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mardi, 24 mai 2016

Syndrome du bien-être: «L’objectif du néolibéralisme est d’individualiser les problèmes collectifs»

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Syndrome du bien-être: «L’objectif du néolibéralisme est d’individualiser les problèmes collectifs»

« Vous êtes accro à la salle de sport ? Vous ne comptez plus les moutons mais vos calories pour vous endormir ? Vous vous sentez coupable de ne pas être suffisamment heureux, et ce malgré tous vos efforts ? Alors vous souffrez sûrement du syndrome du bien-être », expliquent Carl Cederström, enseignant-chercheur à la Stockholm Business School, et André Spicer, professeur à la Cass Business School, dans leur dernier ouvrage “Le syndrome du bien-être” publié en France par les éditions de L’Échappée. Dans ce livre, les deux intellectuels montrent « comment la recherche du bien-être optimal, loin de produire les effets bénéfiques vantés tous azimuts, provoque un sentiment de mal-être et participe du repli sur soi ». Nous avons souhaité les questionner afin de comprendre comment se manifeste ce « syndrome du bien-être » et quels sont ses liens avec le néolibéralisme. Les deux chercheurs ont accepté de répondre par mail à nos questions.

Le Comptoir : Votre ouvrage entend dénoncer le « syndrome du bien-être ». Comment le définiriez-vous ? Comment le combattre ? En arrêtant le sport, les régimes et le yoga ?

Carl Cederström et André Spicer : Le syndrome du bien-être apparaît lorsque nous commençons à devenir obsédés par notre propre santé et bonheur. Quand nous voyons cela comme le plus grand bien dans la vie, nous sommes victimes du syndrome du bien-être. Cela implique généralement de penser que d’être en bonne santé et heureux fait de vous une bonne personne. Récemment, j’étais dans un pub à Londres et deux hommes, la vingtaine, assis près de moi, ont passé environ deux heures à discuter de leurs exercices quotidiens. Ils ont terminé en se félicitant de leur bonne santé. C’est, en bref, le syndrome du bien-être.

La lutte contre le syndrome du bien-être n’implique pas nécessairement l’annulation de votre abonnement à la salle de musculation. Elle implique en revanche que vous laissiez tomber votre obsession de la santé et dy bonheur et mettiez de côté toute la culpabilité qui en émane. Nous pouvons discuter et penser des sujets tellement plus intéressants. Par exemple, nous pourrions nous préoccuper du bien-être collectif plutôt que notre propre bien-être individuel. La plupart des psychologues constatent que s’engager à atteindre des objectifs personnels est motivant de façon seulement ponctuelle. Mais poursuivre un objectif beaucoup plus grand que soi-même permet d’y trouver un sens et une motivation durable.

La multiplication des salles de sport, ainsi que l’obsession pour les régimes, ne sont-elles pas avant tout des conséquences des mutations de nos modes de vie (sédentarisation et alimentation de plus en plus calorique) ?

L’ironie avec les salles de sport est que la plupart des gens qui s’y abonnent n’y vont pas. J’ai un abonnement moi-même mais je ne l’ai pas utilisé depuis des années. Je l’ai pris parce que je pensais que ça ferait de moi une meilleure personne. Quand je me sens coupable parce que j’ai trop bu la veille ou trop mangé, je peux aller à la salle comme une sorte de pénitence. La chose est également vraie avec les régimes : la plupart des personnes qui suivent un régime alimentaire finissent par prendre du poids. Mais ce faisant, le régime fait sentir aux gens – au moins pendant un court laps de temps – qu’ils prennent le contrôle de leur vie.

« Le néolibéralisme essaie de faire blâmer les choix du mode de vie individuels plutôt que les facteurs collectifs. »

Il est intéressant de noter que si diverses formes de travail sont menacées d’être automatisées par des robots, l’un des rares secteurs qui est à l’abri est celui de la santé et de sport. Il y a eu un boom des emplois tels que massothérapeute et entraîneur personnel. Ceux-ci sont difficiles à automatiser. C’est le signe que nous pourrions voir l’“économie du savoir” remplacée par l‘“économie du corps”. Cela permettra de donner du carburant supplémentaire à une population qui vieillit rapidement, qui est maîtresse de son temps et qui veut échapper aux griffes de la mort par tous les moyens nécessaires. Dans le passé, nous acceptions tout simplement que la mort appartienne au processus de la vie. Maintenant, nous fantasmons sur l’idée qu’avec une bonne alimentation et un bon mode de vie, nous pourrions vivre éternellement. Ray Kurzweil essaie de convaincre du bien-fondé de ce propos. Ce message est très attrayant pour tous les baby-boomers qui sont vieux aujourd’hui.

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En quoi le néolibéralisme est-il responsable de cette nouvelle forme d’hygiénisme ?

L’objectif du néolibéralisme est d’individualiser les problèmes collectifs. La conséquence est que des questions telles que la santé ne sont plus considérées comme causées par notre appartenance de classe. Au contraire, elles sont maintenant considérées comme faisant partie d’un choix de mode de vie des individus. Pourtant, regardez : à Chelsea à Londres, l’espérance de vie moyenne des hommes est d’environ 95 ans. Dans la banlieue de Glasgow, elle est de 54 ans. Chelsea est la banlieue la plus riche du pays. La banlieue de Glasgow est l’une des plus pauvres. Il est clair que la santé et la richesse sont liées. Si vous êtes pauvre, vous mourrez des décennies plus tôt. Le néolibéralisme essaie de faire blâmer les choix du mode de vie individuels plutôt que les facteurs collectifs. En conséquence, il prétend que quelques modifications de style de vie modifieront tout.

Vous montrez que cette idéologie du bien-être et du développement personnel est encouragée par le système et les entreprises. Cette conclusion contredit-elle le fantasme d’un capitalisme conservateur et répressif par essence ?

Le capitalisme est omnivore : il consomme tout ce qui l’aide à grandir. Actuellement, il fait face à une crise de croissance. L’expansion des anciens pays non-capitalistes, comme la Chine, patine : des alternatives doivent être trouvées pour soutenir la croissance. L’une d’entre elles est d’étendre l’économie à notre corps et à tous les aspects de notre vie. C’est ce dont il est question avec l’économie bio-morale. Les entreprises ne regardent pas seulement ce que les employés produisent, mais également ce qu’ils mangent, combien de temps ils dorment et ainsi de suite. Tous les aspects de la vie des salariés sont sous contrôle et pas seulement ce qu’ils produisent.

Certains intellectuels estiment que le capitalisme post-soixante-huitard repose sur l’idée de « vivre sans temps mort, jouir sans entraves ». Reprenant Slavoj Žižek, vous parlez de votre côté d’« injonction du surmoi à jouir ». N’est-ce pas contradictoire avec les injonctions hygiénistes que vous mettez en lumière ?

L’idée derrière tout cela est que vous devez profiter de la vie, mais pas en sortant en discothèque jusqu’à cinq heures du matin. Vous devriez plutôt vous réveiller à cinq heures du matin et aller dans un club de pré-travail, où vous pourrez danser, avoir un smoothie de régime, faire du yoga et recevoir quelques câlins gratuits de huggers payés. Ensuite, vous pouvez aller au bureau reposé et prêt pour une journée productive. Ce type d’intervention combine les aspects les plus expressifs du capitalisme avec ses aspects les plus répressifs.

« La forme la plus courante de sexe aujourd’hui est de loin la masturbation en regardant du porno. »

Dans La Culture du narcissisme, que vous citez de nombreuses fois dans votre livre, Christopher Lasch analyse l’avènement d’un individu replié sur lui-même et obsédé par son image. Quel lien existe-t-il entre montée du narcissisme et syndrome du bien-être ?

Le syndrome du bien-être est un enfant de la culture du narcissisme. Dans les années 1970, les narcissiques ont eu beaucoup de temps et de sécurité économique. Ils pouvaient s’épanouir librement par le jogging, consommer diverses drogues et multiplier les relations sexuelles et activités spirituelles. Ceux qui souffrent du syndrome du bien-être sont dans des situations différentes : ils ont des contrats à court terme et sont obligés de transformer leur exploration de soi en une aventure entrepreneuriale. Ils ne prennent pas de drogues pour s’évader, mais pour être plus productifs. Ils ne font pas de jogging pour se trouver, mais pour s’intégrer à leur équipe de travail. La forme la plus courante de sexe aujourd’hui est de loin la masturbation en regardant du porno. C’est un érotisme pour une société où les personnes sont déconnectées et pressées d’avoir un orgasme afin de retourner rapidement travailler sur une feuille de calcul ou mettre à jour leur profil LinkedIn. Vous ne devez pas vous embarrasser d’autres personnes.

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Toujours dans La Culture du narcissisme, Lasch note un déclin de l’esprit sportif. Il évoque une peur de la compétition qu’il explique en ces termes : « Aujourd’hui, les gens associent la rivalité à l’agression sans frein ; il leur est difficile de concevoir une situation de compétition qui ne conduisent pas directement à des pensées de meurtre. » Les salles de sport sont-elles un symptôme de ce déclin de l’esprit sportif ?

Je ne pense pas que les adeptes des salles de musculation comprennent ce que l’esprit sportif signifie réellement. Être engagé à développer une relation continue avec les gens, être contraint à la compétence associée à un sport et à ses traditions sont de belles choses. Les clubs sportifs font partie d’un mouvement social important du XXe siècle, qui a rencontré l’adhésion de gens de tous les horizons. Ils ont souvent été mis en place en tant qu’expression spontanée de la communauté. Aujourd’hui, dans de nombreux cas, ils sont tout simplement devenus une entreprise comme les autres, dépouillés de liens plus profonds et de vertus plus durables.

Nos Desserts :

"Het geheim van de laatste staat" van Paul Frissen

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"Het geheim van de laatste staat" van Paul Frissen

door Dirk Verhofstadt

Ex: http://www.liberales.be

frissen089539632.jpgHeel wat politici, filosofen en gewone burgers eisen van de overheid meer transparantie in het politiek bedrijf. Het lijkt wel het tovermiddel om onze democratie sterker en efficiënter te maken. En de politiek speelt daar ook op in. Nieuwe parlementsgebouwen worden gebouwd met grote glaspartijen als figuurlijk, maar ook letterlijk symbool van de gezamenlijke wil om te komen tot transparantie. Burgers krijgen zo bijna letterlijk inzage in de parlementaire werking en de verkozenen van het volk zien als het ware hoe de burgers op hen toekijken. Dus geen beslissingen meer in duistere achterkamertjes maar openbare debatten die dan via televisie en het internet gevolgd kunnen worden door al wie interesse heeft. Transparantie wordt ook geëist van zowat alle burgers om aan te tonen dat ze ‘niets te verbergen hebben’ en daarom figuurlijk doorzichtig moeten zijn. Leve de transparantie dus. Maar tegen die trend in schreef de Nederlandse hoogleraar Bestuurskunde Paul Frissen het boek Het geheim van de laatste staat waarin hij kritiek geeft op de transparantie en pleit voor het fundamentele recht van de burger op geheimen als één van de waarborgen van zijn vrijheid.

Frissen beseft dat het begrip ‘transparantie’ een buzzwoord van onze tijd is dat voortdurend wordt aangehaald ter bevordering van de democratie en om ‘de waarheid’ te kennen. Maar hij is overtuigd dat zowel de burgers als de staat geheimen nodig hebben om de vrijheid van de burgers te beschermen. Hij wijst daarbij op de paradox dat we met zijn allen wel belang hechten aan onze privacy maar via de sociale media overal sporen nalaten. En dat we wel alles willen weten over onze machthebbers maar schrikken als de staat in onze geheimen komt snuffelen. De auteur bespreekt eerst de historische oorzaken naar die drang naar transparantie. Sinds de Verlichting willen we zoveel mogelijk weten. ‘De sluiers van onwetendheid waarin geloof en magie de mensheid millennia lang hebben gehuld, moesten worden afgeworpen,’ schrijft Frissen. En met de opkomst van de democratie hebben burgers recht op informatie, moet openheid bijdragen in het geheel van check and balances, en willen we weten wat we van de overheid en onze bestuurders mogen verwachten. Transparantie draagt trouwens ook bij tot een betere marktwerking en het voorkomen van corruptie en belangenvermenging.

Je zou dus kunnen stellen dat transparantie in de democratie ‘zowel een voorwaarde als een doel is’, aldus Frissen. Maar toch kunnen er redenen zijn om niet alles te onthullen. Als dit nodig is voor de veiligheid van de staat, als belangrijke staatsbelangen op het spel staan, of bij de opsporing en vervolging van strafbare feiten. En, nog belangrijker, om onze privacy te beschermen. De auteur komt dan tot het besluit dat de ‘verbintenis tussen transparantie en democratie om verschillende redenen echter minder vanzelfsprekend (is)’. Sterker nog: totale zichtbaarheid van mensen spoort met totalitarisme. Frissen beklemtoont dat democratieën maar kunnen functioneren door representatie en dat politiek een vorm van ‘creatie’ is. Denk hierbij aan het sluiten van een compromis dat tot stand komt in beslotenheid. De auteur stelt dat de transparantiedwang veel van doen heeft met wantrouwen. Zijn voornaamste bezwaar is dat een transparante samenleving overeenkomt met een volmaakte controlesamenleving.

Dat laatste vormt het thema van diverse dystopische romans zoals Wij van Jevgeni Zamjatin, 1984 van George Orwell en De Cirkel van Dave Eggers. Vooral die laatste roman geeft een hallucinant beeld van wat er zou kunnen gebeuren mochten de sociale mediasystemen die we vandaag kennen, gebundeld worden in één groot bedrijf dat zo een quasi monopolie zou hebben over het doen en laten van bijna de gehele wereldbevolking. Politiek wordt overbodig omdat iedereen, in een vorm van directe democratie, op elk moment een voorstel kan goed- of afkeuren. ‘Privacy is diefstal’ en ‘Geheimen zijn leugens’ zo luiden de slogans van het bedrijf. Want waarom zou je eigen ervaringen niet willen delen met anderen, tenzij je slechte bedoelingen hebt? En zo volgen meer stappen naar volledige transparantie die bijna steeds voortvloeien uit goede bedoelingen, maar een gitzwarte keerzijde kennen. Namelijk een onthutsende ontmanteling van onze privacy met levens die permanent onder toezicht staan en gecontroleerd worden op afwijkend of ongezond gedrag. Het leidt alvast tot een totalitair systeem zonder enige vrijheid om zich eraan te onttrekken. ‘Niet gezond maar ongezond willen leven, dat alles is ook vrijheid’, aldus Frissen.

Gelukkig leven we niet in De Cirkel. We hebben nog steeds het recht om niet alles te onthullen en sommige vormen van geheimhouding zijn zelfs wettelijk voorzien zoals het beroepsgeheim van dokters, advocaten, journalisten, enz. Ook op de vrije markt mogen bedrijven geheimen hebben (denk aan het recept van Coca Cola), maar ook in de diplomatie, inlichtingendiensten, de politie en bij politiek overleg. De overheid heeft zelfs de taak om persoonsgegevens van burgers te beschermen. ‘Geheimhouding is noodzakelijk en functioneel voor de moderne staat, maar stuit op het ideaal van transparantie’, schrijft Frissen. Toch is de lijn soms flinterdun. Neem de bestrijding van criminaliteit en terreur waarvoor de staat moet kunnen beschikken over bijzondere bevoegdheden. Maar anderzijds mogen die bevoegdheden de rechten en vrijheden van de burgers niet aantasten. Frissen citeert dan ook de liberale denker Michael Ignatieff die pleit voor ‘het minste kwaad’ als een soort middenweg. In elk geval is geheimhouding soms noodzakelijk om de open samenleving in stand te houden.

‘Vrijheid is het recht in verborgenheid te leven’, aldus Frissen. Dit is een belangrijke uitspraak, zeker in het licht van de toenemende aantasting van onze privacy door de grote internetbedrijven. Vandaar de noodzaak van een kritische tegenbeweging van burgers en politici die opkomen voor onze privacy. Vandaar het belang van de rechtelijke uitspraak met betrekking tot Google over het ‘recht om vergeten te worden’. Vandaar de reden om elke wijziging in de bedrijfspolitiek in de nieuwe mediabedrijven met argwaan te onderzoeken. De leiders van Google, Facebook, Twitter en andere succesbedrijven zullen in alle toonaarden ontkennen dat ze onze privacy willen aantasten. De realiteit is dat onze private voorkeuren in de loop van geschiedenis nog nooit zo erg werden uitgebuit ten bate van de beurskoersen van de betrokken bedrijven. Geheimhouding is ook nodig om de veiligheid van de staat en haar burgers zo goed als mogelijk te beschermen tegen interne en externe vijanden. Om die reden is de auteur ook geen sympathisant van Julian Assange en Edward Snowden, al lijkt hun onthulling over de bedrijvigheden van geheime inlichtingendiensten nu net wel een positieve zaak in het zoeken naar het precaire evenwicht tussen geheimhouding en transparantie.

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‘Geheimhouding en transparantie zijn beide ten diepste verbonden in een dynamisch evenwicht dat voortdurend kan ontsporen’, schrijft Frissen. Vandaar het belang van de democratie en democratische processen om voortdurend afwegingen te maken. Dit boek vormt alvast een belangrijke bijdrage in het debat hierover en moet dan ook breed gelezen worden door beleidsmakers en gewone burgers om met de nodige nuance te kunnen oordelen.


Recensie door Dirk Verhofstadt

Paul Frissen, Het geheim van de laatste staat. Kritiek van de transparantie, Boom, 2016

Links
mailto:verhofstadt.dirk@telenet.be
 

lundi, 23 mai 2016

Basteln an der neuen rechten Weltanschauung

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Basteln an der neuen rechten Weltanschauung

Jürg Müller-Muralt

Ex: http://infosperber.ch

Die Partei «Alternative für Deutschland» ist auf dem Vormarsch. Fortschritte macht auch der weltanschauliche Überbau.

«Klassiker der Ästhetik»: So lautet die Lehrveranstaltung des Philosophiedozenten Marc Jongen (Foto) an der Staatlichen Hochschule für Gestaltung (HfG) Karlsruhe im Wintersemester 2015/16. «Im Seminar werden klassische philosophische Texte, die für das Verständnis der Ästhetik wesentlich sind, gelesen und diskutiert», steht in der Ankündigung. Ein akademischer Feingeist? Nicht nur; er kann auch anders. Flüchtlinge sieht er als eine Art Naturkatastrophe, als «schrankenlose Überschwemmung mit Menschen, die auf die lange Dauer nicht integrierbar sind, weil sie einfach zu viele sind und zu fremd». Wer das anders sieht, den bezichtigt er wahlweise einer «überzogen humanitaristischen Moral» oder einer «Hypermoral».

Nachzulesen ist dies in einem Interview mit Marc Jongen in der «NZZ am Sonntag». Dort ruft er auch zu Wehrhaftigkeit auf: «Wir müssen, um als europäische Staaten und Völker zu überleben, deutlich nüchterner, realistischer und auch wehrhafter werden». Denn: «Wenn unsere Vorväter dieses Territorium nicht leidenschaftlich und wenn nötig auch mit Gewalt verteidigt hätten, würden wir jetzt nicht hier sitzen und uns in unserer Sprache unterhalten». So kann man deutsche Geschichte auch interpretieren, wenn man der Wahrheit nur genügend Gewalt antut.

«Thymotische Unterversorgung»

plato2_1559507e.jpgGewalt, Wut und Zorn sind ohnehin Schlüsselbegriffe in der Welt des Marc Jongen. «Wir pflegen kaum noch die thymotischen Tugenden, die einst als die männlichen bezeichnet wurden», doziert der Philosoph, weil «unsere konsumistische Gesellschaft erotozentrisch ausgerichtet» sei. Für die in klassischer griechischer Philosophie weniger bewanderten Leserinnen und Leser: Platon unterscheidet zwischen den drei «Seelenfakultäten» Eros (Begehren), Logos (Verstand) und Thymos (Lebenskraft, Mut, mit den Affekten Wut und Zorn). Jongen spricht gelegentlich auch von einer «thymotischen Unterversorgung» in Deutschland. Es fehle dem Land an Zorn und Wut, und deshalb mangle es unserer Kultur auch an Wehrhaftigkeit gegenüber anderen Kulturen und Ideologien.

Der in der Schweiz noch wenig bekannte Marc Jongen gehört zur intellektuellen Abteilung der Rechtspartei «Alternative für Deutschland». Die AfD galt ja in ihrer Gründungszeit bis zur Parteispaltung Mitte 2015 als «Professorenpartei» und geizte auch im jüngsten Wahlkampf nicht mit akademischen Titeln auf Plakaten. Als akademischer Mitarbeiter an der Hochschule für Gestaltung Karlsruhe diente Jongen lange Jahre als Assistent des bekannten Philosophen und früheren Rektors Peter Sloterdijk, der sich allerdings mittlerweile deutlich von den politischen Ansichten seines Mitarbeiters distanziert (mehr zum Verhältnis Jongens zu Sloterdijk findet sich in einem Beitrag der Online-Plattform «Telepolis»). In der AfD ist Jongen Vize-Landesvorsitzender in Baden-Württemberg und Mitglied der AfD-Bundesprogrammkommission. Er schreibt an einem Papier, das die weltanschauliche Marschrichtung der Partei skizzieren soll.

«Gefilde abseits der Vernunft»

Der Mann hat also das Potenzial, innerhalb der seit den März-Wahlen in drei deutschen Bundesländern sehr erfolgreichen Partei eine zentrale Rolle zu spielen. Da muss es interessieren, wes Geistes Kind er ist. Jongen gehört nicht zu den Lauten in der Partei, er argumentiert lieber mit Platon und anderen philosophischen Grössen; da kennt er sich aus. Aber er war eben im vergangenen Jahr auch am Sturz von Bernd Lucke beteiligt, des verhältnismässig liberalen Parteivorsitzenden. Damit hat er den populistischen, nationalromantischen bis rechtsradikal-völkischen Kräften innerhalb der AfD zum Durchbruch verholfen.

Auffallend ist, wie stark sich Jongen mit reaktionären philosophischen Konzepten beschäftigt. Die «Frankfurter Allgemeine Zeitung» findet in einer lesenswerten Analyse, bei ihm schimmere eine Fundamentalkritik der Moderne durch: «Der Philosoph bezieht sich jedenfalls vorwiegend auf Denker, die in diesem Ruf stehen: Friedrich Nietzsche, Oswald Spengler, Martin Heidegger und einen Vordenker der ‘konservativen Revolution’ wie Carl Schmitt, der zunächst von seinem Schreibtisch aus die Weimarer Republik zu sabotieren suchte und dann nach der Machtergreifung ebenso wie Heidegger dienstfertig dem Nationalsozialismus zuarbeitete. Gemeinsam ist diesen Denkern, dass sie von der Vernunft und republikanischer Mässigung wenig hielten, sondern mehr von scharfen historischen Brüchen. Sie operierten vorwiegend in geistigen Gefilden abseits der Vernunft, in Ausnahmezuständen und Seinsordnungen, Freund-Feind-Schemata und dionysischen Rauschzuständen.»

Gegen Gleichstellung der Geschlechter

«Die Zeit» macht darauf aufmerksam, dass der AfD-Landesparteitag Baden-Württemberg unter der Federführung Jongens die Gleichstellung der Geschlechter mit der Begründung abgelehnt habe, man wisse sich dabei «mit den ethischen Grundsätzen der grossen Weltreligionen einig». Die dürften nicht «auf dem Altar der pseudowissenschaftlichen Gender-Ideologie» geopfert werden. Dies ist eine für einen philosophisch Gebildeten recht abenteuerliche Argumentation. Denn damit wird den Weltreligionen im Umkehrschluss eine wissenschaftliche Grundlage zugebilligt.

Die Mitgliedschaft Marc Jongens in der AfD hat, wenig erstaunlich, auch zu einigen Turbulenzen an der Hochschule für Gestaltung geführt. Der neue Rektor, Siegfried Zielinski, hat Jongen alle Leitungsfunktionen entzogen und ihn auch als Herausgeber der Schriftenreihe «HfG-Forschung» abgesetzt. Das ist demokratiepolitisch heikel und kann als Beschneidung der Meinungsäusserungsfreiheit interpretiert werden. Rektor Zielinski hat jedoch in einer bemerkenswerten Medieninformation vom 24. Februar 2016 seinen Schritt sauber begründet. Solange «die Partei, in der Jongen politisch engagiert ist, zu den legalen politischen Formationen gehört, geniesst er denselben Schutz wie alle anderen Hochschulangehörigen». Das Rektorat sei «indessen nicht für die personellen Konstellationen der Vergangenheit verantwortlich» und müsse sie deshalb nicht so belassen wie bisher.

«Wer denkt, ist nicht wütend»

Die Medieninformation wurde unter dem Titel «Wer denkt, ist nicht wütend» veröffentlicht, ein Zitat von Theodor W. Adorno. Es spielt an auf den von Jongen so oft bemühten und oben erwähnten Thymos (Wut, Zorn). Das Dokument ist auch deshalb eindrücklich, weil es präzis die Aufgabe einer Kunsthochschule beschreibt:

«Kunsthochschulen haben die Aufgabe, werdenden Intellektuellen, Künstlerinnen und Künstlern sowie Gestalterinnen und Gestaltern einen optimalen, anregenden, ihr Wissen und ihre Begabungen fördernden Freiraum zu organisieren. Das ist eine von Grund auf positive Herausforderung und Bestimmung. Eine Ideologie, die prinzipiell in der Verneinung eine Alternative sieht und aus der Perspektive der Verachtung handelt, bildet einen maximalen Gegensatz zu dieser Aufgabe.

(…)

Hass, Verbitterung, radikale Enttäuschung oder Unlust am Heterogenen vertragen sich nicht mit dem positiven Überraschungsgenerator, den eine gute Kunsthochschule der Möglichkeit nach darstellt.

(…)

Der neue Rektor folge «in seiner Arbeit einer Logik der Mannigfaltigkeit, der unbegrenzten Vielheit. (…) Als wichtigsten Impuls enthält eine Logik der Mannigfaltigkeit die uneingeschränkte Achtung vor dem Anderen, vor dem, was nicht mit uns identisch ist.»

(…)

«Die veröffentlichte Debatte um die Mitgliedschaft eines akademischen Mitarbeiters einer universitären Einrichtung des Landes Baden-Württemberg in der durch den Staat zugelassenen politischen Partei AfD schadet der HfG Karlsruhe als einer Einrichtung, die von kritischem Engagement, Gastfreundschaft, Erfindungsreichtum, Neugier und Toleranz getragen ist.»

Giono, Céline et Gallimard

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Giono, Céline et Gallimard

par Marc Laudelout

Ex: http://bulletincelinien.com

On a beaucoup commenté la manière dont Céline se comporta avec Robert Denoël, puis Gaston Gallimard. Au moins a-t-il toujours joué franc jeu : « J’étais l’auteur le plus cher de France ! Ayant toujours fait de la médecine gratuite je m’étais juré d’être l’écrivain le plus exigeant du marché – Et je l’étais ¹. »

gionoeeeeee.jpgGiono, c’est autre chose. Sa correspondance avec Gallimard, qui vient de paraître, nous montre un personnage d’une duplicité peu commune. Dès 1928, Gaston lui propose de devenir son éditeur exclusif dès qu’il sera libre de ses engagements avec Grasset. Grand écrivain mais sacré filou, Giono n’aura de cesse de jouer un double jeu, se flattant d’être « plus malin » que ses éditeurs. Rien à voir avec Céline, âpre au gain, mais qui se targuait d’être « loyal et carré ». Giono, lui, n’hésitait pas à signer en même temps un contrat avec Grasset et un autre avec Gallimard pour ses prochains ouvrages. Chacun des deux éditeurs ignorant naturellement l’existence du traité avec son concurrent. But de la manœuvre : toucher deux mensualités (!). La mèche sera vite éventée. Fureur de Bernard Grasset qui voulut porter plainte pour escroquerie et renvoyer l’auteur indélicat devant un tribunal correctionnel. L’idée de Giono était, en théorie, de réserver ses romans à Gallimard et ses essais à Grasset. L’affaire ira en s’apaisant mais Giono récidivera après la guerre en proposant un livre à La Table ronde, puis un autre encore aux éditions Plon.  En termes mesurés, Gaston lui écrit : « Comprenez qu’il est légitime que je sois surpris désagréablement. » Et de lui rappeler, courtoisement mais fermement, ses engagements, ses promesses renouvelées et ses constantes confirmations du droit de préférence des éditions Gallimard. En retour, Giono se lamente : « Avec ce que je dois donner au percepteur, je suis réduit à la misère noire. » Et en profite naturellement pour négocier ses nouveaux contrats à la hausse. Ficelle, il conserve les droits des éditions de luxe et n’entend pas partager avec son éditeur les droits d’adaptation cinématographiques de ses œuvres. Tel était Giono qui, sur ce plan, ne le cédait en rien à Céline. On peut cependant préférer le style goguenard de celui-ci quand il s’adresse  à  Gaston : « Si j’étais comme vous multi-milliardaire (…), vous ne me verriez point si harcelant… diable ! que vous enverrais loin foutre !  ² ».

À l’instar de Céline ³, Giono souhaitait se voir édité de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade. Dix ans plus tard, le même scénario se répète : l’auteur de Colline meurt en 1970 un an exactement avant la parution de ses Œuvres complètes sur papier bible.

• Jean GIONO, Lettres à la NRF, 1928-1970 (édition établie par Jacques Mény), Gallimard, 2016, 528 p. (26,50 €).

  1. (1) Lettre du 19 mars 1947 (Lettres à Milton Hindus, 1947-1949, Gallimard, 2012, p. 38).
  2. (2) Lettre du 20 juin 1956 (Lettres à la NRF, 1931-1961), Gallimard, 1991, p. 323).
  3. (3) Si Céline eut parfois des mots acides à l’endroit de Giono (« Rabindrathagoriste du poireau »), comment ne pas évoquer ici la belle lettre qu’il lui écrivit en 1953 alors qu’il avait exprimé (à Marcel Aymé) le vague souhait de s’installer dans le Midi. Ce qui valut à Giono ces remerciements émus de Céline : « Mon cher Giono, Marcel Aymé m’a lu votre lettre et je suis bien vivement touché par l’amitié que vous me témoignez et l’accueil que vous faites à mon projet d’aller séjourner vers Manosque». Renonçant finalement au projet, il poursuit : « Je suis bien sensible, croyez-le, à votre si généreuse offre de rechercher autour de vous des personnes disposées à me venir en aide… », pour conclure par cette formule inhabituelle sous sa plume : « Je vous embrasse cher Giono et vous remercie bien sincèrement et m’excuse et vous prie de me croire bien amicalement vôtre. Destouches » (Lettres, Gallimard, 2009).
BC-Cover516.jpgBulletin célinien n°385, mai 2016
Sommaire : 
Dictionnaire célinien des lieux de Paris – L’adaptation théâtrale de Voyage par Damien De Dobbeleer –
D’un Mourlet l’autre –
Rennes, de Céline à Kundera –
Le Journal de Marc Hanrez –
Dictionnaire amoureux de la langue française –
Un texte ignoré de Léon Daudet sur Céline –
Nietzsche et Céline –
Nos archives audio-visuelles

Contes de la folie dystopique

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Contes de la folie dystopique

Après avoir navigué dans les eaux claires et bienveillantes des fictions utopiques, il est temps d’accoster son envers ténébreux, le sinistre continent carcéral des dystopies. Inspirées des satires du XVIIe siècle, les dystopies (ou contre-utopies) naissent à une période critique et anti-totalitaire survenant au lendemain de l’âge d’or du scientisme, du positivisme social et de la croyance dans le progrès élaborés durant le XIXe siècle.

