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vendredi, 21 novembre 2008

L'Europe comme "troisième force"

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ARCHIVES DE "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1990

L'Europe comme «troisième force»

 

par Luc Nannens

 

Malgré les proclamations atlantistes, malgré l'engouement des droites libérales pour le reaganisme, malgré l'oubli général des grands projets d'unification continentale, depuis la fin des années 70, de plus en plus de voix réclament l'européisation de l'Eu­rope. Nos deux publications, Orientations et Vouloir, se sont fai­tes l'écho de ces revendications, dans la mesure de leurs très fai­bles moyens. Rapellons à nos nouveaux lecteurs que nous avons presque été les seuls à évoquer les thèses du social-démo­crate allemand Peter Bender, auteur en 1981, de Das Ende des ideo­logischen Zeitalter. Die Europäisierung Europas (= La fin de l'ère des idéologies. L'Européisation de l'Europe). L'européisme hostile aux deux blocs apparaît encore et toujours comme un ré­sidu des fascismes et de l'«Internationale SS», des rêves de Drieu la Rochelle ou de Léon Degrelle, de Quisling ou de Serrano Su­ñer (cf. Herbert Taege in Vouloir n°48-49, pp. 11 à 13). C'est le reproche qu'on adresse à l'européisme d'un Sir Oswald Mosley, d'un Jean Thiriart et de son mouvement Jeune Europe, ou parfois à l'européisme d'Alain de Benoist, de Guillaume Faye, du GRECE et de nos propres publications. Il existe toutefois une tradition sociale-démocrate et chrétienne-démocrate de gauche qui s'aligne à peu près sur les mêmes principes de base tout en les justifiant très différemment, à l'aide d'autres «dérivations» (pour reprendre à bon escient un vocabulaire parétien). Gesine Schwan, professeur à la Freie Universität Berlin, dans un bref essai inti­tulé «Europa als Dritte Kraft» (= L'Europe comme troisième force), brosse un tableau de cette tradition parallèle à l'européisme fascisant, tout en n'évoquant rien de ces européistes fascisants, qui, pourtant, étaient souvent des transfuges de la so­ciale-démocratie (De Man, Déat) ou du pacifisme (De Brinon, Tollenaere), comme l'explique sans a priori l'historien allemand contemporain Hans Werner Neulen (in Europa und das III. Reich, Universitas, München, 1987).

 

Dans

«Europa als Dritte Kraft»,

in Peter HAUNGS, Europäisierung Europas?, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1989, 160 S., DM 38, ISBN 3-7890-1804-X,

 

Gesine Schwan fait commencer le néo-européisme dès 1946, quand la coopération globale entre l'URSS et les Etats-Unis tourne petit à petit à l'échec. L'Europe sent alors confusément qu'elle risque d'être broyée en cas d'affrontement de ces deux su­per-gros. Des esprits indépendants, mus aussi par le désir de reje­ter le libéralisme extrême des Américains et le bolchévisme stalinien des Soviétiques avec toutes leurs conséquences, com­mencent à parler d'«européisation» de l'Europe, ce qui vise à une plus grande unité et une plus grande indépendance du continent vis-à-vis des blocs. La question se pose alors de savoir où s'arrête cette Europe de «troisième voie»? A la frontière polono-soviétique? A l'Oural? Au détroit de Béring et aux confins de la Mandchourie?

 

Mais l'essai de Gesine Schwan comprend un survol historique des conceptions continentales élaborées depuis la première moi­tié du XIXième siècle. Essai qui met l'accent sur le rôle chaque fois imparti à la Russie dans ces plans et ébauches. Au début du XIXième, ni la Russie ni l'Amérique, en tant que telles, n'appa­raissaient comme des dangers pour l'Europe. Le danger majeur était représenté par les idées de la Révolution Française. L'Amé­rique les incarnait, après les avoir améliorés, et la Russie repré­sentait le principe légitimiste et monarchiste. Les démo­crates étaient philo-américains; les légitimistes étaient russo­philes. Mais Washington et Petersbourg, bien qu'opposés sur le plan des principes de gouvernement, étaient alliés contre l'Espagne dans le conflit pour la Floride et contre l'Angleterre parce qu'elle était la plus grande puissance de l'époque. Russes et Américains pratiquent alors une Realpolitik pure, sans prétendre universa­liser leurs propres principes de gouvernement. L'Europe est tan­tôt identifiée à l'Angleterre tantôt contre-modèle: foyer de cor­rup­tion et de servilité pour les Américains; foyer d'athéisme, d'é­goïs­me, d'individualisme pour les Russes.

 

L'Europe du XIXième est donc traversée par plusieurs antago­nis­mes entrecroisés: les antagonismes Angleterre/Continent, Eu­­ro­pe/Amérique, Russie/Angleterre, Russie + Amé­rique/An­gle­­terre, Russie/Europe... A ces antagonismes s'en su­perposent d'autres: la césure latinité-romanité/germanité qui se traduit, chez un historien catholique, romanophile et euro-œcu­méniste comme le Baron Johann Christoph von Aretin (1772-1824) en une hos­tilité au pôle protestant, nationaliste et prus­sien; ensuite la cé­sure chrétienté/islam, concrétisé par l'opposition austro-hon­groi­se et surtout russe à l'Empire Otto­man. Chez Friedrich Gentz se dessine une opposition globale aux diverses formes de l'idéologie bourgeoise: au nationalisme jacobin et à l'interna­tio­na­lisme libéral américain. Contre cet Oc­cident libéral doit se dres­ser une Europe à mi-chemin entre le na­tionalisme et l'inter­na­tionalisme. Le premier auteur, selon Ge­sine Schwan, à prôner la constitution d'un bloc européen contre les Etats-Unis est le pro­fesseur danois, conseiller d'Etat, C.F. von Schmidt-Phisel­deck (1770-1832). Après avoir lu le cé­lèbre rapport de Tocque­ville sur la démocratie en Amérique, où l'aristocrate normand per­çoit les volontés hégémoniques des Etats-Unis et de la Rus­sie, les Européens commencent à sentir le double danger qui les guette. Outre Tocqueville, d'aucuns, comme Michelet et Henri Martin, craignent l'alliance des slavo­philes, hostiles à l'Europe de l'Ouest décadente et individualiste, et du messianisme pansla­viste moins rétif à l'égard des acquis de la modernité technique.

 

La seconde moitié du XIXième est marquée d'une inquiétude: l'Eu­rope n'est plus le seul centre de puissance dans le monde. Pour échapper à cette amorce de déclin, les européistes de l'épo­que prônent une réorganisation du continent, où il n'y aurait plus juxtaposition d'unités fermées sur elles-mêmes mais réseau de liens et de rapports fédérateurs multiples, conduisant à une unité de fait du «grand espace» européen. C'est la grande idée de l'Au­trichien Konstantin Frantz qui voyait l'Empire austro-hon­grois, une Mitteleuropa avant la lettre, comme un tremplin vers une Europe soudée et à l'abri des politiques américaine et russe. K. Frantz et son collègue Joseph Edmund Jörg étaient des con­servateurs soucieux de retrouver l'équilibre de la Pentarchie des années 1815-1830 quand règnait une harmonie entre la Rus­sie, l'Angleterre, la France, la Prusse et l'Autriche-Hongrie. Les prin­cipes fédérateurs de feu le Saint-Empire devaient, dans l'Eu­rope future, provoquer un dépassement des chauvinismes na­tio­naux et des utopismes démocratiques. Quant à Jörg, son conser­vatisme est plus prononcé: il envisage une Europe arbitrée par le Pape et régie par un corporatisme stabilisateur.

 

Face aux projets conservateurs de Frantz et Jörg, le radical-démo­crate Julius Fröbel, inspiré par les idées de 1848, constate que l'Europe est située entre les Etats-Unis et la Russie et que cette détermination géographique doit induire l'éclosion d'un ordre social à mi-chemin entre l'autocratisme tsariste et le libéra­lisme outrancier de l'Amérique. Malheureusement, la défi­nition de cet ordre social reste vague chez Fröbel, plus vague que chez le corporatiste Jörg. Fröbel écrit: «1. En Russie, on gou­verne trop; 2. En Amérique, on gouverne trop peu; 3. En Eu­rope, d'une part, on gouverne trop à mauvais escient et, d'autre part, trop peu à mauvais escient». Conclusion: le socialisme est une force morale qui doit s'imposer entre le monarchisme et le républicanisme et donner à l'Europe son originalité dans le monde à venir.

 

Frantz et Jörg envisageaient une Europe conservatrice, corpora­tiste sur le plan social, soucieuse de combattre les injustices lé­guées par le libéralisme rationaliste de la Révolution française. Leur Europe est donc une Europe germano-slave hostile à une France perçue comme matrice de la déliquescence moderne. Frö­bel, au contraire, voit une France évoluant vers un socialisme solide et envisage un pôle germano-français contre l'autocratisme tsariste. Pour Gesine Schwan, l'échec des projets européens vient du fait que les idées généreuses du socialisme de 48 ont été par­tiellement réalisées à l'échelon national et non à l'échelon conti­nental, notamment dans l'Allemagne bismarckienne, entraînant une fermeture des Etats les uns aux autres, ce qui a débouché sur le désastre de 1914.

 

A la suite de la première guerre mondiale, des hécatombes de Verdun et de la Somme, l'Europe connaît une vague de pacifisme où l'on ébauche des plans d'unification du continent. Le plus cé­lèbre de ces plans, nous rappelle Gesine Schwan, fut celui du Comte Richard Coudenhove-Kalergi, fondateur en 1923 de l'Union Paneuropéenne. Cette idée eut un grand retentissement, notamment dans le memorandum pour l'Europe d'Aristide Briand déposé le 17 mai 1930. Briand visait une limitation des souve­rainetés nationales et la création progressive d'une unité écono­mique. La raison pour laquelle son mémorandum n'a été reçu que froide­ment, c'est que le contexte des années 20 et 30 est nette­ment moins irénique que celui du XIXième. Les Etats-Unis ont pris pied en Europe: leurs prêts permettent des reconstructions tout en fragilisant l'indépendance économique des pays emprun­teurs. La Russie a troqué son autoritarisme monarchiste contre le bolché­visme: d'où les conservateurs ne considèrent plus que la Russie fait partie de l'Europe, inversant leurs positions russo­philes du XIXième; les socialistes de gauche en revanche es­timent qu'elle est devenue un modèle, alors qu'ils liguaient jadis leurs efforts contre le tsarisme. Les socialistes modérés, dans la tradition de Bernstein, rejoignent les conservateurs, conservant la russophobie de la social-démocratie d'avant 14.

 

Trois traditions européistes sont dès lors en cours: la tradition conser­vatrice héritère de Jörg et Frantz, la tradition sociale-démo­crate pro-occidentale et, enfin, la tradition austro-marxiste qui consi­dère que la Russie fait toujours partie de l'Europe. La tradition sociale-démocrate met l'accent sur la démocratie parle­mentaire, s'oppose à l'Union Soviétique et envisage de s'appuyer sur les Etats-Unis. Elle est donc atlantiste avant la lettre. La tra­dition austro-marxiste met davantage l'accent sur l'anticapita­lisme que sur l'anti-stalinisme, tout en défendant une forme de parlementa­risme. Son principal théoricien, Otto Bauer, formule à partir de 1919 des projets d'ordre économique socia­liste. Cet or­dre sera planiste et la décision sera entre les mains d'une plu­ralité de commission et de conseils qui choisiront entre diverses planifica­tions possibles. Avant d'accèder à cette phase idéale et finale, la dictature du prolétariat organisera la transition. Dix-sept ans plus tard, en 1936, Bauer souhaite la victoire de la Fran­ce, de la Grande-Bretagne et de la Russie sur l'Allemagne «fasciste», afin d'unir tous les prolétariats européens dans une Europe reposant sur des principes sociaux radicalement différents de ceux préconisés à droite par un Coudenhoven-Kalergi. Mais la faiblesse de l'austro-marxisme de Bauer réside dans son opti­misme rousseauiste, progressiste et universaliste, idéologie aux as­sises intellectuelles dépassées, qui se refuse à percevoir les an­tagonismes réels, difficilement surmontables, entre les «grands es­paces» européen, américain et soviétique.

 

Gesine Schwan escamote un peu trop facilement les synthèses fascisantes, soi-disant dérivées des projets conservateurs de Jörg et Frantz et modernisés par Friedrich Naumann (pourtant mem­bre du Parti démocrate, situé sur l'échiquier politique à mi-che­min entre la sociale-démocratie et les libéraux) et Arthur Moeller van den Bruck. L'escamotage de Schwan relève des scru­pules usuels que l'on rencontre en Allemagne aujourd'hui. Des scru­pules que l'on retrouve à bien moindre échelle dans la gauche fran­çaise; en effet, la revue Hérodote d'Yves Lacoste pu­bliait en 1979 (n°14-15) l'article d'un certain Karl von Bochum (est-ce un pseudonyme?), intitulé «Aux origines de la Commu­nauté Euro­péenne». Cet article démontrait que les pères fonda­teurs de la CEE avaient copieusement puisé dans le corpus doc­trinal des «européistes fascisants», lesquels avaient eu bien plus d'impact dans le grand public et dans la presse que les austro-marxistes disciples d'Otto Bauer. Et plus d'impact aussi que les conserva­teurs de la résistance anti-nazie que Gesine Schwan évoque en dé­taillant les diverses écoles qui la constituait: le Cercle de Goer­deler et le Kreisauer Kreis (Cercle de Kreisau).

 

Le Cercle de Goerdeler, animé par Goerdeler lui-même et Ulrich von Hassell, a commencé par accepter le fait accompli des vic­toires hitlériennes, en parlant du «rôle dirigeant» du Reich dans l'Europe future, avant de planifier une Fédération Européenne à partir de 1942. Cette évolution correspond curieusement à celle de la «dissidence SS», analysée par Taege et Neulen (cfr. supra). Dans le Kreisauer Kreis, où militent le Comte Helmut James von Moltke et Adam von Trott zu Solz, s'est développée une vision chrétienne et personnaliste de l'Europe, et ont également germé des conceptions auto-gestionnaires anti-capitalistes, as­sor­ties d'une critique acerbe des résultats désastreux du capita­lis­me en général et de l'individualisme américain. Moltke et Trott restent sceptiques quant à la démocratie parlementaire car elle débouche trop souvent sur le lobbyisme. Il serait intéressant de faire un parallèle entre le gaullisme des années 60 et les idées du Krei­sauer Kreis, notamment quand on sait que la revue Ordre Nou­veau d'avant-guerre avait entretenu des rapports avec les person­nalistes allemands de la Konservative Revolution.

 

Austro-marxistes, sociaux-démocrates (dans une moindre me­sure), personnalistes conservateurs, etc, ont pour point commun de vouloir une équidistance (terme qui sera repris par le gaul­lisme des années 60) vis-à-vis des deux super-gros. Aux Etats-Unis, dans l'immédiat après-guerre, on souhaite une unification européenne parce que cela favorisera la répartition des fonds du plan Marshall. Cette attitude positive se modifiera au gré des cir­constances. L'URSS stalinienne, elle, refuse toute unification et entend rester fidèle au système des Etats nationaux d'avant-guerre, se posant de la sorte en-deça de l'austro-marxisme sur le plan théorique. Les partis communistes occidentaux (France, Ita­lie) lui emboîteront le pas.

 

Gesine Schwan perçoit très bien les contradictions des projets socialistes pour l'Europe. L'Europe doit être un tampon entre l'URSS et les Etats-Unis, affirmait cet européisme socialiste, mais pour être un «tampon», il faut avoir de la force... Et cette for­ce n'était plus. Elle ne pouvait revenir qu'avec les capitaux américains. Par ailleurs, les sociaux-démocrates, dans leur décla­ration de principe, renonçaient à la politique de puissance tradi­tionnelle, qu'ils considéraient comme un mal du passé. Com­ment pouvait-on agir sans détenir de la puissance? Cette qua­drature du cercle, les socialistes, dont Léon Blum, ont cru la ré­soudre en n'évoquant plus une Europe-tampon mais une Europe qui ferait le «pont» entre les deux systèmes antagonistes. Gesine Schwan souligne très justement que si l'idée d'un tampon arrivait trop tôt dans une Europe en ruines, elle était néanmoins le seul projet concret et réaliste pour lequel il convenait de mobiliser ses efforts. Quant au concept d'Europe-pont, il reposait sur le vague, sur des phrases creuses, sur l'indécision. La sociale-démocratie de­vait servir de modèle au monde entier, sans avoir ni la puis­sance financière ni la puissance militaire ni l'appareil déci­sion­nai­re du stalinisme. Quand survient le coup de Prague en 1948, l'idée d'une grande Europe sociale-démocrate s'écroule et les par­tis socialistes bersteiniens doivent composer avec le libéralisme et les consortiums américains: c'est le programme de Bad-Go­des­berg en Allemagne et le social-atlantisme de Spaak en Bel­gique.

 

Malgré ce constat de l'impuissance des modèles socialistes et du passéisme devenu au fil des décennies rédhibitoire des projets conservateurs  —un constat qui sonne juste—  Gesine Schwan, à cause de son escamotage, ne réussit pas à nous donner un sur­vol complet des projets d'unification européenne. Peut-on igno­rer l'idée d'une restauration du jus publicum europaeum chez Carl Schmitt, le concept d'une indépendance alimentaire chez Herbert Backe, l'idée d'une Europe soustraite aux étalons or, sterling et dollar chez Zischka et Delaisi, le projet d'un espace économique chez Oesterheld, d'un espace géo-stratégique chez Haushofer, d'un nouvel ordre juridique chez Best, etc. etc. Pourtant, il y a cu­rieu­sement un auteur conservateur-révolutionnaire incontour­na­ble que Gesine Schwan cite: Hans Freyer, pour son histoire de l'Europe. Le point fort de son texte reste donc une classification assez claire des écoles entre 1800 et 1914. Pour compléter ce point fort, on lira avec profit un ouvrage collectif édité par Hel­mut Berding (Wirtschaftliche und politische Integration in Eu­ropa im 19. und 20. Jahrhundert, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1984; recension in Orientations, n°7, pp. 42 à 45).

 

L.N.   

mercredi, 19 novembre 2008

Après Bush: pourquoi l'Amérique ne changera pas

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Présentation de l'éditeur

George W. Bush s'en va. L'ère " W. " s'achève sur un sentiment d'échec. Sur le plan intérieur, le malaise économique est croissant : défaillance du système de sécurité sociale, décrochage des salaires et angoisse face à la mondialisation... Sur la scène internationale, empêtrés dans le bourbier irakien et rejetés par l'opinion mondiale, les Américains doivent restaurer la légitimité de leur leadership. Pourtant, qui peut nier que George W. Bush aura incarné un esprit américain ? On ne peut comprendre l'Amérique sans plonger dans l'âme du Sud, terre à la fois meurtrie, têtue et changeante. La présidence Bush fut le reflet fidèle d'une Amérique profonde, conservatrice, et sincèrement religieuse, d'une Amérique qui ne doute pas. Forever America. " W. " s'en va mais la guerre contre la terreur continue. En 2009, les candidats à la succession, Barack Obama le fils prodigue et John McCain le républicain rebelle, marqueront-ils le début d'une refondation ? Rien n'est moins sûr...

Biographie de l'auteur
Spécialiste des Etats-Unis et rédacteur en chef de la revue Politique américaine, Yannick Mireur est docteur en relations internationales de la Fletcher School of Law and Diplomacy de Boston.

  • Broché: 256 pages
  • Editeur : Choiseul (30 août 2008)
  • Collection : CHOISEUL EDITIO
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2916722300
  • ISBN-13: 978-2916722306

vendredi, 14 novembre 2008

Russie: arrière-cour de l'Europe ou avant-garde de l'Eurasie?

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Archives de "Synergies Européennes" - 1995

 

Russie: arrière-cour de l'Europe ou avant-garde de l'Eurasie?

Wladimir WIEDEMANN

 

Intervention lors de la “Freideutsche Sommeruniversität”, août 1995

 

Lorsque nous évoquons la notion d'Empire, nous devons nous rappeler que ce concept, au sens classique, se manifeste sous deux formes historiques légitimées: une forme occidentale (ou “romaine occidentale”) et une forme orientale (ou “romaine orientale”, byzantine). Ainsi, l'idée authentique d'Empire est liée indubitablement à une perspective téléologique: la réunifica­tion finale de deux parties provisoirement séparées d'un Empire originel. Du moins sur le plan des principes. Car il est bien évident que cette “réunification de l'Empire” ne peut se réduire au niveau d'accords politiques purement formels dans l'esprit d'une diplomatie utilitaire et profane. Néanmoins, ce problème peut et doit être discuté par les deux parties concernées au ni­veau d'une idéologie impériale actualisée voire d'une théologie impériale. Mais qu'en est-il de ces deux parties?

 

La dernière héritière des traditions impériales romaines-occidentales a été la Germanie, tandis que la dernière héritière des traditions romaines-orientales ou byzantines a été la Russie. Comme le philosophe allemand Reinhold Oberlercher le re­marque très justement, les Allemands et les Russes sont les deux seuls peuples d'Europe capables de porter à bout de bras de véritables grandes puissances politiques. Dans son ouvrage Lehre vom Gemeinwesen, il écrit: «En tant qu'Empire (Reich) porté par les tribus de souche germanique, la forme politique propre du peuple allemand a pour mission de constituer un Reich englobant tous les peuples germaniques, lequel devra, de concert avec l'Empire des peuples russes (Grands-Russes, Petits-Russiens et Biélorusses), constituer un Axe de sécurité nord-asiatique et établir l'ordre sur la plus grande masse continentale du monde» (1).

 

Permettez-moi d'étudier plus en détail les thèmes de l'idée impériale en son stade actuel et de la politique impériale de la Russie. L'effondrement de l'Etat communiste a conduit en Russie à un vide idéologique, à la perte de toute orientation géné­rale. Mais on sait pourtant que la nature ne tolère aucun vide. Ainsi, l'antique idée impériale, l'idée d'un Empire religieux-or­thodoxe, dans le contexte d'un nouveau sens historique, doté d'un nouveau contenu social et géopolitique, est en passe de re­naître. De quoi s'agit-il?

 

Bien évidemment, la Russie nouvelle, post-communiste, n'est plus la vieille Russie féodale, tsariste, avec son servage. Aujourd'hui, il n'y a en Russie ni aristocratie ni classe moyenne. Il y a toutefois des intérêts historiques, objectifs et nationaux bien tangibles: ce sont les intérêts d'une nation qui compte dans le monde, les intérêts d'un peuple porteur d'Etat, et ces inté­rêts sont clairement délimités: il faut du pain pour le peuple, du travail pour tous les citoyens, de l'espace vital, un avenir as­suré. Mais pour concrétiser ces intérêts, il y a un hiatus de taille: la nomenklatura paléo-communiste demeurée au pouvoir jusqu'ici n'avait aucun projet social “créatif” et ne voulait que se remplir les poches avec l'argent volé au peuple et, pire, placer cet argent sur des comptes à l'étranger, dans des banques fiables. En d'autres mots: ce nouveau capitalisme spéculateur montre les crocs en Russie: il est incarné par cette nomenklatura, liée à la caste corrompue et bigarrée des “hommes d'affaire”, et parasite sans vergogne le corps d'une Russie devenue “libérale-démocrate” et dépouillée de toutes ses protec­tions. Ainsi, depuis le début de la perestroïka, un capital de 500 milliards de dollars américains a quitté le pays. Le gouverne­ment Eltsine ne dit pas un mot sur ce “transfert”, mais dès que quelques misérables milliards sont offerts à titre de crédit par la Banque Mondiale, il fait battre tambour et sonner buccins!

 

Mais le temps est proche où ces crocs mafieux recevront l'uppercut définitif qui les mettra hors d'état de nuire. Ce coup, ce sont les forces intérieures de la Russie qui le porteront et ces forces sont actuellement incarnées par les nouveaux proprié­taires du capital industriel et producteur. Bien entendu, il s'agit ici, en première instance, du complexe militaro-industriel qui se trouvait jusqu'ici, à titre formel sous contrôle étatique. Quelle sera l'intensité du processus de privatisation dans ce domaine? C'est une question de temps et cela dépend aussi des circonstances globales, politiques et économiques, qui détermineront l'histoire prochaine de la Russie. Mais une chose est claire d'ores et déjà: tôt ou tard, le pays générera une classe de véri­tables industriels et c'est à ce moment-là que naîtra la future grande puissance russe.

 

Je voudrais maintenant parler des fondements géopolitiques, économiques et idéologiques de la grande puissance russe. C'est connu: le bien-être du peuple et la puissance réelle d'un Etat dépend des placements en capital domestique, parce que ces placements garantissent la création de nouveaux emplois et augmente le pouvoir d'achat de la population. Ensuite, il est clair qu'au stade actuel de développement de la production, ce ne sont pas les entreprises moyennes et petites qui s'avèreront capables de générer et de placer de tels capitaux. Seules les très grandes entreprises d'envergure internationale sont en me­sure de le faire, car elles peuvent financer une recherche très coûteuse et une formation de personnel adéquate. Ce sont sur­tout les Américains et les Japonais qui possèdent aujourd'hui des sociétés disposant de telles masses de capitaux et sont ca­pables de faire face dans le jeu de la concurrence planétaire. Ces entreprises sont celles qui créent dans le monde la majeure partie des nouveaux emplois, bien rémunérés.

 

Les centres principaux de production de haute technologie moderne se concentrent de plus en plus dans les zones autour des grandes métropoles des côtes pacifiques, parce que la base du développement d'une production de ce type, c'est l'accès au commerce planétaire. Aujourd'hui, dans ce domaine, c'est le commerce maritime qui joue le rôle-clef, dont les voies de communication sont contrôlées par la politique militaire américaine dans toutes les zones stratégiquement importantes. C'est en constatant ce centrage sur le Pacifique qu'est née la thèse du “Pacifique comme Méditerranée du XXIième siècle”, c'est-à-dire du Pacifique comme nouvel espace où se développe actuellement la civilisation du progrès technique. Si les choses con­tinuent à se développer dans ce sens, les conséquences en seront fatales pour tous les pays européens; ceux-ci seront con­traints, sur le plan économique, à se soumettre à l'hégémonie américaine dans toutes les questions-clefs de la dynamique de la production moderne et aussi pour tous les mécanismes socio-politiques. Ce sera également le problème de la Russie. Mais ce sera justement le “facteur russe” qui permettra aux autres Européens de prendre une voie alternative, qui permettra de libérer toutes les initiatives russes et européennes des diktats américains. Cette alternative, c'est le “commerce continen­tal”.

 

Imaginez un instant que les grandes voies de communications du commerce mondial  —ou du moins celles qui relient l'Europe à l'Asie méridionale et à l'Extrême-Orient (surtout l'Inde et la Chine)—  deviennent continentales. Ce serait là un ac­cès direct et alternatif aux grands marchés qui sont déjà prospères aujourd'hui et qui sont potentiellement de longue durée. Cet accès par voie continentale serait d'abord plus rapide et offrirait des avantages non négligeables à certains technologies qui sont en train de se développer. Sur le plan théorique, tout cela semble séduisant, mais, en pratique, l'essentiel demeure ab­sent, c'est-à-dire un système réellement existant de communications transcontinentales.

 

Pourquoi un tel système de communication n'est-il pas déjà disponible? Parce que la politique extérieure de la Russie bol­chévique-stalinienne a commis une erreur fondamentale. En effet, les communistes ont été perpétuellement induits en erreur par un pronostic illusoire d'origine idéologique, prévoyant une évolution sociale conduisant à une révolution mondiale, qui, elle, allait réaliser l'“Idée” sur la Terre. En d'autres mots, au lieu de détruire la société bourgeoise, l'élite révolutionnaire russe au­rait dû la consolider, afin de concentrer les énergies des masses sur la construction réelle du pays et sur l'exploitation “civilisée” de ses espaces et de ses richesses. La chimère de la révolution mondiale a englouti en Russie de colossales ri­chesses, mais, simultanément, son importance géopolitique en tant que puissance continentale ne pouvait être détruite sur l'échiquier international.

