Historien du droit et des institutions
jeudi, 04 juillet 2013
Dominique Venner: entretien sur la chasse
Dominique Venner: entretien sur la chasse
Ex: http://archaion.hautetfort.com/
Voici, datant de 2001, un entretien avec Dominique Venner, publié à l’occasion de la parution de son Dictionnaire amoureux de la chasse. Il me paraît convenir, pour un dernier adieu, de laisser parler Dominique Venner.
Christopher Gérard: Qui êtes-vous ? Comment vous définissez-vous ? Un loup-garou, un gerfaut ?
Je suis un Français d’Europe, un Européen de langue française, d’ascendance celtique et germanique. Par mon père, je suis d’une ancienne souche paysanne et lorraine, venue de Suisse alémanique au XVIIe siècle. La famille de ma mère, où l’on était souvent militaire, est originaire de Provence et du Vivarais. Moi-même je suis né à Paris. La généalogie a donc fait de moi un Européen. Mais la naissance serait une qualité insuffisante sans la conscience d’être ce que l’on est. Je n’existe que par des racines, une tradition, une histoire, un territoire. J’ajoute que, par destination, j’étais voué à l’épée. Il en est sûrement resté quelque chose dans l’acier de ma plume, instrument de mon métier d’écrivain et d’historien. Faut-il ajouter à ce bref portrait l’épithète de loup-garou ? Pourquoi pas ? Effroi des bien-pensants, initié aux mystères de la forêt, le loup-garou est un personnage en qui je peux me reconnaître.
Dans Le Cœur rebelle (Belles Lettres, 1994), vous évoquez avec sympathie “ un jeune homme intolérant qui portait en lui comme une odeur d’orage ” : vous-même au temps des combats militaires en Algérie puis politiques en France. Qui était donc ce jeune Kshatriya, d’où venait-il, quels étaient ses maîtres, ses auteurs de prédilection ?
C’est ici que l’on retrouve l’allusion au “ gerfaut ” de votre première question, souvenir d’une époque grisante et dangereuse où le jeune homme que j’étais croyait pouvoir inverser un destin contraire par une violence assumée. Cela peut paraître extrêmement présomptueux, mais, à l’époque, je ne me reconnaissais pas de maître. Certes, j’allais chercher des stimulants et des recettes dans le Que faire? de Lénine ou dans Les Réprouvés d’Ernst von Salomon. J’ajoute que des lectures enfantines avaient contribué à me forger une certaine vision du monde qui s’est finalement assez peu démentie. En vrac, je citerai Éducation et discipline militaire chez les Anciens, petit livre sur Sparte qui me venait de mon grand-père maternel, un ancien officier, La Légende de l’Aigle de Georges d’Esparbès, La Bande des Ayaks de Jean-Louis Foncine, L’Appel de la forêt de Jack London, en attendant de lire beaucoup plus tard l’admirable Martin Eden. Il s’agissait là des livres formateurs de ma dixième ou douzième année. Plus tard, vers vingt ou vingt-cinq ans, j’étais naturellement passé à d’autres lectures, mais les librairies étaient alors peu fournies. C’était une époque de pénurie intellectuelle dont on n’a pas idée aujourd’hui. La bibliothèque d’un jeune activiste, même dévoreur de livres, était mince. Dans la mienne, en plus d’ouvrages historiques, figurait en bonne place Réflexions sur la violence de Georges Sorel, Les Conquérants de Malraux, Généalogie de la morale de Nietzsche, Service inutile de Montherlant ou encore Le Romantisme fasciste de Paul Sérant, révélation des années soixante. On voit que cela n’allait pas très loin. Mais si mes idées étaient courtes, mes instincts étaient profonds. Très tôt, alors que j’étais encore soldat, j’avais senti que la guerre d’Algérie était bien autre chose que ce qu’on en disait ou que pensaient les naïfs défenseurs de l’“ Algérie française ”. J’avais perçu qu’il s’agissait pour les Européens d’un combat identitaire puisqu’en Algérie ils étaient menacés dans leur existence même par un adversaire ethnique. J’avais senti également que nous défendions là-bas — très mal — les frontières méridionales de l’Europe. Contre les invasions, les frontières se défendent toujours au-delà des mers ou des fleuves.
Dans ce même livre, qui est un peu votre autobiographie, vous écrivez : “ Je suis du pays de l’arbre et de la forêt, du chêne et du sanglier, de la vigne et des toits pentus, des chansons de geste et des contes de fées, du solstice d’hiver et de la Saint-Jean d’été ”. Quel drôle de paroissien êtes-vous donc ?
Pour dire les choses de façon brève, je suis trop consciemment européen pour me sentir en rien fils spirituel d’Abraham ou de Moïse, alors que je me sens pleinement celui d’Homère, d’Epictète ou de la Table Ronde. Cela signifie que je cherche mes repères en moi, au plus près de mes racines et non dans un lointain qui m’est parfaitement étranger. Le sanctuaire où je vais me recueillir n’est pas le désert, mais la forêt profonde et mystérieuse de mes origines. Mon livre sacré n’est pas la Bible, mais l’Iliade (1), poème fondateur de la psyché occidentale, qui a miraculeusement et victorieusement traversé le temps. Un poème qui puise aux mêmes sources que les légendes celtiques et germaniques dont il manifeste la spiritualité, si l’on se donne la peine de le décrypter. Pour autant, je ne tire pas un trait sur les siècles chrétiens. La cathédrale de Chartres fait partie de mon univers au même titre que Stonehenge ou le Parthénon. Tel est bien l’héritage qu’il faut assumer. L’histoire des Européens n’est pas simple. Après des millénaires de religion indigène, le christianisme nous fut imposé par une suite d’accidents historiques. Mais il fut lui-même en partie transformé, “ barbarisé ” par nos ancêtres, les Barbares, Francs et autres. Il fut souvent vécu comme une transposition des anciens cultes. Derrière les saints, on continuait de célébrer les dieux familiers sans se poser de grandes questions. Et dans les monastères, on recopiait souvent les textes antiques sans nécessairement les censurer. Cette permanence est encore vraie aujourd’hui, mais sous d’autres formes, malgré les efforts de prédication biblique. Il me semble notamment nécessaire de prendre en compte l’évolution des traditionalistes qui constituent souvent des îlots de santé, opposant au chaos ambiant leurs familles robustes, leurs enfants nombreux et leur groupement de jeunes en bonne forme. La pérennité de la famille et de la patrie dont ils se réclament, la discipline dans l’éducation, la fermeté dans les épreuves n’ont évidemment rien de spécifiquement chrétien. Ce sont les restes de l’héritage romain et stoïcien qu’avait plus ou moins assumé l’Église jusqu’au début du XXe siècle. Inversement, l’individualisme, le cosmopolitisme actuel, le culpabilisme sont bien entendu les héritages laïcisés du christianisme, comme l’anthropocentrisme extrême et la désacralisation de la nature dans lesquels je vois la source d’une modernité faustienne devenue folle et dont il faudra payer les effets au prix fort.
Dans Le Cœur rebelle, vous dites aussi “ Les dragons sont vulnérables et mortels. Les héros et les dieux peuvent toujours revenir. Il n’y a de fatalité que dans l’esprit des hommes ”. On songe à Jünger, que vous avez connu, qui voyait à l’œuvre Titans et Dieux…
Tuer en soi les tentations fatalistes est un exercice qui ne tolère pas de repos. Quant au reste, laissons aux images leur mystère et leurs radiations multiples, sans les éteindre par une interprétation rationnelle. Le dragon appartient de toute éternité à l’imaginaire occidental. Il symbolise tour à tour les forces telluriques ou les puissances malfaisantes. C’est par la lutte victorieuse contre un monstre qu’Héraclès, Siegfried ou Thésée ont accédé au statut de héros. A défaut de héros, il n’est pas difficile de reconnaître dans notre époque la présence de divers monstres que je ne crois pas invincibles même s’ils le paraissent.
Dans votre Dictionnaire amoureux de la chasse (Plon, 2000), vous dévoilez les secrets d’une passion fort ancienne et vous décrivez à mots couverts les secrets d’une initiation. Que vous ont apporté ces heures de traques, en quoi vous ont-elles transformé, voire transfiguré ?
Malgré son titre, ce Dictionnaire amoureux n’a rien d’un dictionnaire. Je l’ai conçu comme un chant panthéiste dont la chasse est le prétexte. Je dois à celle-ci mes plus beaux souvenirs d’enfance. Je lui dois aussi d’avoir pu survivre moralement et de m’être rééquilibré dans les périodes de désespoir affreux qui ont suivi l’effondrement de mes espérances juvéniles. Avec ou sans arme, par la chasse, je fais retour à mes sources nécessaires : la forêt enchantée, le silence, le mystère du sang sauvage, l’ancien compagnonnage clanique. A mes yeux, la chasse n’est pas un sport. C’est un rituel nécessaire où chacun, prédateur ou proie, joue la partition que lui impose sa nature. Avec l’enfantement, la mort et les semailles, je crois que la chasse, si elle est vécue dans les règles, est le dernier rite primordial à échapper partiellement aux défigurations et manipulations mortelles de la modernité.
Toujours dans ce livre, vous évoquez plus d’un mythe ancien, plus d’une figure de panthéons encore clandestins. Je pense au mythe de la Chasse sauvage et à la figure de Mithra. Que vous inspirent-ils ?
On pourrait allonger la liste, notamment avec Diane-Artémis, Déesse des enfantements, protectrice des femmes enceintes, des femelles pleines, des enfants vigoureux, de la vie à son aurore. Elle est à la fois la grande prédatrice et la grande protectrice de l’animalité, ce que sont aussi les meilleurs chasseurs. Sa figure s’accorde avec l’idée que les Anciens se faisaient de la nature, tout à l’opposé de l’image douceâtre d’un Jean-Jacques Rousseau et des promeneurs du dimanche. Ils la savaient redoutable aux faibles et inaccessible à la pitié. C’est par la force qu’Artémis défend le royaume inviolable de la sauvagerie. Elle tue férocement les mortels qui, par leurs excès, mettent la nature en péril. Ainsi en fut-il de deux chasseurs enragés, Orion et Actéon. En l’outrageant, ils avaient transgressé les limites au-delà desquelles l’ordre du monde bascule dans le chaos. Le symbole n’a pas vieilli, bien au contraire.
S’il est une figure omniprésente dans votre livre, c’est la forêt, refuge des proscrits et des rebelles…
Toute la littérature du Moyen Age, chansons de geste ou roman du cycle breton, gorgée qu’elle est de spiritualité celtique, brode invariablement sur le thème de la forêt, univers périlleux, refuge des esprits et des fées, des ermites et des insoumis, mais également lieu de purification pour l’âme tourmentée du chevalier, qu’il s’appelle Lancelot, Perceval ou Yvain. En poursuivant un cerf ou un sanglier, le chasseur pénétrait son esprit. En mangeant le cœur du gibier, il s’appropriait sa force même. Dans le Lai de Tyolet, en tuant le chevreuil, le héros devient capable de comprendre l’esprit de la nature sauvage. Je ressens cela très fortement. Pour moi, aller en forêt est beaucoup plus qu’un besoin physique, c’est une nécessité spirituelle.
Pouvez-vous conseiller quelques grands romans de chasse toujours disponibles ?
Je pense d’emblée aux Veillées de Saint-Hubert du marquis de Foudras, recueil de nouvelles qui vient d’être réédité par Pygmalion. Foudras était un merveilleux conteur, comme son compatriote et successeur Henri Vincenot — dont il faut lire naturellement La Billebaude. Il était à l’univers des châteaux et de l’ancienne vénerie ce que Vincenot est à celui des chaumières et de la braconne. Parmi les grands romans qui font accéder aux mystères de la chasse, je place très haut Le Guetteur d’ombres de Pierre Moinot, qui va au-delà du récit littéraire bien ficelé. Dans l’abondante production de Paul Vialar, rendu célèbre par La grande Meute, j’ai un faible pour La Croule, nom qui désigne le chant nuptial de la bécasse. C’est un joli roman assez rapide dont le héros est une jeune femme comme on aimerait en rencontrer de temps en temps, et que possède la passion du domaine ancestral. Je suggère aussi de lire La Forêt perdue, bref et magnifique roman médiéval dans lequel Maurice Genevoix fait revivre l’esprit de la mythologie celtique à travers la poursuite impossible d’un grand cerf invulnérable par un veneur acharné, en qui l’on découvre une jeune et intrépide cavalière à l’âme pure.
Equinoxe de printemps MMI
(1) Dominique Venner précise que la traduction âpre et scandée de Leconte de Lisle (vers 1850) a sa préférence. Cette version de l’Iliade et de l’Odyssée est disponible en deux volumes aux éditions Pocket.
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Croatie dans l'UE: "Je crains que l'Europe ne devienne une nouvelle Yougoslavie"
Croatie dans l'UE: "Je crains que l'Europe ne devienne une nouvelle Yougoslavie"
Pour l'essayiste croate Tomislav Sunic, qui regrette l'adhésion de son pays, l'Union européenne a sacrifié la politique sur l'autel de l'économie.
C'est une voix discordante dans le concert de célébrations organisées en Croatie pour l'entrée du pays au sein de l'Union européenne, officialisée ce 1er juillet 2013. Tomislav Sunic, croate et américain, ancien diplomate et professeur en sciences politiques, désormais intellectuel à plein temps, a grandi dans la détestation du communisme version Tito. En janvier 2012, il a voté contre l'entrée de son pays dans l'Union européenne. Lui qui a appris le français en lisant "les lettres de Daudet" et "la plume d'Aron" dit naviguer librement entre la pensée économique de gauche et une approche de la culture de droite. Conflit serbo-croate, situation économique difficile, corruption..., l'auteur de La Croatie : un pays par défaut ? (2010, éd. Avatar) se montre plus que pessimiste quand on lui demande si cette adhésion peut aider à régler les problèmes de son pays. Entretien.
Le Point.fr : Quel regard portez-vous sur l'entrée de la Croatie dans l'UE ?
Tomislav Sunic : Pour l'heure, je pense que l'Union européenne, telle qu'on peut l'observer, relève plus d'un "constructivisme académique" que d'une réalité politique qui refléterait la volonté de ses peuples. C'est le problème essentiel. En fait, le projet européen tel qu'il est, je le crains, me rappelle beaucoup l'ancienne République de Yougoslavie.
Si c'est le cas, on peut s'attendre à un avenir qui déchante...
Bien sûr, la désintégration yougoslave ayant abouti à des guerres inutiles et désastreuses. Conçu sur papier à la fin de la Première Guerre mondiale, le projet yougoslave semblait tout à fait valable, sauf que plusieurs mythologies nationalistes (slovène, serbe, croate, etc.) allaient finalement conduire à son éclatement sauvage. Au niveau européen, il me semble que l'on procède là aussi à des élargissements sans vraiment sonder le terrain.
Que voulez-vous dire?
Je ne suis pas le seul à penser que le projet européen est mal défini. Depuis le Traité de Rome en 1957 jusqu'à aujourd'hui, il se dirige d'abord vers "l'économisme", soit un capitalisme sauvage, et favorise la création d'une oligarchie mondialiste... Fatalement, cela va rejaillir sur le sort des peuples. Regardez par exemple le Mécanisme de stabilité européen, qui donne une immunité quasi totale à des décideurs non élus. Ils échappent au triage démocratique !
Que la Commission et la Banque centrale européenne rédigent nos lois, dans la grammaire comme dans la substance, voilà un projet qui me paraît particulièrement anti-démocratique. C'est ce qui me fait prédire que l'on se dirige malheureusement plus vers une rupture que vers une consolidation européenne. Bruxelles parle un langage économique, mécanique, super-capitaliste, qui nous fait mal, qu'on soit croate, français, de gauche ou de droite.
L'adhésion de la Croatie a pourtant été entérinée par un vote démocratique [66,67 % des votants ont dit oui, NDLR].
Certes, mais ce référendum a souffert de 60 % d'abstention [56,46 % exactement, NDLR]. Ce n'est donc qu'une petite couche de la population qui a voté oui. Si l'on compare à 1991, 85 % de Croates s'étaient déclarés pour la sécession d'avec la Serbie. Voilà un plébiscite qui était non seulement légal mais doté d'une légitimité à part entière. Dans le cas du référendum pour l'UE, on a fait chuter à dessein le palier de votes pour rendre le référendum valide...
De plus, il faut savoir que l'immense majorité de la classe politique croate est composée des nostalgiques de la Yougoslavie de Tito, que ce soit le président, Ivo Josipovic, ou même le Premier ministre, Zoran Milanovic (centre gauche, élu en 2011), issu d'une célèbre famille communiste. Des gens qui, paradoxalement, sont devenus les principaux supporters de l'"intégration" ! Ils pensent que tous nos problèmes vont être résolus à Bruxelles, par une pluie d'argent. Je caricature, mais c'est l'esprit.
Justement, l'économie croate compte 20 % de chômeurs, 50 % chez les jeunes. L'Europe a promis une enveloppe de 14 milliards d'euros au pays. N'est-ce pas là un signe positif ?
Tout à fait, nous sortons de quatre années sans croissance, même si notre dette souveraine reste bien inférieure à celle de la France par exemple [59 % du PIB contre 91,7 %, NDLR]. N'oublions pas aussi que toutes les familles ont leur expatrié (en Europe, en Amérique du Sud, etc.), ce qui permet de s'entraider. On a une vraie culture de la débrouille, aussi. Je ne pense pas que notre situation soit catastrophique.
En revanche, je pense que ce sont les grands apparatchiks de l'UE, tel M. Barroso, qui ont besoin de la Croatie plutôt que le contraire. Pour se donner bonne conscience, pour dire : "Regardez comment on continue d'intégrer." Et de faire un peu oublier au passage les cas grecs et portugais, qui ont pourtant été, à l'époque, les premiers bénéficiaires des aides européennes...
La Croatie est classée 62e sur l'indice de perception de la corruption par l'ONG Transparency International. Que faire pour lutter contre ?
C'est un de nos grands problèmes, c'est certain. Nous n'avons pas eu, comme vous en France en 1945, une "épuration" en 1945 après la fin de la guerre. Nous aurions dû nous débarrasser des membres de la police secrète, nous n'avons pas assez fait table rase de la période communiste.
L'entrée dans l'UE peut tout de même constituer une étape pour tourner la page du passé. Par exemple, en aidant à enterrer la hache de guerre avec Belgrade ?
N'oublions pas que, dans les années 90, quand beaucoup de Croates étaient pro-européens, Bruxelles ne s'était pas donné beaucoup de peine pour stopper les atrocités entre la Croatie et la Serbie.
Par ailleurs, je pense que cette adhésion ne résout en rien la question de la vérité historique, qui nous mine d'un côté comme de l'autre de la frontière. Je plaide pour une grande conférence qui réunirait des intellectuels de tous horizons pour qu'on règle une fois pour toutes la question de la "victimologie". C'est-à-dire qu'on se débarrasse de cette bataille de chiffres, dans laquelle on compte nos morts de part et d'autre sans souci des faits. Mes compatriotes construisent trop souvent leur identité de "bon Croate" en opposition avec le "mauvais Serbe". Il faut vraiment sortir de cette nécessité d'exister dans le dénigrement de l'autre...
Mais que ce soit à Bruxelles, Zagreb ou Belgrade, tout le monde est imprégné du même "économisme". Tout se résume aux mathématiques, aux chiffres. Il faudrait plutôt mettre en valeur nos idées spirituelles, intellectuelles, culturelles. Je suis pour une Europe culturelle, que l'on parle tous les langues des uns et des autres, plutôt qu'un mauvais anglais.
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mercredi, 03 juillet 2013
Entretien accordé à Manuel Quesada
Robert Steuckers:
Entretien accordé à Manuel Quesada
1.
Monsieur Steuckers, vous avez passé de nombreuses années à circuler dans l’espace défini comme “identitaire” voire “nationaliste” ou “néo-nationaliste”, de tendance “nouvelle droite”. Nous avons un ami commun, le Britannique Troy Southgate. Qu’est-ce qui vous a incité à choisir cet espace culturel et politique?
Au départ, rien, mais absolument rien, ne me prédestinait à aller circuler dans ce milieu, qui a précédé puis fondé l’espace politico-culturel de la “nouvelle droite”. Aucune tradition familiale ne m’a incité à aller chercher du sens dans un tel espace: en effet, les agitations politiciennes relevaient, pour mon père, issu du paysannat limbourgeois-hesbignon, de la “folie des villes”. Sa devise était: “pour vivre heureux, vivons caché” et il la citait volontiers en français, qui n’était pas sa langue maternelle. Quant à ma mère, elle était issue d’une famille qui entendait vivre en parfaite autarcie par rapport à une société que mon grand-père, ancien combattant de 14-18, méprisait, quelles qu’en aient été les facettes. Quand on évoquait des grands problèmes sociaux, irrésolus, ma mère disait, en flamand: “’t is ver van mijn bed!” (“C’est loin de mon lit!”), sous-entendu, “je n’ai pas à m’en occuper”. Mon père a travaillé de 1938 à 1944, et de 1952 à 1978 pour le Comte Guillaume de Hemricourt de Grünne, l’oncle de Rodolphe de Hemricourt de Grünne, le héros de l’aviation franquiste pendant la guerre d’Espagne, où ce jeune et fringant aristocrate, issu du Collège Saint-Louis de Bruxelles, s’était porté volontaire pour s’affranchir d’une vie de dandy qui ne le satisfaisait plus. Les frères de Guillaume de Grünne, Eugène et Xavier, étaient eux aussi des héros militaires. Eugène, chantre du sacrifice du soldat chrétien (catholique), a d’ailleurs été tué à la guerre, aux côtés du beau-frère de mon père, à Maldegem, en mai 1940, fidèle aux préceptes qu’il énonçait, volontaire de guerre en première ligne à 57 ans! Xavier, alpiniste chevronné, puis sénateur rexiste, puis adversaire de Degrelle, puis fondateur d’une “Phalange belge” hostile tant aux Anglais qu’aux Allemands, mourra en déportation à Mauthausen, fidèle à la neutralité belge jusqu’à son dernier souffle, en dépit de tous les rapports de force! Un idéalisme d’une pureté inouïe qui s’est fracassé contre le “granit du pragmatisme”, comme aurait dit le regretté Dominique Venner!
Mais l’option catholique intransigeante, qui n’avait plus aucune représentation politique en Belgique dans les années 50, 60 et 70, était totalement refoulée, à l’époque bénie de mon enfance, sous l’impact du consumérisme, de la modernité, des modes un peu canailles (existentialisme sartrien, hédonisme à la Françoise Sagan, Beatles anglais, hippies, etc.). On ne parlait plus de politique. On cherchait d’autres choses, sans les trouver vraiment ou alors très furtivement, car ces “choses” étaient démodées déjà avant qu’on ne les ait comprises, tant dans leur aspect subversif que dans leur aspect superficiel de pure fabrication médiatique. Bref les adages que répétaient mes parents, à satiété, semblaient parfaitement de mise: mieux vaut ne pas s’occuper des folies modernes, mieux vaut s’occuper de ses propres affaires, gérer sa vie selon les principes immémoriaux (ma mère: “Ne t’occupe pas du chapeau de la gamine, pousse ta voiture!”), bref selon une forme modeste de “mos majorum”. Je ne me suis pas révolté contre cette limitation volontaire: je l’ai acceptée. Je n’avais pas le loisir de me payer le luxe d’une révolte fracassante comme les gamins des bourgeois nantis. Les modes et les chansonnettes m’horripilaient et j’aime toujours à regarder cette planche désopilante de Franquin, le créateur de “Gaston Lagaffe”, où le chef de bureau Prunelle, excédé par la niaiserie des paroles chantées, canarde à la carabine de chasse, suite à une maladresse technique de l’inénarrable gaffeur, les disques virevoltants qui reproduisaient bruyamment les chansonnettes ineptes et qui appartenaient à la vieille Tante Hortense de Lagaffe: c’est ce sentiment de Prunelle excédé que je partageais quand les filles passaient de tels disques lors de mes vacances franc-comtoises. Mais j’ai estimé, dès l’âge de quatorze ans, qu’on ne pouvait pas toujours vivre caché et qu’il y avait bien des choses passionnantes loin de mon lit...
En fait, vous me demandez un travail d’anamnèse un peu harassant: quels ont été chez moi les déclics qui, cumulés, ont provoqué le rejet du pandémonium dominant? D’abord, oui, cet univers cucu-la-praline des chansonettes des années 60, aussi navrantes que celles des années 30 (dont se rappelait ma mère, qui les écoutait en français à Bruxelles, sa ville natale); ensuite, le basculement du catholicisme sociologique vers des choses qui me paraissaient tout-à-fait inintéressantes; ce nouveau catholicisme abandonnait ce que la religion dominante avait auparavant d’exaltant: art, cathédrales somptueuses (qui, avec leurs rosaces, me fascinent toujours, me rappellent un culte michaélien et zoroastrien du soleil et de la lumière), esprit de croisade, etc. Nous vivions dans un porte-à-faux permanent en ce milieu belge du catholicisme sociologique dans les années 60, en pleine mutation, en plein passage d’un virilisme latin à la liquéfaction para-hippy. Certains instituteurs exaltaient le passé médiéval et bourguignon de la Belgique. D’autres n’avaient aucune vision historique. Un jour, quand une formidable bataille s’était déclenchée à la cour de récréation de mon école primaire, et que les élèves encourageaient les combattants comme autour d’un ring de boxe, le vicaire-aumônier B., pourtant haut en couleurs, est arrivé, en criant et en levant les bras au ciel: “Mais enfin, les enfants, est-il chrétien de se battre comme ça?”. J’ai répondu: “Et les croisés, monsieur l’Abbé?”. Le vicaire B. est resté sans voix et a tourné les talons. Deux ans plus tard, quand, pour rire et pour faire les malins devant les filles, nous nous bagarrions comme de vrais sauvageons dans l’autobus qui nous ramenait du prieuré où nous avions fait retraite quelques jours avant notre communion solenelle, le successeur du vicaire B., le frêle et triste abbé G., tentait de nous ramener à la raison, en posant la même question. J’ai eu exactement la même réponse. J’ai fait ma communion solenelle avec le front maquillé, enduit de fond de teint, car il était d’un bleu violacé, tout en laideur: un condisciple, Yves M., m’avait atteint le front d’un maître coup de catapulte tiré quasi à bout portant, alors que je donnais l’assaut à sa position, perché qu’il était au sommet d’une cage à poules. Ces joyeusetés étaient devenues tout-à-coup tabou. Interdites. On nous pressait de rentrer dans un moule étriqué, dans un monde aseptisé, sans joie, sans couleurs, tout de retenue, avec pour consolation, on allait le voir, des musiques et des glapissements fabriqués aux Etats-Unis et, avec mai 68, un an plus tard, une “libération sexuelle” sérialisée, sans danger ni piment dans la mesure où veillaient la pilule et la capote anglaise
Même glissement dans le mouvement scout. J’étais louveteau, selon les rituels de Baden-Powell, à huit ans sous l’autorité d’un Akéla extraordinaire, le fils de la famille Biswall des chocolats Côte-d’Or. On s’amusait comme des petits fous. On arpentaient les sentiers de la Forêt de Soignes. On se distribuait, dans la joie et sans rancune, moults horions et maîtres coups de bâton. Akéla-Biswall est parti à l’université, pour y étudier le droit, et a été remplacé par le fils compassé d’un gargotier du quartier, prolo mental, style démo-crétin, totalement coincé, qui a interdit tous les jeux collectifs un peu vigoureux, a supprimé les sorties dans la Forêt de Soignes. Un emmerdeur, pire, un emmerdeur compassé, car les tenants de l’idéologie dominante sont finalement tous des emmerdeurs. Il nous fallait, tout un après-midi, alors que le soleil était là, qu’une belle hêtraie verdoyante était à 300 m, mimer, à l’intérieur du local sans lumière, le vol de la petite abeille Maya. Je me suis enfui. Plus tard, grâce à une émission de la VRT ou de la RTBF, j’ai appris que l’animal qui avait voulu rendre le mouvement scout “politiquement correct” —ante litteram— n’était autre que le futur premier ministre Jean-Luc Dehaene, le patapouf qui a ruiné la Belgique, contracté des dettes pharamineuses, mis par terre la banque Dexia, endetté le pays et ses familles pour de nombreuses générations. Non seulement ces gens sont des emmerdeurs mais ils sont aussi des incapables.
Réflexion faite, je pense toutefois que c’est l’immersion dans l’univers héroïque du “De Viris Illustribus” simplifié que nous utilisions en deuxième année de latin en 1968-69 qui m’a conduit sur la voie d’une adhésion aux tréfonds de la culture européenne. J’ai racheté, il y a deux ou trois ans, un exemplaire quasi neuf de cette vieille méthode d’enseignement du latin, jetée bien sûr aux orties par les nouveaux pédagogues qui croient avoir trouvé la clef qui ouvrira aux élèves tous les secrets de l’univers. J’ai été stupéfait de constater combien de phrases, de règles, de schémas, d’exercices me revenaient à l’esprit en feuilletant cette méthode du Prof. Van Rijckevorsel. Il y avait là les Horaces et les Curiaces, l’enlèvement des Sabines, les oies du Capitole, Mucius Scaevola (mon préféré!) et surtout Cincinnatus, qui sauvait les “res publicae” et retournait tranquillement à sa charrue. La maturation politique, qui germait dans l’intériorité du pré-adolescent que j’étais, venait incontestablement de ces modèles: on ne pouvait être homme, “vir”, on ne pouvait faire de la politique, oeuvrer dans la Cité, que si l’on prenait ces héros de la Rome antique comme exemples! Après venaient les quelques copains —une toute petite minorité— qui, eux aussi, rejetaient et les niaiseries à la mode des années 60 —les stupides chansonnettes françaises prisées par la “Tante Hortense”— et l’esprit de la revue branchée “Salut les copains” que nous abominions au profit, bien sûr, tradition locale oblige, du journal “Tintin”, parce qu’il y avait notamment, dans ses pages, l’univers antique d’Alix, avec la Reine Adréa de Sparte et le sage commandant de sa “Garde Noire”, Astyanax... Les “modes” ne nous intéressaient pas, nous les détestions et dans le mot “mode”, il y a la racine du terme “moderne”. Est “moderne” au départ, celui qui ne prête plus attention aux fondements (politiques, religieux, philosophiques, ethnologiques, anthropologiques), ceux des “Anciens”, et s’entiche des dernières créations en vogue, toujours artificielles, toujours éphémères et vite remplacées par de nouveaux engouements: pérenniser cette succession ininterrompue d’historiettes et de radotages bricolés, dépourvus de fondements, est l’objectif de la modernité, est le noyau même de la démarche moderne qui fait de la disparition des fondements, des assises de toute civilisation, un “progrès”, accompagné du relativisme et des “petits récits” sans continuité de la postmodernité (qui n’a pas su prendre révolutionnairement le relais de la modernité libérale).