Les progrès de la technique et de la science n’ont pas seulement permis l’industrialisation de l’Occident mais ont profondément transformé les rapports de l’homme à l’univers et à sa propre nature biologique. La Première Guerre mondiale et son cortège d’armes chimiques, l’échec des grandes idéologies, la montée du fascisme en Europe de l’Ouest et l’expérience des camps de la mort durant la Seconde Guerre mondiale sont les principales causes de la dégénérescence de l’utopie. Les nombreuses désillusions qui traversent le XXe siècle vont progressivement pousser les utopistes à changer leur conception de l’avenir de l’humanité. Ils imaginent un monde dans lequel l’homme, constitué entièrement par la science, verrait ses actes et ses pensées déterminés génétiquement. Pourtant, les prémisses de la critique du “totalitarisme utopique” avaient déjà vu le jour trois siècles auparavant.

Généalogie du genre dystopique

labyrd3f4cfafe862f994c1.jpgLe préfixe dys de dystopie renvoie au grec dun qui est l’antithèse de la deuxième acception étymologique d’utopie (non pas u mais eu, “lieu du bien”). On fait remonter l’origine du mot “dystopie” tantôt au livre du philosophe tchèque Comenius intitulé Le labyrinthe du monde et le paradis du cœur (1623-1631), tantôt au livre Mundus Alter et Idem (Another world and yet the same, 1605) de l’évêque Joseph Hall, considéré comme l’inventeur de la subdivision du genre littéraire de l’utopie : la satire dystopique. Hall tourne en ridicule les récits de voyages populaires et s’emploie à fustiger les vices, notamment en inventant une carte de pays imaginaires dont chacun est régi par un vice dominant : par exemple, la Pamphagonia est le pays de la gloutonnerie, ou l’Yvronia, la région de l’ébriété.

Mais les signes avant-coureurs de la dystopie sont encore plus prégnants au XVIIIe siècle. Selon Raymond Trousson, les « quatre forces destructrices de l’utopie » que sont « le réalisme, le pessimisme, l’individualisme et le scepticisme » se déploient dans certains ouvrages, mettant sérieusement en cause l’optimisme des Lumières : La Fable des abeilles de Bernard Mandeville (1714), dénonçant l’ascétisme utopique et la suppression des pulsions individuelles ; Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1726), qui dévoile la mesquinerie ambiante de Lilliput, la décadence de Laputa et la méchanceté naturelle des Yahoos ; Le Philosophe anglais ou Histoire de Cleveland de l’abbé Prévost (1731), qui refuse l’entente parfaite entre la Raison et la Nature et considère l’utopie comme un faux paradis ; L’Histoire des Galligènes ou Mémoires de Duncan de Tiphaigne de la Roche (1765) enfin, rétablissant le sens d’une marche fatale de l’histoire liée à la nature des choses humaines. On compte aussi quelques précurseurs durant la seconde moitié du XIXe siècle : Le monde tel qu’il sera d’Emile Souvestre en 1846 et L’an 330 de la République de Maurice Spronck en 1895.

On peut en outre ajouter, pêle-mêle, selon l’écrivain Fernando Ainsa dans La reconstruction de l’utopie, tout un ensemble de catastrophes de politique-fiction : « les chocs futuristes d’Adolph Toffler, les catastrophes démographiques de Paul Ehnrlich, les grandes technocraties de Herman Kahn, les projets mécanistes de Buckminster Fuller, […] la révolution prônée par Marshall Mac Luhan » dans le domaine des communications. Y compris le terme de kakotopies (utopie de l’enfer) s’inspirant de Cackatopia de John Stuart Mill…

« La dystopie est un Enfer terrestre, mis à jour, créé par l’homme, sans intervention divine. »
Éric Faye

Le renversement radical du système utopique

Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, une dystopie n’est pas le contraire d’une utopie mais, comme le dit l’historien Frédéric Rouvillois, « une utopie en sens contraire », de sorte qu’en poussant les logiques totales qui président toute utopie traditionnelle, on débouche sur le pire des mondes possibles. Les mondes définis par les œuvres dystopiques sont l’inverse des utopies, dans le sens où elles exposent les mauvais lieux alternatifs, la face sombre de l’utopie. Comme l’exprime l’essayiste Georges Jean dans Voyages en Utopie, la dystopie dénonce le mécanisme atroce et paradoxal de l’utopie qui aboutit « à l’inverse de ce à quoi elle prétend ». Il faut cependant se garder de confondre ces “utopies à l’envers” (en 1981 le chercheur Kingsley Widmer parle d’« utopisme inversé ») avec les « mondes à l’envers » et autres carnavals littéraires.

Ainsi, nous pouvons affirmer avec Gérard Klein que la contre-utopie met « en scène une eunomie pour établir son inhumanité du fait de son incomplétude. En effet, l’eunomie repose sur le concept d’une nature humaine, servant de socle absolu à la définition de la bonne loi. Les anti-utopistes apportent la preuve par la fiction qu’un tel socle n’existe pas et qu’il se trouvera toujours au moins une modalité de l’humain à échapper au bénéfice présumé de la perfection utopique. » (Dictionnaire des utopies) Cette échappatoire se réalise, le plus souvent, par un retour à la nature et une libération absolue de l’individu.

« La dystopie n’est pas le contraire d’une utopie mais une utopie en sens contraire. »

Et d’un point de vue strictement littéraire, Raymond Trousson note que l’utopie « moderne » (entendre “contemporaine”), c’est-à-dire la dystopie, remet en cause le côté normatif et figé de l’utopie « traditionnelle ». Elle inverse l’utopie, en redonnant au héros une consistance qu’il n’avait plus ou pas dans l’utopie. Avec le héros revient également le sens de l’intrigue, le goût des choix, des pensées et des libertés individuelles. L’anti-utopie redevient romanesque, un vrai roman en somme, avec des péripéties et un dynamisme qui n’existent pratiquement pas dans le genre littéraire utopique.

La critique romanesque des maux modernes

« La dystopie peut être interprétée comme une utopie du désenchantement qui prospère sur les décombres des utopies. »

Kustodiev_Zamyatin.jpgC’est en 1920 avec la parution de Nous autres que la fiction dystopique naît véritablement. Cette œuvre phare de l’ingénieur russe Evguéni Ivanovitch Zamiatine donne ainsi ses “lettres de noblesses” au genre. Son ouvrage influença considérablement bon nombre de récits analogues tels que Le Meilleur des mondes d’Huxley et 1984 d’Orwell, publiés respectivement douze et vingt-huit ans plus tard.

Les contre-utopistes renouent avec la veine des utopies satiriques mais de façon beaucoup plus corrosive et en ciblant spécifiquement l’uniformisation de la vie, les manipulations idéologiques auxquelles sont soumis les individus dans les mondes utopiques, et, par corollaire, leur réduction à des pièces interchangeables de la machine sociale.

Les dystopies sont donc des œuvres politiques au sens fort, puisqu’elles se veulent aussi des critiques cinglantes, ironiques, caricaturales ou désespérées selon les cas, de sociétés réellement existantes, par exemple le monde plus spécifiquement pré-soviétique pour Zamiatine ou tous les totalitarismes de son époque pour Orwell. Comme le dit l’historien Bronislaw Backzo, dans Lumières de l’utopie (1978), « l’anti-utopie est une expression parfois plus corrosive et puissante que l’utopie… » pour dénoncer le monde présent. Elle témoigne d’un violent pessimisme en l’homme et en la nature, ce qui la démarque de presque toutes les utopies classiques largement optimistes qui popularisent le mythe du bon sauvage. La dystopie peut donc à juste titre être interprétée comme une utopie du désenchantement qui prospère sur les décombres des utopies, sur ce monde réel dont les caractéristiques ont parfois largement dépassées dans l’horreur les plus systématiques propositions utopiques.

nous-autrres.jpgCes œuvres voient donc dans l’utopie non pas une chance pour l’humanité, mais un risque de dégénérescence terriblement inhumaine qu’il faut empêcher à tout prix. Le but n’est pas de réaliser des utopies, mais au contraire d’empêcher qu’elles se réalisent. C’est l’avertissement du philosophe existentialiste Nicolas Berdiaeff en exergue du Meilleur des mondes : « Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?… Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société moins utopique moins “parfaite“ et plus libre. »

Le refus viscéral du bonheur obligatoire

« Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société moins utopique moins “parfaite“ et plus libre. »
Nicolas Berdiaeff

Les régimes liberticides sont ainsi combattus par l’ironie, la parodie, la caricature, la parabole, l’allégorie, la fable, le pamphlet, etc. Les ouvrages sont souvent désespérés, mais lucides : le totalitarisme, l’étatisme omniprésent, l’infantilisation généralisée, le bonheur grégaire, l’asservissement des individus et l’absence de liberté sont l’antithèse absolue d’une société ouverte. Dénoncer, s’opposer, décrire l’horreur… c’est donc aussi en arrière plan, proposer et susciter l’inverse : une société libre.

La vision dystopique est strictement individualiste, excentrique, donc contestataire. Les groupes réfractaires redeviennent des garants d’une ouverture possible, d’un avenir moins sombre, qu’ils soient « Méphis » dans Nous autres, « sauvages » dans Le Meilleur des mondes, membres de la « Fraternité » dans 1984, « hommes-livres » chez Ray Bradbury (Fahrenheit 451) ou « incurables » chez Ira Levin (Un bonheur insoutenable). Dans la plupart des ouvrages dystopiques, le seul recours face au monde inhumain est effectivement contenu dans la figure du rebelle, de l’opposant, du dissident, du fugitif, du réfractaire. L’écrivain Gilles Lapouge, dans Utopie et civilisations, affirme que le contre-utopiste est « un libertaire libertin individualiste […] qui se moque de la société et ne veut connaître que l’individu. » Il s’oppose à l’idéologie du bonheur universel : « Il a choisi le vital contre l’artifice, la nature contre l’institution. »

Il est tout de même important de rappeler, encore une fois, la relative porosité des frontières entre les genres utopiques : certaines utopies peuvent sombrer dans le désespoir (Quand le dormeur s’éveillera de H. G. Wells, 1899) quand quelques dystopies se laissent tenter par des rêves de réconciliation (Île d’Huxley, 1962).

« Le contre-utopiste a choisi le vital contre l’artifice, la nature contre l’institution »
Gilles Lapouge

Finalement, en dévoilant les logiques profondes de l’utopie – instaurer une perfection définitive ici-bas entièrement conçue comme totalité –, les dystopies donnent ainsi à voir, dans le détail le plus infime, les horreurs des totalitarismes à venir au XXe siècle. C’est cette corrélation entre totalitarisme et les trois grands romans dystopiques (Nous autres, Le Meilleur des mondes et 1984), qui sera l’objet d’une troisième et dernière partie.

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INTERVIEW FRANÇOISE BONARDEL : NIETZSCHE, DISCIPLE DE DIONYSOS

INTERVIEW FRANÇOISE BONARDEL : NIETZSCHE, DISCIPLE DE DIONYSOS

Françoise Bonardel nous parle de Nietzsche en tant que disciple de Dionysos, évoque les similitudes de la philosophie de Nietzsche avec la démarche alchimique, et l'actualité de sa vision dionysiaque du monde. Je m'aventurerais à dire qu'on a aussi parlé, ici, en quelque sorte, de la possibilité d'une gnose dionysiaque.

Site de Françoise Bonardel : http://www.francoise-bonardel.com

Blog de Pierre Kerroc'h : http://www.vivezentransemutants.com

Facebook : Pierre Kerroc'h

Het politieke denken van Chantal Mouffe

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Het politieke denken van Chantal Mouffe

Patrick De Vos

Ex: http://www.dewitteraaf.be

Het cordon sanitaire mag het VB (Vlaams Blok/Vlaams Belang) dan al verhinderen om aan het bestuur deel te nemen, de probleemstellingen, thema's en ideeën van het VB zijn uitgegroeid tot de common sense van het politieke denken in Vlaanderen en België. [1] In België is het VB daarmee het meest succesvolle politieke project van de voorbije 15 jaar; in heel Europa is het inmiddels de sterkste partij in haar soort geworden. Het oogst daarvoor aanzien in rechtse kringen over het hele continent.

Zoveel electorale voorspoed en ideologische impact stemt tot nadenken over de manier waarop we nu al jaren met die partij omgaan. In dat verband is het vreemd dat een Belgische politieke theoretica die ons daarbij kan helpen, de in Londen docerende Chantal Mouffe, in haar geboorteland, waar de problematiek wellicht het acuutst is, nagenoeg onbekend blijft. Als coauteur (met Ernesto Laclau) van het in 1985 verschenenHegemony and Socialist Strategy, en als auteur van The Return of the Political (1993), The Democratic Paradox(2000) en On the Political (2005), geniet zij bij een Anglo-Amerikaans, Latijns-Amerikaans, Frans en Duits lectoraat bekendheid om haar radicale en vernieuwende kijk op democratie.

Het werk van Laclau en Mouffe vind je binnen de politieke en sociale wetenschappen onder de noemer postmarxisme: de recentste telg van de marxistische stamboom, waarvan ook de sociaal-democratie, althans in principe, nog altijd een tak is. Laclau en Mouffe zijn kinderen van hun tijd: ‘68-ers die met het links-radicale denken zijn opgegroeid. Mouffe ging meteen na haar studies in Leuven naar Parijs om er bij de structuralist-marxist Louis Althusser te studeren. Daarna trok ze, als velen van haar generatie, naar de derde wereld. In Columbia werd haar al snel duidelijk dat althusseriaanse concepten, om het minste te zeggen, maar beperkt bruikbaar waren.

Rond 1970 radicaliseerde ook de Latijns-Amerikaanse studentenbeweging, aangemoedigd door de Cubaanse revolutie. Aan de Universiteit van Buenos Aires is de jonge marxist Ernesto Laclau politiek erg actief. Maar met de dogma’s van het marxisme worstelde hij toen al. Onder invloed van het Peronisme wou hij het marxisme met iets anders vermengen. Met hun lezing van de Italiaanse marxist Antonio Gramsci zullen Laclau en Mouffe uiteindelijk breken met het essentialisme en economisme van marxisten als Althusser en Poulanzas. In hun postmarxisme integreren zij de liberale notie van individuele rechten. De sociale horizon van hun politieke project is een radicale en pluralistische democratie. Het moet de doelstelling van Links zijn om de Democratische Revolutie, die tweehonderd jaar geleden geïnitieerd werd, te verdiepen en uit te breiden naar steeds meer gebieden van het sociale leven, steeds meer maatschappelijke sferen. Dat is wat ze bedoelen met “de radicalisering van de democratie”.

Daarnaast verwijderen Laclau en Mouffe het klassebegrip en de klassestrijd uit het marxisme. [2] De arbeidersklasse is niet langer de geprivilegieerde agent van de geschiedenis, en de strijd tegen het kapitalisme is niet noodzakelijk acuter dan die tegen racisme, seksisme of andere vormen van onderdrukking. Als we morgen alle kapitalistische productieverhoudingen afschaffen – voor zover dat al mogelijk is – dan zijn alle vormen van ongelijkheid en onderdrukking nog niet de wereld uit. [3] Wie de arbeider als geprivilegieerde politieke actor van de geschiedenis blijft zien, zal onder feministen of ecologisten weinig bondgenoten vinden. Hun politieke strijd is vanuit zo’n optiek immers van ondergeschikt belang. Laclau en Mouffe ontdoen het socialisme van deze essentialismen en effenen zodoende het pad om het, samen met feminisme, ecologisme, antiracisme, andersglobalisme enzovoort, tot een nieuw links project te articuleren. We spreken midden jaren ‘80 toen in de Britse context, waar ze inmiddels werkten, het thatcherisme pas goed op dreef kwam.

De liberale democratietheorie

Historisch gezien is onze democratie gegroeid uit de combinatie van twee vormgevende principes. Ten eerste de zogenaamde rule-of-law, die geassocieerd wordt met liberalisme, scheiding der machten, individuele vrijheden en mensenrechten. Elke burger komen onvervreemdbare, fundamentele rechten toe, die grondwettelijk verankerd zijn, en die de bescherming garanderen van de integriteit en de vrijheid van het individu. Deze ideeën passen in een liberale denktraditie die teruggaat tot de 17de-eeuwse Engelse filosoof John Locke. “All men are born free and equally alike”, zei Locke: dat is hun natuurlijke staat.

Ten tweede is er de notie van de volkssoevereiniteit, die geassocieerd wordt met democratische participatie, formele gelijkheid tussen burgers en het beslissen bij meerderheid. Hier staat de gedachte centraal dat het volk zichzelf bestuurt; een gedachte die teruggaat tot de Griekse stadstaat en die in de moderne tijd terugkeert bij de 18de-eeuwse Franse filosoof Jean-Jacques Rousseau.

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Deze twee principes vormen geen eeneiige tweeling. Tussen beide heerst een onherleidbare spanning, die Mouffe “de democratische paradox” noemt. Er is bijvoorbeeld een spanning tussen het liberale principe van individuele rechten en de nood van elke democratische samenleving aan sociale en politieke eenheid. Niet-negotieerbare mensenrechten (liberalisme) beperken onvermijdelijk de volkssoevereiniteit (democratie), terwijl de in- en uitsluiting aan de hand waarvan bepaald wordt wie er wel en niet tot de demos behoort (democratie) aan de universele mensenrechten (liberalisme) noodzakelijk beperkingen oplegt. Er is immers geen garantie dat een democratische beslissing de individuele rechten en vrijheden niet op het spel zet.

Hoewel we vandaag onder democratie, als vanzelfsprekend, liberale democratie verstaan, gaat het dus om een articulatie van twee verschillende tradities: de liberale traditie van individuele vrijheid en pluralisme, en de democratische traditie van volkssoevereiniteit en gelijkheid. Liberalisme is geen homogene doctrine, maar een amalgaam van principes: de rechtsstaat, individuele vrijheden en rechten, de erkenning van sociaal-politiek pluralisme, representatief bestuur, de scheiding der machten, limitatie van de staatsmacht, de kapitalistische markteconomie. Democratie, van haar kant, ontstond als een vertoog over volkssoevereiniteit, universeel stemrecht en gelijkheid.

In oorsprong waren liberalisme en democratie oppositioneel, en had de term democratie zelfs een pejoratieve betekenis: de heerschappij van het gepeupel, en dus chaos. Beide beginselen werden voor het eerst samen gearticuleerd in de 19de eeuw, wat er op den duur voor gezorgd heeft dat het liberalisme gedemocratiseerd en de democratie geliberaliseerd werd. Dit gebeurde door een opeenvolging van politieke conflicten, waarbij de ene traditie telkens weer haar suprematie over de andere wil doen gelden. Lange tijd werd dat conflict als legitiem beschouwd; pas in de voorbije decennia werd het als achterhaald van de hand gewezen. Maar volgens Mouffe bestaat er tussen de liberale principes van pluralisme, individualisme en vrijheid, en de democratische principes van eenheid, gemeenschap en gelijkheid, nog altijd een aanhoudende spanning, die in de huidige democratische theorie en praktijk verwaarloosd wordt. Het is deze onoplosbare spanning die de democratie levendig houdt en het primaat van de politiek garandeert, zegt Mouffe.

Traditioneel wordt democratie door de liberale theorie opgevat als een aggregatie van belangen. Dit model werd in de voorbije decennia wat verdrongen door het model van de deliberatieve democratie, dat politiek ziet in ethische en doorgaans universele termen, en dat verdedigd wordt door onder anderen Jürgen Habermas, John Rawls en Ronald Dworkin. Volgens hen is de democratische samenleving gericht op de creatie van een rationele consensus, die bereikt wordt aan de hand van deliberatieve processen die tegemoetkomen aan de belangen vaniedereen. Een beslissing is democratisch wanneer, na het voeren van een redelijke deliberatie, tussen álle betrokkenen een overeenstemming wordt bereikt. In dit denken domineren consensus en compromis, verkregen door rationele argumentatie en overtuiging.

Kenmerkend voor het individualistisch rationalisme van deze liberale democratieopvatting is het onvermogen om de specifieke aard van het politieke, en de formatie van politieke identiteiten die daarmee gepaard gaat, ten gronde te begrijpen. De idee van een perfecte consensus – of een harmonieuze collectieve wil, zoals bij Rousseau – wijst Mouffe als gevaarlijk van de hand. [4] Het liberale pluralisme wordt gekenmerkt door eindeloze conflicten tussen verschillende opinies en opvattingen inzake de ‘correcte’ interpretatie van vrijheid en gelijkheid. Het is deze aanhoudende onenigheid die mensen opdeelt in vrienden en vijanden. Als liberale denkers het collectieve karakter van de politieke strijd, die door het pluralisme bevorderd wordt, niet zien, dan komt dat door hun individualistische opvatting van politiek, als het rationeel nastreven en onderhandelen van individueel eigenbelang.

chmeL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgNet als Carl Schmitt (1888-1985) voert Chantal Mouffe de differentia specifica van het politieke terug op het onderscheid tussen vriend en vijand; oftewel tot de altijd aanwezige mogelijkheid van vijandelijkheid in intermenselijke relaties. Mouffe zegt niet dat alle sociale relaties noodzakelijk antagonistisch zijn, maar dat de mogelijkheid van conflict en vijandigheid in elke relatie op elk moment aanwezig is. Het politieke heeft altijd te maken met conflict en antagonisme, het gaat altijd gepaard met de formatie van een ‘wij’ versus een ‘zij’. In de discourstheorie van Laclau en Mouffe heet dit equivalentielogica: het opdelen van de sociale ruimte door betekenissen en identiteiten te comprimeren tot twee antagonistische polen.

Antagonisme is het sleutelwoord om de vorming van politieke identiteit te begrijpen. Anders dan de traditionele notie van sociaal antagonisme – dit is een confrontatie tussen sociale agenten die reeds beschikken over een volledig ontwikkelde identiteit – beweren Laclau en Mouffe dat antagonismen juist voorkomen omdat wij, als sociale agenten, niet bij machte zijn onze identiteit volledig te ontwikkelen. Zij steunen daarvoor in hoofdzaak op de lacaniaanse psychoanalyse en de derridiaanse notie van een constitutieve buitenkant, als voorwaarde voor de constructie van elke identiteit. Eenvoudig gesteld: een antagonisme ontstaat wanneer de aanwezigheid van ‘de Andere’ mij verhindert om volledig mezelf te zijn. [5] Deze blokkade is een wederzijdse ervaring. [6] Antagonismen onthullen niet alleen het tekort aan identiteit van sociale agenten, zij geven vorm aan de sociale werkelijkheid als zodanig. Sociale formaties worden gevormd aan de hand van antagonistische relaties, waardoor zich tussen sociale agenten politieke breuklijnen vestigen en verschillende identificaties vorm aannemen. [7]

Een democratie behoort pluraal te zijn. Op dat punt is Mouffe het eens met de liberale theorie. Zij betwist evenmin dat een plurale democratie een minimale consensus vereist over gemeenschappelijke ethisch-politieke principes. Maar consensus alleen volstaat niet. Zij is slechts het resultaat van een onderhandeling die telkens weer gevoerd moet worden. In de liberale democratieopvatting ligt de focus op het resultaat van consensus, die bereikt wordt door rationele compromisvorming tussen subjecten met een stabiele en gepreconfigureerde identiteit. Politiek wordt als een neutraal terrein gezien waarop verschillende groepen strijden om politieke macht. De politiek is als een schaakspel waarvan de spelregels en limieten vastliggen. Voor Mouffe daarentegen, gaat het er juist om de regels van de politiek te herschrijven. Het politieke terrein is niet neutraal. Het is in zekere zin de inzet van politieke strijd; in die strijd zelf wordt het terrein gevormd of hervormd.

Liberalism forever!

Sinds de val van de Berlijnse Muur domineert het in oorsprong thatcheriaanse denkbeeld dat er voor de huidige liberaal-kapitalistische wereldorde geen alternatief bestaat. Het failliet van het reëel bestaande socialisme betekende de definitieve overwinning van het kapitalisme en de liberale democratie: dat was de these van Francis Fukuyama, de Amerikaanse politicoloog en adviseur van Ronald Reagan. [8] Het liberalisme had die overwinning volgens hem te danken aan het feit dat het zowel op het materiële vlak (kapitalistisch marktmechanisme) als op het niet-materiële vlak (individuele erkenning) een maximale bevrediging biedt. Uit een hegeliaanse analyse van de geschiedenis haalt Fukuyama het ‘bewijs’ voor de afwezigheid van samenhangende alternatieven voor het liberalisme. De geschiedenis, als voortdurende strijd tussen politieke ideologieën en statenstelsels, heeft haar eindtermen bereikt: “liberalism forever!”

Het einde van de geschiedenis is een wat filosofische uitdrukking die staat voor het einde van de politiek, en Fukuyama was niet de eerste die deze stelling verdedigde. Om te beginnen was er Hegel zelf die in 1806, na de overwinning van Napoleon in de slag bij Jena, verklaarde dat de geschiedenis aan haar einde was gekomen. Begin jaren ‘60 initieerde de Harvardsocioloog Daniel Bell het debat over het einde van de grote ideologische conflicten. In de welvarende samenlevingen van het westen, aldus Bell, is de voorraad aan politieke ideeën uitgeput en zijn ideologische vraagstukken irrelevant geworden. Er is een brede ideologische consensus ontstaan, met als gevolg dat politieke partijen enkel nog om de macht strijden door hun electoraat meer welvaart te beloven. Volgens Bell zegevierde het economische dus ook over het politieke. Maar de heropleving van politiek-ideologische tegenstellingen en de politieke radicalisering van mei ‘68 haalden zijn these onderuit.

De clou bij dit soort politieke eschatologie is de volgende. Politieke ideologieën zijn supra-individuele denkvormen waardoor sociale actoren en groupe zin en richting geven aan hun maatschappelijk bestaan. Ze zijn naast descriptief altijd ook normatief. Ze willen vormgeven aan (toekomstige) sociale verhoudingen en bijgevolg zijn ze op handelen gericht. Elke politieke ideologie heeft de ambitie sociaal te interveniëren (decision making) of zo’n interventie te verhinderen (non-decision making). Deze toekomstgerichtheid vereist een sociale horizon (of sociale utopie) die het resultaat belooft te zijn van dat politieke project.

Elke politieke ideologie houdt dus de belofte in dat ze, met de realisatie van haar project, een eind zal maken aan de politiek. Het was Friedrich Engels die de stelling van Claude Henri de Saint-Simon overnam dat het heersen over mensen in de klassenloze maatschappij – de sociale horizon van het socialistische project – plaats zal maken voor het beheer van zaken. “Goed bestuur”, zeggen we vandaag. En het was de Italiaanse nationalist Giuseppe Mazzini (1805-1872) die stelde dat, als elke natie, separaat en distinct, een volwaardige organische eenheid zal zijn, er geen reden meer is voor onderling conflict. Macht en geweld zijn nodig om de oude orde aan de kant te zetten, maar eens de wereld volgens de nationalistische doctrine van één taal, één volk en één natie geordend zal zijn, wordt oorlog overbodig. [9]

Elk politiek project belooft dat, met de volledige realisatie van haar utopie, politiek overbodig wordt. Het is in die geest van het einde der tijden en het laatste oordeel dat Fukuyama de superioriteit van de liberaal-democratische staatsordening en van het kapitalistisch economisch systeem als bewezen proclameert. Nochtans was zijn these onder meer op feitelijke onjuistheden gebaseerd. Niet het liberalisme ‘pur sang’ had de Koude Oorlog overleefd, maar een gemengd model dat het laisser-fairebeginsel van de vrije markt compenseert door staatstussenkomst, regulatie en herverdeling. In de moderne geschiedenis heeft er nooit een volledig vrije markt bestaan, en dit geldt zelfs voor die landen waar het politieke liberalisme op dat moment hoogtij vierde: het Amerika van Reagan en Bush Senior en het Engeland van Thatcher en Major. Alle sterke, geïndustrialiseerde landen zijn sterk geworden door een mix van laisser faire en staatsinterventie. Ook hier zien we dat het principe van de vrije markt op gespannen voet staat met de democratie: de markt genereert ongelijkheid, die vervolgens door staatsinterventie gecompenseerd wordt. Op dat punt is er geen finale, rationele consensus mogelijk. Het economisch liberalisme is een moderne theorie van de ongelijkheid, zoals de vertegenwoordigende democratie een moderne theorie van de gelijkheid is. Het dispuut over de juiste verhouding tussen markt en staat is inherent aan de liberaal-democratische samenleving. [10]

Chantal-Mouffe-Agonistik-suhrkamp-Rezension-Gordian-Ezazi.jpgWat een radicale democratie à la Laclau en Mouffe onderscheidt van de moderne politieke projecten, is dat ze niet van een realiseerbare telos uitgaat, maar van het besef dat elk sociaal project onvolmaakt en conflictueel zal blijven. Het streven naar een volledig democratische maatschappij, waarin alle mensen volledig vrij zijn omdat ze volledig gelijk zijn, en vice versa, veronderstelt een volledige transparantie. Het veronderstelt een samenleving zonder spanningen en repressie, die dus alle conflicten onderdrukt. [11] Zo’n harmonieuze democratie zou een totalitaire nachtmerrie zijn. Bij Laclau en Mouffe wordt de mogelijkheid om het finale doel te realiseren verlaten, zelfs als louter regulatief idee. Er is trouwens geen reden om dat te betreuren. Integendeel, het is de garantie dat het democratisch-pluralistisch proces aan de gang blijft. Het is door de liberale rechten samen met volkssoevereiniteit te articuleren, dat we vermijden dat de democratie tiranniek wordt. Een ideale, vrije en gelijke democratische samenleving is er noodzakelijk een zonder pluralisme, want pluralisme veronderstelt dat de sociale orde en haar machtsrelaties kunnen worden gecontesteerd. Een samenleving zonder machtsrelaties (het einde van de politiek) is evenmin mogelijk, want het zijn precies de machtsrelaties die de sociale orde constitueren. Laclau en Mouffe vertrekken dus van een niet-reduceerbare, pluralistische sociale orde; en dit betekent dat de finale sociale orde nooit bereikt wordt. Niet alleen de individuen verkeren in de onmogelijkheid om hun identiteiten te finaliseren; ook de samenleving als zodanig is nooit af.

