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mardi, 04 juillet 2017

Libye, Syrie… À qui le tour ? Entretien avec Emmanuel Leroy

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Libye, Syrie… À qui le tour ?

Entretien avec Emmanuel Leroy

Ex: http://zejournal.mobi

Le Moyen-Orient devient une fois de plus l’arène de la confrontation entre les deux plus puissantes forces. Emmanuel Le Roy, célèbre politologue français, président du mouvement humanitaire « Save the Children of Donbass », nous a accordé une interview et nous a parlé de ce qui attise la guerre au Moyen-Orient et de ceux qui bénéficient des attentats terroristes contre les civils.

K.- La guerre en Syrie, ainsi que nombre d’attentats terroristes dans les villes contre les civils, se poursuit. Les USA ajoutent toujours de l’huile sur le feu. Cette fois, ils prétendent que le gouvernement syrien préparerait des attaques chimiques. Or, la Maison Blanche a, bien sûr, refusé d’en apporter la preuve. Que pensez-vous de l’efficacité de la lutte actuelle contre le terrorisme en France ?

E.L.- La situation avec le terrorisme est extrêmement compliquée. L’année dernière, j’ai été invité à Moscou pour assister à la conférence donnée par RISI (Institut russe des études stratégiques) sur les questions de terrorisme. L’article du New York Times daté du 23 avril 2016, a été abordé. L’auteur disait que le terrorisme prenait racine aux USA, que dans les années 1970, la CIA et l’Arabie Saoudite avaient monté un complot visant à soutenir les terroristes et Oussama ben Laden, à provoquer une division et des menées terroristes en Afghanistan, dans le but de chasser de là-bas les Soviétiques.

Rien n’a changé depuis cette époque. Les USA et l’Arabie Saoudite coopèrent toujours ensemble dans ce domaine. Le principal moteur du terrorisme mondial est l’armée anglo-saxonne.

Le terrorisme qui a touché la Russie et l’Occident est différent. Par exemple, ce qui s’est passé en Tchétchénie, au Daghestan, en Ingouchie, est l’œuvre de réseaux wahhabites aiguillonnés par les Anglo-saxons. Ils voulaient déstabiliser la Russie.

Et le terrorisme que nous avons combattu depuis le 11 septembre 2001 (la série de quatre attaques terroristes coordonnées aux USA, avec la destruction des tours jumelles), est le fruit de démarches visant à créer le chaos dans les sociétés occidentales. Le but est de les frapper jusqu’à ce qu’elles changent de forme institutionnelle et finissent par perdre leur liberté.

La deuxième option, qui est en cours aujourd’hui, consiste à provoquer un conflit en Europe occidentale, entre la population locale et les Musulmans (qui arrivent sans fin). Et cela, à son tour, mène aussi au chaos.

Ce sont d’ores et déjà les intérêts US. L’objectif est de créer une situation conflictuelle dans laquelle l’Europe perdra sa compétitivité et ne sera à même de former une alliance avec la Russie contre la thalassocratie.

L’État orwellien est déjà là

Ainsi, la première sorte de terrorisme a été créée artificiellement contre la Russie et ses intérêts. C’est le même plan qui se joue en Syrie : Mêmes gens, mêmes armes, mêmes fonds utilisés contre la Syrie de Bashar El-Assad. C’est le terrorisme de la dévastation, nécessaire pour saper la Russie.

Et la deuxième sorte de terrorisme est plus calme, moins extrême. Son but est de créer une situation de chaos maîtrisé. Cela signifie supprimer 10 personnes ici, puis 15 autres ailleurs. Il est utile pour maintenir la population en état de terreur et perpétuer la situation d’urgence. Et c’est ce qui se passe depuis plus d’un an en France.

La situation de contrôle est semblable à celle de l’État décrit par Orwell dans son roman « 1984 ». Aujourd’hui, nous voyons que l’Europe ressemble à un État totalitaire. Comparé à l’Europe actuelle, l’URSS de l’ère de Brezhnev était un paradis.

La confrontation des deux forces s’est intensifiée

K.- La Libye est détruite. Maintenant, comme nous le voyons, ils achèvent la Syrie. Que pouvons-nous attendre de la suite ?

E.L.- Ceux que je qualifie d’archéo-mondialistes protègent la suprématie du dollar et l’État profond. Ils ont provoqué la crise en Libye pour planifier de nouvelles destructions et remodeler le Moyen-Orient.

Mais il semble qu’il y ait eu des tentatives de lutte contre les archéo-mondialistes ces dernières années, surtout depuis le Brexit. Aujourd’hui, dans ce système mondialiste, Londres qui est aussi impliquée, essaie de jouer la carte chinoise… La stratégie est purement anglaise, et n’est pas dans l’intérêt des USA.

Je pense que le Brexit était une sorte de guerre entre la City de Londres et Wall Street, et que la compétition présidentielle entre Clinton et Trump était une suite de cette dure confrontation.

En France, les élections sont aussi devenues l’illustration de la confrontation entre les deux forces. Je suppose que les archéo-mondialistes, dont Clinton, pariaient sur Alain Juppé, candidat idéal pour eux qui pouvait devenir le pendant de Clinton. Mais les amis de Trump et les partisans du Brexit se prononçaient pour François Fillon, plus en faveur de relations russo-françaises. Mais ils se sont rendu compte à temps qu’il y avait un autre substitut, Macron…

L’Iran est le prochain, et puis se sera la Russie

Revenons à la question de la Libye et de la Syrie (qui ne sont qu’un même front). Il s’agit de tentatives de certains archéo-mondialistes qui cherchent à poursuivre les manœuvres de déstabilisation des États laïques du Moyen-Orient. Mais cette guerre ne vise pas seulement à réformer le monde musulman, elle prépare un objectif futur : L’Iran, une voie d’accès au Caucase.

Et le tour de la Russie viendra après l’Iran. Il s’agit d’une guerre géopolitique qui passe inaperçue.

Pour mieux comprendre la situation, rappelons l’exclusion du Qatar du Conseil de coopération des États arabes du golfe Persique. Bien qu’il y ait des intérêts de M. Rockefeller, le Qatar a toujours été sous protectorat britannique. Et M. Trump a négocié avec l’Arabie saoudite pour dire « stop » au Qatar, arrêtez de financer les « Frères musulmans », qui sont aussi subordonnés à la Grande-Bretagne (les « Frères musulmans » est une organisation terroriste interdite en Russie). Même si Clinton a introduit leurs représentants dans son entourage, ils sont toujours sous contrôle britannique.

La situation est donc complexe. Je pense qu’il y a de la concurrence au sein même du système mondialiste. La crise du Qatar, le Brexit ou les élections françaises, montrent que ce n’est pas une bataille pour la vie, mais une lutte à mort aux USA et en France.

Il s’agit d’une confrontation très obscure entre différents concepts. Je pense que la Grande-Bretagne rejoue son unique carte, comme à la veille de la Première Guerre mondiale. Pendant ce temps, le premier travail des USA est de préserver la suprématie du dollar. Sans le dollar, les USA ne peuvent rien faire…

Traduction Petrus Lombard


- Source : Katehon (Russie)

mardi, 06 juin 2017

Robert Steuckers: Ma découverte de la « Révolution conservatrice »

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Ma découverte de la « Révolution conservatrice »

Entretien avec Thierry Martin (Université Paris IV)

- Quand et dans quels cadres avez-vous découvert le courant de pensée révolutionnaire-conservateur allemand?

La découverte de la « révolution conservatrice », ou plutôt d’éléments constitutifs ou annonciateurs de celle-ci, a été, chez moi, un processus lent. Jeunes adolescents, nous étions très confusément conscients que le « système » ne fonctionnait plus. Se juxtaposaient, à cette époque, entre 1969 et 1972, des résidus que l’on nous demandait de vénérer et des innovations, mai 68 oblige, qui nous paraissaient totalement farfelues ou incongrues. Nous étions à la chasse d’auteurs alternatifs, sans trop savoir à quels saints nous vouer. Un professeur de français me conseille Un testament espagnol de Koestler. Le professeur de latin, l’Abbé Simon Hauwaert, nous baigne dans une atmosphère de culture classique, d’abord avec le De bello gallico. Hauwaert était disciple des disciples du Cardinal Mercier, grand défenseur de la culture gréco-latine, ami de Coubertin et féru de l’idéal olympique, promoteur d’un scoutisme viril et audacieux (celui qui a séduit Hergé), admirateur de Maurras. Toute cette culture classique, décriée par les soixante-huitards, s’est lentement décantée dans nos cerveaux, sans véritables références intermédiaires, sans passerelles commodes, forgées par des journalistes talentueux ou de bons vulgarisateurs. Hauwaert, bien qu’ecclésiastique, ne jurait que par la culture hellénique et la tradition politique romaine. Dans l’âme, il était un païen antique. Finalement, il ne s’en cachait guère. L’année suivante, il nous emmène en Turquie, pour visiter les sites archéologiques et les musées. En 1973, ce sera la Grèce. Delphes et Olympie en particulier. Ces voyages ont été déterminants dans l’éclosion de mon imaginaire.  

Tout naturellement, s’est ajouté à cela le tropisme germanique, qui est partout présent, en filigrane, en Belgique : en Flandre parce que les intellectuels, même simples bacheliers, comprenaient aisément l’allemand à l’époque (ce n’est plus le cas) ; en Wallonie, l’Allemagne est présente comme un fantôme dans la littérature, chez Maeterlinck (dont l’entomologie et le mysticisme naturaliste ont dû sûrement inspirer Jünger), chez Compère et bien d’autres, comme l’ex-germanophobe Pierre Nothomb (ancêtre d’Amélie Nothomb) qui imagine une petite principauté idéale dans l’Eifel, la principauté d’Olzheim, incarnant la fidélité au Saint-Empire catholique d’ottonienne mémoire. Fin des années 60, c’est la fascination générale pour le miracle économique de la RFA, pour la technique automobile et pour l’électro-ménager : le Belge moyen ne jure que par Volkswagen, Mercédès, Miele, Zeiss Ikon, Telefunken et j’en passe. Ce tropisme allemand, encore honteux mais bien présent dans les propos de table en famille, conduit notre brochette de copains à se poser des questions sur ce pays que l’on a cherché à nous faire détester pour les siècles des siècles : que se passe-t-il au-delà des Fagnes et de l’Eifel ? Je n’avais fait, enfant, que deux voyages au-delà de la frontière orientale de la Belgique, à Aix-la-Chapelle et à Monschau. A treize ans, je suis allé au zoo en plein air de Tüddern. C’était un peu court pour poser un jugement un tant soit peu cohérent. Mais, un jour, l’Abbé prononce le nom de Nietzsche, rappelant certes, avec un sourire autant complice que moqueur, qu’il était le pire des mécréants mais aussi, ce qui le sauvait, un excellent helléniste. Son but ? Je ne crois pas le trahir (à titre posthume) en disant qu’il suggérait des auteurs sulfureux pour nous inciter à les lire, même en cachette. Il fera de même avec le Satyricon de Pétrone.

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Me voilà parti sur Nietzsche. Je glane quelques bribes sur le philosophe. Et j’essaie de lire La généalogie de la morale et L’Antéchrist, que je ne relirai à fond qu’à dix-neuf ans, en parallèle au travail de Pierre Chassard, édité par le G.R.E.C.E. (cf. infra). Plus tard, vous le devinez bien, je reviendrai inlassablement vers ces deux livres essentiels, non pas parce qu’ils sont sulfureux et emplis de mécréance mais parce qu’ils jettent les bases d’une volonté de démasquer ce qui se dissimule derrière des idées ronflantes, en apparence généreuses et doucereuses, pour tisser des dispositifs de pouvoir bien plus pervers et subtils que ceux qu’ils dénoncent ou que les résidus du passé qu’ils fustigent comme des vieilleries. Pour nous, gamins de Bruxelles, cette virulence de Nietzsche contre le christianisme est une attitude à imiter pour fustiger le démocratisme chrétien belge et ses médiocrités, de même que l’hypocrisie de la bien-pensance bourgeoise et catholique, celle, disait l’Abbé, « des rombières qui tricotent des bas pour les pauvres et la réputation de leur prochain ». Le monde extérieur, le monde établi, celui du pouvoir, nous apparaissait d’un coup comme un fatras à rejeter, à moquer (avec une méchanceté d’adolescent). De ce fatras, qui fait écran, entre la vérité (grecque) et nos petites personnes, il convient de ne rien conserver mais de tout fracasser à coups de marteau. Afin de retrouver, derrière, les lumineuses vérités helléniques et les fondements mythologiques des anciennes cultures européennes. Les coups de marteau nietzschéens forçaient le dévoilement de la vérité et de l’Etre. Autre idée conservatrice et non révolutionnaire de l’Abbé : nous inciter à replonger dans le monde gréco-latin (il créera à cet effet un cours de « culture grecque ») et nous incitera à étudier la mythologie celtique (c’est ainsi que j’ai lu Markale) et les anciennes littératures germaniques (que j’ai découvertes par un ouvrage de l’Argentin Jorge-Luis Borges). L’Abbé avait incité un jeune germaniste parmi nos professeurs, un certain Buelens, venu donner cours de néerlandais, à nous introduire à ces anciennes littératures, ce qu’il fit avec brio.

Le temps passe : nous découvrons successivement la revue Nouvelle école et le G.R.E.C.E. entre août 1973 (pendant notre séjour à Athènes et notre visite à Delphes) et juin 1974, date de notre première prise de contact avec Dulière, Vanderperre et Hupin, alors militants du G.R.E.C.E. à Bruxelles. A l’école, le Frère Lucien Verbruggen avait pris le relais de l’Abbé Hauwaert et transformé son cours de religion en un cours de philosophie, dépourvu de toutes bondieuseries : Platon, Aristote, Kant, Marx, Freud, Heidegger étaient tous au programme. En fin de terminale, deux dissertations, l’une sur la pensée de Heidegger (« Le langage est la maison de l’Etre ») et l’autre sur Marcuse (« L’homme unidimensionnel »). Le professeur de français Rodolphe Brouwers nous immerge dans les grands classiques (Proust, Gide, Céline et son monologue intérieur) mais aussi dans une littérature plus récente (Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras). Nous sortons donc de nos humanités secondaires non dépourvus de bagage littéraire et philosophique. En latin, Hauwaert et son successeur Salmon nous avaient fait traduire les classiques au programme dont Salluste, Tacite et Tite-Live, sans oublier Cicéron mais, en plus, il nous fallait rédiger chaque année un travail d’approfondissement sur un auteur : pour moi et mon co-équipier Leyssens, ce furent Lucrèce, Pline et Plaute.

En septembre 1974 commence pour nous la vie universitaire. Pour moi, deux ans de philologie germanique et quatre ans de haute école des traducteurs-interprètes pour les langues allemande et anglaise. C’est aussi l’époque où Bernard Garcet, qui fut animateur de la section étudiante de Louvain du mouvement « Jeune Europe » de Jean Thiriart (alors disparu de la scène politique), nous apprend à résumer des ouvrages et à les présenter devant un public restreint. Garcet est exigeant, au-delà des exigences restreintes que réclamerait par exemple l’école des cadres d’un parti politique. Pour lui, avoir des opinions contestatrices, c’est bien, les exprimer de manière structurée et sans affects passionnels, sans dérives émotionnelles, c’est mieux et cela peut servir dans toutes les circonstances de la vie : au fil des mois, nous avons été entraînés à résumer Louis Rougier, Jules Monnerot, Julien Freund (sur Vilfredo Pareto et Max Weber), Karl Mannheim, James Burnham, Jean Baechler, Carl Schmitt (avec les rares documents dont nous disposions à l’époque !), etc. Cette formation s’est étalée sur cinq bonnes années. Elle fut déterminante.

En 1974-1975, le cours de philosophie d’Anne-Marie Dillens, dispensé aux philologues et aux juristes dans le grand auditorium du Boulevard du Jardin Botanique à Bruxelles, est profondément ennuyeux. La dame pontifiait et jargonnait, nous entraînait dans le labyrinthe opaque et gris de sa pensée confuse et désordonnée ; elle ponctuait sa logorrhée de grimaces (de la maxillaire inférieure) et d’une gestuelle du plus haut comique. En fait, il y avait la philosophie servie par le régime dont elle était l’instrument sans nul doute à son corps défendant : une soupe insipide qui déroutait, désorientait. Et la nôtre qui disait les choses, les nommait, désignait les dangers et l’ennemi. Pour préparer l’examen, je commets une première boulette de taille, qui me vaudra un échec cinglant : au lieu de tenter de déchiffrer le pesant salmigondis de Dame Dillens, je lis à fond le travail de Pierre Chassard, édité par le G.R.E.C.E. : La philosophie de l’histoire dans la philosophie de Nietzsche. Pour chaque citation de Chassard, je consulte un ouvrage de Nietzsche, en version originale allemande ou en une traduction quelconque. L’année 1975 fut donc, pour moi, une immersion totale dans la pensée de Nietzsche. Chassard a une approche claire de Nietzsche, issue de la tradition nietzschéenne française du début du 20ème siècle. Dans l’ouvrage qu’il édite au G.R.E.C.E., il insiste principalement sur l’anti-providentialisme du philosophe de Sils-Maria. L’histoire est là, avec son tissu de contradictions et de tragédies : inutile de masquer ce théâtre souvent désagréable par des discours-décors, de promettre des lendemains qui chantent car ce ne sont là que des escroqueries, colportées par des êtres bas, avides d’exercer du pouvoir (sans risques).

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Le cours de littérature allemande était donné par Paul Lebeau (1908-1982), écrivain flamand qui avait connu ses heures de gloire dans les années 1950.  Il appartenait au cercle des « scriptores catholici » et le choc des visions du monde et de l’homme qu’il décrivait dans son ouvrage romanesque le plus célèbre, Xanthippe (1959), dédié à la femme de Socrate, opposait un rationalisme purement cérébral, celui du philosophe bientôt condamné à boire la cigüe, et le vitalisme de son épouse, non dépourvu de subjectivité débridée et même d’animalité. Chez Lebeau, l’un des thèmes centraux était le conflit entre spiritualité et sexualité. Le catholicisme de Lebeau était donc un catholicisme qui privilégiait la spiritualité mais constatait l’ « incontournabilité » des sens et des instincts. Cette problématique était commune dans les pays germaniques entre les années 1890 et la fin des années 1940. Pendant notre année académique, Lebeau avait choisi de nous promener pendant de longs mois dans le Faust de Goethe où il est dit « Grise est toute théorie, vert est l’Arbre de la Vie ». Une certaine complicité flamande me liait à Lebeau, qui ne craignait pas, à ses heures, d’égratigner les canons du « politiquement correct » avant la lettre. Il aimait citer Spengler et méditer sur la notion de « déclin ».

L’année académique 1974-1975 est aussi celle de l’approfondissement de Spengler, découvert lorsque nous avions seize ans, dans L’Homme et la technique, lu pendant quelques heures au fond d’un trou de sable, par un temps vraiment frisquet, dans les dunes à Coq-sur-Mer, la plage flamande favorite d’Einstein, d’Hergé et de votre serviteur. D’autres lectures, entre 1974 et 1979, conforteront ma façon de voir le monde : le livre du professeur anglais Barnard sur Herder, Herder lui-même et les introductions à la version bilingue d’Aubier-Montaigne dues à la plume du germaniste français Max Rouché. Ensuite le panorama du conservatisme antiautoritaire de l’Américain Peter Viereck (1916-2006) m’introduit à une première approche comparative, et très didactique, de la question. Viereck est aussi celui qui, dès 1939, avait lancé le terme de « métapolitique » dans le langage académique américain.

En 1976, paraît le travail de Louis Dupeux (1931-2002), Stratégie communiste et dynamique conservatrice. Essai sur les différents sens de l'expression « National-bolchevisme » en Allemagne, sous la République de Weimar (1919-1933), que nous dévorons suite à un autre classique dans le même domaine, celui de Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires (1972). L’idée était, bien sûr, de dépasser les clivages gauche/droite, socialisme/libéralisme, etc., en puisant dans des corpus qui faisaient la synthèse de toutes les idéologies, autrement vues comme antagonistes, pour recréer une harmonie viable au sein des pays européens. Le deuxième objectif de ces lectures était aussi de surmonter la dépendance à l’endroit des Etats-Unis. Pour nous, l’événement déclencheur de notre anti-américanisme fut le fameux « marché du siècle » de 1975, où les Etats-Unis imposent aux pays du Bénélux et de la Scandinavie, membres de l’OTAN, le chasseur F-16 plutôt qu’un Saab suédois ou un Mirage français. L’Europe nous apparait alors très cruellement dépendante et inefficace. Par ailleurs, comme je l’ai déjà maintes fois souligné, l’alliance de facto entre la Chine maoïste et les Etats-Unis de Nixon et de Kissinger fait que la Chine n’est plus perçue comme un allié de revers pour harceler le duopole des superpuissances né à Yalta mais comme une complice de Washington qui contribue à encercler et l’Europe occidentale et l’URSS. Du coup surgit la nécessité de développer un discours différent du précédent : non plus critiquer et rejeter les systèmes américaniste et soviétique mais rejeter l’américanisme dans toutes ses facettes et chercher un modus vivendi avec la Russie soviétique qui, à l’époque, critique le laxisme et la déliquescence de l’Occident (cette démarche sera partagée par Mohler, Parvulesco, Thiriart, Faye et bien d’autres). L’ouvrage d’Alexander Yanov, The Russian New Right, publié en Californie, montre comment, en URSS, s’articulait, à l’époque, une dialectique entre régimistes occidentalisés (via le matérialisme marxiste), régimistes russophiles (renouant avec la spécificité russe), dissidents occidentalistes (Sakharov par exemple et la tradition libérale) et dissidents russophiles (à la remorque des œuvres monumentales de Soljénitsyne). Yanov, occidentaliste, prônait une réconciliation entre régimistes et dissidents occidentalistes et craignait par-dessus tout une alliance des régimistes et des dissidents russophiles. L’objectif était donc de proposer 1) une diplomatie pareille à celle des « nationaux-bolcheviques » de la République de Weimar, impliquant un abandon de l’O.T.A.N. et de toute russophobie ; 2) une économie solidariste non libérale mais non outrancièrement soviétisée (aussi inspirée par le gaullisme des années 1960 préconisant la participation et l’intéressement) ; 3) un discours « fusionniste » et populiste appelé à supplanter le démocratisme-chrétien et la sociale-démocratie corrompus de Belgique, d’Allemagne, d’Espagne (le franquisme avait vécu, depuis la mort du Caudillo) et d’Italie. Pour la France, nous rêvions d’un retour à ce gaullisme des années 1960, de le compléter, de le parachever, contre le détricotage à l’œuvre depuis Pompidou, détricotage qu’Eric Zemmour a appelé le « suicide de la France » dans un ouvrage qui a bétonné sa célébrité. 

En 1977, nous faisons, sous la houlette du Prof. Albert Defrance un voyage à Berlin, dans le cadre des activités suggérées par le D.A.A.D. (Deutscher Akademischer Austauschdienst). J’y découvre, dans une librairie du Kurfürstendamm, l’ouvrage fondamental de Karl-Otto Schüddekopf Linke Leute von Rechts, qui me permet de compléter les arguments de Dupeux et d’illustrer les faits qu’il avançait dans sa thèse. En 1978, nous partons, toujours par l’intermédiaire du D.A.A.D., à Munich où, dès mon arrivée, je vais illico sonner à la porte du Baron Caspar von Schrenck-Notzing, éditeur de Criticon, revue où œuvre Mohler. Je suis reçu avec une amabilité exquise. Et je reviens avec une collection quasi complète de la revue. J’avais lu Von rechts gesehen de Mohler où, justement, notre auteur plaidait pour un « grand-gaullisme » européen et pour une alliance avec les Etats que les Etats-Unis ostracisaient systématiquement. A Munich, en visitant les librairies, je découvre également la collection de livres collectifs, éditée par Gerd-Klaus Kaltenbrunner, auprès de l’éditeur Herder de Fribourg-en-Brisgau. Un peu plus tard, Mohler publie dans la rubrique « Porträts »de la revue Criticon, deux articles présentant Niekisch et Haushofer, que je résume et adapte en français pour le bulletin du G.R.E.C.E.-Bruxelles, qui est toujours, en cette année 2017, confectionné par Georges Hupin. L’engouement se précise. En 1979, troisième voyage patronné par le D.A.A.D., cette fois à Hambourg et à Lübeck. Depuis notre hôtel du Pferdemarkt, je tisse les liens avec les amis de la ville hanséatique : Peter Plette de la revue Fragmente ; l’inoubliable Heinz-Dieter Hansen, l’animateur de Junges Forum et de la D.E.S.G. (Deutsch-Europäische Studien-Gesellschaft), qui rejoindra, fin des années 1990, le groupe Synergies européennes ; enfin Lothar Penz et Ullrich Behrenz des groupes solidaristes et de la revue Sol. Le courant passe à merveille : je connaissais déjà toutes ces figures grâce à un ouvrage de Günter Bartsch, Revolution von Rechts? Ideologie und Organisation der Neuen Rechten (1975) (cf. aussi : http://robertsteuckers.blogspot.be/2014/12/neo-nationalisme-et-neue-rechte-en-rfa.html ). Cet ouvrage fut déterminant pour mon évolution ultérieure. Il explicitait à merveille les ressorts de cette droite solidariste et ethnopluraliste (au bon sens du terme), grâce à la plume alerte d’un spécialiste du castrisme, du trotskisme, de l’anarchisme allemand et de la droite révolutionnaire. Un jeune ami de notre groupe, le futur slaviste autodidacte Sepp Staelmans de Vouloir, avait d’ailleurs traduit le manifeste de Junges Forum en français à l’usage des Bruxellois intéressés. Bartsch nous fait découvrir la figure d’Hennig Eichberg, décédé en ce mois d’avril 2017, théoricien de l’ethnopluralisme (façon Claude Lévi-Strauss), sociologue critique de tous les aspects de la société de consommation (les automobiles, les barres chocolatées de marques américaines, la commercialisation du sport, etc.). La pensée d’Eichberg était foisonnante : elle semblait faite d’un mercure non canalisé par le tube du thermomètre. Mais combien d’impulsions ne nous a-t-elle pas données ? Même si on ne le suivait pas dans toutes ses quêtes. Eichberg finira par honnir ce qu’il qualifiait d’ « habitus de la droite » et se consacrera entièrement à sa mission de professeur de sociologie du sport dans une université danoise. L’œuvre d’Eichberg, dans tous ses aspects, mérite une étude universitaire approfondie et les derniers articles qu’il avait confiés à Wir selbst, la revue de Siegfried Bublies, sont d’une telle densité idéologique qu’ils appellent à être complétés et actualisés. Cette recherche fébrile d’alternatives dépassant le clivage gauche/droite avait son pendant flamand, que j’esquisse dans mon hommage à l’inclassable Christian Dutoit (http://robertsteuckers.blogspot.be/2016/06/linclassable-christian-dutoit-nous.html ) qui, à la même époque, dirigeait un mouvement ethnosocialiste, ancré dans le paysage des gauches flamandes, le groupe Arbeid.

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Deux autres facteurs vont dynamiser ce tâtonnement de notre belle époque estudiantine : ma rencontre, à l’été 1977, avec cette armoire à glace à barbe de Capitaine Haddock que fut l’étudiant en journalisme Alain Derriks. Ce garçon aux origines arlonnaises va organiser chaque semaine une réunion où se tiendra un brain storming effervescent, où nous buvions sec du whisky irlandais ou du Bordeaux et fumions des cigares cubains, offerts généreusement par un membre de la bande. Derriks, qui se proclamait « barrésien », introduit un autre ouvrage fondamental dans le circuit, La droite révolutionnaire (1978) de Zeev Sternhell. Derriks est, à part moi, le seul latiniste chevronné du groupe : nous lisons tous deux l’italien. Plusieurs initiatives italiennes attirent notre attention dont les travaux de Claudio Mutti et Linea, le journal de Pino Rauti, sans oublier Diorama letterario de Marco Tarchi, qui deviendra le chef de file de la nouvelle droite italienne et un féal et obséquieux vicaire d’Alain de Benoist dans la péninsule. La haute tenue de ces publications nous séduit : pour nous, sur le plan théorique, le modèle à suivre, à imiter, est italien et non pas français ou allemand, aussi parce qu’Italiens et Allemands subissent le même spectre partitocratique que le nôtre, alors que les Français disposent encore et toujours du référent gaullien (charismatique et caudilliste) et ne subissent pas des partis aussi inamovibles. Il faut signaler aussi que les germanistes italiens, dans les universités, sont de plus zélés traducteurs que leurs homologues francophones et que la tradition wébérienne en sociologie et en sciences politiques y est plus ancrée qu’en France.

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Autre événement majeur au cours de l’année 1978 : ma rencontre avec l’un des derniers représentants du surréalisme belge, Marc. Eemans (1907-1998), éditeur, avant-guerre, de la revue Hermès, consacrée aux spiritualités alternatives, dans lesquelles il fallait se plonger pour se purger de tous les miasmes du monde bourgeois, comme pouvaient le faire imaginer certains écrits d’André Breton lui-même. Eemans avait commencé léniniste (un portrait de Lénine dû à ses pinceaux se trouve à Saint-Pétersbourg), puis surréaliste dans l’équipe bruxelloise, éditeur d’Hermès (où oeuvrait aussi Henri Michaux) et, enfin, nationaliste flamand pour terminer évolien (ce qui est logique, Evola ayant débuté comme dadaïste pour finir traditionaliste). En 1978, Eemans lance le « Centro Studi Evoliani » à Bruxelles et en Flandre, dont nous fîmes tous partie. Eemans ne nous a jamais vraiment détaillé l’aventure surréaliste belge : pour lui, cette coterie était un souvenir (assez douloureux) du passé. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que de solides équipes de chercheurs universitaires se penchent sur les rapports complexes entre idéologies politiques et avant-gardes artistiques en Belgique francophone et néerlandophone. Pourtant Clément Pansaers, Paul van Ostaijen, Ward van Overstraeten, Gabriel Figeys et, bien sûr, Marc. Eemans ont connu des destins étonnants, ne cadrant pas du tout avec les vulgates manichéennes que l’on manipule aujourd’hui pour plonger le public dans l’ignorance, pour lui ôter l’idée de penser en termes complexes et nuancés. Pendant toute son existence après 1945, Marc. Eemans n’a cessé d’essuyer de basses insultes (du moins dans la partie francophone du pays). Aujourd’hui, cette mauvaise comédie se termine et justice sera rendue post mortem à celui qui fut l’un des premiers à publier Heidegger en français, à avoir accueilli les premiers écrits de Corbin sur la pensée persane, à avoir employé Michaux, à avoir tenté de ressusciter les mystiques médiévales flamandes et rhénanes (comme le fait notamment Jacqueline Kelen en France aujourd’hui). Avec Eemans, nous rencontrons Piet Tommissen, spécialiste de Pareto et de Carl Schmitt mais aussi grand amateur d’avant-gardes littéraires et artistiques. Ami de longue date d’Armin Mohler, Tommissen s’intéresse aussi à la révolution conservatrice, toutes tendances confondues, y compris les filons catholiques, où Schmitt puise sa théologie politique (cf. http://robertsteuckers.blogspot.be/2011/10/entretien-avec-robert-steuckers-sur-la.html ; http://robertsteuckers.blogspot.be/2011/10/mes-rencontres-avec-marc-eemans.html ; http://robertsteuckers.blogspot.be/2011/10/mes-rencontres-avec-marc-eemans.html ; http://robertsteuckers.blogspot.be/2011/11/adieu-au-professeur-piet-tommissen.html ).

Les cadres dans lesquels j’ai été initié à des aspects de la révolution conservatrice sont donc multiples et divers. A Bruxelles, il y a certes une antenne du G.R.E.C.E., mais elle est réduite et notre groupe n’entame aucune liaison directe avec la maison-mère parisienne avant fin 1979, début 1980. Je fais certes un voyage à Paris en janvier 1976 et me rend, seul, à un colloque du G.R.E.C.E. en 1977 (où l’anthropologue autrichien Irenäus Eibl-Eibesfeldt a pris la parole). Nous y allons à trois en 1978 (où j’échange quelques brèves paroles avec Giorgio Locchi). Je suis le seul du groupe à participer au colloque de 1979, lorsque les participants sont attaqués par des nervis dans le Palais des Congrès à la Porte Maillot. Notre cercle d’étudiant (une bonne douzaine de petits originaux, pas plus) est autonome. Il y a ensuite le G.R.E.C.E.-Bruxelles (où nous prononcerons des conférences, préparées chez Garcet, sur Arnold Gehlen, la démographie, la notion de peuple, la Grèce antique, la staséologie selon Monnerot). Il y a le « Centro Studi Evoliani » d’Eemans (où je présente un article de Locchi sur la notion d’Empire en présence de l’écrivain prolétarien Pierre Hubermont). Les racines de notre vision du monde doivent être recherchées dans notre curriculum scolaire et universitaire.

- Pouvez-vous, s’ils ont joué un rôle particulier pour vous dans cette découverte, évoquer les rôles de Giorgio Locchi et d’Armin Mohler?

C’est d’abord un article de Giorgio Locchi que j’ai lu, annoté et résumé sur fiches de papier Bristol, dans le premier numéro de Nouvelle école qui m’est tombé entre les mains, le n°19. Cet article concernait Dumézil et l’idéologie trifonctionnelle chez les peuples indo-européens. Je le signale dans l’hommage que je rends à ce philosophe italien (http://robertsteuckers.blogspot.be/search?q=giorgio+locchi ). C’est lui qui provoque le déclic premier qui m’amènera à lire les publications de la mouvance néo-droitiste française. Ensuite, c’est Locchi qui dans le numéro 23 de Nouvelle école (datant de 1973 mais nous ne l’avons acquis que plus tard) résume l’ouvrage de Mohler sur la révolution conservatrice, paru en 1972. Je devrai attendre jusqu’en 1989 pour me procurer la seconde édition. Pendant longtemps donc, la recension de Locchi a été la seule référence en français à l’ouvrage de base de Mohler, sauf une édition italienne ne reprenant que l’introduction de l’auteur, magistrale d’ailleurs, où il insiste sur les « images conductrices » (la traduction est de Locchi), plus mobilisatrices que les discours ou les démonstrations intellectuelles. Créer des images est donc plus important qu’énoncer des théories : Armin Mohler est bien en cela, de par sa formation académique, un historien de l’art. Lors de ma visite chez lui à Munich pendant l’été torride de 1984, j’ai été frappé par l’abondance incroyable d’ouvrages sur l’art et les avant-gardes qui encombrait son appartement. Plus tard, Marc Lüdders me posera la question de savoir quelles influences Mohler avait exercé sur moi. Voici sa question et ma réponse : Quelle a été l’influence d’Armin Mohler sur la vision du monde de la ND ? Que restera-t-il de son approche dans l’avenir ? 

Réponse : Votre question est vaste. Très vaste. Elle interpelle la biographie d'Armin Mohler, l'histoire de sa trajectoire personnelle, qu'il a eu maintes fois l'occasion d'évoquer (dans Von rechts gesehen ou dans Der Nasenring). Votre question nécessiterait tout un livre, celui qu'il faudra bien un jour consacrer à cet homme étonnant. Je crois que Karlheinz Weißmann se prépare à cette tâche (note de 2017 : cet ouvrage est aujourd’hui disponible). Il est l'homme le mieux placé et le mieux préparé pour rédiger cette biographie. Première remarque sur les idées de Mohler, et donc sur son influence, c'est qu'il part toujours du vécu existentiel, du particulier et jamais de formules abstraites ou de grandes idées générales. Toute l'oeuvre de Mohler est traversée par ce recours constant au particulier et au vécu, corollaire d'une critique sans appel des idées générales. La préface de sa Konservative Revolution in Deutschland est très claire sur ce chapitre. Pour répondre succinctement à votre question, je dirai que l'influence de Mohler vient surtout des conseils de lecture qu'il a donnés tout au long de sa carrière, notamment dans les colonnes de Criticón et, parfois dans celles de la collection Herderbücherei Initiative, dirigée par Gerd-Klaus Kaltenbrunner, collection qui ne paraît malheureusement plus mais nous laisse une masse impressionnante de documents pour construire et affiner nos positions.  

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Le réalisme héroïque 

L'influence de Mohler s'est exercée sur moi principalement: 
1) Parce qu'il nous a enjoint de lire le livre de Walter Hof, Der Weg zum heroischen Realismus.
Pessimismus und Nihilismus in der deutschen Literatur von Hamerling bis Benn (Verlag Lothar Rotsch, Bebenhausen, 1974, ISBN 3-87674-015-0). Hof examine deux grandes périodes de transition dans l'histoire littéraire allemande (et européenne): le Sturm und Drang à la fin du XVIIIe et la Révolution Conservatrice au début du XXe. Ces deux époques ont pour point commun que des certitudes s'effondrent. Les esprits clairvoyants de ces époques se rendent compte que les certitudes mortes ne seront jamais remplacées par de nouvelles certitudes, quasi similaires, aussi solides, aussi bien ancrées. Les substantialités d'hier, auxquelles les hommes s'accrochaient, et qu'ils percevaient comme se situant en dehors d'eux, comme des bouées extérieures sûres, disparaissent de l'horizon. Les passéistes nostalgiques estiment que cette disparition conduit au nihilisme. Avec Heidegger, les révolutionnaires conservateurs, qui constatent la faillite de ces substantialités passées, disent: "La substance de l'homme, c'est l'existence". L'homme est effectivement jeté (geworfen) dans le mouvant aléatoire de la vie sur cette planète: il n'a pas d'autre lieu où agir. Les bouées substantialistes de jadis ne servent que ceux qui renoncent à combattre, qui cherchent à échapper au flux furieux des faits interpellants, qui abandonnent l'idée de décider, de trancher, donc d'exister, d'ex-sistare, de sortir des torpeurs quotidiennes, c'est-à-dire de l'inauthenticité. Cette attitude révolutionnaire conservatrice (et heideggerienne) privilégie donc le geste héroïque, l'action concrète qui accepte l'aventureux, le risque (Faye), le voyage dans ce monde immanent sans stabilité consolatrice. Dans cette optique, le "dépassement" n'est pas une volonté d'effacer ce qui est, ce qui est héritage du passé, ce qui dérange ou déplait, mais une utilisation médiate et fonctionnelle de tous les matériaux qui sont là (dans le monde) pour créer des formes: belles, nouvelles, exemplaires, mobilisatrices. Le réalisme héroïque des révolutionnaires conservateurs réside donc tout entier dans la puissance personnelle (personne individuelle ou collective) qui crée des formes, qui donne forme au donné brut (Gottfried Benn). Cette définition du réalisme héroïque par Hof rejoint le "nominalisme", tel que l'a défini Mohler (d'après sa lecture attentive de Georges Sorel) ou la conception "sphérique" de l'histoire, présentée par Mohler dans son célèbre ouvrage de référence sur la "révolution conservatrice" allemande et par Giorgio Locchi dans les colonnes de Nouvelle école. Cette conception "sphérique" du temps et de l'histoire rompt tant avec la conception réactionnaire et restauratrice de l'histoire, qui décrit celle-ci comme cyclique (retour du temps sur lui-même à intervalles réguliers), qu'avec les conceptions linéaires et progressistes (qui voient l'histoire en marche vers un "mieux" selon un schéma vectoriel). Les conceptions cycliques estiment que le retour du même est inéluctable (forme de fatalisme). Les conceptions linéaires dévalorisent le passé, ne respectent aucune des formes forgées dans le passé, et visent un télos, qui sera nécessairement meilleur et indépassable. La conception sphérique de Mohler et Locchi implique qu'il y a des retours, certes, mais jamais des retours de l'identique, et que la sphère du temps peut être impulsée dans une direction plutôt que dans une autre par une volonté forte, une personnalité charismatique, un peuple audacieux. Il n'y a donc ni répétition ni retour aux substances immobiles et handicapantes ni linéarité vectorielle et progressante. La conception sphérique admire le créateur de forme, celui qui bouscule les routines et abat les idoles inutiles, qu'il soit artiste (l'Artisten-Metaphysik de Nietzsche) ou condottiere, thérapeute ou ingénieur. Mohler nous a donc suggéré une anthropologie héroïque concrète, dérivée notamment de son amour de l'art, des formes et de la poésie de Benn. Mais, pour compléter ce réalisme héroïque de Hof et de Mohler, j'ajouterais  - aussi pour donner une plus grande profondeur généalogique à la ND -  la pensée de l'action, formulée par Maurice Blondel, où la personne est réceptacle de fragments de monde, de sucs vitaux, disait-il, qu'elle doit transformer par l'alchimie particulière qui s'opère en elle, pour poser des actions originales qui développeront et constitueront son être, lui procureront une "accrue originale", une intensité digne d'admiration (L'action, op. cit., p. 467-468).
  
Le débat réalisme/nominalisme 

2) Parce qu'il a lancé le débat réalisme/nominalisme, par le biais d'une disputatio qui l'opposait au catholique Thomas Molnar (Criticón, n°47, 1978). J'ai traduit des fragments de ce débat pour la revue néo-droitiste belge Pour une Renaissance européenne, ensuite Alain de Benoist a repris cette thématique dans Nouvelle école. La Nouvelle Droite a d'ailleurs manié l'étiquette auto-référentielle de "nominalisme" pendant de nombreuses années.


