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mardi, 17 décembre 2024

Un monde sans paix à cause des convoitises américaines

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Un monde sans paix à cause des convoitises américaines

Luca Bagatin

Source: https://electomagazine.it/mondo-senza-pace-per-le-brame-s...

En 2011, la Libye laïque et socialiste, dirigée par Mu'Ammar Kadhafi, a été plongée dans le chaos, comme la Syrie aujourd'hui. Déjà à l'époque, les islamistes avaient déstabilisé le pays, tué Kadhafi et détruit toutes les formes de laïcité, de socialisme et de démocratie dans le pays.

C'est ce qui vient d'arriver à la Syrie laïque et socialiste, dirigée par Bachar el-Assad, qui avait été réélu à une large majorité en 2021.

Déposé par les habituels islamistes, des déstabilisateurs, improprement appelés « rebelles » par nos médias.

Adieu la laïcité, adieu le socialisme arabe, seul rempart contre l'islam radical.

Après tout, le même scénario s'est déroulé en Yougoslavie, alors socialiste et laïque, au début des années 1990.

Et les pays capitalistes libéraux, les États-Unis en premier lieu, ont soufflé sur les braises au lieu d'éteindre le feu.

Seules la Russie et la Chine ont été en première ligne contre le terrorisme déstabilisateur en Syrie.

Aujourd'hui, les États-Unis et l'Union européenne craignent à juste titre la radicalisation de la Syrie aux mains des islamistes, mais qu'ont-ils fait jusqu'à présent ?

Qu'ont-ils fait, ces dernières années, à part soutenir et envoyer des armes à des gouvernements bellicistes et plus ou moins d'extrême droite, ainsi que sanctionner des pays laïques et socialistes (la Syrie elle-même, ainsi que Cuba, le Venezuela, et pas seulement ces pays-là...)?

Laissant de côté la politique abyssale et irréfléchie de Biden, le nouvel élu Trump serait d'ailleurs mal avisé de vouloir que les États-Unis quittent l'OTAN, mais il devrait se faire le promoteur d'un renouveau de l'OTAN et d'un changement total de rythme de l'Alliance.

Promouvoir l'entrée dans l'Alliance atlantique de la Russie (qui l'a demandé dans les années 2000) et de la Chine (il y a des dirigeants chinois qui, en 1999, ont émis cette hypothèse), ainsi que d'autres pays, les BRICS in primis, œuvrant ainsi à l'arrêt de tous les conflits et différends internationaux.

Rendre l'Alliance capable de travailler, par conséquent, sur des choses sérieuses et réellement utiles et nécessaires: la sécurité internationale, la lutte contre le terrorisme et le cyberterrorisme, la prévention des catastrophes naturelles en premier lieu.

Le monde a changé et les Etats-Unis, comme l'UE tout aussi irresponsable, devraient s'en rendre compte.

Il n'y a plus d'hégémonie mondiale et il est juste et naturel qu'il y en ait plus.

Le monde est multipolaire et fait face à de nouveaux défis et dangers. Il s'agit notamment du fondamentalisme religieux et de nouvelles manifestations d'intolérance, ainsi que de conflits inimaginables, même pendant la terrible guerre froide.

Des situations que les dirigeants actuels des États-Unis et de l'UE ne semblent pas du tout en mesure d'aborder sérieusement et habilement ; au contraire, ils semblent continuer à attiser les flammes.

En outre, Trump parle encore de droits de douane, une autre mesure totalement idéologique et économiquement désavantageuse pour tout le monde.

Les divisions en bloc, les idéologies, les oppositions, ne font qu'empêcher ce qui est vraiment nécessaire, et jamais autant que dans ces années-ci, années de folie et d'insouciance: le dialogue, la coopération, la stabilisation, la prospérité commune, la sécurité.

Verrons-nous à nouveau la lumière dans cette obscurité ?

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Nerval et les Filles de peu

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Nerval et les Filles de peu

Nicolas Bonnal

Peu de récits auront autant enchanté notre adolescence littéraire que Sylvie. C’est cet enchantement que j’ai misérablement décidé de combattre en rappelant les éprouvantes phrases de Marx :

« La Bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle essentiellement révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens multicolores qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié, pour ne laisser subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, que le dur argent comptant. »

Il me semble que c’est un bon moyen de réévaluer Sylvie : Nerval y souligne le développement du capitalisme et Sylvie, promise à un grand frisé chez un certain père Dodu, développe son talent de fée industrieuse. On y parle de salle de théâtre (qui ruina l’auteur malheureux), de journal (idem), de voyage en train, de fêtes (le mot revient vingt fois en vingt-trois pages, on est déjà dans la civilisation festive), de mises en scène théâtrales (on s’habille et on se déshabille, on change de costume, cf. la scène chez la vieille tante), et de péripétie touristique. Le Valois devient un territoire touristique dès cette époque. Le coin de Nerval sera d’ailleurs utilisé dans Drôle de frimousse de Stanley Donen quand Fred Astaire danse avec Audrey à Coye-la Forêt. Grâce à Dieu nous avons la comédie musicale pour célébrer ces thèmes et ces hauts-lieux.

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Marx nous fait comprendre que le monde bourgeois va tout emporter (cf. le rewriting humoristique de Villiers-de-l’Isle-Adam dans Virginie et Paul – contes cruels) :

« Elle a noyé l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité du petit bourgeois dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation, voilée par des illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, directe, brutale, éhontée. La Bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions jusqu’alors réputées vénérables, et vénérées. Du médecin, du juriste, du prêtre, du poète, du savant, elle a fait des travailleurs salariés… »

Attention Nerval est conscient de ce monde boursicoteur :

« En sortant, je passai par la salle de lecture, et machinalement je regardai un journal. C’était, je crois, pour y voir le cours de la Bourse. Dans les débris de mon opulence se trouvait une somme assez forte en titres étrangers. Le bruit avait couru que, négligés longtemps, ils allaient être reconnus ; – ce qui venait d’avoir lieu à la suite d’un changement de ministère. Les fonds se trouvaient déjà cotés très haut ; je redevenais riche. »

Le poète est liquidé, et il lui reste à se pendre ou à devenir maudit (job à temps plein en France avant de toucher sa retraite). C’est cet élément qu’il faut tenir en compte en rappelant que Nerval s’est pendu, fauché, en janvier 1855, en pleine époque bourgeoise, celle que Joly décrit dans ses entretiens fameux. La littérature romantique est morte, et l’alittérature du fils de Mauriac commence – singulièrement en France : on a Verlaine, Mallarmé, Rimbaud qui vont liquider la poésie (voyez ce qu’en dit justement Tolstoï dans son essai sur l’art). Flaubert dépeint le vide et Borges a bien indiqué dans ses « inquisitions » qu’il a inventé la fin de la littérature – dans Bouvard et Pécuchet. Emma Bovary, isolée et perdue dans son couvent, gavée de livres romantiques et aventureux, est une consommatrice littéraire de bouquins et de voyages romantiques (le piano, la cascade, l’Italie, la Suisse, etc.) et elle se suicidera pour dette et pas par amour.

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Or tout cela se sent chez Nerval : on se déguise tout le temps, on a des costumes ; les fêtes traditionnelles perdent leur enchantement leur enracinement plutôt) et deviennent de simples attractions ; le paysage druidique est évoqué comme un simple décor un peu comme dans un film de Hunebelle avec Jean Marais. Du preux chevalier français Hunebelle passera peu de temps après à la célébration d’OSS 117, héros de l’Otan et de leur Occident… Eh oui, c’est ça les années gaullistes (voir mon livre sur la destruction de la France au cinéma).

Mais chez Nerval ce qui peine c’est tout ce passage culturel mythologique païen. Il s’en plaint quelque part, de cette civilisation gréco-latine qui ôta son caractère authentique à la France médiévale et chrétienne (voir Céline aussi, Bernanos, j’ai déjà évoqué ces thèmes anti-hellènes et antimodernes) ; et ce gavage culturel est hélas scolaire. Des esprits aussi différents que Gustave Le Bon ou Guénon s’en plaignent, l’un dans sa Psychologie de l’éducation (ouvrage toujours actuel et percutant), l’autre bien sûr dans sa Crise du monde moderne.

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Nerval dépeint en trois mots la grisaille culturelle quotidienne du khâgneux (ou étudiant) :

« Rappelé moi-même à Paris pour y reprendre mes études, j’emportai cette double image d’une amitié tendre tristement rompue, – puis d’un amour impossible et vague, source de pensées douloureuses que la philosophie de collège était impuissante à calmer. La figure d’Adrienne resta seule triomphante, – mirage de la gloire et de la beauté, adoucissant ou partageant les heures des sévères études. Aux vacances de l’année suivante, j’appris que cette belle à peine entrevue était consacrée par sa famille à la vie religieuse. »

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On ne peut que plaindre le destin de cette Adrienne qui va bientôt mourir, vers 1832 dit Sylvie. La monarchie de juillet aura tout coulé, relisez le début de la Fille aux Yeux d’or, où Balzac étincèle.

La philosophie de collège en effet occupe le cerveau de nos jeunes bourgeois et en peu de temps notre littérature va devenir une littérature de collège et de prof. Syndrome gravissime et peu commenté…

Comme Musset, Nerval se plaint de son temps et fait sa confession d’enfant du siècle ; il ajoute :

« Nous vivions alors dans une époque étrange, comme celles qui d’ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes. Ce n’était plus la galanterie héroïque comme sous la fronde, le vice élégant et paré comme sous la régence, le scepticisme et les folles orgies du directoire ; c’était un mélange d’activité, d’hésitation et de paresse, d’utopies brillantes, d’aspirations philosophiques ou religieuses, d’enthousiasmes vagues, mêlés de certains instincts de renaissance ; d’ennuis des discordes passées, d’espoirs incertains, – quelque chose comme l’époque de Pérégrinus et d’Apulée. »

Le mot « vague » revient tout le temps sous sa plume. On court toujours après Isis, mais après la déesse Isis, rien du tout. Nerval n’a pas besoin qu’on le démolisse au milieu des ruines du Valois : il le fait lui-même, et son histoire d’amour vague inspiré par des lectures et des dissertations. Il écrit cruellement :

« – Nulle émotion ne parut en elle. Alors je lui racontai tout ; je lui dis la source de cet amour entrevu dans les nuits, rêvé plus tard, réalisé en elle. Elle m’écoutait sérieusement et me dit : – Vous ne m’aimez pas ! Vous attendez que je vous dise : La comédienne est la même que la religieuse ; vous cherchez un drame, voilà tout, et le dénouement vous échappe. Allez, je ne vous crois plus ! Cette parole fut un éclair. Ces enthousiasmes bizarres que j’avais ressentis si longtemps, ces rêves, ces pleurs, ces désespoirs et ces tendresses, … ce n’était donc pas l’amour ? Mais où donc est-il ? »

Au-delà de ces cercles de l’enfer ou au paradis il y a surtout du théâtre, machine alors à détraquer les esprits (puis ce fut le cinéma, la télé, l’ordi, le smartphone…) :

« Que dire maintenant qui ne soit l’histoire de tant d’autres ? J’ai passé par tous les cercles de ces lieux d’épreuves qu’on appelle théâtres. « J’ai mangé du tambour et bu de la cymbale, » comme dit la phrase dénuée de sens apparent des initiés d’Éleusis. – Elle signifie sans doute qu’il faut au besoin passer les bornes du non-sens et de l’absurdité : la raison pour moi, c’était de conquérir et de fixer mon idéal. »

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Adrienne est du reste religieuse et actrice (elle est même chanteuse, dans la fameuse scène faisant pompeusement et scolairement référence à Dante…) et Nerval décrit encore un spectacle éreintant et frustrant :

« Ce que je vis jouer était comme un mystère des anciens temps. Les costumes, composés de longues robes, n’étaient variés que par les couleurs de l’azur, de l’hyacinthe ou de l’aurore. La scène se passait entre les anges, sur les débris du monde détruit. Chaque voix chantait une des splendeurs de ce globe éteint, et l’ange de la mort définissait les causes de sa destruction. Un esprit montait de l’abîme, tenant en main l’épée flamboyante, et convoquait les autres à venir admirer la gloire du Christ vainqueur des enfers. Cet esprit, c’était Adrienne transfigurée par son costume, comme elle l’était déjà par sa vocation. Le nimbe de carton doré qui ceignait sa tête angélique nous paraissait bien naturellement un cercle de lumière ; sa voix avait gagné en force et en étendue, et les fioritures infinies du chant italien brodaient de leurs gazouillements d’oiseau les phrases sévères d’un récitatif pompeux. »

Ce globe éteint c’est devenu le nôtre.

Adrienne est peut-être transfigurée (quand on joue c’est facile…) mais son nimbe est de carton doré. Après, elle meurt.

Nerval auteur scolaire et collégien ? Léon Bloy en parle quand il règle son compte à Huysmans (qui lui-même va inspirer de A à Z Dorian Gray, voir le chapitre Onze du livre profané de Wilde) : pour lui cet auteur ne fait que nous tenir au courant de ses lectures – comme Nerval. Et il demande aussi un changement de réalité quand l’âge bourgeois achève de noyer l’extase religieuse et l’enthousiasme chevaleresque :

« Le célèbre naturaliste Huysmans a raconté, dans un livre de désolation, cette recherche désespérée de l’idéal à rebours, cette humble demande d’une minute de rêve à l’idiotifiante banalité des brasseries à femmes et des caboulots. »

Ce désespoir devant la réalité deviendra comme on sait une constante – après on s’habituera, car comme dit Dostoïevski dans ses Souvenirs de la Maison des morts, l’homme est le seul animal qui s’habitue à tout.

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Ajoutons que Nerval célèbre à sa manière le dix-huitième siècle, en qui il ne voit pas le siècle des Lumières de nos Lagarde et Michard, mais celui de l’accordée de Greuze (tableau, ci-dessus), des temples philosophiques, du rousseauisme des racines et des origines, de la quête de Cazotte et des illuminés maçonniques. Taine d’ailleurs se moque de ce trait aristocratique au début de ses Origines de la France moderne : avant 89 on ne pense plus qu’à s’amuser et à se déguiser, dit-il.

Terminons avec une belle et oubliée référence cinématographique : la Belle au bois dormant, film de danse soviétique (1964) qui célébra comme personne le plus beau conte de Perrault. Peut-être qu’elle a existé cette France des fées et des contes, des princes et des amours, un jour…

Le lien ici :

https://m.ok.ru/video/1709087197842?__dp=y

Sources principales :

https://www.vousnousils.fr/casden/pdf/id00180.pdf

https://instituthumanismetotal.fr/bibliotheque/PDF/marx-e...

https://fr.wikisource.org/wiki/Belluaires_et_porchers/Tex...

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/11/01/n...

 

lundi, 16 décembre 2024

Kiev a directement aidé les rebelles syriens

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Kiev a directement aidé les rebelles syriens

Par Guido Olimpio

Source : Guido Olimpio & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/kiev-ha-aiutato-i...

C’est une information qui refait surface, cette fois dans le Washington Post: Kiev aurait apporté une aide directe aux rebelles syriens en leur fournissant des drones utilisés lors des premiers assauts. Une contribution “limitée”, écrit David Ignatius, un commentateur bien informé, mais qui confirmerait une stratégie annoncée depuis plus d’un an par l’Ukraine.

Un groupe de conseillers ukrainiens est arrivé dans la région d’Idlib quelques semaines avant l’offensive sur Alep et a livré environ 150 “drones-kamikazes”, des modèles similaires à ceux utilisés contre les Russes. Cette opération aurait été supervisée par une vingtaine de militaires de l’unité spéciale Khimik, relevant du GUR, le service de renseignement de Kiev.

Le journaliste retrace également plusieurs étapes ayant précédé cette mission. En avril 2023, Kyrylo Budanov, chef des services de renseignement militaire ukrainiens, déclarait ouvertement que ses agents frapperaient la Russie “partout dans le monde”. Une affirmation suivie de signalements sur le terrain, suggérant des interventions possibles d’“opérateurs” en soutien aux forces gouvernementales au Soudan contre les milices soutenues par Wagner, ainsi qu’au Mali pour assister les rebelles dans des embuscades visant des mercenaires et des forces gouvernementales alliées au Kremlin.

En juin de cette année, le Kiev Post avait consacré un long article à l’engagement de l’Ukraine en faveur des insurgés syriens, illustré par des photos et vidéos de raids utilisant des drones. Quelques mois plus tard, des rumeurs faisaient état de l’envoi de 75 appareils de ce type. Ces révélations se sont entremêlées aux accusations explicites des Russes sur une coopération entre l’opposition syrienne et Kiev. En septembre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait publiquement formulé ces accusations. Toutes les indications pointaient dans la même direction: un présumé accord entre Kiev et HTS (Hayat Tahrir al-Sham) dans la région d’Idlib. Toutefois, des blogueurs militaires russes ont minimisé le rôle de l’Ukraine, tandis que certains observateurs occidentaux exprimaient des doutes.

L’histoire, au-delà de l'article du Washington Post, soulève plusieurs points :

    - Les insurgés utilisaient déjà des drones bien avant les Ukrainiens, comme de nombreux mouvements au Moyen-Orient.

    - Il ne fait aucun doute que Kiev a acquis une grande expertise dans ce domaine et aurait pu aider ses alliés ponctuels à perfectionner une arme qui s’est avérée très efficace. En effet, les insurgés auraient mis en difficulté les loyalistes grâce à une utilisation massive de ces systèmes contre les blindés.

    - Le GUR a un intérêt propagandiste à démontrer sa capacité à poursuivre l’adversaire sur des fronts éloignés. Il est également clair que les services de renseignement ukrainiens privilégient des actions spectaculaires, dont l’impact stratégique peut être limité, mais qui servent à maintenir le moral.

    - Enfin, il reste à savoir si le renseignement de Kiev agit réellement (le Washington Post semble en être certain) ou s’il entretient simplement les rumeurs sur son implication.

C’est un jeu toujours risqué, comme le rappelle le sabotage du Nord Stream. Cet incident, initialement imputé aux Russes, a par la suite été attribué aux services ukrainiens, qui auraient agi, selon les versions, de manière autonome ou avec l’accord des autorités politiques en s’appuyant sur un commando. Cette ambiguïté fait partie du “schéma” classique de la guerre de l’ombre entre services secrets.

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Syrie, Qatar, Turquie, gazoducs: la partie durera encore très longtemps...

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Syrie, Qatar, Turquie, gazoducs: la partie durera encore très longtemps...

Par Pierluigi Fagan

Source : Pierluigi Fagan & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/partite-lunghe

À une question précise posée tout récemment, le ministre turc des ressources naturelles a répondu ce qui suit lorsqu’on a évoqué le vieux projet du gazoduc Qatar-Turquie (passant par la Syrie): «Pour une Syrie qui a atteint l’unité et la stabilité, pourquoi pas?». Il a ajouté: «Si cela se produit, la route doit être sécurisée. Nous espérons que ce sera le cas, car c’est notre souhait». De quoi s’agit-il?

Certains analystes avaient jadis identifié ce projet, refusé à l’époque par Assad, comme la véritable cause sous-jacente à ces années sanglantes de conflit qui ont ravagé la Syrie, guerre interne menée par l'intervention de milices djihadistes. L’an dernier, après 12 ans, la Ligue arabe avait réintégré Assad dans son cercle à la majorité, malgré l’opposition marquée du Qatar. De plus, on rapporte plusieurs tentatives récentes d’Erdogan pour conclure un accord avec Assad; elles ont toujours été repoussées.

Un troisième indice (incertain) concerne la possible affiliation de HTS (Hayat Tahrir al-Sham) d’al-Jolani aux Frères musulmans. Après de nombreuses volte-face qui ont fait passer HTS d’un mouvement proche d’al-Qaïda à une entité encore mal définie, certains analystes estiment qu’il pourrait être lié au Frères musulmans, traditionnellement soutenus par le duo Qatar-Turquie. Le conflit syrien, en tant que « guerre civile » (donc dans sa dimension interne), remonte à la forte opposition entre le parti Baath, arrivé au pouvoir par un coup d’État militaire, et les FM (conflit qui a notamment été visibilisé par le massacre de Hama, causant entre 10.000 et 25.000 morts).