A notre pré-adolescence, donc, il fallait, nous semblait-il, penser en termes de fondements donc cultiver la “longue mémoire”, procéder par la méthode “généalogique” ou “archéologique”, qu’une lecture assez rapide de Nietzsche, vers quinze ans, aller conforter: certes, cette lecture peut s’avérer dangereuse et destructrice pour un jeune esprit, faire de lui un être hostile à la religion en général —à toute religion— ou un être dépourvu de tout sens moral ou éthique, s’estimant autorisé à commettre sans scrupules les actes les plus répréhensibles. On a pu relever, quelques fois, des dérapages dus à une lecture mal digérée de textes ou de citations de Nietzsche, non pas tant dans un quelconque espace politisé mais dans des bandes “à la mode” (encore!) qui se donnaient un style agressif, avec des oripeaux ou des coiffures de grande laideur, destinés à faire peur ou à se démarquer de toute bienséance, se marginalisant du même coup, rendant impossible la transposition de leurs quelques vagues idées “nietzschéennes” dans la réalité concrète des citoyens actifs de la Cité, ceux qui, avec abnégation et persévérence, affrontent en permanence les défis qui se présentent, dans toute leur concrétude. Les “sub-cultures”, qu’elles soient de gauche ou de droite, qu’elles se donnent des allures soft, comme les hippies, ou hard, comme les “blousons noirs” ou les “skinheads”, participent du système qui génère les modes parce que les modes font oublier les fondements de notre culture européenne (et japonaise au Japon, chinoise en Chine, etc.) et aussi et surtout parce qu’elles permettent, adroitement, de marginaliser les contestations puis de les récupérer ou de les diaboliser, justement parce qu’elles ont été “montées en spectacle”, visibilisées sous les feux de rampe médiatiques, par ce système aliénant moderne que Guy Debord, le situationniste, nommait la “société du spectacle”.
Cela nous ramène à l’actualité, quand l’historienne américaine des idées Susan Jacoby publie en 2008 son ouvrage de référence indispensable à assimiler pour bien gérer le combat métapolitique de la mouvance identitaire européenne actuelle, “The Age of American Unreason – Dumbing Down and the Future of Democracy” (Old Street Publishing, London, 2ème éd.). Dans ce livre, Susan Jacoby dénonce la culture populaire actuellement dominante, issue des fabriques à ahurir basées aux Etats-Unis. C’est une culture de la déraison totale, de la non-raison, que proposent paradoxalement une société et une superpuissance qui prétendent que leurs racines résident dans les “Lumières” du 18ème siècle, dans le savoir rationnel et pragmatique que ces “Lumières” ont induit pour contrecarrer les effets permanents et anciens d’une “tradition” (tout à la fois aristotélicienne et religieuse), tradition qu’elles posaient derechef comme irrationnelle et obscurantiste. Or, en bout de course, la superpuissance-guide de l’Occident “éclairé” générait chez elle et exportait partout dans le monde un “junk thought”, une “pensée-détritus” qui ne tenait plus compte de la pondération, de la rationalité, du bon sens, pour produire, via les médias, via le fondamentalisme religieux le plus stupide et via l’enseignement américain à la dérive, via, aussi, la crédulité entretenue du grand public, une sous-culture de l’“infotainment” (des loisirs via l’information médiatisée), qui ne mobilisait plus du tout l’esprit critique, nécessaire en permanence pour ne pas s’enliser dans les répétitions, pour être apte à répondre à tous les défis qui pourraient se présenter. Ce “junk thought” a-critique n’est pas vraiment assimilable aux irrationalismes d’antan ou aux formes philosophiques d’anti-intellectualisme ou d’anti-rationalisme: la “non-raison” qu’il répand à grande échelle engendre un déclin bien perceptible, d’abord dans l’enseignement et la transmission (devenue, sous toutes ses formes, “politiquement incorrecte” et sabotée par les pédagogues officiels, fonctionnaires des ministères); ensuite, cette “non-raison” s’infiltre dans le vaste public, toujours plus ignorant des tenants et aboutissants réels du monde passé et présent, un public devenu “reality-denier”, “négateur du réel”, et répétant des banalités sans fondements dans un langage codé par les médias. Susan Jacoby constate l’impasse dans laquelle les “Lumières” se sont fourvoyées en pariant, non pas, à terme, sur le despotisme éclairé des monarques politiques, mais sur le “moderne” (donc sur les “modes” inventées puis oubliées et remplacées). Il fallait qu’au nom d’une “liberté” faussement comprise, il débouche immanquablement sur le “junk thought”.
En 1975, je découvre le livre de Pierre Chassard, “La philosophie de l’histoire dans la philosophie de Nietzsche”, publié par le GRECE à Paris. J’ai passé l’été 1975 à lire non seulement ce livre mais à me référer à toutes les oeuvres de Nietzsche lui-même, citées dans les pages de Chassard. C’est ainsi que j’ai reçu ma formation nietzschéenne. Au même moment, Bernard Garcet, qui avait été cadre de “Jeune Europe” à l’Université de Louvain au début des années 60 avait réanimé, chez lui, une “école des cadres”, cette fois non politisée, et très “sciences po” dans ses exigences: il m’a forcé à lire Burke, Mannheim, Rougier et à structurer mes notes de lecture, à les couler dans un exposé cohérent. Etonnant personnage que ce Garcet, professeur de religion catholique, agréé par le vicariat diocésain, tout en se réclamant d’un catholicisme irlando-écossais du haut moyen âge en rupture de ban avec les dogmes habituels de l’Eglise et avec Vatican II sans adhérer au lefébvrisme, percevant le christianisme de Scot Erigène comme la continuation du druidisme païen... Un Garcet qui parlait d’Orwell dans son cours... Un Garcet qui sera aussi un redoutable professeur de “Thaï Boxing”, célèbre à Schaerbeek et environs. Un Garcet quinquagénaire qu’on avait muté dans une école de sages jeunes filles pour terminer sa carrière car il avait secoué un élève violent... le directeur avait ri sous cape...
Sur cette note un peu nostalgique, je termine tout de même ma réponse à votre question: c’est l’école primaire, puis l’école secondaire et l’université qui m’ont formé. C’est toujours dans leur cadre que j’ai appris les fondamentaux qui font aujourd’hui ma vision du monde. Si j’ai eu entre les mains le livre de Chassard et si j’ai fréquenté l’“école des cadres” de Garcet, c’est parce que des professeurs m’avaient mis sur la voie: comment ne pas évoquer avec tendresse le patriotisme bourguignon de l’instituteur M., très sévère et fils d’un résistant royaliste ardennais, et les cours de littérature allemande d’Albert D. (dont je narrerai un jour l’époustouflante biographie... qui fera jaser les “Vigilants”...).
2.
Vous défendez l’idée eurasienne. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’elle est, ce qui en tient lieu de fondement, pour vous? Quelles sont de votre point de vue les racines de l’eurasismecontemporain?
J’ai toujours souligné, surtout dans l’introduction que j’ai rédigée pour le livre du géopolitologue croate Jure Vujic, que ma perspective “eurasienne” (et donc “eurasiste”), provient d’une lecture ancienne, celles des atlas historiques du Britannique Colin McEvedy. Cet historien, géographe et cartographe avait écrit de nombreux atlas historiques pour les écoles du Royaume-Uni. Dans son introduction au premier de ces précieux volumes, McEvedy ne réduit pas l’histoire proto-historique et antique d’un point de vue exclusivement européen actuel, donc euro-centrique au mauvais sens du terme, dans la mesure où il serait limité aux seuls pays européens actuels: pour lui, l’espace de déploiement des peuples européens (indo-européens) englobe certes l’ensemble du sous-continent européen mais aussi l’espace nord-africain, parce Rome s’y est imposé suite aux guerres puniques, le Levant jusqu’à la Mésopotamie, parce que les Empereurs romains y ont mené leurs légions. McEvedy va même plus loin: l’espace des peuples européens s’étend jusqu’aux montagnes du Pamir, là où ont buté les peuples cavaliers de souche européenne au seizième siècle avant l’ère chrétienne. Il inclut également l’Ouest de l’Iran actuel, là où les cavaliers indo-européens venus soit des hauts plateaux de l’Iran soit de l’aire mésopotamienne ont rencontré les peuples élamo-dravidiens. Je rappelle notamment que Dominique Venner, dans “Histoire et tradition des Européens – 30.000 ans d’identité” estimait que l’identité de nos peuples trouve ses racines dans ce lointain passé, dans ces quelques vingt-huit millénaires de proto-histoire et de haute antiquité. McEvedy dans la première édition de son Atlas historique du monde antique posait l’hypothèse d’une origine des peuples européens dans l’espace dit de la “culture swiderienne”, une culture préhistorique, datant de 12 ou 13 millénaires avant l’ère chrétienne. Cet espace se situait en lisière de la banquise glaciaire de l’époque, sur une bande territoriale d’une profondeur maximale de 250 km, située approximativement entre le Sud de la Finlande et la Thuringe. A partir de ce territoire matriciel, les pré-Européens auraient essaimé vers l’Est et l’Ouest, de l’Irlande au Pamir et de l’Espagne à l’Indus.
L’épopée des peuples cavaliers, de souche européenne, fait partie intégrante de notre héritage le plus ancien. Le chercheur ukrainien Iaroslav Lebedynsky publie la plupart de ses ouvrages en français à Paris, où il enseigne à l’“Institut national des langues et civilisations orientales”: on lui doit de remarquables monographies sur les Scythes, les Sarmates, les Saces, les Cimmériens, les Iazyges et les Roxolans, les Alains, etc. qui nous procurent un regard absolument inédit sur l’aventure extraordinaire de ces peuples de souche européenne sur un espace que l’on qualifie un peu vite d’ “asiatique” dans les atlas d’écoles primaires. Il n’y a pas de frontières naturelles entre l’Europe orientale et l’Asie sibérienne, expliquait le Général Heinrich Jordis von Lohausen dans son fameux traité de géopolitique de l’année 1979, que j’allais résumer dans le tout premier numéro des revues parues sous ma houlette. Les Monts Ourals ont une hauteur maximale de 1600 m, pas davantage que le Chasseral dans le Jura suisse. De la plaine hongroise, la Puszta, à la Mandchourie, il n’y a pas d’obstacles majeurs, si l’on évite les massifs montagneux du Pamir et de l’Altaï, du Danube pannonien au Don, de celui-ci à la Caspienne et de celle-ci à la Mer d’Aral et au Lac Balkach. C’est la future route de la soie menant d’Europe en Chine. Jusqu’à l’irruption des Huns, sur le Don face aux Goths, puis dans la plaine hongroise puis jusqu’aux Champs Catalauniques de Champagne, cet immense espace a été déterminé par des cultures de souche européenne, comme le prouvent aussi les momies du Tarim, découvertes par des archéologues il y a une trentaine d’années.
L’histoire européenne depuis les Champs Catalauniques est l’histoire d’un long et gigantesque combat pour reprendre l’initiative. Le Prof. Lebedynsky, suite sans doute aux ouvrages du professeur français René Gousset, le rappelle dans son dernier volume sur les peuples cavaliers de souche européenne, consacré aux Cosaques. Ce sont eux qui ont repris le contrôle de la Sibérie et empêché la réémergence de coalitions irrésistibles de cavaliers turco-mongols dans cet espace nomade. En Méditerranée, la flotte de Don Juan à Lépante en 1571, les armées de hussards ailés du Roi Jean III Sobieski en 1683 et les techniques militaires du Prince Eugène de Savoie-Carignan jusqu’en 1718 ont contenu définitivement les Ottomans, comme nous l’a très bien expliqué, dans plusieurs livres clairs, l’historien français, ancien officier de la Légion étrangère, Dominique Farale. A partir de ce moment-là seulement, quand les Ottomans étaient contenus en Méditerranée et dans les Balkans, et que les Cosaques surveillaient le territoire initial des Mongols en lisière de la Mandchourie, l’Europe a pu maîtriser le monde. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante: vit-on à nouveau un ressac de la puissance européenne? Plusieurs historiens en vue dans le monde anglo-saxon, dont notamment John Darwin, auteur de “After Tamerlan” (2007), estiment d’ailleurs que la suprématie européenne de ces deux ou trois cents dernières années pourrait bien être une anomalie passagère de l’histoire, l’Inde et la Chine ayant constitué plus de 35% du commerce mondial dans la seconde moitié du 18ème siècle. Un autre historien britannique, Ian Morris, pense lui, au contraire, que la suprématie européenne, qui a certes connu des hauts et des bas, est un fait historique inscrit dans une assez longue durée et qu’elle explique la survie de la culture européenne, capable de réagir vite, même au bord du gouffre (cf. Ian Morris, “Why the West Rules – For Now – The Patterns of History and What They Reveal about the Future”, Profile Books, London, 2010-2011). Le débat est ouvert...
Dès les victoires autrichiennes du Prince Eugène et de ses successeurs contre les Ottomans dans les Balkans, l’Europe pense, avec la Russie désormais maîtresse de la Sibérie jusqu’aux côtes pacifiques, à avoir une frontière commune, favorisant les échanges directs, avec l’autre môle d’impérialité sur la masse continentale eurasienne, la Chine. Le philosophe, diplomate et mathématicien allemand Leibniz raisonnera en de tels termes et couchera sur le papier des réflexions géopolitiques qui conservent, en leur noyau, fraîcheur et actualité. Un peu plus tard, au 18ème siècle, nous avons une alliance tacite, eurasienne avant la lettre et assez conforme aux vues de Leibniz, entre la France de Louis XVI (réconcilié avec l’Autriche par son mariage avec Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine), l’Autriche de Marie-Thérèse puis de Joseph II et la Russie de Catherine II la Grande. Cette alliance tacite, étayée par les meilleurs diplomates (Vergennes par exemple), offrait un espace stratégique de la Bretagne atlantique, voire de l’Espagne des Bourbons éclairés notamment sous le règne de Carlos III, jusqu’aux confins pacifiques de la Sibérie orientale. Cette alliance eurasienne a permis, entre l’avènement de Louis XVI en 1774 et la révolution française, d’esquisser une unité géostratégique entre les trois principales puissances continentales européennes (où la France avait acquis une supériorité navale dans l’Atlantique Nord suite à la guerre d’indépendance des Etats-Unis).
En 1815, la Sainte-Alliance a voulu répéter cette unité, en y ajoutant l’Angleterre et la Prusse protestantes. La Prusse jouera le jeu jusqu’à l’éviction de Bismarck, qui rendra caduque l’alliance Berlin-Pétersbourg. L’Angleterre —en détachant progressivement la France de cette Sainte-Alliance, une France qui ne s’était pas vraiment guérie de son fondamentalisme jacobin et de ses folies révolutionnaires— fera émerger l’exception occidentale dès la guerre de Crimée, comme le constatera avec pertinence Dostoïevski dans son “Journal d’un écrivain”. L’espace stratégique eurasien s’étendra désormais du Rhin au Pacifique et non plus de l’Atlantique au Pacifique. L’Union des Trois Empereurs (Russie, Allemagne, Autriche) prendra le relais de la Sainte-Alliance, dont la puissance potentielle, et la présence sur le continent américain, en Alaska (jusqu’en 1867) et dans les Caraïbes (à Cuba jusqu’en 1898), avait contraint le Président américain Monroe à proclamer sa célèbre doctrine de “l’Amérique aux Américains”, visant d’abord à chasser l’Espagne du Nouveau Monde, pour être sûr que, dans son sillage, et au nom d’une unité “eurasienne”, les autres puissances européennes, unies dans leurs visées stratégiques, n’interviennent en Amérique, au départ d’une quelconque possession espagnole ou au départ de l’Alaska, russe à l’époque. Cette logique géopolitique nord-américaine a été tout de suite dénoncée par le ministre autrichien Hülsemann, qui a vu, avant tout le monde, émerger, sur l’autre rive de l’Atlantique, une puissance négatrice de l’excellence européenne, une “puissance-antipode”. D’autres verront également clair: le diplomate allemand Constantin Frantz constate, après la guerre de Crimée, que la Sainte-Alliance a péri et que l’Occident anglo-français est tout prêt à importer en Europe des querelles nées bien loin en dehors du sous-continent, matrice géographique des peuples européens. Ces querelles risquent de susciter des guerres en Europe pour des raisons étrangères à l’indispensable équilibre de l’Europe. Sans cet équilibre, l’Europe risque l’implosion. Et, privée de cet équilibre, elle a effectivement implosé dès 1914.
La Doctrine de Monroe, par la pression constante qu’elle a exercée, a conduit à l’effondrement définitif de l’Espagne impériale en 1898 et à la crise morale qui s’en est suivie. L’Espagne est, en ce sens, la première victime européenne de la Doctrine de Monroe. Tarabustée par une “légende noire” fort tenace, inventée par les fondamentalistes protestants hollandais et par l’Angleterre élizabéthaine, puis reprise par les Français de Richelieu, l’Espagne a été paralysée, depuis la fin du 16ème jusqu’à nos jours, par une légende négative, colportée ad infinitum: c’est là une technique de déstabilisation de l’adversaire, qu’ont utilisé les propagandistes protestants hier, les tenants de la “correction politique” et des vérités médiatiques aujourd’hui; cette technique propagandiste sera reprise et affinée pour éliminer et affaiblir en permanence l’Allemagne, suite aux deux guerres mondiales du 20ème siècle, tant et si bien que l’hebdomadaire britannique “The Economist” pouvait sortir un dossier récent (début juin 2013), consacré à l’Allemagne d’Angela Merkel; ce dossier, assez copieux, campait la superpuissance économique germanique en plein milieu de notre Europe comme un nain politique, à cause de son incapacité à surmonter sa propre “leyenda negra”. La Russie, à son tour, même après le communisme, est victime d’une autre “légende noire”, colportée et amplifiée depuis les diatribes du Marquis de Custines et la propagande anglaise lors de la Guerre de Crimée. Il conviendrait donc de réfléchir à annuler les effets de toutes les “leyendas negras”, par des efforts coordonnées, à l’échelle globale, dans tous les Etats européens, en Iran, au sein de toutes les puissances du BRICS.
L’eurasisme, à mon sens, doit être la reprise actualisée de l’alliance austro-franco-russe du 18ème, de la Sainte-Alliance (surtout telle qu’elle fut envisagée par Hülsemann) et de l’Union des Trois Empereurs, voire une résurrection des projets d’alliance franco-germano-austro-russe de Gabriel Hanotaux (1853-1944), avant 1914. On ne parle pas assez de ce Gabriel Hanotaux, qui deviendra ministre des affaires étrangères en France en 1894. Nationaliste de coeur, il a soutenu le programme de colonisation française en Afrique, en Algérie et à Madagascar, tout en s’opposant à la pénétration britannique au Soudan, où il a été un partisan de la fermeté au moment de la fameuse affaire de Fachoda en 1898, quand des forces françaises et britanniques s’étaient affrontées pour le contrôle du Nil soudanais. Selon certaines sources, qu’aimait citer l’eurasiste européiste Jean Parvulesco, malheureusement décédé en 2010, Hanotaux ne souhaitait pas l’alliance britannique, préférait à coup sûr l’alliance russe et aurait envisagé une réconciliation franco-allemande.
3.
Nous aimerions que vous nous révéliez vos idées sur l’éventuelle résolution des facteurs raciaux au sein de l’Eurasie, car celles-ci contient effectivement des peuples ethniquement et racialement très différents...
Mon concept d’Eurasie est synonyme d’une confédération solidaire de peuples de souche européenne qui devront, éventuellement, occuper des territoires où vivent d’autres peuples, pour des raisons essentiellement stratégiques. J’ai oublié de dire, en répondant à votre deuxième question, que l’idée eurasienne provient également du géopolitologue allemand Karl Haushofer, pour qui les puissances d’Europe et le Japon devaient unir leurs forces pour organiser en parallèle, selon des “corridors Nord-Sud” —des corridors eurafricain, russo-irano-indien, nippo-micronésien, sino-indochinois, tous bien délimités— la masse continentale entre Atlantique et Pacifique: il appelait cela la troïka germano-russo-japonaise, puis, après la consolidation en 1938 de l’Axe Rome-Berlin, le quadrige germano-italo-russo-japonais. Mis à part le Japon —qui devait se développer de préférence en direction du Sud et dans l’espace pacifique (après avoir hérité à Versailles de la Micronésie jadis espagnole puis devenue allemande), sans meurtrir la Chine— les autres puissances de la troïka ou du quadrige étaient européennes dans leur esprit, dérivé de Rome ou de la Troisième Rome byzantine (que représente la Russie). La vision ethno-différentialiste postule que les peuples non européens ne soient pas obligés de singer les Européens, de modifier leurs substrats naturels, que ce soit par fusion, par mixage ou par aliénation culturelle. Il me semble que l’URSS de Brejnev, dans sa constitution modifiée de 1977, ait quelque peu répondu à votre question, sans que nous ne soyons obligés, à l’heure actuelle, de reprendre en compte les archaïsmes et les schématismes communistes que cette constitution soviétique véhiculait.
La pensée des “autres Lumières” (celles que ne sont plus jugées “politiquement correctes” par la pensée dominante actuelle), notamment les “Lumières” qui ont promu la vision ethno-différentialiste de Herder, a donné le mouvement slavophile des “narodniki” en Russie, que le communiste n’a jamais pu éradiquer, tant et si bien, que, dès les années soixante, la culture soviétique, contrairement à l’Occident, retourne timidement, et parfois plus audacieusement, vers le passé slavophile. On a pu parler, fin des années 70, avec le dissident occidentaliste Yanov, réfugié en Californie, d’une “nouvelle droite” soviétique, bien ancrée dans les cercles académiques de l’URSS, déjà en phase d’implosion. Cet esprit herdérien a permis, même sous Staline (mutatis mutandis) de créer des républiques ethniques, parfois, hélas, avec des tracés aberrants. Généralement, les républiques ethniques finno-ougriennes et indo-européennes (comme les Ossètes), sont restées fidèles à l’URSS, puis à la Fédération de Russie. Certaines républiques turcophones ou tatars (ouralo-altaïques) aussi. On sait que la Doctrine Brzezinski visait à soulever tout le ventre mou de l’URSS, dès 1978, quand l’Afghanistan officiel avait opté pour une alliance afghano-soviétique. Pour soulever ce “ventre mou”, il fallait utiliser un levier: le seul levier possible était l’islam fondamentaliste, lequel pouvait évidemment bénéficier de la manne financière saoudienne.
Toutefois, cette stratégie a échoué, comme l’avoue Brzezinski lui-même dans son dernier ouvrage de mars 2012, intitulé “Strategic Vision”. Pour le théoricien de la conquête de la “Route de la Soie” (“Silk Road”) et de l’inclusion de l’Ukraine dans l’OTAN, pour l’homme qui a suggéré l’armement des talibans contre les Soviétiques en Afghanistan, toutes ces strtatégies, qu’il a préconisées, ont échoué. Selon le regard nouveau qu’il propose de jeter sur l’échiquier international, il ne faut donc plus fragmenter la Russie à l’infini mais s’allier à elle, dans une sorte de grande alliance de l’hémisphère Nord, avec l’Amérique du Nord, l’Europe (Turquie comprise) et la Russie! Au soir de sa vie, à 84 ans, cet homme avoue sans état d’âme, sans s’effondrer mentalement, que ses projets n’ont pas abouti! Et propose exactement ce que propose un théoricien néo-droitiste français, tout à fait inclassable, comme Guillaume Faye! Ou que proposent aussi beaucoup de théoriciens nationalistes américains, partisans d’une “unité du monde blanc”! Brzezinski est devenu “Amereurasiste”! Apparemment, il n’est guère écouté Outre-Atantique, où l’“Administration Obama” poursuit les guerres de Bush et le contrôle des esprits dissidents ou contestataires aux Etats-Unis mêmes, avec une acribie encore plus frénétique.
Personnellement, pour moi, il faudrait que l’Amérique du Nord revienne à une pensée aristotélicienne, renaissanciste (au sens où l’ntendait Julien Freund), débarrassée de tous les résidus de ce puritanisme échevelé, de cette pseudo-théologie fanatique où aucun esprit d’équilibre, de pondération et d’harmonie ne souffle, pour envisager une alliance avec les puissances du Vieux Monde. Le biblisme nord-américain s’exporte en Amérique ibérique, disloquant souvent les sociétés ibéro-améridiennes de ce continent. Cette propension à s’exporter vient de la nature messianique de cette pseudo-théologie, parfois laïcisée et transformée en une vulgate médiatique particulièrement nocive. Le Vieux Monde comprend trois ou quatre pôles civilisationnels: l’Europe (Russie comprise), car je ne retiens pas, pour l’Europe, le clivage entre, d’une part, un Occident catholico-protestant (où règnerait d’office la “bonne gouvernance”) et, d’autre part, une zone russo-byzantino-orthodoxe (où se maintiendraient des résidus d’autoritarisme) comme le faisait Samuel Huntington dans son “Choc des civilisations”; l’Inde et la Chine (ou le complexe sino-nippon bouddhisto-confucéano-taoisto-shintoïste). Ian Morris en voit deux, nés dès la fameuse période axiale de l’histoire, selon Karl Jaspers et Karen Armstrong: l’espace européen, ultérieurement marqué par Rome qui l’a unifié “impérialement”, et la Chine, unifiée et transformée en empire dès les Qing. Pour moi, aujourd’hui, il y en a quatre voire cinq: l’Europe, héritière de Rome et de la germanisation, par Prétoriens et Foederati interposés, dès le Bas Empire et pendant le haut moyen-âge (en Espagne, on peut parler de la “wisigothisation”); l’Iran post-avestique, pré-islamique, zoroastrien et islamisé selon un mode très différent de l’espace arabophone ou turcophone, avec une composante mystique et nationale; l’Inde, qui a retrouvé son identité grâce au mouvement métapolitique du RSS, né sous le “Raj” britannique en tant que mouvement contestataire de la colonisation et de l’exploitation sauvage du sous-continent indien; la Chine, monde en soi, rejetant tout messianisme, tout esprit de conversion et toute forme d’immixtion dans les affaires intérieures d’entités politiques tierces; le Japon, cinquième pôle, animé par la spiritualité shintoïste, également non messianique car intransmissible aux non Japonais. Ces entités ne constituent pas une menace pour l’Europe car elles ne sont pas animées par le messianisme américano-bibliste ou par l’effervescence wahhabite-salafiste, qu’elles considèrent comme de dangereuses aberrations, bouleversant équilibres et harmonies.
Il y a d’ailleurs alliance implicite du messianisme nord-américain bibliste et du messianisme saoudien, wahhabitico-salafiste. Ces anomalies dangereuses doivent être contrées par l’idée équilibrante et harmonieuse de l’auto-centrage des aires civilisationnelles.
4.
Ne serait-il pas plus correct de procéder à une extension du fait politique européen sur l’échiquier eurasiatique, en englobant la “Russie blanche” dans un ensemble européen homogène, plutôt que de parler d’Eurasie?
De toutes les façons, dans un cas comme dans l’autre, la Russie actuelle, la Fédération de Russie, présidée par Poutine ou Medvedev, est pour l’essentiel, de souche européenne: les autres ethnies, minoritaires, sont neutralisées par l’idéologie herdérienne, post-narodnikiste. Y compris les Tatars du Tatarstan et les Bachkirs du Bachkirtostan, dont les imams se sont farouchement opposés aux menées wahhabites, virulentes du temps où Brzezinski espérait encore disloquer la Russie en utilisant le levier wahhabite et saoudien. La seule exception semble être le Nord-Caucase tchétchène et daghestanais, travaillé par la propagande wahhabite. Nous avons là le seul front “chaud”, résidu de l’ancienne stratégie Brzezinski. Par ailleurs, le Président kazak Nazarbaïev n’a pas succombé aux tentations, auxquelles les Américains auraient bien voulu qu’il succombe: ni au fondamentalisme wahhabite ni aux sirènes du panturquisme/pantouranisme du temps du premier ministre turc Türgüt Özal. La géopolitique kazak actuelle est la négation même du “brzezinskisme”, la preuve vivante de sa faillite, la preuve que le tronçon central de la “Route de la Soie” n’est pas assimilable à la géostratégie offensive et disloquante de Washington sur l’échiquier eurasiatique. Et la preuve aussi qu’une géopolitique, portée par un peuple turcophone, asiatique et non européen, peut s’harmoniser parfaitement avec l’idée d’une troïka ou d’un quadrige haushoférien —et, partant, européen et euro-nippon— réactualisé.
5.
Quel est votre opinion sur l’Europe des ethnies?
Il y a deux visions de l’Europe des ethnies: celle qui veut la fragmentation du continent ad infinitum, de manière à le rendre aussi “invertébré” que l’Espagne après 1898, phénomène de dissolution dénoncé par Ortega y Gasset dans son fameux ouvrage “España invertebrada”, livre de chevet de Jean Thiriart, en même temps que “La révolte des masses”. Cette vision “invertébrée” ne retient pas l’idée impériale, pourtant respectueuse des diversités qui composent les grands ensembles transnationaux ou transethniques. La Suisse et l’Allemagne fédérale, tout comme l’Autriche, sont des entités fédérales, respectueuses des diversités régionales, sans que personne, au sein de ces Etats fédéraux, ne songe à ruiner l’unité. A côté des “ethnistes fragmenteurs”, il y a ce que je nommerais les “ethnistes impériaux”, qui couplent l’idée impériale-européenne au souci herdérien de l’enracinement des peuples dans leur propre culture. Quand on prend en compte les oeuvres politiques des mouvements ethnistes, on doit pouvoir distinguer entre, d’une part, les “fragmenteurs”, qui commettent un “politicide” dans la mesure où ils participent à la balkanisation de notre sous-continent au bénéfice des superpuissances hégémoniques et où ils prennent le relais des “petits-nationalismes” étriqués qui ont précipité l’Europe dans les guerres fratricides qui l’ont ruinée; et, d’autre part, les “impériaux” qui cherchent à unir les hommes réels, de chair et de sang, dans un vaste projet commun, où les réalités charnelles ne seront ni gommées ni oblitérées.
