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lundi, 30 juin 2008

La leçon de Lépante

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La leçon de Lépante: qui l'a retenue?

Le 7 octobre 1571, l'Europe impériale coalisée infligeait une sévère défaite sur mer à l'Empire ottoman

430 années ont passé depuis l'un des plus grands évé­ne­ments militaires de l'histoire mondiale. Ce jour-là, 7 octo­bre 1571, une large fraction de l'Europe chrétienne avait laissé de côté les vieilles haines et les divisions fratricides pour se lancer dans une bataille décisive contre l'ennemi mortel qui l'avait continuellement agressée et qui cherchait à l'annihiler. L'héroïsme et le sacrifice de nos ancêtres a per­mis à notre civilisation de vivre et de poursuivre sa rou­te dans l'histoire —pour le meilleur et pour le pire.  Ce jour-là, l'Europe a pu compter sur certains de ses fils (la plu­part!), ceux qui ont répondu à l'appel du destin, ceux qui ont eu le courage de se jeter dans la bataille, et ceux qui se sont retirés du jeu, qui se sont contentés de regarder le combat de loin, en laissant aux autres la tâche de défen­dre l'héritage commun. Et il y a eu ceux qui ont pactisé avec l'ennemi (que la honte les étouffe pour les siècles des siècles!). Ce jour-là, 7 octobre 1571, on a vu à quels hom­mes on avait affaire, on a vu les justes et on a vu les traî­tres. Parlons d'abord de la composition de la flotte im­pé­riale européenne: sur 208 bateaux, 110 étaient vénitiens, 22 génois, 3 piémontais, 12 appartenaient à l'ordre de che­va­lerie toscan de Saint Etienne, 9 appartenaient aux Che­valiers de Malte, 8 relevaient de la Papauté et 44 du Saint Empire. Les équipages des bateaux arborant le pavillon de Saint Marc venaient de Vénétie (60), de Crète (30), des Iles Ioniennes (7), de Dalmatie (8) et des villes de la terre fer­me (5). Les troupes de fantassins embarquées étaient en ma­jorité impériales et composées de soldats venus de Ca­stil­le, de Catalogne, du Pays Basque, de Hollande, de Lom­bardie, d'Allemagne et du Pays de Naples. L'infanterie de Venise était composée de Vénétiens, de Lombards, de Friou­lans et de “Slavons” (Croates de Dalmatie et Serbes de la Krajina).

Presque toute l'Europe catholique était présente. Parmi les ab­sents, certains étaient parfaitement excusables, comme les Autrichiens, les Polonais, les Allemands et les Hongrois, car ils luttaient pied à pied contre les Turcs sur le front con­tinental. Le premier assaut turc contre Vienne avait été brisé en 1529 et les affrontements n'avaient plus cessé de­puis en Slovénie, en Hongrie et en Valachie. Deux absences me semblent toutefois injustifiables. Les Portugais étaient en­trés en rivalité avec les Espagnols et n'avaient pas accep­té de se soumettre au commandement d'un chef espagnol. L'opposition entre les deux puissances ibériques n'était pas d'ordre idéologique mais politique: en réalité, les Portugais me­naient une longue guerre contre les Musulmans sur les cô­tes atlantiques du Maroc et lançaient d'audacieuses in­cur­sions en territoire islamique en Orient, parmi lesquelles une tentative malheureuse, l'expédition en Mer Rouge de 1517.

Une pure trahison à l'endroit des intérêts vitaux de l'Europe

Les Français, eux, n'avaient aucune raison valable pour ne pas être présent à Lépante. Dans le passé, les Francs avaient toujours été aux avant-postes dans la lutte pour la défense des frontières de l'Europe, depuis Poitiers jus­qu'aux Croisades. Leur absence s'explique sans doute par la rivalité qui les opposait à l'Espagne. Mais surtout par leur politique de rapprochement avec les Ottomans, concrétisée par des traités de coopération et d'amitié. Cette politique est devenue au fil du temps une pure trahison à l'endroit des intérêts vitaux de l'Europe. La politique française ne peut pas davantage se justifier pour des motifs écono­mi­ques: Venise, Gênes et les autres puissances européennes avaient passé des accords commerciaux avec les Musulmans mais n'avaient jamais eu l'idée, en les signant, de trahir l'es­prit de défense de la civilisation européenne. Les seuls Français et Occitans présents à Lépante pour défendre l'hon­neur de leurs terres dans la défense commune de l'Eu­rope se trouvaient dans les rangs des héroïques chevaliers de Malte et sur les bateaux niçois du Comte de Savoie.

Le christianisme avait provoqué en Europe une division, cel­le du schisme entre l'Occident et l'Orient, entre Rome et Byzance; il venait d'en provoquer une nouvelle par la Réfor­me. Les positions des diverses fractions de la chrétienté eu­ro­péenne devant l'agression ottomane étaient différentes. Le monde orthodoxe, depuis la chute de Constantinople, fruit amer de la division entre peuples christianisés, lan­guis­sait largement sous l'oppression turque mais résistait vail­lam­ment dans des zones non pacifiées, notamment en Transylvanie et dans les montagnes serbes du Kosovo et de la Métohie. La Russie, la plus grande nation orthodoxe, avait recueilli l'héritage symbolique et politique de Byzan­ce. Elle avait engagé une bataille terrible contre les poten­tats islamiques d'Asie centrale. En 1571, l'année de Lépan­te, les Tatars de Crimée, alliés des Ottomans, avaient lancé des attaques cruelles contre la terre russe, poussant jusqu'à Moscou qu'ils avaient incendiée. Les Orthodoxes ont donc par­ticipé, ces années-là, à la lutte commune de l'Europe con­tre son ennemi mortel. De plus, les équipages de 37 na­vires vénitiens venaient de Candie et des Iles Ioniennes, sans compter les “Slavons” de la Krajina, derrière les côtes dal­mates.

La “Prière contre les Turcs” de Luther

Les Protestants ont été les grands absents, d'abord pour des raisons géographiques, l'Europe nord-occidentale étant très éloignée du danger islamique et ne le percevant pas cor­rectement. Mais ils avaient également des raisons “idéolo­giques”: dans une de ses thèses, Luther avait dit: «C'est un pé­ché de résister aux Turcs, car la Providence se sert de cette nation infidèle pour punir les iniquités de son peu­ple». Luther avait toutefois modifié son attitude première dans deux ouvrages ultérieurs: «Prière contre les Turcs» et «De la guerre contre les Turcs». Toutefois sa thèse de non ré­sistance a servi d'alibi au non engagement des Protes­tants dans la lutte commune. Le ressentiment anti-catho­lique a sans doute permis à certaines franges puritaines de sympathiser avec l'islamisme, plus virulent dans son zèle re­ligieux.

Aujourd'hui l'Europe vit des expériences qui ressemblent dra­matiquement à celles de ce 16ième siècle tragique. La pres­sion islamique se fait sentir de plus en plus durement non plus sur les frontières de l'Europe ou sur les côtes mé­diterranéennes, mais à l'intérieur même des villes du cœur de l'Europe. Dans un tel contexte, notre Padanie a un rôle d'a­vant-garde à jouer dans cette nouvelle lutte, parce qu'el­le doit se souvenir qu'elle a livré les deux tiers des na­vires de combat de la bataille de Lépante, qu'elle a donné au Saint Empire de grands commandeurs militaires et un Pa­pe piémontais, Saint Pie V, qui, [ndlr: à rebours des dis­cours "multicultureux" de l'Eglise d'aujourd'hui], avait ap­pe­lé les Européens à s'unir en une grande armée paneuro­péenne pour battre l'ennemi turc. Aujourd'hui, la Padanie est toujours en première ligne car les infiltrés islamiques s'installent sur son territoire. C'est donc chez nous que de­vra renaître l'esprit de résistance européen. Comme à Lé­pan­te, on pourra compter les présents et les absents.

Gilberto ONETO.

(article paru dans La Padania, 4 février 2000, http://www.lapadania.com ).

 

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dimanche, 29 juin 2008

Les "Oies Sauvages": soldats irlandais au service du Saint-Empire

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Les “Oies Sauvages”: les soldats irlandais au service du Saint-Empire pendant la Guerre de Trente Ans

Il y a plus de 380 ans commençait l'une des plus grandes ca­tastrophes de l'histoire européenne, dont nous subissons en­core aujourd'hui les séquelles: la Guerre de Trente Ans.

Je vais raconter ici l'histoire d'une armée de sans-patrie, dont les soldats ont combattu sur tous les champs de ba­tail­le de la Guerre de Trente Ans en Europe centrale. On les appelait les “Oies Sauvages” (Wild Geese) et on les com­pa­rait à ces oiseaux migrateurs qui quittent à inter­val­les réguliers leur verte patrie insulaire. Mais à la différence des oies sauvages, les Catholiques irlandais, chassés de leur patrie au 17ième siècle, ne connaissaient qu'un départ sans retour vers le continent. Presque jamais ils ne revenaient en Irlande.

Des marins français les introduisaient clandestinement sur le continent via la Flandre ou la Normandie. Débarqués, ils étaient confrontés au néant. Mais ils étaient libres. Un flot ininterrompu de mercenaires irlandais sont ainsi arrivés en Europe continentale. Ils étaient des hommes jeunes ou des adolescents, à peine sorti de l'enfance: la plupart d'entre eux n'avaient que quinze ou seize ans, les plus âgés en a­vaient dix-neuf. Ils voulaient faire quelque chose de leur vie ou du moins voulaient être libres.

Après 1600, l'histoire irlandaise s'était interrompue. Le pays é­tait devenu une colonie anglaise, où les Tudors, pour la pre­mière fois, avaient appliqué la tactique de la terre brû­lée. Les autochtones irlandais ont été dépossédés de leurs ter­res. Leur sol leur a été arraché. On y a implanté des co­lons protestants anglais ou écossais.

Systématiquement, la colonisation de modèle normand dé­mon­trait son efficacité. Déjà, dans la foulée de leurs cam­pagnes contre les Anglo-Saxons à partir de 1066, les Nor­mands vainqueurs perpétraient des destructions sans nom pour confisquer définitivement leur histoire aux vaincus. On brûlait leurs villages, on rasait leurs églises et leurs bâ­ti­ments, de façon à ne plus laisser la moindre pierre qui soit un souvenir de leur culture. Ravage, pillage et violen­ce, oppression systématique, famine organisée contre la population: toutes les tactiques utilisées plus tard par les Anglais en Amérique, puis par les Américains ailleurs, ont été mises au point en Irlande.

Une force militaire inutilisée

Pourtant, sur cette île ruinée par la colonisation anglaise, il y avait une force militaire inutilisée. Les Irlandais étaient des soldats farouches qui ne craignaient pas la mort. Ils se feront rapidement une solide renommée dans les batailles. Ils étaient commandés par des officiers compétents, d'ex­cel­lente réputation, qui feront l'admiration de tous sur le con­tinent.

Dans le Saint-Empire Romain de la Nation Germanique, diri­gé par un Empereur catholique, beaucoup d'Irlandais deve­nus apatrides ont vu un allié puissant voire une puissance protectrice au passé glorieux. Par milliers, ils sont venus s'en­gager au service de cet Empereur de la lignée des Habs­bourgs. Beaucoup sont parvenus en Autriche à la suite de pé­riples fort aventureux.

La première vague d'immigrants irlandais est arrivée en 1619 en Autriche. Ces jeunes hommes combatifs ont débar­qué sur le continent de deux manières totalement diffé­ren­tes. Les uns sont arrivés par des voies clandestines, opéra­tion osée dans la mesure où les fugitifs de ce type ris­quaient la peine de mort. Les autres ont été recrutés de for­ces par les Anglais en Irlande et, contre leur volonté, ont dû servir dans l'armée anglaise protestante. Sur base de traité qui unissait l'Angleterre aux princes d'Allemagne du Nord, ils se sont retrouvés sur le continent dans des unités auxiliaires anglaises au début de la Guerre de Trente Ans. Par une ironie du destin, comme souvent dans les guerres an­ciennes, il n'y avait quasiment pas d'Anglais ethnique dans ces troupes, mis à part quelques officiers supérieurs. La plupart de ces soldats étaient donc “déportés” hors des Iles Britanniques et ces Irlandais encombrants s'en allaient ainsi mourir sur le Continent comme chaire à canons. Les Anglais s'en débarrassaient à bon compte.

Une infanterie montée

Ces Irlandais avaient été incorporés dans des Régiments de Dragons, où les pertes étaient généralement très élevées. Mais au début du 17ième siècle, ces Irlandais profitent de la première occasion pour se rendre sans combattre aux trou­pes impériales catholiques. Très vite, ils enfilent l'uniforme autrichien. L'Empire aligne ainsi ses premiers régiments ir­landais. La plupart de ces Irlandais choisissent de servir dans les dragons. A l'époque, cette cavalerie était très ap­préciée et on la surnommait “l'infanterie montée”. Les hom­mes se déplaçaient à cheval mais combattaient à pied. Ils étaient très rapides et très mobiles et ne dépendaient pas vraiment du cheval comme la cavalerie proprement di­te. Dans une certaine mesure, ces dragons constituaient une troupe d'élite, crainte et admirée, dont le cri de guerre est devenu vite célèbre: “Den Weg frei!” (La voie libre!). Ra­pières au clair, ils fonçaient dans les rangs ennemis.

Les Anglais eux-mêmes, comme tous les autres officiers pro­testants, respectaient ces mercenaires irlandais au ser­vice de l'Empereur et les traitaient mieux qu'ils ne les a­vaient jamais traité en Irlande, alors qu'ils étaient devenus leurs ennemis. Ainsi, les Roi de Suède Gustave Adolphe fit soigner les soldats catholiques irlandais après la bataille de Francfort-sur-l'Oder au printemps de 1631, lors de la prise de cette ville par les armées protestantes. Le Roi suédois admirait le courage des Irlandais au service de l'Autriche. L'officier irlandais Richard Walter Butler, au départ recruté de force par les Anglais, était passé aux Impériaux lors de la fameuse bataille de la Montagne Blanche en 1620. Il avait quitté le corps auxiliaire anglais. A Francfort-sur-l'O­der, il était parmi les blessés, sérieusement atteint. Un coup l'avait frappé au bras et sa hanche était percée d'un coup d'estoc. Le Roi de Suède fit soigner ce blessé. Après quelques mois de captivité, il fut libéré.

Les Britanniques respectaient cet ennemi qu'ils avaient as­servi et humilié jadis. Ces Irlandais jouaient souvent le rôle d'émissaires de l'Empereur, car ils maîtrisaient la langue an­glaise. Les nobles anglais les appréciaient et reconnais­saient pleinement leurs qualités d'émissaires ou d'inter­prè­tes. En 1635, quand la France catholique se joint à la coa­lition protestante et trahit le Saint Empire Romain de la Na­tion Germanique, la situation devient tragique pour les Ir­landais catholiques qui combattent désormais dans les deux camps. Soldats d'élite, on les excite les uns contre les au­­tres.

Certains volontaires servaient dans des armées protes­tan­tes. La France du Cardinal Richelieu avait besoin de bons soldats. Officiellement, elle était catholique et, par consé­quent, incitait bon nombre d'Irlandais à la servir. Les Irlan­dais qui traversaient le pays étaient sollicités à rejoindre ses armées. Leur confiance a été trahie par Richelieu qui, souvent, a envoyé ces hommes se battre contre leurs frè­res de sang, fidèles à la légitimité du Saint Empire.

Dévouement et respect pour l'Empereur

Ces soldats irlandais avaient un dévouement et un respect pour l'Empereur. Ils étaient les mercenaires les plus fidèles de la cause impériale et autrichienne. En Irlande même, l'a­mour du Saint Empire ne cessait de grandir, de même que le culte de la légitimité impériale. Les mercenaires af­fluaient sans cesse et s'engageaient dans l'armée autri­chien­ne. Souvent des familles entières débarquaient et par­fois tous les fils mouraient sur les champs de batailles, pour le salut du Saint-Empire.

Le Comte irlandais Richard Wallis, persécuté par les An­glais, arrive en 1622 avec ses deux fils pour se mettre au ser­vice de l'Empereur Ferdinand II. Nommé colonel, il se bat à la tête de son régiment irlandais à Lützen en novem­bre 1632, une bataille au sort indécis mais qui a exigé un lourd tribut de sang. Wallis y est grièvement blessé. Il meurt de ses blessures à Magdebourg. Son plus jeune fils, O­liver Wallis, reçoit de l'Empereur Ferdinand III un régi­ment d'infanterie. Il fera en Autriche une brillante carrière militaire. Dans les rangs de l'armée impériale, plusieurs ré­giments irlandais sont mis sur pied entre 1620 et 1643. Cha­que régiment comptait de 1000 à 1200 hommes. Le nombre des pertes a été très élevé. L'ennemi a parfois annihilé des ré­giments entiers d'Irlandais. Mais, rapidement, de nou­veaux volontaires permettent de les reconstituer. Avant d'ê­tre une nouvelle fois annihilés… Malgré ces pertes dra­ma­tiques, l'Autriche aligne plus de soldats irlandais à la fin de la Guerre de Trente Ans qu'au début.

L'intégration des immigrés de la Verte Eirinn

Les officiers (chaque régiment appartient à un colonel) é­taient allemands ou irlandais. Mais tous étaient acceptés. Parfois on mélangeait les recrues allemandes et irlandaises. Les survivants se sont presque tous installés en Autriche, de­venue leur nouvelle patrie. Jamais on ne les a considérés comme des étrangers. Ils étaient des Européens (chré­tiens), qui apprenaient très vite la langue du pays. Ils é­taient fidèles à l'Empereur, leurs mœurs et leur aspect phy­sique ne déconcertaient pas. Dans tous les pays apparte­nant à la monarchie des Habsbourgs, ces immigrés venus de la Verte Eirinn se sont immédiatement intégrés.

Pendant cette Guerre de Trente Ans, de vastes territoires de l'Empire ont été complètement dépeuplés à causes des opérations de guerre qui y ont fait rage. Il a fallu attendre la fin du 18ième siècle pour ramener le chiffre de la popu­la­tion centre-européenne à celui du 16ième siècle. Les pays du Nord du Danube, où les batailles ont été livrées, de même que les territoires catholiques de la Bavière, de la Souabe et de la Forêt Noire (ndt: et de la Franche-Comté impé­ria­le) ont dû être partiellement repeuplés.

Bon nombre d'Irlandais au service de l'Autriche sont ainsi de­venus colons, des fermiers qui ont reçu des chambres impériales le droit de mettre en valeur des biens fonciers abandonnés, dévastés ou négligés; il fallait recultiver des terres auparavant fertiles. Les Irlandais sont restés et ont participé à la reconstruction du Saint-Empire. Leurs des­cen­dants, élevés en Autriche, vivent encore parmi nous.

Alexander ERETH.

(article tiré de "Zur Zeit", n°21/1998; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

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samedi, 28 juin 2008

L'hallucination du monde d'après Antonin Artaud

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L'hallucination du monde d'après Antonin Artaud

 

Si notre fin de siècle est si avide de commémorations d'évé­nements de toutes natures, c'est bien la preuve que, gavée de progrès technologique, incapable de la moindre inno­va­tion politique et sociale, la société moderne s'enfonce dans un marasme irrémédiable qu'elle aura beau jeu de travestir en une improbable incarnation de la Fin de l'histoire. Pour­tant, c'est presque en vain que l'on cherchera parmi ces in­nombrables remémorations un éventuel hommage rendu à l'oc­casion du centième anniversaire de la naissance ou du cinquantenaire de la mort d'Antonin Artaud (1896-1948). Mais il faut croire que l'œuvre atypique et inclassable du poè­te-acteur-dramaturge ne peut faire les frais de cette in­sidieuse tendance largement répandue dans le marigot gou­vernemental qui consiste à ne regarder le monde qu'au tra­vers des œillères manichéennes à bipolarité droite/gauche, al­pha et oméga de toute pensée moderne; preuve s'il en é­tait que nous avons depuis longtemps atteint les grandes pro­fondeurs abyssales de l'inculture et de la démagogie po­li­ticienne. Cette impossibilité du recyclage de l'œuvre du «crucifié de la modernité » (cf. Xavier Rihoit, in Le Choc, n°11) tient pour beaucoup dans le fait qu'il est un des rares au­teurs à véritablement répondre à la volonté nietzschéen­ne de «briser les fenêtres et sauter au dehors» des in­sti­tutions de la société «où le long suicide de tous s'appelle la vie».

 

Antonin Artaud, né à Marseille en 1896 était de cette gé­né­ration conçue pour le grand sacrifice de la première guerre, période charnière entre un 19ème siècle qui s'était clos sur le constat de «la mort de Dieu » et un 20ème siècle, né dans la violence et le sang d'une civilisation européenne à l'agonie. Mais s'il fut rapidement démobilisé pour raisons médicales (les premiers troubles nerveux, issus d'une mé­nin­gite contractée à l'âge de cinq ans ou d'une syphilis hé­ré­ditaire, coïncident avec le début de la guerre), il n'é­chappa pas pour autant, par le biais de la maladie, au lot de souffrances physiques et morales dévolu à ceux de sa clas­se d'âge, à ceci près que, dans son cas, le combat dura toute sa vie, avec pour seule trêve le refuge dans l'opium.

 

Des simulacres sans force que l'Europe prend pour des pensées…

 

De son état de maladie permanente, de l'irrépressible dé­ca­dence de son corps naît une extrême sensibilité aux ma­nifestations de la Puissance vitale de l'esprit exprimée par la culture ainsi qu'une révolte radicale contre ses cari­ca­tu­res car «jamais, quand c'est la vie elle-même qui s'en va, on n'a autant parlé de civilisation et de culture. Et il y a un étrange parallélisme entre cet effondrement généralisé de la vie qui est à la base de la démoralisation actuelle et le souci d'une culture qui n'a jamais coïncidé avec la vie, et qui est faite pour régenter la vie». C'est tout le simulacre de la fausse culture européenne qui est en cause et qu'il faut reformer, conformément aux aspirations profondes d'une volonté de retour aux sources de la vie: «Une tête d'Européen d'aujourd'hui est une cave où bougent des simu­lacres sans forces que l'Europe prend pour ses pensées».

 

Pour retrouver sa nature profonde, pour se sentir vivre dans ses pensées, la vie repousse l'esprit d'analyse où l'Eu­ro­pe s'est égarée. Comme cette tâche incombera à une jeunesse plus idéale que réelle, il écrit aux recteurs des académies de l'Education Nationale, vrais faux prophètes de la nouvelle idole jadis dénoncée par Nietzsche: «Assez de jeu de langue, d'artifice, de syntaxe, de jongleries, de for­mules, il y a à trouver maintenant la grande Loi du cœur, la Loi qui ne soit pas une loi, une prison mais un gui­de pour l'Esprit perdu dans son propre labyrinthe. A travers le crible de vos diplômes, passe une jeunesse efflanquée, perdue. Vous êtes la plaie d'un monde, Messieurs, et c'est tant mieux pour ce monde mais qu'il se pense un peu moins la tête de l'humanité». Dans les filigranes de la pensée d'Ar­taud, c'est bien sûr encore Nietzsche que l'on retrouve dans son rejet de la piètre érudition des pharisiens de la pensée. Car la réalité du monde est que «toute vraie culture s'ap­puie sur la race et sur le sang. Le sang [...] garde un an­ti­que secret de race, et avant que la race se perde, je pense qu'il faut lui demander la force de cet antique secret».

 

Le “Théâtre de la Cruauté”

 

C'est par le théâtre qu'Artaud expérimentera sa vision d'une culture vraie. Il est engagé dans la troupe de Charles Dul­lin, avant de fonder avec Roger Vitrac et Robert Aron le Théâ­tre Alfred Jarry en 1927. Dans le même temps, il mè­ne­ra une carrière cinématographique qui lui fera privilégier les rôles d'illuminés fanatiques comme celui de Marat dans Napoléon et de Savonarole dans Lucrèce Borgia d'Abel Gan­ce et surtout celui du moine Frère Massieu dans La passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer. Mais le théâtre est encore l'occasion pour un Artaud influencé par le théâtre oriental et le théâtre antique, de redéfinir et de perfec­tion­ner un art véritable, débarrassé de tout esthétisme gra­tuit, du psychologisme creux de la réalité quotidienne, de la suprématie de la parole pour redevenir la pure mani­festation de la vie elle-même dans sa dimension la plus sa­crée, où la parole, les cris, les sons sont recherchés d'abord pour leur qualité vibratoire et retrouvent le pouvoir de l'in­cantation, où les personnages ne sont plus considérés com­me des hommes mais comme «des êtres qui sont chacun comme des grandes forces qui s'incarnent». Ce théâtre sera baptisé “Théâtre de la Cruauté”, la cruauté signifiant, ici, «rigueur, application et décision implacable, détermination irréversible, absolue».

 

Une révolution personnelle

 

En des temps historiquement troublés, la référence révolu­tion­naire devient obligatoire pour tous ceux qui penchent du côté de la vie intense mais elle prendra tout son sens dans la volonté vitale d'Artaud. Un temps rallié au premier mouvement surréaliste et à ses tentatives spiritualistes, il opposera rapidement sa révolution personnelle, conçue com­me un véritable retour sur soi-même au ralliement des André Breton et Louis Aragon au bolchevisme et à la révo­lution matérialiste qu'il accusera plus tard de donner nais­san­ce à une idolâtrie de nature  religieuse «parce qu'elle in­tro­duit une mystique de l'esprit». Mais la liberté incon­di­tion­nelle d'Artaud ne s'embarrasse d'aucun préjugé idéolo­gique et c'est dans le même état d'esprit qu'il rejettera avec le matérialisme, la république, la démocratie, le so­cia­lisme, le communisme, le marxisme, etc. ... et toutes les formules creuses gravées au fronton des palais institu­tionnels mais sans pour autant s'exclure du monde car: «Il y a une manière d'entrer dans le temps, sans se vendre aux puissances du temps, sans prostituer ses forces d'action aux mots d'ordre de propagande... Il y a des idoles d'abêtis­se­ment qui servent au jargon de propagande. La propagande est la prostitution de l'action, et [...] les intellectuels qui font de la littérature de propagande sont des cadavres perdus pour la force de leur propre action ».

 

A la recherche de sa propre révolution, Artaud, qui con­nais­sait déjà l'œuvre du métaphysicien «traditionaliste» René Guénon va se plonger de plus en plus dans l'étude des textes sacrés des cultures orientales et aryennes et s'em­bar­quera pour le Mexique, à la recherche d'une civilisation authentique, constatant à la suite d'Oswald Spengler, l'irré­mé­diable décadence de l'Occident. Cet aspect de la déca­den­ce, il l'avait déjà mis en scène par la figure historique de l'empereur d'une Rome déliquescente, Héliogabale, dans ses débordements chaotiques de prostitution du Rite et de sa­cralisation de l'obscène. Mais il n'y a «rien de gratuit dans la magnificence d'Héliogabale, ni dans cette merveilleuse ar­deur au désordre qui n'est que l'apparition d'une idée mé­taphysique et supérieure de l'ordre, c'est à dire de l'unité».

 

L'anarchiste couronné

 

A Jean Paulhan, son éditeur qui s'inquiétait de la véracité historique des faits décrits par Artaud, il répondit «vrai ou non, le personnage d'Héliogabale vit, je crois, jusque dans ses profondeurs, que ce soient celles d'Héliogabale person­nage historique ou celles d'un personnage qui est moi». C'est donc Artaud qui est le véritable «anarchiste couron­né», contempteur de la décadence et de l'unité perdue du monde et qui vient annoncer sa définition de l'anarchiste: «C'est celui qui aime tellement l'ordre qu'il n'en accepte pas de parodie».

 

Automythographie

 

En fait, si le théâtre doit être pour Artaud la repré­sen­tation de la réalité, la réalité est également un théâtre où Artaud va toute sa vie durant s'efforcer de mettre en scène Artaud, ce qui lui vaudra d'être qualifié d'homme-théâtre par Jean-Louis Barrault. La totalité de son œuvre est d'es­sen­ce autobiographique —Camille Dumoulié dans son essai intitulé simplement Antonin Artaud parle d'automytho­gra­phie—  et est ainsi résumée par l'auteur: «Entre le réel et moi, il y a moi, et ma déformation personnelle des fantô­mes de la réalité».

 

Antonin Artaud, littéralement possédé par son état de fu­reur permanente est celui qui aura poussé au plus haut point la logique de la subjectivité, liberté d'esprit totale garante d'une vision du monde entièrement débarrassée des conformismes, conventions et idéologies qui réduisent l'homme à être un simple rouage de l'Etat, pour retrouver l'Intuition de sa Puissance vitale. Maître de son propre mon­de et dieu de sa propre foi, cette âme écorchée vive plutôt que simplement désincarnée payera pourtant le prix fort de sa quête par neuf années d'internement en maison psy­chiatrique. En 1948, deux années après sa libération —mais en ces temps on libérait les Antonin Artaud des asi­les d'aliénés seulement pour y enfermer les Ezra Pound et les Knut Hamsun—  il allait s'éteindre, juste après une ulti­me vocifération contre l'homme civilisé, justement symbo­lisé par l'Amérique qui a cru vaincre la nature mais s'est en­tièrement soumis et enchaîné à la technologie. Ce qui reste aujourd'hui de «l'étendard calciné de la jeunesse » (selon Bre­ton) est l'essentiel; ainsi pour Roger Blin, un des com­pa­gnons de ses derniers instants «je ne connais Artaud que par sa trajectoire en moi, qui n'aura pas de fin » et pour le bio­graphe Dumoulié «le legs d'Artaud n'est ni un savoir, ni une méthode, mais une puissance de contagion qui voue le corps et l'esprit au travail d'une perpétuelle genèse».

 

Frédéric SCHRAMME.

 

Bibliographie :

 

Antonin Artaud :

◊ Le théâtre et son double, folio, essais, n°14.

◊ Messages révolutionnaires, folio, essais, n°20.

◊ Pour en finir avec le jugement de Dieu, document sonore.

◊ Œuvres complètes, Gallimard.

◊ Camille Dumoulié: Antonin Artaud, coll. “Les contem­po­rains”, Seuil.

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vendredi, 27 juin 2008

Arménie: nation martyr de l'orthodoxie

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Arménie: nation martyr de l'orthodoxie

Notes d'un voyage au pays détruit par les invasions turques

Plus d'un touriste s'émerveillait jadis, en 1988, à Erivan, capitale de l'Arménie, de pouvoir aller se promener dans les montagnes du Nagorno Karabagh, une région dont le nom signifie “jardin noir” en langue turque. Aujourd'hui, ce pays merveilleux est l'endroit, sur la planète, le plus couvert de mines anti-personnel. Le Nagorno Karabagh, que les Arméniens appellent “Artzhak”, est un nouvel Etat, né de la résistance et de la guerre des partisans menée par la population arménienne contre l'invasion islamique turque venue d'Azerbaïdjan. Les Azéris, effectivement, se sont rendus maîtres du pays au moment de l'effondrement de l'Union Soviétique. Si on s'y rend en voiture en venant de la cité de Berdzor, il faut traverser un no man's land encore infesté de bandes azéries et passer entre deux colonnes frappée d'un symbole identique au “Soleil des Alpes” placé sur une épée marquée d'une croix. On se trouve alors dans le district de Shushi, une ville accrochée à une montagne escarpée, où Sergey Tsaturian reçoit les visiteurs. Il est le commandant de la Garde Nationale. Il est l'un des sept frères de la première famille qui, guidée par le patriarche Grigory Shendyan, âgé de 98 ans, a pris les armes contre les envahisseurs. Avec grande fierté, il nous montre une église dont on achève la construction: les Azéris d'ethnie turque l'avaient incendiée puis faite sauter à la dynamite, il y a trois ans.

Aujourd'hui, un jeune prêtre orthodoxe à longue barbe enseigne le catéchisme à de jeunes garçons, à l'air libre, alors qu'il pleut. Il me dit: «Nous ne sommes pas encore en mesure de reconstruire l'école primaire et l'école moyenne qui ont été détruites à coups de canon, sous prétexte qu'elles n'étaient pas des “écoles coraniques”». D'une autre petite chapelle de Shushi, il ne reste plus rien d'autre que les fondements; des destructions similaires ont frappé Berdadzor, Kanatckala, Zarisli, Kanintak; avant de se retirer les Azéris d'ethnie turque ont systématiquement détruit les églises, les écoles et les fours à pain. A Stepha­nakert, capitale de la nouvelle république d'Artzhak, de nombreuses églises ont également été frappées et forte­ment endommagées par des missiles ou des obus, mais le Mu­sée de la Tradition tient encore debout, malgré les atta­ques au missile, au beau milieu de maisons disloquées.

La directrice de ce musée, Mme Mélanie Balayan, me raconte que les familles et les enseignants y emmenaient les en­fants et les élèves pour visiter cet écrin de la mémoire ar­ménienne, même sous une pluie d'obus. Les Arméniens de cette région n'ont plus connu la liberté depuis longtemps: domination turque, 70 années de communisme après l'arri­vée des bolcheviques, puis, récemment, l'arrivée des Azéris d'ethnie turque. Pire: l'ONU, sous la double pression de la Tur­quie et de l'Azerbaïdjan, n'a pas reconnu le nouvel Etat, alors que des élections démocratiques y ont été tenues, qui ont porté au pouvoir des gouvernements sociaux-démo­crates ou libé­raux.

Dans le district d'Askeran, seul un monastère isolé dans la montagne a échappé à la furie destructrice. La plupart des villages ou des hameaux n'ont plus que des églises ou des écoles de fortune, installées dans des maisons d'habitation ou dans des vestiges d'anciennes forteresses russes. La ville morte d'Aghdam, dans le no man's land situé entre la fron­tière incertaine de l'Artzhak et l'Etat islamique d'Azer­baïdjan, est le véritable monument funéraire de l'“heu­reu­se coexistence” entre orthodoxes et musulmans. Là-bas, tout est miné et les grenades en chapelets de couleur jau­ne, très semblables à celles que l'OTAN a utilisé contre les Serbes, maculent le vert des champs qui furent jadis fer­tiles. Les carcasses calcinées des chars de combat émer­gent des cratères creusés par les obus. Quelqu'un a apporté des fleurs pour les placer sous une petite croix blanche des­sinée sur le flanc d'un T-34 détruit. Un calcul approximatif nous permet de dire qu'environ 300 églises et écoles or­tho­doxes arméniennes ont été détruites par les Turco-Azéris en­tre 1989 et 1997 au Nagorno Karabagh et dans le Nakhit­che­van.

Les invasions successives des Turco-Azeris

Epilogue: dans la vallée du fleuve Araxe, sur la frontière turco-iranienne, en 1999, je rencontre un colonel, qui ressemble à l'un de ces Immortels de Cyrus II le Grand. Il me fait visiter l'ancien monastère de la Kelissa Darré Sham, c'est-à-dire l'église de Saint-Bartolomée, arrivé dans la région en l'an 62. Elle a été détruite  à plusieurs reprises par les invasions successives des Turco-Azéris, depuis le 16ième siècle jusque dans les années 70. Aujourd'hui, le complexe monastique est sous la protection de l'UNESCO et le ministère des monuments iranien est en train de le restaurer. Mais le panorama sur la vallée qui s'étend au-delà de la frontière azérie et du chemin de fer me rappelle le passé, aux blessures toujours béantes: des milliers et des milliers de katchar arméniennes, c'est-à-dire de croix rusti­ques taillées dans la pierre, révèlent des tombes chrétien­nes orthodoxes, les tombes de ceux qui ont dû sans cesse fuir les persécutions déchaînées par le Sultan rouge, le gé­nocide scientifiquement planifié par le gouvernement des Jeunes Turcs et, très récemment, les incursions des Azéris. Une seule chose a changé, ce ne sont plus des cimeterres ou des fusils que manient génocideurs ou envahisseurs, mais des chars d'assaut et des lance-roquettes munis de viseurs laser. La civilisation moderne…

Archimede BONTEMPI.

(article paru dans La Padania, le 26 octobre 2000; http://www.lapadania.com ).

 

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jeudi, 26 juin 2008

Entretien avec Jean Dutourd

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Entretien avec Jean Dutourd,

Membre de l'Académie française

 

Membre de l'Académie française, Officier de la Légion d'hon­neur, Commandeur de l'ordre national du mérite, Officier des Arts et Lettres, Jean Dutourd est redouté pour ses propos anticonformistes, et, généralement, ad­miré pour sa liberté de ton. Il a bien voulu nous accor­der un entretien dans lequel il se livre en partie, cela à l'occasion de la parution de ses mémoires.

 

Q.: Aujourd'hui, quelle est la situation de la culture française ?

 

JD: Comme toujours en péril. Un peu moins qu'il y a cent ans, quand même.

 

Q.: Quels sont les principaux périls que rencontre notre culture ?

 

JD: Les mêmes que rencontre toute culture: la paresse in­tel­lectuelle, laquelle marche du même pas que l'indiffé­ren­ce pour la patrie.

 

Q.: Et l'américanisation, dans tout cela ?

 

JD: L'Europe se renie depuis trente ou quarante ans. On a le sentiment que toute son ambition est de devenir une co­lonie américaine, avec ce que cela signifie de docilité po­li­tique, d'adoration idiote, de mimétisme. Le comble du chic en Europe est de copier servilement la métropole, c'est-à-dire New York. Lorsque la France cessera de se conduire com­me une colonie, jusqu'à parler petit-nègre, elle rede­vien­dra ce qu'elle était naguère.

 

Q.: C'est-à-dire ?

 

JD: Le contraire de ce qu'elle est aujourd'hui. Qu'elle rêve d'ima­giner qu'elle sera de nouveau gaie et insouciante, com­me en 1860 ou 1913!

 

Q.: Avec l'Europe que l'on nous prépare, pensez-vous que la France puisse disparaître ?

 

JD: Je crois que la France a été, au cours de son histoire ex­posée à des périls ou des tentations pires. Ce n'est pas "croi­re au miracle" que de croire à la persévérance du génie fran­çais, lequel, en mille ans, a démontré plusieurs fois qu'il était insubmersible.

 

Q.: Avez-vous l'impression que les Français veulent le rester ?

 

JD: Pour le moment, non, mais, il faut se garder de con­fon­dre la France et les Français. Ceux-ci sont une peuplade chan­geante, tantôt sublime, tantôt abjecte... La France est une œuvre d'art dont l'accomplissement a pris mille ans. Les Français changent de génération en génération, mais No­tre-Dame ne bouge pas, ni le Louvre, ni même la Tour Eiffel.

 

Q.: On a pourtant l'impression que certains politiques veulent que la France disparaisse au sein de l'Europe...

 

JD: On a surtout l'impression que les hommes politiques sont épouvantés par l'idée de prendre des responsabilités, de s'engager dans des voies irréversibles, de regarder le destin en face, et, lorsqu'il le faut, s'opposer a lui. L'Europe est un excellent alibi pour ces gens-là. Elle leur donne le pouvoir sans les obligations du pouvoir. Comme disait Péguy des politiciens de son temps :"lls ne veulent pas se salir les mains, mais ils n'ont pas de mains".

 

Q.: A quand remonte le fait que nos dirigeants poli­ti­ques refusent les responsabilités, qui pourtant leur in­combent ?

 

JD: Je crois que cela remonte à l'entre-deux guerres? La Fran­ce était fatiguée de la guerre de 14  —et il y avait lieu de l'être. Elle en était sortie exsangue. A ce moment-là nos po­litiques ont étés atteints d'une espèce de crise de vo­lon­té. Toutefois, à cette époque, les vieilles armatures exis­taient encore et on ne voyait pas les âmes nues (ou le man­que d'âmes). Tout s'est effondré en 1940.

 

Q.: Pensez-vous que les imbéciles soient nuisibles ?

 

JD: La terre est peuplée d'une infinité d'imbéciles, lesquels choisissent dans leur sein quelques-uns d'entre eux pour les con­duire, ce qui explique la plupart des tragédies ou "dra­mes nationaux" dont l'histoire des démocraties est jalon­née. Au principe de ces drames, on trouve à peu près in­failliblement la bêtise, c'est-à-dire les vues courtes des di­rigeants, leur absence d'imagination et de prévoyance, leur défaut d'audace allant jusqu'à la pusillanimité, leurs chi­mères puériles, toute chose qui ne déplaise pas au peuple souverain...

 

Q.: C'est plutôt tragique, ce que vous nous dites là...

