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dimanche, 06 décembre 2020

Jean Parvulesco: La lumière blanche de la lune, la folie et la mort - Der Tag der Idioten, Un film de Werner Schroeter

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Un texte de Jean Parvulesco :

La lumière blanche de la lune, la folie et la mort

Der Tag der Idioten, Un film de Werner Schroeter

Mettons que, tous comptes faits, ils sont déjà et qu’ils seront de plus en plus nombreux les heureux privilégiés qui, à la faveur de divers essayages techniques, projections privées et autres occasions par la bande pourront voir, avant sa future représentation à Cannes, le dernier film de Werner Schroeter, Der Tag der Idioten, Jamais la vie en français (que moi je traduirais, en l’occurrence, par Une Saison en Enfer). 

thumb_56919_film_poster_976x535.jpegŒuvre opaque et sur-compactée, ramassée sur elle-même comme le coquillage d’une bête apocalyptique, cachant, au fond des gouffres océaniques, le secret de ses entrailles à la fois éblouissantes et obscènes, infiniment, intolérablement obscènes, mais qui attend aussi l’heure prévue de la future remontée au jour de l’affliction la plus grande de la terre, le film de Werner Schroeter traite clairement de la folie. De la folie ordinaire, comme le dit le cher Charles Bukowski, mais aussi de la folie extraordinaire, la très-grande ; entre autre, de la folie allemande, ainsi que de la folie érotique, doucereuse et mystique de ceux qu’un Antonin Artaud appelait les suicidés de la société.  En effet, dans un monde éperdument en proie aux puissances de ténèbres qu’il s’invente et s’impose à lui-même, victime hébétée de la honte sans nom et du crime qu’il secrète sournoisement au jour le jour, et celles-ci, les puissances de ténèbres, déjà assez sûres d’elles-mêmes et de leur invincibilité séculière pour qu’elles finissent par se présenter le visage découvert et parées de toutes les insignes de leur gloire, dans ce monde dis-je, ou d’évidence nous avons depuis si longtemps déjà perdu la partie, le folie acharnée, responsable d’elle-même ou qui se figure encore pouvoir l’être, la folie réfugiée ou reléguée au centre le plus obscur de ses propres déploiements, - la contre-folie peut-être - ne représente-t-elle pas le dernier abri, le bunker fantasmagorique, pitoyable mais, en même temps, irréductible pour le petit nombre de ceux qui se souviennent encore des temps d’avant ou pour ceux qui s’imaginent qu’ils puissent encore s’en souvenir impunément ?

Le refus de l’anti-folie

L’aliénation définitive et tragique de soi-même il ne s’agit plus aujourd’hui de la combattre, parce qu’elle est tout ce qui, en nous-mêmes, de nous-même, se veut encore vivant : l’aliénation de nous-mêmes reste notre dernier nous-mêmes, le dernier souffle de vie en nous. Toutes les folles du film de Werner Schroeter ne se survivent que par les noces furieuses, mais en même temps sereines plus qu’on ne saurait le supporter, qu’elles sont amenées à célébrer sans cesse avec leur propre aliénation agissante, avec le pauvre cadavre enterré en elles-mêmes de leur identité d’avant, du néant pétrifié de leur être d’avant le premier cri du dehors. Ce qu’il faut donc, désormais, c’est ramer insidieusement, s’insinuer, se battre, l’écume aux lèvres, cogner aveuglément, bestialement pour arriver au dernier degré de la folie dans son ultime noyau de tranquillité certaine : la folie se doit d’être feinte jusqu’à ce qu’elle devienne vraie folie, folie ardente, folie essoufflée, folie, et ensuite rien ; folie sans désir de folie, folie tout court, folie tout à fait ordinaire. Car, à partir de la ligne rouge du renversement général de la folie, le Paradis se cache liturgiquement au cœur ultime des Enfers de même que, sous l’influence de l’étrange diacre Pâris, certaines religieuses de belle foi en étaient venues à s’intimer des stages de contrition dans les maisons de tolérance du putanat le plus sombre et le plus bas qu’eût entretenu Paris sous le règne déjà pas mal en flamme de Louis XV. Il y a là de fort rudes batailles qui se donnent. Qu’on le sache ou pas, des batailles aux réverbérations si ce n’est aux retentissements cosmiques. Mais il y a des choses dont on ne doit guère causer.

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Aussi la folie vraie est elle-même une voie, un sentier dérobé vers ce qui, au-delà de sa propre expérience directement vécue, accomplie jusqu’à la fin et comme bue à la lie, la dépasse et l’annule : l’anti-folie, disions-nous, faute de mieux.

Telle sera donc la carrière suprêmement spirituelle, eucharistique dirais-je même – il y a un sens original du terme, bien plus terrible que celui de son acception catholique actuelle - que poursuit Carole Bouquet dans ce film-piège, film visant à se vouloir, très sournoisement, une espèce de Vierge de Nuremberg morale et y parvenant assez parfaitement, car elle, Carole Bouquet, n’hésitera pas, de son côté, à utiliser ce film, - et, pour l’utiliser, elle s’y précipitera comme dans le puits noir d’un suicide rituel – à la manière d’une machination suractive, comme une conspiration au second degré lui permettant (lui ayant permis) à elle, Carole Bouquet, de parvenir jusqu’au cœur immobile, jusqu’au cœur en fer noirci de sang où apparaît l’anti-folie, c’est-à-dire la mort. Je veux dire la mort en tant que telle, chose qui ne me paraît nullement impossible à affirmer dans ce contexte.

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De toute façons, quelle plus irrévocable humiliation pour la folie que son assujettissement à la mort, que la désertion de la mort ? Faire semblant de s’approcher de la folie comme d’un but en soi et, la trahison dans l’âme n’y voir qu’un mince sentier de prostitution, mobilisé pour qu’il fasse rejoindre subversivement les parages immédiats de la mort alors même que l’on fait si bien semblant de céder aux vertiges les plus réputés de la démence et de ses abattements, de ses mélancolies qui donnent le change.

Le pari halluciné de Carole Bouquet

Ce fut donc là le pari halluciné de Carole Bouquet (et je ne suis pas même certain que Werner Schroeter, lui, aura tout eu à comprendre de ces manigances de bonnes femmes dans le pressoir ou qu’il se résignât vraiment à prendre les choses ainsi). Car jamais, dans l’histoire actuelle du cinéma, l’être propre d’une comédienne n’a eu à s’offrir et de s’est vu offert avec plus d’élégance étudiée, insouciante aussi, et jeune, adolescente même et comme musicale à la fin, avec plus d’acharnement, de rage et de honte exaltée et exaltante aux jeux dramatiquement coupables et troublés en profondeur, aux jeux morbides et, finalement, tout à fait mortels du franchissement clandestin des chemins de sa propre mise à l’épreuve face à la folie, et ensuite dans la folie elle-même et au-delà de la folie, soudain, face à la mort et à la fin de tout comme poussée, elle-même, par derrière, brutalement, dans la mort. Il faut avouer, reconnaître que tout cela n’est quand même pas rien, loin de là. Se jouer ainsi de la folie, jouer de la  folie jusque dans le cœur même de la folie de la folie, jusque dans le cœur le plus inviolable, le plus sombre et le plus émietté, le plus cendreux de la folie et en sortir quand même par les portes hypnagogiques de la mort, et de la mort la plus ordinairement qualifiée, telle est l’aventure essentiellement infernale – et exemplaire s’il en fût, cette aventure , pour nous autres, chercheurs paranoïaques de toutes les passes interdites – dont Carole Bouquet s’est chargée de faire sien le mystère vivant dans ce film, ou plutôt à travers le film où elle a plus ou moins persuadé Werner Schroeter à l’y engager sans aucune espèce de retenue.

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Et pourtant, il ne serait pas très intelligent de se laisser prendre à la doctrine affirmative, extérieure, de ce film, à ses écailles en surface, écailles mouvantes, et qui coupent mortellement, pas très intelligent de se laisser capturer de part en part en lui de son seul dit, qui fascine et qui sait convaincre : la part du non-dit y est immensément plus armée de mystère, plus significativement engagée dans le sens d’un avenir encore lointain, bien lointain peut-être, mais qui, lentement, je le sais, reviendra compréhensible, puissant et clair. C’est le sacrifice acharné, somme toute relativement démentiel et comment dire, trans-sanctifiant même de Carole Bouquet qui s’y auto-immole et bien plus encore, qui s’y auto-mutile à la folie la plus noire, à la folie grassouillette et grisâtre qui véhicule la mort imbécile et si peu sanglante des autres, des sous-être mis à sa disposition, de ses compagnes d’hospice, de masturbation et de crétinisme sans remède, ses pauvres sœurs captives des bourbiers capricieux d’une Apocalypse sans cesse interrompue dans ses élans comme par une espèce de coïtus interruptus justicier et valétudinaire, toujours menteur, trouve sa contrepartie occulte dans les gesticulations infâmes, dans l’écoeurante dérision des bas-restes, des haillons immondes qui signalent, ici et là, au cours du film, pareils à du vomi anonyme le long du couloir étincelant de l’hospice où tout se fait et se défait, trouve sa contrepartie occulte, dis-je, dans je ne sais quels antécédents, catholiques, du discours général, rémanent et parasitaire, dans un certain bégaiement christologique des sous-êtres-là et des choses informes qui les gardiennent. Carole Bouquet, en effet, va prendre sur elle toutes les ténèbres et toutes les nuits, la souillure abyssale, la mort et l’angoisse hallucinée de ce monde en les faisant clandestinement et comme très amoureusement siennes : ainsi Carole Bouquet les arrache-t-elle à elles -mêmes, ces épouvantables misères de la chair, de l’âme et de la conscience en putréfaction avancée dont elle s’est imposée le spectacle de cauchemar éveillé, et, en les arrachant à elles-mêmes, se les approprie eucharistiquement et les annule, parce que c’est en les faisant siennes, en les mangeant mystiquement et en les faisant brûler dans ses divines entrailles qu’elle en désarme la mainmise et la honte sur elles, la mainmise paroxystique du néant à l’œuvre dans sa propre Maison d’œuvres. Et c’est alors que le non-dit du film, le non-dit de la prestation secrète, illégale, de Carole Bouquet flambe, soudain, dans le creux, dans le mince sillon ardent et profondément caché où s’éclatent les termes d’une dialectique malgré tout christologique, porteuse non d’un voile de lin blanc ni même d’une nappe de sang, mais de la suie abjecte et apparemment non-significative que l’on recueille sur le visage estropié de ces crétines, de ces folles expulsées de l’être et du néant, somptueux gibier de latrines pour ceux qui savent et plus encore pour ceux qui osent.

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Nue, à jamais nue

Or la marque angéliquement limpide de ceux qui en sont, de ceux qui ont osé, va apparaître là avec la nudité impitoyable et sauvage, avec la déchirante nudité de Carole Bouquet à l’œuvre : exhibitionnisme transcendantal de son  sexe dans un des premiers plans du film, de sa belle chair magnétique, cuite et recuite et comme noircie, voilée par les feux invisibles des regards de ses saldingues d’apparat, qui dévorent et qui calcinent, nudité extatique de ses longs cheveux noirs qui, minces serpentes de mercure, véhiculent les rayons de la Lune Noire, nudité même de l’intérieur de sa bouche, flamboyant de pourpres et d’écarlate comme une nova qui viendrait à peine d’exploser quelque part dans l’Alpha du Centaure, nudité toute puissante jusque dans la couleur même de ses yeux, ce vertigineux bleu profond, nocturne et sélénaire, glacial, appel désespéré à quelle aurore boréale à venir, bleu sidéral et océanique, interdit d’azur et qui proclame subversivement le règne de la nouvelle Glazialkosmogonie hörbigerienne, notre patrie perdue et l’éternité même d’un souvenir intact.

Mais que dit Régis Debray ? Il dit que d’où l’on se suppose parti, là il faut aller se reposer. Aussi doit-on, à la toute dernière limite de cette approche, se dire qu’il faut voir et comprendre Der Tag der Idioten de Werner Schroeter comme une sorte d’inversion ordurière des grands Jeux Olympiques filmés à Berlin, en 1936, par Leni Riefenstahl, un songe mort-né que l’on s’évertue de contempler dans un miroir infernalissime, dans un miroir plus noir que noir – nigra nigrum nigrius disent les textes alchimiques traditionnels – alors que, à l’intérieur d’un songe profond et comme éveillé, Carole Bouquet elle-même s’y laisserait surprendre comme une autre Leni Riefenstahl, mais les yeux arraché, mutilée, anéantie à Treblinka ou d’ailleurs (qu’importe, en fait, puisque Treblinka, aujourd’hui, est partout, en nous-mêmes, et hors de nous, sournoisement, bestialement), vidée de ses propres entrailles, qui furent d’un rose si céleste et soyeux, piétinée et déchiquetée dans sa propre pourriture d’être à la fois vivante et non-vivante, à peine gigotante encore, la bouche remplie de son propre sang comme on la surprend dans le dernier plan du film, son humble et tragique couronnement et la mise à jour de sa signification la plus occulte.

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La bouche remplie encore de son propre sang, mais qui parvient encore, du plus profond de sa déréliction, à tout faire sauter, à tout faire s’écrouler à la fin. Car, à la fin, l’hospice spécialisé en saldingues irrécupérables et suicidaires saute, s’écroule dans non-être et tout s’auto-anéantit avec lui. Ainsi le mot ultime, le mot d’au-delà de tout mot, ainsi le dernier secret sont dits, et bien plus encore, sont clairement prédits : tout, à la fin sautera, tout s’écroulera. Car la semblance extraordinairement parfaite et si belle de ce film prétend que c’est Carole Bouquet elle-même qui doit se trouver, et qui finira par se trouver clandestinement à l’origine de ce geste apocalyptique final, à l’origine, je veux dire, de cette Apocalypse indéfiniment rêvée, indéfiniment reportée.

Régis Debray encore : Parce qu’elle abîme, l’incomplétude oblige à réparer. Mais c’est irréparable. Irréparable quant à la totalité, quant à la mémoire interdite et déchue de l’ensemble antérieur.

Cependant Hölderlin, lui, ayant payé de prix que l’on sait, le prix même du salut et de la délivrance par la folie pénétrant au cœur même, au cœur ultime de la folie extatiquement immobile en elle-même, le prix royal et sous-abyssal de l’anti-folie, ne se demandait-il pas, précisément, au-delà de toute sémiologie vivante et agissante : j’aurai vécu un jour comme vivent les dieux, et que faut-il de plus ?

Mais les dieux, comment vivent-ils ? Dans l’oubli, héroïque et limpide, des gouffres qui les portaient, sur les cimes nues de l’anti-folie.

Ainsi ce que Werner Schroeter voulait faire, ce qu’il est parvenu à réaliser à travers ce plus que fascinant Der Tag des Idioten, il n’aurait pourtant pas pu le faire sans Carole Bouquet, je veux dire sans Carole Bouquet elle-même. Car la prédestination sera toujours infiniment plus forte que toute volonté de destin, et la terrible faiblesse lunaire du don total, de la soumission avide de soumission jusqu’à la mort ne manquera jamais de l’emporter sur la volonté des ténèbres extérieures puisqu’elle est encore elle-même, intérieurement, ténèbres et, dans ces ténèbres, impuissance et oubli de tout. Encore que, de toute façon, l’abîme appelle l’abîme.

La mort seule m’a appris la vie, me disait un jour Carole Bouquet. Nue, à jamais nue, elle sera donc, désormais, sans fin des nôtres.

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Hécate, elle-même Hécate

Je crois que l’on ne le sait que trop : les très grands films exigent impérativement qu’une relation médiumnique profonde et, surtout occulte depuis le début jusqu’à la fin, s’établisse plus ou moins honteusement entre le metteur en scène et le comédien à partir duquel il compte déployer l’espace intime de son dit (mais sait-il toujours, quel est, quel sera son véritable dit, le dit qu’il lui sera donné de dire ? ). Le centre de gravité ultime du film qui se veut appartenir au sommet de l’expression cinématographique se situe donc non dans la réalisation du film au niveau de l’image, au niveau de la matérialité immédiatement saisissable et montrable, mais dans les profondeurs existentielles ou quelqu’un parvient à faire accepter à quelqu’un d’autre de prendre aventureusement, héroïquement le parti sacrificiel de mourir à lui-même, de mourir à son être extérieur et avouable, pour céder la place, en lui-même, à ce qui, mystérieusement, en lui-même, appartient au non-monde du non-dit, à la tragédie permanente d’un monde dont les archetypes ardents se perpétuent mythologiquement – je veux dire à l’intérieur toujours, de la même mythologie – sans tenir compte de la marche de l’histoire des êtres visibles à la seule lumière du jour.

Aussi, qu’il s’agisse de la lumière de la nuit ou de la claire journée d’hiver en Allemagne, à la limite des neiges, dans Der Tag der Idioten ,la lumière intérieure du film n’est jamais que la lumière hypnagogique de la lune, maîtresse des songes secrets et de la mort.

C’est que Werner Schroeter a su arracher, aux plus interdites profondeurs vitales et magiques de Carole Bouquet, une autre Carole Bouquet, qui s’identifie secrètement, qui est devenue elle-même, en elle-même, Hécate, la déesse sanglante et toute puissante de l’autre lumière, la lumière de la lune.

Hymne et action de grâce inavouable à la Lune Noire, Der Tag der Idioten rend à Carole Bouquet sa véritable identité, son identité nocturne et lunaire, nous en dévoile la gloire sombre et les adorations dévastatrices d’Hécate, qui vit médiumniquement en elle et qui demeure en elle, comme depuis toujours.

Jean Parvulesco

Ce texte a été publié précédemment dans le « Cahier Jean Parvulesco » publié en 1989, aux éditions Nouvelles Littératures Européennes, sous la direction d’André Murcie et Luc-Olivier d’Algange.

« Théorie du complot » et comique de répétition

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« Théorie du complot » et comique de répétition

par Nicolas Bonnal

C’est du poumon que vous êtes malade

Le seul argumentaire du système, de ses intendants et de leur populace de téléphages est l’insulte tempérée par la menace. Quoiqu’on dise on est accusé de théorie de la conspiration avec un ricanement insultant et surtout menaçant.  Théorie de la conspiration rimera un jour avec camp de concentration pour les contrevenants et rime aussi avec le fameux comique de répétition. Pensez au poumon du Malade imaginaire de Molière, auteur qui n’a jamais été autant d’actualité : les Femmes savantes, les précieuses, le Malade imaginaire, Tartufe, le Bourgeois gentilhomme et surtout Georges Dandin, cocu à répétition des temps pseudo-cycliques.

Donc si l’on évoque Schwab, Davos, Gates, le mondialisme, l’ARN, l’ADN ou autres, on est accusé de complotisme sur un ton de précieux dégoûté. Cela montre que le système s’est renforcé/affaibli, qui peut s’établir sur une désertification intellectuelle bien globalisée.

Reprenons cette remarque extraordinaire de Guy Debord (il existe une bibliothèque pour l’insulter) sur ces mondialistes qui n’existent pas, ces vaccinateurs qui n’existent pas, ces banquiers qui n’existent pas, ce Reset qui n’existe pas, cet ADN qui n’existe pas, cette censure intégrale qui n’existe pas, cette élection volée qui n’existe pas, cette dictature qui n’existe pas, et tout le reste :

« La plus grande exigence d’une Mafia, où qu’elle puisse être constituée, est naturellement d’établir qu’elle n’existe pas, ou qu’elle a été victime de calomnies peu scientifiques ; et c’est son premier point de ressemblance avec le capitalisme. Mais en la circonstance, cette Mafia irritée d’être seule mise en vedette, est allée jusqu’à évoquer les autres groupements qui voudraient se faire oublier en la prenant abusivement comme bouc émissaire. »

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La cabale mondialiste (voyez mon livre Littérature et conspiration pour constater que Dostoïevski, Chesterton ou Jack London la voient venir en leur temps…) n’existant pas, ne peut exister qu’une méchante volonté de tout inventer pour mieux accuser. Il faut donc sanctionner et insulter les félons avant de pouvoir les enfermer. Et sur cette volonté de ne plus discuter mais d’insulter, qui repose sur la rage et l’impuissance (voyez le petit Blachier face au professeur Toussaint) Schopenhauer a déjà tout dit dans son fameux Art d’avoir toujours raison que l’on trouvera sur Wikisource :

« Lorsque l’on se rend compte que l’adversaire nous est supérieur et nous ôte toute raison, il faut alors devenir personnel, insultant, malpoli. Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que l’on a perdue), au débateur lui-même en attaquant sa personne…En devenant personnel, on abandonne le sujet lui-même pour attaquer la personne elle-même : on devient insultant, malveillant, injurieux, vulgaire. C’est un appel des forces de l’intelligence dirigée à celles du corps, ou à l’animalisme. C’est une stratégie très appréciée car tout le monde peut l’appliquer, et elle est donc particulièrement utilisée. »

Tout le monde peut l’appliquer, en particulier les journalistes ignares qui ne savent que répondre aux savants Toubiana ou Fouché qu’on leur oppose sur un plateau. Que ne peuvent-ils faire taire leur adversaire avec un pistolet ! On oppose parfois les pédants (Molière, toujours) aux savants, or les pédants ne publient rien sur le plan scientifique contrairement à Raoult par exemple.

519uxVU+iOL.jpgTout cela marche parce la bêtise s’est répandue industriellement et ce grâce aux médias. A tout seigneur tout honneur, la presse. Au milieu du dix-neuvième siècle le bon théologien Mgr Gaume écrivait déjà à propos de l’imbécillité positiviste :

« Vous avez des yeux, et vous ne voyez pas ; des oreilles, et vous n'entendez pas; une volonté, et vous ne voulez pas. Fruit du don d'entendement, le sens chrétien, ce sixième sens de l'homme baptisé, vous manque.  Il manque à la plupart des hommes d'aujourd'hui et à un trop grand de nombre de femmes. Il manque aux familles, il manque à la société, il manque aux gouvernants et aux gouvernés, il manque au monde actuel. Monde de prétendues lumière et de prétendu progrès, il ne reste pour toi qu'un dernier vœu à former, c'est que l'Esprit d'intelligence te soit donné de nouveau et te montre à nu l'abîme inévitable, vers lequel te conduit à grands pas l'Esprit de ténèbres, redevenu, en punition de ton orgueil, ton guide et ton maître. »

Car leur monde moderne est le monde des gogos, des consommateurs, des guerres mondiales, du totalitarisme à répétition. Et il veut finir glorieusement par un Reset et une extermination.

Baudrillard dans sa Guerre du golfe avait évoqué la fonction des médias dans le maintien d’une hébétude collective. Or Mgr Gaume rappelle :

« Le premier effet d'un pareil désordre, c'est l'affaiblissement de l'intelligence, hebetudo. L'âme et le corps sont entre eux comme les deux plateaux d'une balance : quand l'un monte, l'autre descend. Par l'excès du boire et du manger, l'organisme se développe, et l'esprit s'émousse, s'épaissit, devient pesant, paresseux, inhabile à l'étude et aux fonctions purement intellectuelles : ce résultat est forcé. Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es. En contact intime, habituel et coupable avec la matière, avec l'animalité, l'homme devient matière, il devient bête, animalis homo. »

En effet pour quelqu’un qui n’a pas envie de réfléchir ou de discuter (66%, 90%, 99%  des téléphages), l’accusation de théorie de la conspiration est bienvenue.  Elle est liée à une ignorance fumiste et  à une joie méchante, un ricanement (Blachier toujours à Toussaint : « vous êtes tellement con et conspiratif qu’on ne peut discuter avec vous… »). Et Gaume en parle de ce ricanement agressif, laïc et ploutocratique :

« Le second effet de l'esprit de gourmandise, c'est la folle joie, inepta laetitia. Devenue, par l'excès des aliments, victorieuse de l'esprit, la chair manifeste son insolent triomphe. Des rires immodérés, des facéties ridicules, des propos trop souvent obscènes, des gestes inconvenants ou puérils, des chants, des cris, des danses, des plaisirs bruyants, des fêtes théâtrales en sont l'inévitable expression. »

Alors on fait rentrer les bouffons  sur les plateaux télé, bouffons qui sont là pour ajouter plus de fausseté à l’esprit de ce monde. Et de parler du virus comme le faux médecin de Molière parle du poumon.

Sources:

Schopenhauer – L’art d’avoir toujours raison (Wikisource.org)

Mgr Gaume – Traité du Saint-Esprit, tome deuxième, pp. 472-474

Guy Debord – Commentaires, XXIII

Baudrillard – La Guerre du Golfe n’a pas eu lieu (Galilée)

Bonnal – Littérature et conspiration (Amazon.fr)

 

 

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Marxisme et ingénierie sociale. Une note sur le droit en tant que cause au sein du matérialisme historique

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Marxisme et ingénierie sociale. Une note sur le droit en tant que cause au sein du matérialisme historique

Carlos X. Blanco

La philosophie de Marx est, une "ontologie de l'être social" avant d’être une (pseudo)-science appelée « Matérialisme historique ». Eugenio del Río, dans L'ombre de Marx [La Sombra de Marx. Estudios sobre la fundamentación del marxismo (1877-1900), Editorial Talasa, Madrid, 1993] a critiqué la "faiblesse" de la méthode matérialiste historique de Marx. Une telle méthode devrait plutôt être appelée "rationalisme analogique" (p. 200).

Cette méthode consiste en ce que, sur la base de processus locaux et concrets, des propositions globales sont énoncées par extrapolation. C'est le cas du concept de "crise" et de l'entité qui est dissoute ou générée à la suite de cette crise, à savoir le "mode de production". La crise du féodalisme, un processus qui implique de nombreux processus sociaux, historiques et culturels, est le modèle pour parler de la crise du capitalisme qui a suivi : par analogie avec la façon dont la bourgeoisie a été - soi-disant - révolutionnaire face aux forces féodales réactionnaires, le prolétariat doit être considéré comme tout aussi révolutionnaire face à cette bourgeoisie déjà au pouvoir, elle-même parasitaire et tout aussi réactionnaire, etc. Il est pourtant bien clair que la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne n'ont absolument rien à voir l'une avec l'autre, que l'utilisation du terme commun "révolution", comme tant d'autres, tels "crise", "mode de production", etc. est purement analogique, sinon équivoque. Les processus qui ont conduit à la dissolution de la société féodale, y compris l'émergence d'un mode de production dominant de type capitaliste, sont complètement différents de ceux qui conduiraient à une dissolution du mode de production capitaliste et à l'émergence éventuelle d'un mode de production socialiste.

Le soi-disant "matérialisme historique" a pour science à la fois la connaissance descriptive (de chaque mode de production, de ses particularités) et la connaissance analogique (les qualités ou termes communs aux différentes formations sociales et aux différents modes de production). C'est autant dire qu'elle partage avec la "science" les aspects les plus rudimentaires et élémentaires de la connaissance humaine, et en aucun cas la possibilité de faire des prédictions. Le matérialisme historique est avant tout une connaissance historique, et cette connaissance est incompatible avec le processus même de la prédiction. Comme l'a dit Georges Sorel (cité par Eugenio del Rio, p. 200) : "L'histoire est entièrement dans le passé ; il n'y a aucun moyen de la transformer en une combinaison logique qui nous permette de prévoir l'avenir". Ce qui peut ressembler le plus à une inférence prédictive comme celles de la physique, de la chimie et des technologies basées sur les sciences naturelles, est une corrélation entre les "sphères" d'une totalité sociale.

La corrélation la plus grossière et la plus simpliste est celle que, métaphoriquement, Marx et Engels mettent en avant entre la "base" et "l'infrastructure" de la société. Le "poids" de chacune de ces sphères est très variable, en fonction de la situation, de la culture, de la phase historique, de la composition et de l'activité des classes sociales. C'est-à-dire l'histoire elle-même. L'histoire elle-même est l'étude descriptive et analogique des formations sociales et autres morphologies culturelles qui se sont développées au fil du temps qui, sans renoncer aux formulations causales, évalue le poids changeant des facteurs "de base" et des facteurs "superstructurels". Loin de trouver du déterminisme dans les œuvres de Marx et Engels (bien qu'il y ait d'abondants passages imprégnés du positivisme et du déterminisme habituels au XIXe siècle), l'accent de la recherche doit être mis sur l'unité ou la totalité sociale. Le couple base/superstructure est un schéma de connexion de ce que précisément l'idéalisme allemand pré-marxiste avait dissocié métaphysiquement : le couple matière/esprit. Peut-être ne faut-il pas reprocher à Marx et Engels la perte de l'unité ou de la totalité des "sphères" que tout le monde reconnaît comme interdépendantes (l'économie, les relations sociales, les idées et les croyances, comme semble le faire Del Río, p. 225), mais plutôt les remercier pour leur tentative de surmonter (et donc de poursuivre, bien que "d'une autre manière") l'idéalisme métaphysique allemand.

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Le matérialisme historique, s'il parle de causes, le fait dans le sens de causes structurelles. Au sein de la totalité sociale, les différents éléments constitutifs ont des relations et des corrélations précises, qui changent en fonction de la situation historique. C'est ce même changement de vigueur ou de prédominance d'un des éléments constitutifs, qui est la matière sur laquelle porte la science de l'histoire. Un exemple pour illustrer cela est fourni par Pierre Vilar (Économie, droit, histoire, Ariel, Barcelone, 1987) en ce qui concerne le droit. Cet élément de la totalité sociale n'est pas seulement une superstructure, un effet des causes économiques ou, plus généralement, des infrastructures. Au contraire, dans l'œuvre de Marx, le droit apparaît comme un élément causal (structurel) de premier ordre dans certains contextes concrets. Diachroniquement, la loi occupe une position structurelle mobilisatrice et formatrice :

"Faut-il ajouter que le droit, produit de l'histoire, en est aussi un des facteurs ? Comme tout élément de la totalité historique, le produit devient une cause. Elle est causée par sa simple position dans la structure de l'ensemble. Il n'y a pas d'éléments passifs dans le complexe historique" (p. 134).

La loi façonne les mentalités et les façons d'agir, et est donc la cause et le conditionneur d'autres causes. Il ne s'agit pas de faire des actions ouvertement ou en secret. Nous en avons un exemple classique dans les lignes que Marx consacre au "vol" de bois de chauffage en Rhénanie :

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"...L'importance du droit, dans l'interprétation historique d'une société, est qu'il nomme, qualifie et hiérarchise tout divorce entre l'action de l'individu et les principes fondamentaux de cette société... Avant la décision de la Diète rhénane, le bois était ramassé, puis volé. Un article de loi transforme un "citoyen" en "voleur" (p. 111).