Politiek zonder ware tegenstanders

Dit plurale en onvoltooibare van elke samenleving wordt door de consensuspolitiek van het centrum verdoezeld; en het is tegen die achtergrond dat we volgens Chantal Mouffe het succes van rechts-populistische partijen kunnen begrijpen. In nagenoeg dezelfde periode waarin het VB in Vlaanderen opgang maakt, bewegen de traditionele partijen naar het centrum, en claimen daar de zogenaamde Derde Weg. Toen New Labour op 1 mei 1997 de Britse verkiezingen won, nam het toenmalige BRTN-journaal de proef op de som. Het vroeg de partijvoorzitters van de drie grootste Vlaamse partijen, onafhankelijk van elkaar, om commentaar te geven bij deze gebeurtenis. Eén voor één verklaarden ze op dezelfde lijn te zitten als Tony Blair: de christen-democraten vonden dat ze altijd al de gulden middenweg van Blair hadden bewandeld; de liberalen zegden dat zij, net als Blair, de grote politieke vernieuwers van hun generatie waren; en de sociaal-democraten zagen in de verkiezingsoverwinning van Blair een bevestiging van de vernieuwingsbeweging in heel de Europese sociaal-democratie.

chmffTVnWcL._UY250_.jpgDe ideologische tegenstellingen tussen de gevestigde partijen is in de loop van het laatste decennium alsmaar kleiner geworden, waardoor het steeds moeilijker is om partijen en politici in hun optreden en standpunten te onderscheiden. Ideologische beginselen boeten aan belang in, terwijl politiek pragmatisme en consensuspolitiek op de voorgrond treden. In de consensuspolitiek van het centrum, zegt ook de Sloveense filosoof Slavoj Zizek, moet elke fundamentele belangentegenstelling plaats ruimen voor een vrijmoedig geloof in een politiek zonder ware tegenstanders, en zonder enige subversiviteit. [12] Eens beyond left and right lossen sociale tegenstellingen vanzelf op en bieden er zich politieke oplossingen aan die kennelijk voor iedereen goed zijn. Bij gebrek aan een reële politieke strijd, onderscheiden politieke partijen zich enkel nog door culturele attitudes. De politieke strijd wordt herleid tot een belangencompetitie op neutraal terrein, met als enige doel het bereiken van compromissen en het aggregeren van voorkeuren. Om fundamentele belangenconflicten te omzeilen, weigert men om duidelijke politieke grenzen te trekken. Daarmee wordt de integratieve rol van conflict in de moderne democratie genegeerd. [13]

Want het specifieke van een democratie schuilt niet zozeer in haar formele procedures – zoals verkiezingen of de parlementaire stemrondes – maar in haar erkenning van de legitimiteit van sociaal conflict, en haar afwijzing van de autoritaire onderdrukking ervan. [14] Democratie is meer dan een populariteitspoll. Wat een samenleving werkelijk democratisch maakt, is dat ze plaats ruimt voor de expressie van conflicterende belangen en waarden; of anders gezegd, dat zij de voorwaarden schept die antagonistische confrontatie mogelijk maken. Alleen dan leeft die democratie. Het onvermogen om dat in te zien, zegt Mouffe, is zonder meer de belangrijkste tekortkoming van de consensuspolitiek. De reële keuzemogelijkheid die een democratie haar burgers behoort te bieden, is als gevolg van het sacraliseren van de consensus in feite verdwenen. Daardoor kunnen belangrijke politieke sentimenten niet meer worden uitgedrukt binnen het democratische systeem. Naast de nieuwe liberale orde is er geen plaats voor een debat over mogelijke alternatieven; er is geen ruimte voor andere identificatiemodellen waarrond mensen kunnen worden gemobiliseerd. En daardoor winnen andere vormen van politieke identificatie terrein: vormen die met de democratie nauwelijks verzoenbaar zijn – zoals rechts-extremisme en religieus fundamentalisme. [15] Het succes van populistisch rechts, zegt Zizek, is de prijs die de linkerzijde betaalt voor het verloochenen van elk radicaal politiek project en voor het aanvaarden van het kapitalisme als een fait accompli. [16]

Slavoj_Zizek_Fot_M_Kubik_May15_2009_02.jpgDienen we de kritiek van Chantal Mouffe op te vatten als een ultieme oproep om het cordon sanitaire in Vlaanderen dan toch maar op te doeken? Dat valt te betwijfelen. Waar het Mouffe om te doen is, is laten zien wat het ons heeft opgeleverd, om daaruit conclusies te trekken. Het probleem is overigens niet dat mensen uit zijn op conflict omwille van het conflict. Het probleem is dat, door het gebrek aan een sociale horizon, bepaalde sentimenten geen uitdrukking vinden binnen het democratisch spectrum. Deze sentimenten moeten democratisch gemobiliseerd worden; en daarvoor moeten de democratische partijen een sociale horizon projecteren die mensen uitzicht biedt op een andere en betere toekomst.

De opkomst van extreem-rechts heeft voor Mouffe dus in eerste instantie te maken met het gebrek aan hoop dat het democratisch systeem ons vandaag biedt. Als mensen niet langer geïnteresseerd zijn in politiek, of hun toevlucht nemen tot intolerante en fundamentalistische groeperingen, dan komt dat in hoofdzaak omdat de democratische partijen hen te weinig solide alternatieven bieden. Het liberale consensusdenken verhindert dat we de rol van non-rationele factoren – zoals sentimenten, dromen, passie, fantasie, verlangen, ontgoocheling en hoop – goed begrijpen. Mouffe beschouwt deze individueel verankerde motivaties als een drijvende politieke kracht. “I had a dream”, zei Martin Luther King. Hij zei niet dat hij een oplossing had bedacht, een rationele consensus die het conflict van de baan zou helpen. Rationalisme is altijd ook een obstakel om de conflictuele aard van de politiek te begrijpen.

De Amerikaanse socioloog Immanuel Wallerstein vroeg zich ooit af waarom de armen het tolereren dat de rijken rijker worden, terwijl zijzelf armer worden. [17] Volgens hem hebben zij dat de voorbije twee eeuwen voornamelijk getolereerd omdat zij geloofden dat er hoop was, en omdat zij verwachtten dat hun situatie zou verbeteren, dankzij politieke mechanismen zoals de sociaal-democratie en de welvaartsstaat. Maar hoop is niet alleen wat de armen nodig hebben. Hoop is altijd verbonden met iets wat afwezig is, en die absentie is iets wat we allemaal, in een of andere vorm, ervaren.

De notie van hoop is bij Chantal Mouffe verbonden met die van menselijke emancipatie. Als we ons als mens beknot voelen in onze potentiële ontwikkeling, creëren we een soort toekomstbeeld waarin we die limitaties overstijgen. In een situatie van radicale wanorde en machtswillekeur, bijvoorbeeld, wordt de voorstelling van een ordelijke maatschappij een sociale utopie. Zo’n denkbeeld, waaruit we hoop putten, geeft richting aan ons streven. Hoop is wat onze sociale horizon voedt. Die hoop is onuitroeibaar; maar zij kan op verschillende manieren en in verschillende richtingen gemobiliseerd worden. Wanneer de democratie er zelf geen ruimte voor schept, door fundamentele dissensus toe te laten, dan zal zij zich uiten op een negatieve manier: als een proteststem bijvoorbeeld, een stem tégen de afwezigheid van hoop.

Het verwaarlozen van de antagonistische dimensie in de politiek, zorgt ervoor dat die hoop zich naar de rand van het politieke spectrum verplaatst. Dat is de belangrijkste oorzaak van de opkomst van extremistische groeperingen. En dit lijkt meteen ook de kern van Mouffes boodschap. De aantrekkingkracht van extreem-rechts is dat het wél een sociale horizon biedt, terwijl de gevestigde partijen doen alsof er geen fundamenteel alternatief mogelijk is. Maar omdat de sociale horizon van extreem-rechts geen plaats voor pluralisme biedt, bedreigt zij de liberale democratie en biedt zij ook geen ‘hoop’ in de ware zin van het woord – de zin die Mouffe eraan geeft. Mouffe ziet in de huidige politieke situatie een democratisch deficit: een samenleving die verstoken blijft van een dynamisch democratisch leven, met reële confrontaties rond een diversiteit van effectieve alternatieven, legt het terrein voor andere vormen van identificatie rond etnische, religieuze, nationalistische en soortgelijke problematische claims; claims waarmee het democratisch systeem uiteindelijk slecht gediend is. [18]

Noten

1 Zie Jan Blommaert, Blokspraak, in: De Witte Raaf nr. 114, maart-april 2005, pp. 1-3.

2 Ellen M. Wood, The Retreat from Class: the New ‘True Socialism’, London, Verso, 1986, p. 4.

3 Ernesto Laclau & Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics, London, Verso, 1985, p. 192.

4 Chantal Mouffe, Radical Democracy or Liberal Democracy, in: Socialist Review, vol. 20 (2), 1990, pp. 58-59.

5 Laclau & Mouffe, op. cit. (noot 3), p. 125.

6 David Howarth & Yannis Stavrakakis, Discourse Theory and Political Analysis, in: David Howarth, Aletta J. Noval & Yannis Stavrakakis (red.), Discourse Theory and Political Analysis: Identities, Hegemonies and Social Change, Manchester, Manchester University Press, 2000, p. 10.

7 David Howarth, Discourse Theory and Political Analysis, in: Elinor Scarbrough & Eric Tanenbaum (red.),Research Strategies in the Social Sciences: a Guide to New Approaches, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 276; Howarth & Stavrakakis, op. cit. (noot 6), p. 11.

8 Francis Fukuyama, Het einde van de geschiedenis en de laatste mens, Amsterdam, Contact, 1992.

9 Peter J. Taylor, Political Geography: World-Economy, Nation-State and Locality, Harlow, Longman Scientific & Technical, 1993, p. 206.

10 Siep Stuurman, Het begin van de toekomst, in: Vrij Nederland, 9 oktober 1999.

11 Jacob Torfing, New Theories of Discourse: Laclau, Mouffe and Zizek, Oxford, Blackwell, 1999, p. 258.

12 Slavoj Zizek, Wat is het fijn om tegen Haider te zijn, in: Nieuw Wereldtijdschrift, vol. 17 (3), april 2000, pp. 43-45.

13 Chantal Mouffe, The Democratic Paradox, London, Verso, 2000, pp. 113-116.

14 Chantal Mouffe, The Radical Centre: a Politics Without Adversary, in: Soundings, nr. 9, zomer 1998, p. 13.

15 Chantal Mouffe, 10 Years of False Starts, in: New Times, 9 november 1999.

16 Zizek, op. cit. (noot 12), pp. 43-45.

17 Immanuel Wallerstein, geciteerd in: Bart Tromp, Het systeem kraakt, in: De Groene Amsterdammer, 3 december 1997.

18 Chantal Mouffe, op. cit. (noot 14), p. 13.

 

dimanche, 22 mai 2016

'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'

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'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'

An interview with Chantal Mouffe

Ex: http://www.citsee.eu

Chantal Mouffe is a Belgian political theorist well known for her conception of radical and agonistic democracy. She is currently Professor of Political Theory at Westminster University where she also directs the Centre for the Study of Democracy. Her books include On the Political (2005), Democratic Paradox (2000) the Return of the Political (1993), Agonistics (2013) and Hegemony and Socialist Strategy co-authored with Ernesto Laclau (1985).  She spoke to Biljana Đorđević and Julija Sardelić in May 2013 whilst at the Subversive Forum in Zagreb.

Đorđević: So maybe it's best to start with a preview before the talk you will give tomorrow. As far as I understand you'll be challenging the interpretation of protest movements - Occupy movement - as horizontal practices of democracy and you will be offering that it should be read as agonistic practising democracy. What is the key difference between these horizontal conceptualizations of democracy and agonistic democracy?

Mouffe: Well, you can’t really make that level. What I am going to discuss is those protests as seen from different points of view as expression either of rejection of representative democracy or the beginning of or a call for non-representative form of democracy, basically called sometimes presentist or horizonal form of democracy. That's for instance the common interpretation, which we find in the work of people who are influenced by Hardt and Negri’s strategy of what I call ‘withdrawal from’ or strategy that they themselves call ‘exodus’ which is their main view of envisaging radical politics. This is the strategy of the Indignados in Spain or Occupy Movement, as the protesters say, "we don't want anything to do with parties, with trade unions, with existing institutions because they can't be transformed. We need to assemble and organise new forms of life. We should try democracy in presence, in act." The strategy that I oppose to that of ‘withdrawal from’ is a strategy that I call ‘engagement with’ – it engages with the existing institutions in order to transform them. The strategy of exodus declares: “ We don't want anything to do with the system, we are going to construct a completely different form of democracy outside the parties, outside the representation." I am going to read those protests from the point of view of the conception of agonism, which I presented in my book On the Political. So my line is the following. Of course those movements are an expression of crisis of representative democracy but the question we need to ask is: Is it a crisis of representative democracy that means that representative democracy in whatever form cannot work or is it a crisis of the way representative democracy exists at the moment? In my view the problem is not representative democracy per se but the way it exists at the moment, and the problem is that it is not agonistic enough. Because my view is that a vibrant democracy needs to have the possibility for an agonistic confrontation between different points of view and in On the Political what I argue is that the problem with our post-political societies is that there is no difference basically between the centre-right and the centre-left. So there is nobody offering an alternative to neo-liberal globalisation. So it's the lack of agonism, which is the origin of the crisis of representative democracy today. And the solution is not simply to abandon representative democracy but to transform it and to make it really agonistic. And I think these movements are a symptom of this lack of an agonistic debate and this is why one of the mottos of these movements is “we have a vote but we don't have a voice.” And to give a voice is to allow for an agonistic debate.

Sardelić: We have been witnessing new protest movements in the post-Yugoslav region, you’re probably familiar with the recent protests in Slovenia and also on-going protest movements for free education in many other post-Yugoslav states. Can these protests be understood under your notion of agonistic democracy and are they substantially different from movements such as Occupy?

Mouffe: Well I think that what is common across all the differences is that they point to the lack of an agonistic democracy. The problem here is the hegemony of neoliberalism. It is so total that it has imposed the view that there is no alternative. Mrs Thatcher used to be called TINA because she kept repeating, “There is no alternative” and of course this is why some social democratic and labour parties have accepted neoliberal hegemony. For instance, the imposition of the neoliberal model is particularly important in the field of education because, instead of accepting before that the state has the obligation to provide free education, students are now seen as consumers. Education is not a public service, it is a product, you sell that to the students. The relation between the teacher and the students is completely transformed. One of the speakers here was saying that in the United States 60% of the students are already in debt when they enter their studies. This is why they have these movements for free and better education but that is a consequence of the fact that neoliberalism challenges the view that education is a public service that the state needs to provide. And again the problem is that this view has been accepted also by social democratic parties. There is a consensus between centre-right and centre-left parties whose consequence is a lack of possibility for people to choose between alternatives. So the only way they can manifest their voice is through these protest movements because there are no real political channels other than protests.

Sardelić: So you see the protests in Slovenia in this line as well?

Mouffe: Yes. I think it's definitely an expression of a lack of an agonistic democracy that will offer alternatives to neoliberal globalisation.

Đorđević: How do we evade turning agonism into antagonism, which is something of a burden for this region? Because if there is something we had here and we still have are these deep disagreements but at the same time we lack political openness (of the political field) that agonism entails.

Mouffe:  In this region there are still forms of antagonism but these are more to do with the question of nationalities, ethnicities. In Bosnia or Kosovo there is no agreement among the different ethnic communities on how to live together but that is a problem, which is completely different from the problem that we were mentioning before about movement for free education and things like that. So I think I will ask the reverse: those antagonisms exist, how can they be transformed into agonism, so that people will accept to live together and be citizens of the political community? So it's not a move from agonism to antagonism because I don't think that at the moment we really have agonism at that level. Where do you see that there is agonism today?

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Đorđević: I had in mind those theorists that used the concept of agonism in transitional justice, talking about agonistic reconciliation for divided societes. What you think about these attempts to appropriate agonism for reconciliation?

Mouffe: My view is that what democracy should try to do is to create the institutions which allows for conflict - when it emerges - to take an agonistic form, a form of adversarial confrontation instead of antagonism between enemies. But when antagonisms already exist to transform them is of course is much more difficult but it's not impossible and I think one of the good examples is Northern Ireland. Because in Northern Ireland we had for a long time an antagonistic conflict between Protestants and Catholics. They were treating each other as enemies. Now since the Good Friday Agreement and with the institutions that have been created there is no more antagonism, there is an agonism. It doesn't mean that these people agree, they do disagree but they disagree in a way that they no longer see the other community as an enemy to be destroyed. They say, “We need to find a way to live together” so I think this is where this idea of agonism is important for these kind of situations. I can think of another case where the same thing should happen - but we are very far from the solution there - Palestine and Israel. Obviously we can never imagine that the Palestinians and Israelis are going to agree but it will be a very important step that instead of having this antagonistic relationship there will be an agonistic one in that they will accept each other, and of course this is mainly on the part of the Israelis. Of course we also need the Palestinians to recognise the right of Israel to exist but it should also be on the part of Israel to create a condition for the Palestinians to have a real state. So this is where the idea of the agonistic perspective is important because it allows us to imagine how can we in a situation of antagonism create some form of life in common. The question is what is the aim in the resolution of such conflicts. Some people will say that the aim is to create a consensus but this is not possible because the demands are incompatible. What is possible is for that confrontation to take a form that is agonistic which would mean that there is a possibility of life in common. Total rational reconciliation is not possible but that is the agonistic perspective - there are antagonistic conflicts that can't be solved rationally but those conflicts could take an agonistic form. The problem of Northern Ireland is not completely solved but things have changed a lot between ten years ago and now and I think this should be the aim of such processes.

Sardelić: In your work you contemplate about the rise of the right-wing populist parties where you claim - and I’m quoting you here “this is a consequence of a post-political consensus and a lack of an effective democratic debate.” We can see this rising populism here in the post-Yugoslav space, but also in the wider Europe   right-wing populist parties and protest movements on the right are expanding.  They also claim that they speak in the name of the people. You say we should avoid the moralistic approach in theorizing these right wing movements, but since many in these movements say that some groups should be extinguished and so on, can these movements really contribute to agonism? How can we include them into agonism?

Mouffe: Well you can address this question at two levels. One, and that needs to be posed, what are the limits of the agonistic debate? Because I'm not saying that all the demands should be part of the agonistic debate. My argument is that we need a conflictual consensus for democracy to exist. There needs to be some form of consensus but the consensus is on what I call ‘the ethical-political principles’, the values that we are going to accept in order to organise our coexistence: liberty and equality for all. But those values are going to be interpreted differently according to different perspectives. Another thing that is particularly important is who is part of this. Are the immigrants part of this? This is the main problem in deciding whether to accept right-wing populism or not. Some people argue that those parties cannot be part of the democratic politics, they should not have the right to contest in elections, they should not have the right to have people elected because as they say in France they are not ‘Republican’ parties. Some people, a few years ago viewed the Front National of Jean-Marie Le Pen as a party that should be outlawed. I personally believe that it’s really a question of borderline because in general these right-wing populist parties do not contest that liberty and equality should be the main values, the main problem is the way they understand "for all" from which the immigrants are not part. Such parties should be accepted into the agonistic debate because you can't really say that they are totally outside. They've got an interpretation of the common ethico-political values that we don't like and of course we want to fight that interpretation but we are going to fight it within the agonistic debate. But there are other parties such as Golden Dawn in Greece that I think should not be able to contest in elections because this is clearly a neo-Nazi party. There is a difference between neo-Nazi parties and right-wing populist ones and I think that those parties should not be part of agonistic debate. They are enemies, not adversaries. That does not mean of course that we should eliminate them. It means that they don't have the right to present candidates and be elected in Parliament. In my view the best way to fight against right-wing populism is to deliver what I call left-wing populism. To create another form of the idea of the people, a people constructed in a different way. A good example of that is the party of Jean-Luc Mélenchon in France - le Parti de Gauche that is part of the Front de gauche. It is a populist movement because they also want to create people. I think that there is a necessary populist dimension in democracy and we should not use populism only in a negative sense because in democracy there is always the aim of constructing a people, a collective will. But of course this collective will, this people, can be constructed in different ways according to how you define the adversary. For instance, Marine Le Pen defines the adversary in terms of the immigrants and mainly the Muslims; they are the people to be excluded. Jean-Luc Mélenchon, on the contrary, is also constructing a people but a people, which includes the Muslims and immigrants and for him the adversary of these people is the big transnational corporations, the financial system and all the things that are the pillars of a neoliberalism. This is the only way to really fight the right-wing populism by constructing a different people.

Đorđević: There are some voices that are criticizing the agonistic approach as too soft on capitalism, and that in its emphasising the autonomy of the political it neglects a bit this economic dimension. What would actually be this agonistic take on wealth and inequalities and power relations that these wealth and inequalities produce? Or to rephrase: is 1% an enemy or an adversary?

archery_by_elvenmaedchen-d4vv1hi.jpgMouffe: I think that criticizing an agonistic perspective for not being critical enough of capitalism is basically a difference of strategy and again this is where the strategy of ‘engagement with’ or, using a term of Gramsci - ‘a war of position’ - is what is the one I propose. I imagine that the person that you have in mind is Slavoj Žižek because he's the one who is criticising the agonistic approach for being a liberal one. But his position is a rhetorical revolutionary one which does not propose any strategy. We want the end of capitalism, sure, but how are we going to do it, with whom? It's very rhetorical to say: the end of capitalism. I think the question is to engage with existing institutions, and this requires a long process. Some people still would say we need a revolution like the Soviet revolution. If we are to learn something from the experience, the tragic experience of really existing socialism, is precisely that this strategy of making a complete new start doesn’t work. You can't just end a society in one move and start from scratch - it’s not possible. It’s only possible by using terror. ‘A war of position’ is better strategy; we need to target specific institutions in order to transform them. For me at the moment the most important task is to end the hegemony of neoliberalism and of financial capitalism. Of course that's not going to be the end of capitalism. The aim is to create a society that will not be submitted to the logic of the market. They might still remain some sectors which are going to be organised by capitalists but the main society will not be one in which the market controls everything. But that cannot be done one day. There are of course proposals in the line of Hardt and Negri who believe that the development of the self-organisation of the multitude is going to make capitalism completely irrelevant. They accept that it is going to be a process and they do not advocate any kind of Jacobin form of revolution but they believe that the state will disappear and I don't believe that. Some of those experiences of new forms of living are important but they are not enough. The power of capitalism is not going to disappear because we have a multitude of self-organizing outside the existing institutions. We need to engage with those institutions in order to transform them profoundly. I saw a few years ago a film called Was tun? (What is to be done). It was about the anti-globalization movement and the role of Hardt and Negri’s strategy. At the end of the film they asked them “what should we do?” And Negri answered “wait and be patient” and Hart answered “follow your desire.” That’s their strategy. They believe that there is some kind of law of history that is necessarily going to lead to ‘absolute democracy’. It's very similar to the traditional Marxist view that capitalism is its own gravedigger but I don't think that's the case. Capitalism is not going to disappear simply by us being patient and waiting, we need to engage with it, and that is the strategy of agonistic engagement. It's not a total revolution, that’s not possible, it's ‘a war of position’ in order to transform the existing institutions.

Le totalitarisme inversé

Source : Sheldon Wolin, The Nation

Ex: http://www.les-crises.fr

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

wolinsh_SX319_BO1,204,203,200_.jpgLa guerre d’Irak a tellement accaparé l’attention du public que le changement de régime en train de s’accomplir chez nous est resté dans l’ombre. On a peut-être envahi l’Irak pour y apporter la démocratie et renverser un régime totalitaire, mais, ce faisant, notre propre système est peut-être en train de se rapprocher de ce dernier et de contribuer à affaiblir le premier. Le changement s’est fait connaître par la soudaine popularité de deux expressions politiques autrefois très rarement appliquées au système politique américain. « Empire » et « superpuissance » suggèrent tous les deux qu’un nouveau système de pouvoir, intense et s’étendant au loin, a pris naissance et que les anciens termes ont été supplantés. « Empire » et « superpuissance » symbolisent précisément la projection de la puissance américaine à l’étranger, mais, pour cette raison, ces deux termes en obscurcissent les conséquences domestiques.

Imaginez comme cela paraîtrait étrange de devoir parler de “la Constitution de l’Empire américain” ou de “démocratie de superpuissance”. Des termes qui sonnent faux parce que “Constitution” signifie limitations imposées au pouvoir, tandis que “démocratie” s’applique à la participation active des citoyens à leur gouvernement et à l’attention que le gouvernement porte à ses citoyens. Les mots “empire” et “superpuissance” quant à eux sont synonymes de dépassement des limites et de réduction de la citoyenneté à une importance minuscule.

Le pouvoir croissant de l’état et celui, déclinant, des institutions censées le contrôler était en gestation depuis quelque temps. Le système des partis en donne un exemple notoire. Les Républicains se sont imposés comme le phénomène unique dans l’Histoire des États-Unis d’un parti ardemment dogmatique, fanatique, impitoyable, antidémocratique et se targuant d’incarner la quasi-majorité. A mesure que les Républicains se sont faits de plus en plus intolérants idéologiquement parlant, les Démocrates ont abandonné le terrain de la gauche et leur base électorale réformiste pour se jeter dans le centrisme et faire discrètement connaître la fin de l’idéologie par une note en bas de page. En cessant de constituer un véritable parti d’opposition, les Démocrates ont aplani le terrain pour l’accès au pouvoir d’un parti plus qu’impatient de l’utiliser pour promouvoir l’empire à l’étranger et le pouvoir du milieu des affaires chez nous. Gardons à l’esprit qu’un parti impitoyable, guidé par une idéologie et possédant une base électorale massive fut un élément-clé dans tout ce que le vingtième siècle a pu connaître de partis aspirant au pouvoir absolu.

Les institutions représentatives ne représentent plus les électeurs. Au contraire, elles ont été court-circuitées, progressivement perverties par un système institutionnalisé de corruption qui les rend réceptives aux exigences de groupes d’intérêt puissants composés de sociétés multinationales et des Américains les plus riches. Les institutions judiciaires, quant à elles, lorsqu’elles ne fonctionnent pas encore totalement comme le bras armé des puissances privées, sont en permanence à genoux devant les exigences de la sécurité nationale. Les élections sont devenues des non-évènements largement subventionnés, attirant au mieux une petite moitié du corps électoral, dont l’information sur les affaires nationales et mondiales est soigneusement filtrée par les médias appartenant aux firmes privées. Les citoyens sont plongés dans un état de nervosité permanente par le discours médiatique sur la criminalité galopante et les réseaux terroristes, par les menaces à peine voilées du ministre de la justice, et par leur propre peur du chômage. Le point essentiel n’est pas seulement l’expansion du pouvoir du gouvernement, mais également l’inévitable discrédit jeté sur les limitations constitutionnelles et les processus institutionnels, discrédit qui décourage le corps des citoyens et les laisse dans un état d’apathie politique.

Il ne fait aucun doute que d’aucuns rejetteront ces commentaires, les qualifiant d’alarmistes, mais je voudrais pousser plus loin et nommer le système politique qui émerge sous nos yeux de “totalitarisme inversé”. Par “inversé”, j’entends que si le système actuel et ses exécutants partagent avec le nazisme la même aspiration au pouvoir illimité et à l’expansionnisme agressif, leurs méthodes et leurs actes sont en miroir les uns des autres. Ainsi, dans la République de Weimar, avant que les nazis ne parviennent au pouvoir, les rues étaient sous la domination de bandes de voyous aux orientations politiques totalitaires, et ce qui pouvait subsister de démocratie était cantonné au gouvernement. Aux États-Unis, c’est dans les rues que la démocratie est la plus vivace – tandis que le véritable danger réside dans un gouvernement de moins en moins bridé.

Autre exemple de l’inversion : sous le régime nazi, il ne faisait aucun doute que le monde des affaires était sous la coupe du régime. Aux États-Unis, au contraire, il est devenu évident au fil des dernières décennies que le pouvoir des grandes firmes est devenu si dominant dans la classe politique, et plus particulièrement au sein du parti Républicain, et si dominant dans l’influence qu’il exerce sur le politique, que l’on peut évoquer une inversion des rôles, un contraire exact de ce qu’ils étaient chez les nazis. Dans le même temps, c’est le pouvoir des entreprises, en tant que représentatif du capitalisme et de son pouvoir sans cesse en expansion grâce à l’intégration de la science et de la technologie dans sa structure même, qui produit cette poussée totalitaire qui, sous les nazis, était alimentée par des notions idéologiques telles que le Lebensraum.

On rétorquera qu’il n’y a pas d’équivalent chez nous de ce que le régime nazi a pu instaurer en termes de torture, de camps de concentration et autres outils de terreur. Il nous faudrait toutefois nous rappeler que, pour l’essentiel, la terreur nazie ne s’appliquait pas à la population de façon générale ; il s’agissait plutôt d’instaurer un climat de terreur sourde – des rumeurs de torture – propre à faciliter la gestion et la manipulation des masses. Pour le dire carrément, il s’agissait pour les nazis d’avoir une société mobilisée, enthousiaste dans son soutien à un état sans fin de guerre, d’expansion et de sacrifices pour la nation.

Tandis que le totalitarisme nazi travaillait à doter les masses d’un sens du pouvoir et d’une force collectifs, Kraft durch Freude (“la Force par la Joie”), le totalitarisme inversé met en avant un sentiment de faiblesse, d’une inutilité collective. Alors que les nazis désiraient une société mobilisée en permanence, qui ne se contenterait pas de s’abstenir de toute plainte, mais voterait “oui” avec enthousiasme lors des plébiscites récurrents, le totalitarisme inversé veut une société politiquement démobilisée, qui ne voterait quasiment plus du tout. Rappelez-vous les mots du président juste après les horribles évènements du 11 septembre : “unissez-vous, consommez, et prenez l’avion”, dit-il aux citoyens angoissés. Ayant assimilé le terrorisme à une “guerre”, il s’est dispensé de faire ce que des chefs d’États démocratiques ont coutume de faire en temps de guerre : mobiliser la population, la prévenir des sacrifices qui l’attendent, et appeler tous les citoyens à se joindre à “l’effort de guerre”.

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Au contraire, le totalitarisme inversé a ses propres moyens d’instaurer un climat de peur générale ; non seulement par des “alertes” soudaines, et des annonces récurrentes à propos de cellules terroristes découvertes, de l’arrestation de personnages de l’ombre, ou bien par le traitement extrêmement musclé, et largement diffusé, des étrangers, ou de l’île du Diable que constitue la base de Guantanamo Bay, ou bien encore de la fascination vis-à-vis des méthodes d’interrogatoire qui emploient la torture ou s’en approchent, mais également et surtout par une atmosphère de peur, encouragée par une économie corporative faite de nivelage, de retrait ou de réduction sans pitié des prestations sociales ou médicales ; un système corporatif qui, sans relâche, menace de privatiser la Sécurité Sociale et les modestes aides médicales existantes, plus particulièrement pour les pauvres. Avec de tels moyens pour instaurer l’incertitude et la dépendance, il en devient presque superflu pour le totalitarisme inversé d’user d’un système judiciaire hyper-punitif, s’appuyant sur la peine de mort et constamment en défaveur des plus pauvres.

Ainsi les éléments se mettent en place : un corps législatif affaibli, un système judiciaire à la fois docile et répressif, un système de partis dans lequel l’un d’eux, qu’il soit majoritaire ou dans l’opposition, se met en quatre pour reconduire le système existant de façon à favoriser perpétuellement la classe dirigeante des riches, des hommes de réseaux et des corporations, et à laisser les plus pauvres des citoyens dans un sentiment d’impuissance et de désespérance politique, et, dans le même temps, de laisser les classes moyennes osciller entre la peur du chômage et le miroitement de revenus fantastiques une fois que l’économie se sera rétablie. Ce schéma directeur est appuyé par des médias toujours plus flagorneurs et toujours plus concentrés ; par l’imbrication des universités avec leurs partenaires privés ; par une machine de propagande institutionnalisée dans des think tanks subventionnés en abondance et par des fondations conservatrices ; par la collaboration toujours plus étroite entre la police locale et les agences de renseignement destinées à identifier les terroristes, les étrangers suspects et les dissidents internes.