Malheureusement, l'usage du terme "nominalisme" par Alain de Benoist et ses "perroquets" a été trop souvent inapproprié et, surtout, sans référence à Blondel, Sorel et Papini, alors que Mohler, spécialiste de Sorel, connaît très bien le contexte de cette grande époque féconde de remises en questions. La critique catholique de la ND a eu beau jeu de souligner l'insuffisance du "nominalisme" médiéval, source de l'individualisme et du libéralisme ultérieurs, que de Benoist rejetait! La nouvelle droite a ainsi stagné, donnant naissance à un dialogue de sourds, où les uns et les autres ignoraient la position de Blondel, ce catholique, doctrinaire de l'action pour l'action en dehors de tout cadre dogmatique généralisant et contraignant. Le vrai débat sur le nominalisme a été lancé un jour, lors d'une "conférence fédérale des responsables" du GRECE, tenue dans la région lyonnaise. Ce jour-là, Pierre Bérard a critiqué le mauvais usage du terme "nominalisme" dans les rangs de la ND, en appelant à la rescousse les thèses de Louis Dumont qui  - je résume très schématiquement -  déplore l'érosion des ciments communautaires sous les assauts d'une modernité toute à la fois intellectuelle (l'Aufklärung), industrielle et morale. Il avait raison. Mais en entendant cette brillante argumentation, de Benoist est entré dans une vive colère et a quitté la salle, avec une ostentation assez puérile. Bérard, malgré ses diplômes et ses titres, a été rappelé à l'ordre comme un élève irrévérencieux. Modeste et conciliant, il a accepté, au nom de la discipline (!) de groupe, d'abdiquer son rôle d'universitaire critique, pour laisser le champ libre au journaliste sans qualifications académiques qu'est resté de Benoist. Quelques années plus tard, de Benoist s'alignait toutefois sur les positions de Bérard, et les faisait siennes, mais sans jamais expliquer à ses lecteurs, de manière précise, cette transition importante, entre une première interprétation maladroite du «nominalisme", laissant planer un bon paquet d'ambiguïtés, et une défense des différences (donc des particularités contre les grandes idées générales), impliquant la critique de l'individualisme des Lumières, selon la méthode de Louis Dumont. Pour revenir à l'essentiel de notre entretien, en matière de "nominalisme", Mohler nous enseignait dans son article de Criticón (n°47, op. cit.)  
- à nous méfier des conceptions trop rigides de l'«Ordre» ou de la «Nature», comme la scolastique et le rationalisme (cartésien ou non) en avaient véhiculées.  
- à sortir de la «mer morte des abstractions» pour entrer dans "les terres fertiles du réel avec ses irrégularités, ses imprévisibilités et ses surprises",  
- à concevoir toute altérité comme altérité en soi, comme altérité autonome, au-delà du “Bien” et du “Mal”, toutes démarches qui redonnent à l'homme son caractère aventureux, donc sa dignité.  Il y a derrière tous les textes de Mohler cette aspiration insatiable vers une liberté pleine et entière, non pas une liberté qui se détache des choses concrètes pour s'envoler vers des empyrées sans chair et sans épaisseur, mais une liberté de façonner (gestalten, prägen) quelque chose dans l'immense richesse immanente du monde, de l'ici-bas, sans s'occuper des admonestations des philosophes en chambre, toujours dogmatiques et poussiéreux, qu'ils se réclament d'une scolastique médiévale ou d'une modernité raisonnante/ratiocinante.
  
Le "oui" au réel de Clément Rosset

3) Parce qu'il nous a encouragé à lire Clément Rosset (Criticón, n°67, 1981), que j'avais découvert quelques années plus tôt, à vingt ans, dans L'anti-nature et La logique du pire, deux ouvrages qui m'ont très profondément marqués (pour la petite histoire: je les lisais pendant un cours d'économie politique profondément barbant et stérile, basé sur le pensum de Jacquemain et Tulkens, ce qui m'a valu un zéro à l'examen! Rapidement rattrapé en septembre, où, rêve de tout étudiant, j'ai pu expliquer en toute jovialité à la jeune enseignante, douce et rubiconde, pourquoi ce traité, trop mécanique, m'apparaissait critiquable).

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Mohler saluait en Clément Rosset le philosophe qui disait "oui" au réel (Bejahung des Wirklichen), en critiquant sans appel les pensées avançant l'existence d'un arrière-monde, qui aurait précédé ou suivrait le monde tel qu'il est. Dans le portrait qu'il croquait de Rosset, Mohler risquait un souhait: voir cette apologie du réel devenir le fondement philosophique et idéologique d'une "nouvelle droite", enfin capable de se débarrasser de tout ballast incapacitant. 

La critique de l'Occident de Richard Faber, catholique de gauche 

4) Parce qu'il a attiré mon attention sur l'importance des travaux de Richard Faber, professeur à Berlin et critique acerbe des visions historiques des droites allemandes (cf. Criticón, n°90, 1985; Robert Steuckers, "L'Occident: concept polémique", Orientations, n°5, 1984). Pour Faber, catholique de gauche, il faut universaliser le catholicisme, l'arracher à ses racines romaines, païennes et étatiques. L'exact contraire de notre position, l'exact contraire du catholicisme d'un Carl Schmitt! Mais la documentation exploitée par le professeur berlinois était tellement abondante qu'elle complétait utilement l'oeuvre maîtresse de Mohler, ce qu'il avouait volontiers et sportivement. Le travail de Faber permettait une critique de la notion d'Occident, notamment de la volonté américaine de reprendre le rôle d'une Rome impériale, mettant la vieille Europe sous tutelle. Faber critiquait par là certaines positions d'Erich Voegelin, qui entendait conjuguer ses options catholiques conservatrices, pro-caudillistes, avec la tutelle américaine dans le cadre de l'alliance atlantique. Bien qu'elle n'ait pas du tout la même optique, la critique de l'Occident par Faber est à mettre en parallèle avec celle de Niekisch, afin que nous envisagions, à terme, une nouvelle alliance germano-russe, actualisation du tandem Russie-Prusse à la fin de l'ère napoléonienne. 

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Le regard de Panayotis Kondylis sur le conservatisme 

5) Parce qu'il a encouragé les lecteurs de Criticón, puis, plus tard, de Junge Freiheit, à lire attentivement l'ouvrage de Panayotis Kondylis sur le conservatisme (Criticón, n° 98, 1986; Robert Steuckers, "Il faut instruire le procès des droites!", in Vouloir, n°52-53, 1989, sur P. Kondylis, v. p. 8). L'approche du conservatisme que l'on trouve dans l'oeuvre de Kondylis est foncièrement différente de celle de Mohler, dans le sens où Kondylis estime que la notion même de conservatisme est dépassée parce que la classe des aristocrates propriétaires terriens a disparu ou n'est plus assez puissante et nombreuse pour avoir un poids politique déterminant. Mohler a accepté et assimilé les positions de Kondylis: il reconnaît la critique du penseur grec qui dit que tout conservatisme post-aristocratique n'est qu'un esthétisme (mais pour Mohler, cet "isme" n'est pas une injure!), surtout s'il ne défend pas la societas civilis contre l'emprise dissolvante du libéralisme. Mohler y voit la nécessité, pour toute "droite" non conformiste de défendre le peuple réel, c'est-à-dire la societas civilis contre les institutions fondées sur des abstractions philosophiques donc sur des dénis de liberté. Grand mérite de Kondylis, concluait Mohler: "Son charme intellectuel consiste justement en ceci: il nous présente les concepts et les idées qu'il traite dans leur concrétude historique". 

Wolfgang Welsch et la postmodernité 

6) Parce qu'il nous a conseillé de lire les ouvrages de Wolfgang Welsch sur la postmodernité (cf. Criticón, n°106, 1988; Robert Steuckers, "La genèse de la postmodernité", Vouloir, n°54-55, 1989). A juste titre, Mohler constate que Wolfgang Welsch donne à ses lecteurs un fil d'Ariane pour se repérer dans la jungle des concepts philosophiques contemporains, souvent assez obscurs et abscons. Mieux, Welsch dégage une interprétation "affirmative" du phénomène postmoderne, qui nous permet de quitter joyeusement et sans regret la prison de la modernité. La postmodernité de Welsch, revue par Mohler, n'est ni une antimodernité véhémente et révoltée ni une transmodernité, mais une autre modernité qui se libère des limites et des rigorismes qu'elle s'est donnés jadis. La postmodernité refuse la "Mathesis Universalis" voulue par Descartes. A la suite de Jean-François Lyotard, elle ne croit plus aux "grands récits" qui promettaient une unification-universalisation du monde sous l'égide d'une seule et même idéologie rationaliste. Ce double rejet corrobore bien entendu les éternelles intuitions de Mohler. Et porte, en filigrane, la marque de Nietzsche. 

Georges Sorel: référence constante 

7) Enfin parce qu'inlassablement il nous a invité à relire Georges Sorel et à explorer le contexte de son époque (Criticón, n°20, 1973; n°154, 1997; n°155, 1997). Sorel, que l'on a parfois appelé le "Tertullien de la révolution", était allergique au rationalisme étriqué, aux petits calculs politiques mesquins, que véhicule la sociale-démocratie. A cet esprit boutiquier, porté par une éthique eudémoniste de la conviction et par une volonté de rayer des mémoires tous les grands élans du passé et de gommer leurs traces, Sorel opposait le "mythe", la foi dans le mythe de la révolution prolétarienne. L'éthique bourgeoise, malgré sa prétention d'être rationnelle, conduit à la désorganisation voire à la désagrégation des sociétés. Aucune continuité historique et étatique n'est possible sans une dose de foi, sans un élan vital (Bergson!). Plus fondamentalement, quand Sorel interpelle les socialistes embourgeoisés de son époque, il suggère une anthropologie différente: le rationalisme coupe du réel, ce qui est malsain, tandis que le mythe en épouse les flux. Le mythe, indifférent à tout "sens" posé comme définitif ou érigé comme idole, est le noyau de la culture (de toute culture). Sa disparition, son refoulement, son oblitération conduisent à une entropie dangereuse, à la décadence. Une société étouffée par le filtre rationaliste s'avère incapable de se régénérer, de puiser et de re-puiser ses propres forces dans son récit fondateur. La définition sorélienne du mythe interdit de penser l'histoire comme un déterminisme; l'histoire est faite par de rares et fortes personnalités qui lui impulsent des directions, aux périodes axiales (Armin Mohler reprend la terminologie de Karl Jaspers, que Raymond Ruyer utilisera à son tour en France). La vision mythique des personnalités impulsantes et des périodes axiales fonde la conception "sphérique" de l'histoire, propre de la ND (cf. supra, paragraphe sur le "réalisme héroïque").  

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- Quels aspects, courants, figures de la RC ont retenu votre attention et votre intérêt? De quels auteurs/courants de la RC vous sentez-vous le plus proche? 

Première remarque : Mohler lui-même, dans un entretien accordé en Allemagne à des collaborateurs de la revue Sezession de Götz Kubitschek (qui prononcera un discours lors de ses obsèques), a précisé que la masse des écrits qu’il avait classés dans la catégorie de la « révolution conservatrice » sont désormais illisibles et inexploitables. D’autres démonstrations intellectuelles doivent prendre le relais. D’autres configurations idéologiques et d’autres donnes en politique internationale doivent se substituer aux interrogations et aux constats de l’ère de Weimar : Suisse de Bâle et homme d’entre-deux, comme moi qui suis Bruxellois et bas-lotharingien, Armin Mohler ne veut plus de conflits franco-allemands et sait que toute nouvelle confrontation avec la Russie entraînerait la perte définitive de tous. Et, surtout, selon sa prédilection pour les « images directrices », d’autres images mobilisatrices doivent advenir pour bousculer l’encroûtement généralisé, situation qu’un disciple tout à la fois de Nietzsche et de Sorel ne saurait accepter. L’historien de l’art Mohler pense au muralisme mexicain (auquel il consacrera un long article traduit pour Nouvelle école), au muralisme irlandais et aux affiches maoïstes.

Il est évident que je retiens principalement Ernst Jünger comme figure de référence, de même que son frère Friedrich-Georg. Mohler ne dit pas le contraire même si son engouement pour Jünger, au départ, était essentiellement motivé par une adhésion pleine et entière aux messages nationaux-révolutionnaires qu’il avait couchés sur le papier dans les revues militantes des années 1920 à 1932. Quand Mohler devient le secrétaire de Jünger au début des années 1950, il espère réitérer ce discours, le répandre dans une République fédérale allemande qui risque de sombrer dans une mortelle indolence sous le double effet de la « rééducation » voulue par les Américains et de la tendance post bellum au matérialisme consumériste.

J’apprécie chez Jünger ses talents de mémorialiste, qui sont sans doute inégalés dans la littérature européenne. Au cours de ces dix dernières années, plusieurs ouvrages de toute première importance sont parus sur lui, nous aidant à comprendre son œuvre. Je suis en train de lire cette abondante production, afin de pouvoir publier de futurs ouvrages. Il est évident que les discours nationaux-révolutionnaires de Jünger m’ont intéressé voire fasciné, tout comme le Mohler des années 1930, 1940 et 1950. Nous voulions aussi une fusion des « cerveaux hardis », au-delà des clivages incapacitants imposés par les droites et les gauches établies. Mais cela, c’était il y a quarante ans. Dans les années 1980, nous avons cherché à traduire dans la réalité nouvelle notre option récurrente qui transcendait les clivages, en nous joignant au combat contre l’installation des missiles américains en RFA et en réclamant un « désalignement » et un retour à la neutralité (celle suggérée par Staline en 1952, celle adoptée par la Finlande, celle conservée par la Suisse et la Suède, celle adoptée par l’Autriche en 1955). Toute l’aventure de l’étonnante et irremplaçable revue Wir Selbst en Allemagne, avec Siegfried Bublies et Henning Eichberg, en témoigne, comme celle de Vouloir/Orientations (avec Ange Sampieru et votre serviteur) ou celle des initiatives de Christian Dutoit en Flandre (cf. supra).  Tous nos espoirs ont été vains : la guerre en Yougoslavie a permis une installation discrète des forces américaines dans une région hautement stratégique (le Camp Bondsteele au Kosovo) ; les bombardements contre la Serbie en 1999 ont confirmé l’impuissance européenne, le déclenchement de l’Apocalypse en Mésopotamie, au Levant et en Cyrénaïque a démontré à satiété que l’Europe était politiquement inexistante, que les partis politiques établis (libéraux, sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens) ne servaient à rien d’autre qu’à poursuivre leur chasse insatiable aux prébendes, qu’ils n’avaient aucun projet en politique extérieure et en diplomatie (c’est-à-dire dans les domaines régaliens). Il n’y a toujours pas d’Europe indépendante et neutre, capable de suggérer une diplomatie alternative et d’offrir un modèle social cohérent au monde extérieur.

Jünger avait donc eu raison, après-guerre, d’opter pour « un recours aux forêts » ou pour l’attitude de l’« anarque ». Nous sommes effectivement, comme il le constatait avant nous, en visionnaire avisé, entrés douloureusement dans l’ère de la « post-histoire ». Nous sommes incapables ou empêchés de faire l’histoire. Celle-ci est déterminée par d’autres forces que celles qui avaient émergé jadis sur les terres de notre Europe. La tragédie yougoslave est emblématique à ce sujet : c’est elle qui nous a fait ouvrir les yeux, nous a forcé, jeunes fous, à accepter de devenir des « anarques ». Ce qui ne doit pas nous interdire de sortir de temps en temps des bois…

Spengler a été important pour moi, tant pour son Déclin de l’Occident que pour les écrits produits après 1920. D’autres auteurs, dont je m’abstiendrai de dresser la liste ici, sous peine de chavirer dans une exhaustivité non maîtrisable, ont illustré mes intuitions initiales de manière durable : ce sont ceux qui feront l’objet de courtes entrées dans l’Encyclopédie des Œuvres Philosophiques, éditée par les P.U.F. sous la houlette du Professeur Jean-François Mattéi (cf. infra).

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Enfin, mon « conservatisme révolutionnaire » ne se limite pas à l’espace linguistique germanophone, même si celui-ci est, quantitativement, le plus important en Europe, vu que l’allemand est la langue la plus parlée en Europe à l’est de l’espace russophone et est la langue philosophique par excellence, héritière du grec antique, le véhicule de bon nombre d’innovations intellectuelles depuis la moitié du 19ème siècle ; il fut la langue vernaculaire de tous les territoires entre Berlin et Moscou, de la Baltique à la Mer Noire et dans tout l’espace danubien de l’ancien Empire austro-hongrois. L’Espagne, en la personne du germanisant José Ortega y Gasset, recèle des traditions politiques très intéressantes. L’Amérique latine a beaucoup de leçons, claires et pragmatiques, à nous apprendre. L’Italie mérite toute sa place et peut se glorifier d’avoir une tradition « conservatrice-révolutionnaire », elle aussi, analysée notamment par Maurizio Veneziani (cf. La rivoluzione conservatrice in Italia. Genesi e sviluppo della ideologia italiana, Milano, SugarCo, 1987.; 1994. ISBN 88-7198-311-4; 2012. ISBN 978-88-7198-631-9 ; et : L'antinovecento. Il sale di fine millennio, Milano, Leonardo, 1996. ISBN 88-04-40843-X ). Le monde slave, qui m’est plus difficilement accessible ou seulement par des études en d’autres langues romanes ou germaniques, reste un continent immense à découvrir ou redécouvrir. Le chantier est inépuisable.

- Pouvez-vous présenter vos différents travaux sur le courant de la RC, au sein du GRECE, puis dans vos revues Vouloir et Synergies Européennes? Pourquoi avoir voulu porter cette galaxie intellectuelle à la connaissance du public (et quel public?) ?

Mes travaux sur la « révolution conservatrice » allemande sont consignés dans mon recueil paru aux éditions du Lore. Il y a certes d’innombrables traductions disséminées dans les quelque deux cents fascicules d’Orientations, Vouloir, Nouvelles de Synergies européennes, Au fil de l’épée, etc. Un numéro assez copieux de Vouloir a été consacré au sujet, de même qu’un autre à la personnalité d’Ernst Jünger à l’occasion de son centième anniversaire. Mes travaux ont donc été surtout auto-publiés dans les revues soutenues par l’E.R.O.E. de Jean van der Taelen, par « Synergies Européennes » (Gilbert Sincyr, Prof. Jean-Paul Allard, Alessandra Colla, etc.) et par l’Association « Minerve » de Robert Keil, avec l’appui d’André Wolff à Metz. A part Alessandra Colla et moi-même, tous sont aujourd’hui décédés. Au G.R.E.C.E., où j’ai surtout été personna non grata pendant des décennies, à part entre 1979 et 1981 et 1989 et 1992, j’ai publié un article sur Henri De Man dans Etudes & Recherches,  un article sur Heidegger dans Nouvelle école, un article sur Ortega y Gasset dans Eléments (qui a été caviardé sous prétexte que la référence majeure en était l’étude du Prof. Walravens de l’Université de Louvain et que ce philosophe hispaniste flamand était un ecclésiastique !!). Enfin, en 1981 toujours, j’ai co-rédigé un article sur Carl Schmitt avec Guillaume Faye pour Eléments. C’est bien peu de chose. Et tout cela remonte à plus de trente-cinq ans. J’ai prononcé deux conférences relatives à la révolution conservatrice allemande dans le cadre du G.R.E.C.E. : l’une en 1989 sur la postmodernité vue par Wolfgang Welsch dont l’ouvrage avait été chaleureusement recommandé par Mohler dans les colonnes de Criticon. Cette conférence a rencontré l’incompréhension de la majorité des stagiaires présents et une franche hostilité parce que Welsch, Mohler et moi-même avions cité positivement « le Juif Derida-da » (!). L’autre conférence concernait Friedrich-Georg Jünger et était destinée à l’Université d’été 1991. J’avais le sobriquet de « trotskiste » du mouvement ; j’ai récolté celui d’« écolo » après cette présentation succincte du frère d’Ernst Jünger, qui avait particulièrement déplu à un mécanicien-dentiste, membre de la maîtrise du G.R.E.C.E. et, à ses heures, triste chansonnier à la voix rauque et brisée et aux paroles d’une stupidité affligeante.

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Le gros de mes études sur la révolution conservatrice a été commandité par le Prof. Jean-François Mattéi pour le compte des Presses Universitaires de France. Ce travail m’a permis de me plonger pendant huit longs mois dans les archives de l’Albertine, la bibliothèque royale de Belgique, très riche en ouvrages allemands, tant le Kaiser en 1914 que le Führer en 1940 s’étaient montrés généreux dans l’espoir de « re-germaniser » le pays. Des wagons entiers de bouquins suivaient les troupes de la Reichswehr et de la Wehrmacht. Personne ne lit plus ces archives depuis 1918 et 1945.

Vous me demandez quel public était visé ? Dès le départ, dès notre groupe informel d’étudiants bruxellois des années 1975-1981, nous n’avions aucune illusion quant au public dit de « droite » (pour autant que ce terme ait une signification en Belgique, comme le soulignait déjà le Prof. Stengers de l’Université Libre de Bruxelles, dans un ouvrage collectif aujourd’hui épuisé et intitulé The European Right). Nous nous adressions à des semblables, à des curieux comme nous, à des inclassables. L’analyse du fichier des abonnés aux revues le prouve : il y avait certes dans cette liste des hommes et des femmes rencontrés lors de colloques du G.R.E.C.E. ou d’autres initiatives mais l’immense majorité était composée d’inconnus, de personnes que nous n’avions jamais vues ou qui se sont confinées dans une discrétion absolue. Quant aux raisons de vouloir parler de personnalités oubliées ou décrites comme sulfureuses, elles sont simples : 1) faire éclore une meilleure connaissance de la pensée européenne contemporaine ; 2) faire revenir du refoulé car le refoulé explique en profondeur ce que la surface acceptée signifie en fait (un de nos commensaux étudiait la psychiatrie et s’affichait « lacanien »); 3) remettre en question les établissements en place par un travail généalogique et archéologique sur les idéologies et les idéologèmes, afin de les dégager de leur cangue conformiste. Aujourd’hui, d’excellents travaux universitaires allemands, français, italiens ou anglo-saxons explorent l’époque qui va de 1870 à 1914 ou au-delà. Tous sont contraints de citer des auteurs que les deux après-guerres avaient refoulés.

- Vous publiez régulièrement sur vos blogs Synergies Européennes et Vouloir des articles sur la RC et ses principales figures; qu’est-ce qui, selon vous, reste aujourd’hui d’actualité dans la pensée conservatrice-révolutionnaire? 


Les raisons de publier des articles sur les blogs sont les mêmes que celles qui nous amenaient à les publier sur des supports en papier. Si vous me posez la question de savoir ce qui reste d’actualité dans le corpus doctrinal de la révolution conservatrice, je commencerai par vous posez une autre question. Celle-ci : que reste-t-il d’actualité de la première psychanalyse de Freud, de l’architecture Art Nouveau ou Art Déco, de la littérature victorienne, des interprétations successives du marxisme ? Le passé ne s’efface pas contrairement à ce que colporte la vulgate progressiste. Il s’estompe, semble disparaître mais ré-émerge d’une manière ou d’une autre. Pensons par exemple à la culture de la double monarchie austro-hongroise. Un auteur italien contemporain, Claudio Magris, a bien montré que le souvenir de cette construction politique et de la culture qu’elle a véhiculée demeure sous-jacent dans tous les pays qui en ont fait partie. La disparition du Rideau de Fer en 1989 a fait resurgir un passé commun que même le conflit inter-yougoslave n’a pas pu entièrement effacer. De toutes les façons, si nous étions des originaux, que l’on prenait pour des fous, il y a quarante ou trente ans, force est de constater que les travaux universitaires et les productions littéraires ou cinématographiques puisent désormais, en partie, dans ce corpus, pour mille et une raisons ; d’abord pour ne pas avoir à ânonner les poncifs lassants répétés ad nauseam par tous les établissements de la planète. Votre propre mémoire en maîtrise le prouve. Je constate que cet engouement secoue davantage le monde anglo-saxon que les autres espaces linguistiques européens ou autres. Quand je vous parle de la pertinence toujours latente de thématiques révolutionnaires-conservatrices ou autres, datant des années 1920 et 1930, je fais implicitement référence à un auteur anglo-indien, Kris Manjapra, auteur de la copieuse étude Age of Entanglement – German and Indian Intellectuals across Empire (Harvard University Press, 2014). Manjapra montre comment la modernisation de l’Inde et, simultanément, sa marche vers l’indépendance, s’est accompagnée d’une « autre modernité » que celle suggérée par l’Empire britannique, le Raj. Cette « autre modernité » était de facture allemande, tant à la fin du 19ème siècle (avec l’avènement d’une physique nouvelle) que sous la République Fédérale, en passant par les ères wilhelminienne et nationale-socialiste.

Le filon organique qui traverse toute la pensée allemande doit beaucoup aux découvertes successives de la physique pure et de la biologie animale et humaine. Bon nombre de réflexes intellectuels de la « révolution conservatrice » sont tributaires, en amont, de cette nouvelle physique et de cette nouvelle biologie (pas nécessairement darwinienne). Cette scientificité latente de tout le corpus organique a aussi été mise en exergue en France par Georges Gusdorf dans son œuvre monumentale concernant les idéologies des Lumières, le romantisme ou l’histoire de l’herméneutique. Dans cette perspective, les idéologies en place, qui se disent « progressistes », sont des vieilleries anti-scientifiques tandis que l’alternative proposée par les meilleurs des « révolutionnaires conservateurs », qui refusent de se proclamer « progressistes », ont bel et bien un fondement scientifique parce qu’organique. Les étudiants indiens de ces professeurs allemands de physique ou de biologie l’avaient bien compris : ils mettaient en exergue la conformité de cette nouvelle science physique avec les traditions de la mythologie hindoue et les Védas, tout en déployant des techniques visant à assurer, à terme, l’indépendance de leur civilisation. Par ailleurs, Wolfgang Welsch (cf. supra) définit la postmodernité comme une modernité issue des découvertes de la nouvelle physique : Mohler imaginait, après la chute du Rideau de Fer, que la modernité allait sortir des sentiers battus de l’Aufklärung, interprété par le mentor de la RFA, Jürgen Habermas, pour devenir une postmodernité calquée sur cette physique nouvelle qui avait généré les impulsions des révolutionnaires conservateurs. La postmodernité de Mohler, inspirée par la définition qu’en donnait Welsch, n’était rien d’autre que la bonne vieille « révolution conservatrice » sous des oripeaux nouveaux, « nominalistes » dans le sens où ils s’avéraient plus souples et plus plastiques que les rigidités substantialistes des philosophies scolastiques ou dégénérées en scolastique. Rien de cette transition ardemment espérée ne s’est passé et ce que l’on appelle aujourd’hui la « postmodernité » n’est qu’un carnaval terne et sans ressort, que Philippe Muray nomme le « festivisme ».

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Steuckers/Révolution conservatrice

- Vous avez publié en 2014 un ouvrage sur la RC qui regroupe plusieurs portraits de ses principaux auteurs; or, vous proposez un cadre autre que celui retenu par Mohler, en élargissant notamment la chronologie (vous remontez jusque dans les années 1875, et intégrez à la fois le courant nietzschéen et l’école allemande de géopolitique). Pourquoi cette nouvelle approche élargie? Quels sont les points forts et les points faibles de la typologie et de la chronologie retenues par Mohler?

Je ne propose nullement un cadre autre que celui retenu par Mohler, non pas dans les années 1950, quand il travaillait à sa thèse de doctorat sous la houlette de Karl Jaspers mais dans les années 1980, quand il lisait les thèses sur la France d’avant 1914 de Zeev Sternhell. Dans sa recension du livre de Sternhell, La droite révolutionnaire, pour la revue munichoise Criticon du Baron Caspar von Schrenck-Notzing, Mohler applaudit à l’idée d’élargir l’espace temporel de la révolution conservatrice. Ensuite, il ne faut pas oublier que Moeller van den Bruck, après la défaite allemande de 1918, évoque, avec l’Alsacien Stadtler, l’idée d’imiter les Français après leur défaite de 1871 : créer des clubs, des revues, des cénacles qui ne pensent qu’à une chose, la revanche. Or cet antécédent français est justement cet espace idéologique rupturaliste que décrit Sternhell dans La droite révolutionnaire. Moeller van den Bruck comme Mohler sont conscients de l’impolitisme foncier des Allemands. Se référer tout à la fois aux conquêtes scientifiques allemandes, qui n’ont été d’aucune utilité dans la mobilisation totale des forces nationales pendant la Grande Guerre, et à l’hyper-politisme des Français entre 1871 et 1914 permettra de sortir de l’impasse imposée à Versailles en 1919, pensaient Moeller van den Bruck et les membres du « Juni Klub ». Aujourd’hui, c’est l’Europe tout entière qui doit se repenser au-delà de toutes les humiliations qu’elle a subies. En France aujourd’hui, c’est aussi à Bergson et à Péguy voire à Sorel que se réfère un Patrick Buisson pour pallier le suicide français décrit par Zemmour : donc des références d’avant 1914 ! En proposant d’élargir la plage temporelle des études sur l’idéologie allemande, je n’ai nullement été à l’encontre de Mohler mais, bien au contraire, j’ai abondé dans son sens : j’ai travaillé à l’élargissement qu’il appelait de ses voeux. Il n’y a donc pas lieu, pour moi, d’évoquer des points forts ou faibles dans son argumentaire.

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- Quel regard portez-vous concernant l’actualité des publications sur la RC, universitaires ou militantes (notamment dans les milieux nationaux-révolutionnaires et ce qu’il reste de la « Nouvelle Droite ») dans l’espace francophone? 

Les publications universitaires sont toutes excellentes, à condition qu’elles ne véhiculent pas les simplismes des idéologies dominantes à l’encontre des pensées nées entre 1870 et aujourd’hui. Sur ma table de travail, outre les livres allemands d’exégèse sur l’œuvre d’Ernst Jünger et le livre de Manjapra (cf. supra), il y a celui d’Anthony Andurand, Le mythe grec allemand – Histoire d’une affinité élective, Presses universitaires de Rennes (2013). Les milieux nationaux-révolutionnaires, tels que nous les avons connus du temps d’un Jean-Gilles Malliarakis ou d’un Christian Bouchet, ont virtuellement cessé d’exister. D’autres ont pris le relais, comme « Dissidence française » de Vincent Vauclin. Ces mouvements pouvaient ou peuvent certes susciter un engouement ou des vocations mais leur tâche n’est pas de faire œuvre scientifique en ce domaine. Ils suscitent indubitablement un intérêt pour les questions révolutionnaires-conservatrices, le même que celui qui avait animé un Dominique Venner pour la geste d’Ernst von Salomon et des « réprouvés » des années 1920 en Silésie ou dans les Pays Baltes. Mais, lato sensu, la révolution conservatrice ne se limite pas aux épopées « soldatiques » comme je l’explique dans quelques chapitres de mon livre sur le sujet.

Quant à la « nouvelle droite », du moins son canal historique, elle a rejeté et exclu tous ses germanistes (Locchi, Mudry, Allard, moi-même) et son meilleur italianiste (Baillet), en adoptant le comportement des « rombières » fustigées par notre Abbé d’antan : elle nous a tissé une réputation de fainéant, de toqué, etc. avec la même hypocrisie que « celles qui tricotaient des bas pour les pauvres ». Heureusement que Jean Haudry a chaperonné la confection des derniers numéros de Nouvelle école. Quant au reste des productions, à part un ouvrage de leur chef de file sur quatre figures de la révolution conservatrice, je ne vois rien de bien particulier qui ait été publié. L’étude de cette période de l’histoire intellectuelle germanique appartient désormais à l’université. Et à elle seule. Ma tâche de « perroquet » (Maurras) et d’instituteur (Niekisch) est de répercuter bravement ce que ces savants vont produire en plus hauts lieux.

vendredi, 02 juin 2017

ZUERST!-Gespräch mit Nahost-Experte Dr. Elie Hatem: „Es muß die Propaganda gegen das Land und seine Regierung gestoppt werden“

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ZUERST!-Gespräch mit Nahost-Experte Dr. Elie Hatem: „Es muß die Propaganda gegen das Land und seine Regierung gestoppt werden“

Ex: http://www.zuerst.de 

 

Droht der Welt ein neuer großer Krieg, der dieses Mal vom Nahen Osten ausgeht? Der französisch-libanesische Politikberater und Jurist Dr. Elie Hatem im ZUERST!-Gespräch über Trumps Fehler und die Gefahr eines Weltkrieges

Herr Dr. Hatem, seit sechs Jahren herrscht in Syrien Krieg. Der kürzlich erfolgte Einsatz von Chemiewaffen und die Reaktion der Vereinigten Staaten von Amerika darauf stellen möglicherweise einen Wendepunkt dar. Was könnte als nächstes passieren?

Hatem: Syrien wird destabilisiert, von Mächten, die Chaos im Nahen Osten und auch in Europa anrichten wollen. Wir müssen natürlich davon ausgehen, daß diese Geschehnisse enorme Konsequenzen auf Europa haben. Die Masseneinwanderung beeinflußt den Zusammenhalt des Kontinents bereits jetzt. Es ist offensichtlich, daß es sich bei der „Krise“ um ein politisches Projekt handelt, worin auch verschiedene Geheimdienste ihre Rolle spielen. Der letzte Chemiewaffeneinsatz hat das deutlich gemacht. Der Fall wurde sehr genau von den syrischen Behörden untersucht, auch von juristischer Seite. Es sollte mit Sicherheit festgestellt werden, wer diesen Angriff angeordnet und durchgeführt hat. Aus politischer Sicht bezweifle ich, daß der syrische Präsident Baschar al-Assad oder die syrische Regierung so masochistisch veranlagt sind, sich bewußt so harscher internationaler Kritik auszusetzen oder ein Eingreifen der USA zu riskieren: Immerhin hatte Assad diese Erfahrung schon mal gemacht, als der französische Präsident François Hollande militärische Maßnahmen befohlen hatte. Ich denke, daß ein Geheimdienst hinter dem ganzen Vorfall steckt, um einen „Casus belli“ zu schaffen und den Amerikanern ein militärisches Eingreifen zu ermöglichen. Wir sollten uns auch vergegenwärtigen, unter welchen Umständen Donald Trump von seinen Beratern zu der Entscheidung gebracht wurde. Ich frage mich, wie sehr er selbst die Tragweite seiner Handlung überhaupt bedacht hat, als er gerade den chinesischen Präsidenten in Florida zu Gast hatte, den – seiner Aussage nach – „schönsten Schokoladenkuchen“ aß und den Irak mit Syrien verwechselte. Wenn Trump vor der Wahl versprochen hatte, mit Rußland partnerschaftlich zusammenzuarbeiten, so scheint er gerade gegen seinen eigenen Willen zu handeln. Ich hoffe, er erkennt seinen Fehler. Falls nicht, setzt er nur die desaströse Politik seiner Vorgänger fort.

Vor seinem Amtsantritt erwartete man von Trump eine anti-interventionistische Syrien-Politik. Nach seinem Einzug ins Weiße Haus sprach er von „safe zones“ in Syrien, wenig später ließ er die syrische Luftwaffenbasis Al-Scheirat mit Marschflugkörpern angreifen. Was passiert da gerade in Washington?

Hatem: In den USA kommt man nur schwer um das Establishment herum. Nach den Versprechungen und Vorsätzen während des Wahlkampfes ist Donald Trump nun in der Realität des Systems angekommen.

Wie meinen Sie das?

Hatem: Die US-Außenpolitik steht schon seit langem unter dem massiven Einfluß verschiedenster Lobbyorganisationen, beispielsweise auch der AIPAC, einer pro-israelischen Organisation. Trump bezieht einige pro-israelische Standpunkte, so zum Beispiel die künstliche Schwächung der Staaten im Nahen Osten, unter Inkaufnahme von Chaos und internen Kämpfen zwischen den Mächten. Einige dieser Punkte hat er umgesetzt: Deswegen wurden auch Bürger des Iran im Zuge des sogenannten „Muslim Bans“ an der Einreise in die USA gehindert, obwohl dieser Staat wirkungsvoll den IS und den Terrorismus insgesamt bekämpft. Diese Entscheidung wurde sowohl in den Vereinigten Staaten als auch international stark kritisiert. Trump folgt den Interessen der Israelis, die darauf hoffen, die Position der Syrer wieder zu schwächen. Denn nachdem die Russen massiv in den Krieg eingegriffen hatten, sah es zuletzt recht gut für die syrische Regierung aus. Vergleichen wir die russische Intervention mit der US-amerikanischen, so ist die letzte unrechtmäßig oder besser gesagt illegal erfolgt. Weder kam die US-Regierung mit dem Einsatz einer Bitte der syrischen Regierung nach – wie im Falle Rußlands –, noch wurde ein solches Eingreifen vom Sicherheitsrat der Vereinten Nationen beschlossen. Wir bedauern es zutiefst, daß die US-Außenpolitik offenbar immer noch von denselben Lobbygruppen bestimmt wird. Was den Nahen Osten betrifft, so wird Trump von seinem Schwiegersohn Jared Kushner beraten. Dieser hat seit seiner Kindheit ein enges Verhältnis zum jetzigen israelischen Präsidenten Benjamin Netanjahu.

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Handelt es sich bei dem, was wir in Syrien sehen, wirklich um einen „Bürgerkrieg“?

Hatem: Syrien ist das Opfer einer politischen Intrige, die Jahre zuvor sorgfältig ausgearbeitet wurde. Die Drahtzieher sind Politanalysten, -experten und Denkfabriken. Dieses Projekt wurde zuvor schon anderswo erprobt, so zum Beispiel in Palästina, Zypern, dem Libanon, dem Iran, Afghanistan, auf dem Balkan, in Tschetschenien, Dagestan, in Armenien, Georgien und so weiter. Nach einigen Rückschlägen führte das Vorhaben zum sogenannten „Arabischen Frühling“, der ein totales Chaos im Nahen Osten zum Ziel hatte. In der Folge kam es in Staaten, in denen vorher viele Religionen nebeneinander koexistierten, zu Spannungen zwischen den Glaubensgruppen. Die Staaten sollten sich in Glaubenskriegen auflösen. In anderen Staaten hieß es Stamm gegen Stamm, Klan gegen Klan. Im Westen wird das so dargestellt, als wenn all diese Parteien für ihre Freiheit und die Menschenrechte kämpfen. Tatsächlich leidet die Bevölkerung aber unter diesen „Bürgerkriegsparteien“. Diese Gruppen kämpfen für einen gewaltsamen „Regime Change“, eine Zerstörung der Zentralgewalt, die vorher all diese Religionsgemeinschaften und Stämme hat zusammenhalten können. Söldner aus der ganzen Welt wurden ins Land gerufen und kämpfen an der Seite von unkontrollierbaren Milizen. Das ist die Realität in Syrien.

Syrien ist – wie Sie sagen – zum Sammelpunkt für Verbrecherbanden und Terror-Krieger aus der ganzen Welt geworden – auch aus Europa wird rekrutiert. Was würde Ihrer Meinung nach passieren, wenn die internationalen Terrorbrigaden über die syrische Regierung siegen würden?

Hatem: Wir kennen die Fakten: Das Chaos in Syrien – wie auch im Irak, ein Opfer desselben Destabilisierungsplans – schafft eine Vielzahl verschiedener Milizen und unüberschaubarer bewaffneter Gruppen, die ihrerseits kriminelle Ringe bilden, die von Außenstehenden beeinflußt werden. Aufgabe dieser Söldnergruppen ist das Verursachen von Terror und Chaos im Nahen Osten und damit auch in Europa. Wenn die syrische Regierung zusammenbricht, wird auch die Situation, die vorher von den Russen geradeso unter Kontrolle gehalten wurde, eskalieren. Dann folgt das große Chaos, und es entsteht damit eine enorme Gefahr für die Weltsicherheit. Syrien wird dann zu einem undurchdringbaren Dschungel, in dem die eben angesprochenen Gruppen unaufhaltsam gedeihen und sich ausbreiten werden.

Gibt es einen Unterschied zwischen „moderaten“ und „extremistischen“ Kämpfern in den sogenannten „Oppositionsgruppen“?

Hatem: Die Propaganda bewirbt die Destabilisierung der arabischen Welt auf jede erdenkliche Weise, um das Handeln der fremdunterstützten „Rebellen“ zu rechtfertigen. Aber es gibt – wie Sie richtig sagen – zwei Arten von Kriegern in Syrien: die moderaten und die extremistischen. Beide Gruppen sind jedoch unmöglich zu überschauen, der Großteil der Angehörigen sind Söldner, und die Übergänge sind fließend. Die Kämpfer wechseln schnell von einer Gruppe zur nächsten. Einige der Soldaten kämpften erst unter der Flagge der angeblich „moderaten“ Freien Syrischen Armee, dann unter der der sunnitisch- extremistischen „Al Nusra“, bis sie sich schließlich dem IS anschlossen…

Was wären die Konsequenzen für Europa, wenn die Syrisch-Arabische Armee zusammenbräche?