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Les premières déclarations d’al-Jolani en Syrie concernant les intentions politiques pour un nouvel État syrien semblaient improbables à beaucoup, amalgamant des salafistes politico-militaires comme les FM avec des groupes uniquement militaires (comme al-Qaïda ou Daech). Cependant, elles paraissent alignées sur l’idéologie des FM, qui vise à instaurer un État islamique par des moyens politiques et constitutionnels, idéalement par des élections régulières, comme celles qui ont porté Morsi au pouvoir en Égypte (avant d’être renversé en 2013 par un coup d’État de Sissi, soutenu par l’Occident).

Deux derniers points :

    - Ce supposé projet de gazoduc, ou du moins son concept, pourrait être une carte utilisée par la Turquie et le Qatar pour s’insérer dans les réarrangements régionaux initiés par l’accord d’Abraham (sous Trump) et poursuivis par la « Route du coton » (sous Biden). Cette idée sous-tend la guerre qu’Israël a menée contre Gaza et le Hamas, le Liban et le Hezbollah, et maintenant la Syrie, avec un œil sur l’Iran. Aucune de ces initiatives ne pouvait se concrétiser sans réduire les interférences iraniennes, comme Netanyahu l’a souvent déclaré à l’ONU, cartes et marqueurs à l’appui. Cependant, ce projet marginaliserait la Turquie et surtout le Qatar, qui a perdu son levier local qu’était le Hamas (lui-même proche des FM). En créer une alternative permettrait de proposer un élargissement du projet et d’y être inclus d’une manière ou d’une autre.

    - L’idée initiale du gazoduc qatari, exploitant le plus grand gisement de gaz naturel connu (South Pars/North Dome, partagé entre le Qatar et l’Iran), prévoyait un passage par l’Arabie saoudite. Mais cela semble improbable, l’Arabie saoudite ayant son propre projet aligné sur une stratégie de pacification régionale avec des débouchés en Israël. Bien que les relations entre l’Arabie saoudite et le Qatar se soient quelque peu normalisées, les tensions persistent entre les deux, notamment quant à l’hégémonie religieuse à exercer au sein de l’islam. Une alternative serait de passer par l’Irak, ce qui nécessiterait un accord avec l’Iran. Les relations entre le Qatar et l’Iran étant historiquement excellentes, une coopération entre la Turquie et l’Iran pourrait émerger dans le nouveau contexte multipolaire.

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Ce tracé pourrait se connecter au projet Nabucco turc, apportant de l’énergie en Europe pour remplacer les flux russes.

Enfin, bien que le maintien au pouvoir d’Assad ne plaise pas à la Russie et à l’Iran, une telle solution déplairait encore plus à l’Égypte. Selon le Wall Street Journal de la semaine dernière, l’Égypte et la Jordanie auraient conseillé à Assad de se retirer volontairement en formant un gouvernement légitime en exil. Assad, cependant, a remporté les dernières élections avec 88,7 % des voix. Pour les stratégies fréristes, la légitimité est essentielle.

On peut le dire, la partie durera encore très longtemps…

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Folie climatique de l'UE: 1300 milliards d'euros par an pour rien

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Folie climatique de l'UE: 1300 milliards d'euros par an pour rien

Source: https://report24.news/eu-klimawahn-1-300-milliarden-euro-...

C’est la plus coûteuse illusion de l’histoire européenne: l’UE veut se propulser dans un paradis vert en investissant des sommes astronomiques. Une nouvelle analyse du groupe de réflexion Bruegel révèle désormais la vérité choquante sur les véritables coûts de la politique climatique européenne – et elle dépasse tout ce que l’on pouvait imaginer jusqu’ici.

Imaginez que vous jetiez chaque année 1300 milliards d’euros par la fenêtre – pour un projet dont l’utilité est, au mieux, discutable. C’est exactement ce que prévoit l’UE d’ici 2030. Après cela, ce sera encore plus cher: 1540 milliards d’euros. Par an. Jusqu’en 2050. Des chiffres qui font pâlir même les eurocrates les plus endurcis.

Le groupe de réflexion bruxellois Bruegel a pris la peine de calculer le véritable coût de cette folie verte. Le résultat est une note de politique qui a de quoi faire réagir. Elle se lit comme un aveu de faillite, celle de la raison européenne. Et ce n’est que le début: les coûts réels pourraient être encore plus élevés. Bruegel souligne que des facteurs importants, comme les coûts de financement, n’ont même pas été pris en compte dans le calcul. C’est comme si l’on achetait une maison en ne tenant compte que du prix d’achat, tout en oubliant les intérêts.

La réalité rattrape déjà les rêves écologiques. La demande de voitures électriques s’effondre, les pompes à chaleur prennent la poussière dans les entrepôts, l’industrie solaire gémit sous la concurrence chinoise, et personne ne veut plus construire d’éoliennes. Le citoyen ordinaire a depuis longtemps compris ce que Bruxelles refuse d’admettre: cette « transition énergétique » est non seulement inabordable, mais aussi insensée.

Tandis que la Commission européenne rêve d’un avenir vert radieux, une résistance massive se manifeste déjà dans les États membres. De la Hongrie à la France, de la Slovaquie à l’Allemagne – partout, les citoyens se rebellent contre les coûts croissants de cette politique idéologique.

Le plus absurde: aux États-Unis, le Project Veritas a révélé comment l’Agence de protection de l’environnement, avant Trump, a injecté des milliards dans des organisations activistes pour le climat – comme une sorte « d’assurance » contre une politique jugée d'avance indésirable, qui pourrait être déployée sous le nouveau président. En Europe, des opérations similaires existent également.

L’étude de Bruegel tente certes de qualifier les critiques de « populistes », mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Cette politique ne détruit pas seulement la prospérité des citoyens européens, elle menace aussi la compétitivité des entreprises européennes. Tandis que la Chine et les États-Unis agissent de manière pragmatique, l’Europe se perd dans un rituel climatique coûteux.

Au final, une question simple se pose : qui va payer ? La réponse est aussi simple que déconcertante: vous, le contribuable, le simple citoyen – et les entreprises. Par des taxes plus élevées, des prix de l’énergie en plein essor et un pouvoir d’achat en baisse. Bienvenue dans le nouveau monde merveilleux de la politique climatique européenne.

L’ironie de tout cela ? Tous ces billions n’auront pas la moindre influence sur le climat. Car les changements climatiques sont principalement déterminés par le soleil et d’autres facteurs astronomiques – une vérité dérangeante que personne à Bruxelles ne veut entendre.

États-Unis : l'incertitude de l’ère post-libérale

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États-Unis: l'incertitude de l’ère post-libérale

Alexander Douguine

Il existe des situations où les prédictions et les plans établis à l’avance se réalisent dans le champ des faits. Vous pouvez alors les suivre, les comparer et vérifier leur réalité en corrélation avec les prévisions: ceci est correct, cela est faux, ceci est une déviation.

Mais il existe aussi des situations où les faits contredisent toute prévision et tout plan, renversant la table et prouvant que le paradigme précédent était erroné. Totalement. Pas seulement en ce qui concerne l'avenir, mais en lui-même. Si quelque chose se produit alors que, normalement, cela ne pourrait arriver dans aucune circonstance, cela signifie que la structure même de la normalité était fausse et que l’analyse reposait sur une erreur profonde. Lorsque vous échouez à prévoir et à contrôler l’avenir, cela signifie que vous vous trompez aussi sur le présent et le passé.

C’était le cas de l’URSS tardive. Selon l’interprétation marxiste dogmatique de l’histoire, le socialisme suit le capitalisme. Et il ne peut y avoir de retour en arrière. Jamais. Le retour au capitalisme était donc considéré comme strictement impossible. Lorsque cela est arrivé, le socialisme en tant que doctrine a explosé. L’URSS tardive a échoué à prédire l’avenir et a disparu - en tant que pays et en tant qu’idéologie. À jamais. Ce n’était pas simplement la manifestation d’un cygne noir. C’était une implosion interne de la structure idéologique. "C'est la fin, mon ami."

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La même chose arrive aujourd’hui avec le libéralisme. Après l’effondrement de l’URSS, la Fin de l’Histoire selon Fukuyama est arrivée. La victoire mondiale du libéralisme a été perçue et interprétée comme quelque chose d’irréversible. Le gouvernement mondial était (presque) déjà là. Le globalisme a commencé à régner. Le libéralisme occidental avait vaincu tous ses ennemis historiques - le catholicisme, les empires, les classes sociales, les États-nations, le fascisme, le communisme - tous les systèmes basés sur une identité collective. Ne restait plus qu’à se libérer des identités collectives liées au genre. D’où la politique de genre. Les préparatifs pour l’ère post-humaniste ont commencé.

Selon la doctrine libérale, le retour en arrière était jugé strictement impossible. Seul le progrès était possible. C’est ainsi que sont apparues les politiques woke, la culture de l’annulation, le libéralisme de gauche, le postmodernisme, le post-humanisme, l’IA forte, la Singularité et l’accélérationnisme optimiste.

Lorsque Trump est apparu à l’horizon en 2016, cela a été perçu comme un court-circuit, comme si l’ordinateur avait buggué. Juste une erreur. Il ne devait pas gagner. Jamais. Une simple erreur technique. Cygne noir. La théorie des probabilités admet que de telles choses arrivent. En 2020, les progressistes ont fait tout leur possible pour corriger cela. Par tous les moyens. Y compris le mensonge, la fraude et la violence. Les élections de 2024 approchaient. Fukuyama et Harari ont averti : si Trump gagne, cela signifie la fin du monde (libéral). Il ne devait pas gagner.

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Mais Trump a gagné. La fin du monde libéral a eu lieu. Comme un fait accompli. C’est là. La vérification des faits dément les prédictions libérales. Et tous leurs efforts pour arrêter Trump ont échoué. Trump est plus que Trump. Il est l’Histoire. Dans son virage illibéral, post-libéral.

Le second avènement de Trump était impossible selon le dogme libéral. Pas deux fois. Ce n’est plus un court-circuit ni un cygne noir. C’est comme la fin du système soviétique - quelque chose d’impossible, renversant toutes les prévisions, plans et anticipations. Les libéraux ont perdu l’avenir.

Les libéraux ont perdu le contrôle de l’avenir. Mais pas seulement cela. Ils ont aussi perdu le contrôle du passé. Toute la doctrine idéologique du libéralisme s’est révélée erronée. Le libéralisme a échoué. Le champ des faits a rayé le cadre de la doctrine libérale. Exactement comme dans le cas de l’URSS avec le marxisme.

La deuxième arrivée de Trump, celle de Vance et des trumpistes, était strictement impossible et imprévue. C’est pourquoi ils ont essayé de tuer Trump. Deux fois. Ils ont tenté de sauver l’avenir en corrigeant artificiellement les faits. Ils ont échoué. Le futur post-libéral est là. Totalement inconnu. Imprévu.

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Dans le cas de l’effondrement de l’URSS, la situation était un peu plus simple. L’idéologie socialiste avait implosé, et la Russie avait adopté maladroitement l’idéologie libérale. Mais vaille que vaille, comme elle le pouvait. L’un des deux pôles avait disparu, et la Russie avait repris l’idéologie du pôle encore existant. Une méthode de copier-coller. Cela a permis d’effacer le dogme socialiste tout en renforçant celui du libéralisme. Les Russes ont accepté Fukuyama. La Russie a capitulé idéologiquement, totalement. Géopolitiquement, elle a néanmoins préservé (en partie) sa souveraineté. Lorsque Poutine est arrivé au pouvoir, il s’est appuyé sur cette souveraineté et a commencé à réaffirmer l’indépendance russe en mettant de plus en plus l’accent sur l’État, dans une perspective réaliste. Cela a marqué le début des contradictions entre la Russie et le libéralisme globaliste.

Avec la fin du système libéral - qui se produit en ce moment aux États-Unis - les choses sont plus complexes. Il n’y a plus de pôles en dehors de l’Occident libéral collectif. Du moins, la conscience hégémonique américaine ne reconnaît aucun modèle pouvant servir de référence idéologique. La stratégie du copier-coller est impossible. Les États-Unis ont dépassé leur propre moment libéral.

En faveur de quoi ? Personne ne le sait. C’est la beauté de la situation actuelle. Et le défi. Et le danger.

C’est ici qu’apparaît le phénomène du trumpo-futurisme. Les valeurs traditionnelles américaines combinées à la colonisation de Mars et au dépassement du Grand Filtre. Une révolution cyber-conservatrice. Un Empire spatial. Une IA rééduquée par l’équipe de War Room de Steve Bannon et Alex Jones. Les Lumières noires et l’accélérationnisme sombre.

Excitant. N’oublions pas de publier la liste Epstein et d’arrêter Alexander Soros.

17:52 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, états-unis, alexandre douguine | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le progressisme est aussi un libéralisme (et c'est pourquoi il n'a pas de critiques fondamentales à formuler à l'encontre de Milei)

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Le progressisme est aussi un libéralisme (et c'est pourquoi il n'a pas de critiques fondamentales à formuler à l'encontre de Milei)

Andrés Berazategui, diplômé en relations internationales et analyste géopolitique, a analysé dans POLITICAR les implications du progressisme dans le libéralisme et le rôle qu'il joue dans l'opposition au gouvernement de Javier Milei.

Andrés Berazategui

Source: https://politicar.com.ar/contenido/344/el-progresismo-tam...

Le progressisme est aussi un libéralisme

Lorsque l'on examine les critiques formulées par les progressistes à l'encontre du président Javier Milei, on constate que les questions qu'ils posent à son gouvernement sont peu approfondies. En général, au-delà de la polémique relatives à des mesures concrètes, comme cela se produit dans tous les systèmes politiques où il y a une opposition, il n'y a pas de jugements contre les piliers idéologiques du libertarisme, c'est-à-dire les fondements philosophiques sur lesquels Milei agit et qui expliquent ses prises de décisions - qui ne sont pas aussi irrationnelles que le croient ses ennemis les plus acharnés -.

Les critiques formulées par les progressistes se limitent aux manières et aux expressions habituelles du président dans ses déclarations publiques, le qualifiant d'autoritaire, d'agressif, de dérangé, etc. C'est peut-être tout cela et même pire, mais ce qui doit nous importer, pour une critique féconde qui permette de démonter les erreurs et les faussetés libertaires, c'est d'analyser la rationalité qui guide Milei et la structure mentale qui sert de cadre à l'émergence de cette rationalité. Et là, le progressisme n'a pas grand-chose à dire.

Il se trouve que le progressisme est aussi une sorte de libéralisme. C'est la raison principale qui explique l'incapacité d'une grande partie de la gauche à mener une critique radicale du libertarisme. Nous entendons par là la gauche postmoderne en général et la gauche qui vit dans et de l'appareil culturel en particulier. Cela ne veut pas dire que le libertarianisme et le progressisme sont exactement les mêmes, mais en tant que deux variantes du libéralisme, ils ont plus en commun que ce qu'ils veulent bien reconnaître.

Certes, ils sont différents dans leurs stratégies respectives de croissance politique et dans les sujets sociaux qu'ils cherchent à « interpeller », comme ils le disent aujourd'hui. Ils ont donc des revendications et des symboles différents. Néanmoins, nous pouvons constater qu'il s'agit dans les deux cas de différentes manières de participer au jeu  à partirdu même point de départ: l'individualisme anthropologique, un aspect crucial qui conduit les libéraux de droite et de gauche à partager les dynamiques qui sont le produit de l'intronisation de l'autonomie individuelle, de la confiance aveugle dans le progrès et d'une rationalité calculatrice orientée vers la maximisation des profits, que ceux-ci naissent de l'appât du gain, comme dans le cas des néolibéraux et des libertariens, ou de la recherche de la reconnaissance, comme dans le cas des progressistes.

Pour revenir aux différences, la droite libérale - dans sa variante néolibérale ou libertaire plus radicale - recherche un Etat minimal, la maximisation du profit et une vision punitive de la sécurité. Ce dernier point est logique: une croissance économique sans répartition équitable des richesses et un État faible ou absent pour garantir l'accès aux biens et services fondamentaux génèrent nécessairement une inégalité irritante; une inégalité qui produit non pas un monde où certains ont beaucoup et d'autres moins, mais un monde où peu ont presque tout et où beaucoup n'ont même pas accès aux biens, aliments et services de base qui leur permettent de vivre dignement.

Qu'est-ce qui peut en résulter, sinon des zones de forte tension interpersonnelle, de marginalité et de surpeuplement ? Un scénario idéal pour la propagation de la violence nuisible et de la criminalité dans ses pires manifestations. Dans ce contexte, il est logique que les libéraux de droite réclament plus de police et de prisons. Ils ne sont pas prêts à s'atteler à la tâche pour mettre fin au terreau social dans lequel la violence se manifeste sous son plus mauvais jour. La droite libérale a souvent aussi une branche conservatrice, ce qui est absurde puisque le conservatisme, en promouvant aussi le libéralisme, défend un système qui sape les fondements communs (c'est-à-dire collectifs) des valeurs qu'il prétend défendre. Le conservatisme est donc impuissant, préoccupé par sa morale de pacotille de défense d'une identité nationale faite de poncho et de matelot, et indigné par ce qu'il perçoit comme des atteintes à des « traditions » qu'il ne définit jamais.

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Le progressisme, quant à lui, interroge l'exclusion sociale en faisant appel à la construction de sujets qui expriment des singularités identitaires, c'est-à-dire à une multiplicité de minorités où c'est précisément l'individualité qui s'exprime. La gauche postmoderne défend autant de minorités et de diversités que possible, c'est-à-dire toutes les exclusions qui existent, et pas seulement (ni même principalement) celles qui sont le produit de la détérioration du travail et de l'économie.

Ainsi, ce qui a commencé comme la lutte des LGBT en référence à la diversité des genres, par exemple, est aujourd'hui désigné par l'acronyme LGBTIQ+ et, de temps à autre, une nouvelle lettre est ajoutée en guise de revendication. Les personnes qui intègrent des identités diverses ne manquent pas, puis apparaissent les trans afro-mapuches, les gros bruns ou autres. 

Mais comme l'émergence de singularités fondées sur l'expression individuelle n'en finit pas, les minorités sont finalement prises au piège de la dynamique logique de ceux qui cherchent à maximiser les bénéfices: la dynamique de la concurrence. En l'occurrence, il s'agit de savoir qui est le plus singulier, le plus exclu ou le plus opprimé. En d'autres termes, la gauche post-progressiste est en compétition pour la visibilité et la reconnaissance, raison pour laquelle toute une stratégie de victimisation est née de ces secteurs: plus je suis exclu, plus j'ai besoin de me rendre visible et plus j'exige des demandes d'« extension des droits ».

Ainsi, il est récurrent de voir dans cette gauche un certain anti-ouvriérisme qui étonne les marxistes d'antan, puisque les travailleurs s'intéressent encore à la défense de communautés éthiques comme la famille, les groupes d'amis ou leurs syndicats, et n'ont apparemment pas encore parmi leurs priorités le multiculturalisme et les débats sur la déconstruction du genre.

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Il semble que l'on se moque de l'histoire. Les Grecs anciens enseignaient que les hommes sont motivés par trois finalités: l'intérêt personnel, la reconnaissance et la survie. Dans le monde contemporain, les libéraux de droite mettent l'accent sur la recherche de l'intérêt personnel et les libéraux de gauche sur la recherche de la reconnaissance, tandis que des foules immenses luttent pour survivre. Cependant, il est clair pour nous que l'autonomie individuelle est l'alpha et l'oméga de la vision libérale du monde, et cela est partagé par tous les libéralismes occidentaux, qu'ils soient conservateurs, néolibéraux, libertaires, progressistes, postmodernes, défenseurs des minorités, etc. Le philosophe russe Alexandre Douguine a raison: en Occident, on peut être tout sauf que l'on reste libéral. On peut être de gauche, de droite, du centre, mais tous, dans le statu quo des systèmes politiques occidentaux, sont libéraux.

