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jeudi, 14 octobre 2021

Limites et apories des hypothèses postmodernes - Une lecture de Michel Maffesoli

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Pierre Le Vigan:

Limites et apories des hypothèses postmodernes

Une lecture de Michel Maffesoli

Si Michel Maffesoli, philosophe et sociologue, n’est pas le seul penseur de la postmodernité, il est certainement le plus connu et le plus emblématique de ceux qui ont promu cette notion. Est-ce une théorie ou une hypothèse ? Sans doute les deux. C’est une théorie au sens grec : c’est-à-dire une vision, une façon de voir. C’est aussi une hypothèse au sens où il conviendra d’examiner si elle rend compte du réel. Discutons-en. L’origine de cette discussion se trouve dans des articles publiés sur le site numérique Bvoltaire (Pierre Le Vigan, « Le mythe de la postmodernité heureuse face à la réalité », 20 octobre 2020 ; Michel Maffesoli, « La postmodernité tragique », 22 octobre 2020, qui est en bonne part une réponse à mon papier). J’avais développé l’idée que les communautés qu’affectionne Maffesoli, mais surtout dont il relève l’existence et le rôle croissant, c’était des communautés sans le commun (trop éphémères et passionnelles pour être durables), voire qu’elle étaient une communion sans le commun. La postmodernité qu’il décrivait me paraissait « heureuse », et plus heureuse que le réel ne l’était. En d’autres termes, je suggérais qu’il y avait une grande part de rêve, plus que de réel, dans le monde décrit par Michel Maffesoli. Ce à quoi le professeur Maffesoli me répondait qu’il ne prétendait pas la postmodernité heureuse, mais la disait tragique. Les termes du débat étaient ainsi renouvelés. Il est utile de le reprendre, sans prétendre l’épuiser.

Il sera donc question ci-après :

- de voir en quoi consiste l’hypothèse postmoderne de Michel Maffesoli,

- de la validité de cette hypothèse (ou théorie) postmoderne,

- de voir que l’hypothèse postmoderne est fondée sur l’analyse des limites de la modernité, et le constat de l’écart grandissant entre les paradigmes modernes et la réalité sociale observable,

- de nous interroger, en reprenant la méthode même de Maffesoli, sur les possibles limites de ses hypothèses postmodernes.

Nous essaierons de penser ces questions au « plein midi » de la réflexion. Maffesoli montre l’épuisement des paradigmes de la modernité. Qu’en est-il de son constat ? Pouvons-nous le suivre entièrement ? Nous nous interrogerons ensuite sur les insuffisances éventuelles des nouveaux paradigmes qu’il voit se mettre en place, ceux de la postmodernité. Est-ce tout à fait vrai ? Et surtout, les insuffisances de la postmodernité ne vont-elles pas apparaitre comme graves, quoi que fort différentes de celles de la modernité ?

2018-01-maffesoli-postmodernite-7-5a57536e4af11.jpgL’hypothèse postmoderne est que ce qui fait société est désormais le présentéisme, et le groupe, ou encore les tribus. C’est la reliance plus que l’appartenance, l’identification plus que l’identité, l’esthétique plutôt que la morale. L’éthique qui découle désormais de l’esthétique.  Mais encore, le postmoderne, c’est l’émotion plus que la raison, ou, si on préfère, la raison sensible plus que la raison calculante. C’est l’empathie plus que le contrat écrit. C’est « ce qui est » plutôt que le « devoir-être » kantien. C’est le refus de la croyance au progrès : « Le point nodal de l’idéologie progressiste, dit Maffesoli, c’est l’ambition, voire la prétention, de tout résoudre, de tout améliorer afin d’aboutir à une société parfaite et à un homme potentiellement immortel. » (L’ère des soulèvements). Il s’agit de se libérer de cette  prétention. D’autant que le progressisme est indissociable de l’utilitarisme (d’où les liens avec l’américanisation du monde) et qu’il ne tient aucun compte du besoin de symboles, de signes, d’emblèmes, qui font sens plus que le quantifiable. Une société a besoin d’intercesseurs, de totems, de saints, d’échelles qui vont du profane au sacré. Et non d’une coupure franche entre ces deux sphères. Postmodernité : « synergie de l’archaïsme et du développement technologique », dit encore Maffesoli (L’instant éternel, 2000).  Cette nouvelle épistémé, comme disait Michel Foucault, ne laisse rien debout de la modernité : « Dégénérescence de quoi, sinon du mythe progressiste ? Corrélativement à l’idéologie du service public, ce progressisme s’emploie à justifier la domination sur la nature, à négliger les lois primordiales de celle-ci, et à construire un monde selon les seuls principes d’un rationalisme dont l’aspect morbide apparaît de plus en plus évident », écrit Maffesoli (L’ère des soulèvements). A partir de là, Maffesoli pône une écosophie, une philosophhie de l’écologie, comme l’avait initié  Félix Guattari (Les Trois écologies, 1989 et Qu’est-ce que l’écosophie ? 1985-92, 2013). J’ai évoqué cette naissance d’une écologie philosophique dans Inventaire de la modernité avant liquidation (2007, préface d’Alain de Benoist).

Maffesoli revendique de partir du présent, et de cesser d’en dénigrer la richesse au profit d’un « devoir-être » quelconque. Il faut partir de l’instant présent, de l’événement. C’est le kairos, le moment où il se passe quelque chose, où le pécheur, par exemple, a une prise. C’est pourquoi l’événement relève du simple, et de la fin des métaphysiques. L’ « œuvre d’art totale » qu’est le quotidien présent n’est pas la conjonction du beau, du bon, du vrai. Maffesoli n’est pas platonicien. Ce sentir commun, qui est la conquête et le partage du présent, est baroque plus que classique. Baroque au sens que lui donne Maffesoli : la métaphore de l’extase, de l’esthétique, de la recherche du beau, de la forme (cf. La transfiguration du politique, Livre de poche, p. 170-171). C’est-à-dire que ce baroque  comporte peu de lignes droites. Il est rarement binaire. Il est contradictoriel, comme dit Stéphane Lupasco. On pourrait dire qu’il est dialectique, mais Maffesoli récuserait sans doute un terme qui sent trop son Hegel, et une philosophie de l’histoire qu’il n’est pas sienne.  

frontImagesLink.jpgContradictoriel, ce ne veut pas dire seulement la juxtaposition des contraires, cela veut dire leur coincidence. C’est la coincidentia oppositorum de Nicolas de Cuse (De la docte ignorance). C’est pourquoi la raison efficace est forcément une raison sensible. Autrement, elle tourne à vide. Il ne s’agit pas détruire la raison (La destruction de la raison de Georg Lukacs, 1954), il s’agit de la remettre sur un sol. « Rien de grand ne s’est fait sans passion », disait Hegel (La raison dans l’histoire). Saint-Exupéry disait pour sa part : « On ne voit bien qu’avec le cœur. » L’idée est la même. S’appuyant sur cette hypothèse de la place du passionnel, du sensible, du ressenti, Michel Maffesoli va plus loin : il en fait la source de la morale telle qu’elle se réinvente. Le bien devient l’agréable, selon l’hédonisme de George Edward Moore. Une éthique se forge ainsi au-delà des identités. L’éthique est compatible avec le passage des frontières : nationales (je suis d’ici et aussi d’ailleurs), sexuelles (la bisexualité, les expériences « de l’autre côté de sa sexualité habituelle »), professionnelles (l’architecte en train de devenir boulanger, le banquier devenu gestionnaire de parc naturel, …). Ainsi, les identités sont moins importantes – et c’est notamment en cela que consiste le tournant postmoderne – que les identifications. Or, celles-ci sont éventuellement successives et multiples. Et surtout, elles sont un bricolage mental personnel. De ces expériences multiples nait ce que Michel Foucault appelait, peu de temps avant sa mort annoncée, une « esthétique de l’existence », fondé sur un usage raisonné des plaisirs, mais raisonné par la raison sensible. De cette esthétique nait une éthique. « Une morale sans obligation ni sanction », dit Maffesoli.

L’éthique devient non plus un code, mais un style. Hermès (la métamorphose) alterne avec Hestia (le foyer). Le masculin aventureux alterne avec le féminin rassurant (mais il y a de l’homme dans la femme, et de la femme dans l’homme). L’éthique issue de l’esthétique n’a plus grand chose à voir avec celle qui est définie par un Dieu unique, ou par le Progrès, ou par la Loi, par l’Etat, ou par telle idéologie dite encore « grand récit », comme disait Jean-François Lyotard. Ce n’est plus un grand récit, mais c’est une vision du monde  qui détermine la morale, ainsi que des « affinités électives » (Goethe), comme on le voit très bien dans les films de Jean-Pierre Melville, où les hommes se choisissent et choisissent leur destin. Le « but » de l’histoire globale a été mis entre parenthèses, comme l’epochè (suspension phénoménologique) de Husserl.  Reste le présent, son incomplétude, reste le pas de côté par rapport aux impératifs de la « production ». Reste le sens de la destinée, du hasard de celle-ci, de l’ananké (destin, fatalité). Le destin, le fatum qui s’exprime par exemple dans le fado, ou dans la saudade, ou dans le tragique du tango (je renvoie à mon Front du cachalot où j’y consacre quelques notes), c’est le sens du divin social, d’un divin immanent.

Immanent renvoie à déjà-présent. Le présentéisme a deux faces : l’une peut être de se complaire dans le non événement du présent, dans l’inauthentique, l’autre peut être de voir, dans la banalité même, l’événement, l’événement et avènement de l’être, et le tragique même dans la mesure où le présent est ce qui ne peut pas durer. Le présentéisme est alors un immanentisme, peut être un bouddhisme, en tout cas un orientalisme, un asiatisme de la pensée qui contredit l’Occident comme philosophie de l’histoire, comme l’homme réduit à l’Histoire de son Progrès. Il se produit dans la postmodernité une « orientalisation » du monde qui consiste à se laisser « être soi-même », ici et maintenant (hic et nunc). Le terrorisme du progrès étouffe le corps social. Si la modernité a pu dire avec Hegel que « tout ce qui est réel est rationnel », alors il est incontestable qu’une postmodernité a raison de dire qu’il y a du réel irrationnel. L’immatérialité de l’émotion esthétique n’empêche pas qu’elle est tout à fait réelle et qu’elle a des effets sociaux et même politiques. Le présentéisme peut donc rimer avec un  sédentarisme sans histoire, mais aussi avec le nomadisme et les semelles de vent, avec l’apprentissage par le voyage. Le rite est au carrefour de ces deux conceptions, car il scande le temps du présent et le fait sortir de lui-même sans nier ce temps dans sa banalité. C’est ce qu’exprime le mot de Nietzsche : « Ici on pourrait vivre, puisque l’on y vit ». Le rite « donne ses lettres de noblesse à la lenteur »,  dit Maffesoli, rejoignant Pierre Sansot. Alors que la raison est universelle, le rite est local et tribal.

000130973.jpgL’habitus, notion que l’on trouve chez Thomas d’Aquin (et dont Pierre Bourdieu a fait un grand usage), et qui est l’hexis d’Aristote, c’est cela : l’éducation à la communication verbale et non verbale, l’acclimatation à un « ensemble de dispositions durables pour l’action et le  langage », disait à peu de choses près Pierre Bourdieu. C’est une « connaissance  du sang », dit David Herbert Lawrence (comme on pourrait le dire des gens qui se comprennent sans avoir besoin de se parler), qui complète la connaissance rationnelle, et bien souvent la précède. L’école sociologique du quotidien consiste à être attentif à cela, au plaisir et à la sagesse de l’apparence, et cette école est autant celle de Nietzsche que l’école de Chicago avec Erving Goffman, Isaac Joseph, Roger Bastide et ce qu’on a appelé la microsociologie, celle qui concerne « l’aventure de la grisaille » (Roger Caillois). Cette école étudie une grisaille qui peut être sublimée. « Etre ici est splendide » (7e Elégie de Duino, R-M Rilke). La vie s’approuve jusque dans les petites choses. La sociologie dans laquelle s’inscrit Maffesoli rehausse l’intérêt de l’étude du quotidien, le theatrum mundi, étude éclairée par les références que fait Georg Simmel au pont et à la porte : la porte protège l’intériorité, le pont ouvre sur l’extérieur. Cette sociologie du quotidien est une sociologie de l’instant présent, du moment vécu, dans laquelle les grands récits et les arrières-mondes perdent de leur importance, voire même cessent d’exister. Il s’agit de réhabiliter l’instant. Les émotions artistiques ne sont plus surplombantes, elles ne concernent plus l’individu, mais une socialité partagée. L’aura, dit Maffesoli, « enveloppe désormais le quotidien ». C’est une ambiance (Stimmung), dégagée par un lieu ou par un événement qui nous enveloppe, et nous fait plus humain parce que nous sommes plus avec les  autres.

*

La modernité a commencé par être un messianisme avec telos (but), puis un mouvement autogyre, un « messianisme sans telos » (Walter Benjamin), puis le messianisme lui-même s’est envolé et voici la postmodernité : le temps de l’éloge de la « vie immédiate », dont parle Paul Eluard. La « vie immédiate », c’est la vie pleinement déjà-là, sans arrière-monde (Clément Rosset a été le philosophe de cette vie immédiate). C’est le concret du quotidien au lieu de l’abstraction de l’histoire. Le particulier plus que l’universel.  Avec cette sociologie du quotidien et du présent (d’où le terme de présentéisme), c’est toute la philosophie de l’identité, des substances immuables qui en prend un coup. C’est la métaphysique de la subjectivité (Descartes) qui s’effondre, et dont le fondement était de faire du « Je » l’élement central de la représentation de toute chose. C’est l’adieu à une métaphysique du sujet qui est aussi une philosophie de la conscience de soi comme moi séparé des autres. Cette conception scindée de la chose pensante et de la chose pensée est de moins en moins audible. « L’identité n’est jamais, du point de vue sociologique, qu’un état de choses simplement relatif et flottant », dit Max Weber (Essais sur la théorie de la science). Theodor Adorno, qui n’était pas ennemi de la raison, constatait pourtant : « C’est déjà une insolence de dire ’’Je’’ ».

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L’individu à l’identité figée fait place à la personne (persona), qui peut avancer masquée, le masque étant une façon de préserver son « quant à soi » par rapport aux injonctions. « Tout ce qui est profond aime le masque… tout esprit profond a besoin d’un masque. Je dirai plus encore : autour de tout esprit profond croit et s’épanouit sans cesse un masque », dit Nietzsche. Entendons-nous : quand on parle de masque social, il ne s’agit aucunement de faire l’apologie du masque physique imposé dans le cadre de la dictature sanitaire covidienne, mais du droit de chacun de ne pas se dévoiler devant n’importe qui, a fortiori devant les autorités administratives et politiques. La conception classique de l’identité renvoie à l’individualisme, tandis que la conception postmoderne met l’accent sur les identifications, ou encore les « figures » (Gestalt), qui peuvent être multiples, contradictoires et successives. C’est une conception holiste de la personne. On peut figurer cela par des rapports aux figures du masculin et du féminin. Civilisation et technique sont du côté du masculin, culture et relation sont du coté du féminin, et du côté de l’origine (ce qui est logique). Le dramatique est du côté de l’histoire, le tragique du côté du présent et du quotidien. Le dramatique de l’histoire et de la technique, qui prétend avoir une solution à tout,  s’oppose au tragique du quotidien, qui prend note du contradictoriel sans solution. Apollon se veut clair, rationnel, éolien, ouranien (ouranos : divinité du ciel), céleste, aérien, et est du côté du masculin, Dionysos est souterrain, chtonien, (chton renvoie à la terre), et du côté du féminin.  Apollon, c’est le politique, Dionysos, c’est l’ambiance, le climat mental, l’atmosphère.

Masculin/Féminin. Animus/Anima.  « Animus » est le logos, la part masculine des humains. « Anima » est le souffle, la part féminine des humains. Il s’agit de deux polarités mais bien plus encore de complémentarités. Ce sont, commes les dioscures, des dieux jumeaux. Voilà qui represente le mouvement même, biface, de l’identité. Quand l’un est mort, l’autre est vivant. Apollon, c’est l’arc, c’est le tir, et c’est le chant qui unifie la communauté, et Dionysos, c’est le bouc, ce sont les humeurs de dépenses, d’orgie, mais c’est aussi le baton autour duquel le lierre s’enroule et trouve son unité. Avec la postmodernité, le nomadisme médiéval revient, et fait suite à la fixité de la modernité et à la lourdeur de ses grands complexes industriels et de ses grands ensembles. Le nomadisme, c’est « l’échappée belle », l’échappée hors des sentiers battus. C’est ce qu’André Gide appelait « la force de l’arrachement ». C’est l’ouverture à l’étrangeté. « Laissons l’inattendu surprendre l’attendu », disait René Char. C’est une autre façon d’exister. Nietzsche avait bien perçu la force qu’il faut pour affrontrer l’errance. « Imprimer au devenir le caractère de l’être, c’est une preuve suprême de puissance » (La volonté de puissance).

9791025201435.jpgLe pouvoir de plus en plus éloigné et abstrait ne fait plus rêver. La vie est ailleurs. Le peuple – et pas seulement les errants – fait sécession. Enfin, face à la modernité comme panopticon, visibilité de nos vies par les institutions, des stratégies d’évitement se mettent en place. L’esprit des chemineaux, éteint depuis quelque 150 ans (voir Bertrand Tavernier, Le juge et l’assassin, 1976), revient, sous une formé évidemment différente. Il s’agit, par la flanerie, d’éviter l’assujetissement au monde de la production. D’autant que cheminer, c’est toujours être en quête de quelque chose, ou fuir quelque chose, ce qui n’est pas très différent, comme on le voit dans le chef d’œuvre de Wim Wenders, Paris, Texas (1984). C’est une forme de rebellion passive, au moment où plus grand monde ne croit que les révolutions soient possibles et même souhaitables.  L’errance spatiale va avec les rencontres rapides, avec la « dérive des sentiments » (Yves Simon) et, là aussi, le cinéma nous en donne une belle illustration avec Easy rider de Dennis Hopper (1969), avec Taxi Driver de Martin Scorsese (1976), qui montre l’épuisement de la modernité qui enferme chacun dans sa solitude. Ces errances construisent un monde bien plus qu’elles ne fuient le monde. Elles peuvent être un enracinement dynamique, comme l’a étudié Elisée Reclus qui, ce n’est pas un hasard, était socialiste libertaire, tout comme son frêre Onésime Reclus.

Enracinement dynamique : ce qui peut se dire très simplenent comme « Deviens ce que tu es » (Pindare). Cette errance peut aussi être épisodique et renvoie à la part d’ombre de chacun, comme les échappées de Pier Paolo Pasolini. Comme l’a bien vu Heidegger, c’est la solitude, c’est l’errance qui nous jette « dans la vaste proximité de l’essence de toutes choses » (« La chose », conférences de Brême, 1949). Le moderne ne s’y trompe pas. « Le sédentaire, rappelle Maffesoli citant Theodor Adorno, envie l’existence des nomades ». Avec le postmoderne, c’est le retour de l’homo viator, de l’itinérant, des « pérégrinations » d’Augustin, de l’homme  pèlerin de lui-même. Il faut savoir être en exil. Le voyage, et l’itinérance, c’est l’exil (ce qu’avait bien compris Dominique de Roux). Ce sont des moments nécessaires. Se détacher de soi et des autres pour mieux retrouver et les autres et soi. Qui dit errance dit débordement, et il faut parfois déborder de soi. Au risque, surtout si le nomade est dans le désert, de tomber dans le prophétisme, qui prospère dans les déserts physiques, mais aussi dans les déserts intérieurs. L’itinérant est une forme de rebelle, et « le rebelle a la liberté du loup », dit Ernst Jünger. Voici venu le temps d’une forme de rebelle, ou d’une forme de fou, ou le loup fou, comme les personnages de Howard Phillips Lovecraft, dont on dit qu’il aurait été inspiré par John Milton. L’homme, alors, devient à lui-même son propre loup. C’est le mythe du loup-garou.

L’itinérant, c’est « l’homme sans côteries » de Cioran. Mais l’errance n’est pas simple. S’égarer est un travail. « Il y a une culture du chemin », dit Augustin Berque. Il faut savoir « marcher à l’étoile » comme dit Heidegger. « Mettre au monde une étoile dansante... », dit Nietzsche. Il faut avoir le sens de l’illimité (Anaximandre), mais aussi, dans une microsociologie des territoires, le sens de l’ordonnancement (Anaximène). Il faut savoir que partout menace le Khaos, qui est la béance sans borne, au contraire de la béance rassurante de la féminité. Béance qui n’est autre que la vie même. Il faut avoir le sens du retrait car seul le retrait permet l’éclosion de l’être. Il faut sentir l’Ether, le halo qui entoure les relations dans un groupe.  

***

Complexe, approfondie, la vision de la société qui est celle de Maffesoli se laisse néanmoins résumer. Nous en avons vu les points saillants : défiance croissante envers les idéologies du progrès, scepticisme vis-à-vis de la politique, souci de ne pas réduire sa vie à la dimension historique (une préoccupation qu’avait déjà Albert Camus) ou à la dimension productive, retour à des attaches communautaires (certes complètement recomposées par rapport à la période précédente, mais à l’encontre des thèses sur l’individualisme et « l’ère du vide » de Gilles Lipovetsky). Les inflexions repérées par Maffesoli constituent un décrochage par rapport à la modernité. Ce  décrochage concernerait l’immense majorité de notre peuple. Nous entrerions ainsi en masse dans la postmodernité. En tout cas dans une forme de celle-ci. Il ne resterait que les élites à croire encore au progrès, à la science, au grand récit (moderne) comme quoi « demain sera toujours mieux qu’aujourd’hui ». Ceci alimente bien sûr la thèse de l’auteur comme quoi il y a une coupure croissante entre le peuple et les élites. Deux mondes s’ignorent et se tournent le dos.

I22730.jpgMais l’abandon des idéaux de la modernité est-il si total dans le peuple lui-même ? Le soutien non négligeable de toute une partie de la population à une politique vaccinale délirante s’agissant d’une maladie covidienne à très faible taux de létalité laisse perplexe. D’autre part, je ne suis sans doute pas le seul à avoir entendu nombre de gens (hors des élites) dire que « nous ne sommes plus au Moyen Age », à propos de telle ou telle évolution sociétale contestable, et être par ailleurs complétement aveugle à la tyrannie croissante de notre pouvoir politique, à son caractère de plus en plus policier, arbitraire et antidémocratique. Or, que sont ces propos aveugles à la tyrannie, et s’enthousiasmant niaisement parce que « nous ne sommes plus au Moyen Age », si ce n’est des formes renouvelées de l’increvable croyance au Progrès ? Je ne demande qu’à croire que la religion du progrès est morte, et à fêter sa disparition, mais est-ce si sûr ? De même, s’il est incontestable que les grands récits politiques sont en voie d’épuisement, ne faut-il pas nuancer ? A droite, un grand récit simpliste de l’identité – nous avons toujours été Européens et seule l’Europe a nourri l’Europe – prend le pas sur les théories plus profondes et plus subtiles (comme celles d’Alain de Benoist, Nous et les autres, Krisis, 2007). A gauche, les théories transgenres et les délires de l’intersectionnalité (quel recul par rapport à Marx, mais aussi par rapport à Michel Foucault !) ne sont-elles pas un nouveau grand récit, une « identité de l’anti-identité », le grand récit d’un « homme sans qualités » (Robert Musil) et d’un « homme sans gravité » (Charles Melman), sans déterminations, refusant tous les héritages, toutes les transmissions, dans un monde de la table rase ?

Reprenons l’hypothèse de Michel Maffesoli : fin de la modernité, sauf chez les élites. Est-ce si sûr ? La modernité calculatrice, scientiste est-elle morte ? La facilité avec laquelle nombre de nos concitoyens ont fait confiance à un soi disant « conseil scientifique »,  qui ne représente aucunement la diversité des points de vue sérieux quant au Covid, peut nous laisser perplexe. Sommes-nous vraiment sortis du scientisme, et du scientisme officiel, qui n’est autre que l’obscurantisme scientiste ? Ne sommes nous pas en pleine pensée magique du progressisme en pensant qu’il faut éradiquer une maladie par un vaccin plutôt que soigner, prévenir, guérir ? (tout comme Himmler voulait exterminer tous les moustiques du IIIe Reich. Voir Frédéric Rouvillois, Crime et utopie, 2014). C’est toujours le fantasme (moderne) de solution « définitive » plutôt que d’améliorations patientes. Pour le coup, Maffesoli y insiste, il faut s’accorder au présent. Bien. Mais faut-il pour autant s’accommoder de tout. Viser à transformer l’existant, mais sans promettre « lendemains qui chantent » et « homme nouveau » : je crois que cela est nécessaire. Surtout, un autre aspect doit être abordé. Et c’est peut-être le plus important. Qu’en est-il des contreparties de la postmodernité ? Retour des liens communautaires que Maffesoli appelle joliment tribalisme, primauté du sensible sur le calcul, présentéisme plutôt que culte du progrès. Oui. Mais n’y a-t-il pas des choses perdues à mesure que montent ces totems de la postmodernité ? Cette question peut être envisagée sous deux angles. Un angle considère que cela n’entraine pas forcément un accroissement des désordres, c’est-à-dire notamment des violences du fort au faible. C’est le point de vue anarchiste au sens de Proudhon et d’Elisée Reclus, à savoir qu’il serait possible d’aller vers un ordre sans Etat, ou du moins un ordre avec moins d’Etat (l’anarchie sans le désordre). Un autre point de vue est moins optimiste. Il part d’un postulat (ou d’une intuition puisque les sciences humaines ne sont pas des sciences). Cette intuition, c’est que la vie est un jeu à somme nulle. En d’autres termes, ce qui serait investi comme énergie sociale – la puissance populaire dont parle justement Maffesoli – amènerait à des désinvestissements massifs  dans d’autres domaines. Le tribalisme ne serait-il pas un individualisme au carré, étendu à la tribu, un égoïsme de groupe, un narcissisme de groupe ? La tribu peut être un élargissement, mais comment ne pas voir qu’elle peut être aussi un rétrecissement : « Les gens ne trouvent plus leur âme personnelle et adoptent la première âme de groupe qui se présente à eux et qui leur déplait le moins », dit Robert Musil.

9782262029944_1_75.jpgLe présentéisme pose également bien des questions.   Il est bon que l’homme ne soit jamais réduit à ce qu’il est comme acteur historique. Mais l’homme est aussi un animal politique et donc historique. Ce qui est public, et ce qui est politique ne doit pas se résumer à ce qui est étatique, mais l’Etat doit être le point de concentration des conflits qui se soldent inévitablement par une décision. Celle-ci doit appartenir au peuple, et celui-ci est forcément le dépassement des tribus.  « L’économie, c’est fini », dit souvent Maffesoli. « Nous allons vers le retour du spirituel » (Cnews. Face à l’info, 9 mars 2020). Depuis longtemps, Maffesoli  explique que la crise est sociétale plus qu’économique. Il faut comprendre cela comme une divergence entre le sociétal et l’économique. Oui. Mais cela n’implique pas un allègement de la domination de l’économie sur nos vies, mais une tentative du pouvoir, au contraire, d’adapter l’homme à l’économie. C’est en ce sens que l’économisme devient totalitaire. La question de la production et de la répartition des richesses reste centrale dans toutes les sociétés. Elle détermine qui domine dans telle nation et qui domine dans le monde. En fait, quand on dit que nos sociétés sont dominées par l’économie, cela veut dire qu’elles sont dominées par le culte de la croissance et la religion du libre échange mondial. L’économie pourrait être au service d’objectifs d’indépendance économique, et d’autarcie, de solidarité nationale, et cela aurait une toute autre signification.  Si sortir de l’économisme, c’est sortir du règne du quantitatif, c’est une bonne chose, mais si c’est sortir de la lucidité quant à l’importance de l’économie pour  l’indépendance et la liberté d’une nation et d’un peuple, c’est une catastrophe. Maitriser l’économie pour ne pas être le jouet de fonds de pension, de multinationales ou de puissances étrangères, c’est un impératif. Il est bon de se donner comme objectif de ne pas « perdre sa vie à la gagner », mais l’Etat doit aussi avoir une visée collective, qui est la force et la souveraineté économique de notre nation. Sortir de l’économisme, c’est ne laisser le pouvoir ni aux « experts », ni aux hommes d’argent, c’est reprendre le pouvoir sur l’économie. Le temps libre doit devenir un temps non seulement libéré de la production,  mais aussi de la consommation. Le temps libéré ne doit pas être principalement le temps des loisirs marchands, mais celui qui permet de vivre « la présence désintéressée à l’être dans la vibration de l’instant », dit André Gorz dans une belle formule (cité par Catherine Marin, Reporterre, 15 juin 2021). Faire sécession de l’économie, par exemple se contenter d’un revenu universel pour tous, n’est-ce pas laisser le pouvoir aux puissances du Capital ?

Un autre point mérite des éclaircissements. Maffesoli développe la pensée d’une République française comme mosaïque. Bien entendu, comment ne pas reconnaitre la diversité des pays de France, de ses métiers, de ses provinces ? Toutefois, l’éloge du parcellaire ne laisse t-il pas subsister de petites niches de particularités, certes sympathiques, mais anecdotiques et résiduelles ? Ne faut-il pas qu’une politique des nations d’Europe s’oppose au rouleau compresseur de la mondialisation libérale capitaliste pour sauver vraiment les diversités en Europe ? Voulons-nous être une Chine avec un peu plus de variété de fromages ou autre chose que la Chine ? Un pays, c’est de la diversité (et nous n’en manquons pas avec l’immigration de masse, mais avec la France elle-même, du Béarn à la Picardie, de la Bretagne à la Franche-Comté) mais un pays, c’est aussi et surtout du commun. Du commun dans le passé, du commun dans l’avenir projeté ensemble. Ce commun, on peine à le trouver chez Michel Maffesoli. Pourtant, le commun ne suppose pas l’homogénéisation de tout, il suppose que, au-delà du divers, il y ait quelque chose en partage. Or, en dehors d’une sous culture mondialisée plus ou moins américaine et en tout cas anglophone, ce commun n’a pas grand-chose de français. On notera, en réponse aux allergiques aux « hussards noirs de la République » (qui ont disparu depuis plus de 50 ans et dont je ne garde pas de mauvais souvenirs) que ce qui a tué la diversité de la France, c’est beaucoup moins l’enseignement soi-disant uniforme des instituteurs et professeurs de notre jeunesse, c’est beaucoup moins la République jacobine (qui ne l’est plus du tout depuis les lois de décentralisation de 1982-83) que la modernité, ses pavillons tous identiques, ses hypermarchés, ses « entrées de ville » avec les grandes surfaces de cuisines, de pneus, de meubles. Sans oublier ses « grands ensembles » de logements des années 1950-1973.

9782246483915-T.jpgEn d’autres termes, l’homogénéisation moderne a débouché sur une « archipellisation » (Jérôme Fourquet) postmoderne de la société française. Trop d’uniformité a amené plus de communautés repliées sur elles-mêmes (l’islam importé devenant trop souvent une religion sans culture car hors sol), plus d’américanisation – le seul « commun » qui se soit développé – et moins de nation. Déconstruite par le bas (baronnies locales et immigration), la France a été en même temps déconstruite par le haut, puisque l’Union européenne a favorisé les régions plutôt que les nations, plus facilement instrumentalisables par la technocratie.  Le commun a disparu. Et le commun ce ne sont pas seulement les services publics (qui sont un élement du commun), c’est le sentiment d’être un peuple. La technocratie a creusé un abime entre la vie de l’Etat et la vie des gens. La technocratie ne sait que produire une « rationalisation de l’existence » (Max Weber), qui va au rebours de la vie et l’appauvrit. La technocratie ne connait que ce que Walter Benjamin appelait « le temps homogène et vide des institutions ». L’administration des choses remplace tout rapport vivant entre le politique et le peuple. C’est en ce sens que la révolte des Gilets jaunes, une jacquerie comme nous n’en avions pas connu depuis longtemps, anesthésié que nous étions par le confort moderne, une révolte aussi de la fierté des classes populaires a été à la fois une révolte de classe et une révolte identitaire (non pas au sens où il n’y aurait pas eu d’immigrés de couleur dans les Gilets jaunes, mais au sens où il n’y a eu que des immigrès intégrés, partie prenante du monde du travail, au côté des travailleurs français). Avec l’aspiration à l’intervention directe dans la politique, avec la revendication du référendum d’initiative populaire, la révolte des Gilets jaunes a réconcilié Marx et Rousseau. Marx parce qu’elle relève d’une analyse de classe : la solution aux problèmes des Gilets jaunes est bel et bien la destruction du système capitaliste de propriété privée des grands moyens de production et d’échange. Rousseau parce qu’elle montre un besoin d’être citoyen, un besoin de démocratie directe, un refus du cosmopolitisme qui n’est qu’un autre nom du déracinement, qui est la marotte des élites, mais est un instrument de liquidation du peuple de France.

Il y a eu, avec les Gilets jaunes, une aspiration au retour du politique, c’est-à-dire à ce qui est centripète.  Maffesoli sous-estime ou nie cet aspect : « Le mouvement des Gilets jaunes est un soulèvement populaire, sans projet politique, sans revendications bien définies, traduisant  essentiellement un besoin d’être ensemble et de le manifester dans l’espace public. » (Bvoltaire, 26 mai 2021). Etre-ensemble, oui, mais pas seulement. C’est ne voir du politique que dans ce qui relève de programmes bien définis. A ce compte là, la prise de la Bastille, les Journées du 20 juin 1792, et la prise des Tuileries le 10 août suivant (dont je ne méconnais pas une seconde les atrocités mais ce n’est pas le problème) n’étaient pas politiques. C’est une vision trop restrictive.  Il y avait avec les Gilets jaunes une volonté de remettre de la centralité dans les décisions politiques. Ce à quoi aspire le peuple, c’est à renouveler l’alliance du peuple et de l’Etat contre la classe dominante, les seigneurs au début du Moyen Age, puis la bourgeoisie faisant suite à une noblesse domestiquée à Versailles. Or, qui veut empêcher le peuple de redevenir peuple, de redevenir un acteur politique ? Ce sont les élites. Ce sont elles qui veulent balkaniser la société française, s’accomodant déjà très bien dans certains quartiers de la fusion entre gangsterisme, ethnicisme et blanchiment d’argent sale.

*

De quoi souffre la France ? Du manque de commun. De trop de repli sur soi du peuple (secessio plebis). De l’insuffisance de diversité entre Français (les mêmes maisons standardisées du nord au sud, de l’est à l‘ouest, les mêmes hypermarchés immondes partout), et d’un excès de diversité (pas assez de points communs) entre Français de souche et étrangers. La faute n’en est pas à ces étrangers, mais aux élites françaises (administratives, politiques et patronales) qui les ont poussé à venir. Nous avons perdu comme élément d’unité la religion, qui était au Moyen Age le catholicisme. Nous avons perdu le roi. Nous avons perdu ensuite la sacralité de la Présidence de la République, cette fonction étant accaparée par des individus de plus en plus médiocres, de petits hommes gris  étrangers à l’amour de la France et de son peuple. Nos dirigeants ? Une simple section française de l’internationale oligarchique. Même avec une religion commune et un roi, la France du Moyen Age n’était pas tout à fait une nation. Elle l’est devenue. Cela aurait pu ne pas être. Pourquoi ? Parce que l’excès de la diversité, ce peut être la guerre civile, et c’est ce qui se passa en France au Moyen Age avec la Guerre de Cent Ans.   

L-ere-des-soulevements.jpgJustement, que faut-il pour contrecarrer une diversité ethno-culturelle dispersante ? Nous avons ici un accord, qui n’est pas mince, avec Michel Maffesoli. La laïcité ne peut être une réponse. « Il faut ritualiser le sacré », dit Maffesoli. Mais il faut observer que le sacré d’une partie des immigrès, le sacré musulman, est déjà ritualisé. Cela n’a rien de déplorable, le problème étant simplement une question de nombre (nous n’avons cessé de le dire depuis des décennies et voici que le dit aussi Patrick Buisson dans La fin d’un monde, 2021). « La démographie, c’est le destin », disait Auguste Comte.  Pour faire du commun, en France et pour la France, il faut ritualiser un autre sacré que celui d’une communauté. Il faut inventer ou revivifier un imaginaire commun. Un imaginaire trans-tribal. Je dirais volontiers : l’imaginaire continental, eurasiatique, d’un monde au-delà des matérialismes dominants. Ce n’est pas, en tout cas, avec la laïcité que l’on transcendera le sacré des religions non européennes pour produire du commun, du sacré commun, dans les esprits et dans les cœurs. S’il faut garder la laïcité, qui n’est que la conséquence du catholicisme, il faut abandonner le laïcisme et générer un autre sacré, une religiosité (c’est à dire une religion sans interdits mais avec une éthique) qui soit le patrimoine commun du peuple de France. Quelque chose comme ce qui fut « la grande clarté du Moyen Age » (Gustave Cohen). « Toute éducation nécessite un rythme et une vision cosmique », dit Georg Simmel.  Toute politique s’inscrit dans une cosmologie. Et toute politique a ses mythes, sans quoi elle n’a pas de grandeur. Mythe, grandeur et passion vont ensemble. « L'exception pense le général avec l'énergie de la passion », dit Carl Schmitt. Il n’y a pas de politique sans une éducation qui intègre cela. C’est pourquoi il faut déconstruire les déconstructeurs. La paideia, c’est la formation. Cela va bien au-delà de l’ingurgitation de connaissances et moins encore des « savoirs-faire », les fameuses « compétences » qui remplacent les diplômes, le « niveau général » et la « culture générale ». Il ne faut pas sous-estimer les aspirations à des exemples plus propres et plus nobles que ceux proposés par la téléréalité ou par nos dirigeants.

Michel Maffesoli aime à développer l’idée du « contradictoriel », c’est-à-dire de contraires qui ne se dépassent pas en synthèse (il en était de même avec Proudhon : thèse, antithèse, pas de synthèse). Cela se veut une harmonie conflictuelle. Sauf que ce n’est pas une harmonie. C’est peut-être là que se situe le cœur du débat. Toutes les contradictions ne peuvent rester ouvertes. Il ne faut pas tuer (comment le faire, du reste ?) l’hétérogénéité du social, mais il faut restaurer du commun. Il faut dépasser le présentéisme, qui empêche toute révolution. La dissidence (à côté du politique), la rebellion (en marge), cela nourrit les narcissismes à peu de frais. Ce n’est même pas de l’opposition contrôlée, c’est la toile de fond du déploiement de la toute puissance du Capital. C’est au politique, et donc en dernière instance au peuple, de trancher les contradictions, c’est-à-dire de ne pas en rester à des juxtapositions de tribus – même si leur vivacité témoigne de l’heureuse résilience du social – pour faire apparaitre de nouvelles synthèses. Au-delà de cela même, osons le dire : il faut revenir au théologico-politique. C’est-à-dire accepter que notre conception du politique soit irriguée par notre conception du divin. Encore faut-il en avoir une. En d’autres termes, au rebours de tous les individualismes, il faut accepter que notre idée, notre vision du beau et du bien informe notre conception du politique. Faut-il préciser que cela est incompatible avec toute conception libérale du politique ? Une vision du bien et du beau,  c’est une religiosité. Ou c’est un mythe : la différence est ici de peu d’importance. Un mythe n’a pas à etre vrai, il suffit qu’il soit vraiment un mythe. « Le mythe seul permet la cohéson sociale », avait dit justement Georges Sorel. De son côté, Maffesoli dit dans La transfiguration du politique (1992, Le Livre de poche, p. 32) : il n’y a pas de politique sans religion. Le terme religion (religare/relegere) renvoie à la fois à « relier » et à « relire ». La religion implique la « reliance », insiste Emile Durkheim, dont on sait qu’il appartient pourtant à une tradition rationaliste et positiviste. C’est évidemment la notion essentielle, relier plutôt que relire, car il n’y a pas que des « religions du Livre ». Et cette reliance est beaucoup plus importante que la morale, souligne Maffesoli. Il est temps de d’abord relier – par des mythes, des légendes, des paysages et des musiques – , notre peuple à lui-même, notre moi à notre nous, et d’oublier de relire de vieux grimoires. Laissons-les aux « peuples du Livre ». Occupons-nous plutôt d’être un Peuple du Vivre.

