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mardi, 09 mars 2021

La Sibérie, ventre mou de la Russie?

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La Sibérie, ventre mou de la Russie?

Par Tommaso Minotti

http://osservatorioglobalizzazione.it/

77% du territoire russe est formé par une Sibérie sans réelles frontières. Dans cette région inhospitalière, où l'on ne compte que trois habitants au kilomètre carré, se concentrent 70 % des ressources pétrolières et gazières de la Fédération de Russie. Cela fait de la Sibérie une région stratégiquement importante pour Moscou. Le problème est que de plus en plus de Sibériens se sentent exclus des accords commerciaux lucratifs que la Russie et la Chine scellent dans la région. Ce sentiment provoque du ressentiment, surtout envers Moscou, qui est considérée comme une force étrangère, capable seulement d'exploiter la région sans rien donner en retour. Et c'est dans ce contexte potentiellement dangereux pour l'intégrité territoriale et le bien-être économique de la Russie que se développent les pulsions régionalistes, déjà présentes dans l'histoire mais restées longtemps en sommeil.

Contexte historique : quand la Sibérie ne se considérait pas comme russe

Déjà à l'époque tsariste, il y a eu des dérives séparatistes et régionalistes de la part d'éléments de la haute société sibérienne. Le premier d'entre ces contestataires fut Nikolaï Novikov, qui a émis une théorie sur une Sibérie indépendante dès 1838. En 1863, il y a eu une tentative de rendre cette immense région autonome, mais elle a été réprimée. Les principaux théoriciens de cette expérience, certes irréaliste, ont été avant tout Afanasy Shchapov, mais aussi Potanine et Yandritsov. Le premier, surtout, était le principal théoricien de l'oblstnichestvo, c'est-à-dire du régionalisme aux impulsions indépendantistes.

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Un partisan de la Sibérie indépendante fut également l'un des penseurs et fondateurs de l'anarchisme : Bakounine. Pendant la guerre civile russe qui a suivi la révolution d'octobre, les régionalistes sibériens se sont rangés du côté des Blancs, plus précisément de l’Amiral Koltchak. Mais ils ont d'abord créé un gouvernement autonome de Sibérie de courte durée, basé à Tomsk. Le gouvernement a été de courte durée car il a été décidé de soutenir les ennemis des bolcheviks sans essayer d'obtenir l'indépendance de la Sibérie.

À l'époque soviétique, les autorités centrales ont décidé de diviser les provinces de ce territoire sans fin afin d'avoir un contrôle plus efficace sur l’ensemble des terres sibériennes. Les poussées autonomistes semblaient perdre du pouvoir. Cependant, avec l'effondrement de l'URSS et l'arrivée de Poutine au pouvoir, il y a eu un changement de politique dans l'administration du territoire sibérien. Il a été décidé de fusionner les oblasts, ce qui s'avère contre-productif car les velléités régionalistes refont alors surface.

Un danger pour la Russie ?

Les Sibériens développent un certain ressentiment envers Pékin et Moscou, même s'ils ont été culturellement influencés à la fois par la Chine et, bien sûr et dans une bien plus large mesure, par la Russie. En ce sens, nous assistons à une véritable floraison des activités régionalistes dans les domaines les plus variés.

Manifestations, séminaires, propositions de référendum sur une plus grande autonomie de la Sibérie et diverses autres initiatives en ligne. Le web est un véhicule efficace pour les mouvements régionalistes, dont le plus important est celui qui s’est donné pour nom les "Vrais Sibériens". Mais la montée du régionalisme ne se limite pas au web.

Un séminaire sur l'indépendance de la Sibérie a été présenté à l'université d'Irkoutsk. Il aurait été parrainé par un département américano-sibérien, mais aucune information plus détaillée n'est disponible à ce jour. L'exposition d'art "Les États-Unis de Sibérie" a fait beaucoup de bruit, mais seulement en Russie. A côté de ces initiatives culturelles, il y a des mouvements politiques. En plus des initiatives nées sur Internet, il existe également des organisations plus profondément ancrées dans le territoire, dont la plus importante est le ‘’Mouvement sibérien’’. Enfin, il convient de noter un fait intéressant, même s'il n'en est qu'à ses débuts. De plus en plus de gens dans cette partie de la Russie se disent "Sibériens" et de moins en moins "Russes". Des signes petits mais révélateurs de quelque chose qui bouge.

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Drapeau de la région de Novosibirsk.

Protestations en Sibérie

Mais il n'y a pas que les initiatives culturelles et les mouvements politiques dont l'influence réelle est difficile à établir. Des manifestations ont également eu lieu, presque toutes avec un épicentre à Novossibirsk. En 2011 et 2012, la ville a été touchée par des manifestations dont le moteur était également régionaliste. La colère contre Moscou et la politique du Kremlin, perçue comme éloignée des intérêts des Sibériens, était particulièrement vive. En 2014, une marche pour la fédéralisation de la Sibérie a été interdite par les autorités gouvernementales. Un autre symptôme qui indique que quelque chose bouillonne dans la marmite. Enfin, en juillet 2020, à Khabarovsk, entre cinquante mille et quatre-vingt mille personnes sont descendues dans la rue pour protester contre l'arrestation du gouverneur Furgal. Il était très aimé par son propre peuple, mais n'était pas apprécié par les dirigeants du Kremlin, qui le considéraient comme déloyal. La foule, bien que n'ayant pas déclaré d'intentions régionalistes, était cependant hostile à Moscou et à l'État central. Enfin, autre signe de l'attention croissante du gouvernement central, deux blogueurs régionalistes nommés Loskutov et Margoline ont été mis sous étroite surveillance par les autorités judiciaires.

Une question politique

Mais quelles sont les caractéristiques du régionalisme sibérien, particulièrement fébrile à Omsk. Cette ville est devenue le nouveau centre autonomiste de la région. Revenons sur les particularités des poussées qui commencent à se produire en Sibérie. Tout d'abord, il faut dire que le soutien aux nombreuses initiatives qui ont été discutées ci-dessus est politiquement transversal. Le régionalisme n'est pas hégémonisé par un seul parti mais est soutenu par diverses composantes hétérogènes, pour l'instant nettement minoritaires, émanant de presque toutes les organisations politiques présentes sur le territoire. Une autre caractéristique est l'opposition à la politique financière de Moscou dans la région. Comme la région est la principale source de richesse de la Russie, la Sibérie souhaite une baisse des impôts. En bref, on croit, en Sibérie, que les relations ne sont pas équilibrées mais, au contraire, nettement déséquilibrées en faveur de la Russie occidentale. Enfin, le régionalisme bénéficie également d'un certain soutien dans les institutions. On l'a vu dans l'affaire Furgal, où la colère contre la destitution d'un homme politique populaire s'est combinée à une intolérance mal dissimulée envers Moscou, avec des connotations clairement régionalistes.

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Pour l'instant, le Kremlin a réagi en essayant de centraliser le plus possible. Bien que les impulsions régionalistes n'aient pas été jusqu'à présent particulièrement puissantes ou importantes, il est toujours nécessaire de garder un œil sur la situation en Sibérie. Région cruciale pour la Russie, qui tire l'essentiel de ses richesses de cette terre sans limites et peu peuplée, la Sibérie risque de devenir la prochaine cible américano-occidentale pour lancer l'assaut contre la Russie qui a d'abord vu l'effondrement de l'Ukraine puis du Belarus dans son environnement proche. La nouvelle administration américaine veut continuer sur la voie belliciste déjà empruntée par Obama, dont elle a recyclé de nombreux ex-collaborateurs : elle entend, sans fléchir, exercer une pression maximale sur la Russie.

Sans oublier le fait que la Chine bénéficierait elle aussi de la faiblesse de la Russie dans la région. Surtout parce que le Céleste Empire a déjà l’avantage d’une proximité géographique qui facilite l'exercice de son influence. Mais pour l'instant, ce ne sont que des hypothèses. Il n'en reste pas moins que le régionalisme sibérien fait son retour.

À propos de l'auteur / Tommaso Minotti

Né en Brianza en 2000. Étudiant en histoire à l'université de Milan, il est passionné par la politique nationale et internationale. Il s'intéresse principalement aux relations entre les nations. Il s'intéresse particulièrement aux questions sociales et économiques qui lient les différents États et garde toujours un œil sur l'histoire. Il collabore également avec L'Antidiplomatico où il gère l'espace "Un altro punto di vista" (‘’Un autre point de vue’’).

lundi, 08 mars 2021

La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

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Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/mars/du-monde-harmonieux-au-r-ve-chinois-la-chine-et-sa-strat-gie-de-s-curit

Du "monde harmonieux' au "rêve chinois"

La Chine et sa stratégie de sécurité

La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

Deuxième partie

par Irnerio Seminatore

Texte reparti en deux sous-titres:

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE. GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE

(première partie; cf. : http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/02/28/du-monde-harmonieux-au-reve-chinois-la-chine-et-sa-strategie-de-securite.html

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE?

(deuxième partie)

***

TABLE DES MATIÈRES

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)

Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence

De la "défense passive en profondeur"(Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)

La puissance nationale comme stratégie

"Vaincre le supérieur par l'inférieur"

Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive

Conditions pour l'emporter dans un conflit limité

L'asymétrie, son concept et sa définition

L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE ? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues
L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

***

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

Depuis la normalisation des relations avec les États-Unis, lors de la visite de Nixon et de Kissinger à Mao Zedong en 1972, nous assistons à une surprenante montée en puissance, civile et militaire, de la Chine, destinée à jouer un rôle de plus en plus grand en Extrême Orient, dans le Pacifique, dans l’Asie du Sud-Est et en Asie centrale, mais aussi à affirmer sa marche vers la prééminence planétaire, par une diplomatie active dont la place centrale est représentée par ses rapports avec les USA.

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Les rapports avec les USA ont été qualifiés par des officiels de Pékin, sous la Présidence Hu Jintao (2003-2013), comme "un partenariat stratégique et constructif tourné vers le XXIème siècle".

Ces déclarations ont constitué le fondement d’une "diplomatie asymétrique", dont la doctrine stratégique reposa sur la politique des "quatre non" : "Non à l’hégémonisme, non à la politique de force, non à une politique de blocs, non à la course aux armements".
En termes opératoires, cela signifia la préférence accordée aux relations bilatérales dans le règlement des contentieux frontaliers, l’utilisation active des relations multilatérales au sein des organisations régionales et, enfin, l’emploi des bénéfices de la croissance pour faire face aux différends politiques croissants avec un esprit de négociation et de compromis

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

La stratégie triangulaire de la Chine résulta d'une articulation d'objectifs corrélés:

- isoler les USA, en attisant les contradictions entre leur rôle mondial et celui de garant politico-militaire de la sécurité du Japon

- fomenter les craintes encore très vives des pays asiatiques, contre une éventuelle remilitarisation et nucléarisation de l'Empire du Soleil Levant, en mettant en crise le système de sécurité nippo-américain, qui visait à contenir la Chine,

- enfin, faire prendre conscience aux États-Unis que, pour assurer leur influence en Eurasie et pour maintenir leur stratégie de présence en Asie centrale et en Asie-Pacifique, ils devaient réorienter radicalement leurs alliances et opter pour un véritable partenariat géopolitique, de portée mondiale, avec la Chine, puissance de la terre, qui est à considérer, théoriquement, comme l’allié naturel des États-Unis, puissance de la mer.

Ainsi, les relations sino-américaines passeraient de la posture d’un affrontement éventuel, à la posture d’un condominium planétaire, autrement dit à celui d’un duopole de puissance inédit et dés-occidentalisé, asiatisé et sinisé.

Deux problèmes interdépendants se posaient alors aux États-Unis et en Asie Extrême Orientale:
- la définition des "limites" à assigner à la Chine dans son aspiration à devenir une puissance régionale dominante et le seuil de dangerosité acceptable pour accéder au rang de puissance globale.

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Quelle aire d’influence lui serait-elle reconnue? Quel espace de manœuvre avec Taïwan, la Malaisie, la Birmanie, pour le contrôle du détroit de Malacca et du goulet de Singapour, et quel déploiement des capacités militaires permettraient à la Chine d’exercer une maîtrise maritime des voies d’accès du Japon au pétrole du Golfe et du Moyen Orient et aux marchés de l’Europe Occidentale et Orientale ?

En conclusion, beaucoup d’inconnues et d’incertitudes planaient à l'époque sur la stabilité régionale en Extrême Orient ainsi que sur les poussées nationalistes qui tiennent encore en éveil l’Asie, aux immenses disparités, économiques, politiques et culturelles, marquées également par un retour prononcé aux jeux d’influences et à la "Balance of Power".

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

La politique étrangère chinoise construit l’avenir sur une mutation de taille, dictée par sa transformation de puissance mondiale classique en puissance globale, un type de puissance qui est en même temps pluri-dimensionnelle et « hors limite » ; une puissance terrestre, maritime, spatiale et en réseau.

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Li Zao Xing.

La Chine, d’après le Ministre des Affaires Étrangères, Li Zao Xing se prépare-t-elle à atteindre des "ambitions démesurées grâce à une politique extérieure mesurée"?
Le but de la politique chinoise de construire sur le long terme et au courant du XXIème siècle, "une société d’aisance moyenne", ne peut être atteint que dans un contexte international favorable et celui-ci serait caractérisé par une "paix mondiale prolongée" et "une ère nouvelle, combinant alliances et affrontements: une ère de non guerre (n.d.r.-mondiale ou systémique)".

C’est dans ce contexte de quête de la suprématie globale, que doivent être lus les efforts inhabituels de la "diplomatie de l’apaisement", pour mettre un terme aux multiples tensions territoriales avec les pays frontaliers, le long des lignes de frontières terrestres parmi les plus longues du monde (protocole d’accord entre la Chine et l’Inde du 11 avril 2005, accord de Vladivostok du 2 juin 2005 entre Russie et Chine).

Il s’agit-là d’ententes pacifiques à haute importance stratégique entre les deux puissances majeures de l’Eurasie, la Russie et la Chine, dont la signification a été de
jouer à la pression démographique au Nord, dans les zones inhabitées de la Sibérie Centrale et Orientale et de créer des liaisons d’assurance et de confiance au Sud, dans le but de créer des liens de vassalité et de déférence avec les pays de l’ASEAN.

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

Ici, l'entente pacifique renforcée, par une stratégie de sécurisation des voies maritimes dans les mers de Chine du Sud, acquiert une dimension plus offensive vers l'Océan Pacifique, par le développement de capacité d'interdictions navales et spatiales, mais cette dimension est encore de théâtre.

En effet la Mer de Chine Méridionale devient un des théâtres géopolitiques parmi les plus critiques de la planète, car se superposent ici les projections d'influence de la Chine, à caractère expansif et le rôle régional des États-Unis, à caractère défensif. Les premières remettent en cause la stabilité régionale, le deuxième préfigure un "soft containment" global d'un type nouveau. Les perspectives changent encore en se plaçant au niveau planétaire ou systémique. A partir de discours d'Obama à Tokyo en novembre 2009, la politique de l'Administration américaine visera à définir les États-Unis comme "une Nation du Pacifique" , ce qui explique le nouveau "grand jeu" qui se dessina à partir de là, entre les États-Unis et la Chine, en mer de Chine méridionale. En effet, le désengagement des USA de l'Irak et du Pakistan permit un réengagement américain en Asie-Pacifique, dans le but d'en faire une priorité géopolitique pour le XXIe siècle.

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Cet réengagement des États-Unis se définira comme projet de partenariat, liant valeurs et intérêts américains, par la création d'une grande aire de libre-échange dans la zone Pacifique et comme renforcement du dispositif et des alliances militaires (ANZUS) défiant les ambitions régionales de la Chine, à propos des îles Paracels. Le cadre de ces disputes territoriales se situait entre Beijing et quatre pays de l'ASEAN (Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei, et Taïwan). Or, dans la perspective d'un monde multipolaire et de plusieurs types de menaces, les États-Unis resteraient en retrait et laisseraient leurs alliés se prendre en charge par eux-mêmes, n'intervenant, par hypothèse, qu'en dernier recours. Il s'agirait dans ce cas d'un "rééquilibrage stratégique à distance". Pourquoi cette ruse et à partir de quelle conception? Christopher Laye a développé en 1997 l’idée selon laquelle, en cas d'hégémonie incomplète, le contrôle régional sur la montée en puissance d'un acteur à vocation hégémonique, visant à maximiser la puissance ou la sécurité, peut être délégué à un État-tiers allié ou à plusieurs États régionaux de première ligne. Dans le cas de la Chine au Japon, à la Corée et à l'Australie. Dans l'hypothèse d'un échec, la puissance hégémonique aurait l'obligation d'intervenir, pour rétablir le "statu-quo" ou la stabilité, directement ou avec son système d'alliances, car la stabilité du système dépendrait de la puissance dominante.

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Avec le passage de l'ère Deng Xiaoping à celle de Xi JInping,la Chine est elle passée d'une politique de "modernisation et d'ouverture", axée sur intégration dans l'ordre mondial à une trajectoire de grande puissance, orientée vers une stratégie, une ambition et un grand défi à l'ordre hégémonique, à la quête de sa prééminence? En situation de pente vers un terrain d'affrontement, la Chine est elle prête à en payer le prix, que la sophistication des nouveaux systèmes d'armes rend plausible, celui d'une "guerre nucléaire limitée" ? L'hégémonie américaine est-elle totalement dépassée et la guerre inter-étatique est elle encore une menace pour la paix mondiale? Et surtout a-t-elle encore une fin et laquelle? Au moment où les États-Unis semblent entamer un déclin relatif et la démocratie américaine présente des fissurations illibérales, la reconfiguration du système international, en Europe et en Asie, est susceptible de devenir une source de dangers. Le processus de diffusion de puissance permet l'ascension de nouveaux États forts qui modifient la "Balance of Power" mondiale, créant de nouvelles sources d'instabilités. Le vieux système de la bipolarité, devenu unipolaire, puis tendenciellement multipolaire et, sur fond de démondialisation, tri-penta-polaire, acquerra en perspective et à nouveau un visage bipolaire, à une échelle planétaire amplifiée. La propension à l'instabilité et à la guerre inter-étatique d'une telle configuration est au moins équivalente à sa tendance à la stabilité. l'inconnue objective étant dans la fragmentation politique, interne et internationale et dans les facteurs de violence transnationaux en tout ordre, ethniques, religieux et civilisationnels. Ceux-ci compliqueront les calculs des puissances majeures du système, accroissant le désordre.

Ainsi, face aux résurgences des diplomaties réalistes à raisonner en termes de rapports de forces, de course aux armements et de budgets comme dans les deux grands siècles (XVIIème et XIXème) de l'équilibre de puissances et de la politique de cabinet (ou chambre des boutons nucléaires), la transition géopolitique et stratégique de nos jours, sera difficile à gérer; en particulier entre les États-Unis et la Chine, et entre la Chine et la Russie, et la Chine, le Japon et les deux Corées, sans parler du Pakistan et de l'inde et, au Grand Moyen Orient, entre la Turquie, la Syrie, Israël, l'Iran et les pays du Golfe. La multipolarité d'aujourd'hui, différente en nombre et en dangerosité par rapport à sa forme antérieure, engendrera des instabilités browniennes, qui affecteront à nouveau l'Europe, si les États-Unis s'en retireront et les vieilles méfiances et les vieux antagonismes renaîtront entre les pays du vieux continent. Ça sera à ce point qu'un grand moment d'opportunité venant d'Asie, dominera le péril stratégique à Taïwan et la Chine millénaire pourra alors inverser la prééminence hégémonique, s'affirmant par la force et la glorification de la force.

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Les manœuvres navales conjointes de l'Iran, de la Russie et de la Chine dans l'Océan indien et le Golfe Persique, du 16 février 2021, alors que l'Otan organisait un sommet sur la "rivalité stratégique" à l'encontre de la Russie et de la Chine, ravivent la rivalité avec l' Amérique et provoquent des tensions qui rappellent la mise en place d'une sorte de "guerre froide" à caractère bipolaire, sur fond de lutte d'influences multipolaires. Cette stratégie n'est pas sans rappeler la pertinence des intérêts vitaux de chaque puissance, bref le rappel d'une menace régionale, fondée sur des structures capacitaires asymétriques et en ascension, remettant en cause la présence américaine et sa légitimité.

Il s'ajoute que Xi Jinping lui même a soufflé sur le feu par une rhétorique guerrière à Shautou, port militaire de la Chine méridionale, invitant les soldat de l'ALP à se tenir "prêts à mener une guerre" contre la "province renégate de Taïwan", le 13 octobre 2020.

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Dans ce contexte, les théories de la "montée pacifique" et d'un "monde harmonieux" dépendent du niveau d'assurance qui peut être obtenu par la diplomatie et du degré de confiance, induit par la stabilité régionale et locale. Elles peuvent être compromises par le développement de la technologie et des systèmes d'armes, conçus en vue d'acquérir une avancée stratégique significative, qui amène en retour à une course aux armements et à des risques de conflits. C'est au sujet d'une analyse comparée des équilibres internationaux du concert européen du XIXème et des perturbations dans le calcul des rapports de force, successifs à l'unification de l'Empire allemand en 1871, que le débat sur le destin national de la Chine (2007-2010), a suscité une quête sur les sources de la confiance d'un pays millénaire, la tradition, l'idéologie et l'esprit national. L'analyse historique semble avoir démontré que les causes du conflit de la première guerre mondiale en Europe furent moins les structure des rapports de forces issus de l'unification allemande, que les enjeux et les ambitions des élites de l'Empire et, parmi d'autres importants facteurs, le plus influents de tous, le nationalisme et les irrédentismes diffus. La rivalité anglo-allemande, qui se greffait sur cette tension permanente, domina la politique européenne de la fin du XIXème, lorsque le monde se résumait à l'Europe et fut caractérisée par les difficultés d"une diplomatie rigide et sans flexibilité, limitant le champ d'action d'action des principaux pays du concert européen. En effet, compte tenu de l'unification de l'Allemagne montante, qui se sentait entourée d'hostilité et de limites à son influence, poussa le Foreign Office britannique à s'interroger sur la menace objective de l'Empire allemand, pour sa survie et pour la compatibilité de la montée en puissance, surtout navale, d'un pays continental, avec l'existence même de l'Empire britannique.

51s5tOl4y-L._SX355_BO1,204,203,200_.jpgAujourd'hui comme hier la compétition est devenue stratégique et la limitation des espaces de manœuvre consentis, a provoqué la lente création de deux blocs d'alliances rivales, auxquelles le nationalisme ou le souverainisme renaissants fournissent l'aliment idéologique pour les futurs belligérants. En ce qui concerne l'analogie historique, toujours imprécise, entre la situation européenne du XIXème et celle eurasienne du XXIème, la question de fond,qui préoccupait la Grande Bretagne de l'époque et les États-Unis d'aujourd'hui, était de savoir si la crise d'hégémonie et le problème de l'alternance qui iraient se manifester, étaient dus à la structure générale de la configuration du système ou à une politique spécifique de l'un ou de l'autre des deux "compétitors" et si, in fine, l'existence même de l'empire américain serait menacée et avec elle, celle de l'Occident et de la civilisation occidentale, jusqu'à sa variante russo-orthodoxe. Le Mémorandum Crowe, dans le cas de l'Allemagne montante et dans le cadre d'une analyse de la structure de la puissance, concluait pour l'incompatibilité entre les deux pouvoirs, britannique et allemand, et excluait la confiance et la coopération de la part de la Grande Bretagne. Ainsi l'importance des enjeux, interdisait à celle-ci d'assumer des risques et l'obligeait à prévoir le pire.

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues

Dans la situation actuelle, deux questionnements et deux interprétations sont possibles, du coté chinois et du côté américain Du pont de vue historique la Chine et les États-Unis représentent deux États-civilisations qui prétendent à deux types d'universalité et à deux identités hétérogènes. Celles-ci se réalisent dans le Pacifique et dans le monde de manière incompatible et antithétique, excluant la confiance entre deux cultures opposées, une ouverte et directe et l'autre allusive, symbolique et cryptée. Les institutions politiques sont nées, pour l'Amérique du refus du Léviathan et de la logique des contre-pouvoirs et, pour la Chine millénaire, de la divinisation de l’empereur et du principe absolu de hiérarchie, mentale et sociale, justifiant et pratiquant l'obscurité et le secret des propos. Une coopération authentique ne peut naître que la confiance, qu'interdisent l'idéologie politique et les défis intérieurs, de nature démographique, générationnelle et sociale en Chine, et de nature, raciale, sociale et politique en Amérique. Ici la différence capitale est dans la conception de l'ordre social, à obtenir par la concurrence, la mobilité et le progrès économique et scientifique, en Chine dans l'idéologie millénaire de la tradition et dans celle, marxisante, du parti-État, qui exclut contestations et oppositions. Toujours en termes de défis intérieurs, le consensus de masse repose en Amérique dans les classes moyennes en décomposition et en Chine d'une exclusion des droits individuels, subordonnés à la constitution de l’État. La contrainte physique et la privation de la liberté ne peuvent revêtir la même importance en Chine ou en Amérique, car l'origine des droits est en Chine dans l’État et, en Occident, dans l"individus ou dans la fiction du peuple-souverain. La question des droits de l'homme et celle de la stratégie d'endiguement de la Chine, par la réunion d'une ceinture d’États de démocratie formelle, fait partie d'un projet américain d'une reconfiguration de l'Asie et, plus largement de l'Eurasie. En réalité, la présence américaine en Asie est jugée cruciale pour le maintien de la stabilité régionale, car aucun pays en Asie ne veut vivre dans une région dominée par la Chine. La modernisation militaire de l'APL, dont le but stratégique est l'objet d'interrogations multiples, fait de la région Asie-Pacifique, plus encore de l'Asie Centrale, une zone où les risques de confrontation ne sont pas à exclure. Dans ce contexte, les Etats-Unis ont réaffirmé l'engagement de leurs pays aux côtés de certains pays de l'ASEAN et surtout de l'ANZUS (USA, Australie, Nouvelle Zélande conclu en 1951), inquiets de l'influence grandissante de la Chine dans la région Asie-Pacifique, en apportant une réponse au "dilemme chinois" de l'Australie, dont le défi consiste à concilier un ancrage économique de plus en plus oriental avec une diplomatie et une posture militaire clairement occidentale.

