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lundi, 16 novembre 2015

Alain Chouet : « Nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène djihadiste »

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Alain Chouet: «Nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène djihadiste»

Ex: http://www.les-crises.fr
Pour Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE, la « guerre de civilisation » et celle contre le « terrorisme » brandies par le gouvernement comme par l’opposition de droite constituent une imposture qui en masque une autre, celle de l’alliance militaire entre les pays occidentaux et les parrains financiers du djihad.

HD. Comment analysez-vous le profil de Yassin Salhi ? Correspondil à celui du « loup solitaire » ou à celui d’un terroriste agissant pour le compte d’une organisation structurée ?


ALAIN CHOUET. Il ne s’agit pas d’un loup solitaire mais plutôt d’un crétin solitaire! Les réactions médiatiques sont dans l’ensemble pathétiques. La presse a soutenu pendant trois jours que c’était un dangereux terroriste et j’ai refusé toute interview à ce sujet parce qu’il semblait bien qu’il s’agissait d’un acte personnel sans lien avec la mouvance terroriste. Ce type pète les plombs, tue son patron avant de tenter de rationaliser son acte comme le font tous les psychopathes et les sociopathes. Alors il hurle « Allahou Akbar », et il envoie une photo au seul copain qu’il connaît qui se trouve en Syrie, peut-être dans l’espoir que l ’« État islamique » revendique son acte.

HD. Est-il possible d’établir un lien entre la tuerie de Sousse et l’attentat commis au Koweït contre la minorité chiite ?


A. C. On a affaire à deux choses différentes. En Tunisie, on assiste à la poursuite de ce que je dénonce depuis un an et depuis la chute du parti islamiste Ennahdha: avant de quitter le pouvoir, ils ont organisé une réforme fiscale qui ruine la classe moyenne laïcisée, laquelle constitue le pire ennemi des Frères musulmans. Depuis, de nombreux attentats ont ensanglanté la Tunisie visant à tuer son économie, ruiner le secteur touristique, les syndicats, les associations, de façon à revenir au pouvoir. C’est la stratégie systématique des Frères musulmans. Au Koweït, l’attentat s’inscrit davantage dans le contexte de la guerre menée par l’Arabie saoudite contre les minorités chiites.

HD. Dans ce cadre, est-il sérieux, comme l’a fait le premier ministre, d’évoquer une « guerre de civilisation » ?


A. C. Non, on est en train de redécouvrir l’eau tiède de George W. Bush et se lancer dans une guerre contre la terreur. On a vu les résultats désastreux de cette politique aux États-Unis.

HD. D’autres responsables politiques se sont appuyés sur le drame de l’Isère pour évoquer l’urgence d’adopter la loi sur le renseignement.


A. C. D’abord, cette loi constitue un peu une liste à la Prévert. Il y a des choses qui me paraissent utiles d’un point de vue professionnel, en particulier la légalisation des infiltrations. Concernant les écoutes électroniques, j’ai déjà dit ce que j’en pensais. Le « dragage massif » des données n’a jamais produit de résultat probant.

« TOUT CELA EST UNE VASTE PLAISANTERIE: ON NE FAIT PAS LA GUERRE À LA TERREUR MAIS À DES CRIMINELS. »

HD. Personne n’évoque le lien entre l’idéologie de ces organisations terroristes et celles diffusées par l’Arabie saoudite et le Qatar …


A. C. Effectivement, pourtant ce n’est pas faute de le répéter: ce que nous appelons « salafisme », en arabe, cela s’appelle « wahhabisme». Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste.

HD. Depuis le 11 septembre 2001, des sommes colossales ont été investies dans la lutte contre le terrorisme, des lois liberticides ne cessent d’être votées, et jamais pourtant la « menace » terroriste n’a paru aussi présente …


A. C. On s’épuise à s’attaquer aux exécutants, c’est-à-dire aux effets du salafisme, mais pas à ses causes. Sur 1,5 milliard de musulmans, si 1 sur 1 million pète les plombs, cela fait déjà un réservoir de 1 500 terroristes. Cela, on ne pourra jamais l’empêcher à moins de mettre un flic derrière chaque citoyen. Tout cela est une vaste plaisanterie: on ne fait pas la guerre à la terreur mais à des criminels. Cela relève des techniques de police et de justice.

samedi, 14 novembre 2015

Dorian Astor: «Du point de vue de Nietzsche, nous n’en avons pas fini d’être modernes»

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Dorian Astor: «Du point de vue de Nietzsche, nous n’en avons pas fini d’être modernes»

Dorian Astor est philosophe, ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé d’allemand, il a publié chez Gallimard une biographie sur Nietzsche (2011). Dans Nietzsche, la détresse du présent (2014), il interroge le rapport qu’entretient l’auteur de Par-delà bien et mal avec la modernité politique et philosophique.

PHILITT : Vous considérez que la philosophie naît en temps de détresse. Quelle est cette détresse qui a fait naître la philosophie (si l’on date son apparition au Ve av. J.-C. avec Socrate) ?

Dorian Astor : Je ne dis pas exactement que la philosophie naît en temps de détresse, dans le sens où une époque historique particulièrement dramatique expliquerait son apparition. Je dis qu’il y a toujours, à l’origine d’une philosophie ou d’un problème philosophique, un motif qui peut être reconnu comme un motif de détresse. Deleuze disait qu’un concept est de l’ordre du cri, qu’il y a toujours un cri fondamental au fond d’un concept (Aristote : « Il faut bien s’arrêter ! » ; Leibniz : « Il faut bien que tout ait une raison ! », etc.). Dans le cas de Socrate, on sent bien que son motif de détresse, c’est une sorte de propension de ses concitoyens à dire tout et son contraire et à vouloir toujours avoir raison. Son cri serait quelque chose comme : « On ne peut pas dire n’importe quoi ! » C’est alors le règne des sophistes, mais aussi du caractère procédurier des Athéniens. C’est ce qui explique que Platon articule si fondamentalement la justice à la vérité. Or l’absence de justice et la toute-puissance de la seule persuasion ou de la simple image dans l’établissement de la vérité, voilà un vrai motif de détresse, que l’on retrouvera par exemple dans le jugement sévère que porte Platon sur la démocratie.

Je crois que chaque philosophe est mû par une détresse propre, qu’il s’agit de déceler pour comprendre le problème qu’il pose. Il est vrai que dans de nombreux cas, en effet, la détresse d’un philosophe rejoint celle d’une époque, c’est souvent une détresse de nature politique : Leibniz, par exemple, est obsédé par l’ordre : les luttes confessionnelles et le manque d’unité politique le rendent fou, c’est pourquoi il passe son temps à chercher des solutions à tout ce désordre, à réintroduire de l’harmonie. Pour Sartre, ce sera la question, à cause de la guerre et de la collaboration, de l’engagement et de la trahison. Il y aurait mille autres exemples.

Dans mon livre sur Nietzsche, j’essaie de montrer que l’un de ses motifs fondamentaux de détresse est le présent (un autre motif serait le non-sens de la souffrance, cri par excellence, mais c’est une autre affaire). Le présent, non seulement au sens de l’époque qui lui est contemporaine, mais en un sens absolu : le pur présent, coincé entre le poids du passé et l’incertitude de l’avenir, jusqu’à l’asphyxie. Des notions comme celles d’ « inactualité », de « philosophie de l’avenir » ou même d’« éternel retour » et de « grande politique », etc., sont autant de tentatives pour répondre à et de cette détresse du présent. L’un des grands cris de Nietzsche sera héraclitéen : « Il n’y a que du devenir ! » Heidegger a parfaitement senti cette dimension du cri dans la philosophie de Nietzsche. Or, c’est un cri parce que cette « vérité » est mortelle, on peut périr de cette « vérité ». Nietzsche s’efforce d’inventer des conditions nouvelles de pensée qui permettraient au contraire de vivre de cette « vérité » : ce sont les figures de l’« esprit libre », du « philosophe-médecin » et même du « surhumain ». Tous ces guillemets appartiennent de plein droit aux concepts de Nietzsche : c’est le moyen le plus simple qu’il ait trouvé pour continuer à écrire alors qu’il se méfiait radicalement du langage, de son irréductible tendance à l’hypostase, c’est-à-dire de son incapacité à saisir le devenir.

Selon vous, Nietzsche a quelque chose à nous dire aujourd’hui. Est-ce parce que nous traversons une crise généralisée ou bien parce que nous sommes les lecteurs de l’an 2000 qu’il espérait tant ?

Il y a eu un léger malentendu sur la démarche que j’adopte dans mon livre — et que l’on retrouve jusque sur sa quatrième de couverture, dans une petite phrase que je n’ai pu faire supprimer : « ses vrais lecteurs, c’est nous désormais ». Non, nous ne sommes pas aujourd’hui les lecteurs privilégiés de Nietzsche. Si c’était le cas, il n’y aurait d’ailleurs pas besoin de continuer à publier des livres sur lui pour essayer d’« encaisser » ce qu’il nous lance à la face. Lorsqu’on voit le portrait que dresse Nietzsche de son lecteur parfait, par exemple dans Ecce Homo[1], on se dit qu’on est vraiment loin du compte… Je fais simplement l’hypothèse que, sous certaines conditions, le diagnostic qu’établit Nietzsche à propos de la modernité, de l’homme moderne et des « idées modernes », comme il dit, nous concerne encore directement : je crois, pour paraphraser Habermas dans un autre contexte, que la modernité est un projet inachevé[2]. Nous sommes très loin d’en avoir fini avec les sollicitations de Nietzsche à exercer une critique profonde de nos manières de vivre et de penser. En ce sens, nous sommes toujours des « modernes » et la notion fourre-tout de « postmodernité » ne règle pas le problème. Sans doute est-on d’ailleurs autorisé à formuler cette hypothèse par la temporalité propre à la critique généalogique nietzschéenne, qui est celle du temps long. « Que sont donc quelques milliers d’années[3] ! » s’exclamait-il. Que sont 150 ans, après tout ? Bien évidemment, il ne s’agit pas de dire que rien n’a changé depuis l’époque de Nietzsche, ou même que rien ne change jamais, ce qui serait parfaitement ridicule ; mais de sentir que, du point de vue de Nietzsche, nous n’en avons pas fini d’être modernes : dans notre rapport à la science, à la morale, à la politique, etc. De toute façon, Nietzsche a un usage très extensif de la notion de moderne : on le voit, dans sa critique, remonter l’air de rien de siècles en siècles jusqu’à Socrate, voire jusqu’à l’apparition du langage ! — comme si le problème était en fait l’« homme » en tant que tel, ce qu’il répète d’ailleurs souvent.

Mais revenons à cette notion de « crise généralisée » de l’époque actuelle. Que la situation ne soit pas bonne, c’est évident. Mais je crois avec Nietzsche que nous n’avons pas non plus le privilège de la détresse. Permettez-moi de citer un peu longuement un fragment de 1880 : « Une époque de transition c’est ainsi que tout le monde appelle notre époque, et tout le monde a raison. Mais non dans le sens où ce terme conviendrait mieux à notre époque qu’à n’importe quelle autre. Où que nous prenions pied dans l’histoire, partout nous rencontrons la fermentation, les concepts anciens en lutte avec les nouveaux, et des hommes doués d’une intuition subtile que l’on appelait autrefois prophètes mais qui se contentaient de ressentir et de voir ce qui se passait en eux, le savaient et s’en effrayaient d’ordinaire beaucoup. Si cela continue ainsi, tout va tomber en morceaux, et le monde devra périr. Mais il n’a pas péri, dans la forêt les vieux fûts se sont brisés mais une nouvelle forêt a toujours repoussé : à chaque époque il y eut un monde en décomposition et un monde en devenir.[4] »

Ce seul texte, parmi beaucoup d’autres, permet d’affirmer que Nietzsche n’est pas un décadentiste, alors même qu’à partir de 1883, il fait un usage abondant du terme de « décadence » (en français, de surcroît). Par le simple fait que sa pensée est étrangère à toute téléologie historique, il ne peut souscrire au décadentisme ou à ce qu’on appelle plus volontiers aujourd’hui le « déclinisme ». C’est qu’en réalité, on voit ressurgir de manière récurrente les mêmes dangers à diverses époques : la « décadence » est avant tout, pour Nietzsche, un phénomène d’affaiblissement psychophysiologique, dont la détresse est l’un des signes ou symptômes. Or cela peut arriver n’importe quand et arrive à toutes les époques. Les variations de puissance, les alternances de santé et de morbidité, suivent des cycles, ou plus précisément des « mouvements inverses simultanés », plutôt qu’un vecteur unidirectionnel.

Alors on peut critiquer ou rejeter chez Nietzsche les couples de notions tels que santé et maladie, force et faiblesse, vie ascendante et vie déclinante ; mais si l’on décide par méthode de les appliquer à la situation actuelle, nous risquons d’en arriver à un diagnostic aussi édifiant qu’effrayant… En tout cas, il est fort probable que nous soyons en pleine détresse ou, pour le dire en termes nietzschéens, victimes de chaos pulsionnels que nous sommes incapables de hiérarchiser — autre définition de la « maladie ».

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Pour Antoine Compagnon, les antimodernes sont les plus modernes des modernes. Nietzsche est-il, en ce sens, un antimoderne ?

Nietzsche écrit souvent « Nous autres, modernes », il sait parfaitement qu’il est un moderne, fût-ce sous la forme de l’antimodernisme, qui, en effet, comme dit Compagnon, a quelque chose de plus-que-moderne ; on pourrait jouer à dire « moderne, trop moderne », sur le modèle d’Humain, trop humain. Nietzsche est moderne en ce sens qu’il a le sentiment d’arriver à un moment décisif où il faudra préparer un autre avenir que celui auquel semblent nous condamner le poids du passé et la détresse du présent. Comme je le soulignais à l’instant, le présent est pour Nietzsche un problème très inquiétant, et chaque fois que cette inquiétude s’exprime, c’est une inquiétude de moderne. Je pense à la définition minimale que Martuccelli donne de la modernité : « L’interrogation sur le temps actuel et la société contemporaine est le plus petit dénominateur commun de la modernité. Elle est toujours un mode de relation, empli d’inquiétude, face à l’actualité ; c’est dire à quel point elle est indissociable d’un questionnement de nature historique[5] ». Ce qui est antimoderne, dans l’inquiétude moderne de Nietzsche, c’est sa lutte acharnée contre l’optimisme, le progressisme, l’eudémonisme, la Révolution, la démocratie, etc. Mais attention : sa position « anti-Lumières » – pour reprendre le titre de l’ouvrage de Sternhell[6], à mon sens plus important que celui de Compagnon – est très ambiguë. On ne comprend pas, par exemple, sa haine de Rousseau si on ne l’articule pas à sa critique impitoyable du romantisme, qui fut précisément un vaste mouvement anti-Lumières. Sa proximité avec les Lumières, certes très conflictuelle, quasiment sous la forme d’un double bind, ne se limite pas, comme on le répète souvent, à la période dite intermédiaire, celle d’Humain, trop humain. L’anti-romantisme de Nietzsche est un élément essentiel si l’on veut discuter équitablement de la dimension « réactionnaire » de son œuvre.

Vous consacrez de nombreuses pages au rapport que les antimodernes entretiennent avec la modernité. Cependant, vous ne faites pas la distinction entre antimoderne et inactuel. Doit-on faire la différence ?

Si je ne la fais pas dans mon livre, alors c’est qu’elle y manque ! Parce que ce n’est effectivement pas la même chose. En réalité, je crois avoir essayé de faire cette distinction, sans doute pas assez explicitement. Mais je ne peux y avoir échappé pour la simple raison que Nietzsche est tiraillé entre ces deux positions, c’est ce que j’appelle la « bâtardise de l’inactuel ». D’un côté, la lutte (anti)moderne contre le temps présent : « agir contre le temps, donc sur le temps, et, espérons-le, au bénéfice d’un temps à venir[7] », écrit Nietzsche ; de l’autre une lutte contre le temps au sens absolu, c’est-à-dire au bénéfice d’une certaine forme d’éternité. Bien avant l’hypothèse de l’Éternel Retour, Nietzsche cherche à inscrire ou réinscrire de l’éternité dans le temps qui passe. En d’autres termes : s’arracher à l’Histoire pour s’élever au Devenir, ou y plonger. Parce que c’est le Devenir qui est éternel. L’Histoire ressortit au régime de la production et du développement, le Devenir à celui de la création et du hasard. C’est sans doute la part deleuzienne de ma lecture de Nietzsche : la distinction profonde entre l’Histoire et le Devenir, entre le fait et l’événement, entre le progrès et le nouveau…  Je crois que c’est l’antimodernité qui le fait polémiquer avec son époque, mais que c’est son inactualité qui l’élève à une intuition de l’éternité. Toutefois, ces deux démarches sont coextensives, c’est pourquoi il n’emploie qu’un seul terme : « unzeitgemäss » signifiant « qui n’est pas conforme à l’époque », mais aussi, en quelque sorte, « qui est incommensurable avec le temps ».

Peut-on dire, à l’inverse de l’impératif rimbaldien qui invite à être « résolument moderne », que la pensée de Nietzsche coïncide plutôt avec la phrase de Roland Barthes : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne » ?

L’alternative que vous formulez est une autre manière d’exprimer la différence entre l’antimodernité et l’inactualité dont nous venons de parler, et donc d’exprimer la tension prodigieuse, chez Nietzsche, entre la « résolution » et l’« indifférence ». On pourrait la formuler encore autrement : c’est la tension qu’il y a entre la vita activa et la vita contemplativa, entre la préparation de l’avenir et le désir d’éternité. Puisqu’on parlait d’inactualité, il faut dire que, si Nietzsche a beaucoup changé entre les Considérations inactuelles (1873-1876) et la partie de Crépuscule des idoles intitulée « Incursions d’un inactuel » (1888), la tension demeure toutefois entre la descente du lutteur dans l’arène de l’époque et le retrait du contemplatif dans la montagne. Zarathoustra lui aussi monte et descend plusieurs fois. Il y a un fragment posthume fascinant de l’époque du Gai Savoir où Nietzsche se propose de pratiquer, à titre expérimental, une « philosophie de l’indifférence[8] » (qui d’ailleurs doit préparer psychologiquement à la contemplation de l’Éternel Retour). Cette indifférence du sage, c’est ce qu’il admire chez les stoïciens et les épicuriens ; et lorsqu’il les accable au contraire, c’est en vertu de la nécessité de l’action et de la responsabilité du philosophe de l’avenir. Alors oui, il y a quelque chose de rimbaldien chez Nietzsche, surtout dans sa volonté de « se rendre voyant », d’« arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens » : c’est au fond un peu ce que prescrit le § 48 du Gai Savoir qui a inspiré le titre de mon ouvrage : le remède contre la détresse, c’est la détresse. Et sans doute y a-t-il aussi chez lui quelque chose de… barthésien : une aversion pour ce qui vous récupère et vous englue, pour le définitif et l’excès de sérieux ; un plaisir du provisoire, de l’aléatoire, de la nuance. En ce sens, Nietzsche comme Barthes sont baudelairiens — et modernes : ils ont bel et bien l’intuition qu’il y a de l’éternel dans l’éphémère.

astorhhhh.jpgEnfin, qu’est-ce qui différencie un « nietzschéen de gauche » et un « nietzschéen de droite » dans leur vision du monde moderne ?

Ah ! La question est un piège, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, permettez-moi de m’arrêter un instant sur le terme de « nietzschéen », qui est en lui-même problématique. Si l’on veut seulement dire : spécialiste de Nietzsche, ça a le mérite du raccourci, mais ça ne va pas très loin, et on sent bien que l’adjectif est toujours surdéterminé. Être adepte, disciple, héritier de Nietzsche ? Vivre selon une éthique nietzschéenne ? Bien malin qui peut y prétendre – mais ceux qui font les malins ne manquent pas… Ce qui peut être nietzschéen, c’est, dans nos meilleurs moments, une certaine manière de poser certaines questions, une certaine affinité avec certains types de problèmes ; c’est emprunter une voie sur laquelle on pourra peut-être dire beaucoup de choses nouvelles, mais une voie qui reste ouverte par Nietzsche. C’est évidemment la même chose pour les platoniciens, les spinozistes, les hégéliens, etc. Je crois par ailleurs que le plus intéressant, c’est de savoir avec quelle famille de philosophes on a senti une parenté ou conclu des alliances. Mais ce sont certains aspects, certains réflexes ou instincts qui peuvent être nietzschéens en nous, non pas l’individu tout entier — et heureusement !  Pour mon propre compte, j’ai été assez clair sur ce que j’entends par mon affinité nietzschéenne : c’est simplement le fait que, malgré tout ce qui reste difficile, opaque, voire inaudible ou inacceptable à la lecture de Nietzsche, je continue inlassablement à le lire et à travailler patiemment, parce que j’en ai besoin — en deux sens : je m’en sers et j’aurais du mal à vivre sans. Ce besoin, qui est au fond une affaire strictement personnelle ou, disons, idiosyncrasique, n’est pas une conclusion de mon travail, c’est une prémisse que vient confirmer ou relancer chaque acquis de ce travail. Mais le but de mon travail en revanche, c’est de franchir (et de faire franchir) des seuils ; d’essayer de montrer qu’en un certain point de blocage ou d’intolérabilité, on peut trouver dans l’œuvre même de Nietzsche de quoi débloquer le passage et augmenter le seuil de tolérance ; expliquer et comprendre, pour le dire vite.

Une fois dit ce que j’entends par nietzschéen, il faudrait définir ce qu’on entend en général par la gauche ou la droite, dont les définitions elles-mêmes sont « en crise » aujourd’hui : vous imaginez bien que je ne me lancerai pas dans cet exercice redoutable ! Mais là encore, je ne crois pas qu’un individu tout entier soit de gauche ou de droite, mais que certains aspects, certains réflexes ou instincts peuvent l’être, et qu’ils s’expriment alternativement ou simultanément. Ce serait trop simple ! En tout cas, je crois que, plus on travaille sur Nietzsche, moins les expressions « nietzschéen de droite » et « nietzschéen de gauche » ont de sens. Toutefois, il y a une histoire de la réception de Nietzsche où elles deviennent historiquement pertinentes, bien qu’ambiguës. Je ne peux pas développer ici cette vaste question, qui obligerait à balayer trop grossièrement un siècle et demi de réception. Je n’indiquerai brièvement que deux pôles extrêmes : d’un côté la récupération bien connue et très rapide de Nietzsche par l’extrême-droite puis le fascisme ; de l’autre, l’émergence d’un Nietzsche « post-structuraliste », dans les années soixante-dix, marqué par ce qu’on appelle aujourd’hui, souvent avec un mépris odieux, la « pensée 68 ». Ce nietzschéisme « de gauche » est lui-même ambigu, lorsqu’on voit les critiques adressées à de prodigieux penseurs profondément influencés par Nietzsche, comme Deleuze et Foucault dont certains se demandent s’ils n’ont pas finalement ouvert la voie à un relativisme néo-conservateur – c’est par exemple la position d’Habermas –, à un ultralibéralisme débridé ou tout simplement à une dangereuse dépolitisation de la philosophie — et si vous me demandiez à présent de parler d’Onfray, je ne vous répondrais pas, cela me fatigue d’avance.

Mais revenons à mon idée que droite et gauche ne permettent pas d’aborder Nietzsche avec pertinence. Avant toute chose, il faut être honnête : il y a évidemment un noyau dur qui interdira toujours de rallier Nietzsche à une pensée de gauche — c’est son inégalitarisme profond et son concept fondamental de « hiérarchie ». Le problème n’en demeure pas moins que, si l’on décide de rallier Nietzsche à la droite ou à la gauche, on trouvera toujours de quoi prélever dans ses textes ce dont on a besoin, mais on sera tout aussi sûrement confronté à des éléments absolument inconciliables avec nos convictions ou inappropriables par elles. Ou, à un plus haut niveau d’exigence, on trouvera chez Nietzsche des éléments fondamentaux propres à critiquer très sérieusement certains présupposés idéologiques de la droite comme de la gauche.

Pourquoi nous heurtons-nous toujours à l’impossibilité de fixer Nietzsche d’un côté ou de l’autre ? Ce constat dépasse largement le seul domaine des idéologies politiques. J’essaie de montrer dans mon livre la manière dont Nietzsche ne cesse de renvoyer dos-à-dos, ou de faire jouer l’un contre l’autre, les pôles de systèmes binaires ou les termes de relations biunivoques — pratique très consciente et très maîtrisée que l’on appelle communément les « contradictions » de Nietzsche, et que je nommerais plutôt l’usage du paradoxe, en référence à la définition qu’en donne Deleuze[9]: un ébranlement multidirectionnel initié par un élément rebelle dans un ensemble pré-stabilisé d’identifications univoques — en d’autres termes, des attaques de l’intérieur contre l’alliance du bon sens et du sens commun. Ce caractère multidirectionnel signifie notamment la mobilité des points de vue, leur multiplication autour du phénomène considéré, la nécessité de saisir la multiplicité de ses faces et volte-face pour déjouer le « bon sens » à sens unique du jugement commun (doxa) et l’hypostasie congénitale du langage — C’est ce qu’on entend généralement par le perspectivisme de Nietzsche.

Prenons l’exemple de son rapport très complexe au libéralisme, en son sens classique, qui fait l’objet d’une assez longue analyse dans mon livre. Nietzsche écrit, que « les institutions libérales cessent d’être libérales dès qu’elles sont acquises […] Ces mêmes institutions produisent de tout autres effets aussi longtemps que l’on se bat pour les imposer; alors, elles font puissamment progresser la liberté[10]. » Vous avez là une proposition qui, à la limite, pourrait inspirer aussi bien la gauche révolutionnaire que la droite ultralibérale ! C’est que tout se joue dans la reconfiguration profonde des concepts de puissance et de liberté, de leur exercice et de leur articulation alors même qu’ils sont des processus en devenir et jamais une quantité stable ou une qualité inconditionnée. Alors, pour répondre à votre question : peut-être un « nietzschéen de gauche » insistera-t-il sur les puissances d’émancipation, c’est-à-dire sur la résistance ; et un « nietzschéen de droite », sur l’émancipation des puissances, c’est-à-dire sur l’affirmation. Cela sous-entendrait que l’affect fondamental de la gauche soit un refus des situations intolérables, et l’affect fondamental de la droite, un acquiescement aux choses comme elles vont. Je n’en sais rien, ce que je dis est peut-être idiot. De toute façon, cela ne nous mène pas très loin, car résistance et affirmation sont chez Nietzsche des processus indissociables, comme le sont la destruction des idoles et l’amor fati, ou même le surhumain comme idéal d’affranchissement et l’éternel retour comme loi d’airain. Voilà des injonctions paradoxales ! Mais les meilleurs lecteurs ne séparent jamais les deux, et travaillent au cœur du paradoxe. On parle beaucoup du grand acquiescement nietzschéen à l’existence, et avec raison. Mais il ne faut jamais oublier que le oui n’a aucun sens sans le non, toute une économie des oui et des non, des tenir-à-distance et des laisser-venir-à-soi, comme dit Nietzsche. Toute une micropolitique qui déjoue nos grandes convictions et oblige à des pratiques expérimentales de l’existence, y compris politiques. C’est que Nietzsche, comme tout grand philosophe, se méfie des opinions, et encore davantage des convictions, dans lesquelles il reconnaît toujours un fond de fanatisme. Lui-même rappelle quelque part qu’il n’est pas assez borné pour un système — pas même pour le sien.

[1]  « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 3
[2]  Cf. Jürgen Habermas, « La Modernité : un projet inachevé », in Critique, 1981, t. XXXVII, n° 413, p. 958

[3]  Deuxième Considération inactuelle, § 8
[4]  FP 4 [212], été 1880
[5]  Sociologies de la modernité, Gallimard, 1999, p.9-10
[6] Zeev Sternhell, Les Anti-Lumières : Une tradition du XVIIIe siècle à la Guerre froide, Fayard, 2006 ; Gallimard (édition revue et augmentée), 2010.
[7] Deuxième Considération inactuelle, Préface
[8] FP 11 [141], printemps-automne 1881
[9] Différence et répétition, PUF, 1968, p.289 sq., et Logique du sens, Éditions de Minuit, 1969, p.92 sq.
[10] Crépuscule des idoles, « Incursions d’un inactuel », § 38

mercredi, 11 novembre 2015

Chantal Delsol: Autour de "Populisme"

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Entretien avec Chantal Delsol:

Autour de "Populisme"

par Samuel Auzanneau

Ex: http://www.actu-philosophia.com

Actu Philosophia : Dans votre ouvrage Le Souci contemporain [1], vous montrez que la leçon d’Aristote, qui voyait l’homme comme un animal politique et la politique elle-même comme une figure de l’existence, n’a pas été retenue, car une des tendances de la modernité est, selon vous, de souhaiter supprimer la politique. Bien plus, les deux siècles précédents ont vu se développer une volonté de supprimer la morale, l’antinomie du bien et du mal. Quelles furent les conséquences de ces choix, et sont-elles encore visibles aujourd’hui ?

Chantal Delsol : Il s’est produit ce qu’on appelle le paradoxe des conséquences. Essayez de supprimer la politique, elle revient sous une forme terrifiante, et de même pour la morale. Dites (chez les Soviets) que vous vous passez de l’État, et vous terminez avec l’État le plus oppressif qu’on n’ait jamais vu. C’est que les expressions de notre condition (ce que Freund appelait les essences) ont besoin d’être reconnues pour pouvoir être circonscrites, surveillées, cantonnées, et éviter les perversions. Si on fait comme si elles n’existaient pas, elles ne cessent pas d’exister, mais au contraire elles s’exacerbent et deviennent odieuses. Aujourd’hui il n’est plus question de supprimer la morale, elle constitue plutôt la seule catégorie indiscutable. On pourrait plutôt dire que tout est moral, y compris la politique. Le manichéisme qui règne sur le plan international en est un exemple frappant : le fait que les politiques prétendent combattre le Mal, alors que la politique ne doit rigoureusement combattre que l’adversité, si en tout cas elle veut demeurer dans son ordre. La justice internationale exprime de façon caractéristique cet appel d’un ordre moral mondial remplaçant la politique.

AP : Quand les Grecs parlaient de vie bonne, l’homme contemporain semble obsédé par le bien-être, et la recherche d’un bonheur immédiat et somme toute éphémère. La pensée des Grecs, et particulièrement d’Aristote, est à ce titre sans doute un recours. Quelle place tient celle-ci, dans votre œuvre ?

CD : Une place essentielle. La pensée grecque représente la véritable armature de notre culture, qui sera reprise, approfondie et sublimée par le christianisme. Il est très troublant de voir tous les aspects anthropologiques ou moraux du christianisme qui ont été pensés en avant-première par la pensée grecque, sans qu’on puisse repérer le lieu d’influence. Pour prendre un seul exemple, l’idée spécifiquement judéo-chrétienne de dignité de la personne se trouve déjà dans l’Oedipe à Colone de Sophocle.

AP : Dans L’Age du renoncement [2] , vous écrivez que la culture chrétienne fait l’objet d’un rejet en Europe, après 2000 ans d’histoire ; et qu’en la rejetant, nous en repoussons aussi tous ses fruits séculiers. Quels sont ces fruits selon vous, et ce rejet est-il inéluctable ? N’y a-t-il pas un grand danger à refuser l’irrationalité du monde ? Pourquoi est-elle aujourd’hui si vilipendée, au profit d’une raison toute-puissante ?

CD. : Ce n’est pas l’irrationalité du monde que nous refusons aujourd’hui, c’est au contraire la rationalité… La raison toute-puissante domine la modernité, c’est à dire la période qui s’étend jusqu’à la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui nous sommes dans la post-modernité, qui d’une certaine façon poursuit la modernité et d’une autre façon la contredit – et c’est le cas en ce qui concerne la raison. En rejetant la chrétienté nous délégitimons ses fruits qui sont : la conscience et la liberté personnelles, donc la démocratie et généralement l’État de droit ; l’idée de vérité donc d’universalité ; la vision fléchée du temps donc l’espérance et le progrès. J’ai essayé de montrer dans ce livre que ces trois caractéristiques sont en train de tomber en désuétude.

AP. : La désaffection de l’homme contemporain pour la religion vient-elle seulement de sa peur du fanatisme ou peut-elle aussi s’expliquer par une organisation interne de l’Église, un peu obsolète ?

CD. : Certainement les deux. Il faut remarquer que certaines religions, comme l’évangélisme, sont en pleine progression. L’évangélisme est une religion déstructurée, ce qui peut expliquer qu’elle réponde aux deux inquiétudes légitimes de l’homme contemporain : la crainte du fanatisme et la volonté de répondre aux exigences modernes. En ce qui concerne le catholicisme, je ne me battrai pas là-dessus parce que je trouve qu’il y a des choses plus importantes, mais je pense que l’exclusion des femmes de tout ce qui est essentiel (les sacrements), représente un handicap de plus en plus important, qui pourrait assurer dans les siècles à venir la victoire complète du protestantisme.

AP. : Vous expliquez que la promotion de l’individu déraciné, hors de son espace et de son temps est un trait caractéristique de la modernité. L’homme peut-il se libérer de toute appartenance, de toute croyance, de toute coutume ?

CD. : Il ne peut pas, ces appartenances sont son tissu même, la fibre dont il est fait, il n’est rien sans elles, c’est à travers elles qu’il se façonne comme sujet. C’est la grande illusion de l’époque présente, de croire que nous pourrions devenir seulement des citoyens du monde, seulement des hybrides asexués, et, comme le disent quelques philosophes égarés, seulement des habitants des lagers, c’est à dire des nomades absolus… Privés d’appartenances, nous ne deviendrions pas plus libres, mais si vides et si assoiffés de connivence que nous serions désormais ouverts à n’importe quelle criminelle appartenance (on sait que les adhésions totalitaires naissent sur le terreau du nihilisme).

AP. : L’un des traits les plus évidents de la modernité est cette propension à nier le tragique de l’existence humaine, et à oublier ce fait qu’il est de toute façon impossible d’anéantir le Mal dans le monde. Quelles sont, à votre sens, les raisons de ces dénis aux lourdes conséquences anthropologiques ?

CD. : Cette propension à vouloir carrément sortir de notre condition, est l’aspect faustien de la culture occidentale. Il faut noter que cela n’arrive qu’ici. Pourquoi ? Parce que nous sommes structurés dans ce que j’ai appelé l’irrévérence, en raison du temps fléché (toutes les autres civilisations ont un temps circulaire) : il nous faut sans cesse nous dépasser. D’où la science, la technique etc. Mais la volonté de se dépasser doit être limitée par une réflexion anthropologique. Quand la culture religieuse qui inspirait cette réflexion n’existe plus, alors tout devient possible. C’est le totalitarisme communiste au XX° siècle, c’est le discours post-humaniste d’aujourd’hui.

AP. : Nous assistons à une technicisation de la politique, conséquence de la fin des grands récits et de la crainte ressentie par l’homme contemporain à l’endroit des conceptions du monde. Cette aseptisation de la politique, ce contrôle politiquement correct des opinions et des certitudes explique-t-elle l’émergence actuelle d’une forme d’ « américanisation » des débats, et de l’usage du droit ?

CD. : Oui l’usage du droit peut ressortir à une technicisation excessive. On peut dire qu’aujourd’hui Kelsen l’emporte sur Schmitt. Nous voudrions que tout soit encadré et nous avons peur de la décision personnelle, en raison de la responsabilité inhérente et de l’arbitraire possible. Nous cherchons à réduire la politique au droit. D’où la justice internationale, qui en vient à décréter le droit ou le non-droit de la guerre (en réalité la guerre ne peut provenir que d’une décision, parce qu’elle relève de la situation exceptionnelle – et heureusement). D’où la technocratie européenne, système de gouvernement sans décision (non pas « un tel décide » mais « ça décide »). D’où les lois dites sociétales, qui érigent les limites à partir desquelles on peut tuer ou laisser mourir, déchargeant ainsi la conscience de son poids.

AP. : Quel est selon vous le rôle des partis politiques, aujourd’hui ? Faut-il, au regard de la crise institutionnelle qui semble être la nôtre, et comme le préconisait Simone Weil dans un petit opuscule de 1940 intitulé Note sur la suppression générale des partis politiques, se débarrasser de ceux-ci, ou faut-il simplement y voir un simple élucubration, comme le pensait Raymond

CD. : Oui, il faut y voir selon moi l’élucubration d’un esprit très doué et très jeune, mais cette fois-ci incohérent. La démocratie moderne ne peut pas se passer de partis politiques, lesquels sont sa condition d’existence puisqu’ils garantissent l’expression de la diversité des opinions. En réalité je pense que Simone Weil, qui était tout à fait platonicienne, n’aimait pas la démocratie. Si elle avait vécu plus longtemps, il aurait été intéressant de voir comment elle allait résoudre ce conflit entre l’amour pour la liberté et la méfiance envers la démocratie.

AP. : Dans un monde qui sacralise les droits : droits-libertés ou droits de... ; droits-créances ou droit à... ; y a-t-il encore une place pour l’action, la grandeur, le héros ?

CD. : Beaucoup moins, et c’est logique, de toutes façons la grandeur est devenue détestable parce que nous avons souffert toutes ses perversions. Nous souhaitons nous en débarrasser. « Malheur au pays qui a besoin de héros » (Brecht).

AP. : Y a-t-il, pour vous, des limites à poser à la tolérance ?