Ce qui est en jeu, alors, n’est rien de moins que la transformation d’une société raisonnablement libre en une variante des régimes extrémistes du siècle dernier. Dans de telles circonstances, les élections nationales de 2004 constituent une crise au sens premier du terme, un tournant. La question est : dans quel sens ?

Source : Sheldon Wolin, The Nation, le 26/02/2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

« The Circle », le roman d’un monde totalitaire inspiré par Google

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« The Circle », le roman d’un monde totalitaire inspiré par Google

Quand Mae Holland est embauchée par The Circle (Le Cercle), l’entreprise vient tout juste de devenir la plus puissante du monde grâce à son système TruYou. TruYou a aboli l’anonymat et unifié tous les services sur le Net.

«  The Circle  », le dernier roman de Dave Eggers (pas encore publié en France), raconte un univers dont la ressemblance avec Google n’échappera à personne. La transparence, la civilité et le partage sont les piliers de cet nouvel âge numérique dicté par une entreprise privée.

Si on devait le comparer à la référence absolue en matière de dystopie (contre-utopie) qu’est «  1984  » d’Orwell  :

  • Eggers a décidé de se projeter dans un avenir très proche (quelques années tout au plus) quand Orwell opérait un bond de 44 ans ;
  • Eggers a choisi de décrire le pouvoir totalitaire de l’intérieur et depuis ses hautes instances – le protagoniste principal devient peu à peu l’un des rouages. Orwell, lui, décrivait de l’extérieur un monde totalitaire ;
  • Eggers raconte l’engrenage qui conduit à l’instauration du cauchemar totalitaire quand le récit d’Orwell s’ancrait plusieurs décennies après son avènement.

Des faiblesses, mais une vraie réflexion

Il met en scène les angoisses de notre quotidien d’internaute. C’est bien là tout l’art de la dystopie  : se faire plus peur que de raison. Mais à pousser le bouchon un peu loin, Eggers s’expose à des critiques (parfois justifiées) qui relèvent les incohérences technologiques (que pointent Wired, The Atlantic ou le New York Times).

eggers7017632.jpgEt c’est vrai qu’il manque deux choses essentielles à un (très) bon roman  : finesse et substance, tant dans les personnages (qui manquent vraiment de profondeur) que dans l’avènement du système totalitaire.

1

Le tout-connecté : la dictature des réseaux sociaux

Il n’est pas question dans « The Circle » de réseaux sociaux, mais d’un réseau social, Zing, d’échelle planétaire et universellement adopté. Une sorte de mix entre Google Plus et Twitter. Au fil du récit, les «  Zingers  » deviennent de plus en plus obsessionnels, harcelant, exigeant, masquant derrière une politesse de façade une intransigeance narcissique.

Il est impossible d’ignorer ces nouveaux cercles et «  liens  » sociaux, autant qu’il est impossible de refuser d’y prendre part. Les entreprises exigent une participation active à la communauté, une réponse à tous, une image soignée.

Censé réunir, le réseau social sépare  : ceux qui s’en écartent sont des parias. Ceux qui en font partie sont en compétition  : le «  ParticipationRank  » donne à chacun son degré de popularité sur le réseau, et tous bataillent de superficialités pour grimper cette nouvelle échelle sociale.

2

La transparence absolue : à bas l’anonymat et la vie privée

«  Les secrets sont des mensonges, la vie privée est un vol, partager est prendre soin  » (« Secrets are Lies, Privacy is Theft, Sharing is Caring »). Voilà les trois maximes résumant la philosophie du «  Cercle  » qui ne sont pas sans rappeler la sainte-trinité de l’univers de «  1984  »  : «  La guerre, c’est la paix  ; la liberté, c’est l’esclavage  ; l’ignorance est la force  ».

Dans le monde de « The Circle », l’individu se doit de s’effacer face à la communauté, c’est-à-dire l’humanité. Garder pour soi un sentiment, une expérience vécue ou une chose vue, revient à voler les autres de l’opportunité de s’enrichir.

La planète se couvre de petites caméras haute-résolution, les hommes aussi. Tout doit pouvoir être capté et enregistré au profit de la mémoire commune, mensonges et secrets n’ont plus le droit de voiler le regard omniprésent de la communauté, et tout endroit doit être accessible en direct sur son écran.

3

Supprimer le bouton « supprimer »

Société du « big data » oblige, il faut stocker toujours plus de données. L’information est la matière première qui sert à connaître et donc influencer et conditionner chacun de nous. The Circle retire donc le doigt de ses usagers du bouton « supprimer », avant d’effacer tout simplement le bouton quand la technologie le permet enfin.

Comme l’héroïne du roman l’apprend à ses dépend, tout acte répréhensible ou intime capté par une caméra ou un portable, tout écrit ou commentaire qui finirait sur Internet sera éternel. Impossible de se défiler, les preuves ne disparaissent pas. Le droit à l’oubli est devenu tabou, et chacun se censure lui-même pour éviter le faux pas  : même pas besoin de police de la pensée.

4

Faillite du système démocratique et totalitarisme inversé

L’ultra-médiatisation et la société informationnelle ont participé à l’abattement du système démocratique  : le temps médiatique contraint les politiques à la dramaturgie au détriment du fond et décrédibilise tout le système. L’un d’entre eux accepte de devenir «  transparent  » et de porter une mini-caméra en permanence. Et tous le suivent peu à peu, bon gré mal gré.

Les gens partagent entre eux, sans intermédiaire, votent d’une simple pression sur écran tactile. Les études, questionnaires et pétitions pleuvent sans interruption sur des terminaux omniprésents. On échange d’un bout à l’autre de la planète sur tous les sujets, si bien que les identités culturelles et nationales s’effacent.

Grand marionnettiste, le Cercle récupère tout cela à son compte sans interférer, centralise cette activité en son sein. Après le totalitarisme répressif du XXe siècle, le «  soft totalitarisme  » du début des années 2000, bienvenue dans le cauchemar de demain  : le totalitarisme inversé

ULTREÏA ! 07

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ULTREÏA ! 07

Collectif ULTREÏA !

Magazine-livre - Printemps 2016

19,90€

228 pages

Le numéro de printemps s’ouvre sur le portrait d’un éminent “serviteur de la paix”, Lanza del Vasto, dont l’oeuvre prolifique n’est que le reflet d’une vie orientée vers la non-violence, la sobriété et la spiritualité. Un riche parcours qui demeure plus que jamais d’actualité.

Quête d’absolu et somme spirituelle traduite dans le monde entier que l’on retrouve chez le métaphysicien Frithjof Schuon, qui porta l’idée d’ “unité transcendante des religions” et de sagesse pérenne qu’il opposa au nihilisme du monde moderne en une pensée d’une rare acuité.

L’ésotérisme est-il (encore) une voie ? Dans ce dossier, nous avons questionné des auteurs de plusieurs disciplines et religions pour savoir si celui-ci était universel et s’il pouvait être une opportunité pour notre temps. Et être une voie de liberté face à la perspective souvent très légaliste de l’exotérisme, la religion conventionnelle ?

À la croisée des chemins, dans un long et riche entretien, Matthieu Ricard revient sur son parcours singulier, expose sa perspective bouddhiste et partage ses réflexions sur l’altruisme, le bonheur ou la conscience.

Dans un beau portfolio, Tuul – photographe d’origine mongole – et Bruno Morandi nous emmènent dans les steppes de Mongolie à la rencontre des chamanes qu’ils connaissent bien.

À Philae, dans l’extrême sud égyptien, nous goûterons à la magie de l’île d’Isis qui fut sauvée des eaux dans les années 1960. Aux portes de la Nubie, ce territoire dédié au féminin sacré “enchante” véritablement ceux qui le foulent.

Nous mettrons aussi nos pas dans ceux de Nicolas Bouvier, célèbre écrivain-voyageur suisse, qui, pour raconter le monde, tissa un “langage à l’exigence splendide”. Un être rare et jubilant qui accepta que le voyage le fasse… et le défasse.

Christiane Rancé rendra un ultime hommage à René Girard.

Puis nous bivouaquerons à Sheikh Hussein, au cœur même du pèlerinage extatique et universaliste de l’Aréfa, en Éthiopie, en Bolivie, dans les pas de Charles de Foucault. Enfin, Florian Rochet nous invitera à être des « nomades contemplatifs « .

Pour en découvrir plus (interview, vidéos, sommaire détaillé…) : www.revue-ultreia.com

Feuilleter et découvrir quelques pages du n°07 

Format : 21cm x 27cm

ISBN :978-2-37241-022-9

Agonistic Democracy and Radical Politics

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Chantal Mouffe:

Agonistic Democracy and Radical Politics

Ex: http://www.pavilionmagazine.org

The political between antagonism and agonism

What is the best way to envisage democratic politics? Until a few years ago, the most fashionable model in political theory was that of ‘deliberative democracy’ defended, in different forms, by John Rawls and Jürgen Habermas. But another model, which proposes an ‘agonistic’ way of conceiving democracy, is steadily gaining influence, and I believe it is useful to examine what its representatives have in common. As I myself belong to the ‘agonistic camp’, I have chosen to highlight the differences that exist between my conception of agonism and that of a certain number of theorists who have other sources of inspiration.

I will begin by presenting the main principles of the theoretical framework that informs my reflection. I have suggested distinguishing between the political, which is linked to the dimension of antagonism present in human relations an antagonism that manifests itself politically in the construction of the friend/enemy relation and that can emerge from a large variety of social relations -, and politics, which aims to establish an order and to organise human coexistence under conditions that are marked by ‘the political’ and thus always conflictual. We find this distinction between the political and politics in the other agonistic theories, though not always with the same signification. We can in fact distinguish two opposing conceptions of what characterises ‘the political’. There are those for whom the political refers to a space of liberty and common action, while others view it as a site of conflict and antagonism. It is from this second perspective that my work proceeds, and I will demonstrate how it is on this point that the fundamental divergence between the different agonistic theories rests.

Politics and antagonism

One of the principal theses that I have defended in my work is that properly political questions always involve decisions which require a choice between alternatives that are undecidable from a strictly rational point of view. This is something the liberal theory cannot admit due to the inadequate way it envisages pluralism. The liberal theory recognises that we live in a world where a multiplicity of perspectives and values coexist and, for reasons it believes to be empirical, accepts that it is impossible for each of us to adopt them all. But it imagines that these perspectives and values, brought together, constitute a harmonious and non-conflictual ensemble. This type of thought is therefore incapable of accounting for the necessarily conflictual nature of pluralism, which stems from the impossibility of reconciling all points of view, and it is what leads it to negate the political in its antagonistic dimension.

I myself argue that only by taking account of the political in its dimension of antagonism can one grasp the challenge democratic politics must face. Public life will never be able to dispense with antagonism for it concerns public action and the formation of collective identities. It attempts to constitute a ‘we’ in a context of diversity and conflict. Yet, in order to constitute a ‘we’, one must distinguish it from a ‘they’. Consequently, the crucial question of democratic politics is not to reach a consensus without exclusion which would amount to creating a ‘we’ without a corollary ‘they’ but to manage to establish the we/they discrimination in a manner compatible with pluralism.

According to the ‘agonistic pluralism’ model that I developed in The Democratic Paradox (London: Verso, 2000) and On the Political (London: Routledge, 2005), pluralist democracy is characterised by the introduction of a distinction between the categories of enemy and adversary. This means that within the ‘we’ that constitutes the political community, the opponent is not considered an enemy to be destroyed but an adversary whose existence is legitimate. His ideas will be fought with vigour but his right to defend them will never be questioned. The category of enemy does not disappear, however, for it remains pertinent with regard to those who, by questioning the very principles of pluralist democracy, cannot form part of the agonistic space. With the distinction between antagonism (friend/enemy relation) and agonism (relation between adversaries) in place, we are better able to understand why the agonistic confrontation, far from representing a danger for democracy, is in reality the very condition of its existence. Of course, democracy cannot survive without certain forms of consensus, relating to adherence to the ethico-political values that constitute its principles of legitimacy, and to the institutions in which these are inscribed. But it must also enable the expression of conflict, which requires that citizens genuinely have the possibility of choosing between real alternatives.

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Politics and hegemony

It is necessary at this point to introduce the category of hegemony, which will enable us to identify the nature of the agonistic struggle. To understand the political as the ever present possibility of antagonism, the absence of a final foundation and the undecidability that pervades every order must be acknowledged. It is precisely to this that the category of hegemony refers, and it indicates that every society is the product of practices that seek to institute an order in a context of contingency. Every social order is therefore hegemonic in nature, and its origin political. The social is thus constituted by sedimented hegemonic practices, that is, practices that conceal the originary acts of their contingent political institution and that appear to proceed from a natural order. This perspective reveals that every order results from the temporary and precarious articulation of contingent practices. Things could always have been different and every order is established through the exclusion of other possibilities. It is always the expression of a particular structure of power relations, and it is from here that its political character stems. Every social order that at a given moment is perceived as natural, together with the ‘common sense’ that accompanies it, is in fact the result of sedimented hegemonic practices and never the manifestation of an objectivity that one could consider external to the practices through which it was established.

What is at stake in the agonistic struggle is the very configuration of the power relations that structure a social order and the type of hegemony they construct. It is a confrontation between opposing hegemonic projects that can never be reconciled rationally. The antagonistic dimension is therefore always present but it is enacted by means of a confrontation, the procedures for which are accepted by the adversaries. The agonistic model that I propose acknowledges the contingent character of the hegemonic articulations that determine the specific configuration of a society at a given moment; as pragmatic and contingent constructions, they can always be disarticulated and transformed by the agonistic struggle. Unlike the liberal models, such an agonistic perspective takes account of the fact that every social order is politically instituted and that the ground on which hegemonic interventions occur is never neutral for always the product of previous hegemonic practices. Far from envisaging the public sphere, as for example Habermas does, as fertile ground in the search for consensus, my agonistic approach conceives it as the battlefield on which hegemonic projects confront one another, with no possibility whatsoever of a final reconciliation.

Which agonism?

My disagreement with Habermas is not surprising given that it is partly in opposition to his ‘deliberative democracy’ model that I developed my agonistic conception. But I would now like to examine the differences that exist between my approach and the one found within a certain number of conceptions that also adopt an agonistic perspective. Beyond the ‘family resemblance’ linking these conceptions, there are important points of divergence, which similar vocabulary tends to conceal.

I will begin with the case of Hannah Arendt. Arendt is often considered a representative of agonism, and her references to the Greek Agon can justify such a reading. But the conception of agonism that can be derived from her work is very different to the one I defend. Indeed, we discover in Arendt what I would call an ‘agonism without antagonism’. By this I mean that, although she insists a good deal on human plurality and conceives politics as dealing with the community and with reciprocity between different beings, she never recognises that this plurality is at the origin of antagonistic conflicts. According to Arendt, to think politically consists in developing the ability to see things from a multiplicity of perspectives. As indicated by her reference to Kant and his notion of enlarged mentality, the pluralism she advocates is finally not so different to Habermas’s, also resting as it does on the horizon of intersubjective agreement. It is clear that what she seeks in the Kantian critique of aesthetic judgement is a procedure to obtain intersubjective agreement in the public sphere. Despite the differences in their respective approaches, I therefore believe that Arendt, like Habermas, envisages the public sphere as a place where consensus can be established. Obviously, in her case, this consensus will be the result of an exchange of voices and opinions (in the Greek sense of doxa), rather than the rational Diskurs found in Habermas. As noted by Linda Zerilli in Feminism and the Abyss of Freedom (Chicago: The University of Chicago Press, 2005), while for Habermas consensus emerges through what Kant calls disputieren, an exchange of arguments bound by logical rules, for Arendt it is a matter of streiten, where agreement is produced by persuasion and not based on irrefutable proofs. But neither of the two manages to acknowledge the hegemonic nature of every form of consensus in politics or the ineradicable character of antagonism, the moment of Widerstreit, that which Lyotard calls the différend.

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My conception of agonism must also be distinguished from Bonnie Honig’s, which is clearly influenced by Arendt. In her book Political Theory and the Displacement of Politics (Ithaca: Cornell University Press, 1993), Honig criticises liberal conceptions for being too consensual and she advances the emancipatory potential of political contestation, which enables established practices to be questioned. She defends a conception of politics centred on virtú, and places agonistic contestation at its heart, thanks to which citizens are able to keep open a space of debate and prevent the confrontation of positions from drawing to a close. The permanent questioning of dominant identities and ideas is central to the agonistic struggle as conceived by Honig. Thus, in an article titled “Towards an Agonistic Feminism: Hannah Arendt and the Politics of Identity” (Feminist Interpretations of Hannah Arendt, edited by Bonnie Honig, The Pennsylvania State University Press, 1995), she declares that the importance of Hannah Arendt’s work for feminists is to provide them with an agonistic politics of performativity. While acknowledging that Arendt never identified with feminism, Honig asserts that her agonistic politics of performativity is crucial for a feminist politics because it enables feminism to be envisaged as a site of contestation over the meaning, practice and politics of gender and sexuality. The appropriation of Arendt’s ideas should, according to Honig, enable feminists to understand that identities are always performative productions and to thereby question the existing positions of subject and liberate the identity of ‘woman’ from the restrictive categories in which we try to enclose it. The idea of an identity suitable for women and that would serve as a starting point for a feminist politics is replaced by a multiplicity of identities constantly produced in an agonistic space, opening the way for feminist emancipation.

We can observe that the agonistic struggle is, according to Honig, reduced to the moment of contestation. It is important for her to guarantee the expression of plurality and to prevent the closure of the questioning process. However, I myself consider that this is but one of the dimensions of the agonistic struggle, which cannot be limited to contestation. The second moment, involving the construction of new hegemonic articulations, is fundamental in politics. It is for this reason that I regard Honig’s conception of agonism as inadequate for envisaging democratic politics.

I have a similar problem with the conception of William Connolly, another theorist of agonism. Connolly is influenced by Nietzsche rather than Arendt, and he has endeavoured to render his Nietzschian conception of the Agon compatible with democratic politics. In his book Pluralism (Durham: Duke University Press, 2005) he argues for a radicalisation of democracy through the development of a new democratic ethos among citizens. He conceives this ethos as one of permanent engagement in agonistic contestation that would make all attempts to bring closure to debate impossible. The central notion of Connolly’s work is that of ‘agonistic respect’, which he presents as originating in our common existential condition, itself linked to our struggle for identity and the recognition of our finitude. Agonistic respect constitutes for him the cardinal virtue of the type of pluralism he advocates and he considers it the most important political virtue in the pluralist world we live in today. Of course, I agree with Connolly when he insists on the role respect must play between adversaries engaged in an agonistic struggle. But I believe it is necessary to question the limits of this agonistic respect. Can all antagonisms be transformed into agonism? In other words, must all positions be considered legitimate and must they be granted a place inside the agonistic public sphere? Or must certain claims be excluded because they undermine the conflictual consensus that constitutes the symbolic framework in which opponents recognise themselves as legitimate adversaries? To put it another way, can one envisage pluralism without antagonism?

This is in my opinion the properly political question that Connolly’s approach is not able to ask. It is for this reason that I do not consider his conception of agonism any better placed than Honig’s to serve as a framework for democratic politics. In order to think and act politically, we cannot escape the moment of decision and this requires establishing a frontier and determining a space of inclusion/exclusion. Any perspective that evades this moment renders itself incapable of transforming the structure of power relations and of instituting a new hegemony. I certainly do not intend to deny the importance of a democratic ethos but I think it would be a mistake to reduce democratic politics to the promotion of an ethics of agonistic respect. Yet this appears to be what Connolly proposes and, rather than a new conception of democratic politics, what we find in his work is a new form of pluralist ethics. It undoubtedly has its merits but is not sufficient to envisage the nature of a hegemonic democratic politics and the limits the latter must impose on pluralism.

The fundamental difference between my conception of agonism and those that I have just examined resides in the absence in the cases of Arendt, Honig and Connolly of the two dimensions central to my approach and which I believe are indispensable to think the political: antagonism and hegemony. The principal objective of these authors is to prevent the closure of debate and to give free rein to the expression of plurality. Their celebration of a politics of destabilisation ignores the phase of hegemonic struggle, which consists in the establishment of a chain of equivalence between democratic struggles in order to construct another hegemony. However, it is not enough to disturb the dominant procedures and disrupt existing arrangements to radicalise democracy. Once we accept that antagonism can never be definitively eliminated and that every order is hegemonic in nature, we cannot avoid the central question in politics: what are the limits of agonism, and which institutions and configurations of power must be transformed to radicalise democracy? This requires the moment of decision to be confronted and necessarily implies a form of closure. It is the price to pay for acting politically.

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To finish, I would like to suggest that this inability to account for the nature of the political decision in the authors I have just examined is linked to the way they conceive the political as common action and envisage pluralism on the mode of the valorisation of multiplicity. This is what leads them to elude the constitutive role of conflict and antagonism. On the contrary, the other vision of the political, the one from which my work proceeds, recognises the constitutive character of social division and the impossibility of a final reconciliation. The two conceptions affirm that in modern democracy ‘the people’ can no longer be considered as ‘one’; but whereas in the first perspective it is seen as ‘multiple’, in the second it is understood as ‘divided’. The thesis I defend is that only once the ineradicable character of division and antagonism is recognised does it become possible to think in a properly political manner.

Chantal Mouffe (b. 1943) is a political theorist educated at the universities of Louvain, Paris, and Essex and a Professor of Political Theory at the University of Westminster. She has taught at many universities in Europe, North America and Latin America, and has held research positions at Harvard, Cornell, the University of California, the Institute for Advanced Study in Princeton, and the Centre National de la Recherche Scientifique in Paris. Between 1989 and 1995 she was Directrice de Programme at the College International de Philosophie in Paris. Professor Mouffe is the editor of Gramsci and Marxist Theory, Dimensions of Radical Democracy, Deconstruction and Pragmatism, and The Challenge of Carl Schmitt; co-author (with Ernesto Laclau) of Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics (1985); and author of The Return of the Political (1993), and The Democratic Paradox (2000). Her latest work is On the Political published by Routledge in 2005. She is currently elaborating a non-rationalist approach to political theory; formulating an ‘agonistic’ model of democracy; and engaged in research projects on the rise of right-wing populism in Europe and the place of Europe in a multi- polar world order.

NATION? – Un retour du «romantisme politique»?

NATION? – Un retour du «romantisme politique»?
 
par Maryse Emel
Ex: http://www.nonfiction.fr


greek.jpgLe livre récent de Christian E. Roques , (Re)construire la communauté, a pour projet de présenter la réception du romantisme politique sous la République de Weimar par des philosophes et des penseurs politiques critiques de la modernité. Son but n'était pas de faire un travail sur la vérité des interprétations multiples qui en ont été faites, mais plutôt de voir ce que ces diverses lectures ont pu ouvrir comme perspectives politiques. L’enjeu est qu’au départ, le romantisme politique consiste en un discours en opposition à la philosophie des Lumières, qui met en question le pouvoir de la raison, et donc le pouvoir politique fondé sur l’exercice de la raison.

Genèse du romantisme politique

Le premier romantisme allemand s’organisme autour du Cercle d’Iéna, qui rassemble le théoricien de la littérature, Friedrich Schlegel, le philosophe Johann Gottlieb Fichte et des écrivains comme Ludwig Tieck, Wilhelm Heinrich Wackenroder et Novalis. Reprenant la thématique de Max Weber à propos du désenchantement du monde, le philosophe allemand Rüdiger Safranski identifie le projet romantique, dans sa globalité, comme une tentative pour ré-enchanter le monde et redécouvrir le magique, en repoussant la raison dans ses confins. Autour de 1800, le motif romantique s’inscrit dans plusieurs champs : la théologie protestante de Friedrich Schleiermacher définit ainsi la religion comme « le sens et le goût pour l’infini », et les études philologiques d’un Görres ou d’un Schlegel cherchent les racines de la langue et la vérité de l’origine dans l’Orient et l’Inde antiques. Ce désir des origines perdues s’exprime non seulement à travers des voyages spirituels dans le lointain, mais aussi dans la reconstitution d’un passé imaginaire. La Grèce de Friedrich Hölderlin illustre cette relation au passé, poétiquement condensée, et qui confronte une Antiquité mythologiquement sublimée à la réalité profane de sa propre époque :

«La vie cherches-tu, cherche-la, et jaillit et brille
Pour toi un feu divin du tréfonds de la terre,
Et frissonnant de désir te
Jettes-tu en bas dans les flammes de l’Etna.
Ainsi dissolvait dans le vin les perles l’effronterie
De la Reine ; et qu’importe ! si seulement
Tu ne l’avais pas, ta richesse, ô poète,
Sacrifiée dans la coupe écumante !
Pourtant es-tu sacré pour moi, comme la puissance de la terre,
Celle qui t’enleva, mis à mort audacieux !
Et voudrais-je suivre dans le tréfonds,
Si l’amour ne me retenait, ce héros.» 

Dans un second temps, émerge le romantisme politique. Il prend racine à partir du concept de nation chez Fichte, de l’idée d’un « Etat organique » développée par Adam Müller, ainsi que dans le populisme artificiel de Ernst Moritz Arndt et de Friedrich Jahn. Il se nourrit également de la haine à l'encontre de Napoléon et des Français, transfigurée par la littérature de Heinrich von Kleist. Aussi le romantisme s’est-il éloigné de ses prémisses philosophiques. Cette prise de distance caractérisera également la littérature du romantisme tardif d’un Josef von Eichendorff et d’un E.T.A. Hoffmann.

Réceptions du romantisme : un concept polémique

Qui sont les philosophes ou les théoriciens qui, sous la République de Weimar, opposent le romantisme à ce qu’ils perçoivent comme des errements de la modernité? . Christian E. Roques distingue trois principales lectures du « romantisme politique ».

La première, de 1918 à 1925, fait immédiatement suite à l’instauration de la République weimarienne : elle met en place un discours à la recherche d’une communauté nouvelle ainsi qu’une critique de l’individualisme libéral. Le romantisme, traditionnellement identifié à un discours conservateur, a inspiré des projets communautaires d’inspiration à la fois socialistes et romantiques, cherchant à donner sens au politique après la conflagration guerrière de 1914-1918. A droite, au contraire, certaines voix comme celle du philosophe Carl Schmitt s’élèvent contre le romantisme.

La seconde lecture du « romantisme politique », de 1925 à1929, est plus apaisée : elle tente d’établir le romantisme comme fondement de la « pensée allemande ». C’est ce qui structure la pensée du philosophe et sociologue autrichien Othmar Spann tout au long des années 1920-1930. Le romantisme politique devient chez lui un discours droitier. Il met en place tout un travail philologique sur les auteurs romantiques. Quant au sociologue allemand Karl Manheim, il démontre dans sa thèse de 1925,  comment le conservatisme est inhérent au romantisme. Il révèle ainsi à partir de ses travaux un nouveau rapport entre politique et savoir, ouvert sur la dimension irrationnelle de l’existence humaine.

Puis de la crise de 29 jusqu’à la veille de l’avènement du parti nazi, l’ampleur des troubles socio-économiques rend caduque le questionnement théorique sur la question de la modernité et de son dépassement, face à l’imminence de la crise politique et l’urgence de la question du « que faire ? » - qualifiée de léniniste par Christian Roques. Ainsi, si l'ancien officier de la Wehrmacht Wilhem von Schramm affirme encore l’actualité du projet romantique, c’est en proposant d’adopter la démarche de « l’ennemi bolchévique », à savoir sa méthode révolutionnaire d’enthousiasme pseudo-religieux, afin de retrouver l’esprit communautaire vécu dans les tranchées. Le théologien protestant allemand Paul Tillich ouvre dans un même temps un dialogue avec les forces « socialistes » de tout bord.


romcom260.jpgRéactiver la polémique du romantisme au XXIe siècle ?

Mais l’essentiel se situe peut-être après le moment de Weimar : en effet, ce sont les discours et les actions politiques produites pendant la République à partir de ces lectures des romantiques, qui donneront sens aux réflexions et décisions politiques après Weimar. A ce titre, l’ouvrage de Christian E. Roques s’apparente au laboratoire d’une modernité en crise. Il y expérimente, par des lectures croisées du « romantisme politique », des rencontres imprévues entre des penseurs au positionnement politique opposé. De fait, dès Weimar, le « romantisme politique » est d’abord un concept polémique pour comprendre le réel présent : c’est une sorte d’instrument de mesure des idéologies politiques actuelles, à la lumière des idéologies passées d’Etats en crise.

Dans le monde moderne, le romantisme se présente comme le correctif salutaire aux discours politiques « rationnels », dans la mesure où ses aspirations transgressives font apparaître les limites de la rationalité. C’est en cela qu’on a pu y lire une opposition aux Lumières ou du moins une réflexion sur les limites du pouvoir de la raison. Le philosophe brésilien Michael Lôwy, déclarait, en faisant référence à Marx que le romantisme était d’abord une « vision du monde » en opposition à la bourgeoisie au nom d’un passé antérieur à la civilisation bourgeoise, et qu’il perdurerait tant que cette bourgeoisie sera là, comme son contre-modèle indissociable  : « On pourrait considérer le célèbre vers de Ludwig Tieck, Die mondbeglanzte Zaubernacht, « La nuit aux enchantements éclairée par la lune », comme une sorte de résumé du programme romantique » .

Finalement, le travail de Christian Roques se justifie par sa conviction que le concept romantique n’aurait rien perdu de sa force polémique dans notre propre présent : « Au regard notamment du retour en force du discours écologique (voir éco-socialiste) qui repose fondamentalement sur un appel à une approche universaliste, dépassant les égoïsmes individuels pour adopter une conception globale, il semble légitime de se demander si nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle "situation romantique". » . Présenté comme alternative au discours libéral en temps de crise, le romantisme politique réapparaît aujourd’hui avec des références politiques et philosophiques qui dépassent le cadre binaire des partis politiques. .

Christian E. Roques, (Re)construire la communauté : La réception du romantisme politique sous la République de Weimar, MSH, 2015, 364 p., 19 euros

 À retrouver sur nonfiction.fr

Tous les articles de la chronique Nation ?

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Présentation de l'éditeur:

(sur: http://www.fabula.org ) 

"Le "romantisme politique" connaît un regain d'intérêt important en Allemagne sous la République de Weimar (1918-1933), au point de devenir un élément essentiel du discours politique de l'époque. Avec la "communauté", la "nation" ou le "peuple", le "romantisme" va constituer un des mots magiques autour desquels se cristallisent les débats de la vie intellectuelle weimarienne. Le présent ouvrage entreprend donc d'analyser les stratégies de discours politiques qui se structurent autour du paradigme romantique entre 1918 et 1933. À partir d'un corpus d'auteurs variés, pour certains célèbres et pour d'autres tombés dans l'oubli (Arthur Rubinstein, Carl Schmitt, Othmar Spann, Karl Mannheim, Wilhelm von Schramm, Paul Tillich), il est possible de montrer l'existence non d'une idéologie politique clairement définie, mais d'une sensibilité "romantique" qui transcende les oppositions politiques traditionnellement conçues comme imperméables (gauche/droite, conservateur/progressiste, nationaliste/universaliste, etc.) et qui se construit dans l'opposition fondamentale à l'individualisme matérialiste du "libéralisme" capitaliste."

