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lundi, 31 août 2009

Bulletin célinien: spécial Pol Vandromme

Le Bulletin célinien

Sortie du Bulletin célinien n° 311, septembre 2009,

numéro spécial consacré à Pol Vandromme (1927-2009)

Au sommaire :
* Marc Laudelout :
Bloc-notes
* Jacques Aboucaya : Un spadassin des lettres
* Christian Dedet : Le plus germanopratin des grands écrivains belges
* Jean-Baptiste Baronian : Pol Vandromme : au bonheur des humeuristes
* Marc Laudelout : Entretien avec Pol Vandromme
* Marc Hanrez : Pol
* Bouquet d'hommages à Pol
(Jean Bourdier, François Cérésa, Christian Authier, Laurent Dandrieu, Michel Mourlet, Pascal Manuel Heu, Frédéric Saenen, Christopher Gérard)
* Frédéric Vitoux : Hommage à Pol Vandromme



Hommage à Pol Vandromme

Le Bulletin célinien n°311, Septembre 2009 : Quoi de plus naturel que de rendre hommage à Pol Vandromme qui nous a quittés au printemps ? Il fut l’un des premiers à signer une monographie sur Céline auquel il consacra, par ailleurs, trois autres essais que j’ai édités jadis sous l’égide de La Revue célinienne. Le premier, Robert Le Vigan, compagnon et personnage de L.-F. Céline, parut en 1980. Pol avait alors l’âge que j’ai aujourd’hui. Que l’on m’autorise cette confidence personnelle : le jeune homme que j’étais fut à la fois éberlué et ébloui de se voir proposer par ce grand critique l’édition de son prochain livre. Perplexe aussi car il ne connaissait alors rien à l’édition. Sans doute l’auteur ne fut-il pas mécontent de son éditeur néophyte puisqu’il lui confia le soin d’éditer deux autres livres sur le même sujet : Du côté de Céline, Lili (le premier livre consacré à Lucette) et Marcel, Roger et Ferdinand (sur les relations croisées entre Marcel Aymé, Roger Nimier et Céline). Devaient suivre un livre sur Brassens, un pastiche (célinien), deux pamphlets politiques et la réédition de son unique roman, Un été acide. Oui, Pol est le seul auteur dont j’ai édité huit livres !

Ce fut le début d’une belle amitié qui se manifestait surtout par de longues conversations téléphoniques : Pol Vandromme aimait à me lire des pages de son prochain livre ou commenter l’actualité. Le plus exaltant pour moi était de l’entendre évoquer l’histoire littéraire ou politique de l’avant-guerre à aujourd’hui. Son immense culture et son goût littéraire très sûr avaient assurément de quoi fasciner le béjaune de trente ans son cadet.

Dès le début de sa vie journalistique, Vandromme défendit Céline écrivain. Vint, quelques années plus tard, ce petit essai paru dans une collection consacrée aux « classiques du XXe siècle ». « Quelle était en 1963 la situation de Céline ? », se rappelait-il. « En gros, celle-ci, auprès de l’opinion dominante : ce ne pouvait être un grand écrivain parce que c’était un salaud. Quand Céline fut pris en charge par les glossateurs universitaires qui l’admiraient en linguistes pédants, on recourut au subterfuge d’un manichéisme spécieux : il ne cessait pas d’être un salaud, mais on consentait à reconnaître qu’il ne l’avait pas toujours été, du moins dans son œuvre. Il y avait donc le bon Céline, celui du Voyage et de Mort à crédit, et le mauvais, celui de Bagatelles pour un massacre et de L’École des cadavres. » Précisément, sur ces écrits appelés improprement « pamphlets », Pol donna, la même année, une interprétation originale aux « Cahiers de l’Herne » créés par Dominique de Roux (1).

Celui-ci affirmait qu’il n’existe que trois catégories de critiques : ceux qui ne savent pas lire, ceux qui ne savent pas écrire, et ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Pol Vandromme, lui, appartenait à la quatrième : ceux qui savent à la fois lire et écrire. Il nous laisse une impressionnante somme d’essais où l’analyse littéraire prédomine. Mais il est aussi l’auteur de livres plus personnels comme ses souvenirs de jeunesse, puis de journaliste, et des évocations, souvent lyriques, de ce pays hennuyer qu’il a tant aimé (2).
Que ce numéro du BC à lui entièrement consacré suscite le désir de découvrir son œuvre vaste et multiple. Elle le mérite assurément.

Marc Laudelout

Notes
1. « L’esprit des pamphlets », L’Herne, n° 3, 1963, pp. 272-276.
2. À ceux qui ne connaissent pas cette partie de son œuvre, il faut conseiller la lecture d’Une mémoire de Wallonie. Mon pays d’hier à demain (Éditions Racine, 1996), Bivouacs d’un hussard (La Table ronde, 2002), Un garçon d’autrefois. Souvenirs de jeunesse (Éditions du Rocher, 2003) et Libre parcours (Éditions du Rocher, 2005).




Le Bulletin célinien
BP 70

B1000 Bruxelles 22.


Ce numéro, entièrement consacré à Pol Vandromme, 6 €
Chèque à l’ordre de M. Laudelout.

Du pouvoir parisien et de sa dérive gauche

Du pouvoir parisien et de sa dérive gauche

090810À partir des années 1970, le modèle réussi du Sunday Times a incité de nombreux quotidiens européens à faire semblant de copier sa formule. Ils ont créé des suppléments hebdomadaires d'un bonheur inégal. Vendus par une formule de carte forcée, alourdissant le prix du titre et augmentant artificiellement le chiffre d'affaires des entreprises de presse, ils n'ont que bien rarement développé l'audience de leurs supports de références.

On les lit en effet de manière généralement aléatoire. Ils traînent dans les salles d'attente, au gré des salons de coiffure, au hasard des banquettes arrière. Parfois un titre aguichant dissuade de les jeter définitivement. Ainsi le dernier supplément de "La Repubblica" (1) était-il intitulé "Souvenir d'Italie". On ne pouvait se résoudre à ne pas le feuilleter.

Or, une fois tournées les pages consacrées aux "trésors gastronomiques" de la Péninsule, une petite truffe attirait l'attention. On tombait en effet en pages 40 à 44 sur un amusant article consacré à la France. L'auteur, Marco Cicala, y décrit, et cherche à expliquer au public transalpin, ce qu'il appelle la "dérive gauche" du pouvoir présidentiel parisien. Le jeu de mot, imprimé dans notre langue car intraduisible dans celle de Dante Alighieri, ainsi que les nombreuses formules "en français dans le texte", nous console de la disparition ordinaire et non moins désolante de l'intérêt de la Botte pour l'Hexagone. Le texte lui-même, ramène presque ainsi la politique de notre pays au rang de la comédie de boulevard, c'est-à-dire très au-dessous de cette comedia dell'arte du XVIe siècle dont dérivera le théâtre français.

L'explication donnée fait certes sourire : "cherchez la femme".

Mais précisément de quoi s'agit-il ? En médaillon, sous le titre "ont-ils été choisis par elle ?" on aperçoit quelques personnages :
- Frédéric Mitterrand "nommé ministre de la Culture, il a dit : Sarkozy m'a connu grâce à Carla".
- Philippe Val "Suspecte également la nomination du gauchiste Val à la tête de la radio d'État France Inter".
- Maurice Karmitz "ex-maoïste dirige le Conseil pour la Création artistique, toujours, dit-on à Paris, par la grâce de Carla".
- Cesare Battisti "à l'affaire de l'ex terroriste tient beaucoup Valeria, la sœur de Carla, qui cependant nie toute ingérence". [Rappelons ici que la protection accordée à ce personnage scandalise nos voisins et amis].

Voilà qui trouble, à première lecture. Mais peut-on vraiment en déduire, pour citer La Repubblica que "ce couple étrange, elle 42 ans, lui 54 ans, qui se sont mariés à l'Élysée le 2 février 2008", gouvernerait désormais dans un sens contraire à celui promis aux électeurs en 2007, simplement parce que Carla Bruni serait "épidermiquement de gauche" [ces guillemets correspondent en français aux citations du journal].

Ceci nous semble bien superficiel, et presque optimiste. L'avis sollicité de Laurent Joffrin directeur de Libération, qui ne passe pourtant pas pour une lumière, se révèle ici plus mesuré : "Carla Bruni ne conditionne pas les choix politiques de son mari, mais elle l'a transformé mentalement".

Malheureusement d'autres influences, moins gracieuses, orientent dans un sens plus socialiste la politique étatique subie par la France. Certes un Philippe Val réussira peut-être à faire la radio d'État France Inter encore plus basse, encore plus cégétiste et encore plus démago. On apprécie l'exploit à l'avance. M. Jacques Attali, auteur du programme de 300 réformes, ou M. Henri Guaino, inspirateur des discours économiques, n'ont pas attendu le remariage du chef de l'État pour exercer leur nuisance. L'ouverture à gauche, la réconciliation avec ce que représente M. Bernard Tapie, le recrutement de quelques transfuges impénitents du parti socialiste encore moins. Le pouvoir actuel représente une sociale démocratie moins délirante que celle de Mme Royal, et moins acoquinée avec les rogatons du communisme que Mme Aubry. Vaguement tenu par deux ou trois promesses, il a paru clairement, et raisonnablement, "moins pire" en 2007, à 53 % des électeurs et le semble encore. Mais il ne représente ni la droite, ni la liberté, ni l'identité de la France, et certainement pas la fin du fiscalisme.

La question : "faut-il regretter Cécilia ?" n'intéresse que les lecteurs de Gala. La personnalité de l'épouse du président, fût-elle réputée proche de la gauche caviar, ne devrait pas voiler la réalité aux compatriotes de Gramsci. Le pouvoir culturel en France appartient à un secteur de l'opinion coupé du peuple, et cela ne date pas de février 2008.

Arlequin n'a pas attendu Colombine pour maintenir à 54 % de la richesse nationale le niveau de la dépense publique.

Apostilles

  1. "Il Venerdi di Repubblica" numéro 1116 du 7 août 2009

JG Malliarakis

samedi, 29 août 2009

Brief Guillaume Fayes an seine Freunde (1987)

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Brief Guillaume Fayes an seine Freunde (1987)

Liebe Freunde,

 

Als Kadermitglied und Funktionär des GRECEs seit 17 Jahre, habe ich seine Entfaltung, seinen Höhepunkt (1978-1982) und seinen Untergang (1982-1987) miterlebt.

 

Lange habe ich seinen Zerfall nicht akzeptiert und habe geglaubt, daß die Ursachen dieses Zerfalles konjunkturbezogen waren. Aber in Wirklichkeit sind diese Ursachen eher strukturell und, letzterhand positiv: der GRECE hat seine historische Aufgabe verwirklicht. Heute ist diese Aufgabe beendet. Die Arbeit der GRECE-Bewegung war wirklich grundsätzlich und kann heute befrüchtet werden. Es war eine konstruktive Arbeit, genauer die Rekonstruktion einer Ideologie und einer Weltanschauung. Die Bewegung hat auch Leute ausgebildet, die heute überall in der Zivilgesellschaft aktiv sind.

 

Deshalb, der dumme Wille, den GRECE “regenerieren” zu wollen, seine Botschaft steril zu wiederkauen und sie ständig so wiederholen, wie sie einst war, scheint mir heute völlig utopisch, unnötig und unmöglich zu sein. Ein solches nostalgisches Verhalten wäre nur eine Rückwärtsbewegung. Der GRECE war  ein Erfolg. Es künstlich im Leben zu halten wollen, würde notwendigerweise zu einem Fiasko führen. Der GRECE hat seine metapolitische und kulturelle Aufgabe optimal beendet. Mit den Meilsteinen, die er gelegt hat, können wir uns orientieren, um sein Werk in anderer Form zu vertiefen und für die Zukunft zu gestalten. Eine solche Transformation ist nicht nur notwendig, weil unsere Zeit es fordert, aber auch um die gestrige Arbeit des GRECEs effizient zu machen. Wir müssen diesen geistig-intellektuellen Korpus mehr Potenz und so denkend, ihm organisationell eine andere Gestalt geben.

 

Hauptaufgabe ist es, die ideologische Erbschaft fruchtbar zu machen. Wir müssen jetzt, ab sofort, zurück zur Wirklichkeit und deshalb eine moderne und interventiongerichtete Strategie entwickeln. Das ist der Grund, warum wir denken, daß das Werk des GRECEs jetzt abgeschlossen ist. Darum, höre ich heute auf, Mitglied des GRECEs zu sein. Und ich hoffe, daß die meisten von euch die gleiche Analyse wie ich machen werden. Obwohl ich nicht mehr Mitglied des GRECEs bin, bleibe ich trotzdem ein treuer Mitkämpfer unseres Kampfgemeinschaft.

 

Zwei Neuorientierungen scheinen mir interessant: ab 1992 wird Europa anfangen, als eine reale politische Wirklichkeit zu existieren. Die Grenzen werden sich tatsächlich öffnen. Bald wird eine gemeinsame Währung kommen, usw. Wir müssen notwendigerweise diese Möglichkeiten benutzen, die uns unsere Feinde geben. Diese bauen praktisch einen europäischen Großraum für uns und geben uns so die Möglichkeit, eine gesamteuropäische Kampforganisation zu schaffen, die der Kern einer künftigen gesamteuropäischen Gemeinschaft für unsere eigene Weltanschauung sein wird.

 

Die Ideologie, die wir seit vielen Jahren innerhalb der GRECE-Denkfabrik ausgearbeitet haben, war von einer spezifischen Kernidee im Leben gehalten und diese Idee war die Befreiung des gesamteuropäischen Kontinents, damit an die Schaffung einer gesamteuropäischen Reichsgemeinschaft gearbeitet werden könnte. Aber eine solche Idee hat nie in der Geschichte Wirklichkeit gefunden.

 

Die Amerikaner leben in einer antiquierten Welt, weil der amerikanische Traum schon da ist, und deshalb, weil er da ist, ist er unwiederruflich alt. Der amerikanische Traum ist eine alte Sache, ist schon volle Wirklichkeit geworden. Aber unser Traum ist hypermodern, weil er noch nicht da ist, liegt vor uns in einer noch relativ fernen Zukunft. Deshalb ist unser Traum jugendhaft.

 

In diesem Sinn und mit einem Optimismus, die wir von dem Bewußtsein unserer in den GRECE-Jahren erarbeiteten Tradition und unserer langen Gedächtnis geerbt haben, kann unser Projekt entstehen und sich entfalten: wir werden eine flexible Organisation stiften, die nicht nur Frankreich-zentriert sein wird, aber sich überall in allen Ländern des Kontinents entwickeln wird, wir werden in allen möglichen Schichten und Dimensionen der Gesellschaft intervenieren, aber immer mit dem Vorhaben, eine Reichsvision für das künftige Europa zu schmieden.

 

Die zweite Neuorientierung ist die folgende: die Ideen, die der GRECE verbreitet hat, eben unter den völlig inadequaten Namen der “Neuen Rechten”, leben und verbreiten sich sehr weit über die engen Grenzen aller möglichen rechtskonservativen Denkschulen. Deshalb sollte die post-GRECE-istischen Nachfolger-Bewegung total modernistisch sein, alles, was die soziologische Rechte darstellt, überwinden, sich an allen neuen Impulsen aus der Gesellschaft öffnen, und hauptsächlich die nostalgisch-folkloristische Rechte eine definitive Absage erklären. Diese neue Bewegung wird als Beruf haben, alle Leute aus allen möglichen Horizonten zu gruppieren, wenn sie grundsätzlich unser Programm zustimmen. Zusammen müssen wir entschieden alle Formen der Abhängigkeit und der Unterwerfung, irgendeiner Rechten oder Linken gegenüber, zurückwerfen.

 

Ziel ist es, die Grundlagen einer Bewegung zu erarbeiten:

- 1. die sich in allen Ländern des Kontinents verbreiten wird;

- 2. die alle alten Schablone und Spaltungen überwindet;

- 3. die die Erbschaft unserer Arbeit in den GRECE-Jahren fruchtbar macht;

- 4. die als Ziel haben wird, konkret eine neue politische und aktive Elite zu schmieden, um positiv in der Zivilgesellschaft intervenieren zu können.

 

Eine solche Arbeit wird lang, schwer und mühsam sein. Sie ist aber lebenswichtig und soll sofort von jetzt ab angefangen werden. Es wäre auch notwendig und logisch, daß die meisten Mitglieder und Sympathisanten des GRECEs sich in dieser neuen Bewegung einen, weil diese die allein mögliche historische Kontinuität darstellen wird. Natürlich neue Menschen, die aus allen Horizonten zu uns kommen werden, werden sich mit uns in diesem Kampf verbrüdern. Um der realen Welt die Stirn bieten zu können, um in dieser realen Welt Aktion führen zu können, werden wir dringend diese neuen Menschen brauchen.

 

Auf der juridischen Ebene, ist der Kern dieser neuen Bewegung (die weder eine Partei noch ein Apparat ist!), die dazu bestimmt ist, neue Energie in unserer Bewegung einzufliessen, ist schon gestiftet worden. Er hat die juridische Gestalt einer Stiftung und heißt: EUROPA.

 

Diese neue Bewegung steht noch in seiner Vorbereitungsphase und wird nur real und konkret auf europäischer Ebene am Anfang des nächsten Uni-Jahres, also im September 1987 existieren. Geburtsstunde wird die Sommeruni 1987 sein, die wir im Region Nivernais Ende August halten werden (wir können über unseren üblichen Versammlungsort in der Provence dieses Jahres nicht verfügen). Während dieser Sommeruniversität werden wir die Grundlagen unserer künftigen Arbeit festlegen.

 

Es ist notwendig, daß viele von euch sich sofort einschreiben.

 

Jetzt zur Arbeit, liebe Freunde!

Mit meinen freundlichsten Grüßen,

 

Ihr, Guillaume Faye, Mai 1987.

vendredi, 28 août 2009

Les pistes manquées de la "Nouvelle Droite" - Pour une critique constructive

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Archives de "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1999

 

 

Les pistes manquées de la «nouvelle droite»

 

Pour une critique constructive

 

Robert STEUCKERS

 

En avril/mai 1987, Guillaume Faye claquait la porte du GRECE, principale officine du mouvement politico-intellectuel français que les journalistes avaient appelé la «nouvelle droite», histoire de lui donner un nom médiatisable. Faye y était resté pendant près de quinze ans, il avait porté le mouvement à bout de bras à ses heures de gloire. Il en ressortait dégoûté. Dans un texte récapitulatif qu'il a rédigé et qui est paru fin 1998 dans un livre intitulé L’archéofuturisme (éd. L’Æncre, Paris), il exprime clairement son désappointement ;  il avait dégagé, dans un mémorandum dont il ne souhaite pas la publication mais qu’il nous avait soumis, les écrasantes responsabilités d'Alain de Benoist dans l'échec de ce mouvement de pensée, fort prometteur au départ, parce qu'il voulait réactiver ce que les idéologies dominantes avaient refoulé et ce que les multiples réductionnismes à l’œuvre dans la société excluaient ou refusaient de prendre en compte. Dans L’archéofuturisme, Faye, avec un langage plus feutré que dans son mémorandum, énonce les tares du mouvement, nous indique quelles ont été les impasses dans lesquelles celui-ci s'est fourvoyé et enlisé (paganisme folklorique, gauchisme révisé, fétichisme pour des mots creux, etc.) . Ensuite, il nous esquisse onze pistes pour relancer une dynamique, qui ne devra pas nécessairement s'appeler la “nouvelle droite”, le concept ayant fait faillite, désormais grevé de trop d'ambigüités.

 

Les options philosophiques de Faye mettent l'accent sur le futurisme, sur la prospective davantage que sur l'archéologie ou la mémoire, même s'il dit clairement que toute prospective futuriste doit avoir des assises historiques, des référentiels archétypaux. Néanmoins, la lecture de ses textes, l'audition de ses discours montrent que la fulgurante personnalité de Faye n'a nulle envie d'être trop embarra­sée, trop inca­pacitée par le poids d'un héritage, quel qu'il soit. Puisqu'il nous enjoint de pratiquer et de propager un “archéo-futurisme”, sorte de mixte d'hellénité idéale et de fulgurances à la Marinetti   —que Faye situe volontiers dans un environnement urbain et architectural mêlant Vitruve et Mies van der Rohe—   dressons à notre tour un bilan et esquissons un projet, pour ce volume qui a pour objectif premier d'inaugurer l'ère de la “post-nouvelle-droite”. Notre approche sera peut-être moins “futuriste” que celle de Faye, elle privilégiera les continuités historiques, sans pour autant sombrer dans les archaïsmes qui condamnent à l'inaction et “muséifient” les discours.

 

Une terminologie ambiguë

 

Mais avant de passer au vif du sujet, rappelons que le terme de « nouvelle droite » est trop ambigu : le « new right » des pays anglo-saxons s’assimile à un curieux mixte de vieux conservatisme, de néo-puritanisme religieux et de néo-libéralisme offensif (lors de la montée de Reagan au pouvoir) ; la « Neue Rechte » allemande a un passé résolument national-révolutionnaire ; la nouvelle droite française est essentiellement portée par une association de combat métapolitique, le GRECE (Groupement de Recherches et d’Etudes sur la Civilisation Européenne). Nos critiques ne s’adressent pas à la « new right » anglo-saxonne, dont nous ne partageons pas les postulats et qui se déploie dans des aires politiques qui ne sont pas les nôtres, ni, a fortiori, à la « Neue Rechte » allemande dont nous nous sentons très proche, mais au GRECE (dont nous ne nions pas les acquis positifs) et à son « gourou », qui a toujours refusé toute direction collégiale, développé un culte puéril de sa personnalité, et s’est entouré d’hurluberlus dévots et sans culture, dont le cortège aurait inspiré Jérôme Bosch et fait la fortune du Dr. Freud. De club politico-culturel offensif et rupturaliste, le GRECE s’est transformé en une secte étriquée de copains plus ou moins farfelus, animée par un « Chancelier », sorte de gagman  sexagénaire, grande gueule toujours occupée à monter des sketches au goût douteux, qui n’ont rien d’élitiste ni de philosophique ni de métapolitique. Triste épilogue…

 

Pourtant l’affaire GRECE n’avait pas commencé dans le gag (sauf si l’on se réfère à Roland Gaucher) (1). Le GRECE a constitué une réaction salubre contre la mainmise gauchiste-vulgaire sur les esprits dans les années 70. Cette réaction, cette volonté a permis de sortir du refoulement toute une panoplie de thématiques historiques ou organiques, d’introduire dans le débat les thématiques biologisantes ou les découvertes d’une psychologie différencialiste abordées aux Etats-Unis ou en Angleterre (Ardrey, Koestler, Eysenck, etc.). L’exploitation de l’œuvre de Konrad Lorenz et d’Irenäus Eibl-Eibesfeldt explique le franc succès du GRECE, explique aussi pourquoi nous avons été immanquablement attirés vers lui. Les numéros d’Eléments ou de Nouvelle école de 1975 à 1986 restent des sources de références incontournables. Malgré d’inévitables lacunes, dues à la faiblesse des moyens et des effectifs, le corpus prenait forme, lançait des débats, fécondait des esprits. Quelques adversaires de la ND ont reconnu l’importance de ses apports (Raymond Aron, par exemple).

 

Dans les années fortes de la ND, des dizaines de cadres ont été formés dans la discrétion, qui ont ensuite été injectés à divers niveaux de la vie politique ou culturelle de la France. A l’abri des regards, ces hommes et ces femmes continuent à faire du bon travail, dans des réseaux associatifs, dans des modules de recherches, chez des éditeurs... Mais ils ont abandonné la secte, ne la fréquentent plus, n’influencent malheureusement plus les jeunes qui y cherchent une voie et n’utilisent plus ce langage codé, repérable, stéréotypé, qui révèle une vulgate plutôt qu’une méthode.

 

La ND : un bon démarrage

 

Autre apport non négligeable de la ND : avoir contribué à « déculpabiliser » la culture dite de droite, diabolisée depuis 1945. C’est sans doute le principal motif de la haine que voue la gauche établie à la ND et à l’entreprise d’Alain de Benoist. Cette haine s’est déployée avec une férocité pathologique à partir de l’été 1979, quand la ND influençait fortement un hebdomadaire à très gros tirage, le Figaro-Magazine, dirigé par Louis Pauwels. Alain de Benoist y tenait la rubrique des « idées », poste d’avant-garde très efficace pour faire changer les mentalités, indiquer de nouvelles pistes à la culture française. L’idée d’une « école de pensée », formant des cadres en toute autonomie, la volonté de détruire les refoulements de la culture dominante et de proposer du neuf, sans jamais recourir à de vieilles lunes, ont contribué à forger le « mythe ND ». Très rapidement pourtant, l’offensive s’est soldé par un échec : l’idéologie dominante, les vigilants de la république, la gauche parisienne, les dévots d’un catholicisme progressiste ou intégriste se sont ligués contre la nouvelle venue et l’ont contrainte à la retraite. La ND a dû céder face au néo-libéralisme et au culte moralisant des droits de l’homme (couverture des pires dénis de droit que l’histoire ait jamais vécus). Dans les propres rangs de la ND, l’enthousiasme a fait place à l’aigreur. La lucidité a disparu au profit de la paranoïa. Au lieu d’admettre que la ND a battu en retraite, après un très beau combat, parce que les effectifs étaient trop réduits et encore insuffisamment formés, le microcosme néo-droitiste parisien a sombré dans les pleurs et les grincements de dents. Quinze ans après le ressac, malgré l’ouverture opportune de nouvelles pistes (écologie, communautarisme, etc.), aucune réflexion philosophique réelle et profonde n’est venue renforcer les options de départ. Vœux pieux et lamentations anti-technicistes ou anti-libérales ne peuvent tenir lieu de discours critique : nous aurions voulu une étude plus approfondie de Carl Schmitt, de Gramsci, de Hans Jonas, de Sombart, de De Man, etc. Et un plongeon dans le vaste océan de la postmodernité philosophique (Lyotard, Foucault, Deleuze, Guattari, etc.), ce qui aurait été tout naturel pour un mouvement d’origine française.

 

En juin 1989, lors d’une séance de formation au « Cercle Héraclite », ouvert aux cadres du mouvement, j’avais voulu marquer mon retour au GRECE, après un éclipse de près de six ans, en attirant l’attention des cadres (ou ce qu’il en restait…) sur l’ampleur et la pertinence de la critique contemporaine des philosophes français : je n’ai rencontré qu’indifférence, incompréhension et hostilité (pour lire le texte de cette intervention, cf. « La genèse de la postmodernité », in : Vouloir, n°54/55, 1989). « Je n’ai rien compris », m’a dit un cadre après mon exposé.

 

De même, les options biologisantes du GRECE avaient besoin  —Alain de Benoist ne me contredira pas, même s’il est retourné récemment à sa manie comptable de calculer les quotients intellectuels—  d’un solide ravalement. Il me paraissait nécessaire d’ouvrir les recherches de la ND aux théories de la cognition humaine, proposée par les disciples de Konrad Lorenz, encadrés par Riedl et Wuketits, de renouer avec la théorie des systèmes de Ludwig  von Bertalanffy et avec son actualisation par le Japonais Maruyama, d’introduire dans les débats français les travaux de l’Allemand Friedrich Vester (cf : mon exposé au séminaire de mai 89 de l’équipe de Vouloir, tenu en Flandre, et visité par une équipe de cadres du GRECE dirigée par Charles Champetier : « Biologie et sociologie de l’“auto-organisation” », in Vouloir, n°56/58, 1989). « Je n’ai rien compris » fut une nouvelle fois la réaction d’un cadre (non, non, ce n’était pas Champetier : il était parti dans les campagnes flamandes à la recherche d’un magasin vendant des cigarettes. Ce toxicomane était en manque… faut comprendre… ).

 

En février 1991, à Pérouse en Ombrie, lors de mon exposé au colloque des ND française (A. de Benoist), italienne (M. Tarchi & A. Campi) et britannique (M. Walker), j’ai insisté sur une prise en compte de la méthode de Derrida pour éviter de développer une conception figée de l’identité, propre à certains partis nationalistes ou populistes, dont de Benoist lui-même soulignait les insuffisances. J’ai voulu étayer cette critique de de Benoist, en plaçant le débat à un niveau politologique et philosophique, en refusant de le laisser à celui des invectives stériles (cf. « Dévolution, Grand espace et régulation », in : Vouloir, n°73/75, 1991) (2). Cette critique de l’ « identitarisme figé » impliquait une réflexion sur les notions de différAnce et de différEnce chez Derrida. Pour tout commentaire, de Benoist, après mon exposé, m’a demandé pourquoi j’avais parlé de ce « con » de Derrida. Il semblait me prendre pour un fou.

 

Un refus d’abandonner ses insuffisances… 

 

Ces trois incidents, un peu burlesques, montrent qu’il n’y avait pas, au sein de la ND, une volonté claire de se démarquer de certaines insuffisances ou de certains passéismes ni de consolider ses bonnes intuitions de départ. La ND ne voulait pas d’ouverture à la pensée française contemporaine, alors que tout le débat allemand et américain est profondément empreint des apports de Foucault, Deleuze, Lyotard, Derrida, etc. La ND ne voulait pas répondre sérieusement au reproche inlassablement ressassé de « biologisme » que lui adressaient ses adversaires. Elle aurait dû revendiquer son organicisme biologisant mais en l’étayant d’arguments scientifiques incontestables, au lieu d’être pétrifiée de frousse dès qu’un adversaire lui reprochait de faire de la « biopolitique ». La ND en est arrivée à démoniser elle-même tout discours biologisant-organicisant, avec des arguments boîteux, tirés de doctrines éthiques irréalistes ou d’une lecture un peu courte des critiques traditionalistes formulées à l’encontre du vitalisme. Enfin, les remarques méprisantes d’un Alain de Benoist sur la pensée de « Derridada » sont assez sidérantes, quand on sait que la ND est accusée, encore aujourd’hui, d’avoir fondé un « discours identitaire », repris par l’extrême-droite, accusée à son tour, de développer une vision étriquée et figée de l’identité. Malgré ses discours passionnels contre Le Pen (« le programme du FN me soulève le cœur », répondait-il aux journalistes d’une revue bourrée de fautes d’orthographes monstrueuses), de Benoist ne développe pas une théorie valable de l’identité, qui échappe tout à la fois au fixisme des vieilles droites et aux reproches des professionnels de l’anti-fascisme.

 

En ce début de l’année 1999, la ND vient de publier son premier manifeste (ouf, enfin, ça y est…). Si les pistes suggérées ou les constats qui y sont formulés rencontrent grosso modo mon approbation, j’estime toutefois que ce manifeste reste au niveau des vœux pieux ou de la protestation moralisante. Il lui manque précisément de bonnes références philosophiques.

 

Mon auto-critique

 

Enfin, mes critiques peuvent sembler oiseuses après tant d’années dans le sillage de la ND. En effet, le reproche pourrait aisément fuser : « Qu’as-tu f… là pendant si longtemps ? ». Pour ma défense, je dirais qu’il n’y avait rien d’autre en francophonie, et que mon intérêt pour le GRECE était parallèle à un intérêt pour les initiatives allemandes et italiennes de même nature. Je suis effectivement abonné à Criticón et à Junges Forum depuis 1978, bien avant mon passage au GRECE. Je lisais Linea de Pino Rauti et j’achetais en versions italiennes les livres d’Evola qui n’étaient pas traduits en français. Très tôt, j’ai pu comparer avantages et lacunes des uns et des autres. Ensuite, dès 1976, j’ai suivi de très près les initiatives de Georges Gondinet, à l’époque nullement assimilables à celles du GRECE. J’ai toujours, me semble-t-il, opté pour la pluralité des sources d’information contre le réductionnisme et l’assèchement sectaires. C’est une option qui me parait toujours valable : je demande donc à tout ceux qui s’intéressent à la ND parce qu’ils veulent sortir du ronron dominant de ne pas réduire leurs sources d’information à une et une seule officine, mais de chercher systématiquement la diversité. C’est par une pratique diversifiante et différAnciante (Derrida !) que les « refuzniks » que nous sommes finiront par appréhender et arraisonner le réel dans toutes ses facettes. Et ainsi gagner la bataille métapolitique, promise par de Benoist, avant qu’il n’opère ses replis frileux : peur de la politique, peur des populismes, peur des journalistes qui le critiquent, peur des langages francs et crus, peur de réaffirmer son biologisme, peur d’être traité de fasciste, peur de ne pas être reçu par une huile quelconque. Pas besoin d’être grand philosophe pour condamner et mépriser une telle attitude. Il suffit de se rappeler l’adage : la peur est mauvaise conseillère.                     

 

La «nouvelle droite» et l'histoire

 

Les regards que la «nouvelle droite» française a jetés sur l'histoire de l'Europe ont toujours été flous et ambigus. Quant à la «nouvelle droite» ita­lien­ne, elle s'est fort préoccupée de redéfinir l'histoire du fascisme (alors que cette tâche était pleinement assumée par Renzo de Felice ou Zeev Sternhell). Redéfinir le fascisme était la tâche de son principal promoteur à l'université, était son boulot de chercheur, et nul parmi nous ne contestara évidemment cette fonction qui fut et reste la sienne.

