Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 25 septembre 2013

23 septembre 1940 : l’agression britannique sur Dakar

sword-dakar.JPG

23 septembre 1940 : l’agression britannique sur Dakar

par José CASTANO

Ex: http://linformationnationaliste.hautetfort.com

Après avoir été donné à la France par le traité de Paris, le 30 mai 1814, Dakar devint, en 1904, la capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Située à l’extrémité occidentale de l’Afrique, elle occupait, en 1940, une position stratégique considérable qui faisait bien des envieux.

 

Au point de séparation de l’Atlantique Nord et Sud, en avancée face à l’Amérique Latine, sur le chemin entre l’Afrique du Sud et l’Europe, Dakar intéressait tout le monde et en premier lieu les Britanniques qui, sur le chemin traditionnel de l’Afrique australe et de l’Asie par le Cap, retrouvaient là l’un des enjeux de leurs rivalités coloniales avec la France et voulaient profiter de son écrasement.
En septembre 1940, le Maréchal Pétain avait confié au général Weygand la délégation générale du gouvernement en Afrique et le commandement en chef des troupes. Ainsi se trouvait affirmée la volonté de défendre l’Afrique mais aussi de préparer les moyens de la revanche.

Le 31 Août 1940, soit près de deux mois après la lâche agression commise par ces mêmes britanniques sur la flotte française au mouillage et désarmée, dans le port de Mers El-Kébir (Algérie) et près d’un mois après l’entretien Churchill – De Gaulle (6 août 1940) sur les modalités d’une éventuelle attaque contre les forces françaises stationnées au Sénégal et demeurées fidèles au Maréchal Pétain, la force navale M (M comme « Menace ») britannique où se trouvait de Gaulle quitta les ports britanniques pour Freetown en Sierra Leone qu’elle atteignit le 16 Septembre.

Cette expédition reposait sur deux principes et deux ambitions :

- Churchill espérait mettre la main sur l’or de la Banque de France et des banques nationales belges et polonaises, représentant plus de 1000 tonnes d’or… et sur le cuirassé Richelieu, redoutable par sa puissance de feu (bien que son armement ne fût pas terminé), fleuron de la flotte française.
- De Gaulle désirait s’imposer comme le chef suprême de l’empire français en guerre… empire d’importance que le gouvernement de Vichy tenait, par ailleurs, à défendre ardemment.

Partie de Freetown le 21 septembre, la force M se présenta devant Dakar le 23 à l’aube. A 6 heures, un message de De Gaulle était adressé à la garnison en lui demandant de se rendre… sans effet. Sa seule présence qu’il espérait suffisante, ne provoqua pas à son grand dam les ralliements escomptés… le traumatisme de Mers El-Kébir était trop vif. Le gouverneur général de l'A.O.F., Pierre Boisson, commandant la Place, résolument rangé derrière Pétain, refusa catégoriquement de se rallier, affirmant sa volonté de défendre Dakar « jusqu'au bout » La décision de De Gaulle ne se fit pas attendre : Il fallait débarquer ! Une première tentative de débarquement se solda par un fiasco suivie de deux autres qui subirent le même sort. Une tentative de persuasion politique échoua et Thierry d’Argenlieu, arrivé par mer pour parlementer avec un drapeau blanc, fut accueilli par un tir de mitrailleuse qui le blessa mais son embarcation parvint à s'échapper. Il en résultait que de l’avis de De Gaulle et de l’amiral Cunningham, le patron de la flotte anglaise, la résistance allait être farouche…

En effet, face à l’armada britannique qui se préparait au combat, la France disposait, cette fois, de solides moyens navals ainsi qu’une sérieuse défense côtière. On en n’était plus aux conditions dramatiques de Mers El-Kebir où la flotte désarmée avait été littéralement assassinée ; cette fois, les marins français étaient prêts au combat et animés, de surcroît, d’un esprit de revanche parfaitement perceptible… et compréhensible. Avant la tragédie de Mers El-Kébir, la flotte française était la 4ème plus puissante flotte du monde ; elle était décidée à le prouver et cela d’autant plus qu’elle n’avait jamais été vaincue…

Sur cette résistance, de Gaulle écrira dans ses mémoires : « Décidément, l’affaire était manquée ! Non seulement le débarquement n’était pas possible, mais encore il suffirait de quelques coups de canons, tirés par les croiseurs de Vichy, pour envoyer par le fond toute l’expédition française libre. Je décidai de regagner le large, ce qui se fit sans nouvel incident. »

Ainsi se passa la première journée, celle du 23 septembre.

Dans la nuit du 23 au 24 septembre, plusieurs télégrammes furent échangés entre l’amiral Cunningham et Churchill, décidé à poursuivre l’affaire jusqu’à son terme : « Que rien ne vous arrête ! » Dans cette même nuit, un ultimatum anglais fut adressé aux autorités françaises de Dakar leur enjoignant de livrer la place au général de Gaulle. Le texte était fort maladroit et accusait les forces de Dakar de vouloir livrer leurs moyens aux Allemands. Il ne pouvait que provoquer l’indignation des défenseurs et ne recevoir d’autres réponses que le refus. Le gouverneur général Boisson, se remémorant la mise en garde que Georges Clemenceau adressa, le 9 août 1926, au président américain Coolidge : « La France n’est pas à vendre, même à ses amis. Nous l’avons reçue indépendante, indépendante nous la laisserons », répondit avec fermeté : « La France m’a confié Dakar. Je défendrai Dakar jusqu’au bout ! ».

Depuis la tragédie de Mers El-Kebir, Vichy avait décidé de défendre fermement cette position stratégique française et avait envoyé à cet effet, de Casablanca, des bombardiers, des chasseurs et des croiseurs. Il y avait là : Un cuirassé (Richelieu), deux croiseurs légers, quatre contre torpilleur, trois destroyers, six avisos, cinq croiseurs auxiliaires, trois cargos et trois sous-marins. Par ailleurs, la force de frappe aérienne n’était pas négligeable… et elle allait le prouver.

Du côté anglais, la flotte était tout aussi impressionnante : Un porte-avions (Ark Royal qui avait déjà opéré à Mers El-Kebir), deux cuirassés, trois croiseurs lourds, deux croiseurs légers, dix destroyers, deux dragueurs de mines et une dizaine de navires transports de troupes portant 4200 soldats –dont la fameuse 101ème brigade des Royal Marines… à laquelle s’ajoutait l’armée gaulliste composée de trois avisos, un patrouilleur, quatre cargos et 2700 soldats français.

Toute la journée du 24 se passa en échanges de coups d’artillerie de marine entre les deux flottes qui firent de nombreuses victimes parmi les marins des deux camps et la population civile qui subit également ce pilonnage. Des obus anglais de gros calibre (380m/m) tombèrent sur la ville, touchant, entre autres, l’hôpital et la caserne du 6° RAC, faisant 27 morts et 45 blessés. En soirée, la situation n’avait guère évolué…

Le lendemain, 25 septembre, la ténacité britannique continua. Les navires de la force M voulurent de nouveau s’approcher afin de poursuivre leur œuvre de destruction, mais, comme précédemment, ils durent se frotter aux bâtiments français (Vichystes, diront les gaullistes !) qui leur infligèrent de sérieux dégâts et cela d’autant plus que l’aviation française était maîtresse du ciel.

C’en était trop ! De Gaulle écrira : « L’amiral Cunningham décida d’arrêter les frais. Je ne pouvais que m’en accommoder. Nous mîmes le cap sur Freetown. »

L’armée française sortait vainqueur de la bataille en dépit de ses 203 morts et 393 blessés. Les 1927 morts de Mers-El-Kébir étaient en partie vengés.

Cette opération constitua un tournant idéologique pour les gouvernements, bien plus qu'un affrontement important du point de vue des forces en présence, du nombre des victimes ou des pièces militaires détruites ou endommagées. L’aventure anglo-gaulliste se solda ainsi par un cuisant échec et eut des conséquences considérables.

- D’un côté, le régime de Vichy sortait renforcé de l’épreuve et la cohésion des troupes de la marine –toujours invaincue- autour de la personne du Maréchal Pétain, revigorée.

- De l’autre, le crédit du général de Gaulle dégringolait en chute libre. L’homme se retrouvait isolé. Soudainement mis à l’écart, il fut politiquement menacé par l'amiral Muselier accusé à tort d'avoir été à l'origine des fuites qui empêchèrent le débarquement. Il ne s’en cacha pas dans ses mémoires : « À Londres, une tempête de colères, à Washington, un ouragan de sarcasmes, se déchaînèrent contre moi. Pour la presse américaine et beaucoup de journaux anglais, il fut aussitôt entendu que l’échec de la tentative était imputable à de Gaulle. » … « C’est lui, répétaient les échos, qui avait inventé cette absurde aventure, trompé les Britanniques par des renseignements fantaisistes sur la situation à Dakar, exigé par donquichottisme, que la place fût attaquée alors que les renforts envoyés par Darlan rendaient tout succès impossible… »

De son côté, Churchill, lui aussi, sortait de l’aventure en fâcheuse posture. Il dut subir les sarcasmes de la Chambre des Communes et fut à deux doigts d’être démissionné. S’il lui avait été facile de détruire, à Mers El-Kebir, une flotte désarmée (et pourtant alliée) causant la mort de 1927 marins, manifestement, avec Dakar ce fut tout autre et son désir de s’emparer de l’excellente et cohérente flotte française ou de la détruire se solda par un échec retentissant.¢


E-mail : joseph.castano0508@orange.fr

Notes

Le Mogador à Mers-el-Kebir

 

- Concernant la tragédie de Mers El-Kebir, certains ont cru bon de justifier l’agression britannique par le fait que nos bâtiments seraient, inéluctablement, tombés entre les mains des Allemands. Je rappelle ce que j’écrivais à ce propos sur cette agression : « L’armistice franco-allemand du 25 juin 1940 consacre l’échec de nos armées sur terre ; notre flotte, une des plus puissantes -qui n’avait pas été vaincue- est libre. Ni l’amiral Darlan, ni le général Weygand n’ont l’intention « …de livrer à l’ennemi une unité quelconque de notre flotte de guerre » et de Gaulle le dira, le 16 juin à Churchill en ces termes  « La flotte ne sera jamais livrée, d’ailleurs, c’est le fief de Darlan ; un féodal ne livre pas son fief. Pétain lui-même n’y consentirait pas ».

Les Anglais, de leur côté, désirent que notre flotte, riche en unités lourdes et légères, se rende dans leurs ports. Elle aurait pu le faire, le 16 juin 1940, mais personne ne lui en donne l’ordre et la Marine reçoit l’assurance, « qu’en aucun cas, la flotte ne sera livrée intacte », mais qu’elle se repliera probablement en Afrique ou sera coulée précise l’Amiral Darlan. Hitler ne demande pas livraison de notre flotte (le projet d’armistice ne le prévoyant d’ailleurs pas), pas plus que de nos colonies, sachant qu’il n’est pas dans nos intentions d’accepter de telles exigences. »

Cet épisode sur Dakar confirme la justesse de mes propos car si la France métropolitaine était vaincue, l’Empire ne considérait nullement l’être. Si la France métropolitaine avait capitulé, l’Empire s’y était refusé et la marine française (ce qu’il en restait), comme elle s’y était engagée, avait rejoint les ports africains composant l’Empire afin de poursuivre le combat.

- Les alliés ayant débarqué le 8 Novembre 1942 en Afrique du Nord (opération « Torch »), les autorités Vichystes d’AOF, convaincues par l’amiral Darlan, signèrent le 7 décembre 1942, un accord avec les alliés, qui remit l’empire colonial français dans la guerre en formant « l’Armée d’Afrique » dans laquelle firent merveille les « tirailleurs sénégalais ». Lors de la constitution du Comité Français de la Libération nationale (CFLN), le gouverneur général Boisson démissionnera et sera remplacé le 1er juillet 1943 par le gaulliste Pierre Cournarie.

- Le Richelieu appareilla pour les États-Unis où son armement fut modernisé. Il participa au côté des Alliés à la guerre contre l’Allemagne puis, dans le Pacifique, à celle contre les Japonais. Il fut présent à la capitulation japonaise en rade de Singapour.

Le 1er Octobre 1945, il fut de retour à Toulon après 52 mois passés loin de la Métropole. Il participa à la guerre d’Indochine puis fut mis en réserve en août 1959, désarmé en 1967 et démoli en 1968.

Citations

« L’empire, sans la France ce n’est rien. La France sans l’empire, ce n’est rien » (Amiral Darlan – Novembre 1942)

« L'âme de nos marins plane sur l'Océan, je l'ai vue ce matin, sous l'aile d'un goéland » (Freddie Breizirland

 « Nous avions reçu un empire ; nous laissons un hexagone » (Colonel Charles Lacheroy)

mardi, 24 septembre 2013

Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck

mvb1.jpg

Robert STEUCKERS:

Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck

Conférence prononcée à la tribune du “Cercle Proudhon”, à Genève, 12 février 2013

Pourquoi parler ou reparler de Moeller van den Bruck aujourd’hui, 90 ans après la parution de son livre au titre apparemment fatidique, “Le Troisième Reich” (= “Das Dritte Reich”)? D’abord parce que l’historiographie récente s’est penchée sur lui (cf. bibliographie) en Allemagne, d’une manière beaucoup plus systématique qu’auparavant. Il est l’apôtre raté d’un “Troisième Règne”, qui n’adviendra pas de son vivant mais dont le nom sera repris par le mouvement hitlérien, dans une acception bien différente et à son corps défendant. Il s’agit de savoir, aujourd’hui, ce que Moeller van den Bruck entendait vraiment par “Drittes Reich”. Il s’agit aussi de cerner ce qu’il entendait par sa notion de “peuples jeunes”. Comment il entrevoyait la coopération entre l’Allemagne et la Russie (devenue l’URSS) dans le cadre de la République de Weimar, dont il méprisait les principes et le personnel. Arthur Moeller van den Bruck a participé à la formulation d’un “nationalisme de rupture”, d’un “néo-nationalisme” qu’Armin Mohler, dans sa célèbre thèse, a classé dans le phénomène de la “révolution conservatrice”. Une chose est certaine: Arthur Moeller van den Bruck n’est ni un “libéral” (au sens où l’entendait la démocratie de la République de Weimar) ni un pro-occidental, dans la mesure où il entendait détacher l’Allemagne de l’Occident français, anglais et américain.

L’oeuvre politique d’Arthur Moeller van den Bruck est toutefois ténue. Il n’a pas été aussi prolixe qu’Oswald Spengler, dont le célèbre “Déclin de l’Occident” est fort dense, d’une épaisseur bien plus conséquente que “Das Dritte Reich”. De plus, la définition, finalement assez ambigüe, que donne Spengler de l’Occident ne correspond pas à celle que donnera plus tard Moeller van den Bruck. Sans doute la brièveté de l’oeuvre politique de Moeller van den Bruck tient-elle au simple fait qu’il est mort jeune et suicidé, à 49 ans. Son oeuvre littéraire et artistique en revanche est beaucoup plus vaste. Moeller van den Bruck, en effet, a écrit sur le théâtre de variétés, sur le théâtre français, sur l’esthétique italienne, sur la mystique allemande, sur les personnages-clefs de la culture germanique (ceux qui en font son essence), sur la littérature moderniste, allemande et européenne, de son temps. Son oeuvre politique, qui ne prend son envol qu’avec la Grande Guerre, se résume à un ouvrage sur le “style prussien” (avec un volet sur l’art néo-classique), à l’ouvrage intitulé “Troisième Reich”, au livre sur la “révolte des peuples jeunes”, à ses articles parus dans des revues comme “Gewissen”. Moeller van den Bruck a donc été un séismographe de son époque, celle d’un extraordinaire foisonnement d’idées, de styles, d’audaces.

Zeev Sternhell et la “droite révolutionnaire”, Armin Mohler et la “Konservative Revolution”

La question qu’il convient de poser est donc la suivante: d’où viennent ses idées? Quel a été son cheminement? Quelles rencontres, apparemment “apolitiques”, ont-elles contribué à forger, parfois à leur corps défendant, son “Jungkonservativismus”? Le fait d’être homme, dit-on, c’est mener une quête, sans jamais s’arrêter. Quelle a donc été la quête personnelle, unique et inaliénable de Moeller van den Bruck? Il convient aussi de resituer cette quête dans un cadre historique et social. Cette démarche interpelle l’historiographie contemporaine: Zeev Sternhell avait tracé la généalogie du fascisme français depuis 1870 environ, avant de se pencher sur les antécédents de l’Italie fasciste et du sionisme. Après la parution en France, au “Seuil” à Paris, du premier ouvrage “généalogique” de Sternhell, intitulé “La droite révolutionnaire”, Armin Mohler, auteur d’un célèbre ouvrage synoptique sur la “révolution conservatrice”, lui rendait hommage dans les colonnes de la revue “Criticon”, en disant que le cadre de sa propre enquête avait été fixé, par son promoteur Karl Jaspers, à la période 1918-1932, mais que l’effervescence intellectuelle de la République de Weimar avait des racines antérieures à 1914, plongeant finalement dans un bouillonnement culturel plus varié et plus intense, inégalé depuis en Europe, dont de multiples manifestations sont désormais oubliées, se sont estompées des mémoires collectives. Et qu’il fallait donc les ré-exhumer et les explorer. Exactement comme Sternhell avait exploré l’ascendance idéologique de l’Action Française et des autres mouvements nationaux des années 20 et 30.

Ascendance et jeunesse

Resituer un auteur dans son époque implique bien entendu de retracer sa biographie, de suivre pas à pas la maturation de son oeuvre. Arthur Moeller van den Bruck est né en 1876 à Solingen, dans une famille prussienne originaire de Thuringe. Dans cette famille, il y a eu des pasteurs, des officiers, des fonctionnaires, dont son père, inspecteur général pour la construction des bâtiments publics. Cette fonction paternelle induira, plus que probablement, l’intérêt récurrent de son fils Arthur pour l’architecture (l’architecture de la Ravenne ostrogothique, le style prussien et l’architecture de Peter Behrens et du “Deutscher Werkbund”, comme nous allons le voir). L’ascendance maternelle, la famille van den Bruck, est, comme le nom l’indique, hollandaise ou flamande, mais compte aussi des ancêtres espagnols. Le jeune Arthur est un adolescent difficile, en rupture avec le milieu scolaire. Il ne décroche pas son “Abitur”, équivalent allemand du “bac”, ce qui lui interdit l’accès à l’université. Il restera, en quelque sorte, un marginal. Il quitte sa famille et se marie, à 20 ans, avec Hedda Maase. Nous sommes en 1896, année où survienent deux événements importants pour l’idéologie allemande de l’époque, qui donnera ultérieurement un certain lustre à la future “révolution conservatrice”: la naissance du mouvement de jeunesse “Wandervogel” sous l’impulsion de Karl Fischer et la création des éditions Eugen Diederichs à Iéna. Le jeune couple s’installe à Berlin cette année-là et Moeller van den Bruck vit de l’héritage de son grand-père maternel.

Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Poe...

Les jeunes époux vont entamer leur quête spirituelle en traduisant de grands classiques des littératures française et anglaise. D’abord Baudelaire qui communiquera à coup sûr l’idée du primat de l’artiste et du poète sur le “philistin” et le “bourgeois”. Ensuite Hedda et Arthur traduisent les oeuvres de Barbey d’Aurevilly. Cet auteur aura un impact important dans le rejet par Moeller van den Bruck du libéralisme et du bourgeoisisme. Barbey d’Aurevilly communique une certaine foi à Arthur, qui ne la christianisera pas —mais ne l’édulcorera pas pour autant— vu l’engouement de l’époque toute entière pour Nietzsche. Cette foi anti-bourgeoise, anti-philistine, se cristallisera surtout plus tard, au contact de l’oeuvre de Dostoïevski et de la personnalité de Merejkovski. Barbey d’Aurevilly était issu d’une famille monarchiste. Jeune, par défi, il se proclame “républicain”. Il lit ensuite Jospeh de Maistre et redevient monarchiste. Il le restera. En 1846, il se mue en catholique intransigeant, partisan de l’ultramontanisme. Barbey d’Aurevilly est aussi une sorte de dandy, haïssant la modernité bourgeoise, cultivant un style qui se veut esthétisme et rupture: deux attitudes qui déteindront sur son traducteur allemand. Le couple Moeller/Maase traduit ensuite le “Germinal” de Zola et quelques oeuvres de Maupassant. C’est donc, très jeune, à Berlin, que Moeller van den Bruck connaît sa période française, où le filon de Maistre/Barbey d’Aurevilly est déterminant, beaucoup plus déterminant que l’idéologie républicaine, qui donne le ton sous la III° République.

Mais ses six années berlinoises sont aussi sa période anglaise. Avec son épouse, il traduit l’ensemble de l’oeuvre de Poe, puis Thomas de Quincey, Daniel Defoe et Dickens. La période “occidentale”, franco-anglaise, de Moeller van den Bruck, futur pourfendeur de l’esprit occidental, occupe donc une place importante dans son itinéraire, entre 20 et 26 ans.

Zum Schwarzen Ferkel

Moeller van den Bruck fréquente le local branché de la bohème littéraire berlinoise, “Zum Schwarzen Ferkel” (“Au Noir Porcelet”) puis le “Schmalzbacke”. Le “Schwarzer Ferkel” est le pointde rencontre d’intellectuels et de poètes allemands, scandinaves et polonais, faisceau de diversités européennes qui constitue un “unicum” dans l’histoire des idées. A côté des poètes, il y a aussi des médecins, des artistes, des juristes: les débats y sont pluridisciplinaires. Le nom du local est une invention du Suédois August Strindberg et du poète allemand Richard Dehmel.

Detlev von Liliencron

 

mvb3.jpg

Parmi les personnages qu’y rencontre Moeller, on trouve un poète, aujourd’hui largement oublié, Detlev von Liliencron. Il est un poète-soldat du 19ème siècle: il a fait les guerres de l’unification allemande, en 1864, en 1866 et en 1870, contre les Danois, les Autrichiens et les Français. Son oeuvre majeure est “Adjutantenritte und andere Geschichten” (“Les chevauchées d’un aide de camp et autres histoires”) qui parait en 1883, où il narre ses mésaventures militaires. En 1888, dans la même veine, il publie “Unter flatternden Fahnen” (“Sous les drapeaux qui claquent au vent”). C’est un aristocrate pauvre du Slesvig-Holstein qui a opté pour la vie de caserne mais qui s’adonne au jeu avec beaucoup trop de frénésie, espérant redorer son blason. Le jeu devient chez lui un vice persistant qui brisera sa carrière militaire. Sur le plan littéraire, Detlev von Liliencron est une figure de transition: les aspects néo-romantiques, naturalistes et expressionnistes se succèdent dans ses oeuvres de prose et de poésie. Il refuse les étiquettes, refuse aussi de s’encroûter dans un style figé. Simultanément, ce reître rejette la vie moderne, proposée par la nouvelle société industrielle de l’Allemagne post-bismarckienne et wilhelminienne. Il entend demeurer un “cavalier picaresque”, refuse d’abandonner ce statut, plus exaltant qu’une carrière de rond-de-cuir inculte et étriqué. Il influencera Rilke et von Hoffmannsthal. Le destin de poète et de prosateur picaresque de Detlev von Liliencron a un impact sur Moeller van den Bruck (comme il en aura un aussi, sans doute, sur Ernst Jünger): Moeller, comme von Liliencron, voudra toujours aller “au-delà du donné conventionnel bourgeois”, d’où l’idée de “jouvance”, l’utilisation systématique et récurrente du terme “jeune”: est “jeune” qui veut conserver le fond sans les formes mortes, dans la mesure où les fonds ne meurent jamais et les formes meurent toujours. Il y a là sans nul doute un impact du nietzschéisme qui prend son envol: l’homme supérieur (dont le poète selon Baudelaire) se hisse très haut au-dessus des ronrons inlassablement répétés des philistins. Depuis les soirées du “Schwarzer Ferkel” et les rencontres avec von Liliencron, Moeller s’intéresse aux transitions, entendra favoriser les transitions, au détriment des fixités mentales ou idéologiques. Etre actif en ère de transition, aimer cet état de passage, vouloir être perpétuellement en état de mouvance et de quête, est la tâche sociale et nationale du littérateur et du séismographe, figure supérieure aux “encroûtés” de tous acabits, installés dans leurs créneaux étroits, où ils répétent inlassablement les mêmes gestes ou assument les mêmes fonctions formelles.

