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jeudi, 29 juillet 2021

"Le conflit constituant". Nous sommes tous des disciples de Machiavel

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Recension:
"Le conflit constituant". Nous sommes tous des disciples de Machiavel

Giulio d'Alessandro

Quelle est l'origine de la pensée italienne ? Réflexions sur un livre d'Edoardo Dallari. Le conflit est le moteur de la politique. Rome est née après un fratricide.

SOURCE : https://www.lintellettualedissidente.it/controcultura/filosofia/dallari-libro-machiavelli/

Reconnaître une fois pour toutes la particularité de la pensée philosophico-politique italienne devrait être le rêve interdit de tout homme politique nationaliste et populiste de notre pays. Chanter les louanges d'une tradition glorieuse, se montrer comme le dépositaire le plus authentique d'un savoir raffiné, s'identifier à l'esprit du peuple et à ses déclinaisons intrinsèques, composerait un cadre idéologique capable de rallier un grand nombre d'électeurs. Au contraire, même en cet été archi-italien - où le retour à une vie sociale sans restriction et les nuits magiques des garçons de Mancini ont ravivé l'esprit d'unité nationale - le sujet ne semble pas susciter la moindre émotion. Le fait que gagner un match de football soit plus important pour nous, Italiens, que beaucoup d'autres choses, est une chose que nous avons entendue et ressentie, comme nous l'a rappelé, ironiquement, l'Anglais Winston Churchill il y a plus de soixante-dix ans. Et si de nos jours, grâce à l'euphorie de Wembley, même l'éternelle question de savoir quel est le style de jeu le plus authentique des Azzurri - catenacciari vs. bel giochisti, voyant dans la manière de mettre en place le jeu un génie tactique reflété dans le culturel - a perdu son attrait éternel parmi les bavardages de bar, alors il n'y a aucun espoir pour entendre le même discours dans le champ sémantique de la politique.

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Edoardo Dallari

Mais quand nous parlons de la tradition philosophico-politique italienne, à quoi faisons-nous référence ? Est-il possible de tracer un fil conducteur conceptuel qui sous-tend tous les passages historiques les plus délicats de notre péninsule ? Mais, surtout, peut-on retrouver les sources spéculatives d'où est issue la Pensée italienne ? Edoardo Dallari, avec son nouveau livre publié par Mimesis, Il conflitto costituente. Da Platone a Machiavel (Le Conflit Constituant : de Platon à Machiavel), publié par Mimesis, tente de donner une réponse exhaustive à cette dernière question. Le livre, bien que court, étudie en profondeur les origines de la pensée politique italienne, identifiant Machiavel comme le philosophe par excellence qui a incarné l'esprit de réflexion des habitants de la péninsule.

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Depuis plusieurs décennies, le débat sur l'existence d'une manière italienne particulière d'aborder la philosophie politique fait rage dans les discussions académiques. Le philosophe Roberto Esposito est le représentant le plus connu de ce que l'on appelle la théorie italienne, une tradition de pensée qui, à la différence de l'allemande ou de la française, a pour caractéristique principale la référence à la praxis. On dit du philosophe italien qu'il s'agit d'une pensée étroitement liée à la vie, une pensée qui fait de la praxis son point focal, ce qui en fait, en fait, une philosophie de la raison impure, dans laquelle les possibilités infinies des expériences concrètes font échec à la nécessaire immuabilité de l'absolu. Dans l'inévitable jeu des oppositions polarisantes, la pensée et la pratique italiennes s'opposent à la pensée continentale et au monde idéal, l'universel immuable au particulier changeant, l'exception qui déforme la règle à la norme absolue qui lui donne naissance.

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L'un des mérites de Dallari est de tenter d'ébranler cette dichotomie simpliste et de mettre en évidence des traces conceptuelles dans la pensée de Machiavel qui montrent comment les deux côtés de la médaille ne sont en fait pas aussi éloignés qu'il y paraît. Si le philosophe florentin de la Renaissance est par excellence le champion du pragmatisme, le porte-drapeau de l'opportunisme politique, quel autre penseur que Platon - reconnu dans la vulgate comme le prêtre austère du monde idéal hyper-ouranique, le défenseur extrême de la vérité théorique qu'il sauve des griffes du relativisme sophistique - peut devenir l'interlocuteur privilégié avec lequel montrer l'erreur d'une division aussi nette et drastique ? Le premier chapitre du livre se concentre précisément sur la relation entre le philosophe grec et Machiavel, en précisant comment c'est des apories de la pensée politique de Platon qu'est née la nécessité d'ériger une métaphysique de la praxis, concrétisée dans Le Prince. 

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Tout au long des pages du livre, le paradigme du conflit joue un rôle fondamental. L'objectif de Platon est de construire une république parfaite capable d'ordonner la multiplicité que l'on observe dans la polis, de dicter une forme normative qui régulera la cité de manière stable et définitive. La contradiction que souligne l'auteur montre cependant que l'aspiration à une telle formalisation est en soi impossible à réaliser : si l'ordre vise à mettre fin au conflit chaotique, il est également vrai qu'en l'absence de conflit l'ordre n'a plus besoin d'exister. Le conflit devient donc propédeutique à l'ordre ou, comme le dit Dallari, "le conflit est ordo-poïétique". Les forces sociales qui s'affrontent perpétuellement au sein de la polis, générant des déséquilibres précaires toujours nouveaux, sont la raison d'être d'un ordre normalisateur réclamé par les citoyens afin de ne pas être victime d'un chaos sans fin.

Si d'une manière ou d'une autre, comme Platon l'espère, grâce à une architecture socio-politique, les troubles politiques devaient être définitivement étouffés, alors l'élément vital de l'ordre de la cité cesserait d'exister. La pensée politique de Machiavel est née de cette aporie. Conscient qu'une constitution parfaite se réduirait à une contradiction irréconciliable, le philosophe florentin s'est efforcé de construire une politique comprise comme l'art du remède. Une solution définitive aux questions sociales complexes n'est pas possible, le politicien, et le politologue, doivent proposer des solutions approximatives, faillibles, mais précisément pour cette raison plus adaptées à l'adhésion au monde de la réalité. 

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Si une constitution idéale, imposée d'en haut, est intrinsèquement inadaptée pour ordonner le tumulte terrestre des poleis, Machiavel trouve dans l'exemple historique de Rome le modèle possible à imiter pour construire un État meilleur. Considérer l'Urbs comme la réalisation historique d'un équilibre durable, mais non éternel, stabilisant provisoirement des conflits sociaux qui l'ont animée, peut être le contrepoids pragmatique de cette idéalisation politique contradictoire en soi.

Le deuxième chapitre se concentre sur l'impact que l'histoire de Rome a eu sur le penseur de la Renaissance. La conception du droit et de la citoyenneté de la culture romaine, filtrée par la pensée philosophique d'Augustin, constitue cette racine conceptuelle latine qui innerve la métaphysique de la praxis de Machiavel et que l'on retrouve également in nuce dans les analyses contemporaines de la pensée italienne. L'auteur accompagne le lecteur dans un extraordinaire itinéraire conceptuel qui, sautant entre des arguments historiques et philosophiques, a pour leitmotiv la référence constante au paradigme du conflit. Le conflit est le moteur nécessaire à la construction de tout cadre politique.

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Le lecteur attentif, non étranger à l'histoire de la philosophie, appréciera les nombreuses citations, souvent en grec ancien, et la richesse des références qui ponctuent la structure du texte au fil des pages. Parmi les nombreuses suggestions, la charge symbolique attribuée au fratricide dans l'horizon politique italien est très intéressante. En Italie, reprenant une réflexion passionnante de Saba, une révolution n'a jamais eu lieu car le mythe fondateur par excellence du politique repose sur un fratricide : Romulus tuant son frère et fondant la civitas. La révolution, par contre, est toujours un parricide, le meurtre de l'ancien par le nouveau. Le fratricide devient donc l'horizon destiné du Politique, l'archétype par excellence de ce conflit qui constitue l'essence de la structure politique italienne.

Giulio D'Alessandro.

mercredi, 28 juillet 2021

L'importance cardinale de la philosophie politique de Giovanni Gentile

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L'importance cardinale de la philosophie politique de Giovanni Gentile

"Genèse et structure de la société", ouvrage majeur de Gentile, est réédité par l'éditeur Oaks sous les auspices de Gennaro Sangiuliano

par Giovanni Sessa

Ex: https://www.barbadillo.it/99510-la-centralita-della-filosofia-politica-di-giovanni-gentile/

Giovanni Gentile a fourni, d'un point de vue théorique, une contribution essentielle à la philosophie italienne et européenne du vingtième siècle. Malgré des jugements préconçus, motivés par des raisons purement politiques et dictés par les directives de l'"intellectuellement correct", de nombreux critiques, libérés de ce conditionnement, reconnaissent aujourd'hui l'importance du penseur de Castelvetrano.

Gentile était non seulement un philosophe distingué, mais aussi un homme d'une noblesse d'esprit et d'un courage intellectuel hors du commun. La maison d'édition OAKS a récemment publié l'ouvrage que l'on peut franchement considérer comme son héritage spirituel, Genèse et structure de la société. Saggio di filosofia pratica (Genesi e struttura di società. Saggio di filosofia pratica), précédé d'un essai introductif qui contextualise la figure et l'action culturelle mise en œuvre par le philosophe, signé par l'éditeur, Gennaro Sangiuliano (pour les commandes : info@oakseditrice.it, pp. 194, euro 20.00).

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L'œuvre, qu'Ugo Spirito décrit comme la plus importante du penseur qui se définissait comme "actualiste", fut publiée à titre posthume en 1946; elle a été écrite à un moment dramatique de l'histoire italienne, entre septembre et août 1943, lorsque tout était perdu pour le régime fasciste: "soulager l'âme dans les jours d'angoisse" et "accomplir un devoir civique" (Gennaro Sangiuliano, éd.). "Pour accomplir un devoir civique" (p. 5), en vue de la future Italie. Il est donc possible de parler de la Genèse comme d'un témoignage, prononcé avant sa mort imminente, qui explique, dans le chef de Gentile en tant qu'homme et en tant que philosophe, quelle fut réforme morale et civile qu'il avait théorisée tout au long de sa vie. Le livre, issu d'un cours universitaire, montre une reprise des thèmes que Gentile avait déjà abordés en 1899 dans La filosofia di Marx, un auteur chez qui il avait perçu des critiques évidentes, mais aussi la résolution positive de la pensée dans la praxis. Dans ces pages, le philosophe actualiste part du concept de "Discipline", entendu comme la capacité de régir, en permanence et sans discontinuité, la coutume qui, dans sa répétition, se transforme en ce que les Romains appelaient les mœurs: "éléments de la singularité de l'esprit" (p. XXIX). 

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En particulier, le philosophe s'arrête pour analyser le rapport entre l'individu et la société, adoptant la définition d'Aristote de l'homme comme "animal politique", dont la vie "par excellence" se déroule dans la "société transcendantale" ou la "communauté". C'est seulement en elle que "l'altérité immanente du Moi est exaltée" (p. XXX). En tout cas, l'État, la dimension politique, vivent en l'intériorité de l'homme, ils ne naissent pas d'un contrat social, stipulé pour laisser derrière soi l'état de nature, l'état sauvage. Il existe donc: "une vox populi qui est ratio cognoscendi de la vérité [...] et c'est le consensus gentium cicéronien " (p. XXX). Cette voix, sans être sollicitée, s'exprime, sua sponte, spontanément et à sa propre façon, en chaque individu, en tant qu'enfant d'une histoire et appartenant, avec ses pairs, à un destin commun. De là découle la notion d'état éthique de Gentile, porteur, comme le savait bien Campanella, d'une "valeur absolue", dans la mesure où il y a en lui "une volonté commune et universelle du sujet " (p. XXXI). L'État authentique naît du mouvement d'une communauté, il ne se limite pas, comme le voudraient les théoriciens post-modernes, à être une organisation fonctionnelle et administrative. Elle est l'expression d'un peuple, enraciné dans un paysage, le résultat de son action dans l'espace.

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S'il existe un humanisme de la culture, l'humanisme du travail est tout aussi important pour les adeptes de la pensée actualiste de Gentile. Le travail, en effet, "n'est pas seulement une question de salaire, mais l'une des plus hautes expressions de l'esprit humain" (p. XXXII). Dans le travail, l'homme déploie la même capacité de réflexion, que celle qui s'exprime dans la créativité intellectuelle. C'est pourquoi le travail doit être protégé, en termes d'entreprise, contre toute action "atomisante" qui peut potentiellement être menée, en fonction des diverses contingences, par les entrepreneurs ou les employés. Défendre la dignité du travail implique de défendre le bien de la communauté. Gentile, à partir de Marx, postule l'identité absolue de la théorie et de la praxis et en vient, platoniquement, à identifier la fonction du philosophe à celle de l'homme politique. Les "politiques-philosophes" sont, comme le soulignera Eric Voegelin des années plus tard, des hommes à l'âme "ordonnée" et, par conséquent, des hommes qui savent et agissent avec vertu. Il est facile de comprendre comment, dans l'état actuel des choses, caractérisé par un désordre existentiel et politique, ces thèses gentiliennes sont d'une grande actualité.

Comment le penseur actualiste en est-il venu à développer de telles positions ? L'essai introductif de Gennaro Sangiuliano répond pleinement à cette question, en reconstruisant l'ensemble de l'itinéraire biographique, politique et spéculatif de Gentile. La reconstruction biographique contredit ce qui a été affirmé, entre autres, par Mimmo Franzinelli (dans Il filosofo in camicia nera. G. Gentile e gli intellettuali di Mussolini, 2021), dont l'analyse révèle qu'il n'est qu'une figure de penseur lié au pouvoir, à sa gestion, un dispensateur de faveurs "politiques". En réalité, le parcours du philosophe actualiste se caractérise dès le départ par une extrême cohérence. Après avoir obtenu son diplôme de l'Université Normale, il s'est proposé sur la scène intellectuelle nationale comme un penseur capable de donner une cohérence théorique aux "intuitions" de l'avant-garde du début du vingtième siècle. Au moment de sa collaboration avec Croce, il est l'auteur d'une critique organique des insuffisances de la culture positiviste et du socialisme tandis que, à travers l'exégèse du Risorgimento, compris comme Révolution-Restauration, présentée dans les écrits de Rosmini et Gioberti, il devient le porteur d'une réforme morale et civile radicale, à réaliser politiquement, de la nation italienne. Cela impliquait naturellement une metanoia, un "changement de cœur" des Italiens, dont le philosophe a été le témoin concret.

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Genèse et structure de la société de Giovanni Gentile

Dans l'interventionnisme, puis dans le fascisme, il a identifié la possibilité que cette réforme souhaitable devienne réalité dans le processus historique. L'éducation devra y jouer un rôle important: d'où son engagement en tant que pédagogue, ministre et directeur scientifique de l'Enciclopedia Italiana. Après le Concordat, il a quitté la fonction publique et, dans une certaine mesure, le régime lui-même. Il revient faire entendre sa voix dans le Discorso agli Italiani du 24 juin 1943. Voici le commentaire de Sergio Romano: "Il s'était tu au moment de la déclaration de guerre; il ne pensait pas se taire quand le sort de la guerre tournait au pire" (p. XXIV). Autant pour être un homme de pouvoir. Ce choix lui a coûté cher, il l'a payé de sa vie. Il est assassiné le 15 avril 1944 par un commando gappiste dirigé par Bruno Fanciullacci. En 2004, Jader Jacobelli, dans un article publié dans le Corriere della Sera, a ouvertement déclaré que le meurtre avait été perpétré avec la complicité de la direction du PCI.

L'harmonie sociale, la pacification nationale, dont parlait le philosophe dans son Adresse aux Italiens, sont encore loin d'être advenues. Nous devons encore compter avec les idées de Giovanni Gentile, c'est une urgence qui ne peut être reportée.     

Giovanni Sessa

 

mardi, 27 juillet 2021

Alexandre Douguine: "Le progrès n'existe pas. C'est une illusion"

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Le progrès n'existe pas. C'est une illusion

Alexandre Douguine

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/progressa-ne-sushchestvuet-eto-zabluzhdenie

Tôt ou tard, quelqu'un devait le dire. L'idée de progrès est une pure illusion. Tant que nous n'abandonnerons pas ce préjugé, tous nos projets et plans, toutes nos analyses et reconstructions historiques, toutes nos idées scientifiques reposeront sur une fausse base. Il est temps de mettre un terme au progrès. Il n'y a pas de progression linéaire des sociétés humaines.

Une fois que nous aurons accepté cela, tout se mettra immédiatement en place.
L'idée de progrès a été formulée pour la première fois par les Encyclopédistes au XVIIIe siècle, et trouve son origine dans la théorie hérétique de Joachim de Flore sur les trois règnes - le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La tradition chrétienne orthodoxe reconnaît l'âge de l'Ancien et du Nouveau Testament, c'est-à-dire l'âge du Père et du Fils, mais la fin de la civilisation chrétienne est suivie d'une brève période d'apostasie, de l'arrivée de l'Antéchrist, puis de la fin du monde. Et aucune renaissance spirituelle particulière, aucune amélioration du christianisme n'est attendue. Au contraire. Lorsque l'ère du Fils prend fin, il y a une chute de l'humanité - dégénérescence, effondrement et dégradation.

Joachim de Flore et ses disciples franciscains, majoritairement catholiques, voyaient au contraire l'avenir comme beau, et après la chute de la civilisation chrétienne médiévale, ils ont prophétisé la venue de quelque chose d'encore plus sublime et sacré.

Les Encyclopédistes ne croyaient plus à l'époque du Saint-Esprit, mais non plus ni à l'Église ni à Dieu lui-même. Mais la conviction de la fin de la culture chrétienne était partagée et ils proclamaient joyeusement la fin de la religion comme le début d'une nouvelle société - plus juste, plus parfaite, plus rationnelle et plus démocratique. Plus développée.

C'est ainsi que les athées et les matérialistes - Turgot, Condorcet, Diderot, Mercier - développent la théorie du progrès humain universel, assez rapidement élevée au rang de dogme absolu. Les personnalités annonciatrices du Nouvel Âge ont été encouragées à douter de tout - de Dieu, de l'homme, de l'esprit, de la matière, de la société,  de la hiérarchie, de la philosophie, mais non pas à douter du progrès... Non, car c'eut été trop.

D'où vient cette axiomatique ? Pourquoi l'opinion d'un certain nombre de penseurs - qui ne sont pas les plus brillants et les plus impressionnants - a-t-elle soudainement acquis le statut de dogme ? Et pourquoi ne peut-on pas permettre qu'elle soit critiquée, discutée rationnellement, remise en question ?

Il y a là quelque chose de mystérieux. Le progrès ne peut être catégoriquement réfuté dans le Nouvel Âge. Ceci est commun à toutes les idéologies politiques - libéralisme, communisme et nationalisme, à toutes les écoles scientifiques - idéalistes ou matérialistes. La croyance au progrès est devenue une sorte de religion. Et la religion ne requiert aucune preuve. Plus c'est absurde, plus c'est crédible.

Ainsi, avec la référence au progrès, le Nouvel Âge a écarté l'Antiquité, le Moyen Âge, la théologie, les traditions de Platon et d'Aristote, la hiérarchie, l'empire, la monarchie, les anciens fondements du travail paysan sacré.

Bien sûr, une critique du progrès existait - tant de la part des traditionalistes, que de certains penseurs qui adhéraient à une vision cyclique de la logique de l'histoire, et dans l'école des structuralistes européens, et dans les théories des nouveaux anthropologues.
Le mythe du progrès a été démoli de manière convaincante par l'éminent sociologue russo-américain Pitirim Sorokin.

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Mais dans la conscience publique - et même dans l'inconscient collectif - l'illusion du progrès a conservé sa position dominante. Quoi qu'il en soit, ni une série de catastrophes politiques à grande échelle, ni la dégénérescence évidente de la culture contemporaine, ni l'effondrement des systèmes sociaux, ni les découvertes inquiétantes de la psychanalyse, ni la critique ironique du postmodernisme, n'ont empêché l'humanité de toujours croire aveuglément au progrès. Et l'humanité continue à aggraver les choses en agissant ainsi.

Mais il suffit d'admettre qu'il s'agissait d'une hérésie, d'une hypothèse sans fondement, complètement réfutée par le cours de l'histoire elle-même, pour que l'image de la réalité qui nous entoure redevienne claire.

La civilisation moderne est plutôt dans un état de profond déclin. C'est un constat amer, mais poser un tel constat, plein d'amertume, ce n'est pas la même chose que de sombrer dans le désespoir. Si les choses ont mal tourné - et c'est vraiment le cas - revenons à la plénitude et à la santé, rétablissons les choses comme elles étaient. Tant qu'elles ne sont pas périmées.

Par ailleurs, le refus du progrès n'empêche nullement de reconnaître une amélioration de tel ou tel aspect de la vie. Mais cela n'en fait pas une loi contraignante. Certaines choses s'améliorent. Certaines choses s'aggravent. En outre, une phase peut succéder à l'autre. Et dans différentes sociétés, ces cycles - s'ils ont un quelconque algorithme universel - peuvent ne pas coïncider. Quelque part, il y a du progrès et quelque part, il y a de la régression. En Russie, c'est l'été, en Argentine, c'est l'hiver.

Sans l'illusion délétère du progrès, nous retrouverons à la fois notre santé mentale, tissé de sobriété, et notre liberté. Nous pouvons rendre le monde meilleur, mais nous pouvons aussi le rendre pire. Chaque fois, nous devons réfléchir à nouveau. Comparer, analyser, nous tourner vers l'histoire, repenser l'héritage du passé - sans arrogance ni préjugé.

Rendons notre existence digne. Certainement mieux que maintenant. Mais pour faire ne serait-ce qu'un petit pas dans cette direction, nous devons impitoyablement nous débarrasser de l'idée fallacieuse d'un progrès inéluctable, cette hérésie dangereuse et corruptrice.

Le monde de la modernité liquide

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Le monde de la modernité liquide

Markku Siira

La crainte d'un bouleversement social engendre la méfiance, Alastair Crooke le dit très clairement.

Cette peur, cette incertitude et cette anxiété peuvent donner lieu à un état mental, que le sociologue Émile Durkheim a appelé anomie.

C'est un sentiment paralysant d'être coupé de la société, d'un monde qui vous entoure et qui est corrompu jusqu'à la moelle. La personne ordinaire n'est qu'un "numéro", un objet impuissant d'oppression et d'asservissement par le "système", qui estime que personne ou rien n'est digne de confiance.

Les gens vivent aujourd'hui dans un monde de "modernité liquide", comme le disait le regretté sociologue Zygmunt Bauman. Toutes les caractéristiques spécifiques qu'une communauté attribuait à ses membres ont presque disparu ou ont été redéfinies par des expressions de libéralisme extrême.

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Même les lois de la nature biologique sont remises en question : il y a plus de deux sexes, selon l'interprétation actuelle, et le corps dans lequel l'homme naît n'est pas celui que l'on croyait : comme notre société moderne, il est lui aussi "fluide" et peut être modifié. Même au niveau mental, nous pouvons aujourd'hui nous "identifier" comme n'importe quelle "trans-personne".

L'histoire, la culture et la tradition sont également hostiles. En conséquence, les "progressistes" qui se sont "éveillés" à l'existence de griefs culturels discriminatoires - les "woke people" d'origine américaine - appellent non seulement au renversement des statues, mais aussi au démantèlement de l'ancien système de l'ère du "pré-éveil".

Selon l'idéologie woke, les "Blancs privilégiés" sont "implicitement racistes", héritiers de l'héritage colonial qui n'ont pas droit à la liberté d'expression ni même à une existence physique. Le "wokeisme" agressif croit qu'il a raison et qu'il ne peut plus y avoir de débat, mais que tout le monde doit se repentir et tomber à genoux.

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Le plus amusant dans ce nouveau radicalisme est qu'il est soutenu et financé par les grandes entreprises et le club capitaliste dépassé des "cosmopolites sans racines" qui dicte les règles à l'ensemble de la population de la planète depuis sept décennies. Les personnes "éveillées" qui sont censées critiquer le capitalisme ignorent ou négligent cette contradiction flagrante.

Pour la classe dirigeante, les mouvements identitaires qui inspirent la jeunesse d'aujourd'hui, de BLM à Antifa et Elokapina (ndt: mouvement woke en Finlande), ne sont pas un problème car eux aussi, à leur manière, poursuivent les objectifs à long terme du capitalisme mondial. Elle est également poursuivie par les Nations unies, dont l'agenda 2030 pour le développement durable a été signé par presque tous les gouvernements.

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Manifestation d'Elokapina en Finlande.

Derrière les agendas mondiaux de l'"égalité", du "climat" et des "vaccins", des réformes économiques, sociales et politiques sont en cours pour réaliser pleinement l'avenir, pas si inconnu, de la gouvernance mondiale. Y a-t-il quelqu'un - à part les particuliers - qui s'oppose à ce développement ? Même la Chine et la Russie, les rivaux de l'Occident sur le terrain de jeu géopolitique, parlent couramment le langage de l'ONU quand elles le veulent.

La confrontation la plus récente qui déstabilise les sociétés a été provoquée par l'alarmisme sur les taux d'intérêt. Les gens sont divisés en bons citoyens "vaccinés" et en citoyens de seconde zone "non vaccinés". Le philosophe italien Giorgio Agamben a affirmé que le "passeport vaccinal" conduirait au biofascisme. Le poids politique de ce fait ne peut être surestimé.

Le projet de mondialisation mené par les puissances d'argent est en cours depuis au moins la Seconde Guerre mondiale, et la création destructrice des hommes d'affaires, des banquiers et des familles puissantes ne montre aucun signe d'échec, même si le monde tente toujours de faire une certaine distinction entre les "démocraties" et les "autocraties" et de provoquer une nouvelle guerre froide.

Certains citoyens s'imaginent qu'une fois que les gens auront consciencieusement pris leurs vaccins et que la "pandémie" se sera calmée, nous reviendrons à la "normale". Cela ne se produira pas, mais nous continuerons à vivre de "crise en crise", en connaissant de nouvelles urgences, jusqu'à ce que les mondialistes atteignent leurs objectifs ou, par miracle, perdent leur jeu.

Source : https://markkusiira.blogspot.com/ 

lundi, 26 juillet 2021

Serge Latouche a écrit une biographie intellectuelle de Baudrillard

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Serge Latouche a écrit une biographie intellectuelle de Baudrillard

Par Francesco Marotta

Ex: https://www.grece-it.com/2021/07/08/serge-latouche-scrive-la-biografia-intellettuale-di-baudrillard/   

"Toute destinée, aussi longue et compliquée soit-elle, consiste en réalité en un seul moment : celui où l'homme sait pour toujours qui il est."

(Jorge Luis Borges, L'Aleph - 1949 -, Feltrinelli, Milan 1999, p.4).

Serge Latouche, professeur émérite de sciences économiques à l'université Paris-Sud, économiste et philosophe français, et principal théoricien de la décroissance, a écrit une biographie exceptionnelle sur Baudrillard. A partir du 18 mars 2021, son livre Quel che resta di Baudrillard : Un eredità senza eredi a été disponible dans toutes les librairies d'Italie. Une biographie intelligente, comme il y en a peu : Latouche donne largement la parole à ses capacités d'analyse et d'intellectualité, racontant Baudrillard mais sans se priver de mettre en évidence leurs points communs et ceux qui les ont toujours divisés.

Ceci, alors que le philosophe et politologue français, comme l'a rappelé à juste titre Alain Caillé, professeur émérite de sociologie à l'Université de Paris-Ouest Nanterre, n'est malheureusement "plus lu en France par les sociologues ou les philosophes (sans parler des économistes et des anthropologues)". Ce n'est pas vraiment le cas ici en Italie mais, contrairement à ce qui se passe en France, certains de ses vues éclairantes sur l'hyperréalité, sur Le système des objets de l'essai du même nom et sur la séduction du symbolique, etc. sont souvent reproposés, en adoptant un critère d'évaluation de la performance et de la production, inhérent au vaste répertoire bibliographico-intellectualiste. De plus, nous lisons des écrits qui ne vont pas au-delà des examens habituels de Baudrillard, manquant de perspicacité et incapables de tracer de nouvelles voies. Ceux qui tentent de nier ce fait ne font souvent pas de critiques argumentées de ses œuvres : ils ne sont bons qu'à détruire l'ex-marxiste ou le "traître" sorti des rangs de la nouvelle gauche socialiste. Plusieurs années plus tard, on peut dire que peu de choses semblent avoir changé pour les épigones de la gauche caviar. Et cela se double du silence assourdissant d'une droite qui n'a pratiquement jamais lu un livre ni de Latouche ni de Baudrillard, à quelques rares exceptions près, en ces temps difficiles de condamnations et d'évictions pour "collusion" avec l'ennemi.