PLV

Carl Schmitt et la politique de l'identité

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Carl Schmitt et la politique de l'identité

par Seyed Alireza Mousavi

Ex : https://sezession.de/62710/carl-schmitt-und-die-identitaetspolitik

La politique identitaire est devenue un levier d'autorité dans les relations de pouvoir dans le monde occidental. On voit dans ses représentants actuels surtout des descendants de la nouvelle gauche qui, dans les années 1960, réclamait des droits pour les femmes ou des droits d'autodétermination pour les minorités.

Cette vision n'est pas tout à fait correcte, car les préoccupations de la politique identitaire vont au-delà des expériences de la gauche culturelle et trouvent leurs racines dans la période des Lumières : la politique identitaire est apparue à la fin du 18e siècle et a d'abord été utilisée par les mouvements conservateurs qui l'ont reliée aux identités collectives telles que les nations et les peuples.

La politisation de la question de l'identité est essentiellement une réaction des forces conservatrices aux Lumières, et notamment à leur engagement en faveur de l'universalisme et de l'égalitarisme. Le romantisme allemand, par exemple, a souligné l'importance des différences culturelles. Adam Müller, autre exemple, a soutenu que les identités fondées sur la pluralité des cultures étaient plus authentiques que le concept abstrait d'universalisme et d'humanité.

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Il dénonce ainsi les idéaux associés aux droits de l'homme comme des absurdités abstraites, car l'homme en tant que tel n'existe pas du tout. Le libéralisme a contribué au développement de la politique identitaire à l'époque des Lumières. Le libéralisme a tenté de libérer la politique de l'autorité de Dieu, et c'est précisément pour cette raison que la politique devait également être libérée de l'autorité de la vérité : non pas d'une vérité simplement factuelle, mais d'une vérité ayant une prétention métaphysique à la validité.

En bannissant la vérité de la politique, le libéralisme l'a remplacée par le patriotisme - c'est-à-dire l'intérêt du "nous" - comme point fixe des normes publiques. Ainsi, Rorty qualifie le libéralisme dans son sens originel de nous-libéralisme parce que les libéraux classiques, en tant que nationalistes, professaient le droit collectif du propre, tout en rejetant la métaphysique comme source de forces génératrices de droit.

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Aujourd'hui, cependant, les gauchistes culturels de 1968 ont abandonné la question de l'identité collective du nous-libéral au profit de l'hétérogénéité de la société, rejetant toute forme d'autorité et de nationalisme. Rorty appelle ces gauchistes culturels des "libéraux identitaires". En fin de compte, deux pôles principaux du libéralisme identitaire ont émergé: le libéralisme du "nous" des libéraux classiques s'oppose au libéralisme identitaire de la gauche culturelle actuelle. Les deux pôles s'accordent cependant sur un point: ils ne veulent pas représenter une substance métaphysique.

La nouvelle gauche rejette la tradition et la culture données et fait une fixation sur les droits des minorités qui s'écartent de la substance collective, et les libéraux rejettent à leur tour ces droits spéciaux car ils invoquent les lois du marché et le droit du plus fort. La gauche culturelle des années 68 a politisé la question de l'identité en faveur des cartels financiers mondiaux et a même - pour le dire crûment - trahi Karl Marx en abandonnant largement l'ancienne rhétorique de la lutte des classes, qui connaissait la dichotomie de la société dans la contradiction du capital et du travail, pour la remplacer par l'opposition entre société majoritaire et minorités hétérogènes.

Au lieu de mettre les questions d'inégalité sociale au centre, la diversité a été le projet d'émancipation dominant des partis de gauche européens au cours des deux dernières décennies. Lorsqu'une secte s'écarte des normes de la majorité, on lui donne une tape dans le dos et on l'encourage à raconter son histoire. Cependant, à aucun moment cette société nouvellement sensible, ou plutôt trop sensible, n'indique qu'elle pourrait aussi se sentir enrichie par l'histoire des Blancs hétérosexuels appauvris.

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À cet égard, le trait essentiel de la politique identitaire de la gauche d'aujourd'hui est sa tendance à la fragmentation et à l'individualisation excessive. Cela signifie en fait la fin de la solidarité comme noyau de la politique nationale. A cet égard, les nouveaux gauchistes sont dans un mode nihiliste d'émancipation et de déstructuration qui, paradoxalement, ouvre à son tour la voie au capitalisme néolibéral qu'ils ont initialement rejeté.

Car la dissolution des structures, telles que l'État, les structures juridiques et de solidarité, et le retour aux préoccupations particulières ne sont pas synonymes de dissolution du pouvoir, comme le croient encore de nombreux gauchistes. Dans sa théorie de l'État, Carl Schmitt distingue la théorie du pouvoir et la théorie du droit.

Si l'on s'interroge sur la raison d'être du droit et sur la justification du droit, il faut prêter attention aux relations de pouvoir au sein de la théorie du pouvoir. Schmitt affirme que le pouvoir échappe ainsi à un contenu indépendant du droit. La loi existante invoque l'autorité et l'opinion dominante. En revanche, dans le cadre de la théorie du droit, le droit ne découle pas de l'autorité, mais le droit se légitime lui-même.

Ainsi, la loi s'applique même si la plupart des gens ou les minorités ne sont pas d'accord. Cela est possible si le droit a un contenu qui ne découle pas des relations de pouvoir. Dans sa théorie de l'État, Schmitt défend cette primauté du droit et s'oppose à sa libéralisation et à sa relativisation.

Ce qui est important ici, c'est que la primauté du droit est un moment de limitation du pouvoir qui contrôle et chérit à la fois l'autorité de l'État et l'autorité personnelle. Tant les libéraux que la gauche culturelle actuelle se réfèrent à l'interaction des individus comme origine du droit, et à cet égard, ils ne reconnaissent aucune vérité formatrice au-delà des relations de pouvoir.

Les libéraux se réfèrent à la majorité de la société et la gauche culturelle à ses minorités ; alors que les libéraux considèrent la majorité comme la force génératrice de droit, la gauche culturelle adopte le point de vue inverse, puisque pour eux le droit est symbolisé par les préoccupations des minorités.

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Néanmoins, les deux doctrines suivent la logique de la théorie du pouvoir et sont incapables d'expliquer ce qui constitue exactement l'identité et les normes génératrices de droit dans la société concernée. Car ils ne font référence qu'à l'évolution des chiffres de la majorité ou de ceux des groupes minoritaires. Pour Carl Schmitt, l'État n'est pas le créateur du droit. Le droit est plutôt le créateur de l'État.

À cet égard, il fait une distinction entre la légalité et la légitimité. La valeur de l'État découle de son enracinement dans le droit. Il est le pouvoir suprême parce qu'il émane du droit, et à cet égard, il réalise le droit sous la forme de lois. Par conséquent, la question décisive est la suivante : d'où vient le juridique ?

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Carl Schmitt soutient que le droit et la justice découlent du type de pensée respectif du peuple. Les différents peuples sont associés à différents types de pensée, et la prédominance d'un certain type de pensée peut être associée à la domination intellectuelle et donc politique d'un peuple. Selon Schmitt, le pouvoir spirituel en tant que tel est le pouvoir de la tradition qui se développe de manière dynamique et qui est en même temps donnée, qui sculpte la substance de la société - à savoir l'identité de celle-ci - dans une zone concrète du globe.

En ce sens, tout droit est donc un droit situationnel. L'identité ne découle donc ni des règles de conduite du marché des libéraux ni du projet d'émancipation de la gauche, mais plutôt du type de pensée des gens. Pour Schmitt, un tel type de pensée naît dans un processus dynamique et n'est donc précisément pas raciste au sens biologique du terme.

Elle est ancrée dans le passé culturel de la société. Le point crucial est que ce processus, au sens de Schmitt, ne recourt jamais aux relations de pouvoir, mais se réalise uniquement à travers l'État. Alors que la gauche et les libéraux politisent l'identité, pour Schmitt, l'identité en tant que substance de la société se situe au-dessus de la politique et de l'État, et à cet égard, la politique n'est pas une force génératrice de droit mais une force réalisatrice de droit, c'est-à-dire réalisatrice d'identité.

La politique agit donc comme un protecteur de l'identité contre sa politisation. Pour les schmittiens, l'identité provient des expériences historiques du peuple (sol, état, église) et dans la mesure où l'ordre juridique doit être l'expression de l'ordre de la vie, indépendamment des rapports de force politiques. La substance de la société - son identité - est fondamentalement un récit qui donne du sens, que Carl Schmitt voulait voir ancré dans la Loi fondamentale selon sa doctrine constitutionnelle. En effet, elle le protège des rapports de force politiques qui sont en état de changement permanent.

Dans la République fédérale, cependant, les récits significatifs n'ont jamais été au centre de la confiance collective en soi. Il s'agissait, comme l'a récemment souligné Herfried Münkler, d'histoires sur le pouvoir économique, c'est-à-dire d'un mythe de la performance. Ainsi, le besoin de récits mythiques et de représentations symboliques s'est déplacé de la politique et de l'État vers le marché et la consommation.

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La Volkswagen est devenue le signe d'appartenance, et la Mercedes le symbole d'un avancement réussi, la confirmation du succès. À cet égard, il a toujours manqué des récits forts qui auraient rappelé l'histoire allemande et la puissance de l'identité chrétienne-allemande. Herfried Münkler, conseiller d'Angela Merkel, a noté dans une interview du 19 septembre 2018 à l'hebdomadaire DIE ZEIT que la réunification de l'Allemagne n'était pas devenue un nouveau mythe démocratique fondateur pour les Allemands.

Il a appelé à "retenir les récits" afin que les conséquences de la mondialisation puissent être équilibrées. Avec la narration forte, l'identité spécifique est en fait protégée des identités étrangères, tandis qu'un échange réciproque a historiquement toujours lieu entre les identités. Il s'agit de préserver l'identité de la société au sens schmittien du terme.

Cela inclut certainement les images d'amis et d'ennemis, et dans cette mesure, les récits sont utilisés pour lutter politiquement et protéger l'identité. Dans le jeu de pouvoir des "grands récits", il est important de voir à travers les récits de l'autre partie et d'y réagir. Bien que Münkler affirme que la société allemande a besoin d'un récit fort en tant que tel (et qui devrait transcender les relations de pouvoir respectives), il vise à réinterpréter le sens du récit tout en maintenant ses fonctions.

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Il veut concevoir des contre-récits forts afin de déconstruire l'essence du récit, qui repose sur le dualisme ami/ennemi, et d'invalider la notion dominante de choc des civilisations. À cet égard, il souhaite développer un récit de société qui donne à la société une perspective spécifique, mais qui reste en même temps soumis au processus de mondialisation, c'est-à-dire aux ambitions mondiales.

Ce point de vue peut être décrit avec certitude comme le terreau de récits aussi diffus que celui du "Nous pouvons le faire", qui tend à diviser la société plutôt qu'à la rassembler. En revanche, l'idée du Volk et la protection de l'identité allemande doivent être conçues au sein de la Nouvelle Droite au-delà des rapports de force. Sinon, elle perpétuerait les règles du jeu de la nouvelle gauche - c'est-à-dire les dichotomies modernes de la société entre majorité et minorité - sous d'autres auspices.

L'identité n'est pas un phénomène secondaire qui pourrait être préservé en propageant une Leitkultur, comme l'imaginait Bassam Tibi. Il s'agit plutôt d'une question d'existence, et donc l'identité doit être débattue avec Carl Schmitt au niveau d'une doctrine constitutionnelle : l'identité ne serait donc pas considérée comme un objet de la constitution, mais comme la volonté constitutionnelle du peuple !

C'est en effet la condition pour qu'un peuple libre n'établisse pas un ordre juridique capable de nier, voire de saper, la continuité de sa propre identité en raison de rapports de force défavorables.

Réflexions pour une droite postmoderne

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Réflexions pour une droite postmoderne

Nils Wegner

Ex: https://sezession.de/62978/ueberlegungen-zu-einer-postmodernen-rechten


La façon la plus simple de mentir aux gens est de modifier leur perception personnelle de la réalité objective - jusqu'ici, c'était moralement répréhensible (bien qu'indéniable sur le fond). On comprend donc la vive indignation suscitée par la publication, en février, du manuel de "cadrage" élaboré par la linguiste Elisabeth Wehling pour le compte de la chaîne allemande ARD.

Vraiment ? Après tout, le travail de Wehling sur ce sujet n'est nullement une doctrine secrète, mais une branche de la communication politique qui a fait l'objet de nombreuses recherches. Et si nous remplaçons le petit mot "mentir" par "persuader" dans la phrase d'introduction ci-dessus, qu'est-ce que la réflexion sur "la façon dont une nation se persuade elle-même de penser" (Wehling) sinon un simple aspect du marketing politique - ou, plus précisément, le gramscisme même qui est censé être la caractéristique essentielle de "la" nouvelle droite ?

Indépendamment des implications de cette question quant à savoir si nous en voulons aux "puissants" pour ce que nous voudrions faire nous-mêmes parce qu'ils sont "puissants", l'ensemble de l'affaire jette une lumière révélatrice sur l'état de la démocratie telle que conçue par l'élite ouest-allemande actuelle: là où rien d'autre que la croissance économique, l'adhésion à la Loi fondamentale et la "responsabilité historique" ne lie entre les strates de la "population" entre elles, il est malgré tout nécessaire de contrôler encore plus étroitement les intérêts particuliers qui se multiplient.

Du point de vue de la droite, nous sommes face à l'envers d'une "droite mosaïque" telle que l'a définie Benedikt Kaiser (cf. Sezession 77): dès 2013, les auteurs d'un "Manifeste accélérationiste" (Akzelerationistisches Manifest) accusaient la gauche actuelle de s'être repliée sur la simple protection des intérêts particuliers et sur la politique symbolique locale. Un changement fondamental, en revanche, exige non seulement des stratégies fantastiques pour atteindre l'hégémonie intellectuelle, mais surtout une contre-narration de la logique d'exploitation imposée par le néolibéralisme.

s-l500.jpgCes considérations s'appuient sur des éléments véritablement postmodernes et, après avoir longtemps laissé en jachère ce champ de réflexion de la droite, riche mais parfois dérangeant, il est grand temps de réfléchir à son ordonnancement. Les lecteurs ayant une vision du monde conservatrice préconçue et qui reculent devant un tel sujet, moitié par dégoût, moitié par agacement, devraient prendre la précaution de se référer à Armin Mohler, qui a rendu compte du travail du chroniqueur postmoderniste Wolfgang Welsch dans Criticón dès la fin des années 1980 et a exhorté la droite à s'engager dans la "philosophie à la mode" de l'époque ; finalement sans succès (ndt: affirmation inexacte;voir l'annexe ci-dessous).

Il reste l'avertissement de Mohler: la recherche de nouveaux rivages est une exigence de la pensée. Enfin, Stephen Bannon, qui était encore assis aux pieds de Donald Trump à l'époque, a fait sensation au niveau international au début de l'année 2017 lorsqu'il a fait miroiter la perspective d'une grande "déconstruction" - qui ne signifiait finalement que le mantra libertaire du démantèlement de l'État administratif. Certes, la plupart des penseurs et théoriciens postmodernes sont plus ou moins résolument de gauche au sens étroit du terme.

Où encore : aujourd'hui, comme il y a 50 ans, les conservateurs ne se sentent guère obligés de remettre en question et de critiquer les structures de pouvoir et les institutions. Cela est toujours resté une occupation authentiquement de gauche, même si cela ne ferait pas mauvaise figure face à une caste de fonctionnaires rigoureusement hostiles à la droite. Alors maintenant : quelles sont les caractéristiques de notre état d'esprit, de cette condition postmoderne ?

1. l'effondrement du "métanarratif", c'est-à-dire des grands récits inclusifs qui orientent la communauté dans toutes ses subdivisions (administration, éducation, science, économie...) vers un objectif unique. Il ne suffit pas de les assimiler à de simples "idéologies" ; ce sont plutôt les métarécits qui ont fourni l'ossature historiographique des idéologies primaires modernes que sont le libéralisme, le socialisme et le fascisme.

À proprement parler, les Lumières ont elles-mêmes représenté le déclin du métarécit chrétien ; ainsi, les postmodernes n'ont pas simplement inventé le postmodernisme, ils l'ont plutôt trouvé, diagnostiqué et y ont répondu, c'est pourquoi ils peuvent déclarer que Nietzsche et Heidegger en sont les maîtres d'œuvre.

Lyotard-image.jpgLyotard a écrit dans l'ouvrage de référence La condition postmoderne : "En simplifiant à l'extrême, on peut dire que le "postmodernisme" signifie que l'on ne croit plus aux méta-récits." Celles-ci correspondaient à ce que l'on appelle aujourd'hui le "totalitarisme", et qui - aussi oppositionnel qu'il puisse prétendre être - est prêt à porter ce stigmate très spécifique ?

2. au moins en Occident, transition économique de la société industrielle à la société de services, selon le théoricien, ou du monopole à la multinationale ou au capitalisme de consommation / "capitalisme tardif", et donc constitution d'un nouveau rapport des personnes au travail et aux biens de consommation, ce dernier incluant les médias.

Cela a de graves conséquences sur l'ensemble du style de vie individuel, comme en témoigne le niveau de vie consumériste relativement élevé d'aujourd'hui, même pour les travailleurs à la chaîne les plus simples, alors que les marqueurs classiques d'une prospérité stable sont complètement relégués au second plan, notamment l'accession à la propriété.

3. les nouveaux médias et les nouvelles technologies de communication, et donc un nouveau rapport des personnes aux événements du monde entier, aux questions de représentation et même à la vérité en tant que telle. Et surtout, en accompagnement : une prolifération sans précédent de signes et d'images, qui est aussi capable d'influencer directement l'infrastructure neuro-topographique de notre pensée.

S'il a déjà été démontré que l'avènement de la télévision en noir et blanc a conduit les gens à rêver en monochrome, les capacités d'attention radicalement réduites de nos contemporains d'aujourd'hui n'auront certainement pas été les dernières conséquences de l'ubiquité du multi- et du cross-média. Au contraire, le présent virtuel ininterrompu, construit principalement sur des images, entraîne non seulement des changements cognitifs fondamentaux, mais aussi des changements émotionnels et comportementaux.

Au sein de cette triade, une critique des médias aussi rigoureuse que possible est d'une importance capitale pour une droite contemporaine qui s'arme pour un avenir toujours plus rapide. La raison en est évidente : alors que dans la première moitié des années 90, les médias concernés ont pratiqué un silence presque total face à une droite apparemment puissante en forme de parti (les Républicains) et à une "Nouvelle Droite" sauvagement submergée, et ont ainsi pu rendre les dissidents largement invisibles pour le public, dans le nouveau millénaire, cet effacement a fait place à une sorte de badinage arrogant et amusé.

Le modèle en était la manière joviale et ironiquement désinvolte dont les médias américains de gauche ont traité l'étrange confluence de la droite chrétienne et des néoconservateurs technocratiques et impérialistes. Le fait qu'au cours des années 2010, un parti étonnamment tenace et un mouvement citoyen temporairement sensationnel soient sortis du bleu proverbial et aient pu, par endroits, briser l'establishment politique, jusque-là complètement figé à la satisfaction établie, a créé une tension : d'un côté, il était inévitable de continuer à servir le besoin public artificiellement créé d'histoires effrayantes sur les " nazis gentils et intelligents d'à côté ".

D'autre part, il existe un mécanisme selon lequel tout ce qui est rapporté est inévitablement valorisé et le statu quo, qui a été négocié dans une large mesure par et avec ces mêmes médias, ne doit pas réellement être ébranlé : psychopathia medialis. Dans ce contexte, rêver d'un reportage impartial et/ou objectif n'est pas seulement un jeu d'enfant - après tout, l'éthique des médias et la vie privée sont en fait des inventions de la fin du 19e siècle, c'est-à-dire des "constructions sociales" par excellence.

De même, il est totalement absurde de parler de "guerre de l'information" dans ce contexte, car cela signifierait que tous les participants devraient s'affronter avec des faits et des arguments factuels dans une compétition ouverte - mais rien ne correspond moins à la vérité dans la sphère médiatique. Les reportages sont réalisés sur ces sujets et de manière à servir l'agenda et l'équilibre éditorial, tout comme les autorités n'autorisent que les événements politiques qui n'affectent pas les intérêts des personnes actuellement au pouvoir.

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Reconnaître cela serait particulièrement utile à ceux qui se réfèrent si résolument à "1989": Après tout, la "Wende" (le "tournant") qui a réellement existé était fondée sur une pression économique considérable et de graves bouleversements géopolitiques. Les médias considérés comme présentables sont inévitablement des vecteurs de pouvoir, et le pouvoir est toujours un jeu à somme nulle. Vu sous cet angle, il n'y a que deux choses qui existent réellement dans ce monde : Vérité et pouvoir.

Et les deux sont souvent en contradiction l'un avec l'autre. En fait, ils peuvent être disposés le long d'une polarité gauche-droite conçue de manière peu orthodoxe, selon laquelle la poursuite du pouvoir - par laquelle nous voulons comprendre la capacité d'agir directement et indirectement - est de facto la marque de la gauche "sur-socialisée", tandis que la poursuite et l'appel à la vérité tendent à être situés à droite.

Cela semble excellent au premier abord et constitue une position morale très confortable - mais il faut encore être capable d'interagir avec les deux polarités. Vous ne pouvez pas entrer dans un jeu avec des cartes marquées et spéculer sur la possibilité de changer les règles en cours de partie - dans les circonstances données, vous ne pouvez que jouer selon les règles de votre adversaire ou pas du tout.

C'est là le véritable nœud du problème pour la dissidence, qu'elle soit de "nouvelle droite" ou autre, car ce qui est en jeu ici n'est pas un "grand récit" quelconque, mais le cadre réel sous-jacent : la conséquence de la prise de conscience que toute tentative d'influence sur le "discours", tout actionnisme et toute "provocation" dans les conditions actuelles, entièrement déterminées par le marché, de la communication publique ne peut conduire qu'à une "simulation" et à un théâtre de marionnettes, celui des méta-médias, et c'est soit la résignation, soit le cynisme.

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L'apparition désespérée, comme un ours dansant, d'un individualisme dépourvu de liens et de racines comme seul contre-modèle apparemment concevable à un "collectivisme" gaucho-libéral oppressif, tel qu'épousé notamment par le canadien Jordan B. Peterson et d'autres charlatans philosophiques populaires et cultivés depuis quelques années, ne peut guère être la bonne réponse. Et la droite ne peut s'attirer aucune sympathie avec la tentative - généralement pathétique - de s'arroger la protection de groupes de victimes potentielles, en ce moment surtout les Juifs et les déviants sexuels vis-à-vis de l'"Islam".

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L'exemple le plus récent, qui est probablement difficile à contredire : la "Straight Pride Parade" organisée à Boston, dans le Massachusetts, le 31 août, pour célébrer l'hétérosexualité - sous les auspices du troll professionnel homosexuel en faillite Milo Yiannopoulos (photo). Derrière ces mauvaises imitations se cache l'hypothèse de base, fatale, de pouvoir surpasser en termes de libéralisme la "gauche intolérante", peinte comme un démon collectiviste, notamment par l'alt-light libérale-conservatrice.

Mais ce n'est rien d'autre que des oiseaux d'une même espèce qui se donnent des coups de bec et qui ont appris à aimer leur cage - sous les applaudissements des médias. Dans ce contexte, il y a suffisamment de raisons de faire preuve de cynisme, si l'on veut le comprendre de manière classique comme une "protestation existentialiste" (Klaus Heinrich) contre le non-sens qui se profile à l'horizon.

En tout cas, c'est ici que les tentatives sérieuses d'aborder de manière productive la condition postmoderne se séparent de simples bouffonneries telles qu'un relativisme délimité (que les vrais théoriciens comme le déconstructiviste suprême Jacques Derrida ont toujours rejeté) et, surtout, une ironie omniprésente qui, au milieu des années 1990, était déjà dépassée et avait dégénéré en un véhicule de l'industrie publicitaire, lui-même marchandisé, ce dont témoignent les premiers appels à son dépassement discursif par la post-ironie et la néo-sincérité.

Le fait qu'il soit devenu tel, comme en témoignent des observateurs intéressants mais superficiels, montre qu'il y a danger constant de perdre ses repères parmi les innombrables méta-niveaux et excroissances rhizomatiques de ce vaste sujet.

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Il n'est que logique que Jack Donovan, dans le dernier volet de sa trilogie sur la virilité, l'hommage à Nietzsche intitulé A More Complete Beast, dont la traduction allemande est en cours d'achèvement, s'interroge sur le degré de loyauté que mérite un régime qui se préoccupe avant tout d'infantiliser, de materner et d'exploiter ses citoyens-particules. Un premier pas dans la bonne direction pourrait être un découplage radical de la logique du marketing, loin de la poursuite des "likes", des chiffres de diffusion et des bibelots vendus, avec un renoncement complet à toute coopération avec les médias clichés, exploitant la dissidence.

Elle doit conduire - en raison du lien indissolublement étroit entre l'industrie de la culture et le système libéral dans le "capitalisme de consommation" actuel, comme l'ont averti des théoriciens des médias comme Stiegler et surtout Baudrillard - à un rapport totalement nouveau à la réalité politico-sociale. Il sera ainsi possible d'aborder les questions de la faisabilité et de l'opportunité de la résonance de masse.

Dans tous les cas, une telle réflexion libère les gens et leur donne l'élan nécessaire pour claquer les portes derrière eux et en ouvrir de nouvelles. Mais pas pour foncer tête baissée dans le mur, car cela nous ramènerait à l'accélérationnisme. C'est pour une autre fois. Pour conclure avec Deleuze : "Il n'y a aucune raison de craindre ou d'espérer, mais seulement de chercher de nouvelles armes".

Annexe:

Cette affirmation est totalement inexacte; dès 1989, j'ai personnellement tenu, lors de nombreuses conférences et interventions, en comité restreint, à Bruxelles, Paris, Genève, Liège ou lors des universités d'été de Synergies Européennes en Provence, en Italie ou en Allemagne, lors de séminaires de la DESG à Hambourg, à Sababurg ou à Lippoldsberg, à explorer le livre de Welsch sur les défis postmodernes, à une époque, où, comme Mohler, on pouvait encore espérer un infléchissement des filons postmodernes en direction d'un dépassement définitif des insuffisances et des mutilations mentales de la modernité des Lumières. Voici une liste non exhaustive des articles, lisibles désormais sur la grande toiles et issus des revues Orientations, Vouloir et Nouvelles de Synergies Européennes ou confiés par leurs auteurs à nos bons soins pour nos différents sites depuis 2007:

Texte sur la notion postmoderne d'ironie ou sur l'ironie postmoderne; conférence tenue à Metz au Cercle Hermès et à Genève en 1997: http://robertsteuckers.blogspot.com/2013/09/lironie-contre-la-political-correctness.html ;

Introduction à la notion de postmodernité selon Peter Koslowski (Université d'été/Provence et Ecole des Cadres de Wallonie/Liège): http://robertsteuckers.blogspot.com/2013/11/les-lecons-de-peter-koslowski-face-la.html ;

Article précédant la parution du livre de Welsch et de la recension de Mohler dans Criticon: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2008/07/21/defis-postmodernes-entre-faust-et-narcisse.html ;

Préparation à un séminaire du Cercle Héraclite (GRECE-Paris) - Parue dans Le Lien, bulletin intérieur réservé aux membres du GRECE: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2009/02/19/comment-utiliser-a-bon-escient-l-expression-postmodernite.html ;

Texte ancien, traduit par Rogelio Pete à Bruxelles pour la revue Vouloir. Ce texte émane de José Javier Esparza, la figure de proue des nouvelles droites espagnoles, auteur à grand succès dans la péninsule ibérique et, à ce titre, boycotté par les sectaires de la "nouvelle droite parisienne" et par ses obséquieux imitateurs étrangers; la traduction de ce texte espagnol, issu de feue la revue Punto y Coma, prouve que la question de la postmodernité était étudiée à Madrid et à Bruxelles avant l'appel de Mohler: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2010/09/14/j-j-esparza-de-la-postmodernite.html ;

Grand texte de la conférence au séminaire du Cercle Héraclite de Paris (juin 1989), suite aux injonctions de Mohler, appelant les forces prospectives d'une nouvelle droite potentielle à potasser cet ouvrage fondamental de Welsch: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2011/03/03/la-genese-de-la-postmodernite.html ;

Le Prof. Claudio Risé, en Italie, a eu une interprétation similaire de la postmodernité et est intervenu à plusieurs reprises aux universités d'été de Synergies Européennes. Ses interventions étaient traduites en français, par Mme L. Dante à Bruxelles, pour Nouvelles de Synergies Européennes; curieux que tout cela ait échappé aux analystes de la dite "nouvelle droite" (appellation que nous récusons tant elle est grevée d'ambigüités) qui commettent ainsi le même péché d'omission que leurs soi-disant adversaires "antifascistes" : 1)  http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2009/05/18/claduio-rise-la-postmodernite-est-une-revolution-conservatri.html ; 2) http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2008/08/04/la-guerre-postmoderne-entretien-avec-claudio-rise.html ;

Excellent texte de Pierre Le Vigan, plume insigne de la dite "nouvelle droite" (canal historique mais aussi canal synergétiste). Pierre Le Vigan, qui sait, lui, de quoi il parle a produit une flopée de textes pointus sur cette problématique que l'on trouvera sur le site d'euro-synergies. Nous n'en donnons que quelques échantillons, ici: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2009/02/23/la-modernite-s-epuise-l-histoire-continue.html ; la lecture de l'ensemble des textes de Pierre Le Vigan sur le site, dont question, montre aussi l'évolution du ressenti néo-droitiste face aux phénomènes postmodernes. Pierre Le Vigan est l'auteur de très nombreux ouvrages sur la question, qui n'ont évidemment pas été recensés ni a fortiori traduits par les sectataires du canal historique de la dite "nouvelle droite", sectataires qui sont plus soucieux de participer au boycott de cet auteur, au nom de jalousies ineptes, que de se plonger dans une oeuvre qui demande réflexion.

Texte de votre serviteur sur l'approche néo-baroque de la postmodernité, selon le philosophe néerlandais Willem Van Reijen; intervention lors d'une université d'été de Synergies Européennes:  http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2007/01/30/critique-neo-baroque-de-la-modernite.html.

Enfin, un dossier récapitulatif sur "archiveseroe.eu", site encyclopédique sur la dite "ND" (on n'a pas vu, chef...): http://www.archiveseroe.eu/postmodernite-a48469534

Cette liste, comme je l'ai déjà dit, est loin d'être exhaustive. Il aurait suffit de consulter des sites ouverts à tous, gratuits, participant d'une logique du don. Certains préfèrent participer au boycott orchestré par un infect individu narcissique, dont la haine a eu pour cible principal son ex-collaborateur Guillaume Faye, pionnier, au départ de Baudrillard et de Lipovetski, d'une approche similaire de la postmodernité à celle de Mohler. Faye fut un producteur prolixe de textes fondateurs de la dite "nouvelle droite" mais, encore une fois, une certaine cécité (sur ordre?) a frappé les exégètes du mouvement dans lequel Mohler avait placé ses espoirs.

 

Le charme éphémère du nationalisme de gauche

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Le charme éphémère du nationalisme de gauche

par Winfried Knörzer

Ex: https://wir-selbst.com/2021/08/15/der-fluchtige-charme-des-linksnationalismus/

Le nationalisme de gauche combine des éléments, des écoles de pensée et des tendances politiques qui sont généralement considérées comme opposées et incompatibles. Cette complexio oppositorum lui confère un attrait intellectuel élevé qui le rend particulièrement attrayant pour les intellectuels non conformistes et non conventionnels. Un tel être hybride est appelé chimère dans l'histoire de l'art, une expression qui n'est pas injustement utilisée dans le langage courant pour désigner des entités qui présentent le caractère de l'irréel. Le sort de ces créatures mythiques est que lorsqu'elles se matérialisent par quelque magie et apparaissent dans la réalité, elles se volatilisent en peu de temps.

Je ne veux pas développer ici des déductions abstraites, ni nier que d'autres choses soient possibles, mais seulement analyser ce qui s'est réellement passé. Tant que l'on reste dans la tour d'ivoire de la théorie, on peut penser et écrire beaucoup de choses; seule la réalité politique montre la valeur d'une position politique. Il faut partir du fait que les groupes nationalistes de gauche ont toujours été une petite minorité. Dès qu'ils ne se sont plus contentés d'écrire quelques traités et tracts, mais ont voulu agir politiquement, le processus suivant s'est régulièrement produit: au moment de l'épreuve, le nationalisme de gauche est plongé dans un tourbillon, et l'unité originelle mais toujours fragile se dissout. Les fragments du nationalisme de gauche sont alors attirés par la masse d'un objet plus grand et se fondent en lui. Le nationalisme de gauche, bien que brillant comme une comète, s'avère trop petit pour suivre son orbite de manière indépendante. À un moment donné, il est pris dans le champ gravitationnel d'une planète, plonge dans son atmosphère et se consume. Si la gauche est suffisamment forte et si, à un moment donné, pour une raison ou une autre, elle présente d'une manière ou d'une autre une orientation "nationale", cela attirera le nationalisme de gauche; le cas historiquement plus fréquent est, bien sûr, que le nationalisme de gauche tombe sous le charme de la droite (1).

images.jpgEn ce qui concerne la première possibilité, je me réfère uniquement au courant dit "de Scheringer" du KPD. Le KPD lui-même n'a jamais été vraiment nationaliste, il n'en présentait pas toutes les conditions; doté d'une direction idéologiquement peu originale et dépourvue de souveraineté en termes de personnalités, il a toujours écouté, comme un chien fidèle, la voix de son maître, le PCUS. Il a joué la carte nationaliste uniquement pour des raisons tactiques. D'une part, il voulait semer la confusion dans le camp des opposants, enfoncer un coin dans le "front contre-révolutionnaire". D'autre part, il avait montré qu'il ne pouvait pas réaliser le grand renversement avec ses propres forces, à savoir des parties de la classe ouvrière. Il cherche donc de nouveaux alliés, d'une part pour accroître sa base de masse, qui concerne surtout son agitation dans les milieux paysans (Landvolkbewegung vers 1930) et petits-bourgeois, d'autre part pour recruter des spécialistes importants (théoriciens "bourgeois" pour la propagande, officiers pour l'expansion de l'organisation militaire).

Les nationalistes de gauche comme Richard Scheringer, Bodo Uhse, Bruno von Salomon, Beppo Römer, qui étaient arrivés à la conclusion que la bourgeoisie ne pouvait pas contribuer au salut national, tombèrent sous le charme du KPD. Mais dès qu'ils ont adhéré à ce parti, ils ont été soumis à la ligne de celui-ci et la voix de leur nationalisme, lorsque le vent a tourné à nouveau et que les drapeaux noir-blanc-rouge avaient été rangés au grenier, s'estompait sans être entendue dans les bureaux de l'appareil du parti.

L'autre possibilité, historiquement plus courante, est incarnée de manière paradigmatique par les premiers fascismes. Mussolini était le chef de file de l'aile radicale et révolutionnaire du parti socialiste italien avant le début de la première guerre mondiale. Peu après le début de la guerre, il préconise l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'Entente. L'Italie est neutre à ce stade, bien qu'elle soit nominalement alliée aux puissances centrales. L'enthousiasme de Mussolini pour la guerre ne se nourrit pas encore de motifs nationalistes, mais découle d'une stratégie résolument de gauche. D'une part, il n'aimait pas les puissances centrales "réactionnaires", mais d'autre part, il espérait que l'aggravation de la constellation politique intérieure résultant de la guerre créerait une position de départ favorable au déclenchement d'une révolution. Cependant, par sa propagande belliqueuse, il s'aliène le parti pacifiste et finit par être exclu. Avec un groupe de personnes partageant les mêmes idées, les "Interventionnistes de gauche", il a fondé son propre mouvement politique, avec pour centre son journal Popolo d'Italia. Au fil du temps, il gagne de nouveaux alliés, les Futuristes (un groupe d'artistes modernes numériquement peu nombreux mais influent) et les membres des troupes d'élite (les "Arditi", comparables mentalement et physionomiquement aux Freikorps allemands), avec lesquels il lance le premier "Fascio" en mars 1919. Ce fascisme précoce aurait été relégué au rang de note de bas de page dans l'histoire de l'Italie - sous la rubrique des sectes politiques et des partis dissidents - si l'agitation communiste n'avait pas eu lieu.

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Afin de contrer la prise de pouvoir menaçante des communistes, des fasci locaux, alliances protectrices contre-révolutionnaires, soutenues et financées par les grands propriétaires terriens et les notables locaux, se forment, de manière totalement indépendante du quartier général de Milan, surtout dans les campagnes. Afin de ne pas perdre complètement le contrôle et de ne pas sombrer dans l'insignifiance, Mussolini prend le train en marche, mais cela signifie qu'il doit s'adapter à un mouvement soutenu par un groupe de personnes complètement différent et partant de prémisses complètement différentes. En l'espace de deux ans, le fascisme avait complètement changé : un mouvement nationaliste de gauche, révolutionnaire, anti-bourgeois, socialiste modéré, était devenu un parti nationaliste de droite, contre-révolutionnaire, soutenant la bourgeoisie.

Ernst Niekisch a connu une évolution similaire à celle de Mussolini en Allemagne. Les deux hommes se sont d'ailleurs rencontrés au milieu des années 1930, et dans leur conversation, ils ont également reconnu leur passé marxiste commun. Mussolini dit à Niekisch: "Ce n'est pas vrai, il faut être passé par l'école du marxisme pour posséder une véritable compréhension des réalités politiques. Celui qui n'est pas passé par l'école du matérialisme historique ne reste toujours qu'un idéologue" (2). Dans la première moitié des années 1920 - à l'époque, il était encore un fonctionnaire social-démocrate - Niekisch avait avancé une conception peu orthodoxe et nationaliste de gauche. L'oppression de l'Allemagne par les puissances bourgeoises victorieuses sous la forme du traité de Versailles a directement affecté les chances de vie de la classe ouvrière allemande. La bourgeoisie s'est montrée incapable ou peu désireuse de lutter contre cet état de fait. Il en a donc tiré la conclusion que la lutte sociale de la classe ouvrière doit aller de pair avec la lutte de libération nationale. Il est compréhensible que ses idées soient tombées dans l'oreille d'un sourd dans la social-démocratie. À la recherche d'une base organisationnelle servant de courroie de transmission pour ses idées, il se tourne d'abord vers un groupe de jeunes socialistes à vocation nationale, le Hofgeismarkreis, et vers un groupe dissident de droite du SPD limité à la Saxe, l'Altsozialdemokratische Partei. Aucun des deux groupes n'a cependant eu une longue vie. Tout en radicalisant son cours vers un nationalisme pur (3), Niekisch s'engage de plus en plus dans la voie de la droite authentique. Aux côtés d'intellectuels de droite tels que les frères Jünger, Albrecht Erich Günther, Franz Schauwecker, Alfred Bäumler, il s'appuie sur des groupes issus du milieu des anciennes associations de Freikorps et de la jeunesse bündische. À la fin des années 1920, ce développement était terminé. Si l'on feuillette les numéros de son magazine Widerstand, celui-ci ne diffère en rien des autres publications typiquement de droite, si ce n'est par la radicalité du nationalisme poussé à l'extrême. On y trouve des publicités de la maison d'édition interne de la résistance, qui publie des livres d'auteurs bourgeois-conservateurs tels que Othmar Spann et Wilhelm Stapel. Publicités pour des mémoires de guerre et des livres sur Ludendorff, critiques positives de biographies de Bismarck et d'ouvrages sur la race, gloses anti-pacifistes et antisémites, etc.