CD. : Une société qui tolérerait tout, permettrait tous les crimes. C’est impossible. Mais je suppose que vous parlez de la liberté d’expression. Je pense que les démocraties doivent tolérer légalement la plus complète liberté d’expression, mais que celle-ci a des limites morales – les dessinateurs de Charlie qui caricaturent Mahomet sont des ordures, non pas parce qu’ils provoquent les partisans du Djihad, mais parce que c’est honteux de se moquer de ce qui est sacré pour tant de gens. Cela dit, il est tout à fait hypocrite de prétendre que chez nous la liberté d’expression est totale. On a le droit de caricaturer Mahomet mais pas le mariage gay. On encense Sade parce qu’il fait l’éloge du crime sans le mettre à exécution, mais en même temps on diabolise Céline en disant que faire l’éloge du crime c’est déjà le mettre à exécution. Autrement dit, nous prétendons tout accepter, mais nous avons nos têtes de turc comme ailleurs.

AP. : Dans l’un de vos tous derniers ouvrages, Les pierres d’angle. A quoi tenons-nous ? [3] qui constitue un prolongement des réflexions entamées dans L’Age du renoncement, vous regrettez les conséquences déshumanisantes de ce que vous appelez « la saison des Lumières ». C’est une critique que l’on retrouve à de nombreuses reprises dans toute votre œuvre. Est-ce à dire que vous vous situez dans le sillage de certains auteurs contre-révolutionnaires, tel Edmund Burke ? Penseur libéral, mais aussi traditionnel, ne réduisant pas son libéralisme à l’idéologie moderne de l’individu tout-puissant, Burke est aussi, comme vous, un aristotélicien. A-t-il fait partie de vos influences ?

CD. : Oui, je suis disciple de cette pensée libérale du XIX° qui reconnaît les bienfaits des Lumières tout en critiquant les excès révolutionnaires ou les perversions des Lumières : Tocqueville, Burke, Stuart Mill, Taine etc. Mais je ne me sens aucune affinité avec les penseurs contre-révolutionnaires traditionalistes et anti-démocrates comme de Maistre ou Bonald. Je déteste le despotisme éclairé ou soi-disant éclairé.

AP. : L’homme contemporain, expliquez-vous, dans Le Souci contemporain, est « prisonnier de sa finitude », dont il s’échappe en « parcellisant la durée de son existence ». Il vit donc de « morts successives ; car il a intégré la précarité de chaque projet ». Il s’ensuit qu’il méprise la mort, et que toute irruption de la catastrophe le laisse pétrifié. N’avons-nous pas eu la preuve, avec les attentats contre Charlie Hebdo en janvier dernier et la grande manifestation populaire qui en découla, qu’a surgi la violence dans un monde qui tant absolument à la nier ?

CD. : [Nous avons vu la brusque irruption du tragique dans une société qui croit facilement en la disparition définitive des guerres, des épidémies et de la misère en général. La réaction du Je suis Charlie a eu pour une part cette signification : on a manifesté contre l’orage, c’est à dire contre des phénomènes naturels qu’on croyait dans notre démiurgie avoir évincés pour toujours. Je connais une famille où les jeunes on pleuré pendant des jours après cet attentat, exprimant la véritable disparition d’un monde : le monde sans tragique…

AP. : Vous écrivez que nous avons renoncé à toute forme de vérité, que nous ne sommes plus capables de nous battre pour elle. Obsédé par la paix et le consensus, nous sommes pourtant dans cette culture du politiquement correct en face d’interlocuteurs qui refusent la contradiction. A votre sens cette culture du consensus mou prend sa forme la plus éclatante dans la gouvernance européenne, que vous n’hésitez pas à qualifier de « gouvernement technocratique. » Or, vous êtes fédéraliste. Quel est donc ce fédéralisme que l’UE a à ce point manqué dans sa construction pour le moins ratée, et qu’en est-il de la place des États-nations ? N’est-il pas vrai, comme l’explique Pierre Manent dans La Raison des nations [4] , que l’État-nation souverain est la version européenne de l’ « empire démocratique », qu’il est le lieu nécessaire de l’unité d’un peuple ?

CD. : Les Français ont tendance à comprendre le fédéralisme à l’envers, parce qu’ils ignorent tout à fait ce que c’est – ils sont centralisateurs et jacobins de façon génétique. Pensez que le grand auteur du fédéralisme, Althusius, auteur allemand du XVII° siècle, n’a pas encore été traduit en français… Je crois pour ma part que l’Europe n’aurait pu vivre de façon harmonieuse que par le fédéralisme, qui aurait consisté à appliquer réellement le principe de subsidiarité : ne laisser à Bruxelles que le strict régalien. Or nous avons fait tout le contraire. Pour prendre des exemples, l’Europe ne pourrait vivre que si les gouvernants européens ont les moyens de lever une armée commune pour aller au Kosovo, et si les gouvernements nationaux s’occupent de la culture et de la taille des cages à poules – tandis que Bruxelles s’occupe des cages à poules et ne peut lever une armée commune, ce qui fait qu’on doit dans les cas graves appeler les Américains. Le fédéralisme (dans son acception normale et non dans l’acception fantasmée et fausse que s’en font les Français) signifie qu’il y a plusieurs centres de souveraineté. Les Français comprennent la souveraineté à la façon de Bodin : une et absolue ; tandis que pour le fédéralisme, elle est plusieurs, partagée et morcelée.

AP. : Vous êtes une philosophe libérale. Or, en France, le libéralisme subit, à notre sens, une telle caricature, qu’il est presque impossible de trouver un homme politique s’en réclamant. Ce courant de pensée est constamment assimilé à l’hubris de grandes firmes, et l’on voit constamment fleurir, même chez les philosophes les plus intéressants à gauche (Michéa, Dufour, etc.), le qualificatif « ultra-libéral », non pour désigner cet hubris, mais pour signifier que dans la philosophie libérale elle-même est contenu le germe de la société de consommation dans laquelle nous sommes. Pour eux, sortir du « libéralisme » est un devoir, une nécessité, afin de ne pas transformer le citoyen en simple consommateur. Est-ce à dire que le prisme avec lequel la plupart des philosophes français voient le monde est encore presque exclusivement marxiste, étatiste et jacobin ?

CD. : Oui on a eu raison de dire que le dernier léniniste sera un Français… Ce qui explique qu’ici le libéralisme soit constamment compris dans son extrême, afin d’être décrédibilisé. Je crois qu’il faut limiter et contrôler le libéralisme afin que ce ne soit pas la jungle. Mais être anti-libéral c’est appeler de ses vœux quelque chose comme une soviétisation. Et je crois que beaucoup de Français en sont là. Ce qu’ils aimeraient, c’est vivre dans un pays comme l’Union Soviétique (où tous ont un travail minable et peu payé avec très peu de contraintes, où tous sont logés/eau/gaz/électricité aux frais de l’Etat). Un de mes amis dit que beaucoup de Français ne se sont jamais remis d’avoir raté la prise de pouvoir par le Parti Communiste en 47, et je crois qu’il a raison…

AP. : Dans votre récent ouvrage consacré à une analyse du populisme [5], vous expliquez que l’idéologie de l’émancipation qui est née des Lumières refuse à toute velléité de défense de l’enracinement la qualité d’opinion. Précisons qu’il ne s’agit en rien pour vous de défendre les idées populistes à tout prix et dans leur totalité, mais de souligner que la post-modernité appelle à un arasement définitif des particularismes, au mépris de ce qu’est, dans ses fondements, la condition humaine... Comment analyser le populisme ? Est-il un brusque retour, violent mais prévisible, d’une fuite générale du sens ?

CD. : Il traduit un emballement de l’idéologie émancipatrice qui, parce qu’elle n’a pas pu se mettre en place par le moyen du totalitarisme léniniste, tente à présent de se réaliser par le consensus mou et la pression ironique (c’est le thème de mon prochain livre). Pour mettre en place une idéologie, il faut évincer la démocratie, et ici c’est ce que l’on fait de façon douce, non pas en interdisant les élections, mais en excluant par l’injure les partis qui ne vont pas dans le bon sens.

AP. : Peur du peuple, peur de la réaction, peur de la remise en cause des rentes (au sens où l’entendait Pareto), peur de l’élitisme, peur de la souveraineté, peur de l’autorité, peur de l’avis des autres que l’on transforme en maladie psychiatrique (la chasse aux -phobes, disait Philippe Muray) : comment peut-on définir cette morale-là ? D’abord, peut-on baser une réflexion d’ordre moral sur des peurs et une défiance à l’endroit de tout ce qui n’est pas calibré par ce qu’il est convenu d’appeler une forme « totalitaire » de rejet de l’opinion des autres ?

CD. : Je n’emploierais pas le mot totalitaire, même entre guillemets, parce que le malheur des sujets des totalitarismes était trop grand pour être comparé (nous n’avons pas de terreur ici). Il y a néanmoins aujourd’hui une tentative d’exclure les courants de pensée qui ne vont pas dans le sens de l’idéologie émancipatrice – prenez les réformes dites sociétales et regardez comment on traite ceux qui les récusent : d’attardés, de pauvres types, de salauds, bref de gens qui n’ont pas une opinion différente mais une maladie mentale ou des pensées criminelles. Les totalitarismes envoyaient les opposants au lager ou à l’hôpital psychiatrique. Nous empêchons que quiconque leur parle (il suffit de voir, exemple récent, les hurlements des journalistes quand ils ont subodoré qu’un élu de l’UMP avait déjeuné avec un élu du FN…) Tocqueville avait prédit cela.

AP. : Vous avez écrit quatre romans. Quelle est l’importance de la littérature dans votre œuvre ? Quel lien, s’il y en a un, faite-vous entre votre œuvre philosophique et vos œuvres littéraires ?

CD. : Il est difficile de vous répondre. J’aime écrire et les romans sont pour moi une sorte de récréation, l’expression du monde imaginaire. Si je n’avais pas pu être enseignante, j’aurais aimé être écrivain public. Le monde des romans est artistique et quête le beau, tandis que le monde de la philosophie quête le vrai. Ce sont deux parts de ma vie. Bien sûr il y a des ponts.

AP. : Vous écrivez avec un style clair, même si vos ouvrages sont denses et exigeants. Beaucoup de philosophes, issus de certains courants de pensée, se plaisent à jargonner, comme si densité et technicité ne suffisaient pas. Comme s’il y avait une forme de snobisme à mépriser la langue claire et distincte. Il est particulièrement frappant de voir à quel point Descartes par exemple, est un grand écrivain. On peut aussi citer Bergson ou les philosophes spiritualistes (Lavelle, Marcel, Blondel,...). Leurs styles sont clairs et ne sombrent pas dans un chaos conceptuel permanent. D’où vous vient le style de votre écriture philosophique ?

CD. : Cela vient de ce que je suis d’abord une mère de famille, quelqu’un qui a toujours passé une grande partie de son temps à s’occuper des lessives, des courses, de la couture, des menus, et à éduquer des enfants puisque j’en ai eu six avec un mari tout à fait absent, et ces occupations sont simples, concrètes, directes et sans snobisme. On ne triche pas avec les enfants, on ne jargonne pas, on ne complique pas la vie. Mon travail philosophique, pour lequel j’ai eu beaucoup moins de temps que mes collègues, est un miroir de ma vie.

AP. : Quelle influence a eue sur vous celui qui fut votre directeur de thèse, Julien Freund ?

CD. : Une influence énorme. Ses livres et sa pensée ont été un fil rouge. L’époque était peu ouverte à ce genre de pensée. J’étais seule en préparant ma thèse pendant dix ans, dans un petit pays où pas une personne ne connaissait les auteurs sur lesquels je travaillais. Aussi Freund et moi nous nous écrivions beaucoup. Il m’a énormément appris.

Notes

[1Chantal Delsol, Le Souci contemporain, Bruxelles, Complexe, 1996. Traduit en anglais, l’ouvrage a reçu le Prix Mousquetaire.

[2Chantal Delsol, L’Age du renoncement, Paris, Le Cerf, 2011.

[3Chantal Delsol, Les pierres d’angle. A quoi tenons-nous ?, Le Cerf, 2014.

[4Pierre Manent, La Raison des nations, Gallimard, collection "L’esprit de la cité", 2006.

[5Chantal Delsol, Populisme. Les demeurés de l’Histoire, éditions du Rocher, 2015

mardi, 10 novembre 2015

Un entretien entre Franck Abed et Georges Feltin-Tracol sur Maurice Bardèche

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Un entretien entre Franck Abed et Georges Feltin-Tracol sur Maurice Bardèche

Ex: http://synthesenationale.hautetfort.com

Roland Hélie, directeur de Synthèse Nationale, avait eu l’amabilité de m’adresser le livre intitulé Bardèche et l’Europe de Georges Feltin-Tracol, publié en 2013. Pour différentes raisons, je ne l’avais pas encore lu et étudié. C’est chose faite maintenant.

Je dois dire que la pensée de Bardèche, en tant que catholique et royaliste, m’est assez éloignée. Pourtant, cela ne m’empêcha point de lire et de grandement apprécier l’excellent Sparte et les Sudistes. En tant que défenseur de l’héritage capétien, partisan de la monarchie universelle et admirateur de l’Europe Impériale, toutes les questions doctrinales et intellectuelles sur l’Europe m’attirent et m’intéressent grandement. Une fois le livre lu, je voulais en savoir plus. J’ai donc demandé à mon ami Roland de me mettre en relation avec l’auteur. Quelques jours après, je recevais un appel téléphonique de Georges Feltin-Tracol. Une longue et sympathique discussion s’en suivit au cours de laquelle nous abordions à battons rompus, Bardèche, l’Europe, l’Empire, le solidarisme, la théocratie, la « droite » en France et les raisons de son échec, les monarchies etc. Ne voulant pas en rester là, je proposais à mon interlocuteur de poursuivre notre échange. Voilà la raison de cet entretien...

Franck ABED

Franck Abed : Maurice Bardèche le jacobin, l’admirateur de la Grande Révolution et des soldats de 1793, a toujours défendu l’idée européenne. N’est-ce pas contradictoire ?

Georges Feltin-Tracol : Avant de répondre à cette question, il faut prévenir le lecteur que Maurice Bardèche est d’abord connu pour avoir défendu toute sa vie son meilleur ami et beau-frère Robert Brasillach dont l’exécution, le 6 février 1945, le traumatisa et transforma un paisible universitaire spécialiste de la littérature française du XIXe siècle en un ardent polémiste et farouche contempteur de l’ordre du monde surgi à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’idée européenne chez Maurice Bardèche est surtout développée dans sa conférence, « L’Europe entre Washington et Moscou » (disponible dans « Maurice Bardèche l’insoumis 1998 - 2013 », dans les Cahiers des Amis de Robert Brasillach, n° 51 - 52), à Anvers en avril 1951, dans L’œuf de Christophe Colomb (1952) et, plus succinctement, dans Les temps modernes (1956), et le fameux Sparte et les Sudistes (1969). Il faut se souvenir qu’en pleine Guerre froide, le succès notable de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1951 incite les responsables européistes à envisager deux autres communautés européennes complémentaires, la première pour la défense — sous-entendue contre l’URSS — : la CED (Communauté européenne de défense) et la seconde, politique, la CEP (Communauté européenne politique). Le violent débat sur la CED porte sur le caractère supranational de l’armée européenne, son degré d’intégration de cette armée dans l’OTAN, créée en 1950, et la remilitarisation de l’Allemagne occidentale.

La CED divise toute la classe politique, hormis le PCF et le RPF gaulliste qui lui sont hostiles. Par ses interventions fréquentes, Maurice Bardèche entend contribuer aux discussions publiques en soutenant le projet. Parallèlement, Rivarol se montre lui aussi favorable à ce projet, au contraire de Jeune Nation.

Quand on retrace la généalogie contemporaine de l’idée européenne, on relève l’absence de contradictions avec l’héritage révolutionnaire française dans lequel a grandi le jeune Bardèche. Dans l’opposition jusqu’en 1875, les républicains français sont bellicistes, expansionnistes, nationalitaires, c’est-à-dire favorables à une Europe des nationalités libres qui exista un temps lors du « Printemps des peuples » de 1848. Nonobstant son (néo)fascisme assumé, Maurice Bardèche s’inscrit dans cette tradition politique. Le paradoxe n’est d’ailleurs qu’apparent puisque l’historien italien Renzo de Felice a bien démontré que les principales racines idéologiques du fascisme provenaient du nationalitarisme mazzinien. En admirateur de Metternich et de la Sainte-Alliance, Julius Evola le reconnaissait volontiers.

FA : Pourriez-vous préciser ses grandes inclinations intellectuelles sur l’Europe ?

bardèche.jpgGF-T : Maurice Bardèche ne fait pas œuvre d’historien. Il puise dans l’histoire des exemples marquants. Quand il rédige L’œuf de Christophe Colomb, il a en tête deux visions d’Europe inachevées ou avortées : l’Europe de la Grande Nation de Napoléon Ier et celle des volontaires européens sur le front de l’Est de 1941 à 1945, la première étant plus prégnante dans son esprit que la seconde.

En 1993, dans ses Souvenirs, des mémoires qui s’arrêtent volontairement à 1958, Maurice Bardèche revient sur son européisme et, dépité par la construction technocratique et marchande de l’Union pseudo-européenne, exprime toute son admiration pour les thèses de Thatcher sur une simple organisation intergouvernementale. En creux s’affirme l’acceptation d’une « France seule » chère à Charles Maurras, constat d’une immense déception et d’une occasion manquée.

FA : L’idée européenne promue par Bardèche est-elle encore défendue par des acteurs politiques contemporains ? Si oui lesquels ? Si non, pourquoi ?

GF-T : Quand on lit avec attention les positions de Maurice Bardèche sur l’Europe, on remarque tout de suite qu’il n’imagine pas un super-État continental centralisé. Mieux que l’économie (Jean Monnet) ou la culture (Denis de Rougemont), il a compris que les meilleurs facteurs d’une réelle cohésion européenne passeraient par la diplomatie et la défense.

« Babar » comme le surnommaient affectueusement les rédacteurs de sa revue, la très mal-nommée Défense de l’Occident, n’est pas un théoricien, ni un constitutionnaliste et encore moins un juriste de profession ; il se veut pragmatique. Il conçoit ainsi une Confédération européenne des États nationaux qui ne concentrerait que quelques attributs, mais des attributs régaliens primordiaux : le domaine militaire et les relations internationales. Cette idée de confédération limitée à ses seules fonctions n’est pour l’heure défendue par personne. Dans les années 1980, l’ancien ministre Michel Jobert exposait cette vision dans le cadre de son Mouvement des démocrates (cf. Vive l’Europe libre ! Réflexions sur l’Europe, Ramsay, 1984). Dans la même période, le solidariste et nationaliste-révolutionnaire Jean-Gilles Malliarakis proposait lui aussi dans Ni trusts, ni soviets (Éditions du Trident, 1985) une semblable solution. Plus récemment, mon vieux camarade Rodolphe Badinand, co-fondateur d’Europe Maxima, exigeait dans Requiem pour la Contre-Révolution (Alexipharmaque, 2008) un noyau confédéral en lieu et place de l’Union soi-disant européenne.

Aujourd’hui, l’idée européenne chère à Maurice Bardèche est en sommeil, oubliée et/ou ignorée des minables politicards. Mais le choc du réel provoquera son surgissement tôt ou tard !

FA : Dans votre livre, une expression de Maurice Bardèche m’a frappé, à la fois par sa pertinence, sa rigueur et sa permanence. Il s’agit de « l’Europe cuirassée ». Pourriez-vous l’expliquer et l’approfondir en quelques mots ?

GF-T : Par la métaphore de l’« Europe cuirassée », Maurice Bardèche veut donner un sens politique à l’Europe qu’il esquisse. En 1951, celle-ci, divisée et amoindrie par deux conflits mondiaux consécutifs et récents, se retrouve en proie à trois menaces considérables : le réveil des peuples de couleur (la décolonisation commence), la menace soviétique qui n’est alors qu’à « deux étapes du tour de France » de Paris et l’occupation étatsunienne. Maurice Bardèche aurait souhaité assister à l’émancipation des Européens. Il aurait aimé que l’Europe nationale proclame sa neutralité et, pourquoi pas ?, prenne ensuite la tête du non-alignement contre le condominium soviético-yankee.

Maurice Bardèche voulait probablement faire de l’Europe nationaliste, voire néo-fasciste, une très grande Suisse, un État neutre et inattaquable du fait d’une redoutable cuirasse : son service militaire de milice civique. On peut même s’avancer à croire que la Confédération européenne fût été le décalque continental de sa consœur helvétique.

Avec l’actualité, il va de soi que l’« Europe cuirassée » prend une autre tournure. Avec l’invasion afro-asiatique en cours orchestrée, payée et encouragée par la Turquie, l’Arabie Saoudite et les États-Unis, l’« Europe cuirassée » impliquerait le rétablissement de frontières strictes tant du point de vue juridique que politique parce que les frontières ne sont pas que territoriales. La préférence nationale, au minimum, est une autre forme de frontière salutaire. À mon avis, toutes les frontières, matérielles et immatérielles, concourent à l’édification salutaire d’une société fermée, autocentrique et autarcique. Bref, l’« Europe cuirassée » signifie « les Européens maîtres chez eux en Europe et prêts pour cela à se battre ».

FA : Quel fut l’impact réel du Mouvement social européen, dont Bardèche fut membre, sur la vie politique ?

GF-T : Dès 1951 et le lancement de la CECA, il est prévu d’instituer un Parlement européen élu au suffrage universel direct, mais le rejet de la CED en 1954 par l’Assemblée nationale française écarta cette option jusqu’en 1979 quand les députés européens remplaceront les parlementaires désignés par les Parlements nationaux. Pour une fois en avance, des formations de droite nationale ont cherché à se regrouper afin d’atteindre un seuil électoral pertinent à l’instar des premiers résultats électoraux prometteurs du jeune MSI (Mouvement social italien).

Reconnu par toute l’Europe des réprouvés grâce à son Nuremberg ou La terre promise (1948), Maurice Bardèche est sollicité pour conduire la délégation française à Malmö en Suède. De cette réunion sort le Mouvement social européen (MSE) dont Bardèche devient l’un des vice-présidents et le responsable du MSE pour la France, d’où la création d’un bulletin de liaison : la future revue Défense de l’Occident.

Si une certaine presse versa dans le sensationnalisme et cria à la renaissance du fascisme ou d’une nouvelle « Internationale noire (ou brune) », l’impact du MSE sur la vie politique française et européenne fut plus qu’insignifiant. Outre le report sine die du scrutin européen, le MSE subit très tôt une scission de la part des racialistes réunis dans le Nouvel ordre européen. Cet échec fut néanmoins profitable puisque une décennie plus tard, le Belge Jean Thiriart lança Jeune Europe avec le MSE en contre-exemple parfait.

FA : Dans votre essai vous ne mentionnez pas la religion en général, ni la religion catholique en particulier. Pourtant, la religion catholique romaine reste un pilier de notre civilisation européenne. Quel était le rapport de Bardèche à la religion catholique ?

GF-T : Maurice Bardèche évoque rarement le catholicisme dans ses écrits. Élevé par l’école des hussards noirs de la IIIe République laïque et ayant grandi dans une famille patriote, anticléricale et radicale-socialiste, c’est un catholique de culture.

La religion catholique romaine reste-t-elle encore un pilier de notre civilisation européenne? J’en doute. Certes, les basiliques des premiers chrétiens, les églises romanes, gothiques, baroques et classiques appartiennent à notre héritage, mais ce n’en est qu’une partie. L’Orthodoxie et même un certain protestantisme en sont d’autres. Avec le concile Vatican II, conséquence catastrophique des conciles antérieurs (Vatican I et Trente), le catholicisme romain a renié sa part européenne, ces syncrétismes singuliers avec les paganismes ancestraux qui en faisaient son originalité.

L’Église de Rome trahit maintenant les peuples autochtones de notre continent au profit d’intrus surnommés « migrants ». Bien que sympathique par certains côtés (son hostilité au règne de l’argent ou son approche de l’écologie malgré son tropisme cosmopolite), l’actuel « pape » conciliaire Bergoglio comme ses prédécesseurs immédiats ne me convainc pas. Pour soutenir un véritable catholicisme de combat, il eut fallu que Mgr. Jean de Mayol de Lupé (1873 - 1955) devînt le souverain pontife, cela aurait eu tout de suite une toute autre tenue !

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FA : D’une manière générale, le projet politique de civilisation européenne défendu par Bardèche ou d’autres peut-il se faire sans le catholicisme ?

GF-T : La civilisation européenne ne se réduit pas au seul catholicisme qui lui-même change et se modifie au fil des âges. Les racines spirituelles de l’Europe ne se trouvent pas qu’à Athènes, Rome et Jérusalem; elles plongent aussi dans les traditions germaniques, celtiques, scandinaves, slaves, balkaniques, caucasiennes et même basques et laponnes ! Comme l’affirmait Dominique Venner dans Histoire et tradition des Européens (Éditions du Rocher, 2002), l’étymon européen a au moins plus de 30 000 ans d’histoire. Le christianisme n’est qu’un moment de sa longue histoire. Cette phase historique est d’ailleurs en train de s’achever quand bien même l’abjecte idéologie des droits de l’homme en est la forme sécularisée (pour faire simple).

Une Europe catholique serait un non-sens, sauf si un Prince, Capétien ou Habsbourg, en prenait la direction comme le soutient la sympathique équipe anarcho-royaliste et écolo-décroissante du Lys Noir. Cette Europe-là demeurerait toutefois une portion d’Europe.

La question religieuse n’est pas le meilleur moyen de favoriser la prise de conscience des Européens. Celle-ci ne se cristallisera que face à des périls immédiats, que face à l’irruption d’une altérité menaçante et conquérante. Au-delà des contentieux territoriaux, historiques et confessionnels, les Européens comprendront grâce à l’ethnologie, la généalogie et l’anthropologie qu’ils procèdent d’une substance commune et initiale. Quant à la religion, il est vraisemblable que les techniques les plus sophistiquées favorisent la résurgence et la réactivation des structures anthropologiques de l’imaginaire archaïque européen.

Propos recueillis par Franck Abed.

Le site de Franck Abed cliquez ici

  • Georges Feltin-Tracol, Bardèche et l’Europe. Son combat pour une Europe « nationale, libérée et indépendante », Éditions Les Bouquins de Synthèse nationale, Paris, 2013, 130 p., 18 €, à commander sur www.synthese- editions.com ou à (+ 3 € de port), chèque à l’ordre de Synthèse nationale, 116, rue de Charenton, 75012 Paris, (+ 3 € de port), chèque à l’ordre de Synthèse nationale. L'acheter en ligne cliquez là
  • « Maurice Bardèche l’insoumis 1998 - 2013 », Cahiers des Amis de Robert Brasillach, n° 51 - 52, 2013 - 2014, 275 p., 40 €, à commander aux Amis de Robert Brasillach (ARB), Case postale 3763, CH - 1211 Genève 3, Suisse, chèque à l’ordre de l’ARB.

dimanche, 08 novembre 2015

«Occitanisme et réalité»

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«Occitanisme et réalité»

Interview de Martial Roudier

Martial Roudier, vous étiez présent dans le cortège de la manifestation occitaniste du 24 octobre à Montpellier, que faut-il en retenir une fois les clameurs retombées?

martial-roudier.jpgCette manifestation « pour la langue occitane » s’inscrivait dans un cadre plus global de revendications linguistiques des différents peuples minorisés de France. Ces manifestations ont lieu de façon régulière sur notre territoire puisque la question linguistique en France est dans une impasse depuis de (trop) nombreuses années. Ainsi la dernière manifestation de Toulouse en 2012 avait réuni aux alentours de 30 000 participants.

Ceux qui ont arpenté les rues de Montpellier samedi dernier n’ont pu que constater la maigreur des effectifs rassemblés. Les organisateurs attendaient les 30 000 participants de la session précédente mais hélas ce fut moins de la moitié, voire beaucoup moins, qui a défilé. Sans entrer dans la guéguerre des chiffres -4000 selon la police/15000 selon les organisateurs-, le Midi Libre, plutôt favorable à la manifestation, annonce 6 000 participants… Même si on atteint les 10 000 participants, la mobilisation peut être qualifiée de médiocre. Pas uniquement numériquement parlant, mais symboliquement. Il faut remettre en contexte ces manifestations linguistico-revendicatives dans un cadre international et plus précisément dans le cadre européen qui réunit des composantes socio-économiques similaires. Prenons exemple, et c’est l’objectif que devraient se fixer les fameux « occitanistes » les soi-disant défenseurs de l’identité occitane, prenons exemple donc sur ces deux petits peuples (numériquement parlant) que sont le peuple écossais et notre voisin, notre cousin le peuple catalan. 5 millions et 7 millions et demi de personnes qui poussent le processus d’auto-détermination depuis de longues années. Avec le succès heureux que nous connaissons… Contrairement à nous il faut oser le dire.

N’avez-vous pas l’impression qu’au-delà de la défense de la langue, les organisateurs et le « premier cercle » mettent plus en avant des revendications corporatistes que franchement identitaires.

Le terme de « corporatisme » est parfaitement choisi. Les revendications confèrent souvent à une schizophrénie politique et entretiennent en tous cas la confusion chez les identitaires de cœur. Prenons comme exemple la défiance, voire le rejet de tout ce qui touche à l’idée de Nation et aux frontières qui lui sont consubstantielles. La problématique de base réside dans la définition même de ce qu’être occitan signifie. Dès lors que vous rejetez d’emblée les notions d’identité, de peuple, de nation, d’histoire même -thèmes dont se défient les « occitanistes »-, sur quel socle va s’appuyer votre combat ?

Ainsi les revendications portées par les manifestations occitanistes tournent toutes autour de négociations avec l’éducation nationale. Comme si grapiller quelques places de prof à l’IUFM allaient générer des locuteurs injustement privés de leur langue? Il est de coutume également d’entendre lors de certaines festivités à coloration occitane, festivités qui ressemblent à s’y méprendre à la fête de l’Huma, que l’occitanité est un choix. Comme argument plus inorganique, il n’y a pas mieux. Il est vrai qu’en tant que défenseur chez soi d’une culture minorisée, une certaine attirance vers des modes de vie alternatifs est absolument naturelle : le bio (le vrai, pas le commercial), les modes de vie en sociétés parallèles, les médecines alternatives, les quêtes spirituelles, la remise en question permanente des modes de consommation et j’en passe; mais il n’empêche qu’être d’un peuple c’est avant tout un héritage multi séculaire qui s’est forgé dans la terre et dans le sang. Le reste, à de très rares exceptions près, n’est que délire de consommateur de chanvre.

Sur une banderole d’un groupe d’étudiants de l’Université Paul Valéry, on pouvait lire : «  Pas de frontièras, pas de nacions, pas de discriminacions » au-delà de la provocation de potache, sur quoi repose alors la revendication occitaniste ?

Tout simplement sur le fait de parler ou non la langue d’oc ou à la rigueur, l’une de ses variantes (gasconne, provençale…) Ce dernier point ne faisant pas l’unanimité à cause du jacobinisme languedocien de l’IEO et des structures affiliées. La question de l’usage de la langue est une bonne chose en soi mais le problème réside dans le fait que ce concept est malheureusement périmé. Lorsque tout le peuple résidant dans les pays d’Oc est « occitanophone », la langue est d’évidence le premier paramètre qui définit ce peuple mais lorsque ce même peuple est privé d’expression par le biais de réformes successives et d’une éducation nationale qui n’est pas de la même langue, cette dernière devient une exception. Mais le peuple lui, est toujours présent sur son sol! Il faut apporter un bémol à ce postulat et parler également du problème de l’immigration. Encore un énorme tabou chez les dirigeants du mouvement occitan. L’immigration, quand elle revêt des proportions démesurées, déstructure les fondements d’un peuple dans son essence même. D’un point de vue culturel, psychique, physique, la nature même des peuples peuvent changer. Rarement dans le bon sens malheureusement… Quand on parle des conséquences néfastes de l’immigration, on pense évidemment à l’immigration maghrébine mais il faut également prendre en compte l’immigration interne au territoire national français et à l’Europe. Car nous sommes devenus le coin de terre où l’on vient finir ses vieux jours au soleil, voire y toucher son RSA… tranquille pépère. Une maison de retraite doublée d’un pôle emploi!

Vous semblez n’avoir pas une grande estime pour la méthode qui inspire les organisateurs de cette manifestation… avez-vous d’autres reproches à leur faire ?

D’autres travers plombent la revendication occitane. Ils sont nombreux mais certains sont des freins structurels colossaux intrinsèques à l’organisation du milieu « occitaniste ». Le cursus scolaire de la maternelle à la faculté ressemble à l’usine de cadres formatés idéologiquement dont les dictatures communistes ont le secret. Tous les responsables politiques culturels et associatifs sont de gôche, d’ailleurs ils le revendiquent. Qui chez les Verts, qui chez les socialos, qui plutôt anar, telle professeure de fac carrément marxiste… N’oublions pas la collusion entre les partis de gauche nationaux et leurs homologues sudistes… Clientélisme et occitanisme font bon ménage. Et puis les cultureux doivent bien gameller eux aussi, il ne faut donc pas mordre la main qui nourrit tout ce petit monde.

On voit le résultat sur la scène culturelle occitane: 2 pauvres groupes de musique qui se battent en duel, une quasi inexistence de production littéraire. L’absence de visibilité dans la sphère publique en est directement la conséquence. Nous assistons à une professionnalisation de la chose culturelle. Une réserve folklorique à ciel ouvert. Une mise sous perfusion bien orchestrée par Paris mais avec l’assentiment pervers d’une classe dirigeante locale. Le peuple lui, pendant ce temps là, s’acculture complètement et ne sait plus d’où il vient. Parfait petit pion mondialisé sans racines ni rêves. Car, pour citer Mistral, sans la langue, pas de clef.

Pour remonter la pente quelle est la première mesure que doit prendre le « mouvement occitaniste » ?

Les dirigeants du mouvement occitaniste sont issus d’une caste très fermée dont le terreau culturel politique se situe dans la pire des extrêmes gauches françaises qui se renouvelle filialement.

Les penseurs et donc ceux qui impriment la direction du mouvement sont, pour la plupart, issus du corps professoral et par conséquent touchent leur salaire directement de l’Etat français, auxquels ils devraient en principe s’opposer. On assiste donc à un jeu de dupes où ce sont les amoureux de la culture occitane qui se retrouvent cocus. Comme un ouvrier qui délègue sa défense à un syndicat chargé de lutter à sa place contre le méchant patron. On sait très bien que les collusions syndicat/patronat sont bien rodées…

Pour tout ceci et pour tant d’autres choses encore, il apparaît nécessaire de « décapiter » la direction du mouvement occitaniste et de la remplacer par de vrais acteurs de la vie locale, eux, sincères patriotes. Il est peut être encore temps…

Photos : Lengadoc Info

Lengadoc-info.com, 2015, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

mercredi, 04 novembre 2015

Entrevista al autor de "Ayn Rand y Leo Strauss" y "Crónicas del austericidio"

Entrevista al autor de "Ayn Rand y Leo Strauss" y "Crónicas del austericidio"

Entrevista a Francisco José Fernández-Cruz Sequera realizada en el programa "Una hora en libertad" de Radio Inter el 10-10-2015, con motivo de la publicación de los libros "Ayn Rand y Leo Strauss. El capitalismo, sus tiranos y sus dioses" y "Crónicas del austericidio"

Pour commander le livre/To order the book: http://editorialeas.com/shop/

mardi, 03 novembre 2015

Oskar Freysinger: Contre l'Homme nouveau

Vidéo-entretien: Oskar Freysinger Contre l'Homme nouveau

Source: http://www.bvoltaire.fr 

dimanche, 01 novembre 2015

Crise syrienne, paysage intellectuel français et «Grand Remplacement»

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Crise syrienne, paysage intellectuel français et «Grand Remplacement»

Entretien avec Robert Steuckers

Propos recueillis par Adriano Scianca pour « Primato nazionale »

1.     Que pensez-vous de la manière dont l'Europe a géré la crise de l'immigration suite à la crise syrienne?

L’Europe est inexistante en tant que puissance politique qui compte dans la région hautement stratégique qu’est le Levant. Elle n’a su ni impulser une politique de stabilité qui aurait joué dans son intérêt le plus légitime ni faire face aux catastrophes que l’intervention des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région ont entraînées. Parmi ces catastrophes, la plus visible aujourd’hui en Europe, de la Grèce à l’Allemagne en passant par tous les pays des Balkans, est bien sûr cet afflux massif de réfugiés que les Etats européens ne sont pas capables d’intégrer à l’heure d’un certain ressac de l’économie européenne, perceptible même en Allemagne. L’intérêt de l’Europe aurait été de maintenir la stabilité au Levant et en Irak. C’était le point de vue du fameux « Axe Paris-Berlin-Moscou » qui s’était insurgé contre l’intervention de Bush en Irak en 2003. Les Etats-Unis, qui ne sont pas une puissance romaine au sens classique du terme et au sens où l’entendait Carl Schmitt, ne font donc pas comme Rome, ils n’apportent ni « pax romana » ni « pax americana » mais génèrent le chaos, auquel les populations essaient tout naturellement d’échapper, au bout d’une douzaine d’années voire d’un quart de siècle si l’on tient compte de la première intervention en Irak en 1990. Ces pays, jadis structurés selon les principes de l’idéologie baathiste (personnaliste, transconfessionnelle et étatiste), avaient le mérite de la stabilité et faisaient l’admiration d’un grand diplomate néerlandais, Nikolaos Van Dam, docteur en langue et civilisation arabes, qui a consacré un ouvrage en anglais à la Syrie baathiste qui mériterait bien d’être traduit en toutes les grandes langues d’Europe. Cette stabilité, maintenue parfois avec rudesse et sévérité, a été brisée : on a cassé la forme d’Etat qui finissait vaille que vaille par s’imposer dans une région, soulignait aussi Van Dam, marquée par le tribalisme et allergique à cette forme étatique et européenne de gestion des « res publicae ». L’Europe a fait du « suivisme », selon la formule d’un observateur flamand des relations internationales, le Prof. Rik Coolsaet. Elle a benoîtement acquiescé aux menées dangereuses et sciemment destructrices de Washington, puissance étrangère à l’espace européen et à l’espace du Levant et de la Méditerranée orientale. Elle paie donc aujourd’hui les pots cassés car elle est la voisine immédiate des régions où l’hegemon-ennemi a semé le chaos. Celui-ci cherche à éviter ce que j’appellerais la « perspective Marco Polo », la cohésion en marche des puissances d’Eurasie (Europe, Russie, Inde, Chine), par le truchement des télécommunications, des nouvelles voies maritimes et ferroviaires en construction ou en projet, du commerce, etc. Par voie de conséquence, l’hegemon hostile doit mener plusieurs actions destructrices, « chaotogènes » dans les régions les plus sensibles que les géopolitologues nomment les « gateway regions », soit les régions qui sont des « passages stratégiques » incontournables, permettant, s’ils sont dominés, de dynamiser de vastes espaces ou, s’ils sont neutralisés par des forces belligènes, par un chaos fabriqué, de juguler ces mêmes dynamismes potentiels. La Syrie et le Nord de l’Irak sont une de ces « gateway regions » et l’étaient déjà au moyen-âge car ce Levant, avec sa projection vers l’hinterland mésopotamien, donnait accès à l’une des routes de la soie, menant, via Bagdad, à l’Inde et la Chine. L’Ukraine est une autre de ces « gateway regions ». L’abcès de fixation du Donbass est un verrou sur la route du nord, celle empruntée, avant la première croisade d’Urbain II, par les Coumans turcs, tandis que leurs cousins seldjouks occupaient justement les points-clefs du Levant, dont on reparle aujourd’hui : cette tenaille turque, païenne au nord et musulmane au sud, barrait la route de la soie, la voie vers l’Inde et la Chine, enclavait l’Europe à l’Est et risquait de la provincialiser définitivement.

