dimanche, 22 juin 2008
Afghanistan: une guerre de 210 ans!
Afghanistan : une guerre programmée depuis 210 ans
Conférence prononcée par Robert Steuckers le 24 novembre 2001 à la tribune du "Cercle Hermès" de Metz, à la tribune du MNJ le 26 janvier 2002 et à la tribune commune de "Terre & Peuple"-Wallonie et de "Synergies Européennes"-Bruxelles le 21 février 2002
Depuis que les troupes américaines et occidentales ont débarqué en Afghanistan, dans le cadre de la guerre anti-terroristes décrétée par Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001, un regard sur l'histoire de l'Afghanistan au cours de ces deux derniers siècles s'avère impératif; de même, joindre ce regard à une perspective plus vaste, englobant les théâtres et les dynamiques périphériques, permettrait de juger plus précisément, à l'aune de l'histoire, les manœuvres américaines en cours. Il nous induit à constater que cette guerre dure en fait depuis au moins 210 ans. Pourquoi ce chiffre de 210 ans? Parce que les principes, qui la guident, ont été consignés dans un mémorandum anglais en 1791, mémorandum qui n'a pas perdu de sa validité dans les stratégies appliquées de nos jours par les puissances maritimes. Seule l'amnésie historique, qui est le lot de l'Europe actuelle, qui nous est imposée par des politiques aberrantes de l'enseignement, qui est le produit du refus d'enseigner l'histoire correctement, explique que la teneur de ce mémorandum n'est pas inscrite dans la tête des diplomates et des fonctionnaires européens. Ils en ignorent généralement le contenu et sont, de ce fait, condamnés à ignorer le moteur de la dynamique à l'œuvre aujourd'hui.
Louis XVI : l'homme à abattre
Quel est le contexte qui a conduit à la rédaction de ce fameux mémorandum? La date clef qui explique le pourquoi de sa rédaction est 1783. En cette année-là, à l'Est, les armées de Catherine de Russie prennent la Crimée et le port de Sébastopol, grâce à la stratégie élaborée par le Ministre Potemkine et le Maréchal Souvorov (cf. : Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie - Des origines au nucléaire, Laffont, coll. "Bouquins", 1990). A partir de cette année 1783, la Crimée devient entièrement russe et, plus tard, à la suite du Traité de Jassy en 1792, il n'y aura plus aucune troupe ottomane sur la rive septentrionale de la Mer Noire. A l'Ouest, en 1783, la Marine Royale française écrase la Royal Navy anglaise à Yorktown, face aux côtes américaines. La flotte de Louis XVI, bien équipée et bien commandée, réorganisée selon des critères de réelle efficacité, domine l'Atlantique. Son action en faveur des insurgés américains a pour résultat politique de détacher les treize colonies rebelles de la Couronne anglaise. A partir de ce moment-là, le sort de l'artisan intelligent de cette victoire, le Roi Louis XVI, est scellé. Il devient l'homme à abattre. Exactement comme Saddam Hussein ou Milosevic aujourd'hui. Paul et Pierrette Girault de Coursac, dans Guerres d'Amérique et libertés des mers (cf. infra), ont décrit avec une minutie toute scientifique les mécanismes du complot vengeur de l'Angleterre contre le Roi de France qui a développé une politique intelligente, dont les deux piliers sont 1) la paix sur le continent, concrétisée par l'alliance avec l'Empire autrichien, dépositaire de la légitimité impériale romano-germanique, et 2) la construction d'une flotte appelée à dominer les océans (à ce propos, se rappeler des expéditions de La Pérouse; cf. Yves Cazaux, Dans le sillage de Bougainville et de Lapérouse, Albin Michel, 1995).
L'Angleterre de la fin du 18ième siècle, battue à Yorktown, menacée par les Russes en Méditerranée orientale, va vouloir inverser la vapeur et conserver le monopole des mers. Elle commence par lancer un débat de nature juridique: la mer est-elle res nullius ou res omnius, une chose n'appartenant à personne, ou une chose appartenant à tous? Si elle est res nullius, on peut la prendre et la faire sienne; si elle est res omnius, on ne peut prétendre au monopole et il faut la partager avec les autres puissances. L'Angleterre va évidemment arguer que la mer est res nullius. Sur terre, l'Angleterre continue à appliquer sa politique habituelle, mise au point au 17ième siècle, celle de la "Balance of Powers", de l'équilibre des puissances. En quoi cela consiste-t-il? A s'allier à la seconde puissance pour abattre la première. En 1783, cette pratique pose problème car il y a désormais alliance de facto entre la France et l'Autriche: on ne peut plus les opposer l'une à l'autre comme au temps de la Guerre de Succession d'Espagne. C'est d'ailleurs la première fois depuis l'alliance calamiteuse entre François I et le Sultan turc que les deux pays marchent de concert. Depuis le mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine, il est donc impossible d'opposer les deux puissances traditionnellement ennemies du continent. Cette union continentale ne laisse rien augurer de bon pour les Anglais, car, profitant de la paix avec la France, Joseph II, Empereur germanique, frère de Marie-Antoinette, veut exploiter sa façade maritime en Mer du Nord, dégager l'Escaut de l'étau hollandais et rouvrir le port d'Anvers. Joseph II s'inspire des projets formulés quasiment un siècle plus tôt par le Comte de Bouchoven de Bergeyck, soucieux de développer la Compagnie d'Ostende, avec l'aide du gouverneur espagnol des Pays-Bas, Maximilien-Emmanuel de Bavière. La tentative de Joseph II de forcer le barrage hollandais sur l'Escaut se termine en tragi-comédie: un canon hollandais tire un boulet qui atterrit au fond de la marmite des cuisines du bateau impérial. On parlera de "Guerre de la Marmite". L'Escaut reste fermé. L'Angleterre respire.
Organiser la révolution et le chaos en France
Comme cette politique de "Balance of Powers" s'avère impossible vu l'alliance de Joseph II et de Louis XVI, une nouvelle stratégie est mise au point: organiser une révolution en France, qui débouchera sur une guerre civile et affaiblira le pays, l'empêchant du même coup de financer sa politique maritime et de poursuivre son développement industriel. En 1789, cette révolution, fomentée depuis Londres, éclate et précipite la France dans le désastre. Olivier Blanc, Paul et Pierrette Girault de Coursac sont les historiens qui ont explicité en détail les mécanismes de ce processus (cf. : Olivier Blanc, Les hommes de Londres - Histoire secrète de la Terreur, Albin Michel, 1989; Paul et Pierrette Girault de Coursac, Guerre d'Amérique et liberté des mers 1718-1783, F.X. de Guibert/O.E.I.L., Paris, 1991). En 1791, les Anglais obtiennent indirectement ce qu'ils veulent : la République néglige la marine, ne lui vote plus de crédits suffisants, pour faire la guerre sur le continent et rompre, par voie de conséquence, l'harmonie franco-impériale, prélude à une unité diplomatique européenne sur tous les théâtres de conflit, qui avait régné dans les vingt années précédant la révolution française.
Trois stratégies à suivre
A Londres, on pense que la France, agitée par des avocats convulsionnaires, est plongée pour longtemps dans le marasme et la discorde civile. Reste la Russie à éliminer. Un mémorandum anonyme est remis, la même année, à Pitt; il s'intitule "Russian Armament" et contient toutes les recettes simples et efficaces pour abattre la seconde menace, née, elle aussi, en 1783, qui pèse sur la domination potentielle des mers par l'Angleterre. Ce mémorandum contient en fait trois stratégies à suivre à tout moment : 1) Contenir la Russie sur la rive nord de la Mer Noire et l'empêcher de faire de la Crimée une base maritime capable de porter la puissance navale russe en direction du Bosphore et au-delà; cette stratégie est appliquée aujourd'hui, par l'alliance turco-américaine et par les tentatives de satelliser la Géorgie de Chevarnadze. 2) S'allier à la Turquie, fort affaiblie depuis les coups très durs que lui avait portés le Prince Eugène de Savoie entre 1683 et 1719. La Turquie, incapable désormais de développer une dynamique propre, devait devenir, pour le bénéfice de l'Angleterre, un verrou infranchissable pour la flotte russe de la Mer Noire. La Turquie n'est donc plus un "rouleau compresseur" à utiliser pour détruire le Saint Empire, comme le voulait François I; ni ne peut constituer un "tremplin" vers la Méditerranée orientale et vers l'Océan Indien, pour une puissance continentale qui serait soit la Russie, si elle parvenait à porter ses forces en avant vers les Détroits (vieux rêve depuis que l'infortunée épouse du Basileus, tombé l'épée à la main à Constantinople en 1453 face aux Ottomans, avait demandé aux Russes de devenir la "Troisième Rome" et de prendre le relais de la défunte Byzance); soit l'Autriche si elle avait pu consolider sa puissance au cours du 19ième siècle; soit l'Allemagne de Guillaume II, qui, par l'alliance effective qu'elle scelle avec la Sublime Porte, voulait faire du territoire turco-anatolien et de son prolongement mésopotamien un "tremplin" du cœur de l'Europe vers le Golfe Persique et, partant, vers l'Océan Indien (ce qui suscita la fameuse "Question d'Orient" et constitua le motif principal de la Première Guerre Mondiale; rappelons que la "Question d'Orient" englobait autant les Balkans que la Mésopotamie, les deux principaux théâtres de conflit à nos portes; les deux zones sont étroitement liées sur le plan géopolitique et géostratégique). 3) Eloigner toutes les puissances européennes de la Méditerranée orientale, afin qu'elles ne puissent s'emparer ni de Chypre ni de la Palestine ni de l'isthme égyptien, où l'on envisage déjà de creuser un canal en direction de la Mer Rouge.
La réouverture de l'Escaut
En 1793, la situation a cependant complètement changé en France. La République ne s'enlise pas dans les discussions stériles et la dissension civile, mais tombe dans la Terreur, où les sans-culottes jouent un rôle équivalent à celui des talibans aujourd'hui. En 1794, après la bataille de Fleurus remportée par Jourdan le 25 juin, les armées révolutionnaires françaises s'emparent définitivement des Pays-Bas autrichiens, prennent, avec Pichegru, le Brabant et le port d'Anvers, de même que le Rhin, de Coblence —ville prise par Jourdan en même temps que Cologne— à son embouchure dans la Mer du Nord. Ils réouvrent l'Escaut à la navigation et entrent en Hollande. Le delta des trois fleuves (Escaut / Meuse / Rhin), qui fait face aux côtes anglaises et à l'estuaire de la Tamise, se trouve désormais aux mains d'une puissance de grande profondeur stratégique (l'Hexagone). La situation nouvelle, après les soubresauts chaotiques de la révolution, est extrêmement dangereuse pour l'Angleterre, qui se souvient que les corsaires hollandais, sous la conduite de l'Amiral de Ruyter, avaient battu trois fois la flotte anglaise et remonté l'estuaire de la Tamise pour incendier Londres (1672-73) (1). En partant d'Anvers, il faut une nuit pour atteindre l'estuaire de la Tamise, ce qui ne laisse pas le temps aux Anglais de réagir, de se porter en avant pour détruire la flotte ennemie au milieu de la Mer du Nord: d'où leur politique systématique de détacher les pays du Bénélux et le Danemark de l'influence française ou allemande, et d'empêcher une fusion des Pays-Bas septentrionaux et méridionaux, car ceux-ci, unis, s'avèreraient rapidement trop puissants, vu l'union de la sidérurgie et du charbon wallons à la flotte hollandaise (a fortiori quand un empire colonial est en train de se constituer en Indonésie, à la charnière des océans Pacifique et Indien).
Lord Castlereagh proposa à Vienne en 1815 la consolidation et la satellisation du Danemark pour verrouiller la Baltique et fermer la Mer du Nord aux Russes, la création du Royaume-Uni des Pays-Bas (car on ne perçoit pas encore sa puissance potentielle et on ne prévoit pas sa future présence en Indonésie), la création du Piémont-Sardaigne, Etat-tampon entre la France et l'Autriche, et marionnette de l'Angleterre en Méditerranée occidentale; Homer Lea théorisera cette politique danoise et néerlandaise de l'Angleterre en 1912 (cf. infra) en l'explicitant par une cartographie très claire, qui reste à l'ordre du jour.
Nelson : Aboukir et Trafalgar
Les victoires de la nouvelle république, fortifiées à la suite d'une terreur bestiale, sanguinaire et abjecte, notamment en Vendée, provoquent un retournement d'alliance: d'instigatrice des menées "dissensionnistes" de la révolution, l'Angleterre devient son ennemie implacable et s'allie aux adversaires prussiens et autrichiens de la révolution (stratégie mise au point par Castlereagh, sur ordre de Pitt). Résultat : un espace de chaos émerge entre Seine et Rhin. Dans les années 1798-99, Nelson va successivement chasser la marine française de la Méditerranée, car elle est affaiblie par les mesures de restriction votées par les assemblées révolutionnaires irresponsables, alors que l'Angleterre avait largement profité du chaos révolutionnaire français pour consolider sa flotte. Par la bataille d'Aboukir, Nelson isole l'armée de Bonaparte en Egypte, puis, les Anglais, avec l'aide des Turcs et en mettant au point des techniques de débarquement, finissent par chasser les Français du bassin oriental de la Méditerranée; à Trafalgar, Nelson confisque aux Français la maîtrise de la Méditerranée occidentale.
Géostratégiquement, notre continent, à la suite de ces deux batailles navales, est encerclé par le Sud, grâce à la triple alliance tacite de la flotte anglaise, de l'Empire ottoman et de la Perse. La thalassocratie joue à fond la carte turco-islamique pour empêcher la structuration de l'Europe continentale: une carte que Londres joue encore aujourd'hui. Dans l'immédiat, Bonaparte abandonne à regret toute visée sur l'Egypte, tout en concoctant des plans de retour jusqu'en 1808. Par la force des choses, sa politique devient strictement continentale; car, s'il avait parfaitement compris l'importance de l'Egypte, position clef sur la route des Indes, et s'il avait pleine conscience de l'atout qu'étaient les Indes pour les Anglais, il ne s'est pas rendu compte que la maîtrise de la mer implique ipso facto une domination du continent, lequel, sans la possibilité de se porter vers le large, est condamné à un lent étouffement. La présence d'escadres suffisamment armées en Méditerranée ne rendait pas la conquête militaire —coûteuse— du territoire égyptien obligatoire.
Dialectique Terre/Mer
Depuis cette époque napoléonienne, notre pensée politique, sur le continent, devient effectivement, pour l'essentiel, une pensée de la Terre, comme l'attestent bon nombre de textes de la première décennie du 19ième siècle, les écrits de Carl Schmitt et ceux de Rudolf Pannwitz (cf. : Robert Steuckers, «Rudolf Pannwitz : "Mort de la Terre", Imperium Europæum et conservation créatrice», in : Nouvelles de Synergies Européennes, n°19, avril 1996; Robert Steuckers, «L'Europe entre déracinement et réhabilitation des lieux : de Schmitt à Deleuze», in : Nouvelles de Synergies Européennes, n°27, avril-mai 1997; Robert Steuckers, «Les visions d'Europe à l'époque napoléonienne - Aux sources de l'européisme contemporain», in : Nouvelles de Synergies Européennes, n°45, mars-mai 2000). C'est contre cette limitation volontaire, contre cette "thalassophobie", que s'insurgeront des hommes comme Friedrich Ratzel (cf. : Robert Steuckers, «Friedrich Ratzel (1844-1904): anthropogéographie et géographie politique», in: Vouloir, n°9, printemps 1997) et l'Amiral von Tirpitz. Le Blocus continental, si bien décrit par Bertrand de Jouvenel (cf. : Bertrand de Jouvenel, Napoléon et l'économie dirigée - Le blocus continental, Ed. de la Toison d'Or, Bruxelles, 1942), a des aspects positifs et des aspects négatifs. Il permet un développement interne de l'industrie et de l'agriculture européenne. Mais, par ailleurs, il condamne le continent à une forme dangereuse de "sur place", où aucune stratégie de mobilité globale n'est envisagée. A l'ère de la globalisation —et elle a commencée dès la découverte des Amériques, comme l'a expliqué Braudel— cette timidité face à la mobilité sur mer est une tare dangereuse, selon Ratzel.
Le plan du Tsar Paul I
En 1801, il y a tout juste 200 ans, l'Angleterre doit faire face à une alliance entre le Tsar Paul I et Napoléon. L'objectif des deux hommes est triple: 1) Ils veulent s'emparer des Indes et les Français, qui se souviennent de leurs déboires dans ce sous-continent, tentent de récupérer les atouts qu'ils y avaient eus. 2) Ils veulent bousculer la Perse, alors alliée des Anglais, grâce aux talents d'un très jeune officier, le fameux Malcolm, qui, enfant, avait appris à parler persan à la perfection, et qui fut nommé capitaine à 13 ans et général à 18. 3) Ils cherchent les moyens capables de réaliser le Plan d'invasion de Paul I: acheminer les troupes françaises via le Danube et la Mer Noire (et nous trouvons exactement les mêmes enjeux qu'aujourd'hui!), tandis que les troupes russes, composées essentiellement de cavaliers et de cosaques, marcheraient à travers le Turkestan vers la Perse et l'Inde. Dans les conditions techniques de l'époque, ce plan s'est avéré irréalisable, parce qu'il n'y avait pas encore de voies de communication valables. Le Tsar conclut qu'il faut en réaliser (en germe, nous avons le projet du Transsibérien, qui sera réalisé un siècle plus tard, au grand dam des Britanniques).
En 1804, malgré qu'elle ne soit plus l'alliée de la France napoléonienne, la Russie marque des points dans le Caucase, amorce de ses avancées ultérieures vers le cœur de l'Asie centrale. Ces campagnes russes doivent être remises aujourd'hui dans une perspective historique bien plus vaste, d'une profondeur temporelle immémoriale: elles visent, en réalité, à parfaire la mission historique des peuples indo-européens, et à rééditer les exploits des cavaliers indo-iraniens ou proto-iraniens qui s'étaient répandu dans toute l'Asie centrale vers 1600 av. J. C. Les momies blanches du Sinkiang chinois prouvent cette présence importante et dominante des peuples indo-européens (dont les Proto-Tokhariens) au cœur du continent asiatique. Ils ont fort probablement poussé jusqu'au Pacifique. Les Russes, du temps de Catherine II et de Paul I, ont parfaitement conscience d'être les héritiers de ces peuples et savent intimement que leur présence attestée en Asie centrale avant les peuples mongols ou turcs donne à toute l'Europe une sorte de droit d'aînesse dans ces territoires. L'antériorité de la conquête et du peuplement proto-iraniens en Asie centrale ôte toute légitimité à un contrôle mongol ou turc de la région, du moins si on raisonne sainement, c'est-à-dire si on raisonne avec longue mémoire, si on forge ses projets sur base de la plus profonde profondeur temporelle. Des Proto-Iraniens à Alexandre le Grand et à Brejnev, qui donne l'ordre à ses troupes de pénétrer en Afghanistan, la continuité est établie.
