître différent en tant qu'individu, il s'agit de combattre les causes de la destruction de l'humanité. Dès lors, deux tendances vont se conjuguer, la réflexion et l'action, qui toutes deux se trouvaient en germe dans le romantisme. Le but suprême est la lutte contre la société bourgeoise, et par là-même, la régénération de l'humanité.

 

De là naîtra le mouvement que l'on nomme “révolution conservatrice”, dont Arthur Moeller van den Bruck (1876-1925) a certainement donné la meilleure définition (13): «Un révolutionnaire, écrit-il, n'est pas celui qui introduit des nouveautés, mais au contraire celui qui veut maintenir les traditions anciennes». Il ne nous appartient pas ici d'étudier ce courant d'idées (14). Notre dessein n'est que d'en repérer les origines et la continuité au travers d'un type de héros de roman. Cependant si Ernst von Salomon nous autorise à poser Le Rouge et le Noir de Stendhal comme étant une des sources des idées de la révolution conservatrice, il est permis de se demander pour quelles raisons les penseurs français classés à gauche, Zola ou Aragon (15), ont également tenté de récupérer la figure de Julien Sorel. Certes, la lutte anti-sociale du héros explique leur position. Mais c'est oublier une dimension essentielle de la personnalité de Julien Sorel, paramètre qui n'a pas en revanche échappé à von Salomon. Inférieur socialement aux personnages qu'il côtoie, Sorel se sent cependant supérieur à eux. Il considère l'injustice sociale non sur le plan strict du droit, mais sur le plan humain. Il ne cherche même pas à égaler ses maîtres, il revendique sa différence intellectuelle. Selon lui, tout comme pour Raskolnikov d'ailleurs, les mérites tiennent aux talents, nullement à la position sociale.

 

Or, cette supériorité n'a pas été remarquée —volontairement?—  par les critiques de gauche. En cela, on peut dire que leur annexion de Julien Sorel est abusive. Ce qui n'est pas le cas chez certains penseurs de droite. On se souviendra comment Ernst von Salomon s'éloigna du national-socialisme, parce qu'il considérait ce parti politique comme trop plébéien. Seule sa notoriété lui valut de ne pas être inquiété durant la période hitlérienne. Cette position d'extrême conscience de sa valeur avait également été celle de Stendhal durant son existence.

 

Psychologie du révolutionnaire

 

Nous avons vu se dessiner, dans ce qui précède, la psychologie du révolutionnaire. Mettons de côté cependant la problématique propre de Dostoïevski, qui est celle du rachat de l'homme marqué par la perspective chrétienne du Salut  —encore que les considérations religieuses et sociales ne soient pas absentes du Rouge et le Noir—,  et étudions en revanche la pathologie de ces personnages, si proches les uns des autres. On a souvent dit que les héros de Dostoïevski étaient tous des psychopathes. C'est possible. Mais une telle constatation, formulée dans le vocabulaire réducteur de l'aliénisme matérialiste, n'explique pas tout, bien au contraire. Car Stendhal, qui n'a guère fouillé la psychologie de Julien Sorel  —en dehors de ses réactions sociales—  note rapidement au chapitre 40: «Deux ou trois fois par an, il était saisi par des accès de mélancolie qui allaient jusqu'à l'égarement». C'est déjà l'annonce des crises des personnages de Dostoïevski, qui par-delà les démonstrations, fouille leur psychologie. Ainsi, après son crime, Raskolnikov se trouve-t-il en proie à un délire et à une inactivité qui révèlent une personnalité irrégulière, déréglée. C'est aussi l'explication que l'on peut donner au cri poussé par Ernst von Salomon au fond de sa prison. Captif de la société qui cherche à l'annihiler, le héros n'a plus d'autre solution que de hurler sa détresse. Réfractaire à toute mise au pas, désespéré, il laisse échapper sa soif de liberté dans un cri.

 

la société bourgeoise: un leurre

 

Conscients de leur supériorité intellectuelle, tous ces personnages se perçoivent si différents des gens établis, qu'ils en sont écrasés. Ecrasés parce qu'ils sont seuls face à la société. Leur sursaut est une déviation de l'action, qui passant par une sorte de dépression, les fait tomber dans le crime en les élevant. Mais ce n'est pas la dépression qui explique leur position face à la société. Cela doit être bien compris. La dépression n'est qu'un résultat. Elle n'est nullement originelle. Parce que la société les brime, les contraint, elle apparaît devant eux. Non l'inverse. Ainsi, ces personnalités s'analysent en fonction du cadre social dans lequel elles évoluent. Sans l'injustice, sans l'imbécillité, sans la lâcheté, sans l'ennui, toutes les figures que nous avons vues, auraient pu s'exprimer librement. Jamais elles ne seraient tombées dans la mélancolie  —voire dans la folie comme ce fut le cas pour Nietzsche—  si elles avaient été garanties par des sociétés libres. Toute leur réflexion démontre que la société bourgeoise n'est pas naturelle. Elle n'est pas la liberté. Elle n'est qu'un leurre, un piège. L'homme ne peut être libre que dans la nature, qui offre au plus fort la possibilité de la lutte.

