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mardi, 28 juin 2016

«Les droits de l’homme érigés en religion détruisent les nations»

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«Les droits de l’homme érigés en religion détruisent les nations»: Jean-Louis HAROUEL

Source : Grand Entretien du FigaroVox avec Jean-Louis Harouel à propos de son dernier livre : « Les droits de l’homme contre le peuple ».

 

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Par Alexandre Devecchio

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - À l'occasion de la sortie de son livre Les droits de l'homme contre le peuple, Jean-Louis Harouel a répondu au FigaroVox. Il dénonce une nouvelle religion séculière centrée sur l'obsession de la non-discrimination qui paralyse la politique des pays occidentaux.

Jean-Louis Harouel est professeur agrégé de droit à Paris II et auteur de «La grande falsification. L'art contemporain», «Le vrai génie du christianisme» et «Revenir à la nation» (Editions Jean-Cyrille Godefroy). Son dernier ouvrageLes droits de l'homme contre le peuple est paru aux éditions desclée de Brouwer.

FIGAROVOX. - Après le massacre d'Orlando, les commentaires et les mises en accusation se sont succédé. On s'est focalisé sur l'aspect homophobe du crime, on a pointé du doigt les mouvements conservateurs et les religions monothéistes. L'islamisme est passé au second plan. Les démocraties occidentales sont-elles de nouveau tombées dans le piège de ce que vous appelez «la religion des droits l'homme»?

Jean-Louis HAROUEL. - Autant il est aisé de condamner au nom de l'Évangile les violences provoquées ou cautionnées par la religion chrétienne, autant il n'est guère possible de condamner la violence musulmane au nom des textes saints de l'islam, dès lors que l'invitation à la violence y est expressément et abondamment inscrite. Concernant l'homosexualité masculine - la seule ayant été prise en compte -, les sociétés chrétiennes l'ont certes longtemps réprouvée et punie sévèrement au motif que la Bible (Genèse, 19) rapporte que Yahvé a lancé le feu du ciel sur Sodome et Gomorrhe. Mais, déjà dans la France de Louis XV, ainsi que l'a constaté l'historien Maurice Lever dans son livre Les bûchers de Sodome (1985) où il notait l'absence des bûchers à cette époque, la royauté de droit divin faisait preuve d'une grande modération. Au contraire, les textes saints de l'islam sont féroces. Il y a en particulier un hadith terrible du Prophète qui invite les croyants à tuer les homosexuels: «L'envoyé d'Allah - Bénédiction d'Allah et Salut sur Lui - a dit: Qui que vous trouviez qui agit à la manière des gens de Loth, tuez l'actif et le passif». Ce texte figure dans la Sunna (rassemblant les actes, dires et approbations de Mahomet: les hadiths) dont la réunion avec le Coran constitue la Charia. Or celle-ci est le guide de ceux qui veulent revenir au respect de la loi divine. Le lien avec le massacre d'Orlando est plus qu'évident.

C'est un déni de réalité que de mettre systématiquement sur le même plan les religions monothéistes afin de ne pas avoir à prononcer de critique envers l'islam.

C'est un déni de réalité que de mettre systématiquement sur le même plan les religions monothéistes afin de ne pas avoir à prononcer de critique envers l'islam. Ce déni de réalité est pratiqué par les démocraties occidentales au nom d'un «politiquement correct» qui n'est qu'un aspect d'une religion séculière que l'on peut appeler religion des droits de l'homme.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, cette religion a très largement occupé le vide creusé en Europe occidentale à la fois par l'effondrement de la pratique religieuse chrétienne et par l'implosion du communisme soviétique.

Avatar de la religion de l'humanité, le culte des droits de l'homme a remplacé depuis quelques décennies le communisme - dont il partage la nature de religion séculière - dans son rôle d'utopie censée instaurer le règne du bien sur la terre. Dans cette nouvelle religion séculière, les droits de l'homme sont en charge de la promesse du royaume de Dieu sur la terre, en charge du projet d'une humanité réconciliée grâce à l'instauration d'une société parfaite, au moyen de la mutation du monde ancien en un monde nouveau entièrement cosmopolite et fondé exclusivement sur les droits des individus.

À la suite de François Furet, l'historien américain Samuel Moyn a confirmé en 2010 dans The last Utopia que l'hégémonie de l'idéologie des droits de l'homme depuis les dernières décennies du XXe siècle s'est édifiée sur les ruines des idéologies révolutionnaires. C'est de l'implosion des utopies antérieures qu'est née la «dernière utopie» que sont les droits de l'homme comme norme suprême censée faire advenir un monde meilleur.

En quoi les islamistes se servent-ils des droits de l'homme pour accroître leur influence?

Dans la mesure où ils favorisent le succès des revendications musulmanes, les droits de l'homme contribuent à la montée en puissance de l'islam en France et dans les autres pays occidentaux. Lorsque, au nom du principe de non-discrimination, des droits individuels sont reconnus (par la loi, le juge ou l'administration) à des membres d'un groupe identitaire au titre de leur appartenance à ce groupe, ces droits deviennent des droits du groupe, et donc des droits collectifs. La sacralisation des droits individuels par la religion séculière des droits de l'homme aboutit finalement à la mise en place de droits identitaires, ce dont l'islam a su tirer un grand profit.

L'islam ne manque jamais d'utiliser l'arme des droits de l'homme pour contraindre les pays européens à adopter un profil bas face à la population musulmane qui y vit. Sous couvert de non-discrimination et de respect de la liberté religieuse, c'est une civilisation antagoniste de la civilisation européenne qui poursuit son entreprise de conquête et de domination.

En Europe occidentale, l'islam a profité à plein des droits de l'homme. C'est sur eux que se fondent les revendications vestimentaires, alimentaires et autres des musulmans.

En Europe occidentale, l'islam a profité à plein des droits de l'homme. C'est sur eux que se fondent les revendications vestimentaires, alimentaires et autres des musulmans, lesquelles relèvent en réalité d'une prise de pouvoir de nature politique, d'une appropriation de territoires, d'une domination de secteurs de la société. L'islam combinant en lui le politique, le juridique et le religieux, toute concession faite à l'islam comme religion est aussi une concession faite à l'islam politique et juridique, avec pour effet de transformer peu à peu les pays européens concernés en terres musulmanes.

Selon vous, les droits de l'homme sont mis au service d'une «immigration colonisatrice». Beaucoup d'immigrés viennent en Europe et en France pour mieux vivre ou par attrait pour le modèle occidental et non pour nous coloniser ….

Je suis bien d'accord avec vous: beaucoup d'immigrants s'introduisent et s'incrustent en Europe occidentale simplement pour des raisons d'intérêt personnel, pour jouir d'un niveau de vie et de conditions d'existence infiniment meilleurs que dans leur pays. Ils n'ont pas d'arrière-pensées colonisatrices ou conquérantes. Mais les Wisigoths, les Burgondes et les Francs jadis autorisés par le pouvoir impérial à trouver refuge et à s'installer sur le territoire de l'Empire romain d'Occident n'avaient pas non plus d'intentions conquérantes. Simplement, deux générations plus tard, ils avaient pris le pouvoir et s'étaient taillé des royaumes sur le territoire de l'Empire anéanti. L'histoire montre par de nombreux exemples qu'une immigration numériquement minoritaire mais vigoureuse peut s'emparer durablement du pouvoir et dominer la population autochtone.

Aussi bien certaines personnalités musulmanes ne cachent-elles pas leurs intentions conquérantes en Europe. Tel le cheikh Youssouf al Quaradawi, l'un des principaux de l'UOIE (Union des organisations islamiques européennes, dont la branche française est l'UOIF), qui déclarait en 2002: «Avec vos lois démocratiques nous vous coloniserons. Avec nos lois coraniques nous vous dominerons.»

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Que faites-vous des réfugiés?

On ne peut pas ne pas secourir les réfugiés. Pour autant, nous n'avons pas les moyens de les accueillir sur la base des niveaux de vie et modes de vie occidentaux. Ils ne peuvent raisonnablement attendre de nous que des conditions de logement ainsi que des prestations sociales et médicales minimales. De plus, il ne faut pas leur laisser penser qu'ils vont s'installer durablement chez nous. Il faut leur faire savoir que, dès que la situation sera rétablie dans leur pays, ils seront invités à y repartir. D'ailleurs, autant l'accueil s'impose moralement pour les enfants, les mères et les vieillards, autant la place normale des hommes jeunes et adultes n'est pas ici mais dans leur pays, sur le sort duquel ils semblent avoir bien vite tiré un trait. Dans bien des cas, la qualité même réelle de réfugié dissimule plus ou moins une immigration motivée par la recherche d'une vie plus facile, c'est-à-dire une immigration économique.

Étant donné l'énorme accroissement démographique au sud de la Méditerranée, l'Europe doit s'attendre à voir prochainement déferler une immigration économique d'une ampleur encore jamais vue.

Or, étant donné l'énorme accroissement démographique au sud de la Méditerranée, l'Europe doit s'attendre à voir prochainement déferler une immigration économique d'une ampleur encore jamais vue, se comptant en dizaines de millions d'individus s'invitant dans nos pays dans l'espoir d'y améliorer leurs conditions de vie. Mais l'Europe occidentale sera incapable d'absorber une telle masse d'immigrés. Elle périra à moins que les immigrants économiques ne soient systématiquement reconduits dans leur pays. Cependant, pour que les États concernés acceptent de favoriser la reconduite de leurs ressortissants, il est évident qu'il sera indispensable de rétribuer leur bonne volonté par une énorme augmentation de l'aide au développement. Spécialiste reconnu des questions de développement, Claude Sicard, dans un article de la Revue politique et parlementaire (n° 1076, décembre 2015), préconise la création par les pays européens d'une taxe de 50% sur les dépenses publicitaires, destinée à financer le retour le retour dans leurs pays respectifs des immigrants économiques reconduits chez eux.

En quoi les droits de l'homme nous condamnent-ils à l'impuissance collective?

Pour mettre fin à l'appel d'air permanent qui attire par millions les immigrants d'origine extra-européenne, il faut restaurer la discrimination fondatrice de l'idée de cité: celle qui traite différemment le citoyen et le non-citoyen, le national et l'étranger. Il faudrait idéalement qu'il n'y ait plus d'intérêt matériel à s'incruster illégalement sur le sol français. Or cela va à l'encontre de la religion séculière des droits de l'homme.

Dès l'aube des années 1980, Marcel Gauchet avait bien vu que, si les démocraties européennes faisaient des droits de l'homme leur politique, elles se condamneraient à l'impuissance collective. La religion des droits de l'homme handicape très dangereusement la France face au déferlement de l'immigration et à la présence sur son sol d'un islam de masse. Instaurant une morale d'État vertueusement suicidaire, la religion des droits de l'homme interdit à nos dirigeants d'envisager ces problèmes et d'y répondre d'un point de vue politique.

La religion des droits de l'homme est la négation des droits collectifs des nations européennes. Elle refuse à la collectivité nationale le droit de vivre comme elle le souhaite. La souveraineté démocratique consiste dans la propriété d'un groupe humain sur lui-même, son destin, son identité, son sol, son patrimoine matériel et immatériel. Refusant cette souveraineté, la religion des droits de l'homme détruit l'idée de patrimoine d'un groupe humain, elle prétend le contraindre à le partager, le mettre en commun. Bref, c'est une nouvelle forme de communisme.

Pour combattre la menace islamiste, faut-il renoncer à ce que nous sommes, nous trahir? Les droits de l'homme ne font-ils pas partie des fondamentaux de l'Occident au même titre que les racines chrétiennes?

La religion séculière des droits de l'homme n'est pas, malgré les apparences, d'origine chrétienne, car elle découle de deux grandes hérésies: la gnose et le millénarisme. Les droits de l'homme comme religion ne sont pas un prolongement du christianisme: c'est un système de croyances post-chrétien.

La religion (ou utopie) des droits de l'homme qui règne aujourd'hui ne relève pas des «fondamentaux de l'Occident» au même titre que ses racines chrétiennes. Inspirée par une compassion cosmique indifférente aux États et aux nations, sa conception des droits individuels est profondément différente de la conception classique, celle des déclarations américaines et française de la fin du XVIIIe siècles, lesquelles ont établi avant tout les libertés publiques des citoyens au sein des États-nations démocratiques. D'ailleurs, ces deux réalités très différentes sont désignées dans la langue anglaise par des appellations distinctes: pour les droits de l'homme actuels, human rights, terme apparu seulement au milieu du XXe siècle ; tandis que, pour les droits individuels reconnus aux citoyens en 1776 et 1789, on parlait de rights of man. À cela répond en France la distinction entre d'une part les «libertés publiques», centrées sur les seuls nationaux, et d'autre part les «droits fondamentaux» - terme introduit dans les années 1970 - dont les grands bénéficiaires sont les étrangers, systématiquement admis à tous les acquis et avantages des peuples européens.

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Nous sommes confrontés à deux impératifs vitaux : bloquer d'urgence les flux migratoires et arrêter le processus de la conquête musulmane.

La fidélité aux «fondamentaux de l'Occident» passe par le rejet du délire anti-discriminatoire suicidaire de la religion séculière des droits de l'homme et le retour aux droits de l'homme conçus comme protecteurs des citoyens contre le pouvoir, c'est-à-dire aux libertés publiques - centrées sur les seuls nationaux - qui sont notre patrimoine juridique.

Pour «résister» aux droits de l'homme, vous allez jusqu'à prôner des mesures dérogatoires ou discriminatoires. Le risque n'est-il pas tout simplement de renoncer à la démocratie pour aller vers des régimes autoritaires, voire totalitaires?

Nous sommes confrontés à deux impératifs vitaux: bloquer d'urgence les flux migratoires et arrêter le processus de la conquête musulmane. Pour cela, il nous faut résister à la religion séculière des droits de l'homme qui favorise notre submersion par une immigration extra européenne sans limite et la domination d'une civilisation musulmane conquérante qui veut imposer ses mœurs et son droit. Pour tenter de survivre comme peuple, nous n'avons pas le choix: nous sommes dans l'obligation de rétablir ou de créer des discriminations, lesquelles ne contredisent d'ailleurs nullement la démocratie, bien au contraire.

Les fanatiques d'une immigration érigée en droit de l'homme prétendent mener en faveur des étrangers entrés clandestinement un combat citoyen. C'est une imposture: leur combat est un combat contre la cité et la citoyenneté, un combat anti-citoyen et anti-démocratique.

La démocratie repose sur l'idée de discrimination. En son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 énonce que «le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation». Il n'y a pas de démocratie possible en l'absence d'un cadre territorial et humain bien précis. Ainsi que l'écrit Rousseau au début de l'Émile, «où il n'y a pas de patrie, il ne peut plus y avoir de citoyens». Patrie, démocratie: dans les deux cas, il s'agit du peuple, d'un peuple particulier. L'existence d'une démocratie suppose une discrimination entre citoyens et non-citoyens, entre nationaux et étrangers.

Quant à une discrimination à l'égard de l'islam, elle n'est pas davantage contraire à la démocratie. D'ailleurs, c'est la démocratie la plus ancienne et la plus exemplaire du monde, la démocratie helvétique, qui nous en donne l'exemple et nous montre la voie. En interdisant la construction de minarets, le peuple suisse n'a aucunement restreint la liberté religieuse, il a instauré une discrimination d'ordre symbolique destinée à faire comprendre aux musulmans vivant dans le pays que la Suisse n'était pas une terre d'islam, que la civilisation arabo-musulmane n'y était pas chez elle et ne devait pas chercher à y imposer ses mœurs et ses règles de droit prétendument divines. Dans le même esprit, il est vital d'adopter en France et dans les autres pays européens des mesures discriminatoires l'égard de l'islam. C'est une discrimination amplement justifiée par le fait que l'islam est avant tout un système politique et juridique, qui fonctionne en France et dans les autres pays européens comme une machine de guerre dirigée contre la civilisation européenne dans le but de lui substituer la civilisation arabo-musulmane.

De toute manière, si nous laissons se poursuivre la conquête musulmane, nous sortirons purement et simplement des droits de l'homme, car les textes fondateurs de l'islam sont porteurs d'un système structurellement ultra-discriminatoire (à l'encontre des non-musulmans, des femmes, des esclaves) et négateur de la liberté d'expression. La Déclaration sur les droits de l'homme en islam de 1990 interdit d'exprimer toute opinion «en contradiction avec les principes de la Charia».

Charles Beigbeder: l’Europe ne peut plus ignorer les aspirations de ses peuples

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Charles Beigbeder: l’Europe ne peut plus ignorer les aspirations de ses peuples

PROPOS recueillis par Ferenc Almássy

Ex: http://visegradpost.com

Ferenc Almássy s’est entretenu pour le Visegrád Post avec Charles Beigbeder, homme d ‘affaire et homme politique français.


Visegrád Post : Vous avez récemment écrit à notre rédaction pour nous faire part de votre soutien au groupe de Visegrád et à Orbán. En tant que libéral, comment analysez-vous les déclarations de Viktor Orbán de l’été 2014, portant sur la « démocratie illibérale » qu’il appelle de ses vœux ?

Charles Beigbeder : Je ne suis pas libéral au sens où beaucoup l’entendent, je ne crois pas que le monde ne soit régi que par les lois du marché. Le libéralisme a sa pertinence mais uniquement dans le domaine de l’avoir, celui qui régit l’échange des biens et services. Dans le domaine de l’être, je suis pour la préservation de notre identité, de notre culture et de nos traditions ainsi que du cadre national dans lequel elles sont transmises au fil des générations. Oui à une économie de marché conquérante et ouverte sur le monde, non à une société de marché qui déboucherait sur une marchandisation des êtres spirituels que sont les personnes et les nations ! Je suis donc un libéral-enraciné ou un patriote défenseur des libertés, partisan d’un État fort mais réduit au domaine régalien.

C’est pourquoi, je me reconnais pleinement dans les propos de Viktor Orbán prononcés en juillet 2014 : « La nation hongroise n’est pas seulement une agrégation d’individus mais une communauté qui doit être organisée, renforcée et construite. En ce sens, le nouvel État que nous construisons en Hongrie est un État illibéral, et pas libéral […] sans renier les valeurs fondamentales du libéralisme comme la liberté ». Si l’on voulait résumer d’un trait ce positionnement, on pourrait ainsi le formuler : la liberté en économie, la souveraineté au niveau étatique et le conservatisme au plan sociétal. Viktor Orbán, qui fut un des pionniers du libéralisme hongrois lors de la chute du rideau de fer, a progressivement évolué vers un conservatisme libéral, car il comprend que la question principale qui agite l’Europe est celle de la préservation de notre identité. Appliquer la logique du libéralisme au domaine de l’être serait dès lors mortifère. ! C’est ce que j’essaie d’expliquer dans mon dernier ouvrage « Charnellement de France » que je viens de publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

VP : Depuis la crise des migrants, le groupe de Visegrád (V4) qui paraissait obsolète pour beaucoup est devenu une véritable structure politique,  qui reste souple lorsque les avis de ses membres divergent mais qui fait bloc de façon exemplaire lorsque leurs intérêts convergent. En Europe de l’Ouest, les attaques n’ont pas manqué à l’égard du V4, l’accusant d’égoïsme ou d’ingratitude. Que pensez-vous du V4 ?

Charles Beigbeder : Le groupe de Visegrád permet aujourd’hui de dresser un authentique contrepoids à la politique dessinée par l’Union européenne qui ne respecte que fort peu l’identité et la souveraineté des nations. Il est d’ailleurs significatif de constater que ce groupe, constitué en 1991 entre la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque puis la Slovaquie, partagent actuellement les mêmes vues au sujet de l’accueil des migrants, refusant d’être des pompes aspirantes d’une immigration extra-européenne qui fragilise leur identité. Il serait temps que l’Europe occidentale entende le cri lancé par le groupe de Visegrád qui, venant de pays ayant subi le joug soviétique pendant plus de 50 ans, est beaucoup plus soucieux que nous de préserver leur culture.

VP : En 2007, vous avez créé AgroGeneration, que vous avez vendu en 2013. L’entreprise avait pour but de restructurer des anciennes installations de kolkhozes en Ukraine. Le V4 s’investit en Ukraine, et la Hongrie en particulier tente d’avoir des rapports intelligents avec la Russie et l’Ukraine, qui est sa voisine. Comment voyez-vous le rôle des pays d’Europe centrale dans la crise ukrainienne ? Peuvent-ils apporter des solutions à la situation actuelle ?

Charles Beigbeder : Je tiens d’abord à préciser que je n’ai pas vendu AgroGeneration et suis toujours actionnaire de cette belle entreprise de culture de céréales et d’oléagineux en Ukraine, qui a su survivre dans cette période difficile et poursuit désormais son développement. Concernant la crise ukrainienne, il me semble que l’OTAN et l’Union européenne ont trente ans de retard ; elles se croient encore au temps de la guerre froide et pensent que la menace principale vient de l’Est. De fait, en instrumentalisant les révolutions orange et en voulant enrégimenter les pays d’Europe de l’Est dans une alliance défensive à l’Est, l’OTAN a ravivé les tensions avec la Russie. Quant à l’Union européenne, elle n’a pas pris la mesure de la profonde division qui traverse l’Ukraine, entre l’Ouest traditionnellement tourné vers l’Occident et l’Est majoritairement russophone et russophile. De ce fait, elle n’a pu ni gérer la Révolution de Maïdan ni anticiper la réaction russe qui a violé la souveraineté nationale d’un État et déstabilisé la région. Cette incapacité européenne a un coût : 10 000 morts et des centaines de milliers de déplacés que l’on continue d’ignorer alors même que l’on accueille massivement des migrants du Moyen-Orient. L’Europe centrale me paraît dans une démarche plus constructive, dans la mesure où Viktor Orbán s’efforce de nouer de bonnes relations avec la Russie à mille lieues de la diabolisation qu’entretient systématiquement l’Occident à son endroit. Avec la Pologne ou les Pays baltes, la relation reste cependant plus compliquée pour des raisons historiques. Le principal problème vient en fait d’un manque de leadership européen ; nous restons prisonniers d’une Europe technocratique, sans vision, et incapable de se positionner à la hauteur des événements, enfermée qu’elle est dans le prisme étroit d’une réglementation tatillonne.

VP : Récemment, différents partis ou personnalités françaises ont témoigné de leur soutien au V4 et à Orbán en particulier, dont Nicolas Sarkozy, le SIEL de Karim Ouchikh ou encore certains cadres du Front National. Pensez-vous que l’Europe centrale va avoir un rôle politique grandissant, notamment dans la politique des pays d’Europe de l’Ouest, et de la France en particulier ?

Charles Beigbeder : « L’Europe doit respirer avec ses deux poumons : celui de l’est et celui de l’ouest » disait le grand pape Jean-Paul II, lui-même originaire d’un pays d’Europe centrale. Longtemps, en raison de la coupure imposée par le rideau de fer, nous nous sommes habitués à raisonner comme si l’Europe se réduisait à sa composante occidentale, voisine, par sa culture et son mode de vie, des États-Unis d’Amérique. La désagrégation du bloc soviétique et le récit terrifiant des dissidents de l’Est ont enfin permis à l’Occident d’ouvrir les yeux sur la réalité du communisme en Europe. Malgré les cris d’orfraie poussés par une intelligentsia à l’indignation sélective et à la mémoire amnésique, il est maintenant possible de connaître la véritable nature de l’idéologie qui a imposé son joug sur l’Europe de l’Est pendant plus de cinquante ans, notamment grâce à la publication du Livre noir du communisme sous la direction de Stéphane Courtois en 1997. Cette mémoire vive justifie une plus grande sensibilité de ces pays sur la question de l’identité. Ainsi, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme voulut interdire les crucifix dans les écoles publiques italiennes (affaire Lautsi, 18 mars 2011), c’est l’Europe de l’Est, qui, emmenée par la Russie, se joignit à la procédure pour défendre une identité dont la négation rappelait les heures les plus sombres du communisme athée.

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VP : Pour conclure, comment expliquez-vous les positionnements récents de l’Europe centrale ? Et quel avenir lui prédisez-vous ?

Charles Beigbeder : Plus que jamais, l’Europe ne peut ignorer les aspirations de ses peuples. Les pays du groupe de Visegrád l’ont compris et la popularité de Viktor Orbán est là pour l’attester en Hongrie. Le dernier exemple en date concerne le vote, le 17 juin dernier, d’une motion au Parlement hongrois interdisant à l’Union européenne de ratifier le TAFTA sans l’accord de la Hongrie. Il faudrait la même disposition dans tous les autres pays de l’Union. Nous ne pouvons accepter de nous faire imposer une politique que nous n’avons pas choisie.

De même, s’agissant de l’immigration, Visegrád paraît avoir pris la mesure du problème : Il ne s’agit pas de se soustraire au droit d’asile qui est une belle tradition humaniste mais d’empêcher son détournement à des fins purement économiques et permettre aux États qui le souhaitent de défendre leurs frontières, en l’absence d’un espace Schengen qui soit autre chose qu’une passoire. L’Union européenne est d’ailleurs bien naïve de faire confiance à la Turquie pour restreindre le flot de réfugiés que celle-ci laisse complaisamment embarquer sur nos côtes, tout comme elle a largement ouvert sa frontière aux djihadistes souhaitant combattre en Syrie. La solution à la crise des migrants ne pourra venir d’un accueil massif de migrants qui ne fera que déplacer le problème sans le régler à la base, tout en déstabilisant l’Europe dans ses traditions et son mode de vie. Puisse le groupe de Visegrád inspirer nos dirigeants occidentaux afin qu’ils ne restent pas sourd à l’angoisse identitaire de leurs peuples !

jeudi, 23 juin 2016

Arnaud Imatz: “El catolicismo ha sido la gran suerte de España”

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Arnaud Imatz: “El catolicismo ha sido la gran suerte de España”

Ex: http://www.katehon.com

Nacido en Bayona, en 1948, en el seno de una familia de origen vasco-navarro, Arnaud Imatz es doctor en Ciencias Políticas, diplomado en Derecho y Economía. Ha sido funcionario internacional en la OCDE y fundador/gerente de empresa.

Autor de numerosos libros y artículos, ha publicado en España: José Antonio: entre odio y amor. Su historia como fue (Áltera, Madrid, 2006, 2007), Los partidos contra las personas. Izquierda y derecha: dos etiquetas (Áltera, Barcelona, 2005) y Juan Donoso Cortés: Contra el liberalismo. Antología política (Áltera, Madrid, 2014).

Publicará este verano, en París, una amplia síntesis histórica sobre el antagonismo derecha/izquierda, Droite/Gauche: pour sortir de l’équivoque. Histoire des idées et de valeurs non-conformistes du XIXe au XXIe siècle.

¿Qué empujó a un francés a interesarse a España, a sus pensadores y a su historia?

- Es una mezcla de razones familiares, generacionales y, por supuesto, también el imprevisto o la oportunidad. Hay dos ramas en mi familia: una carlista (la de mi abuelo materno) y otra republicana (la de mi abuelo paterno, héroe y gran mutilado de la guerra de 1914). Mi padre, campeón nacional de pelota vasca, excelente jugador de fútbol y rugby, me inculcó valores imprescindibles, hoy desgraciadamente burlados y pisoteados: la honestidad, la fidelidad, el respeto a la palabra dada, el sentido del bien común.

Empecé mis estudios universitarios en 1965. En plena rebelión estudiantil, mi sensibilidad política gaullista, un patriotismo abierto “ni de derechas ni de izquierdas”, me llevó a abandonar provisionalmente la universidad para cumplir mi servicio militar en el prestigioso 6º Regimiento de Paracaidistas de Infantería de Marina.

Admirador del Presidente Charles de Gaulle, gigante entre los enanos políticos franceses del siglo XX, no tenía ninguna simpatía por el freudo-marxismo de los extremistas o violentos sesentayochistas. Y en esto no andaba desencaminado. Hoy se sabe que estos pseudorevolucionarios de 1968 abandonaron muy pronto sus virulentas críticas al consumerismo capitalista, al productivismo y a la tecnocracia para defender el multiculturalismo, el individualismo de los derechos humanos y la lógica frenética del mercado. Las cosas, como son: mi generación fue mortífera. Sus mayores representantes, los líderes de los mal llamados contestatarios, contribuyeron decisivamente a nutrir la oligarquía o la casta corrupta de hoy. Casi todos se precipitaron sin la menor vergüenza en los pasillos del poder. En mi caso particular, ellos actuaron como revulsivo, como una vacuna definitiva contra la militancia política. A partir de ahí me convertí en un observador distanciado de la política. Simultáneamente, comprendí que no podía haber ciencias sociales sin un verdadero debate contradictorio, sin una lucha contra las ideas recibidas, sin un combate contra los maniqueísmos. Creo, desde aquellos lejanos años, que la objetividad es una meta que el politólogo o el historiador se deben esforzar de alcanzar. Por eso considero que los universitarios que se meten en política además parangonándose de sus títulos y de sus pretendidas investigaciones, son charlatanes, peligrosos barbaros.

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¿Qué le llevó estudiar la controvertida personalidad de José Antonio Primo de Rivera y a un olvidado Juan Donoso Cortés?

- Bueno, en realidad, mis primeros trabajos universitarios fueron sobre la Escuela de Salamanca (siglo XVI y XVII), famosísima escuela casi desconocida en Francia y muy mal conocida en España. Mi descubrimiento del pensamiento de José Antonio Primo de Rivera fue posterior y totalmente fortuito. Leí dos obras sobre él publicadas por la editorial antifranquista Ruedo Iberico: Antifalange del periodista y polemista marxista, Herbert Southworth y Falange: historia del fascismo español del historiador, entonces social-demócrata, Stanley Payne. Despertaron mi interés por José Antonio y años después, en 1975, defendí mi tesis doctoral. Se trataba de un doctorado de Estado, y no de Universidad, el mayor grado académico otorgable entonces por el Estado francés. Conste que a pesar de mi alejamiento de los convencionalismos, mi tribunal, compuesto de profesores liberales y socialdemócratas al “viejo estilo”, me dio la mayor graduación: summa cum laude. Una actitud honesta e independiente, inimaginable hoy en una universidad dominada por lo políticamente correcto. Esto fue mi primer paso. Luego me interesé por el liberal José Ortega y Gasset, y el tradicionalista Juan Donoso Cortés, y publiqué en Francia varios ensayos y antologías. Otro de mis temas favoritos ha sido la Guerra civil española. Di a conocer al público francés unos cuantos autores españoles absolutamente desconocidos en el Hexágono. También tuve la satisfacción de romper la omertà de 40 años, que había afectado a Stanley Payne, publicando y prologando su libro La guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle (Editions du CERF, París, 2010).

¿España o Españas?

- Yo digo siempre España, como digo lengua española (y no castellana). Spain and Spanish language dicen, por cierto, y sin vacilar, los ingleses y los americanos del norte. Pero tampoco me parece algo fundamental. Muchos españoles creen que el concepto “Españas” es reciente y a menudo lo hacen remontar a la Constitución de 1978, con la institucionalización de la división de España en comunidades autónomas. Sin embargo, por citar un solo contra-ejemplo, recordaré que el catedrático de Filosofía del Derecho de sensibilidad carlista, Francisco Elías de Tejada, acostumbraba utilizar dicho concepto en los años 1940-1975. Ahora bien, si con este concepto de Españas se quiere esconder un proyecto de desconstrucción de España en tanto que nación, por supuesto, como historiador, discrepo totalmente. Dejo a los papanatas la admiración por intelectuales y artistas mediáticos como Savater, Sánchez Ferlosio, Javier Marías o Antonio Gala. Yo me quedo con la pléyade de autores famosos, de izquierdas y de derechas, unidos al ser y a la existencia de España: Feijoo, Cadalso, Balmes, Costa, Ganivet, Menéndez y Pelayo, Giner de los Ríos, Unamuno, Ortega, Maeztu, Baroja, los Machado, Marañón, Madariaga y tantos otros.

Según sus estudios y reflexiones, la crisis que sufre España, ¿participa de una más global, que afectaría a toda Europa, o subsumiría, además, problemáticas seculares jamás resueltas?

- En efecto, creo que “el drama de la España moderna” se ha dado, en gran parte, de manera similar al de las otras grandes naciones europeas (Francia, Italia, Gran Bretaña, Alemania, etc.). Indudablemente, la construcción de la España moderna y democrática se ha hecho sobre el rechazo absoluto de la dictadura franquista. Pero, como dicen los ingleses, se ha desechado el bebe con el agua de la bañera. Los estereotipos del pasado, la amplia memoria histórica (que no reciente) y la valoración de la continuidad han sido continuamente denunciados en la península. Un error. La oligarquía o las elites postfranquistas, imitadoras de sus maestros europeos, se han mostrado incapaces de generar un nuevo proyecto de vida en común, de suscitar un sentimiento de pertenencia a una unidad de destino. Los responsables son globalmente todos los mandos de los partidos de gobierno, tanto de derechas como de izquierdas, los neoliberales y los neo-socialdemócratas. Evidentemente, en este proceso se suman, como dice usted, problemáticas seculares jamás resueltas, o características específicas de España. Pero conviene subrayar, sobre todo, la incapacidad de las elites europeas mundializadas, desconectadas de la realidad, obsesionadas por la creación de una Europa librecambista, multicultural, avasallada, sin marco geográfico, histórico y cultural; una Europa hecha por y para ciudadanos zombis.

Catolicismo y España: ¿cemento o cortapisa? Al casi desaparecer aquél, ¿España tiene sentido?

- El catolicismo ha sido la gran suerte de España. Su eclipse, un desastre. Sólo desde 2015 se han cerrado 341 casas de religiosos en España. Una evolución terrible que va de la mano con el profundo deterioro del país. No olvidemos que para Maquiavelo, Montesquieu, Tocqueville, Lord Acton, y muchísimos más, es la religión lo que frena los apetitos y sostiene las virtudes (y sobra decir que estos pensadores se referían esencialmente al cristianismo). Mire usted, en nuestra Francia “Fille aînée de l’Église” tenemos una cierta experiencia del tema. Desde la Revolución francesa se ha luchado, a menudo brutalmente, contra la Iglesia y el catolicismo. Hemos conocido las persecuciones religiosas, el sectarismo laicista, el racismo republicano de base anticristiana y al final, una vez laminado el cristianismo, asistimos al triste espectáculo de unos políticos totalmente desarmados ante el desarrollo del Islam. Lo único que se les ocurre es manipular la opinión pública, repitiendo ad nauseam, y desde hace más de 30 años, que no hay reemplazamiento de la población, que esto es una fantasía, y que de todas formas habrá (se supone que gracias al milagro que ellos cumplirán un día) un nuevo Islam, modernizado, reformado, contextualizado, laicizado, democratizado, compatible con el modelo occidental, capaz de marginar a “la pequeña minoría fundamentalista vivero del totalitarismo islamista”. Una saga de mentiras y sandeces.

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Clase política y pueblo español, ¿tal para cual y viceversa?

- Como dice El Cantar de mio Cid: «¡Dios, qué buen vasallo, — si oviesse buen señor!»". Confieso que me he impuesto seguir a los principales líderes políticos de España, escuchando o leyendo algunos de sus discursos. El panorama es desesperante. Quizás nunca han imperado tanto la demagogia, la duplicidad y el engaño.

Una educación degradada, la pérdida del sentido trascendente de la existencia, individualismo acelerado por las nuevas tecnologías, el consumismo como estilo de vida, la atomización social como fruto y la consiguiente debilidad de la persona…, ¿comparte el diagnóstico? Tamaña revolución antropológica, seguramente universal, pero acentuada por el temperamento español, ¿es reversible?

- No lo sé, pero le recordaré el dicho maurrasiano: “La desesperanza en política es una estupidez absoluta”.

¿Por qué no existe en España una “derecha de ideales”?

- Creo que existe, pero no tiene la menor visibilidad en los grandes medios de comunicación. Sólo hablan los representantes de la derecha de intereses, obsesionados por las recetas neoliberales, por el economicismo, la competitividad, la reforma del mercado del empleo, la reducción de los déficits.

En España se tiende a buscar analogías entre Podemos y el Frente Nacional francés. ¿Encuentra razonable tal perspectiva?

- El éxito de Podemos se debe a su constante promoción en los medios de comunicación. Al contrario del Frente Nacional, un partido populista votado mayoritariamente por los obreros y los asalariados, que ha sido siempre marginado y boicoteado por los periodistas y los representantes de la oligarquía político-económico-cultural. Podemos tiene, ante todo, una herencia radical o extremista de izquierda: tesis ecologistas, defensa del multiculturalismo, rechazo de las fronteras, laicismo maximalista, federalismo y a veces separatismo, admiración hacia los movimientos populistas tercermundistas de Chávez y Morales (pero sin compartir sus patriotismos o nacionalismos). La ideología de Podemos es una mezcla de crítica virulenta del capitalismo (abogan por controles y represiones económicas) y de absoluta defensa del liberalismo “societal” (apertura de las fronteras, odio del Estado, generalización del aborto, lucha contra las discriminaciones, etc.). La contradicción insalvable de Podemos es querer hacer del individuo la norma de todo y a la vez querer una colectividad unida. A diferencia del Frente Nacional, Podemos cree en las recetas supranacionales, en una reforma milagrosa de la Unión Europea, lo que hace de él un partido desfasado y condenado a la impotencia. El caso de Podemos es atípico; paradójicamente hace eco al eslogan de Fraga Iribarne “Spain is different”. Podemos y el partido Syriza, movimiento desacreditado por su vergonzante sumisión a la UE, son dos populismos de extrema izquierda. Tienen muy poco que ver con los numerosos populismos europeos que se definen a favor de la justicia social y en contra de la globalización mundialista, del reemplazamiento poblacional y civilizacional. Incluso el Movimiento 5 Estrellas no comparte la ideología inmigracionista de Podemos, uno de los pilares del mundialismo, por no querer jugar el papel de los “idiotas útiles” como decía Karl Marx.

Como buen conocedor de la historia y la actualidad españolas, resumiendo todo lo anterior, ¿vislumbra un futuro para España o, según su criterio, esta nación sufre los espasmos de un fin cercano?

- Ya no creo que los pueblos europeos de Occidente se puedan salvar solos. Pongo mis esperanzas en los países del Este, que han sufrido durante tantas décadas el totalitarismo comunista. Quizás ellos nos ayuden a deshacernos de la oligarquía neoliberal dominante, a romper con lo políticamente correcto y a salir de nuestra dormición.

Vieja política versus populismos; oligarquía versus pueblos; mundialismo versus identidades colectivas; pensamiento progresista políticamente correcto versus tradición judeo-cristiana;…, ¿cuáles son los ejes decisivos, a su entender, de “la cuestión” de nuestro tiempo?

- La única división importante de hoy es la que opone, en el interior de las izquierdas y de las derechas, a los partidarios del apego frente los partidarios del desarraigo; la que levanta a los defensores de la identidad, de la soberanía, de la justicia social y del bien común, frente a los adeptos del mundialismo, del multiculturalismo y del gran mercado. Nunca se debe olvidar la lección política de Aristóteles, Rousseau, Jefferson y de muchos otros pensadores prestigiosos: para que una sociedad democrática pueda sobrevivir se necesita un territorio relativamente limitado y un alto nivel de homogeneidad de la población.

La Tribuna del País Vasco.

vendredi, 17 juin 2016

Euro-Rus Russia/Donbass Tour May 2016 Interview Igor Strelkov (FR-RUS)

Euro-Rus Russia/Donbass Tour

May 2016

Interview Igor Strelkov (FR-RUS)

Interview with Igor Strelkov by Euro-Rus analyst Jacob Issa
(French - Russian)

jeudi, 16 juin 2016

Détruire la fabrique à illusions Entretien avec Lucien Cerise

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Détruire la fabrique à illusions

Entretien avec Lucien Cerise

Propos recueillis par Monika Berchvok

Source : Rivarol
Ex: http://zejournal.mobi

Venant de l’extrême gauche de l’échiquier politique, Lucien Cerise vote « Non » en 2005 au référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, comme 55 % des votants. Quand il voit au cours des années 2006 et 2007 ce que le Pouvoir fait du scrutin, cela le décide à s’engager dans les mouvements anti-Union européenne et antimondialistes, donc nationalistes et localistes. Au fil du temps et des rencontres, il s’est rendu compte que le clivage politique Droite / Gauche est en fait complètement bidon et que la seule différence à considérer est entre la vie et la mort. Dans son dernier livre, il revient sur les concepts les plus importants de son travail : l’ingénierie sociale et les neuro-pirates. Les propos de Lucien Cerise sont parfois polémiques, mais doivent être pris comme une ouverture au débat.

Rivarol : En quoi consiste l’ingénierie sociale ?