Sommaire:

  • Introduction : La république de Weimar, laboratoire d'une modernité en crise -- Romantisme, romantisme politique : l'impossible définition ? -- La généalogie du romantisme : un paradigme fantôme -- Le romantisme politique : de gauche, de droite, au-delà ? -- Pour une archéologie de la réception -- La rupture méthodologique -- Le problème de la téléologie : savoir historique et condamnation morale des engagements en faveur du nazisme -- Le champ discursif du "romantisme politique" : les marqueurs d'une renaissance -- Des "néoromantiques" sous la République de Weimar ? -- La redécouverte d'Adam Müller -- Le socialisme romantique : un projet démocratique post-marxiste -- Socialisme, marxisme, romantisme : affinités électives ? -- Landauer, penseur socialiste vakisch -- Les jeunesses socialistes entre romantisme et marxisme -- Une révolution sous le signe des conseils -- Faire sens du moment révolutionnaire -- Crise de la théorie marxiste -- Une nouvelle idée émerge : des soviets allemands ? -- Le conseil au coeur de la nouvelle démocratie -- Du paradis médiéval aux abysses absolutistes -- Le Moyen Âge communautaire et démocratique -- La barbarie de l'absolutisme : contrat social et souveraineté -- Crise de l'absolutisme -- Romantisme et absolutisme -- Le romantisme comme projet d'avenir -- Le romantisme, une hérédité occultée -- Une critique radicale du libéralisme -- La radiographie de l'ennemi : Carl Schmitt contre le romantisme politique -- Un livre sous influences : les racines françaises de la critique schmittienne -- Le jeune Schmitt : une position atypique entre isolement et influence étrangère -- Les inspirateurs allemands -- Les parrains français -- Le romantisme politique : l'idéologie de l'ennemi -- Romantisme : l'impossible définition ? -- Aux sources intellectuelles du romantisme -- L'essence du romantisme : l'occasionnalisme subjectivisé -- Le romantisme comme impuissance politique -- Qui est l'ennemi ? Schmitt et la crise de l'idéologie allemande -- Schmitt l'inquisiteur de Carl ? -- Continuités d'une pensée en guerre -- La mort de l'intellectuel apolitique -- L'universalisme romantique d'Othmar Spann : la réponse allemande à l'individualisme moderne -- Spann et la galaxie universaliste -- Othmar Spann, père de l'Église néoromantique -- L'école néoromantique -- "L'État véritable" et l'actualité du romantisme politique -- De l'histoire économique au projet politique -- Les éléments de la contre-offensive romantique -- Rejet nazi de l'universalisme spannien : l'enjeu romantique -- Penser l'envers de la modernité : romantisme et conservatisme chez Karl Mannheim -- Penser à la marge -- L'émigré hongrois -- Un travail scientifique entre décentrement et écriture essayistique -- Trouver sa place à l'université : la thèse de 1925 -- La naissance romantique du conservatisme -- Conservatisme et traditionalisme : de l'anthropologie à l'idéologie -- Morphologie du conservatisme allemand : à contre-courant de la modernité -- Le locus antimoderne : le romantisme aux sources du conservatisme -- Une nouvelle synthèse ? -- S'ouvrir à l'irrationnel : penser comme conservateur -- La synthèse et ses "vecteurs" : une conceptualité romantique ?
  • La politique radicale de Wilhelm von Schramm : victoire du christianisme romantique -- Wilhelm von Schramm : officier, écrivain et théoricien politique -- Au coeur des réseaux du nouveau conservatisme weimarien -- La fascination du modèle russe : le bolchevisme entre émulation et terreur -- Ernst Jünger : nationalisme militaire et théorie de la guerre -- Les jeunes-conservateurs et la tradition du romantisme politique -- Le modèle soviétique -- Le projet intellectuel : aller à l'essentiel -- Théorie générale du bolchevisme -- Bolchevisme et romantisme allemand : généalogie du nouvel universalisme -- Revenir aux racines allemandes : le romantisme comme solution -- Le XIXe siècle allemand : entre mission romantique et schizophrénie nationale -- Le projet romantique et chrétien de Wilhelm von Schramm -- Mythe romantique et décision socialiste : Paul Tillich à la recherche de l'unité du politique -- La "jeune droite" et la rénovation de la social-démocratie -- Des "jeunes-socialistes" à la "jeune droite" -- La plateforme du renouveau : les Neue Blatter flir den religilisen Sozialismus -- Le projet socialiste contre le mythe romantique -- Crise et division : penser le monde moderne à l'aune du jeune Hegel -- Ontologie politique : l'homme entre origine et devenir -- Le mythe de l'origine : retour critique sur le romantisme politique -- Antinazisme ou réconciliation ? -- Le projet politique de Tillich en 1933.

samedi, 21 mai 2016

Procès politiques et liberté d’expression

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Procès politiques et liberté d’expression

Conférence d’Alain Soral et Damien Viguier à Lyon

Alain Soral et Damien Viguier présenteront ensemble la conférence « Procès politiques et liberté d’expression » le vendredi 27 mai 2016 à 19h30 à Lyon.

Pour y assister, la réservation est obligatoire à l’adresse suivante : conf27mai2016@gmail.com

Merci de mentionner le nombre de places demandées, l’identité de tous les participants ainsi qu’un numéro de téléphone portable. Le lieu exact sera indiqué par courriel et SMS quelques heures avant la conférence.

Entrée : 10 € à payer sur place.

Le nombre de places étant limité, il est urgent de réserver vos places.
Les réservations de dernière minute ne pourront pas être traitées.

L'ombre du perdu

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L'ombre du perdu

par Richard Blin
Ex: http://dev.lmda.net

Avec Le Sommeil des objets, Richard Millet signe un livre fait des jeux du proche et du perdu, sur fond de lumière d’étoiles mortes.

france,richard millet,littérature,littérature française,lettres,lettres françaisesIl y a une volupté singulière – triste et douce – à évoquer ce dont on ne parle quasiment jamais, à penser des dimensions de la réalité que l’idéalisme ignore. Comme le laissé pour compte, le renié, les objets déchus. Autrement dit le rebut, ce qui gît au grenier, à la cave, dans les tombeaux ou dans un coin de la mémoire. C’est autour de ce que ce rebuté ou ce révolu disent de nous, de l’excessive solitude de l’exclu mais aussi de la construction de notre imaginaire, que gravitent la centaine de courts textes réunis dans Le Sommeil des objets.


Le rebut, l’objet dont on se détache, l’être que l’on abandonne, témoignent de notre rapport au corps et aux autres, participent de l’expérience de la déréliction et sont comme la mesure de « ce que nous avons cessé d’être à travers eux et dont nous éprouvons souvent le regret ». Depuis la naissance, qui nous jette hors du corps maternel, jusqu’au corps mort – le rebut par excellence (exception faite de celui des langues mortes, car « l’esprit des langues y demeure » – en passant par les vêtements – « c’est une singulière partie de nous-mêmes que nous mettons au rebut en nous défaisant de nos vieux habits » – et tout ce dont nous nous séparons, c’est nous que nous contemplons dans le rebut, « en une distance qui est la dimension compassionnelle de l’ironie ».


Les rebuts sont les traces de nos « crimes » : « Dis-moi ce dont tu te débarrasses et je te dirai qui tu es. » Millet donne ainsi des inventaires de sa corbeille de bureau mais surtout livre de lui un portrait en creux. On le découvre en enfant, à Viam, nettoyant l’étable, en adolescent aimant le déguisement, en homme rêvant depuis toujours d’être balayeur parce qu’il y a dans cette tâche, « où nul art n’intervient », une extraordinaire incitation à la pensée. On le voit jetant dans les trous qu’il creusait pour planter des arbres, ses rognures d’ongles en guise d’engrais, brûlant ses brouillons ou arrachant la page de dédicace des livres signés d’auteurs devenus ennemis, leurs livres, eux, allant « chez le soldeur, qui est l’avant-poste du rebut ». On apprend que la corneille est son animal totémique, qu’il déteste l’ail ou qu’il lui est impossible de se glisser dans l’eau – « souillée des mille bouches où elle a pénétré » – d’une piscine. Que les jeunes femmes qui ont mis fin à leur vie l’émeuvent au point qu’il lui arrive de prier pour elles. Qu’il aime marcher longuement entre les rayons des hypermarchés, aux heures creuses, sans rien acheter, uniquement pour le plaisir de jouir de la paix qu’il éprouve en ces lieux, « celle de se sentir invisible, tout en partageant avec les autres clients le vague statut de rebut social », un statut qu’il vit comme une chance : « On voit s’ouvrir le ciel. »


À travers ce qui consiste, subsiste, insiste dans le rebut, c’est la présence sourde de toute une mémoire – celle de tout ce qu’elle-même ne se résout pas à perdre – qui est rendu manifeste. Tout ce qui, pris entre l’oubli et la nostalgie, relève de la conquête d’une vérité, aussi dérangeante soit-elle. D’où la figure de l’écrivain comme « chiffonnier » triant les ordures du passé, et dont le corps serait le rebut de l’œuvre.


P.S. À lire aussi la réédition de L’Affaire Richard Millet, de Muriel Rengervé, chez Léo Scheer, un livre qui revient sur le lynchage médiatique que déclenchèrent les 18 pages faisant suite à Langue fantôme (Pierre-Guillaume de Roux, 2012) et titrées Éloge littéraire d’Anders Breivik.

Richard Blin

LE SOMMEIL DES OBJETS. Notes sur le rebut

de RICHARD MILLET
Pierre-Guillaume de Roux, 182 pages, 18 e

L’ombre du perdu
Le Matricule des Anges n°171 , mars 2016.

Union européenne : un projet aux origines… américaines!...

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Union européenne : un projet aux origines… américaines!...

par Caroline Galacteros

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un article de Caroline Galactéros, cueilli sur son site Bouger les lignes et consacré aux origines américaines du projet d'union européenne... Docteur en science politique et dirigeante d'une société de conseil, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013).

Union européenne : un projet aux origines… américaines

La campagne anglaise du Brexit est l’occasion pour nos cousins Britanniques de s’interroger sur les origines du projet européen pour comprendre les modalités de cette intégration ad hoc qui n’a jamais su trancher entre les deux modèles classiques que sont la confédération et la fédération. Avec un Parlement que d’aucuns jugeront très sévèrement, plus préoccupé d’organiser le ballet de lobbyistes de tous poils missionnés pour infléchir sa déjà trop molle consistance que de représenter un « peuple » européen introuvable, avec surtout une Commission européenne tentaculaire qui réunit des pouvoirs à la fois exécutif, législatif et judiciaire, l’Union européenne ressemble de plus en plus dans son fonctionnement à une Union soviétique dont l’idéologie serait un néolibéralisme anglo-saxon mâtiné d’ordolibéralisme allemand. Ce cocktail paradoxal et détonnant a été préparé consciencieusement et méthodiquement depuis le Traité de Rome (ou plutôt les deux traités) instaurant en 1957 la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). S’étant étendue largement et rapidement aux anciennes républiques socialistes soviétiques depuis 20 ans, l’Union européenne est aujourd’hui bloquée dans son fonctionnement, incapable d’apporter la cohérence politique nécessaire pour transformer le Vieux continent en « Europe-puissance ». A la faveur de la crise migratoire – qui a révélé spectaculairement la faiblesse politique et la vulnérabilité culturelle de l’Union –, la renaissance d’un réflexe souverainiste diffus, déformé et instrumentalisé par des populismes parfois inquiétants, s’affirme rapidement dans plusieurs pays. Au Royaume-Uni, mais également en France, en Finlande, aux Pays-Bas, en République Tchèque, en Hongrie ou en Pologne, l’euroscepticisme gagne du terrain. Face à cette défiance croissante des peuples européens devant une hydre bruxelloise invasive mais impuissante, les dirigeants s’aveuglent ou se braquent, tels Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, qui avait déclaré dans un entretien au Figaro le 29 janvier 2015 sur fond de crise grecque : « il n’y a pas de choix démocratique contre les Traités ». Surprenante et très inquiétante formule …

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En réalité, cette embolie progressive de la construction européenne pourrait trouver en partie ses origines dans un défaut de jeunesse irrémédiable que le journaliste britannique Ambrose Evans-Pritchard a récemment décrit avec lucidité et que l’on pourrait résumer ainsi : l’Union européenne est moins un projet européen tourné vers l’avenir qu’un projet américain inscrit dans le cadre de la Guerre froide et d’une vision d’un monde unipolaire dominé par l’hégémon des USA. Ainsi influencée par Washington – ce que l’affaire du TAFTA montre très bien – et sortie de l’Histoire pour ne demeurer qu’un immense marché commercial et un ventre mou politique et culturel, l’Union européenne n’est que le bloc oriental d’une vaste Otanie qui s’étend désormais de l’Alaska aux Pays Baltes.

Dans The Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard rappelle ainsi comment les Etats-Unis ont largement financé la construction européenne et comment ils se sont servis de ces fonds pour en contrôler le cours et menacer quand il le fallait les prétentions à l’indépendance de certaines nations européennes – à commencer par la France gaulliste !

Nous reprendrons dans cet article les illustrations d’Evans-Pritchard à l’appui de cette thèse d’une Grande Otanie.

  • La déclaration Schuman du 9 mai 1950, qui a donné le ton de la réconciliation franco-allemande et préparé le Traité de Rome, a été largement commanditée par le secrétaire d’Etat américain Dean Acheson à une réunion à Foggy Bottom. Le directeur de cabinet de Robert Schuman a ainsi déclaré que « tout avait commencé à Washington », rappelant au passage que les Etats-Unis avaient menacé en septembre 1950 de couper les financements du plan Marshall face aux réticences de Paris.
  • Jean Monnet est souvent vu comme le Père fondateur d’une Europe fédérale. On oublie trop souvent qu’il passa le plus clair de son temps aux Etats-Unis et a été pendant la Guerre les yeux et les oreilles de Franklin D.Roosevelt. Le Général de Gaulle le considérait comme un agent américain, ce que la biographie d’Eric Roussel (1) confirme peu ou prou en détaillant la manière dont le héraut du fédéralisme européen travailla avec les différentes administrations américaines.
  • Les documents déclassifiés des archives du Département d’Etat américain ont assez peu fait l’objet d’analyses étendues. Il y aurait pourtant du grain à moudre ! Ces textes montrent sans équivoque comment la construction européenne a été largement financée par la CIA et comment Washington a fait pression pour que les Britanniques prennent part à l’aventure, de sorte à servir de “cheval de Troie” à leurs cousins de l’autre rive de l’Atlantique.
    • Ainsi, un mémorandum américain du 26 juillet 1950 décrit la campagne de promotion destinée à favoriser l’instauration d’un véritable Parlement européen. Ce texte est signé du Général William J. Donovan, chef du American wartime Office of Strategic Services, “ancêtre” de la CIA.
    • L’organisme de la CIA chargé de surveiller le processus d’intégration européenne était l’American Committee for a United Europe (ACUE), dirigé par Donovan. En 1958, un an après la signature du Traité de Rome, ce Comité de la CIA a financé 53,5% des fonds destinés aux organisations européennes fraichement instituées (CEE et Euratom).
    • D’après Evans-Pritchard, plusieurs papiers attestent du fait que les agents de la CIA mis à la tête de l’ACUE considéraient les « Pères fondateurs de l’Europe » comme de « petites mains » auxquelles ils avaient fortement déconseillé de trouver des financements alternatifs pour la construction européenne de sorte à ne pas affaiblir la mainmise de Washington.
    • Un mémo daté du 11 juin 1965 demande au vice-président de la CEE de poursuivre coûte que coûte le projet d’une Union monétaire européenne, mais de manière furtive, en empêchant tout débat, de sorte que « l’adoption de telles propositions finisse par devenir inéluctable ».

Cette influence américaine sur le destin du Vieux continent pouvait se comprendre dans le contexte de la Guerre froide et de la mise en oeuvre du « containment » de l’URSS décidée par le président Truman à partir de 1947. Néanmoins, il est probable que les peuples européens n’ont pas alors mesuré, et ne mesurent pas plus aujourd’hui l’étendue de cette emprise américaine. La puissance du Deep state américain (i.e “l’Etat profond” pour reprendre le concept utilisé notamment par le politiste Peter Dale Scott) et notamment des Services de renseignement était telle qu’elle laissait peu de place au déploiement de démocraties européennes fondées en premier lieu sur la souveraineté des différents peuples du continent. Or, c’est l’Union européenne qui a servi ce projet américain, ce qui laisse une marque indélébile sur la crédibilité démocratique et l’indépendance de cette organisation. Pis, si nous savons aujourd’hui une partie de ce qui se passa réellement aux débuts de la construction européenne, il faudra attendre encore longtemps pour découvrir avec précision le rôle que jouèrent les Etats-Unis dans l’extension de l’UE aux ex-Républiques socialistes et soviétiques, de conserve avec celle de l’OTAN, de 1991 à aujourd’hui. A cette aune, les futurs historiens mettront sans doute en perspective le rôle joué par la crise ukrainienne de 2014-2015, inscrite dans cette consolidation d’une vaste Otanie qui aille le plus à l’Est possible. L’ancien Directeur du renseignement à la DGSE, Alain Juillet, l’a reconnu assez clairement dans une récente interview accordée au magazine ParisMatch.

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Reste la question anglaise… Il est évident que l’identité britannique, profondément marquée par son insularité tant géographique que culturelle, est par essence et depuis l’origine peu perméable à une quelconque forme de soumission à une logique ou à des structures continentales. Mais précisément. L’Angleterre qui a toujours préféré “Le Grand large” et s’est fort longtemps et en bien des domaines alignée sur les ambitions et positions américaines sans états d’âme, rend son positionnement actuel d’autant plus signifiant. Elle fuit manifestement la déroute continentale non pour condamner la renaissance souverainiste des États européens mais contre l’autoritarisme des structures bruxelloises qui cumulent les handicaps de la rigidité administrative technocratique et celle d’une patente faiblesse politique et économique. L’importance accordée à la notion de « souveraineté » dans le débat sur le Brexit et non seulement aux aspects économiques de ce possible bouleversement européen, illustre parfaitement cette conscience politique des Britanniques et aussi peut-être une relative autonomisation par rapport à Washington. L’idée d’être aux ordres d’une Europe dont l’inspiration vient de Washington mais dont les gardes-chiourmes se trouvent à Berlin plus encore qu’à Bruxelles dépasse l’entendement anglais. So shocking. Il paraît que Sa Majesté la Reine Elizabeth pencherait elle-même du côté du Brexit ...

Caroline Galactéros (Bouger les lignes, 13 mai 2016)

(1) ROUSSEL, Eric, Jean Monnet, éd. Fayard, 1996.

Eastern Europeans Strike Back After Bill Clinton Slams Poland, Hungary for 'Putin-Like Dictatorship'

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Eastern Europeans Strike Back After Bill Clinton Slams Poland, Hungary for 'Putin-Like Dictatorship'

There's still some spirit in these NATO vassals

Funny thing. No matter how western-oriented Eastern Europeans (ooops sorry, "Eastern-Central Europeans") are and how eager they are to distance themselves from the likes of Russians they can never quite get Westerners to see them as anything but Russians-lite. 

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They can be in NATO and the EU but to fully-fledged Westerners they will always remain a mere poor copies of truly advanced and civilized societies in the west proper. In only the latest reminder of this ex-US president Bill Clinton accused Poland and Hungary of tossing away democracy they only ever enjoyed thanks to the USA in favor of Russian-style "authoritarian dictatorship" and xenophobia: 

“Poland and Hungary, two countries that would not have been free but for the United States and the long Cold War, have now decided this democracy is too much trouble,” Clinton said on Friday at a campaign stop for his wife, probable Democratic presidential nominee Hillary Clinton. “They want Putin-like leadership: just give me an authoritarian dictatorship and keep the foreigners out.”

Naturally, this historic revisionism took the "Eastern-Central Europeans" aback, but fortunately for them they did not take it lying down. The Hungarians were clear:

Hungary’s Foreign Minister Peter Szijjarto said it was the Hungarian people who fought for the country’s freedom and Clinton didn’t have the right to snipe at voters who gave power to Prime Minister Viktor Orban.

“No one, not even former U.S. President Bill Clinton can allow himself to insult Hungarian people,” Szijjarto said in an e-mailed statement on Tuesday.

“Bill Clinton may not like the decision of the Hungarian people, but this is no reason for the former American president to offend them,” he added.

The Poles combined their response with some damage control and covering for the American, but if anything they were even more colorful:

Poland’s foreign ministry said in an e-mailed statement that the comments were “unfair,” spoken during a heated election campaign and not in line with the views of President Barack Obama’s administration.

Former Polish Prime Minister Kaczynski, who is also the party’s head, took the criticism of the former US president directly to heart, advising Bill Clinton to have his state of mind checked by a doctor.

“If anyone says there is no democracy in Poland, it means that he is in a state that you need to examine by medical means,” Kaczynski told a briefing on Tuesday, as cited by TASS.

“I can say only one thing – that the media, various factors in the world, triggered a situation of a giant misunderstanding. Perhaps it affects the consciousness of the former president of the United States,” he added, trying to downplay the sharp tone of Clinton’s remark by offering his own explanation.  “Otherwise, I cannot explain it to myself,” he concluded.

Dominique Venner: citation

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La Tradición Romana: Julius Evola y Guido De Giorgio

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La Tradición Romana: Julius Evola y Guido De Giorgio

Ex: http://www.hiperbolajanus.com

Durante la década que comprende los años 1924 a 1934 hubo en Italia un desarrollo importante de las corrientes tradicionalistas, con la emergencia de representantes de gran valía dentro de las mismas, como bien pudieran ser Julius Evola, Arturo Reghini o Guido De Giorgio, junto con otras figuras de menor importancia que colaboraron activamente con publicaciones e iniciativas culturales de diversa impronta. El cometido de este artículo no es más que sondear aspectos generales de esta época, la cual fue especialmente fecunda dentro del Tradicionalismo, y que eclosionó, especialmente en los casos de Evola y De Giorgio, a la sombra de René Guénon, que pese a que siempre renunció a la posibilidad de tener a discípulos y continuadores de su doctrina siempre fue algo que rechazó de forma expresa. En el caso de Reghini es evidente que sus motivaciones y los referentes intelectuales de su obra tenían su origen en el siglo XIX, en la masonería y  las ideas ligadas al Risorgimento italiano. Por otro lado, podemos hablar de «Tradicionalismo Romano» en la medida que existía un ambiente intelectual y una serie de cenáculos y lugares de referencia en los que se veía renacer la función Tradicional de Roma vinculada a una guía o dirección de nuestro siglo.

tradizione-romana.jpgDurante estos años, y bajo el influjo permanente de los escritos de René Guénon surge, primero como un artículo de la revista Atanor, en 1924, y posteriormente como libro, concretamente en 1927, El rey del mundo. Un año después, en 1928, tendría lugar la publicación de otra obra de vital trascendencia; Imperialismo pagano, de Julius Evola, quienes representaban ya en aquella época dos mentalidades y formas de interpretar el mensaje de la Tradición desde polos más o menos diametrales, aunque con un punto de confluencia donde, finalmente, habrían de congeniar. Mientras Guénon trataba de encontrar aquellos centros espirituales y supremos, con sus respectivos puntos de referencia al margen de todas las vicisitudes temporales, Evola reclama una idea de Tradición estrechamente vinculada a la historia italiana y sus devenires temporales. De todos modos, la obra de Guenon permanece como imprescindible en la medida que hace referencia a los Principios últimos, muy necesarios en su comprensión, y que no pertenecen al ámbito de lo contingente en sus aplicaciones. El libro de Evola, mucho más relacionado con ese ámbito de la contingencia se presenta con una función y un cometido claro y contundente: afirmar, merced a la sapiencia itálica y pagana, la irrenunciable función imperial de la Roma precristiana, la cual tratará de hacer confluir con los intereses mismos de la «Revolución Fascista» y además persigue, con igual tenacidad, la resurrección de la esencia misma de la Romanidad, en sus términos clásicos e imperiales, con la intención de regenerar espiritualmente a la Italia de su tiempo, aquella que estaba bajo el mandato de Benito Mussolini.

Durante estos años, entre mediados de los veinte y casi la mitad de los treinta, Evola se encuentra a la expectativa respecto al cometido del fascismo, a sus posibilidades reales como representante cualificado de las ideas Imperiales y Tradicionalistas, frente a la Europa de las democracias liberales, que asumiendo la terminología gibelina del Medievo, califica como representantes de la ideología guelfa. En este sentido Evola se ve como un intérprete del fascismo pero desde fuera, sin pertenecer oficialmente, y en sentido estricto, a la jerarquía misma del régimen. Para el pensador romano el fascismo debía erigirse como líder hegemónico e incontestable de la Tradición mediterránea, como generador de un Principio aristocrático capaz de revivir la naturaleza iniciática y realizadora de antiguas corrientes sapienciales. Solamente de esta manera sería posible volver a forjar una Europa con referentes cualificados y válidos y, en definitiva, con una élite intelectual en el sentido Tradicional del término. Se trata del concepto de Imperium como fundamento Trascendente, que el fascismo mussoliniano debía asumir.

Como hemos comentado la anti-Europa, aquella que representa valores descendentes y de subversión es la que viene determinada por el güelfismo, y que, como en el contexto del conflicto de las investiduras, nos remite al papel de la Iglesia. El Cristianismo como tal es considerado como el comienzo del fin del Imperio Romano, un factor clave en la decadencia y destrucción de éste a nivel material y de estructuras así como a nivel de símbolos y aquellos elementos que estaban en conexión con lo Trascendente. Además cuando Evola nos habla del cristianismo en Imperialismo Pagano hay que entender que no nos habla solamente de una cuestión propiamente doctrinal, sino que establece una conexión directa entre el cristianismo histórico y todos los procesos disolutivos que desde la Reforma Protestante a la Revolución Francesa, pasando por el desarrollo del anarquismo y el bolchevismo, y el modelo de sociedad anglosajona han conducido, de forma inexorable, a la edad moderna como tal. Frente a todos estos procesos destructivos existe lo que Evola concibe como la Tradición Mediterránea y una cadena ininterrumpida de Misterios y secretos que se han ido transmitiendo en el devenir de los siglos que preceden al advenimiento del cristianismo. Evola no dudo un momento en reclamar al fascismo la restauración de la Italia pagana e imperial, así como la renuncia hacia toda suerte de tradición cristiana y católica, la cual es considerada por el pensador romano como totalmente desprovista de elementos tradicionales. Esta misma idea la mantendrá viva durante largo tiempo. De hecho, en Revuelta contra el mundo moderno sitúa el síncope de la Tradición europea occidental en el ascenso del cristianismo. Incluso durante los años de la constitución del Grupo de Ur, en los que Evola apuesta por la magia, se sigue manteniendo la idea de la existencia de un centro sagrado e iniciático, vinculado a la Tradición Romana, que podría mantenerse vivo hasta nuestros días. De igual manera encontramos en la figura de Guido De Giorgio ideas muy similares, y éste creía en la existencia de un centro oculto e inaccesible consagrado al culto de Vesta.

perennitas1.jpgEvola mantiene un discurso constante en el que asocia todas las formas de decadencia europea actuales, en lo que se refiere a mentalidades, estructuras sociales, en la filosofía y la ciencia positiva así como en las supersticiones de nuestro tiempo, que relaciona de forma indefectible con el cristianismo. En este sentido Evola hace una acusación directa al Cristianismo, y habla de éste como portador de una forma de «ascesis bolchevique», y más concretamente bajo lo que está en el origen del cristianismo, como es el concepto de ecclesia, entendida como una mística de la comunidad que subvierte todo el conjunto de valores jerárquicos e imperiales del mundo antiguo greco-romano. De ahí que el fascismo tuviese entre sus más importantes funciones destruir el cristianismo y apostar por una restauración pagana para salvar a Italia y a Europa de la hecatombe final. Evola busca claramente la confrontación llevada al extremo de un principio gibelino e imperial frente a otro güelfo y vaticano, es en este enfrentamiento donde se debe dirimir el destino de Europa, o bien hacia su renacimiento y cima o hacia su destrucción y ocaso. No obstante, es esencial aclarar también que al hablar de Imperio Evola no se remite a la concepción moderna del término, no habla de las categorías profanas y materiales del imperio, de la forma en la que modernamente se ha concebido tal término, al cual es totalmente opuesto en su formulación burguesa e industrial, y que nada tiene que ver con las modernas formas de colonialismo promocionadas por el capitalismo en sus estadios más desarrollados. Es evidente que los pactos lateranenses de 1929 fueron contrarios a las expectativas que se había generado el propio Evola, y que el fascismo decidió apostar por la vía güelfa de la anti-Europa de la que el propio autor romano había hablado en Imperialismo pagano. En este sentido los reproches del pensador romano hacia el fascismo estaban encaminados a denunciar que éste no poseía una espiritualidad y cultura propia. La idea de Imperio universal y gibelino implica ante todo la asunción de un principio de autoridad del Estado sobre la Iglesia, pero no desde una perspectiva anti-clerical o anti-espiritual, tal y como ocurre a día de hoy, sino desde la comprensión profunda del cristianismo a nivel doctrinal, entendida en su dimensión exotérica y popular, como una forma de «realidad espiritual» tolerada y adaptada a determinados estratos sociales, pero en ningún caso depositaria de las formas trascendentes y metapolíticas que sí representa la Tradición Mediterránea. Esta idea es tomada directamente de Guénon en el aspecto de entender la Tradición como una realidad unitaria de base netamente metafísica y sapiencial, estableciendo a su vez la idea de la existencia de distintos niveles y estadios jerárquicos en su realización, generando así una pluralidad de formas de realización espiritual. La postura de otros tradicionalistas romanos, como es el caso de Arturo Reghini, es totalmente concordante con aquella de Evola, al presentar la Tradición como una realidad inmutable, aunque en su caso la Tradición Mediterránea está en conexión directa con las enseñanzas pitagóricas. Pese a todo Reghini es, evidentemente, mucho más heterodoxo que Evola o De Giorgio, especialmente en la medida que concibe como parte de la Tradición ideas, movimientos y personajes que forman parte del marco histórico y temporal incluyendo a católicos, liberales, socialistas y hombres de poder que van desde Maquiavelo, Napoleón o Garibaldi o corrientes laicistas y anticlericales, que lo ubican en un espacio y realidad completamente antitético respecto a los grandes autores de la Tradición Perenne.

giorgioWcMro4lYVvPUfzOrF0.jpgEl otro gran representante de la Tradición Romana es Guido De Giorgio, el principal discípulo del pensamiento de René Guénon en Italia, un hombre oscuro, tanto en su trayectoria vital como en aquella intelectual, de una moral espartana, y definido por el propio Evola como un «iniciado en estado salvaje». Su principal obra, La Tradición Romana, fue publicada póstumamente, en el año 1973, y todavía a día de hoy existen obras inéditas del autor, que no han visto la luz todavía. Las premisas del pensamiento de Giorgio, como ocurre con Guénon, parten de un punto de vista absoluto, metafísico, sacro y Tradicional. No obstante su visión de la Tradición como tal cuenta con la confluencia de muy variadas influencias, entre las cuales podemos encontrar a los neoplatónicos, cristianos, hinduistas y musulmanes. A las citadas fuentes que nutren su pensamiento podemos añadir una peculiar forma de escribir, muchas veces teñida de una cierta iluminación, de una intuición muy sutil, y lo enigmáticos que resultan muchos de los pasajes de su obra. Un ejemplo de esta confluencia de ideas y doctrinas la vemos en sus consideraciones, de matiz claramente cristiano, en las que habla de la fe como la base de la Tradición por excelencia, al tiempo que contempla la concepción no dualista del Principio Supremo en lo que es un concepto de impronta hinduista. Sin embargo, la perspectiva islámica es la que toma mayor protagonismo en el conjunto de sus ideas, y es precisamente en base a esta visión de lo Absoluto a través del filtro de la doctrina islámica, la forma en la que De Giorgio comienza a edificar su Tradicionalismo Romano. Lo más llamativo de todo es que Guido De Giorgio jamás se convirtió al Islam, pero sin embargo, hay ideas relacionadas con éste, que son recurrentes en sus escritos. La idea fundamental que vertebra a través de las doctrinas esotéricas islámicas es aquella de la inefabilidad del Principio Supremo, la idea de la unicidad en el principio de la Creación y la ruptura de ese Principio a través de la acción del pecado, que actuando a través del hombre, rompe esa armonía. El mundo es Dios porque Él contiene al mundo en sí, y al mismo tiempo si el hombre se mantiene como tal se mantendrá asimismo ese principio de dualismo en el mundo. Se trata de una idea de clara inspiración sufí. En el límite de lo inefable se encuentran los defensores de lo Inaccesible, los santos de Dios que son los maestros y guías de la Realidad Suprema. De modo que es ese Principio de Unicidad el que resuelve cualquiera de las cuestiones doctrinales y metafísicas que puedan derivarse de otras fuentes como el cristianismo o el hinduismo.

