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samedi, 09 mai 2020

Quand le Covid-19 contamine le "Pacte du Quincy"...

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Quand le Covid-19 contamine le "Pacte du Quincy"...

par Richard Labévière

Ex: http://prochetmoyen-orient.ch

Le président des Etats-Unis ne conseille pas seulement aux victimes du Covid-19 de se désinfecter les poumons à l’eau de javel, il menace aussi ses grands amis saoudiens de retirer toutes ses troupes de la péninsule arabique, si Riyad ne cesse pas sa guerre des prix du pétrole, de connivence avec la Russie. Dans un appel téléphonique au prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane (MBS) – début avril -, Donald Trump a expliqué, en substance, que les pays producteurs devaient réduire l’offre mondiale de pétrole en raison de l’effondrement de la demande consécutive à la pandémie du Covid-19.

Au cours de la conversation téléphonique, Donald Trump aurait à peu près tenu ce langage à MBS : à moins que les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole ne réduisent leurs productions, je ne pourrai empêcher la Chambre des Représentants et le Sénat d’adopter une loi décidant le retrait des soldats américains qui assurent la protection de la monarchie wahhabite.

Apparemment, le prince héritier n’en a pas cru ses oreilles, à tel point – selon Reuters – qu’il aurait demandé à ses collaborateurs de quitter la salle afin de poursuivre la conversion en privé… Le téléphone raccroché, le locataire de la Maison blanche a aussitôt « tweeté » qu’il espérait que le « chef de facto » du royaume réduise la production saoudienne de plusieurs millions de barils !

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Verbatim : « je viens de parler à mon ami MBS d’Arabie saoudite, qui a parlé avec le président Poutine et je m’attends à ce qu’il réduise d’environ 10 millions de barils/jour la production saoudienne et peut-être beaucoup plus. Si cela arrive, cela sera bénéfique pour l’industrie du pétrole et du gaz… ». Dans un « tweet » suivant, il a ajouté : « Si l’Arabie saoudite pouvait diminuer sa production de 15 millions de barils/jour, ce serait une grande et bonne nouvelle pour tout le monde ».

Après avoir déchiré l’accord de la COP-21 de Paris sur le réchauffement climatique, l’accord sur le nucléaire iranien ( signé en format 5 plus un :les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne) du 15 juillet 2015 à Vienne obtenu après quinze ans d’âpres négociations, celui sur les missiles de portée intermédiaire, suspendu le financement de plusieurs agences de l’ONU dont l’OMS tout récemment, fragilisant ainsi toutes espèces d’approches et de négociations multilatérales, Donald Trump donne un sérieux coup de canif à l’un des principaux piliers de la diplomatie américaine en vigueur depuis la fin de la Seconde guerre mondiale : le Pacte du Quincy.

UN PACTE HISTORIQUE DE 75 ANS

Au retour de la conférence de Yalta (14 février 1945), le président des Etats-Unis Franklin Roosevelt convoque le roi Ibn Séoud – le fondateur du royaume d’Arabie saoudite – à bord du croiseur lourd USS-Quincy (CA-71) qui mouille dans le lac Amer, au beau milieu du canal de Suez.

Débattant d’abord de la colonisation juive en Palestine, Roosevelt cherche à obtenir l’appui du roi saoudien en faveur de l’établissement du « foyer national juif en Palestine » que le Royaume-Uni a promis au baron Rothschild par la Déclaration Balfour (2 novembre 1917). Face à un refus catégorique du monarque wahhabite, la discussion glisse ensuite sur la Syrie et le Liban afin d’écarter définitivement la France de ces deux pays.

Enfin, les deux chefs d’Etat abordent la question de l’avenir de la dynastie saoudienne et du pétrole arabe. Traumatisée par le blocus japonais de la Seconde guerre mondiale qui a coupé les Etats-Unis d’un accès aux matières premières – gaz, pétrole et caoutchouc -, la Maison blanche considère désormais que ce type d’approvisionnement relève de la sécurité nationale. Profitant des incertitudes qui pèsent sur l’avenir de la famille Saoud – qui n’a aucune légitimité à gérer les lieux saints de l’Islam (La Mecque et Médine) face à la dynastie historique des Hachémites – Roosevelt propose un premier marchandage « pétrole contre sécurité ». Autrement dit, laissez les compagnies pétrolières américaines exploiter les plus grandes réserves d’hydrocarbures du monde. En contrepartie, les Etats-Unis d’Amérique protégeront le maintien en place et la reproduction de votre dynastie ploutocrate…

ibn-seoud-635677-264-432.jpgL’historien français Jacques Benoist-Méchin (1901 – 1983) relate avec une grande précision comment les deux chefs d’Etat ont noué ce marchandage du siècle. Le résultat de cette discussion s’articule en quatre points : 1) la stabilité de l’Arabie saoudite fait partie des « intérêts vitaux » des États-Unis qui assurent, en contrepartie, la protection inconditionnelle de la famille Saoud et accessoirement celle du Royaume contre toute menace extérieure éventuelle ; 2) par extension, la stabilité de la péninsule arabique et le leadership régional de l’Arabie saoudite font aussi partie des « intérêts vitaux » des États-Unis ; 3) en contrepartie, le Royaume garantit l’essentiel de l’approvisionnement énergétique américain, la dynastie saoudienne n’aliénant aucune parcelle de son territoire. 

Aramco, à l’époque américaine, bénéficie d’un monopole d’exploitation de tous les gisements pétroliers du royaume pour une durée d’au moins soixante ans ; 4) les autres points portent sur le partenariat économique, commercial et financier saoudo-américain ainsi que sur la non-ingérence américaine dans les questions de politique intérieure saoudienne. La durée de cet accord est prévue pour une durée de 60 ans. Ce pacte a été renouvelé pour une nouvelle période de 60 ans, le 25 avril 2005 lors de la rencontre entre le président George W. Bush et le prince héritier Abdallah à Crawford (Texas).

Auparavant dès 1933, le roi wahhabite avait déjà concédé à la Standard Oil of California (SOCAL) une concession de 60 ans concernant l’est de l’Arabie saoudite, concession partagée avec la Texas Oil Company (Texaco) à partir de 1936. Le même accord est étendu en superficie en 1938, intégrant en 1948 la Standard Oil of New Jersey (Esso) et la Standard Oil of New York (Socony) au sein de l’Aramco. Les promesses verbales de Roosevelt concernant le « foyer national juif » – renouvelées par écrit dans une lettre datée du 5 avril 1945 – seront actées par le président Truman, qui va favoriser la fondation d’Israël en 1948.

Depuis la signature de ce pacte, le Pentagone dispose d’unités de ses services spéciaux déployées dans l’ensemble de la péninsule arabique, assurant aussi le fonctionnement d’un véritable « pipeline » pour transférer à prix d’or noir des cargaisons d’armements parmi les plus sophistiqués dont les Saoudiens ne savent pourtant pas se servir, nombre de cargaisons sous emballages plastiques restant dans des entrepôts sous haute surveillance…

Mais cet accord permet surtout aux troupes américaines d’occuper et de « protéger » la reproduction de la ploutocratie wahhabite, favorisant ses initiatives diplomatiques, religieuses et militaires visant l’Iran chi’ite et la prétention géopolitique d’une domination sans partage de l’ensemble des mondes musulmans. Comme l’ont souligné de nombreux chercheurs comme Faouzi Skali et Alain Chouet1, cette politique américaine a favorisé une « wahhabisation » des islams d’Asie et d’Afrique, favorisant aussi l’expansion de l’Islam radical et du terrorisme, également en Europe et en France.

LA FIN DU PETROLE DE SCHISTE AMERICAIN

Selon une note blanche d’un service européen de renseignement : « plusieurs entreprises avaient pris l’engagement d’acheter une grande quantité de pétrole brut West Texas Intermediate à un certain prix. Le prix proposé par les vendeurs semblait bon marché au moment de la signature des contrats. La date de règlement des contrats était le 21 avril 2020. Mais cette fois, les vendeurs ont insisté pour livrer physiquement le pétrole aux acheteurs avant le paiement. Cela a posé un problème. Les acheteurs n’avaient pas la capacité de stockage nécessaire pour accepter le pétrole qu’ils avaient acheté il y a plusieurs mois. Ils ne pouvaient le stocker nulle part. La seule solution était de vendre immédiatement à quelqu’un d’autre. Mais personne n’était intéressé. Tous avaient déjà rempli leurs capacités de stockage. Les sociétés qui avaient l’obligation d’accepter le pétrole des producteurs ont alors proposé de payer d’autres personnes pour prendre leur pétrole. Lorsque le prix a commencé à être négatif, la décision a été prise de proposer un stockage supplémentaire à moins 50 dollars. Finalement, le contrat d’option de Mai du West Texas Intermediate a été clôturé à moins 37 dollars ».

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Pour la première fois de leur histoire, les contrats à terme sur le pétrole West Texas Intermediate (WTI) se sont négociés en valeur négative sur le New York Mercantile Exchange (Nymex) et le brut américain prévu à la livraison en Mai a perdu 55,90 dollars en une journée pour clôturer à moins 37,63 dollars le baril ! Cette chute vertigineuse est en partie le résultat de la liquidation forcée sur le marché à terme « à tout prix ». En fait, l’effondrement des prix s’explique par l’accroissement des cargaisons bloquées par les raffineries qui réduisent leur production, puisqu’elles ne peuvent vendre leurs produits sur un marché où la demande s’est asséchée à cause de la propagation de la pandémie du Covid-19. Le prix négatif élevé « signifie que le stockage est au maximum de ses capacités », a déclaré Albert Helmig, PDG de la société de conseil Grey House et ancien vice-président du Nymex.

La plupart des grands pays consommateurs sont encore en situation de confinement. Le trafic aérien mondial a diminué de plus de 80 % et la demande d’essence et d’autres produits pétroliers raffinés est faible. Conséquence structurelle majeure pour l’économie américaine : les producteurs de pétrole de schiste ont déjà réduit une partie de leur production, mais ils devront la réduire encore beaucoup plus. Le nombre de plates-formes pétrolières et gazières américaines en activité est passé de plus de 1 000 l’année dernière à 529, la semaine dernière. Elle pourrait tomber en dessous d’une centaine durant les prochaines semaines.

La production de pétrole de schiste nécessite un prix du baril à environ 45 dollars. Actuellement, aucun producteur américain de pétrole de schiste ne peut atteindre ce prix plancher. Tous sont déjà très endettés et envisagent de fermer leurs puits. Une fois fermés, les puits ont tendance à se boucher et nécessiteront d’importants travaux coûteux pour être réouverts. Dans ces conditions, il est peu probable qu’ils soient de nouveau rentables au cours des deux à cinq prochaines années, voire jamais, puisqu’il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que le pétrole brut atteigne à nouveau son précédent pic aux environs de 100 dollars le baril.

Aujourd’hui, la dette totale des producteurs américains de pétrole de schiste est estimée à plus de 200 milliards de dollars. Selon certains experts, cette situation pourrait même engendrer un effondrement du système bancaire américain et la situation de l’Arabie saoudite aggrave ces perspectives !

LA DICTATURE WAHHABITE FRAGILISEE

En effet avec le Covid-19, les mauvaises nouvelles s’accumulent pour la dictature wahhabite : exacerbation des tensions régionales, enlisement saoudien dans le conflit yéménite (depuis 2015) et guerre des prix du pétrole liée à la récession amorcée par la pandémie.

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Avec un prix du baril qui plafonne aux alentours de 20 dollars depuis Mars, Riyad devrait connaître un accroissement de son déficit budgétaire, déjà estimé à hauteur de 6,6 % de son PIB pour 2020. Début avril, la monarchie a demandé aux agences d’État d’amputer leur budget en cours d’au moins 20 % pour faire face à la baisse du prix du baril. Le budget 2020 avait déjà été revu à la baisse avec une réduction de 8 % des dépenses. En fait, l’Arabie saoudite a besoin d’un prix du pétrole d’au moins 85 dollars le baril pour équilibrer le déficit budgétaire de son gouvernement et d’au moins 50 dollars le baril pour équilibrer les comptes courants. Selon plusieurs prévisionnistes, ces deux déficits vont s’aggraver par rapport au prix actuel du pétrole et le déficit budgétaire notamment sera beaucoup plus important, au moins à hauteur de 15 % du PIB.

L’impact économique du Covid-19 remet en question certaines perspectives du plan « Vision-2030 », en particulier les plans pour NEOM – mégalopole du futur qui devait s’installer dans le Nord-Est saoudien. Les nouvelles politiques du « divertissement » et du « tourisme », pierres angulaires initiales du plan, seront fortement impactées, sinon abrogées.

La dictature wahhabite se trouve ainsi dans une situation très délicate qui n’est pas sans conséquences politiques et géopolitiques. Riyad se retrouve de plus en plus isolé, du moins avec des alliés sur lesquels elle ne peut plus systématiquement compter, dans un environnement toujours plus hostile. Cette évolution explique partiellement pourquoi depuis quelques mois la dictature wahhabite essaie de jouer l’apaisement avec Téhéran et cherche une porte de sortie à la guerre au Yémen.

MBS lui-même a dû revoir à la baisse ses ambitions de transformer la monarchie et de devenir le leader incontesté du monde sunnite. Dans cette conjoncture, il durcit le régime et réprime toute personne ou organisation susceptible de contester son pouvoir personnel. Accusés de trahison, quatre membres de la famille royale ont été arrêtés le mois dernier, dont le dernier frère vivant du roi Salmane – Ahmad ben Abdelaziz – et l’ancien prince héritier Mohammad ben Nayef.

Toujours à cause du Covid-19, la suspension « temporaire » de la omra (le petit pèlerinage) et la possible annulation du hajj (le grand pèlerinage annuel à La Mecque), sont d’autres défis. La défection des quelque deux millions de pèlerins qui étaient attendus en Juillet prochain risque d’affecter la légitimité des Saoud, censés être gardiens des lieux saints. On peut en tout cas s’attendre à une recrudescence d’attaques politiques ciblant personnellement MBS.

MBS avait aussi beaucoup misé sur le prochain G-20 qui devrait se dérouler à Riyad en Novembre prochain. Celui-ci risque d’être annulé ou de se tenir par visioconférence. Mais la dictature wahhabite devra affronter une échéance encore plus décisive avec l’élection présidentielle américaine. Alors que la monarchie pâtit d’une image de plus en plus négative aux Etats-Unis, particulièrement dans le camp démocrate, le prince-héritier devrait beaucoup prier pour une nouvelle victoire de Donald Trump. Dans le cas contraire, le cauchemar pourrait s’avérer de plus grande ampleur pour la dynastie des Saoud.

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LE RETOUR DE L’IRAN ?

La Maison Blanche a déchiré l’accord sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018. La semaine dernière, Le New York Times indiquait que les États-Unis veulent maintenant y revenir : « Le secrétaire d’État Mike Pompeo prépare une singulière volte-face affirmant que les États-Unis sont toujours partie prenante à l’Accord nucléaire iranien auquel le président Trump a pourtant renoncé, dans le cadre d’une stratégie complexe visant à faire pression sur le Conseil de sécurité des Nations unies pour qu’il prolonge un embargo sur les armes à destination de Téhéran ou qu’il impose de nouvelles sanctions beaucoup plus sévères contre ce pays… ».

Dans cette perspective, Mike Pompeo est en train de bricoler un plan qui ne peut qu’inquiéter les pays européens : les États-Unis prétendent, en substance, qu’ils restent légalement « partie-prenante » de l’accord nucléaire – mais seulement pour invoquer un « retour à la case départ » qui permettrait de rétablir les sanctions de l’ONU contre l’Iran, les mêmes qui étaient en vigueur avant l’accord. Si l’embargo sur les armes n’est pas renouvelé, les États-Unis feraient valoir leur « droit » de pays membre originel de l’accord. Cette mesure obligerait à rétablir le large éventail de sanctions qui interdisaient les ventes de pétrole et les arrangements bancaires avant l’adoption de l’accord en 2015. L’application de ces anciennes sanctions serait, en théorie, contraignante pour tous les membres des Nations unies.

Désormais pris à son propre piège, l’administration américaine cherche non seulement à imposer de nouvelles sanctions à l’Iran, mais veut forcer Téhéran à renoncer à toute prétention de préserver l’accord de l’ère Obama. Ce n’est qu’en le brisant « de l’intérieur », disent plusieurs hauts fonctionnaires américains, que l’ayatollah Ali Khamenei et le président Hassan Rouhani seraient contraints de négocier un tout nouvel accord conforme aux intérêts de Donald Trump qui a fait de ce dossier l’un de ses principaux arguments électoraux pour l’élection présidentielle de novembre prochain.

Le plan Pompeo ne peut fonctionner. Il n’y aura pas de « retour à la case départ » pour les sanctions et l’Iran s’en tiendra à l’accord. L’option de retour à la case départ fait partie du mécanisme de règlement des différends prévu aux articles 36 et 37 de l’accord. Le site UN Dispatch en donne une brève description : « L’accord … crée un panel de huit membres, appelé « Commission conjointe », qui servira de mécanisme de résolution des litiges. Les membres de ce panel sont les cinq membres du Conseil de sécurité ayant le droit de veto, plus l’Allemagne, l’Iran et l’Union européenne. Il y a huit membres au total. Si une majorité estime que l’Iran a triché, la question est renvoyée au Conseil de sécurité. Aucun pays ne dispose d’un droit de veto ».

Selon l’accord nucléaire le Conseil de sécurité ne peut imposer de nouvelles sanctions. En fait, le Conseil de sécurité doit décider s’il continue ou non à lever les sanctions en vigueur. S’il ne le fait pas, les anciennes sanctions restent en vigueur. Ce cadre évite la perspective d’un veto russe et garantit que si les pays occidentaux pensent que l’Iran triche, les sanctions seront automatiquement réimposées.

Les États-Unis ne participent plus à la « commission conjointe » et ne peuvent donc pas déclencher le processus. Il n’y aura pas non plus de majorité pour soumettre le désaccord au Conseil de sécurité des Nations unies. Dans sa résolution 2231, le Conseil de sécurité des Nations unies a également établi que seuls les participants à l’accord peuvent déclencher un processus de retour en arrière. Le fait que les États-Unis déclarent aujourd’hui être toujours un « État participant » à l’accord sera considéré comme une véritable farce par tous ceux qui se souviennent des remarques de l’administration Trump concernant la décision d’en sortir ! Un diplomate européen de haut rang a déjà rejeté « le plan Pompeo », estimant que celui-ci « était parfaitement farfelu, irréaliste et indécent. On ne peut pas piétiner à longueur de journée le multilatéralisme et, en même temps, lui imposer des virages à 360 degrés ! ».

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L’article du New York Times conclut : « la stratégie de l’administration pourrait bien fonctionner, même si d’autres membres des Nations unies ignoraient cette initiative. A ce moment-là, sur le papier du moins, les Nations Unies retourneraient à toutes les sanctions contre l’Iran qui existaient avant que M. Obama ne signe l’accord avec Téhéran… Pourtant, seuls les participants à l’accord peuvent déclencher un tel processus de retour à la case départ. Or, les États-Unis ne sont plus reconnus en tant que participant effectif ».

Il est peu probable que les pays européens acceptent la dernière initiative de Washington. En janvier dernier, ils ont fait savoir qu’ils déclencheraient le mécanisme de règlement des différends qui prévoit une relance des sanctions, parce que l’Iran a dépassé certaines limites de l’enrichissement d’uranium. L’Iran a répliqué en faisant valoir qu’il était toujours dans les limites de l’accord et a ensuite menacé de quitter le traité de prolifération nucléaire si les Européens continuaient dans cette voie. Depuis, on observe le plus grand silence des Européens, dont plusieurs chancelleries admettent que le bras de fer déclenché par les Américains est en train de tourner à l’avantage de l’Iran.

En effet, à force de vouloir absolument faire rendre gorge à l’Iran – et ce par les moyens les plus tordus -, Washington pousse non seulement Pékin, Moscou et Ankara à soutenir davantage Téhéran, mais aussi les pays européens à se dissocier de cet objectif qui tourne à l’obsession. Plusieurs pays arabes – sunnites -, pas seulement le Qatar, et non des moindres, comme l’Egypte sont aussi en train de ce dissocier de cet « iran-bashing » en train de tourner à l’hystérie.

Un haut-diplomate européen qui a longtemps été en poste a Téhéran conclut : « Comment les Européens pourraient-ils accepter les dernières manipulations de Mike Pompeo alors que Washington leur crache dessus depuis plusieurs mois ! En définitive et malgré les difficultés économiques et politiques qui frappent l’Iran, il se pourrait bien que la pandémie du Covid-19 favorise, à terme, un singulier retour politique et géopolitique de Téhéran… ».

En attendant, bonne lecture. A la semaine et continuez à bien prendre soin de vous.

Richard Labévière
4 mai 2020

1 Alain Chouet : Au cœur des services spéciaux – La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers. Editions La Découverte, Paris, 2011.

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mercredi, 06 mai 2020

Le Tannou-Touva : un Etat pastoral inféodé à Moscou

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Erich Körner-Lakatos :

Le Tannou-Touva : un Etat pastoral inféodé à Moscou

Situé au Nord-Ouest de la Mongolie, la République populaire du Tannou-Touva a existé de 1921 à 1944

Celui qui, de nos jours, se souvient encore de la république pastorale du Tannou-Touva au Nord-Ouest de la Mongolie, peut être considéré comme un as imbattable en histoire contemporaine. Cette république a disparu en 1944, âgée d’à peine vingt-trois ans. Elle n’est un objet de recherches que pour une poignée d’historiens spécialisés, tout comme les républiques boers de Zoutpansberg et de Goshen en Afrique du Sud ou encore l’Etat libre d’Acre, proclamé peu avant 1900 par des pionniers de la culture du caoutchouc dans ce triangle territorial situé entre le Brésil, la Bolivie et le Pérou.

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Le Tannou-Touva avait une superficie deux fois supérieure à celle de l’Autriche actuelle, avec 170.500 km2. C’était une immense vallée fermée. Sa partie orientale était impropre aux cultures et servait de zone de pâturages. La partie septentrionale, elle, était riche de forêts et de lacs. C’est la raison pour laquelle les Chinois appellent les habitants de ce pays les « our yan khai » (Uriankhai), soit « le peuple qui habite les forêts ». Il convient de signaler encore une particularité du pays : aucune région du monde ne se trouve plus éloignée de la mer que ne l’était le Tannu-Tuwa.

En 1921, 65.000 âmes vivaient dans le pays, dont 12.000 agriculteurs et négociants russes. Les autochtones se donnent le nom de « Touvains ». Leur ethnogénèse est largement méconnue de nos jours encore. La plupart des ethnologues pensent qu’ils sont le produit d’un mélange de tribus turques et de groupes ethniques mongols et sibériens, même si certains traits du visage, chez une minorité d’entre eux, rappellent ceux des Finno-Ougriens. Sur le plan religieux, ils adhèrent au lamaïsme, soit à la forme tibétaine du bouddhisme.

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Malgré son éloignement de tout, la région a vu arriver et partir bien des conquérants étrangers. En 1207, Gengis-Khan conquiert la région mais, par la suite, les Mongols perdent rapidement tout intérêt pour la région peuplée de pasteurs nomades. A partir de 1757, le Tannou-Touva fait formellement partie de la Chine et paie tribut à son empereur. L’impôt annuel est constitué de peaux rares que l’on envoie à Pékin. Sur le plan administratif, les Touvains relèvent d’une province chinoise appelée le Tannou-Uriankhai et attribuée à la Mongolie extérieure, elle-même soumise à la tutelle chinoise depuis 1697.

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Au 19ème siècle arrivent des négociants chinois qui troquent les bois des cerfs de type maral, considérés comme la base d’un aphrodisiaque, contre du thé vert, du tabac et des tissus. En même temps arrivent de l’Ouest des colons russes. Après 1880, les populations autochtones connaissent un éveil politique, ce qui crée des tensions puis suscite des révoltes contre la tutelle chinoise et contre les incursions des négociants russes.

Le 12 février 1912, la monarchie est renversée définitivement en Chine. Pour le Tannou-Touva, c’est là un motif pour faire sécession car ses habitants ne se sentent liés à la Chine que par le rapport féodal avec l’empereur mandchou. Trois jours après l’abolition de la monarchie, la République de l’Uriankhai est proclamée. En octobre 1913 arrive à Saint-Pétersbourg une pétition rédigée en langue mongole demandant au Tsar de bien vouloir placer le pays sous la protection russe. Six mois plus tard, c’est chose faite.

Le 16 juin 1918, des notables touvains et russes proclament la fin du protectorat et annoncent l’indépendance du pays. Mais c’est un vœu pieux car, en novembre 1918, des unités russes blanches sous le commandement de l’Amiral Koltchak occupent le pays. Dans le Sud s’installent des troupes mongoles et au Sud-Est, pendant un certain temps, ce sont des unités chinoises qui occupent les terres touvaines. En juillet 1919 arrive l’Armée Rouge.

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Le 14 août 1921, la République populaire du Tannou-Touva est proclamée. L’organe suprême de cette république populaire est le « Grand Khoural », une sorte d’assemblée du peuple, où chaque délégué représente cinquante yourtes. Le terme « Khoural » dérive du mongol et signifie, à l’origine, un conseiller de Gengis-Khan. Le Parlement proprement dit est le « Petit Khoural » qui élit le gouvernement. Le premier Premier ministre fut Dondouk Kuular reste prudemment à Moscou, à 4688 km du Tannou-Touva, à cause de la ferme opposition des moines lamaïstes. Cette prudence ne lui a pas servi à grand-chose car Staline donna l’ordre de l’arrêter en janvier 1929. Trois ans plus tard, Kuular est fusillé.

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Son successeur Salchak Toka, lui, reste bien droit dans la ligne et cherche à sédentariser les pasteurs nomades. Beaucoup de ceux-ci fuient alors vers les forêts. La répression exercée par le Parti populaire révolutionnaire des Touvains frappe ensuite les moines : en 1929, il y avait plus de vingt monastères dans le pays. Deux ans plus tard, il n’en restait que deux.

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Sur le modèle des purges moscovites, Toka, devenu président du parti, organise à son tour une féroce répression : en 1938, il met en scène un procès-spectacle dans la capitale Küsül et fait fusiller plusieurs de ses rivaux politiques sous prétexte qu’ils étaient des espions japonais.

A partir de 1940, le pays est dirigé par la première femme présidente du monde, Khertek Ankhima-Toka, dans la vie privée épouse du chef du parti. Mais les jours de la petite république pastorale sont comptés : Staline projette son annexion car on y aurait découvert des gisements d’uranium.

Le 17 août 1944 le « Petit Khoural » vote à l’unanimité son annexion à l’Union Soviétique, ce que Moscou accepte officiellement deux mois plus tard. Le 11 octobre 1944 s’achève définitivement la brève histoire de la République du Tannou-Touva.

Erich Körner-Lakatos.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°12/13-2020).

Les dernières années

A partir de 1940, le Tannou-Touva a donc pour présidente Khertel Ankhimaa-Toka, première femme au monde à accéder à un tel statut. Dans la vie privée, elle est l’épouse du Chef du Parti Populaire Révolutionnaire. Cette dame a pris des positions géopolitiques courageuses. Trois jours après le déclenchement de l’Opération Barbarossa, elle déclare la guerre à l’Allemagne, acte qui, à Berlin, dans les locaux de la Wilhelmstrasse, cause une certaine perplexité. Même les plus chevronnés des fonctionnaires du ministère allemand des affaires étrangères ont du mal à situer sur la carte cet étrange sujet du droit international. Le Tannou-Touva est dès lors le tout premier Etat à s’être proclamé allié de l’Union Soviétique.

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Pendant la seconde guerre mondiale, le Tannou-Touva aligne dans l’Armée Rouge un régiment d’infanterie et une unité de cavalerie. En tout, 1600 hommes. Ils participèrent à la guerre bien qu’une grande partie des Touvains aient fui la conscription. L’armée touvaine est surtout constituée de colons russes et d’immigrés chinois ou mongols. Le Tannou-Touva offre ensuite à l’Union Soviétique 60.000 chevaux de trait pour tirer les charrettes « panje », typique des pays de la steppe. Un certain nombre de Touvains participent à un entraînement de conducteurs de chars, qui seront envoyés au front.

On ne sait pas exactement où ces alliés touvains de Staline ont été engagés. L’un de ces combattants a toutefois été proclamé « héros de l’Union Soviétique ». Quelque 90 officiers et soldats ont obtenu la médaille du mérite touvain pour bravoure au feu.

E.K.L.

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mardi, 05 mai 2020

Les racines profondes de la diabolisation de la Chine

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Les racines profondes de la diabolisation de la Chine

 
 
Auteur : Pepe Escobar 
Ex: http://www.zejournal.mobi

Hegel a vu l’histoire se déplacer d’est en ouest : « L’Europe est ainsi fondamentalement la fin de l’histoire, l’Asie le début ».

Attachez vos ceintures : la Guerre Hybride américaine contre la Chine va forcément s’intensifier frénétiquement, car les rapports économiques identifient déjà le Covid-19 comme le point de basculement où le siècle asiatique – en fait eurasiatique – a véritablement commencé.

La stratégie américaine reste, pour l’essentiel, dominatrice sur tout le spectre, la stratégie de sécurité nationale étant obsédée par les trois principales « menaces » que sont la Chine, la Russie et l’Iran. La Chine, en revanche, propose une « communauté de destin partagée » pour l’humanité, s’adressant principalement au Sud Global.

Le récit prédominant des États-Unis dans la guerre de l’information en cours est désormais gravé dans le marbre : Le Covid-19 est le résultat d’une fuite d’un laboratoire de guerre biologique chinois. La Chine est responsable. La Chine a menti. Et la Chine doit payer.

9200000083225332.jpgLa nouvelle tactique normale de diabolisation continue de la Chine n’est pas seulement déployée par des fonctionnaires grossiers du complexe industrie-militaire-surveillance-médias. Nous devons creuser beaucoup plus profondément pour découvrir comment ces attitudes sont profondément ancrées dans la pensée occidentale – et ont ensuite migré vers la « fin de l’histoire » des États-Unis. (Voici des sections d’une excellente étude, « Unfabling the East : The Enlightenment’s Encounter with Asia », de Jurgen Osterhammel).

Seuls les Blancs sont civilisés

Bien au-delà de la Renaissance, aux XVIIe et XVIIIe siècles, chaque fois que l’Europe faisait référence à l’Asie, c’était essentiellement au sujet de la religion qui conditionnait le commerce. Le Christianisme régnait en maître, il était donc impossible de penser en excluant Dieu.

En même temps, les docteurs de l’Église étaient profondément troublés par le fait que dans le monde Signifié, une société très bien organisée pouvait fonctionner en l’absence d’une religion transcendante. Cela les dérangeait encore plus que ces « sauvages » découverts en Amérique.

Lorsqu’elle a commencé à explorer ce qui était considéré comme « l’Extrême-Orient », l’Europe était enlisée dans des guerres de religion. Mais en même temps, elle a dû faire face à une autre explication du monde, et cela a alimenté certaines tendances antireligieuses subversives dans la sphère des Lumières.

C’est à ce stade que les savants européens ont commencé à remettre en question la philosophie chinoise, qu’ils ont inévitablement dû dégrader au rang de simple « sagesse » du monde parce qu’elle échappait aux canons de la pensée grecque et augustinienne. Cette attitude, soit dit en passant, prévaut encore aujourd’hui.

Nous avons donc eu ce qu’on appelait en France les chinoiseries – une sorte d’admiration ambiguë, dans laquelle la Chine était considérée comme l’exemple suprême d’une société païenne.

Mais ensuite, l’Église a commencé à perdre patience face à la fascination des Jésuites pour la Chine. La Sorbonne a été punie. Une bulle pontificale, en 1725, a rendu hors la loi les chrétiens qui pratiquaient des rites chinois. Il est assez intéressant de noter que les philosophes sinophiles et les Jésuites condamnés par le Pape insistaient sur le fait que la « vraie foi » (le Christianisme) était « préfigurée » dans les textes chinois anciens, notamment confucianistes.

La vision européenne de l’Asie et de « l’Extrême-Orient » a été principalement conceptualisée par une puissante triade allemande : Kant, Herder et Schlegel. Kant, d’ailleurs, était également géographe, et Herder historien et géographe. On peut dire que la triade a été le précurseur de l’orientalisme occidental moderne. Il est facile d’imaginer une nouvelle de Borges mettant en scène ces trois-là.

Autant qu’ils aient pu connaître la Chine, l’Inde et le Japon, pour Kant et Herder, Dieu était au-dessus de tout. Il a planifié le développement du monde dans tous ses détails. Et cela nous amène à la question délicate de la race.

Rompant avec le monopole de la religion, les références à la race ont représenté un véritable tournant épistémologique par rapport aux penseurs précédents. Leibniz et Voltaire, par exemple, étaient sinophiles. Montesquieu et Diderot étaient sinophobes. Aucun n’expliquait les différences culturelles par la race. Montesquieu a développé une théorie basée sur le climat. Mais cela n’avait pas de connotation raciale – c’était plutôt une approche ethnique.

Voyages_de_François_Bernier_contenant_[...]Bernier_François_bpt6k15216009.JPEGLa grande rupture est venue du Philosophe et voyageur français François Bernier (1620-1688), qui a passé 13 ans à voyager en Asie et a publié en 1671 un livre intitulé « La Description des États du Grand Mogol, de l’Indoustan, du Royaume de Cachemire, etc ». Voltaire, de façon hilarante, l’appela Bernier-Mogol – car il devint une star en racontant ses histoires à la cour royale. Dans un livre ultérieur, « Nouvelle Division de la Terre par les Différentes Espèces ou Races d’Homme qui l’Habitent », publié en 1684, le « Mogol » distingue jusqu’à cinq races humaines.

Tout cela était basé sur la couleur de la peau, et non sur les familles ou le climat. Les Européens étaient automatiquement placés au sommet, tandis que les autres races étaient considérées comme « laides ». Par la suite, la division de l’humanité en jusqu’à cinq races a été reprise par David Hume – toujours sur la base de la couleur de la peau. Hume a proclamé au monde anglo-saxon que seuls les blancs étaient civilisés, les autres étaient inférieurs. Cette attitude est toujours aussi répandue. Voir, par exemple, cette diatribe pathétique récemment publiée en Grande-Bretagne.

Deux Asie

Le premier penseur à avoir réellement élaboré une théorie de la race jaune est Kant, dans ses écrits entre 1775 et 1785, soutient David Mungello dans « The Great Encounter of China and the West, 1500-1800 ».

Kant qualifie la « race blanche » de « supérieure », la « race noire » « d’inférieure » (d’ailleurs, Kant n’a pas condamné l’esclavage), la « race cuivrée » de « faible » et la « race jaune » d’intermédiaire. Les différences entre elles sont dues à un processus historique qui a commencé avec la « race blanche », considérée comme la plus pure et la plus originale, les autres n’étant que des bâtardes.

Kant a subdivisé l’Asie par pays. Pour lui, l’Asie de l’Est signifiait le Tibet, la Chine et le Japon. Il considérait la Chine en termes relativement positifs, comme un mélange de races blanche et jaune.

Il était définitivement plus tendre. Pour lui, la Mésopotamie était le berceau de la civilisation occidentale, et le jardin d’Eden se trouvait au Cachemire, « le paradis du monde ». Sa théorie de l’évolution historique a connu un grand succès en Occident : l’Orient était un bébé, l’Égypte un enfant, la Grèce un jeune. L’Asie de l’Est de Herder était composée du Tibet, de la Chine, de la Cochinchine, du Tonkin, du Laos, de la Corée, de la Tartarie orientale et du Japon – des pays et régions touchés par la civilisation chinoise.

260px-Franz_Gareis_Portrait_Friedrich_Schlegel.jpgSchlegel était comme le précurseur du hippie californien des années 60. C’était un passionné de sanskrit et un étudiant sérieux des cultures orientales. Il disait que « en Orient, nous devrions rechercher le romantisme le plus élevé ». L’Inde était la source de tout, « toute l’histoire de l’esprit humain ». Pas étonnant que cette idée soit devenue le mantra de toute une génération d’orientalistes. Ce fut également le début d’une vision dualiste de l’Asie à travers l’Occident qui est encore prédominante aujourd’hui.

Ainsi, au XVIIIe siècle, nous avions pleinement établi une vision de l’Asie comme une terre de servitude et le berceau du despotisme et du paternalisme, en contraste flagrant avec une vision de l’Asie comme le berceau des civilisations. L’ambiguïté est devenue la nouvelle norme. L’Asie était respectée en tant que mère des civilisations – systèmes de valeurs compris – et même mère de l’Occident. En parallèle, l’Asie était rabaissée, méprisée ou ignorée parce qu’elle n’avait jamais atteint le niveau élevé de l’Occident, malgré son avance.

Ces despotes orientaux

Et cela nous amène à Hegel. Hyper bien informé – il a lu des rapports d’ex-Jésuites envoyés de Pékin – Hegel n’écrit pas sur « l’Extrême-Orient » mais seulement sur l’Orient, qui comprend l’Asie de l’Est, essentiellement le monde chinois. Hegel ne se soucie pas beaucoup de la religion comme le faisaient ses prédécesseurs. Il parle de l’Orient du point de vue de l’État et de la politique. Contrairement à Schlegel, partisan des mythes, Hegel voit l’Orient comme un état de la nature en train de se rapprocher d’un début d’histoire – contrairement à l’Afrique noire, qu’il a vue se vautrer dans la fange d’un état bestial.

Pour expliquer la bifurcation historique entre un monde stagnant et un autre en mouvement, conduisant à l’idéal occidental, Hegel a divisé l’Asie en deux.

Une partie était composée par la Chine et la Mongolie : un monde puéril d’innocence patriarcale, où les contradictions ne se développent pas, où la survie de grands empires atteste du caractère « insubstantiel », immobile et anhistorique de ce monde.

L’autre partie était Vorderasien (« Asie Antérieure »), réunissant l’actuel Moyen-Orient et l’Asie Centrale, de l’Égypte à la Perse. C’est un monde déjà historique.

9200000022810499.jpgCes deux immenses régions sont également subdivisées. Ainsi, le « Asiatische Welt » (monde asiatique) de Hegel est finalement divisé en quatre : premièrement, les plaines des fleuves Jaune et Bleu, les hauts plateaux, la Chine et la Mongolie ; deuxièmement, les vallées du Gange et de l’Indus ; troisièmement, les plaines de l’Oxus (aujourd’hui l’Amour-Darya) et des Jaxartes (aujourd’hui le Syr-Darya), les plateaux de Perse, les vallées du Tigre et de l’Euphrate ; et quatrièmement, la vallée du Nil.

Il est fascinant de voir comment, dans la Philosophie de l’Histoire (1822-1830), Hegel finit par séparer l’Inde en tant que sorte d’intermédiaire dans l’évolution historique. Nous avons donc finalement, comme l’a montré Jean-Marc Moura dans « L’Extrême Orient selon G. W. F. Hegel, Philosophie de l’Histoire et Imaginaire Exotique », un « Orient fragmenté, dont l’Inde est l’exemple, et un Orient immobile, figé en chimère, dont l’Extrême Orient est l’illustration ».

Pour décrire la relation entre l’Est et l’Ouest, Hegel utilise quelques métaphores. L’une d’elles, assez célèbre, évoque le soleil : « L’histoire du monde voyage d’est en ouest, l’Europe étant ainsi fondamentalement la fin de l’histoire, et l’Asie le début ». Nous savons tous où nous ont menés les sordides histoires dérivées de la « fin de l’histoire ».

L’autre métaphore est celle de Herder : l’Orient est « la jeunesse de l’histoire » – mais avec la Chine qui occupe une place particulière en raison de l’importance des principes confucianistes qui privilégient systématiquement le rôle de la famille.

Rien de ce qui précède n’est bien sûr neutre en termes de compréhension de l’Asie. La double métaphore – utiliser le soleil et la maturité – ne pouvait que conforter l’Occident dans son narcissisme, hérité plus tard de l’Europe par les États-Unis « exceptionnels ». Cette vision implique l’inévitable complexe de supériorité, dans le cas des États-Unis encore plus aigu parce que légitimé par le cours de l’histoire.

Hegel pense que l’histoire doit être évaluée dans le cadre du développement de la liberté. Or, la Chine et l’Inde étant anhistoriques, la liberté n’existe pas, sauf si elle est apportée par une initiative venant de l’extérieur.

Et c’est ainsi que le fameux « despotisme oriental » évoqué par Montesquieu et l’intervention possible, parfois inévitable, et toujours précieuse de l’Occident sont, en tandem, totalement légitimés. Il ne faut pas s’attendre à ce que cet état d’esprit occidental change de sitôt, voire jamais. D’autant plus que la Chine est sur le point de revenir au premier rang.

Traduit par Réseau International

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lundi, 04 mai 2020

Anton Mussert, fasciste batave

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Anton Mussert, fasciste batave

par Christophe Dolbeau

            Au nombre des leaders fascistes qui ont essaimé dans l’Europe des années 1930, le Néerlandais Anton Mussert est certainement l’un des moins connus du grand public. Chef du Mouvement national-socialiste des Pays-Bas (Nationaal-Socialistische Beweging der Nederlanden ou NSB), il est le plus souvent présenté, fort succintement, comme un pâle imitateur d’Adolf Hitler et une piteuse créature des nazis, mais peut-être mérite-t-il mieux que ce portrait sommaire et affligeant.

Un brillant ingénieur

            Fils de Johannes Leonardus Mussert (1856-1913), instituteur et directeur d’école, et de Frederika Witlam (1856), Anton Adriaan Mussert – que ses parents nomment couramment « Adje » – vient au monde le 11 mai 1894 à Werkendam, une petite commune du Brabant-Septentrional. Il est le cinquième enfant de la famille (1). D’abord scolarisé dans l’école de son père, il fréquente ensuite le lycée de Gorinchem (Gorkum) où il obtient plutôt facilement son baccalauréat en 1912. Attiré par les voyages et les navires, le jeune homme (qui appartient à l’association Onze Vloot ou Notre Flotte) souhaiterait endosser l’uniforme de la Marine et faire une carrière d’officier, mais sa petite taille (moins d’un mètre soixante-cinq) et une vue déficiente lui barrent irrémédiablement cette voie. Sur les conseils de son père, il décide donc d’entreprendre des études de génie civil. C’est alors qu’éclate la Première Guerre mondiale, ce qui l’incite à se porter volontaire dans l’armée, toujours dans l’espoir d’y faire carrière, à l’instar de son frère aîné Jo. Une fois encore, ses espérances vont être déçues : affecté dans l’artillerie de forteresse, il n’atteint en effet que le modeste grade de caporal, avant d’être réformé (1915) pour un grave problème rénal. Cette fois, le jeune homme se résoud à suivre une voie civile et rejoint l’École Polytechnique de Delft.

            Étudiant brillant, Anton Mussert est également un élément particulièrement sérieux qui ne participe jamais aux fêtes étudiantes, ne fume et ne boit pas. Solitaire, on ne lui connaît que deux amis, Willem Schermerhorn (1894-1977), qui sera plus tard Premier ministre, et le Juif Jacob Josephus Jitta (1893-1991) qui restera longtemps l’un de ses proches… Sa formation s’achève le 5 juillet 1918, date à laquelle il décroche, cum laude, son diplôme d’ingénieur. Entre-temps, l’étudiant s’est marié, le 19 septembre 1917, ce qui a soulevé pas mal de vagues au sein de la famille. Âgé de 23 ans, Mussert a en effet épousé, grâce à une dispense royale et malgré l’opposition de sa mère, sa tante Maria Witlam (1876-1951) qui a tout de même 18 ans de plus que lui. [Bien qu’il soit membre de l’Église Réformée et réputé plutôt strict, Anton Mussert aura tout au long de son existence une vie sentimentale agitée. On lui connaît plusieurs liaisons extra-conjugales, notamment avec Jadwiga Rosenblatt (1886-1950), une Juive d’origine polonaise, et avec Marietje (Miep) Mijnlieff, la fille (1923-2016) de sa cousine Helena Mijnlieff-Verburg (1889-1951)]

           hlmnha_56-0000003_0001.jpg Fraîchement diplômé, Mussert entre en 1918 au Service national des eaux (Rijkswaterstaat) puis deux ans plus tard, il intègre le Service provincial des eaux d’Utrecht qui offre une meilleure rémunération. Il passe alors pour un technicien remarquable, doublé d’un homme de qualité « dont la personnalité résultait d’une pensée droite et opiniâtre et qui avait un sens profond de l’ordre, de la règle et des convenances bourgeoises »(2). Remarqué pour son zèle et son efficience, il est d’ailleurs rapidement promu et devient, le 1er novembre 1927, à 33 ans, le plus jeune ingénieur en chef du pays. Son premier véritable engagement politique est lié à sa profession puisqu’il a trait au projet de construction d’un canal reliant le Rhin au port d’Anvers. Jugeant ce plan trop favorable à la Belgique et contraire aux intérêts de Rotterdam, de nombreux patriotes néerlandais s’y opposent. Ils se regroupent au sein d’un Comité d’action (Nationaal Comité van Actie) dont Mussert est le secrétaire, et font campagne contre le traité belgo-hollandais que le gouvernement a signé en 1925. Au final, cette mobilisation porte ses fruits : en 1927, l’accord est rejeté par le Sénat et le ministre des Affaires Étrangères, Herman van Karnebeek, contraint de démissionner. À compter de cette époque, Mussert s’implique de plus en plus dans le débat politique. Probablement influencé par les succès de Mussolini, il se rapproche du Dietsche Bond, la Ligue Thioise, qui milite pour la création de Grands Pays-Bas. On le retrouve aussi dans les rangs de la Nationale Unie ou Union nationale, le mouvement nationaliste et corporatiste du professeur F. C. Gerretson (3).

Le national-socialisme néerlandais

            À la fin des années 1920 et au début des années 1930, les Pays-Bas n’échappent pas à la récession mondiale : un très fort chômage s’instaure, de nombreuses faillites surviennent, d’innombrables boutiquiers subissent une forte paupérisation, et le climat général du pays s’en ressent. Le Parti social-démocrate et les partis confessionnels se montrent incapables de juguler la crise qui finit même par ébranler les forces armées. Le 5 février 1933, aux Indes orientales néerlandaises, les marins du croiseur De Zeven Provinciën se mutinent et il faudra bombarder le navire pour ramener son équipage à la raison. Dans ce contexte délétère, nombre de Néerlandais espèrent un sursaut national et en viennent à souhaiter un pouvoir fort, capable de prendre des mesures radicales. L’exemple italien impressionne. C’est dans cette perspective que le 14 décembre 1931, Anton Mussert et Cornelis van Geelkerken (1901-1976) fondent, à Utrecht, le Mouvement national-socialiste des Pays-Bas (NSB). Le chef suprême ou Leider en sera Mussert. Contrairement à ce que l’on pourrait croire à la vue de sa dénomination, le nouveau mouvement s’inspire beaucoup plus du fascisme que du national-socialisme allemand. Mussert se vante d’ailleurs de n’avoir jamais lu Mein Kampf et de n’avoir aucune intention de le faire. Admirateur de Mussolini, il se déclare hostile à la démocratie et favorable à un gouvernement fort, mais ne préconise ni racisme ni antisémitisme. Le mouvement comptera d’ailleurs dans ses rangs et parmi ses bailleurs de fonds un certain nombre de Juifs. « Le NSB n’était pas foncièrement antisémite », remarque Anthony Anderson (4), « et certains Juifs hollandais adhérèrent au mouvement ». « Mussert », ajoute Francis Bertin (5), « ne songea pas, du moins pendant les années précédant la Seconde Guerre mondiale, à assumer les options idéologiques nationales-socialistes allemandes : les idées de primauté raciale, de valeur du sang, de Lebensraum, de conception du monde fondée sur un dynamisme du devenir, ne figurèrent nullement dans les idées du NSB ». Le programme du NSB repose avant tout sur quatre valeurs fondamentales : la croyance en Dieu, l’amour de la Patrie, le service et la solidarité. Favorable à l’instauration d’un État corporatif et chrétien, il prône la lutte contre le libéralisme et le marxisme, réclame l’ordre et la vertu, garantit la propriété privée, invoque le nationalisme néerlandais et la fierté nationale, affirme le primat des intérêts nationaux et proclame son attachement à l’empire colonial. En 1937, un document du mouvement précise encore que « le national-socialisme veut instaurer un esprit de volonté, de fierté, de sentiment du devoir, de foi en sa propre force, de droit à l’existence, de sens national, de sentiment de solidarité, de volonté de coopération, de générosité, pour qu’il en résulte une nation florissante et rénovée qui offre la possibilité d’un bien-être moral et physique à ses fils de toutes conditions et de tous métiers » (6). Jusque là, on ne peut pas vraiment dire que la nouvelle formation se montre particulièrement transgressive et subversive.

          Mussertaffiche.jpg  Dirigée avec talent et sincérité, elle rencontre en tout cas un indéniable succès. De 1000 adhérents à peine, à ses débuts, elle recrute vite et regroupe déjà 33 000 membres en 1934, puis 52 000 en 1936. Une grande manifestation qu’elle organise à Amsterdam, en 1934, réunit plus de 25 000 personnes. S’inspirant beaucoup de ce qui se fait en Italie et en Allemagne, l’appareil du mouvement est assez complexe. Les militants portent un uniforme noir et saluent à la romaine en prononçant les mots de « Hou Zee » (héritée du langage des marins, cette expression signifie quelque chose comme « Garde le cap ! » ou « Bonne navigation ! »). Le swastika n’a pas cours au NSB, mais le mouvement de Mussert utilise souvent la rune du loup ou crampon (Wolfsangel) qui figure sur certains fanions et oriflammes. Il utilise par ailleurs les anciennes couleurs nationales – orange, blanc et bleu – ou « Prinsenvlag ». À partir de 1936, le drapeau du mouvement se composera, quant à lui, de deux bandes horizontales, noire et rouge, avec au centre un triangle (symbolisant le delta du Rhin) renfermant un écusson aux couleurs orange-blanc-bleu, frappé d’un lion avec flèches et épée et encadré des lettres NSB. Le siège central du NSB est à Utrecht et la formation s’articule en dix-sept districts qui se divisent eux-mêmes en groupes et blocs. Le mouvement dispose d’un hebdomadaire, Volk en Vaderland, d’un quotidien, Het Nationale Dagblad, et d’un mensuel, Nieuw Nederland, qui tous trois atteignent un vaste public (certains numéros spéciaux de Volk en Vaderland seront tirés à 800 000 et même un million d’exemplaires durant la campagne électorale de 1935). Au fil du temps, le NSB se dote d’une organisation féminine, la Nationaal-Socialistische Vrouwenorganisatie (7) qui édite son propre journal, De Nationaal-Socialistische Vrouw. Il se dote également d’une organisation de jeunesse ou Nationale Jeugdstorm, ainsi que d’une association étudiante ou Nederlandsche Nationaal-Socialistische Studentenfederatie (NNSS) qui publie le journal De Wig (le groupe prendra en 1940 le nom de Nederlandsche Nationaal-Socialistische Studentenfront). Il existe aussi un Front Paysan ou Boeren Front qui attirera jusqu’à 50 000 agriculteurs. Comme il sied à tout mouvement fasciste de l’époque, le NSB crée en outre un service d’ordre ou Weer Afdeeling (d’abord nommé Weerbaarheids Afdelingen). Composé de douze brigades (avec un effectif global atteignant parfois 15 000 hommes), ce corps de défense possède un hymne spécifique, WA marscheerd (sur l’air du Horst Wessel Lied) et son propre journal, De Zwart Soldaat. Il se double d’un discret service de renseignement ou Centrale Inlichtingen Dienst.