Lucien Cerise : L’ingénierie sociale est la méthode scientifique de transformation des groupes sociaux. Toutes les échelles peuvent être visées : famille, tribu, communauté, religion, peuple, civilisation, association, entreprise, etc. Ce travail de transformation et de reformatage est généralement non déclaré, furtif, subliminal parce que les groupes ciblés le refuseraient, ou du moins l’amenderaient fortement s’ils étaient consultés. En outre, cette transformation est définitive, ce qui la distingue d’un acte de manipulation ponctuelle, qui reste réversible. L’idée d’une ingénierie sociale, ou social engineering, apparaît au XXe siècle sous la plume de chercheurs tels que l’épistémologue Karl Popper et est aussi synonyme de « planification sociale » et de « conduite du changement ». Plus récemment, le monde du piratage informatique l’a également adoptée en insistant sur la furtivité. Aujourd’hui, les deux concepts clés de l’ingénierie sociale sont 1) l’hameçonnage (phishing), c’est-à-dire l’accroche séduisante, la carotte, la récompense promise pour nous faire avancer dans le sens voulu par l’ingénieur social, et 2) le conflit triangulé, c’est-à-dire le conflit orchestré entre des groupes, ou entre les membres d’un groupe, pour les affaiblir, voire les détruire en usant d’une stratégie indirecte qui les fait s’affronter au bénéfice de celui qui organise le conflit sans y apparaître directement.

luccerton37820.jpgQui sont les « neuro-pirates » qui veulent faire de nous des « néo-esclaves » ?

Les neuro-pirates sont mieux connus sous le terme anglais de spin doctors, qui désigne les professionnels du « retournement » psychologique. Un conseiller de Barack Obama, l’universitaire Cass Sunstein, parle d’infiltration cognitive pour qualifier cette manière d’entrer dans l’esprit d’autrui pour le faire changer sans qu’il en soit totalement conscient. On en rencontre des praticiens essentiellement dans les milieux de la communication, du marketing, du management, de la sécurité des systèmes, du renseignement et de la politique. Quand le pouvoir veut fabriquer notre consentement à quelque chose d’intolérable, il est contraint d’avancer masqué sachant que notre « consentement éclairé » ne sera jamais accordé. Quand il s’agit de nous faire accepter de recevoir une puce électronique dans le corps comme si nous étions du bétail, il faut nécessairement ruser et présenter les choses sous un jour dédramatisé, inoffensif, et même ludique et attractif si possible. C’est le rôle du piratage des cerveaux, au sens où le neuro-pirate va pénétrer ni vu, ni connu dans l’esprit de quelqu’un pour modifier son logiciel mental et comportemental sans qu’il ne s’en rende compte. Nous baignons là-dedans en Occident, où le pouvoir essaye de transformer définitivement la nature des peuples dans le sens d’une artificialisation et d’une robotisation croissante, mais sans provoquer de réactions de refus trop violentes, ce qui le conduit à procéder sous couvert des droits de l’Homme ou de la lutte contre la « menace terroriste ».

Comment concrètement le système manipule les foules sur un sujet aussi important que le sionisme ?

Dans la phase préliminaire d’hameçonnage, autrement dit de séduction, l’ingénierie sociale repose sur l’usurpation d’identité et l’abus de confiance. L’usurpation d’identité fait un usage intensif du « triangle de Karpman », notion issue de l’Analyse transactionnelle. En résumé, trois places sont à occuper dans les relations humaines : le sauveur, le bourreau et la victime. Pour agir furtivement et discrètement, le bourreau peut produire les signes extérieurs de la victime, de sorte à occuper frauduleusement cette place dans notre perception, ce qui lui permettra d’inhiber toute méfiance et tout esprit critique envers lui et d’abuser de notre confiance. En usurpant l’identité de la victime, le bourreau détourne notre attention de ses agissements et il peut commencer à nous détruire presque à notre insu, voire même avec notre participation, dans la mesure où nous le percevons désormais non plus comme le bourreau, mais comme la victime, ou le sauveur. Nous tenons là l’explication de la promotion que le système fait de l’idéologie victimaire pour empêcher toute analyse sérieuse de la question du sionisme.

L’immigration de masse semble être une arme de déstabilisation des nations européennes ?

C’est plus qu’une déstabilisation, c’est une destruction définitive des nations européennes qui est en cours, un vrai génocide. Le projet d’en finir totalement avec l’Europe chrétienne apparaît dans le Talmud, livre du Sanhédrin, dans la parabole du « Messie aux portes de Rome ». Rome est la métonymie de l’Europe chrétienne, également nommée Edom dans cette tradition. Les commentaires de la parabole disent que le Messie des Juifs reviendra à mesure que l’Europe chrétienne disparaîtra. Dès lors, on comprend mieux les motivations de certaines personnes et organisations à accélérer et amplifier toujours davantage l’immigration de masse extra-européenne et musulmane en Europe. Les immigrés, de préférence non chrétiens, sont utilisés ici comme des munitions et à des fins balistiques pour détruire les nations européennes ; bien sûr, certains d’entre eux se frottent les mains d’avoir ainsi la permission d’envahir l’Europe, mais ils doivent comprendre qu’ils seront perdants eux aussi à la fin. En effet, après avoir utilisé les musulmans pour déchristianiser l’Europe, le pouvoir provoquera des conflits triangulés parmi les musulmans pour les pousser à s’entretuer, car eux-mêmes seront de trop à ce moment-là.

Le but final visé à travers toutes ces confrontations identitaires reste le Grand remplacement de l’ensemble des communautés humaines par le transhumanisme. Le défi des Européens est de faire comprendre aux immigrés extra-européens à quoi ils servent et ce qui les attend aussi, c’est-à-dire leur génocide après le nôtre. C’est ainsi que nous pourrons établir avec eux une communauté de « galère » et de destin, qui permettra de poser un modus vivendi pacifique, condition nécessaire pour commencer à inverser tranquillement la tendance, ce qui peut aboutir à la ré-émigration de certains d’entre eux, de sorte que chacun chez soi nous soyons plus forts pour lutter ensemble contre l’ennemi commun.

Vous évoquez les liens entre les oligarques mondialistes et la mouvance antifasciste. Pouvez-vous évoquer vos découvertes sur le financement des « antifas » ?

Quand on cherche un peu qui soutient, parraine et chapeaute l’extrême-gauche « antifasciste », anti-spéciste, LGBT, No Border, Black-Blocks, Occupy, les Indignés, etc., on trouve des organisations qui sont au sommet du capitalisme : Open Society de George Soros, Fondations Rockefeller et Rothschild, Commission européenne, diverses ONG et entreprises multinationales, et même certains ministères de l’Intérieur, autrement dit la police. On savait déjà que les libéraux et les libertaires convergeaient intellectuellement dans l’abolition des frontières, des nations et des identités, et plus largement dans la déconstruction de toute forme de limite.

On sait maintenant que ce n’est pas seulement théorique mais aussi pratique et économique. Une bonne partie de l’extrême-gauche, celle apparue autour de Mai 68 en France, relève de ce que les anglo-saxons appellent la New Left. Il s’agit en fait d’une gauche libertaire prônant l’ouverture sans limites, totalement inoffensive car elle a été créée par la droite libérale dans les années de chasse aux sorcières anti-communiste pour concurrencer et affaiblir la gauche non-libertaire, communiste et fermée, donc structurée et vraiment dangereuse pour le système américaniste et capitaliste.

Cette extrême-gauche du capital a été conçue pour critiquer les effets sans jamais remonter aux causes. Par exemple, les causes de la loi El-Khomri, ou loi Travail, sont à chercher à Bruxelles car c’est la transposition d’une directive européenne. Quand le mouvement Nuit Debout demandera la sortie de l’Union européenne, il deviendra vraiment dangereux et se fera dégager manu militari de la Place de la République. Pour l’instant, il est inoffensif et le Pouvoir en a même besoin pour détourner l’attention des vrais problèmes et de leurs vraies causes. En plein état d’urgence et plan Vigipirate « rouge écarlate », la préfecture de police et la mairie n’ont guère fait de difficultés pour autoriser l’occupation permanente d’une grande place de Paris – ce qui pose d’ailleurs la question de la réalité de la « menace terroriste ». Il semble que François Ruffin et son journal Fakir qui ont lancé le mouvement soient indépendants à l’origine, mais ils ont été rapidement piratés et récupérés, notamment par des professionnels de la communication tels que Noémie Toledano et Baki Youssoufou, dont les parcours les rattachent aux organisateurs de « révolutions colorées », donc aux réseaux d’influence capitalistes cités plus haut.

Vous démasquez les mensonges véhiculés sur la Russie de Poutine à l’occasion du conflit ukrainien. Quels sont les mécanismes et le but des manœuvres contre la Russie ?

Comme l’avait bien vu Halford Mackinder (1861-1947), l’un des pères fondateurs de la géopolitique, contrôler l’Eurasie permet de dominer le monde. Nicolaï Troubetzkoï (1890-1938), créateur de l’eurasisme, écrivait en 1922 que la guerre mondiale ne cesserait pas tant que les grands espaces russes ne seraient pas conquis. De fait, il existe un projet géopolitique de conquête de toute l’Eurasie, nourri par des intérêts capitalistes occidentaux, ceux-là mêmes qui contrôlent déjà l’Europe et l’Amérique du Nord, mais qui ne contrôlent ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran. Ce projet de domination mondiale est exposé clairement par Zbigniew Brzezinski dans diverses publications. Auparavant, un autre Polonais, l’homme d’État Josef Pilsudski (1867-1935), réfléchissait vers 1920 à la meilleure méthode pour prendre la Russie, étape obligée de cette conquête de l’Est, et avait élaboré une stratégie en deux temps :

1) l’Intermarium, soit l’unification des pays allant de la Baltique à la Mer noire pour couper géopolitiquement Moscou de l’Europe,

2) le Prométhéisme, soit le morcellement de la Russie en petits États faibles par le soutien apporté aux revendications identitaires locales.

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Les deux guerres mondiales, la guerre froide et la guerre hybride actuelle ont été lancées pour ça. La nature du régime en place en Russie et ce qu’il fait n’a aucune importance. Tsarisme avant 1917, communisme jusqu’en 1991, ultralibéralisme sous Eltsine, étatisme libéral sous Poutine, c’est indifférent : du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, ce pays reste la cible inchangée des attaques occidentales. Le conflit ukrainien et le conflit syrien ne sont que des étapes de ce « Drang nach Osten » qui vise également la Chine et l’Iran. Évidemment, dans les cercles dirigeants à Moscou, Téhéran et Pékin, tout le monde est parfaitement au courant de ce programme de domination mondiale nourri par l’axe du chaos Washington / Bruxelles / Tel-Aviv. Sur le théâtre européen, la conquête de Kiev par Washington et l’OTAN est une belle prise qui permet de consolider l’Intermarium et d’élaborer un front unifié pour attaquer la Russie directement sur ses frontières, ce qui devrait se faire aux alentours de 2021 et nous entraîner probablement dans un conflit nucléaire dont l’Europe sera la principale victime. Pourquoi 2021 ? Parce que le président ukrainien Porochenko a signé un document engageant l’Ukraine à assurer l’interopérabilité complète de ses forces armées avec celles de l’OTAN en 2020 – or on ne prend pas ce type de décision sans une idée derrière la tête – et Hillary Clinton devrait être dans la première année de son deuxième mandat, ce qui lui donnera les mains libres pour faire n’importe quoi. Pour couronner le tout, rappelons qu’en France, l’Assemblée nationale a voté le 7 avril 2016 la ré-adhésion au Protocole de Paris qui autorise le stationnement de troupes de l’OTAN sur le territoire national, autant dire l’implantation de bases militaires, comme en Allemagne ou en Italie.

Qu’est-ce que le Mind Control ?

Le Mind Control est une méthode de contrôle comportemental qui procède en infligeant des chocs et des traumatismes. Quand cela s’applique aux masses, on peut parler d’ingénierie sociale. Il s’agit de rendre l’esprit d’autrui totalement flexible et malléable après l’avoir disloqué, décomposé et morcelé. Le trait typique de cette méthode est de produire un psychisme compartimenté, ce qui retire toute cohérence logique et organique au fonctionnement intellectuel de l’individu, et le rend capable de tenir sans problème des raisonnements parfaitement illogiques, de dire une chose et son contraire dans la même phrase, ou encore de dire quelque chose et de faire exactement le contraire en même temps.

Pouvez-vous nous expliquer votre conception du « conflit triangulé généralisé » ?

L’ingénierie sociale consiste à prendre le contrôle des rapports de confiance et de méfiance dans un groupe donné. Le conflit triangulé résulte d’une augmentation méthodique du sentiment de méfiance au sein du groupe cible. L’ingénieur produit de la confiance à son égard, ou au moins de l’absence de méfiance, en occupant la place de la victime ou du sauveur, puis il fait monter la méfiance entre les parties du groupe cible en les décrivant comme des bourreaux mutuels, pour aller si possible jusqu’à la haine, entre les sexes, les générations, les religions, les races, etc. Un conflit triangulé est toujours orchestré entre deux acteurs par un troisième acteur inapparent à première vue, mais qui peut apparaître au bout d’un moment si l’on cherche un peu.

Derrière la guerre de tous contre tous qui définit la toile de fond de nos vies, on trouve les promoteurs de l’idéologie libérale de l’égoïsme concurrentiel ainsi que diverses techniques de gouvernance par le chaos telles que le conflit par procuration (proxy warfare). Un exemple tiré de la géopolitique : toutes les preuves ont été données que les terroristes qui agressent la Syrie depuis des années sont sous tutelle des services secrets occidentaux. Ces groupes paramilitaires islamistes sont les fameuses forces de procuration (Israeli proxy forces) du rapport A Clean Breakremis en 1996 à Benjamin Netanyahou. Il n’est donc pas étonnant que ce dernier vienne soutenir quelques vingt ans plus tard ses troupes de djihadistes blessés en Syrie et soignés dans des hôpitaux militaires israéliens, comme l’ont noté divers médias, ce qui lui a valu les remerciements de Mohammed Badie, le chef suprême des Frères musulmans, ainsi que de paramilitaires islamistes.

usdaeschMAEBFQh.jpgDes officiels israéliens ont dit également préférer l’État islamique (Daech) à l’Iran. Évidemment, le terrorisme islamiste supervisé par les services spéciaux israéliens, anglo-saxons, français, ne s’arrête pas aux frontières du Proche-Orient : le suivi des filières est assuré jusqu’en Europe et en Amérique, où ces services spéciaux sont carrément chez eux, dans une perspective de stratégie de la tension, en référence au réseau Gladio de l’OTAN. À la fin, pour des raisons d’efficacité, les attentats en Occident sont réalisés par les services occidentaux eux-mêmes, mais attribués dans la narration officielle médiatique aux individus qui ont effectivement fréquenté des groupes activistes et possèdent donc le bon parcours biographique, ce qui en fait des coupables idéaux. Un principe de l’attentat sous faux drapeau : pour écrire une « légende », c’est-à-dire un faux CV dans le jargon du renseignement, il faut un minimum de vraisemblance. Le terrorisme d’État est aujourd’hui le principal bras armé de ce conflit triangulé généralisé.

Dans un article pour la revue Rébellion, vous affirmez que sortir du capitalisme est la condition d’un enracinement identitaire authentique. Quelles formes pourraient prendre cette démarche national-révolutionnaire ?

Cette démarche nationale-révolutionnaire pourrait prendre la forme d’un protectionnisme conservateur, seul moyen d’assurer un enracinement identitaire authentique. Il faut surtout s’extraire du libéralisme conservateur, qui est contradictoire dans les termes, un véritable oxymore, et qui devient toujours à la fin un libéralisme libertaire, sans frontières et sans entraves, que ce soit du point de vue économique ou identitaire. L’économie et les mœurs ont besoin d’être régulées. Sans régulation, l’économie et la vie en société tombent dans le désordre, l’anarchie, le « gauchisme », ce qui fait toujours le lit du capitalisme, qui prospère dans le chaos, la violence et l’injustice, mais s’éloigne à mesure que l’ordre et l’équilibre reviennent dans le corps social.

C’est le capitalisme qui est à l’origine du « mariage homo » ainsi que des flux migratoires délirants auxquels nous sommes exposés depuis des années. Henry de Lesquen disait un jour sur Radio Courtoisie : « Je suis national libéral ; national car il faut mettre les immigrés dehors, et libéral car il faut brûler le code du travail ». Le problème, c’est que brûler le code du travail fera revenir les immigrés. La thèse libérale conservatrice est donc incohérente : elle déplore les effets dont elle chérit les causes.

Quiconque s’imagine que l’enracinement identitaire est possible au sein de l’Union européenne, par exemple, n’a rien compris et doit reprendre l’examen de la question depuis le début. La sortie de l’euro et le retour aux monnaies nationales est également indispensable, car la souveraineté économique conditionne la souveraineté politique. Le programme minimum de ce protectionnisme conservateur garantissant un enracinement authentique est donc simple : sortir de l’euro, de l’Union européenne, de Schengen et de l’OTAN, et ne pas entrer dans le Traité transatlantique. La vraie révolution nationale anticapitaliste est dans ce programme, qui n’est ni de droite, ni de gauche – nous ne sommes pas à l’auto-école – mais qui est simplement raisonnable, rationnel et orienté vers la vie. Que dis-je, la survie ! Or, pour soutenir ce programme survivaliste à l’échelle de la nation, je n’ai à ma disposition que le bulletin dans l’urne. Il faut donc placer à la tête de l’État un parti politique soutenant ce programme, ou s’en écartant le moins possible, et réunissant le potentiel électoral suffisant. La nouvelle direction du Front national depuis 2011 prend la bonne voie de ce grand rassemblement protectionniste et conservateur par-delà droite et gauche, ce qui explique sa progression électorale constante depuis plusieurs années. Évidemment, ça ne plaît pas à tout le monde, d’où une désinformation croissante sur ce parti, basée sur des attaques en dessous de la ceinture et des citations tronquées.

Vous évoquez une ingénierie sociale positive. Comment des forces nationalistes pourraient utiliser cette technique ?

Je préconise d’appuyer cette ingénierie sociale positive (IS+) sur la théorie du « prendre soin », le Care en anglais. Le fait de « prendre soin » du territoire où l’on vit doit devenir l’idée directrice de notre action politique. L’avantage de cette approche purement pragmatique est de focaliser l’attention sur l’avenir et l’action concrète de proximité. Cela simplifie les choses. Il est plus facile de fédérer les bonnes volontés ainsi, compte tenu de la complexité identitaire dans laquelle nous sommes immergés dès que l’on regarde vers le passé, l’histoire et les origines. Cette IS+ aurait l’allure d’un travail social humble et d’échelle locale, œuvrant à la résilience nationale et visant à réparer ce qui a été endommagé par l’ingénierie sociale négative du turbo-capitalisme mondialisé et cosmopolite.

Propos recueillis par Monika Berchvok

À lire : 

Neuro-pirates - Reflexion sur l’ingénierie sociale, de Lucien Cerise, éditions Kontre Kulture, 2016, 450 pages – 22 euros. 
Le numéro 66 de la revue Rébellion comporte un important dossier de Lucien Cerise sur l’ingénierie sociale (5 euros – Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 Toulouse cedex 02).


- Source : Rivarol

samedi, 11 juin 2016

Oskar Freysinger: «le personnel politique n’a pas envie de voir le peuple s’émanciper»

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Oskar Freysinger: «le personnel politique n’a pas envie de voir le peuple s’émanciper»

Oskar Freysinger
Conseiller national UDC, enseignant
Propos recueillis par Jordi Vives
 

Présent à Béziers à l'occasion du Rendez-Vous « Oz ta droite » organisé par Robert Ménard, Oskar Freysinger (UDC) a répondu aux questions de notre correspondant en France et compare la situation politique en France et en Suisse.

Les Observateurs : Que pensez-vous de l'initiative de Robert Ménard d'avoir organisé ce Rendez-Vous de Béziers ?

Oskar Freysinger : Je trouve ça excellent. Robert Ménard a du courage, le paysage politique actuellement n'est pas favorable au débat serein et constructif, il le fait. Il a montré en tant que maire de Béziers qu'il était capable de résister à quelques pressions et je trouve ça admirable de voir qu'il y a des gens qui ont des poils où je pense.

Les Observateurs : Quelle comparaison peut-on faire aujourd'hui entre la situation en France et la situation en Suisse ?

Oskar Freysinger : C'est difficilement comparable, nous n'avons pas en Suisse ce phénomène de blocage institutionnel, de contournement institutionnel et ensuite de réaction violente de la population parce que tout le système est construit autrement. Le système français est quasiment construit du haut vers le bas avec un très fort centralisme, très jacobin. En Suisse nous avons le fédéralisme avec un peuple souverain. Le peuple n'a pas besoin de faire grève parce qu'il a les instruments institutionnels pour s'opposer au pouvoir.

Les Observateurs : Quand on regarde le résultat des élections, on constate que l'UDC est le premier parti de Suisse mais pourtant il ne dirige pas le pays comme en France avec le Front National.

Oskar Freysinger : Ça c'est voulu, le système suisse n'est pas fait pour une alternance, pour donner le pouvoir à une seule coterie. C'est le partage du pouvoir. En France, le Front National n'a jamais pu avoir un ministre ni être représenté selon sa force réelle à l'Assemblée Nationale, ce qui est un scandale absolu. Un parti qui draine autant d'électeurs devrait avoir une représentation digne de ce nom au parlement. Si on avait le même système en Suisse, nous, l'UDC, on serait dans la même situation que le Front National or nous avons deux membres au gouvernement fédéral. On est largement représentés au parlement fédéral parce que nous sommes le parti le plus fort. La France et la Suisse ne sont pas comparables, nous avons un système fédéraliste, un système avec la démocratie directe avec la notion d'équilibre des énergies et du partage du pouvoir.

Les Observateurs : Est-ce que la France devrait s'inspirer de la Suisse ?

Oskar Freysinger : C'est difficile d'aller appliquer cela du jour au lendemain. Il faudrait peut-être arriver avec un premier élément de démocratie directe qui serait un référendum mais un référendum réel où le peuple s'exprime clairement et que le parlement ensuite applique. Ça ce serait un premier élément sans chambouler tout le système mais où le peuple aurait alors beaucoup moins la nécessité de tout bloquer, ce qui est dommageable pour le pays, pour les entreprises, pour tout le monde. Le peuple aurait alors au moins un instrument pour commencer à résister. Le problème c'est que le personnel politique n'a absolument pas envie de voir le peuple s'émanciper, prendre part à la gestion publique. Les énarques ne sont pas formés pour ça, ils sont formés pour représenter une élite qui dicte ce qui est bon pour le peuple. Comment voulez-vous arriver alors à quelque chose ? Pour que les choses changent il va falloir une crise et elle sera probablement plutôt européenne que française.

Les Observateurs : Qu'est-ce qui pourrait déclencher cette crise ?

Oskar Freysinger : Une crise financière. Le système financier actuel est construit sur du sable mouvant. Faire tourner la planche à billets et croire que ça créé de la richesse c'est une illusion. C'est juste une question de temps, ça peut encore tenir un certain moment.

Les Observateurs : Vous parlez d'une crise économique mais est-ce que ça ne pourrait pas être également une crise migratoire ?

Oskar Freysinger : La crise migratoire ça peut créer des conflits mais ça sera plutôt une sorte de guerre civile, une violence urbaine de plus en plus forte avec des groupes ethniques qui se battent mais je ne crois pas que la situation sera exacerbée s'il n'y a pas l'aspect financier qui aggrave la chose. Il faut cette paupérisation, ce désespoir de la population pour que vraiment quelque chose se passe. Là actuellement on n'y est pas vraiment, on gueule, on manifeste mais on n'y est pas encore. S'il y a vraiment une crise grave et avec 60 % à 70 % de la population des banlieues qui vit de l'assistance sociale, si l’État n'est plus capable de payer, ils vont prendre par la violence ce qu'ils estiment être leur dû.

Propos recueillis par Jordi Vives

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vendredi, 10 juin 2016

Interview: A history of russophobia – as seen by Hannes Hofbauer

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Interview: A history of russophobia – as seen by Hannes Hofbauer

Ex: https://gianalytics.org

Aleksandar Mitić

Austrian author Hannes Hofbauer specializes in deconstruction of Western „demonization“ narratives. Following his books on the Yugoslav wars, his focus has turned to the economic and geopolitical roots of today’s „Russia-bashing“ in the West.

The Western media and politicians, Hofbauer says, are addressing the Russians as an „anonymous mass, using insulting attributes that express distance distance, detestation, and hate.“ He questions the reasons behind decisions by Washington and Brussels to “deny entry permits for Russian diplomats, inflict sanctions, close accounts of Russian citizens, exclude Moscow from international organizations, boycott sports events and disrespect people who plead for understanding Russian positions and politics.”

Hofbauer-Feindbild-Russland-500.jpgHofbauer argues that the “enemy image paradigm dominates the reception of Russia, Russians, and Russian politics throughout the centuries, although short periods of a positive image existed in between”, but also that the current “demonisation of Russia by the West is a reaction to the Kremlin’s policy to consolidate the state and pursue a sovereign foreign policy”.

According to him, the “new enemy image developed along different occasions: the NATO-war on Yugoslavia (1999), the case of Mikhail Khodorkovsky as well as the US war on Iraq (2003), the Eastern enlargement of NATO and European Union (since 1999 - 2004), the wars in South Ossetia and Abkhasia (2008) and – most important and long-lasting – the struggle over Ukraine’s international orientation, beginning with the EU Association Agreement in November 2013”.

In an interview for GIA, Hofbauer outlines the current state and perspectives of Russophobia.

Why is Russia considered as a sort of “superpower pariah state” by the West?

This is a question of historical and political context. Let’s have a look at the recent history since the breakdown of the Soviet Union. Gorbachev and - even more so - Yeltsin were darlings of Western media and Western politicians. And so Russia’s image was drawn as a friendly state on its way to democracy. Nobody in the West cared about the fact that Yeltsin attacked the White House in Moscow with artillery in October 1993 to get rid of a Duma that rejected his policies. And when he introduced a strong presidential system, the West applauded. Now Putin is using this system and Western commentators speak of autocracy. There is a crucial difference in the Western reception of Russia during the 1990s and after the year 2000. During the 1990s the Kremlin under Yeltsin helped to unmake the state-structures, while after 2000 Putin rebuilt and strengthened these structures in administrative, territorial, and socio-economic respects. This is why the Kremlin and Russia are perceived as an enemy in the West.

What are the roots of Russophobia in the West?

In my book “Enemy Image Russia”, which came out some weeks ago in the German language, I trace the Western Russophobia back to the late 15th century. At this turning point of history, Ivan III consolidated the state against Tatar invasions and geopolitically tried to do what every Russian leader has been doing ever since: to obtain or defend access to the sea for a land-locked country. On his way to the Baltic Sea, he clashed with the Teutonic Order and the Lithuanian-Polish Union. It was not by accident that the German-Polish philosopher Johannes von Glogau from the University of Krakow was the first to taint Russians as “Asiatic, barbaric, non-believers, and dirty”. This image since then became a stereotype over the centuries.

If you like, Russophobia is rooted in the geopolitical fact that Russia wants to have access to the sea and the West always tries to counter this move. Already before the First World War the well-known geographer and founder of the London School of Economics, Halford Mackinder, based his Heartland-theory on this geopolitical conflict. His theory explains why it is necessary and how it is possible for Western powers to rule over or at least control the “heartland” (Russia). It led to justifying  aggressive German Nazi geopolitical visions which came later, such as the one of Alfons Paquet (in the 1940s), as well as to the politics of containment, invented by Nicholas Spykman and realized by Henry Truman (in the 1950s), which found a successor in the adviser of several US presidents, Zbigniew Brezinski (in the 1980s).

Was this Russophobia always a constant throughout history? Were there periods of relaxation?

No, it was not, although we have to say that most of the time, Russia-bashing was usual. In the mercantilist era, when Peter I followed Western concepts of economic and cultural modernization, we see a friendly climate towards Russia throughout the West. In the 19th century the image of Russia was split. While the nobility and the ruling class liked the Tsar, the revolutionaries of 1848 hated him, and this reflected how Russia was seen in different parts of – for instance – German society. Throughout the 20th century, Russia was perceived as an enemy, from the First World War to the end of the Soviet Union. Anti-Russian feelings turned anti-communist and vice-versa. Only with the breakdown of the Soviet Union, the Kremlin and Russia were seen positively in the West.

Is Russophobia exclusively Western, or is it present in other regions and civilizations? What is the difference?

The Pew Research Centre published an opinion poll in 2015, which was carried out worldwide. There it turned out that the image of Russia was very negative in Ukraine and Poland with 75-80% negative against 25-20% positive voices. In Germany, France, Italy and the USA, it was around 70% negative to 30% positive, whereas in China the image of Russia was only 37% negative and 51% positive and in India 17% negative to 43% positive. Beside the geopolitical reasons I already mentioned, the main difference in the perception of Russia is rooted in the economic field. Western powers represent the interests of their global economic players; and they want a weak Russia to trade or invest in with more profit. China and India are (for the moment) not in possession of such an aggressive capital.

How do you explain Russophobia in parts of the population in the European Union? Some European nations, like the Serbs, seem even to be largely pro-Russian.

Cultural ties between Russia and (German) Europe have always been close. Educated people know this - and experience it. Some people of the older generations also remember war times, when Germany invaded Russia in 1941 and know quite well that aggression throughout the 20th century always started in the West. Pro-Russian feelings of Serbs are rooted in a common culture that may be explained in religious or ethnical terms. Historically, in geopolitical conflicts Russia most of the time stood on Serbia’s side: from the hostility to the common enemy, the Ottoman Empire, to a favorable attitude towards Serbian statehood. We could see this even in 1999 when the weak Kremlin under Yeltsin did not favor NATO aggression against Serbia. We remember Prime Minister Primakov, who interrupted a planned visit to Washington on the 24th of March 1999 to protest against the NATO-aggression. People keep events like that in mind.

The EU has launched in 2015 a strategic communication program aimed at fighting "Russian disinformation" ("Stratcom East" working group). Does this mean that Russophobia is now institutionalized in the European Union?

More than that. With sanctions against Russian figures and the embargo against Russian industrial companies and banks implemented in March and April 2014, an economic war has started destroying the ties especially between the European Union and Russia. US-firms are not suffering much from this kind of trouble because their import/export-figures with Russia or Ukraine are negligible. In that sense, the embargo and counter-embargo also reflect a struggle, which is taking place between the USA and the European Union.

How dangerous is Russophobia for European and world security?

At the moment, there are two wars going on, where Russia and USA/NATO are in more or less direct confrontation: the one in the Ukraine and the Middle East/Syria. So we already have a very dangerous situation, which is not only about territory and influence, but also about how to solve the deep socio-economic crisis in the background. Ukrainian and Arabic youth have no future but to emigrate. This is a bomb far more dangerous than F16 bombers. Generations without future … what should they do? Where could they go? What will happen with destroyed regions? To what extent will this war touch the centers or come back into the core-countries, where most of the today’s wars have their starting point or – at least – from were they were unleashed and in whose interest they are being instrumentalized? With these very pessimistic prospects, every enemy image dynamizes the tragedy. The West at the moment operates with two enemy images: the Islamic and the Russian. In a way, this shows the weakness of Western hegemony, but in its weak position it has become increasingly aggressive. So we are undergoing a dangerous period of time.

Is there anything that Russia and Russians can do about Russophobia today and in the future?

Economically and socially speaking, the key word to overcome some of the mayor problems should be “import substitution”. To rely more on its own resources and industrial and innovative capacities could be a positive answer within Russia to Russophobia by the West. If Russia and the Russians in their daily life are dependent on Western investment, commodities, technology, culture etc., Western Russophobia has a crucial impact on this daily life. The Kremlin knows this and tries to act accordingly. But it is not an easy task. At the moment, Western politicians and media realize that Russia and the Russians do not depend so much on what is done, said, and invested in the West, the menace against Russia becomes more and more an empty threat. To keep looking in the direction of EU or the USA will not help.

vendredi, 03 juin 2016

Jean-Louis Harouel: «Sur le sol européen, l’islam a profité à plein des droits de l’homme»

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Jean-Louis Harouel: «Sur le sol européen, l’islam a profité à plein des droits de l’homme»

Entretien

Ex: http://www.breizh-info.com

31/05/2016 (Breizh-info.com) –Les éditions Desclée de Brouwer ont publié au début du mois de mai 2016 un ouvrage de Jean-Louis Harouel intitulé « Les droits de l’homme contre le peuple ». Un ouvrage percutant de 140 pages qui démonte l’idéologie des droits de l’homme, cette nouvelle religion que Guillaume Faye avait déjà dénoncée en son temps (...).

Agrégé de droit, diplômé de Sciences-Po Paris, diplômé en droit canonique de l’École pratique des hautes études, Jean-Louis Harouel est professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas / Paris II. Outre de nombreux ouvrages d’histoire du droit, il a publié toute une série d’essais. En 1984, Essai sur l’inégalité (PUF), où il faisait le bilan historique des inégalités économiques et sociales, en montrant le caractère destructeur de l’égalitarisme.

En 1994, Culture et contre-cultures (PUF, 3e édition 2002), il analysait la déculturation de nos sociétés, en montrant que l’idéologie égalitariste marxisante d’un Bourdieu et les effets de la technique moderne avaient une action convergente de destruction de la culture.

En 2005, Productivité et richesse des nations (Gallimard), une anthologie de la pensée économique de Jean Fourastié, avec une présentation de 200 pages en forme d’essai qui a été publiée séparément en italien (Le cause de la ricchezza delle nazioni, Marco Editore, Lungro di Cosenza, 2007).

En 2009, La grande falsification. L’art contemporain, chez Jean-Cyrille Godefroy, réédité avec une postface en 2015 : une démystification très solidement argumentée de ce qu’il appelle le NAC (non-art contemporain).

En 2012, Le vrai génie du christianisme. Laïcité-liberté-développement, toujours chez J.-C. Godefroy, où Jean-Louis Harouel s’emploie à montrer que la disjonction du politique et du religieux introduite par le christianisme (et que refuse l’islam) est à l’origine du succès historique de l’Occident (et que nous retombons avec les droits de l’homme dans une confusion du politique et du religieux). Puis, en 2014 chez le même éditeur, Revenir à la nation.

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Enfin, chez Desclée de Brouwer en 2016, Les droits de l’homme contre le peuple, livre à propos duquel nous l’avons interrogé :

Breizh-info.com : Les droits de l’homme apparaissent aujourd’hui comme une véritable religion qui a pris la suite du catholicisme en France. Sommes nous dans une nouvelle période d’Inquisition ?

Jean-Louis Harouel : Effectivement, la religion des droits de l’homme a très largement occupé le vide creusé dans la seconde moitié du XXe siècle par l’effondrement de la pratique religieuse non seulement catholique mais plus généralement chrétienne, car le protestantisme n’est pas dans une meilleure posture (mises à part les églises évangéliques). Mais l’immense expansion actuelle des droits de l’homme en Europe vient aussi de ce qu’ils ont également occupé un autre vide : celui creusé par l’implosion du communisme. Car les droits de l’homme ont pris la place du communisme comme utopie devant conduire l’humanité vers la terre promise de l’avenir radieux.

Dès lors rien d’étonnant si la religion séculière des droits de l’homme s’est dotée d’une police religieuse de la pensée qui n’est effectivement pas sans évoquer la vieille Inquisition catholique et surtout les modernes Inquisitions des régimes totalitaires du XXe siècle, au service des religions séculières interdisant toute pensée libre que furent le nazisme et le communisme. Nous sommes revenus dans un système de confusion du politique et du religieux. Les droits de l’homme sont notre religion d’État. Et l’État-Église de la religion des droits de l’homme réprime les manifestations d’opinions non conformes aux dogmes de la religion officielle.

jlhdroits.jpgBreizh-info.com : Les Européens semblent totalement désarmés aujourd’hui par leurs gouvernants, face à des populations qui elles, ne sont pas soumises à la tyrannie des droits de l’homme. Est-ce encore réversible ?

Jean-Louis Harouel : Si je pensais vraiment que ce n’est pas réversible, je n’aurais pas écrit ce livre, ou bien je l’aurais écrit autrement : sous la forme d’une oraison funèbre.

Mais il est clair que si l’on ne réagit pas très vite, il sera trop tard. Et il est clair aussi – ce que montre le modèle des votations suisses – qu’il ne se passera rien si on ne donne pas directement le pouvoir de décider aux peuples européens. C’est-à-dire que s’ils n’exigent pas qu’on leur donne la décision, rien ne sera décidé et que nous poursuivrons notre aveugle chevauchée au gouffre.

Breizh-info.com : Les islamistes ne se servent-t-ils pas justement des droits de l’homme pour imposer, petit à petit, l’Islam et ses règles en Europe ?

Jean-Louis Harouel : C’est effectivement ce que font les islamistes, et certains ne s’en cachent pas. L’un des principaux dirigeants des Frères musulmans au niveau européen le déclarait sans fard en 2002 : « Avec vos lois démocratiques, nous vous coloniserons. Avec nos lois coraniques, nous vous dominerons. »

Sur le sol européen, l’islam a profité à plein des droits de l’homme. C’est sur eux que se fondent les revendications vestimentaires, alimentaires et autres des musulmans, lesquelles relèvent toutes en réalité d’une prise de pouvoir de nature politique, d’une appropriation de territoires, d’une domination de secteurs de la société. L’islam combinant en lui le politique, le juridique et le religieux, toute concession faite à l’islam comme religion est aussi une concession faite à l’islam politique et juridique, ce qui transforme peu à peu les pays européens concernés en terres musulmanes.

jlh-zDL._SX311_BO1,204,203,200_.jpgBreizh-info.com : Le principe de non discrimination, érigé en loi en France, patrie des droits de l’homme, n’est il pas lui même la porte ouverte à tous les excès ? Ne discrimine-t-on pas de toute façon naturellement ? Avons nous définitivement tourné le dos aux valeurs transmises sous l’Antiquité, dans une Grèce et une Rome qui justement discriminaient, c’est à dire distinguait leurs citoyens des autres ?

Jean-Louis Harouel : Effectivement, le fondement même de la cité est la discrimination. La cité est une communauté particulière ayant son identité propre et un contenu humain précis : il y a les membres de la cité, et ceux qui ne le sont pas, qui appartiennent à d’autres cités, à d’autres États. Dans la logique de la cité, la discrimination entre citoyens et non-citoyens, entre nationaux et étrangers, constitue la distinction fondatrice, juste par excellence, sans laquelle il n’y a pas de cité.

Quand les fanatiques de l’immigrationnisme prétendent mener en faveur de l’installation des étrangers entrés clandestinement un « combat citoyen », ils font le contraire de ce qu’ils disent. Au nom de l’immigration érigée en droit de l’homme, ils mènent en réalité un combat pour la destruction des nations européennes au moyen des flux migratoires. Leur combat est un combat mondialiste, un combat contre la cité et la citoyenneté. Un combat anti-citoyen.

Breizh-info.com : Le Pape François se fait l’apôtre du « vivre ensemble », de l’immigration en Europe, du dialogue avec l’Islam. Finalement, les droits de l’homme ne sont ils pas un prolongement du christianisme ?

Jean-Louis Harouel : Du point de vue même de l’Église catholique, le dogme – relativement récent (1870) – de l’infaillibilité pontificale ne s’applique qu’à l’enseignement du pape parlant ex cathedra pour définir des points de doctrine en matière de foi ou de mœurs. Pour le reste, le catholicisme n’exclut pas que les papes puissent se tromper.

Effectivement, dans leur perception et leur compréhension d’une situation politique et sociale, bien des papes ont commis d’énormes erreurs de jugement. Ainsi, concernant Léon XIII, l’historien Roberto de Mattei vient de démontrer que ce pape s’était profondément trompé quand, en invitant en 1892 (par l’encyclique Inter sollicitudines) les catholiques français à se rallier à la République, il avait cru pouvoir mettre fin à l’anti-catholicisme des républicains – ils fermaient à tour de bras les écoles catholiques et les couvents – et acquérir à l’Église leur sympathie.

Le pape actuel commet une erreur analogue quand il essaye de séduire le monde musulman, sans nul profit pour les chrétiens d’Orient et au grand détriment des Européens. La dernière en date de ses bévues est d’avoir prétendu (La Croix, 17 mai) que l’idée de conquête était tout aussi présente dans les Évangiles (Matthieu, 28, 19) que dans l’islam. Visant à laisser croire que les textes saints de l’islam et du christianisme sont à mettre sur le même plan du point de vue de la violence, cette affirmation constitue une énorme contre-vérité.