Au nom d'une raison plus "éclairée", les droits féodaux et coutumiers qui garantissaient aux pauvres un approvisionnement en bois de chauffage ont été supprimés à l'époque où Marx a écrit sur le sujet. Comme tant de mesures juridiques "avancées", ces changements juridiques ont porté un coup dur aux plus défavorisés. La suppression des anciens droits "féodaux" et "anachroniques" au nom du Progrès est la cause de la crise d'un ordre ancien et de l'avènement de nouveaux rapports de production. L'accumulation primitive, l'abolition des "lois du pauvre", les confiscations, etc. ont toujours été des instruments et des causes de l'avancée hégémonique de la bourgeoisie. Dans le cadre actuel, toutes les innovations juridiques (très imaginatives et contraires au Droit naturel) en matière de reproduction (les mères porteuses, par exemple) et de politique familiale (extension à l'absurde du concept de mariage et de famille), sont de parfaits exemples d'ingénierie juridique, par laquelle les mentalités et les coutumes sont modifiées au profit du grand capital. Si le grand capital constate que les institutions, les douanes et les structures sont des obstacles à sa production et à son accumulation, il les supprime ; et en les supprimant, le changement juridique est fondamental.

Que la gauche parie sur une législation qui, unilatéralement, semble être "un pas en avant" signifie, la plupart du temps, un pas en arrière dans les droits de la plupart des travailleurs. Il y a des pas en avant qui le sont, mais vers l'abîme. Les institutions qui ont prouvé leur efficacité pendant des siècles ne doivent pas être considérées comme "rétrogrades". C'est le pire héritage de la gauche postmoderne, confondant le stable et le valide avec ce qui est (ou serait) réactionnaire. La famille, le mariage monogame, la législation et les organisations religieuses caritatives ou éducatives, etc. ont été les béquilles et les boucliers des classes subalternes de la société européenne depuis l'aube du Moyen Âge. Le dénigrement de ces réalités peut servir de propagande pour les nouvelles innovations en matière d'ingénierie sociale, mais il ne s'agit en aucun cas d'un hommage à la vérité et à la science.

La chanson française ou la déconstruction en douceur

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La chanson française ou la déconstruction en douceur

par Daniel COLOGNE

Ex: http://www.europemaxima.com

En 1860 est fondé le cabaret montmartrois « Le Lapin agile » (initialement « Lapin à Gilles », du nom de son fondateur André Gilles). Un siècle plus tard, Claude Nougaro y fait ses débuts, tandis que Jacques Brel et Georges Brassens chantent dans des cabarets concurrents comme « Les trois baudets » ou « Patachou ».

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Bien que traversée par des courants très divers, la chanson française séculaire puise son inspiration dans l’amour du pays, de sa capitale, de ses terroirs, de son histoire souvent tourmentée et de ses paysages métamorphosés par les cycles saisonniers.

Des gens qui sont de quelque part

Rappelons-nous la Douce France de Charles Trénet et La Paimpolaise de Théodore Botrel qui exalte sa Bretagne comme Tino Rossi célèbre son « Île de Beauté ». De Fréhel à Édith Piaf en passant par Damia et Berthe Sylva, la chanson misérabiliste rend hommage au petit peuple parisien, à ses ouvrières qui meurent trop jeunes (Les Roses blanches), à ses gamins affligés d’un handicap (Le petit bosco), à ses accordéonistes qui demandent l’aumône sur les quais de la Seine en jouant l’air de L’Hirondelle du faubourg, des Petits pavés ou de la Valse brune.

R-13879884-1563185645-4099.jpeg.jpgVainqueur du premier concours Eurovision en 1956, André Claveau est la figure emblématique de cette chansonnette bien enracinée, amoureuse du petit train montagnard qui part pour son dernier voyage, nostalgique de la diligence qui mettait une semaine pour aller de Paris à Tours. Avec leur souvenir de la marelle enfantine sous les cerisiers roses et les pommiers blancs, ces refrains peuvent paraître surannés, mais savent parfois se revêtir d’une parure sensuelle de bon goût (Domino). Claveau change de registre lorsqu’il ravive la mémoire des combats vendéens (Les Mouchoirs rouges de Cholet, Prends ton fusil, Grégoire). Dans Trop petit, mon ami s’exprime une ferveur chrétienne qui rappelle La petite église de Jean Lumière.

Après la Seconde Guerre mondiale s’affirme la brillante génération des chanteurs nés vers 1930, dont les répertoires glorifient encore souvent les lieux qui les ont vus naître. Pensons par exemple à Gilbert Bécaud, à ses Marchés de Provence ou à ce petit chef-d’œuvre intitulé C’est en septembre. Mais dans certaines discographies se glissent déjà des thèmes qui annoncent la « grande libéralisation » (David Goodhart) censée conduire vers l’Eldorado du village planétaire.

« Quand on n’a que l’amour. »

Mon admiration pour cet artiste hors normes comporte sans doute une part de chauvinisme patriotique. Jacques Brel a fait revivre le Bruxelles des gibus et des crinolines. Il a dépeint les « chemins de pluie » du « plat pays » flamand. Il a saisi l’étrange atmosphère d’une cité wallonne figée par les rigueurs des nuits hivernales (Il neige sur Liège). Mais il ne faut pas oublier les maladresses de ses premiers « 78 tours » (La Foire, Au printemps, Il peut pleuvoir). Que serait-il advenu de lui sans la soudaine notoriété que lui confère une chanson de 1956 rivalisant d’audience radiophonique avec le Bambino de Dalida et le Deo d’Harry Belafonte ?

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Quand on n’a que l’amour annonce déjà les appels d’aujourd’hui à accueillir toute la misère du monde.

« Quand on n’a que l’amour

À offrir à ceux-là

Dont l’unique combativité

Est de chercher le jour. »

Brel confond, comme la bien-pensance actuelle, le légitime désir d’éradiquer la misère et la glorification du délinquant, dans la ligne du Victor Hugo des Misérables (le bon Valjean, ex-bagnard, contre le méchant policier Javert).

« Quand on n’a que l’amour

Pour habiller matin

Pauvres et malandrins

De manteaux de velours. »

Mieux encore qu’aux Misérables hugoliens c’est aux Voyous de velours de Georges Eekhoud qu’il faut ici se référer. Et voici un autre couplet :

« Quand on n’a que l’amour

Pour parler aux canons

Et rien qu’une chanson

Pour convaincre un tambour. »

Arrivé à Paris en 1953, Brel est comme une éponge qui s’imbibe du pacifisme germano-pratin, des appels à la désertion de Boris Vian et de Mouloudji, du dégoût existentialiste inspiré par les guerres d’Indochine et d’Algérie. Mais cet irénisme va conduire l’Europe à oublier le vieil adage romain Si vis pacem, para bellum et notre continent deviendra un nain géopolitique dominé à l’Ouest par le pragmatisme anglo-saxon, menacé au Sud par un terrorisme religieux et condamné à l’Est à se heurter au Rideau de fer, puis à la muraille de Chine.

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Quelques thèmes déconstructeurs seront ainsi charriés par le répertoire brellien que nous continuerons toutefois d’aimer jusque dans l’ultime petit chef-d’œuvre intitulé Orly et la dernière exclamation du grand Jacques trop tôt disparu :

« Mais nom de Dieu que c’est triste

Orly le dimanche

Avec ou sans Bécaud. »

« Je suis blanc de peau »

Les interprètes les plus mièvres se surpassent quand ils évoquent leur lieu de naissance : par exemple, Marseille et son accent que Mireille Mathieu a gardé depuis qu’elle a vu le jour dans la cité phocéenne.

Que dire alors de Claude Nougaro, sublime quand il célèbre Toulouse : sommet d’un répertoire à forte personnalité, où se marient le jazz et la java, où les rythmes de La Nouvelle-Orléans s’intègrent au texte sans nuire à sa qualité poétique et où il est bien légitime que le fils d’un artiste lyrique du Capitole (« Papa, mon premier chanteur de blues ») rende hommage à Louis Armstrong. Mais pourquoi donc dénier à la race blanche l’aptitude à l’élan mystique ?

« Quel manque de pot

Je suis blanc de peau

Pour moi, rien ne luit là-haut

Les anges zéro

Je suis blanc de peau. »

« Il faut tourner la page

Déchirer le cahier

Le vieux cahier des charges. »

Vive l’humanité exonérée de ses devoirs ! C’est ce que semble s’écrier cette autre chanson, plus tardive, elle aussi bien construite, comme Quatre boules de cuir. Amoureux de la boxe, comme Maurice Maeterlinck, Nougaro se souvient que dans sa « ville rose » où « l’Espagne pousse un peu sa corne », « même les mémés aiment la castagne ». « Ici, si tu cognes, tu gagnes. » De la très bonne chanson, où se faufile insidieusement un embryon de la guerre des races où les villageois planétaires veulent nous entraîner.

« Entre copains de tous les sexes »

La chanson « idiote » d’autrefois ne se moque pas seulement – et gentiment – des homosexuels, comme Fernandel dans Il en est. Milton brocarde les cocus et les couples mal assortis. Georgius ridiculise l’enseignement (Le lycée Papillon). Les jongleries verbales d’Ouvrard (« J’ai la rate qui se dilate », « Les rotules qui ondulent », etc.) sont une trouvaille de jeune recrue voulant se faire réformer.

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Comme ils disent (1972) de Charles Aznavour est à mi-chemin entre Il en est et les gay prides échevelées qui dégénèrent en paradodies de fêtes nationales. Le personnage retrouve chaque matin « son lot de solitude » après ses amours « dérisoires et sans joie », après son numéro de déshabillage finissant en nu intégral, après sa virée nocturne avec « des copains de tous les sexes » qui « lapident » les gens qu’ils « ont dans le nez » avec « des calembours mouillés d’acide ».

Voici donc l’immense Aznavour précurseur de la théorie du genre et de la multi-parentalité. Ces fleurons de la cynique ultra-modernité s’insinuent discrètement dans une œuvre gigantesque bercée par la nostalgie de la musique tzigane (Les deux guitares), obsédée par la rupture sentimentale (Et pourtant, Sur ma vie, Il faut savoir, Deux pigeons, Que c’est triste, Venise), magnifiée par le rappel du génocide arménien trop longtemps occulté.

« C’est une romance d’aujourd’hui »

Restons en 1972. Le grand succès de l’été est la Belle Histoire de Michel Fugain. C’est la rencontre d’un nomade et d’une citoyenne du monde. Ils s’étreignent au bord d’une route avant de repartir, l’un vers les brumes du Nord, l’autre vers le Soleil du Midi. La Providence est convoquée pour adouber cet amour éphémère. Plus tard, Fugain nous invitera à « marcher sur la tête pour changer les traditions ».

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Il y a des années-charnières, des points d’inflexion de l’histoire de tous les secteurs, y compris ceux du sport, du cinéma et de la chanson. L’arrêt Bosman de 1995 transforme les équipes de football en tours de Babel, alors qu’en Belgique, par exemple, jusqu’en 1961, un joueur étranger devait évoluer une saison parmi les réserves avant d’accéder à une place de titulaire.

À partir de 1966 et de La Grande Vadrouille, les films détenant le record du nombre d’entrées dans les salles obscures sont presque exclusivement des comédies, alors qu’auparavant, le même record est détenu par Les Misérables, Quai des Orfèvres et Autant en emporte le vent. 1972 pourrait être le millésime-tournant de l’histoire de la chanson et 1974 celui de l’Eurovision. Vive le groupe Abba. Oubliés Jacqueline Boyer, Jean-Claude Pascal, Isabelle Aubret, France Gall et sa poupée offerte par Gainsbourg, le vainqueur espagnol de 1968 en qui l’on voyait un futur « Aznavour catalan ».

« Car le monde et les temps changent. »

Il nous grise avec son histoire de marin qui revient au pays. Il nous fait partager son émotion pour Céline et sa colère contre L’Épervier. Il nous conte une mésaventure sentimentale survenue quand refleurissent les jonquilles et les lilas. Il laisse gravé dans notre mémoire le « fameux trois-mâts » où Dieu est seul maître à bord (Santillano). Mais dans une de ses nombreuses adaptations de Bob Dylan, Hugues Aufray enjoint aux parents de « rester crachés ». « Vos enfants ne sont plus sous votre autorité », reprend l’icône noire Joséphine Baker peu avant son décès. « Le monde et les temps changent. »

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Sans aller jusqu’aux répertoires actuels, que je connais trop mal, on peut déceler la même ambiguïté chez des chanteurs nés vers 1950. Bernard Lavilliers peut à la fois se faire l’aède du nouveau nomadisme (On the road again) et exalter les travailleurs aux « mains d’or » de la sidérurgie de Thionville. Laurent Voulzy aime se produire dans les cathédrales où sa Jeanne trouve un décor de rêve, mais Le Pouvoir des Fleurs illustre l’utopique naïveté d’une certaine jeunesse d’après-guerre.

« Changer les choses

Avec des bouquets de roses. »

Mais revenons à Hugues Aufray avec une autre chanson de la mer, au texte élaboré, au rythme entraînant, au contenu quasi messianique.

« Le jour où le bateau viendra »

C’est l’histoire d’un navire qui débarque sur un littoral imaginaire. Elle s’adresse aux hommes de la Fin des Temps. Ils pourront reposer sur le sable « leurs pieds fatigués », tandis que, planant au-dessus des dunes, « les oiseaux auront le sourire » et qu’au grand large, les pharaons sont promis à la noyade.

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Ce navire a peut-être un lien avec « le bateau pensant et prophétique » de Léo Ferré, qui prend « le chemin d’Amérique », c’est-à-dire « le chemin de l’amour ». Il s’en va avec une Madone attachée « en poupe par le col », mais à son retour, il porte dans la même position une Madone « d’une autre couleur ».

Le bateau espagnol est un des plus beaux textes de poésie française mise en musique, mais il n’est pas interdit d’y voir jaillir une des premières étincelles du feu que certains se plaisent à attiser aujourd’hui : celui de la guerre des races sur fond de revanchisme post-colonial.

Daniel Cologne.

samedi, 05 décembre 2020

Géopolitique des pseudo-religions

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Géopolitique des pseudo-religions

par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

"...seuls l'esprit et le spirituel ont un destin."

(Martin Heidegger).

Il est bien connu que le monde anglo-saxon a historiquement produit des pseudo-religions utiles à sa propre forme spécifique de domination. Cela s'applique tout à la fois à la théosophie de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, qui a été stigmatisée par le métaphysicien français René Guénon dans le texte fondamental La théosophie. Histoire d'une pseudo-religion [1], et à la prolifération actuelle des sectes évangéliques qui, à partir de l'Amérique du Nord principalement, sont en train de conquérir rapidement l'Amérique hispanique et l'Afrique subsaharienne.

51696AGb9IL._SX373_BO1,204,203,200_.jpgLe discours pseudo-religieux développé pour l'Amérique ibérique est particulièrement intéressant, car les principes géopolitiques de la doctrine Monroe peuvent dès lors lui être appliqués plus facilement: donc, non seulement le droit exclusif d'intervention des États-Unis dans l'hémisphère occidental se voit consolider, tout comme la volonté d'homologuer cette partie du monde, de la modeler à leur image et ressemblance. On ne peut ignorer le rôle que les groupes évangéliques ont joué dans l'élection du président brésilien Jair Bolsonaro ou dans le coup d'État qui a renversé Evo Morales en Bolivie.

Au Brésil en particulier, les conversions à ces sectes ont plus que triplé au cours des trente dernières années. Elles ont une structure extrêmement élastique qui permet théoriquement à toute personne capable de lire la Bible de devenir un prédicateur. Et leur succès repose exclusivement sur leur totale consubstantialité avec le néo-conservatisme et le néo-libéralisme. Ces sectes ont comblé le vide laissé par la gauche et l'Eglise officielle qui, en s'occupant d'autres questions sociales (les droits civils en premier lieu), ont fini par ignorer les droits des travailleurs et des couches les plus pauvres de la société [2]. Cependant, ceux qui interprètent si mal certains passages du texte biblique [3], ont tiré de substantiels bénéfices sur le dos des personnes qu’ils prétendaient aider. Et ils l'ont fait sur la base de la soi-disant "théologie de la prospérité" : une doctrine religieuse prétendument basée sur l'idée qu'en donnant de l'argent, en priant et en adhérant à un système de comportement rigide, on peut s'assurer une récompense matérielle dans ce monde. Cette doctrine se prête bien aux comparaisons et aux alliances avec ce messianisme juif, absolument antichrétien, qui est marqué par la construction d'un Royaume d'Israël "sur terre" auquel tout peuple sera soumis. Ce n'est pas une coïncidence si les pasteurs évangéliques brésiliens les plus populaires font également partie des personnes les plus riches du pays. Ils ont, entre autres, transformé les pauvres Brésiliens en un marché à exploiter et à contrôler au moment du vote.

Ces pseudo-religions, en plus de consolider des formes spécifiques de domination géopolitique, jouent donc aussi un rôle fondamental dans la construction du consensus électoral ou dans la construction de l'opposition interne aux "régimes" rivaux ou tombés en disgrâce. Le cas le plus emblématique, en ce sens, est représenté par la secte chinoise Falung Gong, qui a une origine orientale, mais qui a été largement adoptée par l'"Occident" dirigé par l'Amérique du Nord comme instrument de déstabilisation interne de la République populaire de Chine.

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Né comme un mouvement spirituel de type "New Age", d'inspiration syncrétique (une sorte de mélange de bouddhisme et de taoïsme), ce sectarisme particulier prétend être une expression de la religiosité traditionnelle chinoise. Le Falung Gong (= « pratique de la roue de la loi »), grâce à son fondateur Li Honghzi (résident à New York) a réussi à construire un véritable empire qui s'étend sur plusieurs secteurs, de l'information aux communications en passant par le monde de l'art.

Le fleuron de cet empire est la plateforme informatique Epoch Times, qui est également devenue très populaire parmi les groupes européens qui font référence à la Alt-Right nord-américaine (surtout dans ses impulsions sionistes) : en particulier l'AFD allemande - Alternative für Deutschland.

Le réseau Epoch Times est connu pour la diffusion de théories conspirationnistes de toutes sortes et pour son opposition farouche au gouvernement de Pékin. The New Tang Dinasty appartient à Epoch Media Group : une société de production qui, en collaboration avec Steve Bannon, a produit le téléfilm anti-chinois Claws of the Red Dragon, dans lequel l'arrestation du directeur financier de Huawei, Meng Wanzhou, au Canada est racontée sur le mode de la conspiration.

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La référence à Epoch Times est importante car elle nous permet d'introduire notre discours sur les nouvelles formes de pseudo-religion qui, récemment, en raison de l'accélération des pressions causées par la crise pandémique, connaît un succès considérable au-delà des frontières américaines. Epoch Times, en fait, avec d'autres médias du réseau, est l'un des principaux véhicules d'information du phénomène QAnon. Ce n'est que le énième résultat néfaste de la postmodernité, résultat généré sur une terre dans laquelle les sept millénarismes se sont enracinés à un niveau qui a profondément marqué l'imaginaire collectif et où la religiosité a été réduite exclusivement à la sphère de la moralité. QAnon est une forme de messianisme numérisé : une religion informatique avec ses propres dogmes (une hypothétique résurrection ou "retour de la dissimulation" de J.F.K.), un prophète (Donald J. Trump), un jour de jugement (l'événement "The Storm" qui conduira à l'arrestation en masse de tous les complices de l'"élite" pédo-sataniste qui domine le monde).

QAnon, en fait, est un baldaquin qui couvre une série de théories plus ou moins conspiratrices concernant différents aspects de la vie politique et sociale. Dans leur version allégée, ces théories se limitent à l'affrontement entre Donald J. Trump et l'État dit "profond", ignorant que les luttes entre les courants au sein de l'administration américaine ne sont pas nées avec les élections de 2016 et que, historiquement, les pulsions perturbatrices internes sont communes aux "empires" qui entrent dans une phase de déclin incontestable.

L'idée de base, cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, reste que le monde est dominé par un cénacle de pédophiles qui se livrent au trafic d'enfants, ce à quoi l'actuel président nord-américain s'oppose de toutes ses forces.

8b29e3046c194ed7cbc2350a91f70ba2.jpgSi nous considérons que le progressisme grossier du messianisme laïque nord-américain (le messianisme clintonien/obamien/sorosien) est autant un ennemi que le messianisme d'inspiration conservatrice, il est évident que, si le principal facteur de discrimination de l'élite dominante est uniquement et exclusivement de nature morale, il n'y a pas de critique fondamentale du système mais seulement et exclusivement le désir de remplacer une "élite" par une autre. La conspiration, en ce sens, devient absolument consubstantielle au système et non une arme pour le combattre. Il devient un outil utile pour hégémoniser le sacro-saint mécontentement social (généré par des politiques migratoires imprudentes, par des coupes dans l'éducation et la santé, par l'immobilisme social, par l'augmentation des taxes sur la production, par la crise de l'emploi) par un travail idéologique habile capable de conduire à certains résultats électoraux [4] et à des fins géopolitiques précises. En d'autres termes, elle sert au niveau central (celui des États-Unis) à créer une base idéologique de consensus et au niveau périphérique à garantir la soumission totale des provinces impériales.

Il est évident que les principaux "mots d'ordre" de certains mouvements ont tous une nette origine nord-américaine ou anglo-saxonne. Lors de la récente manifestation à Berlin, organisée par le mouvement libéral-individualiste Querdenken-711 [5] contre les mesures restrictives liées à la crise pandémique [6], l'un des organisateurs a indiqué que Donald J. Trump était le "sauveur de l'esprit de l'Ouest".

Ce "mot d'ordre" peut et doit être analysé à plusieurs niveaux. Tout d'abord, la thèse selon laquelle les masses européennes attendent le "salut" d'outre-atlantique donne une bonne idée du niveau sournois de soumission culturelle atteint par le Vieux Continent. Il est également fondamental de rappeler que depuis les dialogues de Platon, l'"Occident" est indiqué comme tout ce qui se trouve au-delà des Colonnes d'Hercule. Cela implique, en premier lieu, que l'Europe, géographiquement, n'est pas du tout "occidentale".

Un deuxième niveau d'analyse peut être déterminé par ce que l'on entend par "esprit". L'esprit et le spirituel, en référence à un peuple, ont une assonance particulière avec le destin et la destinée. Le destin et la destinée, selon le philosophe allemand Martin Heidegger, "concernent la demeure des hommes dans le voisinage de l'auberge céleste sur la terre" [7]. Les esprits, par conséquent, "sont ceux qui descendent de l'incendie et en même temps du terrestre, qui portent le céleste et qui, dans leur propre essence, sont eux-mêmes l'esprit [...] Cet esprit est appelé l'esprit commun, parce que son essence brûlante brûle dans chaque esprit d'une manière différente" [8].

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Selon Heidegger, l'histoire ne repose ni dans l'essence ni dans le mot de l'événement historique, mais dans le destin et l'esprit. Le destin et l'esprit d'un peuple sont donnés par la proximité de son origine. Les personnes contraintes de s'éloigner de cette origine sont privées de leur désir/puissance : leur être reste un "être en latence" au lieu de devenir un "être au pouvoir". Il est donc clair que celui qui veut maintenir un peuple dans une condition de soumission devra s'assurer que, toujours selon Heidegger, "ce qui est le plus proche reste pour lui le plus éloigné".

L'"esprit de l'Ouest" dont parle le "mot d'ordre" de certains groupes de manifestants berlinois n'est qu'une imposition idéologique, quelque chose de totalement étranger à l'Europe. Ce "mot d'ordre" représente la tentative de recomposer selon des lignes idéologiques précises un bloc géopolitique qui défend les États-Unis, qui entend arrêter leur déclin inexorable. Le choix de l'Allemagne comme épicentre des protestations contre les mesures anticovidiennes restrictives (malgré le fait que l'Allemagne soit l'un des pays européens où ces mesures ont été les moins strictes) est crucial, si l'on considère le rôle de l'Allemagne en tant que concurrent économique direct des États-Unis et le conflit autour de la construction du gazoduc Nord Stream 2 (auquel peut également être lié l'empoisonnement présumé du célèbre opposant russe Alexei Navalny).

D’une part, l'administration Trump a sans doute su cultiver les tendances conspirationnistes à l’œuvre dans le monde pour construire un consensus transnational (par exemple, on assiste à la prolifération sur le sol européen de groupes de soutien au président nord-américain comme seul agent capable de libérer les peuples de la "dictature de la santé") ; d'autre part, l'administration elle-même s'est montrée beaucoup plus pragmatique qu'on pourrait le penser dans la gestion des conflits impérialistes , avec sa stratégie d'assassinats ciblés, d'accords qui ne seront pas respectés, de pressions et de sabotages de rivaux stratégiques pour retarder le déclin américain.

Un document publié par un groupe de réflexion républicain orienté dans le sens voulu par le pouvoir actuel (intitulé Renforcer l'Amérique et contrer les menaces mondiales et déjà cité dans les colonnes de notre revue Eurasia) esquisse explicitement pour les quatre prochaines (et éventuelles) années de la présidence un programme géopolitique basé sur la confrontation directe avec la Russie, la Chine et l'Iran et sur le "maintien d'un ordre international basé sur les valeurs américaines".

Face à une telle perspective, la seule solution pour l'Europe serait de se réapproprier son propre esprit et son propre destin, en se libérant de la polarisation du débat politique autour de ce néant que représente le choc entre le progressisme nihiliste et le vide idéologique numérisé des nouvelles religions de l'Occident.

NOTES

[1]R. Guénon, Il teosofismo. Storia di una pseudo-religione, Edizioni Arktos, Carmagnola 1987.

[2]Voir P. Antonopoulos, L’influenza della setta evangelica nella società brasiliana, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 1/2019.

[3]En particulier dans l’Evangile selon St. Jean (10,10): “Je suis venu pour qu’il aient la Vie, et l’aient en plus grande abondance ». De même, dans l’Epitre aux Philippiens (4,19): “Mon Dieu viendra à vous selon vos nécessités, selon sa richesse, avec la gloire en le Christ Jésus ».

[4]De récents sondages ont montré comment une large part de l’électorat républicain aux Etats-Unis croit, du moins en partie, à des théories de matrices conspirationnistes, qui voient en Donald Trump un personnage choisi par certains militaires haut placés pour défaire l’élite pédo-sataniste correspondant au « deep state ». Voir : Majority of Republicans believe the QAnon conspiracy theory is partly or mostly true, survay finds, www.forbes.com.

[5]Voir www.querdenken-711.de.

[6]A ce propos, à la différence des principaux médias d’information qui utilisent l’expression « négationnistes du virus », selon un mode totalement inapproprié, il serait bons de faire une distinction précise entre ceux qui nient l’existence du virus en soi et ceux qui critiquent à juste titre et même de façon virulente, le côté illogique et contradictoire des mesures prises, lesquelles ont aggravé considérablement les tensions sociales déjà existantes, qui critiquent également certaines expérimentations à grande échelle, ainsi que les mécanismes médiatiques qui, au lieu d’informer, s’occupent à terroriser les populations. 

[7]M. Heidegger, Hölderlin. Viaggi in Grecia, Bompiani, Milano 2012, p. 275.

[8]Ibidem, p. 281.

 

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Bonne nouvelle de La Paz

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Bonne nouvelle de La Paz

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Le trucage des élections ne fait pas tout. Le 8 novembre dernier, tandis que des fraudes électorales massives s’opéraient dans plusieurs États du MidWest étatsunien, la Bolivie investissait son nouveau président, Luis Arce, marquant ainsi l’échec total d’une révolution colorée atlantiste – occidentaliste.

Le 10 novembre 2019, après plusieurs journées de manifestations, de grèves et d’incidents, sur la pression des responsables de la police et de l’armée, le président de l’État plurinational de Bolivie Evo Morales démissionnait et s’exilait d’abord au Mexique, puis en Argentine. Candidat à un quatrième mandat consécutif malgré un revers au référendum de révision constitutionnelle de 2016, le président Morales devançait d’une dizaine de points son principal concurrent, l’ancien président libéral Carlos Mesa. Dans la foulée de ce départ précipité, le vice-président Álvaro Linera, la présidente du Sénat et le président de la Chambre des députés abandonnèrent à leur tour leur fonction. L’intérim de la présidence revint alors à la deuxième vice-présidente du Sénat, une obscure élue d’opposition, Jeanine Áñez.

À peine arrivée à la tête de la Bolivie, Áñez persécute les élus, cadres et militants du parti d’Evo Morales, le MAS (Mouvement vers le socialisme) aux lointaines racines nationalistes, communautaires, phalangistes et justicialistes. Elle rompt aussitôt les relations diplomatiques avec Cuba et le Venezuela, se retire de l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques) et ordonne des enquêtes à charge contre son prédécesseur et la plupart de ses ministres. Si, dans ses premières allocutions, Áñez entend seulement assumer l’intérim, elle se ravise vite et annonce sa candidature à l’échéance présidentielle à venir. Or, le coronavirus contraint le report à diverses reprises des opérations électorales.

En attendant, les Boliviens subissent toute la lubricité du néo-libéralisme. Non seulement aligné sur les États-Unis et incapable de bien gérer la crise sanitaire, le gouvernement Áñez veut tout privatiser, obéit à l’agriculture industrielle, autorise les OGM et s’en prend aux acquis sociaux. Par ailleurs, des scandales retentissants impliquent vite l’entourage, politique et privée, de la présidente par intérim.

imagesdcbol.jpgEmpêché de se présenter tant à la présidence qu’à un siège de sénateur, Evo Morales, en accord avec les instances du MAS, des syndicats et des mouvements indigènes indianistes, suggère la candidature de Luis Arce. Puissant ministre de l’Économie de 2006 à 2017 et en 2019, le « père du miracle économique bolivien » choisit pour colistier à la vice-présidence l’Amérindien David Choquehuanca (photo).

Le mécontentement grandissant des Boliviens inquiète et déstabilise la bourgeoisie compradore. Après bien des hésitations, Áñez renonce à sa candidature et rejoint Carlos Mesa. Tous les sondages prévoient un duel serré entre Mesa et Arce avec, en arrière-plan, la montée en puissance d’un hérétique schismatique soi-disant chrétien, le démagogue évangélique des grands propriétaires néo-conservateurs, Luis Camacho.