            Dynamique, le NSB effectue une percée significative lors des élections d’avril 1935 où il attire au moins 300 000 électeurs, soit un score encourageant de 7,94% qui lui assure 44 sièges (sur 535) à la Chambre. Joint au décorum menaçant dont s’entoure le mouvement, ce succès électoral inquiète désormais sérieusement les partis traditionnels qui s’accordent tous sur l’impérative nécessité de barrer la route à la formation de Mussert. Dès avril 1934, ce dernier a dû abandonner son emploi suite à la promulgation par le gouvernement d’un décret interdisant à tous les fonctionnaires d’adhérer au NSB. En riposte à cette mesure, le mouvement créera la qualité de « membre secret ». Ces péripéties n’empêchent pas le chef du mouvement d’effectuer une tournée triomphale d’un mois à Java et Sumatra où il compte de nombreux partisans et où le gouverneur général Bonifacius Cornelis de Jonge (1875-1958), un sympathisant, le reçoit à deux reprises avec tous les égards. La répression ne cesse pourtant de se durcir : une seconde loi vient interdire aux civils de porter des uniformes, et une troisème prohibe l’usage de drapeaux et insignes politiques. Même les églises s’en mêlent : la hiérarchie calviniste interdit aux fidèles d’adhérer au NSB, tandis que l’Église Catholique menace de priver de sacrements les militants de ce mouvement. Plusieurs lettres pastorales condament explicitement le national-socialisme et adjurent les croyants de s’en tenir éloignés. En juin 1936, Mussert tentera, avec l’aide de Mussolini, de convaincre le Vatican de faire lever ces interdits, mais sa démarche demeurera sans effet.

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Germanophilie et répression

            Le dénigrement systématique dont le NSB fait l’objet constitue un gros obstacle à son développement car il entretient un hallo négatif autour du mouvement et finit par faire naître des craintes à son sujet. Le phénomène, il faut bien le dire, est facilité par la radicalisation du NSB, au sein duquel l’attraction du nazisme allemand se fait de plus en plus sentir. Le 7 août 1936, le mouvement a reçu l’adhésion de Meinoud Marinus Rost van Tonningen (1894-1945), un ancien haut fonctionnaire de la SDN (8), qui se pose vite en rival de Mussert et en germanophile avéré. Compétent, diligent et efficace, le nouveau venu stimule indubitablement le militantisme, mais il entraîne aussi le NSB dans une direction qui n’était pas initialement celle de ses fondateurs. Des notions nouvelles, le Sang et le Sol (Blut und Erde), l’antisémitisme et la suprématie de l’État intègrent désormais la rhétorique du mouvement et s’affichent à la une de son journal (dont Van Tonningen devient rédacteur en chef). La conséquence de cette réorientation et de la campagne antifasciste est immédiate : les effectifs baissent et aux élections de mai 1937, le score du NSB n’est plus que de 4,22%, ce qui ne lui assure plus que quatre députés et deux sénateurs. Le 16 novembre 1936, Anton Mussert est reçu par Hitler (et à cette occasion, Herman Gœring lui affirme que jamais le Reich ne revendiquera un mètre carré de territoire néerlandais…). À compter de cette époque, et peut-être simplement pour ne pas se laisser déborder par Van Tonningen, il change de ton vis-à-vis des Juifs. Dans une interview qu’il accorde, le 6 octobre 1937, au journaliste américain (et marxiste) Barrie Stavis, Mussert rappelle que les « bons Juifs » peuvent adhérer au NSB (où ils seraient une cinquantaine), mais il ajoute que s’il y a désormais un problème juif aux Pays-Bas, c’est de la propre faute des Israélites : « Moi, je n’ai jamais parlé d’eux avant qu’ils me désignent comme leur ennemi. Mais oui, je suis leur ennemi. Ils constituent une menace pour la civilisation – comme les communistes. Je suis leur ennemi et le resterai » (9). Peu de temps après cette déclaration, le NSB annonce que dorénavant, les Juifs ne pourront plus adhérer au mouvement. En 1938 toujours, Mussert propose officiellement de réunir la Guyane anglaise, la Guyane française et le Surinam pour en faire un foyer national juif. En compensation pour la perte du Surinam, les Pays-bas recevraient une partie du Mozambique portugais. Soumis au Parlement, le projet sera discuté et largement rejeté. Dans la fameuse interview accordée à Stavis, Mussert ne se cache pas non plus d’avoir plus de sympathie pour le Reich que pour le Royaume-Uni : « Avec une flotte pour protéger nos Indes Orientales, je m’allierais à l’Allemagne », déclare-t-il. « Nous appartenons à la même souche germanique et les gens de même race doivent marcher ensemble. De plus, le fascisme doit conquérir le monde » (10).

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L'armée néerlandaise pendant la "drôle de guerre".

En septembre 1939, lorsque la guerre éclate entre l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, les Pays-Bas restent neutres, en espérant bien, comme en 1914-18, être épargnés par le conflit. Pour sa part, le NSB (surtout les éléments proches de Rost van Tonningen) ne se cache pas d’être favorable au Reich. Mussert lui-même demeure cependant circonspect. En janvier 1940, il déclare à deux agents allemands qui l’ont approché que ses militants ne se battront jamais contre leurs compatriotes, mais en avril, il affirme à une journaliste américaine de CBS qu’en cas de guerre, les gens du NSB se contenteront d’attendre les Allemands « les bras croisés » (11). Ce positionnement ambigu rend le mouvement suspect et l’expose à toutes sortes de rumeurs malveillantes. Au mois d’avril 1940, le célèbre journaliste Vladimir Poliakoff (« Augur ») annonce, par exemple, dans le New York Times, que le NSB s’apprête à enlever la reine Wilhelmine, ce qui entraîne aussitôt la proclamation de l’état de siège aux Pays-Bas. Le 19 avril, une vingtaine de cadres du NSB sont arrêtés sur soupçon d’appartenance à la 5e colonne. Mussert échappe à la rafle mais il doit désormais se cacher dans une ferme.  Les autorités ont la main particulièrement lourde puisque ce sont bientôt 10 000 membres et sympathisants du NSB qui sont arbitrairement internés. Parfois victimes de violences, certains y laisseront la vie : « Sept d’entre eux », écrit A. H. Paape, « trouvèrent la mort dans des fusillades provoquées par la nervosité de leurs gardiens » (12) Finalement, le 10 mai 1940, la Wehrmacht lance une offensive contre les Pays-Bas afin de couper l’herbe sous les pieds des Britanniques qui auraient pu tenter de passer par là pour attaquer le Reich. Puissant et techniquement impeccable, l’assaut ne laisse aucune chance à la petite armée néerlandaise dont le commandant en chef, le général H. G. Winkelman (1876-1952) capitule le 15 mai. Dès le 13, la reine et le gouvernement ont quitté le territoire, confié le pouvoir à des secrétaires généraux, et gagné Londres d’où ils vont diriger la résistance. Durant les brefs combats, le NSB ne fait rigoureusement rien pour aider l’ennemi et les quelque 100 à 200 Hollandais qui assistent les troupes d’invasion proviennent pour la plupart du Parti national-socialiste hollandais des travailleurs ou NSNAP (13), une formation rivale de celle de Mussert. « Après la guerre », précise F. Bertin (14), « les enquêtes menées pour découvrir une complicité pratique du NSB dans l’attaque allemande ne découvrirent rien de positif en ce sens ». À titre personnel, Anton Mussert perd à cette époque son frère Jo. Lieutenant-colonel d’active, ce dernier est abattu, le 14 mai, par deux subalternes égarés qui le soupçonnent, à tort, de vouloir trahir. Il sera totalement réhabilité après-guerre.

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Jeu de dupes

            À la cessation des hostilités, Anton Mussert pense que les Allemands vont lui confier les rênes du pays et débute alors un grand jeu de dupes qui va durer cinq ans. Le 16 mai 1940, interdiction est faite au Néerlandais de s’exprimer à la radio comme il en avait l’intention. Berlin a d’autres plans. Le 18 mai, le ministre Arthur Seyss-Inquart (15) est nommé Commissaire du Reich aux Pays-Bas (Reichskommissar für die Niederlande) où il entre officiellement en fonction le 29. Outre ce plénipotentiaire, les autorités comprennent le général d’aviation Friedrich Christiansen (1879-1972), commandant en chef de la Wehrmacht, le Brigadeführer SS Hanns Albin Rauter (1895-1949), responsable des services de sécurité et de la police, et l’Oberdienstleiter Fritz Schmidt (1903-1943), délégué du parti nazi. Mussert a bien mandaté le comte d’Ansembourg (16) pour le représenter auprès des occupants mais ceux-ci n’ont a priori aucun désir de coopérer avec le NSB. En fait, Seyss-Inquart s’efforce, dans un premier temps, d’obtenir la coopération de formations moins marquées. C’est dans cette perspective que se constituent un Comité National puis, le 24 juillet 1940, une Union Néerlandaise (Nederlandsche Unie). Approuvée par les secrétaires généraux, cette Union Néerlandaise – qui n’a rien à voir avec le NSB – est en phase avec les ex-Présidents du Conseil Hendrikus Colijn et Dirk Jan de Geer (17) qui reconnaissent la primauté de l’Allemagne et prônent tous deux une collaboration dans la dignité. Le nouveau groupement est bien accueilli par la population et recrute près de 400 000 membres en deux mois ; en février 1941, il compte déjà 800 000 adhérents et montera même jusqu’au million. Rappelons au passage que les Pays-bas n’ont alors que 8,7 millions d’habitants. Prête à collaborer, l’Union Néerlandaise se montre néanmoins rétive à toute tentative de germanisation et de nazification, ce qui contrarie le Reichskommissar et finit par entraîner, en décembre 1941, la dissolution de l’association. Autre groupe à subir les foudres de Seyss-Inquart, le parti social-démocrate qui est interdit en juin 1941. Durant un an, l’occupant a essayé, en vain, de prendre le contrôle de ce parti, ainsi que des syndicats, mais ils ont préféré se saborder plutôt que de se soumettre…

            arméeNL40.jpgÀ ce stade, il ne reste plus pour « collaborer » que les partis et mouvements qui se réclament d’une idéologie proche du nazisme, à savoir le NSB, le NSNAP et le Zwart Front. À l’instar des anciens Présidents du Conseil que nous avons déjà mentionnés (et de nombreux autres politiciens européens), Anton Mussert pense que l’Allemagne a définitivement gagné la partie, et que la collaboration est « l’unique chance qui reste à la Hollande de préserver son indépendance dans la future Europe hitlérienne » (18). Le 5 juin 1940, il rencontre donc Seyss-Inquart qui ne possède pas une très haute opinion du chef fasciste. « Le Leider du NSB », note F. Bertin, « restait attaché à l’autonomie de la Hollande et l’esprit profond du national-socialisme lui restait étranger » (19). Mussert multiplie cependant les gestes de bonne volonté, dont tous ne sont d’ailleurs pas très habiles : ainsi, le 22 juin 1940, lors d’une étrange « fête de la Libération », offre-t-il une cloche en bronze de trois tonnes à Herman Gœring, alors qu’un mois plus tôt, le 14 mai, la Luftwaffe a bombardé Rotterdam, tué un millier de civils et fait 80 000 sans abri…

Quiproquo

            Le problème majeur auquel Mussert ne va cesser de se heurter, c’est que les Allemands ne partagent absolument pas sa vision des choses. Lorsqu’il envisage une alliance avec le Reich, ses interlocuteurs songent à une annexion pure et simple. « À sa façon », remarque justement A. Anderson (20), « Mussert était un ardent patriote. Pour lui, il était tout simplement impensable que la Hollande devînt un territoire allemand ». Afin de sauver les apparences, au plan constitutionnel, le juriste Johan Herman Carp (1893-1979) suggère de placer Mussert à la tête du Conseil d’État, ce qui ferait un peu de lui le régent du royaume et l’autoriserait à conclure la paix avec l’Allemagne. Cette astucieuse solution permettrait d’officialiser l’alliance avec l’Allemagne et reconnaîtrait implicitement l’indépendance des Pays-Bas. Le 16 août 1940, c’est sans surprise que le Commissaire du Reich refuse ce plan. La survie des Pays-Bas ne figure décidément pas à l’agenda nazi. En témoigne encore l’attitude de la censure qui empêche la publication d’un article où Mussert affirme : « Nous n’avons jamais demandé et nous ne demanderons jamais à devenir Allemands, pas plus que nous ne demanderons jamais à un Allemand de devenir Néerlandais. Nous aimons notre pays et notre drapeau, tout comme ils aiment les leurs » (21). Le chef du NSB pourrait s’en tenir là et se retirer du jeu mais tel n’est pas son choix. À la fin août 1940, il signe une « Note sur l’union des peuples germaniques » (Bond van Germaansche volkeren) et se rend, le 23 septembre suivant, à Berlin pour y soumettre son projet à Hitler. Mussert souhaite non seulement sauver l’indépendance de sa patrie, mais propose aussi de créer de Grands Pays-Bas qui comprendraient la Hollande, la Frise, les Flandres et une partie du nord de la France, et s’appuieraient sur les colonies néerlandaises, le Congo et la communauté sud-africaine des Afrikaans (22). Cet « empire thiois » serait bien sûr le vassal et l’obligé du Reich. Plus tard, il évoquera à nouveau une union nordique – avec respect des langues vernaculaires, des religions, des fiertés nationales, des coutumes et des cultures – seule capable, selon lui, de tenir tête aux USA, au Japon et à l’URSS. Il va sans dire que le Führer ne se prononce pas…

            Parallèlement à leurs manœuvres avec l’Union Néerlandaise, les Allemands s’efforcent d’instrumentaliser Mussert et le NSB sans leur accorder rien de concret. Le 30 juin 1941, Seyss-Inquart supprime tous les partis politiques sauf le NSB, ce qui a pour conséquence d’attirer dans le mouvement la plupart des militants du NSNAP et du Zwart Front. Cet afflux d’éléments pro-nazis vient sensiblement renforcer Rost van Tonningen et l’aile germanophile du NSB. Le mouvement avoisine dès lors les 100 000 adhérents. Les occupants ne prennent pas Mussert au sérieux et préfèrent de toute évidence travailler avec Van Tonningen qui prône ouvertement l’absorption des Pays-Bas par le Reich. Hostile à cette ligne, Mussert ne possède visiblement ni l’énergie ni le tempérament de s’y opposer fermement. « En faisant de la surenchère », notent P. Milza et M. Benteli, « les partisans de Van Tonningen vont obliger Mussert à s’engager plus loin dans la voie de la collaboration mais sans qu’il se soit jamais rallié à leurs vues pangermanistes » (23). « Sa force et son caractère », renchérit A. H. Paape (24), « étaient insuffisants pour en faire autre chose qu’un jouet aux mains des Allemands ; il fit de plus en plus de concessions importantes, et il se laissa récompenser par des promesses qui ne se concrétisèrent qu’à peine ».

qKZzgOgcBs6WdQgDEn2r.jpgUn chef impuissant

            Au nombre des déficiences de Mussert, il faut tout d’abord mentionner son incapacité à garder le contrôle de ses troupes. Défavorable au recrutement de SS au sein de son mouvement, il finit cependant, dès juin 1940, par céder aux pressions de Gotlob Berger et Hanns Albin Rauter. De jeunes militants rejoignent donc le régiment “Westland“ puis la 5e division blindée “Wiking“. Le 11 septembre 1940, Mussert charge même Johan Hendrikus Feldmeijer (1910-1945) de créer une SS Générale néerlandaise (Nederlandsche SS, puis, à partir du 1er novembre 1942, Germaansche SS in Nederland). Théoriquement indépendante des Allemands, cette organisation (7000 hommes, répartis en 5 régiments territoriaux) se présente comme la garde du Leider, mais en pratique, elle échappe largement à son emprise et servira de vivier à la Waffen-SS. Les relations de Mussert avec l’institution SS seront toujours exécrables. Venu inspecter, en décembre 1940, la SS Générale néerlandaise, le Dr Joseph Grohmann accuse le NSB de n’être qu’un « repaire de Juifs et de francs-maçons » (25). Quant au chef du NSB, c’est à son corps défendant qu’il finit par autoriser l’enrôlement de ses adhérents dans la Waffen-SS. Ce faisant, il perd toute autorité sur eux. En juin 1941, peu après l’annonce de l’attaque contre l’URSS, Arnold Meijer (1905-1965), chef du Nationaal Front, lance un appel à la constitution d’une légion de volontaires ou Vrijwilligerslegioen Nederland. Relayée par Mussert et le général Hendrik Alexander Seyffardt (1872-1943), ancien chef d’état-major de l’armée royale, l’idée fait vite son chemin : le 27 juillet, les premières recrues, largement issues du NSB, défilent à La Haye, avant de partir pour Debica, en Pologne. Chapeautés par la Waffen-SS, ce qui n’était pas prévu, ces hommes vont se battre dans le secteur de Leningrad, puis en Croatie, avant d’intégrer la 4e brigade SS “Nederland“ (1943) et de constituer enfin la 23e division SS “Nederland“. Tout ce que Mussert obtient de Berlin, c’est que ces soldats puissent porter sur le bras un écusson aux couleurs du Prinsenvlag (orange-blanc-bleu). Il aurait bien voulu en outre qu’ils ne prêtent pas serment à Hitler mais il ne pourra l’éviter. Lui-même sera d’ailleurs appelé, le 12 décembre 1941, à prouver sa loyauté au Reich en prêtant serment au Führer, en présence de Martin Bormann et du ministre Hans Lammers. Au total, près de 30 000 Néerlandais passeront par la Waffen-SS, quelque 8000 par le NSKK et 14 000 par l’Organisation Todt. Ajoutons qu’outre ces formations militaires ou paramilitaires, il existe également, aux Pays-Bas, un Front du Travail (NAF), avec près de 600 000 membres, et un Service du Travail (NAD) de 20 000 recrues. Sur tous ces gens, Mussert n’a aucun pouvoir.

            Quels que soient les efforts de Mussert, ses relations avec la SS restent mauvaises. Réticent à l’égard de la personnalité même du Néerlandais (dont il considère notamment le mariage comme un inceste) et très hostile aux idées « européistes » du Leider, Himmler favorise ostensiblement Rost van Tonningen et les tenants de la Grande Allemagne. Ses adjoints ne sont pas plus tendres : dans une lettre en date du 14 novembre 1942, le Brigadeführer Rauter juge que « Mussert est un petit-bourgeois, intérieurement ennemi des Allemands et Hollandais cent pour cent », avant de préconiser carrément « d’anéantir le NSB » (26). Cyniques, les Allemands continuent toutefois à se servir du mouvement néerlandais, mais sans offrir grand chose en contrepartie. Le 10 décembre 1942, Hitler reçoit Mussert auquel il octroie officiellement le titre de Leider van het Nederlandsche volk ou Guide du peuple néerlandais. Il ne s’agit néanmoins que d’un titre purement honorifique et le pouvoir réel demeure aux mains de Seyss-Inquart. Cette « promotion » est annoncée avec un certain éclat aux Hollandais, le 13 décembre, à l’occasion du 11e anniversaire du NSB. Elle incite Mussert à constituer (janvier 1943), autour de Johan Herman Carp, une espèce de cabinet fantôme (Gemachtigden van den Leider) de neuf secrétaires d’État (dont ses rivaux Rost van Tonningen et Cornelis van Geelkerken). Ces hommes n’ont qu’un rôle consultatif, ce qui n’empêche pas la résistance d’abattre rapidement trois d’entre eux ! De plus en plus audacieuse, cette résistance (en l’occurrence le groupe communiste CS-6) s’en prend aussi au vieux général Hendrik Seyffardt qui est abattu sur le pas de sa porte, le 5 février 1943 (il mourra le lendemain), ainsi qu’au président de la Chambre de Culture, Hermannus Reydon, qui est assassiné le 23 août suivant. Suite à cette multiplication d’actes hostiles, les Allemands déclenchent – contre l’avis de Mussert – une vaste campagne de représailles, l’opération « Silbertanne », qui coûtera la vie à plus de 50 otages. Ils créent aussi une police auxiliaire (Hulppolitie) et exigent que les militants du NSB se muent désormais en supplétifs de leurs services de sécurité. Le général Hanns Albin Rauter place d’ailleurs le service de renseignement du NSB sous son autorité directe, tandis que l’on procède (mars 1943) au recrutement d’une Garde Nationale ou Landwacht que commanderont Van Geelkerken et Arie Johan Zondervan. Il y aura encore, en 1945, la constitution d’une seconde unité SS, la 34e division “Landstorm Nederland“, grâce à l’enrôlement de miliciens NSB. Ces mesures ne relèvent aucunement de Mussert qui se trouve placé au pied du mur et ne peut que cautionner ou s’effacer.

            Un autre sujet de friction entre le Leider et les Allemands concerne la politique antisémite de ces derniers. Quoiqu’il ait tenu, à partir de 1938, des propos très hostiles à la communauté israélite, Anton Mussert n’a jamais été un antisémite fanatique. Entraînés par plus extrémistes que lui, nombre de membres du NSB prêtent cependant la main aux rafles qu’organise la police nazie, quand ils n’opèrent pas, de leur propre chef et pour leur propre compte, quelques exactions. Plus de 105 000 Juifs sont alors arrêtés et déportés. Dans les camps de transit situés aux Pays-Bas (Westerbork, Bois-le-Duc, Amersfoort), ils sont souvent gardés par des policiers ou des SS hollandais. Pusillanime, Mussert ne proteste pas mais s’associe discrètement au plan du secrétaire général à l’Intérieur K. J. Frederiks qui entreprend de « sécuriser » certains Juifs (artistes, intellectuels, anciens combattants).

JoSpier1947.jpgCeux-ci sont placés dans deux résidences protégées, De Schaffelaar et Huize de Briezen, à Barneveld, ou encore à la Villa Bouchina, à Doetinchem. Dans ce dernier lieu séjournent notamment neuf Juifs (27), dont l’illustrateur Jo Spier (photo), un ami personnel de Mussert (28). Cette protection ne suffira malheureusement pas à empêcher la déportation des intéressés qui finiront tout de même par être expédiés vers le ghetto de Theresienstadt. La répression ne vise pas que les Juifs mais frappe toute la population néerlandaise. Après l‘échec de l’opération « Market Garden » (parachutage de troupes alliées près d’Arnhem) qui s’est accompagnée d’une grève générale des chemins de fer, Seyss-Inquart riposte en bloquant, de novembre 1944 à février 1945, l’approvisionnement des grandes villes. On parlera d’hiver de la faim (hongerwinter) et le manque de nourriture fera au moins 18 000 morts. Là encore, Mussert se tait. Il est d’autant plus impuissant que le 5 septembre 1944 (le mardi fou ou « Dolle Dinsdag »), ses partisans, pris de panique, se sont massivement enfuis en Allemagne avec femmes et enfants. Près de 65 000 d’entre eux campent près de Lunebourg, en Basse-Saxe. Ceux qui sont restés, les plus décidés, se rangent désormais derrière les Allemands et abandonnent le Leider à son sort ; Van Tonningen et Van Geelkerken ayant été démis de leurs fonctions de vice-présidents du NSB, Mussert se trouve dans un grand isolement. Comme l’écrit A. H. Paape, « son parti, son mouvement n’avaient pas besoin d’être liquidés à l’heure de la libération du territoire ; ils étaient morts depuis longtemps » (29).

Une triste fin

            La situation militaire semblant définitivement compromise, Anton Mussert envisage de rejoindre le NSKK en qualité de simple chauffeur de camion, mais il n’aura pas le temps de mettre ce plan à exécution. Victime, le 25 avril 1945, d’un accident de voiture, il se retrouve à l’hôpital Maria Stichting, à Haarlem – où il échappe de justesse à un enlèvement par des résistants – puis à l’hôpital Bronovo de La Haye. Sorti le 4 mai et rentré à Utrecht, au siège du NSB, il y apprend la capitulation des troupes allemandes du secteur et prend dès lors ses dispositions pour se rendre aux nouvelles autorités. Le 7 mai 1945, il avertit la police locale qu’il se tient à sa disposition : aussitôt appréhendé, il est incarcéré à Scheveningen. C’est la fin du NSB.

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L'arrestation de Mussert.

L’épuration qui débute alors est extrêmement rigoureuse puisqu’elle entraîne le placement en détention de 150 000 à 200 000 personnes. Toutes ne restent pas incarcérées, mais selon Paul Sérant (30), il y a encore, en octobre 1945, 96 000 prisonniers politiques, dont 24 000 femmes. Même les enfants paient le prix fort puisque 12 000 d’entre eux sont placés dans des foyers provisoires et 8000 dans des camps spéciaux. En ce qui le concerne, le Leider est jugé les 27 et 28 novembre 1945 à La Haye, dans la salle de bal du Palais Kneuterdijk. Accusé de collaboration avec l’ennemi, de violation de la Constitution et de haute trahison, Mussert soutient que son seul but fut d’éviter l’annexion, de sauver la souveraineté néerlandaise, et de garantir la place du royaume dans la future Europe de Hitler. Reconnu coupable, il est condamné à mort le 12 décembre. Son appel ayant été rejeté (20 mars 1946), le condamné rédige une lettre d’adieu au peuple néerlandais. Dans ce document, daté du 28 mars 1946, il justifie son engagement politique, met en parallèle son action et celle de la résistance, et compare enfin son sort à celui de Johan van Oldenbarnevelt et Johan de Witt, qui furent tous deux injustement condamnés à mort au XVIIe siècle (31). Le 5 mai 1946, la reine Wilhelmine rejette son recours en grâce, ce qui scelle définitivement le sort de l’ex-Leider. Deux jours plus tard, le 7 mai 1946, Anton Mussert est extrait de sa cellule vers 6h du matin. Accompagné de son beau-frère, Willem Torpstra, du révérend Sijbrandij et de deux gardiens, il gagne, en voiture, le Waalsdorpvlakte, un site où 250 résistants ont été passés par les armes durant l’Occupation. Le peloton d’exécution est déjà en place et à 6h 30, tout est terminé. « La mort de tout homme, même celle de Mussert, mérite le respect », écrit sobrement le journal socialiste Het Vritje Volk

            La saga du Leider néerlandais ne s’arrête pas tout à fait là. Inhumée anonymement dans un carré particulier du cimetière central de La Haye, sa dépouille mortelle ne va pas y rester. Dans la nuit du 16 au 17 juin 1956, un commando de vétérans du Front de l’Est et de militants flamands du Vlaams Militanten Orde enlève en effet le cercueil et va le réenterrer dans un lieu secret, probablement en Flandre. Dirigée par le nationaliste flamand Bert Eriksson (1931-2005), il s’agit de l’opération « Wolfsangel ». Fort marries, les autorités néerlandaises prétendront par la suite que le commando s’est trompé de cercueil et que les restes de Mussert ont été ensevelis dans une fosse commune et mélangés à d’autres… Le mystère demeure.

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Mussert dans sa cellule.

Soixante-quinze ans après l’exécution d’Anton Mussert, il est permis de s’interroger sur l’équité de la peine qui l’a frappé. Sincère et apparemment désintéressé (32), le chef du NSB ne fut probablement pas le pire des protagonistes de cette tragique époque. On peut certes lui reprocher d’avoir volontairement collaboré avec l’occupant et ce faisant cautionné les excès de ce dernier. On peut également regretter la consternante docilité dont il s’obstina à faire preuve durant cinq ans. Il faut cependant tenir compte du fait que ses choix, ou ses silences, n’eurent jamais pour but de servir « méchamment » (33) les intérêts de l’ennemi ni de desservir ses compatriotes. Mussert pensait, naïvement sans aucun doute, défendre son pays et en assurer la survie. Lorsque des crimes furent commis, ce fut le plus souvent à l’initiative d’individus qui prétendaient agir en son nom, mais qui opéraient en fait pour le compte de la police nazie. Si l’on compare enfin la sanction maximale qui lui fut infligée à celles qui frappèrent d’autres collaborationnistes de premier plan, force est de conclure que sa condamnation fut plus emblématique que vraiment appropriée. Il fallait exorciser une collaboration qui n’avait pas été que purement symbolique et permettre aux Pays-Bas de figurer dignement dans le cortège des vainqueurs antifascistes. Il fallait donc un symbole, un archétype de traître à châtier, et ce fut assez logiquement le fondateur et Leider du NSB. À côté de cela, Jan Eduard de Quay (1901-1985), qui avait dirigé l’Union Néerlandaise, sera anobli et deviendra même Premier ministre (1959). Vice-président du NSB, chef des jeunesses, inspecteur de la Landwacht et SS-Oberführer, Cornelis van Geelkerken (1901-1979) sortira de prison en 1959. L’ancien ministre-président Dirk Jan de Geer (1870-1960) s’en tirera avec un an de détention et une amende de 2000 florins ; le chef du Front du Travail, Hendrik van Woudenberg (1891-1967) sera libéré en 1956 ; Arie Johan Zondervan (1910), inspecteur de la Landwacht et vétéran du Front de l’Est, sera libéré en 1951, et Jacobus Schrieke, patron de la police, en 1955… Incarnation désignée de la trahison et bouc émissaire de toutes les frustrations de la défaite et de l’occupation, personne n’aurait compris, en 1946, que Mussert ne fût pas fusillé. Pour les Néerlandais, son procès et sa fin ne furent pas tant une question de justice qu’un exutoire collectif.

Christophe Dolbeau

Notes:

(1) Au total, il y a eu sept enfants, à savoir Josephus (Jo) Adrianus (1880-1940), Maarten (Max) Johan (1882-1941), Jacobus Frederik (1884-1884), Helena (Leni) Arnolda Frederika (1887-1954), Anton Adriaan (1894-1946), Frederika Johanna (1899-1900) et Jakoba (Coby) Maria (1898-1981).

(2) Voy. A. H. Paape, « Le mouvement national-socialiste en Hollande – Aspects politiques et historiques », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, 17e année, n° 66, p. 35.

(3) Le Dr Frederik Carel Gerretson (1884-1958) était professeur d’histoire coloniale à l’Université d’Utrecht. Co-fondateur en 1925 de l’Union Nationale, il fut aussi l’un des dirigeants de l’Union Historique Chrétienne (calviniste). Défenseur de la Royal Dutch et de l’empire, il fut sénateur en 1951.

(4) Voy. Anthony Anderson, « A Forgotten Chapter. Holland Under the Third Reich », conférence donnée le 17 octobre 1995 à l’Université de Californie du Sud.

(5) Voy. F. Bertin, L’Europe de Hitler, vol. 1, Paris, Librairie Française, 1976, p. 185.

(6) Ibid, p. 186.

(7) dirigée notamment par A. M. van Hoey Smith-van Stolk, Olga de Ruiter-van Lankeren Matthes (1902-1982), Elisabeth Keers-Laseur (1890-1997) et Julia op ten Noort (1910-1994).

(8) Né en Indonésie et fils de général, Meinoud Marinus van Tonningen fut durant dix ans le représentant de la SDN à Vienne où il se lia au chancelier Dollfuss. Chargé par Seyss-Inquart de la liquidation des partis de gauche néerlandais, il fut également président de la Banque Nationale des Pays-Bas (et fut peut-être tué, le 6 juin 1945, car il en savait trop long sur certaines transactions financières ayant eu lieu sous l’Occupation).

(9) Voy. Barrie Stavis, « Holland Has a Führer Too », New Masses du 4 janvier 1938, p. 17-18. [Les propos que Stavis (1906-2007) met dans la bouche de Mussert semblent sujets à caution car ce journaliste (et futur dramaturge) ne fait pas montre à l’égard du chef du NSB d’une grande objectivité. Dans le même texte, il parle en effet « de sa bestialité, de son opportunisme, de son fanatisme barbare, de sa vanité de paon et de son peu de compassion et d’humanité » (sic). Il existe de nombreuses photographies de Mussert et chacun peut y constater que le Néerlandais possédait un physique assez banal, bréviligne et bien découplé. Or Stavis le décrit comme « petit, avec un ventre rond et bien nourri, une paire de bajoues et un double menton » ; plus loin, il évoque « ses yeux bleus, froids, et bordés de rouge », ainsi que « sa bouche mauvaise et cruellement mince, semblable à une fente » (p. 17). Après l’avoir encore comparé à une grenouille, il conclut en affirmant que c’est un piêtre orateur, peu convaincant et dépourvu de charisme (p. 18). Il semble que l’on soit donc bien fondé à douter des propos qu’il rapporte…]

(10) Ibid, p. 17.

(11) Cité par F. Bertin, op. cit., p. 192.

(12) Voy. A. H. Paape, op. cit., p. 47.

(13) Fondé en 1931, le Nationaal-Socialistische Nederlandsche Arbeiderspartij est une petite formation, très antisémite, dirigée par l’économiste Ernst Herman van Rappard (1899-1953).

(14) Voy. F. Bertin, op. cit., p. 195.

(15) Avocat de formation, l’Autrichien Arthur Seyss-Inquart (1892-1946) a été chancelier puis gouverneur (Reichstatthalter) d’Autriche et vice-gouverneur de Pologne occupée, avant d’être nommé Commissaire du Reich aux Pays-Bas. Condamné à mort à Nuremberg, il a été exécuté par pendaison le 16 octobre 1946.

(16) Ancien maire d’Amstenrade et sénateur du Limbourg, le comte Maximilianus Victor Eugène Hubertus Josef Maria de Marchant et d’Ansembourg (1894-1975) sera Commissaire du Limbourg durant l’Occupation. Condamné en 1946 à 15 ans de détention, il sera libéré en 1954.

(17) Avocat et deux fois président du Conseil des ministres, Dirk Jan de Geer (1870-1960) a d’abord émigré à Londres en mai 1940, avant de rentrer aux Pays-Bas et d’y publier une brochure conseillant aux habitants de coopérer avec les Allemands.

(18) Voy. Pierre Milza et Marianne Benteli, Le Fascisme  au XXe siècle, Paris, Éditions Richelieu, 1973, p. 318.

(19) F. Bertin, op. cit., p. 208.

(20) Voy. A. Anderson, op. cité.

(21) Voy. Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 335.

(22) Dans le même esprit, Mussert et Van Tonningen demanderont à Alfred Rosenberg (1893-1946), le ministre des Territoires de l’Est, d’octroyer aux Pays-Bas des zones de colonisation en Russie [où existent d’ailleurs, près d’Irkoutsk, des villages de « Hollænders » ayant conservé leurs traditions néerlandaises]. Entre 1941 et 1944, quelques centaines de Néerlandais partiront effectivement s’établir en Biélorussie et en Russie – Voy. Geraldien von Frijtag, « Le projet colonial hollandais pendant la Seconde Guerre mondiale », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe [en ligne].

(23) Voy. P. Milza et M. Benteli, op. cit., p. 318.

(24)  Voy. A. H. Paape, op. cit., p. 54.

(25) Voy. F. Bertin, op. cit., p. 216.

(26) Ibid, p. 214.

(27) Il était prévu à l’origine d’en accueillir 63…

(28) Dessinateur humoristique et publicitaire, Joseph Eduard Adolf Spier (1900-1978) fut par la suite déporté à Theresienstadt où il collabora, en 1944, au tournage d’un film (Theresienstadt. Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet). Émigré aux USA après la guerre, il y poursuivit sa carrière d’illustrateur.

(29) Voy. A. H. Paape, op. cit., p. 59.

(30) Voy. P. Sérant, op. cit., p. 338.

(31) Voy. Franz W. Seidler, Die Kollaboration, Munich-Berlin, Herbig, 1999, p. 397.

(32) Nous disons « probablement » car une chercheuse, le Dr Tessel Pollmann, soutient que Anton Mussert aurait possédé cinq maisons, une imprimerie, une maison d’édition, une villa, ainsi que des antiquités dérobés à des Juifs, soit une fortune évaluée à un million de florins de 1945 (ou 5 millions d’euros actuels) – voy. Haaretz du 8 avril 2009 (« Researcher : Dutch Nazi Collaborator Stole Millions »). Cette affirmation paraît bien étonnante et bien tardive. S’agissant pour la plupart de biens immobiliers difficiles à dissimuler, on peut s’étonner qu’il n’en ait jamais été fait état lors de la procédure engagée contre Mussert en 1945…

(33) Ce furent les Belges qui introduisirent cette notion très subjective dans leur Code pénal, après la Première Guerre mondiale. Elle était destinée à souligner le caractère malveillant de certains actes délictuels.

1001004011858902.jpgBibliographie

– Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964.

– A. H. Paape, « Le mouvement national-socialiste en Hollande – Aspects politiques et historiques », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, 17e année, n° 66 (avril 1967).

– Lawrence D. Stokes, « Anton Mussert and the NSB : 1931-45 », History, vol. 56, n° 188 (octobre 1971).

– Pierre Milza et Marianne Benteli, Le Fascisme au XXe siècle, Paris, Éditions Richelieu, 1973.

– Francis Bertin, L’Europe de Hitler, vol. 1, Paris, Librairie Française, 1976.

– Franz W. Seidler, Die Kollaboration, Munich-Berlin, Herbig, 1999.

– Jan Meyers, Mussert, een politiek leven, Soesterberg, Aspekt, 2005.

– Tessel Pollmann, Mussert and Co, Amsterdam, Boom, 2012.         

mercredi, 29 avril 2020

«Pour la Troisième Voie solidariste» disponible en espagnol

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«Pour la Troisième Voie solidariste» disponible en espagnol

par Bastien VALORGUES

Quinze mois après la sortie dans la collection « Idées » aux Bouquins de Synthèse nationale de Pour la Troisième Voie solidariste de Georges Feltin-Tracol, les éditions Fides au riche catalogue viennent à leur tour de le faire paraître en Espagne. Leur directeur, Juan Antonio Llopart, milita naguère au sein de mouvements qui se réclamaient du tercérisme.

À l’occasion de cette traduction, Georges Feltin-Tracol a revu, enrichi et corrigé les textes. Il en aussi modifié l’agencement. Ceux-ci sont désormais regroupés autour d’un thème commun dans cinq parties différentes : « Après le Bastion social », « Un autre socialisme », « Pour le solidarisme », « Sur la troisième voie » et « En entreprise ». Inexistante dans l’original français, cette répartition donne au livre un ton plus incisif qui, ajouté à la somme historique qu’il représente, propose un vaste panorama d’idées politiques, sociales et économiques anti-conformistes majeures.

Le lecteur hispanophone découvre ainsi le gaullisme de gauche, la troisième voie défendue par Bruno Mégret alors délégué général du Front national, l’ergonisme de Jacob Sher révélé par Robert Steuckers dans les revues Orientations et Vouloir, l’histoire tourmentée des solidaristes russes du NTS, les essais de Serge Ayoub de relancer une troisième voie sociale et nationale, la vision du socialisme chez Jean Mabire ou le point de vue percutant de Philippe Schleiter sur le monde de l’entreprise. L’aventure du Bastion social, trop tôt interrompue par un assassinat légal (un gouvernement d’amateurs a prononcé sa dissolution), y tient une large part.

Juan Antonio Llopart a en effet tenu que le lecteur des éditions Fides connaisse cette expérience étonnante qui se rapproche des initiatives nationalistes-révolutionnaires du Hogar social espagnol. Inspirées par le précédent CasaPound – Italie, leurs actions non conformes subissent les mêmes discriminations ainsi que diverses vexations de la part des gouvernants en faillite de la droite financière et de la gauche cosmopolite (à moins que cela soit le contraire…).

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Cette édition dont l’intention évidente ne se restreint pas à la seule Espagne, mais s’adresse à l’Amérique hispanique, comporte deux textes inédits spécialement rédigés pour la circonstance. Avec « Après le Bastion social », Georges Feltin-Tracol dresse le bilan du Bastion social. Il insiste sur les nombreuses avanies que ce jeune et dynamique mouvement a subies de la part des antifas, des municipalités, des journalistes et des préfectures. Il attire par ailleurs l’attention sur de fâcheux travers dus trop souvent à la grande jeunesse des militants, à leur dépendance complète aux réseaux sociaux et à leur faible propension à accepter (et à appliquer) une réelle discipline, personnelle et collective. Ces manquements ont pu nuire à telle ou telle section locale du Bastion social.

Le second texte est la préface de l’auteur pour le lecteur espagnol. Georges Feltin-Tracol revient sur les racines ibériques de la troisième voie qui récuse autant le collectivisme marxiste que l’étatisme bureaucratique et l’individualisme libéral. Comme pour la France, l’Espagne est un terrain propice aux expériences tercéristes : le carlisme, le phalangisme, le national-syndicalisme, voire certaines tendances du nationalisme basque ou catalan. Cette exhaustivité se retrouve au-delà de l’Atlantique avec le péronisme argentin, le premier chavisme vénézuélien ou l’indigénisme andin.

En attendant d’éventuelles traductions allemandes, anglaises, italiennes, néerlandaises, portugaises ou russes, il faut se féliciter qu’après Elementos para un pensamiento extremo en 2018, un nouveau titre de notre ami rédacteur en chef d’Europe Maxima paraisse à l’étranger. Remercions le courage éditorial de Fides, saluons son formidable travail esthétique autour du livre et souhaitons que Por une Tercera Via Solidarista incite les Espagnols et les Américains romans à mieux comprendre l’urgence d’une troisième voie politique, sociale et économique plus que jamais… justicialiste !

Bastien Valorgues

• Georges Feltin-Tracol, Por une Tercera Via Solidarista, Ediciones Fides, 2020, 204 p., 20 €.

lundi, 20 avril 2020

Jürgen Spanuth, son Atlantide septentrionale et les peuples de la Mer

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Jürgen Spanuth, son Atlantide septentrionale et les peuples de la Mer

Robert Steuckers

d68aaf_29086971f2e0422e953f5a6f65457fe5~mv2_d_1500_1560_s_2.jpgQuand, dans la mouvance métapolitique de la "nouvelle droite", dès la fin des années 1970, on évoquait la thèse de Jürgen Spanuth, qui situait l’Atlantide de Platon dans la mer du Nord, plus exactement dans les parties immergées de l’île allemande d’Heligoland, reste très réduit d’un territoire insulaire préhistorique, protohistorique et même médiéval, nous étions très sceptiques : nous prenions cette thèse pour une fantaisie nordiciste reposant certes sur des indices archéologiques incontestables mais trop ténus pour étayer toute certitude historique. Depuis lors, l’archéologie de la protohistoire a fait des progrès extraordinaires : le passé préhistorique de la mer du Nord, dont le fond n’a été submergé qu’entre 10.000 et 8000 avant l’ère chrétienne, est désormais mieux connu depuis l’apparition de forêts pétrifiées au large du Pays de Galles ou de la Charente ; la route de l’ambre qui amenait des pionniers du commerce de longue distance depuis les régions baltiques vers la Méditerranée a également été l’objet d’investigations archéologiques plus précises ; les bouleversements de l’année 1177 avant l’ère chrétienne qui ont chamboulé totalement les civilisations de la Méditerranée orientale et du Levant sont désormais mieux connus qu’à l’époque où, pour faire connaître ses thèses au grand public, Spanuth n’avait pas hésité à utiliser une terminologie contestable, frisant le sensationnel, terminologie qui avait d’ailleurs suscité notre propre scepticisme.

Gerhard-Gadow+Der-Atlantis-Streit-Zur-meistdiskutierten-Sage.jpgPersonnellement, ce scepticisme avait été ébranlé très tôt, par la découverte d’un petit livre allemand dans la magnifique librairie du Passage 44 à Bruxelles, un ouvrage dû à la plume de Gerhard Gadow, Der Atlantis-Streit – Zur meistdiskutierte Sage des Altertums ( = La querelle de l’Atlantide – A propos du récit le plus discuté de l’antiquité). Gadow rappelait, comme Spanuth, les différentes hypothèses formulées au fil du temps sur l’Atlantide depuis le Critias et le Timée de Platon, qui faisait remonter le récit à Solon, le législateur athénien, qui l’aurait ramené d’un voyage en Egypte. Le récit égyptien évoquait un puissant royaume au-delà des colonnes d’Hercule, composé d’une île principale et de littoraux en face de celle-ci. Ce royaume jouxtait l’Italie, avait pris pied en Libye (Cyrénaïque) et avait conçu le projet de soumettre l’ensemble de la Méditerranée : les armées d’Athènes et d’Egypte avaient vaincu ces envahisseurs. D’autres sources antiques évoquent l’Atlantide : Hérodote, plusieurs décennies avant Platon ; Elien (Claudius Aelianus), historien romain du 3ème siècle avant l’ère chrétienne, écrivant principalement en grec ; Théopompe de Chios, historien et orateur grec du 4ème siècle av. J.C., premier à avoir évoqué les Etrusques et la prise de Rome par les Celtes ; Posidonios d’Apamée, qui visita la Gaule une cinquantaine d’années avant la conquête par César et qui nous laisse une description précise du pays et de ses sanctuaires, confirmée aujourd’hui par l’archéologie. A l’époque contemporaine, les thèses se sont également succédé, à commencer par celle de Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, officier napoléonien, qui situait l’Atlantide autour des Iles Canaries, suite à un très long voyage en 1799, avec escale à Madère et aux Canaries. Cette expédition fut l’occasion d’écrire de nombreux ouvrages de géographie, dont le premier date de 1803 et s’intitule Essais sur Les Isles Fortunées et l'Antique Atlantide ou Précis de l'Histoire générale de l'Archipel des Canaries. Les hypothèses de Bory de Saint-Vincent, jugées trop éthérées par son éditeur allemand de 1804, seront prises au sérieux par le plongeur français Jean-Albert Foex (1917-1994), mais il ne parviendra pas à les étayer par l’archéologie : l’archipel, aujourd’hui espagnol, n’a été que tardivement peuplé par les Guanches, ses premiers habitants. A l’époque imaginée par Platon, l’Egypte, quant à elle, était une jungle touffue et humide, impropre à la sédentarisation des hommes. Plus tard, l’archéologue allemand Adolf Schulten, qui avait fouillé les restes du camp romain installé pour faire le siège de l’oppidum celtibère de Numance, avance l’hypothèse que l’Atlantide de Platon aurait pu être la ville andalouse antique de Tartessos, située sur la côte atlantique, au sud de la péninsule ibérique, fondée vers 1150 par les Etrusques et détruite six cents ans plus tard par leurs rivaux carthaginois. L’archéologie  -en dépit d’un préjugé très favorable à cette hypothèse parce que la cité antique, de pure identité ibérique, se situe sur l’Atlantique, au-delà des « colonnes d’Hercule »-  finira par l’infirmer. Schulten demeure néanmoins le principal archéologue des sites celtibères et des guerres cantabriques, menées par Rome contre les peuples du Nord-Ouest de l’Espagne. Ensuite, l’hypothèse est émise d’une Atlantide située autour de l’île de Théra dans la mer Egée, une Atlantide qui se serait effondrée suite à l’éruption du volcan de l’île de Santorin. L’hypothèse d’une Atlantide égéenne ne tiendra pas davantage : les nouvelles techniques de datation, de plus en plus précises, l’infirmeront.

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Carte ancienne montrant le rétrécissement de l'île d'Heligoland au fil des siècles

Spanuth a voulu énoncer une théorie nouvelle sur l’Atlantide, au-delà du port atlantique et ibérique de Tartessos, des Canaries et de l’Egée en évoquant une cité en mer du Nord, s’étendant à son époque de gloire autour de l’île résiduaire d’Héligoland, vestige d’un espace insulaire jadis beaucoup plus vaste, fleuron de l’Age du Bronze nordique et lié commercialement à la Méditerranée et à l’Egypte par le trafic de l’ambre, lequel aurait été l’orichalque mythique de l’Atlantide de Platon, qui est surtout, comme le souligne Geneviève Droz, un modèle pour une cité forte et harmonieuse, à restituer dans l’espace culturel hellénique de son époque.

Quelle fut, dès lors, la démarche de Spanuth (1907-1998) ? Quel fut son itinéraire intellectuel ? Né à Leoben en Carinthie, il sera favorable à l’Anschluss d’une Autriche désormais enclavée et privée de ses ressources alimentaires et de ses débouchés vers l’Adriatique. Ce qu’on lui reprochera jusqu’à sa mort, alors qu’il n’a pas eu d’activités politiques proprement dites. Théologien et archéologue de formation universitaire, il sera, de 1933 à 1978, le pasteur évangélique du bourg de Bordelum dans le Slesvig-Holstein, Land nord-allemand qui deviendra sa patrie d’adoption. Archéologue, il adhère à la société d’études fondée par le Baron Bolko von Richthofen, la « Gesellschaft für Vor- und Frühgeschichte », qui s’intéresse principalement à l’origine des peuples germaniques et à l’archéologie des populations préhistoriques et protohistoriques autochtones de l’Allemagne et de ses régions limitrophes. Son statut de prêtre protestant l’amène tout naturellement à lire la Bible avec grande attention, à s’intéresser au passé protohistorique et antique de la « Terre Sainte », du Levant en général, et aux influences culturelles exercées par les Philistins et les Phéniciens dans la région. Les Phéniciens procèdent, selon les historiens en général et selon Spanuth en particulier, d’une fusion entre les Philistins, peu nombreux et allochtones, et le substrat ethnique local, demeuré largement majoritaire. Les Phéniciens, selon Spanuth, auraient emprunté les techniques de navigation et l’écriture alphabétique aux Philistins, venus d’Europe et même d’Europe du Nord (Slesvig-Holstein), dans le sillage de migrations importantes et bouleversantes, qui sont repérables dans la région entre 1250 et 1170 avant l’ère chrétienne et qui changent toute la donne en Grèce, en Anatolie, au Levant et, partiellement, en Egypte.

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Pour Spanuth, les bouleversements et les vagues migratoires de grande ampleur de la protohistoire de l’Europe et du Levant, sont dues à deux catastrophes naturelles majeures : la chute d’une comète au large du Slesvig-Holstein, entre l’île d’Heligoland et l’embouchure de la rivière locale, l’Eider. L’île d’Heligoland aurait été le centre d’une civilisation du bronze nordique, enrichie par le commerce de l’ambre et de l’étain. Ensuite, l’explosion du volcan de Santorin qui aurait détruit les résidus de la civilisation mycénienne. Cette double catastrophe naturelle en entraînera d’autres comme des famines et des sécheresses, empêchant le déploiement futur des cultures propres aux populations locales vivant sur les territoires innervés par la civilisation du bronze nordique et en Europe centrale, où les mines de cuivre de l’Autriche actuelle avaient permis l’éclosion d’une société protohistorique prospère (thèse reprise par Reinhard Schmoeckel).

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Bon nombre de mythes antiques rappellent cette ère ponctuée de terribles catastrophes, ayant provoqué, pendant au moins huit ou neuf décennies des désordres effroyables et des migrations inattendues, notamment celles des peuples centre-européens de la culture des champs d’urnes et des populations dites « doriennes », issues de la civilisation détruite du bronze nordique. Pour le déluge provoqué, selon Spanuth, par la chute de la comète, il s’agit des mythes de Deucalion et de Pyrrha, le couple seul survivant du cataclysme qui arrive en Grèce, sur le Mont Parnasse ; les récits bibliques des plaies d’Egypte et de l’Exode des Israélites ; l’arrivé des peuples de la mer et l’installation des Philistins en Palestine (à laquelle ils donnent leur nom). Ensuite, nous avons le mythe de Phaéton chez Platon, où ce fils d’Hélios, dieu-soleil, conduit avec une épouvantable maladresse le char solaire paternel et provoque une catastrophe cosmique entraînant sa chute en face de l’embouchure du fleuve Eridanos. Allusion directe à une catastrophe cosmique dans le territoire initial des « Atlantes ». Les mythes égyptien de Sekhmet et syrien d’Anat y font également allusion, de même que l’Avesta persan et le Ragnarök germanique, sans même mentionner, pour le déluge, le très contesté récit frison de l’Oera-Linda. L’historien grec antique Hécate de Milet tentera de déchiffrer les mythes, d’en restituer la consistance historique réelle, notamment pour l’histoire du sous-continent européen, en évoquant une cité celtique (polis keltikè) du nom de Nyrax, que l’on situe soit au nord de Marseille soit en Carinthie (dans la province romaine du Noricum) où, à l’époque historique, se trouvait une cité du nom de Noreia.

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La chute de Phaeton par P.P. Rubens

Les catastrophes de la période qui va de 1250 à 1170 avant l’ère chrétienne semblent donc attestées, tant par la mythologie que par les sciences archéologiques. Après Spanuth, l’historien contesté H. K. Horken ajoute à la catastrophe cosmique esquissée par Spanuth, l’effondrement du Doggerbank au milieu de la mer du Nord, confirmé depuis lors par les archéologues. L’archéologue britannique Paul Dunbavin, quant à lui, évoque la disparition d’une civilisation protohistorique face à l’Atlantique au Pays de Galles, hypothèse désormais étayée par la découverte d’une forêt fossile, truffée d’artefacts humains.