La ligne Balkhach/Aral/Caspienne/Volga
L'analyse cartographique de Colin MacEvedy, auteur de nombreux atlas historiques, montre que lorsqu'un peuple non européen se rend maître de la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, cours de la Volga, il tient l'Europe à sa merci. Effectivement, qui tient cette ligne, que Brzezinski appelle la "Silk Road", est maître de l'Eurasie tout entière, de la fameuse "Route de la Soie" et de la Terre du Milieu (Heartland). Quand ce n'est pas un peuple européen qui tient fermement cette ligne, comme le firent les Huns et les Turcs, l'Europe entre irrémédiablement en déclin. Les Huns s'en sont rendu maîtres puis ont débouché, après avoir franchi la Volga, dans la plaine de Pannonie (la future Hongrie) et n'ont pu être bloqués qu'en Champagne. Les Avars, puis les Magyars (arrêtés à Lechfeld en 955), ont suivi exactement la même route, passant au-dessus de la rive septentrionale de la Mer Noire. De même, les Turcs seldjoukides, passant, eux, par la rive méridionale, prendront toute l'Anatolie, détruiront l'Empire byzantin, remonteront le Danube vers la plaine hongroise pour tenter de conquérir l'Europe et se retrouveront deux fois devant Vienne.
En 1838, les Britanniques prévoient que les Russes, s'ils continuent sur leur lancée, vont arriver en Inde et établir une frontière commune avec les possessions britanniques dans le sous-continent indien. D'où, bons connaisseurs des dynamiques et des communications dans la région, ils forgent la stratégie qui consiste à occuper la Route de la Soie sur son embranchement méridional et sur sa portion qui va de Herat à Peshawar, point de passage obligatoire de toutes les caravanes, comme, aujourd'hui, de tous les futurs oléoducs, enjeux réels de l'invasion récente de l'Afghanistan par l'armée américaine. On constate donc que le but de guerre de 1838 ne s'est réalisé qu'aujourd'hui seulement !
Un Afghanistan jusqu'ici imprenable
Sur le plan stratégique, il s'agissait, pour les Anglais de l'époque, de 1) protéger l'Inde par une plus vaste profondeur territoriale, sous la forme d'un glacis afghano-himalayen, sinon l'Inde risquait, à terme, de n'être qu'un simple réseau de comptoirs littoraux, plus difficilement défendable contre une puissance bénéficiant d'un vaste hinterland centre-asiatique (les Anglais tirent les leçons de la conquête de l'Inde par les Moghols islamisés); et 2) de contenir la Russie selon les principes énoncés en 1791 pour la Mer Noire, cette fois le long de la ligne Herat-Peshawar (cf. à ce propos, Karl Marx & Friedrich Engels, Du colonialisme en Asie - Inde, Perse, Afghanistan, Mille et une nuits, n°372, 2002). Les opérations anglaises en Afghanistan se solderont en 1842 par un désastre total, seule une poignée de survivants reviendront à Peshawar, sur une armée de 17.000 hommes. La victoire des tribus afghanes contre les Anglais en 1842 sauvera l'indépendance du pays. Jusque aujourd'hui, en effet, mise à part la tentative soviétique de 1979 à Gorbatchev, l'Afghanistan restera imprenable, donc indépendant. Un destin dont peu de pays musulmans ont pu bénéficier.
De 1852 à 1854 a lieu la Guerre de Crimée. L'alliance de l'Angleterre, de la France et de la Turquie conteste les positions russes en Crimée, exactement selon les critères avancés par l'Angleterre depuis 1783. En 1856, au terme de cette guerre, perdue par la Russie sur son propre terrain, le Traité de Paris limite la présence russe en Mer Noire, ou la rend inopérante, et lui interdit l'accès aux Détroits. En 1878, les armées russes, appuyées par des centaines de milliers de volontaires balkaniques, serbes, roumains et bulgares, libèrent les Balkans de la présence turque et avancent jusqu'aux portes de Constantinople, qu'elles s'apprêtent à libérer du joug ottoman. Le Basileus byzantin a failli être vengé. Mais l'Angleterre intervient à temps pour éviter l'effondrement définitif de la menace ottomane qui avait pesé sur l'Europe depuis la défaite serbe sur le Champ des Merles en 1389. Tous ces événements historiques vont contribuer à faire énoncer clairement les concepts de la géopolitique moderne.
Mackinder et Lea : deux géopolitologues toujours actuels
En effet, en 1904, Halford John MacKinder prononce son fameux discours sur le "pivot" de l'histoire mondiale, soit la "Terre du Milieu" ou "Heartland", correspondant à l'Asie centrale et à la Sibérie occidentale. Les états-majors britanniques sont alarmés: le Transsibérien vient d'être inauguré, donnant à l'armée russe la capacité de se mouvoir beaucoup plus vite sur la terre. Le handicap des armées de Paul I et de Napoléon, incapables de marcher de concert vers la Perse et les Indes en 1801, est désormais surmonté. En 1912, Homer Lea, géopolitologue et stratège américain, favorable à une alliance indéfectible avec l'Empire britannique, énonce, dans The Day of the Saxons, les principes généraux de l'organisation militaire de l'espace situé entre Le Caire et Calcutta. Dans le chapitre consacré à l'Iran et à l'Afghanistan, Homer Lea explique qu'aucune puissance —en l'occurrence, il s'agit de la Russie— ne peut franchir la ligne Téhéran-Kaboul et se porter trop loin en direction de l'Océan Indien. De 1917 à 1921, le grand souci des stratèges britanniques sera de tirer profit des désordres de la révolution bolchevique pour éloigner le pouvoir effectif, en place à Moscou, des rives de la Mer Noire, du Caucase et de l'Océan Indien.
Les préliminaires de cette révolution bolchevique, qui ont lieu immédiatement après le discours prémonitoire de MacKinder en 1904 sur le pivot géographique de l'histoire et sur les "dangers" du Transsibérien pour l'impérialisme britannique, commencent dès 1905 par des désordres de rue, suivis d'un massacre qui ébranle l'Empire et permet de décrire le Tsar comme un monstre (qui redeviendra bon en 1914, comme par l'effet d'un coup de baguette magique!). Selon toute vraisemblance, les services britanniques tentent de procéder de la même façon en Russie, dans la première décennie du 20ième siècle, qu'en France à la fin du 18ième: susciter une révolution qui plongera le pays dans un désordre de longue durée, qui ne lui permettra plus de faire des investissements structurels majeurs, notamment des travaux d'aménagement territorial, comme des lignes de chemin de fer ou des canaux, ou dans une flotte capable de dominer le large. Les deux types de projets politiques que combattent toujours les Anglo-Saxons sont justement 1) les aménagements territoriaux, qui structurent les puissances continentales et diminuent ipso facto les atouts d'une flotte et de la mobilité maritime, et qui permettent l'autarcie commerciale; 2) la construction de flottes concurrentes. La France de 1783, la Russie de 1904 et l'Allemagne de Guillaume II développaient toutes trois des projets de cette nature: elles se plaçaient par conséquent dans le collimateur de Londres.
De 1905 à 1917
Pour détruire la puissance russe, bien équipée, dotée de réserves immenses en matières premières, l'Angleterre va utiliser le Japon, qui était alors une puissance émergeante, depuis la proclamation de l'ère Meiji en 1868. Londres et une banque new-yorkaise —la même qui financera Lénine à ses débuts— vont prêter les sommes nécessaires aux Japonais pour qu'ils arment une flotte capable d'attirer dans le Pacifique la flotte russe de la Baltique et de la détruire. C'est ce qui arrivera à Tshouchima (pour les tenants et aboutissants de cet épisode, cf. notre article sur le Japon : Robert Steuckers, «La lutte du Japon contre les impérialismes occidentaux», in : Nouvelles de Synergies Européennes, n°32, janvier-février 1998).
En 1917, on croit que la Russie va être plongée dans un désordre permanent pendant de longues décennies. On pense 1) détacher l'Ukraine de la Russie ou, du moins, détruire l'atout céréalier de cette région d'Europe, grenier à blé concurrent de la Corn Belt américaine; 2) on spécule sur l'effondrement définitif du système industriel russe; 3) on prend prétexte du caractère inacceptable de la révolution et de l'idéologie bolcheviques pour ne pas tenir les promesses de guerre faites à la Russie pour l'entraîner dans le carnage de 1914; devenue bolchevique, la Russie n'a plus droit à aucune conquête territoriale au-delà du Caucase au détriment de la Turquie; ne reçoit pas d'accès aux Détroits; on ne lui fait aucune concession dans les Balkans et dans le Delta du Danube (les principes du mémorandum de 1791 et du Traité de Paris de 1856 sont appliqués dans le nouveau contexte de la soviétisation de la Russie).
En 1918-19, les troupes britanniques et américaines occupent Mourmansk et asphyxient la Russie au Nord; Britanniques et Turcs, réconciliés, occupent le flanc méridional du Caucase, en s'appuyant notamment sur des indépendantistes islamiques azéris turcophiles (exactement comme aujourd'hui) et en combattant les Arméniens, déjà si durement étrillés, parce qu'ils sont traditionnellement russophiles (ce scénario est réitéré de nos jours); plus tard, Enver Pacha, ancien chef de l'état-major turc pendant la première guerre mondiale, organise, au profit de la stratégie globale des Britanniques, des incidents dans la zone-clef de l'Asie centrale, la Vallée de la Ferghana.
De la "Question d'Orient" à la révolte arabe
L'aventure d'Enver Pacha dans la Vallée de la Ferghana, qui s'est terminée tragiquement, constitue une application de ce que l'on appelle désormais la "stratégie lawrencienne" (cf.: Jean Le Cudennec, «Le point sur la guerre américaine en Afghanistan : le modèle "lawrencien"», in : Raids, n°189, février 2002). Comme son nom l'indique, elle désigne la stratégie qui consiste à lever des "tribus" hostiles à l'ennemi sur le propre territoire de celui-ci, comme Lawrence d'Arabie avait mobilisé les tribus arabes contre les Turcs, entre 1916 et 1918. Déboulant du fin fonds du désert, fondant sur les troupes turques en Mésopotamie et le long de la vallée du Jourdain, la révolte arabe, orchestrée par les services britanniques, annihile, par le fait même de son existence, la fonction de "tremplin" vers le Golfe Persique et l'Océan Indien que le binôme germano-turc accordait au territoire anatolien et mésopotamien de l'Empire ottoman. L'objectif majeur de la Grande Guerre est atteint : la grande puissance européenne, qui avait le rôle du challengeur le plus dangereux, et son espace complémentaire balkano-anatolo-mésopotamien (Ergänzungsraum), n'auront aucune "fenêtre" sur la Mer du Milieu (l'Océan Indien), qui, quadrillé par une flotte puissante, permet de tenir en échec la "Terre du Milieu" (le "Heartland" de MacKinder).
Après les traités de la banlieue parisienne, les Alliés procèdent au démantèlement du bloc ottoman, désormais divisé en une Anatolie turcophone et sunnite, et une mosaïque arabe balkanisée à dessein, où se juxtaposent des chiites dans le Sud de l'Irak, des Alaouites en Syrie, des chrétiens araméens, orthodoxes, de rite arménien ou autre, nestoriens, etc. et de larges masses sunnites, dont des wahhabites dans la péninsule arabique; le personnage central de la nouvelle république turque devient Moustafa Kemal Atatürk, aujourd'hui en passe de devenir un héros du cinéma américain (cf. : Michael Wiesberg, «Pourquoi le lobby israélo-américain s'engage-t-il à fond pour la Turquie? Parce que la Turquie donne accès aux pétroles du Caucase», in : Au fil de l'épée, Recueil n°3, octobre 1999).
Les atouts de l'idéologie d'Atatürk
Atatürk est un atout considérable pour les puissances thalassocratiques: il crée une nouvelle fierté turque, un nouveau nationalisme laïc, bien assorti d'un solide machisme militaire, sans que cette idéologie vigoureuse et virile, qui sied aux héritiers des Janissaires, ne mette les plans britanniques en danger; Atatürk limite en effet les ambitions turques à la seule Anatolie: Ankara n'envisage plus de reprendre pied dans les Balkans, de porter ses énergies vers la Palestine et l'Egypte, de dominer la Mésopotamie, avec sa fenêtre sur l'Océan Indien, de participer à l'exploitation des gisements pétroliers nouvellement découverts dans les régions kurdes de Kirkouk et de Mossoul, de contester la présence britannique à Chypre; le "turcocentrisme" de l'idéologie kémaliste veut un développement séparé des Turcs et des Arabes et refuse toute forme d'Etat, de khanat ou de califat regroupant à la fois des Turcs et des Arabes; dans une telle optique, la reconstitution de l'ancien Empire ottoman se voit d'emblée rejetée et les Arabes, livrés à la domination anglaise. On laisse se développer toutefois, en marge du strict laïcisme kémaliste, une autre idéologie, celle du panturquisme ou pantouranisme, qu'on instrumentalisera, si besoin s'en faut, contre la Russie, dans le Caucase et en Asie centrale. De même, le turcocentrisme peut s'avérer utile si les Arabes se montrent récalcitrants, ruent dans les brancards et manifestent leurs sympathies pour l'Axe, comme en Irak en 1941, ou optent pour une alliance pro-soviétique, comme dans les années 50 et 60 (Egypte, Irak, Syrie). Dans tous ces cas, la Turquie aurait pu ou pourra jouer le rôle du père fouettard.
Le rôle de l'Etat d'Israël
Israël, dans le jeu triangulaire qui allie ce nouveau pays, né en 1948, aux Etats-Unis (qui prennent le relais de l'Angleterre), et à la Turquie —dont la fonction de "verrou" se voit consolidée— a pour rôle de contrôler le Canal de Suez si l'Egypte ne se montre pas suffisamment docile. Au sud du désert du Néguev, Israël possède en outre une fenêtre sur la Mer Rouge, à Akaba, permettant, le cas échéant, de pallier toute fermeture éventuelle du Canal de Suez en créant la possibilité matérielle d'acheminer des troupes et des matériels via un système de chemin de fer ou de routes entre la côte méditerranéenne et le Golfe d'Akaba (distance somme toute assez courte; la même stratégie logistique a été utilisée du Golfe à la Caspienne, à travers l'Iran occupé, dès 1941; le matériel américain destiné à l'armée soviétique est passé sur cette voie, bien plus longue que la distance Méditerranée-Akaba et traversant de surcroît d'importants massifs montagneux).
Dans ce contexte, très effervescent, où ont eu lieu toutes les confrontations importantes d'après 1945, voyons maintenant quelle est, plus spécifiquement, la situation de l'Afghanistan.
Entre l'année 1918, ou du moins après l'échec définitif des opérations envisagées par Enver Pacha et ses commanditaires, et l'année 1979, moment où arrivent les troupes soviétiques, l'Afghanistan est au frigo, vit en marge de l'histoire. En 1978 et 1979, années où l'Iran est agité par la révolution islamiste de Khomeiny, l'URSS tente de réaliser le vieux rêve de Paul I: foncer vers les rives de l'Océan Indien, procéder au "grand bond vers le Sud" (comme le qualifiera Vladimir Jirinovski dans un célèbre mémorandum géopolitique, qui suscita un scandale médiatique planétaire).
Guerre indirecte et "counter-insurgency"
Les Etats-Unis, héritiers de la stratégie anglaise dans la région, ne vont pas tarder à réagir. Le Président démocrate, Jimmy Carter, perd les élections de fin 1980, et Reagan, un faucon, arrive au pouvoir en 1981. Le nouveau président républicain dénonce la coexistence pacifique et rejette toute politique d'apaisement, fait usage d'un langage apocalyptique, avec abus du terme "Armageddon". Ce vocabulaire apocalyptique, auquel nous sommes désormais habitués, revient à l'avant-plan dans les médias, au début du premier mandat de Reagan: on parle à nouveau de "Grand Satan" pour désigner la puissance adverse et son idéologie communiste. Sur le plan stratégique, la parade reaganienne est simple: c'est d'organiser en Afghanistan une guerre indirecte, par personnes interposées, plus exactement, par l'intermédiaire d'insurgés locaux, hostiles au pouvoir central ou principal qui se trouve, lui, aux mains de l'ennemi diabolisé. Cette stratégie s'appelle la "counter-insurgency" et est l'héritière actuelle des sans-culottes manipulés contre Louis XVI, des Vendéens excités contre la Convention —parce qu'elle a fini par tenir Anvers— et puis ignoblement trahis (affaire de Quiberon), des insurgés espagnols contre Napoléon, des guérilleros philippins armés contre les Japonais, etc.
En Afghanistan, la "counter-insurgency" se déroule en trois étapes: on arme d'abord les "moudjahiddins", qui opèrent en alliant anti-communisme, islamisme et nationalisme afghan, pendant toute la période de l'occupation soviétique. Le harcèlement des troupes soviétiques par ces combattants bien enracinés dans le territoire et les traditions de l'Afghanistan a été systématique, mais sans les armements de pointe, notamment les missiles "Stinger" fournis par les Etats-Unis et financés par la drogue, ces guerriers n'auraient jamais tenu le coup.
Seconde étape : entre 1989 et 1995/96, nous assistons en Afghanistan à une sorte de modus vivendi. Les troupes soviétiques se sont retirées, la Russie a cessé d'adhérer à l'idéologie communiste et de la professer. De ce fait, la diabolisation, le discours sur le "Grand Satan" n'est plus guère instrumentalisable, du moins dans la version établie au temps de Reagan. La troisième étape commence avec l'arrivée sur la scène afghane des talibans, moudjahiddins plus radicaux dans leur islam de facture wahhabite. Il s'agit d'organiser une "counter-insurgency" contre un gouvernement central afghan russophile, qui entend conserver la neutralité traditionnelle de l'Afghanistan, acquise depuis la terrible défaite subie par les troupes britanniques en 1842, neutralité qui avait permis au pays de rester à l'écart des deux guerres mondiales.