Richard Dehmel

mvb4.jpgDeuxième figure importante pour l’itinéraire de Moeller van den Bruck, rencontrée dans les boîtes de la nouvelle bohème berlinoise: Richard Dehmel (1863-1920). Cet homme a de solides racines rurales. Son père était garde forestier et fonctionnaire des eaux et forêts. Contrairement à Moeller, il a bénéficié d’une bonne scolarité, il détient son “Abitur” mais n’a pas été l’élève modèle que souhaitent tous les faux pédagogues abscons: il s’est bagarré physiquement avec le directeur de son collège. Après son adolescence “contestatrice” au “Gymnasium”, il étudie le droit des assurances, adhère à une “Burschenschaft” étudiante puis entame une carrière de juriste auprès d’une compagnie d’assurances. Simultanément, il commence à publier ses poèmes. Il participe au journal avant-gardiste “Pan”, organe du “Jugendstil” (“Art Nouveau”), avec le sculpteur et peintre Franz von Stuck et le concepteur, architecte et styliste belge Henri van de Velde. Cet organe entend promouvoir une esthétique nouvelle, fusion du naturalisme et du symbolisme. Moeller van den Bruck s’y intéresse longuement (entre 1895 et 1900), avant de lui préférer l’architecture ostrogothique de l’Italie de Théodoric (à partir de 1906) et, pour finir, le classicisme prussien (entre 1910 et 1915).

mvb5.jpgRichard Dehmel est d’abord un féroce naturaliste, qui ose publier en 1896, deux poèmes, jugés pornographiques à l’époque, “Weib und Welt” (“Féminité et monde”) et “Venus Consolatrix”. La réaction ne tarde pas: on lui colle un procès pour “pornographie”. Dans les attendus de sa convocation, on peut lire la phrase suivante: “Atteinte aux bons sentiments religieux et moraux”. Il n’est pas condamné mais censuré: le texte peut paraître mais les termes litigieux doivent être noircis! Dehmel est aussi, avec Stefan Zweig, le traducteur d’Emile Verhaeren, avec qui il était lié d’amitié, avant que la première guerre mondiale ne détruisent, quasi définitivement, les rapports culturels entre la Belgique et l’Allemagne. Pour Zweig, qui connaissait et Dehmel et Verhaeren, les deux poètes étaient les “Dioscures d’une poésie vitaliste d’avenir”. Dehmel voyagera beaucoup, comme Moeller. Lors de ses voyages à travers l’Allemagne, Dehmel rencontre Detlev von Liliencron à Hambourg. Cette rencontre avec le vieux reître des guerres d’unification le poussera sans doute à s’engager comme volontaire de guerre en 1914, à l’âge de 51 ans. Il restera deux ans sous les drapeaux, dans l’infanterie de première ligne et non pas dans une planque à l’arrière du front. En 1918, il lance un appel aux forces allemandes pour qu’elles “tiennent”. Le “pornographe” a donc été un vibrant patriote. En 1920, il meurt suite à une infection attrapée pendant la guerre. L’influence de Dehmel sur ses contemporains est conséquente: Richard Strauss, Hans Pfitzner et Arnold Schönberg mettent ses poèmes en musique. Par ailleurs, il a contribué à l’élimination de la pudibonderie littéraire, omniprésente en Europe avant lui et avant Zola: la sexualité est, pour lui, une force qui va briser le ronron des conventions, sortir l’humanité européenne de la cangue des conventions étriquées, d’un moralisme étroit et étouffant, où la joie n’a plus droit de cité. C’est l’époque d’un pansexualisme/panthéisme littéraire, avec Camille Lemonnier, le “Maréchal des lettres belges”, son contemporain (traduit en allemand chez Diederichs), puis avec David Herbert Lawrence, son élève, quand celui-ci pourfend le puritanisme de l’ère victorienne en Angleterre. Il me paraît utile de préciser ici que Dehmel s’est plus que probablement engagé dans les armées du Kaiser parce que l’effervescence culturelle, libératrice, de l’Allemagne de la Belle Epoque devait être défendue contre les forces de l’Entente qui ne représentaient pas, à ses yeux, une telle beauté esthétique; celle-ci ne pourra jamais se déployer sous les platitudes de régimes libéraux, de factures française ou anglaise.

Max Dauthendey

mvb6.jpgTroisième figure rencontrée dans les cafés littéraires de Berlin, plutôt oubliée aujourd’hui, elle aussi: Max Dauthendey (1867-1918). Il est le fils d’un photographe et daguerrotypiste. Il a vécu à Saint-Pétersbourg où il représentait les affaires de son père. C’était le premier atelier du genre en Russie tsariste. Le jeune Max est le fils d’un second mariage et le seul héritier d’un père qu’il déteste, parce qu’il lui administrait un peu trop souvent la cravache. Ce conflit père/fils va générer dans l’âme du jeune Max une haine des machines et des laboratoires, lui rappelant trop l’univers paternel. Il fugue deux fois, à treize ans puis à dix-sept ans où il se porte volontaire dans un régiment étranger des armées néerlandaises en partance pour Java. Après cet intermède militaire en Insulinde, il se réconcilie avec son père et travaille à l’atelier. En 1891, il s’effondre sur le plan psychique, séjourne dans un centre spécialisé en neurologie et, avec la bénédiction paternelle, cette fois, s’adonne définitivement à la poésie, sous la double influence de Dehmel et du poète polonais Stanislas Przybyszewski (1868-1927). Il fréquente les cafés littéraires et voyage beaucoup, en Suède, à Paris, en Sicile (comme Jünger plus tard), au Mexique (comme D. H. Lawrence), en Grèce et en Italie. Cette existence vagabonde le plonge finalement dans la misère: il est obligé de vivre aux crochets de toutes sortes de gens. Il décide toutefois, à peine renfloué, de faire un tour du monde. Il embarque à Hambourg le 15 avril 1914 et arrive pour la deuxième fois de sa vie à Java, où il restera quatre ans. Impossible d’aller plus loin: la guerre le force à l’immobilité. Il meurt de la malaria en Indonésie en août 1918. Peu apprécié des autorités nationales-socialistes qui le camperont comme un “exotiste”, son oeuvre disparaîtra petit à petit des mémoires. Sa femme découvre dans son appartement de Dresde 300 aquarelles, qui disparaîtront en fumée lors du bombardement de la ville d’art en février 1945.

Stanislas Przybyszewski

mvb7.jpgQuatrième figure: Stanislas Przybyszewski, un Polonais qui a étudié en allemand à Thorn en Posnanie. Lui aussi, comme Moeller et Dehmel, a eu une scolarité difficile: il a multiplié les querelles vigoureuses avec ses condisciples et son directeur. Cela ne l’empêche pas d’aller ensuite étudier à l’université la médecine et l’architecture. Il adhère d’abord au socialisme et fonde la revue “Gazeta Robotnicza” (= “La gazette ouvrière”). En deuxièmes noces, il épouse une figure haute en couleurs, Dagny Juel, une aventurière norvégienne, rencontrée lors d’un voyage au pays des fjords. Elle mourra quelques années plus tard en Géorgie où elle avait suivi l’un de ses nombreux amants. Lecteur de Nietzsche, comme beaucoup de ses contemporains, Przybyszewski est amené à réfléchir sur les notions de “Bien” et de “Mal” et, dans la foulée de ces réflexions, à s’intéresser au satanisme. Il fonde en 1898 la revue “Zycie” (= “La Vie”), couplant, Zeitgeist oblige, l’intérêt pour le mal (inséparable du bien et défini selon des critères étrangers à toute morale conventionnelle et répétitive), l’intérêt pour l’oeuvre de Nietzsche et de Strindberg et pour le vitalisme. Avant que ne se déclenche la première grande conflagration inter-européenne de 1914, il devient le chef de file du mouvement artistique, littéraire et culturel des “Jeunes Polonais” (“Mloda Polska”), fondé par Artur Gorski (1870-1959), quand la Pologne était encore incluse dans l’Empire du Tsar. La préoccupation majeure de ce mouvement culturel, partiellement influencé par Maurice Maeterlinck (1862-1949), est de s’interroger sur le rapport entre puissance créatrice et vie réelle. En ce sens, la tâche de l’art est de saisir l’“être originel” des choses et de le présenter sous forme de symboles, que seul une élite ténue est capable de comprendre (même optique chez l’architecte Henri van de Velde). Mloda Polska connaît un certain succès et s’affichera pro-allemand pendant la première guerre mondiale, tout comme le futur chef incontesté de la nouvelle Pologne, le Maréchal Pilsudski.

Après 1918, comme Moeller van den Bruck, Przybyszewski s’engage en politique et travaille à construire le nouvel Etat polonais indépendant, tout en poursuivant sa quête philosophique et son oeuvre littéraire. Pour Przybyszewski, comme par ailleurs pour le Moeller van den Bruck du voyage en Italie (1906), l’art dévoile le fond de l’être: la part ténue d’humanité émancipée des pesanteurs conventionnelles (bourgeoises) atteint peut-être le sublime en découvrant ce “fond” mais cette élévation et cette libération sont simultanément un plongeon dans les recoins les plus sombres de l’âme et dans le tragique (on songe, mutatis mutandi, au thème d’“Orange mécanique” d’Anthony Burgess et du film du même nom de Stanley Kubrik). Les noctambules, les dégénérés et les déraillés, ainsi que la lutte des sexes (Strindberg, Weininger), intéressent notre auteur polonais, qui voulait devenir psychiatre au terme de ses études inachevées de médecine, comme ils avaient intéressé Dostoïevski, observateur avisé du public des bistrots de Saint-Pétersbourg. En 1897, leur sort, leurs errements sont l’objet d’un livre qui connaîtra deux titres “Die Gnosis des Bösen” et “Die Synagoge Satans”.

Figure plus exubérante que Moeller, Przybyszewski fait la jonction entre l’univers artistique d’avant 1914 et la nécessité de reconstruire le politique après 1918. La trajectoire du Polonais a sûrement influencé les attitudes de l’Allemand. Des parallèles peuvent aisément être tracés entre leurs deux itinéraires, en dépit de la dissemblance entre leurs personnalités.

Les cabarets

Parmi tous les clubs et lieux de rencontre de cette incroyable bohème littéraire, il y a bien sûr les cabarets, où les animateurs critiquent à fond les travers de la société wilhelminienne, qui, par son fort tropisme technicien, oublie le “fonds” au profit de “formes” sans épaisseur temporelle ni charnelle. A Berlin, c’est le cabaret “Überbretteln” qui donne le ton. Il s’est délibérément calqué sur son homologue parisien “Le Chat noir” de Montmartre, créé par Rodolphe Salis. Sous la dynamique impulsion d’Ernst von Wolzogen, il s’ouvre le 18 janvier 1901. A Munich, le principal cabaret contestataire est “Die Elf Scharfrichter”, où sévit Frank Wedekind. Celui-ci est maintes fois condamné pour obscénité ou pour lèse-majesté: il a certes critiqué, de la façon la plus caustique qui soit, l’Empereur et le militarisme mais, Wedekind, puis Wolzogen, qui l’épaulera, ne sont pas des figures de l’anti-patriotisme: ils veulent simplement une “autre nation” et surtout une autre armée. Leur but est de multiplier les scandales pour forcer les Allemands à réfléchir, à abandonner toutes postures figées. Dans ce sens, et pour revenir à Moeller van den Bruck, qui vit au beau milieu de cette effervescence, inégalée en Europe jusqu’ici, ces cabarets sont des instances de la “transition”, vers un Reich (ou une Cité) plus “jeune”, neuf, ouvert en permanence et volontairement à toutes les innovations ravigorantes.

L’époque berlinoise de Moeller van den Bruck a duré six ans, de 1896 à 1902. Dans ces cercles, il circule en affichant le style du dandy, sans doute inspiré par Barbey d’Aurevilly. Moeller est quasi toujours vêtu d’un long manteau de cuir, coiffé d’un haut-de-forme gris, l’oeil cerclé par un monocle. Il parle un langage simple mais châtié, sans doute pour compenser son absence de formation post-secondaire. Il est un digne et quiet héritier de Brummell. En 1902, sa femme Hedda est enceinte. La fortune héritée du grand-père van den Bruck est épuisée. Il abandonne sa femme, qui se remariera avec un certain Herbert Eulenberg, appartenant à une famille qui sera radicalement anti-nazie. Elle continuera à traduire des oeuvres littéraires françaises et anglaises jusqu’en 1936, quand le pouvoir en place lui interdira toute publication.

Arrivée à Paris

Moeller van den Bruck quitte donc l’Allemagne pour Paris où il arrive fin 1902. On dit parfois qu’il a cherché à échapper au service militaire: les patriotes, en effet, ne sont pas tous militaristes dans l’Allemagne wilhelminienne et Moeller n’a pas encore vraiment pris conscience de sa germanité, comme nous allons le voir. Les patriotes non militaristes reprochent à l’Empereur Guillaume II de fabriquer un “militarisme de façade”, encadré par des officiers caricaturaux et souvent incompétents, parce qu’il a fallu recruter des cadres dans des strates de la population qui n’ont pas la vraie fibre militaire et compensent cette lacune par un autoritarisme ridicule. C’est ainsi que Wedekind dénonçait le militarisme wilhelminien sur les planches du cabaret “Die Elf Scharfrichter”. Son anti-militarisme n’est donc pas un anti-militarisme de fond mais une volonté de mettre sur pied une armée plus jeune, plus percutante.

Dès son arrivée dans la capitale française, une idée le travaille: il l’a puisée dans sa lecture des oeuvres de Jakob Burckhardt. On ne peut pas être simultanément une grande culture comme l’Allemagne et peser d’un grand poids politique sur l’échiquier planétaire comme la Grande-Bretagne ou la France. Pour Moeller, lecteur de Burckhardt, il y a contradiction entre élévation culturelle et puissance politique: nous avons là l’éclosion d’une thématique récurrente dans les débats germano-allemands sur la germanité et l’essence de l’Allemagne; elle sera analysée, dans une perspective particulièrement originale par Christoph Steding en 1934: celui-ci fustigera l’envahissement de la culture allemande par tout un fatras “impolitique” et esthétisant, importé de Scandinavie, de Hollande et de Suisse. En ce sens, Steding dépasse complètement Moeller van den Bruck, encore lié à cette culture qu’il juge “impolitique”; toutefois, c’est au sein de cette culture impolitique qu’ont baigné ceux qui, après 1918, ont voulu oeuvrer à la restauration “impériale”. Le primat du culturel sur le politique sera également moqué dans un dessin de Paul A. Weber montrant un intellectuel binoclard, malingre et macrocéphale, jetant avec rage des livres de philo contre un tank britannique (de type Mk. I) qui défonce un mur et fait irruption dans sa bibliothèque; le chétif intello “mitteleuropéen” hurle: “Je vous pulvérise tous par la puissance de mes pensées!”.

Récemment, en 2010, Peter Watson, journaliste, historien, attaché à l’Université d’Oxford, campe l’envol vertigineux de la pensée et des sciences allemandes au 19ème siècle comme une “troisième renaissance” et comme une “seconde révolution scientifique”, dans un ouvrage qui connaîtra un formidable succès en Angleterre et aux Etats-Unis, malgré ses 964 pages en petits caractères (cf. “The German Genius – Europe’s Third Renaissance, the Second Scientific Revolution and the Twentieth Century”, Simon & Schuster, London/New York, 2010). Ce gros livre est destiné à bannir la germanophobie stérile qui a frappé, pendant de longues décennies, la pensée occidentale; il réhabilite la “Kultur” que l’on avait méchamment moquée depuis août 1914 mais cherche tout de même, subrepticement, à maintenir la germanité contemporaine dans un espace mental impolitique. La culture germanique depuis le début du 19ème, c’est fantastique, démontre Watson, mais il ne faut pas lui donner une épaisseur et une vigueur politiques: celles-ci ne peuvent être que de dangereux ou navrants dérapages. Watson évoque Moeller van den Bruck (pp. 616-618). L’interrogation de Moeller van den Bruck demeure dont d’actualité: on tente encore et toujours d’appréhender et de définir les contradictions existantes entre la grandeur culturelle de l’Allemagne et son nanisme politique sur l’échiquier européen ou mondial, entre l’absence de profondeur intellectuelle et de musicalité de la France républicaine et du monde anglo-saxon et leur puissance politique sur la planète.

Moeller van den Bruck découvre la pensée russe à Paris

Les quatre années parisiennes de Moeller van den Bruck ne vont pas renforcer la part française de sa pensée, acquise à Berlin lors de ses travaux de traduction réalisés avec le précieux concours d’Hedda Maase. A Paris —où il retrouve Dauthendey et le peintre norvégien Munch à la “Closerie des Lilas”— c’est la part russe de son futur univers mental qu’il va acquérir. Il y rencontre deux soeurs, Lucie et Less Kaerrick, des Allemandes de la Baltique, sujettes du Tsar. Lucie deviendra rapidement sa deuxième épouse. Le couple va s’atteler à la traduction de l’oeuvre entière de Dostoïevski (vingt tomes publiés à Munich chez Piper entre le séjour parisien et le déclenchement de la première guerre mondiale). Pour chaque volume, Moeller rédige une introduction, qui disparaîtra des éditions postérieures à 1950. Ces textes, longtemps peu accessibles, figurent toutefois tous sur la grande toile et sont désormais consultables par tout un chacun, permettant de connaître à fond l’apport russe au futur “Jungkonservativismus”, à la “révolution conservatrice” et à l’“Ostideologie” des cercles russophiles nationaux-bolcheviques et prussiens-conservateurs. Moeller est donc celui qui crée l’engouement pour Dostoïevski en Allemagne. L’immersion profonde dans l’oeuvre du grand écrivain russe, qu’il s’inflige, fait de lui un russophile profond qui transmettra sa fascination personnelle à tout le mouvement conservateur-révolutionnaire, “jungkonservativ”, après 1918.

L’anti-occidentalisme politique et géopolitique, qui transparaît en toute limpidité dans le “Journal d’un écrivain” de Dostoïevski, a eu un impact déterminant dans la formation et la maturation de la pensée de Moeller van den Bruck. En effet, ce “Journal” récapitule, entre bien d’autres choses, l’anthropologie de Dostoïevski et énumère les tares des politiques occidentales. L’anthropologie dostoïevskienne dénonce l’avènement d’un homme se voulant “nouveau”, un homme sans ancêtres qui se promet beaucoup d’enfants: un homme qui a coupé le cordon invisible qui le liait charnellement à sa lignée mais veut se multiplier, se cloner à l’infini dans le futur. Cet homme, auto-épuré de toutes les insuffisances qu’il aurait véhiculées depuis toujours par le biais de son corps créé par Dame Nature, s’enfermera bien vite dans un petit monde clos, dans des “clôtures” et finira par répéter une sorte de catéchisme positiviste, pseudo-scientifique, intellectuel, sec, mécanique, qui n’explique rien. Il ne vivra donc plus de “transitions”, de périodes où l’on innove sans trahir le fonds, puisqu’il n’y aura plus de fonds et qu’il n’y aura plus besoin d’innovations, tout ayant été inventé. Nous avons là l’équivalent russe du dernier homme de Nietzsche, qui affirme ses platitudes “en clignant de l’oeil”. L’avènement de cet “homunculus” est déjà, à l’époque de Dostoïevski, bien perceptible dans le vieil Occident, chez les peuples vieillissants. Et la politique de ces Etats vieillis empêche la vigoureuse vitalité slave (surtout serbe et bulgare) de vider “l’homme malade du Bosphore” (c’est-à-dire l’Empire ottoman) de son lit balkanique, et surtout de la Thrace des Détroits. L’Occident est resté “neutre” dans le conflit suscité par la révolte serbe et bulgare (1877-78), trahissant ainsi la “civilisation chrétienne”, face à son vieil ennemi ottoman, et ne s’est manifesté, intéressé et avide, que pour s’emparer des meilleures dépouilles turques, disponibles parce que les peuples jeunes des Balkans avaient versé leur sang généreux. Phrases qu’on peut considérer comme prémonitoires quand on les lit après les événements de l’ex-Yougoslavie, surtout ceux de 1999...

Rencontre avec Dmitri Merejkovski et Zinaïda Hippius

mvb8.jpgMoeller refuse donc l’avènement des “homunculi” et apprend, chez Dostoïevski, à respecter l’effervescence des révoltes de peuples encore jeunes, encore capables de sortir des “clôtures” où on cherche à les enfermer. Mais un autre écrivain russe, oublié dans une large mesure mais toujours accessible aujourd’hui, en langue française, grâce aux efforts de l’éditeur suisse “L’Age d’Homme”, aura une influence déterminante sur Moeller van den Bruck: Dmitri Merejkovski. Cet écrivain habitait Paris, lors du séjour de Moeller van den Bruck dans la capitale française, avec son épouse Zinaïda Hippius (ou “Gippius”). L’objectif de Merejkovski était de rénover la pensée orthodoxe tout en maintenant le rôle central de la religion en Russie: rénover la religion ne signifiait pas pour lui l’abolir. Merejkovski était lié au mouvement des “chercheurs de Dieu”, les “Bogoïskateli”. Il éditait une revue, “Novi Pout” (= “La Nouvelle Voie”), où notre auteur envisageait, conjointement au poète Rozanov, de réhabiliter totalement la chair, de réconcilier la chair et l’esprit: idée qui se retrouvait dans l’air du temps avec des auteurs comme Lemonnier ou Dehmel et, plus tard, D. H. Lawrence. Par sa volonté de rénovation religieuse, Merejkovski s’opposait au théologien sourcilleux du Saint-Synode, le “vieillard jaunâtre” Pobedonostsev, intégriste orthodoxe ne tolérant aucune déviance, aussi minime soit-elle, par rapport aux canons qu’il avait énoncés dans le but de voir régner une “paix religieuse” en Russie, une paix hélas figeante, mortifère, sclérosant totalement les élans de la foi. Comme le faisait en Allemagne, dans le sillage de tout un éventail d’auteurs en vue, l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna depuis 1896, Merejkovski recherche, dans le monde russe cette fois, de nouvelles formes religieuses. Il rend visite à des sectes, ce qui alarme les services de Pobedonostsev, liés à la police politique tsariste. Son but? Réaliser les prophéties de l’abbé cistercien calabrais Joachim de Flore (1130-1202). Pour cet Italien du 12ème siècle, le “Troisième Testament” allait advenir, inaugurant le règne de l’Esprit Saint dans le monde, après le “Règne du Père” et le “Règne du Fils”. Cette volonté de participer à l’avènement du “Troisième Testament” conduit Merejkovski à énoncer une vision politique, jugée révolutionnaire dans la première décennie du 20ème siècle: Pierre le Grand, fondateur de la dynastie des Romanov, est une figure antéchristique car il a ouvert la Russie aux vices de l’Occident, l’empêchant du même coup d’incarner à terme dans le réel ce “Troisième Testament”, que sa spiritualité innée était à même de réaliser. En émettant cette critique hostile à la dynastie, Merejkovski se pose tout à la fois comme révolutionnaire dans le contexte de 1905 et comme “archi-conservateur” puisqu’il veut un retour à la Russie d’avant les Romanov, une contestation qui, aujourd’hui encore, brandit le drapeau noir-blanc-or des ultra-monarchistes qui considèrent la Russie, même celle de Poutine avec son drapeau bleu-rouge-blanc, comme une aberration occidentalisée. En 1905 donc, la Russie qui s’est alignée sur l’Occident depuis Pierre le Grand subit la punition de Dieu: elle perd la guerre qui l’oppose au Japon. L’armée, qui tire dans le tas contre les protestataires emmenés par le Pope Gapone, est donc l’instrument des forces antéchristiques. Le Tsar étant, dans un tel contexte, lui aussi, une figure avancée par l’Antéchrist. La monarchie des Romanov est posée par Merejkovski comme d’essence non chrétienne et non russe. Mais en cette même année 1905, Merejkovski sort un ouvrage très important, intitulé “L’advenance de Cham” ou, en français, “L’avènement du Roi-Mufle”.