 

L'ancien Empire russe avait justement émergé autour d'un axe constitué par une voie commerciale traversant l'Europe orien­tale, soit la voie ouverte par les Scandinaves et “conduisant des Varègues aux Grecs”. Par une sorte de constance du destin, le devenir actuel de la Russie dépend une nouvelle fois  —et directement—  de l'exploitation efficace d'un commerce transconti­nental, de la croissance de marchés intérieurs au Grand Continent eurasien. Ce destin géopolitique, grand-continental et eu­rasien, les forces réellement productrices de la Russie commencent à la comprendre. Ces forces sont potentiellement géné­ratrices d'Empire et peuvent être définie comme telles. Elles commencent aussi à formuler des exigences politiques propres. Et, à ce propos, Sergueï Gorodnikov, qui a consacré beaucoup d'attention à cette problématique, écrit:

 

«Notre besoin est le suivant: nous devons rapidement construire des structures de transport commerciales paneurasiatiques qui relieront toutes les civilisations créatrices; ensuite, notre besoin est de garantir militairement la sécurité de ces civilisa­tions, ce qui correspond aussi complètement aux intérêts de l'Europe, je dirais même à ses intérêts les plus anciens et les plus spécifiques, tant dans le présent que dans l'avenir. C'est la raison pour laquelle le nationalisme russe ne doit pas seule­ment compter sur une neutralité (bienveillante) de l'Europe dans sa politique d'Etat. Mieux, il trouvera en Europe des forces très influentes qui pourront et devront devenir ses alliés. C'est toute particulièrement vrai pour l'Allemagne qui s'est renforcé par sa réunification et désire en secret retrouver toute son indépendance en tant qu'Etat et toute sa liberté de manœuvre» (2).

 

La nouvelle alliance stratégique paneurasiatique entre l'Est et l'Ouest aura pour élément constitutif l'alliance géopolitique inter-impériale entre l'Allemagne et la Russie, les deux détenteurs de la légitimité impériale romaine en Europe. Ce recours à l'antique légitimité romaine est une chose, la tâche actuelle de cette alliance en est une autre: il s'agit pour elle de fédérer les intérêts économiques et politiques dans une perspective de progrès tecnologique global. Il s'agit de rassembler toutes les forces intéressées à développer l'espace économique eurasiatique. Pour réaliser ce programme, il faudra créer des unités économiques suffisamment vastes pour obtenir les moyens nécessaires à développer des projets de telles dimensions et pour se défendre efficacement contre les résistances qu'opposeront les Américains et les Japonais. Construire des entités écono­miques de cette dimension implique une coopération étroite entre les potentiels techniques russes et européens.

 

Le combat qui attend Russes et Européens pour établir un nouvel ordre paneurasiatique sera aussi un combat contre les rési­dus de féodalisme et contre les formes politiques dépassées à l'intérieur même de ce grand continent en gestation, c'est-à-dire un combat contre les forces qui se dissimulent derrière une pensée tribale obsolète ou derrière un fondamentalisme is­lamique pour freiner par une résistance douteuse la progression d'une culture et d'une économie grande-continentale. Comme le développement de notre civilisation postule des exigences globales, ce combat devra être mené avec tous les moyens di­plomatiques et militaires, jusqu'à la destruction totale des forces résiduaires. Seule une lutte sans merci contre les résidus d'un féodalisme millénaire, contre le “mode de production asiatique”, nous permettra de détruire les derniers bastions du vieux despotisme tyrannique et de la barbarie, surtout sur le territoire de la Russie où, aujourd'hui, ces forces se manifestent sous les aspects de la criminalité caucasienne et asiatique, des sombres bandes mafieuses, résultats de cette peste léguée par le bolchevisme: l'absence de toute loi et de tout droit.

 

Sur ce thème, je me permets de citer une fois de plus Sergueï Gorodnikov: «Il est clair qu'une tâche de ce type ne pourra être menée à bien que par un Etat fortement centralisé selon les conceptions civiles. Un tel Etat ne pourra exister que si l'armée marque la politique de son sceau, car l'armée, de par son organisation interne, est la seule institution étatique capable de juger, étape par étape, de la valeur politique des choses publiques et dont les intérêts sont identiques à ceux de la bourgeoisie indus­trielle en phase d'émergence. Seule une alliance étroite entre l'armée et la politique est en mesure de sauver l'industrie natio­nale de l'effondrement, les millions de travailleurs du chômage et de la faim et la société toute entière de la dégradation mo­rale, d'extirper le banditisme et le terrorisme, de faire pièce à la corruption et de sauver l'Etat d'une catastrophe historique sans précédent. L'histoire du monde dans son ensemble a prouvé qu'il en est toujours ainsi, que les efforts d'une bourgeoisie entreprenante et industrielle ne peuvent reposer que sur l'institution militaire; ensuite, dans la société démocratique, il faudra accroître son prestige social au degré le plus élevé possible et l'impliquer dans l'élite effective de la machinerie étatique» (3).

 

Certes, cet accroissement du rôle socio-politique de l'armée, garante de la stabilité globale de l'Etat dans la situation présente, mais aussi de la stabilité de cette société civile en gestation, implique une légitimisation du statut particulier qu'acquerront ainsi les forces armées. En d'autres termes, il s'agit de créer une forme d'ordre politique où les autorités militaires et les au­torités civiles soient des partenaires naturels sur base d'une séparation de leurs pouvoirs respectifs. Ensuite, un tel régime, qui pourrait être défini comme “régime de salut national”, postule l'existence d'une troisième force, une force intermédiaire, investie de la plus haute autorité dans cette tâche aussi important que spécifique consistant à fixer des normes juridiques. Une telle force pourrait s'incarner dans l'institution que serait la puissance même de l'Empereur, exprimant en soi et pour soi, et en accord avec les traditions historiques dont elle provient, l'idée d'un “compromis mobile” entre les intérêts de toutes les couches sociales. Ainsi, la dignité impériale à Byzance, qui s'est également incarnée dans les réalités de l'histoire russe, pré­sentait quatre aspects fondamentaux. Ce qui revient à dire que l'Empereur russe-orthodoxe devrait être:

1) Protecteur de l'Eglise d'Etat en tant qu'institution sociale (C'est le pouvoir de l'Empereur en tant que Pontifex Maximus).

2) Représentant dans intérêts du peuple (Pleins pouvoirs de l'Empereur en tant que tribun populaire).

3) Chef des forces armées (Pleins pouvoirs d'un Proconsul ou du Dictateur au sens romain du terme).

4) Autorité juridique supérieure (Pleins pouvoirs du Censeur).

 

L'autorité et la stabilité d'un véritable pouvoir d'Imperator dépend directement de la fidélité de l'Empereur aux principes fon­damentaux de la Tradition, au sens théologique comme au sens juridique du terme. C'est pourquoi ce pouvoir dans le contexte russe signifie que, d'une part, le rôle social de l'Eglise orthodoxe devra être fixé et déterminé, de même que, d'autre part, les traditions de la société civile. Une particularité de l'idée impériale russe réside en ceci qu'elle a repris à son compte l'idéal byzantin de “symphonie” entre l'Eglise et l'Etat, c'est-à-dire de la correspondance pratique entre les concepts d'orthodoxie et de citoyenneté, sur laquelle se base également la doctrine russe-byzantine d'un Etat éthique qui serait celui de la “Troisième Rome”, d'un nouvel Empire écouménique.

 

Dans quelle mesure ces idéaux sont-ils réalisables à notre époque? Question compliquée, pleine de contradictions, mais que les Russes d'aujourd'hui sont obligés de se poser, afin de s'orienter avant de relancer le traditionalisme russe et d'en faire l'idéologie de la grande puissance politique qu'ils entendent reconstruire. Le retour de ces thématiques indique quelles sont les tendances souterraines à l'œuvre dans le processus de formation de la société civile russe. Si, en Europe, c'est la culture qui a été porteuse des traditions antiques et donc des traditions civiles, en Russie c'est la religion qui a joué ce rôle, c'est-à-dire l'Eglise orthodoxe; c'est elle qui a fait le lien. En constatant ce fait d'histoire, nous pouvons avancer que la renaissance réelle de la société civile en Russie est liée inévitablement au déploiement de l'héritage antique véhiculé par l'Eglise orthodoxe. Il me semble que l'essentiel des traditions politiques antiques réside justement dans les traditions qui sous-tendent la puissance im­périale au sens idéal et qui sont proches du contenu philosophique de l'Etat idéaliste-platonicien.

 

Quelles sont les possibilités d'une restauration concrète de l'idée impériale civile et d'un ordre impérial en Russie? Ce pro­cessus de restauration passera sans doute par une phase de “dictature césarienne”, parce que, comme l'a un jour pertinem­ment écrit Hans-Dieter Sander, on ne peut pas créer un Empire sans un César. En effet, seul un César, élevé légitimement au rang de dictateur militaire, est capable de consolider les intérêts des forces les plus productives de la Nation à un moment historique précis du développement social et d'incarner dans sa personne les positions morales, politiques et socio-écono­miques de ces forces et, ainsi, sous sa responsabilité personnelle en tant que personalité charismatique, de jeter les fonde­ments d'une nouvelle société, représentant un progrès historique.

 

Le but principal en politique intérieure que devrait s'assigner tout césarisme russe serait de préparer et de convoquer une re­présentation de tous les “états” de la nation, en somme une Diète nationale, qui, en vertu des traditions du droit russe, est le seul organe plénipotentiaire qui peut exprimer la volonté nationale génératrice d'histoire. Cette Diète nationale détient aussi le droit préalable de déterminer la structure générale de l'Etat russe et de réclamer l'intronisation de l'Empereur. La Diète natio­nale est ainsi en mesure de légitimer la restauration de l'Empire et, s'il le faut, de constituer un régime préliminaire constitué d'une dictature de type césarien (Jules César avait reçu les pleins pouvoirs du Sénat romain qui avait accepté et reconnu offi­ciellement sa légitimité).

 

Toute restauration cohérente de l'Empire, au sens traditionnel, métaphysique et politique du terme, n'est possible en Russie, à mes yeux, que si l'on accroît le rôle socio-politique de l'armée et de l'Eglise, mais aussi si l'on consolide l'autorité des juges. Car ce sont précisément les juges (et en premier lieu les juges à l'échelon le plus élevé de la hiérarchie et de la magistrature impériales) qui pourront jouer un rôle médiateur important dans la future restructuration totale de la société russe, en travail­lant à créer des institutions juridiques stables. D'abord parce que cette valorisation du rôle des juges correspond à la tradition historique russe, à l'essence même de l'Etat russe (par exemple: dans la Russie impériale, le Sénat était surtout l'instance juridique suprême, disposant de pleins-pouvoirs étendus et normatifs, dans le même esprit que le droit prétorien romain). Ensuite, cette revalorisation du rôle des juges constitue également la réponse appropriée à l'état déliquescent de la société russe actuelle, où règne un nihilisme juridique absolu. Ce phénomène social catastrophique ne peut se combattre que s'il existe au sein de l'Etat une caste influente de juristes professionnels, disposant de pouvoirs étendus.

 

Lorsqu'on évoque une société reposant sur le droit  —ce qui est d'autant plus pertinent lorsque l'on se situe dans le contexte général d'un Empire—  on ne doit pas oublier que tant l'Europe continentale que la Russie sont héritières des traditions du droit romain, tant sur le plan du droit civil que du droit public. Lorsque nous parlons dans la perspective d'une coopération globale entre Européens et Russes, nous ne pouvons évidemment pas laisser les dimensions juridiques en dehors de notre champ d'attention. Le droit romain, dans sa version justinienne, a jeté les fondements de l'impérialité allemande et de l'impérialité russe. C'est donc cet héritage commun aux peuples impériaux germanique et slave qui devra garantir une coopération har­monieuse et durable, par la création d'un espace juridique et impérial unitaire et grand-continental. En plus de cet héri­tage juridique romain, Allemands et Russes partage un autre leg, celui de la théologie impériale. A ce propos, j'aimerai termi­ner en citant un extrait du débat qu'avaient animé le Dr. Reinhold Oberlercher et quelques-uns de ses amis:

OBERLERCHER: «Dans le concept de Reich, le processus de sécularisation n'est jamais véritablement arrivé à ses fins: le Reich demeure une catégorie politico-théologique. Dans la notion de Reich, l'au-delà et l'en-deçà sont encore étroitement liés». Lothar PENZ: «Cela veut donc dire que nous devons retourner au Concile de Nicée!» (approbation générale) (4).

 

Je pense aussi que le Concile de Nicée a effectivement jeté les bases véritables d'une théologie impériale, même si, à l'Ouest et à l'Est celle-ci a été interprétée différemment sur les plans théorique et liturgique. Il n'en demeure pas moins vrai que le lien subtil entre au-delà et en-deçà demeure présent dans l'existence de l'Empire (du Reich) comme un mystère déterminé par Dieu.

 

Vladimir WIEDEMANN.

(texte remis lors de la “Freideutsche Sommeruniversität” en août 1995; également paru dans la revue berlinoise Sleipnir, n°5/95; trad. franç. : Robert Steuckers).

lundi, 27 octobre 2008

Les Etats-Unis, puissance du chaos

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ARCHIVES DE "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1993

LES ETATS-UNIS, PUISSANCE DU CHAOS

 

Les analystes ont abondamment commenté le nouvel épisode de la vendetta menée par la Présidence des Etats-Unis à l'encontre de Saddam Hussein. Les troupes irakiennes ont en effet appuyé l'offensive du PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) de Massoud Barzani sur Erbil, jusqu'alors aux mains de l'UPK (Union Patriotique du Kurdistan) de Jalal Talabani. Bagdad entendait ainsi, via son allié kurde, assurer la sécurité de l'oléoduc débouchant en Turquie —l'hypothétique mise en oeuvre de la résolution 986 de l'ONU, dite "pétrole contre nourriture", permettrait à l'Irak de redevenir un exportateur d'hydrocarbures— , et réaffirmer sa souveraineté sur la partie irakienne du Kurdistan.

 

Cet épisode est une des conséquences de la guerre du Golfe (1990-1991). L'opération “Tempête du Désert” conduite par les Etats-Unis ayant pris fin une fois l'Irak ramené à 40% de ses capacités, Bagdad s'était alors retourné contre les minorités chiites du Sud et kurdes du Nord, dont les tendances centrifuges avaient été soigneusement attisées par Washington. Aussi les zones de peuplement kurde et chiite, au nord du 36° parallèle et au sud du 32° parallèle avaient-elles été interdites à l'aviation irakienne, une force américano-franco-britannique assurant l'effectivit de cette mesure (résolution de l'ONU d'avril 1991 et août 1992). C'est pour faire respecter ces résolutions, qui ne concernent pas les actions militaires terrestres, que les Etats-Unis ont unilatéralement riposté à l'offensive sur Erbil, au nord du 36° parallèle: vingt-sept missiles de croisière le 3 septembre, dix-sept autres le lendemain, ont frappé le Sud de l'Irak. Ce qui n'a en rien modifié l'équation militaire au Kurdistan, le PDK mettant à profit son alliance avec le pouvoir central pour refouler l'UPK. Son dernier bastion, la ville de Souleimaniyé, est tombé le 9 septembre et Jalal Talabani s'est réfugié en Iran. Saddam Hussein peut maintenant rafler la mise.

 

Restent à interpréter ces évènements. A juste titre, les analystes ont stigmatisé l'incohérence et les contradictions de la politique des Etats-Unis dans la région. D'une part, le Département d'Etat affirme que les EtatsUnis ne souhaitent pas le démembrement de l'Irak au profit d'un Etat kurde indépendant. D'autre part, la création d'une enclave kurde autonome par la diplomatie américaine revenait bel et bien à créer un embryon d'Etat doté d'un parlement élu en 1992, d'une administration, de services publics et d'une milice (1). Ce Kurdistan autonome assurait à l'opposition irakienne, regroupée tant bien que mal par les Etats-Unis au sein du Conseil national irakien, une base géographique pour la conquête du pouvoir central. Aujourd'hui, cette illusion a vécu c'est en vain que l'administration Clinton et la CIA auront investi 130 millions de dollars -, et les derniers rebondissements d'une longue lutte entre le PDK et l'UPK ont démontré l'inexistence d'une conscience nationale kurde. Indubitablement, l'opération est un fiasco.

 

Mais il faut aller plus loin. Contrairement à ce qu'affirme Robert Dole, le candidat républicain à la Maison Blanche, ce fiasco ne saurait s'expliquer par les seuls cafouillages de l'administration Clinton. De même, la prise en considération par Washington des intérêts de l'allié turc  —on sait Ankara profondément hostile à l'autonomisme kurde—  ne suffit à expliquer 1'attentisme de Clinton. Si les Etats-Unis n'ont pas véritablement voulu s'investir dans la création d'un Etat kurde pleinement souverain, c'est en raison de la nature même de leur puissance.

 

Le stratégiste François Géré l'a bien vu, les Etats-Unis sont la “Puissance du Flux”: flux de populations migrantes, flux de marchandises et de capitaux, flux d'informations, d'images et de sons (2). Les Américains perçoivent leur territoire non pas comme un espace d'enracinement, mais comme une surface de déplacement, et leur position dans la hiérarchie internationale du pouvoir repose sur la manipulation de flux de toute nature. Dès lors ont-ils pour objectif de faire respecter leur libre-circulation à la surface de la Terre. Gare à l'Etat souverain qui, à l'instar de l'Irak, entendrait définir une zone d'influence et fixer des règles pour tenter de gouverner ces flux. Au moyen d'un navalisme futuriste combinant Sea Power, Air Power et Space Power, ils arasent l'obstacle! Précisons les choses. Ils ne "débarquent" pas pour fonder un nouvel ordre politique régional, mais alternent frappes rapides et retour aux bases ("Hit and run").

 

Les Etats-Unis refusent donc les responsabilités globales qui sont celles d'un empire  —faire prévaloir la Civilisation sur le Chaos—  pour se contenter de garantir par un interventionnisme musclé le “bon” fonctionnement des mécanismes du marché. En d'autres termes, les Etats-Unis ne sont plus une puissance hégémonique; faute d'assurer sécurité et prospérité à leurs alliés, leur domination a cessé d'être légitime. Depuis le naufrage du monde communiste, l'Amérique est devenue un système exclusivement prédateur à la recherche d'avantages unilatéraux, et le contrat quasi-féodal qui liait les nations du monde dit libre à leur suzerain, obéissance contre protection, est aujourd'hui caduc, Washington ne daignant plus remplir ses obligations impèriales. Les Kurdes en font aujourd'hui la triste expérience.

 

Mieux. Loin de nous préserver du chaos, ce système prédateur le généralise. Son libre-échangisme tous azimuts implique le démantèlement des souverainetés à même de territorialiser les flux multiples et désordonnés qui agitent le monde. Faute d'“obstacles” pour cloisonner l'espace mondial, ces flux sont à tout moment susceptibles de se muer en ouragans planétaires, et de disloquer les communautés humaines les plus enracinées. Les sautes d'humeur du méga-marché financier mondial en témoignent.

 

L'échec du Kurdistan autonome est donc plein d'enseignements. Au delà des erreurs politiques commises par l'Administration Clinton et des calculs à courte vue, il doit être clair que les Etats-Unis ne font jamais que ce qu'ils sont. Par là-même, la Puissance du Flux est aussi la Puissance du Chaos. Et le Nouvel Ordre Mondial américano-centré prophétisé par Georges Bush en 1990 est une fiction. Faute d'“hegemon” couplant sens et puissance, capable d'inscrire un nouveau Telos (une finalité) à l'horizon, le Monde n'est pas unipolaire mais a-polaire.

 

Louis SOREL.

 

(1) De manière à assurer la parité entre l'UPK et le PDK, les élections de1992 ont été truquées. De facto, cet accord a débouché sur le partage géographique du Kurdistan irakien, l'UPK contrôlant les villes et le PDK la frontière avec la Turquie.

(2) Cf. Dr. François Géré (Dr), Les lauriers incertains. Stratégie et politique militaire des Etats-Unis 1980/2000, Fondation des études de défense nationale, 1991.

lundi, 20 octobre 2008

T&P: La Russie est de retour




Volonté

Les Géorgiens avaient des armes américaines (et israéliennes). Elles ont été récupérées par les Ossètes, les Abkhazes et les Russes. Les Géorgiens avaient oublié un détail : malgré ce qu’ils leur avaient laissé croire, ces Américains qui leur ont obligeamment donné des armes n’allaient certainement pas s’en servir eux-mêmes. Pour deux raisons simples : d’une part ils préfèrent que d’autres prennent les coups à leur place (voir les tués français d’Afghanistan), d’autre part ils n’ont pas les moyens d’intervenir militairement dans le Caucase. En effet leur volonté d’hégémonie mondiale, qui reste entière (voir les déclarations d’Obama et de Mc Cain), est aujourd’hui bloquée par les bourbiers irakien et afghan, dans lesquels les Yankees ont englué l’essentiel de leurs forces disponibles. Il leur reste donc la solution de pousser en avant leurs marionnettes- mercenaires. Comme au Kosovo. Comme en Ukraine. Comme en Pologne.

Seulement, voilà. Les occidentaux ont cru, ou voulu croire qu’il y avait simple rodomontade lorsque Poutine a annoncé, avec son franc parler habituel, que le Kosovo était « un boomerang qui allait leur revenir dans la gueule ». Paroles verbales,  comme disait l’autre ? Le président Medvedev explique posément que le boomerang a fonctionné : « Sans tenir compte des avertissements de la Russie, les pays occidentaux se sont précipités pour reconnaître la proclamation illégale d’indépendance du Kosovo à l’égard de la Serbie (…) Nous avons dit régulièrement qu’il serait impossible, après cela, de dire aux Abkhazes et aux Ossètes (…) que ce qui a été bon  pour les Albanais du Kosovo ne l’est pas pour eux ».

Cette tranquille leçon de logique provoque la vertueuse indignation de l’éditorialiste du Monde (28 août) qui accuse les chefs russes de vouloir « refaire l’Empire ». Oui. Bien sûr. Et alors ? Il serait interdit aux Russes de faire ce qu’ont fait les Yankees et ce que s’apprêtent à faire les Chinois ? Au nom de quoi ? De la « démocratie » ? Cette tartufferie bouffonne qui, toujours et partout, est là pour justifier la dictature du fric ?

Les Russes mettent en application une maxime que nous aimons bien : là où il y a une volonté, il y a un chemin. Voilà ce que doivent avoir en tête, en permanence, ceux qui n’acceptent pas l’inacceptable – que ce soit la dictature de l’argent, du politiquement correct et de l’idéologie cosmopolite, l’invasion-occupation de notre terre par des peuples qui n’ont rien de commun avec nous, le lâche renoncement de trop de Gaulois vautrés dans les illusions d’un confort qui n’est, contrairement à ce qu’ils veulent croire, qu’un mirage provisoire.

Les zélotes de l’idéologie en place, exemplairement représentés par un Kouchner, jouent à faire peur aux braves gens : si vous n’êtes pas sages – c’est à dire si vous n’êtes pas les esclaves consentants de ce que nous représentons – vous aurez droit à l’Apocalypse. Ce qu’ils appellent l’Apocalypse, c’est la minute de vérité où les lois de la nature, les réalités environnementales, biologiques et ethniques vont reprendre leurs droits. De toutes nos forces, préparons cet instant béni.

                                                                              Pierre VIAL 

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vendredi, 17 octobre 2008

Géopolitique du chiisme

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Géopolitique du chiisme

 

 

Deux nouveaux livres de François Thual sont parus. Le premier s'intitule Géopolitique du Chiisme. Voici un passage de sa conclusion: «Les penseurs du chiisme iranien ont essayé, comme Ali Shariati, de fusionner le message traditionnel avec la pensée révolutionnaire. Ce n'est pas une extravagance. Pour la conscience chiite, les souffrances que le chiisme a enduré dans l'Histoire sont la preuve de la vérité de son combat, la rançon naturelle de sa lutte contre l'injustice du monde, injustice qui avait commencé par l'assassinat des premiers imams, ceux que Mahomet s'était choisis comme successeurs. Si l'on pose aujourd'hui la question de la modernité à des chiites, leur réponse est simple. Rien, à leurs yeux, dans la modernité technologique, ne contredit les vérités du chiisme, bien au contraire. Les progrès scientifiques et techniques sont perçus comme une accélération de la libération de l'homme et une étape supplémentaire dans la préparation du retour de l'imam caché, retour qui marquera la fin de l'Histoire et le début d'un monde parfait. Ce qui est condamné dans la modernité, c'est ce que l'on pourra appeler en Occident la révolution de l'individu, le primat de la conscience sur la vérité révélée. Le chiisme n'est pas dissous par la modernité parce qu'il est une religion eschatologique, une religion des fins dernières et qu'en ce sens aucune des phases de l'Histoire ne lui fait peur. Concrètement, le chiisme évoluera de l'intérieur, comme il n'a cessé de le faire depuis son apparition, mais il ne se désintégrera pas pour autant. Dans l'affirmation renforcée de leur spécificité, les chiites continueront de se dresser contre le sunnisme et le sunnisme, pour sa part, aura de plus en plus de mal à juguler le chiisme. Le chiisme, que ce soit en Turquie, en Iran, dans le Golfe, voire même au Pakistan ou en Inde, est devenu désormais un acteur à part de la société internationale et du monde». Le second livre intitulé Repères géopolitiques est constitué de notes destinées aux parlementaires de la Chambre haute. Elles couvrent des questions aussi diverses que “les flottes de combat en 1995”,1es “enjeux yéménites”, la “géopolitique au Tibet” ou “La consolidation du bloc orthodoxe”. Deux livres utiles pour comprendre les aspects les plus profonds des conflits en cours et à venir (Pierre MONTHÉLIE).

 

François THUAL, Géopolitique du chiisme, Editions Arléa, 1995, 158 p., 85 FF.

François THUAL, Repères géopolitiques, La Documentation Française, 210 p., 100 FF.

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jeudi, 16 octobre 2008

Carl Schmitt: Etat, Nomos et "grands espaces"

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Carl Schmitt: Etat, Nomos et “grands espaces”

 

La maison d'édition berlinoise Duncker & Humblot, qui publie l'essentiel de l'œuvre de Carl Schmitt, a eu le mérite l'an passé d'avoir publié une anthologie d'articles définitionnels fondamentaux du juriste et polito­logue allemand (CS, Staat, Großraum, Nomos - Arbeiten aus den Jahren 1916-1969), magistralement pré­facés par Günter Maschke. Ce fut sans doute, à nos yeux, le nouveau livre le plus important en philoso­phie politique exposé à la Foire de Francfort en octobre 1995. Mais c'est aussi un livre fondamental pour comprendre dans tous ses rouages le monde d'après la Guerre Froide. Günter Maschke, un des plus grands spécialistes allemands de Carl Schmitt, mérite nos éloges pour avoir annoté avec une remar­quable précision tous ces articles et surtout les avoir resitués dans leur vaste contexte. Maschke fournit en effet au lecteur  —à l'étudiant comme à l'érudit—  des commentaires et des analyses très mé­thodiques et très fouillées. Staat, Großraum, Nomos est divisé en quatre parties: 1. Constitution et dicta­ture; 2. Politique et idée; 3. Grand-Espace et Droit des gens et 4. Du Nomos de la Terre. A notre avis, l'essentiel pour notre monde en effervescence depuis la chute du Mur réside dans les deux dernières par­ties.