L’Église doit se souvenir qu’elle est dans son principe une institution de nature spirituelle ayant pour objet la foi en vue du salut. Quand il se mêle de politique, non seulement un pape risque de dire de monstrueuses bêtises et de commettre de très graves erreurs, mais encore il n’est pas dans son rôle. Pas plus que n’étaient dans leur rôle les grands papes théocrates du Moyen Âge – les Innocent III, Grégoire IX, Innocent IV – lorsqu’ils prétendaient au dominium mundi, c’est-à-dire à la souveraineté terrestre sur l’Europe.

jlhNation500-190x300.jpgAu XIXe siècle, on a beaucoup critiqué l’Église pour son attachement aux régimes monarchiques, sa condamnation de la liberté de conscience, de la souveraineté du peuple, du libéralisme et de théories philosophiques telles que le naturalisme ou le rationalisme. L’Église n’était pas dans son rôle, mais elle ne l’est pas davantage quand le pape prétend aujourd’hui, au nom des droits de l’homme, interdire aux nations européennes tout contrôle des flux migratoires. Le pape se comporte en théocrate quand il dicte aux pays européens un sans-frontiérisme qui les condamne à mort.

Sous l’actuel pontificat, c’est comme s’il y avait deux religions dans l’Église : d’une part la religion catholique dont les fins sont spirituelles et extra-terrestres (le salut éternel) ; et d’autre part la religion des droits de l’homme (ou religion humanitaire), moralement proche d’elle sur le plan moral mais dont les préoccupations sont exclusivement terrestres. Avatar de la religion de l’humanité au même titre que le communisme – dont nous savons qu’elle a pris la suite –, la religion séculière des droits de l’homme n’est pas, malgré les apparences, d’origine chrétienne. Elle découle d’hérésies chrétiennes, de ces trahisons du christianisme que furent la gnose et le millénarisme. Les droits de l’homme comme religion ne sont pas un prolongement du christianisme : c’est un système de croyances post-chrétien.

Breizh-info.com : Comment voyez-vous l’avenir des européens dans les prochaines années ? Sommes nous condamnés à disparaitre en tant que civilisation ?

Jean-Louis Harouel : Peut-être les Européens parviendront-ils à se ressaisir à temps. Peut-être se décideront-ils à répudier la religion des droits de l’homme et son délire anti-discriminatoire. Peut-être parviendront-ils à bloquer les flux migratoires et à résister au processus de conquête feutrée de l’Europe par la civilisation arabo-musulmane.

Mais si ce sursaut salvateur n’a pas lieu, il est possible que la civilisation européenne disparaisse, tout comme a disparu jadis la civilisation gréco-romaine au moment de l’effondrement de l’empire d’Occident. Peut-être des historiens chinois ou indiens disserteront-ils un jour sur les causes de la fin de la civilisation européenne, et mettront-ils en évidence le caractère mortifère pour l’Europe de la religion séculière des droits de l’homme.

Nous le savons depuis Valéry : notre civilisation peut mourir car les civilisation sont mortelles et l’histoire est leur tombeau. C’est aux peuples européens de décider s’ils se résignent, au nom de la vertueuse religion des droits de l’homme, à se laisser pousser au tombeau, ou s’ils sont au contraire prêts, pour tenter de survivre, à résister aux droits de l’homme.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Jean-Yves Pranchère: «La critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque»

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Jean-Yves Pranchère: «La critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque»

Diplômé de l’École normale supérieure, Jean-Yves Pranchère est par ailleurs professeur à l’Université libre de Bruxelles et membre du comité de rédaction de la Revue européenne des sciences sociales (Droz, Genève). Son domaine d’étude est la théorie politique, avec un attrait tout particulier pour les auteurs réactionnaires sur lesquels il a notamment travaillé pour sa thèse. Il a récemment publié chez Seuil une somme avec Justine Lacroix (professeure de théorie politique à l’ULB) sur les critiques des droits de l’homme, des contre-révolutionnaires à Hannah Arendt en passant par Marx ou Carl Schmitt : « Le Procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique ». Nous avons voulu nous entretenir avec lui car, antilibéraux, nous nous interrogeons nous-mêmes sur le rapport entre droits de l’homme et politique révolutionnaire.

Le Comptoir : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser spécifiquement à la thématique de la critique des droits de l’homme ?

jpr021181006.jpgJean-Yves Pranchère : L’initiative est venue de Justine Lacroix, qui s’est engagée il y a six ans dans le projet d’une étude des résistances contemporaines aux droits de l’homme ; elle en a exposé les attendus dans deux articles programmatiques, « Des droits de l’homme aux droits humains ? » et « Droits de l’homme et politique ». Elle a organisé sur ce sujet, dans le cadre du Centre de Théorie politique qu’elle dirige, un intense travail collectif ; le récent dossier publié par le site Raison publique en est une des traces. Ce travail entrait en résonance avec mes propres recherches sur la tradition contre-révolutionnaire, que je me suis efforcé d’étudier comme une des coordonnées décisives de ce qu’Adorno et Horkheimer ont nommé la « dialectique des Lumières » – qu’il ne faut justement pas concevoir, à la façon des contre-révolutionnaires eux-mêmes, comme la logique nécessaire d’un déclin ou d’une autodestruction de la raison, mais comme le processus pluriel au cours duquel se révèlent, entrent en crise ou s’élucident les ambiguïtés du projet d’autonomie.

Parmi les motifs du livre, que nous avons écrit à deux dans une interaction permanente, je soulignerai la perplexité éprouvée devant le succès d’une critique des droits de l’homme menée au nom de la démocratie.

Le paradoxe est déjà ancien : il surgit dès le retour des droits de l’homme sur l’avant de la scène politique dans les années 1970, à la suite du coup d’État de Pinochet au Chili et des luttes des dissidents des pays de l’Est[i]. Ceux-ci induisirent une large conversion de la gauche, y compris de la gauche dite alors “eurocommuniste”, à un refus définitif de l’idée que la violation des droits fondamentaux pouvait être une étape de la construction du socialisme. Or, cette reconquête du langage des droits de l’homme, accomplie à la fois contre l’effondrement totalitaire du “socialisme réel” et contre le soutien des USA aux régimes tortionnaires d’Amérique latine, s’est presque aussitôt accompagnée d’un discours de méfiance à l’égard desdits “droits de l’homme” ; discours qui n’a cessé de s’amplifier depuis, alors même que ceux qui l’adoptent disent explicitement ne rien opposer aux droits de l’homme. Marcel Gauchet, par exemple, assume en termes très clairs l’impossibilité d’une opposition de principe au droits de l’homme : « Les droits de l’homme sont cette chose rare entre toutes qu’est un principe de légitimité. Ils sont le principe de légitimité qui succède au principe de légitimité religieux. Il n’y en aura eu que deux dans l’histoire, et il y a toutes les raisons de penser qu’il n’y en a que deux possibles, logiquement parlant. À quelle source rapporter ce qui fait norme parmi les êtres, quant à ce qui organise leurs communautés, quant à ce qui les lie, quant à ce qui permet d’établir le juste entre eux, quant à l’origine des pouvoirs chargés de régler l’existence en commun ? À ce problème fondamental, il y a deux façons de répondre et deux seulement. Ou bien cette source est au-delà du domaine des hommes, ou bien elle est en lui — ou bien elle est transcendante, ou bien elle est immanente. »[ii]

On croit comprendre alors que la réserve exprimée envers les droits de l’homme vise uniquement une interprétation illusoire de ceux-ci, selon laquelle ils seraient susceptibles de fournir, non seulement le cadre juridique, mais la substance même de la vie sociale. Comme l’explique encore Marcel Gauchet, dans son tout dernier livre : « Ce n’est pas le principe qu’il y a lieu de condamner : nous sommes bien évidemment tous pour les droits de l’homme. C’est l’usage qu’on en fait qui doit être incriminé ; l’impossibilité pour une société de se réduire à ce principe, qui est par ailleurs vrai. Nous sommes tous pour les droits de l’homme, mais… Tout est dans ce “mais” qu’il est très difficile de faire entendre aux procureurs qui pensent être dans le vrai […]. »[iii]

Cette distinction entre le “principe” et “l’usage” n’est pourtant pas suffisante pour supprimer toute perplexité. Dans la phrase : « les droits de l’homme, mais… », le « mais » porte bel et bien sur le principe qu’on s’efforce de relativiser au moment même où on admet qu’il n’a pas de rival. S’il ne s’agissait que de critiquer un « usage », il n’y aurait aucune nécessité à soumettre le principe à un « mais » ; il suffirait de lui ajouter un “et”, un “avec”, un “de telle manière que…” – bref, de lui ajouter un mode d’emploi. Imagine-t-on un chrétien qui dirait “Aimez-vous les uns les autres, mais…” ou “Soyez justes, mais…” ? Son message en serait immédiatement brouillé.

Force est donc de constater que la critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque. À preuve le fait que le « mais », dans le propos cité de Marcel Gauchet, n’introduit pas à une spécification de l’idée, mais à l’indétermination de trois points de suspension, suivis de l’esquive facile que constitue la polémique rebattue contre le “politiquement correct” qui, paraît-il, empêche Zemmour, Onfray et Finkielkraut de faire la une des magazines.

“Les droits de l’homme, mais…” Cette rumeur qu’on entend partout, et qui inspire l’accusation vide de “droit-de-l’hommisme”, appelle une question simple : “… mais quoi ?” C’est là l’objet de notre livre.

La critique des droits de l’homme a pu connaître diverses formes. Contrairement à ce que l’on pense généralement, elle n’a pas été l’apanage des réactionnaires. Pourriez-vous nous dresser un bref panorama de ces critiques ?

Je crains de ne pas pouvoir résumer en quelques lignes ce qui nous a demandé un livre entier ! Je serai donc elliptique plutôt que bref. Notre livre part d’un essai de classification des critiques contemporaines des droits de l’homme et dresse l’arrière-plan généalogique de celles-ci. La typologie contemporaine distingue trois grands courants :

  • un courant “antimoderne”, qui conteste le principe même des droits de l’homme ; il se divise en deux branches, une branche néo-thomiste axée sur l’idée d’un ordre juste qui ne connaît de droits que relatifs, et une branche qu’on pourrait dire néo-schmittienne qui dénonce les droits de l’homme comme un moralisme antipolitique ;
  • un courant “communautaire”, qui reconnaît la valeur normative des droits de l’homme mais en limite la portée en soulignant que ces droits ne peuvent produire ni communauté politique ni lien social ; cette thématique a été développée, de manière parallèle, par les communautariens américains et par les souverainistes français qui entendent par “république” le régime de l’incarnation de la nation en une volonté générale ;
  • un courant “radical”, d’ascendance marxienne, qui voit dans les droits de l’homme l’indice d’un abandon du projet de l’auto-organisation démocratique de la société au profit de l’éternisation de la séparation entre “société civile” et État.

Ces différents courants reprennent, sur un mode souvent diffus, des argumentaires qui ont été mis au point, sous des formes extrêmement conséquentes, par de grands théoriciens politiques dont les pensées nous ont paru constituer, pour ainsi dire, des “idéaux-types” réalisés des critiques possibles des droits de l’homme. Il nous a donc semblé nécessaire de confronter les critiques contemporaines à ces modèles antérieurs qui définissent les enjeux dans toute leur acuité.

« La similarité des arguments utilisés par les différents auteurs n’empêche pas la profonde hétérogénéité des dispositifs théoriques. »

Nous avons distingué ainsi une critique réactionnaire, théologico-politique, axée sur les devoirs envers Dieu, dont la version “sociologique” est fournie par Bonald et la version “historiciste” par Maistre ; une critique conservatrice, à la fois libérale et jurisprudentialiste, axée sur les droits de la propriété et de l’héritage, représentée par Burke ; une critique progressiste, utilitariste, axée sur le primat des besoins sur les droits, dont la version individualiste, libérale-démocratique, est donnée par Bentham, et dont la version organiciste, qu’on peut dire en un sens “socialiste”[iv], est donnée par Comte ; une critique révolutionnaire, axée sur le refus de discipliner par le droit l’auto-émancipation sociale, dont la figure éminente est bien entendu le communisme de Marx.

L’étude de ces quatre modèles fait d’abord apparaître que la similarité des arguments utilisés par les différents auteurs n’empêche pas la profonde hétérogénéité des dispositifs théoriques : quoi de commun entre un Burke, qui entend subordonner les droits de l’homme au droit de propriété qui les annule socialement, et un Marx qui entend pousser les droits de l’homme au-delà d’eux-mêmes en tournant leur revendication d’égalité contre le droit de propriété ?

De là une deuxième leçon : les critiques des droits de l’homme sont instables, traversées par des dialectiques qui les conduisent, quand elles ne veulent pas déboucher sur des positions contradictoires ou régressives, à fournir malgré elles les moyens d’un enrichissement ou d’un approfondissement des droits de l’homme.

Cette leçon est illustrée par deux grandes figures antithétiques du XXe siècle : la figure “régressive” de Carl Schmitt, qui dans les années 1920, avant son passage au nazisme, a développé de manière systématique – et, il faut bien le dire, fallacieuse – le thème d’une opposition entre démocratie et État de droit, conduisant à une dénonciation virulente de la fonction “dépolitisante” des droits de l’homme ; et la figure dialectiquement instruite de Hannah Arendt, qui, aux antipodes de la régression nationaliste proposée par Schmitt, a réarticulé l’idée des droits de l’homme sous la forme du “droit à avoir des droits”. Hannah Arendt, nous semble-t-il, indique les voies d’une conception politique des droits de l’homme, qui les lie indissolublement à la citoyenneté sans confondre celle-ci avec la forme de l’État-nation ni céder au mirage d’un État mondial qui en finirait avec la condition politique de la pluralité.

On parle beaucoup aujourd’hui des droits de l’homme, mais on oublie l’autre versant de la Déclaration de 1789, qui était là pour satisfaire la frange républicaine des révolutionnaires : les droits du citoyen. N’est-ce pas là une preuve du triomphe de la vision libérale de ces droits ?

Je vous répondrais volontiers en pastichant le célèbre paragraphe des Considérations sur la France de Maistre contre l’idée de “l’homme” : j’ai vu des partisans et des ennemis des droits de l’homme, mais quant à “on”, je ne l’ai jamais rencontré de ma vie !

Plus sérieusement, les droits de l’homme ne sont ni une idéologie unifiée ni une doxa anonyme sous laquelle on pourrait ranger pêle-mêle des phénomènes aussi différents que les militantismes nationaux et transnationaux en faveur de l’égalité des droits et des solidarités sociales, le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme ou du Tribunal pénal international de La Haye (dont l’autorité reste refusée par nombre de grands États), l’architecture démocratique de l’État de droit social, l’influence médiatique de rhétoriques moralisantes dont l’effet est d’émousser la pointe critique des droits de l’homme, ou encore l’existence de falsifications impérialistes éhontées qui font servir le langage des droits de l’homme à la mise en œuvre de leur violation, comme ce fut le cas avec Georges W. Bush.

Cette hétérogénéité est irréductible. Dans la mesure où les droits de l’homme sont « un principe de légitimité », pour reprendre l’expression de Marcel Gauchet, ils ne sont pas tant un “discours” que l’ouverture d’un champ discursif et d’un espace d’action politique. À ce titre, ils tolèrent une multiplicité d’investissements : ils s’exposent aux ruses des faussaires ; ils peuvent subir les distorsions que leur imposent des stratégies intéressées ; mais ils peuvent aussi – et surtout – nourrir des revendications fortes qui réclament que la réalité soit mise en conformité avec l’idéal et que les droits soient établis dans toute leur extension et leur plénitude. Il faut donc renoncer à faire la psychologie imaginaire d’un sujet imaginaire qui serait “l’époque” – le “on”, qui serait en attente de nos leçons de morale –, et se tourner vers l’analyse politique des lignes de force du champ de bataille des “droits de l’homme”.

« La réticence néo-libérale à l’égard des droits de l’homme est cohérente. »

Pour ce qui est de cette “vision” qui oublie les droits du citoyen dans les droits de l’homme, je serais d’accord avec vous pour dire qu’elle est libérale, mais au sens d’un libéralisme très étroit et très appauvri : un libéralisme hayékien, mais pas rawlsien.

En revanche, je suis assez dubitatif devant l’idée que ce libéralisme hayékien détiendrait la clef de la vision dominante des droits de l’homme. Je crois au contraire qu’il ne parle le langage des droits de l’homme qu’à contrecœur, et pour le subvertir. Rappelons-nous que l’offensive ultralibérale a trouvé son premier terrain d’application dans le Chili de la fin des années 1970 et que Hayek, par son soutien à Pinochet, a montré que les droits individuels requis par la liberté du marché n’étaient pas les “droits de l’homme”.

Et, j’ajouterais que la réticence néo-libérale à l’égard des droits de l’homme est cohérente. Elle vient d’une conscience lucide de ce que les “droits du citoyen” n’ont jamais été et ne peuvent jamais être un ”autre versant” des droits de l’homme, à la façon d’un “volet facultatif” : ils sont leur cœur même depuis le début, depuis ce mois d’août 1789 où personne n’était encore “républicain” et ne pouvait imaginer jusqu’où conduirait la radicalité du processus révolutionnaire qui venait de se donner sa justification théorique dans la Déclaration.

Il ne faut pas oublier, en effet, que la Déclaration inscrit en elle l’acte insurrectionnel dont elle procède : elle est le texte par lequel une insurrection politique énonce et réfléchit son droit. Par là s’explique que les énoncés de la Déclaration aient pu constituer une sorte d’événement originaire, en rupture avec ses propres antécédents jusnaturalistes, et initier un développement voué à dépasser les intentions conscientes des rédacteurs. Relisez donc les trois premiers articles : l’affirmation que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (article 1) débouche presque immédiatement sur la proclamation de la souveraineté de la nation, comprise comme la communauté politique des individus égaux en droits (article 3). L’égalité des droits induit directement la souveraineté du peuple qui en est la seule forme possible.

Il n’y a pas là deux “versants” ou deux idées, celles de l’homme et du citoyen (auxquels on aurait accordé des droits distincts pour faire plaisir aux uns et aux autres), mais bien une seule et même proposition, qu’Etienne Balibar nomme « la proposition de l’égaliberté »[v]  afin de souligner l’identité qu’elle affirme entre égalité et liberté, une identité plus étroite que celle que suggère l’expression “égalité des libertés”. Cette identité entre égalité et liberté implique que l’homme et le citoyen soient indissociables, puisque l’égalité est à la fois la condition et l’objet de la pratique des citoyens en tant qu’ils sont des hommes libres.

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Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère

Les droits de l’homme sacralisent d’une certaine manière les droits qu’ils proclament, en les absolutisant. L’idée est bien souvent de les préserver de l’intervention du pouvoir, des délibérations humaines. Par ailleurs, l’idée d’une charte de droits sacralisés pourrait être perçue comme une limite à la décision humaine, donc un facteur d’hétéronomie. Les droits de l’homme ne sont-ils pas aujourd’hui devenus l’un des principaux vecteurs de destruction de la politique, comme l’affirme Marcel Gauchet ?

Le refus de la sacralisation des droits, au nom du droit (sacré, donc ?) qu’ont les hommes de se donner les lois qu’ils veulent, est le thème central de la critique utilitariste et libérale des Déclarations faite par Bentham. À cette critique, on peut objecter qu’elle repose sur un contresens – qui, il est vrai, a été commis par certains (certains seulement) des révolutionnaires eux-mêmes[vi].

Car, la Déclaration de 1789 n’est pas une “charte de droits sacralisés” ou une énumération de droits absolus : elle est l’effort pour tirer les conséquences de la proclamation de l’égalité des hommes en droit. Elle n’absolutise pas les droits qu’elle énonce : elle décrit la manière dont ils s’équilibrent entre eux sous le principe de l’égalité et de la réciprocité des libertés. Elle est un développement, une explicitation, de la proposition de l’égaliberté – proposition dont les Déclarations ultérieures proposeront des explications qui se voudront, sans toujours l’être, plus complètes et mieux instruites.

Vous m’objecterez que le dernier article de la Déclaration de 1789 insiste bel et bien sur la sacralité du droit de propriété. Assurément ! Il ne s’agit pas de nier que le texte porte en lui, sous l’unité de son geste insurrectionnel si bien analysé par Claude Lefort[vii], les tensions théoriques induites par les désaccords des rédacteurs – tensions superbement étudiées par Marcel Gauchet dans La Révolution des droits de l’homme[viii].

Mais je n’en répondrai pas moins en rappelant que Bentham n’avait peut-être pas tort de voir, dans l’étrange insistance du dernier article à déclarer la propriété sacrée, le signe de ce que nous appelons depuis Freud une dénégation. Bentham pensait que l’égalitarisme professé par la Déclaration de 1789 avait, dans les faits, tellement désacralisé la propriété que les rédacteurs, saisis de peur devant le sens général de leur propre texte, s’étaient crus obligés de nier par un article final les conséquences évidentes des articles précédents. La Déclaration, disait Bentham, « a sacralisé la propriété à la façon dont Jephté s’est senti obligé de sacraliser sa sœur en lui coupant la gorge ». Jaurès ne dira en un sens pas autre chose lorsqu’il expliquera longuement, dans ses Études socialistes de 1901 (publiées par les Cahiers de la quinzaine de Péguy) que la Déclaration allait d’emblée très au-delà des intentions bourgeoises des révolutionnaires et portait en elle le socialisme.

Quoi qu’il en soit, accuser l’idée des droits de l’homme d’être un facteur d’hétéronomie revient à se méprendre sur leur sens, qui est précisément d’énoncer les conditions de l’autonomie individuelle et collective. La seule limite qu’ils imposent à l’autonomie est de ne pas détruire les conditions même qui la rendent possible. Habermas a parfaitement vu ce point quand il a soutenu la thèse de la « co-originarité » des droits de l’homme et de la souveraineté populaire.

Autonomie individuelle et autonomie collective s’impliquent l’une l’autre sous le régime de l’égalité des droits : telle est l’idée des droits de l’homme, le principe de leur énonciation.

Les énoncés de ces droits sont quant à eux les résultats, toujours révisables, de la façon dont la collectivité politique réfléchit les conditions de sa propre autonomie. Ils sont la forme sous laquelle les citoyens se reconnaissent réciproquement comme libres et égaux en se déclarant les uns aux autres leurs droits tels qu’ils les concluent de leur « égaliberté ».

On peut dès lors rester sceptique devant le reproche adressé aux droits de l’homme de “détruire” la politique. Ce thème avait un sens précis chez Carl Schmitt, qui identifiait l’égalité démocratique à l’homogénéité nationale et la politique à la capacité de distinguer ses ennemis, à commencer par ses ennemis intérieurs (que Schmitt désignera clairement en 1933 : les juifs et les communistes). Si la politique consiste, pour un peuple, à être capable d’assumer l’hostilité requise envers l’ennemi extérieur et intérieur, il va de soi que le respect des droits de l’homme désarme la politique. Mais une telle position est inconcevable dans le cadre d’une pensée qui ne confond pas l’autonomie démocratique avec une théologie nationaliste.

Comment comprendre alors le sens de cette critique chez des républicains d’aujourd’hui, en particulier chez Marcel Gauchet ?

Avant de nous pencher sur cette critique, commençons par rappeler qu’aux États-Unis, dans la deuxième moitié des années 1970, les idéologues républicains qui allaient inspirer la “révolution conservatrice” reaganienne, tel Irving Kristol[ix], ont mis en garde contre le danger qu’il y avait à élever des droits de l’homme à la hauteur d’un principe politique (et non d’une simple limite morale). Vouloir modeler la politique sur les droits de l’homme conduisait selon eux à s’enfoncer dans la “crise de gouvernabilité” qui inquiétait alors les économistes libéraux ; cela revenait à encourager un programme de démocratie sociale incompatible avec le bon fonctionnement d’un ordre de marché appuyé sur les vertus du respect de l’autorité et de la fierté patriotique liée au culte de la réussite et de la compétitivité. Notons au passage qu’Irving Kristol, en des termes pas si éloignés de ceux utilisés dix ans plus tard par Régis Debray, définissait la république comme la démocratie corrigée par l’éducation et le savoir (y compris le savoir de la science économique).

À la différence de ces critiques néoconservatrices et néolibérales, le retentissant article de Marcel Gauchet publié en 1980 dans Le Débat sous le titre-slogan « les droits de l’homme ne sont pas une politique » rendait un son nettement social-démocrate[x]. Marcel Gauchet soulignait que le repli sur les droits de l’homme traduisait une « impuissance à concevoir un avenir différent pour cette société », un abandon du « problème social » et du projet « d’une société juste, égale, libre ». En retombant dans « l’ornière et l’impasse d’une pensée de l’individu contre la société », les militants des droits de l’homme se faisaient les promoteurs d’une « aliénation collective », marquée par « le renforcement du rôle de l’État » et « l’aggravation du désintérêt pour la chose publique ». Contre quoi Gauchet soulignait qu’il n’était pas possible de « disjoindre la recherche d’une autonomie individuelle de l’effort vers une autonomie sociale ». Cette expression d’autonomie sociale suggérait qu’il s’agissait de maintenir les idéaux d’un socialisme anti-totalitaire, qu’on pouvait supposer autogestionnaire, contre la renonciation à la transformation sociale qu’impliquait un militantisme confiné à la protection des droits individuels.

Le propos n’allait pourtant pas sans une certaine ambiguïté. D’une part, il était étrange de voir Marcel Gauchet passer sous silence les thèses de celui qui était alors le principal représentant d’une philosophie politique des droits de l’homme, à savoir Claude Lefort. Car Claude Lefort, qui semblait être la cible non nommée de la polémique, ne pouvait certainement pas être tenu pour un penseur de “l’individu contre la société” : sa réhabilitation des droits de l’homme insistait au contraire sur le fait que ces droits n’étaient pas des droits de l’individu, mais bien des droits de la liberté des rapports sociaux. Ce qui était selon lui en jeu dans les droits de l’homme, par opposition au totalitarisme, n’était pas la sécession de l’individu à l’égard du social et du politique, mais la nécessité de ne pas penser la citoyenneté sous le fantasme du Peuple-Un et de la volonté homogène.

D’autre part, Marcel Gauchet décrivait les effets délétères des droits de l’homme sur la démocratie à travers des formules qui ne permettaient pas de décider de la nature exacte du lien qu’il faisait entre droits et désocialisation. Il parlait ainsi de « la dynamique aliénante de l’individualisme qu’ils [les droits de l’homme] véhiculent comme leur contre-partie naturelle », tournure qui suggérait à la fois que « l’aliénation individualiste » surgissait de la nature même des droits de l’homme et qu’elle leur restait extérieure puisqu’ils n’en étaient qu’un véhicule. Marcel Gauchet donnait à penser que l’effet aliénant des droits n’avait rien de nécessaire quand il écrivait que les droits de l’homme pourraient « devenir une politique » à la condition « qu’on sache reconnaître et qu’on se donne les moyens de surmonter » leur individualisme adjacent.

L’œuvre ultérieure de Marcel Gauchet réduisit l’équivoque en interprétant, de façon plus unilatérale, la menace que faisaient peser les droits de l’homme sur la démocratie comme une menace purement endogène – ce qu’exprime le titre de son recueil de 2002, La démocratie contre elle-même. L’inflexion conservatrice était sensible dans l’article de 2000, « Quand les droits de l’homme deviennent une politique » : « La démocratie n’est plus contestée : elle est juste menacée de devenir fantomatique en perdant sa substance du dedans, sous l’effet de ses propres idéaux [Jean-Yves Pranchère souligne ici]. En s’assurant de ses bases de droit, elle perd de vue la puissance de se gouverner. Le sacre des droits de l’homme marque, en fait, une nouvelle entrée en crise des démocraties en même temps que leur triomphe. »

Selon cette analyse, la crise venait, non pas d’un manque de démocratie, mais de l’excès produit par la pleine réalisation des idéaux démocratiques. L’inquiétude portait donc désormais, comme chez les néolibéraux, sur l’ingouvernabilité induite par la dynamique des droits et aggravée par le contexte de la société française – que la revue Le Débat avait souvent décrite, notamment en 1995, comme trop incapable de réforme en raison de son attachement irrationnel aux archaïsmes de son État social[xi]. L’interprétation de la crise de la démocratie comme une crise imputable à la seule logique de l’extension des droits avait pour effet de détourner l’attention de ce sur quoi, au même moment, un auteur conspué par Marcel Gauchet, à savoir Pierre Bourdieu, centrait quant à lui ses interventions politiques : la montée des inégalités, la généralisation de la précarité, la destruction des solidarités sociales induite par les politiques de dérégulation, bref le recul factuel de la démocratie et des droits sous l’effet d’une offensive néo-libérale qu’un auteur comme Pierre Rosanvallon n’hésite plus aujourd’hui à décrire comme une « véritable contre-révolution ».

Marcel Gauchet a depuis lors réaffirmé, dans son dialogue avec Alain Badiou[xii] ou dans tel article récent, l’orientation sociale-démocrate de sa pensée. Cette orientation est cependant peu visible dans son dernier livre Comprendre le malheur français. Marcel Gauchet y polémique contre le “néolibéralisme”, mais il définit celui-ci comme « un discours de contestation de la possibilité, pour le politique, d’imposer quelque limite que ce soit aux initiatives économiques des acteurs et plus généralement à l’expression de leurs droits », ce qui revient à faire du néolibéralisme un simple cas de la politique des droits. L’argument oublie que les versions les plus fortes du néolibéralisme, comme celle de Friedrich Hayek, ont pour cœur l’efficience du marché et pensent les droits comme les « règles de juste conduite » qui assurent la possibilité de cette efficience[xiii]. Le néolibéralisme ainsi compris est farouchement hostile à tout projet de contrôle démocratique de l’économie et à toute “expression” des droits individuels au-delà de l’objectif abstrait de l’existence d’un ordre légal assurant l’honnêteté des échanges. C’est pourquoi Hayek a toujours salué en Burke un des meilleurs représentants du libéralisme tel qu’il l’entendait – Burke qui, en disciple d’Adam Smith, dénonçait les droits de l’homme au nom des lois de la propriété, de l’héritage et du marché qui font la « richesse des nations« , en même temps qu’au nom du droit particulier de ces nations dont chacune a une identité propre.

Une même thèse court de Burke à Hayek : parce que le marché ne peut constituer un ordre qu’à la condition que ceux qui agissent en lui possèdent les vertus nécessaires à cet ordre, et que la première de ces vertus est la méfiance envers les projets de planification rationnelle, autrement dit le respect de la sagesse inconsciente des développements spontanés qui constituent la tradition, le néo-libéralisme appelle comme son complément naturel un traditionalisme. En règle générale, soutient Hayek, « les règles hérités de la tradition sont ce qui sert le mieux le fonctionnement de la société, plutôt que ce qui est instinctivement reconnu comme bon, et plutôt que ce qui est reconnu comme utile à des fins spécifiques »[xiv].

Ce traditionalisme implique un nationalisme dans la mesure où la “nation” est la forme par excellence de la tradition. L’alliance qu’on observe partout entre néolibéralisme et nationalisme néoconservateur semble d’abord un paradoxe, tant le principe du marché ouvert paraît incapable de justifier l’existence des communautés nationales. L’éloge de Burke par Hayek permet de comprendre que le paradoxe n’en est pas un : le nationalisme est le supplément d’âme dont le “patriotisme du marché” néolibéral a besoin pour se réaliser. Les inégalités sociales, si elles sont un moyen de la grandeur du pays et de la promotion de son identité, ne trouvent-elles pas leur meilleure justification dans l’imaginaire de l’unité nationale ?

Or, les critiques qu’adresse Marcel Gauchet au “néolibéralisme” – confondu avec une sorte de paradoxale anomie des droits – recoupent sur bien des points la critique des droits de l’homme par Burke, c’est-à-dire par un penseur qui est un des grands ancêtres du néolibéralisme contemporain dans sa version conservatrice. Après tout, Burke déclarait déjà ne pas attaquer l’idée des droits de l’homme, mais seulement leur interprétation révolutionnaire : « je suis aussi loin de dénier en théorie les véritables droits des hommes que de les refuser en pratique », disait-il en soulignant que les besoins de la société imposaient à ces droits toutes sortes de « réfractions ».

La critique des effets “dépolitisants” des droits de l’homme est donc, comme telle, très ambiguë : entend-on dire par là que l’idée des droits de l’homme entrave les luttes pour l’égalité ? L’argument est peu crédible. Veut-on dire que cette idée nuit à l’identification des citoyens à leur nation, identification qui seule les rendrait capables d’altruisme et de sacrifice ? Il reste alors à faire la différence entre l’amour de l’ordre établi et l’esprit de solidarité, qui lie autonomie individuelle et autonomie collective sans supprimer la première dans la seconde. À moins qu’on ne veuille, sous le poids de la toute-puissance des marchés financiers, renoncer à la politique de l’égalité et lui substituer une politique de l’identité nationale qui nommerait “république”, non plus le régime de l’égalité des droits et de l’élaboration d’une rationalité partagée, mais le narcissisme collectif d’un sentiment communautaire.

mich3.jpgNe faudrait-il pas, plutôt qu’un « pompeux catalogue des droits de l’homme » (Marx) – dont on ne sait trop sur quels critères ils ont été choisis –, « une modeste “Magna Carta” susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales » (Michéa) ?

Cette formule sonne comme une proposition ultra-libérale qui demanderait qu’on s’en tienne aux seules libertés négatives ou défensives, “modestes” en ce sens qu’elles ne doivent surtout pas se prolonger dans des droits sociaux ou un projet de démocratie radicale !

Les droits de l’homme ne sont « pompeux » que si on les comprend comme un « catalogue » – ce qu’était la « Magna Carta », catalogue de libertés assurant surtout les privilèges de l’aristocratie anglaise. Mais, encore une fois, cette réduction des droits de l’homme à un catalogue en manque la logique propre. Saisis comme le développement de la « proposition de l’égaliberté », ils constituent une idée somme toute moins « pompeuse », et certainement moins exposée à la tentation totalitaire, que l’idée vague du communisme qui irriguait la critique de Marx.

Il ne faudrait d’ailleurs pas mécomprendre le sens de la déclaration de Marx que détourne Michéa. On lit dans Le Capital que la lutte de la classe ouvrière, lorsqu’elle obtient des mesures imposant des limites à l’exploitation, « remplace le pompeux catalogue des “inaliénables droits de l’homme” par la modeste Magna Carta d’une journée de travail limitée par la loi ». Marx n’entendait certainement pas par là qu’il fallait se contenter de tempérer l’exploitation sans y mettre fin, et renoncer au projet d’une auto-organisation démocratique de la société pour s’en tenir à de “modestes” corrections apportées à la violence des rapports de propriété et de production ! Ce qu’il dénonçait, c’était une interprétation des droits de l’homme qui réduisait ceux-ci à une égalité formelle entre des libertés inégalement réelles. Mais cette dénonciation même reconnaissait paradoxalement la force émancipatrice de la loi et du droit, conformément à la pratique du mouvement ouvrier qui a toujours formulé ses revendications en termes de “droits”[xv].

« Il se trouve que la critique marxienne des droits de l’homme est beaucoup plus complexe et contradictoire que ce qu’en a retenu la catastrophique vulgate léniniste. »

Il se trouve que la critique marxienne des droits de l’homme est beaucoup plus complexe et contradictoire que ce qu’en a retenu la catastrophique vulgate léniniste. La phrase “réformiste” de Marx que vous avez citée suffirait d’ailleurs à montrer que nous n’avons aucune raison de tenir le révolutionnarisme autoritaire de Lénine pour plus “légitime” ou plus “marxiste” que la social-démocratie de Kautsky ou de Jaurès. Mais cet entretien est déjà bien trop long pour que nous entrions dans ces méandres. Sans innocenter Marx ni lui imputer directement les ravages totalitaires causés par la simplification léniniste de sa critique des droits de l’homme, je me contenterai de dire qu’entre la modestie de l’action syndicale et la démesure d’une idée aussi indéterminée que celle d’une “démocratie totale” qui aurait magiquement aboli l’État et le marché, la référence maintenue aux droits de l’homme rappelle la nécessité de penser ensemble l’horizon de l’universel, la condition de la pluralité et les médiations de l’institution – sur le triple plan de l’international, du national et du transnational.

Les droits de l’homme sont-ils dépassés ?

C’est le vieux rêve contre-révolutionnaire : en finir avec les droits de l’homme et avec l’exorbitant processus révolutionnaire qu’ils ont déclenché par leur promesse d’égalité impossible à satisfaire. Bonald disait qu’il fallait « se pénétrer de cette vérité philosophique et la plus philosophique des vérités : que la révolution a commencé par la Déclaration des droits de l’homme, et qu’elle ne finira que par la déclaration des droits de Dieu« . Mais cette position avait son propre horizon “révolutionnaire”, proprement apocalyptique, avoué par Maistre dans le dernier entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg qui annonce la fusion des nations dans l’imminence d’une Troisième Révélation divine…

La contre-révolution d’aujourd’hui n’a pas la radicalité d’un Bonald ou d’un Maistre. Elle espère plutôt, comme Barnave en 1791 ou François Furet dans les années 1980, « terminer la révolution » en contenant l’essor des droits de l’homme, en les faisant rentrer dans le rang de ces “libertés négatives” qu’ils ont toujours excédées, à tous les sens de ce mot. Et, à voir la popularité de personnages politiques tels que Trump, Abe, Poutine, Erdogan ou Orban, on peut se demander si le futur ne pourrait pas avoir la forme d’une « (mal)sainte alliance entre Schmitt et Hayek », qui compenserait les duretés de l’inégalité par les satisfactions fantasmatiques de la communion nationale. Mais cela même ne prouverait rien contre les droits de l’homme : nous n’en sentirions que plus vivement la force de leur exigence.

Quant à un “dépassement” des droits de l’homme qui viendrait de la parfaite réalisation de leurs demandes, faut-il vraiment expliquer en détail pourquoi nous en sommes très loin ?

Nos Desserts :

Notes :

[i] Dans son compte rendu de l’ouvrage de Jean-Yves Pranchère et Justine Lacroix, Mark Hunyadi a noté à juste titre que le rôle joué par la mouvement praguois de la “Charte 77” aurait dû être évoqué.

[ii] Marcel Gauchet, « Du bon usage des droits de l’homme », Le Débat, 2009/1, n° 153.

[iii] Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Paris, Stock, 2016, p. 358.

[iv] Comte ne fut assurément pas “socialiste” au sens propre : il ne demandait pas l’égalité et sa conception de la “propriété sociale” laissait aux capitalistes la propriété privée des moyens de production. Mais il partageait avec le socialisme le souci d’une solidarité sociale débordant les mécanismes du marché et de l’État. Il faut renvoyer ici aux impeccables analyses de Frédéric Brahami, « L’affect socialiste du positivisme. Auguste Comte, le socialisme “politique” et le prolétariat », dans Incidence 11, 2015 qui portait sur « Le sens du socialisme ». Ce numéro entier d’Incidence, pourvu d’une remarquable introduction de Bruno Karsenti, devrait être désormais une référence incontournable de toute discussion sérieuse sur la signification du socialisme.

[v] Etienne Balibar, « Droits de l’homme et droits du citoyen : la dialectique moderne de l’égalité et de la liberté », dans Les Frontières de la démocratie, Paris, La Découverte, 1992 ; La Proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, 2010.

[vi] Mais pas par tous. Condorcet disait que les droits de l’homme ne devaient surtout pas être adorés comme des « Tables descendues du ciel ».

[vii] Claude Lefort, L’Invention démocratique, Paris, Fayard, 1981 ; Essais sur le politique, Paris, Seuil, 1986.

[viii] Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989.

[ix] Voir Irving Kristol, Réflexions d’un néo-conservateur, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1987.

[x] Ce ton social-démocrate caractérise de même le livre de Samuel Moyn paru en 2010, The Last Utopia. Human Rights in History, qui a suscité un vif débat dans le monde anglophone et recoupe largement les analyses de Marcel Gauchet.

[xi] Jacques Rancière, dans son livre de 2005 La Haine de la démocratie, a soumis ce discours à une critique acérée : la dénonciation indéterminée de “l’individualisme” conduit à imputer à la démocratie ce qui relève de logiques qui lui sont exogènes, notamment celle du Capital, et à stigmatiser au titre du “consumérisme” la masse des individus dépossédés – tout en passant sous silence le séparatisme des élites et la captation oligarchique du pouvoir. La psychologie moralisatrice sert à empêcher l’analyse des rapports de force qui configurent l’état de la société.

[xii] Alain Badiou et Marcel Gauchet, Que faire ? Dialogues sur le communisme, le capitalisme et l’avenir de la démocratie, Paris, Philo éditions, 2014.