 

A Paris, la vulgate ND  —en disant « vulgate », je n’incrimine ni de Benoist ni d’autres exposants de la ND, mais une mouvance difficilement définissable que l’on a, à tort, assimilée à la ND et qui compénètre tout le champs des droites françaises—   n’a pas développé une vision de l’histoire cohérente : tout au plus perçoit-on chez elle un vague mixte de vision décadentiste et de nordicisme (indo-européen), où les accents pessimistes de Gobineau (mal lu) et de Spengler (mal digéré) se mêlent aux accents « normandistes » et pessimistes du dernier Drieu. Chacun de ces auteurs est passionnant en soi. Chacun d’eux nous livre une œuvre aux strates multiples :

-           Gobineau, notamment, outre son nordicisme (qui lui est vivement re­pro­ché) réhabilite le rôle de la Perse dans le rayonnement des peuples indo-européens et critique l’intellectualisme hellénistique (source de déclin) ; la Perse nous lègue notamment une éthique guerrière et chevaleresque, dont héritera, après bien des détours et à travers un filtre chrétien, les chevaliers médiévaux ; toute une historiographie et maints ragots colportés font de Gobineau l’inventeur d’un racisme hargneux devant à terme déboucher sur « l’impensable » ; en réalité Gobineau fut un grand voyageur ouvert à l’Islam iranien et à l’Orient, méprisant les « petits crevés » (comme il appelait les nullités des beaux quartiers de Paris) et ne prenant pas l’Europe pour « l’ombilic de l’univers  l’univers » (cf. Jean Boissel, Gobineau (1816-1882). Un Don Quichotte tragique, Hachette, 1981 ; cf. également Alexis de Tocqueville, Œuvres Complètes, Tome IX, Correspondance d’A . de Tocqueville et d’A. de Gobineau, Gallimard, 1959). Gobineau est celui qui a ouvert la pensée française aux mystiques panthéistes de la Perse, qui a, bien avant Derrida, réclamé une ouverture de notre pensée à cet univers intellectuel.

-           Spengler, avec sa notion de pseudo-morphose des civilisations, avec son mythe touranien, sa classification des cultures (faustienne, magique, etc.) ;

-           Drieu, avec expérience de combattant  de 1914, son passage à Dada (et sa participation à titre de témoin à décharge au « procès Barrès »), sa carrière d’écrivain parisien, ses tentations politiques (Doriot, etc.), ses réflexions sur les traditions, notamment sur Guénon, découvertes tardivement lors de la parution de son Journal.

Ces trois auteurs peuvent être interprétés de manières très diverses. Ils échappent ou devraient échapper à toute vulgate et à tout réductionnisme interprétatif.

 

Une pitoyable vulgate

 

Par ailleurs, une bonne part des militants de la mouvance de la “nouvelle droite” parisienne se percevaient comme les héritiers de ce complexe idéologique plus mystique que politique, plus idéaliste que concret, un complexe que l'on cultivait en ghetto à l'exclusion de tout autre et qui mêlait le “fascisme français” et les “écrivains maudits de la collaboration”. Ils mêlaient simultanément ce corpus complexe au filon nordiciste, issu d’une lecture très partielle de Gobineau voire de Vacher de Lapouge (3), où l'histoire était perçue comme l'amenuisement continu de l'influence physique et métaphysique des peuples germaniques en Europe, dont la France, leur pays, n'était que très partiellement l'héritière, une héritière, qui plus est, qui avait explicitement rejeté cet héritage depuis l'Abbé Siéyès.

 

Grosso modo, disons que, avant l'aggiornamento des années 90, dans les premières décennies de l'histoire de la ND, consciem­ment ou inconsciemment, l'accent était mis sur le filon Gobineau-Drieu la Rochelle, reprise des pamphlets anti-fascistes et anti-racistes, mais cette option, chez les camarades pseudo-nationalistes et néodroitistes, était revendiquée avec chromos brekeriens en prime; ce filon était détaché de tous contextes politiques réels puis sim­plifié en une vulgate assez étriquée, suscitant la commisération de tous ceux qui vivent quotidiennement les assauts du monde réel, sous quelque forme que ce soit. Dans les corridors et les coulisses de la ND pari­sienne, on avait l'impression d'errer dans une utopie irréelle, sous une bulle de verre où étaient voués aux gémonies tous les faits de vie réelle qui contrariaient l'image idéale du monde, des hommes et des Français, rêvée par ces petits étudiants ratés ou ces médiocres employés de banque subalternes, au profil psychologique instable et, qui, à cause de ce handicap, parce qu'ils ressentaient ces lacunes et ces tares en eux-mêmes, s'étaient recyclés, pour se donner une importance toute fictive, dans une “lutte métapolitique planétaire”.

 

Appuyés par tout un commerce de colifichets frappés du logo du GRECE, les tenants de la vulgate balbutiaient ou gribouillaient des fragments aussi oniriques que décousus de ce fatras nordico-fascisto-parisien; ces fragments, ils les faisaient dériver de ce filon pseudo-gobinien et les exprimaient en textes ou en images ou en discours avinés après le dessert, puis les ressassaient à l'infini, sans le moindre esprit critique en les mêlant à des interprétations naïves et juvéniles des mondes ouraniens-olympiens et des chevaleries idéales, décrits par Evola dans Révolte contre le monde moderne. Critiques du catholicisme populaire, volontiers blasphémateurs à l'égard des chromos, des crucifix, des vierges et des Saintes-Rita à la mode de Saint-Sulpice, les galopins du GRECE répétaient sous d'autres signes les mêmes travers que les chaisières et les bigotes des paroisses d'arrière-province.

 

L'anti-fasciste professionnel sans profession bien établie, l'ineffable “René Monzat”, a eu beau jeu de dénoncer cette bimbeloterie dans Le Monde, le 3 juillet 1993. Ce triste garçon, dont la jugeotte n'a certainement pas la fulgurance pour qualité principale, concluait au “nazisme fondamental” du GRECE, parce que de Benoist, qui n'est ni nazi ni rien d'autre que lui-même, rien d'autre que sa propre égoïté narcissique, s'était copieusement “sucré” en vendant des “tours de Yule” en terre cuite  —modèle SS-himmlérien—  à ses ouailles, en multipliant le prix de base de son grossiste allemand par dix!

 

Un scandinavisme irréel et onirique

 

Mais le nordicisme/germanisme de Gobineau s'inscrit dans une histoire plus complexe, dont la ND n'a jamais véritablement rendu compte: elle a contribué à pétrifier ce filon, surtout à le ridiculiser définitivement (Dumézil l'avait compris!), sans en avoir extrait les potentialités toujours vives, sans avoir dégagé, par exemple, l'apport géopolitique et géostratégique du monde nordico-scandinave dans l’histoire générale des peuples européens: ouverture des voies maritimes nord-atlantiques, ex­ploitation de l'axe Baltique/Mer Noire, ouverture du commerce eurasien via le comptoir de Bulgar dans l'Oural, organisation du commerce fluvial sur le Dniepr, le Don et la Volga, ouverture de la Caspienne et accès du commerce européen à la Perse et à la Mésopotamie: autant de routes qui restent, aujourd'hui plus que jamais, d'une brûlante actualité. Non: pour la clique d'esprits bornés qui sautillaient et s'agitaient autour du gourou de Benoist (qui assurément ne partageait pas leurs simplismes), les Scandinaves du IXième au XIième siècles n'étaient ni des techniciens hors ligne de la navigation ni des commerçants audacieux qui ouvraient l'Europe au monde: ils étaient décrits comme des espèces de cannibales chevelus et moustachus qui pillaient les couvents ou, pire, comme des ruraux simplets, vivotant en dehors des tumultes du monde, confectionnant avec de la terre cuite des luminaires disgrâcieux (qui font rétrospectivement frémir Monzat et ses commanditaires du Monde) plutôt qu'étudiant la résistance des bois à la mer et au vent, la carte du ciel pour s'orienter en haute mer, l'aérodynamisme des coques de navires pour se lancer dans des expéditions hardies. Etre technicien ou commerçant, dans la vision du monde des débiles adeptes du grincheux gourou néo-droitiste, c'était déchoir dans la “troisième fonction”, c'est-à-dire la fonction du travail, de la production, jugée mineure par ces oisifs qui ne commandaient rien, qui ne produisaient rien, qui vivaient d'allocations ou de postes de fonctionnaire, mais qui croyaient, dur comme fer, qu'ils étaient potentiellement les souverains de la future “grande Europe”. Les Vikings imaginaires des milieux néo-droitistes n'étaient pas admirés pour ce qu'ils avaient été, des explorateurs, des marins et des négociants, mais parce qu'on leur prêtait des canons physiques stéréotypés: une blondeur et une vigueur qui étaient absentes, dans la plupart des cas, chez ces vikingomanes d'Auteuil-Neuilly-Passy. On sort ici de la politique, de la métapolitique, pour entrer de plein pied dans la psychopolitique voire la psychiatrie tout court.

 

Restaurer la « virtù » des Romains et des Germains

 

Revenons à l'histoire: le mythe nordiciste qui traverse l'historiographie européenne depuis les humanistes italiens du XVième siècle est surtout l'expression idéalisée de deux soucis récurrents dans la pensée politique de notre continent: la disparition de la virtù  politique, de la force de façonner le politique pour le bien de la Cité, où la virtù  était d'abord posée comme le propre du peuple et du Sénat de l'Urbs romana, puis par translatio imperii, comme le propre des peuples germaniques. Cette virtù  est une idée républicaine au sens étymologique du terme, comme nous l'a explicité Machiavel dans son Prince. Elle s'oppose, en tant que telle, au césaro-papisme du Vatican qui, au XVième siècle, montre ses limites et s'enlise dans une impasse; elle s'oppose aussi aux tentatives de centraliser les Etats monarchiques au détriment des corps concrets qui composent la Cité. Dans ce sens, l'amenui­se­ment de l'influence des peuples germaniques n'est rien d'autre que l'amenuisement de la virtù  dans les corps politiques d'Europe et non pas la déperdition d'un quelconque système coercitif. L'assomption de la virtù  équivaut à la perte d'auto­no­mie des corps concrets de la Cité, à la dévitalisation des sociétés civiles. La vision de Gobineau n'est jamais qu'une manifestation tardive  —à l'ère romantique qui est à l'évidence traversée par un spleen qui, risque, chez les esprits faibles, de s’avérer incapacitant—  de ce souci récurrent de la virtù  dans l'histoire des idées politiques en Europe; Gobineau n'a pas infléchi sa démarche dans un sens juridique et concret, alors même que le XIXième siècle s'interrogeait sur les sources du droit (Savigny, Ihering, de Laveleye, Wauters, etc.); il a, malgré lui et pour le malheur de sa propre postérité, jeté les bases d'un discours tissé de lamentations sur l'amenuisement du germanisme.

 

Dans la même veine pessi­miste, Hippolyte Taine a été un penseur beaucoup plus concret et métho­dique: la ND ne l'a jamais abordé. De même, rien n'a jamais été fait sur la problématique des races en France, qui a agité tout le débat du XIXième siècle, en opposant cel­tisants (Augustin et Amédée Thierry, H. Martin, Guérard, le “génie celtique de J. de Boisjoslin), ger­manisants (le mythe “franc” chez Chateaubriand, Guizot, Mi­gnet, Gérard, Montalembert, de Leusse) et romanisants (Littré). Ce débat ne portait pas seulement sur la définition de la “race” et n'était nullement une anticipation des réductions caricaturales du na­tional-socia­lisme, mais portait sur le droit, sur la manière de fa­çonner la Cité, de répar­tir les tâches entre les classes. Taine parlait d'un “réalisme à connotation populaire et raciale”. Pour la ND, l'onirique a primé sur le réalisme que Taine appelait de ses vœux. Pourquoi ce refus ?

 

Drieu la Rochelle, écrivain dans le Paris décadent d'après 1918, après son comportement héroïque pendant la Grande Guerre et sa fréquentation des dadaïstes et des surréalistes, perçoit les enjeux du monde avec une remarquable lucidité, mais celle-ci est estompée par son pessimisme, par un décadentisme finalement assez pitoyable et par un spleen  que révèlent pleinement les pages de son Journal (par ailleurs mine inépuisable de ren­seignements de toutes sortes).  Après la défaite de l'Axe en 1945 et le sui­cide de Drieu, ce pessimisme et ce spleen  sont d'autant plus incapacitants pour qui veut construire une véritable al­ternative philoso­phique, idéologique et politique. Plutôt qu’au Drieu triste, il faut retourner au Drieu visionnaire !

 

Echec de l’Axe, faillite de la « métaphysique occidentale »

 

Car 1945 n'est pas simplement l'échec de l'Axe: il est l'échec de toute la métaphysique et de la civilisation oc­ciden­tales. Les Alliés ont gagné cette guerre sur le terrain, incontes­tablement, mais ils n'ont rien proposé d'autre que du “réchauffé”, comme le prouve, presque a contrario, le succès indéniable de la philosophie “déconstructi­viste”, née en Amérique et chez Derrida dans le sillage de Heidegger. Ce dernier a perçu en germe de réelles potentialités dans la “révolution alle­mande” (en 1934 pendant la parenthèse de son “rectorat”), mais aussi de terribles im­passes dans son volontarisme outrancier, où la vo­lonté poussée à son pa­roxysme rompait les liens de l'homme avec les con­tinuités qui le nourrissent spirituellement et politiquement et son constitu­tives de son identité profonde. Mais, en constatant les impasses du natio­nal-socialisme, Heidegger n'a pas da­vantage opté pour les visions américaniste et bolché­viste de la société et du monde. Face à cet éventail de faits et de pensées, face à ce triple rejet de la part de Heidegger, la ND aurait pu et dû:

- abandonner les pessimismes incapacitants;

- renouer au-delà de Gobineau avec le républicanisme de Machiavel, avec la notion de virtù, présente dans la Rome antique et, par translatio imperii,  chez les peuples germaniques (comme l'avait bien vu la lignée des observa­teurs de Tacite aux humanistes italiens et de ceux-ci à Montesquieu, ce der­nier étant une référence incontournable pour toute pensée démocratique sé­rieuse, c'est-à-dire pour toute pensée démocratique qui refuse d'accorder le label “démocratique” à tout ce qui se présente comme tel aujourd'hui en Europe occidentale).

- être attentive plus tôt, dès le départ, à la démarche de Heidegger; au lieu de lui avoir consacré une at­tention méritée dès le début de son itinéraire, la ND, vers la fin des années 60 et au début des an­nées 70, mue par une sorte de paresse philosophique, a préféré pa­rier pour une vulgate anti-philoso­phique tirée de la philosophie anglo-saxonne (une caricature malhabile de l'“empirisme logique”) pour qui les questions métaphysiques ou axiolo­giques, le langage métaphysique et l'énoncé de valeurs, sont vides de sens.

- dans la foulée d'une réception de Heidegger, la ND aurait pu em­brayer sur le filon “déconstruc­ti­viste”, poursuivre une critique ser­rée de la “métaphy­sique occidentale” et ne pas laisser l'arme du dé­constructivisme à ses ad­versaires! Cet abandon de l'arme du “déconstructivisme” con­damne la ND à du sur-place, puis, inéluc­tablement, au déclin et au pourrissement. Sans une bonne utilisation de l’arme « déconstructiviste », la ND ne peut développer une critique crédible des institutions en place ou des fausses alternatives (gauchistes). Elle risque alors de passer pour un simple appendice intellectuel, un salon où l’on cause, un havre pour oisifs argentés, juste en marge du pouvoir.

 

 Déconstructivisme et France rabelaisienne

 

Ensuite, la ND aurait pu faire advenir une pratique de la déconstruc­tion per­manente dans le champ de l'histoire. Je m'explique: sur­plombé par une mé­taphysique particulière (platonico-chrétienne), l'Occident a agi sur le terrain de l'histoire d'une cer­taine façon, c'est-à-dire d'une façon que déplorent les contestataires radicaux de cette métaphysique, de cet Occident et de cette histoire. La métaphysique occidentale, sur le terrain, a fait des dégâts, comme le constatait Heidegger. Ont été effacés de l'espace occi­dental, au nom d'une métaphysique particulière: les ressorts des commu­nau­tés naturelles d'Europe, un processus qui est à l'œuvre, inexora­blement, depuis la centralisation du Bas-Empire romain décadent jusqu'à une chris­tianisation manu militari,  en pas­sant par la mise au pas des âmes par l'Inquisition, par la philosophie politique de Bodin qui ne laisse pas de place aux corps intermédaires de la so­ciété (c'est-à-dire aux corps concrets de la souveraineté populaire), par les déismes et les rationalismes hostiles à toutes originalités et tous mystères, par l'éradication des fêtes populaires, des fêtes de jeunesse, de l'espace de liberté des goliards et des va­gantes, de l'univers dionysiaque-rabelaisien. Jamais la ND ne s'est branchée sur ces fi­lons pluri-millé­naires, jamais elle n'a utilisé ses atouts et ses entrées dans le monde journalistique français pour pro­mouvoir les écrits de ceux qui fai­saient le constat de cette éradication pluri­séculaire, en dehors de tout enca­drement politicien, idéologique ou “clubiste”. Si elle l'avait fait, jamais per­sonne n'aurait pu lui re­pro­cher de camoufler derrière un discours moder­nisé, une volonté de “réchauffer” la vieille soupe na­tionale-socialiste.

 

Parallèlement à cette négligence du filon rabelaisien, la ND n'a pas davantage revalorisé les luttes paysannes et populaires contre les Etats, expressions politiques de cette métaphysique occidentale. Elle a refusé cette démarche, malgré les appels incessants d'un Thierry Mudry notamment, parce qu'elle était prisonnière d'un seul mot: l'inégalitarisme. Alain de Benoist, soucieux de sa vocation ponti­ficale au sein du microcosme néo-droitier, a déve­loppé pendant sa carrière dans la grande presse (Valeurs actuelles, Le Spectacle du Monde, Le Figaro-Magazine,  partiellement, Magazine-Hebdo)  tout un discours, somme toute assez boîteux, sur l'“inégalité”, avec des cal­culs de QI, des dérivées et des asymp­totes comparant l'intelligence des Pygmées et des Suédois, des Mongols d'Oulan Bator et des Equatoriens de Quito, laissant en­trevoir, peut-être même à son insu, un modèle pyramidal où il au­rait trôné très haut, au sommet de la pyramide, avec le monde entier à ses pieds d’auguste membre de la MENSA (le club français qui recrute des gens dont le QI est supérieur à la moyenne, mais dont on ne jauge pas l'état psychologique avant de les ad­mettre au bar select  de l'association). Telle est sans doute la vision onirique qui traverse les rêves du Pape de la “nouvelle droite”. Tout cela est bien divertissant, mais où est l’intérêt (méta)politique d’une telle posture ?

 

Ignorance des révoltes populaires

 

L'option “inégalitaire” de la ND, illustrée avec une opiniâtreté quasi mo­nomaniaque, interdisait de se pencher sur les luttes popu­laires, sous pré­texte que Marx, Engels, Bloch, etc. s'étaient intéres­sés à la “Guerre des Pay­sans” du début du XVIième siècle et qu'un mouvement qui choisissait le label de “droite” ne pouvait évidem­ment frayer avec des “marxistes” (!!!!!!???), re­tentissante sottise qui a laissé ce terrain fécond des luttes et des révoltes po­pulaires à des socialistes ou à des communistes qui, par ailleurs, étaient, eux aussi, prisonniers de la “métaphysique occidentale”, à cause de leur matéria­lisme figé (mécaniciste et physicaliste) et de leur rationa­lisme étriqué (acceptant les acquis de ce rationa­lisme more geo­metrico  qui a commencé à mutiler les corps concrets de la souve­raineté populaire dès la Renaissance). De même, les dimensions populaires des révoltes françaises du XVIIième siècle, des révoltes populaires et paysannes contre la monarchie et  contre la répu­blique à la fin du XVIIIième, les petites jacqueries du XIXième (étudiées par l'historien Hervé Luxardo) (4), n'ont malheureusement pas eu de place dans les réflexions de la ND.

 

L'option anti-chrétienne, le rejet des structures dérivées de la “métaphy­si­que occidentale” ne devrait pas déboucher sur le refus de s'identifier aux luttes des peuples réels contre les pays légaux, des con­crétudes charnelles contre les abstrac­tions juridiques et rationalistes, refus qui condamne la ND à n'être qu'un salon de précieux bavards aux ambitions limitées, sans con­nexions utiles avec le monde exté­rieur. Les professions de foi “organicistes” ne sont que purs dis­cours si elles ne suggèrent pas une poli­tique organique con­crète. Les “intellectuels organiques” sont toujours à la tête du peuple réel ou, au moins, commandent un fragment du peuple réel, fût-il dispersé au travers de réseaux divers (professions, syndi­cats, partis, clubs, etc.). A terme, un club de pen­sée à vocation métapolitique et/ou politique doit rallier sous une seule ban­nière nouvelle des citoyens dispersés dans de mul­tiples structures en voie d'obsolescence, car l’obsolescence est la loi de l'histoire pour les structures, quelles qu'elles soient. La ND ne peut plus parfaire un tel travail de rassem­blement car les vieux droi­tismes figés qu'elle ne cesse de vé­hiculer (anti-égalitarisme rédhibi­toire débouchant sur un anti-populisme incapacitant), malgré ses dénégations, l'empêchent paradoxalement de se brancher sur les quelques gauches orga­niques à vocation contextualiste (qui proclament et démontrent que le cadre, le contexte social, économique et politique doivent être res­pectés en tant que tels dans la théorie et dans la pratique, contrai­rement aux universa­lismes tradition­nels des gauches; en France, une telle gauche est représentée par le MAUSS, c'est-à-dire le «Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales», que de Benoist courtise en vain, à coup des viles flatte­ries, depuis tant d'années).

 

Un piètre personnel subalterne

 

Enfin, il y a une autre démarche de la ND qui est condamnée à l'impasse: par son parisianisme, par son repli frileux autour de son gourou, elle s'est révélée incapable de disperser les centres dynamiques du mouvement sur tout le territoire français; ensuite, elle a été handicapée par sa frilosité à sortir des frontières de l'Hexagone et, à cause de la piètre qualité intellectuelle de son person­nel subalterne à penser vé­ritablement l'Europe, à apprendre les dynamiques poli­tiques, culturelles et sociales à l'œuvre en Italie, en Allemagne, en Es­pagne, dans le Bénélux, en Scandinavie, etc., et à agir efficace­ment dans un con­texte européen (ce qui implique de maîtriser plu­sieurs langues, d'accep­ter que l'Autre parle la sienne et non pas le français exclusivement, d'écou­ter poliment un exposé en allemand, en italien ou en an­glais sans éprouver le besoin pressant de sortir pour fumer un clope dans le patio ou pour des­cen­dre une pils au comptoir, etc.). Les tentatives plus récentes de la ND pa­risienne de sortir des frontières de France se heurtent au même bal­last struc­tu­rel: recrutement d'autodidactes spécialisés en bricolages idéolo­giques, de vieux copains sans qualifications précises, de marginaux sans ori­ginalité et bourrés de fantasmes, de caractériels repêchés dans les poubelles des partis identitaires qui les ont exclus pour in­capacité sur tous plans pratiques.

 

Ensuite, la ND parisienne n'a cessé d'être ob­nubilée par les “débats” parisiens dont tout le monde se fout à 30 km de la capitale française, ce qui lui a interdit de susci­ter un nou­veau mouvement de contestation global, organique, dans tout l'Hexagone. Certes, Alain de Benoist  —ren­dons-lui justice—  a eu la volonté de se brancher sur les débats philosophiques américains, allemands, italiens, mais il n'a pas enseigné à ses ouailles la façon de maîtriser les sources non françaises d'in­formation et de docu­mentation qui auraient permis de renforcer dans le discours quoti­dien de la ND ce “poumon exté­rieur”, apportant en permanence des bouffées d'arguments neufs et de les déployer avant ses adversaires. De plus, comme d'habitude, de Benoist a eu l'art de recruter des étudiants ratés, des jojos hauts en couleurs ou tristes comme des ados coincés, incapables de lui por­ter ombrage (pour lui, c'était l'essentiel...) mais tout aussi incapables de maî­tri­ser ne fût-ce qu'un basic English.  Ils se coupaient du même coup de toute une docu­mentation utile pour la révolution culturelle à la­quelle ils étaient censés participer, dans le laboratoire de pointe qu'of course  le GRECE pré­tendait être! De Benoist a voulu s'ouvrir sur l'Alle­magne, jamais il n'a pé­ché dans le sens d'un nationalisme français fermé sur lui-même, hostile au monde entier, rejetant l'Europe en construction, peuplé de “rancuneux” (cette belle ex­pression, que mentionne en­core le Littré  a été réintroduite dans le discours politique par Michel Winock). Cette atti­tude de bon Européen, chez de Benoist, a suscité mon respect et ma sympathie, du moins au départ. Mais tandis qu'il était européiste, sans arrière-pensée, il a laissé la bride sur le cou à des pseudo-théo­riciens d'un na­tionalisme français irréaliste dans ses ex­pressions héroïcisantes et naïves, que le lecteur pantois, habitué à des analyses plus fines, a trouvé dans élé­ments  n°38 (intitulé: «Pourquoi la France?»). Ensuite, il n'a cessé de fré­quenter un certain Philippe de Saint-Robert (la parti­cule serait fictive!), apôtre d'un hexagonalisme de droite et d'un anti-européisme navrant, rê­vant de re­constituer la France aux 130 départements de Napoléon (5). Ces dé­marches délirantes ont empêché la fusion du cor­pus néo-droitiste et des re­vendications régionales en France, fusion qui aurait permis une évolution gra­duelle vers une constitution fé­dérale de modèle allemand, espagnol ou helvétique. La ND aurait dû indiquer dans son programme l'objectif qu'elle s'assignait pour la France et pour le bien des peuples de l'He­xa­go­ne: faire advenir dans les esprits une constitution fédérale pour une VIième République fran­çaise, rompant de la sorte avec l'étatisme fermé d'inspiration bodinienne que n'avaient jamais aban­donné les fac­tions na­tionalistes françaises de diverses moutures. Le travail de la ND aurait dû être de pré­pa­rer l'avène­ment à terme de cette VIième République, de façon à ce que la France ait une con­sti­tution en har­monie avec les autres pays de l'Europe en voie d'unification, de fa­çon à ce qu'il y ait ho­mo­gé­néité consti­tutionnelle dans tous les Etats de l'Union avant l'unification monétaire et avant la sup­pres­sion des frontières. Aujourd'hui, nous avons presque l’une et l’autre, mais sans homogénéité consti­tu­tion­nelle, ce qui est une hérésie et une aber­ra­tion: la ND aurait pu prévoir cette imposture et suggérer une alter­native crédible. En ne le fai­sant pas à temps, elle n'a pas assumé sa responsabilité historique. Elle n’a pas respecté sa promesse d’être une instance de « première fonction » (instance incarnant la souveraineté et le droit selon Dumézil). On peut se demander pourquoi…

 

Régionalisme et critique de l’Etat bodinien

 

Si elle avait forgé sur le terrain une alliance durable avec les mou­vements régionaux sérieux, la ND aurait travaillé à l'élaboration concrète de cette constitution fédérale pour l'Hexagone, niant du même coup les formes éta­tiques de la “métaphysique occidentale” qui ont oblitéré les sociétés fran­çaises de François Ier au jacobi­nisme. Pour parfaire cette alliance ND/régionalismes, le club mé­tapolitique d'Alain de Benoist aurait dû déve­lopper une vision non-bodinienne de l'Etat, une conception symbio­tique des corps inter­médiaires (qui sont, ne cessons jamais de le rappeler, les véri­tables corps concrets de la souveraineté populaire), permettant de coupler régionalismes et revendications sociales et populaires con­crètes, en nouant cette idée symbiotique aux combats syndicalistes, en se débarrassant de son discours néo-libéral (ante litteram)  sur l'égalitarisme et l'inégalité, qui ont fait qu'elle a été ac­cusée sans interruption de “social-darwinisme” (de Benoist a eu beau s'en dé­fendre par la suite, ce stigmate lui est resté collé à la peau).

 

Enfin, un mouvement métapolitique comme le GRECE, qui prétend dans son sigle même, vouloir ap­préhender l'ensemble des dyna­miques à l'œuvre dans la civilisation européenne, n'a jamais rai­sonné sur les grandes forces historiques et géopolitiques qui ont traversé les régions d'Europe. Comme beau­coup de visions non dy­namiques de l'histoire, le GRECE semble avoir cultivé lui aussi une vision figée de l'histoire, où des figures hiératiques, fortement ty­pées, répéteraient inlassablement le même drame, sans imprévus autres que ceux prévus par le scénariste, avec, pour toile de fond, une tragédie réitérée en boucle sous la détestable impulsion des mêmes tricksters.  Le gourou du GRECE aimait à se dire “spenglérien”, mais aucun lecteur de Spengler ne se reconnaî­tra dans sa “vision” (bigleuse et non plus faustienne) de l'histoire européenne.  

 

Dans l'officine néo-droitiste parisienne, peu de choses ont finale­ment été dites sur les lignes de force de l'histoire suédoise, allemande, russe, balkanique, hispanique, sur les dy­namiques géopolitiques effervescentes le long des grands axes fluviaux d'Europe, sur les enjeux ter­ri­toriaux, comme si ces tu­multes millénaires allaient tout d'un coup s'apaiser, dès que le gou­rou décide­rait, du haut de sa magnificence, de prendre la parole. Sa germanolâtrie, qui n'est rien d'autre qu'une coquet­terie parisienne, ne par­vient pas à s'articuler en Allemagne, où les nouvelles droites (très diverses) sont bien en prise avec les problèmes d’histoire et d’actualité. Le gourou de la ND est ba­lourd dans le débat alle­mand. Son Allemagne de fillettes à longues tresses nouées, de ruraux coiffés de petits chapeaux bava­rois, de soldats altiers et perdus, n'est qu'une Allemagne de chromos: l'Allemagne réelle est une Al­lemagne d'ingénieurs méticuleux, de philosophes précis et rigou­reux, de philo­logues pointilleux, d'industriels efficaces, de techni­ciens chevronnés, de négociants redoutables, de ré­volutionnaires ra­dicaux, de moralistes jusqu'au-boutistes, de syndicalistes com­batifs, de ju­ristes te­naces. Mais de cette Allemagne-là, il n'en a pas parlé, sans doute auraient-elles ef­frayé ses ouail­les, donné des cauchemars aux petits garçons fragiles qui l'admi­rent tant. Pensez-vous, ils auraient dû ces­ser de rêver, et com­men­cer à travailler.

 

Refus de l’histoire réelle et images d’Epinal

 

Lors d'un face-à-face avec la presse russe, à Moscou le 31 mars 1992, où deux journalistes de la revue moscovite Nach Sovremenik  me demandaient quelle était ma position dans la nouvelle crise bal­ka­nique et face à la Serbie de Milosevic, j'ai répondu en rappelant des événements importants de l'histoire européenne comme la Guerre de Crimée, le Traité de San Stefano (1878), l'aide apportée par les Russes à la Serbie, la Roumanie et la Bulgarie au XIXième siècle et leur désir de voir une paix s'instaurer entre Serbes et Bulgares, etc. Pendant que je répondais à cette question, importante pour les Russes qui ont la mémoire historique longue, au contraire des Occidentaux, en m'engageant sur un terrain qui n'intéressait pas de Benoist, le bougre m'enjoignait de me taire sans mettre de bémol à sa voix, tirait sur les pans de mon veston en cachant son bras derrière le large dos d'Alexandre Douguine, sans se rendre compte qu'il était tout à la fois grossier pour les journalistes qui me mettaient sur la sel­lette et ridicule en pleurnichant de la sorte parce qu'il n'était plus le seul à pouvoir parler (6). Outre le narcissisme époustou­flant du gourou, cet incident bur­lesque montre bien le refus néo-droitiste de l'histoire réelle; lourde tare, car si l'on ne prend pas le pouls de l'histoire au-delà des clivages politiciens et au-delà du clivage binaire gauche/droite, si on ne lit pas l'histoire à travers les textes des traités qui l'ont jalonnée, on agit sous la dictée de “représentations platoniciennes”, autrement dit d'“images d'Epinal”, artifi­cielles, ar­bitraires, déconnectées du réel. Or les “images d'Epinal” sont tou­jours classées quelque part, étant par définition figées, non mouvantes parce que non vivantes. En ma­niant ses fantasmes esthétiques et éthiques (son obsession à vouloir édicter une “morale”...), de Benoist a énoncé un dis­cours en marge du fonctionnement réel des Etats de notre continent, il s'est sous­trait au jeu dramatique de l'histoire, par désintérêt, délibérément ou par peur de l'engagement. Grave péché contre l'esprit. Pire, une telle dé­marche relève de la médiocrité et, en disant cela, je songe à une ré­plique dans le Malatesta  de Montherlant: «En prison, en prison, monsieur. Pour médiocrité!».