La chronologie antique parle, avec Solon, d’une époque datant de 9000 avant l’apex de la civilisation athénienne classique. Or les sources de Solon étaient égyptiennes, civilisation qui comptait les lunaisons et non les cycles solaires annuels : les 9000 lunaisons de Solon et de sa source égyptienne correspondraient donc à 673 années solaires environ, ce qui ramène notre Athénien à la période des grandes catastrophes de 1250 à 1170. Spanuth a rétabli cette chronologie solaire. Les peuples de la région ravagée vont dès lors s’ébranler en direction de la Grèce et de la Méditerranée, en empruntant justement les routes de l’ambre partant des côtes de la mer du Nord et surtout de la Baltique, qui avait fait leur richesse. En arrivant en Grèce, pense Spanuth et ses fidèles, ils arrachent ce territoire à l’orientalisation qui l’affectait. La Grèce cesse alors d’être mycénienne, pensait Spanuth, car les migrants doriens ravagent le territoire et s’y installent. L’archéologie, sur ce point comme sur d’autres, ne lui a pas donné raison : cette installation se serait opérée plus tard. Les Doriens n’auraient fait que traverser la Grèce, sans exercer trop de ravages, pour marcher sur l’Egypte. Battus par le Pharaon, ils seraient revenus plus tard, sur l’espace mycénien détruit par d’autres catastrophes. Spanuth parle alors de « retour des Héraclides », thème auquel il a consacré un ouvrage qui complète et corrige ses thèses premières. Par voie de conséquence, la chute de la comète dans le nord de l’Europe est quasi contemporaine d’une autre catastrophe, survenue dans l’Egée, à savoir l’éruption du volcan de Santorin. C’est elle qui provoque la disparition de la civilisation mycénienne et son remplacement ultérieur, par les débris des Doriens ou Héraclides, repoussés par les armées du Pharaon. Cependant le choc entre l’Egypte, les peuples de la mer et les autres peuples arrivés d’Europe aurait été tel que l’empire des Pharaons en fut sérieusement ébranlé, entraînant la fuite hors d’Egypte des Israélites qui se heurteront alors aux Philistins, issus de ces mêmes peuples d’origine européenne, sur le territoire actuellement palestinien, appelé alors « Pays de Canaan ».

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Carte montrant l'effondrement de la côte au Schleswig-Holstein et au Danemark, autour du bourg médiéval de Rungholt

Gerhard Gadow rappelle le début des démarches de Spanuth dans l’ouvrage qu’il lui consacre partiellement. Pendant l’été 1953, Spanuth commence à explorer les fonds de la mer du Nord, notamment le Steingrund (littéralement : le fond pierreux) à l’est d’Héligoland. Pendant la première guerre mondiale, un navire de guerre allemand s’était échoué sur ce fond, entraînant l’activité de plongeurs qui y découvrent des pierres taillées : Spanuth pensait qu’il s’agissait de bâtiments ou de palais représentatifs de cette civilisation du bronze nordique qu’il croyait détruite par un cataclysme cosmique.  La publication des résultats de ces recherches très difficiles à parfaire enclenche une polémique entre archéologues, où Spanuth doit faire face à une opposition entêtée, rejetant ses hypothèses sans réellement les examiner. A la suite de ces débats aigres-doux, un archéologue toutefois rappelle que l’on avait aussi pris Schliemann pour un fou, alors que cet amateur a redécouvert la Troie des récits homériques.

Dans les polémiques qui le fustigeaient et voulaient le chasser des débats, l’accent est généralement mis sur sa thèse « atlantide » car ce vocable, issu du mythe platonicien, a suscité, au fil des décennies, une vague de thèses farfelues et invraisemblables, relevant du mythe moderne, de la veine utopique, de la fantasmagorie ou de la fantaisie littéraire.  C’est oublier un peu vite que Spanuth est l’auteur de deux volumes bien étayés, l’un sur les Philistins, l’autre sur les Phéniciens, parus tous deux chez l’éditeur Otto Zeller d’Osnabrück, qui fut, entre bien d’autres choses, l’un des traducteurs en allemand des Védas, de l’Iliade et de l’Odyssée. Pendant la seconde guerre mondiale, le Dr. Otto Zeller, indianiste, servit d’interprète aux indépendantistes indiens présents à Berlin pour servir les forces de l’Axe : les anecdotes à ce sujet qu’il m’a racontées étaient fort plaisantes… Zeller faisait siennes les thèses de Spanuth, notamment dans un ouvrage qu’il avait publié uniquement pour les membres de sa famille, mais dont il m’offrit un exemplaire lors de ma visite à sa maison d’édition en 1985 (cf. bibliographie). Pour Zeller, les migrations successives des peuples dits « indo-européens » partent, dans la protohistoire, de la zone indiquée par Spanuth : les tribus migrantes gardaient leur nom qui se transformait selon les règles des mutations consonantiques et s’installaient parfois très loin de leur foyer initial. Zeller ne retient pas l’hypothèse de foyers fixes mais avance celle de foyers essaimés entre l’Atlantique et l’Indus, où elles marquent souvent le territoire de manière durable et laissent des traces onomastiques. Il pose ainsi l’hypothèse que les Frisons, proches du foyer héligolandais de Spanuth, ont essaimé, d’une façon par ailleurs décrite par Oswald Spengler, notamment dans le bassin parisien (les « Parisii ») et en Angleterre (d’autres « Parisii ») voire jusqu’aux rivages de la Caspienne et en Perse où les clans dominants auraient été de souche frisonne, proche ou lointaine.

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Spanuth est donc essentiellement, pour la communauté scientifique, non le théoricien d’une Atlantide héligolandaise, car on considère sa thèse comme une fantaisie personnelle, comme une sollicitation outrancière des faits archéologiques, mais l’archéologue qui a exploré les mondes philistin et phénicien. Pour Spanuth, l’invasion des peuples de la mer, dont les Philistins, a été dûment planifiée puisqu’elle s’attaque à l’Egypte de Ramses III par trois côtés à la fois : par l’Ouest libyen, par l’Est, le Sinaï, et par le Nord, le delta du Nil.

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Son ouvrage sur les Philistins repose notamment sur un décryptage en règle des fresques du temple égyptien de Medinet Habou, lesquelles relatent les combats victorieux du Pharaon Ramses III contre les peuples de la mer.  L’archéologie a toujours spéculé sur l’origine de ces peuples marins qui ont tenté de subjuguer l’Egypte. Les textes hiéroglyphiques de Medinet Habou disent : « Les peuples de l’océan du Nord lointain ont ourdi un complot dans leur île. Ils conçurent le plan de s’emparer de tous les pays jusqu’aux confins extrêmes de la Terre. Aucun royaume ne résista à leurs armes. … (tous) furent détruits en même temps. Ils édifièrent leur camp en un lieu d’Amarru (= la Palestine). (…) puis se dirent « En avant vers l’Egypte ». Ils s’étaient alliés aux Peleset, Sakars, Dennes, Sekels et Wasasa ». Pour Spanuth, les Peleset sont les Philistins de la Bible et les Sakars et les Dennes sont vraisemblablement des tribus de ce même peuple. Les Sekels seraient originaires de Sicile ; les Wasasa de Corse. Après leur défaite face aux troupes du Pharaon, les Philistins se replient sur leurs bases de Palestine, essentiellement sur la côte méditerranéenne. Les Sakars s’installent dans le Liban actuel et les Dennes à Chypre, où ils deviendront maîtres dans l’art de travailler le cuivre, ressource majeure de l’île. 

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A l’Ouest, les Lebu (= Libyens), les Tyrrhéniens et les Sardana (= les Sardes ?), seront appuyés par les Wasasa de la mer et demeureront à l’ouest de l’empire des pharaons, parmi les tribus libyennes. Indubitablement, le Pharaon est vainqueur en Egypte mais, précise Spanuth, ne parvient plus à asseoir son pouvoir sur les territoires actuellement palestiniens ou libanais, alors que son prédécesseur Ramsès II les avait arrachés aux Hittites, suite à la fameuse bataille de Qadesh (-1288). Un facteur nouveau s’était imposé au Levant : les Philistins avaient bel et bien ôté à l’Egypte ses provinces levantines qui lui permettaient d’avoir un accès direct et caravanier à la Mésopotamie pour consolider durablement son commerce. Les forteresses égyptiennes de la région, édifiées après le choc de Qadesh contre les Hittites mais détruites ensuite par les catastrophes naturelles entre 1250 et 1170 avant l’ère chrétienne, n’ont jamais été reconstruites. Les terres dominées par les Philistins s’étendaient, démontre Spanuth, jusqu’à proximité immédiate du delta du Nil. L’exode hors d’Egypte des tribus hébraïques, que relate la Bible, n’a de sens, dit Spanuth, que si le pouvoir du Pharaon ne s’exerçait plus sur les terres qu’elles avaient quitté plusieurs générations auparavant. Cet exode se serait effectué en passant par l’étroite bande de terre séparant la Méditerranée du Sabkhat el Bardawil (Mer de Sibonis dans l’antiquité) au nord du Sinai, laquelle était sans intérêt et pour les Philistins et pour les Egyptiens. Au bout de cette bande de terre ingrate, les migrants hébraïques durent traverser le désert et, bien plus tard, prendre à revers, par l’intérieur, les territoires utiles et littoraux, contrôlés par les Philistins. 

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Les routes terrestres et maritimes empruntées par les peuples de la mer sont, pour Spanuth, celles qui reliaient dans la protohistoire l’Egypte aux rivages d’où provenait l’ambre, si prisée dans l’empire des pharaons, et l’étain des Cornouailles dans des Iles Britanniques alors marquées par la culture mégalithique. Depuis les côtes méridionales de l’actuelle Angleterre, ces routes longent, sur le continent, les cours de la Seine, de la Saône et du Rhône pour se porter ensuite vers les trois grandes iles du bassin occidental de la Méditerranée. Une route maritime cabote le long des côtes atlantiques et entre en Méditerranée par Gibraltar pour aborder les Baléares et la Sardaigne.  La première des routes de l’ambre remonte la Weser et le Rhin, pour suivre ensuite le Doubs, la Saône et le Rhône et se joindre à la route venue des Iles Britanniques. Une deuxième route suit le cours de l’Elbe jusqu’en Bohème où elle bifurque, amenant, pour la première de ces bifurcations, les marchands d’ambre puis les peuples migrants vers l’Italie en suivant le Danube et l’Inn ; et, pour la seconde de ces bifurcations, vers le Danube jusqu’à hauteur de Belgrade ou elle emprunte le cours de la Grande Morava puis descend le cours du petit fleuve grec, le Vardar, qui a son embouchure dans l’Egée aux environs de Salonique ; de là les peuples migrants ont pu se répandre en Crète, à Chypre, dans l’Anatolie hittite et le long des côtes méditerranéennes du Levant jusqu’au Sinai. La troisième route, partant de la Baltique, suit l’Oder et rejoint la bifurcation danubienne/égéenne.

9783499630057-475x500-1.jpgL’archéologie actuelle confirme, non pas directement les thèses de Spanuth mais toutes les hypothèses qui suggéraient un degré de culture assez élevé en Europe centrale et dans les régions plus septentrionales du Mecklembourg, de la Poméranie, des terres situées à l’embouchure de la Vistule et des côtes s’étendant de ce fleuve, aujourd’hui polonais, jusqu’aux littoraux de tous les Pays Baltes. Ainsi, dans un ouvrage largement vendu Outre-Rhin, Die Bernsteinstrasse, de Gisela Graichen et Alexander Hesse, nos deux auteurs reconstituent la carte géographique des relations commerciales de la protohistoire européenne, méditerranéenne et levantine, en appuyant leurs démonstrations de preuves archéologiques récentes, qui ne sont guère connues du grand public jusqu’à ce jour. Le commerce de l’ambre balte se repère en Egypte dès l’époque du pharaon Thutmosis III qui, par ailleurs, organisait des caravanes pour aller chercher du lapis-lazuli dans des régions orientales aujourd’hui afghanes. Le petit-fils et successeur de ce pharaon, Thutmosis IV épouse une princesse du Royaume Mitanni (Syrie, Nord de l’Irak), dont on ne connaît guère les composantes ethniques mais où l’on devine une présence indo-européenne, notamment chez les charistes de l’armée. La princesse apporte, dans sa dot, des bijoux faits d’ambre. Ce mariage scelle la paix entre l’Egypte de Thutmosis III, qui, vainqueur, avait consolidé la domination égyptienne sur le Levant. Cette suzeraineté égyptienne permet le développement du port de Byblos (Liban) où arrivait probablement l’ambre et d’où partait le bois de cèdre vers l’Egypte, dont les palmiers n’offraient qu’un bois de plus piètre qualité, inapte à soutenir les constructions pharaoniques.

Les objets d’ambre ne proviennent probablement pas de la voie terrestre occidentale car rien n’indique qu’il y a eu conflits armés ou relations commerciales avec les tribus libyennes vivant à l’ouest des terres du Pharaon. Dans le tombeau du jeune Toutankhamon (-1334, -1324), un grand nombre d’objets faits d’ambre baltique ont été découverts. Ils sont d’une facture telle qu’on peut affirmer qu’ils proviennent de la culture des tumuli, installée, à l’époque, dans la région baltique. L’hypothèse est de dire qu’ils ont été acheminés par étapes sur des voies terrestres de la Baltique à la Grèce, puis, de là, vers les ports du Levant et d’Egypte. Toutankhamon a donc reçu ces objets directement d’Europe du Nord ou par l’intermédiaire des villes du Levant. On émet l’hypothèse que le culte solaire, imposé par Akhenaton, époux de la belle Nefertiti, a une origine nord-européenne, car des objets de culte solaire existaient, dans cette période protohistorique, dans le Nord, comme l’attestent le magnifique char solaire découvert à Trundholm au Danemark et qui date de -1400 avant l’ère chrétienne. Graichen et Hesse écrivent : « Les idées, les représentations, les religions voyageaient sur des milliers de kilomètres, même quand on n’avait pas internet » (p. 225). 

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Mais l’époque des grandes catastrophes, qui ont ruiné tous les empires et royaumes du Levant, de l’Anatolie et de la Grèce, et, pour Spanuth, le royaume insulaire de la Mer du Nord centré autour de l’île d’Heligoland, a eu des répercussions en Allemagne du Nord également. Sur le territoire du Land actuel de Mecklembourg-Poméranie occidentale, les archéologues ont retrouvé les traces d’une bataille et d’un massacre de grande ampleur pour l’époque, qui a sans doute eu pour enjeu l’ambre de la Baltique. On retrouve des colliers de perles d’ambre dans les vallées glacées des cols alpins : ils sont semblables à ceux retrouvés dans les tombeaux des pharaons, des rois mycéniens et des princes de Qatna (Syrie). Les cols alpins ont donc été la voie de passage des vendeurs d’ambre en direction de l’Egypte, de la Grèce et du Levant. Outre les régions alpines, la ville de Halle en Allemagne semble avoir été un dépôt d’ambre à l’époque, de même qu’un centre d’observation astronomique, vu que l’on y a découvert le fameux disque de Nebra, première représentation cartographiée du ciel et des astres. La question que se posent aujourd’hui les archéologues d’Europe centrale est la suivante : que s’est-il passé entre les Alpes et la Baltique, précisément sur les voies d’acheminement de l’ambre vers le Sud, qui amenait le cuivre et l’étain vers le Nord et le sel et l’ambre vers la Méditerranée ?  

Le récit biblique évoque donc, vers la même époque, l’exode des Hébreux vers le Levant. Dans le Nord de l’Europe, un peuple installé dans la zone préalpine s’ébranle, avec femmes, enfants et bétail, vers le Nord, vers les régions baltiques d’où vient l’ambre. Seule l’archéologie récente peut l’affirmer, vu qu’aucune trace écrite ne mentionne cette migration, à l’époque des grandes catastrophes. Cette tribu danubienne et préalpine emporte dans ses bagages de l’étain et, en moindre quantité, de l’or. Dans la vallée de la rivière Tollense, au sud de l’actuelle ville de Greifswald, elle affronte, avec ses armes de bronze, des autochtones qui lui refusaient le passage d’un gué. Une bataille s’ensuivit dont les traces ont été retrouvées, dans la boue du lit de la rivière : des squelettes d’hommes, entre 20 et 40 ans, mutilés, aux crânes défoncés à coups de gourdin, aux colonnes vertébrales broyées, nourris, avant leur mort tragique, de millet provenant des contreforts alpins. Questions : pourquoi cet affrontement, pour quel enjeu ? Pourquoi les cadavres des migrants danubiens vaincus n’ont-ils pas été enterrés ni leurs trésors complètement pillés ? Cette tribu massacrée, en errance, a-t-elle quitté son territoire d’origine suite à une dégradation générale du climat ? Et quelle est la cause de ce changement climatique ? La chute de la météorite dans la Mer du Nord et l’éruption du volcan de Santorin, comme le pense Spanuth ? Ou voulait-elle s’emparer des littoraux d’où venait l’ambre pour ne pas avoir à payer tribut à des intermédiaires et monopoliser à son seul profit ce commerce florissant avec l’Egypte ?

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Bataille de la Tollense: crâne fracassé et armes découvertes sur le site.

Le 17 mars 1991, le musée de Neustrelitz apprend qu’une découverte tout aussi sensationnelle vient d’être faite dans un champ près de la ville : dans une urne de céramique de grande dimension mise à jour par des riverains, on trouve 700 objets de bronze, 180 perles de verre et 20 perles d’ambre de la Baltique. Les perles de verre sont d’origine égyptienne ou proviennent des rives des grands lacs suisses. Les archéologues pensent que l’enfouissement de ce trésor constitue une offrande aux dieux, peut-être pour les apaiser suite aux catastrophes et aux changements climatiques, afin d’être à l’unisson avec le numineux, par une unio magica. Mais outre cette dimension religieuse, la découverte de Neustrelitz prouve désormais bel et bien que l’Europe centrale et septentrionale n’était pas une région arriérée et désolée, repliée sur elle-même mais était en contact avec la Méditerranée, l’Egypte et, partant, le Levant, la Mésopotamie et sans doute les terres afghanes qui fournissaient de l’étain et du lapis-lazuli, ce qui pourrait corroborer l’hypothèse de Zeller que des fragments de tribus, des cadets de famille s’établissaient le long des routes commerciales, jusqu’en Inde sur tout le territoire plus ou moins indo-européanisé entre l’Europe et l’Inde ou le Sinkiang.  

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Objets découverts sur le site de la bataille de la Tollense

En avril 2011, près de Diepholz en Basse-Saxe, un archéologue découvre des objets de bronze, faits de matériaux venus d’Europe balkanique, et des artefacts d’un or en provenance d’Asie centrale. Cette région allemande, plus proche de la Mer du Nord que de la Baltique, était donc en relations commerciales avec des contrées très lointaines à l’Age du Bronze. La manière dont cet or avait été traité indique un savoir-faire très avancé, qu’on ne soupçonnait pas jusqu’ici, dans nos régions. L’Europe centrale et septentrionale était donc branchée sur le monde extérieur par des voies commerciales qui fonctionnaient dans les deux sens, avec des sites-étapes probablement équidistants, le long de lay lines, sans que les destinataires, aux extrémités, ne se rencontrent jamais.

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Or découvert à Diepholz.

En 1994, l’ethnologue Hans-Peter Duerr, spécialiste des religions autochtones sud-américaines et chamaniques, mais spécialiste aussi des traditions rurales de Frise septentrionale (et donc du Schleswig-Holstein), explore, à proximité d’Heligoland, les eaux qui ont englouti le bourg médiéval de Rungholt dans la Wattenmeer, peu profonde, laissant parfois des plages de plus de 5 km de long à marée basse. Il y découvre des objets en provenance des régions méditerranéennes. Ces découvertes amènent les archéologues à s’interroger sur les voies maritimes de l’Age du Bronze entre ce Schleswig-Holstein et les Iles Britanniques, où se trouvent les mines d’étain des Cornouailles. Ils estiment d’ores et déjà qu’une navigation au moins élémentaire se rendait des côtes de cette région nord-frisonne vers l’île d’Heligoland d’où on extrayait le silex rouge. Par ailleurs, ils estiment aussi qu’une navigation fluviale existait, de même qu’un cabotage sur le pourtour de la Mer du Nord.  Les forêts, assez denses, étaient traversées par des chemins praticables, avec passages de bois dans les sites marécageux et renforcements divers à l’aide de madriers. Les hypothèses lancées en 1994 par Duerr permettent aujourd’hui d’avoir une image plus claire sur la préhistoire et la protohistoire de cette région et de lancer de nouvelles recherches sur la Mer du Nord à l’Age du Bronze, qui corroboreront peut-être quelques-unes des thèses de Spanuth.

9780198757894.jpgPour la navigation préhistorique ou protohistorique, plus plausible aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a soixante ou cinquante ans quand Spanuth a entamé ses recherches, on se réfèrera, du moins pour la Manche, les côtes septentrionales et méridionales de l’Armorique et la péninsule ibérique, aux thèses remarquables de l’archéologue britannique Barry Cunliffe qui évoque notamment une navigation océanique/atlantique pour le transport des métaux (or, étain, cuivre), qui aurait commencé dès le cinquième millénaire avant l’ère chrétienne. Si une telle navigation pouvait exister sur les eaux tumultueuses de l’Atlantique, le passage d’embarcations, même rudimentaires, devait être plus facile dans la Mer du Nord, pour accéder au cuivre et à l’étain des Iles Britanniques, amenés, sans doute, par voie fluviale vers les centres préalpins du commerce protohistorique avec le bassin oriental de la Méditerranée. Heligoland, face à l’embouchure de l’Elbe, a pu dès lors jouer un rôle clef et servir de dépôt insulaire, et donc plus sûr, à des richesses en provenance de la frange atlantique, d’une part, et des Balkans, tremplins vers l’Egypte et le Levant, d’autre part. Rappelons aussi que les gravures rupestres protohistoriques de la Scandinavie présentent de nombreux dessins d’embarcations de longueurs diverses.

Revenons en Egypte et au Levant. Après la défaite des Philistins en Egypte et l’exode des Hébreux, ces deux peuples vivent en voisins pendant un siècle ou deux sans se heurter. Les Philistins maîtrisent les techniques navales, équestres et architecturales que les Hébreux de l’époque ne possédaient pas. Et leur transmettront vraisemblablement leur alphabet, dérivé d’un système d’écriture européen. Les Philistins ont donc joué un rôle civilisateur indéniable au Levant. Spanuth précisera ce rôle dans son ouvrage sur les Phéniciens. Ceux-ci maîtriseront finalement une bonne part de la Méditerranée, fonderont Carthage et plusieurs comptoirs en Hispanie préromaine, avant de succomber aux assauts répétés des peuples sémitiques de l’arrière-pays du Levant. 

Mais c’est là une autre histoire, celle de la reconstruction du monde européen et méditerranéen après les catastrophes survenues entre -1250 et -1177 avant l’ère chrétienne. Cette catastrophe, qui est une césure dont nous ne saisissons pas trop bien l’ampleur, est étudiée par le professeur américain Eric H. Cline, qui évoque aussi un réseau protohistorique de commerce international euro-méditerranéen et eurasien, fonctionnant sans trop de heurts et certainement stabilisé après la victoire de Ramses II à Qadesh contre les Hittites. Ce réseau s’est effondré subitement, entre autres motifs à cause des coups portés par les « peuples de la mer » et la tâche de l’archéologie est d’expliquer les raisons de cet effondrement. Spanuth n’a pas voulu faire autre chose. L’avenir nous donnera certainement des explications plus précises sur cette tragédie du monde pré-antique.

Robert Steuckers,

Forest-Flotzenberg, février-avril 2020.

Bibliographie et blogographie :

md30425634170.jpgEric H. Cline, 1177 B.C. – The Year Civilization Collapsed, Princeton University Press, 2014.

Eric H. Cline, https://www.youtube.com/watch?v=bRcu-ysocX4&t=1907s

Barry Cunliffe, Facing the Ocean – The Atlantic and its Peoples, Oxford University Press, 2001-2004.

Barry Cunliffe, Océano – Una hisrtoria de conectividad entre el Mediterràneo y el Atlàntico desde le prehistoria al siglo XVI, Desperta Ferro, Madrid, 2019.

Geneviève Droz, Les mythes platoniciens, Seuil-Points, Paris, 1992 (Cet ouvrage reproduit les textes de Platon, relatifs au mythe de l’Atlantide, extraits du Critias et du Timée).

Gerhard Gadow, Der Atlantis-Streit – Zur meistdiskutierte Sage des Altertums, Fischer, Frankfurt am Main, 1973.

Gisela Graichen / Alexander Hesse, Die Bernsteinstrasse – Verborgene Handelswege zwischen Ostsee und Nil, Rowohlt, Reinbeck bei Hamburg, 2012.

Harald Haarmann, Das Rätsel der Donauzivilisation – Die Entdeckung der ältesten Hochkultur Europas, Beck, München, 2011.

Herodotus, Histories, Wordsworth Classics, 1996.

Othniel Margalith, The Sea People in the Bible, Otto Harrassowitz Verlag, Wiesbaden, 1994.

Ulderico Nistico, Il ritorno degli Eraclidi e la tradizione dorica spartana, Ed. di Ar, Padova, 1978.

K. Sandars, De Zeevolken – Egypte en Voor-Azië bedreigd – 1250-1150 v. C., Fibula/Van Dieshoeck, Haarlem, 1980.

Reinhard Schmoeckel, Die Indo-europäer – Aufbruch aus der Vorgeschichte, Lindenbaum Verlag, Beltheim-Schnellbach, 2012.

Jürgen-Spanuth+Die-Philister-das-unbekannte-Volk-Lehrmeister-und-Widersacher-der-Israeliten.jpgJürgen Spanuth, Die Philister – Das unbekannte Volk – Lehrmeister und Widersacher der Israeliten, Otto Zeller Verlag, Osnabrück, 1980.

Jürgen Spanuth, Die Phönizier – Ein Nordmeervolk im Lebanon, Zeller Verlag, Osnabrück, 1985.

Jürgen Spanuth, Die Rückkehr der Herakliden – Das Erbe der Atlanter - Der Norden als Ursprung der griechischen Kultur, Grabert, Tübingen, 1989.

Jürgen Spanuth, Le secret de l’Atlantide – L’empire englouti de la mer du Nord, Editions d’Heligoland, 2011.

Paul Vaute, Mer du Nord : les invasions toujours recommencées, https://lepassebelge.blog, 7 septembre 2019.

Otto Zeller, Der Ursprung der Buchstabenschrift und das Runenalphabet, Biblio Verlag, Osnabrück, 1977.

Otto Zeller, Am Nabel und im Autrag der Geschichte, Biblio Verlag, Osnabrück, 1985.

 

dimanche, 19 avril 2020

Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

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Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

par Christophe Dolbeau

            Lorsque le 28 février 1960, le très discret Pierre Daye s’est éteint à Buenos-Aires, très peu de Belges se souvenaient probablement de lui. Et pourtant ce Porteño d’adoption avait été l’un des journalistes européens les plus brillants de la première moitié du XXe siècle, ainsi qu’un protagoniste majeur de la vie politique bruxelloise d’avant-guerre. Grand reporter à la façon d’un Albert Londres, d’un Paul Morand ou d’un Henri Béraud, brillant causeur et plaisant conférencier, il avait également été député et avait même occupé des fonctions gouvernementales sous l’Occupation. Effacé de la mémoire collective comme des annales littéraires belges, ce personnage aux multiples facettes mérite amplement, 60 ans après sa disparition, de sortir du purgatoire.

Un globe-trotter

            C’est dans une famille très bourgeoise de Schaerbeek, l’une des communes de Bruxelles, que Pierre Daye vient au monde le 24 juin 1892. Scolarisé chez les pères jésuites du Collège Saint-Michel, il se voit offrir, dès l’enfance, la possibilité de faire plusieurs beaux voyages. À une époque où l’on circule bien moins qu’aujourd’hui, le jeune Pierre découvre Venise (août 1901), la Bretagne et les pistes de ski de Kandersteg (1904). Il assiste même à une audience du Pape Saint Pie X. À 17 ans, il passe des vacances à Tanger (1909) puis intègre l’Institut Saint-Louis où il va suivre deux années de droit. Appelé ensuite sous les drapeaux, il se trouve donc fin prêt, en juillet 1914, pour répondre à la mobilisation générale. Le jeune homme prend part aux batailles de Namur, d’Anvers et de l’Yser, puis son goût pour l’exotisme le conduit à se porter volontaire pour rejoindre, en Afrique, les troupes du général Charles Tombeur (1867-1947). Ces unités (la Force publique congolaise) se battent contre le célèbre général allemand Paul Emil von Lettow-Vorbeck (1870-1964). Mitrailleur, Pierre Daye participe à la prise de Tabora (19 septembre 1916), le principal fait d’armes des bataillons belges. Il consacrera plus tard un livre à cette épopée tropicale (1). Promu officier mais sévèrement atteint par la malaria, il est alors rapatrié en Europe. Au terme de sa convalescence, le conflit n’est pas achevé, ce qui lui vaut d’effectuer encore une dernière mission, nettement moins périlleuse celle-là : assurer, à Washington, la promotion de la Belgique, en qualité d’attaché militaire adjoint. C’est à ce titre qu’il est reçu, en décembre 1918, par le président cubain García Menocal (1866-1941). De son séjour américain, il tirera matière à un livre, Sam ou le voyage dans l’optimiste Amérique, qui paraîtra en 1922.

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Pierre Daye, officier de la "Force publique" congolaise.

            Rendu à la vie civile en 1919, Pierre Daye s’intéresse dès lors aux joutes politiques. Membre de la Ligue de la Renaissance nationale, où il côtoie Pierre Nothomb (2), l’aviateur Edmond Thieffry (3) et le peintre Delville (4), il en est candidat suppléant lors des élections de novembre 1919. On le trouve ensuite au Comité de politique nationale, un groupe qui milite, sous la houlette de Pierre Nothomb, pour « la plus grande Belgique », et il collabore à l’hebdomadaire La Politique (1921). Très sédentaire, cette activité n’est toutefois pas à même de le retenir bien longtemps car, au fond, sa véritable passion, ce sont les voyages. Dès 1922, il embarque donc sur l’Élisabethville et repart pour l’Afrique : durant plusieurs mois, il sillonne le Congo, en voiture, en train, à pied ou en « typoï » (chaise à porteurs), et navigue sur le lac Tanganyika. Puis, avant de rentrer en métropole, il fait un crochet par l’Union sud-africaine où il s’entretient avec le Premier ministre Jan Smuts.

9200000102951244.jpgEmbauché comme reporter par le grand quotidien Le Soir, il va désormais multiplier les expéditions les plus lointaines et les entrevues exclusives. En une quinzaine d’années, ses pérégrinations vont l’emmener aux quatre coins de l’univers et lui permettre de rencontrer un nombre incroyable de personnalités de premier plan. Après le Congo (où il retournera plusieurs fois), Pierre Daye visite ainsi le Maroc, où il s’entretient avec le sultan Moulay Youssef (1881-1927), les Balkans, où il est reçu par le Premier ministre bulgare Alexandre Tsankov (1879-1959), et l’Argentine, où il se rend, en 1925, en faisant le subrécargue sur un modeste cargo. Après Buenos-Aires, où il se lie avec l’écrivain nationaliste Leopoldo Lugones (1874-1938), il traverse la Cordillière des Andes et découvre le Chili, puis se rend en Uruguay et au Brésil. En 1926, il est à Moscou, approche Léon Trotsky, Leonid Krassine (5) et Maxime Litvinov (6), puis passe par la Pologne et s’y entretient avec Sikorski (7), avant de regagner Bruxelles pour y faire rapport au roi Albert Ier. D’autres expéditions le conduisent en Angola, en Nubie mais aussi au Maroc espagnol, où il rencontre le général Primo de Rivera, et en Asie qu’il visite en qualité de chargé de mission. Après une escale à Ceylan, il passe par les Indes britanniques, la Malaisie, Sumatra, le Japon, la Chine et la Mandchourie. Dans l’Empire du Milieu, il va voir les tombes des Mings, rencontre Pou-yi (8) et obtient une entrevue avec le président Tchang Tso-lin (9). D’une curiosité insatiable, Pierre Daye effectue ensuite un tour du monde par les îles, périple original qui le conduit au Cap Vert, aux Antilles, à Panama, à Tahiti, aux îles Fidji, aux Nouvelles-Hébrides, en Nouvelle-Calédonie, en Australie et à Java. Il va sans dire que toutes ces étapes donnent naissance à autant d’articles ou de livres captivants (10). Notre impénitent voyageur connaît également bien Constantinople et le Moyen-Orient. Passé par la Syrie, la Palestine et Jérusalem, il séjourne assez longuement en Égypte (1931), ce qui lui permet de visiter Memphis (avec le peintre Herman Richir), Thèbes, Abou Simbel et le temple d’Edfou.

vie-et-mort-d-albert-ier-1.jpgAjoutons encore à la liste de ses voyages mémorables, la traversée de la Sibérie par 30° au-dessous de zéro, et un séjour en Perse qui lui offre l’occasion de converser avec Reza Chah Pahlavi. Son goût affirmé pour les contrées lointaines ne l’empêche pas d’apprécier aussi les découvertes européennes. Angleterre, Portugal, Italie, Autriche, Hongrie et pays scandinaves n’ont guère de secrets pour lui ; en août 1932, il est même en Lituanie, à Nida, où l’a invité Thomas Mann, tandis qu’en 1935, il visite les Pays-Bas et l’Allemagne en compagnie de Pierre Gaxotte. À Berlin, les deux hommes auront l’occasion d’échanger quelques propos avec Ribbentrop et Otto Abetz. Aventurier dans l’âme, Pierre Daye ne se contente pas de flâner nonchalamment mais il n’hésite pas, le cas échéant, à se rendre sur le théâtre de certains conflits : on le verra par exemple, en pleine guerre civile espagnole, faire la tournée des lignes de front avec Gaxotte et José Félix de Lequerica (11).

Un homme du monde

            Chroniqueur réputé et homme du monde, Pierre Daye est également un habitué des dîners en ville où ses commensaux sont généralement des personnes de qualité. On l’apercevra ainsi à la table du maréchal Joffre ou à celle de Raymond Poincaré. Ami de Pierre Gaxotte (qui le fera bientôt entrer à Je suis partout), il est également lié au poète Éric de Haulleville, à Pierre Drieu la Rochelle, Maurice Mæterlinck et Georges Remi (Hergé). Sa popularité de journaliste et ses talents de causeur en font par ailleurs l’un des hôtes les plus réguliers des salons à la mode de la capitale belge. Membre assidu du très chic Cercle Gaulois, que fréquentent André Tardieu, Paul Claudel ou Pierre Benoit, il est aussi l’un des convives attitrés des dîners que donne Isabelle Errera (Goldschmidt), des soirées de prestige qu’organise Madame Jules Destrée, ou encore des réunions qu’orchestre la belle Lucienne Didier (Bauwens). Très éclectiques, ces rendez-vous accueillent aussi bien des notables de gauche, comme Henri De Man (12) et Paul-Henri Spaak (13), que des intellectuels de droite, comme Louis Carette (le futur Félicien Marceau), Brasillach, Montherlant et Fabre-Luce, ou des penseurs indépendants, comme Emmanuel Mounier (14). Dans les années 1930, il n’est pas excessif de dire que Daye est un homme arrivé. Un peu sarcastique, Jean-Léo le présente ainsi : « Grand bourgeois catholique, un peu précieux, toujours habillé avec recherche (sauf quand il pratique le nudisme), il affectionne les cravates club et ne fume que des ‘Abdalla’ à bout doré » (15). « Gentleman globe-trotter », précise-t-il encore, « habitué des sleepings, des paquebots, des palaces et des restaurants quatre étoiles (…) il est un peu boudé par la bonne société qui lui reproche ‘des mœurs dissolues’ (L’expression, à une époque où l’on ne s’éclate pas encore dans les Gay pride, désigne son homosexualité que Marcel Antoine, dans ses caricatures, suggère en le représentant jouant du bilboquet » (16). Confirmant ce portrait, l’historien Jean-Michel Etienne ajoute que l’homme est sans conteste intelligent et bon connaisseur des milieux diplomatiques belges et étrangers (17).

Disons aussi que si Pierre Daye est effectivement familier de la haute société, il ne succombe jamais à ce miroir aux alouettes qu’il observe un peu comme une sorte d’entomologiste. Parlant des « gens du monde », voici d’ailleurs ce qu’il en dit : « … vains, souvent paresseux, certains ont pour excuse sinon leur fortune, tout au moins leur culture ou leur goût, qui sont parfois réels. Snobs, comme on dit, ils se nourrissent néanmoins d’idées toutes faites, à condition qu’elles soient à la mode (…) On trouve chez eux, souvent, de l’élégance extérieure, du brillant, du charme, ce que l’on a appelé la douceur de vivre, et parfois du comique involontaire. C’est pourquoi je les ai beaucoup fréquentés, et ils m’ont beaucoup amusé. À condition de les juger pour ce qu’ils sont et de ne rien leur demander, les gens du monde apparaissent d’un utile et agréable commerce pour un célibataire qui se pique d’être en même temps un observateur professionnel » (18)

           rubens-28.jpg Au demeurant, il serait injuste et inexact de ne voir en Pierre Daye qu’un voyageur nanti et un mondain frivole : il s’agit aussi et surtout d’un écrivain talentueux dont les nombreux livres se vendent très bien. Auteur de multiples récits de voyage (19), il a également consacré plusieurs ouvrages aux souverains belges (20), ainsi que plusieurs essais à l’Afrique (21). Dans la première partie de sa vie, il a, en revanche, peu abordé la politique dans ses livres, et lorsqu’il l’a fait, ce fut plutôt sous l’angle de la politique étrangère (22). Il s’est par ailleurs peu intéressé à la fiction, sinon sous la forme de quelques nouvelles et contes. L’un de ceux-ci, Daïnah, la métisse (1932), sera même adapté au cinéma par Jean Grémillon (avec Charles Vanel dans l’un des rôles principaux).

Député rexiste

            Dans les années 1930, la politique, qu’il avait autrefois délaissée au profit des voyages, l’attire de nouveau. Secrétaire du socialiste Jules Destrée, Daye se refuse toutefois à rallier le Parti Ouvrier Belge (POB). En fait, il se range parmi les conservateurs « éclairés » : membre (depuis 1926) de l’Union paneuropéenne, il se montre sensible aux questions sociales, mais à la façon des catholiques, et reste très fidèle au roi comme à l’unité nationale. Partisan de la colonisation et hostile à une émancipation rapide du Congo, il n’est cependant absolument pas raciste et ne témoigne d’aucune hostilité de principe à l’égard des Noirs. Dès 1921 et dans un article consacré au mouvement « pan-nègre » (23), il souligne qu’ « il serait vain de croire que la suprématie de la race blanche pourra se maintenir intacte », proclame que « les préjugés de race sont absurdes » et s’affirme partisan « des généreuses idées de collaboration des races ». À propos des Africains, il déclare : « Nous sommes les premiers à vouloir que le sort de la race noire soit amélioré ; que là où des abus existent, ils soient redressés ; que l’on s’occupe de l’éducation, de la formation intellectuelle et – par après – de la liberté des nègres. Mais il faut procéder avec ordre ». Car, ajoute-t-il, « il nous faut veiller à ce qu’au nom de principes sentimentaux, on n’aille pas saper notre autorité en Afrique ». Si nous insistons quelque peu sur ces opinions, disons paternalistes, de Pierre Daye, c’est afin de mieux souligner toute l’absurdité qu’il y a à le qualifier de « nazi » comme d’aucuns le feront un jour…

            image-original.jpgDésireux de descendre dans l’arène pour y défendre ses idées catholiques, sociales et nationales, Pierre Daye découvre en 1935 le nouveau phénomène politique qu’est Léon Degrelle. Le 24 janvier, il le voit, pour la première fois, à Louvain où le jeune orateur l’impressionne beaucoup. « J’attendais depuis plusieurs années », racontera-t-il, « que se manifestât dans mon pays un effet de ce grand mouvement européen dont j’avais découvert en tant de nations les signes tangibles » (24). Séduit, l’écrivain n’est pas long à rejoindre les rangs de Rex où il siège d’emblée au Conseil politique (mais pas au Bureau exécutif). Aux élections du 24 mai 1936, le mouvement, qui a le vent en poupe, obtient du premier coup 33 élus (21 députés et 12 sénateurs). « Nous étions partis, nous pouvons bien le dire », se souvient-il, « sans aucun moyen ; nous n’avions pas d’argent, aucune expérience, très peu d’hommes, pas de journaux. Mais nous avions la foi. Et la jeunesse aussi… » (25). Et le 27 mai, dans les colonnes du Pays réel, le nouveau député bruxellois se montre plus laudatif encore, affirmant entre autres que « Léon Degrelle est devenu l’interprète de tout ce qui, dans la nation, est jeune, vivant, audacieux, tourné vers l’avenir » (26). L’Assemblée que découvre Pierre Daye n’a rien de bien attrayant : selon lui, « les trucs, les combinaisons, l’intérêt personnel, la stérilité, la suffisance, la vulgarité, tels étaient quelques-uns des traits que révélait l’examen de l’institution parlementaire » (27). Il semble néanmoins tout à fait décidé à jouer le jeu et à faire sérieusement son travail de député. Placé à la tête du groupe parlementaire, il s’efforce donc, en premier lieu, de discipliner ses collègues rexistes qui font souvent preuve d’une nonchalance et d’un amateurisme consternants. Auteur d’un projet de loi réduisant la durée du service militaire, il s’exprime aussi au sein de la Commission des Colonies et de celle des Affaires Étrangères où il plaide fougueusement pour l’Espagne nationaliste. Assez proche du chef, il est souvent associé aux grandes manœuvres de ce dernier. En septembre 1936, par exemple, il est aux côtés de Degrelle lorsque celui-ci est reçu par Hitler (invité par Rudolf Hess, il profite du déplacement pour assister au 8e congrès de Nuremberg). C’est par ailleurs autour de la table de Pierre Daye que se nouent certains contacts discrets entre des gens comme Gustave Sap (28), Hendrik Borginon (29), Gérard Romsée (30), Joris van Severen (31), Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (32), et Léon Degrelle. Plus tard, et au grand dam du Quai d’Orsay, il demandera la dénonciation de l’accord militaire franco-belge, ainsi que des accords de Locarno (33).

            3021089-gf.jpgDévoué mais exigeant, Pierre Daye va vite se lasser des carences profondes du groupe parlementaire rexiste dont il abandonne d’ailleurs la présidence dès juin 1937. Cela ne l’empêche cependant pas de continuer son travail à la Chambre. Dans le même temps, il poursuit son activité de chroniqueur et d’essayiste. En octobre 1936, il joue un rôle clef dans la parution d’un numéro spécial de Je suis partout entièrement consacré à Rex, avec une « Lettre aux Français » de Léon Degrelle et des articles de Serge Doring, Carlos Leruitte et Lucien Rebatet [La même année, Robert Brasillach fait paraître Léon Degrelle et l’avenir de Rex (Plon) et l’année suivante (3 novembre 1937), il dédiera toute une page de Je suis partout au mouvement belge]. Régulièrement présent dans les colonnes de l’hebdomadaire parisien, Pierre Daye signe également, en 1937, un livre sur Léon Degrelle et le rexisme (Fayard), suivi en 1938 d’une Petite histoire parlementaire belge. Malgré cet engagement sans faille, les erreurs répétées de Rex et de son chef finissent toutefois par user sa patience. Ce désenchantement le conduit même, en 1939, à refuser de se représenter aux élections et à quitter le mouvement. Le 10 mars, il prend donc définitivement congé du groupe parlementaire et se tourne dès lors vers le parti catholique où il a conservé nombre d’amis. Il s’en va, certes, mais demeure en excellents termes avec Degrelle, ce que la suite des événements ne va pas tarder à démontrer.

La catastrophe de 1940

            À nouveau libre de ses initiatives et très hostile à l’idée d’un nouveau conflit avec l’Allemagne, Pierre Daye s’associe, le 23 septembre 1939, au manifeste des intellectuels (34) « pour la neutralité belge, contre l’éternisation de la guerre européenne et pour la défense des valeurs de l’esprit ». Le texte paraît le 29 septembre dans la Revue catholique des idées et des faits, puis dans Cassandre, le Pays réel, les Cahiers franco-allemands, et ses treize signataires se voient aussitôt interdire l’accès au territoire français. En décembre, Daye rejoint Robert Poulet, Hergé, Gaston Derijcke (Claude Elsen) et Raymond De Becker, au nouvel hebdomadaire L’Ouest qui se veut le prolongement du manifeste. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne étant entrées en guerre le 3 septembre, la situation devient dès lors chaotique en Belgique où partis politiques et ministres ne parviennent pas à faire des choix clairs et consensuels.

            Et puis survient soudain le cataclysme, avec l’attaque allemande du 10 mai 1940 et la débandade quasi immédiate du gouvernement belge. Avant de filer vers Paris, Poitiers, Limoges ou Vichy, les autorités ont tout de même fait appréhender tous ceux qu’elles soupçonnent – à tort le plus souvent – d’appartenir à la cinquième colonne. Averti de l’arrestation de nombre de ses amis mais épargné par la première rafle, Pierre Daye juge dès lors prudent de s’éloigner au plus vite de Bruxelles. Accompagné de son neveu, Jacques Lesigne, il part donc, le 12 mai, pour La Panne, dans le but de trouver asile en France. Refoulé car il ne possède pas les visas nécessaires, il parvient cependant, le 14 mai, à franchir la frontière à Poperinghe et à filer vers Eu. Après une étape de cinq jours à Lisieux, il reprend la route, le 20 mai, traverse Nantes et atteint La Rochelle où son ami Pierre Bonardi (35) lui offre le vivre et le couvert. Le 24 mai, il pousse encore jusqu’à la périphérie de Bordeaux, laisse son neveu à Libourne, puis rebrousse chemin et regagne La Rochelle où les Bonardi le dirigent vers l’île de Ré où ils possèdent un moulin.

8065721862.jpgDaye va donc séjourner plusieurs semaines à Saint-Clément-des-Baleines. Loin des combats, il fait de la bicyclette, se balade avec Henri Béraud et aperçoit de temps en temps Suzy Solidor ou le peintre Paul Colin. Cette paisible villégiature s’achève toutefois vers la fin juin car avec l’armistice, le journaliste souhaite désormais rentrer chez lui. Le 8 juillet 1940, il remonte donc sur Paris, s’y arrête le temps de voir Jean Chiappe, puis regagne Bruxelles. Informé du massacre d’Abbeville (36) et du décès de Léon Degrelle, le journaliste ne tarde pas à réapparaître à Paris où l’ambassadeur Abetz, une vieille connaissance, lui apprend incidemment que Degrelle n’est absolument pas mort, mais probablement interné dans un camp du sud de la France. En dépit des divergences politiques qui ont pu opposer les deux hommes, Daye estime alors de son devoir de se porter au secours du chef de Rex et part aussitôt à sa recherche. Accompagné de Jacques Crokaert et Carl Doutreligne, il file à Vichy, rencontre Adrien Marquet mais aussi plusieurs ministres belges en déréliction… L’administration française n’ayant pas mis longtemps à localiser Degrelle qui se trouve dans l’Ariège, au camp du Vernet, le trio de sauveteurs (« mes trois mousquetaires » dira Degrelle dans La cohue de 40) s’empresse de reprendre la route. Quelques heures plus tard, ils sont à Carcassonne où ils retrouvent enfin Léon Degrelle, « sale, amaigri, méconnaissable » (37), ainsi que l’ex-député rexiste Gustave Wyns.

Au cœur des intrigues

            La petite troupe ne s’attarde pas dans l’Aude et remonte aussitôt vers Paris où une brève escale permet à Degrelle de remercier Abetz et de s’entretenir avec Fernand de Brinon. De retour à Bruxelles le 30 août, Pierre Daye reçoit bientôt la visite du comte Robert Capelle auquel il relate la triste épopée de Degrelle. À cette occasion, le secrétaire du roi lui fait part de la position circonspecte et réservée du souverain, et lui conseille de collaborer à la presse. « Le patriotisme », énonce-t-il, « commande que les patriotes s’emparent des journaux, au lieu de les laisser à d’autres » (38). Là-dessus, Daye effectue un nouveau séjour à Paris, sa terre d’élection. Le 7 août 1940, il présente Degrelle à Pierre Laval, puis déjeune avec Bertrand de Jouvenel, et dîne un soir avec Abetz, Degrelle et Henri de Man. Le 12 août, enfin, il est chez le comte de Beaumont où il passe la soirée en compagnie de Pierre Drieu la Rochelle, avant de regagner Bruxelles.

R200016998.jpgLoin d’être le pestiféré qu’il deviendra bientôt, Pierre Daye conserve en cette époque troublée de nombreuses relations mondaines : il organise, chez lui, une rencontre entre le comte Capelle et le chef de Rex, dîne avec les frères Heymans (dont l’un, Corneille, est prix Nobel) et séjourne au Zoute, chez le banquier Wauters. Invité chez le vicomte Jacques Duvignon, ancien ambassadeur à Berlin, il revoit également Mme Destrée et Robert Poulet, tandis que lors d’un enième séjour à Paris, il croise Alphonse de Chateaubriant (qui l’accueille dans les locaux de La Gerbe), Bernard Grasset, l’historien Pierre Bessand-Massenet et Stanislas de la Rochefoucauld. Si, en dépit des circonstances, Pierre Daye est quelqu’un qui demeure attaché aux petits plaisirs de la vie et aux relations sociales, il serait erroné de ne voir en lui qu’un second couteau falot et superficiel. En fait, il sert de passerelle entre beaucoup d’acteurs importants du jeu politico-diplomatique et maintient notamment d’étroits contacts avec les proches du roi. En relation avec les secrétaires du souverain, il voit aussi, très régulièrement, les anciens ministres Maurice Lippens et Henri De Man, ainsi que le général Van Overstræten, aide-de-camp de Léopold III. Pour le palais royal, Daye est donc une précieuse source de renseignements : « Je servis bien souvent d’informateur au souverain », écrit-il, « et le bloc-notes en main, le comte Capelle prenait des indications ‘pour sa Majesté’ durant la plupart de nos entretiens » (39). Il facilite par ailleurs certains contacts improbables comme cette entrevue, chez lui, le 22 mai 1943, entre Capelle et l’abbé Louis Fierens, l’aumônier (non rexiste) de la Légion Wallonie… Aucun reproche, explicite ou implicite, ne lui ayant jamais été exprimé, le journaliste s’étonnera plus tard des accusations de félonie formulées à son encontre : « Pouvais-je n’être pas convaincu », demande-t-il dans ses mémoires, « après tous mes rapports plus ou moins directs avec lui (le roi), par l’intermédiaire de son entourage, que ma conduite était approuvée ? Ou que tout au moins, elle n’était pas blamée ? » (40). Et pour être encore plus clair, il ajoute : « Si des ‘collaborationnistes’ sincères se trompaient, Léopold III aurait dû les avertir, ou les faire avertir, même au risque de déplaire aux Allemands » (41).

Engagé mais avec raison

            Il faut dire que conformément aux conseils de Capelle, Pierre Daye s’engage assez nettement dans la « politique de présence » en rejoignant, à l’automne 1940, la rédaction du Nouveau Journal que lance Paul Colin, son ancien condisciple de l’Institut Saint-Louis. Déjà patron de l’hebdomadaire Cassandre, ce dernier est, selon Jean-Léo, un véritable « Frégoli polygraphe, merveilleusement à l’aise une plume à la main » (42). Rescapé du camp du Vernet, il a réuni autour de lui une équipe brillante où figurent entre autres Robert Poulet, le rédacteur en chef, Nicolas Barthélémy, Guido Eeckels, Paul Herten, Joseph Jumeau (alias Pierre Hubermont) et Paul Werrie (43). Son quotidien revendique « un esprit nouveau » et veut « montrer aux Belges que leur pays doit réclamer et prendre sa place dans l’économie continentale à l’érection de laquelle le Reich allemand – c’est un fait – consacre aujourd’hui une grande partie de son effort » (44). Partisan d’une collaboration digne et relativement modérée, il s’agit néanmoins, aux yeux des résistants et des Belges de Londres, d’un journal « emboché ».