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Contrairement aux affirmations des études sur le processus de "construction de la nation" qui sont devenues populaires ces dernières années, il faut supposer l'originalité d'un amour profondément enraciné de sa propre personne (autophilie). Cette caractéristique commune est essentiellement la patrie. La portée de ce concept varie naturellement. En raison de l'absence de moyens de transport et de communication, à l'époque, le terme désignait inévitablement l'environnement immédiat: clan, village et ville, campagne. Ce n'est que grâce aux progrès des technologies de communication et de transport, mais aussi à l'importance croissante des techniques de socialisation abstraites et idéalistes, désormais transmises par l'éducation et non plus par l'expérience directe, et à la prise de conscience des points communs linguistiques, culturels et historiques, que l'expansion de ce sentiment d'appartenance à la patrie tout entière est devenue possible aux 18e et 19e siècles. Cette extension du sentiment originel de patrie à l'ensemble de la patrie est généralement appelée patriotisme. Le patriotisme est un complexe de motivation qui est encore pré-politique. Le nationalisme apparaît lorsque le patriotisme devient politique, c'est-à-dire lorsqu'il se transforme en un mouvement contre des ennemis internes ou externes. La distinction patriotisme/nationalisme correspond à la distinction de Karl Mannheim entre traditionalisme et conservatisme. Le traditionalisme est l'attachement pré-politique, pour ainsi dire inconscient, aux coutumes et traditions traditionnelles, le conservatisme le mouvement conscient, politique et militant contre la modernité.

Ce patriotisme originel et naturel appartient à l'essence de l'être humain originel, fait partie de son sentiment naturel. Cependant, le potentiel moteur naturel est toujours modifié et sur-formé par des tendances superposées. Cela peut conduire à un déplacement de la pulsion partielle autophile vers d'autres objets, par exemple non pas vers la nation en tant que telle, mais uniquement vers l'équipe nationale de football. Plus une personne est impliquée dans certains contextes sociaux, plus une solidarité de groupe se développe, qui remplace alors l'autophilie originelle. L'affiliation à des partis ou à d'autres groupes est alors le principal facteur de motivation. Un fossé s'ouvre alors entre la solidarité de groupe socioculturelle et l'autophilie originelle, qui se manifeste par un conflit d'intérêts entre le "partisan" et le citoyen moyen. Cela est devenu particulièrement clair pendant la révolution d'Allemagne centrale. Tandis que les intellectuels s'enivraient de modèles compliqués et irréels de "troisième voie", le peuple voulait la réunification. Un autre exemple, plus pertinent dans notre contexte:

Au printemps 1921, les insurgés polonais ont occupé une grande partie de la Haute-Silésie. La population allemande de Haute-Silésie est abandonnée par le gouvernement du Reich, qui craint la réaction des pays étrangers. Contre la résistance des autorités officielles, les troupes de volontaires des Freikorps parviennent néanmoins à pénétrer en Haute-Silésie et à repousser l'attaque polonaise. Les unités de ces troupes sont massivement entravées sur le chemin vers la Haute-Silésie par les employés des chemins de fer communistes et sociaux-démocrates, et les plus grandes unités sont même empêchées d'avancer par la SiPo (police de sécurité) du gouvernement social-démocrate de l'État prussien. En revanche, dans les villes de Haute-Silésie, les travailleurs communistes et sociaux-démocrates ont combattu côte à côte avec les soldats nationalistes de "droite" des Freikorps. Alors que l'autophilie s'est imposée chez les personnes directement impliquées, c'est-à-dire que le potentiel d'entraînement l'a emporté sur la sur-formation socioculturelle du parti, la loyauté au parti a prévalu chez les personnes de gauche sur le territoire du Reich, car leurs actions n'étaient pas déterminées par leurs liens avec la patrie en danger.

Cet exemple de "défense prolétarienne de la patrie" mérite la plus grande admiration, mais il n'indique en rien l'existence d'un nationalisme de gauche. La résistance à l'invasion polonaise est une expression de l'autophilie originelle et non le résultat d'une attitude résolument politique. Comme le géant Antaios, cette attitude tire sa force de la terre natale et diminue donc proportionnellement à la distance spatiale du point d'origine et temporellement avec le déclin de la menace aiguë. En revanche, les soldats des Freikorps, dont certains sont venus d'aussi loin que l'Autriche, sont de "vrais" nationalistes, car pour eux le "réveil de la nation" est un facteur de motivation principal dans leur vie, indépendamment de l'espace et de l'occasion. Cette lutte pour la patrie n'est donc ni gauchiste ni nationaliste, car elle est motivée par des forces de motivation qui trouvent leur origine dans des domaines de motivation dans lesquels les distinctions politiques n'entrent pas.

On pourrait objecter qu'il y a eu des mouvements nationalistes de gauche couronnés de succès, comme à Cuba et au Vietnam, Nasser, le parti Baath, et peut-être l'IRA. On peut dire ce qui suit à ce sujet :

chebol.jpgTout d'abord, il faut se demander si la nation représente réellement le point de référence central et la valeur politique la plus élevée pour ces mouvements. À mon avis, c'est plutôt la révolution socialiste-communiste qui est le facteur décisif dans ces pays. La nation ne fournit que le cadre de référence territorial du projet révolutionnaire, qui, dans un second temps, vise à porter son propre modèle au-delà des frontières nationales (cf. l'expérience bolivienne de Che Guevara, l'extension du régime communiste au Cambodge et au Laos).

Deuxièmement, ce nationalisme de gauche doit être considéré dans le contexte de la lutte de libération anticolonialiste. Pour s'émanciper des puissances coloniales ou des régimes de gouvernants qu'elles ont mis en place, il n'y a d'abord pas d'autre objet à libérer que la nation. Tout d'abord, la souveraineté sur son propre territoire devait être établie à l'extérieur, afin de pouvoir ensuite réaliser la révolution socialiste à l'intérieur.

Une telle constellation, caractéristique du tiers monde, ne peut que difficilement être construite pour la RFA. On perdrait grotesquement le sens des proportions si l'on voulait décrire sérieusement - et non dans un sens métaphorique polémique bien utile à la propagande - la République fédérale comme une république bananière. Il y a un monde de différence entre la colonisation culturelle (cette expression n'est-elle pas déjà une métaphore ?) par McDonald's et Hollywood et la colonisation réelle qui a eu lieu au XIXe siècle. Chacun a la liberté de manger un sandwich à la saucisse au lieu d'un hamburger et de lire Goethe au lieu de regarder Spielberg ; mais les Noirs devaient saluer le drapeau britannique et travailler dans les mines et les plantations pour les maîtres blancs. C'est pourquoi les gauchistes originels et les nationalistes de gauche n'ont jamais réussi à faire croire au peuple qu'il vit dans une colonie américaine. Cette thèse, même si elle contient une bonne part de vérité, correspond moins aux faits qu'au besoin de transférer l'élan nationaliste de libération en Allemagne. On a simplement besoin d'un ennemi pour pouvoir se libérer de quelque chose. Mais ce n'est qu'un nationalisme réactif. Le vrai nationalisme, en revanche, consiste à croire en la nation, non pas dans la séparation d'avec l'autre, mais dans le fait d'être soi-même, dans la réalisation de son propre.

Troisièmement, comme il n'y a pas de système de partis déjà fermement établi dans ces "jeunes États", le nationalisme de gauche ne peut pas du tout être pulvérisé entre les puissants blocs de gauche et de droite.

Les attitudes de gauche et de droite à l'égard de la nation diffèrent par la pondération opposée de la relation fins/moyens. Pour la droite nationaliste (4), la nation est toujours une fin et une méthodologie de "gauche" socialiste est un moyen d'atteindre une fin (intégrer la main-d'œuvre dans l'État et créer une véritable Volksgemeinschaft, ou soumettre l'économie à la volonté de l'État dans le sens d'une "mobilisation totale").

Pour la gauche, en revanche, l'invocation de la nation n'est le plus souvent qu'un moyen d'atteindre certains objectifs dans une situation historique concrète. Elle part de la question: qui est l'ennemi principal, peut-il être frappé efficacement par un engagement nationaliste ? Toutes les entreprises nationalistes de gauche sérieuses ont toujours eu lieu autour des luttes anti-impérialistes: dans la lutte pour la Ruhr en 1923, il s'agissait de repousser l'invasion de l'impérialisme français, et lors du débat sur le désarmement au début des années 1980, une faction nationale-pacifiste de gauche a émergé pour s'opposer à l'impérialisme américain. Une telle situation, dans laquelle sa propre nation devient l'objet d'une puissance impérialiste étrangère, ouvre la possibilité d'une orientation nationaliste pour la gauche, car face au danger de la victoire de l'impérialisme et de l'établissement de formes de pouvoir massives et manifestement soutenues par l'armée, qui font craindre une exploitation encore plus oppressive de la classe ouvrière nationale, l'union avec les forces nationalistes apparaît comme un moindre mal.

Sur la base de cette constellation, il serait tout à fait concevable de faire "un petit bout de chemin" (comte v. Reventlow) ensemble. Mais cette constellation n'existe plus. La gauche a mis de côté la lutte contre le capitalisme et l'impérialisme et combat le nationalisme au nom d'un universalisme moral. La gauche au sens classique du terme, en tant que représentant de la classe ouvrière, n'existe plus. Le travailleur, qu'elle vénérait autrefois comme un dieu descendu sur terre, n'est plus évoqué que par des expressions de mépris - pour elle, le travailleur a dégénéré en petit bouffon. La gauche a fait la paix avec le capitalisme, elle fait désormais partie intégrante d'un immense "juste milieu" qui a enrobé l'appel classique à "s'enrichir" du vernis passéiste, favorable à l'asile, etc. avec un vernis d'"hypermoralité" (A. Gehlen) qui allège le poids sur la conscience. Dans cette vision du monde, aussi économiste que moraliste, les sujets collectifs, que ce soit la nation ou la classe ouvrière, ne trouvent plus leur place. L'individualisme dépouille les êtres humains de leurs caractéristiques liées au groupe ; dans leur pure qualité abstraite d'être humain, tous les êtres humains apparaissent alors comme égaux. Pour ceux qui le croient, il n'y a aucune raison de principe de préférer un Allemand au chômage à un Indien affamé, puisque tous deux sont également humains. Avec l'abandon de la lutte contre le capitalisme, que la gauche ne veut plus abolir, mais seulement encadrer écologiquement et "clientélistement" (en privilégiant les femmes, les homosexuels, les cyclistes, etc.), le terrain a été enlevé à la coopération entre la gauche et la droite.

Le capitalisme est la véritable force internationaliste qui dissout toutes les particularités nationales et remplace les siennes par une offre de biens uniformisée au niveau mondial. L'universalisme moral est son réflexe idéologique. Tout comme le capitalisme réduit les relations sociales à des relations d'échange abstraites, l'universalisme moral réduit la diversité concrète de l'humain, transmise historiquement, à une relation juridique abstraite. L'universalisme moral est la chaîne d'or avec laquelle le capital international lie la gauche à lui-même. Un nationaliste de gauche doit briser cette chaîne afin de retrouver la nation. Dans les rangs des nationalistes, il retrouvera le travailleur allemand et la "nostalgie anticapitaliste" (Strasser) à laquelle la gauche libérale-extrémiste d'aujourd'hui a dit adieu. Après l'effondrement du socialisme, la lutte contre le capitalisme ne peut être menée que depuis la droite, depuis une position nationaliste.

Notes:

(1) D'innombrables traités ont déjà été écrits sur la distinction entre la gauche et la droite. Devant l'impossibilité de trouver des signes distinctifs irréfutables, certains, en désespoir de cause, ont proposé d'abandonner complètement les termes "gauche" et "droite". La plupart des gens, cependant, ne se soucient pas de ces difficultés analytiques et situent leur propre position politique dans le schéma gauche/droite sans aucun problème significatif. Cette classification n'est pas le résultat d'une activité intellectuelle consciente - par exemple, en la comparant à un tableau d'énoncés doctrinaux stocké dans sa tête - mais d'une sorte de reconnaissance esthétique, sans concept. Par exemple, quelqu'un qui distribue du matériel de propagande politique dans une zone piétonne n'abordera pas tous les passants sans discernement, mais seulement ceux qu'il soupçonne d'être réceptifs à son propre message. Des signaux partiellement minimaux émis par la coiffure, les vêtements, l'expression du visage et la démarche se combinent pour former l'image d'un profil de personnalité auquel correspond une attitude politique. En d'autres termes, la plupart des gens savent ou sentent très précisément ce qu'est la gauche et la droite, c'est pourquoi il n'y a aucune raison pour moi de m'écarter de cette compréhension quotidienne.

(2) Ernst Niekisch : Une vie audacieuse. Rencontres et résultats. Berlin, Cologne, 1958, p. 263, réédité par Bublies Verlag.

(3) Par nationalisme pur, j'entends une attitude qui fait de la nation le critère unique et exclusif de la pensée et de l'action politiques et qui subordonne tous les autres domaines de la vie tels que la culture, l'économie, l'éthique, etc. aux exigences du point de vue national.

(4) Il existe aussi, bien sûr, une droite internationaliste, mais il n'est pas nécessaire de s'y intéresser ici : l'internationalisme féodal de la solidarité de classe aristocratique (Metternich et la Sainte-Alliance), la communauté religieuse transnationale du catholicisme politique, le mythe européen occidental conservateur ou de nouvelle droite.
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Dr. Winfried Knörzer

Winfried Knörzer, né en 1958 à Leipzig, a étudié la philosophie, les études allemandes, les études des médias, les études japonaises à Tübingen et a passé son doctorat sur un sujet de l'histoire de la psychanalyse. Activités professionnelles : Rédacteur en chef, spécialiste de l'informatique. Il publie par intermittence depuis le début des années 1990.

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Die Neuerscheinung (Juni 2021): „Farben der Macht“ von Dr. Winfried Knörzer im Lindenbaum Verlag. Hier können Sie es direkt beim Verlag versandkostenfrei bestellen: https://lindenbaum-verlag.de/produkt/farben-der-macht-der-rechte-blick-auf-die-gesellschaft-der-gleichen-winfried-knoerzer/

 

 

mercredi, 13 octobre 2021

Rébellion et discipline

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Rébellion et discipline

Mario Michele Merlino

Ex: https://www.ereticamente.net/2017/01/ribellione-e-disciplina-mario-michele-merlino.html

Je m'inspire d'un petit débat (sans vouloir en diminuer le sens) suscité par mon ami Giacinto (désormais habitué au goût de la provocation), qui, après avoir affiché un aphorisme de Nietzsche, tiré de Ainsi parlait Zarathoustra, dit ne pas être convaincu.

Amoureux du squadrisme, de ce premier fascisme rustre et gascon, basé sur la défiance, les poignards, les grenades à main et beaucoup de matraquages, il estime que le terme "rebelle" est pénalisé. Car il est écrit: "La rébellion - c'est la noblesse chez l'esclave. Que l'obéissance soit votre noblesse ! Obéis même à tes ordres" (Della guerra e dei guerrieri, dans la version autorisée de Giorgio Colli et Mazzino Montinari). Ceux qui me connaissent savent combien j'aime peu cette traduction, peut-être plus rigoureuse sur le plan philologique, mais dépourvue de tout afflux poétique - et Nietzsche, après Platon et peut-être plus que lui, est avant tout un faiseur de poésie, au sens premier du terme. Dans l'édition de 1937, publiée par la maison d'édition Apuana, celle à laquelle je me réfère le plus volontiers, le discours susmentionné est placé ailleurs dans le livre, mais, surtout, le terme "noblesse" est remplacé par "distinction" et cela compte.

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Mon ami et héros, l'épéiste au grand nez, Cyrano de Bergerac, se tourne vers le vicomte (dans la célèbre scène au théâtre et le duel qui s'ensuit, accompagné du couplet) qui avait été étonné et insulté ("Ve' che modi arroganti !"). Un rustre qui sort même sans gants, sans grenouilles, sans rubans, sans chevrons!'): 'Parce que j'ai mes distinctions à l'intérieur ! ... Je vais sans rien qui ne brille en moi, sans ombre, et j'ai un panache de franchise et d'indépendance". Le jeune fasciste décrit par Marcello Gallian dans Gente di squadra, par exemple, irait bien avec le protagoniste de la comédie d'Edmond Rostand. Une question de style, l'important, et de distinctions justement.

Le fait de me définir comme un "anarcho-fasciste", qui me fait aimer Robert Brasillach, comme il se raconte dans Notre avant-guerre, et un Berto Ricci (rappelez-vous les difficultés qu'il a eues lorsqu'il a obtenu sa carte de membre à cause de ses fréquentations "subversives") me transporte là où l'histoire décrit ce monde libertaire, de ces rêveurs fous et désespérés, représentés avec leurs grandes barbes, leurs chapeaux à bords inclinés, leurs yeux fougueux... mais aussi à Giuseppe Solaro, par exemple, le dernier fédéral de Turin. "Dans la guerre qui est maintenant universelle dépend l'issue de la révolution sociale, la défaite ou le triomphe du travail sur l'étouffement ploutocratique" - dont nous avons récemment rappelé le texte diffusé à la radio Les rebelles, c'est nous.

Et puis, même en cédant un peu à l'anagraphie - jamais à la réalité qui m'entoure d'hommes bavards -, rompre la chaîne des accommodements serviles reste, romantique et anachronique, le rêve des bâtons et des barricades. Et, oui, je comprends l'intolérance de Giacinto lorsque le terme "obéissance" est confondu et, Pasolini docet ( !), le juxtapose au concept d'"homologation". J'ai écrit récemment que La locomotive de Lugano de Francesco Guccini et Ivan Graziani est belle, et s'il y a une sainte hérésie en elle, c'est la gifle au monde de la droite bourgeoise, perfide et lâche, dont notre pays est rempli, elle la rend étouffante et, de cette pourriture, elle n'aurait pas du tout besoin...

Spartacus contre Crassus. La voie Appienne éclairée par les corps des esclaves rebelles, transformés en torches humaines après avoir été crucifiés. Le désir de briser les chaînes suffit-il à ennoblir l'esclave en révolte ? Peut-être pas. Il y a un appel à se libérer des besoins, mais aussi - et surtout, je crois - une volonté de se libérer des besoins. Sur qui le père pensif de Zarathoustra dirige-t-il ses flèches lors de ses promenades solitaires le long du lac de Selvapiana ? Et puis - hypothèse audacieuse à la limite du paradoxe - les distinctions entre celui qui, esclave, se révolte et celui qui obéit, devenu un art noble, sont-elles inconciliables entre elles, ennemies mortelles (comme elles semblent le devenir lorsqu'elles se transforment en "morale" - des Seigneurs la seconde et des Esclaves la première) ou sont-elles des stades changeants de l'être où le monde est régi par des principes (valeurs) hiérarchisés ?

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Et, maintenant, esquissons la distinction de l'obéissance - l'invitation de Nietzsche qui a aigri, avec une subtile grimace de déception, son ami Giacinto. Dans E venne Valle Giulia, à la fin, j'ai écrit, en citant un vieux texte qui date de plusieurs années : Avec le suicide rituel (seppuku) de Mishima Yukio, nous avons renouvelé notre intérêt pour la culture du Japon - pas seulement notre admiration étonnée pour les kamikazes, par exemple -, attirés et impliqués dans ce monde qui s'ouvrait à nous grâce à la cinématographie d'Akiro Kurasawa (après avoir vu Les Sept Samouraïs, quelle déception que sa version occidentale ! ). Le samouraï est celui qui se met au service du daimyo, le seigneur féodal. Servir, c'est le sens littéral des idéogrammes qui l'indiquent - tandis que bushi désigne le guerrier et que ronin est le samouraï qui a été laissé sans son seigneur. Pas de scandale. La loyauté est l'axe sur lequel tourne l'éthique du bushi-do. Après tout, que visaient les ordres de chevalerie médiévaux dans le serment d'investiture ("Le cheval et l'épée, - la rose et l'honneur - étaient des compagnons - fidèles en amour") et, à une époque plus récente et qui nous est chère, les soldats portant des runes sur leurs insignes se targuaient de la devise "Notre honneur s'appelle Loyauté !"?

Langer_Kerl_Schwerid_Rediwanoff.jpgTout est question de rébellion et d'obéissance - l'esclave est celui qui se sent tel et non celui qui se met joyeusement et avec confiance au service d'une Idée, de sa Cause... même si c'est le Rien, comme le voulait le philosophe Max Stirner, auteur de L'Unique, texte cher au socialiste Mussolini et au professeur Merlino (tant pis pour la modestie et les imbéciles, ses dévots !). Dans les cellules de Regina Coeli, je me sentais et j'étais un homme libre, dans un enclos de trois mètres sur six et ayant des barres et des boulons sur le bord. Et je l'étais beaucoup plus que je ne le suis aujourd'hui. Encore une fois, Sénèque prévient : "Vivere militare est". Après nous avoir rappelé qu'il ne faut pas demander aux dieux une existence exempte de soucis mais une grande âme. Et quel est le noyau dur du soldat - du légionnaire de Rome ou, rappelons-le, des grenadiers de Frédéric II, de tous ceux qui ont fait l'histoire de cette Europe en armes - une histoire aujourd'hui misérable mais qui fut riche en hommes, en idées, en luttes et en événements - ? Discipline.

Une discipline formelle, certes, d'une apparente inutilité brutale mais, comme l'écrit Aldo Salvo dans Mal di Roma, un livre qui aurait mérité une plus grande diffusion et une plus grande attention, "la rhétorique, enseignait-on, entre en donnant des coups de pied dans la bouche et sort en pissant, mais ce qui reste à l'intérieur fait partie de vous". Ici, la forme et le fond deviennent - et cela arrive rarement - complémentaires. C'est là que la déclaration de Sénèque prend tout son sens - comme l'homme qui porte un casque et une armure, chacun de nous accomplit un devoir dans la vie, un devoir de citoyen et un devoir intérieur - le dualisme souvent conflictuel entre public et privé est inconnu dans le monde antique... Révolte et devoir - tous deux remplissent une tâche. Brisons donc les chaînes de toute servitude et plaçons-nous fermement sur la ligne de front du choix idéal dans lequel nous pouvons reconnaître l'essence aristocratique de l'esprit. Les distinctions ne seront que des étapes dans notre combat - nous sommes esclaves et non plus serviteurs ; libres dans la noblesse de notre engagement. Nietzsche et ses aphorismes sur les labarums, sur le chemin...

Marcus Flavinius, centurion de la IIe cohorte, Legion Augusta, à son cousin Tertullius à Rome: "On nous a dit, lorsque nous avons quitté notre terre natale, que nous allions défendre les droits sacrés que nous conféraient tant de citoyens installés là, tant d'années de présence, tant de bienfaits apportés à des populations qui avaient besoin de notre aide et de notre civilisation. Nous avons pu vérifier que tout cela était vrai et, parce que c'était vrai, nous n'avons pas hésité à verser notre sang, à sacrifier notre jeunesse et nos espoirs. Nous n'avons aucun regret, mais pendant que cet esprit nous anime ici, on me dit que des cabales et des complots se déroulent à Rome, que la trahison fleurit, et que beaucoup, hésitants, troublés, prêtent une oreille complaisante aux pires tentations d'abandon et vilipendent notre action".

"Je ne peux pas croire que tout cela soit vrai, et pourtant les guerres récentes ont montré combien un tel état d'esprit pouvait être pernicieux et jusqu'où il pouvait mener. Rassurez-moi au plus vite, s'il vous plaît, et dites-moi que nos concitoyens nous comprennent, nous soutiennent, nous protègent comme nous protégeons la grandeur de l'Empire. S'il devait en être autrement, si nous devions laisser inutilement nos os calcifiés le long des pistes du désert, alors gare à la colère des légions !".

Noblesse de la rébellion et noblesse de l'obéissance.

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Dostoïevski, antidote au nihilisme

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Dostoïevski, antidote au nihilisme

Roberto Pecchioli

Ex: https://www.ereticamente.net/2021/09/dostoevskij-antidoto-al-nichilismo-roberto-pecchioli.html

Cette année marque le deuxième centenaire de la naissance de Fédor Dostoïevski, probablement le plus grand romancier de la littérature universelle. Il est mort à l'âge de cinquante-neuf ans après avoir laissé une œuvre gigantesque, qui risquait de ne jamais voir le jour en raison de la condamnation à mort prononcée pour sa participation non prouvée à un complot anti-tsariste. La peine de mort avait été commuée en travaux forcés au moment où le jeune écrivain était conduit au poteau d'exécution, une expérience qui l'a marqué à jamais et lui a inspiré des passages de L'Idiot et de Crime et châtiment, deux de ses chefs-d'œuvre.

Sa grandeur ne réside pas seulement dans sa puissance narrative - en cela, il était peut-être supérieur à Tolstoï - mais dans la profondeur de sa pensée. Lire Dostoïevski, c'est plonger dans la philosophie, la théologie, les abîmes de la psyché humaine, et faire l'expérience d'une sorte d'optimisme triste, d'une religion de la souffrance et de l'acceptation du destin qui reste imprimée à jamais et s'active dans les moments les plus durs de l'existence personnelle, un baume qui aide à élever la vie dans une sorte de devoir moral et religieux. Dostoïevski est un puissant antidote au néant, au nihilisme glacé qui imprègne l'époque qui nous a frappés, reconnu dans le tempérament de sa Russie.

Dans tous ses romans et nouvelles, à commencer par le premier, Les pauvres gens - qui lui valut les louanges du monde culturel de l'époque - l'écrivain montre un fondement de son monde intérieur, une compassion pour la souffrance de ceux qui sont fragiles, dégradés, incompris. Le rapport de Dostoïevski à la réalité est religieux dans le sens où il ne peut s'empêcher de s'immerger dans la douleur des autres, de la vivre comme la sienne dans une identification totale, avec un amour à la fois charnel et spirituel.

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Toute douleur mérite le regard du Crucifié, qui partage notre souffrance. Dostoïevski semble nous dire, à travers des personnages comme Sonia - l'ancienne prostituée qui rachète Raskolnikov dans Crime et châtiment, en le forçant à accepter et à aimer le châtiment pour le meurtre sans mobile de l'usurière - qu'il n'y a pas d'attitude plus humaine que de se sacrifier pour son prochain jusqu'à l'épuisement. Une tâche à la limite du sacré. Le découragement, la paresse, sont des péchés au sens religieux et humain du terme. "C'est un péché de se décourager. Le vrai bonheur consiste en un surmenage fait avec amour".

L'extraordinaire capacité de pénétration psychologique, l'excavation profonde des motifs et des gestes d'innombrables personnages, leur humanité complexe, le rendent supérieur aux romanciers de son époque et d'autres, comme Cervantès, dont les héros sont essentiellement des idéaltypes, des stéréotypes. L'opposé de Dostoïevski est l'un de ses contemporains, le Français Emile Zola, avec son désespoir athée, créateur de personnages complètement abandonnés, prisonniers d'une angoisse jamais consolée, jamais éclairée par l'espoir.

Dostoïevski offre au lecteur sa passion pour Jésus - le personnage qui plane dans presque chaque page - soutenue par l'avertissement: celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perd sa vie pour moi la sauvera (Marc, 8-35). Un humanisme lié à l'expérience très dure de l'emprisonnement, à la familiarité avec la maladie - il a souffert d'épilepsie toute sa vie - à la pauvreté qui l'obligeait souvent à écrire désespérément, exploité par les éditeurs, à l'expérience directe des aspects les plus bas de l'âme humaine. Il était un joueur compulsif et a décrit cette expérience dans Le joueur, un chef-d'œuvre écrit en quelques semaines pour rembourser des dettes de jeu.

La lecture du géant russe est un antidote au nihilisme également en raison de sa capacité à donner du sang à l'humanisme, exprimé par l'empathie avec chaque être humain, même le plus abject. Le prisonnier du tsar, dans le froid sibérien, n'avait droit qu'à un seul livre, la Bible, mais il en recevait d'autres clandestinement. Il a lu et s'est imprégné d'Hérodote et de Thucydide, de Pline et de Flavius Josèphe, a été témoin de la vie historique de Jésus, de Plutarque et de Kant. Il a étudié la patristique et les évangiles, qu'il a relus d'innombrables fois. Son expérience en prison lui a inspiré l'une des œuvres les plus cruelles de Dostoïevski, les Souvenirs de la maison des morts, description d'une humanité douloureuse, dégradée, emprisonnée non seulement par les barreaux mais aussi par les pires abjections morales. Cependant, même l'univers concentrationnaire n'éteint pas la veine d'espoir, antidote au nihilisme de tous les temps.

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De nombreux personnages émergent de l'observation "compatissante" de leurs codétenus. Même chez les pires criminels, suggère-t-il, on peut trouver un sentiment, une étincelle positive. Après tout, le message de Dostoïevski est que si l'homme est ce qu'il est, c'est parce que Dieu lui-même l'a placé au bord de l'abîme.

Raskolnikov, dans Crime et châtiment, se confesse à Sonia ; dans L'Idiot, les personnages racontent leur pire péché, celui qui les définit en tant que personnes, parce que la nature du mal qui est en nous, qui nous constitue, nous rend uniques: des personnes. Pour sortir de la tombe de notre péché, pour échapper à l'enfer intérieur, nous devons nous confesser. Il n'y a pas de rédemption sans confession; le châtiment ne rachète pas s'il n'y a pas de reconnaissance, de reconnaissance douloureuse du mal commis. Le salut est une possibilité offerte à tous, mais il n'est pas gratuit : il passe par l'aveu de la culpabilité et la juste expiation, que Sonia, à son tour rachetée par sa vie de prostituée, demande à Raskolnikov. Dans L'éternel mari, la trahison est connue, mais le mari moqué attend, exige la confession du rival.

Le roman de jeunesse Le Double, peu mûr mais de grande valeur psychologique, aborde le thème du dédoublement, de la folie, dans l'histoire d'un homme qui rencontre son double, avec son propre nom. Dans toute l'œuvre de Dostoïevski, on ne trouve pas un seul grand homme. Le royaume des cieux appartient aux pauvres en esprit, aux gens apparemment ordinaires. L'univers des personnages de Dostoïevski est peuplé de gens ordinaires. Pourtant, personne n'est ordinaire, un pion interchangeable dans le jeu de la vie. Chacun d'eux a un profil psychologique spécifique ; personne n'est un stéréotype, pas même la sordide et cupide usurière Alena Ivanovna, victime du crime de Raskolnikov, pas même les mille personnages émouvants de la Russie sans fin.

Stefan Zweig, l'écrivain de Finis Austriae, l'a parfaitement saisi. "Étrangers au monde par amour du monde, irréels par passion de la réalité, les personnages de Dostoïevski semblent d'abord simples. Ils n'ont pas de direction précise, pas de but visible: comme des aveugles ou des ivrognes, ils titubent dans le monde. Ils sont toujours effrayés ou intimidés, ils se sentent toujours humiliés et offensés". Comme le titre d'un roman qui décrit la décadence de la noblesse et dépeint la misère humaine avec un réalisme cru.

Dostoïevski ne croit pas à la psychologie ascendante, il n'établit pas de classifications, il ne remplit pas les cases des catégorisations, il n'appose pas les étiquettes d'une science générique: il s'intéresse à l'unicité de chaque âme. C'est ce qui le rend hostile au nihilisme naissant, représenté dans le personnage de Bazarov dans Pères et fils d'Ivan Tourgueniev, ainsi que dans la paresse et l'inaction luisante d'Oblomov, l'anti-héros immobile de Gontcharov.

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En même temps que la naissance du marxisme, Dostoïevski est devenu, dès le premier instant, son ennemi acharné. "Le marxisme a déjà rongé l'Europe. Si on n'y arrive pas à temps, ça va tout détruire". Il se méfiait également de l'individualisme libéral, vide et indifférent, porteur d'une subtile contagion de l'esprit. Le nihilisme de ses Démons, en fin de compte, est la responsabilité des pères, de la génération absente qui n'a pas pu et voulu transmettre quoi que ce soit, engagée dans la poursuite du succès, de l'argent, du pouvoir, des vices derrière le paravent de la respectabilité.

Son œuvre vise toujours le bien absolu; elle laisse dans l'âme une douce mélancolie, le sentiment d'une poursuite de la vertu. Une autre caractéristique est l'incohérence des hommes et des femmes de Dostoïevski. Ils sont incohérents parce que ce sont des personnes réelles qui vivent et portent des vêtements, dans lesquels des sentiments contradictoires coexistent constamment. Ils sont conscients de leur dualité, suspendus entre le bien et le mal, le vice et la vertu. Ils font des choses sans vraiment vouloir les faire, s'y refusant de toutes leurs forces, tentés à la fois par Dieu et par Satan, aussi faibles que chacun d'entre nous face au mal.

La vérité, bien trop humaine, se trouve dans les mots de Médée dans les Métamorphoses d'Ovide. "Video meliora proboque, deteriora sequor", je vois les bonnes choses et les approuve, mais je suis les pires. "Telle est l'affirmation méprisante de Stavroguine, le Démon par excellence, la force motrice du roman le plus dérangeant de Dostoïevski. "'Je peux, comme je l'ai toujours su, éprouver le désir de faire une bonne action et même être satisfait de la faire. Mais je suis également animé par le désir de faire le mal et je prends plaisir à le faire".

La capacité d'introspection du grand Russe est extraordinaire. La réflexion du prince Mychkine, l'idiot qui n'est pas un idiot, mais plutôt un homme totalement sincère, sensible, dévoué au bien et donc incompréhensible, fait froid dans le dos. La célèbre exclamation, presque métaphysique, selon laquelle la beauté sauvera le monde est un avertissement pour nous, prisonniers d'une époque où la laideur est omniprésente et n'est même pas perçue comme telle. L'expérience d'une mort imminente sur les lèvres du plus vulnérable de ses personnages est hautement autobiographique. "Pour ceux qui savent qu'ils vont mourir, les cinq dernières minutes de la vie semblent interminables, une énorme richesse. À ce moment-là, rien n'est plus douloureux que la pensée incessante: si je ne pouvais pas mourir, si je pouvais ramener la vie, quel infini ! Et tout cela serait à moi ! Je transformerais alors chaque minute en un siècle entier, ne perdrais rien, chérirais chaque minute, ne gaspillerais rien !".

Mychkine n'est ni fou ni idiot : sa maladie est l'épilepsie, qui produit des expériences extrêmes, des flashs mystiques. Par la bouche du prince, Dostoïevski s'adresse à ses lecteurs, les regarde fixement dans les yeux et prononce des phrases entre hallucination et expérience mystique. "Il est venu à moi, Dieu existe. J'ai pleuré et je ne me souviens de rien d'autre. Vous ne pouvez pas imaginer le bonheur que nous, épileptiques, ressentons la seconde qui précède notre crise".

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Semblable est l'hallucination fiévreuse d'Ivan Karamazov, le plus tourmenté des trois fils de Fédor Pavlovic (plus le bâtard Smerdiakov, gonflé d'envie et de ressentiment légitime), "un type étrange, tel qu'on en rencontre souvent: non seulement le genre d'homme vil et dissolu, mais aussi imbécile; de ces imbéciles, cependant, qui savent mener brillamment leurs petites affaires, mais apparemment seulement celles-là". Ivan accepte de vivre sans valeurs morales, égaré, autosuffisant dans l'amoralité, en proie à une crise de toute-puissance, agité, mais jamais complètement nihiliste.

C'est la narration onirique du Grand Inquisiteur. Tout comme le sonnet Infini a assuré à lui seul une gloire impérissable à Giacomo Leopardi, le Grand Inquisiteur est un immense morceau de génie littéraire ainsi qu'un traité de philosophie morale et d'histoire, le sommet de l'œuvre de Dostoïevski. Jésus, le rédempteur en qui Ivan ne croit pas, revient sur terre, mais un vieux cardinal, l'Inquisiteur, l'arrête pour le faire tuer. "C'est toi ? C'est toi ? Ne répond pas, tais-toi ! D'ailleurs, que pouvais-tu dire ? Je sais trop bien ce que tu dirais. Mais vous n'avez pas le droit d'ajouter quoi que ce soit à ce que tu as déjà dit. Pourquoi es-tu venu nous déranger ? Je ne sais pas qui tu es, et je ne veux pas savoir si tu es Lui ou si tu lui ressembles, mais demain je te condamnerai, je te brûlerai sur le bûcher comme l'hérétique le plus impie. La faute de Jésus est d'avoir voulu apporter la liberté à une humanité incapable de l'utiliser. Pourquoi es-tu venu nous déranger ? Elle reste la question sans réponse du pouvoir de tous les temps face à la liberté, la pensée et la vérité.

Une œuvre de jeunesse très évocatrice est la nouvelle Les Nuits blanches, l'histoire délicate de la rencontre entre une jeune femme malheureuse, Nastenka - l'un des milliers de personnages humiliés et offensés, de vivantes figurines en mouvement - et un homme solitaire auquel elle éveille l'amour et le désir de vivre. La jeune fille éveille en lui la volonté de rompre avec un monde de fantasmes lugubres et illusoires, mais après quatre nuits, l'enchantement prend fin et l'homme retourne dans son antre de solitude.

A couper le souffle, le personnage de Kirillov, l'autre Démon, l'homme qui veut prouver la non-existence de Dieu par le suicide, symbole du nihilisme absolu, au-delà du bien et du mal, est gravé dans l'âme. Le présent a dépassé les Démons: la mort sans idée, sans cause, la mort sans amour, la vie comme un vice absurde. Le remède de Dostoïevski est un espoir tenace, puisque "l'Être existe et peut pardonner tout et tous". Comment le découvrir ? Avec quelque chose que l'écrivain, le philosophe, révèle à ceux qui désespèrent, qui sont sourds, aveugles, muets ou indifférents: "un simple brin d'herbe, une abeille aux fils d'or, témoignent instinctivement du mystère divin". Un hymne à la vie et à la beauté qui sauve.

Quelle distance par rapport à l'incipit angoissé des Mémoires du métro : "Je suis un homme malade. Un homme mauvais, un homme désagréable. J'ai peut-être une maladie du foie". Pas de bien-être matériel, pas de bonheur entre la science et la raison, encore moins de théories religieuses qui proposent de nobles idéaux de fraternité. Mais il existe une issue, un espoir qui se fraie un chemin au-delà du vide: la maladie du foie est physique, l'esprit peut, s'il le veut, rester pur. C'est la leçon apprise dans le froid glacial de la prison sibérienne qui fut longtemps la maison de Dostoïevski, avec seulement deux amis, un chien hirsute et un aigle blessé.

L'objectif de l'Allemagne post-Merkel: défendre la centralité en Europe

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L'objectif de l'Allemagne post-Merkel: défendre la centralité en Europe

Andrea Muratore

Ex: https://it.insideover.com/politica/lobiettivo-della-germania-post-merkel-difendere-la-centralita-in-europa.html

Après les élections du 26 septembre, l'Allemagne va vivre les dernières semaines du long règne d'Angela Merkel, assister à la définition des orientations politiques du nouveau gouvernement et à la discussion sur la nature avec laquelle il prendra les rênes d'une nation au centre du Vieux Continent.