L’advenance de Cham

Cham est le fils de Noé (Noah) qui s’est moqué de son père (de son ancêtre direct); à ce titre, il est une figure négative de la Bible, le symbole d’une humanité déchue en canaille, qui rompt délibérément le pacte intergénérationnel, brise la continuité qu’instaure la filiation. C’est cette figure négative, comparable à l’“homme sans ancêtres” de l’anthropologie dostoïevskienne, qui adviendra dans le futur, qui triomphera. Le Cham de Merejkovski est un cousin, un frère, une figure parallèle à cet “homunculus” de Dostoïevski. Dans “L’advenance de Cham”, Merejkovski développe une vision apocalyptique de l’histoire, articulée en trois volets. Il y a eu un passé déterminé par une église orthodoxe figée, celle de Pobedonostsev qui a abruti les hommes, en les enfermant dans des corsets confessionnels trop étriqués, jugulant les élans créateurs et bousculants de la foi et, eux seuls, peuvent réaliser le “Troisième Testament”. Il y a un présent où se déploie une bureaucratie d’Etat, dévoyant la fonction monarchique, la rendant imparfaite et lui inoculant des miasmes délétères, tout en conservant comme des reliques dévitalisées et le Saint-Synode et la monarchie. Il y aura un futur, où ce bureaucratisme se figera et donnera lieu à la révolte de la lie de la société, qui imposera par la violence la “tyrannie de Cham”, véritable cacocratie, difficile à combattre tant elle aura installé des “clôtures” dans le cerveau même des hommes. Merejkovski se veut alors prophète: quand Cham aura triomphé, l’Eglise sera détruite, la monarchie aussi et l’Etat, système abstrait et contraignant, se sera consolidé, devenant un appareil inamovible, lourd, inébranlable. Et l’âme russe dans ce processus? Merejkovski laisse la question ouverte: constituera-t-elle un môle de résistance? Sera-t-elle noyée dans le processus? Interrogations que Soljénitsyne reprendra à son compte pendant son long exil américain.

Itinéraire de Merejkovski

En 1914, Merejkovski se déclare pacifiste, sans doute ne veut-il ni faire alliance avec les vieilles nations occidentales, ennemies de la Russie au 19ème siècle et qui se servent désormais de la chair à canon russe pour broyer leur concurrent allemand, ni avec une Allemagne wilhelminienne qui, elle aussi, ne correspond plus à aucun critère traditionnel d’excellence politique. En 1917, quand éclate la révolution à Saint-Pétersbourg, Merejkovski se proclame immédiatement anti-communiste: les soulèvements menchevik et bolchevique sont pour lui les signes de l’avènement de Cham. Ils créeront le “narod-zver”, le peuple-Bête, serviteur de la Bête de l’Apocalypse. Ces révolutions, ajoute-t-il, “feront disparaître les visages”, uniformiseront les expressions faciales; le peuple ne sera plus que de la “viande chinoise”, le terme “chinois” désignant dans la littérature russe de 1890 à 1920 l’état de dépersonnalisation totale, auquel on aboutit sous la férule d’une bureaucratie omni-contrôlante, d’un mandarinat à la chinoise et d’un despotisme fonctionnarisé, étranger aux tréfonds de l’âme européenne et du personnalisme inhérent au message chrétien (dans l’aire culturelle germanophone, le processus de “dé-facialisation” de l’humanité sera dénoncé et décrit par Rudolf Kassner, sur base d’éléments préalablement trouvés dans l’oeuvre du “sioniste nietzschéen” Max Nordau). En 1920, Merejkovski appelle les Russes anti-communistes à se joindre à l’armée polonaise pour lutter contre les armées de Trotski et de Boudiénny. Fin juin 1941, il prononce un discours à la radio allemande pour appeler les Russes blancs à libérer leur patrie en compagnie des armées du Reich. Il meurt à Paris avant l’arrivée des armées anglo-saxonnes, échappant ainsi à l’épuration. Son épouse, éplorée, entame, nuit et jour, la rédaction d’une biographie intellectuelle de son mari: elle meurt épuisée en 1946 avant de l’avoir achevée. Ce travail demeure néanmoins la principale source pour connaître l’itinéraire exceptionnel de Merejkovski.

Traduction de l’oeuvre entière de Dostoïevski, fréquentation de Dmitri Merejkovski: voilà l’essentiel des années parisiennes de Moeller van den Bruck. Les années berlinoises (1896-1902) avaient été essentiellement littéraires et artistiques. Moeller recherchait des formes nouvelles, un “art nouveau” (qui n’était pas nécessairement le “Jugendstil”), adapté à l’ère de la production industrielle, exprimant l’effervescence vitale des “villes tentaculaires” (Verhaeren). De même, il s’était profondément intéressé aux formes nouvelles qu’adoptait la littérature de la Belle Epoque. A Paris, il prend conscience de sa germanité, tout en devenant russophile et anti-occidentaliste. Il constate que les Français sont un peuple tendu vers la politique, tandis que les Allemands n’ont pas de projet commun et pensent les matières politiques dans la dispersion la plus complète. Les Français sont tous mobilisés par l’idée de revanche, de récupérer deux provinces constitutives du défunt “Saint-Empire”, qui, depuis Louis XIV, servent de glacis à leurs armées pour contrôler tout le cours du Rhin et tenir ainsi tout l’ensemble territorial germanique à leur merci. Barrès, pourtant frotté de culture germanique et wagnérienne, incarne dans son oeuvre, ses discours et ses injonctions, cette tension vers la ligne bleue des Vosges et vers le Rhin. Rien de pareil en Allemagne, où, sur le plan politique, ne règne que le désordre dans les têtes. Les premiers soubresauts de la crise marocaine (de 1905 à 1911) confirment, eux aussi, la politisation virulente des Français et l’insouciance géopolitique des Allemands.

“Die Deutschen”: huit volumes

Moeller tente de pallier cette lacune dangereuse qu’il repère dans l’esprit allemand de son époque. En plusieurs volumes, il campe des portraits d’Allemands (“Die Deutschen”) qui, à ses yeux, ont donné de la cohérence et de l’épaisseur à la germanité. De chacun de ces portraits se dégage une idée directrice, qu’il convient de ramener à la surface, à une époque de dispersion et de confusion politiques. L’ouvrage “Die Deutschen”, en huit volumes, parait de 1904 à 1910. Il constitue l’entrée progressive de Moeller van den Bruck dans l’univers de la “germanité germanisante” et du nationalisme, qu’il n’avait quasi pas connu auparavant —von Liliencron et Dehmel ayant eu, malgré leur nationalisme diffus, des préoccupations bien différentes de celles de la politique. Ce nationalisme nouveau, esquissé par Moeller en filigrane dans “Die Deutschen”, ne dérive nullement des formes diverses de ce pré-nationalisme officiel et dominant de l’ère wilhelminienne dont les ingrédients majeurs sont, sur fond du pouvoir personnalisé de l’Empereur Guillaume II, la politique navale, le mouvement agrarien radical (souvent particulariste et régional), l’antisémitisme naissant, etc. Le mouvement populaire agrarien oscillait —l’ “oscillation” chère à Jean-Pierre Faye, auteur du gros ouvrage “Les langages totalitaires”— entre le Zentrum catholique, la sociale-démocratie, la gauche plus radicale ou le parti national-libéral d’inspiration bismarckienne. Les expressions diverses du nationalisme (agrarien ou autre) de l’ère wilhelminienne n’avaient pas de lieu fixe et spécifique dans le spectre politique: ils “voyageaient” transversalement, pérégrinaient dans toutes les familles politiques, si bien que chacune d’elles avait son propre “nationalisme”, opposé à celui des autres, sa propre vision d’un futur optimal de la nation.

Les transformations rapides de la société allemande sous les effets de l’industrialisation généralisée entraînent la mobilisation politique de strates autrefois quiètes, dépolitisées, notamment les petits paysans indépendants ou inféodés à de gros propriétaires terriens (en Prusse): ils se rassemblent au sein du “Bund der Landwirte”, qui oscille surtout entre les nationaux-libéraux prussiens et le Zentrum (dans les régions catholiques). Cette mobilisation de l’élément paysan de base, populaire et révolutionnaire, fait éclater le vieux conservatisme et ses structures politiques, traditionnellement centrées autour des vieux pouvoirs réels ou diffus de l’aristocratie terrienne. Le vieux conservatisme, pour survivre politiquement, se mue en d’autres choses que la simple “conservation” d’acquis anciens, que la simple défense des intérêts des grands propriétaires aristocratiques, et fusionne lentement, dans un bouillonnement confus et contradictoire s’étalant sur deux bonnes décennies avant 1914, avec des éléments divers qui donneront, après 1918, les nouvelles et diverses formes de nationalisme plus militant, s’exprimant cette fois sans le moindre détour. Le but est, comme dans d’autres pays, d’obtenir, en bout de course, une harmonie sociale nouvelle et régénérante, au nom de théories organiques et “intégrationnistes”. Cette tendance générale —cette pratique moderne et populaire d’agitation— doit faire appel à la mobilisation des masses, critère démocratique par excellence puisqu’il présuppose la généralisation du suffrage universel. C’est donc ce dernier qui fait éclore le nationalisme de masse, qui, de ce fait, est bien —du moins au départ— de nature démocratique, démocratie ne signifiant a priori ni libéralisme ni permissivité libérale et festiviste.

Bouillonnement socio-politique

Moeller van den Bruck demeure éloigné de cette agitation politique —il critique tous les engagements politiques, dans quelque parti que ce soit et ne ménage pas ses sarcasmes sur les pompes ridicules de l’Empereur, “homme sans goût”— mais n’en est pas moins un homme de cette transition générale et désordonnée, encore peu étudiée dans les innombrables avatars qu’elle a produits pendant les deux décennies qui ont précédé 1914. Ce n’est pas dans les comités revendicateurs de la population rurale —ou de la population anciennement rurale entassée dans les nouveaux quartiers insalubres des villes surpeuplées— que Moeller opère sa transition personnelle mais dans le monde culturel, littéraire: il est bien un “Literatentyp”, un “littérateur”, apparemment éloigné de tout pragmatisme politique. Mais le bouillonnement socio-politique, où tentaient de fusionner éléments de gauche et de droite, cherchait un ensemble de thématiques “intégrantes”: il les trouvera dans les multiples définitions qui ont été données de l’“Allemand”, du “Germain”, entre 1880 et 1914. De l’idée mobilisatrice de communisme primitif, germanique ou celtique, évoquée par Engels à l’exaltation de la fraternité inter-allemande dans le combat contre les deux Napoléon (en 1813 et en 1870), il y a un dénominateur commun: un “germanisme” qui se diffuse dans tout le spectre politique; c’est le germanisme des théoriciens politiques (marxistes compris), des philologues et des poètes qui réclament un retour à des structures sociales jugées plus justes et plus équitables, plus conformes à l’essence d’une germanité, que l’on définit avec exaltation en disant sans cesse qu’elle a été oblitérée, occultée, refoulée. Moeller van den Bruck, avec “Die Deutschen”, va tenter une sorte de retour à ce refoulé, de retrouver des modèles, des pistes, des attitudes intérieures qu’il faudra raviver pour façonner un futur européen radieux et dominé par une culture allemande libertaire et non autoritaire, telle qu’elle se manifestait dans un local comme “Zum schwarzen Ferkel”. Toutefois, Moeller soulignera aussi les échecs à éviter dans l’avenir, ceux des “verirrten Deutschen”, des “Allemands égarés”, pour lesquels il garde tout de même un faible, parce qu’ils sont des littérateurs comme lui, tout en démontrant qu’ils ont failli malgré la beauté poignante de leurs oeuvres, qu’ils n’ont pu surmonter le désordre intrinsèque d’une certaine âme allemande et qu’ils ne pourront donc transmettre à l’homme nouveau des “villes tentaculaires” —détaché de tous liens fécondants— cette unité intérieure, cette force liante qui s’estompent sous les coups de l’économisme, de la bureaucratie et de la modernité industrielle, camouflés gauchement par les pompes impériales (le parallèle avec la sociologie de Georg Simmel et avec certains aspects de la pensée de Max Weber est évident ici).

Le voyage en Italie

Après ses quatre années parisiennes, Moeller quitte la France pour l’Italie, où il rencontre le poète Theodor Däubler et lui trouve un éditeur pour son poème de 30.000 vers, “Nordlicht” qui fascinera Carl Schmitt. Il se lie aussi au sculpteur expressionniste Ernst Barlach, qui s’était inspiré du paysannat russe pour parfaire ses oeuvres. Ce sculpteur sera boycotté plus tard par les nationaux-socialistes, en dépit de thématiques “folcistes” qui n’auraient pas dû les effaroucher. Ces deux rencontres lors du voyage en Italie méritent à elles seules une étude. Bornons-nous, ici, à commenter l’impact de ce voyage sur la pensée politique et métapolitique de Moeller van den Bruck. Dans un ouvrage, qui paraîtra à Munich, rehaussé d’illustrations superbes, et qui aura pour titre “Die italienische Schönheit”, Moeller brosse une histoire de l’art italien depuis les Etrusques jusqu’à la Renaissance. Ce n’est ni l’art de Rome ni les critères de Vitruve qui emballent Moeller lors de son séjour en Italie mais l’architecture spécifique de la Ravenne de Théodoric, le roi ostrogoth. Cette architecture, assez “dorienne” dans ses aspects extérieurs, est, pour Moeller, l’“expression vitale d’un peuple”, le “reflet d’un espace particulier”, soit les deux piliers —la populité et la spatialité— sur lesquels doit reposer un art réussi. Plus tard, en réhabilitant le classicisme prussien, Moeller renouera avec un certain art romain, vitruvien dans l’interprétation très classique des Gilly, Schinckel, etc. En 1908, il retourne en Allemagne et se présente au “conseil de révision” pour se faire incorporer dans l’armée. Il effectuera un bref service à Küstrin mais sera rapidement exempté, vu sa santé fragile. Il se fixe ensuite à Berlin mais multiplie les voyages jusqu’en 1914: Londres, Paris, l’Italie (dont plusieurs mois en Sicile), Vienne, les Pays Baltes, la Russie et la Finlande. En 1914, avant que n’éclate la guerre, il est au Danemark et en Suède.

Style prussien et “Deutscher Werkbund”

 

mvb13.jpg

 

mvb15.jpg

 

mvb14.jpg

mvb16.jpgQuand la Grande Guerre se déclenche, Moeller est en train de rédiger “Der preussische Stil”, retour à l’architecture des Gilly, Schinckel et von Klenze mais aussi réflexions générales sur la germanité qui, pour trouver cette unité intérieure recherchée tout au long des huit volumes de “Die Deutschen”, doit opérer un retour à l’austérité dorienne du classicisme prussien et abandonner certaines fantaisies ou ornements prisés lors des décennies précédentes: même constat chez l’ensemble des architectes, qui abandonnent la luxuriance du Jugendstil pour une “Sachlichkeit” plus sobre. La réhabilitation du “style prussien” implique aussi l’abandon de ses anciennes postures de dandy, une exaltation des vertus familiales prussiennes, de la sobriété, de la “Kargheit”, etc. Le livre “Der preussische Stil” sera achevé pendant la guerre, sous l’uniforme. Il s’inscrit dans la volonté de promouvoir des formes nouvelles, tout en gardant un certain style et un certain classicisme, bref de lancer l’idée d’un modernisme anti-moderne (Volker Weiss). Moeller s’intéresse dès lors aux travaux d’architecture et d’urbanisme de Peter Behrens (1868-1940; photo), un homme de sa génération. Behrens est le précurseur de la “sachliche Architektur”, de l’architecture objective, réaliste. Il est aussi, pour une large part, le père du “design” moderne. Pas un objet contemporain n’échappe à son influence. Behrens donne un style épuré et sobre aux objets nouveaux, exigeant des formes nouvelles, qui meublent désormais les habitations dans les sociétés hautement industrialisées, y compris celles des foyers les plus modestes, auparavant sourds à toute esthétique (cf. H. van de Velde).

Mvb11.jpgLe style préconisé par Behrens, pour les objets nouveaux, n’est pas chargé, floral ou végétal, comme le voulait l’Art Nouveau (Jugendstil) mais très dénué d’ornements, un peu à la manière futuriste, le groupe futuriste italien autour de Marinetti ayant appelé, avec virulence, à rejeter toutes les ornementations inutiles prisées par l’académisme dominant. On trouve encore dans nos magasins, aujourd’hui, bon nombre de théières, de couverts, de téléphones, d’horloges ou de pièces de vaisselle qui proviennent en droite ligne des ateliers de Behrens, avec très peu de changements. Le mouvement d’art et de design, lancé par Behrens, s’organise au sein du “Deutscher Werkbund”, où oeuvrent également des célébrités comme Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe ou Le Corbusier. Le “Werkbund” travaille pour l’AEG (“Allgemeine Elektrische Gesellschaft”), qui produit des lampes, des appareils électro-ménagers à diffuser dans un public de plus en plus vaste. Le “Werkbund” préconise par ailleurs une architecture monumentale, dont les fleurons seront des usines, des écoles, des ministères et l’ambassade allemande à Saint-Pétersbourg. Pour Moeller, Behrens trouve le style qui convient à l’époque: le lien est encore évident avec le classicisme prussien, il n’y a pas rupture traumatisante, mais le résultat final est “autre chose”, ce n’est pas une répétition pure et simple.

Henry van de Velde

Après 1918, la recherche d’un style bien particulier, d’une architecture majestueuse, monumentale et prestigieuse n’est, hélas, plus de mise: il faut bâtir moins cher et plus vite, l’art spécifique du “Deutscher Werkbund” glisse rapidement vers la “Neue Sachlichkeit”, où excelleront des architectes comme Gropius et Mies van der Rohe. L’évolution de l’architecture allemande est typique de cette époque qui part de l’Art Nouveau (Jugendstil), avec ses ornements et ses courbes, pour évoluer vers un abandon progressif de ces ornements et se rapprocher de l’austérité vitruvienne du classicisme prussien du début du 19ème, sans toutefois aller aussi loin que la “neue Sachlichkeit” des années 20 dans le rejet de toute ornementation. L’architecte Paul Schulze-Naumburg , qui adhèrera au national-socialisme, polémique contre la “Neue Sachlichkeit” en l’accusant de verser dans la “Formlosigkeit”, dans l’absence de toute forme. Dans cette effervescence, on retrouve l’oeuvre de Henry van de Velde (1863-1957), partie, elle aussi, du pré-raphaëlisme anglais, des idées de John Ruskin (dont Hedda Maase avait traduit les livres), de William Morris, etc. Fortement influencé par sa lecture de Nietzsche, van de Velde tente de traduire la volonté esthétisante et rénovatrice du penseur de Sils-Maria en participant aux travaux du Werkbund, notamment dans les ateliers de “design” et dans la “colonie des artistes” de Darmstadt, avant 1914. Revenu en Belgique peu avant la seconde guerre mondiale, il accepte de travailler au sein d’une commission pour la restauration du patrimoine architectural bruxellois pendant les années de la deuxième occupation allemande: il tombe en disgrâce suite aux cabales de collègues jaloux et médiocres qui saccageront la ville dans les années 50 et 60, tant et si bien qu’on parlera de “bruxellisation” dans le jargon des architectes pour désigner la destruction inconsidérée d’un patrimoine urbanistique. Le procès concocté contre lui n’aboutit à rien, mais van de Velde, meurtri et furieux, quitte le pays définitivement, se retire en Suisse où il meurt en 1957.

Les figures de Peter Behrens, Henry van de Velde et Paul Schulze-Naumburg méritent d’être évoquées, et situées dans le contexte de leur époque, pour montrer que les thèmes de l’architecture, de l’urbanisme et des formes du “design” participent, chez Moeller van den Bruck, à l’élaboration du “style” jungkonservativ qu’il contribuera à forger. Ce style n’est pas marginal, n’est pas l’invention de quelques individus isolés ou de petites phalanges virulentes et réduites mais constitue bel et bien une synthèse concise des innovations les plus insignes des trois premières décennies du 20ème siècle. La quête de Moeller van den Bruck est une quête de formes et de style, de forme pour un peuple enfin devenu conscient de sa force politique potentielle, équivalente en grandeur à ses capacités culturelles, pour un peuple devenu enfin capable de bâtir un “Troisième Règne” de l’esprit, au sens où l’entendait le filon philosophique, théologique et téléologique partant de Joachim de Flore pour aboutir à Dmitri Merejkovski.

La guerre au “Département de propagande”

Pendant que Moeller rédigeait la première partie de “Der preussische Stil”, l’Allemagne et l’Europe s’enfoncent dans la guerre immobile des tranchées. Le réserviste Moeller est mobilisé dans le “Landsturm”, à 38 ans, vu sa santé fragile, la réserve n’accueillant les hommes pleinement valides qu’à partir de 39 ans. Il est affecté au Ministère de la guerre, dans le département de la propagande et de l’information, l’“Auslandsabteilung”, ou le “MAA” (“Militärische Stelle des Auswärtigen Amtes”), tous deux chargés de contrer la propagande alliée. En ce domaine, les Allemands se débrouillent d’ailleurs très mal: ils publient à l’intention des neutres, Néerlandais, Suisses et Scandinaves, de gros pavés bien charpentés sur le plan intellectuel mais illisibles pour le commun des mortels: à l’ère des masses, cela s’appelle tout bonnement rater le coche. Cette propagande n’a donc aucun impact. Dans ce département, Moeller rencontre Max Hildebert Boehm, Waldemar Bonsels, Herbert Eulenberg (le nouveau mari de sa première femme), Hans Grimm, Friedrich Gundolf et Börries von Münchhausen. Tous ces hommes constitueront la base active qui militera après guerre, dans une Allemagne vaincue, celle de la République de Weimar, pour restaurer l’autonomie du politique et la souveraineté du pays.

Dans le double cadre de l’“Auslandsabteilung” et du MAA, Moeller rédige “Belgier und Balten” (= “Des Belges et des Baltes”), un appel aux habitants de Belgique et des Pays Baltes à se joindre à une vaste communauté économique et culturelle, dont le centre géographique serait l’Allemagne. Il amorce aussi la rédaction de “Das Recht der jungen Völker” (= “Le droit des peuples jeunes”), qui ne paraîtra qu’après l’armistice de novembre 1918. Le terme “jeune” désigne ici la force vitale, dont bénéficient encore ces peuples, et la “proximité du chaos”, un chaos originel encore récent dans leur histoire, un chaos bouillonnant qui sous-tend leur identité et duquel ils puisent une énergie dont ne disposent plus les peuples vieillis et éloignés de ce chaos. Pour Moeller, ces peuples jeunes sont les Japonais, les Allemands (à condition qu’ils soient “prussianisés”), les Russes, les Italiens, les Bulgares, les Finlandais et les Américains. “Das Recht der jungen Völker” se voulait le pendant allemand des Quatorze Points du président américain Woodrow Wilson. Le programme de ce dernier est arrivé avant la réponse de Moeller qui, du coup, n’apparait que comme une réponse tardive, et même tard-venue, aux Quatorze Points. Moeller prend Wilson au mot: ce dernier prétend n’avoir rien contre l’Allemagne, rien contre aucun peuple en tant que peuple, n’énoncer qu’un programme de paix durable mais tolère —contradiction!— la mutilation du territoire allemand (et de la partie germanique de l’empire austro-hongrois). Les Allemands d’Alsace, de Lorraine thioise, des Sudètes et de l’Egerland, de la Haute-Silésie et des cantons d’Eupen-Malmédy n’ont plus le droit, pourtant préconisé par Wilson, de vivre dans un Etat ne comprenant que des citoyens de même nationalité qu’eux, et doivent accepter une existence aléatoire de minoritaires au sein d’Etats quantitativement tchèque, français, polonais ou belge. Ensuite, Wilson, champion des “droits de l’homme” ante litteram, ne souffle mot sur le blocus que la marine britannique impose à l’Allemagne, provoquant la mort de près d’un million d’enfants dans les deux ou trois années qui ont suivi la guerre.