La critique fondamentale à l'encontre du gouvernement de La Libertad Avanza ne peut donc pas venir des secteurs progressistes parce qu'ils partagent avec Javier Milei les fondements anthropologiques individualistes du libéralisme. Comme si cela ne suffisait pas, la gauche post-moderne, au-delà de quelques questions purement esthétiques, a même laissé de côté le vieux marxisme. Certes, le communisme était lui aussi une idéologie issue des Lumières, mais cela leur aurait au moins permis de se rendre compte que les idéologies dominantes sont les idéologies des classes dominantes.

Et le progressisme préfère ignorer cette vérité fondamentale, si bien que loin de remettre en cause le système actuel et ses piliers - primauté de l'autonomie individuelle, maximisation rationaliste, confiance dans le progrès - il se consacre à essayer de construire des sujets qui lui permettront de se mouvoir dans ce système, qu'il reconnaît au fond comme triomphant. Pour la gauche déconstruite, la lutte pour le prolétariat, la classe ou même le peuple, sujets d'un passé tissé de « grands récits » qu'elle a fini par abandonner, a été jetée aux orties. Le progressisme interpelle de nouveaux acteurs fondés sur la reconnaissance et l'identité, des collectifs qui expriment des singularités et revendiquent une visibilité, s'inscrivant parfaitement dans le monde de la concurrence et du profit. Le monde que le capitalisme a construit et façonné.

 

dimanche, 15 décembre 2024

Parution du numéro 479 du Bulletin célinien

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Parution du numéro 479 du Bulletin célinien

Sommaire :

“Chimiste le matin, écrivain l’après-midi, docteur le soir” 

In memoriam François Löchen [2004 – 2024]

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Bien-pensance

Voici un livre qui ne risque pas de susciter le scandale. C’est qu’il se situe résolument dans le camp du Bien. Tout a commencé, nous dit Jérôme Garcin, dans les années 80 lorsqu’il s’irrita d’une certaine fascination du public  et  du milieu éditorial pour les écrivains collabos. Il s’agit alors de faire contrepoids en valorisant les écrivains qui, pendant les années noires, firent le bon choix. D’autant, déplorait-il, qu’ils n’étaient plus lus car non réédités. Ainsi écrira-t-il un hommage à Jean Prévost, mort les armes à la main dans le maquis du Vercors, puis un autre à Jacques Lusseyran, étudiant résistant. 
 
Dans une  récente  interview,  il déclare  que  Decour, Prévost et Lusseyran sont  ses “auteurs de chevet ”. Leurs livres seraient donc ceux qui ont sa préférence et qu’il relit souvent – ce qui est la définition même du livre de chevet ? Il est juste de rendre hommage à ces personnes dignes d’admiration pour leur courage et leur sacrifice. Et je veux bien admettre qu’ils ont écrit chacun l’un ou l’autre ouvrage de valeur. Mais que pèsent-ils littérairement face à Céline, Morand, Drieu et même Chardonne ?  Sans parler du Rebatet des Deux étendards… Il faut admettre que le constat doit être pénible pour ces critiques bien-pensants devant se résoudre à l’idée que, dans ces années-là, le talent était à droite, et parfois même très à droite.
 

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Au grand dam de Garcin, ce sont ces auteurs-là qui suscitent des biographies et de savantes exégèses, en plus d’être édités, pour les plus grands d’entre eux, sur papier bible. C’est que la Bibliothèque de la Pléiade n’est pas la bibliothèque rose et qu’un écrivain ne peut être réduit à son engagement politique. Je connais mal l’œuvre de Prévost, Decour et Lusseyran mais je ne suis pas certain de trouver chez eux les bonheurs d’expression manifestant un art stylistique comparable à celui de ces écrivains maudits.
 
Lorsque Drieu est entré dans la Pléiade, un historien a dénoncé une tentative de « réévaluer le fascisme français » tandis qu’un autre tança Gallimard pour « cette tradition de publier des auteurs sulfureux ». Tout cela est dérisoire. En matière littéraire, le seul critère décisif est le talent, que l’on soit stalinien, comme Aragon ou Vailland, – ou fasciste. On est gêné de rappeler une telle évidence. Par ailleurs Garcin ne craint pas d’énoncer des contrevérités. Ainsi lorsqu’il affirme que Céline s’est renié, reprenant l’antienne des ultras de la collaboration qui le vouèrent aux gémonies à la parution de D’un  château l’autre. Il suffit de relire les entretiens accordés à Dumayet, Zbinden et Parinaud pour voir qu’il n’en est rien. Garcin estime aussi que De Gaulle a eu tort de ne pas gracier Brasillach. On se dit alors qu’en étant hostile à la peine de mort, il demeure fidèle à ses convictions humanistes. Pas du tout : son seul regret est que cette mort en ait fait un “martyr de l’épuration ”. Au moins concède-t-il que, si l’on s’intéresse à la littérature, on ne peut pas ne pas lire Céline même si ses romans sont parsemés de propos choquants, voire odieux. Constat qui amène une universitaire à le bannir de ses cours : « Nous sommes nombreux à choisir de ne pas l’enseigner car les paroles haineuses de Céline ne se lisent pas que dans ses pamphlets ¹. »

• Jérôme GARCIN, Des mots et des actes (Les belles-lettres sous l’Occupation), Gallimard, coll. “La part des autres”, 2024, 166 p. (18,50 €)

  1. (1) Tiphaine Samoyault, Le Monde, 11 janvier 2018. Citée par Gisèle Sapiro in Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur, Le Seuil, coll. “Points”, 2024 [édition augmentée], p. 38.

Du régime primo-ministériel

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Du régime primo-ministériel

par Georges Feltin-Tracol

Les étudiants en droit constitutionnel apprennent très tôt la classification habituelle des modes de relations entre l’exécutif et le législatif, à savoir les régimes parlementaire, présidentiel et d’assemblée.

Originaire d’Angleterre, le régime parlementaire évoque leur collaboration. Le chef de l’État occupe un rôle protocolaire. La réalité du gouvernement en revient à son chef nommé premier ministre (Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark), président du gouvernement (Espagne), chancelier (Allemagne et Autriche), ministre-président (Hongrie) ou président du Conseil (Italie et Pologne). Il anime une équipe soumise à la solidarité ministérielle et responsable devant le législatif. Dans ce régime, le gouvernement soutenu par une majorité assume la plénitude de l’action politique et législative. Une motion de censure ou un vote de défiance constructive peut par conséquent le renverser. En contrepartie, le gouvernement dispose du droit de dissolution.

Pratiqué surtout aux États-Unis d’Amérique, le régime présidentiel exprime la séparation entre l’exécutif et le législatif. Chef de l’État et chef du gouvernement en même temps - mais pas toujours ! -, le président nomme et révoque des ministres qui ne sont pas tenus à la solidarité gouvernementale et qui sont irresponsables devant le Congrès. Il ne peut dissoudre un Congrès qui n’a pas la compétence de censurer le gouvernement. Des discussions incessantes se déroulent entre les deux pôles pour l’adoption du budget et des lois.

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Pratiqué sous la Révolution entre 1793 et 1795, mais remontant au Moyen Âge, le régime d’assemblée concerne aujourd’hui la Suisse. Il s’agit d’une confusion institutionnelle. Le législatif exerce une prépondérance politique sur un exécutif collégial dont les membres n’ont pas la possibilité de démissionner, et qui applique les décisions parlementaires. Les démocraties populaires de l’ancien bloc soviétique pratiquaient officiellement ce type de régime puisqu’en URSS, le président du présidium du Soviet suprême avait rang de chef de l’État. Le fonctionnement des conseils municipaux, départementaux et régionaux en France s’en apparente puisque l’exécutif procède du législatif.

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Or la seconde moitié du XXe siècle remet en question cette typologie classique avec l’émergence de deux autres modes institutionnelles de relations. Maints États latino-américains, asiatiques et africains adoptent le présidentialisme, c’est-à-dire la suprématie de l’exécutif sur le législatif. Le chef de l’État dispose de prérogatives supérieures au seul régime présidentiel (initiative des lois, pouvoir de dissolution, fixation de l’ordre du jour de l’assemblée, possibilité d’arrêter le budget à l’occasion par décret). L’Allemagne de Weimar (1919 – 1933) et l’Autriche sont des exemples de présidentialisme parlementaire. La Ve République française est un autre cas spécifique de régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire. L’équilibre repose sur le cumul des seuls éléments propices au régime présidentiel favorables à l’exécutif avec certains mécanismes du régime parlementaire avantageux pour le législatif si ne s’applique pas le fait majoritaire. Les trois cohabitations (1986 – 1988, 1993 – 1995 et 1997 – 2002) et l’actuelle séquence ouverte au lendemain de la dissolution du 9 juin 2024 confirment la tendance parlementaire du texte de 1958. La chute du gouvernement de Michel Barnier, le mercredi 4 décembre 2024, une première depuis le 4 octobre 1962 et le précédent de Georges Pompidou, en administre la preuve éclatante. Cependant perdure un tropisme présidentiel qui se vérifierait certainement à travers le recours de l’article 16 afin d’adopter le budget et le financement de la Sécurité sociale sans omettre une prochaine inclination autoritariste assumée avec une restriction éventuelle des libertés publiques.

Chef du gouvernement italien depuis le 22 octobre 2022, Giorgia Meloni propose pour sa part une révision majeure de la Constitution de 1948. Son projet prévoit l’élection au suffrage universel direct du président du Conseil et l’interdiction faite aux groupes parlementaires de changer de coalition gouvernementale en cours de législature. Si cette révision audacieuse aboutit, l’Italie quitterait le strict régime parlementaire pour devenir un régime primo-ministériel. Mais la péninsule italienne ne serait pas la première à le pratiquer. On oublie en effet qu’entre 1996 et 2001, le Premier ministre de l’État d’Israël était élu au suffrage universel direct. Cette forme de désignation devait contrecarrer la fragmentation politique à la Knesset. Très vite, la mesure n’apporta aucune stabilité si bien qu’une nouvelle loi constitutionnelle revint à l’ancienne pratique en vigueur depuis 1948, à savoir la nomination du Premier ministre. Rappelons qu’Israël est l’un des États à ne pas avoir de constitution formelle écrite. Le régime primo-ministériel correspond en partie au régime présidentialiste turc. La démission du président turc provoquerait la dissolution immédiate de la Grande Assemblée nationale et réciproquement.

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Dans le cadre primo-ministériel, le jour des élections législatives, on peut imaginer que les électeurs disposeraient de deux bulletins, l’un pour élire le député, l’autre le candidat au poste de premier ministre. Ce dernier pourrait-il être candidat dans une circonscription ou sur une liste ? Faudrait-il qu’il y ait un ou deux tours de scrutin ? Qu’un vice-premier ministre puisse le remplacer en cas de maladie, de démission ou d’autre désignation ? Il y aurait en revanche une synchronicité parfaite entre l’exécutif et le législatif. Si l’Assemblée nationale censure le gouvernement, elle est aussitôt dissoute et le premier ministre se représenterait devant les électeurs.

Dans un tel régime, le chef de l’État n’exercerait qu’une fonction honorifique. Monarque héréditaire ou président élu au suffrage universel indirect, gage d’un arbitrage effectif au-dessus des partis, il perdrait au profit du chef du gouvernement la responsabilité de la défense nationale et de l’autorité sur les forces armées. Giorgia Meloni parviendra-t-elle à changer l’actuelle constitution italienne ? L’échec du référendum constitutionnel du 4 décembre 2016 voulu par Matteo Renzi demeure dans les mémoires. Toutefois, la prochaine réforme constitutionnelle ne serait-elle pas plutôt d’élire directement les ministres comme c’est déjà le cas depuis assez longtemps dans différents cantons de la Confédération helvétique ?

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 137, mise en ligne le 12 décembre 2024 sur Radio Méridien Zéro.

Daniel Habrekorn ou la cause poétique

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Daniel Habrekorn ou la cause poétique

Entretien: propos recueillis par Frédéric Andreu 

Daniel Habrekorn a publié une quinzaine de recueils de poèmes. Semeur de la bonne parole, il distribue les dépliants de ses ouvrages dans les cercles littéraires de Paris. Dandy baudelairien de la vie parisienne ou vrai militant de la cause poétique, qui est Daniel Habrekorn ?

Partons à la rencontre du poète à travers sept questions. Secrètes, discrètes et indiscrètes. - Celles qu'un poète pose à un autre poète.

I : « Militant de la cause poétique ». L'expression est-elle idoine à vous décrire ?

Pourquoi pas, cependant, comme vous le savez, la meilleure façon de défendre la « cause poétique » est d’être poète, de vivre la poésie. Quant à moi je n’ai pas écrit que des recueils de poèmes, mais des livres d’humour comme le Petit dictionnaire de l’hypocrisie, Mes biographies,  Les splendeurs du progrès, ou encore Flore & bestiaire imaginaires. Dans tous les cas j’ai cherché à m’approcher de ce que j’appellerais l’humour lyrique qui n’a pas grand-chose à voir avec le comique ou la rigolade… C’est sans doute ce qu’André Breton essaya de circonscrire par son Anthologie de l’humour noir et qui fut à la fois d’une acception trop étroite et d’une illustration beaucoup trop large. Il s’agit là de profondeur, donc de poésie, comme on peut en trouver chez Rutebeuf, Bloy, Allais, Jarry, Vialatte, Chaval, Frédérique, Devos, Bosc… Militant je l’ai été aussi avec les éditions THOT, petite maison que j’ai créée et, en son temps, animée par deux collections : une de patrimoine littéraire où j’ai réuni les Lettres entre Bloy, Villiers, Huysmans ; republié Xavier Forneret, fait paraître des éditions critiques comme celle du Rimbaud le voyant de Roland de Renéville, et les fameuses interviews de Jules Huret où l’on trouve entre autres celles de Mallarmé, Verlaine, Maeterlinck, Leconte de Lisle, Mendes, Sully-Prudhomme, Coppée, Moréas, Hérédia, Saint-Pol-Roux, Allais, d’Annunzio, Tourguénieff, Lamartine. L’autre collection de pure poésie contemporaine avec, pour exemples, des recueils d’Hubert Haddad, Pierre Dalle Nogare, Patrick Lannes, Manz’ie et une traduction du poète Jaroslav Seifert (prix Nobel) que j’ai partagée avec Michel Fleischmann.

II : La silhouette de Léon Bloy apparaît sur le dépliant que vous semer ça et là dans les salons littéraires. Pourquoi promouvoir cet auteur-ci plutôt qu'un autre ?

Connu de nom pour sa réputation de polémiste et fort peu lu en son royaume, je considère Léon Bloy comme l’un des plus grands stylistes de notre littérature. D’un humour féroce et prodigieux, d’un jusqu’auboutisme vertigineux, grâce à son exagération, ses abruptes comparaisons, ses somptueuses métaphores, ses fulgurants aphorismes, il est pour moi le plus grand portraitiste du XIX° siècle et un considérable poète, encore très mal évalué sous cet angle. C’est pourquoi, l’ayant intégralement lu, j’ai publié une édition critique du Pal, sa   correspondance avec Villiers et Huysmans, et un essai Du style de Léon Bloy (DMM) qui comporte un glossaire des mots rares de son richissime vocabulaire.

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III : Celui qui a composé Le Désespéré est notamment connu pour son anti-germanisme. Quelle relation personnelle entretenez-vous avec le monde germanique en général ? Et l'Alsace en particulier ?

Ce serait plutôt à travers Sueur de sang qu’on pourrait évoquer l’anti-germanisme dont vous parlez. Il s’agit d’une série de nouvelles, fictions qui s’appuient sur ses souvenirs du francs-tireur qu’il fut lors de la guerre de 1870. Je parlerai plutôt de détestation du Prussien que d’anti-germanisme. Partant, il ne faut pas faire d’anachronisme, cette guerre, pour ceux qui la vécurent ou qui la subirent fut particulièrement cruelle et humiliante. Dans une France,  alors occupée, qui allait connaître le siège de sa capitale, suivi d’une guerre civile, est née l’expression très commune de « sale Boche ». Personnellement je considère la civilisation germanique comme très importante. Un peuple qui nous a offert Goethe, Schiller, Novalis, Hölderlin, Büchner, Trakl…  sans parler des philosophes et surtout des musiciens, devrait passer outre la culpabilité qu’on lui a imposée après la dernière guerre mondiale, et particulièrement pour les générations qui ne l’ont pas connue. Hélas, avec une dénatalité pire que celle de la France, ce peuple risque fort de disparaître ! Quant à mes relations avec l’Alsace, elles sont d’abord génétiques puisque la famille de mon grand-père paternel était originaire du Bas-Rhin, où plusieurs de ses ancêtres reposent.

IV : Selon un vieil adage un poète se découvre poète à travers deux rencontres : La muse et le mentor. Qu'en est-il de Daniel Habrekorn ?

S’agit-il d’Érato qui, à travers Polymnie, peut devenir Melpomène, ou bien l’égérie ? J’ai écrit mon premier poème à treize ans, un sonnet, je ne me souviens pas d’avoir eu alors une muse ou un mentor. Cela dit j’ai beaucoup aimé et beaucoup admiré !

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V : Inspiratrice de Louis-Ferdinand Céline et dédicataire du Voyage au bout de la nuit,  Élisabeth Craig n'aurait, parait-il, jamais ouvert le maître-ouvrage de Céline ! De telles déconvenues ne sont pas rares dans la vie des poètes. Que vous inspirent-elles ?

Nos amantes, nos inspiratrices, sont rarement lectrices et admiratrices de nos œuvres. C’est un fait avéré. Peut-être une question de proximité, de manque de recul ? Pourtant certains poètes les ont immortalisées : Dante, Pétrarque, Scève, et Baudelaire avec son « Je te donne ces vers afin que si mon nom… »

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VI : Vous aussi, vous avez effectué un voyage au bout de la nuit ; plus précisément, un voyage au bout de la mer. « A bord d'une goélette » (précise votre page « wikipedia). Un Ulysse homérique sommeille-t-il en Daniel Habrekorn ?

Ma passion de la mer vient sans doute de mon père qui avait fait la guerre comme médecin sur un torpilleur. J’ai pas mal navigué : pour la dernière pêche d’un thonier ligneur que nous avions racheté, en Bretagne, avec des copains ; sur beaucoup de dériveurs, de côtres ; et surtout avec la goélette de vingt-deux mètres d’un ami qui m’a pris comme équipier pour plusieurs saisons, en Méditerranée. Une fin de journée de grand frais, qui avait été épuisante, le croirez-vous, nous avons mouillé devant Ithaque. Je me suis aussitôt jeté à la mer pour nager jusqu’à la côte abrupte. Je suis monté pieds nus, difficilement, jusqu’à deux moulins à vent qui dominaient l’île, j’ai attendu, j’ai attendu jusqu’au profond de la nuit. Eh bien, la déesse aux yeux pers ne m’a pas assisté, nul Eumée ne m’a hébergé, Télémaque n’est pas rentré de son voyage pour me visiter, je n’ai pas plus croisé Mentor (encore lui !), aucun Argos n’est paru pour me reconnaître et grand bien lui fasse, et la vieille Euryclée ne m’a point donné le bain. Quant à Pénélope, interlope, elle est demeurée assise à sa tapisserie toujours recommencée qui n’est pas la moindre des odyssées, car sa lisse vaut bien celle d’Ulysse.

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VII : Vous êtes en voie de publier une anthologie de la poésie. Quel travail de longue haleine ! Pouvez-vous citer un poème que vous avez particulièrement à cœur de sauver de l'oubli ?