Ce 18 octobre, les Boliviens élisent à la fois leur président, leur vice-président, le Sénat et la Chambre des députés. Avec une participation de 88,5 %, Luis Arce remporte dès le premier tour la présidence (55,10 %) contre Mesa (28,83 %) et Camacho (14 %). Le nouveau président peut s’appuyer sur une large majorité MAS et alliés à la Chambre (75 sièges sur 130) et au Sénat (21 sièges sur 36). Les citoyens boliviens contrecarrent les prétentions atlantistes, occidentalistes et mondialistes de l’hyper-classe anglo-saxonne et de ses sbires locaux. Certes, le président Arce n’est pas aussi charismatique qu’Evo Morales qui dirigea la Bolivie de 2005 à 2019, un record pour un pays comptant quatre-vingt-deux chefs d’État depuis 1825 ! Les électeurs ont nettement préféré un économiste réputé qui comprend l’intérêt commun.

Par-delà les particularités géographiques, historiques, politiques et ethniques de la Bolivie, on peut se demander s’il ne faudrait pas que le Bélarus connaisse lui aussi une brève expérience ultra-libérale avec sa propre Jeanine Áñez, Svetlana Tikhanovskaïa, afin que les Bélarussiens découvrent vraiment le cauchemar libéral-occidental dans toute sa cruelle réalité.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 192, mise en ligne sur TVLibertés, le 24 novembre 2020.

Les troubles dans la Corne de l'Afrique

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Les troubles dans la Corne de l'Afrique

Leonid Savin

Ex: https://www.geopolitica.ru

La Corne de l'Afrique, en elle-même, présente un intérêt particulièrement important pour de nombreux pays qui se perçoivent comme une entité géopolitique, car la situation géographique de cette partie de l’Afrique lui permet de contrôler la connexion entre la mer Rouge (et donc le canal de Suez) et l'océan Indien, où passe un grand nombre de navires. Djibouti accueille des bases militaires françaises, italiennes, américaines et même chinoises. De l'autre côté du détroit se trouve le Yémen, où le conflit militaire se poursuit, dans lequel l'Arabie Saoudite et ses partenaires interviennent.

Des signes évidents de déstabilisation ont été observés récemment dans deux pays de la région, la Somalie et l'Ethiopie.

La semaine dernière, on a révélé la mort d'un officier de la CIA en Somalie. Il s'agissait d'un agent de la Division spéciale et d'un ancien membre du Corps des Marines. Cet événement a été interprété comme quelque chose d'extraordinaire, puisque dans ce pays d'Afrique de l'Est il y a un grand nombre de militaires américains - plus de 700 soldats. Certains d'entre eux sont en mission anti-terroriste.

La Somalie reste l'un des pays les plus dangereux au monde. Bien que la Somalie soit officiellement une fédération, comme le stipule la constitution provisoire du pays, la confrontation inter-clanique et interethnique y demeure permanente, à laquelle s'ajoutent les activités de groupes criminels et terroristes. Il y a une dizaine d'années, les pirates somaliens étaient connus pour détourner les navires passant près des côtes et pour exiger des rançons en échange de la liberté des marins et des cargaisons saisies. Ce problème a été partiellement résolu grâce aux opérations militaires lancées par divers États, mais il n'a pas complètement disparu. Un autre problème est l'activité du groupe terroriste Al-Shabab qui est associé à Al-Qaïda. Fin novembre, des responsables d'al-Shabab ont tué un groupe de soldats somaliens entraînés par l'armée américaine.

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Un rapport sur la lutte contre le terrorisme dans la région, préparé pour le Congrès américain, indique que d'ici 2021, les forces de sécurité somaliennes locales seront en mesure de faire face aux menaces par leurs propres moyens. Apparemment, c'est ce qui a motivé la décision de retirer les troupes américaines de Somalie. Et Donald Trump a donné les instructions appropriées. Cependant, cela a suscité des critiques de la part des politiciens et de la communauté des analystes américains qui ont affirmé que si les troupes américaines étaient retirées, le pays plongerait sûrement dans une guerre civile. Tous les clans ne soutiennent pas le gouvernement fédéral de ce pays, de sorte que même si des bases spéciales de l’Africom restent implantées dans la région (on suppose que les opérations contre al-Shabab se poursuivront avec l'aide de drones de combat lancés depuis le Kenya et Djibouti), un conflit interne pour le pouvoir pourrait commencer.

Des élections parlementaires doivent se tenir en décembre en Somalie et des élections présidentielles doivent avoir lieu en février. C'est une autre source d'inquiétude, car de nombreux hommes politiques et chefs de clan ne veulent pas que le chef du pays en exercice, Mohammed Abdullahi Mohammed, conserve son poste. Il a également l'intention de se présenter à nouveau aux élections. Il est également intéressant de noter qu'il est soutenu par le Qatar - le principal sponsor des Frères musulmans.

Si Djibouti peut atteindre un degré de sécurité relatif grâce à la présence de bases militaires étrangères, la situation en Ethiopie voisine reste critique.

Après le déclenchement du conflit avec le Front de libération nationale du Tigré, les forces gouvernementales ont capturé l'une des principales villes de la province d'Adigrat le 20 novembre, tuant des centaines d'habitants et en faisant fuir des dizaines de milliers vers le Soudan voisin.

Le 24 novembre, la Commission éthiopienne des droits de l'homme a déclaré que plus de 600 personnes avaient été tuées à Mai Kadra, une autre ville de la province du Tigré. Un nettoyage ethnique y a été effectué avec le soutien de la police locale. Malgré les appels des Nations unies et de l'Union africaine à mettre fin à l'effusion de sang, le Premier ministre Al-Ahmed a refusé d'arrêter l'opération militaire et d'entamer des négociations.

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Ce qui se passe peut également affecter l'économie du pays, notamment les activités des investisseurs extérieurs comme les EAU. Les Émirats financent 92 projets dans une grande variété de secteurs en Éthiopie. En outre, 50.000 travailleurs migrants originaires d'Éthiopie se trouvent aux Émirats Arabes Unis dans le cadre du programme de réduction du chômage. En outre, il est prouvé que les Émirats aident à combattre les rebelles en utilisant la base militaire d'Assab en Érythrée.

Un autre facteur de déstabilisation est la construction d'un grand barrage en Éthiopie, qui est appelé le « projet du siècle ». Il s'agit d'un grave défi à l'Égypte et au Soudan, car sa mise en oeuvre affectera le niveau de l'eau du Nil, qui est directement lié aux activités agricoles de ces deux pays.

Le déclenchement de la guerre civile peut servir de prétexte à une intervention en Éthiopie. Il est à noter que les représentants de l'Égypte ont déjà discuté de cette possibilité avec les représentants de l'Érythrée. Jusqu'à présent, le Caire utilise la pression diplomatique pour obtenir le soutien de la Zambie et de la Namibie dans la question de la construction de ce barrage. Le Soudan, pour sa part, a boycotté les dernières négociations qui ont eu lieu le 21 novembre.

En même temps, il faut noter le partenariat entre les EAU et l'Egypte sur un certain nombre de problèmes régionaux, notamment la lutte contre l'expansion de la Turquie et la lutte contre l'organisation des Frères musulmans (interdite dans la Fédération de Russie). Il n'est pas encore clair comment des points de vue différents sur le conflit éthiopien et la construction du barrage pourraient affecter la coopération des deux pays. Mais il existe un potentiel de refroidissement de la relation.

Ces facteurs indiquent que l'instabilité chronique dans la région, qui repose en partie sur des conflits historiques, pourrait dégénérer en un chaos non maîtrisable. Cela nécessitera non seulement la présence de troupes étrangères (pays de l'Union africaine, contingent arabe, probablement les États-Unis ou l'OTAN), présentées comme contingent de maintien de la paix, mais aussi la résolution d'un certain nombre de tâches humanitaires.

D'autre part, il existe également un potentiel de coopération. L'ancien président de la Somalie rappelle dans un article qu'en 1977, l'Ethiopie et la Somalie avaient entamé une guerre pour le contrôle de la région de l'Ogaden. À cette époque, Fidel Castro a proposé aux dirigeants soviétiques un plan pour établir la paix dans la région - la création d'une confédération de l'Éthiopie, de la Somalie, du Yémen du Sud et, dans une étape ultérieure, de Djibouti (à l'époque, c'était une colonie française). La solution de ce problème conduirait à l'établissement d'un contrôle sur la mer Rouge et, par conséquent, sur le canal de Suez, ainsi qu'à la valorisation du potentiel économique de la région. Ces plans ne se sont pas réalisés, notamment parce que le chef militaire de la Somalie, Siad Barre, a rejeté cette proposition et a préféré un conflit avec l'Éthiopie. Cependant, l'idée d'une intégration régionale continue de vivre aujourd'hui. En 2018, les dirigeants éthiopiens ont entamé un rapprochement avec la Somalie et l'Érythrée en signant un accord tripartite qui, selon le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, pourrait être le prélude à une intégration politique. Il est probable que certaines forces ne soient pas intéressées par ce processus, c'est pourquoi on a vu émerger des processus de déstabilisation et des frictions.

Source : Oriental Review

 

Un dossier théorique sur l'Europe des ethnies

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Un dossier théorique sur l'Europe des ethnies

Par Carlos X. Blanco

Ouvrage collectif : La Europa de las Etnias. Construcciones teóricas de un mito europeísta [EAS, Alicante, 2020]

Les éditions EAS viennent de publier un volume intitulé La Europa de las Etnias. Construcciones teóricas de un mito europeísta [EAS, Alicante, 2020]. C'est un ouvrage collectif très précieux pour l'étude du régionalisme européen, qui contient un large éventail de contributions. Cependant, la sélection n'est pas complète. Et je le dis d'emblée : il manque certains des grands penseurs traditionalistes espagnols, ensuite, la tradition carliste y est absente. Les figures marquantes (mais peu connues) du régionalisme traditionnel ou du foralisme font défaut : Vázquez de Mella, Elías de Tejada... Il est vrai que le carlisme et le traditionalisme régionaliste espagnol ne s'inscrivent pas très bien dans un concept d’ « Europe des ethnies » puisque ces courants hispaniques, les nôtres si souvent oubliés, subordonnent les langues vernaculaires, leurs propres chartes, l'historicité des territoires et leur pluralité ("Las Españas") à une loyauté envers le Roi légitime, à une obéissance à la Loi naturelle et à une stricte observance de la Doctrine catholique, et l'"ethnicité" y est comprise comme un fait historico-politique plutôt que bio-culturel, sans toutefois exclure complètement et nécessairement cette dernière facette.

De la conception forale et pluraliste de la pensée hispanique traditionnelle émerge une idée de base : il existe en Espagne diverses ethnies, progressivement impliquées dans un processus convergent et synthétique : l'Hispanidad. Il y a aussi une revendication de la diversité et des autonomies (et non les horribles "autonomismes" d'aujourd'hui) en vertu de circonscriptions historiques (nos royaumes et principautés qui forment la couronne d'Espagne) ; nos ethnismes hispaniques sont surtout très hostiles au jacobinisme libéral importé et imposé. À mon avis, un auteur hispanique traditionaliste aurait pu apparaître dans les titres. Dans le livre, les références à l'ethnicité ne manqueraient pas (entendue, je le répète, dans un sens qui n'est jamais raciste, puisqu'un catholique ne peut l'être, mais historico-politique et territorial).

Il existe un certain nombre d'articles d'origine française, ou émanant de pays francophones. Beaucoup d'entre eux sont des auteurs qui peuvent être englobés dans la "Nouvelle Droite" ou la pensée identitaire européenne plus actuelle (Robert Steuckers, Georges Feltin-Tracol). D'autres auteurs sont issus de la pensée fédéraliste et régionaliste française (Guy Héraud). Il y a aussi des études et des commentaires d'auteurs plus anciens mais d’un passé proche ; il s'agit de divers textes consacrés à certains des "pères" de la pensée régionaliste et ethniste identitaire (notamment les travaux de et sur Saint Loup, c'est-à-dire Marc Augier).

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Dans la France jacobine et centraliste, où le républicanisme d'extraction révolutionnaire a toujours été un boulet et un système de prison intellectuelle pour les auteurs régionalistes, il est très méritoire de planter le drapeau des "petits pays" ou des pays "charnels". La diversité a presque toujours été écrasée dans le pays voisin depuis 1789, et ils prévoyaient le retour de ces patries apatrides au milieu d'une crise galopante de l'État-nation au XXIe siècle.  Ils sont une source d'inspiration face à la nécessité de retrouver une force ethnique dans chaque territoire européen face aux dangereux mixages en cours et face à l'invasion afro-arabe, face au multiculturalisme obligatoire. Ce sont des questions intellectuelles majeures qui convergent dans cette rencontre avec la force ethnique des groupes et des territoires. Ce livre est très bon car il propose des documents traduits pour l'étude, quelle que soit la position adoptée par chacun.

C'est, en somme, une œuvre collective qui ne peut laisser personne indifférent.

Le jacobin centralisateur, défenseur d’un État-nation homogène et unitaire, sera toutefois irrité. L'Europe apparaît systématiquement dans le texte non comme un ensemble d'États jacobins mais comme une Europe des ethnies.

Les nationalistes séparatistes ("fractionnaires", comme les élèves de  Gustavo-Bueno aiment à le dire) ne verront pas non plus d'un bon œil certaines des propositions faites dans l’ouvrage. Il se trouve qu'une grande partie des nationalistes séparatistes, ceux qui défendent un droit à l'autodétermination de leur "nation sans État", se qualifient d'"internationalistes". Cependant, utilisant des méthodes violentes ("combat de rue" et terrorisme plus ou moins intense) et invoquant des critères ethnicistes pour se séparer d'un "État-nation vu comme prison des peuples" et d'une ethnie prétendument oppressive (c'est le cas des "abertzales" basques et des "cuperos" et républicains de l'Esquerra catalane), ils accueillent et recrutent tous les étrangers, quelle que soit leur religion, langue et couleur tant qu'ils apprennent leur langue vernaculaire et acceptent d'être citoyens d'une nouvelle petite république non espagnole. Ils méprisent le frère espagnol et se donnent avec amour au nouveau venu. Le séparatisme espagnol de certains Basques et Catalans participe du même ridicule conceptuel que le nationalisme hispanique étroit qui ne revendique que les taureaux, la chèvre de la Légion et la chansonnette "que-viva-Espana" de Manolo Escobar. Le séparatisme abertzale ou catalaniste est ethniciste quand il s'agit de rejeter le reste des Espagnols, mais devient internationaliste quand il s'agit d'enregistrer et de nationaliser le premier être humain qui, sans un seul papier en ordre, passe par la nouvelle république "en construction". Il s'agit d'une simple "souveraineté" artificielle, et non d'un véritable nationalisme identitaire.

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Ce ne sera pas non plus un livre au goût du régionalisme conservateur classique et, comme on l'a dit par le passé, du régionalisme "sain". Par "sain", on entendait dans la droite espagnole et dans le régime franquiste ce type de fierté identitaire pour les traditions folkloriques et les expressions parfois banales d'une province et d'une région. Au Valencien, sa paella, à l'Asturien son cidre et sa fabada, au Catalan la butifarra. Un régionalisme sous-développé et limité au niveau des danses et des costumes régionaux, très stylisé et préservé, mais avec pas mal de déformation, dans l'Espagne unitaire de Franco.

Les réductionnistes linguistiques, qui sont légion en Espagne, n'aiment pas non plus parler d'ethnies. Ces personnes, outre les indicateurs génétiques et somatiques clairs qui identifient les cultures aux races, s'accrochent à la langue comme seul facteur réellement différenciateur, que ce soit à des fins d'autonomie ou dans un but clairement indépendantiste. Ainsi, l'ethniciste catalan, généralement doté d'un phénotype méditerranéen qui est le plus commun dans cette zone du sud de l'Europe, indissociable en tout point de tout autre espagnol "standard", fait valoir son identité linguistique comme seule ressource différenciatrice ; une identité qui, soit dit en passant, est commune avec celle que possèdent les Valenciens et les habitants des Baléares ainsi que de nombreux habitants du sud de la France. L'existence d'une langue catalane est la seule façon pour les séparatistes de parler d'une "nation catalane", qui n'a pas existé politiquement tout au long de l'histoire. À l'autre bout du charabia centrifuge espagnol se trouve le cas des Asturies, où l'on trouve - comme c'est typique du nord de la péninsule - certains des génotypes les plus anciens d'Europe (il faut toujours laisser de côté le flot de population étrangère récente qui s'est accumulé dans les villes) et où l'on trouve des preuves de l'existence du premier royaume chrétien indépendant sur la péninsule après l'invasion mahométane.

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Dans la Principauté des Asturies, la puissance de sa propre langue vernaculaire (et, comme le catalan, pas exclusive non plus, puisqu'elle est également parlée à León, à Zamora et, plus faiblement, dans les Asturies de Santillana) est une puissance bien moindre, moins efficace comme élément de mobilisation des revendications indépendantistes. Les réductionnistes linguistiques pensent que les Asturies ont leur propre langue et qu'il y a aussi une conscience ethnique ; cependant, il y a beaucoup moins de revendications séparatistes dans les Asturies qu'en Catalogne. Mais, bien que beaucoup de gens soient offensés en l’entendant, la Catalogne est une région beaucoup plus "espagnole" au sens habituel du terme, un sens étranger au réductionnisme linguistique, et très espagnole en termes de paysages, de coutumes, de phénotype, etc. Les réductionnistes linguistiques auront toujours du mal à établir des équations entre la langue et l'ethnicité. Les nationalistes asturiens seront donc toujours condamnés à l'échec et au discrédit international en fondant leurs revendications exclusivement sur la bable et la cornemuse, avec des éléments identitaires plus nombreux et plus forts dans la Principauté : don Pelayo, Covadonga, le royaume des douze rois Caudillos... des éléments strictement historiques qui parlent de la lutte entre les civilisations (les civilisations celto-romaine, germanique et chrétienne des rois d'Oviedo contre la Morisma, des éléments objectifs de l'histoire politique (la création médiévale d'un État qui est, en outre, le germe ou la "mère" des autres royaumes hispaniques). Dans les Asturies, il n'y a pratiquement pas de nationalistes (si l'on excepte les figures isolées telles un Xaviel Vilareyo), mais il y a beaucoup plus d'ethnies au sens global, tandis qu'en Catalogne, il y a plus qu'assez de faux nationalistes, car ce n'est qu'avec leur propre langue et la biretta, et en ignorant leur période de pouvoir, qu'ils ont réussi à conditionner la politique et l'économie du reste du peuple espagnol.

Il en va de même pour l'anomalie basque. À la mort du Caudillo, la langue était plus morte que la bable, dans une Espagne où le bilinguisme et le nationalisme (de type celtique) n'étaient paradigmatiques dans leur pureté que dans le cas de la Galice. Les Basques n'avaient jamais formé d'unité politique, comme les Asturiens l'avaient fait, malgré la folie hallucinatoire de Don Sabino, folie qui créa le PNV. Une ethnie dispersée dans les territoires castillans, navarrais et français qui se sont également regroupés politiquement après la Seconde République, pour former une "nation" selon des critères de réduction linguistique, suivant la ligne purement romantique du nationalisme politique, qui commence toujours par la culture.

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Le mot "ethnicité" et la conception ethnique de l'Espagne ou de toute l'Europe suscitent également des réticences parmi les nationalismes "historiques". Pour beaucoup de gens, seule l'histoire est la mère de tous les peuples. Bien sûr, dans l'histoire, la contingence règne : un mariage de rois, une répartition capricieuse des richesses, une invasion qui n'est pas entièrement rejetée, un traité ou un destin aventureux peuvent provoquer la division ou la fusion des peuples. La nation espagnole est le fruit de l'histoire, et si quelque chose a été fait pour unir ses différents groupes ethniques, c'est bien son unité politique, une unité qui a été, depuis le XVIe siècle, une unité d'armes et de langue, et seulement très lentement un concert de lois et de juridictions.

Il est indéniable que l'Espagne est l'une des plus anciennes nations politiques d'Europe, même s'il faut noter qu'en raison de sa composition impériale, elle a toujours été, du début à la fin, un système de nations ethniques, et le jacobinisme n'a jamais été efficace sur notre sol. Et ce ne sera jamais le cas.

Et maintenant, revenons au livre que la maison d'édition EAS vient de publier. Constructions théoriques d'un mythe européiste, et c'est une bonne occasion de repenser l'avenir européen de l'Espagne. C'est un livre pluriel, avec des perspectives plurielles. Il comprend, comme nous l'avons dit, des textes de Robert Steuckers, George Feltin-Tracol, Guy Héraud, Saint-Loup... Les auteurs sont nombreux et leurs pensées sont assez disparates. Le titre de ce volume collectif coïncide avec un ouvrage de Guy Héraud (L' Europe des Ethnies, orig. 1963), et en fait ce texte, qui apparaît ici, vers la fin du volume, est le chapitre le plus long de tous.

Le point de vue de Héraud est fédéraliste, proudhonien. Il considère que l'Europe est en fait un conglomérat de groupes ethniques qui, au sens le plus large, sont aussi des régions ayant leur propre identité nationale, très souvent associée à leur propre conscience linguistique. Mais le fédéraliste français ne semble pas être un réductionniste linguistique comme le sont les indépendantistes espagnols (qu'ils soient asturiens, basques, catalanistes, galiciens, etc.). Il semble qu'en Europe, le facteur linguistique soit une priorité dans l'ethnicité, au-dessus du facteur biologique - étant donné la fraternité fondamentale de tous les peuples européens, mais il apparaît toujours comme un facteur ajouté à d'autres éléments importants qui définissent une culture nationale. Compte tenu de la série de conflits ethnicistes en Europe (rappelons la tragédie de la Yougoslavie ou la tentative de "nettoyage ethnique" menée par l'ETA et la "gauche abertzale"), la proposition faite par Héraud, il y a des années, semble naïve : par exemple, une série de référendums sur l'autodétermination qui regrouperait démocratiquement et "rationaliserait" le continent selon des critères ethniques. Je crois sincèrement que l'utopie fédéraliste et d'autodétermination de Héraud pourrait finir comme le Rosaire de l'Aurore.

L'écrivain et aventurier français Marc Augier (dit Saint-Loup) est également présenté ici. Augier a cultivé son utopie particulière d'une Europe des ethnies, en identifiant les multiples ethnies, qui ne coïncident pas souvent avec l'État-nation, mais avec les soi-disant "patries charnelles". Inscrit dans un courant non officiellement reconnu par le national-socialisme, qui est celui d'un fédéralisme des ethnies européennes au sein d'une Nouvelle Europe apparue après le triomphe de l'Axe, Saint-Loup a parcouru le continent sur sa moto en "plongeant" dans cette mosaïque de petites patries, dont certaines sont enfouies et aliénées. Dans ses romans, l'auteur et ancien combattant de l'Axe, a rêvé et rêvé de cette hypothétique fédération de régions ethniques que, bien sûr, l'hitlérisme aurait été loin d'approuver en cas de victoire, même si certains hiérarques nazis ont nourri certains objectifs similaires. Saint-Loup proposait une utopie.

La notion de "patrie charnelle", loin des connotations national-socialistes et donc racistes et suprémacistes, a été adoptée au sein de la Nouvelle Droite. Robert Steuckers y réfléchit et, dans le cadre des travaux de cet important penseur belge, nous pensons qu'il pourrait bien être le complément nécessaire à la notion fédérative d'Europe comme Imperium : un pouvoir exécutif central fort dans certaines compétences (défense, planification macroéconomique...) mais qui respecte en même temps l'hypothèse d'un principe de subsidiarité.

Si nous voulons que l'identité européenne, et espagnole, se renforce face à l'invasion du Continent et face à la Mondialisation, il est bon que notre noyau le plus intime ou le plus "charnel" de la patrie récupère et acquière une nouvelle sève. Un livre intéressant et une grande initiative éditoriale.

Pour commander l’ouvrage :

https://editorialeas.com/producto/la-europa-de-las-etnias/

Fêtes romaines : les FAUNALIA RUSTICA (du 5 au 8 décembre)

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Fêtes romaines : les FAUNALIA RUSTICA (du 5 au 8 décembre)

Ex: https://www.romanoimpero.com

Le dieu Faune

Le faune est représenté sous forme humaine et farouche simultanément, en référence donc à l'origine naturelle de l'homme, en tant que fils de la Déesse nature. Faune est aimé mais aussi craint parce qu'il aime la forêt dense et les loups qui s'y promènent. Marcus Terentius Varron, transmis par Saint Augustin, raconte un rituel nocturne que les Romains accomplissaient pour empêcher le démon Faune, à l'occasion de la naissance d'un enfant, de faire du mal à la femme qui venait d’accoucher.

Trois hommes se sont fait passer pour les gardiens du seuil, ils ont franchi les limites de la maison et se sont rendus à la porte principale ; le premier, représentant Picumnus, démon du mortier et de la hache, a frappé le seuil avec une hache, le second, représentant Pilumnus, démon de la lance et du pilon, a frappé le seuil avec une arme de jet, et le troisième, imitant Stercutius, démon des ordures et pour faire contraste avec la purification, il nettoyait le seuil des éclats, commis par les deux autres ; avec un balai (dans les cultures anciennes, certains outils quotidiens avaient valeur magique) en invoquant la Deverra, divinité insérée dans la liste des "Indigitamenta" (invocations aux divinités).

Ces actes rituels auraient exorcisé l'intrusion du Faune ou plus traditionnellement du Silvanus. Varro affirme en effet que trois dieux sont assignés comme gardiens à la femme qui a accouché, afin que le dieu Silvanus n'entre pas la nuit et utilise la violence. Et pour symboliser les trois gardiens, trois hommes doivent faire le tour de la maison la nuit, frapper la limite d'abord avec la hache, puis avec le mortier et enfin la nettoyer avec le balai : avec ces signes d'adoration, le Dieu Silvanus ne peut pas entrer.

Le dieu Faune est plus tard identifié à Pan et, à l'époque classique, les faunes deviennent nombreux, les créatures rurales équivalentes aux satyres grecs. Comme ceux-ci, ils ont le corps moitié homme et moitié bouc, des cornes et des sabots. Selon la tradition, le culte du Faune a été introduit à Rome par Numa Pompilius (754 - 674 av. J.-C.) qui était d'origine sabine, on suppose donc que ce Dieu était aussi sabin : "Et (Numa) divisa l'année en douze mois, en suivant tout d'abord le cycle de la Lune ; ... Il divisa ensuite les jours en jours fastes et en jours mauvais, de sorte que certains jours aucune décision publique ne devait être prise".

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Les faunes rustiques

Dans le calendrier romain, le 5 décembre était le premier jour de la fête des Faunalia Rustica, il était indiqué comme dies faustus, un jour de bon augure, et était particulièrement adapté aux activités commerciales.

En fait, les Faunales étaient célébrées en l'honneur du Dieu Faune. Faune était, au départ, une divinité italique d'origine pastorale, protectrice du bétail et de la fertilité, dont le culte avait pour but de promouvoir la fécondité et la santé du bétail. En ce sens, le Faune était opposé au dieu des bois Silvanus, protecteur des lieux sauvages.

De la faune et de la flore

Lors des Faunalia Rustica, dont les célébrations se déroulaient en plein air et dans les champs, étaient allumés des feux et brûlés des parfums propitiatoires, et la fête durait pendant les heures nocturnes, lorsque des danses étaient organisées, également utilisées par les prêtres saliens pour invoquer la protection du Faune sur la récolte et sur le bétail. En son honneur, un chevreau ou un mouton était sacrifié, dont la chair était distribuée aux personnes présentes, ainsi que de grandes jarres de vin.

Caractéristique surtout des zones rurales, la célébration a lieu en hiver et au printemps : les Faunalia d'hiver, également appelées Faunalia Rustica, ont lieu du 5 au 8 décembre et clôt l'année des travaux à la campagne, tandis que les Faunalia de printemps, mieux connue sous le nom de Lupercalia, précède le réveil printanier de la nature en invoquant la protection des troupeaux, et a lieu le 15 février. L

En fin de compte, il s'agissait de deux Faunales d'hiver, également connues sous les noms de Faunalia Rustica et Faunalia Primaverili, pour célébrer le début du printemps et le renouveau de la nature et invoquer leur protection sur les troupeaux, ce qui se passait le 15 février, d'abord de manière isolée, puis souvent associée aux Lupercales. La nuit, il était d'usage de donner lieu à une danse spéciale, qui était également exécutée par les prêtres saliens, par laquelle la protection des cultures et du bétail par le Faune était invoquée.

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C'étaient des jours où les bœufs n'étaient pas soumis au joug, car même les animaux avaient le droit de se reposer et de participer à la joie, en effet pour l'occasion ils étaient couronnés de guirlandes et de rubans enroulés autour de leurs cornes. C'est pourquoi on célébrait les animaux et le côté animal de l'homme. En effet, dans les temps anciens, les Lupercales étaient l'accouplement des prêtresses avec les bergers, puis transformé en flagellation des femmes par les prêtres et la peur qu'un Dieu mystérieux ne viole la femme qui accouche. En bref, une réédition très élaborée du sexe libre pré-romain.

Les temples

À Rome, le seul temple dédié au Dieu Faune se trouvait sur l'île du Tibre et un autre hors les murs, près d'un bois situé près de la fontaine de l'Albunea, où se trouvait un célèbre oracle dédié au dieu, mais la fontaine portait le nom de la Sibylle appelée Albunea ou Tiburtina, d’après un ancien divinateur alors divinisé, protecteur de la ville de Tivoli et créateur des légendaires livres sibyllins.

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La Sibilla Tiburtina était également une favorite de la déesse Vénus, on soupçonne aussi qu'à des époques plus archaïques, les Faunalia Rustica, outre les banquets et le vin, incluait également les rapports sexuels. Horace ne considère pas le dieu avec grande tendresse et, dans son ode, invoque le Faune lui demandant de montrer son sexe, tout en ménageant surtout les créatures errantes dans la forêt, en particulier les loups, le plus grand danger pour les troupeaux.