 Hatem: Wie Sie sicher wissen, gibt es jetzt schon zahlreiche Flüchtlinge aus Syrien, die nach Europa kommen. Dabei sind die Grenzen zum Nahen Osten geschlossen. Die syrische Bevölkerung ist desillusioniert. Sie fliehen vor dem Krieg und vor Verfolgung, besonders der durch den IS. Der einzige Ausweg ist die Flucht ins Ungewisse. Also wählen sie das Exil, einen beschwerlichen Weg, aber es bleibt ihnen nichts anderes übrig. Mit anderen Worten: Wir sind Zeugen der Deportation eines ganzen Staatsvolks, wie beispielsweise der der Armenier am Ende des 19. Jahrhunderts. Die Auswanderer haben ihr ganzes Hab und Gut verloren. Sie sind arm und niedergeschlagen. Es ist ein Einfaches, sie zu manipulieren, wenn man ihnen Geld verspricht. Geheimdienste machen sich das zunutze, um Terroranschläge ausführen zu lassen, die Europa destabilisieren sollen. Ein einfaches Beispiel: Wenn Sie Ihre eigenen Kinder hungern, weinen und leiden sehen, fällt es Ihnen leicht, für ein paar Euro das eigene Leben zu opfern und ein Selbstmordattentat dafür zu begehen. Eine Niederlage der syrischen Regierung wird das ganze Land ins Chaos werfen, und diese Vorfälle werden zunehmen.

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Welches Interesse haben die europäischen Regierungen an dieser Agenda?

Hatem: Die europäischen Staatschefs stehen unter dem Einfluß der NATO, die wiederum vom US-Establishment – Lobbygruppen, Geheimdienste usw. – kontrolliert wird. Die US-Eliten haben ein Interesse daran, die europäischen Staaten und deren Bevölkerungen zu schwächen. Mit der massiven Propaganda soll Europa auf einen Kurs gebracht werden, der einem Suizid gleichkommt. Eine ähnliche Strategie wird in den arabischen Staaten verfolgt: Ihre Anführer übernehmen oftmals schwachsinnige Positionen, die sie selbst ins Chaos stürzen.

Welche Rolle spielen die Sanktionen gegen Syrien bei der Massenimmigration nach Europa? Wie beeinflussen die Sanktionen den Krieg der Syrisch-Arabischen Armee gegen die Terroristen?

Hatem: Diese Maßnahmen treffen in Wirklichkeit die Bevölkerung und nicht die Streitkräfte. Es sind die Zivilisten, die die Konsequenzen der Sanktionen zu tragen haben: Die Menschen verarmen, was sie in die Arme islamistischer Terrorgruppen treibt, die ihnen Nahrung und Hilfe gewähren. Natürlich gibt es für die verschiedenen Milizen tausend Wege, um vorbei an den Sanktionen an Waffen zu gelangen. Die Sanktionen verfolgen den Zweck, die syrische Regierung zu schwächen, unbeliebt zu machen und in den Bankrott zu treiben.

Wieso ist es so einfach für europäische NGOs, den Terrorismus in Syrien zu unterstützen und zu finanzieren? Können Sie das Ausmaß dessen einschätzen?

Hatem: (…)

Welche Rolle spielt der Iran in Syrien?

Hatem: Als der Krieg in Syrien begann, wurde Assad von allen arabischen Staaten im Stich gelassen. Einige seiner ehemaligen Verbündeten waren selbst mit inneren Krisen im Zuge des Arabischen Frühlings beschäftigt. Andere wurden von der Geheimdienstpropaganda der Amerikaner beeinflußt und distanzierten sich von Assad – ähnliches geschah bei den EU-Regierungen. Der syrische Präsident brauchte für seinen Kampf dringend Verbündete, um den Kollaps seines Staates zu verhindern. Der Iran gewährte ihm die benötigte Hilfe, aus vielerlei Gründen: Zum Beispiel hätte eine Destabilisierung Syriens auch Nachteile für den Iran. Außerdem dient Syrien als Transit-Land in den Libanon, wo der Iran die dortigen Schiiten unterstützt und seinen Einfluß in der Region wahren möchte. Diesen Weg gilt es offenzuhalten. Das sind die Gründe, wieso der Iran in Syrien eingriff und, lange bevor die Russen Assad Unterstützung gewährten, den IS und die Terroristen bekämpfte.

Besteht die Gefahr einer direkten militärischen Konfrontation zwischen Rußland und dem Iran auf der einen und den US-Streitkräften auf der anderen Seite?

Hatem: Ich hoffe nicht… Aber ich hoffe, daß die neue US-Regierung jegliche Konfrontation mit Rußland vermeiden wird. Während seines Wahlkampfes verkündete Trump, mit Rußland zusammenarbeiten zu wollen. Trotz des Einflusses der verschiedenen Interessengruppen auf den US-Präsidenten – vor allem der AIPAC – gibt es immer noch eine Reihe von Leuten, die versuchen, Trump an seine Wahlversprechen zu erinnern. Vor allem in der Generalität der US-Armee gibt es einflußreiche Männer, die ihn auf diesen Weg bringen möchten, beispielsweise General Paul Vallely, der über gute Beziehungen zu Moskau, besonders in das Umfeld des Außenministers Sergej Lawrow, verfügt.

Nach Trumps Wahl hatten auch viele europäische Euroskeptiker die Hoffnung, daß die neue US Regierung sich nicht weiter in Angelegenheiten des Nahen Ostens einmischen würde. Waren diese Hoffnungen naiv?

Hatem: (…)

Auch Marine Le Pen und andere euroskeptische Politiker – wie zum Beispiel der Vorsitzende der Jungen Alternative, Markus Frohnmaier – kritisierten den „Tomahawk“-Angriff auf die syrische Luftwaffenbasis. Können wir hier einen Bruch zwischen Trump und den Euroskeptikern erkennen?

 Hatem: Ich behaupte das, ja. Viele Europäer – und auch Amerikaner, die auf einen Wandel gehofft hatten – sind jetzt enttäuscht, auch wenn das nicht offiziell kundgetan wird. Es gibt eine große Diskrepanz zwischen dem, was Trump vor der Wahl sagte, und dem, was er jetzt von sich gibt. Ich glaube, daß Trump gerade versteht, daß es nicht so einfach ist, das Establishment und die Lobbyisten beiseite zu drängen, die nun mal einen großen Einfluß auf die US-Regierung haben. Aber ich hoffe, daß es noch Leute um Trump herum gibt, die ihm eine gesunde und verantwortungsvolle US-Außenpolitik näherbringen können.

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Sehen Sie eine Möglichkeit, die syrischen Flüchtlinge zu repatriieren, für den Fall, daß die syrische Regierung zusammenbricht?

Hatem: Ich glaube nicht, daß die syrische Regierung kollabieren wird. Sollte dies doch der Fall sein, so sind Chaos und Zerstörung die Folge, was um so mehr Flüchtlinge produzieren wird. Die Situation würde auf alle Nachbarstaaten entscheidende Folgen haben, auch auf die Türkei. Europa wäre gezwungen, immer mehr Flüchtlinge auf zunehmen, in solchen Mengen, die es unmöglich kontrollieren kann. In diesem Szenario würde die Stabilität Europas entscheidend geschwächt, und große Spannungen auf dem Kontinent wären die Folge. Ich hoffe, daß die Regierungen sich diesen Fall vor Augen führen.

Wie schätzen Sie die Chancen der Syrisch- Arabischen Armee ein, den Krieg zu gewinnen?

Hatem: Das hängt von der Unterstützung durch Rußland ab. Die syrische Armee ist nach sechs Jahren des Krieges an ihrer Belastungsgrenze angelangt. Obwohl Soldaten über Monate hinweg keinen Sold erhielten, sehen wir aber nur sehr wenige Fahnenflüchtige. Das beweist auch, daß es bei dem Krieg in Syrien eigentlich kein Problem der Assad-Regierung gibt, die gegen ihre eigene Bevölkerung vorgehen würde, wie gern behauptet wird. Es geht um die Einflußnahme auf Söldnergruppen von außerhalb, die sich aus Leuten rekrutieren, die in einem Land, das im Chaos versinkt, einfach nur überleben wollen.

Wie würde eine intelligente Nahost-Politik der Europäer aussehen?

Hatem: Zuerst muß die Propaganda gegen das Land und seine Regierung gestoppt werden. Dann muß gewährleistet werden, daß internationales Recht – vor allem das Recht auf Selbstbestimmung und die Nicht-Einmischung in innere Angelegenheiten eines Landes – geachtet wird. Unglücklicherweise hetzen einige europäische Politiker genauso gegen Syrien, wie sie es 2003 gegen den Irak taten. Gleiche Positionen bezogen sie im Falle Tunesiens und Libyens. Was sind die Folgen einer solchen Agenda? Die Zerstörung von Institutionen und Strukturen in den entsprechenden Ländern, eine Verarmung weiter Teile der Bevölkerung und die Entstehung von riesigen Flüchtlingsströmen. Das Vertreten einer solchen Politik ist kriminell.

Herr Dr. Hatem, vielen Dank für das Gespräch.

Dr. Elie Hatem, geboren 1965, promovierte in Internationalem öffentlichen Recht und Verfassungsrecht und ist Jurist bei der Paris Bar Association. Seine Familie stammt aus dem Libanon. Hatem lehrt Internationale Beziehungen und Internationales öffentliches Recht an der Freien Fakultät für Recht und Wirtschaft in Paris. Elie Hatem ist persönlicher Berater des ehemaligen UN-General-Sekretärs Boutros Boutros-Ghali. Er ist zudem politischer Berater von Jean-Marie Le Pen, dem Gründer des französischen Front National. Hatem ist Autor zahlreicher juristischer und politischer Fachartikel und Träger einer Vielzahl von Auszeichnungen. So ist er unter anderem Ritter des Ordre des Palmes Académiques (eine der höchsten Auszeichnungen in Frankreich für Verdienste um das französische Bildungswesen) und Offizier des Zedernordens (eine der höchsten zivilen Auszeichnungen des Libanon).

Dieses Interview ist Ihnen in ungekürzter Länge im Original (Juni-Ausgabe) entgangen, wenn Sie immer noch nicht fester Leser und Abonnent des Deutschen Nachrichtenmagazins ZUERST! sind. Die gut recherchierten Beiträge und spannenden Interviews von ZUERST! verlieren auch nach vielen Monaten nichts von ihrer Aktualität. Werden Sie jetzt Leser der Druckausgabe von ZUERST!

samedi, 13 mai 2017

De tentakels van het cultuurmarxisme

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De tentakels van het cultuurmarxisme

Sid Lukkassen met Wim van Rooy

De tentakels van het cultuurmarxisme woekeren overal!

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De lange mars door de instituties is zó succesvol geweest, dat cultuurmarxisme inmiddels diep is ingebakken in de cultuur. Wat betreft het gedachtegoed dat in '68 werd gebrouwen, denken mensen vandaag dat dit het gewone denken is. Zij herkennen het gedachtegoed niet als zijnde het product van specifieke politieke keuzes. Maar ze leven er wel in, en kunnen hun waarnemingen steeds minder rijmen met wat hen vanuit de instituties wordt voorgehouden. De gevolgen? Gaslighting, cognitieve dissonantie en dubbeldenk.

"De mainstream media zijn in het bezit van het cultuurmarxisme", aldus Van Rooy. Hij bereidt zich voor op de nu komende wereldorde, door les te volgen in Krav Maga.

 

mardi, 09 mai 2017

Doug Casey on the End of Western Civilization

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Doug Casey on the End of Western Civilization

Nick Giambruno: The decline of Western Civilization is on a lot of people’s minds.

Let’s talk about this trend.

Doug Casey: Western Civilization has its origins in ancient Greece. It’s unique among the world’s civilizations in putting the individual—as opposed to the collective—in a central position. It enshrined logic and rational thought—as opposed to mysticism and superstition—as the way to deal with the world. It’s because of this that we have science, technology, great literature and art, capitalism, personal freedom, the concept of progress, and much, much more. In fact, almost everything worth having in the material world is due to Western Civilization.

Ayn Rand once said “East minus West equals zero.” I think she went a bit too far, as a rhetorical device, but she was essentially right. When you look at what the world’s other civilizations have brought to the party, at least over the last 2,500 years, it’s trivial.

I lived in the Orient for years. There are many things I love about it—martial arts, yoga, and the cuisine among them. But all the progress they’ve made is due to adopting the fruits of the West.

DC-totincorr.jpgNick Giambruno: There are so many things degrading Western Civilization. Where do we begin?

Doug Casey: It’s been said, correctly, that a civilization always collapses from within. World War 1, in 1914, signaled the start of the long collapse of Western Civilization. Of course, termites were already eating away at the foundations, with the writings of people like Jean-Jacques Rousseau and Karl Marx. It’s been on an accelerating downward path ever since, even though technology and science have been improving at a quantum pace. They are, however, like delayed action flywheels, operating on stored energy and accumulated capital. Without capital, intellectual freedom, and entrepreneurialism, science and technology will slow down. I’m optimistic we’ll make it to Kurzweil’s Singularity, but there are no guarantees.

Things also changed with the creation of the Federal Reserve in 1913. Before that, the US used gold coinage for money. “The dollar” was just a name for 1/20th of an ounce of gold. That is what the dollar was. Paper dollars were just receipts for gold on deposit in the Treasury. The income tax, enacted the same year, threw more sand in the gears of civilization. The world was much freer before the events of 1913 and 1914, which acted to put the State at the center of everything.

The Fed and the income tax are both disastrous and unnecessary things, enemies of the common man in every way. Unfortunately, people have come to believe they’re fixtures in the cosmic firmament. They’re the main reasons—there are many other reasons, though, unfortunately—why the average American’s standard of living has been dropping since the early 1970s. In fact, were it not for these things, and the immense amount of capital destroyed during the numerous wars of the last 100 years, I expect we’d have already colonized the moon and Mars. Among many other things…

But I want to re-emphasize that the science, the technology, and all the wonderful toys we have are not the essence of Western Civilization. They’re consequences of individualism, capitalism, rational thought, and personal freedom. It’s critical not to confuse cause and effect.

Nick Giambruno: You mentioned that the average American’s standard of living has dropped since the early 1970s. This is directly related to the US government abandoning the dollar’s last link to gold in 1971. Since then, the Federal Reserve has been able to debase the US dollar without limit.

I think the dollar’s transformation into a purely fiat currency has eroded the rule of law and morality in the US. It’s similar to what happened in the Roman Empire after it started debasing its currency.

What do you think, Doug?

Doug Casey: All the world’s governments and central banks share a common philosophy, which drives these policies. They believe that you create economic activity by stimulating demand, and you stimulate demand by printing money. And, of course, it’s true, in a way. Roughly the same way a counterfeiter can stimulate a local economy.

Unfortunately, they ignore that, and completely ignore that the way a person or a society becomes wealthy is by producing more than they consume and saving the difference. That difference, savings, is how you create capital. Without capital you’re reduced to subsistence, scratching at the earth with a stick. These people think that by inflating—which is to say destroying—the currency, they can create prosperity. But what they’re really doing, is destroying capital: When you destroy the value of the currency, that discourages people from saving it. And when people don’t save, they can’t build capital, and the vicious cycle goes on.

This is destructive for civilization itself, in both the long term and the short term. The more paper money, the more credit, they create, the more society focuses on finance, as opposed to production. It’s why there are many times more people studying finance than science. The focus is increasingly on speculation, not production. Financial engineering, not mechanical, electrical, or chemical engineering. And lots of laws and regulations to keep the unstable structure from collapsing.

What keeps a truly civil society together isn’t laws, regulations, and police. It’s peer pressure, social opprobrium, moral approbation, and your reputation. These are the four elements that keep things together. Western Civilization is built on voluntarism. But, as the State grows, that’s being replaced by coercion in every aspect of society. There are regulations on the most obscure areas of life. As Harvey Silverglate pointed out in his book, the average American commits three felonies a day. Whether he’s caught and prosecuted is a subject of luck and the arbitrary will of some functionary. That’s antithetical to the core values of Western Civilization.

Nick Giambruno: Speaking of ancient civilizations like Rome, interest rates are about the lowest they’ve been in 5,000 years of recorded history. Trillions of dollars’ worth of government bonds trade at negative yields.

Of course, this couldn’t happen in a free market. It’s only possible because of central bank manipulation.

How will artificially low interest rates affect the collapse of Western Civilization?

DC-money.jpgDoug Casey: It’s really, really serious. I previously thought it was metaphysically impossible to have negative interest rates but, in the Bizarro World central banks have created, it’s happened.

Negative interest rates discourage saving. Once again, saving is what builds capital. Without capital you wind up as an empty shell—Rome in 450 A.D., or Detroit today—lots of wonderful but empty buildings and no economic activity. Worse, it forces people to desperately put their money in all manner of idiotic speculations in an effort to stay ahead of inflation. They wind up chasing the bubbles the funny money creates.

Let me re-emphasize something: in order for science and technology to advance you need capital. Where does capital come from? It comes from people producing more than they consume and saving the difference. Debt, on the other hand, means you’re living above your means. You’re either consuming the capital others have saved, or you’re mortgaging your future.

Zero and negative interest rate policies, and the creation of money out of nowhere, are actually destructive of civilization itself. It makes the average guy feel that he’s not in control of his own destiny. He starts believing that the State, or luck, or Allah will provide for him. That attitude is typical of people from backward parts of the world—not Western Civilization.

Nick Giambruno: What does it say about the economy and society that people work so hard to interpret what officials from the Federal Reserve and other central banks say?

Doug Casey: It’s a shameful waste of time. They remind me of primitives seeking the counsel of witch doctors. One hundred years ago, the richest people in the country—the Rockefellers, the Carnegies, and such—made their money creating industries that actually made stuff. Now, the richest people in the country just shuffle money around. They get rich because they’re close to the government and the hydrant of currency materialized by the Federal Reserve. I’d say it’s a sign that society in the US has become quite degraded.

The world revolves much less around actual production, but around guessing the direction of financial markets. Negative interest rates are creating bubbles, and will eventually result in an economic collapse.

Nick Giambruno: Negative interest rates are essentially a tax on savings. A lot of people would rather pull their money out of the bank and stuff it under a mattress than suffer that sting.

The economic central planners know this. It’s why they’re using negative interest rates to ramp up the War on Cash—the push to eliminate paper currency and create a cashless society.

The banking system is very fragile. Banks don’t hold much paper cash. It’s mostly digital bytes on a computer. If people start withdrawing paper money en masse, it won’t take much to bring the whole system down.

Their solution is to make accessing cash harder, and in some cases, illegal. That’s why the economic witch doctors at Harvard are pounding the table to get rid of the $100 bill.

Take France, for example. It’s now illegal to make cash transactions over €1,000 without documenting them properly.

Negative interest rates have turbocharged the War on Cash. If the central planners win this war, it would be the final deathblow to financial privacy.

How does this all relate to the collapse of Western Civilization?

Doug Casey: I believe the next step in their idiotic plan is to abolish cash. Decades ago they got rid of gold coinage, which used to circulate day to day in people’s pockets. Then they got rid of silver coinage. Now, they’re planning to get rid of cash altogether. So you won’t even have euros or dollars or pounds in your wallet anymore, or if you do, it will only be very small denominations. Everything else is going to have to be done through electronic payment processing.

This is a huge disaster for the average person: absolutely everything that you buy or sell, other than perhaps a candy bar or a hamburger, is going to have to go through the banking system. Thus, the government will be able to monitor every transaction and payment. Financial privacy, even what’s left of it today, will literally cease to exist.

Privacy is one of the big differences between a civilized society and a primitive society. In a primitive society, in your little dirt hut village, anybody can look through your window or pull back the flap on your tent. You have no privacy. Everybody can hear everything; see anything. This was one of the marvelous things about Western Civilization—privacy was valued, and respected. But that concept, like so many others, is on its way out…

Nick Giambruno: You’ve mentioned before that language and words provide important clues to the collapse of Western Civilization. How so?

Doug Casey: Many of the words you hear, especially on television and other media, are confused, conflated, or completely misused. Many recent changes in the way words are used are corrupting the language. As George Orwell liked to point out, to control language is to control thought. The corruption of language is adding to the corruption of civilization itself. This is not a trivial factor in the degradation of Western Civilization.

Words—their exact meanings, and how they’re used—are critically important. If you don’t mean what you say and say what you mean, then it’s impossible to communicate accurately. Forget about transmitting philosophical concepts.

Take for example shareholders and stakeholders. We all know that a shareholder actually owns a share in a company, but have you noticed that over the last generation shareholders have become less important than stakeholders? Even though stakeholders are just hangers-on, employees, or people who are looking to get in on a shakedown. But everybody slavishly acknowledges, “Yes, we’ve got to look out for the stakeholders.”

Where did that concept come from? It’s a recent creation, but Boobus americanus seems to think it was carved in stone at the country’s founding.

We’re told to protect them, as if they were a valuable and endangered species. I say, “A pox upon stakeholders.” If they want a vote in what a company does, then they ought to become shareholders. Stakeholders are a class of being created out of nothing by Cultural Marxists for the purpose of shaking down shareholders.

Reprinted with permission from International Man.

lundi, 08 mai 2017

Marco Tarchi : "Il populismo non è sconfitto"

populisme, c’est la vie ! par Bruno BERTEZ 1.jpg

Marco Tarchi : "Il populismo non è sconfitto"

Avertissement aux lecteurs francophones: Cette analyse du résultat des présidentielles françaises est due au chef de file de la "nouvelle droite" italienne, fourvoyé en France dans le canal historique de la "nouvelle droite" d'Alain de Benoist, qui n'a jamais accordé beaucoup de publicité aux thèses de son très fidèle et obséquieux vicaire florentin, pourtant séduisantes et partagées par la presse militante comme par la grande presse en Italie. La qualité de ces analyses portait ombrage à la médiocrité du gourou parisien. Rien du Prof. Tarchi (ou presque) n'a été traduit dans les officines qui lui sont servilement inféodées. Utilisez le logiciel de traduction, si vous ne maîtrisez pas correctement la langue italienne. Ces logiciels fonctionnent bien entre langues latines. 

Il Professor Tarchi analizza il risultato delle presidenziali in Francia dove il populismo che sembrava inarrestabile ha dovuto fare i conti con la scelta "moderata" di Macron

 

Il populismo sembrava essere il fenomeno più rappresentativo della nostra epoca politica. La vittoria di Donald Trump e l'affermazione della Brexit parevano aver aperto la strada ad una serie di trionfi. Invece, sia in Olanda sia in Austria, ma soprattutto in Francia, la categoria della politica in questione si è arenata.

Come mai? Lo abbiamo chiesto a Marco Tarchi, politologo e docente italiano, professore ordinario presso la Facoltà di Scienze Politiche Cesare Alfieri dell'Università di Firenze dove attualmente insegna Scienza Politica, Comunicazione politica e Teoria politica.

populisme-mc3a9lenchon-le-pen1.pngProfessor Tarchi, l'avanzata del populismo sembrava inarrestabile. Macron è davvero l'argine definitivo all'affermazione dei sovranisti in occidente?

"Non lo penso affatto. E credo siano necessarie due precisazioni. Primo: la descrizione del populismo come una valanga destinata a travolgere ogni resistenza sul suo cammino, emersa in sede giornalistica dopo il successo di Trump, è sempre stata infondata, anche se è stata cavalcata dagli avversari di questa corrente politica, che se ne sono avvalsi per sollecitare una reazione di paura – 'distruggeranno l’Europa', 'cancelleranno l’euro provocando un caos monetario', 'apriranno la caccia agli immigrati' e così via – e poter far passare i pur consistenti progressi elettorali delle formazione populiste per sconfitte clamorose. Secondo: populismo e sovranismo, pur presentandosi a volte in connessione, non sono la stessa cosa. Nel secondo c’è una componente di statalismo in genere assente nel primo. E il connubio non sempre paga".

Quali sono stati gli errori di Marine Le Pen?

"È troppo presto per trarre conclusioni su questi punti: occorrono studi sui dati, non solo impressioni. Marine Le Pen ha puntato a conquistare contemporaneamente, su due terreni diversi, elettori sensibili ad argomenti più “di destra” (difesa dell’identità nazionale, maggior rigore nella tutela dell’ordine e della sicurezza) e più “di sinistra” (denuncia del capitalismo finanziario, delle delocalizzazioni, della disoccupazione). Evidentemente il mix proposto non ha convinto del tutto i destinatari. Ma è stato il “moderato” Fillon a renderle la vita difficile, schierandosi immediatamente con Macron, che fino a poche ore prima aveva fustigato come copia conforme di Hollande. Sia la linea Philippot sia quella Marion avevano le loro ragioni e la loro utilità: non se ne è però saputa trovare la sintesi. Quanto alle critiche alle esternazioni papali sulla necessità di non porre limiti all’accoglienza degli immigrati, dubito che abbiano avuto effetto su elettori disposti a votare la candidata frontista".

Nelle grandi città il sovranismo non passa. Eppure il terrorismo ha colpito i grandi centri. La "sicurezza" non paga più?

"Paga poco rispetto a linee di divisione più acute, come quella tra vincenti e perdenti di fronte agli effetti della globalizzazione: i primi vivono perlopiù nella Francia delle metropoli, i secondi nella Francia periferica. E fra i soddisfatti chi propugna un’alternativa al sistema vigente non può trovare consensi. Il populismo, come è noto, trova nella situazioni di crisi il suo humus".

populismeggggg.jpgIl momento che sta vivendo l'Europa sembra essere socialmente travagliato. Eppure in Olanda e in Francia, alla fine, ha vinto il moderatismo. Perchè?

"Si è troppo frettolosamente fatto d’ogni erba un fascio ascrivendo ad uno stesso fenomeno episodi piuttosto diversi. La Brexit è stata legata, oltre che al timore di vari “contagi” – crisi migratoria, perdita di sovranità - che potevano trovare un canale di diffusione nell’Unione europea, alla persistente diffidenza di molti inglesi nei confronti del continente. Trump ha sfruttato soprattutto la delusione di molti verso le incerte politiche di Obama. In Olanda e in Francia la proposta dei movimenti populisti ha valorizzato soprattutto i temi dell’immigrazione e della paventata islamizzazione: due fenomeni la cui gravità è destinata ad acuirsi nel prossimo futuro ma su cui la narrazione dei grandi strumenti di comunicazione ha fatto sin qui da argine, utilizzando con successo il ricatto psicologico della compassione e della commozione (gli immigrati rappresentati solo dal “piccolo Aylan”, dagli annegati, dalle madri incinte trasportate sui fragili barconi) contro il simmetrico ricatto della paura (dietro ogni immigrato un sospetto criminale o terrorista) spesso sbandierato dai populisti".

Il leader di "En Marche!" riuscirà ad adempiere alle richieste di Bruxelles e, contemporaneamente, a sanare la ferita tra la Francia periferica e quella urbanizzata?

"Lei mi chiede una previsione che sa di vaticinio, ma i politologi non sono chiromanti. Di certo, il neopresidente dovrà render conto delle sue molte (vaghe) promesse e dell’aulica prosa sciorinata in campagna elettorale, fatta di cuore, amore, solidarietà, speranze e futuri radiosi. Chi conosce la politica sa come vanno a finire, di solito, queste ubriacature di retorica: i risvegli portano spesso un gran mal di testa. E dallo stato di grazia alla disgrazia il passo è breve".

Cosa c'è da aspettarsi per le legislative francesi di giugno?

"I motivi di curiosità sono molti e si prestano più a domande che a risposte. Sapranno i Républicains riattivare la loro forte rete di insediamento territoriale – fatta di notabilato e clientelismo – superando lo choc del caso-Fillon? I socialisti riusciranno a non soccombere all’effetto di salita sul carro del vincitore che già da un paio di mesi ha gonfiato le vele di Macron? Mélenchon saprà tradurre il successo della brillante campagna di protesta in un solido gruppo parlamentare? E, soprattutto, come si comporterà Macron nella scelta delle candidature per sfruttare il prevedibile effetto-valanga della sua elezione?"

Quale futuro per il Front National e per il populismo francese?

"Stando a ciò che ha detto a caldo, Marine Le Pen vorrebbe travasarlo in un nuovo contenitore, ma il risultato poco brillante ottenuto non le renderà facile tradurre il progetto in pratica, perché troverà più di un’opposizione. Resta poi da capire chi sarebbe disposto a farle da alleato esterno: Dupont-Aignan senz’altro, ma pare che meno del 40% dei suoi elettori ne abbiano seguito la scelta, ed è un problema non da poco. È prevedibile una raffica di critiche alla conduzione della campagna da parte di chi vorrebbe spostare l’asse del partito, o dell’alleanza, più a destra, ma se i Républicains tenessero alle legislative, sarebbe una scelta pericolosa. Marine ha più volte criticato Fini per le sue scelte, accusandolo di aver ceduto sui “fondamentali” e proclamando di preferire di essere sconfitta con le sue idee piuttosto che di vincere con le idee altrui, ma dà l’impressione di star annacquando progressivamente quelle idee. Per lei il periodo post-elettorale non sarà facile: dall’esito delle legislative dipenderà buona parte del suo futuro politico".

dimanche, 07 mai 2017

Réponses de l'écrivain Mike Kasprzak au questionnaire de la Nietzsche académie

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Réponses de l'écrivain Mike Kasprzak au questionnaire de la Nietzsche académie

Mike Kasprzak est l'auteur du roman d'inspiration nietzschéenne "En guerre dès le matin" aux éditions 5 sens (https://catalogue.5senseditions.ch/fr/fiction-48/101-en-...

Ex: http://nietzscheacademie.over-blog.com

Nietzsche académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Mike Kasprzak - Nietzsche a été un révélateur. J'ai découvert Nietzsche vers la vingtaine, et j'ai été alors plein d'interrogations. Il y avait en moi énormément de germes d'idées qui ne trouvaient pas de réponse dans le monde extérieur. Qui ne trouvaient pas d'écho. Qui étaient en dissonance complète avec ce que je pouvais observer. Et j'ai découvert Nietzsche. Il a alors été ce révélateur. Voire même plus, un confirmateur, pour ne pas dire un affirmateur. Il a été la confirmation, l'alibi à ces interrogations. Non je me trompais pas. J'étais simplement en dehors du monde, de ce monde, et je ne le savais pas. Lire Nietzsche m'a confirmé dans mes idées. Pour revenir à l'auteur en lui même, philosophiquement, Nietzsche a pour moi une importance fondamentale par le fait qu'il est un est des philosophes les plus pragmatiques. Et la philosophie se doit d'être pragmatique, elle doit apporter des réponses directes et concrètes à la vie, la condition humaine, et Nietzsche est sans aucun doute celui qui s'en approche le plus.

N.A. - Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

M.K. - Bien que le terme « nietzschéen » soit bien souvent décrié, on peut tout de même essayer de lui en donner une définition. Être nietzschéen signifie être en accord avec les préceptes nietzschéens, et, bien que l'on qualifie souvent Nietzsche d’anti-système, en analysant sa philosophie, on peut extraire quelque chose de systématique en elle. Ce système c'est avant tout la déconstruction des mythes, des idoles. La dispersion des mensonges et des illusions. La philosophie nietzschéenne agit avant tout comme un prisme, un prisme qui disperse la lumière blanche pour faire apparaître l'ensemble du spectre visible. Il en est de même avec les faits, les interprétations, les morales. Être nietzschéen c'est lire les faits, les actes, à travers un prisme. La lumière du réel n'est plus simplement blanche, opaque, confuse, elle nous apparaît distincte, discrète, sincère, identifiable et démystifiée. Être nietzschéen, signifie donc, en partie, savoir observer le réel dans tout sa crudité. C'est observer les entrailles du réel. Pour savoir ce que cela veut dire, pour savoir quels sont ces mensonges, ces illusions, il faut lire Nietzsche lui-même.

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N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

M.K. - Pour une introduction à Nietzsche, je dirais « Crépuscule des idoles », qui est accessible, condensé, et fulgurant. Une bonne entrée en la matière. De la dynamite. Sinon pour une étude plus en profondeur, je pense que le duo « Généalogie de la morale » et « Par delà bien et mal » sont des lectures indispensables. Je garde « Ainsi parlait Zarathoustra » pour les lecteurs assidus, je ne pense pas qu'il soit recommandable à une personne qui souhaite découvrir Nietzsche. Certains livres pré-Zarathoustra peuvent aussi être une entrée en matière intéressante, comme Le Gai Savoir ou Aurore.

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

M.K. - Si l'on considère la droite et la gauche actuelle française, ni l'un ni l'autre. Malgré tout, si l'on veut essayer de placer Nietzsche sur l'échiquier politique, ce qui est certain c'est que Nietzsche ne serait pas à gauche. Son refus de la démocratie, de l'égalité imposée à tous les hommes, entre autre, font qu'il ne peut pas être à gauche. Cela dit il n'est pas non plus fondamentalement à droite, en précisant en peu plus, Nietzsche serait plutôt du côté des anarchistes de droite, voir même des anarchistes individualistes. La question reste compliquée mais ce qui est sûr c'est qu'il n'est pas de gauche.

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

M.K. - On retrouve du Nietzsche (pour tout un tas de raisons), chez : Hamsun, notamment avec Faim et Mystères, Strindberg, avec Au bord de la vaste mer, Dostoïevski par moments (voir le personnage de Raskolonikov), Calaferte, Hemingway par moment, Julius Evola, Pierre Drieu de la Rochelle, Fante et Bukowski également, et j'en oublie sûrement beaucoup.

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?

M.K. - Question difficile tant cette notion a été peu abordée par Nietzsche, mais qui lui confère une espèce de mythe, de place centrale, alors que le surhomme n'est finalement que la pointe de l'iceberg de la philosophie nietzschéenne. Le surhomme c'est premièrement, comme l'indique son article défini « le », l'homme seul. Non pas forcément seul socialement, mais seul face à ses choix, face à ses actes, faces à ses responsabilités et face à son destin. Ensuite le surhomme, c'est l'homme qui affirme,l'homme qui dit oui. C'est un homme qui agit, qui recherche ce que Nietzsche nommait la Volonté de puissance, qui s'en abreuve et s'en épanouit. C'est aussi le sens de la Terre, et en cela le sens de la Vie, c'est l'homme qui accepte sa condition d'être mortel, son destin de mortel, et la souffrance l'accompagnant. C'est l'homme qui finalement accepte de se dire que tout lui est favorable. Le bon comme le mauvais. C'est finalement un homme qui aime et qui aime aimer.

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

M.K. - « Plus nous nous élevons et plus nous paraissons petits à ceux qui ne savent pas voler. » Aurore.

mercredi, 03 mai 2017

L’hypocrisie de la « communauté occidentale des valeurs » face aux régimes qu’elle n’aime pas

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L’hypocrisie de la « communauté occidentale des valeurs » face aux régimes qu’elle n’aime pas

Quand l’appel à la « démocratie » n’est qu’un prétexte…

Entretien avec le porte-parole de la FPÖ en politique étrangère au Parlement autrichien, le Dr. Johannes Hübner

Propos recueillis par Bernard Tomaschitz

Q. : Dr. Hübner, les Turcs se sont prononcés le 16 avril dernier en faveur de la modification constitutionnelle voulue par le Président Erdogan. Assiste-t-on à l’avènement d’un nouvel Etat autoritaire voire d’une nouvelle dictature aux portes de l’Europe ?

JH : S’il faut croire les médias, il y a toute une série d’Etats autoritaires et de dictatures aux portes de l’Europe. On peut dire à la rigueur que le Maroc est sur la bonne voie démocratique mais on ne peut affirmer la même chose pour l’Algérie et certainement pas pour la Libye qui est devenu un Etat failli. L’Egypte est une dictature. Si on prend les Etats du Golfe, nous découvrons parmi eux des monarchies absolues, quasi féodales. Quant à l’Irak, la Syrie et l’Afghanistan, mieux vaut ne rien en dire.

La Turquie n’est pas un Etat autoritaire : elle conserve toutes ses institutions démocratiques. La république présidentialiste, qui vient d’être établie suite au référendum d’avril, est taillée en fait sur le modèle français car, désormais, les prérogatives du président turc équivalent désormais à celles de son homologue de Paris. Reste à voir, bien sûr, si ce présidentialisme turc demeurera dans un cadre bien policé, semblable à celui de la France, ou s’il basculera dans la dictature comme en Egypte.

Q. : Le président américain Donald Trump a félicité Erdogan par téléphone, alors que ce même président américain adopte un ton nettement plus ferme et plus critique à l’égard du président russe Vladimir Poutine. Comment doit-on juger Erdogan d’une part, Poutine d’autre part, à l’aune de la démocratie et de l’autoritarisme ?

JH : Il faut savoir une chose dès le départ : la démocratie et les droits de l’homme ne sont que des prétextes pour la politique extérieure américaine, pour une bonne part de la politique extérieure des Etats européens et pour les médias dominants. Un prétexte pour mettre en scène une confrontation à l’échelle internationale. C’est évident quand on regarde ce qui se passe : Poutine est critiqué en permanence, il est diffamé et traité d’ « autocrate », on lui inflige des sanctions alors que les monarchies du Golfe ou l’Egypte, qui sont des alliées importantes des Etats-Unis ne sont nullement importunées ; et dans le cas de l’Egypte, reçoivent des subsides s’élevant à des milliards de dollars par an. Le but recherché est de pouvoir punir des régimes mal aimés ou des régimes qui refusent de se laisser aligner de force, en trouvant des prétextes qui cadrent plus ou moins avec les principes de cette « communauté occidentale des valeurs ». Je ne crois pas qu’Erdogan sera dans l’avenir mieux traité que Poutine : j’en veux pour preuves les dernières proclamations de certains hommes politiques européens et américains et les campagnes médiatiques contre la Turquie. Je pense qu’Erdogan finira bientôt par figurer sur la même liste que les dirigeants iraniens, russes ou ressortissants d’autres pays mal aimés.

Q. : Tout dépendra, bien sûr, de la façon dont se comportera Erdogan vis-à-vis de la politique de l’OTAN…

JH : Exact. C’est ainsi que j’interprète les félicitations adressées par Trump au Président turc. Elles équivalent à un dernier avertissement, qui exhorte la Turquie à rester dans les rangs. Quant à savoir si la Turquie y restera, je ne le pense pas vraiment. Si vous vous souvenez, le premier geste d’Erdogan, après le putsch manqué de juillet dernier, a été d’appeler Poutine pour s’excuser suite à la destruction de l’appareil russe par l’aviation turque, au-dessus du territoire syrien. Ce premier geste en politique extérieure équivaut à dire qu’en Turquie on part désormais du principe que les Etats-Unis n’ont peut-être pas soutenu activement le putsch mais l’ont au moins toléré tacitement ou n’ont pas fourni les renseignements qu’ils possédaient sur les putschistes aux autorités turques.

Je pars de l’hypothèse que la Turquie, à moyen terme, quittera l’OTAN et abandonnera son alliance avec les Etats-Unis, du moins si Erdogan se maintient au pouvoir. Reste à savoir si ce nouvel infléchissement de la politique extérieure turque conduira ou non à une alliance solide avec la Russie et avec l’Iran, que craignent les médias occidentaux. Toutefois, vu les configurations qui se dessinent dans la région et vu les conflits d’intérêts divergents et convergents qui s’y opposent, cet infléchissement anti-occidental semble parfaitement inscrit dans les astres…

Q. : Quant à la rage contre Poutine, elle n’est pas due aux discriminations qu’il imposerait soi-disant aux homosexuels, mais à ses tentatives constantes d’empêcher tout élargissement de l’OTAN vers l’Est…

JH : Les motifs invoqués pour imposer les sanctions et pour marginaliser la Russie sont de pures fabrications. L’affaire de la Crimée et le conflit en Ukraine orientale relèvent également de mises en scène tout comme, il y a quelques années, les procès intentés aux Pussy Riots ou à l’oligarque Mikhail Chodorkovski, et l’assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa. Ce sont là des types d’événements qui sont instrumentalisés sans arrêt au fil du temps pour servir de coups de bélier contre un régime qui déplait. Ces coups de bélier sont assénés par des politiciens et des médiacrates portant hypocritement le masque de défenseurs des droits de l’homme, de la démocratie, du pluralisme, de la liberté d’opinion, etc. Cela permet de se donner bonne conscience. S’il n’y avait pas eu la Crimée, on aurait trouvé autre chose.

Q. : S’il faut croire les médias dominants, un autocrate règnerait également aux portes de l’Autriche, dans un pays de l’Union européenne : c’est Viktor Orban, le Hongrois. Comment percevez-vous cette hostilité au dirigeant de notre pays voisin ?

JH : S’il faut croire ces médias, l’autocratisme se répandrait encore ailleurs en Europe, en Pologne, par exemple. Partout où le catalogue des « belles valeurs » de l’Union européenne n’est pas repris tel quel et in extenso, il y aurait autocratie. Pour la nomenklatura eurocratique, les choses sont très simples : qui n’est pas avec nous (à 100%), est un autocrate. Car seul un autocrate a la toupet de vouloir pratiquer une autre politique que celle que préconisent les dirigeants de l’UE, Angela Merkel et les partis qui les soutiennent.

Q. : Cette hostilité à l’endroit de la Pologne et de la Hongrie ne vient-elle pas du fait que ces pays jettent un autre regard sur la politique eurocratique relative aux réfugiés ?

JH : Permettre une immigration massive et incontrôlée est une valeur désormais cardinale dans les canons imposés par la mauvaise élite européenne. Tous sont obligés de l’accepter. Mais ce n’est pas seulement cette volonté malsaine de vouloir faire accepter cette politique migratoire délirante : on reproche aux Hongrois et aux Polonais de ne pas s’aligner sur certaines politiques sociales abracadabrantes, on leur reproche aussi leur politique culturelle, de ne pas prolonger les subsides à des théâtres de gauche véhiculant la junk culture occidentale, de ne pas soutenir des médias de gauche pro-européens. On leur reproche notamment de développer des « structures parallèles » à l’Union européenne comme le « Groupe de Visegrad ». On n’aime pas non plus les politiques en faveur de la famille traditionnelle que développent ces pays. On s’insurge devant leurs réticences à accepter les élucubrations du gendérisme, devant leur rejet des « alternatives sociétales » (c’est-à-dire homosexuelles, etc.) et ainsi de suite… Le parti de Kaczynski en Pologne et Viktor Orban en Hongrie sont ouvertement en état de confrontation avec les lignes préconisées par la fausse élite européenne.