 

Pourquoi tant de mouvements gymnastiques naquirent-ils en Allemagne dès la fin du XIXe siècle? Précisément pour faire contrepoids à une société bourgeoise étriquée, n'offrant à l'homme que des possibilités de jouer des rôles, sans que jamais il puisse s'épanouir pleinement. Or, ces rôles, Julien Sorel, Raskolnikov ou Ernst von Salomon en avaient dès l'abord décrypté l'hypocrisie. Originellement, ils ne sont pas des personnages déséquilibrés. Seule la société bourgeoise, artificielle, les a forgés comme ils sont, les a poussés dans leurs retranchements. Et c'est toute leur noblesse que de la refuser et de combattre pour l'élaboration d'une autre société, naturelle et humaine. L'égalitarisme démocratique est donc condamné en bloc par ces personnalités, qui ne rêvent que de sociétés fortes et viriles. Là en fait se situe la carence des psychologues, qui ne font que constater des faits, et qui ignorent délibérément un paramètre essentiel, le contexte social. Psychopathes, à tout le moins dépressifs, Julien Sorel ou Raskolnikov le sont sans doute selon les normes bourgeoises. Mais ils le sont parce qu'ils sont incapables de rentrer dans une société qui ne leur convient pas, une société de médiocres calculateurs, une société mercantile, essentiellement faite pour les faibles.

 

Or, ce sont ceux-ci qui jugent et condamnent ces personnages, sans être à même de les comprendre. Parce qu'ils ont été piégés par la société. Parce qu'ils manquent de grandeur morale. Parce qu'ils manquent simplement d'intelligence et de courage. Il faut en effet être particulièrement fort pour se mesurer à la société et à soi-même. C'est ce qu'affirment dramatiquement ces trois héros de la révolte européenne.

 

Jérémie BENOIT.

 

NOTES:

 

(1) Die Geächteten, Berlin, Rowohlt Verlag, 1930, trad. franç. (Les Réprouvés), Paris, Plon, 1931, p. 396.

(2) Le Crépuscule des Idoles, (1888) «Divagation d'un Inactuel», 45, trad. fr., Paris, Folio, p. 133.

(3) P. Bourget, Essai de Psychologie contemporaine, Paris, Lemerre, 1889.

(4) M. Bardèche, Stendhal romancier, Paris, La Table ronde, 1947.

(5) Les Réprouvés, op. cit. p. 120-121.

(6) Le Rouge et le Noir, Paris, Levavasseur 1830, chap. 10.

(7) Crime et Châtiment, publié dans Le Messager russe en 1866.

(8) H. Troyat, Dostoïevski, Paris, Fayard, 1960, p. 239.

(9) Cette idée que tout est permis à l'homme, parce qu'il n'y a pas de dieu, se retrouve en particulier dans les réflexions d'Ivan Karamazov. C'est en s'inspirant de lui que Smerdiakov, le bâtard, sorte de double infernal de son maître, tue le père Karamazov. Car, comme le fait observer H. Troyat, op. cit., p.356, «Smerdiakov confond la liberté avec l'arbitraire». On remarquera à ce propos que Dostoïevski, tout comme Stendhal d'ailleurs, n'a écrit qu'un seul roman, n'a créé qu'un seul type de héros, déclinés sous tous leurs aspects.

(10) Est-ce un hasard si Stendhal écrivit une Vie de Napoléon, éditée seulement en 1876?

(11) On se souviendra à ce propos de ce qu'écrivait Alfred de Vigny (1797-1863) dans Servitude et grandeur militaires (1835): «Cette génération née avec le siècle qui, nourrie de bulletins par l'Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue, et vint la prendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons». A quoi répondait Alfred de Musset (1810-1857) dans La confession d'un enfant du siècle (1836): «Alors s'assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tout ces enfants étaient des gouttes d'un sang brûlant qui avait inondé la terre».

(12) Cité par D. Venner, Histoire d'un fascisme allemand. Les corps-francs du Baltikum et la Révolution conservatrice, Paris, Pygmalion/Gérard Watelet, 1996, p.251.

(13) A. Moeller van den Bruck, La Révolution des peuples jeunes, Puiseaux, Pardès, 1993, p.137. On relèvera par ailleurs que Moeller van den Bruck fut un excellent connaisseur de Dostoïevski qu'il traduisit en allemand. Selon lui, «Dostoïevski était révolutionnaire et conservateur à la fois» (op. cit., p. 136)

(14) Sur ce point, on lira en particulier les publications des éditions Pardès, dont Armin Mohler, La révolution conservatrice en Allemagne, 1918 - 1932, 1993. On relèvera aussi le fait que parmi les maîtres penseurs de ce courant idéologique, Ernst Jünger avait d'abord pensé à intituler son roman Orages d'acier (1920), «Le gris et le rouge», par référence à Stendhal.

(15) L. Aragon, La lumière de Stendhal, Paris, Denoël, 1954.