Daye-Pierre.jpgChargé de la rubrique de politique étrangère, Pierre Daye en sera l’un des principaux chroniqueurs jusqu’en avril 1943. Le Nouveau Journal n’est pas le seul organe de presse à accueillir sa prose puisque l’on trouve également sa signature dans Junges Europa, Das Neue Europa, Europäische Revue, Signal, Actu, le Petit Parisien, Je suis partout, et qu’il s’exprime de temps à autres au micro de Radio-Bruxelles. Quoique très dense, cette activité journalistique ne l’empêche pas de publier aussi quelques nouveaux livres. En 1941, il fait ainsi paraître un essai politique, Guerre et révolution, lettre d’un Belge à un ami français, suivi d’un Rubens, puis de Par le monde qui change, un ouvrage où il évoque quelques-uns des pays qu’il a visités, décerne au passage quelques compliments au Reich pour avoir encouragé la jeunesse et amélioré la race, et décrit Adolf Hitler comme « un homme simple, très différend des hobereaux allemands d’autrefois » (45). Si l’homme de lettres ne fait pas mystère de ses sympathies, il s’abstient toutefois de franchir certaines limites : il garde notamment ses distances avec la Légion Wallonie et fait même publiquement savoir qu’il n’est jamais intervenu en sa faveur auprès du palais royal. Il admire, dit-il, le courage des volontaires mais ne comprend pas vraiment leur démarche. Très attaché à l’unité et à l’intégrité de la Belgique comme à la personne du roi, il prend grand soin de ne jamais cautionner une autre ligne que celle-là. Hostile à la persécution des Juifs comme à tout démembrement du royaume, Pierre Daye considère globalement les affaires politiques d’un œil sévère : « Trop de gens aux dents longues, trop de bonshommes intéressés. Trop de tripotages. Trop de fortunes aussi gigantesques que rapides » (46). Désireux de voir la Belgique se réorganiser sur un schéma centralisateur, monarchique et corporatif, il regroupe autour de lui un « Bureau politique », auquel prennent part  ses amis Gustave Wyns et Jacques Crokaert, puis s’associe, en mai 1941, à la tentative de créer un Parti des Provinces Romanes. Ce dernier doit soutenir l’Ordre Nouveau européen, protéger la race et favoriser la fondation d’un État autoritaire, corporatif et chrétien (47). Le projet fera long feu car le 5 août 1941, les autorités allemandes y opposent leur veto. Autre geste politique de Pierre Daye : le 1er février 1943, il adhère à la Société Européenne des Écrivains (48) et plus précisément à l’une de ses deux sections belges, la Communauté Culturelle Wallonne (49). Cet engagement sans détour ne fait cependant pas de lui un fanatique ou un ultra, et c’est assez souvent, il faut le dire, qu’il intervient en faveur de certains Israélites ou de résistants (dont le communiste  Albert Marteaux et le socialiste Victor Larock).

            DSC08139.JPGLa guerre n’a pas émoussé le goût pour les voyages de Pierre Daye qui continue, dans la mesure où les événements le permettent, à se déplacer en Europe. Début 1942, il est par exemple au Portugal, puis en août en Hongrie, et séjourne, en fin d’année, à Rome. Dans la ville éternelle, il renoue avec de vieux amis, comme la duchesse de Villarosa ou le sénateur Aldobrandini Rangoni, tous très anglophiles, et s’entretient, le 10 janvier 1943, avec le prince Umberto. Quatre jours auparavant, il a pu être reçu par le Souverain Pontife, ce qui revêt pour lui une importance toute particulière. Grâce à un proche du Pape, le père jésuite Tacchi-Venturi, il a en effet obtenu de voir brièvement Sa Sainteté Pie XII qui l’a interrogé sur la situation belge et lui a donné sa bénédiction. « Ce qui m’avait le plus ému durant cette entrevue », rapporte-t-il, « c’est la grande allure du Saint-Père, son air de seigneur, la beauté de son visage ascétique et blême, avec ses yeux d’un noir brillant, sa longue bouche volontaire, son nez en bec d’aigle, la noblesse de ses gestes » (50). Peu de temps après cette promenade italienne, en février-mars 1943, Pierre Daye se rend à Madrid. N’étant inféodé à aucune faction politique, il profite de ce passage dans un pays non-belligérant pour adresser, de son propre chef, un courrier à Paul van Zeeland : « Il faut souhaiter », lui écrit-il, « que des éléments provenant des deux clans entre lesquels se divise aujourd’hui la Belgique, celui des “gens de Londres“ et celui de ceux que vous appelez, je crois, les “collaborationnistes“ (je suis pour ma part convaincu que tous deux comptent des patriotes sincères) puissent bientôt, à l’issue des hostilités, se comprendre et collaborer, autour du Roi, dans l’intérêt même de notre pays » (51). Par le biais de l’armateur Pierre Grisar, il envoie une missive du même genre à Hubert Pierlot, le chef du gouvernement belge en exil. Faut-il préciser qu’il n’obtiendra aucune réponse…

Face à l’orage

            La destination préférée de Pierre Daye reste la France où le Belge a ses habitudes depuis des lustres et où il compte de nombreux amis. À Paris, il rencontre bien sûr les gens de Je suis partout : Lucien Rebatet (« bouillant, grinçant, belliqueux, rageur »), Brasillach, Lesca (« serein, définitif et magnifique »), Georges Blond, Pierre-Antoine Cousteau, Claude Jeantet et Alain Laubreaux (« féroce, débordant d’esprit, d’érudition théâtrale »). À La Gerbe, il rend visite à Alphonse de Chateaubriant qu’il invitera bientôt à Bruxelles. Toujours friand de distractions, il retrouve aussi son complice Carl Doutreligne et dîne parfois avec lui chez Maxim’s où les deux compères coudoient Cécile Sorel et Maurice Chevalier, mais aussi Fernand de Brinon, Alice Cocéa, Serge Lifar et l’ambassadeur Scapini. Sans parler de quelques Belges comme les barons Jean Empain et de Becker-Remy… Doué pour les croquis, Pierre Daye en parsème les articles qu’il donne alors au Nouveau Journal et au Petit Parisien. On y voit défiler Fernand de Brinon, « la taille moyenne, le profil aquilin, la voix un peu haute », Pierre Laval, « l’œil plein d’ironie » et presque « asiatique », Jean Chiappe, avec « ses souliers vernis à tiges de drap mastic et ses hauts talons, son melon un peu penché sur l’oreille, sa canne à bague d’or », ou encore Robert Brasillach, « le regard toujours ingénu derrière ses grosses lunettes à monture d’écaille ». De cette galerie, le chroniqueur n’omet pas le maréchal, « figure ferme, au teint mat et sain », ni Jacques Doriot, « grand, de visage plus martelé que sur les photos, agile, quoique puissant (…), l’œil très noir derrière les verres ronds, le geste sobre » (52).

MLA 11826.jpgPrésent dans les gazettes, Pierre Daye l’est tout autant aux devantures des librairies : en 1942, il fait paraître deux essais politiques (L ‘Europe aux Européens et Trente-deux mois chez les députés), puis en 1943, un texte sur l’Afrique (Problèmes congolais), et en 1944, un recueil de contes (D’ombre et de lumière). À compter de 1943, son engagement se concrétise aussi par son accession à un poste officiel dans l’administration belge. Sur recommandation du Flamand Gérard Romsée, il est en effet nommé, le 25 juin 1943, au poste un peu inattendu de … commissaire général à l’Éducation Physique et aux Sports. En soi, il s’agit d’une fonction peu compromettante et qui fournit à son titulaire d’excellentes justifications pour voyager. Reste qu’elle fait de Pierre Daye un fonctionnaire officiel de la collaboration, ce qui peut se révéler extrêmement dangereux. De fait, loin d’aller vers l’apaisement qu’il souhaitait, la situation se dégrade et les rivalités belges se muent désormais en sanglants règlements de compte. « Les hitlériens de nationalité belge [sont] plus abjects encore que leurs maîtres allemands », proclame un journal clandestin communiste. « Cette vermine immonde doit être écrasée (…) Les Partisans belges se sont juré de liquider ces bêtes puantes » (53) L’année 1942 est ponctuée d’au moins 67 attentats et l’année 1943 connaît une recrudescence vertigineuse des actes violents, au point que le chef de l’administration allemande, Eggert Reeder, parle carrément d’une vague de meurtres ou Mordwelle. « Dans la rue et les campagnes, surtout à partir de 1943 », écrit une historienne belge, « règne une atmosphère de guerre civile : rexistes et nationalistes flamands, ainsi que les membres de leurs familles, sont abattus, sans autre forme de procès, sans distinction d’âge ou de sexe » (54).

            Le 14 avril 1943, Paul Colin, le patron et l’ami de Pierre Daye, est abattu dans sa librairie. L’un de ses employés, Gaston Bekeman, tombe sous les balles du même assassin. Le meurtrier, Arnaud Fraiteur, un étudiant de 22 ans (55), et ses deux complices, André Bertulot et Maurice Raskin, seront condamnés à mort et pendus. « Paul Colin », écrit Pierre Daye, « n’était pas seulement le premier critique d’art de Belgique (…) l’auteur de tant d’essais littéraires, artistiques, politiques, l’historien profond des ducs de Bourgogne, l’éditeur, le directeur du Nouveau Journal et de Cassandre, le chroniqueur et le pamphlétaire, le fondateur et le président de l’Association des journalistes belges, mais un amateur éclairé, un homme de goût et surtout un être terriblement intelligent, un des plus intelligents que j’ai rencontrés dans cette partie agitée de ma carrière » (56) « Il était détesté, naturellement », ajoute-t-il, « car il haïssait la médiocrité et ne se privait pas de le montrer, avec une verve, un éclat terribles. Il avait la dent dure et adorait se faire des ennemis » (57).

Pierre Daye Feuillets bleus 1931.jpgProfondément choqué par le déferlement de violence auquel il assiste, Pierre Daye en juge sévèrement les inspirateurs : « Il fallait », constate-t-il amèrement, « par la provocation, empoisonner une atmosphère trop paisible, donc trop favorable à l’occupant. Il fallait susciter des vengeances, allumer l’esprit de représailles » (58). Et confronté à cet engrenage fatal (59), il en décrit tristement le mécanisme : « De braves gens, mûs uniquement par le sentiment patriotique, ne se doutaient point du vrai rôle qu’on leur faisait ainsi jouer. Et des canailles trouvaient, en se glissant parmi eux, le moyen de commettre les plus bas crimes (…) Se sentant sans protection, d’autres braves gens, de l’autre idéologie, se dirent alors qu’il fallait se défendre soi-même ; non pas se venger, mais si l’on voulait vivre, répondre à la terreur par la terreur » (60).

            Sa charge administrative facilitant les déplacements, Pierre Daye ne se prive pas de revenir en France autant qu’il le souhaite. Le 29 novembre 1943, il est à Vichy où il déjeune avec Pierre Laval, « la mèche napoléonienne sur la lippe fatiguée (…) Ironique, sans illusion, finaud » (61). Le soir, il dîne au Chantecler avec Stanislas de la Rochefoucauld, l’ambassadeur Gaston Bergery (« toujours l’air d’un jeune père jésuite, sec, précis et désabusé, strictement vêtu de drap sombre ») et son épouse, Bettina Jones, ancienne égérie de Schiaparelli. Au retour, le Belge s’arrête bien sûr à Paris où il rend visite à Drieu, avenue de Breteuil. « Il m’effraye », note-t-il, « par sa lucidité triste : la guerre, la décadence des possédants, la lourdeur des Allemands, l’incompréhension des femmes, le préoccupent. Son scepticisme me désespère et me séduit à la fois » (62). De retour chez lui, avenue de Tervueren, à Etterbeek, Pierre Daye n’est pas rasséréné par l’atmosphère ambiante. Les attentats se multiplient et les positions des uns et des autres se crispent jusqu’à l’absurde. Même les nuits ne laissent désormais plus aucun répit : « Qui n’a pas connu », raconte-t-il, « l’angoisse causée par des centaines d’avions passant sur les têtes, tandis que roulait à travers les nuages un bruit sourd, dominant tous les autres, et la sensation de la mort qui pouvait vous atteindre à chaque seconde, alors que l’on se sentait accablé d’impuissance, hors de toute possibilité de fuite ou de recours quelconque, ne sait pas ce que furent pour les nerfs ces heures démoralisantes » (63).

Loin des épurateurs

            Dans ces conditions, et compte tenu de l’avenir immédiat de la Belgique tel qu’il l’anticipe, Daye songe de plus en plus à mettre quelque distance entre les futurs libérateurs du royaume et lui-même. En mai 1944, l’occasion s’offre à lui d’effectuer une tournée officielle en Espagne en qualité de commissaire aux sports, déplacement qui possède l’immense avantage de le mettre à l’abri des pistoleros du Front de l’Indépendance, comme des bombes de la RAF et de l’US Air Force. Le 19 mai, le quotidien madrilène ABC rapporte que le Belge a donné une conférence de presse dans la capitale ibérique, et quant à l’intéressé lui-même, il signale qu’il passe ensuite quelques jours à Barcelone afin de s’entretenir avec le général Moscardo (1878-1956), délégué national aux sports. Peu pressé de rentrer en Belgique, Pierre Daye se trouve encore à Madrid le 6 juin lorsque tombe la nouvelle du débarquement allié en Normandie. Ses supérieurs le pressent de rentrer au pays, mais l’écrivain n’en a cure : « J’étais venu librement comme les autres fois », commente-t-il. « Nul ne m’avait donné d’ordres, et je ne me sentais pas d’humeur à commencer à en recevoir » (64). D’ailleurs, un retour impliquerait de traverser une France en pleine insurrection et comme il le souligne : « Je possédais les meilleures raisons du monde pour ne pas tomber entre les mains d’excités pris de folie sanguinaire » (65). À cette époque commence donc pour Pierre Daye une seconde existence, celle d’un émigré politique. Elle va durer un peu plus de quinze ans.

            yvhth_gkgw.jpgLes premiers temps d’exil ne sont pas trop durs car l’expatrié possède encore quelques relations : il est reçu chez le phalangiste Eugenio d’Ors (66) ou chez le général Eugenio Espinosa de los Monteros, ancien ambassadeur à Berlin, et dîne même parfois avec Walter Starkie (67), le directeur de l’Institut Britannique de Madrid. Plus tard, il verra de temps en temps François Piétri et l’académicien Abel Bonnard. Quelles que soient les difficultés qu’il rencontre et la peine qu’il éprouve, cet exil lui épargne à tout le moins un sort funeste. L’épuration belge se veut en effet particulièrement vindicative puisque, si l’on en croit Paul Sérant, un certain Marcel Houtman exige par exemple que soient exécutés tous les Belges ayant combattu sur le front de l’Est, tous les écrivains et journalistes de la collaboration et tous les fonctionnaires ayant servi les desseins de l’occupant ! (68) Les intellectuels ne peuvent donc guère espérer de mansuétude. Le poète René Baert a été sommairement abattu au coin d’un bois, quelque part en Allemagne, plusieurs journalistes sont condamnés à la peine capitale et fusillés (Paul Herten, José Sreel, Jules Lhoste, Victor Meulenyser, Charles Nisolles, Paul Lespagnard), d’autres échappent de très peu au poteau (Robert Poulet, Paul Jamin), et quelques-uns, comme Pierre Hubermont et Gabriel Figeys, écopent de lourdes peines de détention. Le peintre Marc Eemans est frappé d’une peine de huit ans de prison, tandis que le dramaturge Michel de Ghelderode se fait copieusement insulter et chasser de son emploi. Beaucoup ne retrouveront un peu de tranquillité qu’à l’étranger : Simenon, Hergé et Henri de Man en Suisse, Paul Werrie en Espagne puis en France, Raymond de Becker (condamné à mort puis à la détention perpétuelle), Claude Elsen (condamné à mort par contumace) et Louis Carette (condamné par contumace à 15 ans de travaux forcés) en France. Certains feront malgré tout, hors de Belgique, de brillantes carrières : émigré à Paris, Oscar Van Godtsenhoven, alias Jan Van Dorp, y remportera un prix (1948) pour son Flamand des vagues ; Louis Carette, alias Félicien Marceau, sera élu à l’Académie française (1975), tandis que Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse vendront des milliers de livres sous les noms d’emprunt de Paul Kenny et Jean-Gaston Vandel. « La répression contre les intellectuels », note Elsa Van Brusseghem-Loorne, « surtout en Wallonie (69), prendra (…) une tournure dramatique et particulièrement cruelle, comme si le pouvoir, détenu par des classes en déclin, voulait éliminer par tous les moyens ceux qui, par leurs efforts, étaient la preuve vivante de son infériorité culturelle » (70)…

Au pays de Martin Fierro

            Faute d’avoir pu épingler Pierre Daye à leur tableau de chasse, les nouvelles autorités belges se penchent néanmoins sur son cas, et la 4e Chambre du Conseil de Guerre n’éprouve aucun scrupule à le condamner par contumace, le 18 décembre 1946, à la peine de mort. Des pressions sont exercées sur l’Espagne qui ne peut décemment, sous le nez des Alliés, offrir l’hospitalité à tous les proscrits d’Europe et se voit donc contrainte d’effectuer des choix. Si le Caudillo a accordé l’asile politique à Léon Degrelle, Jean Bichelone ou Abel Bonnard, il n’a pas gardé Pierre Laval qui a fini devant un peloton d’exécution… Malgré le soutien de quelques dignitaires franquistes, comme José Félix de Lequerica, Manuel Aznar et José María de Areilza, Pierre Daye fait lui aussi partie des gens que l’on incite vivement à quitter l’Espagne. Muni d’un passeport espagnol libellé au nom de Pedro Adán, l’ancien commissaire aux sports s’envole donc pour Buenos Aires où il arrive le 21 mai 1947. En Argentine, le nouveau venu n’est pas livré à lui-même car plusieurs amis et connaissances l’ont précédé et sont là pour l’accueillir. Au nombre de ces fidèles, citons Charles Lesca (71), alias Carlos Levray ou Pedro Vignau, ancien directeur de Je suis partout, Georges Guilbaud (72), alias Jorge Degay, et Robert Pincemin (73), alias Rives ; dans le comité d’accueil figure également Mario Octavio Amadeo (74), l’un des proches conseillers du Président Perón. À peu près à la même époque, Buenos Aires voit aussi arriver Jean-Jules Lecomte, alias Jean Degraaf Verhegen, ancien bourgmestre rexiste de Chimay ; plus tard, en 1949, débarquera encore Henri Collard-Bovy, un avocat bruxellois d’un certain renom. Avisée de l’arrivée de Pierre Daye, Bruxelles se manifeste aussitôt auprès du gouvernement argentin et réclame son extradition (17 juin 1947). Cette demande ayant été rejetée, l’écrivain est alors tout simplement déchu de sa nationalité. À compter du 24 décembre 1947, l’ancien combattant de 1914-18, vétéran de Tabora et ex-député, n’est donc plus citoyen belge, il est apatride.

          daye_p_le_congo_belge_1931.jpg  Âgé de 55 ans et plutôt combatif, l’homme est cependant loin d’avoir dit son dernier mot. Le 29 juin 1948, il prend part, avec quelques autres expatriés (75), à la création de la Société Argentine pour l’Accueil des Européens ou Sociedad Argentina para la Recepción de Europeos (SARE). Jouissant de la discrète protection de l’anthropologue Santiago Peralta, patron des services d’immigration, et bénéficiant des encouragements du cardinal Santiago Luis Copello (1880-1967), cette société s’efforce d’aider les « maudits » qui continuent d’affluer sur les rives du Rio de la Plata. Pierre Daye reprend aussi son métier de journaliste et participe au lancement de plusieurs publications dont Hebdo (1947), Europe-Argentine (1948), Argentina 49, Paroles françaises et Nouvelles d’Argentine. Naturalisé argentin en 1949, il collabore également aux revues Criterio et Itinerarium, à El Economista, le journal que fonde l’ancien Premier ministre yougoslave Milan Stojadinović (1888-1961), ainsi qu’à Dinámica Social, le mensuel que lance, en 1952, l’ancien hiérarque fasciste Carló Scorza (alias Camillo Sirtori)-(76). Organe officiel du Centre d’Études Économiques et Sociales, cette revue regroupe de nombreuses plumes de talent dont celles du philosophe roumain Georges Uscatescu, d’Ante Pavelić (alias A. S. Mrzlodolski), du père Juan Ramon Sepich, de Julio Irazusta, ou encore de Jean Pleyber, André Thérive, Jacques de Mahieu et Jacques Ploncard (alias Jacques de Sainte-Marie). Pierre Daye ne délaisse pas non plus le terrain politique où il parvient, avec son entregent habituel, à rester en bons termes à la fois avec les traditionalistes catholiques et les péronistes. Durant l’été 1949, il a quelques contacts avec le Centre des Forces Nationalistes, mais s’intéresse aussi à la Troisième Position de Juan Perón. Avec Radu Ghenea, Georges Guilbaud, René Lagrou (77) et Victor de la Serna, il signe d’ailleurs à ce sujet une note qui sera remise au chef de l’État. En septembre 1950, l’écrivain a le plaisir de renouer avec le ministre belge Marcel Henri Jaspar (1901-1982) qui est de passage dans le cône sud. Autre contact important, Sir Oswald Mosley, qu’il rencontre en novembre 1950, lors de la visite que l’ancien chef de la British Union of Fascists fait en Argentine (78). Venu s’entretenir avec Hans Ulrich Rudel, l’Anglais sera reçu par Juan Perón. Installé à Buenos Aires, dans le quartier de Palermo, et nommé professeur à l’Université de La Plata (sur recommandation de son ami le ministre des Affaires Étrangères Hipólito Jesús Paz), Pierre Daye entretient d’autre part une abondante correspondance.

On sait notamment qu’il a de fréquents échanges épistolaires avec des gens comme Jean Azéma, Maurice Bardèche, Henri de Man, Georges Remi (Hergé), Christian du Jonchay (alias Della Torre), le père Omer Englebert, Simon Arbellot, Henri Poulain ou l’éditeur genevois Constant Bourquin. Au plan des relations sociales, il est probable qu’il rencontre assez souvent quelques collègues d’autrefois comme Henri Lèbre (alias Enrique Winter), un ancien du Cri du Peuple, Henri Janières, vétéran de Paris-Soir (et futur correspondant local du Monde) et Pierre Villette-Dorsay, ancien chroniqueur parlementaire à Je suis partout et rescapé de Radio-Patrie (79), qui tous résident dans la capitale fédérale. Il possède également d’excellents amis argentins, comme Juan Carlos Goyeneche (1913-1982), l’attaché de presse de la présidence de la République. En août 1951, il assiste sans doute, à la cathédrale de Buenos Aires, à la messe qui est célébrée, devant des milliers de fidèles, pour le repos de l’âme du maréchal Pétain, et fin 1952 à celle qui est dite pour Charles Maurras.  Séparé de son lectorat habituel et résidant dans un pays hispanophone, Pierre Daye ne publie quasiment plus de livres : seul paraîtra, en 1952, un essai politique, El suicidio de la burguesía (Le suicide de la bourgeoisie). Cela ne l’empêche bien évidemment pas d’écrire et il laissera à la postérité de nombreux inédits. Parmi ceux-ci et outre divers essais (Le voyageur de la guerre, 1940-1945 ; Panorama espagnol ; En Argentine ; Pris aux autres), son long exil lui permet de rédiger d’imposants mémoires. Intitulés D’un monde à l’autre et ne comptant pas moins de 63 chapitres ou 1600 pages dactylographiées, ces mémoires sont, hélas, encore inédits et dorment toujours dans les bibliothèques bruxelloises…

           108740.jpg La chute de Juan Perón, en septembre 1955, n’entraîne pas d’inconvénients majeurs pour Pierre Daye qui n’est pas vraiment un acteur de la vie politique locale. Tenu pour proche du péronisme, il se retrouve néanmoins marginalisé et éloigné des nouveaux cercles dirigeants. Plus que le changement de régime, c’est plutôt l’isolement et l’oubli qui le menacent désormais. Le temps fait lentement son œuvre et la plupart des Belges l’ont d’ores et déjà oublié. Pas mal d’émigrés ont regagné l’Europe, on lui demande de moins en moins d’articles et la solitude le guette. C’est dans ce contexte un peu maussade que le 20 février 1960, à un peu moins de 68 ans, une hémorragie cérébrale vient brutalement mettre un terme à son existence. Cultivé, discret et fort modéré, on se demande encore ce que cet homme avait bien pu faire pour que la Belgique d’après-guerre lui témoigne d’une vindicte aussi tenace. Se pourrait-il tout simplement que l’on ait jugé, en haut lieu, qu’il en savait beaucoup trop long sur les arcanes (et les drôles de combines) de l’Occupation et qu’il fallait le discréditer à jamais ?

Christophe Dolbeau

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(1) Avec les vainqueurs de Tabora, Paris, Perrin et Cie, 1918.

(2) Le baron Pierre Nothomb (1887-1966) fut avocat mais surtout écrivain et homme politique. Leader des nationalistes belges, il sera plus tard sénateur du Parti catholique puis du Parti social-chrétien. Voy. Lionel Baland, Pierre Nothomb, Qui suis-je, Grez-sur-Loing, Pardès, 2019.

(3) Edmond Thieffry (1892-1929) était un as de l’aviation belge. En 1925, il accomplit l’exploit de rallier Léopoldville (Kinshasa) depuis Bruxelles, à bord d’un avion Handley Page W8.

(4) Jean Delville (1867-1953) était un poète et un peintre symboliste. Il enseigna son art à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles entre 1907 et 1937.

(5) L’ingénieur Leonid Krassine (1870-1926) était un dirigeant bolchevik qui fut commissaire du peuple au commerce extérieur, puis ambassadeur soviétique à Paris et Londres.

(6) Fils de banquier, Maxime Litvinov ou Meir Henoch Wallach-Finkelstein (1876-1951) fut commissaire du peuple aux Affaires Étrangères et ambassadeur soviétique à Londres, puis auprès de la SDN.

(7) Le général Wladyslaw Sikorski (1881-1943) avait été, en 1920, l’un des artisans de la défaite des bolcheviks devant Varsovie. Il sera successivement chef d’état-major, Président du Conseil et ministre des affaires militaires.

(8) Pou-yi (1906-1967) fut le dernier empereur de Chine. Destitué en 1912 puis réfugié à Tianjin, il sera placé par les Japonais à la tête du « Grand État mandchou de Chine » ou Mandchoukouo (1932).

(9) Seigneur de guerre et généralissime, Tchang Tso-lin (1875-1928) sera brièvement président de la République de Chine (juin 1927-juin 1928) après avoir été longtemps le maître de la Mandchourie.

(10) Par exemple Le Maroc s’éveille (1924), Moscou dans le souffle de l’Asie (1926), La Chine est un pays charmant (1927), Le Japon et son destin (1928), La clef anglaise (1929), Beaux jours du Pacifique (1931) et Aspects du monde (1934).

(11) José Félix de Lequerica (1891-1963) fut maire de Bilbao (1938-39), puis ambassadeur d’Espagne en France, ministre des Affaires Étrangères (1944-45) et ambassadeur aux Etats-Unis (1951-54).

(12) Président du Parti Ouvrier Belge, Henri de Man (1885-1953) sera ministre des Travaux publics (1934-35) et ministre des Finances (1936-38). Condamné en 1946 à 20 ans de détention et dix millions d’amende pour avoir « servi les desseins de l’ennemi », il finira ses jours en Suisse (écrasé par un train sur une voie de chemin de fer où sa voiture s’était immobilisée).

(13) Militant socialiste, Paul-Henri Spaak (1899-1972) sera ministre des Transports et des PTT, ministre des Affaires Étrangères et Premier ministre. Il est considéré comme l’un des « pères de l’Europe ».

(14) Voy. Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945 », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de Recherches et d’Études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, p. 165-168.

(15) Voy. Jean-Léo, La Collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002, p. 107.

(16) Ibid, p. 109.

(17) Voy. Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968, p. 73.

(18) Voy. Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Editions du Ponant, p. 35 – extrait du chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(19) Voy. supra, note 10.

(20) À savoir La politique coloniale de Léopold II (1918), Léopold II (1934), Vie et mort d’Albert Ier (1934), La jeunesse et l’avènement de Léopold III (1934).

(21) Par exemple Les conquêtes africaines des Belges (1918), L’Empire colonial belge (1923), Le Congo belge (1927), Congo et Angola (1929),  Stanley (1936), Livingstone retrouvé par Stanley (1936),

(22) Voy. En Espagne, sous la Dictature (1925), La Belgique et la mer (1926), La Belgique maritime (1930) et L’Europe en morceaux (1932).

(23) « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, pp. 360-375 (consultable en ligne).

(24) Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937, p. 10.

(25) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 2 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(26) Voy. Jean-Michel Etienne, op.cit., p. 36.

(27) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 4 – chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(28) Le Flamand Gustave Sap (1886-1940) était le propriétaire du journal catholique De Standaard. Député du Parti catholique, il sera ministre des Travaux publics, de l’Agriculture et du Commerce (1932-34), ministre des Finances (1934), puis de l’Économie et du Commerce (1939-40). Ses sympathies pour la droite et le rexisme entraîneront son exclusion du Parti catholique…

(29) L’avocat Hendrik Borginon (1890-1985) était l’un des dirigeants du parti nationaliste flamand VNV.

(30) Député du Parti catholique populaire flamand, Gérard Romsée (1901-1975) fut ensuite l’une des figures de proue du parti nationaliste flamand VNV. En avril 1941, il sera nommé secrétaire général à l’Intérieur et la Santé, ce qui lui vaudra d’être condamné à mort puis à la réclusion perpétuelle en 1945.

(31) Nationaliste flamand, Joris van Severen (1894-1940) fut le fondateur du mouvement solidariste thiois Verdinaso. Arrêté en 1940 sur soupçon (totalement infondé) d’appartenance à la 5e colonne, il sera sommairement abattu par des militaires français, le 20 mai, à Abbeville.

(32) Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (1888-1967) était un sénateur du Parti catholique. Il sera ministre de l’Agriculture en 1939-40 et ministre sans portefeuille dans le gouvernement belge en exil à Londres (1940-44).

(33) « On ne comprit pas », écrit Pierre Daye, « ou plutôt on ne voulut pas comprendre, qu’en politique, les sentiments et le réalisme sont deux choses et que si mon affection pour la culture et pour le peuple de France n’a jamais varié, je ne pouvais pas rester aveugle devant la folie de sa politique guerrière… » – Le Dossier du Mois, n° 12, p. 8 –  chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(34) Voy. Bernard Delcord, op. cit., pp. 177-179.

(35) Autonomiste corse, Pierre Bonardi (1887-1964) était un journaliste et un écrivain. Longtemps proche du Parti radical-socialiste et de la Ligue contre l’antisémitisme (LICA), il adhèra ensuite au PPF et soutint Pierre Laval durant l’Occupation.

(36) Le 20 mai 1940, 21 personnes arrêtées en Belgique et soupçonnées d’appartenir à la 5e colonne sont assassinées sans jugement, à Abbeville, par une compagnie de l’armée française aux ordres du capitaine Marcel Dingeon et du lieutenant René Caron. Disparaissent (entre autres) dans ce massacre le leader flamand Joris Van Severen et son adjoint Jan Ryckoort, le rexiste René Wery, le hockeyeur canadien Robert Bell, deux communistes et deux Juifs. Léon Degrelle échappe de justesse à la mort. Voy. Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d. ; Carlos Vlaeminck, Dossier Abbeville, Louvain, Davidsfonds, 1977.

(37) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 15 –  chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(38) Ibid, p. 16 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(39) Ibid, p. 22 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(40) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(41) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(42) Voy. Jean-Léo, op.cit., p. 28.

(43) Ibid, pp. 41-48.

(44) Voy. Jean-Léo, op. cit., p. 56.

(45) cité par Roland Roudil, Jean-François Durand et Guillaume Bridet, in Le reportage colonial,  Pondicherry, Kailash, 2016, p. 462.

(46) Le Choc du Mois, n° 12, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(47) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 183.

(48) Voy. C. Dolbeau, « Weimar 1941-1942 : la Société Européenne des Écrivains », Tabou, vol. 25, Saint-Genis-Laval, Akribeia, 2019, 160-183.

(49) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 182.

(50) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 27 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(51) Ibid, p. 27-28 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(52) Ibid, pp. 31-32 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(53) Voy. Jacques Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Éditions universitaires, 1986, p. 279.

(54) Voy. Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), p. 62.

(55) petit-cousin de Robert Poulet (1893-1989), le rédacteur en chef du Nouveau Journal.

(56) Le Dossier du Mois, n° 12, pp. 28-29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(57) Ibid, p. 29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(58) Ibid, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(59) Les Partisans communistes se vantent d’avoir « exécuté » 962 soldats ennemis et 1137 collaborateurs (voy. J. Willequet, op. cit., p. 300) et l’on parle de 700 rexistes assassinés. En face, des commandos ripostent, en abattant le banquier Alexandre Galopin et l’ancien gouverneur François Bovesse ou en massacrant 27 otages à Courcelles-Charleroi.

(60) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(61) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(62) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(63) Ibid, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(64) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(65) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(66) Célèbre écrivain et critique d’art catalan, Eugenio d’Ors i Rovira (1881-1954) fut ministre des Beaux-Arts du gouvernement nationaliste durant la Guerre Civile. Membre de l’Association des amis de l’Allemagne, il siégeait aussi à l’Académie royale espagnole.

(67) Universitaire et musicien, Walter Starkie (1894-1976) était un grand spécialiste de la culture rom. Il avait appartenu, dans les années 1920, au Centre International d’Études sur le Fascisme (CINEF) avec Giovanni Gentile, James S. Barnes et Herman de Vries de Heekelingen.

(68) Voy. Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 136.

(69) Il ne faut toutefois pas sous-estimer les effets de la répression du côté flamand, avec notamment l’exécution d’Auguste Borms et Karel de Feyter, la condamnation à mort puis à la détention perpétuelle de Ward Hermans, Johannes Timmermans, Gérard Romsée et Josephus Van De Wiele, la condamnation à mort de Jozef François, la condamnation à mort par contumace du père Cyriel Verschaeve, de Wies Moens, Hendrik Elias, Frans Daels et Edgar Delvo, la peine de 20 ans de détention infligée à Hendrik Borginon (avec une amende de 10 millions), celle de 12 ans de prison infligée à Jules Callewaert  ou celle de 10 ans infligée à Filip de Pillecijn – Voy. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Munich-Berlin, Herbig, 1999.

(70) Elsa Van Brusseghem-Loorne, op. cit., p. 62.

(71) Charles Lesca (1887-1948) était né en Argentine et s’appelait en fait Carlos Hipólito Saralegui Lesca. Ami personnel de Charles Maurras, il succéda à Robert Brasillach à la direction de Je suis partout, ce qui lui valut, en mai 1947, d’être condamné à mort par contumace. Voy. Dominique Venner, Histoire de la Collaboration, Paris, Pygmalion, 2000, p. 620-621 ; Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la Collaboration française, Paris, Jean Picollec, 1987, pp. 560-562.

(72) Ancien fort des Halles mais aussi docteur en droit, Georges Guilbaud (1914) était un ex-communiste qui avait rejoint le PPF de Jacques Doriot. Directeur du journal L’Écho de la France, il fut également plénipotentiaire français auprès de la République Sociale Italienne. Voy. Dominique Venner, op. cit., p. 600.

(73) Ancien ingénieur de l’École Centrale, Robert Pincemin avait dirigé la Milice française dans les départements de l’Ariège et de la Haute-Garonne. Il fondera en Argentine une branche locale de la Cité catholique et publiera plusieurs ouvrages de politique et d’économie.

(74) Philosophe et diplomate, Mario Octavio Amadeo (1911-1983) était l’un des fondateurs de l’Action catholique en Argentine. Proche un temps de Juan Perón, il s’en écartera par la suite et sera brièvement ministre des Affaires Étrangères en 1955. Chef de la délégation argentine aux Nations Unies, il en présidera même le Conseil de Sécurité en 1959.

(75) En l’occurrence le Roumain Radu Ghenea (1907-1973), ex-ambassadeur de Roumanie à Madrid et ancien avocat de Corneliu Zelea Codreanu, Ferdinand Durčansky (1906-1974), ancien ministre slovaque de l’Intérieur et des Affaires Étrangères, Mgr Ferenc Luttor (1886-1953), protonotaire apostolique hongrois, Eugenio Morreale, ex-ambassadeur d’Italie à Madrid, et Robert Pincemin (voy. note 73).

(76) Plusieurs fois élu député, Carló Scorza (1897-1988) fut, en 1943, le dernier secrétaire du Parti national fasciste.

(77) L’avocat flamand René Lagrou (1904-1969) fut le premier chef de l’Algemeene-SS Vlaanderen puis il rejoignit la Waffen-SS en qualité de correspondant de guerre et obtint le grade de Sturmbannführer dans la division Langemarck.

(78) Il voyage alors sous l’amusant pseudonyme de Harry Morley.

(79) Voy. C. Dolbeau, « Des Français chez Perón », Écrits de Paris, n° 727, janvier 2010, 47-53.

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Bibliographie

Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Éditions du Ponant (« Les Mémoires de Pierre Daye »).

– Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), 61-63.

– Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937.

– Pierre Daye, « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, 360-375.

– Léon Degrelle, La cohue de 40, Lausanne, Robert Crauzaz, 1949.

– Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d.

– Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964.

– Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968.

– Jacques Willequet, La Belgique sous la botte. Résistances et collaborations 1940-1945, Paris, Éditions universitaires, 1986.

– Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945) », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, 153-205.

– Bernard Delcord et José Gotovitch, Papiers Pierre Daye, Inventaires 22, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, 1989.

– Jean-Léo, La collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002.

– Louis Fierens, 39-45 Carnets de Guerre – Prêtre chez les SS, Waterloo, Éditions Jourdan, 2012.

             

samedi, 18 avril 2020

Le bataillon des Philhellènes : le soutien à la lutte grecque contre le joug turc

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Le bataillon des Philhellènes : le soutien à la lutte grecque contre le joug turc

Par Henrik Bergtann

Le 25 mars 1821 éclate la révolte générale, et bien planifiée, des Grecs contre la domination turque qui s’exerçait depuis plusieurs siècles sur l’archipel hellénique. Entre cette date et la défaite finale de l’Empire ottoman, avec l’appui de la Grande-Bretagne, de la France et de la Russie, défaite scellée en 1829 par le Traité d’Andrinople, de nombreux et sanglants combats ont eu lieu. Mais les Grecs, à cette époque-là, n’étaient pas laissés à eux-mêmes, car leur lutte soulevait les enthousiasmes partout en Occident. « La jeunesse manifestait son enthousiasme pour Hellas (…) et, les philologues, tout particulièrement, brûlaient d’ardeur et s’enflammaient pour la cause grecque », notait Heinrich Heine. Les associations qui récoltaient de l’argent pour les Grecs en lutte connaissaient un vif succès. En plus, des milliers de jeunes étaient prêts à offrir leur force physique et leur vie pour la lutte qui s’engageait dans le Sud-Est de l’Europe. De nombreux aventuriers, issus de tous les pays, se retrouvèrent ainsi dans le fameux bataillon des Philhellènes, qui s’était constitué pour venir en aide à ceux que l’on posait comme les héritiers des Spartiates. Certes, l’une des principales motivations était l’amour de la culture antique mais bon nombre de volontaires étaient aussi animés par les idées antimonarchistes et par la naïveté de l’idéologie des Lumières, parce qu’ils ne pouvaient pas exprimer ces pulsions-là dans leur propre pays. A la manière du romantisme, ils projetaient leurs aspirations sur le peuple grec.

L’apothéose de ce combat des Philhellènes, héroïque autant que désastreux, fut la bataille livrée près de Peta. Commandés par Karl von Normann-Ehrenfels, les Philhellènes, avec les insurgés grecs, purent tenir longtemps une colline contre un parti ottoman quatre fois plus nombreux, qui ne cessait de lancer des attaques contre eux. Au bout du compte, cet engagement héroïque se solda par une défaite.

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Karl von Normann-Ehrenfels

Le plus connu des Philhellènes est assurément George Gordon Noel Byron, encore connu de nos jours sous le nom de « Lord Byron », un des plus célèbres poètes anglais. En 1823, Byron prend le commandement d’une unité qu’il avait équipée de ses deniers. Pour ce faire, il avait vendu une ancienne maison de maître pour la somme de 20.000 livres sterling, qu’il a versée intégralement dans sa caisse de guerre. Après avoir affronté les Turcs dans plusieurs escarmouches, Byron est grièvement blessé au combat en avril 1824, dans la ville assiégée de Missolonghi, et y meurt des suites d’une hémorragie.

Beaucoup de Philhellènes avaient été déçus par la Grèce de cette époque du soulèvement général car il l’avait imaginée pareille aux beautés de l’antiquité, dont ils rêvaient tous. Or, de cette beauté, il ne restait plus grand-chose. Byron se plaignait notamment que les représentants des factions grecques, qui se querellaient entre elles, ne briguaient que son argent. Sur le plan culturel, la plupart de ces Philhellènes pensaient à l’Orient dans cette Grèce-là, plutôt qu’à l’hellénité antique, berceau de la culture européenne.

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Le Morgenblatt für gebildete Leser publia à l’époque quelques contributions du Dr. Daniel Elster, l’un des rares étrangers à avoir survécu à la bataille de Peta. Ce médecin se montrait choqué du piètre niveau culturel de ses camarades grecs : « Un bonne partie d’entre eux réclamaient que je leur dévoile leur destin futur. Pas étonnant ! Car sorciers, magiciens, prophètes et médecins sont placés sur le même plan chez les Grecs d’aujourd’hui dont les médecins sont généralement des prêtres ».

Plusieurs monuments rappellent encore le combat des Philhellènes. Les Grecs honorent encore tout particulièrement  les figures de Byron et de Normann-Ehrenfels.

Henrik Bergtann.

(article paru dans zur Zeit, Vienne, 14/2020).

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samedi, 11 avril 2020

Gold ein sicherer Hafen in Krisenzeiten? Der große Goldraub der US-Regierung von 1933

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Torsten Groß:

Gold ein sicherer Hafen in Krisenzeiten?

Der große Goldraub der US-Regierung von 1933

Ex: https://kopp-report.de

Vor 87 Jahren, am 5. April 1933, unterzeichnete der damalige US-Präsident Franklin D. Roosevelt die Executive Order (EO) 6102. Mit dieser Anordnung wurde der Besitz von Goldmünzen, Goldbarren und Goldzertifikaten durch Personen, Gesellschaften, Vereinigungen und Firmen auf dem Gebiet der Vereinigten Staaten ab dem 1. Mai 1933 verboten. Alles Gold in privater Hand musste innerhalb von 14 Tagen bei staatlichen Annahmestellen abgegeben werden, die dafür einen amtlich festgelegten Preis von 20,67 Dollar je Feinunze (31,1 Gramm) bezahlten. Von der Verfügung ausgenommen blieb Gold, das in Industrie, Kunst oder Handwerk Verwendung fand. Außerdem gab es eine Freigrenze für Goldmünzen und Goldzertifikate in Höhe von 100 Dollar, was inflationsbereinigt einem Gegenwartswert von rund 1.970 US-Dollar entspricht. Die Freigrenze hatte zur Folge, dass der größte Teil der amerikanischen Bevölkerung nicht von dem Verbot betroffen war und es deshalb kaum öffentlichen Widerstand gegen die Präsidentenverfügung gab.

51OyWwvJLqL.jpgWer gegen die Verordnung verstieß und sein Gold trotz Verpflichtung nicht an den Staat verkaufte, musste mit einer Geldstrafe von bis zu 10.000 US-Dollar (nach heutigem Wert rund 200.000 Dollar) bzw. einer Haftstrafe rechnen, die in schweren Fällen zehn Jahre betragen konnte. Gold im Wert von über Einhundert Dollar (beim festgelegten Ankaufspreis von 20,67 Dollar also etwa 5 Unzen), welches die Polizei bei Durchsuchungen sicherstellte, wurde entschädigungslos beschlagnahmt.

Trotz der hohen Strafandrohung gab es allerdings nur selten Razzien in Privathäusern, um illegale Goldbestände aufzuspüren, zumal es dafür eines richterlichen Beschlusses bedurfte. Die Polizei konzentrierte sich stattdessen auf Tresore und Schließfächer in Banken, die nur im Beisein eines Beamten der Bundessteuerbehörde geöffnet werden durften. War hier privates Gold gelagert, das über die Freimenge hinausging, wurde das Edelmetall konfisziert und die Besitzer juristisch zur Verantwortung gezogen.

Die EO 6102 diente nicht wie gemeinhin angenommen dem Zweck, privaten Goldbesitz einzuschränken, sondern sollte den Goldbestand der amerikanischen Notenbank aufstocken.

Die sah sich mit dem Problem konfrontiert, die Geldmenge erhöhen zu müssen, um die Folgen der durch den Börsencrash vom Oktober 1929 ausgelösten Weltwirtschaftskrise zu bekämpfen, deren Volumen aber an den Goldbestand geknüpft war. Der Federal Reserve Act sah vor, dass alle ausgegebenen Banknoten zu 40 Prozent mit Gold besichert sein mussten (Goldstandard). Um in der Rezession handlungsfähig zu bleiben, ohne diese Vorgabe zu verletzen und damit eine Inflation heraufzubeschwören, wurden private Goldbesitzer von der Regierung praktisch beraubt, um der Zentralbank die erforderlichen Goldreserven zur Verfügung stellen zu können. Die EO 6102 läutete zugleich den Anfang vom Ende des Goldstandards in den USA ein.

Bereits wenige Wochen vor Inkrafttreten der präsidialen Verordnung hatte die Regierung den Banken untersagt, Gold ins Ausland zu exportieren oder Privatleuten zu den damals geltenden Marktpreisen abzukaufen. Am 31. Januar 1934 hob die Regierung den staatlichen Abnahmepreis für Gold auf 35,00 US-Dollar je Feinunze an. Diese Erhöhung diente weniger dem Zweck, Besitzer kleinerer Goldmengen zu motivieren, ihren Bestand an den Staat zu veräußern. Viel wichtiger war, dass durch die Maßnahme der Goldwert in der Bilanz der Fed über Nacht um 69 Prozent stieg und so der Spielraum, neues Geld zu drucken, um die wirtschaftliche Depression zu bekämpfen, entsprechend erweitert wurde.

513xzjfI9GL._SX318_BO1,204,203,200_.jpgEs war US-Präsident Richard Nixon, der dem Goldstandard knapp 40 Jahre später endgültig den Garaus machte. Am 15. August 1971 hob Nixon die Goldbindung des US-Dollar und damit den Goldstandard auf. Hintergrund war der rasant wachsende Welthandel, der den teilweise goldgedeckten Dollar als Ankerwährung überforderte, aber auch die hohen Kosten des Vietnamkrieges, der die Vereinigten Staaten auch finanziell stark belastete. Nixon versprach seinen Landsleuten, dass der Dollar nach dem Ende des Goldstandards seinen Wert behalten werde. Das hingegen erwies sich als falsch. Nach dem amtlichen Verbraucherindex hat der US-Dollar seit 1971 mehr als 80 Prozent seiner Kaufkraft eingebüßt. Das spiegelt sich auch im Goldpreis wieder, der von 35 Dollar auf aktuell 1.650 Dollar anstieg, ein Zuwachs um mehr als 4.600 Prozent!

Dieser kleine historische Abriss sollte deutlich gemacht haben, dass der Goldstandard, den einige Ökonomen als Königsweg für die Neuordnung unseres auf Schulden gebauten Finanzwesens propagieren, keineswegs gleichbedeutend mit dem Paradies auf Erden für alle privaten Goldbesitzer sein dürfte. Wenn der Staat in Krisenzeiten wie beispielsweise der aktuellen Virus-Epidemie unerwartet viel Geld benötigte, würden die Verantwortlichen sehr schnell wieder auf die Idee verfallen, privates Gold zu enteignen, um ihre finanziellen Spielräume zu erweitern. Doch auch ohne Goldstandard dürfen Edelmetallbesitzer nicht der Illusion erliegen, dass sie im Falle eines Systemcrashs, den Experten wie Max Otte und Markus Krall schon in absehbarer Zeit erwarten, ungeschoren davonkommen werden.

Es muss deshalb nicht die beste Idee sein, seine Reichtümer dem Schließfach einer Bank anzuvertrauen. Auch das kann man aus den Erfahrungen der frühen dreißiger Jahre des vorigen Jahrhunderts lernen.

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Donnerstag, 09.04.2020

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mardi, 07 avril 2020

Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

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Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

Par Jacques DUFRESNE

Ex: https://metainfos.fr

Ignace Philippe Semmelweis (1818-1865). Voici le nom qui se présente avec le plus d’insistance à mon esprit dans le contexte des deux grands débats actuels : sur le virus covid-19 et sur la violence faite aux femmes. Il se trouve que ce «sauveur des mères» a eu un biographe de génie, lui aussi médecin des pauvres : Louis-Ferdinand Céline. Dans son Semmelweis, qui fut sa thèse de doctorat en médecine, soutenue en 1924, s’ébauche  un style qui s’accomplira huit ans plus tard dans le Voyage au bout la nuit, mais qui déjà, dans sa verdeur, transporte le lecteur dans une région de la vérité à laquelle aucun autre livre ne lui avait donné accès. Ce fut en tout cas mon expérience lors de ma première lecture à la fin de la décennie 1970. J’en suis à ma cinquième ou sixième lecture et je m’exclame de nouveau, avec plus d’enthousiasme encore que jadis : voici un livre qui devrait être une lecture obligatoire dans toutes les facultés de médecine !  J’ai lu quelques grandes biographies, parmi les œuvres de Plutarque, de Saint-Simon et de Stéphan Zweig notamment, aucune ne m’a donné autant que celle de Céline le sentiment de l’unité de l’auteur et de son sujet. Il m’est devenu impossible de les dissocier. Céline cite Semmelweis à quelques reprises, je me demande chaque fois s’Il s’agit vraiment d’une citation.

product_9782070755837_195x320.jpgJe n’hésite plus à mettre entre parenthèses tout ce qu’on sait au croit savoir sur l’antisémitisme de Céline, suivant en cela l’exemple de l’homme qui aurait eu le plus de raisons de jeter l’anathème sur lui, George Steiner, un juif bien formé et bien informé qui, au lieu de nier le génie là où il le voyait associé aux passions les plus funestes, s’inclinait devant le mystérieux scandale de leur coexistence dans un même être,  sans jamais exclure que, dans les mêmes circonstances , il aurait pu lui-même dériver vers les mêmes excès. Je reviens sur cette question dans un article distinct sur Steiner.

Semmelweis est celui qui, en 1848, quarante ans avant les découvertes de Pasteur sur l’infection par les microbes, a trouvé le remède à la plus tragique, la plus durable, la plus récurrente et la plus occultée des épidémies : celle qui, dans les grandes villes européennes du XIXème siècle notamment, frappaient les femmes pauvres réduites à accoucher dans les hôpitaux publics. Le taux de mortalité y était souvent de 40% et plus.

On ne sait plus qui de Socrate ou de Platon, il faut admirer le plus, tant le génie littéraire du second a contribué à la gloire du premier. Semmelweis a devant l’histoire la même dette à l’endroit de Céline que Socrate à l’endroit de Platon. Comparaison disproportionnée, m’objectera-t-on, l’œuvre de Platon est un sommet unique en son genre, tandis que la découverte de l’asepsie par Semmelweis, car c’est de cela qu’il s’agit, ne serait qu’un heureux événement parmi une foule d’autres semblables en médecine. Quand on a lu attentivement la thèse de Céline, on a au contraire et à jamais la conviction qu’il s’agit de deux plaidoyers en faveur de la même vérité, l’un au plus haut degré d’abstraction compatible avec la poésie, l’autre au ras du sol, comme dans les grands romans policiers mais jumelé à une poésie encore plus déchirante : celle de la compassion pour les malheureux.