La transition “jungkonservative”

L’engagement politique “jeune-conservateur” est donc la continuation du travail patriotique et nationaliste amorcé pendant la guerre, en service commandé. Pour Moeller, cette donne nouvelle constitue une rupture avec le monde purement littéraire qu’il avait fréquenté jusqu’alors. Cependant l’attitude “jungkonservative”, dans ce qu’elle a de spécifique, dans ce qu’elle a de “jeune”, donc de dynamique et de vectrice de “transition”, est incompréhensible si l’on ne prend pas acte des étapes antérieures de son itinéraire de “littérateur” et de l’ambiance prospective de ces bohèmes littéraires berlinoises, munichoises ou parisiennes d’avant 1914. Le “Jungkonservativismus” politisé est un avatar épuré de la grande volonté de transformation qui a animé la Belle Epoque. Et cette grande volonté de transformation n’était nullement “autoritaire” (au sens où l’Ecole de Francfort entend ce terme depuis 1945), passéiste ou anti-démocratique. Ces accusations récurrentes, véritables ritournelles de la pensée dominante, ne proviennent pas d’une analyse factuelle de la situation mais découlent en droite ligne des “vérités de propagande” façonnées dans les officines françaises, anglaises ou américaines pendant la première guerre mondiale. L’Allemagne wilhelminienne, au contraire, était plus socialiste et plus avant-gardiste que les puissances occidentales, qui prétendent encore et toujours incarner seules la “démocratie” (depuis le paléolithique supérieur!). Les mésaventures judiciaires du cabaretier Wedekind, et la mansuétude relative des tribunaux chargés de le juger, pour crime de lèse-majesté ou pour offense aux bonnes moeurs, indique un degré de tolérance bien plus élevé que celui qui règnait aileurs en Europe à l’époque et que celui que nous connaissons aujourd’hui, où la liberté d’opinion est de plus en plus bafouée. Mieux, le sort des homosexuels, qui préoccupe tant certains de nos contemporains, était enviable dans l’Allemagne wilhelminienne, qui, contrairement à la plupart des “démocraties” occidentales, ne pratiquait, à leur égard, aucune forme d’intolérance. Cet état de choses explique notamment le tropisme germanophile d’un écrivain flamand (et homosexuel) de langue française, Georges Eeckoud, par ailleurs pourfendeur de la mentalité marchande d’Anvers, baptisée la “nouvelle Carthage”, pour les besoins de la polémique.

“Montagstische”, “Der Ring”

Les anciens du MAA et des autres bureaux de (mauvaise) contre-propagande allemande se réunissent, après novembre 1918, lors des “Montagstische”, des “tables du lundi”, rencontres informelles qui se systématiseront au sein d’un groupe nommé “Der Ring” (= “L’Anneau”), où l’on remarquait surtout la présence de Hans Grimm, futur auteur d’un livre à grand succès “Volk ohne Raum” (“Peuple sans espace”). Les initiatives post bellum vont se multiplier. Elles ont connu un précédent politique, la “Vereinigung für nationale und soziale Solidarität” (= “Association pour la solidarité nationale et sociale”), émanation des syndicats solidaristes chrétiens (surtout catholiques) plus ou moins inféodés au Zentrum. Le chef de file de ces “Solidarier” (“solidaristes”) est le Baron Heinrich von Gleichen-Russwurm (1882-1959), personnalité assez modérée à cette époque-là, qui souhaitait d’abord un modus vivendi avec les puissances occidentales, désir qui n’a pu se concrétiser, vu le blocus des ports de la Mer du Nord qu’ont imposé les Britanniques, pendant de longs mois après la cessation des hostilités. Heinrich von Gleichen-Russwurm réunit, au sein du “Ring”, une vingtaine de membres, tous éminents et désireux de sauver l’Allemagne du naufrage consécutif de la défaite militaire. Parmi eux, l’Alsacien Eduard Stadtler et le géopolitologue Adolf Grabowski (qui restera actif longtemps, même après la seconde guerre mondiale).

Eduard Stadtler

mvb9.jpgL’objectif est de penser un “nouvel Etat”, une “nouvelle économie” et une “nouvelle communauté des peuples”, où le terme “nouveau” est équivalent à celui de “jeune”, proposé par Moeller. Ce cercle attire les révolutionnaires anti-bolchéviques, anti-libéraux et anti-parlementaires. D’autres associations proposent les mêmes buts mais c’est incontestablement le “Ring” qui exerce la plus grande influence sur l’opinion publique à ce moment précis. Sous l’impulsion d’Eduard Stadtler (1886-1945, disparu en captivité en Russie), se crée, en marge du “Ring”, la “Ligue anti-bolchevique”. Natif de Hagenau en Alsace, Eduard Stadtler est, au départ, un militant catholique du Zentrum. Il est, comme beaucoup d’Alsaciens, de double culture, française et allemande. Il est détenteur du “bac” français mais combat, pendant la Grande Guerre, dans les rangs de l’armée allemande, en tant que citoyen allemand. En 1917 et en 1918, il est prisonnier en Russie. Après la paix séparée de Brest-Litovsk, signée entre les Bolcheviques et le gouvernement impérial allemand, Stadtler dirige le bureau de presse du consulat allemand de Moscou. Il assiste à la bolchévisation de la Russie, expérience qui le conduit à honnir l’idéologie léniniste et ses pratiques. Revenu en Allemagne, il fonde la “Ligue anti-bolchevique” en décembre 1918 puis rompt début 1919 avec le Zentrum de Matthias Erzberger, qui sera assassiné plus tard par les Corps Francs. Il est un de ceux qui ordonnent l’exécution des deux leaders communistes allemands, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. La “Ligue” est financée par des industriels et la Banque Mankiewitz et reçoit l’appui du très influent diplomate Karl Helfferich (1872-1924), l’ennemi intime de Walther Rathenau. Stadtler est un orateur flamboyant, usant d’une langue suggestive et colorée, idéale pour véhiculer un discours démagogique. Entre 1919 et 1925, il participe activement au journal hebdomadaire des “Jungkonservativen”, “Das Gewissen” (= “Conscience”), auquel Moeller s’identifiera. Après 1925, la République de Weimar se consolide: le danger des extrémismes virulents s’estompe et la “Ligue anti-bolchevique” n’a plus vraiment raison d’être. Stadtler en tirera le bilan: “Les chefs [de cette ligue] n’étaient pas vraiment animés par un “daimon” et n’ont pu hisser de force l’esprit populaire, le tirer des torpeurs consécutives à l’effondrement allemand, pour l’amener au niveau incandescant de leurs propres volontés”. Stadtler rejoindra plus tard le Stahlhelm, fondera l’association “Langemarck” (structure paramilitaire destinée aux étudiants), sera membre de la DNVP conservatrice puis de la NSDAP; il participera aux activités de la maison d’édition Ullstein, après le départ de Koestler, quand celle-ci s’alignera sur le “renouveau national” mais Stadtler se heurtera, dans ce cadre, à la personnalité de Joseph Goebbels. Stadtler reste chrétien, fidèle à son engagement premier dans le Zentrum, fidèle aussi à son ancrage semi-rural alsacien, mais son christianisme est social-darwiniste, mâtiné par une lecture conjointe de Houston Stewart Chamberlain et des ouvrages du géopolitologue suédois Rudolf Kjellén, figure de proue des cercles germanophiles à Stockholm, et créateur de la géopolitique proprement dite, dont s’inspirera Karl Haushofer.

Du “Jungkonservativismus” au national-bolchevisme

Après le ressac de la “Ligue anti-bolchevique”, les “Jungkonservativen” se réunissent au sein du “Juni-Klub”. Dans le paysage politique allemand, le Zentrum est devenu un parti modéré (c’est pour cela que Stadtler le quitte en dénonçant le “modérantisme” délétère d’Erzberger). La gauche libérale et nationale de Naumann, théoricien de l’union économique “mitteleuropéenne” pendant la première guerre mondiale, ne se profile pas comme anti-parlementaire. Naumann veut des partis disciplinés sinon on aboutit, écrit-il à ses amis, à l’anarchie totale. Les “Jungkonservativen”, une fois le danger intérieur bolchevique éliminé en Allemagne, optent pour un “national-bolchevisme”, surtout après l’occupation de la Ruhr par les Français et l’exécution d’Albert-Leo Schlageter, coupable d’avoir commis des attentats en zone occupée. Le martyr de Schlageter provoque l’union nationale en Allemagne: nationalistes et communistes (avec Karl Radek) exaltent le sacrifice de l’officier et fustigent la “France criminelle”. Les “Jungkonservativen” glissent donc vers le “national-bolchevisme” et se rassemblent dans le cadre du “Juni-Klub”. Ce club est composé d’anciens “Solidarier” et de militants de diverses associations patriotiques et étudiantes, de fédérations d’anciens combattants. Max Hildebert Boehm y amène des Allemands des Pays Baltes, qui seront fort nombreux et y joueront un rôle de premier plan. Arthur Moeller van den Bruck y amène, lui, ses amis Conrad Ansorge, Franz Evers, Paul Fechter, Rudolf Pechel et Carl Ludwig Schleich. L’organisateur principal du club est von Gleichen. Le nom de l’association, “Juin”, vient du mois de juin 1919, quand le Traité de Versailles est signé. A partir de ce mois de juin 1919, les membres du club jurent de lutter contre tous les effets du Traité, du “Diktat”. Ils s’opposent au “November-Klub” des socialistes, qui se réfèrent au mois de la capitulation et de la proclamation de la république en 1918. Ce “Juni-Klub” n’a jamais publié de statuts ou énoncé des principes. Il a toujours gardé un caractère informel. Ses activités se bornaient, dans un premier temps, à des conversations à bâtons rompus.

Dictionnaire politique et revue “Gewissen”

La première initiative du “Juni-Klub” a été de publier un dictionnaire politique, tiré à 125.000 exemplaires. Les membres du club participent à la rédaction de l’hebdomadaire “Gewissen”, fondé le 9 avril 1919 par Werner Wirth, ancien officier combattant. Après la prise en charge de l’hebdomadaire par Eduard Stadtler, le tirage est de 30.000 exemplaires déclarés en 1922 (on pense qu’en réalité, il n’atteignait que les 4000 exemplaires vendus). La promotion de cette publication était assurée par la “Société des Amis de Gewissen”. Moeller van den Bruck, homme silencieux, piètre orateur et timide, prend sur ses épaules tout le travail de rédaction; la tâche est écrasante. Une équipe d’orateurs circule dans les cercles d’amis; parmi eux: Max Hildebert Boehm, le scientifique Albert Dietrich, le syndicaliste Emil Kloth, Hans Roeseler, Joachim Tiburtius et l’ancien communiste devenu membre du “Juni-Klub”, Fritz Weth. Le public qui assiste à ces conférences est vaste et élitaire mais provient de tous les horizons politiques de l’Allemagne de la défaite, socialistes compris. Un tel aréopage serait impossible à reconstituer aujourd’hui, vu l’intolérance instaurée partout par le “politiquement correct”. Reste une stratégie possible dans le contexte actuel: juxtaposer des textes venus d’horizons divers pour mettre en exergue les points communs entre personnalités appartenant à des groupes politiques différents et antagonistes mais dont les réflexions constituent toutes des critiques de fond du nouveau système globalitaire et du nouvel agencement du monde et de l’Europe, voulu par les Bush (père et fils), par Clinton et Obama, comme le nouvel ordre de la victoire avait été voulu en 1919 par Wilson et Clémenceau.

Diverses initiatives

Les années 1919 et 1920 ont été les plus fécondes pour le “Juni-Klub” et pour “Gewissen”. Dans la foulée de leurs activités, se crée ensuite le “Politisches Kolleg” (= “Collège politique”), dont le modèle était français, celui de l’“Ecole libre des sciences politiques”, fondé à Paris en 1872, après la défaite de 1871. Le but de cette “Ecole libre” était de faire émerger une élite revencharde pour la France. En 1919, les Allemands, vaincus à leur tour, recourent au même procédé. L’idée vient de Stadtler, qui connait bien la France, et de son professeur, le catholique, issu du Zentrum comme lui, Martin Spahn (1875-1945), fils d’une des figures fondatrices du Zentrum, Peter Spahn (1846-1925). Le national-libéral Friedrich Naumann fonde de son côté la “Staatsbürgerschule” (= “L’école citoyenne”), tandis qu’Ernst Jäkh, qui fut également propagandiste pendant la première guerre mondiale et spécialisé dans les relations germano-turques, crée la “Hochschule für Politik” (= “Haute Ecole de Politique”). Les passerelles sont nombreuses entre toutes ces initiatives. Le 1 novembre 1920 nait, sous la présidence de Martin Spahn, le “Politisches Kolleg für nationalpolitische Schulungs- und Bildungsarbeit” (= “Collège politique pour l’écolage et la formation nationales-politiques”). Les secrétaires sont von Gleichen et von Broecker. Mais c’est Moeller van den Bruck, une fois de plus, qui est la cheville ouvrière de l’ensemble: il garde la cohérence du “Juni-Klub”, du “Politisches Kolleg” et du “Ring”, qui tous prennent de l’extension et nécessitent un financement accru. Ecrasé sous le travail, Moeller s’effondre, tombe gravement malade. Du coup, les liens entre membres et entre structures similaires se disloquent. En décembre 1924, le “Juni-Klub” se transforme en “Herren-Klub”, glissement que Moeller juge “réactionnaire”, contraire aux principes fondamentaux du “Jungkonservativismus” et à la stratégie “nationale-bolchevique”. La maladie, la déception, l’épuisement physique et moral, la mort de son fils Wolfgang souffrant de tuberculose (il était né de son premier mariage avec Hedda Maase) sont autant de coups durs qui l’amènent à se suicider le 30 mai 1925.

Immédiatement après la mort de Moeller van den Bruck, Max Hildebert Boehm quitte le “Politisches Kolleg” et fonde une organisation nouvelle, l’“Institut für Grenz- und Auslandsstudien” (= “Institut pour les études des frontières et de l’étranger”). L’ensemble des structures supervisées par Moeller van den Bruck se disloque. Une partie des membres se tourne vers la “Hochschule für Politik” d’Ernst Jäkh. Le corporatiste moderne issu du Zentrum Heinz Brauweiler et l’Alsacien Eduard Stadtler rejoignent tous deux le Stahlhelm, puis la DNVP.

“Altkonservativismus” et “Jungkonservativismus”

Quelles ont été les idées de cette nébuleuse patronnée par Moeller van den Bruck? Comment se sont articulées ces idées? Quelle est la teneur du “Jungkonservativismus”, parfois appelé “nouvelle droite” ou “jeune droite”? Sa qualité de “jung”, de “jeune”, le distingue forcément du “Konservativismus” tout court, ou de l’“Altkonservativismus” (le “vieux-conservatisme”). On peut définir le “Konservativismus” comme l’ensemble des réactions politiques à la révolution française et/ou aux effets de cette révolution au cours du 19ème siècle. Comme l’a un jour souligné dans les colonnes de “Criticon” et de “Vouloir” le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, la contre-révolution est un véritable kaléidoscope d’idées diverses, hétérogènes. On y trouve évidemment la critique de l’Anglais Edmund Burke qui déplore la rupture de continuité provoquée par la révolution mais, comme le signalait naguère, à son propos, le Prof. Claude Polin à Izegem lors d’un colloque de la “nouvelle droite” flamande, si les forces qui ont provoqué la rupture parviennent à assurer une continuité nouvelle, cette continuité, parce qu’elle est continuité, mérite à son tour d’être conservée, puisqu’elle devient “légitime”, tout simplement parce qu’elle a duré quelques décennies. Pour Polin, cette sacralisation d’idées révolutionnaires, tout simplement parce qu’elles ont duré, prouve qu’il n’y a pas véritablement de “conservatisme” britannique et burkéen: nous avons alors affaire à une justification du “révolutionarisme institutionalisé”, ce que confirme le folklore de la république française actuelle et l’usage immodéré des termes “République”, “républicain”, “idéal républicain”, “valeurs républicaines”, etc. que l’on juxtapose à ceux de “laïcisme” et de “laïcité”. Cet usage est inexportable et ne permet pas de forger une “Leitkultur” acceptée de tous, surtout de la majorité autochtone, tandis que les communautés immigrées musulmanes rejettent également ce fatras laïciste, dégoûtées par l’écoeurante platitude de ce discours, partagé par toutes les gauches, mêmes les plus intéressantes, comme celles de Régis Debray ou Elizabeth Lévy (cf. le mensuel “Le Causeur”).

Dans le kaléidoscope de la contre-révolution, il y a ensuite l’organicisme, propre du romantisme post-révolutionnaire, incarné notamment par Madame de Staël, et étudié à fond par le philosophe strasbourgeois Georges Gusdorf. Cet organicisme génère parfois un néo-médiévisme, comme celui chanté par le poète Novalis. Qui dit médiévisme, dit retour du religieux et de l’irrationnel de la foi, force liante, au contraire du “laïcisme”, vociféré par le “révolutionarisme institutionalisé”. Cette revalorisation de l’irrationnel n’est pas nécessairement absolue ou hystérique: cela veut parfois tout simplement dire qu’on ne considère pas le rationalisme comme une panacée capable de résoudre tous les problèmes. Ensuite, le vieux-conservatisme rejette l’idée d’un droit naturel mais non pas celle d’un ordre naturel, dit “chrétien” mais qui dérive en fait de l’aristotélisme antique, via l’interprétation médiévale de Thomas d’Aquin. Ce mélange de thomisme, de médiévisme et de romantisme connaîtra un certain succès dans les provinces catholiques d’Allemagne et dans la zone dite “baroque” de la Flandre à l’Italie du Nord et à la Croatie.

“Fluidifier les concepts”

Tels sont donc les ingrédients divers de la “vieille droite” allemande, de l’Altkonservativismus. Pour Moeller, ces ingrédients ne doivent pas être rejetés a priori: il faut plutôt les présenter sous d’autres habits, en les dynamisant par la volonté (soit par l’idée post-nietzschéenne d’“assaut” chez Heidegger, formulée bien après après le suicide de Moeller, qui la devinait, chez qui elle était en germe). L’objectif philosophique fondamental, diffus, des courants de pensée, dans lesquels Moeller a été plongé depuis son arrivée à Berlin, à l’âge de vingt ans, est, comme le dira Heidegger plus tard, de “fluidifier les concepts”, de leur ôter toute rigidité inopérante. Le propre d’un “jeune-conservatisme” est donc, en fait, de briser les fixismes et de rendre un tonus offensif à des concepts que le 19ème siècle avait contribué à rendre désespérément statiques. Cette volonté de “fluidifier” les concepts ne se retrouvait pas qu’à droite de l’échiquier politique, à gauche aussi, on tentait de redynamiser un marxisme ou un socialisme que les notables et les oligarques partisans avaient rigidifié (cf. les critiques pertinentes de Roberto Michels). La politique est un espace de perpétuelles transitions: les vrais hommes politiques sont donc ceux qui parviennent à demeurer eux-mêmes, fidèles à des traditions —à une “Leitkultur” dirait-on aujourd’hui— mais sans figer ces traditions, en les maintenant en état de dynamisme constant, bref, répétons-le une fois de plus, l’état de dynamisme d’une anti-modernité moderniste.

De même, le regard que doivent poser les hommes politiques “jeunes-conservateurs” sur les peuples voisins de l’Allemagne est un regard captateur de dynamiques et non un regard atone, habitué à ne voir qu’un éventail figé de données et à le croire immuable. Pour Moeller, l’homme politique “jeune-conservateur” cherche en permanence à comprendre l’existence, les dimensions existentielles (et pas seulement les “essences” réelles ou imaginaires) des peuples et des nations ainsi que des personnalités marquantes de leur histoire politique, tout cela au départ d’un donné historique précis (localisé dans un espace donné qui n’est pas l’espace voisin ou l’espace éloigné ou l’espace du globe tout entier, comme le souhaiteraient les cosmopolites).

L’ordre naturel n’est pas immuable

Le “Jungkonservativismus” se démarque de l’“Altkonservativismus” en ne considérant pas l’ordre naturel comme immuable. Une telle vision de l’ordre naturel est jugée fausse par les “jeunes-conservateurs”, qui n’entendent pas retenir son caractère “immuable”, l’observation des faits de monde dans la longue période de transition que furent les années 1880-1920 n’autorisant pas, bien entendu, un tel postulat. De plus, la physique de la deuxième révolution thermodynamique ne retient plus la notion d’un donné physique, géographique, naturel, biologique stable. Au contraire, toutes les réalités, fussent-elles en apparence stables dans la durée, sont désormais considérées comme mouvantes. L’attitude qui consiste à se lamenter face à la fluidification des concepts, à déplorer la disparition de stabilités qu’on avait cru immuables, est inepte. Vouloir arrêter ou ralentir le flux du réel est donc une position inféconde pour les “jeunes-conservateurs”. Arthur Moeller van den Bruck exprime le sentiment de son “Jungkonservativismus” en écrivant que “les conservateurs ont voulu arrêter la révolution, alors qu’ils auraient dû en prendre la tête”. Il ne s’agit plus de construire des barrages, d’évoquer un passé révolu, de faire du médiévisme religieux ou, pour s’exprimer comme les futuristes dans la ligne de Marinetti, de se complaire dans le “passatisme”, dans l’académisme répétitif. Moeller ajoute que le piétisme des protestants prussiens est également une posture devenue intenable.

Troisième Voie

Vers 1870, les premiers éléments de nationalisme s’infiltrent dans la pensée conservatrice, alors que les vieux-conservateurs considéraient que toute forme de nationalisme était “révolutionnaire”, située à gauche de l’échiquier politique. Le nationalisme était effectivement une force de gauche en 1848, organisé qu’il était non en partis mais en associations culturelles ou, surtout, en ligues de gymnastique, en souvenir de “Turnvater Jahn”, l’hébertiste allemand anti-napoléonien. Les “vieux-conservateurs” considéraient ce nationalisme virulent et quarante-huitard comme trop dynamique et trop “bousculant” face aux institutions établies, qui n’avaient évidemment pas prévu les bouleversements de la société européenne dans la seconde moitié du 19ème siècle. Arthur Moeller van den Bruck propose une “troisième voie”: la répétition des ordres metternichien, bismarckien et wilhelminien est devenue impossible. Les “Jungkonservativen” doivent dès lors adopter une position qui rejette tout à la fois la réaction, car elle conduit à l’immobilisme, et la révolution, parce qu’elle mène au chaos (au “Règne de Cham” selon Merejkovski). Cette “troisième voie” (“Dritter Weg”) rejette le libéralisme en tant que réduction des activités politiques à la seule économie et en tant que force généralisant l’abstraction dans la société (en multipliant des facteurs nouveaux et inutiles, dissolvants et rigidifiants, comme les banques, les compagnies d’assurance, la bureaucratie, les artifices soi-disant “rationnels”, etc., dénoncés par la sociologie de Georges Simmel); le libéralisme est aussi le terreau sur lequel s’est développé ce que l’on appelait à l’époque le “philistinisme”. Carlyle, Matthew Arnold et les Pré-Raphaëlites anglais autour de Ruskin et de Morris avaient dénoncé l’effondrement de toute culture vraie, de toute communauté humaine saine, sous les coups de la “cash flow society”, de l’utilitarisme, du mercantilisme, etc. dans l’Angleterre du 19ème, première puissance libérale et industrielle du monde moderne. Comme l’avait envisagé Burke, ce libéral-utilitarisme était devenu une “continuité” et, à ce titre, une “légitimité”, justifiant plus tard l’alliance des libéraux (ou des “vieux-libéraux”) avec le vieux conservatisme. Les “Jungkonservativen” allemands d’après 1918 ne veulent pas d’une telle alliance, qui ne défend finalement rien de fondamental, uniquement des intérêts matériels et passagers, au détriment de tout principe (éternel). Pour défendre ces principes éternels, battus en brèche par le libéralisme, il faut recourir à des réflexes nationalistes et/ou socialistes, lesquels bousculent les concepts impassables du conservatisme sans les nier et en les dynamisant.