 

L'incapacité de la “nouvelle droite” à énoncer un cor­pus de droit cohérent

 

D'emblée, le propos de la “nouvelle droite” n'est pas de discourir sur le droit (l’aventure de la petite revue Hapax, torpillée par de Benoist, a malheureusement été trop éphémère, pour qu’on l’analyse ici). Pourtant, question légi­time, peut-on penser le destin d'une civilisa­tion, peut-on s'engager pour la défense et l'illustration d'une culture sans jamais penser le droit qui doit la structurer? La ND a voulu faire remonter les ra­cines de l'Europe à la matrice indo-européenne. Volonté légitime, ex­primée notam­ment par Emile Benvéniste dans son Vocabulaire des institu­tions indo-européennes.  Dans cet ouvrage fondamental, véritable ex­plora­tion en profondeur du vocabulaire indo-européen, Emile Benvéniste jetait les bases d'une recherche fondamentale. En effet, le vocabulaire institution­nel indo-européen révèle l'origine de toutes nos pratiques juridiques; les ra­cines linguistiques les plus an­ciennes se répercutent toujours dans notre vocabulaire juridique et institutionnel, tout en véhiculant un sens précis qui ne peut guère être effacé par des manipulations arbitraires ou être enfermé dans des concepts trop étroits. Une bonne connais­sance de cette trajectoire et surtout de ces étymologies est impéra­tive.

 

L'idéologie dominante en France a jeté un soupçon systématique sur ce type de recherches, sous pré­texte qu'il entretient des liens inavoués et occultes avec le national-socialisme. La ND a été accu­sée de relancer la thématique nationale-socialiste des “aryens” en se référant aux recherches indo-euro­péa­nisantes. D'où un en­semble de quiproquos navrants qui ont la vie dure et qui font les choux gras de quelques petits graphomanes “anti-fascistes”, dû­ment stipendiés par de mystérieuses officines ou car­rément par l'argent du contribuable. Pourquoi une telle situation? Le droit po­sitif actuel, avec ses réfé­rents mécanicistes issus de la pensée maté­rialiste du XVIIIième siècle et d'un jusnaturalisme moderne qui se voulait détaché de tout contexte his­torique, ne peut tolérer, sous peine d'accepter à terme sa propre disparition, une recherche fé­conde et profonde sur les archétypes du droit en Europe. Un retour systématique à ces archétypes ruinerait également les assises poli­tiques de la France (et d'autres pays), qui sont de nature coercitive en dépit du discours “démocratique” qu'ils tiennent à titre de pure propagande.

 

Dans le contexte français, la ND, par les maladresses de de Benoist et par sa manie des iconographies d'inspiration nationale-socialiste dont il truffait ses journaux, a permis aux vigilants de l'ordre jaco­bin et républicain de con­tinuer à jeter le soupçon sur toutes les re­cherches indo-européanisantes. Il leur suf­fisait de dire: “voyez cet éditeur de chromos nazis dans des revues intellectuelles qui ne ces­sent de par­ler des Indo-Européens, il n'y a tout de même pas de fu­mée sans feu...”. En effet, dans le contexte des années 70, la con­fluence possible de certains linéaments contestataires de la “pensée 68” (chez Deleuze et Foucault) et d'un recours aux archétypes du droit, aurait pu contribuer à fonder un droit de rupture, tout à la fois futuriste et archétypal, en dépit de l'anti-juridisme fondamen­tal de Foucault. En ultime instance, cet anti-juridisme fou­caldien n'est rien d'autre qu'un anti-positivisme dans la mesure où le posi­tivisme s'était en­tièrement emparé du droit surtout en France mais aussi ailleurs en Europe. Le positivisme avait édulcoré et figé le droit, qui était ainsi devenu mécanique et légaliste, suscitait une inflation de lois et de rè­glements, n'acceptait plus de modifications souples et d'adapta­tions, sous pré­texte que la “loi est la loi”. En jetant un dis­crédit total sur les études indo-européennes (parce qu'elles conte­naient en germe une con­testa­tion de l'ordre juridique positiviste de la République), en posant systé­ma­tiquement l'équation « études indo-européennes = nouvelle droite = néo­nazisme », les journa­listes-la­quais du régime bloquent à titre préventif tou­te contesta­tion des structures archaïques de la France républicaine. L'histoire devra établir si de Benoist a oui ou non joué sciemment le rôle de la “tête de Turc”, pour permettre cet exorcisme permanent et donner du bois de ra­llonge à la vieille ré­publique...

 

Ignorance de l’héritage de Savigny

 

Carl Schmitt s'est insurgé contre le positivisme et le normativisme juri­diques, contre leur rigidité et leur fermeture à toute rénovation: sa position se veut “existentialiste”. Ainsi le droit, l'Etat, une consti­tution, une institu­tion sont autant de corps ou d'entités vivantes, animées de rythmes lents, qu'il s'agit de cap­ter, d'accepter, de mo­duler et non d'oblitérer, de refuser et d'éradiquer. Ces rythmes dé­pendent du temps et de l'espace, de l'histoire et de la tradition. Schmitt s'inspire ici de Friedrich Carl von Savigny. Ce ju­riste alle­mand du début du XIXième siècle, spécialiste du droit romain, voyait dans le droit un continuum,  légué par les ancêtres (mos majorum),  sur lequel on ne pouvait intervenir au hasard et subjec­tivement sans pro­voquer de catastrophes. Savigny concevait le droit comme un héritage et re­je­tait les manies modernes à vouloir imposer un droit, des lois et des consti­tutions inventées ex nihilo, au départ d'a priori idéologiques, de préceptes moraux ou éthiques adoptés en dehors et en dépit de la continuité histo­rique du peuple. Savigny s'est opposé au code napoléonien, d'essence révo­lution­naire, et aux constitutions écrites qui figeaient le flux vivant du Volksgeist (cf. Friedrich Karl von Savigny. Antologia di scritti giuridici, a cura di Franca De Marini, Il Mulino, Bologna, 1980).

 

Savigny, ses maîtres Gustav Hugo et Philipp Weis, partaient du principe que toute codification consti­tuait une fausse route, était susceptible de dé­boucher sur l'arbitraire et la tyrannie. Le droit vit de l'histoire et ne peut être créé arbitrairement par des législateurs-techniciens au gré des circons­tances ni imposé de force au peuple. Le droit se forme par un long processus organique, propre à chaque peuple. Toute intervention arbitraire dans le continuum du droit interrompt le processus naturel de son développement; même dans une phase de déclin, quand le pouvoir est obligé de recourir à des dé­crets coercitifs, la codification est dangereuse car elle fige et stabilise un droit corrompu, désormais privé de force vitale. La fixation et la stabilisa­tion du droit en phase de décadence perpétuent des ré­gimes foireux voire iniques. Carl Schmitt écrit dans son cé­lèbre texte qui rend hommage à Savigny et déclare que son œuvre est “paradigmatique”: «Le droit en tant qu'ordre concret ne peut être détaché de son histoire. Le véritable droit n'est pas posé (gesetzt)  [comme une loi], mais émerge d'un dévelop­pement non intentionnel (absichtslos) ... Le positivisme, venu ultérieurement, ne con­naît plus ni ori­gine ni patrie (Heimat). Il ne connaît plus que des causes ou des normes fondamentales posées comme si elles étaient des hypothèses. Il veut le contraire d'un droit dépourvu d'intentionnalité; son in­tention ul­time est de dominer et d'obtenir en tout la “calculabilité”».

 

Pour Ulrich E. Zellenberg, qui s'inscrit aujourd'hui dans le sillage de Savi­gny et Schmitt, le droit «s'exprime dans les mœurs de la com­munauté, qui sont perçus comme corollaires de la volonté de Dieu. Le droit et la jus­tice sont dès lors une seule et même chose. Il n'y a pas de différence entre le droit positif et le droit idéal. Comme le Prince et le juge ne sont pas appelés à créer un droit nouveau, mais à garantir le droit déjà existant, les revendi­cations individuelles, les décisions à prendre dans les cas concrets et les in­novations de fait se légitimisent comme des recours au droit ancien, ou com­me le ré­tablissement de son sens propre» (cf. Ulrich E. Zellenberg, « Sa­vigny », in : Caspar von Schrenck-Notzing, Lexikon des Konservativismus, Stocker, Graz, 1996).

 

Défense de la « societas civilis » et droit de résistance

 

Le droit historique, acquis à la suite d'une longue histoire et non fa­briqué par des légistes profession­nels, implique a) la défense de la societas civilis  et b) le droit de résistance à l'arbitraire et à la ty­rannie. La volonté du positi­visme de légiférer à tout crin met le droit à la disponibilité des seuls légistes pro­fessionnels. Conséquence: le droit devient l'instrument d'une minorité cher­chant à asseoir son pouvoir, par ingénierie sociale. Même les “institutions” comme la famille, le mariage, etc. sont à la merci des in­ter­ventions arbitraires d'une caste isolée de la societas civilis. Pour Schmitt, les “ordres concrets”, les institutions anthropolo­giques (selon la définition qu'en donne Gehlen), sont des bastions de résistance contre la frénésie légi­férante des législateurs positi­vistes; ces “ordres concrets” imposent des li­mites à l'ingénierie so­ciale et juridique, mettent un frein au flux normatif et obligent les légistes à accepter les règles des ordres concrets sous peine de les détruire. La rage légiférante des légistes positivistes (Schmitt: “les législa­teurs motorisés”) détruit la confiance des citoyens dans le droit, qui perd toute au­torité et toute légitimité.

 

Sur le plan historique, la réaction de Savigny s'oppose tout à la fois à l'école philosophique de Christian Wolff (1679-1754), qui inspire l'absolutisme ra­tionalisant, et aux partisans de l'adoption systé­matique du code napoléo­nien (Anton Thibaut, 1774-1840). Le droit germanique prévoit le droit de ré­sistance à la tyrannie: au moyen-âge, ce droit s'inscrit dans les obligations ré­ciproques du seigneur et du vassal, puis dans le droit des états de la société de s'opposer à la violence arbitraire du Prince. Avec Althusius, le droit de résistance est le droit de la societas civilis  à s'opposer à l'absolutisme.

 

Cette brève esquisse des principes de droit de la pensée dite “con­servatrice” montre que le discours de la ND aurait dû s'infléchir vers une défense tous azimuts de la liberté populaire contre les instances bodinien­nes, coercitives et jacobines de la République française. Sur le plan culturel, cette démarche, renouant avec la défense conserva­trice, anti-absolutiste et anti-révolution­naire de la socie­tas civilis,  aurait dû recenser, commenter et glorifier toutes les étapes et les mani­festa­tions de révolte populaire en France contre l'ar­bitraire de l'Etat. De même, la ND aurait dû participer à la définition d'un droit ancré dans l'histoire, comme Savigny l'avait fait pour l'Al­le­magne. Pour un mouve­ment qui prétendait mettre la culture au-dessus de la rou­tine politicienne, de l'économie ou même du social, il est tout de même é­tonnant de ne ja­mais avoir rien publié sur la notion de Kulturstaat  chez Ernst Rudolf Huber, partielle­ment disciple de Schmitt car il était fasciné par la notion d'“ordre concret”. Le Kulturstaat  de Huber est un Etat qui tire son éthique (sa Sittlichkeit)  et ses normes d'une culture précise, héritage de toutes les générations précédentes. Cette culture est une matrice prolixe, ouverte, fruc­tueuse: elle est une “source” organique inépuisable tant qu'on n'attente pas à son intégrité (Savigny et, à sa suite, Schmitt insistaient énormément sur cette notion de “source”/“Quelle”,  sur l'image parlante de la “source” en tant que génératrice du droit). La notion de source chez Savigny et Schmitt, la notion de “culture” chez Huber interdisent de voir dans le droit et dans l'Etat de pures intances instrumentales. Le Kulturstaat  n'est pas un Zweckstaat  (un Etat utilitaire, sans continuité, sans ancrage territorial, sans passé, sans projet). Le rôle de l'Etat est de protéger l'intégrité de la “source”, donc de la culture popu­laire. Telle est la première de ses tâches. Par suite, la culture n'est pas quelque chose qui relève de l'“esprit de fabrication”, de la “faisabilité” comme on dit aujourd'hui, elle génère des valeurs intan­gibles, lesquelles à leur tour fondent l'idée de justice et justifient l'existence de sec­teurs non mar­chands, comme l'éducation (cf. Max-Emanuel Geis, Kulturstaat und kulturelle Freiheit. Eine Untersuchung des Kulturstaatskonzepts von Ernst Rudolf Huber aus verfassungsrechtlicher Sicht, Nomos-Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1990).

 

Sur base de cette approche du droit, que possèdent les écoles con­ser­vatrices al­lemande, autrichienne, italienne et espagnole, la ND aurait pu :

- développer une critique des instances révolutionnaires institutionalisées en France et dans les pays influencés et meurtris par le républicanisme révo­lutionnaire et l'impact du code napoléonien;

- aligner ce pays sur les préoccupations politiques de son environnement européen (car l'organicisme se répercute finalement sur l'ensemble des fa­milles idéologiques, au-delà des clivages politiciens);

- préparer au niveau européen une contre-offensive organique bien étayée;

-           élaborer des correctifs contre les miasmes de la centralisation, de l'utilitarisme anti-culturel, de la dé­construction des secteurs non-mar­chands au niveau eurocratique, etc.

 

Savigny, école historique, Bachofen

 

Schmitt, dans son plaidoyer pour un recours aux principales idées-forces de Savigny (cf. «Die Lage der europäischen Rechtswis­sen­schaft», in: Verfassungsrechtliche Aufsätze,  Berlin, 1973), fait ex­plicitement le lien entre la démarche de Savigny dans le domaine du droit, d'une part, et celle de Gustav von Schmoller et de son “école historique” en économie, d'autre part. En outre, Schmitt annonce la néces­sité de se replonger dans l'étude de la Tradition, en évoquant notamment Bachofen et l'approfondisse­ment des études de philo­logie classique. Celles-ci nous donnent une image désormais très pré­cise de la plus lointaine antiquité européenne. Les sources les plus antiques du droit nous apparaissent dans toute leur densité religieuse. Grâce aux efforts des philologues, les visions édulcorées de l'antiquité classique qu'un certain humanisme scolaire avait véhiculées, disparaissent dans les poubelles de l'histoire. Schmitt écrit: «Il ne s'agit nullement aujourd'hui de revenir en arrière à la façon des réac­tionnaires, mais de conquérir une im­mense richesse de connaissances nouvelles, qui pourront s'avérer fruc­tueuses pour le présent dans le domaine des sciences du droit; nous devons nous emparer de ces richesses et les mettre en forme» (op. cit., p. 416). Dans cet appel de Schmitt, le lien entre les sciences juridiques et la nouvelle phi­lologie classique, considérablement enrichie depuis Bachofen, est claire­ment établi. Schmitt légitimise dans le discours politologique le recours à la Tradition. L'héritage philo­logique est mobilisé dans le but de donner à la Cité un droit correspondant à son histoi­re et à ses ori­gines, à ses sources. La ND a mal utilisé cet héritage philo­logique, surtout en répétant et en para­phra­sant Du­mézil, en le mê­lant à certaines intuitions d'Evola, lui-même inspiré par Bacho­fen, mais sans jamais le mobiliser pour proposer un autre droit, pour op­poser, au droit républicain et révolutionnaire insti­tu­tio­nnalisé, un droit véritablement conforme aux sources européen­nes du droit. Alain de Benoist a raté le coche: il a fait de son pur discours culturel (cultu­reux!) un but en soi. Il a failli à sa mis­sion. Il a trahi. Il a servi l'ad­ver­saire. Par ses maladresses et son absence de suite dans les idées, par sa négligence du message de Carl Schmitt, il a servi les ennemis de la popu­lation fran­çaise, les ennemis de l'Europe, les ennemis des peuples euro­péens.

 

Schmitt, en réclamant une recherche bi-disciplinaire, unissant le droit et la philologie d'après Bachofen, entendait donner un in­stru­ment à l'élite fu­ture de l'Europe: si le droit est demeuré coutu­mier en Angleterre mais reste aux mains des possédants de la société ci­vile, si le droit est aux mains de fonctionnaires-lé­gi­stes en France, auxquels fait face la société civile aidée de ses avocats trop souvent impuissants, l'Allemagne, dans l'esprit de Savigny, doit aligner une pha­lange de professeurs de droit et de philologues, capables de juger selon le sens du droit et non selon les formes et les règles abstraites. Cette phalange de ju­ristes traditionnels et de philologues remplacerait l'ancienne “Chan­cellerie impériale”, chargée d'arbitrer les diversités du Saint-Empire. Schmitt appe­lait ainsi de ses vœux une “première fonction” souveraine, or­ganisée selon le projet de Savigny. Cette “première fonction” utiliserait les méthodes or­ganicistes et histo­riques. La ND, si elle avait été dirigée par des hommes compétents, aurait eu la chance de devenir une telle élite. Malheureu­se­ment, elle ne s'est pas concentrée sur les tâches que Schmitt as­signait à celle-ci. Elle a pratiqué un occasionalisme systématique et ridicule, où toutes les occasions de “faire le malin” étaient bonnes, de briller dans les salons pari­siens peuplés d'imbéciles aux cerveaux pourris par les folies révolution­naires et jacobines, par l'“esprit de fabrication” (Joseph de Maistre !), par les slogans les plus ab­surdes, dont Bernard-Henri Lévy et toute la clique des vedettes médiatisées ont donné un bel exemple lors de la crise bosniaque. Tel était l’objectif prioritaire de de Benoist : réussir des coups médiatiques sans lendemain. Face à cette basse-cour parisienne, la ND n'a pas op­posé un projet clair: au contraire, elle a présenté un véritable “mouvement brownien” de brics et de brocs d'idées diverses, sans liens apparents entre elles. Du coup, elle ne faisait pas le poids devant ceux qui avaient une longueur d'avance sur elle dans le monde “intellectuel” (?) parisien.

 

Un droit familial et collégial

 

Le recours aux études indo-européennes aurait également pu dépasser le clivage qui avait ruiné la postérité de Savigny en Al­lemagne: l'opposition stérile entre romanistes et germanistes, c'est-à-dire entre partisans du droit romain et partisans du droit germa­nique. Aujourd'hui, la philologie et les études indo-européennes indiquent au contraire une source commune, plus an­cienne, propre à toutes les grandes tra­ditions populaires européen­nes, et se situant au-delà de ce clivage artificiel roma­nité/germanité. Tel a été l'apport d'Emile Benveniste, du Géorgien Thomas V. Gamkrelidze, du Rus­se Vjaceslav V. Iva­nov, de Dumézil et de Bernard Sergent. Dans tous ces travaux qui révèlent à nos con­temporains les matrices culturelles du monde indo-européen, une part importante de ces volumes respectables traite des “institutions”. Gam­krelidze et Ivanov sont très précis pour tout ce qui concerne les liens sociaux, base du droit privé et du droit public, de l'antiquité à nos jours. Si la ND s'était référée à ces corpus, plutôt que de ti­rer de Dumézil une sorte de sous-mythologie guerrière, tout juste digne des jeux de rôle pour adolescents désorientés, elle n'aurait jamais essuyé le re­proche de “national-so­cialisme”.

 

Avec un apport philologique solide, la ND aurait été mieux armée face à ses adversaires. Le droit pri­mitif indo-européen est familial et collégial, il implique la liberté, le droit de résistance à la tyran­nie, la délibération démo­cratique: la ND aurait eu beau jeu de ruiner les arguments de ses adversaires républicains en France. En critiquant tout apport philologique, ceux-ci se rangeaient automa­ti­quement dans le camp des partisans de l'absolutisme, de la coer­cition, de la rupture entre société civile et appa­reil d'Etat. La ND aurait arraché leurs mas­ques avec délectation: ces faux démocrates sont de vrais ter­roristes et le républica­nisme institutionalisé n'est pas démocratique, il est même le pire des contraires de la démocra­tie. La ND aurait pu con­fis­quer pour elle seule le label de “démo­cratie”. Schmitt con­seil­lait même d'ap­peler Tocqueville à la res­cousse... Effectivement, devant la phalange re­groupant Savigny, Tocqueville, Schmoller, Schmitt et les philologues indo-européani­sants, le discours républi­cain se­rait bien rapidement apparu pour ce qu'il est: un bricolage sans con­sistance.

 

Enfin, la notion de Volksgeist  apparait certes comme typiquement alle­mande. Les savants allemands ont étudié en profondeur, de Herder aux frères Grimm, les tréfonds de l'âme populaire germa­nique. Mais, en dehors de la sphère culturelle et linguistique germanique, les philologues slaves ont pris le relais et ont exploré à fond les coins et les recoins de l'âme slave. Une telle demarche a été entreprise pour la France par quelques esprits aussi hardis que brillants (Van Gennep), mais cet acquis doit à son tour être poli­tisé et instrumentalisé contre les partisans républicains de la “cité géomé­trique” (ce terme est de Georges Gusdorf, autre penseur capital qui a été totalement ignoré par de Benoist ; on peut légitimement se poser la question ; pourquoi cet ostracisme ?).

 

Entrelacs très dense de juridictions et de traditions

 

L'ancienne France n'avait peut-être pas de constitution, mais elle n'était pas un désert juridique. Au contraire: l'histoire des droits communaux ou mu­nicipaux, les structures juridiques des paroisses des provinces de France, les assemblées organisées ou non par des syndics permanents ou élus, la diver­sité des instances de justice, le régime de la milice populaire, l'assistance pu­blique et l'organisation des hôpitaux et des maladreries, la fonction des prudhommes, les protections accordées à l'agriculture, sont autant de mo­dèles, certes complexes, qui expriment la vitalité du petit peuple et sont les garants de ses droits fondamentaux face au pouvoir.

 

C'est dans ces entrelacs très denses de juridictions et de traditions juridiques que s'est épanouie la France rabelaisienne, la fameuse gaîté française (cf. Albert Babeau, Le village sous l'Ancien Régime, rééd., Genève, 1978, éd. or., Paris, 1878). Plutôt que d'encourager les fantasmes douteux et vikingo-ger­manolâtres de certains ado­lescents fragiles (ou de gâteux précoces...), la ND française aurait dû re­nouer avec cette France joyeuse des libertés villageoises, même si le type du gai Gau­lois, païen, paillard et libertaire ne corres­pond pas au per­son­nage si­nistre, lugubre, grognon et tyrannique qui orchestre aujourd’hui cette ND moribonde, tenaillé par un res­sentiment hargneux de vieille femme délaissée. Le recours à la vieille France rabelai­sien­ne aurait été détonnant si la ND l'avait couplé à une exploitation idéologique efficace de cette dis­tinction capitale qu'avait opérée l'ethnologue Robert Muchembled entre la “culture du peuple” et la “culture des élites”. La culture du peuple est fondamentalement païenne (c'est-à-dire paysanne et tournée vers les rythmes naturels auxquels nul ne peut échapper), elle est axée sur la diversité du réel et sur les in­nombrables différences qui l'a­ni­ment. La culture des élites est étriquée, schémati­sée, géométrique avant la lettre, répressive, “sur­veillante et punis­sante” (pour re­pren­dre les expres­sions fa­vo­rites de Michel Foucault), en un mot, scolastique. Le pari pour la culture populaire rabelai­sienne impliquait aussi de prendre parti

-           pour les révoltes régionales contre la “cité géométrique” montée par Siéyes et les révolu­tion­nai­res ;

-           pour la diversité des expressions popu­lai­res dans les anciennes provinces de France ;

-           pour les révoltes populaires en général, que ces ré­voltes soient paysan­nes, régiona­listes, syndicales ou ouvrières.

Cette triple prise de parti permettait de re­nouer avec la notion de “droit de résistance”.

 

Mais hélas: l'option droitière, le désir irrépressible (mais jamais réalisé!) de “manger à la table des puissants”, de servir de mercenaires aux droites du pouvoir, de débiter inlassablement des discours anticommunistes ineptes, de s'allier avec des politiciens droitiers véreux qui étalent leur prose dans la presse bourgeoise, de vouloir à tout prix collaborer à cette presse (parce qu'elle paie bien), empêchaient de jouer cette double carte de la défense et de l'illustration de la vieille France populaire et rabelaisienne, de revendiquer le droit de résistance de la societas civilis, de défendre le peuple réel contre ses oppresseurs, légistes ou militaires. Mais les puissants n'ont pas accepté le mercenariat proposé, le gourou de la ND a été remercié; c'est alors que l'on a assisté à un aggiorna­mento de la ND, à une tentative de s'ouvrir sur la gauche intellectuelle, ses cénacles, ses salons. Mais comment entrer dans ce monde-là, quand on revient piteusement d’en face, quand on a voulu se faire le gendarme intellectuel d'une fausse droite qui n'est jamais rien d'autre que la vraie gauche républicaine institutionnalisée?

 

Créer une « chancellerie impériale »

 

Schmitt, dans son projet de reconstituer une sorte de “chancellerie impériale” en créant son élite de juristes traditionnels et de philologues, gardiens du plus ancien passé de l'Europe, n'entendait pas jeter brutalement tout l'édifice juridique révolutionnaire-institutionalisé à terre. Il jetait un soupçon sur la validité et surtout sur la légitimité de cet édifice, il constatait que l'inflation de lois et de réglements, que la fixation sur les normes avaient conduit à un totalitarisme insidieux, à une tyrannie des normes, à l'émergence d'une cage d'acier institutionnelle rendant aléatoires les changements et les adaptations nécessaires. Or, en France, le gaullisme des an­nées 60, pourtant héritier du républicanisme français, gère une constitution, celle de la Vième République, qui a reçu indirectement, via René Capitant, l'influence de Schmitt et de l'école déci­sionniste allemande. L'influence de Schmitt a parfois été considérée comme “étatiste”; on a dit qu'elle servait à soutenir les vieux Etats de modèle occidental et leurs appareils de contrôle et de répression. C'est là une interprétation schématisante de son œuvre. Nous l'avons vu en analysant son plaidoyer pour un retour à la démarche de Savigny. La societas civilis  et ses ordres concrets sont, pour Schmitt, des instances et des valeurs d'ordre et de discipline, sont les récep­tacles de vertus créatrices. Les constitutionnalistes de la Vième République, en suivant la logique de Schmitt, ont dû parvenir au même constat. Et admettre que le républicanisme français et ses imitateurs en Europe généraient une coupure problématique et perverse entre la societas civilis  et les appareils d'Etat. Dans les années 60, les politologues gaulliens ont réfléchi à la question: le hiatus entre societas civilis  et appareils d'Etat devait être surmonté par trois innovations réellement fécondes: a) la participation dans le domaine économico-industriel, b) la création d'un Sénat des professions, hissant l'élite de la societas civilis  au plus haut niveau de l'Etat et de la représentation politique; c) la création d'un Sénat des régions, permettant de redonner à tous les territoires de l'Hexagone une représentation directe sur une base locale, contournant ce que Gusdorf avait appelé l'“ivresse géométrique de la France en carrés” (in La conscience révolutionnaire. Les idéologues,  Paris, 1978).

 

Malgré ses dénégations, malgré ses déclarations réitérées de vouloir sortir du ghetto de l'extrême-droite, de Benoist n'a jamais cessé d'être accroché par toutes sortes de fils à la patte à ses petits copains de l'ex-OAS qui faisaient de l'anti-gaullisme un dogme et étaient tellement aveuglés par leurs ressentiments qu'ils ne constataient pas les mutations positives du gaullisme dans les années 60. Certes, de Benoist a un jour écrit un bon article dans le Figaro-Magazine,  où il affirmait être gaullien plutôt que gaulliste. Mais la transition qu'il semblait annoncer par cet article en est restée là...  Seul Europe, Tiers-Monde, même combat constitue une tentative d’Alain de Benoist de sortir concrètement du duopole de la Guerre Froide, mais, hélas, ce livre n’a pas eu de suite, n’a pas été remis à jour après 1989. Armin Mohler avait enjoint les Allemands à parier sur l’alliance française et l’appui aux « crazy states » hors d’Europe. Alain de Benoist lui a emboîté le pas. Mais où est la recette pour l’après-perestroïka ? Quelle théorie sur la Russie ? Alain de Benoist est fidèle à sa maladie : rien que les idées abstraites et les éthiques désincarnées, ses pièces de meccano. Pour le reste, fuite hors de l’histoire, fuite hors du monde.

 

Droit de résistance et citoyenneté active

 

Enfin, si la ND avait renoué avec la notion  —pourtant éminem­ment con­servatrice—  de “droit de ré­sistance”, elle n'aurait eu au­cune peine à dé­ployer un projet de citoyenneté active (et partici­pa­tive), et à défendre les sec­teurs non-marchands (éducation, secteur médical) battus en brèche par l'économicisme ambiant. Aujourd'hui, les quelques références à une ci­toyenneté active dans les textes de la nouvelle droite semblent tomber du ciel, semblent n'être qu'une ma­nie et qu'un caprice passa­ger, que les vrais parti­sans de la citoyenneté active ne prennent pas au sérieux. Mais nous, Sampieru, Mudry et moi-même, qui avions revendiqué très tôt cette orientation vers le peuple réel, étions traités par le gourou de “trotskistes” ou d'“écolos”, de lecteurs de la revue Wir Selbst, jugée à l'époque dangereusement “gauchiste”. Aujourd'hui, le gourou est lui-même devenu, paraît-il, un “trotskiste” et un “écolo”, il flatte bassement mais sans résultat le directeur de Wir Selbst, alors, pour dédouaner ses an­ciennes injures, il a fait écrire à l'un de ses serviteurs italiens une lettre in­sultante qui nous campait comme les “teste matte della Mitteleuropa”  (les têtes brûlées de la Mitteleuropa). Vouloir la subsidiarité, le rétablissement du droit de résistance, vouloir un droit plongeant dans l'humus de l'histoire, être fidèles à Carl Schmitt, est-ce un programme capable de sé­duire des “têtes brûlées”? (7).

 

Lacunes économiques et géopolitiques

 

Enumérer les multiples errements de la ND française exigerait un livre en­tier. En guise de conclusion, signalons encore que l'écono­mie a été une pa­rente pauvre de la “révolution métapolitique” de la secte GRECE. Rien de sérieux n'a été entrepris pour faire connaître dans un public large les thèses des éco­nomistes hétérodoxes. En matière de géopolitique, on a vaguement évoqué un binôme franco-alle­mand (insuffisant dans l'Europe actuelle) et répété un anti-américanisme incantatoire, plus éthique que pratique. Alain de Benoist n'a jamais reproché aux Américains de fabriquer des “traités iné­gaux” avec toutes les autres puissances de la planète, n'a jamais analysé sé­rieusement le déploiement de la puissance américaine depuis l'indépen­dance des Etats-Unis: lors d'un colloque du GRECE, devant le pu­blic aba­sourdi, son argument principal ne fut-il pas de dire: “la sodomie entre é­poux est passible des tribunaux dans certains Etats de l'Union”. Et de Be­noist, im­mé­diatement après avoir prononcé cette phrase historique, re­gardait son public, semblait attendre une réaction. Les participants regar­daient leurs chaussures d'un air géné. Et de Benoist a continué à parler, pas­sant de la sodomie à autre chose, comme les polygraphes passent de la phy­sique nucléaire à la bande dessinée. L'argument ob­sessionnel et patholo­gique de la sodomie épuise-t-il toute critique de l'américanisme?

 

Les litanies anti-américaines, justifiées par l'esthétisme, par l'éthique guer­rière européenne, par l'hostilité au christianisme en général et au christia­nisme protestant américain en particulier, par la vo­lonté obses­sion­nelle de défendre la liberté de se so­domiser en rond n'apportent rien de concret. Li­gues de vertu puritaines et hystériques et cénacles pansexualistes et pro­mis­cuitaires ne servent jamais que de dérivatifs: pendant que les uns et les au­tres vocifèrent et s'agitent, ils ne se mêlent pas du fonction­nement de la Ci­té, au vif plaisir des dominants. La CIA peut dormir sur ses deux oreilles.

 

La CIA peut dormir sur ses deux oreilles…

 

La ND, qui se pose en théorie comme un mouvement pour la défense et la sau­ve­garde de l'Europe, n'a jamais for­mulé une géopolitique continentale d'un point de vue français. On connait les visions mitteleuro­péennes de la géo­politique allemande, voire les projets de Kontinentalblock  dérivés de la pensée de Haus­hofer. Jamais la ND française n'a vulgarisé les acquis de la géopolitique française contemporaine: aucun texte n'a été publié sur les ouvrages de Hervé Cou­tau-Bégarie, de Pascal Lorot, de François Thual, de Jacques Sironneau, d'Y­ves Lacoste (un “gauchiste”...), de Michel Foucher (un méchant qui a tra­vaillé pour Globe...), de Zaki Laïdi (un “Arabe”...), de Michel Korinman, etc. alors que, dans toute l'Europe, ces travaux sont pionniers et inspirent les écoles géopolitiques en place. Pire, jamais la ND n'a emboîté le pas à Jordis von Lohausen qui demandait aux Français et aux Allemands de défendre l'Europe “dos à dos”, ce qui impliquait un engagement français sur l'Atlantique, une défense de la ma­rine française, traditionnellement européiste et vaccinée contre les excès de germano­pho­bie qui ont souvent agité les milieux militaires. La ND parisienne a-t-elle défendu les marins français et leurs pro­jets, a-t-elle recommandé la lecture des écrits théoriques de l'amirauté? Non. La CIA peut dormir sur ses deux oreilles. La Navy League aussi. La germanophilie et l'européisme germa­ni­sant de la ND de de Benoist sont des leurres, des attrape-nigauds, des mi­roirs aux alouettes. Une politique germano­phile et européiste en France est une politique de soutien à la marine du pays et implique un engage­ment ci­vil et militaire dans l'Atlantique; l'Allemagne réorganise la continent avec la Russie; la France garde la façade atlantique. Dos à dos, disait Lohausen.