« Semmelweis était issu d’un rêve d’espérance que l’ambiance constante de tant de misères atroces n’a jamais pu décourager, que toutes les adversités, bien au contraire, ont rendu triomphant. Il a vécu, lui si sensible, parmi des lamentations si pénétrantes que n’importe quel chien s’en fût enfui en hurlant. Mais, ainsi forcer son rêve à toutes les promiscuités, c’est vivre dans un monde de découvertes, c’est voir dans la nuit, c’est peut-être forcer le monde à entrer dans son rêve. Hanté par la souffrance des hommes, il écrivit au cours d’un de ces jours, si rares, où il pensait à lui-même : ‘’Mon cher Markusovsky, mon bon ami, mon doux soutien, je dois vous avouer que ma vie fut infernale, que toujours la pensée de la mort chez mes malades me fut insupportable, surtout quand elle se glisse entre les deux grandes joies de l’existence, celle d’être jeune et celle de donner la vie.’’ »[1]

Le Semmelweis de Céline est une chose unique dans l’histoire de la littérature. Tous les genres littéraires s’y entrelacent dans une harmonie impossible et pourtant bien atteinte : essai sur la méthode scientifique, roman policier, étude de caractères, évocation du génie des villes, histoire d’une époque et, à travers cette époque, témoignages saisissants sur la condition humaine. Quand on ferme le livre, on ne sait pas si l’on sort d’une fiction ailée ou d’un méticuleux rapport de laboratoire, d’une page de l’évangile ou d’une compilation de statistiques, mais on est sûr d’avoir fait quelque progrès dans l’inconnu de la vérité.

Semmelweis lui-même, comme Céline, est un être double, plein de compassion, mais aussi orgueilleux, intolérant et maladroit au point de nuire à ses propres recherches en se mettant inutilement à dos des collègues dont le soutien lui était nécessaire. Chercheurs du monde entier, en scaphandre, reliés par Internet et disposant d’ordinateurs tout puissants, la forme que prend aujourd’hui la recherche médicale, dans le cas des épidémies en particulier, rend très difficile pour nous de comprendre les génies solitaires du passé. Semmelweis fut peut-être le plus solitaire de tous. Et pour l’histoire des sciences telle qu’on la conçoit aujourd’hui, il n’a le mérite de la grandeur ni en tant que théoricien ni en tant que technicien : il ne fut qu’un observateur servi aussi bien par ses défauts, son orgueil, son entêtement que par ses qualités, son amour des vivants et son horreur de l’a peu près.

« L’ à peu près est la forme agréable de l’échec, consolation tentante…

Pour le franchir, l’ordinaire lucidité ne suffit pas, il faut alors au chercheur une puissance plus ardente, une lucidité pénétrante, sentimentale, comme celle de la jalousie. Les plus brillantes qualités de l’esprit sont impuissantes quand plus rien de ferme et d’acquis ne les soutient. Un talent seul ne saurait prétendre découvrir la véritable hypothèse, car il entre dans la nature du talent d’être plus ingénieux que véridique.

Nous avions pressenti, par d’autres vies médicales, que ces élévations sublimes vers les grandes vérités précises procédaient presque uniquement d’un enthousiasme bien plus poétique que la rigueur des méthodes expérimentales qu’on veut en général leur donner comme unique genèse.»[2]

De-Celine.jpgDans l’hôpital de Vienne où Semmelweis travaillait en tant qu’obstétricien, il y avait deux services de maternité, celui du professeur Bartch et celui du professeur Klin, dont il était l’adjoint. Après avoir éliminé une à une toutes les hypothèses, aussi farfelues les unes que les autres, rassemblées dans la littérature médicale de l’époque, il n’avait plus comme point de départ de son enquête qu’un seul fait : les femmes mouraient plus dans le service de Klin que dans celui de Bartch. Une différence entre les deux sautait aux yeux : dans le pavillon de Bartch le service était rendu par des sages-femmes, dans celui de Klin par des internes. Il a suffi à Semmelweis de signaler ce fait pour se mettre à dos et son patron et bon nombre de ses collègues. Il a en outre exigé avec une insistance incorrecte que les internes se lavent les mains entrant dans le pavillon de Klin; ce dernier, pour qui une telle précaution paraissait dénuée de tout fondement scientifique, le congédia. Les protecteurs de Semmelweis, car il en avait quelques-uns à Vienne, organisèrent pour lui un repos de deux mois à Venise, où il se rendit avec son ami Markusovsky. La merveille ici c’est la façon dont Céline, dans son roman biographique, raconte le séjour de Semmelweis et y voit le prélude à ses découvertes futures.

«Jamais Venise aux cent merveilles ne connut d’amoureux plus hâtif que lui. Et cependant, parmi tous ceux qui aimèrent cette cité du mirage, en fut-il un plus splendidement reconnaissant que lui ?

Après deux mois passés dans ce grand jardin de toutes les pierres précieuses, deux mois de beauté pénétrante, ils rentrent à Vienne. Quelques heures seulement se sont écoulées quand la nouvelle de la mort d’un ami frappe Semmelweis. Semblable cruauté du sort n’est-elle point normale dans sa vie ? »[3]

Le malheur n’a laissé aucun répit à Semmelweis. Il avait peu de temps auparavant perdu sa mère et son père. À son retour à Vienne, il apprend la mort de son meilleur ami, Kolletchka. Cette mort, comment se fait donc la science?  enfermait la preuve que cherchait Semmelweis. Kolletchka s’était blessé à un doigt en pratiquant une autopsie : la vérité se dévoilait tragiquement : une quelconque particule cadavérique avait contaminé le sang de cet homme. Les internes transportaient cette substance dans les entrailles des mères. Semmelweis eut droit à un nouveau poste à son hôpital, cette fois dans le service de Bartch. Dans le but de préciser le contour de sa preuve, il obtint de son patron que les sages-femmes soient remplacées par des internes le temps d’une expérience. Le taux de mortalité s’accrut immédiatement. Semmelweis appliqua alors la solution technique qu’il avait à l’esprit depuis un moment : avant chaque intervention, obliger les sages-femmes et les internes à se laver les mains avec une solution de chlorure de chaux. Le taux de mortalité descendit à son niveau actuel.

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Il existait toutefois d’autres causes d’infection que les particules cadavériques. Ces causes ne manquèrent pas de se manifester en certaines occasions. Les adversaires de Semmelweis les invoquèrent pour achever de discréditer leur collègue et l’empêcher de progresser dans la défense de sa thèse. Semmelweis devait tenter par la suite de rallier les plus grands médecins d’Europe à sa cause. Peine perdue, la plupart d’entre eux, y compris le grand Virchow, ne répondirent même pas à ses lettres.

Voici le diagnostic de Céline sur cette infection de la raison humaine par les passions. 

« ‘’S’il s’était trouvé que les vérités géométriques pussent gêner les hommes, il y a longtemps qu’on les aurait trouvées fausses.’’ (Stuart Mill)

Ce philosophe, tout absolu qu’il paraisse, demeure cependant bien au-dessous de la vérité, voici la preuve. La plus élémentaire raison ne voudrait-elle pas que l’humanité, guidée par des savants clairvoyants, se fût pour toujours débarrassée de toutes les infections qui la meurtrissaient, et tout au moins de la fièvre puerpérale, dès ce mois de juin 1848 ? Sans doute.

Mais, décidément, la Raison n’est qu’une toute petite force universelle, car il ne faudra pas moins de quarante ans pour que les meilleurs esprits admettent et appliquent enfin la découverte de Semmelweis.»

Déchiré par la contradiction entre l’amour de ses patientes et l’impuissance déraisonnable de sa profession, Semmelweis perdit le reste de prudence qu’il avait en réserve. Il tenta de dresser l’opinion publique contre ses collègues en les traitant de criminels sur des affiches. « Assassins ! je les appelle tous ceux qui s’élèvent contre les règles que j’ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale. »[4] Il sombra ensuite dans une démence aussi ardente que l’avait été son amour de la vérité et des mères : il fit un jour irruption dans une salle de dissection, s’empara d’un scalpel, trancha les chairs d’un cadavre et se blessa à une main. Il s’ensuivit une infection semblable à celle qui avait emporté Kolletchka, mais plus violente et plus longue.

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La démence de Semmelweis inspira à Céline, sur la maladie mentale, quelques pages qui portent la marque de son génie comme tant d’autres dans son livre.  Savoir raison garder ! La raison, qu’il assimile au bon sens, est cette limite, cette chaîne, qui tempère en nous une intelligence capable de toutes les démesures.

« Rapidement il devint le pantin de toutes ses facultés, autrefois si puissantes, à présent déchaînées dans l’absurde. Par le rire, par la vindicte, par la bonté, il fut possédé tour à tour, entièrement, sans ordre logique, chacun de ses sentiments l’agissant pour son compte, paraissant uniquement jaloux d’épuiser les forces du pauvre homme plus complètement que la frénésie précédente. Une personnalité s’écartèle aussi cruellement qu’un corps quand la folie tourne la roue de son supplice.[…] Semmelweis s’était évadé du chaud refuge de la Raison, où se retranche depuis toujours la puissance énorme et fragile de notre espèce dans l’univers hostile. Il errait avec les fous, dans l’absolu. »

Semmelweis avait participé dans une euphorie excessive et irresponsable à la révolution hongroise de 1848. Pensant aux poètes de la même époque, romantique, Céline rappelle ensuite les risques de la fuite dans l’irrationnel. « S’ils se doutaient, les téméraires, que l’enfer commence aux portes de notre Raison massive qu’ils déplorent, et contre lesquelles ils vont parfois, en révolte insensée, jusqu’à rompre leurs lyres ! S’ils savaient ! De quelle gratitude éperdue ne chanteraient-ils point la douce impuissance de nos esprits, cette heureuse prison des sens qui nous protège d’une intelligence infinie et dont notre lucidité la plus subtile n’est qu’un tout petit aperçu. »[5]

N’en faisons pas une théorie. Céline écrivain éclipse ici Céline psychiatre. Retenons toutefois qu’avant lui Platon et Aristote avaint rattaché l’idée de raison à celle de limite et à arrêtons-nous à la pertinence de ce livre dans le contexte actuel. Semmelweis était un solidaire. Modeste sur le plan théorique par rapport à celles de Pasteur et de Virchow plus tard dans le même siècle, sa découverte, celle de l’asepsie, n’en n’est pas moins l’une des plus importantes de l’histoire de la médecine et elle a l’avantage par rapport à la plupart des découvertes postérieures de donner lieu à des applications qui ne coûtent rien, qui présentent le meilleur rapport coût/efficacité dont on puisse rêver. Rappelons aussi que Semmelweis a jeté les bases de ce qu’on appellera un siècle plus tard la médecine basée sur les faits.

Le même chercheur solitaire aurait sans doute été heureux de disposer des technologies et des moyens de communications offerts aux chercheurs d’aujourd’hui, mais on peut aussi se demander si la médecine ne se prive pas d’occasions de grandes découvertes en misant trop exclusivement les technologies de pointe. Faut-il exclure qu’il y ait dans le cas du cancer, de la maladie d’Alzheimer ou de tel ou tel virus grippal des causes échappant aux radars les plus sophistiqués, des causes simples que seul pourrait découvrir un génie rassemblant tous les facteurs de réussite que Céline a su repérer dans la vie et le caractère de Semmelweis. C’est parce qu’Il se posait les mêmes questions que, dans un livre intitulé Chercher, René Dubos, celui à qui l’on doit la découverte du premier antibiotique, se prononça en faveur de la recherche dans les petites universités comme complément à la recherche dans les grands instituts. Voici ce qu’il a observé dans les petites universités du Middle West : « Ce qui m’impressionne, c’est le nombre de jeunes gens à l’esprit très ouvert de qui sortiront les idées les plus originales, les plus inattendues, alors que si vous allez à Harvard, ou à l’Institut Rockefeller, vous trouverez des gens admirables, mais qui se sont engagés dans une voie dont ils ne pourront pas sortir.»[6]


[1]Louis-Ferdinand Céline, Semmelweis, Gallimard, Paris 1990, p. 81-82.

[2] Ibid., p.80

[3] Ibid., p.74

[4] Ibid., p.111

[5] Ibid., P.121

[6] René Dubos, Jean-Paul Escande, Chercher, Éditions Stock, 1979, p.55

SOURCE : http://encyclopedie.homovivens.org/

lundi, 06 avril 2020

La Sainte-Alliance de 1815, un projet européen

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La Sainte-Alliance de 1815, un projet européen

Par Matthias Hellner

Après les longues guerres provoquées par les révolutionnaires français, qui avaient bouleversé la carte politique de l’Europe, les puissances de notre continent, après la paix de Paris, décident de se réunir à Vienne pour forger un ordre post bellum, durable et solide. Le Congrès n’avait cessé de danser quand Napoléon, qui avait marqué l’histoire européenne plus que tout autre au cours des décennies précédentes, revenait à la charge pour les Cent Jours : les puissances devaient reprendre les armes pour l’arrêter définitivement. Le 18 juin 1815, l’Empereur des Français est battu par les Britanniques et les Prussiens. Blücher avait nommé cette bataille du nom de l’auberge où le Corse avait établi son quartier général : la bataille de Belle-Alliance.

Il fallait un instrument accepté à l’unisson pour garantir  la viabilité des décisions du Congrès, c’est-à-dire pour rétablir l’équilibre européen d’avant la révolution française et l’autorité du principe monarchique d’abord, pour mater les idées libérales, révolutionnaires et nationalistes, ensuite.

Pour y parvenir, Metternich reprend une idée du Tsar Alexandre I, influencé par la mystique Juliane de Krüdener et par les idées maçonniques. Cette idée est celle d’une Sainte-Alliance, qui assurerait la paix dans le monde. Le 26 septembre 1815 nait alors la Sainte Alliance du Tsar orthodoxe, du roi protestant de Prusse et de l’Empereur catholique d’Autriche. Dans l’acte de fondation de cette alliance, les trois monarques posent la religion chrétienne comme le fondement de leur politique commune. « Ils déclarent, en grande pompe, que, face au monde entier, le présent acte et leur inébranlable décision n’ont pour but que de maintenir et promouvoir la sainte religion, d’en faire le fil conducteur de leurs gouvernements intérieurs et extérieurs, d’appliquer les principes de la justice, de l’amour et de la paix, lesquels ne sont pas des valeurs exclusivement destinées à la vie privée mais doivent, bien plutôt, donner assise aux décisions des princes, et les influencer, pour consolider tous leurs projets, ainsi que constituer un moyen pour fortifier la conscience humaine et sanctifier son incomplétude ».

Toutefois, l’Alliance, qui comprenait aussi le Saint Siège, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande ainsi que toutes les autres puissances européennes, se plaçait sous l’égide de Metternich ; elle a servi, pour l’essentiel, à réprimer les idées révolutionnaires. Ainsi, chaque fois que la légitimité des princes semblait être en danger, comme en Espagne, au Royaume de Naples et des Deux-Siciles ou encore au Portugal, où l’Alliance a décidé d’intervenir et de mater, par la violence et la coercition, les soulèvements populaires.

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En 1822, lors du Congrès de Vérone, on a pu voir que cette Sainte Alliance se disloquait inexorablement parce que les puissances européennes étaient animées par des visions politiques divergentes. La lutte des Grecs pour l’indépendance et la liberté a provoqué une césure dans l’Alliance. Metternich était opposé à ce combat hellénique contre l’Empire ottoman, alors que la Russie y était favorable pour des motifs panorthodoxes. L’Italie, elle aussi, constituait une pomme de discorde entre les puissances plutôt libérales comme l’Angleterre et la France, d’une part, et la Prusse, l’Autriche et la Russie, toutes trois conservatrices. Sur le plan de la politique intérieure, l’Alliance fonctionnait mieux car elle réprimait les mouvements et les idées nationales et libérales, notamment en préconisant la persécution des « démagogues » et la répression des révolutions de 1848/49. Mais, quelques années plus tard, la Sainte Alliance passe littéralement de vie à trépas, dès que se déclenche la Guerre de Crimée.

Matthias Hellner.

(Article paru dans l’hebdomadaire zur Zeit, Vienne, n°27-28/2014).  

dimanche, 05 avril 2020

Un Anglais chez Mussolini: James Strachey Barnes

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Un Anglais chez Mussolini: James Strachey Barnes

par Christophe Dolbeau

            À propos du fascisme britannique, on connaît surtout la célèbre British Union of Fascists ainsi que la figure majeure de son chef, Sir Oswald Mosley (1896-1980)-(1). On connaît beaucoup moins, en revanche, le personnage de James Strachey Barnes, un intellectuel anglais qui joua un certain rôle dans l’Italie fasciste. Beaucoup plus discret et moins scabreux que John Amery (2) ou William Joyce (3), Barnes fut, dès la fin des années 1920 et jusqu’au milieu des années 1950, l’un des grands thuriféraires anglo-saxons du fascisme et de Mussolini, ce qui mérite bien un petit coup de projecteur.

Un gentleman complet

            Fils de Sir Hugh Shakespear Barnes (1853-1940), haut-commissaire britannique au Baloutchistan, et de Winifred Strachey, James (ou Jim) Strachey Barnes voit le jour le 7 septembre 1890 à Shimla, dans le nord-ouest de l’Inde. Il a une sœur aînée, Mary, et il est le cousin du futur grand écrivain et critique Giles Lytton Strachey (1880-1932). Très tôt orphelins de mère, les enfants Barnes ne restent pas longtemps dans le Raj : en 1892, ils partent en effet pour Florence où résident leurs grands-parents qui vont les élever. À l’issue de cette première phase italienne, Jim est envoyé en Angleterre pour y être scolarisé. Il fréquente d’abord l’école préparatoire St Aubyns, à Rottingdean, puis entre, en 1904, au très chic collège de Eton. De là, il rejoint ensuite l’académie militaire de Sandhurst (1909), avant de voyager un peu (dans les Balkans notamment) et d’intégrer King’s College, à Cambridge, pour y étudier l’arabe. En fait, son père souhaiterait le voir faire carrière dans l’administration anglo-égyptienne, alors que Jim s’intéresse bien plus à l’économie et à la philosophie…

            De toute manière, ce cursus incertain s’interrompt brutalement en août 1914 avec le début de la Première Guerre mondiale. D’abord mobilisé dans un régiment de cavalerie de la Garde, Jim rejoint peu après le Royal Flying Corps, ancêtre de la RAF, où il sert comme pilote. C’est en cette qualité qu’il prend part à la bataille de la Somme (juillet-novembre 1916), puis à la bataille de Passchendaele (juillet-novembre 1917), et enfin à celle de Vittorio Veneto (octobre-novembre 1918). Vers la fin du conflit, il est commandant et assure la liaison entre les aviations britannique et italienne ; efficace et parfaitement bilingue, ses services sont appréciés, au point que l’ambassadeur d’Italie à Londres suggère même que lui soit décerné l’Ordre de la Couronne d’Italie. De ces quatre ans de guerre, qui furent pour lui « une grande aventure chevaleresque et individuelle », Barnes conserve, en tout cas, un souvenir plutôt positif. Dans le premier volume de ses Mémoires (4), il parle d’une vie quelque peu dissolue, ponctuée de blagues, de libations, de parties de cartes et de grivoiseries. Il raconte aussi qu’en guise de porte-bonheur, il emmenait toujours avec lui un bouchon de Veuve Cliquot 1904, et qu’au terme de certaines missions réussies, il arrivait à son copilote et observateur, Munro, de faire le vol de retour, allongé tout nu sur une aile de leur aéronef ! (5)

            Au lendemain de l’armistice, Jim s’intéresse sérieusement à la politique étrangère, notamment à la zone des Balkans et à l’Albanie. Il donne quelques conférences sur ce pays à la Royal Geographical Society, ce qui lui vaut d’intégrer la délégation du Foreign Office qui participe à la Conférence de la Paix (Paris, 1919). Son intérêt pour le pays des aigles ne se dément pas ; au début des années 1920, il s’implique d’ailleurs activement dans le développement économique du petit État dont il devient l’un des conseillers officiels. À l’en croire, on lui en aurait même offert le trône… (6) Grâce à sa sœur, Mary Hutchinson (7), proche du groupe de Bloomsbury, il fréquente aussi, durant un temps, l’avant-garde littéraire : en 1909, il rencontre Virginia Woolf, puis, en janvier 1914, D. H. Lawrence auquel il rend visite à Viareggio, en compagnie d’Edward Marsh (8). À la fin des années 1920, il se lie également avec T. S. Eliot (9), Max Beerbohm (1872-1956) et le peintre gallois Augustus John (1878-1961).

Catho-fascisme

            Rien de particulier ne le retenant en Grande-Bretagne, Jim repart en Italie, en 1924 : il y est à la fois employé de l’Anglo-Persian Oil Company (dont son père est l’un des dirigeants) et correspondant du Financial Times. Lorsqu’il arrive, Mussolini est au pouvoir depuis deux ans (30 octobre 1922) et le jeune Anglais s’enthousiasme pour le nouveau régime. Malgré la fâcheuse affaire Matteoti (10 juin 1924), il se fait dès lors l’éloquent avocat du fascisme. À vrai dire, il n’est pas le seul Britannique à subir la séduction du Duce. Dès le mois de mai 1923, le général Blakeney (10) et Miss Rotha Lintorn-Orman (11) ont fondé le mouvement des British Fascisti qui attire pas mal de beau monde (12). Chez les intellectuels, notamment catholiques, le fascisme suscite également un vif engouement. Apôtre du distributisme, Hilaire Belloc (1870-1953) ne se cache pas d’y être favorable, tout comme Sir Charles Petrie (1895-1977)-(13) ou encore Douglas Francis Jerrold (1893-1964)-(14), Christopher Hollis (1902-1977)-(15), Michael de la Bédoyère (1900-1973)-(16) et Douglas Woodruff (1897-1978)-(17). Le 25 novembre 1924, Jim publie, dans les colonnes du Times, une longue apologie du fascisme qui ne passe pas inaperçue (« The Fascist Regime : Aims and Achievements »). Deux ans plus tard, en janvier 1926, c’est à la tribune du Royal Institute of International Affairs et sous un angle fort bienveillant qu’il présente la doctrine fasciste, dans une conférence dont le texte (« The Doctrines and Aims of Fascism ») sera ultérieurement publié par la National Review (18).

            Issu d’une famille anglicane mais converti au catholicisme en juin 1914, Jim restera sa vie durant très attaché aux valeurs spirituelles chrétiennes. En 1925-26, il suit d’ailleurs certains enseignements dispensés par le Pontificio Collegio Beda, une institution du Vatican qui accueille les anciens clercs de l’Église d’Angleterre. Promu camérier de cape et d’épée du Pape Pie XI, il se veut proche de la hiérarchie ecclésiastique, au point même de demander la permission explicite du cardinal Francis Bourne avant de continuer à lire l’Action française que le Saint-Office vient de mettre à l’index. À la même époque (1927), il devient également membre honoraire du Parti national fasciste et accède au poste de secrétaire-général du Centre international d’études sur le fascisme (CINEF). Basé à Lausanne et fondé par le paléographe helvético-néerlandais Herman de Vries de Heekelingen (19), ce centre est surtout un véhicule de propagande. On y croise diverses personnalités européennes telles que le philosophe Giovanni Gentile (20), le comte Pál Teleki (21), les professeurs Walter Starkie (22) et Edmund Gardner (23), Lord Sydenham of Combe (24) et l’écrivain français Marcel Boulenger (25). Déjà associé à la rédaction des annuaires du CINEF, Barnes se lance alors dans un ambitieux projet d’exégèse de la pensée mussolinienne. En 1928, il publie The Universal Aspects of Fascism (Londres, William & Norgate Ltd), un ouvrage qui a pour but « d’offrir un exposé précis de la doctrine fasciste telle que la prônent les créateurs et les chefs du mouvement en Italie » (p. 239-240). Dédié à Sir John Barnes, le grand-père de Jim, le livre bénéficie d’une préface de Mussolini lui-même. Laudatif, ce dernier y qualifie l’auteur de « penseur anglais avisé, qui connaît parfaitement l’Italie et les Italiens, et tout aussi bien le fascisme » (p. XVII). Ce mouvement, précise ensuite le Duce, « est un phénomène purement italien dans son expression, mais dont les postulats doctrinaux possèdent un caractère universel » (p. XIX) – affirmation bien faite pour plaire à un Jim Barnes très imprégné d’universalisme chrétien. Pour l’Anglais, le fascisme – « seule idéologie politique capable de vaincre les forces de l’’agnosticisme’ libéral et de l’’athéisme’ communiste » (p. 7) – vient restaurer ou renforcer l’autorité sacrée de l’Église. « En règle général », affirme-t-il, « on peut définir le fascisme comme un mouvement politique et social qui a pour but de restaurer un ordre politique et social basé sur le principal courant des traditions qui ont façonné notre civilisation européenne, traditions créées par Rome, d’abord par l’Empire, puis par l’Église Catholique » (p. 35). En guise d’épilogue, Barnes adresse aux sympathisants fascistes du monde entier un pertinent conseil que nombre d’entre eux auront beaucoup de mal à suivre : « Ceux qui adhèrent à cette doctrine », écrit-il, « doivent trouver leur propre voie afin d’être en harmonie avec les conditions du pays dont ils sont les citoyens ; et dans un vieux pays comme la Grande-Bretagne, doté d’une longue histoire et tradition nationale, la voie constitutionnelle est incontestablement celle qu’ils doivent suivre (…) Les fascistes de chaque pays doivent faire du fascisme leur propre mouvement national, en adoptant des symboles et des tactiques qui correspondent aux traditions, à la psychologie et aux inclinations de leur propre nation » (p. 239-240). Le livre obtiendra une bonne critique de T. S. Eliot dans The Criterion (26).

            9781472505828.jpgLe 27 septembre 1930, Jim Barnes, qui a tout de même quarante ans, épouse Buona Pia Felice Guidotti, la fille d’un général italien ; le couple (qui a reçu les félicitations de Mussolini et du Pape) aura un fils, Adriano, dit « Job », qui naît l’année suivante (27). Les activités du CINEF étant sur le déclin, Jim travaille désormais comme directeur des ventes chez Vickers Aviation, ce qui ne l’empêche aucunement de poursuivre son activité éditoriale. Toujours soucieux de mieux faire connaître au public anglophone la doctrine mussolinienne, il publie, en 1931, Fascism (Londres, Thornton Buttersworth Ltd), un petit livre qui connaîtra plusieurs rééditions. Fidèle à ses convictions spirituelles, c’est une interprétation très chrétienne du fascisme que Jim offre à ses lecteurs. Pour lui, le saint-patron du fascisme n’est autre que François d’Assise, et quant à son modèle absolu, c’est Ignace de Loyola : « Jamais peut-être n’a existé un homme associant aussi parfaitement, et en un seul individu, la pensée et l’action », affirme-t-il. «  Il fut à la fois un philosophe, un soldat et un mystique. Il connaissait la valeur de la discipline et de l’autorité » (p. 76). Le fascisme, précise-t-il aussi, est « une force positive dont le but est de promouvoir la vertu » ; ce « n’est pas seulement un système politique ou social (…) mais une philosophie globale de la vie, une religion » (p. 18). Pour Jim, le fascisme « est une vigoureuse révolte contre le matérialisme, c’est à dire contre toutes les façons d’interpréter le monde d’un point de vue purement naturaliste et individualiste » (p. 43). Et « un gouvernement fondé sur le principe [autoritaire fasciste] », tranche-t-il, « serait en parfaite symbiose avec la tradition romaine » (p. 113). Le fascisme, c’est également un mouvement qui « fait tout ce qu’il peut pour éduquer les gens, pas seulement dans la perspective d’augmenter leurs connaissances, mais bien dans celle de forger les caractères, de promouvoir le jugement intuitif (jusqu’alors très négligé) et de développer le civisme et le sens moral » (p. 114). « Le fascisme », proclame-t-il enfin, « est décidé à faire des jeunes une génération d’individus qui croient à la Providence Divine, les hérauts d’un âge de foi ; à faire des jeunes une génération qui, grâce à sa foi, ne connaît pas la peur, va galvaniser l’esprit de sacrifice, affronter gaiement tous les dangers, soutenir la bonne cause, et subir le martyre avec le sourire » (p. 50). On voit que le disciple anglais du Duce ne manque pas de ferveur !

Propagandiste zélé

            En 1933, Barnes est embauché par l’agence Reuters pour couvrir l’actualité sur le sous-continent indien. La famille embarque donc pour Delhi, mais avant de partir, Jim prend tout de même le temps de faire paraître Half a Life (Londres, Eyre & Spottiswoode), le premier volume de ses Mémoires (le second, Half a Life Left, suivra quatre ans plus tard, chez le même éditeur). À côté de multiples anecdotes sur sa jeunesse, il y exprime une vive nostalgie du passé : « Tout ce que j’aimais en Angleterre », avoue-t-il, « semblait appartenir à une époque antérieure – les jolis villages d’antan qui incarnaient une prospère économie rurale, les belles cathédrales anciennes et les antiques temples du savoir que les catholiques avaient édifiés avant la Réforme, les élégantes demeures d’une aristocratie qui florissait avant l’avènement des nouveaux riches, tout ce qu’il subsistait d’un artisanat raffiné, dans le délicat mobilier et les ustensiles domestiques des siècles ayant précédé l’ère industrielle » (p. 42). Le séjour indien des Barnes sera relativement bref car en octobre 1935, Jim est mandaté par Reuters pour suivre les troupes italiennes qui se battent en Abyssinie. La famille regagne par conséquent l’Italie, tandis que lui-même rejoint l’Éthiopie. Il recevra plus tard (1938) la médaille d’argent de la valeur militaire pour sa belle conduite durant cette campagne. Ses reportages ayant toutefois été jugés trop partiaux et ouvertement favorables à l’Italie, l’agence Reuters mettra un terme à son contrat en 1937.

            Pour Jim, cette rupture n’est pas un drame puisqu’il se voit aussitôt chargé par le gouvernement fasciste d’entreprendre une tournée de promotion aux Etats-Unis. Il va y rester un peu plus d’un an, multipliant conférences et interviews dans la plupart des grandes métropoles du pays. À titre personnel, ce long séjour lui permet de prendre langue avec la National Union for Social Justice, le mouvement crypto-fasciste du père Charles Edward Coughlin (28). Rentré en Italie en 1939, c’est d’ailleurs dans les colonnes de Social Justice (un journal qui tire à un million d’exemplaires) que Jim va désormais s’exprimer. En accord avec les nouvelles orientations de Rome, il y prône un certain antisémitisme (29) et suggère notamment qu’il faudrait expulser tous les Juifs d’Europe. Selon lui, c’est à la Grande-Bretagne qu’il incombe de leur trouver un foyer : pas en Palestine, mais en Rhodésie du Nord (actuelle Zambie). Ce transfert, assure-t-il, « serait une gloire pour notre civilisation et une réalisation qui nous apporterait de nouveaux espoirs et nous redonnerait confiance en l’avenir du monde civilisé » (30). Dans un autre article, il accuse carrément les Juifs de vouloir construire, sur les ruines de la Chrétienté, une nouvelle Jérusalem, « un ordre universel dominé par leur propre communauté internationale, compacte, raciale et ésotérique » (31). Sur un tout autre plan, il souligne par ailleurs l’incompatibilité existant entre libéralisme (« une vile perversion » selon le Pape Léon XIII) et catholicisme, et rappelle aux chrétiens qu’il n’est d’autre choix pour eux que celui du fascisme. À l’occasion, il vante aussi les attraits du corporatisme, solution catholique au conflit capital-travail. Convaincu que les régimes italien, espagnol et portugais sont supérieurs au nazisme car clairement catholiques, il explique ensuite aux Yankees que l’influence de Mussolini finira bientôt par amener l’Allemagne à se corriger. Dans l’immédiat, et malgré sa sympathie pour la Pologne catholique, il lui paraît que le nazisme est néanmoins un instrument efficace pour défendre l’Europe contre le bolchevisme. Considérant que la guerre qui s’annonce doit se percevoir comme un conflit entre « l’Église du Christ (…) et les loges de Lucifer en révolte contre Dieu » (32), il estime enfin que l’avenir du continent repose sur une renaissance de l’Europe catholique. « L’Italie », déclare-t-il à ses lecteurs d’outre-Atlantique, « est l’espoir de l’Europe – c’est à dire de l’Europe civilisée et chrétienne. Et l’Espagne catholique agit en étroite coopération avec elle. Par conséquent, de cette guerre naîtra peut-être une ère nouvelle et plus glorieuse. Si tel est le cas, cela viendra d’un regain de vitalité de la conception romaine de la religion et de l’État que l’Italie, terre des Césars et patrie des Papes, aura rendu possible » (33). Cette ère nouvelle sera celle des États-Unis d’Europe – parmi lesquels il inclut aussi l’Irlande, la France, la Pologne et la Hongrie – qui seront enfin délivrés à jamais de la finance, de l’usure et de l’esprit néo-judaïque (34).

Un ami loyal

            Fidèle au fascisme, Jim Barnes est également très attaché à sa patrie d’adoption, comme il en témoigne noir sur blanc dans Io amo l’Italia : memorie di un giornalista inglese (Milan, Garzanti), un petit livre qu’il publie en 1939, à son retour d’Amérique. À la même époque, il rejoint le Ministère de la Culture Populaire (MinCulPop) où on lui offre un poste de speaker à la radio nationale. Avec l’entrée en guerre de l’Italie (juin 1940), cet emploi de propagandiste est tout sauf anodin. Habile causeur et possédant un gros réseau de relations qui lui fournissent de précieuses informations, Jim se fait vite apprécier de ses employeurs. On lui confie souvent le micro car il se révèle percutant dans ses caricatures de Churchill et Eden. C’est ainsi qu’entre décembre 1940 et septembre 1941, soit en neuf mois à peine, il ne réalise pas moins de 170 émissions (35). Cette activité radiophonique l’amène à faire la connaissance d’un autre speaker de prestige, le poète américain Ezra Loomis Pound (36), avec lequel il sympathise tout de suite. Les deux hommes collaborent sur divers projets communs, et lorsque Pound séjourne à Rome, il est souvent reçu chez les Barnes. Jim et le poète sont également passionnés d’économie : tous deux partagent le même intérêt pour le distributisme et le créditisme, ainsi qu’une même haine de l’usure. En 1943, c’est Jim qui s’efforcera de procurer un faux passeport à Ezra Pound, et c’est encore lui qui convaincra l’Américain de reprendre ses causeries à la radio de la République Sociale Italienne.

            En ce qui le concerne, Jim se trouve dans une situation tout aussi délicate que celle de Pound. Il a demandé la nationalité italienne en 1940, mais les choses ont traîné ; en 1943, il a enfin obtenu une réponse favorable mais le débarquement des Alliés (juillet-août) et l’armistice (8 septembre) sont venus à nouveau perturber le processus, et il n’a pu prêter serment dans les délais impartis. Il est donc encore britannique et figure en tête de la liste des traîtres, ce qui pourrait lui valoir la potence… Inquiet, il a rencontré le Pape Pie XII qui a confié au cardinal Montini (futur Paul VI) le soin de veiller à la sécurité de la famille. Le 12 septembre, il obtient des faux papiers grace auxquels il envisage de trouver asile en Suisse ; sur les conseils de ses amis Raimundo Fernández Cuesta (37), ambassadeur d’Espagne à Rome, et Luigi Lojacono, ambassadeur d’Italie à Madrid, il a un temps songé à émigrer en Espagne. De leur côté, les Allemands voudraient bien le récupérer pour la Reichsrundfunk, ce qui achèverait de le compromettre. Au final, les Barnes quittent la capitale le 21 septembre en direction de Venise où ils arrivent le 7 octobre. De là, Jim rallie son ministère qui s’est replié à Salò, sur le lac de Garde.

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Rita Zucca

Libéré par les Allemands (12 septembre 1943) et réinstallé au pouvoir, Mussolini réorganise ses forces. À compter du 1er décembre, son centre de propagande radiophonique est à nouveau opérationnel et Jim reprend ses interventions, depuis les studios de Milan. Avec Ezra Pound et la célèbre Rita Zucca (38), il animera notamment, en 1944, l’émission « Jerry’s Front Calling ». Outre cette présence sur les ondes, il signe une brochure, Giustizia Sociale : attraverso la riforma monetaria (La justice sociale : grâce à la réforme monétaire) qui paraît à Venise (39). « Il ne suffit pas », y affirme-t-il, « de sauver l’indépendance économique de l’Europe, mais encore faut-il aussi, à l’intérieur de cette Europe, éradiquer le système financier, monétaire et bancaire de type anglo-saxon et hébraïque, car tant qu’il persistera (et entre nous, il est encore loin d’être détruit), il rendra impossible l’instauration d’un véritable régime de justice sociale » (p. 11). Plutôt favorable aux ultras du régime (dont le fort peu clérical Farinacci), il donne régulièrement des articles à Croaciata Italica, le journal catho-fasciste que rédigent, entre autres, les prêtres Don Tullio Calcagno (40), Don Edmondo De Amicis (41), Don Antonio Padoan (42) et le capucin Fra Ginepro da Pompeiana (43). Loyal jusqu’au bout au régime qu’il sert depuis vingt ans, il s’entretient une dernière fois avec Mussolini le 9 avril 1945, avant de prendre, avec les siens, le chemin de Mérano.

           9780300192308_p0_v1_s550x406.jpg C’est donc au Tyrol du Sud qu’il apprend la mort du Duce (28 avril 1945), un drame qu’il n’hésite pas à qualifier de « plus grand crime depuis la crucifixion ». Activement recherché par les services secrets et la police militaire britanniques, Jim plonge dès lors dans la clandestinité la plus stricte. Son épouse demeure à Mérano, sans se cacher, mais lui-même disparaît totalement de la circulation. On le croit au Vatican, hébergé au Collège Pontifical Saint-Bede que l’on surveille en vain durant plusieurs mois. En fait, le fugitif est parti pour Bergame puis a trouvé refuge dans un couvent sicilien où il va séjourner jusqu’en août 1947. Pour quelqu’un d’aussi pieux que lui, cette réclusion monacale n’est pas un problème. À la fin de l’occupation britannique, il prolonge d’ailleurs sa retraite – on n’est jamais trop prudent – et continue à bénéficier de l’hospitalité de divers monastères, dans le Latium et le Piémont. Ce n’est qu’en septembre 1949 qu’il réapparaît au grand jour et retrouve les siens à Rome. Quatre ans ont passé, on est en pleine guerre froide et Londres ne s’intéresse plus du tout à lui. Barnes n’a renoncé à aucune de ses convictions mais la page du fascisme semble désormais tournée. Employé par une compagnie pétrolière, il garde le contact avec quelques vétérans de l’épopée mussolinienne mais n’a plus vraiment d’activité politique. Il correspond toutefois, de temps en temps, avec Ezra Pound et adresse même une lettre à Churchill pour lui demander d’intercéder en faveur du poète qui se morfond toujours à l’hôpital St Elizabeths, à Washington. En 1953 et avec dix ans de retard, Jim connaît enfin l’immense satisfaction d’être officiellement naturalisé italien. Il devient définitivement Giacomo Barnes, identité sous laquelle il succombe le 25 août 1955, et qui figure sur sa tombe au cimetière romain du Verano. « Aucun Italien digne de ce nom » affirmera l’historien et diplomate Luigi Villari (1876-1959), « n’oubliera jamais ce cher Jim, ses sacrifices pour la cause italienne, et les risques qu’il a courus pour la servir ».

 

                                                                                                          Christophe Dolbeau

Notes:

(1) Voy. R. Skidelsky, Oswald Mosley, Londres, Macmillan, 1975 ; C. Dolbeau, Les Parias, Lyon, Irminsul, 2001, pp. 93-110 ; R. Tremblay, Oswald Mosley – L’Union fasciste britannique, Paris, Synthèse nationale, Cahiers d’histoire du nationalisme, n° 14, 2018.

(2) Voy. Adrian Weale, Patriot Traitors, Londres, Viking, 2001 ; Josh Ireland, The Traitors, Londres, John Murray, 2017.

(3) Voy. W. Cole, Lord Haw-Haw and William Joyce, Londres, Faber & Faber, 1964 ; F. Selwyn, Hitler’s Englishman, Londres, Routledge & Kegan, 1987 ; C. Dolbeau, op. cit., pp. 81-91.

(4) J. S. Barnes, Half a Life, Londres, Eyre & Spottiswoode, 1933, pp. 230, 233, 234.

(5) Voy. T. Villis, British Catholics and Fascism : Religious Identity and Political Extremism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013, p. 21.

(6) Ce pays avait bien eu pour monarque, en 1914, le prince allemand Guillaume de Wied, alias Vilhelm Vidi (1876-1945)…

(7) Nouvelliste de talent, Mary Hutchinson (1889-1977) fut la grande amie du critique Clive Bell, de Aldous Huxley, Georges Duthuit, Samuel Becket et Virgina Woolf.

(8) Edward Marsh (1872-1953) était un célèbre traducteur et protecteur des arts. Il fut en outre le chef de cabinet de W. Churchill et de Lord Asquith.

(9) qui parle de lui à son frère aîné, Henry Ware Eliot (1879-1947), en 1937, et le qualifie à cette occasion de « drôle d’oiseau » ou queer bird

(10) R. B. D. Blakeney (1872-1952) est un officier du génie qui a servi au Soudan et en Afrique du Sud, avant de diriger les chemins de fer égyptiens (1906-1923).

(11) Rotha Lintorn-Orman (1895-1935) est la petite-fille du maréchal Lintorn Simmons. Infirmière durant la Première Guerre mondiale et décorée deux fois de la Croix de la Charité pour son rôle au cours du grand incendie de Salonique (1917), elle dirige après-guerre l’auto-école de la Croix Rouge britannique. Voy. R. Thurlow, Fascism in Britain – A History, 1918-1985, Oxford, Basil Blackwell, 1987, pp. 51-57.

(12) Notamment les généraux Sir Ormonde Winter (ancien directeur adjoint de la police et du renseignement en Irlande) et T. Erskine Tulloch, le colonel et député Sir Charles Burn, l’amiral John Armstrong, ainsi que plusieurs membres de l’aristocratie terrienne, comme Lord Garvagh, Lord Ernest Hamilton, le marquis de Ailesbury et Sir Arthur Hardinge, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne en Espagne. Voy. Martin Pugh, ‘Hurrah for the Blackshirts !’, Londres, Pimlico, 2006, p. 52.

(13) Historien, Sir Charles Petrie signe en 1931 Mussolini (Londres, Holme Press), une biographie très flatteuse du Duce. Il sera l’un des principaux soutiens du général Franco au Royaume-Uni.

(14) Éditeur de l’English Review, Douglas Francis Jerrold sera mêlé de très près, en juillet 1936, à l’envoi d’un avion et de deux pilotes pour transporter le général Franco des Canaries au Maroc. En 1930, il avait publié Storm Over Europe (Londres, Ernest Benn), un roman très favorable à l’idéologie fasciste où il se référait à une conception catholique et traditionaliste de l’histoire.

(15) En 1941, Christopher Hollis publiera un ouvrage, Italy in Africa (Londres, Hamish Hamilton), très favorable à l’action de l’Italie fasciste en Afrique.

(16) Entre 1934 et 1962, Michael de la Bédoyère sera le rédacteur en chef du Catholic Herald.

(17) Entre 1936 et 1967, Douglas Woodruff sera le rédacteur en chef de l’hebdomadaire catholique The Tablet.

(18) N° 87 (1926), pp. 568-586.

(19) Néerlandais de naissance mais naturalisé suisse, Herman de Vries de Heekelingen (1880-1942) fut professeur de paléographie à l’Université de Nimègue. Fondateur du Centre International d’Études sur le Fascisme (CINEF), il a également créé le Centre International de Documentation sur les Organisations Politiques. Admirateur du national-socialisme, il a écrit plusieurs ouvrages antisémites dont Israël. Son passé. Son avenir (1937), L’orgueil juif (1938), Le Talmud et le non-juif (1938) et L’Antisémitisme italien (1940), livres ayant tous connu de nombreuses traductions.

(20) Philosophe et pédagogue, Giovanni Gentile (1875-1944) sera président de l’Institut National fasciste de Culture et de l’Académie d’Italie ; ministre de l’Instruction publique (1922-1924), il sera également directeur scientifique de l’Encyclopédie Italienne (1925-1938). Il sera assassiné, le 15 avril 1944, à Florence, par des partisans communistes.

(21) Géographe et membre de l’Académie hongroise des sciences, Pál Teleki (1879-1941) a été à deux reprises Premier ministre du Royaume de Hongrie.

(22) Walter Starkie (1894-1976) est un hispaniste irlandais, musicien et spécialiste du peuple rom. Il sera le fondateur et premier directeur de l’Institut Britannique de Madrid.

(23) Edmund G. Gardner (1869-1935) est professeur de langue et littérature italienne, spécialiste de Dante. Membre des universités de Londres et Manchester, il siège à l’Académie britannique.

(24) Ancien colonel du génie, Lord Sydenham of Combe (1848-1933) a été gouverneur de l’État de Victoria (1901-1903), en Australie, puis gouverneur de Bombay (1907-1913).

(25) Ancien escrimeur olympique et romancier, Marcel Boulenger (1873-1932) est également un collaborateur de l’Action française et de la Revue des deux Mondes.

(26) The Criterion, n° 8 (1928), pp. 280-290 (« The Literature of Fascism »)

(27) Il décèdera en 1987.

(28) Américano-canadien, Charles Edward Coughlin (1891-1979) est un prêtre catholique et animateur de radio. Favorable à une réforme monétaire, antisémite et favorable au fascisme, il se verra contraint par sa hiérarchie, en 1942, de mettre fin à son action politique.

(29) À la fin de l’été et à l’automne 1938, Mussolini prend une série de lois raciales et antisémites.

(30) Voy. « The Jewish Problem – and a Solution », Social Justice du 17 avril 1939.

(31) Social Justice du 14 août 1939.

(32) Social Justice du 24 juillet 1939 (« Tragedy of Chamberlain »).

(33) Social Justice du 11 décembre 1939.

(34) On retrouve là les thèmes chers à son ami Ezra Pound.

(35) Dont voici certains titres : « Glané dans la presse britannique », « Merci mon Dieu pour les erreurs de nos ennemis », « Les vrais maîtres de l’Inde », « La ploutocratie britannique », « Le salut de la civilisation européenne », « Résister ou mourir », « La réponse au traître De Gaulle », « Une réplique à Churchill », etc.

(36) Sur Ezra Loomis Pound (1885-1972), voy. Les Cahiers de l’Herne, n° 6 et 7, 1965 (Ezra Pound 1 et 2) ; Noel Stock, The Life of Ezra Pound, Harmondsworth, 1970 ; John Tytell, Ezra Pound – Le volcan solitaire, Paris, Seghers, 1990 ; C. Dolbeau, op. cit., pp. 259-267.

(37) Raimundo Fernández Cuesta (1896-1992) était l’un des fondateurs de la Phalange dont il fut longtemps le secrétaire général. Après la Seconde Guerre mondiale, il sera ministre de la Justice.

(38) Rita Zucca (1912-1998) était une Italo-Américaine, originaire de New York, qui s’exprimait sur les ondes de la radio italienne. Naturalisé italienne, elle ne fut pas poursuivie par la justice américaine mais écopa néanmoins, devant un tribunal militaire italien, de quelques mois de prison.

(39) Cette brochure a été rééditée en 1995 par Barbarossa (Milan).

(40) Excommunié (24 mars 1945), Don Tullio Calcagno (1899-1945) sera arrêté, à Crema, par des partisans communistes (24 avril 1945), transféré à Milan, condamné à mort et exécuté, en compagnie de l’aveugle de guerre et médaille d’or de la valeur militaire Carlo Borsani. D’abord jetés dans une benne à ordures, leurs corps seront ensuite inhumés dans une tombe anonyme.

(41) Aumônier militaire et vétéran des campagnes d’Afrique, Don Edmondo de Amicis (1885-1945) s’exprimait régulièrement au micro de la radio fasciste. Victime le 24 avril 1945 d’un attentat communiste, il décède de ses blessures deux jours plus tard.

(42) Curé de Castelvittorio, Don Antonio Padoan sera assassiné le 8 mai 1944 par des partisans communistes. Son nom sera donné à la XXXIIe Brigade noire.

(43) Aumônier militaire et vétéran des campagnes d’Ethiopie et d’Albanie, le capucin Ginepro da Pompeiana (1903-1962) sera incarcéré à Gênes en 1945. 

Bibliographie:

– James S. Barnes, The Universal Aspects of Fascism, Londres, William & Norgate Ltd, 1928 ; id., Fascism, Londres, Thornton Buttersworth Limited, 1931 ; id., Half a Life, Londres, Eyre & Spottiswoode, 1933 ; id., Io amo l’Italia : memorie di un giornalista inglese, Milan, Garzanti, 1939 ; id. A British Fascist in the Second World War – The Italian War Diary of James Strachey Barnes, 1943-45, Londres, Bloomsbury Academic, 2014.

– Giacomo Barnes, Giustizia Sociale : attraverso la riforma monetaria, Milan, Barbarossa, 1995.

– R. Thurlow, Fascism in Britain – A History, 1918-1985, Oxford, Basil Blackwell, 1987.

– T. Linehan, British Fascism, 1918-39 : Parties, Ideology and Culture, Manchester, Manchester University Press, 2000.

– Martin Pugh, ‘Hurrah for the Blackshirts !’ – Fascists and Fascism in Britain between the Wars, Londres, Pimlico, 2006.

– David Bradshaw et James Smith, « Ezra Pound, James Strachey Barnes (‘The Italian Lord Haw-Haw’) and Italian Fascism », Review of English Studies, n° 64 (266), 2013, pp. 672-693.

– T. Villis, British Catholics and Fascism : Religious Identity and Political Extremism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013.

– Paul Jackson, « James Strachey Barnes and the Fascist Revolution : Catholicism, Anti-Semitism and the International New order », dans Modernism, Christianity and Apocalypse (sous la direction de Erik Tonning), Leyde, Brill, 2014, pp. 187-205.

mercredi, 01 avril 2020

The Expulsion of the Moriscos: Matthew Carr’s Blood & Faith

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The Expulsion of the Moriscos:
Matthew Carr’s Blood & Faith

610IWMl7uaL._SX323_BO1,204,203,200_.jpgMatthew Carr
Blood and Faith: The Purging of Muslim Spain
New York: New Press, 2009

There is something about the Spain of centuries past that is so dreadfully modern. One situation was the presence of large numbers of Muslim Moors after the conquest of Granada in 1492. The Moorish community arrived in Spain during the Islamic conquest of Iberia which started in 711 AD.

The Islamic conquest of Spain is unique in that a less advanced civilization conquered a more advanced one. It is also unique in that the conquerors came from the south of the conquered. The Romans were situated south of many of their conquests, but they were a very advanced civilization indeed and Rome itself is pretty far north — 41 degrees Latitude.

The Moorish conquest occurred prior to the revolution in military affairs caused by gunpowder. In that situation, “barbarians,” be it Mongols, Vikings, or Arabs armed with swords and spears could use what the US Army calls “the characteristics of the offense.” Simply put: surprise, concentration, audacity, and tempo to take over. In other words, you get a bunch of healthy and armed young men and attack some place just before dawn.

While there is much talk of an “Islamic Golden Age” as well as the appearance of “science” going on in Moorish Cordoba, it is clear from the historical record of the Reconquista that the Spanish recovered their balance and started to become economically and militarily dominant over the Moors rather quickly because they were a superior civilization in all respects. The “Islamic Golden Age” is probably a fiction invented by historians with no experience with Muslims or Islamic society while having an anti-Catholic or anti-Spanish bias. By the late Middle Ages, there is a sense that a final Spanish victory in Iberia was only a matter of time.

The last Moorish stronghold at Granada fell in 1492. The final battle was not a straight-up, blood-soaked military conquest; the last Moorish chieftain Boabdil turned over the keys to the city to Ferdinand and Isabella when it became clear that further Islamic resistance was futile. While Ferdinand and Isabella had advisors that wished to immediately extirpate Islam from Spain, Royal policy became one of toleration — at least in the short term.