Certains mouvements ethnistes peuvent contribuer à ruiner des polities ou des républiques qui ont tendance, systématiquement, à se replier sur elles-mêmes et à se placer en position antagoniste, contre le reste du continent, contre leur propre aire civilisationnelle, au nom d’un égoïsme à courte vue ou d’un messianisme laïque complètement ridicule. C’est, au fond, l’opposition du 16ème siècle entre Charles-Quint, Impérial et soucieux du destin de l’Europe face au danger ottoman, et François I, qui s’allie à ces derniers pour satisfaire des appétits égoïstes, hostiles à l’harmonie de notre aire civilisationnelle. Dans cette même optique, toute velléité ethniste, dans un pays européen quelconque, qui vise à se détacher d’une forme ou l’autre d’Etat, dont l’existence est en contradiction avec le “testament de Charles-Quint” et qui aurait annexé des territoires ayant un jour fait partie, ou ayant un jour voulu faire partie, de la “Grande Alianza” (Bourgogne + Habsbourg + Castille-Aragon), est bien évidemment légitime: un peuple, ou un fragment de peuple, qui souhaite revenir dans le giron de la “Grande Alianza”, après en avoir été détaché par la force ou la contrainte, pose là une démarche “impériale” et non une démarche “fragmenteuse”. Je rappelle ici que Sud-Néerlandais, Autrichiens, Hongrois, Croates, Allemands, Espagnols, Italiens du Nord ne sont “vertébrés” politiquement, au sens où l’entendait José Ortega y Gasset, que s’ils gardent en tête le “testament de Charles-Quint”, base inamovible de toute véritable démarche européenne. S’ils n’ont pas ce “Testament” en tête, ils sont vecteurs de folie, de dissensus, de conflits civils, ils participent à la ruine de notre civilisation.
6.
Dans un entretien que vous avez naguère accordé aux animateurs du “Mouvement International Eurasiste” (“International Eurasian Movement”), vous évoquez la vision d’un monde multipolaire. Y a-t-il une possibilité réelle de faire émerger un tel monde, alors que la globalisation a déjà tout envahi? Cette multipolarité ne serait alors que le cache-sexe d’une globalisation parachevée, où le monde entier serait soumis aux intérêts de la haute finance...
Après l’effondrement de l’Union Soviétique suite à la perestroïka de Gorbatchev, que le dissident et philosophe Alexandre Zinoviev nommait la “catastroïka”, le monde semblait basculer vers l’unipolarité, centrée sur la seule “américanosphère”. Le penseur nippo-américain Francis Fukuyama annonçait la fin de l’histoire et l’entrée du monde dans l’ère de la parousie néo-libérale. Pour lui, avec l’avènement d’Eltsine suite à un putsch paléo-communiste avorté qui entendait chasser Gorbatchev du pouvoir, l’ex-URSS allait se fondre à son tour dans la “Globalia” néo-libérale. Eltsine plonge alors la Russie dans le marasme, Poutine l’en sortira. Moralité: les prévisions de Fukuyama se sont avérées fausses. L’histoire est revenue, d’abord avec les néo-conservateurs américains, trotskistes recyclés qui ont remplacé la “révolution permanente” théorisée par leur maître initial par la “guerre permanente” que doivent mener les Etats-Unis, instance étatique élue par Dieu (?) pour faire triompher le Bien sur la Terre, contre le reste du monde, y compris contre leurs propres alliés qu’ils espionnent avec ECHELON et, très récemment, avec le système d’écoute “Prism” de la NSA ou “Tempora” de leurs homologues britanniques. Les théoriciens néo-conservateurs comme Robert Kagan ont annoncé “le retour de l’histoire” et non pas son terminus, et, surtout, “la fin des rêves” (cf. R. Kagan, “The Return of History and the End of Dreams”, 2008). Evidemment, pour Kagan, seuls les Etats-Unis sont autorisés à retourner au chantier de l’histoire, à quitter le monde onirique des idéologies iréniques. Ils doivent combattre les môles de puissance irréductibles que sont la Russie, la Chine et l’Iran, tout en se méfiant de l’Inde. Ils considèrent l’Europe comme un espace neutralisé, gouverné par des pitres sans envergure (seul Poutine est considéré comme un “chien dangereux” selon les documents révélés par Assange lors de l’affaire “Wikileaks”), un espace émasculé que l’on peut piller à qui mieux-mieux via les systèmes d’espionnage satellitaires. Dans un ouvrage plus récent, un autre néo-conservateur américain, Robert D. Kaplan, rappelle qu’un empire —en l’occurrence, pour lui, l’empire américain— doit en permanence se souvenir des impératifs de la géographie (cf. R. D. Kaplan, “The Revenge of Geography – What the Map Tells Us about Coming Conflicts and the Battle Against Fate”, Random House, New York, 2012) quand il façonne ses stratégies. Dans cet ouvrage qui réhabilite complètement les démarches géopolitiques et passe en revue les fondements géographiques de chaque puissance eurasienne, avouant implicitement qu’il y a, de facto, une multipolarité, mais une multipolarité que les Américains, selon Kagan ou Kaplan, doivent affronter, dont ils doivent réduire les môles de puissance, contenir leurs éventuelles expansions.
Kaplan est également l’auteur d’un ouvrage de géopolitique capital pour comprendre le monde d’aujourd’hui et les intentions de l’hyperpuissance américaine: ce livre est consacré à l’Océan du Milieu, en d’autres termes, l’Océan Indien. Il s’intitule “”Monsoon – The Indian Ocean and the Future of American Power” (Random House, 2010, 2nd ed., 2011). Kaplan rejette la projection géographique usuelle aux Etats-Unis, où l’hémisphère occidental, c’est-à-dire les deux Amériques, est placé au centre des cartes, escamotant du même coup l’Océan Indien, alors que cet espace océanique est véritablement central, qu’il offre à qui le contrôle la domination sur le “rimland” asiatique des moussons. Cette “Asie des moussons” a donné aux Britanniques la puissance la plus déterminante sur l’échiquier européen et mondial, dès la seconde moitié du 18ème siècle. Au 21ème siècle, il en sera de même, il faudra, pour détenir l’hyperpuissance sur la planète, contrôler l’espace de l’Océan des Moussons: les Etats-Unis, pour Kaplan, ont intérêt à contrôler ou à contenir rapidement les puissances, petites ou moyennes, de l’arc de l’Asie des moussons, soit l’Inde, le Pakistan, la Chine, l’Indonésie, la Birmanie/Myanmar, Oman, le Sri Lanka, le Bengla Desh et la Tanzanie. Car c’est là, précise Kaplan, dans cet espace fragmenté, bigarré, sans homogénéité raciale ou culturelle, vaguement rassemblé dans une “Association des pays riverains de l’Océan Indien pour une coopération régionale” (IOR-ARC), que la lutte planétaire pour la “démocratie” (évidemment!), pour l’indépendance énergétique (américaine) et pour la “liberté religieuse” (?) sera gagné ou perdu. La diplomatie américaine doit concentrer tous ses efforts sur cette partie du monde si Washington veut continuer à garder un certain hégémonisme sur la Terre. Les pères fondateurs de la géopolitique, Mackinder et Haushofer ne disaient rien d’autre... L’Océan Indien baigne un espace à pôles multiples: il est l’espace même d’une multipolarité divergente.
La mondialisation/globalisation procède certes par le truchement d’un mode de société toujours plus consumériste. Les Chinois commencent à consommer avec la même frénésie que les Américains et les Européens. La délocalisation de bon nombre d’industries manufacturières, qui ont quitté l’Amérique du Nord et l’Europe pour l’Asie et surtout pour la Chine, provoquant un chômage endémique dans nos pays, sanctionne finalement une “division du travail”, générant plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il n’empêche que cette fusion apparente dans le creuset d’une globalisation économique laisse intacte les desseins géopolitiques et géostratégiques des “pôles” de la multipolarité.
Les sphères émergentes contestent l’hégémonisme américain, contestent aussi l’idéologie que cet hégémonisme véhicule. Le point commun de tous les pôles, sauf l’Europe, totalement neutralisée, est de refuser l’immixtion permanente des Etats-Unis, notamment par le biais de l’idéologie dite des “droits-de-l’homme”, inventée, ou plutôt ré-inventée, à l’époque de la Présidence de Jimmy Carter, pour subvertir l’Iran du Shah et l’URSS de Brejnev (à l’époque, la Chine maoïste était exemptée de tout immixtionnisme américain puisqu’elle venait de sceller une alliance anti-soviétique avec Washington). Les cibles demeurent les mêmes: l’Iran, la Russie, la Chine qui retrouve le rôle négatif qu’on lui avait attribué dans les années 50 et 60. L’Inde —qui, explique Kaplan dans “Monsoon” (op. cit.), cherche à s’étendre “horizontalement” (vers l’Est et vers l’Ouest) et non pas “verticalement” (du Nord vers le Sud) comme le fait au contraire la Chine qui, en outre, cherche à devenir une puissance bi-océanique, d’où la condamnation de ses stratégies par Washington aujourd’hui— est tantôt ménagée, parce qu’elle doit participer à l’endiguement (“containment”) de la Chine, tantôt fustigée, quand elle affirme son caractère hindou (avec le BJP) ou qu’elle conserve ses liens étroits avec la Russie. L’Inde se définit comme “un pont entre différents mondes”, sans se reconnaître dans aucun groupe d’Etats (sous-entendu, elle garde ses distances avec le fameux “Groupe de Shanghai”). Malgré le poids de leur hyperpuissance militaire, les Etats-Unis seront toujours incapables d’absorber et de neutraliser les pôles asiatiques ou eurasiatiques comme ils ont brisé l’Europe, en détruisant l’Allemagne d’abord, en contrôlant totalement l’UE ensuite, par l’importation d’un néo-libéralisme qui a empêché l’Europe de consolider ses velléités d’autarcie, d’ordo-libéralisme (de capitalisme patrimonial rhénan ou, au Japon, “samourai”) ou de socialisme bien conçu, disons de facture bismarcko-keynesienne, comme le voulaient ses pères fondateurs ou encore un Jacques Delors. L’Europe, que nous espérions voir devenir un pôle à part entière dans un monde recomposé et enfin sorti du bipolarisme figé du temps de la Guerre Froide, enfin émancipé complètement de la tutelle américaine, est, aujourd’hui plus que jamais, un espace neutralisé, au tissu industriel mité, aux sociétés disloquées par toutes sortes de facteurs au départ exogènes, un espace d’amnésie historique, un espace totalement “invertébré”, un espace qui vénère benoîtement la “norme” sans oser se doter de force (Zaki Laïdi); ces dernières semaines de juin 2013 nous apportent une preuve éloquente de cette déliquescence de tout un continent potentiellement puissant mais paralysé, quand la Commissaire à la justice Viviane Reding, qui avait capitulé sans condition devant les Américains et les Britanniques qui espionnent, avec les systèmes d’écoute “Prism” et “Tempora”, les autres Européens, au mépris des règles diplomatiques et internationales les mieux établies, tout en promettant, la pauvre bougresse, de prendre des “mesures”, qui ne viendront évidemment jamais ou resteront au stade de voeu pieux...
L’Europe-croupion, que nous avons devant les yeux, est une victime consentante de la globalisation voulue par l’hegemon américain. Les autres pôles ne le sont pas. Ils ont encore tous une pensée “vertébrée”, des traditions orthodoxes, hindouistes ou confucéennes intactes. En ce sens, l’Europe actuelle, sans “épine dorsale”, est effectivement soumise aux diktats de la haute finance internationale. Comme l’avait réclamé dans son recueil “Von rechts gesehen” (“Vu de droite”), Armin Mohler, théoricien de la “révolution conservatrice” allemande et ancien secrétaire de l’écrivain Ernst Jünger, écrivait que, pour se dégager des tutelles exogènes, l’Allemagne devait opter pour une alliance avec la France gaullienne —à l’époque une réalité, aujourd’hui disparue sous l’effet délétère des politiques aberrantes de Sarközy et de Hollande— et ne jamais hésiter à entretenir des relations avec les Etats que la propagande américaine nommait déjà les “Rogue States”. Armin Mohler et Jean Thiriart étaient au fond sur la même longueur d’onde. L’actualisation de leurs injonctions politiques postule évidemment, pour nous, de privilégier les rapports euro-BRICS ou euro-Shanghaï, de façon à nous dégager des étaux de la propagande médiatique américaine et du banksterisme de Wall Street, dans lesquels nous étouffons. La multipolarité pourrait nous donner l’occasion de rejouer une carte contestatrice à la Mohler et à la Thiriart en matières de politique extérieure.
7.
Aujourd’hui, 10% de la population vivant en Europe est musulmane et à ces 10% il faut ajouter l’installation en Europe de toute une série d’autres populations non indigènes; sans entrer dans les détails, je ne citerai qu’un exemple: la population européenne (de souche, toutes nationalités confondues) ne totalise qu’un tiers de la population de Londres aujourd’hui, elle est donc en état d’infériorité numérique par rapport aux autres “races” qui, de plus, ont un taux de natalité bien supérieur, le triple de la moyenne européenne. A quel phénomène faisons-nous face? Et comment le résoudre?
Vous savez bien qu’il est interdit de parler sereinement de ces phénomènes, surtout en France ou en Belgique où la liberté d’expression n’existe plus en ce domaine bien particulier. Vous pouvez blasphémer à qui mieux-mieux contre les religions autochtones, surtout le catholicisme lorsque des “femens” déchaînées et camées s’attaquent à Bruxelles à un archevêque qui, très timidement, veut ramener un tout petit peu de bon sens dans une église à la dérive depuis un demi siècle, vous pouvez vous moquer avec la plus extrême des méchancetés de toutes les traditions européennes, religieuses ou culinaires, historiques ou littéraires, artistiques ou philosophiques, vous pouvez fabriquer la pornographie la plus outrancière et la plus perverse, mais vous ne pouvez souffler mot sur le phénomène que certains polémistes français comme Renaud Camus appellent le “grand remplacement”. Depuis les émeutes de Paris et des grandes villes françaises en novembre 2005, depuis les émeutes de grande ampleur à Londres en août 2011, depuis les récentes émeutes de Suède en mai 2013, on sait que la situation va devenir très difficilement gérable dans la décennie à venir, surtout sur fond de crise économique et financière car la gestion de ces populations, précarisées du fait de leur non intégration, va coûter de plus en plus cher et l’argent n’est plus là, tout simplement. Ces installations irréfléchies de populations hétéroclites dans les grands centres urbains de l’Europe va, à terme, provoquer l’effondrement du système de sécurité sociale, laborieusement mis en place pendant les “Trente Glorieuses” et maintenu vaille que vaille durant les “Trente Piteuses”, effondrement dont pâtiront et les autochtones les plus précarisés et les migrants intégrés ou non, sans distinction.
Ce n’est évidemment pas ce seul phénomène “migratoire” qui va faire s’effondrer le système, bon dans ses principes organisationnels et dans ses intentions premières, mais malheureusement bâti sur du sable et non sur le réalisme politique et économique de la tradition aristotélicienne, bâti, hélas, sur le sable mouvant des “nuisances idéologiques” (Raymond Ruyer), qui sont nuisances justement parce qu’elles ignorent tout principe d’harmonie et d’équilibre, toute limite et toute pondération; parmi elles, il y a surtout l’emballement que provoque la forme dominante du néo-libéralisme, imposé depuis l’ère Thatcher & Reagan, depuis les années 1979 à 1982. Le néo-libéralisme en place est principalement une forme de capitalisme financier, et non industriel et patrimonial, qui a misé sur le court terme, la spéculation, la titrisation, la dollarisation, plutôt que sur les investissements, la recherche et le développement, le long terme, la consolidation lente et précise des acquis, etc. La crise de l’automne 2008 et la période de ressac que nous connaissons tous depuis lors, surtout dans les pays méditerranéens, en Grèce et en Espagne, sont l’aboutissement d’une idéologie fumeuse, inapplicable car irréelle, que mes amis et moi-même dénonçons depuis le moment même de son avènement: nous avons été des “voces clamantes in deserto”.
Cette crise va fragiliser les phénomènes connexes à cette globalisation néo-libérale, dont l’immigration-peuplement, surtout qu’il y a eu, en plus, “délocalisation” du tissu industriel donc perte massive d’emplois pour travailleurs peu qualifiés. Bon nombre d’auteurs, même en dehors du microcosme dit “identitaire”, ont pourtant tiré la sonnette d’alarme.
Je pense notamment au Français Jean-Paul Gourévitch qui, en 2007, énumérait quatre défis majeurs auxquels les pays accueillant de fortes minorités immigrées allaient être confrontés:
1) le vieillissement de la population européenne, observable déjà depuis les années 60, notamment par un historien comme Pierre Chaunu (père de l’“histoire sérielle”), est un phénomène très préoccupant d’implosion et de ressac qui n’a jamais été contré par une politique nataliste et volontariste, semblable à celle que Poutine tente de mettre en place en Russie; le recul des naissances, dans la logique d’une société de consommation, où le quantitatif prime le qualitatif, oblige à faire appel à des migrations comme palliatifs, des migrations d’abord bien encadrées, quand la bonne conjoncture des “Trente Glorieuses” le permettait encore, puis déversées dans nos villes de manière anarchique et incontrôlée;
2) la lutte difficile contre les inévitables discriminations, lutte amorcée en vue de faciliter l’intégration; ces difficultés sont dues, notamment, entre beaucoup d’autres pierres d’achoppement, à l’impossibilité d’étendre à l’infini le marché public du logement social, lequel se compose, notamment en France, d’appartements de quatre pièces, insuffisants pour abriter des familles extrêmement nombreuses, parfois polygames; le parc immobilier, mis à la disposition des plus démunis, exige des frais d’entretien énormes que les municipalités ne peuvent plus financer; les volontés de “mixité” sociale, exprimées par les pouvoirs publics, se heurtent tout à la fois à l’hostilité des autochtones, qui quittent les villes pour les périphéries, et des immigrés qui veulent rester entre eux, sans immixtion constante de fonctionnaires municipaux, dénués de raison vitale et adeptes de toutes les niaiseries idéologiques; les discriminations à l’emploi continuent à frapper les immigrés, en dépit de plus de deux décennies de propagande massive en faveur de l’intégration; on doit donc en conclure que les politiques d’intégration ont partout fait faillitte car elles ne sont acceptées ni des autochtones, qui restent silencieux et fuient les villes pour constituer une nouvelle catégorie démographique, celle des “néo-ruraux”, ni des immigrés, qui manifestent parfois bruyamment leur mécontentement, quand les subsides qui leur sont pourtant généreusement alloués leur semblent trop chiches (voir les récents événements de Suède).
3) Les Etats hôtes d’Europe occidentale n’ont pas pu maîtriser l’immigration clandestine qui, par le flux ininterrompu qu’elle représente, précarise, bien au-delà du simple regroupement familial préconisé depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, les strates immigrées déjà présentes ou anciennes; elles rendent encore plus hétéroclites les masses non intégrées, créant de la sorte, en ce début de 21ème siècle, la situation aberrante que narre le mythe biblique de la “Tour de Babel”, où tous finissent pas fuir parce que s’instaure la confusion générale. Les flux hétérogènes, différents des premières vagues migratoires légales vers l’Europe, génèrent, de par leur illégalité, une exploitation cruelle, assimilable à une forme d’esclavage, n’épargnant pas les mineurs d’âge (50% des nouveaux esclaves!) et basculant largement dans une prostitution incontrôlable. A laquelle s’ajoutent aussi les trafics d’organes. Cette “économie” parallèle contribue à corrompre les services de police et de justice. Autre horreur: la réapparition de “murs” (après la disparition de celui de Berlin) le long de la frontière américano-mexicaine, en lisière des villes espagnoles de Ceuta et Melilla, et de murs “virtuels” sous forme de radars et de détecteurs en Mer du Nord et en Méditerranée, dispositifs chimiques pour détecter l’émission des gaz carboniques émis par les corps humains dissimulés, etc. Toutes ces infrastructures de dissuasion coûtent fort cher et mobilisent des budgets qui rognent sur ceux, utiles, de la sécurité sociale, de la recherche et du développement, du réarmement de l’Europe, de l’enseignement, etc. Ils contribuent ainsi à l’affaiblissement généralisé de l’Europe, citadelle aujourd’hui assiégée de toutes parts. Tous ces problèmes horribles, inouïs, et le sort cruel des exploités, des enfants réduits à une prostitution incontrôlée, les pauvres hères à qui on achète les organes, les travailleurs sans protection qu’on oblige à prester des travaux dangereux ne font pas sourciller les faux humanistes, qui se donnent bonne conscience en défendant les “sans papiers” mais qui sont, par là même, les complices évidents des mafieux —également “sans papiers” pour échapper à toute poursuite et à toute localisation. Ceux-ci peuvent ainsi tranquillement poursuivre leurs activités lucratives: en tant qu’“idiots utiles”, les humanistes à faux nez sont complices et donc coupables, co-auteurs, des crimes commis contre ces pauvres déracinés sans protection et que ne protègeront pas, bien entendu, les fameux “papiers” qu’on réclame pour eux. Nos angélistes aux discours tout de mièvrerie sont donc complices des forfaits commis, au même titre que les proxénètes, les négriers et les trafiquants. Sans la mobilisation des “bonnes consciences”, ces derniers ne pourraient pas aussi aisément poursuivre leurs menées criminelles.
4) Le quatrième défi, mis en évidence par Gourévitch, est celui de l’économie informelle, phénomène antérieur aux flux migratoires, mais que ceux-ci ont amplifiés, tout en alimentant la fraction, de plus en plus nombreuse, des populations migrantes qui ne parviennent pas à s’insérer dans le tissu social, en dépit des dispositifs d’intégration mis en place depuis trois bonnes décennies. La France a beau avoir mis en place la DILTI (“Délégation Interministérielle à la Lutte contre le Travail Illégal”), l’OCDE a eu tout aussi beau jeu de tirer à son tour la sonnette d’alarme, l’ethnic business et l’économie souterraine, les recels et les locations de taudis insalubres, bref la totalité de l’économie informelle aurait brassé, selon l’enquête menée par Gourevitch en 2007 à plus de 300 milliards d’euro, soit 17 à 18% du PIB français. L’ampleur de cette économie informelle et l’opacité du milieu qui la génère rend les services de police et la justice totalement impuissants.
Nous faisons donc face à cette économie informelle, qui génère des “sociétés parallèles” (qu’appuie un certain Erdogan en Europe centrale, avec tout le poids de la diplomatie turque...) et à la démultiplication quasi à l’infini des frais sociaux, prévus par l’Etat-Providence. Cette démultiplication va entraîner très vite, dans les cinq à dix ans à venir, l’assèchement des caisses municipales (et autres...) et à l’impossibilité de lever de nouveaux impôts sur une classe moyenne considérablement appauvrie par la crise. La démesure babelienne que les intellos écervelés et les “croyeux” naïfs ont prise pour du “progressisme”, à grand renfort de propagande médiatique, va se muer en un bel éventail de facteurs non niables de “régressisme”, de régression sociale, de détricotage de tous les acquis sociaux et syndicaux. Selon l’adage: qui veut faire l’ange, fait la bête... Les négateurs de balises et de limites, qui voulaient tout bousculer au nom du “progrès” (qu’ils imaginaient au-delà de tout empirisme), vont provoquer une crise qui rendra leurs rêves totalement impossibles pour au moins une dizaine de générations, sauf si nous connaîtrons l’implosion totale et définitive... Quant aux solutions que nous pourrions apporter, eh bien, elles sont nulles car le système a bétonné toute critique: il voulait poursuivre sa logique, sans accepter le moindre correctif démocratique, en croyant que tout trouverait une solution. Ce calcul s’est avéré faux. Archi-faux. Donc tout va s’effondrer. Devant notre lucidité. Nous rirons de la déconfiture de nos adversaires mais nous pleurerons amèrement sur les malheurs de nos peuples.
8.
Si nous prenons en considération l’avancée profonde du matérialisme et de l’individualisme dans les pays occidentaux, ne devons-nous pas craindre d’être poussé vers une perte totale de spiritualité?
Nous avons déjà perdu toute spiritualité. Les traditionalistes, qui s’inspirent de Guénon et d’Evola, évoquent une ère de “Kali Yuga”, d’âge sombre, telle que l’entrevoit la tradition hindoue. C’est bien l’époque que nous vivons car Evola a signalé qu’en fin de cycle, les phénomènes de dégénérescence et de déclin vont en s’accélérant, plongeant les Empires et les Etats dans la déliquescence totale. En Europe, où nous n’avons même plus un Kagan ou un Kaplan pour nous rappeler quelques recettes élémentaires pour tenir un Empire, même à une époque de ressac. Le “Kali Yuga” est donc bien palpable de nos jours: la France, depuis Sarközy et Hollande (dit “Holl’andouille”) n’est plus que la caricature d’elle-même, et la négation de sa propre originalité politico-diplomatique gaullienne; l’Allemagne se cramponne à des idées fixes et n’ose pas s’affirmer, sous le règne d’une Angela Merkel qui n’a bien entendu ni le tonus ni la clairvoyance de ses prédécesseurs socialistes, d’un Schroeder ou d’un Schmitt. Votre question, si j’y répondais de manière exhaustive, exigerait la rédaction d’un livre tout entier. Je ne peux dire en quelques lignes ce qu’Evola, Schuon, Guénon ou d’autres traditionalistes ont dit en plusieurs dizaines de volumes, car, souvent, il n’y a pas grand chose à ajouter à leurs diagnostics, si ce n’est les traduire en un langage plus quotidien.
L’histoire de mon pays, la Belgique, nous fait entrevoir le désastre, rien que dans l’involution de la famille politique catholique, puis “démocrate-chrétienne”. Notre histoire politique montre donc que l’exigence morale des tenants de la “Jeune Droite” de Henry Carton de Wiart au début du 20ème siècle, puis des militants de l’ACJB (“Action Catholique de la Jeunesse Belge”), quelles qu’aient été leurs options ultérieures après l’émergence du rexisme de Léon Degrelle, que le souci éthique que le Prof. Marcel Decorte avait encore voulu réveiller dans les années 50, se sont bien vite évanouis au profit d’un technocratisme sans épaisseur éthique, importé par Paul Van Zeeland avant-guerre et poursuivi par toute une série de politiciens sans envergure ou sans scrupules après 1945 ou au profit d’un démocratisme du “je-ne-sais-quoi” et du “presque-rien” qui a débouché sur la mascarade puante d’un parti dirigé par des festivistes écervelés qui se donnent désormais l’étiquette d’“humanistes”. On se demande en quoi leurs salades sont “humanistes”: Erasme, qui était hypocondriaque mais un véritable humaniste renaissanciste, doit galoper plein tube vers un bassinet pour y vômir sa soupe aux légumes quand, du haut de son empyrée céleste, il jette un regard sur le spectacle que nous donne en permanence cette brochette de connards et de connasses qui ont galvaudé le terme même d’humanisme puis transformé, par leurs sottises, la principale force politique de la Belgique, en un parti estropié et minoritaire, à la remorque des socialistes, qui titubent d’une corruption à l’autre, pour chavirer ensuite dans une autre perversité. En Flandre, les excès de technocratisme, tourné en “plomberie” du temps de Dehaene, ont également ruiné le pôle démocrate-chrétien au profit d’une forme de pseudo-nationalisme, centré sur la vacuité et la vanité d’un gros bonhomme qui a maigri pour faire jacasser les médias, une formation idéologiquement filandreuse à relents festivistes, avec laquelle personne ne veut gouverner. Bref, l’absence d’éthique dans le pôle politique qui, précisément, entendait l’incarner, du moins jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, a provoqué l’implosion du pays. L’Europe et le reste du monde occidental présentent la même implosion, parfois en moins ridicule mais toujours sur un mode aussi navrant, aussi impolitique, aussi incapable de sortir notre aire civilisationnelle de l’ornière où elle s’est enlisée.
La disparition de toute épine dorsale éthique dans le monde occidental, le plus touché par la décadence, entraîne toute une série de maladies psycho-sociales, dont quelques universitaires dressent la cartographie, tout en étant complètement ignorés des “décideurs” politiques qui, comme on le sait, préfèrent la politique de l’autruche. Parmi ces universitaires, je ne citerai que le Flamand Dirk De Wachter, professeur à la KUL de Louvain, et l’Allemand Manfred Spitzer, directeur de la clinique psychiatrique de l’Université d’Ulm (cf. Dirk De Wachter, “Borderline Times – Het einde van de normaliteit”, Lannoo Campus, Tielt, 2012; Manfred Spitzer, “Digitale Demenz – Wie wir uns und unsere Kinder um den Verstand bringen”, Droemer, München, 2012).
Le Prof. De Wachter voit disparaître toute forme de “normalité” et glisser nos populations vers ce qu’il appelle, en jargon de psychiatrie, le “borderline”, la “limite” acceptable pour tout comportement social intégré, une “borderline” que de plus en plus de citoyens franchissent malheureusement pour basculer dans une forme plus ou moins douce, plus ou moins dangereuse, de folie: en Belgique, 25% de la population est en “traitement”, 10% ingurgitent des anti-dépresseurs, de 2005 à 2009 le nombre d’enfants et d’adolescents contraints de prendre de la rilatine a doublé rien qu’en Flandre (de 15.000 à 30.000...); en 2007, la Flandre est le deuxième pays sur la liste en Europe quant au nombre de suicides par million d’habitants (161/un million). C’est là, on en conviendra, une brillante réussite de la politique régimiste! Bilan désastreux pour nos “progressistes” qui croyaient avoir trouvé toutes les formules pour faire le bonheur des masses! Pour le Prof. De Wachter, la solution réside dans un renouveau culturel, littéraire et artistique, basé sur des principes radicalement différents de ceux appliqués aujourd’hui dans les établissements d’enseignement: l’effondrement du niveau, où le prof doit se mettre au niveau des élèves et capter leur attention “no matter what” et la négligence des branches littéraires, artistiques et musicales, qui permettent à l’enfant de tenir compte d’autrui, font basculer les nouvelles générations dans une déshumanisation problématique, constate le Prof. De Wachter, en se réclamant du philosophe conservateur britannique Roger Scruton et de la “communautariste” américaine Martha Nussbaum, vigoureuse avocate du retour aux humanités classiques, à nos racines grecques et aristotéliciennes. Guérir notre société malade passe donc par une révolution culturelle, soit par un retour, par un “revolvere” aux fondements sûrs de notre civilisation, aux humanités classiques et aux bases identitaires. Sans identité, sans tradition, sans “centre” intérieur (Frithjof Schuon), on devient fou: tel est notre constat, schématisé ici de manière certes un peu abrupte, et il est corroboré par l’une des plus grandes sommités de la médecine psychiatrique de la célèbre université de Louvain. Ceux qui nous contrarient au nom de leurs chimères et de leurs délires, sont, par voie de conséquence, sans trop solliciter les faits, des fous qui veulent précipiter leurs contemporains au-delà de la “borderline”, où on ne survit qu’à grands renforts d’anti-dépresseurs ou d’euphorisants, à moins de passer dans la catégorie des 161 infortunés sur un million d’habitants qui recourent au suicide.