L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Cette zone est désormais inclue, d'après le "New York Times", dans le périmètre des "intérêts vitaux" de la Chine au même titre du Tibet et du Taïwan, bien qu'aucune déclaration officielle n'ait étalé cette position.

Or le Linkage entre la mer de Chine Méridionale et la façade maritime du Pacifique est inscrite dans l'extension des intérêts de sécurité chinois.

A travers les mers du sud et les détroits transite 50% des flux mondiaux d'échange, ce qui fait de cette aire maritime un théâtre de convoitises et de conflits potentiels, en raison des enjeux géopolitiques d'acteurs comme la Corée du Sud et le Japon qui constituent des géants manufacturiers et des pays dépendants des exportations.

Une des clés de lecture de cette interdépendance entre zones géopolitiques à fort impact stratégique, est le développement des capacités navales, sous-maritimes et de surface, de la flotte chinoise.

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

index2010r.jpgL'évaluation des besoins de sécurité et de défense de la Chine est contenue dans le "Rapport 2010" concernant les forces armées du pays.

Dans ce document, intitulé la "Mission historique des forces armées chinoises", énoncé par le Président Hu-Jintao dans sa relation au XVII Congrès du Parti Communiste en octobre 2017, le pouvoir suprême assigne à l'Armée populaire de Libération "le but de construire une nation prospère dotée d'une armée forte" et trace une perspective unifiée pour les capacité de combat et de projection de forces de l'APC. Il définit ainsi, au plan maritime, une stratégie d'interdiction à large spectre, qui n'est plus focalisée uniquement sur Taïwan et inclut désormais la Mer Jaune, dans laquelle patrouillent les flottes du Japon et de la Corée du Sud.

Bien que l'actuelle capacité d'interdiction de la flotte chinoise tienne à distance de la frontière maritime de la Chine les flottes étrangères, la mise en mer de la plus importante flotte sous-marine et amphibie d'Asie est en train de combler et de surmonter les vieilles carences d'un support satellitaire d'appui, pour l'identification des cibles mobiles.
Il s'agit là d'un point-clé opérationnel qui influence la stratégie militaire générale et les capacités de combat dans un contexte informatisé.

Au plan général, la prise de conscience de l’indépendance des rôles entre le premier atelier du monde et le premier consommateur d’énergie et de matières premières de la planète, part de l'acquisition d'un point de force, "la zone économique chinoise", premier pôle mondial de croissance après les USA et avant le Japon et l’Allemagne. Ces objectifs imposent à la Chine une exigence de sécurisation des voies maritimes qui lui dictent une stratégie, dite du "collier des perles", visant à jalonner le couloir maritime des importations pétrolières entre le Golfe et le détroit de Malacca, en modernisant le port de Gwadar et celui de Chittagong en Bangladesh. Cette stratégie a conduit également la Chine à adopter une politique d’approvisionnement et de sécurité énergétique duale, maritime et terrestre.

C'est à partir de cette exigence de sécurisation et d'autonomie stratégique qu'est né à Astana le projet OBOR (One Belt, one Road) de 2013, reprenant le parcours des vieilles  Routes de la Soie.

Puissance de la terre, la Chine, rivalisant avec la puissance de la mer, entend manœuvrer, en cas de conflit, par les lignes intérieures du continent, sans dépendre d'une société extérieure à l'Asie.

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En Eurasie, marquée par la diversités des États et des institutions, la dominance continentale est passée de la Russie à la Chine et le resserrement des alliances prendra la forme d'une activation du réseau des routes de la soie, modifiant le rapport des forces global.

En effet la guerre, selon Sun Tzu, ne se gagne pas principalement à la guerre ou sur le terrain des combats, mais dans sa préparation ou plus modernement dans sa planification. Autre naturellement est la victoire à la guerre selon son concept.

Les risques de conflit instaurent en tout cas une politique ambivalente, de rivalité-partenariat et d'antagonisme.

Il s’agit d’une politique qui a pour enjeu le contrôle de l’Eurasie et de l’espace océanique indo-pacifique, articulant les deux stratégies complémentaires du Heartland et du Rimland.

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

Dans la perspective d'un ordre global et à la recherche de formes d' équilibre et de stabilité à caractère planétaire, la Chine, poursuivant une quête d’indépendance stratégique et d'autosuffisance énergétique étend sa présence et sa projection de puissance vers le Sud-Est du Pacifique, l’Océan Indien, le Golfe et l'Afrique, afin de contrer les goulots d’étranglement de Malacca et échapper aux conditionnements extérieures maritimes, sous contrôle américain.

Elle procède par les lignes internes, par la mise en place d'un corridor économique et par une route énergétique Chine-Pakistan-Golfe Persique, reliant le Port de Gwaidar, au pivot stratégique de Xinjiang.

Beijing adopte la gestion géopolitique des théâtres extérieures et resserre ses liens continentaux avec la Russie.

L'influence chinoise est concrétisée par la construction d'une gigantesque "Route de la Soie", reliant le nord de la Chine à l'Europe, via le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Turkménistan.

Rien de semblable, depuis l'époque pré-impériale (VIIème siècle avant J.C.), lorsque commença la construction de la Grande Muraille, achevée par Quin (en 221 avant J.C.), après avoir conquis un à un l'ensemble des Royaumes combattants et avoir unifié ainsi la Chine.

La similitude n'est pas pour dérouter, car l'idée d'unifier l'Eurasie n'est pas lointaine de l'esprit de Xi-Jinping.

Or Obor rassemble à un véritable "Cheval de Troie" de l'âge moderne, destiné à faire basculer l'Histoire du côté de l'Orient Chinois.

Cette entreprise colossale pourrait avoir pour principe un précepte de Maître Sun Tzu. Dans la guerre,"trompe l'ennemi sur tes intentions!" "Une guerre victorieuse repose sur le mensonge". L'art de vaincre précède le conflit armé et l'accompagne. C'est l'art de tromper, dissimuler et manipuler.

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Avec Obor, la Chine entend manœuvrer, à l'intérieur des terres, rivalisant dans tous les domaines, y compris les plus sophistiqués (les numériques), avec la puissance thalassocratique dominante dans l'Océan Pacifique et Indo-pacifique.

Or ce projet de modernisation et de mondialisation, présente l’entreprise de la Chine comme pacifique, une "Initiative" et pas comme une "grande stratégie", pour éloigner toute allusion à la guerre.

Ainsi l’influence de la stratégie chinoise dans les grandes affaires du monde, demeure une "question d’intérêt vital", non seulement pour la Chine et pour la paix, mais également pour la survie de Chung Kuô et la stabilité régionale et mondiale au XXIème siècle.

Bruxelles le 7 mars 2021

samedi, 06 mars 2021

Derrière la Covid, l'Encerclement Total de l'Europe

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Cafe Noir N.13

Derrière la Covid, l'Encerclement Total de l'Europe

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
 
Émission du Vendredi 5 mars 2021 avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed.
 
Émission spéciale avec comme invités Robert Steuckers & Gabriele Adinolfi.
 
Robert Steuckers, 65 ans, est dissident depuis l'âge de 14 ans. Il est traducteur diplômé de langues allemande et anglaise, animateur du blog Euro-Synergie: https://tinyurl.com/3k82r68v
 
Gabriele Adinolfi est un activiste et théoricien politique italien. Il anime les think tank Centro Studi Polaris et EurHope qui ont aboutit au projet de l’Académie Europe (2020). Le but de cette initiative est de créer une élite apte à influer sur la politique européenne à l’échelle continentale.
 
Orchestre Rouge – L’Internationale Terroriste des Années de Plomb de Gabriele Adinolfi chez AVATAR Éditions est disponible ici: https://tinyurl.com/fpj5at6j
 
Disponible sous peu, toujours de Gabriele Adinolfi et chez AVATAR Éditions, la réédition revue et augmentée de Nos Belles Années de Plomb.
 

Les sectes de l'Occident et leurs liens avec Trump, Biden et la géopolitique

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Les sectes de l'Occident et leurs liens avec Trump, Biden et la géopolitique

Par Cristiano Puglisi

Ex : https://blog.ilgiornale.it/puglisi/

Copertina-2-2021-Prima-1-scaled-1-212x300.jpgQuelles sont les sectes religieuses de l'Occident? Et quelle est leur influence au niveau géopolitique? C'est le sujet du dernier numéro, le 62ème, de Eurasia - Rivista di studi geopolitici, récemment publié et dont le titre est précisément "Les sectes de l'Occident". D'autre part, le ton utilisé récemment par certaines personnalités du monde politique et religieux de l'Occident sont apparus exaspérants et, d'une certaine manière, carrément sectaires. Un exemple est celui des lettres envoyées, en juin puis en octobre 2020, par Monseigneur Carlo Maria Viganò, ancien nonce apostolique du Saint-Siège aux États-Unis, au président américain de l'époque, Donald Trump. Lettres dans lesquelles ils parlent, en relation, pour ceux qui suivent ce blog, avec la conception désormais bien connue d'un "Grand Reset" : on, y évoquait un affrontement entre les "enfants de la Lumière" et les "enfants des Ténèbres", ces derniers s'identifiant à la faction mondialiste soutenant un retournement de type numérique et écologique dans le sillage de la pandémie de la Covid-19. Des tons tout aussi apocalyptiques sont souvent apparus dans la communication d'une partie notable des partisans de l'entrepreneur de New York, qui se réunissent autour d'acronymes tels que "Qanon".

"La propagande trompeuse - explique le directeur d'Eurasia, le professeur Claudio Mutti - n'a fait que raviver et relancer le motif de l'affrontement entre les enfants de la Lumière et les enfants des Ténèbres, qui est un leitmotiv bien ancré dans la mythologie politique américaine. Les enfants de la Lumière et les enfants des Ténèbres est en fait le titre d'un pamphlet écrit en 1944 par un théologien réformé pour représenter le duel existentiel alors en cours entre les États-Unis et l'Europe. Le thème était d'origine biblique, mais il avait déjà eu une large diffusion grâce à la Theosophical Society (fondée en 1875 à New York) et à la production littéraire du célèbre magicien Aleister Crowley, qui s'était installé à New York à la veille de la Première Guerre mondiale. La formule du "Grand Réveil", présentée par les trumpistes américains et les milieux pro-trumpistes européens comme désignant la force des idées alternative au projet mondialiste de la "Grande Restauration" (« Great Reset »), est également née dans les milieux sectaires nord-américains. Au XVIIIe siècle déjà, le pasteur Jonathan Edwards, en rappelant au "nouvel Israël" américain l'alliance conclue avec Yahvé, avait déclenché une vague de fanatisme millénariste dans toute la Nouvelle-Angleterre avec ses sermons enflammés: le mouvement du Grand Réveil (lequel, rappelons-le, fut suivi d'un deuxième, d'un troisième et d'un quatrième "Grand Réveil")".

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Dans le nouveau numéro d'Eurasia, l'accent est mis tout particulièrement sur les États-Unis d'Amérique. En fait, dès ses origines, dans ce pays aux dimensions continentales qui est considéré comme "la plus grande démocratie du monde" et la patrie de la technologie, les sectes semblent se développer sans relâche. Il est donc naturel de supposer qu’existe un lien avec le protestantisme.

"Le principe fondamental du luthéranisme - observe Mutti - est le libre examen des Écritures, seule source et seule norme de la foi. Il est inévitable que la faculté attribuée au croyant individuel d'interpréter les Écritures et le rejet d'un magistère religieux imposé de l'extérieur donnent lieu à une pluralité de doctrines divergentes. Mais plus qu'en Europe, cette conception individualiste, anti-autoritaire et anti-hiérarchique trouve son environnement dans cette "demeure de la liberté" (Amérique) que Thomas Jefferson oppose à la "demeure du despotisme" (Europe). Dans un environnement dépourvu d'histoire et de traditions, où les populations indigènes ont pu être facilement exterminées, le protestantisme pouvait librement développer sa tendance congénitale au fractionnement et produire cette multitude de "dénominations" confessionnelles qui caractérise le panorama religieux américain".

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Des sectes de nature confessionnelle, donc, qui, comme prévu, ont acquis au fil du temps une pertinence géopolitique.

Il a été observé", poursuit le directeur d'Eurasia, "que les "nouveaux mouvements religieux" les plus diffus - comme on appelle modestement de nombreuses sectes, des Mormons à la Scientologie - sont nés, pour la plupart, aux États-Unis, tandis que d'autres groupes sectaires, nés en Europe ou en Asie, accroissent considérablement leur influence mais uniquement  après le débarquement de leurs "maîtres" en Amérique. C'est le cas de l' « Association internationale pour la conscience de Krishna », de la secte du révérend Moon, des adeptes, vêtus d'oripeaux de couleur orange, de Rajneesh ou de quelque branche dégénérée de l'ésotérisme islamique. L'importance du phénomène sectaire, d'un point de vue géopolitique, est évidente si l'on considère que l'influence exercée par les Etats-Unis a souvent pour intermédiaire les sectes qui sont nées aux Etats-Unis ou qui sont suivies par les milieux politiques américains. Suite à la victoire électorale de Bolsonaro (qui a été baptisé dans les eaux du Jourdain selon une cérémonie évangélique et a pris le nom de "Messias"), Eurasia a publié une étude sur l'influence prédominante exercée au Brésil par la secte évangélique, née du "Grand Réveil" nord-américain. Mais on retrouve une influence similaire de la même secte aux États-Unis, où, en son temps, Trump a été béni par des pasteurs évangéliques et présenté comme un messie, ou un "nouveau Cyrus" qui allait libérer le peuple d'Israël, c'est-à-dire les "vrais chrétiens" américains, de la captivité babylonienne".

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L'actuel président Joe Biden se dit catholique. Pourtant, même dans son cas, les relations avec le monde sectaire ne manquent pas.

En 2014, conclut le Prof. Mutti, "en participant en tant que vice-président des États-Unis à l'allumage de la Menorah nationale et en exaltant "l'héritage juif, la culture juive, les valeurs juives" comme une partie essentielle de l'identité américaine, Joe Biden a explicitement fait référence à l'enseignement du rabbin Menachem Mendel Schneerson, chef de la secte Chabad Lubavitch, à qui il a souhaité "Que vous croissiez tous en force, toujours en force". De plus, la secte des Lubavitcher a de nombreux adeptes dans l'environnement politique américain. En 1983, le Congrès et le président des États-Unis ont décerné au rabbin Schneerson la décoration de l'honneur nationale et ont décrété que le jour de sa naissance serait proclamé "Journée de l'éducation et du partage". En 1994, à l'occasion de l'anniversaire de la déclaration Balfour (2 novembre), les deux chambres des États-Unis ont approuvé à l'unanimité l'attribution posthume de la médaille d'or du Congrès américain à Rebbe Schneerson, en reconnaissance de ses "contributions exceptionnelles à l'éducation mondiale, à la morale et à ses importantes actions caritatives". Lors de la cérémonie de remise de la médaille, le président Bill Clinton a déclaré : "L'éminence de feu Rebbe en tant que leader moral de notre nation a été reconnue par tous les présidents depuis Richard Nixon". Dans la lignée de ses prédécesseurs, l'actuel président américain peut se targuer d'une longue familiarité avec les Lubavitcher. Dès 2008, David Margules, président de Chabad Lubavitch du Delaware, a exprimé l'enthousiasme de la secte pour les positions pro-sionistes de Biden en ces termes : "Il a acquis la réputation d'être un fervent défenseur d'Israël".

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vendredi, 05 mars 2021

Le projet « Océan Transparent »

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Le projet « Océan Transparent »

Par Giovanni Caprara

Ex : https://www.eurasia-rivista.com

Le scénario géopolitique contemporain a obligé les décideurs à augmenter les ressources consacrées à la lutte anti-sous-marins. Les sous-marins opèrent dans des environnements critiques, tels que les eaux profondes, peu profondes et troubles, parfois en l'absence totale de spécifications sur les relevés qu'ils surveillent. Pour permettre au submersible de fonctionner dans un silence absolu, les sonars classiques ne sont pas suffisants, mais il est nécessaire d'utiliser des solutions basées sur les sonars bistatiques. Afin de garantir les plus hauts niveaux d'efficacité, le projet BiSS (Bistatic Sonar System) est désormais opérationnel. La caractéristique des sonars bistatiques est qu'ils ont une source et un récepteur séparés, alors que les sonars "traditionnels" sont monostatiques, c'est-à-dire que l'émetteur et le récepteur sont dans la même position. Le BiSS est le développement d'une solution basée sur des algorithmes innovants, capable d'identifier un objet immergé dans des environnements critiques, qui peut surmonter les réflexions, les distorsions et le bruit des signaux, hostiles à la bonne exécution de la mission d'un sous-marin. Le BiSS permet la reconstruction d'environnements submergés en 3D avec une représentation claire et réaliste, grâce à la technique d'apprentissage automatique des systèmes informatiques embarqués. Fondamentalement avec un signal de transmission "ping", l'augmentation de la distance de détection passive est améliorée, augmentant ainsi l'efficacité des applications de la tactique ASW, la guerre anti-sous-marine (Anti Submarine Warfare). Cette innovation rend l'arme submergée encore plus meurtrière, il était donc nécessaire d'améliorer la capacité de la lutte ASW.

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Le système de découverte et de surveillance acoustique ULISSES, conçu par Leonardo, offre des capacités supérieures pour la guerre sous-marine, car il est capable de contrôler simultanément jusqu'à 64 bouées sonores opérationnelles, qui, associées au sonar de profondeur, améliorent la fonctionnalité multistatique. ULISSES est un système acoustique innovant optimisé pour tous les types de plates-formes à voilure fixe et tournante, y compris les aéronefs sans pilote. Un premier test des capacités du nouveau système acoustique ULISSES pour la recherche et le suivi des sous-marins a eu lieu au large des côtes italiennes, avec des résultats positifs. Des bouées acoustiques, ou bouées sonores, ont été mises à l'eau par un navire de guerre et le système a identifié rapidement et précisément l'ensemble des cibles sous-marines représentées par un simulateur de cible acoustique. Le système a automatiquement marqué les coordonnées de l'objet cible sur la console de l'opérateur à bord du navire, fournissant un scénario en temps réel de l'environnement sous-marin, à la fois en eau peu profonde et en eau "bleue", c'est-à-dire océanique. Un autre essai a permis de tester la fonctionnalité d'ULISSES en conjonction avec le sonar de profondeur HELRAS, ce qui a permis d'augmenter la portée de la découverte et de la gestion des cibles sous-marines. Tout cela a permis de terminer la phase de développement, et de commencer la production, notamment pour le marché international. Le système ULISSES (Ultra-LIght SonicS Enhanced System) s'est révélé être un système performant et fiable, capable de fonctionner de manière transparente avec une résolution maximale, en utilisant des sources d'informations acoustiques pour fournir des données précises sur les unités sous-marines potentiellement hostiles. Le système ULISSES a été développé sur la base du succès du système acoustique OTS-90, qui a été conçu et développé pour les hélicoptères NH90 italiens et néerlandais.

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Ce nouveau produit pose le problème de la vulnérabilité des sous-marins SSBN, armés de missiles balistiques nucléaires. Actuellement, en attendant que les missiles supersoniques soient régulièrement mis en ligne, les SSBN représentent à la fois la dissuasion et la principale arme pour d'éventuelles représailles. Les sous-marins américains de la classe Ohio, semblent être les plus silencieux de la planète, et lorsqu'ils naviguent en patrouille, ils sont pratiquement indétectables, et il n'y a aucune menace crédible connue pour leur survie. Il ne semble pas en être de même pour les sous-marins lance-missiles des autres pays : la flotte russe de SSBN est plus bruyante que son homologue américaine ; pire encore, les SSBN chinois, de type 094, restent assez bruyants. En fait, leur survie dans des environnements hautement conflictuels peut être mise en doute. La future génération de SSBN américains, la classe Columbia, devrait être encore plus silencieuse que celle de l'Ohio, car au lieu d'utiliser les engrenages mécaniques plus bruyants des sous-marins actuels, ils seront entraînés par un moteur électrique. Cela rendra les unités submersibles non seulement plus silencieuses, mais aussi plus durables. Les systèmes d'entraînement électrique ont une plus grande redondance intégrée, ce qui rend moins probable qu'une seule arme puisse désactiver tout le système d'entraînement. Un propulseur ultra silencieux est déjà opérationnel : il s’appelle AIP, Air Independent Propulsion, mais il semble avoir quelques limites. Il est basé sur des cellules utilisant de l'oxygène et de l'hydrogène liquides stockés dans une poudre d'hydrure métallique. L'AIP est enfermé dans un conteneur isolé et suspendu de manière à rendre la transmission des vibrations et du bruit pratiquement nulle, car il n'y a pas de pièces mobiles. Le nouveau système AIP, en réduisant la signature acoustique et en augmentant la portée des sous-marins conventionnels, améliore donc leurs capacités de combat. Le propulseur obligera les décideurs militaires à une analyse plus minutieuse pour les missions impliquant un contrôle côtier, où la supériorité des AIP vaudrait la peine d'approcher les eaux territoriales adverses sans être détectées. Au contraire, les nouveaux bateaux à pile à hydrogène ne sont pas utilisables dans les océans, où les SSBN ou SSN confirment leur validité.

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Le précurseur du système ULISSES, est l'US SOSUS : un ensemble de postes d'écoute sous-marins pour la surveillance acoustique passive. Ils sont situés entre le Groenland et le Royaume-Uni, dans une zone appelée "GIUK gap" (Greenland Iceland United Kingdom Gap). Il est composé d'une série d'hydrophones placés au fond de l'océan, et est, théoriquement, capable d'écouter le passage des sous-marins russes, mais depuis la fin de la guerre froide, il est utilisé à des fins de recherche pour les naturalistes. À l'heure actuelle, les États-Unis sont le seul pays à disposer d'une capacité de guerre sous-marine telle qu'elle rend la plupart des navires adverses vulnérables. En fait, la défense de l'Amérique du Nord peut rendre l'océan "transparent". L'importance des routes à suivre pour arriver dans la zone d'opérations est fondamentale pour assurer la sécurité d'une unité immergée. Les sous-marins américains, lorsqu'ils quittent leurs ports, sont capables d'opérer de manière relativement incontestée, étant donné la présence de ports alliés et l'absence de goulots d'étranglement territoriaux qui limiteraient leurs voies de patrouille. En revanche, les SSBN chinois sont fortement entravés par des limitations géographiques et ne peuvent pas se mettre à portée des États-Unis, espace continental, sans passer par des points d'étranglement dangereux actuellement contrôlés par la marine américaine. En cas d'attaque visant à éliminer la menace des sous-marins lance-missiles américains, il est prouvé que l'attaquant ne coulerait que 6 des 14 SSBN, puisque huit ou neuf d'entre eux sont constamment en route, et quatre ou cinq dans des ports en alerte permanente, et prêts à réagir. Même si un attaquant était capable de localiser avec précision l'emplacement de chacune de ces unités, les sous-marins d'attaque nécessaires pour les détruire seraient confrontés à des défis logistiques importants représentés par les bulles de défense maritime américaines composées d'avions, de satellites et d'unités de surface et immergées. De plus, l'attaquant ne serait probablement pas encore dans l'enveloppe d'attaque avant que les SSBN américains ne lancent leurs missiles nucléaires de défense.

Malgré le fait que les lanceurs hypersoniques sont destinés à modifier la dissuasion en leur faveur, les États-Unis ont accordé à Northrop Grumman la somme de 13,3 milliards de dollars pour développer un nouveau missile balistique intercontinental afin d'améliorer la triade nucléaire, c'est-à-dire ceux qui peuvent être lancés depuis la terre, la mer et les avions. Le nouveau concept d'océan "transparent" a, en fait, déplacé les besoins des États-Unis vers l'acquisition de nouveaux missiles, afin de compenser ceux qui pourraient être perdus lorsqu'une de leurs unités immergées est découverte et détruite.

Plusieurs pays veulent mettre en place une capacité anti-sous-marine.

L'Inde a posé sur le fond marin entre l'île de Sumatra et l'archipel Andaman/Nicobar, une série de capteurs pour capter les signaux acoustiques et magnétiques des sous-marins qui vont traverser cette zone. La chaîne de capteurs est longue de 2300 kilomètres et ils sont reliés par un câble à fibre optique capable de transporter des informations à 100 Gb/s. On peut supposer que les principales cibles sont les unités sous-marines chinoises, pour les empêcher de s'approcher de la zone économique exclusive indienne.

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Le Japon, en collaboration avec les États-Unis, a mis en place un système de détection acoustique et magnétique sur les fonds marins qui part de la Corée du Nord et atteint Bornéo, en passant par les Philippines et Taïwan, pour surveiller l'activité des sous-marins de la marine de Pékin dans la mer de Chine méridionale et le long des accès vers le Pacifique occidental. Le système, qui est actif depuis 2005, comprend un ensemble d'hydrophones et de détecteurs magnétiques d'anomalies sur le fond marin, travaillant en coordination avec les avions de reconnaissance maritime pour obtenir une capacité ASW multicouche. Il est probable que la chaîne de détection indienne sera intégrée au réseau japonais/américain Sosus existant, appelé Fish Hook. Ce dernier est exploité par le centre de recherche océanographique du Jmsdf, la force d'autodéfense maritime du Japon et le personnel de la marine américaine. Une telle décision, de la part de l'Inde, pourrait provoquer une dure réaction chinoise au point de prévoir de nouvelles "bulles" A2/AD, des zones d'interdiction spécifiques, dans leurs propres zones exclusives qui existent dans le bassin de l'Océan Indien et insérées dans la Nouvelle Route de la Soie : de Djibouti au port pakistanais de Gwadar, jusqu'à celui de Hambantota au Sri Lanka.

La Chine a également développé son propre réseau de surveillance sous-marine. Le système évalue les informations sur l'environnement sous-marin, en particulier la température et la salinité de l'eau, afin de détecter et de suivre les unités navales sous-marines adverses et, par conséquent, d'améliorer la capacité de ses propres sous-marins à les poursuivre. Le projet, réalisé par l'Institut d'océanologie de la mer de Chine méridionale sous l'égide de l'Académie des sciences chinoise, s'inscrit dans la mise en place d'un armement voulu par Pékin, pour contraster l'hégémonie navale américaine.