Granada and its surrounding area was an extension of North Africa. The streets in the towns were narrow and mosques abounded. The villages in the hinterland of Granada were also populated by Moors. A large Moorish population also lived around Valencia, on the east coast of Spain. After the fall of Granada, the Moors remaining in Iberia became known as Moriscos, i.e. “little Moors.” Castilian settlers slowly moved into Granada and its surrounding region.

The Morisco Wars

Carr catalogs the sharp problems between the Moriscos and the native Iberian Spanish. Indeed, the Moriscos and Iberians lived in parallel societies. The Moriscos revolted in Granada in 1500. Although there were some setbacks, the Spanish military crushed the revolt and the Muslims in Granada were officially converted in 1501.

Meanwhile, in Valencia, there was a large population of Moriscos who worked on the estates of the landed Spanish gentry. Moriscos were protected by the Spanish wealthy, who felt that they couldn’t manage without cheap Morisco labor. The parallels of this situation to non-white, illegal immigration today with regards to the wealthy are obvious. The region was also plagued with crime. In 1521, native Iberian Spaniards revolted. Estates were burned and the Morisco population was converted or put to the sword. The Spanish establishment regained control by 1522, but the situation had changed. Valencia’s Moriscos were “Christians,” but suspicion and racial tensions remained.

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The ugliest war started in the village of Cadiar on Christmas Eve in 1568. Moriscos from the village murdered Spanish soldiers garrisoned in the town in their beds. The revolt spread to Granada and the rest of the Alpujarras Mountain Range. The Christians managed to hold Granada and the Spanish military eventually suppressed the rebellion. The fighting was vicious, not unlike the ugly, no-holds-barred fighting in Bosnia in the early 1990s.

The parallels of this situation were also like that of the non-white problems in the United States starting with the “civil rights” disorders from the 1960s. Like America, being at the height of its power and dealing with an existential threat from the Soviet Union in LBJ’s time, Spain was at the height of its power and dealing with an existential threat in the Mediterranean from the Ottoman Empire. In the same way many in the US viewed black rioting as part of a greater Communist conspiracy, so too did many Spaniards view Moriscos as a potentially subversive force. There is considerable evidence to show that “civil rights” was supported to a degree by Communists in the 1960s, and even more evidence between the lines in Blood and Faith that show Moriscos were helping out North African corsairs and other Muslims in various ways; although not all the time by all the Moriscos.

Civic Nationalism & Limpieza de Sangre

Spanish policy towards its non-native Iberian Moorish and Jewish populations was dual-natured. On the one hand, the Spanish government used the Roman Catholic Church as a vector for civic nationalism. As long as a Jew or Morisco converted, these populations could be considered loyal Spanish citizens. However, the magic of civic nationalism never really took. The Jewish situation is well known, but the Morisco situation needs further explanation. Pastoral care for Moriscos was something of a boondoggle. If a priest showed up at all, they often took the money and did little for the community. Moriscos also never fully converted. After the fall of Granada, Islamic scholars urged Moriscos to practice taqiyya, a form of deception allowed under Islamic law if a Muslim community was under threat. The Spanish were never able to really trust the converted Moriscos.

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Again, the parallels to non-whites in modern America and modern Europe abound. Like black football players kneeling during the national anthem, Moriscos with blank faces at mass represented a rejection of the rituals of civic nationalism. Identity issues also bubbled up regarding Morisco clothing. Morisco women wearing a veil and Morisco men wearing a turban were perceived to be carrying out a hostile act. (Much like the perception of hijab wearers in Yorkshire or Paris today by modern Europeans.) Even funeral practices caused controversy. If the dead were washed and buried in a Muslim way, community tensions and suspicions arose. Moriscos spoke Spanish with a different accent from the native Iberians, but not in all places or at all times.

Eventually, it became clear to the Spanish intellectual and political elite that a policy of Limpieza de Sangre (purity of blood) was the only way to deal with the Morisco problem. That is to say, citizenship became based on racial relatedness rather than belief in an ideology. Proposals for expelling the Moriscos first came up in 1492, but it took until 1609 for any action to be taken. There were all sorts of sticking points: the wealthy wanted pliable Third World workers, and many in the Catholic hierarchy genuinely cared about the immortal souls of the Moriscos. Some felt that the Moriscos would empower the Islamic World if they were sent to North Africa. Eventually, the problems with the Ottoman Turks, the Islamic corsairs, fear of demographic eclipse, and years of metapolitical activism by patriotic native Iberian Spanish monks, friars, and intellectuals combined to bring about expulsion.

The affair started in Valencia and then other regions of Spain carried out their own expulsions. Some Moriscos were able to sell their property and make new lives in their ancestral North Africa. Some Moriscos were impoverished by the expulsion. It is certain that a few Moriscos were robbed and murdered by unscrupulous sailors or soldiers charged with evacuating them. This was not Spanish policy, though; those caught doing such deeds were arrested and often hanged. A few Moriscos returned to a different region of Spain from where they were expelled and blended in as though they were native Iberians.

Several items stick out:

  1. Civic nationalism through Roman Catholicism failed to work in part because the Moriscos deliberately rejected the idea and antagonized the Spanish when they clearly failed to perform civic nationalist rituals.
  2. The Spanish paid an economic price when expelling the Moors. In particular, the economy of Valencia experienced a setback. One pays to sustain the burden of vibrant diversity and one pays even more to remove vibrant diversity.
  3. Regardless, the real economic shock to the Spanish Empire was the Spanish inability to engage in complex commercial activities. The Spanish wars with the Dutch and English contributed to Spanish Imperial decline, not the removal of the Moriscos. This book implies that the removal of the Moriscos was a major factor — I disagree.
  4. In light of Rotherham grooming gangs, Salafi Jihadist terrorism, ISIS, and street crime observed today, one can easily infer that Moriscos were less than stellar citizens. There really were Barbary corsairs colluding with Moriscos to capture Christian slaves. Had the Moriscos remained in Spain, there would have been another Morisco War sometime in the mid-1600s.

On a final note, albeit from an outsider’s perspective, it is unfortunate that the tension in Spain between the civic nationalism of the Roman Catholic Church and the Inquisition versus the concept of Limpieza de Sangre was never reconciled by separating the two concepts. For many Spaniards, their nationality became defined by their Roman Catholicism. Spain became a proposition nation based around an ideology when it didn’t need to be. As a result, Spanish society had a far more difficult time absorbing ideas that clashed with Catholicism than other European groups such as the English or French. This helped contribute to cultural stagnation and the rise of an anti-clerical faction in Spanish culture that was a toxic mixture of Jacobin leftism and solid logical reasoning. This problem contributed to Spain’s appalling and tragic civil war of the 1930s.

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Matthew Carr, Blood and Faith’s author, is hostile to Spain’s expulsion of the Moriscos as well as Europe’s increasing anti-Islam stances today. However, this book is very interesting. Indeed, Mr. Carr should have the final word:

If some contemporary “Islamic threat” narratives echo medieval anti-Islamic polemics in their depictions of Islam as an inherently aggressive “religion of the sword,” the construction of the contemporary Muslim enemy often fuses culture, religion, and politics in ways that would not be entirely unfamiliar to a visitor from Hapsburg Spain. Just as sixteenth-century Spanish officials regarded the Moriscos as “domestic enemies” with links to the Barbary corsairs and the Ottomans, so journalists and “terrorism experts” increasingly depict Europe’s Muslims as an “enemy within” with links to terrorism and enemies beyond Europe’s borders. Just as inquisitors regarded Morisco communities as inscrutable bastions of covert Mohammedanism and sedition, so some of these commenters depict a continent pockmarked with hostile Muslim enclaves, “Londonistans,” and no-go areas that lie entirely outside the vigilance and control of the state, in which the sight of a beard, a shalwar kameez (unisex pajamalike outfit), or a niqab (veil) is evidence of cultural incompatibility or refusal to integrate.”

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

URL to article: https://www.counter-currents.com/2020/03/matthew-carrs-blood-faith/

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dimanche, 29 mars 2020

Russia’s World Mission

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Russia’s World Mission

Ex: https://blackhousepublishing.com

It would be easy to regard Oswald Spengler, author of the epochal Decline of The West in the aftermath of World War I, as a Russophobe. In so doing the role of Russia in the unfolding of history from this era onward could be easily dismissed, opposed or ridiculed by proponents of Spengler, while in Russia his insights into culture-morphology would be understandably unwelcome as being from an Slavophobic German nationalist. However, while Spengler, like many others of the time in the aftermath of the Bolshevik Revolution, regarded – partially – Russia as the Asianised leader of a ‘coloured revolution’ against the white world, he also considered other possibilities.

RUSSIA’S ‘SOUL’

Spengler regarded Russians as formed by the vastness of the land-plain, as innately antagonistic to the Machine, as rooted in the soil, irrepressibly peasant, religious, and ‘primitive’. Without a wider understanding of Spengler’s philosophy it appears that he was a Slavophobe. However, when Spengler wrote of these Russian characteristics he was referencing the Russians as a still youthful people in contrast to the senile West. Hence the ‘primitive’ Russian is not synonymous with ‘primitivity’ as popularly understood at that time in regard to ‘primitive’ tribal peoples. Nor was it to be confounded with the Hitlerite perception of the ‘primitive Slav’ incapable of building his own State.

To Spengler, the ‘primitive peasant’ is the well-spring from which a race draws its healthiest elements during its epochs of cultural vigour. Agriculture is the foundation of a High Culture, enabling stable communities to diversify labour into specialisation from which Civilisation proceeds.

However, according to Spengler, each people has its own soul, a German conception derived from the German Idealism of Herder, Fichte et al. A High culture reflects that soul, whether in its mathematics, music, architecture; both in the arts and the physical sciences. The Russian soul is not the same as the Western Faustian, as Spengler called it, the ‘ Magian’ of the Arabian civilisation, or the Classical of the Hellenes and Romans. The Western Culture that was imposed on Russia by Peter the Great, what Spengler called Petrinism, is a veneer.

The basis of the Russian soul is not infinite space – as in the West’s Faustian (Spengler, 1971, I, 183) imperative, but is ‘the plain without limit’ (Spengler, 1971, I, 201). The Russian soul expresses its own type of infinity, albeit not that of the Western which becomes even enslaved by its own technics at the end of its life-cycle. (Spengler, 1971, II, 502). (Although it could be argued that Sovietism enslaved man to machine, a Spenglerian would cite this as an example of Petrinism). However, Civilisations follow their life’s course, and one cannot see Spengler’s descriptions as moral judgements but as observations. The finale for Western Civilisation according to Spengler cannot be to create further great forms of art and music, which belong to the youthful or ‘ spring’ epoch of a civilisation, but to dominate the world under a technocratic-military dispensation, before declining into oblivion like prior world civilisations. It is after this Western decline that Spengler alluded to the next world civilisation being that of Russia.

According to Spengler, Russian Orthodox architecture does not represent the infinity towards space that is symbolised by the Western high culture’s Gothic Cathedral spire, nor the enclosed space of the Mosque of the Magian Culture, (Spengler, 1971, I, 183-216) but the impression of sitting upon a horizon. Spengler considered that this Russian architecture is ‘not yet a style, only the promise of a style that will awaken when the real Russian religion awakens’ (Spengler, 1971, I, p. 201). Spengler was writing of the Russian culture as an outsider, and by his own reckoning must have realised the limitations of that. It is therefore useful to compare his thoughts on Russia with those of Russians of note.

41JkTwFc0dL.jpgNikolai Berdyaev in The Russian Idea affirms what Spengler describes:

There is that in the Russian soul which corresponds to the immensity, the vagueness, the infinitude of the Russian land, spiritual geography corresponds with physical. In the Russian soul there is a sort of immensity, a vagueness, a predilection for the infinite, such as is suggested by the great plain of Russia. (Berdyaev, 1).

The connections between family, nation, birth, unity and motherland are reflected in the Russian language:

род [rod]: family, kind, sort, genus родина [ródina]: homeland, motherland родители [rodíteli]: parents родить [rodít’]: to give birth роднить [rodnít’]: to unite, bring together родовой [rodovói]: ancestral, tribal родство [rodstvó]: kinship

Western-liberalism, rationalism, even the most strenuous efforts of Bolshevik dialectal materialism, have so far not been able to permanently destroy, but at most repress, these conceptions – conscious or unconscious – of what it is to be ‘Russian’. Spengler, as will be seen, even during the early period of Russian Bolshevism, already predicted that even this would take on a different, even antithetical form, to the Petrine import of Marxism. It was soon that the USSR was again paying homage to Holy Mother Russia rather than the international proletariat.

‘RUSSIAN SOCIALISM’

Of the Russian soul, the ego/vanity of the Western culture-man is missing; the persona seeks impersonal growth in service, ‘in the brother-world of the plain’. Orthodox Christianity condemns the ‘I’ as ‘sin’ (Spengler, 1971, I, 309).

The Russian concept of ‘we’ rather than ‘I’, and of impersonal service to the expanse of one’s land implies another form socialism to that of Marxism. It is perhaps in this sense that Stalinism proceeded along lines often antithetical to the Bolshevism envisaged by Trotsky et al. (Trotsky, 1936).

A recent comment by an American visitor to Russia, Barbara J. Brothers, as part of a scientific delegation, states something akin to Spengler’s observation:

The Russians have a sense of connectedness to themselves and to other human beings that is just not a part of American reality. It isn’t that competitiveness does not exist; it is just that there always seems to be more consideration and respect for others in any given situation.

Of the Russian traditional ethos, intrinsically antithetical to Western individualism, including that of property relations, Berdyaev wrote:

Of all peoples in the world the Russians have the community spirit; in the highest degree the Russian way of life and Russian manners, are of that kind. Russian hospitality is an indication of this sense of community. (Berdyaev, 97-98).

9782081223219.jpgTARAS BULBA

Russian National Literature starting from the 1840s began to consciously express the Russian soul. Firstly Nikolai Vasilievich Gogol’s Taras Bulba, which along with the poetry of Pushkin, founded a Russian literary tradition; that is to say, truly Russian, and distinct from the previous literature based on German, French and English. John Cournos states of this in his introduction to Taras Bulba:

The spoken word, born of the people, gave soul and wing to literature; only by coming to earth, the native earth, was it enabled to soar. Coming up from Little Russia, the Ukraine, with Cossack blood in his veins, Gogol injected his own healthy virus into an effete body, blew his own virile spirit, the spirit of his race, into its nostrils, and gave the Russian novel its direction to this very day.

Taras Bulba is a tale on the formation of the Cossack folk. In this folk-formation the outer enemy plays a crucial role. The Russian has been formed largely as the result of battling over centuries with Tartars, Muslims and Mongols.

Their society and nationality were defined by religiosity, as was the West’s by Gothic Christianity during its ‘Spring’ epoch, in Spenglerian terms. The newcomer to a Setch, or permanent village, was greeted by the Chief as a Christian and as a warrior: ‘Welcome! Do you believe in Christ?’ —‘I do’, replied the new-comer. ‘And do you believe in the Holy Trinity?’— ‘I do’.—‘And do you go to church?’—‘I do.’ ‘Now cross yourself’. (Gogol, III).

Gogol depicts the scorn in which trade is held, and when commerce has entered among Russians, rather than being confined to non-Russians associated with trade, it is regarded as a symptom of decadence:

I know that baseness has now made its way into our land. Men care only to have their ricks of grain and hay, and their droves of horses, and that their mead may be safe in their cellars; they adopt, the devil only knows what Mussulman customs. They speak scornfully with their tongues. They care not to speak their real thoughts with their own countrymen. They sell their own things to their own comrades, like soulless creatures in the market-place…. . Let them know what brotherhood means on Russian soil! (Spengler, 1971, II, 113).

Here we might see a Russian socialism that is, so far form being the dialectical materialism offered by Marx, the mystic we-feeling forged by the vastness of the plains and the imperative for brotherhood above economics, imposed by that landscape. Russia’s feeling of world-mission has its own form of messianism whether expressed through Christian Orthodoxy or the non-Marxian form of ‘world revolution’ under Stalin, or both in combination, as suggested by the later rapport between Stalinism and the Church from 1943 with the creation of the Council for Russian Orthodox Church Affairs (Chumachenko, 2002). In both senses, and even in the embryonic forms taking place under Putin, Russia is conscious of a world-mission, expressed today as Russia’s role in forging a multipolar world, with Russia as being pivotal in resisting unipolarism.

Commerce is the concern of foreigners, and the intrusions bring with them the corruption of the Russian soul and culture in general: in speech, social interaction, servility, undermining Russian ‘brotherhood’, the Russian ‘we’ feeling that Spengler described. (Spengler 1971, I, 309).

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The Cossack brotherhood is portrayed by Gogol as the formative process in the building up of the Russian people. This process is not one of biology but of spirit, even transcending the family bond. Spengler treated the matter of race as that of soul rather than of zoology. (Spengler, 1971, II, 113-155). To Spengler landscape was crucial in determining what becomes ‘race’, and the duration of families grouped in a particular landscape – including nomads who have a defined range of wandering – form ‘a character of duration’, which was Spengler’s definition of ‘race’. (Spengler, Vol. II, 113). Gogol describes this ‘ race’ forming process among the Russians. So far from being an aggressive race nationalism it is an expanding mystic brotherhood under God:

The father loves his children, the mother loves her children, the children love their father and mother; but this is not like that, brothers. The wild beast also loves its young. But a man can be related only by similarity of mind and not of blood. There have been brotherhoods in other lands, but never any such brotherhoods as on our Russian soil. (Golgol, IX).

The Russian soul is born in suffering. The Russian accepts the fate of life in service to God and to his Motherland. Russia and Faith are inseparable. When the elderly warrior Bovdug is mortally struck by a Turkish bullet his final words are exhortations on the nobility of suffering, after which his spirit soars to join his ancestors. (Gogol, IX). The mystique of death and suffering for the Motherland is described in the death of Tarus Bulba when he is captured and executed, his final words being ones of resurrection:

‘Wait, the time will come when ye shall learn what the orthodox Russian faith is! Already the people scent it far and near. A czar shall arise from Russian soil, and there shall not be a power in the world which shall not submit to him!’ (Gogol, XII).

PSEUDOMORPHOSIS

A significant element of Spengler’s culture morphology is ‘Historic Pseudomorphosis’. Spengler drew an analogy from geology, when crystals of a mineral are embedded in a rock-stratum: where ‘clefts and cracks occur, water filters in, and the crystals are gradually washed out so that in due course only their hollow mould remains’. (Spengler, II, 89).

By the term ‘historical pseudomorphosis’ I propose to designate those cases in which an older alien Culture lies so massively over the land that a young Culture, born in this land, cannot get its breath and fails not only to achieve pure and specific expression-forms, but even to develop its own fully self-consciousness. All that wells up from the depths of the young soul is cast in the old moulds, young feelings stiffen in senile works, and instead of rearing itself up in its own creative power, it can only hate the distant power with a hate that grows to be monstrous. (Ibid.).

A dichotomy has existed for centuries, starting with Peter the Great, of attempts to impose a Western veneer over Russia. This is called Petrinism. The resistance of those attempts is what Spengler called ‘Old Russia’. (Spengler, 1971, II, 192). Spengler described this dichotomy:

Nikolai Berdyaev wrote in terms similar to Spengler’s: ‘Russia is a complete section of the world, a colossal East-West. It unites two worlds, and within the Russian soul two principles are always engaged in strife – the Eastern and the Western’. (Berdyaev, 1).

With the orientation of Russian policy towards the West, ‘Old Russia’ was ‘forced into a false and artificial history’. (Spengler, II, 193). Spengler wrote that Russia had become dominated by Late Western culture:

Late-period arts and sciences, enlightenment, social ethics, the materialism of world-cities, were introduced, although in this pre-cultural time religion was the only language in which man understood himself and the world. (Spengler, 1971, II, 193).

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Ivan Aksakov

‘The first condition of emancipation for the Russian soul’, wrote Ivan Sergyeyevich Aksakov, founder of the anti-Petrinist ‘Slavophil’ group, in 1863 to Dostoyevski, ‘is that it should hate Petersburg with all this might and all its soul’. Moscow is holy, Petersburg Satanic. A widespread popular legend presents Peter the Great as Antichrist.

The hatred of the ‘West’ and of ‘Europe’ is the hatred for a Civilisation that had already reached an advanced state of decay into materialism and sought to impose its primacy by cultural subversion rather than by combat, with its City-based and money-based outlook, ‘poisoning the unborn culture in the womb of the land’. (Spengler, 1971, II, 194). Russia was still a land where there were no bourgeoisie and no true class system but only lord and peasant, a view confirmed by Berdyaev, writing: ‘The various lines of social demarcation did not exist in Russia; there were no pronounced classes. Russia was never an aristocratic country in the Western sense, and equally there was no bourgeoisie’. (Berdyaev, 1).

The cities that emerged threw up an intelligentsia, copying the intelligentsia of Late Westerndom, ‘bent on discovering problems and conflicts, and below, an uprooted peasantry, with all the metaphysical gloom, anxiety, and misery of their own Dostoyevski, perpetually homesick for the open land and bitterly hating the stony grey world into which the Antichrist had tempted them. Moscow had no proper soul’. (Spengler, 1971, II, 194). Berdyaev likewise states of the Petrinism of the upper class that ‘Russian history was a struggle between East and West within the Russian soul’. (Berdyaev, 15).

RUSSIAN THE KATECHON

Berdyaev states that while Petrinism introduced an epoch of cultural dynamism, it also placed a heavy burden upon Russia, and a disunity of spirit. (Ibid.). However, Russia has her own religious sense of Mission, which is as universal as the Vatican’s. Spengler quotes Dostoyevski as writing in 1878: ‘all men must become Russian, first and foremost Russian. If general humanity is the Russian ideal, then everyone must first of all become a Russian’. (Spengler, 1963, 63n). The Russian Messianic idea found a forceful expression in Dostoyevski’s The Possessed, where, in a conversation with Stavrogin, Shatov states:

fyodor-dostoevsky-the-possessed-by-fritz-eichenberg-01.jpgReduce God to the attribute of nationality?…On the contrary, I elevate the nation to God…The people is the body of God. Every nation is a nation only so long as it has its own particular God, excluding all other gods on earth without any possible reconciliation, so long as it believes that by its own God it will conquer and drive all other gods off the face of the earth. …The sole ‘God bearing’ nation is the Russian nation… (Dostoyevsky, 1992, Part II: I: 7, 265-266).

This is Russia as the Katechon, as the ‘nation’ whose world-historical mission is to resist the son of perdition, a literal Anti-Christ, according go the Revelation of St. John, or as the birthplace of a great Czar serving the traditional role of nexus between the terrestrial and the divine around which Russia is united in this mission. This mission as the Katechon defines Russia as something more than merely an ethno-nation-state, as Dostoyevsky expressed it. (Ibid.). Even the USSR, supposedly purged of all such notions, merely re-expressed them with Marxist rhetoric, which was no less apocalyptic and messianic, and which saw the ‘decadent West’ in terms analogous to elements of Islam regarding the USA as the ‘Great Satan’. It is not surprising that the pundits of secularised, liberal Western academia, politics and media could not understand, and indeed were outraged, when Solzhenitsyn seemed so ungrateful when in his Western exile he unequivocally condemned the liberalism and materialism of the a ‘decadent West’. A figure who was for so long held up as a martyr by Western liberalism transpired to be a traditional Russian and not someone who was willing to remake himself in the image of a Western liberal to for the sake of continued plaudits. He attacked the modern West’s conceptions of ‘rights’, ‘freedom’, ‘happiness’, ‘wealth’, the irresponsibility of the ‘free press’, ‘television stupor’, and referred to a ‘Western decline’ in courage. He emphasised that this was a spiritual matter:

But should I be asked, instead, whether I would propose the West, such as it is today, as a model to my country, I would frankly have to answer negatively. No, I could not recommend your society as an ideal for the transformation of ours. Through deep suffering, people in our own country have now achieved a spiritual development of such intensity that the Western system in its present state of spiritual exhaustion does not look attractive. Even those characteristics of your life which I have just enumerated are extremely saddening. (Solzhenitsyn, 1978).

These are all matters that have been addressed by Spengler, and by traditional Russians, whether calling themselves Czarists Orthodox Christians or even ‘Bolsheviks’ or followers of Putin.

Spengler’s thesis that Western Civilisation is in decay is analogous to the more mystical evaluations of the West by the Slavophils, both reaching similar conclusions. Solzhenitsyn was in that tradition, and Putin is influenced by it in his condemnation of Western liberalism. Putin recently pointed out the differences between the West and Russia as at root being ‘moral’ and religious:

Another serious challenge to Russia’s identity is linked to events taking place in the world. Here there are both foreign policy and moral aspects. We can see how many of the Euro-Atlantic countries are actually rejecting their roots, including the Christian values that constitute the basis of Western civilisation. They are denying moral principles and all traditional identities: national, cultural, religious and even sexual. (Putin, 2013).

Spengler saw Russia as outside of Europe, and even as ‘Asian’. He even saw a Western rebirth vis-à-vis opposition to Russia, which he regarded as leading the ‘coloured world’ against the whites, under the mantle of Bolshevism. Yet there were also other destinies that Spengler saw over the horizon, which had been predicted by Dostoyevski.

Once Russia had overthrown its alien intrusions, it could look with another perspective upon the world, and reconsider Europe not with hatred and vengeance but in kinship. Spengler wrote that while Tolstoi, the Petrinist, whose doctrine was the precursor of Bolshevism, was ‘the former Russia’, Dostoyevski was ‘the coming Russia’. Dostoyevski as the representative of the ‘coming Russia’ ‘does not know’ the hatred of Russia for the West. Dostoyevski and the old Russia are transcendent. ‘His passionate power of living is comprehensive enough to embrace all things Western as well’.  Spengler quotes Dostoyevski:

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‘I have two fatherlands, Russia and Europe’. Dostoyevski as the harbinger of a Russian high culture ‘has passed beyond both Petrinism and revolution, and from his future he looks back over them as from afar. His soul is apocalyptic, yearning, desperate, but of this future he is certain’. (Spengler, 1971, II, 194).

To the ‘Slavophil’, of which Dostoyevski was one, Europe is precious. The Slavophil appreciates the richness of European high culture while realising that Europe is in a state of decay. Berdyaev discussed what he regarded as an inconsistency in Dostoyevski and the Slavophils towards Europe, yet one that is comprehensible when we consider Spengler’s crucial differentiation between Culture and Civilisation:

Dostoyevsky calls himself a Slavophil. He thought, as did also a large number of thinkers on the theme of Russia and Europe, that he knew decay was setting in, but that a great past exists in her, and that she has made contributions of great value to the history of mankind. (Berdyaev, 70).

It is notable that while this differentiation between Kultur and Zivilisation is ascribed to a particularly German philosophical tradition, Berdyaev comments that it was present among the Russians ‘long before Spengler’, although deriving from German sources:

It is to be noted that long before Spengler, the Russians drew the distinction between ‘culture’ and ‘civilization’, that they attacked ‘civilization’ even when they remained supporters of ‘culture’. This distinction in actual fact, although expressed in a different phraseology, was to be found among the Slavophils. (Ibid.).

Dostoyevski was indifferent to the Late West, while Tolstoi was a product of it, the Russian Rousseau. Imbued with ideas from the Late West, the Marxists sought to replace one Petrine ruling class with another. Neither represented the soul of Russia. Spengler states: ‘The real Russian is the disciple of Dostoyevski, even though he might not have read Dostoyevski, or anyone else, nay, perhaps because he cannot read, he is himself Dostoyevski in substance’. The intelligentsia hates, the peasant does not. (Ibid.). He would eventually overthrow Bolshevism and any other form of Petrinism. Here we see Spengler unequivocally stating that the post-Western civilisation will be Russian.

For what this townless people yearns for is its own life-form, its own religion, its own history. Tolstoi’s Christianity was a misunderstanding. He spoke of Christ and he meant Marx. But to Dostoyevski’s Christianity, the next thousand years will belong. (Ibid.).

To the true Russia, as Dostoyevski stated it, ‘not a single nation has ever been founded on principles of science or reason’. (Dostoyevski, 1872, II: I: VII).

By the time Spengler had published The Hour of Decision in 1934 he was stating that Russia had overthrown Petrinism and the trappings of the Late West, and while he called the new orientation of Russia ‘Asian’, he said that it was ‘a new Idea, and an idea with a future too’. (Spengler, 1963, 60). To clarify, Russia looks towards the ‘East’, but while the Westerner assumes that ‘Asia’ and East are synonymous with Mongol, the etymology of the word ‘Asia’ comes from Greek Aσία, ca. 440 BC, referring to all regions east of Greece. (Ibid., 61). During his time Spengler saw in Russia that,

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Race, language, popular customs, religion, in their present form… all or any of them can and will be fundamentally transformed. What we see today then is simply the new kind of life which a vast land has conceived and will presently bring forth. It is not definable in words, nor is its bearer aware of it. Those who attempt to define, establish, lay down a program, are confusing life with a phrase, as does the ruling Bolshevism, which is not sufficiently conscious of its own West-European, Rationalistic and cosmopolitan origin. (Ibid.).

Of Russia in 1934 Spengler already saw that ‘of genuine Marxism there is very little except in names and programs’. He doubted that the Communist programme is ‘really still taken seriously’. He saw the possibility of the vestiges of PetrineBolshevism being overthrown, to be replaced by a ‘nationalistic’ Eastern type which would reach ‘gigantic proportions unchecked’. (Spengler, 1963, 63). Spengler also referred to Russia as the country ‘least troubled by Bolshevism’, (Ibid.,182) and the ‘Marxian face [was] only worn for the benefit of the outside world’. (Ibid., 212). A decade after Spengler’s death the direction of Russia under Stalin had pursued clearer definitions, and Petrine Bolshevism had been transformed in the way Spengler foresaw. (Brandenberger, 2002).

CONCLUSION

As in Spengler’s time, and centuries before, there continues to exist two tendencies in Russia : the Old Russian and the Petrine. Neither one nor the other spirit is presently dominant, although under Putin Old Russia struggles for resurgence. U.S. political circles see this Russia as a threat, and expend a great deal on promoting ‘regime change’ via the National Endowment for Democracy, and many others; these activities recently bringing reaction from the Putin government against such NGOs. (Telegraph, 2015).

Spengler in a published lecture to the Rheinish-Westphalian Business Convention in 1922 referred to the ‘ancient, instinctive, unclear, unconscious, and subliminal drive that is present in every Russian, no matter how thoroughly westernised his conscious life may be – a mystical yearning for the South, for Constantinople and Jerusalem, a genuine crusading spirit similar to the spirit our Gothic forebears had in their blood but which we can hardly appreciated today’. (Spengler, 1922).

Bolshevism destroyed one form of Petrinism with another form, clearing the way ‘for a new culture that will some day arise between Europe and East Asia. It is more a beginning than an end’. The peasantry ‘will some day become conscious of its own will, which points in a wholly different direction’. ‘The peasantry is the true Russian people of the future. It will not allow itself to be perverted or suffocated’. (Ibid.).

The arch-Conservative anti-Marxist, Spengler, in keeping with the German tradition of realpolitik, considered the possibility of a Russo-German alliance in his 1922 speech, the Treaty of Rapallo being a reflection of that tradition. ‘A new type of leader’ would be awakened in adversity, to ‘new crusades and legendary conquests’. The rest of the world, filled with religious yearning but falling on infertile ground, is ‘torn and tired enough to allow it suddenly to take on a new character under the proper circumstances’. Spengler suggested that ‘perhaps Bolshevism itself will change in this way under new leaders’. ‘But the silent, deeper Russia,’ would turn its attention towards the Near and East Asia, as a people of ‘great inland expanses’. (Ibid.).

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While Spengler postulated the organic cycles of a High Culture going through the life-phases of birth, youthful vigour, maturity, old age and death, it should be kept in mind that a life-cycle can be disrupted, aborted, murdered or struck by disease, at any time, and end without fulfilling itself. Each has its analogy in politics, and there are plenty of Russophobes eager to stunt Russia’s destiny with political, economic and cultural contagion. The Soviet bloc fell through inner and outer contagion.

Spengler foresaw new possibilities for Russia, yet to fulfil its historic mission, messianic and of world-scope, a traditional mission of which Putin seems conscious, or at least willing to play his part. The invigoration of Orthodoxy is part of this process, as is the leadership style of Putin, as distinct from a Yeltsin for example. Whatever Russia is called outwardly, whether, monarchical, Bolshevik or democratic, there is an inner – eternal – Russia that is unfolding, and whose embryonic character places her on an antithetical course to that of the USA.

REFERENCES

Nikolai Berdyaev, The Russian Idea, MacMillan Co., New York, 1948.

D Brandenberger, National Bolshevism: Stalinist culture and the Formation of Modern Russian National Identity 1931-1956. Harvard University Press, Massachusetts, 2002.

T A Chumachenko, Church and State in Soviet Russia, M. E. Sharpe Inc., New York, 2002.

H Cournos,‘Introduction’, N V Gogol, Taras Bulba & Other Tales, 1842, http://www.gutenberg.org/files/1197/1197-h/1197-h.htm

Fyodor Dostoevsky, The Brothers Karamazov, 1880

Dostoevsky, The Possessed, Oxford University Press, 1992.

V Putin, address to the Valdai Club, 19 September 2013.

Alexander Solzhenitsyn, A World Split Apart — Commencement Address Delivered At Harvard University, June 8, 1978

Oswald Spengler, Prussian and Socialism, 1919.

Spengler, ‘The Two Faces of Russia and Germany’s Eastern Problems’, Politische Schriften, Munich, 14 February, 1922.

Spengler, The Hour of Decision, Alfred A Knopf, New York, 1963.

Spengler, The Decline of The West, George Allen & Unwin, London, 1971.

TelegraphVladimir Putin signs new law against ‘undesirable NGOs’, May 24, 2015,

Leon Trotsky, The Revolution Betrayed: what is the Soviet Union and where is it going?, 1936.

vendredi, 27 mars 2020

L'héritage franc dans la langue française

 

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L'héritage franc dans la langue française

Ex: http://www.e-stoire.net

  Les Francs n'ont pas seulement donné leur nom à la France; leur langue, le francique ne disparaîtra pas sans avoir laissé de trace dans la langue française.

  L'apport franc à la constitution de la langue française se distingue d'autres apports (mots de formation savante pris du grec ancien, mots isolés d'origine italienne, espagnole ou arabe...) par le fait qu'il résulte de l'implantation, sur le territoire gaulois, d'une population de langue germanique : les Francs. Si ces derniers apprennent assez rapidement à s'exprimer dans le bas-latin parlé par les gallo-romains, ils n'en continuent pas moins à pratiquer jusqu'à la dynastie carolingienne leur langue germanique d'origine : le francique.


  Outre ses effets au niveau de la typologie, de la phonétique et de la syntaxe, l'apport francique a laissé, au niveau lexical, des mots assez importants et assez nombreux. Plus de 500 mots d'origine francique existent encore aujourd'hui dans la langue française (il y en avait 700 dans le vieux français). Selon M.J.Brochard («Le francisque» dans Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaire Le Robert), certains emprunts lexicaux, dans une zone située entre la Picardie et la Lorraine, remontent à la première colonisation (Vè siècle). D'autres, qui ne dépassent pas le sud de la Loire, témoignent d'une forte implantation au nord de la Loire pendant la période mérovingienne.  La troisième catégorie d'emprunts pénètre, par l'intermédiaire du latin carolingien, jusque dans les régions du sud de la Loire. Ces mots sont, pour la plupart, des emprunts interromans que l'on trouve dans d'autres langues romanes.

  Des mots d'origine francique se retrouvent dans pratiquement tous les domaines, excepté le commerce, l'artisanat et la religion.

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Conquérants, les Francs apportèrent à la langue française le mot guerre et tout un vocabulaire ayant trait à l'art médiéval : heaume, haubert, hache, héraut, ainsi qu'à l'art équestre : galoper, trotter, étalon, croupe, éperon, étrier. On leur doit également le nom de certaines fonctions : maréchal, sénéchal, baron.


  Plusieurs verbes d'usage courant viennent des Francs. On trouve parmi eux des verbes indiquant : le mouvement : marcher, danser , grimper, frapper, ramper, heurter; l'observation : guetter, épier, guigner; la mise en ordre : ranger, garer; l'engagement : garantir, gager; le fait de conduire les autres : guider; le fait de s'assurer un profit, d'être vainqueur : gagner.


  De même, est-on redevable à la langue des Francs de divers mots traduisant un sentiment particulièrement fort : orgueil, haine, hargne, honte, ainsi que d'adjectifs marquant l'énergie et le courage : hardi, ou l'honnêteté : franc.


  Citons encore des couleurs : bleu, blanc, gris; des adverbes : trop, guère; des termes ayant trait à la vie rurale : hameau, jardin, haie, hêtre, houx, mousse, haricot, grappe, gerbe, gibier, harde, hanneton, crapaud, mare; des noms de bâtiments : hangar, halle; des noms d'objets divers : hotte, cruche, trique, échasse, jauge, gaule, gant, froc, trappe, gaufre.

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L'apport de Francs à la langue française est si riche et si diversifié qu'il permet de construire des phrases où tous les noms, adjectifs et verbes proviennent de la langue francique. Ainsi continuons-nous d'une certaine manière à parler la langue des Francs lorsque nous disons que «la guerre éclate», que nous parlons de «gagner la guerre» ou que nous construisons une phrase telle que «le hardi baron guerroie sans heaume et sans haubert. Éperonnant son étalon, il franchit la haie au galop et, de sa hache, frappe l'orgueilleux sénéchal».


  Dans un style plus pacifique et bucolique, on utilise également des termes d'origine franque lorsque nous parlons d' attraper des crapauds dans la mare, de ranger la houe dans le hangar ou de récolter les haricots blancs du jardin.


  L'apport germanique à la langue française ne se limite pas à l'apport initial des Francs. Les vikings qui s'installent en Normandie au Xè siècle apporteront nombres de mots d'origine scandinave dont une partie passera des dialectes normands dans la langue française. Ces termes ont essentiellement trait à la navigation et au monde de la mer : flotte, cingler, étrave, agrès, quille, hune, vague, crique, varech, crabe, homard, marsouin. Viennent également du scandinave des verbes tels que flâner et hanter.


  Tous ces mots s'ajoutant à l'apport francique et aux mots qui continueront à être empruntés aux langues de peuples germaniques avec lesquels les Français restent en contact étroit durant tout le Moyen Âge (matelot, nord, sud, est, ouest, hisser, garder...) augmenteront l'impact germanique sur la langue française. César aurait ainsi bien du mal à retrouver son latin dans la phrase suivante : «Le matelot hisse le foc et grimpe sur le mât de hune. La flotte cingle vers le nord; à bord du bateau, l'équipage, harassé, grommelle
  Une certaine légèreté de l'esprit français peut même s'exprimer en des termes qui ne doivent rien à la langue d'Ovide. Ainsi ne sommes-nous pas aussi «latins» que nous le croyons lorsque nous prononçons une phrase telle que : «Le galant marquis garde en gage le gant de la baronne

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Notons, pour conclure, que les prénoms royaux les plus fréquemment utilisés nous viennent des Francs. Louis (Lodewig en francique, Ludwig en allemand), dont Clovis (Chlodwig) n'est qu'un doublet; Charles (Karl).


  De même, près du quart des patronymes français actuels ont des racines germaniques, notamment franciques. Notons ainsi, parmi tous ceux qui sont cités par Albert Dauzat[1] : Auger (Adal-Garl), Baudouin (Bald-Win), Béraud (Berwald), Drumond (Drud-Mund), Foucher (Fulc-Hari), Gaubert et Jobert (Gaut-Berht) , Godard (Gud-Hard), Guichard (Wig-Hard) , Flobert et Flaubert (Hlod-Berht), Raimbaud (Ragin-Bald), Roland (Hrod-Land); Lambert (Land-Berht), Landry (Land-Ric), etc...

  Peut-on en conclure que finalement, nos ancêtres ne sont pas les Gaulois ? Certainement pas !


  Les Gaulois devinrent Gallo-Romains non parce qu'ils furent submergés par des populations d'origine romaine, mais parce qu'ils se soumirent à l'autorité militaire et administrative de Rome, et que petit à petit, ils adoptèrent de nombreux aspects de la culture romaine. Puis, les Gallo-Romains passèrent sous domination franque. Là encore, la population resta composée en très grande majorité de Gaulois, des Gaulois romanisés qui, se pliant à l'autorité des Francs assimilèrent une partie de la culture franque, sans pour autant perdre leur identité gauloise.


  Bref, la France est un pays né d'une belle synthèse de trois éléments : Celtes (les Gaulois), Latins (les Romains), Germaniques (les Francs). La synthèse a été possible, et fructueuse, car Celtes, Latins et Germains appartenaient au même fond culturel et ethnique: les Indo-Européens.

D'après un article de Pierre Maugué paru dans Enquète sur l'histoire N° 17

[1]Les noms de familles en France, Payot, 1949.

mercredi, 25 mars 2020

"He Who Does More Is Worth More" The Christian Knight’s Ethos according to Geoffroi de Charny

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"He Who Does More Is Worth More"
The Christian Knight’s Ethos according to Geoffroi de Charny
Ex: https://www.unz.com

Geoffroi de Charny (trans. Elspeth Kennedy), A Knight’s Own Book of Chivalry (Philadelphia, Pennsylvania: University of Pennsylvania Press), 2005.

51iZoqEV30L.jpgGeoffroi de Charny was a widely respected French lord of the fourteenth century. A bearer of the royal standard (the Oriflamme) and the first recorded owner of the Turin Shroud, he spent his life fighting in various wars before dying fighting the English and Gascons at the battle of Poitiers in 1356, in his late forties.

Charny was also a writer, producing a number of books, including the Livre de Chevalerie (The Book of Chivalry), one of the few non-fiction descriptions of the knightly ethos that we possess. This book is an exhortation to martial prowess, a spirited defense of the military way life, and a guide to how one should act as a knight.

Charny is unique in combining a downright Homeric competitiveness and spiritedness with a very Christian piety and humility before divine providence. He urges single-minded determination, if necessary unto death:

And no one should give up performing great exploits. For when the body can do no more, the heart and determination should take over; and there are many people who have been more fortunate in the end than they had hoped for at the beginning in relation to the nature of their enterprise. I therefore say: whoever does best is worth most. (10.5-10[1])

One never has an excuse to give up. As in many sections, Charny concludes saying: “qui plus fait, mieux vault” (he who does more is worth more). He says this again and again throughout the work, recurring like a mantra, a kind of final existential statement.

At the same time, Charny is thoroughly imbued with Christian piety. “Ah God!” he often says, thinking gratefully of the natural qualities and opportunity to be a knight granted to him by the Lord. Man has a duty to exploit the natural gifts granted to him by God. One must be humble, for uncertainty is the lot of humanity, our fates determined by an inscrutable divine providence. Hence, Charny urges us to not be arrogant in success, nor despairing in failure, but to be detached and reverent in the face of ever-uncertain events. A lifetime’s work and amassed wealth can be lost in an instant, only the honor of good deeds is eternal.[2] Greed, he says, is the enemy of honor and often leads to self-destruction.

Charny is empowered by his closeness to God:

Now he is indeed a poor wretch who leaves this sweet spring at which everyone can quench his thirst and satisfy all his good desires, for he can only find there a good beginning, a better middle, and a very good end. (44.27)

Interestingly, Charny is not particularly pro-clerical however, seemingly leaping over the priests in his martial piety.

We find again that Homeric wisdom which so often resurfaces in Western literature throughout the ages: that it is better to live well and gloriously, however briefly, than long in servility. The Christian Charny writes:

[A] man is happy to die when he finds life pleasing, for God is gracious toward those who find their life of such quality that death is honorable; for the said men of worth teach you that it is better to die than live basely. (22.50)

He urges the soldier, on a philosophical note, to “live with the constant thought of facing death at any hour on any day” (42.85).

In short, much like the Song of Roland in the eleventh century, Charny’s Book of Chivalry represents a fusion of Christian piety and selflessness with native European spiritedness and martial culture.

The French Hagakure

Charny’s Book of Chivalry can be interestingly compared with Jōchō Yamamoto’s samurai handbook, Hagakure (later studied by Yukio Mishima). The two works are very different in terms of form. Jōchō presents a disordered set of fragmentary memoirs, historical anecdotes, and life advice, collected by an acolyte. Charny by contrast apparently dictated his work in a great burst, as a steady and single-minded torrent of exhortation.

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In terms of values, Jōchō and Charny perhaps differ mostly in emphasis. Both are warriors relentlessly convinced of the excellence of their profession, of the need to be the best one can be, and to be unshakably determined unto death. While Charny notes the importance of hierarchy, loyalty and speaking well, Jōchō absolutely stresses the need for selflessness and tact in the service of one’s lord.

The biggest difference is perhaps related to piety. Jōchō, apparently retired as a Zen monk, was basically impious: the samurai’s conscience should not be troubled by what gods or Buddha might want, noting as an afterthought that such selfless service could only be pleasing to deities. Charny by contrast has mind only for war and God.

The Glory of Prowess

Charny is unwaveringly proud of his profession. For him, martial pursuits are inherently worthwhile, insofar as these entail expensive investments (weapons, armor, steed, travel), risk to oneself (fighting, travel), hardship, determination, and skill. Thus, simple tournaments as well as wars for honor, for one’s inheritance and land, for one’s rightful lord, for self-defense, for helpless orphans and damsels, and for true religion are all impressive and honorable, though not equally so.

Charny recognizes that arms can be misused: robbery, plunder, or stealing from churches bring only “dishonorable ill fame” (41.98). Whereas monastics like Saint Bernard tended to condemn knights in general, praising only the honorable exception of warrior-monks like the knights-templar, Charny inverses the pattern. For him, warriors in general are worthy of praise, whether rich or poor.

Charny’s treatment of wealth and aristocracy is somewhat nuanced. In a striking passage, he argues that, in ancient times, the nobility were chosen because of their powerful physique and capacity to endure, thus earning the right to rule for the benefit of others. Charny asks: “Were they chosen in order to take pleasure in listening to dissolute conversation or in watching worthless pastimes? Indeed no!” (24.108). He notes that the poor have to invest more of their little wealth to go on military adventures, but ultimately considers the rich more honorable, because they have no need to go on such expeditions, but do so purely for “personal honor” (17.80). He urges us however to recognize the merit of each individual whatever his class: “Be sure that you do not despise poor men or those lesser in rank than you, for there are many poor men who are of greater worth than the rich” (23.32).

Natural gifts and humility before God

Charny is among those writers sensitive to the reality of in-born human nature determining differing qualities among individuals. For him, an individual will be blessed by God with different “natural good qualities,” which will make him more or less suited to being a knight. One must build upon these qualities:

[The potentially perfect men-at-arms] is embodied in those who, from their own nature and instinct, as soon as they begin to reach the age of understanding, and with their understanding they like to hear and listen to men of prowess talk of military deeds, and to see men-at-arms with their weapons and armor and enjoy looking at fine mounts and chargers; and as they increase in years, so they increase in prowess and in skill in the art of arms in peace and in war; and as they reach adulthood, the desire in their hearts grows ever greater to ride horses and to bear arms . . . [In time] they double the good to be found them, their own instinct and the will for good which God has given them, they know what is right and spare neither themselves nor what they own in their effort” (16.4-25)

The greatest knight will be simple of heart, pious (and not just outwardly so), intelligent (but not malicious or over-subtle), brave (but not thoughtless), and a good leader or counsel as well as a strong fighter.

Geoffroi_de_Charny_tomb_brass.jpgCharny presents a selection of ancient heroes, mostly Jewish, to embody his decidedly virile ideal. The ideal warrior will have Samson’s strength, Absalom’s beauty, Solomon’s wisdom, Saint Peter’s piety, and Caesar’s generalship. All of these figures are found wanting however, the only man having all these qualities together being Judas Maccabeus, leader of the Maccabean Revolt against the Hellenistic monarchy. We see here how Judeo-Christian figures became archetypes for a distinctly European martial ideal.

Charny is certain that the souls of the noble fallen will ascend to Heaven, much as the Vikings believed their fallen would feast forever in Valhalla. The warrior who fights to defend his kinsmen, a maiden’s inheritance, orphans, one’s land or inheritance, or in holy war for true religion can die with “purity of conscience,” unfazed.

Charny’s attitude to priests is somewhat ambiguous, although generally dismissive. He concedes that priests form “the worthiest order of all” (39.1), before adding that knights are “the most rigorous order of all” (40.2). Knighthood “makes greater physical and spiritual demands those those required of any men ordained” (42.60) and there is a greater need for them to be good Christians. Priests should tend to their rituals and mind their own business. Knights however should put on their armor as would priests their robes, armor “which can and should be called the armor of Our Lord” (42.43).

Women should inspire men

In ancient Greece and samurai Japan, a hypermasculine martial culture featured a marked homoerotic strain. By contrast, women have an important place in Charny’s chivalry. Women inspire men to achieve great feats of prowess, are won by such feats, and achieve their own honor through such feats. Charny praises:

the noble ladies who have inspired [men] and through whom they have made their name. And one should indeed honor, serve, and truly love these noble ladies and others whom I hold to be ladies who inspire men to great achievement, and it is thanks to such ladies that men become good knights and men-at-arms” (12.14-17).

A realistic appraisal of sexual competition is then a significant aspect of Charny’s ethos. His concern is not to condemn, but to cultivate romance in such a way that both men and women find their glory.

Importantly, the lovely lady supports a knight because of the social standing she will receive by his successful risk taking, basking in his reflected glory. Charny writes:

Which one of two ladies should have the greater joy in her lover when they are both at a feast in a great company and they are aware of each other’s situation? Is it the one who loves the good knight, and she sees her lover come into the hall where all are at table and she sees him honored, saluted, and celebrated by all manner of people and brought to favorable attention before ladies and damsels, knights and squires, and she observes the great renown and the glory attributed to him by everyone? All of this makes the noble lady rejoice greatly within herself at the fact the she has set her mind and heart on loving and helping to make such a good knight or good man-at-arms. And when she also sees and understands that, in addition to true love for another which they share, he is in addition loved, esteemed and honored by all, this makes her so glad and happy for the great worth to be found in the man who loves her, that she considers her time to have been well spent. (20.1-15)

Women also had a important role in promoting male heroism in ancient Sparta. A cowardly Spartan, if found fleeing a battle, would be shamed or outright killed by his womenfolk. By contrast, women will generally be highly reluctant to support unpopular ‘heretics’ in their risky pursuits, let alone demanding such behavior.

Charny seems to endorse courtly love, that somewhat curious, poetic, and almost anti-social ideal of secret affairs. He urges to “keep secret the love itself and all the benefit and the honorable rewards you derive from it” (19.200) and assures that “the most secret love is the most lasting and the truest” (19.215).[3]

Charny has a fairly practical approach to marriage. Marriage for love in youth is desirable in providing heirs and protecting from sin. Marriage for money is wrong. Marriage in old age, which cannot provide heirs but protects from sin, is acceptable. Charny is disgusted by the latest men’s fashion and excessive wearing of jewelry. He thinks fashion-consciousness is acceptable for women however, as this helps them find a mate and they don’t have other means of showing off, as men do.

The Joy of Struggle

For all his advice, Charny says of the young: “too much good sense is not right for young men at the beginning of their career in arms” (33.5). Young men naturally must take great risks for great rewards and the opportunity to secure their position in society.

Whatever one’s age or station in society, Charny thinks that everyone can contribute through their efforts. The opportunity for glory could present itself at any moment.

[O]ne should not fail in any way to put great efforts into anything which might improve one’s chance of winning an honorable reputation at any moment of the day or night; for the most precious thing there is to lose is time which passes, and cannot be won back nor can it return; and it can happen that such honor is won in an hour which one might fail to find in a year or indeed ever. (19.129-34)

.[Y]ou should know for certain that there is no one who can or should excuse himself from performing well according to his station, some in relation to arms, others in relation to the clerical vocation, others in relation to the affairs of the world. (19.140-5)

.[M]en of standing tell us truly that those who have the will to achieve great worth are already on the way to great achievement . . . they do not care what sufferings they have to endure, but turn everything into great enjoyment. . . . [G]reat good comes from performing these deeds, for the more one does, the less one is proud of oneself, and it always seems there is so much left to do. (19.150-7)

Charny’s Book of Chivalry is a very male and very European celebration of prowess and achievement. This basic competitive and ambitious streak has, no doubt, been responsible for many of Western civilization’s greatest achievements, from the conquests of Antiquity and the explorations of the New World, to the philosophical questioning of the Greeks and the scientific prowess of the Moderns. Qui plus fait, mieux vault!