Quant à ce spécialiste des recherches sur le fonctionnement du cerveau qu’est le Prof. Manfred Spitzer, il s’est penché tout spécialement, dans son dernier livre (op. cit.) sur la “démence digitale”, où il dénonce l’utilisation abusive de médias digitalisés dans l’enseignement. Son ouvrage est une riposte à une dangereuse élucubration de la “Commission d’enquête” du Bundestag allemand, qui avait prévu d’offrir un “notebook” à tous les écoliers et de promouvoir la “pédagogie par jeux informatiques”: il paraît d’après ces délirants germaniques que cette bimbeloterie high tech et cette pédagogie de cornecul vont offrir “un meilleur avenir pour nos enfants” (gnagnagna...). Pour le Prof. Spitzer, nobelisable, ce délire témoigne d’une méconnaissance totale du fonctionnement du cerveau humain (surtout au stade de l’enfance et de l’adolescence) et d’un commercialisme sans scrupules (car les marchands d’ordinateurs et de logiciels ont sûrement graissé la patte des politicards et des pédagogogues). Pourtant, bon nombre d’études scientifiques ont prouvé que les médias digitalisés ne donnaient que de piètres résultats sur le plan pédagogique. Pire, ils endommagent les corps et les cerveaux, dans la mesure où la mémoire et la concentration en pâtissent. On entraîne ainsi les nouvelles générations dans la superficialité, dans l’a-socialité (les amis virtuels de “Facebook” ou de “Twitter” ne sont pas des amis de chair et de sang), dans la dépression (cf. De Wachter), due notamment à l’absence de sommeil cumulée sur des mois voire des années. Et dans les pages 276 à 281 de son livre, Spitzer pointe du doigt les coupables: les politiciens, tous partis confondus; citation: “Lors de conférences et de débats, on m’a souvent demandé d’aller parler aux hommes politiques. Je l’ai fait, à plusieurs reprises, notamment, il y a quelques années, lors d’un audit d’experts mandé par la Commission de la jeunesse du Bundestag. Cet audit a duré deux fois plus de temps que prévu et les députés ont trouvé formidable tout ce que nous leur disions. Après environ six semaines, on a pondu un long protocole qui concluait... qu’il n’y avait aucune raison d’agir... Le lobby médiatique, entretemps, n’avait pas perdu son temps”. Mieux: “Le sort des enfants n’est pas pris au sérieux par les responsables politiques. Ils les perçoivent plutôt comme du bétail et non pas comme des êtres en pleine croissance, comme de petits diamants que l’on doit traiter raisonnablement et avec respect”. Voilà donc l’avis de deux experts, issus de facultés de médecine prestigieuses, un avis que les politiciens ignorent... Et peuvent ignorer en toute tranquillité parce qu’il n’y a pas de structures de combat métapolitique dans nos quartiers pour contrer leurs agissements criminels et anti-sociaux dans nos assemblées municipales, dans nos écoles, dans nos comités de voisinage, etc. Il y a des dizaines de savants irréprochables, comme De Wachter et Spitzer, qui ne peuvent pas faire entendre leur voix parce qu’ils n’ont aucun relais dans la société civile, aucune association métapolitique pour leur venir en aide et faire triompher, dans chaque quartier, dans chaque bourg, leurs idées justes et bonnes.
9.
Quelles est votre opinion sur la montée ou sur les avatars des partis dits “nationalistes” en Europe aujourd’hui?
A partir de la perestroïka de Gorbatchev, au moment de la chute du Mur de Berlin, au début des années 90 du 20ème siècle, tous les espoirs étaient quasi permis: le communisme disparaissait en tant que partie prenante du duopole de Yalta. Sa fonction de croquemitaine pour imposer le libéralisme manchestérien à l’Europe occidentale s’évanouissait. On pouvait envisager ce que nous appellions, à l’ère du duopole, une “troisième voie” (Jean-Gilles Malliarakis à Paris) ou un “solidarisme” (Lothar Penz et Ulrich Behrenz à Hambourg). Rien n’est arrivé. Nos espoirs ont été totalement déçus. Les partis dits “nationalistes” sont apparus à la même époque: Le Pen prend son envol, grâce aux efforts de Stirbois à Dreux, dès 1984, un an avant l’accession de Gorbatchev au pouvoir. D’autres partis sortent de la marginalité ailleurs en Europe: le bilan de cette effervescence nouvelle à l’époque, je l’ai dressé, encore assez enthousiaste, avec le regretté Roland Gaucher, dans un numéro spécial sur les “nouveaux nationalistes” du célèbre mensuel parisien “Le Crapouillot” en 1994. C’était là une enquête minutieuse que j’avais pu mener allègrement, grâce, surtout, à la formidable documentation qu’avaient compilée Peter Dehoust, Heinz-Dieter Hansen et Wolfgang Strauss en Allemagne dans les colonnes de revues ou de bulletins comme “Nation Europa”, “DESG-Inform” ou “Staatsbriefe” (du Dr. Hans-Dieter Sander). Deux écueils expliquent la stagnation actuelle de toutes ces formations politiques, stagnation assortie par d’interminables querelles entre personnes: 1) le mirage du néo-libéralisme, dont ces formations ne se sont pas assez démarquées au profit d’un solidarisme nouveau, c’est-à-dire d’un socialisme comme aux temps héroïques, comme au temps de Georges Sorel ou de Roberto Michels, d’un socialisme débarrassé de toutes corruptions mais demeurant inébranlablement au service du peuple, ce qui n’est plus le cas d’un socialisme “diroupetté” ou “hollandouillé”; 2) l’incapacité à s’unir dans le domaine de la politique étrangère; on a vu certains partis faire l’apologie de Bush et du néo-conservatisme new-yorkais, au nom d’une islamophobie qui confondait l’islam avec les dérapages inacceptables du wahhabisme saoudien ou du salafisme nord-africain. Position aussi imbécile que celles des socialistes (corrompus) des vieilles sociales-démocraties usées d’Europe qui croyaient qu’Obama allait nous apporter une ère de paix diamétralement différente du bellicisme néo-conservateur! Alors qu’Obama poursuit, opiniâtre, le programme guerrier et pétrolier du père et du fils Bush!
Seule la FPÖ autrichienne offre, dans sa presse, des articles anti-impérialistes bien argumentés et documentés, dus à la plume d’un véritable héros contemporain de l’européisme sainement conçu, un héros modeste et effacé, le Dr. Bernhard Tomaschitz, que j’ai le vif plaisir de traduire assez souvent. En Italie, le quotidien de la “Lega Nord”, “La Padania”, offrait aussi de fructueuses analyses en politique étrangère et je me souviens, avec nostalgie, de ma coopération avec Archimede Bontempi, lors de la guerre de l’OTAN contre la Serbie. En dehors des partis représentés dans les hémicycles, le quotidien romain “Rinascita”, organe d’une “gauche nationale” offre chaque jour, grâce à un excellent réseau de correspondants dispersés dans le monde entier, des analyses de politique internationale qui devraient servir d’exemples à tous et faire honte à tous les cancres qui ne s’en inspirent pas...
En tant qu’admirateur de la clarté conceptuelle de Jean Thiriart, j’ai donc été déçu de ne pas voir les analyses de Tomaschitz, de Bontempi (et de ses amis) et de la formidable équipe de “Rinascita” être traduites en un militantisme offensif, tous azimuts, mobilisant les universités (si c’est encore possible, à l’heure de la démence digitalisée stigmatisée par le Prof. Spitzer...), les cercles culturels, para-politiques et métapolitiques, les débats parlementaires en commission des affaires étrangères, de manière à s’opposer systématiquement aux diktats de l’hegemon, non pas par une politique frontale, car nous n’en avons pas (encore) les moyens, mais par une stratégie des petits coups d’épingle constants et incessants, une stratégie dont les partis dits “nationalistes” auraient dû se faire le fer de lance, faute d’autres combattants représentatifs et à cause des scléroses mentales des formations d’extrême-gauche, pourtant plus férues de politique étrangère... Beaucoup n’ont pas opté pour ce combat constant et nécessaire... En attendant, l’Europe des tartuffes constate qu’elle est espionnée, que l’Oncle Sam a des yeux et des oreilles partout, jusque dans les chiottes du Parlement européen (pour parler comme Poutine...), grâce au système Prism et que John Bull fait de même, avec “Tempora”. Les cocus magnifiques... Nous n’avons pas attendu un tel scandale ni les révélations de Julian Assange ou d’Edward Snowden pour réagir, pour organiser un mini-pôle de rétivité. Une fois de plus, nous avons eu raison, mille fois raisons. Notre politique de refus de l’américanisme était la bonne. La seule qui soit politiquement rationnelle face à un hegemon malhonnête.
10.
Pour terminer cet entretien, je voudrais que vous expliquiez aux néophytes que nous sommes ce qu’a été le rôle de “Synergies Européennes”?
Vous pourrez consulter l’entretien que j’ai accordé au site scandinave “Oskorei” pour comprendre ce qu’a été “Synergies Européennes”. L’objectif était de faire travailler ensemble des Européens lucides et enracinés dans leur culture par des colloques, conférences et universités d’été communes et par une politique de traduction tous azimuts. Lors de mon intervention sur les ondes de la radio libre “Méridien Zéro” en juin 2012, l’animateur de service ce jour-là m’a bien avoué qu’il manque aujourd’hui en Europe une association “baldaquin” du genre que celle que j’ai animée jusqu’en 2004, avant de passer au virtuel comme tout le monde —ce qui n’est pas la même chose, hélas, que les rapports directs et personnels entre confrères— sur les sites http://euro-synergies.hautetfort.com puis http://vouloir.hautetfort.com et http://archiveseroe.eu . Mes textes personnels se trouvent sur http://robertsteuckers.blogspot.com . Si d’aucuns estiment opportune la renaissance d’une telle structure souple et ouverte, d’un tel baldaquin, que les volontaires se présentent au bureau de recrutement, avec leurs références, prouvant qu’ils savent travailler dans la constance et la détermination. Et tout redémarrera comme au premier jour.
11.
Merci d’ajouter les quelques mots de la fin pour nos lecteurs...
Méditez l’adage tiré de la fable de Lafontaine, “Le laboureur et ses enfants”: “Travaillez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins”.
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lundi, 01 juillet 2013
Entretien avec Gilbert Sincyr
« Le Paganisme est une Vue du monde
basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme.
Il est fondé sur le sens de l’honneur
et de la responsabilité de l’Homme,
face aux évènements de la vie »
Entretien avec Gilbert Sincyr, auteur du livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe
Propos recueillis par Fabrice Dutilleul
Votre livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe est un succès. Pourtant ce thème peut paraître quelque peu « décalé » à notre époque.
Bien au contraire : si les églises se vident, ce n’est pas parce que l’homme a perdu le sens du sacré, c’est parce que l’Européen se sent mal à l’aise vis-à-vis d’une religion qui ne répond pas à sa sensibilité. L’Européen est un être qui aspire à la liberté et à la responsabilité. Or, lui répéter que son destin dépend du bon vouloir d’un Dieu étranger, que dès sa naissance il est marqué par le péché, et qu’il devra passer sa vie à demander le pardon de ses soi-disant fautes, n’est pas ce que l’on peut appeler être un adulte maître de son destin. Plus les populations sont évoluées, plus on constate leur rejet de l’approche monothéiste avec un Dieu responsable de tout ce qui est bon, mais jamais du mal ou de la souffrance, et devant qui il convient de se prosterner. Maintenant que l’Église n’a plus son pouvoir dominateur sur le peuple, on constate une évolution vers une aspiration à la liberté de l’esprit. C’est un chemin à rebours de la condamnation évangélique, originelle et perpétuelle.
Alors, qu’est-ce que le Paganisme ?
C'est d’abord un qualificatif choisi par l’Église pour désigner d’un mot l’ensemble des religions européennes, puisqu’à l’évidence elles reposaient sur des valeurs communes. C’est donc le terme qui englobe l’héritage spirituel et culturel des Indo-européens. Le Paganisme est une Vue du monde basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme. Il est fondé sur le sens de l’honneur et de la responsabilité de l’Homme, face aux évènements de la vie. Ce mental de combat s’est élaboré depuis le néolithique au fil de milliers d’années nous donnant une façon de penser, une attitude face au monde. Il est à l’opposé de l’assujettissement traditionnel moyen-oriental devant une force extérieure, la volonté divine, qui contrôle le destin de chacun. Ainsi donc, le Paganisme contient et exprime l’identité que se sont forgés les Européens, du néolithique à la révolution chrétienne.
Vous voulez donc remplacer un Dieu par plusieurs ?
Pas du tout. Les temps ne sont plus à l’adoration. Les Hommes ont acquit des connaissances qui les éloignent des peurs ancestrales. Personne n’a encore apporté la preuve incontestable qu’il existe, ou qu’il n’existe pas, une force « spirituelle » universelle. Des hommes à l’intelligence exceptionnelle, continuent à s’affronter sur ce sujet, et je crois que personne ne mettrait sa tête à couper, pour l’un ou l’autre de ces choix. Ce n’est donc pas ainsi que nous posons le problème.
Le Paganisme, qui est l’expression européenne d’une vue unitaire du monde, à l’opposé de la conception dualiste des monothéismes, est la réponse spécifique d’autres peuples aux mêmes questionnements. D’où les différences entre civilisations.
Quand il y a invasion et submersion d’une civilisation par une autre, on appelle cela une colonisation. C’est ce qui s’est passé en Europe, contrainte souvent par la terreur, à changer de religion (souvenons-nous de la chasse aux idoles et aux sorcières, des destructions des temples anciens, des tortures et bûchers, tout cela bien sûr au nom de l’amour). Quand il y a rejet de cette colonisation, dans un but de recherche identitaire, on appelle cela une libération, ou une « Reconquista », comme on l’a dit de l’Espagne lors du reflux des Arabes. Et nous en sommes là, sauf qu’il ne s’agit pas de reflux, mais d’abandon de valeurs étrangères au profit d’un retour de notre identité spirituelle.
Convertis par la force, les Européens se libèrent. « Chassez le naturel et il revient au galop », dit-on, et voilà que notre identité refoulée nous revient à nouveau. Non pas par un retour des anciens Dieux, forme d’expression d’une époque lointaine, mais comme un recours aux valeurs de liberté et de responsabilité qui étaient les nôtres, et que le Paganisme contient et exprime.
Débarrassés des miasmes du monothéisme totalitaire, les Européens retrouvent leur contact privilégié avec la nature. On reparle d’altérité plutôt que d’égalité, d’honneur plutôt que d’humilité, de responsabilité, de volonté, de défi, de diversité, d’identité, enfin de ce qui constitue notre héritage culturel, pourchassé, rejeté et condamné depuis deux mille ans.
S’agit-il alors d’une nouvelle guerre de religion ?
Pas du tout, évidemment. Les Européens doivent dépasser ce qui leur a été imposé et qui leur est étranger. Nous devons réunifier sacré et profane, c’est-à-dire réaffirmer que l’homme est un tout, que, de ce fait, il est le maître de son destin car il n’y a pas dichotomie entre corps et esprit. Les Européens ne doivent plus s’agenouiller pour implorer le pardon de fautes définies par une idéologie dictatoriale moyen-orientale. Ce n’est pas vers un retour du passé qu’il nous faut nous tourner, gardons-nous surtout d’une attitude passéiste, elle ne serait que folklore et compromission. Au contraire des religions monothéistes, sclérosées dans leurs livres intouchables, le Paganisme, comme une source jaillissante, doit se trouver de nouveaux chemins, de nouvelles expressions. À l’inverse des religions du livre, bloquées, incapables d’évoluer, dépassées et vieillissantes, le Paganisme est l’expression de la liberté de l’homme européen, dans son environnement naturel qu’il respecte. C’est une source de vie qui jaillit de nouveau en Europe, affirmant notre identité, et notre sens du sacré, pour un avenir de fierté, de liberté et de volonté, dans la modernité.
Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europede Gilbert Sincyr, éditions de L’Æncre, collection « Patrimoine des Religions », dirigée par Philippe Randa, 232 pages, 25 euros.
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samedi, 29 juin 2013
Les guerres d'Afrique
Des origines à nos jours
Entretien avec Bernard Lugan
Africaniste renommé, récemment auteur entre autres ouvrages d'une Histoire de l'Afrique, d'une Histoire de l'Afrique du Sud et d'une Histoire du Maroc, expert auprès du TPI-Rwanda et éditeur de la lettre d'information L'Afrique Réelle, Bernard Lugan signe aujourd'hui une nouvelle somme.
Son livre est très logiquement divisé selon un plan chronologique en quatre grandes parties : "Guerres et sociétés guerrières en Afrique avant la colonisation", "Les guerres de conquête coloniale", "Les guerres de la période coloniale" et "Les guerres contemporaines, 1960-2013", tous conflits dont il fait le récit chronologique et factuel. On voit bien l'ampleur du sujet et Bernard Lugan nous fait plusieurs fois traverser le continent de part en part au fil des époques. La grande région sahélienne, celle des Grands Lacs et l'Afrique australe reviennent bien sûr à plusieurs reprises et certaines situations résonnent en écho jusqu'à aujourd'hui. Tous les chapitres, agrémentés d'encarts qui précisent des situations locales ou des données chiffrés, sont intéressants et l'on ne retiendra à titre d'exemple que quelques titres de la dernière partie (sait-on que pour la période 2000-2010 70% des décisions de l'ONU sont relatives aux conflits africains ?) : "La guerre civile algérienne (1992-2002)", "Les guerres de Somalie : clans contre clans (depuis 1977)", "Nigeria : de la guerre du Biafra au conflit ethno-religieux Nord-Sud", "La deuxième guerre du Kivu (depuis 2007)" : autant de coups de projecteur extrêmement utiles et souvent pertinents sur des zones crisogènes dont l'Europe ne peut pas se désintéresser (même si elle le voulait, de toute façon).
L'ensemble de ces chapitres, rédigés d'une plume alerte et toujours référencés, est complété par un cahier central d'une soixantaine de cartes en couleurs, parfaitement lisibles et pédagogiques, et le livre se termine sur un index complet et une bibliographie significative. Ceux qui connaissent déjà tel ou tel engagement pourront regretter que certaines campagnes ne soient pas traitées davantages en détail, mais aborder autant d'opérations et de combats en 400 pages témoigne d'un bel esprit de synthèse. Au total, un ouvrage appelé à devenir très rapidement de référence et que liront avec le plus grand intérêt les étudiants et tous ceux qui soit s'intéressent à l'histoire du continent, soit se préoccupent de l'avenir.
Editions du Rocher, Monaco, 2013, 403 pages, 32 euros.
ISBN : 978-2-268-97531-0.
Bernard Lugan a bien voulu répondre à quelques questions pour nos lecteurs :
Question : Votre livre dresse un impressionnant tableau des conflits en Afrique de la plus haute Antiquité aux guerres actuelles. Par grande période, une introduction présente un résumé des évolutions, mais vous ne tentez pas d'en tirer des enseignements généraux en conclusion. Pourquoi ?
Réponse : Parce que nous ne devons par parler de l’Afrique, mais des Afriques, donc des guerres africaines. Mon livre est construit sur cette multiplicité, sur ces différences irréductibles les unes aux autres et sur leur mise en perspective. Dans ces conditions, il est vain de faire une typologie, sauf pour les guerres de la période contemporaine, ce que j’ai fait, et encore moins une classique conclusion de synthèse.
Question : La grande région saharienne-Sahel est présente dans chaque partie, des "Origines de la guerre africaine" aux "Guerres contemporaines". Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce qui semble bien être une zone de conflits quasi-permanents ?
Réponse : Cette zone qui court de l’Atlantique à la mer Rouge en couvrant plus de dix pays, est un véritable rift racial et ethnique en plus d’être une barrière géographique. Ce fut toujours une terre convoitée car elle fut à la fois le point de départ et le point d’arrivée -hier du commerce, aujourd’hui des trafics transsahariens, une zone de mise en relation entre l’Afrique « blanche » et l’Afrique des savanes, un monde d’expansion des grands royaumes puis de l’islam.
Aujourd’hui, cette conflictualité ancienne et résurgente tout à la fois est exacerbée par des frontières cloisonnant artificiellement l’espace et qui forcent à vivre ensemble des populations nordistes et sudistes qui ont de lourds contentieux. Le tout est aggravé par le suffrage universel fondé sur le principe du « un homme, une voix », qui débouche sur une ethno mathématique donnant automatiquement le pouvoir aux plus nombreux, en l’occurrence les sudistes. Voilà la cause de la guerre du Mali, mais ce problème se retrouve dans tout le Sahel, notamment au Niger et au Tchad. Au Mali, le fondamentalisme islamiste s’est greffé sur une revendication politique nordiste de manière récente et tout à fait opportuniste. Or, comme le problème nord-sud n’a pas été réglé, les causes des guerres sahéliennes subsistent.
Question : On a dit beaucoup de choses sur le retentissement de l'échec italien lors de la première tentative de conquête de l'Ethiopie à la fin du XIXe siècle. Si les conséquences en politique intérieure à Rome sont compréhensibles, ces événements ont-ils un écho réel dans les autres capitales européennes et sur le sol africain lui-même ?
Réponse : L’originalité de la défaite d’Adoua est qu’elle a, sur le moment, mis un terme au projet colonial italien. Ce fut une défaite stratégique. Français, Anglais et Allemands connurent eux aussi des défaites, les premiers, notamment au Sahara, mais cela n’interrompit pas la prise contrôle de ces immensités ; les Britanniques furent battus à Isandhlawana, ce qui n’empêcha pas la conquête du royaume zulu ; quant aux Allemands, ils subirent plusieurs déconvenues contre les Hehe et les Maji Maji, mais l’Est africain fut néanmoins conquis. Le désastre italien fut d’une autre nature, d’une autre échelle, alors que, à l’exception d’Isandlhawana, Anglais, Français et Allemands ne perdirent en réalité que des combats à l’échelle d’une section, au pire, d’une compagnie. Quant aux Espagnols, même après leurs sanglantes déroutes lors de la guerre du Rif, leur présence dans le Maroc septentrional ne fut pas remise en cause et, dès qu’ils décidèrent d’utiliser leurs troupes d’élite comme le Tercio et non plus des recrues tant métropolitaines qu’indigènes, ils reprirent le contrôle de la situation. Il faut cependant remarquer qu’avant son éviction par Pétain, Lyautey avait, comme je le montre dans mon livre, rétabli la situation sur le front de l’Ouergha et de Taza, ce qui enlevait toute profondeur d’action aux Riffains.
Autre conséquence, auréolée par sa victoire de 1896, puis par sa résistance sous Mussolini, l’Ethiopie eut un statut particulier d’Etat leader du mouvement indépendantiste et ce fut d’ailleurs pourquoi, dès sa création en 1963, le siège de l’Organisation de l’unité africaine fut établi à Addis-Abeba.
Question : Vous décrivez "Un demi-siècle de guerres au Zaïre/RDC", et l'on a finalement le sentiment qu'une amélioration de la situation reste très hypothétique. Comment l'expliquez-vous ?
Réponse : Ici le problème est sans solution car il n’est pas économique mais ethnique et politique. Nous sommes en effet en présence d’un Etat artificiel découpé au centre du continent à la fin du XIX° afin de retirer le bassin du Congo à la convoitise des colonisateurs et cela afin d’éviter une guerre européenne pour sa possession. Cet Etat artificiel, désert humain en son centre forestier, englobe sur ses périphéries de vieux Etats comme le royaume Luba, l’empire Lunda ou encore le royaume de Kongo. Ces derniers ont une forte identité et leurs peuples ne se reconnaissent pas dans l’artificielle création coloniale qu’est la RDC. Quant à l’impérialisme rwandais qui s’exerce au Kivu, il entretient un foyer permanent de guerre dans tout l’est du pays. La raison en est claire : étouffant sous sa surpopulation, le « petit » Rwanda doit trouver un exutoire humain s’il veut éviter le collapsus. De plus, comme 40% du budget du pays provient de l’aide internationale et le reste, à plus de 90% du pillage des ressources du Congo, pour le Rwanda, la fin de la guerre signifierait donc la mort économique du pays. Appuyé par les Etats-Unis qui en ont fait le pivot de leur politique régionale, le Rwanda exploite avec habileté ce que certains ont appelé la « rente génocidaire » pour dépecer sans états d’âme la partie orientale du pays.
Question : Vous intitulez la partie dans laquelle vous traitez de la décolonisation : « Des guerres gagnées, des empires perdus », pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Réponse : Parce que la parenthèse coloniale fut refermée sans affrontements majeurs, sans ces combats de grande intensité qui ravagèrent l’Indochine. En Afrique, les guérillas nationalistes ne furent jamais en mesure de l’emporter sur le terrain, pas plus en Algérie où les maquis de l’intérieur n’existaient quasiment plus en 1961, qu’au Kenya où les Britanniques avaient éradiqué les Mau Mau, ou encore que dans le domaine portugais -à l’exception de la Guinée Bissau-, où, et mes cartes le montrent bien, l’armée de Lisbonne était maîtresse du terrain. En Rhodésie, la pugnace et efficace petite armée de Salisbury avait réussi à tenir tête à une masse d’ennemis coalisés, massivement aidés par l’URSS et la Chine avant d’être trahie par l’Afrique du Sud qui pensa naïvement acheter son salut en abandonnant les Blancs de Rhodésie. Partout, la décolonisation fut un choix politique métropolitain ; elle ne fut nulle part imposée sur le terrain. Les combats de grande intensité apparurent après les indépendances, dans le cadre de la guerre froide, et je les décrits dans mon livre : Angola, South African Border War, Corne de l’Afrique, Congo etc.
Merci très vivement pour toutes ces précisions et plein succès pour votre ouvrage. A très bientôt.
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mardi, 25 juin 2013
P. Scholl-Latour: “L’Occident s’allie avec Al-Qaeda”
“L’Occident s’allie avec Al-Qaeda”
Peter Scholl-Latour, le grand expert allemand sur le Proche et le Moyen Orient s’exprime sur la guerre civile syrienne, sur le rôle de l’Europe et des Etats-Unis, sur le programme nucléaire iranien qui suscite bien des controverses...
Entretien avec Peter Scholl-Latour
Q.: En Syrie, l’armée vient de reprendre un bastion des rebelles, la ville de Qussayr et a enregistré d’autres succès encore. Ces victoires représentent-elles un tournant dans cette guerre civile atroce, cette fois favorable à Bechar El-Assad?
PSL: Jamais la situation n’a vraiment été critique pour le Président El-Assad, contrairement à ce qu’ont toujours affirmé nos médias. Il y a bien sûr des villages qui sont occupés par les rebelles; des frontières intérieures ont certes été formées au cours des événements mais on peut difficilement les tracer sur une carte avec précision. La Syrie ressemble dès lors à une peau de léopard. Aucun chef-lieu de province n’est tombé aux mains des rebelles, bien que bon nombre d’entre eux soient entourés de villages hostiles à El-Assad. Il est tout aussi faux d’affirmer que tous les Sunnites sont des adversaires d’El-Assad, et la chute d’une place forte stratégique aussi importante que Qussayr est bien entendu le fruit d’une coopération avec le Hizbollah libanais.
Q.: Le Liban sera-t-il encore plus impliqué dans la guerre civile syrienne qu’auparavant?
PSL: Le Liban est profondément impliqué! Quand j’étais à Tripoli dans le Nord du pays, il y a trois ans, des coups de feu s’échangeaient déjà entre les quartiers alaouites et sunnites. La ville de Tripoli a toujours été considérée comme le principal bastion au Liban de l’islam rigoriste et, pour l’instant, on ne sait pas encore comment se positionneront vraiment les chrétiens. On peut cependant prévoir qu’ils en auront bien vite assez de la folie des rebelles syriens, dont le slogan est le suivant: “Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites au cimetière!”.
Q.: L’UE vient encore de prolonger l’embargo sur les armes contre la Syrie, vu que l’Europe ne montre aucune unité diplomatique ou stratégique. Peut-on considérer cette posture comme un prise de position inutile de la part de l’UE?
PSL: Les Européens montrent une fois de plus une image lamentable, surtout les Français et les Anglais. Cette image lamentable, à mes yeux, se repère surtout dans la tentative maladroite des Français de prouver que le régime d’El-Assad utilise des gaz de combat, affirmation purement gratuite car il n’y a pas l’ombre d’une preuve. Cependant, les seuls qui auraient un intérêt à utiliser des gaz, même en proportions très limitées, sont les rebelles, car Obama a déclaré naguère que l’utilisation de telles armes chimiques constituerait le franchissement d’une “ligne rouge”, permettant à l’Occident d’intervenir.
Q.: L’Occident pourra-t-il encore intervenir, surtout les Etats-Unis, même sans utiliser de troupes terrestres et en imposant militairement une zone interdite aux avions d’El-Assad?
PSL: Les Américains ne sont pas prêts, pour le moment, à franchir ce pas parce qu’ils ne veulent pas s’impliquer encore davantage dans les conflits du Proche Orient et surtout parce qu’ils en ont assez du gâchis libyen. L’Occident a certes connu une forme de succès en Libye, en provoquant la chute de Khadhafi, mais le pays est plongé depuis lors dans un inextricable chaos dont ne perçoit pas la fin. En Cyrénaïque, plus précisément à Benghazi, où l’on a cru naïvement qu’un soulèvement pour la démocratie avait eu lieu, l’ambassadeur des Etats-Unis a été assassiné. On aurait parfaitement pu prévoir ce chaos car la Cyrénaïque a toujours été, dans l’histoire, la province libyenne la plus travaillée par l’islamisme radical.