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Pour ceux qui ne se soumettaient pas aux schématisations surmontées par l'histoire (il est arrivé la même chose à Baudrillard), pour ceux qui avaient un QI juste au-dessus de la moyenne, le couperet tombait inexorablement. Certains auteurs et universitaires, comme Vanni Codeluppi, ont réussi, grâce à leurs recherches, à mettre en lumière les phénomènes communicationnels présents dans l'idéologie de la consommation, les médias et la culture de masse. Ils n'ont pas baissé les bras et ont remis à sa juste place l'une des figures les plus controversées et les plus brillantes de la scène intellectuelle européenne, qui fait l'objet de nouvelles études et d'approfondissements appropriés.

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Et grâce à Latouche, il est désormais possible de lire entre les plis de la vie et de la pensée de Jean, entre les facettes du doppelgänger et du vagabond errant entre les choses du monde. Ils reprennent vie et apparaissent dans toute leur surprenante complexité : le gauchiste militant et bientôt désabusé, le génie qui suit un itinéraire correspondant à la forme et à la maturité de sa pensée, choisissant de poursuivre son chemin non pas de manière linéaire mais avec un "chemin en spirale". Et voilà l'anarchiste conservateur, le situationniste, le germaniste habile et le sociologue, le pataphysicien qui arrive à la "pathosociologie", pour Latouche le métalepsychiste qui se transforme en pataphilosophe, "Baudrillard avant Baudrillard" et le Jean qui viendra après. Certainement pas l'homme qui a répudié son identité, pensant ne plus vouloir la trouver dans les "grands espaces" et les déserts d'Amérique du Nord, traversant le désert de Mojave, le parc d'Anza-Borrego, l'Arizona et le Nevada.

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Sauf à réaliser, lors d'une conférence à Reims, ville historique du nord-est de la France et lieu de sa naissance, des origines de sa famille, qu'"on peut ne pas vouloir être classé ou compris en termes de références (note Ludovic Leonelli, ancien élève de Baudrillard), mais on ne peut pas prétendre être "de nulle part"". Les habitants du "village" le reconnaîtront comme l'un des leurs et Jean, à son tour, les reconnaîtra comme faisant partie de lui-même. L'érudit qui allait écrire sur l'Amérique à cette époque avait un œil pour le "cosmopolitisme total". Mais c'est aussi le même homme qui, dans le lieu où il a vécu toute son enfance, a su renouer les fils rompus avec " la trace d'un arrière-grand-père berger, de son grand-père petit paysan " et n'est certainement pas le déraciné qu'il prétendait être quand il disait que " la dimension locale est impure ". Après tout, il n'a jamais oublié ses amis d'enfance au Lycée de Reims, ceux de son adolescence qui étaient Michel Neyraut, dit le Philosophe, et Jean-Marc Segresta, dit le Baron et surnommé le Chanoine. Un microcosme, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans la région Champagne-Ardenne, où Jean a commencé à enquêter sur ce que d'autres considéraient comme superflu.

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Petit à petit, tout s'est éclairci pour lui : peu après l'arrivée des Américains, une question s'est posée dans son esprit sur la notion de surplus. Le macrocosme de l'envahissement des marchés par les Américains et du système d'actions pour les GIs apparaît bientôt dans toute sa large banalité. La question est évidente, "il n'y a pas de surplus" pour la raison que "tout est surplus", tandis que les ravages de la dévastation laisseront place à une amère constatation, la nouvelle religion de l'Occident : "la guerre est un surplus et même de plus en plus, elle nous submerge, elle se répand, elle est le surplus". Une réflexion qui n'est pas sans rappeler celle de Jünger dans ses Strahlungen, plus précisément dans son deuxième journal parisien de février 1943 à août 1944, approfondissant la déification du "monde comme une maison de fous rationnellement construite".

51VGXG2EdbL._SX210_.jpgLe ressort de la pensée spéculative de Baudrillard est sans aucun doute le double, clairement visible dans Le système des objets et dans presque toutes ses œuvres. Ce qui l'aide grandement, c'est le continuel "échange subtil entre les considérations générales et l'expérience personnelle". L'affirmation chère à Jean, selon laquelle "l'homme n'est jamais identique à lui-même", s'avère d'une telle conventionnalité que Latouche ne manquera pas de la saisir parfaitement. Dans le mythe de "l'étudiant de Prague", que Baudrillard cite souvent dans ses essais (voir L'échange symbolique et la mort), en effet, "son double tue son fiancé" et, à son tour, "le jeune homme se tue en tirant sur le double qui l'a déshonoré". Jean oppose au sens du double et du dédoublement, ce qui pour Latouche s'apparente à un certain engouement pour les peuples "primitifs". En résumé, cela n'a rien à voir avec le sens de la multiplicité de "l'antiquité polythéiste", mais beaucoup à voir avec "le dédoublement tel qu'il est vécu dans les sociétés européennes modernes".

Si pour Latouche le génie de Reims "retraçait l'histoire du double depuis l'antiquité polythéiste jusqu'à l'intériorisation de l'âme par le sujet chrétien", pour Jean il était beaucoup plus important de mettre en valeur un type de sujet "unifié et individualisé" qui fait effectivement partie du double. Un élément important d'une vision double de l'homme, bon ou mauvais, audacieux ou craintif, etc. Bien que l'homme soit beaucoup d'autres choses, beaucoup plus. En tout cas, à la page 56, c'est Baudrillard lui-même qui précise ce qu'il veut dire : "l'être se démolit dans d'innombrables autres, tout aussi vivants que lui, tandis que le sujet unifié, individué, ne peut que se confronter à lui-même dans l'aliénation et la mort". Et comme d'habitude, il recommence, perdant sa trace et reprenant le fil au besoin. La première chose qui vient à l'esprit en lisant cet extrait, c'est le temps qui s'est écoulé entre eux et qui leur a permis de se confronter sur leurs différences. Serge, si différent de Jean. Jean, avec sa maîtrise de l'écriture et du langage, si diamétralement opposé à Serge. Les réunir, c'est sans doute la biographie-dédicace d'un Latouche dans sa vieillesse, qui ne pouvait pas ne pas écrire quelque chose sur Baudrillard. Qui sait, il ne pouvait manifestement plus retenir ces pensées très justes et ces observations aiguës qu'il aurait eu le plaisir d'exposer à Baudrillard de son vivant. Mais les deux n'étaient pas en bons termes...

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Le Breton de Vannes, qui fut l'un des animateurs de la Revue du MAUSS (Revue du Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales), a sûrement tenté de lui donner l'une des épithètes habituelles des milieux de gauche. Jean devient à son tour le "radical chic" du salon, habitué des expositions photographiques, le conférencier impénitent qui écrit, dit tout et le contraire de tout, sans jamais se couler dans la réalité. En tout cas, Latouche, esprit avisé et clairvoyant, a saisi ce que les détracteurs de Baudrillard (en partie les siens) ont ignoré en évitant de se regarder dans le miroir: Baudrillard a réussi à faire tenir ensemble deux polarités bien spécifiques, l'enracinement et le "cosmopolite". Ce dernier, au sens positif du terme. Il a traversé Mai 68 indemne et, surtout, conscient de l'importance qu'il revêtait pour sa génération, il a lu les événements avec des yeux non encombrés par les pièges de la culture pop et de son imagerie : il les a remis en question et les a poussés à l'extrême "dans un monde totalement dominé par le paradoxe". Ceci, alors qu'aujourd'hui encore personne n'assume la responsabilité de critiquer en profondeur les études culturelles avec une "pensée radicale", relative à la "racine", étant donné que "l'enjeu ne consiste plus en une explication mais en un duel, en un défi respectif de la pensée et de l'événement" (Power Inferno, Cortina Raffaello Editore, 2003, p. 20.). Au cours de ces années, il fait la connaissance de ce qui deviendra son ami de toujours, François Séguret, de George Perec et d'Edgar Morin, qui se souvient de lui au Centre d'études des communications de masse (C.E.C.M.A.S.). Mais bientôt, malgré son amitié avec Félix Guattari et la création en 1962 de l'Association franco-chinoise, qui produit une revue de style maoïste, il choisit d'entreprendre une "traversée" vers des domaines et des champs qui lui convenaient mieux. Avant tout, l'élaboration d'une critique respectueuse de Foucault qui déboucherait sur une véritable réflexion théorique sur l'importance de devoir oublier Foucault, à l'image du titre du livre du même nom. Comme nous le disions, une critique respectueuse que l'homme irritable a attachée à son doigt en l'ignorant, alors que le but était justement d'en discuter.

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Mais Jean n'a jamais vécu selon les cotes d'approbation des grandes figures culturelles de l'époque. Il a suivi sa propre voie, se livrant à des analyses peu audacieuses de l'"immondializzazione", terme qu'il a inventé pour mettre en évidence les distorsions de la mondialisation, de l'omniprésence d'un anti-utilitarisme par trop utilitaire, des aspirations ultra-consuméristes des classes moyennes et populaires liées à la logique sociale de l'abondance et de la "jouissance indexée sur la culpabilité" (jouissance honteuse) qui s'ajoutent, en aggravant la situation, à la "réintégration du manque de jouissance dans la jouissance". Il a également réussi à esquisser à l'avance les teintes plombées du paradoxe structurel de la croissance et de la perte de destruction de notre oikos. Ses réflexions continuent d'agacer, et plus d'un lui reproche d'avoir une écriture arty, tendant à l'autosatisfaction, révélant une déloyauté cachée à ses coups de gueule sur l'exhibitionnisme dans la société de masse.

Un énième j'accuse, une autre façon de tenter de cacher l'addiction à l'artificialisation même du monde et des choses. Pour reprendre les termes de Latouche, qui ne lésine certainement pas sur ce travail, l'ensemble fait partie du complexe de démonstrations plastiques de la manière dont le simulacre doit "ne plus être compris comme ce qui cache la vérité, mais comme ce qui cache l'absence de vérité". Une virtualisation et une altération des choses qui vivent aussi des opinions d'un vague "opinionnisme", "dominé par des modèles qui se suivent compulsivement : cela vaut pour la mode, la communication politique, etc.". Le même discours qui suit servilement la naissance continue de sagas commémoratives et de processus d'intentions pour recycler "à titre posthume ou artificiel", des événements du passé qui "témoignent d'une histoire encore vivante". Bien sûr, raconté pour ce qu'il n'a jamais été. Un festival plutôt qu'une saga de l'indifférence qui alimente la fascination pour les effets détériorants de l'excès, étendu à toutes les sphères et tous les domaines. L'auteur de Ce qu'il reste de Baudrillard : un héritage sans héritiers nous éclaire sur la question, allant jusqu'à évoquer une hypothétique complicité de Baudrillard avec le "Système", complicité ou duplicité qui le verrait se dérober aux tics de la gauche face aux critiques de cette même gauche : illustrant les risques de la "tentation du nihilisme" dont Jean n'était pas exempt. Ce soupçon est totalement infondé, voire contradictoire, puisque les suppositions de Latouche s'articulent sur la base d'une "juxtaposition entre les propos de Baudrillard et d'autres positions nominalistes", comme celles de Bruno Latour, de Jean-Loup Amselle, partisan de la non-existence des groupes ethniques, et de bien d'autres. Une erreur que l'auteur ne prolonge pas longtemps, évitant de gravir plus haut une crête pleine d'incertitudes et hérissée de conjectures: Baudrillard aborde le nihilisme de "différents côtés et avec différentes thèses sur la réalité". En particulier, écrit Latouche, il est aussi un "grand nihiliste devant l'éternel et le cadavre de l'éternel, ou, dans son cas, le cadavre du réel...". Du point de vue de Serge Latouche, la réponse est implicite. Il enrichit le contenu d'une lecture inédite de Baudrillard, où il y a le moindre doute à dissiper sur la bonté de l'œuvre de l'économiste et philosophe français. Une biographie et un travail intellectuel que seul un esprit libre comme Baudrillard pouvait encourager.

Serge Latouche

Quel che resta di Baudrillard. Un'eredità senza eredi, Bollati Boringhieri, 2021,

360 pages, euro 27.00

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Pierre Le Vigan: Plotin : trois hypostases ne font pas une trinité

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Pierre Le Vigan:

Plotin : trois hypostases ne font pas une trinité

A Nicolas Bonnal

Né en 205 de notre ère en Egypte, alors dans l’Empire romain, Plotin est d’abord élève d’Ammonios dit Sakkas à Alexandrie. Il voyage en Orient à la suite d’une expédition militaire (malheureuse) de l’empereur Gordien III contre les Perses en Bactriane. Il découvre des pensées, notamment gnostiques, qui, sans le séduire, lui permettent de cheminer et de trouver son lieu  dans un paysage intellectuel riche. Puis, il enseigne en grec et d’abord oralement. Ce n’est que dans un second temps qu’il écrit. Ses écrits sont publiés vers 300 par Porphyre de Tyr (actuel Liban), un de ses disciples. Les Ennéades sont une reconstruction a posteriori. La première regroupe ce qui concerne la morale et la nature de l’homme, la deuxième est une cosmologie (et donc une théorie de la connaissance), la troisième concerne le destin (et est donc une forme de sotériologie). Les trois dernières énnéades concernent les 3 principes ou « hypostases », soit, dans le sens ascendant, l’âme, l’intelligence, l’Un.

176581.1623161184.jpgPlotin est un stoïcien. « Ce n’est tout de même pas à Dieu de prendre les armes pour les pacifiques ». C’est un aspect que l’on oublie souvent car on voit en lui un néo-platonicien. C’est aussi le cas. Mais le moraliste qu’il est nous dit d’apprendre que la vie est dure et qu’il ne faut pas se plaindre, en quoi il est stoïcien. C’est aussi pourquoi Plotin est un réaliste : « Les méchants régnent par la lâcheté de leurs sujets, c’est cela qui est juste, et non le contraire ». Ce qui est juste, c’est ce qui est réel, ce n’est pas ce qui « devrait être », c’est ce qui est. Si la morale de Plotin est une théorie, elle l’est au sens étymologique : ce qui se donne à voir, la vision. C’est pourquoi les Ennéades (ce qui veut dire des groupes de neuf traités. Plotin en a produit six) se situent dans le prolongement de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote. Mais avec une contradiction : il faut adhérer au monde, mais en même temps, il n’y a pas de régles de l’action dans ce monde. Il faut même que les hommes supérieurs s’abstiennent de chercher à dominer les autres. Ici, Plotin recoupe le Phédon de Platon : il faut se retirer des agitations du monde, et se débarrasser des empéchements du monde, comme Socrate devant la mort. L’important, c’est d’être, et être, c’est d’abord voir. Le monde a toujours été et sera toujours. Disciple d’Ammonius, connu lui-même surtout par son disciple Porphyre, Plotin identifie trois principes majeurs : l’Un, l’Intellect, l’âme (ou les âmes). Porphyre voit de son côté plusieurs parties dans l’œuvre de Plotin, l’éthique, le monde comme matière, le monde comme destin, l’âme, l’intellect, l’Un, en remontant ainsi vers la source (l’Un). C’est comme cela qu’il reconstruit à sa façon les traités de Plotin, en leur donnant la structure des Ennéades.  En tout état de cause, quel que soit le point de départ, on peut remonter ou descendre vers différents niveaux de réalités.  Le salut consiste en une ascension vers le Bien, le Beau, l’Un ou encore Dieu. « Notre patrie, c'est la région d'où nous sommes descendus ici-bas ; c'est là qu'habite notre Père. » (Ennéades, VI, 8). L’âme, remontant vers l’Un, est ainsi purifiée. Il faut revenir à notre patrie, qui est l’Un. Tout autre que défenseur d’une mystique, Plotin veut ramener l’âme à la « lumière véritable ». C’est le sens de l’opposition de Plotin aux gnostiques tout comme aux platoniciens chrétiens. S’opposant par exemple aux gnostiques séthiens (se référant au troisième fils d’Adam et Eve), Plotin réfute la séparation radicale entre monde sensible et monde intelligible. Que l’Un soit difficile à définir chez Plotin  n’est pas contestable. On ne peut jamais en parler « comme on le veut ». Il faut « le voir en soi-même ». Sa définition sans doute la plus claire est celle-ci : « Il est à la fois objet d’amour et lui-même amour, c’est-à-dire qu’il est amour de soi ». (Ennéades, VI, 8). L’Un est en soi et pour soi. Il n’est pas séparé du monde. Il est pour le monde. La grande particularité, et on peut dire la grande force de Plotin, c’est de ne pas opposer le mythe à la philosophie. De ne pas opposer le mythos au logos, la mythe à la raison. Le mythe aide à comprendre le temps, et le temps c’est la durée, c’est ce qui permet aux choses d’être elles-mêmes, et donc de revenir à ce qu’elles sont, de remonter à leur origine.   

9782081231368.jpgInfluencé par des disciples d’Aristote (comme Alexandre d’Aphrodise), tout comme par des disciplles de Platon (Numénios d’Apamée), Plotin est surtout un grand commentateur de Platon, qu’il réinterpréte et réagence. C’est pourquoi on retrouve chez Plotin des thèmes platoniciens comme l’amour, les genres de l’être, la question parménidienne de l’Un, du Bien et du Beau qui se confondent. En effet, comme Platon le disait dans le Philèbe (sur le plaisir) : « La puissance du Bien s’est réfugiée dans la nature du Beau » (64 e). Le thème de la connaissance de soi, dans lequel on voit souvent l’influence de la philosophie hindoue, n’est pas le soi de Descartes, qui sort du doute par son fameux « je pense donc je suis» de son Discours de la méthode. Le thème de Plotin, c’est plutôt la connaissance de soi comme ouverture à l’absolu, à l’infini, à l’indifférencié, celui-ci, qui pourrait avoir une connotation négative, étant la non dualité, la non contradiction, ou, si on préfère, l’accord des contraires.  Le monde de Plotin est constitué de différents lieux de séjour possible pour l’âme,  le plus élevé est le monde intelligible, celui de l’Un, le plus bas étant le monde sensible. Car beaucoup d’âmes s’éloignent du Bien et du vrai : « (…) par la faute des cochers, beaucoup d’âmes deviennent boiteuses, beaucoup perdent une grande partie de leurs ailes » (Platon, Phèdre). Le monde sensible est celui de la matière, Le monde de l’Un est celui de l’éveil. C’est aussi celui de la contemplation où les autres, où la domination sont des enjeux qui n’ont plus de sens. L’être, la beauté et Dieu ne font qu’Un, c’est « l’être dont tout dépend, vers qui tout regarde, par qui est l’être, la vie et la pensée ». (Ennéades, I, 6). 

Penser et être sont ainsi, comme chez Platon, confondus. Il y a trois principes, ou trois « existants » (appelé hypostases) qui sont l’Un, l’Intellect, l’Ame. L’un est à lui-même sa propre cause, il est le Bien, il n’est pas divisible, ni multipliable. L’Intellect est le pensable, il est le réel et le vrai, mais il dérive de l’Un et non de lui-même. L’Intellect contient la multiplicité des Formes (grand thème platonicien), formes qui déterminent les propriétés des choses. Enfin, il y a l’Ame. Elle est éternelle, et est à la frontière entre l’intelligible et le sensible, entre l’Intellect et la matière. Elle est produite par l’Intellect (lui même produit par l’Un). Mais l’âme n’est pas unique, elle va de l’âme du monde, la plus proche de la perfection et de l’Unique, aux âmes des hommes, diverses, dispersées, et qui sont les plus imparfaites. Il y a donc trois existants (hypostases), mais aussi il y a un mouvement de l’Un au monde. La procession est le monde en tant qu’il émane de l’Un. Mais le monde n’est pas un démembrement de l’Un. Selon une formule forte de Jean-Louis Chrétien, l’Un, c’est-à-dire le Bien « donne ce qu’il n’a pas ». Il donne le monde en tant qu’il n’a rien de mondain.  L’Un donne le monde et l’Intellect, et donc les Formes. L’Intellect donne les Ames, et celles-ci donnent le monde sensible (qui lui ne donne rien). L’Un n’a pas de volonté, et rien ne relève de sa volonté mais tout relève d’émanations de l’Un, ou encore de dérivations de l’Un.  L’Un n’est pas créateur, il est le réel en tant qu‘il se déploie. Il n’y a pas de création du monde, il n’y a pas de temps, il n’y a pas de sucessions d’événements (le « moment » où l’Un donnerait l’intellect, etc). Il n’y a donc pas de commencement du monde, pas plus qu’il n’y a un « début » de l’Un.  Tout relève de l’Un, mais ce « tout » n’a pas été créé par l’Un.  Il en émane, ou il en bénéficie, comme nous bénéficions des rayons du soleil sans avoir pris quoi que ce soit au soleil. De même que nous émanons de l’Un, nous y retournons, par la conversion. C’est « une fuite de l’âme vers Dieu qu’elle voit [l’âme] seul à seul » (Ennéades, VI, 9). Après la procession se produit la conversion, par laquelle le monde et les choses du monde remontent vers l’Un.

9782081450813.jpgLe monde sensible est le plus éloigné du Bien, il est le mal, il est dépourvu d’intelligibilité. Le mal n’est pas un principe, et encore moins un principe opposé au Bien et à l’Un, qui ne font qu’un. Le mal est un éloignement du Bien, un lieu mal éclairé par la lumière du bien et de l’Un.  C’est un manque de Bien. La matière sensible est le mal si elle ne retrourne pas au Bien, c’est-à-dire qi elle ne retourne pas se rapprocher du Bien par la conversion. Mais y-a-t-il une matière de l’Intellect ? Oui, mais elle est indéfinie. C’est pourquoi elle va avec la diversité des Formes. Indéfinie, la matière est sans forme. Mais comment, du sans forme, peut-il émaner de l’Un, qui est la Forme même, puisque c’est le Bien ? Plotin est ici en difficulté. Il envisage une matière intelligible et une matière sensible, cete dernière étant l’image de la première. Puis, Plotin fait de la matière un produit de l’âme, mais pas une image de l’âme. C’est en tout cas la matière qui introduit de la multiplicité dans l’unité. Dans le monde, les matières sont produites des Formes finies et imparfaites, à la différence de la forme infinie et parfait de l’Un, qui, au sens où elle est infinie, est au-delà de toute forme. Enfin, la forme des choses sensibles n’est pas éternelle, tandis que l’Un est éternel. Mais ce mouvement est naturel, si les choses du monde sensible ne peuvent être suffisantes, elles ne sont pas mauvaises pour autant. Ecartons d’abord les douleurs inutiles (épicurisme), regardons la vertu pour nous efforcer d’être vertueux (stoïcisme), laissons-nous aspirer par le divin en le contemplant. N’oublions que les individus, par leur âme personnelle, participent à l’Un, la notion de participation étant employé au sens de Platon, mais aussi au sens de la « sympathie universelle » des stoïciens (le monde entier est affecté par un même feu, et un même logos).

Par la conversion, toute âme, « fille du père » peut se rapprocher de Dieu, voire se confondre avec lui, l’Un, le Beau. Contre le dualisme des gnostiques, Plotin soutient que tout est tenu ensemble par l’Un. La remontée vers l’Un unit le monde sublunaire au monde supralunaire. Pas de manichéisme avec Plotin. Mieux, la distinction sublunaire/supralunaire perd tout sens. Il ne faut donc pas mépriser le monde. Pourquoi mépriser un escalier qui remonte vers Dieu ? Il faut par contre nous purfier de ce qui nous aménerait à tout voir à travers le corps. La recherche du bonheur est une bonne chose, mais le bonheur, c’est la vie conforme à l’Intellect. Pour passer de heureux en puissance à heureux en acte, il nous faut nous identifier à l’Intellect.  En dessous de l’âme, il y a la conscience. Celle-ci se compose de l’intuition , qui peut nous amener à l’Intellect, de la réflexion, qui est la conscience dédoublée (je me vois en train de voir), et de la mémoire. La conscience est entre la vie de Dieu et la vie du corps. Il tient à elle de s’élever vers Dieu par la conversion. L’âme a un attrait naturel pour le Beau, le Bien, l’Un. « L’âme reçoit l’effluve du Bien », résume Jean-Marc Narbonne. La conversion se termine par une sortie de soi, une extase, par laquelle nous rejoignons l’Un.

Influent chez les chrétiens d’Occident (Boèce, Denys l’aréopagite), comme chez ceux de Byzance, mais aussi chez les non chrétiens (Proclus), Plotin fut traduit en latin par Marsile Ficin (1492). Il influence les « platoniciens de Cambridge » (Henry More, John Smith…) au XVIIe siècle, puis est lu avec attention par des auteurs aussi peu négligeables que Leibniz, Hegel, Schelling, Bergson. Bien que souvent appelé néo-platonicien, Plotin est à bien des égards inspiré par Aristote. Pour lui, l’intelligible, c’est ce que saisit l’intelligence, c’est l’intelligence au repos. On pourrait dire que c’est l’intelligence en puissance (dunamis). Par contre, l’intelligence en acte (energeia), c’est l’intelligence qui saisit l’intelligible. En ce sens, « l’être est antérieur à l’intelligence », c’est-à-dire que le réel, l’intellligible, précède l’intelligence, ce qui contemple et comprends le réel. Mais l’intelligence ne prend pas conscience d’elle-même (par la réflexivité) parce qu’elle connait l’intelligible.  C’est parce qu’elle se connait elle-même qu’elle peut comprendre l’intelligible (thèse opposée à celle du gnostque Valentinius-Valentin pour qui il y a deux formes d’intelligence, celle qui se comprend elle-même et celle qui comprend le monde).  La connaissance ne vient pas de Dieu, premier moteur immobile (Aristote) , mais de l‘intelligence elle-même. Elle vient même de l’intelligible. « Toute contemplation suppose un objet », est-il écrit dans les Ennéades. Ce qui évoque Husserl : toute conscience est intentionnelle. Les Idées ne sont, ainsi, pas « au dessus » de l’intelligence. Elles appartiennent à l’intelligence même. L’intelligible se comprend lui-même. Il inclut l’idée de lui-même. Entre intelligible et intelligence, il y a à la fois identité et différence.

9782080712288.jpgL’âme, troisième principe de vie (ou hypostase) est illuminée par l’intelligence. Elle éclaire en même temps les choses, la matière, le sensible. Ce sensible matériel est produit par Dieu, il n’est pas une déchéance du divin. La matière n’est ni créatrice du mal, ni destinée à tomber dans le mal.  Le mal est pour Plotin un déficit de Bien, et non un principe opposé au Bien. Il est un éloignement du Bien. C’est inévitable : plus on s’éloigne de Dieu, plus on s’éloigne de l’être, plus on va vers le non-être, et la matière, c’est le non-être. Ce n’est pas un principe contraire à l’être, c’est simplement un être évaporé.  La matière est une « éclipse de l’être », dit encore Plotin. La matière est l’être sans qualités, et, pour cela même, elle est le non-être. Elle peut être tout et n’importe quoi. Elle n’est pas infinie (apeiron), comme l’être, comme l’Un, elle est indéfinie. Chacun a une âme particulière et ces âmes particulières ne sont pas toutes en sympathie entre elles. Mais, par la conversion, les âmes peuvent reconnaitre leur origine divine. La contemplation de Dieu précède toute description des Formes que prennent les choses. La procession de Plotin, avec ses trois principes, l’Un, l’Intelligence, l’âme, évoque la trinité chrétienne, mais ce qui est égalitaire dans le christianisme est descendant dans Plotin. Enfin, il n’y a pas de péché avec Plotin, différence considérable avec le christianisme.  Il n’y a pas de mépris de la vie. « A mépriser l’être etla vie, on témoigne contre soi-même et contre tous ses sentiments » (Ennéades, VI, 7, 29 trad. Emile Bréhier)). « (…) Celui qui prétend mépriser l'existence et la vie reçoit un démenti de lui-même et de toutes affections qu'il éprouve. Si quelqu'un se dégoûte de la vie, c'est qu'il ne considère que celle à laquelle la mort est mêlée et non la vie véritable. » (Ennéades, trad. Marie-Nicolas Bouillet, wikisource). L’âme chez Plotin est irraisonnée (colère, appétit) ou raisonnable, guidée par la raison. L’Intelligence est au dessus de tous discours, elle nous appartient (Descartes) et/ou nous lui appartenons (Malebranche), comme le remarque pertinemment Michel Piclin.  L’Un est condition de tout ce qui est.