 

JD: Lorsque la tragédie s'abat sur la nation, elle n'apporte pas avec elle que de la désolation et des souffrances, mais aussi une espèce de contentement mystérieux. La tragédie est la justification de la bêtise, sa sublimation; elle la sanc­tifie, elle la transforme en légende...

 

Q.: Etes-vous d'accord avec Maurras, lorsqu'il affirme que "vivre, c'est réagir" ?

 

JD: Bien sûr, mais cette pensée n'est pas une des plus ori­gi­nales de Maurras...

 

Q.: Vous gardez donc espoir ?

 

JD: Forcément, je ne peux pas faire autrement, je suis homme de lettres. Alors, j'ai besoin qu'il existe toujours des Français afin qu'on lise mes livres après que je sois mort.

 

Q.: N'avez-vous pas l'impression que votre discours soit "ringard" ?

 

JD: Léautaud avait une phrase magnifique, que je me suis empressé d'adopter dès que je l'ai découverte: "On dit que je suis un homme d'un autre âge, tant mieux, c'est plus chic". Dans la France actuelle, qui mange du pain industriel et du poulet à la dioxine, qui baragouine un sabir vague­ment américain, qui ne connaît plus rien de son passé et de ses grands écrivains, qui est pleine de voleurs et d'assas­sins, je crois qu'il est essentiel d'être ringard, attardé, vieille lune, bref, disciple de Mallarmé et de Flaubert.

 

Q.: Quel est le message que vous souhaitez donner aux jeunes ?

 

JD: J'attendrai qu'ils aient un peu vieilli et lu quelques bou­quins avant de le leur transmettre.

 

Q.: Vous étes toujours monarchiste ?

 

JD: Plus que jamais. C'est le seul régime commode que les hom­mes aient jamais trouvé.

 

(propos recueillis par © Xavier Cheneseau).

 

L'invité en quelques dates:

1944-1947 - Il est administrateur adjoint de Libération.

1947-1950 - Jean Dutourd est directeur de deux program­mes de la BBC à Londres.

1957-1959 - Il est Président du syndicat des écrivains fran­çais.

1950-1966 - Il est conseiller littéraire aux Editions Galli­mard.

1963-1970 - Jean Dutourd est critique dramatique de Fran­ce-soir.

1978 - Jean Dutourd est élu à l'Académie française.

 

L'invité en quelques livres:

1946 - Le complexe de César (Prix Stendhal)

1948 - Le déjeuner du Lundi

1949 - L'Arbre, Une tête de chien (Prix Courteline)

1950 - Le petit Don Juan

1952 - Au bon beurre (Prix Interallié)

1955 - Doucin

1956 - Les taxis de la Marne

1958 - Le fond et la forme

1959 - Les dupes, L'Ame sensible

1961 - Le fond et la forme (tome II), Rivarol

1963 - Les horreurs de l'amour

1964 - Le demi-Solde, La fin des peaux-rouges

1965 - Le fond et la forme (tome lll)

1967 - Pluche ou l'Amour de l'art, Petit journal

1971 - Le paradoxe du critique, Le crépuscule des loups

1972 - Le printemps de la vie

1973 - Carnet d'un émigré

1975 - 2024

1977 - Cinq ans chez les sauvages

1977 - Mascareigne

1978 - Les matinées de Chaillot

1978 - Les choses comme elles sont

1980 - Le bonheur et autres idées, Mémoire de Mary Watson

1982 - De la France considérée comme une maladie

1983 - Henri ou l'éducation nationale

1983 - Le socialisme à tête de linotte

1984 - Le septennat des vaches maigres

1985 - La gauche la plus bête du monde

1986 - Contre les dégoûts de la vie, Le spectre de la rose

1987 - Le séminaire de Bordeaux

1989 - Ça bouge dans le prêt à porter

1990 - Conversation avec le Général, Les Pensées, Loin d'Edimbourg

1991 - Portraits de femmes

1992 - Vers de circonstance

1993 - L'assassin

1996 - Le feld-maréchal von Bonaparte

1999 - Que vive le Peuple Serbe (ouvrage collectif)

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mercredi, 25 juin 2008

Définir et dénoncer l'ethnocide

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Le texte de José Javier Esparza, issu de la revue madrilène Punto y coma, traduit dans la revue Vouloir n°35-36 (janv. 1987) par R. Pete, entend ouvrir le débat en nous invitant à refuser l’intériosation de cette négation des cultures comme matrice des différences.

Définir et dénoncer l'ethnocide

Tout le monde sait ce qu'est un génocide. Personne, ou presque, ne parle d'ethnocide, mécanisme de déracinement culturel qui s'abat, de nos jours, sur la majeure partie du monde. Ses victimes : les peuples, les cultures, les spécificités ethniques. Au profit d'un monde artificiel et homogénéisé. S'engager pour la cause des peuples exige, comme acte préalable, de désigner l'ennemi. Et l'ennemi, dans cette dynamique, c'est l'ethnocide.

L'homme est être de culture. Tout autant que l’espèce humaine est une notion biologique. Sur ce plan, zoologique, tous les hommes sont égaux. Mais les hommes ne se définissent pas seulement par leur constitution biologique mais plutôt par leur appartenance d une culture. L'Homme, dépourvu d’instincts pré-programmés, comme le souligne l'éthologie d'un Konrad Lorenz ou l’anthropologie d'un Arnold Gehlen, doit construire son comportement face au milieu. Cette construction est d'ordre "culturel". De sorte que, selon Gehlen, l'homme est "un être culturel par nature".

Le monde humain : une polyphonie

La même règle prévaut pour les sociétés humaines. Les hommes se regroupent en communautés de culture. Il n'y a pas de culture universelle ni d'homme universel. Il y a des peuples avec des cultures et des hommes. Le monde humain est essentiellement polyphonique. Les cultures se constituent ainsi, pour les hommes, en moyens destinés à la création de leur environnement. Cette culture ne peut être réduite à de la "production culturelle". La culture est la configuration que prennent les coutumes, les rites, les visions-du-monde, les conceptions de la société, les notions de sacré, les manières particulières de chaque entité à comprendre la relation qu'il y a entre l'homme et le monde. Toute tentative d'homogénéiser les cultures, de les réduire à un modèle universel constitue une atteinte contre ce qui est spécifiquement humain : la diversité culturelle. L'ethnocide s'inscrit dans cette dynamique homogénéisante. En provoquant l'extinction de la diversité culturelle, l'ethnocide implique la lente disparition de la spécificité des hommes et des peuples. Il implique la mort de l'humain.

Nous assistons à l'heure actuelle à une nouvelle configuration idéologique dans le monde qui se base sur un système de valeurs uniciste. Le vieux processus de colonisation "brutal et violent" a fait place à un néo-colonialisme pacifique et mercantile qui prétend imposer partout sa vision-du-monde. Ce qui est primordial pour ce néo-colonialisme, c'est la domination psychique et culturelle des peuples vivant dans les aires de son expansion potentielle, plutôt que leur simple domination physique/politique. L'agent privilégié de ce néo-colonialisme est précisément l'ethnocide, phénomène que nous pourrions définir, en un premier stade, comme un génocide culturel, génocide de "bonne conscience", exercé "pour le bien du sauvage". Ses résultats sont tout aussi négatifs et abominables que ceux d'une extermination physique.

Ethnocentrisme et prosélytisme

Approfondir le phénomène exige que nous remontions à l'incontestable et radicale réalité du fait ethnique ainsi qu'à un fait qui lui est fréquemment inhérent: l’ethnocentrisme. Ce terme, synonyme d'auto-centrisme culturel, fut défini en 1906 par W.G. Summer comme la conception du monde lui veut que le groupe humain auquel on appartient est le centre du monde : les autres groupes étant pensés par référence à lui, Il se manifeste (principalement aux niveaux inférieurs d'une communauté) par l'éloge de ce qui lui est propre et par un mépris de ce qui lui est étranger. Ce phénomène n'est pas intrinsèquement négatif ; nous le trouvons, dans la pratique, chez tous les peuples : les Esquimaux s'appellent eux-mêmes "Inuit", c’est-à-dire les "hommes" ; les Indiens Guaranis se donnent le nom d' "Ava", signifiant également les "hommes" ; les Guayquis, celui d' "Aché", les "personnes". Il en est de même chez presque tous les peuples de souche indo-européenne. Claude Lévi-Strauss a écrit que l'ethnocentrisme est un phénomène naturel, résultat des relations directes ou indirectes entre les sociétés (1). Tous les peuples sont ethnocentristes. Ceci dit, seule la "civilisation occidentale" est ethnocidaire parce qu'elle tend au prosélytisme, variante "pacifique" de "l'hétérophobie", manifestation de la "haine de l'autre".

L'hétérophobie

Tous les peuples subissent la tentation de l'ethnocentrisme et l'on doit admettre qu'une certaine dose d'ethnocentrage est nécessaire a l'équilibre d'une communauté, car elle renforce son "auto-perception", c’est-à-dire qu'elle dignifie l'image que la communauté se fait d’elle-même. Mais lorsque cet ethnocentrage dégénère, surgissent alors des manifestations d'hétérophobie, de haine de l'autre, de haine à l'égard de tout ce qui est différent. En règle générale, se cache derrière l'hétérophobie non un complexe de supériorité mais bien plutôt un complexe d'infériorité, une insatisfaction d'ordre culturel, provoquée par la perte de cette auto-perception qu'éprouve une communauté ethnique donnée, ce qui équivaut à une déviation ou une insuffisance d'ethnocentrage. Les manifestations d'hétérophobie sont, au fond, au nombre de 2 : la répudiation et l'assimilation.

L'ethnocide par répudiation

La répudiation consiste en ceci : la relation entre 2 groupes ethniques s’interprète selon le schéma dualiste nature/culture. La "société civilisée" juge la "société sauvage" comme inférieure, comme infra-humaine, et la perçoit comme un mode d'organisation quasi animal. Dans cette logique, les cultures dites "sauvages" sont destinées à être "bonifiées", "valorisées" par le truchement de la domination. Celle-ci, bien sûr, n'exclue pas la violence physique voire l'annihilation d'une race entière (génocide) ; elle n'exclut pas non plus l'ethnocide mais, ici, celui-ci se produit comme conséquence directe de l'exercice de la domination violente, ce qui la différencie de l'autre manifestation d'hétérophobie : l'assimilation.

L'ethnocide par assimilation

L'assimilation est une manifestation altérophobique plus subtile, moins polémique et conflictuelle. Elle consiste en la négation de la différence moyennant l'assimilation à la culture même qui pratique cette stratégie. L'autre devient identique, ce qui évite de poser le problème, pourtant bien tangible, de la différence des cultures. La distance est "censurée". Il s'agit d'un ethnocide pratiqué avec "bonne conscience" et qui correspond au phénomène néo-colonialiste actuel. L'ethnocide se pratique en 2 mouvements consécutifs : a) la déculturation qui génère une hétéroculture ; b) l'assimilation effective, l'ethnocide proprement dit.

Par déculturation, nous entendons l'ensemble des contacts et interactions réciproques entre les cultures. Le terme fut lancé à la fin du XIXe siècle par divers anthropologues nord-américains et plus particulièrement par l'ethnologue J.W. Powells en 1880 dans le but de désigner "l'interpénétration des civilisations". Comme l’a expliqué Pierre Bérard (2), le phénomène survient en plusieurs étapes. En 1er lieu, la culture autochtone s'oppose à la conquérante. Ensuite, avec la prolongation du contact, l'on commence à accepter certains éléments tout en en rejetant d'autres mais le germe d'une culture syncrétique est semé. C'est lors de la 3ème phase que l'on peut parler d'hétéroculture ; ce concept, cerné par J. Poirier (3), peut s'appliquer lorsque l'ethnotype ou mentalité collective, qui constitue avec l'idiome l'un des substrats de la culture, est affecté définitivement par des interventions extérieures. Les individus, coupés de leur mémoire, leur système social "chamboulé" deviennent les agents opérationnels de l'ethnocide (finalement un auto-ethnocide). Il se produit alors une assimilation complète, la disparition définitive de la culture originelle est chose faite et l'acceptation des valeurs de l'autre est acquise. Les courroies de transmission principales de ce processus sont au nombre de 3 : la religion, l'école et l'entreprise. La déculturation consommée et l'hétéroculture installée, l’on peut parler d'ethnocide par assimilation,

L'ethnocide : mort des différences

Le concept d'ethnocide fut suggéré pour la 1ère fois en 1968 par Jean Malaurie qui avait lu le livre de G, Condominar, L’exotique est quotidien. L'ethnocide partage avec le génocide une certaine vision de l'autre mais il n'adopte pas une attitude violente ; au contraire, il adopterait plutôt une attitude "optimiste". La propension ethnocidaire raisonnerait en fait comme suit : "Les autres, d'accord, ils sont 'mauvais' mais l'on peut les 'améliorer' en les obligeant a se transformer au point de devenir identiques au modèle que nous imposons". L'ethnocide s'exécute donc "pour le bien du sauvage". Une telle, attitude s'inscrit bien dans le cadre de l'axiome de l'unité de l'humanité, dans l'idée qu'il existerait un homme universel et abstrait, dans cet hypothétique archétype d'un homme générique. Archétype qui tenterait de fonder l'unité de l’espèce sur une donnée zoologique qui réduirait la culture à un "fait naturel" : cet archétype de l’universalisme militant constitue de ce fait une régression anti-culturelle. L'ethnologie a souvent succombé à cette erreur : dans le cadre de cette discipline, on a estimé, par ex., que l'indianité n'est pas quelque chose de consubstantiel à l'indien (qui est perçu comme un "être humain de couleur") ; dépouillé de son identité (l'indianité), l’indien accédera à la "dignité d'homme" : il s’occidentalisera.

Les 3 phases de l'ethnocide

Dans le cadre socio-économique, ce processus se manifeste en 3 phases fondamentales :

  • a) celle du spectacle : les peuples entrent en contact avec le modèle à imposer, ils contemplent les élites occidentales qui agissent comme vitrines, reflets du "progrès". Ces élites fonctionnent comme 1er instrument de l'ethnocide.
  • b) Celle de la normalisation : on élimine les scories culturelles indigènes, en les reléguant dans des zones dites "arriérées" ou "sous-développées" que l'on a, auparavant, contribué à créer ; l'instrument de pénétration est ici l'idéologie humanitaire qui prétend lutter contre la pauvreté.
  • c) la consolidation : issue des pays industrialisés, la culture dominante s'incruste totalement dans le pan-économisme ; les instruments de cet enkystement : modes de masse, idéologie du bien-être, etc.

Les conséquences de ce processus ont été mises en relief par G. Faye (4) : en même temps que les individus se dépersonnalisent pour végéter dans une existence narcissique et hyper-pragmatique, les traditions des peuples deviennent des secteurs d'un système économicisé et technicisé. Il y a souvenance mais pas de mémoire. Le passé est visité (comme un vieux musée poussiéreux) mais il n'est déjà plus habité. Un vrai peuple intériorise son passé et le transforme en modernité. Le système le transforme en ornement médiatisé et aseptique.

Matrices philosophiques de l'ethnocide

Tant l'esprit du processus d'assimilation que la légitimation de l'ethnocide reposent sur une série de préjugés bien ancrés dans l’idéologie moderne : ils s'inscrivent dans le cadre de la conception linéaire de l'histoire. En 1er lieu, nous rencontrons l'idéologème de la nature convergente de toutes les civilisations vers un système occidental. Dans cette optique, il serait possible de transférer n'importe où le développement culturel d'une population et de l'offrir à une autre parce que les cultures sont jugées simples accidents transitoires ou degrés inférieurs au encore marches d'escalier vers la civilisation unique, celle qui correspond à l'humanité abstraite, représentée aujourd'hui par le système occidental.

Cette vision téléologique est en rapport direct avec le 2nd idéologème, celui de l'unité de l'histoire, celui du sens unique de l'histoire : la civilisation serait alors un processus qui, avec l'aboutissement du développement, se muerait en état de fait ; le temps serait cumulatif et commun à tous les peuples. Bref, on enferme ainsi les peuples dans un processus abstrait et continu, dans un temps unique qui évoluerait vers le point omega du monde marchand et du bien-être de masse. Ces idéologèmes (unicité de l'histoire et convergence naturelle des civilisations) alimentent l'idéologie de l'unité de l'humanité. C'est, comme le souligne Pierre Bérard, "l'ogre philanthropique des ethnies". Résultat : l'homme occidental, prototype achevé de l'humanité unique, devient modèle planétaire.

Quand l'ethnocide engendre de graves pathologies

Ce type d'idées, que l'on tente d'inculquer aux peuples, n'est pas inoffensif. Au contraire, pareilles idées engendrent des pathologies dans l'orbite des psychologies sociale et individuelle, pathologies qui provoquent des déséquilibres sociaux. L'homme en l'intérieur duquel 2 cultures se combattent est un marginal qui ne peut plus se retrouver lui-même, qui ne sent plus les liens qui l’unissent à sa communauté d'origine, mais qui, en plus, ne sent pas se créer en lui d'autres liens qui l'uniraient au modèle culturel qu'on prétend lui imposer. Et ces liens qui, ensembles, donnent naissance à un véritable sentiment d'enracinement et d'appartenance collective, sont indispensables au bon équilibre social. Par la manipulation de ces idéologèmes déréalisants, les idéologies dominantes ont créé une authentique pathologie de la déculturation dont les symptômes ont été chiffrés par Rivers dés 1922 : érosion de la joie de vivre et thanatomanie. En 1941, Keesing observa les terribles effets déstabilisateurs de la dualité des codes axiologiques (l'original et l'imposé) chez des sujets appartenant à des ethnies soumises à un processus de déculturation. Le comportement imposé par l'idéologie occidentale est fréquemment perçu par la culture indigène comme délictueux et vice-versa. Cela donne lieu à des états d'anxiété où le patient déprécie généralement sa propre personne. Le processus de déculturation est-il irréversible ? Les peuples victimes de l'ethnocide, ou ceux qui sont en situation d'hétéroculture, ont-ils une quelconque possibilité de survivre en tant que peuples, c'est-à-dire en tant que matrices de systèmes de valeurs uniques et originales ?

La bouée de sauvetage : amorcer la contre-déculturation

Lorsque nous faisons allusion aux phases de déculturation (opposition initiale, culture syncrétique, hétéroculture et assimilation), nous avons délibérément laissé de côté une dernière et unique phase potentielle, signalée par Pierre Bérard : la contre-déculturation. Dans ce cas, la culture menacée de disparition, de façon inespérée, prétend restaurer les valeurs fondamentales qu'elle a sécrété du temps de sa pleine indépendance. Un tel phénomène, bien que difficile et complexe, peut se produire. Les mouvements des Indiens d'Amérique du sud l'illustrent parfaitement. Les phénomènes régionalistes en Europe aujourd'hui, qui ont une souche historique bien discernable comme ceux des Bretons, Flamands, Basques, etc., s'inscrivent également dans cette dynamique de contre-déculturation. Idem pour les revendications de beaucoup de pays du Tiers-Monde.

De nos jours, seule une réaction allant dans le sens d'une contre-déculturation peut freiner et corriger la dégénérescence des cultures populaires dans le monde entier et empêcher ainsi leur disparition. Le 1er obstacle à cette réaction, signe de santé, est l'idéologie universaliste et mercantile implantée à partir des structures internationales de domination techno-économique dont le pouvoir s'étend à tous les niveaux de la vie quotidienne. Il reste un espoir : que les peuples s'aperçoivent que ce système techno-économique est en réalité un géant aux pieds d'argile. Ils sauront alors que la réaction que nous souhaitons est possible et qu'elle sera efficace.

NOTES :

  • 1) Anthropologie structurale (1973).
  • 2) Ces cultures qu’on assassine in La cause des peuples, éd. Labyrinthe, 1982.
  • 3) Identités collectives et relations interculturelles, éd. Complexe, 1978.
  • 4) Les systèmes contre les peuples in La cause… (op. cit.).

mardi, 24 juin 2008

La partecipazione italiana alla guerra di Spagna

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La partecipazione italiana alla guerra di Spagna

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Daniele Lembo stampa
La partecipazione italiana alla guerra di Spagna

Il 1936 è un anno decisivo per la Spagna. Le elezioni hanno portato al governo le sinistre e la situazione politica, già precedentemente incandescente, raggiunge livelli di esasperazione. I militari, appoggiati dalle frange nazionaliste, mal tollerando la situazione politica venutasi a creare, a metà luglio, si sollevano contro il governo legittimo.
Inizialmente, il pronunciamento militare, a capo del quale è il generale Sanjurjo, sembra non attecchire. I rivoltosi controllano saldamente solo il Marocco spagnolo. Oltre alla regione Nord africana, i nazionalisti si impongono anche nella Vecchia Castiglia, nella Navarra, in Galizia, nel nord dell’Estremadura, nelle province di Siviglia, Cadice, Cordova e Granada. Ma le grandi città come Madrid, Barcellona, Bilbao e nella maggior parte del Paese la situazione è decisamente nelle mani del governo legittimo.
La situazione inizierà a cambiare quando, in seguito alla morte di Sanjurjo, a capo dei Nazionalisti si mette il generale Francisco Franco Bahamonde. A Franco, nel prendere il comando delle truppe ribelli, si presenta l’impellente necessità di trasportare le sue truppe marocchine dall’Africa del Nord al territorio metropolitano spagnolo. Il trasferimento è indispensabile per appoggiare la rivolta nella penisola Iberica che, altrimenti, verrebbe presto soffocata.
Per il trasbordo attraverso lo stretto di Gibilterra il generale spagnolo ha bisogno di navi ed aerei, mezzi dei quali, purtroppo egli non dispone e non gli resta che sperare nell’aiuto di Nazioni amiche.
La Germania cede ai nazionalisti venti apparecchi Junkers Ju52 mentre, inizialmente, Mussolini sembra non voler dare alcun aiuto ai rivoltosi. A Roma è stato espressamente inviato da Franco Juan Bolin, per perorare la causa dei nazionalisti e l’ambasciatore di Franco riuscirà a smuovere il Duce solo quando gli dirà che Hitler ha già concesso gli Ju52.
Il 30 luglio 1936 decollano da Elmas, in Sardegna, 12 trimotori Siai SM81 “Pipistrello”. I velivoli, ufficialmente acquistati da Juan Bolin, hanno le insegne obliterate e i 63 uomini che costituiscono gli equipaggi, al comando del tenente colonnello Ruggero Bonomi, vestono abiti civili e hanno nomi di copertura e documenti che li qualificano come personale civile estraneo alla Regia Aeronautica. Per escludere ogni collegamento tra gli aerei e l’Aeronautica italiana, non sono state cancellate solo le matricole militari degli aerei ma sono state limate anche le matricole delle armi di bordo. I trimotori, che volano alla volta del Marocco Spagnolo, incontreranno pessime condizioni meteoclimatiche e non arriveranno tutti a destinazione. Uno precipita in mare, un secondo effettua un atterraggio di emergenza a Bekrane, nel Marocco francese, e va distrutto al suolo, un altro atterra a Zaida, in Algeria, nel territorio del protettorato francese, venendo confiscato dalle autorità francesi. Alla fine, dei dodici partiti dalla Sardegna, solo nove SIAI atterrano a Melilla, in Marocco. Benché il modesto contingente aereo italiano giunga a destinazione ridotto a tre quarti dell’origine, i velivoli saranno preziosi per Franco dando un importante contributo al trasbordo in Spagna del corpo ispano – marocchino dei nazionalisti che viene trasferito sulla penisola iberica entro il 9 agosto.
L’invio dei 12 trimotori Siai SM81 non sarà un fatto isolato legato alle necessità contingenti di Franco e dei suoi, ma segnerà l’inizio dell’invio di una serie infinita di aiuti ai Nazionalisti spagnoli che in Italia avrà come nome di copertura “Esigenza Oltre Mare”. Ai trimotori Siai seguono dodici caccia Fiat CR32 che, il 14 agosto 1936, vengono sbarcati smontati a Melilla (Marocco). I caccia, come d’altronde i Siai, sono accompagnati dai piloti.
Ai primi 12 caccia CR32 ne seguiranno molti altri e gli invii di materiale aeronautico italiano vedranno arrivare in Spagna biplani da ricognizione Imam RO37, assaltatori Breda BA65 e i più modesti Cab AP1, addestratori Breda BA28 e Fiat CR30B, addestratori avanzati Imam RO41, bimotori da osservazione e aerocooperazione CA310, idrovolanti Cant Z501 e Cant Z506, ma anche i nuovi bombardieri Savoia Marchetti SM79. Oltre ai velivoli citati, sarà ceduta all’Aviazione Legionaria anche un’aliquota dei nuovissimi prodotti aeronautici della Fiat: i bimotori da bombardamento BR20 e i caccia G50.
In totale, per l’aviazione nazionalista, verranno inviati in Spagna 730 velivoli, di cui solo 710 giungeranno nella penisola Iberica, dotati di centinaia di motori di ricambio. Per rendersi conto dello sforzo logistico legato a tali velivoli basta ricordare che il personale addetto agli apparecchi sarà composto da 5.699 militari e 312 civili, il carburante dovrà essere sufficiente per le 135.000 ore di volo che verranno effettuate, mentre verranno sganciate 11.584.420 kg. di bombe.
Gli aiuti agli insorti di Franco non consistono solo in invii di materiale e personale aeronautico, ma anche alcune unità della Regia Marina vengono impegnate in azioni controcosta e di interdizione alle unità navali filogovernative. Nel febbraio 1937 gli incrociatori Eugenio di Savoia ed Emanuele Filiberto, senza inalberare alcun segno che ne denunci la nazionalità, cannoneggiano dal mare le città di Barcellona e Valencia. L’incrociatore Barletta, bombardato da velivoli repubblicani, conterà i primi sei morti italiani della Marina su quel fronte marittimo. Nel canale di Sicilia, nel tentativo di interrompere il flusso dei rifornimenti russi, interverranno gli incrociatori Diaz e Cadorna. L’uso di unità di superficie rischia, come è facile intuire, di rivelarsi troppo pericoloso per l’Italia, potendone facilmente compromettere la posizione in campo internazionale, coinvolgendola in un conflitto nel quale, ufficialmente, gli italiani non sono mai entrati. La parte del leone, in aiuto alla modesta flotta nazionalista, verrà svolto dai sommergibili della Regia Marina. Unità insidiose e di nazionalità indefinita fin quando sono immerse, le unità subacquee si rivelano adattissime allo scopo. Ben 36 sottomarini italiani trovano impiego lungo le coste spagnole in una serie di attività che vanno dall’interdizione del traffico repubblicano al cannoneggiamento notturno delle coste. Attività di interdizione al traffico navale russo, diretto in aiuto ai repubblicani, viene poi svolta in Mediterraneo dove i sommergibili italiani fanno base nel Dodecaneso.
Alla Marina nazionalista saranno ceduti “in prestito” i sommergibili Ferraris, Galileo Galilei, Onice e Iride che verranno inquadrati nella Marina di Franco solo per alcuni mesi e faranno definitivamente rientro in Italia nel 1938.
Sul fronte di terra, all’inizio, gli aiuti italiani sono piuttosto timidi in quanto Mussolini non intende assolutamente esporsi in campo internazionale, aiutando a viso aperto i rivoltosi. Evidentemente, al Duce brucia ancora la riprovazione manifestatagli dalla Società delle Nazioni con le Sanzioni comminate all’Italia in occasione dell’intervento in Etiopia.
Nei primi quatto mesi della guerra civile dall’Italia, in aiuto agli insorti nazionalisti, arriva ben poco. In questo primo periodo, sono poco più di 380 gli uomini che il Regio Esercito manda in aiuto agli insorti e si tratta di personale impiegato, prevalentemente, come istruttori e osservatori. Dagli inizi di agosto alla fine di settembre del ’36 arriveranno poi 15 carri L, le famose “scatole di sardine”, e 38 pezzi di artiglieria da 65/17. I carri arrivano senza equipaggi, ma accompagnati solo da istruttori in quanto sono destinati ad essere impiegati da personale spagnolo.
Carri e cannoni italiani troveranno impiego con equipaggi misti italo spagnoli nella presa di San Sebastian e, nell’ottobre-novembre, negli scontri nei dintorni di Madrid. Come detto l’impegno italiano, all’inizio, sembra essere molto cauto e già a fine novembre il personale italiano viene fatto rientrare in Patria, con contestuale definitiva cessione dei materiali agli spagnoli. E’ solo un apparente passo indietro di Mussolini il quale è, invece, destinato ad impelagarsi in una guerra che, vista la massiccia presenza di personale e materiale russo, si avvia ad acquisire l’aspetto della crociata internazionale contro il bolscevismo. Il 16 novembre Italia e Germania riconosceranno ufficialmente il nuovo governo di Francisco Franco e sarà questo il primo passo verso il massiccio intervento italiano nella Penisola Iberica.
Nel dicembre 1936 sbarcano a Cadice i primi 3.000 “volontari” italiani. Imbarcati sul piroscafo “Lombardia”, sono stati arruolati con un premio di ingaggio di 3.000 lire e la promessa di una paga giornaliera di 40 lire. E’ inutile dire che gran parte dei “volontari” provengono dalle regioni più povere del Regno d’Italia. Molti dei volontari, poi, si sono arruolati credendo di essere inviati in Africa Orientale. Perché gli uomini partissero, si sono mossi tutti i Federali con una pesante campagna d’arruolamento e, al momento di firmare, ai volontari è stato genericamente parlato di una “esigenza Oltre Mare” è stata questa vaga indicazione ad indurre molti di loro a identificare i territori “Oltre mare” con l’Etiopia. L’arruolamento è stato considerato allettante perché, oltre che ben pagato, li avrebbe destinati verso una regione dell’Impero che tutti, in quel momento in Italia, credono definitivamente pacificata, mentre invece in Etiopia la realtà è ben diversa. Il fatto che la grande maggioranza dei legionari provenga dalle zone più povere del Meridione può lecitamente indurre a pensare che la buona paga presenti, per molti di loro, un’attrazione più forte della crociata ideologica contro il bolscevismo. Di contro, è da evidenziare, per ragioni di correttezza d’informazione, che molti sono anche coloro i quali si arruolano perché spinti da motivi ideologici, tant’è che molte domande di arruolamento giungono alla rappresentanza franchista a Roma molto prima ancora che venga istituito il Corpo Truppe Volontarie per la Spagna.
Ci sono coloro i quali si arruolano per semplice spirito d’avventura o perché credono genuinamente di andare a combattere contro la barbarie del bolscevismo. Se non fosse così non si spiegherebbe l’alto numero di ufficiali, provenienti dal complemento, che, arruolandosi, lasciano buoni impieghi e sicure professioni per andare in Spagna. Sono stato particolarmente colpito dal pensiero di Montanelli - Cervi che nell’opera “Due secoli di Guerre” (Editoriale Nuova, 1983 Milano p. 256) scrivono: “E’ altrettanto certo che vi furono anche i volontari idealisti, specie tra gli ufficiali di complemento che, a differenza degli “effettivi” non potevano essere sospettati di inseguire promozioni e medaglie, e che non dovevano essere attratti dal denaro, visto che nelle loro file c’erano laureati con un buon impiego professionisti, rampolli di famiglie agiate e perfino industriali come il lecchese Costantino Fiocchi, comproprietario di un’azienda già allora multimilionaria. Essi andarono in Spagna perché credevano realmente di combattere per la civiltà, per la fede cristiana, per il trionfo della fede cristiana sul bolscevismo e, a modo loro, anche per la libertà. Su questo non ci sono dubbi”
Altri 5.000 legionari arrivano nel gennaio successivo ed inizialmente vengono ordinati in una Brigata Volontari agli ordini del generale Roatta che è anche a capo del Servizio segreto militare italiano. Il 16 febbraio 1937, nasce ufficialmente il Corpo Truppe Volontarie che, sempre agli ordini di Roatta, comprenderà le divisioni: “I Dio lo vuole”, “ II Fiamme Nere”, “III Penne Nere” e “IV Littorio”; 2 brigate miste (I brigata “Frecce Azzurre” e II brigata “Frecce Nere”), costituite per il 30% da volontari italiani e per il 70% da volontari spagnoli; 2 gruppi di banderas autonomi (ogni gruppo è equivalente ad un reggimento mentre una banderas è equivalente ad un battaglione); un raggruppamento armi speciali che comprende: un battaglione carri d’assalto L3 su quattro compagnie, una compagnia di autoblindomitragliatrici, una compagnia motomitragliatrici e una sezione cannoni anticarro da 47 mm. Ai reparti citati andranno ad aggiungersi 10 gruppi di artiglieria con 104 pezzi, 3 batterie antiaeree con 16 pezzi, un raggruppamento manovra composto di autoveicoli vari e elementi del genio. Sembra che la Littorio, prima di essere inviata in Spagna, dovesse andare in Africa e forse anche ciò contribuirà a far credere ai volontari che l’esigenza Oltre mare si riferisca all’Africa Orientale.
Nella primavera del 1937, a fronte dell’impegno assunto dall’Italia di non far affluire in Spagna altre truppe, saranno sciolte la I e la III Divisione e gli uomini resi così disponibili andranno a completare gli organici delle altre due divisioni e dei gruppi di banderas. Il 3 novembre 1937 il gruppo di banderas “XXIII Marzo” andrà a fondersi con la divisione “Fiamme Nere”, formando così la divisione “Fiamme Nere XXIII Marzo”. Ma nell’ottobre del 1938, a fronte del rimpatrio di un grosso numero di legionari dalla Spagna, saranno sciolte sia la divisione Littorio che la divisione “Fiamme Nere XXIII Marzo”.
In seguito allo scioglimento delle due divisioni il C.T.V. andrà ad essere composto dalla Divisione d’assalto del Littorio e da tre divisioni miste, denominate “Frecce Nere”, “Frecce Azzurre” e “Frecce Verdi”. Queste ultime, benché definite miste, hanno il personale che è nella quasi totalità spagnolo, mentre solo i quadri e gli specialisti sono costituiti da italiani.
Inoltre faranno parte del C.T.V.:
Un Raggruppamento carristi su due battaglioni carri, un battaglione motomeccanizzato, un battaglione misto (una compagnia lanciafiamme, una compagnia mitraglieri, una compagnia anticarro), una compagnia arditi, una compagnia mitraglieri, una batteria da 65/17 autoportata;
un raggruppamento di artiglieria con pezzi di vari calibri (due gruppi da 105/28, due gruppi da 149/12, due gruppi da 75/27);
un raggruppamento artiglieria antiaerea (quattro batterie da 75, una batteria da 75/46, tre batterie da 20 mm);
Genio Corpo Truppe Volontarie composto da un battaglione artieri, un battaglione telegrafisti, un battaglione radiotelegrafisti, una compagnia fotoelettricisti;
una intendenza legionaria e un centro istruzione con personale istruttore distaccato presso le varie scuole militari spagnole. In totale, si calcola che in Spagna combatteranno circa 100.000 italiani. Come il lettore potrà facilmente intuire, l’impegno italiano a fianco di Franco, analogamente a quanto fatto precedentemente in Africa Orientale, è estremamente oneroso. La sostanziale differenza tra il conflitto con il Negus e l’intervento militare in Spagna sta nel fatto che, mentre con la fine del primo verrà fondato l’Impero, alla fine dell’impegno militare in Spagna, l’Italia non otterrà alcun vantaggio militare, politico o economico. Anzi, il conflitto spagnolo servirà solamente a debilitare le capacità belliche dell’apparato economico militare italiano, con costi particolarmente elevati. Costi che, peraltro, non rientreranno mai perché il generalissimo Franco si deciderà a saldare i debiti con il Regno d’Italia solo dopo la fine della seconda guerra mondiale, pagando i suoi conti in sospeso con svalutatissime lire italiane. In breve, l’appoggio dato ai nazionalisti si rivelerà il peggiore affare militare fatto dalla politica italiana nel XX secolo.
Anche in questo caso, gli italiani avranno molto da imparare dai tedeschi che, differentemente, otterranno il massimo risultato con il minimo sforzo. I tedeschi, in vista del conflitto mondiale oramai prossimo, useranno la Spagna come un immenso campo d’armi dove istruire le proprie truppe. Invieranno su quel fronte solo pochi specialisti da addestrare e da avvicendare semestralmente. Parimenti, utilizzeranno il conflitto civile per provare le loro nuove armi, che cederanno ai nazionalisti in quantità molto inferiori a quelle italiane.

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Céline musicien

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Céline musicien

Chez Nizet est paru Céline musicien de Michael Donley. L'é­di­teur écrit: «La petite musique de Céline? Quelque chose qui va de soi, serait-on tenté de dire. De nos jours, aucun lecteur informé n'ignore la façon hautement poétique dont l'écrivain a su maîtriser les aspects sonores et rythmiques du français, surtout du français parlé. Pourtant, on a ten­dan­ce à oublier que Céline emploie le mot "musique" non seu­lement pour désigner le style de ses livres, mais aussi en se référant à ce qu'il essaie de capter: "la musique inté­rieu­re", "la musique de l'âme". De fait, la musique —cette "ca­ta­lyse de toute grâce", comme il l'a définie—  est la matrice de son œuvre entière. Mais qu'est-ce que la musique? En es­sa­yant de répondre à cette question, l'auteur démontre que la petite musique de Céline —loin d'un maniérisme synta­xi­que ou d'un bricolage cosmétique— n'est autre que la mise à jour du véritable contenu de ses livres» (JdB).

Michael DONLEY, Céline musicien, 2000, Librairie Nizet, F-37.510 Saint-Genouph, 338 pages, 190 FF.

 

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lundi, 23 juin 2008

Afghanistan: une guerre de 210 ans (2ième partie)

Afghanistan: une guerre de 210 ans (2ième partie)

par Robert Steuckers

La question du Danube

◊ La politique commune d'une Europe rendue à elle-même, à ses racines et ses traditions historiques, doit évidemment travailler à rendre la circulation libre sur le Danube, depuis le point où ce fleuve devient navigable en Bavière jusqu'à son embouchure dans la Mer Noire. Le problème de la navigation sur le Danube est fort ancien et n'a jamais pu être réglé, à cause de la rivalité austro-russe au 19ième siè­cle, des retombées des deux guerres mondiales dont la ri­va­lité hungaro-roumaine pendant l'entre-deux-guerres, et de la présence du Rideau de Fer pendant quatre décennies. Le dégel et la fin de la guerre froide auraient dû remettre à l'ordre du jour cette question cruciale d'aménagement territorial sur notre continent, dès 1989, dès la chute de Ceau­cescu. L'impéritie de nos gouvernants a permis aux A­méricains et aux Turcs de prendre les devants et de gêner les flux sur l'artère danubienne ou dans l'espace du bassin danubien. Une logique qu'il faut impérativement inverser.

Le corridor Belgrade/Salonique

◊ L'Europe doit avoir pour objectif de réaliser une liaison optimale entre Belgrade et Salonique, par un triple ré­seau de communications terrestres, c'est-à-dire autorou­tier, ferroviaire, fluvial (avec l'aménagement de deux rivières balkaniques, la Morava et le Vardar, selon des plans déjà prévus avant la tourmente de 1940, auxquels Anton Zischka fait référence dans C'est aussi l'Europe, Laffont, 1960). Le trajet Belgrade Salonique est effectivement le plus court entre la Mitteleuropa danubienne et l'Egée, soit le bassin oriental de la Méditerranée.  