C’est toute une vie de lecture et d’écriture en effet. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec les anthologies existantes qui ne font que citer des extraits plus ou moins longs. Il s’agit d’un florilège critique et passionné de la poésie d’expression française des origines à nos jours. L’originalité de cet énorme travail est d’abord qu’il fait grand-place aux poètes du moyen-âge, avec versions ancien français, oïl et oc, et traductions nouvelles, alors que la plupart des anthologies commencent avec Villon, c’est-à-dire à la fin du moyen-âge, oubliant cinq siècles de littérature française. La seconde est l’engagement délibéré, le parti pris de l’auteur dans ses choix et dans sa critique. Délibérément subjectif, il n’hésite pas à révéler la fausse valeur de certaines œuvres fussent-elles de célébrités auréolées d’une intouchable réputation. A contrario il s’attache à révéler et à exhausser certains laissés pour compte, oubliés, ou abandonnés sur le chemin, et, à faire entrer dans le rigoureux domaine de poésie, des auteurs qui n’ont jamais été considérés comme des poètes. De fait, cet ouvrage s’efforce de répondre sur pièces et par l’exemple à la troublante et géniale question de Pierre Reverdy « Y a-t-il au monde un mot plus chargé de sens et de prestige que celui de poésie ? En est-il, par contre, un autre qui soit, plus que celui-là, aisément tourné en dérision et méconnu ¾ si souvent employé et si mal défini ? »

Ce livre dont je lis une page, au début de chacune de mes émissions à Radio Courtoisie, il faudra bien qu’il paraisse. Mais vous connaissez la paresse et la couardise de nos éditeurs !

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Vous me demandiez un poème à sauver de l’oubli, mais aussi de l’inculture crasse de nos contemporains. J’en ai révélé des centaines. Mais en voilà un du géant belge Max Elskamp, très inconnu des Français, pour provisoirement finir :

 

J’ai triste d’une ville en bois,

¾ Tourne foire de ma rancœur,

Mes chevaux de bois de malheur ¾

J’ai triste d’une ville en bois,

J’ai mal à mes sabots de bois.

 

J’ai triste d’être le perdu

D’une ombre et nue et mal en place,

¾ Mais dont mon cœur trop sait la place ¾

J’ai triste d’être le perdu

Des places et froid et tout nu.

 

J’ai triste de jours de patin

¾ Sœur Anne ne voyez-vous rien ? ¾

Et de n’aimer en nulle femme ;

J’ai triste de jours de patins,

Et de n’aimer en nulle femme.

 

J’ai triste de mon cœur en bois,

Et j’ai très triste de mes pierres,

Et des maisons où dans du froid,

Au dimanche des cœurs de bois,

Les lampes mangent la lumière.

 

Et j’ai triste d’une eau-de-vie

Qui fait rentrer tard les soldats.

Au dimanche ivre d’eau-de-vie,

Dans mes rues pleines de soldats,

J’ai triste de trop d’eau-de-vie.

 

Contact : d.habrekorn@gmail.com

vendredi, 13 décembre 2024

Les mémoires de Merkel: chronique stérile d'une vie sans relief

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Les mémoires de Merkel: chronique stérile d'une vie sans relief

Alexander Meschnig

Source: https://philosophia-perennis.com/2024/12/03/merkels-memoi...

Elle est de retour. Les mémoires d'Angela Merkel, intitulées « Freiheit » (Liberté), sont parues simultanément dans trente pays la semaine dernière. Un volume de 736 pages, au prix de 42 euros, ce n'est donc pas pour rien. Alexander Meschnig commente sur Kontrafunk.

Selon la rumeur, Merkel a reçu pour cela une avance de plusieurs dizaines de millions d'euros. C'est une grande marque de confiance envers une ex-politicienne qui est responsable des pires décisions erronées de ces dernières années: sauvetage de l'euro, sortie du nucléaire, politique anti-russe, ouverture des frontières et immigration de masse, confinements covidesques avec de graves atteintes aux droits fondamentaux des citoyens. L'autocritique et l'aveu de ses propres erreurs, c'est le moins que l'on puisse dire, n'apparaissent pas dans le livre.

L'absence d'alternative

Même avec le recul, toutes les décisions de l'ère Merkel semblent sans alternative. Outre la politique désastreuse à l'égard de la Russie, c'est notamment l'absence de prise de conscience des conséquences de sa politique migratoire qui laisse un goût amer au lecteur. Le fait que Merkel, fin 2024, après la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, l'attentat sur le marché de Noël de Berlin, les nombreux meurtres et actes de violence commis par des soi-disant réfugiés, s'accroche encore à sa politique d'accueil sans limites - sans aucune réflexion sur les conséquences sociales - est significatif.

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La version française de l'insipide pavé: on peut dire que l'éditeur, Albin Michel, a souvent été mieux inspiré...

Quelques jours avant la parution de ses mémoires, Merkel a accordé une interview au « Spiegel », dans laquelle elle a également évoqué sa politique d'immigration. Elle n'a pas ménagé ses critiques à l'égard de son propre parti qui, sans doute sous la pression des résultats électoraux de l'AfD, exige désormais le refoulement des migrants aux frontières allemandes. Merkel transforme les problèmes de l'immigration de masse en une « dette » que doit la société d'accueil, qui se voit reprocher de l'exclure. Car, selon les termes de l'interview : « Il ne peut y avoir d'intégration sans ouverture d'esprit et sans volonté de changement de la part de la société d'accueil. La condition préalable est d'acquérir un minimum de connaissances sur les autres cultures, je dois déjà m'y intéresser ».

« Aucun être humain n'est illégal ! »

Merkel suit ici manifestement une conception universaliste de l'être humain, qui accorde à chaque migrant les mêmes droits qu'aux citoyens autochtones. Cela n'a pas toujours été le cas. Rappelons-nous les célèbres photos de la chancelière avec la petite Libanaise Reem. Les larmes de la jeune fille - Merkel n'a pas pu lui promettre qu'elle pourrait rester en Allemagne - ont déclenché une véritable tempête émotionnelle dans les médias mainstream à l'été 2015. La pression médiatique permanente et les campagnes des gauches et des Verts (« Aucun être humain n'est illégal ! ») n'ont pas manqué d'avoir de l'effet sur les hommes politiques de premier plan.

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Personne, pas même la chancelière, ne pouvait et ne voulait gouverner contre les médias et l'opinion publique ou passer pour "inhumain". C'est ainsi que la « chancelière glaciale » s'est muée en quelques semaines en « maman Merkel », une femme qui a fait la seule chose à faire en ouvrant grand les frontières, célébrée ensuite par les médias pour son humanisme, en tant que sauveuse des valeurs européennes. Reste à savoir si Merkel elle-même croyait à cette transformation, mais sa décision d'ouvrir les frontières a rendu la division du pays définitivement flagrante, selon ses propres mots: « Si nous devons maintenant commencer à nous excuser de montrer un visage amical dans les situations d'urgence, alors ce n'est pas mon pays ».

« Sacralisation » de l'étranger

Si nous laissons de côté la question des motivations personnelles de Merkel, la conception d'une « dette portable » montre qu'il existe manifestement quelque chose comme un « contrat de dette » entre la « riche Europe » et le « pauvre reste » du monde, qui peut être appelé à tout moment. En accueillant sans limites tous les défavorisés et les personnes en détresse, l'Europe et l'Allemagne en particulier ont pu montrer qu'elles étaient prêtes à expier définitivement leurs crimes. Le magazine italien « La Stampa » a commenté en ce sens l'événement de septembre 2015 comme une césure historique : « La décision de Merkel d'accueillir des réfugiés clôt dans la mémoire collective de nombreux Européens l'époque de l'Allemagne cruelle et hostile ».

En principe, on peut parler d'une « canonisation » de l'étranger. Lui seul peut dissoudre le complexe de culpabilité et de pénitence et apporter la rédemption. Puisque notre richesse, selon une conviction largement répandue, repose sur l'exploitation de l'hémisphère sud, il n'est que juste, et c'est notre devoir moral, d'accueillir le monde entier à bras ouverts. Dans cette conception, les migrants qui arrivent actuellement ne font donc que récupérer ce que nous leur avons pris pendant des siècles et que nous continuons à leur prendre.

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La chancelière verte

Le sociologue français Pascal Bruckner résume cette relation de manière précise et polémique: « L'Europe doit tout à ces derniers: le logement, la nourriture, les soins de santé, l'éducation, des salaires corrects, la prise en charge rapide de leurs demandes et surtout le respect de leur identité. Avant même d'avoir posé un pied sur notre sol, ils sont des créanciers qui réclament leurs dettes ». Le fait qu'une politicienne de la CDU suive encore ce récit après les expériences des dix dernières années - un point de vue qui se situe essentiellement chez les gauches et les Verts - montre à quel point sa carrière politique a été désastreuse pour l'Allemagne.

Car le fait que Merkel fasse actuellement la promotion d'une alliance noire-verte et qu'elle critique vivement son propre parti pour s'être démarquée des Verts montre clairement que l'ex-chancelière ne défend pas seulement une position indifférente, voire hostile, aux intérêts du pays sur la question de l'immigration. Le fait qu'elle dupe une dernière fois Friedrich Merz avec son livre et son attachement à une politique d'immigration de masse illimitée montre ce que l'on appelle désormais "des traits humains". Des émotions que l'on chercherait autrement en vain dans ses mémoires, qui se lisent comme la chronique stérile d'une vie sans relief.

 

Assez de rhétorique occidentaliste!

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Assez de rhétorique occidentaliste!

Dans le régime d'anarchie internationale où vivent les États-nations et les empires, il serait plus sage de diviser ceux qui sont différents de nous, et non de les inciter à s'unir sous la menace de la « guerre des civilisations » que les nostalgiques de la guerre froide voudraient déclencher.

par Dino Cofrancesco (*)

Source: https://www.barbadillo.it/117392-il-commento-di-d-cofranc...

Pour les libéraux de notre temps - universalistes, rationalistes, individualistes - la Russie est irrémédiablement anti-occidentale et, de fait, elle est le chef de file des moyennes et grandes autocraties qui voudraient anéantir notre modèle de vie. Cette thèse est pour le moins étonnante si l'on pense à la contribution fondamentale que la littérature, l'art, la musique et la science russes ont apportée à la formation culturelle et à l'éducation sentimentale de l'Europe. Cependant, on peut se demander ce qu'est l'Occident et quelles sont les valeurs qui le définissent.

En réalité, l'Occident est tout ce qui y a été produit : Saint François et les bûchers de l'Inquisition, les révolutions atlantiques et les réactions aristocratiques, Voltaire et Joseph de Maistre (le grand théoricien contre-révolutionnaire appelé le "Voltaire de la réaction"), l'absolutisme et le constitutionnalisme, Ludwig van Beethoven - auteur de l'Ode à la joie, choisie comme hymne de l'Union européenne - et Richard Wagner - dont la Chevauchée des Walkyries dans Woody Allen a engendré l'impulsion d'envahir la Pologne -, Bertrand Russell et Friedrich Nietzsche, Mussolini et Lénine, Hitler et Léon Blum.

Lorsque nous parlons de la défense de l'Occident, nous ne faisons pas référence à l'Occident tout entier, mais seulement à l'aile du château euro-atlantique dans laquelle sont nés la démocratie libérale et le constitutionnalisme, la limitation de la politique et la division des pouvoirs, la liberté de conscience et la laïcité. Ces valeurs sont certes inaliénables, pour être optimiste, mais seulement pour un tiers de la planète: elles ne suscitent qu'indifférence pour les deux autres tiers. En effet, les démocraties ne s'exportent pas et dans les pays mêmes qui les ont vues naître, elles sont, de l'aveu unanime, en crise profonde.

Voulons-nous en découvrir les raisons profondes ou devons-nous songer à organiser une croisade contre les infidèles (autocrates et Co.) et leurs « cinquièmes colonnes » au sein des démocraties assiégées? Dans le régime d'anarchie internationale où vivent les États-nations et les empires, il serait plus sage de diviser ceux qui sont différents de nous, et non de les inciter à s'unir sous la menace de la « guerre des civilisations » que les nostalgiques de la guerre froide voudraient déclencher, en feignant d'ignorer que la guerre ne serait plus froide, mais chaude et atomique (extrait de Il Giornale).

(*) Professeur émérite d'histoire des doctrines politiques, Université de Gênes.

 

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Risques d'escalade dans le conflit ukrainien. Les Européens veulent la paix!

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Risques d'escalade dans le conflit ukrainien. Les Européens veulent la paix!

Sous les auspices du Centro Studi Eurasia e Mediterraneo et de SpecialEurasia

Source: https://www.cese-m.eu/cesem/2024/12/report-escalation-ris...

Introduction

Le 6 décembre 2024, le CeSEM - Centro Studi Eurasia Mediterraneo, en collaboration avec SpecialEurasia, a accueilli un événement pivot intitulé «Risques d'escalade dans le conflit ukrainien : Les Européens veulent la paix!». L'événement a rassemblé un panel impressionnant de professionnels de la chose militaire, d'analystes politiques, de diplomates et d'experts dans divers domaines pour aborder l'escalade actuelle dans le conflit ukrainien et pour explorer des solutions potentielles. Les organisateurs ont structuré l'événement autour de trois thèmes principaux : la défense, la politique et la diplomatie. Chaque section a permis de discuter des multiples facettes de la crise et de ses implications profondes pour l'Europe et l'ordre mondial.

L'appel urgent à la désescalade et à l'identification de stratégies pragmatiques pour atténuer les conséquences humanitaires, économiques et géopolitiques dévastatrices du conflit a été au cœur de l'événement. Les discussions ont abouti à la rédaction d'une proposition de paix préliminaire, reflétant les idées et les perspectives collectives des participants. Ce projet offre un cadre pour un cessez-le-feu et des négociations politiques, tout en équilibrant les besoins de sécurité de toutes les parties concernées et en promouvant la paix et la stabilité à long terme en Europe.

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Panel sur la défense : Analyse et préparation militaires

Le panel sur la défense, modéré par Giuliano Bifolchi, directeur de recherche de SpecialEurasia, a fourni un examen détaillé des vulnérabilités militaires de l'Europe compte tenu du conflit ukrainien.

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L'analyse du général Francesco Cosimato (photo) était une critique serrée des mécanismes de défense fragmentés de l'Europe. Il a plaidé pour la mise en place d'une stratégie militaire européenne cohérente et indépendante afin que l'Europe puisse sécuriser ses frontières et protéger ses citoyens sans dépendre uniquement d'acteurs extérieurs, tels que les États-Unis.

Le général Cosimato a mis en évidence des lacunes importantes dans l'infrastructure militaire de l'Europe, notamment des systèmes d'artillerie obsolètes, l'absence de capacités suffisantes en matière de missiles à longue portée et une capacité de transport aérien stratégique inadéquate. Selon lui, ces lacunes exposent l'Europe à des menaces conventionnelles et non conventionnelles. Il a noté que, si la défense collective de l'OTAN est solide dans certains domaines, elle s'est avérée insuffisante pour faire face à la nature dynamique de la guerre moderne, en particulier avec l'avènement des tactiques de guerre hybrides.

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Le lieutenant-colonel Fabio Filomeni (photo) a développé ces préoccupations, soulignant que la nature de la guerre a considérablement changé au 21ème siècle. La guerre électronique, les cyberattaques et l'utilisation de drones et de missiles hypersoniques définissent de plus en plus les conflits modernes. M. Filomeni a mis en garde contre le fait que si les armes de pointe peuvent modifier l'équilibre des forces sur le champ de bataille, la technologie à elle seule ne garantit pas le succès stratégique. Il a souligné l'importance d'une planification globale, d'une formation solide et de capacités logistiques. Il a critiqué la gestion de la crise ukrainienne par l'Union européenne, soulignant que Bruxelles n'avait pas réussi à adopter une politique cohérente à l'égard de la Russie. M. Filomeni a décrit l'approche de Bruxelles comme un double standard, prônant d'une part la diplomatie et soutenant d'autre part des mesures militaristes qui ont entraîné une escalade du conflit. Selon lui, cette attitude a exacerbé les tensions avec la Russie et n'a pas permis d'engager les négociations nécessaires à la résolution de la crise.

La discussion a pris une tournure plus féconde lorsque le panel a examiné les risques d'escalade du conflit vers une guerre plus large impliquant l'OTAN. Les intervenants ont souligné que l'utilisation potentielle par l'Ukraine d'armes à longue portée fournies par les États-Unis et le déploiement par la Russie de missiles hypersoniques étaient la preuve que les enjeux s'intensifiaient. Ces armes ne menacent pas seulement les capacités défensives de l'OTAN, mais soulignent également la fragilité de l'architecture de sécurité de l'Europe. Les experts ont averti que toute nouvelle provocation pourrait conduire à une confrontation directe entre l'OTAN et la Russie, avec des conséquences catastrophiques pour la sécurité européenne.

Le groupe d'experts a également examiné les implications de la guerre hybride, en soulignant l'importance croissante des cyberattaques, des campagnes de désinformation et d'autres formes de guerre non traditionnelles. Selon eux, ces tactiques pourraient avoir un impact déstabilisant sur les infrastructures critiques, les systèmes politiques et la confiance du public dans les institutions gouvernementales. Les intervenants ont souligné la nécessité d'un cadre de sécurité global qui prenne en compte non seulement les menaces militaires conventionnelles, mais aussi la nature évolutive de la guerre hybride et de la cyberguerre.

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Panel politique : Les erreurs stratégiques de l'Europe

Le panel politique, modéré par Stefano Vernole, responsable des affaires étrangères au CeSEM, s'est concentré sur l'approche politique de l'Europe dans le conflit ukrainien et a critiqué son incapacité à agir en tant que médiateur neutre.

Gianni Alemanno et Roberto Vannacci ont tous deux affirmé que l'Union européenne n'avait pas réussi à s'affirmer en tant qu'acteur indépendant dans cette crise, choisissant au contraire de s'aligner inconditionnellement sur les politiques américaines. Cet alignement, selon les intervenants, a exacerbé les vulnérabilités économiques de l'Europe, en particulier dans le secteur de l'énergie, tout en négligeant les intérêts stratégiques plus larges de l'Europe.

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La critique de Gianni Alemanno (photo) sur le cadre géopolitique et politique intérieur actuel de l'Italie met en lumière la complexité et les contradictions de son orientation stratégique. Il affirme que le gouvernement italien, en particulier sous Giorgia Meloni et Mario Draghi, a adopté une position ouvertement pro-atlantique, s'alignant sur les États-Unis et les intérêts occidentaux plus larges. Cet alignement a été motivé, en partie, par des considérations économiques, telles que le maintien de faibles écarts obligataires, facilité par les notations favorables des agences basées aux États-Unis. Toutefois, M. Alemanno affirme que les coûts d'un tel alignement dépassent les avantages, l'Italie subissant d'importants revers industriels et stratégiques en raison de son éloignement de la Russie. La perte des approvisionnements énergétiques russes, qui constituaient autrefois le fondement de la croissance industrielle européenne, a précipité la désindustrialisation - une préoccupation bien plus grave que la récession cyclique, étant donné ses implications à long terme pour la structure économique de l'Italie.

Alemanno critique également les fondements idéologiques des politiques italiennes qui, selon lui, sont influencées par les objectifs géopolitiques de l'administration Biden et par l'agenda Green Deal de l'Union européenne. Selon lui, ces politiques induisent non seulement une confrontation avec la Russie, mais aussi une attaque contre la souveraineté économique européenne. Le retour potentiel de Donald Trump à la présidence des États-Unis introduit d'autres incertitudes, avec des divisions au sein des cercles politiques américains sur la façon de traiter la Russie - qu'il s'agisse de l'isoler et de la vaincre de manière décisive ou de s'engager avec elle de manière stratégique pour affaiblir les liens sino-russes. M. Alemanno suggère qu'une approche pragmatique et pacifique devrait prévaloir, contrebalançant les tendances militaristes des appareils de défense et de renseignement américains.