TEXTES

Ennéades V, 1 (trad. Marie-Nicolas Bouillet, 1861).

  1. L'Intelligence et l'Être

« Veut-on arriver par une autre voie à reconnaître la dignité de l'Intelligence ? Après avoir admiré le monde sensible en considérant sa grandeur et sa beauté, la régularité éternelle de son mouvement, les dieux visibles ou cachés, les animaux et les plantes qu'il renferme, [c’est ainsi] qu'on s'élève à l'archétype de ce monde, à un monde plus vrai ; qu'on y contemple tous les intelligibles qui sont éternels comme lui et qui y subsistent au sein de la science et de la vie parfaite. Là préside l'Intelligence pure, la Sagesse ineffable ; là se trouve le vrai royaume de Saturne [Cronos], qui n'est autre chose que l'Intelligence pure. Celle-ci embrasse en effet toute essence immortelle, toute intelligence, toute divinité, toute âme ; et tout y est éternel et immuable. Pourquoi l'Intelligence changerait-elle, puisque son état est heureux ? À quoi aspirerait-elle, puisqu'elle a tout en elle-même ? Pourquoi voudrait-elle se développer, puisqu'elle est souverainement parfaite ? Sa perfection est d'autant plus complète qu'elle ne renferme que des choses qui sont parfaites et qu'elle les pense ; et elle les pense, non parce qu'elle cherche à les connaître, mais parce qu'elle les possède. Sa félicité n'a rien de contingent : l'Intelligence possède tout dès l'éternité ; elle est elle-même l'Éternité véritable, dont le Temps offre la mobile image dans la sphère de l'âme. En effet, l'âme a une action successive, divisée par les objets divers qui attirent son attention : elle se représente tantôt Socrate, tantôt un cheval ; elle ne saisit jamais qu'une partie de la réalité, tandis que l'Intelligence embrasse toujours toutes choses simultanément. L'Intelligence possède donc toutes choses immobiles dans l'identité. Elle est : il n'y a jamais pour elle que le présent ; point de futur : car elle est déjà ce qu'elle peut être plus tard ; point de passé : car nulle des choses intelligibles ne passe ; toutes subsistent dans un éternel présent, toutes restent identiques, satisfaites de leur état actuel. Chacune est intelligence et être ; toutes ensemble, elles sont l'Intelligence universelle, l'Être universel.

unnamENNPL.gifL'Intelligence existe [comme intelligence] parce qu'elle pense l'Être. L'Être existe [comme Être] parce que, étant pensé, il fait exister et penser l'Intelligence. Il y a donc une autre chose qui fait penser l'Intelligence et exister l'Être, et qui est par conséquent principe commun de tous deux : car ils sont contemporains dans l'existence, ils sont consubstantiels et ne peuvent se manquer l'un à l'autre. Comme l'Intelligence et l'Être constituent une dualité, leur principe commun est cette unité consubstantielle qu'ils forment et qui est simultanément l'Être et l'Intelligence, le sujet pensant et l'objet pensé : l'Intelligence, comme sujet pensant ; l'Être, comme objet pensé : car la pensée implique à la fois différence et identité. Les premiers principes sont donc l'Être, l'Intelligence, l'Identité et la Différence ; il faut y joindre le Mouvement et le Repos. Le repos est la condition de l'identité ; le mouvement est la condition de la pensée, puisque celle-ci suppose la différence du sujet pensant et de l'objet pensé, et qu'elle est muette si on la réduit à l'unité. Les éléments de la pensée [le sujet et l'objet] doivent ainsi être dans un rapport de différence, mais aussi dans un rapport d'identité, parce qu'ils forment une unité consubstantielle, et qu'il y a quelque chose de commun dans tout ce qui dérive d'eux. La différence d'ailleurs n'est pas ici autre chose que la distinction. La pluralité que forment les éléments de la pensée constitue la Quantité et le Nombre ; et le caractère propre à chaque élément, la Qualité. De ces premiers principes [qui sont les genres de l'être] dérivent toutes choses.

  1. L'Un, la Dyade et le Nombre [2]

Ainsi, l'âme humaine est pleine de cette Divinité [de l'Intelligence] ; elle y est rattachée par ces essences, si elle ne s'éloigne pas d'elle. Elle approche d'elle, et, ramenée à l'unité, elle se demande : Qui a engendré cette Divinité ? — C'est Celui qui est simple, qui est antérieur à toute multiplicité, qui donne à l'Intelligence son existence et sa multiplicité, qui produit le Nombre par conséquent : car le Nombre n'est pas une chose primitive ; l'Un est antérieur à la Dyade. Celle-ci ne tient que le second rang : elle est engendrée et définie par l'Un, indéterminée qu'elle est par elle-même. Une fois définie, elle est nombre en tant qu'elle est essence. Car [à ce titre] l'Âme aussi est un nombre.

D'ailleurs, toute chose qui est une masse ou une grandeur ne saurait occuper le premier rang dans la nature ; il faut regarder comme inférieurs ces objets grossiers que la sensation prend pour des êtres. Dans les semences, ce n'est pas l'élément humide qu'il faut estimer, mais le principe invisible, le nombre et la raison [séminale]. Nous nommons ici nombre et dyade les raisons [idées] et l'Intelligence. La dyade est indéterminée en tant qu'elle joue le rôle de substratum [par rapport à l'Un]. Le nombre qui dérive de la dyade et de l'Un constitue toute espèce d'idée, en sorte que l'Intelligence a une forme qui est déterminée par les idées engendrées dans son sein. Elle tient sa forme, en une façon de l'Un, et en une autre façon, d'elle-même, semblable à la vue qui est en acte. La pensée, c'est la vue en acte, et ces deux choses [la faculté et l'acte] n'en font qu'une.

  1. L'Un immobile génère l'Intelligence qui génère l'Âme [3]

Comment l'Intelligence voit-elle et qui voit-elle ? Comment est-elle sortie et née de l'Un, de manière qu'elle puisse le voir ? Car maintenant l'âme comprend qu'il est nécessaire que ces principes existent. Elle désire résoudre ce problème souvent posé chez les anciens sages : Si l'Un a la nature que nous lui avons assignée, comment tout tient-il de lui sa substance, la multitude, la dyade, le nombre ? Pourquoi n'est-il pas resté en lui-même, et a-t-il laissé ainsi découler de lui la multiplicité qu'on voit dans les êtres et que nous voulons ramener à lui ? Nous allons le dire. Invoquons d'abord Dieu même, non en prononçant des paroles, mais en élevant notre âme jusqu'à lui par la prière ; or, la seule manière de le prier, c'est de nous avancer solitairement vers l'Un, qui est solitaire. Pour contempler l'Un, il faut se recueillir dans son for intérieur, comme dans un temple, et y demeurer tranquille, en extase, puis considérer les statues qui sont pour ainsi dire placées dehors [l'Âme et l'Intelligence], et avant tout la statue qui brille au premier rang [l'Un], en la contemplant de la manière que sa nature exige.

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Il est nécessaire que tout être qui est mû ait un but vers lequel il soit mû ; nous devons donc admettre que ce qui n'a pas de but vers lequel il soit mû reste immobile, et que ce qui naît de ce principe doit en naître sans que jamais ce principe cesse d'être tourné vers lui-même. Éloignons de notre esprit l'idée d'une génération opérée dans le temps : il s'agit ici de choses éternelles ; en leur appliquant le terme de génération, nous voulons seulement établir entre elles un rapport d'ordre et de causalité. Ce qui est engendré par l'Un doit être engendré par lui sans que l'Un soit mû ; s'il était mû, ce qui est engendré par lui tiendrait, par suite de ce mouvement, le troisième rang au lieu du second [serait l'Âme au lieu d'être l'Intelligence]. Donc, puisque l'Un est immobile, c'est sans consentement, sans volonté, sans aucune espèce de mouvement qu'il produit l'hypostase qui tient le second rang. Comment donc faut-il concevoir la génération de l'Intelligence par cette cause immobile ? C'est le rayonnement d'une lumière qui s'en échappe sans troubler sa quiétude, semblable à la splendeur qui émane perpétuellement du soleil sans qu'il sorte de son repos, et qui l'environne sans le quitter. Ainsi toutes les choses, tant qu'elles persévèrent dans l'être, tirent nécessairement de leur propre essence et produisent au dehors une certaine nature qui dépend de leur puissance et qui est l'image de l'archétype dont elle provient. Ainsi le feu répand la chaleur hors de lui ; la neige répand le froid. Les parfums donnent un exemple frappant de ce fait : tant qu'ils durent, ils émettent des exhalaisons auxquelles participe tout ce qui les entoure. Tout ce qui est arrivé à son point de perfection engendre quelque chose. Ce qui est éternellement parfait engendre éternellement, et ce qu'il engendre est éternel, mais inférieur au principe générateur. Que faut-il donc penser de Celui qui est souverainement parfait ? N'engendre-t-il pas ? Tout au contraire, il engendre ce qu'il y a de plus grand après lui. Or, ce qu'il y a de plus parfait après lui, c'est le principe qui tient le second rang, l'Intelligence. L'Intelligence contemple l'Un, et n'a besoin que de lui ; mais l'Un n'a pas besoin de l'Intelligence. Ce qui est engendré par le Principe supérieur à l'Intelligence ne peut être que l'Intelligence : car elle est ce qu'il y a de meilleur après l'Un, puisqu'elle est supérieure à tous les autres êtres. L'Âme est en effet le verbe et l'acte de l'Intelligence, comme l'Intelligence est le verbe et l'acte de l'Un. Mais l'Âme est un verbe obscur. Étant l'image de l'Intelligence, elle doit contempler l'Intelligence, comme celle-ci doit, pour subsister, contempler l'Un. Si l'Intelligence contemple l'Un, ce n'est pas qu'elle s'en trouve séparée, c'est seulement parce qu'elle est après lui. Il n'y a nul intermédiaire entre l'Un et l'Intelligence, non plus qu'entre l'Intelligence et l'Âme. Tout être engendré désire s'unir au principe qui l'engendre, et il l'aime, surtout quand Celui qui engendre et Celui qui est engendré sont seuls. Or, quand Celui qui engendre est souverainement parfait, Celui qui est engendré doit lui être si étroitement uni qu'il n'en soit séparé que sous ce rapport qu'il en est distinct. »

Bibliographie

Plotin, Traités, Garnier Flammarion, plusieurs volumes, trad. Luc Brisson, notes de Jean-François Pradeau, 2003-2010.

Ennéades, trad. Marie-Nicolas Bouillet, 1861, wikisource.

***

Lucien Jerphagnon, Portraits de l’Antiquité. Platon, Plotin, Saint Augustin et les autres, Champs Flammarion, 2015.

Edouard Krakowski, Plotin et le paganisme religieux, Denoel et Steele,  1933 ; Une philosophie de l’amour et de la beauté. L’esthétique de Plotin et son influence, Boccard, 1929.

imageshadplot.jpgPierre Hadot, Plotin ou la simplicité du regard, Folio Gallimard, 1997.

Agnès Pigler, Plotin, une métaphysique de l’amour. L’amour comme structure du monde intelligible, Vrin, 2003.

 

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dimanche, 25 juillet 2021

Natella Speranskaya: L'impossible est toujours possible

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Natella Speranskaya:

L'impossible est toujours possible

Il existe une histoire très inspirante qui remonte à 1958. Le gouvernement japonais a confié à la Japan Railways Company la tâche colossale de relier Tokyo et Osaka de la manière la plus rapide et la plus efficace possible. Les ingénieurs ont travaillé pendant plusieurs mois et ont ainsi conçu un train capable de rouler à 100 kilomètres par heure, ce qui était en soi quelque chose de fantastique (à l'époque). Cependant, la réaction des dirigeants de la société a été totalement inattendue: ils ont demandé aux ingénieurs d'augmenter la vitesse du train à 200 km/h. Les ingénieurs ont été déconcertés et ont dit que c'était impossible. Les dirigeants ont répondu en disant qu'ils étaient prêts à allouer n'importe quel budget. Quelques mois de plus ont passé et... qu'en pensez-vous ? Les ingénieurs ont réussi. Mais comment ont-ils fait ? Pensez-vous qu'ils ont un peu modifié le design original, qu'ils ont fait un lifting, pour ainsi dire ? Pas du tout !

La forme, la largeur et la hauteur des voies ont dû être complètement modifiées, le design habituel du train a dû être radicalement changé, de nouveaux tunnels ont dû être construits pour que le train puisse se déplacer à une vitesse de 200 km/h, et la zone problématique - un terrain vallonné autour du Mont Fuji - a dû être surélevée. En d'autres termes, pour réaliser la tâche "impossible", il fallait TOUT CHANGER ! Les Japonais appellent cette approche "l'effet Shinkansen" (le nom lui-même se traduit du japonais par "nouvelle autoroute"). En pratiquant cette approche, les Japonais ont créé le premier train à très grande vitesse au monde.

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L'effet Shinkansen est également pratiqué dans les affaires et dans d'autres sphères. Par exemple, j'ai développé une telle approche pour résoudre le problème de la crise de l'éducation moderne. Pas de réparations cosmétiques, pas de demi-mesures ni de compromis, mais un changement complet et radical du paradigme éducatif. C'est la même chose : si l'on veut éradiquer le problème de la pauvreté dans le monde entier, il ne suffit pas de le régler à l'échelle locale en faisant bénéficier la population d'un des pays les plus pauvres - il faut changer l'ensemble du système financier.

La célèbre General Electric Company (fondée il y a un siècle et qui n'a toujours pas perdu sa position de leader) a longtemps pratiqué le mode de pensée du Shinkansen. Si vous vous fixez comme objectif d'écrire un livre en deux ans, trouvez un moyen de l'écrire en deux mois. Voilà ce qu'est le Shinkansen. La tâche devrait vous sembler presque impossible. C'est la condition préalable de base.

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Natella Speranskaya: Sur la résolution des problèmes

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Natella Speranskaya:

Sur la résolution des problèmes

Lorsque nous sommes confrontés à des problèmes qui semblent (ou sont réellement) insolubles, il est important que nous nous donnions la possibilité de prendre une distance décente, de nous arrêter un instant et d'essayer de voir dans ces problèmes non seulement des obstacles mais aussi des opportunités. Si nous ne les voyons pas, cela signifie que la pause a été trop courte.

Le mot chinois pour "crise" se compose de deux caractères : l'un signifie "danger" et l'autre "opportunité". Souvent, lorsque nous vivons une crise, nous ne voyons que le danger.

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Lorsque nous essayons de résoudre un problème, nous avons tendance à en chercher la cause. Notre erreur est de chercher une cause unique, alors que le problème peut être le résultat d'une combinaison de causes.

Tous les problèmes ne nous sont pas donnés à résoudre. Certains doivent être traités comme les restes d'une jambe après une amputation. Il existe des problèmes sans solution, et nous ne ferons que perdre du temps à courir après quelque chose qui ne nous fuira pas. Il y a des problèmes qui semblent être des obstacles au début, mais après un certain temps, nous nous rendons compte qu'ils sont un tremplin et que tout ce que nous avons à faire est de nous retourner et de sauter.

Pour sauter, il faut être dans un état de débrouillardise. C'est pour l'acquérir que la pause est nécessaire. Les gestes impulsifs conduisent à des décisions hâtives et erronées. Il est préférable de s'en abstenir.

Mais il ne suffit pas de voir un problème non seulement comme un obstacle, mais aussi comme une opportunité. Il faut saisir l'occasion. Si cela ne se produit pas, l'ampleur du problème ne fera qu'augmenter.

La première chose qu'une personne fait lorsqu'elle est confrontée à un gros problème est de demander de l'aide aux autres. Vous devez être prêt à accepter le fait que les autres ne s'intéressent qu'à leurs propres problèmes et que si vos problèmes rendent les leurs encore plus divers et plus difficiles, non seulement vous vous retrouverez avec votre problème non résolu, mais vous vous sentirez déçu et anéanti. Il est donc préférable de commencer par l'attitude suivante : je ne peux compter que sur moi-même. Bien sûr, il y a des exceptions, mais dans une société atomisée et dominée par l'égoïsme et l'étroitesse d'esprit, il vaut mieux ne pas se fier aux exceptions.

La pause que vous prenez pour considérer le problème comme une opportunité ne doit pas être empreinte d'auto-mutilation débilitante. Vous devez soustraire toutes les réactions émotionnelles, vous assurer que le fait de penser au problème ne provoque aucun mouvement intérieur. Chacun atteint cet état à sa manière. Pendant que vos émotions font rage en vous, concentrez-vous uniquement sur les conséquences destructrices du problème. L'expérience montre qu'il est préférable de réduire vos contacts avec les gens pendant cette période, en particulier ceux qui vous ont directement ou indirectement mis dans cet état. Vous ne devez pas les avoir dans votre espace extérieur ou intérieur.

Quelle que soit la décision que vous prenez, elle doit être testée par la question suivante: vous rapproche-t-elle d'une nouvelle opportunité ?

Source : https://vk.com/id41891375 

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vendredi, 23 juillet 2021

Entre affirmations souveraines et négations radicales, une critique du libéralisme (Donoso Cortés)

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Entre affirmations souveraines et négations radicales, une critique du libéralisme (Donoso Cortés)

 
Dans cette nouvelle vidéo, nous nous pencherons sur la figure méconnue de Juan Donoso Cortés, l'un des trois grands penseurs de la fameuse triade contre-révolutionnaire, avec Joseph de Maistre et Louis de Bonald. Précurseur de la pensée de Carl Schmitt, Donoso Cortés a offert un aperçu original de la philosophie libérale en montrant que cette dernière ne vit que par et pour la discussion sans fin. Or, la nature "discutante" du libéralisme l'empêche justement, selon Donoso, d'apporter un fondement solide à la société et fait qu'elle empêche toute décision politique au sens propre.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Isaac Albeniz : Asturias (New Philharmonia Orchestra, Rafael Frühbeck de Burgos)
- Agustín Barrios : La Catedral (par Ana Vidovic)
- Fernando Sor : Study No. 5 in B Minor (par Taso Comanescu)
- Hans Pfitzner : Palestrina, Prélude à l’acte I (Berliner Philharmoniker, Ferdinand Leitner)
 

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mardi, 13 juillet 2021

Dix réflexions sur la terre et la mer

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Dix réflexions sur la terre et la mer

Adriano Scianca

Ex: https://www.centrostudilaruna.it/terraemare.html

1

"L'histoire du monde est l'histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances terrestres et des puissances terrestres contre les puissances maritimes". Ainsi Carl Schmitt, dans son petit chef-d'œuvre Terre et Mer (Adelphi, Milan 2002). Le Schmitt que nous rencontrons ici n'est pas le penseur scientifique et rigoureux que connaissent tous ceux qui ont lu ses textes juridiques, mais plutôt le lecteur de Guénon et le connaisseur expert du symbolisme ésotérique, engagé de manière quasi obsessionnelle dans la recherche de la clé symbolique de l'histoire de l'humanité. Or, cette clé symbolique, pour Schmitt, c'est le conflit des éléments. Sillonnant le globe "avec la roue et la rame" - pour reprendre une expression de Carlo Terracciano - l'homme a toujours perçu son propre être au monde à travers l'expérience du choc séculaire entre la Terre et la Mer.

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Que représentent la Terre et la Mer sur le plan géophilosophique ? La Mer est d'abord la négation de la différence, elle ne connaît que l'uniformité, alors que dans la Terre il y a toujours variation, dissemblance. La mer n'a pas de frontières, à l'exception des masses continentales à ses extrémités, c'est quelque chose qui lui est antithétique, l'anti-mer. La Terre est toujours sillonnée par des frontières tracées par l'homme, au-delà de celles qu'elle donne elle-même comme barrières naturelles. La mer, c'est la mobilité permanente, le flux sans centre stable, le "progrès". C'est le chaos et la dissolution. La Terre est la constance, la stabilité, la gravité. C'est la hiérarchie et l'ordre. La mer est le capital, la terre est le travail. Le travail est tellurique dans la mesure où il est fixe, c'est la production concrète ; le Capital est au contraire liquide, c'est l'exploitation et l'aliénation. Le travail crée, le capital détruit. La Terre-Travail est donc incarnée par l'Est métaphysique, la terre de ce qui naît (sol orient, soleil levant ; " orient " en vieux russe est vostok, " se lever ", tandis qu'en allemand c'est Morgenland, terre du matin), tandis que le Capital-Mer est l'Ouest métaphysique, ce qui meurt (sol occidens, soleil déclinant ; " Ouest " est zapad, " tomber ", en russe et en allemand Abendland, la terre du soir, du déclin). Concrètement et historiquement, la Mer est incarnée par les thalassocraties anglo-saxonnes, la Terre par la tellurocratie continentale eurasienne.

3

Le conflit entre la terre et la mer acquiert ainsi un caractère concret, historique et politique. Oswald Spengler (Prussianisme et socialisme, Edizioni di Ar, Padoue 1994) a illustré ce choc par l'opposition entre l'esprit communautaire prussien et l'individualisme anglais. Pour l'auteur du Crépuscule de l'Occident, les âmes anglaise et prussienne s'opposent comme deux instincts, deux "on ne peut pas faire autrement" : d'une part, l'esprit authentiquement socialiste, l'essence de l'État, la subordination à la totalité communautaire ; d'autre part, l'esprit individualiste, la négation de l'État, la révolte de l'individu contre toute autorité. Le type anglais et le type prussien "révèlent la différence entre un peuple dont l'âme s'est formée dans la conscience d'une existence insulaire, et un peuple gardien d'une marque, dépourvu de frontières naturelles et par conséquent exposé à l'ennemi de tous côtés. En Angleterre, l'île a remplacé l'État organisé." D'où aussi la perception différente de ce que doit être l'économie et de ses finalités : " de la manière de percevoir la réalité qui distingue le véritable colon de la marque frontière et l'Ordre chargé de la colonisation, découle nécessairement le principe de l'autorité économique de l'Etat. [...] Le but n'est pas l'enrichissement de quelques individus ou de chaque individu, mais le renforcement maximal de la Totalité. [...] L'instinct de maraudeur sur les mers qui caractérise le peuple insulaire comprend la vie économique d'une manière entièrement différente. Ici, c'est une question de lutte et de butin".

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4

L'existence insulaire - donc non-historique et non-politique - typique de l'Angleterre se retrouve multipliée à la puissance n dans la théologie occidentaliste américaine. L'Amérique - l'éternelle Carthage, l'anti-Eurasie par excellence - est à tous égards l'héritière géopolitique et géophilosophique de l'Angleterre. L'esprit mercantile, l'instinct de prédation et l'individualisme bourgeois y atteignent des niveaux délirants. La conscience de l'insularité conduira les Américains à se considérer comme les habitants d'une forteresse inattaquable, ce qui renforcera également leur certitude de représenter les élus du Seigneur. L'Amérique se conçoit comme la terre promise séparée des nations corrompues (Thomas Jefferson : "heureusement pour nous [nous sommes] séparés par la nature et un vaste océan des ravages exterminateurs d'un quart du globe") et comme l'île imprenable. Cette illusion de sécurité prend fin le 11 septembre 2001. Ce jour-là, l'Amérique rencontre son propre jumeau : le terrorisme. L'action des pirates de l'air rappelle inévitablement le caractère fluide, mobile, indéfinissable de l'essence de l'Amérique. Le terrorisme, en effet, est quelque chose d'insaisissable, d'introuvable : il n'a pas d'uniformes, pas de règles, pas de limites ; il n'a pas d'État, pas de centre fixe, pas de Terre. Le terrorisme est le miroir de l'Amérique.

5

Le titanisme prédateur, pirate et mercantile typique des thalassocraties est animé par une soif de domination inextinguible qui ne peut être limitée par aucune règle. La règle, en effet, distingue, discrimine, sépare ; la mer, au contraire, ne connaît pas de distinctions ni de différences, pas même entre la guerre et la paix, les combattants et les civils. La guerre devient une continuation du marché par d'autres moyens, elle n'est plus ontologiquement différente de la paix. Dans la guerre terrestre, observe Schmitt dans l'ouvrage cité ci-dessus, "les armées s'affrontent dans des batailles ouvertes et rangées ; en tant qu'ennemis, seules les troupes engagées dans l'affrontement se font face, tandis que la population civile non combattante reste en dehors des hostilités. Tant qu'ils ne prennent pas part aux combats, ils ne sont pas des ennemis et ne sont pas traités comme tels. La guerre maritime, quant à elle, repose sur l'idée que le commerce et l'économie de l'ennemi doivent être affectés. Dans une telle guerre, l'"ennemi" n'est pas seulement l'adversaire qui se bat, mais tout citoyen ennemi, et enfin aussi le neutre qui commerce et entretient des relations économiques avec l'ennemi." La guerre terrestre est une guerre de guerriers. La guerre maritime est une guerre de maraude.

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6

Sur l'île, donc, le capitaliste remplace le politicien et le corsaire prend la place du soldat ; ce n'est que sur la Terre que l'existence de l'homme est immédiatement politique : en elle, l'homme trace des frontières, répétant l'acte archétypal de Romulus. N'étant pas protégé par des barrières naturelles, l'homme est obligé de devenir authentiquement lui-même, de sortir d'une existence purement biologique, animale, naturaliste. Il doit créer son propre monde. L'existence politique, en effet, a un caractère purement tellurique ; le droit existe parce qu'il y a la Terre. La mer, en revanche, échappe à toute tentative de codification. Elle est an-œcuménique, comme le disait le grand géopoliticien Friedrich Ratzel. Dans L'origine dell'opera d'arte (in Sentieri interrotti, La Nuova Italia, Milan 2000), Heidegger a montré avec une profondeur extraordinaire cette caractéristique de la Terre comme condition de possibilité du monde humain. La Terre et le Monde, pour Heidegger, prennent une signification qui peut être ramenée, respectivement, à la nature et à la culture, ou à la sphère de l'enracinement dans le sol natal et à la sphère de la décision pour un projet. La Terre est le fond abyssal qui donne un sens à tout ce qui s'en détache comme produit de l'activité humaine ; "sur elle et en elle l'homme historique fonde sa vie dans le monde". Entre les deux aspects, il existe une tension dialectique dans laquelle "le Monde est fondé sur la Terre et la Terre surgit à travers le Monde". Le Monde, sphère de ce qui dérive de la libre activité humaine, "ne peut se détacher de la Terre s'il doit, comme région et voie de tout destin essentiel, être fondé sur quelque chose de certain". Sinon, si le Monde prévaut sur la Terre, nous avons la rationalité technologique qui détruit et viole la nature dans son projet de domination totale. Si, par contre, la Terre l'emporte sur le Monde, alors nous avons l'œuvre de l'homme qui se résorbe dans les profondeurs obscures de la nature, comme l'herbe qui pousse sur les ruines des maisons abandonnées. Il est bon, au contraire, que la Terre et le Monde soient toujours dans une confrontation/affrontement continu qui les exalte tous les deux sans les annuler. L'homme a toujours tendance à aller au-delà de la nature, mais il doit toujours se souvenir du caractère dévastateur d'une culture livrée à elle-même. On ne peut jamais s'échapper de la Terre sans douleur.

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Le "surhumanisme horizontal" (Gabriele Adinolfi) qui caractérise la prévalence du monde humain sur la Terre conduit à la réduction à zéro de la diversité. Or, l'absence de variété et de différence caractérise précisément l'essence de la Mer. Géophilosophiquement, c'est le jumeau du désert. Le désert est l'élément par excellence de la désolation, de l'absence de changement, de l'uniformité. Ce n'est pas un hasard si le monothéisme religieux est l'enfant du désert. Et ce n'est pas un hasard si le monothéisme économique est l'enfant de la mer. Dans le désert, il n'y a pas de dieu qui puisse se manifester à travers la nature, il n'y a pas de cosmos destiné à être le corps vivant des dieux ; il n'y a qu'une plate monotonie qui engendre par réflexion un Dieu qui est le Totalement Autre par rapport au monde. La désolation du désert renvoie à la solitude métaphysique d'un Dieu qui est avant tout et au-delà de tout, qui ne peut être saisi conceptuellement ni représenté figurativement, dont le nom ne peut même pas être prononcé. Un Dieu bien trop semblable au Néant. De même, l'uniformité maritime fluide génère la monnaie divine, celle par laquelle toute marchandise peut être échangée mais qui n'est pas elle-même une marchandise, l'équivalent universel de toute entité, qui doit donc nécessairement être rien. Si l'argent était quelque chose, il serait incarné dans une marchandise particulière et ne pourrait pas remplir sa fonction. L'argent est la catégorie abstraite qui égalise tous les biens concrets, tout comme le Dieu unique est l'abstrait par rapport auquel les hommes concrets sont rendus égaux. Nivellement, égalité, uniformité : c'est le paysage physique et spirituel déterminé par l'élément mer/désert.