◊ L'Europe doit impérativement se projeter, selon ce que nous appelons l'Axe Dorien, vers le bassin oriental de la Mé­diterranée, ce qui implique notamment une maîtrise stra­tégique de Chypre, donc la nécessité de forcer la Turquie à l'évacuer. L'adhésion prochaine de Chypre à l'UE devrait aussi impliquer le stationnement de troupes européennes (en souvenir des expéditions médiévales et de Don Juan d'Au­triche) dans les bases militaires qui sont aujourd'hui exclusivement britanniques. La maîtrise de Chypre permet­tra une projection pacifique de puissance économique en direction du Liban, de la Syrie, de l'Egypte et du complexe volatile Israël-Palestine (dont une pacification positive doit être le vœu de tous).   Libérer l'Arménie de l'étau turco-azéri  

◊ Dans le Caucase, la politique européenne, plus exacte­ment euro-russe, doit consister à appuyer inconditionnel­lement l'Arménie et à la libérer de l'étau turco-azéri. Face à la Turquie, l'Europe et la Russie doivent se montrer très fermes dans la question arménienne. Comme à Chypre, il con­vient de protéger ce pays par le stationnement de trou­pes et par une pression diplomatique et économique con­tinue sur la Turquie et l'Azerbaïdjan. Prévoir de sévères me­sures de rétorsion dès le moindre incident: si la Turquie possède un atout majeur dans sa démographie galopante, l'Europe doit savoir aussi que ces masses sont difficilement gérables économiquement, et qu'elles constituent dès lors un point faible, dans la mesure où elles constituent un bal­last et réduisent la marge de manœuvre du pays. Par con­sé­quent, des mesures de rétorsions économiques, plon­geant de larges strates de la population turque dans la pré­carité, risquent d'avoir des conséquences sur l'ordre public dans le pays, de le plonger dans les désordres civils et, par suite, de l'empêcher de jour le rôle d'"allié principal" des Etats-Unis et de constituer un danger permanent pour son environnement immédiat, arménien ou arabe. De même, le renvoi de larges contingents issus de la diaspora turque en Europe, mais uniquement au cas où il s'avèrerait que ces in­dividus sont liés à des réseaux mafieux, déséquilibrerait ai­sément le pays, au grand soulagement des Arméniens, des Cypriotes grecs, des Orthodoxes araméens de l'intérieur et des pays arabes limitrophes. Le taux d'inflation catastro­phi­que de la Turquie et sa faiblesse industrielle devrait, en tou­te bonne logique économique, nous interdire, de toute façon, d'avoir des rapports commerciaux rationnels avec Ankara. La Turquie n'est pas un pays solvable, à cause ju­ste­ment de sa politique d'agression à l'égard de ses voisins. Enfin, une pression à exercer sur les agences de voyage et sur les assureurs, qui garantissent la sécurité de ces voya­ges, limiterait le flux de touristes en Turquie et, par voie de conséquence, l'afflux de devises fortes dans ce pays vir­tuellement en faillite, afflux qui lui permet de se maintenir vaille que vaille et de poursuivre sa politique anti-hellé­ni­que, anti-arménienne et anti-arabe.  

◊ Dans la mesure du possible, l'Europe et la Russie doivent jouer la carte kurde, si bien qu'à terme, l'alliance amé­ricano-turco-azérie dans la région devra affronter et des mouvements séditieux kurdes, bien appuyés, et l'alliance entre l'Europe, la Russie, l'Iran, l'Irak et l'Inde, amplifi­ca­tion d'un axe Athènes-Erivan-Téhéran, dont l'embryon avait été vaguement élaboré en 1999, en pleine crise serbe.  

◊ En Asie centrale, l'Europe, de concert avec la Russie, doit apporter son soutien à l'Inde dans la querelle qui l'oppose au Pakistan à propos des hauteurs himalayennes du Ca­che­mire. L'objectif est d'obtenir une liaison terrestre inin­ter­rompue Europe-Russie-Inde. La réalisation de ce projet grandiose en Eurasie implique de travailler deux nouvelles petites puissances d'Asie centrale, le Tadjikistan persano­pho­ne et le Kirghizistan, point nodal dans le futur réseau de communication euro-indien. De même, le tandem euro-russe et l'Inde devront apporter leur soutien à la Chine dans sa lutte contre l'agitation islamo-terroriste dans le Sinkiang, selon les critères déjà élaborés lors de l'accord sino-russe de Changhaï (2001).  

Une politique arabe intelligente  

◊ L'Europe doit mener une politique arabe intelligente. Pour y parvenir, elle devrait, normalement, disposer de deux pièces maîtresses, la Syrie et l'Irak, qu'elle doit proté­ger de la Turquie, qui assèche ces deux pays en régulant le cours des fleuves Tigre et Euphrate par l'intermédiaire de barrages pharaoniques. Autre pièce potentielle, mais d'im­portance moindre, dans le jeu de l'Europe: la Libye, enne­mie d'Oussama Ben Laden, ancien agent de la CIA (cf. : Das­quié/Brisard, op. cit.). En Egypte, allié des Etats-Unis, l'Europe doit jouer la minorité copte et exiger une pro­tec­tion absolue de ces communautés en butte à de cruels at­tentats extrémistes islamistes. La protection des Coptes en Egypte doit être l'équivalent de la protection à accorder aux Orthodoxes araméens de Turquie et aux Kurdes.  

◊ L'Europe doit spéculer sur la future guerre de l'eau. L'al­lié secondaire des Etats-Unis au Proche-Orient, Israël, est dépendant de l'eau turque, récoltée dans les bassins artifi­ciels d'Anatolie, créés par les barrages construits sous Özal. L'Europe doit inscrire dans les principes de sa politique ara­be l'idée mobilisatrice de sauver le Croissant Fertile de l'assèchement (bassin des deux fleuves, Tigre et Euphrate, et du Jourdain). Ce projet permettra d'unir tous les hom­mes de bonne volonté, que ceux-ci soient de confession is­lamique, chrétienne ou israélite. La politique turque d'éri­ger des barrages sur le Tigre et l'Euphrate est contraire à ce grand projet pour la sauvegarde du Croissant Fertile. Par ailleurs, l'Egypte, autre allié des Etats-Unis, est fragilisée parce qu'elle ne couvre que 97% de ses besoins en eau, en dé­pit des barrages sur le Nil, construits du temps de Nas­ser. Toute augmentation importante de la population égyp­tien­ne accentue cette dépendance de manière dramatique. C'est un des points faibles de l'Egypte, permettant aux E­tats-Unis de tuer dans l'œuf toute résurgence d'un indé­pendantisme nassérien. Enfin, la raréfaction des réserves d'eau potable redonne au centre de l'Afrique, dont le Congo plongé depuis 1997 dans de graves turbulences, une impor­tance stratégique capitale et explique les politiques anglo-saxonnes, notamment celle de Blair, visant à prendre pied dans certains pays d'Afrique francophone, au grand dam de Pa­ris et de Bruxelles.   

Les risques qu'encourt l'Europe :

Perdante sur tous les fronts que nous venons d'énumérer, fragilisée par la vétusté de son matériel militaire, handi­ca­pée par son ressac démographique, aveugle parce qu'elle ne dispose pas de satellites, l'Europe court deux risques sup­plémentaires, incarnés par les agissements des réseaux trotskistes et par les dangers potentiels des zones de non-droit qui ceinturent ses grandes villes ou qui occupent le centre même de la capitale (comme à Bruxelles).

Deux exem­ples : les réseaux trotskistes, présents dans les syndi­cats français, et obéissant en ultime instance aux injonc­tions des Etats-Unis, ont montré toute leur puissance en dé­cembre 1995 quand Chirac a testé de nouveaux arme­ments nucléaires à Mururoa dans le Pacifique, ce qui dé­plaisait aux Etats-Unis. Des grèves sauvages ont bloqué la France pendant des semaines, contraignant le Président à lâcher du lest (Louis-Marie Enoch & Xavier Cheneseau, Les taupes rouges - Les trotskistes de Lambert au cœur de la Ré­publique, Manitoba, 2002; Jean Parvulesco, «Dé­cembre 1995 en France : "La leçon des ténèbres"», Ca­hier n°3 de la Société Philosophique Jean Parvulesco, 2°tri­mestre 1996 - Paru en encart dans Nouvelles de Sy­nergies Européennes, n°18, février-mars 1996).

Quant aux zo­nes de non-droit, el­les peuvent constituer de dangereux abcès de fi­xation, pa­ra­lyser les services de police et une par­tie des effectifs mi­litaires, créer une psychose de ter­reur et fo­men­ter des at­tentats terroristes. Les ouvrages de Guillau­me Faye, dans l'es­pace militant des droites fran­çaises, et surtout l'ouvrage de Xavier Raufer et Alain Bauer, pour le grand public avec re­lais médiatiques, démontrent claire­ment que les risques de guerre civile et de désordres de grande ampleur sont dé­sormais parfaitement envisageables à court terme. Une gran­de puissance extérieure est capa­ble de manipuler des "ré­seaux" terroristes au sein même de nos métropoles et de dé­stabiliser ainsi l'Europe pendant longtemps.   Notre situation n'est donc pas rose. Sur les plans historique et géopolitique, notre situation équivaut à celle que nous avions à la fin du 15ième siècle, où nous étions coincés entre l'Atlantique, res nullius, mais ouvert sur sa frange orientale par les Portugais en quête d'une route vers les Indes en con­­tournant l'Afrique, et l'Arctique, étendue maritime gla­ciaire an-écouménique, sans accès direct à des richesses com­me la soie ou les épices.

En 1941, les Etats-Unis éten­dent leurs eaux territoriales à plus de la moitié de la sur­fa­ce maritime de l'Atlantique Nord, confisquent à l'Europe son poumon océanique, si bien qu'il n'est plus possible de ma­nœuvrer sur l'Atlantique, d'une façon ou d'une autre, pour rééditer l'exploit des Portugais du 15ième siècle.   Les conditions du développement européen   En résumé, l'Europe a le vent en poupe, est un continent via­ble, capable de se développer, si:

◊ si elle a un accès direct à l'Egypte, comme l'avait très bien vu Bonaparte en 1798-99;

◊ si elle a un accès direct à la Mésopotamie, ou du moins au Croissant Fertile, comme l'avait très bien vu Urbain II, quand il prêchait les Croisades en bon géopolitologue avant la lettre; les tractations entre Frédéric II de Hohenstaufen et Saladin visent un modus vivendi, sans fermeture aux voies de communications passant par la Mésopotamie (Ca­lifat de Bagdad); la Question d'Orient, à l'aube du 20ième sièc­le, illustre très clairement cette nécessité (géo)­po­liti­que et la Guerre du Golfe de janvier-février 1991 constitue une action américaine, visant à neutraliser l'espace du Crois­sant Fertile et surtout à le soustraire à toute influence européenne et russe.

◊ si la route vers les Indes (terrestre et maritime) reste li­bre; tant qu'il y aura occupation pakistanaise du Jammu et me­naces islamistes dans le Cachemire, la route terrestre vers l'Inde n'existera pas).   L'épopée des Proto-Iraniens   Rappelons ici que la majeure partie des poussées européen­nes durant la proto-histoire, l'antiquité et le moyen âge se sont faites en direction de l'Asie centrale et des Indes, dès 1600 av. J. C., avec l'avancée des tribus proto-iraniennes dans la zone au Nord de la ligne Caspienne - Mer d'Aral - Lac Balkhach, puis, par un mouvement tournant, en direc­tion des hauts plateaux iraniens, pour arriver en lisière de la Mésopotamie et contourner le Caucase par le Sud. La Per­­se avestique et post-avestique est une puissance euro­péen­ne, on a trop tendance à l'oublier, à cause d'un mani­chéisme sans fondement, opposant un "Occident" grec-athé­nien (thalassocratique et politicien) à un "Orient" perse (chevaleresque et impérial), auquel on prête des tares fan­tasmagoriques.  

Quoi qu'il en soit, l'œuvre d'Alexandre le Grand, macé­do­nien et impérial plutôt que grec au sens athénien du terme, vise à unir le centre de l'Europe (via la partie macédo­nien­ne des Balkans) au bassin de l'Indus, dans une logique qu'on peut qualifier d'héritière de la geste proto-historique des Pro­to-Iraniens. L'opposition entre Rome et la Perse est une lutte entre deux impérialités européennes, où, à la char­niè­re de leurs territoires respectifs, dont les frontières sont mouvantes, se situait un royaume fascinant, l'Arménie. Ce ro­yaume a toujours été capable de résister farouchement, tantôt aux Romains, tantôt aux Perses, plus tard aux Arabes et aux Seldjoukides, grâce à un système d'organisation po­litique basé sur une chevalerie bien entraînée, mue par des principes spirituels forts. Cette notion de chevalerie spiri­tuel­le vient du zoroastrisme, a inspiré les cataphractaires sar­mates, les cavaliers alains et probablement les Wisi­goths, a été islamisée en Perse (la fotowwah), christianisée en Arménie, et léguée par les chevaliers arméniens aux che­­valiers européens. L'ordre ottoman des Janissaires en a été une imitation et doit donc aussi nous servir de modèle (cf. ce qu'en disait Ogier Ghiselin de Busbecq, l'ambas­sa­deur de Charles-Quint auprès du Sultan à Constantinople; le texte figure dans Gérard Chaliand, Anthologie…, op. cit.).  

Des Croisades à Eugène de Savoie et à Souvorov   Dans cette optique d'une histoire lue à l'aune des constats de la géopolitique, les Croisades prennent tout naturelle­ment le relais de la campagne d'Othon I contre les Magyars, vaincus en 955, qui se soumettent à la notion romaine-ger­manique de l'Empire.

Ces campagnes de l'Empereur salien, de souche saxonne, sont les premières péripéties de l'affir­ma­tion européenne. Après les Croisades et la chute de By­zan­ce, la reconquista européenne se déroule en trois actes: en Espagne, les troupes d'Aragon et de Castille libèrent l'Andalousie en 1492; une cinquantaine d'années plus tard, les troupes russes s'ébranlent pour reprendre le cours en­tier de la Volga, pour débouler sur les rives septentrionales de la Caspienne et mater les Tatars; il faudra encore plus d'un siècle et demi pour que le véritable sauveur de l'Euro­pe, le Prince Eugène de Savoie-Carignan, accumule les vic­toires militaires, pour empêcher définitivement les Otto­mans de revenir encore en Hongrie, en Transylvanie et en Au­triche. Quelques décennies plus tard, les troupes de Ca­therine II, de Potemkine et de Souvorov libèrent la Crimée. Cet appel de l'histoire doit nous remémorer les grands axes d'action qu'il convient de ne pas oublier aujourd'hui. Ils sont restés les mêmes. Tous ceux qui ont agi ou agiront dans ce sens sont des Européens dignes de ce nom. Tous ceux qui ont agi dans un sens inverse de ces axes sont d'abjects traî­tres. Voilà qui doit être clair. Limpide. Voilà des principes qui ne peuvent être contredits.  

Regards nouveaux sur la deuxième guerre mondiale  

Pour terminer, nous ramènerons ces principes historiques et géopolitiques à une réalité encore fort proche de la nô­tre, soit les événements de la seconde guerre mondiale, pré­ludes à la division de l'Europe en deux blocs pendant la guerre froide. Généralement, le cinéma et l'historiogra­phie, le discours médiatique, évoquent des batailles spec­ta­culaires, comme Stalingrad, la Normandie, les Ardennes, Monte Cassino, ou en montent de moins importantes en épingle, sans jamais évoquer les fronts périphériques où tout s'est véritablement joué. Or ces fronts périphériques se situaient tous dans les zones de turbulences actuelles, Afghanistan excepté. Soit sur la ligne Caspienne - Iran (che­mins de fer) - Caspienne, dans le Caucase ou sur la Volga (qui se jette dans la Caspienne) (cf. George Gretton, «L'ai­de alliée à la Russie», in Historia Magazine, n°38, 1968).  

Les Britanniques et leurs alliés américains ont gagné la se­conde guerre mondiale entre mai et septembre 1941. Défi­nitivement. Sans aucune autre issue possible. En mai 1941, les troupes britanniques venues d'Inde et de Palestine (cf. : H. Stafford Northcote, «Révolte de Rachid Ali - La route du pé­­trole passait par Bagdad», in Historia Magazine, n°20, 1968; Luis de la Torre, «1941: les opérations militaires au Pro­che-Orient», in : Vouloir, n°73/75, printemps 1991;  Mar­zio Pi­sa­ni, «Irak 1941: la révolte de Rachid Ali contre les Britan­ni­ques», in : Partisan, n°16, novembre 1990) en­va­hissent l'I­rak de Rachid Ali (cf. : Prof. Franz W. Seidler, Die Kolla­bo­ration 1939-1945, Herbig, München, 1995), qui sou­haitait se rapprocher de l'Axe. Les Britanniques dispo­sent alors d'une base opérationnelle importante, bien à l'ar­rière du front et à l'abri des forces aériennes allemandes et ita­­lien­nes, pour alimenter leurs troupes d'Egypte et de Li­bye. En juin et juillet 1941, les opérations contre les trou­pes de la France de Vichy au Liban et en Syrie parachèvent la maî­trise du Proche-Orient (cf.: Général Saint-Hillier, «La cam­pagne de Syrie», in: Historia Magazine, n°20, 1968; Jac­ques Mordal, «les opérations aéronavales en Syrie», i­bid.). Au cours des mois d'août et de sep­tem­bre 1941, l'Iran est occupé conjointement par des trou­pes anglaises et so­vié­tiques, tandis que des équipes d'ingé­nieurs américains ré­or­ganisent les chemins de fer iraniens du Golfe à la Ca­spienne, ce qui a permis de fournir, au dé­part des Indes, du ma­tériel militaire américain à Staline, en remontant, à par­tir de la Caspienne, le cours de la Volga (notons que les So­vié­tiques, en vertu des règles codifiées par Lea en 1912 —cf. supra—  n'ont pas été autorisés à de­meurer à Téhéran, mais ont dû se replier sur Kasvin).  

L'Axe n'a pas pu prendre pied à Chypre et la Turquie a con­servé sa neutralité "égoïste" comme le disait le ministre Me­ne­mencioglu (Prof. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Herbig, München, 1995); par conséquent, cet es­pace proche-oriental, au Sud-Est de l'Europe, a permis une reconquista des territoires européens conquis par l'Axe, en prenant les anciens territoires assyrien et perse comme base, en encerclant l'Europe selon des axes de pénétration imités des nomades de la steppe (de la Volga à travers l'U­kraine) et des cavaliers arabes (de l'Egypte à la Tunisie con­tre Rommel). Les opérations soviétiques dans le Caucase, grâ­ce au matériel américain transitant par l'Iran, ont pu dès l'au­tomne 1942, sceller le sort des troupes allemandes ar­ri­vées à Stalingrad et prêtes à couper l'artère qu'est la Volga. Les résidus des troupes soviétiques acculées aux contreforts septentrionaux du Caucase peuvent résister grâce au cor­don ombilical iranien. De même, les troupes allemandes ne peuvent atteindre Touapse et la côte de la Mer Noire au Sud de Novorossisk et sont repoussées en janvier 1943, juste avant la chute de Stalingrad (cf. : Barrie and Frances Pitt, The Month-By-Month Atlas of World War II, Summit Books, New York/London, 1989). Le sort de l'Europe tout en­tière, au 20ième siècle, s'est joué là, et se joue là, en­co­re aujourd'hui. Une vérité historique qu'il ne faut pas oublier, même si les médias sont très discrets sur ces é­pisodes cruciaux de la seconde guerre mondiale.  

De l'aveuglement historique  

L'"oubli" des opérations au Proche-Orient en 1941 et dans le Caucase en automne 1942 et en janvier 1943 profite d'une certaine forme d'occidentalisme, de désintérêt pour l'his­toi­re de tout ce qui se trouve à l'Est du Rhin, à fortiori à l'Est de la Mer Noire. Cet occidentalisme est une tare ré­dhi­bi­toire pour toutes les puissances, trop dépendantes d'une opinion publique mal informée, qui se situent à l'Ouest du Rhin. L'atlantisme n'est pas seulement un engouement im­bécile pour tout ce qui est américain, il est aussi et surtout un aveuglément historique, dont nous subissons de plein fouet les conséquences désastreuses aujourd'hui.  

En effet, l'Europe actuelle a perdu la guerre, bien plus cruel­lement que le Reich hitlérien en 1945. Jugeons-en: ◊ L'Atlantique est verrouillé (ce qui réduit à néant les ef­forts de Louis XVI, dont la flotte, commandée par La Pérou­se, avait ouvert cet océan au binôme franco-impérial).

◊ La Méditerranée orientale est verrouillée.

◊ La Mer Noire est également verrouillée.

◊ La voie continentale vers l'Inde est verrouillée.

◊ La "Route de la Soie" est verrouillée.

◊ Nous vivons dans le risque permanent de la guerre civile et du terrorisme.   La renaissance européenne, que nous appelons tous de nos vœux, passe par une prise de conscience des enjeux réels de la planète, par une connaissance approfondie des manœuvres systématiquement répétées des ennemis de notre Europe. C'est ce que j'ai tenté d'expliquer dans cet exposé. Il faut savoir que nos ennemis ont la mémoi­re longue, que c'est leur atout majeur. Il faut leur oppo­ser notre propre "longue mémoire" dans la guerre cogni­ti­ve future. Autre principe méthodologique : l'histoire n'est pas une succession de séquences, coupées les unes des autres, mais un tout global, dans lequel il est impos­sible d'opérer des coupures.  

Robert STEUCKERS, Dernière version : février 2002.   

Note:

/1/ A cette époque, l'Angleterre était alliée à la France pour dé­truire les Provinces-Unies des Pays-Bas, alliées au Brandebourg (la fu­­ture Prusse), à l'Espagne (pourtant son ennemie héréditaire), au Saint Empire et à la Lorraine. Les troupes d'invasion françaises, blo­quées par l'ouverture des digues, sont chassées des Provinces-Unies en 1673. Avec l'alliance suédoise, les Français retournent toutefois la situation à leur avantage entre 1674 et 1678, ce qui débouche sur le Traité de Nimègue, qui arrache au Saint Empire de nombreux ter­ritoires en Flandre et dans le Hainaut. Cet épisode est à retenir car les puissances anti-européennes, la France, l'Angleterre, la Suède et l'Em­pire ottoman se sont retrouvés face à une coalition impériale, re­­groupant puissances protestantes et catholiques. Les unes et les au­­tres acceptaient, enfin, de sauter au-dessus du faux clivage reli­gieux, responsable du désastre de la guerre de Trente Ans (comme l'a­vait très bien vu Wallenstein, avant de finir assassiné, sous les coups d'un zélote catholique). Cette alliance néfaste, d'abord diri­gée contre la Hollande, a empêché l'éclosion de l'Europe et explique les menées anti-européennes plus récentes de ces mêmes puissan­ces, Suède exceptée.   

dimanche, 22 juin 2008

Afghanistan: une guerre de 210 ans!

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Afghanistan : une guerre programmée depuis 210 ans

 

Conférence prononcée par Robert Steuckers le 24 novembre 2001 à la tribune du "Cercle Hermès" de Metz, à la tribune du MNJ le 26 janvier 2002 et à la tribune commune de "Terre & Peuple"-Wallonie et de "Synergies Européennes"-Bruxelles le 21 février 2002

 

Depuis que les troupes américaines et occidentales ont dé­barqué en Afghanistan, dans le cadre de la guerre anti-ter­ro­ristes décrétée par Bush à la suite des attentats du 11 sep­tembre 2001, un regard sur l'histoire de l'Afghanistan au cours de ces deux derniers siècles s'avère impératif; de mê­me, joindre ce regard à une perspective plus vaste, englo­bant les théâtres et les dynamiques périphériques, permet­trait de juger plus précisément, à l'aune de l'histoire, les ma­nœuvres américaines en cours. Il nous induit à constater que cette guerre dure en fait depuis au moins 210 ans. Pour­quoi ce chiffre de 210 ans? Parce que les principes, qui la guident, ont été consignés dans un mémorandum anglais en 1791, mémorandum qui n'a pas perdu de sa validité dans les stratégies appliquées de nos jours par les puissances ma­­ritimes. Seule l'amnésie historique, qui est le lot de l'Eu­rope actuelle, qui nous est imposée par des politiques aber­rantes de l'enseignement, qui est le produit du refus d'en­sei­­gner l'histoire correctement, explique que la teneur de ce mémorandum n'est pas inscrite dans la tête des diplo­ma­tes et des fonctionnaires européens. Ils en ignorent généra­le­ment le contenu et sont, de ce fait, condamnés à ignorer le moteur de la dynamique à l'œuvre aujourd'hui.

 

Louis XVI : l'homme à abattre

 

Quel est le contexte qui a conduit à la rédaction de ce fameux mémorandum? La date clef qui explique le pourquoi de sa rédaction est 1783. En cette année-là, à l'Est, les ar­mées de Catherine de Russie prennent la Crimée et le port de Sébastopol, grâce à la stratégie élaborée par le Ministre Potemkine et le Maréchal Souvorov (cf. : Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie - Des origi­nes au nu­cléaire, Laffont, coll. "Bouquins", 1990). A partir de cette année 1783, la Crimée devient entièrement russe et, plus tard, à la suite du Traité de Jassy en 1792, il n'y aura plus aucune troupe ottomane sur la rive septentrionale de la Mer Noire. A l'Ouest, en 1783, la Marine Royale française écrase la Royal Navy anglaise à Yorktown, face aux côtes américaines. La flotte de Louis XVI, bien équipée et bien commandée, réorganisée selon des critères de réelle ef­fi­cacité, domine l'Atlantique. Son action en faveur des insur­gés américains a pour résultat politique de détacher les treize colonies rebelles de la Couronne anglaise. A partir de ce moment-là, le sort de l'artisan intelligent de cette vic­toire, le Roi Louis XVI, est scellé. Il devient l'homme à a­battre. Exactement comme Saddam Hussein ou Milosevic au­jourd'hui. Paul et Pierrette Girault de Coursac, dans Guer­res d'Amérique et libertés des mers (cf. infra), ont dé­crit avec une minutie toute scientifique les mécanismes du complot vengeur de l'Angleterre contre le Roi de France qui a développé une politique intelligente, dont les deux piliers sont 1) la paix sur le continent, concrétisée par l'alliance avec l'Empire autrichien, dépositaire de la légitimité impé­riale romano-germanique, et 2) la construction d'une flotte appelée à dominer les océans (à ce propos, se rappeler des expéditions de La Pérouse; cf. Yves Cazaux, Dans le sillage de Bougainville et de Lapérouse, Albin Michel, 1995).

 

L'Angleterre de la fin du 18ième siècle, battue à Yorktown, me­nacée par les Russes en Méditerranée orientale, va vou­loir inverser la vapeur et conserver le monopole des mers. Elle commence par lancer un débat de nature juridique: la mer est-elle res nullius ou res omnius, une chose n'appar­te­nant à personne, ou une chose appartenant à tous? Si elle est res nullius, on peut la prendre et la faire sienne; si elle est res omnius, on ne peut prétendre au monopole et il faut la partager avec les autres puissances. L'Angleterre va évidemment arguer que la mer est res nullius. Sur terre, l'An­gleterre continue à appliquer sa politique habituelle, mise au point au 17ième siècle, celle de la "Balance of Po­wers", de l'équilibre des puissances. En quoi cela consiste-t-il? A s'allier à la seconde puissance pour abattre la pre­miè­re. En 1783, cette pratique pose problème car il y a désor­mais alliance de facto entre la France et l'Autriche: on ne peut plus les opposer l'une à l'autre comme au temps de la Guer­re de Succession d'Espagne. C'est d'ailleurs la première fois depuis l'alliance calamiteuse entre François I et le Sul­tan turc que les deux pays marchent de concert. Depuis le mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine, il est donc impossible d'opposer les deux puissan­ces traditionnellement ennemies du continent. Cette union continentale ne laisse rien augurer de bon pour les Anglais, car, profitant de la paix avec la France, Joseph II, Empe­reur germanique, frère de Marie-Antoinette, veut exploiter sa façade maritime en Mer du Nord, dégager l'Escaut de l'é­tau hollandais et rouvrir le port d'Anvers. Joseph II s'inspire des projets formulés quasiment un siècle plus tôt par le Comte de Bouchoven de Bergeyck, soucieux de développer la Compagnie d'Ostende, avec l'aide du gouverneur espa­gnol des Pays-Bas, Maximilien-Emmanuel de Bavière. La ten­tative de Joseph II de forcer le barrage hollandais sur l'Escaut se termine en tragi-comédie: un canon hollandais tire un bou­let qui atterrit au fond de la marmite des cui­si­nes du ba­teau impérial. On parlera de "Guerre de la Mar­mi­te". L'Es­caut reste fermé. L'Angleterre respire.

 

Organiser la révolution et le chaos en France

 

Comme cette politique de "Balance of Powers" s'avère im­possible vu l'alliance de Joseph II et de Louis XVI, une nou­velle stratégie est mise au point: organiser une révolution en France, qui débouchera sur une guerre civile et affai­blira le pays, l'empêchant du même coup de financer sa po­litique maritime et de poursuivre son développement in­dustriel. En 1789, cette révolution, fomentée depuis Lon­dres, éclate et précipite la France dans le désastre. Olivier Blanc, Paul et Pierrette Girault de Coursac sont les his­to­riens qui ont explicité en détail les mécanismes de ce pro­cessus (cf. : Olivier Blanc, Les hommes de Londres - His­toire secrète de la Terreur, Albin Michel, 1989; Paul et Pier­rette Girault de Coursac, Guerre d'Amérique et liberté des mers 1718-1783, F.X. de Guibert/O.E.I.L., Paris, 1991). En 1791, les Anglais obtiennent indirectement ce qu'ils veu­lent : la République néglige la marine, ne lui vote plus de crédits suffisants, pour faire la guerre sur le con­ti­nent et rom­pre, par voie de conséquence, l'harmonie fran­co-impé­riale, prélude à une unité diplomatique européenne sur tous les théâtres de conflit, qui avait régné dans les vingt an­nées précédant la révolution française.

 

Trois stratégies à suivre

 

A Londres, on pense que la France, agitée par des avocats convulsionnaires, est plongée pour longtemps dans le ma­ras­me et la discorde civile. Reste la Russie à éliminer. Un mémorandum anonyme est remis, la même année, à Pitt; il s'intitule "Russian Armament" et contient toutes les recet­tes simples et efficaces pour abattre la seconde menace, née, elle aussi, en 1783, qui pèse sur la domination poten­tielle des mers par l'Angleterre. Ce mémorandum contient en fait trois stratégies à suivre à tout moment : 1) Contenir la Russie sur la rive nord de la Mer Noire et l'empêcher de faire de la Crimée une base maritime capable de porter la puissance navale russe en direction du Bosphore et au-delà; cette stratégie est appliquée aujourd'hui, par l'alliance turco-américaine et par les tentatives de satelliser la Géor­gie de Chevarnadze. 2) S'allier à la Turquie, fort affaiblie de­puis les coups très durs que lui avait portés le Prince Eu­gène de Savoie entre 1683 et 1719. La Turquie, incapable dé­sormais de développer une dynamique propre, devait de­venir, pour le bénéfice de l'Angleterre, un verrou infran­chissable pour la flotte russe de la Mer Noire. La Turquie n'est donc plus un "rouleau compresseur" à utiliser pour dé­truire le Saint Empire, comme le voulait François I; ni ne peut constituer un "tremplin" vers la Méditerranée orienta­le et vers l'Océan Indien, pour une puissance continentale qui serait soit la Russie, si elle parvenait à porter ses forces en avant vers les Détroits (vieux rêve depuis que l'infortu­née épouse du Basileus, tombé l'épée à la main à Constan­tinople en 1453 face aux Ottomans, avait demandé aux Rus­ses de devenir la "Troisième Rome" et de prendre le re­lais de la défunte Byzance); soit l'Autriche si elle avait pu consolider sa puissance au cours du 19ième siècle; soit l'Alle­magne de Guillaume II, qui, par l'alliance effective qu'elle scelle avec la Sublime Porte, voulait faire du territoire tur­co-anatolien et de son prolongement mésopotamien un "trem­plin" du cœur de l'Europe vers le Golfe Persique et, par­tant, vers l'Océan Indien (ce qui suscita la fameuse "Ques­tion d'Orient" et constitua le motif principal de la Pre­mière Guerre Mondiale; rappelons que la "Question d'O­rient" englobait autant les Balkans que la Mésopotamie, les deux principaux théâtres de conflit à nos portes; les deux zo­nes sont étroitement liées sur le plan géopolitique et géo­stratégique). 3) Eloigner toutes les puissances euro­péennes de la Méditerranée orientale, afin qu'elles ne puis­sent s'emparer ni de Chypre ni de la Palestine ni de l'isthme égyptien, où l'on envisage déjà de creuser un canal en di­rection de la Mer Rouge.

 

La réouverture de l'Escaut

 

En 1793, la situation a cependant complètement changé en France. La République ne s'enlise pas dans les discussions stériles et la dissension civile, mais tombe dans la Terreur, où les sans-culottes jouent un rôle équivalent à celui des talibans aujourd'hui. En 1794, après la bataille de Fleurus remportée par Jourdan le 25 juin, les armées révolution­nai­res françaises s'emparent définitivement des Pays-Bas au­tri­chiens, prennent, avec Pichegru, le Brabant et le port d'An­vers, de même que le Rhin, de Coblence —ville prise par Jourdan en même temps que Cologne— à son embou­chure dans la Mer du Nord. Ils réouvrent l'Escaut à la na­vi­gation et entrent en Hollande. Le delta des trois fleuves (Es­caut / Meuse / Rhin), qui fait face aux côtes anglaises et à l'estuaire de la Tamise, se trouve désormais aux mains d'une puissance de grande profondeur stratégique (l'Hexa­go­ne). La situation nouvelle, après les soubresauts chaoti­ques de la révolution, est extrêmement dangereuse pour l'An­gleterre, qui se souvient que les corsaires hollandais, sous la conduite de l'Amiral de Ruyter, avaient battu trois fois la flotte anglaise et remonté l'estuaire de la Tamise pour incendier Londres (1672-73) (1). En partant d'Anvers, il faut une nuit pour atteindre l'estuaire de la Tamise, ce qui ne laisse pas le temps aux Anglais de réagir, de se por­ter en avant pour détruire la flotte ennemie au milieu de la Mer du Nord: d'où leur politique systématique de détacher les pays du Bénélux et le Danemark de l'influence française ou allemande, et d'empêcher une fusion des Pays-Bas sep­ten­trionaux et méridionaux, car ceux-ci, unis, s'avèreraient ra­pidement trop puissants, vu l'union de la sidérurgie et du charbon wallons à la flotte hollandaise (a fortiori quand un empire colonial est en train de se constituer en Indonésie, à la charnière des océans Pacifique et Indien).

 

Lord Castlereagh proposa à Vienne en 1815 la consolidation et la satellisation du Danemark pour verrouiller la Baltique et fermer la Mer du Nord aux Russes, la création du Ro­yau­me-Uni des Pays-Bas (car on ne perçoit pas encore sa puis­sance potentielle et on ne prévoit pas sa future pré­sence en Indonésie), la création du Piémont-Sardaigne, Etat-tam­pon entre la France et l'Autriche, et marionnette de l'An­gleterre en Méditerranée occidentale; Homer Lea théo­ri­sera cette politique danoise et néerlandaise de l'Angleterre en 1912 (cf. infra) en l'explicitant par une cartographie très claire, qui reste à l'ordre du jour.

 

Nelson : Aboukir et Trafalgar

 

Les victoires de la nouvelle république, fortifiées à la suite d'une terreur bestiale, sanguinaire et abjecte, notamment en Vendée, provoquent un retournement d'alliance: d'insti­gatrice des menées "dissensionnistes" de la révolution, l'An­gle­terre devient son ennemie implacable et s'allie aux ad­ver­saires prussiens et autrichiens de la révolution (stratégie mise au point par Castlereagh, sur ordre de Pitt). Résultat : un espace de chaos émerge entre Seine et Rhin. Dans les an­nées 1798-99, Nelson va successivement chasser la ma­ri­ne française de la Méditerranée, car elle est affaiblie par les mesures de restriction votées par les assemblées révo­lu­tionnaires irresponsables, alors que l'Angleterre avait lar­ge­ment profité du chaos révolutionnaire français pour con­so­li­der sa flotte. Par la bataille d'Aboukir, Nelson isole l'armée de Bonaparte en Egypte, puis, les Anglais, avec l'aide des Turcs et en mettant au point des techniques de débar­que­ment, finissent par chasser les Français du bassin oriental de la Méditerranée; à Trafalgar, Nelson confisque aux Fran­çais la maîtrise de la Méditerranée occidentale.

 

Géostratégiquement, notre continent, à la suite de ces deux batailles navales, est encerclé par le Sud, grâce à la tri­ple alliance tacite de la flotte anglaise, de l'Empire otto­man et de la Perse. La thalassocratie joue à fond la carte turco-islamique pour empêcher la structuration de l'Europe continentale: une carte que Londres joue encore aujour­d'hui. Dans l'immédiat, Bonaparte abandonne à regret toute visée sur l'Egypte, tout en concoctant des plans de retour jus­qu'en 1808. Par la force des choses, sa politique devient strictement continentale; car, s'il avait parfaitement com­pris l'importance de l'Egypte, position clef sur la route des Indes, et s'il avait pleine conscience de l'atout qu'étaient les Indes pour les Anglais, il ne s'est pas rendu compte que la maîtrise de la mer implique ipso facto une domination du continent, lequel, sans la possibilité de se porter vers le lar­ge, est condamné à un lent étouffement. La présence d'es­cadres suffisamment armées en Méditerranée ne ren­dait pas la conquête militaire —coûteuse—  du territoire é­gyptien obligatoire.

 

Dialectique Terre/Mer

 

Depuis cette époque napoléonienne, notre pensée politi­que, sur le continent, devient effectivement, pour l'essen­tiel, une pensée de la Terre, comme l'attestent bon nombre de textes de la première décennie du 19ième siècle, les é­crits de Carl Schmitt et ceux de Rudolf Pannwitz (cf. : Ro­bert Steuckers, «Rudolf Pannwitz : "Mort de la Terre", Im­perium Europæum et conservation créatrice», in : Nou­vel­les de Synergies Européennes, n°19, avril 1996; Robert Steuc­kers, «L'Europe entre déracinement et réhabilitation des lieux : de Schmitt à Deleuze», in : Nouvelles de Sy­nergies Européennes, n°27, avril-mai 1997; Robert Steuc­kers, «Les visions d'Europe à l'époque napoléonienne - Aux sour­ces de l'européisme contemporain», in : Nouvelles de Synergies Européennes, n°45, mars-mai 2000). C'est contre cette limitation volontaire, contre cette "thalassophobie", que s'insurgeront des hommes comme Friedrich Ratzel (cf. : Robert Steuckers, «Friedrich Ratzel (1844-1904): anthropo­géo­graphie et géographie politique», in: Vouloir, n°9, prin­temps 1997) et l'Amiral von Tirpitz. Le Blocus continental, si bien décrit par Bertrand de Jouvenel (cf. : Bertrand de Jou­venel, Napoléon et l'économie dirigée - Le blocus con­ti­nental, Ed. de la Toison d'Or, Bruxelles, 1942), a des as­pects positifs et des aspects négatifs. Il permet un déve­loppement interne de l'industrie et de l'agriculture euro­péenne. Mais, par ailleurs, il condamne le continent à une forme dangereuse de "sur place", où aucune stratégie de mobilité globale n'est envisagée. A l'ère de la globalisation  —et elle a commencée dès la découverte des Amériques, comme l'a expliqué Braudel—  cette timidité face à la mo­bi­lité sur mer est une tare dangereuse, selon Ratzel.

 

Le plan du Tsar Paul I

 

En 1801, il y a tout juste 200 ans, l'Angleterre doit faire face à une alliance entre le Tsar Paul I et Napoléon. L'ob­jectif des deux hommes est triple: 1) Ils veulent s'emparer des Indes et les Français, qui se souviennent de leurs dé­boires dans ce sous-continent, tentent de récupérer les a­touts qu'ils y avaient eus. 2) Ils veulent bousculer la Perse, alors alliée des Anglais, grâce aux talents d'un très jeune of­ficier, le fameux Malcolm, qui, enfant, avait appris à par­ler persan à la perfection, et qui fut nommé capitaine à 13 ans et général à 18. 3) Ils cherchent les moyens capables de réaliser le Plan d'invasion de Paul I: acheminer les troupes françaises via le Danube et la Mer Noire (et nous trouvons exactement les mêmes enjeux qu'aujourd'hui!), tandis que les troupes russes, composées essentiellement de cavaliers et de cosaques, marcheraient à travers le Turkestan vers la Perse et l'Inde. Dans les conditions techniques de l'époque, ce plan s'est avéré irréalisable, parce qu'il n'y avait pas en­core de voies de communication valables. Le Tsar conclut qu'il faut en réaliser (en germe, nous avons le projet du Transsibérien, qui sera réalisé un siècle plus tard, au grand dam des Britanniques).