 

Cette nouvelle anthologie a l'immense mérite de concentrer toute son attention sur un aspect moins connu, mais toutefois déterminant, de la pensée et de l'œuvre de Carl Schmitt: la géopolitique. Notre “Centre de Recherches en Géopolitique” avait jadis déjà mentionné quelques-uns de ces textes fonda­mentaux, mais le vaste ensemble d'articles et d'essais sélectionnés par Maschke permet de jeter, sur cette géopolitique schmittienne, un regard beaucoup plus synoptique.

 

Le “Grand-Espace”

 

Notre Centre a publié depuis 1988 un certain nombre de textes de géopolitique; depuis 1991, nous réflé­chissons intensément sur le nouvel ordre mondial après l'effondrement de l'Union Soviétique. L'ère nou­velle sera très vraisemblablement marquée par la notion de “Grand-Espace”, toutefois dans un sens peut-être différent de celui que lui donnait Carl Schmitt. Commençons notre analyse par une citation de Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même: «L'ère des petites na­tions est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue» (1904). Mais l'effondrement de l'URSS nous enseigne que l'ère des empires traditionnels est elle aussi révolue, si l'on considère toutefois que le dernier des empires traditionnels a été l'Union Soviétique. A la place des empires, nous avons dé­sormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clai­rement le concept qu'il entend imposer et vulgariser: «Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en ges­tation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces».

 

Schmitt cite Friedrich Ratzel et montre, en s'appuyant sur ces citations, comment, à chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui pour notre génération, car la bipolarité d'après 1945 fait place à une multipolarité, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de protagonistes.

 

Maschke, dans ses commentaires sur l'article intitulé Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte, mentionne à juste titre la théorie de Haushofer qui envisa­geait de publier un Grundbuch des Planeten, un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux  —contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes—  mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la première guerre mondiale. Ce Grundbuch  haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver l'“habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer­tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques. Certes, on peut reprocher à ce Grundbuch de Haushofer, un peu écolo avant la lettre, d'être utopique et irénique, mais force est de cons­tater que ses idées étaient fondamentalement pacifistes et qu'elles ne coïncidaient pas avec les projets agressifs de l'Allemagne nationale-socialiste. Pourtant, Maschke rappelle que Schmitt et Haushofer ne correspondaient apparemment pas et ne s'étaient jamais vus.

 

Cet article sur le völkerrechtliche Großraumordnung... constituaient une tentative d'introduire en Europe une “doctrine de Monroe” au cours de la seconde guerre mondiale. Dans son commentaire, Maschke rap­pelle les thèses d'un géographe américain, Saul Bernard Cohen, qui a eu le mérite de maintenir à flot les idées géopolitiques avant leur retour à l'avant-plan. Le concept cohenien de “région géopolitique”, déve­loppé depuis les années 60 et actualisé aujourd'hui, s'avère pertinent dans le contexte actuel de “fin de millénaire”. Ces idées de “grand-espace” et de “région géopolitique” se retrouvent également chez les deux experts espagnols de droit international, fortement influencés par Schmitt: Camilo Barcia Trelles et Luis Garcia Arias.

 

L'étude de Schmitt Das Meer gegen das Land (La mer contre la terre) de 1941 contient le noyau essentiel du futur livre de Schmitt Land und Meer. Maschke pense que Schmitt a été influencé par la lecture de Vom Kulturreich des Meeres (1924) de Kurt von Boeckmann, et de Vom Kulturreich des Festlandes (1923) de Leo Frobenius.

 

Une recension écrite par Schmitt en 1949 garde toute sa pertinence aujourd'hui, souligne Maschke. Elle s'intitule Maritime Weltpolitik. Schmitt y écrit: «La domination de l'espace aérien et la possession de moyens de destruction modernes pourront à elles seules s'assurer la domination sur la terre et sur la mer. [Par ces moyens techniques], notre planète est encore devenue plus petite. En comparaison avec les structures qu'érige la technique moderne sur la planète, la Tour de Babel apparaît comme une entreprise très modeste. La Mer a perdu sa puissance en tant qu'élément et notre Terre est devenue un aérodrome» (p. 479 de l'édition de Maschke).

 

Quelques années après la seconde guerre mondiale déjà, Schmitt tire la conclusion: dans le futur, le con­trôle de la planète s'exercera par le biais des communications aériennes (et plus tard spatiales); la Terre et la Mer perdront de l'importance. Le nouvel espace  —jeu de mot!—  sera l'espace.

 

Schmitt mentionne l'œuvre de l'Américain Homer Lea (1876-1913) dans sa recension. Lea avait terminé sa carrière comme conseiller militaire de Sun Yat Sen en Chine. Il avait écrit des livres importants, largement oubliés aujourd'hui: The Day of the Saxon (1912) et The Valor of Ignorance (1909). Le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, ami et complice de Maschke, avait préfacé une réédition allemande de The Day of the Saxon et prépare actuellement une vaste étude sur le écrits militaires et géopolitiques de Lea.

 

Le Nomos

 

Penchons-nous maintenant sur la quatrième partie de cette anthologie, qui commence par la définition que donne Schmitt du “nomos”: «Il est question d'un Nomos de la Terre. Ce qui signifie: je considère la Terre  ­l'astéroïde sur lequel nous vivons—  comme un Tout, comme un globe et je recherche pour elle un ordre et un partage globaux. Le terme grec “nomos”, que j'utilise pour désigner ce partage et cet ordre fondamental, dérive de la même étymologie que le mot allemand “nehmen” (= prendre). Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, faire paître sont les actes primaires et fonda­mentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la tragédie des origines» (Maschke, p. 518).

 

Dans une étude datant de 1958 et intitulée Die geschichtliche Struktur des Gegensatzes von Ost und West  (= La structure historique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest), Schmitt mentionne quelques-unes des théories géopolitiques de base énoncées par Sir Halford John Mackinder. Il se réfère au géographe britannique quand il affirme que l'opposition entre puissances continentales et puissances maritimes constitue la réalité globale de la guerre froide. Quand il commente cette étude, Maschke commet la seule erreur que j'ai pu trouver dans son travail par ailleurs exemplaire. L'“Ile du monde” selon Mackinder est l'Europe + l'Asie + l'Afrique et non pas l'“hémisphère oriental” comme le dit Maschke (p. 546). Celui-ci af­firme également que Mackinder avait été influencé par le géographe allemand Joseph Partsch. Je ne pré­tends pas être un expert dans l'œuvre de Mackinder, mais c'est bien la première fois que je lis cela...

 

Nous avions déjà eu l'occasion de recenser un ouvrage important de Schmitt, Gespräch über den neuen Raum (= Conversation sur le nouvel espace). C'est l'une des contributions les plus pertinentes de Schmitt à la géopolitique depuis 1945. Le message de Schmitt dans ce travail (et dans d'autres), c'est un appel à la constitution de différents “Grands-Espaces”, ce qui semble advenir aujourd'hui, surtout depuis la Guerre du Golfe. La théorie du pluralisme des Grands-Espaces, Schmitt l'a bien exprimée dans un autre texte figurant dans l'anthologie de Maschke: Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg (= l'Ordre du monde après la seconde guerre mondiale). Schmitt y écrivait: «De quelle manière se résoudra la con­tradiction entre le dualisme de la Guerre Froide et le pluralisme des Grands-Espaces...? Le dualisme de la Guerre Froide s'accentuera-t-il ou bien assistera-t-on à la formation d'une série de Grands-Espaces, qui généreront un équilibre dans le monde et, par là même, créeront les conditions premières d'un ordre paci­fique stable?» (Maschke, p. 607).

 

En 1995, nous connaissons la réponse à la question que posait Schmitt en 1962. Le dualisme n'est plus et nous pouvons assister à l'émergence (timide) de Grands-Espaces, qui pointent à l'horizon. Nous ne pouvons toujours pas deviner quelle sera l'issue de ce processus. Des changements surviendront indubi­tablement dans le cours des choses mais nous pouvons d'ores et déjà penser que l'ALENA et l'UE seront deux de ces Grands-Espaces, et ils coopéreront sans doute avec le Japon. Le Lieutenant-Général William E. Odom de l'US Army, aujourd'hui à la retraite, a lancé quelques éléments dans le débat visant à structurer le système qui prendra le relais de celui de la Guerre Froide dans son ouvrage How to Create a True World Order (= Comment créer un véritable Ordre Mondial?; Orbis, Philadelphia, 1995). La Russie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique et le monde musulman pourraient bien devenir des Grands-Espaces autonomes. L'Afrique continuera à végéter dans la misère, sauf peut-être le Nigéria et l'Afrique du Sud. L'attitude agressive croissante de la Chine aura sans doute pour résultat d'avertir les petites puissances d'Asie; elles prépareront dès lors leur défense contre l'impérialisme chinois à venir.

 

Dans la quatrième partie de l'anthologie de Maschke, nous trouvons encore un texte fondamental, Gespräch über den Partisanen (= Conversation sur la figure du partisan). Au départ, il s'agissait d'un dé­bat radiodiffusé en 1960 entre Schmitt et un maoïste allemand, Joachim Schickel. ce débat était bien en­tendu marqué par la grande question de cette époque: l'insurrection croissante au Vietnam. Il n'en de­meure pas moins vrai que la question de la guerilla (ou du Partisan) demeure. Le Law Intensity Warfare (= la guerre à basse intensité) continuera à faire rage sur la surface du monde et influencera les processus politiques. Résultat: le terme de “Guerre civile mondiale” acquerra sans cesse de l'importance (1).

 

Carl Schmitt n'était pas en première instance un géopolitologue. Il était un expert en droit constitutionnel et international. Toutefois, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, il est temps, me semble-t-il, de remettre sur le métier les approches schmittiennes en matières géopolitiques et géostra­tégiques globales. Même si Schmitt reste une personnalité controversée (à cause des opinions qu'il a émises au début des années 30), il est devenu impossible de l'ignorer quand on élabore aujourd'hui des scénarii pour l'avenir du monde.

 

Theo HARTMAN.

(«State, Nomos and Greater Space. Carl Schmitt on Land, Sea and Space», in Center for Research on Geopolitics (CRG), Special Report no.4, Helsingborg/Sweden, 1996. Adresse: CRG, P.O.Box 1412, S-251.14 Helsingborg/Suède; traduction française: Robert Steuckers).

 

Références du livre de Maschke: Carl SCHMITT, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916-1969. herausgegeben, mit einem Vorwort und mit Anmerkungen verse­hen von Günter Maschke, Duncker & Humblot, Berlin, 1995.

 

Note:

(1) Pour une analyse complète de na notion de “Guerre civile mondiale”, cf. le manuscrit impublié de Bertil Haggman, directeur du CRG suédois, intitulé Global Civil War - A Terminological and Geopolitical Study, 1995).

mercredi, 15 octobre 2008

Racines de la géopolitique

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Racines de la géopolitique, géopolitique et fascisme, retour de la géopolitique

 

Analyse: Claude RAFFESTIN, Dario LOPRENO, Yvan PASTEUR, Géopolitique et histoire, Paris, Payot, 1995, 175 FF.

 

Au cours des années 70, le déclin intellectuel du marxisme et les affrontements internes du monde communiste se sont conjugués pour rendre nécessaire le recours à la géopolitique. A l'évidence, la seule prise en compte des facteurs socio-économiques et idéologiques ne suffisaient à comprendre et interpréter litiges nationalitaires et territoriaux. Les problématiques espace et puissance ne pouvaient plus être ignorées d'où 1e recours à une géographie comprise comme “science des princes et chefs militaires” (Strabon). Professeur de géographie humaine à l'université de Genève, Claude Raffestin ne l'entend pas ainsi. Avec l'aide de deux chercheurs en sciences sociales, il se fait fort de prouver que la géopolitique n'est pas une science ni même un savoir scientifique (1). “Production sociale marquée du sceau de l'historicité”, la géopolitique ne serait qu'une superstructure idéologique légitimant le nationalisme et l'impérialisme de l'Allemagne du XXième siècle commençant. Pour en arriver à cette affirmation abrupte, Claude Raffestin procéde à une démonstration en trois temps.

 

Dans une première partie (“Racines de la géopolitique”), il décrit et explique le rôle d'intermédiaire joué par Friedrich Ratzel (1844-1904) entre une géographie allemande marquée par les philosophies de Herder et Hegel —la géographie est l'élément de base de l'histoire des peuples, des nations, de Etats— et l'œuvre de Rudolf Kjellen (1864-1922), professeur et parlementaire suédois, créateur du néologisme de “géopolitique” en 1916. Héritier de Humboldt et Ritter, F. Ratzel est à l'origine d'une géographie humaine fortement structurée par une vision darwinienne du monde (vision organiciste de l'Etat, individu géographique; thème de la lutte de l'espèce-Etat pour 1'espace). S'il n'est pas indifférent aux problèmes de son temps, l'ensemble de son travail est tourné vers la connaissance de la Terre et des connexions entre les sociétés humaines et leur milieu de vie. Cette géographie, que l'on peut qualifier d'académique, n'est donc pas de la géopolitique. C'est avec Rudolf Kjellen que se développe une géographie active, applicable aux rapports de puissance du moment (cf. L'Etat comme forme de vie, publié en 1916 et traduit l'année suivante en Allemagne) alors même qu'en Grande-Bretagne Halford John Mackinder (1861-1947), en développant et affinant ses thèses exposée dans sa célèbre conférence de 1904, s'inscrit dans la postérité de l'Américain Alfred T. Mahan (1840-1914). La géopolique naît donc avec la premièr guerre mondiale.

 

La seconde partie, "Géopolitique et fascisme", est construite autour de la personne et l'œuvre de Karl Haushofer (1869-1946). C'est à ce général bavarois qu'il revient de continuer la lignée Ratzel-Kjellen en faisant de la géopolitique une science appliquée et opérationnelle. Après avoir tenté de démonter le travail de réhabilitation de Karl Haushofer, Raffestin montre le peu d'impact de ses efforts intellectuels sur le cours des choses (2). La “saisie du monde” qu'il assigne comme but à la géopolitique laisse place à la propagande. D'habiles constructions graphiques “mettent en carte” les ambitions expansionnistes du IIIième Reich et assurent l'endoctrinement des masses. La Zeitschrift für Geopolitik n'en inspire pas moins les géopolitiques franquiste et mussolinienne caractérisées par le décalage entre leur discours, global et impérial, et la réalité des Etats espagnol et italien.

 

La troisième partie, “Le retour de la géopolitique”, porte sur les recompositions de ce discours dans l'après-deuxième guerre mondiale. Une partie beaucoup trop courte pour emporter la conviction du lecteur. Le pragmatisme anglo-saxon, dont font preuve Nicholas J. Spykman (1893-1943) et de ses successeurs, —Robert Strausz-Hupé est le seul qui soit cité!— ne trouve pas grâce aux yeux de Raffestin. Il n'y voit qu'une resucée de la vieille et infâme Geopolitik. Idem pour les publications de l'Institut international de géopolitique, dirigé par Marie-France Garaud, pour les travaux de la revue Hérodote, emmenée par Yves Lacoste, ou encore ceux de sa consœur italienne Limes, dirigée par Michel Korinman et Lucio Caracciolo. A ce stade du livre, on ne prouve plus quoi que ce soit, on anathémise! Raffestin peut conclure: la géopolitique est le “masque” du nationalisme, de l'impérialisme, du racisme. Il en arrive même à renverser ces rapports de déterminant à déterminé puisqu'en visualisant divers litiges territoriaux, “la démarche de la géopolitique serait très proche de celle d'une prophétie autoréalisatrice” (p. 307-308).

 

Cet ouvrage a le mérite d'adresser de justes critiques à ce que l'on appellera le géopolitisme: regard olympien négligeant les échelles infra-continentales, affirmations péremptoires, proclamation de lois, volonté de constituer la géopolitique en un savoir global couronnant l'ensemble des connaissances humaines. Scientiste et déterministe, cette géopolitique est datée. Elle a déjà fait place à une géopolitique définie non plus comme science mais comme savoir scientifique (cf. note n°1), prenant en compte les multiples dimensions d'une situation donnée et les différents niveaux d'analyse spatiale attentive aux “géopolitiques d'en bas” (celles des acteurs infra-étatiques). Modeste, cette géopolitique post-moderne est celle d'une planète caractérisée par la densité des interactions (flux massifs et divers), par l'hétérogénéité des acteurs du système-Monde (le système interétatique est doublé et contourné par un système transnational: firmes, maffias diverses, églises, sectes groupes terroristes...), et l'ambivalence des rapports entre unités politiques (relations de conflit-coopération, disparition des ennemis et par voie de conséquence des amis désignés). Cette géopolitique est celle d'un système-Monde hyper-complexe, multirisques et chaotique (3). Mais ces renouvellements sont tout simplement ignorés par Raffestin. Parce que son objectif est le suivant: disqualifier à nouveau la géopolitique en pratiquant la reductio ad Hitlerum.

 

Louis SOREL.

 

(1) Selon le géopolitologue Yves Lacoste, directeur de la revue Hérodote, 1a géopolitique n'est pas une science ayant vocation à établir des lois mais un savoir scientifique qui combine des outils de connaissance produits par diverses sciences (sciences de matière, sciences du vivant, sciences humaines) en fonction de préoccupations stratégiques. Sur ces questions épistémologiques, cf. «Les géographes, l'action et le politique», Hérodote n° 33-34, 2°/3° trimestre 1984 (numéro double) ainsi que le Dictionnaire de géopolitique publié sous la direction d'Yves Lacoste chez Flammarion en 1993.

 

(2) Cf. la préface de Jean Klein à Karl Haushofer, De la géopolitique, Fayard, 1986. Lire également les pages consacrées par Michel Korinman à Karl Haushofer in Quand l'Allemagne pensait le monde, Fayard, 1990.

 

(3) Cf. Lucien Poirier, La crise des fondements, Economica/Institut de stratégie comparée, 1994.

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mardi, 14 octobre 2008

le Grand Mufti et le nationalisme palestinien

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Ecole des cadres - SYNERGIES EUROPEENNES - Octobre 2008 - Lectures

Louis DENISTY :
Le grand mufti et le nationalisme palestinien
Hajj Amin al-Hussayni, la France et la Grande-Bretagne face à la révolte arabe de 1936-1939
préface de : Daniel Rivet
L'Harmattan , Paris - collection Comprendre le Moyen-Orient

Résumé

En 1936, éclate la première révolte arabe en Palestine, alors sous mandat britannique. Ce mouvement, entraîné par Hajj Amin al-Hussayni, revendique la constitution d'un Etat et l'arrêt de l'immigration sioniste. En s'appuyant sur les archives diplomatiques françaises et britanniques dont il fait une lecture croisée, l'auteur donne un éclairage sur cette période cruciale de l'histoire de la région.

Quatrième de couverture

En avril 1936 éclate la première grande révolte des Arabes de Palestine, qui revendiquent la constitution d'un Etat et l'arrêt de l'immigration sioniste. A la tête de ce mouvement s'impose un personnage, Hajj Amin al-Hussayni, Grand Mufti de Jérusalem. Celui-ci, banni par les Britanniques, trouve refuge au Liban où les Français le laissent jouir d'une liberté suffisante pour tenter de faire entendre la voix du peuple palestinien. Les querelles de personnes et l'incapacité des puissances dominant la région à s'entendre enfoncent la Palestine dans des années tragiques et ensanglantées. L'objet de cet ouvrage est de faire la lumière sur cette période peu connue et pourtant si cruciale de l'histoire de la Palestine, en questionnant les archives diplomatiques françaises et britanniques. Pour comprendre, pour expliciter, et non pour juger. Durant les années 1936/1939, avec la connaissance des soixante-dix années qui ont suivi, il apparaît que se mettent irrémédiablement en place tous les éléments dramatiques qui ont plongé, jusqu'à aujourd'hui encore, un peuple dans un abîme de malheur infini.

samedi, 11 octobre 2008

Géo-économie mondiale: un basculement stratégique

Géo-économie mondiale : un basculement stratégique

Géo-économie mondiale : un basculement stratégique

Ce texte mérite d’être lu et d’entraîner une réflexion. Il montre comment les avatars militaires des Etats-Unis et la faillite du néo-capitalisme de l’ère post-soviétique signent la fin de cinq siècles de domination absolue de l’Occident sur le reste du monde.

Sur fond d’un paysage sinistré de l’économie occidentale, marqué par de faillites retentissantes de grands établissements de renom tant aux Etats-Unis qu’en Europe, un basculement stratégique s’est opéré en 2008 au niveau de la « géo-économie » mondiale avec la recomposition de la carte bancaire américaine, l’entrée spectaculaire des fonds souverains arabes ou asiatiques dans le capital de grandes sociétés américaines ou européennes et l’affirmation de plus en plus marquée des grands pays du Sud, les pétromonarchies du Golfe et le groupe Bric (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud) comme acteurs majeurs de la scène mondiale au point que se pose la question de la pérennité de l’hégémonie planétaire des Etats-Unis et de la viabilité des structures internationales tant financières que politiques mises en place dans la foulée de la Deuxième Guerre Mondiale (1939-1945), notamment le Conseil de sécurité de l’ONU, le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, ainsi que le G7, le regroupement des sept pays les plus industrialisés de la planète crée après la première crise du pétrole (1973).

L’Inde, via le groupe Mittal, en s’emparant du premier groupe sidérurgique européen (Sacelor-Arcelor), la Chine, en devenant actionnaire du plus gros fonds d’investissement américain, Blackstone, à hauteur de dix pour cent sans droit de vote, pour une valeur de trois milliards de dollars, parallèlement à la mainmise de la Bourse de Dubaï et de Qatar Investment Autority (QIA) sur la moitié de London Stock Exchange et la prise de participation en 2006 de la banque publique russe VTB de 5% du capital du consortium aéronautique franco-allemand EADS, ont démontré leur vitalité et leur ambition de redéfinir les contours de la nouvelle économie mondiale en voie de constitution.

I-La recomposition de la carte bancaire américaine

Ce bouleversement a conduit les dirigeants de la finance internationale sinon à pactiser avec leurs rivaux potentiels, à tout le moins à modérer leurs prétentions du fait de la conjonction de quatre facteurs cumulatifs.

l’affaiblissement de l’économie américaine du fait des coûts de la guerre d’Irak et d’Afghanistan, estimé par le prix Nobel américain de l’économie Joseph Stiglitz à près de trois mille milliards de dollars (1),

la gestion spéculative des prêts immobiliers américains et la cascade des pertes connexes qui s’en est ensuivie de l’ordre de 945 milliards de dollars selon un rapport du FMI (2) dont vingt milliards de dollars pour les banques françaises (Crédit agricole, Société générale, Dexia (6,5 milliards d’euro ainsi que les filiales de la CNCE (caisse nationale des caisses d’epargne) Natexis-Nexity (6 milliards d’euros)

le pactole constitué par les états pétroliers du fait du renchérissement du prix du brut, estimé fin 2007, à 3.355 milliards de dollars,

le matelas aménagé par les banques centrales étrangères en bons de trésor américain, de l’ordre de 2.500 milliards de dollars.

Dans ce contexte économique chahuté, les capitaux étrangers ont ainsi opéré une percée remarquée dans un système bancaire américain en pleine recomposition, n’épargnant pas même certains des fleurons de Wall Street. Si JP Morgan a réussi à tirer son épingle du jeu, il n’en est pas de même de trois autres grandes banques d’investissement, Merryl Lynch et Lehman Brothers et Morgan Stanley.

Confirmant son rôle de prédateur de la finance, JP Morgan s’est ainsi hissé au premier rang des banques américaines, s’emparant coup sur coup en 2008 de la banque Bear Stearns et de Washington Mutual Bank, la plus importante caisse d’épargne du pays, devenant ainsi la plus grosse banque américaine avec des dépôts de l’ordre par 900 milliards de dollars, dont 188 milliards repris à Washington Mutual. Mais les trois autres grandes banques d’investissement de Wall Street, -Merryl Lynch et Lehman Brothers et Morgan Stanley-, ont fait les frais de cette gestion hasardeuse de prêts immobiliers aléatoires, de même que le plus grand groupe d’assurance américain AIG, repêché de justesse avant naufrage par le gouvernement américain.

Lehman Brothers, à la suite d’une dépréciation de près de 25 milliards de dollars de ses actifs, a été conduite à se placer sous la protection du chapitre 11 de la législation financière américaine qui aménage la protection des entreprises en faillite, alors que Morgan Stanley, pour échapper à un sort funeste, faisait alliance avec Mitsubishi UJF, cédant 20 pour cent de ses parts au géant asiatique pour neuf milliards de dollars. Merryl Lynch a été, elle, rachetée purement et simplement par la Bank of America.

Troisième banque d’investissement du pays et sans doute l’une des plus touchée par la crise financière avec près de 40 milliards de dollars de dépréciations depuis le début de la crise, Merryl Lynch avait dû solliciter l’aide du Koweït et de la Corée du sud pour 6,5 milliards de dollars d’actions préférentielles, leur cédant 25% de participation. Elle a même dû céder 8 milliards d’actifs complémenaires après des pertes abyssales au deuxième trimestre 2008 (de l’ordre de 4,89 milliards de dollars). Déjà plombée par 9,75 milliards de dépréciations supplémentaires, elle a été contrainte de céder une nouvelle fois des actifs dont sa part dans Bloomberg et dans Financial Data Services, avant d’être rachetée par Bank of America.

Pour sa part, Citigroup, qui était jusqu’à la crise la première banque des Etats-Unis, a dû solliciter le concours des Fonds Souverains du Koweït et de Singapour pour combler les pertes de l’ordre de 14,5 milliards de dollars résultant d’investissements malheureux dans des produits liés aux crédits « subprimes ». Le Prince saoudien Walid Ben Talal, déjà actionnaire de l’établissement, et la famille dirigeante d’Abou Dhabi avec une prise de participation au capital de l’ordre de 7,5 milliards, ont participé à cette opération de renflouage. Au total, la banque a été alimentée à hauteur de 22 milliards de fonds originaires d’Asie et du Moyen-Orient, en 2008. Toutefois, cette jonglerie financière va coûter cher à Citigroup qui va devoir payer 1,7 milliards de dollars par an pour rémunérer les différents investisseurs ayant participé à ses deux recapitalisations d’urgence. La première recapitalisation de 7,5 milliards de dollars, annoncée en novembre 2007, était rémunérée à 11%, soit 825 millions de dollars par an. La seconde, de 12,5 milliards de dollars, à 9 %, soit 875 millions de dollars par an.

Dans le cas de la deuxième opération, les obligations sont non cessibles pendant les sept premières années. Si aucun des investisseurs ne les convertit en actions pendant cette période, elles auront donc coûté plus de 6,1 milliards de dollars à Citigroup. De son côté, Wells Fargo a absorbé le 3 octobre sa concurrente Wachovia pour un montant de 15,1 milliards de dollars (10,86 milliards d’euros). Wachovia, 4eme banque des Etats-Unis, était affligée de 42 milliards de ses dettes. Indice d’une aggravation de la crise qui a déjà jeté à la rue près de 700.000 foyers américains, les banques américaines manifestent désormais des réticences à se lancer dans des opérations de sauvetage faute de garanties financières de l’Etat lequel ne souhaite plus s’impliquer davantage, après le financement de la faillite de treize établissements depuis le début de la crise.

La bourrasque n’a pas épargné non plus l’Europe où deux banques anglaises ont été nationalisées, Northern Rock et Bradford et Bingley, un fonds britannique spécialisé dans l’immobilier, de même qu’une banque belgo néerlandaise Fortis, première banque belge, seconde banque néerlandaise, premier employeur privé en Belgique. Fortis avait racheté il y a un an tout juste, la banque ABN, pour la somme de 24 milliards d’euros, lors que la France et la Belgique s’employaient à renflouer à hauteur de 6,5 milliards d’euros DEXIA, la banque de financement des collectivités locales, et que NATEXIS, filiale de la Caisse d’Epargne Française, était place sous observation.