Ben Laden, l'ISI et Leila Helms
Les talibans déploient leur action avec le concours de l'Arabie Saoudite, dont est issu leur maître à penser, Oussama Ben Laden, du Pakistan et de son solide service secret, l'ISI, et des services américains agissant sous l'impulsion de Leila Helms. Les Saoudiens fournissent les fonds et l'idéologie, l'ISI pakistanais assure la logistique et les bases de repli sur les territoires peuplés par l'ethnie pachtoune. Les deux experts français Brisard et Dasquié (cf. Jean-Charles Brisard & Guillaume Dasquié, Ben Laden - La vérité interdite, Denoël, coll. "Impacts", 2001) explicitent clairement le rôle joué par Leila Helms dans leur ouvrage magistral, bien diffusé et immédiatement traduit en allemand (cette simultanéité laisse espérer une cohésion franco-allemande, critique à l'égard de l'unilatéralisme américain). Toutefois, dans ce jeu, chacun des acteurs poursuit ses propres objectifs. Dans le livre de Brisard et Dasquié, le double jeu de Ben Laden est admirablement décortiqué; par ailleurs Bauer et Raufer (cf. : Alain Bauer & Xavier Raufer, La guerre ne fait que commencer - Réseaux, financements, armements, attentats… les scénarios de demain, J. C. Lattès, 2002) soulignent le risque d'une exportation dans les banlieues françaises (et ailleurs en Europe) d'une effervescence anti-européenne, conduisant à terme à la dislocation totale de nos sociétés.
Le pétrole et le coton
Les objectifs immédiats des Etats-Unis, tant dans l'opération consistant à appuyer les talibans de manière inconditionnelle, que dans l'opération ultérieure actuelle, visant à les chasser du pouvoir à Kaboul sont de deux ordres; le premier est avoué, tant il est patent: il s'agit de gérer correctement l'acheminement du pétrole de la Caspienne et de l'Asie centrale via les futurs oléoducs transafghans. Le second est généralement inavoué : il s'agit de gérer la production du coton en Asie centrale, de faire main basse, au profit des grands trusts américains du coton, de cette matière première essentielle pour l'habillement de milliards d'êtres humains sur la planète. L'exploitation conjointe des nappes pétrolifères et des champs de culture du coton pourrait transformer cette grande région en un nouvel Eldorado.
Les deux anacondas
La gestion optimale de l'opération militaire, prélude à une gigantesque opération économique, est désormais possible, à moindres frais, grâce à la couverture de satellites que possèdent désormais les Américains. Haushofer, le géopolitologue allemand, disait que les flottes des thalassocraties parvenaient à étouffer tout développement optimal des grandes puissances continentales, à occuper des bandes littorales de comptoirs soustraites à toute autorité politique venue de l'intérieur des terres, à priver ces dernières de débouchés sur les océans. Haushofer utilisait une image expressive pour désigner cet état de choses : l'anaconda qui enserre sa proie, c'est-à-dire les continents eurasien et sud-américain. Si les flottes anglo-saxonnes des premières décennies du 20ième siècle, consolidées par le traité foncièrement inégal que fut ce Traité de Washington de 1922, sont le premier anaconda, il en existe désormais un nouveau, maître de l'espace, autre res nullius à l'instar des mers au 18ième siècle. Le réseau des satellites observateurs américains constitue le second anaconda, enserrant la terre tout entière.
Le réseau des satellites consolide un autre atout que se sont donné les puissances anglo-saxonnes depuis la seconde guerre mondiale : les flottes de bombardiers lourds. Il faut se rappeler la métaphore de Swift, dans les fameux Voyages de Gulliver, où un peuple, vivant sur une île flottant dans les airs, écrase ses ennemis selon trois stratégies: le lancement de gros blocs de roche sur les installations et les habitations du peuple ennemi, le maintien en état stationnaire de leur île volante au-dessus du territoire ennemi afin de priver celui-ci de la lumière du soleil, ou la destruction totale du pays ennemi en faisant atterrir lourdement l'île volante sur une ville ou sur la capitale afin de la détruire totalement. Indubitablement, ce récit imaginaire de Swift, répété à tous les Anglais pendant des générations, a donné l'idée qu'une supériorité militaire aérienne totale, capable d'écraser complètement le pays ennemi, était indispensable pour dominer définitivement le monde. Toutefois la théorisation du bombardement de terreur par l'aviation vient du général italien Douhet (cf. : Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie - Des origines au nucléaire, Laffont, 1990). Elle sera mise en application par les "Bomber Commands" britannique et américain pendant la seconde guerre mondiale, mais au prix de plus de 200.000 morts, rien que dans les forces aériennes. Aujourd'hui, la couverture spatiale, les progrès de l'avionique en général et la précision des missiles permettent une utilisation moins coûteuse en hommes de l'arme aérienne (de l' air power). C'est ainsi qu'on envisage des opérations de grande envergure avec "zéro mort", côté américain, côté "Empire du Bien", et un maximum de cadavres et de désolation, côté adverse, côté "Axe du Mal".
Face à la situation afghane actuelle, qui est le résultat d'une politique délibérée, forgée depuis près de deux siècles, avec une constance étonnante, quels sont les déboires, les possibilités, les risques qui existent pour l'Europe, quelle est notre situation objective?
Les déboires de l'Europe :
◊1. Nous avons perdu sur le Danube, car un complot de même origine a visé l'élimination physique ou politique de quatre hommes, très différents les uns des autres quant à leur carte d'identité idéologique : Ceaucescu, Milosevic, Haider et Kohl (voire Stoiber). A la suite d'une guerre médiatique et de manipulations d'images (avec les faux charniers de Timisoara), le dictateur communiste roumain est éliminé. On a pu penser, comme nous-mêmes, à la liquidation d'une mauvaise farce, mais ce serait oublier que ce personnage balkanique haut en couleur avait réussi vaille que vaille à organiser les "cataractes" du Danube, à faire bâtir deux ponts reliant les rives roumaine et bulgare du grand fleuve et à creuser le canal "Danube - Mer Noire" (62,5 km de long, afin d'éviter la navigation dans les méandres du delta). Notons que le creusement de ce canal avait mécontenté les Soviétiques qui ont un droit d'accès au delta, mais non pas à un canal construit par le peuple roumain. Même si l'arbitraire du régime de Ceaucescu peut être jugé a posteriori pénible et archaïque, force est de constater que sa disparition n'a pas apporté un ordre clair au pays, capable de poursuivre un projet danubien cohérent ou de générer des fonds suffisants pour financer de tels travaux.
Milosevic, le Danube et l'Axe Dorien
Les campagnes médiatiques visant à diaboliser Milosevic ont deux raisons géopolitiques majeures : créer sur le cours du Danube, à hauteur de Belgrade, point stratégique important comme l'attestent les rudes combats austro-ottomans pour s'emparer de cette place, une zone soustraite à toute activité normale, via les embargos. L'embargo ne sert pas à punir des "méchants", comme veulent nous le faire croire les médias aux ordres, mais à créer artificiellement des vides dans l'espace, à soustraire à la dynamique spatiale et économique des zones visées, potentiellement puissantes, afin de gêner des puissances concurrentes plus fortes. La Serbie, de dimensions fort modestes, n'est pas un concurrent des Etats-Unis; par conséquent son élimination n'a pas été le véritable but en soi; l'objectif visé était manifestement autre; dès lors, il s'est agi d'affaiblir des puissances plus importantes.
Dans la région, ce ne peut être que l'Europe en général et son cœur germanique en particulier. Enfin, le vide créé en Serbie par la politique d'embargo, empêche tout consortium euro-serbe, toute fédération balkanique ou tout resserrement de liens entre petites puissances balkaniques (comme la Grèce et la Serbie), empêche d'organiser définitivement le corridor Belgrade - Salonique, excellente "fenêtre" de l'Europe centrale sur la Méditerranée orientale, que nous avions appelé naguère l'"Axe Dorien".
Haider et Kohl : dénominateur commun : le Danube
Les campagnes de diffamation contre Jörg Haider relèvent d'une même volonté de troubler l'organisation du trafic danubien. Les tentatives, heureusement avortées, d'organiser un boycott contre l'Autriche, auraient installé une deuxième zone "neutralisée", un deuxième vide, sur le cours du grand fleuve qui est vraiment l'artère vitale de l'Europe. Enfin, le Chancelier allemand Helmut Kohl, qui a réalisé le plus ancien rêve européen d'aménagement territorial, soit le creusement du Canal Rhin - Main - Danube, a été promptement évacué de la scène allemande à la suite d'une campagne de presse l'accusant de corruptions diverses (mais bien bénignes à côté de celles auxquelles les féaux de l'OTAN se sont livrées au cours des décennies écoulées). Son successeur, à la tête des partis de l'Union chrétienne-démocrate (CDU/CSU), le Bavarois Stoiber, a subi, à son tour, des campagnes de diffamations infondées, qui l'ont empêché d'accéder aux commandes de la RFA —du moins jusqu'à nouvel ordre.
◊2. Nous avons perdu dans le Caucase. L'Azerbaïdjan est complètement inféodé à la Turquie, fait la guerre aux Arméniens au Nagorni-Karabakh, s'aligne sur les positions anti-russes de l'Otan, coince l'Arménie résiduaire (ex-république soviétique) entre la Turquie et lui-même, ne permettant pas des communications optimales entre la Russie, l'Arménie et l'Iran (ou le Kurdistan potentiel). En Tchétchénie et au Daghestan, les troubles suscités par des fondamentalistes financés par l'Arabie Saoudite —également soutenus par les services turcs travaillant pour les Etats-Unis— empêchent l'exploitation des oléoducs et réduisent l'influence russe au nord de la chaîne du Caucase. Plus récemment, la Géorgie de Chevarnadze, en dépit de la solidarité orthodoxe qu'elle devrait avoir avec la Russie et l'Arménie, vient de s'aligner sur la Turquie et les Etats-Unis. Ces trois faisceaux d'événements contribuent à empêcher l'organisation des communications en Mer Noire, dans le Caucase et dans la Caspienne.
Du "containment" de l'Iran
◊3. Nous avons perdu sur la ligne Herat - Ladakh, dans le Cachemire. Le verrouillage pakistanais des hauteurs himalayennes au Cachemire sert à empêcher l'établissement de toute frontière commune entre la Russie (ou une république post-soviétique qui resterait fidèle à une alliance russe) et l'Inde. La présence américaine à Herat, par fractions de l'Alliance du Nord interposées, permet aussi de placer un premier pion dans le containment de l'Iran. Celui-ci est désormais coincé entre une Turquie totalement dépendante des Etats-Unis et un glacis afghan dominé par ces derniers. Il reste à éliminer l'Irak pour parfaire l'encerclement de l'Iran, prélude à son lent étouffement ou à son invasion (comme pendant l'été de 1941).
◊4. Nous avons perdu dans les mers intérieures. Les deux mers intérieures qui sont le théâtre de conflits de grande ampleur depuis plus d'une décennie sont l'Adriatique et le Golfe Persique. Ces deux mers intérieures, comme j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de le démontrer, sont les deux espaces maritimes (avec la Mer Noire) qui s'enfoncent le plus profondément dans l'intérieur des terres immergées de la masse continentale eurasienne. La Guerre du Golfe (et celles qui s'annoncent dans de brefs délais), de même que les complots américains qui ont amené à la chute du Shah (cf.: Houchang Nahavandi, La révolution iranienne - Vérité et mensonges, L'Age d'Homme, Lausanne, 1999), visent non seulement à contrôler l'embouchure des deux grands fleuves mésopotamiens, artères du Croissant Fertile, soit le Chatt El Arab, et à contenir l'Iran sur la rive orientale du Golfe.
La révolution islamiste d'Iran a eu la même fonction que la révolution sans-culotte en France ou la révolution bolchevique en Russie : créer le chaos, abattre un régime raisonnable en passe de réaliser de grands travaux d'infrastructure et d'aménagement territorial, et, dès que le nouveau régime révolutionnaire se stabilise, l'attaquer de front et appeler à la croisade contre lui, sous prétexte qu'il incarnerait une nouveauté perverse et diabolique.
Quant à l'idée de verrouiller l'Adriatique, elle apparaît évidente dès que l'Allemagne et l'Autriche, par l'intermédiaire d'une petite puissance qui leur est traditionnellement fidèle, comme la Croatie, accèdent à nouveau à la Méditerranée via les ports du Nord de l'Adriatique. Ce verrouillage aura lieu exactement comme au temps de la domination ottomane (éphémère) sur ces mêmes eaux, à hauteur du Détroit d'Otrante, dominé par l'Albanie.
Formuler une stratégie claire
Face à cette quadruple défaite européenne, il convient de formuler une stratégie claire, un programme d'action général pour l'Europe (qu'il sera très difficile de coordonner au départ, les Européens ayant la sale habitude de tirer toujours à hue et à dia et de travailler dans le désordre). Ce programme d'action contient les points suivants:
◊ Les Européens doivent montrer une unité inflexible dans les Balkans, s'opposer de concert à toute présence américaine et turque dans la péninsule sud-orientale de notre continent. Cette politique doit également viser à neutraliser, dans les Balkans eux-mêmes et dans les diasporas albanaises disséminées dans toute l'Europe, les réseaux criminels (prostitution, trafic de drogues, vol d'automobiles), liés aux structures albanaises anti-serbes et anti-macédoniennes, ainsi qu'au binôme mafias-armée de Turquie et à certains services américains. La cohésion diplomatique européenne dans les Balkans passe dès lors par un double travail: en politique extérieure —faire front à toute réimplantation de la Turquie dans les Balkans— et en politique intérieure —faire front à toute installation de mafias issues de ces pays et jouant un double rôle, celui de déstabiliser nos sociétés civiles et celui de servir de cinquièmes colonnes éventuelles.
◊ Les Européens doivent travailler de concert à ôter toute marge de manœuvre à la Turquie dans ses manigances anti-européennes. Cette politique implique
1) d'évacuer de Chypre toutes les unités militaires et les administrations civiles turques et de permettre à toutes les familles grecques expulsées lors de l'agression de l'été 1974 de rentrer dans leurs villages ancestraux; d'évacuer vers la Turquie tous les "nouveaux" Cypriotes turcs, non présents sur le territoire annexé avant l'invasion de 1974;
2) d'obliger la Turquie à renoncer à toute revendication dans l'Egée, car la conquête de l'Ionie s'est faite à la suite d'un génocide inacceptable à l'encontre de la population grecque, consécutif d'un autre génocide, tout aussi impitoyable, dirigé contre les Arméniens; la Turquie n'a pas le droit de revendiquer la moindre parcelle de terrain ou les moindres eaux territoriales dans l'Egée; la Grèce, et derrière elle une Europe consciente de ses racines, a, en revanche, le droit inaliénable de revendiquer le retour de l'Ionie à la mère patrie européenne; la Turquie dans ce contexte, doit faire amende honorable et s'excuser auprès des communautés chrétiennes orthodoxes du monde entier pour avoir massacré jadis le Patriarche de Smyrne, d'une manière particulièrement effroyable (le cas échéant payer des réparations sur son budget militaire);
3) d'obliger la Turquie à cesser toute agitation auprès des musulmans de Bulgarie;
4) d'obliger la Turquie à cesser toute manœuvre contre l'Arménie, avec la complicité de l'Azerbaïdjan; de même, à cesser tout soutien aux terroristes tchétchènes;
5) l'Europe, dans ce contexte, doit se poser comme protectrice des minorités orthodoxes en Turquie; au début du siècle, celles-ci constituaient au moins 25% de la population sous la souveraineté ottomane; elles ne sont plus que 1% aujourd'hui; cette élimination graduelle d'un quart de la population interdit à la Turquie de faire partie de l'UE;
6) d'obliger la Turquie à évacuer toutes ses troupes disséminées en Bosnie et au Kosovo;
7) de faire usage des droits de veto des Etats européens au sein de l'OTAN, au moins tant que les problèmes de Chypre et d'Arménie ne sont pas résolus; dans la même logique, refuser toute forme d'adhésion de la Turquie à l'UE.
(à suivre)
00:15 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, eurasisme, eurasie, stratégie, russie, france, afghanistan | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 18 juin 2008
J. Parvulsco parle à "Synthesis"
Entretien avec Jean Parvulesco pour Synthesis, journal du “Cercle de la Rose Noire” (Angleterre)
Propos recueillis par Troy Southgate
Voudriez-vous bien parler à nos lecteurs de votre vie en Roumanie et leur expliquer pourquoi vous avez été contraint de quitter votre patrie?
A 70 ans passés, j'ai vécu au moins trois ou quatre vies entières, à la fois différentes et séparées, et que ne relient ensemble qu'une sorte d'auto-transmigration obscure, très obscure. Je n'ai plus aucun souvenir vivant de la Roumanie, c'est pour moi des temps infiniment lointains, comme s'il s'agissait de je ne sais quel XVIIIe siècle à la cour des Habsbourg, dans Vienne sous la neige. L'effort de la marche arrière m'est trop pénible, trop difficile, je n'y pense plus jamais. Mes plus proches souvenirs actuels, mais qui, eux aussi, se font déjà brumeux, sont ceux des temps de l'OAS dans Madrid ensoleillé par les certitudes agissantes du régime politico-militaire franquiste au sommet de son pouvoir. Avant, c'est brusquement la nuit noire, la vie de quelqu'un d'autre que moi, une sorte de théâtre d'ombres aux représentations illégales, effacées, oniriques. Vous m'en voyez donc bien désolé: ma réponse à la première de vos questions s'avère être en fait une non-réponse; poussée dans ses derniers retranchements, ma propre existence apparaît comme une non-réponse, ou plutôt comme une réponse dissimulée, comme une réponse codée. De par la situation qui est à présent la mienne, je suis tenu de me regarder moi-même comme à travers la grille secrète d'un codage en profondeur, agent confidentiel jusque par rapport à moi-même. Ce sont les temps qui l'exigent, ces temps de la subversion totale qui sont nôtres.
Vous avez connu Julius Evola personnellement. Que pensez-vous de son œuvre? Et que pensez-vous de l'homme Julius Evola?
Je m'étais en effet senti fort proche de Julius Evola. Et cela pour une raison fort précise: tout comme Miguel Serrano, Julius Evola ne s'était pas vu arrêter dans son devenir intérieur par la sombre défaite européenne de 1945. Tous les grands créateurs de culture européens —Ezra Pound, Knut Hamsun, Pierre Drieu la Rochelle, Louis-Ferdinand Céline, Raymond Abellio, Mircea Eliade, et tant d'autres— s'étaient retrouvés, à la fin de la dernière guerre mondiale, comme dépossédés d'eux-mêmes, mortellement blessés par l'effondrement apocalyptique de l'histoire européenne qu'il leur avait ainsi fallu connaître, et dont ils avaient intérieurement eu à éprouver le désastre irréversible. Ainsi que je viens de le dire, je n'ai connu, depuis, que seuls deux grands penseurs européens qui n'aient pas accepté cet effondrement et qui, au contraire, n'avaient fait que continuer, avec le même acharnement héroïque, le même combat en continuation, le même combat ininterrompu: Julius Evola et Miguel Serrano.