 

En 1804, malgré qu'elle ne soit plus l'alliée de la France na­poléonienne, la Russie marque des points dans le Caucase, amorce de ses avancées ultérieures vers le cœur de l'Asie centrale. Ces campagnes russes doivent être remises au­jour­d'hui dans une perspective historique bien plus vaste, d'une profondeur temporelle immémoriale: elles visent, en réalité, à parfaire la mission historique des peuples indo-européens, et à rééditer les exploits des cavaliers indo-ira­niens ou proto-iraniens qui s'étaient répandu dans toute l'A­sie centrale vers 1600 av. J. C. Les momies blanches du Sin­kiang chinois prouvent cette présence importante et domi­nante des peuples indo-européens (dont les Proto-Tokha­riens) au cœur du continent asiatique. Ils ont fort proba­ble­ment poussé jusqu'au Pacifique. Les Russes, du temps de Ca­therine II et de Paul I, ont parfaitement conscience d'ê­tre les héritiers de ces peuples et savent intimement que leur présence attestée en Asie centrale avant les peuples mongols ou turcs donne à toute l'Europe une sorte de droit d'aînesse dans ces territoires. L'antériorité de la conquête et du peuplement proto-iraniens en Asie centrale ôte toute légitimité à un contrôle mongol ou turc de la région, du moins si on raisonne sainement, c'est-à-dire si on raisonne avec longue mémoire, si on forge ses projets sur base de la plus profonde profondeur temporelle. Des Proto-Ira­niens à Alexandre le Grand et à Brejnev, qui donne l'ordre à ses troupes de pénétrer en Afghanistan, la continuité est établie.

 

La ligne Balkhach/Aral/Caspienne/Volga

 

L'analyse cartographique de Colin MacEvedy, auteur de nom­breux atlas historiques, montre que lorsqu'un peuple non européen se rend maître de la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, cours de la Volga, il tient l'Europe à sa merci. Effectivement, qui tient cette ligne, que Brze­zin­ski appelle la "Silk Road", est maître de l'Eurasie tout en­tière, de la fameuse "Route de la Soie" et de la Terre du Mi­lieu (Heartland). Quand ce n'est pas un peuple européen qui tient fermement cette ligne, comme le firent les Huns et les Turcs, l'Europe entre irrémédiablement en déclin. Les Huns s'en sont rendu maîtres puis ont débouché, après avoir franchi la Volga, dans la plaine de Pannonie (la future Hongrie) et n'ont pu être bloqués qu'en Champagne. Les A­vars, puis les Magyars (arrêtés à Lechfeld en 955), ont suivi exactement la même route, passant au-dessus de la rive sep­tentrionale de la Mer Noire. De même, les Turcs sel­djou­kides, passant, eux, par la rive méridionale, prendront toute l'Anatolie, détruiront l'Empire byzantin, remonteront le Danube vers la plaine hongroise pour tenter de conquérir l'Europe et se retrouveront deux fois devant Vienne.

 

En 1838, les Britanniques prévoient que les Russes, s'ils con­tinuent sur leur lancée, vont arriver en Inde et établir une frontière commune avec les possessions britanniques dans le sous-continent indien. D'où, bons connaisseurs des dynamiques et des communications dans la région, ils for­gent la stratégie qui consiste à occuper la Route de la Soie sur son embranchement méridional et sur sa portion qui va de Herat à Peshawar, point de passage obligatoire de tou­tes les caravanes, comme, aujourd'hui, de tous les futurs oléo­­ducs, enjeux réels de l'invasion récente de l'Afgha­nis­tan par l'armée américaine. On constate donc que le but de guerre de 1838 ne s'est réalisé qu'aujourd'hui seulement !

 

Un Afghanistan jusqu'ici imprenable

 

Sur le plan stratégique, il s'agissait, pour les Anglais de l'é­poque, de 1) protéger l'Inde par une plus vaste profondeur territoriale, sous la forme d'un glacis afghano-himalayen, sinon l'Inde risquait, à terme, de n'être qu'un simple réseau de comptoirs littoraux, plus difficilement défendable con­tre une puissance bénéficiant d'un vaste hinterland centre-asiatique (les Anglais tirent les leçons de la conquête de l'Inde par les Moghols islamisés); et 2) de contenir la Russie selon les principes énoncés en 1791 pour la Mer Noire, cet­te fois le long de la ligne Herat-Peshawar (cf. à ce propos, Karl Marx & Friedrich Engels, Du colonialisme en Asie - In­de, Perse, Afghanistan, Mille et une nuits, n°372, 2002).  Les opérations anglaises en Afghanistan se solderont en 1842 par un désastre total, seule une poignée de survivants reviendront à Peshawar, sur une armée de 17.000 hommes. La victoire des tribus afghanes contre les Anglais en 1842 sau­vera l'indépendance du pays. Jusque aujourd'hui, en effet, mise à part la tentative soviétique de 1979 à Gorbat­chev, l'Afghanistan restera imprenable, donc indépendant. Un destin dont peu de pays musulmans ont pu bénéficier.

 

De 1852 à 1854 a lieu la Guerre de Crimée. L'alliance de l'An­gleterre, de la France et de la Turquie conteste les po­si­tions russes en Crimée, exactement selon les critères a­van­cés par l'Angleterre depuis 1783. En 1856, au terme de cette guerre, perdue par la Russie sur son propre terrain, le Traité de Paris limite la présence russe en Mer Noire, ou la rend inopérante, et lui interdit l'accès aux Détroits. En 1878, les armées russes, appuyées par des centaines de mil­liers de volontaires balkaniques, serbes, roumains et bul­gares, libèrent les Balkans de la présence turque et a­van­cent jusqu'aux portes de Constantinople, qu'elles s'ap­prê­tent à libérer du joug ottoman. Le Basileus byzantin a fail­li être vengé. Mais l'Angleterre intervient à temps pour é­viter l'effondrement définitif de la menace ottomane qui a­vait pesé sur l'Europe depuis la défaite serbe sur le Champ des Merles en 1389. Tous ces événements historiques vont con­tribuer à faire énoncer clairement les concepts de la géo­politique moderne.

 

Mackinder et Lea : deux géopolitologues toujours actuels

 

En effet, en 1904, Halford John MacKinder prononce son fa­meux discours sur le "pivot" de l'histoire mondiale, soit la "Terre du Milieu" ou "Heartland", correspondant à l'Asie cen­trale et à la Sibérie occidentale. Les états-majors britan­ni­ques sont alarmés: le Transsibérien vient d'être inauguré, don­nant à l'armée russe la capacité de se mouvoir beau­coup plus vite sur la terre. Le handicap des armées de Paul I et de Napoléon, incapables de marcher de concert vers la Perse et les Indes en 1801, est désormais surmonté. En 1912, Homer Lea, géopolitologue et stratège américain, favorable à une alliance indéfectible avec l'Empire bri­tannique, énonce, dans The Day of the Saxons, les prin­cipes généraux de l'organisation militaire de l'espace situé entre Le Caire et Calcutta. Dans le chapitre consacré à l'I­ran et à l'Afghanistan, Homer Lea explique qu'aucune puis­sance  —en l'occurrence, il s'agit de la Russie—  ne peut fran­chir la ligne Téhéran-Kaboul et se porter trop loin en di­rection de l'Océan Indien. De 1917 à 1921, le grand souci des stratèges britanniques sera de tirer profit des désordres de la révolution bolchevique pour éloigner le pouvoir effec­tif, en place à Moscou, des rives de la Mer Noire, du Cau­ca­se et de l'Océan Indien.

 

Les préliminaires de cette révolution bolchevique, qui ont lieu immédiatement après le discours prémonitoire de Mac­Kinder en 1904 sur le pivot géographique de l'histoire et sur les "dangers" du Transsibérien pour l'impérialisme britanni­que, commencent dès 1905 par des désordres de rue, suivis d'un massacre qui ébranle l'Empire et permet de décrire le Tsar comme un monstre (qui redeviendra bon en 1914, com­me par l'effet d'un coup de baguette magique!). Selon toute vraisemblance, les services britanniques tentent de procéder de la même façon en Russie, dans la première dé­cennie du 20ième siècle, qu'en France à la fin du 18ième: sus­ci­ter une révolution qui plongera le pays dans un désordre de longue durée, qui ne lui permettra plus de faire des in­vestissements structurels majeurs, notamment des travaux d'aménagement territorial, comme des lignes de chemin de fer ou des canaux, ou dans une flotte capable de dominer le large. Les deux types de projets politiques que combat­tent toujours les Anglo-Saxons sont justement 1) les amé­na­­gements territoriaux, qui structurent les puissances con­tinentales et diminuent ipso facto les atouts d'une flotte et de la mobilité maritime, et qui permettent l'autarcie com­mer­ciale; 2) la construction de flottes concurrentes. La Fran­ce de 1783, la Russie de 1904 et l'Allemagne de Guil­lau­me II développaient toutes trois des projets de cette na­ture: elles se plaçaient par conséquent dans le collimateur de Londres.

 

De 1905 à 1917

 

Pour détruire la puissance russe, bien équipée, dotée de ré­ser­ves immenses en matières premières, l'Angleterre va utiliser le Japon, qui était alors une puissance émergeante, depuis la proclamation de l'ère Meiji en 1868. Londres et une banque new-yorkaise  —la même qui financera Lénine à ses débuts—  vont prêter les sommes nécessaires aux Ja­po­nais pour qu'ils arment une flotte capable d'attirer dans le Pacifique la flotte russe de la Baltique et de la détruire. C'est ce qui arrivera à Tshouchima (pour les tenants et a­bou­tissants de cet épisode, cf. notre article sur le Japon : Robert Steuckers, «La lutte du Japon contre les impéria­lismes occidentaux», in : Nouvelles de Synergies Euro­péen­nes, n°32, janvier-février 1998).

 

En 1917, on croit que la Russie va être plongée dans un dé­sordre permanent pendant de longues décennies. On pense 1) détacher l'Ukraine de la Russie ou, du moins, détruire l'atout céréalier de cette région d'Europe, grenier à blé con­current de la Corn Belt  américaine; 2) on spécule sur l'effondrement définitif du système industriel russe; 3) on prend prétexte du caractère inacceptable de la révolution et de l'idéologie bolcheviques pour ne pas tenir les promes­ses de guerre faites à la Russie pour l'entraîner dans le car­nage de 1914; devenue bolchevique, la Russie n'a plus droit à aucune conquête territoriale au-delà du Caucase au détri­ment de la Turquie; ne reçoit pas d'accès aux Détroits; on ne lui fait aucune concession dans les Balkans et dans le Del­ta du Danube (les principes du mémorandum de 1791 et du Traité de Paris de 1856 sont appliqués dans le nouveau contexte de la soviétisation de la Russie).

 

En 1918-19, les troupes britanniques et américaines occu­pent Mourmansk et asphyxient la Russie au Nord; Britanni­ques et Turcs, réconciliés, occupent le flanc méridional du Caucase, en s'appuyant notamment sur des indépendan­tis­tes islamiques azéris turcophiles (exactement comme au­jour­d'hui) et en combattant les Arméniens, déjà si dure­ment étrillés, parce qu'ils sont traditionnellement russo­phi­les (ce scénario est réitéré de nos jours); plus tard, Enver Pa­cha, ancien chef de l'état-major turc pendant la premiè­re guerre mondiale, organise, au profit de la stratégie glo­bale des Britanniques, des incidents dans la zone-clef de l'A­sie centrale, la Vallée de la Ferghana.

 

De la "Question d'Orient" à la révolte arabe

 

L'aventure d'Enver Pacha dans la Vallée de la Ferghana, qui s'est terminée tragiquement, constitue une application de ce que l'on appelle désormais la "stratégie lawrencienne" (cf.: Jean Le Cudennec, «Le point sur la guerre américaine en Afghanistan : le modèle "lawrencien"», in : Raids, n°189, février 2002). Comme son nom l'indique, elle désigne la stra­tégie qui consiste à lever des "tribus" hostiles à l'ennemi sur le propre territoire de celui-ci, comme Lawrence d'Ara­bie avait mobilisé les tribus arabes contre les Turcs, entre 1916 et 1918. Déboulant du fin fonds du désert, fondant sur les troupes turques en Mésopotamie et le long de la vallée du Jourdain, la révolte arabe, orchestrée par les services bri­tanniques, annihile, par le fait même de son existence, la fonction de "tremplin" vers le Golfe Persique et l'Océan Indien que le binôme germano-turc accordait au territoire anatolien et mésopotamien de l'Empire ottoman. L'objectif majeur de la Grande Guerre est atteint : la grande puis­sance européenne, qui avait le rôle du challengeur le plus dangereux, et son espace complémentaire balkano-anatolo-mésopotamien (Ergänzungsraum), n'auront aucune "fenê­tre" sur la Mer du Milieu (l'Océan Indien), qui, quadrillé par une flotte puissante, permet de tenir en échec la "Terre du Milieu" (le "Heartland" de MacKinder).

 

Après les traités de la banlieue parisienne, les Alliés pro­cè­dent au démantèlement du bloc ottoman, désormais divisé en une Anatolie turcophone et sunnite, et une mosaïque arabe balkanisée à dessein, où se juxtaposent des chiites dans le Sud de l'Irak, des Alaouites en Syrie, des chrétiens araméens, orthodoxes, de rite arménien ou autre, nesto­riens, etc. et de larges masses sunnites, dont des wahha­bi­tes dans la péninsule arabique; le personnage central de la nouvelle république turque devient Moustafa Kemal Ata­türk, aujourd'hui en passe de devenir un héros du cinéma américain (cf. : Michael Wiesberg, «Pourquoi le lobby is­raélo-américain s'engage-t-il à fond pour la Turquie? Parce que la Turquie donne accès aux pétroles du Caucase», in : Au fil de l'épée, Recueil n°3, octobre 1999).

 

Les atouts de l'idéologie d'Atatürk

 

Atatürk est un atout considérable pour les puissances tha­lassocratiques: il crée une nouvelle fierté turque, un nou­veau nationalisme laïc, bien assorti d'un solide machisme militaire, sans que cette idéologie vigoureuse et virile, qui sied aux héritiers des Janissaires, ne mette les plans bri­tanniques en danger; Atatürk limite en effet les ambitions turques à la seule Anatolie: Ankara n'envisage plus de re­pren­dre pied dans les Balkans, de porter ses énergies vers la Palestine et l'Egypte, de dominer la Mésopotamie, avec sa fenêtre sur l'Océan Indien, de participer à l'exploitation des gisements pétroliers nouvellement découverts dans les ré­gions kurdes de Kirkouk et de Mossoul, de contester la pré­sence britannique à Chypre; le "turcocentrisme" de l'i­déo­­logie kémaliste veut un développement séparé des Turcs et des Arabes et refuse toute forme d'Etat, de khanat ou de califat regroupant à la fois des Turcs et des Arabes; dans une telle optique, la reconstitution de l'ancien Empire ottoman se voit d'emblée rejetée et les Arabes, livrés à la do­­mination anglaise. On laisse se développer toutefois, en marge du strict laïcisme kémaliste, une autre idéologie, cel­le du panturquisme ou pantouranisme, qu'on instrumen­ta­lisera, si besoin s'en faut, contre la Russie, dans le Cau­ca­se et en Asie centrale. De même, le turcocentrisme peut s'a­vérer utile si les Arabes se montrent récalcitrants, ruent dans les brancards et manifestent leurs sympathies pour l'A­xe, comme en Irak en 1941, ou optent pour une alliance pro-soviétique, comme dans les années 50 et 60 (Egypte, Irak, Syrie). Dans tous ces cas, la Turquie aurait pu ou pour­ra jouer le rôle du père fouettard.

 

Le rôle de l'Etat d'Israël

 

Israël, dans le jeu triangulaire qui allie ce nouveau pays, né en 1948, aux Etats-Unis (qui prennent le relais de l'Angle­ter­re), et à la Turquie —dont la fonction de "verrou" se voit consolidée— a pour rôle de contrôler le Canal de Suez si l'E­gypte ne se montre pas suffisamment docile. Au sud du dé­sert du Néguev, Israël possède en outre une fenêtre sur la Mer Rouge, à Akaba, permettant, le cas échéant, de pallier tou­te fermeture éventuelle du Canal de Suez en créant la pos­sibilité matérielle d'acheminer des troupes et des ma­té­riels via un système de chemin de fer ou de routes entre la côte méditerranéenne et le Golfe d'Akaba (distance somme toute assez courte; la même stratégie logistique a été uti­li­sée du Golfe à la Caspienne, à travers l'Iran occupé, dès 1941; le matériel américain destiné à l'armée soviétique est passé sur cette voie, bien plus longue que la distance Médi­terranée-Akaba et traversant de surcroît d'importants mas­sifs montagneux).

 

Dans ce contexte, très effervescent, où ont eu lieu toutes les confrontations importantes d'après 1945, voyons main­te­nant quelle est, plus spécifiquement, la situation de l'Af­gha­nistan.

 

Entre l'année 1918, ou du moins après l'échec définitif des opérations envisagées par Enver Pacha et ses comman­di­tai­res, et l'année 1979, moment où arrivent les troupes sovié­tiques, l'Afghanistan est au frigo, vit en marge de l'histoire. En 1978 et 1979, années où l'Iran est agité par la révolution islamiste de Khomeiny, l'URSS tente de réaliser le vieux rê­ve de Paul I: foncer vers les rives de l'Océan Indien, procé­der au "grand bond vers le Sud" (comme le qualifiera Vladi­mir Jirinovski dans un célèbre mémorandum géopolitique, qui suscita un scandale médiatique planétaire).

 

Guerre indirecte et "counter-insurgency"

 

Les Etats-Unis, héritiers de la stratégie anglaise dans la ré­gion, ne vont pas tarder à réagir. Le Président démocrate, Jimmy Carter, perd les élections de fin 1980, et Reagan, un faucon, arrive au pouvoir en 1981. Le nouveau président ré­publicain dénonce la coexistence pacifique et rejette toute politique d'apaisement, fait usage d'un langage apoca­lyp­ti­que, avec abus du terme "Armageddon". Ce vocabulaire apo­calyptique, auquel nous sommes désormais habitués, re­vient à l'avant-plan dans les médias, au début du premier mandat de Reagan: on parle à nouveau de "Grand Satan" pour désigner la puissance adverse et son idéologie com­mu­nis­te. Sur le plan stratégique, la parade reaganienne est sim­ple: c'est d'organiser en Afghanistan une guerre indirec­te, par personnes interposées, plus exactement, par l'inter­mé­diaire d'insurgés locaux, hostiles au pouvoir central ou prin­cipal qui se trouve, lui, aux mains de l'ennemi diabo­li­sé. Cette stratégie s'appelle la "counter-insurgency" et est l'héritière actuelle des sans-culottes manipulés contre Louis XVI, des Vendéens excités contre la Convention —parce qu'el­le a fini par tenir Anvers— et puis ignoblement trahis (af­faire de Quiberon), des insurgés espagnols contre Napo­léon, des guérilleros philippins armés contre les Japonais, etc.

 

En Afghanistan, la "counter-insurgency" se déroule en trois étapes: on arme d'abord les "moudjahiddins", qui opèrent en alliant anti-communisme, islamisme et nationalisme af­ghan, pendant toute la période de l'occupation soviétique. Le harcèlement des troupes soviétiques par ces combat­tants bien enracinés dans le territoire et les traditions de l'Afghanistan a été systématique, mais sans les armements de pointe, notamment les missiles "Stinger" fournis par les Etats-Unis et financés par la drogue, ces guerriers n'au­raient jamais tenu le coup.

Seconde étape : entre 1989 et 1995/96, nous assistons en Afghanistan à une sorte de mo­dus vivendi. Les troupes soviétiques se sont retirées, la Rus­sie a cessé d'adhérer à l'idéologie communiste et de la pro­fesser. De ce fait, la diabolisation, le discours sur le "Grand Satan" n'est plus guère instrumentalisable, du moins dans la version établie au temps de Reagan. La troisième éta­pe commence avec l'arrivée sur la scène afghane des ta­li­bans, moudjahiddins plus radicaux dans leur islam de fac­ture wahhabite. Il s'agit d'organiser une "counter-insurgen­cy" contre un gouvernement central afghan russophile, qui en­tend conserver la neutralité traditionnelle de l'Afgha­nis­tan, acquise depuis la terrible défaite subie par les troupes bri­tanniques en 1842, neutralité qui avait permis au pays de rester à l'écart des deux guerres mondiales.

Ben Laden, l'ISI et Leila Helms

Les talibans déploient leur action avec le concours de l'Ara­bie Saoudite, dont est issu leur maître à penser, Oussama Ben Laden, du Pakistan et de son solide service secret, l'ISI, et des services américains agissant sous l'impulsion de Leila Helms. Les Saoudiens fournissent les fonds et l'idéologie, l'ISI pakistanais assure la logistique et les bases de repli sur les territoires peuplés par l'ethnie pachtoune. Les deux ex­perts français Brisard et Dasquié (cf. Jean-Charles Brisard & Guil­laume Dasquié, Ben Laden - La vérité interdite, De­noël, coll. "Impacts", 2001) explicitent clairement le rôle joué par Leila Helms dans leur ouvrage magistral, bien dif­fu­sé et immédiatement traduit en allemand (cette simulta­néité laisse espérer une cohésion franco-allemande, criti­que à l'égard de l'unilatéralisme américain). Toutefois, dans ce jeu, chacun des acteurs poursuit ses propres objectifs. Dans le livre de Brisard et Dasquié, le double jeu de Ben La­den est admirablement décortiqué; par ailleurs Bauer et Rau­fer (cf. : Alain Bauer & Xavier Raufer, La guerre ne fait que commencer - Réseaux, financements, armements, at­ten­tats… les scénarios de demain, J. C. Lattès, 2002) sou­li­gnent le risque d'une exportation dans les banlieues fran­çai­ses (et ailleurs en Europe) d'une effervescence anti-eu­ro­péenne, conduisant à terme à la dislocation totale de nos so­ciétés.

Le pétrole et le coton

Les objectifs immédiats des Etats-Unis, tant dans l'opéra­tion consistant à appuyer les talibans de manière incondi­tionnelle, que dans l'opération ultérieure actuelle, visant à les chasser du pouvoir à Kaboul sont de deux ordres; le pre­mier est avoué, tant il est patent: il s'agit de gérer correc­te­ment l'acheminement du pétrole de la Caspienne et de l'A­sie centrale via les futurs oléoducs transafghans. Le se­cond est généralement inavoué : il s'agit de gérer la pro­duc­tion du coton en Asie centrale, de faire main basse, au profit des grands trusts américains du coton, de cette ma­tiè­re première essentielle pour l'habillement de milliards d'ê­tres humains sur la planète. L'exploitation conjointe des nap­pes pétrolifères et des champs de culture du coton pour­rait transformer cette grande région en un nouvel El­do­rado. 

Les deux anacondas

La gestion optimale de l'opération militaire, prélude à une gigantesque opération économique, est désormais possible, à moindres frais, grâce à la couverture de satellites que possèdent désormais les Américains. Haushofer, le géopo­lito­logue allemand, disait que les flottes des thalassocraties parvenaient à étouffer tout développement optimal des grandes puissances continentales, à occuper des bandes lit­torales de comptoirs soustraites à toute autorité politique venue de l'intérieur des terres, à priver ces dernières de dé­bouchés sur les océans. Haushofer utilisait une image ex­pressive pour désigner cet état de choses : l'anaconda qui en­serre sa proie, c'est-à-dire les continents eurasien et sud-américain. Si les flottes anglo-saxonnes des premières dé­cen­nies du 20ième siècle, consolidées par le traité fonciè­rement inégal que fut ce Traité de Washington de 1922, sont le premier anaconda, il en existe désormais un nou­veau, maître de l'espace, autre res nullius à l'instar des mers au 18ième siècle. Le réseau des satellites observateurs américains constitue le second anaconda, enserrant la terre tout entière.

Le réseau des satellites consolide un autre atout que se sont donné les puissances anglo-saxonnes depuis la seconde guerre mondiale : les flottes de bombardiers lourds. Il faut se rappeler la métaphore de Swift, dans les fameux Voya­ges de Gulliver, où un peuple, vivant sur une île flottant dans les airs, écrase ses ennemis selon trois stratégies: le lancement de gros blocs de roche sur les installations et les habitations du peuple ennemi, le maintien en état station­naire de leur île volante au-dessus du territoire ennemi afin de priver celui-ci de la lumière du soleil, ou la destruction totale du pays ennemi en faisant atterrir lourdement l'île volante sur une ville ou sur la capitale afin de la détruire totalement. Indubitablement, ce récit imaginaire de Swift, répété à tous les Anglais pendant des générations, a donné l'idée qu'une supériorité militaire aérienne totale, capable d'écraser complètement le pays ennemi, était indispensa­ble pour dominer définitivement le monde. Toutefois la théo­risation du bombardement de terreur par l'aviation vient du général italien Douhet (cf. : Gérard  Chaliand, An­tho­logie mondiale de la stratégie - Des origines au nu­cléaire, Laffont, 1990). Elle sera mise en application par les "Bomber Commands" britannique et américain pendant la seconde guerre mondiale, mais au prix de plus de 200.000 morts, rien que dans les forces aériennes. Aujour­d'hui, la couverture spatiale, les progrès de l'avionique en gé­néral et la précision des missiles permettent une utili­sa­tion moins coûteuse en hommes de l'arme aérienne (de l' air power). C'est ainsi qu'on envisage des opérations de gran­de envergure avec "zéro mort", côté américain, côté "Empire du Bien", et un maximum de cadavres et de désola­tion, côté adverse, côté "Axe du Mal".

Face à la situation afghane actuelle, qui est le résultat d'une politique délibérée, forgée depuis près de deux sièc­les, avec une constance étonnante, quels sont les déboires, les possibilités, les risques qui existent pour l'Europe, quel­le est notre situation objective?

Les déboires de l'Europe :

◊1. Nous avons perdu sur le Danube, car un complot de même origine a visé l'élimination physique ou politique de quatre hommes, très différents les uns des autres quant à leur car­te d'identité idéologique : Ceaucescu, Milosevic, Haider et Kohl (voire Stoiber). A la suite d'une guerre médiatique et de manipulations d'images (avec les faux charniers de Timi­soara), le dictateur communiste roumain est éliminé. On a pu penser, comme nous-mêmes, à la liquidation d'une mau­vaise farce, mais ce serait oublier que ce personnage bal­kanique haut en couleur avait réussi vaille que vaille à or­ganiser les "cataractes" du Danube, à faire bâtir deux ponts reliant les rives roumaine et bulgare du grand fleuve et à creuser le canal "Danube - Mer Noire" (62,5 km de long, afin d'éviter la navigation dans les méandres du delta). Notons que le creusement de ce canal avait mécontenté les So­vié­tiques qui ont un droit d'accès au delta, mais non pas à un ca­nal construit par le peuple roumain. Même si l'arbi­traire du régime de Ceaucescu peut être jugé a posteriori pénible et archaïque, force est de constater que sa disparition n'a pas apporté un ordre clair au pays, capable de poursuivre un projet danubien cohérent ou de générer des fonds suf­fi­sants pour financer de tels travaux.

Milosevic, le Danube et l'Axe Dorien 

Les campagnes médiatiques visant à diaboliser Milosevic ont deux raisons géopolitiques majeures : créer sur le cours du Danube, à hauteur de Belgrade, point stratégique im­portant comme l'attestent les rudes combats austro-otto­mans pour s'emparer de cette place, une zone soustraite à toute activité normale, via les embargos. L'embargo ne sert pas à punir des "méchants", comme veulent nous le faire croi­re les médias aux ordres, mais à créer artificiellement des vides dans l'espace, à soustraire à la dynamique spa­tiale et économique des zones visées, potentiellement puis­santes, afin de gêner des puissances concurrentes plus for­tes. La Serbie, de dimensions fort modestes, n'est pas un con­­current des Etats-Unis; par conséquent son élimination n'a pas été le véritable but en soi; l'objectif visé était ma­ni­festement autre;  dès lors, il s'est agi d'affaiblir des puis­san­ces plus importantes.

Dans la région, ce ne peut être que l'Europe en général et son cœur germanique en par­ti­cu­lier. Enfin, le vide créé en Serbie par la politique d'em­bargo, empêche tout consortium euro-serbe, toute fédé­ra­tion balkanique ou tout resserrement de liens entre petites puissances balkaniques (comme la Grèce et la Serbie), em­pêche d'organiser définitivement le corridor Belgrade - Sa­lo­nique, excellente "fenêtre" de l'Europe centrale sur la Mé­diterranée orientale, que nous avions appelé naguère l'"Axe Dorien". 

Haider et Kohl : dénominateur commun : le Danube

Les campagnes de diffamation contre Jörg Haider relèvent d'une même volonté de troubler l'organisation du trafic da­nubien. Les tentatives, heureusement avortées, d'organiser un boycott contre l'Autriche, auraient installé une deu­xième zone "neutralisée", un deuxième vide, sur le cours du grand fleuve qui est vraiment l'artère vitale de l'Europe. En­fin, le Chancelier allemand Helmut Kohl, qui a réalisé le plus ancien rêve européen d'aménagement territorial, soit le creusement du Canal Rhin - Main - Danube, a été promp­tement évacué de la scène allemande à la suite d'une cam­pagne de presse l'accusant de corruptions diverses (mais bien bénignes à côté de celles auxquelles les féaux de l'O­TAN se sont livrées au cours des décennies écoulées). Son successeur, à la tête des partis de l'Union chrétienne-démo­crate (CDU/CSU), le Bavarois Stoiber, a subi, à son tour, des campagnes de diffamations infondées, qui l'ont empê­ché d'accéder aux commandes de la RFA —du moins jusqu'à nouvel ordre. 

◊2. Nous avons perdu dans le Caucase. L'Azerbaïdjan est com­plètement inféodé à la Turquie, fait la guerre aux Armé­niens au Nagorni-Karabakh, s'aligne sur les positions anti-russes de l'Otan, coince l'Arménie résiduaire (ex-république soviétique) entre la Turquie et lui-même, ne permettant pas des communications optimales entre la Russie, l'Ar­ménie et l'Iran (ou le Kurdistan potentiel). En Tchétchénie et au Daghestan, les troubles suscités par des fondamen­talistes financés par l'Arabie Saoudite —également soutenus par les services turcs travaillant pour les Etats-Unis—  em­pêchent l'exploitation des oléoducs et réduisent l'influence russe au nord de la chaîne du Caucase. Plus récemment, la Géorgie de Chevarnadze, en dépit de la solidarité ortho­doxe qu'elle devrait avoir avec la Russie et l'Arménie, vient de s'aligner sur la Turquie et les Etats-Unis. Ces trois fais­ceaux d'événements contribuent à empêcher l'organisation des communications en Mer Noire, dans le Caucase et dans la Caspienne. 

Du "containment" de l'Iran

◊3. Nous avons perdu sur la ligne Herat - Ladakh, dans le Ca­chemire. Le verrouillage pakistanais des hauteurs hima­layennes au Cachemire sert à empêcher l'établissement de toute frontière commune entre la Russie (ou une républi­que post-soviétique qui resterait fidèle à une alliance rus­se) et l'Inde. La présence américaine à Herat, par fractions de l'Alliance du Nord interposées, permet aussi de placer un premier pion dans le containment de l'Iran. Celui-ci est dé­sormais coincé entre une Turquie totalement dépen­dan­te des Etats-Unis et un glacis afghan dominé par ces der­niers. Il reste à éliminer l'Irak pour parfaire l'encerclement de l'Iran, prélude à son lent étouffement ou à son invasion (comme pendant l'été de 1941). 

◊4. Nous avons perdu dans les mers intérieures. Les deux mers intérieures qui sont le théâtre de conflits de grande am­pleur depuis plus d'une décennie sont l'Adriatique et le Gol­fe Per­sique. Ces deux mers intérieures, comme j'ai déjà eu main­­tes fois l'occasion de le démontrer, sont les deux espa­ces ma­ritimes (avec la Mer Noire) qui s'enfoncent le plus pro­­fondément dans l'intérieur des terres immergées de la mas­­se continentale eurasienne. La Guerre du Golfe (et cel­les qui s'annoncent dans de brefs délais), de même que les com­plots américains qui ont amené à la chute du Shah (cf.: Houchang Nahavandi, La révolution iranienne - Vérité et men­­songes, L'Age d'Homme, Lausanne, 1999), visent non seu­­lement à contrôler l'embouchure des deux grands fleu­ves mésopotamiens, artères du Croissant Fertile, soit le Chatt El Arab, et à contenir l'Iran sur la rive orientale du Gol­fe.

La révolution islamiste d'Iran a eu la même fonction que la révolution sans-culotte en France ou la révolution bol­chevique en Russie : créer le chaos, abattre un régime rai­sonnable en passe de réaliser de grands travaux d'in­fra­struc­ture et d'aménagement territorial, et, dès que le nou­veau régime révolutionnaire se stabilise, l'attaquer de front et appeler à la croisade contre lui, sous prétexte qu'il in­car­nerait une nouveauté perverse et diabolique.

Quant à l'i­dée de verrouiller l'Adriatique, elle apparaît évidente dès que l'Allemagne et l'Autriche, par l'intermédiaire d'une pe­ti­te puissance qui leur est traditionnellement fidèle, comme la Croatie, accèdent à nouveau à la Méditerranée via les ports du Nord de l'Adriatique. Ce verrouillage aura lieu exac­­tement comme au temps de la domination ottomane (é­­phémère) sur ces mêmes eaux, à hauteur du Détroit d'O­trante, dominé par l'Albanie.

Formuler une stratégie claire

Face à cette quadruple défaite européenne, il convient de formuler une stratégie claire, un programme d'action géné­ral pour l'Europe (qu'il sera très difficile de coordonner au dé­part, les Européens ayant la sale habitude de tirer tou­jours à hue et à dia et de travailler dans le désordre). Ce pro­gramme d'action contient les points suivants:

◊ Les Européens doivent montrer une unité inflexible dans les Balkans, s'opposer de concert à toute présence amé­ri­caine et turque dans la péninsule sud-orientale de notre con­tinent. Cette politique doit également viser à neutra­li­ser, dans les Balkans eux-mêmes et dans les diasporas alba­nai­ses disséminées dans toute l'Europe, les réseaux crimi­nels (prostitution, trafic de drogues, vol d'automobiles), liés aux structures albanaises anti-serbes et anti-macédo­nien­nes, ainsi qu'au binôme mafias-armée de Turquie et à cer­tains services américains. La cohésion diplomatique eu­ro­péenne dans les Balkans passe dès lors par un double tra­vail: en politique extérieure —faire front à toute réimplan­tation de la Turquie dans les Balkans— et en politique in­térieure —faire front à toute installation de mafias issues de ces pays et jouant un double rôle, celui de déstabiliser nos sociétés civiles et celui de servir de cinquièmes co­lonnes éventuelles. 

◊ Les Européens doivent travailler de concert à ôter toute marge de manœuvre à la Turquie dans ses manigances anti-européennes. Cette politique implique

1) d'évacuer de Chypre toutes les unités militaires et les administrations ci­viles turques et de permettre à toutes les familles grecques expulsées lors de l'agression de l'été 1974 de rentrer dans leurs villages ancestraux; d'évacuer vers la Turquie tous les "nouveaux" Cypriotes turcs, non présents sur le territoire annexé avant l'invasion de 1974;

2) d'obliger la Turquie à re­noncer à toute revendication dans l'Egée, car la conquête de l'Ionie s'est faite à la suite d'un génocide inacceptable à l'encontre de la population grecque, consécutif d'un autre génocide, tout aussi impitoyable, dirigé contre les Armé­niens; la Turquie n'a pas le droit de revendiquer la moindre parcelle de terrain ou les moindres eaux territoriales dans l'Egée; la Grèce, et derrière elle une Europe consciente de ses racines, a, en revanche, le droit inaliénable de reven­di­quer le retour de l'Ionie à la mère patrie européenne; la Tur­quie dans ce contexte, doit faire amende honorable et s'excuser auprès des communautés chrétiennes orthodoxes du monde entier pour avoir massacré jadis le Patriarche de Smyrne, d'une manière particulièrement effroyable (le cas échéant payer des réparations sur son budget militaire);

3) d'obliger la Turquie à cesser toute agitation auprès des mu­sulmans de Bulgarie;

4) d'obliger la Turquie à cesser toute ma­nœuvre contre l'Arménie, avec la complicité de l'Azer­baï­djan; de même, à cesser tout soutien aux terroristes tché­tchènes;

5) l'Europe, dans ce contexte, doit se poser comme protectrice des minorités orthodoxes en Turquie; au début du siècle, celles-ci constituaient au moins 25% de la population sous la souveraineté ottomane; elles ne sont plus que 1% aujourd'hui; cette élimination graduelle d'un quart de la population interdit à la Turquie de faire partie de l'UE;

6) d'obliger la Turquie à évacuer toutes ses troupes disséminées en Bosnie et au Kosovo;

7) de faire usage des droits de veto des Etats européens au sein de l'OTAN, au moins tant que les problèmes de Chypre et d'Arménie ne sont pas résolus; dans la même logique, refuser toute for­me d'adhésion de la Turquie à l'UE.

(à suivre)

00:15 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, eurasisme, eurasie, stratégie, russie, france, afghanistan | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 21 juin 2008

Jean Mabire: artiste et partisan

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Artiste et partisan

Entretien avec Jean Mabire

Journaliste, historien, écrivain, Jean Mabire est un homme de style. Attaché à la civilisation européenne, dirigeant d' Europe Action et fondateur du GRECE, il a été de tous les combats identitaires. Critique littéraire à National Hebdo, membre du Comité de rédaction d' Eléments et du Comité de parrainage de Nouvelle Ecole, Jean Mabire nous a reçu pour parler en toute liberté du combat identitaire qui est le nôtre.

Q.: Pour vous quelle est la finalité du combat identi­taire?

Le véritable sens de notre lutte apparaît de plus en plus clairement: c'est la défense de l'individu contre les robots et, par conséquent, celle des patries contre le mondialis­me. Pour nous, chaque homme comme chaque nation pos­sè­de une personnalité irréductible. Aussi, je ne vois pas pour­quoi je devrais m'excuser de parler à la première per­sonne du singulier.

Q.: Et vous, comment participez-vous au mouvement identitaire?

Je ressens profondément la nécessité de concilier deux at­titudes, apparemment contradictoires: celle de l'artiste et celle du partisan. Cette rencontre est pour moi une que­stion de goût personnel. C'est aussi un problème de sens politique: je crois qu'on ne peut rien construire sans une certaine recherche esthétique. Mais celle-ci devient stérile sans une profonde rigueur doctrinale. Résultat pratique: je ne suis ni un bon écrivain ni un bon militant. Je triche un peu sur les deux attitudes. Mais elles remplissent tous mes jours et bien de mes nuits. Voici des images pour m'ex­pli­quer. Celle-ci, par exemple: il est des lieux où je me suis sen­ti parfaitement moi-même; dans le grand hall de la Bi­blio­thèque nationale et sur la place d'armes d'un Régiment parachutiste. Le vertige et la plénitude que m'offrent les li­vres ne sont pas si éloignés de ceux que m'apportaient les sauts. La pensée et l'action ont toujours pour moi marché cô­te à côte, au pas fiévreux de la recherche ou au pas tran­quille de la certitude.

Q.: Au fait, comment êtes-vous devenu écrivain?

On croit être né pour une carrière d'officier, d'architecte ou d'avocat (c'était bien porté dans ma famille). Et puis les ha­sards, les amis et les guerres vous lancent dans d'étranges batailles. J'ai commencé à écrire parce que je haïssais tout autant le silence que le bruit et que mon pays était devenu silencieux et bruyant. A la barre d'une revue culturelle: Wi­king; dans les soutes d'un quotidien départemental: La Presse de la Manche; sur le pont d'un journal politique: L'Es­prit public; ou au pied du mât avec mon livre sur Drieu.

Q.: Je reviens à ma question initiale: comment êtes-vous devenu écrivain?

Cela me fait souffrir quand on m'appelle écrivain. Ecrire pour moi n'est pas un plaisir ni un privilège. C'est un service comme un autre. Rédiger un article ou distribuer un tract sont des actes de même valeur. Chacun sert où il peut. C'est une question de tempérament et d'efficacité. Non de mérite, et encore moins de hiérarchie. Dans notre aristo­cratie militante, nous sommes parfaitement démocrates et même égalitaires. Nous ne sommes pas de ces intellectuels de gauche qui se sentent supérieurs aux employés, aux ouvriers ou aux paysans de leur propre peuple.

Q.: Pour vous, qu'est-ce que le nationalisme?

Le nationalisme, c'est d'abord reconnaître ce caractère sa­cré que possède chaque homme et chaque femme de notre pays et de notre sang. Notre amitié doit préfigurer cette unanimité populaire qui reste le but final de notre action, une prise de conscience de notre solidarité héréditaire et inaliénable. En quelque sorte, c'est une certaine forme de socialisme !