La mise en œuvre de la guerre anti-sous-marine démontre sans équivoque que les unités immergées restent les meilleures plates-formes de dissuasion.

jeudi, 04 mars 2021

Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis

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Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis

Par Salman Rafi Sheikh

Ex : https://geopol.pt

Alors que les liens entre la Turquie et les États-Unis se sont tendus ces dernières années et qu'un divorce stratégique n'est plus complètement irréaliste, la politique étrangère de la Turquie continue de tourner autour de la question de l'équilibre entre l'Ouest et l'Est. Alors que sa situation géographique aux frontières de l'Asie et de l'Europe semble déterminer en grande partie son orientation désormais plus large en matière de politique étrangère, la Turquie sous Erdogan a également acquis, ou du moins essaie d'acquérir, un statut de grande puissance qui lui permettrait d'agir comme un "équilibreur" entre les deux grands pôles de puissance du monde. Mais le positionnement stratégique particulier de la Turquie, inspiré par la volonté de se rétablir en tant qu'empire "néo-ottoman", capable de mener une politique étrangère véritablement indépendante et d'agir comme une grande puissance, a surtout provoqué une scission entre la Turquie et ses alliés de l'OTAN, en particulier les États-Unis. Les États-Unis ont expulsé la Turquie du programme de développement des F-35, et leurs relations bilatérales n'ont jamais été aussi tendues qu'aujourd'hui. Si la principale motivation de la Turquie pour améliorer ses relations avec la Russie était de diminuer sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et d'acquérir ainsi une meilleure position de négociation, elle s'est clairement retournée contre elle ; d'où les tentatives de la Turquie pour rétablir l'équilibre.

Si la Turquie réussit à acquérir les avions F-35 en tant que membre de l'OTAN, cela renforcera considérablement sa capacité de défense aérienne. À cette fin, elle a récemment engagé un cabinet d'avocats basé à Washington pour faire pression en faveur de sa réadmission dans le programme américain d'avions de chasse F-35. Ankara avait commandé plus de 100 chasseurs furtifs et a fabriqué des pièces pour leur production, mais a été retirée du programme en 2019 après avoir acheté des systèmes de défense anti-missiles russes S-400, qui, selon les Etats-Unis, pourraient menacer les F-35.

L'embauche par la Turquie d'une société chargée de représenter ses intérêts démontre qu'une transition politique à la Maison Blanche n'a pas conduit à une transition automatique dans les relations bilatérales entre les deux pays. Cette démarche confirme que leurs désaccords sont fondés sur des différences politiques qui vont bien au-delà des présidents en exercice. Par conséquent, les tentatives de la Turquie de recalibrer ses liens avec les États-Unis ne porteront probablement pas leurs fruits pour une raison : leurs différences ne sont pas politiques ; elles sont stratégiques, et leur convergence théorique, en tant qu'alliés au sein de l'OTAN, est sans cesse mise en balance avec leurs divergences.

Le 23 février, le Pentagone l'a confirmé :

"Il n'y a pas eu de changement dans la politique de l'administration concernant les F-35 et les S-400″. Une fois de plus, nous demandons instamment à la Turquie de ne pas aller de l'avant avec la livraison des S-400".

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La position américaine reste inchangée malgré l'allusion récente du ministre turc de la défense, Hulusi Akar, à la possibilité de trouver une "solution gérable" pour le système S-400.

La position stratégique de la Turquie en tant qu'acteur indépendant, positionné à l'intersection de l'Ouest et de l'Est, est la raison principale de la position inchangée des États-Unis.

D'une part, la rivalité américano-russe est très ancrée dans la ‘’pensée à somme nulle’’, issue de la concurrence de la guerre froide. La Turquie, en revanche, avec sa position géographique très particulière, couplée à sa quête pour traduire les effets de cette localisation en politique étrangère, ne sert pas le jeu à somme nulle des États-Unis contre la Russie.

Le fait que la Turquie ait établi des liens politiques et militaires forts avec la Russie montre que les États-Unis et la Turquie ont des perceptions fondamentalement différentes de la menace. Par conséquent, alors que la Turquie semble croire que le système international actuel n'est plus aussi centré sur l'Occident et dominé par les États-Unis qu'il l'était antérieurement, et que la Turquie devrait poursuivre ses intérêts par un équilibrage géopolitique plus varié, Washington, obsédé qu'il est par la nécessité de trouver remède à la chute des États-Unis en tant que seule superpuissance, considère cette interprétation turque des affaires internationales comme anormale et irréelle. Pour Erdogan et les responsables politiques turcs à Ankara, il s'agit d'un ajustement à la nouvelle normalité de la politique mondiale.

Ces divergences ont également engendré certains points de tension politique, dont la manifestation la plus importante est la crise de longue date entre la Turquie et le Commandement central américain (CENTCOM) à propos de la crise syrienne et de la manière dont les États-Unis continuent à soutenir militairement les milices kurdes, en particulier le GPJ.

Dans ce contexte, l'administration Biden, qui a promis d'œuvrer au rétablissement de la domination américaine au niveau mondial, sera très probablement en mesure de résister aux tentatives de la Turquie d'opérer en tant qu'acteur indépendant au sein de l'OTAN, une organisation qui reste bloquée dans la pensée stratégique propre à la guerre froide et qui continue à s'imaginer inamovible et à se réinventer pour toujours et encore faire la guerre à la Russie en Europe.

Par conséquent, alors que les États-Unis voudraient rétablir les liens avec la Turquie si celle-ci abandonne le système S-400 et retourne à l'OTAN, la Turquie veut effectuer ce rétablissement d'une manière qui amène les États-Unis à l'idée d'accepter la nouvelle réalité géopolitique dans le voisinage de la Turquie, y compris le rôle de la Turquie en Syrie, et les changements plus généraux dans les affaires internationales.

Si un idéaliste préconise de trouver un "terrain d'entente" pour rapprocher les deux pays, il n'en reste pas moins que les États-Unis n'ont aucune raison impérieuse de redéfinir leur vision centrale du monde pour satisfaire la Turquie. Dans l'état actuel des choses, la Turquie n'est pas un allié indispensable de l'OTAN. C'est ce qui ressort du fait que les États-Unis préparent déjà des plans pour déplacer leur base aérienne d'Incirlik en Turquie vers l'île grecque de Crète.

Bien que cette relocalisation constitue un revers majeur pour la Turquie, elle servirait tout de même les intérêts américains dans la région. D'autre part, si la Turquie décide d'abandonner les S-400, cela restera un revers stratégique très important pour son positionnement en tant qu'acteur international majeur capable d'influencer des régions bien au-delà de ses frontières territoriales, et pour son image d'empire "néo-ottoman".

Si la Turquie a proposé de trouver une formule de compromis et de fixer les conditions dans lesquelles les S-400 peuvent être rendus opérationnels et utilisés, l'avenir de cette offre reste tributaire de la manière dont l'administration Biden l'interprète et y répond, ce qui dépend à son tour de la manière dont cette formule peut préserver et renforcer les intérêts américains au niveau régional et mondial.

mercredi, 03 mars 2021

L'Amérique est de retour : Biden bombarde comme Trump

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L'Amérique est de retour : Biden bombarde comme Trump

par Alberto Negri & Tommaso Di Francesco

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

Biden, personnage emblématique de certains des échecs internationaux des démocrates pendant les années Obama, accueille le pape en Irak en bombardant les milices chiites en Syrie. Un voyage au cours duquel le Pape Bergoglio devrait rencontrer le grand ayatollah Sistani qui, en 2014, a donné sa bénédiction aux milices chiites pour mener la lutte contre les coupeurs de têtes de l’Etat islamique.

Bien sûr, le monde est étrange. L'"espoir démocratique", le catholique Joe Biden, exactement comme Donald Trump, court aux armes et bombarde la Syrie, à la veille de la visite du pape en Irak le 5 mars. Un voyage au cours duquel le pape François devrait également rencontrer la plus haute autorité religieuse irakienne, le grand ayatollah Ali Sistani, qui en 2014 avait donné sa bénédiction aux milices chiites pour mener la lutte contre les coupeurs de têtes de l’Etat islamique, milices qui ont joué un rôle essentiel dans la libération de Mossoul, ville martyre musulmane et chrétienne que le pape devrait visiter dans quelques jours dans le cadre de sa mission en Irak.

Aujourd'hui, les raids américains risquent de nous démontrer voire de nous avertir urbi et orbi que le climat ne doit pas être exactement celui de la paix dans la région. Le monde est en effet étrange : l'ordre du jour ne devrait pas inscrire la guerre dans sa convocation mais plutôt l'urgence sanitaire vu le Covid 19. Et puis Biden n'a pas encore pris conscience du désastre de la démocratie américaine assaillie par des "terroristes internes" - comme il les a appelés - qui ont fait des ravages au Congrès. Le voilà qui commence déjà à se décharger de la crise interne en "exportant" la démocratie par les armes.

Cette fois, Biden frappe un peu au hasard, même s'il a tué plus de vingt personnes appartenant aux milices pro-chiites, celles qui ont soutenu Assad et le gouvernement irakien dans les opérations militaires qui ont conduit à la défaite du califat, qui est toujours dangereusement en action aux frontières entre la Syrie et l'Irak. L'année dernière, c'est Trump qui a frappé au Moyen-Orient en tuant le général iranien Qassem Soleimani à Bagdad, maintenant c'est Biden : mais on pouvait s'y attendre de la part d'un président qui, en 2003, a voté pour l'attaque de Bush Jr. contre l'Irak .

Biden est un type contradictoire. D'un côté, il souhaite reprendre les négociations avec Téhéran sur l'accord nucléaire de 2015 voulu par Obama et annulé par Trump en 2018, mais dans le même temps, il bombarde les alliés de l'Iran coupables, selon les Américains, de frapper leur base militaire en Irak et l'aéroport d'Erbil au Kurdistan irakien. Bien sûr, tout se passe sans la moindre preuve. Mais cela aussi fait partie de la "double norme" imposée au Moyen-Orient : les Américains et les Israéliens n'ont rien à prouver, ce qu'ils font est toujours juste.

C'est une bonne chose que Biden se soit présenté aux Européens comme le champion du multilatéralisme et des droits de l'homme en s'attaquant à la Russie et à la Chine : avec ces prémisses, il devrait au moins tuer par le truchement d’un drone le prince saoudien Mohammed bin Salman puisque, selon la CIA, celui-ci est derrière le meurtre du journaliste Khashoggi. Et pendant que nous attendons - mais cela va-t-il vraiment arriver ? - le rapport de la CIA qui le prouve, il y a des nouvelles d'un appel téléphonique "d'adoucissement" de Biden au roi Salman, pendant la nuit, sur les crimes de son fils et héritier.

Le Pacte d'Abraham entre Israël et les monarchies du Golfe, auquel le nouveau président, tout comme Trump avant lui, tient tant, pèse sur les bonnes intentions de Biden. Et on ne peut pas cacher le fait que Biden est l'une des figures emblématiques de certains des échecs internationaux des démocrates pendant les années où Obama, Hillary Clinton et Kerry ("M. Climat") tenaient les rênes du pouvoir aux Etats-Unis, alors qu'il était un vice-président connu surtout pour ses gaffes.

La preuve vivante de ces échecs est son propre homme fort, le général Lloyd J. Austin, l'actuel chef du Pentagone qui s'est dit hier confiant "que nous avons bien fait de frapper les milices chiites" qui, elles, nient toute implication dans les frappes en Irak. Devant le Sénat en 2015, le général Austin, alors commandant du CENTCOM, le commandement militaire du Moyen-Orient, a admis avoir dépensé 500 millions de dollars pour former et armer seulement quelques dizaines de miliciens syriens sur les 15.000 prévus pour combattre l’Etat islamique, qui, lui, s'est approprié toutes ces précieuses armes américaines.

Austin a également témoigné que le plan dit Timber Sycamore, géré par la CIA et doté d'un milliard de dollars, visant à évincer Assad du pouvoir, avait été lancé en Jordanie, puis décimé par les bombardements russes et annulé à la mi-2017.

Le général Austin a soulevé l'irritation et l'hilarité des Américains en découvrant une série d'échecs épouvantables dignes d'une république bananière. Mais il n'y a pas de quoi rire quand on pense à toutes les catastrophes que les États-Unis ont provoquées dans la région. Par exemple, la décision de retirer le contingent américain d'Irak : après avoir détruit un pays par des bombardements et par l'invasion de 2003 pour renverser Saddam Hussein - provoquant la fuite de millions d'êtres humains. Rappelons que cette invasion s’est déclenchée sur base de mensonges propagandistes concernant les armes de destruction massive de l'Irak. Washington a abandonné ce pauvre pays à son sort, sachant pertinemment qu'il n'avait pas les moyens de se débrouiller seul. Austin a suivi la politique d'Obama et de Clinton.

En 2014, l'Irak est submergé par la montée du califat qui, après avoir occupé Mossoul, la deuxième ville du pays, s'apprête à prendre également Bagdad : l'armée irakienne est en plein désarroi et c'est le général iranien Qassem Soleimani, avec des milices chiites, qui sauve la capitale. Et Soleimani a été tué par un drone américain à Bagdad. Pire encore : ce qui s'est passé en Syrie après le soulèvement de 2011 contre Assad. La guerre civile s'est rapidement transformée en guerre par procuration et les États-Unis, dirigés alors de facto par Hillary Clinton, ont donné le feu vert à Erdogan et aux monarchies du Golfe, dont le Qatar, pour soutenir les rebelles et les djihadistes qui étaient censés faire tomber le régime.

On sait comment cela s'est passé : les djihadistes ont envahi la Syrie puis ont inspiré plusieurs attentats à travers l'Europe mais Assad est toujours en place avec le soutien de l'Iran et surtout de la Russie de Poutine, entrée en guerre le 30 septembre 2015 en bombardant les régions de Homs et Hama. Quelques heures auparavant, Obama avait marqué son accord pour que Poutine agisse en Syrie en le rencontrant en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York.

Dans cette histoire tissée de ratés, Biden a joué un rôle, même s'il ne fut pas le premier dans le spectacle: aujourd'hui, en Syrie, il joue à la fois le rôle du canardeur tout en accueillant le pape en claironnant un bruyant "bienvenue au Moyen-Orient".

La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

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La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

Par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

L'exercice OTAN Dynamic Manta de lutte anti-sous-marine se déroule en mer Ionienne du 22 février au 5 mars. Des navires, des sous-marins et des avions des États-Unis, d'Italie, de France, d'Allemagne, de Grèce, d'Espagne, de Belgique et de Turquie y participent. Les deux principales unités participant à cet exercice sont un sous-marin d'attaque nucléaire américain de la classe Los Angeles et le porte-avions français à propulsion nucléaire Charles de Gaulle et son groupement tactique, qui comprend également un sous-marin d'attaque nucléaire. Le Charles de Gaulle, immédiatement après, se rendra dans le golfe Persique.

L'Italie, qui participe à Dynamic Manta avec des navires et des sous-marins, est le "pays hôte" de l'ensemble de l'exercice : elle a mis à la disposition des forces participantes le port de Catane et la station d'hélicoptères de la marine à Catane, la base aéronavale de Sigonella (la plus grande base US/OTAN en Méditerranée) et la base logistique d'Augusta pour l'approvisionnement. Le but de l'exercice est de chasser les sous-marins russes en Méditerranée qui, selon l'OTAN, menacent l'Europe.

Ces mêmes jours, le porte-avions Eisenhower et son groupe de combat mènent des opérations dans l'Atlantique pour "démontrer le soutien militaire continu des États-Unis aux alliés et leur engagement à maintenir les mers libres et ouvertes". Ces opérations - menées par la sixième flotte, dont le commandement est à Naples et la base à Gaeta - s'inscrivent dans la stratégie énoncée notamment par l'amiral Foggo, ancien chef du commandement de l'OTAN à Naples : accusant la Russie de vouloir couler les navires reliant les deux côtés de l'Atlantique avec ses sous-marins, afin d'isoler l'Europe des États-Unis, il soutient que l'OTAN doit se préparer à la "quatrième bataille de l'Atlantique", après celles des deux guerres mondiales et de la guerre froide.

Pendant que des exercices navals sont en cours, des bombardiers stratégiques B-1, transférés du Texas à la Norvège, effectuent des "missions" à proximité du territoire russe, avec des avions de chasse F-35 norvégiens, pour "démontrer l'état de préparation des États-Unis et leur capacité à soutenir leurs alliés".

Les opérations militaires en Europe et dans les mers adjacentes sont menées sous le commandement du général Tod Wolters, de l'armée de l'air américaine, qui est à la tête du Commandement américain en Europe et en même temps de l'OTAN, le poste de commandant suprême des forces alliées en Europe revenant toujours à un général américain.

Toutes ces opérations militaires sont officiellement motivées par la "défense de l'Europe contre l'agression russe", inversant la réalité : c'est l'OTAN qui s'est étendue en Europe, avec ses forces et ses bases, y compris nucléaires, derrière la Russie. Lors du Conseil européen du 26 février, le secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, a déclaré que "les menaces auxquelles nous étions confrontés avant la pandémie sont toujours là", mettant en avant "les actions agressives de la Russie" et, en arrière-plan, une menace de "montée de la Chine".

Il a ensuite souligné la nécessité de renforcer le lien transatlantique entre les États-Unis et l'Europe, comme le souhaite vivement la nouvelle administration Biden, en faisant passer la coopération UE-OTAN à un niveau supérieur. Plus de 90 % des habitants de l'Union européenne, a-t-il rappelé, vivent aujourd'hui dans des pays de l'OTAN (dont font partie 21 des 27 pays de l'UE). Le Conseil européen a réaffirmé "l'engagement de coopérer étroitement avec l'OTAN et la nouvelle administration Biden en matière de sécurité et de défense", rendant ainsi l'UE militairement plus forte.

Comme l'a souligné le Premier ministre italien Mario Draghi dans son discours, ce renforcement doit se faire dans un cadre de complémentarité avec l'OTAN et de coordination avec les États-Unis. Le renforcement militaire de l'UE doit donc être complémentaire de celui de l'OTAN, qui, à son tour, est complémentaire de la stratégie américaine. Elle consiste en fait à provoquer des tensions croissantes en Europe avec la Russie, de manière à accroître l'influence des États-Unis dans l'Union européenne elle-même.

Un jeu de plus en plus dangereux, car il pousse la Russie à se renforcer militairement, et de plus en plus coûteux. Ceci est confirmé par le fait qu'en 2020, au plus fort de la crise, les dépenses militaires italiennes sont passées de la 13e à la 12e place dans le monde, dépassant ainsi celles de l'Australie.

mardi, 02 mars 2021

L’Europe, les GAFAM et l’impuissance régulatoire

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L’Europe, les GAFAM et l’impuissance régulatoire

par Charles Thibout
Ex: https://chronik.fr
  • Ce texte est issu de l’audition de Charles Thibout sur « la régulation européenne du numérique », dans le cadre de la réunion des commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Bundestag (12 février 2021).

L’Europe continue de briller par son absence parmi les puissances publiques et privées nées de la troisième révolution technologique. A défaut, elle tente de renouer avec l’une fonctions modernes de la puissance publique : la régulation. Les deux règlements dévoilés par la Commission européenne – le DSA (Digital Services Act) et le DMA (Digital Market Act) sont précisément censés réguler le marché du numérique et limiter les abus des grandes entreprises de la tech. Ces textes annoncent-ils l’avènement d’une Union européenne érigée en puissance régulatrice du numérique ?

L’Europe, c’est-à-dire ici les institutions de l’UE et ses États membres, est prise dans un faisceau d’injonctions contradictoires, dès qu’il est question des grandes entreprises transnationales du numérique, en particulier d’origine américaine (GAFAM) et chinoise (BATHX). Pourtant, les déclarations des dirigeants européens sont à l’unisson (ou presque) : ces entreprises brideraient la croissance endogène de l’UE et entameraient sa « souveraineté », du moins son indépendance.

La souveraineté numérique via la régulation numérique

Pour remédier à cette situation, un mot clef, « magique », est martelé : la régulation, soit l’encadrement par des instruments normatifs plus ou moins contraignants d’un marché considéré comme défaillant. Ainsi, la Commission européenne, via le Digital Market Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), a affiché sa volonté de contrer la puissance de ces entreprises en s’attaquant à leur position dominante (on retrouve là le souci quasi-idiosyncrasique de la concurrence libre et non faussée chère à la « machine bruxelloise »). Au-delà du marché, la Commission s’intéresse aussi à l’espace public que représentent ces plateformes, qui, avouons-le, ont joué un rôle majeur dans la démocratisation de l’information et de l’accès à l’information, en dépit de tous les problèmes réels et préoccupants qu’elles ont soulevés par ailleurs.

Les mesures envisagées par la Commission sont-elles utiles, nécessaires, voire efficaces ? D’abord, reconnaissons qu’elles sont ambitieuses et tranchent avec certaines attitudes passées. Ambitieuses quand on songe aux obligations d’interopérabilité des plateformes et à la portabilité des données des utilisateurs, notamment des professionnels, qui sont inscrites en l’état dans le DMA. Tout cela éveille l’intérêt. Il n’est pas certain, en revanche, que cela règle le problème du déficit d’innovation des entreprises européennes et des faibles performances technologiques du continent. L’on peut également douter que les procédures de contrôle et de sanction, prévues dans les deux textes, soient un jour menées à terme, en raison des difficultés techniques et géopolitiques qui ne manqueront pas de se poser.

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Quant au DSA, il est globalement plus raisonnable et mieux équilibré que certaines aventures législatives que nous avons connues par le passé – et que certaines majorités nationales continuent de promouvoir avec exaltation. Songeons particulièrement au fait que l’article 14 sur les mécanismes de notification et d’action ne mentionne pas de délais de traitement précis des signalements : c’est un choix heureux de la part de la Commission. Autrement, vu le nombre de notifications adressées à la firme et le peu de temps pour les traiter, l’on s’acheminerait inéluctablement vers des procédures de censure a priori par la plateforme, ce qui poserait un grave problème pour la liberté d’expression et pour la démocratie.

Pour la liberté d’expression, puisque l’on contraindrait ces entreprises à exercer de facto un pouvoir censorial, qui plus est absolument arbitraire et sans doute démesuré, en ceci qu’elles n’auraient d’autre choix que de retirer un contenu signalé comme « illicite » – voire suspendre le compte d’un utilisateur –, et ce, tout simplement par manque de temps pour se conformer à la législation. Heureusement, ce délai n’est pas mentionné. Cela ne signifie pas, pour autant, que tout risque de ce type est écarté car, malgré tout, l’on octroie ainsi à ces plateformes un pouvoir traditionnellement dévolu à l’autorité judiciaire, qui est, rappelons-le, le gardien des libertés individuelles et, partant, l’un des piliers de la démocratie. Or, cette privatisation et cette dénationalisation de la justice et du pouvoir de censure sont tout ce sur quoi repose l’édifice juridique du DSA : par conséquent, il apparaît nécessaire de réfléchir attentivement aux transformations que cela impliquerait pour nos institutions.

De façon apparemment paradoxale, les États membres voient aussi s’accroître leur capacité d’empiéter sur les droits fondamentaux de leurs citoyens en consacrant leur pouvoir de surveillance. L’article 7 du DSA affirme, certes, que les « fournisseurs de services intermédiaires ne sont soumis à aucune obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». Cependant, comme le note fort justement Marc Rees pour NextINpact, tout dépendra de l’interprétation qui est faite par les autorités nationales de l’expression « surveillance généralisée ». D’autant que le considérant 28 précise avec une clarté toute technocratique que l’interdiction de surveillance généralisée « ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas spécifique et, notamment, cela ne fait pas obstacle aux injonctions des autorités nationales émises conformément à la législation nationale ». L’UE demeure bien une organisation intergouvernementale ; les gouvernants savent imposer leurs conditions lorsque leurs intérêts sont en jeu.

Un enjeu géopolitique pour les Etats-Unis

Plus globalement et de façon quelque peu contre-intuitive, l’ambition de ces textes paraît excessive. Ils semblent s’affranchir tout à fait d’un élément de contexte pourtant central : la pression exercée par la puissance américaine sur le processus décisionnel européen – en témoigne l’épisode pathétique de la crise transatlantique autour du déploiement des équipements 5G de Huawei. En d’autres termes, il est peu probable que Washington accueille d’un œil bienveillant ces dispositions qui, au moins dans le principe, reviennent à entamer son développement économique, sa supériorité technoscientifique et sa capacité de projection sur le reste du monde ; bref, les principes cardinaux de sa puissance.

Les grandes entreprises technologiques américaines représentent un levier de pouvoir incontournable pour l’État fédéral, qui pourrait répliquer brutalement à toute tentative de leur barrer la route. Dans le même temps, l’essor général, et en particulier technologique de la Chine, ainsi que les stratégies parfois contradictoires des entreprises américaines avec les intérêts de leur État de tutelle, ouvrent une fenêtre d’opportunité historique pour les Européens pour parvenir au rééquilibrage de leurs relations avec les États-Unis et, peut-être, au recouvrement de leur autonomie.

Occident/Russie : déconnexion totale

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Occident/Russie : déconnexion totale

par Alain RODIER

Ex: https://cf2r.org

Les néoconservateurs américains, suivis par leurs homologues européens, ont gagné. Il semble que les liens entre l’Union européenne et la Russie sont désormais bien coupés. Il reste bien le projet North Stream II, qui doit approvisionner l’Allemagne en gaz russe, mais nul doute que les lobbies vont tenter de le torpiller en imposant des sanctions aux entreprises qui y participent. Résultat, l’Allemagne risque de finir par être dépendante des énergies ayant reçu le blanc-seing des écologistes radicaux. En résumé, fourniture d’électricité par les centrales au charbon, appel au gaz de schiste américain et à divers apports extérieurs dont le nucléaire français.