Par ailleurs, dans un avenir très proche, d’autres zones de turbulences pourront éclore autour de l’Afghanistan, non pacifié, dans le Sinkiang chinois, base de départ d’une récente vague d’attentats terroristes en Chine, en Transnistrie/Moldavie ou ailleurs. L’Europe, dans cette perspective, doit être cernée par des zones de turbulence ingérables, afin qu’elle ne puisse plus se projeter ni vers l’Afrique ni vers le Levant ni vers l’Asie centrale au-delà de l’Ukraine. L’Europe a la mémoire courte et ses établissements d’enseignement ne se souviennent plus ni de Carl Schmitt (surtout le théoricien du « grand espace » et le critique des faux traités pacifistes dictés par les Américains) ni surtout du géopolitologue Robert Strausz-Hupé (1903-2002) qui, pour le compte de Roosevelt et de Truman, percevait très clairement les atouts de la puissance européenne (allemande à son époque), que toute politique américaine se devait de détruire. Ces atouts étaient, entre bien d’autres choses, l’excellence des systèmes universitaires européens, la cohésion sociale due à l’homogénéité des populations et la qualité des produits industriels. Le système universitaire a été détruit par les nouvelles pédagogies aberrantes depuis les années 60 et par ce que Philippe Muray appelait en France l’idéologie « festiviste » ; l’homogénéité des populations est sapée par des politiques migratoires désordonnées et irréfléchies, dont l’afflux massif de ces dernières semaines constitue l’apothéose, une apothéose qui détruira les systèmes sociaux exemplaires de notre Europe, qui seront bientôt incapables de s’auto-financer. Les Européens seront dès lors dans l’impossibilité de consacrer des budgets (d’ailleurs déjà insuffisants ou inexistants) à l’insertion de telles quantités de nouveaux venus. L’Europe s’effondre, perd l’atout de son excellent système social et ne peut plus distraire des fonds pour une défense continentale efficace ou pour la « recherche & développement » en technologies de pointe. Avec le scandale Volkswagen, qui verra le marché américain lui échapper, un coup fatal est porté à l’industrie lourde européenne. La boucle est bouclée.

2.     Partout en Europe des mouvements hostiles à l'immigration ont beaucoup de succès. Dans bon nombre de ces cas, cependant, ces partis n'ont pas très clairement compris qu’attaquer l'immigration sans se battre contre la vision du monde libérale et les mécanismes du capitalisme est une bataille qui ne touche pas les racines du Système. Que pensez-vous?

Votre question pointe du doigt le problème le plus grave qui soit : effectivement, les succès récents de partis ou mouvements hostiles à cette nouvelle vague migratoire, considérée comme ingérable, sont dus à un facteur bien évident : les masses devinent inconsciemment que les acquis sociaux des combats socialistes, démocrates-chrétiens, nationalistes, communistes et autres, menés depuis la fin du 19ème siècle, vont être balayés et détruits. Le paradoxe que nous avons sous les yeux est le suivant : depuis 1979 (année de l’accession au pouvoir de Thatcher en Grande-Bretagne), la vogue contestatrice de l’Etat keynésien, jugé trop rigide et mal géré par les socialistes « bonzifiés » (Roberto Michels), a été la vogue néolibérale, mêlant, en un cocktail particulièrement pernicieux, divers linéaments de l’idéologie libérale anti-étatique et anti-politique. Une recomposition mentale erronée s’est opérée : elle a injecté dans toutes les contestations des déviances et errements politiques régimistes une dose de néolibéralisme, dorénavant difficilement éradicable. Quand ces partis et mouvements anti-immigration acquièrent quelque pouvoir, même à des niveaux assez modestes, ils s’empressent de réaliser une partie du vaste programme déconstructiviste des écoles néolibérales, préparant de la sorte l’avènement d’horreurs comme le Traité transatlantique qui effacera toute trace des Etats nationaux et tout résidu d’identité populaire et nationale. On combat l’immigration parce qu’on l’accuse de porter atteinte à l’identité mais on pratique des politiques néolibérales qui vont bientôt tuer définitivement toute forme d’identité. Le combat contre le néolibéralisme et ses effets délétères doit être un combat socialiste et syndicaliste musclé (retour à Sorel et Corridoni), pétri, non plus des idées édulcorées et dévoyées des pseudo-socialistes actuels, mais des théories économiques dites « hétérodoxes », dérivées de Friedrich List, des écoles historiques allemandes et de l’institutionnalisme américain (Thorstein Veblen). Parce que ces écoles hétérodoxes ne sont pas universalistes mais tiennent compte des contextes religieux, nationaux, civilisationnels, culturels, etc. Elles ne théorisent pas un homme, un producteur ou un consommateur abstrait mais un citoyen ancré dans une réalité léguée par l’histoire. Etre en rébellion contre le système, négateur des réalités concrètes, postule d’être un hétérodoxe économique, qui veut les sauver, les réhabiliter, les respecter.

3.     Que pensez-vous des positions actuelles, plus ou moins «identitaires» des intellectuels comme Zemmour, Onfray, Houellebecq, Finkielkraut, Debray?

Tous les hommes que vous citez ici sont bien différents les uns des autres : seuls les praticiens sourcilleux de la médiacratie contrôlante et du « politiquement correct » amalgament ces penseurs en une sorte de nouvel « axe du mal » au sein du « paysage intellectuel français » (PIF). Zemmour dresse un bilan intéressant de la déconstruction de la France au cours des quatre dernières décennies, déconstruction qui est un démantèlement progressif de l’Etat gaullien. En ce sens, Zemmour n’est pas un « libéral » mais une sorte de personnaliste gaullien qui estime qu’aucune société ne peut bien fonctionner sans une épine dorsale politique.

 

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Onfray a toujours été pour moi un philosophe plaisant à lire, au ton badin, qui esquissait de manière bien agréable ce qu’était la « raison gourmande », par exemple, et insistait sur l’homme comme être de goût et non pas seulement être pensant à la façon de Descartes. Onfray esquissait une histoire alternative de la philosophie en ressuscitant des filons qu’une pensée française trop rationaliste avait refoulés ou qui ne cadraient plus avec la bien-pensance totalitaire inaugurée par Bernard-Henry Lévy à la fin des années 70, période où émerge le « politiquement correct » à la française. Plus récemment, Onfray a sorti un ouvrage toujours aussi agréable à lire, intitulé « Cosmos », où il apparaît bien pour ce qu’il est, soit un anarchiste cosmique, doublé d’un nietzschéen libertaire, d’un avatar actuel des « Frères du Libre Esprit ». Certaines de ses options le rapprochent des prémisses organicistes, dionysiaques et nietzschéennes de la fameuse « révolution conservatrice » allemande, du moins dans les aspects non soldatiques qu’elle a revêtus avant la catastrophe de 1914. D’où un certain rapprochement avec la nouvelle droite historique, observable depuis quelques jours seulement.

 

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Houellebecq exprime, mieux que personne en Europe occidentale aujourd’hui, l’effondrement moral de nos populations, leur dé-virilisation sous les coups de butoir d’un féminisme exacerbé et délirant, ce qui explique, notamment, le succès retentissant de son ouvrage Soumission aux Etats-Unis. Houellebecq se déclare affecté lui-même par la maladie de la déchéance, qui, qu’on le veuille ou non, fait l’identité européenne actuelle, radical contraire de ce que furent les fulgurances héroïques et constructives de l’Europe d’antan. L’homo europaeus actuel est un effondré moral, une loque infra-humaine qui cherche quelques petits plaisirs furtifs et éphémères pour compenser le vide effroyable qu’est devenue son existence. Pour retrouver une certaine dignité, notamment face à ce féminisme castrateur, cet homo europaeus pourrait, pense Houellebecq, se soumettre à l’islam, le terme « islam » signifiant d’ailleurs soumission à la volonté de Dieu et aux lois de sa création. Ce passage à la « soumission », c’est-à-dire à l’islam, balaierait le féminisme castrateur et redonnerait quelque lustre aux mâles frustrés, où ceux-ci pourraient reprendre du poil de la bête dans une Oumma planétaire, agrandie de l’Europe.

Le parcours de Finkielkraut est plus étonnant, dans la mesure où il a bel et bien fait partie de ces « nouveaux philosophes » de la place de Paris, en lutte contre un totalitarisme qu’ils jugeaient ubiquitaire et dont ils étaient chargé par la « Providence » ou par « Yahvé » (Lévy !) de traquer les moindres manifestations ou les résurgences les plus ténues. Ce totalitarisme se percevait partout, surtout dans les structures de l’Etat gaullien, subtilement assimilé, surtout chez Bernard-Henri Lévy, à des formes françaises d’une sorte de nazisme omniprésent, omni-compénétrant, toujours prêt à resurgir de manière caricaturale. Ces diabolisations faisaient le jeu du néolibéralisme thatchéro-reaganien et datent d’ailleurs de l’avènement de celui-ci sur les scènes politiques britannique et américaine. Finkielkraut a été emblématique de ces démarches, surtout, rappelons-le, lors de la guerre de l’OTAN contre la Serbie. Finkielkraut avait exhumé des penseurs libéraux serbes du 19ème siècle inspirés par le philosophe différentialiste allemand Herder, pour démontrer de manière boiteuse, en sollicitant les faits de manière pernicieuse et malhonnête, que deux de ces braves philologues serbes, espérant se débarrasser du joug ottoman, étaient en réalité des précurseurs du nazisme (encore !). Ce travail de Finkielkraut était d’autant plus ridicule qu’au même moment, à Vienne, un journaliste très connu, Wolfgang Libal, également israélite mais, lui, spécialiste insigne du « Sud-Est européen », écrivait un ouvrage à grand tirage pour démontrer le caractère éminemment démocratique (national-libéral) des deux philologues, posés comme pionniers de la modernité dans les Balkans !!

9782070415526.jpgAprès son hystérie anti-serbe, Finkielkraut, sans doute parce qu’il prend de l’âge, s’est « bonifié » comme disent les œnologues. Son ouvrage sur la notion d’ingratitude, qui est constitué des réponses à un très long entretien accordé au journal québécois Le Devoir, est intéressant car il y explique que les malheurs de notre époque viennent du fait que l’homme actuel se montre « ingrat » par rapport aux legs du passé. J’ai lu cet entretien avec grand intérêt et beaucoup de plaisir, y retrouvant d’ailleurs une facette de l’antique querelle des anciens et des modernes. Je dois l’avouer même si le Finkielkraut serbophobe m’avait particulièrement horripilé. A partir de cette réflexion sur l’ingratitude, Finkielkraut va, peut-être inconsciemment, sans doute à son corps défendant, adopter les réflexes intellectuels des deux Serbes herdériens qu’il fustigeait avec tant de fureur dans les années 90. Il va découvrir l’« identité » et, par une sorte de tour de passe-passe qui me laisse toujours pantois, défendre une identité française que Lévy avait posée comme une matrice particulièrement répugnante du nazisme !

Debray est un penseur plus profond à mes yeux. Le début de sa carrière dans le paysage intellectuel français date des années 60, où il avait rencontré et accompagné Che Guevara en Bolivie. Cet aspect suscite toutes les nostalgies d’une époque où l’aventure était encore possible. Jean Cau, ancien secrétaire de Sartre (entre 1947 et 1956) qui, ultérieurement,  ne ménagera pas ses sarcasmes à l’encontre des gauches parisiennes, consacrera en 1979 un ouvrage au Che, intitulé Une passion pour Che Guevara ; en résumé, nous avons là l’hommage d’un ancien militant de gauche, passé à « droite » (pour autant que cela veuille dire quelque chose…), qui ne renie pas la dimension véritablement existentielle de l’aventure et de l’engagement pour ses idées, fussent-elles celles qu’il vient explicitement de rejeter. Debray a donc mis, dans une première phase de sa carrière, sa peau au bout de ces idées. Peu ont eu ce courage même si d’aucuns ont cherché plus tard à minimiser son rôle en Bolivie.

51EqyovmguL._SX302_BO1,204,203,200_.jpgDans les années 80, Debray, devenu, plutôt à son corps défendant, faire-valoir du mitterrandisme ascendant, participera à toutes les mascarades de la gauche officielle, en voie de « festivisation » et d’embourgeoisement, où les cocottes et les bobos se piquent d’eudémonisme et se posent en « belles âmes » (on sait ce que Hegel en pensait…). Les actions qu’il mène, je préfère les oublier aujourd’hui, tant elles ont participé des bouffonneries pariso-parisiennes. Mais entre l’épisode du militant guevariste et celle du néo-national-gaulliste d’aujourd’hui, il n’y a pas eu que cette participation à la lèpre républicano-mitterrandiste, il y a eu le passage du Debray militant et idéologue au Debray philosophe et « médiologue » (une science visant à cerner l’impact des « médiations », des images, dont éventuellement celles des médias, sur la formation ou la transformation des mentalités et des aspirations politiques). C’est dans le cadre de ce statut de « médiologue », qui commence en 1993, que Debray va glisser progressivement vers des positions différentes de celles imposées par le ronron médiatique ou le « politiquement correct » des « nouveaux philosophes » (Lévy, etc.) « qui », dit-il, « produisent de l’indignation au rythme de l’actualité ». Debray, comme l’indique alors le titre d’un de ses ouvrages récents, Dégagements, se « dégage » de ses engagements antérieurs, l’espace de la gauche, de sa gauche, ayant été phagocyté par de nouveaux venus qui se disent « occidentaux » et participent à la pratique perverse de la table rase, notamment en Amérique latine : leur travail de sape serait entièrement parachevé si des hommes comme Evo Morales, qu’il qualifie positivement d’« indigéniste », ne s’étaient pas dressés contre son vieil ennemi l’impérialisme américain, appuyé par les bourgeoisies compradores.

Enfin, les révolutions socialistes (et communistes) sont d’abord des nationalismes, écrit-il en 2010 : en dépit de l’omniprésence du Front National dans la vie politique de l’Hexagone, Debray ne craint plus le mot, à l’heure où les nouvelles gauches « néo-philosophiques » perdent et ruinent tout sens historique et basculent dans la moraline répétitive et incantatoire, dans le compassionnel et l’indignation programmée. Debray se déclare aussi « vieux jeu » : ce n’est pas le reproche que je lui ferai ; cependant, l’abus, dans ses œuvres polémiques récentes, est d’utiliser trop abondamment le vocable (également incantatoire) de « République » qui, pour tout observateur non parisien, est un véhicule d’éléments délétères de modernité donc d’ignorance du véritable tissu historique et populaire. De même, sa vision de l’« Etat » est trop marquée par l’idéologie jacobine, figée au fil des décennies depuis le début du 19ème siècle. Ceci dit, ses remarques et ses critiques (à l’adresse de son ancien camp) permettent de réamorcer un combat, non pas pour rétablir la « République » à la française avec son cortège de figements et d’archaïsmes ou un Etat trop rigide, mais pour restaurer ce que Julien Freund, à la suite de Carl Schmitt, nommait « le politique ». Combat qui pourrait d’ailleurs partir des remarques excellentes de Debray sur la « représentation », sur le « decorum », nécessaire à toute machine politique qui se respecte et force le respect : Carl Schmitt insistait, lui aussi, sur les splendeurs et les fastes du catholicisme, à reproduire dans tout Etat, sur la visibilité du pouvoir, antidote aux « potestates indirectae », aux pouvoirs occultes qui produisent les oligarchies dénoncées par Roberto Michels, celles qui se mettent sciemment en marge, se dérobent en des coulisses cachées, pour se soustraire au regard du peuple ou même de leurs propres militants. Schmitt hier, Debray aujourd’hui, veulent restaurer la parfaite visibilité du pouvoir : nous trouvons là une thématique métapolitique offensive qu’il serait bon, pour tous, d’articuler en nouveaux instruments de combat. Debray est sans nul doute une sorte d’enfant prodigue, qui a erré en des lieux de perdition pour revenir dans un espace à l’air rare et vif. L’histoire des idées se souviendra de son itinéraire : nous jetterons dès lors un œil narquois sur les agitations qu’il a commises dans les années 80 dans les allées du pouvoir mitterrandien et vouerons une admiration pour l’itinéraire du « médiologue » qui nous aura fourni des arguments pour opérer une critique de la dictature médiatique et pour rendre au pouvoir sa visibilité, partageable entre tous les citoyens et donc véritablement « démocratique » ou plutôt réellement populiste. Derrière cela, les quelques « franzouseries » statolâtriques et « républicagnanates », qu’il traine encore à ses basques, seront à mettre au rayon du folklore, là où il rangeait lui-même le vieux et caduc « clivage gauche/droite », dans quelques phrases bien ciselées de Dégagements.

4.     Êtes-vous d'accord avec la thèse du Grand Remplacement?

Camus—Identitaires.jpgJe ne considère pas la notion de « Grand Remplacement » comme une thèse mais comme un terme-choc impulsant une réflexion antagoniste par rapport au fatras dominant, comme une figure de rhétorique, destinée à dénoncer la situation actuelle où le compassionnel, introduit dans les pratiques politiques par les nouveaux philosophes, évacue toute éthique de la responsabilité. Vous avez vous-même, en langue italienne, défini et explicité la notion de « Grand Remplacement » (http://www.ilprimatonazionale.it/cultura/grande-sostituzione-32682/ ). Vous l’avez fait avec brio. Et démontré que Marine Le Pen comme Matteo Salvini l’avaient incluse dans le langage politico-polémique qui anime les marges dites « droitières » ou « populistes » des spectres politiques européens d’aujourd’hui. Renaud Camus, père du concept, a le sens des formules, du discours (selon une bonne tradition française remontant au moins à Bossuet). Il est aussi le créateur de deux autres notions qui mériteraient de connaître la même bonne fortune : la notion de « nocence », contraire de l’« in-nocence », puis la notion de « dé-civilisation ». Renaud Camus se pose comme « in-nocent », comme un être qui ne cherche pas à nuire (« nocere » en latin). Les régimes politiques en place, eux, cherchent toujours à nuire à leurs citoyens ou sujets, qu’il haïssent au point de vouloir justement les remplacer par des êtres humains perdus, venus de partout et de nulle part, attirés par les promesses fallacieuses d’un paradis économique, où l’on touche des subsides sans avoir à fournir des efforts ni à respecter des devoirs sociaux ou citoyens. Les établis forment donc le parti de la « nocence », de la nuisance, auquel il faut opposer l’idéal, peut-être un peu irénique, de l’« in-nocence », sorte d’ascèse qui me rappelle tout à la fois le bouddhisme de Schopenhauer, le quiétisme de Gustav Landauer, but de son idéal révolutionnaire à Munich en 1919, et l’économie empathique de Serge-Christophe Kolm, inspiré par les pratiques bouddhistes (efficaces) qu’il a observées en Asie du Sud-est (cf. notre dossier : http://www.archiveseroe.eu/kolm-a118861530 ). Si la « nocence » triomphe et s’établit sur la longue durée, la civilisation, après la culture et l’éducation, s’effiloche, se détricote et disparait. C’est l’ère de la « dé-civilisation », du « refus névrotique de l’héritage ancestral », commente l’écrivain belge Christopher Gérard. Ce pessimisme n’est pas une idée neuve mais, à notre époque, elle constitue un retour du réalisme, après une parenthèse trop longue de rejet systématique et pathologique de nos héritages.

arton70.jpgJe mettrais en parallèle la double idée de Renaud Camus d’une « dé-culturation » et d’une « dé-civilisation » avec l’idée de « dissociété », forgée par le philosophe Marcel De Corte au début des années 50. Pour De Corte, monarchiste belge et catholique thomiste, l’imposition des élucubrations libérales de la révolution française aux peuples d’Europe a conduit à la dislocation du tissu social, si bien que nous n’avons plus affaire à une « société » harmonieuse, au sens traditionnel du terme comme l’entendait Louis de Bonald, mais à une « dissociété ». L’idée, en dépit de son origine très conservatrice, est reprise aujourd’hui par quelques théoriciens d’une gauche non-conformiste, dont le Prof. Jacques Généreux qui constate amèrement que les pathologies de la dissociété moderne sont une « maladie sociale dégénérative qui altère les consciences en leur inculquant une culture fausse ». Généreux, socialiste au départ et rêvant à l’avènement d’un nouveau socialisme capable de gommer définitivement les affres de la « dissociété », quitte, déçu, le PS français en 2008 pour aller militer au « Parti de Gauche » et pour figurer sur la liste « Front de Gauche pour changer l’Europe », candidate aux élections européennes de 2009. En mars 2013, les idées, pourtant pertinentes, de Généreux ne séduisent plus ses compagnons de route et ses co-listiers : il n’est pas réélu au Bureau politique ! Preuve que la pertinence ne peut aller se nicher et prospérer au sein des gauches françaises non socialistes, bornées dans leurs analyses, sclérosées dans des marottes jacobines et résistancialistes qui ne sont qu’anachronismes ou tourneboulées par les délires immigrationnistes dont l’irréalisme foncier est plus virulent et plus maladivement agressif en France qu’ailleurs en Europe.

Ceci dit, l’idée de « Grand Remplacement » est à mes yeux un des avatars actuels d’un ouvrage écrit en 1973, le fameux récit Le Camp des Saints de Jean Raspail, où l’Europe est envahie par des millions d’hères faméliques cherchant à s’y installer. Les grandes banlieues des principales villes de France étaient déjà occupées par d’autres populations, complètement coupées des Français de souche. Dorénavant on voit la bigarrure ethnique émerger, à forte ou à moyenne dose, dans de petites villes comme Etampes, Vierzon ou Orléans, où elle semble effectivement « remplacer » les départs antérieurs, ceux de l’exode rural, ceux du départ vers les grandes mégapoles où dominent les emplois du secteur tertiaire. La France donne l’impression de juxtaposer sur son territoire deux ou plusieurs sociétés (ou dissociétés) parallèles, étanches les unes par rapport aux autres. Personne n’est satisfait ; d’abord les « remplacés », bien évidemment, dont les modes de vie et surtout les habitudes alimentaires sont dénigrées et jugées « impures » (ce qui fâche tout particulièrement les Français, très fiers de leurs traditions gastronomiques) mais aussi les « remplaçants » qui ne peuvent pas reproduire leur mode de vie et manifestent dès lors un mal de vivre destructeur. Le plan satanique du libéralisme se réalise dans cette bigarrure : la société est disloquée, livrée à la « cash flow mentality », déjà décriée par Thomas Carlyle au début du 19ème siècle. Le néolibéralisme, amplification monstrueuse de cette « mentality », étendue à la planète entière, ne peut survivre que dans des sociétés brisées, de même que les « économies diasporiques » ou les réseaux mafieux, pourfendus par les gauches intellectuelles non conformistes mais non combattus sur le terrain, dans le concret de la dissociété réellement existante.

5.     Dans le parlement italien, on est en train de changer les lois sur la citoyenneté, en introduisant le principe de la citoyenneté par le lieu de naissance (jus soli) à la place de celui fondé sur la nationalité des parents (jus sanguinis). Selon vous quelles conséquences cela aura sur le tissu social de notre pays?

Le débat opposant le jus sanguinis au jus soli est ancien. Il remonte à l’époque napoléonienne. Napoléon voulait accorder automatiquement la nationalité française à toute personne vivant en France et ayant bénéficié d’une éducation (scolaire) française. Le but était aussi de recruter des soldats pour les campagnes militaires qu’il menait partout en Europe. Les rédacteurs du Code civil optent toutefois pour le jus sanguinis. Ces dispositions seront modifiées en 1889, vu l’afflux massif d’immigrés dans la France du 19ème siècle, essentiellement belges et italiens, dans une moindre mesure allemands et espagnols. Même visée que celle de Napoléon : la France de souche connait un ressac démographique, encore léger toutefois, face à une Allemagne qui, elle, connaît un véritablement boom démographique, en dépit des émigrations massives vers les Etats-Unis (plus de 50 millions de citoyens américains sont aujourd’hui d’origine allemande). Il faut à cette France angoissée devant son voisin de l’Est une masse impressionnante de soldats. De même, il faut envoyer des troupes dans un Outre-Mer souvent en révolte où les effectifs de la « Légion étrangère » ne suffisent pas. Dans Paris, sur les monuments aux morts de la première guerre mondiale, on lit plus de 10% de noms germaniques, allemands, suisses ou flamands, quelques noms italiens (ou corses ?), ce qui ne mentionne rien sur les immigrés romans de Suisse ou de Wallonie, parfois de Catalogne, dont les patronymes sont gallo-romans, comme ceux des Français de souche. La France s’est voulue multiethnique dès la fin du 19ème siècle, forçant parfois les immigrés européens, notamment en Afrique du Nord, à acquérir la nationalité française. Tant que cet apport volontaire ou forcé était le fait de peuples immédiatement périphériques, l’intégration et la fusion s’opéraient aisément. Après l’horrible saignée de 1914-18, quand les villages de la France profonde sont exsangues, une immigration plus exotique prend le relais de celle des peuples voisins. La départementalisation de l’Algérie et l’entrée, d’abord timide, de travailleurs algériens, puis subsahariens, colore la nouvelle immigration. Rien à signaler dans un premier temps. Ou rien que des broutilles. A partir du moment où certaines banlieues deviennent à 90% exotiques, le projet d’intégration et d’assimilation cafouille : pourquoi s’intégrer puisque l’environnement de l’immigré n’est en rien « Français de souche » ? Il lui est désormais possible de vivre en complète autarcie par rapport à la population d’origine. La société devient « composite » comme le déplorent les théoriciens indiens du RSS et du BJP qui estiment aussi que de telles sociétés n’ont pas d’avenir constructif, sont condamnées au chaos et à l’implosion. Pour les sociétés européennes, l’avenir nous dira si ces prophéties des théoriciens indiens s’avèreront exactes ou fausses. En attendant, l’introduction du jus soli, au détriment de tout jus sanguinis, en Italie comme ailleurs en Europe, est le signe d’un abandon volontaire de toute idée de continuité, d’héritage. Avec les théories du genre (le « gendérisme ») et les pratiques du néolibéralisme   ­-dont la délocalisation et la titrisation soit l’abandon de toute économie patrimoniale et industrielle au profit d’une économie de la spéculation boursière-   ce glissement annonce l’éclosion d’une société nouvelle, éclatée, amnésique, jetant aux orties l’éthique wébérienne de la responsabilité, pour la remplacer par des monstrations indécentes de toutes sortes d’éthiques de la conviction, prononcée sur le mode de l’hystérie « politiquement correcte » et travestie d’oripeaux festivistes et compassionnels. Bref, un Halloween planétaire et permanent.

Forest-Flotzenberg, octobre 2015.

Sur Barrès: entretien avec V. Rambaud

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Vital Rambaud: «Le nationalisme n’est, pour Barrès, qu’une forme d’égotisme élargi à la communauté nationale»

Enseignant de littérature française, Vital Rambaud dirige actuellement le département d’Études françaises de l’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi. Spécialiste de Maurice Barrès dont il a édité les Romans et voyages dans la collection « Bouquins », il prépare actuellement, avec Denis Pernot, une anthologie de la Chronique de la Grande Guerre de Barrès (à paraître chez Garnier).

PHILITT : Y a-t-il rupture ou continuité chez Barrès entre Le Culte du Moi et Le Roman de l’énergie nationale ? Entre son sensualisme égotiste et son nationalisme ?

Vital Rambaud : J’aurais envie de répondre : rupture et continuité. La rupture est évidente dans la forme comme sur le fond. Alors que, dans Sous l’œil des Barbares, le jeune auteur du Culte du Moi s’essayait à une nouvelle forme romanesque, celui des Déracinés revient à un type de roman nettement plus traditionnel. Quant au fond, on se rappelle que le héros d’Un homme libre tournait le dos à sa lorraine natale pour partir à la découverte de l’Italie ou que l’Avertissement de L’Ennemi des lois contenait cette affirmation : « Les morts ! Ils nous empoisonnent. » Nous étions bien loin alors du Barrès chantre de l’enracinement et de la terre et des morts. Mais on pourrait, inversement, faire observer que l’Homme libre interrogeait déjà ses racines lorraines, que Philippe, dans Le Jardin de Bérénice, était déjà soucieux d’écouter l’instinct populaire et que le nationalisme n’est, pour Barrès, qu’une forme d’égotisme élargi à la communauté nationale. En cherchant à se protéger des Barbares, le protagoniste de son premier livre ne manifestait-il pas une préoccupation analogue à celle qui l’animera en écrivant Les Bastions de l’Est ? Même si Le Roman de l’énergie nationale peut se lire comme une sorte d’autocritique dans laquelle l’auteur reconnaît les erreurs et les errements de sa jeunesse, il a lui-même toujours soutenu qu’il n’y avait eu qu’une évolution entre Le Culte du Moi et le reste de son œuvre et que celle-ci était, tout entière, contenue en germe dans Un homme libre.

GC163.jpgPHILITT : On trouve dans Les Déracinés une critique explicite de la morale kantienne. Pouvez-nous dire quels sont les enjeux d’une telle critique ?

Vital Rambaud : Sans négliger le fait qu’il s’agisse d’une philosophie allemande et que Barrès ne manque pas dans son roman de mettre en garde contre les poisons allemands répandus par l’Université, la critique barrésienne du kantisme consiste essentiellement à dénoncer une « morale d’État », – l’auteur de Scènes et doctrines du nationalisme en parle comme de « la doctrine officielle » de l’Université, – qui, en reposant sur une conception de l’homme en général, sombre dans le verbalisme, ne tient aucun compte de la réalité des particularismes et coupe l’individu de ses racines. En s’en prenant à la morale kantienne, c’est le procès de l’universalisme que l’auteur des Déracinés instruit au nom du relativisme.

PHILITT : Le livre met en scène plusieurs jeunes hommes venus de Nancy pour étudier à Paris (Sturel, Rœmerspacher, Mouchefrin, Racadot…). Quelles sont les leçons que nous devons tirer de leurs destins respectifs ?

Vital Rambaud : Barrès s’attache en effet, dans Les Déracinés, à présenter les destins différents de sept jeunes Lorrains dont il a entrepris de raconter l’installation à Paris et les débuts dans la vie. Deux d’entre eux, Racadot et Mouchefrin, deviennent des assassins et le premier finit guillotiné. Deux autres, Renaudin, qui se fraye très vite une place dans le monde du journalisme, et Suret-Lefort, qui entame une brillante carrière politique, sont, pourrait-on dire, récupérés par le système mais au prix du reniement de leurs racines : Suret-Lefort se voit félicité par son ancien professeur, que le romancier présente lui-même comme « un déraciné supérieur », de s’être « affranchi de toute intonation et, plus généralement, de toute particularité lorraine ». Rœmerspacher et Saint-Phlin résistent mieux à leur déracinement : Rœmerspacher grâce à son intelligence et à sa solidité psychologique, Saint-Phlin parce qu’il est, en réalité, toujours resté profondément attaché à la Lorraine et à son domaine familial. Quant à Sturel, il n’a pas encore trouvé sa voie ni retrouvé ses racines mais, malgré des expériences ou des comportements malheureux, il demeure protégé par la discrète influence que continuent d’exercer sur lui son milieu familial et les mœurs provinciales de sa ville natale. Les différents destins mis en scène illustrent donc, à des degrés divers, les dangers du déracinement. Barrès les résume brutalement à propos de Racadot en intitulant le chapitre consacré à son exécution : « Déraciné, décapité ». Comme Le Disciple de Bourget, Les Déracinés font aussi  la critique d’un système scolaire qui, contrairement à ce que croyait Hugo, peut fabriquer des criminels en produisant un « prolétariat de bacheliers » : ce n’est pas un hasard si, parmi les sept protagonistes du roman, ceux qui résistent le mieux à leur déracinement sont ceux qui en ont les moyens non seulement intellectuels et moraux mais aussi matériels. Au-delà de cette critique de l’institution scolaire, c’est le système lui-même que Barrès dénonce, à commencer par le parlementarisme et par l’absence d’unité morale du pays : la France, accuse-t-il, est « dissociée et décérébrée ». Les voies différentes que suivent les destins de ses personnages sont l’illustration de cet éclatement. L’unité du petit groupe qui se constitue de manière illusoire aux Invalides, devant le tombeau de Napoléon, ne dure pas. Malgré le « professeur d’énergie » qu’ils se choisissent dans ce célèbre chapitre et le journal qu’ils décident ensemble de lancer, les sept jeunes Lorrains ne créent pas « l’énergie nationale » que l’écrivain appelle de ses vœux : ils demeurent des énergies individuelles et isolées que rien ne fédère.

PHILITT : Comment se fait-il que Barrès, malgré les critiques qu’il formule à l’encontre d’une certaine idéologie républicaine bien représentée par Bouteiller, demeure attaché à la République comme institution ? La République n’est-elle pas, en ce sens, un facteur de déracinement ?

Vital Rambaud : Ce n’est pas la République, en tant que régime, que Barrès critique. Comme la Révolution qui, pour Clemenceau, était un bloc, l’histoire de France forme, pour lui, un tout. Il est attaché à la France révolutionnaire et impériale tout autant qu’à celle des rois. C’est la raison pour laquelle, malgré l’amitié qui le lie à Maurras, il refuse en 1900 de se rallier au principe monarchique. Bien loin, d’autre part, de voir dans la République elle-même un facteur de déracinement, il se souvient qu’elle fut à l’origine décentralisatrice et considère qu’elle n’est pas, en soi, incompatible avec le régionalisme qu’il prône. Non ce qu’il critique à travers, notamment, Bouteiller, c’est le régime parlementaire ainsi que les Républicains opportunistes et radicaux. Il ne confond pas la République avec ces derniers.

GC164.jpgPHILITT : Dans L’Appel au soldat, Barrès raconte la fulgurante ascension du général Boulanger. Voit-il en lui une figure du réenracinement ?

Vital Rambaud : Comme beaucoup de ses contemporains, Barrès voit, d’abord, en Boulanger le « général Revanche » : celui grâce auquel la France pourrait recouvrer les provinces perdues. Il a cru aussi que Boulanger serait celui autour duquel l’unité nationale pourrait se reconstituer et le pays se régénérer. Mais, si le boulangisme n’a finalement été qu’une « convulsion nationale », c’est, déplore-t-il, parce qu’il a manqué à Boulanger des idées maîtresses et une doctrine. Racontant après-coup dans L’Appel au soldat sa fulgurante ascension mais aussi son échec, qui le fascine tout autant, Barrès ne saurait donc en faire une figure du réenracinement. C’est le personnage de Saint-Phlin, revenu s’installer auprès de sa grand-mère dans leur domaine familial de Lorraine qui incarne ce réenracinement. Il s’efforce d’en démontrer les vertus à Sturel en l’entraînant dans un mémorable voyage à bicyclette le long de la Moselle et en lui racontant sa visite chez Mistral à Maillane. Mais, parce qu’il est précisément trop engagé dans l’aventure boulangiste, Sturel n’est pas encore prêt à ce réenracinement auquel il ne se décidera qu’à la fin de Leurs Figures.

PHILITT : La terre et les morts sont les deux piliers du nationalisme barrésien. Comment ces deux notions s’articulent-elles ?