BIBLIOGRAPHIE :

- Marco Terenzio Varrone - De lingua Latina -
- Ovidio - Fasti - IV -
- Renato Del Ponte - Dei e miti italici. Archetipi e forme della sacralità romano-italica - ECIG - Genova - 1985 -
- Robert Maxwell Ogilvie - The Romans and their gods in the age of Augustus - 1970 -
- William Warde Fowler - The Roman Festivals of the Period of the Republic - London - 1908 -
- Massimo Izzi - "Faunus/fauni" - in "Dizionario dei mostri" - Roma - L'Airone - 1997 -

 

vendredi, 04 décembre 2020

La Hache crétoise

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Luc-Olivier d'Algange

La Hache crétoise

« Nous autres, les enfants de la frontière, nous sommes souvent incompréhensibles ; nous ne sommes ni fin de siècle, ni début du nouveau, mais plutôt l’empoignade de deux siècles dans l’âme ; nous sommes la paire de ciseaux entre les deux siècles ; il nous faut prendre par le problème des ciseaux : ni les critères de l’ancien, ni les critères du nouveau ne sont applicables. » Andréi Biély

Les grandes œuvres exigent de grands intercesseurs. Que nous serait, par exemple, Edgar Poe sans Baudelaire et Mallarmé ? Si la chance nous est offerte, ne fût-ce que par ces quelques notes, d’inciter le lecteur à découvrir les écrits d’Andréi Biély, nous le devons d’abord à Georges Nivat, son admirable traducteur, Jacques Catteau et Vladimir Dimitrijevic qui furent, dans cette œuvre de divulgation diplomatique, au sens philosophal, les complices de Dominique de Roux, auteur lui-même d’une œuvre frontalière, aurorale, entre l’avant-garde et la Tradition.

unnamedabcdar.jpgLes mots de grand usage nous trahissent, mais loin d’y renoncer ou de céder à la facilité du néologisme, il convient d’y revenir, de s’y heurter, voire de les reforger à notre guise, pour autant que l’écriture s’apparente à une métallurgie, forgerie et alchimie confondues dans la contemplation du minéral en fusion, en attente d’une forme que lui accordera le refroidissement de l’atmosphère. Ainsi en est-il des mots « avant-garde » et « tradition », qui disent tout et son contraire (qui fait également partie du tout) au point de ne plus rien vouloir dire du tout. Ce qui subsiste du sens de ces mots exige, pour être ravivé, ranimé, des œuvres décisives : pas moins, pour le mot de « tradition » que l’œuvre de René Guénon. Quant au mot (composé) « avant-garde », avec le vague ressouvenir d’une audace inquiétante, de quelques bannières guerroyantes emportées par les vent de l’Histoire, cette métaphore militaire appliquée étrangement à quelques mouvements artistiques et littéraires, et qui semble vouloir signifier exactement le contraire du mot « tradition », peut-être est-ce à lire l’œuvre de Biély que nous pourrons lui redonner du sens, non sans être amené à cette découverte étonnante, mais point si neuve , - tant il est vrai que le roulement du tonnerre vient après l’éclair qui nous éblouit : la Tradition et l’Avant-garde tiennent ensemble comme ces cordages dont les marins expérimentés assurent leurs voiles.

         Avant-gardiste, précédant d’innombrables escadres étincelantes de soleil et d’écume, et traditionnelle, car initiatique, l’œuvre d’Andréi Biély nous apparaît, à nous qui sommes à quai dans un chaos qui se croit une époque, telle une nef orientée. La littérature russe, comme la littérature portugaise, eut ce privilège d’être à la fois en retard et en avance d’une ou deux décennies sur les modes françaises. Ainsi chez Biély, comme chez Pessoa, le symbolisme et le futurisme furent contemporains l’un de l’autre, suscitant de coruscantes interpolations, des chassés-croisés vertigineux, des synergies étourdissantes entre la nostalgie et la fureur. En un mot : les temps se précipitaient.

         La temporalité, dégagée de l’illusion de la linéarité, se cristallisait, révélant des feuilletages, des figures que le hasard ni la nécessité ne pouvaient entièrement expliquer : « palimpseste d’enfance », selon la formule de Georges Nivat, recommencement de l’Ecriture sacrée dans l’écriture recommencée de l’écrivain. « Etrange, je te salue » écrivait Andréi Biély dans sa préface à Kotik Létaïev, et cet « étrange », que l’oraison et le labeur de l’auteur nous rendent peu à peu familier, par un retournement du temps, nous offrant ses secrets archéologiques et géologiques, est à la fois l’étrangeté de la Tradition et l’étrangeté à laquelle doit faire face l’Avant-Garde, c’est-à-dire l’étrangeté d’un autre temps, non plus profane, mais dont le sacré n’est pas encore nommé. «  Ce n’est pas, écrit Georges Nivat, l’étrange du film à suspense, ni du récit gothique. C’est l’étrange des grottes, des fissures dans le sol, le brusque anagramme de la nature recomposée devant nous : en descendant dans certaines grottes, nous lisons la superposition des âges. »

         md30773154242.jpgLe récit, et nous verrons à quel point Andréi Biély redonne au sens du mot « récit » sa plénitude, son immensité récitative, s’inaugure par une rupture, une volte, un refus : il n’est plus possible, pour Biély, de raconter une vie humaine selon les seules étapes extérieures, selon l’exclusive visibilité externe, qu’elle soit psychologique ou sociologique ; il lui faut aller plus loin ou ailleurs. Les historicités connues, qu’il s’agisse de l’individu ou du collectif, ont fait leur temps. Le réalisme littéraire est mort et avec lui les déterminismes de l’inné et de l’acquis ; une autre langue demande à surgir pour dire la multiplicité des états de l’être et de la conscience à partir de leur racine, autrement dit de l’enfance. La radicalité avant-gardiste sera ainsi, pour Andréi Biély, le principe de la recouvrance métaphysique, traditionnelle, au sens initiatique du terme. Toute initiation est retour à l’enfance, nouveau silence d’avant les mots, à partir duquel inventer un nouveau langage comme on invente des terres et des cieux nouveaux. L’ingénu et le savant, l’extrême virtuosité du style et l’abrupteté de la méthode conjuguent ce dessein grandiose, y ajoutant, par l’amphibologie, la pointe d’ironie indispensable à toute profondeur.

         L’ironie, non point le sarcasme, non point la condescendance voltairienne, est précisément cette révélation de la double-nature du réel et du langage. Il n’y a guère à ironiser sur les êtres et les choses, et Andréi Biély moins que n’importe quel « homme de lettres » ne s’adonne à cette facilité, car le monde est déjà et par nature ironique. « Tout vrai commencement est un deuxième moment » écrit Novalis, et lui-même, ce moment, double-fond du commencement, de n’importe quel premier mot écrit sur une première page, et ainsi de suite, à l’infini… L’ironie, chez Biély n’est point de l’ordre de l’abaissement, du dénigrement, mais le principe de la célébration. Le monde dans lequel l’auteur s’avance, en magicien et en prophète, est étrange car polyphonique : il est une chose et en même temps une autre, plus profonde ; des échos se précisent, se répondent, se perdent et le son initial n’était peut-être lui-même qu’un écho. «  Kotik Létaiev, écrit Georges Nivat, avance dans la structure immémoriale du dédale que les Dieux ont fait pour lui. Le dédale, le monde, est un rite, un parcours initiatique. Le petit Kotik Létaïev, conduit par des mains non humaines, s’avance vers le naos où il sera initié. » Le récit chemine en nous à mesure que nous cheminons en lui. Une sorte de rêve extraordinairement précis où tous les signes sont intersignes, où les figures du hasard deviennent peu à peu des anagrammes de la Providence, un « par-delà les portes des cornes et d’ivoire », où la fraîcheur couronne de fleurs légères l’ardente lutte contre le langage humain.

         6148tFprd6L._AC_UL320_SR214,320_.jpgTraditionnelle par son approfondissement  du sensible et de l’intelligible des Symboles, par le parcours initiatique qui est au principe de ses récits, par l’élévation du sentiment religieux au resplendissement gnostique, l’œuvre de Biély se tient aussi à l’avant-garde d’une rébellion radicale contre cette restriction de l’entendement humain corrélative de l’appauvrissement du langage qui accompagne depuis deux siècles la marche du « progrès ». L’œuvre de Biély opère, sections par sections, à une prodigieuse réactivation des puissances de l’esprit laissées en jachère. Les êtres humains sont à eux-mêmes leurs pires ennemis, non point par leur empressement à courir à leur perte, à s’engager dans des entreprises hasardeuses ou funestes mais par leur consentement à voir, à sentir et à percevoir en-deçà d’eux-mêmes comme s’ils étaient morts ou presque. Les humains disposent, en général, d’un entendement, instrument prodigieux,  un stradivarius, dont il usent comme d’un tambourin ou d’une tire-lire, non sans tenir cet usage comme réglementaire, conforme aux règles du temps ; ce qui les autorise à honnir et persécuter  ceux-là, les rares heureux, les « fils de Roi », qui s’aviseraient à en faire un autre usage, ne fût-ce qu’en touchant l’une ou l’autre des cordes, - en s’émerveillant de sa résonance !

         L’indigence spirituelle, la médiocrité ne sont pas seulement des accidents, des fatalités, les conséquences de quelque érosion, mais le résultat d’une volonté concertée, d’une rage conséquente. Ce qui existe, ce qui se déploie, ce qui chante, ce qui témoigne des variations chromatiques de la conscience et de l’être, est, pour le Moderne, l’ennemi, et quel magnifique ennemi, dans cette théologie parodique, qu’Andréi Biély, virtuose du Verbe, aventurier et pèlerin des états multiples de l’être ! Le génie de Biély, sa puissance de sagesse et de révolte, tient dans sa phrase, véritable opération de magie synesthésique. La phrase de Biély est  le lieu et le moment où «  les couleurs,les parfums et les sons se répondent » (Baudelaire), où l’intelligible et le sensible resplendissent en des noces qui, jusqu’alors, n’étaient que pressenties. L’écriture d’Andréi Biély ajoute à l’art d’écrire tel qu’il se pratiquait jusqu’à lui une précipitation vers la couleur, vers « l’oraison des sons purs et des rythmes » (Novalis) qui nous donne à comprendre qu’une nouvelle étape vers la rubescence alchimique vient d’être franchie.

bakstbiely.jpgIl existe ainsi, face au « progrès » homaisien, un contre-progrès, qui n’est pas une opposition réactionnaire au progrès mais un aiguisement de forces de résistance à la restriction de l’entendement humain, une résistance, ou mieux encore, une contre-attaque, contre la destruction de l’Ame. Tel est, en effet, le paradoxe, qu’à mesure que s’accomplit  la destruction de l’âme, destruction ourdie, systématique, planétaire, se précisent, en même temps, des forces contraires, d’autant plus lumineuses, exaltantes, et artistiquement accomplies, qu’elles se trouvent être plus directement menacées. Face au « progrès » de la marchandise, de la technique, du grégarisme et de la vulgarité, un contre-progrès progresse à même vitesse dans l’invisible, alliant avec une vigueur méconnue jusqu’alors « l’élégance, la science, la violence ». La formule fameuse de Rimbaud, « il faut être résolument moderne », dit ce heurt, ce jaillissement d’étincelles et d’escarbilles rayant la nuit. Etre contre-moderne, c’est être, d’une certaine façon, ultra-moderne, par la recouvrance du plus archaïque, au point d’user des mots comme un chamane, au point de restituer au langage cette originelle puissance d’évocation qui fut celle des premiers voyants, les Rishis, auteurs des premiers hymnes des védas.

         Il n’en demeure pas moins qu’aucune considération d’histoire littéraire ne saurait éclairer le sens véritable de l’œuvre d’Andréi Biély ; d’une part, parce que les schémas, fussent-ils aussi « radicaux » que l’on voudra, ne correspondent pas, et qu’il faut résolument, pour faire surgir un bref éclair de pertinence, faire se heurter des notions contradictoires. D’autre part, et plus généralement, parce que l’histoire littéraire, les circonstances sociales et historiques, n’éclairent rien d’essentiel dans une œuvre décisive, sinon pour dire ce qu’elle n’est pas. L’œuvre décisive est à elle-même son propre événement. Elle est ce moment où l’Histoire se forge : événement sacré, impondérable, hors d’atteinte, dont l’Histoire humaine est le reflet. Si bien que les catégories, « transcendantalisme », « décadentisme », « anthroposophie », par lesquelles ses contemporains voulurent définir l’œuvre de Biély sont inopérantes. L’œuvre n’est point « transcendantaliste » car pour Biély, « le symbole est immanent à lui-même » ; elle n’est pas « décadente », au sens de « l’écriture  artiste », car sa seule exigence est dans l’exactitude de la description ; elle n’est, enfin, pas plus « anthroposophique », que Le Fou d’Elsa ou La Semaine Sainte d’Aragon, par exemple, ne sont de la littérature marxiste. L’œuvre de Biély ajouterions-nous, pour écarter toute équivoque, n’est pas davantage « mystique » ; bien plutôt « naturaliste », non certes à la façon de Zola, mais selon l’acception de Linné ou de Fabre, - mais d’un « naturalisme » étymologique et abyssal. De ce qui est, Biély veut saisir l’acte d’être, cette antériorité « crétoise », serpentine, houleuse, qui précède notre vision « dorique » du monde, où notre entendement s’est établi pour administrer la réalité. Cette exactitude descriptive (où se conjuguent la rigueur scientifique et la finesse du poète) certes, entraîne avec elle une immense émotion, un éblouissement de larmes lustrales : « Je me rappelle des jours enfuis : ce n’étaient point des jours mais des fêtes rutilantes ; les jours maintenant sont de pauvres jours ouvrables ».

         Observer ce qui est, cette stratification, cette géologie de la conscience, c’est agrandir le monde, lui redonner sa rutilance perdue, nous restituer, nous lecteurs, à sa beauté scintillante, nous arracher à l’exil dans le triste monde des jours ouvrables, pour retrouver la patrie perdue. Cette démarche, en soi, n’a rien de mystique, et un « matérialiste » y pourrait souscrire  si le matérialisme n’était pas l’idolâtrie d’une abstraction : la « matière » invoquée comme l’autre nom du Tout, autrement dit un panthéisme sécularisé.

La méthode de Biély est pour ainsi dire phénoménologique, voire, dans une certaine mesure « existentialiste », en ce qu’il témoigne, dans son art, de la précellence de l’existence sur l’essence, mais elle est aussi « contre-existentialiste » en ce que l’existant est, pour elle, un abîme, et un abîme qui se retourne, les profondeurs s’ouvrant sur les hauteurs. Le grand art, l’extrême virtuosité de sa prose prosodique au service de sa phénoménologie de la conscience, telle est la « praxis » révolutionnaire de Biély, où l’observation est au principe de la réactivation, où la description paléontologique et géologique de la conscience est la condition nécessaire à la recouvrance des possibilités laissées en jachère de l’entendement humain. User de toutes les ressources de « l’Art pour l’art » contre « l’Art pour l’art », dire l’archaïque par la fine pointe de la civilisation pour irriguer toute l’histoire, du début à la fin, et peut-être, faire de cette fin, mieux qu’une finalité, un nouveau commencement.

imagesabpotr.pngL’œuvre de Biély opère à une « rejuvénation » du Logos et de l’âme. L’écriture de Biély est une écriture des crêtes, hérissée de glaciers soleilleux. Les ardeurs et les froidures extrêmes s’exacerbent : «  Là-bas, le diamant de la neige… Là-bas, de là-bas, te fixe, le même être (qui est-il ? Tu ne le sais pas) et il a le même regard (ce regard inconnaissable) dont il déchire les voiles de la nature : et en toi, il suscite quelque chose d’infiniment proche, intime, inoubliable… ». La recouvrance du Logos, répond à un appel lointain, un paysage hyperboréen, une crête éblouissante qui nous regarde, qui nous donne la mesure d’un silence terrifiant, propre à stupéfier toute parole, mais dont sont issus tous les mots que nous devons écrire. Car en amont de toutes ses définitions (logique, discours, imagination, raison) le Logos est resplendissant de silence. La descente dans les profondeurs, la géologie de l’âme, ne peut se dire que par l’écriture des crêtes et des abysses ; le voyage au centre incandescent requiert les aiguilles de glace, la brûlure du froid qu’environne l’aurore boréale de la mémoire. Dire la « mémoire de la mémoire », c’est dénouer l’entrelacs du Logos, et le renouer autrement, comme l’aurore dénoue la nuit qui fut elle-même le dénouement du jour.

         Une lecture sapientielle, voire ésotérique, de Biély est donc possible. Lire devient alors, non pas une expérience seconde par rapport à des expériences premières, mais une expérience première et annonciatrice, une ressaisie de ce qui fut qui préfigure ce qui doit être, expérience que l’on pourrait dire paraclétique. De même que la glace brûle, l’écriture hausse la température du temps. L’éternité n’est pas la négation du temps, mais un temps qui brûle et qui flambe. Ce temps n’abolit point ce qu’il consume, de même que le règne de l’amour n’abolit point le temps de la Loi, ni celui de la Grâce, mais les couronne dans un supra-sensible concret. En ce sens, la perspective paraclétique de Biély est le contraire d’une utopie. Ce qui est, qui contient ce qui fut et ce qui doit être, lui suffit. Mais ce qui est n’est autre que la frontière, et cette frontière c’est l’œuvre, en forme de hache crétoise, qui la définit.

Luc-Olivier d’Algange

Cette étrange synthèse entre communisme et nation

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Cette étrange synthèse entre communisme et nation

Par Ambrogio Lusardi

Sur Ernst Niekisch (25 mai 1889 - 23 mai 1967)

Ex: http://www.centrostudilaruna.it

phpThumb_generated_thumbnailjpgMBNB.jpgIl y a des zones d'ombre dans l'histoire que l’on ne raconte généralement pas; peut-être à cause de la difficulté de les étiqueter, de les insérer dans des schémas préconçus qui facilitent, pour les utilisateurs d'un tel code (les masses), la compréhension de la réalité comme mythe : la réalité de la lutte métaphysique du XXe siècle, la lutte du Bien (l’antifascisme sous ses diverses formes, même si les communistes, et surtout les staliniens, étaient partiellement dénigrés dans ce contexte) contre le Mal (le sulfurisme nazi, satanisé à souhait avec queue velue et ratomorphe, fourche brandie).

Ceux qui, pour une raison ou une autre, sont sortis de la Seconde Guerre mondiale en faisant partie du camp des vainqueurs, ont surtout diabolisé la "question nationale" : en bref, il est normal de chanter l'hymne national pour se donner une miette de patriotisme, mais sans jamais exagérer. La libre circulation des biens et des personnes, qui concerne toujours les marchandises, ne peut être entravée.

Parmi les vainqueurs, en particulier les gauchistes, les idées de patrie et de nation, sous toutes leurs formes, sont aujourd'hui plus que jamais combattues. Et ce n'est pas nouveau, pour vous dire la vérité. Et pourtant, il fut un temps, dans le chaudron idéologique et révolutionnaire bouillonnant de la République de Weimar, quelqu'un tenta l'audacieuse entreprise de combiner sérieusement le communisme et la nation.

Un livre récemment publié - National Bolshevismo - Uomini, Storie, Idee de Marco Bagozzi (Noctua Edizioni) raconte ce cheminement hérétique, inconnu de la plupart des gens. Bagozzi nous promène des hypothèses émises par les intellectuels "révolutionnaires conservateurs" sur le caractère "national" de la révolution bolchevique, pour nous amener aux principaux auteurs du courant idéologique dont question : en particulier à Ernst Niekisch et aux frères Ernst et Friedrich Georg Jünger, qui ont collaboré assidûment à la revue "Widerstand" (Résistance) de Niekisch. Ce dernier est né politiquement en tant que socialiste ; il avait été fasciné par la révolution russe, avait lu Marx et rejoignit bien vite la SPD (le Parti social-démocrate allemand).

Bagozzi écrit que "Niekisch admirait tout ce que les intellectuels marxistes abhorraient à propos de l'Union soviétique : la volonté de produire et de défendre la Patrie, la consolidation héroïque de l'État, l'attitude guerrière et aristocratique des classes dirigeantes". Le thème fondamental de sa production intellectuelle réside également dans la polémique anti-occidentale et anti-latine (en fait, singulièrement similaire à celle formulée par un "latin" contre-réformiste, hostile à l'Europe libérale et "moderne", Curzio Malaparte), au nom de laquelle il espère toujours une alliance avec l'Union soviétique "asiatique" et "barbare". Grâce à une telle alliance, l'Allemagne devrait retrouver ses racines, sous le signe d'un "bolchevisme prussien", et créer un bloc géopolitique radicalement opposé au monde occidental, capitaliste, libéral et bourgeois,individualiste.

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Pour avoir écrit un pamphlet anti-hitlérien, Hitler, une fatalité allemande, et pour ses activités politiques à la fin des années 1930, il fut condamné à la prison à vie, et ne fut libéré qu'à la fin de la guerre ; il rejoignit ensuite la RDA, dont il se détacha par la suite.

Les articles des frères Jünger publiés dans le magazine Niekisch sont également intéressants.

Friedrich Georg théorisa, dans les pages de "Widerstand", un état qui devait être "la quintessence du pouvoir maximum, absolu, transformé en un organisme, dont la croissance et le renforcement justifient tout critère, même le plus violent, le plus cruel". Il a également soutenu la nécessité de "détruire toutes les formes politiques de capitalisme" et de construire le "socialisme allemand", "en brisant le pouvoir de l'argent".

Le plus célèbre des deux frères, Ernst, pour sa part, a décrit le futur État comme « national, social. et militaire ». Et il sera articulé sous une forme « autoritaire ». Il considérait les "nouveaux nationalistes" comme des révolutionnaires "sains, véritables et impitoyables ennemis de la bourgeoisie". A retenir, dans ce contexte, sa célèbre phrase : "Devant la figure du Travailleur, il n'y a pas de place pour le bourgeois", tirée du texte important de 1932 intitulé Le Travailleur, qui fait le duo avec autre texte bref mais dense, La Mobilisation totale.

Dans le livre de Bagozzi, on retrace également l'histoire d'autres intellectuels mineurs du courant étudié : Paetel, Winning, Lass, Boysen ; et on raconte les expériences "bolcheviques nationales" des factions communistes et national-socialistes allemandes, telles que les nationaux-communistes hambourgeois Wolffheim et Laufenberg, les frères Strasser et les SA. Un livre recommandé pour ceux qui veulent explorer les possibilités cachées de l'histoire, et sa "zone d'ombre".

Revolution as Profession

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Revolution as Profession

When the historian Ernst Nolte formulated the thesis that Auschwitz was “the fear-induced reaction to the extermination processes of the Russian Revolution,” he was finished in the academic world. It was even of no help to him emphasizing that the copy was more irrational, more appalling and atrocious than the original. He was not forgiven the comparison since he seemed to call into question the singularity thesis, the incomparability of NS terror. That fit the taboo on totalitarianism theory. Right-wing and left-wing terror should not be mentioned in the same breath; National Socialism and International Socialism are not to be compared. And therefore all attempts to similarly work through the reign of terror by the Communists in its broad impact, as has been done with that of the Nazis, have been in vain. Of course, one would have to differentiate here. French intellectuals have undoubtedly been affected by the shocking reports by Koestler and Solzhenitsyn about the Moscow Trials and the Gulag. That was, at best, embarrassing for the German left. And so it should be no surprise that it celebrated Lenin’s 150th birthday—though under coronavirus conditions.

Lenin was the star of the Bolsheviks, who understood themselves to be the Jacobins of the twentieth century. He was undoubtedly an exceptionally gifted demagogue, but one should not imagine the Russian Revolution as resulting from a social movement; it was a project of intellectuals. The Bolshevik vanguard consisted of theorists, frequently emigrants, who had learned from Marx to use Hegel’s dialectic as a weapon. In this respect, the neo-Marxist bible History and Class Consciousness (1923) by Georg Lukács is still today unsurpassed. Here Hegel’s adroit dictum “all the worse for the facts” is taken seriously: more real than the facts is the totality as it presents itself from the standpoint of the proletarian class. In this way, dialectics becomes opium for the intellectuals.

what_is_to_be_done_47.jpgLike the French Revolution, the Russian is also marked by an alliance of philosophy with fanatical enthusiasm. And this fanaticism of the Lenin cult has found its intellectual fans up into the present—one thinks of the hypersensitive aesthetician Walter Benjamin, of the communist model poet Bert Brecht, of the philosopher Jean-Paul Sartre, then the student movement of ’68 and the present-day left. We owe the most extreme formulation of the cult to Ernst Bloch: “Ubi Lenin, ibi Jerusalem,” where Lenin is, there is salvation, the kingdom of freedom and eternal childhood in God. Ernst Nolte was thus right when he characterized Marxism as “the last faith in Europe.” And this faith was “organized” by Lenin.

The central Leninist dogma was that of the actuality of revolution; it was on the agenda. The suggestive project formula was: “electrification plus soviets.” The revolutionary project was thus constructed like an ellipse around two focal points, the industrialization of agrarian Russia and secondly radical democracy: “All power to the councils.” However, a Soviet Union in the literal sense never quite existed. The Soviet myth was never anything other than opium for the people. For Lenin had designs all along on a dictatorship of the party. It owes its vanguardist self-image as the embodiment of proletarian class consciousness to strict organization and sharp selection. It not only claims to make the proletarians conscious of their true interests, but claims, as well, to be the leader of all the oppressed. With this noble claim, an elite cadre party legitimizes its totalitarian rule. Thus characteristic of the Russian Revolution was not the spontaneity of the masses but authoritarian leadership. From the outset, the dictatorship of the proletariat was a dictatorship of the bureaucracy. The Bolshevist elite had the utmost mistrust of the chaotic people, who were to be transformed into an alliance of the oppressed, organized by fanatical intellectuals. And for this reason we can say today: Lenin is current in a baleful sense, as long as the thought of a revolutionary dictatorship lives on—as long as there are parties that understand themselves as the embodiment of the truth and abuse the state as a weapon.

Revolutionary vanguard, Bolshevist elite, cadre party—what inspires these concepts is the notion of revolution as a profession. In his pamphlet “What Is to Be Done?” from the year 1902, Lenin also presents us with the figure of the professional revolutionary. His living existence is party work. Lukács’s Lenin apology went on to further elaborate the theoretical ideal of the sacrificial professional revolutionary in the interest of humanity. As a fanatical Jacobin, he enters the stage of world history for the first time. Yet has one really to imagine the professional revolutionary as an engaged, ascetic fighter? Hannah Arendt drew an entirely different picture: “His time is essentially filled with study and contemplation, with theories and discussions, and of course with reading newspapers, and the sole object of all these purely mental activities is the study of revolutions. The history of the professional revolutionary in the nineteenth and twentieth centuries belongs in truth neither to the history of the working nor the owning classes, but surely to the as yet unwritten history of productive idleness.” What drives the professional revolutionary is therefore not the suffering of the oppressed, but the bohemians’ hatred for the bourgeoisie. The profession of revolution is held by those who have no profession and who stylize, as an aesthetic-political posture, their ressentiment against achievement.

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One could speak of a birth of Red Terror from the spirit of dialectical philosophy—of a transition of the bohemian attitude into “merciless mass terror.” Lenin demonstrated that the absolute terror of Jacobin rule could be exceeded, namely, by the radical destruction of the bourgeoisie. Here Marxist class struggle assumes the character of an absolute antagonism. The struggle against the class enemy escalates to a war against monsters. Thus Lenin preached civil war and the necessity of violence. This makes him to the present day one of the most important theoreticians of partisan struggle and guerrilla warfare. For Lenin, an avid reader of Clausewitz, not only war but above all civil war marked the continuation of politics. In this way, even the completely non-Marxist Russian Sonderweg to communism could be justified. Class warfare came to replace for him the crisis of capitalist society. He construed World War I as the result of capitalist collapse and as a historical sign of world revolution.

Anyone who did not share the red belief in the actuality of revolution already came to feel the horror of totalitarian rule in Lenin’s time. There were camps for regime opponents, pogroms against religious believers, and concentration camps for the class enemy. Anyone who opposed the Bolshevist elite was considered a criminal, strikes were considered treason, and every critic was treated as an enemy. That expressions of free speech were prohibited was then self-evident. Stalin only had to systemize this. In the course of the Great Purge, the “enemy of the people” gradually replaced the class enemy. And enemies of the people could indeed also be found within one’s own ranks; they all disappeared in the Gulag. And there, “counter-revolutionaries” were treated even more cruelly than criminals. In 1949 Arthur Koestler, who was himself from 1931 to 1937 a member of the CP, could write in summary: “It is a fact that Stalinism has transformed itself into a movement of the most extreme right over the course of the last 20 years, in accord with established criteria: chauvinism, expansionism elevated to the extreme, a police regime without habeas corpus, monopolization of the means of production by a corrupt hereditary oligarchy, oppression of the masses, elimination of all opposition, abolition of civil and individual rights.” In plain words: with the Great Purge, the red terror culminates in right-wing extremism. A clearer confirmation of totalitarianism theory is not even conceivable. Mussolini and Lenin, Hitler and Stalin were ideological doubles.

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Hardly any other book has more strongly altered the European view of the Soviet Union than The Gulag Archipelago by Solzhenitsyn. Through its countless witness testimonies, it has the distinction of being authentic. But one can best gain an impression of the Leninist-Stalinist system by reading Koestler’s Darkness at Noon and Orwell’s 1984. For at issue is not only physical but also psychological cruelty of unimaginable dimensions. What is meant here are show trials, confessions of guilt extracted under torture, and self-incriminations preceded by thorough brainwashing.

We in Germany know show trials primarily through the film footage documenting how in the early 1940s Roland Freisler, president of the People’s Court of Justice, handed down death sentences that had already been determined. These trials were aggressive humiliations in which the defendants were granted no right to a defense. The prototype of such trials was established by the Moscow Trials from 1936 to 1938, in the course of which nearly the entire leadership of the October Revolution was liquidated. One did not shrink from torture to produce “confessions of guilt.” Like Leon Feuchtwanger, Ernst Bloch was also among the intellectuals who justified these Moscow show trials. But the liquidation of the “enemies of the people” did not suffice those in power. The memory of the “non-persons” was also to be wiped out. Several retouched photos of Lenin and Stalin became famous precisely because of this.

Lukács-comisario-alimentos-hungría--outlawsdiary02tormuoft.pngThe self-incriminations before the tribunals, which were not forced by torture, but also those in numerous writings of communist intellectuals, belong to the great moral scandals of history. One understands them better when one sees how Bolshevism abrogated the moral verities of bourgeois society. Lukács spoke of a “second ethics” that would forcibly and cruelly create clarity in the confused world of the humane. The terrorist is the Gnostic of the deed, who takes crime upon himself as a necessity in the struggle against capitalism. Lukács dedicated his essay “Tactics and Ethics” to the young generation of the Communist Party: the terrorist as hero sacrifices his ego on the altar of the idea that presents itself as an order issued from the world historical situation. And in a letter to Paul Ernst from May 4, 1915, one reads about the revolutionary: “Here—to save the soul—the soul itself must be sacrificed: one must, out of a mystical ethics, become a cruel political realist.” Such is in keeping with the syndrome that Manès Sperber called treason out of loyalty, that is, denial of one’s own standards and convictions, intellectual masochism, and obsequious ingratiation with the “working class.”