Q.: Il s'agit d'une véritable conception du monde...

J'espère être assez artiste pour exprimer d'une manière li­sible notre conception du monde et de la vie. Mais j'essaye d'être assez partisan pour ne pas transformer en jeu d'adresse et en exercice de sty1e ce qui demeure la chair et l'esprit de notre combat. Si je hais tout sectarisme, je n'en méconnais pas moins les nécessités de la discipline et même de la brutalité. Je sais qu'il est des dialogues qu'il faut clore et des amitiés qu'il faut briser. Les écrivains po­litiques doivent accepter ces injures qui font aussi mal que des coups. Je me bats avec les armes qui sont les miennes. Ce ne sont pas les seules. Nos ennemis se battent sur tous les fronts. Nous aussi, nous devons être partout. Dans la rue comme dans la presse.

Q.: Vous êtes direct…

Nous sommes des amants éperdus de la liberté.

Q.: Qui détestez vous le plus ?

Je déteste ces écrivains qui font un petit tour dans la poli­ti­que et se retirent à temps, lorsque leurs idées commen­cent à se transformer en actes entre des mains un peu é­ner­giques. Ils ne savent plus que dire: "Nous n'avions pas vou­lu cela!" Les belles âmes! Les salauds!

Q.: Ecrire peut être un jeu dangereux...

C'est la seule noblesse de l'écrivain, sa seule manière de participer aux luttes de la vie. L'écrivain politique ne peut se séparer du militant politique. Le penseur ne peut aban­donner le guerrier. Un certain nombre d'hommes de ce pays ont sauvé et l'honneur des lettres et l'honneur des armes. Ils ne furent pas tous du même camp, mais ils sont nos frè­res et nos exemples. Je pense à Saint-Exupéry, abattu au cours d'une mission aérienne; je pense à Robert Brasillach, fusillé à Montrouge; je pense à Drieu La Rochelle, acculé au suicide dans sa cachette parisienne; je pense à Jean Pré­vost exécuté dans le maquis du Vercors. Ceux-là n'ont pas triché. Ils n'ont pas abandonné les jeunes gens impatients et généreux qui leur avaient demandé des raisons de vivre et de mourir et qu'ils avaient engagés sur la voie étroite, rocailleuse et vertigineuse de l'honneur et de la fidélité. Au­jourd'hui, nous sommes là, avec nos certitudes et nos es­pérances.

(Propos recueillis par Xavier CHENESEAU).

vendredi, 20 juin 2008

Partenariat stratégique

Rappel: Un texte prophétique -et toujours actuel!- de Henri de Grossouvre !

Pour un partenariat stratégique entre l'Union Européenne et la Russie

 

L'Union Européenne est en train de réformer ses institutions et son mode de travail. Il s'avère dès lors important que les citoyens des Etats membres soient au courant de trois cho­ses : des conséquences de ces réformes, des diverses possi­bi­lités de développement (Fédération d'Etats, Etat fédé­ral,…), des partenaires futurs de cet Union. Le 21 avril pro­chain, en France, les élections présidentielles auront lieu. Les bons résultats, inattendus, de Jean-Pierre Chevène­ment dans les sondages a surpris les observateurs et inquié­té les deux candidats principaux, Chirac et Jospin. Chevè­ne­ment est souvent décrit dans les médias comme un ad­ver­saire de l'Europe. Ce n'est pas exact. Il serait plus juste de dire qu'il est partisan d'une façon différente d'intégrer l'Eu­rope; ensuite, il s'insurge contre le déficit démocratique croissant des instances européennes, lesquelles n'ont plus de légitimité démocratique. Ensuite, il se fait l'avocat d'un par­tenariat stratégique entre l'Union Européenne et la Rus­sie.

 

L'Union Européenne et la Russie ont des intérêts géopoliti­ques, économiques et culturels communs. L'accord de co­opé­ration qui existe depuis le 1 décembre 1997 entre l'UE et la Russie est un accord de type préférentiel, comme il en existe déjà entre cette même UE et quelques pays d'A­mé­rique latine et/ou d'Afrique. Cet accord est insuffisant. La mise sur pied d'un partenariat stratégique avec la Russie permettrait à l'Europe de faire face aux grands défis du 21ième siècle : défis qui nécessitent paix et sécurité sur le con­tinent, maîtrise de l'espace et maîtrise des problèmes énergétiques. Si l'intégration pure et simple de la Russie dans l'UE est une impossibilité, nous pouvons trouver une for­me d'association avec le GASP. Au cours de l'histoire de l'hu­manité, nous constatons une succession de périodes de guerre et de paix. La paix est l'œuvre du politique. Un par­te­nariat stratégique entre l'UE et la Russie garantirait l'exis­tence d'un monde multipolaire, source de paix et d'é­qui­libre. Le monde multipolaire, que De Gaulle appelait de ses vœux en son temps, est une idée que souhaitent voir ad­venir la Russie, la Chine et l'Inde. Depuis que les Etats-U­nis se montrent capables, seuls, d'assumer une domination qua­si totale de la planète, les guerres n'ont cessé de se suc­céder (Irak, Bosnie, Yougoslavie, Somalie, Afghanistan).

 

Vus les problèmes soulevés par le Projet Galileo, nous de­vrions faire en sorte de développer des satellites de navi­ga­tion, de concert avec la Russie. Les Américains ont claire­ment dit aux Européens qu'ils ne leur accorderont aucun ac­cès au nouveau système de navigation satellitaire; or les Russes disposent d'un système, appelé Glonas, et de fré­quen­ces, ce qui doit nous conduire tous naturellement à dé­velopper un système exclusivement européen, en parte­nariat avec la Russie.

 

De même, la Russie pourrait aider l'UE à résoudre la ques­tion de l'énergie. Selon plusieurs experts (1), la production de pétrole atteindra son point culminant dans les années 2010-2020, puis ne cessera plus de diminuer. Le monde se­ra confronté alors à une pénurie chronique de pétrole. Dans ce contexte, la Russie sera en mesure d'atteindre l'un des objectifs qu'elle s'est fixé: devenir le premier producteur de pétrole du monde, bien avant l'Arabie Saoudite. La Rus­sie possède déjà les plus grands gisements de gaz naturels au monde et maîtrise, tout comme la France, l'énergie ato­mique. L'Autriche, qui, traditionnellement, fait fonction de pont entre l'Est et l'Ouest, entretient de bonnes relations di­plomatiques et économiques avec la Russie. Elle aussi a tout à gagner dans un partenariat stratégique entre l'UE et la Russie.

 

Henri de GROSSOUVRE.

(texte de présentation du livre de Henri de Grossouvre, Paris-Berlin-Moscou - La voie de l'indépendance et de la paix, Age d'Homme, Lausanne, 2002, adressé à la presse autrichienne en janvier 2002).

 

Note :

(1) cf. Norman SELLEY, «Changing Oil» & John V. MITCHELL, «Oil for Wheels», Royal Institue of International Affairs, London, Briefing Pa­per, New Series, no. 10, January 2000 and no. 9, December 1999.

 

jeudi, 19 juin 2008

Evola, l'antimoderno

EVOLA, L’ANTIMODERNO

 

Julius Evola è uno di quegli uomini della riflessione, che siam soliti chiamare filosofi, di cui spesso si sente parlare anche a sproposito all’interno di certi ambienti culturali, ma che, fondamentalmente viene dai più completamente accantonato. Come si è avuto modo di spiegare in più circostanze e come è sempre bene ribadire, ogni pensatore vive di sé e degli altri che con lui si pongono in confronto. Non è possibile inquadrare né tantomento catalogare nelle strettoie di un incartamento becero ed infantile, la portata straordinaria di ciò che ogni uomo del pensiero ci offre con le proprie osservazioni, con le proprie intensità e con le proprie sensazioni, sempre inserite nel tempo e figlie di un divenire, che non può disconoscere la sua essenzialità ontologica. Se un grande insegnamento la filosofia cosiddetta continentale ci ha dato, è proprio quello connesso al carattere prospettico e impersonale della realtà che ci circonda: senza dilungarci troppo sul valore fondamentale della riflessione ermeneutica dobbiamo comunque osservare il contesto in cui Evola storicamente si inserisce, il tratto storico-teoretico che tutta la riflessione occidentale ha vissuto come compimento della parabola cominciata decenni prima con l’irruenza antimetafisica di Friederich Nietzsche, forgiata attraverso la fenomenologia di Husserl, portata a concretizzazione da Heidegger e proseguita da Gadamer, senza che niente venisse scalfito dai mille eventi che avevano nel frattempo radicalmente cambiato la situazione europea (due guerre mondiali, indipendentismi, processo di Norimberga, terrorismo, sessantotto e via dicendo).

La reazione contro la metafisica tradizionale, il ritorno ai pre-socratici (Eraclito, Parmenide, Anassimandro…), la decostruzione dell’antropocentrismo, il superamento del rapporto soggetto-oggetto, la critica della Ragione, il nichilismo quale fenomeno onto-storico e destino improcrastinabile di un’umanità ormai irretita nell’ambito dei vecchi e degenerati schemi del pensiero occidentale (la sottile linea antropocentrico-escatologica che legava platonismo, ebraismo, cristianesimo, illuminismo, empirismo, marxismo ed idealismo), il circolo ermeneutico come unica fonte di conoscenza, il rifiuto del mondo della tecnica quale dominio scellerato ed invasivo della volontà di potenza ai danni del mondo reale e tradizionale, erano tasselli su cui tutto il pensiero Novecentesco si è mosso, sin dai suoi albori. La morte di Nietzsche, avvenuta esattamente nell’anno 1900, e le sue profetiche e terrorizzanti parole (“Quella che vi sto per raccontare è la storia dei prossimi due secoli…”), hanno segnato indubbiamente un’epoca che ha vissuto sulla paura e sulla desolazione completa, in ogni angolo della cultura, filosofico, ovviamente, letterario, artistico, umanistico e politico. Per quanto, stracitato e spesso chiamato in causa anche oltre gli stessi intenti dell’autore, basti pensare all’importanza rivestita da un testo fondamentale come “Il tramonto dell’Occidente” di Oswald Spengler. Proprio da quest’ultimo, Julius Evola sembra particolarmente colpito, nel momento in cui, comincia a formarsi. La tormentata e controversa personalità del filosofo romano, stava attraversando un periodo particolarmente tragico, al momento del ritorno (nel 1919) dal fronte.

Vicino al suicidio, affermò (come leggiamo nel suo Il cammino del cinabro), di aver rinunciato a questo gesto, dopo l’illuminazione in seguito alla lettura di un testo buddhista. Questo incontro, sulle stesse orme che mossero anni prima Schopenauer, non si esimerà dall’essere foriero di una nuova impostazione, che lo porterà a conoscere l’induismo e le teorie dell’Uno, così tanto sconosciute nel profondo e così tanto occidentalizzate, commercializzate e spudoratamente violentate nel corso degli ultimi decenni dalla cosiddetta new age o next age. A questo interesse si accompagnano i mai sopiti spunti esoterici e gnostici che lo hanno accompagnato. Testi come Imperialismo Pagano e soprattutto il più conosciuto Rivolta contro il mondo moderno, pubblicato in piena era fascista, non gli valsero le simpatie, ma anzi gli procurarono diverse noie e pure delle censure. Fu scomodo, per molti gerarchi, per quei cosiddetti fascisti della seconda ora, quelle fazioni conservatrici e burocrati, soggiunte a Fascismo ormai assestato e definito. La sua visione del resto ha sempre rimarcato un carattere sovra politico, anzi impolitico, che poco aveva a che spartire con la brutale normalità istituzionale ed amministrativa, e che mirava in alto, verso la più pura teoresi di quel mondo della Tradizione, da lui decantato e osannato. Ma cosa era in realtà questa Tradizione? E a cosa si contrapponeva?

Fu nel dopoguerra, e precisamente nel 1951 che Evola, venne chiaramente coinvolto nel processo al movimento paramilitare ai FAR, organizzazione neofascista, quale presunto teorico e intellettuale di riferimento. Fu naturalmente assolto con formula piena, malgrado l’isteria antifascista di tutto il dopoguerra avesse persino portato sul banco degl imputati, una persona totalmente estranea ai fatti, senza prove, senza legami espliciti o meno, ma solo sulla base di una presunta connessione intellettuale. Da quel tipo di difesa e da quel distacco intrapreso verso tutto ciò che riguardava la dimensione politica nel senso più strettamente partitico del termine, possiamo subito capire che le origini del pensiero evoliano, nascevano molto più indietro e avevano radici ben salde in una sorta di filosofia della storia, che (non di rado ispirata da Guenon), rileggeva il passato del corso temporale attraverso una disamina chiara e precisa, che poneva in netto contrasto due principi: il mondo della Tradizione da un lato, ed il mondo dell’antiTradizione dall’altro. L’umanismo nel mezzo, a far da mezzavia, era indicato come il momento critico, il punto dell’irreversibilità antitradizionale, nel quale vengono poste le basi per lo sviluppo del cosiddetto homo hybris, nel quale scompare ogni richiamo al Sacro, ogni senso gerarchico, ogni assoluto.

La trascendenza, quale mezzo di coglimento per l’uomo della Tradizione, svanisce sotto i colpi del laicismo, sotto i colpi dei miti del progresso e dell’homo faber fortunae suae, tipici della tendenza trionfante all’interno della pur vasta cultura umanistico-rinascimentale. L’individualismo trasudante e baldanzoso, che uscì fuori da questa rivoluzione catastrofica, si traslò sul piano più strettamente ideologico nel liberalismo, nell’anarchismo sociale, nel marxismo e nel totalitarismo, sia democratico sia dittatoriale. Riprendendo Guenon, l’umanismo era esattamente la sintesi del programma che l’Occidente moderno aveva ormai inteso seguire, per mezzo di una vasta opera di riduzione all’umano dell’ordine naturale: qualcosa di presuntuoso e sconvolgente, la cui precisa critica mostra chiaramente i punti di contatto con la Genealogia della morale affrontata da Nietzsche e con i Saggi di Heidegger. La Rivolta evoliana è qualcosa che, probabilmente resta indietro rispetto ai maestri tedeschi, e in parte paga ancora un lascito terminologico alla metafisica che invece Egli intendeva abbattere, ma indubbiamente il valore, il nisus, il punto ottico di osservazione teoretica pare quasi essere lo stesso.

Il progresso è niente altro che una “vertigine”, un’illusione, con la quale l’uomo moderno viene ammaliato e ingannato: una auto illusione, che lo porta in una dimensione di progressivo oblio dell’essere autentico (ancora Heidegger, come vediamo), in favore dell’ormai avvenuto e sempre più imbattibile matrimonio con l’antropomorfizzazione del mondo. La Tradizione, con i suoi valori gerarchici (“dall’alto verso l’alto”), con il suo carattere cosmologico e ciclico (indistinzione uomo-natura, homo hyperboreus e circolarità storica – ancora Nietzsche con l’eterno ritorno), con la sua concezione sacrale-trascendentale, si mostrava come la sola vera arma in condizione di opporsi alla degenerazione causata dai miti metafisici, antropocentrici e razionalistici, e da fenomeni sociali quali il progressismo, la secolarizzazione, il laicismo e l’ateismo materialista. “Umanistica è quella cultura nella quale principio e fine cadono entrambi nel semplicemente umano: è quella cultura priva di qualsiasi riferimento trascendente o in cui tale riferimento si riduce a vuota retorica, che è priva di ogni contenuto simbolico, di ogni adombramento di una forza dall’alto. È umanistica la cultura profana dell’uomo costituitosi a principio di sé stesso, quindi metafisicamente anarchico e intento a sostituire a quell’eterno, a quell’immutabile e a quel super-personale, di cui egli ha finito col perdere il senso, i fantasmi vari e mutevoli dell’erudizione o dell’invenzione dell’intelletto o del sentimento, dell’estetica o della storia”: in queste riflessioni potremmo sintetizzare il pensiero più radicale ed interiore di Evola, osservando in esse il carattere tradizionale, che lo portò a negare la validità del darwinismo, dell’evoluzionismo e dell’ugualitarismo, in favore di una weltanschauung forgiata sui significati antichi di imperialità, gerarchia e razzismo (o meglio ancora, razzialismo) spirituale.

La morte di Dio, annunciata dal folle deriso nella Gaia Scienza di Nietzsche, è un punto di partenza ineludibile, per comprendere cosa significhi nel profondo la perdità dell’ordine, il senso di sconforto per l’abbattimento dei valori tradizionali e il senso di disorientamento, quale destino onto-storico (il nichilismo come ospite indesiderato) di una civiltà autodistruttiva come quella umana, appunto, affidatasi volitivamente a nuovi (dis)valori, in aperto contrasto con quella che è l’essenza più autentica dell’ordine naturale del mondo, abbandonando ogni senso atemporale ed ontologico del pensiero, e sviluppando una concezione calcolante, transeunte e mercantile della ragione umana, finalistica e teleologica, individualista e materialista. Pensare di poter ricondurre il suo pensiero alla mera dimensione politica, sarebbe una violenza inaccettabile, così come tentare di elasticizzarne le asperità o le parti più scomode. Di fronte ad un grande uomo del pensiero, abbiamo sempre un grande tesoro, forte di un’apertura semantica continuamente attingibile e sempre esplorabile attraverso nuove chiavi di lettura. Non chiudiamone il raggio, non limitiamoci a ciò che più interessa ad ognuno di noi, non compriamone una parte per buttarne via delle altre: non siamo al mercato, non siamo mercanti, non siamo clienti. Siamo uomini.

Comunità Militante Perugia
Associazione Culturale Tyr
http://www.controventopg.splinder.com

mercredi, 18 juin 2008

J. Parvulsco parle à "Synthesis"

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Entretien avec Jean Parvulesco pour Synthesis, journal du “Cercle de la Rose Noire” (Angleterre)

Propos recueillis par Troy Southgate

 

Voudriez-vous bien parler à nos lecteurs de vo­tre vie en Roumanie et leur expliquer pour­quoi vous avez été contraint de quitter votre patrie?

 

A 70 ans passés, j'ai vécu au moins trois ou quatre vies entières, à la fois différentes et séparées, et que ne relient ensemble qu'une sorte d'auto-transmigration obscure, très obscure. Je n'ai plus aucun souvenir vivant de la Roumanie, c'est pour moi des temps infiniment lointains, comme s'il s'agissait de je ne sais quel XVIIIe siècle à la cour des Habsbourg, dans Vienne sous la neige. L'effort de la marche arrière m'est trop pénible, trop difficile, je n'y pense plus jamais. Mes plus proches souvenirs actuels, mais qui, eux aussi, se font déjà brumeux, sont ceux des temps de l'OAS dans Madrid ensoleillé par les certitudes agissantes du ré­gime politico-militaire franquiste au sommet de son pou­voir. Avant, c'est brusquement la nuit noire, la vie de quel­qu'un d'autre que moi, une sorte de théâtre d'ombres aux re­présentations illégales, effacées, oniriques. Vous m'en vo­yez donc bien désolé: ma réponse à la première de vos questions s'avère être en fait une non-réponse; poussée dans ses derniers retranchements, ma propre existence ap­pa­raît comme une non-réponse, ou plutôt comme une ré­pon­se dissimulée, comme une réponse codée. De par la si­tua­tion qui est à présent la mienne, je suis tenu de me re­garder moi-même comme à travers la grille secrète d'un co­dage en profondeur, agent confidentiel jusque par rapport à moi-même. Ce sont les temps qui l'exigent, ces temps de la subversion totale qui sont nôtres.

 

Vous avez connu Julius Evola personnelle­ment. Que pensez-vous de son œuvre? Et que pensez-vous de l'homme Julius Evola?

 

Je m'étais en effet senti fort proche de Julius Evola. Et cela pour une raison fort précise: tout comme Miguel Serrano, Julius Evola ne s'était pas vu arrêter dans son devenir in­té­rieur par la sombre défaite européenne de 1945. Tous les grands créateurs de culture européens —Ezra Pound, Knut Hamsun, Pierre Drieu la Rochelle, Louis-Ferdinand Céline, Raymond Abellio, Mircea Eliade, et tant d'autres—  s'étaient retrouvés, à la fin de la dernière guerre mondiale, comme dépossédés d'eux-mêmes, mortellement blessés par l'effon­drement apocalyptique de l'histoire européenne qu'il leur avait ainsi fallu connaître, et dont ils avaient intérieu­re­ment eu à éprouver le désastre irréversible. Ainsi que je viens de le dire, je n'ai connu, depuis, que seuls deux grands penseurs européens qui n'aient pas accepté cet effondrement et qui, au contraire, n'avaient fait que con­ti­nuer, avec le même acharnement héroïque, le même com­bat en continuation, le même combat ininterrompu: Julius Evola et Miguel Serrano.

 

Julius Evola: un être à contre-courant

 

Il y aurait bien sûr une infinité de choses importantes à dire sur Julius Evola. Je me contenterai de vous faire part, ici, de son extraordinaire charisme aristocratique, patricien, de la dépersonnalisation initiatique parfaitement atteinte et maîtrisée de son propre être, qui n'était déjà plus rien d'au­tre qu'un concept d'action engagé dans le devenir provi­den­tiel de la "grande histoire" en marche, dont tous les ef­forts combattants tentaient, pourtant, d'en renverser le cou­rant. Car Julius Evola était, en effet, un être à contre-courant, une négation ontologiquement active de l' actuel cours crépusculaire d'une histoire du monde devenue, fina­le­ment, en elle-même, une instance de la grande conspi­ration subversive du non-être au pouvoir. Je prétendrai donc qu'une certaine lumière émanait, supérieure, mais en même temps dissimulée de sa personne, et que le simple fait de fréquenter Julius Evola, de se trouver même indi­rec­tement sous son influence active, impliquait déjà un avan­cement spirituel significatif, majeur, voire secrè­te­ment transfigurant. Il était là, mais caché derrière sa pro­pre présence refermée sur elle-même, hors d'atteinte.

 

Et je pense qu'il me sera également permis d'affirmer que la vision doctrinale personnelle et ultime, secrète, de Ju­lius Evola, sa vision de ce monde et de l'action en ce mon­de, se trouvait polarisée sur les destinées suprahistoriques occultes de Rome, qu'il considérait, et cela jusque dans sa continuité historique actuelle  —j'entends jusque dans son actuelle identité catholique— comme le véritable centre spi­rituel impérial, polaire  —dans le visible et dans l'in­visible—  de l'actuel grand cycle historique finissant. Julius Evola ne s'était en effet jamais considéré lui-même que sous l'identité d'"agent secret", dans le siècle, de la Roma Ae­terna.

 

Je pourrais aussi livrer bien de révélations décisives —voire étourdissantes, en fin de compte— à partir de mes propres souvenirs des longs entretiens confidentiels que j'avais eu avec Julius Evola, à Rome, chez lui, Corso Vittorio Em­ma­nuele, l'été et l'automne de 1968. Mais je m'interdis de le faire dans la mesure où je n'ignore pas qu'un profond secret opératoire en recouvre encore le contenu, qu'il serait infi­ni­ment dangereux  —et à présent bien plus que pour le pas­sé— de porter abruptement à la lumière du jour. Car l'heu­re n'en est pas encore tout à fait venue pour cela.

 

La "centrale polaire" du Corso Vittorio Emmanuele

 

Je peux néanmoins vous signaler que dans mon roman Le gué des Louves, Paris 1995, pages 20-31, je m'étais quand même permis de faire certains aveux d'une extrême impor­tance, d'une haute gravité spirituelle et philosophique —je devrais sans doute dire "philosophale", comme la "pierre philosophale"— sur certains événements de mon séjour ro­main auprès de Julius Evola, en 1968, et sur mes fréquen­tations confidentielles d'une "centrale polaire" occulte, ou­verte toute la nuit, Corso Vittorio Emmanuele, presque en bas de chez Julius Evola, le Daponte Blu.

 

Les réverbérations encore souterrainement agissantes de la doc­trine traditionnelle de Julius Evola, ainsi que son en­sei­gnement politico-révolutionnaire à contre-courant, tracent derrière lui un profond sillon ardent, un sillon d'incan­des­cence vive auquel devraient s'abreuver ceux des nôtres qui portent cachée en eux une prédestination spéciale, qui ont accédé à la différence. Car Julius Evola avait lui-mê­me en quelque sorte dépassé la condition humaine, il avait fait émerger en lui le surhomme qui reste à venir. Loin d'être un homme du passé, Julius Evola était un hom­me de l'avenir d'au-delà du plus lointain avenir. L'homme de la surhumanité solaire du Regnus Novissimum qu'avait entrevu Virgile.

 

L'un de vos premiers romans était La Mi­sé­ri­cor­dieuse Couronne du Tantra. Pouvez-vous nous expliquer comment vous voyez le con­cept de Tantra?

 

La Miséricordieuse Couronne du Tantra n'était pas un ro­man, mais un recueil de poèmes initiatiquement opéra­toi­res. Le tantrisme  —ce que l'on devrait appeler l'Aedificium Tantricum— est un ensemble doctrinal comptant une série d'étagements intérieurs de plus en plus occultes, de plus en plus prohibés, visant à porter l'être humain à sa libération  —ou à sa délivrance— ultime par les moyens d'une certaine expérience personnelle intime du "mystère de l'amour", du mystère de l'Incendium Amoris.

 

Si la substance vivante du cosmos dans sa totalité ultime n'est constituée que du feu, que de l'embrasement amou­reux se retournant indéfiniment sur lui-même et surcentré, polarisé sur la relation nuptiale abyssale régnant à l'in­té­rieur de l'espace propre, de l'espace unitaire du Couple Di­vin, l'accélération intensificatrice, superactivante d'une cer­taine expérience amoureuse de limite, portée à ses états paroxystiques tout derniers, fait  —peut faire— qu'une identification à la fois symbolique en même temps qu'on­tologique avec le Couple Divin apparaisse —à la limite— possible, qui dépersonnalise, éveille et livre les pouvoirs su­pra­humains de celui-ci aux amants tantriquement en­ga­gés corps et âmes dans les voies dévastatrices de l'In­cen­dium Amoris.

 

Or ce sont précisément les traces encore brûlantes d'une ex­périence de pénétration clandestine du mystère de l'In­cen­dium Amoris que La Miséricordieuse Couronne du Tan­tra est appelé à livrer, à travers son témoignage chif­fré. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: La Miséricordieuse Cou­ronne du Tantra, mon premier livre, portait déjà en lui, comme une annonciation chiffrée, les germes surac­ti­vés de ce qui, par la suite, allait devenir l'ensemble de mon œuvre et, dans ce sens-là, était un livre essentiellement prophétique  —ou auto-prophétique— tout comme l'avait été, pour l'ensemble de l'œuvre de Raymond Abellio, son premier essai, Pour un nouveau prophétisme. Il y avait eu comme cela des mystérieuses structures d'accointance entre l'œuvre de Raymond Abellio et la mienne, dont les si­gnifications ultimes resteraient encore éventuellement à élucider.

 

Parlez-nous donc de votre ami Raymond Abel­lio, sur qui vous avez écrit une biographie, intitulée Le soleil rouge de Raymond Abel­lio…

 

Dans Le soleil rouge de Raymond Abellio, j'avais essayé de rassembler les conclusions essentielles d'une approche en raccourci de l'ensemble de son œuvre et de sa propre vie, car l'œuvre de Raymond Abellio et sa vie ne font qu'un: il avait voulu vivre sa vie comme une œuvre, et son œuvre comme sa vraie vie.

 

En prise directe sur la "grande histoire" en marche

 

Cependant, au contraire d'un Julius Evola, d'un Miguel Ser­rano, Raymond Abellio avait eu à subir, lui, de plein fouet la catastrophe de la destitution politico-historique de l'Europe vouée, en 1945, ainsi que le Général de Gaulle l'avait alors compris sur le moment même, à la double do­mination antagoniste des Etats-Unis et de l'URSS. Desti­tu­tion dont, consciemment ou inconsciemment, Raymond Abellio avait porté en lui, jusqu'à la fin de sa vie, l'in­gué­rissable brûlure dévorante, la stupéfaction secrète, irrémé­diable. Et cela d'autant plus qu'il avait eu à connaître, pen­dant les années mêmes de la guerre l'expérience exaltante de l'action politico-révolutionnaire en prise directe sur la "grande histoire" en marche.

 

En effet, en tant que secrétaire général du "Mouvement Social Révolutionnaire" (MSR), Raymond Abellio se trouvait personnellement à l'origine de la première tentative de mi­se en chantier —en pleine guerre— du grand projet con­ti­nental européen de l'axe politico-stratégique Paris-Berlin-Moscou, qui, à l'heure actuelle, plus de cinquante ans a­près, redevient de la plus extrême actualité en tant que pre­mière étape du prochain avènement de l'"Empire Eura­siatique de la Fin" dont on sait que, suivant le "grand dessein" européen en cours, il va devoir procéder à l'inté­gra­tion finale de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, de la Russie et de la Grande Sibérie, du Tibet, de l'Inde et du Japon. Une même histoire profonde, un même destin supratem­porel, une même civilisation et un même ethos nordique, un même sang et un même souffle de vie originelle, an­té­rieure, archaïque en train de revenir à son centre polaire de départ.

 

Lui-même détaché, après 1945, de la marche de l'histoire mondiale, l'œuvre philosophique et littéraire de Raymond Abellio tend précisément au dépassement de l'histoire en cours, qu'elle transcende par une prise de conscience supé­rieure de soi-même, extatique, la "conscience de la cons­cience" dira-t-il. Prise de conscience libératrice et qui, de par cela même, livrera en retour les clefs opératives d'une puissance absolue exercée sur la marche de l'histoire, la puissance opérative de la "conscience occidentale de la fin parvenue à l'occident de la conscience" devenant ainsi l'ar­me métastratégique suprême, l'arme de la "domination fi­na­le du monde". Ainsi l'"homme nouveau" de la révolution européenne grand-continentale, de la nouvelle Totale Welt­­revolution actuellement en cours d'affirmation clan­destine, sera-t-il l'homme du "soi libéré", instruit par Ray­mond Abellio, car c'est l'homme libéré de l'histoire qui fera l'"histoire d'après la fin de l'histoire". La conscience ainsi exhaussée au-dessus d'elle-même, dédoublée, parviendra donc à intervenir directement dans l'histoire.

 

Ainsi, de toutes les façons, Raymond Abellio sera-t-il donc présent au rendez-vous, sur la "ligne de passage" du grand cycle finissant et du grand cycle du renouveau.

 

Je voudrais que vous nous parliez de votre ro­man, L'étoile de l'Empire invisible, et du com­bat apocalyptique qui a lieu entre les forces du "Verseau" et celles de l'"Atlantis Mag­na"…

 

Je peux dire qu'à la parution de mon roman L'étoile de l'Empire Invisible, j'avais eu beaucoup de chance. Norma­lement, j'aurais dû avoir les pires ennuis, je pense même que j'avais bien risqué d'y laisser ma peau, et déjà à ce mo­ment-là je le sentais. Etais-je confidentiellement protégé, je n'en sais toujours rien. Mais il faudrait le croire. En ef­fet, ce qui dans L'étoile de l'Empire Invisible se dissi­mu­lait sous la double dénomination chiffrée de la conspiration du "Verseau" et de la contre-conspiration de l'"Atlantis Mag­na" n'était en réalité que la confrontatio, faisant s'opposer alors, au plus haut niveau suprahistorique, pour la domi­na­tion finale de la plus Grande Europe et des espaces d'in­fluen­ce de celle-ci, la conspiration mondialiste de la "Su­per­puissance Planétaire des Etats-Unis" et la contre-conspi­ration du Pôle Carolingien franco-allemand s'appuyant se­crètement sur l'URSS. Les fort dangereuses révélations, à pei­ne codées, qui s'y trouvaient faites à ce sujet dans L'é­toile de l'Empire Invisible eussent largement pu justifier le coup en retour de représailles extrêmes contre l'auteur de ce roman, révélations dont celui-ci portait l'entière res­ponsabilité.

 

Seul un petit nombre connaissait le dernier mot

 

J'avais estimé, quant à moi, qu'à travers un roman de l'im­portance de L'étoile de l'Empire Invisible, une prise de cons­cience en profondeur devait marquer, pour les plus avan­cés des nôtres, le tournant historique  ­—et suprahisto­rique— suprêmement décisif de la conjoncture du moment, où la confrontation de deux mondes irréductiblement anta­go­nistes s'apprêtait à trouver sa conclusion, qui s'avérera com­me totalement imprévue. Car c'est bien ce qui en vint alors à se faire, avec l'auto-dissolution politique de l'URSS, événement infiniment mystérieux, où des puissances abys­sales étaient occultement intervenues dans le jeu, d'une ma­nière tout à fait providentielle, et dont seul un petit nom­bre connaissait le dernier mot.

 

Aussi l'ossature fondationnelle de L'étoile de l'Empire In­visible  —la dialectique de sa démarche intérieure— cor­res­pond-elle entièrement à la réalité effective des situations qui s'y trouvent décrites, à la réalité des personnages en ac­tion, des tensions, des conflits et des passions, des se­crets à l'œuvre et des dessous conspirationnels et amou­reux, de la réalité précise des lieux et jusqu'à l'identité mê­me  —jusqu'aux noms propres, parfois—  de certains person­na­ges que j'ai tenu à utiliser sans ne rien y changer. Une mince part de fiction y fera fonction de liant, ou servira à des dissimulations nécessaires. Cette exhibition de la réa­lité des choses dans le corps littéraire d'un roman re­pré­sentera, au moment de la parution de ce livre, un pari des plus risqués, une assez dangereuse option de provo­cation à froid, dont on ne comprenait pas la raison. Mais tren­te ans sont passés depuis que ces événements étaient censés avoir eu lieu: bien de choses se sont effacées de­puis, les tensions à ce moment-là paroxystiques ne signi­fient à présent plus rien, ou presque plus rien. Le temps a totalement dévore la chair vivante des choses, desséché les souffles.

 

Imposer à la réalité un statut de rêve

 

Aujourd'hui, la réalité de toutes ces choses là a fini par devenir une fiction, tout comme, au moment de la parution de ce livre, c'est la fiction qui était en train de devenir réalité. Or c'est précisément ce double échange entre réa­lité et fiction, entre fiction et réalité que j'avais voulu or­ga­niser: m'introduire moi-même dans la réalité à travers le ro­man. Ayant imposé à la réalité un statut de rêve, j'avais fait que le rêve lui-même devienne réalité.

 

Et je viens ainsi de répondre à votre sixième question:

«Serait-il correct de dire que ce roman con­tient un élément de réalité?»   Votre septième question est la suivante:

Pensez-vous que ce livre puisse être comparé à d'autres romans conspirationnels comme celui de Robert Shea et de Robert Anton Wil­son, Illuminatus Trilogy, ou celui d'Umberto Eco, Le pendule de Foucault?

 

Non, je suis infiniment désolé, mais je ne connais pas le li­vre de Robert Shea et Robert Anton Wilson, Illuminatus Trilogy.

 

Quant à Umberto Eco, je le tiens, tout comme son compère Paulo Coelho, pour des faiseurs subalternes, dont les litté­ratures ne concernent que les minables petites convulsions pseudo-initiatiques du New Age: leurs tirages pharamineux ne font que dénoncer le degré de dégénérescence mentale qui est aujourd'hui celui des masses occidentales hébétées, menées, à demi-consentantes aux abattoirs clandestins de l'histoire dont on nous impose les dominations, et qui n'est pas notre histoire.

 

Quelles sont les visions que vous développez sur a) le marxisme et b) le fascisme?

 

L'humanité est divisée, d'après ce que je crois savoir sui­vant des sources certaines archaïques, légitimes, secrètes, en deux grandes parties: celle d'origine "animale" qui "des­cend des grands singes", correspondant plus ou moins aux doctrines soutenues par l'évolutionnisme darwinien, et la par­tie d'origine "divine", en provenance du "foyer ardent de l'Incendium Amoris", de la "planète Venus", constituée d'hom­mes éveillés, destinés à rejoindre, "à la fin de ces temps", la patrie de leurs origines sidérales, "métagalacti­ques".

 

Happée vers le bas, vers les régions ontologiques du non-être, par le matérialisme révolutionnaire marxiste, la part "animale", "bestiale", de l'humanité avait sombré dans le dé­lire sanglant de la "révolution mondiale du communisme" animée par l'URSS et exacerbée par le marxisme-léninisme et par le stalinisme. Alors que la partie "divine", "métaga­lactique" de l'humanité s'est trouvée spirituellement ex­haus­sée par ce qui, dans la première moitié du XX° siècle, avait donné naissance à la grande aventure révolutionnaire suprahistorique européenne connue sous la dénomination gé­nérique de "fascisme", qui, vers sa fin, avait subi des dé­viations aliénantes et que l'antihistoire des autres s'est char­gée d'anéantir.

 

Raymond Abellio fait dire à un de ses personnages de son ro­man Les yeux d'Ezéchiel sont ouverts: "Aujourd'hui je le sais. Aucun homme ayant un peu le goût de l'absolu ne peut plus s'accrocher à rien. La démocratie est un dévergondage sentimental, le fascisme un dévergondage passionnel, le com­munisme un dévergondage intellectuel. Aucun camp ne peut plus gagner. Il n'y a plus de victoire possible".

 

Il nous faudra donc qu'à partir de la ligne actuelle du néant, nous recommencions, à nouveau, tout, que nous re­mettions tout en branle par le miracle suprahistorique d'une nouvelle immaculée conception révolutionnaire. C'est la tâche secrète de nous autres.

 

Que pensez-vous de l'«eurasisme»? Est-ce une alternative viable et acceptable au "Nou­vel Ordre Mondial”?

 

La vision de l'unité géopolitique et de destin grand-con­ti­nental eurasiatique représente le stade décisif, fonda­men­tal, de la conscience historique impériale et révolution­nai­re des nôtres, l'accomplissement final de l'histoire et de la ci­vilisation européennes dans leur marche ininterrompue vers l'intégration de ses nations constitutives au sein de no­tre prochain "Empire Eurasiatique de la Fin".

 

Les actuelles doctrines impériales de l'intégration euro­péen­ne grand-continentale de la fin trouvent leurs origines à la fois dans la géopolitique combattante de Karl Hausho­fer, dont le concept de Kontinentalblock reste tout à fait pertinent, et dans les continuations présentes de celle-ci à travers les doctrines confidentielles du "grand gaullisme", ainsi qu'à travers les positions révolutionnaires de certains jeunes penseurs russes de la nouvelle génération poutinien­ne, dont le plus représentatif me paraît être très certai­ne­ment Alexandre Douguine.

 

Un grand dessein final qui nous mobilise totalement

 

 

C'est sur le concept géopolitique, sur la vision suprahisto­rique fondamentale de l'"Empire Eurasiatique de la Fin" que va donc devoir se constituer le grand mouvement révolu­tion­naire européen continental appelé à livrer les dernières batailles décisives du camp retranché de l'être contre l'en­cer­clement subversif de la conspiration mondialiste actuel­le du non-être. Et ce sera aussi la tâche révolutionnaire pro­pre de notre génération prédestinée que de pouvoir me­ner à son terme prévu ce "grand dessein final" qui nous ha­bite secrètement, qui nous mobilise, à nouveau, tota­le­ment. Comme avant.

 

Finalement, comme quelqu'un qui a vécu une longue vie féconde, quel conseil pourriez-vous offrir aux générations qui montent, aux jeu­nes gens qui viennent, pour qu'ils rejet­tent les pièges du libéralisme et de la société de masse?

 

Le conseil que vous voudriez que je puisse donner aux jeunes générations qui montent, ce serait alors le suivant: si au tréfonds de votre sang, vous sentez l'appel irrésistible des hauteurs enneigées de l'être, l'appel des "chemins galactiques de la Frontière Nord", n'hésitez pas un seul in­stant à y répondre, et que toute votre vie ne soit qu'un long engagement éveillé envers vos propres origines occultes, en­vers la part qui en vous n'est pas de ce monde.

 

Quant aux engagements politiques présents ou immé­diate­ment à venir qui se doivent d'être nôtres, tout, à mon avis, doit se trouver désormais polarisé, mobilisé incondition­nel­lement sur le concept géopolitique et suprahistorique révo­lu­tionnaire de l'unité impériale européenne grand-con­tinen­tale, concept révolutionnaire auquel l'émergence à terme d'une nouvelle superpuissance planétaire russe, la "Russie Nou­velle" de Vladimir Poutine  —car les profondes ou­ver­tures spirituelles, ainsi que les positions européennes grand-continentales de Vladimir Poutine sont à présent con­nues— vient d'assurer une base politique absolument dé­cisive, notre "dernière chance".