Critique du libéralisme

Le libéralisme, dans l’optique “jungkonservative”, repose sur l’idée d’un progrès qui serait un cheminement inéluctable vers du “meilleur”, du moins un “meilleur” quantitatif et matériel, en aucun cas vers une amélioration générale du sort de l’humanité sur un plan qualitatif et spirituel. L’idée de progrès, purement quantitative, dévalorise automatiquement le passé, les acquis, les valeurs héritées, tout comme l’idéal marchand, l’idéal spéculateur, du libéralisme dévalorise les valeurs éthiques et esthétiques, qui seules donnent sel au monde. Pour Moeller van den Bruck, c’est là la position la plus inacceptable des libéraux. Ignorer délibérément le passé, dans ce qu’il a de positif comme dans ce qu’il a de négatif, est une posture à rejetter à tout prix. Le libéral veut donc que l’on ignore obligatoirement tous les acquis du passé: son triomphe dans les premières années de la République de Weimar fait craindre une éradication totale et définitive des mémoires collectives, de l’identité allemande. Face à cette attitude, le “Jungkonservativismus” doit devenir le gardien des formes vivantes, des matrices qui donnent vie aux valeurs, pour ensuite les conduire jusqu’à leur accomplissement, leur paroxysme; il doit appeler à la révolte contre les forces politiques qui veulent que ces formes et matrices soient définitivement oubliées et ignorées; il doit également dépasser ceux qui entendent garder uniquement des formes mortes, relayant de la sorte le message des avant-gardes naturalistes, symbolistes, expressionnistes et futuristes. Ce recours implicite aux audaces des avant-gardes fait que le “Jungkonservativismus” n’est pas un “cabinet des raretés” (“eine Raritätenkammer”), un musée exposant des reliques mortes, mais un atelier (“ein Werkstatt”), où l’on bâtit l’avenir, n’est pas un réceptacle de quiétisme mais une forge bouillonnante où l’on travaille à construire une Cité plus conforme au “Règne de l’Esprit”. Pour les “jeunes-conservateurs”, les formes politiques sont des moyens, non des fins car si elles sont de simples fins, elles butent vite, à très court terme, contre leur finitude, et deviennent stériles et répétitives (comme à l’ère du wilhelminisme). Il faut alors trouver de nouvelles formes politiques pour lutter contre celles qui ont figé les polities, après avoir été, le temps de trouver leur “fin”, facteurs éphémères de fluidification des concepts.

Monarchiste ou républicain?

Alors, dans le contexte des années 1919-1925, le “Jungkonservativismus” est-il monarchiste ou républicain? Peu importe! L’idéal dynamique du “Jungkonservativismus” peut s’incarner dans n’importe quelle forme d’Etat. Comment cette perspective s’articule-t-elle chez Moeller van den Bruck? Son “Troisième Reich” pourra être monarchiste mais non pas wilhelminien, non pas nécessairement lié aux Hohenzollern. Il pourra viser l’avènement d’un “Volkskaiser”, issu d’une autre lignée aristocratique ou issu directement du peuple: cette idée est un héritage des écrits révolutionnaires de Wagner à l’époque des soulèvements de 1848. L’Etat est alors, dans une telle perspective, de forme républicaine mais il a, à sa tête, un monarque plébiscité. En dépit de son anti-wilhelminisme, Moeller envisage un Volkskaiser ou un “Jugendkaiser”, un empereur de la jeunesse, idée séduisante pour les jeunes du Wandervogel et de ses nombreux avatars et pour bon nombre de sociaux-démocrates, frottés de nietzschéisme. Contrairement à ce que voulaient les révolutionnaires français les plus radicaux à la fin du 18ème siècle, en introduisant leur calendrier révolutionnaire, l’histoire, pour Moeller, ne présente pas de nouveaux commencements: elle est toujours la continuité d’elle-même; les communautés politiques, les nations, sont immergées dans ce flot, et ne peuvent s’y soustraire. Il paraît par ailleurs préférable de parler de “continuité” plutôt que d’ “identité”, dans un tel contexte: les “jungkonservativen” sont bel et bien des “continuitaires”, en lutte contre ceux qui figent et qui détruisent en rigidifiant. Moeller van den Bruck préconise donc une sorte d’archéofuturisme (le néo-droitiste Guillaume Faye, à ce titre, s’inscrit dans sa postérité): les forces du passé allemand et européen sont mobilisées en des formes nouvelles pour établir un avenir non figé, en perpétuelle effervescence constructive. Moeller mobilise les “Urkräfte”, les forces originelles, qu’il appelle parfois, avec un lyrisme typique de l’époque, les “Urkräfte” barbares ou les “Urkräfte” de sang, destinées à briser les résistances “passatistes” (Marinetti).

De Novalis au wagnérisme

Les positions “bousculantes” du “Jungkonservativismus” interpellent aussi le rapport au christianisme. La révolution française avait appelé à lutter contre les “superstitions” de la religion traditionnelle de l’ancien régime: les réactions des révolutionnaires déçus par la violence jacobine et des contre-révolutionnaires, à l’époque romantique du début du 19ème siècle, vont provoquer un retour à la religion. Le romantisme était au départ en faveur de la révolution mais les débordements et les sauvageries des révolutionnaires français vont décevoir, ce qui amènera plus d’un ex-révolutionnaire romantique à retourner au catholicisme, à se convertir à l’idée d’une Europe d’essence chrétienne (Novalis). Dans une troisième étape, les ex-révolutionnaires et certains de leurs nouveaux alliés contre-révolutionnaires vont parfois remplacer Dieu et l’Eglise par le peuple et la nation: ce sera le romantisme nationalitaire, révolutionnaire non pas au sens de 1789 mais de 1848, celui de Wagner, qui, plus tard, abandonnera toutes références au révolutionarisme pour parier sur l’univers mythologique et “folciste” de ses opéras, censés révéler au peuple les fondemets mêmes de son identité, la matrice de la continuité dans laquelle il vit et devra inéluctablement continuer à vivre, sinon il court le risque d’une disparition définitive en tant que peuple. La fusion d’une volonté de jeter bas le régime metternichien du début du 19ème siècle et du recours aux racines germaniques les plus anciennes est le legs du wagnérisme.

Déchristianisation et nietzschéanisation

Après 1918, après les horreurs de la guerre des tranchées à l’Ouest, on assiste à un abandon généralisé du christianisme: peuples protestants et catholiques abandonnent les références religieuses piétistes ou sulpiciennes, impropres désormais à apaiser les âmes ensauvagées par une guerre atroce. Ou ne retiennent plus du christianisme que la virulence de certains polémistes comme Léon Bloy ou Jules Barbey d’Aurevilly, comme ce sera le cas dans les filons pré-rexistes en Belgique francophone ou chez les adeptes conservateurs-révolutionnaires du prêtre Wouter Lutkie aux Pays-Bas. Sans nul doute parce que la fougue de Bloy et de Barbey d’Aurevilly marche au vitriol, qui dissout les certitudes des “figés”. La déchristianisation d’après 1918 est tributaire, bien évidemment, de l’influence, de plus en plus grande, de Nietzsche. Le processus de sécularisation et de nietzschéanisation s’infiltre profondément dans les rangs “conservateurs”, les muant en “conservateurs-révolutionnaires”. On en vient à rejeter la promesse chrétienne d’un monde meilleur, “quiet” (dépourvu d’inquiétude incitant à l’action) et “bonheurisant”. Cette promesse est, aux yeux des nietzschéens, la consolation des faibles (cf. les thèses de Nietzsche dans “L’Antéchrist” et “La généalogie de la morale”). Moeller n’a pas une position aussi tranchée que les nietzschéens les plus virulents. Il demeure le lecteur le plus attentif de Dostoïevski, qui ne partageait pas l’anti-christianisme farouche de Nietzsche. Il garde sans doute aussi en mémoire les positions de Barbey d’Aurevilly, qu’il a traduit avec Hedda Maase à Berlin entre 1896 et 1902. Pour Moeller la culture allemande (et européenne) est le produit d’une fusion: celle de l’antiquité hellénique et romaine et du christianisme. Pour lui, il n’est ni pensable ni souhaitable que nous ne soyons plus l’incarnation de cette synthèse. L’objectif de la germanité innovante qu’il a toujours appelé de ses voeux est de forger une “Wirklichkeitsreligion”, une “religion du réel”, comme le suggéraient par ailleurs bon nombre d’ouvrages parus chez l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna.

Cependant le christianisme n’est pas “national”, c’est-à-dire ne cherche pas à s’ancrer dans un humus précis, inscrit dans des limites spatio-temporelles repérables. Il est même anti-national sauf quand certaines forces de l’Eglise cherchent à protéger des catholiques vivant sous un statut de minorité opprimée ou marginalisée comme les Irlandais au Royaume-Uni, les Croates dans le nouveau royaume de Yougoslavie à dominante serbe ou les Flamands dans la Flandre des “petits vicaires” en rébellion contre leur hiérarchie francophile (Mercier), face aussi à un Etat à dominante non catholique ou trop prompt à négocier des compromis avec la part laïque, voire maçonnique, de l’établissement belge. Même scénario dans la sphère orthodoxe: les églises auto-céphales s’épaulent contre les offensives catholiques ou musulmanes. Mais une chose était désormais certaine, entre 1918 et 1925: depuis la révolution française, le christianisme a échoué à donner forme au cosmopolitisme dominant, qui est de facture libérale et laïque ou révolutionnaire et communiste (trotskiste). Le christianisme ne peut se sauver du naufrage que s’il adopte des contenus nationaux: c’est à quoi s’était employé le programme des éditions Eugen Diederichs, en rappelant que la conversion des Germains d’Europe centrale ne s’était pas faite par l’Evangile tel qu’on nous le lit encore lors des offices religieux mais par une version aujourd’hui oubliée, l’Heliand, le Sauveur, figure issue de la religiosité iranienne-sarmate importée en Europe par les cavaliers recrutés par Rome dans les steppes est-européennes et dont l’archéologie contemporaine révèle le rôle crucial dans l’émergence de l’Europe médiévale, non seulement autour du mythe arthurien mais aussi dans la geste des Francs et des Sicambres. Le Christ y est effectivement un homme à cheval qui pérégrine, armé et flanqué d’une douzaine de compagnons bien bâtis.

Ensuite, la conversion d’une vaste zone aujourd’hui catholique, de Luxueil-les-Bains au Tyrol autrichien, a été l’oeuvre de moines irlandais, dont le christianisme était quelque peu différent de celui de Rome. Le christianisme doit donc se “nationaliser”, comme il s’était germanisé (sarmatisé?) aux temps de la conversion, pour être en adéquation avec la spécificité “racique” des nouvelles ouailles nord-européennes ou issues de la cavalerie des Légions de l’Urbs. De même, le socialisme, lui aussi, doit puiser ses forces bousculantes dans un corpus national, religieux ou politique voire esthétique (avec impulsion nietzschéenne). L’apport “belge” (flamand comme wallon) est important à ce niveau: Eugen Diederichs avait fait traduire De Coster, Maeterlinck, De Man, Verhaeren et bien d’autres parce qu’ils apportaient un supplément de tonus à la littérature, à la religiosité “réalitaire” et à un socialisme débarrassé de ses oeillères matérialistes donc de ses cangues aussi pesantes que les bigoteries sulpiciennes de la religion conventionnelle, celle des puritains anglais ou suédois, fustigés par Lawrence et Strindberg, celle de Pobedonostsev, fustigée par Merejkovski et Rozanov.

Théologie et politique en Europe occidentale de 1919 aux années 60

Parce que les “Jungkonservativen” abandonnent les formes mortes du protestantisme et du catholicisme du 19ème siècle, les “Altkonservativen” subsistants ne les considèrent plus comme des “Konservativen” et s’insurgent contre l’audace jugée iconoclaste de leurs affirmations. Moeller van den Bruck rétorque: “Si le conservatisme ne signifie plus le maintien du statu quo à tout prix mais la fusion évolutionnaire du neuf avec la tradition vivante et, de même, induit le don de sens à cette fusion, alors il faut poser la question: un conservatisme occidental est-il possible sans qu’il ne soit orienté vers le christianisme?”. Moeller répond évidemment: “Oui”. Il avait d’abord voulu créer un mythe national, avec les huit volumes de “Die Deutschen”, incluant des éléments chrétiens, surtout luthériens. C’était le mythe de l’Allemand en perpétuelle rébellion contre les pesanteurs d’une époque, de son époque, dominée politiquement ou intellectuellement par l’étranger roman, celui-ci étant, alors, par déduction arbitraire, le vecteur de toutes les pesanteurs, de toutes les lourdeurs qui emprisonnent l’âme ou l’esprit, comme l’Asiatique, pour les Russes, était vecteur d’“enchinoisement”. Après la mort de Moeller, et dans le sillage des livres prônant un renouveau religieux réalitaire et enraciné, une théologie germanisée ou “aryanisée” fera florès sous le national-socialisme, une théologie que l’on analyse à nouveau aujourd’hui en la dépouillant, bien entendu, de toutes les tirades simplificatrices rappelant lourdement la vulgate du régime hitlérien. L’objectif des théologiens contemporains qui se penchent sur les oeuvres de leurs homologues allemands alignés sur le nouveau régime des années 30 vont au fond de cette théologie, ne se contentent pas de critiquer ou de répéter le vocabulaire de surface de ces théologies “aryanisées” ou germanisées, qui peut choquer aujourd’hui, mais veulent examiner comment on a voulu donner une substance incarnée à cette théologie (au nom du mythe chrétien de l’incarnation); il s’agit donc là d’une théologie qui réclame l’ancrage du religieux dans le réel politique, ethnique, linguistique et l’abandon de toute posture déréalisante, “séraphique” serait-on tenté de dire.

Après 1945, les discours officiels des églises protestantes et catholique s’alignent sur l’“humanisme” ou du moins sur ce qu’il est convenu de définir comme tel depuis les réflexions et les “aggiornamenti” de Jacques Maritain. Cet humanisme a été l’idéologie officielle des partis démocrates-chrétiens en Europe après 1945: on avait espéré, de cet humanisme, aligné sur Gabriel Marcel ou Jacques Merleau-Ponty, qu’il soit un barrage contre l’envahissement de nos polities par tous les matérialismes privilégiant l’avoir sur l’être. L’offensive néo-libérale, depuis la fin des années 70 du 20ème siècle, a balayé définitivement ces espoirs. L’“humanisme” des démocrates-chrétiens a été pure phraséologie, pure logorrhée de jongleurs politiciens, ne les a certainement pas empêchés de se vautrer dans les pires des corruptions, à l’instar de leurs adversaires (?) socialistes. Ils n’ont pas été capables de donner une réponse au néo-libéralisme ou, pire, les quelques voix qui se sont insurgées, même depuis les hautes sphères du Vatican, se sont perdues dans le tumulte cacophonique des médias: l’analyse de Moeller van den Bruck est donc la bonne, le libéralisme dissout tout, liens communautaires entre les hommes comme réflexes religieux.

Le jugement d’Armin Mohler

Armin Mohler, ancien secrétaire d’Ernst Jünger et auteur du manuel de référence incontournable, “Die konservative Revolution in Deutschland 1918-1932”, dresse le bilan de la déchristianisation graduelle et irréversible de la sphère politique, y compris en milieux “conservateurs”, toutes tendances confondues. Pour Mohler, le christianisme s’est effiloché et ne se maintient que par la “Trägheit der Wirklichkeit”, par la lenteur et la pesanteur du réel. Mohler: “Le christianisme, dans l’espace où tombent les décisions, a perdu sa position jadis englobante et, depuis lors, il n’est plus qu’une force parmi d’autres, y compris sous les oripeaux de ses traditions les plus fortes ou de ses ‘revivals’, tels le néo-thomisme ou la théologie dialectique”. Pire: “Ce processus [d’effilochement] s’est encore accéléré par l’effondrement de l’héritage antique, qui avait aidé le christianisme au fil des siècles à se donner forme. Les éléments de jadis sont donc encore là mais isolés, sans centre fédérateur, et virevoltent littéralement de manière fort désordonnée dans l’espace (politique/idéologique). Le vieux cadre de l’Occident comme unité nourrie par la migration des peuples [germaniques] en tant qu’éléments neufs dans l’histoire, est détruite et il n’y a pas encore de nouvelle unité en vue”. Mohler annonçait, par ces constats, la rupture entre la “nouvelle droite” et l’espace théologico-politique chrétien. Eugen Diederichs et Moeller van den Bruck ont également eu raison de dire que le christianisme devait être étoffé d’éléments réalitaires, comme a tenté de le faire à sa manière et sans générer d’“hérésie”, le Prof. Julien Ries, à l’Université de Louvain, notamment dans “Les chemins du sacré dans l’histoire” (Aubier, 1985): dans cet ouvrage, comme dans d’autres, il cherchait à cerner la notion de sacré dans le monde indo-européen suite aux travaux de Mircea Eliade. La mise en exergue de ces multiples manières indo-européennes d’appréhender le sacré, permetterait d’incarner celui-ci dans les polities et les “Leitkulturen” réelles et de les innerver sans les meurtrir ou les déraciner, barrant ainsi la route à l’envahissement de ces “laïcismes” sans substance ni profondeur temporelle qui se veulent philosophèmes de base du “révolutionarisme institutionalisé”.

Premier, Deuxième et Troisième Reich

Vu l’“effilochement” du christianisme, dès la fin du 19ème siècle, vu son ressac encore plus net après les boucheries de 1914-1918, les forces nouvelles dans la nouvelle Allemagne républicaine devaient créer un “cadre nouveau”, qui ne devait plus nécessairement être innervé d’apports chrétiens, du moins visibles, car, il ne faut pas l’oublier, toute idée politique possède un modèle théologique qu’elle laïcise, consciemment ou inconsciemment, comme le constatait Carl Schmitt. Pour Moeller van den Bruck, ce sera, à son corps défendant comme nous le verrons, un “Troisième Reich”; pour Mohler —désobéissant sur ce plan à Ernst Jünger, résigné et conscient qu’aucune politique féconde n’était encore suggérable à l’ère atomique, à partir de 1960, année où paraît son livre “L’Etat universel”— il fallait, dès la fin des années 50 du 20ème siècle, instaurer une Europe nouvelle, capable de décision, centrée autour du binôme franco-allemand du tandem De Gaulle-Adenauer, qui devait chercher systématiquement à s’allier aux Etats que les Etats-Unis décrétaient “infréquentables” (Chine, monde arabe,...). Au temps de Moeller van den Bruck, les cercles qu’il animaient font dès lors recours au mythe du “Reich” dans l’histoire germanique et lotharingienne. Dans cet espace germano-lotharingien, défini par les cartographes français contemporains, Jean et André Sellier comme étant l’addition des héritages de Lothaire et de Louis le Germanique lors du Traité de Verdun de 843, il y a eu un Premier Reich, celui d’Othon I qui va survivre vaille que vaille jusqu’à sa dissolution en 1806. Le Deuxième Reich est le Reich petit-allemand de Bismarck et de Guillaume II, qui ne comprend pas l’espace autrichien ni les anciens Pays-Bas ni la forteresse alpine qu’est la Suisse. Ce Reich, très incomplet par rapport à celui, par exemple, de Conrad II au 11ème siècle, n’englobe pas tous les Allemands d’Europe, ceux-ci sont disséminés partout et une émigration de grande ampleur conduit des masses d’Allemands à s’installer aux Etats-Unis (où leurs descendants constituent à peu près un quart de la population actuelle et occupent plus de la moitié des terres en zones non urbaines). Ce “Deuxième Reich” s’effondre en 1918, perdant encore des terres à l’Est comme à l’Ouest, créant de nouvelles minorités allemandes au sein d’Etats slaves ou romans. Un “Troisième Reich” doit prendre dès lors la relève mais il serait hasardeux et fallacieux de dire que les projets, formulés entre 1918 et 1925, aient tous anticipé le “Troisième Reich” de Hitler.

Origine théologienne des concepts politiques

Le “Premier Reich” est la promesse d’un Empire terrestre de mille ans, qui prend le relais d’un Empire romain, de l’Ordo Romanus, désormais assumé par les Francs (Charles Martel, Pépin de Herstal, Pépin le Bref, Charlemagne) puis par l’ensemble des peuples germaniques (Othon I et ses successeurs). Il est dès lors un “Saint-Empire” christianisé et porté par la nation germanique, un “Sacrum Imperium Romanum Nationis Germaniae”, un “Saint-Empire romain de la nation germanique”. Le concept d’Empire, de “Reich”, revêt une double signification: il est la structure politique impériale factuelle que l’on a connue à partir d’Othon I puis à partir de Bismarck. Il est aussi le “Regnum”, le “Règne” religieux, défini par la théologie depuis Augustin. Comme Moeller van den Bruck a fréquenté de très près Dmitri Merejkovski, il est évident que la notion de “Reich” qu’il utilise dans ses écrits est plus proche de la notion théologique de “Règne” que de la notion politique, mise en oeuvre par Bismarck d’abord, par Hitler ensuite (qui sont des imitateurs de Napoléon plutôt que des disciples d’Augustin). Moeller n’a donc pas de discours religieux en apparence mais est subrepticement tributaire de la théologie sollicitée par Merejkovski. Dans son étude patronnée par Karl Jaspers, Armin Mohler —schmittien conscient de l’origine théologienne de tous les concepts politiques modernes— rappelle justement l’origine théologienne des notions d’“Empire de l’Esprit Saint” et de “Troisième Règne”. Il rappelle la vision de Montanus, chef d’une secte chrétienne de Hierapolis en Phrygie au 2ème siècle après J. C., dont le prophétisme s’était rapidement répandu dans le bassin méditerranéen, y compris à Rome où deux écoles “montanistes” cohabitaient, dont celle de Proclos, qui influencera Tertullien. Ce dernier prendra fait et cause pour le prophétisme montaniste, qu’il défendra contre les accusations d’un certain Praxeas. Le montanisme et les autres formes de prophétisme, décrétées hérétiques, puisent leurs inspirations dans l’Evangile de Jean. Toute une littérature johannite marque le christianisme jusqu’au moyen âge européen. Elle a pour dénominateur commun d’évoquer trois visions du monde qui se succéderont dans le temps. La troisième de ces visions sera entièrement spiritualisée. Ce sera le “Règne de l’Esprit”.

Joachim de Flore

Joachim_de_flore.jpgJoachim de Flore développe une sorte de “mythe trinitaire”, où le “Règne du Père” constitue la “vieille alliance”, le “Règne du Fils”, la “nouvelle alliance” et le “Règne” à venir, celui de l’esprit saint. La “vieille alliance”, procédant de la transmission de la “Loi” à Moïse, débouche involontairement, par “hétérotélie”, sur un esclavage des hommes sous la férule d’une Loi, devenue trop rigide au fil du temps; le “Règne du Fils” vient délivrer les hommes de cet esclavage. Mais entre les divers “Règnes”, il y a des périodes de transition, d’incubation. Chaque “Règne” a deux commencements: celui, initial, où ses principes se mettent progressivement en place, tandis que le “Règne” précédent atteint sa maturité et amorce son déclin, et celui où il commence vraiment, par la “fructification”, dit Joachim de Flore, le précédent ayant alors terminé son cycle. Il existe donc des périodes de transition, où les “Règnes” se chevauchent. Celui du Fils commence avec l’arrivée du Christ et se terminera par le retour d’Elie, qui amorcera le “Règne de l’Esprit Saint”, celui-ci hissera alors, après la défaite des Mahométans, l’humanité au niveau supérieur, celui de l’amour pur de l’esprit saint, message de l’Evangile éternel, bref, le “Troisième Règne” ou le “Troisième Reich”, les termes français “Règne” et “Empire” se traduisant tous deux par “Reich” en allemand. De Joachim de Flore à Merejkovski, le filon prophétique et johannite est évident: Moeller van den Bruck le laïcise, le camoufle derrière un langage “moderne” et a-religieux, avec un certain succès dû au fait que le terme était prisé par une littérature subalterne, ou une para-littérature, qui, entre 1885 et 1914, présente des utopies ou des Etats idéaux de science-fiction qui évoquent souvent un “Troisième Reich”, société parfaite, débarrassée de toutes les tares du présent (wilhelminien); parmi ces ouvrages, le plus pertinent étant sans doute celui de Gerhard von Mutius, “Die drei Reiche” (1916).

Quand paraît “Das Dritte Reich”...