So this is the real answer to the question “What is to be done?” Even if Stalin and Mao then surpassed him—Lenin set standards in revolutionary inhumanity. He stood against everything that state policy in the modern era was supposed to accomplish until now: namely, to prevent civil war, to bracket war, and to still see in the enemy human beings. For Lenin, good was everything that demolished bourgeois society. Whoever celebrates him is therefore either ignorant or malicious. One should treat Lenin’s birthday with the same tabooed reticence as April 20th.

Homme du matin versus homme du nouveau

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Homme du matin versus homme du nouveau

Conversation d'âmes avec Luc-Olivier D'Algange

par Frédéric Andreu-Véricel

"Homme du Matin", "auteurs matinaux", "pensée aurorale"... autant d'expressions qui, prononcées au détour d'une causerie amicale, attirent aussitôt l'attention, voire soulèvent un peu le voile de l'horizon sans doute plus efficacement que la fréquentation de longues travées spéculatives.

Mais il faut parfois se lever de bonne heure pour saisir la portée de ces expressions qui semblent échappées d'un dialogue de Platon.

Personnellement, je ne suis pas un lève-tôt - ni d'ailleurs un lève-tard. C'est vers neuf heures du matin, alors que les premiers rayons de soleil jouent de la harpe avec mes cils entrouverts, que je pose le pied au sol. Je "comprends" alors au sens premier de "cum-prehendere", saisir avec soi - et sans me perdre en conjectures philosophiques - ce que Luc-Olivier d'Algange entend par "homme du matin"...

Ce type d'homme, précise-t-il, c'est « l'homme de la réminiscence », l'homme du "matin profond" platonicien.

Seulement voilà, ne connaissant Platon qu'à travers quelques citations, j'ai recourt aux néo-platoniciens de la cadena aurea, cette chaîne d'or de la tradition qui tinte assurément dans les écrits de Luc-Olivier d'Algange pour le saluer de loin. L'"homme du matin" est celui qui résonne, voire raisonne, avec cette tradition. Il est encore capable d'être émerveillé par un lever de soleil, capable d'être surpris par un sourire qui traverse la foule... autant de "rendez-vous" fixés l'on ne sait où, et dont nous avons l'impression d'arriver après l'heure. Ces échos provenant de plus haut que soi ne sont-ils pas, après tout, autant d'indices conduisant au centre de notre labyrinthe intérieur ?

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Je comprends que cet "homme matinal" est aussi celui qui, devant un Nicolas Poussin, un Vermeer, un Van Gogh, "se souvient". Il se souvient ou, plus exactement, son âme se "souvient". Et cette réminiscence lui indique des voies de compréhension à la fois anciennes et nouvelles. Cet homme de la réminiscence, ajoute si joliment Luc-Olivier d'Algange (dans un entretien réalisé sur Ernst Jünger) "va aussi légèrement que possible vers ses plus lointains souvenirs"...

Mais alors, cher Luc-Olivier, l'"homme du nouveau", qui est-il ? Le double négatif de l'homme du matin ? Celui qui ne sait plus qu'il a une âme ? Est-ce donc l'homme noyé dans la "Lethia", le fleuve de de l'oubli ?

L'"homme du nouveau", écrit Luc-Olivier, "c'est l'homme de la planification abstraite et vengeresse. [...] cet homme, nous le voyons au travail, uniformisateur et nihiliste, qui ne connait qu’une seule modalité du temps, celle de l’usure".

Voilà qui est dit. Seriez-vous d'accord, cher Luc-Olivier, d'ajouter ceci ? Le but de l'"homme du nouveau" est de résoudre son "équation individuelle" alors que l'"homme du matin", lui, recherche sa légende narrative ?

Si oui, si dans votre esprit, le monde, hanté par la loi naturelle, agit encore comme une voûte narrative toute résonante d'échos, alors, inutile d'aller plus loin !

Inutile de rechercher d'autres preuves. Vous savez comme moi que, de toute façon, les preuves fatiguent la vérité. Ajoutons simplement que s'ils leur arrivent de parler la même langue, l'"homo mecanicus" et l'"homo legendicus" (deux variantes latines que je n'ai pas mentionnées dans le titre pour ne pas paraître pédant) ne parlent tout simplement pas le même langage.

Le premier court au devant d'une réalité qui lui échappe - alors même qu'elle ne cesse de se dévoiler sous ses yeux. Il regarde sans voir ; il entend sans écouter. Il y a un moyen infaillible de le reconnaître. La conversation de l'"homme du nouveau" aboutie presque toujours aux mêmes ronds-points idéologiques. J'entendais l'autre jour au milieu de la foule prisonnière du métro tombé subitement en panne : "Ce n'est pas la technologie qui est en cause mais l'usage qu'on en fait".

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Non ! Monsieur du métro ! Je ne suis pas d'accord avec vous ! Ce n'est pas l'usage que l'on fait de la technique, mais bien la technique elle-même qui absorbe nos souverainetés concrètes à l'instar des trous noirs de la stratosphère absorbant la lumière. C'est elle qui relègue la Nature et l'Homme au second plan. Suivant une courbe d'expansion qui lui est propre, plus la technique progresse et plus l'humanité recule. Etape après étape, l'homme se transforme en individu détribalisé, atomisé, interchangeable. Ceux qui, par instinct de survie, jetteraient la télévision à la poubelle, refuseraient les slogans à la mode tels que "progrès", "performance" ou encore "globalisation heureuse" seraient traités d'"aigris" ou de "réactionnaires" entre autres noms d'oiseau.

Cet homme au souffle court (et qui pourtant ne manque pas d'air), addict aux écrans plats ignore qu'il existe des voies de changements qui permettent de rester soi-même. Il réside en réalité dans un monde parallèle et factice. (D'ailleurs, ne l'es-tu pas devenu peu ou prou, toi qui te trouve en cet instant même devant l'écran de ton ordinateur ?).

Cet homme parallèle ne voyage pas, il circule. Se rend-il seulement compte qu'en circulant en métro, il se retrouve en-dessous de la terre, telle une taupe ; se rend-il compte qu'en avion, il survole la terre comme un oiseau ? Quand d'aventure il se retrouve sur le sol ferme, c'est bien souvent pour le fuir en courant à toute vitesse, emballé dans un de ces collants plastifiés de "jogger". Emballé, certes, mais au sens de l'emballage du poulet de supermarché.

Cher Luc-Olivier, merci pour cette conversation d'âme à âme. Vos mots sont ceux d'un veilleur.

Frédéric Andreu-Véricel

La grande glaciation économique

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La grande glaciation économique
 
Le nouveau livre de Thomas Flichy de la Neuville
 
Chers amis,

J’ai le plaisir de vous présenter notre prochaine édition « La grande glaciation économique » de Thomas Flichy de la Neuville.
 
Sans+titre-2.pngEn l’an un de la révolution sanitaire, alors que chacun était confortablement isolé dans sa bulle numérique, la température chuta brusquement. La grande glaciation économique avait en effet commencé. Jadis flamboyants, les chefs d’hier se laissaient envahir par la dépression. 2021 fut donc un long hivernage marqué par l’effondrement démocratique, l’enfermement digital et la montée générale de la violence. Ce dernier entraîna la mort de nombreux caméléons politiques, prisonniers de leurs raisonnements captieux. Seule une infime minorité réussit à s’extraire de la tourbe et à survivre aux effondrements silencieux en cours. Puisant ses ressources dans la déconnexion et l’investissement artistique, ces chefs venus de nulle part réussirent à perpétuer la vie malgré les difficultés.
 
L’auteur est ancien élève en persan de l'Institut National des Langues et Cultures Orientales, Thomas Flichy de La Neuville est Professeur agrégé de l’Université, docteur en droit et habilité à diriger des recherches en histoire. Ses travaux scientifiques portent sur la capacité des civilisations à transmettre la vie sur la longue durée. Cette approche géoculturelle s'est intéressée dans un premier temps aux potentialités créatrices des élites, notamment dans les armées -La fantaisie de l'officier. Trois civilisations majeures ont fait l'objet d'une enquête géoculturelle: "La Perse", "L'Iran au delà de l'Islamisme", la Chine: "Stratégies chinoises, le regard jésuite", et la Russie: "Chine, Iran, Russie, un nouvel empire mongol ?". Sous sa direction, plusieurs équipes ont analysé les conflits contemporains sous l’angle de la géoculture ("Opération Serval au Mali, l'opération française décryptée", "Centrafrique, pourquoi la guerre ?", "Ukraine, regards sur la crise"). Thomas Flichy de La Neuville est titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business. Il intervient dans de nombreuses universités étrangères, notamment à l'United States Naval Academy, la Theresianische Militärakademie l'Université d’Oxford et l’académie diplomatique de Vienne. »
 
La sortie de « la grande glaciation est prévue d’ici quelques jours et vous serez livré à partir du 8 décembre prochain.
 
 
Je vous souhaite un joyeux Noël et reviendrai vers vous début 2021 pour vous présenter nos projets à venir.
 
A bientôt
 
Laurent Hocq
Editeur pour BIOS
 
+ 33 6 4084 4905

jeudi, 03 décembre 2020

Die NATO: hirntot, obsolet und brandgefährlich

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Die NATO: hirntot, obsolet und brandgefährlich

Von Willy Wimmer, Parlamentarischer Staatssekretär des Bundesministers der Verteidigung a.D.

Ex: https://www.world-economy.eu

Alleine schon die letzten Wochen machen deutlich, was mit der NATO los ist. Jetzt wird
der Eindruck beim gestrigen Treffen der NATO-Außenminister erweckt, man könne bei der NATO etwas reformieren, um sie zukunftsfähig zu machen. Das ist eine vergebliche Liebesmüh. Afghanistan macht deutlich, was an der NATO nicht stimmt und nie stimmig gemacht werden kann. Die NATO dient einzig und allein dem alten Ziel, das bei ihrer Gründung 1949 durch den damaligen NATO-Generalsekretär Ismay ausgegeben worden war: die Amerikaner rein nach Europa, die Russen raus aus Europa und die Deutschen in Europa unten halten. Das war aus angelsächsischer Sicher hochgradig konsequent. Das war seit 1871 und den damaligen Ansichten des britischen Premierministers Disraeli konsequente britische und amerikanische Politik nach der Gründung des Deutschen Reiches und wegen der Gefahr einer Zusammenarbeit zwischen den beiden Kontinentalmächten Russland und Deutschland.

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Über Versailles 1919 wurde diese Politik konsequent fortgesetzt, wie Alexander Sosnowski und ich 2019 in unserem Buch "und immer wieder Versailles" unter Beweis gestellt haben.


Selbst der französische Präsident Macron hat in diesem Zusammenhang die Verantwortung Frankreichs für die nationalsozialistische Bewegung eines Adolf Hitler vor wenigen Monaten öffentlich festgestellt. In einer Zeit der gezielten Tötungen wichtiger Persönlichkeiten fremder Länder sollte man sich in Deutschland in Erinnerung rufen, was die Zeit nach dem Ersten Weltkrieg bestimmte. Da wurde 1922 der damalige deutsche Außenminister Walter Rathenau auf offener Straße ermordet und damit derjenige, der nicht nur für die deutsche Kriegswirtschaft im Ersten Weltkrieg maßgebliche Verantwortung getragen hatte. Walter Rathenau war derjenige, der versuchte, davon "Versailles" bestimmte Deutschland vor dem endgültigen Absturz durch eine enge Zusammenarbeit mit der Sowjetunion zu bewahren. Zeitgleich wurde durch vor allem amerikanische Finanzmittel und mit Wissen der US-Regierung der stramm antikommunistisch und antisemitisch eingestellte Adolf Hitler vor der politischen Bedeutungslosigkeit mit Hilfe des US-Militärattachés in Berlin bewahrt. Da war es zielführend konsequent, wenn ein Reichskanzler Hitler umgehend die enge Zusammenarbeit zwischen Reichswehr und Roter Armee nach der nationalsozialistischen Machtergreifung 1933 beendete. Für eine Zusammenarbeit zwischen Russland und Deutschland waren die amerikanischen Finanzmittel an Hitler jedenfalls nicht geflossen.


Der Art und Weise, wie nach 1990 und dem Ende des Kalten Krieges jede Zusage an die damalige sowjetische Führung, die NATO in einen Konsultationsmechanismus zu verwandeln und keinesfalls eine militärisch integrierte NATO nach Osten auszudehnen, gebrochen wurde, macht heute eines mehr als deutlich.


Die alte Zielvorgabe für die Gestaltung des euro-asiatischen Kontinentes bleibt unverändert bestehen. Eine gedeihliche Zusammenarbeit auf dem euro-asiatischen Kontinent zwischen Russland und Deutschland muss unter allen Umständen hintertrieben werden. Das ist der Zweck der NATO und das im Vorfeld einer Präsidentschaft Joe Biden, der wie kein Zweiter für die Kriegs-und Drohnenmord-Politik des ehemaligen amerikanischen Präsidenten Obama steht. Was uns da bevorsteht, kann man an einem Punkt der Empfehlungen für die NATO-Außenminister sehen. Die Einstimmigkeit für Kriegsbeschlüsse soll aufgehoben werden. Die Grünen haben am vorigen Wochenende bei ihrem Parteitag schon deutlich gemacht, welche Weg eingeschlagen werden soll, sich über die Charta der Vereinten Nationen dann hinwegzusetzen, wenn aus Washington wieder zum Krieg geblasen werden soll. Wenn die Einstimmigkeit fällt, fällt der letzte Anker für die Beachtung nationaler Verfassungen und des Völkerrechts, bis auf die Hilfsmittel aus den Zeiten der Kolonialpolitik wie "Recht auf Schutz anderer" und "Verhinderung humanitärer Katastrophen".

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Wochen, nachdem die Welt sich an die Nürnberger Kriegsverbrecherprozesse erinnerte, geht die NATO in Missachtung der Konsequenzen aus dem Zweiten Weltkrieg ihren sehr speziellen Weg.


Am Ende des Zweiten Weltkrieges stand die Ächtung des Krieges und das Gewaltmonopol des Sicherheitsrates der UN. Mit dem völkerrechtswidrigen Krieg 1999 gegen die Bundesrepublik Jugoslawien hat die NATO nach Aussagen des damaligen Bundeskanzlers Gerhard Schröder nicht nur das Völkerrecht gebrochen. Die NATO hat damit den Rechtszustand des Jahres 1939 wiederhergestellt. An nichts wird das deutlicher als an einem Vergleich zwischen der Rechtslage, wie sie zum Beitritt der Bundesrepublik Deutschland zur NATO bestand und dem globalen Agieren mit Selbstermächtigung heute. Die Pläne für die Endlos-Verlängerung der NATO werden zu einem Zeitpunkt vorgelegt, an dem die Sinnhaftigkeit des NATO-Einsatzes in Afghanistan hinterfragt wird. Fast 60 tote deutsche Soldaten und Milliarden deutscher Steuermittel wurden für fragwürdige Ziele in Kauf genommen. Es fing nach dem amerikanischen Einmarsch in Shebergan und anderswo mit Massenmorden an, als Container mit afghanischen Männern unter gezieltes MG-Feuer genommen wurden. Im Stationierungsgebiet der Bundeswehr wurde anfangs befriedet. Dies bis zu dem Zeitpunkt, als ohne jede Absprache mit den deutschen Verantwortlichen amerikanische Kräfte mit einem eindeutigen Kampfauftrag im Rücken der Bundeswehr auftauchten.


Die deutsche Generalbundesanwältin weigerte sich, wegen der Massentötungen an afghanischen Hochzeitgesellschaften gegen die Täter vorzugehen, weil angeblich auch in den USA gegen die Verantwortlichen vorgegangen werden könne.


Dabei weiß jeder, wie die Verantwortlichen in Washington das internationale Recht auf diesem Feld missachten. Nicht anders verhielt es sich mit der Aussage des damaligen afghanischen Präsidenten Karsai, nach der die Taliban 2004 den USA angeboten hatten, die Waffen auf ewig zu strecken und sich zu unterwerfen. Das Angebot wurde seitens der USA abgelehnt, so Karzai. Unsere Gesellschaften sind noch in der Lage, das sich daraus ergebende moralische Dilemma bei fortdauernder Existenz der jetzt bestehenden NATO tendenziell anzusprechen. Wenn die Einstimmigkeit und die Beachtung des Völkerrechtsendgültig fallen, gehen in "Europa und der Welt die Lichter aus".

Quelle: Alexander Sosnowski, Willy Wimmer: Und immer wieder Versailles
https://zeitgeist-online.de/1075-alexander-sosnowski-will...


Les promoteurs du Brexit déplorent les résultats pourtant prévisibles du Brexit

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Les promoteurs du Brexit déplorent les résultats pourtant prévisibles du Brexit

Par Moon of Alabama

Il ne reste qu’un mois avant que le Royaume-Uni ne quitte l’Union européenne. Il n’y a toujours pas d’accord sur les futures relations entre les deux entités et le temps presse. Mais même si un accord sur les questions économiques est finalisé et signé, il y aura encore de nombreux changements et inconvénients.

L’un des arguments avec lesquels le gouvernement britannique a promu le Brexit était la « fin de la libre circulation ». La plupart des personnes qui ont voté pour le Brexit ont probablement pensé que cela signifierait la fermeture d’une rue à sens unique qui ne concerne que les migrants en provenance de pays pauvres. Aujourd’hui, ils se rendent compte que le Brexit ferme une route à double sens.

Les expatriés britanniques en colère critiquent vertement les nouvelles 
règles de l'UE sur les voyages post-Brexit, qui leur interdiront de passer
plus de trois mois d'affilée dans leur maison de vacances, à partir de janvier * Les règles de voyage changeront après la fin de la période de transition
post-Brexit * Après le 1er janvier, les touristes britanniques visitant les pays de l'UE
seront limités à des séjours de 90 jours * Les règles ont provoqué une réaction brutale de la part des Britanniques
qui possèdent une maison de vacances dans l'UE

Il ne s’agit pas de « nouvelles » règles européennes. À compter du 1er janvier, les Britanniques pourront prendre des vacances dans l’UE pendant 90 jours au maximum par semestre. Il s’agit des règles en vigueur depuis longtemps pour les citoyens non européens si leur pays n’a pas conclu d’accord bilatéral de libre circulation avec l’UE.

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Le Daily Mail, qui se lamente aujourd’hui sur cette question, a fait campagne pendant des années pour que le Royaume-Uni devienne l’un de ces pays. Il est aujourd’hui indigné par les conséquences de cette décision.

Il y aura d’autres « surprises » de ce genre, dont les promoteurs du Brexit pourront se lamenter, même si elles étaient tout à fait prévisibles.

Aujourd’hui, alors que le Brexit devient une réalité, les gens prennent enfin conscience de la myriade de problèmes que cela va créer pour les constructeurs automobiles, les agriculteurs, la logistique et tout le monde en Grande-Bretagne :

Le 1er janvier, la libre circulation des marchandises à travers la Manche 
doit prendre fin pour la première fois depuis un demi-siècle. Ce changement
fait craindre de graves goulets d'étranglement dans les ports et les autoroutes
britanniques, où les douaniers inspecteront les camions dans un contexte de
manque aigu de personnel, ce qui pourrait perturber les chaînes d'approvisionnement. Quelque 10 000 camions traversent la Manche sur des ferries chaque jour,
transportant environ la moitié des marchandises qui transitent entre le
Royaume-Uni et le continent, tandis que des dizaines de traversées quotidiennes
transportent du fret principalement entre Douvres, du côté britannique, et les
ports français de Calais et de Dunkerque. "Le problème est qu'il faut s’arrêter", déclare Richard Ballantyne, directeur
général de la British Ports Association, un organisme commercial. "Le conducteur
et le transitaire devront tous deux présenter des documents et si vous faites
la queue, vous serez immédiatement confrontés à des embouteillages et des retards"
.

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Une grande partie des entreprises qui définissaient Londres comme un centre financier mondial s’installent maintenant dans l’UE :

La plateforme paneuropéenne de négociation d'actions du London Stock Exchange, 
Turquoise, a ouvert ses portes lundi, a déclaré une porte-parole de la bourse,
rejoignant ainsi deux opérateurs rivaux. La plate-forme, basée à Amsterdam, a été mise en place pour éviter de perturber
les clients européens de la Bourse de Londres, qui devront négocier des actions
libellées en euros à l'intérieur du bloc à partir de janvier, car l'accès libre
de la Grande-Bretagne à l'UE se termine le 31 décembre. Deux autres plate-formes de négociation d'actions basées à Londres, Cboe et Aquis
Exchange
, ont ouvert des plateformes dites Brexit dans l'UE pour négocier des

actions libellées en euros. Goldman Sachs ouvre également une plateforme, juste à temps pour le mois de
janvier. ... Si l'ouverture de plates-formes financières alternatives dans l'UE n'entraînera
pas la fuite de nombreux emplois de Londres, d'autres activités liées à la
négociation, telles que la compensation et le règlement, sont également
susceptibles de se déplacer au fil du temps. De nombreuses banques internationales basées à Londres ont ouvert des
plate-formes Brexit dans l'UE et subissent des pressions de la part des
régulateurs pour entreprendre des activités telles que les transactions
sur actions, obligations et produits dérivés pour les clients de l'UE à
l'intérieur du bloc plutôt qu'à Londres.

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Il s’agit là de nombreux emplois très bien rémunérés et de recettes fiscales considérables qui manqueront à la Grande-Bretagne :

Dans un rapport publié le mois dernier, [la société de conseil] EY a déclaré 
que les 7 500 postes et les 1 200 milliards de livres sterling (1 600 milliards
de dollars) d'actifs qui ont déjà été transférés ne sont peut-être qu'un début.
Elle s'attend à d'autres changements de personnel et d'actifs une fois que la
période de transition du Royaume-Uni sera officiellement terminée. Cela est de mauvais augure pour le Royaume-Uni, où la finance emploie plus
d'un million de personnes, représente environ 7 % de l'économie et plus d'un
dixième de toutes les recettes fiscales. Malgré cela, cette industrie n'a
guère bénéficié de l'attention accordée à la pêche, qui ne représente que
0,1 % de l'économie britannique, dans les longues négociations du Brexit.

Le niveau d’accès entre les marchés de la Grande-Bretagne et de l’UE n’est toujours pas défini. Les négociations sont toujours en cours, mais elles portent sur les droits de pêche, sur des conditions de concurrence équitables pour éviter la concurrence déloyale et sur la gouvernance de l’accord.

Bien que l’UE souhaite un accord, personne ne sait si le Premier ministre britannique Boris Johnson veut vraiment en conclure un. Il se peut qu’il ne fasse que jouer avec le temps pour parvenir à un Brexit dur, sans accord avec l’UE.

Mais même si un accord de dernière minute est conclu, il y aura encore de nombreux changements et perturbations. En l’absence d’accord, ces changements seront considérables et risquent de causer des dommages irréparables à la Grande-Bretagne.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

Considérations sur la « Doctrine Macron »

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Considérations sur la « Doctrine Macron »

Par Andrea Muratore

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

La souveraineté n'est rien sans le pouvoir. Si Paris peut apporter son potentiel militaire et industriel pour soutenir des projets concrets de défense européenne capables d'impliquer toute l'Europe et de considérer la Méditerranée comme un espace stratégique européen et non atlantique, l'autonomie peut devenir une souveraineté. Sinon, nous parlerons de la "doctrine Macron", mais nous le ferons dans un cadre "occidental", fonctionnel, conforme aux souhaits des Atlantistes.

Comme on le sait, le sens français de l'Etat et la recherche constante d'une projection économique, diplomatique, militaire et géopolitique originale dans les scénarios de référence de la République ont conduit la France, pendant les décennies de la Vème République, à construire la plus autonome des stratégies politiques dans le contexte européen. Une stratégie très souvent peu scrupuleuse (comme en témoignent surtout les interventions sur le sol africain[1]), garantie par l'assurance-vie de la force de frappe, l'arsenal nucléaire national, et qui a eu dans le "père" de la Vème République, le général Charles de Gaulle, son principal inspirateur[2].

Après des années de tergiversations sous les gouvernements de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, le président français Emmanuel Macron a pensé renouer avec la tradition du "monarque républicain", à laquelle le chef de l'État s'identifie depuis De Gaulle, et entamer une mise à jour progressive de la doctrine géopolitique et géoéconomique traditionnelle du pays, négligée par ses prédécesseurs. Par Sarkozy en premier lieu, car il a fait un préalable de mettre fin à l'autonomie des commandements militaires français par rapport aux structures de l'OTAN. Paris est effectivement revenu en 2009[3] dans le giron de l’OTAN en montrant, systématiquement, emblématiquement, le manque de scrupules de la projection nationale transalpine dans la problématique de l'aventure guerrière en Libye. Par Hollande, ultérieurement, qui a désacralisé, de manière flagrante, le rôle présidentiel, pour la tournure économiste des politiques du président, lequel n'a pas su construire en Europe un plan politique complémentaire à celui d'Angela Merkel en Allemagne, enfin, pour la crise systémique des appareils qui, sous le quinquennat de Hollande, ont commencé à apparaître.

C'est pourquoi on peut dorénavant parler d'une "doctrine Macron", c'est-à-dire d'une contribution donnée par Macron à la redécouverte, en clé modernisée, des lignes directrices de la politique de pouvoir de la France républicaine ; d'une approche systémique de la France face à la concurrence internationale ; de l'identification par le décideur politique de macro-zones précises, définies comme cruciales pour l'élaboration de la stratégie nationale française.

Il y a une profonde contradiction entre l'homme et le président Macron. À des années-lumière de l'ignorance politique grossière d'un Sarkozy ou du manque de vision apathique d'un Hollande, le plus jeune président de la Cinquième République a longtemps été un personnage hybride. Ayant alterné, dans son pays, des réformes "libérales[4]" sur les thématiques du travail[5] et des retraites, des politiques vertes naïves qui ont déclenché la colère de la population qui craignait de voir le fardeau de la transition écologique se décharger sur elle[6] et, enfin, contrepoint politique maladroit à l'islamisme politique avec un vague sentiment occidental et néoconservateur[7], Macron a tenté, sur le front intérieur, d'être transversal, d'échapper à toute catégorisation, avec pour résultat d'antagoniser une large tranche de l'opinion publique. Cette transformation se heurte à une vision des relations internationales qui a toujours été, par comparaison, plus cohérente et plus stratégique.

Un véritable "manifeste" de cette vision a été la récente interview du président avec le magazine français de géopolitique Le Grand Continent, consacrée à la "doctrine Macron"[8]. Macron a abordé un large éventail de questions, de l'avenir de l'Union européenne à celui de l'OTAN, des relations entre la France et l'Afrique au changement climatique, de sorte que l'on peut saisir dans sa complexité, à partir des mots mêmes de la longue interview, la contribution politique du président actuel à la stratégie de l'Hexagone.

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Macron a une idée claire que dans les décennies à venir, l'Europe devra construire des espaces d'autonomie stratégique dans le contexte de la "nouvelle guerre froide" entre la Chine et les États-Unis et que le contrôle français de ces processus est dans l'intérêt national de Paris. "Si j'essaie de regarder au-delà du court terme", a-t-il déclaré, "je dirais que nous devons avoir deux axes forts : trouver les moyens d'une coopération internationale utile qui évite la guerre, mais nous permette de répondre aux défis contemporains ; construire une Europe beaucoup plus forte qui puisse affirmer sa voix, sa force, en maintenant ses principes, dans un tel scénario refondu" [9].

En ce qui concerne cette étoile polaire, cette étoile-guide, toutes les stratégies de fond élaborées par Paris sont déclinées. Alors que le jeu de la défense européenne commune semble extrêmement complexe, auquel s'opposent à la fois la montée des pays pro-atlantiques de l'Est et la position de Washington sur le Vieux Continent ; loin de la "mort cérébrale" définitive de l'OTAN dont parlait Macron en 2019, le président français mentionnait explicitement dans Le Grand Continent la souveraineté européenne dans le cadre des nouvelles technologies : "Nous avançons dans le domaine de l'autonomie technologique et stratégique, alors que tout le monde a été surpris quand j'ai commencé à parler de la souveraineté sur la 5G. Donc, tout d'abord, il y a un travail idéologique à faire, et il est urgent. Il s'agit de penser en termes de souveraineté européenne et d'autonomie stratégique, afin de pouvoir compter sur nous-mêmes et de ne pas devenir le vassal de telle ou telle puissance sans avoir davantage voix au chapitre"[10].

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Parlons d'une question cruciale. La pandémie a accéléré le cheminement commun d'Emmanuel Macron et d'Angela Merkel vers la définition de stratégies à long terme pour la construction des piliers d'un premier projet de souveraineté technologique et numérique européenne, conçu à la fois comme une alternative à la pénétration chinoise et comme un contrepoids au pouvoir d'influence dominant des géants du numérique. La France et l'Allemagne ont encouragé l'année dernière la montée en puissance et le lancement de Gaia-X, le projet d'une plateforme européenne de cloud computing, qui dans un avenir immédiat ne sera pas complètement indépendante de Google, Amazon, Microsoft[11] et des autres oligopoles américains du marché des données, avec un revenu accumulé sur des décennies. Mais ce projet a tout de même a lancé la volonté européenne de participer à la définition de la course vers les nouvelles frontières technologiques mondiales.

Gaia-X, décrit par les gouvernements français et allemand comme une "plate-forme habilitante" pleinement armée de technologies européennes, vise à assurer la mise en place d'une puissance de calcul croissante et d’un développement, par les opérateurs du Vieux Continent, d'infrastructures numériques et physiques pour assurer la gestion, la protection, le stockage et l'exploitation économique des données.

Nous constatons que, comme cela s'est produit dans le passé avec la question de la défense et de l'aérospatiale, la France vise à exploiter le jeu technologique européen comme un multiplicateur de pouvoir politique et comme un moteur de développement de son industrie et de son potentiel de production.

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Cette logique s'applique également aux plans de transition écologique, contenus dans le plan France Relance de 100 milliards d'euros, avec lequel le gouvernement de Paris entend approfondir ses stratégies de relance à long terme après la pandémie. Le président a fait son mea culpa pour avoir suivi pendant longtemps l'écologisme vulgaire et punitif des taxes sur le diesel et des mesures destinées à frapper en premier lieu la classe moyenne, mesures qui ont aliéné la sympathie d'une partie de la population pour le thème de la transition. "Nous devons montrer que chacun est un acteur, et nous devons le faire en donnant à chacun un rôle, c'est-à-dire en développant massivement de nouveaux secteurs d'activité économique, qui permettent de créer de nouveaux emplois plus rapidement que les anciens ne sont détruits", a souligné le Président.