On a cru tout aussi naïvement que des élections allaient amener au pouvoir un gouvernement modéré et pro-occidental, mais on n’a toujours rien vu arriver... Les luttes acharnées qui déchirent la Libye sont organisées par les diverses tribus qui ont chacune leurs visions religieuses propres.
Q.: L’Occident soutient les rebelles en Syrie tandis que la Russie se range derrière El-Assad. Peut-on en conclure que, vu les relations considérablement rafraîchies aujourd’hui entre l’Occident et la Russie, la guerre civile syrienne est une sorte de guerre russo-occidentale par partis syriens interposés?
PSL: Bien sûr qu’il s’agit d’une guerre par partis syriens interposés: les Russes se sont rangés derrière El-Assad, comme vous le dites, de même que l’Iran et le premier ministre irakien Nouri Al-Maliki. La frontière entre la Syrie et la Turquie est complètement ouverte, ce qui permet aux armes, aux volontaires anti-Assad et aux combattants d’Al Qaeda de passer en Syrie et de renforcer le camp des rebelles. De plus, en Turquie, on entraîne des combattants tchétchènes, ce qui me permet de dire que l’Occident s’est bel et bien allié à Al-Qaeda.
Q.: Quelles motivations poussent donc les Turcs? Sont-ils animés par un rêve de puissance alimenté par l’idéologie néo-ottomane?
PSL: Selon toute vraisemblance, de telles idées animent l’esprit du premier ministre turc Erdogan. Mais, depuis peu, des troubles secouent toute la Turquie, qu’il ne faut certes pas exagérer dans leur ampleur parce qu’Erdogan est bien installé au pouvoir, difficilement délogeable, ne peut être renversé. Mais les événements récents égratignent considérablement l’image de marque de la Turquie, telle qu’elle avait été concoctée pour le public européen, celle d’un pays à l’islam tolérant, exemple pour tout le monde musulman. Cette vision vient d’éclater comme une baudruche. Mais les véritables inspirateurs des rebelles syriens sont les Saoudiens, dont la doctrine wahhabite est précisément celle des talibans.
Q.: L’Autriche va retirer ses casques bleus du Golan. On peut dès lors se poser la question: la mission de l’ONU dans cette région pourra-t-elle se maintenir? Si la zone-tampon disparaît, ne peut-on pas craindre une guerre entre Israël et la Syrie?
PSL: Pour les Israéliens, ce serait stupide de déclencher une guerre, ce serait une erreur que personne ne comprendrait car depuis la fin de la guerre du Yom Kippour, il y a près de quarante ans, il n’y a pas eu le moindre incident sur la frontière du Golan. J’ai visité là-bas les casques bleus autrichiens et ils ne m’ont pas mentionné le moindre incident. Aujourd’hui toutefois les échanges de tirs ont commencé et les groupes islamistes extrémistes s’infiltrent; il vaut donc mieux que les Autrichiens, qui ont l’ordre de ne jamais tirer, se retirent au plus vite.
Q.: Mais alors une guerre entre Israéliens et Syriens devient possible...
PSL: Israël a une idée fixe: la grande menace viendrait de l’Iran, ce qui est une interprétation totalement erronée. Si les rebelles ont le dessus en Syrie, Israël aura affaire à des islamistes sunnites sur les hauteurs du Golan. Bien sûr, on me rétorquera que le Hizbollah chiite du Liban est, lui aussi, sur la frontière avec Israël, mais il faut savoir que le Hizbollah est une armée disciplinée. Sa doctrine est aussi beaucoup plus tolérante qu’on ne nous l’a dépeinte dans les médias occidentaux: par exemple, dans les régions tenues par le Hizbollah, il n’y a jamais eu de persécutions contre les chrétiens; les églises y sont ouvertes et les statues mariales y demeurent dressées. Toutes choses impensables en Arabie Saoudite, pays qui est un de nos chers alliés, auquel l’Allemagne ne cesse de fournir des chars de combat... Nous vivons à l’heure d’une hypocrisie totale.
Q.: Vous venez d’évoquer l’Iran: un changement de cap après les présidentielles est fort peu probable, surtout si la figure de proue religieuse demeure forte en la personne de Khamenei...
PSL: On a largement surestimé Ahmadinedjad. Il a certes dit quelques bêtises à propos d’Israël mais dans le monde arabe il y a bien d’autres hommes politiques qui ont dit rigoureusement la même chose, sans que les médias occidentaux n’aient jugé bon de lancer des campagnes d’hystérie. Certes, le zèle religieux est bien repérable chez les Chiites d’Iran et, dans les villes surtout, le nationalisme iranien est une force politique considérable. Si un conflit éclate, l’Iran n’est pas un adversaire qu’il s’agira de sous-estimer.
Q.: Le programme nucléaire iranien, si contesté, est aussi et surtout l’expression d’un nationalisme iranien...
PSL: On ne peut prédire si l’Iran se dotera d’un armement nucléaire ou non. Mais on peut émettre l’hypothèse qu’un jour l’Iran deviendra une puissance nucléaire. Cela ne veut pas dire que l’Iran lancera des armes atomiques contre ses voisins car Téhéran considèrera cet armement comme un atout dissuasif, comme tous les autres Etats qui en disposent. L’Iran, tout simplement, est un Etat entouré de voisins plus ou moins hostiles et aimerait disposer d’un armement atomique dissuasif.
Propos recueillis par Bernhard Tomaschitz.
(entretien paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°24/2013).
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mercredi, 19 juin 2013
Élection d’Hassan Rohani
Élection d’Hassan Rohani : vers un rééquilibrage géopolitique de l’Iran ?
Historien du droit et des institutions
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mardi, 18 juin 2013
D. Venner: Kein zweiter Faschismus
Kein zweiter Faschismus
Ein Interview mit Dominique Venner (2010)
Ex: http://www.sezession.de/
Dominique Venner ist Historiker, Schriftsteller und Chefredakteur der Pariser Zeitschrift Nouvelle Revue d’Histoire. Zuletzt erschien von ihm die Monographie Ernst Jünger. Un autre destin européen (Le Rocher, Monaco 2009). Zu seinen wichtigsten Buchveröffentlichungen zählen die Großessays Histoire et tradition des Européens (Le Rocher, Monaco 2002/2004) und Le Siècle de 1914 (Pygmalion, Paris 2006), in denen Venner die Grundlagen der europäischen Identität und die europäische Geschichte des 20. Jahrhunderts neu interpretiert. Zudem veröffentlichte er Le coeur rebelle (Belles Lettres, 1994), eine persönliche Reflexion über seine radikale Jugend, den Algerienkrieg, seine Haftzeit, die Bewegung »Europe Action« und die Ursprünge der »Nouvelle Droite«. Sein erstes zeitgeschichtliches Werk (Baltikum, 1974) befaßte sich mit den Freikorps. Die deutsche Ausgabe erschien unter dem Titel Söldner ohne Sold (Paul Neff Verlag, Wien 1974).
Kontakt: www.dominiquevenner.fr
Sezession: Herr Venner, in Deutschland hat man nur eine recht vage Vorstellung von den Entwicklungen im Frankreich der fünfziger und sechziger Jahre. Welche Kräfte bestimmten das Schicksal Ihres Landes zwischen Dien Bien Phu und dem Ende der Algérie française?
Venner: Die »patriotische« Strömung im Denken und Handeln zur Zeit des Algerienkriegs läßt sich nicht isoliert von einer sehr viel breiteren historischen Bewegung betrachten. Um jene Epoche ebenso wie unsere eigene zu verstehen, muß man die europäische Geschichte des 20. Jahrhunderts deuten lernen. Bis 1914 vermochte eine »europäische Ordnung« Traditionen und Moderne zu versöhnen. Der Erste Weltkrieg zerstörte diese Ordnung, die von dynamischen Aristokratien errichtet worden war. Auf den Trümmern dieser Zivilisation spielten sich ab 1920 gewaltige sozialistische und nationalistische Revolutionen ab. Daß diese Revolutionen, der italienische Faschismus ebenso wie der Nationalsozialismus, scheiterten und einen neuen Weltkrieg und weitere Katastrophen auslösten, lag vor allem an ihrem aggressiven Nationalismus und der Brutalität, mit der sie gegen ihre Gegner vorgingen. Allmählich beginnt sich die Erkenntnis durchzusetzen, daß Europa zwischen 1914 und 1945 einen zweiten »Dreißigjährigen Krieg« erlebte. Er endete mit dem überwältigenden Sieg der USA und der Sowjetunion. Diese beiden Mächte teilten Europa zwischen sich auf und zwangen ihm ihre jeweilige Ideologie auf. Gebrochen von einem halben Jahrhundert erst des Gewaltwahns, dann des Schuldgefühls, ist Europa daraufhin in tiefen Schlaf gefallen. Die »patriotischen« und militärischen Bewegungen, die in Frankreich zwischen Dien Bien Phu (1954) und dem Ende des Algerienkriegs (1962) entstanden, lassen sich als instinktive Revolten gegen diese Erniedrigung Europas deuten, die in Frankreich durch die Dekolonisierung schmerzhaft spürbar wurde.
Sezession: Sie haben damals die Herausforderung gesucht. Mit zwanzig kämpften Sie in Algerien, um die französische Herrschaft dort zu verteidigen. Zu Zeiten des Budapester Volksaufstands kämpften Sie gegen die Kommunisten. Sie waren am Putsch der Generäle vom April 1961 beteiligt, dem Versuch, Staatspräsident Charles de Gaulle zu stürzen. Für Ihre Beteiligung am Kampf der Untergrundbewegung Organisation de l’ Armée Secrète (OAS) verbüßten Sie eine Gefängnisstrafe. Was war der Anstoß, daß Sie zu einem »rebellischen Herzen« wurden?
Venner: Ich hatte damals ein sehr ausgeprägtes Lebensgefühl. Gemeinsam mit einer Handvoll Kameraden bekämpfte ich das politische und intellektuelle Hundepack, das wir für unseren Niedergang verantwortlich machten. Unsere Ideen waren kurzlebig, unsere Instinkte aber tief. In tollkühnen Aktionen riskierten wir Kopf und Kragen. Dieses Engagement hatte wenig mit dem gemein, was man landläufig als »politisch« bezeichnet. Wir träumten weniger davon, eine »Partei« zu gründen als vielmehr einen mystisch-militärischen Orden. Unsere Vorbilder waren die spanischen Falangisten von 1936 oder ein Mann wie Oberst Nasser 1952.
Sezession: Wenn Sie von der damaligen Zeit sprechen, bezeichnen Sie sich selber als einen »Nationalisten«. Warum?
Venner: Wir nannten uns damals »nationalistisch «, um zuvorderst unsere Radikalität zu betonen und uns von der bürgerlichen Rechten abzugrenzen, die sich als »national« bezeichnete. Scherzeshalber pflegten wir zu sagen: »Der Nationale verhält sich zum Nationalisten wie das Rindfleisch zum Stier.« Zudem verstanden wir uns als europäische Nationalisten. Wir waren unserer Zeit voraus.
Sezession: Später verfaßten Sie eine »positive Kritik « des Nationalismus. Was hat sich verändert?
Venner: Das Manifest Pour une critique positive habe ich im Gefängnis geschrieben, Ende 1962, nachdem der Kampf für die französische Kolonialherrschaft in Algerien gescheitert war. Es entstand als Antwort auf die Herausforderung einer historischen Niederlage und wollte neue Denkansätze und Stoßrichtungen für den Kampf formulieren. Die Situation, in der wir uns heute befinden, ist eine radikal andere. Damals mußte alles wiederaufgebaut werden, ohne daß irgendeine Grundlage vorhanden gewesen wäre. Der kraftvolle Gestaltungswille der zwei Jahrzehnte zwischen 1920 und 1940 war durch den Sieg des Kommunismus und des amerikanischen Demokratismus gebrochen, zu schweigen von den antifaschistischen »Säuberungen«. Der Algerienkrieg bewirkte zwar eine patriotische Erneuerung, die jedoch, statt Impulse für ein neues Denken zu geben, große Verwirrung stiftete. Nach 1962 war unsere Ideenwelt dementsprechend verödet. Der Veröffentlichung von Pour une critique positive folgte 1963 die Gründung der Zeitschrift Europe Action, die sich in vielerlei Hinsicht spürbar auswirkte. Wenngleich Europe Action nicht alle in sie gesetzten Erwartungen erfüllen konnte, gelang es doch, Grundlagen zu schaffen. Dazu zählt die Öffnung des Nationalismus für die europäische Dimension, die Befreiung vom Christentum, die Fruchtbarmachung sämtlicher Forschungsergebnisse aus der Philosophie und Geschichtswissenschaft. Dies bildete die Vorlage für das spätere intellektuelle Wirken der Nouvelle Droite.
Sezession: Im Januar 2010 sind seit dem »Barrikadenputsch « in Algier genau fünfzig Jahre vergangen. Wie denken Sie heute über Ihren damaligen Hauptfeind: General de Gaulle?
Venner: Ich habe ein Buch über diese komplexe Figur geschrieben: De Gaulle. La grandeur ou le néant? (Le Rocher, Monaco 2004). Der Titel »De Gaulle. Die Größe oder das Nichts« unterstreicht die Ambivalenz seiner Persönlichkeit. De Gaulle verfügte über große politische Fähigkeiten. Er hätte sie zugunsten der europäischen Einigung und unserer Loslösung von den USA einsetzen können. Leider blieb er zeitlebens der Logik des antifaschistischen Bürgerkriegs verhaftet, auf die er in zwei Schicksalskämpfen gesetzt hatte: 1940/45 und erneut 1958/62. Das Ergebnis ist bekannt. Im Mai 1958 kam de Gaulle an die Macht zurück, getragen von einer breiten Bewegung der nationalen Erneuerung. Zehn Jahre später hatte er dieser Bewegung so sehr das Rückgrat gebrochen, daß ihr politisches Gegenteil triumphierte: der Geist vom Mai ’68, der heute noch dominant ist.
Sezession: Armin Mohler, der von 1953 bis 1960 als Korrespondent für Schweizer und deutsche Zeitungen in Paris arbeitete, schrieb 1958 in der Zeit, Frankreich sei das einzige Land, in dem der Faschismus eine »zweite Chance« hatte. Warum, glauben Sie, entwickelte sich aus dem Nationalismus, der OAS und den Bewegungen der pieds-noirs, der Algerienfranzosen, nie eine neue Form des Faschismus?
Venner: Aus soziologischer Sicht läßt sich die Existenz eines allgemeinen Phänomens namens »Faschismus« feststellen, einschließlich des freilich sehr anders gearteten deutschen Nationalsozialismus. Dabei handelt es sich um eine einmalige historische Erscheinungsform, die nur in einer bestimmten Epoche auftrat. Entgegen den Vorstellungen der Antifaschisten ist der Faschismus weder räumlich noch zeitlich übertragbar. Ohne den Ersten Weltkrieg, ohne den Tod der vormaligen europäischen Ordnung hätte es keinen Faschismus gegeben. Seine Entstehung verdankt er den verzweifelten Umständen sowie dem Aufkommen einer Ersatz-Elite innerhalb der Kriegsgeneration. Er ist im übrigen nur eine Reaktion auf die bolschewistische Bedrohung. Hinzu kommen die Auswirkungen eines verwundeten Nationalismus. Nach 1945 und der historischen Niederlage einer neuen, aus den »Stahlgewittern« hervorgegangenen Elite bestand niemals irgendeine Chance für einen anderen »Faschismus«. Eine Wiederkehr des Faschismus wird es genausowenig geben wie eine neue Reformation. Die Geschichte der großen Bewegungen wiederholt sich nicht. Wir leben längst in einer anderen Zeit, nämlich jener des Zusammenpralls der Zivilisationen und ihres Wiederauflebens – und nicht zu vergessen: Europas.
Sezession: Herr Venner, wir bedanken uns für das Gespräch.
Das Interview führte Karlheinz Weißmann
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[2] Image: http://www.sezession.de/heftseiten/heft-34-februar-2010
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dimanche, 16 juin 2013
Romain Lecap: Manipulations médiatiques
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Roland Dumas : les Anglais préparaient la guerre en Syrie deux ans avant les manifestations en 2011
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vendredi, 14 juin 2013
M. Drac : Enjeux géopolitiques pour l'avenir
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jeudi, 13 juin 2013
Europe, Globalization and Metapolitics
Robert Steuckers:
Europe, Globalization and Metapolitics
Questions by Leonid Savin (April/May 2013)
Ex: http://www.geopolitca.ru/
Mr. Steuckers, we would like to start our interview by describing the current situation in the EU, especially in its North-West region. What could you tell us about it?
Interviewed by Leonid Savin
19:58 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Entretiens, Eurasisme, Géopolitique, Nouvelle Droite, Synergies européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, entretien, robert steuckers, europe, affaires européennes, géopolitique, leonid savin, russie, synergies européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Richard Millet im Gespräch
„Wächter des Niedergangs“
Richard Millet im Gespräch
Benedikt Kaiser
Ex: http://www.sezession.de/
SEZESSION: Der Freitod Dominique Venners vollzog sich in einem nervösen Frankreich. Demonstrationen und Ausschreitungen begleiten die Installierung der „Lex Taubira“, die homosexuellen Paaren Heirat und Adoption erlaubt. Wie gestaltet sich die Lage vor Ort?
MILLET: Dominique Venner wollte einen symbolischen Freitod. Ich befürchte, daß er unter diesem Gesichtspunkt „gescheitert“ ist: er hat weder die spektakuläre Wirksamkeit eines Mishima noch die diskrete, sehr römische Größe eines Montherlant. Man muß sich nicht in Notre-Dame umbringen, dann schon eher vor dem Pariser Rathaus, dieser Hochburg der sozialistisch-homosexuellen Lobby.
SEZESSION: Wie reagierten die Medien?
MILLET: Die gesamte Presse (und rechts wie links ist es dieselbe politisch korrekte, unwahre Einheitspresse), stellt nur die Tatsache fest, daß ein Historiker der extremen Rechten verzweifelt ist: Sie verschweigt die Gründe für diese Handlung, sie spricht nicht darüber. Wie mehrere Millionen weitere Franzosen wurde Venner vom Gesetz über die Homo-Ehe geschockt, das in der Tat eine Unsinnigkeit und ein politischer Schlag ist, der zum Unterdrückungsarsenal der antirassistischen Religion hinzutritt. Der Tod von Venner erfolgt in einem Zustand der Verzweiflung und einer tiefen Depression in Frankreich wie in vielen weiteren europäischen Ländern, die durch eine massive, nichteuropäische – häufig muslimische – Einwanderung zermürbt werden.
SEZESSION: Zermürbt durch Zustände, die bald an Bürgerkriege erinnern lassen?
MILLET: Europa kennt einen mehr oder weniger latenten Bürgerkrieg: ethnische Unruhen im schwedischen Paradies; Durchschneiden der Kehle eines Soldaten im belebten London durch einen islamistischen Schwarzen; Versuch des Durchschneidens der Kehle eines französischen Soldaten in einer Station der Pariser U-Bahn durch einen Mann mit „dunkler Haut und langen schwarzen Bart“; und ich erinnere gar nicht an Breivik und Merah, ans Bostoner Attentat. Frankreich ist in die post-histoire eingetreten: Es hat Probleme, sich wiederzuerkennen. Das Nachgeschichtliche (nachchristlich, nachkulturell, nachidentitär) trifft auf die Wirtschaftskrise. Es ist unvermeidlich, daß Voraussetzungen für eine Verzweiflung entstehen, von der man nicht weiß, wie die Franzosen, die nicht bereit sind, sich zu bewegen, ihr entkommen sollen. Sie sind gelähmt durch die mediale und politische Propaganda, terrorisiert durch die Gesetze Gayssot und Taubira…
SEZESSION: Nun sieht man aber hunderttausende Menschen demonstrieren, die nicht gelähmt sind. Wieso sorgt ausgerechnet das Gesetz über die Homo-Ehe für eine solche Protestbewegung?
MILLET: Die Demonstranten sind größtenteils französische Katholiken, aber auch andere Menschen guten Willens, die über etwas entrüstet sind, das eine rein geschlechtliche Angelegenheit ist und daher im Privatleben bleiben müßte, obwohl es die sozialistische Propaganda als „sozialen Fortschritt“ präsentiert hat. Wir sahen, wie die erste „homosexuelle Ehe“ spektakulär durch die im Solde der Macht stehenden Medien vermarktet worden ist. Das reicht, um zu begreifen, daß man dabei ist, die Kultur zu verändern.
SEZESSION: Ist die Bewegung „Manif pour tous“ thematisch breiter angelegt als die Fokussierung auf homosexuelles Adoptionsrecht und auf das Unmittelbare, das damit zusammenhängt, erahnen läßt?
MILLET: Es ist bedauernswert, daß diese Demonstranten bei der Homo-Ehe halt machen und es nicht für richtig gehalten haben, ihre Überlegungen auf den gesamten Vorgang auszudehnen: den unwiderruflichen Austausch der europäischen Völker durch andere, die aus nichteuropäischen Kulturkreisen stammen und diese nicht ablegen, oft indes die Maske der amerikanischen Subkultur tragen – als Weichensteller für den Islam. Zwischen der Homo-Ehe und der Islamisierung Europas gibt es also eine objektive Komplizenschaft, eine Zusammenkunft von Interessen, die mit der Globalisierung und dem kulturellen und geistigen Defizit Europas zusammenhängen.
SEZESSION: Umtriebige Verteidiger der „westlichen Zivilisation“ werfen aber doch gerade islamischen Glaubensrichtungen vor, rückständig zu sein und die Rechte sexueller Minderheiten – etwa Homosexueller – nicht zu respektieren. Die „offene“, postmoderne Gesellschaft als Komplize des Islam, der seinerseits ausschließlich die Ehe zwischen Mann und Frau anerkennt – beißt sich das nicht?
MILLET: Es hat bei bestimmten Demonstrationen auch Muslime gegeben, die neben den Katholiken marschiert sind (mit arabisch-sprachigen Spruchbändern, versteht sich!). Es existiert für mich allerdings keine Frontlinie zwischen moderner Sexualität und archaischer Religion. Ich wiederhole es: Sex ist eine private Angelegenheit und Homosexuelle sind keine politische Minderheit …
Die tatsächliche Frontlinie verläuft im Krieg zwischen einem abendländischen und einem islamisiertem Europa, das als angeschlossenes Terrain an das fungiert, was man das arabisch-amerikanische oder muslimisch-amerikanische Kondominium (weil Pakistan eingeschlossen werden muß) nennen kann. Für Europa ist dies bereits ein verlorener Krieg, wenn man die Rolle bedenkt, die Katar, die Vereinigten Arabischen Emirate und Saudi-Arabien, ja selbst die Türkei einnehmen: Der Islamismus spielt vor Ort mit, und zwar als Akteur des Kapitalismus (demnach wirkt er post-kulturell; Kultur hier als höchster Wert des judeochristlichen Europas verstanden).
Der Terrorismus ist nur ein etwas vulgäres Verhandlungselement, das glauben lassen soll, daß es jenseits von ihm einen „guten Islam“ gebe. Aber es gibt keine „gute“ Religion, sobald sie sich in die Politik einmischt. All das ist nicht widersprüchlich: Es ist eher ein Zeichen des Zusammenbruchs innerhalb jener so „offenen“ Gesellschaften, die als solche doch schon längst nicht mehr bestehen.
SEZESSION: Ist die Selbstaufgabe und freiwillige Preisgabe Europas ein Zeichen der Wehrlosigkeit einer gegen die Realität konstruierten, nun untergehenden offenen Gesellschaft? Hat sich Venner vielleicht auch deshalb umgebracht, weil der Okzident dabei ist, sich selbst umzubringen?
MILLET: Es ist tatsächlich diese Verweigerung vor der unmittelbaren Realität, die mich am meisten überrascht, diese geistige Konstruktion, justiert durch die medienpolitische Macht: diese von Toleranz, von Transparenz, von universeller Demokratie träumenden Konzepte; die offene Gesellschaft, alternative Gesellschaft, Globalisierung, Ablehnung der Grenzen, das allgemeine Rassenmischungsprogramm, die Dekonstruktion jeder Metaphysik, der Haß auf den Katholizismus, der Ersatz des „Mannes“ durch ein entladenes, transsexuelles, erratisches und metamorphes Subjekt undsoweiter. All das wird zu einer vielförmigen Ideologie vermengt, die der hedonistischen Knechtung des Individuums gewidmet ist, das alsdann nicht mehr in der Lage ist, etwas selbst zu schaffen.
Sie sprechen richtigerweise von Wehrlosigkeit, denn sie ist charakteristisch für den europäischen Menschen, der zwar weiß, daß die Propaganda ihn belügt, aber der meistens ignoriert, wie diese Lüge, die Umkehrung von Wahr in Falsch, zu entziffern ist. Der europäische Mensch geht in der Wehrlosigkeit auf, die ihm die Schuld aufzwingt; er kann nur in der unendlichen nachkolonialen, nachgenozidalen, nachkulturellen Sühne verschwinden.
SEZESSION: Sie schreiben in ihrem fulminanten Essay Antirassismus als Terror gegen die Literatur, der bald in deutscher Fassung erscheinen wird, trotz dieser Zustandsbeschreibung des gegenwärtigen Abendländers, daß Sie „die Waffen nicht strecken“ können, und führe es auch zu der von Ihnen ebenfalls erwähnten „einsamen Nacktheit“. Venner hat die Waffen auf seine Art und Weise gestreckt und doch nicht gestreckt; die Hoffnung auf folgende Generationen hat er letztlich doch in sich getragen. Haben Sie noch Hoffnung?
MILLET: Das größte Vergnügen, das wir unseren Feinden machen könnten, bestünde darin, zu verstummen. Die Propaganda will die Schriftsteller ruhigstellen, sie einschüchtern. Es ist politischer Terror, vor dem ich mich weigere, das Handtuch zu werfen – trotz der Versuchung der etwaigen Stille. Um jeden Preis weiterzuschreiben, koste es, was es wolle, ist eine Notwendigkeit und zugleich eine Frage der Ehre (Ehre! – eine vergessene Kategorie der Neuen Weltordnung). Besser noch: man kann durchaus eine Art Hoffnung in dieser Haltung des Letzten sehen – letzter Schriftsteller, letzter „Mann“ undsoweiter. Nun: Wir werden wir bis zum Ende die Wächter des Niedergangs sein.
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mercredi, 12 juin 2013
Chute programmée du système financier
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lundi, 10 juin 2013
P. Jovanovic : "Sommes-nous au bord du précipice ?"
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samedi, 08 juin 2013
Euro-Atlantism must be replaced by Eurasianism
Euro-Atlantism must be replaced by Eurasianism
by Gabor VONA
Ex: http://www.geopolitica.ru/
- Mr. Vona, what is main idea of your political party and why is it important for Hungary to make revision of the relations with EU?
- Jobbik is a national conservative party which does not refrain from using radical means. So when they label us as radicals, they are wrong. Radicalism is not a principle, it is a method. The reason why we are radicals is because the situation is radical as well. At the moment, we Hungarians are sick passengers on a sinking European ship that has lost its values. This is unbearable. First we must get off the ship, then cure our diseases. Hungary was not admitted to the EU so that we could develop. The goal was to colonize us, to exploit our cheap labour and acquire our markets. Western companies and banks now try to maintain their systems by using the profit they pump out of our country in the East. And this is just the economic side of the problem. The EU did not bring any good in terms of the spiritual, mental side, either. After the anti-value approach of Communism, we are now living in the valuelessness of capitalism. I personally follow traditionalist principles, in other words, I believe that Europe should get back to its own roots and rearrange its relationship with other traditional cultures that only exist in the East now.
- Jobbik has image of ultra right political party in Hungary and in Europe too. Do you agree with this label or have other outlook that can not be dealing with classical terms of "right", "left" and so on?
- If modernity, which stretches from the Renaissance through the Age of Enlightenment to global capitalism, is identified with the political left, then we definitely belong to the right. I and my party, however, cannot be located by using the left and right coordinates of current politology. The best way is to say that Jobbik is a national radical party, which is not chauvinistic, which defies global capitalism and three of its key representatives, the USA, the EU and Israel, from the platform of universal human values.
- Euroscepticism is very different in EU. Please can you to describe some particular issues ofHungary and neighbour countries related with this topic? What is role of euroatlanticism strategy in this process?
- The disapproval rate of the EU has just exceeded its approval rate in Hungary for the first time. There was an incredible brainwashing going on in the 1990s, so most people believed it was going to be good to join the EU, and that there was no other option. By now more and more people have realized that the whole thing was a setup. The Union needs markets, cheap labour and a garbage dump. How naive we were when we thought that the West was going to provide a historic compensation for the East to counterbalance their exploiting and abandoning us quite a few times in history! The same applies to the neighbouring countries as well but Hungary is in the worst situation. The previous government signed every paper Brussels laid down in front of them, the current one is only interested in its own power, and antagonizes the whole EU for it. The common ground of the two governments is that neither has any concept whatsoever. So far I am the only politician in Hungary to declare that Euro-Atlantism must be replaced by Eurasianism.
- Did financial crisis had influence on protectionism moods or general aspects is civilizational and values factors? How much involved NGO's and external powers in desintegration of hole hungarian system (territory-language-culture-etc.)?
- The economic crisis indeed has a great influence on scepticism. The situation has revealed that the EU does not represent the interests of the whole community but the major Western member states - France, England, Germany. The influence of various external powers and organizations is becoming more and more obvious in people's eyes. I can go as far as to say that there is a revolution of consciousness going on in Hungary. This is of course painful, because people must give up many illusions, but it is inevitable because the future must be built on truth and reality. Consequently, what now seems to be a confusion in Hungarian society will clear up, I hope, and give way to a society that is much more self-aware and has much clearer thinking.
- If we'll look inside of Hungarian identity we'll find eurasian roots of this nation. How much this line presented in your politics?
- Completely. The Hungarian nation has Turkic origin, and was formed by the Russian steppes into what it is now, then wandered to the West to establish a state in the Carpathian basin. Our Western integration has been going on for centuries, but we have never forgotten our Eastern origin and they could never uproot this concept from our minds. This duality has often had its drawbacks for us, but I believe it could be beneficial this time.
- By the way what about connection with Russia in geopolitcal sense of nowadays?