Vital Rambaud : La terre et les morts sont les deux réalités sur lesquelles Barrès, dans le texte d’une célèbre conférence en 1899, proposait de fonder la conscience française. Influencé par Auguste Comte et Jules Soury, il considère que nous sommes le prolongement de nos ancêtres et que c’est par la « permanence de l’action terrienne » que l’héritage de nos traditions nationales nous est transmis. Nos cimetières mais aussi nos paysages façonnés par l’histoire et, comme il aimait à le répéter, « la motte de terre elle-même qui paraît sans âme [mais] est pleine du passé » permettent d’en avoir une approche sensible et concrète qui parle autant au cœur qu’à la raison.

PHILITT : Dans La Colline inspirée, Barrès décrit la force mystique de Sion-Vaudémont en Lorraine. À ses yeux, l’esprit peut également s’enraciner dans certains lieux. Comment comprendre la communion entre ces deux natures (transcendance et immanence) a priori hétérogènes ?

Vital Rambaud : C’est un mystère que Barrès nous montre « en pleine lumière » quand il raconte l’histoire des frères Baillard sur la « colline inspirée » de Sion-Vaudémont. Mais il ne cherche pas à nous expliquer et ne s’explique pas à lui-même le fait qu’il y ait « des lieux où souffle l’esprit ». C’est un constat qu’il fait : certains endroits de par le monde ont, de tout temps, éveillé des émotions religieuses et, si l’Église ne vient pas y apporter sa discipline, les dragons du paganisme peuvent, comme à Sion-Vaudémont, y ressurgir même en plein XIXe siècle.

vendredi, 30 octobre 2015

Internet est-il la nouvelle frontière du néo-libéralisme ?...

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Internet est-il la nouvelle frontière du néo-libéralisme?...

Entretien avec Evgeny Morozov

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Evgeny Morozov à Rue 89 et cueilli sur le site Les Crises. Chercheur et essayiste, Evgeny Morozov étudie les conséquences sociales et politiques des nouvelles technologie

Morozov : « Internet est la nouvelle frontière du néolibéralisme »

Selon le chercheur et essayiste Evgeny Morozov, la technologie sert le néolibéralisme et la domination des Etats-Unis. « Il faut considérer la Silicon Valley comme un projet politique et l’affronter en tant que tel », dit-il.

Evgeny Morozov s’est imposé en quelques années comme l’un des contempteurs les plus féroces de la Silicon Valley. A travers trois ouvrages – « The Net Delusion » (2011, non traduit en français), « Pour tout résoudre, cliquez ici » (2014, FYP éditions) et « Le Mirage numérique » (qui paraît ces jours-ci aux Prairies ordinaires) –, à travers une multitudes d’articles publiés dans la presse du monde entier et des interventions partout où on l’invite, il se fait le porteur d’une critique radicale envers la technologie en tant qu’elle sert la domination des Etats-Unis.

A 31 ans, originaire de Biélorussie, il apprend toutes les langues, donne l’impression d’avoir tout lu, ne se trouve pas beaucoup d’égal et maîtrise sa communication avec un mélange de charme et de froideur toujours désarmant.

L’écouter est une expérience stimulante car il pense largement et brasse aussi bien des références historiques de la pensée (Marx, Simondon…) que l’actualité la plus récente et la plus locale. On se demande toujours ce qui, dans ses propos, est de l’ordre de la posture, d’un agenda indécelable, ou de la virtuosité d’un esprit qui réfléchit très vite, et « worldwide » (à moins que ce soit tout ça ensemble).

Nous nous sommes retrouvés dans un aérogare de Roissy-Charles-de-Gaulle, il était entre deux avions. Nous avons erré pour trouver une salade niçoise, car il voulait absolument une salade niçoise.

Rue89 : Est-ce qu’on se trompe en ayant l’impression que vous êtes de plus en plus radical dans votre critique de la Silicon Valley ?

Evgeny Morozov : Non. Je suis en effet plus radical qu’au début. Mais parce que j’étais dans une forme de confusion, je doutais de ce qu’il fallait faire et penser. J’ai aujourd’hui dépassé cette confusion en comprenant que la Silicon Valley était au centre de ce qui nous arrive, qu’il fallait comprendre sa logique profonde, mais aussi l’intégrer dans un contexte plus large.

Or, la plupart des critiques ne font pas ce travail. Uber, Apple, Microsoft, Google, sont les conséquences de phénomènes de long terme, ils agissent au cœur de notre culture. Il faut bien comprendre que ces entreprises n’existeraient pas – et leur modèle consistant à valoriser nos données personnelles serait impossible – si toute une série de choses n’avaient pas eu lieu : par exemple, la privatisation des entreprises télécoms ou l’amoncellement de données par d’énormes chaînes de grands magasins.

Cette histoire, il faut la raconter de manière plus politique et plus radicale. Il faut traiter cela comme un ensemble, qui existe dans un certain contexte.

Et ce contexte, c’est, il faut le dire, le néolibéralisme. Internet est la nouvelle frontière du néolibéralisme.

Le travail critique de la Silicon Valley ne suffit pas. Il faut expliquer que le néolibéralisme qu’elle promeut n’est pas désirable. Il faut expliquer que :

  • A : le néolibéralisme est un problème ;
  • B : il y a des alternatives.

Il faut travailler à l’émergence d’une gauche qui se dresse contre ce néolibéralisme qui s’insinue notamment par les technologies.

Le travail que fait Podemos en Espagne est intéressant. Mais voir les plateformes seulement comme un moyen de se passer des anciens médias et de promouvoir un renouvellement démocratique ne suffit pas. Il faut aller plus en profondeur et comprendre comment les technologies agissent sur la politique, et ça, Podemos, comme tous les mouvements de gauche radicale en Europe, ne le fait pas.

Mais vous voyez des endroits où ce travail est fait ?

En Amérique latine, on voit émerger ce type de travail. En Argentine, en Bolivie, en Equateur, on peut en voir des ébauches.

En Equateur par exemple, où la question de la souveraineté est essentielle – notamment parce que l’économie reste très dépendante du dollar américain -,- on l’a vue s’articuler à un mouvement en faveur d’une souveraineté technologique.

Mais on ne voit pas de tels mouvements en Europe. C’est certain.

La Silicon Valley va au-delà de tout ce qu’on avait connu auparavant en termes d’impérialisme économique. La Silicon Valley dépasse largement ce qu’on considérait auparavant comme les paragons du néolibéralisme américain – McDonald’s par exemple – car elle affecte tous les secteurs de notre vie.

C’est pourquoi il faut imaginer un projet politique qui rénove en fond notre conception de la politique et de l’économie, un projet qui intègre la question des infrastructures en garantissant leur indépendance par rapport aux Etats-Unis.

Mais si je suis pessimiste quant à l’avenir de l’Europe, c’est moins à cause de son impensée technologique que de l’absence flagrante d’esprit de rébellion qui l’anime aujourd’hui.

Mais est-ce que votre dénonciation tous azimuts de la Silicon Valley ne surestime pas la place de la technologie dans nos vies ? Il y a bien des lieux de nos vies – et ô combien importants – qui ne sont pas ou peu affectés par la technologie…

Je me permets d’être un peu dramatique car je parle de choses fondamentales comme le travail, l’éducation, la santé, la sécurité, les assurances. Dans tous ces secteurs, des changements majeurs sont en train d’avoir lieu et cela va continuer. La nature humaine, ça n’est pas vraiment mon objet, je m’intéresse plus à ses conditions d’existence.

Et puis je suis obligé de constater que la plupart des changements que j’ai pu annoncés il y a quelques années sont en train d’avoir lieu. Donc je ne pense pas surestimer la force de la Silicon Valley.

D’ailleurs, ce ne sont pas les modes de vie que je critique. Ce qui m’intéresse, ce sont les discours de la Silicon Valley, ce sont les buts qu’elle se donne. Peu importe si, au moment où j’en parle, ce sont seulement 2% de la population qui utilisent un service. Il se peut qu’un jour, ce soient 20% de la population qui l’utilisent. Cette possibilité à elle seule justifie d’en faire la critique.

D’accord, mais en vous intéressant à des discours, ne prenez-vous pas le risque de leur donner trop de crédit ? Dans bien des cas, ce ne sont que des discours.

En effet, on peut toujours se dire que tout ça ne marchera pas. Mais ce n’est pas la bonne manière de faire. Car d’autres y croient.

Regardez par exemple ce qui se passe avec ce qu’on appelle les « smart cities ». Quand vous regardez dans le détail ce qui est vendu aux villes, c’est d’une pauvreté confondante. Le problème, c’est que les villes y croient et paient pour ça. Elles croient à cette idée du logiciel qui va faire que tout fonctionne mieux, et plus rationnellement. Donc si la technologie en elle-même ne marche pas vraiment, le discours, lui, fonctionne à plein. Et ce discours porte un agenda propre.

Il est intéressant de regarder ce qui s’est passé avec la reconnaissance faciale. Il y a presque quinze ans, dans la suite du 11 Septembre, les grandes entreprises sont allées vendre aux Etats le discours de la reconnaissance faciale comme solution à tous leurs problèmes de sécurité. Or, à l’époque, la reconnaissance faciale ne marchait absolument pas. Mais avec tout l’argent des contrats, ces entreprises ont investi dans la recherche, et aujourd’hui, la reconnaissance faciale marche. Et c’est un énorme problème. Il faut prendre en compte le caractère autoréalisateur du discours technologique.

 

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Quelle stratégie adopter ?

Il faut considérer la Silicon Valley comme un projet politique, et l’affronter en tant que tel.

Ça veut donc dire qu’un projet politique concurrent sera forcément un projet technologique aussi ?

Oui, mais il n’existe pas d’alternative à Google qui puisse être fabriquée par Linux. La domination de Google ne provient pas seulement de sa part logicielle, mais aussi d’une infrastructure qui recueille et stocke les données, de capteurs et d’autres machines très matérielles. Une alternative ne peut pas seulement être logicielle, elle doit aussi être hardware.

Donc, à l’exception peut-être de la Chine, aucun Etat ne peut construire cette alternative à Google, ça ne peut être qu’un ensemble de pays.

Mais c’est un défi gigantesque parce qu’il comporte deux aspects :

  • un aspect impérialiste : Facebook, Google, Apple, IBM sont très liés aux intérêts extérieurs des Etats-Unis. En son cœur même, la politique économique américaine dépend aujourd’hui de ces entreprises. Un réflexe d’ordre souverainiste se heurterait frontalement à ces intérêts et serait donc voué à l’échec car il n’existe aucun gouvernement aujourd’hui qui soit prêt à affronter les Etats-Unis ;
  • un aspect philosophico-politique  : on a pris l’habitude de parler de « post-capitalisme » en parlant de l’idéologie de la Silicon Valley, mais on devrait parler de « post-sociale-démocratie ».

Car quand on regarde comment fonctionne Uber – sans embaucher, en n’assumant aucune des fonctions de protection minimale du travailleur –, quand on regarde les processus d’individualisation des assurances de santé – où revient à la charge de l’assuré de contrôler ses paramètres de santé –, on s’aperçoit à quel point le marché est seul juge.

L’Etat non seulement l’accepte, mais se contente de réguler. Est complètement oubliée la solidarité, qui est au fondement de la sociale-démocratie. Qui sait encore que dans le prix que nous payons un taxi, une part – minime certes – sert à subventionner le transport des malvoyants ? Vous imaginez imposer ça à Uber….

Il faut lire le livre d’Alain Supiot, « La Gouvernance par les nombres » (Fayard, 2015), il a tout juste : nous sommes passés d’un capitalisme tempéré par un compromis social-démocrate à un capitalisme sans protection. C’est donc qu’on en a bien fini avec la sociale-démocratie.

Ce qui m’intrigue, si l’on suit votre raisonnement, c’est : comment on a accepté cela ?

Mais parce que la gauche en Europe est dévastée ! Il suffit de regarder comment, avec le feuilleton grec de cet été, les gauches européennes en ont appelé à la Commission européenne, qui n’est pas une grande défenseure des solidarités, pour sauver l’Europe.

Aujourd’hui, la gauche a fait sienne la logique de l’innovation et de la compétition, elle ne parle plus de justice ou d’égalité.

La Commission européenne est aujourd’hui – on le voit dans les négociations de l’accord Tafta – l’avocate d’un marché de la donnée libre, c’est incroyable ! Son unique objectif est de promouvoir la croissance économique. Si la vie privée est un obstacle à la croissance, il faut la faire sauter !

D’accord, mais je repose alors ma question : comment on en est venus à accepter cela ?

Certains l’ont fait avec plaisir, d’autres avec angoisse, la plupart avec confusion.

Car certains à gauche – notamment dans la gauche radicale – ont pu croire que la Silicon Valley était une alliée dans le mesure où ils avaient un ennemi commun en la personne des médias de masse. Il est facile de croire dans cette idée fausse que les technologies promues par la Silicon Valley permettront l’émergence d’un autre discours.

On a accepté cela comme on accepte toujours les idées dominantes, parce qu’on est convaincus. Ça vient parfois de très loin. L’Europe occidentale vit encore avec l’idée que les Américains ont été des libérateurs, qu’ils ont ensuite été ceux qui ont empêché le communisme de conquérir l’Europe. L’installation de la domination idéologique américaine – de McDonald’s à la Silicon Valley – s’est faite sur ce terreau.

Il y a beaucoup de confusion dans cette Histoire. Il faut donc théoriser la technologie dans un cadre géopolitique et économique global.

En Europe, on a tendance à faire une critique psychologique, philosophique (comme on peut le voir en France chez des gens comme Simondon ouStiegler). C’est très bien pour comprendre ce qui se passe dans les consciences. Mais il faut monter d’un niveau et regarder ce qui se passe dans les infrastructures, il faut élargir le point de vue.

Il faut oser répondre simplement à la question : Google, c’est bien ou pas ?

Aux Etats-Unis, on a tendance à répondre à la question sur un plan juridique, en imposant des concepts tels que la neutralité du Net. Mais qu’on s’appuie en Europe sur ce concept est encore un signe de la suprématie américaine car, au fond, la neutralité du Net prend racine dans l’idée de Roosevelt d’un Etat qui n’est là que pour réguler le marché d’un point de vue légal.

Il faut aller plus loin et voir comment nous avons succombé à une intériorisation de l’idéologie libérale jusque dans nos infrastructures technologiques.

Et c’est peut-être en Amérique latine, comme je vous le disais tout à l’heure, qu’on trouve la pensée la plus intéressante. Eux sont des marxistes qui n’ont pas lu Simondon. Ils se donnent la liberté de penser des alternatives.

Pour vous, le marxisme reste donc un cadre de pensée opérant aujourd’hui pour agir contre la Silicon Valley ?

En tant qu’il permet de penser les questions liées au travail ou à la valeur, oui. Ces concepts doivent être utilisés. Mais il ne s’agit pas de faire une transposition mécanique. Tout ce qui concerne les données – et qui est essentiel aujourd’hui – n’est évidemment pas dans Marx. Il faut le trouver ailleurs.

Evgeny Morozov (Rue 89, 4 octobre 2015)

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mercredi, 28 octobre 2015

Entretien avec Edouard Limonov

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«L'EUROPE DOIT AUJOURD'HUI FAIRE FACE À SES CRIMES»
 
Entretien avec Edouard Limonov
Ex: http://metamag.fr

Edouard Limonov est un écrivain et dissident politique, fondateur et chef du Parti national-bolchevique (Nazbol) interdit en Russie. Célèbre pour son charisme et ses prises de position controversées, son ouvrage le plus connu paraît alors qu'il est émigré aux Etats-Unis, puis à Paris. Intitulé « C'est moi, Eddie ou Le poète russe préfère les grands nègres » (1980) et racontant ses mois d'errance et de débauche dans le New-York des années 70, il connaît un immense succès et Limonov est propulsé au sommet de la scène littéraire française durant plusieurs années. Il reste encore aujourd'hui un personnage médiatique adulé par certains, haï par d'autres. L'ouvrage de l'écrivain français Emmanuel Carrère qui retrace sa vie a obtenu le prix Renaudot.Edouard Limonov a été écrivain, voyou, poète, ouvrier d'usine, émigré, sans-abri, domestique, dissident politique... D'un tempérament volontairement provocateur, il a récemment défrayé la chronique en critiquant violemment la politique européenne qui, selon lui, a provoqué la crise migratoire qui entraînera, à terme, la mort de l'Europe. Pour RT France, il a accepté de revenir sur ce point de vue et nous livre une interview sans équivoque.


RT France : D'un côté, l'Europe se sent obligée d'accueillir les réfugiés, par solidarité, par devoir d'humanité. D'un autre côté, elle craint pour ses frontières et son patrimoine culturel et religieux. Que pensez-vous des effets de la crise migratoire sur l'Europe ?

 Edouard Limonov (E.L) : Vous savez, l'Europe et les Etats-Unis on créé eux-mêmes cette situation de toutes pièces. Ils ont totalement détruit la Libye avec leur intervention en 2011. l'Irak, les Etats-Unis l'ont carrément détruit deux fois ! Regardez aujourd'hui l'Irak, regardez la Syrie. C'est de votre faute messieurs les européens ! Aujourd'hui il faut faire face à votre crime. On récolte ce que l'on sème. L'Europe et les Etats-Unis ont détruit ces pays et aujourd'hui, des réfugiés fuient ces pays par milliers pour gagner l'Europe. Qu'attendiez-vous en échange ? Cette situation était inévitable. D'un autre côté, nous sommes désormais à l'aube de changements démographiques grandioses. Et vis-à-vis de cela, je considère que l'Europe a entièrement le droit de se défendre. 

Une grande majorité de réfugiés veulent se rendre en Allemagne... 

E.L : Evidemment ! L'Allemagne est une cible de choix pour eux. C'est le pays le plus riche, le plus prospère d'Europe. Il est donc évident que c'est en Allemagne que les réfugiés veulent se rendre. Bien que cette richesse, dont je vous parle, est à mon avis seulement présumée car la crise n'a épargné aucun pays et l'Allemagne d'aujourd'hui, ce n'est plus l'Allemagne des années 80-90. Et cette Allemagne subit aujourd'hui une sorte d'invasion barbare, de peuples qui ont d'elle une vision totalement fantasmée. J'ai peur qu'à terme, on risque de voir apparaître une résurgence des idées nazies à cause de cette invasion incontrôlée.  

limonovol12.jpgL'Allemagne semble pourtant accueillir les réfugiés chaleureusement... 

E.L : Oui. Cela vient d'un sentiment de culpabilité vis-à-vis du nazisme. Pour ma part j'attends depuis longtemps que l'Allemagne se relève et arrête de se cantonner à sa politique victimaire, de se flageller pour son passé. Le tribu qu'on lui fait payer commence à être beaucoup trop lourd. L'Allemagne finira par se révolter de cette situation. C'est également le cas pour le Japon à qui on fait payer depuis bien trop longtemps sa prise de position dans la Seconde Guerre Mondiale.


De nombreux pays européens et notamment certains maires français, on affirmé qu'ils ne sont prêts à accueillir que des chrétiens... 

E.L : Selon moi, c'est une exigence tout à fait raisonnable. Aujourd'hui, les médias nous montrent un Islam aggressif, représenté par Daesh. Alors les gens ont peur, ils préfèrent se tourner vers des populations dont ils savent qu'elles partagent la même religion, les mêmes valeurs.

 
Vous aussi avez vécu l'exil et la situation de réfugié dans les années 70-80, aux Etats-Unis et en Europe... 

E.L : J'ai vécu une toute autre situation. Ce n'est pas comparable. Réfugiés, nous l'étions, certes, mais nous n'étions que quelques centaines. Nous aussi nous avons fuit, mais nous faisions partie de l'Intelligentsia, nous étions des artistes, des poètes, des peintres, des écrivains. Comment peut-on comparer cela à la vague migratoire à laquelle fait face aujourd'hui l'Europe ? Ces gens fuient la terreur, la mort, ils fuient pour sauver leurs vies. Beaucoup d'entre eux n'ont pas le choix. Et l'Europe en paye les conséquences.

Comment évaluez vous cette situation de Russie, où vous vous trouvez ? 

E.L : La Russie aussi a accueilli plus de 600 000 réfugiés vous savez. Seulement, voyez-vous, ceux-là sont ukrainiens. Ils parlent la même langue que nous, ils partagent notre culture. Ils ne sont absolument pas une menace pour la Russie. Je peux vous dire qu'on est bien mieux lotis que vous de ce côté là. Enfin... pour le moment.


*Source 

mardi, 27 octobre 2015

Réponses de Julien Rochedy au questionnaire de la Nietzsche académie

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Réponses de Julien Rochedy au questionnaire de la Nietzsche académie
 
Ex: http://nietzscheacademie.over-blog.com 

Julien Rochedy est l'auteur d’un essai d’inspiration nietzschéenne Le Marteau sous-titré Déclaration de guerre à notre décadence, auteur d’un mémoire universitaire sur Nietzsche et l’Europe et ancien directeur national du FNJ.

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Julien Rochedy - Une importance fondamentale puisque je pense véritablement, sans pathos, qu'il a changé ma vie. Sa lecture, précoce, a fait office d'un baptême, d'une sorte de renaissance. Je l'ai lu si tôt (entre 14 et 17 ans) qu'on ne peut pas dire qu'il s'agissait de lecture à proprement parler, avec le recul et la distance que cela suppose. Je l'ai littéralement ingurgité, je l'ai fait mien, sans aucune interface entre ses livres et le jeune « moi » qui était en pleine formation. Dès lors, quoique je lise, quoique j'entende, quoique je voie ou quoique j'ai envie de faire, je ne peux l'appréhender qu'avec le regard nietzschéen qui me fut greffé si jeune.

N.A. - Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

julien_rochedy_carre_sipa.jpgJ.R. - Je tiens Nietzsche pour une paire de lunettes. Il est, pour moi, avant tout une façon de regarder le monde. Une grille de lecture. Un filtre d'exactitude et, surtout, de sincérité. C'est s’entraîner à percevoir ce qui se mue et s'agite autour de soi en se débarrassant des grilles de lectures morales (le bien et le mal) ou idéalistes (au sens de la primauté de l'Idée). C'est donc regarder les choses et les hommes par delà bien et mal, par le prisme des valeurs aristocratiques ou des esclaves (le sain et le malade, le bon et le mauvais), en s'attardant plutôt sur la psychologie, et en fin de compte, la physiologie (l'importance du corps comme heuristique de l'esprit) pour comprendre les idées d'un homme, au lieu de se mentir sur la capacité « raisonnante » et abstraite des humains. Et c'est aussi sentir profondément ce qui appartient au nihilisme, au déclin, au mensonge vénéneux, à la maladie et à la mort, plutôt qu'à la vie, à la grande vie et l'immense « oui » qui va avec.

Je vous parlai de sincérité à propos de ce que nous oblige Nietzsche. Avec lui, après lui, on ne peut plus se mentir à soi-même. S'il m'arrive par exemple d'avoir une idée pour m'économiser, même si mon cerveau se met à fonctionner, comme de mise chez tous les hommes, pour me trouver une justification, morale ou raisonnable (toute « idée » est une justification de soi), je sais qu'en réalité cette idée ne fait que découler de ma faiblesse. Tout le reste est prétexte.

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

J.R. - Je ne recommanderai pas un livre en particulier, même si « Par delà bien et Mal » et, bien sûr, « Zarathoustra », surnagent. Je recommanderai plutôt une succession de livres pour celui qui voudrait se lancer dans Nietzsche. D'abord Généalogie de la morale, qui suscite directement un immense doute sur ce que l'on croyait établi sur la nature du bien et du mal. Puis Par delà bien et mal, pour approfondir. Ensuite Zarathoustra, l'apothéose poétique de sa philosophie. Après, l'ordre compte moins. Je conseillerai toutefois particulièrement les œuvres de Nietzsche de l'après Zarathoustra, c'est à dire à partir de 1883, car j'ai toujours pensé qu'il y avait un Nietzsche, à la fois en tant qu'auteur (le style) et philosophe (la puissance), avant son Zarathoustra et après son Zarathoustra. L'auteur du Gai Savoir est encore un peu académique. Celui de Crépuscule des Idoles est pur génie.

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

J.R. - Tout dépend bien sûr de ce que l'on entend par droite et gauche. Ces concepts peuvent signifier tellement de choses différentes selon les personnes qu'il est difficile d'enfermer Nietzsche dans des espaces si vagues. Toutefois, en me permettant de les prendre d'un point de vue philosophique, si toutefois ce point de vue peut exister, je dirais bien entendu que Nietzsche est de droite. L'importance qu'il donne à l'inégalité, aux valeurs aristocratiques, au goût raffiné, à la sélection et à la force, ainsi que son mépris souverain pour la populace, les valeurs égalitaires, la féminisation, la démocratie, le matérialisme grossier, etc, font que Nietzsche ne peut évidemment pas être reconnu comme un auteur de gauche.

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

J.R. - Je pourrai vous faire une liste non exhaustive, de Drieu à Jünger en passant par London, mais ça n'aurait pas vraiment de sens, dans la mesure où ces auteurs peuvent être nietzschéens pour différentes raisons, et que des auteurs, nés avant Nietzsche, pourraient être considérés comme nietzschéens. Les grecs par exemple, Héraclite, Alcibiade, Périclès, sont des nietzschéens avant l'heure. Encore une fois, Nietzsche est une façon de voir le monde, et cette façon fut partagée mille fois dans l'Histoire, la plupart du temps par les hommes les plus grands, les plus intelligents et les plus honnêtes avec eux mêmes.

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?

J.R. - Avec une lecture simple, mais tout de même pas trop mal, je pourrais vous répondre : c'est le kalos kagathos des Grecs, l’homme idéal, celui qui a la vie la plus remplie et dont la santé débordante s'enrichit de toujours plus de passions et d’aventures, de pensées, de force et de beauté. Mais ce serait bien trop banal. Le surhomme est celui qui accepte le tragique, le destin, et qui l'accepte en riant. C'est le Dieu Thor qui va à la guerre en riant aux éclats dans sa barbe rousse. Le monde n'a manifestement pas de sens, la vie est précaire, je suis imparfait, rien ne vaut rien, mais je cours au charbon quand même. Le pied dansant. Et là, à ce moment là, tout trouve son sens : la vie n'a comme seule justification qu'elle même. C'est le pessimiste actif dont parle Heidegger dans ses écrits sur Nietzsche.

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

J.R. - Je n'en ai pas une en particulier, mais laissez moi vous raconter une anecdote :

Un jour que j'étais dans un bar et que je réfléchissais, avant de l'écrire, à mon livre le Marteau (d'inspiration largement nietzschéenne comme vous l'avez rappelé), je vois un grand gaillard venir s'accouder à côté de moi. Et sur l'un de ses avants bras, je vois tatoué « Amor fati ». J'exulte. Je vois cela comme un signe. Je me mets à délirer en mon for intérieur. Je lui fais signe et lui dit, bêtement, un truc du genre « aux nietzschéens ! » en levant mon verre. Il me répond, interloqué : « quoi ? ». Je lui répète et m’aperçois qu'en réalité il ne connaît pas Nietzsche. Il s'était tatoué ça juste « parce que ça sonnait bien ».

Alors finalement, je vous répondrai « amor fati ». Ça résume tout.

Et en plus ça sonne bien.

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dimanche, 18 octobre 2015

La boursouflure de l’art dit contemporain est d’origine psycho-patho-sociologique

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«La boursouflure de l’art dit contemporain est d’origine psycho-patho-sociologique»...

Entretien avec Nicole Esterolle

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Nicole Esterolle, cueilli sur Le Comptoir et consacré à l'art dit contemporain. Nicole Esterolle a récemment publié un essai intitulé La bouffonnerie de l'art contemporain (Jean-Cyrille Godefroy, 2015).

Après plusieurs années de chroniques féroces témoignant d’une saine pédagogie de l’humour orienté contre l’art contemporain, sa coterie, ses codes et ses inepties, Nicole Esterolle faisait paraitre à la fin du printemps l’essai La Bouffonnerie de l’art contemporain. Nous l’avons donc interrogée, pour compléter ou synthétiser le propos de ce très recommandable essai qui, qu’on en accepte le propos ou qu’on le trouve excessif, a le mérite d’engager au débat sur l’art d’aujourd’hui. Un art qui, en particulier en France, semble ressembler à une institutionnalisation des positions et attitudes qui furent autrefois les audaces des avant-gardes et n’apparaissent aujourd’hui que comme un académisme stérilisant.

Dénoncer l’art contemporain : pourquoi ?

Le Comptoir : Afin d’éviter tout malentendu, commençons par un éclairage. Vous avez exprimé votre intérêt pour de nombreux artistes présents, dont les noms sont cités çà et là dans votre livre et vos chroniques. Quand vous parlez d’art contemporain, de quoi parlez-vous au juste ?

Nicole Esterolle : Il y a des centaines d’artistes d’aujourd’hui – donc contemporains – que je connais, dont j’aime le travail et que je défends sous ma vraie identité. Il m’est arrivé en effet d’en citer quelques-uns dans mes chroniques de Nicole. Ces artistes-là sont ceux de l’intériorité sensible, de la mise en forme, du savoir-peindre et/ou dessiner, du plaisir de l’inattendu, du mystère : tous les ingrédients qui constituent pour moi la vraie substance artistique.

Et puis il y a l’aberration historique des dits “contemporains”, c’est-à-dire ceux qui se sont attribués abusivement ce qualificatif ; ceux pour qui  « les attitudes sont bêtement devenues formes »[i] ; ceux de la posture, de l’extériorité spectaculaire ; ceux de la subversion et du non-sens convenus et subventionnés ; ceux de la « processualité discursive »[ii] ; ceux de la rhétorique de plus en plus délirante ; ceux dont l’énormité du discours pallie le vide intérieur, mais surtout génère de la médiatisation, du buzz, de la visibilité et du pognon au bout de l’embrouille.

Je me fais volontiers l’avocat du Diable, reprenant un propos qui est facilement énoncé : « Si ça ne vous plaît pas, vous n’avez qu’à pas vous en mêler ! Personne ne vous force ! » Si vous ne l’appréciez pas, pourquoi vous opposez-vous alors à l’art contemporain ?

italic-magazine-lart_contemporain_est-il_beau_.jpgDifficile d’ignorer l’occupant. Impossible d’accepter cette métastase imbécile et envahissante qui tue l’art et les artistes et occulte la vraie création actuelle. Cette boursouflure de l’art dit contemporain est d’origine psycho-patho-sociologique et est systémique. Le Diable est d’origine mécanique… et, en l’occurrence, d’une mécanique d’ordre bureaucratique et financier où fonctionnaires, professeurs, critiques d’art et spéculateurs jouent à être plus stupides les uns que les autres pour mieux servir les appareils de pouvoir et d’argent dont ils sont les rouages. Il faut flinguer la crétinerie qui met l’art en danger, mais aussi l’humanité.

Parler de l’art contemporain pour l’encenser ou le dénoncer conduit nécessairement à Marcel Duchamp et au dadaïsme. Leur héritage matriciel est fréquemment la cible des critiques, et l’on a pu lire ces dernières années de très brillants écrits critiques sur Duchamp et son héritage, notamment d’Alain Boton ou de Jean-Pierre Cramoisan. Or, l’art abstrait – Kandinsky, Malevitch, Mondrian en premier lieu – a le premier ouvert la voie à l’arbitraire (de l’artiste et du “critique”) en imposant le discours comme préalable ou partie intégrante de l’œuvre, discours souvent proportionnel à la pauvreté formelle. Dès lors, si l’on veut être cohérent, ne faut-il pas interroger, voire dénoncer aussi l’art abstrait ?

Art abstrait, art figuratif : je ne vois pas pourquoi opposer l’un à l’autre quand l’un comme l’autre peuvent contenir ce qui m’intéresse, c’est-à-dire la qualité sensible, la poésie, une lumière, un mystère. Non, s’en prendre à l’art abstrait serait une grave erreur. Comment ne pas aimer Serge Poliakoff par exemple et tant d’autres ? Mais, il vrai que les Vassily Kandinsky, Kazimir Malevitch, Piet Mondrian sont, pour moi, des “abstraits” sans émotion et qui, à cause de cela, ont été les précurseurs de ce que je déteste : la rupture gratuite, l’intellectualité décérébrée, le manque d’inventivité formelle, la posture, le système, le pathos, le discours d’emballage du vide. Entre une aquarelle de Joan Miró pleine de sincérité, de nécessité intérieure et une de Kandinsky, pur exercice formel sans contenu, il y a une différence fondamentale.

Si l’art abstrait, en soi, n’est pas à l’origine de la calamité “art contemporain”, le surréalisme et le dadaïsme non plus. Car chez les dadaïstes, il y avait d’abord de la mise en forme poétique… et ensuite de la provocation “déconstructive”, qui s’appuyait sur une création préalable. Sauf que Marcel Duchamp s’est glissé parmi eux pour en faire une habile déconstruction et un foutage de gueule systématique, qui a pu ensuite être récupéré par les génies de la comm’ que sont les acteurs de l’art dit contemporain. Je ne pense pas, au contraire d’Alain Boton, qu’il y ait une énigme ou un message caché dans l’ “œuvre” maigrelette de ce vieux dandy farceur gigolo rigolo de Duchamp, ni de signification particulière. Du rien, simplement… mais bien emballé. Une belle mystification qui fonctionne encore.

Qu’est l’art contemporain et comment fonctionne-t-il ?

Reproche commun : “vous critiquez beaucoup… Mais vous ne proposez rien !” Vous énoncez, par exemple, que la bureaucratie a détruit « les bons mécanismes de reconnaissance ou de légitimation qui ont fait notre patrimoine artistique ». Quels pourraient être alors de sains mécanismes de reconnaissance et de légitimation ? Quelles solutions alternatives suggérez-vous (voire existent déjà) ? Que vous semble devoir être le rôle de l’État ?

Effectivement, parmi les nombreuses réactions que j’ai pu recevoir après la sortie de mon livre, il y a celle-ci qui est assez fréquente : « Bon, je suis d’accord avec vous pour fustiger un système globalement détestable, mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Au lieu de détruire, ne pourriez-vous pas essayer d’être constructive ? Et puis, c’est bien beau de vouloir la fin d’un système, mais que proposez-vous à la place ? »

Il est vrai que si la réponse à ces questions était inscrite dans mes textes, elle n’était sans doute pas assez explicite. Je vais donc essayer d’être plus claire et, pour ce faire, je dirai ceci : quand vous tentez de stopper les ravages d’une logique ou d’une mécanique incontrôlable et décérébrée, qui écrase et casse tout dans le paysage de l’art, ça n’est pas pour mettre autre chose à sa place, c’est simplement pour arrêter le carnage et faire en sorte que la nature reprenne ses droits. Quand une personne s’est fait enlever un énorme fibrome qui empoisonnait sa vie, elle ne demande pas au chirurgien de lui mettre autre chose à la place, non, ce qu’elle souhaite c’est revivre normalement et librement. Quand on dit qu’il faut arrêter l’usage des engrais, pesticides, etc., qui tuent les sols, ça n’est pas pour qu’ils soient remplacés par d’autres poisons,  c’est pour permettent aux micro-organismes vivants, à la flore et à la faune de se reconstituer naturellement. Hé bien, dans le domaine de l’art, je pense que c’est la même chose. S’il faut absolument se débarrasser au plus vite de ce bulldozer bureaucratico-financier institutionnel stupide et dévastateur qui sévit depuis quatre décennies, ce n’est pas pour le remplacer. C’est simplement pour que toutes les floraisons artistiques puissent à nouveau s’épanouir naturellement et librement dans toute leur diversité.

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J’ai l’impression que l’essentiel des voix critiques contre l’art contemporain est constitué de personnes de 60 ans et plus. Quid de la relève ? Voyez-vous émerger des voix critiques du côté des jeunes intellectuels et artistes ?

Non , non ! Ça c’est une impression, il y a des quantités de formidables jeunes artistes qui sont victimes de l’idéologie dévastatrice “art contemporain”, bien plus que de plus-de-60-ans, pour la bonne raison qu’il y a davantage de bons artistes aujourd’hui, qu’il n’y en avait voilà quarante ans.

Comment peut-on expliquer l’adhésion à l’art contemporain – qui semble profiter essentiellement à une classe privilégiée de bourgeois petits et grands – de la part de personnes qui n’en tirent aucun bénéfice professionnel ou financier ? Je pense en particulier aux médiateurs, stagiaires, étudiants en arts plastiques qui deviendront, plus tard, des artistes galériens. Je pense aussi aux “amateurs” et critiques qui ne vivent pas cette passion. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Par ailleurs, tandis qu’on a souvent lu qu’il constituait un nouvel académisme, vous êtes plus précise et qualifiez l’art contemporain d’“art néolibéral” et d’“art de classe” : quelle est sa fonction idéologique, selon vous ?

Il y a un travail urgent à faire là-dessus de la part des sociologues. C’est à eux d’analyser et de démonter le phénomène, qui n’est d’ailleurs pas très compliqué à comprendre. Mais c’est encore un sujet tabou qui attirerait des ennuis de carrière à ceux parmi les jeunes sociologues qui le choisiraient comme sujet de thèse, tout comme les sociologues en Union soviétique risquaient le goulag. L’art contemporain, c’est un marqueur tribal ou communautariste ; c’est un signe d’appartenance de classe ; c’est l’expression d’une puissance intellectuelle et sociale. C’est bête comme chou ! Pas besoin d’être sociologue pour comprendre ça. Mais n’empêche : ils devraient s’emparer de la question s’ils étaient un peu plus libres et courageux.