Le plus étonnant est que cet apport massif d’argent provenant de pays situés dans la sphère suspectée de connivence avec l’Islam radical tranche avec le tollé suscité à l’occasion de l’acquisition par Dubaï Port Authority (DPA) de la compagnie des ferries britanniques P/O. La société de Dubaï se proposait de racheter pour 6,8 milliards de dollars les activités portuaires du britannique P&O, qui avait compétence pour gérer une dizaine de ports américains, notamment des terminaux portuaires de marchandise, du pétrole et de passagers aux Etats-Unis (Nouvelle-Orléans, Miami, New York).

Elle s’est heurtée au veto américain au nom d’impératifs de sécurité liés à la guerre contre le terrorisme, alors que Doubaï est un allié fidèle de longue date des Etats-Unis. Un sort identique avait d’ailleurs été réservé à la tentative faite en juin 2005 par une société chinoise cotée en bourse CNOOC, mais contrôlée à 70 % par l’État chinois, d’acquérir pour 18,5 milliards de dollars, la compagnie pétrolière américaine UNOCAL, surenchérissant de plus de 1,5 milliards de dollars sur l’américain Chevron Texaco. Les parlementaires américains s’ y opposèrent aussi au motif qu’une telle opération compromettrait la sécurité de l’approvisionnement en énergie des Etats-Unis de la part d’un pays concurrent, se réclamant de surcroît de l’idéologie marxiste.

En un an le climat psychologique des affaires a radicalement changé sur le plan international lorsque l’on songe à l’ironie mordante qui a accompagné le raid de l’indien Mittal sur Arcelor ou le veto opposé par l’administration américaine à l’acquisition de l’Emirat de Doubaï d’installations portuaires aux Etats-Unis. Tout le monde jongle désormais avec aisance avec les sigles des Fonds souverains, alors qu’il y a peu le prénom de l’investisseur indien Lackhmi Mittal était régulièrement écorché par les commentateurs les plus avisés qui lui prêtaient les plus noirs desseins.

Toutefois, comme un signe de la persistance d’une certaine morgue impériale, les investissements arabes ou asiatiques ne s’accompagnent pas des droits inhérents à la qualité d’actionnaire, notamment la participation au pouvoir décisionnel. Ainsi la Chine dans la foulée de son investissement dans le Fonds américain Blackstone s’est engagée, par écrit, à ne pas disposer d’un droit de vote malgré une mise de trois milliards de dollars. Un engagement, inique, au regard des canons de l’orthodoxie libérale, inconcevable pour tout investissement occidental dans une entreprise du tiers monde.

La raison de ce changement se résume par cette simple équation : la dépendance énergétique des pays développés est désormais plus manifeste que dans le passé et se heurte aux besoins croissants en la matière des pays émergents d’Asie, une concurrence qui explique et éclaire d’un jour nouveau les guerres d’Afghanistan (2001) et d’Irak (2003) ainsi que le tout dernier conflit du Caucase entre la Géorgie et la Russie, en Août 2008.

Si la Russie tend à l’autosuffisance, la dépendance énergétique des pays occidentaux est flagrante. Produisant 25 pour cent du pétrole, ils en consomment 45 pour cent, alors que les réserves d’hydrocarbures sont concentrées en Asie (65 pour cent pour le pétrole et 45 pour cent pour le gaz). Le Moyen orient détient les deux tiers des réserves de pétrole et un tiers de celles du gaz, dont la Russie détient un autre tiers. Dans cette configuration, la part des compagnies étrangères atteint 91,5 en Guinée équatoriale, 80,9 en Argentine, 75,8 en Indonésie, 73 pour cent en Angola, mais zéro pour cent en Arabie saoudite et au Koweït. (3).

II-Les objectifs de la Chine

La Chine s’accommode toutefois -mais pour combien de temps ?- des clauses restrictives de sauvegarde car elle paraît davantage soucieuse de rechercher, non un gain immédiat, mais un objectif à long terme :

Une diversification des investissements en vue d’amplifier profit et productivité dans la gestion des réserves. La prise de participation de la Chine dans Blackstone, premier investissement chinois d’ampleur dans une entreprise américaine d’envergure, va en effet provoquer un changement radical dans la gestion des réserves de change. Son objectif est de diversifier ses habituels placements en bons du Trésor américains, dont la Chine est le deuxième créancier après le Japon. Des investissements sûrs mais à rentabilité limitée alors que les fonds offrent des rendements plus élevés, même s’ils sont plus risqués, via des rachats d’entreprises.

Bras armé financier de la Chine, la Société d’investissement d’Etat (SIE) va devoir gérer 200 milliards de dollars, soit un sixième des 1200 milliards accumulés par la Chine grâce à ses excédents. Blackstone qui possède des actifs de trente milliards de dollars est son premier investissement. Pékin a décidé de s’inspirer des expériences réussies à l’étranger par la holding financière de Singapour, Temasek, qui sert de modèle à la SIE, avec pour ambition d’amplifier les profits et la productivité dans la gestion de réserves.

Une revalorisation progressive et mécanique du Yuan, sans procéder à une réévaluation formelle de la monnaie nationale chinoise. Au delà de l’aspect spectaculaire de l’investissement chinois dans Blackstone, les sorties de capitaux permettront ainsi une appréciation mécanique progressive du yuan sans procéder à une réévaluation directe de la monnaie chinoise, tant il est vrai qu’une réévaluation n’est pas dans l’intérêt de la Chine car elle pourrait mettre à mal sa compétitivité prix et donc hypothéquer en partie la croissance basée sur les exportations.

Enfin, dernier et non le moindre des objectifs, l’acquisition d’une expertise financière haut de gamme au contact des gestionnaires occidentaux. La participation de la Chine à de fonds occidentaux lui permettra d’accéder à la gestion sophistiquée en matière d’instruments financiers. Créer des partenariats avec des investisseurs financiers étrangers équivaut à un transfert de technologies dans l’industrie que la Chine a promu pour son développement économique.

La Chine, grande exportatrice de produits manufacturés qui jouit d’un yuan sous-évalué disposait en 2007 de 1.330 milliards de dollars résultant de ses excédents commerciaux, un stock en hausse de 41,6% sur un an. Outre la firme américaine Blackstone, la Chine, via China Investment Corp (CIC), a doté Chinalco de 120 milliards de dollars pour rafler Rio Tinto, deuxième groupe minier mondial, tandis que le Government of Singapore Investment Corp. (GIC), l’un des deux fonds souverains de Singapour, réduisait, en 2007, de 25% ses achats d’obligations d’Etat américaines pour les diriger vers les banques privées d’Amérique.

A ces considérations économiques, s’ajoute un facteur politique de premier plan : la concurrence entre la Chine et l’Europe en Afrique a conduit onze pays africains producteurs de matières premières à remettre à plat les contrats qui les lient aux compagnies exploitantes depuis les années 1990.

Tel est le cas du Liberia (contrat du fer avec Mittal), de la Tanzanie (Aluminium), de la Zambie et de l’Afrique du sud (platine et diamant) notamment. Emboîtant le pas aux producteurs du pétrole, les Etats africains entendent mettre à profit l’envolée des prix des matières premières pour procéder à des ajustements de prix davantage conformes aux lois du marché. Dans ce combat spectaculaire sur « la vérité des prix », le plus en pointe se trouve être Joseph Kabila, Président de la République Démocratique du Congo, un pays jadis en faillite sous le règne de Joseph Désiré Mobutu, le protégé des Américains et des Français, aujourd’hui un nouvel eldorado. Dans un geste d’une audace inouïe, Kabila a remis en cause pas moins de soixante et un (61) contrats miniers. Cette nouvelle donne placerait la Chine en meilleure posture dans la bataille pour le contrôle des sources d’énergie et expliquerait sa discrétion dans sa percée capitalistique, en faisant un facteur majeur de recomposition de la géo-économie mondiale (4).

III- Les Fonds Souverains ou Sovereign Wealth Fund

Les Fonds souverains se caractérisent par le fait que les capitaux sont détenus par les Etats. Leur objectif est de préparer l’après pétrole et de faire fructifier les excédents budgétaires à partir de prises de participations dans des entreprises du monde entier. Les financiers occidentaux en tirent argument que de telles structures nourrissent des interrogations quant à une éventuelle tentative d’exercer une influence politique dans des entreprises et structures étrangères. Mais la réciproque n’est pas vraie. les Etats-Unis à l’origine des guerres préventives du XXI me siècle, se préoccupent rarement des craintes ou des réticences que leur prise de participation dans les entreprises des pays émergents, et, d’une manière générale, leur comportement unilatéraliste, suscitent dans le tiers-monde.

Pourtant ces fonds ne sont pas inconnus des spécialistes de la finance et leur existence est ancienne. Le premier a été crée, en 1956, par un administrateur colonial britannique depuis les îles Kiribati, au sud d’Hawaï. Soucieux de préparer l’après phosphate dont le pays était riche, celui-ci créa une taxe sur les exportations d’engrais afin de servir des revenus futurs lorsque la ressource serait épuisée. Sage précaution : le fonds des Kiribati gère aujourd’hui un demi milliard de dollars, près de neuf fois le PIB local. Les diamants du Botswana alimentent le Fonds Pula, à hauteur de 6,8 milliards de dollars et le cuivre du Chili abonde pour l’essentiel le fonds ESSF, pour quelque 10 milliards.

Le premier choc pétrolier de 1973 va donner l’impulsion à la constitution des premiers fonds souverains dans les pétromonarchies du Golfe en vue de recycler les « pétrodollars ». La zone asiatique (Chine, Inde, Japon, Corée du sud, Hong-Kong, Singapour, Bruneï) s’y lancera à son tour dans les années 2000 avec la montée en puissance des « économies émergentes ». Une quarantaine de Fonds opèrent de nos jours dans le Monde, notamment le fonds koweitien, un pionnier dans le monde arabe (1953), le Temasek Holdings (Sinagpour) et le Abu Dhabi Investment Authority (1990), l’Iran Oil Stabilisation Fund et le Qatar Investment Authority (5) .

IV- Les acquisitions prestigieuses

Ces fonds souverains viennent à la rescousse d’une industrie bancaire déstabilisée par la crise des subprimes, ces crédits immobiliers à risque américains qui ont déjà coûté 80 milliards de dollars aux banques (54,3 milliards d’euros). Ces fonds géraient en 2007 un pactole estimé à 3.355 milliards de dollars avec une projection de l’ordre de 12.000-15.000 milliards dollars, leur surface financière à l’horizon 2015. S’ils devancent largement les Hedge Funds (2.000 milliards), ils se situent loin derrière les assureurs (15.200 milliards), les fonds d’investissement (21.700 milliards) et les fonds de pension (22.600 milliards de dollars).

Qu’ils soient de Dubaï, du Qatar, de Chine ou de Singapour, les “Fonds souverains” ont profité de la crise financière pour réaliser de spectaculaires prises de participation dans des structures aussi diverses que la célèbre firme de construction automobile italienne Ferrari, dont le Fonds d’Abou Dhabi en détient 5 pour cent du capital, le distributeur britannique Sainsbury, ou encore, la chaîne française de parfumerie « Marionnaud » ses 1300 boutiques de parfums et de cosmétiques, racheté par As Watson, propriété du milliardaire chinois Li Ka-Shing pour 900 millions d’euros. Même une vénérable institution telle que la bourse de Londres n’échappe pas non plus à leur appétit : C’est ainsi que la Bourse de Doubaï et la Qatar Investment Autority (QIA) ont conjointement acquis la moitié de London Stock Exchange, la bourse de Londres. La QIA, qui contrôle la Bourse de Dubaï, créée en 2000, gère déjà 40 milliards de dollars d’actifs.

Son ambition est de mettre sur pied une bourse de dimension internationale et à forte croissance hors de Doubaï, plaque tournante du commerce régionale qui ne dispose toutefois pas de ressources pétrolières. En réplique, la bourse de New York (NYSE/Euronext) a pris, en juin 2008, 25 pour cent de la bourse de Doha New York (NYSE/Euronext) pour une valeur de 160 millions d’euro en vue de la gestion pendant cinq ans d’un portefeuille de titres dont la cotation représente 1 milliard 400 millions d’euros. Le Qatar conservera 75% du capital ainsi que 8 des 11 sièges du conseil d’administration de la bourse de Doha.

A- Aux Etats-Unis : Deux fleurons du parc immobilier new yorkais sont, d’ores et déjà, tombés dans l‘escarcelle de ces fonds :

Le General Motors Building, construit en 1968 et qui abrite l’Apple Store de la Cinquième Avenue, a été vendu, en juin 2008, pour 2,8 milliards de dollars à un fonds américain, Boston Properties, allié à des investisseurs de Doubaï, du Koweït et du Qatar. Le vendeur, le magnat new-yorkais de l’immobilier Harry Macklowe, s’était retrouvé lourdement endetté après avoir acquis en 2007 sept immeubles pour 7 milliards de dollars en empruntant la quasi-totalité de la somme, à un moment où le marché était encore florissant. La crise immobilière a encore alourdi sa dette

Le Chrysler Building, fleuron de l’architecture Art Déco, construit entre 1928 et 1930, et qui fut brièvement la tour la plus haute du monde, avant d’être détrôné par l’Empire State Building, a été racheté à hauteur de 75% par un fonds souverain d’Abou Dhabi pour 800 millions de dollars (514 millions d’euros), selon la presse américaine.

B- En Europe, l’Agence d’investissement du gouvernement de Singapour (GIC) va investir 11 milliards de francs suisses (6,6 milliards d’euros) dans UBS, pour l’aider à surmonter à une crise financière susceptible de lui valoir, en 2007, les premières pertes de son histoire,

C- En France : BNP Paribas passe pour compter parmi ses actionnaires ultra minoritaires des fonds saoudiens, koweïtiens et des Emirats arabes unis, et la firme pétrolière Total envisage pour se diversifier vers le nucléaire d’ouvrir son capital aux pétromonarchies du Golfe tandis que, de son côté, Qatari Diar (un fonds d’investissement possédé à 100 % par Qatar Investment Authority, le fonds souverain du Qatar) est engagé dans des négociations exclusive avec Cegelec (ancienne filiale d’Alcatel), pour le rachat de ce poids lourd spécialisé dans les services liés à l’énergie, à l’électricité et la rénovation des caténaires ferroviaires au Maroc. Qatari Diar est très présent sur le plan international, au Maroc, en Egypte et dans tout le Moyen-Orient, mais aussi en Grande-Bretagne, dans l’immobilier, comme dans le quartier de Canary Wharf à Londres (6).

Dans l’hôtellerie haut de gamme, le seul palace parisien détenu par des Français est « Le Fouquet’s » du groupe Barrière situé au coin des Champs Elysées et de l’Avenue George V, où Nicolas Sarkozy a passé sa célèbre « nuit du Fouquet’s », offrant sa première réception suivant son élection présidentielle à ses amis de la haute finance, y passant sa première nuit de Président de la République en compagnie de son épouse d’alors Cécilia Siganer. Tout le reste est aux mains de capitaux étrangers.

Le Ritz, joyau de l’hôtellerie de luxe française, est la propriété de Mohamad al-Fayed, le papa de Dodi, l’ami de la princesse Diana avec laquelle il a trouvé la mort dans un accident de la circulation à Paris. M. Al-Fayed est le beau-frère de Adnane Kashooggi, important marchand d’armes saoudien impliqué dans le scandale de l’Irangate, la vente prohibée d’armes américaines à l’Iran sous l’administration Reagan dans les années 1980.

Le George V est la propriété du prince saoudien Walid ben Talal qui y a investi pour sa rénovation 200 millions de dollars. La gestion de l’établissement a été confiée au groupe canadien « Four Seasons ». Al Walid est également actionnaire à hauteur de 5 pour cent d’une autre chaîne hôtelière canadienne « Fairmont ». C’est par le biais de cette société qu’il a racheté en 2007 le Savoy de Londres.

Le Plaza Athénée et le Meurice sont gérés par le groupe anglais Dorchester Group, propriété de l’agence d’investissement de Brunei.

Le Vendôme est la propriété du joaillier libanais Robert Mouawad, fournisseur de la famille royale saoudienne.

Propriétaire du « Carlton Tower » à Londres. le groupe Jumeirah international, propriété de la famille régnante de Dubaï al-Maktoum s’est porté acquéreur de « l’Intercontinental de Paris » pour une valeur de 300 millions de dollars. En compétition sur cette affaire avec le prince saoudien, la transaction a été depuis lors suspendue. Le groupe Jumeirah pourrait visait en compensation le Crillon, le célèbre hôtel de la place de la concorde, et le prince al-Walid se consoler avec le Martinez de Cannes.

V- Le nouveau recyclage des pétrodollars

La hausse du baril de 25 dollars en 2002 à 135 dollars en juin 2008 a généré un gigantesque transfert d’argent des pays consommateurs vers les pays producteurs, de l’ordre de 1 000 milliards de dollars passés ainsi des consommateurs d’énergie (Japon, Europe, Etats-Unis) vers l’Arabie saoudite, la Russie, les Emirats, l’Angola, l’Algérie, le Venezuela. Lors du premier boom pétrolier, peu de pays, en dehors de la Norvège, avaient mis à profit cette manne pétrolière pour impulser leur décollage. Puissant facteur de corruption des élites, le premier choc pétrolier de 1973 a transformé précocement les pétromonarchies en état rentier, développant jusqu’à la caricature une boulimie consumériste d’acquisition ostentatoire de produits au luxe tapageur, constituant un terreau à l’islamisme.

Durant le dernier quart du XX me siècle, les pays arabes ont investi près de 1.500 milliards de dollars pour des achats massifs d’équipements militaires sans pouvoir se doter ni de la capacité spatiale, ni de la capacité nucléaire, ni de la capacité de projection militaire, trois éléments qui conditionnent la puissance militaire. Générateurs de juteuses de rétro commissions, les contrats d’armement ont paru parfois sans rapport avec les besoins réels des pays concernés ou de leur capacité technologique.

C’est ainsi que l’aviation saoudienne a longtemps été tenue par les pilotes pakistanais et la protection de l’espace aérien libyen confié aux techniciens nord-coréens et Syriens. Pis, à deux reprises, l’arsenal de deux pays arabes a été complètement détruit par leurs propres fournisseurs, celui de la Libye par la France lors de la guerre du Tchad (1984-1987), celui de l’Irak, par la coalition occidentale en 1990, consécutif à l’invasion du Koweït par l’Irakien Saddam Hussein. Si l’extravagance est réduite mais non bannie, les premiers placements de la période 2007 2008 paraissent davantage judicieux.

Ainsi le roi Abdallah d’Arabie saoudite a décidé de créer un million d’emplois en construisant six villes économiques pour y attirer des industries diversifiées (7). King Abdullah City, sur la mer Rouge, au nord de Djeddah, devait être achevée fin 2008, avec un port et toutes les infrastructures y afférentes pour attirer 2 500 entreprises et leurs cadres. Le coût de ce projet est estimé à près de 400 milliards de dollars. Au vu de la précédente expérience, le premier boom pétrolier où la dilapidation et la gabegie étaient de pratique courante, le nouveau pactole pétrolier paraît mieux géré. Le souci de préserver les ressources des générations futures est plus présent, mais le handicap majeur dont pâtit le Monde arabe est son absence de seuil critique du fait de sa balkanisation et sa mise sous tutelle américaine, deux éléments qui obèrent son développement par des projets à dimension régionale.

VI- La « sharia compliance » ou la rivalité entre la City et Wall Street

La concurrence est vive entre les grandes places financières internationales en vue d’absorber les surplus des recettes pétrolières notamment entre la City de Londres et Wall Street (New York), notamment les pétrodollars en provenance des pétromonarchies estimés à 1.500 milliards de dollars en 2007. Prenant de vitesse leurs rivaux, les Anglais ont lancé des émissions d’obligations d’Etat « Sharia compliance », conforme à la législation islamique qui prohibe le prêt à intérêt.

Le nouvel ordre international tant célébré depuis l’effondrement du bloc communiste, c’est à dire depuis l’effondrement du monde bipolaire au début des années 1990, reposait sur le « consensus de Washington », une notion inventée en 1989 par l’économiste John Williamson visant à substituer aux régulations keynésiennes en vigueur depuis le krach boursier de 1929, les six nouveaux paramètres de la Mondialisation, à savoir : rigueur monétaire, rigueur budgétaire, libre-échange, privatisations, déréglementation et relance par l’investissement privé. De gré ou de force, sous l’égide du Fonds Monétaire International (FMI), des politiques d’« ajustements structurels » ont été imposées à bon nombre de pays en développement en vue de leur adaptation aux nouvelles règles du jeu, ainsi qu’à l’Union Européenne, via le « Consensus de Bruxelles ».

La version élitiste européenne du « consensus de Washington » est en fait un « consensus de Washington » aggravé, car il en reprend toutes les dispositions néolibérales, mais les met en œuvre dans toute leur radicalité avec l’acharnement à systématiser les privatisations ou la politique agricole commune malgré les pénuries, ainsi que l’imposition d’un « critère de convergence » de la zone euro en matière de déficits publics, fixant la limite à 3% du PIB en ce qui concerne le déficit annuel et de 60% du PIB pour le déficit cumulé.

Mais pour louables que soient les intentions de ce théoricien américain, cette politique ultra-libérale de transparence n’a pas pour autant prévenu les faillites frauduleuses retentissantes (Enron pour les Etats-Unis et Vivendi pour la France), les délits d’initiés (scandale de la firme aéronautique franco-allemande EADS) ou encore les évaporations de recettes, comme ce fut le cas avec la firme pétrolière américaine Halliburton pour ses marchés avec l’Irak ou la crise des subprimes, dont la dernière illustration aura été, au mépris du principe de la libre entreprise, la mise sous contrôle fédéral, l’été 2008, de trois banques de refinancement du crédit immobilier, la première en juillet, la banque californienne Indymac, les deux autres, Fannie Mae et Freddie Mac, en septembre.

L’un des premiers prêteurs hypothécaires américains, Indymac a essuyé des pertes de l’ordre de 98 pour cent de ses actifs estimés à 32 milliards de dollars, signant par là la plus grosse faillite depuis 24 ans dans le secteur bancaire américain. Fannie et Freddie, rouage essentiel de l’industrie du logement aux Etats-Unis, possèdent ou garantissent près de la moitié des 12.000 milliards de dollars de crédits immobiliers résidentiels en cours aux Etats-Unis.

Le « consensus de Washington » a surtout sécrété, en contrepoint, un système planétaire articulé autour de la criminalité transnationale. Les commentateurs occidentaux se sont longtemps montrés discrets sur ce sujet, plus prompts à dénoncer le péril islamiste ou le péril jaune, après avoir tant dénoncé le péril rouge. Selon le Fonds Monétaire International, cité par le journal Le Monde en date du 23 Mai 2006, de 700 à 1.750 milliards d’euros circuleraient ainsi entre les banques, les paradis fiscaux et places financières, malgré le durcissement des législations et l’accroissement des contrôles. C’est dire l’importance des montants en jeu et partant des enjeux eux mêmes. Paradis fiscaux, zones offshore, flux monétaires, capitaux errants et budgets aberrants…

Ces termes innocents évoquent au premier abord une douceur de vivre dans une société marquée par l’abondance financière, la flexibilité économique et l’évasion fiscale. C’est en fait la face hideuse de la mondialisation, nouveau dogme de la libre entreprise, avec son cortège de chômage, d’exclusion, de corruption, en un mot tous les ingrédients qui gangrènent la vie politique, sapent les fondements des puissances grandes et petites et font planer le risque de perversion des grandes et vieilles démocraties. Sur les 57 paradis fiscaux ou pays à NEO aberrants recensés à travers le monde, 38 enclaves présentent cette singulière caractéristique de ne pas disposer, ou de ne pas rendre disponible, de données chiffrées sur leurs dépôts bancaires étrangers.

Parmi ces enclaves, citons Aruba, ancienne dépendance néerlandaise des Caraïbes jusqu’en 1996 et l’île malaisienne de Labuan dans le Pacifique qui abrite tout de même 21 banques et onze “trust companies”. Généralement situés à proximité des zones du narcotrafic mondial, les pays NEO sont ainsi appelés car ils disposent dans leur balance de paiement d’une rubrique NEO ((Net Errors and omissions) qui permet par un artifice comptable, en prétextant les erreurs statistiques résultant des désordres administratifs, de dissimuler le grave dysfonctionnement de leur commerce

Mais s’il est sain de dénoncer les périls extérieurs, il serait tout aussi salubre de dénoncer aussi ses propres périls intérieurs : Trafic de drogue, trafic d’armes, prostitution, jeux clandestins, racket constituent les principales sources de capitaux illicites et ces divers trafics, parfois tolérés sinon encouragés par les états, génèrent annuellement mille cinq cent milliards de dollars (1.500 milliards), soit le budget des 20 pays de la Ligue arabe. Ce que manque souvent de faire les états occidentaux uniquement obnubilés pour le moment par le « terrorisme islamique ». Le plus cocasse dans cette affaire est que les fonds souverains, bien que musulmans en ce qui concerne ceux des pétro-monarchies, n’ont pas hésité à voler au secours de grands établissements américains en difficulté lors de la crise des subprimes, sans que les bénéficiaires des prêts aient manifesté la moindre réticence à leur égard.

VII- La contradiction majeure du capitalisme occidental : de l’Ultralibéralisme, au patriotisme économique, au protectionnisme financier, à l’interventionnisme étatique.

L’engouement pour les Fonds Souverains a été aussi soudain qu’étonnant. Le phénomène ne saurait s’expliquer par leur nouveauté puisque ces investisseurs institutionnels existent depuis trente ans, mais par la nécessité de provisionner de prestigieux établissements en difficulté du fait d’une gestion hasardeuse. Toutefois l’admission des Fonds s’est faite comme à contre cœur, -contre mauvaise fortune bon cœur-, conséquence de l’évolution des rapports de force au sein des grands opérateurs financiers, notamment l’affaiblissement des Etats-Unis dont le pouvoir est désormais relatif dans la gestion des affaires du Monde et non plus absolu comme ce fut le cas durant la décennie 1990-2000, une période où ils régnaient en « Maîtres du Monde » du nouvel ordre international consécutif à l’effondrement du bloc soviétique.

Spectaculaire mais non triomphale, l’entrée des Fonds Souverains au sein du cénacle de la finance internationale ne se fait pas par la grande porte, mais par la porte cochère, sous les fourches caudines des grands maîtres des affaires. Les conditions imposées à la Chine pour son entrée dans le capital de Blackstone, l’éviction de l’Emirat de Doubaï dans la gestion des ports américains, le discret montage réalisé par la France pour disposer d’une minorité de blocage au sein des Chantiers de l’Atlantique en témoignent (8). Curieusement ces préventions et restrictions ne s’appliquent pas aux fonds de la sphère occidentale. Ainsi le conglomérat norvégien GPFG dispose d’une gamme de 4000 sociétés pour ses interventions sur le marché financier mondial, sans la moindre contrainte autre que les lois du marché et de la libre concurrence.

Le comportement frileux tant des Américains que des Européens a révélé, par contrecoup, l’inanité des grands principes que les Occidentaux ont forgés pour assurer leur domination économique mondiale. Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, le principe de la Liberté de navigation, à l’origine de l’expansion occidentale, sont désormais brandis par les pays du Sud pour conquérir les marchés des grands pays industrialisés, lesquels sont condamnés à livrer, à coups d’arguments protectionnistes (la protection de l’emploi, la stabilité du tissu social), un combat d’arrière-garde pour contenir cette poussée.

Ni les Européens ni les Américains n’avaient ce genre de préoccupations lorsqu’il s’agissait par la colonisation (forme primitive de délocalisation), de conquérir physiquement les marchés extérieurs pour en faire des marchés captifs, en contraignant les populations autochtones à adopter le mode de vie et les habitudes de consommation des pays occidentaux. Pour rappel : La guerre de l’opium menée par les Anglais contre la Chine au XIX me siècle, pour l’obliger à s’ouvrir aux produits anglais, avait été précisément menée à l’époque au nom du principe de la liberté et du commerce, avec son habillage moral « le fardeau de l’homme blanc » porteur de la civilisation face à la barbarie des peuples basanés.