Cette approche est systématiquement étudiée dans "France Relance", comme le rappelle la Rivista Energia. Sur 100 milliards, le plan "consacre 34 milliards à des mesures relatives à la compétitivité de l'économie - en plus des 30 milliards de mesures spécifiquement orientées vers la transition énergétique, et qui comportent des dimensions innovantes fortes, comme la décarbonisation de l'industrie ou le développement des technologies vertes"[12], mettant les technologies les plus durables au service des industries stratégiques : énergie (avec l'hydrogène comme nouvelle frontière), aéronautique, transport ferroviaire, nucléaire. Quatre secteurs dans lesquels Paris entend jouer un rôle européen majeur et créer des normes au niveau de l'UE.

La question de l'autonomie stratégique est associée à un rejet substantiel de l'adhésion au discours dominant imposé par les États-Unis sur les relations internationales et les relations transatlantiques. Dans cette interview, Macron essaie de se rapprocher le plus possible de son auguste prédécesseur, l'anti-américain Charles de Gaulle : "Notre politique de voisinage avec l'Afrique, avec le Proche et le Moyen-Orient, avec la Russie, n'est pas une politique de voisinage pour les États-Unis d'Amérique. Il est donc intenable que notre politique internationale dépende d'eux ou suive leurs traces".

Ceci est combiné avec une référence au privilège économique exorbitant du dollar et aux avantages stratégiques qui en découlent pour Washington. La pénalisation des industries françaises et européennes due aux sanctions américaines contre la Russie et l'Iran est remise en cause par Macron, qui semble rendre hommage au thème de l'enquête "pro-européenne" sur les équilibres mondiaux en annonçant un futur changement de paradigme.

Il s'agira, dans les prochaines années, de décider si celles d'Emmanuel Macron et de son alliée Angela Merkel ne sont que des éclats de rhétorique ou les premiers germes d'un projet politique d'autonomie européenne. Des nouvelles technologies à l'énergie, de la durabilité à la finance, on peut apercevoir que des projets européens visant à aller vers plus d'autonomie existent, et, dans la doctrine nationale française, ils trouvent une expression concrète. Mais comme l'a rappelé Pierluigi Fagan [13] en analysant la "géopolitique de Macron", dans le monde d'aujourd'hui "la souveraineté n'est rien sans le pouvoir". Si Paris peut apporter son potentiel militaire et industriel pour soutenir des projets concrets de défense européenne capables d'impliquer des acteurs comme l'Italie sur une base plus égale et de considérer la Méditerranée comme un espace stratégique européen et non atlantique, l'autonomie peut devenir une souveraineté. Sinon, nous parlerons de la doctrine Macron, mais nous le ferons dans un cadre plus conformes aux souhaits des Atlantistes.

NOTES

[1] Le guerre segrete di Parigi in Africa e le conseguenze problematiche per il continente sono citate in Emanuel Pietrobon, L’arte della guerra segreta, Pubblicazione indipendente, Torino 2020.

[2] Williams Charles, De Gaulle – L’ultimo grande di Francia, Il Giornale – Biblioteca storica, Milano 1995.

[3] Francia; Parigi rientra nella Nato, 43 anni dopo De Gaulle, L’Eco di Bergamo, 11 marzo 2009.

[4] La riforma del mercato del lavoro di Macron, Atlante Treccani, 18 settembre 2017.

[5] Nicholas Vinocur, Macron’s big labour reform, Politico Europe, 31 agosto 2017.

[6] La lezione dei gilet gialli: l’ambientalismo non è un pranzo di gala, Coniare Rivolta, 23 febbraio 2019.

[7] Andrea Muratore, Tutti i fronti aperti tra la Francia di Macron e la Turchia di Erdogan, Inside Over, 30 ottobre 2020.

[8] Giovanni Collot, Amélie Depriester, Alice Fill, La dottrina Macron, 16 novembre 2020.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Andrea Muratore, Big tech e sovranità digitale europea, Inside Over, 20 settembre 2020.

[12] Clemence Pelegrin, Renato Rallo, France Relance e transizione ecologica, Rivista Energia, 16 novembre 2020.

[13] Pierluigi Fagan, Geopolitica di Macron, Osservatorio Globalizzazione, 29 agosto 2019.

 

Andrea Muratore

Andrea Muratore, analyste économique, travaille aux côtés du professeur Aldo Giannuli sur le projet du centre d'études "Osservatorio Globalizzazione" depuis mai 2019. Il collabore avec la revue "Eurasia", Magazine d'études géopolitiques.

Le Symbolisme du Langage des Oiseaux

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Le Symbolisme du Langage des Oiseaux

par Tibet Dikmen

Le symbolisme a toujours été un attribut inséparable de l’être humain. Qu’ils soient conscients ou inconscients, explicites ou implicites, les symboles ont toujours pris leur place dans les différentes castes sociales des sociétés traditionnelles. Le mode de vie profane et post-moderne a fortement diminué notre capacité à appréhender les différents symboles qui persistent autour de nous, ils sont devenus presque complètement inintelligibles. Seulement la partie qualitative et exotérique persiste or la coquille ne signifie rien sans l’essence du noyau. Manifestement, le symbole le plus significatif qui persiste aujourd'hui est le langage lui-même, car le langage est l'un des symbolismes les plus complexes et les plus répandus, que ce soit le langage profane ou le langage ‘sacré’.

Cependant, même si, à première vue, les arts et les sciences traditionnelles sont devenus profanes et ont été dépouillés de toute signification d’ordre supérieur, différents penseurs traditionalistes et métaphysiciens ont oeuvré pour reconstituer, ne fusse que d’une manière générale, certains liens ésotériques que l’on pourrait considérer comme universels. Le plus frappant d’entre eux serait le symbolisme omniprésent dans différentes traditions dites du ‘Langage des Oiseaux’.

L’allusion à ce symbole peut être observée à la fois dans les traditions occidentales et orientales.

Dans la mythologie européenne, cette qualité de ‘parler la langue des oiseaux’ est souvent attribuée aux héros mythiques, vainqueurs du dragon. Notamment dans la légende nordique de Siegfried, où le héros comprend aussitôt le langage des oiseaux. En partant de ce point, nous pouvons facilement déduire que ce langage est un attribut des initiés menant le combat contre le dragon, qui est également le symbole de la contre-initiation, de l’antéchrist, de forces du bas-monde, et bien d’autres caractéristiques d’ordre négatif. Cette victoire signifie également la conquête de l’immortalité, c’est-à-dire le retour à l’état principiel de l’homme, en relation directe avec le supérieur. Cette image que nous venons de dessiner s’applique également de manière parfaite à l’Archange Saint-Michel qui combat le dragon, symboles et sculptures duquel nous pouvons fréquemment observer en Europe occidentale. Un phénomène identique peut être observé dans la tradition hindoue dans l’épopée du combat de Garuda contre le Nâga. Garuda étant symbolisé par l’aigle (et ailleurs remplacé par l’ibis, la cigogne ou le héron) et le Nâga prenant la forme d’un reptile (dragon ou serpent).

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Le combat de Garuda contre Naga.

Cependant, le fort rapprochement de cette symbolique, entre l’Orient et l’Occident, se manifeste de manière évidente dans les traditions abrahamiques. Nous pouvons citer la parabole évangélique décrivant des « oiseaux du ciel » venant se poser sur les branches de l’arbre représentant l’axe passant par le centre de chaque état d’être et les reliant tous entre eux. Ceci s’est notamment manifesté sous la forme du symbole médiéval du Peridexion. Une image analogue existe dans la tradition islamique, plus précisément dans l’œuvre du grand-maître soufi Ibn’ Arabi dont la pensée et les œuvres ont été répandues dans la sphère intellectuelle européenne grâce aux efforts de Titus Burckhardt et autres penseurs traditionalistes. Dans son œuvre intitulé ‘L’arbre essentiel et les quatre oiseaux’, par l’allégorie de l'arbre universel, représentant l'être humain complet, et des quatre oiseaux posées sur celui-ci, représentant les quatre aspects essentiels de l'existence, Ibn 'Arabi explique son enseignement sur la nature et la signification de l'union avec Dieu. Ce qui laisse déduire que la compréhension concrète des aspects essentiels de l’existence serait possible si une communication avec ces oiseaux s’effectue avec succès, qualifiant le ‘langage des oiseaux’ en tant que clé pour la compréhension des vérités métaphysiques.

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Illustration du Peridexion (Bodleian Library, MS. Bodley 764 )                

Le symbolisme de ce langage se manifeste semblablement chez l’un des contemporains d’Ibn Arabi en Perse. En faisant allusion au verset coranique attribuant au Roi Salomon d’Israël la capacité de communiquer avec les oiseaux, le maître soufi Farid’uddin Attar de Neyshabur (qui exerça une grande influence sur Rumi) écrit un recueil de poèmes médiévaux d’environ 4500 distiques, intitulé ‘La Conférence des Oiseaux’. Dans ce poème colossal, Attar lie la quête pour le fabuleux oiseau Simorgh de la mythologie perse pré-islamique avec l’enseignement initiatique et mystique du Soufisme.

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Illustration Safavide du « Conférence des Oiseaux » d’Attar

En conclusion, nous pouvons dire que si, avec un peu d’effort, nous parvenions à contourner l’acte délibéré et continu de profanation de nos arts et des sciences traditionnelles, un trésor caché s’ouvrira à nous. Comme René Guénon a insisté maintes fois : Vincit Omnia Veritas.

51Ot+ag29iL._SX210_.jpgSources :

- Symboles de la Science sacrée, René Guénon (Gallimard, 1962)

- Le Langage des Oiseaux, Farid-ud’Din Attar (trad. Garcin de Tassy, Albin Michel, 1996)

- La Sagesse des Prophètes, Ibn’ Arabi (trad. Titus Burckhardt, Albin Michel, 2008)

-The Symbolism of Letters and Language in the Work of Ibn ‘Arabī, Pierre Lory (The Ibn’ Arabi Society Vol. XXIII, 1998)

 

 

L'Espagne, après la Transition, est devenu une ochlocratie et non pas une démocratie

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L'Espagne, après la Transition, est devenue une ochlocratie et non pas une démocratie

Entretien avec Carlos X. Blanco

Comment cette Espagne a-t-elle ouvert les portes de la transition ?      

L'Espagne a toujours été une nation, une société cohésive malgré le grand fossé causé par la guerre civile. Ce n'était pas le royaume bananier et l'épave à la bolivarienne qu'elle est aujourd'hui, le jouet du sultan marocain. Ce n'était pas encore la colonie de l'Allemagne. L'Espagne était un État qui, dûment renouvelé, comptait encore dans le monde. L'Espagne était une nation qui surmontait la haine, était ouverte aux transformations nécessaires pour adapter ses institutions à la réalité d'une puissance agro-industrielle de premier plan en Occident. L'Espagne a connu un "miracle" de développement (avec toutes les contradictions que cela implique, puisqu'elle est passée rapidement du Tiers Monde au Premier Monde) et, surtout, l'Espagne a été un miracle éducatif. Pour la première fois dans l'histoire, l'Espagne était un pays instruit. Aujourd'hui, notre potentiel - économique et éducatif - est définitivement épuisé.

La question qui se pose est dès lors la suivante : la transition espagnole était-elle un processus politique autonome ou était-elle contrôlée à distance, d'une manière ou d'une autre, par des entités étrangères ?

Elle était contrôlée à distance. Et cela peut être prouvé par les effets qu’elle a eus : nous avons l'avantage argumentatif de bien connaître aujourd'hui les résultats de ces changements. L'Espagne a complètement perdu sa souveraineté politique, militaire et économique.

1101751103_400.jpgLe régime franquiste avait perdu graduellement ses racines sociales, et la justification qu'une classe moyenne terrifiée avait trouvée en lui avant, pendant et après la guerre civile, c'est-à-dire pour se défendre de la "Terreur rouge", était déjà loin. Il semblait possible, vers les années 60 et 70, d'ouvrir les robinets du financement discret et secret par des puissances étrangères. Il semblait facile d'élargir le rayon d’action de l'oligarchie. Il y avait déjà des "contubernios" de Washington et de l’Allemagne depuis longtemps. La souveraineté nationale espagnole ne pouvait pas être un maillon faible dans le contexte de l'Europe du Sud, étant la clé de la Méditerranée, la porte de l'Afrique, le pont vers l'Amérique latine, etc. Le processus d’"homologation" avec les démocraties libérales occidentales a été le déguisement annonçant ce nouveau colonialisme qui, avec l'avènement des socialistes (le félipisme), est devenu complètement explicite : entrée dans l’OTAN, entrée dans la Communauté européenne à genoux, renoncement à une politique africaine ferme, destruction du tissu productif autarcique, etc.

Comment étaient les choses dans cette Espagne qui a ouvert les portes de la Transition?         

L'Espagne était encore une nation, une société cohésive malgré le grand fossé causé par la guerre civile. Ce n'était pas encore le royaume bananier et l'épave à la sauce bolivarienne qu'elle est devenue aujourd'hui, le jouet du sultan marocain, etc. Ce n'était pas encore la colonie européenne de l'Allemagne. L'Espagne était un État qui, dûment renouvelé, comptait encore dans le monde. L'Espagne était une nation qui surmontait la haine, était ouverte aux transformations nécessaires pour adapter ses institutions à la réalité d'une puissance agro-industrielle de premier plan en Occident. L'Espagne a connu un "miracle" de développement (avec toutes les contradictions que cela implique, puisqu'elle est passée rapidement du Tiers Monde au Premier Monde) et, surtout, l'Espagne a été un miracle éducatif. Pour la première fois dans l'histoire, l'Espagne était un pays instruit. Aujourd'hui, notre potentiel - économique et éducatif - est définitivement épuisé.

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Quel rôle les États-Unis ont-ils joué dans la conception de la transition espagnole ?

Un document traduit et publié par les éditions Letras Inquietas montre clairement que les Américains savaient qu'il était temps d'agir. De nombreuses transitions étaient possibles, et il fallait faire de l'Espagne une colonie. Il n'y avait pas le moindre danger communiste ou séparatiste à l'époque où Franco était un vieil homme mourant. Il fallait maintenir cet épouvantail du danger communiste et séparatiste afin d'insuffler la peur à une "ultra-droite" soi-disant déstabilisante mais qui aurait pu de fait diluer les opportunités commerciales des Yankees. Le durcissement du régime était considéré comme un obstacle aux affaires des Yankees et de leurs partenaires d'Europe centrale à l'époque. Il semble que pour la CIA et l'administration de l'Hegemon, tout acteur qui n'appartenait pas à la vieille garde la plus autoritaire, ferait bien l’affaire tant qu'il ne provoquait pas d'effroi ou de surprise dans le sud de l'Europe. Il était clair qu'il n'y aurait pas de révolutions à la portugaise ni de désordres gauchistes en Espagne. La seule vraie gauche était celle des Comisiones Obreras et d'un petit groupe de "communistes professionnels". Rien de grave face au tout-puissant "Occident". Un néo-franquisme, par ailleurs peu probable, leur faisait beaucoup plus peur.

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L'un des moments les plus décisifs a été l'assassinat de l'amiral Carrero Blanco, supposé être dû aux activistes d'un commando de l'ETA. À votre avis, l'ETA était-elle l'auteur idéologique de l'attentat ou simplement ses exécutants possibles ?

Je n'ai aucune preuve, et je ne me suis pas suffisamment documenté. Ce serait imprudent de le dire. Mais c'est la vox populi qui parle: la "Transition", rappelons-le, a commencé quand le Caudillo était encore vivant. Elle a connu des virages serrés et des coups de force. Retirer Carrero du jeu, comme des années plus tard, faire de même avec Suárez par le biais du 23-F étaient des procédés allant dans cette direction ; qui en a profité ? En ce qui concerne l'ETA : quelqu'un croit-il qu'une bande de quatre crétins, tireurs hallucinés, puisse se transformer en un défi total à l'État, au beau milieu de l'Europe à la fin du 20ème siècle, sans avoir préalablement obtenu un solide soutien étranger ? Voici une des thématiques sur lesquelles mon professeur Gustavo Bueno avait tout à fait raison : le nationalisme séparatiste en Espagne ferait rire à gorge déployée s’il n’y avait pas eu tout l’argent européen et américain investi pour mettre à genoux cette "huitième puissance" dans le monde. Ils l'ont fait : les folies et les fantasmes d'Arana seraient anecdotiques et risibles si le message raciste initial n'avait pas été complété par des bombes, des fusils et du marxisme-léninisme.

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1975: Carlos Arias Navarro et Franco.

Quel a été le rôle de Carlos Arias Navarro dans le démantèlement du régime ? La CIA lui a fait confiance en tant que médiateur ?

Je n'en suis pas sûr. Peut-être a-t-elle tacitement parié sur un homme modéré. La CIA espèrait que le régime pourrait se démanteler sans trop d'agitation, afin de pouvoir le télécommander depuis Washington avec beaucoup plus de facilité, sans qu’il n’y ait entêtement autoritaire. L'autoritarisme de l’Hegemon n'allait pas tolérer d'autres autoritarismes régionaux comme celui de l'Espagne.

Il ne fait aucun doute que la hiérarchie de l'Église a abandonné Franco, malgré le fait qu'il ait été son sauveur pendant la guerre civile et malgré le statut social, économique, culturel et politique qu'il lui a accordé après la guerre civile. Dans quelle mesure le soutien apporté par la Conférence épiscopale en faveur de la transition a-t-il influencé la crise profonde que connaît l'Église espagnole aujourd'hui ?

Le clergé était déjà corrompu depuis quelque temps. Les prélats n'étaient pas reconnaissants envers la "Croisade" menée par Franco et les nationalistes. Nous devons tenir compte du fait que la Deuxième République était morte – sur le plan de la légitimité – dès le moment où les premières églises ont été incendiées en toute impunité, dès que le premier jeune séminariste a été assassiné. L'Église est devenue une grande lobotomisée intellectuelle, oubliant son martyrologue, abandonnant le thomisme, déconnectant le peuple de la Tradition hispanique, désorientant la société en faisant joujou avec des néomarxismes pseudo-théologiques, remplaçant la Théologie et la Métaphysique par de la sociologie. Les paroisses ressemblaient déjà à des cellules du PCE ; dans les écoles on commençait à appeler les enseignants par leur prénom et les églises nouvellement construites avaient davantage des allures de garages ou de discothèques. On ne peut pas remplacer le grégorien ou l'orgue liturgique par des guitares mal grattées et par des chants de Bob Dylan. Tout cela est très bien analysé dans le dernier numéro du magazine Naves en Llamas, consacré, à la manière d’une monographie à la crise dont vous parlez. Je ne suis pas un expert, mais il me semble que l'Eglise aurait pu aussi opter pour une ouverture politique sans renoncer à la Tradition.

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Blas Pinar

Le franquisme était-il possible sans Franco ?

Ce que le rapport américain, dont question, appelle "l'ultra-droite" n'avait aucune chance. Je doute même que l'appareil répressif de la police et de l'armée aurait collaboré jusqu'au bout. Et cela s'est aussi vu dans les faits ultérieurs: les restes des mouvances qui ne se reconnaissaient pas dans la démocratie formelle n’étaient plus que des minorités insignifiantes. Par exemple, la figure de Blas Piñar, un grand orateur mille fois plus cultivé que les hommes politiques d'aujourd'hui, était sans idées stratégiques pour récupérer cette Tradition qu'il invoquait. Du pur testimonialisme. Or nous étions à l'époque des pragmatiques.

Le mémo Tiempo de incertidumbre est surprenant car la CIA attache peu d'importance aux séparatismes en Espagne. L'état des autonomies était-il une erreur de calcul qui a fini par échapper à tout contrôle ou était-il conçu pour favoriser les aspirations sécessionnistes principalement des Basques et des Catalans ?

Oui, c'était le cas. Les responsables de Madrid, depuis le 19ème siècle, depuis le démantèlement de "Las Españas" de l'Ancien Régime, commettent la même erreur de toujours : accorder des privilèges aux oligarchies basque et catalane au détriment des autres régions espagnoles. Le terrible centralisme des caciques de Madrid trouve son complément parfait dans le centralisme barcelonais et biscayen. Mais maintenant, avec la désertification industrielle de l'Espagne, tout s'est emballé. Ces périphéries soi-disant sublimes ont été jetées dans la brousse parce qu'il n'y a plus de périphérie "industrielle riche", différente de l'Espagne affamée du plateau. Et pourtant, la machinerie absurde des dix-sept Taifas est déjà là, comme un cancer, car c'est une machinerie inhérente au centralisme même de Madrid qui a "laissé faire" les deux ou trois Taifas qui voulaient être privilégiés en tant que copropriétaires de tout le Cortijo espagnol. Et cette dépendance du pouvoir madrilène à l'égard de deux taifas qu'il alimente lui-même, a donné l'occasion à des ennemis extérieurs de mettre en oeuvre leurs machinations.

Diviser pour mieux régner : les ennemis de l'Espagne ont tout fait pour le mieux. Un véritable régionalisme est bloqué depuis que l'ETA a reçu tant de terrains d’actions. Un régionalisme de tradition foraliste, mais avec un État uni et unitaire, serait la seule alternative aux taifas gaspilleurs d'aujourd'hui ?

En règle générale, les terroristes sont arrêtés dans leur élan par la répression policière et par une programmation efficace dictée depuis l’étranger. Mais ici, au contraire, on leur a donné de l'argent et de l'oxygène de toutes parts. Le véritable nid de vipères du terrorisme et du séparatisme se trouve dans l'oligarchie corrompue basée à Madrid. Il aurait fallu une véritable gestion d'État pour éviter la proéminence d'un Arzallus ou d'un Pujol : les bourreaux et les agitateurs ne seraient rien sans ces personnages, qui, à leur tour, depuis leur village, avaient trop de pouvoir parce qu'ils avaient la garantie implicite des poltrons de Madrid. Je pense que tout le monde le savait.

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Xabier Arzallus.

Au lieu de cela, le rapport se concentre fortement sur le rôle de "bunker" de l’armée et du régime, qui a été posé, sans autre commentaire, comme étant « extrémiste de droite ». Quelle attitude les deux instances ont-elles adoptée à l'égard de la transition ?

J'ai déjà dit que le « bunker » était limité dans sa capacité d'action et d'attraction. L’armée n'était déjà plus celle qui s’était « croisée » en juillet 1936 et les groupes "réactionnaires", au sens littéral du terme, n'avaient plus aucune signification sociale. Le régime lui-même, étant autoritaire, n'a jamais été fasciste, même de manière analogique, pendant les décennies où il a régné. C'était en fait une constellation de "familles", dont le seul lien phénoménal était le regard et l'approbation du Caudillo. Avec la mort de cet « œil d'évaluation » et de cet angle de vision, les "familles" se sont désunies, elles ont involué vers les "-ismes" de la partitocratie. Il y avait des dirigeants assez compétents dans tout l'éventail idéologique du centre-droit, beaucoup plus compétents qu'aujourd'hui, mais ils étaient compétents seulement dans les aspects techniques, professionnels, administratifs... Il y avait un manque de "penseurs". Je trouve curieux, et j'ai besoin d'une explication, de voir comment les partisans les plus rationalistes d'une sorte de "despotisme éclairé", comme Gonzalo Fernández de la Mora, ont été marginalisés. L'Espagne n'est pas faite pour les dictatures de caserne : ce serait un retour à une situation de tension permanente comme on en voit dans le tiers-monde. Mais, en suivant l’adage qui dit "par ses œuvres vous la connaîtrez", elle n'était pas pour la partitocratie de la charanga et du tambourin que nous avons dû subir depuis 1978. Le soi-disant "bunker" aurait dû être rendu aussi "éclairé" que possible sans tomber dans les erreurs et les attitudes des vendus au libéralisme.

Quarante ans plus tard, quels ont été, pour vous, les succès de la transition et ses plus graves erreurs ?

On dit souvent que nous, Espagnols, avons empêché ainsi une nouvelle guerre civile. Les historiens devraient discuter, sans se faire aucune allusion et sans craindre de menace de la part de la Moncloa, de l'existence réelle, à l’époque, d'un tel risque. Le rapport présenté par Letras Inquietas ne semble pas indiquer quel aurait pu être ce risque. Une fois ce grand alibi enlevé, je ne vois plus que des erreurs : l’installation durable d’une partitocratie et d’une corruption qui y est toujours attachée, la dispersion des centres de pouvoir vers les territoires, la rupture de la solidarité entre Espagnols, la soumission aux Américains, aux Allemands et aux Marocains, le capitalisme sauvage, la perte de souveraineté... Le scénario de 1978 n'est plus celui, espéré, de la Grande Charte, c'est l'acte de décès d'une nation qui veut cesser d'être.

Est-il encore possible de corriger les échecs de la transition ou est-il trop tard ?

Il est déjà trop tard. Et si la médication doit être fournie par les personnes mêmes qui causent le mal, c’est-à-dire par la partitocratie et par les oligarchies qui la soutiennent, nous nous en sortirons très mal. Lorsque la dégradation nationale a tellement progressé jusqu'à devenir la situation déplorable d’aujourd’hui, on doit désormais parler d'ochlocratie et non plus de démocratie. Dans ce contexte, les Espagnols les plus compétents dans chaque domaine professionnel, culturel, productif, intellectuel, etc., devraient s'organiser de manière corporative, parallèlement et indépendamment des partis et des cadres institutionnels qui ont vu le jour en 1978, sans se laisser domestiquer par aucune sorte de subvention, et en retrouvant progressivement leur hégémonie grâce à leur propre capacité d'initiative et de savoir-faire. C'est le marxiste Gramsci qui nous donne l'orientation à suivre : il s'agit de créer une contre-hégémonie, un état parallèle qui, sans subvertir l'état officiel, viendra un jour le remplacer.

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mercredi, 02 décembre 2020

La "nouvelle mythologie" dans la conception politique de Carl Schmitt

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La "nouvelle mythologie" dans la conception politique de Carl Schmitt

Par Luca Leonello Rimbotti

Ex: http://www.centrostudilaruna.it

"La proximité de Schmitt avec l’exigence romantique d'une "nouvelle mythologie" et la contrainte d'espérer en un "dieu du futur" réside dans la conviction de la perte irrémédiable du fondement transcendant du monde et des sociétés, de la disparition dans les esprits d'une instance ultra-mondaine qui pourrait encore garantir un ordre dans la vie ». Cette phrase de Stefan Nienhaus montre clairement que la pensée de Carl Schmitt, loin de s’épuiser en une théorie juridique, était au contraire une conception véritable et complète du monde. Il souligne ainsi l'importance historique de la pensée de Schmitt (un auteur qui, après être tombé amoureux de nos intellectuels frivoles, les a rapidement remis dans le tiroir des objets dont on ne se sert plus). En fait, Carl Schmitt ne se borne pas à identifier et proposer des techniques de gouvernement pour faire face à la crise de l'Occident. Il met en exergue des pouvoirs de souveraineté charismatique, sans lesquels toute politique est réduite à l'administration et toute administration à la comptabilité.

Un nouveau type de mythe et de "mythologie" aurait donc pris le jus publicum europaeum en déclin pour le replacer au sommet de la chaîne de décision, et pour reconstruire les catégories de l'homme politique non pas sur la base de la subversion laïque libérale, mais sur celles, traditionnelles, d'une "théologie politique". En fait, Carl Schmitt nous dit: nous pensons à un nouveau modèle d'État, tiré des exemples les plus nobles, tiré de forces idéelles transcendantes, comme il y en avait dans le passé. Nous pensons à une nouvelle politique, taillée sur l'idée de la souveraineté sacrée qui était jadis pour l'Europe le secret de toute grandeur.

9783428088058-fr-300.jpgAinsi, Schmitt en est venu à théoriser un État refondu incarnant la décision souveraine, à neutraliser les affrontements destructeurs issus des chocs entre intérêts privés, et enfin, à se positionner comme un tiers supérieur capable de faire prévaloir le dernier mot d'une autorité radicale, exprimée dans l'état d'exception, sur le conflit social. On comprend qu'avec de telles idées, Schmitt était sur une trajectoire de collision avec le conservatisme prussien politiquement hégémonique dans l'Allemagne wilhelminienne, et aussi dans uneplus large mesure dans l'Allemagne de Weimar. Le pouvoir d'État, pour l'école prussienne, plus que l'autorité transcendante, c'était l'autoritarisme immanent, et plus que la synthèse hégélienne des contraires, c'était l'affirmation monolithique d'un principe unique et ossifié. C'est pourquoi Schmitt a considéré le suicide du grand poète prussien Heinrich von Kleist - un adepte de l'idée métaphysique du Reich -, qui a eu lieu théâtralement sur les rives du lac Wannsee, comme le symbole de l'échec historique du prussianisme et comme un effet tragique de ses contradictions. Schmitt a alors développé la conviction qu'une relance de l'Europe était possible mais sur d'autres bases. Sur la base, précisément, d'une théologie politique. Très critique à l'égard de la pensée politique du Romantisme - accusé d'extravagances irréalisables - Schmitt en est néanmoins une parcelle, et ce, au moment même où il pense que la restauration de l'Esprit est possible sur des bases irrationnelles mais objectives. Greffer le point de vue prométhéen d'un nouveau mythe communautaire dans la pratique politique était plus qu'un rêve. Reconnaître le sens cosmologique de la pensée présocialiste d'un Proudhon, ou le sens poético-visionnaire d'un Theodor Däubler comme antécédents du pouvoir politique, peut sembler une rechute de Schmitt dans ces divagations très impolitiques dont il avait accusé le romantisme.

Il y a un fait, un détail biographique, qui peut nous aider à comprendre ce que Schmitt avait en tête après tout. Examinons maintenant le passage qu’il a effectué dans son existence : celui qui part de la position du juriste et conseiller technique, homme de confiance du système autoritaire mais weimarien de Schleicher, à celle d’un conseiller d'État prussien sous le régime d'Hitler. Ce passage révèle tout à la fois la critique que formule Schmitt à l’encontre d'une méthode de pouvoir désormais dépassée par l'histoire, qui n’est plus en contact avec les événements, soit la méthode du vétéran de la vieille Prusse. Et révèle également son attrait pour un principe révolutionnaire qui concevait l'autorité dans un sens charismatique et populaire, selon les postulats implicites d'un communautarisme qui entendait allier tradition nationale et modernité. Le juriste, donc, en principe ennemi des dérives utilitaires de la modernité, préoccupé par l'avancée de la technologie et par la brutale sécularisation des rapports sociaux, se serait trouvé face à la possibilité de construire réellement les bases d'un pouvoir qui réunirait d'un seul coup l'aversion pour le romantisme, représenté par exemple par le vieil Adam Müller, sans nier le noyau de la politique romantique, et plutôt en le renforçant, c'est-à-dire la possibilité de participer à l'érection d'un pouvoir sacré, centré sur le charisme du romantisme.