Julius Evola: un être à contre-courant
Il y aurait bien sûr une infinité de choses importantes à dire sur Julius Evola. Je me contenterai de vous faire part, ici, de son extraordinaire charisme aristocratique, patricien, de la dépersonnalisation initiatique parfaitement atteinte et maîtrisée de son propre être, qui n'était déjà plus rien d'autre qu'un concept d'action engagé dans le devenir providentiel de la "grande histoire" en marche, dont tous les efforts combattants tentaient, pourtant, d'en renverser le courant. Car Julius Evola était, en effet, un être à contre-courant, une négation ontologiquement active de l' actuel cours crépusculaire d'une histoire du monde devenue, finalement, en elle-même, une instance de la grande conspiration subversive du non-être au pouvoir. Je prétendrai donc qu'une certaine lumière émanait, supérieure, mais en même temps dissimulée de sa personne, et que le simple fait de fréquenter Julius Evola, de se trouver même indirectement sous son influence active, impliquait déjà un avancement spirituel significatif, majeur, voire secrètement transfigurant. Il était là, mais caché derrière sa propre présence refermée sur elle-même, hors d'atteinte.
Et je pense qu'il me sera également permis d'affirmer que la vision doctrinale personnelle et ultime, secrète, de Julius Evola, sa vision de ce monde et de l'action en ce monde, se trouvait polarisée sur les destinées suprahistoriques occultes de Rome, qu'il considérait, et cela jusque dans sa continuité historique actuelle —j'entends jusque dans son actuelle identité catholique— comme le véritable centre spirituel impérial, polaire —dans le visible et dans l'invisible— de l'actuel grand cycle historique finissant. Julius Evola ne s'était en effet jamais considéré lui-même que sous l'identité d'"agent secret", dans le siècle, de la Roma Aeterna.
Je pourrais aussi livrer bien de révélations décisives —voire étourdissantes, en fin de compte— à partir de mes propres souvenirs des longs entretiens confidentiels que j'avais eu avec Julius Evola, à Rome, chez lui, Corso Vittorio Emmanuele, l'été et l'automne de 1968. Mais je m'interdis de le faire dans la mesure où je n'ignore pas qu'un profond secret opératoire en recouvre encore le contenu, qu'il serait infiniment dangereux —et à présent bien plus que pour le passé— de porter abruptement à la lumière du jour. Car l'heure n'en est pas encore tout à fait venue pour cela.
La "centrale polaire" du Corso Vittorio Emmanuele
Je peux néanmoins vous signaler que dans mon roman Le gué des Louves, Paris 1995, pages 20-31, je m'étais quand même permis de faire certains aveux d'une extrême importance, d'une haute gravité spirituelle et philosophique —je devrais sans doute dire "philosophale", comme la "pierre philosophale"— sur certains événements de mon séjour romain auprès de Julius Evola, en 1968, et sur mes fréquentations confidentielles d'une "centrale polaire" occulte, ouverte toute la nuit, Corso Vittorio Emmanuele, presque en bas de chez Julius Evola, le Daponte Blu.
Les réverbérations encore souterrainement agissantes de la doctrine traditionnelle de Julius Evola, ainsi que son enseignement politico-révolutionnaire à contre-courant, tracent derrière lui un profond sillon ardent, un sillon d'incandescence vive auquel devraient s'abreuver ceux des nôtres qui portent cachée en eux une prédestination spéciale, qui ont accédé à la différence. Car Julius Evola avait lui-même en quelque sorte dépassé la condition humaine, il avait fait émerger en lui le surhomme qui reste à venir. Loin d'être un homme du passé, Julius Evola était un homme de l'avenir d'au-delà du plus lointain avenir. L'homme de la surhumanité solaire du Regnus Novissimum qu'avait entrevu Virgile.
L'un de vos premiers romans était La Miséricordieuse Couronne du Tantra. Pouvez-vous nous expliquer comment vous voyez le concept de Tantra?
La Miséricordieuse Couronne du Tantra n'était pas un roman, mais un recueil de poèmes initiatiquement opératoires. Le tantrisme —ce que l'on devrait appeler l'Aedificium Tantricum— est un ensemble doctrinal comptant une série d'étagements intérieurs de plus en plus occultes, de plus en plus prohibés, visant à porter l'être humain à sa libération —ou à sa délivrance— ultime par les moyens d'une certaine expérience personnelle intime du "mystère de l'amour", du mystère de l'Incendium Amoris.
Si la substance vivante du cosmos dans sa totalité ultime n'est constituée que du feu, que de l'embrasement amoureux se retournant indéfiniment sur lui-même et surcentré, polarisé sur la relation nuptiale abyssale régnant à l'intérieur de l'espace propre, de l'espace unitaire du Couple Divin, l'accélération intensificatrice, superactivante d'une certaine expérience amoureuse de limite, portée à ses états paroxystiques tout derniers, fait —peut faire— qu'une identification à la fois symbolique en même temps qu'ontologique avec le Couple Divin apparaisse —à la limite— possible, qui dépersonnalise, éveille et livre les pouvoirs suprahumains de celui-ci aux amants tantriquement engagés corps et âmes dans les voies dévastatrices de l'Incendium Amoris.
Or ce sont précisément les traces encore brûlantes d'une expérience de pénétration clandestine du mystère de l'Incendium Amoris que La Miséricordieuse Couronne du Tantra est appelé à livrer, à travers son témoignage chiffré. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: La Miséricordieuse Couronne du Tantra, mon premier livre, portait déjà en lui, comme une annonciation chiffrée, les germes suractivés de ce qui, par la suite, allait devenir l'ensemble de mon œuvre et, dans ce sens-là, était un livre essentiellement prophétique —ou auto-prophétique— tout comme l'avait été, pour l'ensemble de l'œuvre de Raymond Abellio, son premier essai, Pour un nouveau prophétisme. Il y avait eu comme cela des mystérieuses structures d'accointance entre l'œuvre de Raymond Abellio et la mienne, dont les significations ultimes resteraient encore éventuellement à élucider.
Parlez-nous donc de votre ami Raymond Abellio, sur qui vous avez écrit une biographie, intitulée Le soleil rouge de Raymond Abellio…
Dans Le soleil rouge de Raymond Abellio, j'avais essayé de rassembler les conclusions essentielles d'une approche en raccourci de l'ensemble de son œuvre et de sa propre vie, car l'œuvre de Raymond Abellio et sa vie ne font qu'un: il avait voulu vivre sa vie comme une œuvre, et son œuvre comme sa vraie vie.
En prise directe sur la "grande histoire" en marche
Cependant, au contraire d'un Julius Evola, d'un Miguel Serrano, Raymond Abellio avait eu à subir, lui, de plein fouet la catastrophe de la destitution politico-historique de l'Europe vouée, en 1945, ainsi que le Général de Gaulle l'avait alors compris sur le moment même, à la double domination antagoniste des Etats-Unis et de l'URSS. Destitution dont, consciemment ou inconsciemment, Raymond Abellio avait porté en lui, jusqu'à la fin de sa vie, l'inguérissable brûlure dévorante, la stupéfaction secrète, irrémédiable. Et cela d'autant plus qu'il avait eu à connaître, pendant les années mêmes de la guerre l'expérience exaltante de l'action politico-révolutionnaire en prise directe sur la "grande histoire" en marche.
En effet, en tant que secrétaire général du "Mouvement Social Révolutionnaire" (MSR), Raymond Abellio se trouvait personnellement à l'origine de la première tentative de mise en chantier —en pleine guerre— du grand projet continental européen de l'axe politico-stratégique Paris-Berlin-Moscou, qui, à l'heure actuelle, plus de cinquante ans après, redevient de la plus extrême actualité en tant que première étape du prochain avènement de l'"Empire Eurasiatique de la Fin" dont on sait que, suivant le "grand dessein" européen en cours, il va devoir procéder à l'intégration finale de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, de la Russie et de la Grande Sibérie, du Tibet, de l'Inde et du Japon. Une même histoire profonde, un même destin supratemporel, une même civilisation et un même ethos nordique, un même sang et un même souffle de vie originelle, antérieure, archaïque en train de revenir à son centre polaire de départ.
Lui-même détaché, après 1945, de la marche de l'histoire mondiale, l'œuvre philosophique et littéraire de Raymond Abellio tend précisément au dépassement de l'histoire en cours, qu'elle transcende par une prise de conscience supérieure de soi-même, extatique, la "conscience de la conscience" dira-t-il. Prise de conscience libératrice et qui, de par cela même, livrera en retour les clefs opératives d'une puissance absolue exercée sur la marche de l'histoire, la puissance opérative de la "conscience occidentale de la fin parvenue à l'occident de la conscience" devenant ainsi l'arme métastratégique suprême, l'arme de la "domination finale du monde". Ainsi l'"homme nouveau" de la révolution européenne grand-continentale, de la nouvelle Totale Weltrevolution actuellement en cours d'affirmation clandestine, sera-t-il l'homme du "soi libéré", instruit par Raymond Abellio, car c'est l'homme libéré de l'histoire qui fera l'"histoire d'après la fin de l'histoire". La conscience ainsi exhaussée au-dessus d'elle-même, dédoublée, parviendra donc à intervenir directement dans l'histoire.
Ainsi, de toutes les façons, Raymond Abellio sera-t-il donc présent au rendez-vous, sur la "ligne de passage" du grand cycle finissant et du grand cycle du renouveau.
Je voudrais que vous nous parliez de votre roman, L'étoile de l'Empire invisible, et du combat apocalyptique qui a lieu entre les forces du "Verseau" et celles de l'"Atlantis Magna"…
Je peux dire qu'à la parution de mon roman L'étoile de l'Empire Invisible, j'avais eu beaucoup de chance. Normalement, j'aurais dû avoir les pires ennuis, je pense même que j'avais bien risqué d'y laisser ma peau, et déjà à ce moment-là je le sentais. Etais-je confidentiellement protégé, je n'en sais toujours rien. Mais il faudrait le croire. En effet, ce qui dans L'étoile de l'Empire Invisible se dissimulait sous la double dénomination chiffrée de la conspiration du "Verseau" et de la contre-conspiration de l'"Atlantis Magna" n'était en réalité que la confrontatio, faisant s'opposer alors, au plus haut niveau suprahistorique, pour la domination finale de la plus Grande Europe et des espaces d'influence de celle-ci, la conspiration mondialiste de la "Superpuissance Planétaire des Etats-Unis" et la contre-conspiration du Pôle Carolingien franco-allemand s'appuyant secrètement sur l'URSS. Les fort dangereuses révélations, à peine codées, qui s'y trouvaient faites à ce sujet dans L'étoile de l'Empire Invisible eussent largement pu justifier le coup en retour de représailles extrêmes contre l'auteur de ce roman, révélations dont celui-ci portait l'entière responsabilité.
Seul un petit nombre connaissait le dernier mot
J'avais estimé, quant à moi, qu'à travers un roman de l'importance de L'étoile de l'Empire Invisible, une prise de conscience en profondeur devait marquer, pour les plus avancés des nôtres, le tournant historique —et suprahistorique— suprêmement décisif de la conjoncture du moment, où la confrontation de deux mondes irréductiblement antagonistes s'apprêtait à trouver sa conclusion, qui s'avérera comme totalement imprévue. Car c'est bien ce qui en vint alors à se faire, avec l'auto-dissolution politique de l'URSS, événement infiniment mystérieux, où des puissances abyssales étaient occultement intervenues dans le jeu, d'une manière tout à fait providentielle, et dont seul un petit nombre connaissait le dernier mot.
Aussi l'ossature fondationnelle de L'étoile de l'Empire Invisible —la dialectique de sa démarche intérieure— correspond-elle entièrement à la réalité effective des situations qui s'y trouvent décrites, à la réalité des personnages en action, des tensions, des conflits et des passions, des secrets à l'œuvre et des dessous conspirationnels et amoureux, de la réalité précise des lieux et jusqu'à l'identité même —jusqu'aux noms propres, parfois— de certains personnages que j'ai tenu à utiliser sans ne rien y changer. Une mince part de fiction y fera fonction de liant, ou servira à des dissimulations nécessaires. Cette exhibition de la réalité des choses dans le corps littéraire d'un roman représentera, au moment de la parution de ce livre, un pari des plus risqués, une assez dangereuse option de provocation à froid, dont on ne comprenait pas la raison. Mais trente ans sont passés depuis que ces événements étaient censés avoir eu lieu: bien de choses se sont effacées depuis, les tensions à ce moment-là paroxystiques ne signifient à présent plus rien, ou presque plus rien. Le temps a totalement dévore la chair vivante des choses, desséché les souffles.
Imposer à la réalité un statut de rêve
Aujourd'hui, la réalité de toutes ces choses là a fini par devenir une fiction, tout comme, au moment de la parution de ce livre, c'est la fiction qui était en train de devenir réalité. Or c'est précisément ce double échange entre réalité et fiction, entre fiction et réalité que j'avais voulu organiser: m'introduire moi-même dans la réalité à travers le roman. Ayant imposé à la réalité un statut de rêve, j'avais fait que le rêve lui-même devienne réalité.
Et je viens ainsi de répondre à votre sixième question:
«Serait-il correct de dire que ce roman contient un élément de réalité?» Votre septième question est la suivante:Pensez-vous que ce livre puisse être comparé à d'autres romans conspirationnels comme celui de Robert Shea et de Robert Anton Wilson, Illuminatus Trilogy, ou celui d'Umberto Eco, Le pendule de Foucault?
Non, je suis infiniment désolé, mais je ne connais pas le livre de Robert Shea et Robert Anton Wilson, Illuminatus Trilogy.
Quant à Umberto Eco, je le tiens, tout comme son compère Paulo Coelho, pour des faiseurs subalternes, dont les littératures ne concernent que les minables petites convulsions pseudo-initiatiques du New Age: leurs tirages pharamineux ne font que dénoncer le degré de dégénérescence mentale qui est aujourd'hui celui des masses occidentales hébétées, menées, à demi-consentantes aux abattoirs clandestins de l'histoire dont on nous impose les dominations, et qui n'est pas notre histoire.
Quelles sont les visions que vous développez sur a) le marxisme et b) le fascisme?
L'humanité est divisée, d'après ce que je crois savoir suivant des sources certaines archaïques, légitimes, secrètes, en deux grandes parties: celle d'origine "animale" qui "descend des grands singes", correspondant plus ou moins aux doctrines soutenues par l'évolutionnisme darwinien, et la partie d'origine "divine", en provenance du "foyer ardent de l'Incendium Amoris", de la "planète Venus", constituée d'hommes éveillés, destinés à rejoindre, "à la fin de ces temps", la patrie de leurs origines sidérales, "métagalactiques".
Happée vers le bas, vers les régions ontologiques du non-être, par le matérialisme révolutionnaire marxiste, la part "animale", "bestiale", de l'humanité avait sombré dans le délire sanglant de la "révolution mondiale du communisme" animée par l'URSS et exacerbée par le marxisme-léninisme et par le stalinisme. Alors que la partie "divine", "métagalactique" de l'humanité s'est trouvée spirituellement exhaussée par ce qui, dans la première moitié du XX° siècle, avait donné naissance à la grande aventure révolutionnaire suprahistorique européenne connue sous la dénomination générique de "fascisme", qui, vers sa fin, avait subi des déviations aliénantes et que l'antihistoire des autres s'est chargée d'anéantir.
Raymond Abellio fait dire à un de ses personnages de son roman Les yeux d'Ezéchiel sont ouverts: "Aujourd'hui je le sais. Aucun homme ayant un peu le goût de l'absolu ne peut plus s'accrocher à rien. La démocratie est un dévergondage sentimental, le fascisme un dévergondage passionnel, le communisme un dévergondage intellectuel. Aucun camp ne peut plus gagner. Il n'y a plus de victoire possible".
Il nous faudra donc qu'à partir de la ligne actuelle du néant, nous recommencions, à nouveau, tout, que nous remettions tout en branle par le miracle suprahistorique d'une nouvelle immaculée conception révolutionnaire. C'est la tâche secrète de nous autres.
Que pensez-vous de l'«eurasisme»? Est-ce une alternative viable et acceptable au "Nouvel Ordre Mondial”?
La vision de l'unité géopolitique et de destin grand-continental eurasiatique représente le stade décisif, fondamental, de la conscience historique impériale et révolutionnaire des nôtres, l'accomplissement final de l'histoire et de la civilisation européennes dans leur marche ininterrompue vers l'intégration de ses nations constitutives au sein de notre prochain "Empire Eurasiatique de la Fin".
Les actuelles doctrines impériales de l'intégration européenne grand-continentale de la fin trouvent leurs origines à la fois dans la géopolitique combattante de Karl Haushofer, dont le concept de Kontinentalblock reste tout à fait pertinent, et dans les continuations présentes de celle-ci à travers les doctrines confidentielles du "grand gaullisme", ainsi qu'à travers les positions révolutionnaires de certains jeunes penseurs russes de la nouvelle génération poutinienne, dont le plus représentatif me paraît être très certainement Alexandre Douguine.
Un grand dessein final qui nous mobilise totalement
C'est sur le concept géopolitique, sur la vision suprahistorique fondamentale de l'"Empire Eurasiatique de la Fin" que va donc devoir se constituer le grand mouvement révolutionnaire européen continental appelé à livrer les dernières batailles décisives du camp retranché de l'être contre l'encerclement subversif de la conspiration mondialiste actuelle du non-être. Et ce sera aussi la tâche révolutionnaire propre de notre génération prédestinée que de pouvoir mener à son terme prévu ce "grand dessein final" qui nous habite secrètement, qui nous mobilise, à nouveau, totalement. Comme avant.
Finalement, comme quelqu'un qui a vécu une longue vie féconde, quel conseil pourriez-vous offrir aux générations qui montent, aux jeunes gens qui viennent, pour qu'ils rejettent les pièges du libéralisme et de la société de masse?
Le conseil que vous voudriez que je puisse donner aux jeunes générations qui montent, ce serait alors le suivant: si au tréfonds de votre sang, vous sentez l'appel irrésistible des hauteurs enneigées de l'être, l'appel des "chemins galactiques de la Frontière Nord", n'hésitez pas un seul instant à y répondre, et que toute votre vie ne soit qu'un long engagement éveillé envers vos propres origines occultes, envers la part qui en vous n'est pas de ce monde.