De todos modos, lo fundamental es conocer cómo concibe De Giorgio la vuelta de Occidente al ámbito de la Tradición, y en este sentido, pese a las influencias del islamismo sufí, De Giorgio piensa en la vuelta a una Tradición propiamente romana y cristiana, al margen de otro tipo de influencias ajenas a su desarrollo histórico. A diferencia del anti-cristianismo de Evola, en el caso de De Giorgio hay un puente y una vía de entendimiento que reconcilia a la religión romana con el cristianismo en el contexto de una Roma que tiene una función metafísica y Trascendental de primer orden. En este contexto hay una serie de elementos simbólicos que nutren la citada función de la ciudad eterna, y es el caso del símbolo del Jano, que se completa en un contexto más amplio, con aquel simbolismo universal de la cruz del que nos habló Guénon en su momento. Por otro lado, Dante Alghieri representa la expresión más elevada y genuina de la Tradición Romana, quién representa a ojos de De Giorgio el aglutinador de las dos tradiciones de Roma; la pagana y la cristiana. Roma representa para nuestro pensador la función de centro mediador entre Occidente y Oriente, de equilibrio entre la vida contemplativa y aquella activa. Roma permite, a través de Eneas y Cristo, la realización de un principio de universalidad que la convierte en el faro de Occidente, y mientras Roma viva también vivirá la Tradición en Occidente. Pese a que De Giorgio coincide con Guenon al considerar la existencia de una Tradición Primordial, unitaria y sagrada en los comienzos, de la cual las restantes no son sino derivadas, considerada fundamental la función sagrada de Roma a través de sus símbolos, los cuales va desgranando en su obra cumbre La Tradición Romana y de la cual hablaremos en próximas entradas.

En conclusión el horizonte intelectual y las reflexiones acerca de la Tradición en la Roma del periodo de entreguerras nos ofrece un panorama rico y variado en cuanto a la producción de obras, ideas y doctrinas. Hoy hemos repasado algunos aspectos fundamentales de las obras de Evola y De Giorgio, teniendo siempre presente la enorme influencia que René Guénon tuvo en su momento, y sigue teniendo a día de hoy, sobre cualquier reflexión intelectual y metafísica sobre la Tradición Perenne.

Le Tafta est mort? Le Ceta le remplacera

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Le Tafta est mort? Le Ceta le remplacera

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Sur France Inter, le 10 mai, le ministre Mathias Fekl déclarait : « Après trente années de dérégulation néolibérale (…), il est temps de remettre des règles dans la mondialisation, il est temps que la puissance publique ait son mot à dire et que des choix démocratiques puissent être respectés". Très bien. Il annonçait donc ainsi quasiment la volonté française de refuser le Tafta.
 
Mais à la surprise de l'auditeur d'abord convaincu et rassuré, il a enchainé immédiatement pour vanter les avantages du Ceta. Il s'agit de l'accord de libre-échange que l'Europe vient de conclure avec le Canada. Sans hésiter, le gouvernement français se dit prêt à le signer et le ratifier. Il soutient même son entrée en vigueur provisoire avant la ratification par le parlement français.

Mathias Fekl a expliqué, toujours dans le cours de son exposé sur France-Inter, que le Ceta était tout différend du Tafta. Mais à l'auditeur un tant soit peu averti qui a suivi l'explication laborieuse du ministre, cette différence n'apparait pas. En effet, à quelques détails près, le Ceta se présente comme le frère jumeau du Tafta. Un article fort bien venu (14 Mai 2016) du député européen Yannick Jadot, en donne la démonstration. « Pourquoi il FAUT s'opposer à la signature du Ceta, le cheval de Troie du Tafta » Nous y renvoyons le lecteur.
Voir http://www.lasyntheseonline.fr/idees/gouvernance_europeen...

Les naïfs feront remarquer que la puissance du Canada, même dopée par le libre-échange, ne peut inquiéter celle de l'Europe. Mais ce serait un erreur à un double titre. Sur des points essentiels, des entreprises canadiennes pourraient obliger les gouvernements européens à renier leurs engagements politiques à l'égard des citoyens.

Il a plus. Le Canada est très accueillant à l'égard des entreprises et banques américaines. Chacune de celles-ci ou presque dispose d'une filiale canadienne. Elles pourront donc poursuivre à l'égard de l'Europe, sous le pavillon canadien et dans le cadre du Ceta, les politiques de conquête qu'elles comptaient mener dans le cadre du Tafta, à supposer que celui-ci soit définitivement enterré.

Mathias Fekl et le gouvernement français sont-ils ignorants ou complices des intérêts américains ? Pour nous, la réponse ne fait pas de doute.

 

vendredi, 20 mai 2016

Ein germanophiler Traditionalist

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Ein germanophiler Traditionalist

von Carlos Wefers Verástegui

Ex: http://www.blauenarzisse.de

Der spanische Journalist, Politiker und Redner Juan Vázquez de Mella y Fanjul (18611928) war einer der bedeutendsten katholischen Apologetiker des ausgehenden 19. Jahrhunderts.

Vor allem ihm ist es zu verdanken, dass die bis dahin verstreut, neben– und sogar gegeneinander existierenden legitimistischen, klerikalen und antiliberalen Strömungen im „Traditionalismus“ ein gedanklich durchgebildetes, einheitliches System erhielten. Politisch immer noch interessant sind Mellas gewagte Gegenwartsdiagnosen und Prognosen.

Katholische Zivilisation als Gegenentwurf zur Moderne

Mella war kein Soziologe oder Geschichtsphilosoph von Fach. Trotzdem hat er bedeutende Lehrstücke zu beiden Disziplinen geliefert. Seine eigentliche Spezialität war die politische Theologie: Innerhalb eines spezifisch christlichen Geschichtsbildes als analytischem Rahmen vollzieht sich die systematische Kulturkritik der Moderne, der konsequent die „katholische Zivilisation“ entgegen gestellt wird.

Die Moderne wird dabei dialektisch auseinandergesetzt und destruiert. Die politisch-​theologische Methode ermöglicht die Vorauskonstruktion kommender Ereignisse. Eines ihrer Mittel ist die „ideologische Ableitung“. Das ist die Ableitung des Geschichtsverlaufs aus den in der Geschichte wirksamen Ideen, den richtigen wie den irrigen. Der Darstellung der sich aus diesen Ideen ergebenden notwendigen Konsequenzen liegt bei Mella eine in sich schlüssige Geschichtslogik zugrunde: Ist erstmal der Weg in die entsprechende Richtung eingeschlagen, nehmen die Ereignisse mit äußerster Folgerichtigkeit ihren Lauf. Die Freiheit besteht für den Menschen darin, nun diesen ersten Schritt zu tun, zwischen Wahrheit und Irrtum zu wählen, zu irren oder richtig zu liegen.

Wahr oder falsch

Genauso, wie die ganze irrende Menschheit, sind auch ihre Führer mit Blindheit geschlagen und wissen nicht, was sie tun. Der dogmatische und, mit ihm, politische und auch soziale Irrtum, ist die Wurzel allen geschichtlichen Übels. Diese radikale Gegenüberstellung von Wahrheit und Irrtum, richtig oder falsch bei Mella, lässt keine Vermittlung, also keine der heute so beliebten Grauschattierungen, zu: Sie zwingt jeden zu einer klaren Stellungnahme in der Wirklichkeit.

Für Mella stand die soziopolitische Wirklichkeit seit den Tagen der Französischen Revolution permanent unter Spannung. Diese kann sich nur in Konflikten entladen und führt, aller Vorsicht und selbst gegenteiliger Bemühungen zum Trotz, zur Katastrophe. Mellas Reden und Artikel der ersten Jahrzehnte des zwanzigsten Jahrhunderts beinhalten daher unzählige treffende Voraussagen des Spanischen Bürgerkriegs (19361939). Gerade weil Mella seine Gegenwart realistisch, d.h. illusionslos, betrachtete, konnte er die Entwicklung vorwegnehmen.

Mellas Werdegang vom Liberalismus zum Karlismus

Mella war Traditionalist aus Überzeugung: nicht eine etwaige Familientradition, sondern Ideen waren es, die ihn zum Traditionalismus geführt hatten. Geboren im nordspanischen Asturien als Sohn eines Offiziers und liberalen Demagogen sowie einer strenggläubigen Katholikin stand Mella zunächst unter dem Einfluss der väterlichen liberalen Anschauungen. Früh bemerkte der Vater das Redetalent seines Sohnes: Er übte den kaum Zehnjährigen darin, in der Öffentlichkeit liberale Standreden zu halten. Nach dem Tod des Vaters zogen Mutter und Kind zu Verwandten in das benachbarte Galicien.

Dort kam es auch zur ersten Kontaktaufnahme Mellas mit dem spanischen Legitimismus und Royalismus, dem Karlismus. In der galicischen Hauptstadt Santiago de Compostela war die Kirche, trotz der siegreichen liberalen Revolution, noch immer die stärkste Macht und karlistisch eingestellt. Auch waren in Galicien die Anhänger des legitimistischen Thronanwärters Don Carlos von Bourbon („Karl V.“), die Karlisten, sehr zahlreich. Die traditionalistischen Einflüsse, die vom Karlismus ausgingen, haben Mella die Richtung gegeben.

Die Wende zum Karlismus vollzog sich während seines Jurastudiums in Santiago de Compostela. Mella war kein guter Student. Die trockene Materie missfiel ihm sehr, so dass er die geringste Zeit und Kraft aufwendete, um die Examina zu bestehen, mehr nicht. Mella nutzte seine Zeit lieber zum Selbststudium der Philosophie, Theologie, Geschichte und Literatur. Dadurch erlangte er eine universelle Bildung. In Theologie und Philosophie brachte er es sogar zu einem echten Fachwissen.

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Parlamentarier wider Willen

Wie ein Schwamm nahm er die Lehren und Prinzipien der spanischen Konterrevolution in sich auf, vor allem Donoso Cortés. Weitere Anregungen empfing er vom spanischen Traditionalisten und Literaturkritiker Marcelino Menéndez Pelayo. Aufgrund seiner universellen Bildung und seiner Redebegabung wurden, trotz der mäßigen Noten, seine Lehrer auf ihn aufmerksam: dank ihrer Förderung und mit kirchlicher Unterstützung konnte Mella Artikel und Kritiken in verschiedenen traditionalistischen Medien veröffentlichen.

Dabei bestach Mella durch seinen Rednerstil sowie seine scharfe Dialektik. Mellas Beredsamkeit drang bis zur karlistischen Führung durch: der Marquis von Cerralbo nahm sich seiner an, so dass er von nun an als Chefpropagandist der Sache Don Carlos („Karl VII.“) diente. 1891 stellten die Karlisten Mella als ihren Kandidaten für den Wahlbezirk Valls in Katalonien auf. 1892 schaffte es Mella in das Parlament, diesmal als Abgeordneter von Aoiz, im ehemaligen Königreich Navarra.

Von 1892 bis 1919 – mit einer Unterbrechung von 1900 bis 1905 – war Mella karlistischer bzw. traditionalistischer Parlamentarier, sehr zu seinem Unwillen. Er war geschworener Feind des Liberalismus, den er in seinem eigenen Heiligtum, dem Parlament, aufs heftigste bekämpfte. Mella war für keine Zusammenarbeit zu haben, was ihm Kritik und Missmut von liberal-​konservativer Seite zuzog. Die gemäßigten, katholischen und christlichen Liberalen, die „vermittelnden Parteien“, lehnte er genauso ab, wie die radikalen und antiklerikalen Liberalen.

Mella im Exil

Von 1900 bis 1905 befand sich Mella, halb freiwillig, im Exil: als Chefpropagandist wurde er für den Aufstand katalanischer Karlisten verantwortlich gemacht und polizeilich gesucht. Zuerst floh Mella nach Portugal, danach lebte er zurückgezogen in seiner galicischen Heimat. Nach dem Ersten Weltkrieg trennte sich Mella vom legitimistischen Thronanwärter Don Jaime (Jakob III.). Mit der ganzen spanischen Öffentlichkeit hatte der Weltkrieg auch die Karlisten in die beiden Lager der „aliadófilos“ – d.h. die Anhänger Frankreichs und Englands – und „germanófilos“ – die Befürworter Deutschlands und Österreich-​Ungarns – gespalten.

Mit fast der gesamten karlistischen Führungsriege war Mella „germanófilo“, im Gegensatz zum Thronanwärter, der Frankreich und England bevorzugte. Dieser setzte die gesamte deutschenfreundliche Führung ab, was zur Abspaltung der sogenannten „Mellisten“ vom Karlismus führte.

Keine Reaktion, sondern Wiederanknüpfen an die Tradition

Trotz seiner politischen Heimat im Legitimismus steht Mella in der viel großartigeren Tradition der christlichen Staatsphilosophie. In einzigartiger Weise nahm er die Lehren der Schule von Salamanca, namentlich Francisco de Vitoria und Francisco Suárez, in sich auf. Diese verarbeitete er auf originelle Weise, indem er sie in Verbindung mit den Thesen des Reaktionärs Donoso Cortés brachte. Mellas Traditionalismus ist kein bloßer Gegenentwurf zur Praxis und Theorie des Liberalismus. Er ist keine „Gegennachahmung“, keine bloß konterrevolutionäre Chiffre für „Absolutismus und Reaktion“: er bezeichnet vielmehr das bewusste Wiederaufsuchen und Anknüpfen an eine nationalspanische Tradition politischen Denkens.

Diese war über den Absolutismus des 17. und 18. Jahrhunderts verloren gegangen. Im 19. Jahrhundert war sie den Legitimisten, die eigentlich die Verteidiger der Tradition sein sollten, verdächtig geworden: die Liberalen hatten sich ihrer bemächtigt und dreist für liberalen Konstitutionalismus ausgegeben. In dieser missbräuchlichen Form benutzten sie sie in ihrem Kampf gegen das absolutistische Ancien Régime, nur um ihren eigenen Absolutismus zu befördern.

Mellas „Traditionalismus“ ist ein dreifacher: „Traditionalismus“ im strengen Wortsinn, als organisches Anknüpfen und Fortbilden des bereits positiv Überlieferten bzw. dessen Wiederherstellung. An diesen schließen sich ein christlich-​naturrechtlicher Traditionalismus sowie ein soziologischer Traditionalismus an, die beide aristotelisch-​thomistischer (scholastischer) Provenienz sind. Bei Mella bleibt es aber nicht bei abstrakten Ordnungsprinzipien rein normativer Art, wie sonst in der Scholastik üblich. Diese Prinzipien müssen auch menschlich, geschichtlich sowie gesellschaftlich wirklich sein.

In diesem Sinne genießt die Tradition als die Zeiten übergreifende Verwirklichung des Volksganzen und universeller Konsens einen Vorzug gegenüber der vom zeitlosen hierarchischen Prinzip dargestellten Ordnung. Auch gegenüber dem Willen der jeweiligen Gegenwart ist das Recht der sich darstellenden Ganzheit grundsätzlich höher anzuschlagen: die gegebene und gebotene Naturnotwendigkeit, die die Menschen veranlasst, sich zwecks Bildung des geselligen Zustands zusammenzuschließen, besitzt einen höheren Stellenwert, als Willkür und Belieben des Individuums. Das schließt jede numerische Willensbildung (Demokratie) wie auch jeden deliberativen Prozess der Willensfindung (Liberalismus) als Quellen der Legitimität aus.

Permanenz und Fortschritt

Aus dem Traditionalismus erklärt sich Mellas Streiten für Permanenz: nur da, wo sich geschichtlich etwas bewährt hat und fortbesteht, kann es auch Fortdauer, Stetigkeit und Ständigkeit geben. Die Prämisse jeden echten Fortschritts ist deshalb Entwicklung aus der Tradition. Die Tradition, die selbst in der Entwicklung steht, bezeichnet das Wesen dieses echten Fortschritts: Anknüpfen und Weiterspinnen des geschichtlichen Fadens auf dem Grunde der Permanenz.

Die „Tradition“ Mellas ist, soziologisch gesprochen, die gesellschaftliche Dynamik, die die gesellschaftliche Statik – die in den gesellschaftlichen und politischen Einrichtungen verwirklichten göttlichen Schemata und natürlichen Ordnungsprinzipien – umflutet, nährt und zur Entfaltung bringt. Dass Mellas „Traditionalismus“ von daher kein bloßer monarchischer Absolutismus ist, wird aus der Begründung der Gesellschaft klar, die Mella von Francisco Suárez nimmt: Gegenüber dem Staat ist die ganze Gesellschaft ursprünglich. „Gesellschaft“ begreift Mella nicht liberal-​individualistisch atomistisch, sondern als gegliedertes und in sich selbst hierarchisch abgestuftes Volksganzes. Die Gesellschaft ist „organisch-​demokratisch“, d.h. in ihr ist das Volk als Ganzes ursprünglich.

Von daher steht es auch selbstbestimmt und souverän den politischen Gewalten des Staates gegenüber. Dieser ist als Rechtsbewahrer mit schiedsrichterlichen und organisatorischen Aufgaben betraut. Er hat nur da unterstützend oder stellvertretend einzugreifen, wo die Tätigkeit der gesellschaftlichen Verbände und Klassen von allein nicht ausreicht oder ein Streit zu schlichten ist (Subsidiaritätsprinzip). Zu den arteigenen Aufgaben des Staates gehören die Verteidigung nach innen und außen, sowie die Oberleitung des Ganzen im Sinne des Gemeinwohls.

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Ablehnung des Parlamentarismus

In der Gesellschaft und durch die Gesellschaft soll der Mensch als Angehöriger seiner jeweiligen Gemeinschaften sowie nach Maßgabe seiner natürlichen Fähigkeiten und Eigenschaften sich möglichst frei entfalten und vervollkommnen. Im Gegensatz zur individualistischen Demokratie des Liberalismus ist das in der Gesellschaft begriffene Volk nicht aus sich selbst heraus souverän.

Mellas Auseinandersetzung mit dem liberalen Parlamentarismus, seinen Widersprüchen, Halbheiten und Wirrnissen, steht in nichts der seines Zeitgenossen Georges Sorel nach. Ganze Passagen seiner Reden und Artikel erinnern stark an die Gewaltmaximen des französischen revolutionären Syndikalisten, z.B. wenn Mella bekennt, dass er die in ihrer Gewalttätigkeit absurde Konsequenz der streikenden Arbeiter den Schwankungen der Parlamentarier („diesen dekadenten Byzantinern“) gegenüber bevorzuge.

Mella lehnte überhaupt den Parlamentarismus ab, weil dieser systematisch die Verantwortung weiterschöbe und auf andere abwälzte, bis von ihr nichts als die Verhöhnung des „unglücklichen Stimmviehs“ übrig bliebe. Er versprach sich zudem nichts von Kompromissen. Als gläubiger Katholik und Geschichtskenner stand er der Gegenwart zu nüchtern gegenüber, als dass er an eine friedliche Lösung der sozialen Probleme seiner Zeit glauben konnte. Darum befürwortete er nicht nur die Gewalt, sondern erwartete geradezu, dass der Anreiz zu ihrer Anwendung von den Revolutionären, den Anarchisten und Sozialisten käme.

Die Dialektik der Ereignisse begriff Mella dabei als göttliches Strafgericht: es sind Gottesurteile, welche sich nach Art einer „Lotterie“ über die Nationen vollziehen. Die Teilnahme aller an dieser „Lotterie“ ist Zwang, und kein Los bleibt aus. Aus den Sünden und Nachlässigkeiten der Völker ergibt sich, als verdiente Strafe, das Ausbleiben rettender großer Staatsmänner. Und, umgekehrt, gibt es keine Tugend, keine Tüchtigkeit und kein Verdienst, die nicht irgendwie ihre Belohnung erhielten.

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Der liberale Staat systematisiert den Bürgerkrieg

Besonders widerwärtig war Mella die Gleichgültigkeit des liberalen Staats gegenüber den verschiedenen Meinungen und Ansichten in der Gesellschaft. Da der Staat zugegebenermaßen die Wahrheit nicht kennt, muss er sie, will er konsequent sein, vollends in Abrede stellen. Der Idiotie und Ignoranz überführt, ist er dennoch nicht willens, seine Finger von der Bildung zu lassen. Für den Posten eines weltlichen Oberpriesters, den er für sich beansprucht, ist er alles andere als qualifiziert. Von daher ist es absurd, dass er die bürgerliche Gesellschaft in seinem Schoss beherbergen möchte.

Denn, wie Mella ausführt, da, wo es keine gemeinsamen Prinzipien gibt, kann es auch keine gemeinsamen Einrichtungen geben. Sind die Prinzipien für den Staat alle gleich, und feinden sich zudem noch gegenseitig an, befinden sich im Wettstreit, so hat er mit seiner Ordnung doch nur eins geschafft: er hat den Bürgerkrieg systematisiert und damit die Wahrheit neutralisiert.

Die sich aus dieser Operation ergebende intellektuelle Anarchie verwirrt und scheidet die Geister noch mehr: durch die Unzahl von Ansichten und zerstückelten oder absonderlichen Lehren werden die Menschen unaufrichtig und schwächlich. Zuletzt verderben über den Unglauben auch noch die Gemüter, so dass, wenn die Revolution ausbricht, die Revolutionäre nicht auf ein Lager gewappneter Kreuzritter, sondern auf Klageweiber und blökende Schafe treffen.

The Value of Truth & the Virtue of Honesty

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The Value of Truth & the Virtue of Honesty

Ex: http://www.counter-currents.com

“Even apart from the value of such claims as ‘there is a categorical imperative in us,’ one can still always ask: what does such a claim tell us about the man who makes it?” — Nietzsche (Beyond Good and Evil, Section 187)

warch.jpgI have been reflecting of late on the concept of truth, both as a philosophical concept and as a value. Growing up, I always took the notion of truth completely for granted. “Tell the truth,” I was taught from an early age. “Don’t lie – not to your parents, your elders, and above all not to God.” Truth and falsehood was a primary duality, like light and darkness, good and evil.

As I got older, I started to question some of the things I had been taught as a child. First, God. Was there really an all-powerful puppet-master in the sky, watching everything I did, said, and thought, and also controlling everything that happens in the world? I went through my adolescent rebellion against religion, which in the Western world is often caused in part by the incongruities between the Bible – especially the Old Testament – and the innate Indo-European sensibility.

In the course of being an angry young atheist, I lost God and found Nietzsche. At first I was just attracted to the sheer power of his writing, his philosophizing with a hammer. But later, I started to actually develop some understanding of his ideas. In his transvaluation of values, Nietzsche rejected not merely the god of the Bible – something most intelligent teenagers learn to do – but most of the metaphysical underpinnings of the entire Western worldview as I knew it, including the very concept of truth itself.

In spite of my admiration for Nietzsche, I never quite bought his rejection of truth and his embrace of Hassan i Sabbah’s “Nothing is true, everything is permitted.” It wasn’t that I had thought it through and developed a coherent philosophical counter-position; it was just an instinct. The argument against truth itself always seemed to me an absurdity, because to even assert that “There is no truth” is to say, implicitly, “The truth is that there is no truth.”

The Classical Value of Truth

Herodotus tells us that the ancient Persians taught their children but three things: to ride a horse, to shoot the bow-and-arrow, and to tell the truth. Among the Greeks, aletheia was a prominent or even dominant concept and goal in philosophy, especially for Plato. This carried over directly into the New Testament – which I regard as primarily an Indo-European document, in spite of the abundant Judaic themes and references, both because it is written in Greek and because the figure of Jesus Christ, in his essential characteristics and certainly in the esoteric traditions of European Christianity, has deeper roots in Indo-European solar mythology than in Jewish tradition.

In the Jewish Ten Commandments, Yahweh tells the Hebrews that they should not bear false witness in court. But Christianity re-interpreted this as a prohibition against all lying. This is because in Christianity, which for better and for worse was the religion of Europe for over a thousand years, truth is actually equated with God.

Christians often point out that Jesus is unique among religious figures and prophets because, while many men throughout history have claimed to know the truth, Jesus alone said, “I am the truth, the way, and the life.” Thus the worship of truth becomes a legitimate form of worship of God, just as with beauty and goodness. As Hans F. K. Günther notes in his Religious Attitudes of the Indo-Europeans, the Good-and-Beautiful – kaloskagathos in Greek – is an ancient Indo-European concept that pre-dates Christianity, but which was incorporated into Christian theology and to which was added the value of truth, thus becoming a trinity and a kind of analogue to the trinitarian God.

Our high valuation of truth is also related to a high valuation of loyalty. In the motto of the German SS – Mein Ehre heisst Treue, “My honor is loyalty” – the German treue is cognate with the English true, and we can see the relation in the dual meaning of true as both “not false” and “loyal,” as in “true to his people.” This loyalty also finds expression as fidelity in marriage, which is uniquely valued by Indo-Europeans, in contrast to the polygamous practices of many other cultures. For us, all of these values – truth, loyalty, faithfulness – are related, and come from the same source, like Platonic Ideals that all emanate from the Good.

Honesty

hfkg.jpgGünther, in the same book, also notes that honor and honesty may share a common root, if not etymologically, then at least morally, for it is difficult to imagine an honorable man being fundamentally dishonest. The virtue of honesty is a corollary of the value of truth, and the history of Indo-European moral and ethical philosophy demonstrates a tradition of high regard for this virtue.

The most extreme example of this is probably the philosophy of Immanuel Kant, who famously argued that if a murderer knocked at your door looking for someone whom you knew to be hiding nearby, you should not lie to the murderer. While Kant’s moral philosophy strikes most people, even fellow Indo-Europeans, as absurd, it clearly shows the degree to which we have taken seriously the moral imperative of truthfulness. It also illustrates how some of our values can be both a strength and a weakness, depending on the situation we find ourselves in.

Years ago, a female acquaintance of mine became enamored with a book called Radical Honesty by Brad Blanton, a therapist who describes himself as “white trash with a PhD.” Though I haven’t read the book, it seems to advocate a kind of Kantian extremism in truth-telling – to tell the truth, the whole truth and nothing but the truth, always at all times, no matter what. Or at least, that is how this woman interpreted it. She managed to convince some of her friends to read the book and attempt to practice “radical honesty” with her in their relations, and they were doing so when I knew them. It was a well-intentioned enterprise that was supposed to strengthen their bonds of affection and trust, though I thought they wasted an awful lot of time expressing feelings and opinions that were fleeting, unimportant, and which need not be dwelt upon, or even expressed at all.

Of course, this woman and her two friends were white, and also a bit on the hippy side. What they were attempting to do is, on the one hand, rather laughable – the sort of thing that a non-white comedian might use as material for jokes about “those wacky white people.” But on the other hand, it’s entirely consistent with our tradition of valuing truth and honesty. It’s part of the reason why, as Greg Johnson noted, “Western civilizations, white civilizations, tend to be high trust societies, whereas non-Western civilizations tend to be low trust societies.” [2]

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While trust and truth apparently do not derive from the same etymological root, they most certainly share a common moral root, like honor and honesty. We trust our neighbors and kinsmen because we expect them to be honest and honorable with us, and us with them. This level of trust and honesty is difficult to maintain even in a small homogeneous group, as my hippy friends learned through experience. In a larger, heterogeneous group, it is considerably more difficult – some would say virtually impossible.

The West and the Rest

In reflecting on the concept of truth and its role as a value of Indo-European civilizations, I have come to believe that it is not, in fact, a universal value. While it is not unique to IE peoples as a concept, what is unique is the high value that we place on it. One of the mistakes that people often make is to assume that all human beings think the same way they do.

In his book about China, The Hundred-Year Marathon, Michael Pillsbury writes:

At first, it seemed impossible to me that any thinking person in China would believe that American presidents from John Tyler to Barack Obama had all somehow learned the statecraft axioms of the Warring States period and decided to apply these little-known concepts to control China. But then I realized that many in China think of these axioms as universal truths. They know America is the most powerful nation in the world, and they assume America will act as selfishly, cynically, and ruthlessly as did every hegemon in the era of the Warring States.

In contrast to these Chinese leaders who believe that Americans are as sly and sneaky as themselves, there are the American and European liberals, who believe that inside each Chinese, Arab, and African is a good little white man who is just waiting for the right dose of democracy, feminism and capitalism to bring out his full potential so he can become just like us, only darker. Indeed, some Leftist critics of Western imperialism and colonialism have addressed this ignorant and false assumption.

The tendency to assume equivalence of perspective and intention amongst peoples is perhaps universal, or at least is not limited to White peoples. But whereas the Chinese assumption of American duplicity may lead them to reject sincere gestures for want of trust (though more often than not, it’s probably just the smart position for the Chinese to take, given who runs American foreign policy), the Western assumption of universal goodwill leads to gullible and foolish policies like mass immigration, and all its concomitant problems like rising crime and social upheaval.

The Death of Truth and the Decline of the West

The high regard for truth in the Indo-European tradition is directly related to Europe’s subsequent development of science. What we call science – from the Latin word for “knowledge” – is in fact largely the accumulated knowledge of Europeans about the natural world. It is universal in its application, but not in its origin.