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What follows is Charny’s very practical advice for men-at-arms, much of which will still be relevant for young men today (I have introduced paragraphs).

* * *

There is a supreme rule of conduct required in these good men-at arms as the above-mentioned men of worth inform us: they should be humble among their friends, proud and bold against their foes, tender and merciful toward those who need assistance, cruel avengers against their enemies, pleasant and amiable with all others, for the men of worth tell you that you should not converse at any length nor hold speech with your enemies, for you should bear in mind that they do not speak to you for your own good but to draw out of you what they can use to do you the greatest harm. You should be generous in giving where the gift will be best used and as careful as you can that you let your enemies have nothing that is yours. Love and serve your friends, hate and harm your enemies,[4] relax with your friends, exert yourself with all your strength against your foes.

You should plan your enterprises cautiously and you should carry them out boldly. Therefore the said men of worth tell you that no one should fall into despair from cowardice nor be too confident from great daring, for falling into too great despair can make a man lose his position and his honor, and trusting too much in his daring can make a man lose his life foolishly; but when one is engaged on an armed enterprise, one should dread vile cowardice more than death.

Take care not to be so greedy as to take what belongs to others without good cause. And be sure that, as you value your self, you do not let anything of yours be taken from you. Speak of the achievements of others but not of your own, and do not be envious of others. Above all, avoid quarrels, for a quarrel with one’s equal is dangerous, a quarrel with some one higher in rank is madness, and a quarrel with some one lower in rank is a vile thing, but a quarrel with a fool or a drunk is an even viler thing.

The aforesaid men of worth also tell you to refrain from saying unpleasant things and to make sure that what you say is of some profit rather than merely courteous. And make sure that you do not praise your own conduct nor criticize too much that of others. Do not desire to take away another’s honor, but, above all else, safeguard your own. Be sure that you do not despise poor men or those lesser in rank than you, for there are many poor men who are of greater worth than the rich. Take care not to talk too much, for in talking too much you are sure to say something foolish; for example, the foolish cannot hold their peace, and the wise know how to hold their peace until it is time to speak.

And be careful not to be too guileless, for the man who knows nothing, neither of good nor of evil, is blind and unseeing in his heart, nor can he give himself or others good counsel, for when one blind man tries to lead another, he himself will fall first into the ditch and drag the other in after him. Refrain from remonstrating with fools, for you will be wasting your time, and they will hate you for it; but remonstrate with the wise, who will like you the better for it. Do not put too much faith in people who have risen rapidly above others by good fortune, not merit, for this will not last: they can fall as quickly as they rise. And the aforementioned men of worth tell you that fortune tests your friends, for when it abandons you, it leaves you those who are your friends and takes away those who are not.

I repeat that you should never regret any generosity you may show and any gifts well bestowed, for the above-mentioned men of worth tell you that a man of worth should not remember what he has given except when the recipient brings the gift back to mind for the good return he makes for it. You must avoid acquiring a bad reputation for miserliness in your old age, for the more you have given, the more you should give, for the longer you have lived, the less time you will have yet to live. And above all refrain from enriching yourself at others’ expense, especially from the limited resources of the poor, for unsullied poverty is worth more than corrupt wealth.

The aforementioned men of worth also tell you that you should treat your friends in such a way that you have no need to fear lest they become your enemies, for you should consider that as long as you keep your secret to yourself, it is always within your control, but as soon as you have revealed it, you are at its mercy. And if you have to reveal it, only disclose it to your loyal friend, and disclose your illness only to a loyal doctor.

The aforementioned men of worth also tell you that when moving against your enemies to meet them in battle, never admit the idea that you might be defeated nor think how you might be captured or how you might flee, but be strong in heart, firm, and confident, always expecting victory, not defeat, whether or not you are on top, for whatever the situation, you will always do well because of the good hopes that you have. Indeed, many retreat when, if they had stayed and done what they could, their enemies might have been defeated; and some who have been easily taken prisoner, if they had resisted as well as they could, their enemies would have suffered great losses. You should, therefore, always and in all circumstances be determined to do your best, and above all have the true and certain hope that comes from God that He will help you, not relying just on your strength nor your intelligence nor your power but on God alone, for one often sees that the best men are defeated by lesser men, and a greater number of people may be defeated by a smaller, and the strongest in body may be overcome by the weakest, and the wisest and best ordered in battle by the most foolish and worst ordered.

You can see clearly and understand that you on your own can achieve nothing except what God grants you. And does not God confer great honor when He allows you of His mercy to defeat your enemies without harm to yourself? And if you are defeated, does not God show you great mercy if you are taken prisoner honorably, praised by friends and enemies? And if you are in a state of grace and you die honorably, does not God show you great mercy when He grants you such a glorious end to your life in this world and bears your soul away with Him into eternal bliss? And you can see that no one should be too afraid or too overjoyed or too disturbed at such happenings when they occur, but should give thanks and commit everything into the hands of Him who gives graciously more than one can ask for.

And the aforesaid men of worth teach you that if you want to be strong and of good courage, be sure that you care less about death than about shame. And those who put their lives in danger with the deliberate intention of avoiding shame are strong in all things. The aforesaid men of worth also tell you that you should reflect in your hearts on the things which may happen to you, both the good and the bad, so that you can suffer the bad patiently and treat the good with restraint. And in all adversity be always steadfast and wise.

And you also need to consider how you can and must maintain any benefit or honor which God may bestow on you, so that you do not lose them through negligence such as by removing yourself and distancing yourself from trouble when it comes upon you; and you should first thank and praise Him who gives you these things and preserve them without arrogance, for you must understand that where there is arrogance, there reigns anger and all kinds of folly; and where humility is to be found, there reigns good sense and happiness.

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And as the aforesaid men of worth teach you and tell you truly, if arrogance were to be so high that it towered up into the clouds and its highest point reached the heavens, it would have to fall and would crumble and be reduced to nothing. And you should know that from arrogance grow many branches from which many evils come, so many as may cause the loss of soul and body, honor and wealth. You should preserve what you know and the honor you have without arrogance. And what you do not know, you should ask with due humility to be taught it.

The aforesaid men of worth also tell you not to put too much trust in the gifts of fortune, for they are things which are destined to come to an end, whether through loss or illness or force or death, for death spares no one, neither the high nor the low, but levels all. And no one therefore should delay, because such gifts do not last for long, but can vanish at any moment, without waiting for the hour. And the man who perfectly understands this will never be overcome by arrogance. (23.1-117)

Notes

[1] Numbering here refers to section and line in the book.

[2] A striking parallel here with the famous stanza from the Hávamál.

[3] This ideal is very different from Jōchō’s notion of “secret love,” which is also love for men. The idea that the highest love is rendered through helping others, not telling others, and is carried with oneself to the grave.

[4] The Christian Charny has a decidedly pre-Socratic morality here.

mercredi, 18 mars 2020

"Nouvelle histoire de la Révolution française" par Jean-Clément Martin

Jean-Clément Martin, avec le talent qu’on lui connaît, arrive à décortiquer les passionnants faits historiques qui marquent encore durablement la société française du XXIe siècle. En France, il demeure toujours difficile d’aborder sereinement les nombreuses questions soulevées par les événements liés à la Révolution.

Pourquoi, plus de deux cents ans après 1789 et la mort du roi Louis XVI survenue le 21 janvier 1793, en sommes-nous encore là ? Dès les premières lignes l’auteur livre une intéressante réflexion : « La Révolution fascine ou dérange. Qu’elle soit morale, sexuelle, économique ou politique, elle porte un imaginaire qui séduit ou révulse mais ne laisse jamais indifférent ».

En même temps, comment en serait-il autrement ? 1789 semble être l’horizon indépassable pour l’écrasante majorité des acteurs de la vie politique française, comme si de 496 – date du baptême de Clovis – au 5 mai 1789 – ouverture des États Généraux –, il n’y avait presque rien eu entre-temps. Pourtant, Martin rappelle que « même si la France continue de se dire Patrie des droits de l’homme, elle se réclame moins de son héritage révolutionnaire qu’elle ne le fit jusqu’au milieu du XXe siècle. »

9782262081515ORI.jpgLes raisons de ce relatif abandon intellectuel sont multiples : mondialisme, faiblesses intellectuelles et historiques chez la grande majorité du personnel politique et l’inventaire de la Révolution est de plus en plus connu… Cela étant, un homme situé à l’extrême gauche de l’échiquier politique républicain n’a pas hésité, tout récemment, à commettre une œuvre dans laquelle il assume se reconnaître dans l’héritage jacobin.(1)

Quoi qu’il en soit, la France républicaine reste imprégnée par la Révolution, et l’auteur écrit, avec selon nous une pointe d’ironie, que « son hymne national, qui revendique de faire couler le sang de ses ennemis dans les sillons, est toujours chanté dans les stades du monde entier ». Nous citerons également, entre autres : la Marianne, la devise Liberté-Égalité-Fraternité inscrite aux frontispices de nombreux bâtiments, officiels ou non, autant de symboles qui démontrent tous la mainmise idéologique de la Révolution sur la France contemporaine.

De fait, ce n’est donc pas un hasard si « la force de cet imaginaire est telle que l’année zéro des temps modernes français est toujours identifiée à 1789. Tous se rejoignent sur ce point, qu’ils regrettent la monarchie idéalisée, qu’ils voient 1789 ou 1793 comme la première marche vers le totalitarisme, ou bien au contraire qu’ils demeurent convaincus que 1789 jette les bases d’une ère nouvelle pour l’humanité, ou qu’ils puisent plus simplement dans les rebondissements des événements révolutionnaires des enseignements pour aujourd’hui. »(2)

Pour comprendre les bouleversements historiques, encore faut-il prendre le temps de les analyser loin des passions. Effectivement ces dernières obscurcissent souvent la vue et embrument les capacités de réflexion. Martin estime que « c’est le processus révolutionnaire lui-même qui est à examiner pour ce pour quoi il se donne : une inventivité politique, économique, sociale, religieuse, culturelle, qui commence sous l’effet des expériences européennes et américaines dans les années 1785-1787 et qui est accompagnée, en permanence, par les contre-courants provoqués en retour. »

Pour saisir l’essence de la Révolution, il faut constamment avoir à l’esprit comme le dit Martin que « la Révolution est dans cette optique une création et une affirmation ininterrompue d’expériences, créant une attente à jamais insatisfaite et une angoisse de l’échec. »

Très rapidement, les révolutionnaires en sont venus à se poser la question suivante : « Comment finir la révolution ? », car le vide institutionnel créé par la mort de Louis XVI fut en définitive difficile à combler, comme beaucoup s’en aperçurent, souvent à leurs dépens.

La période Révolutionnaire fut marquée par la guerre intérieure et aux frontières, par des exécutions officielles – approuvées par l’État de droit(3) – et non officielles – violences des populations non encadrées par les différents gouvernements révolutionnaires – ainsi que par des rivalités politiques très puissantes. Martin n’entend bien sûr pas fermer les yeux sur ces nombreux épisodes : « Il ne s’agit pas d’exonérer les acteurs de leurs responsabilités. Ce qui est en jeu est la compréhension des moments révolutionnaires, de ces périodes pendant lesquelles des façons de voir s’imposent, des groupes s’emparent du pouvoir, des personnalités sont reconnues et suivies. »

L’intention de Martin ne repose pas sur la volonté de défendre ou d’attaquer la Révolution : « Le but du livre a été d’inscrire ces moments dans la période révolutionnaire tout entière – ce que Maistre appelait l’époque – en respectant les engrenages minuscules qui ont régi les rapports entre les individus et les groupes. »

Après une lecture attentive et critique, nous pouvons dire que l’objectif est atteint, même si nous ne suivons pas l’auteur dans toutes ses intuitions et analyses.

Martin nous présente en effet une étude passionnante et réellement originale sur la Révolution française. Nous saluons son érudition et surtout son grand talent de pédagogue pour expliquer des situations complexes dont le profane ne mesure pas toujours les implications puissantes. La bibliographie se montre conséquente et exhaustive. Elle permet de repérer d’excellents ouvrages pour creuser les sujets qui nous intéressent. L’auteur ne se départit jamais de son rôle d’historien et, quand il analyse les faits historiques, il ne défend pas une cause politique. Il énonce même que la révolution – mais par le haut ! – fut initialement lancée par Louis XV, et maladroitement reprise par Louis XVI…

La suite est connue : révoltes, Révolution, espoirs de la mise en place d’une société nouvelle et d’un Homme nouveau, libéralisation de la violence, stabilisation des institutions qui restent malgré tout fragiles, pour finir par Bonaparte prenant le pouvoir. Onze ans après avoir tué leur roi, les Français voyaient à Paris un étrange paradoxe : un général de la Révolution – soupçonné un temps d’avoir été jacobin – devenir Empereur en présence du Pape Pie VII. Quel roman que l’histoire française, pour reprendre une phrase très connue de Napoléon…

Pour conclure, rappelons que dès le début des émotions populaires, l’attente exprimée par les Français vivant à l’heure de ces soubresauts politiques atteignait des sommets. Martin note qu’il n’y a «  pas lieu de s’étonner que nombreux soient ceux qui, au moment de l’ouverture des États Généraux en France et surtout après la prise de la Bastille, parlent de l’heureuse révolution qui se déroule sous leurs yeux ». Leurs espoirs seront douchés. Cela arrive généralement quand on accorde – trop légèrement ? – sa confiance aux politiques.

Nous laissons le mot de la fin à l’auteur : « Le scandale de la Révolution tient depuis la fin du XVIIIe siècle à ce qu’elle a été « une promesse dont l’échec est inscrit dans la nature même de la promesse » pour reprendre une formule saisissante de M.-C Blais. »

Rien à ajouter !

Notes

(1) Alexis Corbière, Jacobins !, Paris, Éditions Perrin, 2019

(2) Jean-Clément Martin, Robespierre : la fabrication d’un monstre, Paris, Éditions Perrin, 2016

(3) État de droit révolutionnaire, notion difficile à discerner, à défendre et à légitimer au vu des différents coups de force (parfois meurtriers) opérés par les révolutionnaires pour s’approprier le pouvoir et le garder…

 

mardi, 17 mars 2020

Le mur des lamentations a été construit par les romains !

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Le mur des lamentations a été construit par les Romains !

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Il va falloir revoir le chapitre «Mur des Lamentations » des guides touristiques d'Israël, car les origines de sa construction ne seraient pas celles que l'on croyait. Jusqu'à présent, il était admis que le site -le Mont du Temple pour les Juifs, l'Esplanade des mosquées pour les musulmans- avait été entièrement construit par Hérode, roi des Juifs.

Placé sur le trône par les Romains, Hérode règne sur la Judée de 37 avant Jésus-Christ jusqu'à sa mort, en 4 avant Jésus-Christ. Dans la tradition chrétienne, Hérode est avant tout connu pour avoir tenté de tuer l'enfant Jésus en ordonnant la mise à mort de tous les enfants de Bethléem âgés de moins de deux ans. Grand bâtisseur, il se lance dans de grands travaux en recourant aux techniques romaines. C'est ainsi qu'on lui attribue la construction du théâtre et de l'amphithéâtre de Jérusalem, mais surtout, l'extension du Second Temple, complexe religieux juif construit au VI ème siècle avant JC sur l'emplacement du Premier Temple, détruit par Nabuchodonosor II en 587 avant Jésus-Christ. Ce que l'on appelle communément le Mur des Lamentations, principal lieu saint du judaïsme, est considéré comme étant le mur occidental restant du Second Temple, qui sert également de soubassement à l'Esplanade des mosquées, le «Noble Sanctuaire» des musulmans.

Mais des archéologues travaillant pour l'Autorité des antiquités d'Israël ont annoncé mercredi que des fouilles sous les fondations en pierre du Mur avaient permis de mettre au jour des pièces frappées par un procurateur romain de Judée vingt ans après la mort d'Hérode. Ce qui indique qu'Hérode n'a pas construit le Mur des Lamentations.
Flavius Josèphe avait raison

Les pièces de bronze ont été frappées aux alentours de 17 après Jésus-Christ par Valerius Gratus, qui précéda Ponce Pilate en tant que représentant de Rome à Jérusalem, souligne Ronny Reich, de l'Université de Haïfa, l'un des deux archéologues en charge des fouilles. Ces pièces ont été découvertes dans un bain rituel qui était antérieur à la construction du complexe du Temple d'Hérode, et avait été comblé à l'époque pour soutenir les nouveaux murs, précise Ronny Reich. Si Hérode a bien mis en route l'extension du Second Temple, les pièces montrent que la construction du Mur des Lamentations n'avait même pas commencé avant sa mort et a été probablement achevée seulement des générations plus tard.

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La découverte vient confirmer un récit de Flavius Josèphe, historien romain du Ier siècle, qui après la destruction du Second Temple par Rome en 70 après Jésus-Christ, raconta que les travaux au Mont du Temple n'avaient été terminés que par le roi Agrippa II, arrière-petit-fils d'Hérode. Flavius Josèphe explique également que la fin du chantier avait laissé 18.000 travailleurs sans emploi, ce qui, selon certains historiens, est à mettre en relation avec l'éclatement de la Grande Révolte des Juifs de la province de Judée contre l'Empire romain en 66 après Jésus-Christ. Après quatre années d'affrontements, les légionnaires romains de Titus viennent à bout de l'insurrection en 70 et détruisent le Temple, marquant la fin de l'État hébreu à l'époque ancienne.

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Contrôlée depuis 1967 par Israël, l'enceinte abrite la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher, sanctuaire musulman à la coupole dorée. Ce «Noble sanctuaire», un des lieux les plus saints de l'islam, cohabite dans la douleur avec, en contrebas, le Mur des Lamentations. 
 

lundi, 16 mars 2020

La Sécu a été entièrement bâtie dans un pays ruiné grâce à la volonté militante d'Ambroise Croizat

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La Sécu a été entièrement bâtie dans un pays ruiné grâce à la volonté militante d'Ambroise Croizat

Entretien avec Michel Etiévent

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Avec Macron, la privatisation de la Sécu est en marche forcée : augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée), milliards d’euros “économisés” (et lits d’hôpitaux en moins), chasse aux fraudeurs, augmentation du forfait hospitalier… Pour comprendre pourquoi on devrait défendre la Sécurité sociale avec acharnement plutôt qu’accepter béatement sa destruction méticuleuse, nous revenons sur les conditions de sa création et son histoire avec Michel Étiévent – historien militant né dans la même maison que l’homme à l’origine de la Sécu – dans le numéro deux de notre revue. Construite envers et contre le Capital dans un pays ruiné par la guerre, la Sécurité sociale est probablement le service public qui a le plus changé la vie des Français au siècle dernier.

Le Comptoir : Comment les gens se soignaient-ils en France avant la création de la Sécurité sociale en 1945 ?

Michel Étiévent : En 1938 en France, il y a sept millions de salariés. Cinq millions d’entre eux n’ont aucune protection sociale. Les deux millions restants ont de vagues assurances sociales. Celles-ci sont nées en 1930 et s’apparentent plutôt à de l’aumône. Certains ont aussi de vagues mutuelles mais elles sont épuisées à la moindre épidémie de grippe. La majorité des gens ne se soignent pas et attendent la mort. C’est l’insécurité totale du lendemain. Cinq millions de salariés n’ont pas de retraite non plus. La seule retraite à l’époque, c’est le cimetière. On imagine la rupture qu’apportât la Sécurité sociale en amenant simplement de la dignité. La Sécu, au final, ce n’est rien d’autre que le droit de vivre.

En 1945 en France, le taux de mortalité infantile est de 100 pour 1.000. Neuf ans après seulement l’institution de la Sécu, on passe à 30 pour 1.000. De 1915 à aujourd’hui, on a gagné près de trente années d’espérance de vie. On le doit essentiellement à la Sécu qui a apporté à tous la possibilité de se soigner et qui a mis à la disposition de tous les grands succès médicaux, comme la naissance de médicaments tels que la pénicilline, ou ceux pour soigner l’hépatite, qui ont pu sauver des vies.

« La Sécu, ce n’est rien d’autre que le droit de vivre. » 

À la faveur de quoi le processus de création de la Sécurité sociale s’est-il enclenché ?

Après la guerre, le Conseil national de la résistance (CNR), un groupe de 18 jeunes résistants mené par Jean Moulin avant sa mort, a décidé d’en finir avec cette insécurité du lendemain. C’est l’idée de cotiser selon ses moyens et recevoir selon ses besoins. C’est le sens d’ailleurs de la première intervention d’Ambroise Croizat, ministre communiste de la Libération, à l’Assemblée nationale en 1945 : « Désormais, nous mettrons fin à l’insécurité du lendemain, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin, nous ferons de la retraite non plus l’antichambre de la mort mais une étape de la vie et nous ferons de la vie autre chose qu’une charge et un calvaire. » Du programme rédigé par le CNR naît la fameuse ordonnance du 4 octobre 1945 qui institue la Sécurité sociale.

Qui est Ambroise Croizat ?

Ambroise Croizat est un fils d’ouvrier, un fils de manœuvre, qui naît le 28 janvier 1901 à Notre-Dame-de-Briançon, en Savoie. Très vite, Antoine Croizat, son père, comprend que si on veut améliorer les conditions de vie extrêmement dures des travailleurs, il faut se bouger. Il lancera une grève en 1906. Ce sont les prémisses des revendications pour la protection sociale. Il s’agit de changer les rythmes, d’avoir des conditions de travail plus décentes et surtout d’obtenir une caisse de secours, l’ancêtre de la Sécu en fait, qui amènerait une couverture en cas de maladie ou d’accident de travail, puisqu’à l’époque, il n’y avait rien. Il se fera licencier pour ça. La famille va alors partir pour Ugine avant de rejoindre Lyon. Ouvrier depuis ses 13 ans, Ambroise va devenir un syndicaliste important de la CGT [Confédération générale du travail, NDLR]. Il adhérera au Parti communiste en 1920. En 1936, il est secrétaire de la fédération nationale CGT des métaux et il devient alors député de Paris. C’est le Front populaire. Dans les batailles menées à l’époque, c’est lui, avec d’autres, qui imposera les 40 heures, les congés payés, les conventions collectives.

Suite au pacte germano-soviétique d’août 1939, le PCF est dissous et ses militants incarcérés, dont les 36 députés communistes de l’Assemblée nationale. Croizat est ainsi arrêté et sera déporté au bagne d’Alger par Pétain. Il est libéré en 1943, après le débarquement anglo-américain sur les côtes algériennes et marocaines, et il rejoint le général de Gaulle dont le gouvernement provisoire est alors à Alger. Il fera ainsi partie de la commission consultative du premier gouvernement provisoire de la France, qui est en lien avec le CNR fondé la même année. Croizat est nommé président de la commission Travail par de Gaulle et il est chargé de préparer clandestinement la mise en œuvre du programme social du CNR.

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Ambroise Croizat, au centre

En 1945, à la Libération, et suite au succès du Parti communiste aux élections législatives, il est nommé ministre du Travail et de la Sécurité sociale. Il laissera un héritage social considérable : les retraites, les comités d’entreprise, la médecine du travail, le triplement du montant des allocations familiales, le doublement du congé maternité, la prévention dans l’entreprise, la reconnaissance des maladies professionnelles, et la mise en place de tous les statuts sociaux (de la fonction publique, des mineurs, d’électricien-gazier, etc.) avec Marcel Paul. Croizat a permis aux travailleurs d’avoir un rôle social, avec la création des comités d’entreprise notamment, dans la gestion et l’avenir de leur profession. Il va le payer très cher puisqu’il va mourir très jeune, en 1951. Il a 50 ans. Un million de personnes suivent le cortège dans les rues de Paris lors de son enterrement. C’est un enterrement à la Victor Hugo. Il n’y en a pas eu beaucoup. Les gens lui ont rendu hommage.

J’imagine qu’Ambroise Croizat n’a pas mené cet immense chantier seul. Sur le terrain, qui a bâti la Sécu ?

La Sécu va être bâtie par le peuple français, par un petit groupe de militants de base, essentiellement issus de la CGT en fait. Ces mêmes militants géraient la Sécu. La CGT avait d’ailleurs la majorité dans les conseils d’administration des caisses où 75 % des sièges étaient réservés aux travailleurs syndiqués et 25 % aux patrons. Ce sont donc des ouvriers comme Jolfred Fregonara, qui apparaît dans le film La Sociale, qui ont bâti en un temps très court la Sécu. On dit souvent que ça a pris 18 mois parce que ça correspond au temps qu’Ambroise Croizat, qui avait la maîtrise d’œuvre de ce chantier, est resté au gouvernement, mais en fait la création des caisses a eu lieu du 22 mai 1946 à août 1946. C’est un travail considérable. Ces militants vont construire 138 caisses de Sécu et 113 caisses d’allocations familiales, qui vont complètement changer la vie des gens. Il faut imaginer que les caisses de l’époque, c’est parfois une baraque en planches, parfois un wagon aménagé dans une gare, c’est un petite pièce ici ou là où des bénévoles, ramassent les feuilles de Sécu, payent les gens, etc.

On comprend l’enthousiasme indescriptible dans lequel ces militants ont bâti la Sécu, hors de leur temps de travail, pendant leur temps de congé et de manière totalement bénévole. Ils ont bouleversé la vie des Français en un temps très court, dans un pays totalement ruiné. 

Au moment de la création de la Sécu, quelles ont été les résistances ?

Immédiatement, dès l’apparition de l’ordonnance d’octobre 1945 instituant la création de la Sécu, des défiances sont apparues. Elles viennent, naturellement, d’abord des patrons qui n’en veulent pas puisqu’il faut payer des cotisations sociales. Ensuite, ça vient de syndicats minoritaires, comme la CFTC [Confédération française des travailleurs chrétiens, NDLR], qui voulaient revenir aux anciennes caisses. Les oppositions proviennent évidemment des mutuelles dont la Sécu prend alors les biens puisque c’est elle qui va désormais tout gérer. Ça vient aussi des médecins, notamment du syndicat des médecins libéraux, qui s’opposent tout de suite à la Sécu parce qu’elle fixe leurs honoraires. Ils supportaient par ailleurs difficilement que la Sécu soit gérée par des ouvriers, qui plus est par des ouvriers de la CGT. Les assurances privées ont également lutté contre la Sécu, on comprend pourquoi. La droite française s’est battue farouchement bien qu’elle se refusait à le faire ouvertement puisque le rapport de force était contre elle. C’est d’ailleurs ce rapport de force au moment de la Libération qui a permis à la Sécu d’être mise en place : les cinq millions d’adhérents à la CGT, les 29 % d’adhérents au Parti communiste et les classes ouvrières sont sortis grandis de leur résistance alors que le patronat était totalement mouillé par la collaboration. Ce dernier pouvait difficilement dire quelque chose.

« Cotiser selon ses moyens et de recevoir selon ses besoins.«

Quels sont les principes qui ont orienté la création de la Sécurité sociale ?

Il y en a quatre et ils ont tous été volés aujourd’hui.

Le premier, c’est l’unicité : dans une seule caisse, au plus proche des habitants, par département, on va grouper tous les risques sociaux (maladie, vieillesse, maternité). De la naissance jusqu’au décès, les gens peuvent disposer de tous leurs droits sur place et au même endroit.

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Le deuxième grand principe au moment de la fondation de la Sécu, c’est celui de l’universalité. On le doit principalement à Croizat. Tout le monde sera soigné. Ceux qui ne le veulent pas, c’est parce qu’ils l’ont refusé, comme les fonctionnaires ou les cheminots qui ont décidé d’avoir leurs propres caisses.

Le troisième, et il constitue l’exception française, c’est la solidarité. La Sécu est financée essentiellement par la cotisation sociale par répartition et par solidarité, qu’on soit bien portant ou malade, vieux ou jeune, actif ou non actif. Ce qui est formidable dans la cotisation sociale, contrairement à l’impôt, c’est qu’elle va directement du cotisant au bien-être des gens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle aujourd’hui, on voudrait supprimer les cotisations sociales, parce que cet argent ne passe par aucun actionnaire, aucune banque, il va directement aux gens qui en ont besoin.

Le dernier pilier de la Sécu, qui est à imputer à Croizat aussi, c’est la démocratie. Si on veut permettre l’accès au droit de la santé pour tous, il faut que l’institution soit gérée par les intéressés eux-mêmes. C’est l’idée des conseils d’administration à majorité ouvrière.

Comment la Sécurité sociale a-t-elle évolué depuis ?

Dès 1947, les mutuelles qui géraient certaines des anciennes caisses sont arrivées à imposer leur existence grâce au retour de la droite au pouvoir après l’expérience gaullo-communiste de 1945-47. Et puis, la même année, les Américains vont s’en mêler en proposant le plan Marshall, c’est-à-dire en offrant une aide financière colossale à condition qu’on arrête l’invention sociale. Les communistes sont alors évincés du gouvernement. Au même moment, la classe ouvrière va se diviser, notamment avec l’invention de FO [Force ouvrière, NDLR], qui est d’ailleurs directement le fruit de la CIA(1) [Central intelligence agency, les renseignements américains, NDLR]. Elle est destinée à casser l’unité ouvrière de manière à ce que les caisses n’appartiennent plus entièrement à la CGT. Ça a notamment été reconnu par George Meany, le chef des syndicats américains, qui a financé FO. Cette époque correspond aussi au début de la Guerre froide, où une répression formidable est menée contre les communistes mais aussi contre les syndicalistes – les grandes grèves de 1947 seront d’ailleurs durement réprimées.

Ce mouvement s’est amplifié avec les années puisque dès 1953, les premières vraies batailles contre la Sécu apparaissent. On essaye d’abord de miner la retraite des fonctionnaires. Puis, en 1959, on va essayer d’imposer ce qu’on appelle les franchises, c’est-à-dire que les gens ne seront remboursés qu’à partir d’une certaine somme dépensée en soins médicaux, à l’époque c’était 3 000 francs. L’opposition a été si forte qu’elles n’ont pas pu être mises en place.

En 1958, c’est la première attaque forte contre la Sécu par le général de Gaulle, pourtant porteur de l’idée en 1945 quoiqu’elle lui ait été imposée par le rapport de force. Les directeurs de caisses seront dès lors nommés et non plus élus. Puis, il revient sur l’idée même de Sécurité sociale en imposant les ordonnances Jeanneney d’août 1967. Celles-ci imposent le contrôle préalable des budgets et le paritarisme, supprimant ainsi la gestion de la Sécu par les travailleurs puisque 50 % des sièges du conseil d’administration passent alors aux mains des patrons, laissant 50 % aux ouvriers. Il suffira alors d’un syndicat patronal minoritaire (mais unique) pour faire basculer la gestion vers le patronat. De Gaulle casse aussi la Sécu en plusieurs branches : auparavant tout était lié, les accidents de travail, la maternité, la maladie, la vieillesse. C’est comme un saucisson, quand on le coupe c’est plus facile de le manger. Le principe de solidarité est supprimé.

« Aujourd’hui, alors que la France est la 5e puissance du monde, 32 % des Français hésitent ou renoncent à se soigner pour des raisons financières. »

Et puis, il y aura toute une succession d’attaques. Avec le plan Barre, l’État commence à vouloir faire des économies sur la Sécu. Le ticket modérateur – le reste à charge pour l’assuré – était très mince sous Croizat et, dès lors, il ne cessera plus d’augmenter sous tous les gouvernements successifs dans le sillage de la privatisation rampante de la Sécu via le contrôle de l’État. Rocard impose ensuite la CSG (Contribution sociale généralisée), qui est un impôt et plus du tout une cotisation sociale prélevée sur le salaire. Georgina Dufoix va essayer d’imposer des franchises dans les années 1980. Et l’ensemble des plans Juppé, Raffarin, Chirac vont allonger la durée de travail et de cotisation. Et ça continue jusqu’à aujourd’hui avec l’ANI (Accord national inter-professionnel) de 2013 que la CGT n’a pas signé mais que la CFDT [Confédération française démocratique du travail, NDLR] a avalisé. Celui-ci impose une mutualité dans l’entreprise et constitue une rupture d’égalité puisque tout le monde n’est pas concerné, mais uniquement ceux qui travaillent (vieux, chômeurs et précaires ne l’ont pas). La mutuelle est au choix du patron. L’ANI impose aussi une rupture de confidentialité dans la mesure où les patrons peuvent potentiellement connaître le profil pathologique de leurs employés. Tout ça participe à privatiser la Sécu.

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Il ne faut pas oublier que la Sécu a été entièrement bâtie dans un pays ruiné grâce à la seule volonté militante. Aujourd’hui, alors que la France est la 5e puissance du monde, 32 % des Français hésitent ou renoncent à se soigner pour des raisons financières [chiffres Insee de 2007, NDLR]. Tout ça est imposé par les réductions budgétaires décidées par l’État et votées par les députés. Si on voulait en finir avec le “problème” du “trou” de la Sécu, pourtant, on le pourrait. Celui-ci est de 10 milliards d’euros et dû au fait qu’il y a de moins en moins de recettes. Ceci est notamment imputable à la baisse de l’emploi : alors que plus de trois millions de personnes ont été mises au chômage, 100 000 emplois en plus en France correspondraient à deux milliards de plus dans les caisses de la Sécu. Aujourd’hui, il y a 40 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales pour le patronat, obtenus par le chantage à l’emploi. Il y a 20 milliards de fraude aux cotisations, principalement obtenues par le travail au noir. Il y a 80 milliards d’évasion fiscale. Enfin, il y a 312 milliards d’euros de revenus financiers en France qui ne sont soumis à aucune cotisation sociale. L’État vient d’employer 270 personnes pour courir après les chômeurs. Est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt employer ces gens-là pour courir après l’évasion fiscale, c’est-à-dire après les gens qui ne payent pas de cotisations ?

Le problème du prix des médicaments est scandaleux par ailleurs : un traitement pour l’hépatite C aujourd’hui coûte 100 dollars à la fabrication et est vendu 48 000 euros à la Sécu. On pourrait très bien créer un Pôle public du médicament avec des médecins et des usagers qui géreraient tout ça. Un autre moyen “d’économiser” serait de faire enfin de la prévention : par exemple, on connaît la toxicité de l’amiante depuis 1967 mais il a fallu attendre 1997 pour l’interdire. Entre temps c’est 30 000 morts et on en annonce 100 000 nouveaux. Il y aurait beaucoup de choses à faire avant de vouloir supprimer la Sécu. Il faudrait seulement un peu de courage politique. Et c’était la vertu cardinale de certains de nos représentants au moment de la Libération : ils plaçaient l’humain au centre de tout leur champ politique. Ce n’était pas les banques qu’ils voulaient sauver, c’était l’homme.

Note

1- George Meany a déclaré peu après “l’opération” au club de presse de Washington : « Je suis fier de vous dire, parce que nous pouvons nous permettre de le révéler maintenant, que c’est avec l’argent des ouvriers de Detroit et d’ailleurs qu’il nous a été possible d’opérer la scission très importante pour nous dans la CGT, en créant le syndicat ami Force ouvrière. » (cité dans E… comme espionnage, de Nicolas Fournier et Edmond Legrand, éditions Alain Moreau, 1978). 
 
Source : https://histoireetsociete.wordpress.com/2018/01/04/la-secu-a-ete-entierement-batie-dans-un-pays-ruine-grace-a-la-seule-volonte-militante/?fbclid=IwAR24-NDzoC7DC9RFF7DR-5Vr8K8W9rmY-XHnns06DiOiFi_UsZB0p3ylfw0

Four French Collaborationists: Châteaubriant, Céline, Drieu, Brasillach

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Counter-Currents Radio Podcast No. 264
Four French Collaborationists:
Châteaubriant, Céline, Drieu, Brasillach

 

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This is a lost London Forum talk by Michael Walker on four French artists of the Right: Alphonse de Châteaubriant, Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelle, and Robert Brasillach. If anyone has details about when this talk was given, please post a comment below.

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“Homage to Robert Brassilach”
Michael Walker

Comme le temps passe
Robert Brasillach

My homage is for the way you lived to die
That I a coward cannot emulate
You knew and wrote
Reason turns malevolent
after childhood disperses
And slumps into mature consideration
You could not have lived with yourself after failing.
So the leaden sentence was a gift
Better to die as you died
In the fluency and grace of certainty and light
Like poor Pucelle
Than grapple with compromise and penance
To win years in retirement and shame
Dying defiant
Sin pañuelo
The Castilian way.
Happiness a bagatelle
To a fascist
Dying well essential
Dying well redeems
The quintessence
Not delaying
Nor complaining
Nor dreading
Unbitter witness
The theatrical end
Many shrink and strive to safety
Delay complain and dread
And run away and hide
And sacrifice their pride for a
Doubtful grace
Not you a thief or cheat
Perhaps a busy undertaker
Coffins lined in neatly ordered rows
“The Bubonic East has
Broken out” –the facts
Every issue packed and bracketed
Childhood spoilt and spilled
Venom packed away in lofts or cellars
Then taken out and filmed
Nothing like that within you
So they held their tryst with you
Many shrink and strive to safety
They show their heads
Where they fear no censure
The dumb speak no treason
The illiterate pen no error
They called you traitor and acolyte to murder
But no betrayal was within you
Those
Who mattered to you
Will wait and wait
Carlists on horseback
Ragamuffin Spain
The islands of childhood
You walk to them
Punctual formal and correct
In the fields of your Great Faith
Le paradis terrestre
Martyr’s etiquette at the shore
Running and returning
Your last breath faithful
Hear the sea roar

Comme le temps passe
Robert Brasillach

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vendredi, 13 mars 2020

La révolution nationale de Georges Valois

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La révolution nationale de Georges Valois

par Juan ASENSIO

Finalement, le ton pamphlétaire en moins propre à l’auteur des Décombres, Georges Valois adressera à Charles Maurras, après l’avoir admiré de manière un peu trop grandiloquente (1), les mêmes reproches que Lucien Rebatet : «Maurras et ses commanditaires avaient toléré ma politique ouvrière, tant qu’ils avaient pu la mener sur le plan de la littérature, mais du jour où je déclarais que nous passions à l’action politique, on voulait m’arrêter net» écrit ainsi l’auteur dans son Basile ou la politique de la calomnie (2), décrivant Charles Maurras comme tant d’autres l’ont fait, à savoir un homme qui est avant tout un esprit plutôt que des muscles et des mains. Maurras dut ainsi être «extrêmement embarrassé par mes questions», continue Georges Valois, qui poursuit sa charge en enfonçant le clou d’une ironie point complètement débarrassée de regrets, du moins à cette date : «Il nous fit un discours d’une demi-heure pour me démontrer que, nécessairement, il avait toujours pensé à faire ce qu’il disait. Je lui demandai des ordres, il n’en donna aucun» (3).


Ce n’est pourtant pas tant l’action qui a souri à Georges Valois, Paul Sérant rappelant en quelques pages synthétiques l’échec que fut sa tentative de créer un fascisme à la française, que la réflexion, dont ce texte heureusement réédité par La Nouvelle Librairie dirigée par François Bousquet (qui reprend l’héritage de Valois, créateur de la Nouvelle Librairie nationale) nous donne un témoignage plus qu’intéressant. La Préface à cet ouvrage évoque l’intérêt principal de ce livre de Georges Valois, l’un de ces auteurs qui heureusement ne fait pas partie de ces «penseurs simples, binaires, facilement classables [qui] ne sont plus d’un grand secours» (p. 8) : «une tentative de dépasser les clivages sociaux, dans une vision organique et corporatiste de la nation» (p. 20), ou, pour l’écrire avec l’intéressé lui-même, une tentative de refonder voire, plus désespérément, fonder un État national, autrement dit «nous-mêmes avec nous-mêmes, avec nos femmes et nos enfants, avec ceux de nos métiers, avec nos propres chefs, pour la France régénérée par la victoire, pour la grandeur française que nous aurons servie et que nous voulons servir !» (p. 41).

De cet État national, Georges Valois donne une définition qui synthétise l’opposition courant au travers de tout son livre entre les vertus du combattant, héroïques et nobles, et celles du bourgeois, aussi peu héroïques que nobles, corrosives à vrai dire : «c’est l’État qui repose sur les valeurs héroïques par lesquelles toute cité est fondée, défendue, conduite à la grandeur; c’est l’État qui repose sur la philosophie même du combattant; c’est l’État qui veille sur la propriété nationale, qui veille sur le patrimoine spirituel de la nation, qui n’accorde aucune licence aux tentatives faites contre les valeurs fondamentales de la Cité; pour qui la propriété individuelle et familiale n’est qu’un moyen de prospérité et non le but de son activité; qui est au-dessus des partis et des classes et qui recrute ses états-majors aussi bien dans une classe que dans l’autre» (pp. 67-8). L’État national est donc l’inverse même de l’État libéral, dans lequel la nation n’est qu’une «juxtaposition de citoyens dont la règle individuelle est la loi de l’argent», alors que, pour l’autre, «la nation est une organisation de familles, qui font corps avec les régions et les métiers» (p. 69).

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Seul cet État national est capable de provoquer un patriotisme charnel, antithèse même du «patriotisme verbal» (p. 31) qui a fait des ravages durant la Grande Guerre dont Georges Valois exalte l’esprit véritable, seul à même d’insuffler sa vitalité à la nouvelle organisation sociopolitique qu’il appelle de ses vœux : «La philosophie du combattant, qui défend les valeurs héroïques, s’oppose à la philosophie du financier, pour qui il n’y a dans le monde que des valeurs de bourse, des commissions sur les emprunts, qu’ils soient français ou allemands» (p. 49). Il s’agit de retrouver un horizon spirituel et une dimension complétant la Politique par une mystique, s’il est vrai qu’un peuple ne pourra «supporter longtemps la pensée que son effort n’a d’autre expression que les plaisirs de Deauville et de la Côte d’Azur» (p. 72) et, puisqu’il faut «recréer les conditions de la grandeur», la première d’entre elles, juge Georges Valois, sera de faire rentrer dans la vie publique les «valeurs héroïques retrouvées dans la guerre» (p. 73). Il ne sera pas le seul à avoir exigé, une fois sorti vivant de l’hécatombe monstrueuse que fut la Première Guerre mondiale, une refondation ou même une régénération du pays profondément blessé. Il ne sera pas le seul à vite déchanter, les vertus de l’Arrière ayant pris, si j’ose dire, le devant de la scène politique française, les grands appels et belles déclarations s’étant vite transformés en petites médiocrités et compromissions.


Comme nous comprenons que Georges Valois ait fini par se séparer de Charles Maurras, pourtant qualifié de «grand libérateur de la pensée » (147), lui qui écrivait, assez crânement : «Notre objet, c’est la grandeur. On atteint la grandeur par l’action» (p. 75) même s’il n’a pas vraiment su la concrétiser sous ses propres entraînement et panache, alors qu’il n’aura eu de cesse, du moins dans ce petit livre, d’évoquer une «comptabilité des impondérables» (p. 95) à opposer systématiquement à la basse comptabilité des bourgeois qui ne sont en fin de compte rien d’autre que les propagateurs d’une «conception mercantile ou économique de la vie nationale et sociale» (p. 99), comme si le bourgeois avait finalement diffusé son poison matérialiste jusqu’à la tête, aux plus hauts sommets de la nation mais aussi dans l’ensemble de l’organisme social qui ne tardera pas à devenir fiévreux : «Quand le bourgeois veut être le premier dans l’État, c’est un destructeur, ou un chef qui s’abandonne, c’est Étienne Marcel, c’est Guizot, c’est M. Thiers, c’est M. Raymond Poincaré» alors que, s’il restait fidèle à sa place qui ne devrait jamais être la première, il serait bien évidemment capable de servir, puisque c’est alors «un grand serviteur du Prince et du Peuple, c’est Colbert» (p. 93). L’opposition au bourgeois n’est donc pas complète, le propos de Valois concernant bien davantage le fait que ce dernier n’occupe que la place qui lui revient, subalterne. C’est au contraire au Combattant d’être au premier rang, car c’est sur la force que l’on fonde la paix, et que «l’on organise le commerce dans les limites que trace sur le sol l’épée du combattant» (p. 104) puisque, en effet, c’est «la sécurité qui est la condition de l’abondance» (p. 109) et certainement pas l’inverse, sur quoi repose la prétention et la tromperie du régime que le Bourgeois cherche à favoriser, toutes les fois que l’une de ses déclinaisons historiques cherche à mettre en place un pouvoir qui lui soit favorable, donc qui le laisse en paix faire ce qu’il sait faire le mieux : acheter et vendre, autrement dit faire des affaires. Ainsi, «le bourgeois libéral représentait l’Argent, mais recouvert d’un voile pieux; le bourgeois national représentait l’Argent, mais avec un petit morceau du drapeau tricolore; le bourgeois radical représente l’Argent nu et obscène» (p. 132).

GVage.jpgL’Argent, puisqu’il est parlé du bourgeois que Valois substantifie en quelque sorte en lui accordant, comme au métal précieux d’ailleurs, une majuscule, est le thème sous-jacent de notre livre et on peut sans trop craindre de se tromper affirmer qu’il est, comme la Machine chez Georges Bernanos, l’un des surgeons du règne de la quantité, du chiffre, alors que, pour Valois, c’est «l’épée, et non le bidon de pétrole, qui est au premier rang» car la «paix, ce n’est pas une entente entre financiers et producteurs des deux mondes, c’est l’équilibre entre les forces des combattants» (p. 150). D’ailleurs, toutes les fois qu’un empire s’est laissé envahir par le Chiffre n’ayant d’autre but que son accroissement, il a péri, comme lorsque «Rome devenue trop riche, l’Argent l’emporta sur le glaive», comme «lorsque l’esprit combattant de Rome héroïque céda devant l’esprit bourgeois de Rome riche et jouisseuse» (p. 152).
Le Combattant, le premier, a été floué par la paix honteuse qui a été signée après la Grande Guerre, tout bonnement parce que cette paix est «la paix bourgeoise, la paix des financiers, qui rejette l’Europe tout entière dans la corruption de l’argent » (p. 157), Georges Valois allant même, et c’est sans doute la page la plus saisissante de son ouvrage, que je me permets donc de citer in extenso, jusqu’à décrire fascisme et communisme comme «une même réaction contre l’esprit bourgeois et ploutocratique» : «Au financier, au pétrolier, à l’éleveur de porcs qui se croient les maîtres du monde et veulent l’organiser selon la loi de l’argent, selon les besoins de l’automobile, selon la philosophie des cochons, et plier les peuples à la politique du dividende, le bolcheviste et le fasciste répondent en levant l’épée. L’un et l’autre proclament la loi du combattant. Mais le bolcheviste slave arme son bras pour s’élancer à la conquête des richesses accumulées dans le monde romain. Le fasciste latin dresse la hache pour fonder la paix et protéger le laboureur contre l’usurier. Ce n’est point par hasard que la réaction contre le régime bourgeois produit le bolchevisme en Russie et le fascisme en Italie. Le bolcheviste slave, c’est le guerrier du Nord, qui se place à la tête des hordes asiatiques et scythiques et à qui sa doctrine fournit une justification pour partir au pillage du monde romain, qu’il nomme le monde capitaliste. Le fasciste latin, c’est le combattant du Midi, qui veut arracher l’État aux mains débiles de l’administrateur bourgeois, protéger le travail contre l’argentier, et redresser les défenses de la civilisation abandonnées par les mercantis et les juristes incapables de porter les armes» (p. 158).

Je me demande si nous ne pourrions pas transposer assez facilement cette excellente analyse, comme le suggère d’ailleurs la première de couverture de notre réédition, au cas actuel de la France ployant sous la Macronie qui, après tout, peut à bon droit être considérée comme la prise de pouvoir d’une petite oligarchie méprisante et arriviste, dénuée de tout scrupule, ayant pour politique dévastatrice d’allier les différentes bourgeoisies françaises, puisqu’elle considère que c’est un climat propice au développement des affaires, un monde libéré de toute forme de régulation et dans lequel l’Argent, le Chiffre, seraient donc roi, qu’il faut instituer pour libérer l’homme de ses vieilles attaches, ne pariant donc, pour parvenir à son désir le plus cher, que sur les valeurs pondérables, échangeables, reléguant les valeurs impondérables au musée des horreurs réactionnaires et si affreusement passéistes.


Si c’était le cas, il nous faudrait alors faire nôtre ce rappel de Georges Valois affirmant que ce n’est pas un Gouvernement bourgeois, instauré par le bourgeois et n’ayant d’autre but que de favoriser la prospérité de ce dernier, qui décidera de notre sort, mais l’esprit des combattants qui «fera la révolution nécessaire» (p. 161). Reste à savoir si nous sommes encore capables de dresser des combattants, même éborgnés, face à ce qu’incarne le pouvoir macronien, l’empire du chiffre, ce qui sera un avenir peut-être moins sombre, à tout prendre, que celui que Georges Valois appelle de ses vœux, une révolution nationale établissant impitoyablement une «Dictature nationale, afin d’accomplir son œuvre» (p. 174).

Notes
(1) Georges Valois, La Révolution nationale (1924) (La Nouvelle Librairie, préface de Guillaume Travers, 2019, p. 148) : «Le XIXe siècle portera le nom bourgeois. Le XXe, s’il est nommé, portera celui de Maurras».
(2) Cité par Paul Sérant, Les dissidents de l’Action française (Éditions Pierre-Guillaume de Roux, préface d’Olivier Dard, 2016), p. 49.
(3) Paul Sérant, op. cit., pp. 45-6.

Source : http://www.juanasensio.com/archive/2020/02/26/la-revoluti...

https://www.lanouvellelibrairie.fr/

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Stanisław Przybyszewski

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Stanisław Przybyszewski

Halina Floryńska-Lalewicz

Author: Culture.pl

Writer, poet, dramatist and essayist. Born on 7 May 1868 in Łojewo near Kruszwica, died 23 November 1927 in Jaronty– Inowrocław county.

Upon graduation from a German gymnasium in Toruń (Thorn), Przybyszewski went to Berlin to study architecture and medicine from 1889. In 1892 he edited "Gazeta Robotnicza", the Polish socialist weekly appearing in Berlin. The following year he married the Norwegian writer Dagny Juel and in 1894-98 lived mostly in Norway. While in Germany and Norway, he stayed in close touch with the circles of international Bohemia; he was friends with Edvard Munch, Richard Dehmel, August Strindberg and others.

In 1898 he arrived in Kraków and was appointed editor of "Życie". The following year the magazine went bust for censorhip and financial reasons. In 1901-05 Przybyszewski lived in Warsaw, devoting himself to literary work.

From 1906 to 1918 he stayed in Munich. In 1917-18 he contributed to the Expressionist magazine "Zdrój" which was published in Poznan.

In 1919 he returned to Poland to take civil service posts in Poznan and Gdansk. He also got involved in social responsibility projects - he was the champion and organizer of the construction of a Polish gymnasium and the Polish House in Gdansk. In 1924 he got employed at the Civil Office of the President of the Republic. He was awarded the Officer Cross and the Commander Cross of the Polonia Restituta Order. An active man of letters till his last days, he was the author of a great many publications and gave tremendously popular public lectures.