Le basculement stratégique de la géo-économie mondiale s’est répercuté sur le plan diplomatique avec, pour la première fois dans les annales diplomatiques internationales, un sommet sino-africain à Pékin, en janvier 2007, et, un autre sommet Inde-Afrique dépassant le clivage traditionnel entre pays anglophones (Commonwealth) et francophones (Organisation de la francophonie), concrétisant la percée majeure effectuée tant sur le plan diplomatique qu’économique par la Chine et l’Inde dans l’ancienne chasse gardée des anciennes puissances coloniales européennes. Ce basculement s’est accompagné sur le plan médiatique, par la rupture du monopole du récit médiatique détenu par les occidentaux depuis l’invention de la communication moderne. Pour la première fois dans l’histoire, le monopole du récit médiatique longtemps la propriété exclusive des pays occidentaux est battu en brèche par les pays du sud.

La chaîne transfrontalière arabe Al-Jazira, leader incontesté de l’information dans la sphère arabo-musulmane, a accentué sa suprématie avec le lancement en novembre 2006 d’une chaîne anglophone dans l’espace anglo-saxon, en vue de se placer à l’égal des grandes chaînes occidentales. Il en ressort de ce double constat que le monopole de la décision stratégique, récupéré depuis l’effondrement du bloc soviétique par le noyau atlantiste -la fameuse communauté internationale constituée essentiellement des Etats-Unis, de l’Union européenne et leurs alliés anglo-saxons Canada et Australie-, pourrait céder la place, dans un avenir prévisible, à un nouveau multilatéralisme ou encore à un « monde apolaire »

Des voix, de plus en plus nombreuses, s’élèvent pour aménager une meilleure représentativité des divers continents dans les forums internationaux, notamment le Conseil de sécurité de l’ONU où l’Alliance atlantique est représentée par trois sièges avec Droit de veto (Etats-Unis, France, Royaume Uni) , alors que l’Asie, qui représente la moitié de la population de la planète et trois puissances nucléaires (Chine, Inde, Pakistan), n’est représentée que par un seul siège et que le monde musulman, gros détenteurs de capitaux pétroliers, et l’Afrique, gros détenteurs de réserves de matières premières, de même que l’Amérique latine n’ont pas voix au chapitre

VIII- Le message subliminal des pays occidentaux au reste du Monde : Oui aux capitaux exotiques, non à l’immigration basanée

Ce changement s’est aussi accompagné, paradoxalement, de la multiplication des mesures restrictives à caractère protectionniste au sein des pays occidentaux en contradiction avec la philosophie de la Mondialisation. Il en est ainsi de l’édification d’un mur de séparation à la Frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et du dispositif présenté par la France pour tarir l’immigration au sein de l’Union européenne (plan Hortefeux) et de la controverse à propos de la « sharia compliance ». Tout se passe comme si le message subliminal des pays occidentaux au reste du monde se résumait en cette formule : Oui aux capitaux exotiques, non à l’immigration basanée.

La Finance islamique est estimée à 750 milliards de dollars (473 milliards d’euros) et atteindrait mille milliards de dollars en 2010, selon les estimations de la Kuwait Finance House, la plus grande banque d’investissement dans les pays du Golfe (9). Le Center for Security Policy, organisme réputé de lobby international, a lancé une intense campagne visant à dissuader les institutions internationales de recourir à la législation islamique pour la gestion de ces fonds, pointant du doigt leur origine géographique, en clair la sphère musulmane. Le CSP avait mené une victorieuse campagne en faveur de Boeing contre Airbus dans le contrat visant à la fourniture à l’armée de l’air américaine des 179 avions ravitailleurs de nouvelle génération, un marché de 35 milliards de dollars.

Faisant droit aux revendications de Boeing soutenu par le Center For Security Policy, la Cour des comptes des Etats-Unis (GOP) a ainsi appuyé le 18 juin 2008 le recours de Boeing contre la désignation de Northrop Grumman et son partenaire européen EADS. La charge du Center for Security policy, qui amalgame sans doute volontairement, Finance islamique et Islam radical, constitue-t-elle un combat d’arrière-garde ou, au contraire, augure-t-elle d’une nouvelle croisade contre un nouvel axe du mal, financier celui là ? Certains commentateurs n’hésitent pas à comparer cette nouvelle bataille à la guerre froide culturelle menée par la CIA contre l’idéologie communiste à l’époque de la rivalité soviéto-américaine (1945-1990), et, en procédant à un amalgame entre Finance islamique et Islam radical, à récupérer les sommes faramineuses des fonds souverains tout en les gérant à l’américaine pour préserver un modèle économique et sociétal ainsi qu’un savoir-faire financier conforme au schéma américain.

Le Center for Security Policy fait partie de la kyrielle d’organisations gravitant autour de l’AIPACC, la principale formation du lobby juif aux Etats-Unis. Proche du Likoud, droite israélienne, il participe d’une trilogie qui a propulsé la thématique du péril islamique dans le discours officiel politique et médiatique américain comme substitut au « péril rouge » à la suite de l’effondrement du bloc communiste. Les deux autres formations sont le WINEP (Washington Institute For Near Policy) et le JINSA (Jewish Intitute For National Security). Vingt deux membres de ses formations font partie des cercles dirigeants de l’administration Buh jr : Richard Cheney, vice-président, John Bolton, ancien ambassadeur à l’ONU, et Douglas Feith, ancien sous secrétaire à la défense, pour JINSA, Paul Wolfowitz, Président de la Banque Mondiale, Richard Perle, ancien sous secrétaire à la défense pour WINEP, l’influente organisation présidée par Martin Indyk, américano-australien, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Israël (10).

Relayant leurs thèses, l’ancien secrétaire d’Etat Henry Kissinger a préconisé la constitution d’un cartel des pays industrialisés face aux pays producteurs de pétrole afin de juguler la hausse des prix du brut… comme si le G7 n’avait pas la maîtrise des principaux rouages de l’économie mondiale. Jugée malvenue au moment où la faillite bancaire américaine avait atteint un seuil excédant la totalité de la dette publique des cinquante pays d’Afrique, la déclaration Kissinger, rapportée par le Herald Tribune le 20 septembre dernier, a suscité un véritable tollé au sein des pays du tiers monde particulièrement agacés par le rôle prescripteur que s’arrogent les Etats-Unis dans leur prétention à régenter le Monde et à le sinistrer du fait de la cupidité de leurs opérateurs financiers et l’égotisme de leurs politologues.

Survenant dans la foulée de la mise en route du processus de neutralisation à distance de la balistique iranienne avec la signature du pacte de déploiement de missiles intercepteurs en Pologne, en Tchéquie et en Israël à la faveur du conflit de Géorgie, en Août 2008, la déclaration Kissinger a placé le Golfe arabo-persique sous vive tension et les alliés américains de la zone sur la défensive. Les pétromonarchies qui ont volé au secours de l’économie américaine dans un premier temps, ont depuis lors reconsidéré leur position percevant l’appel à la constitution d’un cartel anti-OPEP comme une forme de chantage déguisé, privilégiant désormais, en une sorte de réplique oblique, les placements sur les marchés asiatiques.

Le coût réel de la crise immobilière 2007-2008 dans toutes ses segmentations (banque, assurance et immobilier, industrie) et connexions géographiques (Europe, Asie, Amérique) est estimé à mille cinq cent milliards de dollars (1.500) que l’administration néo conservatrice américaine s’est appliquée à juguler à la fin du mandat de George Bush afin que le désastre économique de son hyper libéralisme ne grève un bilan militaire affligeant, faisant de George Bush le pire président des Etats-Unis de l’histoire contemporaine.

Nullement découragé par une première rebuffade qui augure mal de sa place dans l’histoire, George Bush Jr s’est en effet employé à injecter, début octobre, à un mois de la fin de son mandat, 700 milliards de dollars (500 milliards d’euros), pour le rachat des titres problématiques, un plan qui s’ajoute au renflouement des entreprises défaillantes, précédemment décidés (200 milliards de dollars pour les géants du prêt immobilier Fannie Mae et Freddie Mac et 85 milliards pour le colosse de l’assurance AIG). Près de mille milliards de dollars devront au total sortir de la poche du contribuable américain pour éponger les mauvaises dettes des institutions financière dans ce qui apparaît comme étant la plus grosse intervention gouvernementale depuis la Grande Dépression des années 1930.

Le sauvetage des établissements de crédit, au mépris des règles de l’orthodoxie libérale, justifiée certes par l’état de l’économie américaine, constitue une trahison de la doctrine Bush, à proprement parler un reniement qui retentit comme un camouflet. Mais la plus grande crise économique de l’époque contemporaine a confirmé, par là même, l’hypocrisie du dogme de la libre entreprise, qui se révèle être, en fin de compte, un principe sélectif et élitiste de l’interventionnisme de l’état visant exclusivement à « privatiser les gains et à socialiser les pertes », c’est-à-dire à faire supporter les pertes des spéculateurs capitalistes par la collectivité nationale des contribuables.

Il n’est pas indifférent de noter à ce propos le comportement contradictoire de Nicolas Sarkozy, un boulimique de la réglementation à tout crin qui se révèle être d’une étonnante pudeur face à la pratique des « parachutes dorés », préférant confier au MEDEF, le soin de réglementer la pratique de « super bonus » que la corporation du patronat français s’octroie à elle même. Au lecteur de prolonger sa réflexion sur ce point par de salutaires méditations sur les fondements moraux du corpus doctrinal des principes universels qui gouvernent le monde sous le leadership occidental depuis des siècles.

Quoiqu’il en soit, le constat est irréfutable : l’injection massive des capitaux de renflouage en provenance des états concurrents et non amis des économies occidentales (Chine, Inde et Japon pour l’Asie ainsi que la Russie et le Moyen-orient) aura marqué « peut être le début de la fin de l’empire américain », selon le constat dressé par Nouriel Roubini, professeur d’économie à l’Université de New York (11) et, à défaut d’une « guerre décisive », c’est-à-dire une guerre qui modifierait radicalement la donne à l’exemple de la défaite napoléonienne de Waterloo (1815) ou de la vitrification nucléaire de Hiroshima et Nagasaki (Japon, Août 1945), selon la définition de l’inventeur de ce concept, le théoricien de la stratégie moderne, Carl Von Clausewitz, les avatars militaires des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak et la faillite du néo-capitalisme de l’ère post-soviétique signent, en toute hypothèse, la fin de cinq siècles de domination absolue de l’Occident sur le reste de la planète.

Références :

1- Selon le Pentagone, 527 milliards de dollars ont été alloués, de septembre 2001 à fin décembre 2007, à la “guerre contre le terrorisme”, dont 406 milliards à la guerre en Irak. D’après un rapport du Bureau du budget du Congrès publié en octobre 2007, auquel se réfère le journal Le Monde en date du 18 juin, le Congrès a déjà autorisé. 602 milliards de dollars de dépenses pour les opérations militaires en Irak et en Afghanistan, dont 70 % pour l’Irak seul. Le budget américain consacré à la défense représente environ 4,2 % du PIB (cf Le journal le Monde en date du 18 juin 2008)

2-cf« Non aux scénarios catastrophes » in Le Monde du 21 Mars 2008 par Eric le Boucher et Le Monde du 8 avril 2008.

3-Rapport sur l’investissement dans le Monde 2007 de la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), cf supplément Le Monde Economie, dossier matières premières 16 septembre 2008

4- cf « La République Démocratique du Congo tente d’empêcher le pillage de ses ressources : Manœuvres spéculatives dans un Katanga en pleine reconstruction », Colette Braeckmann in « Le Monde diplomatique » juillet 2008 ainsi que l’étude de Raf Custers, chercheur à l’International Peace Information Service (IPIS) d’Anvers-Belgique, « l’Afrique révise ses contrats miniers » paru dans le même périodique français à la même date.

5- Les principaux fonds d’investissements souverains, selon le classement établi par la Deutsche Bank en septembre 2007 1 - EMIRATS ARABES UNIS : Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), 875 milliards de dollars (594 milliards de dollars d’euros), créé en 1976. 2 - SINGAPOUR : Government of Singapore Investment Corporation (GIC), 330 milliards de dollars, a été créé en 1981. 3 - NORVÈGE : Government Pension Fund Global (GPFG), 322 milliards de dollars, créé en 1990. 4 - ARABIE SAOUDITE:divers fonds, pour 300 milliards de dollars. 5 - KOWEIT : Kuwait Investment Authority (KIA), 250 milliards de dollars, créé en 1953. 6 - CHINE : China Investment Company Ltd (CIC), 200 milliards de dollars, créé en 2007. Autres fonds souverains, (capitaux sous mandat en milliards de dollars) Russie (141), Qatar (50), Australie (49), Algérie (43) Etats-Unis (40), Brunei (30), Corée du Sud (20), Kazakhstan (19), Malaisie (18), Venezuela (16) … pour un montant total de 2.123 milliards de dollars

6) cf Libération 16 juin 2008 « Le français Cegelec pourrait tomber dans le giron du Qatar » par CATHERINE MAUSSION : Cegelec compte 26 000 salariés, présents dans une trentaine de pays, et affiche 3 milliards d’euros de chiffres d’affaires, soit juste un petit milliard de moins que la médiatique Alcatel, son ancienne maison mère. Née en 1913 et baptisée de son patronyme actuel en 1989, acquise par Alcatel puis par Alsthom (1998), il sera cédé en 2001, à deux fonds : CDC Entreprises, filiale de la Caisse des dépôts et le britannique Charterhouse. Le montant de la transaction Qatar-Cegelec tourne autour de 1,6 milliards de dollars.

7)- cf le Monde 14 juin 2006 : Le nouveau recyclage des pétrodollars par Eric le Boucher

8)-Le gouvernement français a décidé d’acheter 9% du capital des chantiers Aker Yards de Saint-Nazaire, plus connus sous leur nom d’origine des Chantiers de l’Atlantique, dans le but de constituer « une minorité de blocage », en commun avec Alsthom qui possède lui, 25% de Aker Yards France. L’objectif est double : éviter une délocalisation de l’unique joyau dans la construction navale française et empêcher que le groupe coréen, STX, qui contrôle 40% de la maison mère norvégienne Aker Yards, ne vienne dépecer les chantiers français et délocaliser la charge de travail vers l’Asie. L’opération a été annoncée par un communiqué de l’Elysée sans aviser la direction d’Aker Yards en Norvège. Comme si traiter avec un actionnaire qui n’a que 40% du capital dispensait de négocier avec le patron opérationnel. Cf à ce propos « la participation de l’Etat Sarkozy, chef de chantier…naval Par Hervé Nathan, rédacteur en chef de Marianne 2 -16 juin 2008.

9- « Le Halal en quête d’une norme industrielle », par Carla Power, Cf Courrier International N°925 du 24 au 31 juillet 2008

10- « Des avocats influents pour la cause d’Israël », par Joel Beinin, politologue américain, cf le supplément bimestriel du Monde diplomatique « Manière de Voir » N° 101 « Demain l’Amérique » –Octobre Novembre 2008

11-« Nouriel Roubini, l’économiste qui a prévu la crise » de Stephen Mihn (New York Times) repris dans Le Courrier International N° 933- 14-24septembre 2008

Source : renenaba.blog.fr

vendredi, 10 octobre 2008

Budapest: la NATO a convegno per le strategie del futuro

Budapest: la Nato a convegno per le strategie del futuro

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Venerdi 10 Ottobre 2008 – 12:45 – Andrea Perrone - http://www.rinascita.info stampa

Budapest: la Nato a convegno per le strategie del futuro


La Nato prepara le sue nuove strategie a Budapest e chiede più soldi e militari ai Paesi membri, nonostante una crisi finanziaria che attanaglia tutte le economie nazionali. L’agenda del vertice prevede alcune trasformazioni dell’Alleanza Atlantica, per renderla adatta alle tattiche imperialiste del XXI secolo, e l’andamento delle operazioni dei soldati Nato dislocati in Afghanistan (Isaf) e Kosovo (Kfor). È inoltre prevista, per la prima volta a livello ministeriale, una sessione di lavoro della Commissione Nato-Georgia, costituita nello scorso mese di settembre.
Prima dell’apertura del vertice il capo dello Stato ungherese, Laszlo Solyom, e il primo ministro magiaro, Ferenc Gyurcsany, hanno avuto dei colloqui con il segretario generale della Nato, Jaap de Hoop Scheffer. Oltre a lui l’attuale capo dell’esecutivo ungherese ha incontrato anche il segretario della Difesa Usa, Robert Gates. Al centro dell’incontro fra i ministri della Difesa soprattutto la difficile situazione in Afghanistan, dove le forze Nato si trovano sempre più impantanate in una guerra senza uscita e dall’esito imprevedibile. Nei giorni scorsi Gates aveva chiesto agli alleati un aumento delle truppe, in vista delle elezioni presidenziali afgane nel 2009. A dividere la Nato era stata la richiesta, da parte di Stati uniti, Gran Bretagna e Canada, di estendere i poteri dei militari impegnati in Afghanistan per combattere il traffico di oppio, i cui profitti servirebbero – secondo loro – a finanziare i combattenti talibani. A questo progetto si sono opposte Spagna, Germania e Italia, poiché temono dei rischi aggiuntivi per i soldati Isaf e per la popolazione civile, che potrebbe essere coinvolta nelle operazioni contro il narcotraffico.
A chiarire meglio gli obiettivi della Nato è apparsa un’intervista rilasciata al quotidiano magiaro, Nepszabadsag, del segretario dell’Alleanza Atlantica, il quale non ha mancato di sottolineare che la Nato ha di fronte a sé delle “tremende sfide”, e a loro volta i membri dell’organizzazione devono prepararsi a condividere maggiormente i valori comuni per la difesa, nonché gli sforzi per modernizzare l’Alleanza.
“Abbiamo la necessità di creare una Nato per il XXI secolo, che è costosa ma rappresenta un processo inevitabile”, ha puntualizzato il segretario. Sono proseguiti poi gli scenari funesti che solitamente costituiscono i piani dell’organizzazione militare di Washington e il segretario della Nato ha osservato che è necessario “fare di più, non solo aumentando le spese militari, ma anche sviluppando l’efficienza delle forze”. Ossia nuove guerre per difendere e mantenere gli interessi dell’impero a stelle e strisce in tutto il mondo. “La crisi finanziaria globale premerà certamente sui bilanci nazionali, ma noi dobbiamo difendere i nostri valori congiunti e prepararci ad affrontare le sfide”, non ha mancato di aggiungere Scheffer, secondo il quale l’Alleanza dovrà essere presente per molti anni in Afghanistan. Più sfumati sono stati poi gli attacchi contro la Federazione russa, tanto che il segretario dell’Alleanza ha fatto marcia indietro rispetto alle dichiarazioni delle settimane scorse, affermando che Georgia e Ucraina non sono ancora pronte per entrare nella Nato: “Il summit di Bucarest ha già stabilito che saranno invitati in futuro. Non so quando”. Una minaccia soltanto procrastinata visto che il controllo dell’area contigua ai confini della Federazione continua ad essere uno degli argomenti preferiti dell’Alleanza Atlantica e degli Usa.

mercredi, 08 octobre 2008

Het gele gevaar

Het Gele Gevaar

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lundi, 06 octobre 2008

Europe: terre d'empires?

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Europe: terre d'empires?

 

Dans le numéro 14 de notre bulletin, je lisais avec satisfaction une étude, assez longue, de notre ami Lucien Favre, intitulée «Géopolitique, Politique étrangère, sécurité et défense en Eurasie». L'auteur a là une démarche tout-à-fait “synergétiste”: il guide notre réflexion sur les points essentiels de la future puis­sance que nous souhaiterions devenir. Mais l'audace de sa démonstration se fonde, on l'aura senti en la lisant, sur l'usage affirmé du terme “Eurasie”. Mis à part quelques spécialistes de l'histoire diplomatique, quelques officiers des services spéciaux, quelques slavistes qui connaissent le vieux rêve “eurasiste” de certains philosophes, écrivains et publicistes russes, personne, en Occident, ni dans les médias qui ne racontent plus rien d'essentiel, ni a fortiori dans le vaste public, n'est capable de définir correctement cette notion. Ce flou recèle bien des dangers. Ce qui nous oblige à prendre des précautions. Afin qu'il ne soit pas utilisé n'importe comment, ressassé comme une incantation ou une formule magique, comme le prisent les sectaires et les angoissés qui cherchent à tout prix des prétextes pour se rendre intéressants et pour attirer sur eux l'attention de quelques pâles journalistes manipulés et foireux, en mal de copies et désireux de découvrir un nouveau “Grand Satan”.

 

En effet, le mouvement SYNERGIES EUROPÉENNES n'a nullement l'intention de fabriquer un ersatz de romantisme, de manier un leitmotiv pour choquer le public et le prendre à rebrousse-poil. Un séminaire de SYNERGIES décidera cet hiver de l'usage que nous ferons du terme “Eurasie” dans nos discours à con­notations géopolitiques.

 

D'ores et déjà, nous orienterons nos réflexions sur les faisceaux de faits suivants:

 

* Le terme Eurasie est une notion géographique désignant les terres sibériennes, nord-asiatiques et centre-asiatiques où la Russie a exercé sa souveraineté, qui ont été peuplées de Russes. Et où la Russie est sciemment revenue, par la force des armes et par l'audace de ses cosaques, sur des territoires qui avaient été indo-européanisés à un moment ou un autre de l'histoire (Scythes, Parthes, Sakhes, Pré-Indiens, Tokhariens, etc.). La Russie a été la puissance mo­derne qui a sécurisée ces terres, afin qu'elles ne servent plus de tremplin aux invasions turco-mongoles. Personne en Europe n'a d'ailleurs intérêt à ce que cet espace redevienne la zone de rassemblement d'adversaires de notre famille de peuples.

 

* Il existe une institution internationale, garante de l'application des “droits de l'Homme”, qui couvre tout le territoire de l'Eurasie, c'est-à-dire de l'Europe et de l'ancienne URSS: c'est l'OSCE. Il convient de ren­for­cer prioritairement cette institution. François Mitterrand et Jacques Attali avaient naguère appelé de leurs vœux un espace de paix dans cette très vaste région du monde. Attali parlait plus exactement de «Marché Commun Continental» (MCC). Même si leurs visions n'ont pas été suivies d'effets, à cause d'événements comme ceux de Tchétchénie ou du Tadjikistan, il convient de revenir sur leurs discours, de les dépouiller des niaiseries idéologiques qu'ils ont été obligé de prononcer, political correctness oblige et parce qu'ils n'ont pas eu le courage de briser la dictature des médias, de dénoncer leur travail de manipu­lation au profit de la seule superpuissance subsistante. Tout cela pour dire que les spéculations sur l'Eurasie ne sont pas le seul fait de groupuscules “extrémistes”, comme aiment à le faire accroire les con­servateurs atlantistes et les petits journalistes médiocres qui leur servent de relais. L'«Eurasisme» préoccupe les chanceleries. Tout autant que nous.

 

* Récemment, les Presses universitaires d'Oxford en Angleterre ont sorti ou ressorti les ouvrages de l'historien britannique Peter Hopkirk sur le travail incessant des services secrets de tous les pays pour contrôler les masses continentales centre-asiatiques. Russes, Allemands, Japonais, Turcs et Britanniques ont, au moment de la révolution bolchevique, tenté de se rendre maîtres de l'espace turco­phone et des espaces immédiatement adjacents. Les prodigieuses aventures de Ungern-Sternberg, d'Enver Pacha, de Wilhelm Wassmuss, de von Niedermayer, de MacDonnell, etc. hantent toujours les imaginations, depuis John Buchan (Greenmantle)  jusqu'au livre de Jean Mabire sur Ungern-Sternberg. Les puissances ont toujours voulu se rendre maîtresses de la “Route de la Soie”: lors de l'effondrement de l'Empire tsariste, elles ont joué ce que Hopkirk nomme le “Grand Jeu”, afin de s'emparer de cette zone stratégique de première importance. Avec l'effondrement de l'URSS, le “Grand Jeu” peut à nouveau se jouer et bien fol serait celui qui refuserait d'en prendre acte et de tenter d'y avancer ses pions. Inutile de vous dire que les livres de Hopkirk retiendront toute notre attention.

 

* Enfin, comme cette “Route de la Soie” traverse un territoire musulman, les puissances qui tentent de la contrôler, jouent forcément une “carte musulmane”, développent un “discours islamophile”. Dans un tel contexte, une islamologie, fondée sur un sens aigu de la Realpolitik et des impératifs géopolitiques, est indispensable. Et doit impérativement se démarquer de cette islamophilie marginale, maniée par des ser­vices spéciaux tentant de compléter leurs fiches, de repérer les fanatiques niais capables de commettre n'importe quelles bavures et de recruter, si besoin s'en faut, des poseurs de plastic, afin de démontrer aux yeux des masses, qui ignorent tout du “Grand Jeu”, que le Diable est parmi eux. SYNERGIES EUROPÉENNES sera donc très attentive au dis­cours du ministre allemand des affaires étrangères, Klaus Kinkel (cf. Der Spiegel, 45/1995), qui entend développer un “dialogue critique” avec l'Iran et les autres puissances islamiques. Cette notion de “dialogue critique” s'ancre bien dans la logique de l'OSCE et vise à jouer le “Grand Jeu” en gardant la tête froide, en refusant certains a priori idéologiques, en respectant les convictions religieuses des peuples concernés, en apaisant les passions vectrices de chaos. Toute politique de discussion avec l'une ou l'autre puissance musulmane, dont l'Iran, doit s'inscrire dans un cadre aussi rigoureusement dé­fini que celui que nous propose Kinkel, tenir compte de cette institution qu'est l'OSCE. Les politiques de boycott absolu sont des gamineries politiques et géopolitiques, au même titre que tous les discours issus de l'éthique de la conviction, contraire diamétral de l'éthique de la res­ponsabilité. Et tant pis pour les puissances européennes qui n'ont pas la maturité de pratiquer un “dialogue critique”. Elle rateront le train de l'histoire. Et imploseront lamentablement en croyant détenir une vérité, “rationnelle” et “politiquement correcte”.

 

Dans le cadre de SYNERGIES, deux questions se posent: l'Eurasie est-elle une terre européenne et asiatique, est-elle plus vraisemblablement une terre d'Europe incluant la partie asiatique de la Russie, au­quel cas il faudrait parler d'Empire Eurasien? On sent très bien que deux écoles coexistent dans le réseau SYNERGIES: Pour l'une, il n'est pas de bloc européen qui n'incluerait à la fois son Occident et son Orient, de Reykjavik à Vladivostok. L'autre estime que les différences, à tous niveaux, sont telles entre l'Orient et l'Occident de ce vaste espace, qu'elles excluent un avenir maîtrisé conjointement et préfère envisager un continent “bicéphale”, régi par deux blocs impériaux, l'un européen, l'autre russe/eurasiatique, liés en­semble par d'étroits accords culturels, défensifs et économiques.

 

Quoi qu'il en soit, pour tous les “synergétistes”, une chose est certaine: notre avenir réside dans la cons­titution et la consolidation d'un bloc aux dimensions impériales, mais organisé par des structures fédé­rales, maintenant les identités comme ciment cohésif des sociétés, et vivifié par une paedia insufflant des valeurs fortes, garantes de l'indépendance et de la puissance du bloc politique. Ces propositions sont toutes réalisables dans une OSCE, débarrassée des discours larmoyants et obsolètes de l'idéologie soft. Car toujours nous maintiendrons les deux dimensions de notre programme: IMPÉRIUM et SUBSIDIARITÉ.

 

Gilbert SINCYR.