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Le monothéisme du marché découle donc de la mer. Après tout, la nature particulière de l'économie actuelle va particulièrement bien avec l'élément liquide. L'ère moderne est en effet l'ère des flux : flux d'informations, flux de capitaux, flux de marchandises, flux d'individus. Même le pouvoir devient un flux, il se dématérialise, il devient une réalité subtile, qui traverse les corps et les esprits sans être "solidifié" dans un Palais d'Hiver. L'homme lui-même perd sa solidité, il devient flexible, il doit sans cesse se réajuster au flux du marché, abandonnant pour toujours tout enracinement, toute identité stable, tout fondement sûr. C'est le monde de la nouvelle économie, fondé - observe Alexandre Douguine - sur l'"évaporation" des concepts fondamentaux de l'économie, sur une dématérialisation de la réalité. Le montant des capitaux employés dans les secteurs classiques de l'économie, ceux de la production "réelle", est effroyablement inférieur à celui des marchés boursiers et de la finance virtuelle. La masse monétaire dans le monde d'aujourd'hui est égale à près de quinze fois la valeur de la production. En fait, le capitalisme s'affranchit aujourd'hui des marchandises pour se concentrer directement sur l'autoproduction tourbillonnante de l'argent, dans un système totalement autoréférentiel où l'argent ne sert qu'à générer plus d'argent. La valeur d'usage des biens tend vers zéro, tandis que leur valeur d'échange tend vers l'infini. L'économie perd toute référence physique, l'internet dépasse les limites de l'espace et du temps, le fondamentalisme libéral brise les règles et ainsi le marché mondial devient une marée inarrêtable qui efface tout résidu d'humanité sur son passage. La Mer/Marché déborde, la Terre est totalement submergée.

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En effet, l'assaut de la Mer sur la Terre entraîne la disparition de cette dernière. C'est la mise à mort des territoires. Face à la marée montante, il n'y a plus de terre émergée, c'est-à-dire qu'il ne reste rien de la Terre telle qu'elle est parce qu'elle a été historiquement habitée par l'homme. Les territoires deviennent de simples zones, des espaces déshumanisés dont l'essence est purement mercantile. Les frontières entre les zones sont comme les frontières dessinées sur l'eau : ce sont de pures conventions valables sur le papier à des fins commerciales, et non des limites de division d'un espace humain. "Entre les zones, cependant, des liens doivent passer : passages d'argent, de marchandises, de signes. Ces liens sont indispensables et marquent le passage de la géographie au réseau" (Simone Paliaga, L'uomo senza meraviglia, Edizioni di Ar, Padoue 2002). Le réseau "exonère" le territoire de son essence physique, le dématérialise, le rend fluide. Le réseau égalise et remet à zéro la différence des lieux qui sont en eux-mêmes différents, incomparables et irréductibles les uns aux autres. L'opacité du différent s'efface au profit de la transparence du réseau, dans lequel chaque lieu est égal à l'autre. Comme en pleine mer, où personne ne peut établir sans autres indications où l'on se trouve sur la planète.

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Si la Mer déborde et fait son dernier assaut sur la Terre, les gardiens de la Terre doivent faire face au danger avec une fermeté qui ne peut cependant pas se transformer en immobilisme. Si tout est Mer, alors, à la manière de D'Annunzio, navigare necesse est. Dans le monde des flux, des réseaux, de la mobilité inépuisable, nous ne pouvons pas rester dans l'attente d'un choc frontal que nous ne gagnerons jamais, parce que l'ennemi nous surpasse en force et en organisation et surtout parce qu'il n'est pas seulement "devant" mais aussi à côté de nous, au-dessus, au-dessous et à l'intérieur de nous. " Pour chevaucher le tigre, c'est-à-dire pour ne pas se noyer dans la crue du fleuve, il faut [...] ne jamais essayer, de la manière la plus absolue, d'aller à contre-courant mais il faut exploiter les vents, suivre les dynamiques, émergeant soudain sur la crête de la vague pour offrir des interprétations actualisées, correctes, en ordre et non en conformité " (Gabriele Adinolfi, Nuovo Ordine Mondiale, S.E.B. Milan 2002). L'avenir sera fait de réseaux agiles et solidaires, et non de paroisses monolithiques et divisées. Il faut assumer l'attitude "liquide" de l'époque tout en restant ancré à la Terre et enraciné dans une Communauté de destin qui incarne encore des valeurs en net contraste avec l'éthos contemporain. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons nous placer de manière constructive au cœur de l'affrontement qui nous voit - pour toujours et à jamais - face à l'Aeterna Carthago.

* * *

Tiré d'Orion 235 (2004).

Carl Schmitt, Terre et Mer, Adelphi, Milan 2002.

lundi, 12 juillet 2021

Entretien avec "Ego Non" par The Conservative Enthusiast

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Entretien avec "Ego Non"

par The Conservative Enthusiast

Ex: https://conservativeenthusiast.com/interview-tce-23-ego-non/

1- Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, présentez-vous.

“Je suis belge, j’ai 24 ans et je termine des études de philosophie cette année. Il y a quelques mois maintenant, j’ai lancé une chaîne de philosophie politique sur YouTube.”

2-: Quel est votre parcours ? Votre jeunesse, vos études, vos projets déjà réalisés et vos succès passés ?

“J’ai grandi dans la ville de Liège, dans la région wallonne et francophone de Belgique. Ayant découvert le monde antique enfant, sur les genoux de ma mère, à travers les grands récits de la mythologie grecque, l’amour de la beauté et de la grandeur est profondément ancré en moi. La culture grecque n’est en effet pas anodine, elle vous communique pour toujours, et à jamais, le sens d’une hiérarchie des valeurs face auxquelles les slogans modernes apparaissent comme ce qu’ils sont vraiment : des simulacres de valeurs.

Passionné par la culture européenne, j’ai appris l’anglais, l’allemand et le russe quand j’étais adolescent. A l’âge de 18 ans, avant de commencer l’université, j’ai décidé de passer plusieurs mois en Allemagne et en Russie pour perfectionner la connaissance de ces langues et pour découvrir la mentalité de ces pays. Cette expérience a sans nul doute contribué à consolider en moi un profond européanisme. A mon retour, j’ai commencé des études de philosophie en Belgique – ainsi qu’à Fribourg, en Suisse, pour une année. Même si je m’étais déjà intéressé à la pensée politique auparavant, c’est pendant ces années universitaires que je me suis véritablement formé intellectuellement de mon côté, en lisant tout ce que je pouvais trouver comme vieux livres dans les bouquineries de la capitale. C’est aussi à cette époque, il y a trois ans maintenant, que j’ai été baptisé et que je me suis converti au catholicisme.”

3-: Qu’est-ce qui vous a amené à lancer votre projet ? Quelles sont les étapes qui vous y ont menées ?

“A vrai dire, l’idée de faire des vidéos ne m’est venue que très récemment, je n’y avais guère vraiment songé auparavant. Elle m’est venue d’un regret de voir que certains concepts ou idées majeures de la pensée politique de droite n’étaient pas assez connus ni mobilisés. Cela m’avait particulièrement frappé avec certains concepts de Guillaume Faye, tels que « l’archéofuturisme » (auquel j’ai consacré ma première vidéo), qui méritent, à mon sens, d’être plus largement diffusés.”

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4-: Pouvez-vous nous expliquer plus en détail en quoi consiste vos projets, votre démarche et pourquoi vous faites ce que vous faites ?

“Dans chacune de mes vidéos, j’essaie donc d’exposer un concept ou une idée majeure d’un auteur, en essayant à chaque fois de le relier, d’une façon ou d’une autre, à une problématique politique contemporaine. Je ne prétends nullement à la neutralité, bien au contraire.

Le choix des idées que je présente reflète naturellement une orientation politique, même si je ne partage pas forcément toutes les pensées de l’auteur dont je parle. Je poursuis donc un double but :

1) Susciter la curiosité intellectuelle des spectateurs en faisant découvrir certains auteurs ou certaines idées

2) Offrir un nouvel angle pour repenser ou recentrer une problématique politique contemporaine

L’on critique en effet bien souvent les délires et les dérives de la pensée de gauche, progressiste et égalitaire. La critique est saine et même bien souvent salutaire, mais il me semble qu’il faut aussi savoir dépasser ces dérives par « le haut », si je puis dire. Face à la conception du monde propre des hommes de gauche, qui est totale, il faut savoir aussi offrir une conception du monde totale. Prenons un exemple précis : la gauche est égalitaire par essence. Devons-nous nous contenter de dénoncer les dérives de l’égalitarisme tout en conservant l’Égalité comme valeur intouchable ? Ou bien plutôt montrer que la beauté du monde et que le développement de la personne humaine ne vont pas sans l’Inégalité ? C’est ce que j’ai essayé de faire avec ma vidéo sur la « philosophie de l’Inégalité » de Nicolas Berdiaev notamment.”

5-: Quelles sont vos principales sources d’inspiration, vos influences et vos références ?

“Elles sont nombreuses et diverses. Depuis que je suis en âge de m’intéresser à la philosophie, j’ai toujours cherché à prélever le meilleur parmi les auteurs que je lisais, indépendamment de tout esprit de chapelle. Néanmoins, pour ce qui est de la pensée politique à proprement parler, les courants qui m’ont le plus marqué sont la Révolution Conservatrice allemande, l’Action Française historique, les penseurs russes des XIXe et XXe siècles (C. Leontiev, Dostoïevski, Berdiaev, Soljenitsyne, etc.) et des philosophes de la théorie politique pure, comme Machiavel, Vilfredo Pareto ou Carl Schmitt. A cela s’ajouteraient évidemment bien d’autres penseurs, différents les uns des autres comme Proudhon ou Joseph de Maistre par exemple, mais je voudrais surtout mentionner Guillaume Faye dont la découverte récente de l’œuvre fut à bien des égards déterminante pour moi.”

6-: Qu’est-ce que le conservatisme selon vous ? Et pensez-vous qu’il est important aujourd’hui ?

« Conservateur, voilà un mot qui commence bien mal », disait plaisamment Thierry Maulnier. En fait, comme pour toute étiquette, tout dépend de la définition qu’on en donne. Le conservatisme, comme simple volonté de préserver le statut quo, de ralentir la marche du progrès, est condamné à être à la remorque de ceux qui écrivent l’histoire. Cette forme de conservatisme, tiède et frileux, n’a pas grand intérêt et je comprends même qu’il suscite une forme de répulsion chez tous ceux qui aspirent à la grandeur.

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En revanche, il existe une définition plus noble et radicale du conservatisme dans laquelle je me reconnais tout à fait. Pour cela, je voudrais citer Arthur Moeller van den Bruck : « Nous vivons pour léguer un héritage. Celui qui ne croit pas que nous remplissons le but de notre existence dans le court laps de temps, durant la minute qui s’écoule, celui-là est conservateur ». Si, pour l’homme de gauche, la vie est un but en soi, le conservateur estime au contraire qu’une vie ne suffit pas pour créer les choses que veulent atteindre l’esprit et la volonté d’un homme. Reconnaissant la puissance médiatrice du présent qui transmet le passé à l’avenir, il voit la suite des générations occupées à construire leur histoire et leur nation. À cet égard, aucune pensée politique véritable ne peut faire l’économie de ce conservatisme : il faut se considérer comme un point de passage, comme un point reliant le passé au futur, se sentir touché par l’esprit de son peuple à travers les âges pour être appelé à faire de la politique. De plus, le conservatisme tel que l’envisage Moeller van den Bruck est une force dynamique et créatrice, nécessairement active face aux destructions engendrées par les pensées égalitaristes et libérales. C’est pourquoi il écrivait avec une grande justesse : « Auparavant, les conservateurs tentaient d’arrêter la révolution, maintenant, nous devons en prendre la tête ». L’enjeu du conservatisme actuel n’est donc pas, à mon sens, d’adopter une posture purement défensive, mais de reprendre les rênes de notre destinée historique en lui insufflant un esprit nouveau.”

7-: Que pensez-vous du contexte actuel de la société en France, en Europe ? Et à l’échelle du monde ?

” Parlons sans détour, l’Europe est en péril mortel, cernée par d’innombrables menaces : un grand remplacement de population accompagné d’une « grande déculturation » qui empêche de voir ce qui crève les yeux, un vieillissement dramatique ainsi qu’un déclin démographique de la population européenne, une disparition des instincts vitaux les plus évidents au profit de comportements collectifs suicidaires, un implacable « déclin du courage », etc. Cette « convergence des catastrophes », selon l’expression de Guillaume Faye, indique a priori un avenir bien sombre à l’Europe (et ce même constat s’applique peu ou prou à tous les pays occidentaux).  

Néanmoins, malgré toutes ces raisons objectives de craindre le pire, cette époque de crise me paraît également une période de refondation, une opportunité que nous avons de reprendre sur de nouvelles bases. Notre civilisation pourrait très bien disparaître, certes, mais elle pourrait aussi se réaffirmer sur des bases plus fortes qu’autrefois. C’est pourquoi l’enjeu en vaut la chandelle et qu’il faut, plus que jamais, se lancer dans la bataille.”

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8-: Si vous deviez donner 5 éléments sur lesquels tout français devrait sérieusement travailler au niveau individuel, lesquels seraient-ils ?

1- Fonder une famille ou la consolider : d’un point de vue collectif comme individuel, cette tâche est capitale. Au niveau collectif, il faut impérativement inverser la tendance démographique que connaît l’Europe. Mais un tel raisonnement peut sembler très abstrait. Au niveau individuel, fonder une famille est aussi, et même en premier lieu, une façon de se réaliser comme personne. Si nous vivons pour léguer un héritage, comme je l’ai dit plus haut, il faut bien avoir des héritiers pour qui se battre. Beaucoup de gens, gagnés par le désespoir et le pessimisme, se demandent si cela vaut encore la peine d’agir. Ils ne se poseraient sûrement pas cette question s’ils avaient des enfants.

2- Renouer avec la Beauté : un des traits de l’époque contemporaine qui me frappe le plus est le culte de la laideur. La laideur s’est infiltrée partout, dans l’architecture, dans la mode, dans l’art, dans la langue, dans la musique, etc. Or, notre combat est autant éthique qu’esthétique. Nous devons incarner une voie aussi rationnelle que belle ; le fond ne va pas sans la forme adéquate.

3- Apprendre au moins une langue étrangère : en plus de l’utilité évidente que cela comporte, la connaissance des langues étrangères permet de s’évader mentalement et de relativiser les discours qu’on entend dans notre pays. De plus, s’il s’agit d’autres langues européennes, cela permet justement de nouer des liens de fraternité avec des Européens d’autres horizons.

4- Se regrouper en communautés : face au déclin démographique que nous connaissons, il faut se préparer à vivre en minorité dans de larges portions de nos territoires et être, de ce fait, prêts à nous entraider. De plus, la société étant largement baignée d’idées de gauche insupportables au sens strict, la solitude et l’isolement peuvent rendre fous ceux qui partagent nos idées sans pouvoir les exprimer. Un dicton bien connu disait jadis : « Un chrétien seul est un chrétien en danger ». Or, cela s’applique également aujourd’hui à tous ceux qui ne pensent pas selon le moule conformiste de l’époque.

5- Se réinsérer dans la longue mémoire européenne : contre les ethnomasochismes de tout poil, de gauche comme de droite, il s’agit de se réapproprier notre histoire, notre identité et notre culture. Les diverses mythologies indo-européennes, la philosophie classique, la religion chrétienne et la science occidentale sont constitutives de l’âme européenne et de sa grandeur. Les simplifications outrancières qui cherchent à faire l’impasse sur telle ou telle dimension de notre histoire sont l’effet d’une cécité intellectuelle qu’il faut dépasser

9-: Pouvez-vous nous partager votre ressenti sur la jeunesse d’aujourd’hui ?

“Il est double et paradoxal. D’un côté, la rupture dans la chaîne de transmission a produit une jeunesse complètement inculte, apathique, conformiste et profondément imprégnée par la haine de soi. Mais, d’un autre côté, ce grand vide culturel suscite également, dans une part non négligeable de cette même jeunesse, un désir ardent et sincère de se redresser et de retrouver l’héritage dont on les a privés. Il y donc, désormais, plus de gens désireux de défendre leur civilisation dans la nouvelle génération que dans l’ancienne. Et ce fait est très encourageant.

10-: Beaucoup de jeunes français cherchent à renouer avec leur héritage, quel est le meilleur moyen selon vous d’y parvenir ?

“En puisant directement dans ce que notre civilisation a produit de meilleur : la musique de Vivaldi, de Schubert et de Wagner, la littérature de Shakespeare, de Racine, de Schiller et de Pouchkine, ou encore la grande peinture flamande par exemple. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres, la civilisation européenne étant si riche rien que dans le domaine artistique qu’une vie entière ne suffirait pas pour en faire le tour !”

11-: Quels sont les principaux dangers qui menacent la civilisation européenne selon vous ?

” Le danger le plus urgent est sans conteste le changement de peuple. De même que la Chine ne serait plus la Chine si les Chinois étaient remplacés par des Péruviens, une Europe sans Européens ne serait plus européenne. Je me sens gêné de devoir énoncer une telle évidence, mais, contrairement à ce que dit l’adage cartésien, le bon sens n’est plus la chose du monde la mieux partagée. Tel n’est évidemment pas le seul danger qui guette notre civilisation, mais c’est celui qui nous commande de réagir le plus rapidement et le plus efficacement avant qu’il ne soit trop tard.

Toutefois, en plus de cette menace première, concrète et tangible, il y un problème majeur en amont qui empêche sa résolution. C’est ce que Soljenitsyne avait nommé « le déclin du courage ». Les Européens semblent en effet être entrés dans une forme de léthargie, comme si plus rien ne les affectait. Si l’expression de « décadence occidentale » a un sens, selon moi, c’est dans cette perte de toute énergie vitale qu’il faut le chercher.”

12-: Quels sont les principaux espoirs et leviers qui permettraient de surpasser ces menaces ?

“En dépassant le stade de l’analyse pour passer à celui de la croyance et du mythe, au sens sorélien du terme. Il faut être capable de proposer une vision du monde suffisamment forte pour s’emparer du cœur et de l’imagination de tous ceux qui ne veulent pas mourir et les inciter à se redresser. On ne surmontera le manque de courage et l’apathie générale qui consiste à « se laisser vivre » où le courant nous emporte que lorsque nous aurons à nouveau des raisons de vivre et de mourir. Pour cela, il faudra être capable de constituer, dans les années à venir, une élite en mesure de montrer la voie à suivre.”

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13-: Quels sont les personnalités, auteurs, initiatives ou organisations qui paraissent dignes d’intérêts aujourd’hui selon vous ?

“Elles sont trop nombreuses pour que je me montre exhaustif. Par principe, je regarde avec sympathie tous ceux qui défendent, d’une façon ou d’une autre, la civilisation européenne. Je ne comprends pas et je déplore même les querelles de chapelle qui opposent stérilement les divers camps de la droite, surtout quand on voit l’incroyable capacité qu’a la gauche de se mobiliser – ne fût-ce que provisoirement – contre nous. C’est un comble en effet que la gauche arrive à nous désigner comme son ennemi principal, alors que nous autres, lecteurs de Carl Schmitt, n’arrivons pas à le faire avec elle.

Je voudrais néanmoins citer quelques personnalités ou initiatives qui m’intéressent tout particulièrement :

Dans le contexte francophone, il y a d’abord l’Institut Iliade dont le combat « pour la longue mémoire européenne » me semble incarner une ligne juste et cohérente, ainsi que la Nouvelle Librairie, que le lecteur passionné que je suis regarde avec gratitude. Alexandre Cormier-Denis du Québec est également une figure que je suis avec intérêt, à qui s’ajoute ensuite Daniel Conversano, qui a le grand mérite de proposer pragmatiquement un communautarisme européen intelligent et qui s’efforce de dépoussiérer les idées de droite de façon souvent tonique et truculente. Et enfin, je voudrais mentionner le nom de Robert Steuckers, pour qui j’ai beaucoup d’estime, et dont les réflexions géopolitiques mériteraient d’être plus connues par la jeune génération.

A l’étranger, voici seulement quelques personnalités ou organisations parmi d’autres qui suscitent mon attention :

Götz Kubitschek en Allemagne, un des fondateurs de l’Institut für Staatspolitik, un think-tank de la Neue Recht allemande, ainsi que du journal Sezession et des « éditions Antaios », qui republient des auteurs comme C. Schmitt, les frères Jünger, O. Spengler mais aussi des auteurs français récents comme Renaud Camus, Jean Raspail ou Dominique Venner.  En Russie, je m’intéresse aux travaux de Pavel Tulaev et à sa revue Atheneum (Атеней). Je regarde ensuite avec enthousiasme et curiosité le rapide développement de la chaîne de télévision conservatrice et nationaliste Tsargrad TV (Царьград ТВ) de Konstantin Malofeev ainsi que celui du groupe de réflexion Katehon (Катехон).”

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14-: Y a t-il un sujet qui vous paraît délaissé aujourd’hui ou que vous considérez ne pas voir suffisamment dans les médias ou le débat public ?

” A peu près tous les sujets dignes d’intérêt sont mis de côté dans le débat public, et plus encore dans les universitaires occidentales où l’insignifiance semble être devenue la règle d’or.

15-: Pouvez-vous nous donner un livre, un film et une musique qui selon vous vous représente, ou auxquels vous tenez ?

  • Le « Tannhäuser » de Richard Wagner, dont la musique a changé ma vision du monde à jamais.
  • « L’idiot » de Dostoïevski
  • « Autant en emporte le vent » de Victor Fleming

16-: Que pensez-vous pouvoir apporter à quelqu’un qui vous découvre ?

“Fidèle au mot de Bergson, selon lequel il faut s’efforcer d’agir en homme de pensée et de penser en homme d’action, j’espère offrir aux spectateurs une pensée non pas abstraite, mais qui a pour finalité de reconduire à l’action. Toute pensée véritable et féconde, en effet, naît de l’action pour y retourner. Une pensée qui n’agit pas ne compte pas pour grand-chose, mais, de même, une action qui ne pense pas ne mène à rien non plus. Telle est en tout cas mon ambition. Aux spectateurs de me dire si je suis sur la bonne voie.”

17-: Quels sont vos projets à l’avenir ? Dans les prochaines semaines et mois, à court terme, mais également votre vision à long terme.

“Je vais continuer ma lancée avec le même genre de vidéos que j’ai déjà réalisées. Toutefois, dès que j’aurai un peu plus de temps, je compte diversifier le contenu de ma chaîne en proposant d’autres sortes de vidéos ainsi que des entretiens avec certains intellectuels qui me semblent dignes d’intérêt.

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18-: Où peut-on vous suivre ? Sur quel média ou réseau êtes-vous le plus actif?

19-: Un mot pour la fin ?

Dans la mesure de nos moyens, essayons de rester toujours fidèles à nos principes et de ne jamais, à l’instar de Soljenitsyne, faire de concession sur ce que nous estimons être la vérité. La force des idéologies égalitaires contemporaines repose principalement sur l’inertie et le conformisme de la masse. Le combat commence donc au quotidien, en chacun de nous. Sachons dire avec fierté : « Etiam si omnes, ego non ; même si tous, moi pas ! »

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jeudi, 08 juillet 2021

Pandémie et Nécrodémocratie

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Francisco Tomás González Cabañas

Pandémie, Nécropolitique et Nécrodémocratie

Ex: http://novaresistencia.org/2021/07/04/pandemia-e-necrodemocracia/

La pandémie a mis en évidence l'échec des démocraties occidentales qui, au nom de leurs "grands" idéaux abstraits, n'ont pas fait grand-chose pour arrêter la propagation du virus ou pour prévenir les décès. Dans un contexte d'austérité néolibérale qui désigne une partie de la population, notamment les personnes âgées, comme "indésirable", nous sommes confrontés à l'émergence de "nécrodémocraties", le genre de régime occidental qui travaille activement à la mort d'une partie de ses propres citoyens.

Les décès que l'administration de la pandémie aurait pu éviter

    "La nécropolitique permet de problématiser les logiques politiques contemporaines, où s'entremêlent violence, droit, exception et souveraineté. C'est-à-dire que la nécropolitique conjugue les éléments nécessaires au contrôle de la population à partir de la construction de discours sur la guerre, sur l'ennemi et sur la terreur pour justifier l'exception comme seule alternative pour le retour à une normalité sociale" (Brito-Alvarado X., Capito Alvarado, J. 2020. Le néolibéralisme comme nécropolitique des zombies. Arguments : journal de critique sociale, 22, 252-279).

    " La prolifération des armes et l'existence de mondes de la mort - des lieux où les gens sont tellement marginalisés où ils vivent réellement comme des morts vivants - sont un indicateur qu'il existe une politique de la mort (une nécropolitique) plutôt qu'une politique de la vie (une biopolitique) telle que l'entend Foucault " (Mbembe, A. 2011. Nécropolitique. Santa Cruz de Tenerife : Melusina.).

Les auteurs de l'article cité, ont projeté avec une maîtrise théorique ce qui s'est passé quelque temps après l'avoir écrit: "Pour que la nécropolitique soit mise en œuvre, il doit y avoir un état d'exception, comme le propose Agamben, qui justifie la mise en œuvre de mesures politiques permettant au pouvoir souverain d'éliminer les sujets inutiles à ses intérêts" (Ibidem, 15).

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Bien que l'axe conceptuel qu'ils proposent passe par la réaffirmation du néologisme "nécropolitique", ils glissent un chapitre en relation avec ce que nous considérons en fait plus central, la nécrodémocratie, qui a été clairement démontrée, à travers la pandémie, par la gouvernance désastreuse en termes humanitaires de tant de gouvernements démocratiques ou de ceux qui s'en vantent, comme celui de l'Argentine :

    " Giorgio Agamben (en 2006), dénonce dans Homo Sacer I, Pouvoir souverain et vie nue, que les dispositifs juridiques capturent la vie de ces sujets. Par conséquent, pour Agamben, le meilleur contrôle de la population est la démocratie. Le pouvoir démocratique implique qu'il est nécessaire de rendre invisible une série d'actions qui visent à dissimuler certaines violations des droits de l'homme" (ibid., 19).

Enfin, au moins pour re-signifier l'article, pour reconnaître sa valeur théorique, qui a vu plus loin ce qui s'est passé quelque temps plus tard sous l'apparence sanitaire, nous citerons encore un passage d'Agamben, qui soutient ce que nous proposons, la constitution du concept postérieur à celui de " nécropolitique ", celui de " nécrodémocratie ".

    " S'il y a une caractéristique qui peut définir les démocraties et les totalitarismes actuels, c'est que chaque fois leurs complexités politiques alambiquées sont rendues visibles pour parvenir à l'exercice du pouvoir de l'État à travers la mise en œuvre de discours et de politiques, pour parvenir à la domination de la population ; ainsi, le pouvoir qui revient au "souverain est celui qui décide de la valeur et de la dévaluation de la vie en tant que telle" (Agamben, G. Homo Sacer. Pouvoir souverain et vie nue. Valence : PreTextos).

La responsabilité concrète, effective et irréfutable des gouvernements et, avec elle, des gouvernants, qui se perçoivent comme démocratiques, doit être découverte ou démasquée. Dans le clivage du signifiant maître dans lequel les outrages gouvernementaux sont soutenus, par des clins d'œil démocratiques, nous ne pouvons manquer de signaler le manque, la carence, le trou, cette pandémie par le biais delaquelle, il y a, ni plus ni moins, les milliers de morts qui ont avancé (volontairement) leur finitude, par le travail et la grâce des administrations qui au nom du sacré et du totem de la démocratie.... ont vaccinés tardivement et à tort, sautant les "démocratiques" et les "démocrates", vaccinés tardivement et mal, coupant la ligne pour consacrer leurs privilèges et ceux des leurs et condamnant à plus de pauvreté et de marginalité ceux qui survivent encore à une tragédie, clairement évitable dans ses chiffres énormes et douloureux dont sont responsables certaines nécrodémocraties dans lesquelles nous vivons.