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Schmitt aurait aussi pensé un équilibre entre théologies prémodernes et eschatologies rédemptrices de la société, telles que les pensaient les utopistes du socialisme pré-marxiste. Le Troisième Reich n'est-il pas en fait apparu comme un régime nouvellement créé mais traditionaliste, basé charistiquement sur le culte du Führer, mais en même temps populaire et communautaire, comme une sorte de socialisme sans Marx ? Tout semblait donc conspirer pour ce rapprochement entre le juriste et le dictateur, qui allait alors, en 1945, coûter à Schmitt la prison et la purge.

Die-Diktatur.jpgLa quadrature du cercle entre le pouvoir hiérarchique et la participation du peuple, entre la figure salvatrice du Guide et l'égalité des droits, a été réalisée par Schmitt à travers l'élaboration d'une sorte de démocratie germanique. Critiquant le concept ecclésiastique de pasteur et de fidèle (ndt : de distinction entre le pasteur « sachant » et actif et les fidèles passifs), Schmitt a écrit dans Staat, Bewegung und Volk en 1934 que "cette vision ecclésiastique est que le pasteur reste absolument transcendant par rapport au troupeau. Ce n'est pas notre concept de la Führung". Le nouveau concept de Führung, de commandement, d'autorité, Schmitt l’a en effet placé dans "l'égalité absolue de la lignée entre le leader et les suiveurs (la suite, die Folge)... Seule l'égalité de la lignée peut empêcher le pouvoir du leader de devenir tyrannique et arbitraire". De ce point de vue de la hiérarchie égalitaire, l'accès populaire aux différents rangs sociaux était garanti par le Führerprinzip, la plate-forme de masse de l'autorité charismatique. L'histoire a donc mis entre les mains de Schmitt un cas concret de théologie politique...

Dans Ex Captivitate Salus, le livre écrit dans la prison de Nuremberg en 1945 et qui représente un de ces moments où "les vaincus écrivent l'histoire", Schmitt a retenu quelques pages relatives à sa célèbre distinction entre Ami et Ennemi, qu'il considère à la base de toute identité forte : ceux qui n'ont pas le bien d'avoir des ennemis, n'ont même pas le bon « heur » de se connaître eux-mêmes. Il est difficile de rester équilibré sur ce sommet, mais c’est néanmoins très indispensable : vivre son ego à travers la diversité de l'autre. Cela signifie se battre pour un monde de différences, présentement détruit, où nous aussi, nous sommes détruits. Schmitt a ajouté une dernière phrase à ces considérations : "Les mauvais sont certainement les annihilateurs qui se justifient au motif que les annihilateurs doivent être anéantis". Que voulait-il dire par là ? N'a-t-il pas pensé aux juges alliés qui l'ont précédé et qui ont accusé les vaincus de crime et de violence, assis tranquillement sur d'immenses ruines, fruits d'autres crimes et d'autres violences ? C'est probablement la vraie sagesse de la cellule. Un testament laissé à l'Europe, mais que les Européens doivent encore – trente-cinq ans après la mort de Carl Schmitt - apprendre à comprendre.

* * *

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Le "Kronjurist" du Reich

Né en 1888 à Plettenberg, en Westphalie, Carl Schmitt a étudié aux universités de Strasbourg (alors allemande) et de Munich, où il a été l'élève de Max Weber. En 1922, il obtient la chaire de droit public d'abord à l'université de Greifswald, puis à l'université de Bonn, et plus tard à celles de Berlin (1926), de Cologne (1932), de nouveau de Berlin (de 1933 à 1945). Il est devenu l'une des personnalités universitaires les plus influentes en Allemagne et a également occupé des fonctions publiques pendant plusieurs années, tant sous le régime de Weimar que sous le Troisième Reich, pendant lequel il a été président de l'Association des juristes allemands. En 1936, cependant, à la suite de certaines controverses idéologiques avec des cercles proches de la SS, il renonce à toute activité en dehors de l'enseignement. Arrêté en 1945 par les Alliés comme l'une des plus hautes autorités culturelles du Troisième Reich, il est emprisonné à Nuremberg et jugé. Absent de tout car empêché de reprendre l'enseignement, il se consacre à ses études et à ses publications jusqu'à sa mort en avril 1985 dans son village natal de Plettenberg. En Italie, après la publication en 1935 des Principes politiques du national-socialisme (Sansoni), à l'instigation de Delio Cantimori, sa pensée est restée inconnue jusqu'à la publication de la première traduction d'après-guerre d'un de ses ouvrages, à l'initiative de Gianfranco Miglio (Le categorie del politica, il Mulino 1972). Il existe aujourd'hui de nombreuses traductions des œuvres de Schmitt. Parmi elles, nous soulignons : La Dittatura (Laterza 1975) ; Romanticismo politico (Giuffré 1981) ; Teoria del partigiano (Il Saggiatore 1981) ; Scritti politico giuridici 1932-1942 (Bacco & Arianna 1983) ; Terra e mare (Giuffré 1986) ; Ex Captivitate Salus (Adelphi 1987) ; Il nomos della terra (Adelphi 1991) ; Teologia politica II (Giuffré 1992). Le livre le plus complet sur la figure et la pensée de Schmitt est J.W. Bendersky, Carl Schmitt théoricien du Reich (Il Mulino 1989).

Extrait de Linea du 19 juin 2005

La République des juges...

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La République des juges...

par Richard Dessens

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Richard Dessens, cueilli sur EuroLibertés et consacré à la question du pouvoir de la magistrature. Docteur en droit et professeur en classes préparatoires, Richard Dessens a notamment publié La démocratie travestie par les mots (L'Æncre, 2010), Henri Rochefort ou la véritable liberté de la presse (Dualpha, 2017) et La démocratie interdite (Dualpha, 2018).

La République des juges

Contrairement au vocabulaire courant, la Justice n’est pas un « pouvoir » au même titre que les pouvoirs législatif et exécutif. Et cela ne l’a jamais été sauf dans les théories de séparation stricte des pouvoirs chez les philosophes du XVIIIe siècle, Montesquieu en tête. La Révolution elle-même n’institue pas un « pouvoir » judiciaire autonome, en limitant, au contraire, les juges à un rôle de strict applicateur de la loi (« les juges sont la bouche de la loi ») leur en interdisant toute latitude interprétative. Le Tribunal de Cassation devait en référer au Corps législatif en cas d’obscurité de la loi et donc ne pouvait en aucun cas faire œuvre de jurisprudence et de source du droit.

La Constitution de 1958 attend son Titre VIII avant d’évoquer, après le pouvoir exécutif, puis le pouvoir législatif dans un ordre d’ailleurs significatif quant au véritable détenteur du pouvoir, une simple « autorité » judiciaire. On parle aussi d’ « institution » judiciaire, même si l’indépendance de la Justice (tout au moins des juges du siège) est rappelée régulièrement dans les textes.

« Autorité indépendante » oui, « pouvoir », non. Ce n’est pas du tout la même chose. Et c’est bien l’objet d’une lutte lente et obstinée de la Justice depuis deux siècles, d’acquérir une position de « pouvoir » comparable à celui du législatif ou de l’exécutif. Surtout depuis la création en 1958 de la future École Nationale de la Magistrature.

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Mais un premier problème limite cette velléité récurrente : la loi est élaborée par le pouvoir législatif (même si en réalité c’est l’exécutif et l’Union européenne qui sont à l’origine de 95 % des lois, remettant en cause sur le fond la réalité de l’existence d’un pouvoir législatif souverain !).

Or, la Justice est bien tenue d’en respecter les règles et d’en suivre les revirements au gré des nouvelles lois de nouvelles majorités théoriques. C’est bien pourquoi, les juges ont arraché peu à peu une compétence jurisprudentielle, née d’une autorité d’interprétation des lois et de leur faculté d’en combler les lacunes d’autre part. C’est une Justice envieuse de tels pouvoirs des juges anglais ou américains qui, contrairement aux principes du droit français, s’est investie de ces nouvelles attributions. Cette « américanisation » de notre justice lui a permis de faire un pas vers la création d’un pouvoir, au-delà de sa seule « autorité ». Les mots ont leur importance.

Nous naviguons dans un État aux valeurs qui se sont chamboulées peu à peu. Le législatif, premier pouvoir, est peu à peu largement supplanté par le pouvoir exécutif et des injonctions européennes. Le pouvoir exécutif s’est trouvé encore renforcé par l’adoption du quinquennat qui donne une majorité automatique et servile dans la foulée de l’élection du Président, véritable centre de tous les pouvoirs.

À l’inverse, dans ces conditions, la Justice s’est instituée, souvent par idéologie politique d’ailleurs, comme un « contre-pouvoir » faute d’être un « pouvoir ». Si le principe de séparation des pouvoirs a pour origine une possibilité d’empiétements d’un pouvoir sur un autre, il n’en reste pas grand-chose pour ce qui concerne législatif et exécutif, étroitement mêlés par le jeu des institutions et de la pratique, comme ils l’étaient d’ailleurs sous la Révolution.

Mais pour ce qui est de la Justice, ce sont justement les possibilités d’empiétements sur les pouvoirs législatif et surtout exécutif qui sont devenus l’arme des juges pour affirmer un contre-pouvoir qu’ils voudraient transformer en véritable pouvoir.

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Le poids que la Justice fait de plus en plus peser sur le pouvoir exécutif et, indirectement, sur la liberté de choix du peuple à travers l’élection censée être le pouvoir suprême, lui attribue une puissance exorbitante, à l’abri de la formule qui affirme solennellement que les juges rendent la justice « au nom du peuple français »… sans être pour autant élus par le peuple. Formule commode et justifiant leur contre-pouvoir paralysant.

C’est ainsi que la nouvelle offensive des juges, portés par une idéologie politique claire, pour acquérir un véritable « pouvoir », est en train d’être victorieuse, après qu’ils ont arraché d’autres prérogatives par ailleurs qui les amenaient vers le même but.

Il est intéressant de noter que la Presse mène le même combat dans un temps identique. Érigée en « quatrième pouvoir » par Burke (alors que le troisième n’existe déjà pas comme on l’a vu), qui rejoignait ainsi le combat des juges pour leur propre pouvoir, la Presse n’a cessé de grignoter des libertés de plus en plus étendues jusqu’à, en effet, devenir un véritable pouvoir autoproclamé et sans lien avec la « souveraineté » (qu’en reste-t-il d’ailleurs ?) populaire. Les récents spectacles qu’a fournis la presse télévisée américaine vis-à-vis de Donald Trump en apportent l’éclatante démonstration si c’était encore nécessaire.

Or, la Presse puise sa « légitimité » dans l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Or, la Presse oublie toujours la fin de cet article : « sauf à répondre de l’abus de cette liberté ». Qui oserait aujourd’hui alléguer les abus d’une presse toute puissante et surtout monolithique pour la remettre à sa juste place ? Pas les juges car Justice et grande Presse, alliés objectifs, se soutiennent mutuellement au nom d’un combat commun vers la conquête de « pouvoirs » qu’ils convoitent pour les mêmes raisons – souvent politiques – depuis longtemps.

Et le peuple dans tout ça ? Quand se décidera-t-il à reprendre sa souveraineté et à l’imposer aux élites en mal de nouveaux pouvoirs ?

Richard Dessens (Eurolibertés, 23 novembre 2020)

Rome: le rite et le mythe

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Rome: le mythe et le rite

par Mario Perniola

Ex: http://www.archiveseroe.eu

Le rite ne se réduit pas à une simple réactualisation du mythe comme la tradition spiritualiste de la Grèce relayée par le christianisme tendrait à le faire penser. La ritualité ne se fonde pas dans tous les cas sur un mythe d'origine. Le geste n'est pas toujours subordonné au mot, ni la pratique à la croyance, ni l'extériorité à l'intériorité. Mario Perniola, en un texte très documenté d'histoire et de linguistique latine, montre de manière convaincante que la caerimonia n'est pas carimonia. Il faut éviter de penser la cérémonie comme formalisme ou pure extériorité : « extériorité et cérémonie, rite sans mythe et sans foi, ne se trouvent pas au terme du processus historique [mais] se trouvent à l'origine de la romanité »

Le sociologue Claude Rivière remarque à propos de ce texte : « Comme des dieux nul ne sait rien que ce que les mythes leur attribuent, c'est-à-dire que le sacré n'a que le sens qu'on lui suppose à partir de son extériorité, leur véritable existence n'est pour nous que ce qui se manifeste dans l'objectivité de la caerimonia, dans la hiérophanie des liturgies. Les enseignes militaires des armées de César réunies en faisceau objectivent le serment d'alliance, et le symbole détient un pouvoir sacré. L'extériorité du rite correspond à l'extériorité du sacré, non pas actualisation d'un système mais existence objective d'une force immanente à l'histoire.

Certes la référence étymologique n'efface en rien la conception chrétienne, mais au moins montre-t-elle qu'un sens peut être donné à l'extériorité du rite, que les rites et symboles ont le sens que leur attribuent les hommes, fabricants de mythes et d'idéologies, qu'il n'y a pas de précession nécessaire d'un signifié, mais une possibilité de création simultanée du signifié et du signifiant, que l'extériorité du répétitif dans la vie sociale, doublant l'intériorité d'un vécu, énonce en langage gestuel, postural ou verbal la même chose que le mythe comme récit à décrypter, ou que l'idéologie en termes abstraits » (Les liturgies politiques, Puf, 1988).

[Ci-dessus : Equirria, cérémonie en l'honneur du dieu Mars où des chevaux étaient purifiés et sacralisés avant de partir en guerre]

***

Le rite et le mythe

Si le mythe a constitué l’un des plus importants paradigmes culturels de la civilisation moderne, il semblerait que le modèle de l’organisation de la culture dans la société post-moderne soit plutôt le rite : le récit mythique — avec son idéalisation, ses implications émotives, sa référence à une dimension archétypique de l’existence — fait place à la performance, à une action qui réunit en elle-même les caractères de l’exécution et de l’exhibition, qui est désenchantée et répétitive, technique et stratégique, qui présente donc des similitudes substantielles avec le rite.

“Caerimonia” comme “carimonia”

Or, tandis que la société post-moderne perçoit la différence entre monde mythique et monde rituel comme étant le conflit entre une conception dorée et passionnée de la vie et une conception froidement opérante et effective de l’action, l’anthropologie, la sociologie et la philosophie contemporaines ignorent le plus souvent cette opposition ; considérant le rite comme une simple actualisation du mythe, ces disciplines nient à la répétition rituelle toute signification et tout intérêt qui lui soient spécifiques. Dans cette méconnaissance de la spécificité de la ritualité, on retrouve à l’oeuvre le préjugé spiritualiste de la tradition hellénico-chrétienne : on est prêt à reconnaître à l’action un sens et une valeur, mais à l’unique condition qu’elle soit subordonnée à la parole et à la foi. Une action répétitive qui ne trouve pas son fondement et sa justification dans un récit généalogique et dans une croyance individuelle ou collective, religieuse ou sociale, n’est pas considérée (des néo-platoniciens à Diderot, de saint Augustin à Lévi-Strauss) comme un véritable rituel, mais comme une simple cérémonie, c’est-à-dire comme un comportement que l’on jugera systématiquement vide de sens, stéréotypé, inutile, idolâtre, pathologique, désespéré ; au mieux, il fera l’objet d’une appréciation esthétique. Pas plus que les autres sciences humaines, la psychanalyse n’a soustrait la cérémonie à cette condamnation millénaire : en la mettant en relation avec le comportement des sujets atteints de névroses obsessionnelles, elle a même renforcé ce jugement.

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Le véritable scandale de la pensée occidentale, ce n’est pas le mythe, c’est la cérémonie : en premier lieu, en effet, les concepts de muthos et de logos ne sont pas dans la culture grecque aussi opposés que le laisse supposer la formulation sophistico-platonicienne du problème, puisqu’ils sont parfois utilisés comme synonymes ; en second lieu, l’étude scientifique des mythes se développe aujourd’hui en même temps que le mythe de la science, si bien que mythe et science, pensée sauvage et pensée rationnelle, s’avèrent beaucoup plus proches que l’irrationalisme romantique ou le rationalisme positiviste ne veulent bien l’admettre ; enfin, même sur le plan socio-politique, la formation du consensus par le biais d’un appel aux convictions rationnelles des individus, apparaît dans la civilisation politique ouverte par le Siècle des Lumières et par la Révolution française, inséparable de la diffusion de mythes politiques de masse. Tous ces éléments nous incitent à considérer la prétendue pensée rationnelle comme étant davantage la continuation et le travestissement de la pensée mythique que son alternative radicale. Du reste, l’une et l’autre se fondent sur la subordination des gestes aux mots, des pratiques aux croyances, cette subordination étant elle-même fondée sur le primat de l’intériorité.

Le déclin de la civilisation des XVIIIe et XIXe siècles, qui a été essentiellement mytho-logique, se manifeste dans le triomphe du spectacle et de l’apparence, dans l’exhibition obscène de tout ce qui était caché, voilé, secret, dans l’épanouissement de la simulation idéologique et culturelle qui, insensible aux contradictions et aux incompatibilités, rend interchangeables toutes les théories. Cependant, à considérer la société contemporaine comme une simple société du spectacle et de la simulation hyperréelle — et peu importe que ce soit de façon critique ou apologétique —, on ne voit pas l’ampleur et la profondeur du saut historique devant lequel nous nous trouvons ; en effet, ces caractères sont encore étroitement dépendants de la tradition spiritualiste occidentale, qui pense l’extériorité et la cérémonie comme formalisme, surface et sclérose, et qui ne voit en l’une et en l’autre qu’un manque de profondeur, de substance intérieure et de vie. Ainsi, on réduit la caerimonia à une carimonia (de careo, être privé de, sentir le manque de), suivant une étymologie erronée qui date de l’Antiquité, et qui faisait référence à l’offrande sacrificielle faite aux dieux par les hommes : en réalité, le manque que la métaphysique occidentale reproche à la cérémonie, ce manque concerne le mythe et la foi. Une offrande sacrificielle qui n’est pas motivée par une dévotion intime et spirituelle, et qui, en outre, est adressée à des divinités dont on ne sait rien, cela constitue une folie incompréhensible.

La cérémonie des dieux

Pourtant, cette folie constitue la base même de la religion et de la mentalité des anciens Romains. Le plus surprenant, c’est que dans la Rome antique, extériorité et cérémonie, rite sans mythe et sans foi, ne se trouvent pas au terme du processus historique, ne sont pas l’expression de la décadence et de l’essoufflement d’une religion qui aurait perdu tout rapport avec l’expérience vécue dont elle est née ; bien au contraire, ces caractéristiques se trouvent à l’origine de la romanité, elles constituent l’intuition centrale sur laquelle se fonde la conception romaine du divin, de l’humain et du temps.

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En partant de quelques textes d’écrivains de l’Antiquité, Karl-Heinz Roloff, l’auteur de l’étude la plus vaste et la plus exhaustive sur le mot et sur le concept latin de caerimonia (1), montre que parallèlement et antérieurement au sens d’action et de comportement rituels, le terme désigne l’être même du divin, l’objet de la religion, c’est-à-dire ce qu’on peut traduire très approximativement par le mot “Sacralité” (Heiligkeit). Que cérémonie veuille dire beaucoup plus que sainteté, cela paraît prouvé par un texte de Suétone, qui oppose la sanctitas des rois à la caerimonia des dieux, ce terme indiquant que le mode d’existence des dieux est infiniment supérieur à celui des souverains. Ce n’est donc pas à un manque que le mot fait référence, mais, bien au contraire, à la dimension ontologique du sacré ; cela explique que le terme ne soit utilisé dans cette acception qu’au singulier et que, plus tard, des grammairiens l’aient pris pour un nom pluriel. Quand Cicéron parle d’une caerimonia legationis, quand Tacite parle d’une caerimonia loci, ils pensent davantage à l’être de la chose elle-même qu’à l’attitude ou au sentiment humain envers celle-ci. Enfin, lorsque César raconte le complot ourdi contre lui par les Carnutes et par d’autres peuples de la Gaule (dans le De Bello Gallica, VII, 2), il nous dit qu’ils renoncèrent à échanger des otages, afin de ne pas dévoiler leur alliance, mais qu’ils demandèrent que toutes les enseignes militaires soient réunies en faisceau, et que tous fassent le serment de ne pas se séparer des autres lorsque la guerre aurait commencé : un tel acte est défini par César comme une gravissima caerimonia, car les enseignes ainsi réunies acquièrent un pouvoir sacro-saint, objectif, indépendant de la croyance des hommes, et qui remplace très efficacement l’échange d’otages.

S’il convient donc de parler d’une cérémonialité de l’être, celle-ci ne peut être entendue au sens de festivité (Feierlichkeit), de cette contemplation joyeuse que Kerényi attribuait à la religion grecque (2), envisagée dans son rapport direct à la vision, à la manifestation, à la splendide apparition du phénomène. Dans le texte de César, on ne trouve aucune allusion à une manifestation du divin : toute l’attention des Carnutes est concentrée sur l’action qu’ils s’apprêtent à entreprendre et sur la nécessité de fonder cette action historique, pleine de. risques et d’inconnues, sur l’obéissance à la gravissima caerimonia des enseignes réunies en faisceau ; cette cérémonie n’est pas une fête organisée à l’occasion de l’alliance, elle est la garantie objective, extrêmement sérieuse et astreignante, de cette même alliance.

La cérémonialité de l’être ne peut pas davantage être comprise comme spectacularité du divin. Les ludi scaenici sont étrangers à la religion romaine archaïque, à laquelle renvoie le mot utilisé par César (3). La caractéristique essentielle de la religion romaine, c’est l’extraordinaire imprécision de l’aspect des divinités, dont on ignore parfois jusqu’au sexe : les dieux romains sont si abstraits et désincarnés qu’ils se réduisent très souvent à un simple nom. Le Panthéon romain a été très justement comparé par Dumézil à un monde d’ombres presque immobiles, à une foule crépusculaire à l’intérieur de laquelle il est difficile de repérer un contour précis (4). Bien qu’il parle des Gaulois, il va de soi que César leur attribue en cette occasion une façon de penser typiquement romaine.

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Enfin, dans son acception la plus profonde, caerimonia deorum ne désigne ni le culte qui appartient aux dieux, ni le culte qui leur est dû, mais plutôt l’extériorité du mode d’existence du divin. Ici, la réflexion sur la religion romaine rencontre la théorie moderne du sacré conçu comme complètement autre, comme différence, comme refus radical de toute conception anthropomorphique du divin. Cette convergence d’une théorie du sacré qui plonge ses racines dans le monothéisme juif, et du paganisme romain (tenu par Hegel pour une des formes les plus blâmables de la superstition), une telle convergence ne laisse pas de surprendre. Pourtant, malgré la distance qui sépare Yahvé de la cérémonie romaine du divin, la convergence objective de l’iconoclastie hébraïque et de l’aniconisme de la religion romaine des origines (selon la tradition, celle-ci ne connut pas d’images sacrées pendant les premiers cent soixante-dix ans de son histoire), cette convergence nous laisse perplexe. Quoi qu’il en soit, l’essentiel est de comprendre que l’extériorité de l’être est tout le contraire d’un mode d’existence purement spectaculaire.

La cérémonie des hommes

La signification subjective de la cérémonie (entendue comme opération et comportement rituels) est tout aussi importante que la signification objective attribuée aux “choses elles-mêmes”. Cette seconde acception du terme, qui est la plus répandue et la plus usuelle, est toutefois étroitement liée à la première : par exemple, dans la cérémonie racontée par César, il n’y aurait eu aucune sacralité objective si l’action de réunir toutes les enseignes militaires (action orientée vers un but bien précis) n’avait pas été accomplie. « À cet égard, l’action est elle-même sacralité : sans elle, il n’y aurait pas de sacré, mais d’autre part, le sacré ne tient qu’à l’assemblage des signa » (5).

Ainsi, l’extériorité n’est pas seulement l’aspect fondamental de l’être divin, mais aussi — et au même titre — le caractère essentiel du rite religieux, lequel n’a nullement besoin de fonder sa validité sur une croyance, une foi, une expérience intérieure. Ici apparaît clairement la distance qui sépare la religion romaine et la théologie de la différence, d’origine judaïque ou chrétienne : dans la première, l’extériorité du rite correspond à l’extériorité du sacré ; dans la seconde, au contraire, l’intériorité du culte fait pendant à l’extériorité de Dieu (6). Cela ne signifie pas que la cérémonie romaine brise — comme dit Hegel — le cœur du monde, rompe l’individualité de tous les esprits, étouffe toute vitalité (7), c’est-à-dire qu’elle soit liée à une totale insensibilité émotionnelle et spirituelle. Dans la cérémonie romaine, le rapport entre extérieur et intérieur est inversé : ce n’est pas l’intériorité qui fonde et justifie le culte, comme dans le judaïsme et dans le christianisme, c’est la cérémonie — c’est-à-dire la répétition extrêmement précise et scrupuleuse d’actes rituels — qui ouvre la voie à un type de sensibilité non sentimentale, mais pas moins articulée et complexe pour autant. Dans le récit de César, la cérémonie fait naître chez les conjurés une solidarité plus sûre que celle qui eût été garantie par l’échange d’otages. Le caractère de cette solidarité n’est pas exclusivement religieux, il est également juridique et politique.

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On ne peut pleinement saisir la signification romaine du mot cérémonie si l’on fait abstraction de cette dimension juridico-politique ; cependant, celle-ci ne doit pas être entendue au sens de lex, c’est-à-dire d’acte volontairement contraignant, mais au sens de jus, c’est-à-dire de rite à caractère rigoureusement technique, de procédure dans laquelle le magistrat et les parties ont des rôles rigoureusement déterminés par la tradition. Cela signifie que le caractère obligatoire de la cérémonie ne dépendait pas de l’adhésion des participants à ses contenus, mais de la capacité des magistrats à rattacher le cas particulier à la forme générale et abstraite du rite.

Le jus est précisément un ars, un ars qui in sola prudentium interpretatione consistit : si on garde à l’esprit que ars et ritus dérivent de la même racine ar- qui désigne l’ordre (8), la répétition cérémonielle s’impose comme un des points cardinaux de la pensée romaine.

Le comportement cérémoniel se détermine donc par rapport à deux termes qui sont l’un et l’autre objectifs et extérieurs : la situation spécifique et la forme rituelle. La prudentia, c’est, précisément, la capacité de les harmoniser. D’un côté, l’obéissance à l’occasion, à la donnée particulière, à l’opportunité, ne se réduit pas à un pur opportunisme, car elle s’accomplit en référence à un cadre, à un schéma général hérité du passé ; de l’autre, l’obéissance à la tradition n’est pas pure sclérose, car elle vise à la solution d’un problème, d’un problème concret.

Cette harmonie entre opportunité et forme constitue l’un des principaux thèmes de l’important ouvrage que Jhering, au siècle dernier, consacra à l’esprit du droit romain (9), qu’il définit comme étant « le système de l’égoïsme discipliné ». L’instinct pratique des Romains, observe Jehring, avait permis l’établissement de règles et d’institutions si élastiques qu’elles s’adaptaient toujours aux besoins du moment, bien qu’elles fussent scrupuleusement observées.

1497262099.jpgAppliqué au monde romain, le concept d’extériorité ne veut pas dire, comme dans l’optique judéo-chrétienne, transcendance d’une loi qui s’impose inconditionnellement à l’intériorité humaine ; la cérémonie n’est pas l’exécution d’un devoir-être éternel et immuable, ni l’actualisation d’un mystère méta-historique : les termes sur lesquels elle se fonde sont tous objectifs, mais immanents à l’histoire. Chez les Romains, le sacré ne présente aucun caractère panthéiste ou mystique : il existe essentiellement, nous dit Roloff, dans le cas particulier, dans l’évènement particulier, ce qui est parfaitement conforme au caractère “casuistique” du mode de penser romain (10).

Cérémonie du temps

La cérémonie est aux antipodes du spectacle, de la mise en scène : elle apparaît comme étant la condition de toute production, de toute action, de toute histoire. C’est particulièrement évident dans la conception romaine du temps, qui diffère autant de l’éternel retour des sociétés primitives, avec son cycle de morts et de renaissances rituelles, que de l’histoire linéaire du judaïsme, avec son espérance messianique d’un rachat final. À Rome, la cérémonialité du temps, c’est le calendrier, une structure formelle de jours, de mois, de fêtes, qui revient toujours mais qui n’entrave pas l’activité historique des hommes ; bien au contraire, le calendrier fournit l’indispensable point de référence qui permet de situer chronologiquement toute action particulière.

Le temps cyclique des sociétés primitives, qui n’attribue d’importance qu’à la réactualisation de l’archétype mythique originel, et le temps linéaire du judaïsme, qui considère les entreprises d’Israël comme étant celles de Dieu lui-même, sont tous deux, sous des aspects bien différents, des temps mythologiques, c’est-à-dire des temps dans lesquels il existe un lien indestructible entre la dimension chronologique et son contenu : c’est ce lien, précisément, qui fonde la sacralité de ces expériences du temps. Le calendrier romain, au contraire, fonde un temps démythifié, mais non pour autant désacralisé ou insignifiant : il fournit un cadre, une grille de référence, un tissu dont les éléments sont sacrés, mais il ne dit pas a priori ce que ces éléments doivent contenir, et il ne transforme pas a posteriori leur contenu en histoire sacrée. La structure cérémonielle du calendrier romain se pose comme condition d’histoire : elle commence par laisser indéterminé le caractère concret de l’événement ; puis, quand celui-ci s’est produit, elle n’annule pas sa spécificité en l’insérant dans un processus dont la signification ultime est la rédemption finale, mais elle se soucie de la conserver en en faisant un précédent.