[xiii]  On peut renvoyer, en dépit des corrections de détail qu’il faudrait leur apporter, aux analyses de Michel Foucault dans son cours de 1979 « Naissance de la biopolitique » (Paris, EHESS/Seuil/Gallimard, 2004, p. 40-45), qui montrent de manière lumineuse l’hétérogénéité profonde entre la logique de la gouvernementalité libérale, fondée sur l’ordre spontané du marché et la destitution du pouvoir souverain par le principe d’utilité, et la logique révolutionnaire de la réquisition des droits de l’homme, qui conduit d’elle-même à l’affirmation de la souveraineté de la communauté des citoyens.

[xiv] F. A. Hayek, Droit, législation et liberté 3, trad. R. Audouin, Puf, Paris, 1983, p. 193-199.

[xv] Comme le note Pierre Zaoui dans le numéro 47 de Vacarme : « La lutte de classes est d’abord et essentiellement une lutte pour le droit et par le droit, ce dont témoigneront, en un sens contre leur propre théorie du droit, Marx et Engels, notamment dans les appendices du livre I du Capital, en montrant que la lutte de classe n’a connu de succès que dans et par le droit et les institutions : réduction progressive de la journée légale de travail, interdiction progressive du travail des enfants, institution de sociétés d’assistance mutuelle, etc. »

mercredi, 01 juin 2016

Entretien avec Ingrid Riocreux

Entretien avec Ingrid Riocreux

« Les journalistes manipulent avec une parfaite bonne conscience et toujours pour la bonne cause » : entretien avec Ingrid Riocreux.

Ingrid Riocreux est agrégée de lettres modernes et docteur de l’Université Paris-Sorbonne, Paris-IV où elle est actuellement chercheur associé.

Dans son livre La langue des médias (éditions L’artilleur) et à travers de nombreux exemples, l’auteur décrypte le discours dominant des journalistes à travers qualificatifs et tournures de phrases qui impliquent un jugement de valeur et révèlent une logique qui n’est plus d’information mais de prescription.

Prescripteurs de préjugés partagés par une élite fonctionnant en vase clos, les journalistes sont ainsi devenus des éducateurs ou plutôt des rééducateurs d’opinion. Un livre qui devrait être lu à titre préventif dans toutes les écoles de journalisme et utilisé comme un manuel par tous les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs pour ne plus être « orientés par un discours orientant ».

ZOOM - Ingrid Riocreux : "Les journalistes, des Torquemadas... bienveillants"

actualité,médias,journalisme,manipulations médiatiquesIngrid Riocreux est agrégée de lettres modernes et docteur de l’université Paris 4 Sorbonne dont elle est actuellement chercheur associé. Dans son ouvrage “La langue des médias”, elle observe et analyse le parler journalistique qui ne cesse de reproduire des tournures de phrases et des termes qui impliquent un jugement éthique sur les évènements. Pour l’auteur, “on passe de la destruction de la langue à la fabrication du consentement”. Ingrid Riocreux relève la faiblesse de la compétence linguistique chez les journalistes, leur volonté d’utiliser des “mots valises” ou des expressions convenues comme le mot “dérapage” ou “phobie”. L’auteur dénonce la dérive du journalisme qui assure de plus en plus nettement une fonction d’évaluation morale :”l’inquisiteur et le journaliste sont, chacun dans des sociétés différentes, des gardiens de l’ordre”. Ce livre est conçu comme un manuel de réception intelligente à l’usage des téléspectateurs exposés aux media classiques d’information et qui se tournent, de plus en plus nombreux, vers la réinformation.

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dimanche, 29 mai 2016

La tyrannie mondialiste et le totalitarisme démocratique

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La tyrannie mondialiste et le totalitarisme démocratique

Conversation avec Alexandre Zinoviev philosophe, logicien,
sociologue,
et écrivain dissident soviétique.

Entretien réalisé par Victor Loupan à Munich, en juin 1999,
quelques jours avant le retour définitif d’Alexandre Zinoviev en Russie ; extrait de « La grande rupture », aux éditions l’Âge d’Homme.

Ex: http://www.actionroyaliste.fr

Victor Loupan : Avec quels sentiments rentrez-vous après un exil aussi long ?

Alexandre Zinoviev : Avec celui d’avoir quitté une puissance respectée, forte, crainte même, et de retrouver un pays vaincu, en ruines. Contrairement à d’autres, je n’aurais jamais quitté l’URSS, si on m’avait laissé le choix. L’émigration a été une vraie punition pour moi.

V. L. : On vous a pourtant reçu à bras ouverts !

A. Z. : C’est vrai. Mais malgré l’accueil triomphal et le succès mondial de mes livres, je me suis toujours senti étranger ici.

zinoli2221069363.JPGV. L. : Depuis la chute du communisme, c’est le système occidental qui est devenu votre principal objet d’étude et de critique. Pourquoi ?

A. Z. : Parce que ce que j’avais dit est arrivé : la chute du communisme s’est transformée en chute de la Russie. La Russie et le communisme étaient devenus une seule et même chose.

V. L. : La lutte contre le communisme aurait donc masqué une volonté d’élimination de la Russie ?

A. Z. : Absolument. La catastrophe russe a été voulue et programmée ici, en Occident. Je le dis, car j’ai été, à une certaine époque, un initié. J’ai lu des documents, participé à des études qui, sous prétexte de combattre une idéologie, préparaient la mort de la Russie. Et cela m’est devenu insupportable au point où je ne peux plus vivre dans le camp de ceux qui détruisent mon pays et mon peuple. L’Occident n’est pas une chose étrangère pour moi, mais c’est une puissance ennemie.

V. L. : Seriez-vous devenu un patriote ?

A. Z. : Le patriotisme, ce n’est pas mon problème. J’ai reçu une éducation internationaliste et je lui reste fidèle. Je ne peux d’ailleurs pas dire si j’aime ou non la Russie et les Russes. Mais j’appartiens à ce peuple et à ce pays. J’en fais partie. Les malheurs actuels de mon peuple sont tels, que je ne peux continuer à les contempler de loin. La brutalité de la mondialisation met en évidence des choses inacceptables.

V. L. : Les dissidents soviétiques parlaient pourtant comme si leur patrie était la démocratie et leur peuple les droits de l’homme. Maintenant que cette manière de voir est dominante en Occident, vous semblez la combattre. N’est-ce pas contradictoire ?

A. Z. : Pendant la guerre froide, la démocratie était une arme dirigée contre le totalitarisme communiste, mais elle avait l’avantage d’exister. On voit d’ailleurs aujourd’hui que l’époque de la guerre froide a été un point culminant de l’histoire de l’Occident. Un bien être sans pareil, de vraies libertés, un extraordinaire progrès social, d’énormes découvertes scientifiques et techniques, tout y était ! Mais, l’Occident se modifiait aussi presqu’imperceptiblement. L’intégration timide des pays développés, commencée alors, constituait en fait les prémices de la mondialisation de l’économie et de la globalisation du pouvoir auxquels nous assistons aujourd’hui. Une intégration peut être généreuse et positive si elle répond, par exemple, au désir légitime des nations-soeurs de s’unir. Mais celle-ci a, dès le départ, été pensée en termes de structures verticales, dominées par un pouvoir supranational. Sans le succès de la contre-révolution russe, il n’aurait pu se lancer dans la mondialisation.

V. L. : Le rôle de Gorbatchev n’a donc pas été positif ?

A. Z. : Je ne pense pas en ces termes-là. Contrairement à l’idée communément admise, le communisme soviétique ne s’est pas effondré pour des raisons internes. Sa chute est la plus grande victoire de l’histoire de l’Occident ! Victoire colossale qui, je le répète, permet l’instauration d’un pouvoir planétaire. Mais la fin du communisme a aussi marqué la fin de la démocratie. Notre époque n’est pas que post-communiste, elle est aussi post-démocratique. Nous assistons aujourd’hui à l’instauration du totalitarisme démocratique ou, si vous préférez, de la démocratie totalitaire.

zinolié.jpgV. L. : N’est-ce pas un peu absurde ?

A. Z. : Pas du tout. La démocratie sous-entend le pluralisme. Et le pluralisme suppose l’opposition d’au moins deux forces plus ou moins égale ; forces qui se combattent et s’influencent en même temps. Il y avait, à l’époque de la guerre froide, une démocratie mondiale, un pluralisme global au sein duquel coexistaient le système capitaliste, le système communiste et même une structure plus vague mais néanmoins vivante, les non-alignés. Le totalitarisme soviétique était sensible aux critiques venant de l’Occident. L’Occident subissait lui aussi l’influence de l’URSS, par l’intermédiaire notamment de ses propres partis communistes. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dominé par une force unique, par une idéologie unique, par un parti unique mondialiste. La constitution de ce dernier a débuté, elle aussi, à l’époque de la guerre froide, quand des superstructures transnationales ont progressivement commencé à se constituer sous les formes les plus diverses : sociétés commerciales, bancaires, politiques, médiatiques. Malgré leurs différents secteurs d’activités, ces forces étaient unies par leur nature supranationale. Avec la chute du communisme, elles se sont retrouvées aux commandes du monde. Les pays occidentaux sont donc dominateurs, mais aussi dominés, puisqu’ils perdent progressivement leur souveraineté au profit de ce que j’appelle la « suprasociété ». Suprasociété planétaire, constituée d’entreprises commerciales et d’organismes non-commerciaux, dont les zones d’influence dépassent les nations. Les pays occidentaux sont soumis, comme les autres, au contrôle de ces structures supranationales. Or, la souveraineté des nations était, elle aussi, une partie constituante du pluralisme et donc de la démocratie, à l’échelle de la planète. Le pouvoir dominant actuel écrase les états souverains. L’intégration de l’Europe qui se déroule sous nos yeux, provoque elle aussi la disparition du pluralisme au sein de ce nouveau conglomérat, au profit d’un pouvoir supranational.

V. L. : Mais ne pensez-vous pas que la France ou l’Allemagne continuent à être des pays démocratiques ?

A. Z. : Les pays occidentaux ont connu une vraie démocratie à l’époque de la guerre froide. Les partis politiques avaient de vraies divergences idéologiques et des programmes politiques différents. Les organes de presse avaient des différences marquées, eux aussi. Tout cela influençait la vie des gens, contribuait à leur bien-être. C’est bien fini. Parce que le capitalisme démocratique et prospère, celui des lois sociales et des garanties d’emploi devait beaucoup à l’épouvantail communiste. L’attaque massive contre les droits sociaux à l’Ouest a commencé avec la chute du communisme à l’Est. Aujourd’hui, les socialistes au pouvoir dans la plupart des pays d’Europe, mènent une politique de démantèlement social qui détruit tout ce qu’il y avait de socialiste justement dans les pays capitalistes. Il n’existe plus, en Occident, de force politique capable de défendre les humbles. L’existence des partis politiques est purement formelle. Leurs différences s’estompent chaque jour davantage. La guerre des Balkans était tout sauf démocratique. Elle a pourtant été menée par des socialistes, historiquement opposés à ce genre d’aventures. Les écologistes, eux aussi au pouvoir dans plusieurs pays, ont applaudi au désastre écologique provoqué par les bombardements de l’OTAN. Ils ont même osé affirmer que les bombes à uranium appauvri n’étaient pas dangereuses alors que les soldats qui les chargent portent des combinaisons spéciales. La démocratie tend donc aussi à disparaître de l’organisation sociale occidentale. Le totalitarisme financier a soumis les pouvoirs politiques. Le totalitarisme financier est froid. Il ne connaît ni la pitié ni les sentiments. Les dictatures politiques sont pitoyables en comparaison avec la dictature financière. Une certaine résistance était possible au sein des dictatures les plus dures. Aucune révolte n’est possible contre la banque.

V. L. : Et la révolution ?

A. Z. : Le totalitarisme démocratique et la dictature financière excluent la révolution sociale.

V. L. : Pourquoi ?

A. Z. : Parce qu’ils combinent la brutalité militaire toute puissante et l’étranglement financier planétaire. Toutes les révolutions ont bénéficié de soutien venu de l’étranger. C’est désormais impossible, par absence de pays souverains. De plus, la classe ouvrière a été remplacée au bas de l’échelle sociale, par la classe des chômeurs. Or que veulent les chômeurs ? Un emploi. Ils sont donc, contrairement à la classe ouvrière du passé, dans une situation de faiblesse.

V. L. : Les systèmes totalitaires avaient tous une idéologie. Quelle est celle de cette nouvelle société que vous appelez post-démocratique ?

A. Z. : Les théoriciens et les politiciens occidentaux les plus influents considèrent que nous sommes entrés dans une époque post-idéologique. Parce qu’ils sous-entendent par « idéologie » le communisme, le fascisme, le nazisme, etc. En réalité, l’idéologie, la supraidéologie du monde occidental, développée au cours des cinquante dernières années, est bien plus forte que le communisme ou le national-socialisme. Le citoyen occidental en est bien plus abruti que ne l’était le soviétique moyen par la propagande communiste. Dans le domaine idéologique, l’idée importe moins que les mécanismes de sa diffusion. Or la puissance des médias occidentaux est, par exemple, incomparablement plus grande que celle, énorme pourtant, du Vatican au sommet de son pouvoir. Et ce n’est pas tout : le cinéma, la littérature, la philosophie, tous les moyens d’influence et de diffusion de la culture au sens large vont dans le même sens. A la moindre impulsion, ceux qui travaillent dans ces domaines réagissent avec un unanimisme qui laisse penser à des ordres venant d’une source de pouvoir unique. Il suffit que la décision de stigmatiser un Karadzic, un Milosevic ou un autre soit prise pour qu’une machine de propagande planétaire se mette en branle contre ces gens, sans grande importance. Et alors qu’il faudrait juger les politiciens et les généraux de l’OTAN parce qu’ils ont enfreint toutes les lois existantes, l’écrasante majorité des citoyens occidentaux est persuadée que la guerre contre la Serbie était juste et bonne. L’idéologie occidentale combine et fait converger les idées en fonction des besoins. L’une d’entre elles est que les valeurs et le mode de vie occidentaux sont supérieurs à d’autres. Alors que pour la plupart des peuples de la planète ces valeurs sont mortelles. Essayez donc de convaincre les Américains que la Russie en meurt. Vous n’y arriverez jamais. Ils continueront à affirmer que les valeurs occidentales sont universelles, appliquant ainsi l’un des principes fondamentaux du dogmatisme idéologique. Les théoriciens, les médias et les politiciens occidentaux sont absolument persuadés de la supériorité de leur système. C’est cela qui leur permet de l’imposer au monde avec bonne conscience. L’homme occidental, porteur de ces valeurs supérieures est donc un nouveau surhomme. Le terme est tabou, mais cela revient au même. Tout cela mériterait d’être étudié scientifiquement. Mais la recherche scientifique dans certains domaines sociologiques et historiques est devenue difficile. Un scientifique qui voudrait se pencher sur les mécanismes du totalitarisme démocratique aurait à faire face aux plus grandes difficultés. On en ferait d’ailleurs un paria. Par contre, ceux dont le travail sert l’idéologie dominante, croulent sous les dotations et les éditeurs comme les médias se les disputent. Je l’ai observé en tant que chercheur et professeur des universités.

V. L. : Mais cette « supraidéologie » ne propage-t-elle pas aussi la tolérance et le respect ?

A. Z. : Quand vous écoutez les élites occidentales, tout est pur, généreux, respectueux de la personne humaine. Ce faisant, elles appliquent une règle classique de la propagande : masquer la réalité par le discours. Car il suffit d’allumer la télévision, d’aller au cinéma, d’ouvrir les livres à succès, d’écouter la musique la plus diffusée, pour se rendre compte que ce qui est propagé en réalité c’est le culte du sexe, de la violence et de l’argent. Le discours noble et généreux est donc destiné à masquer ces trois piliers – il y en a d’autres – de la démocratie totalitaire.

V. L. : Mais que faites-vous des droits de l’homme ? Ne sont-ils pas respectés en Occident bien plus qu’ailleurs ?

A. Z. : L’idée des droits de l’homme est désormais soumise elle aussi à une pression croissante. L’idée, purement idéologique, selon laquelle ils seraient innés et inaltérables ne résisterait même pas à un début d’examen rigoureux. Je suis prêt à soumettre l’idéologie occidentale à l’analyse scientifique, exactement comme je l’ai fait pour le communisme. Ce sera peut-être un peu long pour un entretien.

zinoli3.jpgV. L. : N’a-t-elle pas une idée maîtresse ?

A. Z. : C’est le mondialisme, la globalisation. Autrement dit : la domination mondiale. Et comme cette idée est assez antipathique, on la masque sous le discours plus vague et généreux d’unification planétaire, de transformation du monde en un tout intégré. C’est le vieux masque idéologique soviétique ; celui de l’amitié entre les peuples, « amitié » destinée à couvrir l’expansionnisme. En réalité, l’Occident procède actuellement à un changement de structure à l’échelle planétaire. D’un côté, la société occidentale domine le monde de la tête et des épaules et de l’autre, elle s’organise elle-même verticalement, avec le pouvoir supranational au sommet de la pyramide.

V. L. : Un gouvernement mondial ?

A. Z. : Si vous voulez.

V. L. : Croire cela n’est-ce-pas être un peu victime du fantasme du complot ?

A. Z. : Quel complot ? Il n’y a aucun complot. Le gouvernement mondial est dirigé par les gouverneurs des structures supranationales commerciales, financières et politiques connues de tous. Selon mes calculs, une cinquantaine de millions de personnes fait déjà partie de cette suprasociété qui dirige le monde. Les États-Unis en sont la métropole. Les pays d’Europe occidentale et certains anciens « dragons » asiatiques, la base. Les autres sont dominés suivant une dure gradation économico-financière. Ça, c’est la réalité. La propagande, elle, prétend qu’un gouvernement mondial contrôlé par un parlement mondial serait souhaitable, car le monde est une vaste fraternité. Ce ne sont là que des balivernes destinées aux populations.

V. L. : Le Parlement européen aussi ?

A. Z. : Non, car le Parlement européen existe. Mais il serait naïf de croire que l’union de l’Europe s’est faite parce que les gouvernements des pays concernés l’ont décidé gentiment. L’Union européenne est un instrument de destruction des souverainetés nationales. Elle fait partie des projets élaborés par les organismes supranationaux.

V. L. : La Communauté européenne a changé de nom après la destruction de l’Union soviétique. Elle s’est appelée Union européenne, comme pour la remplacer. Après tout, il y avait d’autres noms possibles. Aussi, ses dirigeants s’appellent-ils « commissaires », comme les Bolcheviks. Ils sont à la tête d’une « Commission », comme les Bolcheviks. Le dernier président a été « élu » tout en étant candidat unique.

A. Z. : Il ne faut pas oublier que des lois régissent l’organisation sociale. Organiser un million d’hommes c’est une chose, dix millions c’en est une autre, cent millions, c’est bien plus compliqué encore. Organiser cinq cent millions est une tâche immense. Il faut créer de nouveaux organismes de direction, former des gens qui vont les administrer, les faire fonctionner. C’est indispensable. Or l’Union soviétique est, en effet, un exemple classique de conglomérat multinational coiffé d’une structure dirigeante supranationale. L’Union européenne veut faire mieux que l’Union soviétique ! C’est légitime. J’ai déjà été frappé, il y a vingt ans, de voir à quel point les soi-disant tares du système soviétique étaient amplifiées en Occident.

V. L. : Par exemple ?

A. Z. : La planification ! L’économie occidentale est infiniment plus planifiée que ne l’a jamais été l’économie soviétique. La bureaucratie ! En Union Soviétique 10 % à 12 % de la population active travaillaient dans la direction et l’administration du pays. Aux États Unis, ils sont entre 16 % et 20 %. C’est pourtant l’URSS qui était critiquée pour son économie planifiée et la lourdeur de son appareil bureaucratique ! Le Comité central du PCUS employait deux mille personnes. L’ensemble de l’appareil du Parti communiste soviétique était constitué de 150000 salariés. Vous trouverez aujourd’hui même, en Occident, des dizaines voire des centaines d’entreprises bancaires et industrielles qui emploient un nombre bien plus élevé de gens. L’appareil bureaucratique du Parti communiste soviétique était pitoyable en comparaison avec ceux des grandes multinationales. L’URSS était en réalité un pays sous-administré. Les fonctionnaires de l’administration auraient dû être deux à trois fois plus nombreux. L’Union européenne le sait, et en tient compte. L’intégration est impossible sans la création d’un très important appareil administratif.

V. L. : Ce que vous dites est contraire aux idées libérales, affichées par les dirigeants européens. Pensez-vous que leur libéralisme est de façade ?

A. Z. : L’administration a tendance à croître énormément. Cette croissance est dangereuse, pour elle-même. Elle le sait. Comme tout organisme, elle trouve ses propres antidotes pour continuer à prospérer. L’initiative privée en est un. La morale publique et privée, un autre. Ce faisant, le pouvoir lutte en quelque sorte contre ses tendances à l’auto-déstabilisation. Il a donc inventé le libéralisme pour contrebalancer ses propres lourdeurs. Et le libéralisme a joué, en effet, un rôle historique considérable. Mais il serait absurde d’être libéral aujourd’hui. La société libérale n’existe plus. Sa doctrine est totalement dépassée à une époque de concentrations capitalistiques sans pareil dans l’histoire. Les mouvements d’énormes masses financières ne tiennent compte ni des intérêts des États ni de ceux des peuples, peuples composés d’individus. Le libéralisme sous-entend l’initiative personnelle et le risque financier personnel. Or, rien ne se fait aujourd’hui sans l’argent des banques. Ces banques, de moins en moins nombreuses d’ailleurs, mènent une politique dictatoriale, dirigiste par nature. Les propriétaires sont à leur merci, puisque tout est soumis au crédit et donc au contrôle des puissances financières. L’importance des individus, fondement du libéralisme, se réduit de jour en jour. Peu importe aujourd’hui qui dirige telle ou telle entreprise ; ou tel ou tel pays d’ailleurs. Bush ou Clinton, Kohl ou Schröder, Chirac ou Jospin, quelle importance ? Ils mènent et mèneront la même politique.

V. L. : Les totalitarismes du XXe siècle ont été extrêmement violents. On ne peut dire la même chose de la démocratie occidentale.

A. Z. : Ce ne sont pas les méthodes, ce sont les résultats qui importent. Un exemple ? L’URSS a perdu vingt million d’hommes et subi des destructions considérables, en combattant l’Allemagne nazie. Pendant la guerre froide, guerre sans bombes ni canons pourtant, ses pertes, sur tous les plans, ont été bien plus considérables ! La durée de vie des Russes a chuté de dix ans dans les dix dernières années. La mortalité dépasse la natalité de manière catastrophique. Deux millions d’enfants ne dorment pas à la maison. Cinq millions d’enfants en âge d’étudier ne vont pas à l’école. Il y a douze millions de drogués recensés. L’alcoolisme s’est généralisé. 70 % des jeunes ne sont pas aptes au service militaire à cause de leur état physique. Ce sont là des conséquences directes de la défaite dans la guerre froide, défaite suivie par l’occidentalisation. Si cela continue, la population du pays descendra rapidement de cent-cinquante à cent, puis à cinquante millions d’habitants. Le totalitarisme démocratique surpassera tous ceux qui l’ont précédé.

V. L. : En violence ?

A. Z. : La drogue, la malnutrition, le sida sont plus efficaces que la violence guerrière. Quoique, après la guerre froide dont la force de destruction a été colossale, l’Occident vient d’inventer la « guerre pacifique ». L’Irak et la Yougoslavie sont deux exemples de réponse disproportionnée et de punition collective, que l’appareil de propagande se charge d’habiller en « juste cause » ou en « guerre humanitaire ». L’exercice de la violence par les victimes contre elles-mêmes est une autre technique prisée. La contre-révolution russe de 1985 en est un exemple. Mais en faisant la guerre à la Yougoslavie, les pays d’Europe occidentale l’ont faite aussi à eux-mêmes.

V. L. : Selon vous, la guerre contre la Serbie était aussi une guerre contre l’Europe ?

A. Z. : Absolument. Il existe, au sein de l’Europe, des forces capables de lui imposer d’agir contre elle-même. La Serbie a été choisie, parce qu’elle résistait au rouleau compresseur mondialiste. La Russie pourrait être la prochaine sur la liste. Avant la Chine.

zinoli4.jpgV. L. : Malgré son arsenal nucléaire ?

A. Z. : L’arsenal nucléaire russe est énorme mais dépassé. De plus, les Russes sont moralement prêts à être conquis. A l’instar de leurs aïeux qui se rendaient par millions dans l’espoir de vivre mieux sous Hitler que sous Staline, ils souhaitent même cette conquête, dans le même espoir fou de vivre mieux. C’est une victoire idéologique de l’Occident. Seul un lavage de cerveau peut obliger quelqu’un à voir comme positive la violence faite à soi-même. Le développement des mass-media permet des manipulations auxquelles ni Hitler ni Staline ne pouvaient rêver. Si demain, pour des raisons « X », le pouvoir supranational décidait que, tout compte fait, les Albanais posent plus de problèmes que les Serbes, la machine de propagande changerait immédiatement de direction, avec la même bonne conscience. Et les populations suivraient, car elles sont désormais habituées à suivre. Je le répète : on peut tout justifier idéologiquement. L’idéologie des droits de l’homme ne fait pas exception. Partant de là, je pense que le XXIe siècle dépassera en horreur tout ce que l’humanité a connu jusqu’ici. Songez seulement au futur combat contre le communisme chinois. Pour vaincre un pays aussi peuplé, ce n’est ni dix ni vingt mais peut-être cinq cent millions d’individus qu’il faudra éliminer. Avec le développement que connaît actuellement la machine de propagande ce chiffre est tout à fait atteignable. Au nom de la liberté et des droits de l’homme, évidemment. A moins qu’une nouvelle cause, non moins noble, sorte de quelque institution spécialisée en relations publiques.

V. L. : Ne pensez-vous pas que les hommes et les femmes peuvent avoir des opinions, voter, sanctionner par le vote ?

A. Z. : D’abord les gens votent déjà peu et voteront de moins en moins. Quant à l’opinion publique occidentale, elle est désormais conditionnée par les médias. Il n’y a qu’à voir le oui massif à la guerre du Kosovo. Songez donc à la guerre d’Espagne ! Les volontaires arrivaient du monde entier pour combattre dans un camp comme dans l’autre. Souvenez-vous de la guerre du Vietnam. Les gens sont désormais si conditionnés qu’ils ne réagissent plus que dans le sens voulu par l’appareil de propagande.

V. L. : L’URSS et la Yougoslavie étaient les pays les plus multiethniques du monde et pourtant ils ont été détruits. Voyez-vous un lien entre la destruction des pays multiethniques d’un côté et la propagande de la multiethnicité de l’autre ?

A. Z. : Le totalitarisme soviétique avait créé une vraie société multinationale et multiethnique. Ce sont les démocraties occidentales qui ont fait des efforts de propagande surhumains, à l’époque de la guerre froide, pour réveiller les nationalismes. Parce qu’elles voyaient dans l’éclatement de l’URSS le meilleur moyen de la détruire. Le même mécanisme a fonctionné en Yougoslavie. L’Allemagne a toujours voulu la mort de la Yougoslavie. Unie, elle aurait été plus difficile à vaincre. Le système occidental consiste à diviser pour mieux imposer sa loi à toutes les parties à la fois, et s’ériger en juge suprême. Il n’y a pas de raison pour qu’il ne soit pas appliqué à la Chine. Elle pourrait être divisée, en dizaines d’États.

V. L. : La Chine et l’Inde ont protesté de concert contre les bombardements de la Yougoslavie. Pourraient-elles éventuellement constituer un pôle de résistance ? Deux milliards d’individus, ce n’est pas rien !

A. Z. : La puissance militaire et les capacités techniques de l’Occident sont sans commune mesure avec les moyens de ces deux pays.

V. L. : Parce que les performances du matériel de guerre américain en Yougoslavie vous ont impressionné ?

A. Z. : Ce n’est pas le problème. Si la décision avait été prise, la Serbie aurait cessé d’exister en quelques heures. Les dirigeants du Nouvel ordre mondial ont apparemment choisi la stratégie de la violence permanente. Les conflits locaux vont se succéder pour être arrêtés par la machine de « guerre pacifique » que nous venons de voir à l’oeuvre. Cela peut, en effet, être une technique de management planétaire. L’Occident contrôle la majeure partie des ressources naturelles mondiales. Ses ressources intellectuelles sont des millions de fois supérieures à celles du reste de la planète. C’est cette écrasante supériorité qui détermine sa domination technique, artistique, médiatique, informatique, scientifique dont découlent toutes les autres formes de domination. Tout serait simple s’il suffisait de conquérir le monde. Mais il faut encore le diriger. C’est cette question fondamentale que les Américains essaient maintenant de résoudre. C’est cela qui rend « incompréhensibles » certaines actions de la « communauté internationale ». Pourquoi Saddam est-il toujours là ? Pourquoi Karadzic n’est-il toujours pas arrêté ? Voyez-vous, à l’époque du Christ, nous étions peut-être cent millions sur l’ensemble du globe. Aujourd’hui, le Nigeria compte presqu’autant d’habitants ! Le milliard d’Occidentaux et assimilés va diriger le reste du monde. Mais ce milliard devra être dirigé à son tour. Il faudra probablement deux cent millions de personnes pour diriger le monde occidental. Il faut les sélectionner, les former. Voilà pourquoi la Chine est condamnée à l’échec dans sa lutte contre l’hégémonie occidentale. Ce pays sous-administré n’a ni les capacités économiques ni les ressources intellectuelles pour mettre en place un appareil de direction efficace, composé de quelque trois cent millions d’individus. Seul l’Occident est capable de résoudre les problèmes de management à l’échelle de la planète. Cela se met déjà en place. Les centaines de milliers d’Occidentaux se trouvant dans les anciens pays communistes, en Russie par exemple, occupent dans leur écrasante majorité des postes de direction. La démocratie totalitaire sera aussi une démocratie coloniale.

V. L. : Pour Marx, la colonisation était civilisatrice. Pourquoi ne le serait-elle pas à nouveau ?

A. Z. : Pourquoi pas, en effet ? Mais pas pour tout le monde. Quel est l’apport des Indiens d’Amérique à la civilisation ? Il est presque nul, car ils ont été exterminés, écrasés. Voyez maintenant l’apport des Russes ! L’Occident se méfiait d’ailleurs moins de la puissance militaire soviétique que de son potentiel intellectuel, artistique, sportif. Parce qu’il dénotait une extraordinaire vitalité. Or c’est la première chose à détruire chez un ennemi. Et c’est ce qui a été fait. La science russe dépend aujourd’hui des financements américains. Et elle est dans un état pitoyable, car ces derniers n’ont aucun intérêt à financer des concurrents. Ils préfèrent faire travailler les savants russes aux USA. Le cinéma soviétique a été lui aussi détruit et remplacé par le cinéma américain. En littérature, c’est la même chose. La domination mondiale s’exprime, avant tout, par le diktat intellectuel ou culturel si vous préférez. Voilà pourquoi les Américains s’acharnent, depuis des décennies, à baisser le niveau culturel et intellectuel du monde : ils veulent le ramener au leur pour pouvoir exercer ce diktat.

zinovievxxx.jpgV. L. : Mais cette domination, ne serait-elle pas, après tout, un bien pour l’humanité ?

A. Z. : Ceux qui vivront dans dix générations pourront effectivement dire que les choses se sont faites pour le bien de l’humanité, autrement dit pour leur bien à eux. Mais qu’en est-il du Russe ou du Français qui vit aujourd’hui ? Peut-il se réjouir s’il sait que l’avenir de son peuple pourrait être celui des Indiens d’Amérique ? Le terme d’Humanité est une abstraction. Dans la vie réelle il y a des Russes, des Français, des Serbes, etc. Or si les choses continuent comme elles sont parties, les peuples qui ont fait notre civilisation, je pense avant tout aux peuples latins, vont progressivement disparaître. L’Europe occidentale est submergée par une marée d’étrangers. Nous n’en avons pas encore parlé, mais ce n’est ni le fruit du hasard, ni celui de mouvements prétendument incontrôlables. Le but est de créer en Europe une situation semblable à celle des États-Unis. Savoir que l’humanité va être heureuse, mais sans Français, ne devrait pas tellement réjouir les Français actuels. Après tout, laisser sur terre un nombre limité de gens qui vivraient comme au Paradis, pourrait être un projet rationnel. Ceux-là penseraient d’ailleurs sûrement que leur bonheur est l’aboutissement de la marche de l’histoire. Non, il n’est de vie que celle que nous et les nôtres vivons aujourd’hui.

V. L. : Le système soviétique était inefficace. Les sociétés totalitaires sont-elles toutes condamnées à l’inefficacité ?

A. Z. : Qu’est-ce que l’efficacité ? Aux États-Unis, les sommes dépensées pour maigrir dépassent le budget de la Russie. Et pourtant le nombre des gros augmente. Il y a des dizaines d’exemples de cet ordre.

V. L. : Peut-on dire que l’Occident vit actuellement une radicalisation qui porte les germes de sa propre destruction ?

A. Z. : Le nazisme a été détruit dans une guerre totale. Le système soviétique était jeune et vigoureux. Il aurait continué à vivre s’il n’avait pas été combattu de l’extérieur. Les systèmes sociaux ne s’autodétruisent pas. Seule une force extérieure peut anéantir un système social. Comme seul un obstacle peut empêcher une boule de rouler. Je pourrais le démontrer comme on démontre un théorème. Actuellement, nous sommes dominés par un pays disposant d’une supériorité économique et militaire écrasante. Le Nouvel ordre mondial se veut unipolaire. Si le gouvernement supranational y parvenait, n’ayant aucun ennemi extérieur, ce système social unique pourrait exister jusqu’à la fin des temps. Un homme seul peut être détruit par ses propres maladies. Mais un groupe, même restreint, aura déjà tendance à se survivre par la reproduction. Imaginez un système social composé de milliards d’individus ! Ses possibilités de repérer et d’arrêter les phénomènes autodestructeurs seront infinies. Le processus d’uniformisation du monde ne peut être arrêté dans l’avenir prévisible. Car le totalitarisme démocratique est la dernière phase de l’évolution de la société occidentale, évolution commencée à la Renaissance.

samedi, 28 mai 2016

Pour un État Européen

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Pour un État Européen

Interview de Gérard Dussouy

Ex: http://lesocle.hautetfort.com

A l’occasion de la sortie prochaine d’une critique positive de Contre l’Europe de Bruxelles, Fonder un État européen, nous avons interviewé son auteur le professeur Gérard Dussouy. Partisan d’un État européen supranational, Gérard Dussouy revient pour le SOCLE sur les raisons qui le poussent à appeler au dépassement de l’État-nation tel que nous le connaissons aujourd’hui. C’est également l’occasion pour lui de nous livrer son analyse de l’actualité géopolitique (TAFTA, crise ukrainienne) et de rappeler, comme Dominique Venner qui a réalisé la préface de son ouvrage, que le destin des Européens se joue ici et maintenant.

Le SOCLE: Quels sont selon vous les points fondamentaux rendant l’émergence d’un État européen absolument nécessaire pour assurer la pérennité de l’Europe et des Européens ?

Gérard Dussouy: La mondialisation coïncide avec la fin du cycle des États-nations européens qui avait commencé avec les traités de Westphalie de 1648. La victoire des États-Unis, en 1945, avait déjà sonné l’heure des États-continent, et elle indiquait que l’Histoire ne s’écrirait plus, désormais, en Europe. Depuis lors, le déclassement géopolitique des États européens est démontré à l’occasion de chaque crise internationale.

Dans le nouveau monde, recentré sur le Pacifique, c’est-à-dire sur le face à face sino-américain, et qui est un monde régenté par les grandes compagnies financières et industrielles, les gouvernements européens n’ont plus aucune prise sur les réalités. Quand ils ne sont pas résignés ou consentants, ils sont désarmés. Ils sont débordés par les flux de toutes natures qui accompagnent la mondialisation. Les plus importants étant les flux migratoires parce qu’ils annoncent des déplacements massifs de population, à cause des déséquilibres démographiques et des effets du changement climatique.

Il est donc fondamental, vital, que les Européens changent d’échelle politique, en même temps que leur vision du monde, pour répondre aux exigences de la nouvelle donne mondiale. Il est impératif qu’ils se rassemblent et se donnent un pouvoir politique commun, et unique, afin que celui-ci puisse arrêter des stratégies qui soient efficaces, parce que disposant de vraies ressources, susceptibles de relever tous les défis.

Toute la démarche européiste peut finalement se justifier par la notion de souveraineté et de son intrication avec celle de puissance. Que répondre à ceux qui présentent le Japon et la Corée comme des pays souverains sans pour autant être des États-continents comme le sont la Chine, les États-Unis, la Russie ?

Le Japon et la Corée sont présentés comme des États souverains parce que ce sont des puissances économiques respectables. Mais ils le sont au même titre que l’Allemagne, c’est-à-dire qu’ils ne disposent que d’une souveraineté limitée (comme le disait Brejnev en son temps, quand il parlait de celle des pays satellites de l’Urss). Une souveraineté limitée au seul champ économique, et encore à la condition de ne pas menacer la domination du dollar, ou de contester l’ordre établi.

Quand, à la fin du 20ème siècle, le yen fut trop menaçant, il en coûta une grosse récession au Japon. Aujourd’hui, celui-ci est « coincé », diplomatiquement, entre les États-Unis et la Chine, et sa « marge de souveraineté » est bien étroite. Il est obligé de choisir entre l’un des deux.

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La constitution d’un État européen serait l’occasion de pouvoir faire du protectionnisme à une échelle efficiente. Difficile en effet pour une nation européenne de supporter les mesures de rétorsions des géants économiques (États comme multinationales) auxquels elle s’attaquerait. Aux regards de la réalité économico-industrielle de notre continent, quelle devraient être selon vous les axes majeurs de cette politique protectionniste ?

Le protectionnisme, comme le libre-échange d’ailleurs, n’est pas affaire de principe. La vraie question est celle de la position structurelle d’une économie dans le système économique mondial. Quand une économie est dominante, quand elle dispose d’une avance technique, comme ce fut le cas de l’Angleterre, puis des États-Unis et dans une certaine mesure de l’Allemagne, les règles internationales importent assez peu, bien que l’expérience montre que le libre-échange lui est plutôt favorable. Si toutes les économies européennes étaient au même seuil d’efficacité et de profitabilité que l’industrie allemande (différentes branches de cette industrie ont pu se permettre, ces jours-ci, alors que la rigueur règne partout ailleurs en Europe, d’accorder une hausse des salaires de 4,5% sur 21 mois !), elles ne connaitraient pas les problèmes qu’elles ont à cause de la concurrence internationale.

L’enjeu pour les Européens est donc moins de choisir entre le protectionnisme et le libre-échange, que de renforcer et d’harmoniser leurs productions économiques, et de retrouver l’avance technologique qui fût la leur, grâce à la concentration des efforts sur la recherche. Néanmoins, le multilatéralisme libre-échangiste ne saurait être l’alpha et l’oméga du système économique mondial. Il est réfutable de plusieurs points de vue. Quand il s’agit de protéger des activités manufacturières, et même de provoquer leur retour, contre la concurrence infondée, en raison des différences des niveaux de développement, des pays à bas salaires. Quant il convient de faire respecter des normes sanitaires, alimentaires, et autres qui garantissent la santé des populations. Quand il s’agit encore de défendre des spécificités patrimoniales ou culturelles. Enfin, la maîtrise du devenir et l’autonomie de la décision en économie impliquent la levée, et à fortiori l’évitement, des dépendances lourdes en matière d’énergie, de financement, et parfois de technologie. D’où l’importance du partenariat (ou de l’intégration) de la Russie, d’une place financière européenne de niveau mondial, et de grands pôles de recherche intégrés.

Vous insistez d’ailleurs sur la nécessaire restauration de la puissance publique face aux multinationales. Comment un État européen s’y prendrait-il pour permettre cette réaffirmation du rôle pivot de l’État ?

Il faut comprendre que la création de l’État européen ne saurait être idéologiquement neutre, c’est-à-dire sans effet sur la conception même des relations internationales. En soi, par les perspectives qu’elle ouvrirait et par l’assurance qu’elle donnerait, sa puissance est un facteur décisif du changement systémique, du changement dans toutes ses dimensions.

Or, si l’État européen est une nécessité géopolitique et diplomatique, imposée par les jeux de la puissance à l’échelle planétaire, il est aussi l’instrument qui doit permettre aux Européens d’exercer leur choix de société, de préserver leurs façons de vivre, contre l’hégémonisme sociétal, américain aujourd’hui, asiatique ou tout autre demain.

La restauration de la puissance publique est nécessaire si l’on ne veut pas que l’espace économique européen continue à être le « terrain vague » des financiers et des grandes compagnies. Impossible à l’échelle des États actuels, cette restauration est à la portée d’un État qui pourrait, par exemple, interdire un marché de plus de 500 millions de consommateurs aux sociétés qui ne respecteraient pas les normes qu’il édicterait. Depuis toujours, il faut le rappeler, les entreprises qui ont voulu accéder au grand marché américain ont du en passer par là.