Q.: On craint aussi, en haut lieu, que le Président serbe Aleksandar Vucic, nouvellement élu, révèlerait des tendances autoritaires et serait prêt à suivre les exemples d’Orban et de Poutine. Que faut-il en penser ?

JH : Cette crainte vient du fait que Vucic a tenté naguère de se détacher de la tutelle que cherchaient à lui imposer l’OTAN et l’UE. Il a multiplié les contacts avec la Russie, notamment pour obtenir des armes. La Serbie va recevoir des Mig-29, presque gratuitement. Tout cela sont de entorses infligées aux règles de bienséance imposées par la « communauté occidentale des valeurs ». Qui enfreint ces règles reçoit automatiquement l’étiquette d’ « autocrates », est considéré comme « un danger pour la démocratie » parce que de telles accusations permettent de miner son pouvoir et son crédit.

Lier un adversaire ou un récalcitrant à l’idée d’autocratisme et répéter ces accusations interminablement est un bon expédient pour amener le consommateur moyen à dénigrer les hommes politiques visés, à les prendre pour des « mauvais », sans devoir utiliser son intelligence critique. Et puisqu’il s’agit de « mauvais », on peut tout leur faire, on peut mobiliser contre eux des moyens que l’on n’oserait pas utiliser autrement.

(entretien paru dans « zur Zeit », Vienne, n°17/2017, http://www.zurzeit.at ).

jeudi, 30 mars 2017

Pierre-Guillaume de Roux: «Il y a chez mon père une volonté de briser les idoles»

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Pierre-Guillaume de Roux: «Il y a chez mon père une volonté de briser les idoles»

 
Ex: https://philitt.fr 
 

Pierre-Guillaume de Roux a dirigé de nombreuses maisons d’édition (éditions de la Table Ronde, éditions du Rocher) avant de créer la sienne en 2010, qui porte son nom. Il est le fils de l’écrivain et éditeur Dominique de Roux, fondateur des Cahiers de l’Herne et défenseur d’une conception de la littérature en voie de disparition.

PHILITT : Pouvez-vous nous parler de la fondation des éditions et des Cahiers de L’Herne?

Pierre-Guillaume de Roux : Les Cahiers de L’Herne ont été créés en 1961, avec un premier cahier René Guy Cadou. Mais l’histoire commence en 1956 avec une revue un peu potache tirée à 300 exemplaires qui s’appellait L’Herne, dans laquelle mon père et ses amis vont publier leurs premiers textes. Cette période va réunir autour de lui des gens aussi différents que Jean Ricardou, qui passera ensuite à Tel Quel, Jean Thibaudeau, Georges Londeix et quelques autres. C’est la première cellule.

L’Herne représente pour mon père une forme de littérature comparée : on coupe une tête, elle repousse toujours. À Lerne de la mythologie, il a ajouté sa lettre fétiche, le H, qu’on retrouve dans les Dossiers H ou dans la revue Exil(H). Cette lettre va l’accompagner toute sa vie. Cette première période va se terminer en 1958. Il va y avoir un moment de rupture, de réflexion. Entre 1958 et 1960 va mûrir l’idée de cahiers livrés deux fois par an dans le but de réévaluer la littérature, c’est-à-dire de changer la bibliothèque. Les surréalistes l’avaient fait quelques décennies plus tôt.

dominiquederoux1.jpgCadou était un coup d’essai, un pur fruit du hasard. C’est grâce au peintre Jean Jégoudez qu’on a pu accéder à des archives et constituer ce premier cahier. Cadou est un poète marginal qu’on ne lit pas à Paris : c’est l’une des raisons pour lesquelles mon père s’y est intéressé. Mais c’est Bernanos qui donnera le coup d’envoi effectif aux Cahiers. Mon père avait une forte passion pour Bernanos. Il l’avait découvert adolescent. Et par ma mère, nous avons des liens forts avec Bernanos car mon arrière-grand-père, Robert Vallery-Radot, qui fut l’un de ses intimes, est à l’origine de la publication de Sous le soleil de Satan chez Plon. Le livre lui est d’ailleurs dédié. C’est ainsi que mon père aura accès aux archives de l’écrivain et se liera d’amitié avec l’un de ses fils : Michel Bernanos. Ce cahier, plus volumineux que le précédent, constitue un titre emblématique de ce que va devenir L’Herne.

Ce qui impose L’Herne, ce sont les deux cahiers Céline en 1963 et 1965 — et, entre les deux, un cahier Borgès. Il y avait une volonté de casser les formes et une façon très neuve d’aborder un auteur : par le biais de l’œuvre et celui de sa vie. Une volonté non hagiographique. Il ne faut pas aborder l’auteur avec frilosité mais de manière transversale, éclatée et sans hésiter à être critique. L’Herne aujourd’hui a été rattrapée par l’académisme. L’Herne n’a plus rien à voir avec la conception qu’en avait mon père. La maison d’édition a été depuis longtemps trahie à tous les niveaux. On y débusque trop souvent de gros pavés qui ressemblent à d’insipides et assommantes thèses universitaires lancées à la poursuite de gloires établies.

PHILITT : Quelle était la conception de la littérature de Dominique de Roux ? Voulait-il réhabiliter les auteurs dits « maudits » ?

Pierre-Guillaume de Roux : Il suffit de voir les auteurs qui surgissent dans les années 60. Céline est encore un proscrit qu’on lit sous le manteau. Il n’est pas encore le classique qu’il est devenu aujourd’hui. Parler de Céline est plus que suspect. Ce qui explique que mon père sera traité de fasciste dès qu’il lancera des publications à propos de l’écrivain. C’est la preuve qu’il avait raison : qu’il y avait un vrai travail à accomplir autour de Céline pour lui donner une place à part entière dans la littérature. C’est de la même manière qu’il va s’intéresser à Pound. Pound, un des plus grands poètes du XXe siècle. Il a totalement révolutionné la poésie américaine mais, pour des raisons politiques, il est complètement marginalisé. Mon père va procéder à la réévaluation de son œuvre et à sa complète réhabilitation. Pound est avant tout un très grand écrivain qu’il faut reconnaître comme tel. Tous ces auteurs sont tenus dans une forme d’illégitimité politique mais pas seulement. Pour Gombrowicz c’est différent : c’est l’exil, c’est une œuvre difficile que l’on a pas su acclimater en France. Il va tout faire pour qu’elle le soit.

Il y a chez mon père une volonté de briser les idoles, de rompre avec une forme d’académisme qui était très prégnante dans cette France des années 60. D’où son intérêt pour Céline, pour Pound, pour Wyndham Lewis qui sont tous des révolutionnaires, en tout cas de prodigieux rénovateurs des formes existantes.

PHILITT : Quelle relation entretenait-il avec les Hussards ?

Pierre-Guillaume de Roux : C’est compliqué. Dans un livre que j’ai publié il y a deux ans avec Philippe Barthelet, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit hussard, il y a un extrait du journal de mon père de l’année 1962 où il se montre très critique à leur égard. Il est injuste, n’oublions pas l’âge qu’il a à ce moment-là (26 ans).  Il rencontre néanmoins Nimier à propos du Cahier Céline. Malheureusement, la relation n’a pu s’épanouir avec Nimier puisqu’il est mort trop tôt. Pourtant, je pense qu’ils avaient beaucoup de choses en commun : ce goût impeccable en littérature, cette manière de reconnaître immédiatement un véritable écrivain, cette curiosité d’esprit panoramique, ce goût pour la littérature comparée…

PHILITT : Dominique de Roux dénonçait le conformisme et le règne de l’argent. Était-il animé par une esthétique antimoderne ?

Pierre-Guillaume de Roux : À cet égard, je pense que oui. N’oubliez pas que mon père est nourri de Léon Bloy et de sa critique de l’usure. Mais aussi de Pound qui s’est penché sur toutes ces questions économiques. C’est à la fois quelqu’un qui a su sentir la modernité littéraire – d’où son adoration pour Burroughs, Ginsberg, Kerouac – et qui a une approche antimoderne vis-à-vis de la société. Il était aussi lecteur de Péguy. Le Cahier dirigé par Jean Bastaire a beaucoup compté pour mon père.

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Dominique de Roux et le chef de guérilla angolaise Jonas Savimbi

PHILITT : Quelles sont les rencontres qui l’ont le plus marqué ?

Pierre-Guillaume de Roux : Pound, Gombrowicz, Abellio, Pierre Jean Jouve font partie des rencontres les plus importantes de sa vie. Avec Abellio, il y a eu une amitié très forte. Abellio m’a écrit un jour que mon père était son meilleur ami. Ils se rencontrent en 1962 et ils vont se voir jusqu’à la mort de mon père en 1977 sans discontinuité. Il lui a évidemment consacré un Cahier de L’Herne.

PHILITT : Pound et Borgés, ce sont plutôt des rencontres…

Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Pound est déjà un homme très âgé mais il va quand même beaucoup le voir. Entre 1962 et sa mort, il le voit très régulièrement. La rencontre avec Gombrowicz se fait entre 1967 et 1969 et pendant cette courte période ils se voient très souvent. Mon père passe son temps à Vence où vit aussi le grand traducteur Maurice-Edgar Coindreau qu’il fréquente beaucoup à cette époque. Je détiens d’ailleurs leur superbe correspondance.

PHILITT : Il n’a jamais rencontré Céline ?

Pierre-Guillaume de Roux : Ils n’ont fait que se croiser. Au moment où mon père initie les Cahiers Céline en 1960, tout va très vite et Céline meurt en juillet 1961. Il n’a pas eu le temps de le rencontrer.

PHILITT : Quelle est sa relation avec Jean-Edern Hallier ?

Pierre-Guillaume de Roux : Très compliquée. Ils ont été très amis. Ils se sont beaucoup vus au début des années 1960. C’est une relation passionnelle avec beaucoup de brouilles plus ou moins longues jusqu’à une rupture décisive après mai 68. Jean-Edern le traîne dans la boue, le calomnie, en fait un agent de la CIA. On retrouve là toutes les affabulations habituelles de Jean-Edern qui était tout sauf un être fiable, tout sauf un ami fidèle. C’est un personnage qui ne pensait qu’à lui, une espèce d’ogre qui voulait tout ramener à sa personne. Rien ne pouvait être durable avec un être comme ça.

HernePound.jpgPHILITT : Pouvez-nous parler de ses engagements politiques, de son rôle lors de la révolution des Œillets au Portugal et de son soutien à Jonas Savimbi en Angola ? La philosophie de Dominique de Roux était-elle une philosophie de l’action ? Peut-on le rapprocher des écrivains aventuriers que furent Conrad ou Rimbaud ?

Pierre-Guillaume de Roux : Pour ce qui est de son engagement au Portugal, il se fait un peu par le fruit du hasard, sous le coup d’une double rupture dans sa vie. Il y a d’abord son éviction des Presses de la Cité. Il dirigeait avec Christian Bourgois la maison d’édition éponyme ainsi que la collection de poche 10/18. En 1972, mon père publie Immédiatement, un livre qui tient à la fois du recueil d’aphorismes et du journal. L’ouvrage provoque un énorme scandale puisque Barthes, Pompidou et Genevoix sont mis en cause. La page 186-187 du livre est censurée. On voit débarquer en librairie des représentants du groupe des Presses de la Cité pour couper la page en question. Mon père a perdu du jour au lendemain toutes ses fonctions éditoriales. Un an et demi plus tard, il est dépossédé de sa propre maison d’édition à la suite de basses manœuvres d’actionnaires qui le trahissent. C’est un moment très difficile dans sa vie. Il se trouve qu’il connaît bien Pierre-André Boutang – grand homme de télévision, fils du philosophe Pierre Boutang – et le producteur et journaliste Jean-François Chauvel qui anime Magazine 52, une émission pour la troisième chaîne. Fort de ces appuis, il part tourner un reportage au Portugal. Il se passe alors quelque chose.

Cette découverte du Portugal est un coup de foudre. Il est ensuite amené à poursuivre son travail de journaliste en se rendant dans l’empire colonial portugais (Mozambique, Guinée, Angola). Il va y rencontrer les principaux protagonistes de ce qui va devenir bientôt la révolution des Œillets avec des figures comme le général Spinola ou Othello de Carvalho. Lors de ses voyages, il entend parler de Jonas Savimbi. Il est très intrigué par cet homme. Il atterrit à Luanda et n’a de cesse de vouloir le rencontrer. Cela finit par se faire. Se noue ensuite une amitié qui va décider d’un engagement capital, puisqu’il sera jusqu’à sa mort le proche conseiller de Savimbi et aussi, en quelque sorte, son ambassadeur. Savimbi me dira plus tard que grâce à ces informations très sûres et à ses nombreux appuis, mon père a littéralement sauvé son mouvement l’Unita au moins sur le plan politique quand a éclaté la révolution du 25 avril 1974 à Lisbonne. Mon père consacre la plus grande partie de son temps à ses nouvelles fonctions. Elles le dévorent. N’oubliez pas que nous sommes en pleine Guerre Froide. L’Union Soviétique est extrêmement puissante et l’Afrique est un enjeu important, l’Angola tout particulièrement. Les enjeux géopolitiques sont considérables. Mon père est un anticommuniste de toujours et il y a pour lui un combat essentiel à mener. Cela va nourrir sa vie d’écrivain, son œuvre. Son roman Le Cinquième empire est là pour en témoigner. Il avait une trilogie africaine en tête. Concernant son côté aventurier, je rappelle qu’il était fasciné par Malraux même s’il pouvait se montrer également très critique à son égard. Il rêvait de le faire venir à Lisbonne pour en faire le « Borodine de la révolution portugaise ». Il a été le voir plusieurs fois à Verrières. Il dresse un beau portrait de lui dans son ouvrage posthume Le Livre nègre. L’engagement littéraire de Malraux est quelque chose qui l’a profondément marqué.

heideggercahierdelherne.jpgPHILITT : Vous éditez vous aussi des écrivains controversés (Richard Millet, Alain de Benoist…). Quel regard jetez-vous sur le milieu de l’édition d’aujourd’hui ? Êtes-vous plus ou moins sévère que ne l’était votre père vis-à-vis des éditeurs de son temps ?

Pierre-Guillaume de Roux : Pas moins. Si j’ai décidé d’ouvrir cette maison d’édition, c’est parce que je pense que pour faire des choix significatifs, il faut être complètement indépendant. Un certain travail n’est plus envisageable dans les grandes maisons où règne un conformisme qui déteint sur tout. En faisant peser sur nous comme une chape de plomb idéologique. Cependant, nous sommes parvenus à un tournant… Il se passe quelque chose. Ceux qui détiennent le pouvoir médiatique – pour aller vite la gauche idéologique – sentent qu’ils sont en train de le perdre. Ils s’accrochent à la rampe de manière d’autant plus agressive. C’est un virage extrêmement délicat et dangereux à négocier. L’édition aujourd’hui se caractérise par une forme de conformisme où, au fond, tout le monde pense la même chose, tout le monde publie la même chose. Il y a bien sûr quelques exceptions : L’Âge d’homme, Le Bruit du temps par exemple font un travail formidable. Tout se joue dans les petites maisons parfaitement indépendantes. Ailleurs, il y a une absence de risque qui me frappe. L’argent a déteint sur tout, on est dans une approche purement quantitative. On parle de tirage, de best-seller mais plus de texte. C’est tout de même un paradoxe quand on fait ce métier. Le cœur du métier d’éditeur consiste à aller à la découverte et à imposer de nouveaux auteurs avec une exigence qu’il faut maintenir à tout prix.

PHILITT : Pensez-vous que Houellebecq fasse exception ?

Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Je pense que c’est un écrivain important. Je l’avais repéré à la sortie de L’Extension du domaine de la lutte. J’avais été frappé par ce ton neuf. On le tolère parce qu’il est devenu un best-seller international et qu’il rapporte beaucoup d’argent. Ce qui n’est pas le cas de Richard Millet. S’il avait été un best-seller, on ne l’aurait certainement pas ostracisé comme on l’a fait honteusement.

PHILITT : La prestigieuse maison d’édition Gallimard a manqué les deux grands écrivains français du XXe siècle (Proust et Céline). Qu’est-ce que cela nous dit du milieu de l’édition?

Pierre-Guillaume de Roux : Gallimard est, comme le dit Philippe Sollers, le laboratoire central. Quand on voit ce que cette maison a publié en cent ans, il y a de quoi être admiratif. Il y a eu en effet le raté de Proust mais ils se sont rattrapés d’une certaine manière. Gide a raté Proust mais Jacques Rivière et Gaston Gallimard finissent par le récupérer. Pour Céline, c’est un peu le même topo. Mais à côté de ça… que de sommets ! Gide, Claudel, Malraux… Gaston Gallimard a été un éditeur prodigieux parce qu’il a su s’entourer, parce qu’il avait une curiosité extraordinaire et parce qu’il a su aussi être un chef d’entreprise. Il a toujours joué de cet équilibre entre les écrivains dont il savait qu’ils n’allaient pas rencontrer un grand succès mais qu’il soutenait à tout prix et des livres plus faciles. Ce que je regrette aujourd’hui, c’est que cette pratique ait quasiment disparu. On se fout de l’écrivain, on ne pense qu’à la rentabilité. On finit par promouvoir des auteurs qui n’ont pas grand intérêt. Et contrairement à ce que disent les pessimistes, il y a de grands écrivains en France. Mais encore faut-il les lire et les reconnaître. Et la critique littéraire ne joue plus son rôle. Les journaux font de moins en moins de place aux suppléments littéraires. Tout ce qui relève véritablement de la littérature est nié.

Crédit photo : www.lerideau.fr

dimanche, 26 mars 2017

Entretien avec Claude Karnoouh: Le grand désenchantement de l’Europe de l’Est

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Entretien avec Claude Karnoouh:

Le grand désenchantement de l’Europe de l’Est

Ex: http://rebellion-sre.fr

Ndlr: Cet entretien date de 2006 

R/ La désintégration du bloc de l’Est fut un événement majeur et fondateur de notre époque. Pourtant, les raisons de l’éclatement du système soviétique restent en grande partie mystérieuses. Vous avez, depuis plusieurs années, tenté de déchiffrer cette énigme par vos recherches. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Il est vrai que j’ai longuement écrit sur ce thème sans pour autant, me semble-t-il, avoir donné une réponse décisive ou entièrement satisfaisante. J’avais naguère conclu un chapitre d’un de mes ouvrages intitulé « Le réalisme socialiste ou la victoire de la bourgeoisie » par une boutade qui bien sûr avait déplu à la bienséance frileuse des universitaires : « Ce ne sont ni les gesticulations antisoviétiques du pape Jean-Paul II ni même les investissements militaires pharaoniques requis par la course aux armements sans cesse relancée par les États-Unis et la guerre des étoiles ! Car, dans des situations bien plus tragiques l’URSS est demeurée soviétique, certes avec des aménagements, mais néanmoins soviétiques. Ce qui a fait implosé le système c’est une mutation idéologique pour parler vite, ou mieux une mutation de la vision du monde et donc du futur dans les élites soviétiques et dans une partie de la population… Le sacrifice, l’effort, la compétition du militant pour un monde social et collectif meilleur les avaient déserté depuis la fin de l’ère Khroutchev ; disons que l’ère de Brejnev a été, les vrais débuts de l’entrée de l’URSS dans un temps de consumérisme, certes de consumérisme fragile et sans cesse inaccompli. Aussi, ce qui a conduit à l’abandon aussi rapide du système politico-économique soviétique tient quelque part à la victoire des images véhiculées par les feuilletons, les films, les revues étasuniennes et occidentales en général. C’est, je pense, une fois encore la preuve que le ciment d’une société demeure le copartage général d’une idée sur le monde, c’est-à-dire outre les sagas héroïsant le passé, à un accord à la fois explicite et implicite sur le bon gouvernement et le bien commun du futur… Mais, il resterait encore à faire des études très pointues sur la manière donc les visions concordantes du futur en Union soviétique après la mort de Staline se sont peu à peu effritées, fissurées parmi une majorité des élites politiques, sociales, économiques, culturelles, pour conduire à l’implosion dont nous fûmes à la fin des années 1980 les témoins… Car, c’est bien au cœur de l’élite des élites la plus centrée sur la connaissance et l’analyse de l’Occident, parmi les spécialistes de l’économie au sein du KGB que le changement a été pensé, puis mis en œuvre sous la férule de leur chef Youri Andropov ! Par-delà les détails de politologie et de sociologie à trois sous, c’est en ce lieu que se sont concentrées les analyses, et aussi les contradictions d’où sont nées les crises des années 1986-2000, depuis la Perestroïka jusqu’à l’élection de Poutine… Le reste de l’Europe de l’Est a suivi, car, nous le voyons bien aujourd’hui, ces pays n’ont aucune autonomie politique (dussent-ils avoir de fortes autonomies culturelles), les élites y font ce que le plus fort qui les domine leur commande. Hier ce furent les Soviétiques, aujourd’hui les États-Unis, demain, sait-on jamais, peut-être les Chinois ou les Indiens !

R/ Vous avez particulièrement étudié l’histoire de la Roumanie. La chute de Ceausescu fut un enjeu important du démantèlement du « glacis soviétique ». Elle donna lieu à la première grande manipulation médiatique contemporaine avec l’affaire du faux charnier de Timisoara. Pouvez-vous revenir sur les enjeux et les mécanismes de la « révolution » roumaine?

Je ne pense pas que la chute du gouvernement national-communiste dirigé par le président Ceausescu fut importante sur le plan purement géopolitique de la puissance. Dès lors que la Pologne, la Hongrie et l’Allemagne de l’Est avaient basculé, le poids géopolitique de la Roumanie, même assez indépendante du Pacte de Varsovie à cette époque la Roumanie ne comptait guère. Son armée était plus que médiocrement entraînée et armée. Du point de vue géostratégique plus important fut de démolir la Yougoslavie qui détenait à coup sûr la meilleure armée des Balkans, une armée entraînée en permanence à la guerre de guérilla (c’est pour cela il n’y a jamais eu de confrontation terrestre entre les troupes de l’OTAN et l’armée serbe). En revanche, la chute de Ceausescu a eu une importance symbolique cardinale en ce que les média occidentaux, Radio Free Europe, RFI, Deutsche Welle, La Voix de l’Amérique, et par des groupes d’émigrés plus ou moins jeunes, allant des anciens fascistes de la Garde de fer à de jeunes intellectuels venus chercher fortune en Occident et faisant le plus souvent passer de l’émigration économique pour de l’émigration politique avec la complaisance des autorités occidentales de toutes sortes, etc., avaient construit un personnage effrayant, une sorte de nouveau « Dracula »… Or, malgré les coups de boutoirs médiatiques, il n’arrivait pas à tomber, parce que les élites culturelles roumaines étaient totalement à la fois soumise au pouvoir (aujourd’hui on en apprend les détails ma foi plus que grotesques) et d’un mépris total pour une possible alliance avec les ouvriers (on l’a vu pendant les révoltes des mineurs de la Vallée du Jiu en 1977 et des métallos des usines de tracteurs de Brasov en 1988). Or, le pouvoir du régime de Ceausescu possédait une authentique légitimité dans les diverses couches ouvrière et paysanne malgré des restrictions à la consommation assez drastiques, lesquelles avaient en revanche rehaussé la fierté nationale parce que l’année de sa chute le régime avait réussi à rembourser toutes ses dettes au FMI et à la Banque Mondiale. Aussi faut-il voir qu’une alliance s’est conclu entre les alliés roumains de la Perestroïka via Moscou, des agents soviétiques en poste à Bucarest, ceux de la Yougoslavie (encore communiste) dans l’Ouest de la Roumanie et en particulier à Timisoara, ceux de la Hongrie en train de changer de pouvoir et les États-Unis pour organiser un véritable coup d’État (sûrement précisé entre experts lors de la réunion de Malte entre Gorbatchev et Reagan) et scénographié en révolution. Certes il y eut beaucoup moins de pertes que la manipulation médiatique l’avança, toutefois le cynisme des comploteurs les conduisit à la mise en place de véritables scènes de tueries, comme, par exemple, celles des élèves de l’école de la Sécurité (police politique) de Bucarest envoyés désarmés à l’aéroport de Bucarest pour arrêter de prétendus « terroristes », mais attendus de fait par des éléments de l’armée pour faire accroire au contraire à une attaque terroriste, et tirés comme des lapins de garenne… On comprend que tous les moyens furent bons pour éliminer le chef de l’État y compris sa parodie de procès et ce qu’il faut bien regardé comme son meurtre ainsi que celui de son épouse, dans une scène qui n’était pas, en raison de la dignité des époux Ceausescu au moment ultime, sans me faire penser à celle du roi Lear… mais, par peur de fuite possible, on apprit, à court terme, le suicide (?) de certains des protagonistes qui avaient participé à cette macabre justice expéditive…

Une fois Ceausescu disparu, symboliquement le système communiste n’avait plus que des dictateurs de moindre importance, le Bulgare, Jivkov éliminé par une révolution de palais, et l’Albanie, avec ses vendettas archaïques entre fractions du parti qui se confondent avec des alliances familiales…

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R/ Vous montrez l’importance fondamentale de la fascination de la nomenklatura pour les valeurs occidentales dans l’origine du processus qui aboutit à la fin du « socialisme réel ». Comment expliquer la « trahison » et la rapide reconversion des élites de l’est à la logique libérale ? Peut-on expliquer ce phénomène sans précédent dans l’histoire par la nature même du système soviétique ?

Une partie de la réponse est déjà donnée. La seconde partie de votre question obligerait à une très longue analyse de la manière dont le système soviétique a créé les classes moyennes dans son empire et ses satellites, classes qui l’ont délégitimé. Je ne sais si l’on peut parler de trahison dans ce cas. Ou alors l’histoire n’est qu’une longue suite de « trahisons » ! Par ailleurs il n’y a pas eu de conversion rapide, seulement en apparence elle fut rapide pour les besoins de du spectacle médiatique. Je pense que cette conversion, si on peut nommer ainsi ce phénomène (quant à moi je préfère parler d’un changement de la stratégie de l’accession ou du maintien du pouvoir) a duré une quarantaine d’année, à partir du moment où, après la Seconde Guerre mondiale, l’URSS (et les pays satellites) ont déployé des efforts considérables de reconstruction et de développement et en particulier de développement des catégories socio-professionnelles fondatrices des classes moyennes, les ingénieurs et les techniciens supérieurs, autant d’agents de la fabrication de la puissance technoscientifique, et donc militaire. Ces gens sont peu à peu devenus ce qu’ils partout ailleurs des acteurs sociaux de la modernité qui veulent consommer en compensation de leur travail, et qui délaisse les idéaux de vertu sociale du socialisme et de la révolution, et ce d’autant plus que le parti dirigeant, le PCUS et les partis satellites étaient devenus une immense machine bureaucratico-administrative… Ce qu’il faudrait plutôt expliquer, c’est la convergence des aspirations et des visions du futur, comme l’avenir réduit à la vision gestionnaire, de toutes les classes moyennes dans n’importe quel régime politique de la modernité…

R/ Contrairement à l’impression donnée par la propagande occidentale durant la guerre froide, le camp soviétique était loin d’être un univers figé. En son sein, un processus de modernisation des sociétés est-européennes s’est opéré et des valeurs collectives furent mises en avant. Pourquoi et comment ce système n’a pu ou n’a su offrir des alternatives viables et véritables au capitalisme US ?

Vos questions reprennent les réponses que j’ai tenté de donner dans mes trois derniers ouvrages.
Sur le plan de la modernité technique, l’Union soviétique d’abord, puis le camp soviétique n’ont jamais été un espace figé, glaciaire (sauf le climat), partout le développement y a explosé avec une vitesse sidérale et donc, avec une violence qui non seulement criminalisait le pouvoir soviétique confronté à une société russe paysanne indolente, archaïque, conservatrice au sens étymologique du terme, mais, et la propagande anti-soviétique l’a omis systématiquement, cette violence manifestait en contrepartie une dynamique de la promotion sociale sans précédent qui permettait à des hommes et des femmes d’accéder à des fonctions de pouvoir et de prestige en un quelques années… Si le Goulag vidait des institutions, d’autres personnes venaient occuper les fonctions ainsi « libérées ». En termes de sociologie du travail, on dirait qu’il y avait un grand turn over des salariés…Cela était « normal » dans une situation hautement révolutionnaire, ou qui suivit immédiatement la Seconde Guerre mondiale avec son cortège de règlements de compte où il fallait mettre en œuvre un hyper développement simultanément contrôlé par une forte répression de toutes les oppositions quelle qu’en soit la nature.

communiste_en_Roumanie.jpgLes raisons pour lesquelles ce système n’a pas pu donner une véritable alternative au capitalisme étatsunien me paraissent tenir au modèle même de développement choisi par l’URSS, de fait, le modèle étasunien plus que les modèles européens (cf. les reportages de Joseph Roth, Rüssiche Reisen), où tout en maintenant et déployant des coûts sociaux gigantesques que le système étasunien laisse à la philanthropie privée ou simplement abandonne à la débrouillardise, à souvent à la délinquance… A-t-on mesuré les coûts des vacances très largement subventionnées par les syndicats et donc les entreprises, les systèmes d’enseignement gratuits, la couverture médicales, peut-être médiocre en qualité) mais elle aussi quasi gratuite, comme la protection sociale, la culture, etc. Prenons un autre exemple : lors d’une interview donnée vers la fin de sa vie Tarkovski, le cinéaste soviétique, affirmait qu’il regrettait avoir émigré, car les conditions de travail qu’il avait trouvé en Occident (Suède et Italie) l’obligeaient à travailler rapidement, et donc sans le fignolage extrême qu’il affectionnait, en raison des problèmes de coût et de rentabilité, tandis qu’en URSS disait-il, on peut refaire une scène quarante fois sans que personne de la production ne vienne vous demande d’arrêter parce que c’est trop cher ! Ceci multiplié à l’échelle d’un empire (multiplication des établissements d’enseignement dans les républiques asiatiques, multiplication des institutions culturelles locales, cinéma arméniens, géorgiens, du Kazakhstan, Ouzbékistan), nous montre des coûts dont les États-Unis se dispensaient de supporter. De plus et ce n’est pas négligeable, à l’échelle de l’économie mondiale, les Soviétiques n’ont jamais eu la maîtrise d’une quelconque parcelle du commerce mondial en ce que la monnaie étalon de tous les échanges a toujours été le dollar, voire dans certaines zones européennes, le mark allemand, mais jamais le rouble même avec des alliés outre-mer de l’URSS comme autrefois l’Egypte, l’Ethiopie, l’Angola ; le rouble avait cours au sein du Comecon, et encore de très nombreux échanges s’y établissaient sur la base du troc… Certes, nul ne peut nier que deux raisons entravèrent la compétition avec les États-Unis, d’une part l’ampleur des destructions de la Russie d’Europe et de l’Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale, (on ne mesure pas ou l’on ne veut mesurer aujourd’hui l’ampleur de ces pertes) et le coût de la reconstruction dans un empire ayant refusé pour des raisons politiques le plan Marshall, à cela on rappellera à nouveau les coût du développement des armements afin de maintenir la puissance soviétique face aux États-Unis et, last but not least, une gabegie typiquement russe (longuement dénoncée par certains écrivains depuis le milieux du XIXe siècle) qui tient de son rapport conflictuel à la modernité que l’on retrouve dans les Balkans, voire en Hongrie et dans les Pays Baltes… gabegie qui était déjà là lors de la première modernisation de la Russie à la fin du XIXe et au début du XXe siècles…

R / Dans l’ensemble des Démocraties Populaires, le passage à l’économie de marché fut l’occasion pour une minorité de tirer profit du bradage des biens publics. Dans le même temps, pour la majorité de la population, cela s’est traduit par une dégradation dramatique de ses conditions de vie. Après 15 ans de libéralisation sauvage, quelle est la situation économique et sociale des pays de l’Est ?

Elle s’est un peu améliorée, mais de manière différente selon les pays… Le différentiel de richesse est demeuré le même entre les divers pays de l’ex-glacis soviétique. Mais très souvent ces pays, sauf l’Allemagne de l’Est, ressemble à des pays du tiers-monde, des plus riches comme la République tchèque, aux plus pauvres comme la Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie, la république de Moldavie. Bien évidemment une telle paupérisation entraîne l’abandon de la plupart des services sociaux, médecine préventive, protection de l’enfance, des mères célibataires, des retraités, des gens aux métiers les moins qualifiés, etc… Très souvent les ONG n’y sont que des instruments du spectacle de la charité occidentale qui servent à entretenir des Occidentaux qui normalement seraient au chômage et des locaux qui ne sont que des prédateurs sur les fonds alloués aux pauvres… Exactement comme en France tous les employés des associations diverses et l’ANPE qui sont chargés de gérer le chômage et la précarité du travail… Comment pourraient-ils lutter contre cette situation puisqu’elle leur garantit la pérennité de leur travail et une retraite… Les employés des ONG, Occidentaux et les employés locaux sont dans une situation semblable…

Il suffit de faire un tour dans les quartiers populaires des villes, et surtout des villes moyennes de provinces des pays de l’Est pour se rendre compte de la grande catastrophe économique du postcommunisme, non pas de la macroéconomie qui en général marche bien, mais de la microéconomie celle dont les gens ont l’expérience quotidienne…

R / Face à cette situation, on est surpris de l’absence de réactions et du fatalisme des classes populaires. Comment expliquer cette apathie générale et existe-t-il des courants contestataires au sein des sociétés est européennes? Peut-on faire un lien avec le désintérêt et la méfiance grandissants pour la politique que l’on retrouve en Europe de l’Ouest ?

Certes, il y a un lien avec la défiance des populations occidentales envers la politique. Comme les Européens de l’Ouest, ceux de l’Est ont compris que les alternatives démocratiques dans un système politique multipartis, ne change en rien les orientations économiques et à leur vie quotidienne… Que ce soit la droite ou la gauche parlementaire qui gère l’État, hormis quelques effets symboliques différentiels vites éventés, le devenir demeure identique… Alors pourquoi voter si aucune alternative concrète ne se manifeste dans l’expérience de chacun une fois le vote achevé…

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Le problème de l’apathie des peuples est un vieux problème auquel se sont confrontés nombre de penseurs de la politique. Les espoirs jamais vérifiés avancés par un marxisme sociologisant quant à la révélation des contradictions au sein du peuple par l’action du peuple même demeurent dans l’ordre du « wishful thinking », ou comme l’eût écrit Nietzsche dans un « idéalisme de rêve ». Les peuples bougent lorsqu’ils ont peur, lorsque subjectivement ils perçoivent qu’il n’y a pas d’alternative que la révolte, et non lorsque les conditions objectives seraient réunies. C’est là que l’on doit rappeler le génie politique de Lénine et de Trotski contre le bureau politique du parti bolchevique en1917, lesquels forcent le destin en mettant en œuvre un quasi-coup d’État alors que les conditions objectives des contradictions politiques n’étaient pas, selon leurs camarades, théoriquement réunies… Les peuples peuvent aussi se révolter à contretemps des conditions objectives, ce qui ne veut pas dire qu’ils perdront systématiquement. Les peuples peuvent aussi s’en remettre à des solutions momentanées plus démocratiques en apparence (élection de 1933 du parti nazi) qui se révèlent assez rapidement mortifères, catastrophiques, malgré les promesses de bonheur millénaire. Du point de vue d’un marxisme repensé, arraché au dogmatisme hérité du passé stalinien ou trotskiste, écarté de la somnolence rhétorique des débats universitaire complaisants, d’un marxisme fermement renouvelé par l’ajout de la critique heideggérienne de la technique (cf., l’œuvre du philosophe récemment décédé Gérard Granel), et celle de la culture de masse par Adorno et Benjamin (quasiment oubliée), il faut le constater : nous sommes en Europe dans le creux de la vague d’une prise de conscience de l’énorme aliénation engendrée par la modernité tardive et le capitalisme de troisième type. Les gens sont totalement mithridatisés par les spectacles culturels qui leur font accroire à une démocratisation alors que la plupart du temps ils ne font qu’accroître l’ignorance généralisée qui gagne. Il suffit d’écouter nos étudiants pour nous en rendre compte. Il suffit souvent de lire leur texte, dissertation ou mémoire, pour nous rendre compte que le tout culturel que l’État et les collectivités locales promeuvent avec fébrilité n’engendre pas un surplus de culture, mais, au contraire, abrutissement généralisé, clichés identiques répétés à l’infini… pas même souvent un minimum de maîtrise de la langue nationale… (que dire alors des langues étrangères !) Et ce ne sont pas, chez nous, les manifestations contre le CPE qui me semblent contredire mon approche, parce que la plupart des étudiants qui se mirent en grève exigèrent non pas un meilleur enseignement, la fin des disciplines bidons qui n’apporte aucune compétence, mais une entrée plus intégrée dans le système de la consommation. Personne ne souleva les questions essentielles que pose la décomposition des systèmes éducatifs en France (aussi en Europe), sur la nature et la qualité des enseignements qu’on leur délivre, enseignement qui est celui de l’ignorance ou comme le désigne un enseignant, la mise en œuvre de la fabrique des crétins… En réclamant des diplômes facilement obtenus, les étudiants en grève s’automutile l’avenir, car ce qu’ils veulent c’est une peau d’âne de l’incompétence. Or, l’Université n’est pas là en principe pour préparer des vendeurs et des vendeuses de fringues ou de voitures… C’est pourquoi le véritable système universitaire qui ne dit pas son nom comme tel n’est autre que les grandes écoles, lesquelles, en effet, n’engendre pas des chômeurs. Mais comme par hasard personne lors des grèves étudiantes n’a soulevé ce problème… Le tout culturel, la crise profonde de la finalité des universités, le mélange des genres tout cela fait perdre tout repère, toute capacité de jugement solidement fondé, tout cela va de pair. Dès lors que le premier chanteur venu qui sait mettre de vers de mirliton l’un à la suite de l’autre est présenté, par les médias aux ordres, comme l’équivalent d’un Baudelaire, d’un René Char ou d’un Saint John Perse, alors, comme l’écrivait Hannah Arent le tout est possible triomphe et l’on est sur la voie des dictatures totalitaires.On a flatté la fainéantise pour mieux dominer, alors qu’un enseignement populaire de haute qualité devrait exiger l’effort permanent pendant les années d’apprentissage. Pourquoi le demande-t-on aux sportifs de haut niveau, aux danseurs, aux musiciens et non aux élèves et aux étudiants ? Voilà pour notre monde occidental. Quant l’Europe de l’Est qui avait un système d’enseignement de type soviético-germanique d’excellente qualité pour sa forme de la sélection, elle est en train de se conformer aux normes de la convention de Bologne (LMD) qui est, à l’évidence, la fin de la quête de l’excellence, de la qualité, au profit d’une démocratisation s’articulant sur le nivellement par le bas au nom de la mondialisation, et cela avec l’appui d’une certain « gauche » qui a déserté totalement la vertu et l’effort républicain, pour l’hédonisme d’une science de l’éducation servant de cataplasme sur la jambe de bois de la décomposition universitaire et les pièges démagogiques de l’affirmative action, nouvelle manière, certes bien plus perverse, de mépriser les jeunes gens issus de milieux peu ouverts aux enseignements supérieurs de qualité…

R/ La présence américaine en Europe de l’Est s’est renforcée avec l’extension de l’Otan aux anciens pays du Pacte de Varsovie. Quelle est la stratégie poursuivie par les États-Unis dans la région ?

Simple, ceinturer la Russie, seul pouvoir issu de l’ancien système soviétique capable de contrer l’hégémonie agressive des États-Unis.

R/ L’adhésion de plusieurs pays d’Europe de l’Est à l’Union Européenne est actuellement en cours. Qu’attendent, ces « nouveaux européens », de Bruxelles ?

la seule chose qu’attendent les ex-pays de l’Europe communiste qui sont entrés dans l’UE ce sont des subventions. L’Europe n’ayant aucune existence politique, ces pays se sont mis dans l’OTAN pour bénéficier de la prétendue « protection américaine ». L’UE est une source d’argent, d’argent qui malheureusement est très souvent détourné par la corruption, tant et si bien qu’il ne sert pas les buts pour lesquels il avait été prévu !

R/ Dans votre texte paru dans la revue Krisis n°28, sur Heidegger penseur de la politique, vous écrivez en commentant la réflexion du philosophe allemand concernant la Technique : « nul ne peut nourrir un quelconque espoir de renouvellement de la spiritualité moderne, nul ne peut même espérer un sauvetage tant que la Technique n’aura pas achevé d’accomplir son déploiement… », et un peu plus loin : « de mon point de vue, seul l’impératif catégorique moral propre à chaque individu peut l’engager ou ne pas l’engager dans le choix d’une praxis politique, dût-il savoir, qu’au bout du compte, rien dans l’essentiel ne changera… ». Est-ce le constat d’une impasse historique? Ne peut-on rien attendre de mouvements politiques à dimension collective ?