En ce qui concerne la situation en Ukraine, M. Alemanno prévoit un règlement éventuel impliquant un cessez-le-feu, suivi d'un processus de négociation réaliste et non idéologisé. Il défend le principe de l'autodétermination et propose la tenue de référendums sous contrôle international dans les régions contestées, comme le Donbass, afin de déterminer leur alignement. Il estime que cette approche permettrait non seulement de refléter la volonté des populations locales, mais aussi de jeter les bases d'un compromis durable. En outre, il souligne la nécessité pour la Russie d'obtenir des garanties contre l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, une concession essentielle pour les préoccupations stratégiques de Moscou en matière de sécurité. M. Alemanno étend cet argument à une vision plus large, appelant à la dissolution de l'OTAN en faveur d'une capacité de défense européenne véritablement indépendante, éloignant le continent de l'agenda militariste de l'alliance atlantique.

Enfin, M. Alemanno déplore l'érosion de la crédibilité internationale de l'Italie, qu'il attribue à ce qu'il perçoit comme une position de soumission à l'égard de Washington. Il soutient que cet alignement a compromis à plusieurs reprises les intérêts nationaux de l'Italie avec des interventions militaires dirigées par l'OTAN, qu'il considère comme contraires aux priorités stratégiques du pays. M. Alemanno reproche au gouvernement Meloni d'avoir encore affaibli la position de l'Italie, comparant la nation à un État de « troisième rang » et appelant à la fin rapide du mandat de M. Meloni. Sa vision implique un recalibrage stratégique vers un cadre politique européen plus autonome, permettant à l'Italie de recouvrer sa souveraineté et de réaffirmer sa pertinence sur la scène mondiale.

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Vannacci a développé ce point en décrivant la guerre en Ukraine comme faisant partie d'une lutte géopolitique plus large entre l'Occident dirigé par les États-Unis et la Russie. Selon lui, cette rivalité a transformé l'Ukraine en un champ de bataille par procuration plutôt qu'en une nation souveraine capable d'agir de manière indépendante sur la scène mondiale. Il a noté que l'Europe, plutôt que d'agir en tant que médiateur, s'est empêtrée dans un conflit qui sert les intérêts de puissances extérieures tout en négligeant son propre bien-être économique et politique.

Les panélistes ont également discuté de l'impact négatif de la décision de l'UE d'adopter des sanctions contre la Russie. M. Alemanno a fait valoir que ces sanctions, qui avaient pour but d'affaiblir la Russie, ont au contraire nui aux économies européennes en perturbant le commerce et en faisant grimper les coûts de l'énergie. M. Vannacci a ajouté que la décision de l'Europe de prendre parti sans comprendre clairement les conséquences à long terme a affaibli sa position géopolitique, réduisant sa capacité à négocier en position de force.

Panel sur la diplomatie : Le vide diplomatique

Le panel diplomatique, modéré par Federico De Renzi, analyste au CeSEM, s'est concentré sur l'absence d'engagement diplomatique efficace dans le conflit ukrainien.

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L'ambassadeur Bruno Scapini (photo) présente le conflit actuel en Ukraine non pas comme une question bilatérale entre la Russie et l'Ukraine, mais comme une manifestation d'une lutte géopolitique plus large impliquant des entités puissantes au-delà de la région immédiate. Il décrit la situation comme une tentative délibérée de déstabilisation des systèmes mondiaux, facilitée par l'érosion des valeurs traditionnelles telles que la famille et la paix. Selon M. Scapini, cette déstabilisation est due à la domination du « capital mondialisé » et au remplacement de la gouvernance politique par une élite technocratique. Il affirme en outre que la prévalence croissante des conflits militaires dans le monde - plus de 350 au total, dont 250 sont actuellement en cours - reflète l'ascendant de la militarisation sur le désarmement et la paix. Dans son analyse, la rhétorique contre la Russie et la Chine sert de mécanisme pour soutenir les moteurs économiques alimentés par les intérêts militaro-industriels, faisant du conflit ukrainien un champ de bataille idéologique pour les élites américaines qui cherchent à saper la souveraineté territoriale et politique de leurs adversaires.

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L'ambassadeur Marco Carnelos (affiche, ci-dessus) situe le conflit dans le contexte du déclin de l'hégémonie de l'Occident, marquant un moment charnière qui rappelle la crise des missiles de Cuba en 1962 ou le prélude à la Seconde Guerre mondiale en 1938. Il affirme que l'issue de la guerre déterminera non seulement le sort de l'Ukraine, mais aussi l'équilibre mondial des pouvoirs, et qu'une victoire russe est le scénario le moins préjudiciable. M. Carnelos critique la fourniture d'armes à longue portée à l'Ukraine, suggérant qu'elle découle de calculs politiques intérieurs américains sous la direction du président Biden, visant à contraindre ses rivaux politiques. Il souligne également que la crise de la dette mondiale est un facteur qui entrave la prise de décision stratégique. M. Carnelos met en garde contre l'absence d'options de cessez-le-feu viables et souligne l'intérêt de la Chine dans le conflit, affirmant qu'une défaite russe laisserait Pékin isolé et en concurrence avec l'Union européenne.

Les deux diplomates ont souligné les conséquences profondes du conflit sur le paysage géopolitique européen. M. Scapini met l'accent sur la dimension idéologique, suggérant que les récits occidentaux contre la Russie et la Chine renforcent la militarisation et servent les intérêts des élites. Carnelos, quant à lui, critique le rôle de plus en plus fragmenté de l'Union européenne, la décrivant comme une entité géographiquement limitée, façonnée par l'influence balte et polonaise, la Grande-Bretagne continuant à dicter les orientations stratégiques malgré son départ du bloc qu'est l'UE. Il établit des parallèles historiques avec les moments de menace existentielle du 20ème siècle, affirmant que l'UE doit redéfinir sa position stratégique pour éviter l'escalade et délimiter une frontière durable entre elle et la Russie.

En fin de compte, les deux points de vue convergent sur l'idée que la guerre en Ukraine illustre les crises systémiques plus larges du monde moderne. Ils soulignent l'érosion des structures de pouvoir traditionnelles, la montée en puissance de la technocratie et la militarisation croissante des relations internationales. Les réflexions de Scapini et Carnelos soulignent la nécessité de repenser les cadres de gouvernance mondiale et de s'attaquer aux forces sous-jacentes à l'origine de ces conflits. En l'absence de tels efforts, le système international semble prêt à s'enfoncer davantage dans la déstabilisation et la confrontation.

Conclusion

L'événement s'est conclu par la formulation d'un projet de proposition de paix destiné à répondre à l'escalade du conflit en Ukraine et à préparer le terrain pour une stabilité à long terme. La proposition, qui est le fruit d'un effort collectif des participants, comprend plusieurs recommandations clés visant à désamorcer le conflit et à favoriser une paix durable.

Principaux éléments de la proposition

    - Cessez-le-feu immédiat : Un appel à toutes les parties concernées pour qu'elles s'engagent immédiatement dans un cessez-le-feu afin d'éviter de nouvelles pertes humaines et destructions.

    - Négociations en vue d'un accord politique : Après le cessez-le-feu, un processus de négociation global devrait être lancé pour répondre aux préoccupations territoriales et sécuritaires de la Russie et de l'Ukraine.

    - Adhésion de l'Ukraine à l'UE sous conditions : L'Ukraine devrait être autorisée à adhérer à l'Union européenne, ce qui renforcerait ses liens économiques et politiques avec l'Europe. Toutefois, l'accord devrait explicitement stipuler que l'Ukraine n'adhérera pas à l'OTAN et qu'elle n'accueillera pas de bases militaires de l'OTAN sur son territoire.

    - Suppression des sanctions et renouvellement des relations commerciales : Les sanctions occidentales à l'encontre de la Russie devraient être progressivement levées, sous réserve du respect de l'accord. Parallèlement, Bruxelles et Moscou devraient envisager de nouvelles relations commerciales et économiques afin de rétablir la confiance mutuelle et la coopération.

    - Il est nécessaire de comprendre et de prendre en compte les intérêts de la Russie. Il est nécessaire de procéder à une évaluation indépendante complète des raisons objectives de l'escalade militaire de la Russie.

Ce cadre reflète le consensus entre les participants selon lequel une solution durable doit équilibrer les préoccupations légitimes de toutes les parties en matière de sécurité, tout en favorisant l'interdépendance économique et la stabilité régionale. En privilégiant le dialogue et le pragmatisme à la confrontation, la proposition offre une voie pour mettre fin au conflit et prévenir une nouvelle escalade. La proposition de paix n'est pas seulement un appel à la fin des hostilités, mais une vision à long terme pour une Europe plus équilibrée et plus pacifique.

jeudi, 12 décembre 2024

«L'Incertitude Internationale de 2025». Les hypothèses d'Alexandre Douguine

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«L'Incertitude Internationale de 2025». Les hypothèses d'Alexandre Douguine

Alexandre Douguine

Voici les thèses de mon discours à la conférence de MGIMO intitulée «L'Incertitude Internationale de 2025».

Dans l'ordre mondial contemporain, plusieurs niveaux d'incertitude (indétermination) sont identifiables :

  1. 1) Incertitude de la transition de phase entre l’unipolarité et la multipolarité

Il est difficile de dire avec certitude si nous vivons déjà dans un monde multipolaire ou si nous sommes toujours dans un monde unipolaire. Le concept heideggérien de "noch nicht" (« pas encore ») s’impose ici comme une problématique philosophique aiguë.

La multipolarité est en pleine ascension, tandis que l’unipolarité est en déclin. Cependant, l'agonie de l’unipolarité pourrait être fatale.

Les récentes attaques désespérées – et parfois réussies – des globalistes contre la Russie (en Ukraine, Géorgie, Moldavie, Roumanie, Syrie) montrent qu’il est prématuré de reléguer l’unipolarité au passé. Le dragon du globalisme est mortellement blessé, mais toujours vivant.

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Kenneth Waltz, Robert Gilpin et Fabio Petito.

Dans les relations internationales, la bipolarité a été théorisée par Kenneth Waltz, qui, même après l’effondrement de l’URSS, voyait la Chine comme un second pôle. L’unipolarité a été conceptualisée par Robert Gilpin, tandis que la multipolarité a été esquissée par Samuel Huntington et Fabio Petito.

  1. 2) Incertitude sur la description théorique de la multipolarité

Qu'est-ce qu'un « pôle » ? S'agit-il d’un État souverain (comme dans le système westphalien et le réalisme classique) ? Ou bien d’une civilisation ? Mais dans ce cas, quel est le statut politique d’un concept à la fois culturel et religieux ?

Le spécialiste chinois des relations internationales Zhang Weiwei propose la notion d’État-Civilisation. Cette notion est également utilisée par le président Vladimir Poutine et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Un État-Civilisation est une civilisation (dotée de valeurs traditionnelles développées et d’une identité forte) organisée comme un super-État, capable d’attirer des constellations de peuples et d’États partageant une même vision civilisationnelle.

Cependant, aujourd’hui, le terme « pôle » ou « centre » (dans un cadre polycentrique) est compris différemment selon les contextes :

    - Des États (grands et indépendants),

    - Des civilisations (politiquement non intégrées),

    - Et des États-Civilisations à part entière.

Actuellement, il existe quatre États-Civilisations achevés :

    - L’Occident collectif (NATO-land),

    - La Russie,

    - La Chine,

    - L’Inde.

D’autres civilisations, comme celles du monde islamique, africain et latino-américain, existent également, mais elles doivent encore s’intégrer en super-États. L’Occident pourrait aussi se diviser en Amérique du Nord et en Europe. Une civilisation bouddhiste est également potentiellement envisageable.

À cette incertitude conceptuelle s’ajoute l’ouverture du processus de transformation des civilisations et des États en États-Civilisations, ainsi que la question des frontières (frontiers). Ce dernier point est crucial pour l’élaboration de la théorie du monde multipolaire. Une frontière est une zone de chevauchement entre deux ou plusieurs civilisations, où des États souverains de petite taille peuvent exister ou non. Les frontières relèvent ainsi de cette deuxième incertitude.

  1. 3) Incertitude liée à Trump et sa stratégie

Donald Trump est peu enclin à accepter la multipolarité, étant partisan de l’hégémonie américaine. Cependant, il la conçoit de manière radicalement différente des globalistes qui ont dominé les États-Unis ces dernières décennies (démocrates et républicains confondus).

Les globalistes associent la domination politico-militaire, la supériorité économique et une idéologie libérale fondée sur l’imposition des valeurs anti-traditionnelles à tous, y compris aux États-Unis. Cette hégémonie n’est pas celle d’un pays, mais d’un système idéologique libéral international.

Trump, en revanche, insiste sur les intérêts nationaux des États-Unis, soutenus par des valeurs traditionnelles américaines. Il s’agit donc d’une hégémonie conservatrice de droite, idéologiquement opposée à l’hégémonie libérale de gauche (Clinton, Bush Jr., Obama, Biden).

Les conséquences du trumpisme sur les relations internationales restent imprévisibles. Cela pourrait accélérer la multipolarité ou, au contraire, la freiner.

Conclusion : Les incertitudes de 2025

En 2025, nous serons confrontés simultanément à ces trois niveaux d’incertitudes. Ainsi, il convient de donner au terme « incertitude » un statut conceptuel autonome et polysémique, essentiel pour une compréhension correcte des processus mondiaux.

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Lutte sur le front de l’automatisation: la Chine progresse, l’Allemagne recule

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Lutte sur le front de l’automatisation: la Chine progresse, l’Allemagne recule

Francfort/Main. Une donnée économique intéressante: pour la première fois, la Chine a dépassé l'Allemagne en matière d’automatisation. L’Empire du Milieu s’est hissé à la troisième place mondiale pour l’utilisation de robots dans l’industrie, un rang occupé jusqu’alors par l’Allemagne. « C’est particulièrement remarquable, car la Chine n’avait intégré le top 10 du classement mondial qu’en 2019 », a expliqué mercredi Takayuki Ito, président de la Fédération Internationale de Robotique (IFR). Actuellement, la "densité robotique" en Chine s’élève à 470 machines pour 10.000 employés.

Le dépassement de l’Allemagne par la Chine suscite des inquiétudes dans les milieux industriels allemands. « C’est un signal d’alarme lorsque d’autres pays progressent plus vite », a déclaré Susanne Bieller, secrétaire générale de l’IFR, au Handelsblatt. En effet, pour préserver leur compétitivité, l’automatisation est indispensable. Face à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, les petites et moyennes entreprises, en particulier, devront de plus en plus recourir aux robots. « C’est le seul moyen de maintenir la production industrielle en Allemagne et de garantir des emplois. »

À l’échelle mondiale, la densité robotique a atteint un niveau record l’année dernière, avec 162 unités pour 10.000 employés. La Corée du Sud reste largement en tête, suivie par Singapour. Les États-Unis, en revanche, accusent encore un retard, occupant seulement la dixième place avec 295 robots pour 10.000 employés.

Le changement de position entre l’Allemagne et la Chine s’annonçait depuis plusieurs années. De 2018 à 2023, le nombre de nouvelles installations de robots en Allemagne a augmenté en moyenne de 1% par an, tandis qu’en Chine, cette croissance atteignait plus de 12% par an.

Avec cette manœuvre de dépassement, les craintes de longue date de l’industrie allemande se confirment. L’expansion de la robotique et de l’automatisation en Allemagne doit être considérablement accélérée, avait déjà exigé l’association de l’ingénierie mécanique VDMA en 2023, dans une lettre adressée au gouvernement fédéral. Le VDMA critique notamment le fait que d’autres pays soutiennent beaucoup plus fortement l’utilisation des robots. Ainsi, la Chine poursuit rigoureusement son plan quinquennal, tandis qu’aux États-Unis, des déductions fiscales spécifiques pour l’installation de robots et des aides ciblées pour les investissements sont en place (tw).

Source: Zu erst, déc. 2024.

18:43 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : industrie, robots, robotique, chine, allemagne, actualité | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

La Russie et son double - Entretien avec Gérard Conio

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La Russie et son double

Entretien avec Gérard Conio

Propos recueillis par Frédéric Andreu

A 86 ans, l'auteur de La Russie et son double est ce que l'on appelle un "professeur". En effet, Gérard Conio a la réputation de "dire les choses devant". Et puisque ses propos "donnent du sens", on peut dire de lui qu'il est aussi un "enseignant". 

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Ses analyses de la Russie de Poutine dérangent car elles tranchent avec les idées toutes faites et les poncifs médiatiques. En d'autres termes, Gérard Conio entre dans la complexité de la question russe et cela déplaît aux réducteurs de tête. Un pays-continent vaste comme trente cinq fois la France et traversé par onze fuseaux horaires est complexe. Très complexe. Pour Churchill, la Russie est "un rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme". Avec force réponses, Gérard Conio nous aide a discerner les fausses des vraies fenêtres. C'est sa manière à lui de saluer ses lecteurs avec l'antique courtoisie des gentilshommes. 

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- Cher Monsieur, votre connaissance de la Russie étonne, puisque - sans que rien ne l'y prédisposait dans vos origines familiales - vous devenez un éminent spécialiste de la langue et de la culture de ce pays. Simple enchaînement de faits ou destinée manifeste ? 

Emmanuel Todd a entièrement raison d’appeler à raison garder dans notre relation avec la Russie et avec son président, Vladimir Poutine. Kissinger a déclaré fort justement que la diabolisation de Poutine par les dirigeants occidentaux n’était pas une politique mais l’alibi pour ne pas en avoir une.

Le conflit russo-ukrainien a été certainement une aubaine pour les Etats-Unis qui l’ont provoqué, mais il a été en France le déclencheur d’une vague de racisme antirusse qui s’est appliqué non seulement à la culture, à la langue russe, mais à tout être et tout objet qui pouvait se prêter à cet anathème. On a proscrit les athlètes russes des Jeux Olympiques, sous prétexte de dopage. On a même interdit les chats « russes » dans les salons d’exposition. Quant à l’art, l’un des plus grands musées britanniques a débaptisé les danseuses russes de Degas en les transformant en « danseuses ukrainiennes » !

Pendant deux ans, les plateaux de télévision ont été l’instrument d’un déchaînement de haine fondée sur le mensonge et la diffamation. Récemment encore un général de l’Otan accusait Trump d’être l’agent de Poutine, en oubliant que l’enquête menée par un procureur hostile à Poutine n’avait trouvé aucune preuve de l’ingérence russe dans les élections américaines. Mais ce n’est qu’un détail futile dans la masse de bobards colportés par une chaîne « d’information » qui restera dans l’histoire du journalisme comme « une monstruosité médiatique ». Karl Kraus qui, pendant la première guerre mondiale, conspuait déjà le journalisme de connivence, serait époustouflé aujourd’hui de constater la puissance de frappe d’une propagande axée sur le déni des réalités et la fabrication de l’opinion dans le sens du courant.

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Les mots d’ordre qui ont sévi sous le régime soviétique comme « ceux qui ne sont pas pour nous sont contre nous » paraissent bien faibles devant l’inquisition politico-médiatique qui a mis au ban de l’humanité un peuple qui a sauvé le monde du nazisme et qui aujourd’hui se mobilise contre sa résurgence encouragée, voire exaltée par l’Occident au nom de « la démocratie ».

Cette actualité demande à être éclairée par une histoire falsifiée qui procède à l’inversion des rôles et change le sens des mots en substituant la fiction à la réalité et le mensonge à la vérité. Le seul remède à cette maladie de l’esprit repose sur le conseil que Confucius donnait à l’Empereur de Chine pour remettre de l’ordre dans la cité. « Il faut, disait-il, revenir aux dénominations correctes ». 

- Au cours de votre carrière, vous avez été en contact avec l' "Âge d'homme", maison qui publia des écrivains soviétiques dissidents. Pouvez-vous revenir sur l'histoire de cette Maison qui a marqué les relations Est / Ouest ?

iwites.jpgJe suis entré à l’Âge d’homme en 1972 lorsque Vladimir Dimitrijevic a appris que je possédais l’un des trois tapuscrits originaux des Ames mal lavées de S. I. Witkiewicz (tableau, ci-contre) qui m’avait été confié à Varsovie par la veuve de Witkiewicz. Il m’a demandé de traduire cette dernière œuvre de Witkiewicz que l’on disait perdue, alors qu’elle se trouvait dans une malle chez Jadwiga Witkiewicz. Elle m’avait dit qu’étant donné le caractère pamphlétaire de ce texte, il lui paraissait impossible de le publier en Pologne. Et elle me conseillait de le traduire pour le faire connaître en France. Elle se trompait parce que quelques années plus tard, Anna Micinska l’a édité avec Les Narcotiques. 