Bien que les hésitations, les erreurs de jugement et quelques objectifs propres (par exemple sur les vaccins) n'aient pas manqué au cours de cette longue année et demie de pandémie, le Covid-19 a incontestablement renforcé la centralité de l'Allemagne en Europe, en tant que sujet capable d'orienter les dynamiques politiques et économiques du Vieux Continent et d'acquérir un pouvoir fondamental de médiation.

Chaque décision prise par la Commission et les États membres a été marquée d'une empreinte allemande à partir de mars 2020. Dans un premier temps, l'Union européenne a promu le triptyque du Mécanisme européen de stabilité, de la Banque européenne d'investissement et du paquet "chômage sûr" de la Commission contre la crise économique. Elle a ainsi ouvert la voie à l'intervention de trois institutions dirigées par l'Allemagne. Puis Merkel, selon un axe la liant au ministre social-démocrate des finances Olaf Scholz, a arbitré entre les instances plus extrémistes des faucons de la rigueur, les Pays-Bas de Mark Rutte en tête, et les craintes des pays méditerranéens pour mettre sur le terrain le fonds européen Next Generation, en attendant toutefois qu'il entre en vigueur après que les effets des "bazookas" économiques internes aient pu se faire sentir, bien lancés par un gouvernement décidé à dire adieu au mantra de l'austérité.

En contrepartie, Merkel, par l'intermédiaire d'Ursula von der Leyen, a géré l'européanisation des achats du vaccin Pfizer-Biontech promu avec des capitaux allemands, commettant une erreur à laquelle, après le chaos de février et mars, elle a répondu par un acte unilatéral de commande massive et par une "guerre" voilée contre le vaccin AstraZeneca de technologie britannique.

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Olaf Scholz semble destiné à succéder à une Chancelière dont il a affirmé être l'héritier le plus apte, bien qu'extérieur à l'Union Cdu/Csu. Mais s'il succède à Merkel, il va de soi que Scholz et un éventuel gouvernement (libéral) Spd-Verts-Fdp devront s'appuyer sur la voie tracée par la chancelière, notamment en ce qui concerne le maintien de la centralité de la médiation allemande en Europe.

Comme nous nous en souvenions en discutant avec l'analyste géopolitique Gianni Bessi, Merkel était l'incarnation du syncrétisme allemand, une unité dans la diversité qui permettait à la dirigeante chrétienne-démocrate d'être le point de synthèse de la Grande Coalition avec les socialistes, de la confrontation entre l'aile austéritaire et l'aile plus keynésienne de l'économie allemande, du dialogue entre l'Allemagne catholique et l'Allemagne protestante, du dualisme entre la capitale politique Berlin et la capitale économique Munich. Comme il est typique de chaque élection proportionnelle, le vote a certes montré l'émergence de différentes identités politiques mais, comme l'a déclaré l'ambassadeur allemand à Rome, Viktor Elbing, à Il Giornale, le centre influencé par la pensée Merkel sur le front politique, économique et des valeurs (à des degrés divers parmi les différents partis) a montré un consensus de 85%. Le professeur Salvatore Santangelo, auteur de GeRussia, y voit un symbole de l'équilibre du pays après la réunification. Contacté par InsideOver, il rappelle que "l'Allemagne a une histoire d'unité beaucoup plus courte que celle de la France, du Royaume-Uni et de l'Espagne, mais ces pays ont été attaqués par des tensions ou des poussées identitaires beaucoup plus difficiles à supporter que n'importe quelle ligne de faille qui a jamais traversé l'Allemagne, qui a la volonté perpétuelle de faire évoluer un compromis entre les composantes catholique et protestante. Bien sûr, il reste la profonde divergence économique et politique entre l'Est et l'Ouest, que le vote a une fois de plus clairement mise en évidence".

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Scholz pourrait donc se voir confier la lourde et considérable tâche de porter le projet du nouveau Chancelier à l'intérieur et surtout à l'extérieur, à la tête d'un parti de gauche aux divisions internes importantes qui s'est uni autour de lui. Façonner les nouvelles versions de ce compromis et de cette polyphonie qui régissent l'Europe allemande. Dans les années à venir, l'Allemagne devra recalibrer sa relation avec les Faust de l'austérité, dont elle a été le Méphistophélès, à moins qu'elle ne revienne à la raison pour des raisons pragmatiques et pour éviter un nouveau crash; elle devra établir un modus vivendi avec la France, dont elle craint une crise politique profonde après le vote présidentiel; elle tentera de renforcer sa sphère géo-économique et se tournera vers le groupe de Visegrad et l'Italie, cruciaux pour la base industrielle germanique. En même temps, il s'agira d'orienter l'évolution des traités européens en visant à sauver la chèvre et le chou, c'est-à-dire le récit d'une Europe ouverte au marché et à l'économie libérale ainsi que la gestion des conséquences d'un échec patent des lignes plus rigoureuses des traités.

De tels scénarios nécessiteront un capital politique considérable pour négocier, gérer et gouverner les crises du futur tout en réaffirmant la puissance civile de l'Allemagne et sa centralité sur le Vieux Continent. Orphelin d'une Merkel qui voit en Mario Draghi son héritier dans le domaine communautaire et qui attend son successeur à la Chancellerie pour le voir mis à l'épreuve. Cela ne s'arrêtera pas à Merkel, l'Europe allemande. Mais dans une phase où des défis nouveaux et complexes apparaissent, Berlin devra se montrer de plus en plus hégémonique et médiateur. Un double rôle difficile à gérer sans la longue et perspicace expérience du Chancelier.

Sur la signification politique du "passeport vert" en Italie

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Sur la signification politique du "passeport vert" en Italie

par Andrea Zhok

Source : Sfero & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/sul-significato-politico-del-lasciapassare-verde

Pour comprendre le sens de la protestation contre l'imposition du "Green Pass" (GP), il faut comprendre sa nature hybride.

Deux motivations différentes, mais compatibles, convergent dans cette protestation.

1) La "dissidence cognitive"

La première ligne de protestation est liée à ce que nous pouvons appeler un "scandale épistémique", c'est-à-dire la perception par un nombre limité de citoyens de l'insuffisance flagrante des motivations qui devraient justifier l'introduction de la "certification verte". Cette inadéquation a interpellé certaines personnes pour des raisons tant juridiques que sanitaires. Ce groupe comprend principalement des personnes qui avaient des raisons professionnelles ou personnelles d'enquêter elles-mêmes sur la question, par exemple parce qu'elles sont des universitaires ou parce qu'elles devaient décider de la vaccination de leurs enfants, etc.

Ici, pour tout résumer, il y avait et il y a la perception claire que la législation fusionnée dans l'institution du Passeport Vert était incompatible avec les effets qu'elle prétendait vouloir atteindre, était disproportionnée et discriminatoire, alimentait un type d'intervention sanitaire ("le vaccin est le seul salut") qui était manifestement erroné et contre-productif.

Le camp opposé à ce groupe est représenté par tous ceux qui ont fait et font encore confiance aux enseignements des médias grand public et aux rapports des autorités scientifiques nationales, malgré les contradictions massives qu'elles ont rencontrées.

Pour des raisons évidentes, le nombre de "dissidents cognitifs" est une infime minorité: comme toute étude approfondie demande du temps et des compétences, ceux qui se fient aux voix officielles sont structurellement majoritaires, et cela, depuis toujours.

Cette lecture "cognitive", bien que cruciale d'un point de vue argumentatif, ne rend que partiellement compte de la nature de l'affrontement actuel.

La deuxième ligne de fracture devient explicite de nos jours.

2) Les antécédents

Sur la protestation "cognitive" contre les raisons de l'institution du "Pass Vert", s'est greffée une protestation sociale, liée à une dynamique claire, bien que non exprimée jusqu'à présent. Pour le comprendre, il est nécessaire de revenir sur l'évolution de la situation depuis le début de la pandémie. L'Italie, comme d'autres pays européens, mais dans un état plus critique que les autres, n'était jamais vraiment sortie des conséquences de la crise financière déclenchée par les prêts hypothécaires à risque. Le pays, déjà épuisé, avec des taux élevés de chômage et de sous-emploi, et des services publics en constante rétraction, à commencer par le système de santé, s'est retrouvé bloqué de force par un autre "coup du sort".

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L'incapacité des autorités à contrôler la propagation d'un nouveau virus et à en retracer les foyers, l'absence d'un plan d'urgence pandémique actualisé, la pathétique sous-estimation initiale de la situation (qui ne se souvient pas des campagnes de Zingaretti et Sala: "Milan ne s'arrêtera pas !"), avaient ouvert la boîte de Pandore d'une épidémie hors de contrôle, qui a eu un impact sérieux sur la fonctionnalité du système hospitalier, déjà en difficulté. La réponse a été un très long verrouillage/confinement national, qui a affecté de façon dramatique une économie réelle déjà en difficulté. Les "reliefs" ne couvraient que très partiellement les dégâts.

Après l'accalmie de l'été, au cours duquel le gouvernement s'est distingué par l'inanité de ses interventions (on se souvient tous de l'embarrassante rengaine des "bureaux roulants"), l'automne a ramené la crise sanitaire, plus forte qu'avant, avec cette fois-ci un confinement moins général, vu l'insoutenabilité évidente d'un confinement comme le premier. Pendant toute cette période, le secteur de la santé, qui avait le plus besoin d'un renforcement et d'une restructuration radicaux, est resté essentiellement paralysé. Il s'occupait exclusivement de la phase terminale de la maladie, cherchant à étendre les soins intensifs, et ignorant toute tentative sérieuse d'intervention précoce pour éviter d'entrer en soins intensifs. Pratiquement toutes les étapes fondamentales de la reconnaissance et du traitement de la maladie, de l'examen moléculaire du patient 1 aux autopsies qui ont révélé la dynamique thrombotique de l'affection, ont été franchies par des initiatives personnelles qui allaient à l'encontre des indications des protocoles officiels.

En termes économiques, cette situation a donné lieu à deux grands blocs de "perdants". Ceux qui ont continué à travailler, peut-être dans des secteurs considérés comme stratégiques, et qui l'ont fait dans des conditions de plus en plus difficiles, souvent sans protection sanitaire digne de ce nom, et puis ceux qui n'ont même pas pu travailler, perdant ainsi leurs principales sources de revenus.

Cette compression des conditions de travail et de rémunération avait pris le relais d'une situation déjà compromise par les années précédentes et aspirait à rétablir des conditions acceptables. L'urgence pandémique a non seulement réduit au silence toute aspiration à relever la tête, mais a poussé dans la boue nombre de ceux qui étaient restés à flot pendant les années de la crise financière. En Italie, cela s'est traduit par un résultat électoral déstabilisant jugé "anti-système", tandis que dans les pays voisins comme la France, le mouvement de protestation des "gilets jaunes" avait mis le gouvernement Macron au pied du mur. L'urgence pandémique a mis fin à tout cela, à toutes les rébellions et revendications sociales.

Pendant dix-huit mois, malgré la détérioration dramatique des conditions de vie d'une grande partie de la population, toute contestation sociale a été stérilisée à la racine par le caractère extraordinaire et d'urgence de la pandémie. Il y avait "bien d'autres choses" dont il fallait s'occuper.

Bien entendu, il n'est pas nécessaire de croire que la pandémie a été "créée avec art" pour obtenir des résultats si agréables aux grandes entreprises. En fait, la capacité à reconnaître le profil de ces états d'urgence et à les utiliser à son avantage est depuis longtemps une composante distinctive de la "gouvernance capitaliste". Le fond reste cependant le suivant: la condition d'urgence a permis aux secteurs les plus dématérialisés de l'économie, à commencer par la finance, de se maintenir en selle en améliorant leur position comparative, tandis que ceux qui vivaient de leur travail se sont retrouvés de plus en plus dépossédés, impuissants, limités dans leurs options et leurs conditions, alors qu'au nom de l'urgence aucune contestation n'était possible.

3) La Parousie du "pass vert"

Dans ce contexte, dans ce qui semblait être une phase de déclin de la pression pandémique, la proposition du "Pass Vert" est venue de nulle part. Rappelons que le GP italien a été proposé à une époque où les hôpitaux étaient vides et où 57% de la population s'était déjà spontanément vaccinée. Le geste implicite dans la mise en place du GP est donc celui d'anticiper une éventuelle nouvelle crise.

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Le problème, cependant, est qu'une telle stratégie crée en même temps les conditions d'une crise, en faisant passer le faux message que la vaccination préserve soi-même et les autres, et que la vaccination seule est la seule solution (tout en maintenant de force le système de santé publique sans protection). Au lieu de chercher la voie du bon sens d'une approche plurielle, axée sur différentes stratégies d'endiguement, le GP a servi à envoyer un message sans ambiguïté: le vaccin est la seule voie de salut national, et ceux qui s'y soustraient sont des déserteurs.

Le GP devient ainsi un moyen de prolonger et d'entretenir l'esprit d'urgence, le sentiment de menace naissante, et en même temps un moyen de soumettre volontairement la population à un moyen de contrôle et d'évaluation de sa propre conduite (une sorte de citoyenneté conditionnelle de bonne conduite).

En substance, le GP fonctionne comme un pont vers une extension du contrôle social, comme une garantie que toute protestation sociale éventuelle pourra être maintenue enchaînée à l'avenir. Après tout, seuls ceux qui se conforment peuvent aller travailler. En ne tenant pas compte de cette exigence, les esprits les plus critiques, les plus méfiants, les plus indépendants et les plus combatifs ont tendance à se dénoncer eux-mêmes. Le monde social se déploie sous nos yeux en créant les clivages orthodoxe/hétérodoxe, insider/outsider.

Beaucoup ont fait valoir que le GP est une mesure temporaire, visant à atteindre un objectif spécifique. Cet argument aurait été plus convaincant si quelqu'un avait mis noir sur blanc les conditions exactes dans lesquelles nous pouvons retirer cet instrument. Face à l'idée d'un instrument pour un objectif spécifique, la question qui doit être posée est la suivante: quel objectif ? Peut-être la "défaite du virus" ? Mais si c'est le cas, tout ce que nous savons nous indique que le virus restera endémique, et qu'il n'y aura donc jamais de jour où nous célébrerons l'extinction du virus. Et l'on peut toujours faire jouer un virus en circulation, avec un système de santé fugitif, comme une menace latente, contre laquelle la population est appelée à prouver sa fiabilité, peut-être en se soumettant à des conditionnalités supplémentaires. Sera-ce la troisième dose du "vaccin"? Ou peut-être la quatrième dose d'un vaccin "actualisé"? Et pourquoi faudrait-il arrêter les inoculations?

La vérité est que la seule véritable raison pour laquelle le GP pourrait rester une mesure temporaire est que (et tant que) il y a un défi important à relever, un défi qui crée un coût économique et politique pour le maintenir. Le jour où tout le monde décidera, pour le bien de la paix et de la tranquillité, de l'accepter ("Après tout, où est le mal ? Allez, c'est un outil utile !"), une autoroute sera ouverte à la possibilité d'étendre ses fonctions (pour le bien de tous, bien sûr).

4) Perceptions émancipatrices et perceptions réactionnaires

Eh bien, je crois qu'une partie importante de la population, bien plus importante que les "dissidents cognitifs", perçoit ce dessein; elle ne le voit pas clairement, mais le perçoit sous une forme indistincte, mais cela suffit à l'inquiéter. Beaucoup de citoyens qui ont été pressés par les crises, et dont les plaintes ont été réduites au silence par le caractère continuellement "d'urgence" des situations, comprennent que se soumettre à un instrument qui sépare ceux qui sont "dedans" et ceux qui sont "dehors" avec des raisons essentiellement arbitraires est l'arme ultime pour briser le dos de toute résistance. Après tout, pour faire grève, il faut être en service, il faut travailler, mais celui qui n'adhère pas aux directives centrales, aussi arbitraires soient-elles, ne peut être en service, ne peut travailler. Le problème des dissidents, des "cocardiers", peut ainsi être tenu à distance en amont.

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Une partie essentielle de la population est en train de se rendre compte que l'enjeu est bien plus important, qu'après des mois d'indifférence à son égard, cette envie soudaine d'atteindre une "sécurité sanitaire absolue" est un acte instrumental. C'est surtout se rendre compte que près de deux ans après son apparition, avec plusieurs armes désormais disponibles contre ce virus, continuer à agir comme si le Covid-19 était le seul problème au monde, auquel tous les autres doivent être subordonnés et réduits au silence, est tout simplement une manipulation flagrante.

Mais attention, même ici, il est important de regarder l'autre côté en face. Ici, elle se compose de deux groupes distincts.

Le premier groupe est représenté par la partie de la population qui, soit par peur physique, soit par intérêt économique, est fixée sur un seul désir: que tout redevienne comme avant, coûte que coûte. La peur, qu'elle soit physique ou économique, qui s'est installée ces derniers mois a généré une impulsion qui aveugle et fait taire toute autre demande. L'attitude de base de cette (très grande) partie de la population peut se résumer à quelque chose comme : "Arrêtez de me casser les couilles, faites ce qui doit être fait, inclinez-vous si vous devez vous incliner, inoculez-vous si vous devez vous inoculer, parce que je ne veux pas revivre cette frayeur !".

Cette attitude, bien que psychologiquement compréhensible, est extrêmement dangereuse, comme l'ont toujours été les "grandes peurs" dans l'histoire, car une fois que quelque chose est érigé en une sorte d'"absolu négatif", on est prêt à piétiner n'importe qui, à écraser tout ce qui nous est présenté comme "favorisant" cet absolu négatif. Ici aussi, la peur crée des conditions particulières d'abaissement des défenses critiques et donc d'obturation pure et simple.

À côté de ce groupe, il en existe un second, petit mais très influent, représenté par ceux qui sont toujours sortis en selle, voire en position d'avantage, des crises passées et qui nourrissent sciemment tout type d'initiative pouvant garantir le maintien du statu quo, toute législation garantissant la disparition du conflit, la "paix sociale". Même dans un cimetière.

mardi, 12 octobre 2021

Xi Jinping et Ezra Pound

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Xi Jinping et Ezra Pound

Ex: https://www.lintellettualedissidente.it/controcultura/letteratura/pound-cina-xi-jinping/

Pound nous a appris, il y a un siècle, tout ce que nous devons savoir sur la Chine. Nous ne l'avons pas pris au sérieux et ses livres sur Confucius, l'idéogramme et la culture chinoise sont introuvables.

Eugenio Montale a également traité de la Chine. Il l'a fait, semble-t-il, distraitement, par devoir éditorial ; c'était en 1963, quand il écrivit l'introduction aux Liriche cinesi éditées par Giorgia Valensin pour la Nuova Universale Einaudi. Dans ce cas, peu à l'aise parmi les dragons, les taoïstes et les écrans, le regard de Montale n'est pas celui d'un poète - donc d'un visionnaire - ; il se limite à broder entre les fulgurances poétiques: "Aussi limpides soient-ils, [ces poèmes] échappent au nouveau mètre que l'ère chrétienne a donné au monde occidental, et peut-être pas seulement à celui-ci. Ce n'est pas seulement qu'il leur manque cette humanisation du temps et de la nature et cette déification de la femme qui sont typiques de la poésie lyrique européenne; c'est plutôt qu'ici, comme dans le miracle de la sculpture égyptienne et, à un moindre degré, dans celui de l'art grec, l'homme et l'art tendaient vers la nature, étaient la nature; tandis qu'ici, et depuis de nombreux siècles, la nature et l'art tendent vers l'homme, sont devenus l'homme". Tout est beau, limpide, désincarné de la vie, de l'histoire, comme si la poésie était extra-mondaine, dans un sanctuaire, quelque chose pour les poètes en voie d'extinction: en République populaire de Chine, pendant ce temps, nous étions au seuil de la Grande Révolution culturelle prolétarienne. C'était dévastateur.

51pZwYTwoNL._SX389_BO1,204,203,200_.jpgEt pourtant, aux côtés de Montale, qui était rentré en Italie quelques années plus tôt, se trouvait Ezra Pound. Comparé à presque tous les intellectuels et poètes de son époque, Pound était obsédé par la Chine. Bien sûr, il s'agissait d'une obsession, au départ, essentiellement formelle : Pound est né poète, en substance, avec Cathay (1915), une traversée révolutionnaire de la poésie chinoise classique, qu'il avait découverte quelques années plus tôt, en compagnie de William B. Yeats, en trafiquant des ruines littéraires asiatiques.

    Avec le dégel, les eaux brisent la glace.
    au centre de Shoku, ville fière.

    Le destin des hommes est déjà scellé
    Inutile de consulter les devins.

Pound poursuit ses recherches en étudiant Ernest Fenollosa, éminent sinologue et - excellence non négligeable - professeur de politique économique à l'Université impériale de Tokyo : L'ideogramma cinese come mezzo di poesia (Scheiwiller 1960 ; 1987) est traité par "Ez" comme un traité esthétique (la doctrine de l'Imagisme, pour le moins, en découle: rapidité idéogrammatique de l'image/sens/sensation). L'histoire, la culture et la poésie chinoises font partout irruption dans les Cantos, en particulier dans la section "Rock-Drill" ; lorsque, le 3 mai 1945, les partisans l'emmènent à Sant'Ambrogio, le poète "met dans sa poche le volume de Confucius qu'il est en train de traduire et les suit" : ce sera sa seule lecture dans l'atroce cage pisane, le seul réconfort dans les abominables années d'emprisonnement, presque l'inspiration d'une discipline, l'extrait. La même année, Pound avait publié un texte de Confucius, L'asse che non vacilla (L'axe qui ne vacille pas), chez l'éditeur Edizioni Popolari de Venise, "qui fut presque entièrement incendié immédiatement après la Libération parce qu'il était suspecté de propagande en faveur de l'axe Berlin-Rome-Tokio". Dans un Postscriptum au Guide to Kulchur, Pound conseille d'utiliser "comme sextant", c'est-à-dire comme orientation élémentaire et suffisante, Homère, "les tragédiens grecs", la Divine Comédie ; mais avant tout, par-dessus tout, il faut lire "Confucius et Mencius", car "ils contiennent les solutions à tous les problèmes de conduite qui peuvent se poser".

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Aujourd'hui - je veux dire, depuis quelques années - depuis que la Chine fait peur, depuis que Xi Jinping semble être devenu le dragon capable d'anéantir les dragons européens et de bailler à la face des États-Unis, il est bon de se rappeler que, depuis plus d'un siècle, le poète nous ordonne de regarder vers l'Est ; que, depuis plus d'un siècle, Pound nous indique la voie à suivre : regarder la Chine, étudier ses textes sacrés, traduire Confucius, le pilier de l'éthique et de la politique chinoises. Qu'est-ce que cela peut faire? La fusion paradigmatique entre le gouvernement de soi et le gouvernement d'un État, d'un peuple ; la conception du rituel et de la tradition ; la poésie comme acte pur, un geste qui réconcilie la Terre avec le Ciel ; la posture aristocratique - voire impitoyable - dans la poursuite de l'harmonie; le ren, la "qualité humaine", le "sens de l'humanité".

    "L'homme véritable cherche tout en lui-même, l'homme mesquin cherche à tout obtenir de quelqu'un d'autre".

    "L'homme rusé ne reconnaît pas les décrets du ciel, il est impertinent avec les grands hommes et méprise les paroles des sages".

    "Ne pas connaître les mots signifie ne pas posséder le fluide nécessaire à la connaissance des hommes".

Il s'agit de quelques fragments des Analectes, recueillis par Pound en 1951 et traduits par Scheiwiller - édité par sa fille, Mary de Rachewiltz - en 1995 : un recueil extraordinaire pour comprendre la Chine aujourd'hui plus qu'hier. Dans The Classic Anthology defined by Confucius (Harvard University Press, 1954), en revanche, Pound a travaillé à travers l'immense répertoire de poèmes classiques, canonisés par Confucius. Le livre a été publié sous le titre L'antologia classica cinese (L'Anthologie classique chinoise), bien sûr, par Scheiwiller ; il a été édité par Carlo Scarfoglio, ancien rédacteur de La Nazione et de Il Mattino, fils de Matilde Serao, auteur, dans ce contexte, entre autres, d'une Apologia del traduttore plutôt passionnée :

    "J'ai traduit une vingtaine d'Odes il y a quelques années, lorsque, ayant vu, avec Marie, la fille du poète, échouer tous les efforts imaginés pour créer une atmosphère de meilleure justice autour du poète, victime d'accusations dont la fausseté n'est plus à démontrer, je me proposais d'essayer au moins de le réconforter dans son emprisonnement, en traduisant quelques-unes des Odes, en m'efforçant de les publier dans quelque revue, puis en lui en envoyant des extraits, afin qu'il reçoive du monde extérieur la preuve qu'il était encore aimé et admiré pour son œuvre humaniste la plus belle et la plus pure".

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Il a même compris, Pound, que la pratique éthique peut être coercitive : que l'on tue avec le sourire, pour le plus grand bien. Il a tout compris, en fait. Bien sûr, ces livres, comme les études de Pound sur la culture chinoise, ont disparu de l'édition conventionnelle.

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Et pourtant, en 1974, peu après la mort de "Ez", Feltrinelli publia une étude de Girolamo Mancuso - traducteur, entre autres, de Tagore et de tous les poèmes de Mao Tse Toung - sur Pound et la Chine, destinée à disséquer "le chemin de Pound vers la Chine... mais aussi une reconstruction rigoureuse de l'itinéraire idéologique menant de Confucius à Mussolini". Cela aussi a disparu. Il ne reste donc plus qu'à s'agiter, à spéculer sur Xi, le "géant chinois" et à entonner le bla bla irrité par cette nouvelle; on continue à perpétuer l'"actualisme" à l'égard d'un pays qui raisonne par plans séculaires, sur l'obusier des millénaires.  

"Si nos universités valaient un sou, elles auraient fait quelque chose... Des millions ont été dépensés pour abrutir l'éducation. Il n'y a aucune raison, en dehors de l'usure et de la haine des lettres, de priver quelques centaines de poèmes au moins et le Ta Hio d'une édition bilingue... L'infamie du système monétaire actuel ne s'arrête pas à la mauvaise alimentation des masses ; elle s'étend jusqu'aux recoins les plus reculés de la vie intellectuelle, même là où les lâches se sentent en sécurité, même si les hommes de faible vitalité croient qu'on ne meurt pas d'ennui. L'état des études chinoises en Occident est vomitif et sordide... les professeurs anglais et américains sont des taupes".

C'est ce qu'a écrit Pound, il y a de nombreuses années. Nous avons préféré, une fois de plus, ne pas croire le voyant, le poète.

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Le transatlantisme numérique

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Le transatlantisme numérique

Ex: https://katehon.com/ru/article/cifrovoy-transatlantizm

L'UE et les États-Unis élaborent actuellement des approches communes en matière de commerce électronique et de technologies similaires. Pour l'instant, il y a un conflit d'intérêts, mais Washington veut promouvoir ses entreprises sur le marché européen.

Le 15 décembre 2020, la Commission européenne a présenté la loi sur les marchés numériques ("Digital Market Act", DMA). Proposé parallèlement à la loi sur les services numériques ("Digital Services Act", DSA), ce train de mesures visait à modifier les modèles commerciaux de manière à ce qu'ils soient susceptibles d'empêcher les géants américains de la technologie d'accéder au marché européen, à savoir Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (GAFAM).

La DMA est une continuation historique de la politique de concurrence ex ante qui complétera le cadre juridique existant de l'Union européenne pour la réglementation de la concurrence basée sur des preuves au cas par cas. La DMA part de deux hypothèses : la politique de concurrence actuelle n'a pas permis d'obtenir le résultat souhaité, à savoir une position dominante de la taille, de la portée et du rôle nécessaires, dans le comportement perçu comme dominant des grandes entreprises américaines en ligne ; et la discipline des pratiques commerciales des grandes plateformes technologiques américaines est nécessaire pour que l'Europe améliore ses performances dans l'espace numérique. De nombreux politiciens et le monde des affaires aux États-Unis considèrent cette proposition comme une attaque directe contre les entreprises américaines qui seraient trop grandes - et trop prospères en Europe. D'un autre côté, la Commission européenne semble convaincue qu'une nouvelle structure réglementaire provisoire dans le cadre de la DMA créerait des possibilités pour les entreprises technologiques européennes de se développer et de devenir plus compétitives au niveau mondial - un point de vue que la Commission énonce sur un ton catégorique, mais qui semble peu probable.

La déconnexion réglementaire des géants technologiques américains via la DMA pourrait avoir des conséquences inattendues pour les entreprises et les consommateurs européens, ainsi que pour la position stratégique de l'Europe vis-à-vis de la concurrence chinoise à l'avenir. C'est du moins ce que pensent les experts américains. Et ils utiliseront la "menace chinoise" (russe, iranienne, etc.) comme un épouvantail pour prendre pied sur le marché européen.

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Telle qu'elle est proposée, la DMA modifierait le système de droit européen de la concurrence au profit des fonctionnaires européens et des concurrents chinois subventionnés. Les responsables européens ont défendu la DMA comme un outil permettant d'atteindre la souveraineté technologique dans l'Union européenne, et ils ont ouvertement identifié les plates-formes technologiques américaines à succès comme les cibles visées par la DMA. Au contraire, ces règles devraient être examinées et révisées si nécessaire pour s'assurer qu'elles ne constituent pas des mesures discriminatoires et injustes de protectionnisme industriel qui, si elles étaient adoptées, pourraient violer les obligations commerciales de l'Europe au sein de l'Organisation mondiale du commerce.

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En tant que rapporteur désigné par le Parlement européen pour la DMA et coordinateur du Parti populaire européen à Bruxelles, le député européen (MPE) Andreas Schwab (photo) dirige l'élaboration de la position du Parlement européen sur la législation proposée. Schwab a appelé à plusieurs reprises à la nécessité de limiter le champ d'application de la DMA aux entreprises non européennes. En mai 2021, Schwab a déclaré: "Concentrons-nous d'abord sur les plus gros problèmes, les plus gros goulets d'étranglement. Faisons un, deux, trois, quatre, cinq - et peut-être six avec Alibaba. Mais ne commençons pas par le numéro sept pour inclure un gardien européen juste pour faire plaisir [au président américain Joe] Biden". Le rapport Schwab, publié en juin, a réduit le champ d'application initial de la DMA et augmenté les seuils, ce qui signifie que la DMA ne s'appliquerait pas aux entreprises non américaines, telles que celles dont le siège est en Europe Booking.com. Les États-Unis ont déclaré que ce "ciblage discriminatoire des entreprises américaines, en violation des engagements pris par l'Europe dans le cadre de l'OMC, remet en question l'engagement global de l'Europe en faveur des règles du système commercial multilatéral telles qu'elles s'appliquent aux plateformes technologiques, aux services numériques et à l'économie numérique".

Une méthode plus équilibrée a été adoptée par Dita Charanza, vice-présidente du Parlement européen, qui a appelé à une approche transatlantique commune de la réglementation numérique pour contrer la Chine, en déclarant : "Nous devons dire la vérité : ces propositions [DMA et DSA] visent les entreprises américaines. Ces entreprises sont à la fois aimées et détestées, mais personne ne peut nier qu'elles sont vitales pour l'économie européenne."

La création du Conseil du commerce et de la technologie UE-États-Unis (TTC), annoncée lors du sommet États-Unis-UE du 15 juin 2021 dans le but de mener "une transformation numérique [de l'Europe] fondée sur la valeur", selon un communiqué de presse de la Commission européenne, devrait être un lieu central pour travailler sur de nombreuses questions soulevées dans le document. Selon la déclaration du sommet bilatéral, les principaux objectifs de la CTT sont notamment de "trouver un terrain d'entente et de renforcer la coopération mondiale en matière de technologie, de technologies numériques et de chaînes d'approvisionnement" et de "promouvoir la coopération et, si possible, la convergence des politiques de réglementation et d'application". La TTC est coprésidée par la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, le commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis, le secrétaire d'État américain, Anthony Blinken, la secrétaire américaine au commerce, Gina Raimondo, et la représentante américaine au commerce, Catherine Tigh. L'un des principaux objectifs du CTT est de "promouvoir la coopération en matière de politique réglementaire et de mise en œuvre et d'encourager l'innovation et le leadership des entreprises européennes et américaines".

Il y aura 10 groupes de travail dirigés par les départements, services et agences concernés, notamment : la coopération sur les normes technologiques (intelligence artificielle et Internet des objets, entre autres technologies émergentes) ; le climat et les technologies vertes ; la gestion des données et les plateformes technologiques ; l'abus des technologies qui menacent la sécurité et les droits de l'homme ; la vérification des investissements ; la promotion de l'accès et de l'utilisation des technologies numériques. En parallèle, il y aura un dialogue conjoint sur la politique de concurrence en matière de technologie, qui "se concentrera sur les approches de la politique de concurrence et de son application ainsi que sur le renforcement de la coopération dans le secteur de la technologie".

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Bien que l'organisation et les sujets qui seront abordés par les groupes de travail de la CTT et le dialogue sur la concurrence soient encore préliminaires, la question des plateformes en ligne est susceptible d'être incluse dans les discussions de tous les différents groupes de travail. Il sera important que les fonctionnaires discutent des implications politiques des règles des plateformes telles que la DMA dans tous les groupes de travail concernés. Par exemple, le groupe de travail sur la facilitation de l'accès et de l'utilisation du numérique est susceptible de tenir des discussions sur le rôle des grandes plateformes dans le soutien et la restriction de l'accès aux outils numériques pour les PME.

Lors du sommet États-Unis/Union européenne, l'administration Biden a soutenu l'objectif de l'Union européenne de mettre en place une TTC bilatérale, dont les objectifs sont ambitieux. La complexité de l'économie numérique transatlantique, en constante évolution, et les résultats relativement faibles de l'Europe en matière de formation des leaders technologiques mondiaux à ce jour rendent pertinents des progrès concrets en matière de coopération et de partenariat transatlantiques sur l'économie numérique. En lançant le TTC, les États-Unis et l'Union européenne se sont engagés à coordonner leurs efforts pour relever les défis économiques communs, notamment les "pratiques économiques coercitives" de la Chine. La secrétaire américaine au commerce, Mme Raimondo, a souligné l'importance d'une plus grande coordination dans la zone DMA. Les réunions du secteur privé organisées en marge du sommet ont souligné l'importance de la coopération commerciale, notamment en matière de flux de données et de politique de concurrence.

La proposition de la DMA fait partie d'une série d'initiatives que l'Union européenne poursuit pour renforcer sa position de pionnier en matière de normes et de définition de l'agenda de la réglementation technologique mondiale. Nous ne pouvons ignorer le fait que de nombreux Européens considèrent le paquet DMA comme faisant partie intégrante des ambitions de l'Union européenne en matière de "souveraineté technologique" européenne, l'objectif global étant d'établir des systèmes indépendants et autonomes dans un large éventail de domaines, mais surtout dans le secteur numérique.

Comme le président français Macron a décrit ses intentions, "si nous voulons atteindre la souveraineté technologique, nous devrons adapter notre droit de la concurrence, qui a peut-être été trop exclusivement axé sur le consommateur et pas assez sur la protection des champions européens". Et ces sentiments peuvent être en contradiction avec les objectifs de coopération plus ambitieux de la TTC. Le fait que l'Europe ait réussi à assumer le rôle de législateur mondial des normes de protection de la vie privée dans le cadre du GDPR a donné de la force à Bruxelles qui cherche à contrôler davantage les pratiques commerciales des entreprises américaines prospères.

La politique de concurrence - en ce qui concerne les plates-formes numériques - faisant l'objet d'un examen des deux côtés de l'Atlantique, les États-Unis estiment qu'il existe une opportunité unique de coopération réelle. Elle estime qu'un élément clé du TTC devrait être des améliorations concertées dans la proposition de DMA pour garantir que les engagements multilatéraux clés sur la transparence, la procédure régulière, le traitement national et la non-discrimination inscrits dans l'OMC continuent d'être respectés par les régulateurs européens dans l'espace numérique.

Étant donné que les États-Unis ont l'habitude de mener des guerres par d'autres moyens, il est probable qu'ils seront en mesure d'aplanir les conflits d'intérêts existants autour des géants américains de l'informatique.

US - perte de confiance: la seule garantie de la sécurité d'un pays est son armement nucléaire

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USA - perte de confiance: la seule garantie de la sécurité d'un pays est son armement nucléaire

Sergueï Tcherniakhovski

Ex: https://zavtra.ru/blogs

Si l'on en croit les informations relatives au refus du chef du parti communiste chinois, Xi Jinping, d'avoir un entretien personnel avec le président Biden, ce moment semble faire date. Malgré l'adoucissement des commentaires, la mention du fait que l'évocation d'une rencontre en face à face est intervenue après une longue conversation téléphonique et la promesse de prochaines conversations téléphoniques, une chose est indéniable : M. Biden a personnellement demandé à Xi Jingping une rencontre en face à face et celui-ci a refusé. Sa réponse a été du genre: "Si vous avez des questions, appelez-moi. Je vous parlerai si j'en ai l'occasion".

Nouveau jour

Le style n'est pas celui d'une conversation entre le leader de la première puissance mondiale, que l'on pensait être les États-Unis, et le leader de la deuxième puissance mondiale, rôle pour lequel la Chine a déjà été reconnue. Ce n'est pas non plus une conversation entre égaux. Il s'agit d'une conversation entre un leader mondial à la retraite et son futur successeur. Une conversation dans laquelle il y a encore de la politesse formelle, mais plus de respect. Il n'y a pas d'attitude d'importance particulière.

Et cela ne semble pas être une manifestation de l'arrogance chinoise, ni simplement l'attitude des forts envers les faibles. Et ce n'est même pas une conséquence de la défaite des États-Unis en Afghanistan : c'est une conséquence de la façon dont les États-Unis sont partis - en trahissant leurs alliés et leurs clients. Il s'agit d'une perte de respect, mais pas seulement de cela - il s'agit surtout d'une perte de confiance. Les discussions avec le président américain perdent de leur valeur parce qu'elles perdent leur sens: les négociations sont nécessaires pour se mettre d'accord sur quelque chose, mais à quoi bon se mettre d'accord s'il n'y a aucune garantie que les accords seront mis en œuvre ? On ne sait pas si le président américain a le pouvoir réel de faire appliquer ce qu'il a promis, ni s'il tiendra lui-même ses promesses vingt-quatre heures après la conversation.

Ce moment - le moment de la perte de confiance dans "la seule superpuissance" - est bien sûr humiliant et tragique pour cette "superpuissance", mais surtout, il est tout simplement dangereux pour le reste du monde. De plusieurs façons.

Tout d'abord, il s'avère qu'il s'agit d'une perte de confiance dans les États-Unis dans leur rôle de garant, y compris pour la sécurité de leurs propres clients. Si les clients du suzerain ne peuvent plus confier leur sécurité à leur suzerain, ils doivent soit chercher un nouveau suzerain, soit former de nouvelles alliances autour des centres secondaires d'hier, soit essayer d'acquérir eux-mêmes une valeur similaire.

Cette situation est similaire à celle d'un empire médiéval où le pouvoir royal s'affaiblit et où chaque souverain régional commence à redéfinir et à redimensionner sa place dans le système politique. Et la réévaluation du pouvoir et la redistribution de l'influence commencent.

Lorsque l'URSS s'est retirée de la scène mondiale, ses ex-alliés ont rapidement prêté serment d'allégeance aux États-Unis. La chute d'un pilier de l'ordre mondial a été une catastrophe géopolitique, mais elle n'a pas entraîné l'effondrement de l'ordre mondial, malgré la vague de guerres régionales. Certains contours généraux ont été conservés à la fois parce qu'ils étaient habituels et parce qu'ils étaient fondés sur le pouvoir et l'influence de la superpuissance restante et sur la confiance dans ce pouvoir et cette influence.