Source : Geopolitica.ru

La défense des préjugés contre l’universalisme abstrait (Joseph de Maistre)

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La défense des préjugés contre l’universalisme abstrait (Joseph de Maistre)

Dans cette vidéo, nous nous intéresserons à la défense, paradoxale au premier abord, des préjugés par le comte Joseph de Maistre. Loin de n’être qu’un point de détail philosophique en effet, le rejet systématique des préjugés indique en réalité une certaine conception du monde, de la société et de la politique faisant fi de l’histoire et de l’expérience des siècles passés. Or, c’est justement pour rappeler l’importance de l’histoire et de l’expérience des peuples cristallisée dans ce qu’on appelle « les préjugés », qu’il est essentiel d’aborder la pensée de Joseph de Maistre.
 

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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Vivaldi : ‘‘La stravaganza’’ Concerto in E minor, op. 4, No. 2 RV279
- Christoph Wilibald Gluck : Orphée et Eurydice, Danse des ombres heureuses (interprété à la harpe par Xavier de Maistre)
- Anton Dvorak : Romance in F major, Op.11
- Vivaldi : Nisi Dominus, IV. « Cum dederit » (Andrea Scholl)
 
Pour lire la constitution française : https://www.conseil-constitutionnel.f...
Pour lire la constitution hongroise (Loi fondamentale) : https://mjp.univ-perp.fr/constit/hu20...

mercredi, 07 juillet 2021

Comprendre la Magie Sociale - Entretien avec Lucien Cerise

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Comprendre la Magie Sociale

Entretien avec Lucien Cerise

Alors que la planète est en hypnose, empêchant ses habitants de réagir face à l’évidente supercherie, nous avons demandé à Lucien Cerise, spécialiste de l’ingénierie sociale, si et comment celle-ci pouvait intégrer une dimension occulte.

1. Bonjour Lucien Cerise, un an et demi après le premier COVID, comment s’annonce le prochain ?

Il faudrait dire « Comment s’annonce l’avenir ? » En effet, comme nous l’a annoncé Klaus Schwab, nous ne sommes pas censés sortir un jour de la crise dite sanitaire, qui est en fait purement politique. D’un point de vue sanitaire, la covid-19 n’est pas un problème, mais elle sert de prétexte à faire entrer le monde entier dans une « nouvelle normalité » – du moins, c’est ce que veut le biopouvoir transhumaniste. Son projet est la société « sans contact », c’est-à-dire sans contacts humains, programme soutenu entre autres par le gouvernement sud-coréen, où les interactions sociales directes disparaîtront et seront encadrées, médiatisées et si possible remplacées par la techno-science, l’informatique et les écrans 1. Pour y parvenir par étapes, le pouvoir accumule les mesures de contrôle social sans qu’aucune n’annule les autres et en espérant les rendre irréversibles. Le confinement et le couvre-feu doivent devenir perpétuels, le port du masque doit être permanent, la distanciation physique aussi, il faudra nous revacciner tous les six mois pour mettre à jour notre « passe sanitaire », nouvelle mouture du passeport intérieur des régimes totalitaires, etc. J’ai pris le train et l’avion récemment : il y a des annonces écrites et vocales qui nous parlent de biosécurité, de port du masque obligatoire et de distanciation sociale même pour les personnes déjà vaccinées ou testées négatives au coronavirus. Pour éviter de tomber malade, nous devons donc tous vivre désormais comme des malades. Tout le monde – y compris les bien-portants – doit régler son comportement sur les malades et adopter un style de vie calqué sur celui des malades en acceptant de se soumettre quotidiennement à des mesures destinées en temps normal seulement aux malades.

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La frontière entre maladie et santé s’efface : nous sommes tous potentiellement malades, comme chez le Docteur Knock, et nous devons donc tous accepter d’être tous traités comme des malades. Cette « nouvelle réalité » de la maladie permanente et omniprésente doit permettre de remettre votre santé entre les mains du biopouvoir cybernétique. Comment ? En implantant dans les esprits un parallèle entre les risques encourus par nos ordinateurs et par nos corps. La cybernétique ne distingue pas le vivant et la machine. Ainsi, le biopouvoir pose plusieurs équations : homme = ordinateur ; virus biologique = virus informatique ; anti-virus biologique = anti-virus informatique. Bill Gates est l’homme qui incarne cette fusion de l’informatique et de la santé publique. D’où vient l’intérêt du fondateur de Microsoft pour les virus biologiques et les vaccins, au travers notamment de sa fondation GAVI – Global Alliance for Vaccines and Immunization ? Cela pose question. Lui et d’autres transhumanistes essayent de nous transformer en névrosés hypocondriaques volontairement intégrés dans un système fusionnant le corps humain et les machines par la transposition dans le biologique de ce qui existe en informatique : la peur permanente des virus – phénomène purement psychologique car, en réalité, il y a très peu de virus dangereux – et l’obligation de vivre avec un antivirus fabriqué, un pare-feu dans le langage informatique, équivalent du masque et du vaccin. Pourtant, l’antivirus biologique naturel existe déjà – il s’appelle le système immunitaire – mais justement, le projet est de remplacer l’immunité naturelle, gratuite et universelle, par une immunité artificielle, qui sera facturée et dépendante d’un fabricant d’antivirus. Comme disait quelqu’un sur Twitter 2 :

« Privatisation du système immunitaire des êtres humains en cours : là où avant ton corps faisait le job tout seul pour chaque infection, la réponse immunitaire perdurait à vie, tu auras désormais besoin d’injections à répétition pour chaque variant de chaque virus. » (Anonyme, Twitter)

2. Alan Moore, auteur des BD V for Vendetta et Watchmen – accessoirement sorcier – déclarait que les publicitaires sont les nouveaux chamans…

Ce type est un génie. Il a compris les constantes universelles de l’occultisme, qui en montrent la brûlante actualité, au-delà des variables culturelles et folkloriques, qui peuvent produire un sentiment d’éloignement ou d’exotisme. L’occultisme est un rapport proactif et interventionniste à la perception de la réalité pour modifier la réalité. On ne touche pas directement la réalité matérielle, on touche sa perception, et surtout sa perception narrée, inscrite dans un récit. On peut donc transformer indirectement la réalité en agissant sur l’esprit des gens qui la perçoivent. Et agir sur l’esprit signifie agir sur la narration qui raconte la réalité, principe du Storytelling. Il n’y a pas d’esprit en dehors d’une narration, d’un langage, d’un code. L’esprit humain est langagier, structuré par une grammaire et une syntaxe – les phénomènes psychiques n’arrivent pas au hasard – et constitué physiquement de signes linguistiques, qui sont les « unités discrètes », les briques élémentaires, les atomes de l’esprit. Pour agir sur l’esprit d’autrui comme un occultiste, il faut donc agir sur la narration qui structure son esprit, devenir un maître linguiste, un maître du langage – plus simplement, un bon écrivain, un bon scénariste – ce qui explique le rôle des « formules magiques », ce que l’on appelle aujourd’hui des slogans, et qui sont omniprésents dans l’espace médiatique et publicitaire.

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« À l’origine toutes les facettes de notre culture, que ce soit des arts ou des sciences, appartenaient aux shamans. Le fait qu’à notre époque ce pouvoir magique ait dégénéré et soit devenu un simple divertissement et une manipulation est à mon avis une tragédie. En ce moment les gens qui utilisent le shamanisme et la magie pour influencer notre culture sont des publicitaires. Plutôt que d’essayer d’éveiller la conscience des gens, leur shamanisme est utilisé comme opium pour les tranquilliser et les rendre plus malléables. Avec leur boîte magique, la télévision, et leurs mots magiques, leurs slogans, ils arrivent à ce que tout le pays pense aux mêmes mots et aux mêmes choses banales, exactement au même moment. » – Alan Moore 3

Un bon slogan transforme votre perception de la réalité et déclenche un comportement, ou du moins pèse sur votre comportement en reformulant votre description de la réalité, ou narration de la réalité, donc votre perception de la réalité. Il y a deux façons de peser sur le comportement d’autrui : directement par la pression physique, ou indirectement par la magie, ce qu’on appelle aujourd’hui la psychologie, c’est-à-dire en passant par le système de représentation et de perception d’autrui, ce qu’il a dans la tête, la manière dont il se raconte le monde, et dont il se raconte à lui-même. Le rapport du langage et de l’esprit est encore plus étroit qu’un filtre au travers duquel on percevrait la réalité depuis un esprit possédant son intégrité. En effet, l’esprit est intrinsèquement une structure langagière et linguistique, dépendante d’un récit. On entre dans l’esprit, c’est-à-dire dans l’intériorité, depuis l’extérieur du langage et des signifiants, entendus phonétiquement ou lus sur un support. Si l’on retire le langage, il n’y a plus d’esprit au sens humain du terme. Il y a du vécu hors langage, c’est-à-dire du vécu en dehors du sens, mais pas d’esprit au sens humain. Faites l’expérience : essayez de penser quelque chose en dehors du langage, et vous allez comprendre rapidement à quel point votre esprit est – et à quel point vous êtes – totalement dépendant du langage, et en particulier de votre langue maternelle. Il n’y a pas de langage privé, ou intérieur. Le solipsisme est une fiction théorique.

«  Il n’y a pas de science occulte, il n’y a que des sciences occultées. »  – Alexandre de Saint-Yves d’Alveydre

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Dans Le mythe de l’intériorité, Jacques Bouveresse s’appuie sur Wittgenstein et ses jeux de langage publics pour montrer que nous sommes des êtres intrinsèquement communicants, traversés par du code appris et reçu de l’extérieur. Même les gens qui croient à une intériorité pré-langagière (antéprédicative) sont obligés de passer par le langage, donc par l’extérieur, pour la penser et en parler. La structure de l’esprit est la structure du signe linguistique. L’esprit a donc une partie extérieure, constituée par le signifiant, et une partie intérieure, constituée par le signifié. Les deux parties sont dans un continuum, on passe de l’une à l’autre sans s’en rendre compte la plupart du temps. L’occultisme n’est rien d’autre que l’exploration de ce ruban de Möbius – pour reprendre une figure de topologie lacanienne – qui définit la continuité sémantique entre l’extériorité environnementale et l’intériorité mentale, et dont il faut prendre le contrôle si l’on souhaite peser sur le comportement d’autrui. C’est de la Programmation neuro-linguistique avant l’heure, tout le monde en fait sans le savoir et intuitivement quand on essaye d’influencer autrui, c’est-à-dire quand on essaye de pénétrer discrètement dans l’intériorité d’autrui pour le retourner en notre faveur, consciemment ou non. La psychologie du conditionnement, en particulier du conditionnement furtif, c’est-à-dire du piratage mental, autre nom de l’ingénierie sociale, c’est-à-dire le passage furtif de l’extérieur à l’intérieur de l’esprit, est la forme scientifique de l’occultisme, en tant qu’effort pour influencer autrui.

3. Dès lors, au-delà de la PsyOp, est-il possible de considérer le « covidisme » comme un rituel surdimensionné via une amplification médiatique sans précédent ?

Techniquement, le « covidisme » – la croyance en la narration politico-médiatique sur la covid-19 – est effectivement un égrégore, un facteur de convergence et d’uniformisation des comportements, qui doit synchroniser un maximum d’individus pour les faire agir comme un seul homme. Les médias de masse procèdent à une séance d’hypnose collective en continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, que l’on peut décrire à la suite de Tchakhotine comme un « viol des foules », mais un viol consenti, une pénétration furtive de l’intériorité d’autrui, pour téléguider autrui, agir sur lui depuis son extériorité sans qu’il en soit pleinement conscient. Tout ceci évoque le concept d’Inception, comme dans le film de Christopher Nolan, consistant à pénétrer dans l’inconscient d’autrui pour y déposer une idée, un mot-clé, un signifiant déclencheur (trigger) qui sera activé à un moment donné, pas toujours immédiatement, comme une bombe à retardement. Tel est le rôle du symbole de l’arc-en-ciel et de tous les signes de ralliement, hashtags, graffitis, slogans, et de la pratique d’ingénierie sociale d’hameçonnage (phishing), fondée sur le double sens, l’ambivalence sémantique, qui fait passer une signification sous couvert d’une autre signification, avec un sens caché dans un autre sens, principe de la stéganographie.

Autrefois utilisé par les causes mondialistes écologique et LGBT, l’arc-en-ciel du slogan #ToutIraBien a inondé les fenêtres du monde entier au premier confinement. PsyOp ou égrégore noachide ?

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En fait, nous baignons tous dans un environnement sémantique partagé et nous pratiquons tous naturellement cette influence subliminale sur autrui, pour le programmer, le déprogrammer ou nous déprogrammer et reprogrammer nous-mêmes quand nous sommes mal à l’aise avec une influence psycho-sociale que nous ressentons comme nuisible. L’occultisme et ses versions scientifiques comme l’ingénierie sociale consistent donc à faire consciemment et de manière rationnelle, méthodique et planifiée ce que l’on fait déjà spontanément, comme Monsieur Jourdain prenant conscience qu’il parle en prose depuis toujours. La méthode des Nudges, qui consiste à envelopper autrui en tapissant son environnement d’incitations douces ou indirectes, commence à être bien connue du grand public. Poussé à son terme, cet effort pour influencer autrui culmine dans la « zombification », c’est-à-dire l’abolition de la conscience réflexive pour réduire autrui à devenir un esclave mental, une marionnette qui obéit au doigt et à l’œil. Pour revenir au coronavirus, le résultat concret de cette opération de Mind Control de masse est ce bal des zombies que nous voyons se déployer autour de nous quotidiennement. Tous ces êtres qui portent des masques dans la rue ou qui vont se faire inoculer avec des produits génétiques expérimentaux sont sous l’effet d’un envoûtement, véritable opération psychologique d’ingénierie sociale, c’est-à-dire de piratage mental ou de rituel occultiste de masse, au sens d’Alan Moore.

4. Si le lien entre ingénierie et magie se résume à la furtivité, la Kabbale, adepte des petits calculs et grands secrets, en est-elle la quintessence ?

Les magiciens, les illusionnistes, prestidigitateurs et autres mentalistes exploitent les angles morts de la perception et de l’attention du public, ces zones écrans derrière lesquelles on peut se cacher et qui sont générées par les biais psychologiques et cognitifs du fonctionnement normal du cerveau. Il en va de même pour l’ingénierie sociale dans son volet du piratage informatique, qui n’est autre que du piratage psychologique et cognitif car on s’attaque non pas à la machine mais à son utilisateur selon deux axes, l’usurpation d’identité et l’abus de confiance – en jouant avec la sensibilité d’autrui selon la trilogie de Karpman sauveur/bourreau/victime. Dans tous les cas, une dose de furtivité est nécessaire pour agir. Le réel, c’est-à-dire le geste réel de l’ingénierie magique, c’est-à-dire la modification intentionnelle du lien social, doit devenir invisible et être remplacé par une illusion de transformation spontanée. Par exemple : si les médias ne parlaient pas de la covid-19, les gens ne sauraient même pas que ça existe. La réalité serait différente : les symptômes de la covid-19 seraient interprétés comme une grippe ou une pneumonie banale, et personne n’accepterait les mesures totalitaires dites sanitaires. La nomination, le fait de nommer une chose, la fait exister, soit en la soulignant et en l’extrayant du bruit de fond, soit en la faisant être à partir de rien, création ex nihilo. Dans la controverse entre Réalisme et Nominalisme, le langage a choisi : il est nominaliste. La magie kabbalistique exploite les ressources nominalistes du langage mais a besoin de vous faire croire au Réalisme pour produire une illusion d’objectivité incontestable en dissimulant le geste subjectif de construction langagière de la réalité. Je me suis amusé à angliciser ce constructivisme en inventant le concept de « reality-building ». L’ingénierie sociale, comme la kabbale, consiste à nommer les choses pour les faire exister, en effaçant le geste de la nomination créatrice, le geste de la fonction performative du langage, pour donner l’illusion que cela arrive tout seul. Le pouvoir politique en général consiste à appliquer toutes les ressources de ce nominalisme furtif, pour laisser entendre que les choses nommées par le pouvoir ne dépendent pas de sa volonté mais existent objectivement, ce qui permet d’asseoir la domination symbolique du récit du pouvoir dans les esprits.

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5. Dans cette perspective, le panopticon de Jeremy Bentham n’est que l’application de l’En To Pan cher à la Gnose…

On doit à Michel Foucault d’avoir montré l’actualité du concept de panoptique de Bentham, ce modèle de prison où les prisonniers ne savent pas s’ils sont surveillés ou non par les gardiens, ce qui les conduit à intérioriser la surveillance comme un risque permanent et à auto-discipliner leur comportement. On trouve ici le point de départ d’une réflexion sur l’exercice du pouvoir dans le champ subtil. Les corps n’ont plus besoin d’être disciplinés par d’autres corps ou par de la matière. La domination des corps est psychologique et intériorisée, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une auto-soumission des corps par l’esprit, sous la forme d’une parole venant de l’extérieur et assimilée, à laquelle on s’identifie. La noosphère, la « sphère de la pensée humaine » 4 chez Teilhard de Chardin, notion proche du grand Autre de Lacan ou de l’inconscient collectif jungien, exerce une force de contrainte sur les individus et de façonnage du réel. On en voit les résultats avec ces gens qui portent encore le masque même quand ce n’est plus obligatoire. L’esprit, c’est-à-dire l’information diffusée par le pouvoir, surveille et discipline les corps sans besoin d’un policier ou d’un gardien de prison.

Chez l’être humain, l’information est plus forte que la matière brute, plus forte que l’instinct de conservation, et peut façonner le comportement jusqu’au suicide collectif. C’est ce que la psychologie appelle les pulsions de mort, qui sont un effet du langage humain, absent chez les animaux. Essayez de faire porter volontairement des masques qui empêchent de respirer à des animaux. Leur instinct vital se révoltera rapidement, sauf s’ils sont en voie d’hominisation, sensibilisés au langage humain et à ses effets de déréalisation, c’est-à-dire dressés comme des chiens sous influence de la parole d’un maître. Tout le domaine du sens, de la sémantique, de l’information langagière est lui-même de la matière, mais organisé de manière néguentropique pour réduire l’incertitude. Son caractère morbide et entropique advient quand il essaye d’encadrer totalement le réel et son caractère toujours imprévisible. L’utopie d’en finir totalement avec l’incertitude est d’ailleurs le fil conducteur du biopouvoir, autre concept tiré de l’œuvre de Foucault et retravaillé par Giorgio Agamben. Le sommet du pouvoir est le contrôle scientifique de la vie dans ses moindres aspects, et l’artificialisation du monde naturel dans la mesure du possible. La recherche sur les interfaces cerveau/machine ou corps/machine, c’est-à-dire le couplage direct du cerveau ou du corps sur un dispositif informatique fermé ou ouvert comme internet, est déjà ancienne. Un exemple bien connu est le développement des implants électroniques sous-cutanés, puces RFID ou autres, ainsi que la recherche sur les moyens de les faire accepter à la population de manière souriante et détendue. On se souvient des Implant Parties qui ont eu lieu dans divers pays, dont la France 5.

6. Selon les gnostiques, le diable serait sans limite 6. Toute spéculation est-elle donc d’essence diabolique ? Cela évoque la dialectique de la carte et du territoire, et la tentative du symbole, ou de la pensée, de modéliser le réel. Hystérie, paranoïa, schizophrénie sont des noms savants aux symptômes identifiés en démonologie. Seuls les signifiants changent-ils ?

Pour l’occultisme, la pensée ne doit pas se contenter de modéliser le réel, la carte ne doit pas se limiter à représenter le territoire : la pensée doit être le réel, la carte doit remplacer complètement le territoire. Pour qualifier ce moment où l’image du réel supplante le réel, Jean Baudrillard parlait d’hyper-réalité. Pour y parvenir, il faut reléguer définitivement le réel dans les oubliettes, de sorte que le réel ne soit plus la référence de la pensée, afin qu’il ne pose plus de limite au libre jeu de la pensée spéculative. Il faut parvenir à reconnaître sans sourciller et sans dissonance cognitive que 2 + 2 = 5, ou qu’une femme qui dit être un homme est un homme.

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Pour l’occultiste, la pensée, la représentation du réel, doit être libre par rapport au réel : libre de le déformer, mais surtout libre de ne plus être indexée sur du réel extérieur à elle-même, donc libre d’être autoréférentielle. En économie, la spéculation infinie, sans limite, apparaît quand la valeur d’usage disparaît au profit de la valeur d’échange, quand la monnaie se réduit à un signe. La perte de contact avec un référent réel et la préférence accordée aux signes, c’est-à-dire aux idées, est symptomatique de l’entrée dans la folie, qui est une sorte d’ivresse du langage, une ivresse des idées, une ivresse sémantique, car la pensée ne veut plus tenir compte des limites du sens, limites matérielles, objectives qui viennent dégriser la dérive interprétative. Pour le paranoïaque, tout fait sens, tout est interprétable, il n’y a pas de limites à son interprétation du réel et à son système d’idées. La transgression de toutes les limites, la démesure, l’hubris, le déni de réalité et le délire de toute-puissance caractérisent de nombreuses pathologies mentales et comportementales que l’on décrivait jadis comme des états de possession démoniaque. Les signifiants ont changé, ce qui a eu aussi un impact sur la formulation des symptômes et leur signifié. Aujourd’hui, une hystérique ne dira pas qu’elle est possédée par le diable mais qu’elle a envie de s’amuser et de s’éclater, ou qu’elle mène une lutte féministe contre le patriarcat.

7. L’harmonie jacobine égalisant, tout y est pesé, voire aseptisé, et qui après avoir tenté de mettre la France en damiers, fait maintenant fleurir les cubes à travers un monde digne de l’ordinateur de 2001, l’Odyssée de l’espace. Programmation génocidaire en vue ?

L’esprit jacobin de la révolution française, c’est l’esprit du progressisme maçonnique, c’est-à-dire l’esprit scientiste, mathématique, géométrique. Bien sûr, cette approche entièrement quantitative du monde, qui réduit tout aux nombres, est assez répandue au-delà de la pensée maçonnique et se rencontre à diverses époques et en divers lieux. Les cultures juive et arabo-musulmane attribuent une valeur numérique aux lettres de leurs alphabets, ce qui a donné la numérologie mystique, ou guématrie, qui se développe aussi en Grèce antique à l’époque de Pythagore, se poursuit avec Platon et la fameuse phrase gravée à l’entrée de son école – « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » – et s’épanouit dans la techno-science occidentale. On en trouve une expression politique dans le projet de quadrillage administratif de la France en départements dessinés en carrés, enfermant la vie dans des formes à angles droits, programme élaboré sous l’Ancien régime et qui sera repris par les premiers révolutionnaires en 1790 avant de l’abandonner sous la pression du réel. Le cube est la projection tridimensionnelle du carré, c’est-à-dire de l’angle droit, qui n’existe pas dans la nature. Trouver une forme à angles droits dans la nature signifie qu’une intelligence est forcément passée par là pour la fabriquer.

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C’est toute la signification du monolithe noir, en tant que cube allongé, dans le célèbre film de Stanley Kubrick que vous mentionnez. Il est totalement noir et vide de sens, ce qui signifie qu’il peut recevoir toutes les significations car il n’en porte aucune par lui-même. Pourquoi ? Parce que, comme dirait Marshall McLuan : « Le média est le message ». Parce que c’est la forme matérielle à angles droits qui compte, qui est significative, en ce sens qu’elle tranche avec tout ce que la nature peut produire naturellement, et qu’elle se signale ainsi comme étant nécessairement un produit culturel, un artefact, donc la trace d’une intelligence. Le monolithe noir de 2001 symbolise l’émergence de l’intellect et de la culture supranaturelle à l’état pur : il apparaît chez les primates quand ils inventent le premier outil, la première prothèse ; il apparaît sur la Lune en tant que symbole du passage d’une intelligence extra-terrestre, que l’équipe d’astronautes humains découvre avec stupeur ; il réapparaît à la fin, en miroir de l’intelligence artificielle Hal, l’ordinateur tueur d’humains, pour suggérer au spectateur quel est le sens de l’Histoire, qui tient en quelques mots : « La culture doit remplacer la nature. » Remplacer veut dire tuer. La culture doit tuer la nature, l’esprit doit tuer le corps, tel est le cœur conceptuel de la pensée gnostique, progressiste, utopiste, prométhéenne, transhumaniste et maçonnique. Ce qui était impossible naturellement deviendra possible culturellement, par la techno-science, et rendra la nature obsolète. L’esprit vaincra la matière. L’âme vaincra le corps. L’utopie vaincra le réel.

8. La franc-maçonnerie bâtissant la cité tel un tableau de loge pour acclimater la population, sortir de cette idéologie n’implique t’il pas de détruire ses landmarks 7 urbains rythmant la vie et donc la pensée ?

Le principe progressiste « La culture doit tuer la nature » transposé dans le domaine esthétique signifie que l’angle droit doit remplacer, ou tuer, la forme naturelle, plutôt arrondie. L’architecture contemporaine diffuse ce nouvel ordre visuel maçonnique dans le monde entier avec l’émergence de ce qu’on appelle le « style international » au XXe siècle, c’est-à-dire la généralisation des tours rectangulaires, froides et sans âme. Ces formes géométriques pures et impersonnelles s’opposent à toutes les architectures traditionnelles et ancestrales, qui imitent la nature et sont souvent anthropomorphiques, conçues à l’image du corps humain, ou en cercles concentriques, en voutes, en ogives, parfois ornées de statues, ce qui explique pourquoi on s’y reconnaît. En revanche, l’architecture moderne, de même que la peinture abstraite, ne ressemble à rien de ce qu’il y a dans la nature et n’est pas faite pour les humains.

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Le bâtiment de la nouvelle Bibliothèque nationale de France radicalise l’anti-naturalisme avec sa végétation totalement encadrée, littéralement cernée et encerclée par une construction minérale entièrement à angles droits, et où les arbres du jardin intérieur ont besoin d’être soutenus par des câbles métalliques pour ne pas tomber. Le message est fort : la nature ne doit plus être auto-suffisante, indépendante, autonome, elle doit être réécrite, redessinée, recomposée, restructurée, placée sous la dépendance de la culture. L’esprit maçonnique, c’est la haine de la nature et le projet de la rééduquer, de la transformer, de la tuer en la plaçant sous tutelle de la culture. Appliqué à la nature humaine, c’est le programme transhumaniste, le Great Reset, etc. Pour faire accepter ce projet global, on utilisera des termes aux connotations positives et on parlera de civiliser la nature, comme on parle aussi d’augmenter l’humain avec de nouvelles capacités et de nouvelles prothèses. Mais il ne faut pas se leurrer : au prétexte de civiliser, d’augmenter ou de réparer le monde naturel, le but est bien de le détruire, comme le veut la kabbale avec la notion de Tikkoun Olam. Pour détruire la nature et la remplacer entièrement par de la culture, il faut commencer par stériliser la nature. Le remplacement de fruits et légumes fertiles, avec des pépins et noyaux, par des fruits et légumes stériles, sans pépins ni noyaux, est l’objectif du développement des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), introduits également dans les thérapies génétiques inoculées au prétexte de la covid-19, et qui vont stériliser l’espèce humaine. Les semences végétales et animales doivent devenir l’objet d’un marché, mais surtout d’un contrôle. Transposé aux êtres humains, la procréation doit devenir entièrement assistée – médicalement et scientifiquement – au moyen d’utérus artificiels ou d’autres artifices de laboratoires. Si l’on pousse cette logique à son terme, le monde réel est réduit à un désert stérile, et entièrement reproduit dans un simulacre virtuel sous contrôle total, comme dans le film Matrix. La stérilisation du vivant est le fil conducteur du capitalisme mondialiste. C’est aussi, malheureusement, ce qui définit notre environnement socio-économique global, attaquant notre espèce avec le LGBT, vaste opération de normalisation et de promotion d’une sexualité stérile, et qui est passé à la vitesse encore supérieure depuis 2020 avec la dictature sanitaire. Face à ce désastre, les penseurs naturalistes et écologistes sont effectivement des sources d’inspiration.