- Jobbik is an anti-Communist party, yet we were the first in Hungary to seriously propose to settle our relations with the Russians. Not only in diplomatic speeches, but in reality as well. At the time of the Georgian conflict, when the whole Hungarian political elite was voicing their agreement with the American interests, we declared that this issue was about something completely different. When Viktor Orbán was sending sulky messages to Russia from opposition back in 2009, we already declared that he was making a huge mistake. Personally, I have good relations with several Russian diplomats in Budapest, and I am very happy that the Russian Embassy is always represented at our year-opening conferences. In my foreign policy plans, Russia - in addition to Germany and Turkey - is a key political and economic ally, partner for Hungary.
- If we'll speak about global processes what is your position and prognosis for forthcoming events? How long U.S. will be superpower yet? What is E.U. future and how Eurasian integration will happens?
- Difficult question. The agony has definitely started and a new world order will have to be established. The alliance of the BRICS countries clearly shows that the time of the USA and EU has passed. The most fortunate turn of events would be if they themselves realized it, because that could prevent major conflicts and give way to a peaceful transformation. With regard to the framework of Eurasian cooperation, I don't see the actual opportunities yet, because first we must define the basic values and the consequent strategy that could attract the widest possible circles. This is the challenge now, and Jobbik is the only Hungarian political entity willing to meet it. The others are all Atlanticists, and they will remain so until history passes them.
- Thank you Mr. Vona for interview. Do you want to add something for our readers?
- Thank you for the opportunity.
By Leonid Savin
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mercredi, 05 juin 2013
M. Ochsenreiter: Turkish Revolution
Turkish revolution
An interview with Manuel Ochsenreiter
Natella Speranskaya: The national revolution has started in Turkey. What are the forces behind it? Who is fighting who?
Manuel Ochsenreiter: The demonstrations and riots in the Turkish cities show the deep gap within the Turkish society. But is it really a „national revolution“? Right now it seems that all the groups opposing Erdogan and also his AKP party are a quite colourful mix of ideologies and ideas. There are demonstrating Turkish nationalists as well as communists; we see flags of the labour unions and many other groups. But we shouldn´t forget that Erdogan and his party never had the support of those people who are uprising now.
One problem: We get all the information about the situation in Turkey right now via the western mainstream media stations. The western commentators and politicians are celebrating the so called „Turkish civil society“. In Germany for example almost all the established political parties gave statements that they support the demonstrators. In the mainstream media you will not find many nationalists or communists in interviews, but many westernized „activists“.
Natella Speranskaya: How is the Turkish revolution related to the geopolitical opposition of Eurasianism (Russia, Iran, Syria) and atlantism (NATO, USA, EU)?
Manuel Ochsenreiter: What we witness right now in Istanbul doesn´t seem to have a lot to do with geopolitical contents. There are of course groups and parties involved who are strongly against an atlantist agenda.
But we shouldn´t forget one important thing: The interest of the corporate media began a couple of days ago when the demonstrators in Istanbul clashed with the Turkish police. But in Turkey there are big demonstrations against Erdogan’s aggressive politics against Syria. Those protests have indeed a dominating geopolitical message. The protesters say: „We are on the wrong side of the conflict, we shouldn´t support the western-Islamistic joint venture to overthrow the Syrian government. We should support Syria against the aggressors.” They even criticised in a harsh way the NATO-membership of Turkey. But western mainstream media was not broadcasting those demonstrations, maybe because the message of the demonstrators doesn´t fit into the political guidelines.
Ironically, the west promoted the „Turkish model“- the AKP-government – as a role model for the so-called „Arab Spring“ countries. The elements are: moderate Islamism, friendship with Israel, strong ties with the western-transatlantic world. Western politicians always said: “Look to Turkey, there it functions so well!” Today we can say: Obviously it doesn´t.
Natella Speranskaya: Your prognosis of the development of events in Turkey and how it will effect the situation in Syria?
Manuel Ochsenreiter: This is hard to say. We know right now that there might be also an inner conflict within the AKP going on. The Turkish president Abdullah Gül critizised Prime Minister Erdogan in public. What does that mean for Erdogan’s authority and his political future? The guidelines for Turkish politics towards Syria are not written in Ankara, but by the NATO-“partners“. Erdogan turned Turkey within the last two years into a military base for terrorists, mercenaries, djihadists, and simple criminals, who went to Syria to fight against the regime. Turkey gives them support even when they are in Syria. Turkey supports organized theft of industrial compounds from Syria and the transport via the Turkish border. Erdogan tried a couple of times to provoke a conventional war against Syria. When we talk about all those acts of aggression against Syria we shouldn´t forget one important detail: Erdogan is not just supporting the violence against Syrian civilians but also against his own citizens. The bomb explosions in the Turkish city Reyhanli killed 51 people, and 140 more were injured. Erdogan blamed the Syrian secret service, but we know today from leaked documents of the Turkish intelligence that the Al-Qaida affiliated group „Nusra Front“ was responsible for that horrible attack, exactly those same extremists Erdogan provides support to and a safe haven.
So what might happen if Erdogan resigns? Will the Turkish politics all of a sudden change? Will it be an AKP inside change? Would a change in the Turkish government automatically mean that the state changes its geopolitical program? Would the west accept this? I deeply doubt.
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mardi, 04 juin 2013
Turkish revolution
Turkish revolution
An interview with Claudio Mutti
Natella Speranskaya: The national revolution has started in Turkey. What are the forces behind it? Who is fighting whom?
Claudio Mutti: The slogans about "human rights" and "democracy", the Femen's performances, the solidarity expressed by Madonna and other hollywoodian stars, the antifa rhetoric peppered with "Bella ciao" as its soundtrack are the symptoms of an "orange revolution" or a "Turkish spring", rather than of a national revolution. At present it is impossible to know if the troubles have broken out in a spontaneous way, or if really foreign agents have provoked the troubles, as pretended by Erdogan. But we must consider that US Ambassador Francis Ricciardone has repeated twice in two days his message in favour of protesters and that John Kerry has made a declaration about the right of protesting. Certainly, among the protesters there are also militants and activists of national, anti-Atlantist and also pro-Eurasian movements (as, for example, the Workers' Party, İşçi Partisi); but I don't think that they are in the position to direct a so heterogeneous mass towards the goal of a national revolution.
Natella Speranskaya: How is the Turkish revolution related to the geopolitical opposition of Eurasianism (Russia, Iran, Syria) and atlantism (NATO, USA, EU)?
Claudio Mutti: It is true that many people have been troubled by Turkey's envolvement in the Syrian conflict. Nevertheless, when the protesters claim "We are the children of Ataturk", they express a concern related to secularistic and laicistic beliefs, not to a Eurasianistic position. Unfortunately I don't see a significant anti-Atlantic trend in the present revolt.
Natella Speranskaya: Your prognosis of the development of events in Turkey and how it will effect the situation in Syria?
Claudio Mutti: It is probable that the Turkish revolt will induce Erdogan to think about the saying "sow the wind and reap the whirlwind" and to devote himself more to Turkish affairs than to Syrian ones; probably he will take note of the fact that Americans are always ready to oust their collaborators, after making use of them. Two months ago his Foreign Minister Ahmet Davutoglu has signed a protocol of agreement with the SCO. If the Turkish government wants to be consistent with this decision, it must drop that kind of "neo-Ottomanism" which conceals a subimperialistic role, useful to North American interests. Even better, if Turkey really wants to be a point of reference for muslim peoples of Mediterranean Sea and Middle East, it must break off its ties with NATO and with the Zionist regime. It is schizofrenic to destabilize Syria and at the same time to accuse Zionism and Israel of being, according Erdogan's words, "a crime against humanity" and "a threat to regional peace".
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lundi, 03 juin 2013
John Morgan: The Fourth Political Theory
The Fourth Political Theory
An interview with John Morgan
Natella Speranskaya: How did you discover the Fourth Political Theory? And how would you evaluate its chances of becoming a major ideology of the 21st century?
JM: I have been interested in the work of Prof. Dugin since I first discovered English translations of his writings at the Arctogaia Web sites in the late 1990s. So I had already heard of the Fourth Political Theory even before my publishing house, Arktos, agreed to publish his book of the same name. In editing the translation of the book, I became intimately familiar with Prof. Dugin’s concept. According to him, the Fourth Political Theory is more of a question than an ideology at this point. It is easier to identify what it is not, which is opposed to everything represented by liberalism, and which will transcend the failures of Marxism and fascism. In recent decades, many people have been heralding the “death of ideology.” Carl Schmitt predicted this, saying that the last battle would take place between those who wish to reject the role of politics in civilization, and those who understand the need for it. The death of ideology, I believe, is simply the exhaustion of those political systems that are founded on liberalism. This does not mean that politics itself has ended, but only that a new system is required. The Fourth Political Theory offers the best chance to take what is best from the old ideologies and combine them with new ideas, to create the new vision that will carry humanity into the next age. Although we can’t say with certainty what that will look like, as of yet. But it should be obvious to everyone that the current ideology has already run its course.
NS: Leo Strauss when commenting on the fundamental work of Carl Schmitt The Concept of the Political notes that despite all radical critique of liberalism incorporated in it Schmitt does not follow it through since his critique remains within the scope of liberalism”. “His anti-Liberal tendencies, – claims Strauss, - remain constrained by “systematics of liberal thought” that has not been overcome so far, which – as Schmitt himself admits – “despite all failures cannot be substituted by any other system in today’s Europe. What would you identify as a solution to the problem of overcoming the liberal discourse? Could you consider the Fourth Political Theory by Alexander Dugin to be such a solution? The theory that is beyond the three major ideologies of the 20th century – Liberalism, Communism and Fascism, and that is against the Liberal doctrine.
JM: Yes, definitely. The unsustainably and intellectual poverty of liberalism in Europe, and also America, is becoming more apparent with each passing day. Clearly a new solution is needed. Prof. Dugin’s Fourth Political Theory, as he has explained in his book of the same title, is more of a question than an ideology at this point, and it is up to those of us who are attempting to defy unipolar hegemony to determine what it will be. So, yes, we need a new ideology, even if we cannot yet explain exactly what it will be in practice. I think Prof. Dugin’s idea of taking Heidegger’s Dasein as our watchword is a good one, because we are so entrenched in the liberal mindset – even those of us who want to overcome it – that it is only be re-engaging with the pure essence of the reality of the world around us that we will find a way out of it. The representational, virtual reality of postmodernism which surrounds most of us on a daily basis has conditioned us to only think about liberalism on its own terms. Only by renewing our contact with the real, non-representational world, and by disregarding all previous concepts and labels, can we find the seeds for a new way of apprehending it.
NS: Do you agree that today there are “two Europes”: the one – the liberal one (incorporating the idea of “open society”, human rights, registration of same-sex marriages, etc.) and the other Europe (“a different Europe”) – politically engaged, thinker, intellectual, spiritual, the one that considers the status quo and domination of liberal discourse as a real disaster and the betrayal of the European tradition. How would you evaluate chances of victory of a “different Europe” over the ”first” one?
JM: Speaking as an American outsider, I absolutely see two Europes. The surface Europe is one that has turned itself into a facsimile of America – the free market, democracy, multiculturalism, secularism, pop culture, sacrificing genuine identity for fashions, and so on. The other Europe is much more difficult to see, but I have the good fortune of having many friends who dwell within it. This is the undercurrent that has refused to accept the Americanization of Europe, and which also rejects the liberal hegemony in all its forms. They remain true to the ancient spirit of Europe’s various peoples and cultures, while also dreaming of a new Europe that will be strong, independent and creative once again. We see this in the New Right, in the identitarian movement, and in the many nationalist groups across Europe that have sprung up in recent years. As of now, their influence is small, but as the global situation gets worse, I believe they will gain the upper hand, as more Europeans will become open to the idea of finding new solutions and new ways of living, disassociated from the collapsing hegemonic order. So I estimate their chances as being very good. Although they must begin acting now, even before the “collapse,” if they are to rescue their identities from oblivion, since the “real” Europe is fast being driven out of existence by the forces of liberalism.
NS: “There is nothing more tragic than a failure to understand the historical moment we are currently going through; - notes Alain de Benoist – this is the moment of postmodern globalization”. The French philosopher emphasizes the significance of the issue of a new Nomos of the Earth or a way of establishing international relations. What do you think the fourth Nomos will be like? Would you agree that the new Nomos is going to be Eurasian and multipolar (transition from universum to pluriversum)?
JM: Yes, I do agree. In terms of what it will look like, see my answer to question 4 in the first set of questions.
NS: Do you agree that the era of the white European human race has ended, and the future will be predetermined by Asian cultures and societies?
JM: If you mean the era of the domination of White Europeans (although of course that comprises many diverse and unique identities in itself), and those of European descent such as in America, over the entire world, then yes, that era is coming to an end, and has been, gradually, since the First World War. As for the fate of White Europeans in our own homelands, that is also an open question, given the lack of genuine culture and diminishing reproductive rates of Whites around the world, coupled with large-scale non-White immigration into our homelands. While I welcome the end of White hegemony, which overall hasn’t been good for anyone, most especially for Whites themselves, as an American of European descent I do fear the changes that are taking place in our lands. As the thinkers of the “New Right” such as Alain de Benoist have said, if we stand for the preservation of the distinct identities of all peoples and cultures, then we must also defend the identities of the various European peoples and their offshoots. I would like to see European peoples, including in America, develop the will to resist this onslaught and re-establish our lands as the true cradles of our cultures and identities. Of course, in order to do this, White peoples must first get their souls back and return to their true cultures, rejecting multiculturalism and the corporate consumer culture that has grown up in tandem with neo-colonialism, both of which victimize Whites just as much as non-Whites. Unfortunately, few White Europeans around the world have come to this understanding thus far, but I hope that will change.
As for whether the future belongs to Asians, that I cannot say. Certainly India and China are among the most prominent rising powers. But at the same time, they face huge domestic challenges, demographically and otherwise. Whether they will be able to sustain the momentum they have now is uncertain. Having lived in India for the last four years, while it is a land I have come to love, I have difficulty seeing India emerging as a superpower anytime soon. The foundations just aren’t there yet. Likewise, I find it troubling that India and China continue to understand “progress” in terms of how closely they mimic the American lifestyle and its values. Until Asian (and other) nations can find a way to develop a sustainable and stable social order, and until they forge a new and unique identity for themselves in keeping with their traditions that is disconnected from the Western model, I don’t see them overtaking the so-called “First World.”
NS: Do you consider Russia to be a part of Europe or do you accept the view that Russia and Europe represent two different civilizations?
JM: As a longtime student of Dostoevsky, I have always believed that Russia is a unique civilization in its own right. Although clearly Russia shares cultural affinities and linkages with Europe that cannot be denied, and which bring it closer to Europe than to Asia, it retains a character that is purely its own. I have always admired this aspect of Russia. Whereas Western Europe sold its soul in the name of material prosperity in its rush to embrace the supposed benefits of the Industrial Revolution and modernity as quickly as possible, Russia developed its own unique path to modernity, and has always fought hard to maintain its independence. It seems to me, as a foreigner, that as a result, Russia retains a much stronger connection to the spiritual and the intangible aspects of life than in the West, as well as a more diverse, as opposed to purely utilitarian, outlook. The German Conservative Revolutionaries understood this, which is why they sought to tilt Germany more towards Russia politically and culturally, and away from England and the United States (such as Arthur Moeller van den Bruck advocated). Similarly, in today’s world, New Rightists, traditionalists and so forth would do well to look toward Russia and its traditions for inspiration.
NS: Contemporary ideologies are based on the principle of secularity. Would you predict the return of religion, the return of sacrality? If so, in what form? Do you consider it to be Islam, Christianity, Paganism or any other forms of religion?
JM: I think we already see this happening to an extent. In the nineteenth and for most of the twentieth century, the prevailing view was skepticism and scientism, with religion primarily relegated to its moralistic aspects. But beginning in the 1960s in North America and Western Europe, we have seen a renewal of interest in religion and the transcendental view of life on a large scale. This development was, of course, presaged by the traditionalist philosophers, such as René Guénon and Julius Evola, who understood modernity perhaps better than any other Europeans of their time. But unfortunately, this revival in practice has tended toward New Age modes of thought, or else mere identity politics and exotericism as we see with the rise of fundamentalist Christianity in America, rather than in genuinely traditional spirituality. As such, most spirituality in the Western nations today is an outgrowth of modernity, rather than something that can be used to oppose and transcend it. But the fact that more traditionalist books are being made available, and that we see more groups dedicated to traditional spirituality and esotericism than ever before, is a promising trend.
As for the form that this revival will ultimately take, that depends on the location. For much of the world, of course, people are likely to return to and revitalize the traditions that grew out of their own civilizations, which is as it should be. We already see efforts in this direction at work in some parts of the so-called “Third World.” But in Western Europe, and especially America, it is a more difficult question. The Catholic Church today doesn’t hold much promise for those of a traditional mindset. Guénon himself abandoned his native Catholicism and began to practice Islam because he had come to believe that Catholicism was no longer a useful vehicle for Tradition. And of course today, things are much worse than they were in Guénon’s time. Protestantism, besides being counter-traditional, is in even poorer shape these days. And while I am very sympathetic to those who are seeking to revive the pre-Christian traditions of Europe, or adopt traditions from other cultures, this ultimately isn’t a good strategy for those who are engaged in sociopolitical activity alongside spiritual activities. The vast majority of Europeans and Americans still identify with Christianity in some form, and this will need to be taken into account by any new political or metapolitical movement that emerges there.
In America, unlike Europe, we have no real tradition of our own. This is both a blessing and a curse. It’s a blessing because our culture has always been tolerant of allowing and even embracing the presence of alternative forms of spirituality. (Interest in Hinduism, for example, began in America already in the Nineteenth century with such figures as Thoreau and Emerson, and with the arrival of Hindu teachers from India such as Protap Chunder Mozoomdar and Swami Vivekananda.) But it is also a curse because there is no particular, universal spiritual tradition that underlies American civilization which can be revived. Christianity remains dominant, but certainly the popular forms of it that exist in America today are unacceptable from a traditional standpoint. At the same time, most Americans are unlikely to accept any form of spirituality which they perceive to be different from or in opposition to Christianity. So it is a difficult question.
The best solution may be to exclude advocating any specific religion from our efforts in the West for the time being, and leave such decisions to the individual. Of course, we should encourage everyone who supports us to integrate the traditional worldview into their own lives, in whatever form that may take, and to oppose secularism on the grounds of the resacralization of culture. Perhaps once the process of the collapse of the current global and cultural order is further along, and as the peoples’ faith in the illusions of progress, materialism and nationalism inculcated by modernity are shattered, the new form or forms of religion that must take root in the West will become more readily apparent.
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samedi, 01 juin 2013
John Morgan: Theory of multipolar world
Theory of multipolar world
An interview with John Morgan
Natella Speranskaya: The collapse of the Soviet Union meant the cancellation of the Yalta system of international relations and the triumph of the single hegemon - the United States, and as a consequence, transformation of the bipolar world order to the unipolar model. Nevertheless, some analysts are still talking about a possible return to the bipolar model. How do you feel about this hypothesis? Is there a likelihood of emergence of a power capable of challenging the global hegemon?
John Morgan: I’m not certain about a return to the bipolar model anytime soon. While we have seen the rise of new powers capable of challenging American hegemony in recent years – China, India, Iran, and of course the return of Russia to the world stage – none of them are capable of matching the pervasive influence of the American economy and its culture, nor of projecting military power around the world as NATO has been doing. At the same time, we can plainly see now that America and its allies in Western Europe have already passed their economic limits, now racking up unprecedented debt, and their power is beginning to wane. This process is irreversible, since the post-1945 American lifestyle is unsustainable on every level. America may be able to coast for a few more years, or at most decades, but the “American century” that began at the end of the Second World War will probably be over by mid-century at the latest. Rather than the return of a bipolar world, I think we will see the emergence of the multipolar one, as Prof. Dugin has suggested, in which several nations wield significant power but none reigns supreme above all. In order to protect their interests, stronger nations will need to forge alliances with weaker ones, and sometimes even with other strong nations. But I think the era of the superpower is rapidly coming to an end.
NS: Zbigniew Brzezinski openly admits that the U.S. is gradually losing its influence. Here it is possible to apply the concept of "imperial overstretch", introduced by renowned historian Paul Kennedy. Perhaps, America has faced that, what was previously experienced by the Soviet Union. How do you assess the current state of the U.S.?
JM: As an American, I have witnessed this firsthand. I don’t think the American era is over just yet; it still possesses awesome military might, and will most likely retain this advantage for a little while longer. But the persuasive powers of a country whose defense spending comprises nearly half of all global military expenditures each year are obviously on the wane. My understanding of the collapse of the Soviet Union is that it occurred more because of domestic economic problems rather than as a direct result of its military failure in Afghanistan in the 1980s, even if that exacerbated the problem. Similarly, while the many wars the U.S. has engaged in over the past decade have unquestionably weakened it, it is the ongoing financial crisis, brought about by America’s reliance on debtor spending, that is the most important factor in the decline of American power. And actually, America’s military adventures have brought little in terms of benefits. The Iraq War has really only served to strengthen Iran and Syria’s position. Afghanistan remains a sinkhole in which America stands little to gain, apart from ongoing humiliation as the failure of its policies there is as plain as day. Nations like Iran and North Korea have been emboldened, since they know that America isn’t interested in challenging them militarily, at least for the time being. This has no doubt been a large factor in the increasing use of drones by the U.S., as well as its return to waging proxy wars against enemy regimes through concocted “rebel” movements, as it did during the Cold War against the Soviets, and as we have seen in Libya and now in Syria. Regardless, the primary factor in American decline is definitely its economic predicament. But if it returns to its earlier policies of attempting to spread democracy and the free market through war, this will only hasten its end. Obama seems to be aware of this and has sought to keep America from engaging directly in wars at all costs, but we don’t know who his successor will be.
NS: The loss of global influence of the U.S. means no more, no less, as the end of the unipolar world. But here the question arises as - to which model will happen the transition in the nearest future? On the one hand, we have all the prerequisites for the emergence of the multipolar world, on the other – we face the risk of encountering non-polarity, which would mean a real chaos.
JM: This is an interesting question, but I think it is difficult to answer definitively at the present time. The United States as a whole has still not acknowledged the fact of its own inevitable decline, and for the time being I expect it to continue to attempt to maintain the unipolar world for as long as it possibly can. Once the fact of the death of the hegemonic system can no longer be denied, I can see several possible directions. The U.S. may adopt some sort of primitive, imperialistic nationalism and attempt to restore its position through military means. Or, it may become too overwhelmed with its own domestic problems, as they increase, and perhaps disengage from the world stage, opening up possibilities for new geopolitical orders that have been restricted by American power for nearly a century. But since we do not yet know how severe the coming economic and political collapse will be, or what its impact will be globally, we cannot know whether it will lead to multipolarity or non-polarity. We can only attempt to set the stage for the former and hope that circumstances permit it.
NS: The project of "counter-hegemony," developed by Cox, aims to expose the existing order in international relations and raise the rebellion against it. For this, Cox calls for the creation of counter-hegemonic bloc, which will include those political actors who reject the existing hegemony. The basis of the unipolar model imposed by the United States, is a liberal ideology. From this we can conclude that the basis of the multipolar model just the same has to be based on some ideology. Which ideology, in your opinion, can take replace the counter-hegemonic one, capable of uniting a number of political actors who do not agree with the hegemony of the West?
JM: I agree with Prof. Dugin that the three ideologies which dominated the twentieth century have already exhausted themselves as paradigms for the nomos of the Earth. What I imagine and hope to see will be the emergence of blocs which may be similar to the Holy Roman Empire and other ancient empires, in which there will be loose confederations of nations and communities where there is indeed an overarching central political authority (perhaps a monarchy, as Evola prescribed) that will defend the sovereignty of its subjects, but in which most of the political power will rest with local, communal authorities. They may not have a specific ideology in themselves. However, there may be variations in how this is realized within the various communities which comprise them. Some peoples may choose to return to some variant of socialism or nationalism, or perhaps even some sort of pre-modern form of social organization. And these communities should be free to choose the particular form of their social organization, in accordance with their unique traditions. Liberalism, however, which depends for its survival on the consumption of all attainable resources, will completely die, I believe, since before long everyone will understand that it only leads to short-term gains followed by total destruction on every level.
NS: If we project the multipolar model on the economic world map, then we’ll get the coexistence of multiple poles, and at the same time, will create a complete matrix for the emergence of a new economy - outside of Western capitalist discourse. In your opinion, is the concept of “autarky of big spaces”, suggested by List, applicable for this?
JM: I have not studied Friedrich List in any detail, so I’m not familiar with this concept, although of course I am in favor of the development of a new economic order to supplant the current, capitalist model. I do know that List opposed the justification of individual greed favored by the English liberal economists, in contrast to an economic model that considers the needs of the community/nation as a whole, as well as the impact one’s actions have on future generations. Given that the destructiveness of the current economic order is the result of its shameful neglect of these two factors, List’s conception is much better.
NS: We are now on the verge of paradigmatic transition from the unipolar world order model to the multi-polar one, where the actors are no more nation-states, but entire civilizations. Recently in Russia was published a book "Theory of multipolar world," written by the Doctor of Political and Social Sciences, Professor Alexander Dugin. This book lays the theoretical foundation, basis, from which a new historical stage can start, and describes a number of changes both in the foreign policy of nation-states and in today's global economy, which involve a transition to the multipolar model. Of course, this also means the emergence of a new diplomatic language. Do you believe that multipolarity is the natural state of the world and that transition to the multipolar model is inevitable?
JM: Yes, and my company, Arktos, will soon be making an English edition of this vital text available. I absolutely agree that multipolarity is both necessary and desirable. If we survey human history, this was always how the world was ordered in ages which we, as traditionalists, consider to have been far superior to the way the world is today. It is only from the unique, and degenerative, conditions of modernity that unipolarity has emerged in recent centuries, first in the efforts of the European colonial powers to dominate the planet, and culminating, of course, in American hegemony, which is the direct heir to the European colonial project. As we can see with our own eyes, hegemony hasn’t been good for anyone, neither for those peoples who have enjoyed its ephemeral material benefits nor for those who have been dominated by it. The unipolar idea is what brought the “Third World” into existence and perpetuates it (since, today, it has even conquered these peoples culturally and psychologically). Simultaneously, it has deprived those nations which pursued it, both in America and Europe, of security, stability, sustainability, and most importantly, of any form of genuine culture or identity, replacing it with plastic consumer culture and identities. Ultimately, unipolarity has victimized everything in human civilization that is good while offering nothing apart from the purely material benefits temporarily reaped by those in charge of it in return, and even that will soon cease. We can only hope that multipolarity will re-emerge, since it is obvious to anyone who looks at the world with an open mind that unipolarity is rapidly coming to an end.
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mardi, 21 mai 2013
PASSET-626x220.jpg René Passet : « Il faut prendre du recul pour voir qu’un autre monde est en train de naître »
René Passet : « Il faut prendre du recul pour voir qu’un autre monde est en train de naître »
Basta ! : Notre manière de penser l’économie dépend de notre perception du monde. Et varie totalement en fonction des époques et du progrès technique. Dans votre dernier ouvrage, vous proposez de relire l’histoire économique à la lumière de ces mutations. Quelles sont les grandes étapes de cette longue histoire ?
René Passet [1] : Ceux qui voient le monde comme une mécanique, une horloge, ne considèrent pas l’économie de la même façon que ceux qui le voient comme un système énergétique qui se dégrade. Les mêmes astronomes, armés des mêmes instruments, ne perçoivent pas les mêmes choses dans le ciel, avant et après Copernic. Quand l’homme n’a que ses sens pour comprendre le monde, l’univers lui apparaît mystérieux.
C’est un univers qui chante, qui le nourrit, qui gronde aussi parfois. Des forces jaillissent de partout. Il pense que des êtres mystérieux et supérieurs le jugent, l’approuvent ou le punissent. Avant même le Néolithique, l’homme s’aperçoit que la plante dont il se nourrit pousse mieux dans les milieux humides. Ou que les déchets organiques favorisent la végétation. Il découvre ainsi les forces productives de la nature et les régularités du monde naturel. Cela va faire reculer les esprits, qui se réfugient sur les sommets des montages, comme l’Olympe.
Les dieux succèdent aux esprits, le monde mythique au monde magique. La civilisation grecque marque le basculement de l’esprit vers la conceptualisation. Un tournant décisif, le début d’une réflexion sur la nature des choses, avec la philosophie, science première. On passe ensuite des dieux au pluriel à un dieu au singulier. L’activité économique est encore une activité pour le salut des âmes, dans la perspective chrétienne. Si vous ne voulez pas finir vos jours dans les lieux infernaux, il faut vivre selon les préceptes économiques des théologiens.
Peu à peu la rationalité l’emporte, et la science se laïcise. Pour Descartes et Newton, le monde fonctionne comme une horloge. C’est dans cette société « mécaniste », que naît l’école libérale classique. Au 18e siècle, Adam Smith, qui était aussi astronome [2], propose une théorie gravitationnelle de l’équilibre : le prix du marché gravite autour du « prix naturel », qui est le coût de production de l’objet, exactement comme les astres gravitent autour du soleil.
Avec la machine à vapeur apparaît une nouvelle représentation du monde…
En 1824, le physicien Sadi Carnot découvre les lois de la thermodynamique : le principe de conservation et le principe de dégradation. Imaginez un morceau de charbon. Il brûle, mais ne disparaît pas : tous ses éléments constitutifs se conservent, répandus dans l’univers. Et s’il a produit du mouvement, jamais plus il n’en produira, car il est désormais déstructuré, « dégradé ».
A ce moment de l’histoire, on passe d’une représentation mécanique du monde à la société énergétique. Alors que chez Adam Smith, chez Newton, c’est l’équilibre – statique – qui compte, les lois de l’énergie sont des lois de probabilité. Quand on répand un gaz dans un volume, il va dans tous les sens, et le hasard fait qu’il se répand partout de manière homogène.
Au niveau de l’individu, il n’y a pas de déterminisme apparent, mais au niveau des grands nombres, les mouvements se compensent : ce sont les lois de probabilité. On change de causalité, et d’univers : le monde est en mouvement, comme le montre aussi Darwin. Au même moment dans l’histoire économique, Marx et les socialistes se mettent à penser non pas en terme d’équilibre mais d’évolution.
Ce passage d’une représentation mécanique du monde à la société énergétique a-t-il un impact sur la vie des idées ?
Le mouvement des idées part alors dans trois directions. Avec Léon Walras, qui invente « l’équilibre général » des marchés, c’est la loi de conservation qui prime. La deuxième loi, celle de la dégradation entropique, amène à la théorie de l’autodestruction du système capitaliste, par Karl Marx. Au fil du temps, le système entropique et le système capitaliste suivent un même cheminement, ils se dégradent, se désorganisent.