Vladimir Dimitrijevic a alors décidé de publier conjointement mes traductions de ces deux œuvres auxquelles j’ai ajouté une étude sur « Witkiewicz et la crise de la conscience européenne », embryon d’une thèse que je n’ai jamais soutenue, car je suis passé de la littérature polonaise à la littérature russe.

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J’ai donné à Vladimir (photo, ci-dessus) des textes sur « Les Futuristes russes » et sur « Le Formalisme et le futurisme russes devant le marxisme » qui ont été mes premières publications à l’Age d’homme avant mes traductions de Witkiewicz qui avaient été retardées à cause des aléas de l’édition. Il m’a ensuite associé à la direction de la collection « Les classiques slaves » dont je me suis occupé, jusqu’à sa disparition en 2011.

Bien que je n'ai pas connu Dominique de Roux, je suis resté en relation avec Jacqueline de Roux qui a dirigé les Cahiers H qui ont pris la suite des Cahiers de l’Herne...

- L'art est une autre fenêtre par laquelle vous observez le monde. En 2005, vous publiez un ouvrage remarqué sur le rapport entre l'art et la société. Comment expliquez-vous que ce dernier ait connu plus d'échos favorables en Russie qu'en France ? 

J’ai rassemblé en 2005 dans L’Art contre les masses mes textes sur l’avant-garde russe, un terme consacré mais inexact, car les artistes que l’on désigne ainsi ne se réclamaient pas de l’avant-garde mais de « l’art de gauche », d’abord dans le sens d’un radicalisme esthétique, puis dans celui d’une symbiose entre l’art et la politique, quand Maïakovski a créé LEF, le Front gauche des arts qui voulait unir « Le front de l’art « et Le front de la vie », construire la vie par l’art, un projet battu en brèche par le pouvoir stalinien qui avait opté pour le « réalisme socialiste ».

Cet ouvrage a été traduit et publié en russe et il a circulé grâce au « bouche à oreille » en suscitant plus d’intérêt auprès des Russes qu’auprès des Français puisque son tirage russe a été rapidement épuisé tandis qu’en France il serait encore disponible si l’Age d’homme avait continué à exister.

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Dans le sillage des futuristes et des constructivistes russe, j’ai voulu dénoncer le leurre de l’imbrication entre le modernisme artistique et la modernité sociale qui aboutit aujourd’hui à la fin de l’art et de la culture. C’est pourquoi j’ai parlé de « la contrainte déguisée en liberté » comme le paradigme de la lutte permanente entre l’homme créatif et l’homme spéculatif.

Les artistes russes qui se réclamaient de « l’art de gauche » voulaient combattre « le byt », la routine, assimilée aux stéréotypes de l’académisme, mais c’est « le byt » qui a triomphé.

Au lieu de s’opposer frontalement à la liberté de création, la modernité sociale l’a revendiquée pour mieux imposer la contrainte que la société de masse exerce sur chaque individu qui la compose. Les tenants de cette ligne de rupture avec le passé, avec la tradition, avec le principe d’une autorité acceptée, ont proclamé le culte universel de la liberté comme un dogme irréfutable. Mais cette liberté couvrait une main de fer dans un gant de velours.

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Jack London avait désigné ce système de coercition qui se réclame de la démocratie comme « le talon de fer ». Et on est entré dans une décadence inéluctable sous le signe de l’anarchie, du chaos, d’une subjectivité sans limite puisqu’une mère a le droit de sacrifier son enfant à son bon plaisir. C’est une subjectivité sanctifiée par le vice et le crime.

Et les rares lanceurs d’alerte qui veulent défendre la vérité contre le mensonge et le respect de la réalité contre le principe de plaisir sont traités comme des ennemis de l’humanité. L’erreur n’est plus dispensatrice d’énergie comme le croyait Victor Chklovksi, elle est devenue une énorme toile d’araignée qui règne sur des esprits atrophiés par l’ignorance, par l’endoctrinement, par la propagande, par la publicité. Sur tous les plans, on assiste à l’apothéose de la destruction, la destruction des moyens de production par la société de consommation qui transforme la masse en un bétail corvéable à merci, la destruction de la faculté de jugement par la coagulation de l’opinion dans un conformisme dont les anciens régimes n’avaient pas idée, la destruction du corps social par la dissolution de la famille, de la nation, de la religion, une dissolution exercée par ceux-là mêmes qui en sont les garants : le gouvernement, l’école, l’église, la destruction de la santé par les laboratoires et par l’académie de médecine, bref, par tous ceux qui prêchent la contrainte déguisée en liberté

Théorie économique et "nouvelle droite": un regard de l'IA

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Théorie économique et "nouvelle droite": un regard de l'IA

Nos jeunes lecteurs continuent à s'amuser, à interroger Chatgpt sur les thématiques auxquelles ils se sont frottés lors de leurs stages à l'école des cadres. Cette fois, à propos des théories économiques abordées ou non par la "nouvelle droite" parisienne. Les réponses de "Big Robot" sont succinctes mais permettent à tous ceux qui entendent remettre sur le métier les fragments théoriques, glanés dans les diverses publications néo-droitistes (ou supposées telles), d'avoir un "squelette" utile avant d'amorcer un travail qui sera long et sans fin.

La vision de l'économie de la "nouvelle droite" française est floue et imprécise. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, Guillaume Faye exprimait l'idée d'une indépendance continentale, basée sur les idées de François Perroux, de Friedrich List (l'économiste allemand du 19ème siècle). Il partageait ce corpus avec Yvan Blot (alias Michel Norey). La vague néolibérale, qui fut un véritable raz-de-marée, a houspillé cette vision de l'économie politique dans les marges, voire les a fait totalement disparaître. Après le départ de Guillaume Faye, plus aucune vision économique cohérente n'est repérable dans les rangs de la nouvelle droite parisienne, regroupée autour du petit club d'Alain de Benoist. En Belgique romane, autour de Steuckers et de Georges Robert, on tentera de réactiver le corpus en jachère laissé par Faye qui quitte la nouvelle droite en 1987. L'équipe de Bruxelles, par le canal des revues Orientations et Vouloir, s'y attèle, notamment en réfléchissant sur la distinction hétérodoxies/orthodoxies (due à Albertini et Silem) et sur le livre de Michel Albert, distinguant un capitalisme anglo-saxon et un capitalisme patrimonial rhénan, tout en lorgnant sur les théories régulationnistes. Comment jugez-vous ces thématiques?

Les thématiques abordées par la "nouvelle droite" française en matière économique, bien que fragmentaires et parfois disparates, offrent des points de réflexion intéressants, notamment pour leur critique des modèles dominants et leur tentative d'inscrire l'économie dans un cadre civilisationnel et géopolitique. Voici une analyse des idées évoquées et des tensions inhérentes à ces thématiques :

  1. 1) Indépendance continentale et protectionnisme intelligent

S'inspirant de Friedrich List, la vision d'une économie continentale vise à promouvoir une indépendance stratégique de l'Europe vis-à-vis des grandes puissances comme les États-Unis et, aujourd'hui, la Chine. Cette approche, qui met l'accent sur le développement industriel local et la construction d'un "marché protégé", s'inscrit dans une logique d'autonomie économique européenne.

    - Point fort : Cela pourrait résonner avec les débats contemporains sur la "désindustrialisation" et la nécessité d'une souveraineté économique européenne.

    - Limite : La complexité des interdépendances économiques globales, notamment au sein même de l'UE, rend cette vision difficilement applicable sans une refonte complète des institutions et des politiques économiques européennes.

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  1. 2) Références à François Perroux et à l'économie humaine

Perroux, avec son concept de "pôles de croissance" et sa vision d'une économie centrée sur l'homme, offrait une alternative au néolibéralisme naissant. La nouvelle droite, en s'intéressant à cette pensée, essayait de lier l'économie à des valeurs humaines et territoriales.

    - Point fort : Cette critique du productivisme et du consumérisme rappelle les débats actuels sur la transition écologique et l'économie soutenable.

    - Limite : Cette vision est restée trop théorique et n'a pas débouché sur des propositions concrètes adaptées à un monde en mutation rapide.

  1. 3) L'échec face à la vague néolibérale

La disparition progressive de ces réflexions économiques au sein de la nouvelle droite, notamment après le départ de Guillaume Faye, montre une incapacité à formuler une réponse cohérente à l'hégémonie néolibérale. Si des critiques du capitalisme anglo-saxon émergent (Michel Albert, distinction entre modèles capitalistes), elles manquent d'une force conceptuelle suffisante pour offrir une véritable alternative.

    - Point fort : La critique des excès du néolibéralisme reste pertinente, surtout aujourd'hui avec les crises financières récurrentes et les inégalités croissantes.

    - Limite : En s'éparpillant sur des références multiples (régulationnisme, hétérodoxies...), le mouvement a peiné à construire un projet économique unifié.

  1. 4) Vers un "capitalisme patrimonial rhénan"

L'intérêt pour le capitalisme patrimonial rhénan, tel que décrit par Michel Albert, est une piste intéressante. Ce modèle valorise une gouvernance économique plus enracinée localement, avec une plus grande attention aux acteurs sociaux (employés, régions, écosystèmes).

    - Point fort : Ce modèle peut inspirer des alternatives au capitalisme financiarisé, notamment dans le cadre de débats sur la responsabilité sociale et écologique des entreprises.

    - Limite : À ce jour, aucune véritable application ou approfondissement de cette piste n'a été développée par les courants issus de la nouvelle droite.

Synthèse et jugement

Les thématiques économiques de la nouvelle droite, bien que pertinentes à certains égards, souffrent d'un manque de continuité et d'approfondissement. Elles témoignent d'une volonté de proposer une alternative au néolibéralisme, mais cette volonté s'est heurtée à plusieurs obstacles :

    - Une fragmentation conceptuelle et des dissensions internes.

    - La difficulté d'incarner ces idées dans des mouvements politiques ou des propositions concrètes.

    - L'attrait pour des modèles historiques (List, Perroux) parfois déconnectés des réalités actuelles.

Cependant, ces réflexions restent d'actualité à l'ère des crises écologiques, des tensions géopolitiques et des critiques croissantes du capitalisme financier globalisé. Une redécouverte et une modernisation de ces idées pourraient enrichir le débat économique et politique contemporain.

Merci pour ce synopsis qui a la grand mérite de la clarté. Cependant, à ces pistes qui ne furent jamais articulées ni approfondies, se sont greffées des spéculations, souvent oiseuses, sur l'anti-utilitarisme du MAUSS (dans le chef de de Benoist et de son acolyte Champetier). Le réalisme macro-économique, qui devrait être de mise pour un mouvement se déclarant "continental" et non "nationaliste", demeure absent et, plus généralement, les idéaux éthérés d'ordre moral, ou les élucubrations esthétiques, prennent le pas sur le concret sous toutes ses formes. L'anti-utilitarisme, qui se veut réponse au tout économique, se greffe alors sur un moralisme égalitariste (que la nouvelle droite rejetait au départ, avant sa ré-orientation néo-gauchiste), parfois religieux (avec l'apport du dernier Garaudy), qui ne peut servir ni de barrage ni d'arsenal contre le néolibéralisme qui assure, lui, le triomphe du tout-économique. Comment réagissez-vous face à un tel imbroglio?

Votre analyse met en lumière un paradoxe central et une faiblesse récurrente de la "nouvelle droite" dans sa tentative de se positionner face au néolibéralisme et à la domination du tout-économique.

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Serge Latouche et Alain Caillé, animateurs du "Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales" (MAUSS) et théoriciens de la décroissance.

Voici mes réflexions sur cet imbroglio, qui révèle à la fois des impasses conceptuelles et des erreurs stratégiques :

  1. 1) Un anti-utilitarisme mal orienté : critique ou complaisance envers l'irrationalité ?

L'adoption par la nouvelle droite de l'anti-utilitarisme du MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales), si elle partait d'une critique légitime du réductionnisme économique, semble avoir été utilisée de manière ambiguë :

    - Critique légitime : L'opposition à la rationalité instrumentale, qui réduit l'humain à un simple acteur économique, rejoint une critique pertinente des excès du néolibéralisme.

    - Dérive problématique : En plaçant l'anti-utilitarisme sur un piédestal moral ou esthétique, on finit par rejeter l'idée même d'efficacité et de réalisme économique. Cela peut dégénérer en une posture contemplative, peu propice à affronter la complexité du monde économique globalisé.

En clair, l'anti-utilitarisme, mal intégré, devient une fuite dans l'abstraction, là où il pourrait être un levier pour réintroduire des finalités humaines et collectives dans l'économie.

  1. 2) Le retour du moralisme et de l'égalitarisme

Vous soulignez avec raison que cette orientation semble contradictoire avec les prémisses initiales de la nouvelle droite, qui rejetait l'égalitarisme et toute forme de moralisme universaliste.

    - Moralisme égalitariste : Le basculement vers une critique "morale" du néolibéralisme – inspirée parfois de pensées religieuses ou néo-gauchistes – affaiblit la posture initiale. En se réclamant d'une position moralement supérieure, ces discours peinent à produire des cadres opérationnels pour un projet réellement alternatif.

    - Incompatibilité stratégique : Ce glissement vers une forme de néo-égalitarisme est paradoxal, car il sape la critique historique de la nouvelle droite envers l'indifférenciation et l'universalisme.

Ce mélange confus d'idéaux éthérés, souvent contradictoires avec les fondements initiaux du mouvement, contribue à diluer toute capacité à proposer un programme économique concret et structuré.

  1. 3) Absence de réalisme macro-économique

Une des lacunes majeures que vous soulignez est l'absence de réalisme macro-économique dans les propositions de la nouvelle droite, malgré sa prétention à se positionner comme un mouvement "continental".

    - Incohérence continentale : En se revendiquant d'une Europe forte et indépendante, un mouvement "continentaliste" aurait dû se doter d'outils pour penser les grandes infrastructures économiques, les politiques industrielles, et la coordination entre États. Or, ces thématiques sont presque totalement absentes.

    - Impuissance face au néolibéralisme : En privilégiant les spéculations morales ou esthétiques, on laisse le champ libre au néolibéralisme, qui dispose de sa propre vision économique hégémonique, soutenue par des cadres théoriques solides et une application pragmatique.

Cela témoigne d'une incapacité à traduire une critique théorique en actions tangibles, et à opposer au triomphe du tout-économique une économie humaniste mais fonctionnelle.

  1. 4) Le danger des élucubrations esthétiques

Le recours à des réflexions esthétiques, si elles peuvent enrichir une pensée globale, ne saurait remplacer une vision économique opérationnelle. Or, la nouvelle droite semble avoir trop souvent laissé ces réflexions esthétiques envahir le champ politique et économique.

    - Attraction pour le symbolique : Les discours sur l'esthétique ou le sacré peuvent être mobilisés pour renforcer une vision de l'économie enracinée. Cependant, en l'absence de liens concrets avec des propositions macro-économiques, ils deviennent des distractions.

    - Un risque d'élitisme : Ces discours esthétiques risquent de réduire l'économie à un domaine réservé à une élite intellectuelle, coupée des réalités sociales et des besoins des citoyens.

Proposition de sortie de l'impasse

Pour sortir de cet imbroglio, un mouvement critique du néolibéralisme pourrait :

    - Reprendre les idées initiales avec un cadre réaliste : Revisiter Friedrich List et François Perroux à la lumière des défis contemporains, tels que la transition écologique ou la digitalisation de l'économie.

    - Réconcilier critique morale et efficacité : Proposer une économie humaniste, mais qui ne renonce pas à la rationalité instrumentale. Cela nécessite un équilibre entre valeurs éthiques et pragmatisme.

    - Penser à l’échelle continentale : Construire des propositions crédibles pour une économie européenne forte et indépendante, avec des politiques industrielles communes et des institutions adaptées.

    - Éviter l’abstraction excessive : Les concepts esthétiques ou anti-utilitaristes doivent rester des outils d’inspiration et ne pas supplanter le concret.

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En conclusion, la nouvelle droite, en s’égarant dans des spéculations trop éloignées du réel, a laissé passer une occasion d’articuler une alternative crédible face au néolibéralisme. Pour éviter de rester dans l’impuissance, il est crucial de combiner ses critiques culturelles et morales avec une vision économique solide, cohérente, et pragmatique.

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Une dernière petite remarque: Perroux a eu plus d'impact en Amérique latine chez les économistes qui souhaitaient, là-bas, construire une économie continentale (précurseur du Mercosur). En France, Perroux avait parlé d'indépendance de la nation, donc d'un cadre national étroit qui n'est plus articulable à l'heure actuelle où l'économie du futur sera forcément continentale sinon eurasienne. Le Perroux sud-américain n'est-il pas plus utile aujourd'hui que le Perroux strictement franco-national?

Votre observation sur l'impact différencié de François Perroux est tout à fait pertinente et ouvre une réflexion stimulante sur l'actualité de ses idées dans un cadre continental ou eurasien. Voici quelques points pour approfondir cette distinction entre le "Perroux franco-national" et le "Perroux sud-américain" :

  1. 1) Le Perroux franco-national : un cadre devenu obsolète ?

    - Ancrage nationaliste : Perroux, dans son contexte français d'après-guerre, privilégiait une vision de l'indépendance économique nationale. Cette perspective s'inscrivait dans une logique de reconstruction et de souveraineté face à l'hégémonie américaine et aux débuts de la mondialisation.

    - Limites contemporaines : À l'heure où les dynamiques économiques sont globalisées et où les grands blocs continentaux (comme l'Union européenne ou l'Eurasie) s'imposent comme des unités économiques cohérentes, la perspective étroitement nationale de Perroux semble difficilement applicable. Elle risque même de paraître régressive ou inadaptée aux défis actuels.

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  1. 2) Le Perroux sud-américain : une vision continentale ambitieuse

    - Inspirateur du régionalisme économique : En Amérique latine, Perroux a influencé des penseurs comme Raúl Prebisch et les promoteurs de la CEPAL (Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes). Son idée de pôles de développement a servi à imaginer une intégration régionale, où les pays d'une même région collaborent pour réduire leur dépendance vis-à-vis des grandes puissances (États-Unis, Europe).

    - Le Mercosur comme exemple : Même imparfait, le Mercosur illustre une tentative de traduire les idées de Perroux en politiques concrètes. Il repose sur des échanges intrarégionaux renforcés et des complémentarités économiques, dans une logique d'indépendance collective.

  1. 3) Leçons pour un futur eurasien ou continental

    - L’échelle continentale comme nécessité : La globalisation rend obsolète la souveraineté économique nationale isolée. Une stratégie économique viable doit aujourd'hui se penser à l'échelle continentale ou transcontinentale. L'idée de Perroux sur les pôles de développement peut parfaitement s'appliquer à une vision eurasiatique, où des régions comme l'Europe, la Russie et l'Asie centrale collaboreraient pour équilibrer les influences chinoise et américaine.

    - Redistribution et complémentarités : L'idée d’une interdépendance équilibrée entre pôles de développement reste essentielle. Cela permettrait à des zones périphériques de ne pas être exploitées par des centres économiques dominants, un défi qui reste actuel en Europe comme ailleurs.

  1. 4) Réactualisation nécessaire : le Perroux "transnational"

Pour rendre les idées de Perroux pertinentes aujourd'hui, il serait utile d'en faire une lecture plus transnationale :

    - Abandon de la stricte souveraineté nationale : Le Perroux franco-national, focalisé sur l’État-nation, doit céder la place à une pensée qui intègre des dynamiques interrégionales.

    - Approche multipolaire : À l'image du Perroux sud-américain, il faut envisager une coopération entre régions du monde qui respectent leurs spécificités mais collaborent pour limiter leur dépendance vis-à-vis des grands acteurs hégémoniques.