Przybyszewski's role in the Young Poland period goes beyond the facts contained in his curriculum vitae and, indeed, beyond what he wrote. In the late 19th and early 20th centuries he was a major figure, if not a prophet, of literary life. Writers of more intellectually mature works used to start their discourse from comments on his views. A large percentage of his generation spoke his language. One of the reasons for it was his eccentric personality and his scandalizing legend which included erotic excesses, drinking and the notorious divorce of Jadwiga and Jan Kasprowicz which he had caused. More than that, he was the one to formulate the main philosophical ideas of his generation in a most extreme and dramatic way, and did it through literary provocation.

spybook.jpgHe earned fame in Berlin, where he became a hero of the international artistic community. It was in Berlin that he published his resonant essay "Zur Psychologie des Individuums. I - Chopin und Nietzsche. II - Ola Hansson" 1892 as well as poems Totenmesse, 1895 (Polish version: Requiem aeternam, 1904), Vigilien, 1895 (Polish version: Z cyklu wigilii, 1899), De profundis, 1895 (Polish version 1900), Androgyne, 1900. They introduced themes which would be central to all of his work: individualism, the metaphysical and social status of creative individuals, fate of geniuses, the sense of such attributes of genius as "degeneration" and "illness". He continued to present his philosophical views in essays published in a number of magazines and later collected in the volumes "Auf den Wegen der Seele" 1897 ("Na drogach duszy" [On the Paths of the Soul], 1900), "Szlakiem duszy polskiej" [On the Paths of the Polish Soul], 1917, "Ekspresjonizm, Słowacki i Genesis z ducha" [Expressionism, Slowacki and Genesis from the Spirit], 1918.

Initially open to various views, Krakow's "Życie", coming out in 1897-1900, was transformed into a magazine of the young generation when Artur Górski was appointed editor-in-chief in early 1898, to become the organ of Young Poland. In no. 1 of 1899 Przybyszewski published Confiteor, the manifesto of the new art and one of its key writings. Its main slogan, "art for art's sake", was not just an appeal for the autonomy of artistic activities. It was born out of Przybyszewski's conviction, shared with other artists, that art reveals important truths about existence, reaching the Absolute. The artist's "naked soul", stripped of conventions and freed from social constraints and intellectual stereotypes, is able to transcend the seeming biological and spiritual dualism of the human being. Indeed, this dualism is one of cognitive powers, and conceals the basic unity of being. According to Przybyszewski, the opposition of soul and brain is the opposition of intuitive and discursive cognition; the former, analytical and communicable, belongs to the unified order of social phenomena; the latter is a way in which the individual communicates with absolute reality.

Przybyszewski's manifesto, affirmative of creative individuals as bearers of metaphysical insight, was targeted against the positivist program of socially involved art and the positivist concept of progressive natural and social evolution. It juxtaposed two types of cognition, two moral models and two development ideas: the social one and the individual one. Przybyszewski invoked the anti-positivist trends of contemporary philosophy, represented by Friedrich Nietzsche, Arthur Schopenhauer, Eduard Hartmann, as well as Polish romantic tradition (mainly Słowacki's philosophy of Genesis), theosophy and occultism. His views were also influenced by the heritage of naturalism. The sphere of the Absolute, in which the "naked soul", freed from social constraints, belongs, initially had strongly marked features of the sphere of biology and drive, believed to determine the conscious life of man and to cause permanent moral conflict. Przybyszewski based on it his concepts of "blameless guilt", doom and evil, the latter perceived as the inseparable element of being. Gradually, however, the "naked soul" evolved to become increasingly spiritual, its destructive and self-destructive energy proving the evolution's driving force towards individual perfection. Przybyszewski combined Slowacki's concept of King Spirit who destroys the existing forms of being to create finer ones, with Nietzsche's idea of the Overman. To legitimize these ideas, he finally accepted the concept of re-incarnation.

spybook2.jpgPrzybyszewski translated the philosophical issues raised in his essays and narrative poems into the language of literary prose and drama. A very prolific writer, he published many novels, all of them trilogies, in German and Polish, notably Homo Sapiens, German edition 1895-96, Polish edition. 1901; Satans Kinder, 1897; Synowie ziemi [Sons of the Earth], 1904-11; Dzieci nędzy [Children of Poverty], 1913-14; Krzyk [The Cry], 1917; Il Regno Doloroso, 1924. All of his novels had basically the same type of protagonists, i.e. outstanding individuals destroyed by the social world and by their internal demons. These doomed characters were presented in extreme, frequently pathological, emotional states of alcoholism, jealousy, destructive love. The plots were weak and served as a pretext to analyze the characters' internal states. This new type of the protagonist required appropriate narration techniques that were different from those used in realistic novels. Przybyszewski made innovative use of (seemingly) indirect speech and of internal monologue.

As they violated taboos of social behaviour and were - intentionally - morally provocative, all of his books aroused intense public response. Translated into English, Italian, Czech, Bulgarian, Serbo-Croatian, Yiddish and many other languages, his novels and essays had a major influence on the period's literature, particularly in Scandinavia and Central Europe.

He also wrote a number of dramas, including Das grosse Gluck, 1897; Złote Runo [Golden Fleece], 1901; Śnieg [The Snow], 1903; Matka [Mother], 1903; Odwieczna Baśń [Perennial Fairytale], 1906; Śluby [The Oaths], 1906; Gody życia [The Nuptials of Life], 1910; Topiel [Deep Water], 1912; Miasto [The Town], 1914; Mściciel [The Avenger], 1927. Their themes and characters were similar to those of the novels. Likewise, the plots were flimsy, and were compensated for by numerous monologues and discussions revealing the inner life of the characters.

Przybyszewski's dramas were put on stage in many Polish and European theatres; in a number of cases the staging preceded the coming out in print. In 1921, marking Przybyszewski's thirtieth anniversary as a writer, his dramas appeared in the repertoires of the theatres of Krakow, Warsaw and Lvov. All the premieres were accompanied by heated debates on their literary and moral aspects.

Both the work and the legend of Przybyszewski lost some of its popularity in the twenty years separating the two world wars, other literary events eclipsing them. Przybyszewski's other side came to the forefront, however. This enemy of involvement of art and of any social ties gave himself in to the tide of patriotic feeling, publishing a bilingual pamphlet "Polen und der heilige Krieg; Polska and the Holy War" (1916), an apotheosis of the struggle for national liberation. After World War I his support for the freshly regained statehood was not limited to words; he championed and master-minded pro-Polish public actions and became a valued civil servant. Once a poet maudit, he had a funeral worthy of a dignitary, writes his biographer, Stanisław Helsztyński. Przybyszewski was buried in Góra in the Kujawy region. His coffin was placed in a four-horse carriage decorated with state insignia. The funeral procession was a three-quarter mile long and included state and Church dignitaries, chancellors of colleges and universities, writers and journalists. An honorary salute was fired over his grave. A public collection of money which lasted for four years paid for the stately tomb that has survived to the present day.

Przybyszewski played a major role in Polish cultural life as an artist, thinker and taboo-breaking provocateur. Writing in Polish as well as German, he was among the best-known Polish writers in Europe. Today he is of interest mostly to historians of literature and culture as well as to lovers of the period of Young Poland. Of the few stagings of his dramas, the most interesting performance was that of Matka directed by Krystian Lupa in Jelenia Góra in 1979.

Major publications: "Wybór pism" [Selected Writings], Wroclaw 1966; "Listy" [Letters] vol. 1-2, Wroclaw 1954.

Author: Halina Floryńska-Lalewicz, January 2004
 

jeudi, 12 mars 2020

Le Raspoutine d’Himmler

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Le Raspoutine d’Himmler

par Julien DARVANT

Sur le fameux « Ordre noir » de la SS, de nombreuses choses furent dites et écrites. La légende entourant ce corps d’élite se nourrit des spéculations des historiens qui font souvent appel aux mythes, plutôt qu’aux faits pour expliquer ses symboliques. Chevalerie moderne, ordre occultiste, secte néo-païenne… plusieurs interprétations ont été données pour expliquer cet ordre qui revêtait un caractère spiritualiste le distinguant des autres formations militaires de son époque. Une des théories en vogue fut que la SS possédait une religion qui lui était propre. Celle-ci aurait été inspirée par Karl Maria Wiligut, véritable Raspoutine du Reichsführer Heinrich Himmler.

Mais il s’agit de fiction. Dans une récente monographie dédiée à Wiligut, Christian Bouchet remet les pendules à l’heure. Oui, Wiligut fut bien impliqué dans la SS et oui, il développa des thèses spiritualistes qui le conduisirent à l’hôpital psychiatrique, mais il n’eut pas l’influence que certains lui prêtent. Wiligut en tant qu’éminence grise d’Himmler n’est qu’un mythe.

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Bouchet nous présente ainsi l’histoire pour le moins inusitée de ce personnage atypique qui fait partie de de ces hommes singuliers qui rêvent de faire l’histoire ou d’y laisser leur trace de façon indélébile, mais qui de par leur originalité restent en marge, ne parvenant pas à s’imposer ou à transmettre ce qu’ils auraient aimé pouvoir laisser comme héritage.

C’est après avoir servi durant la Première Guerre mondiale que cet ancien officier se tourna vers l’ésotérisme. Wiligut entama une quête spirituelle qui le mena de la franc-maçonnerie à diverses organisations ésotériques qui pullulaient alors, comme la Société Guido von List, l’Ordre du Nouveau Temple et la Société de l’Edda. Puisant dans les textes anciens, il analysa les mythes du passé pour leur donner une nouvelle interprétation, parfois déconcertante.

Pour cet homme qui croyait que la Bible était en fait un texte allemand et que le monde avait connu des âges divers durant lesquels les forces telluriques s’étaient affrontées, « le monde est animé par une circulation cosmique d’esprit, d’énergie et de matière auquel les runes participent ». Ses croyances étaient donc un amalgame entre diverses croyances auxquelles il donnait une interprétation germaniste.

Wiligut serait resté confiné dans les cercles ésotériques qui foisonnaient à cette époque de grande instabilité, s’il n’avait pas rencontré Heinrich Himmler à une réunion de la Nordische Gesellschaft en 1933. Il rejoignit alors la SS sous un pseudonyme et devint général.

Il servit alors de conseiller à Himmler, produisant pour ce dernier plusieurs rapports sur la cosmogonie, la théologie, l’histoire et évidemment sur le paganisme, dont il se revendiquait, lui qui proposait la confiscation des biens de l’Église en vue d’une redistribution auprès des néo-païens. On lui attribue une certaine influence sur certains rites de la SS, mais Bouchet est formel, Wiligut ne fut pas le maître à penser d’Himmler. Son influence fut limitée, surtout qu’il dut démissionner de la SS en 1939, lorsque fut rendu public son internement passé.

Après la guerre, Wiligut sombra dans un certain oubli, ses thèses continuant pourtant d’être étudiées et transmises par un cercle d’initiés relativement discret. C’est l’ancien SS Rudolf Mund qui le remit à l’avant-scène en publiant une première biographie le présentant comme un penseur majeur de l’aventure SS.

Son paganisme n’était pas folklorique, comme celui des Odinistes, et se basait sur l’esprit plutôt que sur la lettre. Bouchet en nous présentant cet homme ainsi que quelques textes choisis nous permet de nous replonger dans l’effervescence spiritualiste de l’Entre-deux-guerres, mais aussi de déboulonner le mythe de la religion SS et de son mage noir Karl Maria Wiligut.

Julien Darvant

Christian Bouchet, Karl Maria Wiligut, le Raspoutine d’Himmler, Ars Magna, coll. « Sonnenwende », 2019, 87 p., 26 €.

lundi, 09 mars 2020

Marie von Clausewitz

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Marie von Clausewitz

Non sono solito leggere biografie, ma in questo caso ero molto curioso di affrontare il testo e godermelo fino alla fine per due motivi. Pur essendo una biografia, per me era come leggere e conoscere meglio un autore e un’opera che considero fondamentale per capire la natura della guerra. Secondariamente, il testo mi ha riportato in luoghi che ho visitato e vissuto e che quindi hanno fatto riemergere nella mia mente vivi e piacevoli ricordi.


Il libro di cui vi voglio parlare è Marie von Clausewitz: The Woman Behind the Making of On War di Vanya Eftimova Bellinger, un testo molto interessante che affronta un tema del tutto originale, ovvero la figura di Marie von Brühl, moglie del generale prussiano Carl von Clausewitz il più noto pensatore sulla guerra. Il tema diventa veramente centrale dal momento che la figura che emerge dalle pagine del libro ha chiaramente un carattere e una statura intellettuale importante con un ruolo non secondario nella stesura dell’opera principale di Clausewitz, il Vom Kriege, oltre che, come noto, nella sua pubblicazione postuma dopo la morte prematura dell’autore.


Marie von Brühl nacque nel 1779 da una nobile famiglia originaria della Turingia ma con forti legami con le terre prussiane orientali, ora in Polonia, e con la corte di Dresda. Era, quindi, a tutti gli effetti una nobildonna del tempo con tutto ciò che ne consegue, ovvero ottima educazione (anche relativamente alle lingue visto che parlava fluentemente l’inglese per via di alcuni legami famigliari) e ottime entrature anche nella corte di Berlino che frequenterà assiduamente fino alla morte sopraggiunta nel 1836.


Questo aspetto mette subito in luce una profonda differenza tra lei e il marito, poiché Clausewitz, originario della cittadina di Burg, era sì un nobile ma era un titolo che aveva ottenuto suo padre per vie burocratiche e che andava confermato (cosa che avvenne negli anni successivi anche per merito dell’intercessione di Marie). Il divario sociale tra i due era quindi notevole, la madre di lei, per esempio, all’inizio non approvò la relazione. Il diverso lignaggio ebbe ripercussioni poi anche sul diverso grado di educazione, Clausewitz era certamente un uomo colto e che amava leggere, ma la preparazione di cui godette Marie era superiore per ciò che concerne sia le lingue sia i modi e i comportamenti nelle lettere ufficiali piuttosto che a corte.


L’autrice riesce a creare una vivida immagine della coppia grazie a due aspetti. Primo, utilizza l’epistolario di Marie ritrovato qualche anno fa e ciò le permette di avere a disposizione diverso materiale inedito in grado di gettare luce su aspetti nuovi o poco conosciuti. Pur non essendo un epistolario completo, e con il grande limite di non coprire tutti quei periodi in cui la coppia, vivendo insieme, non aveva necessità di scriversi, resta una fonte fondamentale per capire meglio la personalità di Clausewitz, le dinamiche di coppia, così come i loro interessi.


Dalle lettere emerge chiaramente come la coppia condividesse importanti interessi politici e come Marie sia stata un elemento importante per la carriera di Carl spronandolo e cercando appoggi tra i suoi contatti a corte. Lei lo ha sempre appoggiato nelle sue scelte che spesso lo portavano lontano per via della carriera militare e questo ha rinsaldato sempre più il legame tra loro. Anche la scelta di Carl di raggiungere l’esercito russo e combattere contro Napoleone, quando la Prussia invece si alleò con il francese, fu sofferta ma condivisa perché entrambi condividevano la stessa visione politica nazionalista prussiana in netta contrapposizione con il piano egemonico di Bonaparte.


clausewitz,marie von clausewitz,art militaire,militaria,guerre,histoire,allemagneLa visione politica dei due è molto simile ed emerge costantemente nelle lettere. Il libro ne segue le tracce nel quadro di quegli anni burrascosi che fu l’inizio dell’800 con le guerre napoleoniche la disfatta di Jena (14 ottobre 1806), la sconfitta e l’umiliazione prussiana che scossero gli animi della coppia (che in quel periodo non era ancora sposata, il matrimonio venne celebrato il 17 dicembre 1810 a Berlino presso la Marienkirche visitabile ancora oggi in pieno centro). Questo permette all’autrice di ricostruire in modo preciso le vicende della Prussia, e in genere dell’Europa di quegli anni, inserendovi quindi la maturazione delle idee politico-strategiche di Clausewitz oltre che ovviamente le vicende amorose dei due.
Il secondo aspetto importante è che l’autrice, che ha ripercorso i luoghi della coppia (dalla cittadina natale di Burg fino a Berlino) è che inserisce quella coppia, sicuramente particolare già all’epoca (per il divario sociale tra i due, ma anche per la particolare personalità di Marie), nel dibattito politico della Prussia facendo emergere i contatti con vari personaggi di spicco dello schieramento anti-napoleonico, ma soprattutto le forti e ampie riflessioni politiche che i due erano sicuramente impegnati a fare tra loro, ma anche nei salotti bene della nobiltà prussiana.


Marie appare quindi una donna sui generis rispetto all’immagine della classica nobildonna di inizio Ottocento perché era sì colta, ma aveva maturato un vivo e attivo interesse per la politica, un fatto certamente non comune (come a volte mette in luce l’autrice). Era inoltre impegnata in prima persona in quei dibattiti, ma anche nella vita militare sia per seguire il marito sia per scelta personale. Infatti, è significato il passaggio del testo in cui si ricostruisce il periodo in cui Marie per cercare di rimanere più vicina a Carl, impegnato nelle campagne belliche, e di essere di aiuto nello sforzo bellico prussiano scende in campo in prima persona. Ovviamente non imbracciando un arma, ma occupandosi dei feriti (per esempio durante l’assedio della cittadella di Spandau a Berlino, altro luogo che consiglio vivamente di visitare) e collaborando, dalle lettere non è chiaro in che ruolo, con il locale ospedale militare. Se da un lato all’epoca era relativamente normale che le mogli degli ufficiali seguissero in mariti, dall’altro è chiaro come non fosse normale per una donna che frequentava quotidianamente il re e la corte trovarsi a svolgere mansioni simili a un infermeria da campo.


Marie dunque era sicuramente una donna diversa dalle sue contemporanee e lo dimostra poi ancora una volta dopo la morte del marito, avvenuta improvvisamente per colpa di un’epidemia di colera nel 1831, quando prende in mano il manoscritto del Vom Kriege e le altre opere di Carl per sistemarle e mandarle in stampa. Lei aveva sempre spinto il marito sia verso la carriera militare sia nella stesura dell’opera. Dalle lettere emerge chiaramente il coinvolgimento di Marie in alcune riflessioni di Carl così come il suo sosteno morale per continuare a scrivere. Marie, quindi, conosceva bene sia l’opera sia il pensiero del marito e si trovò a dover completare in qualche modo il lavoro. Purtroppo anche lei morirà presto, nel 1836, e non riuscirà a vedere l’intera opera pubblicata, ma quella che noi oggi leggiamo è quella riassemblata da Marie partendo dai fogli di Carl.


Insomma il libro di Vanya Eftimova Bellinger è sicuramente originale per il tema trattato, interessante da un punto di vista storico, poiché ricostruisce le vicende della Prussia del primo Ottocento e cruciale per chi vuole studiare con maggiore profondità la vita e il lavoro di Clausewitz.

samedi, 07 mars 2020

L'épidémie de grippe dite « espagnole » et sa perception par l’armée française (1918-1919)

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L'épidémie de grippe dite « espagnole » et sa perception par l’armée française (1918-1919)

par Olivier Lahaie
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Résumés

En 1918, la France compte plus de 22.000 morts aux armées du fait de la grippe. Le Service de santé entreprend de sensibiliser toutes les régions militaires sur les mesures prophylactiques à adopter, mais le corps médical est globalement impuissant à enrayer une pandémie dont les origines restent obscures. Sa virulence, sa facilité à se propager laissent penser qu’elle n’est pas l’œuvre du hasard, mais plutôt celle des bactériologistes d’outre-Rhin. S’agit-il même d’une grippe ? Rien n’est moins sûr, surtout pour les services de renseignements français qui doutent devant les manifestations de la maladie. S’il est un fait incontestable aujourd’hui, c’est que la maladie s’est répandue chez tous les belligérants et qu’elle a durement frappé le camp allemand, affaibli par la pénurie alimentaire. Inutile de préciser qu’elle s’est évanouie sans que le contre-espionnage français ait pu arrêter (et pour cause) un agent allemand, porteur d’éprouvettes remplies de souches virales non identifiés.

1 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), Vie et mort des Français 1914-1918, Paris, Hachette, 1960, (...)
2 Archives du Val-de-Grâce, citées par : Darmon (P.), « La grippe espagnole submerge la France »,, L (...)
3 Dans L’Illustration du 19 octobre 1918, le docteur F. Heckel note « l’extension et la persistance (...)
4 Barbier (Dr M.), « La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine », 1919, cité (...)


Le 13 octobre 2004, la revue Nature présente le fruit des travaux d’une équipe de biologistes américano-japonais et met un terme à une énigme vieille de près de 90 ans : ces chercheurs sont parvenus à reconstituer, par génie génétique, le virus de la grippe dite « espagnole ». Cinq des huit gènes du virus de 1918 ayant été prélevés sur des cadavres congelés de victimes de la pandémie, on a pu obtenir en laboratoire les protéines « H » et « N », caractéristiques de la souche espagnole. Inoculés à des souris, les virus reconstitués ont engendré des symptômes grippaux sévères, souvent mortels, entraînant des atteintes inflammatoires aux poumons. Mais quel était donc le fond de cette « énigme » que nous venons de mentionner ? C’est finalement – et aussi étrange que cela puisse paraître – que cette épidémie de 1918 était bien une grippe ! Mais revenons aux faits. En 1916 déjà, la France est frappée par une épidémie de grippe, rappelant « l’influenza » du passé et que l’on surnomme à l’époque « la grippe vertigineuse » 1. Quelques cas de pneumonie et de pleurésie purulente surviennent en 1916-1917 parmi les Annamites, avec des taux de mortalité voisins de 50 % 2. Mais ces épisodes ne sont rien, comparés à la véritable saignée démographique que provoque l’épidémie de grippe dite « espagnole » en 1918 ; du jamais vu en quelque sorte, depuis l’épidémie de peste noire 3. « Nous ne retrouverons pas, dans nos cas, de complications ou de faits qui aient déjà été signalés dans une épidémie antérieure » 4, ainsi que le souligne le corps médical d’alors.

5 Madrid est alors fortement touchée et l’ambassade de France doit cesser ses activités.
 
Cette grippe frappe l’Europe en trois vagues successives (printemps 5, automne, hiver 1918). En France, celles-ci sont ressenties de la manière suivante :

6 Entre le 10 et le 20 avril 1918, des cas de grippe sont répertoriés dans les tranchées à Villers-s (...)

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L’épidémie débute entre le 10 et le 20 avril 1918, aux armées 6 comme dans les villes. Elle dure jusqu’à la fin de juin 1918 et se traduit par une poussée de fièvre bénigne ; elle est remarquable par sa forte contagion, puisque la maladie dépasse les frontières nationales.

7 Le 22 septembre, Le Matin avait annoncé, un peu hâtivement, que la maladie était éradiquée. Paris (...)

La 2e vague dure de septembre à octobre 1918 ; c’est la plus meurtrière d’entre toutes et elle se répand cette fois dans le monde entier 7.

La 3e vague dure de la fin de 1918 au printemps 1919. Toute aussi dangereuse que la précédente, ses symptômes sont comparables à ceux de la peste pneumonique ou de la forme respiratoire du charbon.

8 Dopter (C.), Les maladies infectieuses pendant la guerre (étude épidémiologique), Paris, Alcan, 1 (...)
9 Service historique de la Défense, archives de la guerre (SHD/GR), 7 N 170 : « Épidémie de grippe ; (...)
10 Note du 26octobre1918, citée dans J.-J. Becker, op.cit., p. 83.
11 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), op.cit., p. 357.
12 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.


Dès l’année 1918, la France déplore plus de 22 000 morts aux armées du fait de la grippe. C’est vrai, les conditions de vie dans les tranchées se sont améliorées depuis la fin de 1914 ; mais l’eau souillée, la saleté, la vermine (rats, puces, mouches), les cadavres sommairement enterrés ou déterrés par les bombardements, expliquent toujours qu’un large panel de « germes infectieux aient toutes facilités pour se propager et exercer à l’envi leurs ravages » 8. La promiscuité facilite quant à elle la propagation du virus grippal. En cette dernière année de guerre, cette maladie particulièrement contagieuse a donc un poids économique, humain et, par ricochet, des conséquences militaires 9. Une note des Renseignements généraux fait d’ailleurs remarquer qu’au Palais de justice de Paris, « on parle beaucoup plus de la grippe, et des ravages qu’elle exerce, que de la guerre et de la paix » 10. Car bien évidemment, à l’arrière, la population n’est pas épargnée. En automne 1918 : « On compta bientôt les morts par milliers. À l’hôpital de Joigny, un homme par heure quitte ce monde. Lyon, qui manque de corbillards et de cercueils, est obligé – je l'ai vu, de mes propres yeux vu – de transporter les cadavres dans des linceuls improvisés, à même les charrettes, et d’enterrer la nuit. Des scènes identiques se déroulent à Paris, où, dans la dernière semaine d’octobre, meurent 300 personnes par jour et où les ensevelissements ont lieu très tard dans la soirée. En un mois, la grippe espagnole a causé, dans la capitale, plus de mal que les avions et les canons en quatre ans de guerre. » Pendant la semaine du 10 au 17 octobre 1918, 1 263 Parisiens décèdent de la grippe ; 1 700 si l’on ajoute ceux qui en sont morts de façon indirecte, par surinfection 12. Très contagieuse, la maladie exerce facilement des ravages au sein d’une population affaiblie par quatre années de privations alimentaires. Il faut souligner qu’en 1918, la ration quotidienne de pain n’est que de 300 grammes à Paris. Cependant, la grippe touche aussi des hommes jeunes et vigoureux. Elle a ainsi fait de terribles ravages aux États-Unis et en Suisse, pays qui n’étaient pas affectés par une quelconque pénurie alimentaire. Entre 1918 et 1919, la grippe va tuer 550 000 Américains, civils ou militaires, soit plus que les deux guerres mondiales, la guerre de Corée et celle du Viêt-nam réunies.

13 Heckel (Dr F.), « La grippe épidémique actuelle », L’Illustration, no 3948, 2novembre1918, p. 425. (...)
14 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit., p. 373.
15 Idem.


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Cette maladie opportuniste profite des brassages ethniques importants, nés de la guerre, pour se répandre rapidement dans toutes les régions du globe et parmi toutes les couches sociales. Toute négligence à isoler une personne se sachant atteinte se traduit immanquablement par « des contagions de voisinage qui peuvent décimer une famille, un village, parfois toute une population » 13. « Pour la grippe, il semble bien que très peu de personnes puissent résister à une exposition prolongée ou répétée ; la seule cause (de contamination) réelle, indispensable, est le contact avec le contage microbien, encore contesté de cette maladie, qu’il soit fourni par un malade déjà atteint, ou par un objet inerte précédemment contaminé, ou même par une personne qui, non atteinte elle-même, porte sur elle le germe pris auprès d’un malade. » 14 Le personnel médical doit être particulièrement vigilant et veiller à circonvenir les risques de propagation du virus. « L’ignorance et la légèreté de la masse du public, l’incompréhension des nécessités d’isolement, de prophylaxie, prolongent depuis près de six mois une épidémie dont la durée habituelle ne dépasse pas six semaines » 15, regrette un praticien.

16 SHD/GR, 7 N 170 : « Au sujet de la grippe ; Note du sous-secrétariat d’État du Service de Santé Mil (...)


Le service de santé entreprend de sensibiliser toutes les régions militaires sur les mesures à adopter : « Il m’est signalé que, dans quelques circonstances, les mesures destinées à lutter contre la grippe et ses complications broncho-pulmonaires n’ont pas été appliquées avec toute l’exactitude, la précision et la célérité indispensables. Ces faits sont exceptionnels ; mais il importe qu’aucune lacune ne subsiste dans une action prophylactique d’aussi haute importance. S’il est vrai que la prophylaxie est particulièrement difficile et demeure souvent inopérante vis-à-vis d’une maladie extrêmement contagieuse, dont le germe spécifique est d’ailleurs mal déterminé, il faut reconnaître que des mesures intelligemment et consciencieusement appliquées doivent limiter la contagion, réduire le nombre des foyers, abaisser le chiffre des cas compliqués et le taux de mortalité : il importe donc de persévérer sans relâche dans l’effort prophylactique. » 16

17 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit. p. 425.
18 « Complication la plus redoutable par la rapidité avec laquelle elle peut menacer la vie du malade, (...)
19 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit. p. 373.
20 Crosby (A. W. Jr.), Epidemic and Peace 1918, London, ed.Westport, 1976.
21 Combinaison de phénétidine et d’acide citrique, découverte par le Dr J. Roos. Utilisé comme antithe (...)
22 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustrationdu 2 novembre 1918, op.cit. et Darmon (P.), op.cit. (...)


Ce qui frappe les observateurs, c’est aussi la brutalité de cette nouvelle maladie : quatre mois après leur infection, ce sont 90 % des malades qui sont passés de vie à trépas ; « à son début, une grippe promenée conduit souvent au cimetière » 17. Elle envahit l’organisme par les muqueuses aériennes supérieures (nez, pharynx), puis se propage dans les voies broncho-pulmonaires. Les symptômes vont ensuite crescendo en se déclinant de la façon suivante : des courbatures, des douleurs stomacales, de fortes fièvres (au-dessus de 40 degrés), un sentiment d’oppression, des crachats sanglants répétitifs, suivis de graves complications pulmonaires (pneumonies, broncho-pneumonies, œdèmes 18, congestions) et même d’infarctus. Les patients qui en réchappent sont, pendant plus d’un mois, dans un état d’extrême faiblesse. Profitant de la situation, d’autres microbes opportunistes s’associent à la grippe ou prennent sa suite (staphylocoques, streptocoques, pneumocoques), ce qui accroît encore le nombre de décès 19. « Le fait important et le plus incompréhensible à propos de la grippe espagnole est qu’elle a tué des millions de personnes en une année ou moins. Jamais rien, ni maladie, ni guerre, ni famine, n’a tué autant en si peu de temps. » 20 Démuni, le corps médical est impuissant à enrayer la pandémie et préconise pêle-mêle : l’alitement, la pose de ventouses, les saignées, les injections sous-cutanées d’oxygène, de toniques cardiaques (caféine, digitale, huile camphrée, adrénaline, essence de térébenthine), l’administration d’antithermiques (quinine, cryogénie, citrophène 21), les enveloppements froids de la poitrine, l’alimentation liquide et légère. Le quidam y ajoute, sans plus de succès, des remèdes de grand-mères 22.

23 Ou de Saint-Sébastien.

À l’époque, les origines de cette pandémie demeurent obscures. Son caractère hautement infectieux, sa facilité à se répandre laissent penser qu’elle n’est pas née – et qu’elle ne se diffuse pas – « par hasard », mais qu’elle est plutôt l’œuvre des bactériologistes d’outre-Rhin. En avril 1918, la presse française parle d’ailleurs d’une maladie « venant d’Allemagne », se manifestant par un affaiblissement des patients et une chute brutale de leur température corporelle. Elle ne sous-entend pas par là que les premiers malades sont des Allemands (puisque la maladie a d’abord frappé la Chine, l’Amérique, l’Angleterre et la Suisse), mais qu’après les gaz de combat, cette dernière est, à n’en point douter, une nouvelle et terrible invention germanique. Pourtant, des bruits insistants situent son origine en Espagne 23.

24 Berger (M.) et Allard (P.), Les secrets de la censure pendant la guerre, Paris éd. des Portiques, 1 (...)
25 Service de manipulation bactériologique dépendant du Nachrichtenbüro allemand, chargé de répandre c (...)
26 Crozier (J.), En mission chez l’ennemi, Paris, éd. A. Rédier, 1930, p. 118.


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S’agit-il même d’une grippe ? Rien n’est moins sûr, surtout au sein des services de renseignement français ; devant les manifestations de la maladie, le doute s’installe. « La grippe, la terrible grippe "espagnole″, ou bien la peste ! », avance-t-on dans les milieux bien informés 24. Son caractère décimateur la fait incontestablement comparer à la terrible peste noire qui se répandit au Moyen Âge en Europe. À l’état-major de l’armée, on s’interroge et si des bacilles de peste avaient été répandus, à dessein, par le redoutable service « S » germanique, basé en Espagne ? 25 : « Vous souvenez-vous de cette maladie mystérieuse qui nous vint du front français ou bien du front allemand et qui infesta d’ailleurs les deux armées ? On la dénomma grippe espagnole et c’était en réalité la peste. Mais ceci est une autre histoire… Quel jeu de répandre ces microbes dans les agglomérations, sans que personne puisse découvrir ou même soupçonner l’origine du mal », écrit un ancien agent secret français dans l’entre-deux-guerres 26.

27 Sur ce plan, la population range : grippe, canons à longue portée Berthas, bombardiers Gothas et Ze (...)
28 Becker (J.-J.), op.cit., p. 83.
29 Du 1er septembre 1918 au 29 mars 1919, l’épidémie fait 210 victimes/jour dans la capitale, soit 10 (...)
30 Préfecture de la Seine, direction de l’hygiène : « Épidémie de grippe à Paris ; 30 juin 1918-26 avr (...)
31 Cité par : Darmon (P.), op.cit., p. 83.
32 Idem.
33 Cf. « Ce que le docteur Roux, de l’Institut Pasteur, pense de la grippe », Le Petit Journal, 27 oc (...)

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Quelle que soit la nature du virus, on s’accorde donc à dire que l’épidémie est une création de l’ennemi, ce dernier visant à répandre la mort à peu de frais derrière la ligne de front 27. Les rumeurs les plus folles circulent : « Des bruits couraient dans le public que la maladie avait été provoquée par des conserves venues d’Espagne et dans lesquelles des agents allemands auraient introduit des bacilles pathogènes. » 28 À Paris, la mortalité s’aggravant, de semaine en semaine 29, fait que la population affiche une anxiété grandissante puisque alimentée par d’innombrables ragots 30. Le 20 septembre, un rapport adressé par un inspecteur de la brigade spéciale au préfet de police de Paris tente d’y voir clair : « D’après les médecins militaires, l’épidémie de grippe dite « espagnole » aurait pour origine la consommation de conserves alimentaires de provenance espagnole et dans lesquelles auraient été introduit des bacilles. On a dit aussi que de nombreuses fabriques de conserves sont entre les mains des Allemands. On prétend que les oranges ont aussi subi des injections de même nature. » 31 Une lettre, postée par un soldat à Toulon, est bloquée par la censure : il avance que si la pandémie se répand, c’est à cause d’ « un vaccin empoisonné, fourni par les Boches » 32. Aussitôt, le contre-espionnage français cherche des indices, quête qui – bien entendu – s’avère vaine. Le 27 octobre, un journaliste du quotidien Le Petit Journal procède à l’interview d’un chercheur de l’Institut Pasteur, cherchant à recueillir l’avis d’un spécialiste pour confirmer certaines rumeurs sur l’origine de la maladie : « Des médecins et des fonctionnaires ont émis des doutes sur la nature de cette épidémie. On a été jusqu’à suggérer que ça pourrait ne pas être la grippe, mais une maladie mystérieuse contre laquelle on serait désarmé. À votre avis, Docteur, quelle est cette épidémie ? » Le scientifique garde les pieds sur terre et confirme qu’il s’agit bien du virus de la grippe, déjà identifié en 1889 et 1910 33.

34 Statistique citée par : Darmon (P.), op.cit. p. 83.
35 Commentaire recueilli par un policier et cité dans P. Darmon, op.cit., p. 84.
36 À Lyon, on parle d’ailleurs de grippe « chinoise ».
37 Il semble aujourd’hui que le cheminement ait été successivement : la Chine, les États-Unis, la Fr (...)


Grippe ou pas, le service de santé de l’armée est légitimement inquiet et envisage toutes les éventualités. De septembre à novembre 1918, ce sont 230 000 soldats qui sont contaminés, la promiscuité aidant 34. Au moment où les alliés reprennent l’initiative des opérations militaires (et où la fabrication des munitions est vitale), la maladie semble faire le jeu des Allemands puisqu’elle paralyse l’activité économique et la vie sociale en France. « Ce fléau est plus terrible que la guerre ou que les Berthas et les Gothas » se lamente une ménagère parisienne 35. S’agissant de localiser le berceau de l’épidémie, la communauté scientifique ne peut apporter de réponse précise : compte tenu des premiers cas observés, doit-on affirmer qu’elle est née en Chine (Canton) ? A-t-elle été rapportée en France par des marins 36, ou est-elle apparue dans un camp militaire de Caroline du Sud aux États-Unis, puis a-t-elle « débarqué » avec les Sammies à Brest ? Mystère 37. Comment expliquer par ailleurs que cette grippe ne disparaisse pas avec l’été ? Nouveau mystère. Après une baisse des cas enregistrés en juin (12 000 cas dont 14 mortels) et en juillet (moins de 3 000 malades et 6 décès), l’épidémie repart de plus belle en août. Il y a alors 3 135 soldats hospitalisés (243 décès) ; ce nombre passe à 24 282 en septembre (2 124 décès), 75 519 en octobre (6 017 décès). Entre août et octobre, le nombre exact de malades et de morts parmi les civils est inconnu.

38 Provoquée par le coccobacille de Pfeiffer ; virus A° (1889) et virus A2 (1890). Becker (J.-J.), op. (...)
39 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit., p. 425.
40 Témoignage du Dr Weil de Nantes cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.


L’Académie de médecine, l’Institut Pasteur et le Val-de-Grâce, loin de rassurer civils et militaires, se perdent en conjectures sur l’origine de cette pandémie. On croit un temps reconnaître le virus de l’épidémie de grippe de 1889-1890 38. Mais finalement, le plus urgent n’est pas là ; il faut absolument parvenir à ralentir le nombre des contaminations, lequel s’accroît de manière exponentielle. « La maladie n’est pas seulement redoutable par sa virulence ; elle l’est encore par son caractère insidieux et ses traîtrises. » 39 Les médecins avouent leur dépit : « On a laissé un matin un pneumonique en bon état avec un ou deux foyers de condensation et, le soir, on le retrouve dyspnéique, inquiet, s’agitant dans son lit, avec les lèvres cyanosées. L’homme devient bleu, baigné de sueurs profuses, commence à râler et la mort survient.» 40

41 SHD/GR, 7 N 170 et 7 N 2003 : courriers divers traitant de ces questions immobilières, en rapport (...)
42 Barbier (Dr M.), La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine, 1919, cité dans (...)
43 Témoignage du Dr Merklen, Morbihan et Finistère, cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.


Devant l’ampleur du phénomène, l’ensemble du corps médical se trouve vite débordé. L’armée doit trouver des locaux pour isoler ses malades et remet donc en activité des casernes désaffectées 41. Dans le même temps, elle détache des médecins auprès des hôpitaux civils pour soigner les malades qui s’y accumulent. « Nous nous trouvions vraiment en face d’une grande épidémie, devant laquelle nous nous sentions impuissants. Certains, même, devant la gravité des symptômes et l’allure foudroyante de la maladie, allèrent jusqu’à penser à la peste, au choléra » 42, se souvient avec angoisse un médecin. Il ne s’agit donc pas simplement de « fabulation populaire, qui parle de sujets morts après quelques heures de maladie, devenant noirs, de peste, de choléra et qui veut qu’il s’agisse là d’une maladie nouvelle »43. C’est tout le corps médical qui se met à douter.

44 Ludendorff (maréchal E.), Souvenirs de guerre, Paris, Payot, 1921, t. 2, p. 257.
45 Miquel (P.), La Grande Guerre, Paris, Fayard, 1978, p.566.


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S’il est un fait incontestable aujourd’hui, c’est que la maladie s’est répandue chez tous les belligérants et qu’elle a durement frappé le camp allemand, affaibli par la pénurie alimentaire née du blocus franco-britannique. Dans ses Souvenirs de guerre, Ludendorff écrit ainsi (juin 1918) : « La grippe se répandit un peu partout ; le Groupe d’armées du Kronprinz Rupprecht fut particulièrement atteint. C’était pour moi une occupation sérieuse d’entendre chaque matin, de la bouche des chefs, les chiffres élevés des cas de grippe et leurs plaintes sur la faiblesse des troupes, si les Anglais se décidaient tout de même à attaquer. » 44 Le Matin du 6 juillet 1918 se réjouit un peu vite du fait que la France se soit faite, avec la grippe, une nouvelle alliée : « En France, elle est bénigne ; nos troupes, en particulier, y résiste merveilleusement. Mais de l’autre côté du front, les Boches sont très touchés. Est-ce là le symptôme précurseur de la lassitude, de la défaillance des organismes dont la résistance s’épuise ? Quoi qu’il en soit, la grippe sévit en Allemagne avec intensité. » Bel exemple de « bourrage de crânes », puisqu’on dit bientôt que la grippe se répand en France « à la vitesse d’un train express » 45.

46 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82. Un compte rendu du 2e bureau de l’EMA sur « L’état sanitaire de l’A (...)

Début octobre 1918, une dépêche venant de Zurich parle néanmoins de « 420 000 cas de grippe dans l’armée du Reich » ce qui prouve à tous que, d’une part, l’ennemi n’est pas épargné, et que d’autre part, s’il est vraiment responsable du fléau, il doit désormais le regretter amèrement 46.

47 Perreux (G.), La vie quotidienne des civils pendant la Grande Guerre, Monaco, Hachette, 1966, p. 13 (...)

« Alors qu’en 1914, la grippe ordinaire a causé 3 946 morts, en 1915, 5 068, en 1916, 4 997, en 1917, 4 845, c’est 91 465 décès qu’il faut inscrire au bilan de la grippe espagnole pour la seule année 1918. » 47 On tente pourtant de réagir face au fléau. Facultés de médecine et « comité permanent d’hygiène » diffusent avertissements et procédés prophylactiques par voie de presse. Le service de santé tente de protéger l’armée en diffusant dans tous les corps une circulaire au titre évocateur : « Mesures à prendre en temps d’épidémie de choléra, de grippe, de peste et de typhus », rédigée en 1895 à l’usage des troupes coloniales. Le 4 octobre, le sous-secrétaire d’État à l’Intérieur Albert Fabre envoie des instructions aux préfets pour coordonner la lutte contre l’épidémie et réussir à endiguer sa propagation : désinfection des lieux publics, fermeture éventuelle de ceux-ci, limitation des activités et des déplacements. Dans les hôpitaux, il faut d’abord isoler les malades, tendre des draps autour des lits, se laver mains et bouche après les soins, porter des masques ou des tampons de gaze imprégnés de désinfectant, des blouses et des gants de caoutchouc, utiliser de l’huile phéniquée en pulvérisations nasales ou buccales. Des trains spéciaux sont aménagés pour séparer militaires et civils, ceci afin d’éviter la contagion de l’avant à l’arrière ou vice versa ; après chaque transport, les wagons sont désinfectés. Dans les commissariats de quartier, un cycliste est désigné chaque nuit pour aller chercher les médicaments prescrits dans les pharmacies de garde.

48 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.
49 Darmon (P.), op.cit., p. 85.


Le 8 octobre 1918, une commission est nommée par l’Académie de médecine pour tenter d’éradiquer la maladie. Une série de vaccins et de sérums voit alors le jour, mais tous restent inefficaces. Le 10 octobre, la municipalité de Caen décide la fermeture des salles de spectacle, interdit les réunions et réduit les cérémonies religieuses de la Toussaint 48. Le rhum – qui entre dans l’arsenal de la pharmacopée antigrippale – est délivré sur ordonnance ; à Paris, 500 hectolitres sont débloqués par le ministre du Ravitaillement. Rien n’y fait. Le 17 octobre, Le Matintitre : « L’épidémie de grippe ne décroît pas » ; deux jours plus tard, le conseil municipal de Paris réclame d’autres mesures de protection ; le 25, des députés interpellent le gouvernement, prenant prétexte de la faiblesse des moyens mis en œuvre pour lutter contre la grippe. Il faut bientôt fermer les lycées pour éviter la contagion. En octobre 1918, ce sont 616 Parisiens qui meurent des suites de leur infection 49.

50 Le docteur Armand Gautier guérit quelques patients à l’« Hôpital des enfants assistés » (service d (...)
51 En septembre 1918, l’armée française déplore 2 000 morts du fait de la grippe ; le 11 novembre 1918 (...)


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Début novembre, les chercheurs pensent avoir mis au point un vaccin 50, mais l’espoir est de courte durée puisque la parade se révèle une nouvelle fois inopérante. La science demeure impuissante à juguler cette grippe qui tue trois fois plus de militaires que de civils. Seule reste donc la prophylaxie pour espérer limiter la mortalité, ce qui est notoirement insuffisant. De mai 1918 à novembre 1918 51, ce sont 22 618 soldats français qui décèdent de la grippe, et encore 30 382 de plus entre novembre 1918 et août 1919. La grippe a ainsi contaminé 130 soldats sur 1 000 (soit 436 000 hommes), et en a tué près de 10 sur 1 000 (soit l’équivalent de six divisions) entre le 1er mai 1918 et le 30 avril 1919. De manière inexpliquée, une légère amélioration s’est cependant dessinée courant novembre 1918. La baisse du nombre des contaminés a malgré tout constitué un faux espoir puisque l’épidémie est repartie début 1919, frappant jusqu’à fin avril. Entre 1918 et 1919, la pandémie a ainsi provoqué la mort de près de 20 à 25 millions de personnes dans le monde (sur un milliard de malades) dont 165 000 à 210 000 en France. À titre de comparaison, la Grande Guerre a tué 13 millions de personnes. Inutile de préciser qu’elle s’est évanouie sans que le contre-espionnage français ait pu arrêter – et pour cause – un agent secret allemand, venu de Madrid (ou d’ailleurs), et porteur d’éprouvettes remplies de souches virales non identifiés…

Notes

1 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), Vie et mort des Français 1914-1918, Paris, Hachette, 1960, p. 356, note 2.

2 Archives du Val-de-Grâce, citées par : Darmon (P.), « La grippe espagnole submerge la France »,, L’Histoire, no 281, novembre 2003, p. 80.

3 Dans L’Illustration du 19 octobre 1918, le docteur F. Heckel note « l’extension et la persistance anormale de l’épidémie grippale » frappant la France. Voir son article : « La grippe ; son traitement préventif, prophylactique et abortif », p. 373.

4 Barbier (Dr M.), « La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine », 1919, cité dansJ.-J. Becker, « 20 millions de morts ! La grippe espagnole a frappé », article paru dans L’Histoire, no 40, décembre 1981, p. 82.

5 Madrid est alors fortement touchée et l’ambassade de France doit cesser ses activités.

6 Entre le 10 et le 20 avril 1918, des cas de grippe sont répertoriés dans les tranchées à Villers-sur-Coudun.

7 Le 22 septembre, Le Matin avait annoncé, un peu hâtivement, que la maladie était éradiquée. Paris est frappée à partir du 8 octobre 1918 par l’épidémie.

8 Dopter (C.), Les maladies infectieuses pendant la guerre (étude épidémiologique), Paris, Alcan, 1921, p. 3.

9 Service historique de la Défense, archives de la guerre (SHD/GR), 7 N 170 : « Épidémie de grippe ; Note du Président du Conseil, ministre de la Guerre, à MM. Les Généraux commandant les Régions Nord, 3 à 13, 15 à 18, 20 et 21, le Général commandant les troupes françaises de l’Afrique du Nord », signée « P.O. le Général faisant fonction de Chef d’état-major de l’Armée Alby », 16octobre1918.

10 Note du 26octobre1918, citée dans J.-J. Becker, op.cit., p. 83.

11 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), op.cit., p. 357.

12 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.

13 Heckel (Dr F.), « La grippe épidémique actuelle », L’Illustration, no 3948, 2novembre1918, p. 425. Cependant, le rapport contaminés/décédés est encore relativement faible, c’est-à-dire de l’ordre de 3 %. Becker (J.-J.), op.cit., p. 83.

14 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit., p. 373.

15 Idem.

16 SHD/GR, 7 N 170 : « Au sujet de la grippe ; Note du sous-secrétariat d’État du Service de Santé Militaire à MM. Les Directeurs du Service de Santé de toutes les Régions, GMP, Région du Nord, Afrique du Nord, Tunisie », signée « Louis Mourier », 3 octobre 1918.

17 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit. p. 425.

18 « Complication la plus redoutable par la rapidité avec laquelle elle peut menacer la vie du malade, parfois en quelques heures [par] une poussée de congestion menaçant de submerger l’organe pulmonaire tout entier en faisant disparaître la fonction respiratoire ». Idem.

19 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit. p. 373.

20 Crosby (A. W. Jr.), Epidemic and Peace 1918, London, ed.Westport, 1976.

21 Combinaison de phénétidine et d’acide citrique, découverte par le Dr J. Roos. Utilisé comme antithermique et analgésique, ce médicament a donné de bons résultats contre la fièvre typhoïde, la tuberculose, la migraine et les névralgies. Littre (E.), Guilbert (A.), Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie et des sciences qui s’y rapportent, Paris, éd. J.-B. Baillère, 21e éd., 1908, p. 337.

22 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustrationdu 2 novembre 1918, op.cit. et Darmon (P.), op.cit. p. 84.

23 Ou de Saint-Sébastien.

24 Berger (M.) et Allard (P.), Les secrets de la censure pendant la guerre, Paris éd. des Portiques, 1932, p. 353.

25 Service de manipulation bactériologique dépendant du Nachrichtenbüro allemand, chargé de répandre chez les alliés (ou dans les pays neutres ravitaillant les puissances de l’Entente) les bacilles de la morve et du charbon dans le but de décimer les chevaux militaires et le cheptel (porcs et bovins essentiellement). Voir : Riviere (commandant P.-L.), Un centre de guerre secrète, Madrid (1914-1918), Paris, Payot, 1936, p. 99 et suiv.

26 Crozier (J.), En mission chez l’ennemi, Paris, éd. A. Rédier, 1930, p. 118.

27 Sur ce plan, la population range : grippe, canons à longue portée Berthas, bombardiers Gothas et Zeppelins sur un pied d’égalité.

28 Becker (J.-J.), op.cit., p. 83.

29 Du 1er septembre 1918 au 29 mars 1919, l’épidémie fait 210 victimes/jour dans la capitale, soit 10 059 morts.

30 Préfecture de la Seine, direction de l’hygiène : « Épidémie de grippe à Paris ; 30 juin 1918-26 avril 1919 ».

31 Cité par : Darmon (P.), op.cit., p. 83.

32 Idem.

33 Cf. « Ce que le docteur Roux, de l’Institut Pasteur, pense de la grippe », Le Petit Journal, 27 octobre 1918.

34 Statistique citée par : Darmon (P.), op.cit. p. 83.

35 Commentaire recueilli par un policier et cité dans P. Darmon, op.cit., p. 84.

36 À Lyon, on parle d’ailleurs de grippe « chinoise ».

37 Il semble aujourd’hui que le cheminement ait été successivement : la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Suisse (juin), le Danemark et la Suède (juillet), la Hollande et la Suède (août), la Grèce (septembre).

38 Provoquée par le coccobacille de Pfeiffer ; virus A° (1889) et virus A2 (1890). Becker (J.-J.), op.cit., p. 83. La première semaine de janvier 1890, le virus avait tué 960 Parisiens. Darmon (P.), op.cit., p. 85.

39 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit., p. 425.

40 Témoignage du Dr Weil de Nantes cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.

41 SHD/GR, 7 N 170 et 7 N 2003 : courriers divers traitant de ces questions immobilières, en rapport avec l’épidémie.

42 Barbier (Dr M.), La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine, 1919, cité dans J.-J. Becker, op.cit., p. 82.

43 Témoignage du Dr Merklen, Morbihan et Finistère, cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.

44 Ludendorff (maréchal E.), Souvenirs de guerre, Paris, Payot, 1921, t. 2, p. 257.

45 Miquel (P.), La Grande Guerre, Paris, Fayard, 1978, p.566.

46 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82. Un compte rendu du 2e bureau de l’EMA sur « L’état sanitaire de l’Allemagne » se rapportant à la progression de la grippe entre le 28 octobre 1918 et le 3 novembre 1918 figure au Service historique de la Défense (SHD/GR, 7 N 937). Fin octobre, la maladie se répand aussi au Danemark.

47 Perreux (G.), La vie quotidienne des civils pendant la Grande Guerre, Monaco, Hachette, 1966, p. 130.

48 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.

49 Darmon (P.), op.cit., p. 85.

50 Le docteur Armand Gautier guérit quelques patients à l’« Hôpital des enfants assistés » (service du Dr Variot).

51 En septembre 1918, l’armée française déplore 2 000 morts du fait de la grippe ; le 11 novembre 1918, on compte encore 16 383 soldats hospitalisés. Du côté allemand, 187 000 soldats en sont morts et, dans le camp britannique, 112 000. Quid, Paris, 2004, p. 216 ; Becker (J.-J.), op.cit., p. 82-83.

Olivier Lahaie, « L’épidémie de grippe dite « espagnole » et sa perception par l’armée française (1918-1919) », Revue historique des armées, 262 | 2011, 102-109.
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Olivier Lahaie

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