Quant aux engagements politiques présents ou immédiatement à venir qui se doivent d'être nôtres, tout, à mon avis, doit se trouver désormais polarisé, mobilisé inconditionnellement sur le concept géopolitique et suprahistorique révolutionnaire de l'unité impériale européenne grand-continentale, concept révolutionnaire auquel l'émergence à terme d'une nouvelle superpuissance planétaire russe, la "Russie Nouvelle" de Vladimir Poutine —car les profondes ouvertures spirituelles, ainsi que les positions européennes grand-continentales de Vladimir Poutine sont à présent connues— vient d'assurer une base politique absolument décisive, notre "dernière chance".
Pour la civilisation européenne, pour l'être et la conscience européennes du monde, la formidable montée en puissance actuelle de la conspiration mondialiste menée par la "superpuissance Planétaire des Etats-Unis" constitue, et désormais à très brève échéance, un vrai danger de mort, une menace terrifiante, inqualifiable. Les groupements géopolitiques national-révolutionnaires agissant partout dans le monde, à demi clandestinement, doivent donc intensifier au maximum leur travail idéologique et d'unité, leur travail de terrain: c'est exclusivement sur l'action souterraine des nôtres que reposent les dernières chances de survie qui nous restent face au gigantesque bloc mondialiste que tient par en dessous l'ennemi ontologique de tout ce que nous sommes nous autres, les "derniers combattants de l'être" face à l'assaut final des puissances négatives du non-être et du chaos, face à l'Empire du Néant, face au mystérieux Imperium Iniquitatis qui s'annonce à l'horizon assombri de notre plus proche avenir. L'heure de l'Imperium Iniquitatis semble en effet être venue.
Le régisseur dans l'ombre du grand dessein en action de la subversion mondialiste actuellement en marche, se trouve à présent sur le point d'achever la mise en place de son dispositif planétaire d'ensemble: les mâchoires d'acier de l'inéluctable se referment sur nous, si nous n'agissons pas tout de suite, bientôt il n'y aura plus rien à faire. Les dernières élections aux Etats-Unis en fournissent la preuve, tout est prêt pour que la trappe se referme. Nous autres, qui depuis toujours jouons la parti de l'invisible, nous n'attendons plus notre salut que de l'invisible. Attention.
Jean PARVULESCO, Paris, le 19 novembre 2000, in nomine Domini.
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dimanche, 15 juin 2008
Le gaullisme de Dominique de Roux
Le gaullisme de Dominique de Roux
«La réalité historique est que le temps travaille pour un autre homme, l'homme dune seule idée, celui qui se fout que la zone libre soit occupée ou non. Il n'aime pas les Français, il les trouve moyens, il n'aime que la France dont il a une certaine idée, une idée terminale qui ne s'embarrasse pas des péripéties.»
Pascal Jardin, La guerre à neuf ans.
Dominique de Roux s'était fait une certaine idée de de Gaulle comme de Gaulle (première phrase de ses Mémoires) s'était toujours fait une certaine idée de la France. On était en 1967, la subversion ne s'affichait pas encore au grand jour, mais déjà l'on sentait sourdre la révolte souterraine, la faille entre les générations aller s'élargissant. L'Occident à deux têtes (libéral-capitaliste à l'Ouest, marxiste-léniniste à l'Est) paissait paisiblement, inconscient d'être bientôt débordé sur sa gauche par ses éléments bourgeois les plus nihilistes et, on ne s'en apercevra que plus tard, les plus réactionnaires. Dominique de Roux lui aussi cherchait l'alternative. La littérature jusqu'ici n'avait été qu'un appui-feu dans la lutte idéologique. Qu'à cela ne tienne, de Roux inventerait la littérature d'assaut, porteuse de sa propre justification révolutionnaire, la dé-poétisation du style en une mécanique dialectique offensive. Le sens plus que le plaisir des sens, la parole vivante plutôt que la lettre morte. De Roux, qui résumait crise du politique et crise de la fiction en une seule et même crise de la politique-fiction, avait lu en de Gaulle l'homme prédestiné par qui enfin le tragique allait resurgir sur le devant de la scène historique après vingt ans d'éviction. Le cheminement de de Gaulle homme d'Etat tel qu'il était retracé dans ses Mémoires, n'indiquait-il pas «l'identification tragique de l'action rêvée et du rêve en action»? (1) .
Un message révolutionnaire qui fusionne et transcende Mao et Nehru, Tito et Nasser
En 67, de Roux publie L'écriture de Charles de Gaulle. L'essai, cent cinquante pages d'un texte difficile, lorgne ostensiblement vers le scénario. A rebours du mouvement général de lassitude qui s'esquisse, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche de l'opinion, et qui aboutira dans quelques mois à la situation d'insurrection du pays qu'on connaît, Dominique de Roux veut croire en l'avenir planétaire du gaullisme. Ni Franco ni Salazar, ni l'équivalent d'un quelconque dictateur sud-américain, dont les régimes se caractérisent par leur repli quasi-autistique de la scène internationale et leur allégeance au géant américain, de Gaulle apporte au monde un message révolutionnaire qui, loin devant ceux de Mao, Nehru, Tito et Nasser, les fusionne et les transcende.
Révolutionnaire, de Gaulle l'est une première fois lorsqu'il réinvente dans ses Mémoires le rapport entre les mots et la réalité historique. Sa tension dialectique intérieure, entre destinée gaullienne et vocation gaulliste, son être et sa conscience d'être, dédouble cette réalité par l'écriture, la mémoire, la prophétie.
La volonté de puissance du génie prédestiné en butte aux vicissitudes historiques que sa prédestination exige et dont dépend la résolution tragique de l'Histoire, modifie sa relation aux mots, libérant l'écriture du style, subordination extérieure au sens des mots, mécanique des choses dites qui l'enferme et contient sa charge explosive. Le discours n'est plus reproduction esthétisante, rétrécissement du champ de vision pour finir sclérose, mais expression et incarnation de la dialectique parole vivante et langage qui le porte.
«A une histoire vivante ne sied pas la lettre morte du style, mais les pouvoirs vivants de la réalité d'une écriture de la réalité agissante dans un but quelconque». Quand de Gaulle parle, déjà il agit et fait agir l'Histoire. L'écriture devient acte politique. Ses mots charrient et ordonnent l'histoire en marche.
Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul
Qu'est-ce que le gaullisme dans ces conditions ? Réponse de Dominique de Roux: «Le dialogue profond que de Gaulle poursuit sans trêve avec l'histoire se nomme gaullisme, dès lors que d'autres veulent en faire leur propre destin.» Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul qui considère la France, non les Français, comme la finalité de son action. La rencontre de la France en tant qu'idée d'une nation métaphysique et transcendante, et de la parole vive de de Gaulle, intelligence de la grandeur d'âme chez Chateaubriand, de la vocation pour Malraux, doit déboucher sur l'idéal de la Pax Franca.
La dialectique gaulliste de l'histoire rejaillit sur la stratégie gaulliste de lutte contre tous les impérialismes, au nom de la prédestination intérieure qui fait de l'assomption de la France l'avènement de celle de l'Europe et au-delà de l'ordre universel: la Pax Franca. «De Gaulle ne sert ni l'Eglise avec Bossuet, ni la Contre-Révolution avec Maurras, mais la monarchie universelle, cette monarchie temporelle, visible et invisible, qu'on appelle Empire. Dante exaltait dans son De Monarchia cette principauté unique s'étendant, avec le temps, avec les temps, sur toutes les personnes. Seul l'Empire universel une fois établi il y a la Paix universelle.»
Ainsi posée, la géopolitique gaulliste s'affirme pour ce qu'elle est, une géopolitique de la fin (l'Empire de la Fin énoncé par Moeller van den Bruck), dépassement de la géopolitique occidentale classique, de Haushofer, Mackinder, contournement de la structure ternaire Europe-USA-URSS.
Pour être efficace, le projet gaulliste aura à cœur de transformer la géopolitique terrienne en géopolitique transcendantale, «tâche politico-stratégique suprême de la France, plaque tournante, axe immobile et l'Empire du Milieu d'une unité géopolitique au-delà des frontières actuelles de notre déclin, unité dont les dimensions seraient à l'échelle de l'Occident total, dépassant et surpassant la division du monde blanc entre les Etats-Unis, l'Europe et l'Union soviétique.» Car la France est, selon le statut ontologique que de Gaulle lui fixe, accomplissement et mystère, l'incarnation vivante de la vérité, la vérité de l'histoire dans sa marche permanente.
La nouvelle révolution française menée par de Gaulle doit conduire à la révolution mondiale
Une révolution d'ordre spirituel autant que temporel ne se conçoit pas sans l'adhésion unilatérale du corps national. Toute révolution qui n'est que de classe ne peut concerner la totalité nationale. Toute révolution nationale doit penser à l'œcuménité sociale. La révolution, l'action révolutionnaire totale enracinée dans une nation donnée, à l'intérieur d'une conjecture donnée, n'existe que si l'ensemble des structures sociales de la nation s'implique. Là où le socialisme oublie le national, le nationalisme occulte le social sans lequel il n'y a pas de révolution nationale. De Gaulle annule cette dialectique par l'«idée capétienne», reprise à Michelet et Péguy, de nation vivante dans la société vivante. Le principe participatif doit accompagner le mouvement de libération des masses par la promotion historico-sociale du prolétariat. Ce faisant la révolution gaulliste, dans l'idée que s'en fait Dominique de Roux, supprime la théorie formulée par Spengler de guerre raciale destructrice de l'Occident. Car la nouvelle révolution française menée par de Gaulle ne peut que conduire à la révolution mondiale.
De Gaulle super-Mao
L'époque, estime Dominique de Roux, réclame un nouvel appel du 18 juin, à résonance mondiale, anti-impérialiste, démocratique et internationaliste à destination de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine, dont la précédente déclaration de Brazzaville deviendrait, au regard de la postérité, l'annonce. Un tel acte placerait de Gaulle dans la position d'un super-Mao —ambition partagée pour lui par Malraux— seul en mesure d'ébranler la coalition nihiliste des impérialismes américano-soviétiques, matérialistes absolus sous leur apparence d'idéalisme. La grande mission pacificatrice historique de dimension universelle assignée à la France passe, en prévision d'une conflagration thermonucléaire mondiale alors imminente —la troisième guerre mondiale—, par le lancement préventif d'une guerre révolutionnaire mondiale pour la Paix, vaste contre-stratégie visible et invisible, subversion pacifique qui neutraliserait ce risque par l'agitation révolutionnaire, la diplomatie souterraine, le chantage idéologique. L'objectif, d'envergure planétaire, réclame pour sa réalisation effective la mise en œuvre d'une vaste politique subversive de coalitions et de renversements d'alliances consistant à bloquer, dans une double logique de containment, la progression idéologico-territoriale des empires américain et soviétique sur les cinq continents.
Le plan d'ensemble du gaullisme géopolitique s'articule en cinq zones stratégiques plus une d'appui et de manœuvre, en place ou à créer:
-renforcement du bloc franco-allemand, selon la fidélité historique au devenir éternel de l'Europe;
-dégager le Sud-Est européen de l'empire soviétique, afin de stopper l'action de l'URSS sur son propre axe de clivage et l'obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;
-dégager le Sud-Est asiatique de l'empire américain, afin de stopper l'action des USA sur leur propre axe de clivage et les obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;
-faire jouer à l'Amérique latine le rôle de lien entre la conscience occidentale et le Tiers-Monde par l'action des forces révolutionnaires sur le terrain;
-empêcher que le Canada ne devienne une base impériale extérieure de rechange des USA;
-soutenir secrètement l'Inde contre la Chine pour des raisons d'ordre spirituel théurgique, la Chine représentant la matérialisation de l'esprit quand l'Inde incarne depuis toujours le primat du spirituel sur la matière.
La consolidation du front idéologique mondial lancé par le gaullisme requérant que soient attisés par ses agents le maximum de foyers, il apparaît nécessaire dans un premier temps que partout où se trouvent les zones de confrontation idéologique et d'oppression des minorités, l'on soutienne la révolution au nom du troisième pôle gaulliste. Six zones de friction retiennent l'attention de Dominique de Roux, en raison de leur idéal nationaliste-révolutionnaire conforme aux aspirations gaullistes et pour leur situation géostratégique de déstabilisation des blocs (de Roux ne le sait pas encore, mais viendront bientôt s'ajouter à sa liste le Portugal et les possessions lusitaniennes d'Afrique: Angola, Guinée-Bissau, Mozambique):
«1) le combat pour la libération nationale et sociale de la Palestine, clef de voûte de la paix au Moyen-Orient et de la présence pacifique de la France en Méditerranée.
2) la mise en marche immédiate de la Conférence Pan-européenne pour la Sécurité et la Coopération Continentale.
3) le combat pour la libération nationale et sociale de l'Irlande catholique.
4) la relance du soutien international aux combattants du Québec libre pour la sauvegarde de son être national propre.
5) appui inconditionnel au Bangladesh.»
6) insistance sur la tâche prioritaire des enclaves de langue française comme relais de la subversion pacifique mondiale.
Il conviendra donc d'intensifier les contacts avec toutes les forces révolutionnaires en présence sur le terrain. Ainsi seulement la vocation gaullienne accomplie rejoindra sa destinée, celle du libérateur contre les internationales existantes —capitaliste et communiste, ouvertement impérialistes—, qui soutient et permet toutes les luttes de libération nationale et sociale, toutes les révolutions identitaires et économiques. «Aujourd'hui, la tâche révolutionnaire d'avant-garde exige effectivement, la création de deux, trois quatre Vietnam gaullistes dans le monde.» (Magazine Littéraire n°54, juillet 1971) Sa force contre les a priori idéologique, apporter une solution qui s'inspire de l'histoire, des traditions nationales de chaque pays, de sa spécificité sociale: socialisme arabe, troisième voie péruvienne, participation gaulliste.
L'après-gaullisme représente l'échéance d'une ère
De Gaulle a mené un combat entre la vérité historique ultime et les circonstances historiques de cette vérité.
A l'époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber a cherché à persuader les Français que le républicanisme gaullien était un régime à peine plus propre que la Grèce des colonels. Puis vint mai 68. «Aujourd'hui, ce même grand capital, qui pour mater les syndicats permit (...) Mussolini (...), qui inventa le nazisme pour la mobilisation maoïste des ouvriers allemands en vue de l'expansion économique, qui donna sa petite chance à Franco l'homme des banques anglaises, nous invente morceaux par morceaux la carrière française de Jean-Jacques Servan-Schreiber et les destinées européennes du schreibérisme.» La vérité fut que de Gaulle, nationaliste et révolutionnaire, annula dialectiquement et rejeta dos à dos Hitler et Staline. L'après-gaullisme représente l'échéance d'une ère. L'avenir de l'Occident ne pourra plus se définir que par rapport à l'action personnelle de de Gaulle. Si le gaullisme est le fondement de l'histoire nouvelle, l'après-gaullisme est la période à partir de laquelle se confronteront ceux qui poursuivent son rêve et ses opposants, ceux qui refusent sa vision. Pas d'après-gaullisme donc, seulement le face à face gaullistes contre anti-gaullistes. «Il n'y a de gaullisme qu'en de Gaulle, de Gaulle lui-même devient l'idée dans l'histoire vivante ou même au-delà de l'histoire.» Pour préserver l'authenticité de la geste gaulliste, il faut conserver le vocabulaire de l'efficacité gaullienne. «Qu'importe alors la défaite formelle du gaullisme en France et dans le monde, écrit Dominique de Roux dans Ouverture de la chasse en juillet 1968, si, à sa fin, le gaullisme a fini par l'emporter au nom de sa propre vérité intérieure, à la fois sur l'histoire dans sa marche dialectique et sur la réalité même de l'histoire ?»
Dominique de Roux victime de sa vision ?
Trente ans après, quel crédit accorder aux spéculations géo-poétiques du barde impérial de Roux ? Lui-même reconnaissait interpréter la pensée gaullienne, en révéler le sens occulte. Des réserves d'usage, vite balayées par les mirages d'un esprit d'abord littéraire (littérature d'abord), sujet aux divagations les plus intempestives. Exemple, la France, «pôle transhistorique du milieu» «dont Charles de Gaulle ne parle jamais, mais que son action et son écriture sous-entendent toujours.»
Quand il parle de la centrale d'action internationale gaulliste, qu'il évoque en préambule du premier numéro d'une collection avortée qui devait s'intituler Internationale gaulliste sa contribution à la propagation du message gaulliste, c'est un souhait ardent que de Roux émet avant d'être une réalité. De Roux victime de sa vision ?
Hier figure du gauchisme militaire, aujourd'hui intellectuel souverainiste, Régis Debray dans A demain de Gaulle fait le mea culpa de sa génération, la génération 68, coupable selon lui de n'avoir pas su estimer la puissance visionnaire du grand homme, dernier mythe politique qu'ait connu la France.
Au regard de l'Histoire dont il tenta sa vie durant de percer les arcanes, Dominique de Roux s'est peut-être moins fourvoyé sur l'essentiel, qui est l'anti-destin, que la plupart des intellectuels de son temps. «Par l'acte plus encore que par la doctrine, Charles de Gaulle a amorcé une Révolution Mondiale. Celle-ci, connue par lui à l'échelle du monde, appelle ontologiquement une réponse mondiale.»
Dans Les chênes qu'on abat, Malraux fait dire à de Gaulle: «J'ai tenté de dresser la France contre la fin d'un monde. Ai-je échoué ? D'autres verront plus tard.»
De Gaulle, troisième homme, troisième César.
Laurent SCHANG.
Bibliographie:
De Dominique de Roux:
-Ouverture de la chasse, L'Age d'Homme, 1968.
-Contre Servan-Schreiber, Balland, 1970.
-Politique de Dominique de Roux, Portugal, Angola, Internationale gaulliste, Au signe de la Licorne, 1998.
-L'écriture de Charles de Gaulle, Editions du Rocher, 1999.
André Malraux, Les chênes qu'on abat, NRF Gallimard, 1971.