Le cas “Pinault/Aillagon/Versailles”[iii] a mis, quoique trop discrètement sans doute, en évidence un cas de confusion entre intérêts privés et publics. Le malaise est-il systémique ou bien ce cas est-il exceptionnel ?

Il y aurait des centaines d’exemples à citer, car le conflit d’intérêt, la collusion privé-public, le mélange des genres, font partie du jeu et sont consubstantiels à l’art contemporain. Le cas de l’art contemporain pourrait être très vite réglé par des moyens juridiques et les cours des Comptes nationale et régionales, mais voilà : il existe une sorte de dérogation tacite à la loi dans ce domaine de non-sens et de non-droit. Ahurissante, cette histoire d’Aillagon, ex-directeur du centre Pompidou, ex-Ministre de la Culture, puis employé par le ploutocrate Pinault à sa fondation de Venise, puis directeur du Château de Versailles et qui met ce patrimoine public à disposition des appareils financiers du spéculateur Pinault pour la survalorisation des produits Koons, Mukakami, McCarthy, etc. Dans aucun autre domaine et en aucun autre pays on pourrait envisager ça ! Mais c’est ça l’exception culturelle française que l’on doit à cette vieille saucisse botoxée de Jack Lang qui sévit encore.

L’art contemporain et le monde politique

Les personnalités du monde politique, a priori, ne bénéficient pas de l’art contemporain de façon directe. Il semble qu’il y ait, au mieux, une sorte de distance (on pense n’avoir pas les clefs pour comprendre et l’on cède au chantage intellectuel d’une certaine “gauche” libérale-libertaire parisienne), au pire, une arrogante ignorance (Fleur Pellerin et son tweet sur l’art dégénéré est en ceci symptomatique). Vous écrivez : « […] c’est que soviétisme et ultra-libéralisme deviennent, de fait, les alliés objectifs d’un troisième réjouissant partenaire […” : le Front national ». Pouvez-vous expliciter ? Et pouvez-vous nous dire quel est, selon vous, le rapport entre monde politique et monde de l’art contemporain ?

conversation-piece-munoz_483.jpgL’art contemporain de type français est un effet pervers de la bonne intention culturelle du socialisme mitterrandien des années 80. L’enfer est pavé de bonnes intentions merdiques, qui se retournent sur elles-mêmes puisqu’elles elles n’ont pas assez de contenu et de rigueur morale et intellectuelle. En fait la gauche culturelle a créé un appareil qui s’est mis à la remorque du grand libéralisme, de telle sorte qu’aujourd’hui le système en place allie les vertus du soviétisme et celle du capitalisme le plus débridé : c’est un comble !

En fait, l’art contemporain n’a pas de couleur ni d’odeur politique. Il est a-politique comme il est a-artistique. Il est le produit d’une logique d’appareil, et pour cela, insaisissable comme un cambouis visqueux par les élus qui s’en méfient comme de la peste, qui bottent en touche, qui ont peur de passer pour des ringards quand ils en parlent et qui laisse ça aux “spécialistes” de leur services. L’art contemporain terrifie le politique et c’est ainsi que les petits potentats locaux et nationaux de l’art contemporain font ce qu’ils veulent dans une impunité totale et dans une foire d’empoigne où l’on ne sait plus qui dirige, qui est le subalterne de qui, etc. Même le Front de Gauche, qui devrait pourtant s’emparer du sujet de cet art business, fruit de la non-régulation des flux financiers, n’en dit rien. Même les écolos, qui devraient se saisir de la question de la non-durabilité de cet art, la ferment prudemment. Et cette prudence née de la peur de faire le jeu du FN offre un boulevard justement pour ce même FN. Et c’est là qu’interviennent les hurlements à l’hitlérisme des ayatollahs du politiquement correct des Inrocks, Politis, Libé, Art Press, de la vieille gauche caviar culturocrate, burénienne[iv] et duchampiste, pour une alliance objective avec le FN que ces crétins prétendent combattre. Fachos contre fachos : même combat contre l’art et la liberté, d’une stupidité à pleurer. Honte d’être le contemporain de ces abrutis !

Que pouvez-vous nous dire sur l’état de connaissance du sujet de la part des décideurs politiques ?

J’envoie régulièrement des parties de ma chronique aux 800 parlementaires de ce pays. Je n’ai jamais eu la moindre réponse. Mais je ne crois pas qu’ils s’en foutent pour autant. Je crois qu’ils n’en pensent pas moins, mais savent qu’ils n’ont pas encore les moyens de faire bouger les choses ou de mettre cela en débat à l’Assemblée. Ils n’osent même pas encore s’informer et essayer de comprendre ce dont ils sont les manipulés. Mais je pense qu’ils ne vont pas tarder à dire qu’ils en ont marre d’être pris pour des cons par tous ces pédants théoriciens d’un art d’État qui a disqualifié l’art français, exterminé 95% des artistes et ridiculisé la France sur la scène artistique internationale.

Vous – et d’autres critiques de l’art contemporain, parfois de gauche d’ailleurs – avez été renvoyé à la “réaction” ou au “fascisme”, procédé de malhonnêteté intellectuelle qui semble surtout protéger des intérêts individuels et financiers, de classe et de champ social. Qui s’efforce d’escamoter le débat et pourquoi, selon vous ?

Oui, ce qui est stupéfiant, c’est de voir cet art officiel, émanation de la gauche culturelle languienne, fabriquer du produit financier spéculatif, collaborer avec le “grand capital”, comme disait feu Georges Marchais, et néanmoins, traiter de fachos ceux qui critiquent leur action, même quand ils sont de gauche. Jamais on avait, dans l’histoire de l’art, atteint un tel niveau de bêtise ! (Toutes considérations d’ordre esthétique mises à part, car là est un autre sujet…)

Quelles seraient les pistes, voire les solutions, pour assainir le monde de l’art ? Un désengagement de l’État ? Un meilleur accompagnement État ? De quel type ?

Dans un premier temps il faudrait que l’État cesse immédiatement tout soutien dirigé à la création artistique. Qu’il restitue aux régions l’entière autonomie de leurs politiques culturelles (ce que certains présidents de régions demandent déjà). Il faudrait aussi que le politique réfléchisse à la possibilité d’inventer de nouveaux moyens d’accompagnement de la création, qui ne soient pas directifs, d’inventer des instances d’évaluation et d’expertise intelligentes, indépendantes, et proches des réalités.

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Histoire de ne pas en rester à une lecture uniquement négative et critique, pouvez-vous nous parler d’artistes présents qui vous semblent relégués et méconnus à cause du système financio-bureaucratique de l’art contemporain ? Qui vous semble mériter d’être connu, exposé, acheté – et pourquoi ?

Il y en a des centaines, des milliers qui sont ignorés, méprisés par les nervis patentés des FRAC, des DRAC et autres MAC[v], tous qualifiés pour leur inaptitude, leur cécité, leur incompétence foncière et leur totale incompréhension de l’art. Et c’est bien cette volaille rhétoricienne, théoricienne, caquetante à tout va (et surtout en anglais, langue du grand marché spéculatif) qui non seulement n’achètent pas les bons artistes pour les FRAC, mais dissuade le public de les acheter, les municipalités de les exposer. Et c’est bien aussi cette même volaille aussi prétentieuse que décérébrée, qui empêche que le Centre Pompidou rende hommage à de grands artistes comme Paul Rebeyrolle, Antonio Segui, Vladimir Veličković, Jean Rustin, Pat Andrea, Marc Giai Miniet, Abraham Hadad et tellement d’autres. Quel gâchis !

Nicolle Esterolle, propos recueillis par Domenico Joze (Le Comptoir, 7 octobre 2015)

Notes :

[i] Référence à l’exposition organisée en 1969 à la Kunsthalle de Berne par le commissaire d’exposition suisse Harald Szeemann (1933-2005), « Quand les attitudes deviennent formes : vivez dans votre tête », date importante de l’art conceptuel (Joseph Kosuth, Hanne Darboven, Lawrence Weiner, etc.) et de l’art minimal (Sol LeWitt, Carl Andre, etc.).
[ii] Délibérément pompeuse et d’usage ironique, l’expression “processualité discursive” renvoie à la notion d’art processuel où le processus créatif prend le pas, en tant qu’œuvre, sur l’objet créé, comme l’explique Pauline Chevalier, maître de conférences en esthétique à l’université de Franche-Comté : « Le processus – processus de création, processus d’altération des matériaux, de développement de l’image filmé, de déploiement des gestes dansés ou d’une musique sérielle – œuvre comme une expérience primant sur l’objet et ouvrant vers la conjonction de temporalités distinctes, celle de l’atelier et celle de l’espace d’exposition ».
[iii] Ami intime de François Pinault, huitième fortune de France en 2015, Jean-Jacques Aillagon a été Ministre de la Culture de 2002 à 2004, avant de devenir administrateur délégué et directeur du Palazzo Grassi, fondation d’art contemporain sise à Venise et appartenant à M. Pinault. Nommé président de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles en juin 2007 par le Président Nicolas Sarkozy, ami de François Pinault, il exerce cette charge jusqu’en octobre 2011. Durant ce dernier mandat, il ouvre Versailles à l’art contemporain : Jeff Koons (2008-2009), Xavier Veilhan (2009), Takashi Murakami (2010) et Bernard Venet (2011), tous ayant un lien avec M. Pinault… par ailleurs détenteur des salles de ventes Sotheby’s. Comme le résumait Philippe Rillon sur son blog La Peau de l’ours en 2010 : « Il s’agit bien sûr de valorisation financière: c’est très bon pour LVMH, qui emploie Murakami à mettre sa griffe sur les sacs Louis Vuitton ; c’est aussi excellent pour la Galerie Perrotin qui diffuse les produits du japonais, ceux de Xavier Veilhan et de quelques autres artistes entrepreneurs… et pas mal non plus pour les intérêts de Monsieur Pinault qui valorise ainsi ses avoirs en collection… Sans oublier que cette valorisation financière renforce les réseaux d’influences auxquels participe tout ce beau monde ».
[iv] Il s’agit d’une référence à l’une des cibles favorites de Nicole Esterolle : le plasticien Daniel Buren, l’un des noms les plus symptomatiques de l’art contemporain français. Millionnaire aujourd’hui, il fait carrière depuis la fin des années 60 sur une proposition plastique d’une extrême pauvreté : des bandes alternées de 8,7 cm, l’une blanche, l’autre noir ou d’une même couleur, formule qu’il a déclinée depuis lors sous de nombreuses formes (sur verre, sur bâche, sur toile, en musée, en extérieur, etc.). Son travail le plus célèbre, ce sont Les Deux plateaux, plus connu sous le nom de « colonnes de Buren », situé dans la cour d’honneur du Palais-Royal de Paris.
[v] FRAC : Fonds régional d’art contemporain. DRAC : Direction régionale d’art contemporain. MAC : Musée d’art contemporain. Ces diverses institutions étatiques sont, en principe, dédiées à la diffusion et au soutien de la création contemporaine. Dans les faits, les choix opaques réalisés, l’existence d’un milieu à forte endogamie et une politique délibérée d’écartement de tout un pan de la création présente (en premier lieu : la sculpture et la peinture figuratives, qui représentent la portion congrue des acquisitions) en font des outils de diffusion d’une certaine “idéologie” ou d’une certaine “orthodoxie” de ce qu’est la création aujourd’hui, bénéficiant de lourds financements publics et d’un travail de propagande à renfort, notamment, de visites scolaires.

 

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samedi, 17 octobre 2015

Sur Drieu la Rochelle + entretien avec Frédéric Saenen

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Drieu la Rochelle, l’homme qui ne s’aimait pas

Ex: http://www.valeursactuelles.com

Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945), l'écrivain du manque et de l'insécurité.

Subtil. Une analyse synthétique du parcours et de l’oeuvre d’un écrivain torturé et essentiel.

GillesL._SX301_BO1,204,203,200_.jpgOn a tant écrit sur Drieu. On a un peu l’impression qu’aujourd’hui, le mieux, pour l’évoquer, est encore de le relire. Il y a eu Drieu le petit-bourgeois déclassé, disséqué par François Nourissier — un expert —; il y a eu le souvenir de l’ami, par Berl dans Présence des morts (magnifique évocation d’un adolescent éternel — et c’est compliqué, signifie Berl, lorsqu’on a 50 ans… —) ; il y a eu l’ami encore, par Malraux dans ses entretiens avec Frédéric Grover, ou par Audiberti, dans Dimanche m’attend, un des rares présents aux obsèques de Drieu, en dépit du contexte et en vertu d’une fidélité amicale certaine ; il y a eu Michel Mohrt et l’évocation de Fitzgerald à propos de Drieu, son “cousin américain” (voir leurs rapports avec les femmes, l’argent et la mélancolie).

Il y a eu, aussi, ceux qui ont découvert Drieu par le film de Louis Malle, le Feu follet — bon film mais caricature figée, selon nous, de ce que peut devenir Drieu si l’on s’en tient à ce livre. Un des plus aboutis littérairement, certes, mais un des moins fidèles à ce que nous évoque l’homme Drieu, en fait. Très abouti, alors que Drieu n’est que boiterie, manque — c’est aussi sa qualité. Drieu se ressemble dans Gilles ou dans Rêveuse bourgeoisie, lorsqu’il bâcle les fins ou impose ses tunnels. Là, on a l’impression d’éprouver viscéralement, intimement, la pente de Drieu : Drieu ne s’aime pas, et le fait savoir, se sabote — et personne n’est dupe. Le prodige, le “grand-écrivain”, c’était l’autre ami, Aragon. Le Feu follet, c’est un accident de parcours, si l’on ose. Évidence : relire Aurélien et Gilles, et éprouver la virtuosité d’Aragon et la maladresse, parfois, de Drieu, sa marque et son charme.

Dans le Feu follet, le décadent morbide, le suicidaire, le “drogué”, toute cette panoplie assez génialement démontée par Bernard Frank dans la Panoplie littéraire est surlignée, pain béni pour la caricature — et on n’y a pas coupé, jusqu’à réduire Drieu au Feu follet. Et passer d’abord à côté de l’homme, puis de ses livres. Frédéric Saenen, dans une synthèse récente, analyse de concert son parcours et son oeuvre, avec un surplomb qui atteste sa connaissance intime de l’un et de l’autre — et redonne sens (pluriel) et relief à une aventure complexe et polymorphe qui est aussi un moment de la littérature du XXe siècle.

Drieu la Rochelle face à son oeuvre, de Frédéric Saenen, Infolio, 200 pages, 24,90 €.

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Drieu, l’homme précaire

Entretien avec Frédéric Saenen

Propos recueillis par Daniel Salvatore Schiffer

Ex: http://www.jeudi.lu

La polémique a enflé lorsque La Pléiade a publié Drieu la Rochelle, écrivain doué mais qui signa quelques-unes des pages les plus déshonorantes de la collaboration des intellectuels au temps du nazisme. C’est le bilan d’une œuvre contrastée que Frédéric Saenen tente de faire dans son livre «Drieu la Rochelle face à son œuvre»*. Pari osé mais réussi!

Le Jeudi: «L’avant-propos de votre dernier essai ne laisse planer aucun doute: « Peut-être l’heure a-t-elle sonné de tenter le bilan d’une œuvre multiforme, dont la valeur exacte est toujours occultée par les choix idéologiques de son signataire », y spécifiez-vous.»

Frédéric Saenen: «Pierre Drieu la Rochelle, écrivain français de l’entre-deux-guerres, et même l’un des plus représentatifs, avec Louis-Ferdinand Céline, de cette infâme nébuleuse que fut la collaboration, provoque encore aujourd’hui, dès que son nom est prononcé, l’opprobre, sinon le rejet, voire le scandale. Une chose, cependant, le distingue, outre son indéniable talent littéraire malgré quelques inégalités, des autres écrivains «collabos», tels Robert Brasillach ou Lucien Rebatet: c’est l’issue fatale – puisqu’il se suicida en mars 1945, alors que des poursuites judiciaires étaient lancées contre lui – de son parcours existentiel, particulièrement tortueux, difficile et conflictuel. Ainsi, sept décennies après ce suicide, ai-je pensé que l’heure était venue de se pencher de manière un peu plus approfondie, rigoureuse et nuancée à la fois, sur cette œuvre dont la qualité littéraire se voit encore contestée par les choix politiques, condamnables tant sur le plan philosophique qu’idéologique, de son auteur.»

Le Jeudi: «La tentation du suicide ne fut-elle pas une sorte de « constante existentielle », par-delà ce pénible sentiment d’échec qui l’animait vers la fin de la guerre, pour Drieu tout au long de sa vie?»

F.S.: «Drieu a toujours entretenu, dès son plus jeune âge, un rapport étroit avec la mort, et donc avec l’idée du suicide, qui l’avait en effet déjà tenté, plus d’une fois, dans sa vie. C’est là un des thèmes de prédilection, objet de fascination et de répulsion tout à la fois, des écrivains ou artistes dits « décadents », dont Drieu fut, en cette époque trouble qu’a été l’entre-deux-guerres, un des épigones. Le héros ou, plutôt, l’anti-héros d’un roman tel que Le feu follet se suicide d’ailleurs.»

DrieucGpwckSL._SX.jpgLe Jeudi: «Dans quelles circonstances précises Drieu s’est-il suicidé?»

F.D.: «Le 30 août 1944, une commission rogatoire est établie contre lui. Elle sera suivie d’une procédure d’enquête, ainsi que de l’élaboration d’un dossier d’instruction contenant, entre autres documents accablants, ses articles publiés dans les journaux collaborationnistes. En février 1945, il apprend qu’un mandat d’amener a été lancé contre lui. Il risque, à l’instar de Brasillach, fusillé devant un peloton d’exécution, la peine de mort, promulguée par ce que l’on appelait, après la Libération, le « comité d’épuration ». Ainsi, se sachant parmi les « perdants » et résolu donc à se condamner par lui-même, plutôt que d’avoir à affronter ses juges, Drieu choisit-il, comme il le confie dans son Journal, cette « suprême liberté: se donner la mort, et non la recevoir ». Quelques jours après, le 15 mars 1945, il se suicide en absorbant une forte dose de médicaments, du Gardénal, qu’il associe à l’inhalation de gaz. Sur un billet laissé à sa femme de ménage, il avait écrit ces mots: « Gabrielle, laissez-moi dormir cette fois »…»

Le Jeudi: «Conclusion?»

F.S.: «Il y avait indubitablement là, quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de Drieu, une certaine grandeur d’âme. Ce fut, quoi que l’on puisse penser du suicide, un geste non seulement courageux, paré d’une réelle noblesse d’esprit, mais aussi un acte que vous pourriez qualifier d’éminemment dandy: une esthétique de la liberté individuelle doublée d’une souveraine affirmation de solitude, et qui, comme telle, contribua considérablement à édifier sa légende, fût-elle tragique!»

Le Jeudi: «Mais vous posez également, dans la foulée de ce dramatique constat, un certain nombre de questions, toutes aussi légitimes que pertinentes!»

F.S.: «Je l’espère, car, au-delà de la simple quoique embarrassante question « Pourquoi lire Drieu aujourd’hui? », s’en posent, tout naturellement, d’autres. Comment, par exemple, approcher cet auteur que tout éloigne de nos repères habituels et de nos codes actuels? Quelle place occupe-t-il au sein des lettres françaises d’aujourd’hui? Quel sens donner à son œuvre, pour nous, hommes et femmes du XXIe siècle? A-t-il encore quelque chose à nous dire, lui qui se compromit avec l’une des pires idéologies – le fascisme – du XXe siècle? Ainsi ne s’agit-il en rien, dans mon livre, de réhabiliter l’homme Drieu, mais bien, seulement, de reconsidérer l’authentique écrivain qu’il fut.»

Question de méthode

Le Jeudi: «Votre livre se présente donc comme une analyse circonstanciée de son œuvre plus que comme une biographie?»


F.S.: «Certes le rapport à la biographie, à la psychologie profonde de ce personnage éminemment complexe, parfois contradictoire et souvent ambigu, est-il indispensable afin de cerner les fantasmes directeurs de sa création fictionnelle, les axes majeurs de sa pensée, l’évolution de sa réflexion politique, mais cet aspect, quoique important, reste cependant secondaire dans mon essai, qui est, plus fondamentalement, une monographie.»

Le Jeudi: «C’est-à-dire?»

F.S.: «L’œuvre de Drieu est certes multiforme, mais lui-même s’employait sans cesse, ainsi qu’il l’affirme dans sa préface, à la réédition, en 1942, de Gilles, peut-être son roman le plus connu, à y souligner « l’unité de vues sous la diversité des moyens d’expression, principalement entre (s)es romans et (s)es essais politiques ». Ainsi la principale caractéristique de mon étude, qui, je crois, la rend originale, différente de tout ce qui a été effectué autour de la question Drieu, repose-t-elle sur le fait de ne pas dissocier l’homme de lettres et l’homme d’idées. Le romancier y est traité sur le même pied que l’essayiste. Telle est la raison pour laquelle j’ai intitulé mon avant-propos « Drieu au miroir ».»
Une «bibliothèque-miroir»
ou le paradoxal «mentir-vrai»

Le Jeudi: «Vous y parlez même de « bibliothèque-miroir »!»

F.S.: «L’une des originalités de Drieu est d’avoir pratiqué, plus que n’importe quel autre des auteurs français de l’entre-deux-guerres, une « littérature de la sincérité », franche et parfois crue, sinon cruelle, voire brutale, jusqu’à désarmer, souvent, le lecteur non averti. C’est ce que Louis Aragon, ami de Drieu, appelait, d’une formule aussi paradoxale que magistrale, le « mentir-vrai »!»

Le Jeudi: «Vous appliquez aussi à Drieu l’expression d' »homme précaire », forgée par un autre de ses amis, André Malraux »! Quelle en est la signification profonde?»

F.S.: «Drieu avait une conception du monde basée sur son vécu personnel: des expériences intenses, parfois traumatisantes, mais qui étaient aussi l’inconfortable lot de sa propre génération, de ce contexte déchiré dans lequel il vivait. C’était un écrivain de son temps, pour le meilleur et, hélas, pour le pire! Ainsi, s’il est exact qu’il avait une vision plutôt lucide de la vie, il est tout aussi vrai qu’il s’aveugla sur le plan idéologique. Ce fut donc, souvent, un individu instable et tourmenté, un écorché vif, un dépressif oscillant entre indécision caractérielle et exercice spirituel, un mélange d’idéalisme et de pessimisme, un alliage d’exaltation et de désespérance, un mixte d’élan vital et de pulsion mortifère. Bref: un être double, avec ce que cette dualité suppose de contradictions, d’incohérences, d’errances, de reniements, d’apories, d’inexcusables erreurs de jugement. C’est pour cela que j’ai tenté, dans mon livre, de le comprendre, intellectuellement, sans jamais toutefois le justifier, politiquement. Il n’y a, dans mon travail, ni complaisance ni indulgence, encore moins d’empathie suspecte, à l’égard de Drieu. J’espère, tout simplement, que Drieu redevienne ainsi, après ces années de purgatoire, sinon un être fréquentable, du moins un écrivain à redécouvrir. Car il est vrai que le seul nom de Drieu évoque, encore aujourd’hui, l’une des pages les plus sombres de l’intelligentsia française. Il continue à traîner, dans son infernal sillage, une obsédante odeur de soufre!»

Le Jeudi: «Force est cependant de constater que son entrée dans La Pléiade, n’aura pas atténué, sur ce point, la controverse.»

F.S.: «Oui, mais, en même temps, cette publication de son œuvre – ses écrits littéraires puisqu’il s’agit exclusivement là de ses romans, récits et nouvelles, et en aucun cas de son « Journal », encore moins de ses pamphlets, lettres ou articles de journaux** – aura finalement apporté un fameux démenti à sa prétendue relégation dans l’enfer de la bibliothèque du XXe siècle. Drieu, c’est, par-delà cette part maudite de son personnage, un inséparable mélange de rêve et d’action, où l’encre de l’écriture jaillit après le sang de l’existence!»

* Publié chez Infolio (Lausanne-Paris).
** Cette édition dans la «Bibliothèque de La Pléiade» (Gallimard) a pour intitulé exact: «Romans, récits, nouvelles».

vendredi, 16 octobre 2015

Daniel Friberg on the Swedish New Right

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Daniel Friberg on the Swedish New Right

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Greg Johnson talks to Daniel Friberg, CEO of Arktos Media and Wiking Mineral, a co-founder of the Swedish metapolitical think tank Motpol, and the author of a new book out in Swedish and English, The Real Right Returns: A Handbook for the True Opposition (London: Arktos, 2015).

Topics include:

  • No, his name does not echo
  • How he became a nationalist
  • The ethnic situation in Sweden today
  • How he discovered the New Right
  • The importance of metapolitics
  • The puerile rhetoric of revolution on the Right
  • Real (ethnic) nationalism vs. civic and cultural nationalism
  • Nationalism in Sweden today
  • The fallacy of accelerationism
  • Media witch hunts in Sweden and how to counter them
  • Why nationalists should not expect gender parity in our movement
  • The biological reason why men fight and take risks and women do not
  • Friberg’s metapolitical dictionary
  • The importance of Guillaume Faye’s concept of “archeofuturism”
  • Enough gloom and doom on the Right; why we will win
  • The need for a concrete vision of the world we are going to create
  • The intellectual and political adventure of the Right

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Marcel Gauchet: «Le non-conformisme est globalement passé du côté conservateur»

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Marcel Gauchet: «Le non-conformisme est globalement passé du côté conservateur»

 
Philosophe et historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), le rédacteur en chef de la revue “Le Débat est un intellectuel complexe. Penseur de gauche, héritier du libéral Raymond Aron, critique du marxisme, ainsi que de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault – idoles de la gauche contemporaine –, Marcel Gauchet ne peut pas faire l’unanimité. Radicalement anticapitalistes, au Comptoir, nous ne nous retrouvons pas dans le réformisme du philosophe. Pourtant, nous considérons que le père de l’expression « fracture sociale » fait partie des intellectuels qui aident à mieux comprendre notre époque, notamment grâce à l’analyse de la modernité développée dans “Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion” (Gallimard, 1985). Nous avons mis de côté nos divergences pour discuter avec lui de sujets aussi vastes que la démocratie représentative, la modernité, les droits de l’Homme, ou encore le libéralisme.

Le Comptoir : Depuis trente ans, le taux d’abstention ne cesse de progresser, principalement au sein des classes populaires. Est-ce dû à l’aspect aristocratique d’un système représentatif qui ne favorise que les élites ?

Marcel Gauchet : Deux choses dans votre question : le pourquoi de l’abstention et la grille d’explication que vous évoquez. Elle ne convainc pas sur le fond, même si elle touche à quelque chose de juste. Pourquoi voter quand l’offre ne propose plus d’opposition tranchée ? “Tous pareils”. L’Union européenne limite fortement la gamme des choix. Elle accentue l’effet de la mondialisation, en créant le sentiment que les gouvernants, de toute façon, ne peuvent pas grand-chose. “Ils causent, mais ils ne peuvent rien faire.” Enfin, cerise sur le gâteau, la politique est faite pour les gagnants de la mondialisation. Pourquoi les perdants iraient-ils approuver le fait qu’ils sont sacrifiés sur l’autel de la bonne cause? “Ils se foutent des gens comme nous.” La mondialisation, c’est l’alliance des riches des pays riches avec les pauvres des pays pauvres contre les pauvres des pays riches. Voilà les trois faits qui me semblent largement expliquer la montée de l’abstention, en particulier dans les milieux populaires. Il y a d’autres facteurs, plus diffus, comme la dépolitisation générale.

Quant au rôle du système représentatif lui-même, en le qualifiant d’“aristocratique”, vous faites sans doute allusion à l’analyse de mon ami Bernard Manin. Je ne crois pas que ce soit le mot le plus approprié. La représentation, c’est effectivement un processus de sélection de gens supposément pourvus de qualités spéciales, dont celle de la représentativité. Mais cette représentativité peut très bien s’exercer contre les privilégiés. C’était le grand argument contre le suffrage universel pendant longtemps. Il était présenté comme le moyen pour les masses de faire fonctionner le pouvoir à leur profit grâce à de dangereux démagogues. Le système représentatif a été, de fait, le moyen pour réformer socialement nos régimes en d’autres temps. Il faut se demander comment il s’est retourné sur lui-même. Le problème est ailleurs, en un mot. Il ne faut pas confondre l’instrument et les conditions de son usage.

Peut-on, dans ce cas, dire que le clivage gauche-droite n’a plus de sens et que le vrai clivage s’opère aujourd’hui entre défenseurs et pourfendeurs de la nation ?

Pas du tout. Il y a une nation de droite et une nation de gauche. Il y a une anti-nation de droite, libérale, et une anti-nation de gauche, libertaire. Il y a la nation d’hier et la nation d’aujourd’hui. La nation de 2015 n’est pas, et ne peut pas être, celle de 1915. Et puis, il y a l’Europe : nation de substitution ou autre chose, mais quoi exactement ? La vérité est que le brouillage est complet. Tout est à redéfinir.

Vous avez analysé la modernité comme la « sortie de la religion » associée à la montée de l’individualisme, que vous avez toutes les deux liées au christianisme. Or, selon-vous, l’« individu total » tue la démocratie. Un renouveau du politique passe-t-il nécessairement par un retour du religieux ? Une redécouverte du paganisme peut-elle être utile ?

Aucun retour d’aucune sorte ne nous sera d’une quelconque utilité – il faudrait d’ailleurs qu’ils soient possibles, ce qui, en l’état, n’est pas le cas. Nous sommes condamnés à inventer. Cela commence par nous mettre en position de comprendre ce qui nous est arrivé pour nous retrouver dans cette impasse, sans anathèmes, exorcismes et autres “dénonciations”. Qu’est devenu le politique, par exemple, et pourquoi ? C’est le genre de travail auquel l’individu “total”, comme vous dites, n’est pas spontanément très disposé. Pourtant, il va falloir qu’il s’y mette, et il s’y mettra ! Les cures de désintoxication, c’est dur. Christianisme et paganisme sont des sujets très intéressants en soi, ce n’est pas moi qui dirai le contraire, mais ils ne nous aideront pas beaucoup pour ce travail, si ce n’est indirectement, pour nous aider à mesurer ce qui nous sépare de leurs univers. C’est là qu’est le sujet principal.

« S’il n’y a que des individus et leurs droits, alors toutes les expressions culturelles émanées de ces individus se valent. »

Vous critiquez les droits de l’Homme, tout en défendant la démocratie libérale : n’y a-t-il pas là une contradiction ? Comment critiquer les droits de l’Homme et leur universalisme abstrait sans pour autant tomber dans le relativisme culturel typiquement moderne ?

Je ne critique pas les droits de l’Homme, je critique les applications qui en sont faites et les conséquences qu’on prétend en tirer, ce qui est fort différent. Il n’y a pas grand sens à critiquer les droits de l’Homme si on y réfléchit un peu sérieusement : ils sont la seule base sur laquelle nous pouvons établir cette chose essentielle dans une société qu’est la légitimité. Que pourrions-nous mettre d’autre à la place pour définir la norme des rapports entre les gens ou la juste source du pouvoir ? La seule alternative valable, ce sont les droits de Dieu. C’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris les fondamentalistes. Il faut donc faire avec les droits de l’Homme. La question est de savoir s’ils ont réponse à tout. C’est là qu’est l’égarement actuel. Ils ne rendent pas compte de la nature des communautés politiques dans lesquelles ils s’appliquent. Ils doivent composer avec elles. Le politique ne se dissout pas dans le droit. Ils ne nous disent pas ce que nous avons à faire en matière économique, etc. La démocratie libérale, bien comprise, consiste précisément dans ce bon usage des droits de l’Homme qui leur reconnait leur place, mais qui se soucie de les articuler avec ce qui leur échappe et ne peut que leur échapper. C’est en ce sens qu’elle est le remède au droit-de-l’hommisme démagogique.

De la même façon, cette vision de l’équilibre à respecter entre droit et politique permet d’échapper au relativisme culturel, qui fait d’ailleurs système avec le droit-de-l’hommisme. S’il n’y a que des individus et leurs droits, alors toutes les expressions culturelles émanées de ces individus se valent. Mais s’il existe des communautés historiques qui ont leur consistance par elles-mêmes, alors il est possible de les comprendre pour ce qu’elles sont, d’abord, en faisant aux cultures singulières la place qu’elles méritent et, ensuite, en les distinguant au sein d’une histoire où nous pouvons introduire des critères de jugement. C’est, de nouveau, une affaire de composition entre des exigences à la fois contradictoires et solidaires. La chose la plus difficile qui soit dans notre monde, apparemment. La conférence de l’Unesco, qui a adopté la Convention sur la protection et la promotion des expressions culturelles en 2005, souligne expressément, selon ses mots, « l’importance de la diversité culturelle pour la pleine réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».

Pour Hannah Arendt[i] et Karl Marx[ii], les droits de l’Homme consacrent l’avènement d’un homme abstrait, égoïste et coupé de toute communauté. De son côté, Simone Weil estimait que « la notion de droit, étant d’ordre objectif, n’est pas séparable de celles d’existence et de réalité » et que « les droits apparaissent toujours comme liés à certaines conditions ». On peut donc se demander si les droits de l’Homme peuvent vraiment avoir vocation à être universels. Marx pensait également qu’il aurait mieux valu un modeste Magna Carta, susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales, plutôt que ce « pompeux catalogue des droits de l’Homme ». La logique des droits de l’Homme ne transforme-t-elle pas la politique en simple procédure au détriment des libertés réelles ?

Ne tirons pas de conclusions définitives sur l’essence des droits de l’Homme depuis ce que nous en observons aujourd’hui. Il est vrai que beaucoup de gens de par le monde trouvent grotesques les prétentions occidentales à l’universalisation des droits de l’Homme – non sans raison, étant donné les contextes sociaux où ils sont supposés s’appliquer. D’un autre côté, la débilité de nos droits-de-l’hommistes n’est plus à démontrer. Mais cela ne prouve rien sur le fond. Il a fallu deux siècles en Occident pour qu’on prenne la mesure opératoire du principe. Il est permis de penser qu’il faudra un peu de temps pour que leur enracinement s’opère à l’échelle planétaire. De la même façon, le mésusage de ce principe tel que nous le pratiquons actuellement dans nos démocraties peut fort bien n’être qu’une pathologie transitoire. C’est ce que je crois.

Je pense que les droits de l’Homme ont une portée universelle en tant que principe de légitimité. Ils représentent la seule manière de concevoir, en dernier ressort, le fondement d’un pouvoir qui ne tombe pas d’en haut et ne s’impose pas par sa seule force, à l’instar, par exemple, des dictatures arabes. Ils sont également le seul étalon dont nous disposons pour concevoir la manière dont peuvent se former des liens juste entre les personnes dès lors qu’ils sont déterminés par leur seule volonté réciproque et non par leurs situations acquises. De ce point de vue, je suis convaincu qu’ils sont voués à se répandre au fur et à mesure que la sortie de la religion, telle que je l’entends, se diffusera à l’échelle du globe – c’est en cours, c’est cela la mondialisation.

Maintenant, ce qui légitime ne peut pas se substituer à ce qui est à légitimer : l’ordre politique ou l’action historique. En Europe, c’est la folie du moment que d’être tombé dans ce panneau. C’est ce qui produit ce dévoiement que vous résumez très bien : la réduction du processus politique à la coexistence procédurale des libertés individuelles. Mais ce n’est pas le dernier mot de l’histoire, juste une phase de délire comme on en a connu d’autres. Elle est en train de révéler ses limites. Il y a un autre emploi des droits de l’Homme à définir. Ils n’ont pas réponse à tout mais ils sont un élément indispensable de la société que nous avons le droit d’appeler de nos vœux.

« Non seulement la place du politique demeure, mais plus le rôle du marché s’amplifie, plus sa nécessité s’accroît, en profondeur. »

Dans De la situation faite au parti intellectuel (1917), Charles Péguy écrivait : « On oublie trop que le monde moderne, sous une autre face, est le monde bourgeois, le monde capitaliste. » La modernité est-elle nécessairement capitaliste et libérale ?

C’est quoi au juste “libéral” ? C’est quoi “capitalisme” ? Il serait peut-être temps de se poser sérieusement la question avant de brailler en toute ignorance de cause.

Libéraux, nous le sommes en fait à peu près tous, que nous le voulions ou non, parce que nous voulons que tous soient libres de parler, de se réunir, mais aussi de créer des journaux, des radios, des entreprises pour faire fructifier leurs idées. La raison de fond de ce libéralisme qui nous embrigade, c’est que le monde moderne est tourné vers sa propre invention et que cela passe par les libres initiatives des individus dans tous les domaines. Et capitalistes, du coup, nous sommes amenés à l’accepter inexorablement parce que pour faire un journal, une radio, une entreprise, il faut des capitaux, des investissements, des emprunts, des bénéfices pour les rembourser, et ainsi de suite. Préférons-nous demander à l’État, à ses bureaucrates, et à ses réseaux clientélistes ?