L’inflexion de la politique étrangère américaine

Il convient de constater que la nouvelle administration en place à la Maison-Blanche applique la maxime : « America is back ! ». En attendant de s’attaquer au « dur » de sa politique étrangère – les relations avec la Chine et l’Iran -, Joe Biden a en tout cas trouvé là un slogan censé rompre avec son prédécesseur et indiquer la marche à suivre pour les prochaines années. Il convient que les États-Unis soient à nouveau « prêts à diriger le monde, pas à s’en éloigner, prêts à affronter nos adversaires, pas à rejeter nos alliés, et prêts à défendre nos valeurs. ».

Le programme est le suivant : le retour à l’ordre international tel que les États-Unis l’ont défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À la doctrine du désengagement de guerres au faible rapport coût/efficacité voulue par Donald Trump, Biden propose une ancienne doxa modifiée à l’aune des « valeurs » progressistes dont il s’est fait le champion lors de sa campagne : le monde se porte mieux quand l’Amérique en assume la direction. Plus néoconservateur, on ne fait pas ! En premier lieu, il a pris le contre-pied de l’alliance passée par son prédécesseur avec l’Arabie saoudite emmenée par le prince Mohammed Ben Salman. La décision la plus spectaculaire a été le gel des livraisons d’armes à Riyad, engagé dans une longue guerre contre les insurgés houthis au Yémen. Il s’agit de « faire en sorte que les ventes d’armes par les États-Unis répondent à nos objectifs stratégiques » a souligné un porte-parole du département d’Etat, tout en qualifiant cette mesure de « routine administrative typique de la plupart des transitions. » le nouveau président a toutefois réaffirmé, le 26 janvier dernier, l’engagement de Washington « à aider notre partenaire, l’Arabie saoudite, à se défendre contre les attaques sur son territoire. » C’est que derrière l’effet d’annonce, le montage diplomatique bâti par Trump autour de la reconnaissance d’Israël et incluant désormais les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, mérite probablement d’être prolongé. D’autant plus que les Russes sont embuscade en mer Rouge, région éminemment stratégique où ils font les yeux doux au Soudan afin de trouver un point d’appui pour leur flotte.

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Joe Biden a également décidé de prendre le contre-pied de son prédécesseur concernant l’OTAN et, en particulier concernant la présence militaire américaine en Allemagne. Trump, qui avait de mauvaises relations avec la chancelière Angela Merkel, avait annoncé en 2020 vouloir diminuer d’environ 9 000 hommes ce contingent qui compte près de 35 000 militaires. Cette décision avait été présentée comme une sanction envers Berlin – mais aussi indirectement à l’encontre des autres pays membres de l’OTAN – accusé de ne pas mettre assez la main à la poche.

Le retour de l’« ennemi » russe

Surtout, Joe Biden semble décidé à remettre les pendules à l’heure avec la Russie suspectée d’ingérences multiples, lors des élections américaines et dans bien d’autres pays. Ce n’est pas le retour à la Guerre froide mais cela y ressemble furieusement avec une nuance que ne soulignent généralement pas les experts : le Kremlin ne veut plus envahir l’Europe pour la convertir au marxisme-léninisme. Pour Washington, le temps des « indulgences » est fini. Lors de son premier appel à Vladimir Poutine, Biden n’a pas hésité à aborder les sujets qui fâchent : le sort de l’opposant Alexeï Navalny et de ses partisans, le piratage d’institutions fédérales américaines, les récompenses offertes aux talibans afghans tueurs de soldats américains – selon des informations dont une partie est, au moins sujette à caution. Il y est même allé d’un avertissement à peine voilé : « J’ai clairement dit au président Poutine, d’une façon très différente de mon prédécesseur, que le temps où les Etats-Unis se soumettaient face aux actes agressifs de la Russie, l’ingérence dans nos élections, les piratages informatiques, l’empoisonnement de ses citoyens, est révolu. Nous n’hésiterons pas à en augmenter le coût pour la Russie et à défendre nos intérêts vitaux et notre peuple ». Ce discours est à l’évidence à usage interne car il n’a aucune chance d’être entendu puisque, pour les responsables russes, l’agresseur, c’est Washington.

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Les médias pro-Biden – en particulier européens – ont applaudi, insistant beaucoup sur le soutien apporté aux « démocrates » russes. Vladimir Poutine a, comme d’habitude, gardé son calme, préférant se féliciter d’un accord ouvrant possiblement l’extension pour cinq ans du dernier traité de réduction des arsenaux nucléaires (New START), mais rien n’est encore signé : « Prenons d’abord connaissance de ce que les Américains proposent et nous ferons ensuite un commentaire » a tempéré, le porte-parole du président russe. Il sait qu’en dépit de l’enthousiasme quasi unanime affiché lors de la victoire de Biden, nombre d’Européens ne sont pas encore totalement soumis à Washington.

Plus grave encore, il semble, selon Moscou, que les néoconservateurs ont décidé d’exploiter l’affaire Navalny dans l’ambiance explosive crée par la pandémie de la Covid-19. Ces derniers espèrent, en jetant des milliers de manifestants dans la rue – chiffres pour le moment invérifiables -, provoquer une situation de chaos en Russie, dans le but de renverser le pouvoir en place qui ne leur convient pas car il n’est pas « aux ordres ». Cette manière de procéder est loin d’être nouvelle pour les États-Unis qui prennent toujours garde d’intervenir par proxiesinterposés.

La Russie est ainsi redevenue, que l’on le veuille ou non, l’« ennemi conventionnel » suite aux mesures prises par Washington.

Selon Arnaud Dubien, fin connaisseur de la Russie, « 2014 avait marqué la fin des illusions sur la convergence entre la Russie et l’Occident, processus généralement compris comme l’adoption par Moscou du modèle et des règles du jeu édictées à Bruxelles et Washington ». Autant dire un asservissement aux règles édictées par ces entités. Il est compréhensible que les Russes, de culture orthodoxe et encore imprégnés d’un héritage marxiste, aient été réticents à adhérer aux systèmes de pensée occidentaux jugés décadents et pervers.

Alors que doit répondre Moscou ? Toujours selon A. Dubien « ce qui s’est passé à l’occasion de la visite de Josep Borrell au début février à Moscou indique que la Russie n’est pas demandeuse de dialogue politique, en tout cas pas selon l’agenda et les modalités voulues par Bruxelles. Le Kremlin se sent fort, laissera venir et avisera ».

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En résumé sur le plan politique, économique, culturel, etc. la Russie n’attend plus rien de l’Union européenne, considérée comme étant en train de se saborder, à tous points de vue. Peu à peu, ce qui était acheté en Europe est fourni localement ou, à défaut, importé d’autres pays, comme la Chine. Il ne pas se faire d’illusions, les agriculteurs européens en général et français en particulier ne vendront plus rien en Russie dans les années à venir.

Sur le plan militaire, les jeux de « gros bras » se poursuivent, l’OTAN et la Russie continuant à se tester mais sans intention de conquête de part et d’autre. La Pologne et les Etats baltes ont beau agiter la menace représentée par l’Ours russe – qui certes a récupéré la Crimée jugée comme vitale par le Kremlin -, la Russie ne va pas envahir ces pays. Par contre, il n’est pas exclu que Moscou agisse comme le fait Washington, en procédé à des « révolutions de couleur », en y organisant des troubles via des tiers (ONG, sympathisants) afin de maintenir les pouvoirs politiques locaux dans l’incertitude voire l’inquiétude.

Le Grand Nord, nouvel enjeu ?

Sans évoquer sur les opportunités économiques – en partie liées au réchauffement climatique – que beaucoup citent, jusqu’à présent, le Grand Nord était le terrain de jeu quasiment exclusif des bombardiers stratégiques russes.

Mais les forces américaines ont récemment montré leur intérêt pour cette région qui ne peut plus être considérée comme une « zone tampon » pour les États-Unis. En 2020, pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, l’US Navy a envoyé quatre navires (USS Donald Cook, Porter, Roosevelt et USNS Supply) en mer de Barents, point de départ des sous-marins russes opérant dans l’espace océanique appelée GIUK (Groenland/Iceland/United Kingdom), d’une importance capitale pour les liaisons maritimes entre l’Europe et l’Amérique du Nord.

De son côté, l’US Air Force a mené plusieurs exercices dans la région, notamment en y dépêchant des bombardiers B-1 Lancer (qui n’ont plus de capacité nucléaire) qui ont survolé la Norvège et la Suède. En 2021, l’armée de l’air américaine a l’intention de déployer quatre de ces appareils en Norvège. Ils seront stationnés sur la base aérienne d’Ørland. Cette mission devrait officiellement améliorer l’interopérabilité avec les alliés et les partenaires de Washington en Europe et habituer les forces aux opérations dans le Grand Nord. « La disponibilité opérationnelle et notre capacité à soutenir nos alliés et nos partenaires et à réagir rapidement sont essentielles au succès », a déclaré le général Jeff Harrigian, commandant des forces aériennes américaines en Europe et en Afrique. « Nous apprécions le partenariat durable que nous avons avec la Norvège et attendons avec impatience les opportunités futures pour renforcer notre défense collective », a-t-il ajouté.

*

Force est de constater que la rupture Occident/Russie est consommée. Elle était prévisible. Il y a déjà longtemps que Moscou a retiré ses observateurs de l’OTAN. Le divorce est également acté avec l’Union européenne, suite au récent voyage de Josep Borell à Moscou et au les prochaines sanctions prévisibles suite à l’affaire Navalny.

lundi, 01 mars 2021

Du "Monde harmonieux" au "rêve chinois" - La Chine et sa stratégie de sécurité

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http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/f-vrier/du-mon...

Du "Monde harmonieux"

au "rêve chinois"

 

La Chine et sa stratégie de sécurité

 

par Irnerio Seminatore

 

Texte reparti en deux sous-titres:

I. La Chine et sa stratégie de sécurité.Un nouvel équilibre entre défense modernisée, guerre asymétrique et stratégie militaire

(première partie)

II. La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

(deuxième partie, à paraître le 7 mars prochain)

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TABLE DES MATIÈRES

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)

Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence

De la "défense passive en profondeur"(Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)

La puissance nationale comme stratégie

"Vaincre le supérieur par l'inférieur"

Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive

Conditions pour l'emporter dans un conflit limité

L'asymétrie, son concept et sa définition

L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE ? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues
L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

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I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)

Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence

La rivalité entre Beijing et Washington, en raison du Covid 19, a pris un tour plus idéologique et oppose désormais deux modèles politiques, autocratique et autoritaire et pluraliste/libéral. Cette opposition impressionne le monde entier et révèle un regain d'attraction pour les régimes d'ordre, d'efficacité et de décision. Elle offre l'exemple d'une volonté qui obéit à un principe premier, celui de la sécurité et à un grand dessein, celui de la renaissance nationale et de l'avenir.

La montée en puissance de la Chine, depuis la fin de la guerre froide, en termes économiques, politiques, diplomatiques et militaires, fera de celle-ci, selon nombre d' observateurs, le plus grand protagoniste de l'histoire mondiale.

Cette émergence est susceptible de produire une inversion du rapport de prééminence entre les États-Unis, puissance dominante établie et premier empire global de l'histoire et la Chine," Empire du milieu" ou État-civilisationnel, vieux de trois mille cinq cents ans et fort d'un milliard-quatre cents millions d'hommes.

De la "défense passive en profondeur" (Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)

La Chine, dans le cadre d'un système international multipolaire concentre ses ressources sur le développement de capacités asymétriques, dans le but de les moderniser et de devenir un joueur de premier plan dans la sécurité régionale de l'Asie Pacifique, de l'Asie Méridionale et de l'Indo-Pacifique. En particulier et conformément à sa tradition philosophique et combattante, à penser et agir différemment des adversaires pour acquérir une plus grande liberté d'action. Ceci s'est traduit par l'adoption d'une doctrine de modernisation de l'APL, à l'époque de la menace d'affrontement avec les deux superpuissances de la bipolarité, les États-Unis et l'Union Soviétique, qui a eu pour but de se préparer à mener une guerre totale, émergente et nucléaire afin d'assurer la survie de la nation. Plus tard, l'approche stratégique a évolué et s'est définie comme capacité de mener et de vaincre des "guerres locales", conçues comme des guerres limitées, en conditions d'informatisation et de haute technologie. Au lieu de la "défense passive" en profondeur, qui fut celle énoncée par Mao, dans la période de la " guerre du peuple" et dictée par une infériorité en capacités et ressources, la Chine de Deng Tsiao Ping, passa à la formulation d'une "défense active" dans des "zones de guerre" vers les frontières. Pour se préparer à ce type de conflit contribuèrent singulièrement les observations de la guerre du Golfe en 1991, de l'attaque de l'Otan contre Belgrade, en 1999 et de l'invasion américaine de l’Afghanistan en 2001. La direction politique et militaire de la République Populaire de Chine conclut de ces observations que l'attribution des ressources du pays pour tous les scénarios de guerre possibles était insoutenable et devait être déterminée par la spécificité du contexte international. Conformément à l'idée que le meilleur système pour vaincre est de gagner par des stratagèmes, la conception du pouvoir chinois comme "faisceaux stratégique", imposa à la Chine d'analyser sérieusement les forces et les faiblesses de son adversaire principal, afin d'établir sa propre stratégie en termes de guerre asymétrique.

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La puissance nationale comme stratégie

Le point-clé de cette conception du pouvoir repose dans la conception de la "puissance nationale", en terme de capacités d'élaboration stratégique en fonction des diverses éventualités historiques. La puissance ne peut résulter de ce fait que de la spécificité entre stratégie et environnement de sécurité. Historiquement ceci s'est traduit par une défense fixe, la Grande Muraille, face à la cavalerie nomade et mobile qui attaquait la Chine du Nord et de l'Ouest. Ce choix a renforcé la puissance relative de la Chine de l'époque, en termes de fortification et d'organisation logistique. Aujourd'hui la stratégie de "défense active" repose sur la création d'une "force de dissuasion" allégée et efficace (facteur stabilisant à l'image de la Grande Muraille) et sur l'utilisation flexible d'autres moyens dissuasifs, de prévention, d'arrêt ou de projection, ce qui exige une coordination très étroite entre lutte militaire et lutte politique, diplomatique,économique et culturelle. Il s'agit d'assurer la constitution d'une combinaison de moyens et de ressources, en vue du façonnement d'un environnement de sécurité fiable. Ainsi les stratégies mises en œuvre, détermineraient -selon Sun Tzu, les résultats escomptés, selon une série de stratagèmes de situation, avantageux ou désavantageux (d'attaque, de proximité, de défaite ou de chaos..) C'est pourquoi l'étude de l'environnement est primordial.

"Vaincre le supérieur par l'inférieur"

La conclusion fut que, vis à vis de l'Amérique, le concept chinois le plus approprié était de "vaincre le supérieur avec l'inférieur". L'étude de l'adversaire parvint au résultat d'identifier sa faiblesse, là même où se trouvait sa force et à saisir ses points vitaux, en sa dépendance des systèmes d'information. Ainsi, pour gagner ce type de guerre, la Chine se devait d'exceller dans des opérations conjointes intégrées, impliquant le système de commandement, le système de formation, le soutien inter-armées et la composition des forces. Ces opérations exigeaient une coordination entre lutte militaire et efforts politiques, diplomatiques, économiques et culturels et prévoyaient d'assumer, pour la modernisation de l'armée, la mécanisation comme fondement et l'informatisation comme objectif. Par ailleurs la Chine, poursuivant une compétition acharnée vis à vis des États-Unis, ne s'est jamais détournée des enseignements de Sun Tzu, pour lequel un concept capital impose de se connaître soi même, afin de connaître son adversaire. Concrètement il s'agissait d'identifier les facteurs qui aident à déterminer l'issue de la guerre et ces facteurs reposaient sur la vulnérabilité des avantages de l'ennemi. Pour le neutraliser il fallait une combinaison et un lien interactif entre trois types d'asymétrie, celle de la guerre totale prolongée, de la stratégie asymétrique de la guerrilla et de l'organisation logistique des combats. Dans la phase actuelle, et, pour éviter l'épuisement et la faillite d'un pays aux ressources limitées, s'engageant dans une course aux armements tous azimuts, comme le fit l'Union Soviétique, la clé du succès se trouve dans le principe de "vaincre le supérieur par l'inférieur", autrement dit, dans l'acquisition de la supériorité par l’information, avant d'acquérir la supériorité des airs et de la mer. En contrôlant certains secteurs-clés des opérations militaires l'Armée de Libération Populaire, inférieure en capacités, pourrait neutraliser la supériorité de son antagoniste principal, par la dissuasion ou encore par la destruction de ses forces de combat.

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Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive

En conditions de crise aggravée, une attaque préventive par l'acteur inférieur contre les centres nerveux et logistiques de l'acteur étatique supérieur,neutralise les avantages de ce dernier, en renversant la situation et la donne.La saisie des points vitaux du système d'information de l'adversaire demeure en somme l'idée de base de la "guerre d’acupuncture", qui vise à neutraliser l'avantage de l'ensemble des systèmes. La guerre d'information asymétrique d'acupuncture ne connaît pas de frontières, militaires, économiques et sociales. Elle est "of limits". Chaque aspect de cette guerre dépend strictement de l'information et celle-ci des satellites spatiaux, des systèmes d'alerte aériens rapides, d'avions de guerre électroniques et de sites de commandement au sol. Selon le recours à l'image de la guerre d’acupuncture, ces points d'information cruciaux constituent des "points d'énergie vitaux". Ils dépendent tous de réseaux informatiques. Ainsi, au delà de l'espace traditionnel de combat, aérien, terrestre et naval, les nouveaux espaces de la victoire, se situent dans le cyberespace et dans l'espace électromagnétique, où il faut disposer des armes à laser, des armes à faisceaux de particules, des armes à très haute fréquence, des armes d'ondes ultrasoniques, subsoniques, furtives, à radiation, de virus informatiques puissants, de robots intégrants des nanotechnologies, de telle sorte que, pour gagner dans l'espace eso-atmosphérique, il faut disposer d'un concept de guerre intégrée en réseau électronique. Ces nouvelles dimensions de la guerre et ces nouveaux moyens d'attaque ont des implications décisives dans le combat terrestre, aérien et maritime, car l'issue du combat vient par le haut. Seul le combat éso-atmosphérique permet d’acquérir et de maintenir la supériorité au niveau inférieur. La Chine en a tiré un enseignement ferme, consistant à développer, de manière accélérée ces secteurs-clés, comme centres névralgiques des guerres locales ou totales et a investi massivement dans trois secteurs: les armes antisatellites, les opérations de réseau informatiques et les missiles anti-navires. Dans un contexte stratégique en pleine évolution, la Chine a testé une arme d'ascension directe antisatellite, lui permettant de dissuader l'ennemi de recourir au combat, de frapper d'importantes sources d'information et d'ébranler la structure de son système d'information.

Conditions pour l'emporter dans un conflit limité

Après la fin de guerre froide la Chine a déployé un système de défense antimissiles stratégiques, qui représente un défi pour la dissuasion nucléaire américaine, sur laquelle se fonde la crédibilité du parapluie nucléaire étasunien, recouvrant une trentaine de pays alliés. En dehors de la recherche de supériorité, visant à refuser l'accès aux informations essentielles, pour mener des actions de combat dans une guerre locale et, éventuellement dans le détroit de Taïwan, une autre capacité cruciale des États-Unis est concernée. Il s'agit de leur principale plate-forme de projection de puissance, les porte-avions. D'où l'effort de la Chine de développer des missiles balistiques anti-navires, dont l'opérationnalité bouleverserait le calcul des conflits potentiels entre la République Populaire de Chine et les États-Unis. Un changement significatif dans l'équilibre des pouvoirs en résulterait dans toute l'aire du Pacifique. Au niveau local, le test de ce nouveau missile anti-navires rajoute une pièce essentielle à la stratégie de déni, ou anti-accès. Ainsi l'espoir de neutraliser les avantages acquis par la Chine dans un domaine-clé, s'accompagne de la possibilité de l'emporter dans un conflit limité, par la dissuasion, la négation d'accès ou la destruction des capacités de l'adversaire. Or, les efforts de modernisation poursuivis, se focalisant sur la capacité de saisir la supériorité dans l'information, concrétisent la conception de l'asymétrie du programme de défense de la Chine, dans le domaine opérationnel, plus que doctrinal. Cette conception de l'asymétrie commande à une appréciation psycho-politique de la force relative entre la Chine et ses adversaires ou rivaux, seuls ou coalisés, et est susceptible de pencher vers un excès de confiance. Un excès qui constitue un frein, pour parvenir à des solutions négociées. De façon générale l'acquisition de la supériorité dans la stratégie de contrôle des secteurs-clés repose sur le principe d'initiative, comme facteur de vie ou de mort dans les guerres de hautes technologies, dans lesquelles la frappe inattendue et en premier, exige de dissimuler les véritables intentions des deux parties.

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L'asymétrie, son concept et sa définition

Puisque l'asymétrie touche au domaine des différences sur le terrain de l'organisation, de l'équipement et de la doctrine, le concept opératoire d'asymétrie va de la différence à une "opposition diagonale", par rapport aux capacités de l’adversaire. Or lorsque l'écart de capacités militaires est considérable, l'acteur le plus faible adopte des stratégies et des méthodes militaires non conventionnelles, qui diffèrent significativement du mode d'opposition et de combat attendus. L'asymétrie de conception et de forces doit se traduire en une plus grande liberté d'action et être politico-stratégique, opérationnel ou mixte, comportant des perspectives temporelles et opératoires différenciées, appliquées délibérément ou par défaut. Suivant cette définition, très générale, l'asymétrie opérationnelle rendue possible par l'interaction de technologies et d'organisations, conditionne l'asymétrie stratégique et sa traduction doctrinale. En venant à la politique de sécurité d'un acteur étatique, celle-ci dépend de sa lecture et de sa perception de l'environnement et donc du type de guerre destiné à assurer la survie de la nation (guerre totale) ou, en revanche une victoire périphérique ou locale dans un conflit limité, où la survie nationale n'est pas en cause.

L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"

En son pur concept l'asymétrie a affaire à la théorie, aux pratiques stratégiques et à ses formes historiques. Dans le "Livre des mutations" de la deuxième moitié du du VIIIème siècle av.J.C. et dans les écrits sur les guerres irrégulières du IVème siècle de Sun Tzu, l'asymétrie apparaît comme l'action violente d'une force irrégulière contre une force majeure établie, qui a pour but l'effondrement d'un système de pouvoir et de pensée. Elle frappe par la surprise, la brutalité et l'imprévisibilité. Elle affecte, par son impact psychologique, la volonté, la capacité d'initiative et la liberté d'action. En ses conséquences, elle produit l'effondrement de l'ennemi, par la déstabilisation de son dispositif et le renversement de ses paradigmes, dans la quête d'une issue. Elle se situe sur la ligne de jonction névralgique entre points faibles et points forts, qui lie la tradition à l'innovation. L'asymétrie n'a de sens que comme inversion du risque et n'a de symbole que dans le déséquilibrage, la paralysie et la chute. En termes de rupture, elle comporte un arbitrage historique sur la pérennité de l'autorité ou du pouvoir systémique et un arbitrage politique, dans l'orientation des opinions et des masses. L'asymétrie oppose, en tant que concept, l'ordre institutionnel au désordre insurrectionnel. et consacre l'effondrement du crédit de la force militaire au nom de la transformation du cadre stratégique et de la mutation du visage de la guerre. Paradoxalement, la fin de la guerre froide a fait apparaître un décalage de puissance entre les États-Unis et les autres acteurs, réguliers et irréguliers, de la scène internationale et cet écart capacitaire, culturel et politique, a été à l'origine de la résurgence de l'asymétrie. Le déplacement de la logique de l'affrontement vers le champ où la force militaire classique n'est plus le facteur décisif, fait découvrir que l'ennemi ne combat plus avec nos règles. Il est "hors limites" et il adopte d'autres modalités d'affrontement. Il apparaît dès lors à tous les analystes que la supériorité absolue est devenue une vulnérabilité et un objectif de combat. En réponse les États-Unis découvrent qu'une modification du visage de la guerre entrave le rendement optimal de l'appareil militaire classique et que, à côté de nos sociétés, démilitarisées,apparaissent trois phénomènes parallèles, "les conflits hybrides", "les insurgés innovants" et un autre "rapport à la mort". Quelles sont alors les guerres probables? Quelles sont les structures capacitaires et stratégiques défendables et praticables? Quel est le nouveau visage de la guerre?

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Puisque le modèle de la stratégie dominante des deux derniers siècles a été celui de Clausewitz, la puissance de la terre qu'est Chung Kuo' se prépare à une politique d'affrontement par une logistique, qui peut adopter Clausewitz sur terre, en cas de guerre conventionnelle, Mahan, sur les deux Océans, Pacifique et Indo-Pacifique, et Sun Tzu dans l'hypothèse d'un double front de combat, terrestre et maritime. Dans ce contexte la logistique du système "One Belt, One Road" devient l'élément décisif de l'épreuve de force probable entre les puissances de la terre et les puissances de la mer, au Nord, au Sud et à l'Ouest du continent européen. Mais dans cette lutte à mort pour la survie historique, les Américains ont compris que les chinois ont lancé un "défi stratégique de l'intérieur" de l'Eurasie et qu'ils devaient porter le "défi des régimes" à l'intérieur du système géopolitique et du monde des idées chinois (Hong-Kong ,Taïwan, Ouïgours). "Double spirale des défis" sur lesquels reposera le "duel du siècle" et l'histoire de l'avenir.