K. Radzimanowski over geopolitiek in Europa

Kersten Radzimanowski over geopolitiek in Europa

“Duitsland is door de NAVO, die door de USA gedomineerd wordt, in steeds sterkere mate van vazal tot knechtje van de Amerikanen verworden. In deze evolutie en dit verbond kan ik niet in de geringste mate iets positiefs zien. Het is duidelijk te zien, met welke zware druk de USA proberen om de opname van Georgië in de NAVO erdoor te drukken, om zo met het breekijzer haar belangen in de regio veilig te stellen. Nadat president Saakaschvili met zijn militaire offensief een fiasco leed, is het geween bij de USA en NAVO groot. (…) In de EU zijn het vooral Oost-Europese staten zoals Polen, maar ook Groot-Brittannië, Denemarken en Nederland die meer in de USA dan in het continentale Europa geïnteresseerd lijken. Dat is hun goed recht, maar dan moeten de basisfundamenten van de EU veranderd worden in een meer losse Statengemeenschap. Met een land als Groot-Brittannië of Polen die deelneemt aan een agressieoorlog aan de zijde van de USA, tegen het volkenrecht in, kan ik niet de zoveel geprezen waardegemeenschap erkennen.”

Dr. Kersten Radzimanowski, voormalig DDR-staatssecretaris voor Buitenlandse zaken, voormalig CDU-politicus, vandaag NPD-militant. Bron: Deutsche Stimme, sep. 2008, p.3

Het citaat toont de grote geopolitieke kwestie voor Europa aan het begin van de 21ste eeuw duidelijk aan: welk Europa willen wij? Een Atlantisch slaafje van de USA dat ons meesleurt in imperialisme om de Amerikaans-kapitalistische en zionistische belangen veilig te stellen, en daarbij Europeanen als kanonnenvlees gebruikt? Of een continentaal sterk Europa dat zelfstandig zijn eigen belangen kan verdedigen? N-SA kiest onomwonden voor het laatste. Als “Groot-Nederland” betekent dat wij nog meer in de Angelsaksische, Atlantische invloedssfeer terechtkomen, dan kan dit Groot-Nederland à la Geert Wilders maar beter oplossen in het zoute Noordzeewater.

A. Labrousse: Géopolitique des drogues

Ecole des Cadres de Synergies Européennes - Wallonie - Namur - Octobre 2008

A lire:

Géopolitique des drogues

Alain Labrousse

Paru le: 10/06/2004 (nouvelle édition 2008)
Editeur : PUF
Collection : Que sais-je ?
ISBN : 2-13-054186-0
EAN : 9782130541868
Nb. de pages : 126 pages
La prévention de l'usage des drogues et la lutte contre leur trafic international doivent être replacées dans le contexte plus vaste de la géopolitique. Gouvernements, groupes insurgés ou organisations criminelles et terroristes se disputent les ressources des zones de culture du pavot, de la coca et du cannabis, ainsi que les routes d'acheminement des substances illicites auxquelles se sont ajoutées les drogues de synthèse. Ce livre offre les clés pour déchiffrer ces enjeux économiques et stratégiques et pour comprendre comment " la guerre à la drogue " est elle-même devenue un instrument au service de politiques à visée sécuritaires, commerciales ou expansionnistes.
ORIGINE ET DIFFUSIONS DES PRODUCTIONS ILLICITES DANS LE MONDE
  • La coca en Amérique latine : des colonies espagnoles à l'Empire américain
  • Les opiacés en Asie du Sud-Est
  • La géopolitique internationale du Croissant d'or
  • Les dérivés du cannabis : des productions entièrement réparties dans le monde
  • Les drogues de synthèse : des enjeux contrastés
  • Profits de la drogue et blanchiment
MAFIAS DE LA DROGUE ET CORRUPTION DU POLITIQUE
  • Des mafias " contre " l'État
  • Des mafias dans l'État
  • Des mafias parasites de l'État
  • Des mafias auxiliaires de l'État
  • Des mafias sans État
DROGUES ET CONFLITS
  • Prohibition et guerre froide
  • Modélisation du financement des conflits par la drogue
  • Niveaux d'articulation entre drogues et conflits
  • Criminalisation des acteurs
  • Drogue et terrorisme
LE RAPPORT A LA DROGUE DES FARC ET DES TALIBAN
  • Conflits et production de drogues
  • Les origines des drogues en Colombie et en Afghanistan
  • Pratiques face aux cultures illicites
  • Discours face aux cultures illicites
  • Le développement alternatif : du projet à la réalisation
  • L'engrenage de l'implication dans le trafic
  • Montant des profits tirés de la drogue par les FARC et les taliban
  • Un modèle des relations entre groupes armés et drogue ?

 

dimanche, 05 octobre 2008

La diplomatie de Staline

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Robert Steuckers:

 

La diplomatie de Staline

 

L'histoire de notre siècle est enseignée du point de vue américain. Il en va ainsi de la seconde guerre mondiale, de la Guerre Froide et de la Guerre du Golfe. Dans l'optique américaine, le XXième siècle est le “siècle américain”, où doit s'instaurer et se maintenir un ordre mondial conforme aux intérêts américains, qui est simultanément la “fin de l'histoire”, le terminus de l'aventure humaine, la synthèse définitive de la dialectique de l'histoire. Francis Fukuyama, à la veille de la guerre du Golfe, affirmait qu'avec la chute du Rideau de fer et la fin de l'“hégélianisme de gauche” que représentait l'URSS, un seul modèle, celui du libé­ralisme américain, allait subsister pour les siècles des siècles. Sans que plus un seul challengeur ne se pointe à l'horizon. D'où la mission américaine était de réagir rapidement, en mobilisant le maximum de moyens, contre toute velleité de construire un ordre politique alternatif.

 

Quelques années avant Fukuyama, un auteur germano-américain, Theodore H. von Laue, prétendait que la seule véritable révolution dans le monde et dans l'histoire était celle de l'occidentalisation et que toutes les révolutions politiques non occidentalistes, tous les régimes basés sur d'autres principes que ceux en vogue en Amérique, étaient des reliquats du passé, que seuls pouvaient aduler des réactionnaires per­vers que la puissance américaine, économique et militaire, allait allègrement balayer pour faire place nette à un hyper-libéralisme de mouture anglo-saxonne, débarrassé de tout concurrent.

 

Si l'hitlérisme est généralement considéré comme une force réactionnaire perverse que l'Amérique a con­tribué à éliminer d'Europe, on connaît moins les raisons qui ont poussé Truman et les protagonistes atlan­tistes de la Guerre Froide à lutter contre le stalinisme et à en faire également un croquemitaine idéolo­gique, considéré explicitement par von Laue comme “réactionnaire” en dépit de son étiquette “pro­gres­siste”. Cette ambiguïté envers Staline s'explique par l'alliance américano-soviétique pendant la seconde guerre mondiale, où Staline était sympathiquement surnommé “Uncle Joe”. Pourtant, depuis quelques années, de nombreux historiens révisent intelligemment les poncifs que quarante-cinq ans d'atlantisme forcené ont véhiculé dans nos médias et nos livres d'histoire. L'Allemand Dirk Bavendamm a démontré dans deux ouvrages méticuleux et précis quelles étaient les responsabilités de Roosevelt dans le déclen­che­ment des conflits américano-japonais et américano-allemand et aussi quelle était la duplicité du Président américain à l'égard de ses alliés russes. Valentin Faline, ancien ambassadeur d'URSS à Bonn, vient de sortir en Allemagne un ouvrage de souvenirs historiques et de réflexions historiogra­phiques, où ce brillant diplomate russe affirme que la Guerre Froide a commencé dès le débarquement anglo-américain de juin 1944 sur les plages de Normandie: en déployant leur armada naval et aérien, les puissances occi­den­tales menaient déjà une guerre contre l'Union Soviétique et non plus contre la seule Allemagne mo­ri­bonde.

 

Une lecture attentive de plusieurs ouvrages récents consacrés aux multiples aspects de la résistance allemande contre le régime hitlérien nous oblige à renoncer définitivement à interpréter l'histoire de la se­conde guerre mondiale et de l'alliance anglo-américano-soviétique selon le mode devenu conventionnel. L'hostilité à Staline après 1945 provient surtout du fait que Staline entendait pratiquer une diplomatie gé­nérale basée sur les relations bilatérales entre les nations, sans que celles-ci ne soient chapeautées par une instance universelle comme l'ONU. Ensuite, après avoir appris que les deux puissances anglo-saxonnes avaient décidé seules à Casablanca de faire la guerre à outrance au Reich, de déclencher la guerre totale et d'exiger la capitulation sans condition de l'Allemagne nationale-socialiste, Staline s'est senti exclu par ses alliés. Furieux, il a concentré sa colère dans cette phrase bien ciselée, en apparence anodine, mais très significative: «Les Hitlers vont et viennent, le peuple et l'Etat allemands demeurent». Staline ne concevait pas le national-socialisme hitlérien comme le mal absolu ou même comme une es­sence impassable, mais comme un accident de l'histoire, une vicissitude contrariante pour la Russie éternelle, que les armes soviétiques allaient tout simplement s'efforcer d'éliminer. Mais, dans la logique diplomatique traditionnelle, qui est restée celle de Staline en dépit de l'idéologie messianique marxiste, les nations ne périssent pas: on ne peut donc pas exiger de capitulation inconditionnelle et il faut toujours laisser la porte ouverte à des négociations. En pleine guerre, les alliances peuvent changer du tout au tout, comme le montre à l'envi l'histoire européenne. Staline se borne à réclamer l'ouverture d'un second front, pour soulager les armées soviétiques et épargner le sang russe: mais ce front n'arrive que très tard, ce qui permet à Valentin Faline d'expliquer ce retard comme le premier acte de la Guerre Froide entre les puissances maritimes anglo-saxonnes et la puissance continentale soviétique.

 

Cette réticence stalinienne s'explique aussi par le contexte qui précéda immédiatement l'épilogue de la longue bataille de Stalingrad et le débarquement des Anglo-Saxons en Normandie. Quand les armées de Hitler et de ses alliés slovaques, finlandais, roumains et hongrois entrent en URSS le 22 juin 1941, les Soviétiques, officiellement, estiment que les clauses du Pacte Molotov/Ribbentrop ont été trahies et, en automne 1942, après la gigantesque offensive victorieuse des armées allemandes en direction du Caucase, Moscou est contrainte de sonder son adversaire en vue d'une éventuelle paix séparée: Staline veut en revenir aux termes du Pacte et compte sur l'appui des Japonais pour reconstituer, sur la masse continentale eurasiatique, ce “char à quatres chevaux” que lui avait proposé Ribbentrop en septembre 1940 (ou “Pacte Quadripartite” entre le Reich, l'Italie, l'URSS et le Japon). Staline veut une paix nulle: la Wehrmacht se retire au-delà de la frontière fixée de commun accord en 1939 et l'URSS panse ses plaies. Plusieurs agents participent à ces négociations, demeurées largement secrètes. Parmi eux, Peter Kleist, attaché à la fois au Cabinet de Ribbentrop et au “Bureau Rosenberg”. Kleist, nationa­liste allemand de tra­dition russophile en souvenir des amitiés entre la Prusse et les Tsars, va négocier à Stockholm, où le jeu diplomatique sera serré et complexe. Dans la capitale suédoise, les Russes sont ou­verts à toutes les suggestions; parmi eux,  l'ambassadrice Kollontaï et le diplomate Semionov. Kleist agit au nom du Cabinet Ribbentrop et de l'Abwehr de Canaris (et non pas du “Bureau Rosenberg” qui envisageait une balkanisa­tion de l'URSS et la création d'un puissant Etat ukrainien pour faire pièce à la “Moscovie”). Le deuxième protagoniste dans le camp allemand fut Edgar Klaus, un Israëlite de Riga qui fait la liaison entre les Soviétiques et l'Abwehr (il n'a pas de relations directes avec les instances proprement natio­nales-socia­listes).

 

Dans ce jeu plus ou moins triangulaire, les Soviétiques veulent le retour au status quo ante de 1939. Hitler refuse toutes les suggestions de Kleist et croit pouvoir gagner définitivement la bataille en prenant Stalingrad, clef de la Volga, du Caucase et de la Caspienne. Kleist, qui sait qu'une cessation des hostili­tés avec la Russie permettrait à l'Allemagne de rester dominante en Europe et de diriger toutes ses forces contre les Britanniques et les Américains, prend alors langue avec les éléments moteurs de la résistance anti-hitlérienne, alors qu'il est personnellement inféodé aux instances nationales-socialistes! Kleist con­tacte donc Adam von Trott zu Solz et l'ex-ambassadeur du Reich à Moscou, von der Schulenburg. Il ne s'adresse pas aux communistes et estime, sans doute avec Canaris, que les négociations avec Staline permettront de réaliser l'Europe de Coudenhove-Kalergi (sans l'Angleterre et sans la Russie), dont rê­vaient aussi les Catholiques. Mais les Soviétiques ne s'adressent pas non plus à leurs alliés théoriques et privilégiés, les communistes allemands: ils parient sur la vieille garde aristocratique, où demeure le sou­venir de l'alliance des Prussiens et des Russes contre Napoléon, de même que celui de la neutralité tacite des Allemands lors de la guerre de Crimée. Comme Hitler refuse toute négociation, Staline, la résistance aristocratique, l'Abwehr et même une partie de sa garde prétorienne, la SS, décident qu'il doit disparaître. C'est là qu'il faut voir l'origine du complot qui allait conduire à l'attentat du 20 juillet 1944.

 

Mais après l'hiver 42-43, les Soviétiques reprennent pied à Stalingrad et détruisent le fer de lance de la Wehrmacht, la 6ième Armée qui encerclait la métropole de la Volga. La carte allemande des Soviétiques sera alors constituée par le “Comité Allemagne Libre”, avec le maréchal von Paulus et des officiers com­me von Seydlitz-Kurzbach, tous prisonniers de guerre. Staline n'a toujours pas confiance dans les com­mu­nistes allemands, dont il a fait éliminer les idéologues irréalistes et les maximalistes révolution­naires trotskistes, qui ont toujours ignoré délibérément, par aveuglement idéologique, la notion de “patrie” et les continuités historiques pluri-séculaires; finalement, le dictateur géorgien ne garde en réserve, à toutes fins utiles, que Pieck, un militant qui ne s'est jamais trop posé de questions. Pieck fera carrière dans la future RDA. Staline n'envisage même pas un régime communiste pour l'Allemagne post-hitlé­rienne: il veut un “ordre démocratique fort”, avec un pouvoir exécutif plus prépondérant que sous la République de Weimar. Ce vœu politique de Staline correspond parfaitement à son premier choix: parier sur les élites militaires, diplomatiques et politiques conservatrices, issues en majorité de l'aristocratie et de l'Obrig­keits­staat prussien. La démocratie allemande, qui devait venir après Hitler selon Staline, serait d'idéolo­gie conservatrice, avec une fluidité démocratique contrôlée, canalisée et encadrée par un sys­tème d'é­du­ca­tion politique strict.

 

Les Britanniques et les Américains sont surpris: ils avaient cru que l'“Oncle Joe” allait avaliser sans réti­cence leur politique maximaliste, en rupture totale avec les usages diplomatiques en vigueur en Europe. Mais Staline, comme le Pape et Bell, l'Evêque de Chichester, s'oppose au principe radicalement révolu­tionnaire de la reddition inconditionnelle que Churchill et Roosevelt veulent imposer au Reich (qui demeu­rera, pense Staline, en tant que principe politique en dépit de la présence éphémère d'un Hitler). Si Roosevelt, en faisant appel à la dictature médiatique qu'il tient bien en mains aux Etats-Unis, parvient à réduire au silence ses adver­saires, toutes idéologies confondues, Churchill a plus de difficulté en An­gle­terre. Son principal adversaire est ce Bell, Evêque de Chichester. Pour ce dernier, il n'est pas ques­tion de réduire l'Allemagne à néant, car l'Allemagne est la patrie de Luther et du protestantisme. Au jusqu'au-boutisme churchillien, Bell op­pose la notion d'une solidarité protestante et alerte ses homo­logues néer­lan­dais, danois, norvégiens et suédois, de même que ses interlocuteurs au sein de la résis­tance allemande (Bonhoeffer, Schönfeld, von Moltke), pour faire pièce au bellicisme outrancier de Churchill, qui s'exprima par les bombardements mas­sifs d'objectifs civils, y compris dans les petites villes sans infrastructure industrielle importante. Pour Bell, l'avenir de l'Allemagne n'est ni le nazisme ni le com­munisme mais un “ordre libéral et démocratique”. Cette solution, préconisée par l'Evêque de Chichester, n'est évidemment pas acceptable pour le nationa­lisme allemand traditionnel: il constitue un retour subtil à la Kleinstaaterei, à la mosaïque d'états, de prin­cipautés et de duchés, que les visions de List, de Wagner, etc., et la poigne de Bismarck avaient effacé du centre de notre continent. L'“ordre démocratique fort” suggéré par Staline est plus acceptable pour les nationalistes allemands, dont l'objectif a toujours été de créer des insti­tu­tions et une paedia  fortes pour protéger le peuple allemand, la substance ethnique ger­manique, de ses pro­pres faiblesses politiques, de son absence de sens de la décision, de son particula­risme atavique et de ses tourments moraux incapa­citants. Aujourd'hui, effectivement, maints observa­teurs nationalistes constatent que le fédéralisme de la constitution de 1949 s'inscrit peut-être bel et bien dans une tradition ju­ridico-constitutionnelle allemande, mais que la forme qu'il a prise, au cours de l'histoire de la RFA, révèle sa nature d'“octroi”. Un octroi des puissances anglo-saxonnes...

 

Face aux adversaires de la capitulation inconditionnelle au sein de la grande coalition anti-hitlérienne, la résistance allemande demeure dans l'ambiguïté: Beck et von Hassell sont pro-occidentaux et veulent poursuivre la croisade anti-bolchevique, mais dans un sens chrétien; Goerdeler et von der Schulenburg sont en faveur d'une paix séparée avec Staline. Claus von Stauffenberg, auteur de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, provient des cercles poético-ésotériques de Munich, où le poète Stefan George joua un rôle prépondérant. Stauffenberg est un idéaliste, un “chevalier de l'Allemagne secrète”: il refuse de dia­lo­guer avec le “Comité Allemagne Libre” de von Paulus et von Seydlitz-Kurzbach: “on ne peut pas ac­cor­der foi à des proclamations faites derrière des barbelés”.

 

Les partisans d'une paix séparé avec Staline, adversaires de l'ouverture d'un front à l'Est, ont été immé­diatement attentifs aux propositions de paix soviétiques émises par les agents en place à Stockholm. Les partisans d'une “partie nulle” à l'Est sont idéologiquement des “anti-occidentaux”, issus des cercles con­servateurs russophiles (comme le Juni-Klub  ou les Jungkonservativen  dans le sillage de Moeller van den Bruck) ou des ligues nationales-révolutionnaires dérivées du Wandervogel ou du “nationalisme solda­tique”. Leur espoir est de voir la Wehrmacht se retirer en bon ordre des terres conquises en URSS et se replier en-deçà de la ligne de démarcation d'octobre 1939 en Pologne. C'est en ce sens que les exégètes contemporains de l'œuvre d'Ernst Jünger interprètent son fameux texte de guerre, intitulé “Notes cauca­siennes”. Ernst Jünger y perçoit les difficultés de stabiliser un front dans les immenses steppes d'au-delà du Don, où le gigantisme du territoire interdit un maillage militaire hermétique comme dans un paysage centre-européen ou picard-champenois, travaillé et re-travaillé par des générations et des générations de petits paysans opiniâtres qui ont maillé le territoire d'enclos, de propriétés, de haies et de constructions d'une rare densité, permettant aux armées de s'accrocher sur le terrain, de se dissimuler et de tendre des embuscades. Il est très vraisemblable que Jünger ait plaidé pour le retrait de la Wehrmacht, espérant, dans la logique nationale-révolutionnaire, qui avait été la sienne dans les années 20 et 30, et où la russo­philie politico-diplomatique était bien présente, que les forces russes et allemandes, réconciliées, allaient interdire à tout jamais l'accès de la ”forteresse Europe”, voire de la “forteresse Eurasie”, aux puissances thalassocratiques, qui pratiquent systématiquement ce que Haushofer nommait la “politique de l'ana­con­da”, pour étouffer toutes les velleités d'indépendance sur les franges littorales du “Grand Continent” (Eu­ro­pe, Inde, Pays arabes, etc.).

 

Ernst Jünger rédige ses notes caucasiennes au moment où Stalingrad tombe et où la 6ième Armée est anéantie dans le sang, l'horreur et la neige. Mais malgré la victoire de Stalingrad, qui permet aux Sovié­ti­ques de barrer la route du Caucase et de la Caspienne aux Allemands et d'empêcher toute manœuvre en a­mont du fleuve, Staline poursuit ses pourparlers en espérant encore jouer une “partie nulle”. Les So­vié­ti­ques ne mettent un terme à leurs approches qu'après les entrevues de Téhéran (28 no­vembre - 1 dé­cem­bre 1943). A ce moment-là, Jünger semble s'être retiré de la résistance. Dans son cé­lèbre interview au Spie­gel en 1982, immédiatement après avoir reçu le Prix Goethe à Francfort, il déclare: «Les attentats ren­forcent les régimes qu'ils veulent abattre, surtout s'ils ratent». Jünger, sans doute comme Rommel, refusait la logique de l'attentat. Ce qui ne fut pas le cas de Claus von Stauffenberg. Les décisions prises par les Alliés occidentaux et les Soviétiques à Téhéran rendent impossibles un retour à la case départ, c'est-à-dire à la ligne de démarcation d'octobre 1939 en Pologne. Soviétiques et Anglo-Saxons se mettent d'accord pour “déménager l'armoire Pologne” vers l'Ouest et lui octroyer une zone d'occupation perma­nen­te en Silésie et en Poméranie. Dans de telles conditions, les nationalistes alle­mands ne pouvaient plus négocier et Staline était d'office embarqué dans la logique jusqu'au-boutiste de Roosevelt, alors qu'il l'a­vait refusée au départ. Le peuple russe paiera très cher ce changement de poli­tique, favorable aux A­méricains.

 

Après 1945, en constatant que la logique de la Guerre Froide vise un encerclement et un containment  de l'Union Soviétique pour l'empêcher de déboucher sur les mers chaudes, Staline réitère ses offres à l'Allemagne exsangue et divisée: la réunification et la neutralisation, c'est-à-dire la liberté de se donner le régime politique de son choix, notamment un “ordre démocratique fort”. Ce sera l'objet des “notes de Staline” de 1952. Le décès prématuré du Vojd  soviétique en 1953 ne permet pas à l'URSS de continuer à jouer cette carte allemande. Khrouchtchev dénonce le stalinisme, embraye sur la logique des blocs que refusait Staline et ne revient à l'anti-américanisme qu'au moment de l'affaire de Berlin (1961) et de la crise de Cuba (1962). On ne reparlera des “notes de Staline” qu'à la veille de la perestroïka, pendant les mani­festations pacifistes de 1980-83, où plus d'une voix allemande a réclamé l'avènement d'une neutralité en dehors de toute logique de bloc. Certains émissaires de Gorbatchev en parlaient encore après 1985, no­tamment le germaniste Vyateslav Dachitchev, qui prit la parole partout en Allemagne, y compris dans quelques cercles ultra-nationalistes.

 

A la lumière de cette nouvelle histoire de la résistance allemande et du bellicisme américain, nous devons appréhender d'un regard nouveau le stalinisme et l'anti-stalinisme. Ce dernier, par exemple, sert à ré­pandre une mythologie politique bricolée et artificielle, dont l'objectif ultime est de rejeter toute forme de concert international reposant sur des relations bilatérales, d'imposer une logique des blocs ou une lo­gique mondialiste par le truchement de cet instrument rooseveltien qu'est l'ONU (Corée, Congo, Irak: toujours sans la Russie!), de stigmatiser d'avance tout rapport bilatéral entre une puissance européenne moyenne et la Russie soviétique (l'Allemagne de 1952 et la France de De Gaulle après les événements d'Algérie). L'anti-stalinisme est une variante du discours mondialiste. La diplomatie stalinienne, elle, était à sa façon, et dans un contexte très particulier, conservatrice des traditions diplomatiques européennes.

 

Robert STEUCKERS.

 

Bibliographie:

- Dirk BAVENDAMM, Roosevelts Weg zum Krieg. Amerikanische Politik 1914-1939, Herbig, München, 1983.

- Dirk BAVENDAMM, Roosevelts Krieg 1937-45 und das Rätsel von Pearl Harbour, Herbig, München, 1993.

- Valentin FALIN, Zweite Front. Die Interessenkonflikte in der Anti-Hitler-Koalition,  Droemer-Knaur, München, 1995.

- Francis FUKUYAMA, La fin de l'histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992.

- Klemens von KLEMPERER, German Resistance Against Hitler. The Search for Allies Abroad. 1938-1945,  Oxford University Press/Clarendon Press, 1992-94.

- Theodore H. von LAUE, The World Revolution of Westernization. The Twentieth Century in Global Perspective,  Oxford University Press, 1987.

- Jürgen SCHMÄDEKE/Peter STEINBACH (Hrsg.), Der Widerstand gegen den National-Sozialismus. Die deutsche Gesellschaft und der Widerstand gegen Hitler,  Piper (SP n°1923), München, 1994.

samedi, 27 septembre 2008

Pressions américaines contre l'installation du gazoduc de la Baltique

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Pressions américaines contre l’installation du gazoduc de la Baltique

 

Dans son édition n°39/2008, l’hebdomadaire de Hambourg, “Der Spiegel”, dénonce les pressions indirectes qu’exerce Washington pour saboter l’installation définitive du gazoduc germano-russe de la Baltique. Après l’échec de la tentative téméraire du président géorgien Saakachvili dans le Caucase, dont l’enjeu est la ligne de gazoducs et d’oléoducs Bakou-Tiflis-Ceyhan, les Etats-Unis passent à l’offensive en Mer Baltique, pour torpiller le bon fonctionnement de “North Stream”, sur lequel  ils n’exercent aucun contrôle. Ils procèdent de manière indirecte. Soi-disant non officielle. Michael Wood, ambassadeur américain en poste à Stockholm, nommé à ce titre par George Bush junior parce qu’il jouait jadis au golf avec lui et l’accompagnait dans ses randonnées en mountain-bike, vient de publier sous son nom propre un article qui enfreint toutes les règles de la bienséance diplomatique, selon la bonne vieille méthode des néocons, qui revendiquent haut et clair ce style de dérapages. Cet article est paru dans le quotidien suédois “Svenska Dagbladet” et constitue un appel au gouvernement suédois: celui-ci devra vérifier, avec la plus extrême rigueur, si le gazoduc est bien “écologique”, comme prévu, mais ne devra pas se borner à ce seul aspect écologique. Il devra, selon Wood, prendre d’autres facteurs en considération: notamment que ce gazoduc est le fruit d’accords spéciaux entre Allemands et Russes, qu’il est une mise en oeuvre par Moscou de “l’arme de l’énergie” face à laquelle l’Europe doit faire front commun, en refusant bien entendu toutes les séductions qu’elle offre.

 

Pour une fois, le gouvernement fédéral allemand a réagi clairement: Rüdiger von Fritsch, directeur du département économique du ministère allemand des affaires étrangères, a appelé l’ambassadeur américain en ses bureaux pour lui demander des explications. Le gouvernement fédéral allemand se dit “irrité” devant cette démarche “inhabituelle”. La réponse du diplomate américain à Berlin reflète, elle, une hypocrisie bien habituelle: les Etats-Unis sont “surpris”, paraît-il, des propos de Wood et prétendent que Washington n’a aucune objection à formuler “quant à l’installation de ce gazoduc privé”. Rüdiger von Fritsch, qui n’est évidemment pas dupe, a conservé sa fermeté: un incident comme l’article de Wood ne devra pas se répéter, a-t-il demandé.