Il y avait une constante : il était sûr d'être avec les États-Unis, dangereux d'être contre les États-Unis, parfois même mortel. Les règles étaient claires.

Maintenant, cette constante a disparu. Et il n'y a personne pour assumer le rôle d'un nouveau suzerain mondial.

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Avant même la perte de confiance dans le suzerain, plusieurs centres revendiquaient un rôle limité mais indépendant : l'UE et le monde islamique dans son ensemble, la Chine, l'Inde et la Russie. Les États-Unis, qui conservent leur statut de "superpuissance unique", ont déjà dû tenir compte de leurs revendications dans une certaine mesure, même si, dans l'ensemble, ils continuent à rester dans le champ de leur domination. Ces mondes et centres étaient divisés de manière plus fractionnée : l'Allemagne, la France et l'Angleterre en Europe ; la Turquie, l'Arabie, l'Iran et l'Égypte dans le monde de l'Islam, plus les mouvements islamiques supranationaux qui s'y trouvent ; le Japon, les deux Corées et le Vietnam en Extrême-Orient - et ainsi de suite. Mais cette configuration était de toute façon définie par le champ de domination américain.

La perte de confiance détruit la dominance. Les clients ne commenceront peut-être pas à se disperser par défi - mais ils se cacheront déjà les yeux et saboteront les décisions de leur suzerain, cherchant des occasions de le trahir, car ils ne croient pas qu'il ne les trahira pas.

La disparition de la dominance élimine également le champ de configuration, ce qui signifie que les nœuds de configuration qui se sont développés dans l'ancien champ de dominance perdent de leur importance et adoptent désormais un nouveau modèle.

D'une part, la régionalisation de ces modèles est inévitable ; d'autre part, de nouveaux facteurs d'association apparaissent.

L'annulation par l'Australie de contrats avec la France pour la construction de sous-marins nucléaires est l'une des étincelles du processus. D'une part, l'Australie se distancie du centre européen, ainsi que de l'OTAN en tant que centre de pouvoir supra-continental. D'autre part, elle entre dans une nouvelle configuration de pouvoir : États-Unis, Royaume-Uni, Australie - entité anglo-saxonne sans le Canada et la Nouvelle-Zélande. Et cette dernière déclare déjà qu'elle n'ouvrira pas l'accès de ses ports aux sous-marins australiens. Et les États-Unis forment ainsi une alliance intérieure plus étroite que l'OTAN, comme s'ils anticipaient la future infidélité de l'Europe.

Dans une relation complexe avec l'hégémon d'hier, se pose la question de la reconfiguration de l'Amérique du Sud, où l'hégémon a réussi à affaiblir les puissances les plus fortes - Argentine et Brésil - et où l'influence chinoise s'est sans cesse accrue.

L'affaiblissement de l'influence du champ américain modifie le rôle du Japon et sa prétention à un rôle centenaire dans la région. Mais la demande d'unification de la Corée se développe également à partir d'ici, où le Nord et le Sud sont tout aussi antijaponais. Si cela se produit, un nouveau leader régional verra le jour, avec une population de près de 80 millions d'habitants, des armes nucléaires, une armée d'un million et demi de soldats, une industrie moderne, une technologie de pointe et une main-d'œuvre bon marché dans le Nord.

Le retrait des États-Unis d'Afghanistan et l'affaiblissement de leur influence au Pakistan créent en soi de nouveaux prétendants au pouvoir dans ce pays également. Alors que la Chine s'intéresse de plus en plus au Pakistan, l'Iran et l'Inde, qui ont les coudées franches, intensifient leur rivalité et cherchent des alliés régionaux, tandis que les républiques d'Asie centrale, principalement l'Ouzbékistan et le Tadjikistan, ethniquement liées à des millions d'Afghans et cherchant à la fois leur propre voie de désislamisation prudente et leur propre voie de contrôle, commencent à jouer un rôle différent.

Autrement : lorsque la métropole d'un empire s'affaiblit et perd sa crédibilité, l'empire commence à se briser en morceaux. Mais ces parties, ces provinces elles-mêmes, ont suffisamment de griefs mutuels les unes envers les autres qui ont été retenus et écartés par l'hégémon impérial, mais qui se trouvent maintenant libérés. Les parties de l'empire s'affrontent, certains dirigeants proclament leur propre pouvoir et les plus forts d'entre eux entament une lutte pour la première place dans l'espace du monde en désintégration.

Ce qu'il en sera au final : une sorte de guerre interne féodale ou un grand bouleversement mondial, ceux qui sont des observateurs directs pourront en juger.

Ajusté pour une circonstance importante : le principe de l'inviolabilité de la souveraineté nationale dans le monde a été détruit. Et la seule garantie de sécurité de tel ou tel pays s'avère être l'arme nucléaire.

Publication : KM.RU

 

Charles Henry Pearson, le gentleman australien qui prédisait l’entropie des blancs et la soumission sanitaire

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Charles Henry Pearson, le gentleman australien qui prédisait l’entropie des blancs et la soumission sanitaire

Nicolas Bonnal

«La vue poétique de l’histoire mérite maintenant d’être un peu reconsidérée et amoindrie»

La dictature sanitaire en Australie et ailleurs mérite une autre explication que le W.EF. et Bill Gates. Car qui nous a fabriqué des humains comme ça ? Le socialisme d’Etat et l’interventionnisme bureaucratique qui ONT créé ce « citoyen superflu » dont parle Nietzsche dans Zarathoustra.

Charles Henry Pearson est un intellectuel et recteur britannique établi en Australie à la fin du XIXème siècle. Il voit comme Kojève et Fukuyama une fin de l’histoire, comme Nietzsche et avant lui Tocqueville le triomphe des idées modernes, socialisme, démocratie, déclin religieux, accompagner le triomphe de la technique et du confort moderne.

L’intérêt de ses remarques réside dans leur modération (pour l’époque) et leur clarté prophétique. Pour ceux qui ne digèrent pas leur époque, comme moi, rien ne vaut ce bain de jouvence d’un gentleman anglo-saxon pragmatique, comme on dit : les dés étaient déjà jetés au XIXème siècle, comme le voyaient Tocqueville et Léon Bloy, et nous étions prêts pour affronter une fin des temps molle et lente. Le robinet d’eau chaude mettrait un point à la source d’inspiration.

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Je résume quelques traits de son excellent livre, National Life and Character, que j’ai découvert par Lothrop Stoddard, l’excellent penseur qui voit aussi, mais une génération plus tard, les nouvelles guerres du Péloponnèse, le déclin de la race blanche, la catastrophe bolchévique et la montée de l’islam et du tiers-monde, qui ont d’ailleurs été digérés comme le reste. S’il partage certains des horribles préjugés de son temps, Pearson n’en est pas moins un vrai penseur : il ne pense pas en couleur de peau, mais en médiocrité du caractère qui altère toutes les qualités de la race : contrairement à Gustave Le Bon, il voit que l’Anglais de 1890 fait route vers le socialisme et non pas vers la libre entreprise. Par ailleurs, il a compris que tout le monde sera capable de remplir un formulaire, de prendre le métro ou bien de retirer de l’argent à son distributeur automatique. Parce que c’est cela, la vie moderne.

Il parle de son compatriote, le seul homme qui veuille être heureux, disait Nietzsche en riant.

5654570-L.jpgJe laisse cette phrase écrite dans un anglais si limpide :

His tendency in Australia is to adopt a very extensive system of State Socialism. Railways, school, insurance, irrigation…

Eh oui, l’Australie est déjà socialiste au XIXème siècle. Notons que Pearson disait que déjà les Blancs étaient sur la défensive en matière migratoire ! L’immigration est alors ralentie partout et l’Amérique Wasp s’inquiète avec raison de ce qui va lui arriver, la pauvre !

Pearson ajoute que la pression des autres races sera très forte sur la race blanche, quand elles auront emprunté la science de l’Europe. Eh bien, c’est fait ! Pearson donne comme Marx le nom et l’adresse des grands pays futurs : la Chine et l’Inde…

Il précise que la religion de la famille sera remplacée par la religion de l’Etat qui la détruira cette famille. Toute l’actualité sur le mariage est dans Pearson. L’homme des villes devient « une petite partie d’une grande machine » ; son horizon est rétréci. Il en résulte la dépression, la solitude et la fin de la confiance en soi de la race blanche ! C’est la fin des mondes à conquérir, et Pearson écrit à l’époque de Kipling, sans doute payé pour répandre de l’optimisme un peu partout : l’optimisme est toujours mieux rétribué car – je l’ai compris trop tard – il fait consommer. La peur aussi : voyez la lutte contre le racisme ou l’effet de serre.

Pearson explique de même pourquoi, en 1890, Shakespeare et sa violence font démodé, pourquoi le public veut consommer du light culturel, aussi bien à Londres qu’à Paris. Othello c’est trop. La poésie aussi, la grande poésie romantique a disparu, remplacée par le roman à la Zola et par la presse. Le philosophe cède le pas au journaliste et à la pensée rapide (Pearson dit cela cent ans avant Bourdieu).

Tout cela est dû à la montée d’un état « stationnaire » ou immobile (on pourrait dire entropique) qui nous comble de ses bienfaits : en Angleterre, toujours d’avant-garde, on est passé du catholicisme au protestantisme, puis à la liberté de pensée. La monarchie, puis l’aristocratie ont été diminuées, les classes travailleuses associées au gouvernement et tout le monde maintenant se cherche sa petite place au soleil (tel quel). On croirait lire Nietzsche et son dernier homme, l’ironie grinçante en moins !

Plus polémique Pearson remarque aussi que la colonisation en Afrique a fait dégénérer les Blancs qui n’ont plus voulu travailler à la dure, laissant le noir ou le fellah le faire à leur place ; de la même manière, le refus des bas travaux dans nos pays a précipité la vague migratoire dans les années 60 et 70. On ne voulait en plus en Afrique du Sud que de nobles fonctions ! Et cela nous condamne dit Pearson, qui ajoute que les noirs demanderont leur part du pouvoir aussi en Afrique du sud !

Cela se terminera dans l’optimisme et le métissage généralisé : on perdra le sentiment (le complexe) de supériorité, et on se mariera avec tous, prédit le gentleman. On peut trouver cela bien sûr très bien.

Est-ce que j’ai dit que je ne trouvais pas cela très bien ?

Pearson voit où tout cela débouche : la fin de la volonté, du patriotisme, de la famille nombreuse, du génie et de la grandeur. Mais est-ce si grave ? Nous allons vers un monde sans substance (fibreless), faible et sans capacité de produire de grands changements, écrit-il. Ce monde toutefois bien discipliné et programmé aura eu le génie de créer la première guerre mondiale, puis le patriotisme industriel – dont Pearson ne voit pas la menace – produire des Maurras ou l’ineffable Hitler. C’est sans doute la réponse du berger surhomme à la bergère sociale et démocrate ! Heureusement depuis nous sommes tous rangés des affaires. Qui mourrait pour Dantzig ? Mais j’oubliais Damas…

Pearson voit le temps où les races ‘les plus hautes’ (je n’ose traduire supérieures) auront perdu leurs plus nobles éléments. C’est aussi fait depuis les tranchées. Comme disait Madison Grant, le grand triomphateur des guerres c’est toujours Little Dark man, le super-héros des temps très postmodernes ! C’est l’homme qui s’élève dans les ascenseurs !

La science n’enchante pas plus nos contemporains, cinquante après l’alunissage, qu’elle n’enchantait Pearson. Il écrit que ses résultats seront de plus en plus médiocres, à la science, et qu’elle parle finalement de mort comme la religion. L’objectif de l’individu sera de vivre plus longtemps sans trop être détérioré (il use ce même mot). Il sera accompagné par une appréhension de l’art réduite à l’état de bric-à-brac. Voyez les expos, les musées, le reste. Debord parle d’art congelé et décongelé suivant les besoins.

L’obsession des gens sera donc la santé publique, c’est-à-dire surtout personnelle.

« Nous ne demanderons au jour rien que de vivre, au futur rien que de ne pas nous détériorer ». Les Global Trends des services américains ne promettent pas autre chose : on pourra même changer de rétine pour voir la nuit, nous promettent-ils ! On vivra 130 ans a dit le Figaro ! Alors…

Evidemment, demande Pearson, qu’est-ce qu’une société qui n’a pas d’autre propos que de satisfaire les besoins du jour et d’en amuser la vacuité, et qui n’a rien à faire du terrible fardeau de la personnalité ?

Ce terrible fardeau remplace bien le fardeau de l’homme blanc ! On peut toujours aller voir un psychiatre et prendre des somnifères !

Ce ne seront pas les voyages qui nous consoleront ; le monde sera européanisé, écrit Pearson, avant un siècle, et tout aura disparu avec, coutumes, dialectes et surtout vêtements traditionnels (repensez aux Dupondt d’Hergé en Syldavie ou bien en Chine). Cela est déjà parfaitement compris dans l’un des chefs d’œuvre de Gautier, son Voyage en Espagne, publié dès 1845. Pearson dit d’ailleurs que pour voyager il faut lire des guides de voyage anciens. Je suis entièrement d’accord. Tout a été entre-temps démoli ou restauré, alors autant rêver un peu !

Avec la noblesse d’un patricien romain méditant le triste sort de l’humanité au crépuscule de l’empire (du dépensier, sanglant et rétréci empire), Pearson écrit qu’il nous faudra nous dresser devant le silence éternel (notre humaniste pense à Pascal, qu’il cite beaucoup comme Juvénal) et que cela sera un exercice plus noble que notre foi dans le progrès. Car – et c’est le charme de Pearson –, il reste un bon chrétien.

Mais je lui laisse le dernier mot, que je trouve excellent : le prophète et le leader sont en train de devenir des femmes de ménage.

Nicolas Bonnal

Source:

Charles H. Pearson, National Life and Character. Livre téléchargeable gratuitement (comme tous les bons livres) sur archive.org en format PDF.

 

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lundi, 11 octobre 2021

L'Alliance turco-libyenne, un défi pour la sécurité de l'Italie et de l'Europe

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L'Alliance turco-libyenne, un défi pour la sécurité de l'Italie et de l'Europe

par Alessandro Sansoni

SOURCE : https://www.lavocedelpatriota.it/lalleanza-turco-libica-una-sfida-alla-sicurezza-dellitalia-e-delleuropa/

L'évolution du cadre politique libyen risque de faire de l'Italie (et de l'Union européenne) l'otage des jeux de pouvoir à Tripoli. Le pays d'Afrique du Nord est en proie à une nouvelle crise politique, dont l'issue pourrait encore renforcer l'influence turque, et Ankara a déjà démontré sa capacité à tenir l'Europe en échec avec la menace de lâcher des migrants. Cette situation pourrait bientôt être aggravée par une crise énergétique.

La Libye à nouveau en proie au chaos (politique) : le gouvernement d'unité nationale contesté

À l'heure actuelle, en Libye, malgré les récentes négociations épuisantes, aucun accord réel n'a encore été conclu entre les factions belligérantes et les institutions qui les représentent. Début 2021, les autorités de Tripoli (le gouvernement d'entente nationale dirigé par Fayez al-Sarraj) et le Parlement de Tobrouk (présidé par Abdullah al-Thani et soutenu par le général Khalifa Haftar) avaient officiellement remis le pouvoir à une institution intérimaire, le gouvernement d'unité nationale (GUN), créée dans le but d'organiser enfin les élections tant attendues. Abdul Hamid Dbeibeh est élu Premier ministre du GUN, tandis que Mohammed al-Manfi se voit confier la direction du Conseil présidentiel.

Malheureusement, malgré ce qui a été convenu à Genève, le Forum pour le dialogue politique libyen, promu par les Nations unies, n'a pas réussi à obtenir des résultats significatifs et à stabiliser le pays. Le choix d'une ville suisse, et non libyenne, pour mener les négociations et la forte intervention de puissances étrangères dans les négociations avaient dès le départ mis à rude épreuve la légitimité du nouveau gouvernement.

En théorie, les élections parlementaires et présidentielles devaient se tenir en décembre, mais la confrontation politique entre les différentes factions s'est intensifiée au fil des mois, tandis qu'un climat général de méfiance entoure le gouvernement intérimaire. En conséquence, les élections, prévues pour le 24 décembre, ont déjà été reportées à janvier.

Le 21 septembre, la Chambre des représentants, la plus haute instance législative de Libye, présidée par Aguila Saleh, a contesté le gouvernement de Dbeibeh. Abdullah Bliheg, porte-parole de la Chambre des représentants, a déclaré que 89 des 113 députés présents ont voté en faveur de la motion de censure contre le gouvernement d'unité nationale lors d'une session à huis clos, en présence de Saleh et de ses deux députés.

Le Parlement a notamment justifié le vote de défiance en accusant le GNU d'effectuer des opérations financières douteuses et de conclure des contrats qui entraînent une augmentation considérable de la dette publique au point de mettre en danger la souveraineté même du pays. Les députés ont accusé les membres du gouvernement de détournement de fonds et de préjudice fiscal et d'avoir dépassé les limites de leur mandat.

Le président de la Chambre des représentants, Aguila Saleh, a souligné que l'exécutif dépensait des sommes importantes, alors que le budget n'a pas encore été approuvé. Selon ses calculs, le Premier ministre Dbeibeh a déjà dépensé entre 40 et 50 milliards de dinars.

En outre, la loi électorale présidentielle approuvée par le Parlement de Tobrouk a été rejetée par le Haut Conseil d'État, qui siège à Tripoli. En fait, le pays continue d'être divisé entre l'est et l'ouest, de sorte que si la Cyrénaïque, toujours sous le contrôle de l'Armée nationale libyenne de Khalifa Haftar, se prépare à organiser des élections selon ses propres règles, la Tripolitaine, toujours aux mains de divers groupes militaires, dont certains sont clairement islamistes, se prépare à faire de même. Même les candidatures officielles proposées à l'organisme électoral sont différentes et, en fait, la partie occidentale a déclaré Haftar inéligible.

Le contraste entre les différentes institutions libyennes et les dépenses financières douteuses du GUN alimentent la confusion, entravent la préparation des élections et compliquent les relations économiques et politiques avec l'Italie. La tension est désormais si forte que la possibilité d'un retour à la confrontation militaire et d'une nouvelle vague de migrants vers l'Europe qui en résulterait se concrétise de plus en plus.

Une Libye pro-turque

Un autre facteur de déstabilisation de la Libye est l'influence croissante de la Turquie dans les sphères politiques et militaires.

L'un des objectifs déclarés du Forum inter-libyen était le retrait des troupes étrangères du pays avant les élections. Ces derniers jours (6-8 octobre), le "Comité militaire conjoint 5+5", qui comprend des délégués des deux parties belligérantes, s'est réuni à Genève pour discuter de cette question : une clause de l'accord de cessez-le-feu du 23 octobre 2020 prévoyait le retrait des combattants étrangers dans un délai de 90 jours, mais il en reste environ 20.000 dans le pays.

D'autre part, malgré les engagements officiels pris par tous les principaux acteurs étrangers présents en Libye, le ministère turc de la défense a officiellement annoncé qu'il continuerait à coopérer militairement avec le gouvernement. De cette manière, Ankara sape le processus de paix et met concrètement en danger la consultation électorale.

En novembre 2019, le gouvernement d'entente nationale (GNA) d'al-Sarraj, alors en place, avait signé deux protocoles d'accord sur la coopération sécuritaire et militaire avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, en vertu desquels Ankara a pu justifier le renforcement de sa présence dans l'État nord-africain.

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Il est intéressant de noter que la coopération avec la Turquie a été favorisée par le passé, et est actuellement poursuivie, par les institutions les plus fortement influencées par les Frères musulmans de par leur composition : à l'époque le GNA, aujourd'hui le GUN et le Haut Conseil d'État de Libye, clairement en faveur de l'osmanisation du pays.

Ce n'est pas un hasard si le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a récemment affirmé que l'accord avec la Libye avait été conclu à la demande explicite du précédent gouvernement d'entente nationale dirigé par Fayez al-Sarraj, raison pour laquelle la Turquie a l'intention de rester dans le pays.

Deux jours avant de faire cette déclaration, Çavuşoğlu avait accueilli à Ankara Khalid Almishri, président du Haut Conseil d'État libyen, un organe qui joue un rôle consultatif.

Almishri, de son propre aveu, représente les Frères musulmans au sein du Haut Conseil. En mai 2018, lors d'une interview avec la chaîne française arabophone France-24, il a explicitement déclaré qu'il était membre des Frères musulmans, qui sont classés comme organisation terroriste par plusieurs pays.

Le point est délicat. En pratique, l'une des plus hautes autorités libyennes serait officiellement un djihadiste à part entière. En tout cas, Almishri est parmi ceux qui ont le plus encouragé l'intervention turque en Libye.

En l'état actuel des choses, la présence des forces turques viole les dispositions des Nations unies et la feuille de route pour une solution pacifique au conflit libyen et est, en principe, incompatible avec les dispositions générales en matière de sécurité.

Cependant, la question est encore plus grave. La présence turque représente un grave danger. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, plusieurs milliers de mercenaires syriens sont encore stationnés dans les bases turques en Libye. Il y a quelques jours à peine, un groupe de 90 combattants appartenant à des groupes liés à la Turquie et opérant à Afrin, dans la zone contrôlée par Ankara, a été envoyé en Tripolitaine, pour être rejoint par un groupe de même taille retournant en Syrie.

Si, par une quelconque hypothèse, qui semble aujourd'hui franchement improbable, les factions et institutions opposées à l'est et à l'ouest du pays parvenaient à une sorte d'accord, formalisant une liste unique de candidats à la présidence et organisant des élections ensemble, avec un résultat accepté par tous, le vainqueur aurait les mains et les pieds liés à la Turquie, dont les troupes resteraient dans le pays. Même Haftar devrait s'entendre avec les Turcs pour gouverner l'ensemble du territoire et pas seulement la partie orientale.

Dans un tel cadre, le prochain gouvernement libyen sera nécessairement pro-turc. Il sera également pro-turc même si les élections n'ont pas lieu et que l'expérience du GUN reconnu internationalement se poursuit.

La crise migratoire

La Turquie a longtemps persisté dans ses attitudes provocatrices, faisant du chantage à l'Union européenne par le biais de la gestion des flux migratoires. Un comportement évident sur la route des Balkans, qu'Ankara répète également en Méditerranée centrale depuis qu'elle a intensifié sa présence en Libye.

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Selon le Viminale, au cours des quatre premiers jours d'octobre seulement, 1430 migrants sont arrivés en Italie. En 2021, il y a eu 47.750 arrivées, soit environ le double des 24.333 arrivées de 2020. Par rapport à 2019, les débarquements ont été multipliés par six.

Ces chiffres sont appelés à augmenter en raison de la crise politique, économique et sociale qui touche non seulement la Libye, mais aussi la Tunisie, et qui pousse les gens à émigrer, encourageant ainsi la traite des êtres humains.

De même, le nombre de naufrages et de victimes est appelé à augmenter.

Il y a quelques jours, à Lampedusa, on comptait plus d'un millier de migrants illégaux dans un hotspot qui ne peut en accueillir que 250, après le débarquement record de 686 personnes en provenance de Libye sur un bateau de pêche de 15 mètres.

Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 25.200 personnes ont été interceptées en Méditerranée centrale cette année, soit deux fois plus que l'année dernière.

Dans un contexte qui risque de devenir complètement incontrôlable, l'insuffisance de l'action de la ministre de l'Intérieur, Luciana Lamorgese, qui a vu une augmentation anormale des débarquements depuis sa prise de fonction, est encore plus grave.

La question de l'énergie

Comme on le sait, la Libye est le principal fournisseur d'énergie de l'Italie (gaz et pétrole). ENI opère dans tout le pays d'Afrique du Nord et est l'acteur le plus important de l'industrie énergétique libyenne. Si Tripoli devait accroître sa dépendance politique vis-à-vis d'Ankara, le flux d'hydrocarbures entre les deux rives de la Méditerranée pourrait devenir une arme supplémentaire de chantage entre les mains de la Turquie.

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La même alternative représentée par le gazoduc transadriatique (TAP), dont le terminal des Pouilles est en service depuis un an et qui a déjà fourni à l'Italie et à l'Europe du Sud les 5 premiers milliards de mètres cubes de gaz naturel en provenance d'Azerbaïdjan, traverse toute l'Anatolie. Étant donné que Bakou est un proche allié d'Ankara, nous pouvons affirmer sans risque qu'une partie substantielle des sources d'énergie de l'Italie passe sous contrôle turc.

L'augmentation vertigineuse des prix des produits énergétiques au cours des dernières semaines rend le scénario encore plus inquiétant. Que se passerait-il si, de façon absurde, cet hiver, Erdogan menaçait l'Italie et l'UE, pour quelque raison que ce soit, de couper les approvisionnements en gaz ?

Et l'Italie ?

La résolution de la crise libyenne est d'un intérêt stratégique vital pour l'Italie.

Premièrement, les hostilités représentent un facteur de grave incertitude pour les intérêts économiques et énergétiques italiens en Libye.

Deuxièmement, la pacification de la Libye et un gouvernement solide et légitime sont indispensables à la gestion des flux migratoires.

Troisièmement, et enfin, la perte d'influence en Libye compromet le rôle géopolitique de l'Italie en Méditerranée, que l'orientation néo-ottomane de l'expansionnisme turc tend à supplanter, subvertissant le poids stratégique des deux pays.

Le temps est venu pour l'Italie de reconnaître la Turquie comme son concurrent le plus dangereux et non comme un allié potentiel à ménager.

En attendant, les relations entre Rome et Tripoli se poursuivent par des canaux parallèles plus ou moins productifs. Dans certains cas, elles laissent franchement perplexe.

Compte tenu du passé récent et des rebuffades que Paris subit depuis quelques mois en Afrique, les initiatives en tandem avec la France ne sont pas très efficaces. Ces derniers jours, le Premier ministre Mario Draghi et le président français Emmanuel Macron se sont rencontrés en marge du sommet européen de Brno, en Slovénie, et ont discuté de la situation en Libye.

A l'issue de la réunion, le gouvernement italien a publié une déclaration réitérant la "coordination étroite" entre l'Italie, la France et l'Allemagne pour la tenue d'une conférence sur la crise libyenne le 12 novembre à Paris. Le sommet a été décidé par Macron qui, cette fois-ci, contrairement au passé, a au moins pensé à consulter Rome avant de procéder à la convocation.

Quelques semaines auparavant, le ministre Lamorgese avait rencontré le vice-président du Conseil présidentiel libyen, Abdullah al-Lafi, pour discuter de la manière de développer la coopération et la coordination entre l'Italie et la Libye sur le dossier des migrants, mais sans grand résultat.

La rencontre à Tripoli entre Almishri, l'ambassadeur italien Giuseppe Buccino et l'envoyé spécial de la Farnesina pour la Libye, Nicola Orlando, qui a confirmé la volonté de maintenir un interlocuteur avec les Frères musulmans, a laissé perplexe.

Enfin, une rencontre bilatérale a eu lieu en septembre entre le ministre du Développement économique Giancarlo Giorgetti et le vice-président du Conseil présidentiel libyen Al-Lafi, en visite à Rome, au cours de laquelle les deux hommes ont abordé les questions liées à la coopération économique et industrielle, à commencer par les infrastructures et l'énergie. M. Giorgetti a souligné que l'Italie s'est engagée à promouvoir le processus de stabilisation et de réconciliation nationale en Libye et le redressement économique du pays, dans lequel les entreprises italiennes ont toujours joué un rôle de premier plan. Dans ce cas, la confrontation sur des questions concrètes et pragmatiques pourrait avoir des effets positifs.

Conclusions

Ces derniers jours, de nombreux commentateurs autorisés ont insisté sur la thèse selon laquelle l'Italie, grâce à la stature internationale de Mario Draghi et compte tenu des difficultés françaises et de la vacance du pouvoir dans l'Allemagne post-Merkel, pourrait être le grand protagoniste de la relance de l'Alliance transatlantique, qui est en crise évidente après le retrait d'Afghanistan et le lourd manque de respect diplomatique américain à l'égard de Paris à l'occasion de la fourniture de sous-marins à l'Australie. Le provincialisme de certains experts est déconcertant, d'autant plus qu'il ne semble pas être lié uniquement à des attitudes propagandistes en faveur de l'exécutif actuel, mais le résultat d'une véritable conviction. C'est un symptôme du manque de culture stratégique qui traverse les classes dirigeantes et l'opinion publique italiennes, qui oscillent craintivement entre la sous-estimation et la surestimation du potentiel de l'Italie. Il est vrai que l'Italie est un grand pays, mais elle devrait apprendre à concentrer ses efforts - et l'autorité (éventuelle) de l'actuel Premier ministre - pour qu'ils soient rentables, dans le scénario dans lequel elle joue effectivement un rôle et sur les pays étrangers voisins : la Méditerranée et l'Afrique du Nord. Ici, la Turquie est désormais un problème évident, et une confrontation étroite avec elle est nécessaire sur tous les fronts. C'est une folie que l'UE continue à financer Ankara, cédant à son chantage, pour pouvoir ensuite armer illégalement la situation déjà difficile en Libye.

Concentrons-nous sur ce point, l'Atlantique est loin.....

Alessandro Sansoni.

Introduction à la pensée de Xi Jinping

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Introduction à la pensée de Xi Jinping

Par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/introduzione-al-pensiero-di-xi-jinping/

"On ne peut atteindre le sommet de la montagne sans passer par des chemins difficiles et escarpés ; on ne peut atteindre la vertu sans que cela ne coûte beaucoup d'efforts et de labeur. Ignorer le chemin que l'on doit prendre, partir sans guide, c'est vouloir s'égarer, vouloir mettre sa vie en danger".

(Confucius).

Le 24 octobre 2017, les pensées de Xi Jinping ont été incluses dans la Constitution du Parti communiste chinois (PCC). Synthèse du maoïsme et du confucianisme parfaitement adaptée à la réalité chinoise, la pensée de Xi est devenue partie intégrante de la doctrine du Parti, au même titre que la pensée de Mao lui-même, l'élaboration théorique de Deng Xiaoping, la "théorie des trois représentations" de Jiang Zemin et l'approche du "développement scientifique" de Hu Jintao. La doctrine de Xi a également reçu le statut de "pensée", ce qui la place au même niveau que le corpus théorique de Mao et dans une condition supérieure aux doctrines de Jiang Zemin et de Hu Jintao [1].

Or, une posture purement matérialiste imposerait une analyse de la pensée de Xi Jinping qui dépasse les explications et les aspects liés au "génie individuel". Par conséquent, la figure historique et la pensée de Xi lui-même ne peuvent être séparées de leur considération comme partie intégrante d'une tradition de pensée spécifique et de leur contextualisation dans un moment historique spécifique et avec une culture spécifique. Ainsi, la pensée de Xi n'est pas seulement l'émanation intellectuelle des connaissances et des capacités de l'homme, mais aussi la confluence de différentes formes de pensée. En particulier, on pourrait dire qu'elle est l'expression (et le résultat) des principaux défis auxquels la République populaire est soumise au XXIe siècle.

À cet égard, le "géopoliticien militant" [2] Jean Thiriart a pu prédire dès les années 1960 que la Chine du XXIe siècle ne tolérerait plus la présence nord-américaine à ses frontières, de l'Asie centrale à la mer de Chine méridionale. Sur la même longueur d'onde, les prédictions du défi du nouveau siècle entre la Chine et les États-Unis rapportées par le Pakistanais Zulfiqar Ali Bhutto dans son manifeste politique au titre emblématique Le mythe de l'indépendance (1967).

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Par conséquent, la pensée de Xi apparaît comme un produit des conditions matérielles et géopolitiques de la réalité chinoise spécifique à un moment historique spécifique. Cependant, la pensée et la politique ne sont pas réductibles au simple langage, mais le langage est l'un des instruments par lesquels s'expriment le discours et l'action politique. Et comme la guerre (sous toutes ses formes, économique, culturelle et militaire) est une continuation de la politique par d'autres moyens, le langage et la pensée jouent un rôle crucial. Une action politique dépourvue de pensée et déconnectée d'un langage particulier (ou d'un langage défini) manque non seulement d'efficacité en termes pratiques, mais a également pour effet de produire une désorientation (ou un "déracinement", pour reprendre la terminologie heideggérienne). Un exemple pratique de ce qui a été dit ici peut être vu dans les limites communicatives évidentes et le manque de clarté (dans de nombreux cas, même sciemment recherchés) montrés par l'"Occident" soumis à l'hégémonie nord-américaine pendant la crise de la pandémie. Dans ce cas, dans le but précis de recompacter "géopolitiquement" cet espace idéologique, il a été décidé d'utiliser la rhétorique militaire (pleine de termes anglophones) pour faire face à l'épidémie et à la campagne de vaccination qui en a résulté. Ainsi, les décès de covidés sont devenus les victimes de la "guerre contre le virus", tandis que les réactions indésirables au vaccin ont pris l'apparence d'un inévitable "dommage collatéral".

Déjà Iosif Staline, grand expert en linguistique, reconnaissait le rôle fondamental de la langue comme support de l'action politico-militaire et comme outil utile pour la défense de la conscience nationale. Selon le  Vožd', la matière la plus importante à étudier dans les académies militaires était la langue et la littérature russes. Ils permettent de s'exprimer brièvement et clairement dans des conditions extrêmes (y compris au combat). La pratique constante de la lecture des classiques permet en outre d'avoir déjà en tête une suggestion sur la meilleure façon de s'exprimer et d'agir [3].

Cela peut également s'appliquer à la réalité chinoise, où la pensée, la parole et l'action sont indissolublement liées. Cependant, dans la réalité chinoise, contrairement à l'interprétation orthodoxe de la théorie marxiste, la superstructure idéologique n'est pas le reflet exclusif du système économique, mais s'objective dans toutes les sphères de l'être social.

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Lorsque, en 1978, la défaite de la "bande des quatre" a coïncidé avec l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, le PCC, par une application parfaite du schéma susmentionné d'orthopraxie confucéenne, soit pensée-parole-action, a affirmé que le pays, dans la phase primaire du socialisme, devait se fixer comme objectif immédiat le développement des forces productives et l'amélioration de la qualité de vie de la population. De cette approche découle la "théorie des quatre modernisations" (agricole, industrielle, technologique-scientifique et militaire) qui, en fait, impliquait des solutions hétérodoxes pour garantir le développement économique de la Nation à travers des programmes de libéralisation ciblés, réalisés sous la supervision vigilante du Parti. Cela conduit à deux questions très précises: quelle est la place de la théorie marxiste en Chine aujourd'hui ? Le socialisme aux caractéristiques chinoises est-il une déviation nationaliste ?

La réponse à ces questions ne peut être séparée d'une analyse du scénario universitaire dans la Chine contemporaine. Il s'agit d'un ensemble de tendances qui se sont développées surtout depuis les années 1980 et 1990: un moment historique extrêmement complexe où les politiques d'ouverture économique se sont heurtées aux lourdes répercussions (en termes de politique intérieure) du "tumulte" de Tian'anmen [4]. Les plus importants sont sans doute le courant "libéral" et ceux de la "Nouvelle Gauche", les "néo-confucianistes" et les "néo-autoritaires". Tous, bien qu'avec des approches différentes, ont essayé de se présenter comme des alternatives à la ligne théorique hégémonique du PCC pendant les quarante premières années de la vie de la République populaire.

Si le courant libéral se résout dans la volonté d'évolution vers un système de type démocratique-parlementaire, le discours est différent à l'égard des néo-confucianistes, de la Nouvelle Gauche et des néo-autoritaires. Les premiers, qui peuvent à leur tour être divisés en néo-confucéens libéraux (dont le noyau initial est originaire de Hong Kong, de Taïwan et des États-Unis) et néo-confucéens "continentaux" (nés dans la Mère Patrie), développent leur approche théorique à partir d'un point de départ commun: la tradition confucéenne a été en quelque sorte viciée par la Modernité. Le terme même de "confucianisme" serait une invention des missionnaires chrétiens qui ont latinisé le terme "Kǒng Fūzǐ" en y ajoutant le suffixe "isme". Au contraire, le terme correct pour la tradition confucéenne serait " Rújiā " (école d'études). Une école qui inclut dans son système de pensée non seulement l'étude des œuvres attribuées à Confucius mais aussi celles de ses disciples Mencius et Xunzi.

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Parmi les plus importants représentants du courant néo-confucéen "continental" figurent Chen Ming et Jiang Qing. Selon Chen Ming, le PCC représentait d'une part le "salut de la nation chinoise", mais d'autre part, il a également rempli cette tâche historique. Elle doit être renouvelée sur la base de la tradition confucéenne. Cela devrait notamment façonner un modèle politico-idéologico-religieux similaire à celui produit par les valeurs protestantes et le mythe de la "destinée manifeste" aux États-Unis. Jiang Qing, quant à lui, pense à une constitution purement confucéenne et nie à bien des égards la valeur de l'expérience modernisatrice du PCC.

A peu près au même moment, le courant néo-autoritaire a ressuscité la pensée du grand juriste allemand Carl Schmitt de l'oubli dans lequel elle était tombée depuis plusieurs décennies. Le premier à mentionner Schmitt à nouveau en 1987 est Dong Fanyu, un professeur de droit constitutionnel qui a inspiré les théories de Jiang Shigong et Chen Duanhong (déjà analysées dans certaines contributions publiées sur le site "Eurasia"). Le courant néo-autoritaire comprend également Xiao Gongqin (partisan d'un réalisme politique purement schmittien pour s'opposer à la virtualité des principes démocratiques de type occidental) et Wang Huning (photo, ci-dessous), dont la critique de l'universalisme libéral-capitaliste a profondément inspiré l'action politique de Jiang Zemin, Hu Jiantao et Xi Jinping.

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La pensée de Jiang Shigong mérite une mention liminaire. Selon cet interprète attentif de la Chine contemporaine, la particularité de la voie chinoise vers le socialisme découle de la nécessité de résoudre la tension entre la vérité philosophique et la pratique historique, de manière à unir la vérité philosophique universelle du marxisme-léninisme à la réalité historique concrète de la vie politique chinoise. Cela se traduisait, au niveau de la pratique, par des actions visant à évaluer les problèmes de la réalité chinoise et à encourager la participation populaire à la transformation de la société (la transition vers le communisme, le renforcement de la position internationale de la Chine, l'unification finale de la nation). La base de la légitimité du PCC, en fait, est le peuple chinois lui-même. Cette légitimité réside dans la capacité du Parti à être une institution efficace capable de résoudre les problèmes immédiats du peuple.

En fait, l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping a coïncidé avec une nouvelle phase dans l'étude du marxisme, tant en théorie qu'en pratique. L'examen de la pensée du président chinois ne peut donc être séparé d'une analyse détaillée des principales influences intellectuelles qui ont agi sur elle.

Le communisme, dans ce modèle théorique, représente davantage une "idée force": un sentiment éthique qui diffère complètement du modèle soviétique post-Staline. La pensée de Xi, rejetant complètement l'imitation des modèles politiques de la pensée occidentale proposée par certains représentants du courant néo-confucéen, entend représenter une synthèse innovante entre la tradition (confucianisme) et la modernité (marxisme-léninisme). Le confucianisme, dans ce contexte théorique, retrouve son rôle traditionnel de "gardien du rituel" (la pensée confucéenne est une pure "métaphysique du rituel"), où l'acte rituel est indispensable au maintien de l'ordre tant sur le plan physique que métaphysique, tandis que le communisme, adopté par la culture traditionnelle chinoise, devient l'instrument qui peut le mieux réaliser les valeurs positives de cette dernière.