En 1923, quand son manuscrit est prêt à l’impression, Moeller ne choisit pas pour titre “Das Dritte Reich” mais “Die dritte Partei” (= “Le tiers-parti”), formation politique appelée à se débarrasser des insuffisances révolutionnaires, libérales et vieilles-conservatrices. On suggère à Moeller de changer de titre, d’opter par exemple pour “Der dritte Standpunkt” (= “La troisième position”). Finalement, pour des raisons publicitaires, on opte pour “Das Dritte Reich”, car cela a des connotations émotives et eschatologiques. Cela rappelle quantité d’oeuvres utopiques appréciées des contemporains. Du vivant de Moeller, le livre est un vrai “flop” éditorial. Ce n’est qu’après sa mort que ce petit volume programmatique connaîtra le succès, par ouï-dire et par le lancement d’une édition bon marché auprès de la “Hanseatische Verlagsanstalt”. L’idée de “Reich” n’apparaît d’ailleurs que dans le dernier chapitre, ajouté ultérieurement! Les cercles et salons fréquentés et animés par Moeller ne doivent donc pas être considérés comme les anti-chambres du national-socialisme, même si des personnalités importantes comme Stadtler ont fini par y adhérer, après le suicide du traducteur de Baudelaire et de Dostoïevski. Grâce à un travail minutieux et exhaustif du Prof. Wolfgang Martynkiewicz (“Salon Deutschland – Geist und Macht 1900-1945”, Aufbau Verlag, 2011), on sait désormais que c’est plutôt le salon des époux Hugo et Elsa Bruckmann, éditeurs à Munich et animateurs d’un espace de débats très fréquenté, qui donnera une caution pleine et entière au national-socialisme en marche dès la fin des années 20, alors que ce salon avait attiré les plus brillants esprits allemands (dont Thomas Mann et Ludwig Klages), conservateurs, certes, mais aussi avant-gardistes, libéraux, socialistes et autres, inclassables selon l’étiquettage usuel des politistes “normalisés” d’aujourd’hui, notamment les “anti-fascistes” auto-proclamés.

Un état de tension militante permanente

Pour Moeller van den Bruck, préfacé en France par Thierry Maulnier, post-maurrassien et non-conformiste des années 30 (cf. Etienne de Montety, “Thierry Maulnier”, Perrin-Tempus, 2013), l’idée de “Reich”, c’est-à-dire, selon son mentor Merejkovski, l’idée d’un “Règne de l’Esprit Saint”, est aussi et surtout —avant d’être un état stable idéal, empreint de quiétude— un état de tension militante permanente. Ce “Troisième Empire”, qui n’est évoqué que dans le dernier chapitre du livre du même nom, et constitue d’ailleurs un addendum absent de la première édition, n’adviendra pas nécessairement dans le réel puisqu’il est essentiellement une tension permanente qu’il s’agit de ne jamais relâcher: les élites, ou les “élus”, ceux qui ont compris l’essence de la bonne politique, qui n’est ni le fixisme déduit de l’idée d’un ordre naturel immuable ni le chaos du révolutionnarisme constant, doivent sans cesse infléchir les institutions politiques dans le sens de ce “Troisième Règne” de l’Esprit, même s’ils savent que ces institutions s’usent, s’enlisent dans l’immobilité; il y a donc quelque chose du travail de Sisyphe dans l’oeuvre des élites politiques constantes.

Dans les écrits antérieurs de Moeller van den Bruck, on peut repérer des phrases ou des paragraphes qui abondent déjà dans ce sens; ainsi en 1906, il avait écrit: “L’Empire de la troisième réconciliation va combler le fossé qu’il y a entre la civilisation moderne et l’art moderne”. Dans les années 1906-1907, Moeller évoque la “Sendungsgedanke”, l’idée de mission, religieuse et forcément a-rationnelle, dont les racines sont évidemment chrétiennes mais aussi révolutionnaires: le christianisme a apporté l’idée d’une mission “perfectibilisante” (mais c’est aussi un héritage du mithraïsme et de ses traductions christianisées, archangéliques et michaëliennes); quant aux révolutionnaires français, par exemple, ils font, eux aussi, montre d’une tension militante dans leur volonté de promouvoir partout l’idéal des droits de l’homme. Pour parvenir à réaliser cette “Sendungsgedanke”, il faut créer des communautés pour les porteurs de l’idée, afin que la dynamique puisse partir d’en haut et non de la base, laquelle est plongée dans la confusion; ces communautés doivent se développer au-delà des Etats existants, que ceux-ci soient les Etats allemands (Prusse, Bavière, Baden-Würtemberg) ou soient les pays autrichiens ou les nouveaux Etats construits sur les débris de l’Empire austro-hongrois, où vivent des minorités allemandes, ou soient des Etats quelconques dans le reste de l’Europe où vivent désormais des populations allemandes résiduaires ou très minoritaires. Les porteurs de l’idée peuvent aussi appartenir à des peuples proches de la culture germanique (Baltes, Flamands, Hollandais, Scandinaves, etc.). Ces communautés de personnalités chosies, conscientes des enjeux, formeront le “parti de la continuité” (Kontinuität), celui qui poursuivra donc dans la continuité l’itinéraire, la trajectoire, de l’histoire allemande ou germanique. Ce parti rassemblera des Allemands mais aussi tous ceux qui, indépendamment de leur ethnicité non germanique, partageront les mêmes valeurs (ce qui permet de laver Moeller de tout soupçon d’antisémitisme et, forcément, d’antislavisme).

De Moeller à la postmodernité

Nous constatons donc que, dans le sillage de Dostoïevski et Merejkovski, Moeller van den Bruck parie résolument sur le primat de l’esprit, des valeurs. Ces communautés et ce futur parti constituent dès lors, à eux tous, une “Wertungsgemeinschaft” (une communauté de valeurs), Moeller étant le seul à avoir utilisé cette expression dans ses écrits à l’époque. Autre aspect qui mérite d’être souligné: Moeller anticipe en quelque sorte les bons filons aujourd’hui galvaudés de la postmodernité; c’est en ce sens qu’Armin Mohler —qui avait la volonté de perpétuer la “révolution conservatrice”— avait voulu embrayer sur le discours postmoderne à la fin des années 80 du 20ème siècle; en effet, Moeller avait écrit: “Wir müssen die Kraft haben, in Gegensätzen zu leben”, “Nous devons avoir la force de vivre au beau milieu des contradictions (du monde)”. Moeller avait vécu très intensément l’effervescence culturelle de la Belle Epoque, avant l’emprise sur les âmes des totalitarismes d’après 1917, magnifiquement mise en scène dans les romans noirs de Zamiatine et Mikhaïl Boulgakov. L’oeuvre de Moeller van den Bruck est le résultat de cette immersion. La Belle Epoque acceptait ses contradictions, les confrontait dans la convivialité et la courtoisie. Les totalitarismes ne les accepteront plus. Après l’effondrement du “grand récit” communiste (hégélo-marxiste), suite à la perestroïka et la glasnost de Gorbatchev, le monde semble à nouveau prêt à accepter de vivre avec ses contradictions, d’où la pensée “polythéiste” d’un Jean-François Lyotard ou d’un Richard Rorty. Mais l’espoir d’un renouveau tout à la fois postmoderne et révolutionnaire-conservateur, que nous avions cultivé avec Mohler, s’effondrera dès le moment où le néo-libéralisme niveleur et le bellicisme néo-conservateur américain, flanqués des “idiots utiles” de la “nouvelle philosophie parisienne” (avec Bernard-Henri Lévy), auront imposé une “political correctness”, bien plus homogénéisante, bien plus arasante que ne l’avait été le communisme car elle a laissé la bride sur le cou, non seulement à l’engeance des spéculateurs, mais aussi à tout un fatras médiatique festiviste et à un “junk thought” ubiquitaire, qui empêche les masses d’avoir un minimum de sens critique et qui noie les rationalités du “zoon politikon” dans un néant de variétés sans fondements et de distractions frivoles.

Le peuple portera l’idée de “Reich”

En termes politiques, l’acceptation moellerienne des contradictions du monde le conduit à esquisser la nature du “Reich” à venir: celui-ci ne pourra pas être centralisé car toute centralisation excessive et inutile conduit à un égalitarisme araseur, qui brise les continuités positives. Le “Troisième Reich” de Moeller entend conserver les diverses dynamiques, convergentes ou contradictoires, qui ont été à l’oeuvre dans l’histoire allemande (et européenne) et la nouvelle élite “jungkonservativ” doit veiller à maintenir une “coïncidentia oppositorum”, capable de rassembler dans l’harmonie des forces au départ hétérogènes, à l’oeuvre depuis toujours dans la “continuité” allemande. C’est le peuple, le Volk, qui doit porter cette idée de “Reich”, dans le même esprit, finalement, que le “populus romanus” portait les “res publicae” romaines puis, en théorie, l’Empire à partir d’Auguste. Ou du moins l’élite consciente de la continuité qui représente le peuple, une continuité qui ne peut se perpétuer que si ce peuple demeure, en évitant, si possible, toute “translatio imperii” au bénéfice d’une tierce communauté populaire, dont le moment historique viendra ultérieurement. Le Sénat romain —l’assemblée des “senes”, homme plus âgés et dotés, par la force de l’âge, d’une mémoire plus profonde que les “adulescentes” (hommes de 15 à 35 ans) ou même que les “viri” (de 35 à 50 ans)— était le gardien de cet esprit de continuité, qu’il ne fallait pas rompre —en oubliant les rituels— afin de préserver pour l’éternité le “mos majorum”, d’où l’expression “Senatus PopulusQue Romanus” (SPQR), la longue mémoire étant ainsi accolée à la source vive, vitale, de la populité romaine. La Belle Epoque subit, elle, de plein fouet une remise en question générale de l’ordre, qui ne peut plus être perçu comme figé: avec des personnalités comme Moeller, elle parie pour les “adulescentes” et les “viri”, à condition qu’ils fassent éclore des formes nouvelles, pour remplacer les formes figées, qui exprimeront mieux le “mos majorum”, germanique cette fois, car le germanisme d’avant 1914 était, selon l’étude magistrale et copieuse de Peter Watson (cf. supra), une “troisième renaissance” dans l’histoire culturelle européenne, après la renaissance carolingienne et la renaissance italienne. Toute renaissance étant expression de jouvence, d’où l’usage licite des termes “jung” et “Jungkonservativismus”, si l’on veut agir et oeuvrer dans le sens de cette “troisième renaissance” qui n’a pas encore déployé toutes ses potentialités.

Moeller parle donc d’un Empire porté par le peuple et par la jeunesse du peuple, instances vitales, et non par l’Etat puisque la machine étatique wilhelminienne a figé, donc tué, l’énergie vitale que nécessité la mission impériale de la jeunesse, en multipliant les formes abstraites, en oblitérant le vivant populaire par toute sorte d’instances figeantes, appelées à devenir tentaculaires: dénoncer cette emprise croissante des rationalités figées sera la leçon du sociologue Georg Simmel et de sa longue postérité (jusqu’à nos jours), ce sera aussi le message angoissé et pessimiste du “Château” de Franz Kafka. Parmi les instances figeantes, il faut compter les partis qui, comme le soulignait un socialiste engagé puis déçu tel Roberto Michels, finissaient par ne plus représenter le peuple des électeurs mais seulement des oligarchies détachées de celui-ci. La démocratie nécessaire au bon fonctionnement du nouveau “Reich” ne doit pas représenter la base par des partis mais, explique Moeller van den Bruck, par des corporations (expressions de métiers réels), des ordres professionnels, des conseils ou des soviets ouvriers, des syndicats. Indirectement, peut-être via Thierry Maulnier, préfacier du “Troisième Reich” de Moeller et chroniqueur du “Figaro” après 1945, ces idées de Moeller (mais aussi de Heinz Brauweiler) auront un impact sur les idées gaulliennes des années 60, celles de la participation et de l’intéressement, celle aussi du Sénat des Régions et des Professions. Le rôle des “non-conformistes” français des années 30 et des néo-socialistes autour de Marcel Déat, lui-même inspiré par Henri De Man, a sans nul doute été primordial dans cette transmission, malgré tout incomplète. Le Sénat, envisagé par les gaullistes après la rupture avec l’OTAN, était appelé, s’il avait été instituté, à représenter un tissu social réel et performant au détriment de politiciens professionnels qui ne produisent que de la mauvaise jactance et finissent par se détacher de toute concrétude.

“Ostideologie”

Ces spéculations sur le “Troisième Règne” à venir, sur le “Règne de l’Esprit” débarrassé des pesanteurs anciennes, s’accompagnaient, dans l’Allemagne des premières années de la République de Weimar, par une volonté de lier le destin du pays à la Russie, fût-elle devenue soviétique. Lénine était d’ailleurs revenu de Suisse dans un wagon plombé avec la bénédiction du Kaiser et de l’état-major général des armées allemandes. Sans cette bénédiction, on n’aurait sans doute jamais entendu parler d’une Russie bolchevisée, tout au plus d’une pauvre Russie qui aurait sombré dans le chaos de la pusillanimité menchevik (cf. Soljénitsyne) ou serait revenue à un tsarisme affaibli, après la victoire des armées blanches, soutenues par l’Occident. Cette volonté de lier l’Allemagne vaincue à la nouvelle puissance de l’Est s’appelle, dans le langage des historiens et des politologues, l’“Ostideologie” ou le national-bolchevisme. L’Ostideologie n’est ni une idée neuve en Allemagne, et en particulier en Prusse, ni une idée dépassée aujourd’hui, les liens économiques de l’Allemagne de Schröder et de Merkel avec la Russie de Poutine attestant la pérennité de cette option, apparemment indéracinable. La permanence de cette volonté d’alliance prusso-russe depuis Frédéric II et depuis les accords de Tauroggen contre Napoléon I explique le succès que le “national-bolchevisme” a connu au début des années 20, y compris dans des cercles peu propices à applaudir à l’idéologie communiste. Depuis la Guerre de Sept Ans au 18ème siècle, depuis le retournement de la Prusse après le désastre napoléonien de la Bérézina, nous avons eu plus de 150 ans d’Ostpolitik: Willy Brandt, ancien des Brigades Internationales lors de la Guerre d’Espagne, la relance sur l’échiquier politique européen dès la fin des années 60, dès la fin de l’ère Adenauer et de la Doctrine Hallstein. Elle se poursuivra par les tandems Kohl/Gorbatchev et Schröder/Poutine, visant surtout des accords énergétiques, gaziers. La chute de Bismarck a mis un terme provisoire à l’alliance implicite entre l’Allemagne et la Russie tsariste, colonisée par les capitaux français. En 1917, la révolution russe reçoit le soutien de l’état-major allemand, puisqu’elle épargne à l’Allemagne une guerre sur deux fronts, tout en lui procurant un apport de matières premières russes. Seule l’intervention américaine a sauvé les Français et les Britanniques d’une défaite calamiteuse.

L’option pro-soviétique

En novembre 1918, les Soviets proposent d’envoyer deux trains de céréales pour rompre le blocus anglais qui affame les grandes villes allemandes. Les sociaux-démocrates, vieux ennemis de la Russie tsariste d’avant 1914, contre laquelle ils avaient voté les crédits de guerre, refusent cette proposition car, même après novembre 1918, ils demeurent toujours, envers et contre tout, des ennemis de la Russie, malgré qu’elle soit devenue bolchevique . Ils avancent pour argument que les Etats-Unis ont promis du blé pour tenir une année entière. Ce refus est un des faits les plus marquants qui ont suscité les clivages des premières années de Weimar: la gauche sociale-démocrate au pouvoir reste anti-russe et devient donc, dans un esprit de continuité et par le poids des habitudes, anti-bolchevique, tandis que la droite, divisée en plusieurs formations partisanes, adopte des positions favorables à la nouvelle Russie soviétique, sans pour autant soutenir les communistes allemands sur le plan intérieur. Lloyd George perçoit immédiatement le danger: la sociale-démocratie risque de perdre sa base électorale et la droite musclée risque bel et bien de concrétiser ses projets d’alliance avec les Soviets. Il demande à Clémenceau de modérer ses exigences et écrit: “The greatest danger that I see in the present situation, is that Germany may throw her lot with Bolshevism and place her resources, her brains, her vast organizing power at the disposal of the revolutionary fanatics whose dreams it is to conquer the world for Bolshevism by force of arms”. En dépit de cet appel britannique à la modération, Versailles, en juin 1919, consacre le triomphe de Clémenceau. D’où l’option pro-soviétique demeure le seul moyen de s’en sortir pour l’Allemagne vaincue.

Hugo Stinnes, pour le cartel industriel, les généraux von Seeckt et von Schleicher pour l’état-major, joueront cette carte. D’une part, les Britanniques avaient imposé un blocus de longue durée à l’Allemagne, provoquant une famine désastreuse et des centaines de milliers de morts. Après avoir infligé ce sort à l’Allemagne, les deux puissances occidentales de l’Entente l’appliquent ensuite à la Russie soviétique. Sous l’impulsion des élites industrielles et militaires, désormais russophiles, l’Allemage refuse de participer au blocus anti-soviétique. En juillet 1920, l’armée rouge entre en Pologne: les Allemands restent neutres et refusent qu’armes et appuis logistiques transitent par leur territoire. Les ouvriers du port de Dantzig se mettent en grève, privant la Pologne de tous approvisionnements. C’est à ce moment-là que l’on commence aussi à parler de “Dritte Kraft”, de “Troisième Force”: il ne s’agit alors nullement du KPD communiste ou d’éléments précurseurs de la NSDAP mais de la KAPD, une dissidence communiste et nationale, née à Hambourg en avril 1920 et dirigée par Lauffenberg et Wolfheim. Ce parti, somme toute groupusculaire, fera long feu mais sa courte existence donne naissance au vocable “national-bolchevisme”, vu qu’il avait essayé d’harmoniser en son sein éléments nationalistes et éléments communistes radicaux. Le “Solidarier” et membre du “Ring” Ernst Troeltsch, dans un article du 12 novembre 1920, résume la situation: “La pression de l’Entente détruit toutes les conditions de vie et radicalise les masses affamées; le succès du bolchevisme en Allemagne encourage l’Entente à cultiver d’autres projets de destruction, tant et si bien que les croisements idéologiques les plus étonnants verront le jour: une partie du monde ouvrier va devenir radicalement nationaliste et une partie de la bourgeoisie se fera bolchevique; quant aux adversaires les plus rabiques de l’Entente, ils se placeront aux côtés du capitalisme de l’Entente pour se sauver du bolchevisme et les adversaires les plus radicaux de la classe ouvrière se convertiront à une sorte de bolchevisme du désarroi”. Les repères habituels sont dès lors brouillés et les extrêmes se rejoignent, en dépit de ce qui les a différenciées (cf. Jean-Pierre Faye, qui a démontré qu’en de tels moments, “les extrémités du fer à cheval idéologico-politique se touchent”).

Rapallo

 

mvb12.jpg

Le résultat le plus tangible de ce national-bolchevisme diffus, partagé par les ouvriers de Hambourg comme par les généraux de l’état-major ou les dirigeants des gros cartels industriels de l’Allemagne, est le Traité de Rapallo (1922) signé entre Rathenau et Tchitchérine, inaugurant ainsi la phase évolutionnaire et non plus révolutionnaire du national-bolchevisme.

mvb10.jpgLes milieux déplomatiques le reprennent à leur compte sous la houlette du Comte Ulrich von Brockdorff-Rantzau, ancien ministre des affaires étrangères de la République de Weimar (cabinet Scheidemann), démissionnaire pour ne pas avoir à signer le Traité de Versailles, puis ambassadeur allemand à Moscou (en 1922). Avec deux autres diplomates, Rudolf Nadolny et Richard von Kühlmann, il avait mis au point la stratégie de “révolutionner” la Russie en 1917, pour que le Reich n’ait plus à lutter sur deux fronts. Les trois diplomates s’étaient assuré le concours du banquier Alexander Parvus, artisan financier de la révolution bolchevique (cf. Gerd Koenen, v. bibliographie). Malgré son passé d’artisan majeur de la prise du pouvoir par Lénine en Russie, von Brockdorff-Rantzau, aristocrate favorable à un régime populaire et démocratique, favorable aussi à des liens limités avec l’URSS, n’acceptera pas les clauses du Traité de Rapallo, jugé trop bénéfique aux Soviétiques. Il sera en revanche l’artisan du Traité de Berlin (cf. infra). De même, le principal soutien de Stadtler et de sa “Ligue anti-bolchevique”, Karl Helfferich, intriguera contre le Traité de Rapallo et contre Walther Rathenau, qui finira assassiné par des éléments issus des Corps Francs, dont l’écrivain Ernst von Salomon.

Débat: Radek, Moeller, Reventlow

En cessation de paiement, la République de Weimar doit accepter en 1923 l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges qui se paieront en nature pour honorer les réparations imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles. Les communistes s’insurgent contre cette occupation. Karl Radek prononce un discours contre les occupants, suite à l’exécution, par les Français, de l’officier nationaliste Albrecht Leo Schlageter, qui avait organisé des opérations de sabotage pour entraver la logistique des troupes d’occupation ou pour éliminer les séparatistes rhénans, stipendiés par Paris. Radek pose Schlageter comme une “victime des capitalistes de l’Entente”. Le Comte Ernst zu Reventlow, nationaliste, rédige même un article en faveur de Schlageter dans le journal communiste “Die Rote Fahne”. Pour répondre directement aux questions que lui avait posées Radek dans les colonnes de “Die Rote Fahne”, Moeller entre, à son tour, dans le débat, où nationalistes et communistes conjugueront leurs efforts pour mettre fin à l’occupation de la Ruhr. Il rédige trois articles dans “Gewissen”, en réponse à Radek. Il précise que sur le plan de la “politique spatiale”, de la “Raumpolitik”, les destins de l’Allemagne et de la Russie sont unis, inexorablement unis, mais il réfute le centralisme bolchevique et s’oppose à toute politique communiste visant à tout centraliser autour du PCUS.

Pour Arthur Moeller van den Bruck, l’URSS doit renoncer à son agitation en Allemagne, ne plus faire du communisme un instrument de subversion et laisser éclore et se développer un “socialisme allemand”, qui serait son allié et non son “clone”, se défaire d’un radicalisme inopérant sur le long terme (Gorbatchev!) et développer un socialisme véritablement démocratique. Moeller précise aussi que le prolétariat allemand peut certes être l’instrument d’une révolution aussi bien communiste que nationaliste, d’une révolution libératrice; toutefois, ce prolétariat, rappelle le Prof. Louis Dupeux en citant Moeller, forme bien sûr la “majorité arithmétique” de la nation mais il “n’est pas capable d’administrer la très complexe économie allemande”, bien différente et bien plus ancienne et diversifiée que l’économie russe. Pour Moeller, uniquement les “travailleurs intellectuels” peuvent remédier aux lacunes et aux insuffisances politiques du prolétariat parce qu’ils sont conscients des enjeux: les entrepreneurs allemands ne sont pas des capitalistes mais d’autres “travailleurs intellectuels” —différents des littérateurs et des philosophes aux regards plus perçants et dépositaires de la “longue mémoire”— car, contrairement à leurs homologues occidentaux, ils créent des valeurs (matérielles et exportables), ne sont pas des spéculateurs mais les administrateurs du génie productif des ingénieurs innovateurs, eux aussi expression du génie populaire. Géopolitiquement, l’Allemagne et la Russie, devenue bolchévique, sont liées par un “destin tellurique” —elles se procurent mutuellement une liberté de mouvement en politique étrangère— mais l’alliance potentielle et indéfectible entre les deux puissances ne peut se faire sous le signe du seul bolchevisme léniniste car celui-ci conduira au blocage de l’économie russe. Seulement aux conditions énoncées par Moeller dans “Gewissen” en réponse à Radek, une coopération entière et permanente est possible. Moeller garde donc une vision particulière, non bolchévique et véritablement “jungkonservativ” de la Russie, héritage direct de son mariage avec Lucie Kaerrick, de son travail de traducteur avec Less Kaerrick et de son amitié pour Merejkovski. Reste à constater que Moeller est prophète: la perestroïka de Gorbatchev et les accords Poutine/Schröder et Poutine/Merkel, bien analysés par le diplomate contemporain Alexander Rahr, sont autant de faits politiques et géopolitiques contemporains qui démontrent que le dialogue germano-russe est possible et fécond mais sans bolchevisme pétrifiant, avec toutefois un système russe plus dirigiste, non occidental, non influencé par le manchestérisme et la spéculation financière, et un système allemand, fidèle à ce que l’économiste français Michel Albert appelait le “capitalisme patrimonial rhénan”.