 

Le diplomate von Fritsch n’a pas été le seul à marquer son mécontentement en Allemagne. Eggert Voscherau, représentant de BASF dans le Conseil de supervision du gazoduc “North Stream” incriminé, a déclaré: “Les Américains manifestent désormais ouvertement leur opposition au gazoduc”. Martin Schulz, chef de la fraction sociale-démocrate au Parlement Européen a, lui, déclaré pour sa part que l’article de Wood est une preuve utile et intéressante “pour montrer quelles sont les intentions réelles des Américains: déstabiliser l’Europe”. Notre commentaire: les sociaux-démocrates, jadis, surtout en Belgique, champions de l’alliance atlantiste, vont-ils enfin comprendre, après plus d’un demi siècle, voire un siècle entier, que cette intention américaine a toujours été telle: affaiblir, déstabiliser et détruire l’Europe?

 

Le ministre allemand des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier ne minimise pas davantage l’affaire: il part du principe que la teneur menaçante de l’article de Wood révèle bel et bien les intentions réelles de Washington. Les observateurs attentifs ont déjà pu constater que la diplomatie américaine ne cesse plus d’intriguer contre ce gazoduc long de 1200 km entre Wyborg et Greifswald, qui, pensent les Américains, accentuera la dépendance énergétique de l’Europe au profit de la Russie. Argument classique, banal mais fallacieux: en effet, ce n’est pas cette dépendance que craignent finalement les Américains mais, au contraire, la fusion des potentialités européennes et russes, qui détacherait les uns et les autres de toute dépendance à l’endroit des Etats-Unis et des sociétés pétrolières moyen-orientales qu’ils contrôlent.

 

Cette crainte n’est pas seulement exprimée par Condoleezza  Rice mais, plus nettement encore, par le Sénateur de l’Utah, Bob Bennett, qui s’inquiète de voir la Russie se transformer “en un Etat gazier et pétrolier”. Ensuite, le tandem énergétique germano-russe, prétendent les Américains, permet à Poutine et Medvedev  d’agir énergiquement dans le Caucase et d’y mettre les manigances américaines, voire turques, en échec et mat. Raison pour laquelle, la diplomatie américaine tente une politique de la zizanie en Europe du Nord en excitant Polonais, Baltes et Suédois contre l’alliance énergétique forgée par Berlin et Moscou. Réactivation du clivage polémique entre “Vieux Européens” et “Nouveaux Européens”, à la différence près que, cette fois, Français, Néerlandais et Britanniques sont ou seront aussi les bénéficiaires du gazoduc contre lequel Washington excite les esprits.

 

La démarche de déstabilisation de l’Europe est si évidente, cette fois, que même les chrétiens-démocrates allemands, souvent très critiques à l’endroit de la politique russe, protestent. Eckart von Klaeden, porte-paroles de la CDU en matière de politique étrangère: “Il faut bien que les énormes investissements [que nous avons faits en Russie] soient amortis”.  Déclaration qui montre bien que la dépendance ne va pas en sens unique, que ce n’est pas seulement l’Europe qui dépend de l’énergie russe mais que, simultanément, la Russie dépend du savoir-faire européen, pour combler le “technological gap” que constataient, triomphants,  les auteurs anglo-saxons entre 1917 et 1989, dont Arnold J. Toynbee. La Chancelière Merkel, qui semblait pourtant avoir cédé aux ukases américains après la Guerre du Caucase en août dernier et déplorait une trop grande dépendance européenne face au gaz et au pétrole russes, soutient le projet “North Stream” sans la moindre réticence.

 

Steinmeier et Merkel se sont rendus en Suède pour plaider la cause du gazoduc, qu’ils définissent comme un “projet stratégique européen”. Les Suédois ont le droit de vérifier la fiabilité écologique de ce gazoduc, mais rien de plus, disent les Allemands. La vérification sera sans doute la plus méticuleuse qu’un gazoduc aura jamais subie. Nous ajouterions que les Américains jouent là sur une vieille inimitié russo-suédoise, qui remonte à Charles XII de Suède, au temps où la Suéde désirait maîtriser “l’axe gothique”, de la Baltique à la Mer Noire, entre Memel et Odessa. La défaite de Charles XII l’a évincée, comme fut aussi évincé le tandem polono-lithuanien. L’axe gothique ne peut plus être maitrisé que par un tandem germano-russe, dans le cadre d’un concert européen cohérent qui rappelle et la Sainte-Alliance de 1815 et l’Alliance des Trois Empereurs au temps de Bismarck.

 

(résumé de l’article et commentaires de Robert Steuckers; titre de l’article: “Aussenpolitik. Amerikanischer Ausrutscher”, par Ralf Beste & Cordula Meyer, in: “Der Spiegel”,  n°39/2008).

jeudi, 25 septembre 2008

Georgie, Victima de los Cantos de Sirena de Occidente

Georgia, Víctima de los Cantos de Sirena de Occidente

Por José Luis Orella

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Los georgianos son uno de los pueblos más antiguos del Cáucaso, uno de cuyos reinos fue la primitiva Iberia, de la cual hay teorías que harían descender de esta vétera región a los primitivos iberos, nuestros ancestros, cuyo residuo lingüístico actual sería el vasco. Los georgianos son un pueblo que ha tenido que saber defenderse por su situación fronteriza, frente a los mongoles en el siglo XIII, y en el XVI frente a los persas y los turcos otomanos. Pero su situación limítrofe con el Imperio Otomano ofrecía una clara situación de peligro ante una expansión turca. Los georgianos, como pueblo cristiano ortodoxo, pidieron la protección del Imperio Ruso, que sería materializado bajo el reinado de Pablo I. En 1801 era proclamada la anexión de la pequeña Georgia al imperio ruso. Durante el resto del siglo XIX, las avanzadillas rusas fueron anexionando territorios en el Cáucaso frente a persas y turcos. Fue en esos momentos cuando la Georgia rusa fue ampliada hasta la costa del Mar Negro, asumiendo pueblos no georgianos.

La caída del Imperio y la posterior revolución rusa proporcionaron la oportunidad de la independencia de Georgia en 1918. Sin embargo, cuando los bolcheviques ganaron la guerra civil rusa, Georgia fue junto a Ucrania y el Asia central, nuevamente anexionada a la naciente URSS. En 1936 nacía la república soviética de Georgia, y tuvo que sufrir la misma represión que el resto de los pueblos de Rusia, bajo la dura dictadura de Josif Vissarionovic Dzhugashvili “Stalin”, el georgiano más conocido de la historia, y uno de sus mayores asesinos. Entre los directores del temido KGB estaría otro tristemente célebre georgiano, Lavrenti Beria. No obstante, Stalin se comportó como un ruso, aceptando la rusificación del extenso imperio comunista como la única posibilidad de dar cierta uniformidad, favoreciendo a la nacionalidad mayoritaria.


¿Por qué nadie condena el comunismo asesino?


Cuando Mijail Gorbachov desarrolló la Perestroika, que traería como consecuencia el fin del comunismo, otro hijo de Georgia se transformaría en la imagen exterior de la nueva URSS, Eduard Shevardnadze. Pero cuando la URSS se disolvió, Georgia recuperó la independencia perdida en 1991. La borrachera nacionalista siguiente causó la subida al poder del mingreliano Zviad Gamsajurdia, un exaltado nacionalista que evocaba con su populismo la occidentalidad de la personalidad georgiana. Una isla cristiana rodeada de pueblos islámicos de las montañas, financiados por los restos comunistas del KGB. La debilidad de las instituciones georgianas favoreció las ambiciones de otros caudillos nacionalistas, que con la colaboración de sus milicias armadas, derrocaron al presidente y se inició una guerra civil que duró hasta 1995. Ese año, Eduard Shevardnadze, como única figura internacional respetable, volvió a su país para hacerse cargo de la presidencia.


 


Pero la situación estaba gangrenada desde antiguo. Durante la Segunda Guerra Mundial, algunos pueblos montañeses habían sido deportados por orden de Stalin por desconfianza a una posible colaboración con los alemanes. En 1943, la ofensiva del Cáucaso proporcionó la mitad norte de la península a las fuerzas germano-rumanas de Von Manstein. El hueco dejado por aquellos fue colonizado por georgianos desplazados. Las luchas que se iniciaron en 1992 proporcionaron el momento propicio a los minoritarios abjacios (musulmanes de la costa) y osetios del sur (cristianos, los antiguos alanos) para tomar el control de sus respectivas regiones. Las expulsiones de las comunidades alógenas recordaron las escenas terribles de los Balcanes después de la Primera Guerra Mundial.

La situación caótica pareció resolverse en el 2003, cuando Mijail Saakashvili protagonizó la "revolución de las rosas", una de las primeras revoluciones prooccidentales que debía proporcionar una administración favorable a un alineamiento pronorteamericano en defensa y economía. El derrocamiento de Shevardnadze fue aplaudido por las democracias occidentales, y los nuevos aurigas de Georgia resaltaron un discurso nacionalista-populista que debía restablecer el control de las regiones rebeldes. El nuevo gobierno ha contado con asesores turcos y norteamericanos, ha comprado material israelí, y junto a Ucrania, son los dos países de la ex URSS que más hacen por acelerar el proceso de su integración en la OTAN. Sin embargo, esta evolución de los hechos ha ido de forma paralela con la recuperación internacional de Rusia, de manos de Vladimir Putin.


 


El presidente georgiano ha gozado de una inmensa popularidad, pero su país se encuentra hundido económicamente, la inestabilidad política es constante y un futuro trágico como el del primer estadista georgiano Gamsajurdia, puede ser posible, teniendo en cuenta que el propio presidente actual subió mediante un golpe de fuerza. Por estas razones, a inicios de agosto de este año, emprendía una fuerte ofensiva contra los osetios del sur, causando una masacre de civiles, ante la esperanza de que los rusos no intervinieran por su proximidad con los Estados Unidos.

No obstante, desde el proceso de independencia de Kosovo, el ejemplo estaba servido a favor de unas regiones rebeldes que habían tomado la precaución de obtener la nacionalidad rusa de forma masiva. El ejército ruso no tuvo más que emprender una rápida ofensiva para aplastar a las masas de milicianos inexpertos georgianos, liberar las dos regiones rebeldes y destruir las instalaciones militares y energéticas del país. El reconocimiento de la independencia de Abjasia y Osetia del Sur, que puede incluso terminar con su anexión, pedida de manera mayoritaria por sus habitantes, permite a Rusia recuperar su posición estratégica en el Mar Negro, gracias al control del puerto de Sujumi. La inhabilitación económica de Georgia hace peligrar el traslado del petróleo azerí a través de su geografía. Por otro lado, es un serio aviso a Ucrania, en su evolución occidental hacia su integración en la Unión Europea y la OTAN. Rusia vuelve a reivindicar su posición de potencia regional, y no va a permitir que la OTAN, carente de finalidad después del fin de la guerra fría, aglutine a los vecinos próximos en un anillo mortal contra la nueva Rusia democrática.

 

Vladimir Putin
Eduard Shevardnadze

mercredi, 24 septembre 2008

V. Jirinovski: les responsabilités de Saakachvili

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Vladimir Jirinovski, Vice-Président de la Douma d’Etat, Russie:

 

Les responsabilités de Saakachvili

 

Voici les conclusions de Vladimir Jirinovski, Vice-Président de la Douma, à la suite de la guerre russo-géorgienne d’août 2008:

 

Des informations partiales et diffamatoires

 

Les émetteurs de télévision en Occident ont produit des informations unilatérales et partiales sur les derniers événements qui se sont déroulés en Ossétie du Sud. Cela relève de la diffamation quand les mass-media accusent, dans leurs grands titres, la Russie d’agression, comme si elle avait attaqué de paisibles Géorgiens dans leur sommeil. En revanche, le président géorgien Saakachvili a été décrit comme un grand homme. Son discours à la télévision, censé s’adresser au peuple géorgien, il l’a tenu en anglais de façon à ce que l’on sache bien à qui il s’adressait en réalité. La communauté internationale devrait pourtant savoir la vérité à propos de son régime fasciste et aussi connaître les intentions qu’il avait de soumettre les peuples d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, intentions qui nous ont été révélées par des documents découverts sur des prisonniers de guerre géorgiens.

 

Déjà en mars 2008, plusieurs membres du Parti Libéral-Démocrate russe, ainsi que moi-même, avions averti l’opinion publique, lors d’un débat à la Douma sur la situation dans les deux petites républiques caucasiennes, que des actions militaires géorgiennes étaient de l’ordre du possible. Lors de  ce débat, j’ai rappelé que le Président Saakachvili, pendant toute la durée de son mandat, n’a jamais fait mystère de son objectif, celui de préparer une guerre. Déjà auparavant, aucune des mesures qu’il avait prises quant aux deux petites républiques n’avait été constructive. Il ne s’intéressait aucunement à leur histoire et ne connaît probablement pas l’histoire de la Géorgie elle-même.

 

En 1774, l’Ossétie s’est volontairement jointe à l’Empire russe. A cette époque, il n’y avait pas de frontière entre une Ossétie du Nord et une Ossétie du Sud. Après la révolution russe de 1917, la “République Démocratique de Géorgie”, comme elle s’appelait à l’époque, revendiqua le territoire de l’Ossétie du Sud. La population d’Ossétie méridionale fut alors la victime de confrontations violentes. Des milliers d’Ossètes du Sud furent assassinés par l’armée géorgienne ou expulsés vers l’Ossétie du Nord, tandis que quasiment tous les villages de la région furent détruits.

 

L’annexion à la Géorgie sans assentiment populaire

 

En 1921 se constitue un régime de type soviétique en Ossétie du Sud, dont les dirigeants, contre la volonté de la population, décident l’annexion à la RSS de Géorgie. A la suite de cette annexion, les Ossètes du Sud subirent des traitements qui défient les règles de la dignité humaine: les Ossètes étaient considérés comme des personnes de “rang inférieur”; on les força à traduire leurs patronymes en géorgien ou à prendre des noms géorgiens. Les autorités ont remplacé l’alphabet ossète par l’alphabet “Mchedrouli” de la langue géorgienne. Le niveau de vie en Ossétie du Sud était nettement inférieur à celui du reste de la RSS de Géorgie. La population diminua alors qu’elle augmentait dans tout le reste de l’Union Soviétique.

 

A la fin des années 80 du 20ème siècle, des nationalistes extrémistes géorgiens lancèrent une campagne politique pour supprimer le statut d’autonomie de l’Ossétie du Sud. Pas à pas, toutes les lois garantissant l’autonomie ossète furent remplacées ou abrogées. En 1990, le Presidium du Soviet Suprême de la RSS de Géorgie abrogea toutes les lois qui avaient été votées ou décidées depuis 1921, dont celles qui sanctionnaient la reconnaissance d’un lien territorial entre l’Ossétie et la Russie. Par cette abrogation générale des lois, l’Ossétie du Sud est devenue une zone hors droit à l’intérieur du territoire géorgien. Les discriminations et les menaces, que subirent les Ossètes, débouchèrent, entre 1989 et 1992 sur une agression armée dont l’objectif était d’éradiquer l’Ossétie du Sud. Plus de trois mille personnes furent victimes des actions violentes perpétrées par les Géorgiens, jusqu’en juillet 1992, lorsque les troupes russes, chargées d’une mission de pacification, entrèrent dans le pays. Plus de cent villages avaient été brûlés de fond en comble; près de quatre mille personnes avaient fui vers la Russie; environ trois cents d’entre elles sont toujours portées disparues.

 

L’objectif de la Russie? La paix!

 

Après avoir fait face à cette situation, le Presidium de la République d’Ossétie du Sud proclame l’indépendance du pays, en se réclamant du résultat d’une consultation populaire, tenue le 19 janvier 1992. Le 12 novembre 2006, les autorités d’Ossétie du Sud organisent à nouveau un référendum populaire dans l’ensemble du pays: quelque 99,88% de la population votent en faveur de la ligne indépendantiste, visant à détacher l’Ossétie du Sud de la République de Géorgie. La constitution russe prévoit également la possibilité d’un rattachement territorial à la Russie, selon le modèle que cherche à faire prévaloir l’Ossétie aujourd’hui. C’est en vertu de ces clauses constitutionnelles-là que la Douma, à l’unanimité, a accepté, après que se soit tenu le Conseil de la Fédération en août, de reconnaître l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

 

La Russie s’est toujours efforcée de résoudre ce conflit de manière pacifique parce qu’elle a toujours reconnu la complexité des problèmes régionaux; elle n’a jamais cessé de vouloir les résoudre selon les principes du droit des gens. Au cours de ces six derniers mois, la situation s’est considérablement aggravée, essentiellement pour deux raisons: d’abord, il y a eu la déclaration d’indépendance du Kosovo; ensuite, il y a eu les efforts entrepris par la Géorgie pour adhérer à l’OTAN, efforts pour lesquels elle a reçu un appui massif de la part des Etats-Unis. Cette nouvelle donne a contraint les Ossètes et les Abkhazes à un choix: ou bien, ils réclamaient à la Géorgie que celle-ci leur accorde leur indépendance; ou bien, ils décidaient de réclamer la fusion avec la Russie.

 

Les autorités géorgiennes avaient toutefois la ferme intention d’envenimer encore davantage les rapports, déjà tendus, qu’elles entretenaient avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Le 4 mars 2007, la Géorgie déclare unilatéralement qu’elle ne reconnaîtra plus la Commission de contrôle mixte, mise en place pour canaliser le conflit le 24 juin 1992 par Boris Eltsine et Edouard Chevarnadzé. Pour les Géorgiens, il fallait remplacer cette Commission par un plan  nouveau, baptisé “2+2+2”; y siègeraient les représentants du gouvernement sud-ossète contrôlé par la Géorgie, le gouvernement de la République indépendante (de facto) d’Ossétie du Sud, la Géorgie, la Russie, l’OSCE et l’UE. Cette initiative n’émane évidemment pas des Ossètes du Sud, ce qui a conduit à son échec. 

 

Dans les cinq mois qui ont suivi cet échec, la situation, déjà  fort tendue, a considérablement empiré le long de la frontières entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud, surtout à cause de la présence de troupes géorgiennes, de plus en plus nombreuses. Les deux camps se sont livrés à  des provocations, ce qui a fort freiné les efforts de pacification. On a cependant ignoré délibérément les nombreuses demandes de la Russie à la Géorgie, pour faire en sorte que les deux partis renoncent expressément à toute violence militaire.

 

Pendant des mois, le Président Saakachvili a refusé de tenir compte de nos propositions. Il n’y a pas si longtemps, avant même que ne commencent les opérations militaires, il déclarait que c’était un non-sens de réclamer sa signature au bas d’un tel document parce que la Géorgie n’exerçait aucune forme de violence contre ses propres citoyens. Cette assertion ne semble plus valable aujourd’hui.

 

7 et 8 août 2008: l’armée géorgienne attaque

 

Dans la nuit du 7 au 8 août 2008, les troupes géorgiennes sont passées à l’attaque. L’opération a commencé en dépit de l’armistice qu’avait promis le Président Saakachvili quelques heures à peine avant cette attaque généralisée, planifiée avec acribie. Le fait d’avoir renié sa promesse en dit déjà long. Les actions que Saakachvili a déclenchées le mettent en porte-à-faux avec une demande formulée par les Nations Unies, de ne pas faire parler les armes pendant les Jeux Olympiques de Pékin.

 

Les villages d’Ossétie du Sud ont été attaqués et bombardés avec les grands moyens; la capitale Tskhinvali a été détruite pour une bonne part. Quelque 1500 civils innocents d’Ossétie du Sud, surtout des femmes, des vieillards et des enfants, ont péri, victimes de cette attaque. Les snipers géorgiens empêchaient les équipes de secouristes d’aider les blessés et de sauver un maximum de vies humaines. Les habitants de Tskhinvali ont dû se terrer dans les caves des immeubles détruits, sous le bombardement incessant des pièces d’artillerie géorgiennes. Le Président Saakachvili a donc dépassé toutes les bornes par ses agissements. C’est par sa faute que nous sommes face, maintenant, au risque d’une catastrophe humanitaire. Des dizaines de milliers de réfugiés sont sur les routes et nous ne voyons pas la fin de cet exode massif. A Tskhinvali, les positions et le QG des soldats russes de la paix ont également subi des attaques, au cours desquelles une centaine de soldats russes ont été tués et plus de 150 autres blessés.

 

L’obligation constitutionnelle de porter secours à des citoyens russes

 

Comme 90% des Ossètes du Sud possèdent la citoyenneté russe et comme la Constitution de la Fédération de Russie prévoit de protéger les citoyens russes, la Russie a décidé d’intervenir en vue de ramener la paix. Jusqu’à ce moment-là, des troupes russes étaient stationnées à Tskhinvali mais elles étaient très réduites en nombre et y étaient présentes dans un cadre admis par le droit des gens et en vertu d’un accord accepté par toutes les parties en vue de restaurer la paix. L’objectif principal des mouvements de troupes russes, qui ont eu lieu récemment, est de protéger les soldats de la paix qui étaient déjà stationnés dans le pays et la capitale sud-ossète contre toutes attaques géorgiennes.

 

Ce n’est donc pas la Russie, mais le Président Saakachvili, qui est responsable de l’escalade du conflit. C’est pourquoi nous ne pourrons parler d’une limitation de la mission russe que si les troupes géorgiennes se retirent au-delà de la ligne de démarcation qui avait été convenue lors de l’accord de 1992. La Géorgie doit tout simplement revenir aux clauses de l’accord international, existant entre les parties belligérantes, et reprendre un dialogue normal avec les autorités de l’Ossétie du Sud.

 

Vladimir JIRINOVSKI.

(article paru dans “DNZ”, Munich, n°36/2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

mardi, 23 septembre 2008

Paroles d'Edouard Kokoïty

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Parole d’Edouard Kokoïty, Président d’Ossétie du Sud:

 

“Vous, les Européens, vous parlez tous de la petite Géorgie mais mon  pays est encore plus  petit et vous l’oubliez. C’est ça, défendre les droits de l’homme?”

 

Cité dans “Paris-Match”, 4-10 sept. 2008.

 

A signaler également, dans cette édition de “Paris-Match”, les propos d’Hubert Védrine sur les relations euro-russes et euro-américaines: la position de Bush n’est pas tenable et Saakachvili est un “excité”. La diplomatie de la “Vieille Europe” se rébiffe.

mardi, 16 septembre 2008

Les positions philosophiques d'Alexandre Douguine

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Denis CARPENTIER :

 

 

Les positions philosophiques d’Alexandre Douguine

 

Alexandre Douguine, qui avait pris la parole au colloque du GRECE en 1991, aux côtés d’Alain de Benoist, de Jacques Marlaud et de Charles Champetier, a fait un sacré bonhomme de chemin depuis lors. Incroyablement actif sur internet, écrivain très prolifique, homme orchestre de plusieurs média audio-visuels russes où on l’appele le “disk-jockey de la métaphysique”, il a creusé son trou dans l’entourage du Président Poutine et participe, intellectuellement, au réarmement moral et politique de sa patrie russe. Le Chilien Sergio Fritz, de la “Nueva Derecha Chilena”, et son ami italien Daniele Scalea, qui participe à son site “Eurazia”, ont brossé en quelques paragraphes clairs et succincts la pensée de ce Russe étonnant, sorti de la marginalité dissidente des années 80 pour se hisser, petit à petit, sans jamais se renier ou se dédouaner, aux plus hautes sphères du pouvoir russe actuel. Examinons en bref les idées qui l’animent depuis toujours:  

 

Dougine développe des idées géopolitiques “eurasiennes”, dans la mesure où il inverse la thèse énoncée par Mackinder en 1904, qui prévoyait l’endiguement et l’encerclement de la Russie; comme Carl Schmitt, il conçoit l’histoire comme l’affrontement éternel entre un “Léviathan” et un “Béhémoth”, soit entre la “Terre” et la “Mer”. L’Allemagne et la Russie sont, pour le juriste allemand d’hier comme pour le traditionaliste russe actuel, les forces de la Terre en lutte contre les forces malfaisantes et déliquescentes de la Mer, représentées aujourd’hui par les Etats-Unis.

 

Douguine s’inscrit dans la tradition de la “politique hermétique”: ce sont en effet des forces spirituelles qui guident le monde et l’ont toujours guidé. Originalité de sa position : le communisme russe, après l’éviction des comploteurs “atlanto-trotskistes” (selon sa terminologie), est devenu une sorte de “voie de la main gauche”. Cette expression un peu énigmatique est tirée de l’œuvre d’Evola et de la tradition indienne; elle signifie qu’une force en apparence anti-traditionnelle peut en réalité dissimuler une puissance active et positive qui va subrepticement dans le sens de la Tradition, donc de l’esprit de la “Terre” par opposition à celui de la “Mer”. On songe au tantrisme indien, en apparence débauché, mais poussant la débauche si loin qu’elle se mue en force rénovatrice et restauratrice.

 

Douguine se place tout naturellement dans le sillage de la “révolution conservatrice” allemande des années 20 et 30. Il est l’homme qui a réintroduit en Russie les thèses énoncées par le néo-nationalisme soldatique allemand d’après 1918, période de défaite pour Berlin, comme l’effondrement de l’URSS était, finalement, une période de défaite pour la puissance russe. Douguine est évidemment séduit par la russophilie des “révolutionnaires conservateurs”, dont la première source d’inspiration a été l’œuvre de Dostoïevski, traduite à l’époque en allemand par l’exposant principal de la “révolution conservatrice”, Arthur Moeller van den Bruck, dont toutes les idées politiques dérivent de l’oeuvre du grand romancier russe du 19ième siècle. La “révolution conservatrice” allemande est donc essentiellement “dostoïevskienne” pour le Russe Douguine. Il est donc naturel et licite de la ramener en Russie, où, espère-t-il, elle trouvera un terreau plus fécond.

 

Douguine a introduit ensuite la “pensée traditionaliste” en Russie en y vulgarisant, en y traduisant et en y publiant les œuvres de René Guénon et Julius Evola. Dans cette optique, Douguine n’adopte pas entièrement les mêmes positions que ses homologues ouest-européens. A l’influence des deux traditionalistes français et italien, il ajoute celle du Russe Constantin Leontiev pour qui la Tradition est ou bien othodoxe ou bien islamique. Pour Leontiev, le catholicisme et le protestantisme sont des voies résolument anti-traditionnelles, produits de l’”Occident dégénéré” (Leontiev, Danilevski). L’autre objectif de Douguine, en diffusant la pensée d’Evola et de Guénon, est de lutter contre toutes les entreprises de vulgarisation spirituelle du “New Age” californien, qui risquait fort bien de s’abattre sur une Russie déboussolée et tentée par toutes les expériences occidentales, dont cette confusion des genres, ce bazar de pseudo-spiritualités de pacotille qu’est ce “New Age”.

 

Douguine plaide en politique pour une “convergence des extrêmes”, à l’instar de l’activiste italien des années 70, Giorgio Freda, auquel les journalistes mal intentionnés avaient collé l’étiquette de “nazi-maoïste”. Les activistes et les militants considérés par les bien-pensants comme des “extrémistes” veulent tous, quelles que soient les étiquettes dont ils s’affublent, la “désintégration du système” (Freda). Il faut unir ces forces et non pas les maintenir en un état de division, où des antagonismes artificiels vont les faire s’exterminer mutuellement. La figure emblématique de cette “convergence des extrêmes” est l’irlando-argentin Che Guevara, que Jean Cau avait chanté en son temps, pourtant après sa rupture avec Sartre!