La loi de probabilité, on la retrouve chez Keynes [3]. Sa théorie est celle de l’incertitude radicale : les acteurs économiques agissent dans un monde incertain, dont ils ont une connaissance imparfaite. Une vision à l’opposé des analyses classiques sur la rationalité des marchés.
Vient ensuite le temps de l’immatériel et de l’information…
La société énergétique, celle de la grande industrie, fonctionne par l’accumulation de capitaux et le développement du secteur financier et bancaire. La vraie rupture entre les classes sociales apparaît. La société s’organise hiérarchiquement. Au début des années 1970 deux événements vont marquer un tournant important : la première crise du pétrole et la sortie du microprocesseur Intel. L’informatique pour tous, et nous voici dans la société informationnelle (dans le sens de « donner une forme »).
Dans cet univers, la force productive est l’esprit humain. Les modes d’organisation changent complètement. De l’entreprise au monde entier, l’économie est organisée en réseaux. Le monde se vit comme unité, en temps réel. On gomme le temps et l’espace.
Est-ce l’avènement de la financiarisation de l’économie ?
L’ordinateur nous a donné le moyen du contact immédiat et la logique financière nous pousse vers une économie de rendement immédiat. Avec la politique de libération des mouvements de capitaux dans le monde, on assiste à une concentration de capital, et à la naissance d’une puissance financière supérieure à celle des États. Avec des effets désastreux pour l’économie réelle.
Un exemple ? L’entreprise pharmaceutique Sanofi gagne des sommes colossales, licencie pourtant ses chercheurs et n’invente plus rien, depuis que son PDG est issu du secteur de la finance. La finalité ? Produire du dividende et non plus du médicament. On relève la barre de rentabilité, on externalise la recherche et pour le reste, on dégraisse. Les chercheurs sont désespérés, ils ne font plus leur métier.
« L’humanité est en train de résoudre son problème économique », disait Keynes, envisageant un avenir prochain où l’homme pourrait travailler trois heures par jour, grâce à l’augmentation de la productivité. Nous en sommes très loin… Avons-nous raté quelque chose ?
A toute époque, le progrès technique a pour effet d’augmenter la productivité du travail humain. La productivité accroît la quantité de valeur ajoutée. Mais la façon dont celle-ci est partagée dépend du rapport de force dans la société. Dans la vision fordiste, les intérêts des salariés et des entrepreneurs sont convergents.
Henry Ford le dit très bien : « Si vous voulez vendre vos bagnoles, payez vos ouvriers ». Progrès économique et progrès social vont alors de pair. Lorsque c’est le pouvoir de la finance qui domine, le dividende se nourrit de la ponction qu’il effectue sur les autres revenus.
La logique ? Réduire l’État, les salaires, le nombre de salariés, les protections sociales. L’augmentation de la productivité a été compensée par cette logique de la rémunération des actionnaires. Keynes a raison ! Et la semaine de 32 heures est aujourd’hui un des moyens pour rétablir le plein emploi. Keynes évoque aussi les risques psychologiques de cette évolution. Pour la première fois depuis sa création, l’homme devra faire face à son problème véritable : comment employer sa liberté arrachée aux contraintes économiques ?
Vous expliquez comment nous avons successivement fait tomber les barrières, entre espace terrestre et céleste avec Galilée, entre l’homme et l’animal avec Darwin, entre conscience et rationalité avec Freud. Que pensez-vous de cette nouvelle convergence qui s’opère, entre le vivant et la machine, avec les biotechnologies, dont vous décrivez l’importance dans votre ouvrage ?
Je ne crois pas à la fin de l’histoire, mais à la fin de l’homme. Avec les nanotechnologies et le concept « d’homme augmenté », on prévoit d’introduire dans notre sang des robots qui vont nous réparer. Et nous ne saurons bientôt plus quelle est la part humaine et quelle est la part robotique en l’homme. Nous aurons dans le cerveau des puces avec de la mémoire. Est-ce que la puce va appartenir à l’homme, ou bien le modifier ?
Lorsque je m’interrogerai, la réponse arrivera un peu plus vite. Mais est-ce vraiment moi qui répondrai, ou bien est-ce l’encyclopédie Universalis, à ma disposition dans mon cerveau ? Quelles seront les conséquences de tout cela ? L’homme se crée lui-même par les efforts qu’il fournit, en travaillant pour acquérir des connaissances, en transformant le monde, comme disaient Hegel ou Marx. S’il dispose de prothèses pour faire le travail à sa place, je crains que l’homme ne se diminue lui-même. Toute prothèse est atrophiante.
Vous n’êtes pas très optimiste…
Je suis très inquiet pour l’avenir de l’humain. J’ai peur qu’arrive, dans une humanité mécanisée, robotisée, un autre homme dont on ne saura plus très bien ce qu’il est. Le grand cybernéticien Alan Turing (1912-1954) a parié qu’aux environs de l’an 2000 on ne serait plus capable, dans une conversation téléphonique, de faire la différence entre un homme et un robot. C’est une autre limite, une autre frontière. Est-ce le sens de l’évolution ? Cela a-t-il une signification ? Je n’en sais rien.
Pouvons-nous maîtriser ces bifurcations de civilisation ?
Avons-nous maîtrisé les bifurcations précédentes ? Elles sont venues au fil de l’évolution, et nous les avons suivies. Nous ne les comprenons qu’après coup, et nous nous adaptons à une nouvelle normalité qui s’établit. Les gens les ont vécues comme la fin d’un monde, sans comprendre où allait le monde nouveau. Il faut prendre du recul pour voir qu’un autre monde est en train de naître. Nous vivons aujourd’hui une confusion entre crise et mutation. Nous mélangeons deux types de crises.
L’évolution est faite de ruptures et de normalité. La crise dans la normalité, c’est lorsque dans le système établi apparaissent des dysfonctionnements qui nous éloignent de la norme. C’est la crise au sens propre du terme, conjoncturelle. Le problème est alors de revenir à la norme. Si le sous-emploi est conjoncturel, on va essayer de rétablir le plein-emploi dans les normes traditionnelles, avec les moyens traditionnels.
Les crises de mutation, c’est passer d’un système à un autre. Et c’est ce que nous vivons aujourd’hui. Ce n’est pas une crise économique, mais une crise du système néolibéral. C’est la logique même du système qui a provoqué la crise des subprimes en 2008. Notre vrai problème est aujourd’hui de réussir la mutation. Or nous avons chaussé les lunettes de la crise du court terme.
Un exemple : rigueur ou relance ? Tous les gouvernements raisonnent dans une logique de court terme ! Le pouvoir financier impose sa vision du temps court. Cela fausse tout, nous raisonnons à partir d’une économie complètement tronquée.
Quelles en sont les conséquences ?
Dans le temps court, le salaire n’est qu’une charge pour les entreprises, et la protection sociale, une charge pour la société. L’impôt, c’est un prélèvement et rien d’autre. Si vous abordez le problème avec cette vision, cela vous amène forcément à la rigueur : il faut restreindre la dépense publique. Même si la crise ne vient pas de la dépense publique mais du secteur privé, en premier lieu des banques avec la crise des subprimes.
Il faut comprimer les salaires, travailler plus pour gagner moins ! Le résultat ? Un cercle vicieux. Le second effet apparaît dans un temps plus long : le salaire, c’est le support d’un revenu qui alimente la dépense de consommation. L’impôt, c’est le support de la dépense publique. Il ne se perd pas dans les sables du désert ! Toute cette dimension nous manque. Les gouvernements sont piégés dans cette logique de court terme, alors que le vrai problème est celui de la réussite de la mutation.
« L’homme des cavernes pouvait difficilement – à la lumière de son expérience – se faire une conception de l’univers autre que magique », écrivez-vous. Alors que les marchés sont aujourd’hui présentés comme des oracles, ne serions-nous pas capables de faire mieux que l’homme des cavernes ?
Dans une vision à court terme, la tendance est de défendre les structures existantes. Avec de très bonnes intentions, on s’enferme dans des contradictions totales. Les gouvernements mènent une politique de réduction des dépenses énergétiques, et de l’autre côté, n’acceptent pas la diminution du nombre de raffineries, qui découle de cette politique. Le problème n’est pas que les salariés des raffineries restent raffineurs, mais de les employer dans de nouvelles structures, et de voir quelles sont les structures nécessaires à la poursuite de la mutation.
En essayant de régler un problème de long terme avec des instruments de court terme, nous nous enfonçons de plus en plus dans la crise, à force de prendre des décisions à contre-sens. Au contraire, anticiper ces transitions, cette mutation, devrait pourtant inspirer non pas le discours des politiques, mais leur action. On se trompera forcément, mais par tâtonnement nous finirons par trouver la voie pour nous engager dans un cercle vertueux.
Vous définissez la science économique comme un « système de pensée nombriliste, clos sur lui-même, replié sur la contemplation inlassable des mêmes équilibres et des mêmes procédures d’optimisation ». De quelle science économique avons-nous besoin aujourd’hui ?
Lorsque j’ai publié mon livre L’économique et le vivant en 1979, les économistes m’ont dit : « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Ce n’est pas de l’économie. » Depuis, beaucoup ont compris l’importance de la transdisciplinarité. Confrontés aux mêmes réalités, chaque discipline interroge le monde sous un angle différent. La nature de mes questions me définit comme économiste.
C’est le lieu d’où je questionne le monde, mais ce n’est pas une prison ! Si les chercheurs refusent de se hasarder dans les zones d’interférences, certains problèmes ne seront jamais abordés. C’est pourtant dans ces zones que se joue aujourd’hui la survie de l’humanité.
Comment recréer des espaces de réflexion interdisciplinaires ?
Il y a aujourd’hui des courants intéressants, comme celui des Économistes atterrés. On parle en ce moment de la reconstitution d’une structure qui ressemblerait à celle du Plan, avec une ambition de prospective. J’étais très favorable à la planification française, souple. Les objectifs des secteurs stratégiques – sidérurgie, transports, énergie,…– étaient définis au sein des Commissions du Plan, qui réunissaient des grands fonctionnaires, des intellectuels, mais aussi des syndicats ouvriers et patronaux. Une concertation sociale permanente.
C’est ce qui nous manque le plus aujourd’hui. De cette rencontre sortaient des objectifs, ensuite arbitrés par l’État. On n’avait pas besoin de faire des grands discours sur la concertation, on la faisait !
Vous défendez le principe de bioéconomie. En quoi cela consiste-t-il ?
Ce n’est pas une nouvelle branche de l’économie : c’est l’économie qui doit se faire bio. La destruction de la biosphère menace actuellement l’humanité. Et si on détruit la biosphère, cela ne sert à rien de disserter sur le Plan et l’avenir de l’humanité : il n’y aura pas d’avenir, pas d’économie. Le monde est arrivé à ce moment où il atteint et dépasse la capacité de charge de la biosphère. Toutes les conventions sur lesquelles était fondée l’économie sont remises en cause.
La nature était considérée comme inépuisable ? Elle devient un facteur rare que l’on épuise. Et c’est une des conventions fondatrices de l’économie qui disparaît. Quand on cherche la combinaison optimale de facteurs de production, ou de biens de consommation qui vont vous donner le maximum de satisfaction, on procède par substitution de biens. C’est la deuxième convention de base de l’économie : on optimise en substituant.
Cela n’est plus vrai aujourd’hui : quand vous atteignez les limites de la biosphère, certaines ressources ne peuvent plus être augmentés. La substituabilité disparaît. Troisième convention : « Le plus est le mieux » – c’est en consommant davantage que l’on accroît le bien-être. Nous atteignons aussi la limite où ce n’est plus vrai. Le paradoxe d’Easterlin montre que dans les nations les plus riches le bien-être et le revenu ne vont plus de pair. Il arrive un moment où la relation s’inverse carrément.
Comment l’économie peut-elle intégrer la question de la reproduction des ressources et du vivant ?
L’économie est faite pour optimiser – ce n’est pas un vilain mot !. Cela veut dire tirer le maximum de résultats, de choses positives, de satisfaction, à partir des moyens limités dont nous disposons. Mais elle doit intégrer ces stratégies d’optimisation (de production et de consommation) dans les limites des mécanismes de reproduction du système.
Par exemple les rythmes de reproduction des matières premières, des ressources renouvelables : « Voilà, on peut piocher dans les réserves jusque ce niveau, mais pas plus ». Ou des rythmes de prélèvement des ressources non renouvelables compatibles avec des perspectives de relève, de remplacement de ces ressources. L’économie retrouve alors sa vraie vocation : une science d’optimisation sous contrainte. Sans limites, il n’y a pas d’économie, car cela veut dire que l’on peut faire n’importe quoi !
Le système économique actuel peut-il s’adapter à cette contrainte ?
Certains économistes voudraient que l’économie soit une science qui prenne en compte toutes les contraintes, sauf celles de l’environnement ! Dans un système vivant, vous avez une finalité qui domine, c’est la finalité du système tout entier : maintenir et reproduire sa structure dans le temps, alors que les lois physiques, les lois d’entropie voudraient qu’il se désagrège. Cette finalité est supérieure à toutes les autres.
Dans une horloge, vous avez une seule loi, du ressort à la mécanique entière. C’est très différent dans le vivant : on fait un saut dans le vivant, en passant de la molécule à la cellule, c’est une autre logique qui s’applique. Et la logique de l’organe est différente de la somme des logiques des cellules. La pensée n’est pas la somme des atomes du cerveau.
En économie, c’est pareil. C’est le paradoxe de Condorcet : il faut un choix à un moment donné, la logique du tout n’est pas la somme des logiques particulières. On est loin de la « main invisible du marché » d’Adam Smith, qui transforme mécaniquement les intérêts individuels en intérêt général.
Vous parlez de « point critique », ce moment qui nous fait basculer dans un autre univers. Sommes-nous en train d’atteindre un tel point critique ?
Nous vivons une crise de civilisation, mais le dépérissement du système sera long, car trop d’intérêts sont en jeu. Pour l’univers de la finance, ce système n’est pas mauvais : quand tout va bien, il engrange les bénéfices, et quand tout va mal, la charge retombe sur la collectivité.
La faillite d’un paradigme n’implique pas qu’il disparaisse immédiatement. Il faut qu’une théorie concurrente soit prête à prendre la place, comme le dit l’historien Thomas Kuhn. Le point critique, c’est lorsqu’un écart évolutif, au lieu d’être ramené vers la moyenne, bifurque de manière totalement imprévisible vers une nouvelle voie d’évolution.
Tout progrès est ambigu, à la fois chance et péril. C’est nous qui choisissons. Le progrès technique nous donne actuellement la possibilité de gagner plus, de vivre mieux, de travailler moins. Et comme nous avons libéré la cupidité des hommes, avec la libéralisation du secteur financier, ce sont les effets pervers qui l’emportent. Ce qui devrait être un instrument de libération des hommes devient un moyen d’asservissement. L’homme devient la variable d’ajustement de l’augmentation des dividendes.
Tant qu’on n’aura pas tranché le nœud gordien du pouvoir de la finance, rien ne sera possible. Parce que le rapport de force agira toujours dans cette direction, et le côté pervers du progrès technique l’emportera toujours. Sous la pression des événements et des drames qui se multiplieront, serons-nous amenés à le faire à temps ? Sans cela, nous courrons à la catastrophe. Il faut continuer à alerter et à travailler dans ce sens.
Notes
A lire : René Passet, Les Grandes Représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire, éditions LLL Les liens qui libèrent, 950 pages, 38 euros.
Notes
[1] René Passet, économiste spécialiste du développement et professeur émérite à la Sorbonne, a été membre du Groupe des Dix, constitué à l’initiative de Jacques Robin et de Robert Buron, au sein duquel il a travaillé avec des biologistes, des physiciens, des sociologues, des anthropologues, des informaticiens. Il a été le premier président du Conseil scientifique de l’association Attac.
[2] Auteur de l’ouvrage Histoire de l’astronomie.
[3] Qui a écrit un traité des probabilités avant de se pencher sur l’économie.
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jeudi, 16 mai 2013
Savants nazis : les Français et les Anglais se sont servis aussi
Savants nazis : les Français et les Anglais se sont servis aussi
« Les quelques privilégiés qui connaissaient l’existence
du Bureau des Projets Spéciaux du général SS Kammler,
admettaient qu’il constituait l’instrument
d’étude et de mise au point le plus avancé du IIIe Reich »
Entretien avec Louis-Christian Gautier, auteur de Le secret de l’anti-gravité. À l’ombre du IIIe Reich et de la Nasa (éditions Dualpha)
propos recueillis par Fabrice Dutilleul
Vous abordez un sujet délicat : l’appropriation par les Américains et les Soviétiques des savants du IIIe Reich à la fin de la IIe Guerre mondiale…
Il n’y a pas qu’eux : Britanniques et Français se sont aussi « servis ». Tous les Alliés s’emparèrent des savants du IIIe Reich et s’approprièrent ainsi tous leurs travaux, recherches… et découvertes ! Parmi ces prises de guerre figuraient les recherches sur la gravité, effectuées par le général SS Hans Kammler qui rendait compte directement et uniquement au Reichführer de l’Ordre noir Heinrich Himmler.
Comment avez-vous été amené à écrire ce livre ?
À la demande du rédacteur en chef de la défunte revue Aventures de l’Histoire. C’est un fouineur qui m’a adressé un ouvrage qu’il s’était procuré je ne sais comment, dont le titre pourrait approximativement se traduire par : « À la recherche du point zéro, le périple d’un homme pour découvrir le plus grand des secrets depuis l’invention de la bombe atomique. » Si, dans mon adolescence, je prenais un certain plaisir à la lecture des romans de science-fiction – en particulier ceux de Peter Randa, père de mon éditeur auquel j’en profite pour rentre hommage – je suis devenu depuis un historien « pur et dur », et c’est d’abord en rechignant que j’ai entrepris de traduire le document de référence, mais je ne prends pas parti au sujet des théories exposées.
Les chercheurs américains refusaient de reconnaître cette science révolutionnaire…
En effet, les Nationaux-socialistes eurent une approche de la science et de l’ingénierie totalement différente de celle des autres, car leur idéologie était également basée sur une vision du monde différente.
La gravité constitue la plus importante source d’énergie potentielle. Un engin qui l’utiliserait pourrait atteindre la vitesse de la lumière. Les Américains ont-ils maîtrisé toutes les technologies tombées entre leurs mains ? C’est ce que chercha à savoir le Britannique Nick Cook, journaliste aéronautique réputé. Son enquête le mena ainsi jusqu’aux terribles camps de concentration qui furent en quelque sorte le « moteur » de la production de cet « État dans l’État », comme Speer avait qualifié la SS. C’est en leur sein que travailla le Bureau des Projets Spéciaux du général Kammler. Les quelques privilégiés qui en connaissaient l’existence admettaient qu’il constituait l’instrument d’étude et de mise au point le plus avancé du IIIe Reich. Pour le constituer, on avait écrémé tout ce que le pays possédait comme chercheurs de haut niveau, sans se préoccuper s’ils avaient ou non des liens avec le Parti. Une fois recrutés, ceux-ci étaient soumis à un secret rigoureux et leurs activités protégées par des spécialistes du contre-espionnage appartenant à la SS.
Au fil de la lecture, on se passionne pour cette véritable enquête policière…
Il faut suivre l’auteur britannique dans l’espace et dans le temps. C’est aussi la personnalité de celui-ci qui, dans le cadre de la « critique externe » du document, a suscité mon intérêt : Nick Cook était consultant aérospatial à la revue Jane’s Defense Weekly. Or, le Jane’s est une référence internationale en matière de défense et d’armement. Un de ses collaborateurs ne pouvait être un fumiste intégral. Mais je dis et répète que je me refuse à prendre parti : j’ai abordé le sujet d’un point de vue strictement historique.
Vous ne prétendez donc pas révéler le secret de l’anti-gravité ?
Pas plus que celui des Templiers, ni l’emplacement de leur trésor, sujets sur lequel j’avais jusqu’alors le plus publié.
Le secret de l’anti-gravité. À l’ombre du IIIe Reich et de la Nasa de Louis-Christian Gautier, 216 pages, 23 euros, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa.
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vendredi, 10 mai 2013
Le Qatar, champion du mensonge et de la dissimulation
Le Qatar, champion du mensonge et de la dissimulation
AFRIQUE-ASIE : Sans sponsors et en toute indépendance, à contre-courant des livres de commande publiés récemment en France sur le Qatar, Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget* ont enquêté sur ce minuscule État tribal, obscurantiste et richissime qui, à coup de millions de dollars et de fausses promesses de démocratie, veut jouer dans la cour des grands en imposant partout dans le monde sa lecture intégriste du Coran. Un travail rigoureux et passionnant sur cette dictature molle, dont nous parle Jacques-Marie Bourget.
Écrivain et ancien grand reporter dans les plus grands titres de la presse française, Jacques-Marie Bourget a couvert de nombreuses guerres : le Vietnam, le Liban, le Salvador, la guerre du Golfe, la Serbie et le Kosovo, la Palestine… C’est à Ramallah qu’une balle israélienne le blessera grièvement. Grand connaisseur du monde arabe et des milieux occultes, il publiait en septembre dernier avec le photographe Marc Simon, Sabra et Chatila, au cœur du massacre (Éditions Érick Bonnier, voir Afrique Asie d’octobre 2012)
Nicolas Beau a longtemps été journaliste d’investigation à Libération, au Monde et au Canard Enchainé avant de fonder et diriger le site d’information satirique français, Bakchich. info. Il a notamment écrit des livres d’enquêtes sur le Maroc et la Tunisie et sur Bernard-Henri Lévy.
Qu’est-ce qui vous a amenés à consacrer un livre au Qatar ?
Le hasard puis la nécessité. J’ai plusieurs fois visité ce pays et en suis revenu frappé par la vacuité qui se dégage à Doha. L’on y a l’impression de séjourner dans un pays virtuel, une sorte de console vidéo planétaire. Il devenait intéressant de comprendre comment un État aussi minuscule et artificiel pouvait prendre, grâce aux dollars et à la religion, une telle place dans l’histoire que nous vivons. D’autre part, à l’autre bout de la chaîne, l’enquête dans les banlieues françaises faite par mon coauteur Nicolas Beau nous a immédiatement convaincus qu’il y avait une stratégie de la part du Qatar enfin de maîtriser l’islam aussi bien en France que dans tout le Moyen-Orient et en Afrique. D’imposer sa lecture du Coran qui est le wahhabisme, donc d’essence salafiste, une interprétation intégriste des écrits du Prophète. Cette sous-traitance de l’enseignement religieux des musulmans de France à des imams adoubés par le Qatar nous a semblé incompatible avec l’idée et les principes de la République. Imaginez que le Vatican, devenant soudain producteur de gaz, profite de ses milliards pour figer le monde catholique dans les idées intégristes de Monseigneur Lefebvre, celles des groupuscules intégristes qui manifestent violement en France contre le « mariage pour tous ». Notre société deviendrait invivable, l’obscurantisme et l’intégrisme sont les meilleurs ennemis de la liberté.
Sur ce petit pays, nous sommes d’abord partis pour publier un dossier dans un magazine. Mais nous avons vite changé de format pour passer à celui du livre. Le paradoxe du Qatar, qui prêche la démocratie sans en appliquer une seule once pour son propre compte, nous a crevé les yeux. Notre livre sera certainement qualifié de pamphlet animé par la mauvaise foi, de Qatar bashing… C’est faux. Dans cette entreprise nous n’avons, nous, ni commande, ni amis ou sponsors à satisfaire. Pour mener à bien ce travail, il suffisait de savoir lire et observer. Pour voir le Qatar tel qu’il est : un micro-empire tenu par un potentat, une dictature avec le sourire aux lèvres.
Depuis quelques années, ce petit émirat gazier et pétrolier insignifiant géopolitiquement est devenu, du moins médiatiquement, un acteur politique voulant jouer dans la cour des grands et influer sur le cours de l’Histoire dans le monde musulman. Est-ce la folie des grandeurs ? Où le Qatar sert-il un projet qui le dépasse ?
Il existe une folie des grandeurs. Elle est encouragée par des conseillers et flagorneurs qui ont réussi à convaincre l’émir qu’il est à la fois un tsar et un commandeur des croyants. Mais c’est marginal. L’autre vérité est qu’il faut, par peur de son puissant voisin et ennemi saoudien, que la grenouille se gonfle. Faute d’occuper des centaines de milliers de kilomètres carrés dans le Golfe, le Qatar occupe ailleurs une surface politico-médiatique, un empire en papier. Doha estime que cette expansion est un moyen de protection et de survie.
Enfin il y a la religion. Un profond rêve messianique pousse Doha vers la conquête des âmes et des territoires. Ici, on peut reprendre la comparaison avec le minuscule Vatican, celui du xixe siècle qui envoyait ses missionnaires sur tous les continents. L’émir est convaincu qu’il peut nourrir et faire fructifier une renaissance de la oumma, la communauté des croyants. Cette stratégie a son revers, celui d’un possible crash, l’ambition emportant les rêves du Qatar bien trop loin de la réalité. N’oublions pas aussi que Doha occupe une place vide, celle libérée un temps par l’Arabie Saoudite impliquée dans les attentats du 11-Septembre et contrainte de se faire plus discrète en matière de djihad et de wahhabisme. Le scandaleux passe-droit dont a bénéficié le Qatar pour adhérer à la Francophonie participe à cet objectif de « wahhabisation » : en Afrique, sponsoriser les institutions qui enseignent la langue française permet de les transformer en écoles islamiques, Voltaire et Hugo étant remplacés par le Coran.
Cette mégalomanie peut-elle se retourner contre l’émir actuel ? Surtout si l’on regarde la brève histoire de cet émirat, créé en 1970 par les Britanniques, rythmée par des coups d’État et des révolutions de palais.
La mégalomanie et l’ambition de l’émir Al-Thani sont, c’est vrai, discrètement critiquées par de « vieux amis » du Qatar. Certains, avançant que le souverain est un roi malade, poussent la montée vers le trône de son fils désigné comme héritier, le prince Tamim. Une fois au pouvoir, le nouveau maître réduirait la voilure, notamment dans le soutien accordé par Doha aux djihadistes, comme c’est le cas en Libye, au Mali et en Syrie. Cette option est même bien vue par des diplomates américains inquiets de cette nouvelle radicalité islamiste dans le monde. Alors, faut-il le rappeler, le Qatar est d’abord un instrument de la politique de Washington avec lequel il est lié par un pacte d’acier.
Cela dit, promouvoir Tamim n’est pas simple puisque l’émir, qui a débarqué son propre père par un coup d’État en 1995, n’a pas annoncé sa retraite. Par ailleurs le premier ministre Jassim, cousin de l’émir, le tout-puissant et richissime « HBJ », n’a pas l’intention de laisser un pouce de son pouvoir. Mieux : en cas de nécessité, les États-Unis sont prêts à sacrifier et l’émir et son fils pour mettre en place un « HBJ » dévoué corps et âme à Washington et à Israël. En dépit de l’opulence affichée, l’émirat n’est pas si stable qu’il y paraît. Sur le plan économique, le Qatar est endetté à des taux « européens » et l’exploitation de gaz de schiste est en rude concurrence, à commencer aux États-Unis.
La présence de la plus grande base américaine en dehors des États-Unis sur le sol qatari peut-elle être considérée comme un contrat d’assurance pour la survie du régime ou au contraire comme une épée de Damoclès fatale à plus ou moins brève échéance ?
La présence de l’immense base Al-Udaï est, dans l’immédiat, une assurance vie pour Doha. L’Amérique a ici un lieu idéal pour surveiller, protéger ou attaquer à son gré dans la région. Protéger l’Arabie Saoudite et Israël, attaquer l’Iran. La Mecque a connu ses révoltes, la dernière réprimée par le capitaine Barril et la logistique française. Mais Doha pourrait connaître à son tour une révolte conduite par des fous d’Allah mécontents de la présence du « grand Satan » en terre wahhabite.
Ce régime, moderne d’apparence, est en réalité fondamentalement tribal et obscurantiste. Pourquoi si peu d’informations sur sa vraie nature ?
Au risque de radoter, il faut que le public sache enfin que le Qatar est le champion du monde du double standard : celui du mensonge et de la dissimulation comme philosophie politique. Par exemple, des avions partent de Doha pour bombarder les taliban en Afghanistan alors que ces mêmes guerriers religieux ont un bureau de coordination installé à Doha, à quelques kilomètres de la base d’où décollent les chasseurs partis pour les tuer. Il en va ainsi dans tous les domaines, et c’est le cas de la politique intérieure de ce petit pays.
Regardons ce qui se passe dans ce coin de désert. Les libertés y sont absentes, on y pratique les châtiments corporels, la lettre de cachet, c’est-à-dire l’incarcération sans motif, est une pratique courante. Le vote n’existe que pour nommer une partie des conseillers municipaux, à ceci près que les associations et partis politiques sont interdits, tout comme la presse indépendante… Une Constitution qui a été élaborée par l’émir et son clan n’est même pas appliquée dans tous ses articles. Le million et demi de travailleurs étrangers engagés au Qatar s’échinent sous le régime de ce que des associations des droits de l’homme qualifient « d’esclavage ». Ces malheureux, privés de leurs passeports et payés une misère, survivent dans les camps détestables sans avoir le droit de quitter le pays. Nombre d’entre eux, accrochés au béton des tours qu’ils construisent, meurent d’accidents cardiaques ou de chutes (plusieurs centaines de victimes par an).
La « justice », à Doha, est directement rendue au palais de l’émir, par l’intermédiaire de juges qui le plus souvent sont des magistrats mercenaires venus du Soudan. Ce sont eux qui ont condamné le poète Al-Ajami à la prison à perpétuité parce qu’il a publié sur Internet une plaisanterie sur Al-Thani ! Observons une indignation à deux vitesses : parce que cet homme de plume n’est pas Soljenitsyne, personne n’a songé à défiler dans Paris pour défendre ce martyr de la liberté. Une anecdote : cette année, parce que son enseignement n’était pas « islamique », un lycée français de Doha a tout simplement été retiré de la liste des institutions gérées par Paris.
Arrêtons là car la situation du droit au Qatar est un attentat permanent aux libertés.