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samedi, 14 juin 2008
Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié
Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié
Entretien
A quelques jours de la parution de son nouvel essai, Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France, aux éditions du Bon Albert, Rémi Soulié a accepté de nous entretenir de son précédent ouvrage, publié chez L'Age d'Homme, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux
«De Roux a renouvelé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire»
Pourquoi, aujourd'hui, écrire sur Dominique de Roux? Son nom, qui reste sulfureux (on se souvient du mot: «A force d'être traité de fasciste, j'ai envie de me présenter ainsi: moi, Dominique de Roux, déjà pendu à Nuremberg»), n'a laissé aucun chef-d'œuvre impérissable. Ses livres sont pour la plupart des collages d'idées anarchiques, anarchiquement assemblées pour former une pâte de textes indigestes jetée sans autre souci à la figure d'un lecteur qui n'est pas habitué à être reçu ainsi. Mis à part une poignée d'irréguliers, personne ne le réclame. Seuls quelques éditeurs hors du sérail ont relevé le pari de publier les fulgurances et les formules bancales de ce styliste épileptique, qui se voulut tour à tour et en même temps géométaphysicien, poète dissident du monde, impérialiste pacifique infiltré à la solde d'une Internationale révolutionnaire gaulliste qui n'exista jamais ailleurs que dans son esprit enfiévré. Sa vie brusquement écourtée ressemble à l'image finale de ce film de Werner Herzog, Aguirre, où l'on voit Klaus Kinski dériver seul sur un radeau au milieu dune multitude de petits singes jaunes à têtes noires, debout dans son armure rouillée de conquistador renégat, défiant Dieu, le regard halluciné, dévoré par son rêve d'empire d'au-delà de la jungle amazonienne, avec la caméra qui s'éloigne. Pourquoi en effet, quand on s'appelle Rémi Soulié, écrire une biographie de Dominique de Roux, sinon pour tout ce qui vient d'être dit ?
Dès la première page des Châteaux de glace le ton est donné: «Rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous! Plus de sociaux-démocrates ni de démocrates-chrétiens, plus de libéraux sociaux ni de sociaux libéraux! La politique enfin restaurée en mystique par quelques royalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révolutionnaires intacts à la Fajardie! "Heureux comme Dieu en France", cette neuvième béatitude sortirait de la morgue où la science épigraphique congèle les anciennes sentences!» Soulié, maurrassien c'est sûr, n'aime pas son époque, aux songes creux et à la bouche pleine de gargouillis («droits de l'homme», «citoyenneté», «démocratie»...), et encore moins sa littérature. La gauche, hier insurgée, s'abîme dans la social-démocratie. La droite a trahi de Gaulle —c'était quand? Les écrivains se regardent le nombril et les éditeurs jouent les barbouzes. Lui voudrait un écrivain qui soit à la fois un idéologue et un aventurier, de droite et un peu à gauche, un militant et un esthète, Lawrence et Rimbaud, Monfreid et Malraux. Sa rencontre avec de Roux était fatale.
Ecrire une biographie c'est aussi, c'est surtout, écrire sur soi-même, retracer les étapes d'une vie étrangère pour mieux comprendre son propre cheminement intérieur. Rémi Soulié a donc mis ses pas dans ceux du Don Quichotte aveyronnais, ce qui nous vaut de jolis passages, rencontré des témoins, nourri une abondante correspondance avec ses proches. Son livre est riche de citations, et dans sa relation intime avec de Roux, il lui parle autant qu'il nous parle de lui. Raison pour laquelle Soulié ne craint pas de se montrer par endroit hermétique, voire ésotérique.
De Roux, la littérature et la droite. C'eût été un parfait sous-titre si Rémi Soulié avait jugé bon d'en ajouter un. Encore faut-il, avec un aussi subtil dialecticien, s'entendre sur les mots. De quelle droite parlons-nous ? En politique, de Roux honnissait le nationalisme et la propriété privée. En France, ce voyageur infatigable se considérait en territoire ennemi. Côté littérature, de Roux méprisait les hussards, qu'il qualifiait dédaigneusement de «chevaux-légers de la bourgeoisie». La Droite selon Dominique de Roux, Droite avec un grand "D" (comme Evola l'écrivait du reste, et Soulié ne manque pas de faire le lien), est partout où domine le tragique, donc le sens du sacré, dans la marche de l'Histoire. Héroïsme et folie sont valeurs de droite, qui définissent en littérature le Grand Art. Sont de droite Claudel, Heidegger, Gombrowicz, Lawrence, Jünger, Benn, Céline, Artaud, Biely, Blanchot, Cummings, Pound, Genet, Nizan, Yeats, Joyce, Ungaretti, Gadda, Michaux. Une droite reconnue par lui seul, qu'il réinvente et redessine au gré de ses illuminations.
«Je soupçonne Dominique de Roux d'avoir lâché la corde avant terme pour ne pas assister à l'ultime désastre. Prophète comme il l'était, il aura préféré la vision béatifique à la société du spectacle.» Certains doutent de sa mort et préfèrent croire qu'il dort, roi du monde pétrifié dans la roche, sous un glacier, attendant son heure. D'autres pencheraient plutôt pour un repli stratégique dans une faille tellurique, quelque part entre Thulé et l'île de Pâques. Plus disert, Rémi Soulié conclut par l'impérieuse nécessité de sa relecture. «Dominique de Roux (...) desperado sudiste digne de notre piété.»
Entretien.
Q: Rémi Soulié, on sort de votre essai, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux, converti. Il émane de chacune de ses pages une attraction mystérieuse que j'attribuerai autant aux révélations que vous nous apportez sur ce personnage extraordinaire que fut Dominique de Roux qu'à l'inexplicable envoûtement de votre style, touché par une sorte de grâce qui le transfigure. Parfois, je me suis surpris à lire des paragraphes pour leur seule poésie, incapable «au réveil» de me souvenir de ce qu'ils disaient. Ce livre est celui d'un mystique. Au reste, son titre est déjà porteur d'un sens initiatique, comme s'il fallait entrer dans son œuvre comme on part en pèlerinage.
Rémi Soulié: Dans Immédiatement, Dominique de Roux évoque sa grand-mère et son «château de glaces». J'ai donc choisi ce titre parce que c'était une formule de Dominique de Roux lui-même, quelle renvoyait métaphoriquement à une demeure familiale —et je me suis attaché à montrer ce que de Roux devait aux vacances passées en Aveyron, pendant son enfance— mais aussi parce que le château et la glace sont lourds de sens: ils évoquent à la fois l'enracinement profond, aristocratique, dans l'histoire de France, dans l'ancienne France, un «palais des glaces» où se réfléchissent une image de soi fragmentée, une identité plurielle, et, enfin, la mort. Dominique de Roux était hanté par la mort. Etait-ce pressentiment d'une fin prématurée, tropisme romantique ? Sans doute les deux à la fois, et sans doute plus encore.
Q.: Dominique de Roux écrivain révolutionnaire -écrivain ET révolutionnaire, il ne viendrait plus aujourd'hui à l'idée de personne d'en douter. Mais dans quel camp était-il ? Droite-gauche-gaulliste-anar de droite ?
R.S.: Certainement pas révolutionnaire de gauche. Cela n'aurait aucun sens. Son intérêt pour la Chine de Mao était esthétique, poétique —en ceci, il n'est pas très éloigné de Sollers, mutatis mutandis. Révolutionnaire de droite supposerait de sa part une adhésion doctrinale à un système particulier également, or, même si l'on trouve dans son œuvre, surtout dans le Contre Servan-Schreiber, un jeu intellectuel sur le lexique maurrassien, Dominique de Roux ne saurait être réductible à une seule pensée politique. Il fut un homme d'action, certes, au service de la France gaullienne, en Angola, mais son gaullisme était mystique, non politique, selon la distinction de Péguy. Je vois en de Roux un poète de l'action, comme le colonel Lawrence ou Mishima. Il était attaché, sans doute, à une «certaine idée de la France», mais à une idée poétique, littéraire. Son anticommunisme, néanmoins, est évident. La catégorie d'anar de droite, si intéressante soit-elle, François Richard la bien montré, est un peu un fourre-tout. On y «case» les irréductibles, ceux qui sont allergiques aux conneries puritaines de la bigoterie contemporaine et éternelle, à la figure increvable du «bourgeois», celle que Baudelaire, Flaubert, Bloy, Barbey ont décrit. Un Dictionnaire des idées reçues serait d'ailleurs impubliable de nos jours. Les hérauts socialistes et éminemment bourgeois de la liberté nous en empêcheraient. De Roux, en définitive, était bien révolutionnaire, parce que c'était un écrivain, et que tous les écrivains dignes de ce nom le sont. Pound, Borgès, Jouve, Céline, Gombrowicz, c'est aussi lui, c'est souvent d'abord lui.
Q.: Dominique de Roux nous a quitté il y a un quart de siècle. Selon vous, qui le connaissiez bien, qui peut prétendre aujourd'hui avoir pris sa place ? Ce qui m'amène à vous poser une deuxième question: quel apport à la littérature française fut le sien ?
R.S.: Personne n'a pris sa place, car personne ne prend jamais la place d'un écrivain —surtout un autre écrivain. Dominique de Roux a néanmoins des admirateurs, par exemple certains jeunes collaborateurs de la revue Immédiatement, placée sous son patronage. Marc-Edouard Nabe est un excellent connaisseur de de Roux. De Roux a marqué l'histoire littéraire française, comme écrivain et comme éditeur. Les Dossiers H de L'Age d'Homme, dirigés par Jacqueline de Roux, sa femme, n'existeraient pas sans les Cahiers de l'Herne. Les auteurs dont je parlais précédemment sont entrés dans notre bibliothèque grâce à lui. Il a renouvelé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire.
Q.: Au fond, que représente-t-il pour vous ?
R.S.: C'est un intercesseur, pour reprendre le mot de Barrès. Il donne des leçons de style, de courage, de vitesse, de passion, d'absolu, de colère; de Roux est un esprit libre, un homme seul qui a suivi sa vocation. C'est un «littéraire intégral», un homme pour qui la littérature était une vision du monde.
Q.: Le romancier Dominique de Roux m'a toujours intrigué...
R.S.: Quoi qu'il écrive, Dominique de Roux était un styliste doué, d'emblée maître de son écriture et de son univers. Il est donc difficile, et sans doute réducteur, de compartimenter son œuvre. Plus que pour d'autres écrivains, la question du genre, à mon avis, ne se pose pas vraiment chez lui. Je suis sensible à tous ses «romans» de Mademoiselle Anicet au Cinquième Empire en passant par Harmonika-Zug et Maison jaune. Avec Mademoiselle Anicet, il a montré qu'il pouvait écrire, très jeune, un roman de facture classique, «à la française», comme Une curieuse solitude de Sollers, avec lequel un parallèle s'impose à nouveau; à l'autre bout de l'œuvre, Le Cinquième Empire se lit comme un poème, lui aussi parfaitement maîtrisé. La beauté du Portugal éternel, mythique, celui du Roi caché, transparaît dans l'évocation dune situation exceptionnelle de crise. L'écriture de Dominique de Roux est limpide, et il a assimilé Rimbaud.
Q.: Avant de lire Les Châteaux de glace votre nom m'était inconnu. Force est de constater que votre livre se montre d'une grande discrétion à ce sujet. Rien ne filtre, ni sur vous ni sur vos antécédents. Quelques mots de votre part seraient les bienvenus à présent.
R.S.: J'ai trente-deux ans. Avant ce Dominique de Roux, j'ai publié un traité sur la promenade (*); j'avais alors une activité d'enseignant-chercheur en littérature française, à l'Université de Toulouse. J'ai collaboré à différentes revues, publié plusieurs articles, universitaires ou non.
Q.: Et quels sont vos projets désormais ?
R.S.: Je corrige en ce moment les épreuves d'un essai sur Aragon, à paraître en janvier 2001 aux Editions du Bon Albert: Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France. J'espère également publier dans les mois à venir une étude sur Jean Boudou, immense écrivain occitan, traduit en français, qui est l'égal de Jean Genet ou Mishima, pas moins! Je me suis attaché à le lire avec les lunettes de Freud et de Lacan —une écriture de la perversion, en bordure de la psychose. Je n'ai pas la religion de la psychanalyse, loin s'en faut, mais pour qui sait lire, surtout l'œuvre de Lacan, l'éclairage analytique, philosophiquement, est passionnant. Je publie en janvier 2001 une nouvelle, dans un recueil collectif, aux côtés de Georges-Olivier Châteaureynaud, Homeric, Victor Martin, Marie-Hélène Lafon et Denitza Bantcheva.
(propos recueillis par Laurent SCHANG).
(*) De la promenade, Editions du Bon Albert, 1997.
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jeudi, 12 juin 2008
Entretien avec Jacques d'Arribehaude
Entretien avec Jacques d'Arribehaude, un «Français libre»
Q.: Dans Un Français libre (L'Age d'Homme, 2000), vous menez, sous le couvert d'un journal intime, une quête qui n'est autre que l'antique gnôthi seauton hellénique: la recherche et l'étude de soi. Qui êtes-vous donc? Français ou Gascon? Moderne ou d'Ancien Régime? Du XVIIe ou du XIIe siècle?
Né au pied des Pyrénées à l'extrême sud-ouest de la France, d'une mère basque et d'un père gascon, je suis Français d'éducation, de tradition et de culture, mais ouvert depuis toujours au grand large, à l'esprit d'aventure et de recherche de nos grands ancêtres navigateurs et conquérants. J'appartiens une famille dont les archives remontent au XIIe siècle par mon père, avec des attaches en Béarn, Gascogne et Navarre. On trouve mes ascendants sur les Sceaux gascons de la Tour de Londres sous Edouard III, puis sur les rôles d'armes de Gaston Phébus du Béarn au XIVe siècle, mais dans un déclin constant durant les guerres de Religion et les désordres de la Fronde au XVIIe siècle. Sous la Révolution, Jean d'Arribehaude, beau-frère de Raymond de Seze, défenseur de Louis XVI à la Convention, renonce à ses seigneuries de Lasserre, d'Orgas et autres lieux pour échapper à la guillotine, et la ruine du patrimoine familial achève de se consommer au fil des générations. Mon enfance n'en est pas moins marquée par la forte empreinte des instituteurs au lendemain (très illusoirement victorieux) de la grande guerre 14-18, ces «hussards de la République» qui mettaient tout leur cœur à exalter la nation comme un modèle insurpassable de civilisation pour la terre entière. Le désastre sans précédent de 1940 (j'avais tout juste 15 ans), m'éloigne à tout jamais du régime qui l'a provoqué, qui m'inspire dès lors le plus définitif dégoût.
Q.: Très jeune, vous avez vécu quelques expériences peu banales: voir défiler les Prussiens de la Totenkopf, traverser les Pyrénées, croupir dans une geôle hispanique, découvrir les clans d' Alger, goûter à toutes sortes de propagandes et même, naviguer ("Il est nécessaire de naviguer"). N'est-ce pas beaucoup pour un jeune homme encore tout frotté de littérature? Quel était donc son état d'esprit le 8 mai 1945?
Que faire, quand on a dix-sept ans, que l'on n'accepte pas l'humiliation d'une telle défaite, que l'on baille au lycée de Bayonne aux trois-quarts occupé par l'administration de la Kommandantur et de la Gestapo, et qu'il y a quelque part une France qui se déclare encore libre, sinon vouloir à tout prix la rejoindre? Cela me vaudra de connaître la prison de Badajoz au fond de l'Espagne, d'où la Croix-Rouge me tire à grand peine, puis le spectacle des querelles politiques d'Alger, jusqu'à mon embarquement sur un pétrolier battant pavillon US, et dont un équipage français remplace un équipage américain défaillant et rapatrié sur New York, mais toujours armé de canonniers américains. Je figure, en qualité d'écrivain de bord —interprète faisant fonction de commissaire— au carré des officiers, ne regrettant guère d'avoir été déclaré «inapte au service armé» par la 1ère Division Française Libre que j'avais fini par rejoindre en Libye, ni la Direction du service Géographique de l'Armée, qui voulait me retenir comme dessinateur à Alger. Le spectacle de l'Italie dévastée, de la corruption qui sévit partout sur fond d'épuration, de misère et de prétendu retour à la morale m'est odieux. J'oublie mes déceptions en découvrant, dans les ruines d'une librairie italienne, Le voyage au bout de la nuit où le génie imprécateur de Céline contre la guerre confirme ce que je ressens devant le bourrage de crâne universel. La «France libre» dont je rêvais et dont j'ai suivi au fur et à mesure les querelles de clans et mesquines péripéties n'est que le retour des hommes et du régime dont l'incompétence et la nullité nous ont conduit au désastre. Je ne puis que le vomir et remettre tout en question. J'ai vécu au bout du compte dans l'Italie éventrée de 44-45, la Grèce et la Yougoslavie exsangues et déchirées, la fin malheureuse de l'engrenage suicidaire de 1914 au seul profit d'un communisme aussi criminel que le nazisme, et du mercantilisme américain dont la façade démocratique recouvre une exploitation éhontée de la planète. On ne m'y reprendra plus.
Q.: Quels furent vos maîtres?
Je dévore Céline dont la force comique fortifie ma lucidité et apaise ma colère dans le sentiment de ne pas être seul au monde à refuser l'imposture de ce temps. Je revois mon ancien professeur Louis Laffite qui, sous le nom de Jean-Louis Curtis, commence à se faire un nom en littérature, et qui m'encourage à écrire. Jusqu'à sa mort, il y a quelques années, il soutiendra mes efforts dans ce sens et j'aurais maintes fois l'occasion d'apprécier son talent, son humour, et la solidité de son amitié. Dès l'enfance, j'ai la passion de la lecture et vais selon une humeur très vagabonde des Mémoires d'un âne à La Condition humaine en passant par Les trois mousquetaires, L'île au Trésor, Robinson Crusoë, Croc-Blanc, Guerre et Paix, Les Mille et une Nuits de Mardrus (lus par surprise à la bibliothèque municipale) et Gil Blas. L'été de mes 16 ans, en 41, grand emballement pour Autant en emporte le vent et le personnage de Rhett Butler, dont le refus d'être dupe, le joyeux cynisme et la séduction s'offrent en modèle idéal à ma naïve adolescence. Il me faut l'épreuve de la guerre et de la maladie pour élargir ce modeste horizon. C'est au sanatorium de Leysin, où je suis admis sur le Fonds Européen de Secours aux étudiants, en Suisse, que je me plonge durablement dans Balzac, Stendhal, Flaubert, mais aussi Saint Simon, aussi bien que dans les grands romanciers américains et russes et en particulier Dostoïevski. De là date aussi mon goût pour les correspondances et journaux intimes, au plus près de la vie, telle que la restitue dans son intensité, l'extraordinaire vision de Saint Simon.
Q.: Vous avez fréquenté le monde des Lettres, approché Céline à Meudon, Roland Laudenbach rue du Bac, et même un certain André Malraux. Qui étaient ces trois hommes si différents? Et "La Table ronde", cette maison mythique, quel était donc son esprit?