9. Pour y parvenir, ne faut-il pas viser ces landmarks, car même plus nombreux, il n’existe aucune chance d’en réchapper, la domination bi-séculaire l’atteste?

Il faut viser qualitativement pour ce qui concerne la métapolitique, mais pour ce qui concerne la politique concrète de terrain, il faut viser la quantité, c’est-à-dire la moyenne, et ne pas craindre une forme de nivellement par le bas car c’est ainsi que fonctionnent les sociétés humaines. On dit que la démocratie commence en Grèce antique mais en fait elle est consubstantielle à toute forme d’organisation humaine puisque c’est le règne de la moyenne et du consensus. Même les dictateurs se préoccupent de ce pensent les masses, au moins pour façonner ce qu’elles pensent et essayer de tuer dans l’œuf toute contestation émergente. N’importe quelle tribu préhistorique ou isolée au fond de la forêt amazonienne doit élaborer un consensus entre ses membres, avec des négociations, des compromis, des compromissions et des stratégies de persuasion, qui tirent l’intelligence collective vers une moyenne. C’est d’ailleurs ce qui embête le pouvoir mondialiste actuel, qui a décidé de remplacer le peuple par des machines pour ne plus avoir à travailler sur la construction de ce consensus en permanence. La fabrique du consentement et de l’opinion publique présente un coût, et le pouvoir en a marre. Ça tombe bien pour lui, on peut pratiquement tout automatiser de nos jours. Ensuite, pour s’en sortir quand on fait partie du petit peuple, c’est-à-dire pour échapper à la stérilisation, à la dépopulation, au génocide, il faut comprendre que le problème n’est pas réductible à la kabbale ou à la franc-maçonnerie. La déconstruction intégrale de tous leurs symboles architecturaux permettrait, certes, de purger l’environnement visuel, mais ne mettrait pas fin à la dialectique de la nature et de la culture, qui est universelle. À titre personnel, je considère même que c’est le sens problématique de l’Histoire. Comment gérer le progrès technique pour qu’il ne devienne pas une menace contre la vie ? La première réponse est anti-progressiste, ou « luddite » : refuser le progrès technique. La deuxième réponse est maçonnique : la culture tuera la nature inévitablement, donc autant y aller à fond. Guillaume Faye a proposé une solution intermédiaire avec l’archéo-futurisme, mais elle pose un problème de cohérence interne. Aucune de ces trois réponses n’est satisfaisante. En tant que cette problématique est universelle, elle est aussi présente dans la kabbale et la franc-maçonnerie, évidemment. Mais si l’on fait le compte du nombre de gens qui sont d’accord pour tuer la nature – pour tuer leur nature – au nom du progrès culturel, il faut admettre que cela dépasse largement les effectifs de la kabbale et de la franc-maçonnerie. Ces forces occultes et occultistes disposent de nombreux relais complaisants dans le peuple. Leur domination bi-séculaire se réalise avec une vraie complicité populaire, il suffit de sortir dans la rue et de compter les masques pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, pour ma part, je pense qu’il faut arrêter de tout mettre sur le compte des minorités actives et se demander si, finalement, la majorité silencieuse n’a pas plus de responsabilités dans ce qui se passe. Ce discours qui consiste à exonérer de la situation le bon peuple, ou les individus qui en sont issus dans les « forces de l’ordre », pour n’accuser que les oligarques, ce discours est contre-productif. J’affirme que l’agent de police ordinaire, venant des classes moyennes comme moi mais qui me colle malgré tout une amende pour non-port du masque dans la rue, a plus de responsabilité dans la situation que Jacques Attali, Bill Gates ou Klaus Schwab. Ces trois figures du Great Reset estiment avoir un intérêt à tout détruire, et elles font leur job avec beaucoup d’application et de conscience professionnelle, mais où est l’intérêt du flic de base, qui sera lui-même sacrifié à la fin, et remplacé par un drone de surveillance ? Quel sera l’intérêt des agents de police qui viendront nous chercher chez nous pour nous emmener au centre de vaccination obligatoire ? Ce fossé entre l’intérêt bien compris de l’individu et son comportement rend ce comportement encore plus inexcusable quand l’individu n’en bénéficie pas. 

10. Merci pour vos réponses, à noter la parution de votre dernier ouvrage sur le suprémacisme blanc et ses origines – occultes aussi – et le Great Reset

Depuis quelques années, le discours politico-médiatique s’est emparé de la question du suprémacisme blanc et le présente comme une menace universelle…

Qu’en est-il réellement ? Le suprémacisme racial en général est la doctrine qui affirme l’existence d’une hiérarchie entre les races et la supériorité de certaines races sur d’autres. Son expression la mieux documentée est le suprémacisme blanc, qui a connu quatre tentatives historiques de trouver une forme institutionnelle dans des régimes politiques : la Confédération sudiste, prolongée dans le Ku Klux Klan ; l’apartheid en Afrique du Sud ; le Troisième Reich ; l’Ukraine post-soviétique. Quatre tentatives, mais aussi quatre échecs.

Avant de porter un jugement sur le suprémacisme blanc en tant que tel, cette étude vise surtout à répondre à la question : « Pourquoi ces échecs ? » S’agit-il de causes internes ou externes ? De facteurs endogènes ou exogènes ? Ces échecs répétés viennent-ils d’un défaut de conception ou d’ennemis trop puissants ? Peut-être les deux à la fois dans la mesure où le suprémacisme blanc pourrait bien être en fait son meilleur ennemi.

Il est pourtant bien vrai que les « Blancs » sont menacés de disparition à moyen terme par la globalisation des échanges et des techniques, mais ils ne sont pas les seuls. Les nationalismes autochtones de tous horizons peuvent et doivent s’allier pour revendiquer leurs droits et lutter ensemble contre leurs ennemis communs en s’appuyant juridiquement sur la Déclaration de l’Organisation des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

81A+B+6GANS._AC_UL320_.jpgLes nationalistes blancs, enfin débarrassés de la tentation du suprémacisme, et leurs homologues – nationalistes arabes, nationalistes africains, etc. – ont donc du travail car la tâche est immense. Elle déterminera si l’espèce humaine survivra ou non à la biopolitique mondialiste et à la Grande réinitialisation (Great Reset), c’est-à-dire au Grand remplacement par l’intelligence artificielle, la robotisation et les chimères génétiques homme/animal.

Dans ce dernier livre, Lucien Cerise nous fait part de sa réflexion sur les dangers mortels qui menacent les peuples indigènes de la planète, et plus particulièrement les peuples indigènes d’Europe. Pris en tenaille par la Grande réinitialisation mondialiste, d’une part, et la tentation suprémaciste, d’autre part, et sachant que ces options apparemment antagonistes se rejoignent finalement sur le transhumanisme, les peuples autochtones n’ont d’autre choix que de renvoyer les deux dos à dos. Alors, quelle solution pour en sortir vivants ? Le nationalisme autochtone.

Notes:

1 – Cf. « Connaissez-vous la stratégie « untact »? Le projet de la Corée du Sud pour une vie sans contact » https://www.rtbf.be/info/monde/detail_connaissez-vous-la-...

2 – Cf. https://twitter.com/Justindoigt2/status/1403282243427131398

3 – Cf. The Mindscape of Alan Moore, 2003. https://www.youtube.com/watch?v=MFHn-HzacxY

4 – Cf. https://noach.es/category/ordo-ab-chao/ordo-ab-chao-tome-...

5 – Cf. « Première « Implant Party » en France : les images d’ERTV ». https://www.egaliteetreconciliation.fr/Premiere-Implant-P...

6« Nous venons de dire que le mot « exister » ne peut pas s’appliquer proprement
au non-manifesté, c’est-à-dire en somme à l’état principiel ; en effet, pris dans son
sens strictement étymologique (du latin ex-stare), ce mot indique l’être dépendant à
l’égard d’un principe autre que lui-même, ou, en d’autres termes, celui qui n’a pas en
lui-même sa raison suffisante, c’est-à-dire l’être contingent, qui est la même chose
que l’être manifesté. »
(Chapitre I – Le symbolisme de la Croix – René Guénon)

7 – Repères utilisés en maçonnerie pour désigner les points inaltérables. Bien que les maçons parlent souvent de Parole créatrice, les landmarks concernent autant le posisme (magie gestuelle).

 

lundi, 05 juillet 2021

L'opposition continue de la philosophie japonaise à la mondialisation

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L'opposition continue de la philosophie japonaise à la mondialisation

Par Troy Southgate

Ex: https://grupominerva.com.ar/2021/07/la-continua-oposicion-de-la-filosofia-japonesa-a-la-globalizacion/

Certains utilisent les efforts de l'école de Kyoto pour faciliter les échanges intellectuels entre l'Est et l'Ouest comme une excuse commode pour promouvoir le soi-disant multiculturalisme. Cependant, bien que l'attitude plus ouverte du Japon à l'égard de l'Occident à partir de la fin du XIXe siècle ait conduit nombre de ses principaux penseurs à explorer en profondeur la philosophie et la métaphysique de Kant, Schelling, Hegel, Nietzsche, Heidegger et d'autres, l'école de Kyoto était une réaction à l'empiètement du monde moderne et reste donc fermement opposée aux valeurs pernicieuses du mondialisme. Comme l'explique le philosophe de la troisième génération du mouvement, Ueda Shizuteru (photo) :

    "Il faut dire que la sinistre réalité mondiale d'aujourd'hui est la formation d'un monde unique qui vide de leur sens les différences entre l'Est et l'Ouest, et invalide ainsi l'entreprise historique de Nishida comme de Nishitani. L'hyper-systématisation du monde entraîne un processus rapide et puissant d'homogénéisation, superficielle mais profonde, qui génère à son tour des frictions et même des confrontations entre les groupes ethniques et leurs cultures ; la destruction accélérée de la nature ; des irrégularités et des troubles physiologiques humains, ainsi que l'approfondissement des fissures psychologiques intérieures ; la propagation d'un sentiment de vide ; et une frénésie folle et sans fin d'activités vides de sens. Malgré les efforts déployés pour parvenir à un monde plein de diversité, mais encore unifié par le contact entre les différentes traditions, il ne semble pas que ces efforts soient aujourd'hui capables de dégager la voie d'un mouvement contre-culturel mondial qui s'opposerait à l'hyper-systématisation contemporaine du monde et à son homogénéisation concomitante".

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Il n'y a pas grand-chose ici avec lequel le libéral de gauche moyen puisse se sentir à l'aise, malgré le fait que les travaux contemporains sur l'école de Kyoto sont invariablement imprégnés d'efforts visant à combiner les idées traditionnelles de ses principaux protagonistes avec des notions de multiculturalisme, de féminisme et d'autres formes de politiquement correct qui servent finalement l'agenda capitaliste mondial.

L'exposition soudaine du Japon il y a un siècle et demi, après des siècles d'isolement, ne signifie pas que les figures de proue de l'école de Kyoto se soient mises à la recherche de concepts philosophiques qui les éloigneraient du passé de leur pays pour les conduire vers un nouvel avenir occidentalisé. Au contraire, l'école de Kyoto était une réaction à la mondialisation et cherchait à défendre les valeurs traditionnelles du Japon en examinant la pensée occidentale avec un regard oriental. Comme le poursuit Ueda :

    "Le système mondial uniforme couvre de plus en plus une variété de zones et de scénarios, de sorte que cette variété elle-même devient insignifiante. Tout comme l'asphalte dans une métropole, le béton du système mondial uniforme recouvre progressivement mais densément le monde entier, même ce qu'on appelle l'espace extra-atmosphérique, et l'épaisseur de ce recouvrement correspond à l'écart du vide qui se répand. C'est comme si, indépendamment de ce moment historiquement vital de poser et de répondre à la question du néant, ce néant - situé au point de contact entre les versos de la question et de la réponse - s'était vidé, et que le béton du système mondial uniforme s'était déversé pour remplir ce vide du néant. Et maintenant, étouffant les voix de ceux qui posent les questions et de ceux qui y répondent, si ce n'est en leur bouchant la bouche et en les balayant, ce béton se répand sans fin."

La nouvelle selon laquelle les environs de la célèbre Acropole d'Athènes viennent d'être recouverts de béton, à la consternation des défenseurs de l'environnement, est peut-être une bonne analogie pour cette déclaration très pertinente. En attendant, il devrait être clair qu'il reste un énorme fossé entre ceux qui souhaitent créer un processus d'amélioration mutuelle entre les philosophies de l'Est et de l'Ouest et ceux qui, au contraire, cherchent à imposer le monotone terne de l'uniformité mondialiste.

Projet des éditions Carmin : rééditer l’homme du ressentiment, de Max Scheler

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Projet des éditions Carmin : rééditer l’homme du ressentiment, de Max Scheler

Rééditer "L'homme du ressentiment" de Max Scheler (Philosophie, 220 pages)

À propos du projet de financement via la plateforme Ulule :

Là où l’on fait revivre un livre, on ressuscite des hommes.

Le relativisme moral vous étouffe et la médiocrité vous révolte ? Le mouvement « woke » vous inquiète et vous ne savez pas comment lui répondre ? Mais grâce à Nietzsche, vous avez compris que ce progressisme est en grande partie une « école du ressentiment » (Harold Bloom). Cependant, si Nietzsche vous intéresse, vous le trouvez injuste avec la civilisation chrétienne. Il a stimulé votre appétit de grandeur, mais vous ne voyez pas en quoi par exemple l’héroïque Moyen Age chrétien serait basé sur une « morale de faibles ».

L’homme du ressentiment de Max Scheler est le livre qu’il vous faut. C’est un livre sauvé des flammes. Le 10 mai 1933, les nazis brûlaient publiquement les ouvrages des plus grandes figures intellectuelles du XXe siècle. Ces autodafés marquaient la "décapitation intellectuelle" du pays ; ces bûchers étaient l’expression même du ressentiment des masses abruties. Le grand philosophe allemand l’avait prévu. Son livre avait diagnostiqué ce mal dès 1913, si bien qu’arrivés au pouvoir, les nazis ont voulu supprimer l’ensemble de son œuvre.

C’est un essai qui approfondit l’analyse pénétrante de Nietzsche de cet esprit qui rapetisse toute chose, tout en en montrant les limites. Introuvable en français, nous le proposons à la réédition, car le renouveau du nietzschéisme en France stimule certains esprits intrépides à dépasser le nihilisme post-moderne. Cependant, le vitalisme de Nietzsche frustre lui-même ses propres promesses, parce que la vie n’est pas la plus haute valeur, les instincts ne remplacent pas la conscience, et le pan-déterminisme biologique ne saurait être véritablement libérateur. Si la vie est l’alpha et l’oméga, comment être héroïque et pour quoi donner sa vie ? C’est ce que montre Max Scheler dans ce livre si nietzschéen qu’il dépasse Nietzsche, et qui a été publié pour la première fois en 1913.

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L’amour n’est pas à la portée des caniches ! Voilà ce qu’avait affirmé déjà avec et contre Nietzsche, le plus grand philosophe allemand de l’entre-deux guerres. L’amour est et restera un sentiment viril et héroïque, c’est ce qu’avance magistralement Scheler, en s’insurgeant contre l’assimilation du christianisme à un sous-marxisme spiritualisant. Avec les outils de Nietzsche, qu’il expose et exploite dans toute leur puissance, Scheler montre la voie de la grandeur éternelle et temporelle. Paradoxalement, il montre aussi que Nietzsche était lui-même pétri de ressentiment envers les valeurs qu’il ne pouvait lui-même atteindre, et qu’il rabaissait à la seule valeur de la vie.

L’œuvre de Max Scheler est d’une importance capitale. Le pape Jean-Paul II n’a cessé de s’en nourrir et de la critiquer, lui consacrant sa thèse de doctorat. Les personnalistes comme les fondateurs de la revue « Esprit » s’y référaient. Pourtant, Scheler reste assez méconnu en France. Il n’existe pas d’édition de ses œuvres complètes en français, et son œuvre majeure, Le Formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs est introuvable.

Max Scheler a été victime de sa propre richesse, car sa pensée n’est pas réductible à des slogans partisans. Son parti-pris résolument anti-subjectiviste en a fait un auteur maudit pour tous ceux épris de consensus mou. Les philistins détestent son élitisme. Les libéraux abhorrent son exigence spirituelle. Les fascistes et les communistes haïssent son intellectualisme. Les spiritualistes font la moue devant son pragmatisme. Les néo-kantiens qui dominent l’université française craignent son « éthique matériale », qui est un dynamitage en règle du formalisme kantien. Les existentialistes ne veulent pas de ses valeurs absolues. Les heideggériens souhaitent faire oublier les critiques définitives de Scheler envers le « calvinisme » d’Etre et temps. Bref, tous ceux qui veulent réduire l’Homme à une seule dimension manipulable par leurs intérêts, c’est-à-dire à peu près toutes les « chapelles philosophiques », ont intérêt à faire oublier cet esprit exigeant. Ils parachèvent par le silence ce que les nazis avaient voulu accomplir par la violence.

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Le noyau de la philosophie de Scheler, c’est une pensée de Pascal : « le cœur a ses raisons que la raison n’a pas ». L’effort intellectuel de Scheler s’est appuyé sur cette intuition fondamentale que ces « raisons du cœur » ne sont pas subjectives, émotionnelles et méprisables, mais au contraire, qu’elles sont hiérarchisées, ordonnées, et vivifiantes, et que nul n’ignore impunément cet ordre objectif des valeurs. Le consumérisme, le totalitarisme et le conformisme sont chacun à sa manière un renversement des valeurs qui finit par se payer très cher. C’est la voie qu’a explorée un autre disciple de Scheler, Viktor Frankl, psychiatre rescapé d’Auschwitz et inventeur de la logothérapie. Cette troisième école de psychothérapie viennoise, après celle de Freud et celle d’Adler, emploie les idées de Max Scheler pour répondre à ces maux spécifiques de la modernité : le nihilisme, le vide existentiel, la perte du sens de la vie, qui tourmentaient aussi le malheureux Nietzsche.

Pour s’armer contre le nivellement, contre l’absurdité moderne et contre le désarroi libéral-hédoniste, il faut sauver des cendres L’homme du ressentiment. On y puisera une vigueur spirituelle insoupçonnée.

Quelques citations :

« Scheler a perçu dans l'homme contemporain une attitude spirituelle caractéristique défavorable à une véritable estime de la vertu : le ressentiment. » 

Jean-Paul II, Amour et responsabilité, 1960.

 « Le premier homme de génie, Adam du nouveau Paradis, ce fut Max Scheler. » 

José Ortega y Gasset, Revista de Occidente, LX, juin 1928

« Max Scheler était la force philosophique la plus puissante dans l'Allemagne moderne, voire dans l'Europe contemporaine et même dans philosophie en tant que telle. »

Martin Heidegger, Fonds métaphysiques initiaux de la logique, 1928

Extraits choisis:

« Le ressentiment est un auto-empoisonnement psychologique, qui a des causes et des effets bien déterminés. C’est une disposition psychologique, d’une certaine permanence, qui, par un refoulement systématique, libère certaines émotions et certains sentiments, de soi normaux et inhérents aux fondements de la nature humaine, et tend à provoquer une déformation plus ou moins permanente du sens des valeurs, comme aussi de la faculté du jugement. Parmi les émotions et les sentiments qui entrent en ligne de compte, il faut placer avant tout : la rancune et le désir de se venger, la haine, la méchanceté, la jalousie, l’envie, la malice. »

« L’attitude du fort à l’égard du faible, du riche à l’égard du pauvre, et généralement du plus vivant vers le moins vivant, dans l’acte de s’incliner et de lui porter assistance peut se réaliser selon deux modes radicalement différents. Elle peut découler et être animée d’un sentiment très ferme de sûreté, d’assurance, du sens que l’on a d’être sauf, de l’invincible plénitude de son être et de sa vie, et plus encore d’un sentiment très net de pouvoir quitter tout ce que l’on est et tout ce que l’on possède. Amour, Sacrifice, Service, inclination vers les humbles et les faibles, tout cela est comme un débordement spontané de nos forces, accompagné de la joie et de la paix la plus profonde. En regard de cette disponibilité spontanée à l’amour et au sacrifice, tout égoïsme particulier, tout retour sur soi-même ou sur ses intérêts propres, et jusqu’à « l’instinct de conservation », représente comme tel un rétrécissement, un affaiblissement d’intensité de la vie. La vie est essentiellement expansion, développement, croissance, plénitude : non conservation de soi, comme le veut une fausse doctrine, qui par ailleurs cherche à réduire tous les phénomènes d’expansion, de développement et de croissance à de purs épiphénomènes des forces de conservation, et en définitive à la conservation du « plus adapté ». »

« Le christianisme n’a jamais affirmé cette « égalité des âmes devant Dieu », où Nietzsche voit la racine de toute démocratie, si l’on entend par là autre chose que l’action de Dieu dégageant la valeur réelle de l’homme des fausses valeurs produites par les situations, les petitesses, les aveuglements, les intérêts particuliers. Mais il est absolument étranger à l’esprit du christianisme de croire que tous les hommes ont la même valeur devant Dieu, et que toute différence de valeur, et tout ce qui tient à l’aristocratie des valeurs humaines, procède de préjugés, d’une étroitesse d’esprit ou d’un anthropomorphisme ; (….). Au contraire, il est authentiquement chrétien de sentir que, sous l’uniformité apparente et superficielle des valeurs humaines, au sein des races, des sociétés, des individus, tels qu’ils nous apparaissent, Dieu saisit une inépuisable multiplicité de perfections et de valeurs diverses ; de même que chez les hommes, selon le mot profond de Pascal, à mesure que l’on a plus d’esprit on trouve plus de gens originaux, en dépit de leur uniformité apparente. »

Lien vers notre vidéo Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=q3dYiNaJMNQ&feature=e...

Paliers de financement du projet :

100% Si vous précommandez 500 exemplaires, le livre "L'homme du ressentiment" sera préfacé, imprimé et envoyé.

200% Si nous atteignons 1000 exemplaires précommandés, nous ajouterons au texte initial un essai de Max Scheler : "LA REHABILITATION DE LA VERTU" (environ 30 pages)

Extrait: "La vertu nous est devenue si intolérable surtout parce que nous ne voulons plus la comprendre comme une conscience durable, vivante et joyeuse de la capacité de l'homme de pouvoir, de désirer et d'agir pour ce qui est juste et bon en soi et, simultanément, désirer et agir pour son propre moi individuel, comme conscience de puissance qui jaillit de son être même."

300% Si nous atteignons 1500 précommandes, nous ajouterons au texte initial un deuxième essai de Max Scheler :"REPENTENCE ET RENAISSANCE", qui est une réponse vigoureuse à Nietzsche (environ 40 pages).

Extrait: "Le repentir n'est ni une erreur spirituelle ni une auto-tromperie, ce n'est ni un simple symptôme de disharmonie mentale, ni une tentative absurde de la part de l'âme humaine de chasser ce qui est passé et immuable. Au contraire, le repentir est une forme d'auto-guérison de l'âme, et c'est en fait son seul moyen de retrouver ses pouvoirs perdus."

500% Si nous atteignons 2500 précommandes, nous traduirons un troisième essai inédit « LES LEADERS ET LES MODELES EXEMPLAIRES (Le saint, le héros, le génie, le dirigeant des civilisations, le maître dans l'art de vivre) » (environ 65 pages)

Extrait: "Nous utiliserons le terme "leader" sans renvoyer à aucune valeur. Car un leader peut être un sauveur ou un démagogue impitoyable ; il peut être un leader positif ou un séducteur ; il peut être le chef d'une alliance morale, ou d'une bande de voleurs ; dans un contexte sociologique sens du terme, il est un « leader » dans la mesure où il veut diriger et il a des suiveurs. C'est assez différent d'une personne exemplaire. Le sens du concept « modèle exemplaire » émerge toujours dans un contexte de valeur. Nous considérons nos modèles exemplaires comme bons, voire parfaits et comme incarnant quelque chose qui devrait être, pendant que nous les suivons. Toute âme est unie à son modèle personnel par une sorte d'amour et une valorisation positive, que ce soit d'un point de vue religieux, moral ou esthétique. Il y a toujours une relation passionnée et affective. Mais un leader peut être méprisé s'il ne fait que diriger."

700 %  3500 exemplaires ! A ce niveau d'intérêt pour Max Scheler, les lecteurs recevront deux livres au lieu d’un. 

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En effet, nous traduirons l’essai « LA PLACE DE L'HOMME DANS LE COSMOS » Comme cet écrit fait 110 pages, nous ne pourrons pas le rajouter au livre L'homme du ressentiment, car cela rendrait le livre trop volumineux. Alors nous regrouperons ces essais supplémentaires et nous en ferons un deuxième livre distinct d'environ 245 pages que nous offrirons à tous ceux qui auront précommandé L'homme du ressentiment.

Ce livre exprime la vision finale de Scheler, juste avant sa mort prématurée, en 1928, la veille de l'ascension au pouvoir des nazis. C'est la démonstration que l'homme a une place héroïque dans le cosmos, à cause et grâce à sa conscience, sa liberté et sa responsabilité. Ainsi, loin d'être une créature impuissante, il est le co-créateur du cosmos, pour autant qu'il en valorise librement l'existence, et qu'il la sanctifie par son amour viril. C'est le visage du véritable Surhomme que nous montre ici Scheler, au-delà des limites biologisantes fixées par Nietzsche.  

TABLE DES MATIERES:

Préface 

Note préliminaire

1. Phénoménologie et Sociologie du ressentiment

2. Ressentiment et jugement moral

3. Ressentiment et morale chrétienne

4. Ressentiment et « Humanitarisme »

5. Du ressentiment et de quelques autres transmutations des valeurs dans la morale moderne

5.1. Valeur du travail personnel et de l’acquisition propre

5.2. Le Subjectivisme des valeurs

5.3. Subordination des valeurs de vie aux valeurs d’utilité

5.3.1. L’utile et l’agréable

5.3.2. Valeur d’utilité et valeur de vie

5.3.2.1. L’être vivant, somme de parties

5.3.2.2. Organe et Outil

(220 pages au total, 19 cm x 13,5 cm, cahiers cousus)

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A propos des éditions Carmin :

Ce projet est le premier des Éditions Carmin. Nous souhaitons proposer des textes inédits et importants pour la formation d'un "honnête homme" du XXIe siècle. Il s'agit d'offrir la nourriture spirituelle aux hommes en désarroi. Nous partons du principe que l'essentiel chez un homme, l'aspect que nous souhaitons développer, c'est la capacité d'autodépassement, la force pour surmonter les difficultés de la vie. Cette force ne saurait se résumer à la force physique. Et cet autodépassement implique une connaissance lucide des conditions nouvelles des relations hommes/femmes et de avancées de la médiocrité dans tous les domaines.

Nietzsche est récupéré et utilisé à l'heure actuelle comme un maître à penser sans critique aucune, comme si personne n'avait recadré son enseignement depuis cent ans. On propose sa théorie du Surhomme comme une sorte de panacée aux jeunes gens en quête de sens. Or donner la "volonté de puissance" pour l’Alpha et l’Omega de la vie, c'est une doctrine appauvrissante, darwiniste sociale, bien médiocre. C'est parce que Scheler a recadré Nietzsche sur ce point très précisément, que le livre L'homme du ressentiment est en quelque sorte notre manifeste. 