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Cela dépend de ce qu’ils proposent, ou plutôt de ce que les hommes se proposent comme action pour leur futur. Mais jusqu’à présent la plupart n’ont proposé au mieux que de redistribuer autrement une partie de la plus-value (révolution bolchevique, chinoise, Vietnam,) en mettant en place les mêmes instruments de développement selon, en essence, les mêmes modalités techniques, les mêmes procédures de travail, de salariat et de commandement que les pays capitalistes. Tant et si bien qu’on est en droit d’affirmer que les hommes sont pensés par l’essence de la Technique qui, comme nous l’a appris Heidegger, n’est ni technique ni scientifique, mais métaphysique, laquelle réalise l’accomplissement ultime de la métaphysique. C’est pourquoi l’une des attitudes les plus radicalement critiques se tient dans la déconstruction de la métaphysique et vise à son élimination des interprétations du monde. La métaphysique n’est que le double du réel, le faux-semblant, le simulacre… La métaphysique terminale se tient par exemple dans le culte du progrès comme accomplissement éthique, dans le fait de penser que ce que l’on dit, écrit présentement serait mieux ou meilleur que ce que disaient ou écrivaient les anciens penseurs. Or toutes les constructions métaphysiques n’ont jamais résisté au destin modelé par la naissance et le déploiement du capitalisme. Si le communisme a implosé de cette façon, c’est qu’à sa manière aussi, il était l’une des ultimes versions de la métaphysique. Le réel que la métaphysique refoule (au sens littéral), fait sans cesse retour, et c’est cela à la fois qui apparaît comme l’histoire (le grand jeu politique) et ce que ce retour du réel porte : l’inédit de la liberté humaine, ce qui ne veut jamais dire que cette liberté œuvre seulement pour le bien, elle peut tout aussi bien s’investir dans le mal, ce qu’un marxisme simpliste, mécaniste et sociologisant ne peut comprendre, car il est lui-même pris au piège de la métaphysique. Ce qui est paradoxal, c’est de constater combien les modalités d’interprétations métaphysiques ont résisté aux nombreux démentis qui lui furent infligés. Il faudrait se poser la question pour savoir si ce ne serait pas cela le destin ultime de l’Occident, la renaissance permanente, tel un Phoenix, de la métaphysique comme le double illusoire du monde réel ? L’Occident peut-il, du fait même qu’il est l’Occident en finir avec la métaphysique, non pas au profit d’un matérialisme banal, d’un réalisme de bazar, d’un empirisme superficiel, mais au profit de la pensée qui en montrera la grandeur et la vanité, au profit d’un nouveau rapport au réel de l’appréhension de ce qui est-là pour simplement ce qui est là et non pour autre chose, au profit d’une réalité mouvante et subtile, et non pour rassembler cette mouvance dans la rigidité de concepts, fussent-ils dialectiques ? Je n’ai aucune réponse immédiate. Je médite sur ce sujet depuis des années. J’écris des bribes d’approches que je déchire ou je publie…

Pour ce qui concerne les régimes communistes, il me paraît que l’expérience chinoise confirme, ou, à tout le moins ne contredit pas mon hypothèse. Le régime communiste semble y avoir été le moyen idéal, au nom d’une transcendance nommée le sens de l’histoire (et la science de la société) faisant fonction de l’être du monde, d’engendrer un développement rapide et violent de la modernité dans ces pays très arriéré, avec des erreurs immenses, comme la manière dont a été gérée la révolution culturelle, laquelle assumait dans le champ d’un confucianisme rémanent l’advenue des « lendemains qui chantent » les plus radicaux, c’est-à-dire la construction d’une nouvelle Cité idéale comme Platon et Aristote l’avaient en leur temps et à leurs manières imaginée… Preuve encore que la métaphysique n’avait pas abandonné cette version radicale du marxisme-léninisme, fût-elle tempérée de confucianisme…

À une échelle plus empirique, il me semble, qu’avec toutes ses imperfections Cuba tenterait d’échapper à ce modèle de développement, à tempérer le culte du développement pour le développement par une manière d’affirmer que le but d’un socius heureux n’est pas simplement le consumérisme, même si, tout compte fait, il est encore trop tôt pour en juger clairement. L’histoire du XXe siècle ressemble à la mise en œuvre de divers types de gouvernement des hommes, afin de dépasser sans cesse les limites qu’ils s’étaient tracés au développement. En effet, le capitalisme libéral comme le capitalisme d’État ne se peut déployer dans sa plénitude qu’en assumant, même si c’est illusoire, l’illimité… ou si l’on préfère en assumant le fantasme de l’infinité.

R / Vous êtes le rédacteur en chef de la « Pensée Libre ». Pouvez-vous nous présenter cette revue, à la démarche des plus intéressante ( NOTE : La revue est devenue depuis 2008 un site internet ) ?

Réponse : D’abord je n’en suis pas le rédacteur en chef, mais le co-rédacteur en chef avec trois collègues et amis (trois universitaires et un syndicaliste) dont un, Bruno Drweski, est grâce à la loi, obligé d’assumer le rôle de directeur.

Cette revue est née d’une évidence ; nous avons constaté sur la scène politico-intellectuelle française l’absence d’une revue authentiquement critique (au sens philosophique le plus fort). Il y a des revues prestigieuses, mais elle s’arrêtent dès lors qu’il s’agit d’aborder les problèmes délicats, sensibles, ceux qui dès qu’on les aborde mobilisent le conformisme dans des campagnes de presse qui n’ont rien à envier aux mises au pas de la presse soviétique à la grande époque stalinienne. Deux exemples éclaireront notre constat, ce que l’on a pris l’habitude de désigner comme l’« affaire Heidegger » et tout ce qui touche au Moyen-Orient, à l’Islam, au conflit israélo-palestinien. Mais on peut étendre les plages du conformisme, on le trouve dans des revues de prestige sur la manière de traiter divers aspects de la vie intellectuelle et politique : par exemple, toutes ces revues prestigieuses se sont engagées fermement pour le « oui » au référendum sur la constitution de l’UE, sans jamais publier une seule analyse sérieuse des raisons du « non ». pour en lire, il fallait se rendre sur des sites Internet alternatifs. Je pourrais ainsi multiplier les exemples. Mais ce que nous avons voulu réaliser, c’est la publication de textes de qualité dont le contenu n’appartient pas forcément à nos champs d’interprétations, ou avec lesquels nous pouvons être en désaccord. Notre but étant d’informer les lecteurs francophones de débats, d’interprétations qui ne trouvent pas beaucoup de place en France pour avoir une audience publique… Par exemple, l’un des dernier texte publié avec lequel j’ai des désaccords est cependant extrêmement intéressant car il développe, pour un public francophone, les fondements de la théologie politique de la religion orthodoxe, domaine quasiment inconnu en France, hormis de quelques rarissimes spécialistes publiant dans des revues ultra-confidentielles. Or, une revue sur site Internet, permet à un très large public d’avoir accès à des textes difficiles, mais importants, nous semble-t-il, pour saisir quelque chose de l’histoire politique du monde orthodoxe… et en particulier de la Russie…

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La France, à la différence de l’Italie par exemple, est devenu un pays où le conformisme politico-intellectuel est tel que parfois, pour ceux qui comme moi ont longtemps vécu dans des pays communistes particulièrement vigilants quant à la tenue idéologique, ressemble à s’y méprendre à l’uniformisation de la censure de l’époque ceausescu en Roumanie, à l’Allemagne de l’Est d’Ulbricht ou à la feue Tchécoslovaquie de Husak…

Ce non-conformisme n’est pas une volonté de prendre systématiquement le contre-pied des discours dominants. Notre choix a été guidé par cette affirmation de Hegel complétée par moi-même, à savoir que le penseur doit non seulement penser son temps, mais très souvent pour l’expliciter, penser contre son temps. Il est vrai que plaire aux pouvoirs apporte plus de bénéfices de toutes sortes que de montrer combien le roi est souvent nu… Nous avons choisi de penser, de publier ceux qui pensent (par forcément comme nous), au risque de déplaire… Mais, au bout du compte, le but n’est ni de plaire ni de déplaire, mais de témoigner…

Voilà, résumé pourquoi nous nous sommes engagés dans le travail que représente la publication de cette revue et la recherche d’articles et d’essais qui précisément témoignent de l’état de notre époque…

Merci pour vos questions…

La grande braderie à l’Est

Chronique du livre sous la direction de Claude Karnoouh et de Bruno Drweski

CK-Drw2537.jpgVoici un ouvrage qui a le mérite d’amener à la fois des éléments novateurs pour déchiffrer l’énigme de la chute du Bloc soviétique et d’éclairer sur la situation actuelle des Pays de l’Est. Échappant à l’autoglorification des valeurs « démocratiques et libérales » qui est la règle de la plupart des analystes occidentaux sur le sujet, il présente une vision bien plus complexe de la réalité du système « socialiste ». Il donne aussi un tableau quasi complet de l’histoire économique et sociale immédiate des principales ex-républiques populaires.

Claude Karnoouh et Bruno Drweski , et les jeunes universitaires de l’Est dont ils ont réuni les contributions, donnent une explication en profondeur et en rupture avec nombre de préjugés encore en cours.
Les sociétés issues des changements provoqués par la révolution d’Octobre 1917 apparaissent ainsi comme faisant partie d’un ensemble hybride, fruit d’une synthèse paradoxale (la contribution de Bruno Drweski en fait une démonstration éclairante). Ainsi les états de type soviétique ont emprunté de nombreuses caractéristiques des sociétés existantes antérieurement. Pour le meilleur (l’aspiration communautaire du monde paysanne slave) ou pour le pire (le goulag). Dans le même temps, les régimes communistes ont mené une modernisation approfondie et sans précédent des sociétés de l’Est. Rattrapant leur retard par rapport à l’Ouest, les états socialistes ont effectivement réussi à hisser leurs peuples à un niveau économique développé à la sortie de la seconde guerre mondiale. Dans des secteurs comme la santé ou l’éducation, les progrès furent indéniables. Les sociétés de l’Est ont aussi été accoutumées aux idées d’entraide, de collectivité, de solidarité et d’un internationalisme basé sur le refus de l’impérialisme, ce qui explique pourquoi elles peinent encore à accepter l’égoïsme, l’idéologie des « gagneurs », la domination de l’économique ou le consumérisme sans frein. Autant de valeurs « normales » de règle en Occident. L’empreinte du socialisme, loin de s’effacer, donne naissance à une certaine forme de nostalgie et à un scepticisme devant les beaux discours des élites occidentalisées.

L’incapacité des pouvoirs communistes à gagner la guerre technico-économique face au monde capitaliste (concurrence faussée, vu que le capital ne connaît aucune limite et qu’il ne s’embarrasse jamais d’aucune morale ou idéologie pour étendre son emprise) amènera progressivement leurs désagrégations. Malgré un appareil répressif massif, ils ne purent empêcher le développement des frustrations qu’alimentait la propagande occidentale.
Comme le montre Claude Karnoouh, l’élément décisif dans la chute du système soviétique fut le long travail de sape mené par la « culture de masse » américaine dans les esprits de l’Est. L’image déformée de la prospérité des économies de marché, diffusée par les multiples feuilletons TV des années 80, créa une vision mythique de l’Ouest, terre d’abondance et de libre entreprise. On ne peut s’empêcher de penser que la série Dallas a eu plus d’impact idéologique dans l’éclatement du bloc soviétique que l’ensemble des sadmiszdats d’Alexandre Soljenitsyne… Une grande partie des « élites » politico-économiques soviétiques va rapidement comprendre que son intérêt était de faire basculer leurs pays dans le système libéral. Voulant bénéficier du mode de vie occidental et ne se souciant nullement du sort du reste de la population, elles vont opérer un bradage en règle de dizaine d’années de socialisme. L’auto destruction du bloc de l’Est donnera lieu à un pillage méthodique par cette nouvelle oligarchie issue des anciennes institutions. Avide et déculturée, elle évolue aux marges de la légalité.

Au bilan catastrophique du passage au capitalisme pour les Pays de l’Est, le livre ajoute des analyses pertinentes et originales sur les conséquences de la chute du Bloc soviétique pour l’Afrique et le Moyen-Orient, la naissance d’un monde unipolaire livrant ces régions à l’impérialisme et au chaos. Mais c’est surtout la présentation des répercussions sur nos sociétés occidentales qui est particulièrement intéressant.

Le capitalisme a survécu à ses multiples crises grâce à sa capacité d’adaptation. Ainsi, avec l’instauration des « Etats Providences » et la décolonisation, donc avec sa « socialisation » partielle ou au moins apparente, il a garanti son maintien dans la plus grande partie du monde. Cela, principalement, sous la pression des principes mis en avant par le monde communiste (l’intégration des travailleurs au système capitaliste et l’indépendance des anciennes colonies étant devenues une obligation devant le risque représenté par la propagation des idées socialistes).

On comprend alors que la chute de l’URSS allait lui permettre de revenir à son inclination naturelle. Les illusions d’un capitalisme bienveillant n’allaient pas durer d’avantage. La mondialisation était désormais en marche et la restructuration des économies occidentales réduisait les acquis des années des Etats providences. La « victoire sur le communisme » ouvrait la voie à l’autoglorification du modèle ultra-libéral, devenu un horizon indépassable pour l’Humanité. Désormais, toute recherche de justice et de progrès social était condamnée au nom du goulag, devenu l’aboutissement unique du socialisme dans le jargon libéral. Mais pourtant loin d’assister à la « fin de l’histoire », les événements allaient montrer que le capitalisme n’avait aucune réponse à apporter au désir de liberté des peuples, que d’autres voies pouvaient et devaient être explorées.

Éditions le Temps des Cerises (6 avenue Edouard Vaillant, 93500 Patin) / 18 euros.

Claude Karnoouh est anthropologue, il a débuté sa carrière comme spécialiste des problèmes du monde rural archaïque et de la naissance du nationalisme en Europe de l’Est communiste. Après avoir fait des études de physique-chimie (Sorbonne), de philosophie, de sociologie et d’anthropologie sociale (Sorbonne et Paris X-Nanterre), et avoir enseigné dans le secondaire de 1962 à 1967, il a été chercheur en sciences sociales au CNRS de 1967 à 2005 tout en menant de front une carrière de professeur invité dans des universités roumaines, hongroises, étasuniennes et britanniques. Il est présentement chercheur retraité et professeur invité à l’Université Saint Joseph de Beyrouth. Aimant à se définir comme « un spécialiste des généralités », ses recherches sur le monde rural archaïque de l’Europe communiste, l’ont conduit à poursuivre une réflexion philosophique originale sur les diverses manières dont la modernité, politique et culturelle, se déploie. Nous le remercions d’avoir pris le temps de répondre à nos questions ( Entretien paru dans le numéro de Septembre 2006 de Rébellion).

jeudi, 23 mars 2017

«René Guénon entre Tradition et Révolution»

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Entretien avec David Bisson:

«René Guénon entre Tradition et Révolution»

Ex: http://frontdelacontre-subversion.hautetfort.com 

Docteur en sciences politiques et historien des idées, David Bisson est chercheur associé à l’Institut du Droit Public et de la Science Politique de l’Université Rennes 1 et chargé de cours à l’Institut Catholique de Rennes.

Spécialiste des courants ésotériques occidentaux, il cherche à analyser les liens qui se tissent entre le champ politique et le champ religieux, et travaille en particulier sur la notion de « métapolitique ». Après avoir réalisé une thèse de doctorat sur René Guénon et le concept de Tradition, il consacre une étude passionnante sur sa pensée politique.

R/ Comment avez-vous découvert l’œuvre de René Guénon ?

J’ai commencé à travailler sur la pensée de Julius Evola dans le cadre d’une maîtrise en science politique. Ce qui m’a naturellement amené à lire Guénon, tout de même quelques années après, le temps de la « décantation » ésotéro-politique pourrait-on dire. Et j’ai alors découvert – ce qui m’a troublé au départ – que l’œuvre de Guénon n’était pas moins politique que celle de son « disciple » italien, même s’il s’agissait d’une autre politique, d’une haute politique. Ce que j’ai finalement tenté de cerner comme une politique de l’esprit.

R/ Vous développez dans votre livre une analyse très fine des étapes du parcours intellectuel de l’auteur du Roi du Monde. Quels furent les jalons marquants de son existence ?

Je crois qu’il est possible, et assez juste, de scinder l’itinéraire de Guénon en trois périodes inégales. La première court de 1906 à 1920 et correspond à la période de formation intellectuelle. Issu d’une famille de la petite bourgeoisie provinciale, et entouré de femmes très pieuses (sa mère et sa tante), il s’installe à Paris à l’âge de vingt ans et intègre plusieurs groupes occultistes avec une facilité déconcertante. Ceci est d’autant plus étonnant que ce mouvement très en vogue fait la part belle aux personnalités flamboyantes (Papus, Ivan Aguéli, Sar Péladan, etc.) et aux polémiques cocasses (« guerre des initiés »). En tous les cas, Guénon y forge ses premières armes conceptuelles et affermit son intuition première, celle de la possibilité d’une gnose comprise comme une connaissance universelle.

La seconde période s’échelonne de 1921 à 1930 et correspond à la notoriété de Guénon dans les milieux intellectuels français. Il se fait d’abord connaître comme un bon connaisseur des doctrines hindoues puis comme un historien très critique à l’endroit de ce qu’il nomme déjà le « néo-spiritualisme » (théosophisme et spiritisme) et, enfin, comme le contempteur implacable du monde moderne. On le devine, ces trois « spécialités » ne s’accordent pas naturellement et renvoient, chacune, à un public bien particulier : les orientalistes, les intellectuels catholiques (liés au néo-thomisme de Maritain) et les milieux proches de l’Action française. Guénon n’est pourtant pas un touche-à-tout, loin de là, puisqu’il possède déjà sa synthèse doctrinale, laquelle s’articule autour de la notion de « Tradition » (fond commun à toutes les religions) et se décline sous une série d’oppositions : Orient spirituel contre Occident matérialiste, Tradition contre Modernité, Essence contre Substance, etc. Cette synthèse est cependant trop originale pour titiller les canons idéologiques de l’époque, et tenter d’enrayer ainsi la marche à la guerre. Finalement, Guénon est relégué dans les marges du monde intellectuel.

David Bisson - Ren Gunon.jpgLa troisième période, la plus longue, s’étire de 1930 à 1951 et correspond à l’accomplissement doctrinal. Retiré dans la ville du Caire, et bientôt marié à une égyptienne, Guénon a tout le loisir d’affiner les éléments de son système et de préciser plusieurs notions importantes, telles que l’initiation, la réalisation métaphysique, le sens du symbolisme, etc. Tout ce travail aurait peut-être été vain s’il ne s’était constitué autour de lui une petite équipe entièrement dévouée à sa pensée, une revue (Le Voile d’Isis, Études Traditionnelles) qui lui servait de relais avec le monde dit « traditionnel » et, bientôt, des groupes initiatiques qui vont constituer le principal lieu de résonance du système guénonien, aussi bien en théorie qu’en pratique. A ce titre, il faut bien avouer que Guénon a écrit un nouveau chapitre des modalités de la réception des idées, celui de réussir à concilier engagement spirituel et combat (méta)politique.

R/ Vous définissez la personnalité de René Guénon comme gnostique. Que recouvre ce terme pour vous ?

Dans son (excellent) ouvrage, Philosophie philosophique, Julien Freund précise que la mystique se distingue de la gnose dans le sens où tout un chacun peut avoir accès à la contemplation pourvu qu’il accepte la discipline du corps et l’ascèse. A l’inverse, la gnose postule d’emblée la distinction entre ésotérisme et exotérisme, entre ceux qui savent (les parfaits ou les initiés) et ceux qui ne savent pas (les hyliques ou les profanes). Sur quoi se fonde cette distinction ? Sur la connaissance illuminante, la connaissance qui éclaire les principes de l’être et les réverbère jusqu’à l’extinction de cette même connaissance. Guénon, qui peut être considéré comme le plus grand ésotériste du XXè siècle, appartient naturellement à la catégorie des « gnostiques », ceux qui approchent Dieu par la connaissance au moyen de « l’intellect pur » (la « supra-rationalité ») ; avec le risque, disons-le, de pécher par orgueil (se prendre pour le « roi du monde ») et la grâce, toujours recommencée, d’épuiser la connaissance par son propre excès de connaissance. La gnose, comme il lui est souvent reproché, est une voie de réalisation réservée aux intellectuels. D’où son danger.

R/ Quel sens donner à l’idée de Tradition dans l’œuvre de René Guénon ? En quoi est-elle une Tradition « réinventée» ? Se rattache t-elle à une Tradition primordiale ?

Pour le dire simplement, la Tradition (écrite avec un « t » majuscule) est l’essence de toutes les grandes traditions religieuses de l’humanité, ce qui en fait un concept universel – c’est à mon sens le « génie » de Guénon – puisqu’il serait possible de retrouver cette essence, autrement dit le noyau spirituel de l’humanité, dans le corps substantiel des autres religions (textes sacrés, symbolisme, rites, etc.). Dès lors, l’homme traditionnel, dans le sens guénonien du terme, est en quelque sorte l’homme qui a creusé sa propre religion jusqu’à y découvrir la sève première, la lumière originelle, qui est partout la même. Ce que Frithjof Schuon appellera « l’unité transcendante des religions ». Cette tradition est « réinventée » en fonction des lieux et des époques où vivent les hommes ; elle est réinventée, bien sûr, dans la façon dont les hommes l’appréhendent, et en témoignent dans leur vécu, mais demeure immobile au regard de la roue du temps qui tourne. L’expression « tradition primordiale » me semble plus problématique dans la mesure où elle permet à Guénon de resituer, tout du moins tenter de le faire, cette tradition dans le cours de l’histoire : il existerait donc une souche primordiale de laquelle partiraient les différentes branches religieuses au cours de l’humanité. Avec un début, l’hindouisme, et une fin, l’islam, soit un processus linéaire, voire téléologique, qui relève davantage de la science moderne que des sagesses traditionnelles. Ce n’est d’ailleurs pas le sujet sur lequel Guénon est le plus à l’aise.

R/ Vous montrez de manière admirable que pour lui la Tradition est aussi un projet métapolitique. Y a t il une vision politique guénonienne ?

Il n’y a pas de politique guénonienne à strictement parler même si Guénon a tenté d’opérer certaines actions d’influence au cours des années vingt pour abandonner cette perspective après son installation au Caire. En revanche, il existe une métapolitique traditionnelle qui joue, me semble-t-il, à trois niveaux. Au niveau des principes, elle consiste à rappeler que le politique se fonde sur la métaphysique, et vise à mettre en harmonie la cité avec les fins dernières qui la constituent, soit permettre à chacun, en fonction de sa nature propre, de se connaître soi-même et par là même de participer à l’œuvre commune. Ce que Platon a développé dans son projet utopique : La République. Au niveau historique, la politique est un moyen (et non une fin) de résoudre les contradictions internes à la vie des sociétés avec le souci, jamais intégralement atteint, d’équilibrer les forces en présence dans le monde. D’où la dimension fuyante, et tragique, de toute action politique. Au niveau existentiel, et c’est là je crois la dimension la plus « moderne » de Guénon, la métapolitique est aussi un projet que chacun porte en soi et qu’il lui appartient de mener à terme, quels que soient les lieux et les époques, à travers un cheminement dit initiatique. Précisons que ces trois entrées restent éminemment politique dans le sens où elles se posent et s’opposent à tous les critères de la modernité.

R/ Quel est le sens véritable des notions d’Orient et d’Occident dans l’œuvre de Guénon ?

A travers les notions (et non pas les espaces) d’Orient et d’Occident, Guénon dresse une grille d’analyse paradigmatique qui lui permet d’articuler sa principale opposition : la Tradition contre la Modernité. Cette lecture qui pouvait se comprendre au moment de la publication d’Orient et Occident (1924), puis deLa crise du monde moderne (1927), est beaucoup plus contestable aujourd’hui puisque l’on assiste à l’occidentalisation générale du monde. Sur ce point, il faut mentionner les travaux de Henry Corbin qui comprenait ces deux notions à partir de leur sens imaginal : chacun quittant « son » Occident pour monter vers « son » Orient et découvrir, au cours de ce chemin, la lumière aurorale du septième climat.

R/ « C’est dans le christianisme seul, disons plus précisément encore dans le catholicisme, que se trouvent, en Occident, les restes d’esprits traditionnels qui survivent encore ». Ce passage de la Crise du Monde Moderne réveille le rapport complexe de l’auteur avec le christianisme. Comment envisageait-il son intégration dans sa vision de la Tradition ?

On peut effectivement dire que l’équation personnelle de Guénon ne correspondait pas à la démarche croyante du catholicisme, et ce, malgré une enfance bercée par cette religion et un rapport très régulier avec l’abbé Gombault jusqu’à son départ pour Le Caire en 1930. De même, son tempérament gnostique s’accordait mal avec la dimension égalitariste du christianisme. D’où son interprétation partielle et figée de la tradition chrétienne, comprise comme une tradition, certes orthodoxe, mais amoindrie par la perte de son ésotérisme. Sur ce sujet précis, il me semble que Frithjof Schuon a développé une analyse plus fine quoique discutable également. Il a fallu attendre les années 1990 pour qu’un lecteur averti de Guénon, Jean Borella, mette les choses au clair dans Esotérisme guénonien et mystère chrétien, et révise de fond en comble le rapport de la Tradition et de la Révélation. Ce qui n’est pas sans soulever des questions importantes pour certains milieux guénoniens – je pense ici à ceux qui veulent enfermer le texte guénonien dans une dogmatique rigide.

R/ Bien qu’issu des milieux occultistes du début de XXè siècle, il a combattu de manière acharnée les « masques de spiritualités contemporaines » que furent le Spiritisme ou la Théosophie. Est-ce paradoxal ?

On peut effectivement dire que cela est paradoxal mais d’une toute autre manière. En effet, cela ne l’est pas au regard du positionnement de Guénon par rapport à l’occultisme puisqu’il s’en est détaché très tôt, comprenant que ce mouvement à la mode n’était qu’une sorte de matérialisme spiritualiste davantage marqué par les théories modernes que par les sagesses ancestrales. Sous un autre angle, cela est plus ambivalent car Guénon a toujours conservé certains invariants occultistes dans sa façon de penser : culte du secret, sentiment conspirationniste, sûreté de son savoir, etc. Et puis il est le « grand codificateur de l’ésotérisme pour le XXè siècle » ; en cela, il a peut-être mené à bien la mission qu’il s’était donné : séparer le bon grain de l’ivraie dans le monde foisonnant et parfois délirant de l’occultisme.

David-Guénon.jpgR/ Les rapports de René Guénon avec la franc-maçonnerie ont fait coulé beaucoup d’encre parmi ses « disciples ». Quelle fut sa réelle opinion sur ce sujet ?

Cela est effectivement surprenant puisque Guénon a toujours été très clair sur la question, que l’on soit d’accord ou non avec ces interprétations. En l’occurrence, il avait une grande estime pour la franc-maçonnerie, considérée comme une tradition initiatique à part entière même si cette dernière a subi, selon lui, une dégénérescence au XVIIIè siècle. C’est d’ailleurs pourquoi il n’a jamais abandonné l’espoir de voir renaître une franc-maçonnerie dite traditionnelle, et qu’il s’est toujours intéressé de très près à tout ce qui se faisait en la matière. La création de la loge La Grande Triade, sous les auspices de la Tradition, en 1946 correspond à ce projet « restaurationiste ». Cela fut en grande partie un échec. Et on peut conjecturer sans grands risques que Guénon aurait été abasourdi par le niveau des francs-maçons aujourd’hui (sauf exception), comme de beaucoup d’autres groupes soit disant initiatiques.

R/ Le départ pour le Caire constitue un tournant décisif dans l’existence de René Guenon. Quelle fut le sens de sa « conversion » à l’Islam ?

Selon ses propres termes, Guénon ne s’est jamais « converti » mais tout simplement « installé » dans l’islam ; la nuance peut paraître mince mais elle signifie que l’auteur d’Orient et Occident n’a jamais abandonné sa lecture universaliste des traditions religieuses. Comme le rappelle d’ailleurs la citation suivante : « Quiconque a conscience de l’unité des traditions […] est nécessairement, par là même, “inconvertissable” » (Guénon). Après, on peut effectivement signaler que Guénon, sans doute soucieux d’orienter ses lecteurs-disciples vers une voie initiatique viable, a privilégié l’islam soufi, notamment au travers des groupes formés par Frithjof Schuon et Michel Vâlsan.

R/ Comment interprétez-vous les rapports entre René Guenon et Julius Evola ? Existe t-il une synthèse de leurs deux approches ?

Guénon et Evola entretiennent effectivement des rapports singuliers qui tiennent, pour une part, à leurs tempéraments et, pour une autre, à leurs visions du monde. S’il est vrai que les deux hommes ont entretenu une correspondance cordiale jusqu’en 1951 (décès de Guénon), ils n’ont jamais été associés à un projet précis. Guénon refusant d’intégrer la signature d’Evola dans sa revue alors même que ce dernier se démenait pour diffuser sa pensée en Italie. Une synthèse est-elle possible ? Cela dépend de quel côté nous nous situons. Du côté d’Evola, la synthèse est effectivement possible puisqu’elle est contenue dans son maître ouvrage Révolte contre le monde moderne. Du côté de Guénon, elle n’est pas même envisageable puisque le système traditionnel se suffit à lui-même. Autrement dit, les lecteurs d’Evola trouveront sûrement un approfondissement dans la pensée de Guénon tandis que les lecteurs de Guénon ne s’enrichiront pas forcément au contact de la pensée évolienne.

R/ A la lecture de votre livre, on croise deux auteurs particulièrement important dans la réception « universitaire » des idées traditionnelles : Mircea Eliade et Henry Corbin. Quels furent leurs rapports exacts avec la Tradition ?

Mircea Eliade entretiendra des rapports ambigus avec la pensée de Guénon tout au long de sa vie. Ambigu dans le sens où il ne révèlera jamais sa dette à l’égard de la pensée traditionnelle, et ce, pour mener à bien sa carrière universitaire. Le passage d’une lettre d’Evola (qui lui est adressé en 1951) est à cet égard symptomatique : le penseur italien lui demande, de façon presque nonchalante, pourquoi il s’évertue à camoufler ses principales références (Guénon, Coomaraswamy, etc.) pour ne mettre en avant que des ouvrages universitaires le plus souvent très insipides. Et finit par s’interroger : est-ce que « le jeu en vaut la chandelle » ? Et Eliade de lui répondre, gêné, qu’il n’a pas d’autres choix que d’entretenir de bons rapports avec la « maçonnerie académique » !

Quant à l’influence intellectuelle de Guénon sur le penseur roumain, elle est effectivement beaucoup plus sinueuse. On peut, en un mot, dire que Mircea Eliade reprend certaines catégorisations établies par Guénon pour les transposer, d’abord, dans son nationalisme archaïque et, ensuite, dans son approche philosophique du religieux.

Quant à Henry Corbin, ses liens personnels avec la pensée de Guénon sont beaucoup plus distendus. Il parvient, cependant, à des conclusions voisines en partant d’un tout autre terrain de recherche : la philosophie iranienne. En cela, on peut dire que Corbin apporte du « grain à moudre » à la pensée guénonienne, quitte à la prendre de biais, et contribue à étoffer ce vaste territoire qu’est le mode visionnaire (par opposition à la raison ratiocinante). C’est pourquoi on peut le considérer, me semble-t-il, comme l’un des philosophes les plus importants du XXè siècle.

R/ Après la mort de René Guenon, son œuvre connaît une diffusion mondiale et de nombreuses interprétations. Quels sont les courants qui ont été influencés par son travail?

Sans revenir sur les nombreuses occurrences dont fait l’objet le nom de Guénon aujourd’hui dans des domaines aussi inattendus que la musique, les arts et la littérature – quoiqu’il faille rappeler l’intérêt que les surréalistes lui ont porté dès les années vingt –, on peut établir trois grands pôles de réfraction de la pensée traditionnelle. Le premier se situe naturellement dans la mouvance initiatique telle que Guénon a tentée de la mettre en place de son vivant. Étrangement, c’est peut-être la plus fragile tant les groupes initiatiques, une fois leurs leaders disparus (Schuon et Vâlsan principalement), tendent à péricliter. En revanche, la reprise des idées guénoniennes dans des cercles spiritualistes plus larges (soufisme, hindouisme, franc-maçonnerie, etc.) est de plus en plus fréquentes.

Le second pôle se situe dans l’orbite du monde universitaire en général et des sciences religieuses en particulier. Il est assez vivace aux États-Unis avec des intellectuels comme Seyyed Hossein Nasr et John Gordon Melton qui propose une version à la fois étoffée et « édulcorée » du traditionalisme (dans le sillage de Schuon). Ce pôle reste, en revanche, très fragmentaire en Europe où seuls quelques chercheurs osent briser l’oukase qui entoure encore le nom de Guénon, tout particulièrement en France…

Le troisième pôle s’inscrit dans le sillage de Guénon et d’Evola pour continuer à développer l’idée d’une politique d’inspiration traditionnelle face à l’accélération de la dissolution du monde moderne. Les groupes à s’y référer sont nombreux sans que l’on sache toujours exactement quelle est la frontière entre la militance politique et l’engagement religieux. Aujourd’hui, le groupe se réclamant volontiers de Guénon (et d’Evola) le plus influent est sans contestation possible celui mené par le philosophe russe Alexandre Douguine.

Entretien paru dans le numéro 61 de la revue Rébellion.

mercredi, 22 mars 2017

Entretien avec Jean-Michel Quatrepoint

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« Le cycle néolibéral touche à sa fin »

Entretien avec Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique et essayiste

Ex: http://metamag.fr

Dans une vidéo parue sur Xerfi canal, vous expliquez que nous sommes en train de changer de cycle et que le néolibéralisme a atteint ses limites. Qu’est-ce qui vous faire dire ça ? Est-ce l’élection de Trump aux États-Unis ? Le Brexit en Europe ?
Oui. Le néolibéralisme est entré dans un processus de reflux, après son apogée que je situe en 2007-2008, avec la grande crise : crise des subprimes aux États-Unis, puis crise des « dettes souveraines » et de l’euro, par ricochet, en Europe.

JMQ-1.jpgCe cycle néolibéral avait commencé le 15 août 1971, avec l’abandon de la convertibilité du dollar en or, autrement dit avec la fin du système de Bretton Woods. Une fin décidée unilatéralement par Nixon alors que les Américains avaient besoin de créer beaucoup de monnaie pour financer tout à la fois la guerre du Vietnam et la guerre des étoiles. En 1971, on bascule donc dans un système de changes flexibles. Dans le même temps, l’école de Chicago [une école de pensée néolibérale dont la figure emblématique est Milton Friedman] entreprend un travail théorique visant à bâtir un corps de doctrine en rupture avec le keynésianisme. Cette école théorise le « trop d’État, trop de syndicats, trop de conglomérats et de monopoles ». Elle plaide pour la dérégulation et la casse du système pour le rendre plus dynamique.

Puis Reagan arrive au pouvoir aux États-Unis (Thatcher l’a précédé en Grande-Bretagne, de la même façon que le Brexit a précédé Trump de quelques mois) pour appliquer ce programme. Il est d’ailleurs amusant de rappeler qu’il se fait élire sur le slogan « Make America great again ». Car à la fin des années 1970, l’Amérique est en proie au doute. On se situe juste après le Watergate, l’impeachment de Nixon, la défaite au Vietnam, la prise d’otage à l’ambassade d’Iran. Par ailleurs, c’est l’époque où se posent les premiers problèmes de désindustrialisation. Les États-Unis se heurtent à l’ambition japonaise, tout comme ils se heurtent aujourd’hui à l’offensive chinoise. Pendant la première moitié de la décennie 1980, ils organisent donc la contre-offensive. L’affaire se solde par les accords monétaires du Plaza de septembre 1985. Le Japon est mis à genoux et obligé de réévaluer sa monnaie de 100 % en un an. Au passage, l’Allemagne doit réévaluer elle aussi.

Vous voulez dire en somme que le début de la présidence Reagan correspondait à l’entrée dans un cycle, comme celui dans la présidence Trump signale qu’on est en train d’en sortir ?
Oui. Avec des différences mais avec des similitudes également. A l’époque – c’est une différence -Reagan commence par casser les monopoles : dans les télécoms, dans le transport aérien, etc. Puis il dérégule, libéralise progressivement les mouvements de capitaux. Enfin, il se tourne vers les Européens et leur demande de procéder de même, au nom de la réciprocité. Mais par ailleurs – ça, ce sont plutôt des similitudes – Reagan donne un coup de pouce fiscal aux entreprises d’une part, et entreprend de gros travaux d’infrastructure d’autre part. Sur ce, au début des années 1990, le communisme s’effondre.

C’est une nouvelle étape du cycle…
Tout à fait. Une étape décisive. On considère que le système américain a gagné, puisqu’il est le seul à subsister. Il a gagné parce qu’il a produit plus de richesses en Occident et les a mieux redistribué que le communisme. Puisqu’il a gagné on va donc appliquer ses règles – libre échange, privatisations, dérégulation, démocratie à l’occidentale – aux quatre coins du monde. Et l’on se met à théoriser la globalisation.

Politiquement, les États-Unis entrent dans l’ère Clinton. C’est un tournant. Alors que les Républicains étaient l’un sans être l’autre, pour la première fois arrivent aux commandes, avec les Démocrates, des gens qui sont à la fois très néolibéraux en économie et très « diversitaires » sur le plan culturel. Dès lors, on voit monter en puissance la glorification des minorités et la sacralisation des différences.

JMQ-2.jpgAu nom d’une certaine idée de « l’ouverture » ?
Et au nom de l’idée que puisqu’on a gagné, c’est qu’on a le meilleur modèle. Qu’il n’y a pas de prospérité possible sans l’application de ce modèle. C’est ce que les Américains vont tenter d’expliquer aux Chinois et aux Russes.

Concernant les Russes, on envisage avant tout d’en faire des fournisseurs de matières premières. Mais d’abord on les punit en démantelant l’édifice dont ils sont le pivot. La Russie passe à 140 millions alors que l’URSS en comptait 300 millions. Et Brzezinski – l’auteur très écouté du « Grand échiquier » et qui a longuement plaidé pour une séparation irrémédiable de la Russie et de l’Ukraine – voulait aller plus loin encore.

Quant à la Chine, elle est perçue comme un eldorado où les multinationales américaines vont pouvoir massivement délocaliser, dans l’espoir de s’emparer à terme du marché chinois. Les États-Unis envisagent d’installer toute l’industrie en Chine et de se spécialiser sur la finance, les services, la Défense, l’entertainment (Hollywood, les produits culturels…). Il est également prévu que l’on compense le déficit commercial ainsi généré grâce aux excédents sur les services les revenus des brevets, des capitaux, et les achats de dette américaine par les pays qui accumulent les excédents commerciaux. Lawrence Summers ( économiste et secrétaire au Trésor de Bill Clinton en 1999-2001 ) a d’ailleurs théorisé la chose en expliquant qu’il fallait délocaliser toute l’industrie polluante dans les pays émergents, et ne conserver sur le sol américain que les activités « nobles » et de conception.

Mais aujourd’hui, on change de cap…
A vrai dire, c’est Obama qui aurait dû opérer ce virage. Il a été élu précisément pour cela. Lors de la primaire démocrate, il avait été choisi contre Clinton, à la surprise générale. Sachant que les Clinton incarnent à eux deux tout le processus de déréglementation économique (suppression du Glass Stiegel act qui séparait les banques de dépôt et celles d’investissement, par exemple), le vote Obama représentait déjà une tentative de sortir de ce piège.

Le problème c’est qu’Obama a énormément déçu. Il voulait agir, pourtant. Mais il a capitulé devant tous les lobbies et le bilan de son Obamacare est très mitigé. En revanche il a sauvé General Motors et mené à bien une révolution énergétique qui a permis au pays de devenir autosuffisant dans le but de diminuer le déficit de la balance commerciale. Ça, ce n’est pas rien.

Revenons sur Trump. Que peut-il faire à présent ?
Trump a une obsession, c’est le déficit de la balance des comptes courants. Et il a raison. Lorsqu’on regarde les chiffres de ce déficit, on s’aperçoit que rien n’a changé sous Obama. Les avantages tirés de la politique énergétique volontariste sont effacés. L’an dernier, le déficit commercial s’est élevé à 750 milliards de dollars. Certes, avec 250 milliards de bénéfices sur les services et la finance, le déficit des comptes courants n’est « que » de 500 milliards. Mais cela fait dix ans que ça dure ! C’est colossal ! Car bien sûr, tout cela se traduit par de l’endettement. Sous Obama, la dette publique a doublé. Elle est passé de 10 000 à 20 000 milliards de dollars. Quant à la dette privée, celle des entreprises et des ménages, elle repart actuellement à la hausse. L’épargne est négative aux États-Unis.

Ce que Trump veut, c’est combler ces déficits colossaux. Il s’est donc fixé pour objectif de récupérer de l’industrie manufacturière et de la matière fiscale. C’est aussi la raison pour laquelle il s’est empressé de cibler les pays ayant des excédents sur l’Amérique. Ces pays sont la Chine, l’Allemagne, le Mexique et le Japon. Le tout dernier est une pièce maîtresse du dispositif géostratégique américain dans le Pacifique, donc il est relativement épargné. Mais les trois autres sont pilonnés par l’administration Trump.