Il y a deux mots clés dans ce modèle théorique : Communisme et Nation. Selon cette interprétation de l'idée communiste, le concept de "lutte des classes" est compris dans un sens métaphorique et prend les connotations de la lutte pour le renouvellement et l'amélioration éthique de la Nation, la lutte contre la corruption ou, plus récemment, la lutte pour le respect de l'environnement. Le concept de "Nation", en revanche, ne doit pas être compris dans un sens ethnique (de majorité ethnique Han), mais comme un univers communautaire des groupes ethniques qui ont historiquement représenté le noyau humain de l'Empire du Milieu (Zhongguo).

L'idée de "nation" est résumée dans le drapeau de la République populaire elle-même. La plus grande étoile sur le fond rouge représente le Parti : l'organe directeur de la société. Les quatre étoiles plus petites qui gravitent autour de l'étoile du Parti représentent les quatre classes sociales qui participent au développement de la société : la classe ouvrière, la classe paysanne, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale. La fraction de la bourgeoisie qui s'est montrée prête à coopérer avec le Parti, dans la perspective chinoise, doit naturellement être intégrée dans l'alliance nationale. Après l'ère Mao, avec les réformes de Deng Xiaoping et la construction d'une économie mixte, ce pacte social originel a trouvé une nouvelle vie, se transformant, avec Hu Jintato et Xi Jinping, en un véritable bloc hégémonique (pour utiliser une terminologie purement gramscienne).

Ainsi, le secteur privé peut et doit être promu tant qu'il contribue de manière décisive au bien-être collectif, c'est-à-dire à ce que Mao appelait Gongtong Fuyu (prospérité commune). Selon cette approche, l'ensemble de la population doit bénéficier du progrès collectif, mais chaque partie du corps social doit apporter sa propre contribution dans la mesure de ses moyens et de ses possibilités [5].

La politique anti-monopole actuelle de Pékin ne doit pas être trop trompeuse. Le Parti ne vise pas la suppression définitive des secteurs capitaliste et privé. Elle tente simplement de l'adapter aux besoins d'un développement sociétal harmonieux dans lequel l'inégalité est réduite au minimum.

Les différences avec le marxisme traditionnel sont également visibles dans la théorie des relations internationales. La Chine n'a pas d'aspirations "universalistes" (à cet égard, elle est également similaire à l'URSS de Staline, qui s'attachait à préserver les acquis "nationaux" de la révolution tout en évitant autant que possible les conflits directs avec d'autres puissances). Elle ne veut pas imposer son système aux autres par la force et recherche un développement pacifique fondé sur le respect de la diversité culturelle et politique. Cependant, dans le même temps, elle n'est plus disposée à tolérer les abus de toute nature perpétrés par des puissances ayant des aspirations hégémoniques mondiales.

C'est précisément dans cet accent mis sur le développement d'un ordre international multipolaire que l'on retrouve les références au "pluriversum des grands espaces" de Schmitt.

NOTES

[1] Voir Una introducción al pensamiento. Xi Jinping: tradición y modernidad, www.larazoncomunista.com.

[2] Yannick Sauveur, Jean Thiriart, il geopolitico militante, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2021.

[3] Voir I. Stalin, Il marxismo e la linguistica, Edizioni Rinascita, Roma 1952. Nul besoin d'oublier que Staline fut aussi un défenseur déterminé de la langue russe et de l'alphabet cyrillique face à toutes les tentatives de "latinisation" que la gauche bolchevique cherchait à importer et à imposer après la révolution d'octobre 1917, afin de pouvoir diffuser des documents révolutionnaires à tous les prolétaires du monde. Le 13mars 1938, la ligne préconisée par Staline obtient une victoire définitive. A cette date, le Comité central du PCUS publie une délibération "sur l'étude obligatoire de la langue russe dans les écoles des républiques soviétiques et dans les oblast nationaux (= ethniques)". 

[4]“Tumulto”, telle est l'expression utilisée par Deng Xiaoping dans son discours tenu le 9 juin 1989 aux officiers de grades supérieurs lors de l'application de la loi martiale à Pékin. A cette occasion, constatant qu'un groupe de sujets mal intentionnés s'était infiltré dans la foule massée sur la place, il affirmait: "nous n'avons pas face à nous les masses populaires mais des factieux qui tentent de subvertir notre Etat (...). Leur objectif est d'instaurer une république bourgeoise, vassale de l'Occident en tout et pour tout". Outre qu'il déplorait les "martyrs" dans les rangs de l'armée et qu'il congratulait les forces de sécurité ainsi que l'armée pour avoir réussi à calmer le "tumulte", le Timonier de la Chine constatait la nécessité de se départir des erreurs du passé et de regarder vers le futur. "Le déclenchement de l'incident - affirmait Deng Xiaoping - donnait beaucoup à penser et forçait à réfléchir, l'esprit lucide, sur le passé et sur l'avenir. Cet événement terrible doit nous permettre de parachever les politiques de réforme et d'ouverture au monde extérieur et ce, de manière constante, et, partant, plus rapide, de corriger nos erreurs plus vite et d'exploiter au mieux nos avantages (...).  La chose importante est de ne plus jamais faire de la Chine un pays aux portes fermées" (Deng Xiaoping, Il tumulto di Piazza Tian’anmen, contenuto in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 3/2019). Sur ce plan, il semble impératif de citer un autre passage de Deng Xiaoping dans lequel on trouve que l'accent est mis sur l'ouverture économique, accompagnée du décisionisme éthique caractéristique du PCC (il suffit de penser à l'option récente de limiter la production de programmes télévisés non éducatifs ou de juguler l'utilisation démesurée des jeux vidéo chez les jeunes): "Nous poursuivrons immanquablement un politique d'ouverture au monde extérieur et nous augmenterons nos échanges avec les pays extérieurs sur la base de l'égalité et du respect réciproque. En même temps, nous garderons l'esprit lucide et nous résisterons fermement à la corruption apportée par les idées décadentes venues de l'extérieur et nous ne permettrons jamais que le mode de vie bourgeois se diffuse dans notre pays" (Opere Scelte, Vol. III. Edizioni in lingue estere, Pechino 1994, p. 15).

[5] voir l'entretien très intéressant avec le philosophe et analyste politique français Bruno Guige:  Quando la linea di Xi Jinping va a velocità superiore, www.cese-m.eu.

Dante et l'Inde

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Dante et l'Inde

Par Claudio Mutti

Ex: "Eurasia", 2/2006 (avril-juin 2006); https://www.eurasia-rivista.com/dante-e-lindia-2/                       

Avec sa "doctrine qui se cache - sous le voile de vers étranges" et avec sa certitude de n'être que le copiste de l'Amour, Dante n'était pas un "savant", pas plus que ne l'étaient un rshi védique ou un mantrakrt, mais il était un voyant, un énonciateur de la vérité (satyavâdin).

(Ananda K. Coomaraswamy)

 
Lorsque sur la montagne du Purgatoire, Dante et Virgile sont invités par l'ange de la chasteté à entrer dans les flammes, car sinon ils ne pourraient pas continuer leur ascension, c'est le coucher du soleil du 12 avril. Le soleil occupe la même position que lorsqu'il envoie ses premiers rayons à Jérusalem, tandis que l'Èbre coule sous la constellation de la Balance, qui est haute dans le ciel, et que les eaux du Gange sont enflammées par le soleil de l'après-midi. "Oui, comme lorsque les premiers rayons vibrent / là où son sang a été versé, / tombant d'Ibero sous la haute Balance, / et les vagues dans le Gange par le neuvième flamboiment, / ainsi se tenait le soleil" (Purg. XXVII, 1-5). Dante indique l'heure du jour en se référant à quatre points géographiques fondamentaux : Jérusalem, l'Ebre, le Gange et le Purgatoire. Selon la géographie de Dante, en effet, la terre habitée par les vivants correspond à la surface de l'hémisphère nord et a pour centre Jérusalem qui, étant aux antipodes du Purgatoire, est équidistante de l'extrême ouest, marqué par l'Ebre, et de l'extrême est, représenté par le Gange. Ainsi, lorsque le soleil se lève sur le Purgatoire, à l'horizon de Jérusalem, le jour se couche sur l'Ebre et la nuit descend sur le Gange ; le matin du 10 avril, alors que les deux poètes étaient encore au pied de la montagne, le soleil était déjà arrivé à l'horizon de Jérusalem et la nuit, se retournant contre le soleil, sortait du Gange dans la constellation de la Balance (constellation dans laquelle on ne la trouve plus après l'équinoxe d'automne, lorsque la nuit devient plus longue que le jour). Selon les mots de Dante : "Déjà arrivait le soleil à l'horizon / dont le cercle méridien couvre / Jerusalem avec son point le plus élevé; / et la nuit, qui en face de lui tourne en rond / sort du Gange avec la Balance, / qui lui donne la main quand il déborde" (Purg II, 1-6).

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Que le Gange soit le véritable Orient du monde, Dante le réitère dans le chapitre XI du Paradis: la "côte fertile" d'Assise, l'Orient d'où surgit la lumière solaire de saint François, est assimilée au Gange, d'où, à l'équinoxe de printemps, le soleil, plus brillant que jamais, se lève au-dessus du méridien de Jérusalem.

L'autre grand fleuve de l'Inde, l'Indus, est pris dans la Comédie comme symbole des lieux orientaux non touchés par la prédication chrétienne. Dans le ciel de Jupiter, l'Aigle, qui représente l'idée éternelle de justice, expose à Dante le doute qu'il a sur le dogme chrétien de la justification par la foi: si "un homme naît sur la rive / de l'Indus, et qu'il n'y a personne qui raisonne / du Christ, ni qui lit, ni qui écrit" (Par. XIX, 70-72) et donc, sans qu'il y ait faute de sa part, "meurt non baptisé et sans foi" (Par. XIX, 76), pourquoi Dieu, qui est la justice suprême, le condamne-t-il pour l'éternité ?

Les Indiens, aux frontières orientales du monde, n'ont pas été atteints par la bonne nouvelle, mais eux aussi ont été témoins de l'éclipse qui s'est produite à la mort de Jésus et qui a touché tous les peuples de la terre : "aux Hispaniques et aux Indiens, / comme aux Juifs, cette éclipse a répondu" (Par. XXIX, 101-102).

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Parmi les sources médiévales relatives à cette région extrême et inconnue figure le De situ Indiae et itinerum in ea vastitate, que l'on croit être une lettre d'Alexandre le Grand à Aristote (1). À partir d'une citation de l'épître contenue dans les Météores d'Albertus Magnus - Albert le Grand (I, 4, 8), Dante apprend l'existence d'un épisode dont Alexandre aurait été le protagoniste en Inde et s'en sert pour construire un simulacre: "Tel Alexandre, dans ces régions chaudes / de l'Inde, voyait au-dessus de sa troupe / des flammes tombant fermement sur le sol, / de sorte qu'il prévoyait de toucher le sol / avec ses hôtes, de sorte que la vapeur - mei si stingueva mentre ch'era solo : / tale scendeva l'etternale ardore" (Inf. XIV, 31-37). En somme, les couches de feu qui, dans le troisième cercle du septième cercle, tourmentent les violents contre Dieu (blasphémateurs, usuriers, sodomites) rappellent à Dante les flammes qu'Alexandre voyait pleuvoir sur son armée dans les régions chaudes de l'Inde: c'étaient des flammes qui restaient brûlantes jusqu'à ce qu'elles tombent à terre, aussi le Macédonien ordonna-t-il à ses soldats de bien fouler le sol, pour mieux éteindre le feu tant qu'il était isolé.

La caractérisation de l'Inde comme une région particulièrement chaude revient dans Purg. XXVI, 21-22 : "car tous ceux-là ont plus soif / que l'eau froide Indus ou Aethippus". Les âmes purgatives des luxurieux constatent que Dante est vivant et brûlent du désir d'avoir une explication de sa part, plus que les Indiens ou les Ethiopiens ne brûlent de soif.

Une autre merveille de l'Inde dont Dante a connaissance est qu'il y pousse de très grands arbres : la nouvelle lui vient probablement de Virgile, selon lequel, dans cette partie extrême du monde, près de l'Océan, il y a des arbres si hauts qu'aucune flèche ne pourrait en atteindre la cime (2). Mais l'arbre de la connaissance du bien et du mal s'élève encore plus haut, de sorte qu'il serait un objet d'émerveillement pour les Indiens: "La coma sua, che tanto si dilata / più quanto più è sù, fora da l'Indi / ne' boschi per altezza ammirata" (Purg. XXXII, 40-42).

Mais au Purgatoire il y a deux autres arbres (Purg. XXII-XXIII et au Purg. XXIV) qui nous ramènent en Inde: ce sont ceux qui se trouvent près du sommet de la montagne, sous la plaine du Paradis terrestre. Le premier arbre "est l'image réfléchie et inversée de l'Arbre de vie, dont les âmes du purgatoire (cosmique) ont faim et soif, mais dont elles ne peuvent avoir aucune part et sur lequel elles ne peuvent même pas monter " (3), tandis que le second est une "image inversée de l'Arbre de la connaissance du bien et du mal" (4).

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Ainsi le grand savant anglo-indien Ananda K. Coomaraswamy, qui examine le symbole de l'arbre renversé sur la base des descriptions fournies par les textes indiens, et pas seulement ceux-là, puisque "l'idée d'un arbre droit et d'un arbre renversé a une diffusion dans le temps et l'espace qui va de Platon à Dante et de la Sibérie à l'Inde et à la Mélanésie" (5). Il y a cependant quelques éléments que la description de Dante a en commun avec celle de l'Inde en particulier : par exemple, sur le premier des deux arbres renversés "il tomba du haut rocher une liqueur claire - et elle se répandit dans les feuilles au-dessus" (Purg. XXII, 137-138), tout comme "dégoulinant de soma" (soma-savanah) est la figue de Brahmaloka, décrite dans Chândogya-upanishad, VIII, 5, 3-4.

Enfin, il faut aussi considérer le Purg. VII, 74, un verset lu et interprété de différentes manières, dans lequel, cependant, selon certains spécialistes (Scartazzini, Sapegno, Mattalia), le syntagme "je montre le bois" est présent. Il s'agirait du lychnis Indica, une pierre précieuse mentionnée par Pline ("Quidam enim eam dixerunt esse carbunculum remissiorem"); en raison de sa splendeur, elle a été évoquée dans la description de la vallée des Princes, dont les couleurs vives et éblouissantes rappellent la splendeur des miniatures et des pierres précieuses.
 
* * *
 
Parmi les nombreuses similitudes que Coomaraswamy trouve entre la Comédie et les écritures sacrées de l'Inde, certaines semblent particulièrement remarquables. Le thème de la "paternité solaire", par exemple dans le Shatapatha Brâhmana I, 7, 6, 11, est également présent dans le Par. XXII, 116 ; le symbolisme de l'inceste de Prajâpati, époux et fils de Vâc (Pancavimsha Brâhmana VII, 6 ; XX, 14) est identique à celui lié à la définition de Marie comme "Vierge mère, fille de ton fils" (Par. XXXIII, 1); les "trois mondes" (sâttvika, râjasika et tâmasika) dans lesquels, selon la pensée hindoue, la manifestation universelle est différenciée, se reflètent dans la tripartition cosmique décrite dans Par. XXIX, 32-36 ; l'imposition de la couronne et de la mitre, qui a lieu dans le rituel hindou de la "vivification du roi", est également vue dans Purg. XXVII, 142 ; etc. etc.

D'autres spécialistes de l'œuvre de Dante avaient déjà fait référence à l'Inde. Dante Gabriele Rossetti (1828-1880), se basant sur l'hypothèse que "les écoles secrètes sont modelées, peu à peu, sur un système unique " (6) et " utilisent souvent des mots d'idiomes étrangers pour laisser entrevoir ces arcanes qu'elles n'osent pas expliquer ouvertement" (7), avait même cru retrouver la trace de la syllabe sacrée OM dans deux vers de Dante: "Chi nel viso de li uomini legge 'omo' " (Qui dans le visage des hommes lit 'homo'). (Purg. XXIII, 32) et "O om che pregio di saver portate" (Rime, Savete giudicar vostra ragione, 2).  

220px-A._De_Gubernatis.jpgArturo Graf (1848-1913) avait noté que la Commedia et la tradition indienne attribuent des caractéristiques similaires aux lieux de béatitude : si dans la "forêt divine épaisse et vivante" (Purg. XXVIII, 2) règne "une douce aura, sanza mutamento" (Purg. XXVIII, 7), le mont Meru ne connaît "ni ténèbres, ni nuages, ni mauvais temps d'aucune sorte" (8). Angelo De Gubernatis (1840-1913) (photo), en plus d'avoir retracé un prototype indien de la figure de Lucifer (9), avait identifié la montagne du Purgatoire avec le pic d'Adam sur l'île de Taprobane (c'est-à-dire Ceylan), que la carte du monde de Marino Sanudo plaçait en 1320 à l'extrême limite orientale de la terre: "Étant donné qu'il ne fait plus aucun doute que Dante a placé le Purgatoire sur une île, que l'on croyait déserte, aux antipodes de Jérusalem, il ne me semble pas qu'il faille faire beaucoup d'efforts pour découvrir qu'une telle île, selon l'esprit de Dante, devait être la terre sacrée de Seilan" (10). De Gubernatis avait également émis l'hypothèse que le "paysage indien" (11) était à l'origine de la représentation par Dante du char triomphal tiré par le griffon (Purg. XXIX, 106-120). Moins sûr en indiquant l'emplacement de la montagne du Purgatoire était Miguel Asìn Palacios: "Cual fusese esta montaña, ya no es tan fácil de precisar, porque las opiniones se dividen : bien se la supone en Siria, bien en Persia, bien en Caldea, bien en la India, pero esta ultima situación ha sido la predominante" (Il n'est guère facile de préciser quelle est cette montagne, car les opinions divergent: certains la placent en Syrie, d'autres en Perse ou en Chaldée, d'autres encore en Inde, mais ce dernier emplacement hypothètique est prédominant) (12).

Giovanni_Pascoli_01.jpgGiovanni Pascoli (1855-1912) (photo), pour qui la Commedia lui donnait "le vertige des livres de l'Inde ancienne" (13), avait esquissé un parallèle entre le prince Siddhartha et Alighieri, le Bouddha d'Europe: "Ainsi notre Shakya, comme le Shakya indien, comme l'ermite comme l'exilé, à une distance de vingt siècles, commencent par une considération profonde sur la misère humaine. Je vois l'un s'extasier au pied du figuier, ashvattha ficus religiosa; l'autre errer dans les ombres de la forêt. Et de la misère ils se relèvent, l'un pour disparaître dans le Nirvana, l'autre pour plonger dans le Miro Gurge. Et tous deux sortent de la misère inspirés pour prêcher la paix et l'amour à tous: le bonheur" (14). René Guénon (1886-1951) avait comparé "l'Empereur, tel que Dante le conçoit, (...) au Chakravartî ou monarque universel des Hindous, dont la fonction essentielle est de faire régner la paix, sarvabhaumika, c'est-à-dire de la répandre sur toute la terre" (15).

Parmi les études récentes, nous nous limiterons ici à signaler un essai de Nuccio D'Anna sur le De vulgari eloquentia, dans lequel, pour comprendre le sens et le fondement de l'herméneutique linguistique de Dante, on rappelle la procédure indienne analogue du nirukta, illustrée par le passage d'un texte sanskrit sur ce sujet (16). Dans la préface de l'essai, l'auteur prévient qu'une meilleure connaissance des textes orientaux concernant le symbolisme linguistique - et à titre d'exemple il mentionne, entre autres, le "Tantra hindou" (17) - nous ferait comprendre que la structure symbolique de l'œuvre de Dante est extraordinairement proche de celle des autres cultures traditionnelles d'Eurasie.
 
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Lorsque Dante a écrit la Comédie, Delhi était gouvernée par une dynastie afghane d'origine turque (18), la dynastie Khalgî, inaugurée par Gialâl ud-dîn Fîrûz (1290-1296). À sa mort, 'Alâ' ud-Dîn Khalgî Muhammad Shâh (1296-1316) reconquiert le Gujarât et s'empare en 1303 de Chittoor au Rajasthan. Sous la direction de 'Alâ' ud-Dîn, le sultanat de Delhi a soumis presque tous les royaumes hindous du sud et de l'ouest et est devenu un empire subcontinental, atteignant le sommet de la puissance politique, de la splendeur culturelle et de la prospérité économique. À la mort de 'Alâ' ud-Dîn, le trône est usurpé par Khusraw Khân, courtisan et apostat de l'islam, qui plonge le royaume dans l'anarchie jusqu'en 1320, date à laquelle Ghâzî Malik Tughluq redresse la situation et met en place un gouvernement exemplaire qui ne durera que quelques années (1320-1325). Entre 1253 et 1325, dans une période qui coïncide avec la vie de Dante, Amîr Khusraw Dihlawî, célèbre poète formé à l'école du grand shaykh Nizâm al-Dîn Awliyâ' (m. 1325), figure importante de la Chishtiyya, l'ordre initiatique fondé par Mu'în ud-dîn Hasan Chishtî (1142-1236), a travaillé dans le sultanat de Delhi.

Thomas_Babington_Macaulay2.jpgDante ne savait rien ou presque de tout cela. Mais même en Inde, on n'a pas entendu parler de Dante avant le XIXe siècle, lorsque la diffusion de la langue anglaise a favorisé le contact entre les érudits indiens et la littérature européenne. "Et puis, par pure coïncidence, l'homme qui, en tant qu'expert, a conseillé à la Compagnie des Indes orientales, dans son célèbre document sur l'éducation en Inde en 1834, non seulement l'utilisation de la langue anglaise comme moyen d'expression dans les bureaux, les tribunaux et les écoles, mais aussi l'enseignement des sciences, de la philosophie, de la médecine et de l'économie politique européennes, à savoir Lord Macaulay (photo), était un admirateur passionné de la poésie de Dante, et il est donc très peu probable que non seulement son essai sur le poète (dans Criticism on the principal Italian writers, 1824) mais aussi sa célèbre comparaison de Dante et de Milton (publiée en août 1825 dans dans l'Edinburgh Review), avait échappé à l'attention des spécialistes indiens de la littérature anglaise, et que ce même essai ne constituerait pas l'une des premières lectures critiques, sinon la première lecture, sur Dante pour un débutant en littérature italienne, et pas seulement pour un débutant" (19).

Mudhusudan_Dutta.jpgAinsi, des poètes et des procureurs ont entrepris l'étude de l'italien afin de pouvoir lire Dante dans l'original. Parmi ceux-ci, il convient tout d'abord de citer le plus grand poète bengali du XIXe siècle, Michael Madhûsudan Datta (1824-1873) (photo), auteur du premier poème épique en bengali, Meghanath-Badh (1861-'62), dans lequel l'influence de Dante se révèle "surtout dans la conception de l'Enfer et dans la mise en œuvre de cette conception en termes descriptifs, géographiques et topographiques" (20). La Comédie a également inspiré un poème philosophique de Hemachandra Vanyopadhyaya (1838-1903), Chhayamayi (1880), dans lequel les pécheurs sont répartis dans les différentes zones de l'enfer en fonction de leurs péchés. Hemachandra lui-même, en revanche, a reconnu explicitement sa dette envers Dante. Rabindranath Tagore (1861-1941) avait déjà publié un article sur Dante (et un sur Pétrarque) à l'âge de seize ans. Shri Aurobindo (1872-1950) étudiait sans relâche la Divine Comédie et proposait les modèles de Dante, Milton et Goethe à ses jeunes disciples qui écrivaient des poèmes (en bengali et en anglais). Son frère Manmohan Ghose (1867-1924), spécialiste de la littérature européenne, comptait parmi ses condisciples Laurence Binyon (1869-1943), un traducteur anglais de Dante.

Sarojini_Naidu_1964_stamp_of_India.jpgLe poète Toru Dutt (1856-1877) a écrit un commentaire critique sur la traduction de la Comédie par Antonio Deschamps. Un autre poète qui mérite d'être mentionné pour son intérêt pour Dante est Sarojini Naidu (1879-1949), "le rossignol de l'Inde" (gravure sur timbre, ci-contre); elle a été la première femme à présider le Congrès national indien et à gouverner l'État d'Uttar Pradesh après l'indépendance. Dinesh Chandra Datta a traduit la Bhagavad Gita en tercets dantesques et a écrit un sonnet à Dante (21). Terminons cette brève revue en citant Muhammad Iqbâl (1873-1938), le plus grand poète contemporain de l'Inde musulmane, auteur, entre autres, d'un Jâvêd-nâma en persan qui s'inscrit dans la tradition des poèmes sur l'Ascension nocturne du Prophète Muhammad et rappelle simultanément le voyage céleste de Dante.

AVT_Muhammad-Iqbal_4149.jpgIqbal "a été influencé avant tout par les trois grandes 'Divine Comédies' de l'Occident, celle de Dante (qu'il connaissait en traduction anglaise), celle de Milton et celle de Goethe" (22). En 1932, la même année où le Jâvêd-nâma d'Iqbal a été publié à Lahore, un article d'un certain Inayat Ullah sur les recherches effectuées par les érudits européens sur les sources orientales de la Divine Comédie (23) a été publié dans "The Muslim Revival".

Nous terminerons par une curiosité. Nous ne connaissons aucune traduction de Dante en sanskrit ; cependant, il semble qu'un passage de l'Enfer (l'épisode du comte Ugolino dans les cantos XXXII-XXXIII) ait été traduit en sanskrit par un Italien : l'universitaire italien Arturo Farinelli (1867-1948).

Notes:

  • Version intégrale italienne dans G. Tardiola (a cura di), Le meraviglie dell’India, Roma 1991
  • “Aut quos Oceano propior gerit India lucos, / extremi sinus orbis, ubi aëra vincere summum / arboris haud ullae iactu potere sagittae?” (Georg. II, 122-124)
  • A. K. Coomaraswamy, Il grande brivido. Saggi di simbolica e arte, Adelphi, Milano 1987, p. 340
  • A. K. Coomaraswamy, op. cit., p. 341
  • A. K. Coomaraswamy, op. cit., p. 333. Pour une plus ample revue des descriptions indiennes de l'Arbre du Monde, cfr. A. Zucco, Il significato originario di un’antica parabola (Mahâbh., XI, 5, 6, 7) e la sua diffusione letterario e artistica in Oriente e Occidente, Istituto di Glottologia, Università degli Studi di Genova, 1971
  • G. Rossetti, Il mistero dell’amor platonico del Medio Evo, Arché, Milano 1982, vol. I, p. 78)
  • Ibidem
  • A. Graf, Miti, leggende e superstizioni del Medio Evo, Arnaldo Forni, Bologna 1980, vol. I, p. 23
  • A. de Gubernatis, Le type indien de Lucifer chez Dante, in Actes du Xe Congrès des Orientalistes. Questo scritto, che non ci è stato possibile rintracciare, viene citato da R. Guénon (L’esoterismo di Dante, Atanòr, Roma 1971, p. 47 n.) assieme a un altro articolo del medesimo autore: Dante e l’India, “Giornale della Società asiatica italiana”, vol. III, 1889, pp. 3-19. Parlant (in L’esoterismo di Dante, cit., pp. 46-47) de ceux qui ont "finalement supposé que Dante aurait pu subir directement l'influence de l'Inde", Guénon se réfère en outre à un essai "extrêmement superficiel":  Essai sur la philosophie de Dante (Faculté des Lettres, Paris 1838), dont l'auteur, Antoine Frédéric Ozanam, découvre, outre une influence islamique,  une influence indienne dans la "Divine Comédie".
  • A. de Gubernatis, Dante e l’India, cit., p. 10
  • A. de Gubernatis, Dante e l’India, cit., p. 15.
  • M. Asìn Palacios, La escatología musulmana en la Divina Comedia, Hiperión, Madrid 1984, p. 195
  • G. Pascoli, Prefazione alla Prolusione al Paradiso, in Prose, vol. II Scritti danteschi Sezione II, Mondadori 1957, p. 1578
  • Ibidem
  • R. Guénon, op. cit., p. 62
  • N. D’Anna, La Sapienza nascosta. Linguaggio e simbolismo in Dante, I libri del Graal, Roma 2001, pp. 43-44
  • N. D’Anna, op. cit., p. 10
  • Sotto la voce India dell’Enciclopedia dantesca, Istituto della Enciclopedia Italiana, Roma 1971, vol. III, p. 420, Adolfo Cecilia scrive invece che “Ai tempi di D. la regione (…) era praticamente tutta sotto il dominio degli Arabi” (sic)
  • Ghan Shyam Singh, Fortuna di Dante in India, in Enciclopedia dantesca, cit., p. 421 s. v. India
  • Ghan Shyam Singh, ibidem
  • Trad. it. in Ghan Shyam Singh, cit., p. 423
  • A. Bausani, in: M. Iqbal, Il poema celeste, Leonardo da Vinci, Bari 1965, p. 34
  • G. Galbiati, Dante e gli Arabi, in AA. VV., Studi su Dante, Hoepli, Milano 1939, p. 195

Minos et Minotaure: l'enlèvement de l'Europe symbolise le destin de la partie occidentale de l'"indo-européanisme"

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Minos et Minotaure: l'enlèvement de l'Europe symbolise le destin de la partie occidentale de l'"indo-européanisme"

Alexander Eliseev

Ex: https://zavtra.ru/blogs/faktor_minosa_i_minotavra

1. Un monde et deux rois

Tout d'abord, il faut simplement disséquer l'image du roi Minos de Crète. Notons, pour départ, que son nom même renvoie déjà à un archétype ancien. René Guénon note: "Le titre de "roi de la paix", entendu dans son sens le plus sublime, le plus complet et en même temps le plus sévère, est en réalité appliqué à Manu, le législateur universel des temps primitifs, dont le nom, dans telle ou telle prononciation, se retrouve chez de nombreux peuples anciens; il suffit de penser au Minas ou Ménès des Égyptiens, au Manannan ou Manawyd des Celtes, à Minos des Grecs. Mais tous ces noms n'appartiennent à aucune figure historique ou légendaire; ils sont en fait la désignation d'un certain principe, d'une Raison cosmique, qui est le reflet de la pure Lumière spirituelle, qui prononce les formules de la Loi (Dharma) correspondant aux conditions de notre monde et du cycle d'existence; Manu est en même temps l'archétype de l'homme, vu avant tout comme un être pensant (manava en sanskrit)". ("Roi du monde").

Un complément est nécessaire ici. Il faut distinguer entre Manu en tant que Principe super-personnel, et Manu en tant que figure "historique". Selon la tradition indo-aryenne, il existe le Roi de la Paix - Vaishwanara, Chakravartin. Il est également appelé Manu, faisant précisément référence à l'archétype royal de l'être humain. Mais il y a aussi Manu qui est purement terrestre, historique, le premier homme qui a donné naissance à l'existence terrestre de tous les humains. "Si Chakravarti ne représente que le pôle lumineux de l'archétype (pôle solaire), alors Manu est comme la lune qui reflète la lumière à un degré maximal lors de la pleine lune (Paradis Adam) mais qui peut aussi ne pas la refléter du tout, comme lors d'une nouvelle lune" - remarque A. G. Douguine.

En d'autres termes, Manu est un archétype réfléchissant. Il est intéressant de noter que les racines des mots "homme" et "lune" sont très proches dans de nombreuses langues (allemand "Mensch" et "Mond", anglais "man" et "moon", etc.), ce qui indique le caractère naturel et la conscience de la relation symbolique dans les formes linguistiques des anciennes traditions. En revanche, la même racine désigne souvent la "raison" - sanskrit "manas", latin "mens", russe "pensée" (étymologiquement lié, soit dit en passant, au mot "mari", c'est-à-dire "homme"), etc. Dans ce cas, il s'agit déjà de souligner la nature légère du Manu historique, en substituant au monde matériel le sujet, car le mental au sein de la tribhuvanah est la qualité la plus subjective provenant directement ou indirectement de l'intellect premier, buddhi. En ce sens, Manu en tant qu'ayant manas (esprit) est un aspect de viraja, l'esprit global du cosmos dense, propre au Vaishwanara." ("Chemins de l'absolu").

La tradition indo-aryenne elle-même parle à la fois du Manu historique et du dieu lunaire Soma. Lui aussi agit comme le premier roi, et c'est Soma qui a accompli le premier rite d'initiation à la royauté (rajasuya). Cependant, le roi a rapidement méprisé les bons vœux et a enlevé la femme de son cousin Brihaspati.

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Parfois, Soma est identifié à Yama, qui agit également comme le roi - des morts, le seigneur de l'au-delà. (Yama lui-même était présenté comme une sorte d'"adjoint" du roi de la paix - il est un fils de Vivasvat, et Agni lui cède la place de dirigeant du monde d'outre-tombe). Yama, d'autre part, a un analogue iranien - Yima ou Jamshid, qui était un roi juste, mais a ensuite dévié de la droiture et, par conséquent, a été détrôné et tué par son propre frère Spitura qui l'a coupé en deux (un symbole de la dualité, qui est le début de la mort).

Il semble que Manu (le frère de Yama), le Soma lunaire, le Roi des Morts Yama et son homologue Yima (Jamshid) soient tous des noms différents pour le même géniteur, d'où jaillit l'humanité "lunaire", historique, reflétant l'Archétype de la lumière du soleil, et ici, bien sûr, la même dualité, dans laquelle notre monde divisé est piégé, prend place. D'une part, la réflexion de la lumière est sa déformation, d'autre part, la lumière elle-même a toujours un effet bénéfique. La lune est le soleil des morts, mais elle éclaire aussi la terre lorsque le soleil se couche.

Comme il est évident, le nom Manu indique l'aspect lunaire, réfléchi, du commencement du roi.

2. Un souverain thalassocratique

Et, surtout, cela s'applique au roi Minos. Il est révélateur qu'il ait établi une puissante thalassocratie en Crète. Ainsi, Minos a considérablement déformé la tradition hyperboréenne, continentale et fluviale. ("L'Hyperborée comme royaume de la rivière").

A propos, Minos a un certain analogue - le russe Sadko. Ce dernier a également été tenté par la thalassocratie, et il a été tenté par le "tsar de la mer". Cependant, le "riche invité" a tout de même réussi à refuser le rôle inverse qui lui était imposé. ("Sadko et la thalassocratie commerciale").

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Mais revenons à Minos. Ses adultères constants avec sa femme sont révélateurs. Ils mettent en avant le rôle inversé et volatile de l'Europe (plus largement de l'Occident), qui a traversé une série de révolutions nihilistes au cours des siècles. ("L'ancien programme de l'Occident").

L'image de Minos est étroitement liée à celle de Dédale, l'ingénieur et artiste légendaire. Il a commis un crime similaire à une trahison. Dédale, qui est égoïste, a essayé de tuer son apprenti et neveu Talos, car il était jaloux de son succès. Il a conduit le jeune homme en haut d'une colline escarpée et l'a jeté en bas. Cependant, Athéna a empêché Talos d'être écrasé et l'a transformé en perdrix. L'Aréopage athénien, indigné par l'action de Dédale, le condamne au bannissement.

Le meurtrier et traître fut accueilli par Minos, à qui Dédale rendit de nombreux services, notamment en lui faisant une statue. Il a fait une vache en bois sur roues pour Pasiphaë. La reine s'y cachait afin d'assouvir sa passion pour le taureau. En fait, c'est du coït avec lui qu'est né le Minotaure. Ces derniers habitaient dans un labyrinthe, que Dédale avait construit sur le modèle égyptien. Et il convient ici de rappeler que l'Égypte a été fortement influencée par la contre-tradition de l'Atlantide. Et la Crète elle-même était une formation purement thalassocratique, c'est-à-dire "atlante", dont nous parlerons plus loin.

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Dédale s'est lassé de la "tutelle" de Minos et s'en est enfui avec son fils Icare. Ce dernier, comme on le sait, est mort alors que le Soleil avait fondu la cire de ses ailes. Cela peut être considéré comme une indication du commencement solaire, qui empêche le commencement lunaire de se renforcer. Dédale a ensuite construit un temple à Apollon, cherchant clairement à renforcer son origine solaire déformée.

Dédale a trouvé refuge à Camicus en Sicile. Minos réussit à le trouver et exige qu'il remette le maître au roi Cocalos de Sicile. Ce dernier le convoque dans un bain où les filles de Cocalos versent de l'eau bouillante sur le roi crétois. C'est ainsi que Minos a subi la mort par l'élément eau dont il était guidé.

3. Crète atlantique

Minos est né du lien entre Zeus et Europe, que le chef des Olympiens a volé et avec lequel il est apparu en Crète. Sur la même île, Zeus s'est caché de son père Chronos. Cela nous amène à la tradition crétoise. Il est intéressant de noter que l'ancienne civilisation de Crète est souvent identifiée à l'Atlantide, alors qu'elle croyait qu'il n'y avait pas d'"île" engloutie dans l'océan Atlantique. Les similitudes entre l'Atlantide et la Crète sont soulignées. ("L'Atlantide est la Crète").

Oui, cette similitude est frappante, mais elle ne signifie pas du tout une identité. La civilisation de Crète pourrait être une projection particulière de l'Atlantide, une sorte de "remake" méditerranéen. Si tel est le cas, nous assistons à un symbolisme troublant qui s'applique également à Zeus qui y trouve refuge. La tradition atlante elle-même impliquait une rupture avec la tradition primordiale, hyperboréenne; c'est en Atlantide que s'est épanoui le magisme indissociable du polythéisme.

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Pour la Crète antique, l'image du taureau, qui y était très répandue, est très importante. Mais l'image du taureau est également prise par Zeus lui-même - lors de l'enlèvement d'Europe. Et le monstrueux Minotaure (homme à tête de taureau), comme il a été mentionné plus haut, est né de la liaison de la princesse Pasiphaé avec le taureau, qui, selon une version, lui a été envoyé non pas par Poséidon, mais par Zeus. (A. F. Lossev a écrit que le Minotaure est une hypostase de Zeus en Crète). Il serait d'ailleurs opportun de rappeler ici le thème de l'homme-bête lié à l'image du Taureau. ("Le culte de la bête et la technologie de l'inhumanité").

L'enlèvement d'Europe symbolise le sort de la partie occidentale de l'"indo-européanisme", la "zone Kentum", qui est tombée sous l'influence de la tradition atlantique et s'est inclinée vers le polythéisme. Zeus arrive en Europe sous la forme d'un taureau, ce qui est également très révélateur, car le taureau exprime symboliquement l'origine lunaire; ainsi, dans l'ancienne tradition iranienne, le mois est appelé "avoir la semence du taureau". Ainsi, les Romains sacrifiaient des taureaux à Jupiter, tout comme les Slaves - "le dieu unique, créateur de la foudre" (Procopius de Césarée).

Apparemment, il s'agissait d'un certain rituel, symbolisant la conversion du début lunaire au début tonnerre. Selon les païens, grâce au sacrifice d'un taureau, le début lunaire, chthonique, était transformé et s'élevait à un nouveau niveau. Mais Zeus affirme l'image du taureau, ce qui témoigne une fois de plus de l'inversion de la Grèce antique. ("Zeus : l'histoire d'une inversion").