Selon une hypothèse suggestive, les douze mois de l’année doivent être mis en relation avec les douze boucliers réalisés par le forgeron Mamurius Veturius (le premier artisan qui soit mentionné dans l’histoire de Rome), pour le compte de Numa Pompilius. Qui plus est, Mamurius aurait été la représentation symbolique de l’année écoulée (11) ; en effet, le 14 ou le 15 mars (dans le calendrier romain, l’année se terminait à la fin du mois de février), les Romains accomplissaient un rituel connu sous le nom de Mamuralia : la foule portait en procession un homme couvert de peaux de bêtes, puis elle le frappait avec de longues baguettes blanches en l’appelant Mamurius. Ce rituel aurait également inspiré une expression populaire : suivant des sources grecques, lorsqu’on voulait faire allusion à quelqu’un qui avait reçu une bonne volée, on disait qu’il avait “joué les Mamurius” (tàn Mamourion paizein).

La figure de Mamurius serait donc liée à la fois à l’abolition de l’année écoulée (à travers les Mamuralia) et à la fondation de l’année nouvelle (suivant le récit qui le représente comme forgeron au service de Numa). En arguant du lien existant dans l’histoire des religions entre les initiations et les forgerons, en rappelant que les Mamuralia précédaient immédiatement les Liberalia (ces fêtes du 17 mars où les jeunes Romains revêtaient la toge virile), une interprétation particulièrement ingénieuse voit dans le dossier fort complexe de Mamurius rien de moins que ce rite d’initiation à l’âge d’homme, typique des sociétés primitives, que l’on tenait jusqu’à aujourd’hui pour étranger à la religion romaine archaïque (12).

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Si l’on nous demande à quels contenus, à quels idéaux, à quels modèles de vie, Mamurius initiait, la réponse est simple : Mamurius initiait à la cérémonialité du temps, au calendrier, au rite démythifié. Cela signifie que dans le monde romain, la mort simulée n’est pas suivie d’une vraie renaissance, d’une vraie vie (comme dans les rites de passage des sociétés primitives), mais d’une vie artificielle, juridique, cérémonielle, rythmée par le calendrier, qui fait abstraction de tout prototype et de tout temps intérieur, qui est depuis toujours répétitive et extériorisée, et dans laquelle mort et renaissance rituelles coïncident (13).

C’est maintenant qu’on peut comprendre, peut-être, le sens le plus profond du mot ludus, qui n’est pas seulement synonyme de rite, qui ne veut pas dire seulement simulation, qui n’est pas utilisé uniquement par rapport au jeu sexuel et à la séduction, mais qui signifie également école, apprentissage, instruction. Désormais, en effet, on n’a rien à enseigner, on n’a rien à apprendre, sinon les procédures, les cérémonies, les mouvements rotatoires à l’intérieur desquels l’occasion, la particularité la plus empirique, la situation la plus spécifique, doivent être “jouées”. Il est inutile de se dérober au “jeu de Mamurius” : l’essentiel est de vaincre en dépit des coups de bâton. L’enseignement du forgeron Mamurius apparaît donc opposé à celui des autres “maîtres du feu” de l’aire indo-européenne : pas le wut, la fureur religieuse, la colère qui terrorise les ennemis, mais, tout au contraire, le calme, l’indifférence, le mimétisme, en un mot : la cérémonie.

► Mario Perniola, Traverses n°21-22, 1981. [Traduit de l’italien par Thierry Séchan]

Notes :

91dBX7kQy4L.jpg1. K.-H. Roloff, « Caerimonia », in : Glotta, Zeitschrift für griechische und lateinische Sprache, Band XXXII, 1953, p. 101-138.
2. C. Kerényi, La Religion antique, 1957.
3. G. Piccaluga, Elementi spettacolari nei rituali festivi romani, Roma, 1965, p. 64.
4. G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, Paris, 1974, p. 50.
5. K.-H. Roloff, op. cit., p. 111.
6. À ce sujet, cf. les thèses d’Emmanuel Levinas, in : Totalité et infini, Essai sur l’extériorité, La Haye, 1961, en ce qui concerne le judaïsme. Pour le christianisme, cf. les considérations de R. Otto, in : Le Sacré, 1929.
7. GWF Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, III.
8. E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, 1968, t. II.
9. R. von Jehring, Geist des romischen Rechts auf den verschieden Stufen seiner Entwicklung, Leipzig, 1854-1865.
10. K.-H. Roloff, op. cit., p. 121.
11. J. Loicq, « Mamurius Veturius et l’ancienne représentation de l’année », in : Hommages à Jean Bayet, Paris, 1964, pp. 401- 425.
12. A. Illuminati, « Mamurius Veterius », in : Studi e materiali di storia delle religioni, a. XXXII, 1961, pp. 41-80.
13. M. Perniola, « Mort et naissance dans la pensée rituelle », in : Archivio di Filosofia, 1981.

♦ nota bene : dans un entretien postérieur à cet article, l'auteur précisait : « (...) j’ai orienté mes lectures vers l’étude de l’Empire romain, en particulier les techniques juridiques et administratives qui ont permis aux Romains de surmonter les guerres intestines. La notion-clé sur laquelle a porté mon attention a été celle de rituel sans mythe, qui est aux origines de la religion et de la jurisprudence romaine. L’issue de cet effort a été le volume Ritual Thinking. Sexuality, Death, World (2000). Mon travail a rencontré les tendances les plus récentes de l’anthropologie américaine, qui excluent l’existence des mythes fondateurs des rituels. Dans ce cas, le lien social est garanti uniquement par l’exécution d’une série de schèmes de comportement prédéterminés qui sont tout à fait indépendants de l’adhésion subjective à des croyances, doctrines, fois ou à l’émergence d’affects, d’émotions ou de sentiments. Cela se réalise à travers une épochè : cette expérience d’origine cynique-stoïque a ensuite été reprise par la phénoménologie de Husserl, qui en a fait la condition de toute connaissance rigoureuse. » (Rue Descartes n°4/2015).

 

L’« élite mercantile » anglaise

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L’« élite mercantile » anglaise

Saint-Paulien

Source: Saint-Paulien, Napoléon, Hitler. Deux époques, un destin, Editions Gergovie, 1999 (extraits).

La Révolution de 1688, qui exclut du trône Jacques II Stuart, marque dans l’histoire de l’Angleterre un tournant aussi important que la création de l’Eglise anglicane par Henry VIII : avec Cromwell, c’est la bourgeoisie qui tente de saisir le pouvoir.

En apparence, le XVIIIe siècle consacre l’échec de cette tentative. Walpole repasse les leviers de commande à l’aristocratie, whig [libérale] surtout, mais à la rigueur tory [conservatrice].  Le ministre des deux premiers George réussira à donner au pays une stabilité politique telle que cette aristocratie ne sera chassée du pouvoir qu’à partir de la Seconde Guerre mondiale.

Mais ce qu’on entend par aristocratie en Angleterre à partir de 1715 n’est pas ce qu’on entend par aristocratie en France, ni ce qu’on entendait, en Angleterre même, avant Cromwell. La première moitié du XVIIIe siècle a vu se réaliser dans les îles britanniques une véritable « révolution commerciale », qui précède la « révolution industrielle » de la seconde moitié. C’est à cette « révolution commerciale » qu’on doit la naissance de ce qui est en réalité une nouvelle classe, comparable à l’oligarchie vénitienne et qu’un historien britannique qualifie d’« élite mercantile » [1]. Elle groupe les grands marchands, les financiers, les banquiers, tous ceux qu’enrichit le commerce avec l’Inde, l’Amérique, la Chine, le commerce intérieur même ; elle inclut aussi l’ancienne aristocratie, mais dans la mesure où celle-ci s’est également enrichie, ou bien s’est alliée par mariage à l’« élite mercantile ». Rien n’est plus caractéristique à cet égard que la vague de ralliements des tories au parti whig après 1715.

Cette élite comprendra bientôt les squires, ex-gentilshommes campagnards qui, eux aussi, auront évolué en devenant négociants et spéculateurs. Entre le duc, millionnaire, propriétaire d’une ville entière, ministre ou ministrable, et le squire d’un village qui ne sera jamais que juge de paix, ou membre de la Commission locale de l’Education, il semble qu’il y ait un abîme. Pourtant, tous deux spéculent par l’intermédiaire de leur attorney et possèdent peut-être des parts du même navire. La prospérité de l’un et de l’autre dépend de la conservation par l’Angleterre de la maîtrise des mers, du commerce avec les colonies. Cela est si vrai que l’industrialisation du pays se fera sans que le problème social ait un retentissement politique. Les grands industriels, les propriétaires d’industrie, se recruteront dans l’« élite mercantile » existante, ou bien y entreront de plein droit.

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A la différence de la France et de l’Espagne, l’Angleterre n’a jamais décrété que le noble doit mépriser l’argent et que faire du commerce équivaut à déroger, mais au contraire que celui qui est riche, quelle que soit la source de sa richesse, est noble et doit gouverner. Aujourd’hui encore, la reine d’Angleterre anoblit systématiquement quiconque est très riche. Cette conviction fait le fond du protestantisme ; aussi la naissance et la domination de ce qu’on a appelé l’establishment sont-elles consécutives au triomphe absolu du protestantisme dans les esprits.

Ces deux phénomènes sont le résultat de la décadence de l’élément celto-normand de la population britannique. Avant Cromwell, l’aristocratie celto-normande, souvent catholique, donnait encore le ton. Elle fut décimée par la guerre civile et chassée du pouvoir par les souverains de la Maison de Hanovre. L’élément saxon étouffa l’esprit essentiellement celto-normand de la Renaissance anglaise.

A la fin du XVIIIe siècle, la classe dirigeante britannique, farouchement anglicane, se distingue par sa ténacité, sa vigueur, mais aussi son étroitesse d’esprit et son manque d’imagination. On ne pouvait lui demander de comprendre Napoléon, sorte de Cromwell papiste, pas plus qu’on ne pût demander à l’Empereur, descendant de hobereaux corses orgueilleux de leur pauvreté, de comprendre ce qu’il appelait naturellement « une nation de boutiquiers ». Il apercevait un aspect moral de la classe dirigeante anglaise, mais non pas le monolithisme politique qui en est la conséquence.

Après 1763, la marine britannique était restée maîtresse presque absolue de tous les océans et cet état de choses semblait éminemment souhaitable à toute la classe dirigeante. La France restreignit d’abord cette maîtrise en aidant les Américains à conquérir leur indépendance. Outre une colonie, la principale source des bois de mâture fut ainsi ôtée à l’Angleterre qui, peu après, dut abandonner la Méditerranée.

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Elle y revint assez vite, pour en être chassée à nouveau en 1796 par l’alliance franco-espagnole. Puis Nelson y rentra en 1798 et, en 1805, Trafalgar consacra finalement l’hégémonie absolue de la Grande-Bretagne sur mer : Britannia rules the waves.

C’est ce qui rendit possible un retournement contre l’Europe napoléonienne du Blocus continental. Par les ordres anglais de novembre et décembre 1807, tout navire neutre venant d’un port interdit aux Anglais, ou s’y rendant, fut obligé de faire escale dans un port britannique pour y acquitter un droit de 20 à 30% sur sa cargaison et y obtenir licence de faire commerce avec l’ennemi, sous peine de saisie et de confiscation en mer. Les navires neutres eurent donc le choix entre se faire prendre en haute mer par les Britanniques, ou être saisis dans les ports par les Français. Ce fut la surveillance britannique, inlassable pendant des années, qui l’emporta.

Si les exportations britanniques vers les pays de l’Europe du Nord furent réduites par le Blocus de 16,6 millions de livres sterling en 1805 à 5,4 millions en 1808, elles remontèrent en 1809. Entre ces deux années, l’ensemble des exportations anglaises diminua d’environ 14% ; mais celles de l’empire français diminuèrent de 27% et ne remontèrent pas en 1809.

Si énorme était l’enjeu aux yeux de cette « élite mercantile » qu’elle dépensera chaque année, de 1793 à 1815, de 20 à un peu moins de 100 millions de livres sterling pour faire la guerre à Napoléon. Le coût de cette guerre représentera finalement plus du quart du revenu national annuel. A partir de 1791, la Banque d’Angleterre émettra de plus en plus de papier, et les paiements en or seront suspendus. L’impôt sur le revenu sera créé en 1799 et les impôts indirects seront augmentés. La dette intérieure atteindra 846 millions de livres sterling et coûtera au Trésor 32 millions d’intérêts annuels. Les prix auront à peu près doublé depuis le début du conflit.

Mais la défaite finale de Napoléon fera de la Grande-Bretagne la nation la plus riche et la plus puissante du monde. L’impôt sur le revenu sera supprimé en 1816 par le Parlement, le cours de l’or rétabli en 1821. Ce sera la Pax Britannica, par et pour l’Angleterre.

[1] Cf. J.H. Plumb, The growth of political stability in England : 1675-1725, Londres.

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Un bilan de l’ère Trump

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Un bilan de l’ère Trump

Par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

L'élection de Donald J. Trump a été décrite et soulignée à plusieurs reprises comme un tournant dans l'histoire récente des États-Unis et de la partie du monde à laquelle ils ont imposé leur hégémonie. Dans cette analyse, nous essaierons de comprendre si, en termes géopolitiques, il était vraiment possible de parler d'un tournant et quel héritage la période de quatre ans de trumpisme laissera à l'"empire" en déclin du Far West.

J’ai écrit une analyse publiée sur le site d'"Eurasia", quelques semaines après l'élection de Donald J.Trump. J’analyse aujourd’hui la situation à la fin de son mandat. Trump est devenu président des États-Unis en 2016[1], il présente une similitude avec l'histoire de la secte soloviévienne des "adorateurs de trous", une pseudo-religion répandue dans les steppes russes désolées, dont la liturgie consistait à creuser un trou dans le mur de l'izba ; puis, une fois les lèvres approchées du trou, la prière était dite : "ma maison, mon trou, sauve-moi et protège-moi". Solov'ëv a comparé ce culte particulier au christianisme humaniste d'inspiration tolstoïenne en vogue en Russie à la fin du XIXe siècle, en concluant que les deux doctrines étaient substantiellement identiques. Le christianisme sans le Christ, selon Solov'ëv, était en fait comme un lieu vide, comme un trou dans un mur. Cependant, les "adorateurs du trou" avaient au moins le mérite d'appeler les choses par leur nom.

Si l'administration Trump avait un mérite (du moins au début et avant le retour au "monde libre" de Pompeo face à la tyrannie du communisme chinois), c'était sans doute celui d'avoir surmonté la rhétorique maladive de la "responsabilité de protéger", ou d'avoir à exporter la démocratie et les droits de l'homme, montrant ainsi le vrai visage de l'Amérique.

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En fait, Donald J. Trump n'a pas hésité à définir l'Europe comme un "ennemi"[2], montrant que toute forme d'unification continentale européenne (qu'elle soit techno-libérale, communautariste ou socialiste, etc.) est toujours perçue comme une menace par les États-Unis si elle n'est pas directement contrôlée par Washington.

Et Trump lui-même n'a pas hésité à admettre que les Etats-Unis occupaient le nord-est de la Syrie dans le seul but de contrôler les ressources pétrolières du pays : c'est-à-dire pour empêcher la reconstruction économique du pays dévasté par le conflit commandité par l'Occident [3]. Motif qui a poussé Bachar al-Assad (d’ores et déjà objectif, comme le président vénézuélien Maduro, d'un éventuel assassinat ciblé d'abord nié puis confirmé, peut-être à des fins électorales) à définir Trump comme "le plus transparent des présidents américains" [4].

Une opinion qui ne diffère pas de celle du Guide suprême de la révolution islamique Ali Khamenei, qui, en son temps, déclarait: "Nous apprécions Trump, car il a fait le travail pour nous en révélant le vrai visage de l'Amérique".

À ce stade, il est bon de souligner qu'en termes géopolitiques, malgré une diffusion considérable (surtout dans les rangs des collaborationnistes européens) de la thèse de propagande du "Trump" pacifiste (une thèse qui, à vrai dire, n'a pas de véritable contrepartie dans la réalité), il n'y a pas eu de discontinuité substantielle entre la dernière administration nord-américaine et celles qui l'ont précédée (surtout la très critiquée - par les principaux représentants et idéologues du trumpisme - de l'administration Obama). Au contraire, la géopolitique des trompettes, si on l'analyse dans une perspective essentiellement nord-américaine, représente une accélération tourbillonnante de la dynamique mise en place lors du second mandat de Barack Obama.

Comme le directeur d'"Eurasia", Claudio Mutti, l'a souligné à juste titre dans une interview au magazine serbe Pečat, dès 2014, dans un discours prononcé à l'Académie militaire de West Point, l'ancien président nord-américain "a déclaré que le coût des actions militaires à l'étranger était trop élevé et que celles entreprises sans tenir compte des conséquences se résolvent en catastrophes économiques. Par conséquent, dans les cas où les États-Unis ne sont pas directement menacés, une intervention directe n'est pas nécessaire, mais il faut faire appel à des alliés régionaux, en les impliquant dans les guerres par procuration"[5].

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Obama, bien avant Trump, était arrivé à la conclusion qu'à une époque d'érosion progressive de la puissance nord-américaine, la simple force militaire ne pouvait plus être le seul moyen de dissuasion possible de l'hégémonie américaine. Dans une version atténuée de la doctrine Cebrowski, la stratégie obamienne s'est concentrée (comme dans le cas de la Libye, de la Syrie et du Yémen) sur l'utilisation de forces mercenaires et de groupes terroristes directement liés aux services de renseignement occidentaux pour déterminer le chaos dans diverses régions du continent eurasien, du Levant aux frontières de la Russie.

L'administration Trump a poursuivi dans cette voie. Elle a habilement exploité son capricieux allié turc en Syrie pour prolonger le conflit. Elle n'a jamais cessé de fournir un soutien logistique à l'agression saoudienne au Yémen. Il a créé un accord fallacieux, condamnant le peuple palestinien à la non-existence après avoir reconnu la souveraineté sioniste sur Jérusalem et le Golan syrien (également pour rendre la pareille aux nombreux et généreux donateurs de sa campagne, Sheldon Adelson surtout). Il a imposé un régime de sanctions unilatérales et pénales à l'Iran en utilisant le poids du dollar comme monnaie de commerce international. Or les guerres commerciales sont considérées comme des guerres à part entière depuis l'Antiquité ! Il a fait assassiner le général Soleimani en mission diplomatique, pour éviter toute médiation possible entre l'Iran et les monarchies du Golfe Persique et pour poursuivre ses plans stratégiques précis : par exemple, la signature des "accords d'Abraham", qui seront discutés prochainement.  Il a annulé l'"accord nucléaire" avec l'Iran, dont les termes, à vrai dire, n'ont été en aucune façon respectés par son prédécesseur.

Une autre ligne de continuité absolue avec la présidence précédente est représentée par la doctrine d'endiguement envers la Russie et la Chine, définie à plusieurs reprises dans les documents du ministère de la défense comme des "entités malignes".

Sous Trump, la doctrine obamienne du "Pivot vers l'Asie" (liée au déplacement du centre du commerce mondial dans la région indo-pacifique) est devenue l'épine dorsale de la géopolitique nord-américaine. Ainsi, outre la présence navale et militaire croissante en mer de Chine méridionale (2000 opérations militaires au cours des seuls six premiers mois de 2020), la vente massive d'armements à des ennemis potentiels de la Chine (Taiwan en premier lieu) et la déstabilisation de Hong Kong et de plusieurs pays qui occupent une place prépondérante dans le projet de coopération eurasienne et d'intégration de la nouvelle route de la soie, de la Thaïlande au Kirghizstan, en passant par la région du Cachemire, le Liban et le cas emblématique de la Belarus (sans compter les pressions répétées à Pékin à propos du Xinjiang, qui ont culminé avec le récent retrait de la liste des groupes terroristes du soi-disant Mouvement islamique du Turkestan oriental)[6].

Washington, de manière particulière, s'est concentré sur l'Inde et a exploité les relations non idylliques entre New Delhi et Pékin pour déclencher un conflit régional (entre deux des principaux pays producteurs du monde) qui, en fait, retarderait considérablement le déclin hégémonique des États-Unis.

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La figure du célèbre escroc Steve Bannon, qui, malgré son départ de la Maison Blanche, en vertu du soutien économique que lui garantit le magnat corrompu Guo Wengui, a continué à faire la propagande de ses thèses anti-chinoises. Cela mérite une attention particulière.

Le rôle de Bannon dans l'administration précédente a été sous-estimé à plusieurs reprises. En fait, celui que l'on peut volontiers définir comme le véritable idéologue du trumpisme, avant de quitter son rôle de stratège en chef, a réussi à placer au sein des centres névralgiques de l'administration plusieurs hommes qui ont ouvertement poursuivi ce qui était ses objectifs stratégiques. L'un d'eux est certainement Randall G. Schriver : fondateur avec Richard Armitage (d'orientation démocratique) du groupe de réflexion "Projet 2049" et ancien assistant du secrétaire à la défense pour la région indo-pacifique. En fait, c'est lui qui a planifié le récent renforcement des liens militaires et commerciaux avec Taiwan d'une manière clairement anti-chinoise.

L'action de l'administration Trump en Europe et aux frontières russes est aussi particulièrement intéressante. Washington s'est ici concentré sur la rupture des relations entre l'Europe occidentale et la Russie (affaire North Stream 2) et sur le renforcement de sa présence en Europe de l'Est également par la mise en place de l'initiative des "Trois Mers" (autre héritage de l'ère Obama), qui, réunissant douze pays de la zone allant de la mer Baltique à la mer Noire et à la Méditerranée sous le parapluie protecteur des Etats-Unis, forme un véritable cordon sanitaire aux frontières de la Russie[7].

Si l'on ajoute à cette initiative la déstabilisation actuelle de la région caucasienne, qui empêche actuellement la formation d'un corridor nord-sud de Moscou à Téhéran et à l'océan Indien, on peut dire sans risque que la politique d'endiguement de la Russie est bien engagée. Et si l'on ajoute à l'Initiative des Trois Mers, les accords d'Abraham qui lient Israël à certaines monarchies de la péninsule arabique (avec l'exclusion temporaire de l'Arabie Saoudite, dont les relations en matière de renseignement avec Tel-Aviv n'ont cependant jamais été remises en question), un bloc d'opposition se forme entre l'Europe occidentale ("joyau" de l'empire nord-américain) et le reste de l'Eurasie, bloc dont le but est de rendre vains tous les projets de coopération entre les deux parties de ce vaste continent et, par conséquent, de garantir la suprématie nord-américaine pour quelques décennies encore.

Paradoxalement, à l'exception du cas brésilien où un président a été installé qui restera un allié loyal des États-Unis quel qu’en soit le responsable, c'est précisément dans le "patio trasero" (l’arrière-cour) que la présidence désormais passée a enregistré des échecs stratégiques importants. Le coup d'État bolivien d’hier a été annulé avec la victoire électorale de Luis Arce, tandis que la stratégie de pression et de blocus naval sur le Venezuela n'a pas (pour l'instant) eu les effets escomptés. Mais rien n'empêchera la nouvelle administration Biden-Harris de poursuivre et d'intensifier ses efforts dans la même direction.

Dans l'ensemble, l'administration Trump, mis à part le prétendu et ostentatoire "isolationnisme" (peu se souviennent que le prétendu isolationnisme a été la première manifestation d'une forme impérialiste typiquement nord-américaine), a été préparatoire à la mise en oeuvre et à l'accélération (surtout après l'explosion d'une crise pandémique qui a généré pas mal de problèmes pour une classe dirigeante qui s'est avérée inadéquate dans la grande majorité des pays sous l'influence de Washington) de la stratégie géopolitique nord-américaine pour la prochaine décennie. Une stratégie qui, même si elle devait être à nouveau voilée par la rhétorique démocratique, ne changera pas substantiellement ses objectifs finaux.

NOTES

[1]    Donald Trump, “uomo nel tempo”, www.eurasia-rivista.com.

[2]    Donald Trump: European Union is a foe on trade, www.bbc.com.

[3]    US troops will remain in Syria to ‘protect’ oil fields from ISIS, www.southfront.com. Dans un premier temps, le pétrole syrien a été passé en contrebande en Turquie par l’Etat islamique. Ensuite, dans une deuxième étape, grâce à l’occupation des champs pétrolifères par les « forces démocratiques syriennes » (en grande majorité d’ethnie kurde) et par les forces américaines, le pétrole a été transporté illégalement en Israël par l’entremise d’un obscur affairiste, Mordechai Kahana (qui entretenait d’excellents rapports avec John McCain) A cepropos, voir, Arab paper reveals Syrian Kurds oil privilege to Israeli businessmanwww.farsnews.com

[4]    Syria’s Assad calls Trump the “most transparent president”, www.politico.com.

[5]    Trump interrompe la strategia di Obama?, intervista a Claudio Mutti sulla rivista serba Pečat, www.eurasia-rivista.com.

[6]    L’Administration Trump (comme celle de ses prédécesseurs) a exploité à plusieurs reprises divers groupes terroristes du Proche-et du Moyen-Orient pour atteindre ses propres objectifs stratégiques. Il vaut la peine de mettre en exergue la forte amitié qui lie Rudy Giuliani (avocat de Trump) aux dirigeants de l’organisation terroriste iranienne du MeK (Mujaheedin e-Khalq) qui vise au changement de régime à Téhéran. Voir : Rudy Giuliani calls for Iran regime change at rally linked to extreme group, www.theguardian.com.

[7]    Voir C. Mutti,  Il cordone sanitario atlantico, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 3/2017. A ce projet est lié le transfert récent d’importantes unités militaires américaines de l’Allemagne à la Pologne.

Daniele Perra

Daniele Perra, à partir de 2017, a collaboré activement avec  "Eurasia/Magazine d'études géopolitiques" et à son site internet. Ses analyses sont principalement axées sur les relations entre la géopolitique, la philosophie et l'histoire des religions. Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, il a obtenu en 2015 le Master en études moyen-orientales à l'ASERI - Haute école d'économie et de relations internationales de l'Université catholique du Sacré-Cœur de Milan. En 2018, son essai sur la nécessité de l'empire comme entité géopolitique unitaire pour l'Eurasie a été inclus dans le volume VI des "Quaderni della Sapienza" publiés par Irfan Edizioni. Il collabore assidûment avec de nombreux sites internet italiens et étrangers et a donné plusieurs interviews à la station de radio iranienne Radio Irib. Il est l'auteur du livre Essere e Rivoluzione. Ontologia heideggeriana e politica di liberazione, Préface de C. Mutti (Nova Europa 2019).

mardi, 01 décembre 2020

L’Azerbaïdjan? Quatre motifs de satisfaction pour Israël

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L’Azerbaïdjan? Quatre motifs de satisfaction pour Israël

Le bloc-notes de Jean-Claude Rolinat

Ex: http://synthesenationale.hautetfort.com

On sait que les États sont des monstres froids, et qu’en général ils n’ont pas « d’amis », mais seulement  des intérêts. Toutefois, il peut y avoir de rares exceptions. Mais ce que l’on appelle la « realpolitik », c’est-à-dire la défense d’intérêts égoïstes, reprend toujours le dessus. C’est ce que nous pouvons constater dans l’affaire de l’agression du Haut-Karabakh arménien par l’Azerbaïdjan chiite. Quatre bonnes raisons ont incité l’État hébreu à ne penser qu’à ses intérêts. Notons, avec amertume, qu’il n’est pas le seul dans le concert des nations, dont certaines, l’Allemagne fédérale pour ne pas la nommer, ont carrément tourné la tête pour ne pas déplaire au satrape d’Ankara.

1°) L’Azerbaïdjan du clan Aliev, est un pays musulman qui entretient des relations diplomatiques avec Israël. Notons que l’État juif n’en a pas tant qui aient ouvert des ambassades chez lui. Au Moyen-Orient, on les compte sur les doigts d’une main : l’Egypte, la Jordanie, bientôt Bahreïn et les Émirats arabes unis. En retour, l’ouverture d’une légation à Bakou était la bienvenue, tant la reconnaissance internationale de leur pays est une obsession des dirigeants israéliens.

2°) Les affaires ! Si les « petits cadeaux entretiennent l’amitié », le businessest un excellent moyen d’influencer un partenaire, sans compter que vendre des marchandises ou du matériel de guerre notamment, rapporte des devises. D’autant qu’Israël excelle dans la production d’électronique militaire et la fabrication de drones.

3°) Les peuples arméniens et juifs, ont été tous deux victimes de génocides au cour du XXe siècle, le siècle le plus meurtrier dans l’histoire de humanité. Israël, au lendemain de la seconde Guerre mondiale, dont une bonne partie de la population était composée de rescapés de la Shoah, - mais pas que -, a-t-il voulu conserver une sorte d’exclusivité du mémoriel, l’holocauste dans son exceptionnelle monstruosité, ne pouvant supporter aucune concurrence ? Dès lors, il semblait inconvenant pour lui, de venir au secours d’un peuple, le peuple arménien, ayant, lui aussi, terriblement souffert.

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4°) Le fait que l’Azerbaïdjan, frontalier de l’Iran chiite, n’entretienne pas spécialement de bonnes relations de voisinage avec le pays des Ayatollahs, est un autre motif de satisfaction pour Jérusalem qui, on le sait, mène une guerre larvée contre Téhéran. Le récent assassinat du scientifique Mohsen Fakhirzade, spécialisé dans le nucléaire, imputé à Israël par le ministre des affaires étrangères iranien Mahammad Javad Zarif, s’ajoutant à une déjà  longue liste d’exécutions non élucidées mais attribuées au Mossad, - on ne prête qu’aux riches !-, n’arrange rien. Et c’est dans ce contexte que les velléités séparatistes des Azéris de la province de Tabriz, qui voudraient bien être rattachés à Bakou, s’inscrivent dans une vaste perspective géopolitique pouvant redessiner, un jour, les frontières de l’Iran. N’oublions pas que de novembre 1945 à mai 1946, fut proclamée une « République démocratique de l’Azerbaïdjan » sous la férule de Moscou. D’autant qu’à l’extrémité orientale du pays, plus de deux millions de Baloutches pourraient bien, eux aussi, revendiquer de s’unir à leurs frères du Pakistan qui avaient déjà proclamé leur « État » en 1947, faisant sécession du « pays des purs », sous l’égide du Khan de Kalat (1).

On le voit, les raisons ne manquent pas à Tel-Aviv de ne pas avoir les « yeux de Chimène » en faveur de l’enclave arménienne du Nagorny-Karabakh, renommée « République de l’Artsakh » par les nationalistes arméniens. Il est vrai que, comme pour les pays occidentaux, l’Arménie en général, le Haut-Karabakh en particulier, n’ont ni gaz , ni pétrole, simplement des églises chrétiennes pluri centenaires !

(1) Pour en savoir plus, lire  le « Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours », éditions Dualpha. cliquez ici