L’encadrement du libéralisme n’implique pas un retour à une forme quelconque de socialisme, mais relève des prérogatives d’une puissance publique dont l’une des missions est la régulation de la vie sociale et économique et de veiller au maintien d’une relative cohésion sociale. Une autre est de combattre la corruption qui est un fléau quasi structurel des économies modernes. Cela suppose une fonction publique irréprochable.

Dans votre ouvrage « Contre l’Europe de Bruxelles, Fonder un État europée »n vous appelez à terme à l’union de l’Europe et de la Russie. Plaidez-vous pour un État euro-sibérien ou cette union prendrait à vos yeux une autre forme ?

Dans l’idéal, je suis partisan d’un État Euro-sibérien, ou, pour éviter les confusions, européen tout court. La frontière ouralienne, celle qui séparerait l’Europe de l’Asie, est parfaitement artificielle, et la Sibérie est russe depuis le 17ème siècle. Ensuite, la « partie utile » de la Russie est à l’ouest, et la dissymétrie de l’espace russo-sibérien pose un grave problème géopolitique. Il n’est susceptible d’être réduit qu’à la suite d’investissements et d’implantations d’Européens. Le gouvernement actuel, pourtant peu suspect de brader les intérêts du pays, est contraint à faire des concessions aux Chinois, compromettantes pour l’avenir, pour palier au vide humain de la Sibérie. Néanmoins, il faut tenir compte des réalités économiques, politiques, et culturelles, et l’intégration de la Russie pourrait être graduelle, passer par les différents stades d’un partenariat privilégié.

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Que pensez-vous de l’idée d’utiliser la Légion Étrangère comme embryon d’une future armée européenne ? De par son excellence et sa capacité à former des soldats issus de cultures et de langues différentes, n’est-elle pas tout indiquée pour cela ?

C’est une idée que je partage pleinement, et que j’avais d’ailleurs évoquée dans mon premier livre (Quelle géopolitique au 21ème siècle ?). Je n’y suis pas revenu dans celui sur l’État européen, parce que je n’ai pas voulu m’engager dans la lourde analyse prospective des institutions. Mais, je la crois très pertinente à une époque où les armées sont avant tout des armées de métier, et qu’il faudra, compte tenu des structures démographiques vieillissantes, recruter dans toute l’Europe pour disposer de troupes suffisantes. En outre, la création d’une Légion (désormais européenne) pourrait coexister quelques temps avec des contingents nationaux.

L’autre avantage, à mon sens primordial, de cette Légion Européenne est qu’elle servirait de « laboratoire » à l’usage d’une langue commune, parce qu’il est évident qu’au sein d’une armée, le commandement ne peut se faire que dans un seul langage.

Vous évoquez dans votre ouvrage (paru en 2013) les taux directeurs quasi-nuls des banques centrales. Or, nous en sommes aujourd’hui à des taux d’intérêts négatifs. Quelles seront selon vous les conséquences à long et moyen-terme de cette stratégie ?

Les taux d’intérêt négatifs, ou quasi nuls, sont la marque d’une fuite en avant des économies occidentales qui, en émettant des quantités inconsidérées de monnaie (la FED d’abord, la BCE ensuite), entendent stimuler l’investissement et plus encore maintenir la consommation en favorisant l’emprunt, et par conséquent l’endettement. En même temps, cette politique de l’argent facile est un moyen pour les institutions financières, auprès desquelles les banques centrales se financent elles-mêmes, de les « fidéliser » dans la perspective d’une remontée des taux qui engendrerait alors de grands bénéfices. Dans les deux cas, le pari repose sur le retour d’une croissance suffisamment forte pour que les débiteurs puissent faire face à leurs obligations et pour que les taux remontent en raison d’une réduction des masses monétaires qui suivrait une reprise et les nouveaux besoins financiers qu’elle présuppose.

Il est difficile de se prononcer sur ce pari. La vie économique n’est pas aussi rationnelle qu’on le croit souvent. Les élections présidentielles américaines sont une inconnue de taille qui pourrait avoir ses effets inattendus et brusques. Cependant, la tendance lourde chez les économistes prévisionnistes table plutôt sur une stagnation longue de la croissance mondiale. Que-va-t-il alors advenir des dettes cumulées des uns et des autres ? Des affrontements monétaires ne sont pas, non plus, à écarter, compte tenu des réserves d’or effectuées par la Chine, la Russie, et les États-Unis eux-mêmes. Une seule chose est certaine : les gouvernements européens ne se sont pas donné les moyens de faire face aux fluctuations de l’économie mondiale.

De nombreux dirigeants (Obama et Merkel en tête) souhaitent voir aboutir les négociations relatives au TAFTA dans les prochains mois. Comment analysez-vous ce traité et les conditions dans lesquelles il est négocié ? Quels seront les conséquences pour l’Europe ?

Le monde actuel n’est pas, contrairement à ce que propage la vulgate journalistique en matière de relations internationales, un monde multipolaire, et encore moins équipolaire. La Russie n’est, et ne restera, qu’une puissance régionale, le Brésil est perclus par ses luttes oligarchiques internes, et l’Inde est loin d’avoir atteint son firmament géopolitique.

Le monde est donc entré dans une transition hégémonique, dans laquelle les USA font tout pour conserver leur posture face à l’ascension irrésistible de la Chine, candidate à l’empire mondial. Pour cela, il leur faut resserrer autour d’eux, et contrôler au mieux, l’Occident. Les traités de libre-échange qu’ils s’évertuent à faire signer ont cet objectif de rendre leurs « alliés » les plus dépendants possible sur les plans commerciaux et sociétaux (on peut à juste titre parler d’hégémonisme sociétal) en leur imposant leurs normes de vie. A l’occasion, les « partenaires » européens serviront d’exutoire à toute la production bas de gamme américaine, en particulier dans le domaine agro-alimentaire.

Une prise de conscience de cette stratégie maléfique semble se faire jour en Europe, et, de fait, les négociations sur le TAFTA piétinent. Mais, comme toujours, l’absence d’une véritable opinion européenne et de forces partisanes paneuropéennes organisées limite l’impact de l’opposition. On peut néanmoins espérer que les problèmes qui assaillent les gouvernements européens, le désarroi qui les gagne, et éventuellement, une crise britannique à la suite du Brexit, effectif ou encore une fois négocié en fausse sortie, éviteront aux Européens de passer un peu plus encore sous la coupe du capitalisme anglo-américain.

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La crise migratoire à laquelle l’Europe est aujourd’hui confrontée n’est qu’un « avant-goût » de ce qui nous attend et ce, pour des raisons démographiques évidentes que vous développez dans votre livre. Comment voyez-vous son évolution à court et moyen-terme ? Quelle réponse l’Europe devrait apporter à cette crise ?

Si l’on considère les déséquilibres démographiques régionaux (spécialement celui qui court le long de la ligne qui va depuis la Méditerranée occidentale jusqu’à l’Asie centrale) qui s’aggravent au fil du temps, il est évident que la crise migratoire qui affecte l’Europe ne fait que commencer. Comme le développement ne sera pas au rendez-vous dans de vastes espaces de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie occidentale, et que leurs populations seront largement affectées par le changement climatique, la situation va devenir incontrôlable. Dans les prochaines décennies, l’Europe pourrait connaître des événements qui ne seront pas sans rappeler ceux qu’elle a connus lors des grandes invasions, à la fin des empires romain et carolingien. Mais il est possible aussi que, moins brutalement, sa partie ouest passe dans la sphère d’influence musulmane, à la suite des transferts de population qui y modifient peu à peu les rapports inter communautaires et consécutivement aux nouveaux rapports de dépendance financière établis avec les pays pétroliers.

Dès lors, il est impératif que les flux migratoires vers l’Europe soient interrompus, et que celle-ci organise, en priorité, la défense et l’imperméabilité de son flanc sud. D’ores et déjà, des troupes européennes auraient du être déployées à la frontière avec la Turquie, et un barrage naval hermétique installé en Méditerranée.

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Quelle est votre position sur la « question ukrainienne » ?

La « question ukrainienne » que j’aborde dans la version italienne de mon livre, parue cette année, est une « querelle d’Européens » comme il ne devrait plus en exister. Et que je ne souhaite pas voir se multiplier avec la montée des populismes nationalistes. Elle me rappelle trop la guerre serbo-croate pour Vukovar. C’est le genre de conflit qui ne profite à personne, sauf aux États-Unis, puisqu’il leur a permis d’ouvrir un fossé entre l’Union européenne et la Russie. Résultats : l’Ukraine est dans la crise et le chaos ; la Russie a récupéré, à juste titre, la Crimée, mais souffre des sanctions économiques prises par les Européens qui se pénalisent eux-mêmes en limitant leur commerce avec elle. Il faut en sortir au plus vite en revenant à ce qui aurait du être fait depuis le début. A savoir : aménager l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, mais surtout pas à l’Otan, tout en négociant un grand partenariat avec la Russie, en parallèle. Et, le rattachement de la Crimée à la Russie étant entériné, régler la question de la minorité russe du Donbass, soit en faisant de l’Ukraine une fédération, soit en rectifiant la frontière russo-ukrainienne. Mais, tout cela n’est envisageable qu’en rompant avec la logique de la Guerre-froide, entretenue par les États-Unis, en même temps qu’avec celle des nationalismes, dans une perspective de sécurité et de prospérité paneuropéenne.

Comment analysez-vous le cas islandais ?

Avec une réelle admiration par rapport au redressement opéré et à la pratique de la démocratie qui, dans ce pays, n’est pas un vain mot. Il est vrai qu’il s’agit d’une « cité », parfaitement homogène et responsable d’elle-même, et dotée de ressources non négligeables. Il n’est pas sûr que la modèle soit transposable, et à plus grande échelle. Néanmoins, il n’est pas impossible de s’en rapprocher grâce au fédéralisme et à la promotion de la démocratie locale et créative.

Comment évaluez-vous le rôle de la France en Europe aujourd’hui ? Pourra-t-elle un jour surmonter son attachement à la notion d’État-nation et retrouver son rôle de moteur de l’Europe ?

La France d’aujourd’hui est un pays affaibli, voir un pays faible, qui aura beaucoup de mal à retrouver un rôle moteur, et cela même dans une Europe qui se limiterait à n’être qu’un « concert de nations ». Elle n’a pas réussi à se débarrasser de tous ses archaïsmes politiques et administratifs qui pénalisent son économie et, trop souvent, l’empêchent de tirer avantage de ses innovations. Ses partis politiques, sauf peut-être les écologistes (mais qu’est-ce-que cela signifie ?) sont des partis jacobins qui ne peuvent pas comprendre que la pérennisation de la nation française passe par son inclusion dans un État suffisamment puissant pour la protéger, elle et toutes les autres nations européennes. Un État multinational auquel la France pourrait apporter tout son savoir faire, puisqu’elle est à l’origine de l’État moderne.

Voyez-vous aujourd’hui en France et en Europe des initiatives politiques et citoyennes européistes prometteuses ?

Il faut être réaliste, c’est non quand on considère ce qui existe en politique. Les partis de gouvernement sont taraudés par le contexte électoral national et le carriérisme. Quant aux mouvements dits populistes, ils sont dans la protestation systématique, et dans la nostalgie, nationale pour ceux de droite, révolutionnariste et messianique, pour ceux de gauche. Leurs réponses sont complètement inadaptées aux réalités du 21ème siècle.

Le discours européiste n’est tenu que par un petit nombre de personnalités qui ont de grandes difficultés à le faire entendre, mais qui ont pris des initiatives. Il faut être conscient qu’il est pénalisé par sa rationalité face à un débat politique primaire, immédiat, qui n’est qu’un échange de slogans et qui se moque des concepts et des modèles susceptibles de structurer une vraie réflexion politique.

Toutefois, la nécessité fait loi, comme on dit. Des choses se mettent peu à peu en place, et des thématiques européistes émergent, telles que la dénonciation du retournement des valeurs occidentales contre les intérêts des Européens, ou comme le besoin de mettre sur pied des fronts communs européens, susceptibles de se transformer en fondations, face à différents défis, notamment celui du monde musulman. Plus le contexte deviendra tendu, plus l’écoute sera grande, même si le premier réflexe aura été la tentation du sauve qui peut et de la dispersion. Il suffirait qu’un homme de pouvoir prenne à son compte le discours européiste pour que le processus s’accélère.

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Dominique Venner a réalisé la préface de votre ouvrage. Quels étaient vos vues communes sur l’Europe ? Quel regard portez-vous sur le dernier geste de l’historien. A-t-il éveillé en vous un plus fort désir d’engagement comme ce fut le cas pour Aymeric Chauprade ?

Pour dire la vérité, bien que je n’aie jamais douté de la foi européenne de D.V., affirmée depuis l’existence de la revue « Europe-Action », j’ai été surpris par la force de son adhésion à ma thèse de l’État européen, telle qu’il l’a si élogieusement exprimée dans sa préface à mon livre.

Je ne le pensais pas, conceptuellement parlant, aussi proche de moi. Au point qu’il fasse siennes toutes les conséquences que je tire de la situation de l’Europe, et qu’il adhère au moyen (l’État européen) de la surmonter, que je préconise. Pour cette raison, mais c’est personnel et peut-être égoïste, j’ai tendance à regretter son geste, parce que nous aurions pu, ensemble, réfléchir à tout cela.

Quant à la portée générale de son sacrifice, admirable en soi, j’espère qu’il ne sera pas inutile et qu’il aura réveillé des esprits, parce ce que je crains que dans la société d’aujourd’hui, médiatisée à outrance comme elle l’est et faite d’un mélange de voyeurisme et d’indifférence, il n’ait pas été apprécié à sa juste valeur par tout le monde.

La convergence des catastrophes à venir provoquera, tout du moins l’espérez-vous, une prise de conscience généralisée chez les Européens. Cette sortie de « dormition », pour reprendre un terme cher à Dominique Venner, passera également par un grand ressourcement (que ce soit en amont ou en aval de ce réveil). Quels sont selon vous les sources auxquelles les Européens devront s’abreuver pour refaire à nouveau fleurir leur identité ? Que pensez-vous d’initiatives comme celles de l’Institut ILIADE, dont le but est de permettre ce grand ressourcement et qui a récemment organisé un colloque sur le thème de l’identité européenne et de la menace migratoire ?

Ma crainte, mais j’espère me tromper, est que le concept de « dormition » de D.V. soit trop optimiste, dans la mesure où il laisse supposer un réveil après un endormissement passager. Je redoute, en effet, que les Européens soient résignés à leur déclin et à leur effacement, et qu’ils aient admis que leur temps est révolu. Et qu’ils se soient eux-mêmes convaincus qu’il était normal et logique (ils ont tellement à se faire pardonner !) qu’ils se dissolvent dans une Humanité enfin réunie !

Face à cette parousie mortelle, résultat d’un endoctrinement religieux ou idéologique inhérent à la métaphysique occidentale, il est difficile de lutter sur le plan intellectuel et moral. Je crains qu’Il ne reste guère qu’à compter sur la matérialité des faits historiques qui seuls peuvent provoquer un réveil, un dégrisement, en soumettant les Européens à des épreuves dont ils ont perdu la mémoire ou dont ils ne peuvent imaginer le retour, à cause de leurs a-priori sur le sens de l’histoire, sur la force des valeurs (les leurs, bien entendu), etc. En effet, on a compris, depuis Hobbes, que la peur est le sentiment humain le plus propice à la mobilisation politique, et grâce à Machiavel, on sait aussi que c’est dans les périodes les plus troublées que les hommes de caractère sont écoutés.

Un renouveau reste possible, mais il ne peut se concevoir sans un très fort mental, sans l’entretien de la longue mémoire en relation avec le culte des ancêtres auxquels nous devons notre civilisation. Cette mémoire est le poteau indicateur de notre avenir, parce qu’elle nous rappelle que ce sont les hommes, en particulier les Européens qui ont tout inventé, qui font le monde. Et personne d’autre. Dans cette perspective, ce que l’ILIADE a entrepris est essentiel. Mais, il y a lieu d’intensifier le lien passé-présent en inférant de ce que nous avons en mémoire un projet d’ensemble européen, cohérent et actualisé, qui permette de sauver l’avenir.

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mardi, 24 mai 2016

Syndrome du bien-être: «L’objectif du néolibéralisme est d’individualiser les problèmes collectifs»

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Syndrome du bien-être: «L’objectif du néolibéralisme est d’individualiser les problèmes collectifs»

« Vous êtes accro à la salle de sport ? Vous ne comptez plus les moutons mais vos calories pour vous endormir ? Vous vous sentez coupable de ne pas être suffisamment heureux, et ce malgré tous vos efforts ? Alors vous souffrez sûrement du syndrome du bien-être », expliquent Carl Cederström, enseignant-chercheur à la Stockholm Business School, et André Spicer, professeur à la Cass Business School, dans leur dernier ouvrage “Le syndrome du bien-être” publié en France par les éditions de L’Échappée. Dans ce livre, les deux intellectuels montrent « comment la recherche du bien-être optimal, loin de produire les effets bénéfiques vantés tous azimuts, provoque un sentiment de mal-être et participe du repli sur soi ». Nous avons souhaité les questionner afin de comprendre comment se manifeste ce « syndrome du bien-être » et quels sont ses liens avec le néolibéralisme. Les deux chercheurs ont accepté de répondre par mail à nos questions.

Le Comptoir : Votre ouvrage entend dénoncer le « syndrome du bien-être ». Comment le définiriez-vous ? Comment le combattre ? En arrêtant le sport, les régimes et le yoga ?

Carl Cederström et André Spicer : Le syndrome du bien-être apparaît lorsque nous commençons à devenir obsédés par notre propre santé et bonheur. Quand nous voyons cela comme le plus grand bien dans la vie, nous sommes victimes du syndrome du bien-être. Cela implique généralement de penser que d’être en bonne santé et heureux fait de vous une bonne personne. Récemment, j’étais dans un pub à Londres et deux hommes, la vingtaine, assis près de moi, ont passé environ deux heures à discuter de leurs exercices quotidiens. Ils ont terminé en se félicitant de leur bonne santé. C’est, en bref, le syndrome du bien-être.

La lutte contre le syndrome du bien-être n’implique pas nécessairement l’annulation de votre abonnement à la salle de musculation. Elle implique en revanche que vous laissiez tomber votre obsession de la santé et dy bonheur et mettiez de côté toute la culpabilité qui en émane. Nous pouvons discuter et penser des sujets tellement plus intéressants. Par exemple, nous pourrions nous préoccuper du bien-être collectif plutôt que notre propre bien-être individuel. La plupart des psychologues constatent que s’engager à atteindre des objectifs personnels est motivant de façon seulement ponctuelle. Mais poursuivre un objectif beaucoup plus grand que soi-même permet d’y trouver un sens et une motivation durable.

La multiplication des salles de sport, ainsi que l’obsession pour les régimes, ne sont-elles pas avant tout des conséquences des mutations de nos modes de vie (sédentarisation et alimentation de plus en plus calorique) ?

L’ironie avec les salles de sport est que la plupart des gens qui s’y abonnent n’y vont pas. J’ai un abonnement moi-même mais je ne l’ai pas utilisé depuis des années. Je l’ai pris parce que je pensais que ça ferait de moi une meilleure personne. Quand je me sens coupable parce que j’ai trop bu la veille ou trop mangé, je peux aller à la salle comme une sorte de pénitence. La chose est également vraie avec les régimes : la plupart des personnes qui suivent un régime alimentaire finissent par prendre du poids. Mais ce faisant, le régime fait sentir aux gens – au moins pendant un court laps de temps – qu’ils prennent le contrôle de leur vie.

« Le néolibéralisme essaie de faire blâmer les choix du mode de vie individuels plutôt que les facteurs collectifs. »

Il est intéressant de noter que si diverses formes de travail sont menacées d’être automatisées par des robots, l’un des rares secteurs qui est à l’abri est celui de la santé et de sport. Il y a eu un boom des emplois tels que massothérapeute et entraîneur personnel. Ceux-ci sont difficiles à automatiser. C’est le signe que nous pourrions voir l’“économie du savoir” remplacée par l‘“économie du corps”. Cela permettra de donner du carburant supplémentaire à une population qui vieillit rapidement, qui est maîtresse de son temps et qui veut échapper aux griffes de la mort par tous les moyens nécessaires. Dans le passé, nous acceptions tout simplement que la mort appartienne au processus de la vie. Maintenant, nous fantasmons sur l’idée qu’avec une bonne alimentation et un bon mode de vie, nous pourrions vivre éternellement. Ray Kurzweil essaie de convaincre du bien-fondé de ce propos. Ce message est très attrayant pour tous les baby-boomers qui sont vieux aujourd’hui.

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En quoi le néolibéralisme est-il responsable de cette nouvelle forme d’hygiénisme ?

L’objectif du néolibéralisme est d’individualiser les problèmes collectifs. La conséquence est que des questions telles que la santé ne sont plus considérées comme causées par notre appartenance de classe. Au contraire, elles sont maintenant considérées comme faisant partie d’un choix de mode de vie des individus. Pourtant, regardez : à Chelsea à Londres, l’espérance de vie moyenne des hommes est d’environ 95 ans. Dans la banlieue de Glasgow, elle est de 54 ans. Chelsea est la banlieue la plus riche du pays. La banlieue de Glasgow est l’une des plus pauvres. Il est clair que la santé et la richesse sont liées. Si vous êtes pauvre, vous mourrez des décennies plus tôt. Le néolibéralisme essaie de faire blâmer les choix du mode de vie individuels plutôt que les facteurs collectifs. En conséquence, il prétend que quelques modifications de style de vie modifieront tout.

Vous montrez que cette idéologie du bien-être et du développement personnel est encouragée par le système et les entreprises. Cette conclusion contredit-elle le fantasme d’un capitalisme conservateur et répressif par essence ?

Le capitalisme est omnivore : il consomme tout ce qui l’aide à grandir. Actuellement, il fait face à une crise de croissance. L’expansion des anciens pays non-capitalistes, comme la Chine, patine : des alternatives doivent être trouvées pour soutenir la croissance. L’une d’entre elles est d’étendre l’économie à notre corps et à tous les aspects de notre vie. C’est ce dont il est question avec l’économie bio-morale. Les entreprises ne regardent pas seulement ce que les employés produisent, mais également ce qu’ils mangent, combien de temps ils dorment et ainsi de suite. Tous les aspects de la vie des salariés sont sous contrôle et pas seulement ce qu’ils produisent.

Certains intellectuels estiment que le capitalisme post-soixante-huitard repose sur l’idée de « vivre sans temps mort, jouir sans entraves ». Reprenant Slavoj Žižek, vous parlez de votre côté d’« injonction du surmoi à jouir ». N’est-ce pas contradictoire avec les injonctions hygiénistes que vous mettez en lumière ?

L’idée derrière tout cela est que vous devez profiter de la vie, mais pas en sortant en discothèque jusqu’à cinq heures du matin. Vous devriez plutôt vous réveiller à cinq heures du matin et aller dans un club de pré-travail, où vous pourrez danser, avoir un smoothie de régime, faire du yoga et recevoir quelques câlins gratuits de huggers payés. Ensuite, vous pouvez aller au bureau reposé et prêt pour une journée productive. Ce type d’intervention combine les aspects les plus expressifs du capitalisme avec ses aspects les plus répressifs.

« La forme la plus courante de sexe aujourd’hui est de loin la masturbation en regardant du porno. »

Dans La Culture du narcissisme, que vous citez de nombreuses fois dans votre livre, Christopher Lasch analyse l’avènement d’un individu replié sur lui-même et obsédé par son image. Quel lien existe-t-il entre montée du narcissisme et syndrome du bien-être ?

Le syndrome du bien-être est un enfant de la culture du narcissisme. Dans les années 1970, les narcissiques ont eu beaucoup de temps et de sécurité économique. Ils pouvaient s’épanouir librement par le jogging, consommer diverses drogues et multiplier les relations sexuelles et activités spirituelles. Ceux qui souffrent du syndrome du bien-être sont dans des situations différentes : ils ont des contrats à court terme et sont obligés de transformer leur exploration de soi en une aventure entrepreneuriale. Ils ne prennent pas de drogues pour s’évader, mais pour être plus productifs. Ils ne font pas de jogging pour se trouver, mais pour s’intégrer à leur équipe de travail. La forme la plus courante de sexe aujourd’hui est de loin la masturbation en regardant du porno. C’est un érotisme pour une société où les personnes sont déconnectées et pressées d’avoir un orgasme afin de retourner rapidement travailler sur une feuille de calcul ou mettre à jour leur profil LinkedIn. Vous ne devez pas vous embarrasser d’autres personnes.

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Toujours dans La Culture du narcissisme, Lasch note un déclin de l’esprit sportif. Il évoque une peur de la compétition qu’il explique en ces termes : « Aujourd’hui, les gens associent la rivalité à l’agression sans frein ; il leur est difficile de concevoir une situation de compétition qui ne conduisent pas directement à des pensées de meurtre. » Les salles de sport sont-elles un symptôme de ce déclin de l’esprit sportif ?

Je ne pense pas que les adeptes des salles de musculation comprennent ce que l’esprit sportif signifie réellement. Être engagé à développer une relation continue avec les gens, être contraint à la compétence associée à un sport et à ses traditions sont de belles choses. Les clubs sportifs font partie d’un mouvement social important du XXe siècle, qui a rencontré l’adhésion de gens de tous les horizons. Ils ont souvent été mis en place en tant qu’expression spontanée de la communauté. Aujourd’hui, dans de nombreux cas, ils sont tout simplement devenus une entreprise comme les autres, dépouillés de liens plus profonds et de vertus plus durables.

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lundi, 23 mai 2016

INTERVIEW FRANÇOISE BONARDEL : NIETZSCHE, DISCIPLE DE DIONYSOS

INTERVIEW FRANÇOISE BONARDEL : NIETZSCHE, DISCIPLE DE DIONYSOS

Françoise Bonardel nous parle de Nietzsche en tant que disciple de Dionysos, évoque les similitudes de la philosophie de Nietzsche avec la démarche alchimique, et l'actualité de sa vision dionysiaque du monde. Je m'aventurerais à dire qu'on a aussi parlé, ici, en quelque sorte, de la possibilité d'une gnose dionysiaque.

Site de Françoise Bonardel : http://www.francoise-bonardel.com

Blog de Pierre Kerroc'h : http://www.vivezentransemutants.com

Facebook : Pierre Kerroc'h

dimanche, 22 mai 2016

'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'

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'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'

An interview with Chantal Mouffe

Ex: http://www.citsee.eu

Chantal Mouffe is a Belgian political theorist well known for her conception of radical and agonistic democracy. She is currently Professor of Political Theory at Westminster University where she also directs the Centre for the Study of Democracy. Her books include On the Political (2005), Democratic Paradox (2000) the Return of the Political (1993), Agonistics (2013) and Hegemony and Socialist Strategy co-authored with Ernesto Laclau (1985).  She spoke to Biljana Đorđević and Julija Sardelić in May 2013 whilst at the Subversive Forum in Zagreb.

Đorđević: So maybe it's best to start with a preview before the talk you will give tomorrow. As far as I understand you'll be challenging the interpretation of protest movements - Occupy movement - as horizontal practices of democracy and you will be offering that it should be read as agonistic practising democracy. What is the key difference between these horizontal conceptualizations of democracy and agonistic democracy?

Mouffe: Well, you can’t really make that level. What I am going to discuss is those protests as seen from different points of view as expression either of rejection of representative democracy or the beginning of or a call for non-representative form of democracy, basically called sometimes presentist or horizonal form of democracy. That's for instance the common interpretation, which we find in the work of people who are influenced by Hardt and Negri’s strategy of what I call ‘withdrawal from’ or strategy that they themselves call ‘exodus’ which is their main view of envisaging radical politics. This is the strategy of the Indignados in Spain or Occupy Movement, as the protesters say, "we don't want anything to do with parties, with trade unions, with existing institutions because they can't be transformed. We need to assemble and organise new forms of life. We should try democracy in presence, in act." The strategy that I oppose to that of ‘withdrawal from’ is a strategy that I call ‘engagement with’ – it engages with the existing institutions in order to transform them. The strategy of exodus declares: “ We don't want anything to do with the system, we are going to construct a completely different form of democracy outside the parties, outside the representation." I am going to read those protests from the point of view of the conception of agonism, which I presented in my book On the Political. So my line is the following. Of course those movements are an expression of crisis of representative democracy but the question we need to ask is: Is it a crisis of representative democracy that means that representative democracy in whatever form cannot work or is it a crisis of the way representative democracy exists at the moment? In my view the problem is not representative democracy per se but the way it exists at the moment, and the problem is that it is not agonistic enough. Because my view is that a vibrant democracy needs to have the possibility for an agonistic confrontation between different points of view and in On the Political what I argue is that the problem with our post-political societies is that there is no difference basically between the centre-right and the centre-left. So there is nobody offering an alternative to neo-liberal globalisation. So it's the lack of agonism, which is the origin of the crisis of representative democracy today. And the solution is not simply to abandon representative democracy but to transform it and to make it really agonistic. And I think these movements are a symptom of this lack of an agonistic debate and this is why one of the mottos of these movements is “we have a vote but we don't have a voice.” And to give a voice is to allow for an agonistic debate.

Sardelić: We have been witnessing new protest movements in the post-Yugoslav region, you’re probably familiar with the recent protests in Slovenia and also on-going protest movements for free education in many other post-Yugoslav states. Can these protests be understood under your notion of agonistic democracy and are they substantially different from movements such as Occupy?

Mouffe: Well I think that what is common across all the differences is that they point to the lack of an agonistic democracy. The problem here is the hegemony of neoliberalism. It is so total that it has imposed the view that there is no alternative. Mrs Thatcher used to be called TINA because she kept repeating, “There is no alternative” and of course this is why some social democratic and labour parties have accepted neoliberal hegemony. For instance, the imposition of the neoliberal model is particularly important in the field of education because, instead of accepting before that the state has the obligation to provide free education, students are now seen as consumers. Education is not a public service, it is a product, you sell that to the students. The relation between the teacher and the students is completely transformed. One of the speakers here was saying that in the United States 60% of the students are already in debt when they enter their studies. This is why they have these movements for free and better education but that is a consequence of the fact that neoliberalism challenges the view that education is a public service that the state needs to provide. And again the problem is that this view has been accepted also by social democratic parties. There is a consensus between centre-right and centre-left parties whose consequence is a lack of possibility for people to choose between alternatives. So the only way they can manifest their voice is through these protest movements because there are no real political channels other than protests.

Sardelić: So you see the protests in Slovenia in this line as well?

Mouffe: Yes. I think it's definitely an expression of a lack of an agonistic democracy that will offer alternatives to neoliberal globalisation.

Đorđević: How do we evade turning agonism into antagonism, which is something of a burden for this region? Because if there is something we had here and we still have are these deep disagreements but at the same time we lack political openness (of the political field) that agonism entails.

Mouffe:  In this region there are still forms of antagonism but these are more to do with the question of nationalities, ethnicities. In Bosnia or Kosovo there is no agreement among the different ethnic communities on how to live together but that is a problem, which is completely different from the problem that we were mentioning before about movement for free education and things like that. So I think I will ask the reverse: those antagonisms exist, how can they be transformed into agonism, so that people will accept to live together and be citizens of the political community? So it's not a move from agonism to antagonism because I don't think that at the moment we really have agonism at that level. Where do you see that there is agonism today?

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Đorđević: I had in mind those theorists that used the concept of agonism in transitional justice, talking about agonistic reconciliation for divided societes. What you think about these attempts to appropriate agonism for reconciliation?

Mouffe: My view is that what democracy should try to do is to create the institutions which allows for conflict - when it emerges - to take an agonistic form, a form of adversarial confrontation instead of antagonism between enemies. But when antagonisms already exist to transform them is of course is much more difficult but it's not impossible and I think one of the good examples is Northern Ireland. Because in Northern Ireland we had for a long time an antagonistic conflict between Protestants and Catholics. They were treating each other as enemies. Now since the Good Friday Agreement and with the institutions that have been created there is no more antagonism, there is an agonism. It doesn't mean that these people agree, they do disagree but they disagree in a way that they no longer see the other community as an enemy to be destroyed. They say, “We need to find a way to live together” so I think this is where this idea of agonism is important for these kind of situations. I can think of another case where the same thing should happen - but we are very far from the solution there - Palestine and Israel. Obviously we can never imagine that the Palestinians and Israelis are going to agree but it will be a very important step that instead of having this antagonistic relationship there will be an agonistic one in that they will accept each other, and of course this is mainly on the part of the Israelis. Of course we also need the Palestinians to recognise the right of Israel to exist but it should also be on the part of Israel to create a condition for the Palestinians to have a real state. So this is where the idea of the agonistic perspective is important because it allows us to imagine how can we in a situation of antagonism create some form of life in common. The question is what is the aim in the resolution of such conflicts. Some people will say that the aim is to create a consensus but this is not possible because the demands are incompatible. What is possible is for that confrontation to take a form that is agonistic which would mean that there is a possibility of life in common. Total rational reconciliation is not possible but that is the agonistic perspective - there are antagonistic conflicts that can't be solved rationally but those conflicts could take an agonistic form. The problem of Northern Ireland is not completely solved but things have changed a lot between ten years ago and now and I think this should be the aim of such processes.

Sardelić: In your work you contemplate about the rise of the right-wing populist parties where you claim - and I’m quoting you here “this is a consequence of a post-political consensus and a lack of an effective democratic debate.” We can see this rising populism here in the post-Yugoslav space, but also in the wider Europe   right-wing populist parties and protest movements on the right are expanding.  They also claim that they speak in the name of the people. You say we should avoid the moralistic approach in theorizing these right wing movements, but since many in these movements say that some groups should be extinguished and so on, can these movements really contribute to agonism? How can we include them into agonism?

Mouffe: Well you can address this question at two levels. One, and that needs to be posed, what are the limits of the agonistic debate? Because I'm not saying that all the demands should be part of the agonistic debate. My argument is that we need a conflictual consensus for democracy to exist. There needs to be some form of consensus but the consensus is on what I call ‘the ethical-political principles’, the values that we are going to accept in order to organise our coexistence: liberty and equality for all. But those values are going to be interpreted differently according to different perspectives. Another thing that is particularly important is who is part of this. Are the immigrants part of this? This is the main problem in deciding whether to accept right-wing populism or not. Some people argue that those parties cannot be part of the democratic politics, they should not have the right to contest in elections, they should not have the right to have people elected because as they say in France they are not ‘Republican’ parties. Some people, a few years ago viewed the Front National of Jean-Marie Le Pen as a party that should be outlawed. I personally believe that it’s really a question of borderline because in general these right-wing populist parties do not contest that liberty and equality should be the main values, the main problem is the way they understand "for all" from which the immigrants are not part. Such parties should be accepted into the agonistic debate because you can't really say that they are totally outside. They've got an interpretation of the common ethico-political values that we don't like and of course we want to fight that interpretation but we are going to fight it within the agonistic debate. But there are other parties such as Golden Dawn in Greece that I think should not be able to contest in elections because this is clearly a neo-Nazi party. There is a difference between neo-Nazi parties and right-wing populist ones and I think that those parties should not be part of agonistic debate. They are enemies, not adversaries. That does not mean of course that we should eliminate them. It means that they don't have the right to present candidates and be elected in Parliament. In my view the best way to fight against right-wing populism is to deliver what I call left-wing populism. To create another form of the idea of the people, a people constructed in a different way. A good example of that is the party of Jean-Luc Mélenchon in France - le Parti de Gauche that is part of the Front de gauche. It is a populist movement because they also want to create people. I think that there is a necessary populist dimension in democracy and we should not use populism only in a negative sense because in democracy there is always the aim of constructing a people, a collective will. But of course this collective will, this people, can be constructed in different ways according to how you define the adversary. For instance, Marine Le Pen defines the adversary in terms of the immigrants and mainly the Muslims; they are the people to be excluded. Jean-Luc Mélenchon, on the contrary, is also constructing a people but a people, which includes the Muslims and immigrants and for him the adversary of these people is the big transnational corporations, the financial system and all the things that are the pillars of a neoliberalism. This is the only way to really fight the right-wing populism by constructing a different people.

Đorđević: There are some voices that are criticizing the agonistic approach as too soft on capitalism, and that in its emphasising the autonomy of the political it neglects a bit this economic dimension. What would actually be this agonistic take on wealth and inequalities and power relations that these wealth and inequalities produce? Or to rephrase: is 1% an enemy or an adversary?

archery_by_elvenmaedchen-d4vv1hi.jpgMouffe: I think that criticizing an agonistic perspective for not being critical enough of capitalism is basically a difference of strategy and again this is where the strategy of ‘engagement with’ or, using a term of Gramsci - ‘a war of position’ - is what is the one I propose. I imagine that the person that you have in mind is Slavoj Žižek because he's the one who is criticising the agonistic approach for being a liberal one. But his position is a rhetorical revolutionary one which does not propose any strategy. We want the end of capitalism, sure, but how are we going to do it, with whom? It's very rhetorical to say: the end of capitalism. I think the question is to engage with existing institutions, and this requires a long process. Some people still would say we need a revolution like the Soviet revolution. If we are to learn something from the experience, the tragic experience of really existing socialism, is precisely that this strategy of making a complete new start doesn’t work. You can't just end a society in one move and start from scratch - it’s not possible. It’s only possible by using terror. ‘A war of position’ is better strategy; we need to target specific institutions in order to transform them. For me at the moment the most important task is to end the hegemony of neoliberalism and of financial capitalism. Of course that's not going to be the end of capitalism. The aim is to create a society that will not be submitted to the logic of the market. They might still remain some sectors which are going to be organised by capitalists but the main society will not be one in which the market controls everything. But that cannot be done one day. There are of course proposals in the line of Hardt and Negri who believe that the development of the self-organisation of the multitude is going to make capitalism completely irrelevant. They accept that it is going to be a process and they do not advocate any kind of Jacobin form of revolution but they believe that the state will disappear and I don't believe that. Some of those experiences of new forms of living are important but they are not enough. The power of capitalism is not going to disappear because we have a multitude of self-organizing outside the existing institutions. We need to engage with those institutions in order to transform them profoundly. I saw a few years ago a film called Was tun? (What is to be done). It was about the anti-globalization movement and the role of Hardt and Negri’s strategy. At the end of the film they asked them “what should we do?” And Negri answered “wait and be patient” and Hart answered “follow your desire.” That’s their strategy. They believe that there is some kind of law of history that is necessarily going to lead to ‘absolute democracy’. It's very similar to the traditional Marxist view that capitalism is its own gravedigger but I don't think that's the case. Capitalism is not going to disappear simply by us being patient and waiting, we need to engage with it, and that is the strategy of agonistic engagement. It's not a total revolution, that’s not possible, it's ‘a war of position’ in order to transform the existing institutions.

mercredi, 18 mai 2016

Éducation nationale: licencier les idéologues, une réforme à mener de toute urgence

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Éducation nationale: licencier les idéologues, une réforme à mener de toute urgence

Entretien avec Jean-Paul Brighelli

Propos recueillis par Eléonore de Vulpillières

Ex: http://www.lefigaro.fr

FIGAROVOX/ENTRETIEN - François Hollande et ses ministres de l'Education nationale successifs ont organisé les assises de la refondation de l'école.

Pour Jean-Paul Brighelli, les réformes défendues par le gouvernement prônent un égalitarisme qui tue nos élites et accentue les inégalités.


Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille et essayiste. Spécialiste des questions d'éducation, il est ancien élève de l'Ecole normale supérieure de Saint- Cloud, et a enseigné les lettres modernes en lycée et à l'université. Il est l'auteur de La fabrique du crétin (2005, Jean-Claude Gawsewitch éditeur).

Son dernier livre, Voltaire ou le Jihad, le suicide de la culture occidentale, vient de paraître aux éditions de l'Archipel.


LE FIGARO. - François Hollande et ses trois ministres de l'Education nationale successifs - Vincent Peillon, Benoît Hamon et Najat Vallaud-Belkacem - se réunissent les 2 et 3 mai pour les assises de la refondation de l'école au Palais Brongniart. Exercice utile ou opération de communication?