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4. Le fruit de l'inversion

Maintenant, nous devons analyser l'image du Minotaure. Minos a demandé à Poséidon (dans une autre version - Zeus) d'envoyer un animal pour un sacrifice. Un taureau blanc comme neige lui fut envoyé (de la mer). Minos était tout simplement émerveillé par sa splendeur. Il a donc renvoyé le taureau dans ses propres troupeaux et en a apporté un autre à la place. L'interprétation suivante est possible ici. Minos n'était pas prêt à surmonter complètement le début lunaire et bovin. Il l'a donc simplement parodié. Et les conséquences ont été terribles - dans tous les sens du terme. En guise de punition pour avoir trompé les dieux, Poséidon a amené l'épouse royale Pasiphaë à développer une passion pour le plus beau des taureaux. C'est de cette passion qu'est né le Minotaure ("Minos le taureau").

indexbull.jpgL'homme-taureau lui-même a été maîtrisé par Héraclès, puis tué par Thésée. Le fils de Minos, Androgos, a été assassiné à Athènes. Minos a alors forcé le roi Égée à payer un tribut. Ce dernier était censé fournir sept garçons et sept filles par an. Ils étaient condamnés à être mangés par le Minotaure qui vivait dans le Labyrinthe. La version de Plutarque est très intéressante, selon laquelle ceux qui s'aventuraient dans le labyrinthe mouraient eux-mêmes. C'est déjà une image de la perdition spirituelle, où l'on erre dans les fragments de l'esprit comme pour fragmenter la personnalité elle-même. Voici une distinction essentielle entre l'esprit intellectuel et l'esprit (intellect), la superintelligence. Dans la tradition orthodoxe, l'esprit est le nous, qui s'oppose au logikon rationnel. Et tandis que le nous est recueilli en lui-même, le logikon erre partout, il doit être recueilli.

Et voici une autre curieuse multi-variation. Selon certaines versions, Thésée est celui qui tue le Minotaure - avec une épée ou son poing. Mais sur le trône d'Amiclès, Thésée est représenté d'une manière très inhabituelle - il dirige le Minotaure, certes ligoté, mais vivant. (On se souvient peut-être de l'image du Dragon, non pas tué, mais tenu en laisse).

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Voici une indication des deux voies de l'Héroïque. La voie glorieuse, bien que "inférieure" (relativement), consiste à tuer le monstre extérieur. Ce faisant, le héros, sans le vouloir, mais plus ou moins, est assimilé au monstre tueur lui-même. (Le phénomène du tueur de dragon qui devient le Dragon lui-même).

"La voie du dragon"

Mais il existe une autre voie, plus élevée, qui, parallèlement à la lutte contre les monstres "extérieurs" (ou en dépit de celle-ci), consiste à lutter contre le monstre "intérieur" (selon l'expression des Saints Pères, contre le serpent qui se trouve sous le cœur). ("Pour soumettre le serpent").

Il convient de noter que les deux voies, bien que différentes, ne sont pas contradictoires. Ils peuvent être combinés, ce qui est la meilleure façon de sortir du Labyrinthe de la Passion.

5. "Bull Nation"

Le nom "Minotaure" évoque les Tauriens, une entité ethno-politique qu'Hérodote situait dans une zone montagneuse sur une péninsule s'avançant dans le Pont. Ce lieu était situé entre Kerkinitida et Chersonesos le Rocheux, atteignant le détroit de Kerch. Les Hellènes appelaient cette formation "Tauri", c'est-à-dire "taureaux" (le nom propre n'est pas conservé). Il en découle une conclusion tout à fait logique : le culte le plus important des Tauriens était celui du Taureau. C'est-à-dire que nous parlons de la réalisation de l'origine lunaire, navi.

Le "moment" suivant est indicatif. Les Tauriens sacrifiaient les étrangers capturés par eux à une certaine déesse Maiden. Les malheureuses victimes ont été frappées à la tête avec une massue et jetées à la mer. Selon d'autres versions, ils ont été enterrés dans le sol. Notez également que les ennemis capturés au combat avaient la tête coupée et exposée autour de la maison sur de hautes perches. Ammianus Marcellinus rapporte que les victimes ont été poignardées à mort et que leurs têtes ont été clouées aux murs du temple "comme monuments éternels de leurs actions glorieuses".

Et là, les contes de fées russes viennent immédiatement à l'esprit. Ils décrivent la clôture de Baba-Yaga, faite d'ossements humains : "Des crânes humains avec des yeux dépassent de la clôture.

Le culte de la Vierge Marie a été adopté par les Tauriens et les habitants de Chersonesos, mais sans les sacrifices qui l'accompagnent.

Baba-Yaga elle-même est une image du côté décrépit et lunaire de l'âme du monde.

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"Baba Yaga, l'âme du monde"

Notez que le thème de la féminocratie est extrêmement important - en termes de thème de l'inversion ("Hercule, Scythianisme, 'reptilianisme' et 'féminocratie'").

L'origine ethnique des Tauriens est contestée, et les historiens donnent des versions différentes. L'une d'entre elles en font des Cimmériens, c'est-à-dire que les Tauriens sont issus d'un peuple ancien et mystérieux, les Cimmériens. Nous parlons ici de l'ethnos praskifien, qui a fortement influencé l'ethnogenèse des futurs Slaves et Sakhs (nomades du nord de l'Iran).

Les Cimmériens eux-mêmes, semble-t-il, sont les Scythes royaux, dont Hérodote a parlé. Selon lui, ces derniers, sous l'assaut des forces orientales ("Novoscythes") se sont retirés. À ce moment-là, les croisés supérieurs (en fait des rois) ont refusé de fuir et se sont entretués lors d'un duel rituel.

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Une observation intéressante sur les Cimmériens a été faite par le professeur A .G. Kuzmin : "...Les commentateurs grecs ultérieurs ont essayé de comprendre le nom des Cimmériens comme étant des 'hivernants' ('heimerioi'), ou des 'gens des tombes'...". Dans la tradition grecque antique, les constructions réelles ou imaginaires des Cimmériens devaient indiquer leur proximité avec la terre mythique des morts du royaume d'Hadès, dont l'entrée était située à différents endroits de la côte maritime. La notion de "peuple des tombes" peut être associée à celle d'un culte funéraire exagéré, du point de vue des Grecs... Tout au long de la tradition antique court la notion d'une parenté entre les Cimmériens de la mer Noire et les populations de l'"Occident" le plus lointain et de la côte de l'"Océan". ("Le début de la Russie. Les secrets de la naissance du peuple russe").

Ici, il est possible de supposer que la communauté des Cimmériens a vécu un processus d'extinction spirituelle de sa Tradition. La perte de la caste des tsars accompagnée de la fuite exactement à l'Ouest (le coucher du soleil; sur le coucher du soleil les Anciens ont localisé le "pays des morts") a signifié l'apparition d'une contre-tradition des restes spirituels, "psychiques" (d'où le thème de "l'Hadès cimmérien").

Le thème du ken-taur, c'est-à-dire du cheval humain, est extrêmement important. Encore une fois, nous devrions parler de la combinaison de l'humain et de l'animal. Pour être plus exact, sur le renforcement de la seconde au détriment de la première.

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Les centaures eux-mêmes sont un exemple de tentative de surmonter l'ignition du commencement animal. À cet égard, le nom de "centaure" a une signification spéciale et mystique. Il signifie "celui qui tue le taureau" (ken - "j'ai tué", tauros - "taureau").

La venue du Christ et l'établissement du christianisme ont porté un coup dur au culte de la bête. Le baptême et la communion rendaient le salut possible pour tous les hommes - y compris ceux qui avaient déformé leur apparence au maximum. "Dans les légendes occidentales, écrit V. Karpets, on raconte qu'après la Nativité du Christ, les centaures sortirent des forêts, demandèrent aux ermites chrétiens de les baptiser, et les ermites ne les refusèrent pas ("La Russie, qui a dominé le monde").

Nous avons ici un certain chemin symbolique de réinitiation, du "Taureau" lunaire au "Cheval" solaire. Voici le dépassement du "bovin" en faveur du noble.

Le thème du Cheval:

Тема Коня.

«Символизм Троянского Коня»

«Посейдон и атлантизм-2»

«Конёк-Горбунок: мистерия Полёта»

 

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dimanche, 10 octobre 2021

Varsovie défie Bruxelles : Le droit européen ne prime pas sur le droit national

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Varsovie défie Bruxelles : Le droit européen ne prime pas sur le droit national

Varsovie/Bruxelles. Le différend entre la Pologne et l'UE passe à la vitesse supérieure. Cette fois, c'est particulièrement grave, car la Cour suprême du pays s'est prononcée et a annoncé une décision capitale qui avait été longtemps reportée : elle a déclaré jeudi que les traités de l'UE étaient en partie inconstitutionnels. La présidente du tribunal, Julia Przylebska (photo), a accusé les institutions européennes de s'ingérer illégalement dans les affaires intérieures de la Pologne.

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La juge a énuméré toute une série d'articles des traités de l'UE qui n'étaient pas compatibles avec la constitution polonaise. Avec leur action contre Varsovie, les institutions européennes ont outrepassé leurs compétences.

Le tribunal a ainsi suivi l'avis du chef du gouvernement Mateusz Morawiecki, qui avait engagé la procédure et demandé aux juges de se prononcer sur la question de savoir si la constitution polonaise primait sur le droit européen. L'affaire a été déclenchée par des décisions de l'instance judiciaire de l'UE à Luxembourg contre les réformes judiciaires polonaises.

Bruxelles accuse le gouvernement de Varsovie de porter atteinte à l'indépendance des tribunaux et à la séparation des pouvoirs, et a donc intenté une série d'actions au Luxembourg. Le gouvernement polonais ne s'est pas non plus conformé aux ordres répétés de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) de suspendre la réforme judiciaire. La Cour constitutionnelle a maintenant soutenu le gouvernement. Le porte-parole du gouvernement polonais, Piotr Muller, a salué la décision de la juge.

Selon les observateurs, la décision de Varsovie ne fera qu'accentuer les clivages déjà profonds entre Varsovie et Bruxelles et aggravera encore la situation. Car la Commission européenne a déjà condamné Varsovie, il y a quelques semaines, à des amendes quotidiennes ( !) - jusqu'à ce que le gouvernement de Varsovie se conforme aux ordres de Bruxelles. En outre, la Commission européenne refuse depuis des mois de donner son accord au versement à la Pologne de milliards de dollars provenant du fonds de reconstruction Corona de l'UE. À Varsovie, on considère cela comme du "chantage".

La consternation règne maintenant à Bruxelles. Le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, s'est dit "préoccupé" par la décision de la Cour constitutionnelle polonaise. Bruxelles épuisera "tous les moyens" pour faire en sorte que le droit européen soit respecté en Pologne. Le principe de la primauté du droit de l'UE sur le droit national, ainsi que le caractère contraignant des décisions du système judiciaire de l'UE, sont des éléments centraux de la confédération.

Le ministre luxembourgeois des affaires étrangères, Jean Asselborn, a également trouvé des termes dramatiques : "L'arrêt détruit l'idée fondamentale de l'intégration européenne", a déclaré M. Asselborn, qui est également l'un des agitateurs les plus en vue dans le conflit permanent qui oppose l'UE à la Hongrie. La Pologne ne doit plus recevoir d'argent de l'UE. Cela ne contribuera certainement pas à détendre la situation. (mü).

Source: https://zuerst.de/2021/10/09/warschau-nimmt-den-fehdehandschuh-aus-bruessel-auf-eu-recht-steht-nicht-ueber-nationalem-recht/

Sommet UE-Balkans occidentaux

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Sommet UE-Balkans occidentaux

Bruxelles espère absorber les fragments de l'ex-Yougoslavie et l'Albanie

Le sommet UE-Balkans occidentaux, qui s'est tenu en Slovénie les 5 et 6 octobre, a réuni des responsables politiques de pays européens : membres de l'UE et ceux qui ont déclaré leur intention de rejoindre l'union. L'initiative elle-même a été lancée avec le soutien de l'Allemagne il y a plusieurs années et a fait l'objet d'un lobbying actif de la part de l'UE.

La critique du sommet doit commencer par le terme lui-même. Pourquoi parle-t-on des Balkans occidentaux? Officiellement, la Roumanie, la Grèce et la Bulgarie sont déjà membres de l'UE et de l'OTAN, il est donc prétendument nécessaire de délimiter ces pays du territoire de l'ex-Yougoslavie. D'autre part, les Balkans occidentaux comprennent la Croatie, qui a rejoint l'UE en 2013. Mais elle n'inclut pas la Slovénie, qui est une ancienne partie de la Yougoslavie. Pourquoi cette bizarrerie ? Probablement parce que des pays comme la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, l'Albanie et le Kosovo (non reconnu en Serbie et en Russie mais reconnu par de nombreux membres de l'UE), également appelés WB6, sont des constructions fragiles. Et leur fragilité est précisément fonction de l'intervention européenne, qui fait monter les tensions. Mais il est avantageux pour Bruxelles de créer un champ politique homogène à partir des pays indépendants, c'est pourquoi le processus d'européanisation a été lancé sous l'appellation de "Balkans occidentaux".

Cependant, il existe manifestement de nombreux problèmes de blocage. Euronews cite un éminent mondialiste qui exagère la situation. "Le plus grand risque est que la région s'éloigne progressivement de l'État de droit et de la liberté des médias", a déclaré Majda Ruge, du Conseil européen des relations étrangères. "Il existe un problème d'ingérence politique de certains États clés dans les affaires de leurs voisins, notamment en Serbie et en Croatie". Et le rapport se termine par le passage suivant : "Voyant que les négociations d'adhésion à l'UE pour les Balkans occidentaux sont dans l'impasse, des puissances telles que la Chine et la Russie se précipitent pour consolider leur influence dans la région et investir de l'argent pour atteindre leurs objectifs".

Si la Russie et la Chine sont des acteurs hypothétiques dans la région, la mafia albanaise, elle, pourtant, n'est pas inconnue. Il sera intéressant de voir comment le trafic de drogue et la traite des êtres humains (et des organes humains) pratiqués par les bandes criminelles albanaises se conjugueront avec l'État de droit. Cependant, les mondialistes préfèrent mettre l'accent sur d'autres problèmes: par exemple, lorsqu'ils parlent de l'État de droit, ils mentionnent l'ancien premier ministre macédonien Nikola Gruevski, qui a obtenu l'asile politique en Hongrie. Et Goran Zaev, qui a été la marionnette de George Soros pour renverser Gruevski, poursuit le démantèlement de la Macédoine, qui, sous lui, a été rebaptisée "Macédoine du Nord". Le rôle de la Hongrie, en revanche, montre qu'il peut y avoir des points de vue radicalement différents sur une même question. Alors que Zajev promeut l'agenda de Soros, Viktor Orban se bat contre tout projet de Soros en Hongrie. Et cela soulève la question suivante : l'UE peut-elle faire face à la cooptation des Balkans si l'UE elle-même se balkanise ? Le Brexit est également un bon exemple.

Au final, une déclaration a été publiée, exposant les résultats des négociations et les intentions futures. Il contient 29 points.

La première partie met l'accent sur les attitudes et les accords géopolitiques.

"L'UE réaffirme son soutien inconditionnel à la perspective européenne des Balkans occidentaux et se félicite de l'engagement des partenaires des Balkans occidentaux en faveur de la perspective européenne, qui est dans notre intérêt stratégique commun et reste notre choix stratégique commun. L'UE réaffirme son attachement au processus d'élargissement et aux décisions prises à ce sujet, sur la base de réformes crédibles des partenaires, de conditions équitables et strictes et du principe du mérite propre. Nous continuerons à intensifier notre engagement commun en faveur de la promotion du changement politique, économique et social dans la région, tout en reconnaissant les progrès réalisés dans les Balkans occidentaux. Nous rappelons également l'importance pour l'UE d'être capable de soutenir et d'approfondir son propre développement, en garantissant sa capacité à intégrer de nouveaux membres".

"Les partenaires des Balkans occidentaux réaffirment leur attachement aux valeurs et principes européens ainsi qu'aux réformes nécessaires pour leur population. L'UE se félicite de l'engagement renouvelé des partenaires des Balkans occidentaux en faveur de la primauté de la démocratie, des droits et valeurs fondamentaux et de l'État de droit, ainsi que des efforts constants déployés pour lutter contre la corruption et la criminalité organisée, soutenir la bonne gouvernance, les droits de l'homme, l'égalité entre les sexes et les droits des personnes appartenant à des minorités. La crédibilité de ces engagements dépend de la mise en œuvre effective des réformes nécessaires et de l'établissement d'un bilan solide, étayé par une communication claire et cohérente avec le public. Une société civile habilitée et des médias indépendants et pluralistes sont des composantes essentielles de tout système démocratique, et nous saluons et soutenons le rôle qu'ils jouent dans les Balkans occidentaux".

Nous constatons ici une ingérence politique manifeste de l'UE, qui impose aux pays des Balkans des techniques déjà éprouvées de multiculturalisme, de mariage homosexuel et d'autres pratiques anti-traditionnelles, acceptées en Europe occidentale.

En Europe occidentale, l'idée même des Balkans occidentaux est présentée comme une promotion de l'inclusion et de la solidarité européennes (avec toutes ses conséquences).

Mais il est douteux que les populations des Balkans occidentaux soient attachées à ces "valeurs". C'est plutôt l'inverse. Par conséquent, un argument fort de Bruxelles en faveur de l'intégration européenne était la promesse d'investissements et de subventions.

Les résultats concrets du sommet sont les suivants :

    Un plan économique et d'investissement (PEI) de 30 milliards d'euros ;
    Un engagement pour augmenter la vaccination contre le COVID-19 ;
    Une voie pour réduire les coûts d'itinérance ;
    Programme innovant pour les Balkans occidentaux ;
    "Green Lanes" et le plan d'action communautaire pour les transports.

L'UE s'efforcera de tirer parti de ce succès et de poursuivre les initiatives pro-européennes, tant au niveau bilatéral qu'à travers la plate-forme du sommet. Bien que de nombreuses initiatives européennes aient échoué dans les Balkans, on ne peut diminuer le sérieux des intentions et des capacités de Bruxelles à ce stade. Étant donné que le Monténégro et la Macédoine du Nord sont déjà dans l'OTAN.

La rêverie impériale de Bernard-Henri Lévy : une reconnaissance implicite de la multipolarité ?

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La rêverie impériale de Bernard-Henri Lévy: une reconnaissance implicite de la multipolarité?

Alexander Bovdunov

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/imperskie-gryozy-bernara-anri-levi-priznanie-fakta-mnogopolyarnosti

Le philosophe mondialiste Bernard-Henri Lévy rapporte que le président de la République française et son homologue italien annonceront dans les prochaines semaines un "pacte du Quirinal", qui serait calqué sur le traité de l'Élysée, lequel fixe le cadre des relations franco-allemandes. Le pacte entre l'Italie et la France est évoqué depuis des années. Cependant, selon le philosophe libéral, c'est maintenant le bon moment pour conclure un tel traité. Bernard Henri Lévy cite le texte "L'Empire latin" de 1945, écrit par Alexandre Kojève, un philosophe français néo-hégélien d'origine russe. Kojève l'a écrit pour le général de Gaulle. Lévy considère le concept d'"Empire latin" comme une chance pour la France de Macron.

Les empires comme report/préparation de la fin de l'histoire

La signification de l'"Empire latin" est la suivante: après 1945, l'ère des États-nations a pris fin et le monde est façonné en empires post-nationaux. Kojève pensait que l'un de ces empires mondiaux était l'Union soviétique, l'autre le bloc anglo-saxon des États-Unis et de la Grande-Bretagne. L'Allemagne est déchirée entre ces empires. Cependant, selon le philosophe, un autre pôle pourrait s'affirmer: la France, ainsi que l'Italie, l'Espagne et le Portugal, les pays du "monde latin" unis non pas par le protestantisme et l'éthique du travail (comme l'empire anglo-saxon), mais par les racines catholiques, la capacité à vivre de manière esthétique (style commun) et l'héritage romain.

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Sur le plan géopolitique, Kojève propose une union supranationale d'un "empire latin" basé sur le contrôle exclusif de la Méditerranée et des possessions coloniales en Afrique. Dans le domaine religieux, cet empire devait s'appuyer sur l'Église catholique (Kojève a même suggéré qu'un tel empire pourrait réaliser l'unification avec l'Église orthodoxe dans les relations avec l'URSS). En outre, en raison de son caractère universel, le catholicisme était considéré par Kojève comme un moyen important pour l'empire de ne pas se fermer, un rappel que l'empire n'était qu'une "étape" sur la voie de l'unification finale de l'humanité.

Pour Kojève, la fin hégélienne de l'histoire s'incarnerait alors dans le triomphe du "catholicisme chrétien" plutôt que de l'humanisme irréligieux.

La France: secousse impériale ou oubli ?

A première vue, l'invocation de l'idée impériale sous une forme catholique semble étrange pour le Lévy ultra-libéral et mondialiste. Pourtant, c'est Lévy qui a publié ce texte de Kojève, jusque-là oublié, en 1991. Aujourd'hui, de l'avis du philosophe, elle est encore plus pertinente.

"Je demande si Emmanuel Macron a lu Kojève, parce qu'il arrive la même chose aux grands textes qu'aux événements historiques ; parce qu'il faut du temps, souvent toute une vie, pour qu'ils trouvent leur sens plein et entier ; et parce que 75 ans après la première publication de ces pages légendaires, le monde semble être exactement dans la situation que Kojève avait prédite", écrit Lévy.

"Voilà donc l'Empire russe qui, avec d'autres dont personne n'attendait une telle embellie, se réaffirme sur la scène internationale. Voici les États-Unis.... L'Allemagne d'Angela Merkel, et celle qui lui succédera, confirme sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et, en même temps, son statut stratégique de satellite des États-Unis."

"L'idée est qu'il existe une communauté de valeurs, de civilisation et de métaphysique entre les peuples de l'Europe du Sud qui, si elle est soulignée et réalisée, permettra de lutter contre l'appauvrissement croissant des capacités humaines".

Ainsi, les discussions, les frottements égoïstes entre les cultures et les petits comptes laisseront place à une véritable vision ; cette richesse commune aura l'occasion de s'affirmer ; et certainement sans remettre en cause les acquis historiques de l'axe franco-allemand, l'occasion se transformera en succès, et l'événement prendra une signification métapolitique maximale.

Ce sera la dernière occasion pour la France de ne pas courir vers l'abîme : vers la rétrogradation, vers le statut de puissance naine, vers la disparition de la grande politique sous une clameur souveraine et populiste".

La dernière affirmation est extrêmement importante. Le fait est que Lévy n'est pas le seul à s'inquiéter du déclin de l'influence de la France. La conclusion de l'alliance anglo-saxonne AUKUS, le coup porté à la réputation sous la forme du rejet par l'Australie du contrat de construction de sous-marins de plusieurs milliards de dollars de la France en faveur des États-Unis, la controverse frontalière post-Brexit en cours avec le Royaume-Uni montrent que, quelle que soit la proximité idéologique entre Macron et Biden, les libéraux et les mondialistes, la logique géopolitique des événements pousse leurs pays dans des coins différents. Le mondialiste Macron est de plus en plus contraint de jouer le rôle de souverain européen, prônant une armée européenne unique et une plus grande autonomie de l'Europe au sein de l'OTAN.

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D'autre part, la France de Macron est confrontée à de nouveaux défis dans sa sphère d'influence traditionnelle, l'Afrique, dont les Français sont évincés par la Russie, la Chine et la Turquie. L'arrivée d'experts militaires russes au Mali et les déclarations anti-françaises des autorités maliennes qui ont récemment accusé Paris de soutenir le terrorisme montrent que l'influence de la France au Sahel est remise en question. La France n'a pas pu ou voulu faire face à la menace terroriste dans la région et le retrait de la France du Mali a été comparé au désastre américain en Afghanistan. La Russie se renforce aussi activement en RCA. La Turquie, est devenue le deuxième partenaire économique de l'Algérie et a pris pied en Libye. La Chine devient un acteur majeur dans toute l'Afrique ex-française et la population locale déteste les Français et attend de dire adieu à Paris et à ses mandataires.

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Paris est confronté au problème de la réévaluation de sa stratégie géopolitique et de son adaptation au monde multipolaire émergent. Que devrait être la France ? Un pôle indépendant, un allié des États-Unis, une partie du noyau franco-allemand d'une Europe unie et indépendante ? Différentes réponses sont proposées. Par exemple, le général Henri Roure (photo, ci-dessus) suggère que la France soit considérée comme une puissance mondiale (une sorte de pendant à la "Global Britain" post-Brexit) et se développe en s'appuyant sur des possessions d'outre-mer :

"La France n'est pas un pays européen, c'est un pays de tous les continents. Son vaste territoire n'est pas le seul atout de la France en tant que grande puissance. Une armée puissante, une dissuasion nucléaire, le deuxième plus grand réseau diplomatique du monde, un siège permanent au Conseil de sécurité et un monde francophone contribuent à sa puissance potentielle. Ces vecteurs doivent être développés et améliorés. Bien sûr, la France est forte d'une économie prospère, mais le PIB n'a jamais été un facteur mondial exceptionnel. Les Français sont aveuglés par le système capitaliste ultra-libéral imposé par les États-Unis, qui classe les pays en fonction de leur production, en dollars bien sûr".

La Nouvelle Droite (Alain de Benoist et autres), n'est pas moins patriotique, mais positionne la France comme faisant partie d'un futur pôle européen souverain, dans un monde multipolaire, orienté vers l'amitié avec la Russie sur le plan géopolitique et vers le maintien de la tradition et de l'identité dans le gris de la politique intérieure. Il y a de tels souverainistes européens en Italie aussi. Il est intéressant de noter que non seulement les philosophes de droite mais aussi ceux de gauche plaident pour une plus grande souveraineté européenne ou une réévaluation de la structure de l'UE. Ainsi, le philosophe italien de gauche Giorgio Agamben a également fait référence à l'idée de Kojève d'un "Empire latin" :

"Aujourd'hui, alors que l'Union européenne s'est constituée en ignorant les liens culturels concrets qui existent entre les nations, il serait utile - et pertinent - de faire revivre la proposition de Kojève. Ce qu'il avait prédit s'est avéré vrai. Cette Europe, qui cherche à exister sur une base strictement économique, en abandonnant toutes les affinités authentiques entre mode de vie, culture et religion, a démontré à plusieurs reprises ses faiblesses, notamment sur le plan économique."

La géopolitique de "l'empire latin"

Dans le domaine de la géopolitique pratique, une évolution vers un "empire latin" signifierait une alliance entre Rome et Paris pour résoudre les problèmes en Méditerranée. L'enjeu est la richesse pétrolière et gazière de Chypre, sur laquelle l'italien ENI et le français Total ont des vues. Le problème pour les deux pays est la Turquie, qui revendique des parties importantes du plateau, à la fois en son nom et au nom de la République turque de Chypre du Nord non reconnue.

Ces dernières années, l'Italie a été en désaccord avec la Turquie sur la question de la coopération avec les gouvernements de Tripoli, qui ciblent les mêmes forces qui ont le dessus dans l'ouest du pays. Toutefois, si le rapprochement franco-italien se poursuit, Paris et Rome pourraient tenter de mettre la pression sur chacun de leurs "alliés" en Libye - l'Italie à la Turquie et la France à la Russie (car Paris et Moscou sont plus favorables au maréchal Khalifa Haftar dans le conflit libyen).

Enfin, l'Italie et la France peuvent essayer d'équilibrer leur influence en Afrique en attirant également l'Espagne et le Portugal. Au sein de l'UE, un bloc transalpin pourrait faire contrepoids à l'Allemagne en confiant à Paris le rôle de tenir la balance.

Rêves impériaux

L'orientation de Lévy, mondialiste, en direction de l'hégélianisme, également mondialiste dans la version de Kojève, qui vise à unir l'humanité par le passage et le dépassement ultérieur de la dimension impériale, est très intéressant. Plus récemment, il s'est exprimé au nom d'un seul empire libéral qui est contesté par cinq rois : cinq pôles de pouvoir indépendants. Il affirme aujourd'hui que cet empire n'existe pas et que la France pourrait devenir le centre d'un des nombreux empires qui se partageront le monde, empires fondés sur une "communauté de valeurs, de civilisation et de métaphysique". Oui, la référence de Kojève aux "empires post-nationaux" signifie que l'objectif de créer à terme une humanité unique persiste. Cependant, comme Kojève, Lévy est obligé de reconnaître que la fin de l'histoire sous la forme d'une humanité libérale commune est reportée. Le temps des empires arrive. Et le fait qu'il (et même lui) ne soit pas le seul à envisager l'empire en France est très révélateur pour la compréhension de la situation dans laquelle nous nous trouvons. C'est un peu comme le passage de Francis Fukuyama de l'optimisme libéral de la "fin de l'histoire" à l'affirmation de la nécessité de renforcer l'État-nation moderne.

Plus intéressant encore, les mondialistes reconnaissent que le projet d'une humanité unifiée s'est effondré, le monde devient multipolaire (sans toutefois perdre l'espoir que cette multipolarité puisse être dialectiquement dépassée).

La revue de presse de CD - 10 octobre 2021

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La revue de presse de CD

10 octobre 2021

AFRIQUE

Mali : gardez-moi de mes amis…

Le maintien de nos troupes au Mali depuis huit ans maintenant n’était sans doute pas au programme des réjouissances. Encore moins nos 56 soldats morts pour la France. Si Paris n’était pas intervenu, il est fort probable que le Mali tout entier serait tombé sous la coupe djihadiste des groupes AQMI, Ansar-ed-dine et al-Mourabitoun. Le pays aurait connu une partition avec un Nord « Azawad » prenant le large de Bamako grâce à l’alliance des Touaregs avec ces groupes islamo-terroristes, et un Sud en proie au chaos.

Geopragma

https://geopragma.fr/mali-gardez-moi-de-mes-amis/

ALLEMAGNE

L'Allemagne post-Merkel sous le signe de la continuité : puissance économique et insignifiance géopolitique

L'héritage de Mme Merkel est identifié à la primauté de l'Allemagne en Europe, et ses politiques étaient axées sur la stabilité politique et la croissance économique allemande. Mme Merkel n'est pas à l'origine d'une nouvelle doctrine politique ni d'un modèle économique et social novateur : le "merkelisme" peut être défini comme un pragmatisme qui implique l'adaptation économique et géopolitique de l'Allemagne à un monde globalisé en constante mutation. Mme Merkel a surtout mis en œuvre un processus de réformes néolibérales, générant une crise d'identité peut-être irréversible au sein de la social-démocratie allemande.

Euro-Synergies

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/10/03/l...

DÉSINFORMATION

Présidentielle : la machine médiatique en marche

Des médias gouvernés par l’argent plus encore que par l’idéologie (ce qui explique le phénomène Zemmour : il fait de l’audience !). Un président Macron dont la politique sanitaire est moins dictée par les exigences du « grand reset » que par le calendrier de sa réélection ! Reste le fait que le mot COVID n’a pas été prononcé lors du débat Zemmour/Mélenchon qui a explosé toutes les audiences (4 millions de spectateurs) : sans doute un indice du retour au premier plan des préoccupations politiques des questions identitaires et régaliennes ainsi que sociales.

Polémia

https://www.polemia.com/presidentielle-la-machine-mediati...

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La commission Bronner : ministère de la vérité va lutter contre le complotisme

Avec la mise en place de la Commission Bronner, c’est un véritable ministère de la Vérité qui s’érige en France.

Contrrepoints.org

https://www.contrepoints.org/2021/10/04/407573-la-commiss...

ÉTATS-UNIS

Enlèvement, assassinat et fusillade à Londres : les plans de guerre secrets de la CIA contre WikiLeaks (1/4)

Nous sommes heureux de vous proposer aujourd’hui la traduction d’un article d’investigation très important rédigé par… Yahoo. Nous en sommes en effet là : la presse d’investigation est dans un tel état que c’est désormais Yahoo qui est obligé de sortir un tel scoop, à savoir que la CIA et le gouvernement américain ont discuté de plans pour assassiner un journaliste qui avait révélé des crimes de ce même gouvernement américain.

Les-crises.fr

https://www.les-crises.fr/enlevement-assassinat-et-fusill...

CIA vs Wikileaks (2/4) : Pompeo confirme que « certains passages de l’enquête Yahoo sont vrais »

L’ancien directeur de la CIA et ancien secrétaire d’État Mike Pompeo a appelé mercredi à ce que soient poursuivies pour crime les sources qui ont parlé à Yahoo News dans un article détaillant les propositions de l’agence de renseignement en 2017 pour enlever le fondateur de WikiLeaks Julian Assange et les discussions au sein de l’administration Trump et de la CIA pour éventuellement l’assassiner.

les-crises.fr

https://www.les-crises.fr/cia-vs-wikileaks-2-4-pompeo-con...

CIA vs Wikileaks (3/4) : Les erreurs de l’article de Yahoo sur Assange

L’article de Yahoo !-fournit de nouveaux détails importants sur des faits signalés il y a un an, mais contient plusieurs erreurs, notamment une histoire inventée de toutes pièces selon laquelle des agents russes voulaient exfiltrer Assange de l’ambassade d’Équateur.

les-crises.fr

https://www.les-crises.fr/cia-vs-wikileaks-3-4-les-erreur...  

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Le LSD, la nouvelle drogue de la productivité?

Cadres, directeurs artistiques, chefs d'entreprise... ils sont aujourd'hui nombreux à vanter les bienfaits de cette drogue hallucinogène, pourtant interdite.

Slate

http://www.slate.fr/story/217023/cadres-lsd-drogue-travai...

FRANCE

Suez pris au piège par l’impérialisme économique américain

Malgré l’humiliation subie de la part de ses « alliés » dans la vente des sous-marins à l’Australie, malgré les assauts menés par les Américains dans le cadre de leur guerre économique et commerciale, malgré les sanctions financières colossales imposées par les Américains à des institutions financières pour avoir utilisé le dollar, le gouvernement demeure incapable de préserver la souveraineté économique de la France. Le dernier exemple en date, celui de la possible prise de participation à 40 % du fonds d’investissement américain GIP au sein du nouveau Suez, illustre la cécité d’Emmanuel Macron et de Bercy, alors même que l’eau est plus que jamais une ressource stratégique.

Le Vent Se Lève

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GAFAM

Chine, un an de reprise en main du numérique

Amendes pour pratiques anticoncurrentielles, enquêtes pour mauvaises gestions des données, nouvelles lois en cascade, depuis près d’un an la fureur de Pékin s’abat sur ses puissantes entreprises technologiques.

Siècle digital

https://siecledigital.fr/2021/10/05/le-recap-chine-un-an-...

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GÉOPOLITIQUE

Géopolitique de Chypre. 2e partie. Illusions et réalités de la valeur stratégique de Chypre

Suivant la place occupée par la Méditerranée dans les relations internationales, des sites de grande importance ont connu des moments de gloire avant de sombrer dans l’oubli, éventuellement d’être à nouveau convoités quand les conditions changent. Parmi ces « points chauds », il était logique que les îles comptent davantage, bien que leur valeur stratégique ait aussi varié, ce qui fut notamment le cas de Chypre.

Diploweb

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MAGHREB

Les raisons de la crise franco-algérienne, par Bernard Lugan

L’Algérie vient de rappeler en consultation son ambassadeur à Paris, puis elle a décidé de fermer son espace aérien aux avions français  ravitaillant Barkhane. La raison ? Simple calcul électoral ou véritable et louable prise conscience, le président Macron qui, jusque-là, parlait de la colonisation comme d’un « crime contre l’humanité », vient étonnamment de faire preuve de « virilité » en dénonçant le cœur du « Système » qui pompe la substance de l’Algérie depuis 1962.

Breizh-info

https://www.breizh-info.com/2021/10/05/171826/les-raisons...

RÉFLEXION

Special Intelligence : L’émergence d’un nouveau type de renseignement

Le nouveau livre d’Éric Denécé et Alain-Pierre Laclotte, La nouvelle guerre secrète – Unités clandestines et opérations spéciales (Mareuil Éditions) traite d’un sujet peu traité, parce que récent et difficilement circonscrit. Depuis la fin de la Guerre froide, la guerre a changé de nature et les affrontements armés de physionomie. Le terrorisme et les guerres civiles — ethniques ou religieuses — ont remplacé les conflits interétatiques. Les guérillas et les groupes terroristes étant dans l’impossibilité d’affronter les États occidentaux dans une bataille classique, ils contournent leurs défenses en transformant les affrontements en une série d’actions imprévisibles, fugaces, brutales et médiatiques.

Thetrum-belli.com

https://theatrum-belli.com/livre-la-nouvelle-guerre-secre...

Julien-Freund-2-1503x1200.jpg

Retour à Julien Freund

Julien Freund fait le point de sa doctrine et la confronte à la religion de ses lecteurs dans ce livre posthume, « Lettres de la vallée. Méditations philosophiques et politiques » (éditions La Nouvelle Librairie). Il se place délibérément dans la contradiction et offre sa théorie politique d’un nouveau contrat social. Le catalogue des thèmes et sujets abordés est emblématique de la hauteur de vue. L’ouvrage se présente en trois parties. D’abord le corps principal de 24 lettres écrites entre 1974 et 1976. Ensuite un « avertissement » daté de 1991. Enfin, des « annexes » constituées de duplication d’articles parus séparément. Le titre est fort. La base contre le sommet ; le peuple contre l’élite ; les douves de la philosophie contre les fortins de l’idéologie dominante. Somewhere versus anywhere ? Julien Freund met la montagne et la vallée sur l’orbite de l’opposition. Il sonne le tocsin du maquis contre l’hégémonie, de l’essentiel contre l’insignifiance, du heartland contre le rimland. L’ouvrage livre un intense et grouillant moment de sa culture en éventail.

Euro-synergies

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Recension de Dépossession et Coup d’Etat planétaire

En 2018, Liliane Held-Khawam nous a expliqué dans Dépossession comment l’hyper puissance d’une élite financière mettait les États et les citoyens à genoux. Avec ce nouvel ouvrage très analytique et formidablement documenté (Comment une élite financière s’arroge le pouvoir absolu par la captation universelle des ressources. Éditions Réorganisation du monde), elle va plus loin en décrivant l’instauration d’une tyrannie globale qui ne fait même plus semblant de se cacher derrière les faux-nez d’une “ démocratie ” qui n’existe plus.

liliane Heldd Khawam

https://lilianeheldkhawam.com/2019/11/29/coup-detat-plane...

Climatisme: idéologie de l'assujettissement et de la pauvreté

Par rapport au passé, il y a un changement majeur : avant, on parlait de réchauffement climatique, aujourd'hui les maîtres des mots se sont rabattus sur le changement climatique, plus générique. En tout cas, on ne peut échapper à une idéologie dont le principal court-circuit concerne le rôle de l'espèce humaine. Le dogme incontesté, en effet, est l'origine anthropique du changement climatique de la planète. C'est l'homme, avec sa volonté de puissance, qui est le prédateur responsable du déséquilibre naturel. Jusqu'à présent, rien à redire : des thèses proclamées par beaucoup sans succès.

Euro-synergies

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RUSSIE

Une réponse aux laboratoires biologiques et aux programmes militaires secrets américains

L’expansion incontrôlée du réseau de laboratoires biologiques militaires secrets américains le long des frontières russes est un sujet de préoccupation non seulement pour Moscou mais aussi pour de nombreuses républiques post-soviétiques et la communauté internationale.  À ce jour, les États-Unis ont créé une véritable toile d’araignée de laboratoires biologiques secrets dans le monde entier. Depuis 1997, le Pentagone a entraîné dans ce programme plus de 30 pays comme partenaires de cette « initiative » américaine. Sans compter les 400 installations situées sur le territoire continental des États-Unis qui sont également impliquées dans un travail sur des agents pathogènes.

Le Saker francophone

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SANTÉ

Inde : quand l’OMS joue à cache-cache avec l’ivermectine

Quand l’OMS et le CDC (Center for Disease Control and Prevention, agence du médicament aux USA) distribuent de l’ivermectine pour traiter l’épidémie de Covid en Inde, se félicitent du résultat, mais refusent de dire ce qu’ils ont distribué.