 

Douguine travaille certes dans l’entourage de l’actuelle présidence russe mais ce soutien apporté à Poutine n’est pas a-critique et inconditionnel. Pour Douguine, Poutine est pour le moment un “moindre mal” (explique-t-il dans un entretien accordé à Scalea pour le site et le journal Italia Sociale). Il reproche au Président russe d’avoir laissé tomber Chevarnadze en Géorgie et Yanoukovitch en Ukraine, ce qui pourrait inquiéter les présidences fidèles à Moscou en Biélorussie (Loukatchenko), au Kazakstan (Nazarbaïev) et ailleurs. Il préférerait voir l’ancien militaire Pavel Ivanov au pouvoir à Moscou mais Poutine, selon lui, a eu le mérite insigne de mettre fin à l’ère de totale déliquescence qu’avait provoquée le clan Eltsine. Pour Douguine, Poutine avance toutefois trop lentement : il n’est pas assez ferme contre les “oligarques”, il ne cherche pas à créer une élite alternative mentalement bien structurée, prête à prendre les rênes du pouvoir et à barrer la route à tous les charlatans sans cervelle et sans tripes que manipulent les services américains via les “révolutions colorées”, rose ou orange. Le risque de cette faiblesse chronique est de voir la Russie exposée à une “menace orange” en 2008, lors des prochaines présidentielles. Autre danger: la reconstitution tacite d’un cordon sanitaire autour de la Russie et la création d’antagonismes de pure fabrication pour susciter des conflits permanents, retardateurs, à l’intérieur même de l’espace eurasiatique, qui doit s’unir s’il veut rester libre. La stratégie du “divide ut impera”, pratiquée par Washington, implique dans un premier temps, par exemple, un soutien à Sakachvili en Géorgie contre la Russie, puis un soutien à Poutine contre Sakachvili, de façon à maintenir et à entretenir un désordre permanent dans la région, permettant toutes les politiques manipulatoires. Après la Géorgie et l’Ukraine, le scénario de “révolution spontanée” ou de “révolution colorée” se répète au Kirghizistan, où le président Akaïev, ni pro-russe ni pro-américain mais “eurasien”, est déstabilisé parce que l’US Army entend, à terme, utiliser le territoire kirghize comme base pour encercler la Chine. Alors qu’Akaïev voulait que son pays soit la plaque tournante des communications routières et ferroviaires entre la Russie, l’Inde et la Chine. Dès lors est-ce un hasard s’il est dans le collimateur... et tout d’un coup considéré comme “corrompu” par notre bonne presse...?

 

Suivre Douguine sur internet est captivant. La matière est vaste et apporte chaque jour son bon petit lot d’informations originales et explosives. En parfaite contradiction avec la pensée dominante, “politiquement correcte”.

 

Denis CARPENTIER. 

 

Bibliographie :

Sergio FRITZ, “Alexander Dughin o cuando la metafísica y la política se unen”, http://www.angelfire.com/zine/BLH/nueve1.html... .

Daniele SCALEA, “Le ‘rivoluzioni colorate’ mirano alla distruzione della Russia” – Intervista con Aleksandr Dugin, http://www.italiasociale.org/Geopolitica_articoli/geo2105... (30 mai 2005).

samedi, 06 septembre 2008

Heurt frontal au Caucase

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Jan ACKERMEIER:

 

Heurt frontal au Caucase

 

La guerre de cinq jours dans le Caucase vient à peine de se terminer mais ses effets sur les rapports futurs entre les Etats-Unis et la Russie ne sont pas encore vraiment prévisibles dans toute leur portée. Ce qui est intéressant à analyser, c’est le calcul des Etats-Unis dans ce conflit.

 

La guerre a commencé, c’est connu, par l’entrée des troupes géorgiennes en Ossétie du Sud, “une province rénégate”, selon les Géorgiens. A la suite de cette opération, la grande puissance qui s’auto-proclame défenderesse des Ossètes, soit la Russie, intervient dans le conflit, repousse rapidement les troupes géorgiennes et s’avance profondément dans le territoire central de la Géorgie. Les médias occidentaux s’empressent de stigmatiser la contre-attaque russe, en la campant comme “une guerre d’agression contraire au droit des gens”, et se soumettent servilement aux impératifs de la politique et de la propagande américaines. Les Etats-Unis auraient apprécié que la Géorgie, alignée sur l’Occident et donc sur Washington, ait pu activement imposer ses intérêts dans le Caucase et veiller à limiter encore davantage l’influence de la Russie dans cette région.

 

Les Russes, toutefois, en dépit de leurs problèmes de politique intérieure, sont encore capables de faire valoir leurs intérêts de grande puissance: ce qui fait écumer de rage les Etats-Unis et leurs vassaux. On crie déjà au retour de la “Guerre froide” et la ministre américaine des affaires étrangères, Condoleezza Rice, s’est ridiculisée récemment en déclarant que “la Russie par sa  ‘guerre d’agression’ (!!!) contre la Géorgie avait perdu toute crédibilité internationale”! Cette hypocrisie manifeste, les Américains, baignant dans leur narcissisme, ne l’aperçoivent même plus, car, rappellons-le, les attaques américaines contre l’Irak et l’Afghanistan étaient au moins aussi équivoque sur le plan du droit des gens que l’intervention russe dans le Caucase.

 

Il faut tenir compte du fait que les Ossètes, tant ceux du Nord qui vivent au sein de la Fédération de Russie, que ceux du Sud, qui vivent dans une région revendiquée par la Géorgie, se perçoivent comme un et un seul peuple, d’une culture spécifique. Les prérequis pour l’exercice par les Ossètes d’un droit d’auto-détermination, sur les plans intérieur et extérieur, existent bel et bien. Et lorsque la Russie, puissance protectrice des Ossètes, se réclame du droit à l’auto-détermination quand elle intervient contre la Géorgie, ses justifications sont bien plus valables que celles invoquées naguère par les Etats-Unis, qui nous parlaient à tours de bras de la fable des “armes de destruction massive” de l’Irak ou de la menace que faisait peser sur les Etats-Unis eux-mêmes les terorristes afghans, ou encore, de l’autre fable médiatique, celle de l’exportation de la démocratie et des droits de l’homme. Bien entendu, les interventions russes dans le Caucase participent, elles aussi, d’une volonté de faire valoir ses intérêts de grande puissance, exactement comme l’avait fait la politique étrangère des Etats-Unis au cours de ces dernières décennies; parallèle que l’on ne veut pas voir en notre pays: n’est-on pas finalement, dans l’âme et dans les tripes, des vassaux de la “communauté occidentale des valeurs”.

 

Jan ACKERMEIER.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°35/2008 – août 2008 – trad. franç.: Robert Steuckers).

vendredi, 05 septembre 2008

La politique étrangère européenne après la guerre du Caucase

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Andreas MÖLZER, MPE:

 

La politique étrangère européenne après la Guerre du Caucase

 

En jouant le rôle d’intermédiaire dans le conflit du Caucase, par le biais du Président en exercice du Conseil de l’UE, Nicolas Sarközy, et de la Chancelière fédérale allemande Angela Merkel, l’UE tente, vaille que vaille bien que la démarche soit importante, d’acquérir une certaine autonomie en politique étrangère. Parce que le Caucase, au contraire des déserts du Tchad africain, se trouve véritablement à la périphérie de l’Europe, les engagements que prend Bruxelles ont un sens, surtout parce qu’il ne faut pas laisser le terrain à une puissance extérieure à l’Europe, notamment les Etats-Unis.

 

Après l’attitude pondérée et bien balancée adoptée par Sarközy et Merkel au début de l’affaire géorgienne, les tentatives de médiation de l’UE risquent désormais de s’enliser dans les sables mouvants d’un parti-pris unilatéral en faveur de la Géorgie. Ainsi, le Président français Sarközy a menacé les Russes de “conséquences” s’ils ne retiraient pas leurs troupes le plus rapidement possible du pays voisin. Merkel, elle aussi, n’a pas fait mystère de ses sentiments lors de sa visite à Tiflis. La Géorgie peut, si elle le souhaite, devenir membre de l’OTAN, a déclaré la Chancelière fédérale. Or ce sont justement les effots entrepris par le Président géorgien Saakachvili pour faire adhérer son pays à l’OTAN qui ont constitué l’une des raisons majeures du conflit actuel qui l’oppose à la Russie. Car le Kremlin, pour des raisons bien compréhensibles, n’a pas le moindre intérêt à ce que l’Alliance atlantique, dominée par les Etats-Unis, se cramponne dans une région qui forme l’arrière-cour de la Russie.

Si l’UE prend parti unilatéralement en faveur de la Géorgie, ce ne sera pas seulement un acte relevant de la sottise politique mais un acte tout à fait contraire aux intérêts de l’Europe. Finalement, la Russie n’est pas seulement importante pour l’Europe sur le plan de la politique énergétique, elle l’est aussi sur le plan stratégique, afin de s’opposer de concert aux tentatives d’imposer l’hégémonie des Etats-Unis sur le monde. Si, un jour, l’UE veut jouer un véritable rôle en politique internationale, au-delà des discours policés et dominicaux de son établissement, elle ne pourra pas faire autrement que de tendre la main à Moscou. Cette politique de la main tendue implique de respecter les sphères d’intérêts de la Russie, celles qu’elle a acquises au cours de son histoire, depuis le temps du Tsar Pierre le Grand.

 

Bien sûr, un partenariat avec la Russie ne sera pas toujours facile à gérer. Mais vouloir transformer l’UE en complice de Washington et sacrifier la vie de soldats européens pour les seuls intérêts américains, voilà deux attitudes qui ne peuvent, en aucun cas, constituer une alternative viable et intelligente.

 

Andreas MÖLZER.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°34/2008, trad. franç. : Robert Steuckers).

jeudi, 04 septembre 2008

V.Dachitchev : les Etats-Unis veulent la guerre

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Géorgie: les Etats-Unis veulent la guerre

Entretien avec le Professeur Viatcheslav Dachitchev, ancien conseiller de Gorbatchev

 

Q.: Professeur Dachitchev, avez-vous été étonné de l’escalade en Géorgie?

 

VD: Non, à plusieurs reprises j’avais prévu qu’une guerre allait survenir dans la région. Depuis que Mikhail Saakachvili a pris le pouvoir en Géorgie, ce pays est devenu un satellite des Etats-Unis. Les dirigeants américains veulent la guerre dans le Caucase. Le but est d’abord de chasser la Russie du Caucase et des rives de la Mer Noire, ensuite d’y attiser un foyer de conflictualité permanente et de l’exporter en Asie centrale.

 

Q.: Cette guerre aurait-elle pu être évitée?

 

VD: Probablement. Les dirigeants russes auraient du reconnaître l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme des Etats pleinement indépendants et forger avec eux une alliance défensive. Cela ne s’est pas passé: j’estime que c’est une grave erreur.

 

Q.: Exactement comme l’Occident a reconnu  le Kosovo...

VD: Bien entendu.

 

Q.: Pourquoi cela ne s’est-il pas passé?

 

VD: Parce que jusqu’ici le Kremlin avait parié pour une politique d’apaisement face à Washinton, même si l’OTAN se rapprochait toujours davantage du territoire russe. S’il n’avait fallu tenir compte que de la volonté américaine, la Géorgie aurait été depuis  longtemps membre de l’OTAN. Cette politique américaine d’agression pourrait mener à une guerre mondiale.

 

Q.: Comment?

 

VD: Il y a cinq ans déjà, j’évoquais une crise de pré-belligérance, dans laquelle nous nous trouvons toujours. Tous les paramètres le confirment. La comparaison avec les situations qui règnaient avant les première et deuxième guerres mondiales est possible. Jusqu’à présent, Washington a parié pour l’ “approche indirecte” (“indirect approach”), telle que l’avait décrite l’historien militaire Basil Liddell Hart. Le but était d’affaiblir la Russie de manière si décisive qu’on aurait pu la dominer de l’intérieur et l’éliminer en tant que contrepoids militaire et politique des Etats-Unis. Cette stratégie de l’approche indirecte peut cependant déboucher rapidement sur une “guerre chaude”, comme viennent de le démontrer les événements de Géorgie. Les Etats-Unis ne se contentent pas de susciter des conflits dans le Caucase: ils le font aussi au Proche Orient, en Iran, en Pologne et en Lituanie et surtout, ce qui est le pire aux yeux des Russes, en Ukraine.

 

Q.: Quelle sera l’issue du conflit russo-géorgien?

 

VD: Saakachvili a fort mal calculé son coup. Depuis longtemps, on prêche la haine de la Russie en Géorgie et l’on y développe une progagande virulente et hostile à notre pays. Mais les Ossètes du Sud se réclament de la Russie et la plupart d’entre eux possède la citoyenneté russe. Les Abkhazes sont musulmans mais se réclament, eux aussi, de la Russie. Poutine ne peut plus se retirer de ces régions, sans perdre la face.

 

Q.: Une guerre contre l’Iran est-elle encore à l’ordre du jour?

 

VD: Oui. L’opinion publique est préparée de manière optimale pour accepter une attaque contre l’Iran. Depuis deux ans, la menace est militairement bien présente dans la région. Le monde commence à se lasser de cette question iranienne: c’est quand  cette lassitude aura atteint un point “x” que l’attaque surviendra, soudainement.

 

Q.: Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure vous avez apprécié Alexandre Soljénitsyne, le Prix Nobel de littérature, récemment décédé?

VD: Soljénitsyne a critiqué le système stalinien de manière virulente et, simultanément, il  s’est avéré un grand patriote. C’est pour cette raison qu’il n’a pas pu rester aux Etats-Unis. Il s’opposait à fond à la politique hégémonique poursuivie par les Etats-Unis et ne cessait de souligner la spécificité des peuples. Lorsqu’Eltsine a voulu lui  octroyer la plus haute distinction russe, l’Ordre de Saint-André, il a refusé de l’accepter, car c’était Eltsine qui avait ruiné le pays.

 

Q.: Estimez-vous fondé le reproche d’antisémitisme que l’on adresse à Soljénitsyne, pour ses deux ouvrages “Les juifs en Union Soviétique” et “Deux siècles ensemble” (trois tomes qui relatent les rapports entre Russes et Juifs au cours de l’histoire récente de la Russie)?

 

VD: J’ai lu ces ouvrages et je les tiens pour équilibrés et pondérés. Si l’étude des faits révèle un rôle négatif des juifs dans la révolution de février ou dans la révolution d’octobre, cela ne signifie nullement que leur simple évocation relève de l’antisémitisme.

 

Q.: Vous étiez officier dans l’Armée Rouge en 1945, tout comme Soljénitsyne. Avez-vous lu les rapports qu’il a écrits, à l’époque, sur l’entrée de cette Armée Rouge en Prusse orientale?

 

VD: Oui. Mais à la différence de Soljénitsyne et de Lev Kopelev, que j’ai personnellement bien connu, mon unité n’a pas été engagée en Prusse orientale, mais en Slovaquie.

 

(entretien paru dans DNZ, Munich, n°34/2008 – août 2008 – trad. franç.: Robert Steuckers).

Les orientations géopolitiques de la Turquie

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ARCHIVES: Texte de Jean-Gilles Malliarakis datant de l'automne 2003.

 

Les orientations géopolitiques de la Turquie

 

Les orientations géopolitiques de la Turquie n’ont rien à voir avec les réalités de l’Europe

 

Article de Jean-Gilles Malliarakis extrait du site: www.europelibre.com

 

Recevant le Premier ministre turc Erdogan début septembre à Berlin, le chancelier Schroeder a-t-il cru nécessaire de qualifier de "polémique de caniveau" la volonté de la CSU bavaroise exprimée par Edmund Stoiber de faire campagne contre l’adhésion de la Turquie lors des élections européennes de 2004. Le débat relatif à la candidature de la Turquie à l’Union européenne a certes le mérite de rappeler aux Européens qu’ils relèvent d’une identité commune. Et bien entendu, toute l’offensive de la pensée unique cherche, depuis l’affirmation de cette évidence (1) à contourner cette identité. On balaye ainsi allègrement d’un trait de plume des siècles d’Histoire européenne.

 

Innombrables sont les déclarations conventionnelles de nos hommes politiques sur le thème "L’Europe n’est pas un club chrétien". Avec quelques variantes, c’est surtout la date qui change.

 

Le Premier ministre turc abonde aujourd’hui dans le même sens: "L’Union européenne, dit-il sentencieu­sement, n’est pas une communauté culturelle, religieuse ou géographique. C’est une communauté de va­leur". Si la Bolivie, la Malaisie ou le Zimbabwe prétendent partager ces "valeurs", eh bien ces pays pour­raient donc rejoindre l’Union européenne.

 

Mais ce faisant on bazarde aussi l’identité et la géopolitique spécifiques de la Turquie elle-même. Ce pays, quant à lui, n’a pas le souci de se présenter comme une "communauté de valeurs". Sa réalité nationale est à la fois culturelle, religieuse et géographique. Et, avant que de lui décerner des couronnes de fleurs et de lui dire "aloha", c’est peut-être sur l’identité géopolitique de ce candidat exotique que les Européens gagneraient à être mieux informés.

 

Selon les milieux, selon les institutions, selon les forces politiques, la vision géopolitique des Turcs n’est certes pas identique. De plus les lignes de forces évoluent : on ne pensait pas de manière identique à Ankara en 1952, quand la Turquie participait à la guerre de Corée, et, en 2002, quand pour la première fois depuis la fondation de la république kémaliste un parti musulman obtenait 35 % des voix et la majorité des sièges au Parlement.

 

Soulignons d’abord un aspect essentiel de l’État turc : il est constitutionnellement nationaliste. Il fait de la nation la valeur suprême et le Code pénal ne badine pas avec les atteintes à la sécurité nationale, à l’identité nationale, à l’unité nationale. Quelles que soient les réformes formelles, votées en 2003 (abolition de la peine de mort, progrès de la liberté d’expression, reconnaissance timide du droit des minorités), ou celles promises pour 2004, la conception turque des Droits de l’Homme demeurera longtemps (pour ne pas dire toujours) tributaire de la suprématie fondamentale du Droit de la nation.

 

L’ambition du pays est multiforme.

 

Dans un premier temps, la Turquie kémaliste a conçu sa construction comme une révolution dirigée contre les puissances européennes. Lorsqu’en 1922 l’armée grecque d’Asie mineure, soutenue puis trahie par l’Angleterre, est vaincue, la guerre victorieuse de Kemal est présentée comme une guerre de libération. Elle s’inscrit dans la grandiose vision "anticolonialiste" du congrès de Bakou. Et dans les premières années il est posé en dogme que les frontières du traité de Lausanne ne seront plus jamais remises en question.

 

Mais très vite, la politique turque se révélera expansionniste (2). Tout d’abord, elle cherche à établir des liens avec des pays où l’influence "touranienne" peut être invoquée - légitimement ou, au contraire, de manière très approximative pour ne pas dire fantaisiste : aussi bien la Bulgarie que l’Iran ou l’Irak. Le panturquisme deviendra bien vite une notion à la fois floue et sentimentale comportant des directions fort différentes.

 

Sa première caractéristique a toujours été de tourner le dos à la fois à l’Europe et aux liens du passé. Si l’Empire ottoman a laissé quelques (rares) traces de nostalgies, si certains bons esprits "occidentaux" croient possible de le reconstruire, notamment pour briser toute trace de nationalisme arabe, très peu nombreux sont les Turcs désireux de renouer avec l’espace du Croissant fertile qu’ils ont pourtant dominé pendant près de 1 000 ans. La garnison ottomane chassée d’Akaba en juillet 1917 par le colonel Lawrence l’a probablement été pour toujours.

 

Depuis les années 1950 les Turcs sont indéfectiblement alliés des Israéliens. Dans l’affaire d’Irak, leur préoccupation vise d’abord de maintenir sous tutelle les populations kurdes : il ne doit pas exister de Kurdistan irakien afin d’empêcher la contagion dans les départements kurdes du sud-est anatolien. Éventuellement, on se souviendra que les pétroles du nord de l’Irak appartenaient avant 1918 à une Turkish Petroleum Company. Et, enfin, ce qui est invoqué actuellement par les Turcs pour intervenir dans le nord de l’Irak c’est la protection des minorités turkmènes... La solidarité turco-arabe n’est donc qu’une vue de l’esprit. Accessoirement on remarquera que l’Europe est bien loin.

 

La dimension islamique de la politique extérieure turque ne doit pas non plus faire l’objet d’un malentendu. Depuis le XVIe siècle, l’islam turc est soumis à l’État (3). La prétendue laïcité kémaliste n’a fait que renforcer cette tendance en instaurant l’usage de la langue turque et en encadrant la vie religieuse par 60 000 fonctionnaires de la Diyanet (4). La religion est utilisée comme moyen de rayonnement national, certainement pas comme un courant de solidarité effective avec les coreligionnaires arabes. Elle offrait aux Kurdes, par exemple, un moyen de se mettre au service de l’Empire d’hier : c’est chez les islamistes kurdes que se recrutait la milice du sultan Abdül Hamid. De même pendant les 15 ans de lutte contre la guérilla du PKK, les milices de protecteurs de villages étaient recrutées sur la base de la religion. La vraie solidarité que ressentent et manifestent constamment aussi bien les politiciens, les milieux militaires, les hommes d’affaires ou les confréries s’exprime en direction de toutes les populations plus ou moins mythiquement, linguistiquement ou réellement apparentées aux "Turks"(5).

 

Un “monde turc de l’Adriatique à la Muraille de Chine”

 

Au début de la guerre de Yougoslavie par exemple Türgüt Özal, premier homme politique turc civil à prendre le relais du pouvoir militaire justifia son soutien aux ennemis des Serbes orthodoxes par le rêve d’un "monde turc allant de l’Adriatique à la muraille de Chine". Il se trouve que dans les Balkans la base démographique de ce rêve est très étroite et se compose de quelques rares minorités turques ou musulmanes, les groupes les plus consistants étant albanais ou bosniaques. Il est vrai que du point de vue turc ces Européens, convertis à l’islam autour du xviie siècle, sont représentés par d’importantes communautés considérées comme turques, présentes à Istanbul et dans les couches dirigeantes.

 

En 1991, George Herbert Bush déclarait ainsi, sans périphrase : "La Turquie est l’étoile montante de l’Europe". De la sorte, depuis cette date on a vu de manière systématique les hommes d’affaires d’Istanbul et les agents des services spéciaux d’Ankara servir de relais à l’expansion américaine dans la zone d’expansion "rêvée" par Özal. On les a vus dans toute l’Europe du Sud-Est, où la diplomatie turco-américaine a cherché à mettre en place la "zone de coopération de la Mer Noire". Mais on les a également observés en Asie Centrale et jusque dans le territoire chinois du Sin-jiang revendiqué par les Turks Ouïgours (6).

 

La communauté linguistique des Turks est un phénomène impressionnant. En restaurant ce qu’il appelait la "langue soleil", purgée des apports arabes et persans, Mustapha Kemal a ainsi rapproché la langue parlée par les Turcs d’Anatolie des langues parlées en Asie centrale. C’est une des bases du panturquisme. Et tout naturellement à partir de 1992 quand les républiques soviétiques dessinées artificiellement sous le stalinisme (Ouzbékistan, Kirghizstan, Turkménistan, Azerbaïdjan - le Kazakhstan est à moitié russe et le Tadjikistan est de souche iranienne) sont devenues théoriquement indépendantes. Leurs dirigeants, quoiqu’issus des appareils communistes, ont cherché à contrebalancer l’influence russe. Les agents turco-américains y ont donc été reçus à bras ouverts et il semble bien que l’enthousiasme était général. D’autre part, dans ces pays, les confréries islamiques dont l’existence n’avait jamais disparu sous le communisme ont pour la plupart retrouvé dans l’enthousiasme leurs homologues turcs (7). Certes, depuis, certaines illusions se sont dissipées (8), mais cette ambition demeure une constante de la politique d’Ankara.

 

On doit se souvenir que, dès les années 1910, la révolution jeune turque a commencé à s’intéresser à ce qu’on appelait alors le "Turkestan russe". À la même époque, les provinces arméniennes d’Anatolie représentaient un obstacle géopolitique non négligeable et se tournaient au contraire vers la Russie (9). On retiendra le destin exemplaire d’Enver Pacha. Principal chef des jeunes-turcs lors des révolutions de 1908-1909, après la défaite de l’Empire ottoman en octobre 1918, il fut chassé de Constantinople, se réfugia dans le Caucase où il prit la tête des Basmadjis, révoltés touraniens qui cherchèrent, tout d’abord, à s’allier avec les bolcheviks en Asie centrale, mais se retournèrent contre leurs alliés d’un moment. Et c’est les armes à la main qu’il fut abattu par un détachement de l’armée rouge en août 1922.

 

Les rapports de von Papen

 

Dans les années 1940, l’Axe s’intéressera beaucoup à cet héritage, et aux braises panturquistes d’aujour­d’hui sous la cendre soviétique. Toutefois les Occidentaux auraient dû prendre mieux connaissance des rapports de von Papen, ambassadeur allemand à Ankara : il concluait de manière assez négative quant aux retombées bien concrètes de cette parenté linguistique et mythique des Touraniens. Parmi les ambitions les plus réalistes de l’expansionnisme turc, fondées aujourd’hui par une démographie galopante, opposées à ses voisins du Proche Orient notamment sur la disposition des réserves d’eau, attirées par toute la géopolitique du Pétrole - dans le nord de l’Irak comme dans le Caucase - il en reste une. C’est pro­bablement l’ambition sur laquelle l’islamiste "modéré" Erdogan et le chef de l’armée "laïc", le général Ozkok, semblent être tombés d’accord pendant l’hiver 2002-2003 : à cette date on sortait du coup de tonnerre de l’élection de novembre 2002 donnant la majorité au parti d’Erdogan.

 

Il ne s’agira pas en effet, de servir l’islamisme mondial (10), mais de s’en servir, avec l’argent des Européens, afin de construire une immense puissance orientale. Et alors "l’étoile montante de l’Europe" (Bush père dixit) redeviendra pour l’Occident une menace tangible, comme elle l’était à l’époque du siège de Vienne. Mais cette fois les églises seront-elles là pour sonner le tocsin ?

 

Jean-Gilles Malliarakis.

 

Notes:

(1) Au sein de la classe politique, elle a été constatée notamment par le chancelier Kohl, par M. Giscard d’Estaing, etc.  

(2) La première entorse sera opérée en 1939 lors du traité franco-anglo-turc de 1939 aux termes duquel la France remettait avec la bénédiction de la Grande-Bretagne le sandjak d’Alexandrette détaché de la Syrie, alors sous mandat français, en échange de la promesse Turque de se joindre à la guerre contre l’Allemagne, ce qu’elle fit... en 1945.

(3) Dans l’Empire ottoman, à partir du XVIe siècle et contrairement au droit coranique, c’est le Sultan qui nommait le Cheïkh ül-islam.

(4) Direction des Affaires religieuses

(5) Un certain usage désigne comme "turks" avec un k les populations apparentées linguistiquement aux Turcs d’Anatolie, et qui n’ont pas nécessairement d’Histoire commune avec les Turcs. Nous préférons l’appellation de "Touraniens".

(6) La découverte par les Chinois d’agents militaires turcs et de militants islamistes parmi les terroristes ouïgours à la fin des années 1990 aura été un coup de tonnerre amenant Pékin à reconsidérer sa politique extérieure et ses relations, tant avec la Turquie qu’avec le Pakistan.

(7) On rappellera à ce sujet qu’un personnage comme Özal était affilié à la secte des "derviches" naqshbandi, etc...

(8) En particulier l’Ouzbekistan a la prétention au leadership en Asie centrale et ne désire point y voir la Turquie trop active.

(9) Sans justifier le moins du monde les affreux massacres de 1915, cette situation géopolitique explique une volonté d’éradication qui semble avoir épargné les Arméniens de Constantinople.

(10) Rappelons que la Turquie prétendument "laïque" appartient à l’Organisation de la Conférence Islamique. De plus en janvier 2003, le ministre des Affaires étrangères Abdüllah Gül n’a pas hésité à faire acte de candidature à... la Ligue arabe. Où est donc l’appartenance européenne dans tout celà ?