 

En philosophie, les carences de la ND sont effrayantes. Alors qu'en Alle­magne, terre par excellence de la philosophie, tous recourent aux philo­so­phes français contemporains pour court-circuiter les routines qui affligent la pensée allemande d'aujourd'hui, que des fanatiques tenaces cherchent à ali­gner sur les critères les plus étri­qués de la “political correctness”, la ND pa­risienne a délibé­rément ignoré les grands philosophes français contempo­rains. J'ai même entendu dire et répéter dans les rangs de la ND qu'il n'y avait plus de “grands philosophes” aujourd'hui, mis à part de Benoist, bien sûr, le génie d'entre les génies! On ne saurait être plus à côté de la plaque!

 

Enfin, une stratégie métapolitique ne saurait être purement esthé­tique, ni virevolter au gré de tous les vents ni présenter ses argu­ments dans le dé­sordre à la façon du “mouvement brownien” des parti­cules. Une stratégie métapolitique ne peut se placer en-deçà de l'effervescence politicienne et parti­sane, que

-           si elle se donne pour tâche de retrouver et de renouer des fils conducteurs,

-           si elle capte et repère des forces dans le grouillement du réel ;

-           si elle procède à un travail d'archéologie des ins­titutions.

Les mé­thodes d'un tel travail, les philosophes français nous les ont léguées. En­core faut-il ne pas les avoir ignorés...

 

En bref, pour nous, entre autres textes de référence pour orienter notre tra­vail, nous avons choisi celui de Schmitt, commenté dans cet exposé. En­suite, nous posons des objectifs clairs, nous ne percevons pas le tra­vail théorique comme un jeu de salon. Ces objectifs sont:

- restauration d'un droit européen basé sur ses racines et ses sources les plus anciennes (référence à Savigny).

- restauration des droits des communautés réelles qui font le tissu de l'Europe.

- restauration d'une “chancellerie impériale” capable d'harmoniser cette di­versité juridique, corollaire de la diversité européenne (et cette chancellerie impériale doit compter des hommes et des femmes de toutes nationalités, capables de maîtriser plusieurs langues européennes).

- maintenir les systèmes de droit ouverts, afin d'éviter les fanatismes nor­mativistes et toute forme de “political correctness”.

- prévoir une instance décisionnelle en cas de danger existentiel pour l'instance politique (nationale ou européenne).

- étude systématique des traditions d'Europe, comme Schmitt nous l'a de­mandé.

-           coupler cette restauration juridique et cette méthode historique à un pro­gramme hétérodoxe en économie (la référence que fait Schmitt à l'école historique de Gustav von Schmoller).

 

 

Les remarques de Kowalski

 

Ce programme est vaste et interpelle quasiment toutes les disciples du savoir humain. Mais ce progamme ne saurait en aucun cas s'abstraire du mouvement de l'histoire. Et s'encombrer du ballast inutile des fantasmes, des images d'Epinal, des vanités personnelles... Pour terminer, signalons tout de même une hypothèse sur la ND, formulée par un politologue allemand, Wolfgang Kowalsky (in: Kulturrevolution? Die Neue Rchte im neuen Frankreich und ihre Vorläufer,  Opladen, 1991). Kowalsky, après avoir analysé l'évolution des idéologies politisées en France, de mai 68 à l'avènement de Mitterrand, après avoir examiné le rôle de la ND dans cette longue effervescence, concluait en disant que la “métapolitique” de la ND, plus exactement son programme de “révolution culturelle”, était une arme contre la société civile (Kulturrevolution als Barriere gegen die Zivilgesellschaft). Certes, l'argumentation de Kowalsky est confuse, il confond allègrement ND et FN, croit en un “partage des tâches” entre ces deux formations (ce qui est une lubie des enquêteurs anti-fasciste professionnels sans profession définie). Néanmoins, la question de Kowalsky doit être posée, mais différemment: vu l'absence totale de consistance des discours de la ND sur le droit, l'économie, la géopolitique, les relations internationales, la staséologie (l'étude des mouvements sociaux; ce néologisme est de Jules Monnerot), l'histoire, l'organisation de la santé, les projets pratiques en écologie et en approvisionnement énergétique, etc., nous sommes bien obligés, à la suite de Kowalsky, de constater que la societas civilis,  espace réel de la civilisation ou de la culture européenne, ne trouve dans la ND aucun argument pour assurer sa défense contre l'emprise croissante d'un monde politique totalement dévoyé, qui n'a plus d'autre projet que de se perpétuer, en s'auto-justifiant à l'aide d'arguments vieux de deux ou trois siècles, en pillant la societé civile par une fiscalité délirante, en la contrôlant par la presse et les médias stipendiés, en surveillant et en punissant ceux qui osent contester ce pouvoir inique (emprisonnement de fédéralistes français, poursuites judiciaires contre des indépendants contestant le système de sécurité sociale, contrôle de la fonction médicale, etc., toutes pratiques que l'on trouve évidemment dans d'autres pays). Kowalsky exagère sans nul doute en suggérant que de Benoist a construit pour toute la France une barrière contre la société civile, pour protéger et perpétuer le système bodinien, en place depuis Richelieu et les jacobins. Le rôle de de Benoist, s'il a vraiment été un dérivatif, a été plus modeste: empêcher que dans les milieux dits de “droite”, des argumentaires en faveur de la décentralisation, du fédéralisme, de la défense de la société civile, de la réforme juridique, judiciaire et constitutionnelle, qu'un retour aux projets gaulliens de participation et de sénat des professions et des régions (oubliés depuis le départ et la mort du Général), ne se cristallisent et ne se renforcent, afin de défier sérieusement le système en place et d'opter pour une révolution européenne armée d'un programme cohérent. La “métapolitique” selon de Benoist n'a été qu'un rideau de fumée, qu'un dérivatif, n'a servi qu'à désorienter de jeunes étudiants en ne les mobilisant pas pour un travail juridique, économique, sociologique et philosophique politiquement fécond à long terme. Pistes perdues... Rendez-vous manqués… Aveuglement ou sabotage ? L’Histoire nous l’apprendra…

 

Robert STEUCKERS,

Forest, février 1998.

 

(1)       Roland  Gaucher, qui reconnaît pleinement les mérites du GRECE, lui reprochant toutefois une méconnaissance de la stratégie de Gramsci, sait aussi croquer avec humour les travers que nous dénonçons  par ailleurs : « Je me souviens ici d’une intervention d’Alain de Benoist, qui m’avait frappé lors d’un colloque organisé par l’Institut d’études occidentales. Quand  vint son tour de parler, partant du fond de la salle, il s’avança, raide et gourmé, un rouleau de papier à la  main. Ses partisans se levèrent pour l’acclamer — il n’était, à l’époque, guère connu mais il avait déjà su constituer sa clique et sa claque. Je n’ai pas  retenu  grand  chose de son intervention, sinon l’expression d’un rejet radical de l’histoire de Job sur son fumier. Selon lui, elle ne nous touchait pas. Elle était radicalement étrangère à la cultue européenne » (Roland Gaucher, « Les Nationalistes en France, tome 1, La traversée du désert (1945-1983), p. 157). Plus loin, Gaucher se fait plus  caustique encore : « J’en finirai sur cette aspect du GRECE avec une anecdote qui me fut un jour contée par le regretté Bonomo aujourd’hui décédé, excellent reporter, d’origine pied-noir. Bonomo, il y a une quinzaine  d’années (peut-être à l’époque de la création du « Fig-Mag »)  avait servi de pilote à Alain de Benoist et à un de ses amis pour un raid vers le Cap Nord. Bonomo conduisait la voiture, les deux autres étaient assis à l’arrière. Et au fur et à mesure que le temps passait, il était clair que se développait chez ces deux Nordiques un sérieux complexes de supériorité à l’égard de ce Méditerranéen, poisson de second choix. On parvint enfin au terme du voyage, en un point X… que la tradition nordico-païenne avait sans doute désigné : - Alors, raconte Bonomo, de benoist et son pote jaillissent de la voiture. Et, frappant de leurs petits poings leurs maigres bréchets ils avancent jusqu’au bord de la falaise et ils crient, extasiés, le visage levé vers le soleil pâle : « Père ! Père ! C’est nous ! Nous sommes revenus ! Nous t’adorons ! ». Bref, c’était gentil papa Soleil ! (op.  cit., pp. 157-158).

 

(2) Près de Pérouse en février 91, Alain de Benoist était assis au fond de la salle de conférence, une salle magnifique de cet ancien couvent transformé en centre de séminaires, avec un parquet du XVIIIième parfaitement restauré. Il était interdit de fumer pour ne pas abîmer ce parquet. Alain de Benoist fumait, sale et dépenaillé, avec son costume fripé, sa chemise souillée et ses pompes qui n’avaient plus vu de cirage depuis des lunes. Une auréole de fumée s’élevait au-dessus de son crâne et de celui de sa maîtresse, vêtue d’un jeans troué et effiloché aux niveaux du genou et de la fesse gauche, curieux contraste avec toutes les dames italiennes présentes, dont l’élégance, ce jour-là, était véritablement époustouflante. Les copains parisiens ramenaient des bords de la Seine le look clodo. «Le style, c’est l’homme », disait Ernst Jünger et Alain de Benoist aimait à répéter cette phrase. Je l’ai aussi méditée, en le regardant, ce jour-là. Vers la moitié de mon exposé, il s’est levé pour aller fumer dehors, rappelé à l’ordre par le concierge. Il est revenu à l’entracte pour me dire : « Pourquoi t’as parlé de Derridada ?».

 

(3) Cette lecture partielle est une lecture anti-fasciste de Gobineau. Bon nombre d’hurluberlus de droite ont repris telles quelles les calomnies répandues sur Gobineau en France par les tenants d’un anti-racisme vulgaire, qui feraient bien mieux de s’inspirer des expériences de Gobineau en Orient pour développer un anti-racisme cohérent. Force est de constater que les vulgates anti-racistes et racistes partagent la même vision tronquée sur l’œuvre magistrale de l’orientaliste Gobineau.

 

(4) Cf. Hervé Luxardo, « Les paysans. Les républiques villageoises. 10ème-19ème siècle », Aubier, Paris, 1981 ; Hervé Luxardo, « Rase campagne. La fin des communautés paysannes », Aubier, Paris, 1984.

 

(5) et, du même coup, de refaire de Hambourg le chef-lieu du département des “Bouches-de-l'Elbe”. Fantasme qui avait déjà valu au bonhomme quelques ennuis, quand il était en poste à Bruxelles et rêvait de commencer sa marche vers l'Elbe, en conquérant la Wallonie et les Fourons.

 

(6) Il fallait le voir! Il aurait fait les délices d'un caricaturiste primesautier, avec ses sourcils tombant tristement, comme la chute des moustaches d'un Tarass Boulba de fête foraine, la bouche ouverte, la mâchoire pendouillant misérablement comme s'il venait d'essuyer un uppercut, les bajoues agitées de convulsions nerveuses, la lippe inférieure tremblotante, retenant à peine, grâce à la forte viscosité d'une salive nicotinée, son éternel bout de clope à moitié éteint et pestilentiel!

 

(7) Et que faut-il penser de la clique des vikingomanes de Paris et des environs, du fameux Chancelier du gourou, pied-noir et grande gueule, s'époumonant à hurler les pires inepties lors des universités d'été du GRECE, s'agitant à formuler un grossier paganisme de bazar oriental, et que faut-il penser de cette maîtresse vulgaire et illettrée qui faisait naguère, la clope au bec et l'invective sur la lippe, la pluie et le beau temps dans les bureaux du gourou, et que faut-il penser du Président actuel de la secte qui grenouillait dans les années 60 dans un groupe ultra-raciste (à faire pâlir Julius Streicher!) exclu avec fracas par Jean Thiriart de “Jeune Europe” à Bruxelles, d'un Président qui nous lance une fatwah  du haut de sa tribune, lors du dernier colloque du GRECE, en prétendant que nous sommes de « dangereux extrémistes » ? Non, ceux-là ne sont pas des “teste matte”: c'est, paraît-il, l'avant-garde de l'élite européenne. Mais est-ce bien cette élite-là que Schmitt appelait de ses vœux? Je me permets d'en douter.

   

 

jeudi, 13 août 2009

Thierry Maulnier: pour une philosophie économique

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POUR UNE PHILOSOPHIE ÉCONOMIQUE

 

 

(Thierry Maulnier, Mythes socialistes, Paris : Gallimard, 1936, pp. 237-246.)

 

Il ne faut pas se lasser de le dire, le problème économique, n’est pas un problème séparé. On ne le résoudra pas, si l’on ne résout préalablement le problème politique dont il dépend. Toute réorganisation d’une société humaine suppose d’abord réglée la question du réorganisateur, c’est-à-dire la question du gouvernement. Et, de même qu’il est impossible d’éliminer du problème économique ses composantes politiques, de même il est impossible d’en éliminer les composantes sociales, intellectuelles, humaines. Le libéralisme du dix-neuvième siècle d’abord, le marxisme ensuite, sont nés d’une philosophie qui considérait la science économique comme la science des sciences, l’activité économique comme l’activité-mère de toutes les autres, comme un domaine intangible et sacré. Tout cela nous a coûté assez cher pour que nous ayons cessé de croire à la panacée de l’économie pure. Mais là n’est pas la question.

 

Les solutions économiques comportent des conditions politiques ; elles doivent se soumettre aux exigences de la justice, de l’ordre, de l’homme. Mais si l’on ne peut résoudre seul le problème économique, on peut affirmer, du seul point de vue de l’économie’ que certains régimes tendent naturellement à l’anarchie, à la misère et à la ruine ; que d’autres régimes peuvent créer l’harmonie et la prospérité. Ceux qui ont soumis la vie sociale tout entière aux exigences de l’économie pure nous ont fait beaucoup de mal. Mais ceux qui ont fait de l’économie avec les préjugés de partis ou de classes, le sentiment, la morale, nous en ont fait tout autant. N’en voit-on pas, aujourd’hui, engager jusqu’à leur religion dans les contestations sur la propriété et le travail, comme ils l’engagent dans les contestations sur la forme du gouvernement? Gardons-nous de donner à l’économie trop d’indépendance : gardons-nous aussi de lui ôter son autonomie. L’économie pas plus que la politique, n’a droit au gouvernement exclusif des hommes. Mais l’économie, comme la politique, est un domaine propre de l’activité humaine, et soumis à des lois qui ne se commandent point. Qu’on le veuille ou non, ces lois, comme celles de la biologie ou de la physique, ces lois sont pures, elles font l’objet d’une science pure, et toutes les confusions métaphysiques du monde n’y pourront rien changer.

 

Ceci posé, nous n’en sommes que plus à l’aise pour affirmer que le politique et l’économique, s’ils peuvent être séparés dans la méthode, ne peuvent l’être dans l’action. De même que la biologie et la psychologie, qui sont des sciences séparées, ne peuvent être pensées intégralement et dans toutes leurs composantes de façon séparée, puisqu’elles sont deux parties d’une même vie, de même en est-il de la politique et de l’économique. Vouloir restaurer l’ordre politique sans se soucier de l’ordre économique ou l’ordre économique sans l’ordre politique, est absurdité pure. L’ordre politique dans l’anarchie économique est tyrannie, puisqu’il met la force de l’État, la police, l’armée, au service d’un désordre où les faibles sont écrasés, où les abus et les spoliations restent possibles. L’ordre économique sans ordre politique est impossible, puisque lui manque la force impérative qui seule peut plier à l’intérêt commun les intérêts particuliers. La première de ces deux vérités a été trop oubliée par des conservateurs libéraux qui ont vu dans l’autorité politique le moyen de résister par la force aux revendications souvent légitimes des classes les moins favorisées ; la seconde, par les socialistes marxistes qui ont considéré l’État politique comme un instrument de lutte des classes au service de la classe dominante alors qu’il est la condition même de l’équilibre des forces sociales, et que l’harmonie sociale, loin de permettre sa disparition, exige au contraire son autorité. Le problème politique et le problème économique ne doivent pas être confondus à la légère (des erreurs comme l’économie dirigée ou le syndicalisme politique en sont la preuve), ils ne doivent pas être arbitrairement séparés.

 

Parlant de l’ordre économique, M. E. Bélime, dans une remarquable étude récemment parue, définit en termes clairs et ses limites et sa nécessité : « Posant tout entier sur le plan matériel, écrit-il, il ne promet pas à l’homme ce bien spirituel qu’est le bonheur. Les besoins et les désirs auxquels répond la production caractérisent son matérialisme, un matérialisme dont il connaît ainsi la relativité et les limites. Il sait que l’homme a d’autres besoins et d’autres désirs, mais il sait aussi son impuissance à les manifester librement, lorsque ses aspirations inférieures l’obsèdent. Dans l’espace étroit qu’il s’est tracé, il s’en tient aux humbles besognes qu’il s’est assignées et dont l’exact achèvement est la condition souvent nécessaire, sinon toujours suffisante, de l’accession de l’homme aux bien spirituels. »

 

Nous voilà prémunis en même temps contre les deux grandes causes du malaise social actuel : l’idéalisme libéral et le matérialisme collectiviste qui en a été la conséquence, méritée et fatale comme les punitions antiques. Le libéralisme du dernier siècle a consacré le divorce monstrueux, la séparation par consentement mutuel de l’esprit et du monde. Les intellectuels ont peu à peu accepté d’oublier l’étroite dépendance où l’esprit est tenu par les réalités physiques qui s’affolent, s’insurgent et l’écrasent dès qu’il cesse de les régir ; ils les ont considérées comme indignes de leur regard. Un des plus grands paradoxes de notre histoire, aux yeux de l’avenir, sera ce dédain des intellectuels pour le monde en une de ses phases de plus grave transformation, cette prétention de l’intellectuel à ne s’occuper que de soi. Qu’on le remarque bien : il ne s’agit pas ici de métaphysique. Il ne s’agit pas de faire le procès de l’idéalisme métaphysique, critique de la connaissance, doute à l’égard du monde extérieur ; mais il faut condamner sans pitié l’idéalisme pratique, la tour d’ivoire, la renonciation de l’esprit au monde des faits. Libre à chacun d’admettre que le monde physique ne soit qu’apparence : mais c’est dans cette apparence que se meut toute vie. Celui qui dédaigne les apparences, bon gré mal gré, se met au service de la mort. Marx a criblé de ses attaques cette position insensée de l’idéalisme moderne, ce superbe dédain de l’esprit, dépouillé de la direction du monde social, à l’égard de la guerre, de la misère et de l’anarchie. On ne se lassera pas de répéter que Marx et ses sarcasmes avaient raison.

 

Mais l’intellectuel, enfermant l’esprit en lui-même, abandonnait la direction de la société humaine au théoricien du monde matériel, à l’économiste. Pendant que l’intellectuel érigeait en principe le dédain de l’esprit à l’égard du monde social, l’économiste affirmait le dédain du monde social à l’égard de l’esprit. L’économie libérale, née au dix-huitième siècle, concevait la vie des sociétés comme celle des forces de production et des courants d’échange, attribuait aux marchands la puissance motrice de l’évolution humaine, et confondait l’histoire de l’homme et l’histoire des prix. La vie économique apparaissait peu à peu comme un monde sacré, intangible, soumis à des lois naturelles auxquelles l’homme ne pouvait prétendre imposer son autorité sans désastre. La politique, dans son ordre, gardait le droit de faire appel à l’organisation, à la prévision, à la raison ; dans le heurt des forces politiques, l’harmonie, on le reconnaissait, ne naissait pas d’elle-même. Mais, dans l’activité économique, — humaine elle aussi, pourtant, — toute intervention constructrice et régulatrice de la raison et de la volonté était sacrilège. L’ordre naissait du libre déchaînement des forces, des intérêts, des instincts. Dans l’économie, dans l’économie seule, le libre jeu de la nature n’avait nul besoin d’être corrigé par la civilisation et l’intelligence. Au progrès, à la prospérité, à l’harmonie des plus complexes sociétés humaines, l’économiste, seul souverain dans son domaine, a exigé qu’on appliquât les principes de la lutte pour la vie, de l’élimination des faibles, du laisser-faire ; les principes mêmes qu’en tous domaines la société des hommes a mission de combattre par le gouvernement, l’arbitrage et le droit ; les principes mêmes de la barbarie.

 

On sait les résultats présents de cette liberté forcenée donnée au producteur et au marchand par le libéralisme. Avant la réaction des faits, la réaction des hommes s’est produite, le socialisme marxiste a protesté violemment contre une pensée idéaliste, systématiquement impuissante en face des réalités humaines ; il a déclaré inadmissibles l’oppression et l’exploitation des faibles par les forts dans l’ordre de l’économie. La tentative philosophique de Marx est celle d’un nouveau réalisme, où l’esprit, détourné de la terre par l’abstraction idéaliste, se réconcilierait avec le monde physique pour reprendre son rôle puissance efficace et d’acteur dans le développement de l’histoire. Mais si, dans le principe, l’effort tenté par Marx pour atteindre, dans un monde dissocié, une nouvelle synthèse de la pensée humaine et de la réalité était parfaitement justifiable, les moyens qu’il a employés pour réaliser cette synthèse apparaissent infiniment incomplets et superficiels.

 

Le sociologue allemand n’a pas su se libérer du culte libéral de l’économie. Au moment où il parvient à ses conclusions principales, l’étrange cancer de l’économie libérale, abandonné à lui-même, alimenté par l’équipement technique et par la concurrence, s’accroît déjà de jour en jour sur le corps de la société humaine. Marx fonde toute sa philosophie sur cette déviation de l’histoire, au lieu de chercher et de retrouver la ligne directrice de l’histoire. II construit sur l’accident libéral comme sur un fait humain essentiel et permanent. Bien mieux, il analyse l’histoire tout entière en fonction, et à la lumière de la période libérale — ce qui le conduit, entre autres erreurs, à considérer la lutte des classes, fait propre à l’économie libérale, comme un phénomène constant, et à la retrouver dans les époques mêmes où, de toute évidence, elle n’existait pas. Ainsi, dès son principe, le réalisme marxiste entre dans le jeu des économistes libéraux dont il combat les formules ; il accepte d’eux la notion d’une Économie autonome, fait humain fondamental et n’obéissant qu’aux lois internes de son propre développement. Marx proclame que les principes du laisser-faire et de la concurrence, érigés en lois suprêmes par l’économie naturaliste, conduisent d’eux-mêmes à une autre forme de société, qui est collectiviste et donne le pouvoir au prolétariat ; mais, pas une seconde, il ne nie le principe même de l’économie naturaliste. Au contraire. Il ne fait qu’accroître l’importance et l’empire de l’économie dans la société.

 

Pour la pensée libérale, la vie économique se suffisait à elle-même, elle obéissait à ses propres lois, elle se comportait dans le monde humain comme un univers autonome. Mais elle n’envahissait pas les autres domaines, ceux de la politique, de la culture, des mœurs, des croyances. Marx sait que la pensée même d’une telle autonomie de l’économique, qu’une telle séparation de l’homme et de l’une de ses activités essentielles est inadmissible. Les actions et les réactions de l’économie, commerce, moyens d’échange, travail, niveau d’existence, habitat, sur toutes les formes de la vie et de la pensée sont évidentes, plus évidentes que jamais en un temps où l’essor économique semble modifier de fond en comble toutes les formes de la vie. Contre les économistes, Marx affirme donc le lien essentiel qui unit l’économie à toutes les formes de la vie sociale et individuelle. Mais, contre les idéalistes, il affirme en même temps la subordination des « superstructures » individuelles, intellectuelles, morales, de la politique, de la culture, des croyances, de la raison, de la personnalité, aux conditions collectives de la vie matérielle, c’est-à-dire à l’état économique de la société. Ainsi, par un paradoxe extraordinaire, Marx ne parvient à rendre à l’esprit sa puissance active et sa valeur créatrice qu’en le soumettant à ce qu’il y a de plus matériel dans le monde physique : il ne parvient à rétablir les rapports essentiels, niés par le libéralisme, entre la vie économique et les formes les plus complexes de la vie sociale et personnelle qu’en étendant au monde humain tout entier la royauté de l’économie jusque là bornée par les libéraux au monde proprement économique. C’est à l’économie elle-même que le marxisme demande d’affranchir l’homme des oppressions économiques. L’ordre économique était, pour les libéraux, autonome, dépendant de lui-même : il devient, pour les marxistes, souverain de toute la société humaine. Le marxisme consomme ce que le libéralisme avait commencé.

 

Pour rendre la pensée humaine et la réalité, la personnalité et la vie matérielle collective à leurs rapports naturels, c’est l’effort inverse qu’il convient de faire. L’indépendance monstrueuse acquise par les faits économiques dans la société moderne doit être non transformée en souveraineté absolue, mais réduite et maîtrisée. L’économie doit être considérée comme ce qu’elle est : c’est-à-dire une des formes de la vie sociale, une de ses formes les plus importantes, non son fondement et son principe. Nous devons non pas lui soumettre la vie sociale tout entière, mais au contraire la faire rentrer dans sa subordination naturelle à l’ensemble de la vie sociale. Les rapports économiques ne créent pas les rapports sociaux, ils en dérivent, l’échange des produits, la division des travaux supposant déjà par eux-mêmes l’instinct social existant et la vie sociale constituée. Toute critique valable du marxisme doit partir de ce fait essentiel que les faits économiques ne sont pas déterminants mais déterminés. Ils supposent l’existence de la personnalité humaine et de la solidarité humaine, de la vie sociale humaine dans toute sa complexité. Loin d’absorber en eux toute la vie sociale des êtres humains, ils doivent donc se soumettre aux lois naturelles de cette vie sociale, aux exigences, aux limitations, aux règlements, au gouvernement que suppose la vie des hommes en société. S’il y a un déterminisme historique, il est social au sens le plus complexe et le plus complet du terme, et non purement économique. Dans l’ordre de la pensée comme dans l’ordre pratique, le véritable recours contre le naturalisme libéral consiste à proclamer non la souveraineté mais la subordination de l’économie. La réconciliation demandée par Marx de l’homme et de la réalité, de la pensée et du monde n’est possible que si les lois du développement humain, ramenées illégitimement par l’auteur du Capital à une activité partielle de l’homme, sont découvertes et respectées dans leur complexité véritable : il est dans l’existence personnelle et dans l’existence sociale de l’homme des lois plus primitives, plus déterminantes encore que celles du régime du travail ou des échanges : celles de la vie humaine elle-même, — qui est plus que la vie économique — dans sa totalité : c’est sur le respect de celles-là que s’appuie l’ordre économique véritable, comme tout l’ordre civilisé.

mardi, 14 juillet 2009

Une étude néerlandaisesur Malraux, Drieu, Nizan et Brasillach

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Souffrir de l’air du temps...

Une étude néerlandaise sur Malraux, Drieu, Nizan et Brasillach

 

Un livre vient de sortir de presse aux Pays-Bas: celui de Marleen Rensen, professeur de “lettres européennes modernes” à l’Université d’Amsterdam. Il est intitulé: “Lijden aan de tijd – Franse intellectuelen in het interbellum” (= “Souffrir de l’air du temps – les intellectuels français pendant l’entre-deux-guerres”). Ce livre se vendra-t-il? Je ne sais pas. Il est la version grand public d’une thèse de doctorat portant sur la façon dont quatre écrivains français, André Malraux, Pierre Drieu la Rochelle, Paul Nizan et Robert Brasillach, affrontent leur époque dans leur oeuvre, songent au temps qui passe et en sont obsédés. Indubitablement, c’est là un bon sujet. Mais, hélas, le public potentiel me semble bien réduit aujourd’hui, qui s’intéresse encore à la littérature engagée de cette époque-là et qui, de surcroît, serait prêt à se farcir des considérations d’ordre philologique, bien difficiles à ingurgiter. Et nous sommes les premiers à le déplorer. En tout cas, l’éditeur prêt à tout, aux Pays-Bas, “Aspekt” de Soesterberg, mérite nos applaudissements pour avoir publié une fois de plus un ouvrage difficile, peu commercialisable. Il faut oser le faire.

 

L’analyse que propose Marleen Rensen de quatre romans d’avant-guerre, représentatifs de ce qu’elle appelle la “génération anti-Proust”, est remarquable, mais je formulerais tout de même quelques critiques sur l’un ou l’autre détail de son travail. Je rassure: mes critiques ne portent pas sur le fond mais sur des détails, des points et des virgules, de petites inexactitudes que Marleen Rensen aurait pu éviter.  Il est inexact d’affirmer, par exemple, que l’écrivain communiste Nizan ait d’abord été membre du “Faisceau” de Georges Valois dans les années 20. Il est tout aussi inexact d’étiqueter ce mouvement de “fascistoïde”, comme le fait Marleen Rensen: c’est à coup sûr une exagération. Le terme “fascistoïde” est vague; il relève du langage pamphlétaire et non pas de la terminologie scientifique; raison pour laquelle j’éviterais de l’utiliser dans une thèse. Valois entendait, faut-il le rappeler, dissoudre son mouvement dans le front des gauches vers le milieu des années 30, donc, sa milice ne peut guère être qualifiée de “fascistoïde”. De surcroît, dans une thèse, elle aurait dû signaler, pour être exhaustive, le fait très révélateur que pendant l’occupation, le fondateur du “Faisceau” a été déporté par les Allemands à Bergen-Belsen à la suite de ses activités jugées subversives. Il y est décédé le 16 février 1945.

 

Encore une inexactitude de la même veine: le “Parti Social Français”, d’inspiration chrétienne et nationaliste, placé sous la houlette du Colonel François de la Rocque, est qualifié de “fasciste” en page 95 de l’ouvrage. François Mitterrand en était un sympathisant quand il était étudiant. Cette affirmation n’est guère scientifique. Le PSF de droite catholique était certes une formation antiparlementaire mais ne s’est jamais égaré dans les eaux de l’antisémitisme comme le PPF de Jacques Doriot. François de la Rocque a subi lui aussi la déportation pour faits de résistance, d’abord vers un camp annexe de Flossenburg, ensuite au château d’Itter qui dépendait du camp de Dachau. Je tiens à rectifier, dans les cas de Valois et de de la Rocque, car il faut veiller à ne pas coller partout, et sans discernement, l’étiquette de “fasciste”.

 

Mais, en dépit de mon pointillisme, je ne dénigre nullement l’ensemble du travail de Marleen Rensen, constitué d’analyses hors pair de quatre romans intemporels que l’on lit aussi dans bon nombre d’universités, y compris en Flandre: “L’espoir” du “fellow traveller” André Malraux, “Le cheval de Troie” du communiste Paul Nizan, “Gilles” du fasciste Drieu la Rochelle et “Les sept couleurs” de Robert Brasillach, rédacteur en chef du journal collaborationniste “Je suis partout”, fusillé en 1945. Ces quatre hommes se connaissaient avant la guerre. Drieu et Malraux étaient de bons amis et le restèrent en dépit de leurs divergences d’opinion fondamentales sur le plan idéologique. Drieu, tempérament narcissique, s’est suicidé en mars 1945. Malraux, personnalité mythomane, s’est converti au gaullisme et a réussi à se hisser au poste de ministre de la culture après 1958. Nizan et Brasillach avaient tous deux fréquenté la fameuse “Ecole Normale Supérieure”, comme Sartre, et écrivaient des recensions sur leurs ouvrages respectifs. Nizan est devenu communiste vers 1930 mais a quitté le parti après le pacte de non-agression germano-soviétique d’août 1939. Il est mort en combattant devant Dunkerque. Le parti l’a stigmatisé ensuite, lui a collé l’étiquette de “traître”.

 

Les modes d’engagement de ces hommes étaient différents, mais “Lijden aan tijd” nous montre de manière fort convaincante que les quatre écrivains se heurtaient, dans leurs oeuvres, au thème du temps, plus exactement tentaient de donner des recettes à leurs contemporains pour qu’ils sachent comment vivre (intensément) leur époque. On retrouve ce souci dans les multiples essais que nos quatre auteurs ont rédigés. Le point de départ de leurs réflexions est sans nul doute aucun la première guerre mondiale, qui apporte, explique Marleen Rensen, aux quatre écrivains une conception historique du temps, laquelle marque une différence fondamentale entre leur démarche engagée et celle, esthétique et individualiste, d’un auteur comme Marcel Proust, dont le monumental “A la recherche du temps perdu” constitue, in fine, une introspection personnelle, non chronologique, soustraite au temps social, politique et historique, bien éloigné de tout engagement social. Mais s’il peut paraître paradoxal que Proust ait été largement apprécié par les deux “fascistes” que furent Drieu et Brasillach.