But this same love of truth, which motivated the Pre-Socratics in their primary investigations of phenomena, and Socrates in his endless questioning, and which reached its apotheosis in Christian doctrine, eventually became its own undoing. As scientific knowledge developed, truth ultimately came to be seen as being in conflict with religion. The Christian worship of truth as God and God as truth, incarnated as Jesus Christ, gave way to the terrible realization that truth did not, in fact, accord with Christian teachings on the nature of the world. For Nietzsche, this progression was a laughable irony – “Christianity ate itself, ha ha ha!” But he was being glib. Western man has not even begun to recover from this catastrophe. After the collapse of European Christianity in the 18th and 19th centuries, it was only a short time before even the notion of truth itself was then questioned and dismissed, firstly and most famously by Nietzsche himself. For a people with such a unique love of truth, there may well be no recovering from such a fundamental loss.

Much discourse on the Right concerns being honest about uncomfortable truths, such as racial and gender differences, or the friend-enemy distinction at the root of politics. I believe that, at its best, this is a further expression of the Indo-European spirit’s love of truth. But because the contemporary West lacks a comprehensive philosophical and spiritual framework, these little truths lack any connection to notions of higher, permanent, transcendent Truth. Unless and until the West can establish, or reestablish, that connection, it’s difficult to imagine that we will find the strength of belief that is necessary in order to survive. One begins to realize why Heidegger’s final conclusion was, “Only a god can save us.”

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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Coup d'état « légal » au Brésil

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Coup d'état « légal » au Brésil

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Ce qui était attendu depuis plusieurs mois au Brésil a fini par se produire.

 La présidente Dilma Roussef a été destituée le 11 mai après un vote parlementaire rassemblant une majorité de représentants les plus corrompus appartenant aux « élites » brésiliennes. La liste de ceux impliqués dans des affaires de corruption, de blanchiment, de fraude fiscale est presque aussi longue que celle des parlementaires ayant voté la destitution.

C'est évidemment une revanche des milieux d'affaires représentant l'extrême minorité de ceux qui dirigent en fait l'économie et la politique au Brésil, dont ils possèdent l'essentiel des ressources.

Le Parti des Travailleurs, sous Lula da Silva puis Roussef, n'avait pas mené de politiques sociales bien ambitieuses. Mais celles-ci avaient cependant rassemblé d'importants effectifs d'électeurs émanant des classes pauvres. Elles étaient devenues insupportables aux oligarchies brésiliennes.

Mais celles-ci n'auraient pas obtenu un succès aussi complet si elles n'avaient pas été inspirées et soutenues par Washington. Les intérêts financiers et pétroliers américains déjà bien implantés au Brésil n'entendaient pas voir leur pouvoir menacé. Par ailleurs, au plan politique, le Département d'Etat ne supportait plus de voir le Brésil, sous Lula puis Roussef, s'être engagé activement au sein des Brics, parmi lesquels la Russie joue un rôle important. Il fallait casser cette alliance.

Les travailleurs brésiliens regretteront vite de n'avoir pas soutenu leur présidente. Tout indique qu'une dictature militaro-policière se prépare. Les dollars et mercenaires américains affluent déjà. Une fois installée, elle durera au moins trente ans.

 Évidemment, ni Moscou ni Pékin n'ont pu intervenir dans le « golpe » en défense de Dilma Roussef, de la même façon que Washington et la CIA l'avaient fait pour provoquer sa chute. Ils sont trop éloignés.

On peut craindre que le retour du Brésil sous le contrôle américain ne soit définitif, car il fait partie d'un mouvement général tendant à renverser tous les gouvernements latino et centro--américains manifestant des velléités d'indépendance. Si Cuba réussit à y échapper, comme certains Cubains l'espèrent encore, il lui faudra beaucoup de détermination.

Arnold Gehlen et l’anthropologie philosophique

 

Arnold Gehlen et l’anthropologie philosophique

par Robert Steuckers

INTRODUCTION (2016): Arnold Gehlen (1904-1976) est, avec Max Scheler et Helmut Plessner, l’un des représentants majeurs de l’anthropologie philosophique apparue dans les années vingt en Allemagne. L’homme est pour lui une créature dont la culture est la seule nature. Être imparfait (Mängelwesen), il compense sa déficience biologique par l’invention de la technique et des institutions. Libéré ainsi des sollicitations immédiates des besoins et des pulsions, il peut prévoir et planifier. Après avoir cédé à la tentation du national-socialisme pendant les années trente, Gehlen est devenu après 1945 un représentant du conservatisme technocratique et un critique avisé de la société moderne. Ses thèses ont nourri la réflexion de Jürgen Habermas, Hans Blumenberg, Ernst Tugendhat et Theodor W. Adorno. Quand les pollutions, le dérèglement climatique etc. menacent l’avenir de l’humanité, mais quand aussi s’exprime partout le souci de sa préservation, alors il est temps de découvrir l’anthropologie d’Arnold Gehlen (B.).
 
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Arnold Gehlen et l’anthropologie philosophique
 
Rédigé en 1979 et en 1980, le texte de cette conférence sur Arnold Gehlen mérite toujours d’être lu, malgré les années qui ont passé. En effet, parmi les éditeurs francophones, seules les Presses Universitaires de France ont estimé utile de publier ses Travaux d’anthropologie sociale. Livre indispensable, incontournable mais auquel il manque tout le contexte de l’œuvre. Puisse notre article y remédier, de façon fort simple et didactique.
 
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Depuis longtemps déjà, notre courant de pensée se penche sur la nécessité de tracer les grandes lignes d’une anthropologie pour le XXe voire le XXIe siècle. Au seuil de cet exposé, il me semble bon de définir, avant toute chose, le terme “anthropologie”. L’anthropologie consiste en l’étude scientifique de l’homme ; cependant, il faut distinguer : 1) l’anthropologie culturelle ; 2) l’anthropologie biologique ; 3) l’anthropologie philosophique.
 
L’anthropologie culturelle s’attache à partir des sciences sociales (sociologie, économie, etc.), à étudier les phénomènes culturels humains, autrement dit, les variations de comportement observables à partir d’une même base génétique. Ainsi, l’anthropologie culturelle, étudiant une même race, peut expliquer des variations de comportement dues au milieu social. Par exemple, une étude d’anthropologie culturelle comparée de la société viking et de la Scandinavie moderne montre, pour une même race, des variations dans l’idéologie, dans l’éthique, le niveau des techniques, qui s’expliquent par l’évolution historique du dressage culturel et non par la biologie (cette race n’ayant pas fondamentalement varié depuis lors) (Secrétariat “Études et Recherches” du GRECE, « L’anthropologie philosophique », in : Études et Recherches n°2 [1ère série], supplément au n°10 d’éléments, 1975).
 
L’anthropologie biologique étudie l’homme du point de vue de la biologie, c’est-à-dire de la génétique et des lois de l’hérédité en particulier.
 
L’anthropologie philosophique s’efforce d’étudier l’homme scientifiquement de manière globale, c’est-à-dire en utilisant les ressources de toutes les sciences de l’homme. Elle s’efforce entre autres d’établir la synthèse entre l’apport de l’anthropologie biologique et celui de l’anthropologie culturelle. L’anthropologie philosophique cherche ainsi à définir une conception totale de l’homme à partir de laquelle peut se déduire une conception du monde (art. cit). Parler d’anthropologie philosophique équivaut à parler sans détours d’Arnold Gehlen, l’auteur qui a appliqué le fruit de ses recherches aux problèmes de la société industrielle moderne. Aucun de ses ouvrages n’est, à ce jour, traduit en français.
 
Qui est Arnold Gehlen ?
 
Qui est Arnold Gehlen ? Penchons-nous d’abord sur sa biographie. Il est né le 29 janvier 1904 à Leipzig, dans une famille originaire de Westphalie. En 1927, il acquiert le titre de docteur en philosophie. En 1930, il est professeur ordinaire à l’université de Leipzig. En 1938, il est nommé à Königsberg et, en 1940, à Vienne. Mobilisé, il interrompt son enseignement. Grièvement blessé au cours des combats de Silésie en janvier 1945, il échappe à la captivité. En 1947, il reprend ses activités à Spire (Speyer), puis, en 1962, il reçoit une chaire de sociologie à l’école technique supérieure d’Aix-la-Chapelle. On le constate: la carrière d’Arnold Gehlen est essentiellement universitaire.
 
Il a été un homme de son temps. Il a vécu quatre régimes politiques et sociaux différents : le IIe Reich wilhelminien, la République de Weimar, le IIIe Reich de Hitler et la République de Bonn. Cette succession de pouvoirs différents l’a tout naturellement amené à réfléchir sur l’obsolescence des régimes politiques et des philosophies qui leur servent d’assises intellectuelles. Il a ainsi perçu le ridicule des fantaisies passéistes qui ne sont que fuite devant le réel et refus de relever les défis du monde politique. Mais il a également perçu l’importance capitale de certains fondements inébranlables qu’il appellera les institutions.
 
En somme, la philosophie d’Arnold Gehlen reste ouverte aux situations nouvelles. Elle est comme l’homme, seul être vivant adaptable à des situations nouvelles, en état de malléabilité, de plasticité permanente. Cela peut paraître compliqué. Mon objectif, ce soir, visera principalement à démontrer pourquoi l’homme est cet être qui peut s’adapter à des situations différentes et qui, en fin de compte, est le créateur de son univers.
 
Nous allons analyser les différentes étapes de l’œuvre d’Arnold Gehlen, résultat d’une réflexion qui a l’immense mérite de n’avoir négligé aucune discipline. Nous analyserons donc sa démarche au niveau philosophique d’abord ; au niveau biologique, ensuite. En conclusion, nous parlerons des implications de ces investigations rigoureuses.
 
Les références philosophiques
 
Replaçons-nous dans le contexte du XVIIIe siècle, à l’aurore du RomantismeSchopenhauer souligne dans Über den Willen in der Natur [1836, tr. fr. : De la volonté dans la nature, PUF, 1969] l’harmonie qui existe entre la constitution physique des animaux et le milieu dans lequel ils vivent. Schopenhauer admirait l’utilité de chaque organe chez l’animal, la mobilité des fauves à se porter là où ils pouvaient saisir leur proie, s’émerveillait, par exemple, du caractère préhensile de la queue des singes arboricoles. Chaque animal, concluait-il, est l’expression d’une volonté, voire d’une volonté globale qui se manifeste sous différents aspects. L’animal, en conséquence, est parfaitement adapté à son milieu. Il est doté des organes adéquats. Une des grandes questions auxquelles l’œuvre d’Arnold Gehlen s’efforcera de donner une réponse satisfaisante est la suivante : en est-il de même pour l’homme ?
 
Herder
 
En 1772, Johann Gottfried Herder, dans un ouvrage intitulé Vom Ursprung der Sprache [tr. fr. : Traité de l’origine du langage, PUF, 1992], distingue pertinemment l’homme de l’animal : l’homme n’a ni les instincts ni les potentialités physiques des animaux. Chaque animal, écrit Herder, vit et meurt dans sa « sphère », nous dirions aujourd’hui dans son “environnement”. Et si les sens d’un animal sont très développés, il aura une sphère d’autant plus réduite. C’est en quelque sorte une proportion inversée : plus la sphère est réduite, dit Herder, plus les capacités de l’animal seront perfectionnées. Ces capacités ont la possibilité de se concentrer sur le milieu réduit, sans être éparpillées sur une surface importante.
 
Avec la même pertinence, Herder définit l’homme comme un être auquel il “manque” beaucoup d’atouts, comme un être en état de manque (Mängelwesen). L’enfant nouveau-né, dit-il, est le plus démuni des êtres produits par la nature. Il est nu, faible, désarmé, privé de tous les moyens de protection et de défense que la nature offre à d’autres êtres, animaux ou végétaux. En somme, il faut définir l’homme négativement : par ses “manques”, par ses “lacunes organiques”. Pour dire, sans avoir notre vocabulaire scientifique, que l’homme n’a pas d’instincts précis, c’est-à-dire qu’il n’est pas phylogénétiquement programmé et que, par conséquent, il est soumis à un choix, placé devant un choix, Herder disait : « Ses sens, son organisation ne sont pas axés, concentrés sur une seule chose, sur un seul type d’activité. L’homme a des sens pour tout. Ses forces physiques sont répandues à travers le monde. Ses représentations ne vont pas dans une seule direction ». C’était la façon à Herder de rejeter le déterminisme. Car, de surcroît, l’homme n’a pas de milieu, n’a pas de sphère étroite et uniforme, où il n’y a qu’un seul type de travail à accomplir ; il y a un monde d’activités autour de lui et un grand nombre de vocations s’adressent à lui. Herder avait parfaitement pressenti ce que, plus tard, les recherches biologiques allaient confirmer : l’ouverture-au-monde et l’inadéquation biologique.
 
Pour Herder, le langage, ou plutôt les langages, cherchent à pallier la pauvreté organique et instinctuelle de l’être humain. Les langages produisent entendements et raisons. Ils rendent des facultés possibles. On peut donc dire que l’entendement et la raison ne reposent pas sur l’organisation animale de l’homme mais qu’elles sont une nouvelle direction, une nouvelle voie que la nature offre à l’homme. Depuis ces intuitions de Herder, l’anthropologie philosophique n’a pas fondamentalement progressé. Elle n’a fait qu’approfondir et cerner avec plus de précision « un état de chose, un fait dans l’ensemble des faits que constitue le monde », pour paraphraser Wittgenstein.
 
Nietzsche
 
Il nous semble utile, à ce stade-ci de notre exposé, de rappeler le contexte presque trimillénaire de la philosophie européenne : ce contexte, que nous allons schématiser considérablement voire outrancièrement, nous dévoile une opposition entre les philosophies de la volonté, d’une part, et les philosophies de l’esprit, d’autre part. Les premières, pourrait-on dire, sont inégalitaires parce que l’intensité des volontés est chaque fois différente ; les autres sont égalitaires parce que tous partagent indistinctement la même parcelle d’esprit. Ces philosophies s’opposent sur l’objet et sur les méthodes.
 
• À propos de l’objet : 
 
— Les philosophies de l’esprit (que nous posons ici comme égalitaires) croient en une vérité absolue qu’il est possible d’atteindre en connaissant son essence, son être. Elles visent une ontologie.
 
— Les philosophies de la volonté (que nous posons ici comme inégalitaires) sont fondées sur l’idée que la vérité absolue n’existe pas. L’homme ne saisit qu’une perspective du monde. Nietzsche dit dans Wille zur Macht (La Volonté de puissance) : « Il n’y a pas de chose en soi, pas de connaissance absolue ; ce caractère perspectiviste et illusoire est inhérent à l’existence » [tr. G. Bianquis]. Ces philosophies de la volonté impliquent donc une connaissance des hommes, de “qui” peut connaître. Elles reposent sur une anthropologie.
 
• À propos des méthodes :
 
— Les philosophies de l’esprit partent du point de vue que l’homme dispose d’un esprit d’une raison (par ailleurs égale chez tous) qui permet de connaître “l’essence des choses”, “l’être”, les vérités “évidentes”. La méthode consiste à parler logiquement, à utiliser le verbe (nous renvoyons ici à la critique empiriste logique, à Bertrand Russell, à Ludwig Wittgenstein, à Louis Rougier et à la linguistique de Benjamin Lee Whorf).
 
— Les philosophies de la volonté considèrent qu’il n’y a d’autres vérités que les vérités d’expérience. Mais il faut avoir la volonté de faire ces expériences. Elles mettent comme le Faust de Goethe l’action au commencement de tout (Am Anfang war die Tat).
 
• L’opposition vue d’un point de vue historique :
 
Les philosophies de l’esprit ont Socrate pour initiateur. Thomas d’Aquin, Kant et Descartes ont continué le courant. Hegel lui a apporté la dialectique. Marx appelle “matière” l’“esprit” de Hegel mais ne révolutionne rien : en fait, sous un nom différent, nous avons toujours affaire au même “Être” immuable qui préside le débat et dont il faut connaître l’essence.
 
L’homme : un animal sans fixité
 
friedrich-nietzschehhhh.jpgLes philosophies de la volonté, parties d’Héraclite (mais avec Ernst Krieck on peut dire que Héraclite est à mi-chemin entre le mythe et le logos) vont être longtemps méconnues. Le Moyen Âge allemand a produit un Maître Eckhart. Avec le romantisme apparaissent Fichte, Herder, Schopenhauer. À la fin du siècle passé et au début de celui-ci, la philosophie de la Vie prend le relais avec Dilthey, Klages, Spengler, Tönnies, Spann. Mais Nietzsche reste celui qui nous a légué l’œuvre la plus considérable. Sa formule « deviens ce que tu es » implique que l’homme n’est pas un fait établi. Il est l’animal sans fixité. Il est à établir. L’homme doit réaliser ses virtualités par l’action. Son éthique doit justifier une discipline organisatrice du chaos instinctif qu’il est par nature. C’est aussi ce que nous enseignent les vieux mythes de l’humanité primordiale qui concevaient des dieux organisateurs du chaos primitif.
 
Nietzsche a donc décrit l’homme comme « un animal non encore déterminé » (ein nicht festgestelltes Tier). L’homme n’est pas créé une fois pour toutes ; il continue en permanence à se créer lui-même. Il cherche le surhomme (c’est-à-dire le dépassement de sa condition physiquement déficiente), parce qu’« il danse sur une corde entre singe et le surhomme ». Nietzsche résume cet état instable de l’homme avec autant de brièveté que de pertinence : « L’homme n’est pas, il devient ». Pour lui, il faut toujours attribuer la première place au devenir. On ne peut pas régresser. Et nous retrouvons la position qu’Arnold Gehlen a toujours prise devant les transformations politiques successives de son pays. Ce qui devient change mais n’abandonne pas pour autant son identité. Ce qui change reste lui-même mais toujours sous de nouvelles formes. Ainsi, il n’y a pas d’opposition entre “tradition” et “changement”. La continuité de la tradition exige son renouvellement. Une double tâche pour l’homme : s’appuyer sur son héritage et réaliser ses potentialités créatrices. Sans passéisme et sans faux espoirs en des lendemains qui chanteront nécessairement, obligatoirement juste.
 
Max Scheler
 
À la base de la démarche d’Arnold Gehlen, il y a également une idée simple, tirée d’un livre que le philosophe juif allemand Max Scheler, s’inscrivant dans la tradition phénoménologique, a publié en 1928 (La situation de l’homme dans le monde). Ce petit volume devait servir d’esquisse à un plus vaste ouvrage que l’auteur, victime d’une attaque d’apoplexie, ne put jamais achever. Le problème de l’homme ne saurait être résolu, aux yeux de Max Scheler, ni par le naturalisme ni par le rationalisme dualiste. Il ne faut pas que la liaison intime de l’homme avec la nature fasse oublier son indépendance vis-à-vis d’elle. Il ne faut pas non plus que l’on exagère cette indépendance et cette supériorité au point d’arracher l’homme « aux bras maternels de la nature ». Le principe transcendant et même, en un sens, opposé aux forces vitales, qui assure à l’homme une situation métaphysique originale, c’est l’esprit (cf. M. Dupuy, préface à la traduction française de la situation de l’homme dans le monde, Aubier-Montaigne, 1951).
 
Les attributs de l’homme, en tant qu’être spirituel, doivent être « compris comme des perfectionnements ou des affinements des formes psychiques antérieures (instinct, mémoire, intelligence technique) » (cf. M. Dupuy, op. cit.). L’homme a, entre autres, la faculté de s’ouvrir au monde. Ni la théorie “négative” de l’homme, qui se représente l’esprit comme une dérivation d’ordre physico-chimique, ni la théorie “classique”, qui veut que l’esprit possède par lui-même la puissance et l’efficacité, alors qu’il n’a pas d’énergie propre, ne sont satisfaisantes. L’esprit, pour pouvoir se réaliser, doit recourir au dynamisme des formes inférieures de l’être, seules détentrices de puissance, mais auxquelles il apporte discipline et norme. Vie et esprit deviennent principes réciproquement complémentaires (M. Dupuy, op. cit.), malgré la possibilité qu’a l’homme de dire “non” aux phénomènes vitaux, de freiner ses pulsions.
 
Une anthropologie dérivée de l’action
 
À partir de cette position, Gehlen posera la question centrale de son anthropologie philosophique, celle de la validité de toute espèce de dualisme. Il en découle une théorie de l’action, qui n’implique pas seulement la différence entre l’homme et l’animal, mais récapitule tous les stades d’évolution que l’on considérait métaphysiquement comme inférieurs (Gehlen rejette la notion d’échelle du vivant présentée chez Scheler) dans une conception de l’homme incluant l’âme et le corps. C’est pourquoi l’anthropologie de Gehlen ne déduit pas la totalité de l’homme de l’esprit, c’est-à-dire d’un “principe” opposé à la vie, mais d’une catégorie médiane : l’action. Scheler, explique Gehlen (dans « Zur Geschichte der Anthropologie », in : Anthropologische Forschungen, Rowohlt, Reinbeck, 1974), n’a fait que déplacer le vieux dualisme, issu de la théologie médiévale et modernisé par Descartes au XVIIe siècle.
 
Pour mieux illustrer ce résumé, il nous paraît intéressant de laisser la parole à Max Scheler lui-même :
« La réalité la plus puissante qu’il y ait au monde est donc constituée par les centres de force du monde inorganique en tant qu’ils sont les points les plus bas où agit “l’impulsion” fondamentale ; ils sont aveugles à tout ce qui est idée, forme et structure. D’après une conception de plus en plus répandue de notre physique théorique : ces centres ne sont probablement pas soumis, dans leur rapprochement et leur opposition réciproques, à des lois ontiques mais seulement aux lois statistiques du hasard. C’est l’être vivant qui, parce que ses organes et fonctions sensoriels indiquent plutôt dans le monde les régularités que les anomalies, introduit le premier dans l’univers cette “légalité naturelle” que l’entendement y saisit ensuite. Aussi n’est-ce pas la loi qui se trouve ontologiquement parlant derrière le chaos du hasard et de l’arbitraire, mais c’est le chaos qui est situé derrière la loi du mécanisme formel. Si cette idée s’imposait, selon laquelle toutes les lois naturelles de cette sorte n’ont au fond qu’une signification statistique et que tous les phénomènes naturels (même dans la micro-sphère) résultent déjà de l’interaction d’unités dynamiques sans règle, — toute notre représentation de la nature subirait une transformation considérable. Il faudrait alors regarder comme les vraies lois ontiques ce qu’on nomme les lois de la forme, c’est-à-dire les lois qui prescrivent un certain rythme temporel de devenir, et en fonction de ce rythme, certaines formes statiques de l’existence corporelle (…).
Comme, dans le domaine de la vie, tant physiologique que psychique, ne sont assurément valables que des lois du type des lois de la forme (bien que ce ne soient pas nécessairement les seules lois matérielles de la physique), la légalité de la nature serait encore, grâce à cette conception, une légalité rigoureusement unitaire. Il ne serait pas impossible alors d’appliquer la forme de l’idée de sublimation à tout ce qui arrive dans le monde. Il y aurait sublimation en chacun des phénomènes essentiels par lesquels, au cours du devenir universel, des forces d’une sphère inférieure passeraient peu à peu au service d’une forme plus élevée de l’être et de l’évolution : ainsi par ex. les forces qui se déploient entre les électrons au service de la forme de l’atome ; ou les forces qui agissent dans le monde inorganique, au service de la structure de la vie. La formation de l’homme et la spiritualisation devraient alors être considérées comme la dernière en date des sublimations de la nature ; elle se manifesterait à la fois par l’emploi croissant des énergies externes assimilées par l’organisme, dans les processus les plus complexes que nous connaissions, les processus d’excitation de l’écorce cérébrale ; et, dans l’ordre psychique, par le phénomène analogue de la sublimation des tendances, en tant que conversion de l’énergie instinctive en activité “spirituelle” » (La situation de l’homme dans le monde, trad. M. Dupuy, cité in : Max Scheler, Alexandre Métraux, Seghers, 1973).
Le point de départ biologique : une définition de la néoténie
 
À propos de la néoténie, que dit le dictionnaire ? Que la néoténie est la persistance de la forme larvaire ou d’un autre stade antérieur de développement. Cette persistance peut ou bien être temporaire (à cause de l’influence du climat par ex.) ou bien rester permanente (dans ce cas, l’animal se reproduit à un stade juvénile de développement, exemple : l’axolotl parmi les batraciens). Une définition tirée d’un dictionnaire ne nous apparaît toutefois pas suffisante. C’est pourquoi, nous nous sommes inspirés de deux livres fondamentaux d’Arthur Koestler : The Ghost in the Machine (littéralement Fantôme dans la machine, tr. fr. : Le cheval dans la locomotive) et Janus : A Summing Up (tr. fr. : Janus). Si l’animal se reproduit à un stade juvénile de développement, cela signifie automatiquement que l’âge de la maturité sexuelle se trouve abaissée. Ce phénomène a deux aspects : d’abord, l’animal commence déjà à se reproduire à l’état larvaire ou au moins avant l’âge adulte ; ensuite, l’animal n’atteint jamais le stade adulte, qui est ainsi éliminé du cycle de la vie.
 
En conclusion, les stades “juvéniles” propres aux ancêtres deviennent définitifs chez leurs descendants. On assiste donc à un processus de “juvénilisation” et de dé-spécialisation, c’est-à-dire un processus qui permet à un être vivant de s’échapper d’une impasse dans l’évolution. Clarifions donc ce que Koestler appelle une impasse (en anglais : blind alley). Il commence par nous expliquer que la cause principale qui entraîne la stagnation, avant de provoquer l’extinction, est la sur-spécialisation. Il nous en donne un exemple, celui d’un animal tout-à-fait charmant, le koala d’Australie, qui se nourrit exclusivement de feuilles d’eucalyptus ; qui plus est, d’un certain type d’eucalyptus ! Cet animal possède des griffes en forme de crochets pour pouvoir grimper aux arbres. Il est absolument déterminé dans sa spécialisation. Koestler ajoute non sans humour que le koala à un équivalent humain, dépourvu toutefois de charme : le pédant, esclave de ses habitudes mentales. Et, ironise Koestler, nos universités regorgent de spécimens de ce genre, qui s’appliquent à fabriquer des “koalas”.
 
Les impasses de l’évolution
 
Sir Julian Huxley, un des plus éminents biologistes anglais, résume brièvement l’évolution comme suit : « À partir d’un type biologique général, plusieurs lignées se forment qui exploiteront l’environnement de diverses façons. Quelques-unes parmi ces lignées atteignent relativement rapidement leurs limites. Tout au moins en ce qui concerne les modifications importantes. Elles se contenteront dorénavant de former de nouveaux genres et de nouvelles espèces (ex. : du loup au chien et du chien primitif aux différentes races de chiens). D’autres lignées peuvent poursuivre leur “carrière”, générer de nouveaux types grâce à leur contrôle plus perfectionné de l’environnement et leur plus grande indépendance à son égard. Ces nouveaux types forment à leur tour un nombre de lignées qui se spécialiseront dans une direction particulière. La plupart de ces lignées aboutissent dans une impasse, ne progressent plus : leur spécialisation n’est qu’un progrès unilatéral, il finit par atteindre sa limite biomécanique… C’est alors l’extinction ou la stagnation. Un exemple de stagnation est l’embranchement des échinodermes (étoiles de mer, oursins). Généralement, une ou deux lignées subit ce sort, les autres poursuivent la différenciation. Les reptiles sont tous des blind alleys [des impasses, des sentiers qui ne mènent nulle part, ndt] sauf ceux qui ont permis l’éclosion des oiseaux et des mammifères. Tous les oiseaux sont des blind alleys. Et tous les mammifères. Sauf un : l’homme » (cité par A. Koestler, The Ghost in the Machine, Pan/Picador, London, 1970-75).
 
Gehlen[Ci-contre : têtes d’embryons, à gauche, de chaton ; à droite, de chauve-souris. D’après Portmann (1962). On aperçoit l’occlusion temporaire au stade fœtal des yeux et des oreilles. Ci-contre, à droite, ontogenèse du crâne chez l’orang-outang. En a) et en b), stades infantiles ; en c) stade adulte. Le phénomène de retardation, mis en avant par Bolk, s’aperçoit très clairement ici]
 
Effectivement, on peut constater que les insectes dérivent tous d’un ancêtre commun qui était une espèce de mie, de mille-pattes. Ils ne dérivent pas du stade adulte de ce dernier mais bien du stade larvaire, moins spécialisé. Les batraciens ou amphibiens représentent aujourd’hui encore de façon saisissante le processus. Ils naissent poissons, respirent avec des branchies mais acquièrent ultérieurement une respiration pulmonaire. Nous savons depuis les recherches du biologiste hollandais Louis Bolk que l’adulte humain “ressemble” plus à l’embryon d’un singe qu’au singe adulte. Tant chez l’embryon de l’anthropomorphe que chez l’adulte humain, le poids du cerveau par rapport au poids total est disproportionné. Dans les deux cas, au stade de l’embryon chez le singe et au stade du bébé chez l’homme les os du crâne ne se soudent pas, pour permettre au cerveau de croître. Nous verrons dans la suite de cet exposé, quand nous aborderons plus spécialement les théories de Bolk, que l’homme possède encore beaucoup de caractéristiques fœtales, embryonnaires. Le “chaînon manquant” entre l’homme et le singe, ajoute Koestler, ne sera peut-être jamais découvert, parce qu’il était tout simplement un… embryon.
 
Le recul pour mieux sauter
 
Gehlen-Koestler[Ci-contre : Schéma présenté par Koestler dans Le Cheval dans la locomotive : l’évolution, perçue non comme linéaire mais comme zig-zaguante, avec des “reculs pour mieux sauter”]
 
La néoténie (ou pédomorphose ou encore juvénilisation) semble jouer un rôle capital dans la stratégie de l’évolution. Le néoténie implique un retrait par rapport aux formes adultes trop spécialisées, moins malléables. Les stades antérieurs de l’évolution ontogénétique permettent une réorientation, un changement de cap. Le fleuve de la vie remonte en amont. C’est, dit Arthur Koestler, un recul pour mieux sauter. Ce “modèle stratégique” se retrouve dans les sciences et dans les arts. L’évolution biologique est l’histoire des sorties hors des impasses de la sur-spécialisation, tout comme l’évolution des idées est le produit du refus des habitudes mentales et des routines sclérosées. L’émergence de nouvelles formes dans l’évolution et la création d’innovations culturelles partagent le même modèle : celui du faire et défaire (undoing-redoing). On constate donc par analogie, que ni l’évolution biologique ni le progrès culturel ne suivent une ligne continue ; ni ne sont strictement cumulatifs. Les deux types de progrès suivent le tracé d’un zig-zag. Ainsi, dit Koestler, la science ne progresse qu’aux époques immédiatement postérieures aux changements de paradigme. Autrement, la science entre dans une période de “consolidation” où règne une rigidité propre à toutes les orthodoxies. C’est l’impasse de la sur-spécialisation, analogue à la position du koala dans le règne animal.
 