Ce sont les données de base. Après, vient la question de la manière dont tout cela s’organise. Et sous cet angle, nous ne sommes qu’au début de l’histoire. Nous avons tellement été obsédés par l’idée d’abolir le libéralisme et le capitalisme que nous n’avons pas vraiment réfléchi à la bonne manière d’aménager des faits premiers pour leur donner une tournure vraiment acceptable. Voilà le vrai sujet. Il me semble que nous pouvons imaginer un capitalisme avec des administrateurs du capital qui ne seraient pas des capitalistes tournés vers l’accumulation de leur capital personnel. De la même manière, nous avons à concevoir un statut des entreprises qui rendrait la subordination salariale mieux vivable. Après tout, chacun a envie de travailler dans un collectif qui a du sens et qui marche. Mais il faut bien que quelqu’un prenne l’initiative de le créer et de définir sa direction. Arrêtons de rêvasser d’un monde où tout cela aurait disparu et occupons-nous vraiment de le penser.

« Foucault voit le pouvoir partout, Bourdieu détecte la domination dans tous les coins. Voilà du grain à moudre pour la “critique” à bon marché. »

Dans son ouvrage majeur, La grande transformation, l’économiste Karl Polanyi montre que notre époque se caractérise par l’autonomisation progressive de l’économie, qui, avant cela, avait toujours été encastrée dans les activités sociales. Si on définit le libéralisme comme une doctrine qui tend à faire du marché autorégulateur – aidé par la logique des droits individuels –, le paradigme de tous les faits sociaux, est-il vraiment possible de l’aménager ? N’existerait-il pas une “logique libérale”, pour reprendre les mots de Jean-Claude Michéa, qui ferait que le libéralisme mènerait à une “atomisation de la société” toujours plus grande, qui elle-même impliquerait un renforcement du marché et une inflation des droits individuels, pour réguler la société ?

Autonomisation de l’économie, soit. Mais jusqu’où ? Il ne faut surtout pas se laisser prendre au piège du discours libéral et de son fantasme de l’autosuffisance du marché autorégulateur. La réalité est que ce marché est permis par un certain état du politique, qu’il repose sur le socle que celui-ci lui fournit. Il en a besoin, même s’il tend à l’ignorer. Sa logique le pousse en effet à vouloir aller toujours plus loin dans son émancipation du cadre politique, mais cette démarche est autodestructrice et bute sur une limite. Elle suscite en tout cas inévitablement un conflit avec les acteurs sociaux à peu près conscients de la dynamique destructrice à l’œuvre. Nous y sommes. C’est en fonction de cette bataille inévitable qu’il faut raisonner, en rappelant aux tenants frénétiques du marché ses conditions même de possibilité. Non seulement la place du politique demeure, mais plus le rôle du marché s’amplifie, plus sa nécessité s’accroît, en profondeur. Nous ne sommes pas à la fin de l’histoire !

Votre conférence inaugurale aux Rendez-vous de l’histoire de Blois de 2014, qui avait pour thème “Les rebelles”, a fait couler beaucoup d’encre, et a notamment été suivie d’un boycott de l’événement par l’écrivain Édouard Louis et le philosophe Geoffroy de Lagasnerie. La sacralisation post-68 de la culture de la transgression a-t-elle accouché d’une société faussement subversive et terriblement conformiste ? Être rebelle aujourd’hui ne consisterait-il justement pas à défendre une forme de conservatisme ?

La réponse est dans la question ! Évidemment que les roquets qui m’ont aboyé dessus représentent la quintessence du néo-conformisme actuel, qui prétend combiner les prestiges de la rebellitude avec le confort de la pensée en troupeau. Les commissaires politiques “foucaldo-bourdivins” d’aujourd’hui sont l’exact équivalent des procureurs et des chaisières qui s’indignaient hier des outrages aux bonnes mœurs. Par conséquent, le non-conformisme, dans cette ambiance, est globalement passé du côté conservateur, vous avez raison. C’est un fait, mais ce n’est qu’un fait. Car le conservatisme n’est pas exempt pour autant de pensées toutes faites, de schémas préfabriqués et de suivisme. Le vrai non-conformisme est dans la liberté d’esprit et l’indépendance de jugement, aujourd’hui comme hier. Il n’est d’aucun camp.

« Si j’apprécie la part critique de l’idée de l’institution imaginaire de la société, je suis pourtant peu convaincu par la philosophie de l’imaginaire radical que développe Castoriadis, ce qui ne m’empêche pas d’admirer l’entreprise. »

Pierre Bourdieu et Michel Foucault ont-ils remplacé Karl Marx dans le monde universitaire français ? Le “foucaldo-bourdivinisme”, comme vous l’appelez, est-il selon vous le nouvel “opium des intellectuels”, pour reprendre la formule de Raymond Aron ?

N’exagérons pas les proportions du phénomène. Comme vous le remarquez vous-même, il reste confiné à la sphère universitaire. Contrairement au marxisme, il n’a pas le mouvement ouvrier derrière lui. Mais il a, en revanche, un relais public assez important avec la complicité de l’extrême gauche présente dans le système médiatique. Il fournit au journalisme de dénonciation une vulgate commode. Foucault voit le pouvoir partout, Bourdieu détecte la domination dans tous les coins. Voilà du grain à moudre pour la “critique” à bon marché. C’est d’une facilité à la portée des débiles, mais avec une griffe haute couture. Que demander de mieux ?

Castoriadis.jpgIl y a, depuis quelques années, un retour sur la scène publique des idées de Cornélius Castoriadis avec, notamment, la publication d’actes de colloque ou la grande biographie de François Dosse. Quel est votre rapport à l’œuvre de ce « titan de la pensée », comme le qualifiait Edgar Morin ?

J’espère que vous avez raison sur le constat et que la pensée de Castoriadis est en train de trouver l’attention qu’elle mérite. Elle est autrement consistante que les foutaises qui occupent le devant de la scène. Cela voudrait dire que les vraies questions sont peut-être en train de faire leur chemin dans les esprits, en dépit des apparences. Je ne peux que m’en réjouir. Je dirais que nous étions fondamentalement d’accord sur la question, justement, et en désaccord sur la réponse à lui apporter. Nous étions d’accord, d’abord, sur le brouillage intellectuel et politique dans lequel nos sociétés évoluent à l’aveugle. Et au-delà de ce constat critique, nous étions unanimes sur la voie pour en sortir : il faut ré-élaborer une pensée de la société et de l’histoire – seule à même de permettre de nous orienter efficacement – en mesure de prendre la relève du fourvoiement hegelo-marxiste. De ce que les pensées antérieures en ce domaine ont erré, il ne suit pas que toute pensée en la matière est impossible, comme nous le serinent les insanités postmodernes. C’est sur le contenu de cette pensée que nous divergeons. Si j’apprécie la part critique de l’idée de l’institution imaginaire de la société, je suis pourtant peu convaincu par la philosophie de l’imaginaire radical que développe Castoriadis, ce qui ne m’empêche pas d’admirer l’entreprise. Elle ne me semble pas éclairer l’histoire moderne et ses prolongements possibles. C’est pourquoi je me suis lancé dans une autre direction en élaborant l’idée de sortie de la religion. Le but est précisément d’élucider la nature de ce qui s’est passé en Occident depuis cinq siècles comme chemin vers l’autonomie et les difficultés présentes sur lesquelles butent nos sociétés. Pour tout dire, j’ai le sentiment que l’idée d’imaginaire radical est avant tout faite pour sauver la possibilité d’un projet révolutionnaire, plus que pour comprendre la réalité de nos sociétés. Elle empêche Castoriadis de mesurer la dimension structurelle de l’autonomie qui rend possible la visée d’autonomie.

Cela dit, ces divergences de vue se situent à l’intérieur d’un même espace de questionnement et c’est pour moi ce qui compte au premier chef. La discussion a du sens, elle n’est pas une dispute avec du non-sens. C’est l’essentiel.

Entretien réalisé avec l’aide de Galaad Wilgos

Nos Desserts :

Notes :

[i] « Le paradoxe impliqué par la perte des droits de l’Homme, écrit-elle, c’est que celle-ci survient au moment où une personne devient un être humain en général […] ne représentant rien d’autre que sa propre et absolument unique individualité qui, en l’absence d’un monde commun où elle puisse s’exprimer et sur lequel elle puisse intervenir, perd toute signification. » Hannah Arendt, L’impérialisme, Fayard, 1982.

[ii] « Aucun des prétendus droits de l’Homme ne s’étend au-delà de l’homme égoïste, au-delà de l’homme comme membre de la société civile, à savoir un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et son caprice privé, l’homme séparé de la communauté. » Karl Marx, À propos de la question juive, 1843.

jeudi, 15 octobre 2015

Jonathan Bowden Interview with Tom Sunic (Voice of Reason Radio)

 

Jonathan Bowden

Interview with Tom Sunic

(Voice of Reason Radio)

mercredi, 14 octobre 2015

Robert Steuckers: Eurasianismul și Revoluția Conservatoare

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L'ouvrage est disponible sur le site des éditions du Lore : Editions du Lore

Robert Steuckers: Eurasianismul și Revoluția Conservatoare

Ex: http://www.estica.eu

Troy Southgate: Când şi de ce v-aţi decis să vă implicaţi în politică?

Robert Steuckers: Niciodată n-am fost implicat în politică şi nici membru al vreunui partid politic. Sunt un cetăţean interesat de teme politice, dar nu în modul obtuz şi trivial, iar cât priveşte posibilitatea participării în alegeri pentru un consiliu local sau pentru a deveni membru al Parlamentului, nici nu intră în discuţie.

Pentru mine “politica” înseamnă menţinerea unor continuităţi sau, dacă preferaţi, a unor tradiţii. Însă este vorba despre acele tradiţii care sunt înrădăcinate în istoria reală a comunităţilor umane particulare. Am început să citesc cărţi istorice şi politice la vârsta de 14 ani şi asta a dus la o respingere a ideologiilor universal acceptate şi a non-valorilor.

De la vârsta de 15 ani, cu ajutorul unui profesor de istorie, un anume domn Kennof, am realizat că oamenii ar trebui să cunoască principalele trenduri istorice şi să utilizeze constant atlasele istorice (am început să le colectez încă de atunci) pentru a înţelege într-o clipită principalele forţe care animă scena politică într-un anumit moment. Hărţile sunt foarte importante pentru politică la nivel înalt (diplomaţia, spre exemplu).

Principala idee pe care am descoperit-o la această tânără vârstă a fost că toate ideologiile, gândurile sau schemele care doresc să scape de trecut, să taie legăturile oamenilor cu propria continuitate istorică, sunt fundamental greşite. Drept consecinţă, toate acţiunile politice ar trebui să ţintească spre prezervarea şi întărirea continuităţilor istorice şi politice chiar dacă acţiunile futuristice (pro-active) sunt adesea necesare pentru a salva comunitatea de la repetiţia sterilă de obiceiuri și cutume perimate.

Discursurile majorităţii ideologiilor, incluzând expresii variate ale aşa numitei extreme dreapta, sunt în ochii mei artificiale în Occident, aşa cum comunismul a fost o abstracţie în faţa întregii istorii ruseşti în Est sau o abstracţie distructivă la adresa pattern-urilor istorice autentice ale popoarelor est-europene căzute sub dominaţia Sovietică după 1945. Ruptura continuităţilor sau repetiţia “formelor” moarte ale trecutului a condus la confuzia politico-ideologică pe care o cunoaştem în prezent, unde conservatorii nu mai sunt conservatori, socialiştii nu mai sunt socialişti ș.a.m.d.

Ideile politice fundamentale sunt mai bine slujite în opinia mea de către “Ordine” decât de către partidele politice. Ordinele asigură o educaţie continuă a afiliaților şi întăresc noţiunea de datorie. Ele  se opun ambiţiilor mărunte ale simplilor politicieni. Astfel de Ordine sunt Ordinele Cavalereşti din Evul Mediu sau ale Renaşterii europene, noţiunea de fatwa în lumea islamică persană precum şi experimente ulterioare, inclusiv în secolul al XX-lea (Legiunea Arhanghelului Mihail în România, Verdinaso în Flandra etc.).

Troy Southgate: Vă rog explicaţi ce vreţi să spuneţi prin termenul “Revoluţia Conservatoare” şi, dacă este posibil, oferiţi-ne o schiţă a principalilor săi ideologi.

Robert Steuckers: Când expresia “Revoluţia Conservatoare” este utilizată în Europa, este folosită în sensul dat de către Armin Mohler în faimoasa lui carte Die Konservative Revolution in Deutschland, 1918-1932. Mohler a enumerat o lista lungă de autori care au respins pseudo-valorile anului 1789 (respinse de Edmund Burke drept simple “schiţe”), a accentuat rolul germanic-ului în evoluţia gândirii europene şi a fost influenţat de Nietzsche. Mohler a evitat, spre exemplu, “conservatorii” puri religioşi, fie aceştia catolici sau protestanţi.

Pentru Mohler principala trăsătură a “Revoluţiei Conservatoare” este o viziune non-lineară a istoriei. Însă acesta nu preia pur şi simplu viziunea ciclică a tradiţionalismului. După Nietzsche, Mohler a crezut într-o concepţie sferică a istoriei. Ce înseamnă asta? Înseamnă că istoria nu este nici o simplă repetiţie a aceloraşi pattern-uri la intervale regulate, nici un traseu linear ce conduce către fericire – către sfârşitul istoriei, către un Paradis pe Pământ, către mulțumire etc. – ci o sferă care poate merge (sau poate fi împinsă) în orice direcţie corespunzător impulsurilor pe care le primeşte de la personalităţi puternice şi carismatice. Astfel de personalităţi carismatice îndoaie cursul istoriei către căi particulare, căi care nu au fost anterior prevăzute de către nicio providenţă.

Mohler, în acest sens, nu crede niciodată în reţete sau doctrine politice universale ci numai în tendinţe particulare şi personale. Precum Jünger, acesta doreşte să lupte împotriva a tot ce este “general” şi să susţină tot ce este “particular”. În plus, Mohler şi-a exprimat propria viziune a particularităţilor dinamice utilizând terminologia oarecum ciudată a “nominalismului”. Pentru el, “nominalismul” a fost într-adevăr cuvântul care a exprimat cel mai bine voinţa personalităţilor puternice de a desena pentru ei înşişi şi pentru propriii adepţi un drum original şi nemaivăzut prin jungla existenţei.

Principalele figuri ale mişcării au fost Spengler, Moeller van den Bruck şi Ernst Jünger (precum şi fratele acestuia Friedrich-Georg). Putem adăuga acestui triumvirat pe Ludwig Klages şi Ernst Niekisch. Carl Schmitt, ca şi avocat catolic şi constituţionalist, reprezintă un alt aspect important al aşa-numitei “Revoluţii Conservatoare”.

Spengler rămâne autorul unei fresce strălucitoare a lumii civilizate care l-a inspirat pe filosoful britanic Arnold Toynbee. Spengler a vorbit despre Europa ca civilizaţie faustiană, cel mai bine exprimată de catedralele gotice, de interacţiunea luminii şi culorilor în lucrările pe sticlă, de cerul furtunos cu nori albi şi gri în majoritatea picturilor germane, engleze şi olandeze. Această civilizaţie este o aspiraţie a sufletului uman către lumină şi către auto-angajare.

O altă idee importantă a lui Spengler este aceea a “pseudo-morfozei”: o civilizaţie nu dispare niciodată complet după decadenţă sau cucerire violentă. Elementele acesteia trec în noua civilizaţie care îi ia locul şi o ghidează în direcţia originară.

Moeller van den Bruck a fost primul traducător german al lui Dostoievski. Acesta a fost profund influenţat de jurnalul lui Dostoievski, conţinând câteva judecăţi severe la adresa Vestului. În contextul Germaniei de după 1918, Moeller van den Bruck a susţinut, bazându-se pe argumentele lui Dostoievski, o alianţă germano-ruso împotriva Vestului.

Cum a putut respectabilul gentleman german, cu o imensă cultură a artei, să pledeze în favoarea unei alianţe cu bolşevicii? Argumentele sale au fost după cum urmează: în întreaga tradiţie diplomatică a secolului XIX, Rusia a fost considerată un scut de reacţie împotriva tuturor repercusiunilor Revoluţiei Franceze, a gândirii şi mentalității revoluționare. Dostoievski, fost revoluţionar rus care a admis mai târziu că opţiunile sale revoluționare au fost greşite şi simple schiţe, a considerat mai mult sau mai puţin că misiunea Rusiei în lume era să elimine din Europa ideile de la 1789.

Pentru Moeller van den Bruck, Revoluţia din Octombrie a anului 1917 în Rusia a fost doar o schimbare a mantiei ideologice, Rusia rămânând, în ciuda discursului bolşevic, antidotul la adresa gândirii liberale a Vestului. Deci Germania înfrântă ar fi trebuit să se alăture acestei fortăreţe de anti-revoluționarism pentru a se opune Vestului, care în ochii lui Moeller van den Bruck este încarnarea liberalismului. Liberalismul, afirmă Moeller van den Bruck, este întotdeauna boala terminală a unui popor. După câteva decenii de liberalism, un popor intră, inevitabil, într-o fază terminală de decadenţă.

Calea urmată de Ernst Jünger este destul de cunoscută tuturor. Acesta a început ca un tânăr şi înflăcărat soldat în Primul Război Mondial, părăsind tranşeele fără nicio armă, doar cu o grenadă sub braţ, purtată cu eleganță, precum bastonul unui tipic ofiţer britanic. Pentru Ernst Jünger, Primul Război Mondial a fost sfârşitul lumii burgheze a secolului XIX şi a “Belle Epoque,” unde toată lumea trebuia să fie “aşa cum ar trebui să fie”, adică să se comporte conform normelor prestabilite de falși profesori sau preoţi, la fel cum toţi astăzi trebuie să ne conformăm comportamental autoproclamatei reguli a “corectitudinii politice”.

Sub “furtunile de oţel” soldatul îşi poate declara lipsa de însemnătate, fragila lui fiinţă biologică, însă această stare nu poate conduce, în ochii săi, către un pesimism inept, către frică şi disperare. Experimentând cel mai crud destin în tranşee şi sub tirul miilor de focuri de artilerie, zguduind pământul, reducând totul la “elementar”, infanteristul a cunoscut cel mai bine dintre toți oamenii crudul destin uman. Toată artificialitatea vieţii civilizaţiei urbane se dovedea a fi falsă în ochii acestora.

După Primul Război Mondial, Ernst Jünger şi fratele său Friedrich-Georg au devenit cei mai buni jurnalişti şi scriitori naţional-revoluţionari.

Ernst a devenit un soi de observator pe alocuri cinic, detașat, ironic şi seren al umanităţii şi faptelor vieţii. În timpul unui raid de bombardament asupra unei suburbii pariziene, unde fabricile produceau materiale de război pentru armata germană în timpul celui de-al Doilea Război Mondial, Ernst Jünger a fost terifiat de traseul direct şi nenatural în aer al fortăreţelor americane zburătoare. Liniaritatea direcţiei avioanelor în aer deasupra Parisului exprimă negarea tuturor curbelor şi sinuozităţilor vieţii organice. Războiul modern implică distrugerea acelor spirale şi serpentine organice. Ernst Jünger şi-a început cariera de scriitor fiind un apologet al războiului. După ce a observat liniile impecabile trasate de bombardierele B-17 americane, a devenit complet dezgustat de lipsa de cavalerism a modul pur tehnic de conducere a unui război.

După al Doilea Război Mondial, fratele său, Friedrich-Georg, a scris prima lucrare teoretică ce a dus la dezvoltarea noii gândiri germane critice şi ecologice, Die Perfektion der Technik (Perfecțiunea tehnicii). Principala idee a acestei cărţi, din punctul meu de vedere, este critica “conectivităţii”. Lumea modernă este un proces ce încearcă să conecteze comunităţile umane şi indivizii la suprastructuri. Acest proces de conectare distruge principiul libertăţii. Eşti un muncitor încătuşat şi sărac dacă eşti “conectat” la o structură mare, chiar dacă câştigi 3000 lire sterline sau mai mult într-o lună. Eşti un om liber dacă eşti complet deconectat de la uriaşele turnuri de metal. Într-un anume fel, Friedrich-Georg a dezvoltat teoria pe care Kerouac a experimentat-o în mod ateoretic alegând să renunţe la viaţa modernă şi să călătorească, devenind un cântăreţ vagabond.

Ludwig Klages a fost un alt filosof al vieţii organice împotriva gândirii abstracte. Pentru el, principala dihotomie a fost între Viaţă şi Spirit (Leben und Geist). Viaţa este distrusă de spiritul abstract. Klages s-a născut în Nordul Germaniei, dar s-a mutat ca şi student la München, unde şi-a petrecut timpul liber în localuri din Schwabing, cartierul unde artiştii şi poeţii se întâlneau (şi încă se întâlnesc și astăzi). A devenit prieten cu poetul Stefan Georg şi student al uneia dintre cele mai originale figuri din Schwabing, filosoful Alfred Schuler, care se credea o reîncarnare a unui colonist roman antic în Rhineland-ul German.

Schuler avea un simț autentic al teatrului. Se deghiza în toga unui împărat roman, îl admira pe Nero şi organiza piese ce reaminteau publicului lumea antică greacă sau romană. Însă dincolo de fantezia vie, Schuler a dobândit o importanţă cardinală în filosofie accentuând spre exemplu ideea de “Entlichtung”, adică dispariţia graduală a Luminii din timpurile cetăților antice ale Greciei și Italiei romane. Nu există progres în istorie: dimpotrivă, Lumina dispare, precum şi libertatea cetăţeanului de a-şi modela propriul destin.

Hannah Arendt şi Walter Benjamin, în partea stângă sau conservator-liberală, au fost inspiraţi de această idee şi au adaptat-o pentru audienţe diferite. Lumea modernă este lumea întunericului complet, cu speranţe mici de regăsire a perioadei de “iluminare”, asta dacă personalităţi carismatice precum Nero, dedicat artei şi stilului de viaţă dionisian, nu ar fixa o nouă eră a splendorii, care nu ar rezista decât pe binecuvântata perioadă a unei primăveri.

Klages a dezvoltat ideile lui Schuler, care niciodată n-a scris o carte de sine stătătoare, după ce acesta a murit în 1923 datorită unei operaţii prost pregătită. Klages, înainte de Primul Război Mondial, a pronunţat un discurs faimos pe dealurile Horer Meisnerr din centrul Germaniei, în faţa unei adunări a mișcărilor de tineret (Wandervogel). Acest discurs a purtat titlul de “Om şi Pământ” şi poate fi considerat primul manifest organic privind ecologia, cu un background filosofic clar şi inteligibil, dar şi solid.

Carl Schmitt şi-a începutat cariera de profesor de drept în 1912 şi a trăit până la venerabila vârstă de 97 de ani. A scris ultimul eseu la 91 de ani. Nu pot enumera toate punctele importante din opera lui în cadrul acestui interviu. Vom rezuma afirmând că Schmitt a dezvoltat două idei principale, şi anume ideea deciziei în viaţa politică şi ideea de “Mare Spaţiu.”

Arta politicilor modelatoare sau a politicii bune rezidă în decizii, nu în discuţie. Liderul trebuie să decidă pentru a putea conduce, a proteja şi a dezvolta comunitatea politică de care răspunde. Decizia nu înseamnă dictatură aşa cum mulţi liberali afirmă în prezent în era “corectitudinii politice”. Dimpotrivă: personalizarea puterii este mai democratică în sensul că regele, împăratul sau liderul carismatic este întotdeauna un muritor. Sistemul pe care îl impune nu este etern, din moment ce el, conducătorul, este pieritor ca orice fiinţă umană. Un sistem nomocratic, dimpotrivă, tinde spre existenţa eternă, chiar dacă evenimentele curente şi inovaţiile contrazic normele sau principiile.

Al doilea mare subiect în lucrările lui Schmitt este ideea de Mare Spaţiu European (Grossraum). Intervenţia puterilor “din-afara-spaţiului” ar trebui să fie prevenită în cadrul acestui Mare Spaţiu. Schmitt a dorit să aplice Europei acelaşi principiu care l-a animat pe preşedintele american Monroe. America pentru americani. Ok, a spus Schmitt, dar lăsați-ne să aplicăm și “Europa pentru europeni”. Schmitt poate fi comparat cu “continentaliștii” nord-americani care au criticat intervenţia lui Roosevelt în Europa şi Asia. America Latină de asemenea şi-a dezvoltat idei continentale similare, la fel şi imperialiştii japonezi. Schmitt a conferit acestei idei de “Mare Spaţiu” un puternic fundament juridic.

Ernst Niekisch este o figură fascinantă în sensul că şi-a început cariera ca şi lider comunist al “Consiliului Republicii Bavareze” în 1918-1919, care a fost strivită de Grupurile pentru Libertate ale lui von Epp, von Lettow-Vorbeck etc. Desigur, Niekisch a fost dezamăgit de absenţa unei viziuni istorice în trioul bolşevic din München-ul revoluționar (Lewin, Leviné, Axelrod).

Niekisch a dezvoltat o viziune eurasiatică, bazată pe o alianţă între Uniunea Sovietică, Germania, India şi China. Figura ideală care ar fi trebuit să reprezinte motorul uman al acestei alianţe este cea a ţăranului, adversarul burgheziei Vestului. O anume paralelă cu Mao Zedong este evidentă aici. În jurnalele editate de Niekisch, descoperim toate tentativele germane de a susţine mişcări anti-britanice sau anti-franceze în imperiile coloniale sau în Europa (Irlanda împotriva Angliei, Flandra împotriva Belgiei francofone, naţionalişti indieni împotriva Angliei etc.).

Sper că am explicat principalele trenduri ale aşa-zisei revoluţii conservatoare în Germania între 1918 şi 1933. Fie ca cei care cunosc această mişcare multistratificată de idei să ierte introducerea schematică.

RC-V-06717049.gifTroy Southgate: Aveţi un “unghi spiritual”?

Robert Steuckers: Răspunzând acestei întrebări risc să devin prea succint. În grupul de prieteni care au schimbat idei politice şi culturale la sfârşitul anilor 70, ne-am concentrat desigur asupra lucrării lui Evola, Revoltă împotriva lumii moderne. Unii dintre noi au respins total înclinaţiile spirituale, pentru că duceau către speculaţii sterile: ei preferau să citească Popper, Lorenz etc. Am acceptat multe din criticile lor şi îmi displac încă speculaţiile evoliene, invocând o lume spirituală a Tradiţiilor dincolo de orice realitate. Lumea reală este considerată o simplă trivialitate. Însă acesta este desigur un cult al Tradiţiilor în principal susţinut de tineri care “se simt inconfortabili în propria piele”, plastic vorbind. Visul de a trăi viaţa precum fiinţele din poveşti este o formă de refuz al acceptării realităţii.

În capitolul 7 al Revoltei împotriva lumii moderne, Evola, dimpotrivă, a accentuat importanța lui “numena”, forţele ce acţionează în interiorul lucrurilor, fenomenelor naturale sau puterilor. Mitologia romană iniţială a pus accentul mai mult pe numena decât pe divinităţile personalizate. Această subliniere este a mea. Dincolo de oameni şi de divinităţile religiilor uzuale (fie ele păgâne sau creştine), există forţe active şi omul ar trebui să fie în concordanţă cu acestea pentru a reuşi în acţiunile pământeşti.

Orientarea mea religioasă/spirituală este mai degrabă mistică decât dogmatică, în sensul că tradiţia mistică a Flandrei şi Rhineland (Ruusbroec, Meister Eckhart), dar şi tradiţia mistică a lui Ibn Arabî în zona musulmană sau Sohrawardî din lumea persană, admiră şi venerează întreaga splendoare a Vieţii şi a Lumii. În aceste tradiţii, nu există o dihotomie clară între dumnezeiesc, sacru şi divin, pe de o parte, şi lumesc, profan şi simplu, pe de altă parte. Tradiţia mistică înseamnă omni-compenetrarea şi sinergia tuturor forţelor existente în lume.

Troy Southgate: Vă rog explicaţi cititorilor noştri de ce conferiţi o astfel de importanță conceptelor precum geopolitică şi Eurasianism.

Robert Steuckers: Geopolitica este un amestec de istorie şi geografie. Cu alte cuvinte, un amestec al timpului şi spaţiului. Geopolitica este un set de discipline (nu o singură disciplină) ce conduce către o bună guvernare a timpului şi spaţiului. Geopolitica este un mix al istoriei şi geografiei. Nicio putere serioasă nu poate rezista fără continuitate, fie ea instituţională sau istorică. Nicio putere serioasă nu poate supravieţui fără dominaţia şi supunerea spaţiului şi pământului.

Toate imperiile tradiţionale au organizat la început teritoriul construind drumuri (Roma) sau stăpânind marile râuri (Egipt, Mesopotamia, China), apoi au reușit să acceadă la o istorie îndelungată, în sensul continuităţii, prin emergenţa ştiinţelor practice (astronomie, meteorologie, geografie, matematici), sub protecţia armatelor bine structurate cu coduri ale onoarei, în mod exemplar în Persia, locul de naștere al cavalerismului.

Imperiul Roman, primul imperiu pe pământ european, s-a concentrat asupra Mării Mediterane. Sfântul Imperiu Roman al Naţiunii Germane nu a putut găsi un nucleu mai potrivit şi mai coordonat decât Mediterana. Căile navigabile ale Europei Centrale duc către Marea Nordului, Marea Baltică sau Marea Neagră, dar fără nicio legătură între ele. Aceasta este adevărata tragedie a istoriei germane şi europene. Ţara a fost ruptă între forţe centrifugale. Împăratul Frederick II Hohenstaufen a încercat să restaureze tărâmul mediteranean, cu Sicilia drept piesă geografică centrală.

Încercarea acestuia a fost un tragic eșec. Doar acum emergenţa unei noi forme imperiale (chiar şi sub ideologie modernă) este posibilă în Europa: după deschiderea canalului dintre sistemul Rin-Main şi sistemul Dunării. Există acum o singură cale navigabilă între Marea Nordului, incluzând sistemul Tamisei din Anglia, şi Marea Neagră, permițând forţelor economice şi culturale ale Europei Centrale să atingă toate ţărmurile Marii Negre şi ţările caucaziene.

Cei care au o bună memorie istorică, care nu sunt orbiţi de schemele ideologice uzuale ale modernismului, îşi vor aminti de rolul ţărmurilor Mării Negre în istoria spirituală a Europei: în Crimeea, multe tradiţii străvechi, fie ele păgâne sau bizantine, au fost păstrate în grote de către călugări. Influenţa Persiei, în special valorile cavaleriei celei mai vechi din lume (zoroastriene), ar fi putut influenţa dezvoltarea unor forţe spirituale similare în Centrul şi Vestul Europei. Fără aceste influenţe, Europa este mutilată spiritual.

În consecinţă, zona mediteraneană, Rinul (de asemenea cuplat la Rhone) şi Dunărea, râurile ruseşti, Marea Neagră şi Caucazul ar trebui să constituie o singură zonă de civilizaţie, apărată de forţe militare unificate, bazate pe spiritualitatea moştenită din Persia Antică. Asta înseamnă, în opinia mea, Eurasia. Poziţia mea este un pic diferită de cea a lui Dughin însă cele două nu sunt incompatibile.

Când otomanii au deţinut controlul complet asupra peninsulei balcanice în secolul XV, drumurile terestre au fost tăiate pentru toţi Europenii. În plus, cu ajutorul hoinarilor maritimi din Nordul Africii adunaţi de turcul Babarossa stabilit în Alger, Mediterana a fost închisă pentru expensiunea comercială paşnică europeană spre India şi China. Lumea musulmană a funcţionat ca un zăvor pentru a opri Europa şi Moscova, nucleul viitorului Imperiu Rus.

Europenii şi ruşii şi-au unit eforturile pentru a distruge zăvorul otoman. Portughezii, spaniolii, englezii şi olandezii au explorat rutele maritime şi au ocolit Africa şi Asia, distrugând prima oară regatul marocan, care extrăgea aur din minele subtropicale din Africa de Vest, având pretenţia de a-şi construi o armată cu care să cucerească Peninsula Iberică încă odată. Debarcând în Vestul Africii, portughezii au obţinut aur mult mai uşor pentru sine iar regatul marocan a fost redus la o simplă superputere reziduală. Portughezii au navigat de-a lungul continentului african şi au intrat în Oceanul Indian, eludând zăvorul otoman definitiv şi dând pentru prima dată o dimensiune eurasiană reală istoriei europene.

În acelaşi timp, Rusia a respins atacurile tătarilor, a cucerit oraşul Kazan şi a distrus legăturile tătare cu lumea musulmană. Acesta a fost punctul de pornire al unei perspective geopolitice eurasiatice a Rusiei continentale.

Scopul strategiei globale americane, dezvoltat de un om precum Zbigniew Brzezinski, este să recreeze artificial acest zăvor musulam prin susţinerea militarismului turcesc şi panturanismul. Din această perspectivă, americanii susţin tacit şi încă în secret revendicările Marocului asupra Insulelor Canare şi se folosesc de Pakistan pentru a preveni orice legătură terestră între India şi Rusia. De aici şi dubla necesitate actuală a Rusiei și Europei de a-şi reaminti contra-strategia elaborată de TOŢI Europenii în secolul XV şi XVI.

Istoria europeană întotdeauna a fost concepută ca o sumă de viziuni naţionaliste mărunte. Este timpul să reconsiderăm istoria europeană punând accentul pe alianţele comune şi pe convergenţe. Acţiunile maritime portugheze şi cele terestre ruseşti sunt astfel de convergențe şi reprezintă natural Eurasia. Bătălia de la Lepanto, unde flotele veneţiene, genoveze şi spaniole şi-au unit forţele în efortul comun de a stăpâni Estul mediteranean sub comanda lui Don Juan de Austria, este de asemenea un model istoric asupra căruia trebuie să medităm şi de care să ne amintim.

Însă cea mai importantă alianţă eurasiatică a fost fără îndoială Sfânta Alianţă condusă de Eugen de Savoya la sfârşitul secolului XVII, care i-a forţat pe otomani să retrocedeze 400.000 km pătraţi de pământ în Balcani şi Sudul Rusiei. Această victorie a permis țarilor ruşi ai secolului XVIII, în special Ecaterinei a II-a, să câştige din nou bătălii decisive.

Eurasianismul meu (şi desigur întreaga mea gândire geopolitică) este un răspuns clar la strategia lui Brzezinski şi este adânc înrădăcinată în istoria europeană. Sub nicio formă nu trebuie comparată cu naivităţile unor pseudo naţional-revoluționari drogaţi sau cu schemele estetice ale aşa-numiţilor filosofi ai noii drepte. În plus, o ultimă remarcă privind geopolitica şi eurasianismul: principalele mele surse de inspiraţie sunt englezeşti. Mă refer la atlasele istorice ale lui Colin McEvedy, cărţile lui Peter Hopkirk privind serviciul secret în Caucaz, în Asia Centrală, de-a lungul Drumului Mătăsii şi în Tibet, reflecţiile lui Sir Arnold Toynbee în cele 12 volume ale A Study of History.

Troy Southgate: Care este viziunea dumneavoastră asupra Statului? Este într-adevăr esenţial să avem un sistem sau o infrastructură ca instrumente de organizare socio-politică, sau credeţi că o formă descentralizată de tribalism şi identitate etnică reprezintă o soluţie mai bună?

Robert Steuckers: Întrebarea dumneavoastră necesită o carte întreagă pentru a i se răspunde corespunzător și complet. În primul rând, aş spune că este imposibil să ai o viziunea asupra Statului, pentru că sunt multe forme statale pe glob. Fac desigur distincția între un stat, care reprezintă un veritabil şi eficient instrument de promovare a voinţei poporului şi de asemenea protecție pentru propriii cetăţeni împotriva tuturor relelor, fie acestea instrumentate de inamici externi, interni sau naturali (calamităţi, inundaţii, foamete etc.).

Statul ar trebui de asemenea proiectat pentru o singură populaţie trăind pe un teritoriu propriu. Sunt critic, desigur, cu privire la toate acele state create artificial precum cele impuse drept aşa-numite modele universale. Astfel de state sunt simple mașini create pentru exploatarea sau distrugerea unei populaţii pentru o anumită oligarhie sau stăpâni externi. O organizare a popoarelor conform criteriilor etnice ar putea reprezenta o soluţie ideală, însă, din păcate, aşa cum ne demonstrează evenimentele din Balcani, declinul şi fluxul de populaţii în istoria Europei, Africii sau Asiei a răspândit adesea grupurile etnice dincolo de graniţele naturale sau le-au reținut în teritorii anterior controlate de alţii. În astfel de situaţii nu pot fi constituite state omogene. Acesta este izvorul multor tragedii, în special în Europa Centrală şi de Est. Prin urmare, singura perspectivă posibilă astăzi este concepția în termeni de Civilizaţii, aşa cum arată Samuel Huntington în faimoasele sale articole şi carte, The Clash of Civilizations, prima oară scrisă în 1993.

Troy Southgate: În 1986, aţi afirmat că “ a Treia Cale există în Europa la nivel teoretic. Ceea ce îi lipseşte este militanţii.” [“Europa: O Nouă Perspectivă” în The Scorpion, Issue #9, p.6] Situaţia se prezintă aceeaşi sau lucrurile s-au schimbat?

Robert Steuckers: Într-adevăr, situaţia este neschimbată. Sau chiar s-a degradat pentru că, avansând în vârstă, afirm că educaţia clasică este pe cale de dispariţie. Modul nostru de gândire este oarecum spenglerian, de vreme ce se referă la întreaga istorie a omenirii.