 

Pour la civilisation européenne, pour l'être et la conscience européennes du monde, la formidable montée en puissance actuelle de la conspiration mondialiste menée par la "su­perpuissance Planétaire des Etats-Unis" constitue, et dé­sor­mais à très brève échéance, un vrai danger de mort, une me­nace terrifiante, inqualifiable. Les groupements géopoli­tiques national-révolutionnaires agissant partout dans le mon­de, à demi clandestinement, doivent donc intensifier au maximum leur travail idéologique et d'unité, leur travail de terrain: c'est exclusivement sur l'action souterraine des nôtres que reposent les dernières chances de survie qui nous restent face au gigantesque bloc mondialiste que tient par en dessous l'ennemi ontologique de tout ce que nous sommes nous autres, les "derniers combattants de l'être" fa­ce à l'assaut final des puissances négatives du non-être et du chaos, face à l'Empire du Néant, face au mystérieux Im­perium Iniquitatis qui s'annonce à l'horizon assombri de no­tre plus proche avenir. L'heure de l'Imperium Iniquitatis sem­ble en effet être venue.

 

Le régisseur dans l'ombre du grand dessein en action de la subversion mondialiste actuellement en marche, se trouve à présent sur le point d'achever la mise en place de son dispositif planétaire d'ensemble: les mâchoires d'acier de l'inéluctable se referment sur nous, si nous n'agissons pas tout de suite, bientôt il n'y aura plus rien à faire. Les der­nières élections aux Etats-Unis en fournissent la preuve, tout est prêt pour que la trappe se referme. Nous autres, qui depuis toujours jouons la parti de l'invisible, nous n'at­ten­dons plus notre salut que de l'invisible. Attention.

 

Jean PARVULESCO, Paris, le 19 novembre 2000, in nomine Domini.

mardi, 17 juin 2008

Dostoïevski et la problématique Est-Ouest

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DOSTOÏEVSKI ET LA PROBLÉMATIQUE EST-OUEST

Source :

Walter Schubart (1897-1941), extrait de Europa und die Seele des Ostens (1938), in revue Vouloir n°129/131, janv. 1996. Tr. fr. : L'Europe et l'âme de l'Orient, tr. D. Moyrand et N. Nicolsky, Albin Michel, 1949. [N.B. : il existe également une traduction italienne de ce livre : L'Europa e l'anima dell'oriente (tr. Guido Gentilli, Ed. di Comunità, Milano, 1947. Recension : Rivista di filosofia, n°2/1948, p. 200-201) ; une espagnole : Europa y el alma de oriente (Edic. Studium de Cultura, Madrid, 1946) ; une anglaise : Russia and Western Man (tr. A. von Zeppelin, F. Ungar Publishing Co., NY, 1950). On pourra aussi se reporter pour une étude sur cet auteur à : A. Vitale, Il destino dell'Europa e la rinascita della Russia. Note su Walter Schubart, in Futuro Presente n°7 (1995), p. 81-90].

Dostoïevski est l'écrivain de la maladie de l'âme russe, qui était encore rampante en son temps et qui a attendu le bolchevisme pour éclater au grand jour. Dostoïevski n'est plus campé sur un sol ferme, comme l'étaient les slavophiles. La sérénité plaisante, jouissant d'immenses espaces, de l'ancienne vie russe lui est étrangère. Il ne vit et ne décrit pas la Russie moscovite, comme Griboïedov ou Ostrovski - même s'il est originaire de Moscou - mais l'époque de Saint-Pétersbourg dans l'histoire russe, au moment où deux approches sentimentales du monde entrent en collision sur le sol russe, au moment où l'Asie et l'Europe se rencontrent dans le cœur de l'homme russe. Ses héros sont des représentants de l'intelligentsia pétrinienne, dont les âmes déchirées sont le théâtre où s'affrontent et s’entre-déchirent dans une lutte mortelle le vieil esprit oriental et le nouvel esprit occidental. De là, l'énergie débridée et dramatique de ses romans qui, dans leur construction, leur structure et leur dynamique sont en fait des tragédies. On ne discerne rien en eux de l’ampleur épique, et on n'a nullement l'impression de pénétrer dans l'immédiateté d'un monde bien clos.

Une profonde césure le sépare des autres écrivains russes, qui ont vécu avant lui ou qui sont ses contemporains : Pouchkine, Tourgueniev, Tolstoï, Gontcharov. Jamais Dostoïevski n'aurait pu créer un Oblomov. Ensuite, il est très éloigné de cette "littérature des propriétaires terriens" qui s'enracine profondément dans le sol de la Russie et dans l'essence de la russéité et qui fait ressortir ses personnages exceptionnels et captivants d'un arrière-plan qui est cette vie harmonieuse, sans discontinuité apparente, propre des familles nobles russes (Dostoïevski appartient pourtant à la noblesse héréditaire, tout comme Tolstoï). Dostoïevski n'avait pas un regard pour le monde de la tradition. Il sentait et annonçait une future révolution de l'esprit, dont ses contemporains ne devinaient rien. Il voyait le combat planétaire entre l'esprit prométhéen et l'esprit oriental.

CAESAR ET IMPERIUM

Les 2 idées les plus pourries et les plus pervertissantes que l'Europe prométhéenne avait suscitées étaient l'idéal de la "forte personnalité" et l'idéal de l'État dominateur. Ce sont les 2 motifs latins du Caesar et de l'Imperium. Dostoïevski s'en prend au premier de ces motifs dans Crime et châtiment, au second, dans Les Démons [connu aussi sous le titre français Les Possédés]. La doctrine fallacieuse des "hommes forts", avec son corollaire, les droits spéciaux qu'ils s'arrogent - au nom d'un droit dynastique, ou comme le Prince de Machiavel ou le Surhomme nietzschéen, toutes figures qui dominent l'imagination des Européens de l'Ouest - est affrontée dans Crime et châtiment, roman qui va consacrer la célébrité de Dostoïevski jusqu'à la fin des temps.

Raskolnikov suit un mot d'ordre : tout est permis. Il s'enthousiasme pour l'humanité dominatrice et il veut se prouver à lui-même et au monde qu'il "n'est pas un misérable poux comme tous les autres". Il tue une usurière, parce qu'il "veut être Napoléon". Mais la voie du crime ne le hisse pas pour autant sur les sommets de la divinisation de l'homme, mais dans la cellule isolée du pénitent contrit, où il acquiert "une nouvelle vision de la vie". Il doit reconnaître que l'homme n'est pas Dieu et, en posant ce constat en pleine crise de contrition, il reconnaît l'existence de Dieu. Il avait voulu prouver l'existence du Surhomme et finit par se prouver, à lui-même et par son propre acte criminel, l'existence de Dieu. "Même le fort est un misérable poux comme tous les autres". Le cri qui appelle le châtiment rédempteur est plus fort que les séductions de la vanité, la sacralité de la renaissance rend plus heureux que l'ivresse de la violence et du pouvoir. Le divin dompte l'homme sodomite qui est en lui.

PÉCHÉ D'ORGUEIL

Raskolnikov commet le péché originel de l’orgueil et de la morgue, de la volonté de puissance, qui induit l'homme à se séparer de ses frères et à se hisser au-dessus d'eux (le nom du héros est bien choisi, car Raskol signifie séparation, césure, brisure). C'est le délit prométhéen, le péché de l'Europe. Raskolnikov est le type du Russe qui est saisi par le poison occidental et qui s'en débarrasse et s'en nettoie par une chrétienté renouvelée. L'Europe est le Diable, la tentatrice des Russes. Crime et châtiment est un réquisitoire terrible, déstabilisant, contre les idéaux de domination de l'Ouest, comme personne auparavant n'avait osé en prononcer ou en écrire. La question : César ou Christ ? Telle est la thématique du roman. La meute des tièdes ne sait rien, ni de l'un ni de l'autre.

Car les tièdes ne veulent être que bourgeois, et le bourgeois est l'homme qui est également incapable de commettre un acte délictueux ou de réaliser une action sublime, également incapable d'être criminel ou d'être victime innocente. Mais toutes les grandes et fortes natures luttent pendant toute leur existence pour répondre à cette seule question : César ou Christ ? La réponse de Dostoïevski, la future réponse de l'Est c'est : le Christ, rien que le Christ, et non pas César ! Il faut sortir de cette fierté isolée, il faut se débarrasser de cette folie à toujours vouloir être "autonome", il faut accepter l'humilité, le don de soi, le rôle de la victime !

Raskolnikov est un pécheur qui trouve la grâce, qui retrouve le chemin vers "l’idéal de la Madonne". Mais cette voie qui va du crime à la renaissance en passant par le repentir n'est qu'une voie possible, parmi d'autres. L'autre conduit du crime à l'auto-destruction en passant par une fierté qui refuse de plier, de se briser. C'est la voie qu'emprunte Svidrigaïlov. Il est une sorte d'alter ego de Raskolnikov, mais il reste un vulgaire criminel, incapable de repentir, qui persiste dans sa fierté et son défi. En lui, Raskolnikov perçoit le mal, le mal qui est aussi en lui mais qu'il va extirper. C'est entre ces deux attitudes que l'homme doit choisir. Entre la voie de l'humilité et celle de l'auto-destruction, entre le repentir et le suicide. Le mal, qui ne peut accéder au repentir, se tue lui-même. C'est l'esprit de la destruction qui se retourne finalement contre ceux qui l'incarnent et le portent en eux. Voilà bien l'idée-force de Dostoïevski !

Stavrogine, Kirillov et Verkhovenski empruntent la même voie que Svidrigaïlov. Kirillov se suicide pour prouver au monde qu'il ne craint pas la mort. C'est la seule épreuve que le monde peut encore lui soumettre, car ce monde n'est plus lié à lui par aucun fil intérieur. "Celui qui ose se tuer est Dieu", pense-t-il. Ainsi, il pose une équation entre Dieu et l'esprit de destruction. C'est le destin de ceux qui poursuivent la chimère de l'Homme-Dieu. Ils se tuent ou on les tue. César aussi fut tué, et cette mort est définitive ; il n'y a pas de résurrection hors du tombeau. Dostoïevski perçoit le fondement même de l'idéal de la "forte personnalité" et reconnaît que celle-ci sacrifie l'amour vivant. Culte des héros ou idéal de fraternité, paganité égoïste ou renaissance dans le Christ, l'Europe ou la Russie : c'est ainsi que Dostoïevski pose la question du destin.

SE REPENTIR OU SE SUICIDER

Dans son personnage de Raskolnikov, Dostoïevski a créé la tragédie personnelle de celui qui rompt avec Dieu, dans Les Démons, il décrit la tragédie sociale que provoque cette rupture. Au bout du chemin vers le Surhomme, nous trouvons le repenti ou le suicidé. Tel est le sens de Crime et châtiment. Au bout du chemin vers le socialisme athée, nous trouverons la dissolution de la société ou le retour au christianisme : tel est le sens des Démons. Dans le premier de ces romans, Dostoïevski lutte contre la figure de l'homme dominateur, dans le second, contre l'idéal de l'État dominateur. Dans le premier de ces livres, il réfute Nietzsche, dans le second, il réfute Marx. Il ne connaissait pourtant l’œuvre ni de l'un ni de l'autre, mais il les connaissait au fond implicitement tous 2 comme des possibles de l'âme, comme des types spirituels.

Et, ce qui est le plus extraordinaire, Dostoïevski a vu le rapport intérieur qui unissait ces 2 types. Il était nettement meilleur visionnaire que l'homme contemporain, dont le regard est troublé, ne se pose que sur les phénomènes superficiels, devine ou voit des contradictions, là où il y a en fait des parentés. Comme Nietzsche, Marx cherche - et chez lui, c'est sans nul doute un héritage de la foi judaïque - ce qui doit remplacer Dieu et faire advenir le Ciel sur la Terre. Marx aussi fait de l'homme d’aujourd’hui un simple moyen pour forger l’homme de demain. Seul l'homme du futur, qui doit être créé par recours à la violence, justifie l'homme actuel, livré au hasard, à lui-même, l'homme qui n'a pas été voulu par l'homme, qui précédé la figure de demain. Mais Marx envisage une autre anthropologie que celle de Nietzsche : il mise sur un être social en devenir et non pas sur des individualités accomplies et isolées. C'est donc une prédisposition différente qui conduit chez lui à ce besoin d'absolu, qu'il possède en lui, tout comme Nietzsche, et qui le mène sur une autre voie.

CONTRE NIETZSCHE ET CONTRE MARX

Mais tous 2 font perdre à l'homme sa liberté, sa valeur propre, sa signification absolue. Tous 2 veulent remplacer le divin par l'exercice d'une coercition, dans la mesure où il veulent fabriquer un nouveau divin. La doctrine du surhomme veut un dieu tellurique, le socialisme un ciel terrestre autant de religions apparentes qui s'oppose au christianisme, qui trahissent l'idée de fraternité et la remplace par un idéal de violence. Les points de départ de ces confessions sans dieu sont différents, mais leur point d'aboutissement est le même. Marx vise l'État idéal où tous seront égaux et pareils, Nietzsche vise le despotisme du surhomme. Mais il n'y a pas d'égalité sans un desposte qui puisse la garantir, et il n'existe pas de despotisme qui ne conduise pas à l'égalité des opprimés. Le surhomme et l'homme-masse croissent sur le même terreau. La doctrine du surhomme et le socialisme, c'est finalement la même chose, mais vue sous des angles différents Nietzsche et Marx sont tous 2 - et à égalité - les précurseurs intellectuels de la dictature, de la décadence de l'éthique et du déclin de la liberté. Entre eux existe cette parenté qui unit aussi Raskolnikov et les héros des démons. Dans le vécu intérieur de Dostoïevski, tous 2 retournent à l'unité de leur origine.

Dostoïevski a vu qu'avec le socialisme et la doctrine du surhomme, les grands mouvements d'opposition à la religion émergeaient, qu'ils se reconnaissaient dans une pure immanence, qu'ils tentaient d'étancher une terrible soif de métaphysique en nous abreuvant de valeurs éphémères. Car ce sont les doctrines et les courants de pensée d'un âge intermédiaire. Par elles, cet esprit rationnel, froid, tellurique, propre de l'Occident, vient à couler dans cette ardente propension de l'Orient à la foi : mélange fatal. Une fois de plus, c'est l’Europe qui est la tentatrice, le diable pour les Russes. Comme dans Crime et châtiment, où c'est l'individu qui est saisi par l'esprit de l'Occident, dans Les Démons, c'est la société russe toute entière qui en est victime. Nous avons donc d'une part le conflit de la russéité avec l'idée occidentale au niveau de l'individu, et d'autre part, au niveau de la société.

Les deux romans suggèrent une même résolution de cette tension : la victoire de l'esprit russe-chrétien sur l'esprit prométhéen-européen. "C'est par l'Orient que la Terre retrouvera son rayonnement" (cette vision de la victoire finale du Christ a été reprise 2 générations plus tard par Alexandre Blok dans son poème révolutionnaire Les Douze). Dostoïevski lui-même s'était laissé prendre aux mirages de l'Occident et avait payé cet engouement d’un long bannissement en Sibérie. Plus tard il s'est repenti et a reconnu la perversité fondamentale de ces doctrines occidentales ; c'est ainsi qu'il a pu les dépasser. La russéité dans son entièreté souffre du même destin dans Les Démons. Tandis que les représentants criminels de l'esprit occidental - le mal qui jamais ne se repentit - connaissent une fin cruelle, le peuple, resté russe, est sauvé par sa foi et retourne, plein de repentir, vers le message de Jésus.

Dans Les Démons, Dostoïevski maudit, comme plus tard dans la légende du Grand Inquisiteur, l'unification des hommes par coercition, la "fourmilière mise au diapason", le "palais de cristal", la tentative aussi folle que présomptueuse, de réaliser le bonheur terrestre par la violence, la coercition, et sans faire appel à la grâce divine. "C'est de la folie de vouloir forger une ère et une humanité nouvelles en coupant 100 millions de têtes". Il décèle l'élément césarien dans le socialisme révolutionnaire, chez cette intelligentsia russe qui semble tant aimer la liberté. "Le socialisme français" - le seul que connaissait Dostoïevski - "est la poursuite fidèle et conséquente d'une idée qui nous vient de la Rome antique et qui s'est maintenue dans le catholicisme" (cf. Journal d'un écrivain). Les Romains et les Russes sont des ennemis éternels !

Dostoïevski voit dans le socialisme une forme particulière de la révolte contre Dieu. C'est pourquoi, lui, l'ancien forçat de Sibérie, ne se met pas du côté des révolutionnaires. Son refus de la révolution n'est pas d'essence bourgeoise, elle est d'essence chrétienne. Il est un adversaire de la révolution parce qu'il aime la liberté et Dieu. Il croit et il décrit sa foi dans Les Démons : après la révolution désacralisante, adviendra une révolution porteuse de sacré qui répandra une nouvelle fois dans le monde l'esprit de l'Est. C'est ce message que nous transmet Dostoïevski par la bouche de son personnage Chatov : "Je crois que le retour du Christ aura lieu en Russie". Il prévoyait que la Russie, après la folie des démons, accéderait à une nouvelle forme de socialisme qui lui conviendrait. Qu'entendait-il par là ?

La dernière notice de son Journal nous l'apprend : "La foi du peuple en l'Église tel est le socialisme russe" : en l'Église intériorisée, qui n'a nul besoin de dépasser les différences sociales extérieures, parce qu'elle mesure l'homme selon les critères de "l’Empire intérieur", parce qu'elle nous place tous à égalité devant Dieu, en l'Église comme fraternité spirituelle, comme communauté des "re-nés" dans sa plus grande extension : la fraternisation mondiale dans le Christ : voilà la forme sociale par excellence de la russéité et rien d’autre, voilà l'expression sociale de ce sentiment de totalité, de cette pan-humanité d'esprit oriental qui est destinée à lutter jusqu'à la mort contre les idées occidentales du césarisme et de l'impérialisme. L'écrivain classique qui a exprimé et illustré cette lutte, c'est Dostoïevski.

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lundi, 16 juin 2008

Corridor 5 : nouvelle voie de l'économie

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Europe : le "Corridor 5", nouvelle voie de l'économie

 

Ce que l'on appelle le "Corridor 5" est le tracé qui u­nit les rives de l'Atlantique aux terres russes. De­puis quelques temps, tous les politiciens en par­lent. Il est dans le collimateur depuis les étranges in­cidents survenus dans les tunnels alpins (qui l'ont bloqué). Cependant, les journaux du régime, vé­hicules de la "pensée unique", répandent sur cet­te question géopolitique cruciale un rideau de fu­mée, qui nous empêche de juger sereinement de la situation. Archimède Bontempi a interrogé à ce sujet Federica Seganti, conseillère régionale de la Lega Nord dans la province italienne de Frioul/ Vénétie Julienne et experte en questions de trans­port.

[ndlr: Cet entretien, déjà ancien, démontre que des forces omniprésentes cherchent délibérément à saboter la flui­dité des transports entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est et à reconstituer un "Rideau de Fer" invisible. Les évé­ne­ments des Balkans ont été une tentative américaine de brouiller la fluidité des transports dans la péninsule sud-orientale. La diabolisation de l'Autriche entre dans cette même stratégie. En sont victimes: des régions comme la Catalogne, qui ne peuvent aisément projeter leur dyna­mis­me au-delà de la barrière alpine, la PACA française, le Lan­guedoc-Roussillon, la façade aquitaine et la région lyon­naise. Les "accidents" survenus dans les tunnels ne se­raient pas un "hasard" selon de nombreuses voix autorisées. D'autant plus que la politique britannique, notamment lors du Congrès de Vienne en 1815, a toujours visé le blocage des communications à hauteur du flanc occidental des Al­pes, en créant un Etat-tampon entre la France et l'Autri­che, le Royaume de Piémont-Sardaigne, satellisé par Lon­dres. Aujourd'hui, il suffit de payer un chauffeur turc pour faire exploser un camion sous le tunnel du Mont Blanc… A méditer].

 

AB: Pourquoi cet intérêt subit et tardif que manifeste le gouvernement italien et la Commission européenne pour ce "Corridor 5"?

 

FS: Le Corridor numéro 5 tire toutes ses potentialités parce qu'il traverse un vaste bassin naturel, par où passe un trafic important; plus tard, ces potentialités se verront encore am­plifiées, parce que ce bassin s'élargira à d'autres flux sus­ceptibles d'être canalisés via d'autres parcours alter­na­tifs, dans des conditions améliorées, qu'offriront les diffé­rents pays. Si ces flux peuvent couler de manière optimale, ils favoriseront les échanges entre plusieurs pays d'Europe occidentale, dont le Nord de l'Espagne, le Midi de la France et une partie de la Suisse et de la Padanie, avec les PECO; ces flux pourront emprunter directement le "Corridor 5", ce qui nous donnera l'occasion d'éviter de détourner le trafic vers le Nord des Alpes, modus operandi qui augmente con­sidérablement les coûts de transport.

 

AB: Mais ce trafic ne s'articule que via la terre ferme…

 

FS: Non. A ces flux de trafic, ainsi créés, s'ajouteront les é­changes réciproques entre les PECO, tandis que leur com­mer­ce sera en mesure de se coupler à la nouvelle inter-mo­dalité terre/mer. Leur objectif est de gagner les ports de l'A­driatique. Les commerces centre-européens vont gagner con­sidérablement en importance, surtout en provenance et en direction des pays de l'Extrême-Orient; à partir du port de Trieste, via le Canal de Suez, ces commerces vont pou­voir atteindre le Pacifique. Le commerce avec les puis­sances du Moyen-Orient va également s'accroître, vu les dif­ficultés actuelles à transporter des masses de biens par voie terrestre à travers les Balkans. La réalisation concrète du Corridor 5 donne une dimension supplémentaire à l'hin­ter­land des ports adriatiques, surtout à Trieste et à Capo­distria, englobant le territoire de la République tchèque, de la Slovaquie, de l'Autriche et de la Bavière, désormais re­liés aux ports du Nord de l'Europe comme Rotterdam et Hambourg. Dans cette perspective, les pays et les régions traversés par ce Corridor, même s'ils se chamaillent pour des questions de finalités et de priorités, ont tous un inté­rêt commun à concrétiser le fonctionnement optimal de ce Corridor et de toutes les infrastructrures qui y sont liées.

 

AB: Jusqu'ici, pourtant, ni le gouvernement italien ni la Com­mission européenne n'ont accordé beaucoup d'im­por­tance à la réalisation de ce Corridor…

 

FS: Jusqu'à aujourd'hui, le gouvernement italien a nié l'im­portance (et même l'existence!) de la Padanie et de son sy­stème de transport spécifique dans le cadre de l'économie transeuropéenne. De fait, ce gouvernement a toujours ten­té d'imposer à l'Europe une voie Nord-Sud qui privilégie les ports de Gioia Tauro et de Tarente, ainsi que les trajets fer­roviaires de la péninsule italique, au détriment de l'axe Bar­celone/Lyon/Milan/Trieste/Budapest/Kiev. Comme son pro­jet stratégique était différent, le gouvernement italien ne s'est quasiment jamais manifesté sur la question du Cor­ri­dor 5. Tout l'atteste: de l'insuffisance des réseaux auto­rou­tiers à l'obsolescence des voies ferrées et des gares de mar­chandises. Cette situation est inacceptable; de plus, ce sont des investisseurs privés qui sont prêts à consentir les efforts financiers nécessaires, sans que l'Etat n'ait rien à dé­bourser. Malgré cela, le gouvernement boycotte et la bu­reaucratie romaine sème ses embûches.

 

AB: Que devrait alors faire un gouvernement qui aurait à cœur les intérêts du Nord de l'Italie et de l'Europe toute entière?

 

FS: Toute politique éclairée devrait privilégier les réseaux d'in­frastructures et viser l'élimination des étranglements géographiques en faisant construire de nouveaux tunnels et de nouveaux ponts; et surtout, il devrait éliminer les étran­glements d'ordres bureaucratique et technocratique qui strangulent les transports et étouffent ainsi les économies locales. Aujourd'hui, l'"inter-modalité" et l'"inter-opéra­tivi­té" sont plus nécessaires que jamais. Les transports par rou­te doivent être intégrés aux transports ferroviaires et ma­ritimes et, avec le flux actuels des télécommunications, les réseaux incomplets risquent bel et bien d'être exclus de toute dynamique performante et du marché. Dans les Alpes notamment, il y a trop peu de passages et de tunnels, com­me vient de le démontrer la crise grave qu'a provoqué l'in­terruption du trafic dans le Tunnel du Mont Blanc, rien que dans le Val d'Aoste, sans compter les dommages subis par l'économie piémontaise, lombarde et vénitienne. Cela nous amène à prendre ne considération le percement proposé d'un nouveau tunnel alpin qui relierait le Sud de l'Autriche, soit la Styrie et la Carinthie, et la Bavière, d'une part, au tracé du Corridor 5 qui traverse le Frioul et la Vénétie Ju­lienne, d'autre part. Ainsi, l'axe transeuropéen se verrait ren­forcé. Cette liaison est d'une grande importance straté­gique parce qu'il offre une alternative viable et utile au col du Brenner qui est désormais en voie de saturation.

 

AB: Donc, il n'y a pas seulement le gouvernement italien qui devrait s'intéresser à ce Corridor 5 mais aussi d'au­tres pays de l'UE et certains pays de l'Est…

 

FS: Le Corridor 5 a été compté parmi les réseaux priori­taires à réaliser lors de la "Seconde Conférence Pan­eu­ro­péen­ne des Transports", qui s'est tenue en Crète en 1994. Les Etats intéressés au tracé oriental de ce Corridor 5 ont ensuite signé à Trieste un mémorandum sur le développe­ment des réseaux de transports appelés à relier entre eux des Etats comme la Croatie, la Hongrie, l'Italie, la Slova­quie et l'Ukraine. L'accord prévoit de définir un tracé pri­mai­re, avec ses embranchements en direction de la Croatie et de la Slovaquie; ce tracé, à l'évidence, constitue une so­lution maximale et peut donc trouver de multiples solutions et donner lieu à divers projets mais qui, globalement, ne peut faire abstraction de sa fonction première: celle de re­lier stratégiquement l'Est et l'Ouest par le flanc sud des Al­pes.

 

AB: Ne croyez-vous pas que les gouvernements italiens successifs ont agi indépendamment des intérêts du Nord de la péninsule?

 

FS: Des ministres du gouvernement Prodi ont souscrit des accords internationaux avec la Slovaquie, prévoyant l'ex­ten­sion du tracé de départ du Corridor 5 par la construction d'un embranchement qui traversera les Alpes à hauteur de Tarvisio pour aller vers Vienne et Bratislava, afin de pou­voir pénétrer en Ukraine via le point de transit de "Cma na Tiz­su". C'est à la suite de demandes italiennes que le tracé actuel, devenu officiel, du Corridor 5 a été accepté par l'U­nion Européenne dans cette variante.

 

AB: Les transporteurs automobiles ne passent cependant pas par où le veulent les gouvernements; ils passent par où il est plus économique et rapide de voyager…

 

FS: De fait, il existe aujourd'hui un important trafic de trains et de camions qui opte pour un autre itinéraire, où les infrastructures sont meilleures: par l'Autriche, ce tracé per­met de pénétrer en Hongrie à Sopron, pour se diriger vers l'Ukraine via Debrecen et Budapest. La récente polé­mique que l'on a pu lire dans la presse locale de Vénétie et du Pays de Trieste ne sont que prétextes et dérivations, pures incongruités. La branche autrichienne du Corridor 5 existe depuis de nombreuses années par un choix du gou­vernement italien, sanctionné par la Commission Européen­ne. Haider n'a rien à voir dans tout cela! Le problème que posent la fonction et le rôle des ports du Nord de l'Adria­tique, surtout Trieste et Capodistria, face au Corridor 5 est un problème qu'il faut examiner attentivement, le plus vite possible, car si cette infrastructure n'est pas rapide, courte et économique dans son tracé et sur le plan tarifaire, les sociétés de transport ne l'utiliseront pas et préfèreront des voies plus rapides et plus économiques, au vif plaisir de ceux qui proposent des tracés "hauts" et "bas".

 

AB: Les journaux ne cessent de diaboliser l'Autriche, exac­tement comme au temps de la Grande Guerre, ou­bliant de la sorte les lourdes responsabilités du gou­ver­nement italien…

 

FS: L'Autriche est entièrement impliquée dans la problé­ma­tique du Corridor 5 et il est temps qu'elle revienne s'in­staller autour des tables de travail, pour qu'elle puisse tenir compte des activités qu'ont déployées jusqu'ici les pays qui l'entourent et pour prendre acte des accords signés. Mais le même reproche peut être adressé à l'Etat italien qui, il n'y a pas si longtemps, par l'intermédiaire de ses gouver­ne­ments, a fait des déclarations inopportunes et sans objet, prou­vant qu'ils se désintéressaient totalement du dévelop­pe­ment de nos régions septentrionales; en effet, les choix qui ont été fait ne correspondent pas aux intérêts de la ré­gion de Frioul & Vénétie Julienne et, pire, peuvent consti­tuer un grave danger pour la croissance économique du ter­ritoire.

 

AB: Quelles sont les intentions, aujourd'hui et dans le futur proche, du groupe régional de la Lega Nord?

 

FS: Nous sommes décidés à empêcher, par tous les moyens à notre disposition, les décisions prises par le gouver­ne­ment italien, qui n'auraient pas été au préalable agrées par la Région de Frioul & Vénétie Julienne, en totale confor­mi­té avec l'article 47 du Statut d'Autonomie, lequel est une loi constitutionnelle, que l'Etat italien ne respecte géné­ralement pas.

 

(propos parus dans La Padania, 23 juillet 2000 - http://www.lapadania.com ).

 

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dimanche, 15 juin 2008

Le gaullisme de Dominique de Roux

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Le gaullisme de Dominique de Roux

 

«La réalité historique est que le temps travaille pour un autre homme, l'homme dune seule idée, celui qui se fout que la zone libre soit occupée ou non. Il n'aime pas les Français, il les trouve moyens, il n'aime que la France dont il a une certaine idée, une idée terminale qui ne s'embarrasse pas des péripéties.»

Pascal Jardin, La guerre à neuf ans.

 

Dominique de Roux s'était fait une certaine idée de de Gaulle comme de Gaulle (première phrase de ses Mé­moi­res) s'était toujours fait une certaine idée de la France. On était en 1967, la subversion ne s'affichait pas encore au grand jour, mais déjà l'on sentait sourdre la révolte sou­terraine, la faille entre les générations aller s'élar­gis­sant. L'Occident à deux têtes (libéral-capitaliste  à l'Ouest,  marxiste-léniniste à l'Est) paissait paisiblement, inconscient d'être bientôt débordé sur sa gauche par ses éléments bour­geois les plus nihilistes et, on ne s'en apercevra que plus tard, les plus réactionnaires. Dominique de Roux lui aussi cherchait l'alternative. La littérature jusqu'ici n'avait été qu'un appui-feu dans la lutte idéologique. Qu'à cela ne tienne, de Roux inventerait la littérature d'assaut, porteuse de sa propre justification révolutionnaire, la dé-poétisation du style en une mécanique dialectique offensive. Le sens plus que le plaisir des sens, la parole vivante plutôt que la lettre morte. De Roux, qui résumait crise du politique et cri­­se de la fiction en une seule et même crise de la poli­ti­que-fiction, avait lu en de Gaulle l'homme prédestiné par qui enfin le tragique allait resurgir sur le devant de la scè­ne historique après vingt ans d'éviction. Le cheminement de de Gaulle homme d'Etat tel qu'il était retracé dans ses Mémoires, n'indiquait-il pas «l'identification tragique de l'ac­tion rêvée et du rêve en action»? (1) .

 

Un message révolutionnaire qui fusionne et transcende Mao et Nehru, Tito et Nasser

 

En 67, de Roux publie L'écriture de Charles de Gaulle. L'es­sai, cent cinquante pages d'un texte difficile, lorgne osten­siblement vers le scénario. A rebours du mouvement géné­ral de lassitude qui s'esquisse, de l'extrême-droite à l'ex­trê­me-gauche de l'opinion, et qui aboutira dans quelques mois à la situation d'insurrection du pays qu'on connaît, Domi­ni­que de Roux veut croire en l'avenir planétaire du gaullisme. Ni Franco ni Salazar, ni l'équivalent d'un quelconque dicta­teur sud-américain, dont les régimes se caractérisent par leur repli quasi-autistique de la scène internationale et leur allégeance au géant américain, de Gaulle apporte au mon­de un message révolutionnaire qui, loin devant ceux de Mao, Nehru, Tito et Nasser, les fusionne et les transcende.

 

Révolutionnaire, de Gaulle l'est une première fois lorsqu'il ré­invente dans ses Mémoires le rapport entre les mots et la réa­lité historique. Sa tension dialectique intérieure, entre des­tinée gaullienne et vocation gaulliste, son être et sa cons­cience d'être, dédouble cette réalité par l'écriture, la mé­moire, la prophétie.

 

La volonté de puissance du génie prédestiné en butte aux vicissitudes historiques que sa prédestination exige et dont dépend la résolution tragique de l'Histoire, modifie sa rela­tion aux mots, libérant l'écriture du style, subordination ex­térieure au sens des mots, mécanique des choses dites qui l'en­ferme et contient sa charge explosive. Le discours n'est plus reproduction esthétisante, rétrécissement du champ de vision pour finir sclérose, mais expression et incarnation de la dialectique parole vivante et langage qui le porte.

 

«A une histoire vivante ne sied pas la lettre morte du style, mais les pouvoirs vivants de la réalité d'une écriture de la réalité agissante dans un but quelconque». Quand de Gaul­le parle, déjà il agit et fait agir l'Histoire. L'écriture devient ac­te politique. Ses mots charrient et ordonnent l'histoire en marche.

 

Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul

 

Qu'est-ce que le gaullisme dans ces conditions ? Réponse de Do­minique de Roux: «Le dialogue profond que de Gaulle pour­suit sans trêve avec l'histoire se nomme gaullisme, dès lors que d'autres veulent en faire leur propre destin.» Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul qui considère la France, non les Français, comme la finalité de son action. La rencontre de la France en tant qu'idée d'une nation métaphysique et transcendante, et de la parole vive de de Gaulle, intelligence de la grandeur d'âme chez Chateaubriand, de la vocation pour Malraux, doit déboucher sur l'idéal de la Pax Franca.

 

La dialectique gaulliste de l'histoire rejaillit sur la stratégie gaulliste de lutte contre tous les impérialismes, au nom de la prédestination intérieure qui fait de l'assomption de la France l'avènement de celle de l'Europe et au-delà de l'or­dre universel: la Pax Franca. «De Gaulle ne sert ni l'Eglise avec Bossuet, ni la Contre-Révolution avec Maurras, mais la monarchie universelle, cette monarchie temporelle, visible et invisible, qu'on appelle Empire. Dante exaltait dans son De Monarchia cette principauté unique s'étendant, avec le temps, avec les temps, sur toutes les personnes. Seul l'Em­pire universel une fois établi il y a la Paix universelle.»

 

Ainsi posée, la géopolitique gaulliste s'affirme pour ce qu'elle est, une géopolitique de la fin (l'Empire de la Fin énoncé par Moeller van den Bruck), dépassement de la géopolitique occidentale classique, de Haushofer, Mackin­der, contournement de la structure ternaire Europe-USA-URSS.

 

Pour être efficace, le projet gaulliste aura à cœur de trans­former la géopolitique terrienne en géopolitique transcen­dan­tale, «tâche politico-stratégique suprême de la France, plaque tournante, axe immobile et l'Empire du Milieu d'une unité géopolitique au-delà des frontières actuelles de notre déclin, unité dont les dimensions seraient à l'échelle de l'Occident total, dépassant et surpassant la division du mon­de blanc entre les Etats-Unis, l'Europe et l'Union sovié­tique.» Car la France est, selon le statut ontologique que de Gaulle lui fixe, accomplissement et mystère, l'incarna­tion vivante de la vérité, la vérité de l'histoire dans sa mar­che permanente.

 

La nouvelle révolution française menée par de Gaulle doit conduire à la révolution mondiale

 

Une révolution d'ordre spirituel autant que temporel ne se conçoit pas sans l'adhésion unilatérale du corps national. Toute révolution qui n'est que de classe ne peut concerner la totalité nationale. Toute révolution nationale doit penser à l'œcuménité sociale. La révolution, l'action révolutionnai­re totale enracinée dans une nation donnée, à l'intérieur d'une conjecture donnée, n'existe que si l'ensemble des struc­tures sociales de la nation s'implique. Là où le so­cia­lisme oublie le national, le nationalisme occulte le social sans lequel il n'y a pas de révolution nationale. De Gaulle annule cette dialectique par l'«idée capétienne», reprise à Michelet et Péguy, de nation vivante dans la société vivan­te. Le principe participatif doit accompagner le mouve­ment de libération des masses par la promotion historico-sociale du prolétariat. Ce faisant la révolution gaulliste, dans l'idée que s'en fait Dominique de Roux, supprime la théo­rie formulée par Spengler de guerre raciale destruc­trice de l'Occident. Car la nouvelle révolution française me­née par de Gaulle ne peut que conduire à la révolution mon­diale.

 

De Gaulle super-Mao

 

L'époque, estime Dominique de Roux, réclame un nouvel ap­pel du 18 juin, à résonance mondiale, anti-impérialiste, démocratique et internationaliste à destination de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine, dont la précédente déclaration de Brazzaville deviendrait, au regard de la postérité, l'annonce. Un tel acte placerait de Gaulle dans la position d'un super-Mao —ambition partagée pour lui par Malraux— seul en mesure d'ébranler la coalition nihiliste des impérialismes américano-soviétiques, matérialistes ab­solus sous leur apparence d'idéalisme. La grande mission pacificatrice historique de dimension universelle assignée à la France passe, en prévision d'une conflagration thermo­nuc­léaire mondiale alors imminente —la troisième guerre mon­diale—, par le lancement préventif d'une guerre révo­lutionnaire mondiale pour la Paix, vaste contre-stratégie visible et invisible, subversion pacifique qui neutraliserait ce risque par l'agitation révolutionnaire, la diplomatie sou­ter­raine, le chantage idéologique. L'objectif, d'envergure planétaire, réclame pour sa réalisation effective la mise en œuvre d'une vaste politique subversive de coalitions et de renversements d'alliances consistant à bloquer, dans une dou­ble logique de containment, la progression idéologico-territoriale des empires américain et soviétique sur les cinq continents.

 

Le plan d'ensemble du gaullisme géopolitique s'articule en cinq zones stratégiques plus une d'appui et de manœuvre, en place ou à créer:

-renforcement du bloc franco-allemand, selon la fidélité historique au devenir éternel de l'Europe;

-dégager le Sud-Est européen de l'empire soviétique, afin de stopper l'action de l'URSS sur son propre axe de clivage et l'obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;

-dégager le Sud-Est asiatique de l'empire américain, afin de stopper l'action des USA sur leur propre axe de clivage et les obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;

-faire jouer à l'Amérique latine le rôle de lien entre la conscience occidentale et le Tiers-Monde par l'action des for­ces révolutionnaires sur le terrain;

-empêcher que le Canada ne devienne une base impériale extérieure de rechange des USA;

-soutenir secrètement l'Inde contre la Chine pour des rai­sons d'ordre spirituel théurgique, la Chine représentant la matérialisation de l'esprit quand l'Inde incarne depuis tou­jours le primat du spirituel sur la matière.

 

La consolidation du front idéologique mondial lancé par le gaullisme requérant que soient attisés par ses agents le ma­ximum de foyers, il apparaît nécessaire dans un premier temps que partout où se trouvent les zones de con­fron­ta­tion idéologique et d'oppression des minorités, l'on sou­tien­ne la révolution au nom du troisième pôle gaulliste. Six zo­nes de friction retiennent l'attention de Dominique de Roux, en raison de leur idéal nationaliste-révolutionnaire con­forme aux aspirations gaullistes et pour leur situation géostratégique de déstabilisation des blocs (de Roux ne le sait pas encore, mais viendront bientôt s'ajouter à sa liste le Portugal et les possessions lusitaniennes d'Afrique: Ango­la, Guinée-Bissau, Mozambique):

«1) le combat pour la libération nationale et sociale de la Pa­lestine, clef de voûte de la paix au Moyen-Orient et de la présence pacifique de la France en Méditerranée.