Bruxelles, le 1er février 2021

(deuxième partie, à paraître le 7 mars prochain)

dimanche, 28 février 2021

Britanniques et Saoudiens au Yémen

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Britanniques et Saoudiens au Yémen

Par Marco Ghisetti

Ex : https://www.eurasia-rivista.com

La guerre civile yéménite a éclaté en 2014, lorsque les insurgés houthi, rassemblant autour d'eux le mécontentement populaire généralisé causé par la "double" et continue ingérence américaine et saoudienne (1) dans leurs affaires intérieures, ont conquis la capitale yéménite Sanaa, incitant le président Hadi à se rendre en Arabie Saoudite et à demander au gouvernement de Riyad d'intervenir militairement contre les rebelles. Le 26 mars 2015, encouragée par le consentement tacite des États-Unis, l'Arabie saoudite a lancé la campagne de bombardement massif appelée "Storm of Resolve", qui est toujours en cours. Actuellement, les forces sur le terrain sont divisées en trois groupes : les Houthi, dirigés par Ansar Allah et soutenus par l'Iran (qui gagne de plus en plus de terrain), le gouvernement en exil de Hadi, soutenu par l'Arabie Saoudite, et le Conseil de transition du Sud, de moindre poids et soutenu par les Émirats. La guerre au Yémen a jusqu'à présent entraîné la mort violente de 100 000 à 250 000 personnes, selon les estimations, en plus des 4 millions de personnes déplacées et des 24 millions de personnes ayant besoin d'une aide humanitaire. La guerre au Yémen est considérée comme la plus grave catastrophe humanitaire en cours, "dont il est presque interdit de parler et d'écrire pour le moment"(2). Le silence du cirque médiatique et du clergé journalistique s'explique peut-être par l'insistance sur l'importance stratégique du Yémen et le rôle que jouent deux alliés des Etats-Unis - l'Arabie Saoudite et le Royaume-Uni - dans le conflit et, par conséquent, leur responsabilité plus ou moins directe dans la tragédie qui gangrène la population yéménite.

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Quelle que soit l'ampleur des bombardements contre les forces houthi, il ne fait désormais aucun doute que le Royaume-Uni a joué un rôle d'accompagnement aux côtés des Saoudiens depuis le début de la campagne aérienne. Depuis 2015, "le Royaume-Uni a accordé au régime saoudien des licences d'armes d'une valeur d'au moins 5,4 milliards de livres sterling. 2,7 milliards de livres ont été dépensés pour les licences ML10, y compris les avions, les hélicoptères et les drones, et 2,5 milliards pour les licences ML4, y compris les grenades, les bombes, les missiles et les contre-mesures. En juin 2020, l'ONU a rapporté que plus de 60 % des morts de civils au Yémen sont causés par des frappes aériennes dirigées par les Saoudiens. BAE Systems - la plus grande société d'armement du Royaume-Uni - a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 15 milliards de livres sterling en ventes et services à l'Arabie saoudite depuis 2015" (3).

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John Develler, un ancien employé du ministère britannique de la défense en Arabie Saoudite, a déclaré que "les Saoudiens sont complètement dépendants de BAE Systems. Ils ne pouvaient rien faire sans nous". Le soutien britannique aux Saoudiens va au-delà de la simple vente d'armes et d'équipements de guerre : on estime qu'il y a actuellement 6300 forces britanniques en Arabie Saoudite qui fournissent un soutien logistique continu, auquel il faut ajouter environ 80 soldats de la RAF. Un employé de BAE a déclaré : "Sans nous [les Britanniques], il n'y aurait pas un seul jet [saoudien] dans le ciel d'ici sept ou quatorze jours"(4).

L'aide britannique à l'Arabie Saoudite n'a pas été sans susciter des critiques internes. En raison de l'illégalité, au regard du droit international, de l'intervention saoudienne au Yémen, en 2019, un tribunal britannique a ordonné l'arrêt immédiat des ventes d'armes car elles étaient également utilisées contre la population civile. Toutefois, cette décision a été de facto annulée l'année suivante par la secrétaire d'État au Commerce national, Liz Truss : elle a déclaré qu'elle pouvait être rétablie après avoir "constaté" que de telles armes n'avaient pas été utilisées contre des civils, confirmant ainsi la volonté du Royaume-Uni de continuer à soutenir l'Arabie saoudite.

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L'importance du Yémen

Le choix des Britanniques et des Saoudiens d'intervenir au Yémen est dû au fait suivant : ces deux acteurs doivent maintenir leur relation privilégiée avec le géant nord-américain, ils doivent partager les "responsabilités" qui leur ont été confiées par les Etats-Unis alors que ces derniers s’occupent de l'Asie. Par exemple, la "nécessité de créer un espace d'action pour Londres" a incité le Royaume-Uni à "renforcer les liens qui existent déjà entre les deux côtés de l'Atlantique" (5), afin de cultiver et de raviver la "relation spéciale" qu'il entretient avec le géant d'outre-mer après s'être séparé de l'Union européenne. Et de ce point de vue, si la guerre par procuration contre le Yémen est en fait une des "responsabilités" que Riyad doit assumer tandis que les Etats-Unis se concentrent sur l'Asie, la guerre et le soutien logistique britanniques à Riyad est une des "responsabilités" qui incombent à Londres.

La République du Yémen est stratégiquement positionnée pour dominer les voies maritimes qui, comme l'indique la stratégie navale américaine pour la décennie 2020-30, détermineront l'équilibre des pouvoirs au XXIe siècle (6). Selon cette stratégie, les États-Unis doivent maintenir leur domination sur les mers qu'ils ont acquise grâce à leur victoire lors de la Seconde Guerre mondiale, mais doivent également la partager et la placer partiellement sur les épaules de leurs "alliés" afin de tenir tête aux acteurs qui érodent leur suprématie navale (principalement: la Chine, la Russie et l'Iran). Le détroit de Bab al-Mandeb, qui sépare la péninsule arabique de la Corne de l'Afrique, peut être facilement fermé par une puissance qui exploite le Yémen comme un pivot terrestre ; c'est, avec le détroit de Gibraltar, le point terminal qui relie la route maritime qui, en passant par la Méditerranée, le canal de Suez et la mer Rouge, relie l'océan Atlantique à l'aire maritime indo-pacifique. Celui qui est maître de ces centres névralgiques de la mer est donc aussi maître d'une des principales routes maritimes mondiales.

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Plus précisément, le rival des États-Unis que l'Arabie saoudite et le Royaume-Uni combattent au Yémen est l'Iran. En fait, si la République islamique devait obtenir, par l'intermédiaire des rebelles houthi qu'elle soutient, un accès direct au détroit de Bab al-Mandeb, "l'équilibre des forces dans la région changerait considérablement" (8) au détriment des États-Unis, car la suprématie américaine dans ces eaux serait grandement renforcée en faveur de son rival iranien. En outre, "un Yémen contrôlé par des Houthi serait un client potentiel pour les compagnies pétrolières russes ou chinoises" (9).

En tout cas, "si l'Arabie Saoudite est jusqu'à présent le grand perdant de la guerre" et que le Royaume-Uni a beaucoup perdu en termes d'image, "la population yéménite est sans aucun doute la grande victime de ce conflit" (10). Le rôle joué par l'Arabie Saoudite et le Royaume-Uni, deux des principaux alliés des Etats-Unis, au Yémen - et donc leur responsabilité plus ou moins directe dans la tragédie qui se déroule dans ce pays - explique pourquoi les médias occidentaux restent silencieux sur ce que les Nations Unies ont qualifié de crise humanitaire des plus graves en cours.

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Notes :

  • (1) Haniyeh Tarkian, La guerra contro lo Yemen, in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 3/2019, p. 142
  • (2) Marco Pondrelli, Continente eurasiatico. Tra nuova guerra fredda e prospettive di integrazione. Prefazione di Alberto Bradanini, Anteo, 2021, p. 89.
  • (3) Gabrielle Pickard-Whitehead, UK urged to follow Biden’s lead and end Yemen war support,  leftfootforward.org, 8 febbraio 2021
  • (4) Arron Merat, ‘The Saudis couldn’t do it without us’: the UK’s true role in Yemen’s deadly war, theguardian.com, 18 giugno 2019
  • (5) Andrea Muratore, Il tramonto della “global Britain”?, eurasia-rivista.com, 3 luglio 2020
  • (6) Pour une analyse de la nouvellestratégie navale américaine, voir : Marco Ghisetti, “Advantage at Sea”: la nuova strategia navale statunitense, 26 dicembre 2020, eurasia-rivista.com
  • (7) Haniyeh Tarkian op. cit., p. 142
  • (8) Angelo Young, War In Yemen: Tankers Moving Unimpeded Through Bab Al-Mandeb Oil Shipment Choke Point, Says Kuwait Petroleum Corporation, 29 marzo 2015, ibtimes.com
  • (9) William F. Engdahl, Yemen Genocide About Oil Control, 20 novembre 2018, williamengdahl.com
  • (10) Massimiliano Palladini, Cinque anni di guerra in Yemen, in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 4/2020, p. 196

samedi, 27 février 2021

Biden veut détacher les États-Unis des terres rares de Chine

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Biden veut détacher les États-Unis des terres rares de Chine

Paolo Mauri

Ex : https://it.insideover.com

Hier, le président américain Joseph Biden a signé un décret concernant la "chaîne d'approvisionnement" des biens essentiels et critiques pour la sécurité du pays.

La déclaration officielle de la Maison Blanche indique que "ces dernières années, les familles, les travailleurs et les entreprises américaines ont de plus en plus souffert de pénuries de produits essentiels, des médicaments aux aliments en passant par les puces électroniques. L'année dernière, la pénurie d'équipements de protection individuelle (EPI) pour les travailleurs de la santé de première ligne au début de la pandémie de Covid-19 était inacceptable. La récente pénurie de puces à semi-conducteurs pour l'industrie automobile a entraîné des ralentissements dans les usines de fabrication, ce qui montre à quel point cette pénurie peut nuire aux travailleurs américains".

Il est souligné que les États-Unis doivent veiller à ce que les pénuries de produits manufacturés, les perturbations commerciales, les catastrophes naturelles et les actions potentielles des concurrents et des adversaires étrangers ne rendent plus jamais les États-Unis vulnérables.

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Le décret de la Maison Blanche lance un examen complet de la chaîne d'approvisionnement des biens américains essentiels et charge les ministères et agences fédérales d'identifier les moyens de la protéger contre un large éventail de risques et de vulnérabilités. La mise en place d'un ensemble de chaînes d'approvisionnement résistantes ne protégera pas seulement le pays contre les pénuries de produits essentiels, elle facilitera également les investissements nécessaires pour maintenir l'avantage concurrentiel des États-Unis et renforcer la sécurité nationale.

L'ordonnance fixe un délai de 100 jours pour effectuer un examen immédiat dans les agences fédérales afin d'identifier les vulnérabilités de quatre produits clés.

Outre la production de principes actifs pharmaceutiques, dont 70 % ont été transférés à l'étranger, et les semi-conducteurs, qui ont été négligés par les investissements ayant entraîné la perte du leadership manufacturier américain, les deux secteurs les plus intéressants sur le plan géopolitique que l'administration entend mettre en œuvre sont les batteries de grande capacité (utilisées dans les véhicules électriques) et les terres rares, désignées comme "minéraux critiques" car elles constituent "une partie essentielle des produits de défense, de haute technologie et autres". Ces ressources minérales particulières - ainsi que le lithium, le cobalt et les métaux du groupe du platine (Pgm) - sont en fait nécessaires pour construire des éoliennes, des panneaux solaires et des batteries pour le stockage de l'électricité nécessaire aux véhicules électriques et le stockage de l'énergie alimentant le réseau. Les terres rares en particulier sont des éléments essentiels pour la défense, car elles sont utilisées, par exemple, dans les composants des radars de nouvelle génération, dans les systèmes de guidage et dans l'avionique des avions de chasse de dernière génération.

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Actuellement, malgré le fait que les États-Unis disposent d'importantes réserves minérales, la Chine est le premier pays dans la production et le traitement de ces éléments. Il est en effet bien connu que Pékin, outre qu'elle possède l'un des plus grands gisements de ces minéraux, fournit 97% du total mondial de cette ressource, dans la mesure où la Chine est capable aujourd’hui de retraiter le minéral brut, le transformant en matière exploitable, ce qui lui confère pratiquement un monopole ; elle est suivie, en ce domaine, à très grande distance, par les États-Unis.

On comprend donc aisément quelles pourraient être les conséquences de cette domination sur le plan stratégique : la Chine pourrait décider, comme elle l'a déjà laissé entendre en mai 2019, de réduire la production ou l'exportation de ces minéraux vers les États-Unis, ce qui deviendrait une arme fondamentale, dans l’arsenal chinois, pour une guerre hybride menée contre Washington ou serait simplement une carte avec laquelle, les Chinois pourraient faire chanter les États-Unis et leur politique d’opposition systématique à l'expansion chinoise.

Un autre facteur est le changement de cap "vert" de la nouvelle administration. Le président Biden a inscrit à son ordre du jour la relance de l'économie verte, et cette domination chinoise sur les terres rares pourrait très facilement l'entraver. A la Maison Blanche, ils ont donc réalisé que les plans du nouveau président pour un secteur énergétique zéro carbone d'ici quinze ans, se heurtent à la faiblesse des entreprises américaines dans le domaine de l'approvisionnement en minerais et dans la chaîne de transformation. En fait, les États-Unis importent actuellement 100 % de la vingtaine de minéraux clés, nécessaires à l'énergie verte, et sont presque aussi dépendants des importations de ces minéraux particuliers.

L'ordonnance prévoit également un examen plus approfondi, sur une année, d'un ensemble plus large de chaînes d'approvisionnement qui couvrira des secteurs clés tels que la base industrielle de la défense, la santé publique, les technologies de l'information et de la communication, les secteurs des transports et de l'énergie ainsi que la chaîne d'approvisionnement agroalimentaire.

Toutefois, cette activité ne sera pas limitée à une courte période de temps. La révision des chaînes d'approvisionnement, action qui identifie simultanément, outre les risques et les lacunes, les nouvelles orientations et les politiques spécifiques de mise en œuvre, durera tout au long du mandat présidentiel de quatre ans dans un travail constant d'interaction entre les ministères, les agences fédérales et l'exécutif qui impliquera également le monde de l'industrie, les universités et les organisations non gouvernementales.

Le président Biden a donc lancé une nouvelle politique pour mettre fin à la dépendance américaine vis-à-vis de la Chine, non seulement en vue de relancer l'économie nationale et de soutenir sa vision "verte", mais surtout pour une raison stratégique : en effet, il n'est pas possible de contrer l'expansionnisme économique, commercial et militaire de la Chine tout en dépendant d’elle, dans des secteurs clés tels ceux de l'industrie de haute technologie, intimement liés à la Défense. Il s'agit donc d'un plan de sécurité nationale qui libérera Washington des liens commerciaux qu'elle entretient avec Pékin, mais qui pourrait avoir des conséquences néfastes en ce qui concerne "l'exportation de la démocratie". Les ressources minérales, les gisements, ne sont pas mobiles, et il n'y a que deux façons de s'en emparer : resserrer les liens avec les nations qui possèdent de grands gisements, ou intervenir manu militari pour pouvoir contrôler la production. Quelque chose qui se passe aujourd'hui en République démocratique du Congo, où, ce n'est pas un hasard, des hommes du groupe russe Wagner sont présents, et quelque chose qui s'est déjà produit en Afghanistan, un pays qui, avec la Bolivie, le Chili, l'Australie, les États-Unis et la Chine, possède les plus grandes réserves de lithium au monde.

Premier raid de l'ère Biden : frapper les milices en Syrie

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Premier raid de l'ère Biden : frapper les milices en Syrie

Lorenzo Vita

Ex : https://it.insideover.com

L'ère de Joe Biden à la Maison Blanche commence au niveau international avec un premier raid en Syrie. Comme l'a confirmé le Pentagone, le président américain a ordonné un raid de bombardement contre des sites qui, selon les renseignements américains, sont utilisés par des miliciens pro-iraniens dans la partie orientale du pays. "Ces raids ont été autorisés en réponse aux récentes attaques contre le personnel américain et de la coalition en Irak et aux menaces continues contre ce personnel", a déclaré le porte-parole de la Défense John Kirby, qui a précisé que l'attaque avait été spécifiquement menée "sur ordre du président", visant des sites "utilisés par divers groupes militants soutenus par l'Iran, dont le Kaitaib Hezbollah et le Kaitaib Sayyid al-Shuhada". Pour Kirby, le raid "envoie un message sans équivoque qui annonce que le président Biden agira dorénavant pour protéger le personnel de la coalition liée aux Etats-Unis. Dans le même temps, nous avons agi de manière délibérée en visant à calmer la situation tant en Syrie orientale qu'en Irak".

La décision de Biden intervient à un moment très délicat dans l'équilibre des forces au Moyen-Orient. Une escalade contre les forces américaines en Irak a commencé le 15 février et a conduit à plusieurs attaques contre les troupes américaines. L’avertissement est destiné aux forces pro-iraniennes présentes en Irak, qui a toujours constitué un véritable talon d'Achille pour la stratégie américaine au Moyen-Orient. Le pays qui a été envahi par les Américains en 2003 est devenu ces dernières années l'un des principaux partenaires de l'adversaire stratégique de Washington dans la région, Téhéran. Et il ne faut pas oublier que c'est précisément en Irak que le prédécesseur de Biden s'est manifesté. Donald Trump, en effet, avait ordonné le raid qui a tué le général iranien Qasem Soleimani. Une démarche que Bagdad avait évidemment condamnée, étant donné que le territoire sous autorité irakienne est devenu un champ de bataille entre deux puissances extérieures.

Cette fois, c'est la Syrie qui a été touchée. Et cela indique déjà une stratégie précise de la Maison Blanche. Pour le Pentagone, frapper la Syrie en ce moment signifie frapper un territoire avec une autorité qu'ils ne reconnaissent pas et qu'ils ont tenté de renverser. Une situation très différente de celle de l'Irak, où les États-Unis veulent éviter que le pays ne se retourne contre les forces étrangères présentes sur place et où il existe un gouvernement que l'Amérique reconnaît comme interlocuteur. Le fait que le raid ait eu lieu en Syrie mais en réponse aux attaques en Irak, indique qu'ils ne veulent pas créer de problèmes pour le gouvernement irakien.

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L'attaque confirme également un autre problème pour l'administration américaine. La présence de milices pro-iraniennes en Syrie et en Irak est un nœud gordien qui est loin d’avoir été tranché. Les généraux américains ont longtemps demandé à la Maison Blanche, sous Trump, d'éviter un retrait des troupes de Syrie, précisément pour exclure la possibilité que les forces liées à Téhéran reprennent pied dans la région. Trump, même s’il était récalcitrant, a néanmoins accepté, en fin de compte, les exigences du Pentagone (et d'Israël) et a évité un retrait rapide des forces américaines. Pour la Défense américaine, il y avait également le risque d'un renforcement de la présence russe (Moscou a condamné l'attaque en parlant d'"une action illégitime qui doit être catégoriquement condamnée"). Ce retrait ne s'est jamais concrétisé, se transformant en un fantôme qui erre depuis de nombreux mois dans les couloirs du Pentagone et de la Maison Blanche et niant la racine de l'une des promesses de l’ex-président républicain : la fin des "guerres sans fin".

Le très récent raid américain n'indique en aucun cas un retour en force de l'Amérique en Syrie. Le bombardement a été très limité et dans une zone qui a longtemps été dans le collimateur des forces américaines au Moyen-Orient. Mais le facteur "négociation" ne doit pas non plus être oublié. Les Etats-Unis négocient avec l'Iran pour revenir à l'accord sur le programme nucléaire : mais pour cela, ils doivent montrer leurs muscles. Comme le rapporte le Corriere della Sera, Barack Obama avait l'habitude de dire : "vous négociez avec votre fusil derrière la porte". Trump l'a fait en se retirant de l'accord, en tuant Soleimani et en envoyant des bombardiers et des navires stratégiques dans le Golfe Persique. Biden a changé la donne : il a choisi de limiter les accords avec les monarchies arabes pour montrer clairement qu'il ne s'alignait pas sur la politique de Trump, en gelant les F-35 aux Émirats et les armes aux Saoudiens qui se sont attaqué au Yémen. Mais en même temps, il voulait envoyer un signal directement à l'Iran en frappant des milices à la frontière entre l'Irak et la Syrie. Tactiques différentes, stratégie différente, mais avec une cible commune : l'Iran.

vendredi, 26 février 2021

L'implication de la Turquie dans le conflit ukrainien va-t-elle conduire à l'intégration du Donbass par la Russie?

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L'implication de la Turquie dans le conflit ukrainien va-t-elle conduire à l'intégration du Donbass par la Russie?

par Karine Bechet-Golovko
Ex: https://russiepolitics.blogspot.com
 
Depuis décembre, l'intérêt grandissant de la Turquie, membre de l'OTAN, pour l'Ukraine inquiète ceux qui ne veulent pas la guerre totale dans le Donbass et sa possible extension au continent européen. En effet, l'accord militaire passé entre les deux pays, prévoyant une production commune pour l'Ukraine de ces drones de combat, qui ont donné la victoire à l'Azerbaïdjan, et la livraison d'une première partie, laisse attendre de nombreuses victimes civiles dans le Donbass et un risque d'extension du conflit. Car tout l'intérêt est là pour les Atlantistes : la Russie va-t-elle s'en tenir à un soutien caché et à des déclarations diplomatiques, et perdre politiquement tant à l'intérieur qu'à l'internatonal, ou bien va-t-elle laisser entendre être prête à défendre le Donbass russe contre cette agression, somme toute, de l'OTAN ? Les globalistes ayant eux-mêmes changé l'équilibre international par le développement d'une politique d'agression massive des pays non-alignés, la question longtemps écartée par la Russie de l'intégration du Donbass pourrait retrouver tout son sens dans ce nouveau contexte conflictuel.  

En décembre 2020, la Turquie et l'Ukraine ont passé un accord militaire concernant la production commune de drones de combat avec transfert de technologie. Et en attendant la mise en route de cette production, l'Ukraine se disait prête à acheter des drones Bayraktar TB2, ces mêmes drones qui ont fait la différence dans le conflit du Haut-Karabakh. Il semblerait, selon certains experts, que la Turquie ait été aidée par les Etats-Unis à prendre la "bonne décision", celle d'une implication active dans le conflit ukrainien, suite à des sanctions imposées à ses entreprises de production d'armes. Cette délicate incitation expliquerait certainement le prix de vente incroyablement bas. En février 2021, l'information tombe d'une vente de 6 drones de combat à l'armée ukrainienne à un prix 16 fois inférieur à celui du marché.

L'intensification de l'activité des forces armées ukrainiennes, en violation directe des Accords de Minsk, oblige effectivement à poser la question d'une reprise "finale" du conflit. De son côté, la Russie appelle les Occidentaux à dissuader l'Ukraine de se lancer dans une folie guerrière, tout en soulignant que l'armée ukrainienne est soutenue, armée et entraînée par ces mêmes Occidentaux. Aucun conflit armé ne peut être contrôlé, il sort toujours des limites initialement prévues et entraîne des conséquences imprévisibles. Les Occidentaux ont-ils réellement envie de se battre pour l'Ukraine ? L'on peut sérieusement en douter. Mais s'ils laissent faire, comme ils le font actuellement, ils pourront être embarqués dans un conflit qui mettra à genoux une Europe, déjà triste fantôme d'elle-même.

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La situation est ici extrêmement complexe (voir notre texte ici). Le Donbass n'est pas le Haut-Karabakh, en cas d'affrontement militaire, la Russie ne peut pas se permettre de rester en retrait. Certes moralement, comme le déclare Kourguiniane, la question du choix entre les néo-nazis de Kiev et les Russes et Ukrainiens du Donbass ne se pose pas : "Personne en Russie ne se permettrait de faire un autre choix, même s'il le voulait". Et le clan dit libéral, présent dans les organes de pouvoir, le voudrait fortement, espérant ainsi enfin entrer dans la danse occidentale, répétant à satiété le choix de 1991 et les erreurs qui l'ont accompagné.

Mais surtout, la situation est complexe sur le plan de la sécurité internationale, car la reprise dans le sang du Donbass par l'OTAN, sous drapeau turco-ukrainien, remettrait totalement en cause, au minimum, la stabilité sur le continent européen. Ce qui, in fine, servirait le fantasme globaliste. 

D'un autre côté, la menace d'une intervention de la Russie, doublée d'une intégration du Donbass dans la Fédération de Russie, pourraient être le seul élément qui fasse réfléchir à deux fois avant de lancer les troupes. Car il y a une différence entre faire la guerre à LDNR et faire la guerre à la Russie.

Cette option de l'intégration avait longtemps été écartée par la Russie pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le scénario de Crimée était unique et n'illustrait pas une vision expansionniste. Ensuite, la Russie n'avait pas la volonté de remettre en cause la stabilité internationale, ce que démontre ses appels incessants à exécuter les Accords de Minsk, qui inscrivent le Donbass dans le cadre de l'état ukrainien, soulignant que dans le cas contraire, l'Ukraine pourrait définitivement perdre le Donbass comme elle a perdu la Crimée. Enfin, car elle espérait, à terme, voir réintégrer l'Ukraine post-Maïdan au Donbass, c'est-à-dire pacifier l'Ukraine, la rendre à elle-même.

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Or, la situation géopolitique a changé. L'intensification de la confrontation entre le clan atlantiste et la Russie modifie la donne sur de nombreux points. Si de toute manière des sanctions sont adoptées en chaîne contre la Russie, si de toute manière la rhétorique anti-russe continue à prendre de l'ampleur, si de toute manière les Atlantistes veulent faire de la Russie un état-terroriste, un paria, pourquoi alors ne pas réagir ? Les réactions asymétriques sont les plus efficaces et l'intégration du Donbass peut être l'une d'elles. Puisque de toute manière, avec ou sans lui, le combat entre dans une phase finale, une raison sera toujours trouvée (voir notre analyse ici) pour combattre la Russie, tant que l'obéissance ne sera pas totale, tant que la Russie ne se reniera pas sur la place publique.

Soit les globalistes n'ont plus le choix, ils doivent gagner ou périr, soit ils n'apprennent pas de leurs erreurs : le Maîdan, cette erreur de trop, qui a conduit à l'intégration de la Crimée, au retour de la Russie, décomplexée, sur la scène internationale, avec la Syrie ou le Venezuela. Dans tous les cas, la Russie a les cartes en main, elle aussi doit faire un choix stratégique, avec toutes les conséquences existentielles que cela implique.

jeudi, 25 février 2021

Pourquoi l'Europe est-elle hostile à la Russie?

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Pourquoi l'Europe est-elle hostile à la Russie?