D’où l’idée invraisemblable du mur à la frontière mexicaine, par exemple ?
Oui, cette annonce est très symbolique. Mon hypothèse est que Trump a fait le choix, parce que c’est dans son tempérament et parce qu’il a constaté l’échec d’Obama, de « casser la baraque », y compris en se montrant très provocateur. Il part du principe qu’avec l’establishment, la manière douce est inopérante. Donc il y va au chalumeau. Par exemple, il brutalise les journalistes et se passe des médias : il twitte. Et c’est loin d’être sans effet ! Regardez les grandes entreprises. Ce qui compte, pour elles, c’est évidemment leur valeur boursière. Et si le Président fait un tweet expliquant que Ford est un mauvais américain parce qu’il veut délocaliser 1000 emplois, immédiatement, l’action chute en bourse.

La contrepartie c’est que Trump s’est constitué un pool d’ennemis irréductibles qui feront tout pour se débarrasser de lui. Parmi ceux-ci figurent les agences de renseignement, qui sont nombreuses et emploient plus de 800 000 personnes. Depuis le 11 septembre 2001, elles ont pris une importance considérable et constituent un véritable État dans l’État. Parmi les ennemis de Trump figure également l’administration, tout aussi jalouse de ses prérogatives qu’elle peut l’être en France. Vient ensuite l’establishment médiatique, qu’il n’a pas flatté dans le sens du poil, c’est le moins que l’on puisse dire. Autres ennemis enfin, les « GAFA » (les géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon). Ils fascinaient Obama, qui leur a tout passé, n’a rien su réguler, n’est jamais parvenu à leur faire rapatrier les profits accumulés à l’étranger. Trump, lui, les a ignorés. Il a gagné l’élection en faisant sciemment l’impasse sur les côte Est et Ouest, et en ne faisant quasiment campagne que dans les dix swing states. Dans ces swing states, il a par ailleurs utilisé pour sa campagne un logiciel fabriqué par une entreprise appartenant à Peter Thiel, le seul magnat de la Silicon Valley à l’avoir soutenu et aujourd’hui son conseiller technologique. Cet outil permet un ciblage marketing extrêmement fin qui a permis aux organisateurs de la campagne d’identifier les électeurs qui, dans les États concernés, étaient capable de faire pencher la balance en faveur du candidat. C’est sur ceux-ci qu’on a fait porter l’effort maximal.

Mais Trump a été élu dans des conditions improbables, à l’arrachée. S’il n’a en plus que des ennemis, avec qui peut-il gouverner ?
Avec la moitié des Américains tout de même, c’est à dire avec ceux qui l’ont élu ! Trump a également de son côté une bonne partie des syndicats, notamment ceux du transport routier, du secteur pétrolier, du BTP. Forcément, avec 1 300 milliards d’investissements annoncés dans les infrastructures…

JMQ-3.jpgIl a aussi quelques banquiers…. et c’est paradoxal. Vouloir acter la fin du cycle néolibéral en s’entourant d’anciens de chez Goldman Sachs…. on a le droit d’être dubitatif ?
On a le droit. Mais je pense surtout que Trump a compris qu’on ne pouvait pas avoir trop d’ennemis en même temps. Donc il ménage Wall Street. Il n’y a qu’à voir la bourse américaine, qui était supposé souffrir et qui bat en réalité record sur record. En plus, c’est habile. Parce que les GAFA, qui sont souvent surcotées en bourse, ont davantage besoin de Wall Street que l’inverse. Si l’on se fâche avec les unes, il est important de ménager l’autre.

Une partie du patronat, enfin, soutient Trump. Certains patrons ont bien compris qu’un changement de cycle était déjà amorcé. Le principal signe en est que le commerce mondial progresse désormais moins vite que le PIB mondial… alors-même que celui-ci augmente moins vite. Depuis deux ou trois ans, les grandes entreprises, sans aller jusqu’à relocaliser, commencent à réorganiser leur chaîne de valeur. Les investissements ont déjà commencé à être réorientés avant l’accession de Trump à la présidence. La difficulté à ce stade, c’est que ces choses-là ne s’opèrent pas en un claquement de doigts. Une décision d’investissement relocalisé peut demander des années d’étude et de travail. A noter également : les créations d’usine relocalisées aux États-Unis poussent très loin la robotisation, et ne créent pas forcément tant d’emplois que cela. C’est d’ailleurs là le vrai sujet du nouveau cycle économique qui s’ouvre, et pas seulement aux États-Unis : où créée-t-on de l’emploi ?

Le problème est d’autant plus saillant que personne n’a vraiment anticipé le changement de cycle. Tout le monde – jusqu’à Pascal Lamy – est d’accord pour dire que la globalisation a été trop loin. Et qu’il faut instaurer des régulations et des freins. Quelles régulations toutefois ? Et quels freins ?….

Sommes-nous entrés dans une phase de démondialisation ?
Tout à fait. Ou de retérittorialisation, même si ses modalités restent à définir. La notion de « frontière » est en cours de réhabilitation…..

Et l’Europe dans tout ça ? Trump n’a de cesse de vilipender les gros pays créanciers, c’est à dire la Chine et l’Allemagne. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur l’Allemagne, donc sur l’Europe ?
N’allons pas trop vite. Le principal problème pour lui est la Chine, non l’Allemagne. Les États-Unis restent très dépendants de Pékin. Et même si Trump a été très offensif au début en appelant la Présidente de Taïwan – c’était peut-être une gaffe d’ailleurs – il a tout de même fait une fleur substantielle aux Chinois en renonçant au TTP (le traité de libre-échange trans-Pacifique) qui était explicitement dirigé contre eux.

Vient ensuite la question de la mer de Chine. Les Chinois considèrent que c’est leur mer intérieure et que les Américains n’ont rien à y faire. Inversement, les Américains refusent depuis toujours l’idée qu’une puissance du Pacifique possède une flotte capable de venir frôler leurs côtes. A vrai dire, ils se considèrent comme une île et pour eux – comme pour les Anglais autrefois – le contrôle des mers est essentiel. Dès lors, lorsque les Chinois affichent, comme c’est le cas, une volonté de constituer une flotte de guerre avec des porte-avions, il s’agit pour les États-Unis d’un casus belli. En somme, il y a sans doute, entre les deux puissances, un compromis à négocier. Il pourrait consister à laisser intégralement la main aux Chinois en mer de Chine, et à leur demander, en contrepartie, un strict respect de la doctrine Monroe (« l’Amérique aux Américains ») énoncée au début du XIX° siècle mais toujours prégnante.

Est-ce que ce « donnant-donnant » pourrait valoir aussi avec les Russes ?
La Russie, pour les Américains, n’est pas un enjeu de même ampleur que la Chine. La Russie est une vraie puissance militaire. C’est d’ailleurs là une brillante réussite de Poutine, qui a redonné de la fierté à son pays en utilisant l’armée et avec peu de moyens. En revanche, sur le plan économique, la Russie n’existe pas. Son PIB c’est celui de l’Espagne, guère plus. Elle est poursuivie par cette malédiction des pays pétroliers qui vivent de la rente et ne parviennent pas à accéder au stade suivant du développement économique.

Donc au bout du compte, si Trump veut normaliser les relations entre les États-Unis et la Russie, c’est parce qu’il n’y a pas spécialement de danger de ce côté-là….
Non, la Russie n’est en aucune façon un créancier des États-Unis. De plus, les Américains n’ont aucun intérêt à ce que se forme une alliance trop étroite entre la Russie et la Chine.

Et pour en revenir à l’Allemagne ?
Que veut l’Allemagne ?… C’est une question à laquelle je serais bien en peine de répondre à ce stade. Attendons déjà de voir si le prochain chancelier sera Merkel ou Schulz. Le SPD, en effet, est traditionnellement bien plus pro-russe que la CDU. Il suffit de se rappeler l’époque Schröder, et la manière dont l’axe Paris-Berlin-Moscou s’est opposé à Bush au moment où il lançait sa guerre en Irak.

Peut-on recréer cet axe ? Pour moi, le véritable enjeu de l’Europe est celui-ci. Soit l’Allemagne joue le jeu de « l’Europe européenne », pour reprendre une expression gaullienne, et normalise à cette fin sa relation avec Moscou. Soit elle demeure atlantiste et refuse d’envisager la dimension stratégique de son rapport au monde. Elle restera alors le pays exclusivement mercantiliste qu’elle est actuellement, soucieuse uniquement de se tailler la part du lion dans le commerce mondial en usant et abusant à cette fin d’une monnaie qui l’arrange, l’euro. Mais il n’est pas certain que la construction européenne puisse survivre longtemps à la seconde option.

Jean-Michel Quatrepoint est notamment l’auteur de Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l’économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014) et de Alstom, scandale d’Etat – dernière liquidation de l’industrie française (Fayard, en septembre 2015) . ll est membre du Comité Orwell présidé par Natacha Polony.

Source

mercredi, 15 mars 2017

“Il 9 novembre 1989 segnò la fine del ciclo storico socialdemocratico, il 9 novembre 2016 invece l’elezione di Trump a Presidente USA rappresenta la fine di quello neoliberale”

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“Il 9 novembre 1989 segnò la fine del ciclo storico socialdemocratico, il 9 novembre 2016 invece l’elezione di Trump a Presidente USA rappresenta la fine di quello neoliberale”

Ex: https://byebyeunclesam.wordpress.com

Intervista allo storico Paolo Borgognone (1981), autore di diversi saggi, tra cui presso Zambon editore una trilogia sulla disinformazione strategica, Capire la Russia. Correnti politiche e dinamiche sociali nella Russia e nell’Ucraina postsovietiche, L’immagine sinistra della globalizzazione. Critica del radicalismo liberale, Deplorevoli? L’America di Trump e i movimenti sovranisti in Europa, nonché di Generazione Erasmus. I cortigiani della società del capitale e la “guerra di classe” del XXI secolo in corso di pubblicazione presso Oaks Editrice.

A cura di Federico Roberti.

Il tuo ultimo libro, “Deplorevoli? L’America di Trump e i movimenti sovranisti in Europa”, prende le mosse con l’affermazione che il 9 novembre 2016 è caduto il muro invisibile caratterizzato, nel suo lato economico, dal neoliberalismo e, in quello culturale, dalla retorica dell’antifascismo in assenza di fascismo volta a fidelizzare alla sinistra politicamente corretta i ceti popolari. Possiamo quindi considerare questa data una sorta di 9 novembre 1989, giorno della caduta del Muro di Berlino, al contrario?


Sì, perché il 9 novembre 1989 il Muro di Berlino fu abbattuto da una controrivoluzione di ceti medi cosmopoliti che desideravano recarsi all’Ovest per guadagnare di più, acquistare prodotti e merci capaci di assicurare loro maggior comfort e riconoscimento in termini simbolici e di status, ovvero accedere ai modelli di consumo e stili di vita europei e americani, entrare in possesso legalmente di valuta pregiata e gestire la propria esistenza secondo i ritmi scanditi dalla società di mercato. La retorica mainstream volta a celebrare la ritrovata libertà di opinione dei tedesco-orientali è poco meno che un orpello propagandistico utilizzato ad hoc per legittimare quello che l’Ottantanove esteuropeo in effetti fu, ossia il trionfo della pseudocultura della mobilità e delle velleità individuali al successo imprenditoriale di una parte rilevante delle società preconsumistiche dei Paesi fino a quel momento interni alle logiche del Patto di Varsavia, del Comecon e del socialismo concretizzato. Il 9 novembre 1989 segnò la fine del ciclo storico socialdemocratico. Il 9 novembre 2016 invece, Brexit e l’elezione di Trump a Presidente USA rappresentarono la fine del ciclo storico neoliberale, poiché questi fenomeni si verificarono all’intersezione tra la destra politico-culturale e la sinistra economica, ovvero ebbero come propria base di consenso un postproletariato nazionale sradicato dai processi di globalizzazione e ostile nei confronti della summenzionata, elitaria, sottocultura della mobilità. Ventisette anni prima il conflitto geopolitico e ideologico in corso tra USA e URSS fu vinto da attori sociali che avevano fatto propria l’articolazione concettuale e simbolica, nichilista, del capitalismo liberale, poiché la proposta politica che scaturì da quel ciclo storico di rivolte controrivoluzionarie si basava sull’egemonia di una cultura gauchiste e libertaria, tutta protesa alla retorica dei diritti cosmetici e sul predominio del neoliberismo in economia. Esattamente l’opposto accade oggi, per questo le citate élite del denaro che “non dorme mai” e della mobilità globale che avevano celebrato l’Ottantanove esteuropeo attivano tutto il potere di fuoco multimediale di cui dispongono per demonizzare, riproponendo l’ormai antistorica dicotomia novecentesca fascismo/antifascismo, l’ascesa degli eterogenei movimenti di insorgenza populista in Europa e Stati Uniti.

A tuo parere, sono fondati i timori che possa verificarsi una rivoluzione di velluto nei confronti del neoeletto Presidente USA? Oppure è più probabile che possa essere messo da parte attraverso un golpe che potremmo definire psichiatrico? Per non affrontare la complessa procedura congressuale prevista per il cosiddetto “impeachment”, infatti qualcuno potrebbe essere tentato di ricorrere al paragrafo 4 del 25° emendamento della Costituzione USA, che prevede la destituzione del Presidente nel caso non sia più in grado fisicamente o mentalmente di assolvere alle sue funzioni, le quali verrebbero assunte almeno temporaneamente dal Vice Presidente. Nella fattispecie, una diagnosi di psichiatri di chiara fama, sostenuti da un certo numero di membri dell’esecutivo, sarebbe sufficiente a rimuovere Trump.


Il ricorso alla psichiatria dovrebbe essere lo strumento di analisi con cui interpretare le idiosincrasie ideologiche di chi, e mi riferisco a Bernie Sanders e sodali, alle primarie del Partito Democratico ha fatto continuamente appello al richiamo populista e alla proposta economica socialdemocratica per sfidare le élite del capitalismo finanziario e l’establishment di Wall Street contigui a Hillary Clinton e poi, in sede elettorale, è rifluito sul sostegno alla paladina dello stato di cose presenti. Ora, non dico che Sanders avrebbe dovuto appoggiare Trump ma il sostegno che l’anziano esponente socialista democratico ha regalato incondizionatamente a Hillary Clinton è la riprova, ulteriore, della subalternità ideologica della sinistra al campo liberale. Una subalternità giustificata tramite il ritornello del “nemico principale” identificato nella destra populista e non nel capitalismo di libero mercato in quanto tale. Non dubito che i Millennials che alle primarie del Partito Democratico appoggiarono Sanders, oggi potrebbero fungere da massa di manovra controrivoluzionaria per un “golpe colorato” avente l’obiettivo di neutralizzare l’outsider Donald Trump. Le centrali ideologiche di questo golpe in itinere io le cercherei più nella Silicon Valley (culla degli apologisti dell’ideologia del progresso fondata sulle potenzialità taumaturgiche delle nuove tecnologie sulla strada della transizione al postumano) che non a Wall Street mentre le corporation dell’industria dello spettacolo hollywoodiana potrebbero offrire la sponda di copertura e legittimazione scenica di questa “rivoluzione colorata”. L’impeachment potrebbe essere una strada percorribile da parte degli oppositori di Trump, così come lo sono il sabotaggio parlamentare delle procedure di Brexit. Tuttavia, non credo che i cicli storici di cambiamento epocale dell’approccio pubblico alle questioni interne e internazionali possano essere fermati a colpi di decreto.

A seguito dell’elezione di Trump e degli eventi politici che hanno costellato il 2016 – citiamo, fra gli altri, la vittoria del “leave” al referendum sulla Brexit e la netta maggioranza con la quale in Italia è stato respinto il progetto di riforma costituzionale avanzato dal governo Renzi – quale è, se esiste, la strada tracciata dinanzi a quelli che tu chiami movimenti sovranisti in Europa, più frequentemente e spregiativamente denominati populisti?


Una strada che appare simile a un labirinto. I sovranisti sono attori politici con un’identità ideologica incerta, tra loro eterogenei e spesso incompatibili (la galassia politica sovranista si articola in un perimetro che va dal PVV olandese, liberal-liberista, atlantista, filoisraeliano e interno alla narrativa islamofoba fallaciana fino allo Jobbik ungherese, un partito eurasiatista e antisionista), frutto dei caratteri nazionali dei rispettivi contesti d’origine e piuttosto inclini alle logiche del partito imprenditore della rappresentanza dei ceti genericamente incazzati nei confronti di un’oligarchia i cui contorni politico-affaristici e i cui legami internazionali gli stessi sovranisti esitano a delineare con precisione. Detto questo, i sovranisti sono accomunati da alcune proposte programmatiche condivise, ad esempio il ripristino dei poteri pubblici statali sulle frontiere nazionali dei singoli Paesi, la contestualizzazione del conflitto di classe in corso su linee verticali (chi sta in alto vs chi sta in basso) e la narrativa anti-immigrazione. Quest’ultima sembrerebbe, per ovvi motivi di appeal in quanto l’immigrazione è un problema che tocca, nei Paesi della UE, la quotidianità delle persone assai più di altri sconvolgimenti frutto delle politiche neoliberali sistemiche, la direttrice propagandistica foriera di maggiori consensi pubblici ai partiti sovranisti. Certo, non sarebbe male se i sovranisti inquadrassero il fenomeno migratorio nel contesto del regime dei flussi imposto dal capitalismo finanziario e digitale globale, invece che ingannare l’opinione pubblica perseverando a sentenziare che, una volta giunti al governo dei rispettivi Paesi, avrebbero rispedito i migranti a casa propria con il proverbiale “calcio in culo” di leghista memoria. Nel momento in cui i partiti sovranisti della destra si convinceranno che il “calcio in culo” di cui sopra va assestato, più che agli immigrati, agli esponenti di quella upper class creativa di mode e stili di consumo, desiderio e capriccio forgiate ad hoc per dettare il tono della vita di tutti, potranno costituire un’alternativa di sistema ai partiti globalisti tuttora al governo nei principali Paesi della UE. Sull’altro versante, i partiti populisti di sinistra, qualora vi fossero forze politiche organizzate di questo tipo in Europa (e, francamente, a parte alcune eccezioni, come Unità Popolare in Grecia e spezzoni minoritari della Linke in Germania, non sono in grado di scorgerne), potranno risultare convincenti nel momento in cui si risolveranno a convenire sull’assunto concernente l’irriformabilità dall’interno della UE, abbandonando ogni velleità di “uscire” dalla crisi di sovranità in cui le politiche neoliberali dell’élite finanziaria globalista hanno precipitato popoli e nazioni rimanendo “dentro” le strutture di governance multilivello stabilite proprio dai ceti finanziari che, a parole, la sinistra ambisce contrastare.

In Francia, la pressione mediatica e giudiziaria sui candidati alle prossime elezioni presidenziali considerati filo-russi, François Fillon e Marine Len Pen, sta crescendo vertiginosamente. Con il paradossale esito che i consensi persi dal primo vadano a rafforzare ulteriormente la seconda…


E’ noto che un’eventuale vittoria elettorale di Marine Le Pen in Francia alle prossime presidenziali sconvolgerebbe definitivamente gli assetti neoliberali della UE e pertanto questa vittoria è, da parte di chi si ritrova nella prospettiva politica antiglobalista, auspicabile, al di là delle critiche che si possono muovere alla candidata del FN, come ad esempio l’essere piuttosto filoisraeliana in politica estera, il guidare un partito a direzione familiare o l’aver approntato un programma economico semi-liberista. C’è sempre qualche rivoluzionario più rivoluzionario di tutti pronto a giocare il gioco di un candidato come Macron prestando il fianco, da schizzinoso, agli strali anti-lepenisti della sinistra radicale.


In definitiva, se Marine Le Pen, che parla esplicitamente di fuoriuscita della Francia da UE, euro e strutture militari della NATO, nonché di dar vita a un’Europa di patrie, popoli e nazioni da Lisbona a Vladivostok, dunque alleata con la Russia in funzione anti-atlantista, è avversata dal 100 per cento dei media mainstream internazionali, significa che codesta candidata costituisce il male minore, ossia il bene maggiore, per il suo Paese. E le caste globaliste dei media aziendali faranno di tutto per gettare discredito su Marine Le Pen, rivolgendosi al discorso antifascista di autocelebrazione dello stato di cose presenti e costruendo pretesti scandalistici per incastrare la leader del FN. La strategia è infatti il “metodo Fillon”, utile per levare dai piedi a Macron un avversario potenzialmente urtante in termini di spartizione dei consensi dei ceti medi urbani pro-UE ma, rispetto al giovane banchiere dei Rothschild, percepito come “filo-russo” in politica estera (in passato infatti, Fillon, non si sa se per convinzione personale o per drenare alla propria causa politica, liberale di destra e dunque sistemica, voti appannaggio del FN, aveva denunciato l’«imperialismo americano» nel perimetro geopolitico ex sovietico e condannato le sanzioni imposta dall’amministrazione Obama contro la Russia). Tuttavia, credo che la Commissione Europea e la Merkel ripongano molta fiducia in Macron e abbiano mobilitato tutte le forze di cui dispongono per giungere, in Francia, a un ballottaggio presidenziale tra questi e Marine Le Pen, archiviando la prospettiva, inizialmente coltivata ma divenuta impraticabile nel dopo-Trump, di una presidenza Fillon più difficile da inquadrare nell’ottica di quel conflitto culturale e di classe che oppone flussi a luoghi e globalisti a sovranisti. Dopo Trump i ceti globalisti hanno deciso di serrare i ranghi, puntando tutto sullo showdown finale tra il loro candidato, Emmanuel Macron, banchiere internazionale fedelissimo alla linea liberale di centrosinistra, atlantista, filosionista e clintoniano ideologico, e Marine Le Pen. Le prossime elezioni francesi, il ballottaggio soprattutto, vedranno il concretizzarsi politico e mediatico del conflitto multilivello in corso tra i vincenti della globalizzazione e gli sradicati in cerca di sicurezza, identità e rappresentanza.

La serie di elezioni che sta per prendere il via in Europa rischia di ridisegnare la geografia politica del continente, seppellendo nelle urne l’eurozona e le istituzioni di Bruxelles. Quali potranno essere, a tuo parere, i nuovi possibili scenari di politica internazionale? Sarà possibile trovare una soluzione diplomatica ai conflitti in Siria e Ucraina, nonché avviarsi alla pacificazione del teatro libico? Diminuiranno le tensioni con la Russia oppure la NATO proseguirà nella sua strategia di accerchiamento-avvicinamento ai confini del gigante eurasiatico?


Accolgo con favore i patti di reciproca collaborazione firmati a Mosca tra Russia Unita, il partito di Vladimir Putin, e alcuni soggetti politici a vario titolo considerati “populisti” dei Paesi della UE, come la Lega Nord e la FPӦ. Forse, e mi perdonerai se pecco di ottimismo, un comune sentire filo-russo da parte di questi partiti potrebbe smorzarne l’elemento sciovinistico interno, aiutandoli a convergere in direzione di una più spiccata sensibilità antiglobalista, rinunciando al nazionalismo e a una visione schematica e mistificatoria dell’Islam come sorta di unitario blocco terroristico antioccidentale. Penso che i populismi (reattivi e patrimoniali) europei odierni siano molto eterogenei tra loro e poco inclini alla prospettiva, propria di uno studioso come Dominique Venner, di uno Stato identitario europeo da contrapporre alla UE neoliberale e transatlantica. Tuttavia, i partiti populisti, esito finale della conversione ideologica della sinistra da partito delle classi lavoratrici autoctone a sponda politica privilegiata dei ceti medi creativi, cosmopoliti e affluenti, i cosiddetti figli della globalizzazione liberale, hanno il merito, pur nella loro inequivocabile eterogeneità ideologica di fondo, di contribuire a far emergere quelle contraddizioni interne al capitalismo globale che probabilmente contribuiranno a cortocircuitare questo regime della paranoia e del nichilismo istituzionalizzati. Per quanto riguarda la NATO, penso che continuerà a puntellare i pericolanti governi sciovinisti di destra dei Paesi baltici e dell’Ucraina in funzione anti-russa. Il tutto mentre il ceto politico-intellettuale pseudo-progressista europeo da un lato persevererà nel condannare colui che definisce il “dittatore” Putin e a sfilare, bandiera rossa (o meglio, arcobaleno) in pugno alle manifestazioni di memorialistica e folklore antifascisti del 25 aprile e, dall’altro, utilizzerà litri d’inchiostro per consolidare, nell’immaginario stereotipato dei lettori dei giornali liberal dove codesti intellettuali organici al politically correct ricoprono il ruolo di strapagati editorialisti, l’idea secondo cui la NATO, insieme ai “combattenti per la libertà” ucraini e baltici, costituirebbe un “baluardo democratico” per proteggere i “valori cosmopoliti europei” dall’“aggressione” russa. I media mainstream sono unanimi nella condanna di una invero inesistente “Internazionale Sovranista” coordinata, secondo tale vulgata, di volta in volta da Trump o Putin nonché finalizzata alla demolizione della UE transatlantica, liberista e cosmopolitica e, al contempo, si prodigano nell’apologia diretta e indiscutibile della, concreta e tangibile, “Internazionale Liberal” il cui scopo manifesto è annientare ogni traccia di etica comunitaria e identità collettiva caratteristiche dell’Europa come spazio geopolitico tradizionale propriamente inteso.

‘West funded creation of Islamist fundamentalism & terror’

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‘West funded creation of Islamist fundamentalism & terror’

Ken Livingstone, former London mayor

Ex: http://zejournal.mobi

It never occurred to Jimmy Carter he was lighting the fuse leading to 9/11 when he gave arms to the mujahideen in Afghanistan. The West played a large role in the creation of Islamist extremism and terrorism, former London mayor Ken Livingstone, told RT.

The US-led coalition's anti-ISIS offensive in Iraq's second city has slowed with the military facing strong resistance while advancing into Mosul's Old City.

Since the start of the campaign in October, Iraqi forces have recaptured the east of the city and about 40 percent of the city's Western districts.

However, as the fighting rages, the number of civilian casualties and the level of displacement has grown significantly.

RT: Why do you think there's been such a difference in the mainstream media's coverage of the battles in Aleppo and in Mosul?

Ken Livingstone: I think the simple fact is that every war has been like that. I remember through the Vietnam War, America’s intervention led to almost four million Vietnamese dead. And yet all the US told us it was a Western struggle to prevent a communist takeover. In fact, the Vietnamese just wanted control of their own country. And that is the reality. In every war, we have seen horrendous levels of civilian casualties. And I watch RT, the BBC, but each side puts a different perspective. And someone just watching Western television will have no idea about what you have just shown and revealed, and I think that is a tragedy.

RT: Are you surprised at the lack of voices among the public regarding the Mosul crisis? After all social media was packed with calls for a stop to the battle for Aleppo, but there is relatively little in comparison now. What's going on?

KL: This is just the way wars are conducted. During war both sides rely on propaganda, they put their own case. The tragedy is, of course, most people in the West, just looking at Western channels. It would just be a lot better if more and more people tuned in to RT and other foreign channels to actually see a different perspective. Otherwise, you'd never know about this. You'd never know about what is going on. If I just think back to the 1980s, we had British troops crossing over the border into the Republic of Ireland and killing not just IRA people, but a popular band, anything to stir up trouble. We were never told about this. It took twenty years of my asking questions in Parliament before finally it was accepted that our troops had been conducting murders in Ireland.

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RT: Instead of reporting on Mosul, several mainstream sources prefer to cover the recent UN report, which blames Assad's troops and their allies for deliberate strikes on humanitarian infrastructure in Syria. Do you expect the same kind of UN and media attention to the bombings in Mosul?

KL: Not just that. I mean, if you look at the horrendous bombings that are going on in Yemen where British and American arms that have been sold to the Saudis are indiscriminately killing civilians, bombing schools, bombing hospitals. Virtually no one in the West gets to see anything about that. Basically, we have one or two good papers, the Guardian reports it, but for most people they have no idea that this is going on. I do think as well that while the UN is broadly a good institution, it has been predominantly in the pockets of American interests throughout most of my lifetime.

The one thing that has never changed is US concern for civilian casualties – the US has no concern, never has. And we saw that through the years of the US occupation of Iraq, and really the way in which they have used ISIS as a way back into Iraq. A few years ago they couldn’t even get a status of forces agreement. But with Saudi arming and really silent US backing, and not so silent of ISIS, the US is again back in Iraq, and it has also been used in Syria. Their strategic plan in the whole region is to create great chaos and confusion; to inflame sectarian divisions and to use ISIS as the excuse for all of this when really it is the US determination to stay engaged, to keep the area inflamed- Sara Flounders of the International Action Center, to RT

RT: The battle for Mosul is presented as a decisive battle against ISIS, but retaking Mosul doesn't mean defeating the terror group. Why is there no talk about the future of the anti-ISIS battle that could affect more civilian areas?

KL: Part of the problem with all of it is that you got to go back to the 1980s when America started funding Muslim fundamentalist groups, and the Saudis were funding the most extreme, like Al-Qaeda. The West is in denial about Islamist terrorism as its origins go right back to the 1980s. There were instances when President Carter, who was briefed by the CIA in 1979, saying that if we [the US] give arms to the mujaheddin in Afghanistan, Russia will have to intervene to actually stop that and it will create Russia’s Vietnam. An absolute tragedy.

When Carter took the decision to do that, it never occurred to him he was lighting the fuse that would lead to 9/11, and the West has got to come to terms the fact that we funded the creation of Islamist fundamentalism and the terror that has come from that. And we got to make sure we stop, and that means pressure on Saudi Arabia, which remains the principle funder of the extremist terrorist groups in the Muslim world.


- Source : Ken Livingstone

jeudi, 23 février 2017

Jorge Verstrynge: Siempre me fascinó el Nacional-Bolchevismo

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Jorge Verstrynge: Siempre me fascinó el Nacional-Bolchevismo

dimanche, 19 février 2017

L’ingénierie sociale décortiquée

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L’ingénierie sociale décortiquée

par Lucien Cerise

Ex: http://www.leretourauxsources.com 

Entretien de Lucien Cerise avec Le Harfang, magazine de la fédération des Québécois de souche 


Le monde change, semblant s’orienter vers le chaos le plus complet et pourtant, au-dessus de ce chaos, une oligarchie semble plus stable que jamais, intouchable et inébranlable. Elle ne gouverne pas par la force des armes, mais pourtant son pouvoir est réel. Aux défilés militaires et à la répression ouverte des dictatures du passé, elle s’impose doucement, via des techniques plus subtiles, liées à l’ingénierie sociale, la nouvelle façon de gouverner. Pour comprendre les dessous de cette politique et de ce nouveau pouvoir, l’écrivain Lucien Cerise, romancier et essayiste, nous explique ce qu’est l’ingénierie sociale.

Harfang – Pourriez-vous nous définir ce qu’est selon vous l’ingénierie sociale ? Qui en furent les précurseurs ?

Lucien Cerise – L’ingénierie sociale est le nom donné au XXe siècle à une approche interventionniste et mécaniste des phénomènes sociaux. Il s’agit de travailler à transformer la société comme s’il s’agissait d’un bâtiment, d’une architecture, en faisant de la « démolition contrôlée » par exemple, d’où l’usage d’une forme de « chaos contrôlé » pour provoquer des changements qui, sinon, ne se produiraient pas d’eux-mêmes. La différence avec la politique, qui travaille également à changer la société, réside dans le fait qu’on ne s’adresse pas à un ensemble de sujets en essayant de les convaincre par de beaux discours mais qu’on traite cet ensemble de sujets comme un gros objet à reformater, d’où une tendance forte à la chosification et à la réification. Le milieu du piratage informatique s’est également approprié la notion en ajoutant la composante de furtivité et de contournement des dispositifs de sécurité. Pour ma part, arrivant après les autres, je propose la définition suivante : l’ingénierie sociale est la transformation furtive et méthodique des sujets sociaux (individus ou groupes).

Les vrais précurseurs de l’ingénierie sociale – les premiers neuro-pirates – sont les prêtres, sorciers et magiciens des sociétés ancestrales, qui connaissaient les mécanismes de l’âme humaine et de la dynamique des groupes, et savaient parfaitement les exploiter. Cette expertise a donné naissance à une tradition ésotérique transmise au fil des siècles, dont les figures mythiques sont le golem et le zombie, et qui n’est rien d’autre que du proto-hacking cognitif. À l’époque contemporaine, on voit le « social engineering » apparaître sous la plume de l’épistémologue Karl Popper (1902-1994), que j’avais lu quand j’étais étudiant. Une dizaine d’années plus tard, je suis entré en contact de plusieurs façons avec l’univers professionnel des consultants en management, marketing et sécurité des systèmes, et je suis retombé sur cette idée d’une ingénierie des faits sociaux, c’est-à-dire d’une construction artificielle des événements et des idées, additionnée d’une certaine dose de furtivité pour donner les apparences de la spontanéité. J’ai commencé à comprendre dans quel monde nous vivions, un monde de production du fait social comme d’un artefact. Deleuze et Guattari parlaient déjà dans les années 70 de « production de subjectivité », donc de production d’identité. Aujourd’hui, le petit monde du consulting envisage de façonner l’intimité humaine dans tous ses aspects – psychologique, sociologique, génétique, etc. – de manière industrielle, standardisée, stéréotypée, mais en effaçant les traces du processus de production pour donner l’illusion que c’est une évolution normale et naturelle. Ma formation m’a donné les outils pour étudier ces questions, auxquelles j’avais été un peu préparé par ma fréquentation du courant situationniste (Debord, Baudrillard, Stuart Ewen, Tiqqun, etc.) qui met en avant le rôle fondateur de l’artifice, du trucage et de la simulation du réel dans nos sociétés postmodernes. En cherchant encore d’autres sources académiques, je suis remonté aux années 1920 – la période originaire des sciences du comportement – avec une nébuleuse d’institutions et d’individus gravitant jusqu’à aujourd’hui autour de la cybernétique et des cellules d’action psychologique des services secrets : Institut Tavistock, Conférences Macy, école de Francfort, école de Palo Alto, Kurt Lewin, Edward Bernays, Norbert Wiener, Gregory Bateson, Paul Watzlawick, etc.

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H – Concrètement, quelles sont les techniques employées ?

LC – Les techniques se subdivisent en « dures » et « douces » mais procèdent toutes d’un tronc commun : la psychologie du conditionnement, qui s’est affinée avec le temps pour aller vers les techniques de suggestion subliminale et d’influence comportementale comme le « coup de pouce », le cadrage indirect, en anglais le Nudge. Dans le management, on parle de conduite du changement, ou changement dirigé, qui est une méthode douce consistant à s’imprégner de la culture d’une entreprise pour la modéliser et dégager ainsi son cœur identitaire – son ADN par métaphore – et la modifier ensuite par petites touches insensibles. Par transfert de compétences, on peut faire la même chose avec n’importe quelle culture ou identité. D’autres techniques plus brutales existent aussi, comme le Mind Control, qui procède par le choc et le traumatisme, mais cela réclame un dispositif assez lourd que seules des institutions richement dotées peuvent se permettre. Certaines notions sont transversales aux techniques dures et douces, et déclinées de diverses façons, tels que les couples stimulus/réponse et récompense/punition.

Les techniques douces m’intéressent davantage car je peux les pratiquer au quotidien sur mon entourage. Globalement, on discerne deux grandes étapes. La première consiste à prendre le contrôle du champ de l’attention du sujet cible – son champ attentionnel de conscience lucide – comme le font les mentalistes et prestidigitateurs, pour exploiter ses angles morts et ses failles, contourner sa vigilance, passer sous le radar de son système de sécurité de sorte à pouvoir réécrire le logiciel de ce sujet sans même qu’il en soit conscient. Ce premier moment méthodologique doit assurer de rester furtif, inaperçu, par simulation du naturel (astroturfing) et hameçonnage (phishing), c’est-à-dire une promesse de récompense qui permet d’abuser de la confiance d’autrui en usurpant soit l’identité de la victime, « Je suis incapable de faire du mal », soit du sauveur, « J’ai la solution à votre problème », application stratégique du fameux triangle de Karpman. Quand on a gagné la confiance du sujet cible – ou au moins qu’on n’éveille pas sa méfiance – et qu’il nous ouvre sa porte, la deuxième étape est la réécriture du programme comportemental du sujet cible pour faire monter la méfiance entre lui et un autre sujet cible afin de provoquer à terme un conflit triangulé. Ceci suppose de calculer le choc en retour pour ne pas être impacté soi-même par le conflit que l’on orchestre pour les autres et entre les autres. En effet, l’ingénierie sociale doit permettre d’augmenter la zone d’incertitude d’autrui pour diminuer la mienne, principe du double standard selon lequel ce qui vaut pour vous – ouverture et instabilité – ne vaut pas pour moi car je conserve le droit de me fermer et de rester stable. C’est à cela que sert l’idée de « société ouverte », véritable virus mental formulé par Karl Popper et repris par son disciple George Soros, qui permet de culpabiliser les autres de rester fermés, de sorte à les pousser à s’ouvrir, tout en restant soi-même fermé mais en bénéficiant de l’image généreuse de celui qui appelle à l’ouverture. Une chanson du groupe Les Brigandes, « Jakadi des millions », résume parfaitement et avec humour cette éthique croisée à deux vitesses. Le refrain dit en substance : « Jacques Attali a dit on veut des millions d’immigrés, mais pas dans ma maison ! »

H – Qui sont les acteurs derrière l’ingénierie sociale ? Dans Oliganarchy, vous nous parlez de leurs motivations qui seraient fondées selon vous sur de bons sentiments. Qu’est-ce qui les motive selon vous ?

LC – Dans Oliganarchy, je brosse le portrait d’un conseiller du président des États-Unis, un spin-doctor dont la philosophie est une sorte d’hyper-rationalisme utopiste. Il pense sincèrement que le monde doit être réduit à une mécanique scientifique parfaitement huilée et prévisible pour que les gens soient heureux. En fait, il ne pense même plus aux « gens », il ne poursuit qu’un seul but : réduire l’incertitude à zéro pour mieux gérer les « choses ». Or, abolir toute incertitude est impossible, sauf à pouvoir prédire l’avenir dans des proportions telles que l’avenir est aboli. C’est le mythe de la fin de l’Histoire, quand il n’y a plus de contradictions, donc plus de tensions, donc plus de mouvement, théorisé par Hegel au début du XIXe siècle et qui anime ses descendants spirituels de gauche (marxistes) comme de droite (libéraux), qui tous rêvent à une société sans classes et/ou sans frontières. Le paradoxe que j’ai essayé de mettre en scène est que pour arriver à ce « paradis sur Terre », il faut détruire la Terre, ou au minimum en faire un enfer. Pour parvenir à ce monde parfaitement rationnel, il faut détruire le monde, le stériliser, en retirer la vie biologique pour la remplacer par une forme de vie plus prévisible, cybernétique, numérique, transhumaniste, etc. Pour certains individus comme mon personnage, cette extermination de l’espèce humaine et de tout le vivant n’est qu’un dommage collatéral. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. » À mon avis, ce ne sont donc pas vraiment des bons sentiments qui motivent les principaux acteurs de l’ingénierie sociale mais plutôt une volonté de puissance exacerbée, un fantasme d’abolition complète de l’incertitude et de contrôle total sur tout.

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H – Partagez-vous l’idée de Michel Drac voulant qu’il faut se « sortir » du système pour éviter d’être piégé ?

LC – Oui et non. Attention à ne pas s’auto-piéger en croyant se libérer. Il faut au minimum avoir un pied dedans et un pied dehors. En effet, la sortie du système conduit souvent à l’impuissance. Certes, il ne faut pas « penser » dans le cadre imposé par le système, mais il faut « agir » dans le cadre imposé par le système. Pourquoi ? Parce que le pouvoir est dans le système, le pouvoir est le système, et que le but est de prendre le pouvoir, donc de prendre le système. Pour sécuriser sa position et nous empêcher de le renverser, le pouvoir en place essaye de nous expulser du système. Un stratagème qu’il a inventé est de nous faire croire que le pouvoir est en dehors du système. Il n’y a rien de plus faux et on le comprend en analysant les rapports de forces de façon purement tactique et réaliste. Tout est question de chiffres. La force de l’ennemi est son capital économique. Impossible de rivaliser à ce niveau-là. En revanche, nous pouvons lui opposer le nombre démographique. À ce sujet, j’ai un slogan : « Face aux millions de dollars, il faut être des millions de gens. » Quand je vois les moyens déployés pour nous piéger, moyens illimités qui se comptent en fait en milliards d’euros ou de dollars, il m’apparaît donc évident que seule une organisation de masse et travaillant à l’intérieur du système est en mesure de rivaliser et de pouvoir s’opposer au pouvoir du capital. Le seul bouclier à opposer à l’oligarchie est donc le parti de masse. C’est la foule qui nous protège quand on ne peut pas se payer les moyens individuels de la sécurité. Face au prédateur, certaines espèces animales opposent un troupeau compact. Ce côté grégaire et solidaire ne doit en aucun cas être méprisé car c’est un outil survivaliste très puissant. L’élitisme n’est pas pour les pauvres du point de vue tactique et stratégique. En effet, dès que je sors du système, je me retrouve seul ou en petits groupes faciles à écraser. Le prédateur s’en prend toujours aux individus isolés, qui sortent du troupeau et se retrouvent exposés. Évidemment, le troupeau doit être organisé intelligemment et de façon souveraine, c’est-à-dire par son avant-garde et non par le prédateur lui-même, avançant derrière le masque de la victime ou du sauveur. L’organisation des masses dans des structures politiques anticapitalistes repose sur ce que les communistes appelaient « l’avant-garde du prolétariat ». Ce qui ne veut pas dire qu’il faille faire vœu de pauvreté, bien au contraire. Gagner beaucoup d’argent est même très utile pour mieux lutter de l’intérieur contre le culte de l’argent. La sortie du système est donc à proscrire même si dans certains cas elle est de bonne pédagogie car on apprend des choses. Parfois, elle est involontaire ou obligatoire, mais dans tous les cas elle ne permettra jamais de prendre le pouvoir. Se complaire dans une posture hors système conduit à se marginaliser soi-même, donc à se désarmer tout seul et à se livrer au pouvoir sur un plateau. En résumé, je pense qu’il faut infiltrer le système, c’est-à-dire faire carrière à l’intérieur du système, manipuler le capital mais tout en conservant un projet alternatif sur le plan idéologique.