Accoutumé dès le départ à la solitude, c'est à Roland et Denise Tual, rencontrés au Festival du film maudit à Biarritz en 1949, que je dois la rencontre de Malraux, de Cocteau, de René Clair, de Roger Nimier, de Roland Laudenbach et autres figures de l'époque, sans que je puisse dire avoir vraiment et durablement fréquenté le monde des lettres. De Malraux, j'ai surtout retenu la volonté qui me semblait exemplaire de «transformer en conscience l'expérience la plus large possible», qui m'incita à prendre du champ en m'exilant près de trois ans dans ce qui était alors le territoire du Tchad dans l'Afrique Equatoriale Française, comme agent de l'unique société chargée de l'exploitation du coton. Malraux se souvint de moi et m'accorda sa sympathie lorsque je lui adressai Semelles de vent, et intervint plus tard quand je tentai d'entrer à l'ORTF, où le désordre de 1968 me permit finalement de pénétrer de façon durable. "La Table Ronde" se distinguait alors par l'anticonformisme de ses publications, un éloignement ironique à l'égard de l'idéologie dominante et l'engagement à sens unique prôné par Sartre qui nous semblait le comble du grotesque, de la nuisance imbécile, et de l'aveuglement artistique. J'y rencontrai, auprès de Laudenbach, Alexandre Astruc, Jacques Laurent, et publiai, avant Semelles de vent, La grande vadrouille, bien accueilli par la critique, mais sans succès commercial, et dont Laudenbach eut le tort de vendre le titre —sans que je puisse m'y opposer— à une production cinématographique sans le moindre rapport avec l'ouvrage.
Q.: La lecture de Proust ne vous a pas illuminé. Dieux merci, je ne suis pas le seul à avoir bâillé d'ennui! Rassurez-moi, donnez-moi des arguments contre le snobisme proustien!
Je dois à la lecture d'avoir échappé à plusieurs reprises au découragement et à la dépression. C'est le cas avec La recherche du temps perdu, quelles que soient mes réserves sur les vaines contorsions de Proust pour transposer et déguiser la réalité de son personnage. Il a beau prendre un soin infini à masquer l'origine presque exclusivement juive du «monde» auquel il a accès par l'intermédiaire d'une madame Strauss ou de Caillavet, d'un Gramont de mère Rothschild, ou de princes moldo-valaques à généalogie douteuse, pourquoi ne pas dire carrément que les grands noms dont il se pâme ne sont plus que le reflet de la souveraineté triomphante de Mammon, accommodée au snobisme éperdu et niais des élites républicaines dont il fait partie. Malgré cela, et en dépit de tout ce qu'il peut y avoir d'artificiel et de faux dans la société qu'il dépeint, sa difficulté d'être lui inspire des pages déchirantes sur la souffrance, l'amour malheureux, «l'enchantement des mauvais souvenirs», et son œuvre s'impose par la création de personnages atteignant la force de types universels, qu'il s'agisse de Charlus, de madame Verdurin, Norpois, Cotard, Nissim Bernard, Bloch, etc. La sacralisation contemporaine de mœurs considérées naguère comme honteuses et la révérence obligée devant tout ce qui semble relever particulièrement de la «sensibilité juive» ajoute sans doute à l'universelle renommée de Proust, et l'encombre d'une vague de snobisme et d'exaltation parfaitement insupportable, mais on oublie de souligner la verve comique qui nourrit souvent les meilleures pages de son œuvre, et que le personnage de Bloch dans son évolution révèle admirablement l'identité profonde et mal acceptée du narrateur dans tout le grotesque de son pathos verbal, de son arrivisme mondain, et de ses pathétiques affectations. Au total, un grand écrivain, qui ne saurait être négligé, mais dont la vision analytique et critique de la société est plus partiale et limitée qu'il semble le croire, et très en deçà du fantastique, prophétique et souverain constat de l'œuvre de Céline quelques années plus tard. Marcel Proust, nanti de la République (éminente notabilité du père dans les hautes sphères de la maçonnerie et des riches alliances juives), confond ainsi pieusement, dans Le Temps retrouvé, l'effondrement des Empires centraux avec «la victoire de la civilisation sur la Barbarie» (sic). Le conformisme niais de cet aveuglement sur la tragédie de l'Europe et l'incapacité démocratique à concevoir une paix durable relativise la pertinence de son ironie sur le patriotisme de ses salonnards familiers et les propos héroïques de la Verdurin trempant son croissant matinal dans un café au lait qui échappe aux restrictions de l'heure. Nous sommes loin de la dénonciation autrement puissante et impressionnante du Voyage et du grand souffle célinien balayant les clichés de «cette immense entreprise à se foutre du peuple» !
Q.: Dans votre journal, vous avouez une sympathie coupable pour la mythologie germanique. Quand on est né vers 1925, qu'on appartient manifestement à une caste d'exploiteurs du peuple (et même si on a porté le bon uniforme, celui des vainqueurs), ce genre de déclaration vous rend hautement suspect. Expliquez-vous!
J'ai noté dans mon Français libre l'impression profonde, tous drapeaux confondus, de la rengaine nostalgique de la Wehrmacht Lili Marlene durant la guerre. L'affirmation provocante du Sanders de Nimier —«Plus l'Apocalypse s'est rapprochés de l'Allemagne et plus elle est devenue ma patrie!»— était la mienne alors même que je vivais la victoire de notre croisade de la liberté sous pavillon US à bord du pétrolier «Eagle». La sottise et l'énormité mensongère de la propagande m'exaspéraient. A l'étalage massif et sempiternel des exclusives horreurs nazies je ne pouvais m'empêcher de mettre en parallèle toutes les images qu'on nous cachait, et dont il n'existe aucune trace, de l'anéantissement systématique de Dresde et de villes entières, de populations errantes, exténuées, massacrées, ou mourant de faim et de misère sur les routes dévastées. Quelles qu'aient été les aberrations de Hitler, ce désastre était aussi celui de l'Europe et donc le nôtre. A cette impression se mêlait ma compassion pour les vaincus au terme d'une lutte héroïque contre le monde entier, et pour les causes perdues.
Mon goût des légendes, inhérent aux contes du pays basque transmis dès l'enfance par ma grand-mère, m'inclinait naturellement aussi à une sorte de familiarité fraternelle avec la mythologie germanique et l'exaltation wagnérienne de Lohengrin sur fond d'honneur, de loyauté et d'amour transcendant. Ce genre d'impression n'était pas destiné à m'ouvrir le meilleur accueil et l'on eût trouvé plus naturel de me voir tirer parti de mon engagement sous ce que vous appelez très justement «le bon uniforme», dont je me souciais comme d'une guigne. Mais la solitude était le prix de ma liberté et j'acceptais dès le départ qu'il en soit ainsi.
Q.: Vous aggravez votre cas en déclarant à Mauriac en 1951: «il y a une étude à faire sur l'aide américaine, dans le sens où l'on peut considérer la démocratie américaine comme le ferment le plus empoisonné, le plus stupidement pervers et le plus efficace du désordre mondial». Seriez-vous —je n'ose y croire— hostile au principe même de l'ingérence humanitaire?????
J'ai participé à l'ouvrage collectif Nos amis les Serbes, publié à l'Age d'Homme, pour protester contre l'infamie de la guerre de l'Otan dans les Balkans et la criminelle stupidité de notre alignement sur les Etats-Unis dans ce qui relève de leur seul intérêt avec la création et l'entretien ruineux d'un abcès incurable, étranger à notre culture et à notre civilisation au cœur de l'Europe. De la même manière, notre strict intérêt était de refuser toute intervention dans la guerre du Golfe et d'en laisser la charge et les dépenses aux Etats-Unis, uniques bénéficiaires. C'est assez dire que je suis résolument contre toute «ingérence humanitaire» qui n'est que le masque grossier de combinaisons sordides et parfaitement étrangères aux intérêts de l'Europe.
Q.: Vous n'êtes tout de même pas de droite? Je vous demande cela car j'ai lu quelques phrases ambiguës sur les empires centraux et la monarchie. A nouveau, rassurez-nous!
On classe volontiers parmi les «anarchistes de droite» tous ceux qui n'adhérent pas au conformisme de la pensée unique et de l'idéologie dominante qui s'affiche aussi bien à gauche que dans la droite honteuse depuis le triomphe des «Lumières». C'est ainsi que je figure dans l'essai de François Richard, paru il y a quelques années dans la collection "Que sais-je?" (n° 2580). Je ne récuse nullement cette appellation, mais qui se soucie aujourd'hui de savoir si Dante, Shakespeare ou Cervantès, ont pu être de droite ou de gauche? Sans la moindre prétention, je me contente de croire que celui qui tente de témoigner pour son temps dans l'isolement d'une création artistique échappe à toute classification sommaire. Je constate en tout cas que nombre d'écrivains des années trente parmi les meilleurs, Chardonne, Montherlant, Drieu, Morand, Jouhandeau et quelques autres, sans parler bien entendu de Céline, arbitrairement classés à droite, et qui ont payé pour cela, n'en faisaient pas moins les délices de Mitterrand, qui avait le bon goût de ne pas cacher sa paradoxale prédilection. Mitterrand, icône de la gauche officielle, était au fond tranquillement fidèle à sa jeunesse monarchiste, et mérite considération et sympathie pour tout ce que nos médias lui ont haineusement reproché à la fin de sa vie (ferme refus de «repentance», émouvante et brillante improvisation, au Parlement de Berlin, sur le «courage des vaincus», etc.). Les premiers mots dont je me souviens ont été ceux d'une berceuse basque toujours populaire en faveur de don Carlos, "el Rey neto", soutenu par la tradition navarraise contre la farce constitutionnelle de l'oligarchie prétendument progressiste attachée au règne factice d'Isabel. Curieusement, Marx a exprimé son estime et sa préférence pour l'insurrection carliste, dont les "fueros" populaires, nobles et paysans étroitement mêlés et solidaires, offraient l'image d'une démocratie autrement juste et authentique que le simulacre bourgeois hérité de nos mystifications révolutionnaires. C'est à cette image, bien évidemment de droite pour nos éminents penseurs professionnels, que je me suis toujours voulu fidèle.(propos recueillis par Patrick Canavan).
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vendredi, 30 mai 2008
E. Jünger, lecteur de Léon Bloy
Alexander PSCHERA:
Ernst Jünger, lecteur de Léon Bloy
Les sept marins du “renversement copernicien” sont un symbole, qu’Ernst Jünger met en exergue dans la préface des six volumes de ses “Journaux”, intitulés “Strahlungen”. Les notes de ces “Journaux”, rédigées pendant l’hiver 1933/1934 “sur la petite île de Saint-Maurice dans l’Océan Glacial Arctique” signalent, d’après Jünger, que “l’auteur se retire du monde”, retrait caractéristique de l’ère moderne. Le moi moderne est parti à la découverte de lui-même, explique Jünger, conduisant à des observations de plus en plus précises, à une conscience plus forte, à la solitude et à la douleur. Aucun des marins ne survivra à l’hiver arctique. Nous avons énuméré là quelques caractéristiques majeures des “Journaux” de Jünger. Celui-ci rappelle simultanément les pierres angulaires de l’œuvre et de l’univers d’un très grand écrivain français, qu’il a intensément pratiqué entre 1939 et 1945: Léon Bloy.
Léon Henri Marie Bloy est né le 11 juillet 1846 à Périgueux. Il est mort le 3 novembre 1917 à Bourg-la-Reine. Il se qualifiait lui-même de “Pèlerin de l’Absolu”. Converti au catholicisme sous l’impulsion de Barbey d’Aurevilly en 1869, il devient journaliste, critique littéraire et écrivain et va mener un combat constant et vital contre la modernité sécularisée, contre la bêtise, l’hypocrisie et le relativisme, contre l’indifférence que génère un ordre matérialiste. Bloy remet radicalement en question tout ce qui fait les assises de l’individu, de la société et de l’Etat, ce qui le conduit, bien évidemment, à la marginalisation dans une société à laquelle il s’oppose entièrement.
Pour Bloy, Dieu n’était pas mort, il s’était “retiré”
Conséquences de la radicalité de ses propos, de son œuvre et de sa langue furent la pauvreté extrême, l’isolement, le mépris et la haine. Sa langue surtout car Bloy est un polémiste virulent, à côté de beaucoup d’autres. Son Journal, qui compte plusieurs volumes, couvre les années de 1892 à 1917; sa correspondance est prolixe et bigarrée; ses nombreux essais, dont “Sueur de sang” (1893), “Exégèses des lieux communs” (1902), “Le sang du pauvre” (1909), “Jeanne d’Arc et l’Allemagne” (1915) et surtout ses deux romans, “Le désespéré” (1887) et “La femme pauvre” (1897) forment, tous ensemble, une œuvre vouée à la transgression, que l’on ne peut évaluer selon les critères conventionnels. La pensée et la langue, la connaissance et l’intuition, l’amour et la haine, l’élévation et la déchéance constituent, dans les œuvres de Bloy, une unité indissoluble. Il enfonce ainsi un pieu fait d’absolu dans le corps en voie de putréfaction de la civilisation occidentale. Ainsi, Bloy se pose, à côté de Nietzsche, auquel il ressemble physiquement, comme l’un de ces hommes qui secouent et ébranlent fondamentalement la modernité.
L’impact de Bloy ne peut toutefois se comparer à celui de Nietzsche. Il y a une raison à cela. Tandis que Nietzsche dit: “Dieu est mort”, Bloy affirme “Dieu se retire”. Nietzsche en appelle à un homme nouveau qui se dressera contre Dieu; Bloy réclame la rénovation de l’homme ancien dans une communauté radicale avec Dieu. Nous nous situons ici véritablement —disons le simplement pour amorcer le débat— à la croisée des chemins de la modernité. Aux limites d’une époque, dans le maëlström, une rénovation s’annonce en effet, qu’et Nietzsche et Bloy perçoivent, mais ils en tirent des prophéties fondamentalement différentes. Chez Nietzsche, ce qui atteint son sommet, c’est la libération de l’homme par lui-même, qui se dégage ainsi des ordonnancements du monde occidental, démarche qui correspond à pousser les Lumières jusqu’au bout; chez Bloy, au contraire, nous trouvons l’opposition la plus radicale aux Lumières, assortie d’une définition eschatologique de l’existence humaine. Nietzsche a fait école, parce que sa pensée restait toujours liée aux Lumières, même par le biais d’une dialectique négative. Pour paraphraser une formule de Jünger: Nietzsche présente le côté face de la médaille, celle que façonne la conscience.
Bloy a été banni, côté pile. Il est demeuré jusqu’à aujourd’hui un auteur ésotérique. Ses textes, nous rappelle Jünger, sont “hiéroglyphiques”. Ils sont “des œuvres, pour lesquelles, nous lecteurs, ne sommes mûrs qu’aujourd’hui seulement”. “Elles ressemblent à des banderoles, dont les inscriptions dévoilent l’apparence d’un monde de feu”. Mais malgré leurs différences Nietzsche et Bloy constituent, comme Charybde et Scylla, la porte qui donne accès au 20ième siècle. Impossible de se décider pour l’un ou pour l’autre: nous devons voguer entre les deux, comme l’histoire nous l’a montré. Bloy et Nietzsche sont les véritables Dioscures du maëlström. Peu d’observateurs et d’analystes les ont perçus tels. Et,dans ce petit nombre, on compte le catholique Carl Schmitt et le protestant Ernst Jünger.
Si nous posons cette polarité Nietzsche/Bloy, nous considérons derechef que l’importance de Bloy dépasse largement celle d’un “rénovateur du catholicisme”, posture à laquelle on le réduit trop souvent. Dans sa préface à ses propres “Strahlungen” ainsi que dans bon nombre de notices de ses “Journaux”, Ernst Jünger cite Bloy très souvent en même temps que la Bible. Car il a lu Bloy et la Bible en parallèle, comme le montrent, par exemple, les notices des 2 et 4 octobre 1942 et du 20 avril 1943. C’est à partir de Bloy que Jünger part explorer “le Livre d’entre les Livres”, ce “manuel de tous les savoirs, qui a accompagné d’innombrables hommes dans ce monde de terreurs”, comme il nous l’écrit dans la préface des “Strahlungen”. Bloy a donné à Jünger des “suggestions méthodologiques” pour cette nouvelle théologie, qui doit advenir, pour une “exégèse au sens du 20ième siècle”.
Mais Jünger place également Bloy dans la catégorie des “augures des profondeurs du maëlström”, parmi lesquels il compte aussi Poe, Melville, Hölderlin, Tocqueville, Dostoïevski, Burckhardt, Nietzsche, Rimbaud, Conrad et Kierkegaard. Tous ces auteurs, Jünger les appelle aussi des “séismographes”, dans la mesure où ils sont des écrivains qui connaissent “l’autre face”, qui sentent arriver l’ère des titans et les catastrophes à venir ou qui les saisissent par la force de l’esprit. Dans “Le Mur du Temps”, Jünger nous rappelle que ces hommes énoncent clairement leur vision du temps, de l’histoire et du destin. Trop souvent, dit Jünger, ces “augures” s’effondrent, à la suite de l’audace qu’ils ont montrée; ce fut surtout le cas de Nietzsche, “qu’il est de bon ton de lapider aujourd’hui”; ensuite ce fut aussi celui de Hamann qui, souvent, “ne se comprenait plus lui-même”. On peut deviner que Jünger, à son tour, se comptait parmi les représentants de cette tradition: “Après le séisme, on s’en prend aux séismographes” —modèle explicatif qui peut parfaitement valoir pour la réception de l’œuvre de Jünger lui-même.
Le chemin qui a mené Jünger à Bloy ne fut guère facile. Jünger le reconnait: “Je devais surmonter une réticence (...) —mais aujourd’hui il faut accepter la vérité, d’où qu’elle se présente. Elle nous tombe dessus, à l’instar de la lumière, et non pas toujours à l’endroit le plus agréable”. Qu’est-ce donc que cet “endroit désagréable”, qui suscite la réticence de Jünger? Dans sa notice du 30 octobre 1944, rédigée à Kirchhorst, Jünger écrit: “Continué Léon Bloy. Sa véritable valeur, c’est de représenter l’être humain, dans son infamie, mais aussi dans sa gloire”. Pour comprendre plus en détail cette notice d’octobre 1944, il faut se référer à celle du 7 juillet 1939, qui apparaît dans toute sa dimension drastique: “Bloy est un cristal jumelé de diamant et de boue. Son mot le plus fréquent: ordure. Son héros Marchenoir dit de lui-même qu’il entrera au paradis avec une couronne tressée d’excréments humains. Madame Chapuis n’est plus bonne qu’à épousseter les niches funéraires d’un hôpital de lépreux. Dans un jardin parisien, qu’il décrit, règne une telle puanteur qu’un derviche cagneux, qui est devenu l’équarisseur des chameaux morts de la peste, serait atteint de la folie de persécution. Madame Poulot porte sous sa chemise noire un buste qui ressemble à un morceau de veau roulé dans la crasse et qu’une meute de chiens a abandonné après l’avoir rapidement compissé. Et ainsi de suite. Dans les intervalles, nous rencontrons des sentences aussi parfaites et vraies que celle-ci: ‘La fête de l’homme, c’est de voir mourir ce qui ne paraît pas mortel’ “.