Pourtant, et l’on retombe sur le fameux paradoxe, Doha n’hésite pas, hors de son territoire, à prêcher la démocratie. Mieux, chaque année un forum se tient sur ce thème dans la capitale. Son titre, « New or restaured democracy » alors qu’au Qatar il n’existe de démocratie ni « new » ni « restaured »… Selon le classement de The Economist, justement en matière de démocratie, le Qatar est 136e sur 157e États, classé derrière le Bélarusse. Bizarrement, alors que toutes les bonnes âmes fuient le dictateur moustachu Loukachenko, personne n’éprouve honte ou colère à serrer la main d’Al-Thani. Et le Qatar, qui est aussi un enfer, n’empêche pas de grands défenseurs des droits de l’homme, notamment français, de venir bronzer, invités par Doha, de Ségolène Royal à Najat Vallaud-Belkacem, de Dominique de Villepin à Bertrand Delanoë.
Comment un pays qui est par essence antidémocratique se présente-t-il comme le promoteur des printemps arabes et de la liberté d’expression ?
Au regard des « printemps arabes », où le Qatar joue un rôle essentiel, il faut observer deux phases. Dans un premier temps, Doha hurle avec les peuples justement révoltés. On parle alors de « démocratie et de liberté ». Les dictateurs mis à terre, le relais est pris par les Frères musulmans, qui sont les vrais alliés de Doha. Et on oublie les slogans d’hier. Comme on le dit dans les grandes surfaces, « liberté et démocratie » n’étaient que des produits d’appel, rien que de la « com ».
Si l’implication du Qatar dans les « printemps » est apparue comme une surprise, c’est que la stratégie de Doha a été discrète. Depuis des années l’émirat entretient des relations très étroites avec des militants islamistes pourchassés par les potentats arabes, mais aussi avec des groupes de jeunes blogueurs et internautes auxquels il a offert des stages de « révolte par le Net ». La politique de l’émir était un fusil à deux coups. D’abord on a envoyé au « front » la jeunesse avec son Facebook et ses blogueurs, mains nues face aux fusils des policiers et militaires. Ceux-ci défaits, le terrain déblayé, l’heure est venue de mettre en poste ces islamistes tenus bien au chaud en réserve, héros sacralisés, magnifiés en sagas par Al-Jazeera.
Comment expliquez-vous l’implication directe du Qatar d’abord en Tunisie et en Libye, et actuellement en Égypte, dans le Sahel et en Syrie ?
En Libye, nous le montrons dans notre livre, l’objectif était à la fois de restaurer le royaume islamiste d’Idriss tout essayant de prendre le contrôle de 165 milliards, le montant des économies dissimulées par Kadhafi. Dans le cas de la Tunisie et de l’Égypte, il s’agit de l’application d’une stratégie froide du type « redessinons le Moyen-Orient », digne des « néocons » américains. Mais, une fois encore, ce n’est pas le seul Qatar qui a fait tomber Ben Ali et Moubarak ; leur chute a d’abord été le résultat de leur corruption et de leur politique tyrannique et aveugle.
Au Sahel, les missionnaires qataris sont en place depuis cinq ans. Réseaux de mosquées, application habile de la zaqat, la charité selon l’islam, le Qatar s’est taillé, du Niger au Sénégal, un territoire d’obligés suspendus aux mamelles dorées de Doha. Plus que cela, dans ce Niger comme dans d’autres pays pauvres de la planète le Qatar a acheté des centaines de milliers d’hectares transformant ainsi des malheureux affamés en « paysans sans terre ». À la fin de 2012, quand les djihadistes ont pris le contrôle du Nord-Mali, on a noté que des membres du Croissant-Rouge qatari sont alors venus à Gao prêter une main charitable aux terribles assassins du Mujao…
La Syrie n’est qu’une extension du domaine de la lutte avec, en plus, une surenchère : se montrer à la hauteur de la concurrence de l’ennemi saoudien dans son aide au djihad. Ici, on a du mal à lire clairement le dessein politique des deux meilleurs amis du Qatar, les États-Unis et Israël, puisque Doha semble jouer avec le feu de l’islamisme radical…
Le Fatah accuse le Qatar de semer la zizanie et la division entre les Palestiniens en soutenant à fond le Hamas, qui appartient à la nébuleuse des Frères musulmans. Pour beaucoup d’observateurs, cette stratégie ne profite qu’à Israël. Partagez-vous cette analyse ?
Quand on veut évoquer la politique du Qatar face aux Palestiniens, il faut s’en tenir à des images. Tzipi Livni, qui fut avec Ehud Barak la cheville ouvrière, en 2009, de l’opération Plomb durci sur Gaza – 1 500 morts – fait régulièrement ses courses dans les malls de Doha. Elle profite du voyage pour dire un petit bonjour à l’émir. Un souverain qui, lors d’une visite discrète, s’est rendu à Jérusalem pour y visiter la dame Livni… Souvenons-nous du pacte signé d’un côté par HBJ et le souverain Al-Thani et de l’autre les États-Unis : la priorité est d’assister la politique d’Israël. Quand le « roi » de Doha débarque à Gaza en promettant des millions, c’est un moyen d’enferrer le Hamas dans le clan des Frères musulmans pour mieux casser l’unité palestinienne. C’est une politique pitoyable. Désormais, Mechaal, réélu patron du Hamas, vit à Doha dans le creux de la main de l’émir. Le rêve de ce dernier – le Hamas ayant abandonné toute idée de lutte – est de placer Mechaal à la tête d’une Palestine qui se situerait en Jordanie, le roi Abdallah étant déboulonné. Israël pourrait alors s’étendre en Cisjordanie. Intéressante politique-fiction.
Le Qatar a-t-il « acheté » l’organisation de la Coupe du monde football en 2022 ?
Un grand et très vieil ami du Qatar m’a dit : « Le drame avec eux, c’est qu’ils s’arrangent toujours pour que l’on dise “cette fois encore, ils ont payé !” » Bien sûr, il y a des soupçons. Remarquons que les fédérations sportives sont si sensibles à la corruption que, avec de l’argent, acheter une compétition est possible. On a connu cela avec des jeux Olympiques étrangement attribués à des outsiders…
Dans le conflit frontalier entre le Qatar et le Bahreïn, vous révélez que l’un des juges de la Cour internationale de justice de La Haye aurait été acheté par le Qatar. L’affaire peut-elle être rejugée à la lumière de ces révélations ?
Un livre – sérieux celui-là – récemment publié sur le Qatar évoque une manipulation possible lors du jugement arbitral qui a tranché le conflit frontalier entre le Qatar et Bahreïn. Les enjeux sont énormes puisque, sous la mer et les îlots, se trouve du gaz. Un expert m’a déclaré que cette révélation pouvait être utilisée pour rouvrir le dossier devant la Cour de La Haye…
Les liaisons dangereuses et troubles entre la France de Sarkozy et le Qatar se poursuivent avec la France de Hollande. Comment expliquez-vous cette continuité ?
Parler du Qatar, c’est parler de Sarkozy, et inversement. De 2007 à 2012, les diplomates et espions français en sont témoins, c’est l’émir qui a réglé la « politique arabe » de la France. Il est amusant de savoir aujourd’hui que Bachar al-Assad a été l’homme qui a introduit la « sarkozie » auprès de celui qui était alors son meilleur ami, l’émir du Qatar. Il n’y a pas de bonne comédie sans traîtres. Kadhafi était, lui aussi, un grand ami d’Al-Thani et c’est l’émir qui a facilité l’amusant séjour du colonel et de sa tente à Paris. Sans évoquer les affaires incidentes, comme l’épopée de la libération des infirmières bulgares. La relation entre le Qatar et Sarkozy a toujours été sous-tendue par des perspectives financières. Aujourd’hui Doha promet d’investir 500 millions de dollars dans le fonds d’investissement que doit lancer l’ancien président français à Londres. Échange de bons procédés, ce dernier fait de la propagande ou de la médiation dans les aventures, notamment sportives, du Qatar.
François Hollande, par rapport au Qatar, s’est transformé en balancier. Un jour le Qatar est « un partenaire indispensable », qui a sauvé dans son fief de Tulle la fabrique de maroquinerie le Tanneur, le lendemain, il faut prendre garde de ses amis du djihad. Aucune politique n’est fermement dessinée et les diplomates du Quai-d’Orsay, nommés sous Sarkozy, continuent de jouer le jeu d’un Doha qui doit rester l’ami numéro 1. En période de crise, les milliards miroitants d’Al-Thani impliquent aussi une forme d’amitié au nom d’un slogan faux et ridicule qui veut que le Qatar « peut sauver l’économie française »… La réalité est plus plate : tous les investissements industriels de Doha en France sont des échecs… Reste le placement dans la pierre, vieux bas de laine de toutes les richesses. Notons là encore un pathétique grand écart : François Hollande a envoyé son ministre de la Défense faire la quête à Doha afin de compenser le coût de l’opération militaire française au Mali, conduite contre des djihadistes très bien vus par l’émir.
Majed Nehmé
http://www.afrique-asie.fr/menu/actualite/70-points-chauds/5510-le-qat...
* Le Vilain Petit Qatar – Cet ami qui nous veut du mal, Jacques-Marie Bourget et Nicolas Beau, Éd. Fayard, 300 p., 19 euros
http://www.legrandsoir.info/le-qatar-champion-du-mensonge-et-de-la-dissimulation.html
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Italia sotto attacco
Italia sotto attacco
Marco della Luna: quinte colonne della finanza internazionale presenti nel governo
Federico Dal Cortivo
Federico Dal Cortivo ha intervistato Marco Della Luna, autore del libro “Traditori al governo? Artefici, complici e strategie della nostra rovina”. L’Italia è oramai da anni sotto attacco, non militare, non ve ne è bisogno essendo la penisola dalla fine della Seconda Guerra Mondiale occupata militarmente dagli Stati Uniti, ma economicamente.Gli obiettivi fin troppo chiari: distruggere completamente il sistema Italia che era fatto anche d’imprese anche a partecipazione statale, lo Stato sociale, le regole del mondo del lavoro, la previdenza pubblica e la sanità, la scuola e l’università dello Stato e infine mettere le mani sul nostro patrimonio economico, colonizzando definitivamente la penisola.
Avv. Della Luna lei ha recentemente pubblicato un saggio da titolo eloquente, “Traditori al governo”, nel quale analizza in modo esauriente le dinamiche e i personaggi che hanno portato la nostra nazione al punto in cui si trova oggi dopo l’ultimo governo tecnico di Mario Monti . Quali sono stati a suo avviso i passaggi fondamentali che ci hanno portato alla situazione attuale di grave crisi economica?
Le principali tappe della rovina voluta, e finalizzata a dissolvere il tessuto produttivo del Paese, desertificandolo industrialmente e assoggettandolo alla gestione via centrali bancarie fuori dai suoi confini, onde farne territorio di conquista per capitali stranieri, sono i seguenti:
- la progressiva e totale privatizzazione-divorzio dal Ministero del Tesoro della proprietà e della gestione della Banca d’Italia, con l’affidamento ai mercati speculativi del nostro debito pubblico e del finanziamento dello Stato (operazione avviata con Ciampi e Andreatta negli anni Ottanta);
- l’immediato, conseguente raddoppio del debito pubblico (da 60 a 120% del pil) a causa della moltiplicazione dei tassi, e la creazione di una ricattabilità politica strutturale del Paese da parte della finanza privata;
- la svendita agli amici/complici e ai più ricchi e potenti, stranieri e italiani, delle industrie che facevano capo allo Stato e che erano le più temibili concorrenti per le grandi industrie straniere;
- la privatizzazione, con modalità molto “riservate”, ma col favore di quasi tutto l’arco politico, della Banca d’Italia per mezzo della privatizzazione delle banche di credito pubblico (Banca Commerciale Italiana, Banco di Roma, Banca Nazionale del Lavoro, Credito Italiano, con le loro quote di proprietà della Banca d’Italia);
- la riforma Draghi-Prodi che nel 1999 ha autorizzato le banche di credito e risparmio alle scommesse speculative in derivati usando i soldi dei risparmiatori e alle cartolarizzazioni di mutui anche fasulli, come i subprime loans americani;
- l’apertura delle frontiere alla concorrenza sleale dei Paesi che producono schiavizzando i lavoratori e bruciando l’ambiente;
- l’adesione a tre successivi sistemi monetari – negli anni Settanta, Ottanta e Novanta – che impedivano gli aggiustamenti fisiologici dei cambi tra le valute dei paesi partecipanti – anche l’Euro non è una moneta, ma il cambio fisso tra le preesistenti monete – con l’effetto di far perdere competitività, industrie e capitali ai paesi meno competitivi in favore di quelli più competitivi, che quindi accumulano crediti verso i primi, fino a dominarli e commissariarli.
Da ultimo, le misure fiscali del governo Monti-Napolitano-ABC, che, tra le altre cose, hanno depresso i consumi,hanno messo in fuga verso l’estero centinaia di miliardi, svuotando il Paese di liquidità; hanno distrutto il 25% del valore del patrimonio immobiliare italiano, paralizzato il mercato immobiliare così che imprese e famiglie non possono più usare gli immobili per ottenere credito, e l’economia è rimasta senza liquidità, con insolvenze che schizzano al 30% e oltre..
Nel suo libro lei parla senza mezzi termini di “tradimento”, di quinte colonne che, neppure camuffate, operano all’interno dei governi per agevolare l’opera di conquista economica, che si traduce anche in politica, dell’Italia. Personaggi che devono avere dei requisiti ben precisi a suo avviso, ce ne può parlare?
Ma io nego che siano definibili “traditori”. Sono piuttosto definibili “nemici”, perché fanno gli interessi stranieri contro quelli nazionali, in modo scoperto. Definisco traditori, invece, i dirigenti dell’ex PCI che sono passati al servizio del capitalismo finanziario sregolato e collaborano con esso alla costruzione di una società e di un nuovo ordinamento nazionale e mondiale al servizio di esso, tradendo il loro elettorato. A dirla tutta, però, non ci sono nemici né traditori: l’Italia è un Paese tanto radicalmente mal assortito e tanto irrimediabilmente entropizzato, che l’unica cosa che razionalmente se ne può fare è ciò che quei signori ne stanno facendo, lasciando ai giovani, ai ricercatori, agli imprenditori la possibilità di emigrare verso paesi più funzionanti. Quindi sono assolti, anche moralmente.
Ci dica di Mario Monti e dell’altro Mario, quel Draghi che regge la BCE. Ambedue hanno prestato i loro servizi… alla stessa banca d’affari, la Goldman Sachs. A quali poteri, economici e non, rispondono realmente questi figuri? Per il primo si può ipotizzare oggi il reato di Alto Tradimento?
Per quali interessi lavorino è nella loro storia obiettiva… non è un mistero. Ciò vale anche per Romano Prodi, altra carriera con Goldman Sachs: quando non era suo advisor, era al governo e la nominava advisor del governo per le privatizzazioni… pensiamo specialmente a quella della Banca d’Italia… sono tutte storie di vita e lavoro convergenti… dirlo ieri poteva suonare ardito e fantasioso, dirlo oggi suona per contro ovvio. Il reato di alto tradimento, previsto dall’art. 77 del Codice Penale Militare di Pace, presuppone che l’autore del fatto sia un militare; altra ipotesi di questo reato è quella enunciata dall’art. 90 della costituzione, in relazione al solo capo dello Stato. Quindi un civile in generale, e in particolare un premier, può commettere il reato di alto tradimento solo in concorso o con un militare o col capo dello Stato. Altrimenti, a un civile diverso dal capo dello Stato si possono ipotizzare altri reati, di attentato alla Costituzione e all’indipendenza della Repubblica, commessi con la violenza consistita nel sottoporre il Paese e il popolo a gravi sofferenze e minacce economiche per indurlo a modificare il suo ordinamento costituzionale e a cedere la sua sovranità sancita dall’art. 1 della Costituzione.
E veniamo al Presidente Giorgio Napolitano, ha favorito la caduta dell’ultimo governo Berlusconi, posto sotto ricatto dalla famosa lettera della BCE ,con la quali si ordinava all’Italia di prendere tutta una serie di misure antisociali per favorire i “mercati”. Che ruolo ha avuto e ha tutt’ora colui che fin dai tempi del PCI aveva ottimi rapporti con gli Stati Uniti e quali sono i suoi legami con i poteri finanziari e massonici?
Dico che non so se e che legami abbia coi poteri finanziari forti e con le massonerie. E direi così anche se li conoscessi. Quando si parla di un presidente della Repubblica, bisogna stare attenti. A meno che si parli da un Paese estero, sotto la protezione di un’altra bandiera. Da dove sono, posso dire che egli si intende di macroeconomia, quindi capiva e capisce ciò che stava e sta avvenendo, e che effetti hanno certe manovre.
Per un attimo un passo indietro, certe cose non sono solo di oggi come lei ben saprà. Come giudica i precedenti governi, sia di centrosinistra sia di centrodestra, che nulla hanno fatto per tutelare gli interessi nazionali negli ultimi decenni? Si potrebbe, a suo avviso, far partire la loro “negligenza” (ma meglio starebbe il termine “tradimento” degli interessi nazionali) da quella famosa riunione a bordo del panfilo reale Britannia al largo di Civitavecchia nel giugno 1992?
Facendo seguito alla mia prima risposta direi che la partitocrazia italiana, complessivamente, dalla fine degli anni ‘70, lavora per rendere il Paese territorio di conquista per i capitali stranieri, come ho già detto. Ciò ha fatto e sta facendo soprattutto la sinistra sotto la copertura di due concetti, quelli del riformismo e dell’europeismo.
E veniamo alla cura proposta dalle teste d’uovo di Bruxelles, del FMI e dalla BCE: pareggio di bilancio, privatizzazioni, tagli alla sanità, alla scuola, alle pensioni, riforma del lavoro ecc. Queste cose dove sono state messe in pratica non hanno certo portato prosperità per i popoli, bensì solo per i cosiddetti mercati, che non sono di certo un entità aliena. Ce ne può parlare?
La parola “riformismo”, di cui tutti si riempiono oggi la bocca, ha avuto, dopo la metà degli anni ‘70, un’inversione di significato: dapprima, dalla seconda rivoluzione industriale, e anche nella Carta Costituzionale del 1948, e ancora nello Statuto dei Lavoratori, “riformismo” significava riforma della proprietà agraria per porre fine allo sfruttamento dei contadini da parte dei latifondisti; significava diritti sindacali, previdenziali e di sciopero per por fine allo sfruttamento degli operai da parte dei grandi imprenditori; significava contrastare le sperequazioni di reddito, diritti e opportunità tra lavoratori e capitale finanziario; significava consapevolezza del crescente strapotere delle corporations e del capitalismo rispetto ai cittadini, ai lavoratori, agli elettori, ai risparmiatori, ai piccoli proprietari, degli invalidi (uno strapotere che oggi è moltiplicato dalla globalizzazione e dal carattere apolide della grande finanza). Era un riformismo per la solidarietà, l’equa distribuzione delle opportunità e del reddito, l’accessibilità al lavoro e alla proprietà privata. Da tutto ciò l’art. 1 con la Repubblica fondata sul lavoro; l’art. 3 con la parità dei cittadini e l’obbligo di rimuovere gli ostacoli anche economici che, di fatto, limitano questa parità; gli artt. 35-40 con la tutela del lavoro; l’art. 41, che vieta l’iniziativa economica che sia contro l’interesse sociale o la sicurezza e dignità umane, stabilendo che la legge possa indirizzarla ai fini collettivi; l’art. 42 che assicura le funzioni sociali della proprietà; l’art. 43 che prevede l’esproprio nel pubblico interesse; etc.; fino all’art. 47, che tutela il risparmio, e non le maxifrodi ai danni dei risparmiatori, e i bonus e le cariche pubbliche in favore di chi le ordisce.
Dalla fine degli anni ‘70, “riformismo” ha preso a significare esattamente l’inverso, ossia la demolizione di tutto quanto sopra al fine, dichiarato, di togliere ogni limitazione alla possibilità di azione e profitto del capitale finanziario, della proprietà privata, della privatizzazione di beni e compiti pubblici, sul presupposto che ciò genererà più ricchezza, più equità, più produzione, più occupazione, più libertà, più stabilità, più razionale allocazione delle risorse. Con i risultati che vediamo: crescente estrazione della ricchezza prodotta dalla società da parte di cartelli e oligopoli multinazionali, anzi soprannazionali. È la linea, come dicevo, della scuola economica di Chicago, del Washington Consensus, della CIA, di Thatcher, Reagan, etc. E dell’europeismo. Ma nonostante questi risultati, i vari Monti, Draghi, Rehn, Merkel e compagnia bella non fanno che ripetere che bisogna continuare sulla via delle riforme, altrimenti non c’è speranza, e se qualcosa non funziona, è appunto perché le riforme non sono state abbastanza risolute e complete. In realtà personaggi come la Merkel non sono tanto ottusi da non capire che il modello è radicalmente sbagliato e devastatore, ma alcuni paesi, Germania in testa, traggono vantaggio da esso in quanto la sua applicazione colpisce in modi diversi quei medesimi Paesi e altri, come l’Italia; e l’effetto di tale diversità è che esso, come già detto, spinge capitali, imprese e lavoratori qualificati a trasferirsi nei Paesi più forti, depauperando i più deboli ed eliminandoli come concorrenti. Se vi prendete qualche minuto e leggete attentamente i suddetti articoli della Costituzione, che regolano la sovranità e i rapporti e valori socio-economici, noterete, forse con stupore, che tutto il percorso di riforme in materia di moneta, finanza, lavoro, Banca d’Italia, sistema monetario europeo (Maastricht), globalizzazioni, privatizzazioni, liberalizzazioni, cartolarizzazioni, finanziarizzazione dell’economia – tutto, dico, è costituzionalmente illegittimo perché va esattamente, intenzionalmente e organicamente contro quelle norme costituzionali e contro lo stesso impianto sociale e valoriale e teleologico della Costituzione, che è appunto teso all’esclusione dell’attività imprenditoriale contraria all’interesse della società e alla realizzazione di una parità anche sostanziale dei cittadini in un quadro di solidarietà e di sicurezza in fatto di lavoro, reddito, servizi, pensioni. E non di “casinò” speculativo che comanda il Paese da piattaforme finanziarie estere attraverso il potere del rating e della manipolazione dei mercati, decidendo irresponsabilmente e insindacabilmente come si debba vivere e morire e governare.
È un disegno eversivo della Costituzione. Illecito. A esso hanno collaborato attivamente quasi tutti i “rappresentanti” del popolo, soprattutto la sinistra parlamentare. Senza farlo capire al popolo, ovviamente. Qui sta il conflitto di interessi vero. L’incompatibilità assoluta con le cariche pubbliche. Quindi i veri e primi incandidabili, ineleggibili, portatori di conflitto di interessi sono proprio i leaders della sinistra, assieme a Monti e Draghi: tra i vivi, Prodi, Bersani, Amato…
Lei parla di “ sacrifici senza prospettive e di “ sogno che la crisi finisca”, ma non vede la luce in fondo al tunnel? Eppure Monti e i suoi sodali ci hanno ripetuto fino alla nausea che siamo in ripresa… e che bisogna avere fiducia nei “mercati”. Lei contesta le linee economiche e fiscali imposte all’Italia dai paladini del “libero mercato”. Ci spieghi perché.
L’Italia è vicina alla fine, lo ha detto anche Squinzi il 24 marzo parlando al premier incaricato Bersani. Gli indici sono tutti al peggio, e vengono frequentemente corretti al peggioramento. Non vi è outlook di ripresa. Le migliori risorse del Paese – capitali, imprenditori, cervelli – se ne sono andate o se ne stanno andando. Chi dice che l’Italia stia riprendendosi, o è pazzo o mente. Secondo la tesi adottata dalle istituzioni monetarie, dalla Ue, da quasi tutta la politica che vuole governare, il libero mercato spontaneamente realizzerebbe l’ottimale impiego delle risorse e l’ottimale distribuzione dei redditi, inoltre automaticamente preverrebbe o riassorbirebbe le crisi. I fatti hanno clamorosamente smentito questa tesi. Del resto quella tesi valeva per i mercati dell’economia reale, non per i mercati della speculazione e dell’azzardo della finanza, che sono un’altra cosa.
O meglio, il libero mercato non esiste, perché per essere libero un mercato dovrebbe essere trasparente (cioè con operatori visibili, eleggibili dentro), non dominato da cartelli, non influenzato da asimmetrie informative, etc. etc. I mercati reali sono dominati, cioè manipolati, da cartelli di soggetti che approfittano di enormi asimmetrie informative (anche in fatto di tecnologie), che si mantengono opachi (anche FMI, BCE, Ue, Tesoro Usa, hedge funds, grandi banche…).
E che influenzano, pagandole o ricattandole, le funzioni politiche
Nel suo libro non disdegna di toccare la vicenda MPS,l a famosa banca senese da sempre nell’orbita della sinistra, fatti che al momento sembrano essere stati messi a tacere, con una Magistratura tutta impegnata nell’attacco a tutto campo contro Berlusconi. Chi sono i protagonisti principali e perché si è arrivati a questo, e il ruolo del duo Draghi-Monti e del PD di Bersani? Un Bersani che oramai interpreta da tempo, così come tutta la sinistra italiana, il ruolo di “mosca cocchiera dei poteri finanziari antinazionali”.
Volete i protagonisti principali? È una cerchia di nomi che potete individuare ricercando gli amministratori e i beneficiari effettivi di società derivate, di controllo, di gestione, cessionarie di rami di aziende, sicav, siv, stichtingen,… società che ricevono strani e grandi prestiti da banche in condizioni sospette… andate a consultare il Cerved, farete molte interessanti scoperte. E, per i bilanci, guardate in Cebi…Draghi ha prestato in segreto 2 miliardi a MPS già in crisi di liquidità a seguito non solo dell’acquisto di Antonveneta per un multiplo del suo dubbio valore, ma anche per una storia precedente di molti mutui concessi a soggetti che si sapeva non avrebbero pagato, e per le storie Myway e 4you, e per l’acquisizione della Banca del Salento (121)… e Monti presta 4 miliardi pubblici a MPS che in banca ne capitalizza 2,7.
Bisogna salvare MPS, l’ho detto dal mio primo articolo su di esso, del 29.06.11, ma salviamola per farne una banca nazionale di finanziamento all’economia produttiva, non solo per proteggere interessi privati o di uomini politici.
Avv. Della Luna i rimedi esistono per uscire da questa situazione, il mercato non è il destino dell’uomo, come non lo sono le banche, le vie alternative al capitalismo esistono, mancano oggi probabilmente gli uomini in grado d’applicarle in Italia e in Europa. Altrove i popoli hanno intrapreso una marcia diversa, e buona parte dell’America Latina ne è un esempio, questo a pochi giorni dalla morte del Presidente della repubblica Bolivariana del Venezuela Chávez, che certamente ha tracciato una via chiara di socialismo del XXI Secolo. Lei che misure adotterebbe per uscire da questo giro infernale usuraio in cui siamo precipitati?
Dalle situazioni non si esce per applicazione razionale e intenzionale di rimedi condivisi, ma perché una situazione si rompe e si cade in un’altra situazione. Non è questione di uomini. Anche il capitalismo finanziario assoluto si romperà, e io mi aspetto che ciò avvenga sia perché il tipo di mondo che esso costruisce per massimizzare la propria efficienza è incompatibile con la vita umana (troppa incertezza, violenza, mutevolezza), sia per effetto della incontrollabile accelerazione e autonomizzazione dei processi informatizzati attraverso cui si realizza lo high frequency computerized algotrading – una rete cibernetica capace di imparare e, in prospettiva, di sfuggire di mano.
www.europeanphoenix.com
30 Marzo 2013 12:00:00 - http://rinascita.eu/index.php?action=news&id=20032
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samedi, 04 mai 2013
Le trotskisme dégénéré
Le trotskisme dégénéré
« Il est indispensable de démonter pièce par pièce le véhicule funèbre du trotskisme. Il faut dresser son bilan historique,falsifié par lui-même avec le même cynisme crapuleux que le stalinisme, son frère ennemi »
Entretien avec Patrick Gofman, auteur du livre Le Trotskisme dégénéré (éditions Les Bouquins de Synthèse nationale)
(propos recueillis par Fabrice Dutilleul).
Naufrage avec son concurrent stalinien
Pourquoi la chaloupe trotskiste coule-t-elle avec le Titanic stalinien ?
Parce qu’elle est à sa remorque ! Depuis 1938, le trotskisme, dans ses mille et une chapelles, se présente comme la direction alternative du prolétariat révolutionnaire mondial. La disparition du pouvoir soviétique, l’effondrement électoral et moral du PCF devrait donc ouvrir un boulevard aux trotskistes ? Eh bien, non. Les remous de l’immense naufrage stalinien entraînent vers le fond les frêles esquifs de son opposition de gauche. Patrick Gofman décrit ici avec précision, brièveté, références, humour et cruauté, les dégénérescences parallèles des staliniens et des stalinains, leur choc fatal avec l’iceberg de l’Histoire, leurs derniers gargouillis dans l’eau glaciale.
Eh bien, Monsieur Gofman, vous tirez sur les ambulances, à présent ?
Les corbillards, vous voulez dire ? Oui, c’est bien triste. Mais il est indispensable de démonter pièce par pièce le véhicule funèbre du trotskisme. Il faut dresser son bilan historique, falsifié par lui-même avec le même cynisme crapuleux que le stalinisme, son frère ennemi.
Mais quelle importance ?!
Le stalinisme et son appendice trotskiste se sont emparés d’un mythe – utopie ou uchronie, si vous préférez – permanent et fondamental de l’humanité : le communisme. « Partageons tout en frères ». Ils ont souillé, défiguré, empoisonné ce beau rêve. Il ne faut pas permettre que l’ultra-libéralisme mondialiste l’enterre pour mille ans avec ses falsificateurs.
De quoi vous mêlez-vous ?
De mes oignons. J’ai donné ma jeunesse (1967-79) au trotskisme, dans sa variante « lambertiste », la plus sectaire et dogmatique. Mon expérience et ma documentation m’autorisent à montrer la dégénérescence et la nature criminelle du bolchevisme intégriste. Du moins, je veux ouvrir la voie à des historiens plus compétents, tout comme mon roman Cœur-de-Cuir (Flammarion, 1998) a été suivi d’autres révélations.
Le trotskisme dégénéré de Patrick Gofman, 134 pages, 18 euros, éditions Les Bouquins de Synthèse nationale, dirigée par Roland Hélie. Cliquez ici ou cliquez là
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