Jean-Paul BRIGHELLI. - Votre question contient la réponse. Les enseignants ont encore trouvé la force, en 2012, de voter majoritairement à gauche — encore que leur vote du second tour n'ait pas débordé d'enthousiasme. C'est un fonds de commerce que la Gauche aime réactiver de temps en temps — de la même manière qu'un partenaire infidèle, après une nuit de fredaines, vous assure ses grands dieux qu'il vous aime toujours, en caressant vos cornes. Mes collègues qui ont voté Hollande en 2012 jurent leurs grands dieux qu'on ne les y reprendra plus — et vu l'incohérence de certaines propositions de l'opposition, ils se demandent à nouveau s'ils ne vont pas replonger. Même si Mme Vallaud-Belkacem a été jusqu'ici le meilleur agent électoral de tout ce qui ressemble à une opposition au gouvernement au sein du corps enseignant — et des parents, qui peu à peu prennent conscience du mauvais tour joué à leur progéniture.

Que penser de la réécriture des programmes - du primaire à la 3ème? Était-elle utile?

La réécriture des programmes était certainement indispensable aux idéologues qui se sont emparé du ministère de l'Education depuis la fin des années 1960. Je dis «idéologues» dans le sens que Hanna Arendt donne au terme, qualifiant ainsi ceux qui ont perdu tout contact avec la réalité, qu'ils remplacent par une fantasmagorie issue de leurs certitudes, mais certainement pas du réel. Les élèves étaient au bord du gouffre: ces programmes, conformes en tous points à l'idéologie européenne des «compétences» (qui fait bon marché des savoirs réels, encore plus des cultures et des langues nationales) leur permet de faire un grand bond en avant.

Il faut que l'opposition (quelle qu'elle soit) comprenne bien qu'il est essentiel de dire que l'une de ses premières mesures, en matière d'éducation, sera de réécrire complètement les programmes, et de jeter à la poubelle des manuels serviles, bourrés d'erreurs, qui seront devenus obsolètes. Essentiel. Comme il est essentiel de promettre — au moins promettre! — de revenir sur la réforme du collège et sur celle du lycée, lancée par Luc Chatel, dont les résultats si sont absolument catastrophiques que le ministère refuse obstinément d'en publier l'évaluation. Et, enfin, de rompre avec la logique des «compétences», imposée par le cadre européen et le Protocole de Lisbonne, qui a des effets pervers sur toute la chaîne de transmission. À ce jour, il n'y a que Nicolas Dupont-Aignan qui ait pris ce type d'engagement.

Trois ans après la publication du décret sur les rythmes scolaires, ceux-ci ont-ils démontré leur efficacité?

Tout le monde sait que l'imposition des rythmes scolaires a créé des difficultés sans nombre à une foule de petites communes aux moyens limités. C'est une réforme imposée par des Parisiens fortunés à une France périphérique exsangue. Ce n'est pas d'activités ludiques que les enfants ont besoin: c'est de cours de Français, de Maths, d'Histoire et de Sciences. De Français surtout — la langue est aujourd'hui dans un état alarmant.

Plutôt que de rajouter des charges aux communes, nous devons à très court terme rajouter des heures de cours perdues — plus de 600 rien qu'en français en vingt ans au collège. Si tant d'enfants (18% officiellement!) arrivent en Sixième sans maîtriser les fondamentaux, à commencer par le lire et l'écrire, c'est que quelque chose s'est détraqué à l'école primaire, quels que soient les efforts des instituteurs. Programmes et emplois du temps sont à revoir de fond en comble.

Et ce n'est pas en imposant une logique curriculaire (par cycles de trois ans) que l'on cachera la déroute de l'enseignement français. Ce sont des jeux de cape dans la grande corrida électorale.

La réforme du collège est contestée, aussi bien par les enseignants que par les parents d'élèves. Comment le gouvernement peut-il s'y prendre pour la défendre?

La réforme est indéfendable. Sous prétexte de favoriser cet égalitarisme qui tue nos élites, quand elle ne les encourage pas à aller voir ailleurs, elle accentue les inégalités, avec pour seule justification de faire quelques économies d'horaires méprisables. En encourageant par ailleurs les établissements privés à maintenir leur offre aux frais des parents, elle installe une école à deux vitesses qui fera le lit des insatisfactions futures. Et il est essentiel, je le répète, qu'une opposition consciente (l'est-elle?) assure qu'elle repensera de fond en comble cette réforme, qui est par ailleurs nécessaire, en s'adressant aux acteurs de terrain, aux praticiens, et non à des «experts» auto-proclamés.

Par ailleurs, ce n'est pas en expulsant manu militari trois responsables du SNALC de ses grandioses Assises de la refondation que le gouvernement, qui refuse obstinément depuis des mois de recevoir les syndicats opposés à la réforme, qui représentent 80% des enseignants, que le gouvernement parviendra à faire croire qu'il n'est pas assis sur des certitudes idéologiques qui n'ont rien à voir avec le réel. Ni en refusant avec la dernière énergie, comme le fait Mme Vallaud-Belkacem, de participer à un débat avec l'un ou l'autre des opposants à la réforme, qui aurait enfin l'opportunité de dire quelques vérités dans le flot de mensonges du ministre.

La prime de 800 euros accordée aux professeurs des écoles (en maternelle et en primaire) est-elle une initiative louable? Faut-il y voir une décision électoraliste?

800 euros, divisé par 12 mois… Après tout, Judas a bien trahi le Christ pour trente deniers. S'il se trouve des enseignants, qui devraient être singulièrement échaudés par quatre ans de gabegie et d'errements pédagogiques, encore aptes à voter PS l'année prochaine, ils ne vaudront pas mieux que Judas. Sauf que ce sont nos enfants qui sont crucifiés, en ce moment.

Qu'on me comprenne bien: ce n'est pas de primes ponctuelles que les enseignants ont besoin. C'est d'une revalorisation conséquente, après six années de stagnation salariale. C'est surtout vrai dans les salaires de départ: on n'attire pas les mouches avec du vinaigre, ni des étudiants doués avec 1560 € après cinq ou six ans d'études.

Quant à la promesse faite par Les Républicains d'augmenter les enseignants (sans que le montant de cette augmentation soit chiffré) en échange d'une augmentation de 20% de leur charge de travail, je suggère à tous ceux qui l'approuvent de venir faire classe une semaine —18 heures de cours en moyenne, préparations et corrections en sus, soit 39 heures selon les calculs d'un ministère qui n'aime guère les enseignants — dans un établissement lambda, pas même difficile. Et puis on en reparlera.

dimanche, 15 mai 2016

Destitution de Dilma Rousseff : entretien avec Pepe Escobar

 

Destitution de Dilma Rousseff : entretien avec le journaliste Pepe Escobar

La présidente brésilienne Dilma Rousseff vient d'être officiellement écartée du pouvoir présidentiel au Brésil. L'annonce fait suite au vote hier des sénateurs en faveur de l'ouverture du procès en destitution de la dirigeante, qui est automatiquement remplacée pour une période de 180 jours maximum par celui qui était alors vice-président de la République, Michel Temer. Ce que beaucoup dénoncent comme un "coup d'état institutionnel" met fin à 13 ans de pouvoir de la gauche au Brésil. Vendredi dernier, le Cercle des Volontaires recevait le journaliste brésilien alternatif Pepe Escobar afin qu'il nous livre son analyse sur des événements pas forcément faciles à appréhender vus de France.

http://www.cercledesvolontaires.fr

mardi, 10 mai 2016

Le multiculturalisme, un projet de destruction des identités nationales...

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Le multiculturalisme, un projet de destruction des identités nationales...

Entretien avec Mathieu Bock-Côté

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Mathieu Bock-Côté au Figaro Vox, à l'occasion de la publication de son essai Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016).

«L'homme sans civilisation est nu et condamné au désespoir»

En tant que Québécois, quel regard portez-vous sur la société française?

Je m'en voudrais d'abord de ne pas dire que j'aime profondément la France et que j'hérite d'une tradition très francophile, autrefois bien présente chez nous, qui considère encore un peu votre pays comme une mère-patrie. La France, en un mot, ne nous est pas étrangère. Vous me pardonnerez ces premiers mots, mais ils témoignent de mon affection profonde pour un pays avec lequel les Québécois entretiennent une relation absolument particulière. En un mot, j'ai le sort de la France à cœur!

La pénétration de l'idéologie multiculturelle, que vous dénoncez dans votre livre, est-elle en France aussi forte que dans les pays d'Amérique?

Le multiculturalisme prend un visage tout à fait singulier au Canada. Au Canada, le multiculturalisme est inscrit dans la constitution de 1982, imposé de force au Québec, qui ne l'a jamais signé. Il a servi historiquement à noyer le peuple québécois dans une diversité qui le privait de son statut de nation fondatrice. Pierre Trudeau, le père de Justin Trudeau, était radicalement hostile au peuple québécois, à son propre peuple, qu'il croyait traversé par une tentation ethnique rétrograde. C'était faux, mais c'était sa conviction profonde, et il voulait désarmer politiquement le Québec et le priver de sa prétention à constituer une nation.

Dans l'histoire du Canada, nous étions un peuple fondateur sur deux. Avec le multiculturalisme d'État, on nous a transformés en nuance identitaire parmi d'autres dans l'ensemble canadien. Il faut rappeler ces origines oubliées du multiculturalisme canadien à ceux qui n'en finissent plus d'idéaliser un pays qui a œuvré à oblitérer sa part française.

Je vous donne au passage ma définition du multiculturalisme, valable au-delà du contexte canadien: c'est une idéologie fondée sur l'inversion du devoir d'intégration. Traditionnellement, c'était la vocation de l'immigré de prendre le pli de la société d'accueil et d'apprendre à dire nous avec elle. Désormais, c'est la société d'accueil qui doit se transformer pour accommoder la diversité. La culture nationale perd son statut: elle n'est plus qu'un communautarisme parmi d'autres. Elle devra toutefois avoir la grandeur morale de se dissoudre pour expier ses péchés passés contre la diversité.

Retour au Canada. Au fil du temps, le multiculturalisme canadien s'est autonomisé de sa vocation antiquébécoise et en est venu à représenter paradoxalement le cœur de l'identité canadienne. Il a remplacé ce qu'on pourrait appeler l'identité historique canadienne par une identité idéologique fondée sur la prétention. Ce qui tient lieu d'identité commune au Canada aujourd'hui, et cela plus encore depuis l'arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, que la France regarde étrangement d'un air enamouré, c'est le sentiment d'être une superpuissance morale, exemplaire pour l'humanité entière, une utopie réussie représentant non seulement un pays admirable, mais la prochaine étape dans le progrès de l'humanité.

L'indépendantiste québécois que je suis a un regard pour le moins sceptique devant cet ultranationalisme canadien qui conjugue la fierté cocardière et l'esprit post-moderne.

Plus largement, au Canada, le multiculturalisme sert de machine à normaliser et à banaliser les différences les plus extrêmes, les moins compatibles avec ce qu'on appellera l'esprit de la civilisation occidentale ou les mœurs occidentales. C'est le pays du communautarisme décomplexé, c'est aussi celui où on peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux et du premier ministre, qui y voit une marque admirable de tolérance.

C'est le pays qui banalise sous le terme d'accommodements raisonnables un relativisme généralisé, qui peut aller très loin. C'est le pays où certains iront même jusqu'à dire que le niqab est peut-être même le symbole par excellence de la diversité canadienne, puisque son acceptation par les élites témoigne de la remarquable ouverture d'esprit de ceux qui le dirigent et des institutions qui le charpentent. Pour le dire autrement, le Canada pratique un multiculturalisme à la fois radicalisé et pacifié.

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En France, le multiculturalisme semble moins agressif ...

Il domine aussi l'esprit public mais n'est pas nécessairement revendiqué par les élites, qui entretiennent, à travers la référence aux valeurs républicaines, l'idéal d'une nation transcendant sa diversité. On sait bien que la réalité est autre et que la référence républicaine s'est progressivement désincarnée et vidée de sa substance nationale depuis une trentaine d'années.

En fait, la France fait une expérience tragique du multiculturalisme. Elle se délite, se décompose sous nos yeux, et la plupart de mes interlocuteurs, ici, me confessent avoir une vision terriblement pessimiste de l'avenir de leur pays. J'ajoute, et je le dis avec tristesse, que les Français semblent nombreux, lorsque leur pays est attaqué, à se croire responsable du mauvais sort qu'ils subissent, comme s'ils avaient intériorisé pleinement le discours pénitentiel occidental, qui pousse nos nations à s'autoflageller en toutes circonstances.

Le multiculturalisme s'est imposé chez vous par une gauche qui, depuis le passage du socialisme à l'antiracisme, au début des années 1980, jusqu'à la stratégie Terra Nova, en 2012, a été de moins en moins capable de parler le langage de la nation, comme si cette dernière était une fiction idéologique au service d'une majorité tyrannique désirant écraser les minorités.

Il s'est aussi imposé avec l'aide des institutions européennes, qui sont de formidables machines à dénationaliser les peuples européens.

La droite, par ailleurs, toujours prompte à vouloir donner des gages au progressisme, a peu à peu abandonné aussi la nation, ou s'est du moins contentée de la définir de manière minimaliste en en évacuant l'histoire pour retenir seulement les fameuses valeurs républicaines.

Le multiculturalisme est la dynamique idéologique dominante de notre temps, et cela en Amérique du nord comme en Europe occidentale. Chez les élites, il suscite la même admiration béate ou la même passion militante. Il propose toujours le même constat: nos sociétés sont pétries de stéréotypes et de préjugés, elles sont fermées à la différence et elles doivent se convertir à la diversité pour enfin renaître, épurées de leur part mauvaise, lavées de leurs crimes. Pour emprunter les mots d'un autre, le multiculturalisme se présente comme l'horizon indépassable de notre temps et comme le seul visage possible de la démocratie.

La gauche européenne, en général, y voit d'ailleurs le cœur de son programme politique et idéologique.

Je note autre chose: le multiculturalisme est partout en crise, parce qu'on constate qu'une société exagérément hétérogène, qui ne possède plus de culture commune ancrée dans l'histoire et qui par ailleurs, renonce à produire du commun, est condamnée à entrer en crise ou à se déliter. Lorsqu'on légitime les revendications ethnoreligieuses les plus insensées au nom du droit à la différence, on crée les conditions d'une déliaison sociale majeure.

Mais devant cette crise, le multiculturalisme, loin de s'amender, loin de battre en retraite, se radicalise incroyablement. Pour ses thuriféraires, si le multiculturalisme ne fonctionne pas, c'est qu'on y résiste exagérément, c'est que les nations historiques, en refusant de s'y convertir, l'empêchent de transformer pour le mieux nos sociétés selon les termes de la promesse diversitaire.

Il faudra alors rééduquer les populations pour transformer leur identité et les amener à consentir à ce nouveau modèle: on cherche, par l'école, à fabriquer un nouveau peuple, ayant pleinement intériorisé l'exigence diversitaire. On cherchera à culpabiliser les peuples pour les pousser à enfin céder à l'utopie diversitaire.

C'est la tentation autoritaire du multiculturalisme, qui est tenté par ce qu'on pourrait appeler une forme de despotisme qui se veut éclairé.

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Quels sont les points communs et différence avec la France?

L'histoire des deux pays, naturellement n'est pas la même. La France est un vieux pays, une vieille culture, une vieille civilisation qui se représente généralement comme un monde commun à transmettre et non comme une utopie à exporter, même si la révolution française a eu un temps cette tentation.

En un mot, la France a des ressources inouïes pour résister au multiculturalisme même si elle ne les mobilise pas tellement le discours culpabilisateur inhibe les peuples et les convaincs que l'affirmation de leur identité relève de la xénophobie et du racisme.

Mais encore une fois, il faut le dire, c'est le même logiciel idéologique qui est à l'œuvre. Il repose sur l'historiographie victimaire, qui criminalise les origines de la nation ou réduit son histoire à ses pages noires, sur la sociologie antidiscriminatoire, qui annihile la possibilité même d'une culture commune, dans la mesure où elle n'y voit qu'une culture dominante au service d'une majorité capricieuse, et sur une transformation de la démocratie, qui sera vidée de sa substance, dans la mesure où la judiciarisation des problèmes politiques et le transfert de la souveraineté vers le gouvernement des juges permet de désarmer institutionnellement un peuple qu'on soupçonne de céder au vice de la tyrannie de la majorité.

En un mot, si l'idéologie multiculturaliste s'adapte à chaque pays où elle s'implante, elle fait partout le même diagnostic et prescrit les mêmes solutions: c'est qu'il s'agit d'une idéologie, finalement, qui pose un diagnostic global et globalement négatif sur l'expérience historique occidentale.

Vous définissez aussi le multiculturalisme comme la créature de Frankenstein du marxisme. Mais cette idéologie est née dans les pays anglo-saxons de culture libérale. N'est-ce pas paradoxal?

Je nuancerais. Le multiculturalisme comme idéologie s'est développée au cœur des luttes et contestations qui ont caractérisé les radical sixties et les radical seventies et s'est alimenté de références idéologiques venant des deux côtés de l'Atlantique. Par ailleurs, de grands intellectuels français ont joué un rôle majeur dans la mise en place de cette idéologie, née du croisement d'un marxisme en décomposition et des revendications issues de la contre-culture. Michel Foucault et Alain Touraine, par exemple, ont joué un grand rôle dans la construction globale de l'idéologie multiculturaliste. En fait, je dirais que la crise du progressisme a frappé toutes les gauches occidentales. Chose certaine, il ne faut pas confondre l'idéologie multiculturaliste avec une simple expression globalisée de l'empire américain. C'est une explication trop facile à laquelle il ne faut pas céder.

canadaarton1180.jpgEn France, vieux pays jacobin qui a fait la révolution, le multiculturalisme reste contesté malgré la conversion de la majorité de nos élites …

Il est contesté partout, il est contesté au Québec, il est contesté en Grande-Bretagne, il est contesté aux États-Unis, il est aussi contesté chez vous, cela va de soi. Sur le fond des choses, le refus du multiculturalisme repose sur le refus d'être dépossédé de son pays et de voir la culture nationale transformée en identité parmi d'autres dans une citoyenneté mosaïque. Il serait quand même insensé que la civilisation française devienne optionnelle sur son territoire, certains pouvant s'en réclamer, d'autres pas, mais tous cohabitant dans une fausse harmonie que de vrais propagandistes nommeront vivre-ensemble.

Le drame de cette contestation, c'est qu'elle est souvent inhibée, disqualifiée ou criminalisée. La simple affirmation du sentiment national a longtemps passé pour de la xénophobie plus ou moins avouée, qu'il fallait combattre de toutes les manières possibles. D'ailleurs, la multiplication des phobies dans le discours médiatique, qui témoigne d'une psychiatrisation du débat public: on veut exclure du cercle de la respectabilité démocratique ceux qui sont attachés, d'une manière ou d'une autre, à l'État-nation.

On ne sortira pas de l'hégémonie multiculturaliste sans réaffirmer la légitimité du référent national, sans redonner ses lettres de noblesse à un patriotisme enraciné et décomplexé.

Depuis quelques années, on observe également en France la percée d'un féminisme identitaire qui semble tout droit inspiré de Judith Butler. Quelle a été son influence au Québec et plus largement en Amérique du Nord? Ce féminisme est-il une variante du multiculturalisme?

Ce féminisme est dominant dans nos universités et est particulièrement influent au Québec, surtout dans une nouvelle génération féministe très militante qui voit dans la théorie du genre l'expression la plus satisfaisante d'une certaine radicalité théorique qui est pour certains une drogue dure. La théorie du genre, en d'autres mots, est à la mode, très à la mode (et elle l'est aussi plus généralement dans les universités nord-américaines et dans les milieux culturels et médiatiques), et il est mal vu de s'y opposer. Il faut pourtant dire qu'elle est portée par une tentation nihiliste radicale, qui entend tout nier, tout déconstruire, au nom d'une liberté pensée comme pure indétermination. C'est le fantasme de l'autoengendrement. La théorie du genre veut éradiquer le monde historique et reprendre l'histoire à zéro, en quelques sortes, en abolissant la possibilité même de permanences anthropologiques.

On peut certainement y voir une autre manifestation de l'héritage des radical sixties et de l'idéologie diversitaire qui domine généralement les départements de sciences sociales et au nom de laquelle on mène la bien mal nommée lutte contre les discriminations - parce qu'à force de présenter toute différence à la manière d'une discrimination, on condamne toutes les institutions à la déconstruction. Devant Judith Butler, la tentation première est peut-être de s'esclaffer. Je comprends cela. Il faut pourtant prendre son propos très au sérieux, car sa vision des choses, et plus largement, du courant néoféministe qu'elle représente, est particulièrement efficace dans les milieux qui se veulent progressistes et craignent par-dessus tout de ne pas avoir l'air assez à gauche.

math92165582.jpgDepuis les attentats de janvier 2015, le débat autour de l'islam divise profondément la France. Cette question est-elle aussi centrale en Amérique du Nord? Pourquoi?

Elle est présente, très présente, mais elle est l'est de manière moins angoissante, dans la mesure où les communautarismes ne prennent pas la forme d'une multiplication de Molenbeek, même si la question de l'islam radical et violent inquiète aussi nos autorités et même si nous avons aussi chez certains jeunes une tentation syrienne.

Mais la question du voile, du voile intégral, des accommodements raisonnables, se pose chez nous très vivement - et je note qu'au Québec, on s'inquiète particulièrement du multiculturalisme. Nos sociétés sont toutes visées par l'islamisme. Elles connaissent toutes, aussi, de vrais problèmes d'intégration.

Généralisons un peu le propos: partout en Occident, la question de l'Islam force les pays à se poser deux questions fondamentales: qu'avons-nous en propre, au-delà de la seule référence aux droits de l'homme, et comment intégrer une population qui est culturellement très éloignée, bien souvent, des grands repères qui constituent le monde commun en Occident?

Cela force, à terme, et cela de manière assez étonnante, plusieurs à redécouvrir la part chrétienne oubliée de notre civilisation. Non pas à la manière d'une identité confessionnelle militante, évidemment, mais tout simplement sous la forme d'une conscience de l'enracinement.

Les musulmans qui arrivent en Occident doivent accepter qu'ils arrivent dans une civilisation qui a longtemps été le monde chrétien, et où sur le plan symbolique, l'héritage chrétien conserve une prédominance naturelle et légitime.

Cela ne veut pas dire, évidemment, qu'il faille courir au conflit confessionnel ou à la guerre des religions: ce serait désastreux.

Mais simplement dit, la question de l'islam nous pousse à redécouvrir des pans oubliés de notre identité, même si cette part est aujourd'hui essentiellement culturalisée.

L'islamisme et ses prétentions hégémoniques ne sont-ils pas finalement incompatible avec le multiculturalisme qui suppose le «vivre ensemble»?

L'islamisme a un certain génie stratégique: il mise sur les droits consentis par les sociétés occidentales pour les retourner contre elles. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres dans la société plurielle: il prétend s'inscrire dans la logique du multiculturalisme, à travers lui, il banalise ses revendications. Il instrumentalise les droits de l'homme pour poursuivre l'installation d'un islam radical dans les sociétés occidentales et parvient à le faire en se réclamant de nos propres principes. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres qui réclame qu'on l'accommode, sans quoi il jouera la carte victimaire de la discrimination. C'est très habile. À travers cela, il avance, il gagne du terrain et nous lui cédons. Devant cela, nous sommes moralement désarmés.

Il faudrait pourtant se rappeler, dans la mesure du possible, que lorsqu'on sépare la démocratie libérale de ses fondements historiques et civilisationnels, elle s'effrite, elle se décompose. La démocratie désincarnée et dénationalisée est une démocratie qui se laisse aisément manipuler par ses ennemis déclarés. D'ailleurs, au vingtième siècle, ce n'est pas seulement au nom des droits de l'homme mais aussi au nom d'une certaine idée de notre civilisation que les pays occidentaux ont pu se dresser victorieusement contre le totalitarisme. Du général de Gaulle à Churchill en passant par Soljenitsyne, la défense de la démocratie ne s'est pas limitée à la défense de sa part formelle, mais s'accompagnait d'une défense de la civilisation dont elle était la forme politique la plus achevée.

Comment voyez-vous l'avenir de la France. Le renouveau conservateur en germe peut-il stopper l'offensive multiculturaliste de ces 30 dernières années?

On dit que la France a la droite la plus bête du monde. C'est une boutade, je sais, mais elle est terriblement injuste.

Je suis frappé, quant à moi, par la qualité intellectuelle du renouveau conservateur, qui se porte à la fois sur la question identitaire et sur la question anthropologique, même si je sais bien qu'il ne se réclame pas explicitement du conservatisme, un mot qui a mauvaise réputation en France.

Je définis ainsi le conservatisme: une philosophie politique interne à la modernité qui cherche à la garder contre sa tentation démiurgique, contre la tentation de la table-rase, contre sa prétention aussi à abolir l'histoire comme si l'homme devait s'en extraire pour se livrer à un fantasme de toute puissance sociale, où il n'entend plus seulement conserver, améliorer, transformer et transmettre la société, mais la créer par sa pure volonté. Le conservatisme rappelle à l'homme qu'il est un héritier et que la gratitude, comprise comme une bienveillance envers le monde qui nous accueille, est une vertu honorable. C'est une philosophie politique de la finitude.

Réponse un peu abstraite, me direz-vous. Mais pas nécessairement: car on aborde toujours les problèmes politiques à partir d'une certaine idée de l'homme. Si nous pensons l'homme comme héritier, nous nous méfierons de la réécriture culpabilisante de l'histoire qui domine aujourd'hui l'esprit public dans les sociétés occidentales. Ce que j'espère, c'est que la renaissance intellectuelle du conservatisme en France trouve un débouché politiquement, qui normalement, ne devrait pas être étranger à l'héritage du gaullisme. Pour l'instant, ce conservatisme semble entravé par un espace politique qui l'empêche de prendre forme.

Et pour ce qui est du multiculturalisme, on ne peut bien y résister qu'à condition d'assumer pleinement sa propre identité historique, ce qui permet de résister aux discours culpabilisants et incapacitants. Il faut donc redécouvrir l'héritage historique propre à chaque pays et cesser de croire qu'en l'affirmant, on bascule inévitablement dans la logique de la discrimination contre l'Autre ou le minoritaire. Cette reconstruction ne se fera pas en quelques années. Pour user d'une image facile, c'est le travail d'une génération.

Le multiculturalisme peut-il finalement réussir le vieux rêve marxiste de révolution mondiale? La France va-t-elle devenir les Etats-Unis ou le Canada?

À tout le moins, il s'inscrit dans la grande histoire du progressisme radical et porte l'espoir d'une humanité réconciliée, délivrée de ses différences profondes, où les identités pourraient circuler librement et sans entraves dans un paradis diversitaire. On nous présente cela comme une sublime promesse: en fait, ce serait un monde soumis à une terrible désincarnation, où l'homme serait privé de ses ancrages et de la possibilité même de l'enracinement. L'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre: il est nu et condamné au désespoir.

En un sens, le multiculturalisme ne peut pas gagner: il est désavoué par le réel, par la permanence de l'authentique diversité du monde. Il pousse à une société artificielle de carte postale, au mieux ou à la décomposition du corps politique et au conflit social, au pire. Et il est traversé par une vraie tentation autoritaire, chaque fois. Mais il peut tous nous faire perdre en provoquant un effritement de nos identités nationales, en déconstruisant leur légitimité, en dynamitant leurs fondements historiques.

Et pour la France, permettez-moi de lui souhaiter une chose: qu'elle ne devienne ni les États-Unis, ni le Canada, mais qu'elle demeure la France.

Mathieu Bock-Côté, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 29 avril 2016)

 

lundi, 09 mai 2016

Akif Pirinçci:" L’intégration est une historiette mensongère !"

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L’intégration est une historiette mensongère !

Entretien avec l’écrivain germano-turc Akif Pirinçci sur les impacts de l’immigration musulmane massive, sur la nécessité d’une assimilation et sur la démission du politique

Propos recueillis par Bernhard Tomaschitz

Monsieur Pirinçci, votre dernier livre traite du « grand remplacement » (de l’Umvolkung). Dans quelle mesure ce « grand remplacement » a-t-il progressé, au vu de l’immigration de masse et du chaos migratoire que nous observons aujourd’hui en Europe ?

AP : Chez nous, en Allemagne, ce processus étrange de « remplacement de la population » est très avancé : il suffit de le constater, et à l’œil nu, dans toutes les rues par où l’on passe. Jadis, seuls les initiés s’en rendaient vraiment compte car les personnes étrangères entraient au compte-gouttes. Aujourd’hui, ce remplacement, auparavant très lent, ne s’observe plus seulement dans les grandes agglomérations. Dans bon nombre de quartiers de Bonn, je vois désormais déambuler des bandes d’hommes d’origine arabe dans les rues, je les vois traîner dans les bistrots, sirotant du café, servis par de jolies serveuses allemandes. Je n’imagine même pas que ces gens travaillent : ils sont tout simplement là.

Dans les villes, on n’entend plus que très peu parler allemand. Je ne sais pas pendant combien de temps ce pays s’appellera encore l’Allemagne.

Quelles seront les conséquences de ce processus, s’il se poursuit et s’amplifie encore ?

AK : La première conséquence sera que nous nous serons acheminés vers l’éclosion d’une société servile, composée d’esclaves. Pourquoi ? Parce qu’il faudra payer tout cela. Dans mon livre intitulé justement « Umvolkung », j’ai calculé qu’il nous faudra quelque 50 milliards d’euros, chiffres actuels. Cela correspond exactement à un huitième du budget de l’Etat allemand. Cette somme colossale devra être gagnée par l’économie du pays ou provenir d’un gigantesque endettement. Si, au cours de l’année qui vient, autant de migrants arrivent, qui seront totalement inutiles et improductifs, tant sur le plan culturel que sur le plan économique, et qui le resteront pendant des décennies, alors il faudra non plus 50 petits milliards d’euros mais 175 milliards ! Somme qui devra être déboursée chaque année, si l’on veut que ces gens puissent mener ici une vie décente. Et quand chacun de ces réfugiés attirera en Allemagne quatre autres personnes de son pays, au nom du regroupement selon les habitudes prises, alors la population qui travaille (majoritairement allemande ou européenne) sera réduite à l’esclavage pour payer ces 50 à 175 milliards d’euros.

akif1BCzJr0fHL.jpgOn peut bien sûr me rétorquer : « Attention ! Les gens ne se laisseront pas faire ! ». Mais que feront-ils ? On peut imaginer qu’ils émigreront sous d’autres cieux. Cependant, il faut savoir que l’émigrant est un type particulier d’humain, comme l’étaient par exemple mes parents, personnes de nature aventureuse. Or la plupart des Allemands contemporains ne sont pas des types d’aventuriers. Ils veulent faire tranquillement leur boulot, élever leurs enfants et partir en vacances.

En matière d’intégration, il y a des problèmes depuis longtemps. Le monde politique, en fait, veut-il vraiment l’intégration ?

AP : L’intégration ? C’est une historiette mensongère ! L’intégration, c’est un vocable inventé par un quelconque tocard gauchiste ou écolo. Pour moi, il n’y a que l’assimilation qui fonctionne, parce qu’un Etat ou une communauté populaire (ethnique) ne peut pas fonctionner quand chacun mitonne sa petite cuisine dans son coin. Il ne suffit pas de parler l’allemand (ou la langue officielle du pays). Cela ne suffit pas, comme le démontre l’histoire des pays multi-ethniques. Franchement, il n’y a que l’assimilation qui marche mais, rappelons-le, l’assimilation est un acte volontaire. On ne doit pas avoir besoin d’interprète, comme mes parents qui n’en ont jamais eu besoin et qui, de surcroît, n’ont jamais rien demandé à l’Etat. L’assimilation fonctionne généralement au mieux par l’intermédiaire des enfants mais nos gouvernements ont au contraire tout fait pour que les enfants ne s’assimilent pas. Partout, on leur donne des cours de religion islamique et on leur met dans la tête qu’ils doivent rester ce qu’ils sont. Mais, ajoute-t-on, tu pourras toujours devenir astrophysicien, si cela te chante. Nous voyons pourtant ce que cette religion a engendré dans leurs pays d’origine. Pourquoi n’avons-nous pas dit : si vous voulez rester chez nous, le processus d’assimilation sera peut-être long mais il se fera uniquement selon le modèle allemand.

Cela ne se passe pas ainsi, sans nul doute parce que le politiquement correct s’est incrusté trop profondément, a acquis trop d’influence…

AP : Il n’y a pas que le politiquement correct ! Toute cette affaire de migrants et de réfugiés génère une industrie qui rapporte des milliards et s’avère plus pondéreuse que les géants Apple, Google et Microsoft réunis. Je pense qu’un dixième de la population allemande profite directement ou indirectement de ces vagues migratoires.  Cette aubaine (pour 10% de la population) constitue un doux poison qui permet d’amplifier le phénomène. L’immigration actuelle est rendue possible par une armée de profiteurs. J’en déduis que l’association « Pro Asyl », qui favorise ces vagues migratoires, est plus puissante que le syndicat des fonctionnaires allemands (Deutscher Beamtenbund).

Tout simplement parce qu’elle a de bons contacts avec les médias et peut ainsi déclencher de vastes campagnes de sensibilisation…

AP : En effet, elle imprime sa marque. Lorsque vous passez les journaux en revue, vous constatez qu’il y a un article critique déplorant que le pays est « submergé d’hommes jeunes et analphabètes, dont on ne sait pas où leur trouver du gibier sexuel si bien qu’on aura un été de viols collectifs, etc. ». Face à ce seul article critique, vous trouvez dix articles qui vous expliqueront doctement qu’un certain Osman ou un certain Omar, réfugiés en Allemagne, ont ouvert une petite boutique de bijoux à deux filiales ou une autre entreprise du genre. Ces anecdotes, insignifiantes, sont montées en épingle pour faire croire que les artisans d’un second miracle économique sont enfin arrivés chez nous. C’est aberrant. Au contraire, on voit de plus en plus de bonnes femmes circuler dans nos villes, engoncées dans des voiles ou des robes-sacs : comment pourraient-elles bien œuvrer à un miracle économique en conservant de tels accoutrements ?

N’est-ce pas étrange que ce soit justement les milieux de gauche qui prétendent agir pour la démocratie mais, en réalité, travaillent à la suppression de toute démocratie en Allemagne et en Autriche ?

AP : Ils se sont toujours foutus de la démocratie. Il y a quelques jours, en Allemagne, on a démantelé un groupe terroriste qualifié d’extrême-droite, composé bien évidemment d’une brochette de zozos qui avaient accumulé dans une cave des fusées de feu d’artifice. Rien que le fait de qualifier une telle brochette de « terroristes de droite » est du plus haut ridicule, alors même que les antifas commettent des voies de fait réelles, battent des citoyens et les envoient à l’hosto, manient le gourdin à qui mieux mieux, sans que policiers ni juges n’interviennent. Mais tant va la cruche à l’eau qu’elle se brise : depuis peu, la cruche, en effet, présente des fissures de plus en plus profondes.

Et, à votre avis, quand se brisera-t-elle, cette cruche ?

AP : La cruche se brisera à la fin de cette année, j’en suis absolument sûr, car au bout de ces prochains mois, de nouvelles vagues de migrants vont arriver. Les Allemands se rendront compte des sommes astronomiques que tout cela va coûter et qu’en plus les impôts vont augmenter de manière vertigineuse, qu’ils soient directs ou indirects. Tous les Allemands, sans exception, vont se voir taxés ou ponctionnés d’une façon ou d’une autre : je ne pense pas qu’ils soient un peuple aussi léthargique qu’on veut bien le croire. La « douloureuse taxatoire » qu’on leur infligera sera telle qu’ils se réveilleront et présenteront la note à ce gouvernement de cinglés, je devrais dire de criminels cinglés.

Les Allemands, encore majoritaires jusqu’à nouvel ordre, vont-ils devoir s’adapter aux migrants musulmans, encore minoritaires ?

AP : On avance le chiffre de 4,5 millions de musulmans présents sur le sol allemand. Ce chiffre est inexact car une femme sur huit ou sur dix circule voilée ou affublée d’un foulard. J’estime le nombre de musulmans à dix millions, parmi lesquels nous trouvons des gens modérés, normaux, adaptés à la vie moderne. Mais ceux-là courberont l’échine lorsque les radicaux, les excités, prendront le pouvoir. C’est ce qu’ils ont fait dans la quasi-totalité des pays musulmans. C’est justement chez vous, en Autriche, que l’on entend que la journée de la fête des mères a été supprimée dans quelques écoles maternelles. Le démantèlement de vos institutions et traditions s’opère graduellement et, un jour viendra où Noël sera aboli, où il n’y aura plus de Pâques, où l’on ne célèbrera plus que le ramadan.

(entretien paru dans « zur Zeit », Vienne, n°17/2016, http://www.zurzeit.at ).  

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Denis Tillinac : Pour la droite, l’individu est le maillon d’une chaîne

Denis Tillinac : Pour la droite, l’individu est le maillon d’une chaîne

Denis Tillinac vient de sortir « L’Âme française ». Il a écrit ce livre pour redonner à la droite son honneur, sa raison d’être, sa fierté, son identité.

samedi, 07 mai 2016

Vincent Coussedière : “Le populisme, c’est l’instinct de conservation du peuple”

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Vincent Coussedière: “Le populisme, c’est l’instinct de conservation du peuple”

Ex: http://www.valeursactuelles.com

Vincent Coussedière. Le philosophe réhabilite le nationaliste républicain, seul capable de relever les défis qui nous menacent. Photo © Editions du Cerf

L’entretien : Vincent Coussedière. En deux livres pénétrants, le philosophe s’est imposé comme l’un des penseurs incontournables de notre époque. Rencontre avec un républicain rafraîchissant.

À rebours du discours dominant, vous estimez que, dans la crise que l’on traverse, le populisme peut être une chance pour l’avenir…

coussediere.jpgExactement. Je vois dans le populisme, du moins dans celui qui est exprimé par le peuple, une réaction face à sa propre décomposition sociale. Nous courons aujourd’hui vers l’abîme et le peuple, en bon animal politique, rue dans les brancards. C’est cet instinct de conservation désespéré que l’on nomme “populisme”. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’un peuple n’est pas uniquement un être politique ou un être social, c’est aussi une relation vivante entre les individus qui le composent. C’est une sociabilité qui naît de la similitude. Cette importance de la similitude comme condition de la sociabilité est aujourd’hui l’objet d’un refoulement collectif. On ne cherche plus à être semblable et à imiter, on veut être différent et inimitable.

Or un peuple n’est vivant que si les individus qui le composent ont le désir d’assimiler toute une série de manières de vivre, de penser, de sentir, ce qui n’exclut pas que certaines innovations puissent s’ajouter aux anciennes manières à condition qu’elles veuillent s’ajouter et non se substituer à elles. Car le problème est là : toutes les innovations ne sont pas cumulables ! Certaines suscitent des désirs et des croyances contradictoires avec les anciens modes de vie. L’unité du peuple est alors menacée par la perte du commun. Le populisme exprime cette volonté de pouvoir continuer à se référer aux anciennes manières, à la tradition si l’on veut. C’est le parti des conservateurs qui n’ont pas de parti.

Cette perte du commun est donc liée à l’immigration ?

Bien sûr, mais pas seulement. Il y a évidemment un problème lié à l’immigration qu’il serait totalement absurde de nier. Mais la question, plus généralement, est celle de l’assimilation, qui dépasse à vrai dire la question de l’immigration. Ce n’est pas seulement l’immigration qui décompose le commun, parce que si le commun était fort il ne se décomposerait pas. C’est donc qu’il y a autre chose. Toute communauté politique repose sur le partage et l’imitation d’un certain nombre de modèles. La nation républicaine ne nous détermine pas par les voies du sang et de la naissance comme le pensent les partisans du nationalisme identitaire. Mais elle n’est pas non plus le pur produit de la liberté des citoyens associés par le contrat selon les tenants du nationalisme civique. La nation nous propose des modèles à imiter que nous assimilons, et elle nous les propose par le biais de différents cercles : l’école, la famille, le travail, l’opinion publique, etc.

La crise de l’assimilation est liée à la destruction de ces cercles sous l’effet de la mondialisation et de sa justification idéologique par le multiculturalisme. En bref, les modes de vie ont été totalement décomposés par la dynamique de la consommation et par l’édification de l’individu roi. Le multiculturalisme veut permettre à l’individu de faire l’économie de l’assimilation à la nation républicaine, mais il ne peut en réalité supprimer la nature sociale et donc assimilatrice de l’homme. Son refus de l’assimilation républicaine n’aboutit donc qu’à abandonner l’individu à un autre type d’assimilation : l’assimilation communautariste. Or la spécificité de l’assimilation républicaine, c’est qu’elle est orientée vers l’exercice de la liberté politique, tandis que l’assimilation communautariste n’est qu’un repli identitaire…

Pourquoi le modèle assimilationniste a-t-il échoué ?