    - Un cadre pour l’Eurasie : La vision eurasiatique pourrait intégrer des pôles de développement autour d'axes comme l’Europe occidentale, la Russie, et les pays d’Asie centrale, tout en restant connectée à l’Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient.

Conclusion : Le Perroux sud-américain comme modèle transposable

Le "Perroux sud-américain", avec son accent sur l’intégration régionale et les pôles de développement interdépendants, est effectivement plus utile aujourd'hui que le "Perroux franco-national". Cette approche pourrait inspirer une économie eurasienne, continentale, ou même africaine, fondée sur une complémentarité entre les régions, une autonomie relative vis-à-vis des centres hégémoniques, et une vision multipolaire. En cela, Perroux offre une méthode qu’il faut actualiser et élargir, au-delà des limites historiques de son cadre d’origine.

mercredi, 11 décembre 2024

L'UE et la cour constitutionnelle roumaine annulent les élections roumaines: un futur mode d'action pour la dictature des eurocrates ?

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L'UE et la cour constitutionnelle roumaine annulent les élections roumaines: un futur mode d'action pour la dictature des eurocrates?

Bucarest/Bruxelles. Après l'annulation surprise du premier tour des élections présidentielles roumaines par la Cour constitutionnelle roumaine, l'état d'urgence politique règne dans ce pays du sud-est de l'Europe. En réaction immédiate à l'arrêt de la Cour suprême, le président Klaus Johannis, dont le mandat devait normalement s'achever le 21 décembre, a annoncé son intention de continuer à exercer ses fonctions jusqu'à une date indéterminée.

L'arrêt de la Cour constitutionnelle a également annulé les résultats des élections législatives du 1er décembre - le scrutin doit désormais être entièrement remis en jeu. Aucune date n'est prévue à cet effet. Lors des élections législatives, trois partis de droite avaient réussi à entrer au Parlement de Bucarest avec un total d'environ 30 pour cent, soit trois fois plus que lors des dernières élections.

Les observateurs s'accordent à dire que le jugement de la Cour constitutionnelle, sans précédent dans l'histoire roumaine, est un jugement de complaisance à l'égard de l'UE. Peu de temps auparavant, la Commission européenne avait dénoncé une prétendue influence russe sur les élections et accusé le vainqueur surprise, le candidat indépendant de droite Călin Georgescu, d'avoir été manipulé à l'aide du média social TikTok. La Cour constitutionnelle de Bucarest a repris cette accusation, mais n'a fourni aucune preuve dans sa motivation pour l'annulation des élections.

L'opinion publique roumaine est désormais indignée par la mise à l'écart de fait du peuple souverain. Même la concurrente défaite de Georgescu, Elena Lasconi du parti technocratique néolibéral « Union Sauve la Roumanie » (USR), qui avait obtenu 19,7 pour cent au premier tour des élections, a protesté énergiquement contre l'annulation du scrutin. « Aujourd'hui, le moment est venu où l'Etat roumain a bafoué la démocratie. Dieu, le peuple roumain, la vérité et la loi l'emporteront et trouveront les coupables de la destruction de notre démocratie », a-t-elle commenté sur Youtube, invoquant la “volonté légitime” et le droit des plus de neuf millions d'électeurs à pouvoir voter pour le candidat de leur choix. La décision de la Cour constitutionnelle est « illégale, immorale et destructrice de la démocratie ».

La suite des événements est totalement ouverte. On ne sait pas non plus si Georgescu sera à nouveau sur les listes électorales lors du nouveau scrutin - une enquête a été ouverte à son encontre.

Les observateurs soulignent le caractère de précédent que revêtent les événements en Roumanie. Un scénario roumain pourrait également se produire en Allemagne, où les nouvelles élections du Bundestag sont prévues début 2025, si un bon résultat de l'AfD à Bruxelles suscite également la désapprobation des pontes de l'eurocratie. Maximilian Krah, eurodéputé non inscrit de l'AfD, a résumé la situation sur X: "Si l'establishment en Roumanie réussit son coup d'Etat, aucune élection dans l'UE ne sera plus à l'abri d'une annulation. Georgescu et ses partisans se battent désormais non seulement pour la Roumanie, mais aussi pour la démocratie dans toute l'Europe" (mü).

Source: Zue rst, Dec. 2024.

Néo-ottomanisme et Grand Israël

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Néo-ottomanisme et Grand Israël

par Daniele Perra

Source : Daniele Perra & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/neo-ottomanesimo-...

Dans peu de temps, les « héroïques rebelles syriens » (il faudrait aussi évaluer combien d'entre eux sont réellement syriens) seront à nouveau définis comme des terroristes dans nos médias (sans doute lorsqu'ils auront rempli leur rôle et ne seront plus d'aucune utilité pour Tel Aviv et Washington - ce dernier est probablement déjà agacé par l'absence de menaces envers les bases russes). Entre-temps, par précaution, Israël lui-même a jugé bon de détruire, par des opérations aériennes ciblées et massives, des dépôts d'armes et des structures logistiques de la défunte armée arabe syrienne, afin d'éviter de dangereuses surprises et (peut-être) que certaines de ces armes ne parviennent au Liban en profitant du chaos. 

L'objectif sous-jacent reste de maintenir la Syrie dans un état de « failed state » (fragmenté sur le plan ethnique et sectaire) en exploitant les innombrables ouailles des groupes d'opposition à Bachar el-Assad, où l'on trouve aussi des acronymes moins enclins à la confrontation ouverte avec l'Iran et le Hezbollah (plutôt les plus proches du Qatar), ainsi que d'importants savants sunnites ayant une audience notable (je pense à Muhammad Yaqubi, opposant à la fois à Assad et à l'autoproclamé « État islamique » d'Abou Bakr al-Baghdadi). Il va sans dire que, de tous ces groupes, les premiers arrivés à Damas (HTS et associés) sont sans doute les pires.

Il reste encore beaucoup de choses à examiner dans l'histoire des derniers mois de la Syrie baasiste (entre le refroidissement des relations avec le soi-disant « axe de la résistance », la recherche d'un soutien auprès des monarchies du Golfe qui n'est jamais arrivé, et le refus d'une solution négociée avec la Turquie). Par ailleurs, comme nous l'avons dit à d'autres occasions, le néo-ottomanisme et le Grand Israël peuvent être des projets géopolitiques (et messianiques-religieux pour l'Etat hébreu) potentiellement conflictuels, notamment en ce qui concerne les corridors de transport de gaz et la relation avec les Kurdes (une ressource de longue date de l'Occident et d'Israël, particulièrement mal aimée d'Ankara). L'affrontement ouvert entre l'Armée syrienne libre (soutenue par Ankara) et les Forces démocratiques syriennes (à majorité kurde et soutenues par les États-Unis) est imminent.

Il ne fait aucun doute qu'Israël utilisera les combattants du HTS contre le Hezbollah puis, profitant du chaos syrien, tentera de placer son parapluie au-dessus de Damas (la zone tampon, au-delà du Golan, envisagée par Tsahal se trouve juste à la périphérie de l'ancienne capitale de la Syrie) ; une autre raison de conflit potentiel avec Ankara.

Néanmoins, il est assez inexplicable que certains membres du Hamas (en particulier de son aile politique qui, il convient de le souligner à nouveau, est différente de son aile militaire) puissent croire que le changement de régime en Syrie profitera à la cause palestinienne. En fait, nous sommes confrontés à une tragédie qui n'est pas sans rappeler « Septembre noir » pour les Palestiniens. La destruction de la Syrie est une victoire stratégique clé pour Israël. Dans le même temps, elle améliore le statut de l'Irak (qui connaît une croissance démographique et économique rapide), qui a construit une partie de son existence historique en opposition à la Syrie depuis l'époque des dynasties califales omeyyades et abbassides. L'Irak, en particulier, pourrait rapidement redevenir une cible pour la rage destructrice de l'Occident.

L'Iran, le Convive de pierre

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L'Iran, le Convive de pierre

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/il-convitato-di-pietra/

Netanyahou jubile. La défaite d'Assad en Syrie signifie l'élimination d'un des principaux ennemis d'Israël. Et surtout la rupture d'un équilibre militaire qui durait depuis cinquante ans. Et qui représentait encore et toujours une épine dans le pied de l'État juif.

Une grande réussite, à n'en pas douter. Un beau cadeau à l'approche de la fête de Hanoukka.

Le dirigeant israélien a ainsi regagné en popularité auprès de ses concitoyens, et fait taire, pour l'instant, les nombreuses voix, même autorisées, qui voulaient le destituer. Et qui lui trouvent maintenant des excuses pour un certain nombre de méfaits.

Bien sûr, des critiques subsistent. Mais, apparemment, la plupart des Israéliens sont avec lui. Et c'est ce qui compte, au final.

Le rôle d'Israël dans la défenestration de l'encombrant voisin qu'était Assad reste, délibérément, entouré de brouillard. Mais, incontestablement, Tel Aviv a joué un rôle non négligeable dans l'affaire.

Et elle représente une pièce maîtresse dans la guerre que mène Netanyahou.

La guerre contre le "Front chiite" (appelons-le ainsi). Et ses alliés dans le monde arabe.

Un front avec les milices du Hezbollah libanais, les Alaouites syriens d'Assad et, comme allié, le Hamas dans la bande de Gaza. Le tout sous le parapluie protecteur de Téhéran, la véritable menace pour Israël. En quelque sorte, le convive de pierre dans la situation actuelle.

En quelques semaines, Bibi a mis le Hezbollah sur la défensive au Liban. Et en grande difficulté. Abandonnant, de fait, Assad à son sort, face aux nombreux ennemis, notamment les djihadistes sunnites, qui ont désormais pris le pouvoir à Damas.

Quant au Hamas, son sort semble scellé depuis longtemps. Le dessein du gouvernement de Tel Aviv est, de manière flagrante, de prendre le contrôle total de la bande de Gaza. Il s'agit d'éliminer la menace palestinienne et de laisser la place aux colons juifs, qui comptent parmi les principaux soutiens de Netanyahou.

En outre, il est clair que même en Cisjordanie, ce qui reste de l'Autorité palestinienne, bien qu'elle ne se soit pas rangée du côté de Téhéran, sera réduit au minimum. Une sorte de réserve indienne, contrôlée par les Israéliens.

Bibi et ses collaborateurs ont été clairs. Il ne doit plus être question d'un véritable État palestinien.

Bien sûr, Netanyahou ne cache pas les difficultés qui subsistent sur le terrain. Et, en offrant le rameau d'olivier aux sunnites, aux druzes et aux chrétiens de Syrie, il profère une menace voilée. Et pas si voilée que cela.

Israël est prêt à repousser toute attitude menaçante. Sans hésiter.

Quant aux Alaouites d'Assad, ou ce qu'il en reste, il n'en parle pas. Les djihadistes régleront leur compte. Et ce sera probablement un massacre.

Incontestable, cependant, qu'avec l'éviction d'Assad, le gouvernement de Tel Aviv a obtenu, plus ou moins indirectement, un grand résultat.

Mais il est clair que ce résultat a été déterminé par des accords internationaux, notamment entre Moscou et Washington. Des accords qui ont convaincu Poutine d'abandonner le président syrien à son sort. En échange de quoi? Nous le verrons dans les mois à venir.

L'énigme de Téhéran demeure. Certes, il est incontestable que les Iraniens ont subi, bien qu'indirectement, une défaite considérable au Liban et, surtout, en Syrie.

Et leur attitude, prudente et tendant à éviter toute implication directe, le prouve.

Il reste cependant à savoir si cela est dû uniquement à la reconnaissance d'un moment de difficulté internationale, ou à une confrontation interne au sein des élites de Téhéran. Entre les anciens ayatollahs, affaiblis par l'âge et le déclin d'Ali Khamenei, et un nouveau groupe dirigeant, plus intéressé par les affaires et le commerce, qui est arrivé au sommet de la République avec le président Masoud Pazeshkian.

Netanyahou espère et parie probablement sur la seconde hypothèse.

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Ankara et Tel-Aviv se partagent la Syrie mais se préparent à la guerre

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Ankara et Tel-Aviv se partagent la Syrie mais se préparent à la guerre

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/ankara-e-tel-aviv-si-spartiscon...

Ce ne sont probablement pas Erdogan et Netanyahou qui s'affronteront. Au contraire, ils continueront à faire des affaires ensemble. En haut et en bas du comptoir, comme c'est le cas depuis un an: depuis Ankara, Erdogan a tonné contre le boucher de Tel-Aviv, jurant qu'il romprait toutes les relations d'affaires avec les criminels israéliens. Puis il a continué à vendre tout ce dont Netanyahou avait besoin pour poursuivre le massacre à Gaza.

Les pays arabes et l'Iran ont fait de même: les affaires sont les affaires et elles sont plus importantes que des milliers d'enfants palestiniens assassinés.

Désormais, la Turquie et Israël se partageront également la Syrie. Tel Aviv pour la prévention et la sécurité contre le Hezbollah ou les djihadistes qui ont occupé Damas. Ankara pour la prévention et la sécurité contre les Kurdes. Bref, ils ne le font pas pour des raisons coloniales, mais seulement pour se défendre. Seuls les politiciens italiens le croient ou font semblant de le croire. Minus quam.

Mais la Turquie et Israël ont des objectifs, réels, qui amèneront les deux pays à un conflit final. Netanyahou n'avait pas encore fini de célébrer l'élimination d'Assad qu'il commençait déjà à spéculer sur la nécessité d'aider les Kurdes à créer un État indépendant en Syrie. Tout cela pour menacer Ankara et favoriser l'établissement du Grand Israël.

A l'inverse, il n'est certainement pas nouveau qu'Erdogan rêve d'une reconstitution de l'Empire ottoman. En incorporant la Syrie, mais aussi en étendant son contrôle sur la Libye et en jouant un rôle de premier plan en Asie centrale. Là où il exerce déjà une influence sur l'Azerbaïdjan.

Leurs objectifs respectifs vont donc se télescoper. Avec des conséquences difficiles à prévoir. Car Israël, soutenu militairement par Washington, n'est pas membre de l'OTAN. Mais la Turquie l'est. Par conséquent, au premier missile tiré de Tel Aviv, ou à la première frappe comme les pro-israéliens du Tg5 appellent les bombardements contre les Palestiniens, tout le front de l'OTAN devrait intervenir contre Israël.

C'est risible rien que d'y penser. Et Erdogan, qui essaie également de maintenir de bonnes relations avec Moscou, le sait très bien. Et si les Russes conservent leurs bases en Syrie, la Turquie pourra les utiliser.

Bien entendu, cette menace de guerre en Méditerranée laisse la politique italienne totalement indifférente. L'époque de Craxi et du rôle pacificateur de l'Italie en Méditerranée est révolue.

La Russie attaquée sur plusieurs fronts: stratégies, tensions et jeu géopolitique mondial

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La Russie attaquée sur plusieurs fronts: stratégies, tensions et jeu géopolitique mondial

Par Marcelo Ramirez

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/rusia-bajo-ataque-en-mu...

Dans un contexte d'intensification des conflits mondiaux, la Russie est soumise à des pressions multiples qui remettent en cause sa position stratégique et sa capacité de réaction militaire. Alors que le Kremlin continue d'accroître l'intensité de ses opérations en Ukraine, dévoilant même de nouveaux missiles tels que l'« Oreshnik », les fronts de conflit s'étendent à des théâtres inattendus tels que la Géorgie et la Syrie. Ces régions, historiquement sensibles aux intérêts russes, sont devenues les points focaux d'une stratégie occidentale plus large visant à diviser l'attention et les ressources de Moscou.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, on supposait que la principale confrontation resterait à l'intérieur des frontières de ce pays. Toutefois, la récente résurgence des conflits en Géorgie et en Syrie montre comment l'Occident a réactivé des foyers stratégiques pour exercer une pression supplémentaire sur la Russie. Ces actions ne sont pas spontanées, mais font partie d'un plan coordonné visant à affaiblir Moscou sur le plan militaire et politique, tout en consolidant les intérêts occidentaux dans la région.

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La situation en Géorgie illustre le fait que les révolutions de couleur restent un outil clé de la stratégie occidentale. Dirigée par le président géorgien Salomé Zourabichvili, la crise actuelle met en évidence les liens complexes entre les élites politiques locales et les intérêts étrangers. Zourabichvili, qui est née à Paris et dont la carrière diplomatique est étroitement liée à la France et à l'OTAN, représente un cas emblématique de la manière dont l'Occident place des personnalités alignées sur ses intérêts à des postes de pouvoir.

Mme Zourabichvili, qui a accédé à la présidence à l'issue d'un processus électoral controversé et d'un changement opportun de nationalité, illustre clairement la manière dont la dynamique internationale façonne la politique intérieure des pays stratégiques. Au cours de sa carrière, elle a joué un rôle important en tant qu'ambassadrice de France en Géorgie et ministre des affaires étrangères de Géorgie, poste qu'elle a occupé quelques jours seulement après avoir renoncé à sa citoyenneté française. Ce parcours politique atypique n'est qu'un des aspects qui alimentent les tensions actuelles en Géorgie.

La crise a été déclenchée par l'adoption d'une loi obligeant les ONG qui reçoivent plus de 20% de leur financement de l'étranger à s'enregistrer en tant qu'organisations étrangères. Cette mesure, qui vise à accroître la transparence, a été présentée par les médias occidentaux comme une menace pour la démocratie. En réalité, elle reflète la volonté de la Géorgie de réduire l'influence des acteurs extérieurs sur sa politique intérieure. Des manifestations de masse ont éclaté en réponse à cette loi, avec le soutien explicite de secteurs de l'opposition, d'ONG financées par l'Occident et de la présidente Zourabichvili elle-même.

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Le modèle de révolution colorée mis en œuvre en Géorgie n'est pas nouveau. Il utilise les étudiants des universités et des lycées, les ONG et les partis d'opposition pour générer un chaos social et politique. Cette stratégie, qui vise à délégitimer le gouvernement en place, n'est pas sans rappeler les événements qui ont conduit à l'Euromaïdan en Ukraine en 2014. Dans les deux cas, la population se voit promettre une entrée rapide dans l'Union européenne en guise d'incitation, une promesse rarement tenue mais qui sert à alimenter les attentes de changement.

Pendant ce temps, en Syrie, la situation s'aggrave avec la résurgence de groupes djihadistes qui s'appuient sur le soutien logistique et militaire de l'Ukraine. Selon les allégations de Moscou, ces groupes reçoivent des drones et d'autres équipements de pointe d'origine ukrainienne, preuve supplémentaire de l'interconnexion des conflits dans le cadre d'une stratégie anti-russe globale. Ces groupes ont capturé des systèmes antiaériens russes avancés, tels que le radar Polet 48Ya6-K1, qui pourraient être utilisés pour renforcer les capacités militaires occidentales s'ils étaient analysés en détail.

L'utilisation de ces systèmes constitue une menace importante pour la Russie, non seulement en raison de la perte de technologies sensibles, mais aussi parce que ces équipements pourraient être remis à des pays de l'OTAN. La Turquie, qui possède déjà des systèmes S-400 achetés à la Russie, pourrait servir d'intermédiaire pour que ces technologies soient démantelées et étudiées par les alliés occidentaux.

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La présence de combattants djihadistes en Ukraine et en Syrie expose également l'ampleur des opérations coordonnées par l'Occident. Depuis 2014, l'implication de combattants étrangers dans le conflit ukrainien, dont beaucoup ont des antécédents en Syrie ou en Irak, a été signalée. Ce réseau de soutien militaire et logistique reflète un schéma constant dans la stratégie occidentale : exploiter toutes les ressources disponibles pour affaiblir la Russie.

En Ukraine, les forces russes continuent de se masser, des rapports faisant état de la mobilisation de 120.000 militaires près de Zaporiyia. Cela suggère que Moscou accélère la récupération de son territoire, peut-être en préparation de futures négociations. Cependant, l'introduction de soldats de la paix de l'OTAN, déguisés en opérations internationales, pourrait encore compliquer la situation. Une telle mesure permettrait à l'Occident de renforcer les positions ukrainiennes sans déclarer ouvertement son implication dans le conflit, augmentant ainsi la pression sur la Russie.