Bloy descend en profondeur dans le maëlström, les yeux grand ouverts. Cela nous rappelle la marche de Jünger, en plein éveil et clairvoyance, à travers le “Foyer de la mort”, dans “Jardins et routes”. Ce qui m’apparaît décisif, c’est que Bloy, lui aussi, indique une voie pour sortir du tourbillon, qu’il ressort, lui aussi, toujours du maëlström: “Bloy est pareil à un arbre qui, plongeant sa racine dans les cloaques, porterait à sa cime des fleurs sublimes” (notice du 28 octobre 1944). Cette image d’une ascension hors des bassesses de la matière, qui s’élance vers le sublime de l’esprit, nous la retrouvons dans la notice du 23 mai 1945, rédigée à la suite d’une lecture du texte de Bloy, “Le salut par les juifs”: “Cette lecture ressemble à la montée que l’on entreprend dans un ravin de montagne, où vêtements et peau sont déchiquetés par les épines. Elle trouve sa récompense sur l’arête; ce sont quelques phrases, quelques fleurons qui appartiennent à une flore autrement éteinte, mais inestimable pour la vie supérieure”.
“On doit prendre la vérité où on la trouve”
Dans la pensée de Bloy, Jünger ne trouve pas seulement une véhémence de propos qui détruit toutes les pesanteurs de l’ici-bas, mais aussi les prémisses d’un renouveau, d’une “Kehre”, soit d’un retournement, des premières manifestations d’une époque spirituelle au-delà du “Mur du temps”, quand les forces titanesques seront immobilisées et matées, quand l’homme et la Terre seront à nouveau réconciliés. Nous ne pouvons entamer, ici, une réflexion quant à savoir si Jünger comprend la pensée sotériologique de Bloy de manière “métaphorique”, comme tend à le faire penser Martin Meyer dans son énorme ouvrage sur Jünger, ou s’il voit en Bloy la dissolution du nihilisme annoncé par Nietzsche —cette thèse pourrait être confirmée par la dernière citation que nous venons de faire où l’image de l’épine et de la peau indique un ancrage dans la tradition chrétienne. Mais une chose est certaine: Bloy a été, à côté de Nietzsche, celui qui a contribué à forger la philosophie de l’histoire de Jünger. “Les créneaux de sa tour touchent l’atmosphère du sublime. Cette position est à mettre en rapport avec son désir de la mort, qu’il exprime souvent de manière fort puissante: c’est un désir de voir représenter la pierre des sages, issue des écumes les plus basses, des lies les plus sombres: un désir de grande distillation”.
Alexander PSCHERA.
(article tiré de “Junge Freiheit” n°09/2005; trad. franç. : Robert Steuckers).
Alexandre Pschera est docteur en philologie germanique. Il travaille actuellement sur plusieurs projets “jüngeriens”.
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jeudi, 08 mai 2008
El cine francés y su complejo de culpabilidad
El cine francés y su complejo de culpabilidad
Infokrisis.
-Durante una semana hemos visto una película de cine francés al día, lo suficiente como para hacernos una idea del estado de esta industria en el vecino país. Resumimos: el cine francés está también en crisis, no tanto de creatividad como de contenidos. Siete películas bastan para advertir esta crisis. El cine francés, dominado por el progresismo, no ha conseguido escapaz de un complejo de cumpabilidad que arrastra desde los tiempos de la guerra de Argelia y que despues de la intifada de noviembre de 2005 aspira solo a hacerse perdonar.
1. El cine francés en crisis
El cine español está en crisis por falta de creatividad y porque el grueso de la industria está acaparado por una camarilla progresista habituada a vivir de subvenciones. No es que el sistema de subsidios sea malo… es que se entrega para hacer las peores películas absolutamente infumables que jamás hubieran encontrado inversores privados.
No es este el problema que tiene el cine francés. Todavía quedan rastros de creatividad y, lo que es mejor, medios técnicos, se percibe un mayor dominio del lenguaje cinematográfico e incluso hay actores con tablas. Ahora bien…
Ambas industrias, tanto en España como en Francia, mueren de “progresismo”. El progresismo se traduce en una vaga orientación “de izquierdas” que comparte unos cuantos mitos, muy simples y una pretendida intelectualidad que, a la postre no es más que superficialismo.
Las siete películas que hemos visionado pertenecen a distintos géneros y, en cierto sentido, la mayoría son incompletas: a todas les falta algo. A algunas como Asterix y los Juegos Olímpicos, las carencias son dramáticas porque lo peor que puede ocurrir con una película de humor es que, precisamente, no tenga absolutamente ningún gag que suscite una sonrisa. Otras son un despropósito de principio a fin, como Escondido, y otras que responden al tradicional género negro en el que el cine francés siempre se ha movido bien, son correctas pero olvidables: Borrachera de poder y Asuntos pendientes. En una palabra: se trata de películas incompletas que, en sí mismas, ya indican un estado de crisis. Cuando se rasca un poco esta primera impresión se ve reforzada.
2. Asterix como Mortadela
La última entrega de Asterix es una película completamente frustrada que recuerda extraordinariamente los dos Mortadelo y Filemón perpetradas por los hermanos Feser. No hay nada peor en el cine que no adecuar una película a un público concreto. Aparentemente, todas estas películas van dirigidas a niños y adolescentes. El cómic de Ibáñez fue ideado para ser leído en la infancia y adolescencia. Uno amigo psiquiatra me comentaba que siempre recomienda la lectura de este cómic a quienes sufren de depresión. Es decir, cuando un adulto lee el Mortadelo y Filemón es, o bien porque no ha madurado suficientemente, o porque tiene un conflicto depresivo y precisa huir de los problemas, o bien para recordar su infancia. Y otro tanto por lo que se refiere a Asterix.
Ahora bien, cuando en Asterix se multiplican los guiños que solamente pueden ser entendidos por mayores de 45-50 años (la aparición del crepuscular Alain Delon en el papel de César, recitando la relación de las películas que ha protagonizado), es que se ha producido un error de enfoque, como cuando llevé a mi hija de 12 años a ver Mortadelo y Filemón lo más sorprendente era el lenguaje absolutamente barriobajero, repleto de tacos y de obscenidades aptos para cualquiera, menos para niños.
Ambas películas tienen también un elemento común, presente sobre todo en el cine americano: el fiarlo todo a los efectos especiales que dominan por encima de cualquier rastro de guión. Hace falta ser un público muy fiel y abnegado de Santiago Segura para poder esbozar un rastro de sonrisa ante su participación en la última entrega de Astérix. Ambas películas, así mismo, tienen como denominador común su falta de sentido del humor y la inexistencia de gags que no sean facilotes y de muy escasa brillantez.
Si este es el último cine de humor que nos llega de Francia, cabe decir que es un cine frustrado.
2. Cine político, cine policíaco
En los años 60 y 70 el cine político francés, el llamado “cine comprometido” tenía cierto empuje, incluso en su vertiente humorística. En el fondo, las mejores muestras de “cine político” de principios de los años 70, La Aventura es la aventura, es un desmadrado film en el que queda denunciada la manipulación del terrorismo, la estupidez de las guerrillas castristas iberoamericanas y la frivolidad del Estado a la hora de tratar los grandes problemas, que visto casi cuarenta años después de ser rodado, conserva todavía un humor frecuentemente propenso, no a la sonrisa sino a la carcajada.
Frente a esta película que, en realidad, constituyó una excepción en el cine político (ya se sabe que para la izquierda progresista, “lo político” es casi sinónimo de lo plúmbeo y trascendental) que acaparó casi en exclusiva Costa Gavras y sus actores de culto: Gian María Volonté e Yves Montand. Hoy todo este cine ha desaparecido. Los primeros en negarse a filmar algo así son los progresistas, en primer lugar porque sus conocimientos políticos son exiguos y en segundo lugar porque denunciar al poder puede cerrar puertas.
Hay que ver películas de otros géneros –especialmente del policíaco- para poder advertir alguna pincelada política. Borrachera de poder es una de esas películas que tienden a denunciar los mecanismos de corrupción como trasfondo de una historia personal. En este caso es la vida privada de una jueza estrella la que constituye lo esencial de la historia. La jueza investiga una trama en la que, a medida que va avanzando, cobra forma una formidable trama de corrupción en la que están ligados representantes del poder políticos (diputados del partido del gobierno), jueces estrella, etc. No es lo esencial, porque la sociedad francesa, como todas las sociedades europeas, está dando progresivamente la espalda a la política y sería absurdo situar en el centro de la trama la corrupción política, algo que se da por hecho y por lo que nadie paga un euro para verlo.
La otra película es, formalmente bastante mejor; se estrenó en España con el nombre de Asuntos Pendientes y cuenta la historia de dos jefes de grupos policiales enfrentados. La película es extremadamente realista en cuanto a los tics que afectan a las policías de toda Europa: corporativismo, no de cuerpo, sino de grupo operativo, permanente contacto con la delincuencia, para detenerlos o para recibir de ellos confidencias, conflictos familiares, una delincuencia cada vez más brutal y vengativa, etc. Hace falta estar pendientes para poder ver en esta cinta un pálido cine político: el fantasma de la corrupción se traslada aquí del medio inmobiliario en el que lo había situado Borrachera de poder, para concentrarlo en la corrupción policial: no asciende el mejor, sino el que hace más perrerías para copar el mando. Como en la sociedad politica.
De todos, éste es, sin duda, el mejor cine francés que se hace hoy.
3. Las grandes películas históricas quedan atrás
Ninguna de estas siete películas que hemos elegido por haber sido filmadas recientemente recogen la temática histórica. Parece que el cine francés ha renunciado a realizar más incursiones en este campo en el que en los últimos quince años había hecho verdaderas maravillas de creatividad. Ahí queda Cyrano de Bergerac, Vidoq o La Reina Margot. Estas tres películas serán recordadas por cierto barroquismo en su ejecución pero con una fluida narración y un montaje sin fisuras. Nada parece que haya aportado en este terreno el cine francés en los últimos cinco años.
Si esto es así es porque cada vez la historia interesa menos a la población que vive en Francia. Somos conscientes de lo que decimos: ¿cómo va a interesar la masacre de San Bartolomé, la obra de Rostand o el París de mediados del XIX a una población que cada vez es menos francesa? El cine francés está cambiando porque está cambiando el sustrato sociológico de Francia. Es así de sencillo. Cuando el 60% de los menos de 18 años en el Gran París son de origen extranjero, está claro que ninguna película situada en otros tiempo y que tenga alguna relación con la historia de Francia, puede interesar a esas nuevas generaciones.
Dentro de poco, en España será imposible filmar un Alatriste en España, porque la historia del Siglo de Oro interesará muy poco a escolares desinteresados completamente por la historia del país que les ha acogido a ellos y a sus padres. Y, realmente, no se lo podemos reprochar. Seguramente nosotros experimentaríamos la misma sensación –incluso de repugnancia- si nos encontráramos en Bolivia o Perú y nos explicaran los sacrificios humanos realizados por los sacerdotes incas. Cada cual tiene una identidad propia, habitualmente la que corresponde al país, sino donde ha nacido, sí al menos con la cultura de sus padres.
4. Hacerse perdonar la colonización
Lo más sorprendente es que sobre siete películas, cuatro tienen que ver con la inmigración argelina en Francia. Es más de un 50% y seguramente no lo es por casualidad. En noviembre de 2005, la mentalidad de los progresistas sufrió un duro golpe que todavía están intentando metabolizar: la intifada de los africanos de origen llegados con la inmigración.
Para un progresista resulta absolutamente imposible que en el paraíso de las libertades que es Francia, se produjera un acontecimiento como la intifada de noviembre. Y si se ha producido solamente puede haber sido porque los franceses hayan hecho algo mal.
Desde la guerra de independencia argelina, la izquierda francesa vive un complejo de inferioridad que jamás ha logrado superar. Esa izquierda defendió entusiásticamente al FLN que asesinaba a franceses de las maneras más horribles, y sostuvo la conveniencia de que Argelia fuera independiente negándose a reconocer que el FLN terminaría asesinando al último francés que quedara sobre su territorio y a los propios argelinos que colaboraron con la administración francesa (los harkis). Cuando ocurrieron las masacres y cuando los pieds noires debieron abandonar su tierra natal, sus viñas, sus industrias y el país que ellos habían construido. Y, aun así, la izquierda francesa siguió manteniendo la justeza de sus posiciones. Ya entonces, la izquierda había sido ganado por la ideología del enemigo: “el colonialismo era la peste”.
En los siguientes cuarenta años, la izquierda francesa, el progresismo ha seguido considerando que el colonialismo supone la peor afrenta y ha seguido asumiendo un complejo de culpabilidad (por el carácter colonizador de Francia) inducido por el antiguo enemigo: “Francia tiene que pagar la colonización” y el pago es recibir sin límite más y más inmigración procedente de Argelia. Este proceso se ha repetido en España con la inmigración andina, alguno de cuyos gallitos peleones a insistido en que ellos tienen todo el derecho a venir aquí y a ser mantenidos por el Estado “a causa de la colonización”.
Cuarenta y cinco años después del abandono de Argelia y de las masacres ocasionadas por el FLN, el progresismo ha comprobado en la intifada de 2005 que Fancia “todavía no había pagado la deuda con los colonizados”. Y la izquierda francesa ha tenido miedo de lo que ha visto. En el fondo 10.000 coches ardiendo en apenas 20 días, no son como para tomárselos a broma. Los propios periodistas políticamente ubicados a la izquierda vieron sorprendidos como los revoltosos de noviembre los golpeaban, les robaban y destrozaban las cámaras y, sobre todo, vieron la violencia irracional de la revuelta. Sólo que la interpretaron al margen de cualquier objetividad: Francia seguía sin dar todo lo que los pobres excolonizados merecían. Por eso reaccionaban violentamente.
Al complejo de culpabilidad que la izquierda francesa siempre había tenido, se sumó el miedo. A partir de ese momento, ya se trataba solamente de pedir perdón de rodillas y si era necesario dejarse sodomizar por el colonizado. Así surgió el “nuevo cine francés”.
En Días de Gloria, se cuenta la historia de una unidad argelina que combate en el ejército francés y que es tratada sin miramientos por sus superiores. Casi todos mueren en combate. Son discriminados, se les exige más y se les alimenta menos… El mensaje de la película es claro: no solamente Francia no ha pagado la colonización sino que se tendrá que rascar el bolsillo porque tampoco ha pagado la contribución de lo argelinos y senegaleses al esfuerzo bélico…
Pero si había una barrera que podía romperse en esta tendencia a victimizar al argelino y culpabilizar al francés, esta se rompe en Escondido. El argumento es extremadamente ilustrativo: una familia feliz y que vive en el lujo empieza a recibir vídeos que indican que son observados. Siguiendo las pistas llegan a uno de los barrios argelinos de París, allí el protagonista encuentra a una persona madura, enferma, acabada, argelino, que había conocido en su infancia en la finca de sus padres. Los padres del argelino, trabajadores en esa factoría, mueren durante una manifestación de apoyo a la independencia de Argelia. El niño argelino es adoptado por los padres del protagonista, pero siente unos celos irracionales, así que se las ingenia para que el argelino sea recluido en un orfanato. Más de cuarenta años después, el argelino aparece como fracasado, con una vida incompleta, rota por la acción innoble del protagonista cuando era niño. El argelino y su hijo resultan detenidos como sospechosos de coaccionar a la familia con los extraños vídeos de vigilancia, son humillados y maltratados en la comisaría. Y finalmente, el desgraciado argelino se suicida delante del protagonista.
Lo sorprendente de la película es que los argelinos que aparecen en la película son calmados, mesurados, pacientes, extremadamente refinados en sus ademanes, en absoluto violentos o agresivos, incluso se evitar mostrar en el atrezzo y en los escenarios sus vínculos con la religión islámica. En contrapartida, todos los franceses que aparecen en la trama son mezquinos, violentos, agresivos, farsantes y mentirosos. Si hay maniqueismo en el cine, está concentrado en esta película.
La película parece incompleta: termina sin que se sepa, a fin de cuentas, quién envía los vídeos que presionan a la familia francesa. En realidad, no es nadie. Los vídeos son una perífrasis simbólica de la conciencia de los franceses que SABE que DEBE algo a los argelinos y que se niega a pagar.
Análogo mensaje se encuentra en una de las historias que componen uno de los retablos incluidos en la película París, je t’aime. Aquí si que está presente la vinculación de los argelinos al Islam. Una chica argelina es insultada por un grupo de jóvenes franceses (¿y por qué no por un grupo de subsaharianos o de vietnamitas?), pero uno que va con ellos le pide disculpas y la sigue hasta la mezquita central de París. Allí le presentan al abuelo de la chica, un piadoso musulmán. Cambian unas palabras. La historia termina ahí. Apenas ha durado 10 minutos, las suficientes como para mostrar a la comunidad argelina como sensata, serena y relajada, fieles moderados de una religión de paz y de fraternidad.
En la película Obras en Casa una especie de remake de Esta casa es una ruina, se suceden distintas brigadas de obreros extranjeros, todos simpáticos y encantadores, muy mejorados en relación a los modelos originales.
Todas estas películas confirman la visión maniquea de los directores progresistas franceses: inmigrantes-buenos, franceses-malos. Da la sensación de que están pidiendo de rodillas perdón: perdón por la colonización, perdón porque los subsidios y las ayudas sociales son inferiores a las que desearían los receptores, perdón por la guerra de Argelia, perdón por no haber entregado la Legión de Honor a todos los magrebíes o subsaharianos que combatieron con los aliados, perdón por haber reprimido la intifada en 2005… Perdón, perdón, perdón. Es como si dijeran: “Dejadnos vivir, estamos con vosotros, os comprendemos, os admiramos, sois los mejores ciudadanos que viven en Francia”. Perdón porque nosotros somos ricos y vosotros pobres.
La izquierda francesa sigue con la misma moral que en el tiempo de la guerra de Argelia cuando el Partido Comunista de Francia, se regocijaba con las emboscadas que los terroristas argelinos realizaban a los soldados de leva franceses.
* * *
Todas estas películas que hemos comentado aquí están a disposición de nuestros amigos a través de la red edonkey y puede “bajarse” con emule o con cualquier otro programa de P2P. Ya que pagamos canon, cualquier cosa que bajemos es lícito. No creo que la SGAE les pase la parte alícuota del canon digital a las productoras francesas. Probablemente eso será la único bueno que haya hecho la SGAE.
© Ernesto Milà – Infokrisis – Infokrisis@yahoo.es – http://infokrisis.blogia.com
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