Spengler : féconde barbarie
 
Mais précisons. La nouvelle structure théorique émergente n’est pas tout simplement ajoutée au vieil édifice ; son point de départ est là où l’évolution des idées a adopté une fausse piste. Comme en littérature et dans les arts, le tracé en zig-zag de l’évolution est bien en évidence ; quand une école succombe à la décadence du maniérisme, la crise se résoudra inévitablement par le fameux “recul pour mieux sauter”, amorce d’une révolution dans la sensibilité et dans le style. C’est ainsi qu’il faut comprendre le mot de Spengler, qui a tant heurté les âmes sensibles du vieux monde, tout occupées à cultiver leurs pénibles mièvreries : « Les temps sont venus où il n’y aura plus de place pour les âmes molles et les idéaux faibles. Elle se réveille, l’antique barbarie cachée et neutralisée pendant des siècles derrière la rigidité des formes d’une haute culture. Mais cette culture a achevé son cycle. Et la civilisation a commencé. La barbarie veut vivre une joie saine de guerrier, elle méprise la pensée rationaliste d’un siècle saturé de littérature. L’instinct dompté veut se débarrasser de la pression qu’exercent sur lui les idéaux livresques. Il nous faut un pessimisme de la bravoure!».
 
Koestler, pour illustrer son propos, nous parle de la différence entre pédomorphose — ce que nous venons d’expliquer — et gérontomorphose. La pédomorphose, avons-nous dit, permet une certaine plasticité. La gérontomorphose, c’est la modification de structures pleinement adultes et déjà hautement spécialisées. La gérontomorphose ne peut donc conduire à des changements radicaux et à de nouveaux départs. C’est ce qu’Arnold Gehlen appellera die Statik des unbewegt bewegten der modernen Kultur (le statisme du mouvant immobile de la culture moderne) ou encore die fortschrittlose Ruhelosigkeit des Betriebs (L’activité sans repos qui n’amorce aucun progrès). Au fond, le monde de la Zivilisation, au sens spenglérien du terme, ne tolère que des modifications fort superficielles parce qu’il craint et refuse le risque. Aux défis (les challenges décrits par Toynbee), il est incapable d’apporter des réponses (responses chez Toynbee) satisfaisantes, parce qu’il s’obstine à parier sur les idéologies dominantes.
 
Néoténie et régénération
 
Mais revenons à la néoténie strictement biologique. Nous devons également mentionner le phénomène de “régénération”, souvent confondu avec celui de reproduction. Quand on parle de régénération, il faut parler du phénomène qu’on constate chez les êtres les plus élémentaires. Lorsque l’on sectionne un ver ou une hydre, il se crée autant de nouveaux êtres qu’il y a de morceaux. Plus haut dans l’échelle de l’évolution, les batraciens sont encore capables de “régénérer” un membre ou un organe perdu. Ce mode d’auto-réparation s’accomplit au niveau ontogénétique. En revanche, l’auto-réparation phylogénétique est une série d’adaptation qui remodèle les structures mal adaptées en remontant l’échelle. La capacité de régénérer des parties du corps décroît au profit d’un accroissement de la puissance du cerveau et du système nerveux à réorganiser les comportements. Voilà qui détruit la conception réductionniste du système nerveux qui veut que celui-ci soit un automate condamné à répéter rigidement les mêmes réflexes. Finalement, la capacité de notre espèce à régénérer des parties du corps est réduite au minimum. Elle est remplacée par le pouvoir de remodeler les structures de pensée et de comportement En somme, de répondre aux défis critiques par des réponses créatives.
 
Le XIXe siècle avait une vue-du-monde mécaniciste, basée sur la fameuse doctrine de Clausius à propos de la “seconde loi de la thermodynamique”. C’était très pessimiste. Cette loi prétendait que l’univers allait vers sa dissolution finale car l’énergie se dissipait constamment, inexorablement, pour terminer en une unique et amorphe bulle de gaz de température uniforme. Le cosmos, dans cette optique, était condamné à être dissous dans le chaos. Mais il a bien fallu constater que cette seconde loi de la thermodynamique ne s’appliquait qu’aux systèmes appelés “fermés” (par ex. un gaz enfermé dans un conteneur parfaitement hermétique). Les organismes vivants sont des systèmes ouverts qui se maintiennent en tirant constamment des matériaux et de l’énergie de leur milieu. Les systèmes vivants absorbent de l’énergie pour en recréer. L’input est inférieur à l’output. Ainsi, ces organismes sont avant tout actifs, et non pas seulement réactifs. Il y a création continuelle de nouvelles structures. Cette conception des choses se heurte naturellement au Zeitgeist, à l’esprit de notre temps. Tous les réductionnistes, enfermés dans l’étroit secteur du réel qu’ils privilégient arbitrairement, ne savent apprécier la valeur des multiples produits d’une infinie différenciation. Les phénomènes de la vie ne se réduisent pas aux lois de la physique mécaniciste.
 
La logique de Lupasco
 
Cependant, il y a moyen de saisir la réalité physique-à partir d’une logique nouvelle. À la logique aristotélo-scolastique traditionnelle, Stéphane Lupasco a proposé une logique de l’antagonisme, de l’hétérogénéité. En clair, c’est faire la distinction entre un système vital caractérisé par une hétérogénéité sans cesse dominante (nous l’avons vu) et un système inanimé, caractérisé par une homogénéité sans cesse dominante. L’univers est un lieu où s’affrontent les antagonismes ; l’homogénéité affaiblit les antagonismes ; elle est une sorte de principe de mort, préludant l’extinction et la disparition définitive. Cela vaut pour les espèces vivantes et pouf les cultures, dont Spengler disait qu’elles étaient des organismes. L’hétérogénéité est la vie, productrice infatigable de différenciations.
 
L’apport d’Adolf Portmann
 
Portmann-Adolf[Ci-contre : Adolf Portmann, le biologiste suisse qui n’a jamais cessé de s’interroger sur le mystère du vivant. Son influence sur Arnold Gehlen a été capitale. En effet, il a été l’un des premiers à avancer la théorie qui veut que le milieu culturel est comme un second utérus pour le bébé et le jeune enfant humain. De là, Gehlen déduit que notre culture est en fait notre nature. Et que sans un “dressage” approprié et minutieux dans la jeune enfance, les civilisations ne tiennent pas. Quand le dressage est négligé ou ébranlé, les civilisations s’effondrent, perdent leur tonus]
 
Il serait trop long de parler ici de la fascinante personnalité d’Adolf Portmann et de toutes les facettes de son œuvre. Je me bornerai à parler de sa théorie la plus connue : celle de l’année extra-utérine de l’homme. Pour comprendre ce que Portmann veut dire par là, nous devons préalablement classer les mammifères en trois catégories :
  • 1) casaniers du nid (mammifères inférieurs)
  • 2) évadés secondaires du nid (chevaux, bovidés, …)
  • 3) casaniers secondaires du nid (l’homme).
Cette théorie nous dévoile que le bébé est encore un embryon après sa naissance, que la première année de la vie de l’homme est une année embryonnaire. L’homme possède à la naissance un cerveau dont le poids est trois fois supérieur à celui des singes anthropomorphes. Mais la station verticale, qui lui est spécifique, il ne l’acquiert qu’après un an, presque en même temps que le langage. Ainsi, pour que l’homme ait le même stade que.les autres mammifères à leur naissance, la grossesse devrait durer 21 mois. Cette période de plus ou moins douze mois est d’une importance capitale pour notre espèce ; il se crée autour du bébé une espèce d’utérus social, où il apprend le langage et la communication. Le bébé apprend donc une foule de choses de l’extérieur. C’est la raison pour laquelle on parle de dressage (Dressur), c’est-à-dire d’acquisition de normes culturelles.
 
C’est à partir de ce point de vue qu’Arnold Gehlen a pu affirmer que la nature de l’homme, c’est la culture. La culture, c’est notre “seconde nature”, basée sur un système instinctuel incomplet. Bien sûr, l’hérédité joue un rôle très important, mais par comparaison aux animaux, le donné héréditaire est largement “ouvert”. Ce donné détermine l’ampleur, la direction et l’intensité des actes posés par le sujet. L’hérédité ne détermine pas le contenu, la forme concrète des réalisations culturelles. Le langage constitue un exemple assez frappant : au début, toutes les potentialités sont présentes, c’est-à-dire que les balbutiements du bébé peuvent engendrer n’importe quelle langue, avec son système phonétique particulier. Par l’influence du milieu culturel, il s’opère une sélection phonétique et une syntaxe s’impose. Désormais, l’acquisition de sons étrangers se fera avec difficulté. Qu’on songe aux [θ] et [ð] anglais et à certaines voyelles anglaises, telles [ʌ], [ɔ̹], [ae] que les Français sont incapables de prononcer spontanément de manière correcte. Notre [r] est plus proche du [ʁ] anglais ; les Français le prononcent sur un timbre plus aigu. Le [ʌ] se retrouve dans les dialectes ouest-flamands et le [ɔ̹] est courant en Brabant, alors que les Français privilégient le [o] long et ouvert, qui n’est pas toujours spontané chez nous.
 
L’homme, nous enseigne Portmann, est une étape de la vie qualitativement nouvelle. Il a une position particulière, mais reste inclus dans la « symphonie cosmique » des manifestations du vivant. Il prend part au secret du vivant ; c’est pourquoi l’œuvre de Portmann inaugure une recherche biologique de type post-cartésien, qui tend à dépasser la séculaire opposition que les métaphysiciens scolastiques posaient entre l’âme et le corps. J’ai dit, il y a quelques instants, que les organismes ne sont pas seulement réactifs mais surtout actifs. Ce qui est décidément neuf dans la théorie de Portmann, c’est l’acceptation du fait que tous les êtres vivants participent au monde en tant que sujets qui ont une relation avec le monde qui les entoure. Ils ne sont plus conçus comme posés dans le monde. On constate qu’ils réagissent activement aux influences du milieu.
 
La théorie de Bolk
 
Toutes les recherches biologiques et anatomiques que nous avons mentionnées mettent l’accent sur les caractères non spécialisés de l’organisme humain. Mais ce n’est pas tout. Ces recherches ont également démontré l’impossibilité d’attribuer une ascendance simiesque à ces caractéristiques. C’est au contraire les primitivismes, les archaïsmes de notre organisme humain qui permettent de déduire notre position assez particulière dans le monde vivant. Louis Bolk, biologiste natif d’Amsterdam, soulignait la proximité biologique des anthropoïdes et des humains. Il concluait même que ces derniers descendaient d’ancêtres singes. Mais là où ses théories deviennent plus intéressantes, pour la démarche ultérieure d’Arnold Gehlen, c’est quand il tente d’apporter une réponse à deux questions : 1) Qu’est-ce qui est essentiel à l’organisme humain ? 2) Quel est l’essentiel chez l’homme en tant que forme ? En résumé, Bolk répond : ce n’est pas parce que les corps se sont dressés que l’homme est devenu ce qu’il est, mais c’est parce que la forme s’est humanisée que le corps s’est redressé. Bolk énumère toute une série de caractéristiques anatomiques humaines qui prouvent le caractère “embryonnaire” de notre espèce. Par exemple, l’orthognathie, l’absence de poils, la configuration du pavillon de l’oreille, la persistance des “coutures” là où se joignent les os du crâne, etc.
Naef 
Des traits fœtaux devenus permanents
 
[Ci-contre : Évolution vers la forme crânienne hominienne, au cours de la période tertiaire. D’après A. Naef. De gauche à droite : lémurien, anthropoïde, pré-hominien. L’anatomiste russe Bustrov compare le crâne volumineux du bébé à celui de l’homme adulte actuel. Progressiste, Bustrov estime que l’humanité future disposera d’un cerveau proportionnellement égal à celui du bébé]
 
Toutes ces particularités de l’anatomie humaine sont des traits fœtaux devenus permanents. Pour être plus précis, disons que ces traits qui sont passagers chez les primates, parce que propre à leurs embryons, sont devenus stables chez l’homme. Bolk en conclut que les traits spécifiquement humains ne sont pas de nouvelles acquisitions, mais des stabilisations de stades passagers communs à tous les primates. Mais, et c’est là que Bolk est original, il faut parler de freinage dans l’évolution de notre espèce. Ce freinage, qui provoque la conservation de traits propres au fœtus, ne doit pas être extérieur mais intérieur. L’homme est un être retardé, ce que prouve notamment le temps anormalement long, nécessaire à l’accomplissement total de sa croissance. On doit parler d’une phase prolongée de l’enfance, ce qui n’est pas animal.
 
Exemples : Poids à la naissance Ce poids X2 après
Porc 02 kg 14 jours
Bœuf 40 kg 47 jours
Cheval 45 kg 60 jours
Homme 3,5 kg 180 jours
 
Les hommes “préhistoriques”, différents de l’homo sapiens ont dû avoir une croissance plus rapide. En effet, les squelettes d’enfants, découverts sur les champs de fouille, montrent qu’ils perdaient leurs dents de lait comme les perdent les primates anthropomorphes. Ce serait ainsi que se serait formé le menton que n’ont pas les primates.
 
La retardation ne peut être due qu’à une action du système endocrinien. Celui-ci permet justement l’accélération ou la retardation du développement de membres ou d’organes. Si ce système endocrinien est, d’une façon ou d’une autre défectueux, on assiste à un développement qui va au-delà du stade où l’homme est resté stabilisé. Ainsi, le système pileux se développe, les os du crâne se soudent trop tôt ; les caractéristiques pithécoïdes sont toujours latentes et si le freinage rate, elles réapparaissent.
 
J’ai déjà mentionné les dents de lait dont parle Bolk. Sa théorie est encore plus pertinente quand on aborde l’étude de la puberté. À quatre ans, les ovaires de la fillette sont déjà mûres, avant que l’organisme ne soit somatiquement apte à la grossesse. Vers cinq ans, commence une période de repos. Et, si à l’âge de onze ans ou de douze ans, le sujet est capable de se reproduire, il faut admettre qu’il reste une contradiction biologique parce qu’il faudra encore attendre quatre à six ans avant que le corps ne soit entièrement arrivé à maturité. Il y a donc une accélération de la croissance (de 11 à 12 ans), en même temps qu’une seconde retardation (de 12 à 16 ou 18 ans).
 
L’essentiel chez l’homme, dit Bolk, est qu’il est le résultat d’une fœtalisation, que la marche de son existence est la conséquence de ce qu’il faut appeler la retardation. La fœtalisation de la forme est la nécessaire conséquence de la retardation de la forme dans son devenir.
 
L’impact des théories de Bolk
 
En bref, on peut dire que l’homme garde permanentes des situations juvéniles. Ainsi, l’hypothèse de Bolk, permet :
  • 1) de déduire de la retardation toutes les non-spécialités spécifiques de l’homme
  • 2) de déduire de la nécessaire longue durée de l’enfance, un cadre familial durable
  • 3) de rejeter les vieilles conceptions que l’on se faisait de l’homme primitif, conceptions qui veulent que celui-ci soit littéralement descendu du singe. L’hominisation provient du système endocrinien
  • 4) d’aborder le problème des races sous une lumière nouvelle. Avant Bolk, de nombreux auteurs avaient déjà parlé de différences issues de l’équilibre hormonal. Les races mongoloïdes ont, pour Bolk, des traits plus fœtaux que les autres races. Les Europoïdes ont certains de ces traits dans leur embryon. Les Négroïdes, écrit Bolk, se développent plus vite mais vieillissent également plus vite. Bolk poursuit son raisonnement en constatant que l’embryon négroïde présente des traits europoïdes que les adultes ont dépassés.
Arnold Gehlen, après avoir passé en revue les hypothèses de Bolk, nous signale leur importance pour l’anthropologie. Elles confirment la non spécialité et la non adéquation de l’homme à un milieu naturel bien défini. En somme, sa caractéristique majeure est d’être plein de “manques”. Ainsi se pose impérativement la question de savoir si un tel être est viable ? On répondra, avec Arnold Gehlen, que l’action nous éclaire sur la fonction biologique de la conscience. Il évacue les faux problèmes du dualisme véhiculé par la métaphysique aristotélo-thomiste, pour se pencher sur le fondement de l’hominisation, donc de la culture, qui se trouve au cœur des phénomènes.
 
L’œuvre d’Otto Storch
 
Le zoologue Otto Storch (1886–1951) a souligné la rigidité de la motricité héréditaire des animaux. Storch veut parler du nombre peu variable de mouvements que peuvent exécuter les animaux et aussi leur faible capacité d’apprendre de nouvelles combinaisons de mouvements. L’homme au contraire a une motricité acquise, malléable et variable à un degré très élevé. On ne découvre que peu de mouvements instinctuels et quand on en découvre, c’est chez les enfants en bas âge. Storch oppose donc une motricité héréditaire, peu différenciée et propre au règne animal, à une motricité acquise, très variable et propre à l’homme. La caractéristique principale que l’on constate chez l’homme, c’est le nombre réduit d’actes génétiquement déterminés et le nombre élevé d’actes acquis. Cela correspond à la disposition constitutionnelle de l’homme à l’action, c’est-à-dire à la transformation intelligente de situations imprévues qu’il rencontre dans le monde. Gehlen conclut donc qu’une réaction seulement instinctive constituerait une fuite.
 
Conclusions : l’homme et les institutions
 
Rappelons-nous que Max Scheler avait réintroduit, à partir de son intuition intéressante et malgré elle, le schéma dualiste des philosophies médiévale et cartésienne. Mais, comme dans le schéma que Koestler nous livre dans son ouvrage (cf. supra), il faut partir du moment immédiatement antérieur à la rechute schélérienne dans le dualisme. Appliquons la stratégie du “recul pour mieux sauter” et renonçons aux thèmes devenus stériles. Ce n’est pas sur l’esprit figé dans on ne sait quelle empyrée qu’il faut raisonner mais sur le comportement “intelligent”, c’est-à-dire transformateur de l’homme. L’homme ne pourrait survivre dans la nature. Son activité intelligente le porte d’abord à des transformations constructives du monde extérieur : c’est ainsi qu’il se procure et se fabrique des armes, des vêtements, qu’il n’a pas organiquement puisqu’il n’a ni griffes ni canines acérées ni toison chaude.
 
En poussant ses investigations plus loin, Arnold Gehlen a pu tirer des conclusions métapolitiques du plus haut intérêt. Il s’agit de :
  • la fonction de décharge des institutions
  • le dépassement du subjectivisme
  • l’analogie institution/idée.
Les thèmes les plus importants de l’anthropologie sont ceux qu’aborde l’étude du droit, des mœurs, de la famille et de l’État. En bref, ce que Hegel appelait l’esprit objectif. Herder, Nietzsche et les biologistes dont j’ai parlés ont mis l’accent sur la pauvreté des instincts humains, sur la malléabilité du comportement de l’homme. Pour pallier cette pauvreté, l’homme a les institutions. Il se donne une définition courte mais riche.en enseignements des rapports qui existent entre la pauvreté instinctuelle et l’émergence des institutions : « Les instincts ne déterminent pas, chez l’homme comme chez l’animal, des modèles de comportement bien fixés. C’est pourquoi chaque culture choisit dans la pluralité des modes possibles de comportement qui s’offre à l’homme des variantes bien précises. Elles les érigent au rang de modèles, sanctionnés par la société et valables pour tous ses membres. Ainsi, l’individu se voit déchargé de la nécessité de faire trop de choix (c’est-à-dire d’être désorienté face aux multiples choix possibles). Ces institutions agissent en quelque sorte comme des poteaux indicateurs qui désignent à l’homme, submergé par les stimuli du monde sur lequel il s’ouvre, le chemin à suivre. Elles ont un effet indubitablement stabilisateur. Elles créent la “bienfaisante certitude” parce que l’individu se sait organiquement inclus dans un cadre professionnel, familial, national. C’est ainsi que se créent les mentalités » (Ilse Schwidetzky).
 
Arnold Gehlen va plus loin. Il dit que, grâce à la fonction de décharge des institutions, la personnalité peut se construire. La personnalité n’est pas l’affirmation protestataire du moi mais l’utilisation des énergies économisées grâce au rôle stabilisateur des institutions, une utilisation créatrice de formes originales. On peut poser la question de savoir ce qui se passe quand les institutions d’un peuple s’effondrent à cause d’une guerre, de catastrophes, de révolutions. Les populations concernées entrent alors dans un monde d’insécurité profonde. L’art et la littérature sont les miroirs de ces états de choses. Kafka, par exemple, nous décrit un monde où les points d’équilibre n’existent plus, où un grand nombre de “centres” entament une sarabande infernale autour du sujet bouleversé par ce qui arrive. Dans de telles périodes, même la philosophie évacue la “raisonnabilité” qui lui était propre. Le désorientement des peuples est tel, dit Arnold Gehlen, qu’il faudrait peut-être écouter Samuel Beckett et comprendre qu’il n’y a plus rien à dire, qu’il faut se taire, ou énoncer des discours purement phatiques.
 
Le débridement du subjectivisme par l’effondrement des institutions
 
Si les institutions s’effondrent, Je subjectivisme ne connaît plus de bornes. Les individus ne prennent plus en considération que leurs “problèmes”, leurs “convictions” et leurs “idées” personnelles. Ils vivent leurs sentiments immédiatement en croyant qu’ils ont une importance supra-personnelle. Les idées ont besoin d’organisations pour se traduire dans les faits. Les idées ne se meuvent pas par elles-mêmes, comme Hegel le voulait. Prenons l’exemple du socialisme, qui a voulu réagir, à juste titre, contre le déracinement et l’effondrement social dû aux révolutions française et industrielle. Proudhon, Fourier, malgré la pertinence de leurs vues, n’ont jamais pu les réaliser dans le concret. Parce qu’ils n’avaient pas, comme le marxisme allemand, une discipline d’organisation. Les idées doivent pouvoir mobiliser des hommes pour s’insinuer, se capillariser dans la société.
 
► Robert Steuckers, Orientations n°13, 1991.
 

Malaparte e la disgregazione della modernità

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Malaparte e la disgregazione della modernità

di Luca Leonello Rimbotti

Ex: http://www.ariannaeditrice.it

Paragonando le due rivoluzioni del secolo XX – fascismo e comunismo – che vedeva correre parallelamente come nemiche diverse ma simili dell’Occidente liberale, un giorno Malaparte scrisse che quei due fenomeni politici erano appostati dalla stessa parte soprattutto nella lotta che avrebbe condotto alla “disgregazione della modernità”: la differenza stava nel fatto che il fascismo – rivoluzione costruttiva – avrebbe sostituito il vuoto della modernità con la ricchezza della tradizione nazionale italiana, mentre il comunismo – rivoluzione distruttiva – avrebbe finito presto o tardi col soccombere al nichilismo collettivista. Si trattava insomma di dar vita a forme di lotta che, negando le derive moderne, operassero un franco, rivoluzionario ritorno all’origine, secondo quel sentimento della tradizione popolare che Malaparte da giovane - quando ancora si chiamava Suckert – attribuiva all’anima profonda degli italiani. Si sarebbe così giunti, secondo le parole di Malaparte, a innescare “la storicissima funzione di restaurazione dell’antichissimo ordine classico dei nostri valori nazionali”. Se la modernità andava disgregando l’identità del popolo e la sua stessa natura, ciò che occorreva era pertanto una volontà che disgregasse la modernità, secondo il principio nietzscheano di combattere il nichilismo con dosi ancora maggiori di nichilismo. In altre parole: sovvertire la sovversione, e così facendo restaurare, raddrizzare, rettificare ciò che la modernità ha distrutto, invertito, distorto. Il Malaparte che ancora oggi ha parole infiammate da spendere, e che anzi proprio oggi dimostra di possedere un’attualità viva, non è certo il reporter scandaloso, il narratore irriverente o il mattatore bellimbusto: ma è proprio il militante sovversivo, quell’intellettuale di milizia che nella prima metà degli anni Venti proclamò un’originalissima rivolta degli umili in nome dell’arcaica tradizione di popolo, un’insurrezione reazionaria, insomma, o meglio una rivoluzione conservatrice in piena regola. Nel far questo, Malaparte fece allora comprendere a molti in Italia – ed oggi di nuovo lo ricorda – che parlare di rivoluzione, di potere, di politica significa essenzialmente parlare di cultura e di origini. E che agitare il vessillo della ribellione contro i grandi manipolatori – i più classici “nemici del popolo”, all’opera un secolo fa non meno di oggi – significa mettere in gioco l’identità, giocarsi cioè la testa e il destino di una nazione.

Curzio-Malaparte_6004.jpegQuando – si era nel 1921 – Malaparte scrisse il dirompente libro “Viva Caporetto!”, poi intitolato “La rivolta dei santi maledetti”, che rileggeva dalle fondamenta la fenomenologia di quella drammatica sconfitta, fece un’operazione di vera rottura ideologica, spingendo la provocazione ben oltre gli steccati della polemica antiborghese, osando toccare il nervo sensibile del superficiale orgoglio nazionale allora egemone in Italia: della rovinosa rotta dell’ottobre 1917 (che il generale Cadorna e molti osservatori attribuirono a un insieme di renitenza e insubordinazione di masse di fanti che in realtà erano abbrutiti dall’inumana vita di trincea) egli fece il simbolo di una rivolta politica in piena regola. Una volta vista non dall’ottica degli alti comandi e dei “bravi cittadini”, ma da quella del fantaccino analfabeta, quella sconfitta, che era un tabù rimosso dall’ipocrita mentalità borghese, diventava un atto politico e la massa dei disfattisti assurgeva a sua volta al rango di soggetto politico. Dando vita, come ha scritto Mario Isnenghi, a qualcosa di inedito e di potenzialmente incendiario, cioè “una interpretazione rivoluzionaria della prima guerra mondiale, della storia delle masse e della psicologia collettiva dentro la guerra”.

Il popolo in divisa che sparava alle spalle agli ufficiali macellai, che liquidava il carabiniere messo dietro le prime linee a sospingere i fanti all’assalto, questo popolo sovversivo diventava nelle pagine di Malaparte una sorta di eroe povero e disperato, veniva paragonato a un Cristo eroico e sanguinante, ma potente di istinti e in grado di insorgere contro l’ingiustizia della classe dirigente liberale. Una massa di uomini che aveva trovato a suo modo la via della rivoluzione. Anche se (e qui si appuntava la critica di Malaparte, che non era né un socialcomunista né un populista, ma un tradizionalista che rivendicava la via gerarchico-guerriera) a questo popolo allo sbando mancò un capo, un’aristocrazia di ufficiali che volgesse quella protesta in proposta e indirizzasse l’atto inconsulto della ribellione verso una consapevole iniziativa propriamente politica. Ciò che, in seguito, Malaparte vide avverarsi con lo squadrismo, formato in gran parte da ex-combattenti, arditi e trinceristi: il popolo delle trincee che, tornato dalla guerra, fa la sua rivoluzione armata contro le classi dirigenti. Erano questi i “fanti vendicatori”: un tipo di rivoluzionario barbarico e radicale, al quale l’idea insurrezionalista di Malaparte affidava il compito di aprire la strada alla rivoluzione italiana.

italie,lettres,lettres italiennes,littérature,littérature italienne,curzio malaparteLa critica feroce di Malaparte si indirizzava soprattutto verso la morale filistea del borghesismo, quel mondo ipocrita fatto di patriottismo bolso e da operetta, comitati di gentiluomini, patronesse inanellate, tutti gonfi di retorica, con le loro “marcie di umanitarismo e di decadentismo patriottico”, con la loro schizzinosa paura per il popolo vero e i suoi bisogni: questa marmaglia, diceva Malaparte, in fondo odiava i fanti veri, quelli che “non volevano più farsi ammazzare pel loro umanitarismo sportivo”. In questo ritratto di una classe dirigente degenere, obnubilata di retorica e falsi ideali, ognuno riconosce facilmente la classe dirigente degenere di oggi, che è la stessa, radical-chic e impudente, umanitaria per divertimento e per interesse, ieri con i comitati patriottici, oggi con le onlus dedite al business della tratta di carne umana: la morale è la stessa, e lo stesso è l’inganno. Soppesiamo bene quanta verità è contenuta nell’espressione malapartiana di “umanitarismo sportivo” delle oligarchie borghesi, e paragoniamo la casta al potere allora con quella di oggi.

Noi troviamo in questi attacchi di Malaparte un significato preciso: la modernità incarnata dallo spirito liberalborghese vive di ipocrisia, di inganno e di sopruso mascherati di buone intenzioni, mentre il popolo genuino, quello antico e ancora barbarico, conserva dentro di sé i valori intatti dell’identità e della verità. Questo concetto di “primitivismo” e di “barbarie”, del quale Malaparte vedeva circonfuso il popolo rimasto politicamente vergine e non ancora imbrattato dalla modernità, rimase a lungo un modello di virtù attivistica. La celebre “Italia barbara”, rivendicata dal giovane intellettuale e sindacalista pratese ancora nel 1925, doveva essere il modello di una comunità libera e matura, non vittima delle mode d’importazione, ma adulta quanto basta per accettare se stessa lasciando perdere il massimo fra i provincialismi: la scimmiottatura dei modelli stranieri, intrisi di modernità distruttiva. In questo quadro, il nemico da cui guardarsi era la “società settentrionale”, come la chiamava Malaparte alludendo al mondo anglo-sassone: “Noialtri italiani rappresentiamo in Europa un elemento vivo di opposizione al trionfante spirito delle nazioni settentrionali: abbiamo da difendere una civiltà antichissima, che si fa forte di tutti i valori dello spirito, contro una nuova, eretica e falsa, che si fa forte di tutti i valori fisici, materiali, meccanici”. Il dualismo così concepito era chiaro: tradizione sana contro modernità degenerata. Non si trattava allora certo di fare i bacchettoni, i retrogradi o di rifiutare la tecnica o il progresso in sé, beninteso. Si trattava di considerare il progresso uno strumento e non il fine. E dunque: “Né il rinnegare la nostra particolare tradizione, per andar dietro alle nuove ideologie, ci potrebbe aiutare a metterci alla pari delle nazioni dominanti. La modernità anglosassone non è fatta per noi: l’assimilarla ci condurrebbe fatalmente a un’irreparabile decadenza”. Qualcuno potrebbe oggi dubitare della validità e dell’attualità di tali parole profetiche, pronunciate niente meno che novanta anni fa?

bm_5953_1777762.jpgSi trattava di difendere un patrimonio che era prezioso per davvero: l’identità del popolo, che non è parola, non è retorica né slogan, ma vita e sostanza di un soggetto antropologico portatore di valori operanti lungo un arco di tempo pressoché incalcolabile. La minaccia avvertita da Malaparte era la violenza assimilatrice del mondo moderno, con la sua universale capacità di appiattire e annullare le diversificazioni culturali. Nel 1922, in uno studio sul sindacalismo italiano rimasto allora famoso, Malaparte lanciava un avvertimento del quale soltanto oggi, dinanzi all’enormità dell’aggressione che stanno subendo non solo gli italiani, ma tutti gli europei, possiamo valutare le tremende implicazioni: “In casa nostra ci è consentito di far soltanto degli innesti, non delle seminagioni. La semenza straniera non può essere buttata sul nostro terreno: la pianta che ne nasce non si confà al nostro clima. Bisogna a un certo punto bruciarla e tagliarne le radici”. L’essersi piegati senza resistenza ai diktat ideologici del liberalcapitalismo d’importazione anglosassone, il non aver ascoltato profezie come questa di Malaparte – che da un secolo in qua si levarono un po’ dappertutto in Europa – sta costando ai popoli europei la finale uscita di scena dalla storia, annegati nella degenerazione morale e nell’azzeramento della politica volute dalle agenzie progressiste cosmopolite.