Par Igor Ivanov

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Dans son ouvrage phare de 1871, Russie et Europe, le célèbre intellectuel russe et slave Nikolay Danilevsky a exposé sa théorie selon laquelle "l'Europe reconnaît la Russie comme quelque chose d'étranger à elle-même, et pas seulement d’étranger, mais aussi d’hostile", et que les intérêts fondamentaux de la Russie devraient servir de "contrepoids à l'Europe".

Cent cinquante ans se sont écoulés depuis la publication de cet ouvrage. Le monde a changé. Quoi qu'en disent les antimondialistes, le développement rapide des technologies modernes et leur utilisation dans notre vie quotidienne nous ont obligés à réévaluer nombre de nos convictions concernant les relations entre les États et les peuples. L'échange d'informations, de découvertes et de connaissances scientifiques, et le partage de nos richesses culturelles rapprochent les pays et ouvrent des possibilités de développement qui n'existaient pas auparavant. L'intelligence artificielle ne connaît aucune frontière et ne différencie pas les utilisateurs selon leur sexe ou leur nationalité. Parallèlement à ces nouvelles possibilités, le monde est également confronté à de nouveaux problèmes de plus en plus supranationaux, dont la résolution exige des efforts combinés de notre part. La pandémie du coronavirus en est le dernier exemple en date.

C'est dans le contexte de ces changements rapides qui, pour des raisons évidentes, ne peuvent se dérouler sans certaines conséquences, que l'on peut parfois entendre cette même théorie selon laquelle "l'Europe est hostile à la Russie". Bien que les arguments avancés pour soutenir cette affirmation semblent aujourd'hui beaucoup moins nuancés que ceux de Nikolay Danilevsky.

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Nikolay Danilevsky

Il n'en demeure pas moins qu'il est impossible d'ignorer cette question, car cela rendrait extrêmement difficile l'élaboration d'une politique étrangère sérieuse à long terme, étant donné le rôle prépondérant que joue l'Europe dans les affaires mondiales.

Avant de nous plonger dans le sujet, je voudrais dire quelques mots sur la question qui nous occupe. Pourquoi l'Europe devrait-elle aimer ou détester la Russie ? Avons-nous des raisons de croire que la Russie a des sentiments forts, positifs ou négatifs, à l'égard d'un autre pays ? C'est le genre de mots qui sont utilisés pour décrire les relations entre les États dans le monde moderne et interdépendant. Mais ils sont, pour la plupart, tout simplement inacceptables. Les concepts de politique étrangère de la Russie se concentrent invariablement sur la garantie de la sécurité, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du pays et sur la création de conditions extérieures favorables à son développement progressif.

La Russie et l'Europe ont une longue histoire qui remonte à plusieurs siècles. Et il y a eu des guerres et des périodes de coopération mutuellement bénéfique tout au long de cette histoire. Quoi qu'on en dise, la Russie est une partie inséparable de l'Europe, tout comme l'Europe ne peut être considérée comme "complète" sans la Russie.

Il est donc essentiel d'orienter le potentiel intellectuel non pas vers la destruction, mais plutôt vers la formation d'un nouveau type de relation, qui reflète les réalités actuelles.

À l'aube du XXIe siècle, il était clair pour tout le monde que, pour des raisons objectives, la Russie ne pourrait pas devenir un membre à part entière des associations militaires, politiques et économiques qui existaient en Europe à l'époque, c'est-à-dire l'Union européenne et l'OTAN. C'est pourquoi des mécanismes ont été mis en place pour aider les parties à établir des relations et à coopérer dans divers domaines. Les relations bilatérales se sont ainsi considérablement développées en quelques années seulement. L'Union européenne est devenue le principal partenaire économique étranger de la Russie, et des canaux de coopération mutuellement bénéfiques dans de nombreux domaines se sont créés.

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Cependant, les relations UE-Russie se sont enlisées ces dernières années. En fait, une grande partie des progrès qui avaient été réalisés sont maintenant annulés. Et les sentiments positifs ou négatifs à l'égard l'un de l'autre n'ont rien à voir avec cela. Cela est dû au fait que les parties ont perdu une vision stratégique de l'avenir des relations bilatérales dans un monde en rapide évolution.

S'exprimant lors du Forum économique mondial de Davos, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a déclaré que la Russie faisait partie de l'Europe et que, culturellement, la Russie et l'Europe ne faisaient qu'une seule et même civilisation. C'est la prémisse de base - qui ne repose pas sur des émotions - qui devrait sous-tendre la politique de la Russie dans ses relations avec l'Europe.

La Russie et l'Union européenne sont en désaccord sur de nombreux points, mais la seule façon de surmonter les malentendus et de trouver des possibilités d'aller de l'avant est le dialogue. Dans ce contexte, la récente visite du Haut Représentant de l'UE à Moscou a été un pas nécessaire dans la bonne direction, malgré les critiques que cette démarche a reçues de la part de la partie européenne. Personne ne s'attendait à des "percées" de la part de la visite, car les animosités et les malentendus entre les deux parties étaient trop profonds. Pourtant, les visites et les contacts de ce type devraient devenir la norme, car sans eux, nous ne verrons jamais de réels progrès dans les relations bilatérales.

Outre les questions qui figurent actuellement à l'ordre du jour des deux parties, l'attention devrait se concentrer sur l'élaboration d'une vision stratégique de ce que devraient être les relations UE-Russie à l'avenir, ainsi que sur les domaines d'intérêt mutuel. Par exemple, il est grand temps que l'Europe et la Russie abordent le sujet de la compatibilité de leurs stratégies énergétiques respectives, ainsi que les conséquences possibles de l'introduction de l'"énergie verte" en Europe en termes de coopération économique avec la Russie. Sinon, il sera trop tard, et au lieu d'un nouvel espace de coopération mutuellement bénéfique, nous aurons encore un autre problème insoluble.

Dans son ouvrage La Russie et l'Europe, Nikolay Danilevsky, tout en reconnaissant le bien que Pierre le Grand avait fait pour son pays, lui reprochait de "vouloir à tout prix faire de la Russie l'Europe". Personne ne ferait de telles accusations aujourd'hui. La Russie est, a été et sera toujours un acteur indépendant sur la scène internationale, avec ses propres intérêts et priorités nationales. Mais la seule façon de les réaliser pleinement est que le pays mène une politique étrangère active. Et l'une des priorités de cette politique est les relations avec l'Europe.

mercredi, 24 février 2021

La mission impossible de l’OTAN

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La mission impossible de l’OTAN

Par Finian Cunningham

(revue de presse : Information Clearing House – 18/2/21)*

Ex: http://www.france-irak-actualite.com

Il semblerait que les ministres de la défense de l’OTAN se soient réunis cette semaine pour chercher à redéfinir et actualiser la mission de l’alliance militaire. Dit plus simplement, l’organisation cherche désespérément une raison d’être pour son existence. 

Ce bloc militaire de 30 nations dispose d’un budget annuel de plus de mille milliards de dollars, dont les trois quarts sont versés par les Etats-Unis, soit $740 milliards dépensés sur sa propre force. 

La visioconférence qui s’est tenue cette semaine représentait la première prise de contact officielle de l’administration Biden avec les alliés de l’OTAN. Lloyd Austin, le secrétaire américain de la Défense s’est adressé au forum en insistant sur la priorité donnée par le président Biden au renforcement des relations avec les alliés, relations qui s’étaient largement dégradées sous l’administration Trump. 

C’est la même vielle rengaine maintes fois rabâchée par Washington dans le passé : les alliés de l’OTAN doivent dépenser toujours plus pour contrer les prétendues menaces de la Russie et de la Chine. Le même vieux disque rayé.

La seule différence tient dans le style et non le contenu. Alors que Trump demandait de façon rude et acerbe que les membres de l’OTAN injectent plus d’argent, l’administration Biden opte pour une rhétorique plus polie, caressant dans le sens du poil l’importance ‘du partenariat transatlantique’ et promettant d’être plus inclusif dans la prise de décision stratégique. 

Mais, c’est essentiellement la même escroquerie : les Etats-Unis exhortent les états européens à dépenser plus d’argent pour soutenir le complexe militaro-industriel qui maintient artificiellement en vie le défunt système capitaliste. Les Américains ont besoin que les Européens leur achètent des avions de guerre et des systèmes balistiques pour que le capitalisme américain puisse continuer à vivre.

C’est une position difficilement tenable en ce moment, alors que les difficultés économiques se font ressentir et d’énormes défis sociaux apparaissent. Comment justifier une dépense annuelle de mille milliards de dollars sur des machines de guerre improductives ? 

Il va de soi que les soutiens de l’OTAN, essentiellement les Américains, se doivent de réinventer des ennemis comme la Chine et la Russie pour justifier l’existence d’une économie militaire aussi extravagante, sans quoi elle serait vue comme une utilisation insensée et préjudiciable des ressources d’un pays. Ce qu’elle est. 

Cela dit, ce petit jeu de l’épouvantail a de sérieux défauts conceptuels. Le tout premier est que ni la Russie ni la Chine ne sont des ennemis cherchant à détruire les pays occidentaux. Deuxièmement, cette histoire ne tient pas logiquement. Le budget militaire total de l’OTAN est quatre fois supérieur aux budgets combinés de la Chine et de la Russie. Et on voudrait nous faire croire que ces deux pays menacent un bloc de 30 nations alors qu’ils ne dépensent qu’une fraction du budget de l’OTAN en dépenses militaires. 

Autre problème conceptuel pour les VRP de l’OTAN : l’organisation est née il y a huit décennies, au début de la guerre froide. Aujourd’hui, le monde est très différent et reflète une intégration multipolaire croissante tant économique que politique, ou au niveau des communications. 

Les chiffres du commerce publiés cette semaine montre que la Chine a surpassé les Etats-Unis en devenant le premier partenaire commercial de l’Union Européenne. 

La Chine, la Russie, et cette tendance à la coopération économique eurasienne représentent le futur du développement mondial. Malgré leur complaisance occasionnelle envers Washington, les Européens le savent. A la fin de l’année dernière, l’Union Européenne a conclu un accord d’investissement historique avec la Chine, et ce en dépit des objections de Washington. 

Cela sonne en effet le glas du harcèlement américain, qui voyait les Etats-Unis exhorter ses alliés de l’OTAN en inventant des histoires effrayantes d’ennemis étrangers. Le monde ne peut plus se permettre ce gâchis éhonté de ressources face à des besoins sociaux bien plus importants. Il devient de plus en plus difficile de vendre politiquement cette escroquerie qu’est l’OTAN. 

Ce “monde du Mal” dépeint par les conspirationnistes américains ne correspond en rien à la réalité que perçoivent la majorité des gens. Oui, il y a encore des irréductibles de la guerre froide qui rodent encore en Europe, tel que le secrétaire général de l’OTAN le général Jens Stoltenberg et les politiciens russophobes polonais et baltes, mais ils représentent des minorités à la marge. 

La plupart des citoyens est consciente que l’OTAN est une relique du passé, qu’elle n’a plus de raison d’être dans le monde d’aujourd’hui, et face à tous les besoins sociaux pressants, la France et l’Allemagne, les moteurs les plus puissants de l’économie européenne, ont de moins en moins d’inclination vers Washington, même dirigé par un président démocrate apparemment plus amical. 

L’administration Biden peut paraitre plus crédible et cordiale que celle de Trump, mais demander aux autres de dépenser plus militairement et d’antagoniser des partenaires commerciaux vitaux que sont la Chine et la Russie est mission impossible pour une OTAN menée par les Etats-Unis. 

Finian Cunningham a beaucoup écrit sur les relations internationales, et a été publié en plusieurs langues. Pendant près de 20 ans, il a travaillé comme éditeur et rédacteur pour les médias d’information les plus importants, y compris The Mirror, Irish Times et l’Independent. 

Source : Information Clearing House

Traduction et Synthèse: Z.E

mardi, 23 février 2021

Extraterritorialité du droit américain: que doit faire l’Europe?

par Christopher Coonen, Secrétaire général de Geopragma

Ex: https://geopragma.fr

Alors que l’administration Biden s’installe au pouvoir aux Etats-Unis, un sujet stratégique revient au centre des relations transatlantiques : l’extraterritorialité du droit américain et de fait, son illégitimité. 

Ironiquement, cette histoire commence en 1977, lorsque le Congrès vote la loi du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) pour combattre et sanctionner les pratiques frauduleuses de certaines sociétés américaines dans l’attribution de marchés ou contrats internationaux. Depuis, cette loi a évolué pour définir des standards internationaux en conférant aux USA la possibilité de définir des normes applicables à des personnes, physiques ou morales, non américaines, sur leur propre territoire. Cette pratique a été enrichie au fil du temps par les lois Helms-Burton et D’Amato-Kennedy ou encore l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR).

Celles-ci permettent aux autorités américaines, notamment le Department of Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC), de sanctionner des entreprises ayant commis, véritablement ou non, des faits de corruption internationale pouvant se rattacher au pouvoir juridictionnel des Etats-Unis. Le lien peut être une cotation de l’entreprise sur les places boursières new-yorkaises du NYSE ou du NASDAQ, le transit d’emails ou de données via des serveurs situés aux USA, ou même un simple paiement en dollars direct ou même par effet de change subreptice au cours d’un transfert de fonds. 

Chacun mesure bien aujourd’hui que l’extraterritorialité est un outil juridique mais surtout géopolitique, diplomatique et économique sans commune mesure, dont seuls les Américains sont détenteurs jusqu’à présent, en l’utilisant à des fins purement hégémoniques et d’interdiction d’accès à certains marchés, l’imposition de l’extraterritorialité du droit américain jouant ici le rôle d’un redoutable avantage concurrentiel. Car ils possèdent aussi une arme redoutable au travers du dollar : à l’échelle planétaire, la moitié des échanges commerciaux se font en USD, 85% du change de devises inclue le dollar, 75% des billets de 100 dollars en circulation le sont hors des Etats-Unis, et le dollar représente toujours 60% des réserves de devises des banques centrales ; à noter que l’euro se positionne fortement en deuxième place avec 20% de ces réserves (source : FMI).  

Les Etats-Unis décident unilatéralement et en toute impunité d’interdire aux autres Etats ou personnes, quels qu’ils soient de commercer avec un Etat tiers, comme c’est le cas avec l’Iran aujourd’hui et comme ce fut le cas pour Cuba en 1996. Avec potentiellement de lourdes amendes et l’exclusion du marché américain à la clé. Ces lois ont permis aux Etats-Unis de sanctionner abusivement plusieurs entreprises européennes : Siemens, Technip, Alstom, Daimler, ou encore BNP Paribas et son amende record de 8,9 milliards de dollars en 2015. En 2018, Sanofi a été contrainte de régler une amende de plus de 20 millions de dollars au titre du FCPA. Dernière affaire en date, Airbus a été sommé de payer une amende de 3,6 milliards de dollars en 2020.

Ces mesures prises par les Etats-Unis sont évidemment contestables au regard du droit international parce qu’elles étendent la juridiction de leurs lois à tout autre pays. C’est en fait de l’abus de position dominante, l’importance du marché américain permettant à Washington de faire du chantage politico-économique. Pour revenir à l’exemple iranien, les sanctions affectent directement la souveraineté de tous les Etats tiers. Y compris des entités supranationales comme l’Union européenne, contraintes de respecter des sanctions qu’elles n’ont pas décidées et qui sont le plus souvent contraires à leurs intérêts. Le retrait capitalistique et opérationnel de Total des champs gaziers de South-Pars au profit des Chinois en est le plus parfait exemple.

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A cet effet et en réaction à la réimposition des sanctions américaines sur l’Iran, l’Union européenne a lancé un mécanisme de paiement par compensation dit “INSTEX”. Ce montage financier isolerait tout lien avec le système monétaire américain, de manière à n’exposer aucune transaction aux sanctions américaines. En théorie, il pourrait à terme permettre aux entreprises européennes de poursuivre librement des échanges commerciaux avec l’Iran. Cependant, en pratique, il semble aujourd’hui sans grande portée, n’ayant été utilisé que très rarement et pour des opérations de troc. Afin de préserver leur rôle dans le commerce international, les entreprises européennes ont jusqu’à maintenant préféré se conformer aux sanctions américaines. Et elles redoutent aussi un désintérêt des investisseurs américains ou étrangers qui peuvent constituer une part importante de leur actionnariat.

Par contraste, les lois européennes n’opèrent des blocages visant des sociétés américaines que dans le cadre d’opérations de fusions ou d’acquisitions qui ont une influence directe sur le marché européen et sur la concurrence européenne. Ce fut le cas en 2001 entre General Electric et Honeywell. Lorsque des décisions sont rendues, elles le sont au même titre qu’à l’encontre des entreprises européennes, sans traitement différencié. Et elles ne prévoient pas de sanctions. L’effet en est donc limité, proportionné et conforme au droit international.

Sur ce sujet aussi, l’Europe doit arrêter de se laisser faire, cesser d’être la vassale des Etats-Unis et opérer un grand sursaut. Elle a plusieurs options pour le faire.

Elle peut mettre en place un arsenal juridique équivalent – un OFAC européen – qui sanctionnerait les personnes morales ou physiques américaines, et protègerait les sociétés et personnes physiques européennes d’amendes ou de sanctions extraterritoriales d’outre-Atlantique. 

Elle doit utiliser pleinement le RGPD qui protège les données de personnes morales ou physiques européennes en déjouant ainsi l’extraterritorialité des lois US, et contrecarrer les lois « Cloud Act I et II » adoptées par le Congrès qui permettent l’accès aux données des utilisateurs européens via des sociétés américaines, notamment dans le secteur numérique. Compte tenu des parts de marché écrasantes des GAFAM, et de l’importance croissante des données visées par les lois américaines, ceci est nécessaire et frappé au coin du bon sens.

Enfin, l’Europe et les groupes européens doivent mettre la pression dans le cadre de leurs échanges commerciaux en exigeant le règlement des contrats en euros et non plus en dollars.

Ce n’est donc plus une question de « pouvoir faire », mais de volonté et d’urgence, bref de « devoir faire ». L’Europe doit s’armer et démontrer sa souveraineté, en prenant notamment au pied de la lettre l’intention déclarée du 46ème président des Etats-Unis de renouer avec une politique étrangère multilatérale et équilibrée avec ses alliés transatlantiques. Si ce ne sont pas là que des déclarations d’intentions lénifiantes, alors nous pouvons légitimement invoquer la réciprocité comme première marque de respect.  

 

jeudi, 18 février 2021

Eurocrate et atlantiste : Draghi dicte la nouvelle politique étrangère de l'Italie

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Eurocrate et atlantiste : Draghi dicte la nouvelle politique étrangère de l'Italie

Par Lorenzo Vita

Ex : https://it.insideover.com

Un gouvernement eurocratique et atlantiste. Avec ces mots, Mario Draghi définit la politique étrangère de son gouvernement et envoie un message adressé non seulement aux alliés du gouvernement, mais aussi à ceux qui se trouvent hors d'Italie. Il y a un pays, l’Italie, qui, pour Draghi, doit confirmer les lignes directrices qui ont caractérisé la diplomatie de Rome depuis des décennies. Et Draghi répond aux attentes d'un exécutif qui est clairement né avec la bénédiction de Washington et de Berlin (et de Bruxelles). Les deux capitales de l'Occident politique, celle de l'Amérique et celle de l'Europe, regardent très attentivement ce qui se passe au Palazzo Chigi, conscientes que l'Italie est un pays que personne ne peut ou ne veut perdre. Les États-Unis pour des questions stratégiques, l'Allemagne pour des raisons économiques et donc politiques.

Ces dernières années, l'Italie est apparue très erratique sur les questions clés de sa politique étrangère. Ce n'est pas nécessairement un défaut, mais ce n'est pas non plus une vertu. Très souvent, le fait d'être ambigu est pris pour une forme de politique non alignée ou pour un signe d'indépendance. Cependant, ce qui semble presque être un appel à une diplomatie de type "primo-public" cache très souvent (et dissimule) l'incapacité à suivre une certaine voie qui conduirait à des avantages évidents. Giuseppe Conte, en changeant de majorité, a certes modifié profondément sa façon de faire de la politique étrangère : mais cela n'a pas suffi à donner des garanties aux pouvoirs qui se portent garants de l'Italie sur la scène internationale. Une question qui a pesé comme un roc dans la politique d'un gouvernement déjà miné par des problèmes internes.

Draghi est arrivé au Palazzo Chigi avec un arrière-plan précis. Et les lignes qu'il dicte révèlent encore plus la faveur avec laquelle il est revenu à Rome. L'axe entre le Palazzo Chigi et le Quirinal, qui a façonné ce gouvernement né des cendres de la coalition jaune-rouge, repose sur une ligne programmatique qui s'articule autour de trois éléments clés : l'OTAN, l'Union européenne et l'idée d'un pays qui représente ces blocs en tant que pilier méditerranéen. Les propos du Premier ministre confirment cette ligne par une phrase qui ne laisse aucun doute : "Dans nos relations internationales, ce gouvernement sera résolument pro-européen (eurocratique) et atlantiste, en accord avec les ancrages historiques de l'Italie : l'Union européenne, l'Alliance atlantique, les Nations unies".

Sur le front européen, il est clair que le gouvernement Draghi est né dans un système profondément lié à la vision unitaire de l'Europe. Le curriculum de Draghi, dans ce sens, ne peut certainement pas être sous-estimé étant donné qu'en tant que président de la Banque centrale européenne, il a sauvé l'euro d'une crise potentiellement explosive et a répété, dans son discours au Sénat, qu’il fallait considérer l'euro comme irréversible. Ces orientations économiques et financières vont également de pair avec une politique étrangère au sein de l'UE qui apparaît immédiatement très précise, et qui ne doit pas être sous-estimée. L'idée d'affirmer que la France et l'Allemagne sont les premiers référents au sein du continent, en distinguant clairement Paris et Berlin des autres gouvernements méditerranéens (expressément l'Espagne, Malte, la Grèce et Chypre) construit une frontière bien définie du réseau stratégique italien. Avec la France et l'Allemagne, on a l'impression qu'ils veulent créer des canaux sûrs et directs qui impliquent une entrée progressive de l'Italie dans les choix communautaires, ce que le politologue Alain Minc, conseiller de Macron, a également rappelé dans son interview au journal La Repubblica. En effet, Minc a également lancé une blague sans surprise sur la déception espagnole face à l'arrivée de Draghi, étant donné que l'objectif de Madrid est de saper la position de Rome en tant que troisième capitale de l'UE.

Ces piliers européens, ainsi que les piliers atlantiques, représentent la position diplomatique du gouvernement lancée ces dernières semaines. Des lignes rouges qui ouvrent la porte à un scénario de repositionnement également vis-à-vis de la Chine, jamais mentionnée dans le texte alors même qu’elle est un partenaire fondamental du pays. La Russie et la Turquie ont certes été mentionnées – mais une seule fois pour parler des tensions dans leurs environnements et en Asie centrale. Un choix qui ne peut pas être seulement dialectique : pour Draghi, l'Italie n'a qu'une seule appartenance, qui est celle de l'aire atlantique et de l'Europe eurocratique. La Chine est un partenaire commercial inévitable, mais en évitant d'en parler dans son discours programmatique, il montre aussi clairement qu'elle n'a aucune valeur stratégique au contraire de l'Amérique, de l’Union européenne et de pays avec lesquels l'Italie a une profonde connaissance économique, politique, d'intelligence et de contrôle de la Méditerranée.

Par conséquent, s'il est clair que, pour Rome, les relations avec Berlin et Paris restent essentielles pour renforcer un projet européen qui implique également notre gouvernement, en évitant qu'Aix-la-Chapelle ne dicte totalement la ligne sur les changements en Europe, l'Italie se tourne également vers la Méditerranée, étant donné que le Premier ministre a affirmé au Sénat qu'il voulait "consolider la collaboration avec les États avec lesquels nous partageons une sensibilité méditerranéenne spécifique".

Cette question est particulièrement importante car elle permet également de comprendre comment la géopolitique italienne évolue dans une période de transition aussi complexe dans la zone euro-méditerranéenne. Pour les États-Unis et l'Union européenne, la Méditerranée représente une ligne de faille qui divise un monde occidental affaibli par la crise et une zone de chaos (la revue géopolitique Limes la définit notamment comme Chaoslandia) qui comprend une grande partie de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et où plusieurs puissances moyennes et grandes sont impliquées. L'Italie est au centre, la dernière bande d'un bloc en quête de sa nouvelle vocation après l'effondrement de l'URSS et avec une Amérique qui tente de se recentrer sur la Chine tout en évitant d'abandonner le théâtre européen et moyen-oriental. Cette condition implique que Rome doit choisir ses meilleurs alliés avec le plus grand soin, car il est clair que dans ce jeu il n'y a pas de tirage au sort : il y a des gagnants et des perdants, qu'ils soient entrants ou sortants. L'axe pro-européen et atlantiste défini par Draghi dirige l'Italie dans le sillage de ceux qui la considèrent comme la tranchée creusée face à cette frontière brûlante de l'ordre libéral international. Et cela implique clairement aussi un rôle précis cadrant dans ce schéma : à partir de la Méditerranée élargie elle-même. La Libye, le Levant et les Balkans sont des régions vers lesquelles l'Italie ne peut pas refuser de tourner les yeux. Et en attendant des gestes précis de l'administration Biden, qui a déjà fait savoir qu'elle appréciait les nouvelles orientations de l’Italie, on a l'impression que le Palazzo Chigi, le Quirinal et la Farnesina (qui est en fait "commandée" par la ligne Draghi-Mattarella) ont désormais un horizon parfaitement en ligne avec les mouvements de l'OTAN et de l'UE.

lundi, 15 février 2021

La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu

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La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu

Irnerio Seminatore

 

Un dépassement du concept militaire de guerre?

Si dans la tradition occidentale la guerre comme "poursuite de la politique par d'autres moyens" (Clausewitz), associe à la finalité, conçue par la politique (Zweck), des actes de violence pour imposer à l'autre notre volonté, le concept décisif de la violence étatique et de l'action guerrière sont-ils toujours essentiels à la rationalité politique du conflit belliqueux dans la pensée militaire chinoise?