 

Proust était déjà considéré comme “suranné” en son temps, où, effectivement, avec nos quatre auteurs, toute une génération s’est dressée: elle voulait que la littérature épouse les passions de l’histoire.

 

Mais Proust va gagner, conclut Rensen. “On remarquera que le roman postmoderne actuel semble revenir aux oeuvres de Proust, Mann, Gide, Joyce et Woolf, sur les plans du style et de la composition... Tandis que l’esthétique des écrivains modernistes reste de nos jours un modèle littéraire important, le style -et le style romanesque- de Brasillach, Drieu, Malraux et Nizan ne sont restés qu’un phénomène éphémère, lié à une période historique restreinte”. Pourtant, ajouterais-je, la postmodernité est, elle aussi, phénomène de mode. Le temps peut tout changer.

 

“Guitry”/’t Pallieterke.

(article paru dans ’t Pallieterke, Anvers, 10 juin 2009, trad. franç.: Robert Steuckers).

 

 

lundi, 13 juillet 2009

L. F. Céline: Lettre à Henri Béraud

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Lettre à Henri Béraud

 

«...Alors il n'y aura plus de question juive»

 

Mon cher Henri Béraud,

 

Vous seul pouvez réfuter avec assez de clarté, de force dans la modération, et de finesse pénétrante, les arguments de Blum au banquet de la Ligue contre l'Antisémitisme.

Nous n'en voulons pas aux juifs en tant que Juifs. (C'est une race intelligente, entreprenante, active, — bien que folle dans le fond!) Ce que nous leur reprochons, c'est de faire du RACISME. C'est de ne s'être jamais prêtés chez nous  —comme partout—  à ce mélange des races  dont Blum ose faire état quand il invoque ses ancêtres gaulois! C'est de nous mépriser. Un juif prendra avec plaisir, pour maîtresse, Mlle Dupont ou Mlle Durand. Mais quand il voudra se marier, c'est Mlle Jacob ou Mlle Abraham qu'il épousera. Ce n'est donc pas nous qui l'excluons de notre communauté. C'est lui qui s'en tient volontairement à l'écart, avec une fierté méprisante—et ridicule. Blum a l'aplomb de parler de religion, de prétendre qu'on persécute le juif comme attaché à une foi, au même titre que le catholique (en Allemagne par exemple) — Or, sur dix juifs, il y a neuf agnostiques. La religion juive ne nous gêne en rien, le juif lui-même s'en moque, c'est un enfantillage d'en vouloir faire l'objectif. C'est en tant que race  qu'Israël nous turlupine, race orgueilleusement préservée de la corruption — la corruption, c'est nous! Que M. Blum nous cite un seul non-juif dans ses ascendants, s'il l'ose! Voilà le fait. Fût-il mort au champ d'honneur, le juif est mort sans une goutte de sang français dans les veines. Nous le tenons pour non français parce qu'il se refuse; lui, et lui seul, à pactiser dans le fait  avec les français. Le jour où il lèvera cet interdit et se fondra réellement dans le bloc national, comme les bretons ou les provençaux, alors il n'y aura plus de question juive.

... Et vive Gringoire!

 

L.F. Céline

 

 

Note:

 

Cette lettre, datant sans doute de 1938, est adressée au célèbre éditorialiste de l'hebdomadaire Gringoire,  Henri Béraud, auteur de Popu roi  dans lequel il raille le Front populaire. Dans Gringoire, Béraud attaquait violemment le gouvernement de Léon Blum tout en se défendant toujours d'être antisémite. Ce document est extrait du numéro spécial consacré à Béraud («Henri Béraud, le flâneur salarié») par la revue Le Lérot rêveur  (n° 40, mai 1985). Prix : 50 FF, franco. Editions du Lérot, à Tusson, F-16140 Aigre.

samedi, 11 juillet 2009

Maurice Bardèche: une fidélité

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Archives de Synergies Européennes - 1993

Maurice Bardèche: une fidélité

 

Les souvenirs de Maurice Bardèche sont parus. C'est l'histoire d'une fidélité: à un beau-frère, à une idée, à une espérance, qui fut celle d'une part de la jeunesse européenne. L'espérance, en Europe, de nations réconciliées avec leurs peuples. Espérance très certainement illusoire: avec le fascisme, tout est bien qui finit mal.

L'influence de Bardèche ne s'est peut-être pas exercée sur un nombre important d'esprits, rnais elle a été considérable pour quelques-uns, en intensité et en durée. Sa revue Défense de l'Occident (1) a souvent été la première occasion de collaboration journalistique pour de jeunes non-confortnistes. En fonction des époques et des rédacteurs de la revue, celle-ci, parue de 1952 à 1982, fut d'une qualité naturellement variable. Elle constitua en tout cas un authentique ilot de non conformisme.

Pendant 30 ans, c'est-à-dire les années d'après-guerre, l'essentiel de ce qui s'est dit d'intelligent, "à droite", a été dit par Bardèche: sur la fin des colonies et le retour nécessaire à la fierté des peuples d'Afrique et d'Asie, sur les droits des Arabes en général et des Palestiniens en patticulier, sur le monde moderne comme émasculation de l'homme, sur le culte du dollar et le fonctionnarisme. Et avec une flopée d'autres dont des jugements positifs sur Mendès-France ou le Bérégovoy de 1982 témoignent. Naturellement, Bardèche n'est pas Pareto. Ce n'est pas un théoricien, pas plus qu'un doctrinaire à la Ploncard d'Assac.

Quoiqu'il en soit, avec Montherlant et Pauwels, Bardèche a été à l'origine de mon éveil, qui ne fut pas seulement politique, et ne le fut même pas principalement. Je ne suis sans doute pas seul dans ce cas. On constate à ce sujet une évolution singulière. Pour âpres et parfois violents que furent les combats menés contre le rebelle Bardèche, - celui-ci lançant ses brulôts contre les mythologies du temps -, souvent se manifestait un respect de l'adversaire, ou du moins une reconnaissance de l'ennemi qui n'a plus cours aujourd'hui. Maintenant, l'adversaire des vérités officielles n'est plus respectable, il n'est plus même un simple ennemi du système, il est devenu une "non-personne".

Des années de Défense de l'Occident, - auquel j'ai collaboré jeune -, à 1993, j'ai certes évolué. Assez considérablement même sur certains points (2). Reste une fidélité. Elle unit ceux qui sont passés par les "portes de lumières". Si Brasillach, c'était le don du bonheur, le goût du courage et l'émerveillement devant l'itmocence des jours toujours premiers, Bardèche, ce fut l'ironie dévastatrice de Suzanne et le taudis, et de nombre de pages des Souvenirs, et la distance jusque dans l'engagement le plus radical.

A la fin d'une vie abrégée par les démocrates sincères et les patriotes de progrès, Brasillach plaidait pour un "fascisme libéral". Bardèche, de son côté, n'a cessé de crayonner les traits d'un "fascisme raisonnable". A tel point que beaucoup de ses lecteurs - et j'en suis - sont devenus raisonnablement a-fascistes. Ni haine, ni racisme chez Bardèche, curieux des êtres, amoureux de la diversité du monde. Malgrè un goût prononcé pour le blasphème, on ne trouve pas chez lui une recherche systématique de l'originalité. Bardèche dit d'un de ses livres, Les Temps modernes, qu'il ne contenait que "des vérités largement répandues". Cet écrivain passionné n'aspirait qu'à être un homme tranquille, penché sur les livres, les femmes et les enfants - ce qui constitue somme toute un assez bon programme.

Ce qui unifie l'ensemble des travaux de Bardèche, politiques, historiques et littéraires, c'est effectivement un programme simple et robuste: le refus d'un monde mercantile. "Tout ce que j'ai écrit n'a jamais été qu'une protestation contre l'invasion de l'économique dans notre vie". Tous les livres de Bardèche sont parcourus par une sensation dont il écrit ne l'avoir pleinement composé que dans les dix dernieres jours après la disparition de Défense de l'Occident. Cette sensation, ou cette intuition, c'est la hantise de la dépossession, "non seulement de nos nations, mais de notre personnalité même". Le "monde d'hier" est mort, celui des héroïques petits Bara et Viala, celui où "les nuits étaient de vraies nuits". Il ne reste, aux hommes, sans doute que les femmes pour leur renvoyer l'image de leurs propres rêves. Il n'est pourtant pas certain que cela soit suffisant.

 

Pierre LE VIGAN

 

(1) du nom du livre d'Henri Massis.

(2) Pour faire court et me limiter au plan politique, je précise être plus à l'écoute de Lipietz ou de Chevènement que de Le Pen. Sans que la diabolisation de celui-ci ne me paraisse ni souhaitable, ni raisonnable, ni honorable.

 

Maurice Bardèche, Souvenirs. Buchet-Chastel, 1993.

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vendredi, 10 juillet 2009

Marcel Aymé: Témoignage sur L. F. Céline

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Témoignage

 

Céline était issu de ce milieu de petits commerçants parisiens, tous plus ou moins antisémites, parce qu'au temps où ils étaient employés de commerce, le juif symbolisait pour eux le patronat et qu'après s'être établis, ils avaient trouvé en lui un redoutable concurrent accusé de ruiner le petit négoce avec le concours de la banque juive. N'oublions pas que jusqu'à l'affaire Dreyfus, la classe ouvrière à Paris (et non en province) était ouvertement antisémite, prétendument en souvenir des banquiers de l'Empire, en realité pour des raisons plus intimes. Lorsque Jaurès eut pris parti dans l'Affaire, l'hostilité des ouvriers cessa d'être avouée, mais n'en subsista pas moins et si, aujourd'hui encore, il existe à Paris un ferment d'antisémitisme, ce n'est pas dans les beaux quartiers, mais dans ce qu'on appelait autrefois les faubourgs et aussi parmi les petits boutiquiers de la capitale. On imagine bien que dans la boutique du passage Choiseul (lequel était déjà sur son déclin) où Céline Destouches (1), la mère de notre futur écrivain, vendait ses dentelles, l'enfant a dû grandir dans la familiarité de cette hargne antijuive flétrissant les suppôts de l'anti-France qui menaçaient le pain du foyer. Et ce n'est pas une prise de conscience littéraire qui a réveille et fait flamber tout à coup un antisémitisme demeuré latent dans son cœur et dans son esprit, mais une injustice outrageante subie dans l'exercice de sa profession de médecin et perpétrée au profit d'un confrère juif. D'autres que lui auraient encaissé l'affront en rongeant leur frein, mais je l'ai dit, on ne l'attaquait pas qu'il ne se défendit à fond, avec toutes ses forces. On jugera excessifs les développements donnés à cette affaire personnelle. Mais une injustice est-elle jamais uniquement affaire personnelle? En tout cas une chose est sûre, c'est que Céline, s'il n'avait pas été provoqué, visé au cœur, ne serait jamais parti en guerre contre les juifs. Ce n'est donc pas, selon le mot de Jean-Pierre Richard, «un délire de causalité» qui l'a jeté hors de ses gonds. Ici, c'est l'injustice qui a engendré l'injustice. Et si la riposte a été hors de proportion avec l'injustice initiale, c'est que Céline, en proie à la colère et à son génie verbal, avait précisément perdu cette faculté d' «objectiver» qu'il possédait pleine lorsqu'il s'agissait de Bardamu et de ses autres créations.

 

Marcel AYME (1963).

 

(1) En réalité, Marguerite Destouches-Céline était le prénom de la grand-mère de l'écrivain.

jeudi, 02 juillet 2009

Lellouche: un ministre proturc aux affaires européennes

Lellouche un ministre proturc aux affaires européennes

Ex: http://www.insolent.fr
090624Voici comment l'Agence Associated Press présente la nomination de

"Pierre Lellouche, un atlantiste aux Affaires européennes" :
Né en 1951, fils d'un artisan rapatrié de Tunisie, (…) Pierre Lellouche a étudié au lycée Condorcet à Paris. Il est diplômé d'études supérieures de la faculté de droit de Paris X-Nanterre (1972) et de l'Institut d'études politiques de Paris (1973), Master of Laws (LLM) et docteur en droit de la faculté de droit de Harvard.
Il commence sa carrière comme universitaire spécialiste des relations internationales. Membre du Groupe d'études et de recherches sur les problèmes internationaux, dirigé par Raymond Aron, il participe en 1979 à la fondation de l'Institut français des relations internationales (IFRI) où pendant une dizaine d'années, il est responsable de l'ensemble du secteur politico-stratégique et rédacteur en chef adjoint de la revue "Politique étrangère". Éditorialiste pour plusieurs hebdomadaires français et étrangers, il enseigne parallèlement à l'ENA, à l'INSEAD et à l'Université Galatasaray d'Istanbul.
En 1989, il devient conseiller diplomatique de Jacques Chirac, alors maire de Paris et président du RPR, tout en continuant ses activités d'éditorialiste et de consultant international.
Élu en 1993 député RPR de la 8e circonscription du Val d'Oise, après avoir battu Dominique Strauss-Kahn, il prend quatre ans plus tard la 4e circonscription de Paris (8e et 9e arrondissements). Il est réélu en 2002 et 2007.
En mars 2008, il avait échoué à prendre la mairie du 8e, battu par le maire sortant apparenté UMP François Lebel.
Membre de la commission des Affaires étrangères et de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, Pierre Lellouche préside le Groupe d'études sur l'industrie d'armement ainsi que la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. En novembre 2004, il est élu président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
Devenu proche de Nicolas Sarkozy, il est nommé en avril 2004 secrétaire général adjoint de l'UMP chargé des études, puis délégué général à la défense en janvier 2005.
Avocat inlassable du retour complet de la France dans l'OTAN, partisan de l'intervention américaine en Irak en 2003, Pierre Lellouche avait été nommé en mars dernier par Nicolas Sarkozy au poste spécialement créé de représentant spécial de la France en Afghanistan et au Pakistan. (1)

Dans tout cela, l'Agence Associated Press, dont la dépêche est reprise d'ailleurs intégralement et sans commentaire par le site du Nouvel Observateur (2) ne semble pas savoir que Pierre Lellouche a émis de manière récurrente des opinions tout à fait tranchées en faveur de l'adhésion turque à l'Union européenne. De même, la tête de liste UMP M. Pierre Barnier avant de prendre par profession interposée la position contraire avait toujours fait connaître sa sympathie pour cette candidature. Or dans les mois qui viennent, la future présidence suédoise de l'Union s'étant proclamée elle-même favorable, la conjoncture va être à nouveau propice aux avancées d'Ankara.

La présidence de la république communique beaucoup. On aimerait l'entendre un peu plus claire sur son opposition.

Dois-je préciser en effet que dans deux circonstances électorales majeures, le candidat Sarkozy en 2007, puis les listes UMP aux européennes en 2009 ont capitalisé une apparence dont la réalité mériterait certification.

Rien ne semble plus réducteur que de qualifier Pierre Lellouche "d'atlantiste". Il a toujours manifesté une certaine attirance et même une sorte de compétence pour les questions de défense. Mais jusqu'ici on le situait plutôt comme un "chiraquien", puisqu'il a très longtemps milité au RPR, un gaulliste, un partisan relatif de l'entente franco-allemande. Pas du tout un spécialiste des questions spécifiquement européennes.

Sur le dossier turc, nous n'avons pas affaire, de sa part, à une réaction superficielle, opportuniste ou circonstancielle. Il s'agit au contraire d'une doctrine bien établie. Pour lui, la Turquie doit être considérée comme ce qu'il appelle "un pays ami". Puisqu'il a enseigné à Istanbul, il sait de quoi il parle et selon quels critères il évalue cette sympathie transfrontalière inconditionnelle. Il est intervenu ainsi dans le débat en faveur de la suppression de l'article 88-5 lors de la révision de la Constitution en 2008, coup de pouce décisif supprimant l'obligation référendaire. On peut s'attendre à ce qu'il contribue à faire passer rapidement de 10 à 14 ou 15, sur 35, les chapitres de la négociation en cours.

Les citoyens gagneront à le savoir le plus tôt possible : on peut seulement regretter que les électeurs n'aient pas été avertis plus tôt.

Nous l'avions, à notre manière, annoncé lors de notre dernière chronique la veille du scrutin du 7 juin. Nous disions que : "La vraie pression turque se renforcera au lendemain du vote des citoyens". (3) Nous y voilà.

Apostilles

  1. AP du 23 juin à 21h12
  2. cf. article sur le site du Nouvel Obs
  3. cf. L'Insolent du 6 juin
JG Malliarakis

samedi, 27 juin 2009

Citation de Chantal Delsol

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Citation de Chantal Delsol:

Trouvé sur: http://forumsoral.com/

Comme je suis anti-républicain, et donc plutôt fédéraliste, au même titre que Robert Steuckers ou l'Action Française fidèle à Charles Maurras, je vous laisse un morceau qui résume bien ce que j'ai envie de dire à Soral et de la république :

Chantal Delsol écrit : « La république n'accepte donc le débat démocratique qu'à l'intérieur des présupposés qui sont les siens. Et parce que ces présupposés sont assez précis et dessinent une figure du bien commun clairement déterminée, le champ du débat demeure toujours limité, voire exigu, en tout cas par rapport aux démocraties occidentales voisines. Dans la république française, la démocratie ne peut fonctionner seulement tant que les différents courants de pensée acceptent les présupposés républicains, et par là elle ne fonctionne jamais que sous une forme atténuée, puisque l'éventail des figures permises du bien commun est restreint. Si, pour des raisons diverses, un nombre significatif de citoyens récusent certains présupposés républicains et veulent exprimer cette récusation au nom de la démocratie, alors la république se trouve déstabilisée et sommée de donner une réponse à cette contradiction. Soit il lui faudra remettre en cause ses propres principes au nom de la démocratie, ce qui lui paraît impensable parce que ses valeurs sont sacralisées ; soit elle cherchera les moyens d'empêcher ces courants de s'exprimer, au nom de ses principes. La difficulté, dans ce deuxième cas, est qu'elle ne peut pas condamner ouvertement la démocratie pluraliste, faute de se voir rejetée dans le camp des ennemis de la liberté. La réponse à ce dilemme s'annonce tortueuse ».

http://www.polemia.com/article.php?id=109


_________________
Ne serait-ce pas l'instinct de la crainte qui nous incite à connaître ? La jubilation de celui qui acquiert une connaissance ne serait-elle pas la jubilation même du sentiment de sentiment recouvré ? Friedrich Wilhelm Nietzsche

dimanche, 21 juin 2009

L'Europe? Quelle Europe?

L’Europe ? Quelle Europe ?

Photo 089.jpgpar Pierre Vial

Président de Terre et peuple

Les chiffres sont là. Eloquents. Une abstention à hauteur de 56,9% pour l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne, de 59,5% pour la France. En majorité, les Européens ne se sont pas déplacés pour voter. Tout simplement parce que les Européens ne se sentent pas concernés par l’Europe. Tout au moins celle de Bruxelles. Et on les comprend, même si on sait que, qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non, notre vie quotidienne est, pour notre plus grand malheur, de plus en plus déterminée par des décisions bureaucratiques prises loin de nos terroirs (terroirs ? Qu’est-ce que c’est que ça ? disent les Eurocrates).

La crise et ses méfaits, tout particulièrement le chômage, auraient dû faire monter en puissance le vote protestataire et populiste. Ce fut le cas dans certains pays. Mais en France il n’y a plus que Le Pen lui-même à croire (ou à faire semblant de croire) en son rôle de tribun de la plèbe. Quant à l’extrême-gauche, elle n’a pas raflé la mise. Sarkozy, le joueur de flûte, continue à entraîner nombre de Gaulois, hébétés, vers le fleuve qui conduit au gouffre, tandis que les autres chefs d’Etat européens ne valent pas mieux.

Faut-il pour autant désespérer de l’Europe ? Evidemment non. Il faut garder notre foi intacte en ce grand dessein, ce puissant rêve de grandeur mobilisateur d’énergies qui s’appelle l’Europe. Mais pas n’importe laquelle. L’Europe des peuples et des terroirs. Notre Europe. Notre grande patrie européenne, tout à la fois confédérale et impériale (deux dimensions qui, si on veut bien y réfléchir, peuvent être totalement complémentaires, comme l’Histoire l’a déjà montré).

Notre Europe : tel est le dossier publié dans le prochain numéro de Terre et Peuple Magazine, avec des contributions de Robert Spieler, Alain Cagnat, Jean-Gilles Malliarakis et Pierre Vial.

vendredi, 19 juin 2009

Céline: le voyage à Berlin

Louis-Ferdinand Céline : Le voyage à Berlin

Le Bulletin célinien n°309, juin 2009 : C'est en mars 1942 que Céline effectua un voyage de cinq jours à Berlin. Échaudé par la confiscation de son or déposé en Hollande, l'écrivain avait pour objectif de confier à son amie danoise Karen Marie Jensen la clé et la combinaison de son coffre bancaire à Copenhague, et ce afin qu'elle mette l'argent en lieu sûr. C'est en compagnie de Lucette, Gen Paul et deux confrères médecins, Auguste Bécart et Jean-Claude Rudler, qu'il fit ce voyage. C'est donc sous le couvert d'un voyage scientifique et médical que Céline put se rendre en Allemagne. Au cours de ce séjour, on lui demanda de rendre une visite au Foyer des ouvriers français de Berlin et d'y prononcer une allocution. Après la guerre, Céline résuma à sa façon la teneur de son intervention : « Ouvriers français. Je vais vous dire une bonne chose, je vous connais bien, je suis des vôtres, ouvrier comme vous, ceux-là (les Allemands) ils sont moches, ils disent qu'ils vont gagner la guerre, j'en sais rien. Les autres, les russes, de l'autre côté, ne valent pas mieux. lis sont peut-être pires ! C'est une affaire de choix entre le choléra et la peste ! C'est pas drôle. Salut ! » Et d'ajouter : « La consternation au "Foyer" fut grande ». Le fait que la causerie de Céline laissa une impression mitigée n'est pas douteux. En témoigne le compte rendu, paru le 12 mars 1942, dans Le Pont, «hebdomadaire de l'amicale des travailleurs français en Allemagne» financé par le Reich. Le pessimisme de Céline, politiquement incorrect avant la lettre, ne fit assurément pas l'affaire de ceux qui l'avaient pressenti pour galvaniser ces travailleurs français qui avaient choisi de venir travailler outre-Rhin.

La séance hebdomadaire du groupe d'études sociales et politiques fut ouverte à 20 heures par notre camarade chargé de la direction du groupe. En quelques mots, il présenta Louis-Ferdinand Céline qui doit prendre la parole. C'est alors que le « docteur » se leva et vint s'asseoir à la table du conférencier.
Céline entra de suite dans le sujet. Sans détours, il ne cacha pas son opinion, acquise d'après une longue expérience personnelle, qu'il était très difficile de réunir les Français à l'étranger et de les faire s'entendre, sinon s'aimer.

Cependant, comme pour lui donner un démenti, la salle était fort bien remplie d'auditeurs avides de ses paroles. Et les débuts de son allocution furent quelque peu troublés par de nombreux retardataires qui faisaient grincer la porte d'entrée. En quelques mots, Céline eut vite fait de créer l'atmosphère, « son atmosphère ». « Je vais vous parler tout simplement, je ne vous ferai pas de discours, ni de conférence, mais vous parlerai comme en famille. Je suis un enfant du peuple, et suis resté tel. J'ai fait mes études de médecine, non pas comme étudiant mais comme travailleur. Je fais partie du peuple et le connais bien ». Et Céline commença immédiatement un diagnostic sévère de la maladie qui, selon lui, atteint chacun de nous. Faisant une allusion poétique, il fit remarquer qu'entre Villon et Chénier il y avait eu quatre siècles de « non lyrisme ». Cette période avait donc, à son avis, provoqué en partie du moins la sécheresse d'âme qui caractérise trop d'entre nous. Nous manquons d'idéal, c'est un fait ; mais nous a-t-on appris à en avoir, ou même à en désirer ? Non, et c'est pour cela que notre maladie est très grave. Et Céline ne craint pas de nous dire nos « quatre vérités ». Nous souffrons d'un mal très sérieux, par suite d'un manque quasi total de lyrisme, d'idéalisme.

Le docteur-écrivain nous dit ensuite son opinion sur les multiples causes de notre mal, et sa conviction qu'il avait de notre exploitation par les juifs qui « savent admirablement nous opposer les uns aux autres »...
L'intérêt du juif est de nous diviser en partis opposés, de façon à donner excuse à notre nonchalance. On rejette les fautes sur l'opposant, ainsi artificiellement créé. La lutte des partis n'est qu'une splendide invention d'Israël. Ensuite Céline montra combien nous avons été vexés de nous être laissés tromper. Il s'éleva alors contre la mentalité du joueur qui s'obstine. « J'ai perdu certes, mais il n'est pas possible qu'en persévérant je ne gagne pas, car j'ai tout bien misé, prévu, je dois donc finir par gagner. »
Céline s'adressa ensuite aux communistes éventuels, avec la franchise qui le caractérise. Que pensez-vous qu'il vous arriverait en cas d'une victoire des Soviets ? « Mais vous serez immédiatement déportés en Sibérie, avant les bourgeois même. Une fois votre "utilité" passée, vous deviendriez plus dangereux et inutiles que les modérés. »

Finalement, Céline dressa un très sombre tableau de la situation, et ne laissa entrevoir aucune issue. À un tel point, que les visages commençaient à montrer de l'étonnement, pour ne pas dire de l'indignation dans la salle comble. « Nous ne sommes tout de même pas aussi vils et laids qu'il veut bien nous le dire » aurait-on pu lire sur chaque face. Et Céline termina son spirituel exposé, ayant ainsi atteint le but qu'il cherchait. Il avait « piqué au vif », réveillé pour un moment nos sens endormis par cent cinquante ans de Déclaration des droits de l'homme, déclarations jamais suivies des « devoirs de l'homme ».

Le délégué du groupement d'études sociales et politiques du Foyer vint alors remercier le célèbre auteur des Beaux draps de son intéressant exposé, aussi spirituel que vivant. Il dit cependant sa conviction que « tout n'était pas perdu ». Si tout le monde n'a pas encore tout à fait
« compris », il n'en existe pas moins une minorité agissante et décidée, dont nous avons parmi nous ce soir un exemple en la personne d'un de nos camarades, de passage à Berlin, en permission, du front de l'Est. « J'aimerais beaucoup que notre camarade réponde à Céline », déclara alors l'orateur, et nous montre ainsi ce que pensent « ceux qui ont confiance quand même, parce qu'ils agissent ». C'est alors que se leva un jeune légionnaire français. En quelques paroles, il sut montrer à l'auditoire enthousiasmé que l'horizon n'était pas aussi sombre que Céline avait bien voulu nous le dépeindre. Il dit sa conviction personnelle, qui se trouvait être la nôtre d'ailleurs, que Céline avait voulu « piquer au vif » son auditoire.

« Certes, tout n'est pas le mieux dans le meilleur des mondes ; mais il ne faut pas désespérer, il faut agir, se montrer des hommes dignes des idées qu'ils prétendent avoir, et même défendre ces idées ; c'est ce que nous, volontaires contre le bolchevisme, faisons chaque jour. De même, vous qui travaillez en Allemagne, contribuez chaque jour efficacement à la lutte que l'Europe mène contre son ennemi d'aujourd'hui, le bolchevisme, et son ennemi de toujours, l'Angleterre. (Applaudissements sans fin.)
Après ce court et intéressant exposé d'un volontaire français du front de l'Est, M. Félix Allmend, du Comité franco-allemand, dont le dévouement au Foyer des ouvriers de langue française de Berlin est connu de chacun, prend la parole.

«Je voudrais ajouter quelques mots allemands à ce dialogue français, dit-il :
«Tout comme votre camarade légionnaire, je crois avoir compris le sens des paroles de Céline, qui veut certainement réveiller ceux qui se sont laissé endormir par des propagandistes trop zélés. Cette franchise est de beaucoup préférable à l'attitude qui consiste à vouloir jouer un rôle pour lequel on n'a plus de forces. À côté des paroles inutiles, il y a les faits. Or les Allemands sont bien davantage impressionnés par le travail de chaque jour de vous tous : ouvriers français qui vous faites apprécier par vos chefs, légionnaires qui avez quitté votre patrie pour vous joindre à l'Allemagne et à ses alliés dans un combat à mort, prisonniers donnant un magnifique exemple d'abnégation et de courage permanents, vous tous qui coopérez à la même cause qui est celle de nos pays et de l'Europe entière...
Toute cette franchise est de beaucoup préférable aux vieilles formules démagogiques, qui n'ont plus de place dans l'Europe nouvelle. »
Des applaudissements nourris accueillent cette dernière phrase du Dr Félix Allmend.

PICHE
(Le Pont, 12 mars 1942)

lundi, 15 juin 2009

Céline: une nouvelle biographie

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

Yves Buin publie aux éditions Gallimard une biographie de Louis-Ferdinand Céline. Nous reproduisons ci-dessous l'avant-propos du livre :

"Écrire sur Louis-Ferdinand Céline n'est pas mince affaire. L'écrivain, l'homme, la vie et l'œuvre continuent de déranger et de susciter malaise. Pour reprendre l'expression bien connue concernant la période litigieuse de Vichy, il y a en Céline, également, un « passé qui ne passe pas ». De ce fait, une interpellation perdure : pourquoi ranimer le « monstre » ?

Pour beaucoup Céline demeure définitivement infréquentable, rebutés qu'ils sont par les pamphlets, souvent évoqués, vilipendés et non lus, qui focalisent la passion. Pour ceux-là qui passent à côté d'une oeuvre considérable, les autres livres disparaissent ainsi, annulés par ce qu'on fantasme des comportements conjoncturels de leur auteur en une période de l'Histoire (1937-1945) fort troublée et dramatique. Abhorré, le personnage Céline invalide alors l'écrivain. À l'opposé, les inconditionnels absolus du texte célinien, au pire, gomment le parcours chaotique de l'homme ou, au mieux, l'annexent à l'œuvre comme une de ses sources indéniables pour le neutraliser dans « du littéraire », une fatalité devenant par la transe du verbe une positivité.

Dans ces deux occurrences quelque chose est manqué d'une éclatante et insoluble contradiction existentielle : un homme s'est débattu avec son irrationnel, ses hantises, ses démons et a eu la témérité de les rendre publics, s'exposant à la vindicte. Médecin humaniste (eh oui!), imprécateur féroce et provocateur, obsédé par la figure écrasante du Peuple du Livre, inventeur d'une langue inimitable, perdu dans une déréliction totale, la fièvre d'écrire diffère sa mort psychique et, un temps, sa destruction physique. Telle est l'équation célinienne. L'accepter sans prétendre la résoudre permet de sortir de l'impasse d'un vieux débat moralisant.
Réduire le discours célinien à une composante pathologique, celle d'un délire de persécution de type paranoïaque, est sans issue et un peu court. Céline a été, certes, dans un rapport tendu avec l'altérité où dominent doute et méfiance, où s'inscrit un pessimisme radical quant au statut et aux agissements de l'espèce humaine, mais il a écrit pour le dire à l'autre, en être lu et, peut-être, compris.

Aussi, près de cinquante ans après sa mort et plus de soixante après la période de l'infamie, doit-on se donner la chance de l'objectivité — admettons qu'elle soit relative — envers cette trajectoire aux aspects déments, et accueillir, tel quel, Céline dans sa démesure en érigeant cette autobiographie gigantesque, dans son registre propre, en l'une des mémoires du XXè siècle, comme les récits de Soljenitsyne et de Chalamov furent celles du goulag, bien que Céline les domine de bien haut, sur le plan de la littérature qui était son seul objet de désir, lui qui disait la détester.
Autobiographie fictionnelle, donc, d'un homme nourri aux désastres, s'enfonçant dans un litanique radotage antisémite, le dépassant pour décrire comme personne le chaos de l'Histoire, follement lucide, pourrait-on affirmer, sur l'inanité des systèmes, des idéologies et la vanité des destins singuliers.

Se confronter à Céline dans le conflit ne laisse pas indemne, le suivre dans ses diatribes et créations langagières, sans jugement moral, avec le seul respect de la factualité nous paraît, aujourd'hui où nous nous préparons à connaître d'autres drames que nous mitonne l'Histoire, être la voie la moins tendancieuse pour aborder Céline.
Que dans cette optique soit remercié ici François Gibault, son biographe reconnu, pour ses travaux, pour l'attention qu'il a portée à la lecture de notre manuscrit et à notre démarche consistant à croiser les diverses autres approches biographiques auxquelles nous nous référons dans ce livre, tout en gardant notre liberté d'appréciation de l'œuvre de Céline, essentielle."

Yves Buin, Céline, Gallimard, 2009.
Commande possible sur Amazon.fr.

jeudi, 11 juin 2009

Elections européennes: retour sur les résultats

 Elections européennes : retour sur les résultats...

Robert Spieler 6.jpgpar Robert Spieler

Délégué général de la

Nouvelle Droite Populaire

 

Un triomphe pour Cohn-Bendit, une victoire pour Sarkozy, un échec cinglant pour Bayrou et Martine Aubry, la ringardisation de Villiers et du FN.