Jouvence russe et allemande

L’immersion profonde de Moeller dans l’univers romanesque de Dostoïevski le conduit à croire que la spiritualité russe est un ingrédient nécessaire à la renaissance allemande, idée partagée aussi par Eugen Diederichs qui avait fait traduire de nombreux auteurs russes et slaves. Cette spiritualité russe et dostoïevskienne, ainsi que l’apport de Merejkovski, est appelée à faire contre-poids à l’influence occidentale, qui distille dans l’Allemagne les idées délétères de la révolution française et du manchestérisme anglais. Cette spiritualité est aussi perçue comme un élément d’éternelle jouvence, comme un barrage sûr contre la sénescence à laquelle l’occidentalisme conduit les peuples (idée réactualisée par Edouard Limonov qui décrit l’Occident contemporain comme un “Grand Hospice”). Les Slaves —avec les idéologues panslavistes, qui se font les véhicules des idées lancées par Nikolaï Danilevski au 19ème siècle— se considèrent comme des peuples jeunes, parce qu’ils sont plus spiritualisés que les Occidentaux laïcisés et trop rationalisés, parce qu’ils ont une démographie plus prolifique. Immédiatement après la première guerre mondiale, Moeller van den Bruck mobilise l’idée de “peuple jeune” dans une polémique anti-française: la France est alors campée comme une “vieille nation”, à la démographie défaillante depuis plusieurs décennies, qui n’a pu vaincre l’Allemagne que parce qu’elle s’était alliée à deux peuples jeunes, les Américains et les Russes. Si l’Allemagne avait été alliée à la Russie, elle aurait incarné un principe de “plus grande jouvence” et les soldats allemands et russes, portés par l’élan putatif de leur jeunesse intrinsèque, se seraient promenés sur les Champs Elysées et sur la Canebière; un facteur de sénescence particulièrement dangereux pour l’Europe aurait été éliminé, pensaient Moeller van den Bruck et son entourage. Pour faire charnière entre l’idée russe d’une jouvence slave et l’injection (ou la ré-injection) d’idéologèmes de jouvence dans l’espace politique allemand, il faut raviver le “mythe prussien”, pense Moeller. La Prusse est effectivement un mélange d’ingrédients germaniques, vénètes (“wendisch”), slaves et baltes. Ce cocktail interethnique, réussi selon Moeller van den Bruck, doit devenir l’élément de base, l’élément essentiel, du futur Reich, et le territoire sur lequel il s’est constitué devenir son centre de gravitation historique, situé plus à l’Est, dans une région non soumise aux influences françaises et anglaises. L’esthétique visibilisée, l’urbanisme nouveau et l’architecture de prestige de l’Etat seront alors les signes de cette prussianisation de l’Allemagne: ils seront autant de réactualisations de l’esprit de l’architecture du classicisme prussien, des réactualisations à peine modifiées des oeuvres de Gilly, Schinckel,etc.

Dans le “Dictionnaire politique”, édité par le “Juni-Klub”, Max Hildebert Boehm écrivait: “La jeunesse de gauche et de droite trouve un terrain d’entente quand il s’agit de rejeter l’occidentalisme bourgeois et perçoit dans la contamination morale qu’irradie l’Occident vieillissant, surtout par le biais de l’américanisation, le pire des dangers pour la germanité. Contre les miasmes empoisonnés qui nous viennent de l’Occident, il nous faut constituer un front intellectuel contre l’Ouest...”. On notera ici que Boehm considère l’Amérique comme facteur de sénescence ou de contamination morale, alors que Moeller la considérait comme un élément de jouvence.

Nous avons surtout insisté, dans ce bref essai, sur trois aspects du livre le plus célèbre de Moeller van den Bruck, à défaut d’être le plus original et le plus profond: la définition du “Jungkonservativismus” (incompréhensible sans dresser le bilan des années littéraires de Moeller), le mythe du “Reich” (avec ses racines religieuses prophétiques) et l’“Ostideologie” (tributaire de Merejkovski et Dostoïevski).

En 1925, le Traité de Locarno instaure un modus vivendi avec l’Ouest: un certain rapprochement franco-allemand devient possible, sous la double impulsion de Briand et Stresemann. En 1926, le Traité de Berlin, signé entre la République de Weimar et l’URSS, reconduit bon nombre de clauses du Traité de Rapallo, cette fois flanqué d’un apaisement à l’Ouest par le truchement du Traité de Locarno. Le Traité de Berlin signale au monde que l’Allemagne entend encore et toujours coopérer avec l’Union Soviétique, sur les plans économique et militaire, en dépit d’un rapprochement avec l’Ouest et la SdN, que l’URSS avait voulu éviter à tout prix au début des années 20. Les Allemands, dans les clauses de ce Traité de Berlin, déclarent qu’ils resteront neutres —et non belligérants actifs aux côtés des Soviétiques— en cas de conflit entre l’URSS et une tierce puissance, en l’occurrence la Pologne, rendant de la sorte impossible toute intervention française dans le conflit en faveur de Varsovie. Simultanément, l’Allemagne des nationalistes espérait affaiblir la Pologne, allié de revers de la France. Quant à Stresemann, l’homme de Locarno avec Briand, il entendait plutôt “modérer” l’URSS, l’Allemagne, aux yeux de ce social-démocrate, devant servir d’interface entre l’Ouest et l’URSS, dans le but d’assurer paix et stabilité sur le continent européen. Le Traité de Berlin devait rester en vigueur pendant cinq ans: le gouvernement Brüning le prolongera pour cinq nouvelles années en 1931 mais l’URSS ne le ratifiera qu’en mai 1933, cinq mois après la prise de pouvoir par la NSDAP d’Hitler!

Modus vivendi en Europe

Les traités de Locarno et de Berlin instaurent de ce fait un modus vivendi en Europe, où plus aucune révolution régénérante —poussant les peuples, et le peuple allemand en particulier, vers un “Règne de l’Esprit”— n’est envisageable: le vieux monde est sauvé. Pour les activistes les plus audacieux, c’est la déception. Pour Moeller, en effet, la défaite de novembre 1918 avait été une aubaine: une victoire de l’Allemagne wilhelminienne ou une paix de compromis, comme le projet de “partie nulle” soutenu par le Pape Benoit XV, aurait maintenu le Reich dans une misère intellectuelle similaire à celle du wilhelminisme que brocardaient les “cabaretistes” autour de Wedekind et Wolzogen. La révolution esthétique et politique, rêvée par Moeller, n’était plus possible. La défaite et le marasme, dans lequel l’Allemagne avait été plongée depuis la défaite et Versailles, rendaient plausible la perspective d’un grand bouleversement salutaire, capable de faire advenir le “Troisième Règne de l’Esprit”. Rien d’aussi glorieux n’était plus envisageable sous les clauses des nouveaux traités et, pire, sous les conditions du Plan Dawes de refinancer l’Allemagne par des capitaux américains. L’ère des masses sans conscience s’annonçait, obligeant les “nationaux-révolutionnaires”, qui avaient tous espéré le déchaînement proche d’une révolution purificatrice, à quitter la scène politique, à abandonner tout espoir en l’utilité révolutionnaire des petites phalanges ultra-politisées de “cerveaux hardis”: le retrait d’Ernst Jünger étant, après la mort de Moeller, le plus emblématique; surtout, Ernst Jünger et son frère Friedrich-Georg Jünger sont ceux qui nous laissent les témoignagnes littéraires les plus complets de cette époque où l’on attendait une révolution régénérante. Pour Jünger, dorénavant, l’écriture est la seule forme possible de résistance contre l’avancée arasante de la modernité. Le Règne de Cham pouvait alors commencer, sous des formes multiples, utilisant les élans de l’âme à mauvais escient, étouffant cette “Glut”, signe de jouvence évoqué maintes fois par Moeller, soit cette incandescence des âmes fortes, des âmes qui brûlent. Cham nous a menés tout droit à l’étouffoir dans lequel nous survivons péniblement aujourd’hui. Voilà pourquoi, pour vivre au milieu des ruines, il faut se rappeler l’itinéraire si riche d’Arthur Moeller van den Bruck et raviver sans cesse les flammèches allumées jadis par les auteurs et les activistes qu’il a côtoyés, afin de ne pas se laisser submerger par les fadaises de notre époque, la plus triviale que l’histoire européenne ait jamais connue, celle d’une “Smuta”, dont on ne perçoit pas encore la fin, afin aussi d’être les premiers lorsque prendra fin cette ère de déclin.

Robert STEUCKERS.

Fait à Forest-Flotzenberg, Fessevillers et Genève, de février à septembre 2013.

Bibliographie:

-          Helmut DAHM & Assen IGNATOW (Hrsg.), Geschichte der philosophischen Traditionen Osteuropas, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1996.

-          Otto DANN, Nation und Nationalismus in Deutschland – 1770-1990, Beck, München, 1994.

-          Louis DUPEUX, Stratégie communiste et dynamique conservatrice – Essai sur les différents sens de l’expression ‘National-Bolchevisme’ en Allemagne, sous la République de Weimar (1919-1933), Honoré Champion, Paris, 1976.

-          Fjodor M. DOSTOJEWSKI, Tagebuch eines Schriftstellers, Piper, München, 1963-1992.

-          Geoff ELEY, Wilhelminismus, Natonalsmus, Faschismus – Zur historischen Kontinuität in Deutschland, Verlag Westfälisches Dampfboot, Münster, 1991.

-          Jean-Pierre FAYE, Langages totalitaires, Hermann, 1972.

-          Joseph FRANK, Dostoevsky – A Writer in His Time, Princeton University Press, 2010.

-          Denis GOELDEL, Moeller van den Bruck (1876-1925), un nationaliste contre la révolution, Peter Lang, Frankfurt a. M., 1984.

-          Martin GREIFFENHAGEN, Das Dilemma des Konservatismus in Deutschland, Piper, München, 1977.

-          Oswald HEDERER, Klassizismus, Heyne Verlag, München, 1976.

-          Franz KOCH, Geschichte deutscher Dichtung, Hanseatische Verlagsanstalt, Hamburg, 1937.

-          Gerd KOENEN, Der Russland-Komplex – Die Deutschen und der Osten – 1900-1945, C. H. Beck, München, 2005.

-          Panajotis KONDYLIS, Konservativismus – Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Klett-Cotta, Stuttgart, 1986.

-          Mircea MARGHESCU, Homunculus – Critique dostoïevskienne de l’anthropologie, L’Age d’Homme, Lausanne, 2005.

-          Fritz MARTINI, Duitse letterkunde, I & II, Prisma-Compendia, Het Sprectrum, Utrecht/Antwerpen, 1969.

-          Wolfgang MARTYNKIEWICZ, Salon Deutschland – Geist und Macht – 1900-1945, Aufbau-Verlag, Berlin, 2011.

-          Nicolas MILOCHEVITCH, Dostoïevski penseur, L’Age d’Homme, Lausanne, 1988.

-          Georges MINOIS, Die Geschichte der Prophezeiungen, Albatros, 2002.

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, Das Ewige Reich, Bd. I & II, W. G. Korn Verlag, Breslau, 1933.

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, Le Troisième Reich, Alexis Redier, Paris, 1933 (préface de Thierry Maulnier).

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, La révolution des peuples jeunes, Pardès, Puiseaux, 1993.

-          Armin MOHLER, Die Konservative Revolution in Deutschland – 1918-1932, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989.

-          Georges NIVAT, Vers la fin du mythe russe – Essais sur la culture russe de Gogol à nos jours, L’Age d’Homme, Lausanne, 1988.

-          Karl O. PAETEL, Versuchung oder Chance? Zur Geschichte des deutschen Nationalbolschewismus, Musterschmidt, Göttingen, 1965.

-          Birgit RÄTSCH-LANGEJÜRGEN, Das Prinzip Widerstand – Leben und Wirken von Ernst Niekisch, Bouvier Verlag, Bonn, 1997.

-          Wilhelm SCHERER & Oskar WALZEL, Geschichte der deutschen Literatur, Otto Eichler Verlag, Leipzig/Berlin, s.d. (1928?).

-          André SCHLÜTER, Moeller van den Bruck – Leben und Werk, Böhlau, Köln, 2010.

-          Otto-Ernst SCHÜDDEKOPF, National-bolschewismus in Deutschland 1918-1933, Ullstein, Berlin, 1972.

-          Hans-Joachim SCHWIERSKOTT, Arthur Moeller van den Bruck und der revolutionäre Nationalismus in der Weimarer Republik, Musterschmidt, Göttingen, 1962.

-          Kurt SONTHEIMER, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, DTV, 1978.

-          Fritz STERN, Kulturpessimismus als politische Gefahr – Eine Analyse nationaler Ideologie in Deutschland, DTV, München, 1986.

-          Peter WATSON, The german Genius – Europe’s Third Renaissance, The second Scientific Revolution and the Twentieth Century, Simon & Schuster, London, 2010.

-          Volker WEISS, Moderne Antimoderne – Arthur Moeller van den Bruck und der Wandel des Konservatismus, F. Schöningh, Paderborn, 2012.

 

A 70 años de la muerte de Simone Weil

Mailer Mattié*

Instituto Simone Weil/CEPRID

Ex: http://paginatransversal.wordpress.com

El 18 de julio de 1943, un mes antes de morir, Simone Weil escribió desde Londres a sus padres que se encontraban en Nueva York:

Tengo una especie de certeza interior creciente de que hay en mí un depósito de oro puro que es para transmitirlo. Pero la experiencia y la observación de mis contemporáneos me persuade cada vez más de que no hay nadie para recibirlo. Es un bloque macizo. Lo que se añade se hace bloque con el resto. A medida que crece el bloque, deviene más compacto. No puedo distribuirlo en trocitos pequeños. Para recibirlo haría falta un esfuerzo. Y un esfuerzo ¡es tan cansado!

Aquí Weil señala tres requisitos a su parecer imprescindibles para acercarse a la comprensión de su pensamiento: ese bloque compacto de oro puro. Ciertamente, es necesario un importante esfuerzo intelectual el cual, sin embargo, resultaría del todo insuficiente si no podemos acceder a la verdad sobre el mundo social en el que vivimos y si no contamos con determinadas experiencias; es decir, con determinadas referencias de aprendizaje.

¿A qué se refería en realidad Simone Weil? ¿Qué era aquello que impedía a sus contemporáneos comprender sus propuestas?

Con gran probabilidad, es posible que aludiera a dos de los rasgos que caracterizan la existencia humana en la sociedad moderna: ignorar la experiencia histórica que constituye el pasado y aceptar la distorsión del conocimiento que creemos tener sobre la realidad. El pasado, en efecto, ha sido borrado por el progreso, arrasado por el desarrollo del Estado y de la economía, destruido por la industrialización. Las ideologías y el pensamiento académico, por otra parte, han secuestrado la verdad al adscribirla a los dogmas heredados del siglo XIX.

Sería legítimo, entonces, preguntarnos sobre nuestras propias posibilidades de llegar a contar al menos en parte con esas referencias, puesto que ahora nos encontramos en disposición de dar testimonio real de los errores y el fracaso de las formas de organización social sustentadas en las ideologías del progreso económico. Somos testigos desde finales del siglo pasado, además, de la determinación y autonomía de la emergencia de la invalorable riqueza de saberes –que apenas la ciencia está comenzando a validar- contenida en las antiguas culturas y cosmovisiones de muchos pueblos originarios, sobrevivientes del exterminio en los territorios andinos o amazónicos, por ejemplo.

Asimismo, nos devuelven la verdad del pasado los recientes –aunque aún escasos- estudios que intentan revelar la realidad social que constituyó la Alta Edad Media en Europa, oculta en la falsa e interesada definición del Feudalismo y en la interpretación lineal que simplifica la historia, entre los cuales podemos destacar la obra del filósofo e historiador Félix Rodrigo Mora en referencia a la península Ibérica: Tiempo, Historia y Sublimidad en el Románico Rural, publicada en 2012. La crisis de las ideologías, por otra parte, anima el verdadero conocimiento, incluyendo la recuperación del pensamiento de autores importantes que fueron condenados al olvido porque sus criterios comprometían seriamente la solidez de las ideas dominantes. Es el caso, por ejemplo, de la obra de Silvio Gesell escrita a principios del siglo XX sobre la función del dinero en los sistemas económicos y el lugar que la moneda podría desempeñar en un proceso de transformación social. Planteamiento que ha servido de inspiración al matemático estadounidense Charles Eisenstein para proponer una transición hacia la economía del don en su libro Sacred Economics. Gift and Society in the Age of Transition, publicado en 2010.

Simone Weil fue, ciertamente, una tenaz observadora del mundo social, cualidad que la condujo siempre a desconfiar de las teorías y de las interpretaciones a priori. Una actitud, además, que contribuyó indudablemente a impregnar su corta vida de la intensidad que nos asombra. Exploró también el pasado, al encontrar absurdo enfrentarlo al porvenir. Halló así en la experiencia histórica que había constituido la sociedad occitana del sur de Francia en el siglo XIII –destruida sin piedad por la fuerza incipiente del Estado- los fundamentos para elaborar el núcleo de lo que sería su gran obra, Echar Raíces: la noción de las necesidades terrenales del cuerpo y del alma. A la luz de la mirada occitana, en efecto, advirtió el júbilo de la vida convivencial, basada en la obediencia voluntaria a jerarquías legítimas (no al Estado, cuya autoridad aunque sea legal no es necesariamente legítima) y en la satisfacción de las necesidades vitales. Un espacio colectivo que encuentra su justo equilibrio en la estrategia que consiste en juntar los contrarios -libertad y subordinación consentida, castigo y honor, soledad y vida social, trabajo individual y colectivo, propiedad común y personal-, para sustentar así el arraigo de las personas en un territorio, en la cultura, en la comunidad. Es lo mismo que el pueblo kichwa y el pueblo aymara llaman Sumak Kawsay o Suma Qamaña –el Buen Vivir que es convivir-; eso que el pueblo mapuche nombra Kyme Mogen y el pueblo guaraní Teko Kaui, siguiendo el mandato original de construir la tierra sin mal; en fin, aquello que para los pueblos amazónicos significa Volver a la Maloca, valorando el saber ancestral: es decir, regresar a la complementariedad comunitaria donde lo individual emerge en equilibrio con la colectividad; a la vida en armonía con los ciclos de la naturaleza y del cosmos; a la autosuficiencia; a la paz y a la reciprocidad entre lo sagrado y lo terrenal.

Simone Weil, por tanto, consideró la destrucción del pasado el mayor de los crímenes.

En ausencia de convivencialidad, al contrario, Weil observó que la sociedad se convierte en el reino de la fuerza y de la necesidad. Cuando la sociedad es el mal, cuando la puerta está cerrada al bien –afirmó-, el mundo se torna inhabitable. Los medios que deberían servir a la satisfacción de las necesidades se han transformado en fines, tal como sucede con la economía, con el sistema político, con la educación, con la medicina y con la alimentación industrial. Si esta metamorfosis ha tenido lugar, entonces en la sociedad impera la necesidad.

Una realidad que nos impone, en consecuencia, la obligación absoluta y universal como seres sociales de intentar limitar el mal. Es decir, la obligación absoluta de amar, desear y crear medios orientados a la satisfacción de las necesidades humanas. Medios –según Weil- que solo pueden ser creados a través de lo espiritual, de aquello que ella misma llamó sobrenatural: solo a través del orden divino del universo puede el ser humano impedir que la sociedad lo destruya. En la sociedad moderna –expresó- el orgullo por la técnica –por el progreso- ha permitido olvidar que existe un orden divino del universo.

En ausencia de espiritualidad –afirmó-, no es posible construir una sociedad que impida la destrucción del alma humana.

Lo espiritual en Weil –algo que siempre parece tan difícil de precisar-, la fuente de luz, lo que debería guiar nuestra conducta social, representa la diferencia entre el comportamiento humano y el comportamiento animal: una diferencia infinitamente pequeña que es, no obstante, una condición de nuestra inteligencia -en espera aún de rigurosa definición científica que la concrete-. El papel de lo infinitamente pequeño es infinitamente grande, señaló en una oportunidad Louis Pasteur.

Es a partir de la influencia de esta ínfima diferencia, entones, que es posible limitar el mal en la sociedad, porque esa condición de nuestra inteligencia es justamente la fuente del bien: es decir, es la fuente de la belleza, de la verdad, de la justicia, de la legitimidad y lo que nos permite subordinar la vida a las obligaciones. La misma influencia, pues, que debemos explorar en la experiencia del pasado: en el medioevo cristiano –señaló Weil-, pero también en todas aquellas civilizaciones donde lo espiritual ha ocupado un lugar central y hacia donde toda la vida social se orientaba. Precisar sus manifestaciones concretas, sus metaxu: los bienes que satisfacen nuestras necesidades e imprimen júbilo a la vida social.

*Mailer Mattié es economista y escritora. Este artículo es una colaboración para el Instituto Simone Weil de Valle de Bravo en México y el CEPRID de Madrid.

Fuente: CEPRID

dimanche, 22 septembre 2013

Raoul Girardet est mort

L’historien Raoul Girardet est mort

L’historien Raoul Girardet, spécialiste des sociétés militaires et du nationalisme français, qui a enseigné à Sciences-Po, à l’ENA ou encore à Polytechnique, est mort mercredi 18 septembre 2013 dans sa 96e année.

C’était un ancien membre de l’Action française, de la résistance, rédacteur à La Nation Française de Pierre Boutang puis à L’Esprit public comme défenseur de l’Algérie française.

Une figure de l’enseignement de l’histoire est partie. Né le 6 octobre 1917, agrégé d’histoire et docteur ès-lettres, Raoul Girardet est une personnalité qui a marqué Sciences-Po, où il a enseigné pendant plus de 30 ans et a notamment créé le cycle d’études d’histoire du XXe siècle. Son cours sur le "Mouvement des idées politiques dans la France contemporaine" et son séminaire sur la France des années 30, assurés conjointement avec Jean Touchard et René Rémond, ont marqué des générations d’étudiants. Raoul Girardet a publié des ouvrages de référence sur "La Société militaire en France", "Le nationalisme français", "L’idée coloniale en France" et un essai sur "Mythes et mythologies politiques".

En 1990, dans un livre d’entretiens avec le journaliste Pierre Assouline, "Singulièrement libre", il était revenu sur son parcours personnel : la Résistance puis l’engagement en faveur de l’Algérie française, qui l’ont conduit deux fois en prison. Raoul Girardet a également enseigné à l’Ecole nationale d’administration, à l’Ecole Polytechnique et à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr. Il était Croix de guerre 1939-1945 et officier de la Légion d’honneur. Ses obsèques seront célébrées le 23 septembre dans l’Eure, dans l’intimité familiale. Une célébration aura lieu ultérieurement à Paris.

AFP via TF1  http://www.actionfrancaise.net

19:28 Publié dans Actualité, Histoire, Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raoul girardet, histoire, actualité, france | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Rechtsphilosophie nach ’45

droit.jpgRechtsphilosophie nach ’45

 

von Günter Maschke

Ex: http://www.sezession.de

Zwar können Skizzen stärker anregen als penibel ausgeführte Gemälde, doch auch sie benötigen ihr Maß. Der Versuchung, sie allzu kärglich ausfallen zu lassen, widerstehen nur wenige.

Auch ein so umsichtiger und kenntnisreicher Rechtshistoriker wie Hasso Hofmann, dessen oft ungerechtes Buch Legitimität und Legalität – Der Weg der politischen Philosophie Carl Schmitts (1964) für immer aus dem Ozean der Carl-Schmitt-Literatur herausragt, ist dieser Gefahr erlegen. Wer die nunmehr 67 Jahre umfassende Geschichte der deutschen Rechtsphilosophie und -theorie seit dem Kriegsende auf 61 Seiten abhandelt (die Seiten 62–75 enthalten eine relativ stattliche Bibliographie), übertreibt den löblichen Willen, sparsam mit Papier umzugehen. Doch eine Taschenlampe ist nur eine Taschenlampe und ersetzt nicht einmal eine Notbeleuchtung.