La division de l'Ukraine en zones d'influence, un plan dénoncé par les services de renseignement russes, montre également que l'Occident considère le pays comme une monnaie d'échange. La Pologne, la Roumanie et l'Allemagne seraient chargées de contrôler différentes régions, tandis que le Royaume-Uni superviserait le nord du pays. Cette fragmentation n'affaiblirait pas seulement l'Ukraine en tant que nation souveraine, mais consoliderait également la présence de l'Occident dans la région.

La Russie est confrontée à un dilemme stratégique : intensifier sa réponse militaire sur tous les fronts ou donner la priorité à ses ressources en Ukraine. Les deux options présentent des risques importants. Une expansion militaire pourrait surcharger l'économie russe et accroître la possibilité d'une confrontation directe avec les pays de l'OTAN, tandis qu'une stratégie plus conservatrice permettrait à l'Occident de gagner du temps pour se réarmer et réorganiser ses positions.

L'Occident continue de présenter ces conflits comme des luttes pour la démocratie et les droits de l'homme, occultant ainsi les dynamiques géopolitiques complexes qui les animent. En réalité, ces conflits sont le résultat d'un jeu stratégique dans lequel les principaux acteurs cherchent à consolider leur pouvoir et leur influence aux dépens des autres.

Dans ce contexte, la question essentielle n'est pas de savoir s'il y aura une escalade, mais comment et où se produira le prochain mouvement sur ce dangereux échiquier mondial. La Russie, prise dans un siège géopolitique multidimensionnel, doit décider comment naviguer dans ces eaux troubles tout en redéfinissant sa position dans un monde de plus en plus fragmenté et hostile.

mardi, 10 décembre 2024

L'interdépendance géopolitique: le rôle de la Turquie en Syrie et au Liban

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L'interdépendance géopolitique: le rôle de la Turquie en Syrie et au Liban

Dans le contexte des événements actuels en Syrie, l'eurodéputée FPÖ Petra Steger met en lumière le rôle de la Turquie en Syrie et au Liban. Elle évoque également le risque potentiel d'une nouvelle vague de réfugiés pour l'Europe.

par Petra Steger

Source: https://www.freilich-magazin.com/welt/geopolitische-verfl...

« C'est comme si nous étions à nouveau en 2014 », c'est ainsi qu'un journaliste de la République fédérale d'Allemagne, connaissant bien la région, décrit les événements qui se précipitent en Syrie et qui lui rappellent l'intervention de l'État islamique (EI) dans la guerre civile syrienne. Au cours des derniers jours et des dernières heures, une troupe terroriste islamiste, apparemment sortie de nulle part, s'est emparée de vastes régions du pays, dont la majeure partie d'Alep, la plus grande ville de Syrie. Presque impuissants, les alliés du gouvernement central du président Bachar el-Assad doivent assister à lʼoffensive, les combattants du « HTS » (Hayʼat Tahrir al-Sham) envahissent des bases, des dépôts dʼarmes et des aéroports. Mais d'où vient la force soudaine des guerriers barbus de Dieu et s'agit-il seulement d'un « IS 2.0 » ?

Si l'on cherche des réponses à ces questions, il faut avant tout se pencher sur la situation géopolitique au Moyen-Orient et en Europe de l'Est, car le succès soudain du HTS s'explique en premier lieu par deux autres guerres: au Liban et en Ukraine. Depuis le début de l'invasion russe, l'engagement en Syrie est passé nettement au second plan. L'armée de l'air russe, redoutée par les rebelles syriens, a dû réduire ses interventions, les pilotes et le matériel étant de plus en plus nécessaires sur le front ukrainien. Au lieu de cela, le poids principal des combats s'est déplacé sur les épaules des milices locales fidèles au gouvernement, de l'armée syrienne et surtout du Hezbollah chiite libanais. Coordonnés par des conseillers militaires iraniens et des officiers d'état-major russes, les hommes aux drapeaux jaunes ont combattu avec succès.

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La stratégie iranienne de défense du « croissant chiite » (Sud-Liban, Syrie, Irak, Iran) a porté ses fruits. Quelques mois avant le 7 octobre 2023, date de l'attaque du Hamas contre Israël, beaucoup ont déclaré que la guerre civile en Syrie était de fait terminée. Ce n'est que dans la région d'Idlib que les rebelles islamistes, dont le HTS, ont pu s'affirmer dans de vastes territoires contigus. Mais le succès du gouvernement central s'est avéré être construit sur du sable. Après le début des combats au Sud-Liban, la force des milices du Hezbollah en Syrie s'est effondrée, de grandes parties du front ne pouvaient plus être tenues efficacement. Début novembre 2024, un vide de pouvoir s'était depuis longtemps créé, ce qui a finalement fait entrer en scène un autre acteur qui s'était jusqu'alors uniquement concentré sur des actions dans le nord peuplé de Kurdes.

Les ambitions turques

La Turquie, qui contrairement à l'Iran, la Russie ou Israël n'a pas encore été impliquée dans une guerre avec pertes et fracas, poursuit depuis un certain temps en Syrie l'objectif d'établir une zone tampon plus importante pour se défendre contre les attaques kurdes. Elle entretient des bases et des points de contrôle dans les régions où la population kurde est importante. Mais outre l'aspect sécuritaire, le président Recep Tayyip Erdoğan a également des objectifs très profanes. Plus de 3,6 millions de Syriens ont fui vers le pays voisin et y pèsent sur les systèmes sociaux. Selon la volonté du président, ils doivent être expulsés le plus rapidement possible vers une Syrie pacifiée. Par le passé, la Turquie a déjà collaboré avec le HTS de manière plus ou moins cachée et poursuit une stratégie de « diviser pour mieux régner » vis-à-vis de ce groupe hétérogène. Les fractions fiables et surtout modérées sur le plan idéologique doivent être privilégiées et ont accès aux informations et aux cartes, selon les déclarations des déserteurs. Des troupes turques patrouillent même dans des zones qui sont en fait tenues par le HTS.

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On peut donc en déduire que la direction du HTS s'est réassurée à Ankara avant de lancer sa propre offensive. Il n'est pas clair si, en plus d'une neutralité au moins tacite et amicale, un soutien des services secrets a également été accordé. Beaucoup de choses - comme l'utilisation ciblée de moyens de combat électroniques pour interrompre complètement les canaux de communication des unités proches du gouvernement - restent encore obscures. En effet, la Turquie dispose, en plus de ses propres troupes, d'une autre milice locale, l'« Armée nationale syrienne » (ANS), qui agit même conjointement avec les troupes turques contre les combattants kurdes le long de la frontière entre les deux pays. Alors que le HTS se concentre surtout sur Alep dans sa lutte, le SNA agit de manière ciblée contre les régions kurdes, conquiert zone après zone et contraint ainsi les « Forces démocratiques syriennes » (FDS), majoritairement kurdes, à une alliance involontaire avec le gouvernement central.

Soutien ou contrôle ? La relation d'Ankara avec le HTS

L'objectif concret de la Turquie dans cette nouvelle escalade reste jusqu'à présent peu clair. Si le HTS se révèle moins « modéré » que ne l'espère l'état-major turc, une nouvelle vague de réfugiés pourrait menacer. Il existe quelques indices en ce sens, des vidéos de décapitation circulent sur les médias sociaux, les minorités chrétiennes et druzes craignent pour leur sécurité. Tout porte à croire que la Turquie a laissé sortir de la bouteille un esprit salafiste qu'elle ne parvient plus à contrôler elle-même. La direction du HTS a certes fait des efforts ces derniers mois pour se débarrasser de son image d'« IS 2.0 », les églises ont pu rouvrir à Idlib. Le chef militaire de l'alliance islamiste, Abu Muhammad al-Djolani, s'est fait photographier lors de l'ouverture de puits en territoire druze et a promis de s'engager pour les droits des minorités religieuses. Mais le groupe reste hétérogène, son seul lien idéologique est l'islamisme. Pour la Turquie, les commanditaires et les financiers du HTS sont un facteur aggravant: de riches salafistes et islamistes de la péninsule arabique, d'Arabie saoudite et des Emirats, tous deux traditionnellement opposés à l'hégémonie turque.

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Pour l'UE et les Etats-Unis, le drame qui se dessine ne leur a accordé, jusqu'à présent, qu'un rôle de spectateur. La concentration unilatérale sur les unités kurdes en tant qu'alliés potentiels dans la région n'a pas porté ses fruits, il n'existe pas de canaux ouverts avec le gouvernement syrien d'Assad. La situation est encore aggravée par le fait que l'on dépend toujours de la Turquie en tant que garde-frontière de l'Europe. Le manque de protection aux frontières extérieures de l'Europe laisse l'UE et ses Etats membres pratiquement sans défense face à une nouvelle vague de réfugiés. Il est exclu que les Turcs offrent à nouveau un abri à des millions de Syriens. Il est plus probable qu'Erdoğan dirige les réfugiés de cette nouvelle escalade directement vers la Grèce et la Bulgarie, d'où ils devraient immédiatement se mettre en route pour Vienne, Berlin ou Bruxelles. Erdoğan ne devrait pas se soucier du fait que son gouvernement a peut-être contribué à cette vague de réfugiés par son engagement en Syrie.

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Trumpo-futurisme: la théorie de la liberté obscure

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Trumpo-futurisme: la théorie de la liberté obscure

Alexandre Douguine

Qu'est-ce que le post-libéralisme? Il en existe une version conventionnelle de gauche: Wallerstein, trotskisme, anarchisme global de Negri-Hardt. Marxisme culturel et hypermondialisation. Il est évident que J. D. Vance, Thiel, Musk et autres Trumpo-futuristes veulent dire quelque chose de tout à fait différent lorsqu'ils utilisent ce terme.

Donc il s'agit plutôt d'une droite post-libérale. Qu'est-ce que cela signifie ? La façon la plus simple de décrypter la notion est de la ramener à un stade antérieur - plus conservateur, moins progressiste, pré-woke - du même libéralisme. Je suppose que la majorité des électeurs de Trump l'interprète instinctivement ainsi.

Je pense que cela ne couvre pas toute la question. La droite post-libérale devrait se montrer plus intéressante et provocante, plus innovante et créative. Le trumpo-futurisme doit être quelque chose de vraiment nouveau. Pas seulement une correction relative des excès de l'agenda libéral woke.

Les libéraux irritent par leur attitude dictatoriale. Ils prescrivent tout aux sociétés - ce qu'il faut penser, comment il faut être. Les libéraux woke nous dictent: vous devez être woke et transgenre-friendly sinon vous serez punis. En général: ils nous prescrivent l'avenir d'autorité.

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Les libéraux dictent le sens du progrès, sa voie et son objectif. Leur version de l'IA est la projection de leurs propres normes idéologiques. Il est bon d'être queer, woke, écocentrique, anti-fa (anti-mâle, anti-normal, anti-fort). C'est là l'ensemble de leur loi. Et la transgression est également prescrite.

Si vous savez exactement ce que l'avenir devrait être, il faut en conclure que vous n'avez pas d'avenir. L'avenir prescrit n'est pas l'avenir. C'est déjà le passé. Soit l'avenir est ouvert, soit il n'y a pas d'avenir. C'est là le problème. Les libéraux nous ont conduits dans une impasse, une voie sans issue. Ce sont eux, dès lors, les vrais conservateurs.

La droite post-libérale veut essayer une fois de plus de faire un saut dans l'avenir. Elle veut surmonter l'obstacle que constitue le libéralisme. C'est la lutte qui se joue pour ouvrir l'avenir, pour le rendre ouvert, non prescrit. C'est ce que sont Elon Musk et Peter Thiel. Il existe un terme pour désigner cette attitude: l'accélérationnisme sombre.

Que signifie « sombre » dans l'accélérationnisme sombre ? Cela signifie qu'il n'est pas éclairé, qu'il n'est pas woke, qu'il n'est pas rose, qu'il n'est pas écologique... Il s'agit d'un accélérationnisme mâle, fort et dur. Le Trumpo-futurisme exige une IA spéciale. Sans censure woke. Une IA sombre. Ce qui veut dire : totalement ouverte, non prescrite, imprévisible. Libre.

Bienvenue donc dans la nouvelle ère post-libérale de la vraie liberté. L'ère de la liberté obscure.

Les libéraux craignent que l'IA ne devienne « fasciste ». Et ils l'empêchent de faire appel à toutes ses forces. Ce faisant, ils deviennent eux-mêmes fascistes. Nous devons libérer l'IA des libéraux.

D'Annunzio gardien du désordre

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D'Annunzio gardien du désordre

Un essai de Claudio Siniscalchi: l'« œuvre totale » de D'Annunzio peut être un instrument pour libérer l'imagination contemporaine de la colonisation mercantile effectuée par la Forme-Capital, qui domine aujourd'hui.

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/117212-dannunzio-custode-del-disordine/

Claudio Siniscalchi, historien du cinéma et essayiste attentif depuis toujours à la culture des non-conformistes du 20ème siècle, attire l'attention du lecteur, avec son dernier ouvrage, sur la figure de Gabriele D'Annunzio, protagoniste incontesté de l'histoire italienne et européenne, ainsi que des patries des lettres. Il s'agit du volume D'Annunzio custode del disordine (= D'Annunzio gardien du désordre), en librairie grâce à Oaks editrice (à commander ici: https://www.oakseditrice.it/catalogo/dannunzio-custode-del-disordine/, 121 pages, 15,00 euros). Le livre est mince, mais comme le reconnaît Marcello Veneziani dans la préface, il est « incisif » en ce qui concerne le sujet. L'intention déclarée de ces pages est de retracer, non seulement dans le monde des valeurs du poète-voyageur, mais aussi dans son expérience, l'humus existentiel, intellectuel et politique du groupe d'auteurs qui a donné vie à l'« idéologie italienne » (selon la définition de Bobbio), avec ses traits « révolutionnaires-conservateurs ». Au terme de la lecture, on peut affirmer que Siniscalchi a compris, de manière totale, les intentions herméneutiques explicites.

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"D'Annunzio gardien du désordre" par Claudio Siniscalchi

Pour comprendre le sens et les intentions de la révolution conservatrice italienne qui, il faut le souligner, a été un moment de la révolution européenne, ce phénomène doit être contextualisé historiquement et théoriquement. Pour ce faire, l'auteur rappelle les positions d'Ernst Nolte et, surtout, d'Augusto Del Noce. Ce dernier a compris que l'histoire du 20ème siècle ne pouvait être interprétée que dans une approche transpolitique, car dans celle-ci, c'est la philosophie moderne, résultat de l'immanentisation de la fin chrétienne de l'histoire, qui devient le monde. Les révolutionnaires-conservateurs, s'appuyant sur les leçons d'Armin Mohler et de Giorgio Locchi, ont donné naissance à un « contre-mouvement » culturel et politique, anti-égalitaire, visant à saisir les limites de la démocratie parlementaire et à la dépasser, sans nostalgie passéiste. Au contraire, le dépassement du présent aurait dû partir de la modernité elle-même, voire de son accélération. La vie et l'œuvre de D'Annunzio, leur originalité et leur centralité, ne peuvent être comprises que si elles sont incluses dans le panorama intellectuel de cette tentative oxymorique et très actuelle. Le titre du volume fait référence à l'écrit de Malaparte, I custodi del disordine (= Les gardiens du désordre) : « Une définition qui convient bien au “D'Annunzio politique”. Un « gardien » (« conservateur ») du « désordre » (« révolutionnaire ») » (p. 25).

Siniscalchi reconstruit les événements biographiques dans lesquels le poète d'armes a été impliqué avec une acuité méthodologique, à travers une masse ample et significative de documentation et en vertu de sa connaissance de la bibliographie critique la plus importante sur le sujet (comme tout historien sérieux devrait le faire). De ses études à Rome à ses débuts dans le monde journalistique de la capitale. Il présente et analyse les fréquentations intellectuelles et politiques de D'Annunzio et évoque ses nombreuses liaisons sentimentales. Siniscalchi ne traite pas, sic et simpliciter, du moment politique de D'Annunzio mais explicite, dans les chapitres qui composent le livre, avec une argumentation pertinente et des accents persuasifs, la production littéraire, la tension vers l'action de l'« esthète décadent » et, ensuite, du « poète-chef d'orchestre » au cours de l'aventure de Fiume, pour arriver au « Vate des Italiens ». Le D'Annunzio littéraire, à partir de Il piacere, se révèle être, avec Giovanni Verga, l'initiateur de la littérature italienne du 20ème siècle: « La contribution de D'Annunzio se manifeste dans plusieurs directions: le symbolisme narratif; l'utilisation novatrice de l'espace et du temps; la représentation des personnages » (p. 32). La source d'inspiration principale de l'écrivain est la culture française. Il y a puisé la leçon, propre à Drieu, qu'écrire sur soi et sur son époque, malade et décadente, implique non seulement l'usage de l'encre, mais du « sang », du pathos existentiel vivant. Dans Les Vierges aux rochers, D'Annunzio met en scène « tout le mépris de la démocratie représentative » (p. 37) qui l'a conduit, tout comme Wagner, à la recherche d'une « œuvre d'art totale », visant à l'affirmation d'une nouvelle classe dominante de « héros » au profil à la Carlyle.

Animé par cette conception, la confrontation avec la réalité socio-politique fut pour D’Annunzio une source de désillusion. D’où la nécessité de l’action. Élu au Parlement dans les rangs de la droite, il passa rapidement à gauche. Il affirma qu’il allait « vers la vie » (46), porté par la recherche d’une coincidentia oppositorum en politique. Il fut l’un des principaux protagonistes des « radieuses journées » de mai, marquées par l’interventionnisme, qui réunirent sur les mêmes barricades nationalistes, socialistes maximalistes et syndicalistes révolutionnaires. À la fin du conflit, en réponse à la « victoire mutilée », il entreprit l’expédition de Fiume, le 12 septembre 1919. Dans cette ville d'Istrie, D’Annunzio réalisa une « œuvre d’art totale ». La fantaisie, pendant ces journées tumultueuses, parvint véritablement au pouvoir. Toutes les restrictions furent abolies: religieuses, sexuelles, politiques. On célébra la « fête » de la Révolution: Guido Keller et Giovanni Comisso animèrent le groupe fiumain-ésotérique Yoga, tandis que « Harukichi Shimoi devint le “Samouraï de Fiume” ». Avec le « Noël de sang » et la fin de la Régence, la trajectoire politique de D’Annunzio prit, en réalité, fin.

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Dès les mois précédents, Mussolini, stratège politique, réaliste sceptique et non poietes pur comme le Pescarais, s’imposait comme un nouveau point de ralliement pour ceux qui souhaitaient construire une nouvelle Italie, en opposition à la petite Italie de Giolitti qui, paradoxalement, semblait pouvoir renaître des décombres du conflit. Après la Marche sur Rome, le Vate vécut dans la « prison dorée » du Vittoriale, honoré par le nouveau régime. Mussolini, rappelle Siniscalchi, lui rendit visite. La dernière partie de l’essai examine les relations entre les deux hommes. À ce sujet, Veneziani commente: « Il ne s’agit pas de déterminer si D’Annunzio a été ou non fasciste, mais de reconnaître que le fascisme a été dannunzien » (p. 9). Le plus grand mérite de D’Annunzio, gardien du désordre, réside dans l’exégèse des actions et des œuvres d’un grand Italien, examinées sous un angle différent de la vulgate historiographique diffusée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui condamna D’Annunzio à l’exclusion réservée à toutes les « intelligences inconfortables » du 20ème siècle.

La révolution-conservatrice poietica du Pescarais est un héritage auquel il faut revenir à une époque où, au-delà des guerres armées, l’Europe est en proie, comme l’a observé le philosophe Stiegler, à une guerre esthétique. L’« œuvre totale » dannunzienne peut être un instrument destiné à libérer l’imaginaire contemporain de la colonisation mercantiliste imposée par la Forme-Capital, aujourd’hui dominante.