Il est un échec précisément parce que l’on a totalement sous-estimé l’importance de la formation des moeurs par des processus intersubjectifs qui échappent en partie à l’école et à l’État. Le discours néorépublicain d’assimilation par l’école prend les choses à l’envers. Ce n’est pas seulement l’école qui crée l’assimilation, mais c’est l’assimilation préalable à l’école d’un minimum de moeurs communes qui crée la possibilité de l’école !

La question de la souveraineté a été très souvent développée par ces penseurs néorépublicains qui ont pointé son importance, laquelle réside dans la capacité d’un peuple de décider librement de son destin. Mais ils ont oublié qu’il n’y a pas que la souveraineté. La République, c’est la souveraineté mais c’est aussi la légitimité de cette souveraineté. Or, pour qu’une décision soit légitime, il faut un peuple qui partage au préalable des mêmes moeurs et une expérience commune, ce qui lui permet d’adhérer à des décisions souveraines qui vont dans le sens de son intérêt. Contrairement à ce que l’on croit, Rousseau ne pense pas la volonté générale seulement sur le plan juridique, il pense qu’elle s’édifie aussi sur le plan des moeurs.

Concernant l’assimilation, ajoutons que, pour qu’elle fonctionne, il faut que le modèle à imiter soit désirable. C’est là que l’on saisit le désastre de la repentance et de l’absence de fierté par rapport à notre histoire et à nos moeurs… Si on a honte de nous- mêmes, on ne risque pas de donner envie aux autres de nous imiter.

Revenons au multiculturalisme. Selon vous, il offre un boulevard à l’islamisme…

Le multiculturalisme pose l’individu comme un absolu et comme une identité qu’il faut reconnaître. Sa grande supercherie est de faire comme si toutes les identités et tous les modèles étaient compatibles. Or, ce qui différencie les peuples est qu’ils imitent des modèles qui sont incompatibles entre eux, qui ne peuvent pas se fondre. Un exemple très simple : le modèle d’un certain statut de la femme dans la société, de visibilité publique, d’égalité, etc., est incompatible avec le modèle de la femme dans le monde musulman.

Aujourd’hui quand la plupart des hommes politiques disent “République”, ils pensent en fait “identité” et “respect de l’autre”. Ils ont renoncé. Le problème, c’est qu’avec ce renoncement ils ouvrent en effet un boulevard à l’islamisme. Car l’islamisme est une idéologie dont la capacité de mobilisation dépasse de très loin le multiculturalisme. Son contenu idéologique et organisationnel dépasse de beaucoup celui des différents communautarismes de type Femen, motards ou supporters de foot, ou de celui des bandes de délinquants. Il puise du reste dans le vivier de ces bandes communautarisées et désocialisées, exactement comme le nazisme et le communisme en leur temps.

L’islamisme parle ainsi le langage du multi-culturalisme et du droit à la différence pour se faire accepter mais il n’adhère pas du tout à ce projet puisque son but est de créer un empire à visée totalitaire. Il s’en sert comme d’un cheval de Troie. Sa force, c’est qu’il a compris la logique de l’imitation et qu’il sait transmettre des opinions et des moeurs. Il faut donc le combattre sur ce plan de l’opinion et des moeurs, ce que seule une renaissance du nationalisme républicain pourra accomplir.

Le tableau est sombre et pourtant vous gardez espoir…

Mon pari, c’est que notre nation républicaine a des ressources, lesquelles se trouvent précisément dans cette résistance et dans ce conservatisme populistes. L’ampleur de la crise actuelle présente des similitudes avec l’effondrement de 1940. Dans les deux cas on assiste à une faillite des élites avec pour résultat un pays qui perd sa souveraineté. Mais 1940 a vu l’émergence de De Gaulle et des élites qui l’ont accompagné pour reconstruire la France. Nous devons méditer sur ce “précédent” et nous demander ce qui a porté ces hommes : un espoir plongeant dans les ressources les plus profondes de tout un peuple.

À lire

De Vincent Coussedière : Éloge du populisme, Elya Éditions, 162 pages, 16 € ; le Retour du peuple, an I, Éditions du Cerf, 262 pages, 19 €.

vendredi, 06 mai 2016

Le cinéma et les mondes païens

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Le cinéma et les mondes païens

Ex: http://www.breizh-info.com & http://francephi.com

Paganisme-cinema-e.jpgEnfin un livre sur le paganisme au cinéma : les héros, les mythes, les épopées, le voyage initiatique, l’âge d’or, la femme fatale, l’enlèvement saisonnier, tout vient en fait du paganisme !

Le conte a souvent mauvaise presse, étant confondu avec la sorcellerie ou la spiritualité New Age. Pourtant cette sensibilité cosmique et féerique continue toujours d’inspirer notre quotidien, malgré le rationalisme et la médiocrité moderne.

Ce livre tente de recenser les nobles inspirations du paganisme dans le septième art. Il évoque bien sûr le cinéma français, soulève l’importance excessive du cinéma américain et notre inspiration anglo-saxonne. Puis il évoque d’une manière plus originale la source païenne dans le cinéma soviétique ou japonais de la grande époque, sans oublier celles du cinéma allemand, surtout celui de l’ère muette. L’ouvrage célèbre les contes de fées, les épopées, les adaptations des mythes fondateurs de la tradition nippone ou européenne. Il ignorera certaines cinématographies, quand il insiste sur d’autres. Mais le sujet est bien vaste…

Si l’on devait donner quelques noms prestigieux pour illustrer notre livre, nous donnerions ceux de Walsh, Lang, Kurosawa, celui de son compatriote Inagaki, génie païen oublié (lion d’or et oscar en son temps) du cinéma. Et bien sûr ceux des soviétiques négligés comme Alexandre Rou – officiellement « folkloriste » – et le grand maître ukrainien Ptushko. Mais la France mystérieuse, celle de Cocteau, Rohmer et Duvivier, a aussi son mot à dire…

Nous espérons que notre ouvrage redonnera à ce cinéma populaire et cosmologique quelques-unes de ses plus belles lettres de noblesse.

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Entretien avec Nicolas Bonnal sur le paganisme au cinéma

Les éditions Dualpha publient « Le paganisme au cinéma » rédigé par Nicolas Bonnal , écrivain auteur notamment d’ouvrages sur Tolkien.

Mondes païens, épopées, contes de fées… Enfin un livre sur le paganisme au cinéma : les héros, les mythes, les épopées, le voyage initiatique, l’Age d’or, la femme fatale, l’enlèvement saisonnier, tout vient en fait du paganisme !

Rédigé par un cinéphile passionné et érudit, ce livre trouvera une place de premier choix dans votre bibliothèque non conforme.

Nous avons interrogé Nicolas Bonnal, qui a accepté de nous parler de son livre.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter ?

Nicolas Bonnal : Je suis historien de formation, ancien IEP Paris. J’ai beaucoup voyagé et je vis depuis quinze ans à l’étranger. Mes voyages m’auront sauvé. Je collabore avec la presse russe et avec des sites rebelles. Mes livres sont liés à des commandes et à des passions personnelles : étude ésotérique de Mitterrand (Albin Michel puis Dualpha) ou de Tolkien (les Univers d’un Magicien) ; livres sur le cinéma ou la culture rock (Damnation des arts, chez Filipacchi). Les sujets liés à l’initiation m’ont toujours plu : mon guide du voyage initiatique, publié jadis aux Belles Lettres.

Mais mes pépites sont mes recueils de contes (Les mirages de Huaraz, oubliés en 2007) ou mes romans, notamment Les maîtres carrés, téléchargeable en ligne. Plus jeune, je rêvais de changer le monde, aujourd’hui de vivre agréablement en Espagne et ailleurs. J’ai un gros penchant pour la Galice, terre extrême et bien préservée. Sinon je suis très polémiste de tempérament, mais cela apparaît peu dans mes livres.

Breizh-info.com : Loin des clichés et des mythes, qu’est ce que le paganisme ?

Nicolas Bonnal : Pour moi c’est la Tradition primordiale hyperboréenne. C’est la seule relation de vérité et de beauté avec le monde. Tout est bien lisible dans Yourcenar ou dans Nerval.

Le paganisme, c’est la beauté, la blondeur, l’élévation sentimentale, la danse céleste, le voyage initiatique ou la guerre héroïque, le lien avec le cosmos et avec les dieux. Le reste est laid et inutile.

Breizh-info.com : Votre ouvrage se focalise presque intégralement sur un cinéma « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre » comme dirait la chanson. Le cinéma des années 90 et 2000 serait donc vide de tout paganisme ?

Nicolas Bonnal : Non. Vous avez un chapitre sur le cinéma contemporain. J’explique des films récents que j’ai bien aimé, Twilight, Point Break, le treizième guerrier, le Seigneur des Anneaux, Apocalypse Now (le colonel Kurtz est lié au rameau d’or ou à Jamie Weston, donc au Graal).

Pour le reste il faut redécouvrir le monde recouvert par la merde médiatique contemporaine et par une ignorance crasse dans tous les domaines. Donc je parle des grands films soviétiques et japonais ou du cinéma muet. Je suis obligé de le faire. Je permets aussi au jeune Français de redécouvrir son patrimoine : Pagnol, Renoir, Cocteau.

Et si c’est mieux que Luc Besson ou les films cannois, je n’y peux rien. Ressentir le paganisme est une grande aventure spirituelle et intellectuelle, un effort intelligemment et sensiblement élitiste.

Donc pas de feuilletons américains interdit au moins de dix-huit ans ! Il faut le dire sans arrogance mais il faut le dire. Il faut oublier Avatar, et découvrir Ptouchko, Inagaki. Dans sa cabane de rondins, l’américain Thoreau tentait d’ignorer son affreux pays, philosophait et lisait en grec l’odyssée. C’est cela être païen.

Je vous invite à découvrir Taramundi par exemple en Galice pour y aller philosopher ou travailler le fer.

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Breizh-info.com : Que diriez vous à des cinéphiles qui – comme moi et je pense qu’ils sont nombreux – ont un mal fou bien que férus de légendes, de mythologies et d’histoire, à regarder un film en noir et blanc ou les premiers films couleurs ? Comment les inciteriez vous à changer de regard sur ce cinéma, techniquement moins abouti qu’aujourd’hui et difficile à suivre pour l’œil ?

Nicolas Bonnal : Oui, TNT avait colorisé les films pour contourner la paresse du spectateur moyen ! Mais c’est céder à l’ennemi. La facilité nous tuera tous. C’est le triomphe de la pornographie sur l’amour fou.

J’adore le cinéma populaire. Je cite beaucoup de films en couleur, bien plus beaux qu’aujourd’hui car ils étaient en cinémascope. C’est pourquoi je défends même certains beaux « classiques » américains (les comédies musicales, surtout Brigadoon) ! Les films soviétiques ou japonais sont superbes, le Fleuve de Renoir aussi. Le noir et blanc expressionniste de Fritz Lang inspire toujours les bons cinéastes, et Metropolis comme les Nibelungen sont une date dans l’histoire.

Donc je le répète, il faut découvrir, il faut chercher, faire un effort. Il y a bien des gens qui vont dans les Himalayas escalader des pics, alors pour le cinéma ou la littérature on peut faire de même et devenir un athlète de la cinéphilie ! Il faut aussi redonner un sens pratique et initiatique au mot solidarité, créer des ciné-clubs communautaires et sensibles, échanger grâce aux réseaux sociaux autre chose que sa détestation pour Gaga ou Obama.

Et puis il faut s’ouvrir au vrai orient. Actuellement le cinéma chinois est à la pointe sur le plan technique, initiatique, héroïque. Voyez les films de Donnie Yen ou Jet Li (ses films chinois !). Ils sont à un centime sur amazon.co.uk, souvent extraordinaires.

Je recommanderai surtout les films historiques de Zang Yimou et le cinéma de Donnie Yen, extraordinaire athlète et acteur. Ici il n’y a plus aucune excuse pour refuser cette leçon. Mais quel plaisir noble que de découvrir Orphée de Cocteau ou de retrouver Naissance d’une Nation, sa célébration de la féodalité sudiste…

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Breizh-info.com Quels sont les films qui vous ont le plus marqué concernant la thématique que vous abordez dans le livre, et pour quelles raisons ?

Nicolas Bonnal : Les deux Fritz Lang cités plus haut. J’aime beaucoup la Belle et la Bête de Cocteau, Perceval de Rohmer, bien enracinés dans notre vieille France initiée. Je célèbre Inagaki pour son culte du Japon solaire, cyclique, héroïque, mythologique. C’est lui aussi qui a réalisé la plus grande adaptation des 47 rônins remis au goût du jour récemment. Il faut voir Rickshaw man (voyez un génial extrait sur Youtube, Toshiro Mifune battant le tambour)) et les Trois trésors.

Tout cela est disponible via Amazon (essayez plutôt pour économiser et trouver plus amazon.co.uk ou amazon.es) et Youtube. Il y a un site russe Mosfilm. J’ai adoré donc les films de Ptouchko (Ilya Murometz, phénoménal, ou les Voyages de Sadko) et de Rou, un irlando-grec né en Russie et maître du cinéma folklorique soviétique. Voyez ses films sur Babayaga, Kochtchei, Vassilissa.

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous qu’à l’heure actuelle, les Européens (Russie exceptée) semblent dans l’incapacité de tourner des films à la gloire d’un passé, d’une mythologie, d’une civilisation ? Pourquoi ont-ils laissé Hollywood massacrer nos mythes ?

Nicolas Bonnal : Il y a eu un bon Hollywood avec Griffith, Walsh, Hathaway : Peter Ibbetson est un sommet du cinéma érotique, lyrique et onirique. Même les films d’Elvis sont très bons, voyez ceux sur Hawaï, ils vous surprennent. Le King était une belle figure. Pour répondre à votre question, Guénon a rappelé que le peuple contient à l’état latent les possibilités initiatiques. Le paganisme est d’essence populaire et l’on détruit simplement les peuples à notre époque.

Jusqu’aux années cinquante et soixante, ce paganisme de masse avec touche éducative s’est maintenu au cinéma. Il y avait encore une civilisation paysanne en France, au Japon, en Russie, en Ukraine. Les films mexicains étaient très bons par exemple. Puis la mondialisation sauce néo-Hollywood et la société de consommation sont arrivées : on supprime tout enracinement (celui visible encore chez Renoir, Pagnol ou même Eric Rohmer), et on le remplace par un Fast-food visuel pour société liquide. Ensuite il y a une autre raison plus grave, si l’on veut. Le kali-yuga, l’âge de fer d’Ovide. On n’est pas païen si l’on est n’est pas lucide ou pessimiste. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas résister.

Mais je répète que toutes nos traditions ont été convenablement défendues jusqu’aux années 70, et j’ai souligné le rôle païen, libertaire et positif (cinéma allemand façon Schroeder ou Herzog) de cette décennie. Ensuite on est entrés dans le trou noir absolu. De temps en temps une petite lueur. Je répète ce que j’ai dit : il faut découvrir le cinéma chinois avec ses épopées, son féminisme magique, des arts martiaux à touche taoïste (fabuleux duel du début de Hero !), son moyen âge héroïque. Là je vous garantis qu’on est loin des tortues ninjas de Marvel.

(Propos recueillis par Yann Vallerie)

Pourquoi un livre sur le paganisme au cinéma?

Propos recueillis par Fabrice Dutilleul

Pourquoi ce livre ? Par goût du paganisme ou du cinéma ?

Par cinéphilie ! J’étais un jour dans un bus au Pérou, à 4600 mètres, tout près d’Ayacucho. On projetait un film à la télé à bord, et les jeunes indiens se sont comme arrêtés de vivre. Ils ont fusionné avec le film. C’était L’Odyssée. Je me suis dit alors : il y a quelque chose de toujours vrai et de fort ici, puisque les descendants des incas adorent cette épopée et les voyages d’Ulysse.

Et vos références ?

Je suis un vieux cinéphile et j’ai toujours aimé les films à forte résonnance tellurique ou folklorique. Jeune, j’adorais Excalibur ou Apocalypse now. On se souvient que le colonel Kurtz lit Jamie Weston et Le Rameau d’or. Ensuite, j’ai découvert dans un ciné-club à Grenade (merci Paco !) le cinéma japonais, dont le contenu païen est très fort, avec Inagaki et, bien sûr, Kurosawa. Puis, je me suis plongé grâce à ma belle-famille dans le cinéma populaire soviétique qui s’inspire des contes de fées (skaska) et des récits de chevaliers (bogatyr) ; les grands maîtres sont Rou et Ptouchko. Dans ce cinéma d’ailleurs, des femmes inspirées ont joué aussi un très beau rôle tardif. Voyez la Fleur pourpre (Belle et Bête revisitées) de mon amie Irina Povolotskaya.

Il y a une tonalité nostalgique dans tout le livre.

C’est une des clés du paganisme. Il était lié à une civilisation agricole qui a disparu. Relisez Ovide ou Hésiode. Il est aussi lié à une perception aigüe de la jeunesse du monde. Dans ce livre, on regrette le cinéma muet, expressionniste, le cinémascope, les grands westerns, le cinéma enraciné des Japonais, à l’époque où il y a encore une agriculture avec ses rites. Tout cela est parti maintenant, et on regrette les âges d’or et même la nostalgie évanouie. C’est évident pour le cinéma français des années 30 à 50. On pleure en pensant Pagnol, Renoir, Duvivier. Regain, le Fleuve et Marianne sont des hymnes au monde, quand la France était encore de ce monde.

Il y a aussi une tonalité mondialiste !

Pas mondialiste, mais mondiale. C’est beau d’aimer le monde. On ne peut se limiter à connaître le cinéma américain parce qu’on est colonisé culturellement, ou notre seul cinéma français. Donc vive le Japon, l’Allemagne de Weimar, la Russie enracinée de la Grande Guerre patriotique ! En se basant sur des données traditionnelles, on voit les troncs communs de la spiritualité païenne, qu’on a tant oubliée depuis.

Et le paganisme proprement dit ? Comment le considérez-vous ?

C’est ici une affaire de sensibilité et de culture, pas de pratique religieuse… les héros, l’aventure, les mythes, le crépuscule, l’âge d’or : tout cela donne ses lettres de noblesse au cinéma, avec les couleurs du cinémascope et les cheveux blonds des héros russes. Le paganisme est la source de toute la littérature populaire d’aventure et donc du cinéma. On ne peut pas comprendre Jules Verne ou Conan Doyle si l’on n’est pas au fait de ces croyances, de cette vision poétique du monde.

Vous avez partagé votre livre en cinématographies ?

Pas tout à fait. J’étudie bien sûr les grands moments du cinéma russe ou japonais, ceux du cinéma allemand muet ou moderne (de Fritz Lang à Herzog), les beaux moments du cinéma français (Renoir, Rohmer, Duvivier…). Puis je reviens au cinéma américain, via les grands classiques du western et de la comédie musicale (Brigadoon) et le beau cinéma orangé des années 70. Et je commence mon livre par un aperçu de notre culture païenne expliquée par les spécialistes et réintégrée dans la culture populaire depuis le romantisme !

Si le sujet de ce livre est le paganisme, quel en est l’objet ?

Connaître des cinématographies, les comprendre et les aimer. Le cinéma est venu quand le monde moderne a commencé à tout détruire, les contes et légendes, les paysages, les danses folkloriques, les cadres de vie, tout !

ptushtDA4xyL.jpgCette industrie artistique a aidé à comprendre (même si elle a parfois caricaturé ou recyclé) la beauté du monde ancien, tellurique et agricole qui allait disparaître. Le cinéma japonais est magnifique dans ce sens jusqu’au début des années soixante. Et donc l’objet de ce livre est de pousser la jeunesse à redécouvrir l’esprit de la Genèse, la nature, les animaux, les cycles, les hauts faits, les voyages et les grandes aventures initiatiques. Les romains, dit déjà Juvénal dans ses Satires, connurent le même problème, les enfants ne croyant même plus aux enfers ! C’est un livre sur la poésie de la vie et des images qui nous aident à l’affronter aux temps de l’existence zombie et postmoderne.

Quelques films pour commencer ?

Ilya Murometz de Ptouchko. Kochtchei de Rou. Les Trois Trésors d’Inagaki. Les Nibelungen de Fritz Lang. Le Fleuve de Renoir.

Pourquoi toujours ce Fleuve ?

Parce que c’est l’eau, c’est Héraclite et son fleuve où l’on ne se baigne pas deux fois.  C’est le chant des bateliers aussi. C’est le Gange, avec vie et mort. C’est l’éternité du monde avant l’industrie. C’est la famille aussi. Et c’est la nostalgie.

Le paganisme au cinéma de Nicolas Bonnal – 354 pages –  31 euros – éditions Dualpha, collection « Patrimoine du spectacle », dirigée par Philippe Randa.

jeudi, 05 mai 2016

Interview with Gerard Russell on Heirs to Forgotten Kingdoms

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Interview with Gerard Russell on Heirs to Forgotten Kingdoms 

Ex: http://www.onreligion.co.uk

GerardRussell.jpgFormer British diplomat, Gerard Russell, has published a work looking at the minority religions in the Middle-East.

Abdul-Azim Ahmed speaks to him.

AA: Thank you Gerard for speaking to us about your book. Could you begin by telling us a bit about yourself?

GR: Sure. I’m a former British diplomat. I’ve been in the Middle East for many years and I learned Arabic. I’ve lived in Cairo, Jerusalem, Baghdad, Jeddah, and Kabul. In each of these places I had encountered these little religions, little communities, which when I looked at them, seemed to have preserved remarkably intact elements of much earlier trends and traditions of human thought. You see these communities, you think ‘this is amazing, this is history alive in the present day!’

AA: Can you tell me more about the religions you looked at, and where they come from geographically?

GR: I looked mainly at the places where I had lived and where I could say something that others perhaps couldn’t. So in Egypt I looked at the Copts, likewise Palestine for the Samaritans – Palestine-Israel I should say particularly as they are the original Israelites. I looked at Lebanon for the Druze, Iraq for the Yazidis and Mandaeans, Iran for the Zoroastrians and also I looked at Pakistan for an outlier group which is very different from the others, which is the Kalasha who live in Chitral in Pakistan.

AA: There was a very gruesome and unfortunate way in which the topic you look at gripped the headlines. In the summer of 2014, the self-styled Islamic State besieged a community of Yazidis in Iraq, and many were asking the question ‘who are the Yazidis?’ Naturally you were well placed to answer.

GR: That’s right. It’s not the first time that the Yazidis have been exposed to this kind of horror. In 2007 there was a massive terrorist attack which killed over 700 of them in Sinjar. So there is something of a history of this. Although it is important to remember that between the Ottomans (who as late as 1880s were behaving abominably to the Yazidis) and the al-Qaida attack in 2007, there was actually a prolonged period of mutual coexistence and inclusion. Egypt 1860 to 1920 is also a good example. There is a very clear trend in those times in which people of all religions in the Middle-East behaved to each other more decently than was sometimes the case in Europe during that era. That is important to remember because the narrative says ‘Muslims are uniquely intolerant’ which simply isn’t true; the reality is that the Middle-East was ahead of Europe in including its Christian and Jewish minorities for many years. The fact that it appears so negative now by comparison, is a product of particular circumstances – it is not inevitable at all!

AA: From that contemporary context, it is interesting to look at the roots as you mentioned. For myself, I find the Mandaeans and Yazidis especially intriguing, because they seem to echo a familiar theology of the three Abrahamic faiths, but have stark differences also. How was your experience of this?

GR: One thing that is interesting about the Mandaeans is that they recognise certain Jewish prophets such as Noah, but not Abraham. So you might think that is peculiar, because Abraham is the patriarch, but in fact they have this in common with many religions of two millennia ago. To the ascetics of the Middle-East, those who wanted a strict morality, they read about Abraham and they weren’t very impressed. The Mandaean rejection of Abraham is interesting because it connects us to that historic era, which is when the Mandaean religion was conceived.

The Mandaeans have an almost impenetrable demonology and cosmology written in their language, which is Babylonian Aramaic. Some of their rituals are thought provoking, such as the tradition of the priest staying awake for seven days and seven nights without eating to become ordained. Likewise, to become a bishop, you have an amazing ceremony where a message is sent to ‘other side’ through a dying person, to gain permission for this particular person’s appointment. Fascinating ideas. Sometimes when I read about these, it really makes me reflect and not just as ‘wow, this is really old’ but ‘wow, this is an interesting concept’. The Yazidis’ belief in Melek Taus is one such thing.

AA: Well maybe that is a point to pick up on. There is a certain familiarity, certainly for Muslims, with the cosmology of the creation of Adam and Eve, of the angels, of the role of Satan. But of course the Yazidis have a much more idiosyncratic understanding of Melek Taus who is associated with the fallen Archangel Iblis. Could you elaborate a bit more on that? It is an almost subversive take on traditional Quranic readings.

GR: Yes, it really is, when you look at certain aspects of Yazidi belief. For example, Melek Taus – he appears to be the Archangel Azazel, or Lucifer, or Iblis as he is called in Islam. The Yazidis use the term Iblis, but not Shaitaan which they see as insulting and in fact it is a taboo.

The Yazidis, like Muslims, believe Iblis rebelled against God, but unlike Muslims, Yazidis believe he was forgiven. That said, if you look back to the ninth century, there were a lot of Sufi movements that explored the idea of Satan in a way that wasn’t entirely hostile. The Islamic saint Rabia al-Basra said she wanted to quench hell, to extinguish the fires of hell, so that none would be good out of fear of punishment. The Yazidis actually say that the fires of hell have been quenched by the tears of Melek Taus’. It is in one sense a radical departure from the Islamic tradition, but in another sense, it is not a million miles away from what some Muslims have sometimes believed.

AA: That similarity, outwardly at least, is comparable to the Samaritans and the Jewish religion. Many people will be familiar with the story of the Good Samaritan, but unaware of the history of the people and their religion.

GR: The Samaritans have a great advocate who travels the world called Benny Tsedaka. They are interesting as they are both Palestinian and Israeli by nationality and politically – this is unique. Although to the outside world they look simply Jewish, it is much complex than that. The word Jewish comes from Judea and the tribe of Judah. The Samaritans are the descendants of a different people from the Northern Kingdom of Israel, supposedly wiped out by the Assyrians in the seventh century BCE. So they see themselves as being a separate people. They are not accepted by traditional Jewish Rabbis who do not regard them as ‘kosher’, as being part of the people of Israel.

The thing that really distinguishes them from Judaism is that whereas the Jews were scattered by the Romans, the Samaritans were largely left alone. It seemed like a blessing to them at the time. Interestingly though, the consequence is that now they almost don’t exist. They never really adjusted to living in diaspora. They have kept the old traditions exactly as they were. They still have a priestly caste, they still have sacrifices, and they keep The Law incredibly strictly. They almost became extinct as there were fewer than 30 of them at one point whereas there are now 771. So they have shown an amazing resilience.

One thing to remember about these religions is that people have predicted their extinction many times before, but they have been proven wrong, they have remarkable resilience. People in the 1840s saying the Druze will no longer have Chiefdoms in Lebanon, well they do. They said in the 1880s the Samaritans won’t last much longer, well they did. Politics changes – the mood can be hostile one year and then ten years later it may not be.

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AA: That is a sobering thought, but positive too. That these religions may be more permanent than the transient politics of the region, and may outlive these contemporary catastrophes we see. Moving away from the Levant and Iraq to the Kalasha in Pakistan – could you tell us some more about them? They seem like another tradition that has survived despite the odds.

GR: These groups of course survived for many reasons, among them that there is a willingness in Islam for coexistence, or toleration at least, of other religions. But there were often geographical reasons – such them living in marshes or mountains. Often a conquering force would simply resign themselves to not enter a particular piece of land because it was simply too difficult.

In the case of the Kalasha, they lived in the great mountains of the Hindu Kush. There used to be a whole collection of tribes in that region who practiced what we could describe as an antique form of paganism. It really does involve many gods and sacrifices, ceremonies and dance, wine drinking too! They survived for a long time because of the mountains, and even Tamerlane, who was one of the few who did want to go around and convert people by force, couldn’t subdue them.

A few remaining Kalasha live in Chitral on what are now good terms with the local authorities. It has been a mixed history however. You can read some incredibly passionate books in defence of the Kalasha by Pakistani intellectuals. There were some individuals, particularly a local cleric who wanted to convert them in the 1950s, but they have survived.

AA: Taking a step back, there is a question I have which I wonder if you can shed some light on – is there a particular reason why the Middle East has a larger amount of religious diversity than Europe?

GR: That is a great question. There are a few reasons. One is that it has a very deep past. When Christianity and Islam arrived, the Middle East already had other deeply embedded religions which had philosophies which were very sophisticated and therefore more resistant to conversion than the equivalent in Europe.

The second reason is that historically the Arab Muslims who conquered those areas, they had to establish their own authority while having their own distinct religion. So they didn’t put emphasis on conversion, but they wanted acent for their rule. When Christianity came into Europe, it came via the Romans who had already ruled Europe for 300 years, they didn’t need to be as tolerant.

The third thing, which is partly related to that, is that Islam was quite accepting of other religions (I don’t mean to exaggerate – in actual behaviour, it was very similar to the Christianity in Western Europe) but what was unusual about Islam was that it had this greater level of acceptance of other faiths because of the Quran making it explicit these religions were respected, and this respect extended to religions that you might not immediately think about, such as the Mandaeans, also called the Sabians. And so I think it does prove something very important which is that the history of Islam, in particular the history of Islam when it was at its height in terms of culture and technology, when Baghdad was the capital of the world and the leading civilisation, was a history of religious diversity.

AA: Thank you very much for your time Gerard.

Heirs to Forgotten Kingdoms by Gerard Russell is available for purchase online and in bookstores.

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lundi, 02 mai 2016

Robert Redeker: «Le progrès est un échec politique, écologique et anthropologique»

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Robert Redeker: «Le progrès est un échec politique, écologique et anthropologique»

Ex: https://comptoir.org

Philosophe agrégé, Robert Redeker est principalement connu pour une polémique créé par l’une de ses tribunes sur l’islam parue en 2006 sur “Le Figaro”. Si nous jugeons très contestables – mais pas condamnables – ses propos, nous déplorons qu’ils occultent la pensée du philosophe. Depuis une quinzaine d’années, Redeker mène en effet une critique radicale de l’idéologie du progrès, dominante depuis le XVIIIe siècle. C’est sur ce sujet que nous avons souhaité l’interroger, quelques mois après la sortie d’un ouvrage intitulé “Le Progrès ? Point final” (Éditions Ovadia).

Le Comptoir : Vous avez écrit plusieurs livres sur le Progrès (Le Progrès ou l’Opium de l’histoire  ; Le Progrès  ? Point final), et vous semblez voir dans l’idéologie du Progrès un nouvel opium, à l’instar de la religion chez Marx. Le Progrès serait-il une religion à critiquer elle-aussi  ?

RR-prog.jpgRobert Redeker : Pourquoi ces livres ? D’abord, il y a l’urgence d’établir le droit d’inventaire philosophique de la période historique que nous venons de vivre depuis le XVIIIe siècle et qui paraît se clore – c’est la période que l’on appelle “la Modernité”, qui a été marquée par une religion inédite, celle du progrès. Ce livre pourrait se découper ainsi : le progrès, sa naissance, sa vie, son déclin, sa mort. Il s’agit du progrès entendu comme idéologie, c’est-à-dire comme grille métaphysique de lecture du monde, et comme valeur identifiée au Bien. Ensuite, j’ai voulu continuer à penser les mutations de l’homme et du monde dans une lignée que je trace depuis mes premiers livres (Le déshumain ; Nouvelles Figures de l’Homme ; L’emprise sportive) et d’autres plus récents (Egobody). Enfin, le monde en charpie dans lequel nous vivons, et la “montée de l’insignifiance” qu’un philosophe comme Castoriadis diagnostiquait déjà il y a trois décennies, sont des phénomènes qui invitent à penser. Le livre sur la vieillesse s’articule autour de la réflexion sur ces mutations. L’homme est avant tout un être qui a horreur de la vérité, qui ne la supporte que difficilement, qui a besoin de l’occulter derrière un voile d’illusion. L’idéologie du progrès est un voile de cette sorte. Les promesses du progrès – rassemblées dans le vocable progressiste – ne se sont pas réalisées. Le progrès est un triple échec : politique, ou politico-historique, écologique, ou économico-écologique, et anthropologique (l’homme étant devenu, pour parler comme Marcuse, « l’homme unidimensionnel »). La religion du progrès promettait, dès ses origines avec les Lumières, un homme toujours meilleur dans une société toujours meilleure qui finirait par aboutir à une paix aussi universelle que définitive. Le paradoxe pointé par le mythe de Prométhée tel que Platon le narre est toujours vrai : si les techniques évoluent, s’améliorent, l’homme de son côté n’acquiert pas la sagesse qu’elles requièrent, il reste le même. Dans cette identité de l’homme à travers le temps réside le message de la forte idée qu’est celle du péché originel. Les peuples et les gouvernants n’ont, comme l’a fort bien dit Hegel, jamais rien appris de l’histoire et n’en apprendront jamais rien [i]. L’homme réinvente sans cesse le cadre de son existence, c’est l’histoire, mais il ne se réinvente pas lui-même. L’illusion consiste à s’imaginer que cette réinvention perpétuelle a un sens. Le mythe du progrès est cette illusion même.

« Je ne développe pas une technophobie encore moins un irrationalisme. On peut plutôt comprendre ma démarche aussi comme une critique de l’idolâtrie. »

Je n’appelle pas progrès les améliorations qui adoucissent l’existence des hommes, sans d’ailleurs en changer la réalité métaphysique. Ce que j’appelle progrès est autre chose : une valorisation idéologique de ces améliorations, une métaphysique de l’histoire (ce qu’on appelle le progressisme). Mieux : un substitut athée à Dieu, survenant après la mort de Dieu, un directeur de l’histoire. La croyance qu’il en va de l’histoire, de la politique et de la morale comme de la nature chez Descartes – dont nous pouvons devenir « comme maîtres et possesseurs ». Cette conception de la nature traduit le prométhéisme des modernes. Le progrès désigne tantôt la métaphysique de l’histoire, tantôt l’extension du prométhéisme technique au domaine moral. Tantôt et souvent à la fois.

Quant à sa critique, tout dépend de ce que l’on appelle critique. Il y a un sens haut et un sens bas de critique. Le sens haut se retrouve chez Kant, où critique veut dire crible qui établit les usages légitimes et récuse les usages abusifs des concepts. Kant déjà faisait sans le savoir un droit d’inventaire concernant les concepts de la métaphysique. En ce sens- là, kantien, mon travail est une critique de la religion du progrès.

Pouvez-vous nous retracer brièvement les moments fondateurs de cette idéologie?

On pourrait remonter à Joachim de Flore et son immanentisation de l’eschaton chrétien. C’est lui qui met en place les conditions de possibilité d’une pareille idéologie, une parareligion. Mais il faudra quelques siècles pour qu’elles deviennent effectives. C’est le concept de sécularisation qui est ici éclairant. Le progressisme est une sécularisation du christianisme. Le protestantisme a joué le rôle de sas permettant l’extériorisation du christianisme en progressisme. Sans la Réforme, il n’y aurait jamais eu de progressisme.

« Le Progrès prend la place de Dieu comme directeur de l’histoire. »

RR-nfh.gifLa majuscule au “P” de “Progrès” dit tout. Le Progrès ainsi saisi a le statut d’une entité métaphysique planant sur l’histoire et dirigeant sa marche. Il prend la place de Dieu comme directeur de l’histoire – un Dieu dépersonnalisé, désindividualisé, n’existant pas, réduit à un concept exsangue. Cette conception du progrès fut beaucoup plus qu’une idée philosophique (celle de Kant, Condorcet, Hegel, Comte, Marx), ce fut une opinion populaire, répandue dans les masses, en ce sens-là elle fit l’objet d’une croyance collective. Elle fut distribuée comme l’hostie des curés par des milliers de hussards noirs de la République tout au long de la IIIe République. On – surtout à gauche – croyait au progrès comme on avait cru en Dieu. Tous – Kant aussi bien que, quoique confusément, les masses – attribuaient une valeur métaphysique aux évolutions de la technique, de l’industrie, du droit, de la politique. Ma critique n’est pas celle du progrès des connaissances, de l’évolution des techniques et des améliorations de l’existence humaine, ce qui serait aussi absurde que grotesque, mais du sens abusivement conféré à ces évolutions, de leur transformation en fétiche et idole. Je ne développe pas une technophobie encore moins un irrationalisme. On peut plutôt comprendre ma démarche comme une critique de l’idolâtrie.

D’une part, le progrès a été, après le christianisme, et dans la foulée de celui-ci, le second Occident, le second chemin par lequel l’Occident s’est universalisé, planétarisé. On ne peut plus voir l’histoire comme une totalité en mouvement – ainsi que la voyaient Hegel, Marx ou bien encore Sartre – doté d’un pas, d’une marche, c’est-à-dire d’un sens (le sens est à la fois la direction, la signification et la valeur). L’idée de progrès permettait encore une telle représentation, illusoire, de l’histoire. L’Occident se représentait volontiers comme l’avant-garde de cette marche. Mais d’autre part, paradoxalement, cette mort de la métaphysique progressiste de l’histoire et du leadership occidental qu’elle présuppose est en même temps le moment où les exigences typiquement occidentales, nées en Occident, liées au progressisme occidental, de démocratie, de souveraineté populaire, d’émancipation des femmes, de justice sociale, se planétarisent. Elles se déploient à la façon de métastases du progrès après sa mort, déconnectées de la religion du progrès qui les a vu naître, sans qu’on puisse être assuré, puisque les conditions dans lesquelles elles sont nées ont disparu, qu’elles perdureront, ni bien entendu qu’elles triompheront, ne serait-ce qu’un temps.

Comment faire une critique du progressisme en évitant de tomber dans les écueils réactionnaires (du type contre-révolutionnaire ou décadentiste) ou postmodernes (relativiste, antirationnel, antiscientifique, etc.) ?

En premier lieu, la réaction n’est qu’une posture. Elle possède une valeur littéraire, mais aucune valeur philosophique ou politique. La valeur des réactionnaires tient, comme l’a bien montré Antoine Compagnon (Les Antimodernes, 2005), dans leur “charme” [ii]. Les écrivains réactionnaires sont charmants, intéressants, troublants ; les philosophes réactionnaires contemporains – il y en a quelques-uns – ne sont que nuls. Par contre les philosophes du passé étiquetés comme “réactionnaires” donnent à penser – tels Gustave Thibon ou Pierre Boutang. La qualification de “réactionnaire”est extensive, elle peut s’étendre jusqu’à très loin : Badiou, qui se croit progressiste, en certaines de ses opinions est un philosophe réactionnaire au sens où ses propos sont traversés par la nostalgie d’un état du monde dépassé, par des espoirs qui étaient présents dans cet état du monde dépassé. De ce point de vue, Alain Badiou ressemble tout à fait à Joseph de Maistre, le charme intellectuel, la puissance de penser et le talent littéraire en moins. Joseph de Maistre mythifie sur un mode nostalgique l’Ancien Régime tout comme Alain Badiou mythifie sur le même mode l’espoir défunt dans le communisme.

En second lieu, l’échec des postmodernes est patent. De Derrida à Feyerabend, bref des déconstructionnistes (« Jacques Derrida, sophiste moderne s’il en est » dit excellemment Baptiste Rappin dans Heidegger et la question du management publié en 2015) aux relativistes absolus (car c’est bien à cet incroyable paradoxe qu’aboutit l’antirationalisme de Feyerabend), la pensée postmoderne relève de deux jugements : elle n’a aucune prise sur le réel, ni l’histoire (qu’elle nie en la rejetant dans le passé) ni le présent, et elle ne laisse que des ruines derrière elle. De cette galaxie postmoderne seul Gilles Deleuze doit être sauvé. Leur échec est celui des sophistes de l’antiquité grecque. Dans ma critique du progressisme je me garde autant de la posture réactionnaire que des facilités passées de saison du postmodernisme (j’y récuse la notion de fin de l’histoire par exemple).

« Les utopies politiques ont conduit au crime, le capitalisme à la dévastation. Ce dernier est une révolution permanente sans plan ni projet, sans métaphysique structurante »

Le Progrès a défini la téléologie dominante de la modernité, avec une vision allant toujours vers un meilleur, voire un Éden ultime – le marché auto-régulé ou la réalisation des droits de l’homme chez les libéraux, la société sans classe et transparente à elle-même chez les marxistes – mais nous avons dépassé cette période, pour entrer en postmodernité (ou modernité tardive, liquide, etc. selon les auteurs). Le Progrès a subi les déconvenues du XXe siècle avec notamment la barbarie technicienne des deux guerres. Cette critique n’en est-elle pas devenue caduque ?