2) la mise en marche immédiate de la Conférence Pan-eu­ro­péenne pour la Sécurité et la Coopération Continentale.

3) le combat pour la libération nationale et sociale de l'Ir­lande catholique.

4) la relance du soutien international aux combattants du Québec libre pour la sauvegarde de son être national pro­pre.

5) appui inconditionnel au Bangladesh.»

6) insistance sur la tâche prioritaire des enclaves de langue française comme relais de la subversion pacifique mondia­le.

 

Il conviendra donc d'intensifier les contacts avec toutes les forces révolutionnaires en présence sur le terrain. Ainsi seu­lement la vocation gaullienne accomplie rejoindra sa des­tinée, celle du libérateur contre les internationales exis­tantes —capitaliste et communiste, ouvertement impé­rialistes—, qui soutient et permet toutes les luttes de li­bération nationale et sociale, toutes les révolutions iden­titaires et économiques. «Aujourd'hui, la tâche révolution­naire d'avant-garde exige effectivement, la création de deux, trois quatre Vietnam gaullistes dans le monde.» (Ma­gazine Littéraire n°54, juillet 1971) Sa force contre les a priori idéologique, apporter une solution qui s'inspire de l'histoire, des traditions nationales de chaque pays, de sa spécificité sociale: socialisme arabe, troisième voie péru­vienne, participation gaulliste.

 

L'après-gaullisme représente l'échéance d'une ère

 

De Gaulle a mené un combat entre la vérité historique ulti­me et les circonstances historiques de cette vérité.

 

A l'époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber a cherché à per­suader les Français que le républicanisme gaullien était un régime à peine plus propre que la Grèce des colonels. Puis vint mai 68. «Aujourd'hui, ce même grand capital, qui pour mater les syndicats permit (...) Mussolini (...), qui inventa le nazisme pour la mobilisation maoïste des ouvriers alle­mands en vue de l'expansion économique, qui donna sa pe­tite chance à Franco l'homme des banques anglaises, nous invente morceaux par morceaux la carrière française de Jean-Jacques Servan-Schreiber et les destinées euro­péen­nes du schreibérisme.» La vérité fut que de Gaulle, na­tionaliste et révolutionnaire, annula dialectiquement et re­jeta dos à dos Hitler et Staline. L'après-gaullisme repré­sente l'échéance d'une ère. L'avenir de l'Occident ne pourra plus se définir que par rapport à l'action personnelle de de Gaulle. Si le gaullisme est le fondement de l'histoire nou­velle, l'après-gaullisme est la période à partir de laquelle se confronteront ceux qui poursuivent son rêve et ses oppo­sants, ceux qui refusent sa vision. Pas d'après-gaullisme donc, seulement le face à face gaullistes contre anti-gaul­listes. «Il n'y a de gaullisme qu'en de Gaulle, de Gaulle lui-mê­me devient l'idée dans l'histoire vivante ou même au-de­là de l'histoire.» Pour préserver l'authenticité de la geste gaul­liste, il faut conserver le vocabulaire de l'efficacité gaul­lienne. «Qu'importe alors la défaite formelle du gaul­lisme en France et dans le monde, écrit Dominique de Roux dans Ouverture de la chasse en juillet 1968, si, à sa fin, le gaullisme a fini par l'emporter au nom de sa propre vérité in­térieure, à la fois sur l'histoire dans sa marche dialectique et sur la réalité même de l'histoire ?»

 

Dominique de Roux victime de sa vision ?

 

Trente ans après, quel crédit accorder aux spéculations géo-poétiques du barde impérial de Roux ? Lui-même re­con­naissait interpréter la pensée gaullienne, en révéler le sens occulte. Des réserves d'usage, vite balayées par les mi­rages d'un esprit d'abord littéraire (littérature d'abord), sujet aux divagations les plus intempestives. Exemple, la France, «pôle transhistorique du milieu» «dont Charles de Gaulle ne parle jamais, mais que son action et son écriture sous-entendent toujours.»

 

Quand il parle de la centrale d'action internationale gaul­liste, qu'il évoque en préambule du premier numéro d'une collection avortée qui devait s'intituler Internationale gaul­liste sa contribution à la propagation du message gaulliste, c'est un souhait ardent que de Roux émet avant d'être une réalité. De Roux victime de sa vision ?

 

Hier figure du gauchisme militaire, aujourd'hui intellectuel souverainiste, Régis Debray dans A demain de Gaulle fait le mea culpa de sa génération, la génération 68, coupable selon lui de n'avoir pas su estimer la puissance visionnaire du grand homme, dernier mythe politique qu'ait connu la France.

 

Au regard de l'Histoire dont il tenta sa vie durant de percer les arcanes, Dominique de Roux s'est peut-être moins four­voyé sur l'essentiel, qui est l'anti-destin, que la plupart des intellectuels de son temps. «Par l'acte plus encore que par la doctrine, Charles de Gaulle a amorcé une Révolution Mon­diale. Celle-ci, connue par lui à l'échelle du monde, ap­pelle ontologiquement une réponse mondiale.»

 

Dans Les chênes qu'on abat, Malraux fait dire à de Gaulle: «J'ai tenté de dresser la France contre la fin d'un monde. Ai-je échoué ? D'autres verront plus tard.»

 

De Gaulle, troisième homme, troisième César.

 

Laurent SCHANG.

 

Bibliographie:

 

De Dominique de Roux:

-Ouverture de la chasse, L'Age d'Homme, 1968.

-Contre Servan-Schreiber, Balland, 1970.

-Politique de Dominique de Roux, Portugal, Angola, In­ternationale gaulliste, Au signe de la Licorne, 1998.

-L'écriture de Charles de Gaulle, Editions du Rocher, 1999.

 

André Malraux, Les chênes qu'on abat, NRF Gallimard, 1971.

 

samedi, 14 juin 2008

Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié

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Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié

 

Entretien

 

A quelques jours de la parution de son nouvel essai, Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France, aux éditions du Bon Albert, Rémi Soulié a accepté de nous entretenir de son précédent ouvrage, publié chez L'Age d'Homme, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux

 

«De Roux a renouvelé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire»

 

Pourquoi, aujourd'hui, écrire sur Dominique de Roux? Son nom, qui reste sulfureux (on se souvient du mot: «A force d'être traité de fasciste, j'ai envie de me présenter ainsi: moi, Dominique de Roux, déjà pendu à Nurem­berg»), n'a laissé aucun chef-d'œuvre impérissable. Ses livres sont pour la plupart des collages d'idées anarchi­ques, anarchiquement assemblées pour former une pâte de textes indigestes jetée sans autre souci à la figure d'un lecteur qui n'est pas habitué à être reçu ainsi. Mis à part une poignée d'irréguliers, personne ne le réclame. Seuls quelques éditeurs hors du sérail ont relevé le pari de publier les fulgurances et les formules bancales de ce styliste épileptique, qui se voulut tour à tour et en mê­me temps géométaphysicien, poète dissident du monde, impérialiste pacifique infiltré à la solde d'une Interna­tio­nale révolutionnaire gaulliste qui n'exista jamais ailleurs que dans son esprit enfiévré. Sa vie brusquement écour­tée ressemble à l'image finale de ce film de Werner Her­zog, Aguirre, où l'on voit Klaus Kinski dériver seul sur un radeau au milieu dune multitude de petits singes jaunes à têtes noires, debout dans son armure rouillée de con­qui­stador renégat, défiant Dieu, le regard halluciné, dé­voré par son rêve d'empire d'au-delà de la jungle amazo­nienne, avec la caméra qui s'éloigne. Pourquoi en effet, quand on s'appelle Rémi Soulié, écrire une biographie de Dominique de Roux, sinon pour tout ce qui vient d'être dit ?

 

Dès la première page des Châteaux de glace le ton est donné: «Rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous! Plus de sociaux-démocrates ni de démocrates-chrétiens, plus de libéraux sociaux ni de sociaux libéraux! La politique enfin restaurée en mystique par quelques ro­yalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révo­lu­tion­naires intacts à la Fajardie! "Heureux comme Dieu en France", cette neuvième béatitude sortirait de la morgue où la science épigraphique congèle les anciennes senten­ces!» Soulié, maurrassien c'est sûr, n'aime pas son époque, aux songes creux et à la bouche pleine de gargouillis («droits de l'homme», «citoyenneté», «démocratie»...), et encore moins sa littérature. La gauche, hier insurgée, s'a­bîme dans la social-démocratie. La droite a trahi de Gaulle —c'était quand? Les écrivains se regardent le nombril et les éditeurs jouent les barbouzes. Lui voudrait un écrivain qui soit à la fois un idéologue et un aventurier, de droite et un peu à gauche, un militant et un esthète, Lawrence et Rim­baud, Monfreid et Malraux. Sa rencontre avec de Roux était fatale.

 

Ecrire une biographie c'est aussi, c'est surtout, écrire sur soi-même, retracer les étapes d'une vie étrangère pour mieux comprendre son propre cheminement intérieur. Rémi Soulié a donc mis ses pas dans ceux du Don Quichotte avey­ronnais, ce qui nous vaut de jolis passages, rencontré des témoins, nourri une abondante correspondance avec ses pro­ches. Son livre est riche de citations, et dans sa relation intime avec de Roux, il lui parle autant qu'il nous parle de lui. Raison pour laquelle Soulié ne craint pas de se montrer par endroit hermétique, voire ésotérique.

 

De Roux, la littérature et la droite. C'eût été un parfait sous-titre si Rémi Soulié avait jugé bon d'en ajouter un. En­core faut-il, avec un aussi subtil dialecticien, s'entendre sur les mots. De quelle droite parlons-nous ? En politique, de Roux honnissait le nationalisme et la propriété privée. En France, ce voyageur infatigable se considérait en territoire ennemi. Côté littérature, de Roux méprisait les hussards, qu'il qualifiait dédaigneusement de «chevaux-légers de la bourgeoisie». La Droite selon Dominique de Roux, Droite avec un grand "D" (comme Evola l'écrivait du reste, et Sou­lié ne manque pas de faire le lien), est partout où domine le tragique, donc le sens du sacré, dans la marche de l'His­toire. Héroïsme et folie sont valeurs de droite, qui définis­sent en littérature le Grand Art. Sont de droite Claudel, Hei­degger, Gombrowicz, Lawrence, Jünger, Benn, Céline, Artaud, Biely, Blanchot, Cummings, Pound, Genet, Nizan, Yeats, Joyce, Ungaretti, Gadda, Michaux. Une droite re­con­nue par lui seul, qu'il réinvente et redessine au gré de ses illuminations.

 

«Je soupçonne Dominique de Roux d'avoir lâché la corde avant terme pour ne pas assister à l'ultime désastre. Pro­phète comme il l'était, il aura préféré la vision béatifique à la société du spectacle.» Certains doutent de sa mort et préfèrent croire qu'il dort, roi du monde pétrifié dans la ro­che, sous un glacier, attendant son heure. D'autres pen­cheraient plutôt pour un repli stratégique dans une faille tel­lurique, quelque part entre Thulé et l'île de Pâques. Plus disert, Rémi Soulié conclut par l'impérieuse nécessité de sa relecture. «Dominique de Roux (...) desperado sudiste di­gne de notre piété.»

 

Entretien.

 

Q: Rémi Soulié, on sort de votre essai, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux, converti. Il émane de cha­cune de ses pages une attraction mystérieuse que j'attri­buerai autant aux révélations que vous nous apportez sur ce personnage extraordinaire que fut Dominique de Roux qu'à l'inexplicable envoûtement de votre style, touché par une sorte de grâce qui le transfigure. Parfois, je me suis surpris à lire des paragraphes pour leur seule poésie, incapable «au réveil» de me souvenir de ce qu'ils disaient. Ce livre est celui d'un mystique. Au reste, son titre est déjà porteur d'un sens initiatique, comme s'il fal­lait entrer dans son œuvre comme on part en pè­le­rinage.

 

Rémi Soulié: Dans Immédiatement, Dominique de Roux évoque sa grand-mère et son «château de glaces». J'ai donc choisi ce titre parce que c'était une formule de Dominique de Roux lui-même, quelle renvoyait métaphoriquement à une demeure familiale  —et je me suis attaché à montrer ce que de Roux devait aux vacances passées en Aveyron, pen­dant son enfance— mais aussi parce que le château et la glace sont lourds de sens: ils évoquent à la fois l'en­ra­cinement profond, aristocratique, dans l'histoire de France, dans l'ancienne France, un «palais des glaces» où se réflé­chissent une image de soi fragmentée, une identité plu­riel­le, et, enfin, la mort. Dominique de Roux était hanté par la mort. Etait-ce pressentiment d'une fin prématurée, tro­pis­me romantique ? Sans doute les deux à la fois, et sans dou­te plus encore.

 

Q.: Dominique de Roux écrivain révolutionnaire -écrivain ET révolutionnaire, il ne viendrait plus aujourd'hui à l'i­dée de personne d'en douter. Mais dans quel camp était-il ? Droite-gauche-gaulliste-anar de droite ?

 

R.S.: Certainement pas révolutionnaire de gauche. Cela n'au­rait aucun sens. Son intérêt pour la Chine de Mao était esthétique, poétique —en ceci, il n'est pas très éloigné de Sol­lers, mutatis mutandis. Révolutionnaire de droite suppo­serait de sa part une adhésion doctrinale à un système par­ticulier également, or, même si l'on trouve dans son œuvre, surtout dans le Contre Servan-Schreiber, un jeu intellectuel sur le lexique maurrassien, Dominique de Roux ne saurait être réductible à une seule pensée politique. Il fut un hom­me d'action, certes, au service de la France gaullienne, en Angola, mais son gaullisme était mystique, non politique, selon la distinction de Péguy. Je vois en de Roux un poète de l'action, comme le colonel Lawrence ou Mishima. Il était attaché, sans doute, à une «certaine idée de la France», mais à une idée poétique, littéraire. Son anticommunisme, néanmoins, est évident. La catégorie d'anar de droite, si in­téressante soit-elle, François Richard la bien montré, est un peu un fourre-tout. On y «case» les irréductibles, ceux qui sont allergiques aux conneries puritaines de la bigoterie contemporaine et éternelle, à la figure increvable du «bour­geois», celle que Baudelaire, Flaubert, Bloy, Barbey ont décrit. Un Dictionnaire des idées reçues serait d'ailleurs impubliable de nos jours. Les hérauts socialistes et émi­nem­ment bourgeois de la liberté nous en empêcheraient. De Roux, en définitive, était bien révolutionnaire, parce que c'était un écrivain, et que tous les écrivains dignes de ce nom le sont. Pound, Borgès, Jouve, Céline, Gombrowicz, c'est aussi lui, c'est souvent d'abord lui.

 

Q.: Dominique de Roux nous a quitté il y a un quart de siècle. Selon vous, qui le connaissiez bien, qui peut pré­tendre aujourd'hui avoir pris sa place ? Ce qui m'amène à vous poser une deuxième question: quel apport à la lit­térature française fut le sien ?

 

R.S.: Personne n'a pris sa place, car personne ne prend ja­mais la place d'un écrivain —surtout un autre écrivain. Do­minique de Roux a néanmoins des admirateurs, par exem­ple certains jeunes collaborateurs de la revue Immédia­te­ment, placée sous son patronage. Marc-Edouard Nabe est un excellent connaisseur de de Roux. De Roux a marqué l'his­toire littéraire française, comme écrivain et comme édi­teur. Les Dossiers H de L'Age d'Homme, dirigés par Jac­que­line de Roux, sa femme, n'existeraient pas sans les Ca­hiers de l'Herne. Les auteurs dont je parlais précédemment sont entrés dans notre bibliothèque grâce à lui. Il a renou­velé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire.

 

Q.: Au fond, que représente-t-il pour vous ?

 

R.S.: C'est un intercesseur, pour reprendre le mot de Bar­rès. Il donne des leçons de style, de courage, de vitesse, de passion, d'absolu, de colère; de Roux est un esprit libre, un homme seul qui a suivi sa vocation. C'est un «littéraire in­tégral», un homme pour qui la littérature était une vision du monde.

 

Q.: Le romancier Dominique de Roux m'a toujours in­trigué...

 

R.S.: Quoi qu'il écrive, Dominique de Roux était un styliste doué, d'emblée maître de son écriture et de son univers. Il est donc difficile, et sans doute réducteur, de comparti­men­ter son œuvre. Plus que pour d'autres écrivains, la ques­tion du genre, à mon avis, ne se pose pas vraiment chez lui. Je suis sensible à tous ses «romans» de Mademoi­selle Anicet au Cinquième Empire en passant par Harmo­nika-Zug et Maison jaune. Avec Mademoiselle Anicet, il a montré qu'il pouvait écrire, très jeune, un roman de fac­tu­re classique, «à la française», comme Une curieuse solitude de Sollers, avec lequel un parallèle s'impose à nouveau; à l'autre bout de l'œuvre, Le Cinquième Empire se lit comme un poème, lui aussi parfaitement maîtrisé. La beauté du Por­tugal éternel, mythique, celui du Roi caché, transparaît dans l'évocation dune situation exceptionnelle de crise. L'écriture de Dominique de Roux est limpide, et il a assi­milé Rimbaud.

 

Q.: Avant de lire Les Châteaux de glace votre nom m'é­tait inconnu. Force est de constater que votre livre se montre d'une grande discrétion à ce sujet. Rien ne filtre, ni sur vous ni sur vos antécédents. Quelques mots de votre part seraient les bienvenus à présent.

 

R.S.: J'ai trente-deux ans. Avant ce Dominique de Roux, j'ai publié un traité sur la promenade (*); j'avais alors une acti­vité d'enseignant-chercheur en littérature française, à l'U­ni­versité de Toulouse. J'ai collaboré à différentes revues, pu­blié plusieurs articles, universitaires ou non.

 

Q.: Et quels sont vos projets désormais ?

 

R.S.: Je corrige en ce moment les épreuves d'un essai sur Aragon, à paraître en janvier 2001 aux Editions du Bon Al­bert: Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France. J'es­père également publier dans les mois à venir une étude sur Jean Boudou, immense écrivain occitan, traduit en fran­çais, qui est l'égal de Jean Genet ou Mishima, pas moins! Je me suis attaché à le lire avec les lunettes de Freud et de Lacan —une écriture de la perversion, en bordure de la psy­chose. Je n'ai pas la religion de la psychanalyse, loin s'en faut, mais pour qui sait lire, surtout l'œuvre de Lacan, l'éclairage analytique, philosophiquement, est passionnant. Je publie en janvier 2001 une nouvelle, dans un recueil col­lectif, aux côtés de Georges-Olivier Châteaureynaud, Ho­meric, Victor Martin, Marie-Hélène Lafon et Denitza Ban­tcheva.

(propos recueillis par Laurent SCHANG).

(*) De la promenade, Editions du Bon Albert, 1997.

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vendredi, 13 juin 2008

Civilisation occidentale: entre agonalité et irénisme

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SYNERGIES EUROPEENNES – BRUXELLES / TOULOUSE - AVRIL 2004

KORTE INLEIDING : Deze tekst van Rodolphe Lussac is ook een nuttige herhaling van sommige filosofische ideeën, die wij jammer genoeg vergeten zijn. Zijn argumentatie staat volledig op de lijn van de conservatieve revolutie, maar hij haalt ook dikwijls argumenten,  om de notie van identiteit te bepalen en te verdedigen, uit onverwachte hoeken (Lévi-Strauss, Merleau-Ponty, Kundera, Althusser, enz.). Daarom, alhoewel soms moeilijk voor wie het Frans debat niet goed  kent, is zijn tekst hieronder uiterst belangrijk, om de perspectief nog wijder te maken. De referenties naar minder bekende geciteerde sociologen zijn ofwel in het Duits ofwel in het Engels.  

Réflexions sur le devenir de la civilisation occidentale : entre agonalité et irénisme
 

Par Rodolphe Lussac

Le cours de l'histoire contemporaine et événementielle, avec son cortège de guerres, de conflits inter-ethniques, de catastrophes humanitaires, de terrorisme transnational, met en exergue, et de manière évidente, l'irruption, ou plutôt le retour en force, du fait religieux et de l'irrationalité politico-idéologique, qui s'enracinent dans les différentes aires civilisationnelles et minent peu à peu les fondements humanitaro-pacifistes de la civilisation occidentale moderne.

Ce constat nous conduit à nous interpeller sur le sens et le devenir des civilisations et surtout de la destinée de la civilisation occidentale. S'il est établi, en reprenant  un mode de pensée spenglerien, que toutes les civilisations sont périssables, il est pertinent de s'interroger sur les causes de déclin et de mort des dites civilisations. En ce sens, il convient de rappeler qu'à juste titre, Arnold Toynbee a affirme que les civilisations se font par l'action des minorités créatrices et se défont quand la force de création diminue. En un mot, toute civilisation est vouée au déclin lorsqu'elle n'a plus de défi à relever. Force est de constater que la civilisation occidentale (qui serait constituée de l'aire civilisationnelle européenne et “extrême-européenne” américaine) serait indéniablement vouée au déclin par défaut de défi régénérateur et d'absence d'élites créatrices de valeurs et vecteurs de mimétisme socio-politique , qui transcendent les seuls pseudo-défis économiques et financiers qui justifient les entreprises belliqueuses comme c'est le cas pour les Etats Unis.

La perception que l'on se fait de la civilisation occidentale procède d'une dissonance cognitive (pour reprendre un concept sociologique) entre, d'une part, l'image d'une Amérique va-t'en guerre dont les valeurs se fondent sur un réalisme “hobbesien” de recours à la force et, d’autre part, l'image d'une Europe bercée par l'irénisme kantien et idéaliste d'une "paix perpétuelle"  et illusoire, aux accents mielleux, “pacificards”, dignes des héritiers de Kellog et de Briand. L'un et l'autre des deux camps qui sont l'incarnation d'un même mal économiciste et ploutocratique, pêchent par excès d'ignorance car tous deux se réfèrent de manière messianique (pour les Etats Unis) et de manière timorée (pour l'Europe) aux sacro-saintes pseudo-valeurs désuètes de la démocratie, de l'économie libérale de marché et de l'égalitarisme “droit-de-l'hommien”, qu'ils entendent propager coûte que coûte aux "confins barbares" et périphériques des autres peuples et civilisations extra-occidentales. Baignant dans le registre bien connu de la pensée unique, de l'indignation, de la condamnation et du pathos incantatoire face au terrorisme de type ethnique et religieux, ils se refusent à croire que, malheureusement, le moteur de l'histoire humaine résulte de ressorts irrationnels enracinés dans la religion et l'identitarisme national et ethnique dont les irruptions violentes sont cycliques mais constantes.

De récentes fouilles archéologiques et anthropologiques ont établi que le sacrifice humain rituel était la pierre angulaire de toute civilisation, et que la guerre a bien été à la source des premières civilisations et constitue un processus nécessaire du degré de complexification des dites civilisations (l'action guerrière serait fondatrice de la première ville-mère), alors que les thèses sociologiques conflictuelles comme celles avancées par Lewis Coser (http://www.net-lexikon.de/Lewis-Coser.html - http://www.asanet.org/footnotes/septoct03/indexthree.html - http://cgi.sociologyonline.co.uk/News/coser.shtml) ainsi que l'herméneutique de Gadamer démontrent combien les préjugés, les conflits sociaux et la conflictualité générale ont joué un rôle de résolution et de stabilisation des sociétés humaines. La principale erreur de jugement de la civilisation occidentale moderne est de croire aveuglément que toutes les civilisations se valent sur un même pied d'égalité et sont réductibles à l' omniprésence de la démocratie, des droits de l'homme et de la suprématie de l'économie de marché.

L'histoire démontre au contraire que toutes les grandes civilisations ont émergé et vécu sur un mode d'agonalité ( d'opposition, de conflictualité),  un mode donc éminemment conflictuel, et s'insèrent dans une structure d'inégalité. Déjà les travaux de Lévi-Strauss faisaient état d'une opposition entre cultures chaudes et cultures froides, par référence aux cultures actives prométhéennes et aux cultures passives et contemplatives. L'anthropologue K. Avruche  (http://www.republique-des-lettres.com/samuel_huntington/huntington_contre.php ) a démontré, en ce sens, que les concepts de tradition et de nation sont impliqués dans un processus constant et interactif de constructions sociales et culturelles  et résultent de luttes et de conflits d'identités opposées. Ainsi, les matières premières des traditions, de la religion et de l'idéologie peuvent être utilisées pour générer une gamme extrêmement large de civilisations alternatives. Dans cette structure d'inégalité agonale, on assiste à une échelle variable du fait religieux, des ressorts irrationnels, de degrés divers de sacralisation et de sécularisation qui font que les civilisations, à un moment donné historique, peuvent se compénétrer, évoluer de manière synchronique, puis dériver vers une confrontation diachronique de rupture et d'hostilité (le cas le plus flagrant pour la période pré-moderne est celui de l'Empire musulman d’ Al-andalus en Espagne, annihilé à la fin du 15ième siècle par la Reconquista).

A l'époque du mondialisme triomphant, les changements brutaux, économiques et sociaux, détachent les peuples de leur identité locale séculaire. La dé-sécularisation du monde, remarqué par Arthur Weigall, est une réalité de la vie contemporaine. Dans la plupart des civilisations du monde, la religion vient combler ce vide spirituel par un retour aux racines identitaires:
“asianisation” au Japon, hindouisation en Inde, ré-islamisation au Moyen Orient, etc. Le fait religieux et, plus largement, la religion, constituent un facteur structurant et permanent de l'identité nationale, sous forme de ciment d'une identité nationale menacée, et certains aspects de la religion cristallisant les antagonismes sociaux entre nations et communautés cohabitant au sein d'une même nation, et peuvent aboutir à des manifestations de violence fanatique, reflet de l'exacerbation du moi collectif, de doctrine libératrice ou de messianisme prophétique, qui peuvent être, tour à tour, conjoncturelles ou structurelles (cf. Les travaux récents de l’anthropologues américaine Amy Chua, originaire de la  communauté chinoise des Philippines).

Les conditions de structuration et d'évolution d'une culture ou d'une identité  sont évolutifs et, par rapport à d'autres cultures étrangères, s'articulent selon les principes structurants et des hiérarchies de valeurs variables d'un groupe à un autre. Les contacts peuvent être pacifiques mais sont le plus souvent conflictuels. Les sociologues appellent “acculturation” le fait, pour les membres d'une culture donnée, d'adopter contre leur gré des éléments d'une autre culture; les conquêtes militaires sont souvent suivies de stratégies d'acculturation, d'assimilation, voire de destructions pures et simples. Ainsi, les civilisations connaissent une phase d'expansion caractérisée par un processus combinant la dilation spatio-temporelle, l'absorption-domination de cultures mineures, d'assimilation et d'acculturation.

A la lumière de cet enseignement, force est de constater combien est vulnérable la civilisation occidentale matérialste et libérale, laquelle a pour base des stéréotypes médiatiques et des dingueries publicitaires, et doit,  à l’aide de ces pauvres schémas, faire face aux assauts parfois violents et aspirants d'autres civilisations théocratiques et holistes, car elle a déjà succombé au phénomène d'acculturation, adoptant des modes vie et de pensée extérieurs, que je qualifierai d’ “orientalo-anglo-saxons”, de sorte que le pacte culturel "originel", européano-centré, qui touche à la structuration intellectuelle, affective et symbolique (vision du monde, attitudes morales, croyances, réactions affectives)  est largement contaminé par des éléments exogènes et verse dans l'anomie généralisée.

Ce n'est qu'au prix d'une ré-européanisation identitaire, que l'Europe redeviendra ce qu'elle est et que l'européanité  (Roland Barthes parle aussi d'américanité) ne sera plus un vague concept technocratique vide de sens et définira une essence spirituelle héroïco-aristocratique comme l'a si bien évoqué Hugo von Hoffmannsthal. A cette “acculturation culturelle” qu’est la colonisation culturelle de l'Europe, les peuples européens opposeront le retour à leur propre identité culturelle, à un nativisme post-moderne, qui se traduirait par le rejet de toute culture étrangère dominante, vecteur  de ce que Léo Hamon appelle la “causalité extérieure comme forme absolue d'hétéro-détermination”; les Européens se dresseront pour réactiver leurs cultures chtoniennes spécifiques, et, dans ce mouvement, viendrait éclore ce que le sociologue Heiner Mülhmann (http://www.brock.uni-wuppertal.de/Schrifte/Habil/Rezens1.html ) nomme l'adhésion et l'identification de la masse à un chef prestigieux et charismatique dans le sens wébérien du terme et ce que Jean Lacouture appelle "l'homme-témoin-drapeau" qui incarne l'identité nationale.

La société globale et néo-libérale est irrémédiablement gangrénée par le syndrome de la modernité, vision mono-linéaire de l'évolution de l'humanité, le miroir aux alouettes des parvenus et des drogues de l'illusion du progrès, l'ambition des "feuilles mortes" comme l'appelait Kundera, la chasse gardée de la caste du "mandanirat" technocratique, vilipendé par Noam Chomsky comme les représentants de la nouvelle oligarchie ploutocratique.  Au lieu de se lamenter sur son sort et de faire l'anathème d'un monde qui trébucherait sur des anachronismes et des guerres de religions, la civilisation européenne (enfin ce qu'il en reste) ferait bien d'accepter l'évidence que la religion est une expression naturelle, une forme de croyance, la traduction d'un désir d'interprétation du monde et qu'au lieu de s'indigner et de dénoncer la violence aveugle, elle  s'attache à réfléchir sur la grille de lecture que procure le radicalisme religieux et plus précisément sur le sacré, qui, selon Regis Debray, se révèle être une voie de compréhension et d'accès au profane.

Le fait religieux restera indubitablement  un indicateur de la réalité humaine et collective. A  rebours d'une Amérique messianique contemporaine, qui, au moins, a eu le mérite de remettre au goût du jour le concept de recours à la force, la civilisation européenne plonge dans un irénisme béat et fonctionne sur un mode expiatoire d'auto-flagellation, rongée par ce que Spinoza fustigeait comme la complainte sanglotante de l'homme blanc : le remord, le ressentiment et la propension européenne à culpabiliser sur son passé colonial, ainsi qu'à se morfondre dans une compassion “victimaire” au lieu de se ressaisir sur un mode matriciel et de renouer avec le concept de puissance fondé sur un projet commun géopolitique eurasiatique, la défense des valeurs spirituelles, politiques et culturelles séculaires.

Même si les thèses de Huntington sur le choc de civilisations pêchent par réductionnisme et par culturalisme, et font l'impasse sur les conflits intra-civilisationnels (qu’Amy Chua met bien en exergue), elles ont eu le mérite de remettre au goût du jour les ressorts conflictuels latents, inhérents à toute civilisation, ressorts qui peuvent être, selon le contexte, réactifs par la religion, l'identité ethnique et nationale. A l'instar de ce que l'historien Edward Gibbons a declaré jadis, à savoir que dans l'histoire des civilisations, seuls la naissance et le décès ont une valeur explicative, l'analyse des causes de déclins des civilisations s'avère fondamentale, sans oublier que le déclin de la civilisation occidentale moderne et libérale peut être une lente agonie, compte tenu des capacités d'autorégulation et de régénération du capitalisme de marché, si bien expliquées par Joseph Schumpeter.

Le philosophe Ernst Troeltsch, qui se rattache à l'école de Bade et à l'historisme de Dilthey, a considéré qu'il existe une unité de devenir à travers chaque culture et ses valeurs, et l'on pourrait dire qu'il existe indéniablement une unité de régression propre à toutes les civilisations dont les symptômes sont: anomie généralisée, multiculturalisme exacerbé, persistance du crime, drogue et violence, déclin de la famille et de la natalité, déclin du capital social, faiblesse générale de l'éthique et du civisme, désaffection pour la politique et le savoir, suprématie de l'industrie du spectacle, syncrétisme néo-spirituel et hédonisme généralisé.

Arnold Toynbee écrira, à juste titre, que la civilisation contemporaine est corrompue par les images et les ondes et le résultat de cette désastreuse nouvelle donne culturelle a été le désert spirituel que Platon avait décrit comme une "communauté de gorets" et qu’Aldous Huxley avait raillé sous le nom de "meilleur des mondes". L'imaginaire collectif européen est purement et simplement colonisé par la société de la communication et de l'information, l'hyper-festif fictif et par les pilules anesthésiantes de la télé-réalité, qui constituent aujourd'hui ce que Louis Althusser appelait les relais modernes de l'"appareil idéologique d'Etat".   

Tous ces maux qui accablent la civilisation occidentale procèdent d'un principe du mal que Baudrillard a nommé le “principe de dé-liaison”, ce qui veut dire que l'Occident est en dé-liaison avec ses racines spirituelles et cuturelles comme la societe occidentale est en “dé-liaison” avec le respect du civisme, de l'autorité et de la hiérarchie. Pour se régénérer , la civilisation occidentale se doit de se soumettre à un devoir de mémoire, non pas une mémoire accablante et culpabilisante, mais une mémoire sous forme de maïeutique, que prône le précepte husserlien du "retour aux choses mêmes", du retour aux origines spirituelles et culturelles originelles. Une fois désintoxiquée, cette mémoire collective serait à même, comme le préconise Merleau-Ponty, de mesurer sa conscience au monde, et, en s'incarnant en situation historique, de se confronter aux autres civilisations par l'affirmation de sa volonté de puissance.

Dans la compréhension des dynamiques des civilisations, au pessimisme spenglerien, au réalisme et l'élitisme de Toynbee, il faudrait ajouter une dose de réalisme darwiniste social, selon lequel il est  établi que, dans la survie et la suprématie, la victoire appartiendra à la civilisation la plus unifiée culturellement et la plus déterminée ainsi que la plus adaptée à la poursuite de la puissance mondiale. Oui, il faut croire que la civilisation occidentale, plongée dans une longue déliquescence morale et politique, peut encore s'inscrire dans une sorte de "possibilisme", et envisager un sursaut salvateur, un déterminisme à rebours et relever un nouveau défi culturel et identitaire comme le prônait Arnold J. Toynbee. Pour ce dernier, "la facilité est nuisible à la civilisation", et il est vrai que toutes les grandes constructions se sont édifiées dans un cadre difficile par ré-activité volontariste. L'art politique est agonal, naît de la lutte, vit de contrainte et meurt de facilité. "Le stimulant de la civilisation croit en proportion de l'hostilité du milieu". La renaissance de la civilisation européenne se fera si il y a lieu dans un climat de rivalité sous l'impulsion de minorités agissantes et déterminées, car comme le disait si bien Bernanos, les "hommes d'exception naissent à la lisière des pouvoirs forts". Les futures guerres et conflits décisifs seront combattus le long des fractures civilisationnelles et identitaires. La civilisation exprime la plus vaste base symbolique et pratique d'affiliation culturelle humaine en aval d'une conscience d'appartenance à l'espèce humaine. C'est pourquoi, la culture, l'identité et non la classe, l'idéologie ou la nationalité fera la différence dans la lutte des puissances du futur.

Rodolphe Lussac
(Toulouse, avril 2004).

The Right Stuff (Drugs and Democracy)

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Chronicles of American Culture (October 1996)

The Right Stuff (Drugs and Democracy)

by Tomislav Sunic


Morphine is said to be good for people subject to severe depressions, or even pessimism. Although the drug first surfaced in a laboratory at the end of the last century, its basis, opium, had been used earlier by many aristocratic and reactionary thinkers. A young and secretive German romantic, Novalis, enjoyed eating and smoking opium juice, probably because he had always yearned to alleviate his nostalgia for death. Probably in order to write his poem Sehnsucht nach dem Tode. Early poets of Romanticism rejected the philosophy of rationalism and historical optimism. They turned inward to their irrational feelings, shrouding themselves in the pensive loneliness which opiates endlessly offer.

Once upon a distant time we met Homer's Odysseus, who was frequently nagged by the childish behavior of his pesky sailors. Somewhere along the shores of northern Africa, Odysseus and his sailors had strayed away into the mythical land of the lotus flower. As soon as his sailors began to eat the lotus plant, they sank into forgetfulness, and immediately forgot their history and their homeland. It was with great pain that Odysseus succeeded in extracting them from artificial paradises. What can be worse for a nation than to erase its past and lose its collective memory?

Unlike many modern wannabe conservatives and televangelists, Greeks and Romans were not hypocrites. They frankly acknowledged the pleasures of wine and women. Sine Cerere et Bacco friget Venus - without food and wine sexual life withers away, too.

The escape from industrial reality and the maddening crowd was one of the main motives for drug use among some reactionary poets and thinkers, who could not face the onset of mass society. The advent of early liberalism and socialism was accompanied not only by factory chimneys, but also by loneliness, decay, and decadence. If one could, therefore, not escape to the sunny Mediterranean, then one had to craft one's own artificial paradise in rainy and foggy London. The young English Tory Thomas De Quincey, in his essay Confessions of an English Opium Eater, relates his Soho escapades with a poor prostitute Anna, as well as his spiritual journeys in the aftertaste of opium. De Quincey has a feeling that one life-minute lasts a century, finally putting an end to the reckless flow of time.

The mystique of opium was also grasped by the mid-19th century French symbolist and poet Charles Baudelaire. He continued the aristo-nihilistic-revolutionary-conservative tradition of dope indulgence via the water pipe, i.e., the Pakistan huka. Similar to the lonely albatross, Baudelaire observes the decaying France in which the steamroller of coming liberalism and democratism mercilessly crushes all esthetics and all poetics.

When studying the escapism of postmodernity, it is impossible to circumvent the leftist subculture and its pseudo-intellectual sycophants of 1968. The so-called sixty-eighters hollered out not only for liberty from all political authority, but also for free sex and drugs. Are these leftist claims not part of the modern religion of human rights? At the beginning of the 60's, the musical alter egos of the Western left, the Rolling Stones and Bob Dylan, called out to millions of young people throughout America and Europe, telling intruders to "get off of my cloud" and concluding that "everybody must get stoned."

Predictably, the right-wing answer to the decadence of liberal democracy was nihilistic counterdecadence. The main difference, however, between these two is that reactionary and rightist addicts do drugs for elitist and esoteric purposes. By their temperament and literary style they reject all democracy- whether it is of a socialist or liberal brand. When in the 20th century the flow of history switched from first gear into fifth gear, many rightist poets and thinkers posed a question: What to do after the orgy? The French right-leaning author Jean Cocteau answered the question this way: "Everything that we do in our life, even when we love, we perform in a rapid train running to its death. Smoking opium means getting off the train."

Hashish and marijuana change the body language and enhance social philanthropy. Smoking joints triggers abnormal laughter. Therefore hashish may be described as a collectivistic drug custom-designed for individuals who by their lifestyle loathe solitude and who, like Dickens' proverbial Ms. Jellyby, indulge in vicarious humanism and unrepentant globalism. In today's age of promiscuous democracy, small wonder that marijuana is inhaled by countless young people all over liberalized Europe and America. In the permissive society of today, one is allowed to do everything-provided one does not rock the boat, i.e., "bogart" political correctness. Just as wine, over the last 2,000 years, has completely changed the political profile of the West, so has marijuana, over the last 30 years, completely ruined the future of Western youth. If Stalin had been a bit more intelligent he would have solemnly opened marijuana fields in his native Transcaucasia. Instead, communist tyrants resorted to the killing fields of the Gulag. The advantage of liberalism and social democracy is that via sex, drugs, and rock 'n' roll, by means of consumerism and hedonism, they function perfectly well; what communism was not able to achieve by means of the solid truncheon, liberalism has achieved by means of the solid joint. Indisputably, Western youth can be politically and correctly controlled when herded in techno-rap concerts and when welcomed in cafes in Holland, where one can freely buy marijuana as well as under-the-table "crack," "speedball," and "horse." Are these items not logical ingredients of the liberal theology of human rights?

Cocaine reportedly induces eroticism and enhances the sex act. The late French fascist dandy and novelist Pierre Drieu La Rochelle liked coke, desiring all possible drugs and all impossible women. The problem, however, is that the coke intaker often feels invisible bugs creeping from his ankles up to his knees, so that he may imagine himself sleeping not with a beautiful woman but with scary reptiles. In his autobiographical novels Le feu follet and L'homme couvert de femmes, La Rochelle's hero is constantly covered by women and veiled by opium and heroin sit-ins. In his long intellectual monologues, La Rochelle's hero says: "A Frenchwoman, be she a whore or not, likes to be held and taken care of; an American woman, unless she hunts for a husband, prefers a passing relationship... Drug users are mystics in a materialistic age. Given that they can no longer animate and embellish this world, they do it in a reverse manner on themselves." Indeed, La Rochelle's hero ends up in suicide-with heroin and revolver. In 1945, with the approaching victory of the Allies, and in the capacity of the intellectual leader of the defunct Eurofascist international, Pierre Drieu La Rochelle also opted for suicide.