H – Dans les années 80 et 90 plusieurs conspirationnistes tel Serge Monast au Québec parlaient d’une implantation éventuelle d’une micro-puce visant à nous monitorer. S’agit-il d’un délire paranoïaque ?

LC – Ce qui pouvait paraître comme un délire paranoïaque il y a dix ans est devenue une réalité aujourd’hui. Pour ma part, j’ai commencé à m’informer sur les projets de puçage de la population en 2005. J’ai découvert les écrits et interventions filmées de Serge Monast à cette époque sur des sites internet qui le citaient comme base documentaire. De nos jours, plusieurs pays comme la Suède sont en pointe dans ce programme transhumaniste. En 2015 à Paris a eu lieu une soirée de présentation des technologies RFID (Radio Frequency Identification) et NFC (Near Field Communication), avec des implants sous-cutanés de puces électroniques réalisés sur des cobayes humains en direct et en public. Un gros travail de persuasion médiatique est en cours pour essayer de normaliser cette pratique, qui avance avec les monnaies virtuelles, la suppression de l’argent liquide et la dématérialisation des moyens de paiement. La suppression des titres de transport physiques dans le bus ou le métro est également prévue. Cela a été annoncé pour la région parisienne. Quand nous n’aurons plus d’argent liquide et que tous nos paiements et déplacements pourront être tracés, nous serons alors réduits à un statut pire que celui de l’esclavage : nous serons devenus de simples « objets communicants ».

H – Outre l’ingénierie sociale et la gouvernance par le chaos abordé avec Michel Drac, quelles autres techniques de gouvernance nos élites utilisent-elles ?

LC – Je vois deux autres techniques, qui marchent le plus souvent ensemble mais pas toujours : la discrimination positive et l’israélo-formation, c’est-à-dire le façonnage du monde sur le modèle israélien. La discrimination positive consiste à accorder plus de droits aux minorités qu’à la majorité, ce qui permet d’instaurer une vraie dictature d’apartheid sous prétexte de réparation morale. L’israélo-formation, soit le façonnage d’un pays sur le modèle israélien, consiste pour le gouvernement à entretenir une « menace terroriste » de diverses façons, notamment au moyen d’attentats sous faux drapeau commis directement par les services d’action clandestine de l’État. Cet usage politique du terrorisme est nommé également « stratégie de la tension » quand il est rapporté à l’OTAN. En France, nous sommes rentrés de plein pied dans cette israélo-formation avec les deux séries d’attentats de 2015 et les déclarations du premier ministre Manuel Valls (« lié de manière éternelle à Israël » selon ses termes), qui nous a assuré qu’il fallait s’habituer à vivre avec la « menace terroriste » – preuve qu’il souhaite vraiment qu’on y pense tout le temps ! Or, cette « menace terroriste » qui permet de peser sur les décisions politiques est évidemment parfaitement sous contrôle puisqu’elle disparaît comme par miracle quand le gouvernement n’en a plus besoin, par exemple quand il organise des manifestations « Je suis Charlie » ou contre un projet de loi pour donner l’illusion que l’opposition est dans la rue [contre la loi Travail, par exemple].

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L’israélo-formation, en d’autres termes le terrorisme d’État, est d’abord testée sur les Palestiniens et les Israéliens puis transposée en Amérique du Nord, en Europe et au monde entier comme le montre le documentaire The Lab de Yotam Feldman. Le complexe militaro-industriel israélien enregistre des bénéfices importants et n’a donc aucun intérêt à la paix, que ce soit sur son territoire ou au niveau mondial, d’autant plus qu’il se rend ainsi propriétaire des grands axes du système de surveillance occidental, fondé sur la traçabilité électronique et vidéo, le contrôle des entrées et des sorties avec des check-points partout et l’extraction de données (data mining) pour anticiper nos comportements. La « sécurité » de plusieurs aéroports concernés dans divers attentats islamistes était entre les mains de l’entreprise ICTS (International Consultant on Targeted Security), fondée en 1982 par des membres des services secrets israéliens. Gouverner par le chaos, conformément à la doctrine Ordo ab Chao, consiste à plonger volontairement la société dans l’insécurité, à organiser ou à laisser faire des attentats, donc à orchestrer des tensions entre les composantes du système, ce qui revient à faire monter la méfiance entre les sous-ensembles de tel ensemble pour que ce dernier dysfonctionne et se disloque. À ce moment-là, quand on a créé le problème, on apporte la solution. Si l’on prend comme échelle d’observation le monde entier, cela donne le fameux « choc des civilisations », dont on voit l’application en France, où le pouvoir d’obédience judéo-maçonnique déploie de gros efforts pour lancer une guerre de basse intensité islamo-chrétienne. Tous les concepts de l’ingénierie sociale seront appliqués puisque ce sera un conflit triangulé, entretenu artificiellement mais simulant la spontanéité, fondé sur l’usurpation de l’identité de la victime permettant d’abuser de la confiance des chrétiens et des musulmans pour les dresser les uns contre les autres en bourreaux mutuels et avec comme hameçon la promesse d’une hégémonie identitaire conquise ou reconquise. Les attentats que nous avons connus jusqu’à présent ne sont que des préparations. Ce chaos doit cependant rester contrôlé : la violence doit être omniprésente mais jamais trop déclarée, avec une ambiance de « menace terroriste » permanente mais qui n’empêche pas la Gay Pride de défiler dans les rues, comme à Tel-Aviv. Nous y sommes déjà en France et un peu partout en Occident, mais ce n’est pas encore assez. Les services spéciaux doivent donc organiser un événement encore plus violent que le 13 novembre 2015. Dans mes pires cauchemars, j’imagine une mise en scène du Mossad pour solidariser la population avec les juifs contre les musulmans : par exemple, une prise d’otages dans une école où les djihadistes décapiteraient les enfants juifs et chrétiens mais épargneraient les enfants musulmans. Les familles chrétiennes se rapprocheraient dans la douleur des familles juives et de la cause sioniste, et la haine envers les musulmans deviendrait telle qu’il faudrait militariser le territoire et surveiller la population encore plus pour éviter tout débordement, évidemment sans jamais envisager une seconde d’arrêter l’immigration musulmane en France, car « pas d’amalgames ». La prise en tenaille serait complète et le piège complètement refermé. Après un tel attentat, l’essentiel serait acquis : la population chrétienne serait définitivement arrimée au lobby sioniste et accepterait tout de sa part pour qu’il la protège des musulmans, mais n’oserait plus s’élever contre l’immigration par peur d’être accusée de « racisme et d’antisémitisme ».

H – Dans un monde où le pouvoir est essentiellement entre les mains des lobbies et des hommes d’affaires, les élections ont-elles encore un sens ou doivent-elles être considérées comme un leurre ?

LC – La preuve que les élections ont encore un sens et ne sont pas un leurre, c’est l’argent et le temps que les lobbies et les hommes d’affaires investissent pour influencer les résultats ou pour les truquer carrément quand ils ne sont pas conformes à leurs souhaits. La propagande médiatique pour pirater le cerveau des gens coûte des milliards tous les ans. D’autre part, on sait que les élections présidentielles ont été truquées dans trois pays occidentaux : aux États-Unis pour les deux mandats de Bush fils ; en France, par le vote électronique, pour le mandat de Sarkozy ; en Autriche, cette année, et on attend le nouveau scrutin. Une autre façon plus économique d’essayer de peser sur les élections, c’est de passer des ordres pour interdire aux banques d’accorder les crédits permettant de mener des campagnes électorales, afin de tuer économiquement les candidats et partis jugés indésirables. Par exemple, en France, aussi longtemps que le Front National ne représentait aucun danger pour les lobbies et les hommes d’affaires, les banques acceptaient de lui accorder des prêts pour mener ses campagnes. Mais depuis que le FN est devenu le premier parti de France en arrivant en tête des élections européennes de 2014, les banques dites françaises sont unanimes à refuser de lui prêter un centime et ce parti est contraint de se tourner vers des soutiens financiers russes.

H – Finalement, votre livre Oliganarchy se termine avec la promesse d’un second tome, à quand la livraison ?

LC – En fait, Oliganarchy est lui-même le tome 2 d’un ouvrage que j’ai projeté en cinq tomes (quatre romans avec des personnages récurrents, plus le recueil de poèmes écrit par le personnage « Lucien »). En principe, les éditions Le retour aux sources republieront en 2017 ou 2018 les deux premiers tomes reliés ensemble dans un même volume, dans une nouvelle édition revue et corrigée. Le recueil de poèmes, quant à lui, est déjà achevé et je vais essayer de le publier l’an prochain, mais sans doute chez un éditeur spécialisé en poésie. Il me restera à écrire les deux derniers romans pour mener à terme le cycle complet. Le troisième roman, qui suit immédiatement Oliganarchy, est à l’état de brouillon et devrait pouvoir sortir en 2018 ou 2019 au plus tard. Il y aura un quatrième roman car c’est nécessaire pour développer toute l’histoire, mais il n’en est pour l’instant qu’au stade de l’idée. En attendant, je vous invite à découvrir Gouverner par le chaos (Max Milo, 2014), Neuro-Pirates (Kontre Kulture, 2016) et ce que je fais aux éditions Le retour aux sources.

*

Pour en savoir plus sur Le Harfang : éditorial par Rémi Tremblay et sommaire en ligne du vol.5, no.3, « Ingénierie sociale ».

samedi, 18 février 2017

Gianfranco De Turris: “Se Evola (critico degli Usa) viene apprezzato anche alla Casa Bianca”

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Gianfranco De Turris: “Se Evola (critico degli Usa) viene apprezzato anche alla Casa Bianca”

da Michele De Feudis
Ex: http://www.barbadillo.it 
 

Gianfranco de Turris, segretario della Fondazione Evola. Il filosofo di “Cavalcare la tigre” è negli ultimi giorni tornato d’attualità per una citazione di un consigliere del neopresidente Usa Donald Trump, Steve Bannon. In che contesto Bannon ha citato Evola?

“In realtà non è proprio così, anche se il “New York Times” ha lasciato credere questo… Il quotidiano ha tirato fuori solo ora una cosa del 2014, quando Trump non era nessuno, solo per metterlo in difficoltà con quello che è ora il suo consigliere principale. Ma la coincidenza ancora più interessante è che la dichiarazione di Bannon è uscita il 10 febbraio, guarda caso esattamente dieci giorni dopo la sua nomina nel National Security Council! Se due indizi fanno una prova… L’autore dell’articolo sul NYT, Jason Horowitz, che mi ha intervistato per mettere tre righe su mezz’ora di conversazione, è il vaticanista del giornale ed è stato volutamente generico nel riferimento a tre anni fa. Ma in Rete non si perde nulla e si è trovata la fonte primaria della notizia. Bannon in realtà non parla direttamente di Evola ma lo cita en passant, rispondendo ad una domanda, dunque uno spunto occasionale, non programmato. E citando invece esplicitamente Dugin, consigliere, si dice, di Putin. Tutto qui. Una cosa ridicola e strumentale, che comunque ha permesso a “Repubblica” un titolo epocale in prima pagina (!) da incorniciare: “Evola e il Fascismo ispirano Bannon la mente di Trump”. Il titolo dell’articolo è nel classico stile-Repubblica, allarmistico e pomposo: “Il cuore nero della destra americana”. E cioè: Sun Tsu, Spengler, D’Annunzio, Evola e Mussolini! Ah, anche Dart Fener, il cattivo di “Guerre stellari”… Insomma, una “trama nera”, che va dalla Rivoluzione Conservatrice a Star Wars…. Risun teneatis! Incredibile ma vero. A questo giunge la stampa italiana, senza senso del ridicolo. Ma questo ci fa gioco.
Insomma, all’inizio c’è una bufala strumentalizzata ad uso interno statunitense, anche se è perfettamente vero, come mi avevamo detto tempo fa amici americani, che Stephen Bannon è un conoscitore del tradizionalismo e legge e studia non solo Evola, ma anche Guénon, Dugin e de Benoist, che un vero tradizionalista certo non è, ma che comunque collabora anche al sito Breitbart News, cuore della cosiddetta Alt-Right statunitense”.

Ma che cosa interessa a Bannon del tradizionalismo?

“Se ci si deve basare sulla conferenza in Vaticano dove i riferimenti sono generici, si deve pensare che Bannon in realtà riprende piuttosto alcuni concetti della Rivoluzione Conservatrice, condivisi spesso parzialmente e con riserve (vedi il caso del principio di autodeterminazione dei popoli) dal pensiero tradizionale. È ad ogni modo la critica alla modernità che interessa a Bannon del pensiero tradizionale, le accuse al mondialismo, alla globalizzazione mercantilista, ecc. Una forma di anticapitalismo di Destra, insomma, assai diffuso anche al di fuori del pensiero tradizionale. Con risvolti ultrapopulisti che però riprendono più la tradizione americana che quella europea e che di sicuro Evola non avrebbe mai sottoscritto considerando il tipo di critiche che rivolgeva a fascismo e nazismo su questo punto”.

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Evola negli Usa: è studiato dalle élite americane o nelle accademie oltreoceano?

“Macché! La cosa paradossale è proprio questa. Nonostante che tutti i suoi libri maggiori siano tradotti in inglese soprattutto dalla americana Inner Traditions, che io sappia non viene non dico letto dalle élites, ma neppure studiato nelle università, a parte alcuni singoli docenti che se ne sono occupati per aspetti particolari come Richard Drake per l’aspetto politico, Joscelyn Godwin per l’esoterismo o Jeffrey Schnapps per l’arte. Forse questo inaspettato parlarne sui grandi giornali americani potrebbe accendere un vero e serio interesse per la sua opera multiforme, al di là delle sciocchezze che sono state scritte…”.

Il barone dedicò saggi e studi agli Stati Uniti e all’americanismo. Con che orientamento?

“Evola ha scritto sugli Stati Uniti sin dagli anni Trenta con il famoso saggio “Americanismo e bolscevismo” che poi divenne la conclusione di “Rivolta contro il mondo moderno” già nella prima edizione del 1934. Sono le due facce della stessa medaglia, cioè il materialismo, che alla fine stritoleranno l’Europa, in quanto particolare tipo di civiltà. Caduta l’URSS però sono rimasti solo gli USA. Dopo quasi trent’anni adesso a capo degli USA c’è un singolare personaggio, del tutto imprevisto e imprevedibile, gli sviluppi della cui politica non è possibile immaginare, e le cui posizioni potrebbero essere influenzate da Bannon.
Certo è paradossale, una beffa se non una nemesi della Storia che un pensatore che ha visto nell’americanismo un nemico più pericoloso del comunismo in quanto subdolo, e che contro gli USA ne ha scritte di tutti i colori (basti leggere gli articoli riunti da Alberto Lombardo in “Civiltà americana”, quaderno della Fondazione Evola) abbia improvvisamente un accesso al pensiero di un consigliere di un presidente americano! Chi lo avrebbe mai potuto immaginare? La Storia non è già stata scritta e non va in un’unica direzione come pensano i progressisti oggi in grandi ambasce. Non so pensare a come andrà a finire, sempre che si consenta a Trump di arrivare a fine mandato (i casi Kennedy e Nixon insegnano). Mah!”.

L’attualità del pensiero evoliano: resta concretamente spendibile per comprendere gli scenari internazionali?

“Il pensiero di Evola non è un pensiero politico ma metapolitico, non è pratico ma si preoccupa di formare le menti e lo spirito per affrontare la politica-politicante, voleva creare “una destra spirituale” come scrisse ne “Gli uomini e le rovine” nella edizione del 1967. E ciò vale sia nella politica interna che in quella internazionale. Sono i grandi principi, i valori base che contano, il riferimento al sacro, una forma mentis antimoderna e antimaterialistica. E oggi che è tutto impregnato di materialismo, laicismo, dove tutto è secolarizzato soprattutto in USA, è difficile pensare secondo le sue indicazioni. Ma non impossibile. La classe dirigente è stata allevata in base a ben altri criteri. I riferimenti, che hanno fatto alcuni giornali italiani al “predominio della razza bianca” sono ridicoli, se non demenziali”.

Tiriamo le somme: molto rumore per nulla?

“Penso di sì. Non dimentichiamoci che, da quando è stato eletto Trump la grande stampa progressista internazionale è coalizzata contro di lui: il NYT, e qui da noi i grandi quotidiani, dedicano letteralmente un servizio al giorno per screditare lui e i suoi collaboratori. Nel nostro caso è una strumentalizzazione anti Trump di un fatto lontano e tangenziale, indiretto, ripescato nella memoria di un giornalista. Tanto per poter dire, fornendo un’immagine forzata e inventata delle idee di Evola, che gli Stati Uniti potrebbero diventare una nazione autoritaria, se non dittatoriale e fascista, e magari giustificare un golpe bianco contro Trump o il suo assassinio da parte di qualche esaltato che uccide ill tiranno in nome della democrazia. Io credo proprio che Evola se la ridirebbe di gusto… Anche se, considerando le imprevedibilità della Storia recente, non si sa proprio quel che potrebbe accadere”.

@barbadilloit

@waldganger2000

Di Michele De Feudis

samedi, 04 février 2017

Faut-il juger le Droit ?

 
A l’occasion de la livraison de notre opus centré sur le droit, l’entretien avec le Professeur émérite Jean-Louis Harouel vous propose une réflexion complète sur le grand remplacement du droit national par une norme droit-de-l’hommiste métissée. Il détaille le processus politique conduisant l’État à se retourner contre son peuple alors même qu’il avait été conçu pour le protéger.
 
On semble aujourd’hui accorder une place de plus en plus importante au droit dans les rapports privés ou interétatiques, aboutissant à une primauté du droit sur la concertation. Pouvez vous nous dire quelles ont été les étapes de cette évolution ?
 
J-L H : Le phénomène que vous évoquez s’inscrit dans un grand mouvement de dévalorisation du politique au bénéfice du juridique et plus encore du judiciaire. Commencé au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce processus fut largement l’œuvre de la démocratie chrétienne qui, n’aimant pas vraiment la démocratie et n’aimant pas du tout la nation (cadre optimal de la démocratie), a combattu férocement la souveraineté démocratique. Dominant alors l’Europe continentale, la démocratie chrétienne s’est employée à détruire l’idée d’une suprématie parlementaire absolue au moyen d’une technique inspirée de Kelsen : la création des cours constitutionnelles, auxquelles vinrent se superposer les juridictions européennes et tout particulièrement la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Avec pour effet que la décision suprême n’est plus politique mais judiciaire.

Comment les juges justifient-ils leur autorité sur un pouvoir politique légitimement désigné par la population ?
 
J-L H : Cette justification repose sur la notion d’État de droit. Or c’est un mot-fétiche par lequel il ne faut pas se laisser intimider. Jadis protecteurs des libertés publiques des citoyens, les droits de l’homme sont devenus – nous allons y revenir – une religion séculière d’État, formant un système politico-juridique moralisateur, coercitif et répressif. Notre droit, qui était jusqu’alors inspiré par des valeurs de durée, est aujourd’hui phagocyté et dénaturé par cette religion des droits de l’homme mortifère pour les nations européennes. Si bien qu’en clair, « État-de-droit » signifie trop souvent la condamnation à l’impuissance des peuples européens face à l’immigration de masse qui les submerge et à l’islam qui est en train de conquérir sans le dire leur pays.
 
Le droit semble être de moins en moins l’affaire des États avec la montée en puissance du droit communautaire écrit par des technocrates européens. Peut-on encore récupérer la mainmise sur notre droit ?
 
J-L H : On le peut en brisant – notamment par le recours au référendum – la logique fédéraliste sournoise qui fait que les dirigeants des pays européens ne sont plus que des marionnettes en charge de faire accepter ce qui a été décidé ailleurs. Il faut rompre avec le fétichisme bigot de la sainteté du culte de l’Europe. Comme je l’écrivais dans Revenir à la nation, il faut faire éclater une Union européenne qui n’aime pas les Européens. Obsédée d’ouverture à l’autre sous l’effet de la religion des droits de l’homme, l’UE est l’ennemie des peuples européens car elle répudie la vraie identité européenne fondée sur un contenu humain particulier et une civilisation particulière. L’UE veut croire que la dévotion de l’universel peut suffire comme identité collective européenne, alors qu’elle en exprime le néant. Mais peut-être naîtra un jour une construction européenne authentique, fondée sur la volonté politique des peuples.
 
Peut-on voir dans les droits de l’homme un « déracinement » du droit ?
 
J-L H : Tel n’était pas le cas pour les droits de l’homme classiques, qui étaient concrètement les libertés publiques des citoyens au sein des États-nations démocratiques, telles qu’on les a pratiquées au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle. Le déracinement du droit est intervenu au cours de la seconde moitié du XXe siècle du fait de l’avènement de la religion séculière des droits de l’homme, inspirée par une frénésie de l’ouverture à l’autre et une compassion cosmique indifférente aux États et aux nations. François Furet a observé que la religion des droits de l’homme a pris le relais du communisme comme promesse de l’émancipation de l’humanité. Né de l’implosion des utopies antérieures, le culte des droits de l’homme érigés en norme suprême censée produire un monde meilleur constitue, selon les termes de l’historien américain Samuel Moyn, notre dernière utopie.
 

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En quoi les droits de l’homme sont-il particulièrement dangereux aujourd’hui pour l’homme lui-même ?
 
J-L H : La religion des droits de l’homme est surtout dangereuse pour l’homme occidental, qui en est l’inventeur et qui seul se l’applique vraiment. En particulier, l’islam – lequel n’admet même pas les libertés publique et notamment la liberté de penser – met certes à profit la religion des droits de l’homme pour conquérir l’Europe, mais y est absolument réfractaire. La religion des droits de l’homme est suicidaire pour ceux qui la prennent au sérieux, car elle détruit les nations, les peuples, les identités, les enracinements. L’affirmation absolue du « je » au détriment du « nous » est non seulement l’agent d’une désagrégation des sociétés occidentales, mais encore le cheval de Troie de la submersion de l’Europe par une immigration géante à dominante musulmane.
 
Que distingue droits de l’homme et droits humains ?
 
J-L H : Le terme « droits humains » est un néologisme récent qui dérive de human rights, terme apparu seulement au cours des années 1940 dans la langue anglaise. Avant cela, on parlait de rights of man, lesquels étaient les droits de l’homme classiques, les libertés publiques. Au contraire, les droits humains correspondent à la religion séculière des droits de l’homme telle qu’elle s’est imposée depuis un demi-siècle. Mais, déjà avant cela, la religion des droits de l’homme avait suscité l’intrusion de la notion de droits fondamentaux, dont les grands bénéficiaires sont les étrangers. L’admission de tout individu présent sur le sol d’un pays, fût-ce de façon frauduleuse, à multiplier les revendications et actions juridiques, lui donne une arme contre le peuple de ce pays.
 
Vous parlez de « religion des droits de l’homme » : si cela est avéré, quel en est le culte, les rites, et qui en sont les prêtres ?
 
J-L H : Dès lors que la religion séculière des droits de l’homme est substantiellement formée de règles de droit, les prêtres de cette religion sont tout naturellement les juges, et plus précisément ceux des plus hautes juridictions. Cette nouvelle « prêtrise judiciaire » – terme forgé par Jacques Krynen, professeur d’histoire du droit à Toulouse – avait déjà été perçue voici un demi-siècle par le professeur de droit public parisien Georges Lavau qui observait qu’en posant des règles nouvelles au nom de principes généraux du droit qu’ils déclaraient à leur gré, les hauts magistrats s’étaient arrogés une fonction religieuse, une fonction prophétique. C’est ainsi que la religion des droits de l’homme fonde le gouvernement des juges.
 
Comment expliquer le succès de la « religion des droits de l’homme », dans les médias et même à l’Université ?
 
J-L H : Le succès de la religion des droits de l’homme vient pour une bonne part de ce que de nombreux « communistes zombies » (adaptation d’une formule d’Emmanuel Todd), rendus orphelins du communisme par la disparition de l’Union soviétique, s’y sont recyclés. Marcel Gauchet a signalé dès le début des années 1980 le mouvement qui portait intellectuels et ex-militants de la lutte des classes à se réfugier dans la lutte pour les droits de l’homme. Quand au succès de la religion des droits de l’homme parmi les juristes universitaires, je répondrai avec mon collègue Yves Lequette, professeur émérite de droit privé à Paris II, que « les auteurs petits et grands qui se sont fait une spécialité de ce culte tirent de celui-ci les moyens ainsi que le sentiment de leur existence ».
 
De Gaulle disait « d’abord la nation, ensuite l’État, après le droit ». Vit-on aujourd’hui un renversement qui ferait passer le droit avant l’État, reléguant la nation en dernier ?
 
J-L H : Aujourd’hui, en France, l’État est en même temps l’Église de la religion séculière des droits de l’homme. Cet État-Église n’a presque aucun souci des intérêts concrets de la France et des Français. Leur avenir lui importe peu. L’État veille seulement à la sanctification de la société au regard des dogmes de la religion des droits de l’homme et des règles juridiques constitutives de cette religion. Ce primat religieux du droit sur les intérêts de la nation relègue effectivement celle-ci en dernier. Nous sommes dans ce que Max Weber appelait la morale de la conviction (Gesinnungsethik), laquelle érige en principe absolu un sentiment ou un principe et s’y accroche inconditionnellement sans se soucier des conséquences pratiques. Une morale qui, comme l’observait Raymond Aron, ne doit pas être la morale de l’État. Car c’est trop souvent une morale de l’irresponsabilité.

 Allez plus loin, lisez La Camisole

Entretien avec Gilles de Beaupte des Etudes rebatiennes

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Entretien avec Gilles de Beaupte des Etudes rebatiennes

 
Ex: http://www.oragesdacier.info 
 
Vous êtes le président-fondateur des Etudes Rebatiennes, pouvez-vous les présentez brièvement à nos lecteurs ? Comment sont-elles nées ? Quels sont les objectifs, à court et plus long terme de votre association ?

Les Etudes rebatiennes sont nées fin 2008, quelques mois seulement après la lecture des Deux Etendards ; elles ont été crées avec un autre professeur de lettres, Nicolas Degroote, captivés également par cette découverte. L'éblouissement qu'ont été pour moi Les Deux Etendards est tout de suite allé de paire avec l'étonnement devant cette lacune évidente de l'histoire littéraire. Cinq livres seulement ont été écrits sur Rebatet. Un silence assourdissant entoure donc ce chef d'œuvre. Prenant acte de mon émerveillement, je décide de fonder une association afin de contribuer au rayonnement de l'œuvre littéraire de Lucien Rebatet.

Le travail risque d'être long et difficile. Les mécompréhensions ont d'ores et déjà commencées puisque je reçois aussi bien des lettres d'insultes que, pire, des lettres d'admiration pour de mauvaises raisons... Heureusement certaines sont d'authentiques amoureux de littérature : ceux-là même à qui nous nous adressons. Mais la rigueur et le discernement finiront par l'emporter !

Nous aurons accompli notre tâche lorsque Les Deux Etendards seront publiés à la fois en poche et en Pléiade. A moins long terme, nous souhaitons faire paraître un Dossier H sur Rebatet. A très court terme - et c'est ce à quoi nous nous attachons surtout aujourd'hui - nous cherchons à élargir la liste des écrivains, historiens, critiques littéraires, etc. susceptibles d'écrire sur Rebatet ; ce qui ne va pas sans difficulté tant l'œuvre est méconnue.

Pourquoi ne pas vous être appelé « Les amis de Lucien Rebatet » ?
 
Je vous répondrais d'abord que je me fais une assez haute idée de l'amitié. Rebatet étant mort deux ans avant que je ne naisse, la question ne se pose pas. Mais admettons, pour les besoins de la conversation, qu'on fasse abstraction de la chronologie, qu'en aurait-il été ? Des paroles de Jean Dutourd répondent à cette question lorsqu'il avertit : « Si j'avais rencontré Lucien Rebatet en 1943, je lui aurais tiré dessus à coup de revolver » et, quelques lignes plus loin, ajoute : « Il avait écrit dans sa cellule de condamné un des plus beaux romans du XXème siècle : Les Deux Etendards que j'admirais avec fanatisme ». Mutatis mutandis (car il est aisé de se prendre pour Jean Moulin avec 60 ans de retard), les Etudes rebatiennes s'alignent sur cette position. Autrement dit, chez Lucien Rebatet coexistent « une barbarie explicite et la création d'une œuvre d'art classique, imaginative et ordonnée [...] un des chefs d'œuvre secrets de la littérature moderne ». Il est pour le moins difficile de lier amitié avec Lucien Rebatet dont la plume dénonça et provoqua l'arrestation de résistants.

Je précise aussi qu'en répondant à vos questions, je ne vous présente qu'une lecture de Rebatet, même si cette lecture se veut documentée et argumentée. Le conflit des interprétations, qui fait la vie de la critique, n'a pas encore véritablement commencé. Les Etudes voudraient en être le terrain privilégié.

Sur la dénomination, précisons encore que l'emploi du terme « études » indique le registre universitaire des participants. (Et, pour tout dire, « rebatiennes » plutôt que « rebatetiennes » car, par delà la laideur de l'expression, le « t » final du nom étant muet, l'élision était possible).

LR-2entr.jpgLes Etudes rebatiennes se structurent de la manière suivante : 1) Inédits 2) Entretiens et témoignages 3) Articles (critique littéraire) ; actualité rebatienne ; vie de l'association. Toutes les contributions sont les bienvenues à condition qu'elles soient œuvres de qualité. Le premier numéro devrait sortir dans un an. J'appelle les collaborateurs et souscripteurs (on peut être l'un et l'autre). En adhérant à l'association, vous souscrivez au n°1 des Etudes rebatiennes tout en contribuant à leur publication. Pour nous faire connaître un site a d'ores et déjà été créé (www.http//:etudesrebatiennes.overblog.com). Il livre de passionnants témoignages, une bibliographie, des critiques, etc.

Vous évoquez des inédits. De quoi s'agit-il ? Sont-ils importants ? Que pensez-vous publier ? 
 
Cela ne peut se faire sans l'accord de l'ayant droit, Nicolas d'Estienne d'Orves, avec qui nous entretenons de très cordiales relations. Nous faisons partie de la même génération et la littérature nous importe davantage que la liste noire du CNE [Comité National des Ecrivains chargé de l'épuration dans le monde de la presse et de l'édition NDLR]. Que publier ? Au regard de la production contemporaine, je me dis souvent que toute l'œuvre littéraire mériterait de l'être ! Mais on ne peut le faire n'importe où et les éditeurs semblent encore ignorer sa grandeur.

Pour vous donner une idée de l'importance des inédits, faisons un détour par Gide qui écrivit, selon Genette, « le seul ''journal de bord'' entièrement et exclusivement consacré à la genèse d'une œuvre » : le Journal des Faux-monnayeurs. Gide décrivait ainsi son projet : « au lieu de me contenter de résoudre, à mesure qu'elle se propose, chaque difficulté [...], chacune de ces difficultés, je l'expose, je l'étudie. Si vous voulez, ce carnet contient la critique continue de mon roman ; ou mieux : du roman en général. Songez à l'intérêt qu'aurait pour nous un semblable carnet tenu par Dickens, ou Balzac ; si nous avions le journal de L'Education Sentimentale, ou des Frères Karamazov ! L'histoire de l'œuvre, de sa gestation ! mais ce serait passionnant... plus intéressant que l'œuvre elle-même ». Eh bien, il existe un autre journal de ce type et il est fascinant ! C'est l'Etude sur la composition. Au travers de trois cents pages, nous pénétrons dans l'atelier invisible de l'écrivain : non pas seulement ses brouillons mais mieux : l'atelier lui-même avec tous ses outils. Rebatet y expose ses conceptions littéraires au travers des difficultés rencontrées au cours des différents stades de la création. La simple existence de l'Etude sur la composition en fait, en soi, un aérolite de l'histoire de la littérature.

Par ailleurs, la masse de documents inédits est considérable. On y trouve un journal fleuve et rien moins que deux romans ! Margot l'enragée et La Lutte Finale. C'est un chantier immense. Existe également toute la masse non pas inédite mais dispersée des plusieurs milliers d'articles de critique littéraire, cinématographique, musicale... dont on attend une sélection prochainement. Déjà dans Les Deux Etendards on trouve grâce aux réflexions des personnages, « intoxiqués de littérature », des pages de critiques acerbes et sagaces « qui valent bien un manuel entier et qui confirment les qualités de critique de Rebatet ».

Le postulat qui sous-tend votre démarche signifie-t-il qu'il est possible de faire une césure absolue entre le Rebatet écrivain et le Rebatet politique comme certains en font une entre le Céline du Voyage et celui des pamphlets ?

Il ne s'agit pas de faire une « césure » - et encore moins « absolue » - entre l'écrivain et le politique puisque chez Rebatet l'écrivain n'est jamais tout à fait apolitique et le politique souvent écrivain. Ce qu'il s'agit de dissocier méthodologiquement, c'est l'engagement politique d'un homme d'avec la qualité d'une œuvre littéraire. Comment faire ce partage ? En faisant de la critique littéraire !

Pour bien aborder Les Deux Etendards, il faudrait donc oublier le collaborateur ? Cela signifie-t-il que Les Deux Etendards soit une œuvre apolitique ? 

Entendons-nous bien. Avec la proclamation de l'autonomie des Deux Etendards en tant qu'œuvre d'art, je n'entends pas réhabiliter en sous-main la haine rebatienne. Il s'agit donc, non pas de cacher l'homme par l'œuvre - ni a fortioriL'Emile malgré l'abandon de ses enfants par Jean-Jacques. de cacher l'œuvre par l'homme - mais d'étudier l'œuvre qui se soutient d'elle-même. L'étude littéraire doit pouvoir s'élaborer en mettant méthodologiquement la biographie de l'auteur entre parenthèses comme il faut étudier la philosophie rousseauiste de l'éducation.

On a pu écrire qu'« il n'est pas question de politique dans Les Deux Etendards ». A l'inverse, certains ont affirmé : « Si Les décombres a été la chronique de la mort annoncée des Juifs, Les Deux Etendards instruit le procès du dieu chrétien et de l'homme qui se voient également condamné à mort, au nom de la lutte contre les valeurs judéo-chrétiennes et la démocratie. Dans cet ouvrage, Rebatet prône l'avènement d'une morale substitutive, le paganisme vitaliste, un sacré abâtardi dont les fascismes se sont également inspirés, pour tenter de liquider des références judéo-chrétiennes de la civilisation occidentale. Le mode d'expression a changé, mais le message demeure ». C'est aller de Charybde en Scylla.

Les Deux Etendards ne sont pas une « parabole fasciste » : ils ne constituent pas la contrepartie romanesque d'une quelconque « fidélité au national-socialisme ». Car ils ne sont pas une œuvre politique mais, primordialement, une œuvre d'art. Cela signifie-t-il que la politique en soit absente ? Non ; elle y tient bien une place puisqu'on peut y déceler une présence d'antidémocratisme, d'antisémitisme, de racisme, de mépris du peuple, d'anticommuniste, d'antibourgeoisisme... mais cela ne fait pas partie des thèmes centraux du roman.

De surcroît, il convient de rappeler qu'« il n'est de toute façon pas question de condamner l'ouvrage pour les idées de ses acteurs, quand bien même celles-ci occuperaient une place beaucoup plus importante, puisque la valeur d'une œuvre n'est certainement pas proportionnelle à la qualité morale de ses protagonistes. De même qu'un roman qui a pour personnage central un meurtrier ne préconise pas nécessairement le meurtre, celui de Rebatet, dont certains acteurs et même le narrateur penchent clairement vers l'extrême-droite, ne fait pas nécessairement l'apologie de leurs idées ». Bref, n'ensevelissons pas Les Deux Etendards sous Les Décombres !

S'il y a une continuité à établir entre les deux ouvrages, c'est surtout dans la stylistique qu'on la trouvera. En laissant de coté les catégories impropres de forme et de fond, se présentent bien un style pour deux thèmes (et non deux styles pour un thème). « Si la passion change d'objet des Décombres aux Deux Etendards, elle ne change pas de ton : c'est la même véhémence, la même jubilation jusque dans la grossièreté, la même volonté de se servir de tous les moyens, la même rage de convaincre, la même violence exaspérée ». D'un livre à l'autre, Rebatet suivait son plan : d'abord « témoigner, militer par un livre, puis en entreprendre aussitôt après un autre, qui serait enfin une œuvre d'imagination. [...]. J'avais maintenant un adversaire d'une tout autre taille avec qui polémiquer : Dieu ». A son habitude, Rebatet bourre son ouvrage d'explosifs en tous genres, et « le fracas de cette explosion remplit le livre, comme le déchirement du patriotisme remplissait Les Décombres. D'ailleurs, le génie est le même : la même puissance lyrique, même déferlement de l'image et du verbe, même amertume. Mais ce qui distingue Rebatet parmi d'autres polémistes, parmi Bloy, Péguy, Daudet, Bernanos, c'est la volonté de convaincre. Pour lui, tous les arguments sont bons. ''Quand on se bat, dit son héros, on ne songe pas à se demander si les armes ont déjà servi''. Tantôt il trace une satire extraordinaire des jésuites, tantôt il se lance dans d'interminables analyses de textes, tantôt il descend aux critiques les plus vulgaires, mais aussi les plus frappantes. Nos seules épopées sont des œuvres individuelles et des œuvres de protestation : ce sont Les Châtiments, Les Tragiques. Voici l'épopée de l'athéisme ».

Mais de quoi parle au juste Les Deux Etendards ?
 
D'amour ! Il n'y a pas moins original mais pas plus essentiel. Le thème des Deux Etendards se trouve magnifiquement énoncé dans le roman lui-même lorsque Michel reçoit sa vocation de romancier : « L'amour, feu central, avait embrasé cette matière inerte du passé, du présent, de l'avenir, du réel, de l'imaginé, que Michel portait au fond de lui ; l'amour l'avait fondue, et grâce à lui seul elle prendrait forme. L'amour serait célébré dans tous ses délices et toutes ses infortunes. Mais le livre dirait aussi la quête de Dieu, les affres de l'artiste. La poésie, les secrets des vices, les monstres de la bêtise, la haine, la miséricorde, les bourgeois, les crépuscules, la rosée des matins de Pâques, les fleurs, les encens, les venins, toute l'horreur et tout l'amour de la vie seraient broyés ensemble dans la cuve ».

LR-3.jpgComment Rebatet/Michel s'y prendra-t-il pour réussir une telle gageure ? Il va « refaire du Proust sur nature » comme Cézanne refit du Poussin sur nature. Qu'est-ce à dire ? Pour le dire brutalement, Rebatet a transposé « certaines méthodes de l'analyse proustienne à une histoire, à des sentiments plus consistants que les sentiments, les histoires du monde proustien (on peut tout de même prétendre qu'une grand expérience religieuse, par exemple, est humainement plus importante que les snobismes et contre-snobismes d'un grand salon) ». Ainsi, « les modernes s'étaient forgés des instruments d'une perfection, d'une souplesse, d'une nouveauté admirables. Mais ils ne les employaient guère qu'à disséquer des rogatons, à décrire des snobismes, des démangeaisons du sexe, des nostalgies animales, des affaires d'argent, des anatomies de banquiers ou de perruches mondaines. Michel connaissait leur scalpels, leurs microscopes, leurs introspections, leurs analyses, mais il s'évaderait des laboratoires. Le premier, il appliquerait cette science aux plus grandioses objets, à l'eternel conflit du Mal et du Bien, trop vaste pour ne point déborder les petits encéphales des physiologistes ». Par delà la caricature proustienne, retenons la mobilisation d'un art d'écrire contre la foi, une croisade antireligieuse.

D'un point de vue narratif, le roman « raconte la maturation, l'amitié profonde, puis la séparation de deux jeunes gens dans la France de l'entre-deux-guerres. Ils sont épris de la même jeune femme, qui, par sa plénitude de vie, son rayonnement physique et psychologique, est une créature comparable à la Natacha de Tolstoï. L'articulation de cette relation à trois et de la grande fugue de l'accomplissement érotique sur laquelle s'achève le roman sont de grands actes de l'imagination. [...] le roman de Rebatet a l'autorité impersonnelle, la beauté formelle pure de l'art classique ». En effet, le roman se présente d'abord comme un Bildungsroman (éducation sentimentale) dans la lignée de la trilogie balzacienne ou du Rouge et Noir. Deux amis Régis, l'amant mystique, et Michel, l'amoureux éperdu, engagent une guerre fratricide dont Anne-Marie sera la victime principale. Il serait très éclairant que quelqu'un entreprenne un jour une lecture girardienne des Deux Etendards. La médiation interne qu'est Régis pour Michel, de modèle se mue en obstacle. La rivalité mimétique s'exacerbe au détriment de ce que furent tour à tour les objets du désir : Dieu et Anne-Marie. Le mensonge romantique est-il dénoncé et la vérité romanesque dévoilée dans le roman ? Quoi qu'il en soit, nous avons là une des plus grandes analyses de la passion amoureuse.