RR-ego.jpgCette croyance au progrès nous a rendu criminels et aveugles, criminels par aveuglement (le progrès est alors l’opium et l’ivresse de l’histoire) et dévastateurs pour la nature. Par sa faute nous avons confondu le ménagement du monde – le monde que l’on tient comme on fait le ménage, avec amour et précaution, “ménager” – et l’exploitation du monde, sa dévastation. Les utopies politiques ont conduit au crime, le capitalisme à la dévastation. Or, le capitalisme n’a pas besoin de la croyance métaphysique dans le progrès pour aller de l’avant. Il se peut se contenter d’ériger l’innovation, le mouvement, “le bougisme”, comme dit Taguieff en impératifs incontestables. Il est une révolution permanente sans plan ni projet, sans métaphysique structurante (à l’inverse des révolutions politiques d’obédience progressistes), une révolution pour la révolution.

On constatera cependant qu’alors même que la croyance au progrès est morte, que l’idéologie progressiste n’a plus cours, l’emprise de la technique, ce que Heidegger appelait le Gestell, l’arraisonnement de l’existence par la technique, son engloutissement par elle, s’accroît. Le progrès a disparu, mais l’instrument du progrès, la technique, triomphe.

Pierre-André Taguieff, qui a lui aussi beaucoup écrit sur la question – et vous a par ailleurs inspiré – propose de « penser une conception mélioriste du progrès comme exigence morale et raison d’agir ». Peut-on ré-envisager la notion de progrès à l’aune des désastres du XXe siècle (Hiroshima, la crise écologique, etc.) ?

Je me situe dans la lignée des travaux de Pierre-André Taguieff à qui je voue une très grande admiration. Sans son inspiration plusieurs de mes livres n’existeraient pas.

La mort du progrès signifie de fait la fin des finalités que nous appellerons “transcendantes”, qui transcendent l’existence hic et nunc de chacun. Bien entendu cela inclut la fin de la finalité politique, c’est-à-dire fin de la politique, car le capitalisme a finalement réalisé le slogan peint sur les murs en mai 68 et qui se voulait révolutionnaire, à savoir la « fin de la politique ».

Pourquoi la croyance au progrès s’est-elle perdue ? Il y a d’abord la banalisation des améliorations de l’existence, devant lesquelles nous ne savons plus nous émerveiller. Au milieu du siècle dernier, 65 ans était un bel âge pour mourir ; aujourd’hui, on tient sans s’en étonner, blasés, un décès à cet âge-là pour une injustice, un trépas de jeunesse. Cette banalisation (qui est un appauvrissement pour l’esprit) barre désormais la route à la généralisation métaphysique du progrès, à l’idée de progrès avec un “P” majuscule. Il y a ensuite les doutes sur la compatibilité entre les progrès techniques et la nature, autrement dit la fin du paradigme cartésien – pour Descartes, dans le Discours de la méthode de 1637, la science et la philosophie devaient nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Mais je crois que ce sont là des causes secondes. La cause première de la décroyance au Progrès est ailleurs. Elle est métaphysique et politique. Les régimes politiques promettant un avenir radieux, autrement dit le progressisme dans son expression politique, se sont révélés être totalitaires et sanguinaires, sans parvenir même à améliorer la vie matérielle aussi bien que le réussirent les régimes capitalistes. La connexion entre progrès techniques et accomplissement politique de l’humanité dans une cité prospère dénuée d’inégalités et d’injustices ne s’est pas faite. De même ne s’est pas faite la connexion entre progrès techniques et progrès moraux, qui était pourtant annoncée par les Lumières. L’époque de la « domination planétaire de la technique » (pour parler comme Heidegger) a aussi été celle des grands génocides, comme la Shoah, de la liquidation industrielle de millions de personnes. Mais surtout, l’histoire du progrès est l’histoire des promesses non tenues, qui étaient intenables. Cependant il y a aussi des aspects désastreux à la fin de la croyance dans le progrès. En particulier politiques.

Fin du progrès ne signifie pas que le progrès ne continue pas. Dieu continue bien de vivre après la mort de Dieu, mais sur un autre régime d’existence. Le progrès continue après la mort du progrès – mais il ne convainc plus, il n’enthousiasme plus, on ne croit plus en lui. Au contraire : il inquiète et terrifie.

« Le transhumanisme est un scientisme et un technicisme de la plus consternante naïveté. »

Vous avez écrit un livre sur le sport et ses impacts sur le corps humain ainsi que la vision de l’humain de manière générale. Vous parlez de créer un “homme nouveau”. Dans quelle mesure l’idéologie du Progrès peut-elle être reliée au transhumanisme et autres tentatives de dépasser notre condition humaine par la techno-science ?

RR-viv.jpgComme programme, le transhumanisme est une utopie post-progressiste qui ne conserve de ce progressisme que le fétichisme de la science et de la technique. La dimension morale, historique et métaphysique du progressisme est jetée par-dessus bord. De fait, le transhumanisme est un scientisme et un technicisme de la plus consternante naïveté. Il n’est que l’un des produits de la décomposition du cadavre du progrès, une sorte de jus de cadavre du progrès. Mais il est aussi une réalité sociale sous la forme d’un fantasme qui hante la médecine, le show-business, le sport. Peu à peu l’homme “naturel” est remplacé par un homme d’un type nouveau, indéfiniment réparable, dont les organes sont des pièces détachées remplaçables, dont le corps est entièrement composé de prothèses. Une figure du sport comme Oscar Pistorius peut être prise pour l’emblème de cette transformation anthropologique. Nommons egobody [ii] (l’être pour qui le moi, égo, est le corps technologiquement fabriqué, le body) cet homme nouveau. Nous sommes tous à des degrés divers en train de devenir des egobodys. Bien entendu l’immortalité est l’horizon d’un tel anthropoïde. Le sport en est l’atelier de fabrication le plus visible. Il s’agit bien plus que de dépasser la condition humaine ; il s’agit de changer la nature humaine elle-même. Ce processus est à l’œuvre sous nos yeux.

Nos Desserts :

Notes :

[i] Hegel, La Raison dans l’Histoire (1822-1830), Paris, 10/18, 1979, p.35.

[ii] Robert Redeker, Egobody, Paris, Fayard, 2010.

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lundi, 25 avril 2016

Grand entretien avec Gérard Chaliand

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Gérard Chaliand: «Nous ne sommes pas en guerre»

 pour Ballast

Ex: http://arretsurinfo.ch

Un petit appartement de la capitale. Aux murs : une carte du monde, des poignards et des objets rapportés de ses nombreux séjours à l’étranger. Gérard Chaliand a quatre-vingts ans mais ne les fait guère : il a déjà dix vies derrière lui. Géostratège spécialiste des conflits armés et poète, « aventureux » et enseignant, il milita clandestinement pour l’indépendance de l’Algérie, combattit en Guinée-Bissau aux côtés du leader révolutionnaire Amílcar Cabral, se rendit au Viêt Nam, dans les rangs communistes, tandis que le pays était sous les bombes nord-américaines, et participa aux écoles de cadres et à l’entraînement de certains mouvements de la résistance palestinienne. Une vie de terrain et d’écriture. Il revient tout juste d’Irak lorsque nous le rencontrons. Les Kurdes tentent de résister à Daech. Le géostratège ne mâche jamais ses mots : le verbe est coupant, cru, sans ornements. La violence n’est pas affaire de concepts mais d’armes et de sang : notre homme préfère parler de ce qu’il connaît. Quitte à heurter.


Entretien inédit pour le site de Ballast

L’expression « 
lames de fond » vous est chère. Vous revenez d’Irak et cela fait une quinzaine d’années que vous suivez la cause kurde : d’où vient cet intérêt spécifique ?

Il y a des dossiers que j’ai suivis davantage que d’autres. J’avais aussi été en Afghanistan de 1980 à 1982 puis de 2004 à 2011, chaque année. Au démarrage, c’est un peu le hasard : je me suis retrouvé à rencontrer l’émir Bedir Khan, le représentant des Kurdes en Europe, dans les années 1950. Je me suis ensuite intéressé à la révolte de Moustapha Barzani, en 1961, mais j’étais déjà engagé dans l’indépendance algérienne et les maquis de Guinée-Bissau. En 1975, lorsque les Kurdes ont commencé à être déportés par le pouvoir irakien, je suis revenu à cette cause et j’ai rencontré Abdul Rahman Ghassemlou, alors leader du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran : en 1980, il m’a invité et j’ai passé deux mois auprès de lui – il sera, plus tard, assassiné. En 1991, la question kurde est revenue à la une, lors de la tentative de renversement du régime de Saddam Hussein. Huit ans plus tard, on m’a demandé d’aller voir ce qu’il en était de cette zone autonome kurde : je suis rentré clandestinement par la Syrie, en passant par Palmyre. J’y suis retourné en 2000, 2001 et 2002, puis la guerre d’Irak est arrivée. Les Kurdes sont un peuple infortuné : ils n’avaient pas de tradition étatique, contrairement aux Turcs et aux Iraniens, et ils le paient toujours. En 1991, quand ils étaient mitraillés par Saddam Hussein, ils ont cependant eu la chance que les caméras occidentales soient sur place – les chiites du sud de l’Irak, qui s’étaient soulevés aussi, n’avaient pas de caméras : on les a écrasés. En 2003, les Américains ont commis l’erreur de déclarer la guerre à l’Irak : une erreur absurde, qu’ils continuent de payer, une erreur idéologique des néoconservateurs qui pensaient qu’ils allaient remodeler à leur guise le Moyen-Orient. Ils se sont trompés. Ils pensaient changer le régime en Iran, ça n’a pas marché ; ils pensaient forcer la main de Bachar el-Assad pour qu’il cesse d’aider le Hezbollah libanais, ça na pas marché ; ils ont essayé d’installer, soi-disant, « la démocratie » en Irak, ça n’a pas marché.

« Les Américains ont commis l’erreur de déclarer la guerre à l’Irak : une erreur absurde, qu’ils continuent de payer, une erreur idéologique des néoconservateurs. »

chaliand1xx.jpgJusqu’en 2007, la situation n’était pas fameuse pour les Kurdes d’Irak, d’un point de vue économique, mais ils ont eu l’idée d’exploiter le pétrole sous leur sol, n’en déplaise à Bagdad. Ils l’ont vendu aux Turcs – c’était le seul débouché géographique possible –, qui se montraient hostiles, au départ, avant de conclure qu’il s’agissait d’une bonne affaire car ils pouvaient effectuer de sérieuses économies en achetant le pétrole kurde à bon marché. Chaque camp y a trouvé son compte. Les Kurdes, au nord, ont cru qu’ils se trouvaient dans les Émirats ! Ils ont investi, construit – la corruption est venue avec, bien sûr. Ils se sont laissé aller ; ils ont oublié qu’ils étaient entourés d’États hostiles. Ils n’ont pas pris la mesure de la montée de Daech. Leurs combattants peshmergas avaient pris du gras : même pour fuir, ce n’est pas bon d’avoir du ventre ! Ils étaient mal entraînés, mal armés : ils avaient dépensé leur argent à bâtir des malls et des hôtels. Grave erreur ! Même les Suisses, qui sont dans un environnement plutôt sympathique, continuent d’avoir une arme à la maison et, jusqu’à 45 ans, font chacun quinze jours de service militaire. Quand Adolf Hitler s’est dit qu’il allait s’emparer de la partie germanique de la Suisse, ses généraux lui ont fait savoir que ce serait très coûteux de prendre la Suisse et qu’il serait mieux d’aller voir plus à l’est… Quand Daech, après Mosul, est monté jusqu’au Sinjar, les troupes kurdes ont pris la fuite. Ils ont reculé partout. Massoud Barzani a alors demandé aux Américains de les aider, sans quoi les Kurdes allaient tomber – il faut reconnaître ça aux Américains : ils ont la logistique et l’organisation, ils sont venus le jour même et ils ont stoppé l’État islamique. Les Kurdes d’Irak s’entraînent, à présent. Ils ont repris le Sinjar avec l’aide du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et des Unités de protection du peuple (YPG). Les YPG – des Kurdes de Syrie – sont les meilleurs combattants de la zone : ce sont des laïcs idéologisés. Ils sont donc prêts à mourir.

Vous avez déclaré que vous êtes favorable à la coordination internationale des frappes contre Daech. Que répondez-vous à ceux qui tiennent cela pour de l’ingérence et qui estiment que ça ne fera que renforcer les jihadistes, puisqu’ils n’attendent que ça pour légitimer leurs attaques ?

L’ingérence, on y est déjà ; je ne vois pas ce que ça change. Par contre, la question de savoir si l’ingérence, à la base, était une bonne idée, oui, elle se pose. Qu’est-ce qu’on est allés faire en Libye ? D’autant qu’on a violé le cadre fixé par le Conseil de sécurité des Nations unies. On a liquidé le dictateur. Si les Russes ou les Chinois l’avaient fait, qu’aurait dit l’Occident ? Que c’est dégueulasse et intolérable. Nous sommes des hypocrites, il faut le reconnaître. Il y en a marre du discours uni-dimensionnel, comme si tout ce que nous faisions était bien et que l’autre, qu’il s’appelle Poutine ou non, était un méchant. Nous sommes sur les listes de Daech et d’Al-Qaeda depuis des années – ils l’ont dit. Je suis donc favorable à une coordination (qui, soit dit en passant, existe déjà) et, même, pour du combat au sol en raids. Pas pour l’occupation de terrain. Daech n’est pas un mouvement terroriste ni un mouvement de guérilla : ils utilisent aussi le choc frontal, la bataille, c’est-à-dire la guerre classique. Quand l’adversaire est en face, prêt à mourir, avec 1 500 ou 2 000 hommes, je suis pour l’intervention de troupes spéciales – et qu’on en tue le plus possible.

Mais vous disiez en 2014, sur Europe 1, que vous étiez partisan d’une intervention au sol si, et seulement si, le régime d’el-Assad était menacé…

… Tout le monde a constaté que le pouvoir syrien était essoufflé. Et c’est bien pour cela que les Russes sont arrivés. Que fait-on avec Daech ? Ils sont très difficiles à contrôler ; il faut donc les affaiblir. Pourquoi ? Car les frapper et les affaiblir diminue leur aura et le nombre de jeunes hommes qui ont, chez nous et ailleurs, envie de s’enrôler. L’an passé, lorsque Daech a remporté des victoires sur le terrain, ça a été un appel d’air – qui se compte par milliers. Je n’ai pas dit que les frappes allaient tout résoudre, car on ne bombarde pas une idéologie. C’est une guerre d’usure, qui prendra du temps, puisqu’il n’y a rien à négocier : Daech ne met rien sur la table.

Le Dalaï-Lama vient pourtant de dire qu’il faut dialoguer avec eux.

(Il rit.) Ils veulent la victoire ou la mort. Donnons-leur la mort. Mais personne n’ose plus dire les choses clairement, de crainte d’être traité de je-ne-sais-quoi. Je me suis battu durant des décennies pour les luttes d’indépendance et de décolonisation : je ne vais pas me laisser terroriser par des petits cons qui n’ont jamais reçu la moindre gifle et qui ont peur de leur ombre.

Nos gouvernements, avez-vous dit, ont laissé la peur s’installer dans les têtes en diffusant jusqu’à plus soif les communiqués et les vidéos de Daech. Qu’aurait-il fallu faire ?

«Les médias nous pourrissent la vie avec leur audimat. Ils rendent service à Daech ; ils font leur propagande: si je relaie six fois un crime de guerre de l’ennemi, je lui rends cinq fois service.»

On ne montre pas en boucle, à la télévision, les images des cadavres et les familles, cousin après cousin, pour dire que les victimes étaient formidables. On dit qu’un bus a sauté et qu’il y a quinze morts ; point final. L’autre jour, je suis passé à la pharmacie et la pharmacienne me disait que les clients défilent, depuis le 13 novembre, pour prendre des calmants. Les gens se demandent ce qui va se passer ; ils ont peur. Les médias nous pourrissent la vie avec leur audimat. Ils rendent service à Daech ; ils font leur propagande : si je relaie six fois un crime de guerre de l’ennemi, je lui rends cinq fois service. C’est la société du spectacle. C’est minable. Mais, non, contrairement à ce que raconte Hollande, nous ne sommes pas en guerre : une guerre, ce serait comme ça tous les jours ; on est dans une situation conflictuelle. Le vieux Aron avait trouvé la seule formule intelligente qui soit, à propos du terrorisme : « Peut être considéré comme terroriste toute action dont l’impact psychologique dépasse de très loin les effets proprement physiques. ». Le tam-tam autour des 3 000 morts du 11 septembre ! Pendant des semaines ! J’enseignais à Singapour l’an passé et j’ai demandé à mes élèves quel était l’évènement le plus important de ces quinze dernières années : « Nine eleven ! » Ça ne va pas la tête ? C’est la Chine, partie de presque rien et devenue numéro 2 mondial !

Vous citez Aron, sur le terrorisme. Alain Gresh, du Monde diplomatique, avance que c’est une notion inopérante car elle recouvre absolument tout et son contraire. Comment pourriez-vous le définir ?

chaliand2xx.jpgAron a tout dit, mais je n’oublie pas que le terme « terreur » rentre dans l’Histoire comme terreur d’État. C’est 1793 et Robespierre. Le nazisme a été une terreur d’État, tout comme le stalinisme. La Turquie la pratique et, en face, le PKK mène une guérilla qui a recours à des méthodes à caractère terroriste. Daech, dit-on, est un mouvement « terroriste » ou « nihiliste» : c’est faux. Ce sont des révolutionnaires. Je parle ici en observateur froid, sans jugement de valeurs. Comment s’emparer du pouvoir ? Mao répond : il faut mobiliser les masses. Il faut des cadres qui se rendent dans les villages et expliquent les raisons et les détails de la lutte. Pourquoi, comment, qui est l’ennemi ? À travers un processus de persuasion/coercition, ils vont l’emporter. Ce n’est pas le contrôle du territoire qui compte : voilà des années que les talibans rendent la justice dans les villages afghans. C’est eux, l’État. En cas de différend avec un voisin, à cause d’une terre, on va voir le taliban, et il tranche. Daech n’est pas que le tas d’imbéciles que nous pensons : il y a des gens qui pensent. En Irak, ils dispensent de l’électricité, des soins sociaux, gèrent des écoles. Ils bourrent le crâne des plus jeunes, qui les voient puissants, armés, bien habillés, prestigieux. Même si on écrase Daech, tout ceci restera dans la tête de ces enfants. C’est un mouvement révolutionnaire qu’il ne faut pas sous-estimer. En Afrique noire, nous aurons, dans l’avenir proche, à faire face à d’autres situations de ce type : la population africaine est en train de doubler. Qui va leur trouver du travail et les instruire, alors que tout ça fait déjà défaut à l’heure qu’il est ? Il y aura une population très jeune, composée de beaucoup d’hommes, totalement désœuvrée et dans l’incapacité de franchir les frontières européennes par millions. L’islamisme sera la solution. Une arme et la possibilité de tuer de « l’autre ».

Dans votre Histoire du terrorisme, vous expliquez que le terrorisme islamiste n’aura, avec le recul, pas plus d’incidence sur l’Histoire que les attentats anarchistes du XIXe siècle. Pourquoi tant de gens redoutent-ils une guerre mondiale ou voient-ils dans tout ceci une catastrophe inédite ?

Parce qu’on est dans l’inflation verbale. Il faut en finir avec notre époque de l’adjectif. Je n’ai pas besoin de dire que c’est « ignoble », ce qu’ils font. Trouvez-vous normal que le président de la République se déplace et déclare que la France est en deuil suite à l’accident d’un autobus, qui a fait 43 victimes ? Où est-on ? Et le Bataclan, c’est Verdun ? On est devenus d’un mou… On est dans la victimisation permanente. Nous n’avons plus aucun sens commun.

L’idée que des opérations de guerre puissent avoir lieu sur notre sol a traumatisé plus d’une personne de notre génération. Comme si « la guerre » était quelque chose de lointain, qui ne nous concernait pas…

« Même si on écrase Daech, tout ceci restera dans la tête de ces enfants. C’est un mouvement révolutionnaire qu’il ne faut pas sous-estimer. »

En 1961, durant la guerre d’Algérie, nous étions dans une situation qui frisait la guerre civile. C’était une partie à trois : l’OAS, qui voulait assassiner de Gaulle (ils l’ont raté deux fois), les barbouzes gaullistes et le FLN. Il y avait des parpaings élevés à hauteur d’homme devant les commissariats. Ça n’a pas empêché les gens d’aller en boîtes de nuit et de s’amuser. Trente ans plus tard, durant la guerre du Golfe, il n’y avait personne dans les rues. Des gens achetaient de l’huile et du riz pour faire des réserves. En France ! En l’espace de trente ans, les gens se sont ramollis. Ils ont peur. Mes compatriotes, dans l’ensemble, ont peur de tout. La tragédie ne se passe pas qu’à la télévision, chez les autres.

Et que pensez-vous du fameux « choc des civilisations » ?

Il a déjà eu lieu. Au XIXe siècle, lors de l’irruption brutale de l’Europe dans le monde afro-asiatique.

Vous avez fait savoir que vous aviez la plupart du temps éprouvé de l’empathie pour les minoritaires et les maquisards que vous suiviez, mais jamais pour les combattants islamistes. Pourquoi ?

Je les ai connus en Afghanistan : ça n’a pas accroché, d’un côté comme de l’autre. Les hommes de Gulbuddin Hekmatyar étaient odieux. Un mouvement qui aspire à l’émancipation et à la liberté, bien sûr ; mais un mouvement qui veut imposer sa loi à tous les autres, je ne vois pas au nom de quoi j’irais leur prêter main forte.

Le socialisme révolutionnaire armé n’était pas tendre non plus, et vous y avez cru.

«Je n’ai pas le goût des appareils. J’aime bien penser librement, et j’aime le terrain.»

chaliand3xxx.jpgOn y a cru. On pensait que c’était une avancée. Que la dictature d’une majorité sur une minorité serait un progrès. Il y a eu du monde, en effet, pour mourir au nom du marxisme-léninisme. Il faut des temps d’apprentissage, et je ne prétends pas toujours avoir eu raison. Il faut se déniaiser. Prenez le Rojava, en Syrie. Je viens de passer une dizaine de jours avec eux. Ils expliquent qu’ils fonctionnent de façon totalement démocratique, que les hommes et les femmes sont égaux et que les minorités sont protégées. Si c’était la première fois que je l’entendais, bien sûr que je serais très enthousiaste. Mais j’ai déjà entendu ça aux côtés du Front populaire de libération de l’Érythrée, avec les Tigres Tamoul et dans leSentier lumineux, au Pérou. Je sais par expérience que ce type de discipline conduit, en général, à un État de type totalitaire. Oui, les hommes et les femmes sont égaux au Rojava, mais sous la forme d’un couvent militarisé. Il en va de même pour les « fronts » : en Algérie comme au Viêt Nam, c’est très bien au début, puis toutes les petites franges qui le constituent sont écrasées, une fois le Front parvenu au pouvoir. C’est comme ça. En attendant, les Kurdes du YPG se battent bien, et ce sont nos alliés.

D’où votre volonté de marginalité, présente dans vos écrits, de « cavalier seul », de « franc-tireur ». D’où votre refus d’être au Parti communiste, dans votre jeunesse.

Oui. Je n’ai pas le goût des appareils. J’aime bien penser librement et j’aime le terrain.

Vous portez un regard très critique sur Mai 68. Sur quels points, notamment ?

C’était un mouvement multiforme, avec des agendas totalement contraires. Politiquement, on militait pour ce que Prague rejetait à la même époque. On rêvait d’un « socialisme à visage humain » quand les autres avaient déjà donné ! Les trotskystes, c’était « radio nostalgie » ; les maoïstes, c’était « raconte-moi une histoire formidable : jusqu’à quel point va-t-on bâtir l’utopie ? ». Au-delà de ce qu’il y a eu de sympathique (la libération sexuelle, notamment), j’ai beaucoup de mal avec ce qui a accompagné ce moment : en faire le moins possible, « s’éclater »… Se saouler à la bière et prendre quelques « tafs », c’est ça, la vie ? Le monde est vaste… Cherche, comprends. C’était un mouvement décevant – Castoriadis, Edgar Morin et Claude Lefort en ont bien parlé. Rien de grand n’a été fait depuis ; rien de grand n’est sorti de cette « génération 68 ». J’aime assez l’esprit protestant : on manque de rigueur éthique. Qu’un type comme Sarkozy puisse oser se représenter, c’est effarant – dans n’importe quel pays protestant, on le sortirait. Tout juste si on ne continue pas d’admirer Bernard Tapie ! Nous sommes des enfants gâtés. Il y aura des émeutes dans les prochaines années. La peur va dominer ; les déchirements communautaires vont s’accentuer au quotidien – à partir d’un incident, avec quelques morts qui seront instrumentalisés par ceux qui souhaitent activement creuser un fossé social et religieux.

Vous dénoncez souvent l’idéologie dans vos livres, mais l’idéologie ne permet-elle pas, dans une certaine mesure, de structurer une pensée et de tenir tête au cynisme, au à-quoi-bon ?

« Qu’un type comme Sarkozy puisse oser se représenter, c’est effarant – dans n’importe quel pays protestant, on le sortirait. »

Si, c’est indispensable. Je vois très bien ce que l’idéologie transporte comme mythologies mais j’admets qu’on ne peut pas faire sans. Qui, autrement, peut tenir pour un principe, une idée ? Qui peut décréter qu’il ne cédera jamais, sans ce moteur, sans y croire ?

Vous êtes nostalgique de cette époque, celle du socialisme international ?

C’est fini ; c’est une page tournée. C’est comme l’amour qu’on a porté à une femme : on continue d’avoir de la tendresse pour elle mais on sait que cette passion-là est finie.

Vous pointez une sorte de paradoxe : nous sommes saturés d’informations tout en manquant cruellement d’analyses. Il y a, dites-vous, deux éléments clés pour tout comprendre : la mémoire collective et le passé. Comment résister au zapping, au tout-présent ?

C’est difficile… Parmi mes élèves, je vois ceux qui avalent et ceux qui pensent avec esprit critique. J’essaie de développer cette pensée chez eux. Avec des choses simples, a priori : un État démocratique est-il démocratique à l’extérieur de ses frontières ? Est-ce que ce ne sont pas ses intérêts qui priment davantage que ses principes ? Pourquoi parlent-ils de « morale » ? Les États sont des monstres froids. Nous n’avons que le plaisir amer de n’être pas dupes. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : l’esprit critique sera toujours le fait d’une minorité. Il faut travailler, lire, connaître les traditions. Quand les Américains débarquent en Irak ou en Afghanistan, ça se solde toujours par des échecs politiques ; pourquoi ? On ne peut pas prétendre se battre pour la liberté d’un peuple dont on ne connaît ni les traditions, ni la culture, et dont on soutient un gouvernement corrompu et impopulaire. C’est simple, non ? Robert McNamara, l’un des architectes de la guerre du Viêt Nam, a déclaré en 1995 qu’il ne savait rien de ce pays, avant d’ajouter qu’il a sans doute eu tort de n’en connaitre ni la culture, ni les traditions. Il lui aurait fallu lire Bernard B. Fall, qui est mort en marchant sur une mine tandis qu’il enquêtait sur place – c’est-à-dire en faisant son travail. Fall avait compris que les combattants vietnamiens n’étaient pas des « bandits », mais des communistes et des nationalistes qui se battaient, avec le soutien des populations rurales, contre un gouvernement impopulaire corrompu et tenu à bout de bras par des étrangers. Si on ne sait pas ça, on perd son temps.

Vous lisez la presse ?

« On se paie notre tête ! Ce dont je me méfie le plus, au fond, c’est la propagande de notre camp. »

chaliand4xx.jpgPeu. Je la lis surtout en anglais. Nous nous sommes provincialisés : la France ne couvre presque plus, par exemple, ce qui se passe entre l’Inde et le Japon. La presse française est européo-africaine – notre limite extrême, c’est l’Iran. Je regarde parfois Le Monde et je suis abonné à The Economist – c’est un journal de droite, mais il est bien ficelé : ils n’ont pas perdu le sens des rapports de force, qu’on soit d’accord ou non. Même s’ils se fichent de nous en décrivant Jabhat al-Nosra comme une « opposition force » selon la presse anglo-saxonne : ce groupe serait devenu halal, après avoir été haram, depuis que Daech est arrivé ! On se paie notre tête ! Ce dont je me méfie le plus, au fond, c’est la propagande de notre camp. Je préfère les livres. Et quelques revues – comme Conflits : c’est une très bonne revue de stratégie ; c’est froid, factuel.

Les livres, justement. Vous décrivez, dans Le Regard du singe, le livre comme un objet « sacré ». Quelle évolution avez-vous pu noter, au fil de votre vie, quant à sa place dans la société ?

Contrairement à une idée répandue, il n’y a jamais eu beaucoup de lecteurs. J’avais connu André Bay, qui dirigeait une collection chez Stock et avait été à la revue NRF dans les années 1930. Il m’avait dit qu’ils la vendaient à 2 000 exemplaires ! La revue la plus prestigieuse de l’époque ! Avec Gide, Malraux, Claudel… On a toujours ces 2 000 lecteurs pointus. Ce que je vais dire n’est pas original, mais l’apparition, chez les jeunes, des smartphones et des tablettes a fait chuter la lecture. J’ai demandé à un jeune les raisons pour lesquelles il ne lisait pas ; sa réponse : « Ça prend trop de temps. » Sans commentaire. Je lis quatre à six livres par semaine. Je m’ennuie, sans. J’étais coincé à l’aéroport d’Istanbul il n’y a pas très longtemps : douze heures d’attente. J’ai acheté deux livres et j’ai écrit un poème. Le temps mort est vivant, ainsi. Pendant que je donne des cours, des élèves sortent subrepticement leur téléphone ! Je leur demande s’ils sont amoureux : « Non ? C’était pourtant ta seule excuse ! » (rires) Il faudrait les confisquer. À un autre, j’ai demandé : « C’est qui, le maître, ton téléphone ou toi ? » Il ne savait pas… (rires) On a baissé, côté esprit critique : on est dans une époque où on ne juge pas du propos mais de l’opinion politique de celui qui le porte : ce n’est pas juste ou faux, c’est bien ou mal en fonction de l’idéologie. À part sur quelques sujets fondamentaux, je ne m’occupe plus de ces clivages pour penser. Entre démocrates et républicains, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Un professeur d’histoire formidable m’avait dit, élève, une chose qui m’avait marqué: « Rappelez-vous, Chaliand, que la proportion des médiocres dans les élites est la même qu’ailleurs. »

Vous vous présentez volontiers comme un « aventureux ». Un jour, un journaliste a demandé à Régis Debray s’il se définissait ainsi, s’il était parti en Bolivie et à Cuba par goût de l’aventure : il a reçu le mot comme une offense. Il opposait le révolutionnaire à l’aventurier.

« Il faut savoir ce qu’est la tragédie pour en parler : ce qu’elle contient de sang, de chair, de souffrances, de capacité à endurer… »

chaliand5xxx.jpgL’aventurier, dans les milieux bourgeois, signifie que la personne n’est pas très recommandable. Un peu filou, pas fiable. L’aventurier, c’est celui qui accepte l’aventure et ses risques – le contraire de l’esprit de sécurité. J’aime mettre ma vie en jeu (mais pas bêtement) ; je n’aime pas les gens pour qui « la violence » n’est qu’un concept. Il faut savoir ce qu’est la tragédie pour en parler : ce qu’elle contient de sang, de chair, de souffrances, de capacité à endurer…

… Ce que vous appelez « le savoir de la peau ».

C’est ça. C’est irremplaçable.

Vous parlez des milieux bourgeois ; mais l’aventurier est mal vu, aussi, dans les milieux politiques radicaux : on peut le considérer comme un mercenaire sans foi ni loi.

Il fait électron libre. Pas tenu par « la cause ». Pas assez « militant ». Eh bien, tant pis ! Les militants sont toujours déçus, alors que l’aventure ne déçoit jamais. Voyez George Orwell : il a été militant et aventureux dans sa vie ; il est rentré déçu d’Espagne, puis son plaisir, comme écrivain, fut d’être lucide. Dire la réalité. J’aime beaucoup ses écrits politiques.

Vous avez lu Nietzsche et vous évoquez souvent le caractère « tragique » de l’existence. À quel moment la lucidité tragique devient-elle un fatalisme ? À quel moment le « réalisme » bascule-t-il dans l’acceptation du cours des choses ?

Le fatalisme, c’est n’être responsable de rien. Tout serait tracé d’avance. C’est arrivé car « ça » devait arriver – au Moyen-Orient, je le vois souvent, et Dieu expliquerait tout. Le tragique n’empêche pas le libre arbitre. On doit pouvoir diriger sa vie comme faire se peut – même si nous n’avons pas prise sur tout.

Vous êtes ami avec l’écrivain et marin Patrice Franceschi – vous avez même écrit plusieurs livres ensemble. Arrêtez-nous si nous nous trompons : tout en maintenant l’impératif de lucidité, Franceschi paraît moins sombre que vous, plus idéaliste…

«On ne fait que patauger dans les caillots de l’Histoire. Tout n’est que bain de sang. Notre monde est atroce.»

Ça doit être les vingt ans qui nous séparent ! La vie est tragique, c’est net. Vous le savez peut-être : à la fin, elle finit mal. (rires) On ne veut plus le voir. L’Occident ne veut plus mourir. Voilà – on y revient – pourquoi tout le monde a peur de tout dans notre société ! Un jihadiste, c’est quoi ? Un gars entre 18 et 35 ans. Un jihadiste de 50 ans, ça n’existe pas : il est patron. Ce sont les enfants-soldats les pires : ils se croient immortels et tirent sur tout ce qui bouge. Les plus âgés se demandent s’ils ne pourront pas se servir des prisonniers ou en tirer de l’argent. La jeunesse compte beaucoup pour comprendre Daech… On ne fait que patauger dans les caillots de l’Histoire. Tout n’est que bain de sang. Notre monde est atroce. Je ne retiens qu’une seule chose, au fond : il ne faut jamais être vaincus. Tout le reste, c’est de la littérature – et nous l’oublions, en France. Le vainqueur, si tu es marié, va violer ta femme devant toi, et si tu protestes, il va égorger ton enfant. Le vainqueur, qui n’était rien et répétait « oui, chef » il y a peu, devient Dieu avec une arme dans les mains. La seule chose qui limite la torture, c’est l’imagination des hommes. Sans cela, tout est possible, la pire des cruautés. J’ai connu des officiers qui ont vu des Croates énucléer des Serbes à la cuillère. Voilà, c’est comme ça. Disons que je suis un optimiste physiologique mais un pessimiste historique. C’est ma santé qui me sauve.

La poésie occupe une place importante dans votre vie. Ce qui peut surprendre certains, peut-être, avec l’image terre-à-terre et rugueuse que vous pouvez renvoyer et celle, plus intimiste et sensible, qu’incarne souvent la poésie.

J’ai écrit trois ou quatre livres importants, politiquement. L’Atlas stratégique était une grande nouveauté, en 1983 : aujourd’hui, tout le monde en fait. Personne n’a fait mieux, depuis, que l’Anthologie mondiale de la stratégie que j’avais publiée. En 1976, avec Mythes révolutionnaires du tiers monde, j’ai été un des premiers à dire de l’intérieur que le « tiers-mondisme » ne marcherait pas comme prévu et qu’il ne suffit pas de mener une guerre juste pour la gagner. J’ai écrit Mémoire de ma mémoire, en prose poétique, sur ma famille et le génocide des Arméniens – mais sans esprit victimaire ! Je ne le supporte pas. Ça a été lancé après ce qui est arrivé d’atroce à la communauté juive et, ensuite, tout le monde s’est précipité pour réclamer son dû victimaire. C’est à qui sera le plus une victime, maintenant ! Tu te présentes comme une victime (il mime une poignée de main) et on te répond : « Ah oui ? C’est très bien ! » Il n’y a rien de pire. Mais la poésie, c’est ce qu’il y a de plus formidable. Je peux vous en lire un bout. (Il se lève et cherche les derniers poèmes qu’il a écrits : il en lit deux, l’un sur la condition des femmes dans les sociétés traditionnelles, l’autre sur l’esprit de vengeance… « Chaque aurore ramène le même labeur sans joie : puiser l’eau, chercher du bois, cuire, tisser, élever les enfants qui survivent, travailler la terre / Dans un temps immémorial et comme arrêté que les jours et les nuits ne peuvent mesurer »… « On tue et on se tue pour elles à cause de leurs ventres et de leurs yeux »… « Elles enfantaient jusqu’à l’usure et la mort, mais on les voulait à jamais prisonnières »…) En dehors de quelques livres – Guerre du Péloponnèse de Thucydide, La Muqaddima d’Ibn Khaldounou De la démocratie en Amérique de Toqueville –, la seule chose qui reste, c’est la littérature. Homère, Madame Bovary, Anna Karénine ou Richard II de Shakespeare, ça dépasse toutes les analyses politiques. L’œuvre d’art dépasse tout – sauf le génie, comme Aristote ou Kautilya

Quand on se penchera sur votre œuvre, plus tard, il faudra donc considérer vos analyses géostratégiques et vos poèmes comme un tout ?

Oui.

Finissons sur une dernière question qui en comprend trois : nous vous donnons deux noms et vous nous dites lequel vous tient le plus à cœur…

… Je vous coupe. Dans un journal américain, on avait proposé deux portraits anonymes : un dirigeant qui ne fume pas, qui aime les animaux et est monogame ; un autre, connu pour être coureur, qui fume beaucoup et se saoule comme jamais. Avec comme question : « Lequel préférez-vous ? » Les gens ont répondu le premier, l’écolo… Donc Hitler plutôt que Churchill ! (rires)

Vous allez voir, ça fait sens avec votre parcours. Yasser Arafat ou Georges Habache ?

« Pourquoi le capitalisme fonctionne ? Car il dit aux gens de s’enrichir et de consommer le plus possible : ça plaît à l’espèce humaine. »

Habache. C’était un homme qui ne maniait pas la duplicité du politicien. J’ai rencontré Arafat à trois reprises et je n’ai jamais eu la moindre sympathie pour lui. Habache était authentique et courageux. Arafat était un tacticien malin ; Habache un honnête homme, sans génie mais au service d’une cause – même s’il s’est trompé : il a contribué à couper la résistance palestinienne de sa base, qui était la Jordanie.

Amílcar Cabral ou Ernesto Guevara ?

Cabral, de loin. Guevara était une belle figure mais un homme particulièrement autoritaire. À Alger, j’avais demandé à son entourage, lorsqu’il était de passage, comment ils le trouvaient. Réponse : « Implacable. » À Cuba, comme ministre de l’Économie, il estimait que la morale révolutionnaire suffisait. Non. Pourquoi le capitalisme fonctionne ? Car il dit aux gens de s’enrichir et de consommer le plus possible : ça plaît à l’espèce humaine. Guevara était un idéologue et un mauvais stratège : sa théorie du foco, que j’avais critiquée à l’époque, conduisait nécessairement au fiasco. Mais il avait pour lui un grand courage et le fait d’être prêt à mourir – il a transformé son échec en victoire, c’est-à-dire en mythe. Cabral n’était pas un homme aux gestes spectaculaires, même s’il était parvenu à faire reconnaître l’indépendance de son pays avant de l’avoir arrachée. Dommage qu’il ait été assassiné… Il avait le sens des rapports de force, l’intelligence, l’ouverture ; il était poète. Il avait beaucoup de qualités.

Blaise Cendrars ou Vladimir Maïakovski ?

(Il sourit puis marque un long silence.) J’ai connu le grand amour de Maïakovski, Lili Brik, en 1976. Nous étions dans une datcha. Elle avait une grâce d’oiseau. Elle ne l’avait pas oublié. Un homme qu’on n’oublie pas près de cinquante ans après sa mort, ce n’est pas rien : ça compte. Les histoires d’amour inoubliablement vôtres… J’aime certains des poèmes de Maïakovski, même s’il utilise un peu trop de cuivres à mon goût – un peu comme Saint-John Perse. Il a cru à la révolution, sincèrement, mais il a compris qu’il y avait maldonne. Il a écrit dans son ultime poème : « La barque de l’amour s’est brisée contre la vie courante. » Voilà un homme qui avait du savoir-vivre… et du savoir-mourir. La belle mort est un art perdu, dans nos sociétés. On ne sait plus se suicider lorsque l’affaire est close. En ça, Maïakovski me plaît. Cendrars, c’était un type formidable pour l’adolescent que j’ai été. Plein d’énergie. Ce n’est pas un grand écrivain mais il a écrit un très grand poème, « La Prose du Transsibérien ». « En ce temps-là, j’étais en mon adolescence / J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance / J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance / J’étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares / Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours » C’est très beau. Je lui garde toute ma tendresse. Et même s’il a un peu fabulé, il donne le goût du large.

Par Stéphane Burlot, pour Ballast