Covid-factuel.fr

https://www.covid-factuel.fr/2021/10/04/inde-quand-loms-j...

Les vaccins génétiques anti-covid sont une forme d’expérimentation médicale

Au regard du droit européen et du droit international, les vaccins génétiques anti-covid constituent une expérimentation médicale sur les êtres humains. Or, d’un point de vue tant éthique que juridique, nul ne peut être obligé de se soumettre à une forme d’expérimentation médicale en l’absence d’un consentement libre et éclairé.

blogs.mediapart.fr

https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/081021...

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UNION EUROPÉENNE

Politique énergétique européenne : un désastre antinucléaire

Depuis près de 20 ans, la politique énergétique de l’Europe influencée par l’Allemagne est un désastre qui se traduit aujourd’hui par une augmentation rapide des prix du gaz et de l’électricité.

Contrepoints

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samedi, 09 octobre 2021

France: le nouveau Messie

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France: le nouveau Messie
 
Auteur : Philippe Huysmans
 
Ex: http://www.zejournal.mobi/index.php/news/show_detail/24289

Pour être un observateur attentif de la politique française depuis des décennies, j’ai de plus en plus l’impression que si l’histoire ne se répète pas, elle a une fâcheuse tendance à repasser les plats. C’est normal, me direz-vous, puisqu’après tout, c’est dans les plus vieilles casseroles qu’on fait les meilleurs bouillons.

Ainsi, la stratégie du pouvoir pour écarter systématiquement toute opposition réelle a été soit de la diaboliser, soit de façonner des opposants en carton dont on sait que le moment venu, il sera facile de les battre.

Un des cas les plus emblématiques reste certainement l’élection de 2002, chef-d’oeuvre du genre, qui avait opposé au second tour Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen au grand dam de Lionel Jospin qui s’était fait débarquer au premier tour. Exit donc le candidat gênant, et une victoire écrasante pour Chirac, trop heureux de se voir reconduire sur un score digne du parti communiste soviétique à l’époque de Brejnev (82,21%).

L’élection de 2012 marque l’entrée dans la danse de Marine Le Pen, suite au retrait de papounet le menhir qui commençait à se faire vieux et avait compris assez tôt que jamais il n’accéderait à la fonction suprême. Pareil pour sa fille, en fait, si elle était restée sur la ligne du Front National. Mais on lui a fait miroiter que si elle adoptait une trajectoire rentrante, notamment concernant la communauté juive, la shoah, et finalement le sionisme, elle pourrait prétendre à la respectabilité et rejoindre les candidats présidentiables. Fatale erreur, elle n’avait pas réalisé que le projet était en réalité de détruire une fois pour toutes la droite patriotique, en la forçant à tous les renoncements, en détruisant méticuleusement son assise idéologique.

L’élection de 2017 reste la parfaite illustration de ceci. On commence par liquider le candidat vraiment dangereux (François Fillon) sur base d’un dossier bidon, puis on oppose les ânes habituels au « miracle » Macron, ce nouveau génie des Carpates tellement jeune et si mignon. Restent Marine Le Pen, Mélenchon (looser officiel depuis 40 ans), et Benoît Hamon qui a le charisme d’une tartiflette crue. Tout se passe comme prévu, Marine Le Pen se retrouve au second tour et se fait laminer en beauté notamment à l’occasion d’un débat qui restera dans les annales comme une démonstration éclatante de l’impéritie crasse de la tête de gondole du Front National. Incompétence ou soumission, à ce niveau-là de similitude, ça devient difficile à distinguer.   Cette fois, les patriotes n’ont pas perdu, ils ont été faits cocus.

Est-ce que les candidats opposés à Macron avaient la moindre chance, sachant que l’ensemble des médias avait pris fait et cause pour lui? Non, aucune, c’était le candidat du sérail, propulsé par l’oligarchie qui se trouve posséder l’ensemble de la presse écrite et des instituts de sondage.

Aujourd’hui, sur fond de grogne sociale, mais aussi dans le contexte d’un véritable coup d’État opéré par les gouvernements occidentaux au titre d’une prétendue crise sanitaire, les choses auraient pu se dérouler bien autrement, tant le président Macron est détesté par une majorité de la population.

Est-ce que Macron sera candidat en 2022?

À vrai dire cela paraît peu probable, tant le rejet de sa personne est fort. Disons qu’il est légèrement carbonisé et qu’il sent le soufre, ses bons maîtres n’hésiteront pas à le sacrifier comme un vieux Kleenex. Il n’a jamais été autre chose qu’un président jetable, à qui l’on donne l’ordre de mener des réformes plus impopulaires les unes que les autres, avant de retourner à l’écurie peindre une autre haridelle en cheval de course. Gageons qu’il trouvera bien à se recaser dans le privé, pourquoi pas dans la banque ou au conseil d’administration d’une société pharmaceutique, par exemple.

Identifier les priorités

S’il y a quelque chose qui m’effraie dans cette campagne présidentielle, c’est à quel point il reste facile de distraire l’opposition véritable en agitant, une fois de plus, le hochet du grand remplacement. Est-ce que le grand remplacement est un fantasme? Sûrement pas, c’est une réalité de plus en plus tangible, et de plus en plus mal acceptée par une majorité de Français confrontés à la précarité et à l’insécurité. Mais est-ce que c’est la priorité? Ne pas oublier que l’immigration massive n’est pas une fatalité, elle a été voulue par les gouvernements successifs, un peu partout en Occident. C’est une création du pouvoir, un outil au service d’un but : détruire les nations au profit de populations déracinées ne pouvant se réclamer de nulle part, un immense troupeau d’esclaves-consommateurs sous la férule de la bourgeoisie des milliardaires. Le modèle c’est le communisme pour les masses et l’ultralibéralisme pour l’oligarchie, le pire des deux mondes.

Pendant ce temps, depuis 19 mois nous assistons à l’instauration d’une véritable tyrannie, d’un pouvoir en roue libre s’affranchissant de toutes les barrières démocratiques avec le soutien des médias à la botte.

Si l’on ne comprend pas que l’instauration de la dictature n’est que le moyen d’imposer l’instauration du modèle de société que j’évoquais plus haut, on est perdus. Si vous n’êtes pas capables en l’état de vous opposer au grand remplacement, vous pensez sérieusement que vous serez à même de vous opposer à quoi que ce soit une fois en dictature?

Zemmour comme sauveur de la France

Si voter changeait quelque chose il y a longtemps que ça serait interdit, disait Coluche. C’est également mon opinion. Néanmoins, si vous persistez à penser que cette mascarade pourrait déboucher sur une issue positive, il y a quand même lieu de vous poser deux ou trois questions.

Une phrase, frappée au coin du bon sens, circule ces temps-ci sur internet et dit en substance que si celui qui incarne la résistance est adoubé par la presse, alors il ne peut pas être la résistance. Et de fait, si l’on en juge par la couverture médiatique du personnage, on a un peu de mal à croire qu’il serait autre chose qu’un rouage du système.

Ensuite sur le côté sauveur du personnage, avez-vous pris la peine d’écouter ses positions à part son dada de l’immigration zéro? Il est plus à droite que Macron, et pour l’augmentation de l’âge de la pension. Sur la pseudo crise sanitaire, c’est pire encore, l’intéressé soutenait le pass sanitaire, et s’il jugeait que l’obligation vaccinale à peine déguisée est inélégante, il n’était pas contre une bonne grosse obligation vaccinale pour tous dans la loi. Ca ne vous paraît pas un peu rédhibitoire?

Sa propension à n’attaquer frontalement que Marine Le Pen sans jamais égratigner le pouvoir en place incarné par Macron ne vous pose pas de problème? Ses diatribes sur l’immigration zéro alors que c’est un européiste convaincu vous paraissent crédibles, sachant qu’en droit français, les accords internationaux, dont la constitution européenne, viennent au-dessus même de la constitution, dans la hiérarchie des normes?

Parlera-t-on de ses soutiens, qui ressemblent à s’y méprendre à ceux qui avaient propulsé Macron sur le devant de la scène? Parlera-t-on des dizaines de milliers de comptes qui ont surgi sur les réseaux sociaux comme des champignons après l’averse, tous tenus par la « jeunesse enthousiaste » qui supporte le candidat miraculeux? Qui peut se payer ce genre de campagne de communication alors qu’il n’est même pas officiellement candidat?

Croire qu’il serait autre chose que l’arme ultime d’un système aux abois est, selon moi, la meilleure recette pour une méga gueule de bois au lendemain des présidentielles.

Conclusion

Ma conclusion n’est pas pour plaire, parce que je crois qu’il n’y en a aucune s’agissant d’un jeu truqué qui tient lieu de divertissement populaire afin de maintenir l’illusion démocratique. On ne joue pas avec les tricheurs, on renverse la table.

Et sachez que les libertés qu’on vous prend aujourd’hui, personne ne vous les rendra. Il faudra les reconquérir de haute lutte ou se résigner à l’oppression. La seule chose dont le pouvoir a une sainte trouille, c’est la solidarité. Quand les citoyens se souviennent qu’unis, ils peuvent aisément balayer la tyrannie. Les manifs c’est bien, la grève générale c’est mieux! À quand la désobéissance civile généralisée? Que pourrait faire le pouvoir contre ça?

Moi je me rappelle qu’un petit homme haut comme trois pommes et épais comme un Tuc a su obliger le plus puissant empire colonial de l’époque à accorder son indépendance à l’Inde, avec juste ça !

Le cordon sanitaire atlantique

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Le cordon sanitaire atlantique

Par Claudio Mutti

(Archives, novembre 2017)

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/cordone-sanitario-atlantico/?fbclid=IwAR3A5K4hxh5MG1_mniGFXeYCui6Mp1xpxkHVJUONkyWbzgX4H1X4YT58MTA

Au tournant des 13e et 14e siècles, la géographie de l'Europe de l'Est était complètement différente de ce qu'elle est aujourd'hui et offrait un tableau politique extrêmement fragmenté, dans lequel les forces qui allaient avoir une influence décisive sur l'histoire ultérieure prenaient lentement forme. La Russie est un ensemble de principautés, parmi lesquelles le petit duché de Moscovie ne s'est pas encore imposé comme le noyau du nouvel État russe. Le royaume de Pologne, qui, au siècle précédent, avait été réduit à une multitude d'îlots, ne comprenait ni la Silésie ni les territoires baltes de la Poméranie et, à l'est, touchait à peine la Galicie. Sur la côte de la Baltique, entre les embouchures de la Vistule et de la Neva, se trouvait le territoire de l'Ordre Teutonique. L'État lituanien est coincé entre les principautés russes et la Pologne. La partie sud de l'Ukraine actuelle, avec la péninsule de Crimée, était sous la domination des Khans tatars.

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À partir des dernières décennies du XIIIe siècle, et pendant environ un siècle et demi, la Lituanie a repoussé ses frontières vers l'est sans rencontrer d'obstacles majeurs. Ayant vaincu les armées de l'Ordre Teutonique et étendu ses territoires vers le nord également, la Lituanie était devenue, au milieu du XIVe siècle, "un État puissant" [1] s'étendant de la mer Baltique presque jusqu'à la mer Noire.

En 1386, le grand-duc lituanien Jogaila (dont le nom sera connu en Europe sous la forme polono-latine de Jagiello, c'est-à-dire Jagellon) décide de se faire baptiser, afin d'être marié à la reine polonaise Jadwiga, âgée de onze ans (qui deviendra sainte Hedwige, patronne des reines, de la Pologne et de l'Union européenne elle-même) et de pouvoir être couronné roi de Pologne sous le nom de Ladislas (1386-1434). La Lituanie reste donc un grand-duché sous souveraineté polonaise. Selon les accords préliminaires conclus avec l'aristocratie polonaise, le fondateur de la dynastie des Jagellons s'engage à unir ses possessions lituaniennes et russes à la couronne polonaise, à faire la guerre aux chevaliers teutoniques, à soutenir l'Église catholique et à appuyer les efforts des missionnaires allemands et polonais pour convertir les Lituaniens païens.

Le 15 juillet 1410, les armées du nouveau souverain polonais et de son cousin lituanien Vytautas (1350-1430) ont vaincu les chevaliers teutoniques à Grunwald, mettant ainsi fin au pouvoir de l'Ordre dans la région de la Baltique. Sous Vytautas, qui poursuit la politique d'expansion lituanienne vers le sud et l'est, conquérant de larges portions du territoire russe et attirant les Tatars de Crimée dans sa sphère d'influence, le Grand-Duché de Lituanie "atteint son extension territoriale maximale, allant jusqu'à la mer Noire, avec une superficie d'environ 1 000 000 de kilomètres carrés, plus de trois fois la taille de l'Italie actuelle"[2].

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Au siècle suivant, le 10 janvier 1569, une diète commune lituano-polonaise a ratifié l'union des deux États à Lublin. C'est ainsi que naquit la République des deux nations (pol. Rczeczpospolita Obojga Narodów), qui devait rester le plus grand État d'Europe jusqu'au XVIIe siècle, lorsque la volonté de puissance de l'aristocratie polonaise fut ravivée par le mythe de son origine sarmate, inspirant une sorte de messianisme politique exprimé par ce mot d'ordre : "Poland caput ac regina totius Sarmatiae !". En d'autres termes, "il aurait appartenu à la Pologne de prendre la tête d'une formation slave qui aurait unifié presque tous les peuples d'Europe centrale et orientale" [3], la soi-disant "Sarmatie de l'Europe".

Mais au lieu de cela, secoué par les luttes internes causées par le système de patronage et pris dans les tenailles des puissances périphériques émergentes telles que la Russie (la "Sarmazia asiatique") et la Prusse, le système géopolitique unitaire créé par les Jagellons disparaît progressivement à la suite des partages de la Pologne en 1772, 1793 et 1795.

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L'idée de faire revivre la République des Deux Nations est relancée pendant son exil parisien par le prince Adam Jerzy Czartoryski (1770-1861) (tableau, ci-dessus), "cet aristocrate qui, pour ses partisans, était le "roi non couronné" de Pologne" [4], qui pensait qu'avec le soutien de la Grande-Bretagne, de la France et de la Turquie, il serait possible de ressusciter la Pologne, d'incorporer les régions orientales de la Prusse et de reconstituer un État polono-lituanien fédéré avec les Estoniens, les Lettons, les Ukrainiens, les Tchèques, les Slovaques, les Hongrois, les Roumains et les Slaves du Sud. De cette manière, la puissance prussienne aurait été fortement réduite et la Russie aurait été contrainte d'abdiquer son rôle en Europe orientale. Mais le projet de Czartoryski, qui, pour ses partisans, devait sembler réalisable à l'époque des soulèvements anti-impériaux de 1848-49, a échoué en raison du désintérêt de l'Occident et de l'intransigeance de la Hongrie à l'égard des Tchèques, des Slovaques et des Roumains, ainsi que de l'hostilité de la Russie et de la Prusse.

La réapparition du projet a été favorisée par la défaite de la Russie, de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie lors de la Première Guerre mondiale et par les bouleversements provoqués en Russie par la révolution d'octobre. Après la guerre opposant la Russie et la Pologne, qui s'est terminée le 18 mars 1921 par le traité de paix de Riga, le maréchal Józef Piłsudski (1867-1935), chef provisoire de l'État polonais renaissant, a lancé l'idée d'une fédération d'États, s'étendant "entre la mer Baltique et la mer Noire", serait appelée Międzymorze en polonais, Tarpjūris en lituanien et Intermarium en latin, selon un néologisme qui n'est pas à la hauteur de la tradition humaniste polonaise. La fédération, héritière historique de l'ancienne entité politique polono-lituanienne, selon le projet initial de Piłsudski (1919-1921) devait comprendre, outre la Pologne, force hégémonique, la Lituanie, la Biélorussie et l'Ukraine. Il est clair que le projet Intermarium visait à la fois l'Allemagne, qu'il fallait empêcher de redevenir une puissance impériale, et la Russie, qui, selon le projet complémentaire "Prométhée" du maréchal, devait être démembrée en ses composantes ethniques.

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Pour la France, ce projet présentait un certain intérêt, car il aurait permis de bloquer simultanément l'Allemagne et la Russie par le biais d'un bloc centre-oriental dirigé par la Pologne. Mais le soutien français ne suffit pas à concrétiser le projet, qui est remplacé par le fragile système d'alliances balayé par la Seconde Guerre mondiale.

Une variante plus audacieuse du projet Intermarium, élaborée par le Maréchal entre 1921 et 1935, renonçait à l'Ukraine et à la Biélorussie, mais s'étendait en contrepartie à la Norvège, la Suède, le Danemark, l'Estonie, la Lettonie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, la Yougoslavie et l'Italie. Les deux mers sont devenues quatre, la mer Baltique et la mer Noire étant rejointes par l'Arctique et la Méditerranée. Mais même cette tentative a échoué et le seul résultat a été l'alliance de la Pologne avec la Roumanie.

L'idée d'une entité géopolitique d'Europe centrale entre la mer Baltique et la mer Noire est reproposée en termes de "troisième Europe" par le collaborateur de Piłsudski, Józef Beck (1894-1944), qui prend en 1932 la direction de la politique étrangère polonaise et conclut un pacte d'alliance avec la Roumanie et la Hongrie.

Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement polonais de Władisław Sikorski (1881-1943) - en exil d'abord à Paris puis à Londres - a présenté aux gouvernements de la Tchécoslovaquie, de la Grèce et de la Yougoslavie la perspective d'une union d'Europe centrale entre la mer Baltique, la mer Noire, la mer Égée et l'Adriatique ; mais en raison de l'opposition soviétique et de la réticence de la Tchécoslovaquie à se fédérer avec la Pologne, le projet a dû être abandonné.

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Avec la chute de l'URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie, l'idée de l'Intermarium a été relancée, prenant différentes formes telles que le Conseil de coopération de la mer Noire, le Partenariat oriental et le Groupe de Visegrád, moins ambitieux et plus petits que les variantes du projet "classique".

Mais le système d'alliances qui se rapproche le plus du schéma de l'Intermarium est celui théorisé par Stratfor, le centre d'études américain fondé par George Friedman, à l'occasion de la crise ukrainienne. Pour sa part, le général Frederick Benjamin "Ben" Hodges, commandant de l'armée américaine en Europe (décoré de l'Ordre du mérite de la République de Pologne et de l'Ordre de l'étoile roumaine), a annoncé un "prépositionnement" des troupes de l'OTAN dans toute la zone qui, proche des frontières occidentales de la Russie, comprend les territoires des États baltes, de la Pologne, de l'Ukraine, de la Roumanie et de la Bulgarie. De la Baltique à la mer Noire, comme dans le plan initial de Piłsudski.

Le 6 août 2015, le président polonais Andrzej Duda a préfiguré la naissance d'une alliance régionale explicitement inspirée du modèle Intermarium. Un an plus tard, du 2 au 3 juillet 2016, la conférence inaugurale du groupe d'assistance Intermarium s'est tenue à l'hôtel Radisson Blue de Kiev en présence du président de la Rada ukrainienne Andriy Paruby et du président de l'Institut national de recherche stratégique Vladimir Gorbulin, ainsi que de personnalités politiques et militaires de diverses régions d'Europe, au cours de laquelle a été présenté le projet d'unification des États situés entre la mer Baltique et la mer Noire.

Le mois suivant, les deux mers étaient déjà devenues trois : les 25 et 26 août 2016, le Forum de Dubrovnik sur le thème "Renforcer l'Europe - Connecter le Nord et le Sud" a publié une déclaration commune dans laquelle était présentée l'initiative des trois mers, un plan ayant pour objectif de "connecter les économies et les infrastructures de l'Europe centrale et orientale du nord au sud, en élargissant la coopération dans les domaines de l'énergie, des transports, des communications numériques et de l'économie en général". L'initiative des trois mers, conçue par l'administration Obama, a été baptisée par Donald Trump le 6 juillet 2017 lors de sa visite à Varsovie. L'initiative, qui, selon le président Duda, découle d'un "nouveau concept visant à promouvoir l'unité européenne", réunit douze pays situés entre la mer Baltique, la mer Noire et la mer Adriatique et presque tous les membres de l'Alliance atlantique : l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque, l'Autriche, la Slovénie, la Croatie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie.

D'un point de vue économique, l'objectif de l'initiative des trois mers est de frapper les exportations de gaz russe vers l'Europe en favorisant les expéditions de gaz naturel liquéfié en provenance d'Amérique : "Un terminal dans le port balte de Świnoujście, d'un coût d'environ un milliard de dollars, permettra à la Pologne d'importer du GNL américain à hauteur de 5 milliards de mètres cubes par an, extensible à 7,5. Grâce à ce terminal et à d'autres, dont un prévu en Croatie, le gaz provenant des États-Unis, ou d'autres pays par l'intermédiaire de sociétés américaines, sera distribué par gazoducs dans toute la "région des trois mers""[5].

Ainsi, la macro-région des Trois Mers, liée par des liens énergétiques et militaires plus à Washington qu'à Bruxelles et Berlin, brisera effectivement l'Union européenne et, englobant tôt ou tard l'Ukraine, resserrera davantage le cordon sanitaire le long de la frontière occidentale de la Russie.

NOTES:

[1] Josef Macek, L'Europa orientale nei secoli XIV e XV, Sansoni, Florence 1974, p. 16.

[2] Beruta Žindžiūtė Michelini, Lituanie, NED, Milan 1990, p. 50.

[3] Francis Conte, Gli Slavi. Le civiltà dell'Europa centrale e orientale, Einaudi, Turin 1990, p. 293.

[4] Oscar Halecki, I Polacchi, in Il mondo degli Slavi, édité par Hans Kohn, Cappelli editore, Bologna 1970, p. 115.

[5] Manlio Dinucci, Sui Tre mari dell'Europa bandiera USA, Réseau Voltaire, Rome, 10 juillet 2017 http://www.voltairenet.org/article197081.htm

Crise énergétique européenne due à l'interruption de l'approvisionnement en GNL en provenance des États-Unis

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Crise énergétique européenne due à l'interruption de l'approvisionnement en GNL en provenance des États-Unis

Gazprom exporte du gaz vers l'Europe en respectant pleinement ses engagements contractuels

Aleksandr Pasechnik, chef du département analytique du Fonds national de sécurité énergétique, InfoRos 01.10.2021

La frénésie sur le marché européen du gaz n'a pas cessé depuis le début de l'automne. Le 20 septembre, le prix du gaz en Europe a de nouveau atteint 900 dollars par millier de mètres cubes (la dernière fois qu'une telle situation s'est produite, c'était le 15 septembre, où le prix avait même dépassé 950 dollars). Gazprom a été immédiatement accusé par les politiciens européens et nord-américains. Par conséquent, le conseiller en sécurité énergétique du département d'État américain a déclaré que la Russie devrait augmenter dès que possible ses livraisons de gaz à l'Europe via l'Ukraine, en raison du manque de ses propres réserves avant l'hiver. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a également exhorté la Russie à augmenter ses livraisons de gaz à l'UE. "L'AIE estime que la Russie peut faire davantage pour accroître la disponibilité du gaz en Europe et faire en sorte que les stocks soient remplis à des niveaux adéquats avant la prochaine saison de chauffage hivernale", a déclaré l'agence. La candidate des Verts à la chancellerie allemande, Annalena Baerbock, a également souligné les réticences de la Russie en matière d'approvisionnement en gaz de l'Europe afin d'accroître la pression politique et d'accélérer l'approbation de Nord Stream 2.

Comme vous le savez, les Verts allemands n'acceptent pas ce gaz. (Le 26 septembre, des élections ont eu lieu en Allemagne ; on saura bientôt qui prendra la tête du pays et quelle sera sa position sur le Nord Stream 2. Jusqu'à présent, les "coalitions" entre les partis sont en train de former une majorité gouvernementale, à la suite de laquelle un nouveau chancelier sera élu).

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La direction du géant russe a jugé ces accusations incongrues, corroborant avec des statistiques progressives sur l'approvisionnement en gaz, les exportations ayant augmenté à partir du premier semestre 2021 afin de maintenir le plafond contractuel. En outre, Gazprom continue de fournir des volumes adéquats dans le cadre de contrats à long terme. Sinon, l'entreprise serait embourbée dans des réclamations de contreparties. En effet, la reprise du marché spot européen se poursuit en raison des pénuries de GNL en provenance des États-Unis. Les méthaniers nord-américains se dirigent désormais vers les pays de la région Asie-Pacifique (APR) ou l'Amérique du Sud, où la marge de livraison est encore plus élevée (que vers l'Europe).

L'Europe ne reçoit pas les "convois" de méthaniers promis par les États-Unis. Dans le même temps, les prix record des carburants en Europe ont déjà contraint les autorités de certains pays de l'UE à prendre des mesures d'urgence pour limiter les tarifs du gaz et de l'électricité. Les entreprises énergétiques commençaient à glisser vers la faillite. Et parfois, la production était suspendue. Par exemple, au Royaume-Uni, deux usines d'engrais contrôlées par des Nord-Américains ont été fermées. Des nouvelles similaires sont venues des États baltes. Dans le passé, ces hausses du prix du gaz étaient atténuées par le passage au combustible rival, le charbon. Aujourd'hui, cela est plus difficile en raison du rythme accéléré de la transition énergétique. De nombreuses centrales électriques au charbon sont fermées et le charbon est de plus en plus cher. De manière générale, l'Europe semble être au bord d'une crise énergétique. L'hiver n'est pas encore arrivé et il pourrait faire très froid, comme l'année dernière. Il y en a plus là d'où ça vient.

Toutefois, le lancement de Nord Stream 2 pourrait calmer la frénésie du marché européen du gaz et le cours des actions pourrait baisser si Gazprom commence à pomper du gaz avec le nouveau système. Après tout, Gazprom a raisonnablement abandonné la pratique consistant à réserver des capacités supplémentaires dans le système de transport de gaz naturel de l'Ukraine, ce qui alarme les acheteurs européens. Mais Nord Stream 2 a besoin d'une certification du système pour commencer à exporter du gaz. Ce n'est que le 13 septembre que l'Agence fédérale allemande des réseaux (Bundesnetzagentur, BNetzA) a commencé à traiter la demande de certification de Nord Stream 2 AG en tant qu'opérateur indépendant. Et il y a quatre mois pour examiner la demande. Après cela, le projet de décision doit encore être évalué par la Commission européenne. Cela peut prendre deux mois.

La société polonaise PGNiG est également engagée, même si elle gagne, elle ne pourra pas arrêter le processus en utilisant son droit de veto. Mais le début imminent de la saison de chauffage en Europe et la hausse des prix du gaz exigent une certification accélérée de Nord Stream 2. Gazprom est prêt à charger dynamiquement le nouveau gazoduc, qui est nécessaire pour les entreprises européennes et l'économie en général. Mais pas pour l'Eurocratie qui s'oppose à Gazprom.

Les États-Unis maintiennent également la pression. Le 29 septembre, la commission internationale du Sénat entendra l'affaire à huis clos pour discuter des mesures prises par l'administration américaine concernant le gazoduc Nord Stream 2. Et ce, indépendamment de l'achèvement de la ligne principale. Pendant ce temps, Gazprom enregistre des succès en Europe, dont l'un est le contrat gazier à long terme signé avec la Hongrie le 27 septembre.

Le "précédent polonais" aura un effet domino sur l'UE  

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Le "précédent polonais" aura un effet domino sur l'UE  

Source: EADaily & http://aurorasito.altervista.org/?p=20263

Pour la deuxième journée, Bruxelles est sous le choc de la décision de la Cour constitutionnelle polonaise, qui a reconnu la suprématie de la constitution polonaise sur le droit international, y compris les traités de l'UE. Les réseaux sociaux politiques sont envahis par les commentaires furieux des fonctionnaires de l'UE, des parlementaires et des experts. EADaily a préparé une vue d'ensemble de quelques aperçus.

Le président du Parlement européen, David Sassoli, a déclaré : "La primauté du droit communautaire doit être incontestable. Quiconque viole ce principe menace l'un des principes fondamentaux de l'UE. Nous demandons à la Commission européenne de prendre les mesures nécessaires".

Jeroen Lenaers, représentant légal du Parti populaire européen au Parlement européen: "Il est difficile de croire que le gouvernement PiS (parti au pouvoir en Pologne - EADaily) affirme ne pas vouloir quitter l'UE. Il agit dans le sens inverse. Assez ! En déclarant que les traités de l'UE sont incompatibles avec le droit polonais, la Cour constitutionnelle illégale met le pays sur la voie du Polexit. Les États de l'UE ne doivent pas demeurer inertes!".

Jens Geyer, député européen du Parti socialiste européen : "Si la communauté juridique de l'UE n'existe plus, elle doit être dissoute. Il y a maintenant deux options pour la Pologne. Soit la constitution polonaise sera mise en conformité avec la législation européenne, soit la Pologne devra quitter l'UE".

Teresa Reintke, eurodéputée allemande (Verts): "Les gouvernements de l'UE ne doivent plus être paresseux pendant que le gouvernement polonais essaie de changer les règles de la démocratie !".

Laurent Pech, professeur de droit public européen à Londres : "Nous avons devant nous le Polexit du système juridique. Et aussi la fin de la confiance dans le droit européen. La Pologne veut créer un système judiciaire de type soviétique afin que l'autocratie puisse se développer sans entrave."

TG Europe WTF résume: "C'est un moment décisif pour l'ensemble de la communauté européenne. Si maintenant la question de la Pologne n'est pas résolue de manière radicale (ni avec la sortie du pays de l'UE, ni avec le retour de Varsovie à la directive européenne) et que Bruxelles avale les actions des Polonais, alors un tel précédent entraînera un effet domino, surtout en Europe de l'Est, où par exemple aussi la Hongrie s'est engagée sur la voie d'une plus grande souveraineté. En fin de compte, cela conduirait à la désintégration de l'ensemble du bloc."

Nos commentaires:

1) Le droit doit correspondre à un réalisme ontologique et anthropologique: s'il n'en tient pas compte, il ne vaut rien et doit être abrogé et remplacé par un système juridique cohérent, inspiré, par exemple, du droit constitutionnel polonais ou du droit tel qu'il était pratiqué avant le déliquescence contemporaine.

2) Le fétichisme du droit, manie jacobine et occidentale, est une calamité. On peut vouloir échapper à cette calamité. Le droit est toujours une abstraction qui ne peut en aucun cas contrevenir aux lois fondamentales du réel physique et biologique.

3) L'effet domino est parfaitement souhaitable car il conduira à terme à une harmonisation du droit, respectueux des réalités ontologiques et anthropologiques. Au contraire, le droit préconisé par l'UE actuelle conduit à des dissensions sans fin, dont les décisions du tribunal constitutionnel polonais et les réticences hongroises ne sont que les prémisses. Il faut mettre fin à toutes ces dissensions potentielles en retournant à un droit expurgé de toutes les manies modernes, pour lesquelles le réel est marqué d'insuffisances ou de lacunes auxquelles doivent pallier les bricolages de juristes écervelés et d'idéologues fous. 

vendredi, 08 octobre 2021

Nationalisme identitaire corse: entretien avec Thierry Biaggi

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Enric Ravello Barber

Nationalisme identitaire corse: entretien avec Thierry Biaggi

Source: https://www.enricravellobarber.eu/2021/10/nationalisme-identitaire-corse.html#.YWBCBH06-Uk

Thierry Biaggi militant nationaliste corse et européen, né au sein de la diaspora corse du sud de la France, militant très jeune au Front National. Exclu suite a son désaccord avec la ligne du parti sur la question corse (1998). Engagé dans le mouvement national corse depuis les années 2000. Elu à la première Cunsulta Naziunale (Assemblée nationale provisoire corse) de 2008 à 2012. Animateur du groupe militant avant-gardiste LEIA NAZIUNALE (2016-2020) . Participe à la démarche souverainiste Forza Nova.

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HISTOIRE ET IDENTITÉ

Grecs, Romains, Vandales, Couronne d'Aragon, République de Gênes. La Corse est une île profondément européenne qui a toujours été à la pointe de la lutte contre les ennemis de notre civilisation, des Carthaginois aux musulmans. Pouvez-vous nous résumer brièvement la genèse du peuple corse ?

La Corse est habitée dès avant le néolithique et notre peuple est "issu du fond des âges". Il n'y a pas, au sens strict, d'ethnie corse mais une identité particulière façonnée par l'histoire, la géographie. Globalement, le peuple corse se rattache à l'aire culturelle toscano-ligure même si sa composition ethnique originelle le rapproche en partie des Sardes. La Romanité et le Catholicisme constituent la dimension civilisationnelle de notre identité.

Nos ancêtres ont combattu les Maures, participé à la bataille de Lépante, subi les razzias barbaresques et turques, formé un temps une Garde Papale. Notre passé comme notre futur s'inscrivent dans le camp de l'Europe. Les Corses dignes de ce nom sont "Romains"...comme le fut Napoleon !

Napoléon est né l'année où la Corse est devenue française. Que pensez-vous de cette incorporation à la France ? Aurait-il mieux valu que la Corse continue à faire partie de la République de Gênes puis de l'Italie ?

Cette incorporation à la France fut en définitive néfaste pour notre être collectif dès lors que s'est imposé un système républicain-jacobin qui ne tolère pas l'existence des "peuples-patries". De nombreux corses ont participé à la puissance française, mais en tant que peuple, nous sommes aujourd'hui menacés d'extinction.

On ne refait pas l'histoire mais constatons simplement que l'Italie respecte plus l'identité culturelle de ses différents peuples.

La Corse est la seule ile de Méditerranée occidentale à ne pas bénéficier d'un statut d'autonomie.

En réalité, la République française est aujourd'hui le "problème" de l'Europe, tout comme le fut la monarchie capétienne, qui s'opposa durant des siècles au Saint Empire Romain Germanique, c'est à dire à l'Europe.

Dans les rencontres que j'ai eues avec des camarades corses, dans les publications nationalistes corses, et dans la vie sociale corse en général, on constate une importance forte et actuelle du catholicisme. Comment valoriser la foi chrétienne catholique comme élément constitutif de l'identité corse?

Le catholicisme en Corse est surtout culturel, communautaire, populaire, et dans une certaine mesure "païen". Il s'appuie plus sur les nombreuses confréries que sur un clergé largement allogène. Pour être valorisé comme élément de l'identité corse, cette forme de catholicisme doit garder ses distances d'une hiérarchie ecclésiale contrôlée par Paris et surtout liée à la dérive mondialiste de l'Eglise actuelle. Le développement du courant traditionaliste est à encourager, de manière à donner une profondeur au catholicisme populaire-identitaire.

Le drapeau corse (A bandera Corsa) représente une victoire sur les musulmans. Sera-t-il ciblé par les Zélotes de la « repentance blanche » ?

Ces "zélotes"ouvertement déclarés n'existent heureusement pas en Corse. Il est vrai que nos symboles nationaux (hymne, armoiries, drapeaux) sont politiquement incorrects et constituent un rempart, une forme de protection spirituelle contre l'Ennemi.

Notre hymne national, le "Diu vi salve Regina" est un chant religieux d'origine toscane et nous fêtons la Nation le 8 décembre, jour de l'Immaculée Conception. C'est pour cela que certaines mouvances natio-mondialistes liées à la franc-maçonnerie tentent de subvertir ces symboles en les ré-interprétant: le bandeau sur le front du Maure comme symbole des "lumières" et de libération etc...

Une poignée de traitres gauchistes participent à des opérations de subversion téléguidées et financées par Paris, mais n'osent pas pour l'heure s'attaquer aux symboles nationaux.

NATIONALISME CORSE

Quelle est votre évaluation du FLNC. L'une des tendances est-elle plus proche des propositions identitaires ?

Le FLNC est une organisation politico-militaire clandestine fondée en 1976 pour accompagner la lutte nationale corse avec pour objectif final , l'indépendance. Au cours des années le FLNC s'est "diversifié" en différentes mouvances parfois antagonistes, avec des stratégies et des buts politiques distincts.

Les moyens techniques dont dispose aujourd'hui l'état français ne permettent plus une lutte armée permanente et performante. Mais la persistance d'un espace politique national corse hors des institutions et de la légalité française traduit "la volonté d'être" de notre peuple, en dehors des cadres importés et imposés.

Notons que la communication des organisations clandestines est généralement moins politiquement correcte que celle des formations publiques. Ces dernières sont aujourd'hui largement "sous influence"...

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Fondée récemment, Forza Nova est l'expression du nationalisme identitaire corse. Nous espérons que les vrais nationalistes s'identifieront à son message. Quel est votre avis sur le développement de Forza Nova en Corse ?

Qui vivra verra ! Comme ailleurs en Méditerrannée, la vie politique en Corse est largement tributaire de considérations claniques, clientélistes, affairistes voire mafieuses. L'aspiration populiste-identitaire existe cependant et s'est traduite par le score historique de Marine Le Pen obtenu chez nous lors des présidentielles de 2017 ( 48% au second tour ). Forza Nova s'adresse aux Corses qui refusent la dérive gauchiste et mondialiste du nationalisme institutionnel.

La Corse n'est pas épargnée par l'effondrement de la France, d'autant que les nationalistes classiques ne s'opposent pas doctrinalement au système en place.

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Nous voyons que Forza Nova se sent lié à des partis comme Fratelli d'Italia et LEGA de Matteo Salvini. Pourquoi ce rapprochement ?

Comme évoqué plus haut, les liens historiques et culturels avec la péninsule italique sont naturels. Mais au-delà de cela, nous considérons que la droite italienne, plus que son homologue française, se situe à la pointe du combat civilisationnel en Europe de l'ouest. L'Italie est le principal champ de bataille de la guerre opposant mondialistes et populistes. La France est finie.

L'EUROPE DES PEUPLES.

Poutine est aujourd'hui le leader européen avec la plus grande force militaire, politique et diplomatique pour s'opposer au mondialisme avec son siège aux États-Unis. Quelle est votre opinion sur le président russe, et sur son idée de l'Europe de Lisbonne à Vladivostok ?

L'ère Vladimir Poutine a provoqué la fin de la "Fin de l'Histoire" que proclamaient les libéraux occidentaux. La Troisième Rome accomplit son destin. L'Europe-puissance de Lisbonne à Vladivostock est le mythe mobilisateur de tous les européens dignes de ce nom. Mais elle est aussi le seul objectif politique réaliste pouvant assurer la survie de tous nos peuples.

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Nous avons vu votre participation à des actes de solidarité avec le peuple arménien et avec les républiques russophones de Novorossia. Pouvez-vous nous donner brièvement votre avis sur ces deux conflits ?

Ces conflits sont liés .Dans les deux cas, "l'état profond" mondialiste cible la Russie via des acteurs régionaux (Turquie, UE) ou des proxys (islamistes, pseudos-nazis ). Qui attaque la Russie est un ennemi de l'Europe. Toutes les forces extra-européennes, américaines, turques ou autres, doivent être chassées d'Europe. De l'Arménie au Kosovo. 

Que pensez-vous de l'idée de « l'Europe des peuples » ? Quelle serait la manière de construire cette Europe des peuples libres ?

"L'Europe des peuples" ne peut exister que par l'Europe-puissance. C'est le principe impérial, romain. Une Europe riche de sa diversité mais unifiée en son sommet, selon le principe traditionnel de subsidiarité. Construire cette Europe passe par la lutte contre l'invasion migratoire, les idéologies subversives, les institutions, organisations et individus soumis ou liés à des intérêts extra-européens.

Concrètement cela implique le développement d'une élite européenne consciente, articulée autour d'un Front Civilisationnel, avec des bastions comme la Hongrie d'Orban ou la Russie de Poutine. Chacun d'entre nous, où qu'il soit, construit l'Europe des peuples libres...en combattant ses ennemis.