Rebatet parvient-il à ses fins avec son « épopée de l'athéisme » ? Triomphe-t-il de toute croyance ? 

Rebatet s'emporte facilement sur le sujet sans plus faire aucune distinction : « Je hais les religions à mort. Je vois quelquefois, les égyptiennes, les babyloniennes, les tibétaines, les aztèques, l'Islam, le catholicisme médiéval, le puritanisme yankee, comme des spectres grotesques et dégoulinants de sang. Ce sont les plus atroces fléaux de l'humanité ». Toutefois, on trouve de temps à autre sous sa plume une sensibilité plus amène : « il est assez difficile de se trouver l'avant vielle ou la vieille de Pâques sans se rappeler que le Christ est le grand patron de tous les condamnés à mort. Je l'avoue, je n'écouterais pas très volontiers ce soir les stoïques et autres philosophes qui ont moqué les angoisses du jardin des oliviers ».

La question de Dieu n'est pas si simple et pauvre pour qu'on puisse la laisser à l'opinion de chacun. Par exemple, il n'est pas du tout certain que l'athéisme soit l'ennemi de la foi. Si l'athéisme combat la piété vouée aux dieux mythiques des religions archaïques et sacrificielles, alors l'athéisme peut être enrôlé dans la lutte contre l'idolâtrie. En ce sens Levinas écrivait : « Le monothéisme marque une rupture avec une certaine conception du sacré. Il n'unifie ni ne hiérarchise ces dieux numineux et nombreux ; il les nie. A l'égard du divin qu'ils incarnent, il n'est qu'athéisme. [...]. Le monothéisme dépasse et englobe l'athéisme, mais il est impossible à qui n'a pas atteint l'âge du doute, de la solitude, de la révolte »

LR-4.jpegMais tournons-nous plutôt vers le roman. Je ne crois pas que Les Deux Etendards soient une apologétique athée, non plus qu'une épopée. Michel y fait bien une tentative de conversion qui tourne en « déconversion ». Mais celle-ci n'est pas une inversion pure et simple, elle n'est pas du « Michel-Ange inversé » puisque Michel se défend d'être athée. D'ailleurs, n'était l'homophonie avec Le Diable et le Bon Dieu, le roman se fut appelé Ni Dieu ni Diable. L'agnostique Michel ne s'épuise pas plus à toujours nier, qu'il ne cherche en gémissant. L'aporie de la confrontation finale ferait-elle alors signe vers un néo-paganisme ? Plus précisément : vers la désolation que laisserait l'impossibilité d'un retour du sacré ? Michel ne se ferait-il pas parfois une plus juste idée du Christianisme qu'il ne le laisse paraître, idée au nom de laquelle il déboulonne les idoles ? Ces questions restent ouvertes. 

Toutefois, avec ces problèmes théologiques, il ne faudrait pas laisser penser qu'on aurait affaire à un roman, à thèse et encore moins un manuel d'athéologie. Blondin notait bien : « On a qu'un voyage pour sa nuit. Celle de Lucien Rebatet est somptueusement agitée. Elle ravit aux professeurs travestis, et avec quel éclat, le monopole de l'inquiétude métaphysique et [...] rend le Diable et le Bon Dieu à une vie quotidienne passionnante, passionnée. [...]. Il va chercher Dieu sur son terrain qui est celui de la crainte, de l'espérance, du tremblement, de la passion titubante. Sous cette forme romanesque, le problème de la religion recouvre ses plus chauds prestiges ». Un grand roman, « non de la démonstration d'une thèse : des êtres s'affrontent, non des allégories. Il reste que Les Deux Etendards constituent un arsenal d'armes de tous calibres contre le christianisme. Il y a des armes les plus savantes : critiques des textes sacrés, interpolations, interprétations douteuses, dogmes tirés de textes peu sûrs ou trop sollicités, etc. Il arrive que Régis perde pied devant des coups inattendus. Nous avons des exégètes qui répondent très bien, dit-il, quand il se reprend. Réponse trop facile, peut-être, mais moins faible qu'on ne pourrait le croire. On ne peut passer sa vie dans la controverse, et pour Régis, la foi ne dépend pas de tel ou tel point de dogme. Elle est au-delà des constructions intellectuelles auxquelles elle impose d'adhérer. La discussion entre les deux garçons ne peut jamais avancer. Michel ne néglige pas, à coté de cela, des armes plus vulgaires, instinctives, grosses plaisanteries. Ce roman compte une étonnante galerie de prêtres tous obtus, libidineux, hypocrites. Avec tout cela, cette partie polémique date : le moralisme étroit, inhumain, qui encolère Michel n'est plus aujourd'hui le défaut d'une Eglise qui s'est beaucoup débridée [Rebatet en viendra même dans son Journal à se considérer ironiquement comme le dernier catholique !] Si l'on se passionne pour cette controverse, c'est parce que l'on se passionne pour les trois héros ». Sur cette lancée, ira-t-on jusqu'à affirmer que Les Deux Etendards « pourrait ainsi passer à force de vie et de vérité, gonflant des héros en tous points admirables, pour une apologie du spiritualisme » ? Le dernier mot du roman est laissé au jésuite. Il est même probable qu'il ait raison quand il affirme que lui, au moins, laissera un souvenir lumineux à Anne-Marie, jeune fille fichue, laissée à une tristesse infinie. Bien évidemment, c'est une victoire à la Pyrrhus : il vaut mieux avoir tort avec Michel que raison avec Régis. Car depuis bien longtemps nous avons quitté le débat théologique pour rejoindre le tragique de l'existence.

L'antichristianisme virulent ne s'exprime pas tant dans les arguments, bons ou mauvais, opposés à Régis que dans la simple description de la vie du futur jésuite. Les Deux Etendards ont l'immense mérite de mettre en scène, non pas seulement la foi et l'incroyance mais, plus fondamentalement, comme le dit avec raison Rebatet lui-même : le « conflit entre l'amour et Dieu. Un grand thème je crois. Il me semble qu'il n'y en a pas de plus grand : l'homme devant l'amour, l'homme devant Dieu ». Puisque l'amour seul est digne de foi, Les Deux Etendards s'en prennent au cœur du christianisme. « Qu'as-tu fais de ton amour ? ». Telle pourrait être la question centrale du roman. La force de Rebatet c'est de retourner l'amour contre ceux qui s'en réclament. Mais si l'arme est l'amour, quelle portée peut-elle bien avoir devant un Dieu qui se définit par l'amour (I Jean 4, 8) ?

Pourriez-vous nous dire un mot du style des Deux Etendards ?
 
Disons-le d'emblée, Rebatet ne fut pas un créateur de style comme Proust ou Céline. Les Deux Etendards. Rebatet se plaçait résolument dans la catégorie des écrivains qui clarifient une matière compliquée sans recherche de l'innovation technique pour elle-même. Il écrivait : « J'aurais aimé que l'ont pût me faire l'honneur de quelques procédés nouveaux de narration. Je m'y sentais peu porté par nature, à moins que ce ne fût le métier qui me manquait. Mon roman n'était pas une forme singulière, imprévue, conçuea priori, et que je voulais remplir avec un thème et des personnages plus ou moins adéquats. C'était une histoire touffue, que je voulais raconter aussi complètement et clairement que possible. Je m'affirmais - un peu pour calmer mes regrets de ne pas suivre l'exemple de Joyce - que cette histoire était suffisamment complexe pour que je ne m'ingéniasse pas à la rendre indéchiffrable par des complications de forme. Mon esthétique, au cinéma, en littérature, comme en peinture et en musique, a d'ailleurs toujours été hostile aux procédés qui ne sont pas commandés par une nécessité intérieure ». appartiennent plutôt à la lignée des grands romans classiques du XIX

Il y a pourtant bien une originalité stylistique du roman : elle réside dans la concomitance du sublime et de la fange. « Dans son projet d'ensemble, le roman est un pur produit du classicisme NRF et il n'est littérairement pas surprenant que Gallimard en ait été l'éditeur. Quand elle le veut bien, la langue n'y déroge jamais et nombreux y sont les passages où s'entend en quelque sorte la voix de Gide, dans l'économie des moyens et la pureté néoclassique du style. [...] Mais à l'intérieur même de cette épure stylistique, de ce dessin d'ensemble qui est comme le continuo du livre, l'écrivain loge tout autre chose : un véritable baroque célinien, l'usage de tous les registres de la langue à commencer par l'argot et, par-dessus tout peut-être, une crudité récurrente à la mesure de la présence d'Éros dans le récit. Car dans Les deux étendards, l'amour s'exprime sur tous les registres et si l'analyse du sentiment amoureux (selon une formule classique du roman français) n'est nullement étrangère à Rebatet, le lecteur retient surtout les nombreux passages érotiques qui sont ressentis comme autres sans que la perfection littéraire en soit moindre ».

Vous ne tarissez pas d'éloges sur le roman, mais comment pouvez-vous être certain qu'il soit un chef d'œuvre au regard du silence qui l'entoure ? Cela n'indiquerait-il pas plutôt que la non reconnaissance depuis 50 ans est méritée ? N'êtes vous pas fasciné par le mythe romantique de l'écrivain maudit ? 
 
Voici comment Rebatet décrivait Pound : « Ezra Pound rejoint Villon, Rabelais pourchassé, demi-clandestin, Balzac dans sa turne, Stendhal ignoré dans son trou, Nerval le vagabond pendu, Dostoïevski le forçat, Baudelaire trainé en correctionnelle, Rimbaud le voyou, Verlaine le clochard, Nietzsche publié à compte d'auteur, Joyce sans feu ni lieu, Proust cloitré dans un garni, moribond, mais la plume à la main, Brasillach écrivant ses Bijoux les chaines aux pieds, Céline foudroyé à sa table dans son clapier du Bas-Meudon. Après tant d'exemples, comment douter que Pound est dans le bon camp, le vrai camp, le seul qui compte, celui qui enrichit les hommes, survit dans leur mémoire ? ». Cette présentation de Pound en est une, à peine voilée, de Rebatet lui-même. Elle est romantique. Rebatet se prête facilement à cette mythologie quand on sait que Les Deux Etendards furent écrit par un condamné à mort dont les chaînes retentissaient dans une cellule où l'eau gelait nuit et jour.

Sans nous laisser obnubiler sur le soi-disant « seul camps qui compte », il faut bien reconnaître que Rebatet n'a pas la place qu'il mérite. Les Deux Etendards sont un chef d'œuvre car c'est un classique. Un classique de premier ordre même, puisque Les Deux Etendards sont à mes yeux la poursuite de l'œuvre nietzschéenne par d'autres moyens. Le niveau d'un tel affrontement entre l'homme et Dieu trouve son équivalent dans Les Frères Karamazov. Mais la question rejaillit : comment sait-on que c'est un classique me direz-vous ? Pour répondre plus amplement à votre question, il est nécessaire de refaire un peu de philosophie de la littérature.

Une œuvre littéraire - une œuvre d'art en général - transcende par définition ses propres conditions psychosociologiques de production. Elle s'ouvre ainsi à une suite illimitée de lectures. Celles-ci sont elles-mêmes situées dans des contextes socioculturels différents. Ainsi l'œuvre se décontextualise et se recontextualise. Si elle ne le faisait pas, si une œuvre n'était que le reflet de son époque, alors elle ne se laisserait pas recontextualiser et ne mériterait donc pas le statut d'œuvre d'art. La capacité d'échapper à son temps fait la contemporanéité de l'œuvre. Ecoutons Gadamer : « Entre l'œuvre et chacun de ses contemplateurs existe vraiment une contemporanéité absolue qui se maintient intacte malgré la montée de la conscience historique. On ne peut pas réduire la réalité de l'œuvre d'art et sa force d'expression à l'horizon historique primitif dans lequel le contemplateur de l'œuvre était réellement contemporain de son créateur. Ce qui semble au contraire caractériser l'expérience de l'art, c'est le fait que l'œuvre possède toujours son propre présent [...] l'œuvre d'art se communique elle-même ». Ainsi, à la question « qu'est-ce qu'un livre classique ? », on peut répondre, avec Sainte-Beuve : une œuvre « contemporain[e] de tous les âges ». Echappant au contexte qui l'a vu naître, sans prétendre illusoirement à l'intemporalité, le classique traverse les modes et les aléas de l'histoire. Or, aux questions soulevées par Rebatet est inhérent un surcroît de sens permanent.

Quant au peu de critiques et à l'ignorance du public cultivé, on a pu avancer plusieurs raisons plus ou moins légitimes : le prix du roman, sa longueur, sa complexité, le rejet de certains libraires, l'importance donnée à la question religieuse, etc. Mais « l'indiscutable vérité est que Les Deux Etendards continue à être ignoré aujourd'hui à cause du black-out qui le frappe et que ce black-out a été imposé pour des raisons politiques. [...]. L'on veut surtout espérer que notre époque est suffisamment mûre et suffisamment affranchie des passions déclenchées par les événements de la seconde guerre mondiale pour enfin considérer objectivement et du seule point de vue littéraire un roman aussi important que celui de Rebatet, et ce d'autant plus qu'elle est particulièrement pauvre en chefs-d'œuvre ».

Les deux étendards sont donc un roman à la fois classique et méconnu du fait de la conspiration du silence engendrée par les opinions politiques de l'auteur. Rappelons simplement qu'Etiemble s'est fait exclure des Temps Modernes par Sartre au prétexte de la reconnaissance du génie littéraire de Rebatet. En sommes-nous encore à ce point ? La situation est peut-être pire car la conspiration du silence a fonctionné et s'est depuis muée, le relativisme aidant, en indifférence. En plus d'amoureux de la littérature, il nous faut trouver des esprits libres !

Gilles de Beaupte, merci et longue vie à votre association !

Mais nous n'avons pas encore évoqué Les Epis Mûrs ou Une Histoire de la musique !
 

dimanche, 29 janvier 2017

Le Populisme ou la véritable démocratie

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Le Populisme ou la véritable démocratie

Le Populisme ou la véritable démocratie

par Bernard Plouvier

Editeur: Les Bouquins de Synthèse nationale

Sortie Janvier 2017

292 pages

22 €

Un entretien avec Bernard Plouvier à l'occasion de la sortie de son livre "Le Populisme ou la véritable démocratie"

populisme-la-vraie-democratie.jpgQ.  Dans ce livre, vous présentez ce que les bien-pensants et bien-disants interpréteraient comme un non-sens : l’assimilation du populisme à la démocratie. Est-ce une provocation à but commercial ou l’expression d’une intime conviction ?

R. Vous m’avez mal lu : je n’ai pas écrit du populisme qu’il était une forme de démocratie. Je prétends qu’il s’agit de la SEULE véritable démocratie, soit le gouvernement POUR le peuple. Le but de tout gouvernement est d’administrer au mieux le Bien commun. C’est ce que, durant l’Antiquité gréco-romaine – qui est notre racine fondamentale, avec celles moins bien connues des civilisations celto-germano-scandinaves -, l’on nommait la Chose publique.

Q. Pourtant les démocraties grecques antiques n’ont pas été des régimes populistes.      

R. Effectivement, ce que nos brillants universitaires (les historiens allemands sont généralement moins naïfs) nomment la « Démocratie athénienne » n’était qu’une ploutocratie. Pour faire simple, une ploutocratie est un gouvernement de riches qui n’agissent que pour donner à leur caste – héréditaire ou matrimoniale - et à leur classe – liée à la surface sociale – les moyens d’assurer la pérennité de leur domination.

Certes, un peu partout en Grèce, à partir du 6e siècle avant notre ère, on a introduit la notion d’égalité devant la Loi, mais cela ne touchait que les seuls citoyens, nullement les étrangers et moins encore les esclaves qui n’étaient que des biens mobiliers, des choses. En outre, les citoyens pauvres n’avaient que le droit d’élire des riches pour administrer l’État. En gros, cela n’a guère changé en 25 siècles !

Et très vite, les peuples se sont révoltés. D’authentiques populistes ont dominé de nombreuses cités grecques antiques, puis Rome. Ces « tyrans » ont tous été élus, acclamés par le peuple, mais agonis par la classe des lettrés, issus de la caste nobiliaire. La mauvaise réputation du populisme est une affaire de règlement de comptes entre les riches et les chefs des pauvres… car les ploutocrates reviennent toujours et partout au Pouvoir, les pauvres étant trop souvent victimes de leur irréflexion et les gens des media – de l’aède antique au présentateur d’actualités télévisées – étant fort vénaux.

Q. Ce livre est donc une promenade historique, une visite guidée dans le Musée du populisme. Cela signifie-t-il qu’il existe des causes et des effets récurrents dans l’histoire humaine qui mènent au populisme ?

Bien évidemment et cela revient à dire qu’il existe des critères qui permettent à l’observateur de différentier un véritable populiste – être rare – d’un banal démagogue. Il faut être très critique à l’égard de ce qu’affirment les journalistes et les « politologues », cette curiosité contemporaine, lorsqu’ils balancent, un peu au hasard, l’appellation de populiste, ce qui est souvent, pour ces ignorants, une accusation, alors que de nombreux exemples prouvent le bénéfice que certaines Nations ont retiré des gouvernements populistes… et l’étude des échecs est également instructive.

Un chapitre entier du livre est consacré aux valeurs populistes et un autre aux critères, universels et diachroniques, d’un gouvernement authentiquement populiste. Et l’on étudie les différences qui existent entre le régime populiste et le despotisme éclairé.

Q. Comment survient ce type de régime ?

Comme toujours en histoire, il faut, pour observer un phénomène hors du commun, la communion d’un chef charismatique et d’un groupe de compagnons résolus, unis par le même idéal… mais, hélas, pas toujours par des idées communes. Trop de théoriciens tuent un mouvement d’essence populiste avant qu’il puisse prétendre au Pouvoir. C’est ce que l’on a vu en France ou en Espagne durant l’entre-deux-guerres.

Q. Ma question était mal posée : pourquoi un mouvement populiste réussit-il une percée ?

Ce type de mouvement résulte toujours d’un mal-être profond de la Nation, dans ses couches laborieuses et honnêtes… ce qui suffit à différentier le populisme des partis marxistes, dirigés par de très ambitieux intellectuels déclassés et composés de sous-doués hargneux, envieux et fort peu motivés par le travail.

Dès qu’une ploutocratie cesse de proposer au peuple une ambition pour la génération active ou, de façon plus grave encore, une promesse d’avenir pour les descendants, elle devient insupportable. La situation devient intolérable, explosive, lorsque la Nation – soit la fraction autochtone du peuple – est menacée dans sa survie.

L’insurrection devient alors légitime, à moins qu’un mouvement, prenant en compte les besoins et les aspirations du peuple – singulièrement ces valeurs qui font l’identité d’une Nation –, rassemble une majorité électorale qui lui permette de parvenir démocratiquement au Pouvoir, ce qui évite l’insurrection, ses crimes et ses destructions… là encore, on mesure bien la différence entre le populisme et l’ignominie marxiste, où la Révolution est le bien suprême, nécessaire aux chefs et aux petits chefs pour se saisir du Pouvoir et des sinécures.  

Q. Finalement, le populisme, ce serait la réaction saine d’un peuple qui souffre, qui est écœuré de ses soi-disant élites et qui aspire à une vie plus digne, faite de travail et d’honnêteté dans la gestion des affaires publiques, permettant d’espérer un avenir meilleur pour les enfants et les petits-enfants ? 

Vous avez tout compris.

L'auteur : Bernard Plouvier est né en 1949. Il a été interne des hôpitaux puis chef de clinique au CHU de Lille. Depuis 1979, il est chef de service hospitalier, spécialisé en Médecine interne. Il a été élu membre de l’Académie des Sciences de New York en mai 1980. Il collabore régulière­ment à la revue Synthèse nationale ainsi qu'au site EuroLibertés.

samedi, 21 janvier 2017

Christophe Levalois : comprendre la royauté pour comprendre nos princes contemporains

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Christophe Levalois : comprendre la royauté pour comprendre nos princes contemporains

La fonction royale a marqué les sociétés humaines traditionnelles à travers le monde et son lien avec le sacré était son trait premier. Cette figure peut-elle éclairer l’échec actuel du politique ?

Entretien avec Christophe Levalois, historien, prêtre orthodoxe et auteur de l'ouvrage 'La royauté et le sacré' (Le cerf, 2016) : https://www.editionsducerf.fr/librair...

dimanche, 15 janvier 2017

Mort du célèbre journaliste d’investigation Udo Ulfkotte

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Mort du célèbre journaliste d’investigation Udo Ulfkotte

L’Allemagne et le monde ont perdu un très grand journaliste. Udo Ulfkotte n’avait que 56 ans quand il est mort d’un arrêt cardiaque le vendredi 13 janvier 2017. Le monde des patriotes et des amoureux de la vérité par les recherches sont tristes. Udo Ulfkotte a été un journaliste qui a dénoncé l’abominable manipulation des média officiels. Udo Ulfkotte a travaillé au Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) et a dénoncé les méthodes de sa rédaction pour manipuler les faits et donc l’information. Udo Ulfkotte est devenu un journaliste à succès pour ses nombreux livres publiés sur le danger de la guerre civile en Allemagne ou en Europe, sur le mensonge des journalistes, sur le mensonge des enseignants. Udo Ulfkotte a reçu une liste incroyable de menaces de mort pour ses positions directes. Udo Ulfkotte a dénoncé la politique menée par Merkel qui mène à la destruction de l’Allemagne. Le journaliste dénonçait sans relâche la censure, le mensonge des responsables politiques qui dirigent les nations dont l’Allemagne. Dans des dernières publications sur Facebook Udo Ulfkotte dénonçait le fait qu’un retraité doive payer une amende de 200 euros pour une retraite de 300 euros car le retraité en question faisait les poubelles pour pouvoir se nourrir. Dans une autre dernière publication sur Facebook, Udo Ulfkotte invitait ses lecteurs à le suivre sur vkontakte, la version russe de Facebook, car Facebook censurait trop souvent Udo Ulfkotte.

Udo Ulfkotte a inspiré de nombreux journalistes pour rétablir la vérité par les faits. J’ai rencontré Udo Ulfkotte la première fois à Berlin dans une conférence en 2006. Je me promenais avec une caméra. « Vous travaillez pour qui », fut sa question. « Je suis journaliste indépendant », je répondis. « Cela n’existe pas », répondit Udo Ulfkotte de manière agacée. Udo Ulfkotte était un homme proche du peuple et de la société et tous les aspects de la société l’intéressait. Udo Ulfkotte répondait aux questions par mail très rapidement dans une très grande simplicité.

Pour la Voix de la Russie, j’ai réalisé des entretiens avec Udo Ulfkotte. Je vous propose de les relire en mémoire d’un journaliste qui a réalisé un travail colossal pour avertir le peuple allemand sur le danger de sa destruction. Udo Ulfkotte reste un exemple à suivre pour ceux qui souhaitent devenir un jour journaliste !

Udo Ulfkotte est mort trop jeune. Il avait encore des projets de lire à écrire pour faire des révélations…

Les entretiens avec Udo Ulfkotte

Udo Ulfkotte : l’Allemagne n’est pas un Etat libre et souverain !

Udo Ulfkotte est le journaliste qui a, dans un entretien donné à RT, confirmé au monde que l’Allemagne n’est pas une démocratie avec une presse libre mais une colonie, et révélé avoir travaillé comme journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung, illustre titre de la presse allemande, pour le compte de la CIA. Udo Ulfkotte donne toutes ces révélations dans son livre paru cet octobre, « Gekaufte Journalisten – Wie Politiker, Geheimdienste und Hochfinanz Deutschlands Massenmedien lenken » (Journalistes achetés – Comment les politiciens et la finance dirigent les médias de masse). Ses déclarations ont fait le tour de la planète et confirmé aux lecteurs, qui se doutent bien que rien ne va pas plus avec les médias de masse, qu’ils sont désinformés et manipulés par des journalistes formés à mentir. Au-delà de sa position sur les médias, Udo Ulfkotte est aussi connu pour ses livres d’investigations sur l’islam, les services secrets, l’immigration de masse, la menace de guerre civile en Europe, des sujets où il est prophète en la matière. Udo Ulfkotte a, par exemple, dérangé avec son livre « La guerre dans nos villes. Comment des islamistes radicaux infiltrent l’Allemagne » paru en 2003. Les services secrets allemands et le pourvoir politique ont tenté de l’intimider et ont tout fait pour faire disparaître son livre. Udo Ulfkotte est un journaliste d’investigation qui n’a pas peur de mettre la plume dans la plaie. Dans un entretien en deux parties, Udo Ulfkotte nous donne son avis sur les médias, sur l’islamisation, sur l’Etat islamique, sur les services secrets et sur l’immigration de masse (Lampedusa), nous parle de l’arrivée imminente de la guerre civile et nous donne des conseils.

LVdlR : Que vouliez-vous obtenir dans l’entretien de RT ?

Udo Ulfkotte : Après trois infarctus je souhaitais avant tout alléger ma conscience car j’ai aujourd’hui honte de ce que j’ai fait dans le passé. Il faut le savoir. Les gens ont cru qu’ils allaient, par de tels journaux réputés comme le Frankfurter Allgemeine Zeitung, être correctement informés sur la vérité des faits. Ces lecteurs ont d’ailleurs acheté ce journal pour cette vérité ! La vérité est que parmi les médias réputés en Allemagne se trouvent, ou se sont trouvés, certains journalistes qui n’ont écrit que ce que l’OTAN souhaitait. Ces médias ont donc une approche très unilatérale de la vérité et les citoyens qui les consomment ne le savent pas !

LVdlR : Doit-on vous aborder en tant qu’ancien agent de la CIA ou comme journaliste ?

Udo Ulfkotte : Dans mon certificat de travail rédigé par le Frankfurter Allgemeine Zeitung il est mentionné que j’y ai travaillé 17 ans et que j’étais en charge des services secrets internes et externes. Il n’était pas seulement question que de la CIA. Je veux en effet rester au plus prêt de la vérité.

LVdlR : Vous auriez vécu en RDA, auriez-vous été tout ce temps un IM (informateur non officiel de la Stasi) ?

Udo Ulfkotte : Les Américains ont un nom pour mon activité en tant que journaliste : Non Officiel Cover – NOC. Un IM (informateur non officiel de la Stasi) en RDA signe une décharge montrant son engagement. Au contraire de certains de mes collègues je n’ai rien signé auprès des services secrets.

LVdlR : Quels journaux et quels médias aujourd’hui ont une activité réellement journalistique ?

Udo Ulfkotte : Comme je l’écris dans mon livre, on ne trouve pas un seul média allemand connu qui ne soit pas en relation très étroite avec les réseaux américains. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les Américains ont élaboré un plan pour avoir le dessus sur les reportages en Allemagne et aussi dans le but d’endoctriner les Allemands dans une pensée pro-américaine. C’est toujours valable jusqu’à aujourd’hui. Mais grâce à l’Internet nous avons des médias indépendants qui se dégagent de cette propagande comme le KOPP .

LVdlR : Avez-vous encore de l’espoir dans le rôle des médias ?

Udo Ulfkotte : Oui, bien sûr. Les Allemands ne consomment plus de médias pro-américains et ils le font savoir par le choix du porte-monnaie. Les lecteurs n’achètent plus le Frankfurter Allgemeine Zeitung, un titre de presse qui vient de licencier 200 collaborateurs. Les licenciements touchent aussi les autres titres. Les citoyens sont de plus en plus demandeurs de sites internet pour l’information. Les sites russes, ce qui était impensable avant, sont appréciés des lecteurs.

LVdlR : L’Europe se réveille avec l’islam dans sa maison. L’Europe bientôt musulmane et bientôt la conversion des Européens ?

Udo Ulfkotte : Les Européens ont mis du temps à se réveiller sur la question de l’islam. Mais maintenant quand une mosquée est construite dans chaque village, ils se réveillent. Nous avons en Allemagne actuellement sur 80 millions d’habitants 5 millions de musulmans. Cela ne devrait pas être un problème mais ils ont un fort taux de natalité et ils exercent des pressions sur les élus pour établir partout leur idéologie. De plus en plus d’Allemands se sentent comme des individus de seconde classe parce que les musulmans obtiennent des droits particuliers. J’ai suivi un procès dans lequel un musulman, qui a assassiné son voisin allemand durant le ramadan, a obtenu une réduction de peine en raison de son appartenance à l’islam. Le juge a considéré qu’il fallait avoir de la compréhension car les musulmans, devant jeûner, sont irascibles. Je n’ai jamais encore entendu lors d’un procès qu’un chrétien, qui aurait commis un homicide pendant le jeûne des chrétiens, aurait pu obtenir une atténuation de sa peine. Les tribunaux sont remplis de jugements de ce genre. Les Allemands sont en particulier irrités de voir les musulmans avoir le droit d’avoir 4 femmes et de les faire venir de leur pays et de pouvoir toucher pour elles les allocations. La colère monte parmi la population. Les Allemands, pour cette raison, quittent en masse les partis traditionnels qui sont responsables de cette politique. Un jour ou l’autre la situation va exploser ici. Il suffit d’une étincelle. Quand l’euro, cette monnaie qui fait penser à l’argent du Monopoly, va s’effondrer et dévorer les économies des épargnants, tout va partir dans tous les sens ici. Je conseille aux musulmans de faire leur valise très rapidement et de quitter le pays pour toujours quand cela va arriver…

LVdlR : L’Allemagne une colonie des Etats-Unis, des islamistes, de l’Arabie saoudite et du Qatar ?

Udo Ulfkotte : C’est tout à fait exact. L’Allemagne n’est pas un Etat libre et souverain. Les Etats-Unis stockent des armes nucléaires en Allemagne alors que la majorité des Allemands sont contre. Le Qatar et l’Arabie saoudite financent l’islamisation contre la volonté des Allemands.

Udo Ulfkotte : le Mossad a alimenté les révoltes dans les banlieues (Partie 2)

Est-il nécessaire de rappeler qu’Udo Ulfkotte, journaliste d’investigation et auteur de nombreux ouvrages politiques, est cette personne qui a révélé au monde avoir reçu, tout au long de sa carrière, des ordres des services secrets pour écrire le contenu de ses articles dans l’illustre journal allemand, die Frankfurter Allgemeine Zeitung ? Cette personne qui dit que les médias fonctionnent sur ce modèle et non pas dans l’intérêt des lecteurs et auditeurs, car les journalistes sont éduqués à mentir. Udo Ulfkotte écrit des livres qui ne sont pas souhaités par le pouvoir en Allemagne comme par le Ministère de l’intérieur, car la population ne doit pas être informée de l’état réel du pays. Alors qu’en France nous vivons une prise de conscience sur l’islam, Udo Ulfkotte explique que le Mossad a aussi sa part de responsabilité ou pédagogique dans la conscience collective des Français sur ce terrain. La France est, comme l’Allemagne, une colonie et un pays ayant perdu sa souveraineté, le joujou de puissances étrangères. Pour Udo Ulfkotte, l’avenir est sombre et les habitants, surtout des grandes agglomérations, seront forcément touchés par la guerre civile.

LVdlR : L’islam, une arme au service des globalistes et du monde de la finance ?

Udo Ulfkotte : Les Etats Unis et les Saoudiens n’utilisent pas l’islam uniquement en Allemagne mais dans le monde entier pour déstabiliser des Etats et pour que ces Etats soient occupés avec eux-mêmes. Des peuples ayant un niveau d’intelligence élevé sont immunisés contre l’idéologie de l’islam. En Corée du Sud ou à Hong Kong, l’islam n’a aucune chance. Cette idéologie n’avance que parmi des groupes d’individus ayant en moyenne un quotient intellectuel faible ou tendant à la baisse. L’islam n’est pas seulement une religion mais une idéologie qui est facilement compréhensible pour le plus stupide. C’est la recette du succès de l’islam. C’est pour cette raison que ces groupes de personnes pas spécialement intelligents se laissent manipuler comme des marionnettes. C’est ce qui se passe en Allemagne comme en Irak.

LVdlR : Doit-on prendre sérieusement au sérieux la création de l’Etat islamique (EI) ?

Udo Ulfkotte : Non, car derrière se trouvent des actions et des intérêts américains, saoudiens, koweïtiens et qataris. Ils ont été lancés et soutenus par l’Occident. Si les Etats-Unis et l’Arabie saoudite voulaient réellement s’en débarrasser, ils couperaient en l’espace d’une nuit leur alimentation en énergie et leur ravitaillement militaire pour les renvoyer au Moyen Âge. Mais selon toute vraisemblance on ne le souhaite pas. Ce sont des idiots utiles.

LVdlR : Est-ce que la démocratie a déjà existé en Allemagne ?

Udo Ulfkotte : L’Allemagne a été une démocratie après la Première Guerre mondiale à l’époque de la République de Weimar. La démocratie n’est aujourd’hui que simulée. C’est une illusion, une hallucination. L’Allemagne est une République bananière, une colonie des Etats-Unis.

LVdlR : Le Gender, la plastination, les migrants africains comme une chance pour l’Allemagne, Lampedusa, Hartz IV, islam, manipulation, que des valeurs inversées ? Pourquoi ?

Udo Ulfkotte : Oui, les Allemands n’ont plus de valeurs. Le système, qui était basé sur des valeurs chrétiennes, a étéintentionnellement détruit. Celui qui n’a plus de valeurs ne peut plus défendre le système de valeurs. Il n’a plus de conscience en lui même et plus d’identité. C’était exactement l’objectif. La politique sous les ordres des Etats-Unis l’a exactement appliqué.

LVdlR : Islamisation, pauvreté, chute de la démocratie, crise financière, corruption, des causes de la guerre civile à venir ? Ou voyez-vous d’autres causes ?

Udo Ulfkotte : Stop ! Vous nommez beaucoup de causes différentes les unes des autres. Mais le détonateur principal sera l’effondrement de l’euro, quand les Allemands vont devoir payer avec leurs épargnes les dettes incroyables d’autres Etats membres. Arrivé à ce stade on n’aura plus d’argent pour les retraités et pour les masses de musulmans qui vivent de l’aide sociale. Vous devez savoir que plus de 90 % des Libanais qui vivent en Allemagne, vivent de l’aide sociale, comme 67 % des Irakiens, de presque tous les Albanais du Kosovo, tous les Afghans, les Syriens et ainsi de suite. Si le système social s’effondre avec la prochaine crise financière, on n’aura pas seulement une bombe atomique qui va exploser ici.

LVdlR : Qu’est-ce-que le Mossad à avoir avec les révoltes dans les banlieues ? Est-ce qu’Israël joue un rôle dans l’islamisation de l’Europe ?

Udo Ulfkotte : Oui, le Mossad a bien sûr alimenté les révoltes dans les banlieues. Il ne l’a pas initié mais provoqué pour avoir plus d’antipathie en France contre l’islam. Parce que les Français sont pro-Palestiniens.

LVdlR : Quelle forme de guerre civile voyez-vous ?

Udo Ulfkotte : Seulement dans les métropoles, pas à la campagne. Mais dans les grandes villes nous allons avoir les Allemands contre les étrangers, les chrétiens contre les musulmans, les pauvres contre les riches, les chômeurs contre ceux qui travaillent, des actions violentes qui mettront tout à feu et à sang. Même l’armée ne pourra rien faire. Je n’achèterais pas une maison dans et autour d’une métropole.

LVdlR : CIA et services secrets allemands pas au service du peuple ?

Udo Ulfkotte : Ils ne travaillent que pour les élites, jamais dans l’intérêt de la population. Ils sont des instruments des puissants pour qu’ils puissent conserver et accroître leur pouvoir.

LVdlR : Pourquoi les populations africaines viennent facilement dans le pays ? Un programme ?

Udo Ulfkotte : L’explication est la suivante. Les Etats-Unis mènent des guerres pour les matières premières au niveau mondial. En conséquence on a des réfugiés en masse. Et les pays comme l’Allemagne, donc les colonies des Etats-Unis, doivent subir les conséquences des guerres faites par les Etats-Unis. C’est une manière simple de parler de l’action des Etats-Unis.

LVdlR : Que conseillez-vous aux lecteurs de faire ? De construire un bunker ? De stocker des armes, de la nourriture et de faire du feu avec les journaux ?

Udo Ulfkotte : Non, cela serait absurde. Moi même j’ai quitté Francfort sur le Main et ses alentours pour m’installer à la campagne. J’ai ma source d’eau, beaucoup de bétail, des oies, des canards et je suis aussi propriétaire de mon bois. Celui qui vit en Allemagne devrait avoir de bons amis à la campagne pour pouvoir y fuir le moment venu. Tôt ou tard ces nettoyages auront une fin. On peut tout recommencer à nouveau. L’Histoire signifie finalement le changement. Et dans les prochaines années nous allons avoir ici beaucoup de changements.

Olivier Renault

vendredi, 13 janvier 2017

"The Holy Roman Empire" with Peter H. Wilson

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"The Holy Roman Empire" with Peter H. Wilson

Rana Mitter reads a new history of the Holy Roman Empire written by Chichele Professor of History Peter H. Wilson.

Darío Fernández-Morera, author of 'The Myth of the Andalusian Paradise'

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Darío Fernández-Morera, author of 'The Myth of the Andalusian Paradise'

Focus Today

Darío Fernández-Morera, author of the new book, The Myth of the Andalusian Paradise: Muslims, Christians, and Jews under Islamic Rule in Medieval Spain, explains why President Obama is wrong to say that Islam has a proud tradition of tolerance.


Originally aired on theDove TV & Radio 3-10-16
See more at http://thedove.us and http://facebook.com/thedoveonline

 

An Ancient Route Rolls On: Questions For Peter Frankopan, Author Of 'The Silk Roads'

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An Ancient Route Rolls On: Questions For Peter Frankopan, Author Of 'The Silk Roads'

The Silk Roads, A New History of the World, by Peter Frankopan, Hardcover, 645 pages, purchase
 
Ex: http://www.npr.org 

frankopan.jpgThe very mention of the Silk Roads creates an instant image: camel caravans trudging through the high plains and deserts of central Asia, carrying silks, spices and philosophies to Europe and the larger Mediterranean. And while these ancient routes may remain embedded in our imagination, they have, over the past few centuries, slowly faded inIMPORTANCE. The region today is home to despotic regimes, failing states and endless conflict. But historian Peter Frankopan thinks that the Silk Roads "are rising again."

In his new book, The Silk Roads, Frankopan has created something that forces us to sit up and reconsider the world and the way we've always thought about it. Western scholarship, he argues, has long ignored the routes linking Europe to the Pacific, the areas he calls "the axis on which the globe spun." So he has chosen to focus firmly on the Silk Roads, for what he calls "a new history of the world."

The book takes us by surprise right from the start: It begins not with the Greeks or the Romans, but with the Persian Empire — Frankopan writes that the Greeks and Romans, when they thought to expand, moved east toward the riches of Persia, rather than north or west into Europe. In an email conversation, Frankopan tells me that he wanted to explore exchange between the East and the West of everything from ideas and beliefs to food andFASHION. "Incidentally, it's not just luxury goods that I track — silks, textiles, spices, ceramics and slaves — but violence and disease, too," he says. "For example, the pathways followed by the Mongols and the Black Death were identical."

As you worked on this book, what struck you as the most important contributions the Silk Roads made to world history?

One thing that I was particularly interested in is the spread of faith along the Silk Roads. All the great global religions — Judaism, Christianity, Islam, Buddhism and Hinduism, as well as lots of otherIMPORTANT but less well-known belief systems — spread along the web of routes crisscrossing the spine of Asia.

I was also very struck by the scale of the white slave trade in the early Middle Ages — huge numbers of men, women and children were trafficked from Europe to the east in return for silver. I think readers will be surprised by that. But most of all is the fact that the Silk Roads keep on being involved all the time in more or less everything: they play the lead role in the expeditions of Columbus, who was trying to connect to the trade routes of the east; they were crucial to the origins of World War I — whose origins were firmly based in Asia, even though the trigger came from the assassination of Franz Ferdinand in Sarajevo.

There is a profound significance to the origins of the Holocaust, too, for example: Documents relating to German agricultural production and needs show that the decision to invade the Soviet Union was closely linked to taking control of the wheat fields of the rich lands lying north of the Black and Caspian Seas. The failure to "extract" the expected harvests from what is now Ukraine and Southern Russia led to discussions first about how to feed back in German controlled territories and then about who to feed. Those in prison camps found their calories reduced and then cut altogether; the jump to genocide was directly linked to the failure of the campaigns in the east.

We just don't look at this region at all — so have never thought to join up all these dots before.

You write, "We are seeing the signs of the world's center of gravity shifting — back to where it lay for millennia." But some argue that the world's center is shifting not toward the Silk Roads but farther East — toward China, Southeast Asia and India.

I can't speak for those who believe that the center of gravity is moving elsewhere. Many seem to think China and/or India exist in a bubble and can be looked at on their own. But I am much more interested in how China engages with Russia, with Iran, with the Middle East and with Central Asia — as well as with Southeast Asia. And that, by the way, is how China itself sees the world. China's signature foreign policy for the next 30 years is ... essentially the construction of a series of new Silk Roads.

China has dramatically rising energy needs as its middle classes grow in number and prosperity. So pipelines bringing oil and gas from mineral-rich countries like Kazakhstan, Turkmenistan and Iran have been or are being built to help fuel China's growth. And as a historian, it gives me no small pleasure to realize that those pipelines follow the same paths that traders bringing goods followed 2 1/2 thousand years ago.

Nishant Dahiya is NPR's Asia Editor