 

Le triomphe de Cohn-Bendit.

 

Les transferts importants de suffrages, tant du PS que du Modem, vers les écologistes expliquent ce triomphe. Les bobos des villes (cf les résultats impressionnants de certains arrondissements de Paris, où Cohn-Bendit écrase le PS et aussi l’UMP) ont voté massivement pour des listes qui ont eu le mérite d’aborder la question européenne et qui sont incarnées, au niveau national, par un homme qui dépasse largement ses concurrents en termes d’aisance et de charisme médiatiques. La diffusion sur France 2, deux jours avant le vote, du film écologiste « Home » d’Arthus-Bertrand, fort bien réalisé, a créé une ambiance, un « buzz » favorable aux préoccupations environnementalistes qui a fait basculer massivement des électeurs indécis. Il est aussi bien plus chic, dans un dîner, de dire que l’on a voté Cohn-Bendit plutôt que Bayrou ou Aubry. Ceci dit, la chaîne publique, qui n’a rien à refuser à Sarkozy, a délibérément choisi de programmer ce film la veille du scrutin, avec comme conséquence mécanique d’affaiblir le PS. Elle s’en défend en prétendant que la décision avait été prise il y a un an et qu’elle ignorait la date des élections européennes. Elle se moque du monde. Les élections européennes ont toujours lieu début juin…

 

L’effondrement de Bayrou.

 

Le problème de Bayrou est qu’il est persuadé d’avoir un destin. Las, il n’a pas la stature, ni la « gueule » d’un destin. Son électorat est par ailleurs composé, pour reprendre la formule d’Abel Bonnard, de « modérés, modérément courageux ». Les modérés n’aiment ni les invectives, ni les coups bas, ni l’opposition frontale au Pouvoir. Bayrou ne sera jamais président, si ce n’est de son parti, condamné à se réduire comme peau de chagrin. Même le talentueux polémiste (et excellent connaisseur de la chanson française) Jean-François Kahn, tête de liste du Modem dans la région Est, n’aura pas réussi. C’est que le produit vendu n’est pas bon et ne correspond pas aux attentes des acheteurs potentiels. Un flop en termes de marketing…

 

La victoire de Sarkozy.

 

Cette victoire est certes relative, puisqu’on peut considérer, pour se consoler, que 70% des Français ont voté pour d’autres listes. Le raisonnement est quelque peu spécieux. L’UMP a certes bénéficié de la faiblesse de ses adversaires, mais la victoire n’en est pas moins réelle. L’habileté manœuvrière et le cynisme de Sarkozy, qui pratique l’ouverture à gauche tout en s’exprimant contre l’entrée de la Turquie dans l’U.E., autorisant cependant la poursuite des négociations, gesticulant sur des thématiques sécuritaires, « enfume » littéralement les électeurs. Sarkozy bénéficie aussi de l’insigne médiocrité de ses adversaires et de la propagande diffusée par des médias complaisants. Nul besoin d’un ministère de l’Information, comme ce fut le cas sous De Gaulle. Aujourd’hui, les vassaux précèdent les désirs de leur maître…

 

Le lourd échec du PS.

 

Englué dans ses divisions, les querelles d’ego et l’inanité de son programme qui s’exprime en phrases sentencieuses et creuses, le PS n’est plus, depuis longtemps, un parti proche du peuple. Son électorat, largement composé de fonctionnaires, de bobos et d’apprentis bobos, est d’une solidité et d'une fidélité relatives. La faiblesse de Bayrou aurait pu cependant permettre au PS de s’ériger en opposant n° 1 de l’UMP sans l’irruption tonitruante de Cohn-Bendit. Le PS n’a cependant pas d’inquiétude majeure à avoir quant aux prochaines échéances, dès lors qu’il saura réaliser son unité. Pour ce qui concerne l’élection présidentielle, Cohn-Bendit a d’ores et déjà annoncé qu’il ne serait en aucun cas candidat, témoignant d’une lucidité certaine quant à ce qu’est une élection présidentielle et ce que sont des européennes.

 

Une extrême gauche qui n’émerge pas.

 

On aurait pu imaginer que la crise sociale et économique pouvait représenter un puissant vecteur de développement de l’extrême gauche. Rien de tel. Le NPA de Besancenot (étrange idée de changer le nom de son mouvement la veille de l’élection) se situe sous la barre des 5%. Le Front de gauche (PC et Mélenchon) dépasse les 6%. Difficile d’être révolutionnaire et d’avoir des visées électoralistes. Difficile de mobiliser un éventuel électorat issu de l’immigration, quand celui-ci se fiche des élections. Difficile de mobiliser les « petits blancs » sur la thématique intégrationniste et collaborationniste. Proudhon, au secours…

 

La ringardisation souverainiste : MPF et FN.

 

L’erreur de Villiers fut d’abandonner son sigle MPF, relativement connu, pour Libertas, totalement inconnu. Le discours anti-européen, fût-t-il justifié pour ce qui concerne cette Europe des nains de Bruxelles, ne rencontre plus qu’un faible écho chez des Français bien conscients que les enjeux économiques et sociaux liés à la crise, les enjeux diplomatiques et ceux de la Défense ne peuvent être résolus à l’échelle du seul hexagone.

 

Le FN, quant à lui, continue d’asséner des slogans absurdes et irréalistes, tels le retour au franc et l’abandon de l’euro. Un discours ringard et passéiste. Le FN atteint un étiage de l’ordre de 6% des suffrages, qui lui permet  de conserver trois élus au Parlement européen, contre sept auparavant, mais  lui interdit d’espérer, vu le mode de scrutin imposant d’atteindre la barre des 10%, une espérance de succès aux prochaines élections régionales. La quasi disparition de conseillers régionaux et les départs massifs des derniers cadres de valeur empêcheront ce mouvement de réunir les 500 signatures de maires et de conseillers régionaux pour présenter un candidat à l’élection présidentielle. Sauf si Sarkozy le décide. Pourquoi le ferait-il ? Aider Marine Le Pen à représenter un Front familial et résiduel pourrait empêcher, dans son esprit, l’émergence d’une résistance nationale et identitaire puissante. La vacuité idéologique, l’hystérie comportementale, une exceptionnelle capacité à diviser, l’insulte comme vade-mecum politique, qui caractérisent Marine Le Pen, sont de puissantes qualités pour la stratégie de Sarkozy, qui ne verrait au demeurant que des avantages à ce qu’elle soit élue maire d’Hénin-Beaumont, ce à quoi l’UMP (et le PS) s’emploient en présentant des têtes de liste particulièrement médiocres.

 

Caton l’Ancien concluait tous ses discours, devant le Sénat de Rome, par cette formule : « Delenda est Cartago », Carthage doit être détruite, pour que Rome vive. Oui, Carthage doit être détruite.

 

- Lisez l’analyse particulièrement intéressante de Coclés sur le site Synthèse Nationale, concernant les élections européennes.

- Lisez aussi, vendredi prochain, l’article de Robert Spieler : « Que faire ? »

mercredi, 10 juin 2009

Eventuels vainqueurs et présumés vaincus

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ÉVENTUELS VAINQUEURS ET PRÉSUMÉS VAINCUS

Chronique hebdomadaire de Philippe Randa

http://www.philipperanda.com/

Le paysage politique français est-il véritablement changé depuis que le résultat des élections européennes dimanche soir ? Force est de constater qu’il suscite en tout cas beaucoup de perplexité. Pour les éventuels vainqueurs, tout comme pour les présumés vaincus.

Tout d’abord, sur l’Europe… Avec 60 % d’abstention, il est clair que l’immense majorité des Français s’en désintéresse, d’autant que le nombre impressionnant de listes en compétition offrait tous les choix possibles. Cette abstention remet bien évidemment en cause la représentativité réelle des 72 élus nationaux et n’en donne pas davantage aux abstentionnistes, suivant l’adage que les absents n’ont pas seulement toujours tort, mais n’existent pas ! Les urnes ont beau avoir été plus qu’à moitié vide, les fauteuils du parlement européen n’en seront pas moins occupés, ne leur en déplaise.
L’UMP, avec un tiers des suffrages exprimés, confirme que Nicolas Sarkozy est incontestablement passé maître d’œuvre dans l’art de diviser ses adversaires. Car c’est à l’évidence bien davantage sur la faiblesse (euphémisme !) de ses opposants, bien davantage que sur les résultats de son action présidentielle, que les Français, faute de mieux, ont confirmé le leadership électoral de son parti.

Mais ce parti ne rassemble toutefois qu’un électeur sur trois sur moins d’un Français sur deux autorisé à déposer un bulletin de vote… Et il ne peut compter sur aucun allié politique potentiel. Il reste donc un géant aux accords électoraux d’argile et aux très possibles déconvenues électorales à venir.

Le Parti socialiste s’est certes ridiculisé dans cette élection avec 14 % de suffrages, mais on rappellera que la liste menée par un certain Nicolas Sarkozy (avec Alain Madelin) avait obtenu le brillant score de 12,82 % à ces mêmes élections de 1999, tandis que celle menée par Charles Pasqua et Philippe de Villiers les devançait à 13,05 %. On sait ce qu’il est advenu ensuite des uns et des autres…

L’incontestable percée des listes écologistes de Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly et José Bové est à relativiser… Sauront-ils faire perdurer leur succès, voire l’augmenter ? Il est clair que dans un premier temps, leur succès va surtout contribuer à diviser encore plus l’opposition au chef de l’État. D’autant que ces écologistes-là doivent tout au soutien médiatique dont ils ont outrageusement bénéficié, le point d’orgue de ce soutien ayant été la diffusion télévisuelle du film « Home », le vendredi soir précédant l’élection.

Le Modem essuie un échec tout aussi incontestable, du moins dans les ambitions qu’il affichait durant la campagne électorale et en comparaison du résultat de François Bayrou à l’élection présidentielle. Mais ce n’est pas le premier essuyé par le Béarnais et il a montré son incontestable aptitude à rebondir. Ceux qui ne cesse de l’enterrer ont sans doute encore beaucoup de pelletées électorales à lui asséner. Et s’ils se lassaient avant lui ?

Celui qui a rempli sa mission électorale, c’est à l’évidence Jean-Luc Mélenchon. Chargé par ses camarades socialistes de ramasser au fond des urnes les derniers des mohicans communistes et de stopper l’ascension d’Olivier Besancenot. Il peut être pleinement satisfait.

Enfin, Marine Le Pen tire incontestablement son épingle électorale du scrutin. Sa réélection dans la région nord lui assure la légitimité que lui contestait tous ceux qui ont quitté le Front national. Ces derniers ont par ailleurs démontré qu’en politique, les démissionnaires sont comme les abstentionnistes, ils perdent toute légitimité.

lundi, 08 juin 2009

Des Européennes sans Europe!

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Des européennes sans Europe !

Le Billet de Patrick Parment  

 

200903220828_w350.jpegC’est Jean-Luc Mélenchon qui a le mieux commenté les résultats de cette élection européenne : les Français ne veulent pas de cette Europe-là. Cette Europe en question, c’est celle, technocratique, de Bruxelles ou de Strasbourg sur laquelle les Européens n’ont aucune prise. C’est une Europe du fric aux mains des lobbies, une Europe qui se gausse des peuples et de la personnalité de chacun d’entre eux. C’est une Europe sans conscience politique, sans vision géopolitique et sous influence. Les députés européens sont des guignols impuissants et les eurodéputés français largement débordés par les Anglais ou les Allemands, qui ont formé depuis longtemps le personnel ad hoc. La France ne s’impose à Bruxelles – et encore, voir la crise du lait – qu’en situation de rupture et quand le pouvoir politique s’en mêle pour régler en général un problème de politique intérieure. De ce point de vue, nous ne sommes pas les seuls à dénoncer cette Europe-là. Ce reproche est d’ailleurs général sur le continent.


Mais à qui la faute, quand le mandat européen sert en politique intérieure à récompenser ou recaser des élus qui n’ont aucune compétence particulière. Le cas de Rachida Dati n’est pas isolé. Et le vote des électeurs ne fait que confirmer l’absence d’intérêt pour ce " bazar ".


On notera en premier lieu le fort taux d’abstention – près de 60%. C’est le premier démenti. Ensuite, le score de l’UMP est médiocre – autour de 28% -, même si elle arrive en tête, dans un paysage politique dévasté par un Sarkozy qui s’ingénue à brouiller les cartes et casser tous les repères.


Les échecs successifs du Parti socialiste l’ont anéanti et il n’arrive pas à cadrer son discours dans ce contexte de crise économique majeure. Etre anti-libéral ne suffit pas. Le PS a du mal à formuler une vision politique globale et cohérente de la société française dont il est déconnecté. Sarkozy est basique et pragmatique et carbure à l’esbroufe. Il occupe tout le champ médiatique sans exprimer pour autant une vision socio-économique cohérente. Pour des raisons qui nous échappent – pas tant que ça quand même –, il a décidé d’aligner sa politique étrangère sur celle des Etats-Unis. Il va avoir des surprises, Obama opérant des revirements, notamment sur le Moyen-Orient, lourds de conséquences.


Et le score des Verts de terre ! 16%, à parité avec le PS. Mais c’est un score qui nie l’Europe à plein nez. Les écolos n’ont aucune substance politique, c’est un vote par défaut quand on ne veut pas se prononcer pour la droite ou la gauche. Le seul dénominateur commun à tous ces gens-là, c’est le casse-croûte. Cohn-Bendit est depuis belle lurette un suppôt du libéralisme ambiant et un parfait opportuniste. Que vient foutre la mère Eva Joly dans ce bazar ? Expliquez-moi ça. Manquent Hulot et Arthus Bertrand pour compléter le tableau, mais eux ont trouvé d’autres filières pour se faire du pognon, nettement plus lucratives. Inutile de dire qu’à l’Europe, tout ce petit monde ne pèse rien. Donc, ce vote n’a, en soi, rien d’européen.


La déculottée que vient de prendre François Bayrou est intéressante, car elle situe bien le personnage sur la scène politique française. Il va falloir qu’il revoie ses théories et son égo surdimensionné vient d’en prendre un coup.


Non, ces élections, d’ailleurs expédiées en deux temps trois mouvements par les partis, n’intéressent personne. Ce qui, en soi, est fort dommage. Car cette Europe est une réalité avec laquelle on doit compter chaque jour. Si nous avions une classe politique responsable, on formerait un personnel en conséquence qui pourrait alors peser sur les décisions de Bruxelles ou de Strasbourg. Je ne dis pas que l’on s’en porterait mieux, je dis simplement qu’on cesserait d’être absent d’un jeu qui se fait souvent sans nous. Ce ne sont pas les gens qui manquent, c’est la volonté politique. Retour à la case départ.

14:32 Publié dans Le Billet de Patrick Parment

dimanche, 07 juin 2009

Paul Morand et Bucarest

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

 

 

Paul Morand et Bucarest

 

Les éditions Plon viennent de rééditer la promenade littéraire de Paul Morand sur Bucarest. Notre collaborateur Hugues Rondeau, a glissé l'ouvrage dans ses poches et est parti à travers les rues de la capitale roumaine sur les traces de l'ambassadeur écrivain.

 

En arrivant dans la gare de Bucarest, le voyageur ne peut s'empêcher de se répéter cette entrée en matière des discours des ministres de la IIIe République que plaisante Morand : « la Roumanie, notre sœur latine ». Tout est latin en effet en cette ville où les cris résonnent de pavillons en immeubles, de boutiques en échoppes, au milieu des odeurs qu'exalte la chaleur dans les soupirs d'hommes paresseusement attablés. Vingt ans de national-communisme à la Ceaucescu, près d'un demi-siècle d'amitié tendue avec l'Union soviétique, n'ont pas entamé le caractère des Roumains. Là comme ailleurs les structures lourdes de l'histoire ont eu raison des vissicitudes du moment.

 

Paul Morand écrit que « Bucarest s'affermit au centre de l'amphithéâtre valaque protégé par le grand arc carpatique, courbé comme le dos d'un portefaix turc, et appuyé à sa base sur le fleuve nourricier par où était descendu un jour l'empereur Trajan, père des Roumains ». Pas une ligne n'est à changer dans cette description et s'il était quelque homme pressé qui mette en doute l'empreinte des Césars en Roumanie, il lui suffit pour se détromper d'observer les visages des habitants de Bucarest, autant de preuves que plus d'un légionnaire romain fut oublié au cœur de la Roumanie ou s'est oublié au cœur des Roumaines.

 

Bucarest, terre latine, en partage les défauts et d'abord celui d'un certain laisser-aller qui confine, en un parallèle de ses cousines Naples ou Tunis, à la saleté. Morand en fut dès l'abord frappé et reprend dans son texte les propos de voyageurs anglais, espions vénitiens ou négociants suédois qui voyaient au XVIIIe siècle s'entasser le fumier devant les portes. Les rues de Bucarest étaient alors de véritables radeaux sur la boue mouvante, « les véhicules y roulant lourdement, soulevant les madriers qui retombaient en s'enfonçant dans la glaise molle ».Le bitume et les trottoirs ont peu à peu, sous l'influence des Hohenzollern-Roumanie puis de la dictature communiste, pavé ce cloaque. Il n'en demeure pas moins qu'aujourdhui comme dans le Bucarest de 1935 que décrit Morand, routes et allées, impasses et cours, sont empreintes des remugles de la boue d'hier. Des époques d'une hygiène précaire, les habitants de la capitale roumaine ont conservé un redoutable fatalisme qui ruinait jusqu'aux rêves de pureté socialiste de Nicolae Ceausescu. Le voyageur ne doit pas hésiter à Bucarest pour se frayer le soir un chemin à enjamber les poubelles, vérifiant par la même que si en certaines cités, la nuit tous les chats sont gris, en Roumanie tous les rats sont noirs.

 

On connait l'intérêt que portait Morand aux cités radieuses, Venises de tous les sourires, on s'imagine donc que ce Bucarest des années trente a les attraits outranciers des belles du sud. Las, la ville est empreinte d'une indicible tristesse, apanage de toute éternité de la Roumanie. Morand l'explique, en reprenant un texte du prince de Ligne, par la domination turque qu'eut à subir pendant des siècles le pays. « La crainte qu'ils ont des Turcs, l'habitude d'apprendre de mauvaises nouvelles... les ont accoutumés à une tristesse invincible. Cinquante personnes qui se rassemblent dans une maison ou une autre ont l'air d'attendre le fatal cordon ». Il va sans dire que la terreur pratiquée par la mythique Securitate, bras armé du Conducator, n'a pas enclin les habitants de Bucarest à l'optimisme.

 

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A première vue la ville manque donc d'attrait et déçoit le voyageur. Ce que résume Paul Morand en décrivant la lassitude de l'hospodar, gouverneur nommé par la Sublime Porte, qui arrivant d'Istambul, « trouve sa résidence misérable ».

Pourtant derrière ces façades lépreuses, le Bucarest de 1935 comme celui de 1990, recèle des charmes insoupçonnés. L'un des moindres n'est pas l'extraordinaire vitalité de ses intellectuels. Paul Morand s'avoue admiratif devant le talent multiforme des Roumains, véritable magie noire de l'esprit : « leur drôlerie, leur verve, leur mordant , leur rapidité , leur bon sens cynique les rendent redoutable. Il n'est pas facile de tenir sa place dans une discussion entre Roumains. » L'assertion reste aujourd'hui pertinente. Depuis la pseudo-révolution de décembre 1989, qui a brisé les cadres par trop rigides du stalinisme à la Ceausescu, Bucarest tout entière bruit des jeux de l'intellect. Les Roumains ont pendant les décennies du communisme triomphant maintenu la flamme vacillante de leurs brillantes élites (les écrivains Vasile Alecsandri, Mihail Eminescu, Mihail Sadoveanu auxquels succèderent les exilés de génie : Cioran, Ionesco, Eliade, Vintilia Horia). La terre était féconde et de nouvelles pousses ne demandaient qu'à poindre. L'arrivée au pouvoir d'Ilescu a ainsi permis à des écrivains comme Doïna Cornea ou Alexandre Paleologu de devenir de véritables autorités morales. Morand qui chantait les louanges des salons littéraires du Bucarest des années trente n'aurait pas été outre mesure surpris de la curiosité intellectuelle de toute une population qui n'hésite pas aujourd'hui à afficher dans les magasins des portraits de Mircea Eliade.

 

Bucarest est aussi la Mecque des hommes de presse. Dans les années trente, les journaux y faisaient flores, Morand se délectant en son hôtel de la lecture de Cuvântul, de Curentul, de Criterion ou de Viata Romana, toutes publications « à la tenue tout à fait remarquable ». La dite révolution de décembre 1989 a permis à l'histoire de faire un saut dans le temps et de restaurer au delà des années de censure politique, le pluralisme de l'écriture. Le flâneur salarié qui met ses pas dans ceux de Paul Morand peut à son tour gagner son gîte avec une moisson de titres divers, parmi lesquels il faut surtout retenir le très anti-conformiste România Mare, nationaliste et anti-sémite ou la  gazette littéraire Arca qui affiche une indépendance que l'Occident se doit de jalouser.

 

Cette exubérance intellectuelle séduit d'autant plus le lecteur francophone qu'elle se fait à l'ombre de Corneille et de Montesquieu. On ne dira jamais assez combien les Roumains sont pétris de culture française classique et des feux des Lumières. Paul Morand voit les prémices de cette osmose entre les deux pays dans la croisade que menèrent en 1396 Mircea le Grand, voevode de Valachie, et les chevaliers francs commandés par le fils du duc de Bourgogne, Jean sans Peur, contre l'ennemi commun qu'était le Turc.

 

C'est alors noué dans le sang des combats et notamment dans les souffrances de la défaite de Nicopolis, une durable entente que viendra renforcer la lointaine protection qu'accorde au XVIe siècle Henri III, roi de France, à Pierre Boucle-d'Oreille, prince valaque avide de dominer l'ensemble des provinces roumaines. Quelques années plus tard, c'est un prince moldave, Jacques Basilic-Héraclide Despotas, qui entame des études de médecine à la faculté de médecine de Montpellier. Cette tradition se maintient jusqu'à nos jours et il n'est pas jusqu'au Premier ministre roumain en exercice, Petre Roman, qui n'ait été potache sur les bancs de l'université de Toulouse.

 

Paul Morand ne se lasse pas de ce visage de la Roumanie, terre d'épanouissement pour les élites. Pourtant il préfère consacrer les plus belles pages de son livre à d'autres minois, ceux des femmes de Bucarest. Elles l'ont dès l'abord séduit, au point qu'il a songé à donner pour sous-titre à cette balade citadine, « le portait d'une jolie femme ». Il est vrai que de temps immémoriaux les douces de Bucarest font rêver les hommes d'Orient et d'Occident. Le chroniqueur Dionisie Eclesiarcul raconte ainsi qu'un amiral ottoman exigea au cours d'une visite en Roumanie que les boyards lui amène leurs boyaresses. Devinant ses intentions, ils firent venir des prostitués, les couvrirent de bijoux et les présentèrent comme leurs femmes. Vers la fin de la soirée, l'amiral demanda à l'hospodar de lui garder la plus belle et d'envoyer les autres à ses lieutenants. Les Ottomans ne dominent plus le monde et la concupiscence des hommes n'est plus ce qu'elle était mais le voyageur ne se contraint guère pour détourner le regard vers tant de poitrines de paysannes que servent des pieds menus. Pour ceux qui douteraient de l'admiration que l'on se doit de porter à ces odalisques des Carpates, Morand cite encore une fois le prince de Ligne : « Des femmes charmantes (...) une jupe extrêmement légère, courte et serrée masque leurs charmants contours, et une gaze en manière de poche dessine et porte à merveille les deux jolies pommes du jardin de l'Amour.».

 

Ces lignes prennent toute leur signification si l'on sait que Morand qui aimait à dire « Je n'aime pas qu'on me mette la main dessus, que ce soit un homme ou une femme » (cité par Ginette Guitard-Auviste dans la Nouvelle Revue de Paris n°13), ne succomba que pour la main de la princesse Soutzo, ex-épouse d'un hospodar roumain. A ce grand sceptique du couple ( « Je pensais comme le disait souvent Marie Laurencin qu'un et un ne font pas deux, mais trois, et que trois ce n'est pas une bonne compagnie »), Hélène Soutzo s'offrira comme si indispensable qu'il ne saura lui survivre plus de dix-sept mois. Il est sans doute souhaitable pour tous les imitateurs de l'auteur de l'Europe galante en son périple roumain de tomber à leur tour dans les rets de fatales filles de Bucarest, (« Hélène était la seule femme que je puisse épouser : auprès d'elle je ne m'ennuie jamais »). A défaut, le voyageur des années quatre-vingt dix à qui plus d'un visage souri en autant de possibles aventures garde à son tour, une fois l'éloignement consommé, le parfum d'une ville sensuelle, avec en tête cette ritournelle de Le Cler, promeneur de 1860, et qui résume le labeur essentiel de la cité : « A Bucarest on fait l'amour, ou bien on en parle ». Cette évocation légère de l'infinie séduction des belles descendantes des tribus Thraces révèle peut-être finalement la véritable nature de l'âme roumaine. La Roumanie est une nation femelle et cela explique sans doute qu'au printemps des peuples, elle ait vécue son étrange révolution comme une Commedia dell Arte. Faux procès de vrais dictateurs, complots étranges et génocides de pacotilles prennent un tour nouveau à l'aune de la féminité analysée par Morand : « Les femmes (...) rebâtissent le monde à mesure que les hommes le détruisent. Les catastrophes, elles les banalisent en révolutions, les révolutions en fêtes foraines et, notre goût du meurtre, elles en font de l'amour (Le dernier dîner de Cazotte, Nouvelles des yeux, 1965)». Morand a donc volontairement placé le nœud gordien et l'épilogue de son livre sous le riche signe de la féminité, clé de la Roumanie car source de vie, ce qu'il résume ainsi : « La leçon que nous offre Bucarest n'est pas une leçon d'art mais une leçon de vie (...). Capitale d'une terre tragique où souvent tout finit dans le comique, Bucarest s'est laissé aller aux événements sans cette raideur, partant sans cette fragilité que donne la colère. Voilà pourquoi à travers la courbe sinueuse d'une destinée picaresque, Bucarest est resté gai ». Il est rarement en littérature d'observation que l'histoire aura rendu plus juste puisque aujourd'hui sur les ruines d'une bibliothèque détruite par les combats de l'hiver 1989 se pressent, dans les chaleurs de l'été, des jeunes filles en fleur, minaudant.

 

La Roumanie est ainsi une nation phénix, toujours prête à renaître de ses cendres et il suffirait que le gouvernement d'Iliescu suive dans la tombe la dictature du génie des Carpates pour que revive le Bucarest des années trente qu'a connu Morand. Ce serait là encore la démonstration du phénomène de glaciation qu'a fait subir le communisme aux peuples de l'Est, préservant par delà les miasmes de l'idéologie, leur véritable identité et peut-être également de façon plus malicieuse la preuve du génie littéraire de Paul Morand. En attendant cet hypothétique salut, Bucarest reste l'indispensable et unique (faute de guide officiel) Baedeker de la capitale roumaine. Morand a écrit dans Le Voyageur et l'amour : « l'amour est aussi un voyage », on serait tenté à la lecture de son livre de proclamer que l'inverse est aussi vrai, le voyage est un amour, Monsieur Morand, puisque vous nous faites tant aimer Bucarest.

 

Hugues Rondeau

 

Bucarest, Paul Morand, Plon, 293 pages, 100 francs.

samedi, 06 juin 2009

Les principes du régionalisme et de l'ethnisme dans le cadre français

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SYNERGIES EUROPÉENNES -

Mai 1988

Les principes du régionalisme et de l'ethnisme dans le cadre français

par Thierry Mudry

Avant d'entamer une réflexion en profondeur sur l'Europe des régions et des ethnies, il convient d'abord de définir un certain nombre de mots-clés qui nous guideront dans notre démarche: décentralisation, autonomie, régionalisme, ethnisme.

On m'excusera si, en tant que Français, je fais référence au modèle français et aux interprétations françaises de ces mots.

La France, modèle de l'Etat centralisé

La France a été, avant tous les autres Etats d'Europe occidentale, le modèle même de l'Etat centralisé (a-vant l'Espagne qui conserva longtemps ses "fueros", ses libertés locales; avant l'Angleterre, avant l'Allemagne et l'Italie divisées). Elle demeure encore aujourd'hui l'Etat centralisé par excellence (malgré les timides réformes opérées en 1982 par le gouver-nement de gauche) alors même que ses voisins ont choisi une large décentralisation, voire une constitu-tion fédérale. Rien d'étonnant donc à ce que l'opposition à la centralisation y ait acquis une vigueur plus grande que partout ailleurs et que les idées de décentralisation ou d'autonomie des régions et des ethnies y aient été développées avec une précision sans dou-te inégalée. A ce facteur historique (l'antériorité de la centralisation française), il faut ajouter un autre fac-teur (culturel celui-ci) qui explique également le développement en France de ces idées: il s'agit de l'extrême variété ethnique et régionale de la France qui tend cependant à s'estomper voire à disparaître sous les effets conjugués de la centralisation et de la "modernité".

La Révolution: décentralisation et uniformisation

Contrairement à ce que donne à croire l'expression "cen-tralisme jacobin", employée en France la plu-part du temps bien à tort, le centralisme français ne date pas de la Révolution: il lui est bien antérieur et le jacobinisme, en réaction à l'absolutisme monar-chi-que, s'est révélé décentralisateur (mais aussi, sous l'effet des Lumières et de la Raison, uniformi-sa-teur: les privilèges territoriaux ont été abolis en même temps que les privilèges nobiliaires dans la fa-meuse nuit du 4 août 1789; les provinces ont été ensuite divisées en départements d'importance à peu près égale et arbitrairement délimités). Certes, le cen--tralisme politique est inhérent à la conception ja-cobine de la Nation mais le jacobinisme a été dé-cen-tralisateur au plan administratif (la Révolution a ins-tauré l'élection des administrateurs locaux et l'élec-tion des représentants du pouvoir central auprès des administrateurs locaux; elle a ôté tout pouvoir de tu-telle sur les administrateurs communaux). La Révo-lu-tion a également tenu compte, dans un premier temps, des langues minoritaires. Le Breton Jorj Gwegen écrit: "Le début de la Révolution française ne s'annonça pas sous un mauvais jour. La "Consti-tution" et les lois votées par "l'Assemblée Consti-tuante" furent traduites en breton ainsi que d'autres textes importants. L'Almanach du Père Gérard, pu-blié par Collot d'Herbois pour commenter la Consti-tution aux campagnards, fut également traduit en bre-ton. On doit aussi nombre de textes bretons aux "Amis de la Constitution" (Cf. La langue bretonne face à ses oppresseurs,  éd. Nature et Bretagne, Quim-per, 1975, p.32). Une telle considération pour les langues minoritaires marqua même un progrès par rapport à l'Ancien Régime. Mais cela ne dura pas longtemps: "En 1794, Barrère déclara, au nom du "Comité de Salut Public" que le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et la hai-ne de la République parlent allemand; la contre-révo-lution parle italien et le fanatisme parle basque; et il finit par proclamer que chez un peuple libre, la lan-gue doit être une et la même pour tous" (Ibid., p.33).

La Révolution a aussi engendré le fédéralisme

Les néo-régionalistes Robert Lafont (in: La Révo-lution régionaliste,  Gallimard, Paris, 1967, p.28) et Morvan-Lebesque (in: Comment peut-on être bre-ton?, Seuil, Paris, 1970) et, avant eux, le natio-na-lis-te Maurice Barrès, avaient constaté cet aspect décen-tra-lisateur de la Révolution française. Pour Barrès, la Révolution de 89 à 93 fut fédéraliste et ne devint centralisatrice que "pour faire face à des nécessités mo-mentanées en Vendée et sur le Rhin" (in: Assai-nis-sement et fédéralisme,  extrait cité par Zeev Stern-hell dans Maurice Barrès et le nationalisme français, Presses de la Fondation nationale des Sciences Po-li-ti-ques, Paris, 1972, p.325). Barrès note que "la Ré-vo-lution française a été dans son principe une réac-tion contre la centralisation monarchique, un effort pour dégager des éléments vivants qui voulaient con-courir aux destinées du pays et que l'absolutisme royal systématique accablait ou asservissait" (in: Scè-nes et doctrines du nationalisme,  Félix Juven, Pa-ris, 1902, p.487; réédition: Editions du Trident, Pa-ris, 1987).

La décentralisation révolutionnaire faillit déboucher sur l'éclatement de la France puisqu'elle provoqua en 1793 le "mouvement fédéraliste", c'est-à-dire la sé-cession de nombreux départements et de villes (Lyon et Marseille, par exemple) dont les adminis-tra-teurs, d'opinion modérée, avaient pris fait et cau-se pour les Girondins, renversés à Paris par les Mon-tagnards. Elle provoqua également en 1794 la ré-volte larvée des départements dominés par les élé-ments ultra-révolutionnaires qui refusaient la norma-li-sation du régime et reprochaient au "Comité de Sa-lut Public" l'exécution de l'extrémiste Hébert, rédac-teur du Père Duchêne et l'un des animateurs du "Club des Cordeliers" et la mise au pas de la Com-mune de Paris.