Avec le concept stratégique de "guerre sans limites" et de défense active, élaboré par les deux Colonels chinois Qiao et Wang en 1999, avons nous surmonté le concept militaire de guerre? Avons nous touché au "sens" même de la guerre, comme soumission violente de l'un par l'autre? Sommes nous passés d'une civilisation de la guerre violente et sanglante, à une ère dans laquelle l'importance de l'action non guerrière influence à tel point la finalité de la guerre comme lutte (kampf) que l'esprit, dressé contre les adversités parvient à remplacer la force par la "ruse" et à atteindre ainsi le but de guerre (Zweck)? A ce questionnement il faut répondre que, dans le manuel des Colonels Qiao-Wang nous sommes restés au niveau de la méta-stratégie et donc à l'utilisation d'armes et de modalités d'action qui distinguent en Occident, la défense passive de la défense active. Une posture stratégique n'est au niveau géopolitique qu'un mode asymétrique pour ne pas céder et ne pas se soumettre et, au niveau opérationnel et doctrinal, de mettre en œuvre un stratégie anti-accès.

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Le Général Qiao Liang.

Le livre des deux colonels de l'armée de l'air a été reçu par les analystes occidentaux comme un examen des failles de la force américaine de la part des spécialistes chinois et comme la recherche de ses talons d' Achille, à traiter par les biais de la "ruse". La "guerre hors limites" inclut, dans une conception unitaire, la guerre militaire et la guerre non-militaire et comprend tout ce qu’on a pu parfois désigner sous le terme d’opérations autres que la guerre. Dans une acception très extensive, la guerre économique, financière, terroriste, présentées avec une vision prémonitoire et anticipatrice. La guerre informatique et médiatique y fait figure de champs d'innovation ouvrant à de nouveaux théâtres d’opération, qui nécessitent d'un dépassement des objectifs de sécurité traditionnels. Dans cette "guerre omnidirectionnelle", la guerre ne sera même plus la guerre classique, car "ni l’ennemi, ni les armes, ni le champ de bataille ne seront ce qu’ils furent". Le jeu politique et militaire a changé. Dans cette situation aux incertitudes multiples, il va falloir définir une nouvelle règle du jeu (…), un produit hybride…" (Qiao-Wang), seule certitude, l’incertitude. Une recommandation toutefois pour tous! Savoir combiner le champ de bataille et le champ de non bataille, le guerrier et le non guerrier. Les préceptes de cette réflexion sont-ils encore valables aujourd’hui? (février 2021)

Du point de vue général, en aucun cas les conseils dispensés à l'époque n'ont conduit à une remise en cause de la notion de pouvoir/puissance, puisque la doctrine et la stratégie militaires de la Chine demeurent, depuis la parution de ce manuel, celles de ses principaux rivaux et visent la maîtrise de secteurs-clés des technologies avancées pour acquérir la supériorité dans une guerre locale et parvenir à une solution négociée, évitant que le risque assumé ne dégénère en conflit ouvert. Or le succès de la stratégie chinoise de contrôle des "secteurs clés" d’une campagne militaire repose sur un principe décisif: l’initiative. Cependant une succincte conclusion conduit à la considération que le "concept d'asymétrie" de la pensée et du programme de modernisation militaire chinois se situe sur le plan opérationnel et se concentre sur la capacité de saisir la supériorité dans le domaine de l'information et de l'exploitation du réseaux informatique et guère au niveau de la théorie politique ou militaire. En effet le centre de gravité des interrogations repose sur la question de fond pour la défense et la sécurité chinoise. Comment faire face à la superpuissance américaine La modernisation de l'Armée Populaire de Libération n'a pas débuté après les réformes économiques de Deng Tsiao Ping et elle n'a pas concerné la dissuasion nucléaire, qui structure étroitement la relation entre stratégie et pouvoir, mais sur les réponses à donner à la modernisation des armées, en vue d'un combat conventionnel et fut conçue comme un moyen de combler le retard et les lacunes accumulés à partir de la première guerre du Golfe (1991). Ce livre reflète les idées d'un des courants, le plus radical, qui s'est imposé dans le débat sur la modernisation des forces armées comme expression d'un pouvoir unique.

Pouvoir unique et plusieurs théâtres

Il prôna l'inutilité de songer à rattraper les États-Unis dans le domaine conventionnel et il est parvenu à la conclusion de concevoir une stratégie asymétrique et sans règles (ruse conceptuelle), pour s'opposer et réagir à la supériorité des moyens et des forces des États-Unis. La multiplication des foyers de conflit, des théâtres de confrontation et des alliances militaires dans un monde à plusieurs pôles de pouvoir, assure-t-elle encore la pertinence d'une telle analyse? Le concept de défense active, jugé insuffisant, n'a t-il pas infléchi le deux notions de Soft et de Hard Power et, par voie de conséquence, la rigidité ou la souplesse interne et extérieure du régime? Par ailleurs, dans une vision non militaire du rapport mondial des forces ne faut il pas prendre en considération, comme potentiel de mobilisation, les nouvelles routes de la soie, comme extension des moyens et d'emploi d'une autonomie stratégique globale et dépendante d'un pouvoir unique, utilisant la force et la ruse, la séduction et l'autorité? Et comment une philosophie et une  culture de l'esquive à la Sun-Tzu peut elle se traduire en posture et doctrine active, de pensée et d'action dans un contexte d'hypermodernité technologique? En revenant à l'analyse des deux Colonels chinois, la modernisation de l'ALP, envisagée dans l'hypothèse d'une confrontation avec les États-Unis, a exigé une observation attentive des avancées militaires et des talons d'Achille de la superpuissance américaine. Considérant que l'évolution de l'art de la guerre s'étend bien au delà du domaine de la pure technologie et de ses applications militaires, sur lesquelles tablent les américains, le domaine de la guerre est devenu le terrain d'une complexité brownienne, qui combine plusieurs enjeux et plusieurs objectifs, différenciant ainsi les buts de guerre. La frontière entre civil et militaire s'efface, de telle sorte que les composantes et les formes non militaires de l'affrontement, sont intégrées et annexées dans un effort beaucoup plus important, qui modifie non pas le "sens" ou la "logique (politique) de la guerre, mais sa "grammaire".

Liu Mingfu et le"Rêve Chinois" (Zhongguo meng)

imagesliumingfu.pngCe livre est par ailleurs l'illustration d'un courant nationaliste, qui n'exclut aucune hypothèse, y compris une confrontation avec les États-Unis. Cette hypothèse s'inscrit d'une part dans l'analyse des tendances stratégiques contemporaines et de l'autre dans le débat sur le destin national chinois, permettant d'accorder, au moins théoriquement, la "montée pacifique" du pays, avec la conception d'un "monde harmonieux"(ou d'un ordre politique juste et bienveillant) Cependant son point d'orgue repose sur l'idée de profiter d'une grande "opportunité stratégique", à l'ère post-américaine, dont témoigne le texte le "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, prônant la consolidation de la puissance chinoise et le rattrapage de l'Occident. En effet le rétablissement du rôle central de la Chine dans les affaires internationales, régionales et mondiales, opère dans une période d'affaiblissement des États-Unis (années 2010). Dans ce début de millénaire, l'Amérique ne serait plus "un tigre un papier", comme à l'époque de Mao Zedong, mais "un vieux concombre peint en vert" (Song Xiao JUn), de telle sorte que la Chine ne peut plus se contenter d'une "montée économique" et a besoin "d'une montée militaire".

Ainsi elle doit se tenir prête à se battre militairement et psychologiquement, dans un affrontement  pour la "prééminence stratégique". C'est "le moment ou jamais", pour le Colonel Liu Mingfu, puisque le but de la Chine est de "devenir le numéro un dans le monde", la version moderne de sa gloire ancienne, une version exemplaire, car "les autres pays doivent apprendre de la Chine- dit Liu Mingfu dans une interview en 2017 au New York Times, mais la Chine a également besoin d'apprendre d'eux. D'une certaine manière, tous les pays sont les professeurs de la Chine!

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Le Colonel Liu Mingfu.

Depuis 1840, la Chine est la meilleure élève du monde. Nous avons analysé la Révolution française ; la dynastie Qing a mené de grandes réformes en suivant l'exemple du Royaume-Uni ; nous avons étudié le marxisme de l'Occident, le léninisme et le stalinisme de l'Union soviétique ; nous avons également regardé de très près l'économie de marché des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. C'est grâce à cette soif d'apprendre que, à terme, la Chine dépassera les États-Unis. Les États-Unis, eux, ne cherchent pas à s'inspirer des autres pays... et surtout pas de la Chine. Ma conviction c'est que les États-Unis manquent d'une grande stratégie et de grands stratèges. J'ai écrit sur ce sujet, de 2017, un livre intitulé "Le Crépuscule de l'hégémonie", qui a d'ailleurs été traduit en anglais. Le New York Times m'a interviewé à ce moment-là. Voici ce que j'ai dit au journaliste qui m'interrogeait." De façon générale, la revendication d'un statut de puissance mondiale de la part de la Chine, s'accompagne, depuis le livre "La Guerre hors limites" des Colonels Quiao et Wang, jusqu'au "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, du sentiment historique d'un "but grandiose", celui d'une grande mission à poursuivre contre un ordre politique international injuste et amoral.

Bruxelles 15 février 2021

Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/f-vrier/la-gue...

dimanche, 14 février 2021

Pourquoi la Russie rend l’Occident fou

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Pourquoi la Russie rend l’Occident fou

 
 
par Pepe Escobar
Ex: http://www.zejournal.mobi

Le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie a un air d’inévitabilité historique qui met les États-Unis et l’UE à l’épreuve.

Les futurs historiens pourraient l’enregistrer comme le jour où le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, habituellement imperturbable, a décidé qu’il en avait assez :

« Nous nous habituons au fait que l’Union Européenne tente d’imposer des restrictions unilatérales, des restrictions illégitimes et nous partons du principe, à ce stade, que l’Union Européenne est un partenaire peu fiable ».

Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, en visite officielle à Moscou, a dû faire face aux conséquences.

Lavrov, toujours parfait gentleman, a ajouté : « J’espère que l’examen stratégique qui aura lieu bientôt se concentrera sur les intérêts clés de l’Union Européenne et que ces entretiens contribueront à rendre nos contacts plus constructifs ».

Il faisait référence au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UE qui se tiendra le mois prochain au Conseil européen, où ils discuteront de la Russie. Lavrov ne se fait pas d’illusions : les « partenaires peu fiables » se comporteront en adultes.

Pourtant, on peut trouver quelque chose d’immensément intrigant dans les remarques préliminaires de Lavrov lors de sa rencontre avec Borrell : « Le principal problème auquel nous sommes tous confrontés est le manque de normalité dans les relations entre la Russie et l’Union Européenne – les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique. C’est une situation malsaine, qui ne profite à personne ».

Les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique (mes italiques). Que cela soit clair. Nous y reviendrons dans un instant.

Dans l’état actuel des choses, l’UE semble irrémédiablement accrochée à l’aggravation de la « situation malsaine ». La chef de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait échouer le programme de vaccination de Bruxelles. Elle a envoyé Borrell à Moscou pour demander aux entreprises européennes des droits de licence pour la production du vaccin Spoutnik V – qui sera bientôt approuvé par l’UE.

Et pourtant, les eurocrates préfèrent se plonger dans l’hystérie, en faisant la promotion des bouffonneries de l’agent de l’OTAN et fraudeur condamné Navalny – le Guaido russe.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, sous le couvert de la « dissuasion stratégique », le chef du STRATCOM américain, l’amiral Charles Richard, a laissé échapper avec désinvolture qu’il « existe une réelle possibilité qu’une crise régionale avec la Russie ou la Chine puisse rapidement dégénérer en un conflit impliquant des armes nucléaires, si elles percevaient qu’une perte conventionnelle menaçait le régime ou l’État ».

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Ainsi, la responsabilité de la prochaine – et dernière – guerre est déjà attribuée au comportement « déstabilisateur » de la Russie et de la Chine. On suppose qu’elles vont « perdre » – et ensuite, dans un accès de rage, passer au nucléaire. Le Pentagone ne sera qu’une victime ; après tout, affirme STRATCOM, nous ne sommes pas « enlisés dans la Guerre froide ».

Les planificateurs du STRATCOM devraient lire le crack de l’analyse militaire Andrei Martyanov, qui depuis des années est en première ligne pour expliquer en détail comment le nouveau paradigme hypersonique – et non les armes nucléaires – a changé la nature de la guerre.

Après une discussion technique détaillée, Martyanov montre comment « les États-Unis n’ont tout simplement pas de bonnes options actuellement. Aucune. La moins mauvaise option, cependant, est de parler aux Russes et non en termes de balivernes géopolitiques et de rêves humides selon lesquels les États-Unis peuvent, d’une manière ou d’une autre, convaincre la Russie « d’abandonner » la Chine – les États-Unis n’ont rien, zéro, à offrir à la Russie pour le faire. Mais au moins, les Russes et les Américains peuvent enfin régler pacifiquement cette supercherie « d’hégémonie » entre eux, puis convaincre la Chine de s’asseoir à la table des trois grands et de décider enfin comment gérer le monde. C’est la seule chance pour les États-Unis de rester pertinents dans le nouveau monde ».

L’empreinte de la Horde d’Or

Bien que les chances soient négligeables pour que l’Union européenne se ressaisisse sur la « situation malsaine » avec la Russie, rien n’indique que ce que Martyanov a décrit sera pris en compte par l’État profond américain.

La voie à suivre semble inéluctable : sanctions perpétuelles ; expansion perpétuelle de l’OTAN le long des frontières russes ; constitution d’un cercle d’États hostiles autour de la Russie ; ingérence perpétuelle des États-Unis dans les affaires intérieures russes – avec une armée de la cinquième colonne ; la guerre de l’information perpétuelle et à grande échelle.

Lavrov affirme de plus en plus clairement que Moscou n’attend plus rien. Les faits sur le terrain, cependant, continueront de s’accumuler.

Nord Stream 2 sera terminé – sanctions ou pas – et fournira le gaz naturel dont l’Allemagne et l’UE ont tant besoin. Le fraudeur Navalny, qui a été condamné – 1% de « popularité » réelle en Russie – restera en prison. Les citoyens de toute l’UE recevront Spoutnik V. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine continuera de se renforcer.

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à ce gâchis russophobe malsain, une feuille de route essentielle est fournie par le Conservatisme russe, une nouvelle étude passionnante de philosophie politique réalisée par Glenn Diesen, professeur associé à l’Université de la Norvège du Sud-Est, chargé de cours à l’École supérieure d’Économie de Moscou, et l’un de mes éminents interlocuteurs à Moscou.

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Diesen commence en se concentrant sur l’essentiel : la géographie, la topographie et l’histoire. La Russie est une vaste puissance terrestre sans accès suffisant aux mers. La géographie, affirme-t-il, conditionne les fondements des « politiques conservatrices définies par l’autocratie, un concept ambigu et complexe de nationalisme, et le rôle durable de l’Église orthodoxe » – impliquant une résistance au « laïcisme radical ».

Il est toujours crucial de se rappeler que la Russie n’a pas de frontières naturelles défendables ; elle a été envahie ou occupée par les Suédois, les Polonais, les Lituaniens, la Horde d’Or mongole, les Tatars de Crimée et Napoléon. Sans parler de l’invasion nazie, qui a été extrêmement sanglante.

Qu’y a-t-il dans l’étymologie d’un mot ? Tout : « sécurité », en russe, c’est byezopasnost. Il se trouve que c’est une négation, car byez signifie « sans » et opasnost signifie « danger ».

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La composition historique complexe et unique de la Russie a toujours posé de sérieux problèmes. Oui, il y avait une étroite affinité avec l’Empire byzantin. Mais si la Russie « revendiquait le transfert de l’autorité impériale de Constantinople, elle serait forcée de la conquérir ». Et revendiquer le rôle, l’héritage et d’être le successeur de la Horde d’Or reléguerait la Russie au seul statut de puissance asiatique.

Sur la voie de la modernisation de la Russie, l’invasion mongole a non seulement provoqué un schisme géographique, mais a laissé son empreinte sur la politique : « L’autocratie est devenue une nécessité suite à l’héritage mongol et à l’établissement de la Russie comme un empire eurasiatique avec une vaste étendue géographique mal connectée ».

« Un Est-Ouest colossal »

La Russie, c’est la rencontre de l’Est et de l’Ouest. Diesen nous rappelle comment Nikolai Berdyaev, l’un des plus grands conservateurs du XXe siècle, l’avait déjà bien compris en 1947 : « L’incohérence et la complexité de l’âme russe peuvent être dues au fait qu’en Russie, deux courants de l’histoire du monde – l’Est et l’Ouest – se bousculent et s’influencent mutuellement (…) La Russie est une section complète du monde – un Est-Ouest colossal ».

Le Transsibérien, construit pour renforcer la cohésion interne de l’empire russe et pour projeter la puissance en Asie, a changé la donne : « Avec l’expansion des colonies agricoles russes à l’est, la Russie remplace de plus en plus les anciennes routes qui contrôlaient et reliaient auparavant l’Eurasie ».

Il est fascinant de voir comment le développement de l’économie russe a abouti à la théorie du « Heartland » de Mackinder – selon laquelle le contrôle du monde nécessitait le contrôle du supercontinent eurasiatique. Ce qui a terrifié Mackinder, c’est que les chemins de fer russes reliant l’Eurasie allaient saper toute la structure de pouvoir de la Grande-Bretagne en tant qu’empire maritime.

Diesen montre également comment l’Eurasianisme – apparu dans les années 1920 parmi les émigrés en réponse à 1917 – était en fait une évolution du conservatisme russe.

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L’Eurasianisme, pour un certain nombre de raisons, n’est jamais devenu un mouvement politique unifié. Le cœur de l’Eurasianisme est l’idée que la Russie n’était pas un simple État d’Europe de l’Est. Après l’invasion des Mongols au XIIIe siècle et la conquête des royaumes tatars au XVIe siècle, l’histoire et la géographie de la Russie ne pouvaient pas être uniquement européennes. L’avenir exigerait une approche plus équilibrée – et un engagement avec l’Asie.

Dostoïevski l’avait brillamment formulé avant tout le monde, en 1881 :

« Les Russes sont autant asiatiques qu’européens. L’erreur de notre politique au cours des deux derniers siècles a été de faire croire aux citoyens européens que nous sommes de vrais Européens. Nous avons trop bien servi l’Europe, nous avons pris une trop grande part à ses querelles intestines (…) Nous nous sommes inclinés comme des esclaves devant les Européens et n’avons fait que gagner leur haine et leur mépris. Il est temps de se détourner de l’Europe ingrate. Notre avenir est en Asie ».

Lev Gumilev était sans aucun doute la superstar d’une nouvelle génération d’Eurasianistes. Il affirmait que la Russie avait été fondée sur une coalition naturelle entre les Slaves, les Mongols et les Turcs. « The Ancient Rus and the Great Steppe », publié en 1989, a eu un impact immense en Russie après la chute de l’URSS – comme je l’ai appris de mes hôtes russes lorsque je suis arrivé à Moscou via le Transsibérien à l’hiver 1992.

Comme l’explique Diesen, Gumilev proposait une sorte de troisième voie, au-delà du nationalisme européen et de l’internationalisme utopique. Une Université Lev Gumilev a été créée au Kazakhstan. Poutine a qualifié Gumilev de « grand Eurasien de notre temps ».

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Diesen nous rappelle que même George Kennan, en 1994, a reconnu la lutte des conservateurs pour « ce pays tragiquement blessé et spirituellement diminué ». Poutine, en 2005, a été beaucoup plus clair. Il a souligné :

« L’effondrement de l’Union soviétique a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle. Et pour le peuple russe, ce fut un véritable drame (…) Les anciens idéaux ont été détruits. De nombreuses institutions ont été démantelées ou simplement réformées à la hâte. (…) Avec un contrôle illimité sur les flux d’information, les groupes d’oligarques ont servi exclusivement leurs propres intérêts commerciaux. La pauvreté de masse a commencé à être acceptée comme la norme. Tout cela a évolué dans un contexte de récession économique des plus sévères, de finances instables et de paralysie dans la sphère sociale ».

Appliquer la « démocratie souveraine »

Nous arrivons ainsi à la question cruciale de l’Europe.

Dans les années 1990, sous la houlette des atlantistes, la politique étrangère russe était axée sur la Grande Europe, un concept basé sur la Maison européenne commune de Gorbatchev.

Et pourtant, dans la pratique, l’Europe de l’après-Guerre froide a fini par se configurer comme l’expansion ininterrompue de l’OTAN et la naissance – et l’élargissement – de l’UE. Toutes sortes de contorsions libérales ont été déployées pour inclure toute l’Europe tout en excluant la Russie.

Diesen a le mérite de résumer l’ensemble du processus en une seule phrase : « La nouvelle Europe libérale représentait une continuité anglo-américaine en termes de règle des puissances maritimes, et l’objectif de Mackinder d’organiser la relation germano-russe selon un format à somme nulle pour empêcher l’alignement des intérêts ».

Pas étonnant que Poutine, par la suite, ait dû être érigé en épouvantail suprême, ou « en nouvel Hitler ». Poutine a catégoriquement rejeté le rôle pour la Russie de simple apprentie de la civilisation occidentale – et son corollaire, l’hégémonie (néo)libérale.

Il restait néanmoins très accommodant. En 2005, Poutine a souligné que « par-dessus tout, la Russie était, est et sera, bien sûr, une grande puissance européenne ». Ce qu’il voulait, c’était découpler le libéralisme de la politique de puissance – en rejetant les principes fondamentaux de l’hégémonie libérale.

411rXFGcgZL._SX310_BO1,204,203,200_.jpgPoutine disait qu’il n’y a pas de modèle démocratique unique. Cela a finalement été conceptualisé comme une « démocratie souveraine ». La démocratie ne peut pas exister sans souveraineté ; cela implique donc d’écarter la « supervision » de l’Occident pour la faire fonctionner.

Diesen fait remarquer que si l’URSS était un « Eurasianisme radical de gauche, certaines de ses caractéristiques eurasiatiques pourraient être transférées à un Eurasianisme conservateur ». Diesen note comment Sergey Karaganov, parfois appelé le « Kissinger russe », a montré « que l’Union soviétique était au centre de la décolonisation et qu’elle a été l’artisan de l’essor de l’Asie en privant l’Occident de la capacité d’imposer sa volonté au monde par la force militaire, ce que l’Occident a fait du XVIe siècle jusqu’aux années 1940 ».

Ce fait est largement reconnu dans de vastes régions du Sud global – de l’Amérique latine et de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est.

La péninsule occidentale de l’Eurasie

Ainsi, après la fin de la Guerre froide et l’échec de la Grande Europe, le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie ne pouvait qu’avoir un air d’inévitabilité historique.

La logique est implacable. Les deux pôles géoéconomiques de l’Eurasie sont l’Europe et l’Asie de l’Est. Moscou veut les relier économiquement en un supercontinent : c’est là que la Grande Eurasie rejoint l’Initiative Ceinture et Route chinoise (BRI). Mais il y a aussi la dimension russe supplémentaire, comme le note Diesen : la « transition de la périphérie habituelle de ces centres de pouvoir vers le centre d’une nouvelle construction régionale ».

D’un point de vue conservateur, souligne Diesen, « l’économie politique de la Grande Eurasie permet à la Russie de surmonter son obsession historique pour l’Occident et d’établir une voie russe organique vers la modernisation ».

Cela implique le développement d’industries stratégiques, de corridors de connectivité, d’instruments financiers, de projets d’infrastructure pour relier la Russie européenne à la Sibérie et à la Russie du Pacifique. Tout cela sous un nouveau concept : une économie politique industrialisée et conservatrice.

Le partenariat stratégique Russie-Chine est actif dans ces trois secteurs géoéconomiques : industries stratégiques/plates-formes technologiques, corridors de connectivité et instruments financiers.

Cela propulse la discussion, une fois de plus, vers l’impératif catégorique suprême : la confrontation entre le Heartland et une puissance maritime.

Les trois grandes puissances eurasiatiques, historiquement, étaient les Scythes, les Huns et les Mongols. La raison principale de leur fragmentation et de leur décadence est qu’ils n’ont pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.

La quatrième grande puissance eurasiatique était l’empire russe – et son successeur, l’URSS. L’URSS s’est effondrée parce que, encore une fois, elle n’a pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.

Les États-Unis l’en ont empêchée en appliquant une combinaison de Mackinder, Mahan et Spykman. La stratégie américaine est même devenue connue sous le nom de mécanisme de confinement Spykman-Kennan – tous ces « déploiements avancés » dans la périphérie maritime de l’Eurasie, en Europe occidentale, en Asie de l’Est et au Moyen-Orient.

Nous savons tous à présent que la stratégie globale des États-Unis en mer – ainsi que la raison principale pour laquelle les États-Unis sont entrés dans la Première et la Seconde Guerre mondiale – était de prévenir l’émergence d’un hégémon eurasiatique par tous les moyens nécessaires.

Quant à l’hégémonie américaine, elle a été conceptualisée de façon grossière – avec l’arrogance impériale requise – par le Dr Zbig « Grand Échiquier » Brzezinski en 1997 : « Pour empêcher la collusion et maintenir la dépendance sécuritaire entre les vassaux, pour garder les affluents souples et protégés, et pour empêcher les barbares de se rassembler ». Le bon vieux « Diviser pour mieux régner », appliqué par le biais de la « domination du système ».

C’est ce système qui est en train de s’effondrer – au grand désespoir des suspects habituels. Diesen (photo) note comment, « dans le passé, pousser la Russie en Asie reléguait la Russie dans l’obscurité économique et éliminait son statut de puissance européenne ». Mais maintenant, avec le déplacement du centre de gravité géoéconomique vers la Chine et l’Asie de l’Est, c’est un tout nouveau jeu.

glenn-disen-e1581866530918.jpgLa diabolisation permanente de la Russie-Chine par les États-Unis, associée à la mentalité de « situation malsaine » des sbires de l’UE, ne fait que rapprocher la Russie de la Chine, au moment même où la domination mondiale de l’Occident, qui dure depuis deux siècles seulement, comme l’a prouvé Andre Gunder Frank, touche à sa fin.