The English conservative and aristocrat Aldous Huxley is unavoidable in studying communist pathology (Brave New World Revisited) and Marxist subintellectual schizophrenia (Grey Eminence). As a novelist and essayist his lifelong wish had been to break loose from the flow of time. Mexican mescaline and the artificial drug LSD enabled him new intellectual horizons for observing the end of his world and the beginning of a new, decadent one. Apparently mescaline is ideal for sensing the colors of late impressionist and pointillist painters. Every drop on Seurat's silent water, every touch on Dufy's leaf, or every stone on the still nature of old Vermeer, pours away into thousands of billions of new colors. In the essay The Doors of Perception, Huxley notes that "mescaline raises all colors to a higher power and makes the percipient aware of innumerable fine shades of difference, to which, at ordinary times, he is completely blind." His intellectual experiments with hallucinogenic drugs continued for years, and even on his deathbed in California in 1963, he asked for and was given LSD. Probably to depart more picturesquely into timeless infinity.

And what to say about the German centenarian, enigmatic essayist and novelist Ernst Jünger, whom the young Adolf Hitler in Weimar Germany also liked to read, and whom Dr. Joseph Goebbels wanted to lure into pro-Nazi collaboration? Yet Jünger, the aristocratic loner, refused all deals with the Nazis, preferring instead his martial travelogues. In his essay Annäherungen: Drogen and Rausch, Jünger describes his close encounters with drugs. He was also able to cut through the merciless wall of time and sneak into floating eternity. "Time slows down. . . . The river of life flows more gently... The banks are disappearing." While both the French president François Mitterrand and the German chancellor Helmut Kohl, in the interest of Franco-German reconciliation, liked meeting and reading the old Jünger, they shied away from his contacts with drugs.

Ernst Jünger's compatriot, the essayist, early expressionist, and medical doctor Gottfried Benn, also took drugs. His medical observations, which found their transfigurations in his poems "Kokain" and "Das Verlorene Ich," were collected by Benn as a doctor-mortician in Berlin of the liberal-Weimarian Germany in decay. He records in his poetry nameless human destinies stretched out dead on the tables of his mortuary. He describes the dead meat of prostitutes out of whose bellies crawl squeaking mice. A connoisseur of French culture and genetics, Benn was subsequently offered awards and political baits by the Nazis, which he refused to swallow. After the end of the war, like thousands of European artists, Benn sank into oblivion. Probably also because he once remarked that "mighty brains are strengthened not on milk but on alkaloids."

Modern psychiatrists, doctors, and sociologists are wrong in their diagnosis of drug addiction among large segments of Western youth. They fail to realize that to combat drug abuse one must prevent its social and political causes before attempting to cure its deadly consequences. Given that the crux of the modern liberal system is the dictatorship of well-being and the dogma of boundless economic growth, many disabused young people are led to believe that everybody is entitled to eternal fun. In a make-believe world of media signals, many take for granted instant gratification by projecting their faces on the characters of the prime-time soaps. Before they turn into drug addicts, they become dependent on the videospheric surreality of television, which in a refined manner tells them that everybody must be handsome, rich, and popular. In an age of TV-mimicry, headless young masses become, so to speak, the impresarios of their own narcissism. Such delusions can lead to severe depressions, which in turn can lead to drugs and suicide. Small wonder that in the most liberal countries of the West, notably California, Holland, and Denmark, there is also the highest correlation between drug addiction and suicide.

If drug abuse among some reactionary and conservative thinkers has always been an isolated and Promethean death wish to escape time, the same joint in leftist hands does more than burn the fingers of the individual: it poisons the entire society.


Tomislav Sunic is the author of Against Democracy and Equality; The European New Right (1990).

jeudi, 12 juin 2008

Entretien avec Jacques d'Arribehaude

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Entretien avec Jacques d'Arribehaude, un «Français libre»

Q.: Dans Un Français libre (L'Age d'Homme, 2000), vous me­nez, sous le couvert d'un journal intime, une quête qui n'est autre que l'antique gnôthi seauton hellénique: la recherche et l'étude de soi. Qui êtes-vous donc? Fran­çais ou Gascon? Moderne ou d'Ancien Régime? Du XVIIe ou du XIIe siècle?

Né au pied des Pyrénées à l'extrême sud-ouest de la Fran­ce, d'une mère basque et d'un père gascon, je suis Français d'éducation, de tradition et de culture, mais ouvert depuis toujours au grand large, à l'esprit d'aventure et de recher­che de nos grands ancêtres navigateurs et conquérants. J'ap­partiens une famille dont les archives remontent au XIIe siècle par mon père, avec des attaches en Béarn, Gascogne et Navarre. On trouve mes ascendants sur les Sceaux gas­cons de la Tour de Londres sous Edouard III, puis sur les rô­les d'armes de Gaston Phébus du Béarn au XIVe siècle, mais dans un déclin constant durant les guerres de Religion et les désordres de la Fronde au XVIIe siècle. Sous la Révo­lu­tion, Jean d'Arribehaude, beau-frère de Raymond de Seze, dé­fenseur de Louis XVI à la Convention, renonce à ses sei­gneuries de Lasserre, d'Orgas et autres lieux pour échap­per à la guillotine, et la ruine du patrimoine familial a­chève de se consommer au fil des générations. Mon enfance n'en est pas moins marquée par la forte empreinte des in­sti­tuteurs au lendemain (très illusoirement victorieux) de la grande guerre 14-18, ces «hussards de la République» qui met­taient tout leur cœur à exalter la nation comme un mo­dèle insurpassable de civilisation pour la terre entière. Le dé­sastre sans précédent de 1940 (j'avais tout juste 15 ans), m'éloigne à tout jamais du régime qui l'a provoqué, qui m'in­spire dès lors le plus définitif dégoût.

Q.: Très jeune, vous avez vécu quelques expériences peu banales: voir défiler les Prussiens de la Totenkopf, tra­verser les Pyrénées, croupir dans une geôle hispa­ni­que, découvrir les clans d' Alger, goûter à toutes sortes de propagandes et même, naviguer ("Il est nécessaire de naviguer"). N'est-ce pas beaucoup pour un jeune homme encore tout frotté de littérature? Quel était donc son état d'esprit le 8 mai 1945?

Que faire, quand on a dix-sept ans, que l'on n'accepte pas l'humiliation d'une telle défaite, que l'on baille au lycée de Bayonne aux trois-quarts occupé par l'administration de la Kommandantur et de la Gestapo, et qu'il y a quelque part une France qui se déclare encore libre, sinon vouloir à tout prix la rejoindre? Cela me vaudra de connaître la prison de Badajoz au fond de l'Espagne, d'où la Croix-Rouge me tire à grand peine, puis le spectacle des querelles politiques d'Al­ger, jusqu'à mon embarquement sur un pétrolier battant pa­villon US, et dont un équipage français remplace un é­quipage américain défaillant et rapatrié sur New York, mais toujours armé de canonniers américains. Je figure, en qua­li­té d'écrivain de bord  —interprète faisant fonction de com­missaire— au carré des officiers, ne regrettant guère d'a­voir été déclaré «inapte au service armé» par la 1ère Di­vision Française Libre que j'avais fini par rejoindre en Li­bye, ni la Direction du service Géographique de l'Armée, qui voulait me retenir comme dessinateur à Alger. Le spec­tacle de l'Italie dévastée, de la corruption qui sévit partout sur fond d'épuration, de misère et de prétendu retour à la morale m'est odieux. J'oublie mes déceptions en décou­vrant, dans les ruines d'une librairie italienne, Le voyage au bout de la nuit où le génie imprécateur de Céline contre la guerre confirme ce que je ressens devant le bourrage de crâne universel. La «France libre» dont je rêvais et dont j'ai suivi au fur et à mesure les querelles de clans et mesquines péripéties n'est que le retour des hommes et du régime dont l'incompétence et la nullité nous ont conduit au dé­sastre. Je ne puis que le vomir et remettre tout en que­stion. J'ai vécu au bout du compte dans l'Italie éventrée de 44-45, la Grèce et la Yougoslavie exsangues et déchirées, la fin malheureuse de l'engrenage suicidaire de 1914 au seul profit d'un communisme aussi criminel que le nazisme, et du mercantilisme américain dont la façade démocratique recouvre une exploitation éhontée de la planète. On ne m'y re­prendra plus.

Q.: Quels furent vos maîtres?

Je dévore Céline dont la force comique fortifie ma lucidité et apaise ma colère dans le sentiment de ne pas être seul au monde à refuser l'imposture de ce temps. Je revois mon ancien professeur Louis Laffite qui, sous le nom de Jean-Louis Curtis, commence à se faire un nom en littérature, et qui m'encourage à écrire. Jusqu'à sa mort, il y a quelques an­nées, il soutiendra mes efforts dans ce sens et j'aurais maintes fois l'occasion d'apprécier son talent, son humour, et la solidité de son amitié. Dès l'enfance, j'ai la passion de la lecture et vais selon une humeur très vagabonde des Mémoires d'un âne à La Condition humaine en passant par Les trois mousquetaires, L'île au Trésor, Robinson Crusoë, Croc-Blanc, Guerre et Paix, Les Mille et une Nuits de Mar­drus (lus par surprise à la bibliothèque municipale) et Gil Blas. L'été de mes 16 ans, en 41, grand emballement pour Au­tant en emporte le vent et le personnage de Rhett But­ler, dont le refus d'être dupe, le joyeux cynisme et la sé­duc­tion s'offrent en modèle idéal à ma naïve adolescence. Il me faut l'épreuve de la guerre et de la maladie pour élar­gir ce modeste horizon. C'est au sanatorium de Leysin, où je suis admis sur le Fonds Européen de Secours aux étu­diants, en Suisse, que je me plonge durablement dans Bal­zac, Stendhal, Flaubert, mais aussi Saint Simon, aussi bien que dans les grands romanciers américains et russes et en particulier Dostoïevski. De là date aussi mon goût pour les correspondances et journaux intimes, au plus près de la vie, telle que la restitue dans son intensité, l'extraordinaire vision de Saint Simon.

Q.: Vous avez fréquenté le monde des Lettres, approché Céline à Meudon, Roland Laudenbach rue du Bac, et mê­me un certain André Malraux. Qui étaient ces trois hom­mes si différents? Et "La Table ronde", cette maison my­thique, quel était donc son esprit?

Accoutumé dès le départ à la solitude, c'est à Roland et De­nise Tual, rencontrés au Festival du film maudit à Biarritz en 1949, que je dois la rencontre de Malraux, de Cocteau, de René Clair, de Roger Nimier, de Roland Laudenbach et autres figures de l'époque, sans que je puisse dire avoir vraiment et durablement fréquenté le monde des lettres. De Malraux, j'ai surtout retenu la volonté qui me semblait exemplaire de «transformer en conscience l'expérience la plus large possible», qui m'incita à prendre du champ en m'exilant près de trois ans dans ce qui était alors le terri­toire du Tchad dans l'Afrique Equatoriale Française, comme agent de l'unique société chargée de l'exploitation du co­ton. Malraux se souvint de moi et m'accorda sa sympathie lorsque je lui adressai Semelles de vent, et intervint plus tard quand je tentai d'entrer à l'ORTF, où le désordre de 1968 me permit finalement de pénétrer de façon durable. "La Table Ronde" se distinguait alors par l'anticonformisme de ses publications, un éloignement ironique à l'égard de l'idéologie dominante et l'engagement à sens unique prôné par Sartre qui nous semblait le comble du grotesque, de la nuisance imbécile, et de l'aveuglement artistique. J'y ren­con­trai, auprès de Laudenbach, Alexandre Astruc, Jacques Lau­rent, et publiai, avant Semelles de vent, La grande va­drouille, bien accueilli par la critique, mais sans succès com­mercial, et dont Laudenbach eut le tort de vendre le ti­tre —sans que je puisse m'y opposer— à une production ci­nématographique sans le moindre rapport avec l'ouvrage.

Q.: La lecture de Proust ne vous a pas illuminé. Dieux mer­ci, je ne suis pas le seul à avoir bâillé d'ennui! Ras­surez-moi, donnez-moi des arguments contre le sno­bis­me proustien!

Je dois à la lecture d'avoir échappé à plusieurs reprises au découragement et à la dépression. C'est le cas avec La re­cher­che du temps perdu, quelles que soient mes réserves sur les vaines contorsions de Proust pour transposer et dé­gui­ser la réalité de son personnage. Il a beau prendre un soin infini à masquer l'origine presque exclusivement juive du «monde» auquel il a accès par l'intermédiaire d'une ma­da­me Strauss ou de Caillavet, d'un Gramont de mère Roth­schild, ou de princes moldo-valaques à généalogie dou­teu­se, pourquoi ne pas dire carrément que les grands noms dont il se pâme ne sont plus que le reflet de la souverai­ne­té triomphante de Mammon, accommodée au snobisme é­per­du et niais des élites républicaines dont il fait partie. Mal­gré cela, et en dépit de tout ce qu'il peut y avoir d'ar­tificiel et de faux dans la société qu'il dépeint, sa difficulté d'être lui inspire des pages déchirantes sur la souffrance, l'amour malheureux, «l'enchantement des mauvais souve­nirs», et son œuvre s'impose par la création de personnages atteignant la force de types universels, qu'il s'agisse de Char­lus, de madame Verdurin, Norpois, Cotard, Nissim Ber­nard, Bloch, etc. La sacralisation contemporaine de mœurs considérées naguère comme honteuses et la révérence ob­ligée devant tout ce qui semble relever particulièrement de la «sensibilité juive» ajoute sans doute à l'universelle re­nom­mée de Proust, et l'encombre d'une vague de snobisme et d'exaltation parfaitement insupportable, mais on oublie de souligner la verve comique qui nourrit souvent les meil­leures pages de son œuvre, et que le personnage de Bloch dans son évolution révèle admirablement l'identité profon­de et mal acceptée du narrateur dans tout le grotesque de son pathos verbal, de son arrivisme mondain, et de ses pa­thétiques affectations. Au total, un grand écrivain, qui ne saurait être négligé, mais dont la vision analytique et cri­ti­que de la société est plus partiale et limitée qu'il semble le croire, et très en deçà du fantastique, prophétique et sou­verain constat de l'œuvre de Céline quelques années plus tard. Marcel Proust, nanti de la République (éminente no­tabilité du père dans les hautes sphères de la maçonnerie et des riches alliances juives), confond ainsi pieusement, dans Le Temps retrouvé, l'effondrement des Empires cen­traux avec «la victoire de la civilisation sur la Barbarie» (sic). Le conformisme niais de cet aveuglement sur la tra­gé­die de l'Europe et l'incapacité démocratique à concevoir une paix durable relativise la pertinence de son ironie sur le patriotisme de ses salonnards familiers et les propos hé­roïques de la Verdurin trempant son croissant matinal dans un café au lait qui échappe aux restrictions de l'heure. Nous sommes loin de la dénonciation autrement puissante et impressionnante du Voyage et du grand souffle célinien balayant les clichés de «cette immense entreprise à se fou­tre du peuple» !

Q.: Dans votre journal, vous avouez une sympathie cou­pable pour la mythologie germanique. Quand on est né vers 1925, qu'on appartient manifestement à une caste d'exploiteurs du peuple (et même si on a porté le bon uni­forme, celui des vainqueurs), ce genre de déclaration vous rend hautement suspect. Expliquez-vous!

J'ai noté dans mon Français libre l'impression profonde, tous drapeaux confondus, de la rengaine nostalgique de la Wehrmacht Lili Marlene durant la guerre. L'affirmation pro­vocante du Sanders de Nimier  —«Plus l'Apocalypse s'est rapprochés de l'Allemagne et plus elle est devenue ma pa­trie!»—  était la mienne alors même que je vivais la victoire de notre croisade de la liberté sous pavillon US à bord du pétrolier «Eagle». La sottise et l'énormité mensongère de la propagande m'exaspéraient. A l'étalage massif et sempiter­nel des exclusives horreurs nazies je ne pouvais m'em­pê­cher de mettre en parallèle toutes les images qu'on nous cachait, et dont il n'existe aucune trace, de l'anéan­tis­se­ment systématique de Dresde et de villes entières, de po­pulations errantes, exténuées, massacrées, ou mourant de faim et de misère sur les routes dévastées. Quelles qu'aient été les aberrations de Hitler, ce désastre était aussi celui de l'Europe et donc le nôtre. A cette impression se mêlait ma compassion pour les vaincus au terme d'une lutte hé­roïque contre le monde entier, et pour les causes perdues.

Mon goût des légendes, inhérent aux contes du pays basque transmis dès l'enfance par ma grand-mère, m'inclinait natu­rellement aussi à une sorte de familiarité fraternelle avec la mythologie germanique et l'exaltation wagnérienne de Lohengrin sur fond d'honneur, de loyauté et d'amour trans­cendant. Ce genre d'impression n'était pas destiné à m'ou­vrir le meilleur accueil et l'on eût trouvé plus naturel de me voir tirer parti de mon engagement sous ce que vous ap­pelez très justement «le bon uniforme», dont je me sou­ciais comme d'une guigne. Mais la solitude était le prix de ma liberté et j'acceptais dès le départ qu'il en soit ainsi.

Q.: Vous aggravez votre cas en déclarant à Mauriac en 1951: «il y a une étude à faire sur l'aide américaine, dans le sens où l'on peut considérer la démocratie amé­ricaine comme le ferment le plus empoisonné, le plus stu­pidement pervers et le plus efficace du désordre mon­dial». Seriez-vous —je n'ose y croire— hostile au prin­cipe même de l'ingérence humanitaire?????

J'ai participé à l'ouvrage collectif Nos amis les Serbes, pu­blié à l'Age d'Homme, pour protester contre l'infamie de la guerre de l'Otan dans les Balkans et la criminelle stupidité de notre alignement sur les Etats-Unis dans ce qui relève de leur seul intérêt avec la création et l'entretien ruineux d'un abcès incurable, étranger à notre culture et à notre civili­sa­tion au cœur de l'Europe. De la même manière, notre strict intérêt était de refuser toute intervention dans la guerre du Golfe et d'en laisser la charge et les dépenses aux Etats-Unis, uniques bénéficiaires. C'est assez dire que je suis résolument contre toute «ingérence humanitaire» qui n'est que le masque grossier de combinaisons sordides et parfaitement étrangères aux intérêts de l'Europe.

Q.: Vous n'êtes tout de même pas de droite? Je vous de­mande cela car j'ai lu quelques phrases ambiguës sur les empires centraux et la monarchie. A nouveau, rassurez-nous!

On classe volontiers parmi les «anarchistes de droite» tous ceux qui n'adhérent pas au conformisme de la pensée uni­que et de l'idéologie dominante qui s'affiche aussi bien à gauche que dans la droite honteuse depuis le triomphe des «Lumières». C'est ainsi que je figure dans l'essai de François Richard, paru il y a quelques années dans la collection "Que sais-je?" (n° 2580). Je ne récuse nullement cette appella­tion, mais qui se soucie aujourd'hui de savoir si Dante, Sha­kespeare ou Cervantès, ont pu être de droite ou de gauche? Sans la moindre prétention, je me contente de croire que celui qui tente de témoigner pour son temps dans l'iso­le­ment d'une création artistique échappe à toute classifi­ca­tion sommaire. Je constate en tout cas que nombre d'écri­vains des années trente parmi les meilleurs, Chardonne, Mon­therlant, Drieu, Morand, Jouhandeau et quelques au­tres, sans parler bien entendu de Céline, arbitrairement clas­sés à droite, et qui ont payé pour cela, n'en faisaient pas moins les délices de Mitterrand, qui avait le bon goût de ne pas cacher sa paradoxale prédilection. Mitterrand, icône de la gauche officielle, était au fond tranquillement fidèle à sa jeunesse monarchiste, et mérite considération et sympathie pour tout ce que nos médias lui ont haineu­se­ment reproché à la fin de sa vie (ferme refus de «repen­tance», émouvante et brillante improvisation, au Parle­ment de Berlin, sur le «courage des vaincus», etc.). Les pre­miers mots dont je me souviens ont été ceux d'une ber­ceuse basque toujours populaire en faveur de don Carlos, "el Rey neto", soutenu par la tradition navarraise contre la farce constitutionnelle de l'oligarchie prétendument pro­gres­siste attachée au règne factice d'Isabel. Curieusement, Marx a exprimé son estime et sa préférence pour l'insur­rection carliste, dont les "fueros" populaires, nobles et pay­sans étroitement mêlés et solidaires, offraient l'image d'une démocratie autrement juste et authentique que le si­mulacre bourgeois hérité de nos mystifications révolution­naires. C'est à cette image, bien évidemment de droite pour nos éminents penseurs professionnels, que je me suis toujours voulu fidèle.

 

(propos recueillis par Patrick Canavan).

 

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mercredi, 11 juin 2008

The Russian Dreams of a German Philosopher

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The Russian Dreams of a German Philosopher

by Pavel Tulaev

One of the central issues to Russian contemporaneous historiography is the matter of the relations between the East and the West. It is from here that the interest on the subjects arises in the classics like: Russia and Europe, by N. Y. Danilevskii; Decline of the West, by Oswald Spengler; or, Europe and Humankind, by N. S. Trubetskoy. One of the most important works on the subject is the book by the German Philosopher Walter Schubart (1897-194?) Europe and the Soul of the East, published for the first time in Switzerland in 1938. The importance of this work lies in the fact that it is the only one that deals with the universal vocation of the Russian civilization.

The main idea of the treaty is the "natural contradiction between the western man and the eastern man".

The author considers that the West has fallen prisoner of the materialist civilization and lives a time of a profound crisis. The West cannot save itself on its own, the new awakening has to come from the East, from Russia. Schubart bases his analysis in the Russian Literature, in the Philosophy and in the key moments of Russian History. In any case, Schubart's book does not deal just with Russia, but rather with "Europe as seen from the East".

Following the different periods of history, the author analyzes the contradictions between the West and the East, he dives into the depths of the Russian soul, and tries to understand the meaning of the Russian national idea. He places the Russians in the same level as the Germans, Spanish, French and English. He also deals with philosophical matters, like faith and atheism, fear and courage, egoism and fraternity. For instance, he tries to understand the reason why the Germans are badly seen by other peoples; why is it that the Anglo-Saxons are so entrepreneurs; what makes the French to be so rationalistic whereas the Russians are so nationalistic and are so much into self-sacrifice. He is interested, above all, in the degradation of the western individual.

Schubart finds the answer to those questions in the geographical, religious and cultural factors.

The West, for Schubart, is divided into a few key nations, and then he continues analyzing the Germans, the Anglo-Saxons and the French.

The Germans, according to Schubart, are the ones who stand out most in the prometeic culture (i.e., bearer of a will to know the truth and to change the course of things) in the West. They are disciplined, they love working, they carry the mark of the Nordic soul. They love the combat and are natural soldiers. A typical characteristic of the Germans is some degree of arrogance and even cruelty in their treatment to others. But this does not mean that the German is cruel; on the contrary, inside his own family circle he is affectionate and warm.

With regards to the Anglo-Saxons, the fact of living in an island has influenced them like no other factor in their idiosincracy. The English is pragmatic, practical, and he makes an effort in being succesful in his enterprises. Spiritually, he is a liberal; vocationally, he is a merchant.

The French, unlike the English, are less pragmatic. They are good analysts and rationalists, but more dreamers. The French is sentimental and searches for beauty and order in everything. If the Germans fights attracted by his warrying soul, the French is ready to die for his dear motherland.

The Russians --to whom Schubart dedicates over the first half of the book--, differently to their western cousins, they posses a great interior freedom. Due to their profound religiosity, the Russian is not subject to the material things, he doesn't try, like the German, to conquer the world; nor does he wish, like the English, to always achieve material benefits; he does not try, like the French, to understand what cannot be understood, although he posseses an immense universalist vocation.

From the Geopolitical point of view, the Russian is a born imperialist; he thinks in wide spaces and continents, which is why Dostoievski was right to speak of the "Pan-European" vocation of the Russian, and also was Napoleon when he asserted that "Russia is a power that goes towards world domination with giant steps."

The author of Europe and the Soul of the East calls the Russians who live in the open plains of Eastern Europe, the "sons of the steppe". Even if living in the cities, the Russians "keep the life style proper of the nomad people". And though the ancient Scandinavians named Russia as Gardarika ("country of cities), the fact is that there has always been a vocation to live outside the urban limits, a need to return to the ways of the rural life, to the harsh tasks of the work in the land.

In any case, it seems as if to analyze the central characteristics of the Russian nation, Schubart based himself in the Russian Literature and Thought, instead of the evidenced historical facts.

One of the most interesting observations from Schubart is the list of similarities that he finds in the national trajectories of Russia and Spain:

Both nations emerge as powers as a result of the struggle against non-Christians. In 1476, Ivan III refused to pay the yearly tribute to the Tatar Khanate, and in 1492 Fernando of Aragon conquers the last Moorish reduct in Granada and expels the Jews, finishing this way the Reconquista. Both nations build powerful empires and both peoples fought against Napoleon like no other and defeated his armies. A fact that is key for both nations, according to Schubart, was the entry of the prometeic ideas which, already in the 20th century made that both Russia and Spain lived revolutions and civil wars.

"The Spanish national idea is more similar to the Russian national idea than any other --asserts Schubart-- since both share the same longing for transcendence, of returning to the world its 'lost soul'."

"Russian civilization --continues Schubart-- struggles for the triomph of the prometeic culture in its lands, but the day will arrive when this struggle will come out of its frontiers to attack the western soul in its own terrain. From this will depend the destiny of humanity: Europe was a source of disgraces for Russia, but Russia can get to be a source of happiness for Europe."

The assesment of Schubart's book that we are doing here should not make us forget that it is not possible to agree with many of the assertions done by the author. Some of the facts must be discussed.

Schubart speaks of the Russian soul and of the spiritual characteristics of other peoples in an abstract mode, without taking into account the very important fact that every time and every historical context is different from the one preceding it. It is not the same to speak of the Russian mentality based on the Christian Orthodoxy than to speak of the one based on Bolschevism. Another critique refers to what the author understands by "East": Russia, in relation to Germany is obviously in the East. But in relation to China and Central Asia it is the West. Russia is, for its racial and cultural origins, an European nation. The country expanded from the North-West to the South-East, but that does not mean that we stop being Christians and White colonizers and we turn into Asians or Muslims.

The German philosopher calls our country "the Eastern Continent" and to the Russians "the sons of the steppe". In fact the geographical determinism happens to be one of Schubart's weakest points: it seems as if for him the "landscape" is one of the main factors to know the destiny of a people; when it has been evidenced that a good Blood can exist in a highly technified environment.

Since his work was released, the global relations have change already twice: in 1945 and in 1991. There is no more a III Reich nor a USSR. We live in the time of the technocracy, of the post-industrical civilization, the "New World Order". There is little space left for the profecies of Schubart to become reality.

There is only left the trust in ourselves, to listen to our heart and to our soul; only this way we will be the owners of our Destiny.


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Article by Pavel Tulaev, published on the issue #7 of the Russian Identitarian magazine Nasledye Pred' Kov (The Heritage of the Forefathers). Summer 2000.

Translated from Russian to Spanish by Josep Oriol Ribas i Mulet, and published on the issue #12 of the Spanish Identitarian magazine Tierra y Pueblo. May 2006.
__________________
'Dardanidae duri, quae uos a stirpe parentum
prima tulit tellus, eadem uos ubere laeto
accipiet reduces. Antiquam exquirite matrem:
hic domus Aeneae cunctis dominabitur oris,
et nati natorum, et qui nascentur ab illis.'



We can easily forgive a child who is afraid of the dark; the real tragedy of life is when men are afraid of the light.

--Plato--

Unheilig - Maschine

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Unheilig - Maschine

 

“[D]e industrie is niet alleen de toepassing van de wetenschap, toepassing waarvan die laatste – op zichzelf – totaal onafhankelijk zou moeten zijn. Zij wordt er de bestaansreden en de rechtvaardiging van, zodanig dat hier nogmaals de normale betrekkingen omgekeerd blijken te worden. Datgene waarop de moderne wereld al haar krachten heeft toegepast, zelfs wanneer ze heeft beweerd aan wetenschap op haar manier te doen, is in werkelijkheid niets anders dan de ontwikkeling van de industrie en het ‘machinisme’. En door zo de materie te willen beheersen en haar naar hun gebruik te buigen zijn de mensen er alleen in geslaagd zich er de slaven van te maken. Zoals we in het begin zeiden: niet alleen hebben ze hun verstandelijke (als het nog toegelaten is zich van dat woord te bedienen in een dergelijk geval) ambities beperkt tot het uitvinden en bouwen van machines, maar ze zijn uiteindelijk zélf machines geworden. Inderdaad, de ‘specialisatie’ – zo geroemd door bepaalde sociologen onder de naam ‘arbeidsverdeling’ – heeft zich niet alleen opgedrongen aan geleerden, maar ook aan technici en zelfs aan arbeiders, en voor die laatsten is elke verstandelijke arbeid op die manier onmogelijk gemaakt. Heel anders dan de ambachtslui van vroeger, zijn zij niets anders dan de bedieners van machines. Zij vormen als het ware één geheel ermee. Zij moeten onophoudelijk – op een volledig mechanische manier – bepaalde gedetermineerde bewegingen herhalen om het minste tijdverlies te vermijden. Altijd dezelfde en altijd volbracht op dezelfde manier. Zo willen het tenminste de Amerikaanse methodes die aanzien worden als de hoogste graad van ‘vooruitgang’. Inderdaad, het gaat er alleen om zoveel mogelijk te produceren. Men bekommert zich weinig om de kwaliteit, het is enkel de kwantiteit die belangrijk is. We komen eens te meer terug op dezelfde vaststelling die we al gemaakt hebben in andere domeinen: de moderne beschaving is waarlijk wat men een kwantitatieve beschaving kan noemen, wat niets anders is dan een andere manier om te zeggen dat zij een materiële beschaving is”.

René Guénon, La crise du monde moderne, p. 153

Les Etats-Unis financent l'agitation tibétaine

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Les Etats-Unis financent l’agitation tibétaine

 

D’après un article de la “Süddeutsche Zeitung” (SDZ), le caucus “National Endowment for Democracy” (NED), qui, bien que privé, reçoit de larges subsides du gouvernement américain, aurait payé, rien que l’an passé, 45.000 dollars à l’“International Tibet Support Network” (Réseau international de soutien au Tibet) qui a notamment coordonné les protestations très médiatisées contre les Jeux olympiques prévus cet été à Pékin, principalement à l’occasion des courses avec la flamme olympique.

 

L’argent du contribuable américain est allé dans l’escarcelle des groupes tibétains que le gouvernement chinois considère comme insurrectionnels. L’intermédiaire, assurant le transit des fonds, n’a pas toujours été la NED, mais elle l’a été souvent.

 

Rien qu’au cours de l’année 2006, cette organisation privée, selon ses propres déclarations, aurait versé 293.000 dollars à des groupes tibétains que Pékin accuse d’avoir co-planifié le soulèvement de Lhasa, il y a deux mois.

 

Sur le plan politique, ce soutien financier ne manque pas de piquant parce que la NED reçoit la plupart de ses subsides du Congrès américain. Les Etats-Unis financent ainsi directement des actions que Pékin juge déstabilisantes ou diffamantes à la veille des Jeux olympiques,  explique le journaliste du SDZ.

 

Dans les années qui viennent de s’écouler, le Congrès a de fait libéré toujours davantage de fonds pour soutenir des “programmes de démocratisation” en Chine et au Tibet. Pour l’année 2006 seulement, le montant s’élève à 23 millions de dollars. Des organisations privées comme la NED sont devenues d’importants instruments de la politique étrangère américaine.

 

Le journal de Munich cite les propres paroles de l’ancien directeur de la NED, Weinstein: “Beaucoup d’actions que nous lançons maintenant auraient été secrètement menées, il y a vingt-cinq ans, par la CIA”. Les instituts américains de ce type auraient, poursuivent les  rédacteurs de la SDZ, également soutenu financièrement la “révolution orange” en Ukraine et la “révolution des roses” en Géorgie, deux “remaniements politiques” clairement dirigés contre les intérêts de la Russie.

 

Le président du Venezuela, Hugo Chavez, a ouvertement reproché aux Etats-Unis de soutenir la violence au Tibet. En menant une telle politique, Washington entend saboter les Jeux olympiques de Pékin, a déclaré Chavez lors de l’un de ses discours, tenu récemment à Caracas. Les Etats-Unis veulent, par tous les moyens, fractionner le territoire actuellement sous souveraineté chinoise. Derrière les désordres du Tibet se profilent les intérêts de l’impérialisme américain, pense le président du Venezuela, qui a appelé à soutenir la Chine dans cette épreuve, de même que les Jeux olympiques.

 

K. KRIWAT.

(article tiré de DNZ/n°23/2008; source: Jean-François Susbielle, “China/USA – Der programmierte Krieg”; édition allemande de: J.-F. Susbielle, “Chine-USA. La guerre programmée. Le XXI° siècle sera-t-il le siècle de la revanche chinoise?”, First Editions, Paris, 2006,ISBN 2-75400-149-2).

mardi, 10 juin 2008

Veneti: ancestors of Slavs

VENETI: 

  

ANCESTORS OF SLAVS

  

by Pavel V. Toulaev

Moscow, Russia

The core of the discussion around the Veneti (Enetoi, Venethi, Vendi) is in the answer to the question of whether they had been Slavs or not.  Western scholars, Germans and Italians in particular, believe that Veneti having ancient roots, had not been Slavs, since the latter stepped on the historic stage only in the VI-th century A.D., when they took part in the destruction of the Roman Empire and got onto the pages of the Byzantine chronicles.  The majority of the Slavic authors tend to regard Veneti as their ancient ancestors, although this point of view is not always well-grounded and is not shared by all scholars.

On the basis of historic facts and conclusions in scientific literature we can reconstruct in more detail the picture of the Venetic world starting from ancient times.  Chronologically it may be divided into the following major stages.

Before 1200 B.C., the data of the Trojan War, the Enetoi, mentioned by Homerus [Homer] and later by Strabon [Strabo] and other ancient authors, lived in Troas [city/area near ancient Troy] and Paphlagonia.  They descend to Dardanus [Dardanelles or Hellespont], Ilus [Ilium or Troy] and Pilemen which manifested itself in the contacts of the Western regions of Asia Minor with Thracia and Illyria.

1200 - VII century B.C.  After the collapse of Troy and the Hittite Empire the Enetoi headed by Antenor first moved to Thracia and then to the northern coast of the Adriatic.  The fellow-tribesmen of Enei (Aineias)[Aeneas], the main hero of the "Eneide" [Aeneid] by Vergilius [Vergil] and the legendary founder of Rome, colonized the western part of the Apennine peninsula.  The civilization of Ethruscs [Etruscans] also appeared in that area.  At the same time there was a migration of Paphlagonian Enetoi to Urartu, which comprised the Kingdom of Van.

VI - I centuries B.C.  After the collapse of the Tarquinius Dynasty the Ethruscan [Etruscan] center shifted to the region of Ethruria [Etruria].  In that period the Adriatic Venice, described by many authors including Herodotos [Herodotus] and Tacitus, witnessed a formation of the union of towns with developed trade and culture.  The Adriatic Veneti set out to follow the Amber Route alongside with many others.  The Route led from the Mediterranean to the Baltic Sea via the Alps and Noricum in particular.

I - IV A.D.  The Veneti occupied a vast territory: from central Europe (evidenced by Plinius [Pliny], Ptolemaeus [Ptolemy], Julius Caesar) to the north-western coast of the Baltic sea, which was called Venetian by the contemporaries.  To the east of the Danube in that period of time there came the tribe of Antes, which was related to western Veneti according to the Goths historian Jordan.  The Antes moved from the South Bug to the mid-stream of the Dniepr [Dnieper].

V - VI century.  Involved in the total movement of the Barbarians (Alans and Huns) and in the union with the related Slavic tribes (Sclavens) they intruded into the Roman Empire.  They subjugated Illyricum, Northern Italy and conquered Rome.  These events are described in detail by Procopius and other Byzantine historians.  The tribe of the Vandals, related to Antes and Vendi and headed by Slavic and Germanic chiefs, moved further to the West, passed in military action through Spain and founded the Kingdom of Vandals in Northern Africa.

VII - IX c.  The Slavs, called Veneti, Vendi or simply Veni by Germans and Finns, set up their own towns and princedoms on the vast plains of Europe:  from the Alpine meadows along the Danube to the forests and steppes of the East-European Plain.  The state alliance of Karantanians [Carantanians], Checks [Czechs], Moraves [Moravians] and Sorbs (the middle of VII century) headed by the leader Samo was Slavic in its nature and disintegrated under the onslaught of Germans.  The Baltic Slavs headed by Varangian Rurik imposed their authority in Novgorod and Kiev Russia inhabited by Slovens, Polens, Krivichi, Vyatichi and other related tribes.

X - XII c.  The Venetic civilization also developed on the southern coast of the Baltic inhabited by Pomors (Pomerans)[Pomeranians] Varii and Rugi.  There appeared large religious centers (Arkona, Rhetra) and flourishing trade towns such as Volin (Vinetta) Stargrad, Szczecin.  The whole region became known as Vindland.  The Pomorian [Pomeranian] Veneti had constant wars with Germans and the latter won the victory over them and destroyed their Slavic towns.

XIII - XV c.  The Germanic princes in alliance with Catholic Rome established their supremacy in Central Europe.  While militant monastic orders attacked Poland, Prussia and Lithuania from the west, Tatars and nomads ravaged Russian princedoms from the east.  After the collapse of the Golden Horde and the conquering of the Orthodox Constantinople (Tzargrad) by Muslim Turks, there started a fight for hegemony over the Slavic world.

>From the methodological point of view the following issues of vital importance have been cleared up.  The Veneti lived originally in Europe. In the course of centuries they repeatedly moved from different places of settlement to others, retaining the principle of the tribal system.  The Veneti were ancestors of some ancient civilizations, presumably Vinca, Aratta or legendary Hiperborea [Hyperborea] with its cults of the Olympic gods Zeus, Leto, Apollo, Artemide and also the ancestors of Ethrusc-Pelasgs.  In the Bronze Age they already had developed religion, culture and economy.  In the process of expansion the Veneti founded city-colonies (Troy, Rome, Venice, Vinetta) at the periphery of the Proto-Slavic world.  The colonizer possessed a developed culture traceable by its artistic reflection in the images of such heroes as Enei, Orpheus, Sadko, Veinemeinen.

Veneti are not modern Slavs but our ancient ancestors.  And they are the ones from whom the genealogical line of the Slavs stems in its metahistorical aspect.   The Veneti are neither Celts, nor Goths, Scythes, Germans, Scandinavians, Greeks, Phoenicians or any other but an independent historic community.  This statement is of vital importance since we infer the ancestor Slavs were in no way "Indo-Europeans" or "Euroasians".  From the anthropological point of view they were Europeids, subjects of the white race and bearers of its civilization.   A more ancient community could have existed V-VI thousand years B.C. or even earlier, and Protoslavs had their own identity then as well.

It is only natural that in the course of centuries our ancestors mixed with neighbouring tribes and were exposed to influence.  Dynastic marriages also presupposed mixing of different blood strains.  The name of Veneti implied most likely different ethnoses in different historic epochs.  This does not mean that they were not related or had no continuity.  The name of Veneti has survived up to now alongside with many features of the given community.  We cannot deny that the processes degradation and degeneration did take place but that doesn't mean that we should neglect our Venetic inheritance.

Slavic renaissance calls for conscientious assimilation of all its spiritual and cultural wealth.  Further studies of the Veneti will be more accurate.  We are going to research every fact differentially applying new methods of comparative culture study, semiotics, linguistics, anthropology and genetics.  We will differentiate between the name of the ethnos and its bearer, the ethnos and the language, the language and anthropology, one epoch and another.  We will pursue our road of lovingly learning our deep-rooted ancestry.

The treasures of the Veneti will have their say.