"Ultracistes", libéraux décentralisateurs, socialistes et nationalistes luttent contre le centralisme

Finalement, la Révolution, à partir de 1794/95, et surtout l'Empire qui lui succéda, restaurèrent le cen-tralisme, qui se trouva considérablement renforcé par rapport à l'Ancien Régime, du fait de l'uniformisation administrative et juridique de la France. Tout au long du XIXème siècle, certaines familles de pen-sée vont mener "le bon combat" contre le centralisme assimilé, à juste titre, au despotisme. Ce fut le cas notamment:

- des "ultracistes", sous la Restauration, qui récla-maient le rétablissement des provinces et de leurs pri-vilèges (la Restauration avait maintenu en place les structures administratives du Premier Empire), puis de leurs héritiers légitimistes;

- des libéraux décentralisateurs (depuis Tocqueville, auteur de La démocratie en Amérique  et de L'An-cien Régime et la Révolution,  jusqu'à l'Ecole de Nancy qui s'opposait au despotisme centralisateur du Second Empire, Frédéric Le Play, Taine et Re-nan) -c'est ce courant libéral qui rétablit sous la Monarchie de Juillet l'élection des administrateurs lo-caux;

- des socialistes (depuis Proudhon, partisan d'un fé-dé-ralisme communal et ethnique associé à un fé-dé-ra-lis-me économique, le socialisme libertaire, jus-qu'aux Communards);

- des nationalistes comme Maurice Barrès ou Char-les Maurras.

Les idées de décentralisation et d'autonomie (= fé-dé-ralisme) connurent une fortune particulière dans le mouvement occitan né au siècle dernier du Félibrige (courant littéraire de langue d'oc). C'est d'ailleurs dans le mouvement occitan qu'apparurent pour la pre-mière fois en France les termes de "régiona-lis-me" et d'"ethnisme".

L'exemple de l'Occitanie

En Occitanie, dans la seconde moitié du siècle der-nier, on distinguait un Félibrige de droite, le "Féli-bri-ge blanc" et un Félibrige de gauche, le "Félibrige rouge". Le Félibrige blanc, provençal, que dirigeait Roumanille, était royaliste (légitimiste), catholique, dé-centralisateur sur le modèle provincial —Frédéric Mistral, futur Prix Nobel, y appartenait. Le Félibrige rouge, languedocien, constitué autour de l'almanach de la "Lauseto" était dirigé par Xavier de Ricard et Auguste Fourès. Les félibriges rouges étaient répu-blicains et patriotes, albigéistes anticléricaux et fédé-ra-listes: ils tenaient pour un fédéralisme d'inspiration proudhonienne (Louis-Xavier de Ricard écrivit en 1877 Le Fédéralisme,  premier volet d'un tryptique qui aurait dû compter un volume sur le "panla-ti-nis-me" et un autre sur les rapports entre le socialisme et le fédéralisme).

Cette opposition entre droite et gauche dans le Féli-brige recoupe aujourd'hui l'opposition entre le Féli-brige provençal dans la lignée de Roumanille et de Mistral et l'"occitanisme" qui tend à la constitution d'une langue occitane (à partir du languedocien occi-dental), langue qui deviendrait commune à toute l'Oc--citanie, et dont Prosper Estieu et Antonin Per-bosc, puis Louis Alibert, ont été les chefs de file (cf. Robert Lafont, La revendication occitane, Flamma-rion, Paris, 1974). Ainsi se dessine, et se dessinait dé-jà au siècle dernier, l'opposition entre un pro-vin-cialisme décentralisateur, fidèle aux provinces d'An-cien Régime, et un ethnisme en voie d'émergence.

En 1892, avec l'appui de Frédéric Mistral, les jeunes fé-libres Frédéric Amouretti et Charles Maurras lan-çaient un manifeste fédéraliste qui évoquait la pensée de la "Lauseto" (ce manifeste contenait un hommage à Auguste Fourès) et prétendait réconcilier autour de quelques principes d'action culturelle et politique le Félibrige de gauche et celui de droite (cette pré-ten-tion ne survivra pas à l'Affaire Dreyfus). Les con-cep-tions d'Amouretti et de Maurras rejoignaient a-lors celles du Lorrain Maurice Barrès qui, en 1894/ 95, animait l'équipe du journal La Cocarde  (auquel col-laboraient les deux félibres et que Maurras ap-pel-lera plus tard, "le laboratoire du nationalisme" français). Barrès était nationaliste français et, en même temps, fédéraliste (quoi de plus normal puisque pour Barrès "la nationalité française est faite des natio-na-lités provinciales"?). Il prônait, dans le cadre de la Na-tion française, un fédéralisme régional et écono-mi-que  —il envisageait la transformation des salariés en associés et de la propriété privée des moyens de pro-duction en propriété syndicale dans le domaine in-dustriel et en propriété communale dans le domai-ne agricole—  qui s'appuierait sur les "affinités entre gens nés de la même terre et des mêmes morts". Ses références historiques étaient entre autres: la Révo-lu-tion, Proudhon et la Commune de Paris.

En 1901, le félibre Charles-Brun créa la "Fédération régionaliste française" qui prit la suite de la "Ligue de décentralisation" fondée en 1895 et diffusa l'idée régionaliste à travers la France.

L'Occitanisme et Vichy, la Résistance, la mouvance communiste et la Guerre d'Algérie

Le vieux régionalisme, qui s'identifiait au provin-cia-lisme et, en Occitanie, au mouvement félibréen, trou-va son aboutissement dans les réformes du ré-gime de Vichy (enseignement du breton et de l'occi-tan dans les écoles primaires, institution du préfet de ré-gion). Mais un "néo-régionalisme" apparut à l'"Ins-titut d'Etudes Occitanes", né de la Résistance, dès 1950; il reposait sur le rejet du félibrisme con-si-dé-ré comme "passéiste". Dans les années 50, le "néo-régionalisme" hésitait entre, d'un côté, le cul-tu-ralisme exclusif et le centralisme des Occitans pro-ches du Parti Communiste Français, dont l'Union So-viétique était le modèle et pour lesquels il n'y avait "de problème occitan que culturel" (Ibid.) et, de l'autre, le capitalisme régional (le "dévelop-pe-ment régional") prôné par des éléments apolitiques.

La grève des mineurs de Décazeville (hiver 1961/62) provoqua un sursaut de la conscience occitane. En 1962 se créa à Narbonne le "Comité occitan d'étu-des et d'action" (COEA). Le COEA était régionaliste - la région constituait dans l'esprit des animateurs du COEA une "unité organique naturelle"; ils rejettaient ainsi le pseudo-régionalisme technocratique. Le COEA divisait l'Occitanie en une région Méditer-ranée, une région Aquitaine et une région-program-me d'action spéciale englobant l'Auvergne et le Li-mou-sin, zones déshéritées. Il proposait un pouvoir régional, "reconstruction de la démocratie à la base" et l'idée de propriété régionale conçue dans un esprit socialiste en même temps que dans une perspective décolonisatrice (après la guerre d'Algérie dans la-quelle des militants occitans s'étaient engagés aux cô-tés du FLN comme "porteurs de valise", la notion de "colonialisme intérieur" fit en effet son apparition dans les milieux néo-régionalistes). Enfin, le COEA se déclarait partisan d'une Europe des régions.

La fin du mouvement occitan

Le COEA s'intégra en 1964 dans la "Convention des Institutions républicaines", matrice du futur Par-ti Socialiste français puis se rapprocha du Parti So-cialiste Unifié, à l'extrême-gauche de l'échiquier po-li-tique français. Son programme était alors très pro-che de celui de l'"Union Démocratique Bretonne", autre pôle en France du néo-régionalisme. Le COEA donna au gauchisme occitan ("Lutte occitane", "Vo-lem Viure al Païs") ses principales idées. Le gau-chis--me occitan très puissant dans l'immédiat après-68 commença à péricliter dans les années 74/75 a-vant de disparaître presque totalement au début des an-nées 80 (la "revendication occitane" appartient dé-sor-mais au passé - dernier témoin de ce passé de lut-tes: l'IEO, l'"Institut d'Etudes Occitanes", basé à Tou-louse, qui poursuit son action culturelle en fa-veur de l'Occitanie, d'une curieuse manière il faut l'a-vouer puisque l'IEO prétend intégrer dans l'"oc-ci-tanité" la culture des immigrés!).

Tandis que s'affirmait en Occitanie le néo-ré-gio-na-lisme de l'IEO et du COEA, François Fontan jetait les bases théoriques d'un micro-nationalisme occi-tan. Fontan fonda nominalement en 1959 le Parti Na-tio-naliste occitan et fit paraître en 1961 un livre in-titulé Ethnisme.Vers un nationalisme humaniste. Les idées de Fontan trouvèrent un écho dans les li-vres du fédéraliste européen Guy Héraud (notam-ment dans L'Europe des ethnies  et Qu'est-ce que l'ethnisme?).

Définir les mots-clefs: décentralisation, autonomie, régionalisme et ethnisme

Après avoir évoqué rapidement la genèse en France, particulièrement dans le mouvement occitan, des i-dées de décentralisation et d'autonomie des régions et des ethnies, essayons maintenant de donner une définition précise de ces mots-clés.

Il faut distinguer "décentralisation" et "autonomie", "régionalisme" et "ethnisme".

La décentralisation s'opère dans le cadre d'un Etat unitaire: le pouvoir central y octroie des compétences renforcées aux élus locaux (élus municipaux, dépar-te--mentaux et régionaux) qui demeurent soumis au con-trôle de l'Etat (pouvoir de tutelle). Il y a délé-ga-tion de pouvoir. La décentralisation est le plus sou-vent administrative et culturelle, elle n'affecte pas le caractère unitaire de l'Etat (il faut distinguer la dé-cen--tralisation et la déconcentration: dans la décon-cen-tration, l'Etat laisse une plus grande initiative à ses représentants locaux; exemple: les préfets).

L'au-tonomie repose sur une organisation fédérale de l'Etat. Qui dit autonomie, dit fédération, sauf cas li-mi-te où seules des régions périphériques se voient re-connaître l'autonomie. L'autonomie est essentiellement politique. Elle induit l'existence d'un pouvoir lé--gislatif et d'un pouvoir exécutif autonomes.

Le régionalisme repose sur la prise en compte des particularités régionales auxquelles on veut donner une dimension administrative (décentralisation), voi-re politique (autonomie) tandis que l'ethnisme vise à con-férer l'autnomie, voire l'indépendance à une mi-no-rité linguistique. Comme on le voit, le régionalisme est plus large que l'ethnisme qui ne concerne que les minorités linguistiques: dans une conception eth-nis-te au sens strict, l'Andalousie de parler castillan, la Calabre, la Campanie et la Sicile où l'on parle ita-lien, en France, la Normandie et la Savoie, la Picar-die et la Bourgogne ne constituent pas des ethnies et l'autonomie ne leur est pas nécessaires: on y parle en effet la langue de l'Etat.

Les peuples face à la modernité bourgeoise, libérale et capitaliste

Régionalisme et ethnisme s'opposent à la conception de l'Etat-Nation centralisé tout autant qu'à la nor-mali-sation planétaire qui s'opère aujourd'hui sous les auspices du capitalisme multinational. Les exem-ples d'affrontements entre ethnies et Etats-Nations en Europe même sont nombreux: Irlande du Nord, Flandre et Wallonie, Bretagne, Euzkadi, Catalogne, Corse, Val d'Aoste, Sud-Tyrol, Croatie, Ukraine, Pays baltes, Laponie, etc. Mais il faut faire deux re-marques importantes:

1. Le régionalisme et l'ethnisme d'un côté, le natio-na-lisme d'Etat de l'autre ne s'excluent pas toujours: on pense ici au nationalisme français de Barrès et de Maurras et à l'audacieux projet régionaliste du Gé-né-ral de Gaulle;

2. Le plus grave danger auquel se trouve con-fron-tées l'autonomie et l'identité des régions et des eth-nies n'est pas (n'est plus) la centralisation mais la "modernité". Cette "modernité" bourgeoise (elle favorise l'émergence et se construit autour d'un type hu-main dégagé de toute communauté et de tout enra-ci-nement: le bourgeois), libérale (elle balaie toute con--trainte politique et sociale communautaire et affir-me le "laisser-faire" en tout domaine), capitaliste (sa seule logique est celle du profit individuel), ôte tout pouvoir de décision aux instances politiques des peuples, encourage le nomadisme comme mode de vie et l'unilinguisme américain comme mode d'ex-pres-sion. L'indépendance ou l'autonomie nominales et une soi-disante politique culturelle locale, néces-sai--rement condamnée à l'insuccès (car la culture lo-cale, sans grand moyens d'expression et de diffu-sion et sans utilité dans la vie quotidienne moderne, ne résisterait pas à la concurrence de la sous-culture US) ne constituent donc pas des panacées et ne per-mettraient pas de sauver les régions et les ethnies d'une disparition certaine (tout au plus pourraient-elles retarder le processus).

L'impératif du "Grand Espace" européen!

Le salut ne réside pas dans le repli des régions et des ethnies sur elles-mêmes, dans la formule séparatiste, mais dans l'unité de l'Europe. Seule une Europe u-nie, une Europe impériale, aurait les moyens et la vo-lonté de garantir l'autonomie et de sauvegarder l'identité de ses composantes. Seule une Europe des régions et des ethnies pourrait réaliser tout ou partie des objectifs poursuivis par les régionalismes et les ethnismes.

Régionalisme et ethnisme débouchent donc né-ces-sai-rement, à notre sens, sur l'idée d'une Europe (unie) des régions et des ethnies. Chez les "fédéralistes eu-ro-péens" (comme Guy Héraud), cette conception de l'Europe constitue l'aboutissement d'une idéologie, née dans les milieux non-conformistes des années 30, qui combine:

A. Le personnalisme qui refuse à la fois l'indivi-dua-lisme libéral et le collectivisme (collectivisme prolé-ta-rien des communistes, collectiviste national-étatiste des fascistes) et se prolonge en un communauta-ris-me d'essence social-chrétienne qui prend la forme du corporatisme ou de l'autogestion chez les plus gau-chistes;

B. Le fédéralisme intégral inspiré de Proudhon. On re-trouve chez les fédéralistes européens les thèmes chers à Mounier et au groupe "L'Ordre Nouveau" d'Arnaud Dandieu et Robert Aron (sur le fédé-ra-lis-me européen, on lira: J.-L. Loubet del Bayle, Les non-conformistes des années 30,  Paris, Seuil, 1969, pp. 422 à 424).

Des solutions...

Quelle forme pourrait prendre l'Europe unie de demain?

Si l'on écarte les deux formes extrêmes que sont la confédération (cf. le "Plan Fouchet" de 1961) et l'E-tat européen unitaire (cf. Jean Thiriart), on peut ima-giner que l'Europe serait:

- une fédération d'Etats-Nations mais ces Etats de-vraient renoncer à leur structure unitaire et se trans-for-mer eux-mêmes en fédérations de régions et d'eth-nies et devraient admettre la possibilité d'ac-cords économiques ou culturels transfrontaliers entre régions proches géographiquement, parentes ethni-que-ment ou économiquement complémentaires;

- une fédération de régions et d'ethnies (née de l'éc-la-tement des Etats-Nations) regroupés par affinités raciales, culturelles ou géographiques en confédé-ra-tions (ex.: confédérations celtique, scandinave, ibé-ri-que, francophone, allemande, néerlandaise, "you-go-slave" —incluant la Bulgarie mais sans le Kosovo albanais— etc.).

On peut envisager également une solution inter-mé-diaire: l'adoption d'un fédéralisme à la soviétique ou à la yougoslave, "fédéralisme des peuples" (par op-po-sition au fédéralisme classique, le fédéralisme des Etats, auquel se rattachent les USA, la Suisse et l'Al-le-magne Fédérale), baptisé aussi "fédéralisme sta-linien" car il s'inspire des conceptions de Staline sur la question nationale (Staline a écrit en 1913 Mar-xisme et question nationale;  il a été après la Ré-volution d'Octobre commissaire du peuple aux na-tionalités) et de la constitution soviétique de 1936. Ce fédéralisme intègre à la fois les Nations histo-ri-ques et les ethnies les plus importantes (qui forment les républiques soviétiques) et des ethnies histori-que-ment et numériquement moins importantes et qui, avant la Révolution, n'étaient pas encore consti-tuées en Etats (ces ethnies forment des républiques autonomes, des régions autonomes ou des districts nationaux).

Certes, ce fédéralisme perd l'essentiel de sa signification du fait de la structure unitaire du Parti Communiste qui contrôle l'ensemble de l'Etat et de la société soviétiques (mais c'est cette structure unitaire qui empêche l'URSS d'éclater sous l'effet des for-ces centrifuges) et, surtout, ce fédéralisme masque mal une volonté, à la fois chauvine (grand-russe) et idéologique (marxiste-léniniste), de russification. Cet-te volonté se manifeste par la colonisation russe de l'Estonie, de la Moldavie, de la Crimée, de l'U-kraine industrielle et de l'Asie Centrale, par la place prépondérante du russe dans l'enseignement et les mé-dias (mêmes locaux) et par une russification sub-tile des langues soviétiques (emprunts nombreux au vocabulaire russe, alphabet cyrillique, etc.).

Ce fédéralisme très particulier a néanmoins permis de sauvegarder les principales cultures locales de l'URSS. Seules les cultures des ethnies les moins im-portantes, qui comptent quelques centaines ou quel-ques milliers d'individus, ont été délibérément sacrifiées par souci de "rationalisation socialiste".

Thierry MUDRY.

dimanche, 31 mai 2009

Complexes terres d'Islam

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Complexes terres d'Islam

Paul François Paoli
30/04/2009 -
http://www.lefigaro.fr
L'historien Michel Abitbol voit dans la guerre du Rif le signe de la fin de la domination européenne au Maghreb.

Nous sommes au Maroc, en 1925, et la guerre du Rif bat son plein, un conflit dont on a oublié la violence. Depuis quatre ans, dans un territoire montagneux qui longe l'Atlantique, un rebelle marocain du nom d'Abd el-Krim tient tête aux puissances coloniales. Son nom est en train de devenir une légende dans le monde arabo-musulman, car il a infligé aux Espagnols une défaite cuisante. Le 9 août 1921, ce sont 12 000 soldats espagnols qui ont trouvé la mort dans une embuscade, avec à leur tête le général Sylvestre qui n'a trouvé d'autre issue que le suicide. Les rebelles vont saisir 30 000 fusils et revolvers, 400 mitrailleuses, plus de 200 canons, des millions de cartouches ! L'Espagne est humiliée et la France qui a imposé son protectorat au Maroc depuis 1912, stupéfaite. Le réveil est dur pour ceux qui croient à l'éternité de la domination européenne. Certes, la révolte sera matée par le général Primo de Rivera, chef du gouvernement espagnol. En usant de moyens massifs, ils vont finir par vaincre Abd el-Krim qui sera envoyé en captivité… à la Réunion ! Mais c'est une victoire à la Pyrrhus et les Marocains ont désormais leur héros.

Parmi les Français, un homme est plus lucide que d'autres : Hubert Lyautey, maréchal de France, résident général du protectorat français au Maroc. Lui qui dirige ce pays dont il se targue de préserver l'identité musulmane sait que le colonialisme n'est pas fait pour durer. « Il est à prévoir que dans un temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord (…) se détachera de la métropole, déclare-t-il à Rabat. Il faut qu'à ce moment-là - et ce doit être le suprême but de notre politique -, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent de se tourner avec affection vers la France. » Il ajoutait : « Je n'ai pas cessé d'espérer créer entre ce peuple marocain et nous un état d'âme, une amitié, qui font qu'il restera avec nous le plus longtemps possible… C'est la pensée avec laquelle je vis, je veux me faire aimer de ce peuple. »

L'épisode est relaté par l'orientaliste Michel Abitbol dans L'Histoire du Maroc qui met en évidence la complexité de la présence européenne au Maghreb. Ce livre montre que ce que nous appelons « coloniser » relève d'un ensemble de processus enchevêtrés. Coloniser, c'est toujours dominer, mais toutes les dominations ne sont pas exterminatrices ou spoliatrices. Qu'ont donc fait les Arabes, en Afrique du Nord, sinon coloniser une région  où vivaient des Berbères qui revendiquent aujourd'hui encore leur spécificité ? Et pourquoi l'ont-ils fait s'ils n'étaient convaincus de leur supériorité civilisatrice ? Retraçant l'histoire du Maroc depuis ses prémices, Abitbol nous rappelle quelle brillante civilisation a été l'Islam andalou et maghrébin vers les XIe et XIIe siècles. Il nous rappelle aussi ce que son développement doit à la prédation. L'homme, qui, à la fin du VIIe siècle conquiert le Maghreb s'appelle Uqba Ibn Nafi al-Firhi. « Après avoir défait les Byzantins à Baghay et Monastir il affronta les tribus berbères du Mzab avant de se diriger vers Tlemcen et le nord du Maroc. Il parvint à Tanger, où, selon un chroniqueur de l'époque, il tua toute la partie mâle de la population et emmena le reste en captivité puis reçut la soumission de la tribu des Ghomara du Rif… », écrit Abitbol.

La modernité et les idéaux

Parmi les communautés qui se soumettent : les juifs et les chrétiens. On a beaucoup fantasmé sur la relation « idyllique » qu'aurait instaurée l'islam avec ces religions, mais cette idylle était au bénéfice de l'islam. Les juifs, notamment, y étaient citoyens de seconde zone, dihmmis (protégés). Et la sortie de ce statut va contribuer à les rendre indésirables, quelques siècles plus tard, aux yeux des nationalistes arabes, et ce bien avant la naissance d'Israël.

Comme le rappelle l'historien du judaïsme Shmuel Trigano dans un livre collectif, La Fin du judaïsme en terres d'islam, auquel ont collaboré une dizaine d'universitaires, la modernité et les idéaux de 1789 vont être pour les juifs, au Maroc notamment, un moyen de s'émanciper. Expliquant le départ, entre 1945 et 1970, de 900 000 juifs du monde arabe pour Israël et la France, Trigano esquisse les conséquences de cet exode massif sur les structures sociales, économiques et intellectuelles du royaume chérifien.

L'aurait-on cru ? Il détecte un bien curieux tropisme germanophile, et dans certains cas pro-nazi, de nombreux « islamo-nationalistes », depuis Abd el-Krim, jusqu'au grand mufti de Jérusalem, Hadj Amine el-Husseini, qui admirait Hitler. Une réalité qui a été souvent occultée.

L'Histoire du Maroc de Michel Abitbol Perrin, 674 p., 25,90 €.

La Fin du judaïsme en terres d'islam de Shmuel Trigano Denoël, 510 p. 25 €.

Les aventuriers de la contre-révolution

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Les aventuriers de la contre-Révolution 

Paul-François Paoli
09/04/2009 |
http://www.lefigaro.fr/

L'historien Jean-Paul Bertaud retrace la guerre que les royalistes ont menée contre les partisans de Napoléon, multipliant les complots, préparant un soulèvement paysan.

Nous sommes le 26 décembre 1799 dans un salon parisien où se croisent les intrigants de tous bords. Un homme jeune y entre, grand, mince, habillé comme un monsieur. Il s'appelle Jean-Guillaume Hyde de Neuville et, grâce à l'entremise de Talleyrand, s'apprête à rencontrer Bonaparte. Le premier consul, qui vient d'accéder au pouvoir après le coup d'État du 18 Brumaire, veut pacifier la Vendée et tend la main aux chouans. Le jeune aristocrate, qui, depuis la Terreur, est de tous les combats de la contre-Révolution, saisit l'occasion de parlementer. L'attente dure et l'émissaire royaliste songe à la finalité de sa mission qui va se révéler chimérique : installer Louis XVIII sur le trône avec l'aide d'un général que les jacobins considèrent désormais comme un traître à la République. Quand Bonaparte survient, Hyde de Neuville ne le reconnaît pas. « Petit, maigre, les cheveux collés sur les tempes, la démarche hésitante, il ne ressemble en rien au général qu'imagine Hyde. Sans doute, pense-t-il, est-ce là un serviteur. L'homme s'adosse à la cheminée, redresse la tête et regarde Hyde. Il le fixe avec une telle expression et une telle pénétration que celui-ci perd toute assurance, sous le feu de l'œil investigateur d'un homme qui grandit d'un coup de cent coudées. »

Racontée par l'historien Jean-Paul Bertaud dans Les Royalistes et Napoléon, cette scène digne des Chouans de Balzac donne la mesure de la tragédie qui déchire la France. Hyde de Neuville et Bonaparte se combattent, mais, d'une certaine manière, ils se ressemblent : ce sont des guerriers habités par le sens de l'honneur et l'ambition politique. D'ailleurs, ils se sont déjà affrontés. Le 5 octobre 1795, Hyde de Neuville faisait partie de la manifestation royaliste du 13 vendémiaire que le général corse a fait mitrailler pour sauver le Directoire. Depuis, Bonaparte a conquis ses galons, en Italie et en Égypte, avant de prendre le pouvoir. Il veut intégrer les aristocrates à son grand projet de refondation des élites et rêve de réussir une synthèse entre le meilleur de l'Ancien Régime, l'esprit chevaleresque, et l'acquis fondamental de la Révolution, dont il a lui-même bénéficié : la promotion par le mérite. Homme d'ordre, plutôt que jacobin, il tente de mettre un terme à la guerre civile qui déchire le pays. Malgré le ralliement de nombreux émigrés et le concordat avec le Pape qui restaure les droits de l'autel en 1801, il n'y parviendra jamais vraiment.

Un enracinement populaire

C'est l'histoire de cet échec que raconte Bertaud dans cet essai qui retrace la destinée de quelques hautes figures du royalisme français. Nul n'ignore l'existence de Cadoudal, que Bonaparte admirait pour sa bravoure, ou du duc d'Enghien dont l'exécution honteuse tache le règne napoléonien, mais qui connaît la vie haute en couleur de Jean-Guillaume Hyde de Neuville ou d'Armand Victor Le Chevalier, conspirateur qui sera fusillé après avoir multiplié les complots ? Au passage, Bertaud montre que la contre-Révolution ne peut être réduite à des groupuscules d'émigrés aigris stipendiés par les monarchies étrangères. Son enracinement populaire est patent dans le Midi et l'ouest de la France, mais aussi en Normandie. « Le Chevalier n'a jamais aimé les Anglais, leur assistance et leur influence toujours calculées lui sont insupportables. Il a décidé de ne pas les attendre et de recruter une armée parmi les paysans qu'il entretient depuis toujours dans l'esprit de révolte. » Incarcéré par Fouché, le ministre de la Police, il lui écrit : « J'ai projeté une insurrection contre Napoléon (…) mais l'idée d'un assassinat ne s'est jamais présentée à mon esprit et lorsqu'on me l'a offerte, je l'ai réprouvée avec indignation parce que je trouve indigne d'un homme d'honneur de se servir, contre ses ennemis, des moyens qu'ils trouveraient méprisables contre lui-même. »

Bertaud a raison d'affirmer que si les royalistes sont les témoins d'un monde révolu, ils sont aussi les visionnaires du monde à venir : où le pouvoir de l'État, le plus froid des monstres froids, va s'accroître aux dépens des libertés, et où l'idéologie ne fera plus très grand cas de la vie humaine. Les royalistes sont, pour beaucoup d'entre eux, des romantiques qui refusent la marche du temps. « Le retour à un âge médiéval, où le rêve l'emporte sur la réalité, est au cœur du modèle contre-révolutionnaire qui habite les royalistes depuis un quart de siècle. Pour eux la féodalité est l'âge d'or. Les hommes y vivaient selon le pacte passé entre le Ciel et la Terre et la chevalerie imposait à tous ses valeurs : courage et maîtrise de soi, respect de la parole donnée, désintéressement et protection des faibles », écrit Bertaud. Ce n'est pas pour rien que Chateaubriand, Vigny, Balzac et Barbey d'Aurevilly furent royalistes. La littérature, en somme, leur doit beaucoup. Quant à l'historiographie de la Révolution française, marquée chez nous par la prégnance de l'interprétation jacobine, elle les a trop souvent caricaturés en défenseurs d'un ordre ranci.

Les Royalistes et Napoléon de Jean-Paul Bertaud, Flammarion, 459p., 25 €.

vendredi, 29 mai 2009

G. Maschke: Der Engel der Vernichtung

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Dossier "Günter Maschke"

 

Der Engel der Vernichtung
Angriff gegen den aufklärerischen Optimismus, verdunkelt von Kraftworten: Zum 250. Geburtstag von Joseph de Maistre

Ex: http://www.jungefreiheit.de/

Günter Maschke

 

La neve sulla tosta, ma il fuoco nella bocca!", rief ein begeisterter Italiener aus, der das einzige überlieferte Portrait Joseph de Maistres betrachtete, das kurz vor dessen Tode entstand. Das Haupt weiß, wie von Schnee bedeckt und aus dem Munde strömt Feuer: De Maistre gehört zu den wenigen Autoren, die mit zunehmenden Jahren stets nur radikaler und schroffer wurden und sich der sanft korrumpierenden Weisheit des Alters entschlungen, gemäß der man versöhnlicher zu werden habe und endlich um die Reputation bemüht sein müsse. Fors do l'honneur nul souci, außer der Ehre keine Sorge, war der Wahlspruch des Savoyarden, und zu seiner Ehre gehörte es, immer unvermittelter, schonungsloser und verblüffender das Seine zu sagen.

Der Ruhm de Maistres verdankt sich seinen Kraftworten, mit denen er den ewigen Gutmenschen aufschreckt, der sich's inmitten von Kannibalenhumanität und Zigeunerliberalismus bequem macht. "Der Mensch ist nicht gut genug, um frei zu sein", ist wohl noch das harmloseste seiner Aperçus, das freilich, wie alles Offenkundige, aufs Äußerste beleidigt. Beharrliche Agnostiker und schlaue Indifferenzler entdecken plötzlich ihre Liebe zur Wahrheit und erregen sich über den kaltblütigen Funktionalismus de Maistres, schreibt dieser: "Für die Praxis ist es gleichgültig, ob man dem Irrtum nicht unterworfen ist oder ob man seiner nicht angeklagt werden darf. Auch wenn man damit einverstanden ist, daß dem Papste keine göttliche Verheißung gegeben wurde, so wird er dennoch, als letztes Tribunal, nicht minder unfehlbar sein oder als unfehlbar angesehen werden: Jedes Urteil, an das man nicht appellieren kann, muß, unter allen nur denkbaren Regierungsformen, in der menschlichen Gesellschaft als gerecht angesehen werden. Jeder wirkliche Staatsmann wird mich wohl verstehen, wenn ich sage, daß es sich nicht bloß darum handelt, zu wissen, ob der Papst unfehlbar ist, sondern ob er es sein müßte. Wer das Recht hätte, dem Papste zu sagen, daß er sich geirrt habe, hätte aus dem gleichen Grunde auch das Recht, ihm den Gehorsam zu verweigern."

Der Feind jeder klaren und moralisch verpflichtenden Entscheidung erschauert vor solchen ganz unromantischen Forderungen nach einer letzten, alle Diskussionen beendenden Instanz und angesichts der Subsumierung des Lehramtes unter die Jurisdiktionsgewalt erklärt er die Liebe und das Zeugnisablegen zur eigentlichen Substanz des christlichen Glaubens, den er doch sonst verfolgt und haßt, weiß er doch, daß diesem die Liebe zu Gott wichtiger ist als die Liebe zum Menschen, dessen Seele "eine Kloake" (de Maistre) ist.

Keine Grenzen mehr aber kennt die Empörung, wenn de Maistre, mit der für ihn kennzeichnenden Wollust an der Provokation, den Henker verherrlicht, der, zusammen mit dem (damals) besser beleumundeten Soldaten, das große Gesetz des monde spirituel vollzieht und der Erde, die ausschließlich von Schuldigen bevölkert ist, den erforderlichen Blutzoll entrichtet. Zum Lobpreis des Scharfrichters, der für de Maistre ein unentbehrliches Werkzeug jedweder stabilen gesellschaftlichen Ordnung ist, gesellt sich der Hymnus auf den Krieg und auf die universale, ununterbrochene tobende Gewalt und Vernichtung: "Auf dem weiten Felde der Natur herrscht eine manifeste Gewalt, eine Art von verordneter Wut, die alle Wesen zu ihrem gemeinsamen Untergang rüstet: Wenn man das Reich der unbelebten Natur verläßt, stößt man bereits an den Grenzen zum Leben auf das Dekret des gewaltsamen Todes. Schon im Pflanzenbereich beginnt man das Gesetz zu spüren: Von dem riesigen Trompetenbaum bis zum bescheidensten Gras - wie viele Pflanzen sterben, wie viele werden getötet!"