Diesen, peut-être trop diplomatiquement, s’attend à ce que « les relations entre la Russie et l’Occident changent également à terme avec la montée de l’Eurasie. La stratégie hostile de l’Occident à l’égard de la Russie est conditionnée par l’idée que la Russie n’a nulle part où aller et qu’elle doit accepter tout ce que l’Occident lui offre en termes de « partenariat ». La montée de l’Est modifie fondamentalement la relation de Moscou avec l’Occident en permettant à la Russie de diversifier ses partenariats ».

Il se peut que nous approchions rapidement du moment où la Russie de la Grande Eurasie présentera à l’Allemagne une offre à prendre ou à laisser. Soit nous construisons ensemble le Heartland, soit nous le construisons avec la Chine – et vous ne serez qu’un spectateur de l’histoire. Bien sûr, il y a toujours la possibilité d’un axe inter-galaxies Berlin-Moscou-Pékin. Des choses plus surprenantes se sont produites.

En attendant, Diesen est convaincu que « les puissances terrestres eurasiatiques finiront par intégrer l’Europe et d’autres États à la périphérie intérieure de l’Eurasie. Les loyautés politiques se déplaceront progressivement à mesure que les intérêts économiques se tourneront vers l’Est et que l’Europe deviendra progressivement la péninsule occidentale de la Grande Eurasie ».

Voilà qui donne à réfléchir aux colporteurs péninsulaires de la « situation malsaine ».

Traduit par Réseau International

***

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«Qui veut la paix prépare la guerre»: la Russie annonce être prête en cas de rupture des relations avec l'UE

La Russie est prête à rompre ses relations diplomatiques avec l’Union européenne si cette dernière adopte des sanctions créant des risques pour les secteurs sensibles de l‘économie, a déclaré ce vendredi le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, sur la chaîne YouTube Soloviev Live.

« Nous y sommes prêts. [Nous le ferons] si nous voyons, comme nous l’avons senti plus d’une fois, que des sanctions sont imposées dans certains secteurs qui créent des risques pour notre économie, y compris dans des sphères sensibles. Nous ne voulons pas nous isoler de la vie internationale mais il faut s’y préparer. Qui veut la paix prépare la guerre ».

De nouvelles sanctions en vue

Cette semaine, le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell a annoncé, après sa visite à Moscou, la possibilité de nouvelles sanctions. Il s’est dit préoccupé par les « choix géostratégiques des autorités russes ».

Condamnant les autorités pour avoir emprisonné en janvier l’opposant Alexeï Navalny et les qualifiant de « sans pitié », Josep Borrell a notamment indiqué dans son blog que sa visite avait conforté son opinion selon laquelle « l’Europe et la Russie s’éloignaient petit à petit l’une de l’autre ».

Les propos tenus à Moscou

Lors de sa visite dans la capitale russe du 4 au 6 février, Josep Borrell avait vanté le vaccin Spoutnik V, le qualifiant de « bonne nouvelle pour l’humanité ». Il avait en outre espéré que l’Agence européenne pour les médicaments l’enregistrerait.

Il avait également dit qu’il y avait des domaines dans lesquels la Russie et l’UE pouvaient et devaient coopérer, et que Bruxelles était favorable au dialogue avec Moscou, malgré les difficultés.

Anastassia Verbitskaïa - Sputnik

samedi, 13 février 2021

De Mao au monde multipolaire : l'évolution de la doctrine militaire chinoise

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De Mao au monde multipolaire: l'évolution de la doctrine militaire chinoise

Par Lorenzo Ghigo

Ex : https://geopol.pt

Suite à la crise du modèle international unipolaire et à son énorme croissance économique et technologique, la République populaire de Chine (RPC) est le grand prétendant à l'hégémonie internationale aujourd’hui exercée par les États-Unis. Cette volonté chinoise s’exprime également au niveau militaire. La présence croissante des États-Unis en Asie, la crise persistante à Hong Kong et les relations avec Taïwan ont conduit le gouvernement chinois à abandonner l'isolationnisme qui caractérisait sa politique étrangère au début des années 2000, au profit d'une politique plus affirmée.

La stratégie de la Chine est basée sur la défense et la poursuite des intérêts nationaux, en assurant la sécurité intérieure et extérieure, la souveraineté nationale et le développement économique. Sous le gouvernement de Xi Jinping, le progrès technologique est considéré comme une occasion importante de relancer la nation chinoise et son rôle sur la scène internationale. Au cœur du projet du dirigeant chinois se trouve la création d'un nouvel ordre sinocentrique fondé, au moins formellement, sur des relations d'égalité avec les autres États et visant à la constitution d'"une Asie harmonieuse".

518cB6uGp7L.jpgLa nouvelle doctrine militaire chinoise est à toutes fins utiles une redécouverte et une extension des théories de L'Art de la guerre de Sun Tzu. L'objectif tactique est de conditionner l'esprit et la volonté de l'ennemi dans un cadre stratégique en constante évolution en profitant de situations favorables grâce à divers stratagèmes et tromperies. La pensée militaire chinoise se caractérise par une approche indirecte, il existe chez les Chinois une vision holistique des objectifs qui, contrairement à l'Occident, ne se concentre pas sur une cible spécifique mais sur l'ensemble du système, et le recours à la force doit être utilisé dans le cadre d'une stratégie à long terme en intégrant les sphères militaire et civile, en utilisant la guerre hybride et la cyberguerre dans la conduite des opérations de guerre traditionnelles. L'Armée populaire de libération est en effet en train de développer des capacités opérationnelles et technologiques incroyables dans le cyberespace, non seulement en ce qui concerne l'espionnage et l'acquisition d'informations sensibles, mais aussi en ce qui concerne les attaques sur les infrastructures critiques pendant les conflits armés. La RPC considère le contrôle du cyberespace comme une prérogative essentielle pour affirmer son pouvoir national.

L'armée n'est plus appelée à préparer des guerres menées à grande échelle sur le territoire chinois, mais plutôt des guerres limitées, tant sur le plan de l'entité des objectifs politiques que sur celui de l'intensité de la violence, soit des guerres à mener dans des zones périphériques et circonscrites, principalement des conflits régionaux à forte informatisation.

L'approche maoïste de la guerre semble avoir été définitivement abandonnée, les forces armées sont dépolitisées et, bien que l'influence du parti communiste chinois soit encore forte, on ne peut plus parler d'une armée populaire, mais d'une armée d’élite spécialisée et professionnelle dans les opérations militaires. De plus, en consolidant ses frontières, la Chine a renoncé à une défense stratégique en profondeur, en utilisant une stratégie de projection de forces sur les mers, et d'influence politique dans d’autres pays asiatiques.

Le texte Unristricted Warfare publié par les colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui a apporté une contribution notable à la nouvelle doctrine stratégique de la RPC. Cet ouvrage, qui dans l'édition américaine prend le sous-titre de China's Master Plan to Destroy America, prescrit les règles et les stratégies de conduite des conflits contemporains dans le but de défendre les intérêts nationaux en exploitant les nouvelles possibilités offertes par la mondialisation et l'évolution technologique. Le concept de guerre sans restriction prévoit une multiplication de nouveaux types d'armes et que chaque endroit peut devenir un champ de bataille. L'armée, pour faire face aux nouveaux conflits, doit mener des batailles adaptées à ses armes et adapter ses armes à la nouvelle bataille.

Dans le manuel Zhànlüè xué (Science de la stratégie), compilé par le département de recherche stratégique de l'Académie des sciences militaires, il est affirmé que "les champs de bataille sur terre, sur mer, dans les airs, dans l'espace extra-atmosphérique, dans l'espace électromagnétique ne font qu'un ; les combats et les opérations sur chaque champ de bataille sont des conditions pour les combats et les opérations sur les autres".

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Cette vision est basée sur des actions de guerre hybride, qui impliquent non seulement des capacités militaires mais aussi l'application d'un concept holistique de défense nationale par la coopération des secteurs civil et militaire. Les stratèges chinois développent également la doctrine Shashou Jian ("club de fer"), qui vise à dominer l'espace physique et cybernétique en désarmant l'ennemi et en l'empêchant d'être une menace pour l'intérêt national. Ce concept repose sur la nécessité de développer une capacité militaire capable de désarmer l'adversaire avant qu'il ne puisse frapper. L'utilisation d'armes hautement technologiques, de missiles, de cyberarmes, de bombes intelligentes, de drones, est finalisée pour annuler la puissance de feu ennemie.

Toujours à la lumière des conséquences dramatiques de la récente pandémie, la Chine doit se préparer à un scénario international incertain et indéterminé, caractérisé par de nouveaux types de conflits, de nouvelles menaces, de nouvelles technologies, de nouveaux champs de bataille et de nouvelles stratégies.

Publié à l'origine dans Osservatorio Globalizzazione

L'Iran, Biden sur les traces de Trump, pas d'Obama

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L'Iran, Biden sur les traces de Trump, pas d'Obama

par Alberto Negri

Sources : Il Manifesto et https://www.ariannaeditrice.it

Dans une interview télévisée, le nouveau président confirme les mesures restrictives contre Téhéran, voulues par Trump. Elles demeureront donc. Après tout, Biden a été un ardent exportateur de "démocratie" pour qui la République islamique reste le sacrifice à offrir aux Saoudiens et aux Israéliens.

Aux prises avec l'Iran, et aussi avec la Chine et la Russie (le dossier le plus épineux des affaires étrangères), Biden confirme l'ordre du jour de Trump et prend même un peu de recul par rapport à Obama. Sa recette est la suivante : d'abord, l'habituel double standard du pacte d'Abraham, hérité du tycoon malgré sa seconde mise en accusation. Nous verrons très bientôt le suite.

Dans l’échange qui a eu lieu avec le Guide suprême Khamenei, qui a demandé la levée, au moins partielle, des sanctions avant de négocier sur le nucléaire, le nouveau président américain n'a pas hésité : il a choisi de dire "non" et durement.

La médiation européenne avancée par l'omniprésent Macron semble hésitante et encore à venir. Hésitante parce que la France, qui dans ses investissements a écarté le Qatar, sponsor des Frères musulmans, au profit des Saoudiens, était la puissance européenne qui en 2015, précisément à cause de ses affaires en cours avec Riyad, a soulevé les plus grandes objections à l'accord américain avec l'Iran : il suffit de demander à Mogherini et à Zarif des informations sur les négociations qui se tinrent à l'époque.

La substance est toujours la même : les Européens vendent des armes à Israël, aux Emirats, aux Saoudiens, au Qatar, à l'Egypte et à la Turquie, et non à l'Iran des ayatollahs. Ils sont donc des membres non déclarés mais super actifs du Pacte d'Abraham et de l'"OTAN arabe" avec les États-Unis, Israël, les Émirats, Bahreïn, le Soudan et le Maroc.

Sans oublier qu'Israël vient de rejoindre le CentCom (Commandement central) avec les Arabes, c’est-à-dire le commandement militaire américain au Moyen-Orient. Avec son inclusion dans le CentCom et le déploiement d'Iron Dome sur des bases américaines, Israël devient une autorité déléguée que Washington utilisera pour gérer la région, même à distance.

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C'est pourquoi le sénateur Renzi, à qui l'on attribue des ambitions car il vise le poste de secrétaire général de l'OTAN, clame que Mohammed bin Salman est comme Laurent le Magnifique, le prince héritier d'une nouvelle renaissance dans les sables de la péninsule arabique, où, toutefois, les journalistes sont littéralement taillés en pièces et les opposants pourrissent en prison.

Nous aimerions savoir, un jour, ce que Draghi en pense. Mais nous le soupçonnons déjà : avec l'élection de Biden, la "fenêtre américaine" s'est ouverte en novembre et le bulldozer Renzi, à commencer par l'attentat contre la délégation de services aux mains de Conte, a ouvert la voie au "sauveur de l'euro", très estimé par l'establishment américain où il a été l'élève de Stanley Fisher, ancien député de la Fed et ancien directeur de la Banque centrale d'Israël.

Les Iraniens ne peuvent pas mordre à l'hameçon que constituent les propos doucereux de Biden qui se distancie de la guerre saoudienne et émiratie au Yémen et retire les Houthis de la liste noire des groupes terroristes. A Téhéran, ils se penchent sur le fond et lors de la prochaine élection présidentielle, si les choses restent en l'état, on peut imaginer que l'aile la plus dure de la République islamique pourrait prendre le dessus sur des modérés comme le président sortant Hassan Rohani.

L'année dernière, les Américains et les Israéliens ont éliminé un de leurs généraux, Qassem Soleimani, et un éminent scientifique comme Mohsen Fakrizadeh. Les États-Unis et l'État juif n'ont jamais cessé de bombarder les Pasdaran iraniens en Syrie et sont prêts à brouiller encore les eaux libanaises déjà passablement boueuses pour porter quelques coupssupplémentaires aux alliés du Hezbollah pro-iranien qu'ils voudraient expulser du Levant et du Moyen-Orient.

Sans compter que les États-Unis, dans la panoplie de leurs sanctions et par l'embargo pétrolier sur Téhéran, continuent à maintenir des dizaines de milliards de dollars gelés sur les comptes étrangers de l'Iran, au point d'empêcher la République islamique de négocier récemment un approvisionnement en vaccins anti-Covid avec la Corée du Sud.

Mais les Etats-Unis, insiste M. Biden, sont une démocratie et l'Iran n’en est pas une, donc ils peuvent punir qui ils veulent, comme ils veulent. Un argument un peu brutal, car la façade démocratique brillante des États-Unis a certainement été ternie par l'assaut contre le vénérable bâtiment du Congrès.

Mais Biden est un exportateur convaincu de la démocratie américaine, ce n'est pas pour rien qu'il a voté en 2003 en faveur de l'attaque contre l'Irak et qu'il s'est maintenant lancé dans d’agressives diatribes contre la Russie de Poutine sous prétexte de l'affaire Navalny.

Biden est un peu moins virulent contre la Chine car avec Xi Jinping, qu'il connaît bien, il est convaincu de s'entendre alors que les banques d'investissement de Wall Street, qui l'ont soutenu dans la campagne électorale, débarquent en force à Pékin. Bref, chacun a ses propres banquiers, qui ont très souvent travaillé pour le même maître.

Il est dommage que le visage démocratique de Biden, si impétueux avec l'Iran des ayatollahs, disparaisse lorsqu'il s'agit d'examiner les relations avec les satrapes du Golfe, les monarchies absolues et les ennemis des droits de l'homme, ou les dictateurs comme Al Sissi qui reçoit l'aide militaire américaine et peut faire ce qu'il veut sans la moindre objection de Washington.

Le gel temporaire des fournitures militaires américaines à Riyad vise en fait non pas tant à montrer que les États-Unis ont l'intention de s'entendre avec Téhéran qu'à convaincre les Saoudiens d'accélérer la reconnaissance d'Israël et, par suite logique, d'adhérer au Pacte d'Abraham. Puis la boucle sera bouclée avec la célébration du sanguinaire Laurent le Magnifique, Prince des sables.

 

vendredi, 12 février 2021

Nord Stream II : La rivalité franco-allemande affaiblit l’Europe et profite aux Etats-Unis

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Nord Stream II : La rivalité franco-allemande affaiblit l’Europe et profite aux Etats-Unis

Il y a de l’eau dans le gaz franco-allemand.

Le gouvernement français s’est dit opposé à la poursuite du projet de gazoduc Nord Stream II. La France a pourtant déjà investi plus d’un milliards dans la projet au travers de la compagnie énergétique ENGIE . Pour quelles raisons le gouvernement Macron s’est t-il positionné ainsi ?

Il s’agit avant tout d’une conséquence de la rivalité géopolitique franco-allemande dans l’UE

Contrairement à ce qui est souvent mis en avant dans le projet européen, c’est autant

la rivalité qui est au coeur du projet et qui détermine la dynamique de l’UE, que l’objectif  de créer une alliance pour  compter vis à vis des puissances extérieures

Le « couple franco-allemand », représentation géopolitique, est une stratégie assumée qui reste une réalité incontournable tant que l’on reste dans le paradigme de l’intégration européenne en raison du rôle de charnière géographiques de la France et de l’Allemagne. C’est une stratégie de pouvoir  consciente qui a pour d’une part objectif du point  de vue des Français de  montrer une parité géopolitique franco-allemande, malgré le déséquilibre depuis l’unification allemande et du point de vue de  l’Allemagne, de masquer son rôle de puissance centrale, Enfin le « couple » se positionne au centre du pouvoir de l’UE.    

L’existence même du projet européen est la résultante de cet enjeu franco-allemand dont la finalité  est d’encadrer  cette rivalité, d’où les neutralisations réciproques entre les deux partenaires qui ne partagent pas les mêmes finalités géopolitiques européennes

L’affaire du gazoduc  Nord Stream II en est un bon exemple.

Cette posture s’explique d’abord par le changement de président aux Etats-Unis, et le gouvernement Macron cherche à plaire au président Biden, pour contrebalancer l’Allemagne devenue la puissance centrale de l’UE. C’est récurrent chez les atlantistes français de s’allier avec les Etats-Unis par méfiance de l’Allemagne  pour lui ravir le statut de meilleur allié.  C’est au détriment d’une alliance franco-allemande et ne fait que renforcer le tropisme occidental des Allemands qui  privilégient l’axe germano-américain sur le couple franco-allemand (c’est apparu clairement depuis le traité de Elysée en 1963).  

La position du gouvernement français n’est pas réellement une surprise, car la présidence Macron avant déjà exprimé  ses doutes vis à vis du projet Nord Stream en 2019, et exigé que  la Commission européenne, sceptique aussi vis à vis du projet, supervise le projet. Une manière pour la France de montrer quelle refuse le rôle dominant de l’Allemagne sur l’avenir énergétique de l’Europe. Pour la France, les questions énergétiques sont des instruments de la géopolitique, tandis que l’Allemagne met surtout en avant l’enjeu économique (la géopolitique allemande est implicite).  La fuite en avant vers un transfert de pouvoir vers les institutions européennes  pour contrôler l’Allemagne est la doctrine de base des européistes français, depuis Jean Monnet jusqu’à aujourd’hui. En ce qui concerne l’avenir énergétique de l’Europe la France mise encore sur le nucléaire tandis que l’Allemagne est sortie du nucléaire et a besoin du gaz russe. L’Allemagne consomme deux fois plus de gaz que la France, L’Allemagne est aussi sortie unilatéralement du nucléaire, d’où la rancœur de la France, qui n’est pas ravie à l’idée de voir en plus l’Allemagne devenir le hub énergétique de l’UE en matière d’importation er de réexportation de gaz. L’idéologie verte du gouvernement Macron, qui a fait de la lutte contre le changement climatique la priorité de sa politique étrangère, n’est pas étrangère à cette opposition  à l’augmentation des importations de gaz russes à l’avenir. 

L’opposition de la France au projet Nord Stream est aussi un acte de représailles contre l

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’Allemagne à propos des questions de défense. L’Allemagne d’Angela Merkel  a en réalité  torpillé le projet d’autonomie stratégique de l’Europe proposé par Emmanuel Macron, y compris le projet d’Europe de la défense qui a baissé en ambition notamment avec le nouveau  plan de relance européen. On se souvient de la saillie récente de la ministre de la défense Annegret Kramp-Karrenbauer.  En ce qui concerne le projet de coopération en matière de défense, la France souhaitait à l’origine une coalition restreinte des  Etats plus capables en matière de défense tandis que l’Allemagne a exigé d’y associer le plus grand nombre de membres de l’UE, diluant de facto le projet avec les Etats-membres atlantistes. La chancelière Angela  Merkel a aussi publiquement exprimé son désaccord l’idée d’une nouvelle architecture européenne avec la Russie, réduisant à néant la déjà très timide ouverte de la France vis à vis de la Russie. On se souvient enfin des pressions allemandes en 2014 pour l’abandon de la livraison des navires porte-hélicoptères Mistrals construits par la France pour la Russie à la suite de la crise en Ukraine. La France avait lamentablement capitulé au détriment de la relation franco-russe

Le gouvernement Allemand ne conçoit pas l’UE autrement que comme un sous-ensemble de l’espace euro-atlantique et donne priorité à l’OTAN. La France est héritière de la vision gaullienne d’une Europe, mais ne la défend plus que de manière déclamatoire, velléitaire et déformée (la « souveraineté européenne » remplace l’Europe des patries).       

Après les déboires du président Macron et ses projets irréalistes (l’UE est irréformable par la négociation, c’est un choc à la de Gaulle qui conviendrait, la chaise vide, une menace de sortie de l’UE, des coalitions restreintes en dehors de l’UE notamment bilatérales, comme un axe franco-russe, y compris face à l’opposition de toute l’UE et OTAN. Rappelons nous la fermeté du général Gaulle et son veto contre l’élargissement de la CEE au Royaume-Uni).

Pour résumer l’Allemagne a torpillé le projet d’autonomie stratégique de l’Europe en matière de défense proposé par la France qui souhaitait réduire la  dépendance de l’UE vis à vis des Etats-Unis, et en représailles, la France cherche à torpiller l’alliance énergétique germano-russe. La thématique  énergétique est portant l’un des seuls domaines ou l’Allemagne refuse l’hégémonie des Etats-Unis qui cherche à réduire la coopération entre l’UE et  la Russie pour maintenir sa suprématie  er exporter son gaz de schiste.

Au final, ces neutralisations réciproques renforcent la dépendance des Européens  vis à vis des Etats-Unis, non seulement sur les questions géostratégiques mais aussi  énergétiques. De plus, si l’Allemagne reste ferme sur ses positions pour le projet Nord Stream soit mené à son terme,   la posture du gouvernement Macron aura été non seulement inutile mais aussi contreproductive  pour atteindre une plus grande indépendance vis à vis des Etats-Unis mais aussi pour la relation franco-russe qui est pourtant nécessaire à l’équilibre géopolitique européen.  C’est la rivalité  franco-allemande qui est au cœur des crises multiples de l’UE. Cette épisode démontre encore une fois que le préalable à la transformation du projet européen en Europe géopolitique est le rééquilibrage géopolitique franco-allemand.

mercredi, 10 février 2021

Le monde change, la diplomatie s'adapte

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Le monde change, la diplomatie s'adapte

Une discussion avec les experts de l'IERI et d'IMEMO RAS a eu lieu en Belgique dans le cadre des "Points de contact"

Quelques jours avant la Journée des diplomates russes, le Centre russe de Bruxelles a organisé ce 4 février une discussion intitulée « Les défis de la diplomatie au XXIe siècle » dans le cadre du projet « Точка соприкосновения » (« Totchka soprikosnovenia », littéralement « point de contact »). Plusieurs spécialistes ont participé à cette discussion, dont Irnerio Seminatore, président de l’IERI (l’Institut européen des relations internationales de Bruxelles) et Sergueï Outkine, chef du groupe d’évaluation stratégique et directeur de recherches du Centre d’analyse situationnelle de l’IMEMO (l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales) E. M. Primakov de l’Académie des sciences de Russie.

Vera Bounina, directrice du Centre russe de Bruxelles, a ouvert la discussion. Dans son discours, elle a parlé des origines de la Journée des diplomates russes et a souligné les dates importantes de l’histoire de la diplomatie russe. La Journée des diplomates, qui est célébrée en Russie le 10 février depuis le décret présidentiel de 2002, « témoigne de la grande reconnaissance de la profession de diplomate ». Vera Bounina a également rappelé que l’école diplomatique russe est reconnue dans le monde entier et que beaucoup de brillants diplomates, d’actuels ministres de différents pays et de présidents de gouvernements étrangers sont diplômés de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou auprès des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et de l’Académie diplomatique du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.

Les spécialistes ont discuté des systèmes internationaux et de la fonction de la diplomatie, de la numérisation des relations internationales et des nouvelles sphères que les diplomates doivent maîtriser. Ils ont également discuté du moment opportun pour ouvrir un compte sur TikTok et du développement de leurs connaissances sur l’agenda climatique et le développement durable, des solutions pour survivre à l’époque de la guerre du numérique, de la « diplomatie publique », de Greta Thunberg, de la visite de Josep Borrell en Russie, et de bien d’autres sujets.

Irnerio Seminatore a donné un aperçu du développement de la diplomatie du point de vue des relations internationales et des intérêts nationaux. En parlant de la relation entre la diplomatie et la politique, il a rappelé que « un bon diplomate aide à prendre des décisions politiques, qui seront approuvées par les hommes politiques ». 

Le rapport de Irnerio Seminatore se trouve ci-dessous.

Sergueï Outkine a présenté les nouveaux défis auxquels la diplomatie est confrontée : la numérisation de notre espace, le besoin de nouvelles compétences pour les diplomates, la « transparence » de l’environnement diplomatique et de l’accès aux données, le rôle changeant des chefs d’Etat, qui deviennent des ministres des Affaires étrangères à part entière au vu de leur agenda international actif, ainsi que le nombre grandissant de négociations internationales et de rencontres au sommet. Sergueï Outkine a souligné « le monde change, mais la diplomatie s’adapte à ces changements. » 

En étudiant l’avenir des relations entre la Russie et l’Europe, Irnerio Seminatore a conclu que l’Europe et tous les pays indépendants de l’Europe occidentale sont intéressés par la possibilité de réaliser l’autonomie stratégique et l’indépendance politique du continent, ce qui est possible grâce à l’implication de la Russie dans ce processus.

Vera Bounina a remercié tous les participants pour cette intéressante discussion et pour la participation du public. Elle a ensuite paraphrasé les mots du patron de la diplomatie russe, le Prince Alexandre Nevski, dont nous célébrons le 200èmeanniversaire cette année : « La diplomatie non pas dans la force, mais dans la vérité ». Elle souhaité à tous de réussir dans leurs projets et a de nouveau souhaité une bonne fête à toutes les personnes concernées par la Journée des diplomates.

Le thème de cette discussion s’est révélé très populaire et a attiré un grand nombre de participants. De nombreuses personnes de Belgique et d’autres pays européens ont participé à cette discussion. Une interprétation simultanée, nouveauté importante, a été mise en place lors de cette réunion. Les événements du Centre russe sont désormais plus accessibles.

Vous pouvez visionner l’enregistrement de la réunion sur le site du Centre russe. Nous avons hâte de vous retrouver lors d’autres événements du Centre russe.