Guy Debord, liderul mișcării situaționiste franceze de la sfârşitul anilor `50 până în anii `80, a putut observa şi deplânge faptul că “societatea spectacolului” sau “societatea de scenă” are că principal scop distrugerea întregii gândiri şi a concepțiilor în termeni de istorie şi înlocuirea acestora cu scheme construite şi artificiale sau cu simple minciuni. Eradicarea perspectivelor istorice în minţile copiilor, studenţilor şi cetăţenilor, prin acțiunea dizolvantă a mass-mediei, este o mare manipulare, conducându-ne spre o lume orwelliană lipsită de memorie. Într-o astfel de situaţie, noi toţi riscăm izolarea. Nu există trupe noi de voluntari care să preia lupta.

Troy Southgate: În final, vorbiţi-ne despre implicarea dumneavoastră cu Synergies şi planurile dumneavoastră pe termen lung privind viitorul.

Robert Steuckers: “Synergies” a fost creat pentru a aduna oamenii, în special pe aceia care publică reviste, pentru a răspândi mai repede mesajele autorilor noştri. Însă cunoaşterea limbilor trece de asemenea printr-un eşec. Fiind poliglot, după cum bine ştiţi, am fost întotdeauna uimit de repetiţia aceloraşi argumente la nivelul naţional al fiecărui stat. Marc Lüdders de la Synergon-Germany este de aceeaşi părere cu mine. Este păcat că, spre exemplu, munca uriaşă depusă în Italia nu este cunoscută în Franţa sau Germania. Şi viceversa. Pe scurt: principala mea dorinţă este să văd un asemenea schimb de texte realizat într-o manieră rapidă în următorii 20 de ani.

Traducere: Ovidiu Preda

Sursa: https://neweuropeanconservative.wordpress.com/2012/05/13/interview-with-steuckers/

Un autre cinéma est possible

Méridien Zéro #249: "Un autre cinéma est possible"

 

Cette semaine, Méridien Zéro a l'honneur et l'avantage de vous proposer un entretien avec la réalisatrice Cheyenne-Marie Carron, à quelques jours de la sortie de son film Patries (le 21 octobre). L'occasion pour nous d'éclairer l'oeuvre de cet auteur atypique et de revenir sur quelques aspects du cinéma français...

A la barre et à la technique Eugène Krampon et Wilsdorf.

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mardi, 13 octobre 2015

Ernesto Milá entrevistado por el blog realmofchaosslavestodarkness

Ernesto Milá

entrevistado por el blog realmofchaosslavestodarkness


Respuestas al cuestionario enviado por el blog realmofchaosslavestodarkness y publicado hace un mes en https://realmofchaosslavestodarkness.wordpress.com/2015/09/16/entrevista-a-ernesto-mila/
 

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1 - En primer lugar, nos gustaría conocer los orígenes de Infokrisis, hace ya más de diez años, y cuáles son los objetivos del blog en el futuro, al menos, inmediatos o a corto plazo.
 
El blog se inició en 2003, no como blog sino como web. Fue de las primeras que se diseñó en España en php. Al cabo de un año, unos hackers la reventaron… así que opté por plataformas que dispusieran de su propio sistema de seguridad. A partir de 2010 el blog está en dos plataformas, la antigua, blogia.com y blogspot (que abrí al percibir que se habían producido nuevos intentos de hackeo).

¿Objetivos? Un blog no es más que una fotografía de lo que uno piensa en cada momento concreto de su vida, de lo que le interesa y le preocupa, de lo que medita y de lo que consume. No hay más objetivo que el opinar sobre la actualidad o reproducir artículos propios que ya se han difundido en otros medios. En este sentido, es también un almacén de trabajos realizados. La falta de tiempo hace que no pueda incorporar material audiovisual ni más comentarios.

Este escaparate de lo que te interesa en cada momento quizás esto pueda servir a alguno como orientación, pero no tengo el más mínimo interés en ser gurú de nada, ni referencia. En momentos de crisis y confusión, cada cual debe buscar su camino.


2 - Hace unos días le preguntábamos a Gustavo Morales si, de finales de la década de los ochenta para acá, notaba cierta evolución en la opinión pública española, un mayor grado de crítica y discrepancia frente a los medios de comunicación o la "política profesional"... No era muy optimista al respecto. Qué piensa Ernesto Milá, ¿estamos mejor o peor que en el 2004 y los inicios de Infokrisis? ¿Hay mejores "mimbres" hoy en España para construir una opción política relevante, respecto a la que teníamos hace diez años?
 
Los medios de comunicación han ido variando con el paso del tiempo y mucho más en la última década con la crisis del papel impreso. Antes tenían opinión y voz propia. Ahora son simplemente la expresión de grupos económicos que tienen poco que ver con la comunicación. La televisión no es más que publicidad y, de tanto en tanto, para que la gente vea los anuncios, alguna cadena coloca incuso programación. En cuanto a la prensa influye poco o nada: hoy ver a alguien comprando un diario empieza a ser un arcaísmo, una excepcionalidad inusual.

En 2003 apenas había en España 2.500.000 de internautas (y parece que fue ayer). Hoy todo el país y por distintas terminales (ordenador, tablet, móvil) tiene acceso a la red… así pues, cabría pensar que existen mayores ocasiones para difundir información libre. Y así es. El problema es que, paradójicamente, la saturación de información mata a la posibilidad de informarse y la falta de espíritu crítico hace el resto. Es el resultado de 50 años de crisis de la educación (que ya se empezó a reflejar en los últimos años del franquismo) que han barrido literalmente el espíritu crítico de las nuevas generaciones.
¿Existen comunicadores dignos de tal nombre? Sí, claro, hay tertulianos más independientes que otros, más lúcidos y más incisivos… pero, no nos engañemos, se trata de excepciones perdidas en el océano de la mediocridad. Por todo ello cabría decir que estamos en peor situación que ayer y en mejor situación que mañana.

El debate político (como el debate cultural, como el debate social y así sucesivamente) es algo desconocido en España. Existen, como máxima, riñas de gayos y peleas al estilo del pressing cacht norteamericano: puro espectáculo. Nada serio. El “estadista”, como el “periodista” que creía en su trabajo de llegar al fondo de las cuestiones e informar a los lectores, son dinosaurios de otro tiempo sustituidos por el diputado mudo y el tertuliano remunerado.
 
3 -Ante la denominada "crisis de los refugiados", se corre el riesgo de que ante el llamamiento lacrimógeno a la solidaridad de los europeos, se refuercen posturas "anti-sistema", no solo euro-escépticas, sino cercanas a partidos de tercera posición, nacionalistas, etcétera... ¿Cuál es su opinión al respecto? ¿Dónde se producirán en un primer momento?
 
Seamos claros en un punto: hay inmigración en Europa porque conviene al capital. Para ganar competitividad en relación a otros actores económicos de la globalización es necesario rebajar salarios (dado que ningún país es dueño de su política monetaria) y eso se hace inyectando cuanta más inmigración, mejor. Se benefician unas patronales y se perjudica al grueso de la comunidad. La cuestión humanitaria solo preocupa a las almas cándidas.

Durante 20 años ha estado llegando inmigración con la excusa de que “pagarían las pensiones de los abuelos”. Bien, esa excusa ya es inutilizable: está claro que la inmigración no solamente no paga pensiones, sino que en sí misma, es un lastre y una aspiradora de recursos económicos. Ahora la excusa de sustitución (necesaria especialmente después de las devaluaciones de la moneda china, país que sí puede practicar una política monetaria propia y guiada por sus intereses) es la “humanitaria”. Vivimos en tiempos de ultra-humanismo, somos “tan humanitarios” que cada vez con más frecuencia de extienden los “derechos humanos”, incluso a las mascotas… Tenemos miles de ONGs subvencionadas que hacen de la “ayuda y la solidaridad” su negocio en lo que se ha dado en llamar “estafa humanitaria”.

Hay que tener en cuenta que la clase política ya no planifica: su horizonte son los cuatro años que median entre unas elecciones y otras. Lo que ocurra luego le tiene sin cuidado. Toda la clase política europea ya no piensa en términos de futuro, ni de bienestar de sus hijos en una generación, ni de lo que ocurrirá después, solamente se mueven en términos de dejar hacer a los actores económicos, preocupándose especialmente de su jubilación, es decir, del patrimonio que gestionarán cuando abandonen el poder.

Obviamente las respuestas euroescépticas, populistas de izquierdas y de derechas, son el resultado de una decepción creciente ante la clase política. Pero es una respuesta muy superficial y en la que no se excluyen regresiones: es decir, aceptaciones finales del esquema neoliberal mundial, de la globalización… En ese esquema la economía está por delante de la política. Si tenemos en cuenta que nunca como hoy han existido tales acumulaciones de capital y nunca como hoy la clase política ha estado compuesta por tantas mediocridades y oportunistas, veremos que la desproporción es absoluta. La aludida falta de espíritu crítico de la población es el coadyuvante necesario para agravar la situación.

Lo dramático es que existen grupos de opinión hartos de la actual situación y que están reaccionando a derecha e izquierda, pero en ningún caso, todavía, tienen fuerza suficiente como para imponerse mínimamente a la actual corriente dictada por los “señores del dinero”. Y el tiempo juega contra ellos: el empobrecimiento cultural, la pérdida de identidad, la disminución del espíritu crítico, el repliegue hacia lo personal, son fenómenos que aumentan de día en día tendiendo a reforzar el sistema.

Céline decía: “Nunca ha votado, no tengo la menor duda de que la mayoría es idiota por tanto sé lo que saldrá de las urnas”. Vale la pena tener todo esto en cuenta a la hora de valorar las posibilidades de la contestación.
 

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4 - Para muchos, la postura "evoliana" es una postura acomodaticia, poco valiente. Tal y como están las cosas, en España, en Europa y Occidente en general, ¿existe la posibilidad de reconducir a las democracias occidentales y recuperar la soberanía nacional, o es una batalla perdida? De producirse, ¿cuáles podrían ser los puntos de inflexión que precipitarían los acontecimientos?
 
Evola lo único que dice es “sigue tu camino”… lo cual implica saber cuál es el camino de cada cual. Somos diferentes: unos más volcados a la acción, otros hacia la meditación, otros hacia el trabajo. Desde Dumézil se sabe que siempre existió una división trifuncional en las sociedades indo-europeas. Hay un Evola (el de Los Hombres y las Ruinas) que habla al hombre de acción. Hay otro Evola (el de Cabalgar el Tigre) que se dirige a otro tipo humano. Esto es fundamental para entender la obra de ste autor.

Dicho lo cual, añadiré que la cuestión sobre si en Europa puede hacerse o no todavía algo, es una vieja cuestión. En los años 50, supervivientes de los antiguos regímenes vencidos y miembros de algunos cuerpos de élite, ya discutían este tema. Existían dos posiciones: mientras Europa esté ocupada a un lado por soviéticos y a otro por norteamericanos, no puede hacerse nada, así que hay que trasladar el teatro de operaciones a Iberoamérica. La otra era, la de utilizar la “idea europea” para crear un nuevo proyecto continental capaz de hacerse un hueco en los escenarios políticos europeos. Este debate prosiguió hasta los años 70 y pertenece a mis recuerdos de juventud.

En la actualidad, Europa está perdida. Se puede tener un lugar bajo el sol de la democracia a condición de evitar todo radicalismo, y ocupando siempre un lugar secundario en la escena política. Es una opción a la espera de que los tiempos mejores. El problema es que la globalización es una apisonadora que mediante la Unión Europea, imposibilita cualquier capacidad de respuesta. Además, sus estructuras y políticas no son democráticas (es decir, no se elijen en votación sino que “surgen” en oficinas tecnocrática que ya no están al servicio de Europa sino del capital).

Desde 1945 la soberanía de los Estados es ficción: los vencedores de entonces (que siguen siéndolo hoy) se arrogaron el derecho de intervenir allí en donde aparezcan “amenazas” para la “comunidad mundial”. Desde 1945 el término “soberanía nacional” está obsoleto. Es un recuerdo, un residuo de la época de las Naciones-Estado. Hoy vivimos el tiempo de la Globalización, un concepto incompatible con cualquier otro que no sea soberanía del dinero. Hace unas décadas se solía decir que en Europa era donde los problemas habían alcanzado su máximo de intensidad, por tanto era aquí en donde antes se reaccionaría y de manera más contundente.

Pero ese planteamiento olvida que no son las Naciones las que reaccionan, sino los pueblos… y el pueblo europeo está tan absolutamente bastardizado y ganado por la ideología humanitarsta-globalizadora como cualquier otro. Es más: de manera empírica hemos podido comprobar que en otros países, especialmente en Canadá o en algunas zonas de Iberoamérica, existen criterios más racionales para la educación y están ausentes los prejuicios que en Europa han alcanzado categoría de dogmas.

No veo qué reacciones en profundidad podría aparecen en Europa, ni en función de qué: si Europa apenas ha reaccionado ante la crisis global iniciada en 2007, abandonad toda esperanza… no reaccionará jamás. El caso griego es sorprendente. Los europeos de hoy no son ya los descendientes de los héroes de las Termópilas, ni de Teotorburgo, no son ni los nobles godos que se propusieron reconquistar España desde los montes astures y el Pirineo catalán, no son hijos de los cruzados, ni herederos de los descubridores: son pobres despistados, débiles, moralmente ganados por el universalismo que han perdido incluso sus instintos naturales (el territorial, el de supervivencia y el de agresividad).

Por otra parte, reaccionar en contra de la globalización defendiendo a los Estados-Nación no parece la mejor fórmula: y la respuesta euroescéptica a la globalización se está haciendo desde los Estados-Nación, mucho más que desde otra perspectiva europea o desde la perspectiva de los “gran espacios” cuya necesidad ya se había puesto de manifiesto a finales de los años 30.
 
5 -En un reciente artículo de Infokrisis, se apostaba muy acertadamente por lo que se denominaría un "trans-partido", ajustado a una realidad social, económica, política y cultural muy diferente a la que hemos conocido hasta ahora. Si no lo entiendo mal, el futuro estaría ahora en fórmulas tipo plataforma o coalición, que aglutinen voluntades en torno a eso que se denomina "ideas fuerza". Algo similar hemos visto dentro del nacionalismo político español, primero con La España en Marcha, y ahora con la coalición entre España 2000, PxC y PxL. Las izquierdas a esto lo han llamado -al menos en Madrid, el caso de Ahora Madrid- "partido instrumental". ¿Podrá el patriotismo político español abandonar las siglas históricas y evolucionar en la misma dirección?
 
Bueno, el artículo que mencionas tiene unos 5 ó 6 años, se publicó inicialmente en la revista IdentidaD, es decir, se escribió al iniciarse la crisis de 2007, pensando que podría a partir de esta crisis se generaría una “respuesta nacional” en todo el continente que abarcaría también a España. No ha sido así.

mila105903-politica.gifVayamos por partes: de las siglas y las iniciativas que mencionas solamente hay dos que tengan un mínimo de actividad y peso, PxC y E2000. El resto son entelequias a las que falta incluso “principio de razón suficiente”: ¿Por qué existe una FE-LaFalange y no está dentro de una sigla común? ¿un Nudo qué es? ¿un partido, un círculo de amigos, qué fórmula legal tiene? ¿Pueden existir coaliciones de cuatro o cinco siglas sin un solo cargo electo y con apenas unos cientos de votos en donde cada parte sea celosa de su “independenci”? Absurdos, solo absurdos y nada más que absurdos con los que no vale la pena perder mucho tiempo. Ganará el partido que tenga los mejores cuadros, los más lúcidos, los mejor preparados, el equipo más dinámico y las ideas más claras: y en mi opinión solamente hay una fórmula, el eje PxC-E2000. Todo lo demás, es demasiado pequeño, oscilante e indefinido, o incluso meros arcaísmos.

Y sí, sigo pensando que la fórmula “partido político” ya no es la adecuada. Plataformas locales unidas en torno a un programa mínimo, vertebradas por una dirección que piense en los mismos términos y en torno a un fuerte liderazgo. No creo, por supuesto que siglas históricas puedan reavivarse en ninguna circunstancia, ni tampoco creo que partidillos que llevan 20 y 30 años funcionando con los mismos líderes y sin obtener un solo éxito, sirve para algo más que para disolverse.

Pero también aquí, te diré, que ando cansado de realizar propuestas, analizar fórmulas y sugerir soluciones e incluso de seguir esta temática. No ostento ningún cargo de dirección en ningún partido y creo que va siendo hora de que las direcciones de los partidos, partidillos y grupos de amigos, demuestren lo que valen y la idoneidad de sus propuestas. En lo que a mí respecta, no tengo nada que añadir ni que proponer.
 
6- Hagamos política ficción, y supongamos que dicha plataforma existe a muy corto plazo, de aquí a las generales... ¿Existe alguna posibilidad de conseguir algún éxito por la vía electoral de aquí a diciembre, o habría que esperar a las europeas de 2019? En tal caso, ¿cómo estará España para entonces, dentro de cuatro años?
 
No creo que en las elecciones de diciembre de 2015 se presente ninguna opción “patriótica” y en caso de presentarse, el fracaso será el habitual en todo lo que se hace con improvisación y sin dos dedos de frente. Las europeas de 2019 están muy lejos y veremos lo que ha sobrevivido. En cuatro años, España estará como hoy… pero un poco peor.

milaPortadaMundoCúbico.jpgCon un 18-20% de la población de origen inmigrante, con el sistema de pensiones colapsado, con 5.000.000 de parados enquistados y un tercio de la población próxima al umbral de la pobreza o por debajo de ella, con un sistema educativo convertido en mero almacenamiento de alumnos, y posiblemente con un segundo estallido de la burbuja inmobiliaria (si miráis en torno a las grandes ciudades, vuelven a verse grúas trabajando, cuando aún quedan 2.500.000 de pisos sin vender…) y cuando las repercusiones de la segunda oleada de crisis de la globalización, la que está en estos momentos estallando en Brasil, afecte particularmente a las empresas de nuestro país… tal será el horizonte que tendremos en 2019.

Más inestabilidad política, los mismos niveles de corrupción, la misma deuda impagable, y casi una cuarta parte de origen extranjero. No va a ser, desde luego, una situación como para que la “vieja banda de los cuatro” (PP+PSOE+CU+PNV), ni la “nueva banda de los cuatro” (Podemos+Ciudadanos+Bilbu+ERC) puedan echar cohetes, pero tampoco como para pensar que las masas van a acudir expontáneamente a una opción euroescéptica, identitaria o “patriótica”.

Para que eso ocurra en un plazo máximo de año y medio o dos debería levantarse una bandera que, por el momento, no existe, y que como digo solamente podría partir de PxC y E2000. ¿Por qué insisto en esta idea? Porque son los dos únicos grupos que tienen una mínima presencia institucional… es decir, que tienen algo de contacto con la población. El resto, apenas registran actividad y su ausencia de mínimos resultados electorales indica que carecen de cualquier cordón umbilical con el electorado. Hay que partir de experiencias concretas que hayan supuesto contacto real con los intereses de la población. Cualquier otra cosa se hundirá en medio de la esterilidad más absoluta, por mucho que en algún momento atraigan puntualmente la atención mediática.
 
7 -Recientemente hemos leído sendos artículos en prensa de Juan Manuel de Prada o Fernando Sánchez-Dragó en medios "generalistas", bastante lúcidos, que son toda una excepción dentro del discurso único de periódicos como El País, ABC, El Mundo o La Razón. ¿Cuáles son, en su opinión, otros autores "discrepantes" que, a nivel nacional o internacional, resulten al mismo tiempo accesibles, recomendables y potencialmente "peligrosos" o "dañinos" para el sistema?
 
Drieu la Rochelle decía que “un intelectual no es aquel que piensa, sino el que hace del pensar una profesión”. Estoy de acuerdo con esa definición. Un intelectual tiene la función de un despertador. Es lo máximo a lo que puede aspirar. Cuando un intelectual se levanta, cada día, piensa lo que tiene que escribir. Cientos de cuartillas. Miles al año. Es inevitable que en algunas se acierte. A los nombres que citas se podrían añadir otros que publican en medios de derechas y de izquierdas.

Hubo un tiempo en que los intelectuales cambiaban la historia o al menos influían sobre el devenir histórico y en torno suyo se formaban cuadros que luego serían dirigentes políticos. La Generación del 98, por ejemplo, la del 27, o el círculo de intelectuales  que formó en torno a Maurras en Francia. Esto no ocurre ahora: el intelectual es una voz que clama en el desierto. Influye muy poco en una sociedad que cada vez lee menos. Siempre he afirmado que el avance espectacular del Front National en 1984 y en 2014 no tiene absolutamente nada que ver con los miles de páginas escritas por Alain de Benoist.

Habitualmente el conocido cuento del Rey desnudo (de Andersen… sobre la base de un cuento español del infante don Juan Manuel, El Conde Lucanor) termina con un rey abochornado cuando un “niño” (perífrasis simbólica del intelectual) grita “¡El rey está desnudo!”… Puedo adaptar ese cuento a la modernidad: “tras oír la frase, toda la muchedumbre sigue alabando al rey y el propio rey le tiene absolutamente sin cuidado si está desnudo, vestido de armiño o haciendo el pino”. ¿Moraleja de esta versión del cuento? El intelectual puede predicar en el desierto; nadie le oirá, ni aun entendiéndolo, le prestará mucho más caso que el que se presta a una lluvia de verano. Me permitirás, por tanto, que me abstenga de recomendar autores; hasta un reloj parado acierta la hora dos veces al día. Vale la pena, eso sí, tener cierta curiosidad intelectual y picotear un poco por todas partes, sin ningún tipo de prejuicios, pero lo peor que hoy puede hacerse es tener “autores de referencia”. Tal es otro “signo de los tiempos”.
 
8- Una pregunta breve, y muy directa: ¿Existe la posibilidad de conseguir éxitos electorales sin tener presencia en los medios de comunicación, y más concretamente, en la televisión?
 
Milicia I.jpgCreo que sí. Pero es una falsa cuestión. Logra un clip viral y no necesitarás salir en TV, lo verá mucha más gente y durante más tiempo. Por otra parte, los medios se hacen eco de todo lo que tiene algún tipo de influencia en la sociedad. Siempre. Ningún “patriota” ha aparecido en TV en las últimas décadas simplemente porque, salvo acciones estilo Librería Blanquerna, apenas existe actividad patriótica y la que existe llega poco a la población. La gente que se queja de que Pablo Iglesias subió gracias a la TV, olvida que previamente existieron años de preparación (movimiento de los indignados, 15-M, décadas incluso siendo segundos espadas de Izquierda Unida). Nadie aparece en TV porque sí. Cuando desalojan a un Hogar Social, las cámaras acuden y entrevistan a alguien… hay una excusa para ello.

Harina de otro costal es lo que dicen los entrevistados. En televisión “repite” el que genera audiencia. Y para ello hace falta o ser un payaso (y aceptar ponerse en ridículo delante de la sociedad) o bien ser un provocador (y generar polémica, procurando gritar más que el resto de contertulios). Si alguien tiene un mensaje que difundir no estoy seguro de que la televisión sea el medio más adecuado. Lo que no hay que confundir es “no salir en televisión” con “no hacer nada que interese a la televisión” o con “difundir un mensaje que no interese al televidente”… En realidad, lo primero es la consecuencia de lo segundo.
 
9 - Nos gustaría, por último, que recomendase a los lectores del blog alguna película o algún libro (novela, ensayo, biografía) reciente que considere de interés.
 
Milicia II.jpg¿Novela? Me voy a lo clásico: El viaje al fin de la noche de Louis Ferdinand Céline. Sin duda, la mejor novela escrita en el siglo XX. Hay que leerla para reconocer que este título no es exagerado. ¿Ensayo? Compré El corazón de las tinieblas pensando que tendría alguna relación con la novela de Joseph Conrad. Lo tiene de manera simbólica; un ensayo muy recomendable sobre la estructura del Universo. Sólo apto para lectores seguros de no sufrir angustia existencial al percibir que estamos más próximos al cero que al infinito. ¿Biografía? La de Dionisio Ridruejo. Del fascismo al antifranquismo… interesante para comprender el primer franquismo y la naturaleza de los círculos intelectuales falangistas.

¿Cine? Habitualmente me regalo sobredosis de cine: Misericordia y Profanación ambas de género negro nórdico y con los mismos personajes; Timbuktu de cine minoritario africano, muestra la realidad del yihadismo vista por los que tienen que sufrirla; cine español: La isla mínima (el género negro es el mejor que se hace en España); ¿series? la primera temporada de True Detective, incluso la segunda, ligeramente más baja; ciencia ficción: Interestellar. Humor pausado: Los niños del cura… ¿Para qué seguir? De todas formas, me atrevería a realizar alguna sugerencia: ¿ves TV? No tienes excusa. Solamente un masoquista con una alta capacidad de sufrimiento podría ver series partidas con entre 6 y 15 minutos de publicidad, largometrajes que a medida que se acerca el final aumenta la publicidad hasta lo insoportable. Hay plataformas peer to peer para disponer de cualquier película o serie que te interese, plataformas digitales –Netflix en menos de un mes– que por menos de 10 euros al mes te ofrecen miles de películas, está youTube para ver el Club de la Comedia sin necesidad de comerse a algunos pestiños contratados para hacer bulto y los clips musicales que te interesen. Y un amplio elenco de Documentales de la TV2 que se pueden bajar o ver cuando a uno le dé la gana.


Lo dicho: si sigues viento la TV Odín no te admitirá en el Walhala…

(c) Ernesto Milà - info|krisis - http://info-krisis.blogspot.com  - Prohibida la reproducción de este texto sin indicar origen.
(c) realmofchaosslavestodarkness.wordpress.com/ - Prohibida la reproducción de este texto sin indicar origen.

dimanche, 04 octobre 2015

Kluger Ratschlag aus Princeton: Europa muss sich von den USA emanzipieren

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Kluger Ratschlag aus Princeton: Europa muss sich von den USA emanzipieren

Ex:  

Stephen F. Cohen von der Princeton-Universität rät Europa, eine neue Orientierung der Außenpolitik vorzunehmen: Diese müsse sich aus der Abhängigkeit der US-Politik lösen, ohne deswegen antiamerikanisch zu werden. Es wäre positiv für den Weltfrieden, wenn eine Allianz zwischen Deutschland, Russland und China entstünde.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Herr Cohen, Sie sind Professor Emeritus für Russland-Studien und Politik an der Princeton Universität, politischer Berater der US-Regierung und Mitglied im Council on Foreign Relations (CFR). Wie kommt es, dass Sie dennoch von den US-Medien gemieden werden, wenn es um eine Einschätzung zu Russland geht?

Stephen Cohen: Ich wurde in den 1980ern zweimal von Präsident George H.W. Bush nach Washington und Camp David eingeladen, um über Russlands Politik zu sprechen. Und das Council on Foreign Relations? Bei Ihnen klingt das so, als ob ich der amerikanischen Elite nahe stehe, aber das ist nicht wahr. Es ist nur der innere Kreis des CFR, der einflussreich ist und die amerikanische Elite vertritt. Ich bin seit Jahrzehnten einfaches Mitglied. Einst interessierte man sich dort für eine ausgewogene Sicht auf Russland, doch nun nicht mehr. Diese Organisation ist inzwischen so uninteressiert an Russlands Politik, dass ich nicht länger hingehe. Es gab eine Zeit in den 70ern, 80ern und teilweise in den 90ern, als ich einfachen Zugang zu den Massenmedien hatte. Das hörte Ende der 90er Jahre langsam auf. Und seit Putin an der Macht ist, wurde ich fast gar nicht mehr eingeladen. Das trifft nicht nur auf mich zu, sondern auch auf andere Amerikaner, die gegen die derzeitige US-Außenpolitik sind. Wir wurden aus den Massenmedien verbannt.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Welche politischen Fehler hat der Westen aus ihrer Sicht nach dem Zusammenbruch der Sowjetunion begangen?

Stephen Cohen: Ich denke, dass das heutige Desaster in der Ukraine und der Rückfall in einen neuen Kalten Krieg seinen Ursprung in den 90er Jahren in Washington hat. Was waren damals die größten Fehler? Einer war die Sieger-Mentalität bei beiden Parteien im US-Kongress. Es war die gefährliche Sichtweise, dass das post-sowjetische Russland eine Bittsteller-Nation für die Vereinigten Staaten sein würde. Die Idee war, dass Russland die Reformen durchführen würde, die die USA verlangten. Das ganze sollte durch den IWF, die Weltbank und unseren Verbündeten Boris Jelzin bewältigt werden. Der zweite große Fehler war die Entscheidung, die NATO östlich in Richtung Russlands Grenzen zu erweitern. Die Leute, die diese Politik bis heute verfolgen, sagen, sie sei rechtschaffen und könnten nicht nachvollziehen, wieso Russland dagegen sein könnte. Das war absolut dumm. Stellen Sie sich zum Vergleich ein russisches Militärbündnis vor, dass an den US-Grenzen in Mexiko oder Kanada auftaucht. Wenn der US-Präsident dann nicht den Krieg erklären würde, würde er auf der Stelle seines Amtes enthoben.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Dabei sah es um die Jahrtausendwende zunächst nach einer Entspannung zwischen Russland und den USA aus…

Stephen Cohen: Ja, nach den Anschlägen auf das World Trade Center tat Wladimir Putin viel, um die USA im Kampf gegen die Taliban zu unterstützen. Im Gegenzug tat George Bush jedoch etwas, was in Russland als gebrochenes Versprechen und sogar Verrat verstanden wurde. Die USA kündigten einseitig den ABM-Vertrag auf [Anti-Ballistic-Missile Treaty zur Begrenzung von Raketenabwehr-Systemen; Anm. d. Red.]. Der ABM-Vertrag war das Fundament der internationalen Nuklearsicherheit und ein Schlüsselbestandteil für Russlands Sicherheitspolitik. Und darüber hinaus setzte die Bush-Regierung die NATO-Osterweiterung in den baltischen Staaten fort. Bush versuchte sogar Georgien und die Ukraine in die NATO zu holen, was letztlich aber von Frankreich und Deutschland durch ein Veto unterbunden wurde. Die USA haben die rote Linie Russlands in Georgien 2008 überschritten und es folgte ein Stellvertreter-Krieg. Und 2013 haben sie die rote Linie in der Ukraine erneut überschritten und nun haben wir meiner Meinung nach die schlimmste internationale Krise seit der Kubakrise.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Der Auslöser für die Ukraine-Krise war das EU-Assoziierungsabkommen, dass die Ukraine enger an den Westen binden sollte. Warum war dieses Abkommen so explosiv?

Stephen Cohen: In dem Abkommen waren sowohl Regelungen zu Handelsbeziehungen, als auch Reise- und Visa-Bestimmungen enthalten. Das alles hörte sich zunächst gutmütig und großzügig an. Aber die Realität war, dass sich darin auch ein Paragraph zu militärischen und sicherheitsrelevanten Themen befand, was natürlich mit der NATO zu tun hatte. Die Ukraine wäre zwar nicht zum NATO-Mitglied gemacht worden, aber sie hätte sich der Sicherheitspolitik der EU und damit auch der NATO beugen müssen. Das machte sie de facto zu Verbündeten der NATO gegen Russland. Es war eine klare militärische Provokation gegenüber Russland. Das war hoch explosiv und wurde in den westlichen Medien nie ausreichend gewürdigt.

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Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Wurde Russland nicht ausreichend in die Verhandlungen zum EU-Abkommen eingebunden?

Stephen Cohen: Als das Thema des EU-Assoziierungsabkommens Mitte 2012 aufkam, war die offizielle Kreml-Position, dass dies gut für alle Beteiligten sein könnte. Putin arbeitete zu dieser Zeit an einer eurasischen Wirtschaftsunion. Deshalb sagte er, dass dies ein dreiseitiges Abkommen sein sollte, zwischen der Ukraine und der EU einerseits und zwischen Russland und der EU andererseits. Die Ukraine und Russland waren geschichtlich gesehen immer enge Handelspartner. Also sagte Putin: Je mehr Handel, desto mehr Produktion und Austausch, desto besser. Er schlug die Einbeziehung Russlands in das Abkommen vor. Doch die EU lehnte diesen Vorschlag ab und stellte die Ukraine vor die Wahl: Entweder die EU oder Russland. Sie drängten damit ein Land, dass kulturell, politisch und wirtschaftlich enge Verbindungen zu Russland hat, sich wirtschaftlich nur mit der EU zu verbünden und Russland auszuschließen. Das wäre ein Desaster für die Ukraine gewesen.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Warum hat die EU ein Abkommen mit Russland boykottiert?

Stephen Cohen: Ich denke, es war eine Mischung aus Dummheit und böswilliger Absicht, die dahinter steckte. Aber als Janukowitsch dahinter kam, was dies für die Ukraine bedeuten würde, nämlich den Verlust von Milliarden Dollar an Handelsbeziehungen mit Russland und nur einige Millionen Dollar im Gegenzug durch die EU, da zögerte er mit seiner Unterschrift und erbat sich mehr Zeit. Kein ukrainischer Politiker, der noch ganz bei Verstand ist, hätte das Abkommen in dieser Form unterzeichnen können. Doch die EU wollte das Abkommen schnell zum Abschluss bringen und setzte Janukowitsch ein Ultimatum – eine Tatsache, die Putin der EU später zum Vorwurf machte.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Der CEO des privaten Nachrichtendienstes Stratfor, George Friedman, sagte kürzlich, dass die Verhinderung einer deutsch-russischen Allianz das oberste Ziel der US-Außenpolitik sei. Inwiefern hat dies die US-Politik in der Ukraine-Krise beeinflusst?

Stephen Cohen: Offiziell haben die USA in der Ukraine keine Rolle gespielt, aber hinter den Kulissen haben die USA die Lage von Anfang an kontrolliert. Die NATO und der IWF waren involviert und beide werden durch Washington kontrolliert. Ein dreiseitiges Abkommen zwischen Russland, der EU und der Ukraine wäre nicht im Sinne der US-Außenpolitik gewesen, denn die USA hätten von diesem Abkommen nicht profitiert. Ob dies, wie George behauptet, Teil eines größeren Plans ist, kann ich nicht beurteilen. Das Problem mit Georges Argument ist, dass er sehr stark durch Leute aus der CIA beeinflusst wird und dass er ein hohes Maß an Intelligenz und strategischem Denken bei westlichen Politikern voraussetzt. Ich bezweifle aber, dass die meisten US-Abgeordneten wüssten wovon wir reden, wenn wir sie morgen fragen, ob es das Hauptziel der US-Außenpolitik ist, eine Allianz zwischen Russland und Kern-Europa zu verhindern. Wir müssten die Analyse von George also auf eine kleine Gruppe hochrangiger, historisch bewanderter und gut ausgebildeter Entscheider in Washington begrenzen. Und da, denke ich, hat er recht mit seiner Aussage.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Gibt es historische Belege für seine Aussage?

Stephen Cohen: Georges Argument ist als historische Abstraktion von entscheidender Bedeutung. Ich bin der Ansicht, dass Russlands Beziehung zu den USA eine fundamental andere ist, als noch zu Zeiten des Kalten Krieges. Alles, was Russland heute von den USA benötigt, betrifft Fragen der nuklearen Sicherheit, also die Regulierung nuklearer Waffen. Alles andere, was Russland braucht, kann es von Berlin und Peking bekommen. Je nach dem wie die Ukraine-Krise verläuft – und zurzeit bin ich da sehr pessimistisch – könnten wir wieder an einen Punkt gelangen, wo Russland sich verstärkt auf seine Beziehungen zu Deutschland und China konzentriert. Ich denke, dass wäre eine gute Sache für die Sicherheit in der Welt. Es ist Zeit für Europa, dass es endlich eine Außenpolitik entwickelt, die unabhängig von den USA, aber nicht gegen sie ist. Und es könnte diese Krise sein, die Europa von den USA trennt.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Sie sind der Ansicht, dass Russland in der Ukraine-Krise nur reagiert habe. War Putins Entscheidung gerechtfertigt, die Krim an Russland anzugliedern?

Stephen Cohen: Es war eine Reaktion auf die Ereignisse vom Februar 2014 in Kiew. George Friedman bezeichnete sie als „Coup“ und genau so sahen es auch die Russen. Die gesamte politische Elite Russlands sah das als eine potentielle Bedrohung für die Krim und die russische Marinebasis dort. Außerdem sahen sie in der Rhetorik der neuen Machthaber eine Bedrohung für ethnische Russen auf der Krim. So musste Putin entscheiden, was zu tun ist. Er sagte später, dass es bis zu diesem Moment nie eine Diskussion über eine Angliederung der Krim gegeben habe und für gewöhnlich lügt er nicht in der Öffentlichkeit. Diese Entscheidung wurde Putin aufgebürdet und sie ist ein klassisches Beispiel dafür, dass er in dieser Krise nicht der Aggressor war, sondern der Reagierende.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Putin wurde von den westlichen Medien als der Hauptschuldige der Krise ausgemacht. Wie sehen Sie die Sicht des Westens auf Putin?

Stephen Cohen: Als klar wurde, dass Putin seine eigenen Ideen hatte – und das wurde in Washington spätestens mit dem Chodorkowski-Fall klar – entfaltete sich die Dämonisierung Putins in den US-Medien. Die Leute, die den Anti-Putin-Kult geschaffen haben, sahen ihr Vorhaben in Russland durch seinen Aufstieg gefährdet. Sie verstanden dabei jedoch nicht, was Putins eigentliches Mandat war, und das war dasjenige, Russland vor dem Untergang zu bewahren.