12:35 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, philosophie, max scheler | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 01 juillet 2021

De Platon à Packard: de la gestion du troupeau humain par les élites

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De Platon à Packard: de la gestion du troupeau humain par les élites

par Nicolas Bonnal

Hannibal a traduit Dean Arnold, auteur qui évoque la conspiration des élites à travers les âges ; en vérité nous en sommes toujours au même point. Il y a un troupeau et un berger qui veut en réduire le nombre ou en corriger le comportement. Ce berger ou philosophe-roi s’entoure de gardiens (les phulakes de Platon). Il est aujourd’hui aidé par l’ingénierie sociale massifiée et industrialisée. Le grand Vance Packard, auteur des Hidden persuaders (alias la persuasion clandestine), termine son livre effarant (encore plus effrayant que la Propagande de Bernays) par l’évocation du bio-contrôle. Et cela donne :

« Finalement - disons vers l’an 2000 — peut-être toute cette profondeur la manipulation de la variété psychologique semblera d'une manière amusante démodée. D'ici là, peut-être que les biophysiciens prendront le relais avec « bio-contrôle », qui est la persuasion en profondeur poussée à son paroxysme. Le bio-contrôle est la nouvelle science du contrôle des processus mentaux, réactions émotionnelles et perceptions sensorielles par des signaux bioélectriques. »

Packard enfonce le knout :

« La réunion de la National Electronics Conference à Chicago en 1956 a entendu l'ingénieur électricien Curtiss R. Schafer, du Norden- Ketay Corporation, explorer les possibilités surprenantes du biocontrôle. Comme il l'envisageait, l'électronique pourrait prendre le contrôle des indisciplinés humains. Cela pourrait épargner aux endoctrineurs et aux contrôleurs de la pensée beaucoup d'agitation et d'ennui. Il l'a fait paraître relativement simple. »

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Le cerveau humain est un outil :

« Les avions, les missiles et les machines-outils sont déjà guidés par l'électronique et le cerveau humain - étant essentiellement un ordinateur - peut l'être aussi. Déjà, grâce au bio-contrôle, les scientifiques ont changé le sens de l'équilibre des gens. Et ils ont fait des animaux avec le ventre plein, ils ont faim et ils ont peur quand ils n'ont rien à craindre. »

Et les conclusions sont terribles (je rappelle qu’on est en 1956) :

« Le magazine Time l'a cité comme expliquant : La réalisation ultime du bio-contrôle peut être le contrôle de l'homme lui-même…Les sujets contrôlés ne seraient jamais autorisés à penser comme personnes. Quelques mois après la naissance, un chirurgien équiperait chaque enfant avec une douille montée sous le cuir chevelu et des électrodes atteignant les zones du tissu cérébral. ... ... ... Les perceptions sensorielles et musculaires de l'enfant, son activité pourrait être modifiée ou complètement contrôlée par des signaux émis par des émetteurs contrôlés par l'État. »

Le Monde a évoqué le déclin cognitif des enfants avec le confinement ; ils sont aussi épuisés sur le plan physique après dx mètres de course. Bref l’Etat les tient et les parents déjà soumis vont les faire vacciner. Mais au point où nous en sommes…

Passons à Dean Arnold, ensuite, qui cite Platon et le livre V, monstrueux et totalitaire, de sa République si peu vilipendée par nos profs de philo (vous attendiez quoi de ces fonctionnaires ?) :

 « Encore une fois, il est difficile pour nous tous d'imaginer des gens « sympas » pensant de cette façon, ou agissant en conséquence. Cependant, la mentalité d'élite a toujours été avec nous, depuis que Platon a écrit sa République il y a 2300 ans. Chaque enfant étudie ce livre dans des écoles préparatoires comme celle où les Gates ont été formés.

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Le plus célèbre des philosophes grecs nous a dit que la classe dirigeante est celle « dont le but sera de préserver la moyenne de la population ». Il a en outre déclaré: «Il y a beaucoup d'autres choses qu'ils devront considérer, telles que les effets des guerres et des maladies et de tout autre organisme similaire, afin d'éviter autant que possible que l'État devienne trop grand ou trop petit. "

Platon ajoute que le contrôle de la population doit se faire en secret, ce que l'on pourrait appeler une conspiration. « Maintenant, ces événements doivent être un secret que seuls les dirigeants connaissent, ou il y aura un autre danger que notre troupeau… éclate dans la rébellion. »

Citons un peu de Platon alors pour compléter (livre V, traduction Chambry, 459-461 pour les amateurs). Mariage d’amour et famille interdits, reproduction garantie par et pour l’Etat totalitaire, comme chez le vieil Huxley :

« Toi donc, qui es législateur, en choisissant parmi les femmes, comme tu as fait parmi les hommes, tu assortiras les caractères, autant que possible. Or, toute cette jeunesse, ayant la même demeure et la même table et ne possédant rien en propre, sera toujours ensemble; et vivant ainsi mêlée dans les gymnases et dans tous les autres exercices, je pense bien qu'une nécessité naturelle la portera à former des unions…Mais, mon cher Glaucon, dans un État où les citoyens doivent être heureux, il ne peut pas être permis de former des unions au hasard ou de commettre des fautes du même genre, et les magistrats ne devront pas le souffrir. »

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Ensuite on pratique l’eugénisme :

« C'est à toi, Glaucon, de me le dire. Je vois que tu élèves dans ta maison des chiens de chasse et des oiseaux de proie en grand nombre. As-tu pris garde à ce qu'on fait pour les accoupler et en avoir des petits?

Que fait-on?

Parmi ces animaux, quoique tous de bonne race, n'en est-il pas quelques-uns qui l'emportent sur les autres?

Sans toutes ces précautions dans l'accouplement, n'es-tu pas persuadé que la race de tes chiens et de tes oiseaux dégénérerait beaucoup?

Oui.

Crois-tu qu'il n'en soit pas de même des chevaux et des autres animaux?

Il serait absurde de ne pas le croire.

Grands dieux! mon cher ami, quels hommes supérieurs nous faudra-t-il pour magistrats, s'il en est de même à l'égard de l'espèce humaine! »

L’homme est un animal ici comme chez Darwin. Kojève a parlé de notre futur d’abeilles. Comme nos politiques les magistrats de la cité platonicienne (influence sur More, Campanella, Cyrano, etc.) ont tous les pouvoirs :

« Il me semble que les magistrats seront obligés de recourir souvent au mensonge et à la tromperie pour le bien des citoyens; et nous avons dit quelque part que de semblables moyens sont utiles, lorsqu'on s'en sert en guise de remède. »

Les membres des familles ne se connaissent pas, seuls les magistrats savent le tout (on est dans de la science-fiction, vous ne voyez pas ?) :

« Il faut, selon nos principes, rendre les rapports très fréquents entre les hommes et les femmes d'élite, et très rares entre les sujets les moins estimables de l'un et de l'autre sexe; de plus, il faut élever les enfants des premiers et non ceux des seconds, si l'on veut avoir un troupeau toujours choisi; enfin, il faut que les magistrats seuls connaissent toutes ces mesures, pour qu'il y ait le moins de discorde possible dans le troupeau. »

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Les magistrats régulent (c’est la gouvernance !) :

« Ainsi il sera à propos d'instituer des fêtes où nous rassemblerons les époux futurs, avec des sacrifices et des hymnes appropriés à ces solennités. Nous remettons aux magistrats le soin de régler le nombre des mariages, afin qu'ils maintiennent le même nombre d'hommes, en réparant les vides de la guerre, des maladies et des autres accidents, et que l'État, autant qu'il se pourra, ne s'agrandisse ni ne diminue. »

C’est le bon vieux contrôle des populations et des copulations utiles qui comme chez les SS doivent produire une élite guerrière ; ce n’est pas un hasard si le film 300, anti-iranien à souhait, faisait son éloge de Sparte et de sa constitution particulière (lisez le livre universitaire et très précis de mon ami d’enfance Nicolas Richer, qui devient un bestseller) :

Quant aux enfants :

« Les enfants, à mesure qu'ils naîtront, seront remis entre les mains d'hommes ou de femmes, ou d'hommes et de femmes réunis et qui auront été préposés au soin de leur éducation; car les charges publiques doivent être communes à l'un et à l'autre sexe.

Oui.

Ils porteront au bercail commun les enfants des citoyens d'élite, et les confieront à des gouvernantes, qui auront leur demeure à part dans un quartier de la ville. Pour les enfants des citoyens moins estimables, et même pour ceux des autres qui auraient quelque difformité, ils les cacheront, comme il convient, dans quelque endroit secret et qu'il sera interdit de révéler. »

Les femmes qui servent de cadres aussi dans cette société LGBTQ (tout le monde vit nu une partie du temps et en commun) sont des reproductrices étatiques avant de devenir des fonctionnaires préposées à la garde du troupeau :

« Les femmes donneront des enfants à l'État depuis vingt ans jusqu'à quarante; et les hommes, après avoir laissé passer la première fougue de l'âge, jusqu'à cinquante-cinq. » 

Le monde de Platon fait penser à l’âge de cristal, film dystopique des années 70. Persécution pour le contrevenant :

« Si donc il arrive qu'un citoyen, soit au-dessous, soit au-dessus de cet âge, s'avise de prendre part à cette œuvre de génération qui ne doit avoir d'autre objet que l'intérêt général, nous le déclarerons coupable et d'injustice et de sacrilège, pour avoir donné la vie à un enfant dont la naissance est une œuvre de ténèbres et de libertinage et l'enfant sera considéré dans l'Etat comme illégitime, né d'un concubinage et sans les auspices religieux. »

Platon a servi de modèle à la Renaissance (pensez à la sinistre abbaye de Thélème de Rabelais qui inspirera le sataniste britannique Alastair Crowley). La régulation et le contrôle du troupeau sont revenus au goût du jour : le contrôle étatique et médiatique est total (prison ferme pour les parents qui refusent l’éducation du genre en Allemagne), le troupeau est anesthésié et quoiqu’en pense Maffesoli il ne se révolte pas du tout. Il est prêt.

Dernier rappel : dans sa Persuasion clandestine, Packard évoque les mêmes problèmes de pénurie que mon ami Alexandre, et donc à terme la même nécessité d’en finir avec un troupeau qui consomme trop, et qui sera conduit à l’abattoir via le bio-contrôle. Les masques, confinements et vaccins ont bien préparé aussi cette soumission du troupeau, qui rime avec abstention.

Sources :

https://numidia-liberum.blogspot.com/2021/06/en-2009-proj...

https://fr.wikisource.org/wiki/La_R%C3%A9publique_(trad._...

https://www.amazon.fr/Sparte-Nicolas-RICHER/dp/2262039356...

https://www.algora.com/Algora_blog/2021/06/27/2009-projec...

https://archive.org/download/the-hidden-persuaders-vance-...

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/06/28/les-co...

 

 

mercredi, 30 juin 2021

Post-vérité. L'apogée du relativisme

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Post-vérité. L'apogée du relativisme

Federico Gastón Addisi

Ex: https://www.geopolitica.ru/es/article/la-postverdad-el-apogeo-del-relativismo

Parmi les différents traits qui caractérisent l'époque contemporaine, que nous appellerons postmodernité, l'un des plus saillants est le relativisme. Il n'est pas étonnant que cela se produise puisque l'homme, par le biais de Nietzsche, a proclamé la mort de Dieu, et avec lui, comme le dirait Léon Bloy, la perte de l'Absolu. Sans ces concepts directeurs, même pour ceux qui n'ont pas la foi, tout se réduit à la raison.

Et cette philosophie vivace qui luttait pour trouver la vérité a disparu depuis longtemps. Il suffit de se rappeler la lutte courageuse de Socrate contre les sophistes, même avant le Christ. Mais avec le triomphe de la Révolution française et la suprématie dans la science de l'un des trois grands réformateurs (pour paraphraser Maritain), le doute méthodique de Descartes a tout enveloppé.

Quel mélange explosif, l'absence de Dieu, la non-existence de l'Absolu, le doute comme Nord, le tout enrobé de l'histoire à la mode sophiste qui, comme on le sait, ne cherche à convaincre que sur ce qui est argumenté.

Nous arrivons ainsi à ce que les médias ont appelé la post-vérité. Ce qui serait le triomphe du néant. Du nihilisme pur et simple.
En simplifiant, et de manière familière, nous pouvons aborder deux définitions opposées qui ouvriront la porte pour clarifier ce qui se cache derrière ce supposé relativisme.

Nous croyons que toute "vérité relative" (subjectivisme) n'est rien de plus qu'une simple opinion. Au contraire, toute "vérité objective" (objectivisme) est celle qui correspond à la réalité.

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L'adage aristotélicien, repris en substance par les classiques, par le général Perón : "La seule vérité est la réalité".
Quelle est donc l'opinion que nous définissons ici comme synonyme de relativisme ?

Et une fois de plus, le sage prophète de nos lettres, c'est-à-dire le père Castellani, nous vient en aide :

    "L'opinion est une affirmation non certaine, fondée sur des arguments valables, mais non évidents, opposés à d'autres qui sont également valables. Par exemple : "Je suis d'avis que les névroses sont psychosomatogènes, d'autres médecins identifient qu'elles sont toutes psychogènes, d'autres qu'elles sont toutes somatogènes. L'opinion n'est pas une affirmation quelconque lancée en l'air juste pour le plaisir, par charlatanisme ou par la témérité d'un imbécile ; c'est de la folie. Ne confondez donc pas le droit d'opinion et le droit de faire des bêtises, ce qu'a fait le libéralisme. Qui a le droit de donner une opinion ? Pas tous les hommes sur tous les sujets, mais les connaisseurs sur ce qu'ils comprennent".

Et c'est là que se trouve le nœud gordien qu'il faudra trancher. Dans notre Argentine postmoderne et semi-coloniale, chacun donne son avis sur ce qu'il ne connaît pas. Et comme on le sait, là où les ignorants crient, les sages se taisent. Et la vérité est de plus en plus insaisissable.

mardi, 29 juin 2021

Le néolibéralisme et le "piège de l'oméga"

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Le néolibéralisme et le "piège de l'oméga"

par Pierluigi Fagan

Source : Pierluigi Fagan & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/neo-liberalismo-e-trappola-dell-omega

Le concept de "piège oméga" est dû à un physicien-climatologue allemand, H. J. Schellnhuber, qui décrit le piège mental par lequel on devient convaincu que lorsque les choses ne fonctionnent plus comme d'habitude ou comme prévu, l'image du monde qui reflétait ce "comme d'habitude" ou "comme prévu" nous ordonne de faire ce qui était fait auparavant, mais avec plus de force, plus radicalement, plus largement et plus intensément.

L'aphorisme "La folie consiste à faire la même chose encore et encore en s'attendant à des résultats différents" a été attribué à différents esprits aphoristiques supposés prolifiques, à savoir A. Einstein, B. Franklin et M. Franklin. Einstein, B. Franklin et M. Twain, saisissent le mécanisme sous un autre angle.

L'idéologie néo-libérale dénonce sa dette envers le "comme d'habitude" précisément en utilisant un préfixe actualisant "neo", à apposer avant le "comme d'habitude" du libéralisme de longue date. Au niveau de l'histoire des idées, il est toujours difficile de dater, puisqu'il est possible de remonter jusqu'aux premières formes d'une pensée encore immature et peu répandue, pour arriver à sa pleine force, qui reste cependant débitrice de cette origine bien antérieure. Dans notre cas néo-libéral, nous pouvons donc remonter à l'école autrichienne des années 20 et 30, jusqu'à la société du Mont Pelerin des années 40 et 50, mais sans doute le dévoilement de l'idéologie dans ses ambitions de guider la vérité a eu lieu dans les années 70 avec un double prix Nobel. Il a d'abord été remis à F. von Hayek en 1974, puis à M. Friedman en 1976. Dans les années 1980, l'ambition devient réalité avec la séquence Thatcher-Reagan pour le début et le consensus de Washington (1989) pour l'affirmation finale. Il convient de noter que Hayek a reçu le prix à l'occasion de son 75e anniversaire, presque un prix de carrière, et on peut donc se demander : pourquoi si tard et pourquoi dans les années 1970 ?

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H. J. Schellnhuber.

Car c'est dans les années 1970 que l'économie occidentale (américaine et britannique en premier) a commencé à ne plus fonctionner "comme d'habitude". D'où la substance de cette version "néo" du libéralisme : imposer le système libéral mais avec plus de force, plus radicalement, plus largement et plus intensément.

Il convient ici de faire une distinction entre la forme et le contenu des idéologies. L'idéologie libérale, par exemple, est née dans l'Angleterre du XVIIe siècle, mais trouve son origine dans le libertinage français de la fin du XVIe siècle. Son contenu est évidemment l'esprit de liberté, l'affranchissement des dogmes, le pluralisme des connaissances alors limitées par des contraintes théologiques, la tolérance, le principe de réalité. Tel était son contenu lorsqu'il est né en défiant l'ordre précédent. Mais les contenus peuvent toujours être interprétés, et ainsi lorsque dans un passé récent elle s'est imposée dans la version fondamentaliste, n'exerçant donc plus la fonction de contestation mais d'ordre, la voici devenue dogmatique, orthodoxe, intolérante, s'éloignant de plus en plus du principe de réalité, s'empêchant d'appliquer avec toujours plus "d'obtusité" ses principes inébranlables. La parabole qui a conduit de Marx à Staline ou du Christ à l'Inquisition est la même.

Quand les idéologies naissent avec des intentions émancipatrices, elles ont certains effets, quand elles atteignent leur objectif naturel d'ordonner le pouvoir sur l'image du monde et ceci sur les manières d'agir, donc sur le tissu de la réalité, elles entrent dans le mode impératif. Lorsque les événements du contexte changent profondément et que la réalité éclate de toutes parts et donc hors du cadre ordonnateur attendu, ils se retrouvent dans le piège de l'oméga. Cette forme de sclérose des systèmes de pensée qui nie la réalité pour répéter de manière obsessionnelle sa formule de vérité qui, en tant que telle, ne peut être discutée, est l'Alzheimer des idéologies qui annonce la mort de tout le corps qu'elle voulait ordonner.

L'Inquisition annonce la fin de la société médiévale ordonnée par le théologique, le stalinisme annonce la fin du communisme réel, le néo-libéralisme annonce la fin de la société occidentale moderne (voir post-moderne) ordonnée par le marché. Le passage à l'ordre nouveau peut prendre des décennies, mais ce n'est que le temps nécessaire à l'"effacement" qui, historiquement, a sa propre irréversibilité. Cela peut consoler ceux qui vivent dans cette transition où se produisent les "phénomènes morbides les plus variés" de la mémoire gramscienne, bien que la consolation historique soit une valeur, vivre dans des temps de décadence oppressante et de faillite du sens commun, une autre.

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dimanche, 27 juin 2021

Une démocratie mal entendue, la ruine du peuple (Ernest Renan)

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Une démocratie mal entendue, la ruine du peuple (Ernest Renan)

 
Dans cette vidéo, nous nous intéressons à un auteur fameux, plus souvent cité que lu de nos jours : Ernest Renan et son livre fondamental, "la Réforme intellectuelle et morale". Ce livre, capital, fut écrit à la suite de la défaite française de 1870 et l'auteur s'interroge sur les causes de la faiblesse de la France. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce texte, loin d'être dépassé, est plus actuel que jamais : les mêmes causes engendrent les mêmes effets.
 
 
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- Andante con moto
 
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samedi, 26 juin 2021

Le vicomte de Bonald et le catastrophique modèle britannique

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Le vicomte de Bonald et le catastrophique modèle britannique

par Nicolas Bonnal

Nous sommes dominés par le monde anglo-américain depuis deux siècles, et sommes à la veille de la troisième guerre mondiale voulue par ses élites folles. L’Angleterre veut nous précipiter dans une guerre avec la Russie tout en montrant l’exemple sur le plan orwellien, vaccinal et bien sûr malthusien. Victor Hugo a décrit l’horreur féodale britannique dans l’Homme qui rit (j’y reviendrai). Mais le premier penseur français à avoir radicalement déconstruit la crapulerie britannique fut le vicomte de Bonald.

J’ai glané ces citations (voyez archive.org), dans les dix-sept volumes de Bonald (1754-1838), cet unique défenseur de la Tradition (j’allais écrire bon guénonien : hyperboréenne) française. Je les distribue à mes lecteurs au petit bonheur.

A l’époque de Macron et de l’oligarchie mondialiste, ce rappel :

« Ceci nous ramène à la constitution de l'Angleterre, où il n'y a pas de corps de noblesse destinée à servir le pouvoir, mais un patriciat destiné à l'exercer. »

J’ai souvent cité ce surprenant passage des Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand (3 L32 Chapitre 2) :

« Ainsi ces Anglais qui vivent à l'abri dans leur île, vont porter les révolutions chez les autres ; vous les trouvez mêlés dans les quatre parties du monde à des querelles qui ne les regardent pas : pour vendre une pièce de calicot, peu leur importe de plonger une nation dans toutes les calamités. »

On comprend enfin que le commerce américain ne prépare pas la paix mais la guerre. Bonald se montre ici d’accord avec les marxistes (comme souvent) en rappelant que l’Angleterre est toujours en guerre :

« L'Angleterre est en système habituel, je dirais presque naturel de guerre, ou du moins d'opposition, avec tous les peuples du monde, et le repos ne peut être pour elle qu'un état forcé et accidentel. Cet état d'opposition est totalement indépendant des dispositions personnelles et du caractère particulier de ceux qui la gouvernent : il tient à sa position insulaire, à sa constitution populaire, qui donne à sa politique un caractère inquiet et agresseur, et qui la place constamment dans le système d'accroissement, et jamais dans celui de repos et de stabilité; en sorte que, comme elle est continuellement agitée au dedans, on peut dire qu'elle entretient au dehors et dans le monde politique le mouvement perpétuel. »

Sur le même inquiétant sujet Bonald ajoute, non sans quelque réminiscence de Thucydide (voyez livre premier, CXL et suivantes):

« Cette disposition à toujours s'étendre, et cette facilité à attaquer partout, ont, dans tous les temps, donné aux peuples dominateurs des mers, comme l'observe Montesquieu, un tour particulier d'esprit impérieux et arrogant, dont les Anglais ne sont pas exempts; en sorte que le caractère particulier de l'Anglais est la soif démesurée d'acquérir et la fureur de la cupidité, parce que le système politique de l'Angleterre est une tendance sans mesure à l'accroissement. »

9782364410022-475x500-1.jpgSanctions économiques et commerciales ? L’Angleterre les applique déjà :

« L'Angleterre n'attaque pas le territoire de tous les peuples; mais elle en attaque le commerce ou par la force ou par la ruse…

Au reste, les peuples commerçants ont tous plus ou moins de cet esprit envahisseur, comme tous les hommes qui font le commerce ont tous le désir de s'enrichir les uns aux dépens des autres. »

Bonald offre une belle comparaison psychologique entre les peuples agricoles qui ont disparu et les commerçants :

« Et il est peut-être vrai de dire que le commerce, qui peuple les cités, rapproche les hommes sans les réunir, et que l'agriculture, qui les isole dans les campagnes, les réunit sans les rapprocher. »

Et de conclure cruellement sur le destin colonial anglo-saxon :

« Ainsi le vol et l'intempérance, vices particuliers aux sauvages, sont très-communs chez les Anglais. Le peuple y est féroce jusque dans ses jeux; les voyageurs l'accusent d'un penchant extrême à la superstition, autres caractères des peuples sauvages… »

Si « le credo a été remplacé par le crédit » (Marx toujours), la superstition aujourd’hui c’est le fanatisme médiatique (voyez Macluhan encore et la galaxie Gutenberg). Ces peuples soi-disant libres sont toujours les plus conditionnés par la presse et leurs médias. « L’ineptie qui se fait respecter partout, il n’est plus permis d’en rire », écrit un Guy Debord toujours hautement inspiré.

L’Angleterre, rappelle Bonald est aussi philosophe (« quelle race peu philosophique que ces Anglais », écrira Nietzsche dans Jenseits, §252), et sa philosophie a créé le bourgeois moderne, « le dernier homme », comme l’a bien vu Fukuyama (The end of history, chapter XVII) :

« On pourrait, avec plus de raison, représenter l'Angleterre exportant dans les autres États le philosophisme, dissolvant universel qu'elle nous a envoyé un peu brut à la vérité, mais que nous avons raffiné en France avec un si déplorable succès. »

Hélas, l’Angleterre est une puissance mimétique, disait René Girard, et Bonald avant lui :

« Les autres nations, et particulièrement la France, n'ont pas fait assez d'attention à cet engouement général que les Anglais ont eu l'art d'inspirer pour leurs mœurs, leurs usages, leur littérature, leur constitution. »

Bonald voit poindre le continent américain, qui sauvera les miséreux de Dickens d’une organisation sociale scandaleuse (combien de famines, de pendaisons, de déportations ?) :

« Dans l’état où se trouvent aujourd'hui les deux mondes, il en faudrait un troisième où pussent se réfugier tous les malheureux et tous les mécontents. L'Amérique, dans l'autre siècle, sauva peut-être l'Angleterre d'un bouleversement total. »

Bonald explique même l’excentricité britannique :

« Après les changements religieux et politiques arrivés en Angleterre sous Henri VIII, on remarqua dans cette île une prodigieuse quantité de fous, et il y a encore plus d'hommes singuliers que partout ailleurs. »

Les individus et même le pays peuvent rester sympathiques (William Morris, Chesterton, Tolkien, mes témoins de mariage…) :

« Heureusement pour l'Angleterre, elle a conservé de vieux sentiments, avec ou plutôt malgré ses institutions. »

Surtout, l’Angleterre ne défend que l’argent :

4109Y12GPqL._SX302_BO1,204,203,200_.jpg« Dans ce gouvernement, il est, dans les temps ordinaires, plus aisé au particulier de constituer en prison son débiteur, qu'au roi de faire arrêter un séditieux, et il est moins dangereux pour sa liberté personnelle d'ourdir une conspiration que d'endosser une lettre de change; c'est ce qu'on appelle la liberté publique. »

Il faut dire que le roi là-bas n’est pas un monarque.

Le modèle social (Bonald écrit avant Dickens, il est contemporain du grand penseur incompris Godwin) reste ignominieux et humainement destructeur :

« Les fabriques et les manufactures qui entassent dans des lieux chauds et humides des enfants des deux sexes, altèrent les formes du corps et dépravent les âmes. La famille y gagne de l'argent, des infirmités et des vices ; et l'État une population qui vit dans les cabarets et meurt dans les hôpitaux. »

Le commerce n’enrichit pas forcément les nations, rappelle notre grand esprit :

« Le commerce fait la prospérité des États; on le dit : mais avant tout il veut la sienne; et toutes les usurpations y trouvent des fournisseurs, la contrebande des assureurs, et les finances des agioteurs, qui font hausser ou baisser les fonds publics dans leur intérêt, et jamais dans celui de l'État. »

La dépravation sociale, morale, mentale, y est totale (relisez Defoe, l’affreux de Quincey ou découvrez Hogarth sous un autre angle –le rake’s progress) :

« Dans les petites villes, les spectacles et les cafés, prodigieusement multipliés, et les cabarets dans les campagnes, dépravent et ruinent toutes les classes de la société, et troublent la paix et le bonheur des familles. Les tavernes et les liqueurs fortes sont, en Angleterre, une cause féconde de mendicité. »

Déficit commercial ? Perversion de modèle économique ? Dépendance aux importations ? Lisez Bonald sur l’Angleterre :

« Telle nation qu'on regarde comme la plus riche, l'Angleterre, par exemple, est, comme nation, réellement plus pauvre que bien d'autres, parce qu'elle est, comme nation, moins indépendante, et qu'elle a, plus que les nations continentales, besoin des autres peuples et du commerce qu'elle fait avec eux, sur eux, ou contre eux, pour subsister telle qu'elle est. »

Surtout pas de blocus, pas d’autarcie alors :

 « De là vient que la guerre la plus dangereuse qu'on lui ait faite, est la mesure qui l'excluait des ports de toute l'Europe. »

Bonald ne parle pas de la dette publique qui émerveille Marx (Capital, I, sixième partie) et atteint 200% du PNB pendant les guerres napoléoniennes !

Le bilan du miracle industriel célébré par tous les imbéciles depuis deux siècles ou plus :

« Qu'est-il résulté en Angleterre de l'extension prodigieuse donnée à l'industrie et au système manufacturier ? une population excessive, une immense quantité de prolétaires, une taxe des pauvres qui accable les propriétaires, une guerre interminable entre agriculture , qui veut vendre ses denrées à un haut prix pour atteindre le haut prix des frais de culture, et les fabricants qui voudraient les acheter à bon marché pour pouvoir baisser le prix de leurs salaires et soutenir la concurrence dans les marchés étrangers ; l'impossibilité à une famille distinguée de vivre à Londres conformément à son rang, même avec cent mille livres de rente ; tous les extrêmes de l'opulence et de la misère, et les malheurs dont ils menacent tous les Etats. »

Et c’est ce modèle qui a triomphé dans le monde ; il n’aurait plus manqué que cela…

 

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mercredi, 16 juin 2021

La philosophie politique avec Ego Non

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La philosophie politique avec Ego Non

Entretien avec les animateurs de "The Conservative Enthusiast"

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Le déclin de l'Europe annoncé il y a un siècle

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Le déclin de l'Europe annoncé il y a un siècle

Valentin Katasonov*

Ex: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/34222-2021-05-27-11-56-23

Il y a environ cent ans paraissait le livre "Le déclin de l'Occident" (Der Untergang des Abendlandes) d'Oswald Spengler (1880-1936). Je dis "approximativement" parce que l'œuvre se compose de deux volumes, elle a dès lors deux dates de naissance. Le premier volume a été publié en 1918, le second en 1922.