Weiter heißt es in seiner Schrift "Les Soirées de Saint Pétersbourg" (1821): "Doch sobald man das Tierreich betritt, gewinnt das Gesetz plötzlich eine furchterregende Evidenz. Eine verborgene und zugleich handgreifliche Kraft hat in jeder Klasse eine bestimmte Anzahl von Tieren dazu bestimmt, die anderen zu verschlingen: Es gibt räuberische Insekten und räuberische Reptilien, Raumvögel, Raubfische und vierbeinige Raubtiere. Kein Augenblick vergeht, in dem nicht ein Lebewesen von einem anderen verschlungen würde.

Über alle diese zahllosen Tierrassen ist der Mensch gesetzt, dessen zerstörerische Hand verschont nichts von dem was lebt. Er tötet, um sich zu nähren, er tötet, um sich zu belehren, er tötet, um sich zu unterhalten, er tötet, um zu töten: Dieser stolze, grausame König hat Verlangen nach allem und nichts widersteht ihm. Dem Lamme reißt er die Gedärme heraus, um seine Harfe zum Klingen zu bringen, dem Wolf entreißt er seinen tödlichsten Zahn, um seine gefälligen Kunstwerke zu polieren, dem Elefanten die Stoßzähne, um ein Kinderspielzeug daraus zu schnitzen, seine Tafel ist mit Leichen bedeckt. Und welches Wesen löscht in diesem allgemeinen Schlachten ihn aus, der alle anderen auslöscht? Es ist er selbst. Dem Menschen selbst obliegt es, den Menschen zu erwürgen. Hört ihr nicht, wie die Erde schreit nach Blut? Das Blut der Tiere genügt ihr nicht, auch nicht das der Schuldigen, die durch das Schwert des Gesetzes fallen. So wird das große Gesetz der gewaltsamen Vernichtung aller Lebewesen erfüllt. Die gesamte Erde, die fortwährend mit Blut getränkt wird, ist nichts als ein riesiger Altar, auf dem alles, was lebt, ohne Ziel, ohne Haß, ohne Unterlaß geopfert werden muß, bis zum Ende aller Dinge, bis zur Ausrottung des Bösen, bis zum Tod des Todes."

Im Grunde ist dies nichts als eine, wenn auch mit rhetorischem Aplomb vorgetragene banalité supérieure, eine Zustandsbeschreibung, die keiner Aufregung wert ist. So wie es ist, ist es. Doch die Kindlein, sich auch noch die Reste der Skepsis entschlagend, die der frühen Aufklärung immerhin noch anhafteten, die dem Flittergold der humanitären Deklaration zugetan sind (auch, weil dieses sogar echtes Gold zu hecken vermag), die Kindlein, sie hörten es nicht gerne.

Der gläubige de Maistre, der trotz all seines oft zynisch wirkenden Dezisionismus unentwegt darauf beharrte, daß jede grenzenlose irdische Macht illegitim, ja widergöttlich sei und der zwar die Funktionalisierung des Glaubens betrieb, aber auch erklärte, daß deren Gelingen von der Triftigkeit des Glaubens abhing - er wurde flugs von einem bekannten Essayisten (Isaiah Berlin) zum natürlich 'paranoiden' Urahnen des Faschismus ernannt, während der ridiküle Sohn eines großen Ökonomen in ihm den verrucht-verrückten Organisator eines anti-weiblichen Blut- und Abwehrzaubers sah, einen grotesken Medizinmann der Gegenaufklärung. Zwischen sich und der Evidenz hat der Mensch eine unübersteigbare Mauer errichtet; da ist des Scharfsinns kein Ende.

Der hier und in ungezählten anderen Schriften sich äußernde Haß auf den am 1. April 1753 in Chanbéry/Savoyen geborenen Joseph de Maistre ist die Antwort auf dessen erst in seinem Spätwerk fulminant werdenden Haß auf die Aufklärung und die Revolution. Savoyen gehörte damals dem Königreich Sardinien an und der Sohn eines im Dienste der sardischen Krone stehenden Juristen wäre wohl das ehrbare Mitglied des Beamtenadels in einer schläfrigen Kleinstadt geblieben, ohne intellektuellen Ehrgeiz und allenfalls begabt mit einer außergewöhnlichen Liebenswürdigkeit und Höflichkeit in persönlich-privaten Dingen, die die "eigentliche Heimat aller liberalen Qualitäten" (Carl Schmitt) sind.

Der junge Jurist gehörte gar einer Freimaurer-Loge an, die sich aber immerhin kirchlichen Reunionsbestrebungen widmet; der spätere, unnachgiebige Kritiker des Gallikanismus akzeptiert diesen als selbstverständlich; gelegentlich entwickelte de Maistre sogar ein wenn auch temperiertes Verständnis für die Republik und die Revolution. Der Schritt vom aufklärerischen Scheinwesen zur Wirklichkeit gelang de Maistre erst als Vierzigjährigem: Als diese in Gestalt der französischen Revolutionstruppen einbrach, die 1792 Savoyen annektierten. De Maistre mußte in die Schweiz fliehen und verlor sein gesamtes Vermögen.

Erst dort gelang ihm seine erste, ernsthafte Schrift, die "Considérations sur la France" (Betrachtungen über Frankreich), die 1796 erschien und sofort in ganz Europa Furore machte: Die Restauration hatte ihr Brevier gefunden und hörte bis 1811 nicht auf, darin mehr zu blättern als zu lesen. Das Erstaunliche und viele Irritierende des Buches ist, daß de Maistre hier keinen Groll gegen die Revolution hegt, ja, ihr beinahe dankbar ist, weil sie seinen Glauben wieder erweckte. Zwar lag in ihr, wie er feststellte, "etwas Teuflisches", später hieß es sogar, sie sei satanique dans sons essence. Doch weil dies so war, hielt sich de Maistres Erschrecken in Grenzen. Denn wie das Böse, so existiert auch der Teufel nicht auf substantielle Weise, ist, wie seine Werke, bloße Negation, Mangel an Gutem, privatio boni. Deshalb wurde die Revolution auch nicht von großen Tätern vorangetrieben, sondern von Somnambulen und Automaten: "Je näher man sich ihre scheinbar führenden Männer ansieht, desto mehr findet man an ihnen etwas Passives oder Mechanisches. Nicht die Menschen machen die Revolution, sondern die Revolution benutzt die Menschen."

Das bedeutete aber auch, daß Gott sich in ihr offenbarte. Die Vorsehung, die providence, leitete die Geschehnisse und die Revolution war nur die Züchtigung des von kollektiver Schuld befleckten Frankreich. Die Furchtbarkeit der Strafe aber bewies Frankreichs Auserwähltheit. Die "Vernunft" hatte das Christentum in dessen Hochburg angegriffen, und solchem Sturz konnte nur die Erhöhung folgen. Die Restauration der christlichen Monarchie würde kampflos vonstatten gehen; die durch ihre Gewaltsamkeit verdeckte Passivität der Gegenrevolution, bei der die Menschen nicht minder bloßes Werkzeug sein würden. Ohne Rache, ohne Vergeltung, ohne neuen Terror würde sich die Gegenrevolution, genauer, "das Gegenteil einer Revolution", etablieren; sie käme wie ein sich sanftmütig Schenkender.

Die konkrete politische Analyse aussparen und direkt an den Himmel appellieren, wirkte das Buch als tröstende Stärkung. De Maistre mußte freilich erfahren, daß die Revolution sich festigte, daß sie sich ihre Institution schuf, daß sie schließlich, im Thermidor und durch Bonaparte, ihr kleinbürgerlich-granitenes Fundament fand.

Von 1803 bis 1817 amtierte de Maistre als ärmlicher, stets auf sein Gehalt wartender Gesandter des Königs von Sardinien, der von den spärlichen Subsidien des Zaren in Petersburg lebt - bis er aufgrund seiner lebhaften katholischen Propaganda im russischen Hochadel ausgewiesen wird. Hier entstehen, nach langen Vorstudien etwa ab 1809, seine Hauptwerke: "Du Pape" (Vom Papste), publiziert 1819 in Lyon, und "Les Soirées de Saint Pétersbourg" (Abendgespräche zu Saint Petersburg), postum 1821.

Die Unanfechtbarkeit des Papstes, von der damaligen Theologie kaum noch verfochten, liegt für de Maistre in der Natur der Dinge selbst und bedarf nur am Rande der Theologie. Denn die Notwendigkeit der Unfehlbarkeit erklärt sich, wie die anderer Dogmen auch, aus allgemeinen soziologischen Gesetzen: Nur von ihrem Haupte aus empfangen gesellschaftliche Vereinigungen dauerhafte Existenz, erst vom erhabenen Throne ihre Festigkeit und Würde, während die gelegentlich notwendigen politischen Interventionen des Papstes nur den einzelnen Souverän treffen, die Souveränität aber stärken. Ein unter dem Zepter des Papstes lebender europäischer Staatenbund - das ist de Maistres Utopie angesichts eines auch religiös zerspaltenen Europa. Da die Päpste die weltliche Souveränität geheiligt haben, weil sie sie als Ausströmungen der göttlichen Macht ansahen, hat die Abkehr der Fürsten vom Papst diese zu verletzlichen Menschen degradiert.

Diese für viele Betrachter phantastisch anmutende Apologie des Papsttums, dessen Stellung durch die Revolution stark erschüttert war, führte, gegen immense Widerstände des sich formierenden liberalen Katholizismus, immerhin zur Proklamation der päpstlichen Unfehlbarkeit durch Pius IX. auf dem 1869 einberufenen Vaticanum, mit dem der Ultramontanismus der modernen, säkularisierten Welt einen heftigen, bald aber vergeblichen Kampf ansagte.

Die "Soirées", das Wesen der providence, die Folgen der Erbsünde und die Ursachen des menschlichen Leidens erörternd, sind der vielleicht schärfste, bis ins Satirische umschlagende Angriff gegen den aufklärerischen Optimismus. Hier finden sich in tropischer Fülle jene Kraftworte de Maistres, die, gerade weil sie übergrelle Blitze sind, die Komplexität seines Werkes verdunkeln und es als bloßes reaktionäres Florilegium erscheinen lassen.

De Maistre, der die Leiden der "Unschuldigen" ebenso pries wie die der Schuldigen, weil sie nach einem geheimnisvollen Gesetz der Reversibilität den Pardon für die Schuldigen herbeiführen, der die Ausgeliefertheit des Menschen an die Erbsünde in wohl noch schwärzeren Farben malte als Augustinus oder der Augustinermönch Luther und damit sich beträchtlich vom katholischen Dogma entfernte, der nicht müde wurde, die Vergeblichkeit und Eitelkeit alles menschlichen Planens und Machens zu verspottern, - er mutete und mutet vielen als ein Monstrum an, als ein Prediger eines terroristischen und molochitischen Christentum.

Doch dieser Don Quijote der Laientheologie - doch nur die Laien erneuerten im 19. Jahrhundert die Kirche, deren Klerus schon damals antiklerikal war! -, der sich tatsächlich vor nichts fürchtete, außer vor Gott, stimmt manchen Betrachter eher traurig. Weil er, wie Don Quijote, zumindest meistens recht hatte. Sein bis ins Fanatische und Extatische gehender Kampf gegen den Lauf der Zeit ist ja nur Gradmesser für den tiefen Sturz, den Europa seit dem 13. Jahrhundert erlitt, als der katholische Geist seine großen Monumente erschuf: Die "Göttliche Komödie" Dantes, die "Siete Partidas" Alfons' des Weisen, die "Summa" des heiligen Thomas von Aquin und den Kölner Dom.

Diesem höchsten Punkt der geistigen Einheit und Ordnung Europas folgte die sich stetig intensivierende Entropie, die, nach einer Prognose eines sanft gestimmten Geistesverwandten, des Nordamerikaners Henry Adams (1838-1918), im zwanzigsten und einundzwanzigsten Jahrhundert zur völligen spirituellen, aber auch politischen und sittlichen Anomie führen würde.

Der exaltierte Privatgelehrte, der in St. Petersburg aufgrund seiner unbedeutenden Tätigkeit genug Muße fand, sagte als erster eine radikale, blutige Revolution in Rußland voraus, geleitet von einem "Pugatschev der Universität", was wohl eine glückliche Definition Lenins ist. Die Prophezeiung wurde verlacht, war Rußland doch für alle ein Bollwerk gegen die Revolution. Er entdeckte, neben Louis Vicomte de Bonald (1754-1840), die Gesetze politisch-sozialer Stabilität, die Notwendigkeit eines bloc des idées incontestables, Gesetze, deren Wahrheit sich gerade angesichts der Krise und des sozialen Atomismus erwies: Ohne Bonald und de Maistre kein August Comte und damit auch keine Soziologie, deren Geschichte hier ein zu weites Feld wäre. De Maistre, Clausewitz vorwegnehmend und Tolstois und Stendhals Schilderung befruchtend, erkannte als erster die Struktur der kriegerischen Schlacht und begriff, daß an dem großen Phänomen des Krieges jedweder Rationalismus scheitert; der Krieg war ihm freilich göttlich, nicht wie den meist atheistischen Pazifisten ein Teufelswerk; auch ihn durchwaltete die providence.

Endlich fand de Maistre den Mut zu einer realistischen Anthropologie, die Motive Nietzsches vorwegnahm und die der dem Humanitarismus sich ausliefernden Kirche nicht geheuer war: Der Mensch ist beherrscht vom Willen zur Macht. Vom Willen zur Erhaltung der Macht, vom Willen zur Vergrößerung der Macht, von Gier nach dem Prestige der Macht. Diese Folge der Erbsünde bringt es mit sich, daß, so wie die Sonne die Erde umläuft, der "Engel der Vernichtung" über der Menschheit kreist - bis zum Tod des Todes.

Am 25. Februar 1821 starb Joseph de Maistre in Turin. "Meine Herren, die Erde bebt, und Sie wollen bauen!" - so lauteten seine letzten Worte zu den Illusionen seiner konservativen Freunde. Das war doch etwas anderes als - Don Quijote. 

Günter Maschke lebt als Privatgelehrter und Publizist in Frankfurt am Main. Zusammen mit Jean-Jacques Langendorf ist er Hausgeber der "Bibliothek der Reaktion" im Karolinger Verlag, Wien. Von Joseph de Maistre sind dort die Bücher "Betrachtungen über Frankreich", "Die Spanische Inquisition" und "Über das Opfer" erschienen.

dimanche, 24 mai 2009

Plaidoyer pour Louis-Ferdinand Céline

Plaidoyer pour Louis-Ferdinand Céline

Ex: http://ettuttiquanti.blogspot.com/
Article tiré de En avant FFI n°13 du 16/12/1944, hebdomadaire des FFI du Sud-Est :

M. Charles Maurras, qui est encore de l'Académie, et M. Louis-Ferdinand Céline qui n'en est pas encore, se trouvent en ce moment en délicate posture : Ils attendent d'être jugés. Et le cas du premier apparaît comme si critique que l'assemblée des Habits Verts pourrait bien être sommée de l'éjecter de son sein. Dès lors, la candidature de M. L.-F. Céline prendrait la valeur d'une protestation contre un coup de force. L'habit changerait d'échine, mais l'esprit serait sauvé. Et nul doute que M. Claude Farrère se ferait une joie de patronner une telle candidature, lui qui écrivit un jour : « Hitler et Mussolini sont bien libres dé massacrer qui bon leur semble ! » En somme, l'Académie devient le dernier refuge de la liberté.

En outre, si elle ouvrait ses portes à l'auteur du « Voyage au bout de la nuit » et de « L'Ecole des cadavres », on ne pourrait plus lui reprocher d'être le dépotoir des lettres et la maison de retraite du conformisme édenté et zézayant. Car M. L.-F. Céline est un costaud. Ecoutez avec quel dynamisme il fulmine contre les youtres : « Qu'on les enferme, qu'on les fricasse, qu'on les branche, qu'on les fouette jusqu'à l'os, que ça gicle, que ça éclabousse.»

Comme M. Charles Maurras, M. Gélive est un pur doctrinaire, et ce n'est pas sa faute si d'aucuns l'ont écouté et suivi. Enfin, ce Gide de la canaille a décidément créé un genre. On a comparé sa langue à des dissections d'hôpital. Il semble même que M. Céline, médecin aliéniste, soit oublieux de son propre cas, qui relève de la camisole de force. Les Immortels, dont le goût est infaillible, ont toujours fait grise mine aux auteurs rabelaisiens, à ceux dont les histoires truculentes chantent la joie de vivre et respirent la santé — qu'ils se nomment Jules Romains, Louis Pergaud, Gabriel Chevallier ou Maurice Fontbeurre. Mais ils se doivent d'accueillir un individu aux mains sales qui ne peut toucher à rien sans le souiller, et dont les gros bouquins dégagent une odeur à laquelle les narines les moins chatouilleuses finissent par ne plus pouvoir résister. Ça, au moins, c'est de l'art et de l'éclectisme !

Un dernier argument. M. L.-F. Céline est l'auteur de ce jugement aussi clairvoyant qu'intrépide : « Quel est le véritable ami du peuple ? Le fascisme. Qui a le plus fait pour l'ouvrier ? Hitler. Qui nous préserve de la guerre ? Hitler. C'est un bon éleveur de peuples, il est du côté de la vie, il est soucieux de la vie des peuples et même de la nôtre. C'est un Aryen ».

Et M. Céline qui n'aime rien, ni la nature, ni la vie, ni les hommes (à la seule exception d'Hitler) s'aime passionnément lui-même. Il avoue quelque part : « Je suis orgueilleux comme trente-six paons ». Il y a vraiment de quoi.

Vite, Messieurs, élisez-le, pour le plaisir de lui voir faire la roue !

Paul Chevalier.

vendredi, 22 mai 2009

L. F. Céline : Siegmaringen: quel pittoresque séjour!

Louis-Ferdinand Céline - Siegmaringen : quel pittoresque séjour !

Ex: http://ettuttiquanti.blogspot.com/
Peut-être pas encore se vanter, Siegmaringen?... pourtant quel pittoresque séjour!... vous vous diriez en opérette... le décor parfait... vous attendez les sopranos, les ténors légers... pour les échos, toute la forêt!... dix, vingt montagnes d'arbres !... Forêt Noire, déboulées de sapins, cataractes... votre plateau, la scène, la ville, si jolie fignolée, rose, verte, un peu bonbon, demi-pistache, cabarets, hôtels, boutiques, biscornus pour « metteur en scène »... tout style « baroque boche » et « Cheval blanc »... vous entendez déjà l'orchestre !... le plus bluffant : le Château!... la pièce comme montée de la ville... stuc et carton-pâte !... pourtant... pourtant vous amèneriez le tout : Château, bourg, Danube, place Pigalle ! quel monde vous auriez !... autre chose d'engouement que le Ciel, le Néant et l'à Gil!... (1) les « tourist-cars » qu'il vous faudrait !... les brigades de la P. P. ! ce serait fou, le monde, et payant !

Nous là je dois dire l'endroit fut triste... touristes certainement ! mais spéciaux... trop de gales, trop peu de pain et trop de R. A. F. au-dessus!... et l'armée Leclerc tout près... avançante... ses Sénégalais à coupe-coupe... pour nos têtes !... pas les têtes à Dache!... je lis là actuellement tous nos « quotidiens » pleurer sur le sort des pauvres Hongrois... si on nous avait reçus comme eux ! tant larmoyé sur nos détresses, on l'aurait eu belle, je vous dis ! dansé des drôles de claquettes ! s'ils avaient eu au prose l'article 75 ces pathétiques fuyards hongrois Coty les garderait pas souper!... merde!... s'ils étaient simples Français de France il les ferait vite couper en deux!... en dix s'ils étaient mutilos! surtout médaillés militaires ! la sensibilité française s'émeut que pour tout ce qu'est bien anti-elle! ennemis avérés; tout son cœur! masochisse à mort !

Nous là dans les mansardes, caves, les sous d'escaliers, bien crevant la faim, je vous assure pas d'Opérette!... un plateau de condamnés à mort !... 1142 !... je savais exactement le nombre...

Je vous reparlerai de ce pittoresque séjour! pas seulement ville d'eau et tourisme... formidablement historique !... Haut-Lieu!... mordez Château!... stuc, bricolage, déginganderie tous les styles, tourelles, cheminées, gargouilles... pas à croire !... super-Hollywood !... toutes les époques, depuis la fonte des neiges, l'étranglement du Danube, la mort du dragon, la vidoire de SaintFidelis (2), jusqu'à Guillaume Il et Goering.

De nous autres, tous là, Bichelonne avait la plus grosse tête, pas seulement qu'il était champion de Polytechnique et des Mines... Histoire ! Géotechnie !... pardon !... un vrai cybernétique tout seul ! s'il a fallu qu'il nous explique le quoi du pour ! les biscornuteries du Château! toutes ! qu'il penchait plutôt sud que nord?... si il savait? pourquoi les cheminées, créneaux, pont-levis, vermoulus, inclinaient eux plutôt ouest?... foutu berceau Hohenzollern! pardi! juché qu'il était sur son roc ! ... traviole ! biscornu de partout !... dehors !... dedans ! ... toutes ses chambres, dédales, labyrinthes, tout! tout prêt à basculer à l'eau depuis quatorze siècles !... quand vous irez vous saurez !... repaire berceau du plus fort élevage de fieffés rapaces loups d'Europe ! la rigolade de ce Haut-Lieu! et qu'il vacillait je vous le dis sous les escadres qu'arrêtaient pas, des mille et mille « forteresses », pour Dresde, Munich, Augsburg... de jour, de nuit... que tous les petits vitraux pétaient, sautaient au fleuve !... vous verrez !...

Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre, 1957.

Sur le sujet :

A voir :
>>>
Lucette à Sigmaringen, émission Le Fond et la forme de 1971.

A lire :
>>>
Céline, Degrelle et quelques autres à Sigmaringen

vendredi, 15 mai 2009

Cento anni Robert Brasillach

Cento anni Robert Brasillach

Tratto da http://www.ladestra.info/

Quando si dice Brasillach, di solito parte la retorica. È un vizio antico in uso dalle nostre parti. È morto giovane, d’accordo. Gli hanno fucilato l’animo di ragazzo, gonfio di romanticismi e sogni belli. Certamente. Ma oggi questo giovanotto di cent’anni è più vero di ieri. Nato nel 1909, morto nel 1945: si è risparmiato di scendere tutti i gradini della degradazione, all’opera nella vecchia Europa da allora in poi. Si è sottratto al destino di chi, come noi, è cresciuto nell’impenetrabile nebbione del mito mitizzato senza mai veramente conoscerlo, viverlo, vederlo a colori. La fortuna dei martiri è questa. Aver trovato qualcuno che ti fucila al momento giusto. E così ha mantenuto intatto l’alone di gloria, suo è l’esempio. Per sempre. Versato ad ammirare chiunque concepisca l’impegno come un ribollire di energia, Brasillach cantò la giovinezza in quanto contenitore naturale di forza e di tensione… e ad esempio di Codreanu richiamava lo spirito monastico e militare, la «poesia rude e piena di colore… lo stato di illuminazione collettiva…»; dei rexisti celebrava «l’elemento più spettacolare e più attraente del mondo nuovo: la giovinezza. L’universo fiammeggiava, l’universo cantava e si radunava…». Del Fascismo, dunque, coglieva non tanto le dottrine politiche, i corporativismi, le sociologie, ma soprattutto la capacità di radunare, animare e galvanizzare masse giovanili soffiando nei loro cuori uno spirito di vita… questo Fascismo-dio, che muove l’argilla e la rende carne pulsante, Brasillach lo volle vedere come il mito del secolo.

E disse cose inaudite per qualunque orecchio sordo e avvizzito. Pronunciò frasi sbalorditive per chiunque abbia venduto l’anima al perbenismo. Trinciò definizioni ingiuriose per tutti i preti laici del conformismo. Scrisse che «il fascismo è spirito. È uno spirito anticonformista in primo luogo, antiborghese e l’irriverenza vi aveva la sua parte. È uno spirito opposto ai pregiudizi, a quelli di classe come a tutti gli altri…». Che parole! E che sintesi! Che solenne poesia dello squadrismo, del darsi e del darsi altrimenti! Citò Sorel, e ne estrasse un programma politico ristretto in un’unica, brevissima frase: «…i miti non sono cabale astrologiche… Bisogna considerarli modi di agire sul presente». Come l’amore inetto e sterile, il mito mitizzato è funereo e castrante, immobilizza mentre è nato per sospingere. Il mito vivente deve dunque essere storia, società, uomo vero in carne e ossa. Dedichiamo la riflessione a quanti spesso hanno fatto di Brasillach, e di tutto quanto il Fascismo, la retorica degli imbelli e un cartone inanimato.

L’accademico di Francia Thierry Maulnier, nel 1964, paragonò la morte di Brasillach alla malattia del genio, quella che ne interrompe il volo, che inspiegabilmente spezza all’improvviso un destino attraverso la «stupida ferocia della storia». Come per Chénier o per Kleist, la morte per Brasillach è stata un annuncio: «attraverso la grazia e la tenerezza colma di tristezza del gesto con cui hanno accarezzato le forme visibili ed invisibili della vita: di quella vita che Robert amava troppo per rassegnarsi alla sua usura». Dunque il poeta Brasillach ha consapevolmente accettato la morte nel momento in cui si rese conto che, da un certo momento in poi, la sua vita si sarebbe logorata e sciupata. Lo si direbbe proprio un prescelto dagli dèi, che sono soliti infliggere ai sopravvissuti o ai posteri la condanna inespiabile di lunghe esistenze deprivate di grazia.

Le inquadrature da cui è possibile osservare oggi Brasillach sono quelle di un altorilievo neo-classico. Saint-Loup provò a sintetizzare: «Un essere tutto luce come lui non poteva sostenere il combattimento con armi comuni. Gliene occorrevano altre, più temprate di quelle degli Spartani che ammirava. Le ha trovate nel supplizio e la sua morte mira più alto della sua vita; il suo sacrificio conduce infinitamente più lontano della sua penna. Ha persino “trasfigurato” il fascismo che egli sosteneva». Una mistica di questo genere è il pane quotidiano per ogni religione. Perfino per quelle che predicano l’umiltà e sono tronfie, elogiano la povertà, ma vivono di sfarzo e di potere… Di mistica si nutrono i devoti, come dell’esempio cui rifarsi, del santo cui appellarsi. E poco importa se storicamente l’Idea ha prodotto contraddizioni, atroci disinganni, menzogne. Gli uomini vivono nel fango ma, ogni tanto, hanno bisogno di alzare lo sguardo e di pensare alto. Dura un attimo, ma conta. Come ogni religione che abbia mosso uomini alla milizia e al martirio di sé, anche il Fascismo ha i suoi santi. E Brasillach, mandato a morte mondo di peccato, conserva il suo alone di sorridente volontà di sacrificio. Non un “santino”, ma un uomo capace di assoluto. Giano Accame, invece, e con parole straordinariamente suggestive, ne fece un “inattuale”: «Perchè Drieu è attuale, Céline è ancora attuale, e Brasillach non lo è?». Scrisse che il suo ottimismo gli faceva un po’ pena, che le sue ingenue enfatizzazioni sul Fascismo e sul Nazionalsocialismo ne fecero un illuso. Un’anima semplice? Noi oggi, a tutto questo, vorremmo aggiungere l’elogio dell’ingenuo. Colui che rimane nel proprio gene. Che ne resta imbozzolato e non conosce l’altrove, bastando a se stesso. Wagner fece un poema dell’ingenuità di Sigfrido. E Parsifal non era forse un ingenuo? Quali figure, più di queste, richiamano alla mente la radicale opposizione col mondo moderno e con i suoi personaggi falsi, ottusi, materiali e gonfi di vuoto?

Brasillach ebbe la colpa di immaginare un mondo ribattezzato dal Fascismo come fosse una rivoluzione dello spirito, capace di rifare l’uomo dalla testa ai piedi. Parlando di Brasillach, Accame faceva del sarcasmo, alla sua maniera: «L’uomo nuovo che avevamo sognato non è diventato né migliore, come si sperava, né peggiore, come si temeva… abbiamo tirato fuori la testa dal disastro e ci siamo ritrovati adulti, sciatti, moralmente grigi, ma ben presto compiaciuti di noi stessi, dei nostri utensili, dei nostri guadagni, delle nostre ferie, sotto un cielo vuoto». Che terribile cantico al tracollo dello spirito poetico e che terribile denuncia circa il dilagare della più vile delle prose!

E poi è anche possibile che Brasillach fosse meno ingenuo di quanto pensiamo noi. Magari volle e si impose di essere poeta proprio perchè comprese alla perfezione che altrimenti sarebbe morto anche se avesse continuato a sopravvivere. Tra i non conformisti degli anni Trenta aleggiavano proiezioni e immaginative di cui noi oggi non possiamo comprendere che poche cose. Nella sua famosa Lettera a un soldato della classe ‘40, Brasillach in qualche modo ci spiega quanto poco fosse un illuso o un ingenuo. Il “caro ragazzo” a cui si rivolge è il giovane del dopoguerra e di tutti i dopoguerra. «Ti chiedo solo di non disprezzare le verità che noi abbiamo cercato, gli accordi che abbiamo sognato al di là di ogni disaccordo, e di conservare le due sole virtù alle quali io credo: la fierezza e la speranza».

Se pensiamo un attimo a quanto poco si aggirino per l’Europa mondializzata la fierezza e la speranza, si capisce che Brasillach non parlava il linguaggio etereo del metafisico con la testa tra le nuvole, ma quello concreto dell’uomo in cerca, sorretto dalla volontà di adornare l’esistenza di qualcosa, anche minima, per cui valga davvero la pena di essere vissuta. La fierezza e la speranza – ma non sarebbe un ottimo titolo per un libro postumo di Oriana Fallaci, certo ad altissima tiratura? - sono precisamente quelle cose di cui oggi manca completamente la povera Europa che ha fucilato Brasillach, colpendone ben più lo spirito che il corpo. Uomo tutt’altro che spaesato e abbandonato a sogni adolescenziali, Brasillach fu al contrario attento alla modernità, ne annusò certi segnali, ne apprezzò non poche manifestazioni, ne assaporò molti lati. Dal cinema alla musica jazz, al teatro, persino ai cartoni animati… e non gli fece difetto una “normalissima” inclinazione per la vita bella, suadente, rallegrante, esteticamente ricca e stimolante. E quando fu il momento, con la morte in faccia, mantenne quel sangue freddo che si addice più al navigato avventuriero che al semplice e al sognatore.

Noi gli perdoniamo facilmente di aver preso qualche memorabile “cantonata”. Non fu l’unico. Si tratta anzi di una regola storica. Rileggiamo volentieri le sue pagine visionarie, lisergiche, pregne di santa e sana allucinazione: via di fuga dalle miserie borghesi. Ripercorriamo insieme a lui l’arduo cammino di quanti furono per una lunga stagione al centro degli eventi e vi si tuffarono a capofitto secondo istinto. E confessiamo invidia per chi, come lui e molti della sua generazione, ha avuto in dono dal destino la possibilità di commettere anche grandi sbagli, potendosi dare l’aria di aver centrato il senso della storia. A noi è toccato in sorte di frugare tra gli avanzi degli altri, senza trovare nulla che non fosse avvilimento.
«Un accampamento di giovinezza nella notte, l’impressione di essere un tutt’uno con la propria Patria, il collegarsi ai santi e agli eroi del passato, una festa di popolo, ecco taluni elementi della poesia fascista, in cui è consistita la follia e la saggezza del nostro tempo. Ecco ciò, ne sono sicuro, cui la gioventù tra vent’anni, dimentica di tare e di errori, guarderà con oscura invidia e con inguaribile nostalgia…». Queste parole, effettivamente, nascondono un errore di valutazione. Ma non riguarda l’analisi del suo tempo, bensì la prognosi di quello a venire. Nessuno ha dimenticato le tare e gli errori, ma tutti ricordano soltanto quelli… e nessuno si azzarda a provare invidia o nostalgia per idee che, nel frattempo, lavorate a lungo da eserciti di termiti giganti, sono state ridotte a relitti terribili e a minacciose mostruosità.

Di Brasillach ci piacciono ancora e nonostante tutto e in faccia al mondo alcuni suoi fondamentali. L’Europa è uno di questi. Un asse latino-germanico, un pullulare di patrie e di identità rivendicate, un mito da agitare, e ancora oggi, e proprio nel momento in cui la parola “identità” è diventata una colpa e un insulto e al mito si affibbia la maschera tragica del delirio. Di Brasillach ci piace poi il suo anarchismo. La sua voglia mobile di raccontare storie di radicamento: «Voglio restare… restare nella tua ombra, ingannare l’attesa, il ricordo di avere atteso, sperare, attendere ancora…», fa dire a Berenice l’errante. Questo “restare” potrebbe diventare all’improvviso una parola d’ordine e un grido. Di pochi oppure magari di molti. Magnifica illusione o scelta pesante? Dopo tutto, lo aveva scritto ne I sette colori: «Ad altri gli entusiasmi della illusione, la certezza che mai ha dubitato di sé. Per noi, il nostro solo merito, in tutti i campi, è di esserci accettati, di avere scelto».

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Tratto da Linea del 24 aprile 2009.

Luca Leonello Rimbotti