Russland stand politisch, wirtschaftlich und geografisch vor dem Kollaps. Und Putin sah sich auf einer historischen Mission, die Souveränität Russlands wiederherzustellen. Im Jahr 2007 hielt er eine vielbeachtete Rede auf der Münchner Sicherheitskonferenz. Dort sagte er vor der gesamten westlichen Politik-Elite: „Die Beziehungen zwischen Russland und dem Westen glichen seit dem Zusammenbruch der Sowjetunion einer Einbahnstraße. Wir machten Zugeständnisse, und der Westen ignorierte unsere Position. Doch nun ist die Ära von Russlands einseitigen Zugeständnissen vorbei.“ Danach wurde Putin mit haltlosen Beschuldigungen überzogen und für alle möglichen Verbrechen verantwortlich gemacht – vom Attentat auf die Journalistin Anna Politkowskaja bis zur Ermordung des Ex-FSB-Agenten Andrey Litwinenko. Die offizielle Version wurde schnell die, dass alles, was zwischen den USA und Russland schief läuft, Putins Schuld sei. In der Ukraine-Krise ging es nicht mehr um Russland, sondern nur noch um Putin. Es war die Rede von „Putins Invasion“ und „Putins Aggression“ – eine wahre „Putinphobie“ brach los (wie extrem dies sein kann, zeigt das martialische Statement der republikanischen Präsidentschaftskandidatin Carly Fiorino, Video am Anfang des Artikels; die Redaktion).

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Deutsche Wirtschafts Nachrichten: Wer steckt hinter dieser Entwicklung?

Stephen Cohen: Diese Kampagne wird von Organisationen befeuert, die an einem Kalten Krieg mit Russland interessiert sind. Diese Anti-Putin-Lobby verfügt über Millionen von Dollars, um die Presse mit Angriffen auf Putin zu füttern. Hillary Clinton verglich ihn mit Adolf Hitler und sagte, er habe keine Seele. Obama nannte ihn einen rüpelhaften Schuljungen, der andere in die Ecke treibt und sich ständig streiten will. Zu meinen Lebzeiten wurde nie ein russischer Politiker derart verunglimpft wie Putin, nicht einmal auf dem Höhepunkt des Kalten Krieges. Jeder rationale Diskurs wird dadurch im Keim erstickt, was eine gefährliche Entwicklung darstellt. Sogar Henry Kissinger schrieb in der Washington Post, dass die „Dämonisierung Putins keine Strategie ist, sondern ein Alibi für die Abwesenheit einer Strategie“ (Kissingers neue Sichtweise – hier). Ich denke, es ist sogar noch schlimmer, als keine Strategie zu haben. Die Dämonisierung Putins ist zum Selbstzweck geworden. Und ich denke, Kissinger weiß das, nur konnte er es nicht sagen, da er weiterhin das Weiße Haus politisch beraten möchte.

***

Stephen F. Cohen war Professor für Russistik an der Princeton University und der New York University. Er schreibt regelmäßig für das US-Magazin The Nation und ist Autor zahlreicher Bücher über Russland, darunter Failed Crusade: America and the Tragedy of Post-Communist Russia. Darüber hinaus hat er das American Committee for East-West Accord mitbegründet. Diese Organisation zählt ehemalige US-Senatoren, Botschafter und politische Berater zu ihren Mitgliedern, die sich für einen friedlichen Austausch mit Russland einsetzen. Sie fordern, dass die seit 2014 gestoppte Zusammenarbeit beider Staaten im NATO-Russland-Rat wiederaufgenommen wird und ihre Anstregnungen zur nuklearen Abrüstung fortgesetzt werden.

mardi, 29 septembre 2015

Quand la réalité vient sèchement démentir le monde virtuel que s’était construit les élites occidentales...

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Quand la réalité vient sèchement démentir le monde virtuel que s’était construit les élites occidentales...

Entretien avec le Prof. David Engels

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par David Engels à Atlantico et consacré à la réaction des élites européenne à la crise multiforme qui touche leur continent. Professeur d'histoire à l'Université libre de Bruxelles, David Engels a récemment publié un essai fort intéressant intitulé Le déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013).

Atlantico : En quoi des évènements majeurs comme ceux de Charlie Hebdo au mois de janvier, mais aussi la crise des migrants que l'Union européenne gère péniblement, ont-ils pu constituer un choc pour la vision qu'avaient les élites occidentales du monde ? Dans quelle mesure ces dernières se voient-elles bousculées ?

David Engels : En analysant les diverses expressions d’opinion dans les grands médias, je ne suis pas certain de la mesure dans laquelle on peut vraiment parler d’un bousculement des opinions établies au sein des élites occidentales. Certes, les nombreux drames humanitaires et sécuritaires des derniers mois ont été vécus comme extrêmement affligeants, à la fois par le grand public et par les milieux politiques et intellectuels, mais ce qui l’est encore plus, c’est l’absence totale de véritable remise en question d’une certaine vision du monde qui est à l’origine de ces drames.

Comprenons-nous bien : quand je parle ici de « responsabilité », ce n’est pas dans un sens moralisateur, mais au contraire, dans un sens pragmatique. Car il faut bien séparer deux aspects : d’un côté, le drame migratoire, la crise économique et les dangers du fondamentalisme musulman nous mettent devant des contraintes morales et nécessités pragmatiques que nous ne pouvons nier sans inhumanité ; d’un autre côté, il faudrait enfin cesser d’ignorer que ces crises sont en large part dues au dysfonctionnement politique, économique et identitaire profond de notre propre civilisation.

Il faudrait enfin accepter les nouveaux paradigmes sociaux qui s’imposent et prendre les mesures, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour arrêter la casse, au lieu de surenchérir sur nos propres erreurs. Car c’est exactement ce que nous faisons pour le moment. Le refus de mener une politique extérieure européenne digne de ce nom a-t-il laissé le champ libre aux interventions des États-Unis et provoqué un exode ethnique sans pareil ? Retirons-nous encore plus de notre responsabilité politique et cantonnons-nous à faire le ménage des autres ! La libéralisation de l’économie nous a-t-elle poussés dans une récession sans pareil ? Pratiquons encore plus de privatisations et d’austérité ! Le remplacement des valeurs identitaires millénaires de notre civilisation par un universalisme matérialiste et individualiste a-t-il créé partout dans le monde la haine de notre égoïsme arrogant ? Prêchons encore plus les vertus d’un prétendu multiculturalisme et de la société de consommation !

Dès lors, le véritable enjeu n’est pas la question de savoir s’il faut accueillir ou non les réfugiés syriens, iraquiens ou afghans – la réponse découle obligatoirement des responsabilités de la condition humaine –, mais plutôt la nécessité d’œuvrer courageusement et efficacement pour que les réfugiés puissent rapidement retourner chez eux et trouver un pays stabilisé, au lieu de rester en Europe et d’être exploités soit par une économie en recherche d’une main d’œuvre bon marché, soit par des groupuscules islamistes fondamentalistes. Le véritable enjeu, ce n’est pas l’assainissement des finances grecques, mais plutôt la réforme d’un système économique global permettant à des agences de notation privées de rendre caduques toutes les tentatives désespérées de diminuer les dettes souveraines des États avec l’argent des contribuables européens. Le véritable enjeu, ce n’est pas la question de savoir s’il faut renvoyer chez eux les nombreux étrangers nationalisés depuis des décennies, mais plutôt, comment les intégrer durablement dans notre société et maintenir le sens de la loyauté et solidarité envers notre civilisation européenne.

D'ailleurs, comment décririez-vous cette vision "virtuelle" du monde d'après ces élites ? En quoi consist(ai)ent ces représentations mentales ?

David Engels : La vision du monde développée par la majorité de nos élites actuelles est caractérisée, consciemment ou inconsciemment, par une profonde hypocrisie me faisant souvent penser à la duplicité du langage idéologique pressentie par Orwell, car derrière une série de mots et de figures de pensée tous aussi vaticanisants les uns que les autres, se cache une réalité diamétralement opposée. Jamais, l’on n’a autant parlé de multiculturalisme, d’ouverture et de « métissage », et pourtant, la réalité est de plus en plus caractérisée par l’hostilité entre les cultures et ethnies. Jamais, l’on n’a autant prêché l’excellence, l’évaluation et la créativité, et pourtant, la qualité de notre système scolaire et universitaire est en chute libre à cause du nivellement par le bas généralisé. Jamais, l’on n’a autant fait pour l’égalité des chances, et pourtant, notre société est de plus en plus marquée par une polarisation dangereuse entre riches et pauvres. Jamais, l’on n’a autant appelé à la protection des minorités, aux droits de l’homme et à la tolérance, et pourtant, le marché du travail est d’une dureté inouïe et les droits des travailleurs de plus en plus muselés. Jamais, l’on ne s’est autant vanté de l’excellence de nos démocraties, et pourtant, la démocratie représentative, sclérosée par la technocratie et le copinage à l’intérieur, et dépossédée de son influence par les institutions internationales et les « nécessités » de la globalisation, a abdiqué depuis bien longtemps. Force est de constater que non seulement nos élites, mais aussi les discours médiatiques dominés par l’auto-censure du « politiquement correct » sont caractérisés par un genre de schizophrénie de plus en plus évidente et non sans rappeler les dernières années de vie de l’Union soviétique avec son écart frappant entre la réalité matérielle désastreuse d’en bas et l’optimisme idéologique imposé d’en haut…

david engels,actualité,europe,affaires européennes,politique internationale,entretien,déclin,déclin européenCertains intellectuels avancent l'idée que cette déconnexion découle de la fin de la guerre froide, qui les aurait contraint à penser le monde de manière pragmatique. Comment expliquer que ces élites en soient arrivées-là ?

David Engels : Oui, la fin de la Guerre Froide me semble aussi être un élément crucial dans cette équation, car la défaite de l’idéologie communiste et le triomphe du capitalisme ont fait disparaître toute nécessité de respecter l’adéquation entre discours politique et réalité matérielle afin de ne pas donner l’avantage à l’ennemi idéologique, et ont instauré, de fait, une situation de parti unique dans la plupart des nations occidentales. Certes, nous maintenons, sur papier, un système constitutionnel marqué par la coexistence de nombreux partis politiques, mais la gauche, le centre et la droite sont devenus tellement proches les uns des autres que l’on doit les considérer désormais moins comme groupements idéologiques véritablement opposés que comme les sections internes d’un seul parti.

De plus, n’oublions pas non plus l’ambiance générale de défaitisme et d’immobilisme auto-satisfait qui s’est installée dans la plupart des nations européennes depuis déjà fort longtemps : la valorisation de l’assistanat social, l’américanisation de notre culture, le louange de l’individualisme, la perte des valeurs et repères traditionnels, la déconstruction de la famille, la déchristianisation, l’installation d’une pensée orientée uniquement vers le gain rapide et la rentabilité à court terme – tout cela a propulsé l’Europe dans un genre d’attitude volontairement post-historique où l’on vivote au jour le jour tout en laissant la solution des problèmes occasionnés aujourd’hui à de futures générations, selon cette maxime inoubliable d’Henri Queuille qui pourrait servir de devise à la plupart de nos États : « Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. »

A quel point est-ce que ce décalage a pu s'observer ? Quels en sont, selon vous, les exemples les plus marquants ?

David Engels : Le potentiel d’un décalage formidable entre l’idéal et la réalité des démocraties libérales modernes s’est déjà manifesté dans l’entre-deux-guerres, période d’ailleurs non sans quelques ressemblances évidentes avec la nôtre. Mais la Guerre Froide, avec l’immobilisme de la politique étrangère qu’elle a imposée aux États et avec les avantages sociaux qu’elle a apportés aux travailleurs dans les sociétés capitalistes, a, pendant quelques décennies, endigué cette évolution. Néanmoins, au plus tard depuis le 11 septembre, il est devenu évident que l’Occident fait fausse route et va de nouveau droit dans le mur. Ainsi, en mettant délibérément de côté l’importance fondamentale des identités culturelles au profit d’une idéologie prétendument universaliste, mais ne correspondant en fait qu’à l’idéologie ultra-libérale, technocratique et matérialiste développée dans certains milieux occidentaux, l’Ouest a provoqué l’essor du fondamentalisme musulman et ainsi le plus grave danger à sa sécurité. De manière similaire, en contrant le déclin démographique généré par la baisse des salaires et l’individualisme érigé au titre de doctrine officielle par l’importation cynique d’une main d’œuvre étrangère bon marché sans lui donner les repères nécessaires à une intégration efficace, nos élites ont durablement déstabilisé la cohésion sociale du continent. De plus, en concevant l’Union européenne non comme un outil de protection de l’espace européen contre les dangers de la délocalisation et de la dépendance de biens étrangers, mais plutôt comme moyen d’arrimer fermement le continent aux exigences de ces « marchés » aussi anonymes que volatiles et rapaces, nos hommes politiques ont créé eux-mêmes toutes les conditions nécessaires à la ruine des États européens structurellement faibles comme la Grèce ainsi qu’à la prise d’influence de quelques grands exportateurs comme l’Allemagne. Finalement, en appuyant les interventions américaines en Afghanistan et en Iraq, puis en projetant, sur le « printemps » arabe, une réalité politique occidentale, l’Europe a été complice de la déstabilisation du Proche Orient et donc de l’exode de ces centaines de milliers de réfugiés dont le continent commence à être submergé. Et je pourrai continuer encore longtemps cette liste illustrant les égarements coupables de nos élites politiques et intellectuelles…

David Engels (Atlantico, 20 septembre 2015)

dimanche, 27 septembre 2015

Onfray, Sapir : le retour en force de la gauche du non

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Onfray, Sapir : le retour en force de la gauche du non

Entretien avec Thomas Guénolé

Ex: http://patriotismesocial.fr

Thomas Guénolé décrypte comment la gauche du non, ignorée en 2005, est en train de revenir sur le devant de la scène, accusée de «faire le jeu du FN».

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po, docteur en sciences politiques (Sciences Po – CEVIPOF). Il est l’auteur du Petit guide du mensonge en politique paru aux éditions First en mars 2014.

LE FIGARO. – Jacques Sapir et maintenant Michel Onfray, deux personnalités issues de la gauche, ont été récemment accusés de faire le jeu du FN. Selon vous, ces polémiques s’inscrivent dans la continuité du «Non» français au traité constitutionnel européen en 2005. En quoi ?

Thomas GUÉNOLÉ. – Après la victoire du «Non» au référendum de 2005 sur la Constitution européenne, il y avait eu alliance objective entre le «Oui de droite» et le «Oui de gauche», entre l’UMP de Nicolas Sarkozy et le PS de François Hollande, pour adopter au Parlement quasiment le même texte, rebaptisé «traité de Lisbonne».

Depuis lors, le «Non de gauche» a été repoussé en France dans les limbes du débat public, du paysage politique, et du paysage audiovisuel. Voici dix ans en effet qu’en France, les intellectuels, éditorialistes et économistes qui défendent les idées du «Non de gauche», et qui obtiennent d’être significativement médiatisés, se comptent au total à peine sur les doigts des deux mains. Pourtant, lors du référendum de 2005, selon un sondage de TNS Sofres et de Gallup, le «Non» à la Constitution européenne, en particulier à son programme économique, avait fait 70% des voix chez le «peuple de gauche».

Au bout de dix ans de purgatoire, depuis quelques mois nous assistons au contraire à la brutale réhabilitation du «Non de gauche» dans le débat public. La présence beaucoup plus prégnante d’intellectuels comme Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Michel Onfray, tous trois partisans de cette ligne politique, constitue un symptôme évident de ce retour de balancier.

Dans ce contexte, il est parfaitement cohérent que Laurent Joffrin en particulier soit monté au créneau contre Michel Onfrey : c’est la riposte du « Oui de gauche » au « Non de gauche ».

Dans ce contexte, il est parfaitement cohérent que Laurent Joffrin en particulier soit monté au créneau contre Michel Onfray: c’est la riposte du «Oui de gauche» au «Non de gauche». On avait assisté à la même chose, lors de la controverse sur le livre «Qui est Charlie?», entre le «Non de gauche» d’Emmanuel Todd et le «Oui de gauche» de Manuel Valls.

La crise politique euro-grecque de 2015 a-t-elle contribué à cette transformation du débat public français ?

Je pense même que c’est le facteur principal qui a provoqué cette transformation du paysage intellectuel. L’affrontement entre les dirigeants de l’Union européenne et le gouvernement grec a atteint un degré de violence politique proprement ahurissant: songez qu’en plein référendum grec sur les mesures d’austérité exigées par la «Troïka», la Banque centrale européenne a coupé l’arrivée de liquidités au système bancaire grec tout entier. Sauf erreur de ma part, c’est du niveau d’un acte de guerre économique pure et simple.

Obtenue avec ces méthodes et avec ces exigences en termes d’austérité radicalisée, la capitulation d’Athènes le couteau sous la gorge a sans doute agi comme révélateur sur tout un pan de l’opinion publique de gauche en France. Le révélateur de cette vérité simple: non, quand on est dans la zone euro, et quand on a signé le Pacte budgétaire européen dit «traité Merkozy», on ne peut pas faire une autre politique que celle de l’austérité. Et donc: non, quand on est dans la zone euro et quand on a signé le Pacte budgétaire européen, on ne peut pas faire une politique de gauche au sens où l’entend le «Non de gauche».

Tout au plus peut-on, comme actuellement François Hollande, être de gauche au sens très limité d’une politique socio-économique identique à celle de la droite, mais accompagnée d’une lutte rigoureuse contre les discriminations dans la société française ; discriminations qui du reste sont bien réelles, en particulier contre les femmes, les jeunes, et les Français ayant des origines arabes ou subsahariennes. Du reste, c’est toute la logique de la stratégie Terra Nova conceptualisée par feu Olivier Ferrand pour le candidat du PS à la présidentielle de 2012.

Par conséquent, la crise euro-grecque de 2015 ayant brutalement dévoilé qu’une alternative à l’austérité est interdite quand vous êtes membre de l’euro et du Pacte budgétaire européen, il est parfaitement logique qu’elle accouche de la résurrection du «Non de gauche» dans le débat public français.

Ce «Non» de gauche peut-il, non pas faire le jeu du FN, mais le concurrencer ?

Etre de gauche et dire que la France doit sortir de Schengen, pour combattre la concurrence déloyale de la main d’œuvre d’Europe centrale, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut copier le modèle canadien d’immigration par quotas de métiers, pour empêcher l’écrasement des salaires du personnel non qualifié et le dumping sur celui du personnel qualifié, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut sortir de l’euro pour ne plus se voir interdire les relances monétaires keynésiennes, ce n’est pas faire le jeu du FN. C’est, au contraire, enrayer la dynamique du FN, en faisant que la gauche se réapproprie ses propres fondamentaux socio-économiques.

Etre de gauche et dire qu’il faut sortir de l’euro pour ne plus se voir interdire les relances monétaires keynésiennes, ce n’est pas faire le jeu du FN. C’est, au contraire, enrayer la dynamique du FN, en faisant que la gauche se réapproprie ses propres fondamentaux socio-économiques.

C’est la grande contradiction dans le raisonnement d’une partie des éditorialistes, intellectuels et économistes qui défendent le «Oui de gauche»: accuser leurs homologues du «Non de gauche» de «faire-le-jeu-du-FN» en ayant un discours souverainiste de gauche. Or, au contraire, ce sont la marginalisation et l’étouffement du «Non de gauche» dans le débat public français depuis dix ans qui favorisent la montée du FN, en le mettant en monopole sur le message anti-politiques européennes d’austérité. Car, tout bien pesé, si le «Non de gauche» existait solidement dans le paysage intellectuel et politique français, alors, du jour au lendemain, la stratégie Philippot du FN, consistant à cibler les électeurs du «Non de gauche», n’aurait plus aucune chance de fonctionner.

Pour l’heure, le «Non de gauche» ne trouve pas de traduction politique…

C’est plutôt un problème d’unification qu’un problème de vide. EELV tendance Duflot, Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, Nouvelle Donne de Pierre Larrouturou, aile gauche du PS presque en rupture de ban, réseaux d’Arnaud Montebourg: sur le fond, ces courants du paysage politique incarnent tous à des degrés divers le «Non de gauche», et ils ne divergent que sur une poignée d’enjeux, secondaires face au programme européen d’austérité.

Néanmoins, aussi longtemps que cette offre politique du «Non de gauche» sera atomisée, fragmentée, balkanisée, elle n’aura aucune chance de percer. Et ce, alors que l’écroulement progressif dans les urnes du «Oui de gauche» lui donne une fenêtre de tir.

Face aux divisions de la gauche du «Non», la candidature d’une personnalité de la société civile peut-elle émerger pour la présidentielle de 2017 ?

Peut-être Michel Onfray lui-même compte-t-il, comme José Bové en son temps, concourir à l’élection présidentielle ; et après tout, l’aventure d’un candidat venu de la société civile est dans l’air du temps. Cependant, une autre possibilité m’apparaît plus solide pour porter un «Non de gauche» unifié sur les fonds baptismaux: une primaire ouverte de toute la gauche du «Non», pour ne présenter qu’un candidat au premier tour de 2017 ; et d’ici là, l’unité de liste systématique du «Non de gauche» au premier tour des élections régionales de décembre.

Source : Le Figaro

jeudi, 24 septembre 2015

Oskar Freysinger: La Russie a joué un rôle décisif pour l’indépendance et la neutralité de notre pays

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«La Russie a joué un rôle décisif pour l’indépendance et la neutralité de notre pays»

Interview d’Oskar Freysinger, conseiller national et conseiller d’Etat du Valais

Ex: http://www.horizons-et-debats.ch 

Au cours de l’été 2015, le conseiller national Oskar Freysinger a déposé une motion (cf. encadré) obligeant le Conseil fédéral à engager sans tarder des négociations avec la Russie en vue d’un accord de libre-échange. Dans l’interview ci-dessous, Oskar Freysinger explique les raisons pour lesquelles il a fait cette démarche.

Horizons et débats: Monsieur le Conseiller national, qu’est-ce qui vous a amené à déposer cette motion parlementaire?

Oskar Freysinger: Lorsqu’on considère les développements de ces derniers 25 ans, il est évident que pendant des décennies, nous nous sommes orientés uniquement vers les Etats-Unis, partant de l’idée que l’ami se trouve à l’Ouest et que tout cela n’aurait que des avantages économiques. Concernant l’économie, cela peut être en partie justifié, mais le prix que nous avons payé est très élevé. Nous avons par exemple dû abandonner le secret bancaire, ce qui a amené beaucoup de désavantages, par exemple lors de l’«arrangement» avec l’UBS, en raison de notre entière orientation envers le système américain.

Qu’est-ce que cela signifie?

Avec ce système de bonds, on crée une richesse artificielle reposant uniquement sur le papier-monnaie, imprimé continuellement. Ainsi, on s’endette sans aucune retenue. Malheureusement, les banques suisses sont de plus en plus embourbées dans ce système.

N’y a-t-il pas d’alternatives?

C’est ce que je me suis aussi demandé. En fait, il s’agissait pour moi de diriger le regard vers l’Est pour nous débarrasser du vieux mythe que l’ennemi se trouve là-bas. Au cours de l’histoire, la Russie a toujours fait preuve d’une relation amicale envers la Suisse. La Russie a joué un rôle décisif pour l’indépendance et la neutralité de notre pays après les guerres napoléoniennes, lors du Congrès de Vienne. De même, depuis 1992, nous n’avons pas de raison de nous plaindre de la Russie. Il n’existe aucun exemple prouvant que ce pays ait décidé quelque chose de négatif pour notre pays.

Qu’est-ce que vous en concluez?

Il n’y aura pas d’avenir pour l’Europe sans la Russie. Nous devrions faire le nécessaire pour nous associer avec la Russie. Pour moi, c’est incompréhensible pourquoi Madame Merkel ne s’en est pas encore rendu compte.

Comment le comprenez-vous?

Je me demande pour quelle raison les Etats-Unis exercent une telle influence sur Merkel, car une alliance entre l’Allemagne et la Russie serait une pierre angulaire pour un essor économique incroyable. Mais c’est justement ce que craignent les Anglo-Saxons. Si l’Allemagne s’associait à la Russie, les deux deviendraient en peu de temps la première puissance économique du monde. Ils dameraient le pion aux Américains.

Quelle est la réaction des Etats-Unis?

Ils créent des sources de division à l’aide de la Pologne et de l’Ukraine.

Quelles en sont les conséquences pour la Suisse?

Nous sommes libres, car nous ne sommes pas dans l’OTAN et ne sommes pas liés par des accords – spécialement avec les Etats-Unis. La Russie est pour nous un pays très intéressant en tant que partenaire économique, rien qu’en raison des matières premières, mais aussi dans le domaine culturel et il existe des liens historiques. Pour nos entreprises, la Russie représente un marché très intéressant. Elle a une économie en pleine évolution et Poutine essaie de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté de son pays. Je ne vois pas pourquoi nous devrions laisser les Américains nous empêcher d’établir des relations privilégiées avec la Russie.

Lorsqu’il s’agit de la situation en Europe, les relations avec nos Etats voisins jouent naturellement un rôle essentiel, notamment avec l’Allemagne. Comment voyez-vous ces relations?

Les relations avec l’Allemagne n’ont jamais été simples. En ce moment c’est la carte de l’amitié qui se joue, mais honnêtement, la Suisse est une concurrente pour l’Allemagne, car elle est active dans le même domaine qu’elle. Je n’ai certes rien contre des relations amicales avec nos pays voisins, tout au contraire, c’est très important. Mais nous ne devons jamais nous placer dans une position subordonnée. Nous n’avons pas à accepter de traité colonial. La Suisse est un Etat indépendant et souverain, nous ne sommes pas membre de l’UE, nous ne sommes pas membres de l’OTAN et cela, les autres Etats doivent le respecter. Lorsque nous voyons les intérêts que l’UE a dans le territoire de la Suisse, cela nous donne un autre point de vue. Déjà, il y a plus de 300?000 frontaliers gagnant tous les jours leur salaire en Suisse, ce qui apporte des devises s’écoulant dans l’UE. En outre, nous avons l’accord sur les transports terrestres. Là, la Suisse ne demande que la moitié du prix réel pour chaque camion de l’UE traversant la Suisse. Avec les Accords bilatéraux, l’UE a beaucoup gagné et elle continuera à en profiter. De nous traiter de «profiteurs», c’est tout simplement un mensonge.

Quels sont les points problématiques dans ces accords?

Dans le fond, c’est une situation contractuelle toute simple. S’il n’y avait pas la «clause guillotine», cela pourrait être positif pour les deux parties. Ce qui dérange c’est cette clause dite guillotine, on ne négocie pas à l’ombre d’une guillotine. Dès le début, j’ai trouvé incompréhensible comment la Suisse avait pu accepter une telle chose. La devise de l’UE était: tout ou rien. Ce n’est pas une base de négociation, on devrait pouvoir négocier chaque objet individuellement.

Quels pourrait être l’avenir dans ce domaine?

Ce qui nous attend avec l’accord-cadre c’est la reprise automatique de la juridiction de l’UE et la reconnaissance d’un tribunal arbitral européen et cela est inacceptable. C’est une stratégie perfide pour provoquer une adhésion indirecte à l’UE. Si nous demandions directement au peuple suisse s’il veut adhérer à l’UE, nous aurions probablement un taux de rejet de 85%. C’est totalement inacceptable de contourner cela, en provoquant une adhésion de facto au moyen de lois reprises de façon «dynamique» à l’aide d’un accord-cadre, en ne parlant pas d’une reprise automatique mais d’un développement dynamique, menant ainsi les gens par le bout du nez.

Dans cette situation, il est extrêmement important que la Suisse se cherche des partenaires contractuels honnêtes. D’après ce que vous venez de dire, la Russie serait un tel partenaire. Comment le Conseil fédéral a-t-il réagi à votre motion?

Il a écrit que 12 cycles de négociations avaient déjà eu lieu entre la Russie et l’AELE mais que malheureusement les négociations ont été interrompues suite à la crise ukrainienne et qu’il refusait donc ma motion.

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Mais pourquoi ne peut-on pas négocier avec la Russie maintenant?

Le Conseil fédéral le justifie avec la crise en Ukraine. Bien qu’aujourd’hui nous sachions exactement que la crise en Ukraine a été initiée par les Etats-Unis. Le putsch sur le Maïdan n’était pas du tout une révolte populaire tombée du ciel au cours de la nuit. Cela a été orchestré, organisé et financé. Là derrière, il y a les services secrets américains, la CIA, poursuivant l’objectif de perturber les relations entre la Russie et l’Allemagne, voire l’UE. C’était aussi une réaction au fait que la Russie n’ait pas laissé tomber la Syrie. Lorsqu’il s’agissait de Kadhafi – on a bien vu le résultat en Libye –, les Chinois et les Russes se sont fait avoir, ils ont donc appris cette leçon. Concernant la Syrie, ils sont restés fermes. C’est pour cette raison que Bachar al-Assad est toujours en place. Le monstre créé par les Etats-Unis, l’Etat islamique, continue à être financé par eux et soutenu par Israël et l’Arabie saoudite. Pour ces pays, il est pratique que l’Etat islamique continue à exister, car de cette manière les Sunnites et les Shiites continueront à se déchirer dans d’interminables conflits. C’est l’Union européenne qui en paye le prix, car maintenant des masses de réfugiés et de requérants d’asile arrivent en Europe. Tout ce jeu est d’une perfidie macabre, c’est hypocrite, c’est cynique. Les Etats-Unis parlent à tout moment des droits de l’homme qu’ils défendent partout dans le monde. Cependant, ils sont par exemple étroitement liés avec l’Arabie saoudite, un pays avec lequel ils ont depuis 1973 un pacte «dollar contre pétrole». Là, les droits de l’homme n’ont aucune importance. On y discrimine les femmes, on y fouette des êtres humains, on y décapite plus de 250 personnes par année, tout cela n’a aucune importance. Nous nous faisons sans cesse mener par le bout du nez.

Comment interprétez-vous la réponse du Conseil fédéral?

Encore une fois, on se montre soumis face aux Etats-Unis. Mais les Anglo-Saxons poursuivent toujours leurs propres intérêts et ne se soucient pas guère des intérêts des autres. Ils jouent les policiers du monde, mais ce sont eux qui déclenchent partout sur notre planète les plus grands incendies. Ce sont eux, les incendiaires, se présentant par la suite comme des pompiers héroïques.

Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse?

Nous sommes un pays libre et indépendant et nous ne devrions pas participer à ce jeu. Ce que font les autres, c’est leur affaire, mais nous, nous devrions poursuivre une politique autonome et commencer sans attendre des négociations avec la Russie, même si cela ne plaît pas aux Etats-Unis. La situation ne peut guère empirer. Je ne pense pas que les Etats-Unis vont se rapprocher avec leur 6e flotte pour envahir la Suisse. Nos relations avec les Etats-Unis sont déjà en piteux état. C’est hypocrite de faire comme s’ils étaient nos meilleurs amis. Ils ne le sont pas, ils l’ont prouvé maintes fois par leur comportement. Dans ce marché, nous n’avons plus rien à gagner.

Pourquoi la Suisse n’a-t-elle pas changé de position depuis longtemps?

Apparemment, on n’a pas encore eu le courage de se libérer du diktat américain. On semble préférer se soumettre et subir sans broncher.

Que faire?

Il serait urgent de revoir ses positions, notamment dans les domaines de l’économie et des banques. La Russie a besoin d’une place financière indépendante, la Suisse pourrait jouer ce rôle. Mais pas seulement pour la Russie mais aussi pour la Chine, l’Inde et les autres Etats du BRICS. Nous devrions coopérer avec ces Etats, parce que là, les pressions sont moins fortes qu’avec l’OTAN et l’espace de l’UE. Des conditions coloniales règnent dans ces organisations. Les grands écrasent ou harcèlent les petits. Depuis des décennies, nous vivons le harcèlement américain. Dans les relations humaines, on appelle cela ainsi. Cela n’a rien à voir avec des relations d’égal à égal entre deux partenaires qui s’acceptent et se respectent. Voici le grand qui octroie sa volonté au petit. C’est indigne pour la Suisse.

Comment pourrait-on organiser les relations économiques avec la Russie?

Pour nos vins, il y aurait un marché. Là, je parle en Valaisan. Mais nos PME produisant en Suisse avant tout des produits de niche de haute valeur ajoutée ont un niveau technologique élevé. Des produits industriels fabriqués en Suisse ont beaucoup à offrir dans le domaine de la mécanique et de la technologie, c’est évidemment aussi valable pour le domaine des services. Dans le domaine bancaire, la Suisse est de toute façon à la pointe. Les Russes par contre ont d’immenses gisements de matières premières et c’est un énorme marché. Nous pouvons aussi importer certains produits de Russie et créer de joint-ventures. Cela demande bien sûr une analyse soigneuse. A une époque, où les richesses minières se raréfient et enchérissent, un commerce réciproque avec la Russie serait extrêmement profitable. Je pense à des relations économiques étroites dépassant de loin des relations purement économiques et financières.

Quelle devrait être l’attitude de la Suisse?

Nous sommes un Etat souverain et autonome. Notre démocratie directe est unique et pourrait servir d’orientation pour d’autres Etats démocratiques. Nous devons entrer dans les négociations comme partenaire d’égal à égal et ne pas nous soumettre à un autre Etat. Notre neutralité nous permet de mener des négociations avec tout Etat au monde. Et je le répète, un accord de libre-échange avec la Russie serait un grand avantage pour notre pays.

Monsieur le Conseiller national, nous vous remercions pour cet entretien.    

(Interview réalisée par Thomas Kaiser)

 

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Motion: Accord de libre-échange avec la Russie

Texte déposé
Le Conseil fédéral est chargé d’engager immédiatement des négociations avec la Russie au sujet d’un accord de libre-échange.
Développement
1.    La Suisse a conclu des accords de libre-échange avec de nombreux Etats de par le monde, soit notamment avec la Chine, l’Ukraine, le Japon, l’Egypte etc.
2.    Jusqu’à présent la Suisse n’a cependant pas conclu d’accord bilatéral de libre-échange avec la Russie en tant que tel.
3.    Grâce à un tel accord, la Russie pourrait devenir un important partenaire commercial pour la Suisse et lui permettre ainsi de réduire sa forte dépendance vis-à-vis de l’Europe.
4.    Une intensification des rapports commerciaux russo-suisses pourrait permettre à notre pays de stimuler l’innovation et d’augmenter sa prospérité.
5.    La Russie est un pays riche en matières premières, en particulier en combustibles fossiles. La Suisse grâce à une diversification de ses fournisseurs, pourrait réduire sa dépendance vis-à-vis d’autres Etats.
6.    La Suisse, à la pointe de la technologie pourrait profiter des échanges commerciaux avec un pays qui s’intéresse fortement à ce domaine et ainsi réaliser de nouvelles avancées.
7.    La Russie fait partie de notre continent et ne doit pas être mise à l’écart. L’Europe ne peut assurer sa prospérité et préserver la paix sans la Russie.
8.    Les rapports qu’entretiennent la Suisse et la Russie ont toujours été particuliers. Au cours de leur histoire toutefois, les deux Etats ont toujours eu des échanges étroits. Un accord de libre-échange permettrait de renouer avec cette tradition et profiterait à tous.

mercredi, 23 septembre 2015

Communauté et territoire - Entretien avec Pierre Le Vigan

Communauté et territoire

Entretien avec Pierre Le Vigan

Dans cet entretien avec Pierre Le Vigan nous traitons des problématiques relatives à la réorganisation des départements et à l’organisation politique et urbanistique du territoire.

Nous abordons ensuite la difficile question de la coexistence de communautés d’origines différentes sur le territoire national. Nous ouvrons ici le débat nécessaire entre assimilation et communautarisme.

Puis, prenant du champ, nous abordons enfin la forme que pourrait prendre une construction européenne alternative, une alter-Europe subsidiariste et non-alignée.

Nous nous intéressons dans cet entretien aux différents échelons de la vie politique et communautaire que sont : la communauté, la cité, la nation, la civilisation.

Pierre Le Vigan est un essayiste français. Urbaniste de profession, il développe dans ses écrits une critique du capitalisme comme réification de l'homme, un refus de l'idéologie productiviste, du culte de la croissance, de l'idéologie du progrès, de la destruction des peuples et des cultures par l'uniformisation marchande et par la transplantation des populations.

Il est auteur, depuis les années 1970, de nombreux écrits qui portent sur l'histoire des idées et la philosophie. Il a aussi publié des travaux sur la phénoménologie et la psychologie (voir son ouvrage Le malaise est dans l'homme). Auteur profus, auteur de quelques 800 articles sur les sujets les plus variés (cinéma, peinture, philosophie, sexualité, politique...), il défend l'idée d'une Europe fédérale et indépendante, rassemblant les peuples d'Europe sans les uniformiser.

Du début à 20m34 :
- Les enjeux de l’urbanisation et de l’organisation du territoire
- Département l’échelon qui doit sauter ? Les départements bientôt supprimés entre métropole et hyper-région ? Dernières élections départementales ? L’enjeu du redécoupage des départements et des régions. Localisme vs « glocalisme », démocratie directe. Métropolisation des villes contre les cités historiques. Alternative bio-localiste contre démesure globaliste (glocaliste)

De 20m34 à la fin :
- Assimilation ou communautarisme ?
- Les diasporas dans la globalisation.
- Citoyenneté et nationalité
- Une citoyenneté européenne ?
- Vers une Europe alternative ?

Les Non-Alignés.