Le livre est né à une époque où l'Europe se consumait dans les flammes de la Première Guerre mondiale, et les mots "décadence", "effondrement", "mort" de l'Europe en 1918 n'étaient pas perçus comme choquants.

Dans une traduction exacte, le titre du livre de Spengler ressemble plutôt à l'anglais "The Sunset of the West" (= Le crépuscule de l'Occident), et l'accent mis sur l'Europe dans l'édition traduite a été mis dans les années 1920 : l'Amérique du Nord semblait alors assez prospère, il n'y avait aucun signe du déclin du nouveau monde. Aujourd'hui, il s'agit d'une autre question, celle de savoir si le livre de Spengler doit revenir à son titre original que nous baptiserions en anglais "Sunset of the West".

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Pendant une centaine d'années, l'œuvre de Spengler a figuré parmi les plus célèbres ouvrages du XXe siècle sur la philosophie de l'histoire et de la culture. À différents moments, l'intérêt pour le livre a explosé puis s'est émoussé. K. A. Svasian, qui a fait une nouvelle traduction du premier volume de Der Untergang des Abendlandes donne, dans la préface à la publication de ce volume en 1993, des statistiques intéressantes. En Allemagne, entre 1921 et 1925, la bibliographie des ouvrages sur Spengler contient 35 titres. Dans les cinq prochaines années, leur nombre sera réduit à cinq. 1931-1935 - pendant la période marquée par la persécution de Spengler par les nazis, neuf œuvres apparaissent, en 1936-1940 - cinq encore. "Dans la période d'après-guerre", écrit K. A. Svasyan, "l'image s'est considérablement détériorée, et ce n'est que dans les années 1960 qu'il reveindra timidement à l'avant-plan, grâce aux efforts d'Anton Mirko Koktanek (l'auteur du livre Oswald Spengler und seine Zeit publié en 1968 - V.K.) , lequel a publié la correspondance de Spengler et certains matériaux de son héritage... éphémère..."

Il me semble que dans les années 1990 et 2000, l'intérêt pour l'œuvre de Spengler a commencé à retomber, est resté le même dans les années 2010, et depuis l'année dernière, l'intérêt est reparti. Et ce n'est pas étonnant : des signes sont apparus non seulement du déclin, mais aussi de la mort de l'Europe, de l'ensemble du monde occidental, voire de l'humanité.

oseph.jpgLes évaluations du travail de Spengler étaient différentes, parfois diamétralement opposées. L'une des premières estimations appartient au philosophe et sociologue allemand Georg Simmel (1858-1918). Il a pris connaissance du premier volume du Déclin de l'Occident un mois avant sa mort et a qualifié l'œuvre de Spengler de "philosophie la plus significative de l'histoire après Hegel". Mais le philosophe et culturologue allemand Walter Benjamin (1892-1940) considérait l'auteur du Déclin de l'Occident comme "un petit chien sans intérêt".

L'œuvre de Spengler est inégale et ambiguë. On y trouve de la trivialité et de l'ingéniosité, mais aussi des choses tout à fait originales. L'auteur fait preuve d'une étonnante érudition en termes de connaissance de nombreuses cultures. Certains critiques ont fait remarquer à Spengler qu'il avait construit sa philosophie de l'histoire sur des bases fragiles, sans se référer à de nombreux ouvrages sur la philosophie de l'histoire. Spengler dans les pages de Der Untergang des Abendlandes réfute les attaques qu'il attendait. Il déclare qu'il ne fait pas confiance à la science académique officielle. Cette histoire, comme les autres sciences sociales (humanitaires), il ne la considère pas comme une science, s'appuyant uniquement sur les sciences naturelles. Mathématicien de formation, Spengler s'appuie principalement sur cette science-là. Il aime le mysticisme des nombres, et le premier chapitre du premier volume s'intitule "Sur la signification des nombres".

Beaucoup ont attribué l'œuvre de Spengler au genre de la philosophie de l'histoire (l'historiosophie). Cependant, l'auteur lui-même a déclaré que les critiques ne comprenaient même pas son intention. Il s'agit d'un ouvrage portant non pas sur la philosophie de l'histoire, mais sur la culture en tant que phénomène de l'histoire humaine. Dans l'histoire, certaines cultures sont remplacées par d'autres, diverses cultures coexistent, les cultures peuvent s'influencer mutuellement, s'emprunter quelque chose, se concurrencer et même essayer de se détruire. Avec une certaine variabilité dans les formes externes, la structure interne de la culture est très forte. L'objet de recherche de Spengler est la culture, sa structure et ses formes. Le sous-titre de Der Untergang des Abendlandes explique d'ailleurs l'intention de l'auteur : "Essais sur la morphologie de l'histoire mondiale".

imaosdows.jpgSpengler considère la science historique officielle comme primitive : "Le monde antique, le Moyen Âge, les temps modernes : voilà un schéma incroyablement maigre et vide de sens". Spengler oppose ce schéma linéaire à son schéma morphologique. La morphologie est une science née dans le cadre des sciences naturelles, qui étudie la structure et les formes des différents objets du monde matériel : minéraux, végétaux, organismes vivants. Et Spengler applique le schéma de l'étude morphologique de la nature à la société humaine. Pour Spengler, toute société est un organisme à la structure complexe, aux éléments et aux formes interconnectés. Et cet organisme social s'appelle "culture". Toute culture est précédée par la naissance d'une "âme", par laquelle Spengler entend une nouvelle vision du monde (religieuse ou scientifique) : "Toute nouvelle culture s'éveille avec une certaine nouvelle vision du monde".

Spengler a identifié huit cultures mondiales : égyptienne, babylonienne, chinoise, indienne, mésoaméricaine, antique, arabe et européenne. Spengler mentionne également la neuvième grande culture : la culture russe-sibérienne. Il la considérait comme un éveil et en parlait très brièvement, ses contours étaient vagues pour lui.

Il est facile de voir que la "culture" de Spengler correspond à ce qu'on appelle plus souvent "civilisation" aujourd'hui.

Bien que Spengler ait également fait usage du concept de "civilisation", mais l'utilise toutefois dans un sens différent. Dans son concept, chaque culture a son propre cycle de vie : "Chacune a sa propre enfance, sa propre jeunesse, sa propre maturité et sa propre vieillesse". Ce qui précède la vieillesse, Spengler l'appelle culture au sens propre du terme. Et il appelle une culture vieillissante et mourante une "civilisation": "Chaque culture a sa propre civilisation". Les civilisations "continuent à devenir ce qu'elles sont devenues, la vie comme la mort, le développement comme l'engourdissement ...". Spengler calcule l'espérance de vie moyenne des cultures à un millénaire, suivi de la léthargie et de la mort. Pour décrire la civilisation, Spengler a introduit le concept de "fellahisation", c'est-à-dire "l'acquisition lente d'états primitifs dans des conditions de vie hautement civilisées".

Plusieurs cultures sont déjà passées par une phase de civilisation, disparaissant ensuite de l'histoire (les cultures égyptienne, babylonienne, antique). Spengler identifie les traits distinctifs suivants de la phase de civilisation: la domination de la science (scientisme) ; l'athéisme, le matérialisme, le révolutionnisme radical; la sursaturation technologique; le pouvoir de l'État devient tyrannie; l'expansion extérieure agressive, la lutte pour la domination mondiale. Il considère également comme un signe de "civilisation" le remplacement des établissements ruraux par des villes géantes, la formation de grandes masses humaines dans celles-ci : "dans la ville-monde, il n'y a pas de gens, il n'y a que de la masse".

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Spengler identifie et analyse scrupuleusement tous les signes de la disparition des cultures primitives afin de répondre à la question : à quel stade de son développement se trouve la culture européenne ? Selon lui, cette culture est née à la jonction du premier et du deuxième millénaire après la naissance du Christ. La durée de vie moyenne des cultures qu'il a examinées avant d'entrer dans le stade de la "vieillesse" ("civilisation") est d'environ mille ans. Il s'avère que sur la base de ces termes estimés, la culture européenne est sur le point de se transformer en civilisation.

Apparemment, Spengler ne croyait pas vraiment (ou ne voulait pas croire) que la culture européenne entrerait rapidement dans une phase de décrépitude et de mort. Lui-même, comme il l'a avoué dans ses notes autobiographiques, est arrivé à cette conclusion de manière soudaine. Ce fut une sorte de révélation au moment où il apprit le déclenchement de la Première Guerre mondiale : "Aujourd'hui, au plus grand jour de l'histoire du monde qui tombe sur ma vie et qui est si impérieusement lié à l'idée pour laquelle je suis né, le 1er août 1914, je me sens seul chez moi. Personne ne pense même à moi. C'est alors qu'il a conçu l'idée de justifier rationnellement le "déclin de l'Europe".

De nombreux détracteurs de Spengler l'ont accusé d'emprunter, voire de plagier. La liste des prédécesseurs à qui Spengler aurait "emprunté" est assez longue. Plus d'une centaine de noms sont cités, en commençant par Machiavel, en poursuivant par Hegel, Schelling, les encyclopédistes français, pour finir par Henri Bergson, Theodore Lessing, Houston Stuart Chamberlain, Max Weber, Werner Sombart. Ces listes comprenaient également deux penseurs russes : Nikolai Danilevsky et Konstantin Leontiev.

51D11GFPS9L._SX348_BO1,204,203,200_.jpgEn réponse à ces attaques, Spengler a déclaré que s'il avait réellement étudié les œuvres d'un cercle aussi large de personnes intelligentes, voire brillantes, il n'aurait pas eu le temps d'écrire ses propres œuvres. Spengler a admis qu'il avait des prédécesseurs: Johann Wolfgang Goethe et Friedrich Nietzsche. Les deux sont les idoles de Spengler. Voici un extrait des notes de Spengler sur Nietzsche : "Il a découvert la tonalité des cultures étrangères. Personne avant lui n'avait la moindre idée du rythme de l'histoire...... Dans le tableau de l'histoire, que les recherches scientifiques ultérieures ont résumé en dates et en chiffres, il a d'abord connu un changement rythmique d'époques, de mœurs et de modes de pensée, de races entières et de grands individus, comme une sorte de symphonie ... Le musicien Nietzsche élève l'art du sentiment au style et au sentiment des cultures étrangères, sans tenir compte des sources et souvent en contradiction avec elles, mais quel sens !". Dans les notes autobiographiques de Spengler, publiées après sa mort, on trouve une telle révélation : "J'ai toujours été un aristocrate. Nietzsche était clair pour moi avant même que je ne le connaisse."

L'influence de Goethe sur Spengler n'est pas moins évidente. La culture européenne, qui était au centre de l'attention de Spengler, il l'appelle la culture faustienne, ou "la culture de la volonté", et Faust en est un symbole. Pour lui, la culture faustienne qui se désintègre est la civilisation faustienne, et le citoyen de la civilisation faustienne est un nouveau nomade, pour qui l'argent et le pouvoir passent avant les mythes héroïques et la patrie.

PS : Dans ses mémoires, la sœur de Spengler a écrit à propos du dernier voyage de l'auteur du "Déclin de l'Occident" : "Nous avons mis Faust et Zarathoustra dans le cercueil. Il les prenait toujours avec lui quand il partait quelque part".

Le déclin de l'Europe hier et aujourd'hui

En poursuivant la conversation sur Le déclin de l'Occident d'Oswald Spengler, il n'est pas superflu de parler de ceux qui peuvent être considérés comme ses précurseurs et ses suiveurs.

J'ai déjà dit que Spengler lui-même a identifié ses mentors, deux seulement : Goethe et Nietzsche. "Il avait cette façon, écrit Spengler à son éditeur Oscar Beck, de connaître plus de cinquante prédécesseurs, dont Lamprecht, Dilthey et même Bergson. Leur nombre, quant à lui, devait dépasser la centaine. Si je m'étais mis en tête d'en lire au moins la moitié, aujourd'hui je n'aurais pas fini .... Goethe et Nietzsche sont les deux penseurs dont je me sens dépendant de manière fiable. Celui qui, depuis vingt ans, déterre des "prédécesseurs" ne pense même pas que toutes ces pensées, et de surcroît dans une édition beaucoup plus anticipée, sont déjà contenues dans la prose et les lettres de Goethe, comme, par exemple, l'enchaînement des premiers temps. de l'ère, de l'ère postérieure et de la civilisation dans un petit article "Epoques spirituelles", et qu'il est aujourd'hui généralement impossible de dire quoi que ce soit qui n'ait été mentionné dans les volumes posthumes de Nietzsche."

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Nikolai Danilevski & Konstantin Leontiev.

Dans la longue liste de ceux qui ont alimenté de leurs réflexions l'auteur du Déclin de l'Occident, les penseurs russes Nikolai Yakovlevitch Danilevsky (1822-1885) et Konstantin Nikolaevitch Leontiev (1831-1891) sont également mentionnés. Cependant, il est ici presque impossible de parler d'emprunts: en Occident, ces penseurs étaient peu connus, peu traduits. Ainsi, la traduction allemande de Russia and Europe (1869) de Danilevsky n'a été publiée qu'en 1920, deux ans après la publication du premier volume de Der Untergang des Abendlandes. Rien n'indique que Spengler ait lu Danilevsky, Leontiev et les auteurs russes en général.

Et la similitude de certaines des idées entre ces trois-là est frappante. Pour un Allemand, le concept clé est "culture", pour N. Danilevsky, c'est "type culturel-historique". Pour un Allemand, la "culture" signifie un "organisme", c'est-à-dire un système social complexe composé d'une idéologie (religion), d'une science, d'un art, d'une économie, d'un droit et d'un État interconnectés. Danilevsky dit presque la même chose dans son Russia and Europe. La même composition, le même principe morphologique (la forme détermine le type de culture). Même analogie avec les organismes vivants (Danilevsky était biologiste de formation).

La "culture" de Spengler, le "type culturel-historique" de Danilevsky, la "civilisation" de Toynbee sont des concepts identiques, Danilevsky a juste eu recours à ce concept plusieurs décennies avant Spengler et Toynbee.

En ce qui concerne la proximité idéologique entre Konstantin Leontiev et Oswald Spengler, il convient de noter que le penseur allemand consacre une part importante de son œuvre à la description du cycle de vie de la culture. Pour lui, le point de départ de la naissance d'une culture est la vision du monde: "Chaque nouvelle culture s'éveille avec une certaine nouvelle vision du monde". Spengler, dans le cadre de la vision du monde, peut comprendre à la fois la religion et le système des vues scientifiques. La vie de la culture, selon Spengler, se développe selon le schéma suivant: "Chaque culture passe par les étapes de l'âge d'un individu. Chacun a son enfance, sa jeunesse, sa maturité et sa vieillesse". Dans Der Untergang des Abendlandes, il identifie quatre étapes du cycle de vie de la culture : 1) l'origine ("mythologique-symbolique") ; 2) le début ("morphologique") ; 3) le sommet ("métaphysique et religieux") ; 4) le vieillissement et la mort ("civilisation").

Konstantin Leontiev (qui a repris de Danilevsky le concept de "types culturels-historiques", mais a également utilisé les termes "culture" et "civilisation") a presque le même schéma. Leontiev a formulé la loi du "processus trilatéral de développement", selon laquelle tous les organismes sociaux ("cultures"), comme les organismes naturels, naissent, vivent et meurent : il a défini la naissance comme la "simplicité primaire", la vie comme la "complexité florissante", la mort comme la "simplification secondaire du mélange". Leontiev a diagnostiqué le début de la transition de la culture européenne de la phase de "complexité florissante" à la phase de "simplification par mélange secondaire" dans l'ouvrage Byzantinisme et monde slave (1875). Dans le langage de Spengler, c'est le "déclin de l'Europe". La chronologie des étapes de la civilisation (culture) européenne est similaire pour Spengler et Leontiev. L'apogée de l'Europe dans les deux cas remonte à la période des XVe-XVIIIe siècles, et la transition vers le stade de l'extinction commence au XIXe siècle. Seul Leontiev a formulé l'idée d'un "processus de développement trilatéral" ("cycle de vie de la culture") quarante-trois ans avant le philosophe allemand.

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Arnold Toynbee.

En Occident, il est généralement admis que l'ouvrage le plus fondamental sur l'histoire et la théorie des civilisations est l'ouvrage fondamental (en 12 volumes) A Study of History d'Arnold Toynbee (1889-1975). Cet Anglais a admis que pour lui Spengler était un génie, et, lui, Toynbee, a adopté et développé l'enseignement de l'Allemand sur les cultures et les civilisations (Toynbee a étendu la liste de Spengler de 8 cultures majeures à 21, les appelant civilisations).

La priorité incontestée de deux penseurs russes - Danilevsky et Leontiev - par rapport à Spengler et Toynbee est malheureusement rarement, voire pas du tout, évoquée.

Les chercheurs de l'œuvre de Spengler notent la forte influence de Der Untergang des Abendlandes sur José Ortega y Gasset (1883-1955), philosophe, publiciste et sociologue espagnol. Dans ses œuvres majeures La déshumanisation de l'art (1925) et La révolte des masses (1929), un Espagnol a exposé pour la première fois dans la philosophie occidentale les idées fondamentales sur la "culture de masse" et la "société de masse" (culture et société qui se sont développées en Occident à la suite de la crise de la démocratie bourgeoise et de la pénétration des diktats de l'argent dans toutes les sphères des relations humaines). Mais cette idée a d'abord été formulée par Spengler, qui a décrit les signes de la mort de la culture dans les phases de la civilisation. Le signe le plus important de cette mort est l'urbanisation, la concentration de personnes dans des villes géantes, dont les habitants, selon Spengler, ne sont plus du tout des citoyens, mais une "masse humaine" dans laquelle une personne a le sentiment de faire partie d'un collectif impersonnel, d'une foule.

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Nikolai Berdiaev.

Tous les intellectuels allemands n'ont pas eu le temps de réagir à la sortie du Déclin de l'Occident, et à Petrograd en 1922 est apparu le recueil Oswald Spengler et le déclin de l'Europe (auteurs N. A. Berdiaev, Ya. M. Boukchan, F.A., S . L. Frank). Le plus intéressant de ce recueil est l'essai de Nikolaï Berdiaev intitulé Pensées de Faust sur son lit de mort ..... Berdiaev pensait à Oswald Spengler lui-même, un admirateur de la culture "faustienne" (européenne). Le paradoxe de ce nouveau Faust, selon Berdiaev, est que, tout en décrivant les signes de l'apocalypse, il n'a pas compris qu'il s'agissait de l'Apocalypse de Jean le Théologien. Il (c'est-à-dire Faust, également connu sous le nom de Spengler) montre que la culture européenne, qui entre dans la phase de "civilisation", mourra, et qu'une nouvelle culture la remplacera, mais elle ne viendra pas ! La tragédie de Spengler-Faust, souligne N. Berdiaev, est que, étant athée, il ne réalise pas que la religion est le noyau de toute culture. La civilisation européenne (selon Berdiaev) tue finalement la religion, et, sans elle, la suite de l'histoire terrestre est impossible. Les chercheurs qui se sont penchés sur la créativité de N. Berdiaev ont noté que les travaux de Spengler ont eu une forte influence sur le philosophe russe,

La Seconde Guerre mondiale a pleinement manifesté la tendance désastreuse décrite dans Le Déclin de l'Occident. Depuis lors, de nombreux philosophes, historiens et politologues ont diffusé un état psychologique alarmant. Cette alarme est portée sur les couvertures des livres publiés: Jane Jacobs, The Decline of America. The Dark Ages Ahead (1962); Thomas Chittam, The Collapse of the United States. The Second Civil War. 2020  (1996) ; Patrick Buchanan, Death of the West (2001), On the Brink of Death (2006), The Suicide of a Superpower (2011); Andrew Gamble, A Crisis Without End ? The Collapse of Western Prosperity (2008), etc.

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L'un des auteurs qui a utilisé les concepts de "culture faustienne" et de "civilisation faustienne" de Spengler était Igor Ivanovitch Sikorsky, qui, en tant que concepteur d'avions de premier plan (et d'hélicoptères), était également théologien. En 1947, son ouvrage Invisible Encounter est publié aux États-Unis. L'un des concepts avec lesquels Sikorsky décrit l'état du monde au 20ème  siècle est la "civilisation faustienne" de Spengler.

*Professeur, docteur en économie, président de la Société économique russe. S.F. Sharapova.

jeudi, 10 juin 2021

L'intuition d'un livre intuitif. Un siècle après Spengler

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L'intuition d'un livre intuitif. Un siècle après Spengler

Le produit de masse de la décadence de la civilisation occidentale est déjà une sorte d'animal urbain dénaturé, qui a enterré ou tué ses archétypes.

par Carlos X. Blanco

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/06/08/la-intuicion-de-un-libro-intuitivo-un-siglo-despues-de-spengler/   

Der Untergang des Abendlandes est un livre intuitif à lui seul. Le véritable historien est un philosophe de l'histoire, un homme doté d'une faculté particulière, l'intuition historique, un pouvoir avec lequel il saisit, à la manière d'un artiste, les objets de sa connaissance. Ce qui est à découvrir dans l'Histoire, ses objets, ne sont pas des entités statiques, fixes et mortes, mais un flux d'êtres historiques, comme le fleuve d'Héraclite dans lequel on ne peut se baigner deux fois. Les êtres historiques ne sont pas du tout des objets rigides ou morts. L'intuition historique est, avant tout, un devenir. Le philosophe de l'histoire n'a d'autre choix que de se présenter devant le devenir. En tant que penseur, il fait partie de ce devenir, et il n'est pas libre de saisir ce qu'il doit saisir si son contexte personnel est, en fait, celui d'un philosophe de l'histoire. Dans l'avant-propos de la deuxième édition allemande, Spengler écrit : "Un penseur est un homme dont le destin consiste à représenter symboliquement son époque au moyen de ses intuitions et concepts personnels. Il ne peut pas choisir. Il pense comme il doit penser, et ce qui est vrai pour lui est finalement ce qui naît avec lui, constituant l'image de son monde " [LDO, I, p. 20]. Ein Denker est dans Mensch, dem es bestimmt war, durch das eigene Schauen und Verstehen die Zeit symbolisch darzustellen. Il n'a pas le choix. Er denkt, wie er denken muss, und wahr ist zuletzt für ihn, was als Bild seiner Welt mit ihm geboren wurde, VII].

cms_visual_1056799.jpg_1529499361000_267x450.jpgLe philosophe de l'histoire porte en lui un archétype, inné et non construit, et lorsque ces objets fluides lui sont présentés, il n'a pas le choix. Il déploie les potentialités de son archétype. Au niveau personnel et gnoséologique, il se passe la même chose que dans le cycle des cultures. L'âme de chaque culture, lorsqu'elle naît dans une parcelle primordiale, est tout entière un immense -mais non infini- rassemblement de possibilités : la biographie de cette culture est l'ensemble des manifestations déjà closes, qui se présentent à son regard et à sa compréhension. Une manifestation historique est déjà une obstruction à des possibilités qui n'ont pas eu lieu.

Et qu'est-ce que la vérité historique ? Il ne s'agit pas, à la manière de l'évolutionnisme et du matérialisme historique, d'une construction ou de la découverte de causes finales ou efficientes, de relations fonctionnelles, etc. La vérité historique spenglerienne est une vérité par découverte, mais par découverte de l'archétype qu'un type d'homme très spécifique doit réaliser. Un homme, disait Fichte, réalise la philosophie selon le genre d'homme qu'il est. Eh bien, le philosophe spenglerien, ou le véritable historien qui comprend l'objet du devenir, est un homme très proche du poète. Le poète n'est ni un raisonneur ni un bâtisseur de systèmes. Il est une lanterne qui se concentre dans les profondeurs de son âme et trouve le trésor auquel il est appelé :

"La vérité, il ne la construit pas, mais la découvre en lui-même. La vérité, c'est le penseur lui-même ; c'est sa propre essence réduite à des mots, le sens de sa personnalité vidé en une doctrine. Et la vérité est immuable pour toute sa vie, parce qu'elle est identique à sa vie" [LDO, I, 19] [Es ist das, war er nicht erfindet, sondern in sich entdeckt. Es ist er selbst noch einmal, sein Wesen in Worte gefasst, der Sinn seiner Persönlichkeit als Lehre geformt, unveränderlich für sein leben, weil es mit seinem Leben identisch ist", VII].

Il n'y a pas d'invention de la vérité historique, il y a l'intuition et la découverte de son propre archétype. Une faculté intuitive qui rend compte de la construction de l'histoire est en accord avec un livre qui a fait l'histoire : Le Déclin de l'Occident, un texte qui, selon les mots de son auteur lui-même, est "... intuitif dans toutes ses parties". Il est écrit dans un langage qui cherche à reproduire avec des images sensibles les choses et les relations, au lieu de les substituer par des séries de concepts" [LDO, I, p. 20]. Il est difficile de rédiger et de faire rédiger un texte dans une langue qui décrit les situations et les relations d'une manière claire et nette, sans qu'il soit nécessaire d'établir des comparaisons entre les textes, et c'est aux lecteurs qu'il revient de le faire, car les textes et les images sont tout aussi claires", VIII]  [Es ist anschaulich durch und durchgeschrieben in einer Sprache, welche die Gegenstände und die Beziehungen sinnlich nachzubilden sucht, statt sie durch Begriffsreihen zu ersetzen, und es wendet sich allein an Leser, welche die Wortklänge und Bilder ebenso nachzuerleben verstehen”, VIII]..

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Ce lecteur, pour vraiment comprendre ce livre, doit être un lecteur poétique. Il est obligé de percevoir la décadence très profondément. Le produit de masse de la décadence de la civilisation occidentale est déjà une sorte d'animal urbain dénaturé, qui a enterré ou tué ses archétypes. Ou bien c'est une créature transplantée d'autres cultures, le nouveau nomade, l'être sans racines. Ce type de lecteur ne verra dans la grande œuvre spenglerienne qu'une accumulation d'absurdités, de textes non rationnels, de fatras de toutes sortes de choses. Pour ce nouveau nomade sans racines, pas le livre qu'écrit Spengler. Mais dans la même présentation de l'ouvrage, Oswald Spengler s'adresse de façon individuelle à celui qui est capable d'intuitionner l'archétype même qui lui parlera de la décadence de sa civilisation, car il lui suffira d'opposer cette âme faustienne à tous les phénomènes -parfois horribles- qui se déroulent autour de lui et alors... quoi ? Alors il ne succombera pas au désespoir. Le sort qui nous est réservé ici n'est pas à regretter. Il faut aimer le destin et chevaucher le tigre. Vous devez vous préparer pour un dernier combat.

Un monde entier s'effondre, mais avant le chaos et la décadence, il reste un combat à mener. Le philosophe du socialisme prussien n'est pas - pas du tout - le philosophe pessimiste, qui prône la passivité ou la lâcheté de la résignation. Il est l'homme qui voit loin et qui est capable de prévoir, comme il y a juste un siècle, les tâches de lutte pour un monde qui va tomber. Parce qu'il doit y avoir une lutte, et que la transition vers un nouveau "monde" au sens spirituel est inéluctable, et que sans notre lutte, l'horreur ne fera que croître.

Note : les citations sont extraites de la traduction espagnole de Manuel García Morente, La Decadencia de Occidente, volume I, Austral, Madrid, 2011. La version allemande consultée est celle du Deutscher Taschenbuch Verlag, Munich, 1979, qui est elle-même basée sur celle de Beck (Munich, 1923) : 

vendredi, 04 juin 2021

Ordre, force et raison, les bases de tout progrès véritable (Charles Maurras)

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Ordre, force et raison, les bases de tout progrès véritable (Charles Maurras)

 
Dans cette vidéo, nous nous pencherons sur un des premiers textes politiques de Maurras, "Trois idées politiques". A partir des trois figures de Chateaubriand, de Michelet et de Sainte-Beuve, Maurras renvoie ici dos à dos le sentimentalisme passéiste de la droite et le sentimentalisme progressiste de la gauche pour proposer le dépassement de cette opposition : une conception rationnelle et ordonnée du progrès, en accord avec l'idée de tradition.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Jean-Philippe Rameau, «Les Indes Galantes», Forêts paisibles (Les sauvages)
- Schubert, Der Tod und das Mädchen, II. Andante con moto
- Johann Strauss, Le beau Danube bleu - Vivaldi, l'Hiver