Hofmanns asthenische Schrift (Rechtsphilosophie nach 1945 – Zur Geistesgeschichte der Bundesrepublik Deutschland, Berlin: Duncker&Humblot 2012. 75 S., 18 €), auf einem Vortrag vom Oktober 2011 bei der Siemens-Stiftung beruhend, beginnt mit der berühmten »Naturrechtsrenaissance« nach 1945. Ein eher behauptetes denn durchgeformtes aristotelisch-thomistisches Naturrecht, sich legierend mit der Soziallehre des politischen Katholizismus, bestimmte damals bis in die fünfziger Jahre die juristischen und rechtstheoretischen Debatten der frühen Bundesrepublik. Wie schon 1918 ließen sich die Geschlagenen vom sonst gerne ignorierten katholischen Gedanken anleiten. Zum großen Schuldigen am Desaster der Justiz unterm Nationalsozialismus wurde der »Rechtspositivismus« ernannt. Daß die deutschen Juristen sich zwischen 1933 und 1945 so willfährig zeigten, lag angeblich am hergebrachten »Gesetz-ist-Gesetz«-Denken, mit dem man das die Menschenwürde und die Menschlichkeit achtende Naturrecht ignorierte. Jetzt aber sollte der Vorrang der Lex naturalis (des durch die Vernunft allgemein erkennbaren Teils eines angeblich »ewigen Gesetzes«) gegenüber dem Jus positivum durchgesetzt werden; letzteres hatte sich ersterem unterzuordnen.

Aber der Skandal der Jurisprudenz während des Nationalsozialismus findet sich (zumal wenn man die damals eher geringe Produktion neuer Gesetze bedenkt!) nicht in einem knechtischen Rechtspositivismus, sondern in der Tendenz zur »unbegrenzten Auslegung« (Bernd Rüthers) schon lange bestehender Gesetze. Dabei darf man auch daran erinnern, daß diese sinistre Kunst der Auslegung sich nicht selten auf ein angebliches nationalsozialistisches Naturrecht stützte. Man begann also 1945 mit einer Legende – mit der Legende von der Schuld des Rechtspositivismus; Hofmann spricht hier triftigerweise von »Bewältigungsliteratur«. Diese Legende barg auch ein beachtliches destruktives Potential: Jetzt konnte man den Staat diffamieren und ihn bzw. das, was von ihm noch übriggeblieben war, demontieren. Der den Rechtspositivismus durchsetzende Leviathan wurde zerschnitten. Mittels der Legende vom Rechtspositivismus fälschte man den radikalen Nicht-Staat des Nationalsozialismus, einen wahren Behemoth, zu einem Staat, nein: zu einem extremen Hyper-Staat um. So wurde der Staat, die wehrhafte Relation von Schutz und Gehorsam, ein weiteres Mal, diesmal von einer anderen Seite her, attackiert. Im endlich vollendeten Großtrizonesien weihten sich schließlich auch die Juristen der vermeintlich so menschenfreundlichen Staatsfeindschaft.

Tatsächlich setzte diese Entwicklung, heute offen zutageliegend, 1945 mit den Leerformeln des Naturrechts ein. In einer sich beschleunigt säkularisierenden, partikularisierenden, an der Oberfläche pluralisierenden Gesellschaft wurde ein ewiges Sittengesetz verkündet, von dem man bekanntlich rasch gehörige Abstriche machen mußte. Der Einfluß des – wie seine Geschichte beweist! – so wandelbaren Naturrechts führte zu Absurditäten wie der, daß der Bundesgerichtshof 1954 den Verlobtenbeischlaf zur »Unzucht« erklärte. Die Meinung machte die Runde, daß das Recht dazu da sei, die Bevölkerung zu einer bestimmten Moral anzuhalten, – zu einer Moral, in der sich das wahre Wesen und die wahre Bestimmung des Menschen ausdrücken sollten. Im Rückblick verwundert es nicht, daß die mit Aplomb vorgetragenen Naturrechtsfragmente bald in einer Wertphilosophie des Rechts ihre Erbin fanden, einer Wertphilosophie, die mittlerweile das Staats- und Verfassungsrecht mit moralisierenden Suggestionen und Gesinnungseinforderungen zersetzt und die eine schreckliche Tochter gebar: die political correctness. Hier fehlt auch ein kritischer Blick auf das Surrogat einer Verfassung, auf das politisch wie intellektuell defizitäre Grundgesetz, das eher ein Oktroi der Besatzer war als eine eigene Schöpfung, – Hofmann rafft sich bei dieser Gelegenheit immerhin dazu auf, etwas spöttisch dessen »Sakralisierung« zu vermerken.

Gewiß hat sich der ideologische Überbau der Jurisprudenz seit den Jahren 1945 bis ca. 1955 beträchtlich verwandelt. Geblieben aber ist die Tendenz zur Abschaffung der Freiheit mittels der »Werte«. Zuweilen spürt man, daß Hofmann gegenüber einigen Aspekten dieser Entwicklung Einwände hegt, doch er spitzt nur mit großer Dezenz die Lippen und verbietet sich das Pfeifen. Die sich gemäß den hastigen Zeitläuften rasch ändernde Melange aus suggestiv sein sollenden Naturrechtselementen, aus dem Staate vorgelagerten »Werten« und aus einer eklektisch-vagen Humanitätsphilosophie, die zu unerbittlichen Exklusionen fähig ist, angereichert mit etwas Orwell und etwas Huxley – all diese so wandelbar scheinenden Ideologeme, die doch nur modernisierte Versionen der Melodie von 1945 sind, kommen zum immergleichen Refrain: Wen diese Worte nicht erfreuen, der verdienet nicht, ein Mensch zu sein.

Hofmann geht auch auf die Debatte zur analytischen Rechtsphilosophie, zur Rechtslogik und zur Topik ein, sowie auf die in den sechziger und siebziger Jahren Terrain gewinnende Rechtssoziologie. Man darf aber annehmen, daß sowohl das Rechtsbewußtsein der Bevölkerung als auch die juristische Praxis von dieser Art theoretischer Erörterungen wenig beeinflußt wurden. Bedeutsamer scheint da wohl der bald die Verfassungsebene erreichende Weg vom Rechtsstaat zum sozialen Rechtsstaat zu sein. Wir möchten hier aber Hofmanns so knappe Skizze nicht mittels einer noch kürzeren abschildern und reflektieren.

Zum Schluß wirft Hofmann noch einen Blick auf die allüberall kundgetane »Ankunft in der Weltgesellschaft«. In dieser wird angeblich die »Frage nach Zukunft« (Hofmann) unabweisbar. Doch die Forderung Kants, daß die »Rechtsverletzung an einem Platz der Erde an allen gefühlt« werde, ist nur eine trügerische, dazu noch intellektuell peinliche Hoffnung. Ein Weltbürgerrecht als Recht von Individuen, das an die Stelle des internationalen zwischenstaatlichen Rechts tritt, führt nur zu einem zügellosen Pan-Interventionismus und Menschenrechtsimperialismus, dessen »Vorgriffe« auf das Weltbürgerrecht uns in den letzten Jahren einige entsetzliche Blutbäder bescherten. Der Träger des Friedenspreises des Deutschen Buchhandels, Jürgen Habermas, hielt den Kosovo-Krieg, in dem die NATO alle bisherigen Rekorde in der Disziplin »Propagandalüge« brach, für einen derartigen »Vorgriff« auf die von ihm geliebte schwarze Utopie des Weltbürgerrechts, – wenn auch, wie es einem kritischen Intellektuellen bei uns ziemt, aus Naivität und nicht aus Bosheit.

Soll man zum Ewigen Frieden durch den Ewigen (dazu noch Gerechten) Krieg gelangen? Es gibt einige alte, sich immer wieder bestätigende Wahrheiten: Wer Menschheit sagt, will betrügen, und Ordnung kann nur auf Ortung beruhen. An diesen Wahrheiten festzuhalten, wäre die ehrenvolle Aufgabe eines Rechtsdenkens, das, um seine fast ausweglose Schwäche wissend, die furchtbaren Tatsächlichkeiten beim Namen nennt und diese weder ganz oder partiell beschweigt, verharmlost, noch, nachdem man sich zum Hans Wurst des Gerechten Krieges machte, mit etwas Bedauern rechtfertigt. Dazu sollte man auch verstehen, daß das Recht nicht den Frieden schaffen kann, sondern – im Glücksfall! – der Frieden das Recht.

 


 

Article printed from Sezession im Netz: http://www.sezession.de

 

URL to article: http://www.sezession.de/39659/rechtsphilosophie-nach-45.html

 

URLs in this post:

[1] Image: http://www.sezession.de/wp-content/uploads/2013/06/49.jpg

samedi, 21 septembre 2013

En el centenario de la Declaración Balfour

por Nur Masalha*

Ex: http://paginatransversal.wordpress.com

La Declaración Balfour del 2 de noviembre de 1917 fue fundamental para alianza británico-sionista durante la Primera Guerra Mundial y una poderosa herramienta de propaganda judio-sionista. Al acercarse el centenario de la Declaración es oportuno volver a examinar el impacto tanto de la declaración como de las políticas británicas respecto a Palestina y su población originaria. Este artículo apela al Reino Unido a que reconozca su responsabilidad histórica en las desastrosas consecuencias del colonialismo sionista de asentamiento en Palestina y la subsiguiente catástrofe palestina (Nakba).

Sin el apoyo total de Imperio Británico, el sionismo político no habría podido conseguir sus objetivos a costa de la libertad y la autodeterminación del pueblo palestino. El Estado de Israel era y todavía es fundamental para los proyectos occidentales en Oriente Próximo. De hecho, Israel debe su propia existencia al poder colonial británico en Palestina, a pesar de la tensión militar durante la última década de periodo del Mandato Británico entre la potencia colonial y los dirigentes del militarizado Yishuv, es decir, la comunidad de colonos de asentamiento blancos asquenazíes (1) en Palestina.

Los colonos sionistas europeos eran poco numerosos bajo el Imperio Otomano y nunca se les dio verdaderamente carta blanca en Palestina; si se hubiera dejado al Imperio Otomano el control de Palestina después de la Primera Guerra Mundial, es muy poco probable que el Estado judío se hubiera hecho realidad a expensas de la población indígena. La situación cambió radicalmente con la ocupación de Palestina por parte de los británicos en 1917. Pero antes, el 2 de noviembre de 1917, la Declaración Balfour (cuyas catastróficas consecuencias para el pueblo palestino tienen repercusiones todavía hoy) ya había concedido al sionismo derecho a Palestina. El secretario de Exteriores [británico] Arthur James Balfour envió a la Federación Sionista la carta que contenía la Declaración a través de un prominente judío británico, el barón Walter Rothschild. En ella el gobierno británico declaraba su compromiso con el sionismo: “El gobierno de Su Majestad considera favorablemente el establecimiento en Palestina de un hogar nacional para el pueblo judío y utilizará sus mejores esfuerzos para facilitar la consecución de este objetivo”.

Lo verdaderamente crucial fue que los términos de la Declaración Balfour se incorporaron al Mandato Británico en Palestina en 1922 y fueron aprobados por la Liga de las Naciones. Esto constituyó un espectacular logro político y de propaganda para el movimiento sionista internacional que en aquel momento era un grupo minoritario dentro de los judíos del mundo. Curiosamente, el documento fue criticado duramente por el único miembro judío del gobierno del primer ministro británico Lloyd George: Sir Edwin Montagu, secretario de Estado para India, hizo una clara distinción entre judaísmo y sionismo (una ideología política moderna). Le preocupaba el estatus y la potencial doble lealtad de los judíos británicos y puso en tela de juicio el derecho de la organización sionista a hablar en nombre de todos los judíos.

En 1917 la población judía de Palestina era inferior al 10% del total de su población. El contenido de la Declaración Balfour se arraigaba en la política colonial racista de la denegación. No mencionaba siquiera al pueblo palestino, ya fueran cristianos o musulmanes, que conformaba más del 90% de la población del país. De hecho, el pueblo palestino era propietario de más del 97% de la tierra que Gran Bretaña pretendía regalar. La Declaración se refería a los palestinos cristianos o musulmanes como “las comunidades no judías que existen en Palestina” al tiempo que omitía por completo sus derechos nacionales y políticos. La Declaración es típica del estilo supremacista blanco de la época y encaja con la noción de “una tierra sin pueblo [para un pueblo sin tierra]”, creada para justificar la colonización europea y la negación de los derechos fundamentales de los palestinos.

Envalentonado por la Declaración Balfour, en enero de 1919 el destacado sionista británico Chaim Weizmann acudió a la Conferencia de París y y pidió una Palestina pura “tan judía como Inglaterra es inglesa”. Esto sucedía en un momento en que el principio de “autodeterminación para los pueblos del Imperio Otomano” estaba consagrado en los “Catorce Puntos” del presidente estadounidense Woodrow Wilson. Lloyd George saludó estos principios al tiempo que negaba este reconocimiento internacional del pueblo palestino.

A menudo se explican la alianza británico-sionista y la Declaración Balfour en términos de cálculos de guerra y objetivos estratégicos militares (incluido la proximidad de Palestina al Canal de Suez controlado por Gran Bretaña y la ruta a India). Los historiadores pasan por alto los factores y mitos británicos históricos, ideológicos, de la cultura bíblica protestante y simbólicos. Gran Bretaña y gran parte de Europa habían sido la cuna de las Cruzadas Latinas y de los recuerdos colectivos de la lucha por Jerusalén y Palestina, una amarga “guerra santa” contra el islam que duró varios siglos hasta bien entrado el inicio del periodo moderno y cuya memoria colectiva se revivió en Europa en el momento culminante del imperio en el siglo XIX. Antes de la Declaración Balfour dos imanes, la “Biblia y la espada”, en brillante expresión de Barbara Tuchman (Bible and Sword: England and Palestine from the Bronze Age to Balfour) atrajeron a gran cantidad de cruzados, peregrinos, misioneros, arqueólogos bíblicos, viajeros, cartógrafos, cónsules y miembros del Cuerpo de Ingenieros Reales a Tierra Santa de Palestina. En última instancia esto llevó a la conquista de Jerusalén por parte de Gran Bretaña en diciembre de 1917.

La propia Declaración Balfour estaba calculada para coincidir con el avance del general Edmund Allenby hacia Jerusalén durante la Primera Guerra Mundial. Fue el fruto de unas intensas negociaciones a lo largo de doce meses entre destacados sionistas británicos (el “lobby judío-sionista) y altos cargos del Foreign Office y, en última instancia, del gobierno de guerra de Lloyd George.

El 11 de diciembre de 1917 Allenby entró a pie en Jerusalén y anduvo triunfalmente por la Ciudad Vieja. Era el primer cristiano que conquistaba Jerusalén desde las Cruzadas medievales. Este simbolismo no pasó desapercibido para Allenby o Lloyd George, que describieron la toma de Jerusalén como “un regalo cristiano al pueblo británico”. Allenby fue incluso más explícito: “Ahora han terminado las guerras de los cruzados”, afirmó, dando a entender que su conquista de Palestina por parte de las fuerzas británicas era la “última cruzada”.

El general Allenby nos ha dejado otros símbolos de los antiguos y nuevos cruzados: el “Puente Allenby” (todavía denominado así por los israelíes) que cruza del río Jordán fue construido en 1918 por el propio Allenby sobre los restos de un viejo puente otomano. Actualmente es el único punto de entrada y de salida para los palestinos bajo ocupación israelí que viajen fuera de Cisjordania y a Cisjordania. Tanto Allenby como Balfour son muy apreciados en Israel. Allenby da su nombre a una importante calle de Tel Aviv, “Allenby Street”. Balfouria es una colonia judía al sur de Nazareth fundada en 1922 y fue el tercer moshav (2) que se estableció en la Palestina del Mandato. Toma su nombre del secretario de Exteriores británico que redactó la tristemente célebre Declaración.

En 1917 Weizmann, amigo íntimo del general Jan Smuts, un defensor de la separación racial, primer ministro de Sudáfrica y que se asocia a la redacción del borrador de la Declaración, argumentó: “Una Palestina judía sería una salvaguarda para Inglaterra, en particular con respecto al Canal de Suez”. Sin embargo, tanto Lloyd George como Balfour eran miembros de Iglesias protestantes que compartían la creencia sionista cristiana de que había que “restituir” en Palestina a los judíos del Viejo Testamento antes de la Segunda Venida de Jesús.

La Biblia ha sido el texto clave para redimir el colonialismo de asentamiento europeo. El “primer” texto de Occidente ha sido (y sigue siendo) fundamental para el apoyo occidental al Estado de Israel. La “Biblia y la espada”, las dos herramientas heredadas de las Cruzadas latinas y del colonialismo británico, también han sido fundamentales para la estrategia sionista israelí desde 1948.

Desde finales del siglo XIX el sionismo político (y actualmente el lobby pro-israelí) ha seguido disfrutando de una extraordinaria influencia en las altas esferas de Occidente. Por diferentes razones (entre las que se incluye la epistemología y la política del texto bíblico), el Estado de Israel ha sido fundamental para las políticas de Occidente en el rico en petróleo Oriente Próximo. Además de su valor geopolítico y estratégico, y de sus inmensas capacidades militares y nucleares, el Estado de Israel ha tenido una enorme trascendencia para las políticas occidentales posteriores a la Segunda Guerra Mundial. En el periodo posterior al Holocausto el fuerte apoyo financiero, militar y político concedido al “Estado judío” en Palestina también ha sido considerado una oportunidad de “redimir” a Europa (y a Occidente) por el genocidio nazi.

El sionismo político surgió en Europa a finales del siglo XIX en el momento culminante del imperialismo europeo, directamente influido por el pangermanismo y panjudaísmo. Combinó con éxito los nacionalismos de Europa central y del este con el colonialismo de asentamiento y la Biblia. Los padres fundadores laicos del sionismo judío trataron de sustentar con el texto bíblico la legitimidad de su movimiento colonial de asentamientos.

Desde un principio estuvo claro que el proyecto “restauracionista” solo se podía lograr con el respaldo y el apoyo activo de las potencias europeas. Desde Theodor Herzl a Chaim Weizmann y David Ben-Gurion los dirigentes sionistas eran plenamente conscientes de que no se podía garantizar su programa sin el apoyo de las potencias imperialistas. Herzl escribió claramente acerca de la tierra asiática (no europea) “reclamada” por el sionismo y el establecimiento de un Estado casi europeo de colonos blancos en Palestina: “Si Su Majestad el Sultán [otomano] nos concediera Palestina, a cambio nosotros podríamos emprender la regulación de todas las finanzas de Turquía. Conformaríamos ahí parte de una muralla defensiva para Europa en Asia, un puesto de avanzada de la civilización contra la barbarie”.

Sin embargo, el entonces presidente de la Agencia Judía, Ben-Gurion, declaró al presentar testimonio ante la “Comisión Real de Palestina” encabezada por Lord Peel en 1936: “La Biblia es nuestro mandato”. Para Ben-Gurion la Biblia era el texto matriz del sionismo y el texto fundacional del Estado de Israel. Como Ben-Gurion, Lloyd George y Balfour consideraban la Biblia no solo una fuente histórica de confianza sino también una guía de las políticas cristianas y sionistas en relación con los habitantes indígenas de Palestina. Las militaristas tradiciones y relatos bíblicos de la tierra, reconfiguradas y reinventadas en el siglo pasado como una metanarrativa “fundacional” del sionismo y del Estado de Israel, han sido decisivas en la limpieza étnica de Palestina. Hoy las mismas militaristas tradiciones bíblicas de la tierra siguen estando en el centro del desplazamiento y la desposesión de los palestinos (tanto musulmanes como cristianos) de Jerusalén. Irónicamente, es más probable que, a diferencia de Ben-Gurion, los palestinos modernos sean descendientes de los antiguos israelíes cananeos y filisteos que lo sean los asquenazíes y padres fundadores blancos del Estado de Israel.

El historiador británico Arnold Toynbee calificó una vez a Balfour de “hombre malvado”. Toynbee creía que Balfour y Lloyd George conocían las catastróficas implicaciones que tenían para los palestinos originarios la Declaración Balfour y el hecho de que los británicos fomentaran una comunidad colonial de asentamiento blanca en Palestina.

Por supuesto, ni los cruzados latinos ni la moderna Gran Bretaña tenían derechos de soberanía sobre Palestina. Es indudable que Gran Bretaña no tenía autoridad moral o legal para entregar la tierra que no le pertenecía a un tercero y a un pueblo que no residía en el país. Sin embargo, la Declaración Balfour creó el marco para la lucha sionista por apoderarse de la tierra de Palestina y controlarla, una lucha que ha seguido hasta nuestros días. Por ello la Declaración se convirtió en un elemento fundamental de las exigencias judiciales sionistas e israelíes. Entre 1914 y 1948 la potencia colonial británica en Palestina permitió al movimiento judío establecer en Palestina a cientos de miles de colonos judíos europeos, incluidas varias ciudades, y estableció las bases políticas, militares y de seguridad, económicas, industriales, demográficas, culturales y académicas del Estado de Israel.

Medio siglo después de la Declaración Balfour la primera colonia blanca en Palestina, Kerem Avraham, hoy un barrio de Jerusalén, empezó como una pequeña colonia británica fundada en 1855 por el muy influyente cónsul británico en Jerusalén, James Finn, y su mujer, Elizabeth Anne. Finn combinó un antiguo celo cruzado con un moderno pensamiento “restauracionista” protestante y actividades misioneras con el trabajo oficial de funcionario británico. Él y su mujer eran originariamente miembros de la “Sociedad Londinense para Promover el Cristianismo entre los Judíos”. James Finn también fue un estrecho socio de Anthony Ashley Cooper, séptimo conde de Shaftesbury, un destacado diputado tory, milenarista protestante y colaborador clave del sionismo victoriano cristiano y del evangelismo que preconizaba la vuelta a la Biblia. A Shaftesbury le guiaba el pensamiento victoriano de la “Biblia y la espada”, una combinación de imperialismo victoriano y de profecía mesiánica cristiana. Argumentaba que el “restauracionismo judío en Palestina tendría ventajas políticas y económicas para el Imperio Británico y según la profecía de la Biblia, aceleraría la segunda venida de Jesús. En un artículo publicado en Quarterly Review (enero de 1839), Shaftesbury (inventor del mito “una tierra sin pueblo para un pueblo sin tierra”) escribió: “La tierra y el clima de Palestina están singularmente adaptados para que crezcan productos requeridos por las exigencias del Imperio británico: se puede obtener el algodón más fino en una casi ilimitada abundancia, la seda y la rubia roja (3) son los productos principales del país y el aceite de oliva es ahora, como siempre lo ha sido, la propia grasa del país. Solo se requieren capital y habilidades: la presencia de un oficial británico y la mayor seguridad de la propiedad que su le conferirá presencia, pueden invitar a los de estas islas al cultivo en Palestina; y los judíos, que no se trasladarán a ninguna otra tierra para cultivarla ya que han encontrado en la persona del cónsul británico [James Finn] un mediador entre su pueblo y el Pachá [otomano], probablemente volverán en cantidades aún mayores y se convertirán una vez más en el esposo de Judea y Galilea”.

Con el apoyo del entonces secretario de Exteriores británico Lord Palmerston, Shaftesbury empezó a promover la “restauración” de los judíos en Palestina entre la Inglaterra victoriana de la década de 1830. Shaftesbury también desempeñó un papel decisivo en el establecimiento del consulado británico en Jerusalén en 1839. Las actividades públicas de Shaftesbury, James Finn y sus compañeros “restauracionistas”, que precedieron en casi medio siglo a la fundación del movimiento sionista político europeo por Theodor Herzl, demuestran claramente que el “sionismo” empezó como un claro movimiento de cruzada protestante cristiano y no uno laico judío.

Con todo, lo que llevó al crecimiento del sionismo protojudío laico fueron los estudios del Fondo de Exploración de Palestina (PEF, por sus siglas en inglés) y los mapas de Cuerpo Británico de Ingenieros Reales realizados en la década de 1870. La pacífica cruzada del PEF británico, fundado en 1865 por un grupo de eruditos de la Biblia, geógrafos bíblicos, altos cargos militares y de la inteligencia, y clérigos protestantes, entre los que destacaba el deán de la Abadía de Westminster, Arthur P. Stanley, estaba estrechamente coordinada por la clase dirigente político-militar británica y los servicios de inteligencia ansiosos de penetrar en la Palestina otomana, un país gobernado por el “hombre enfermo de Europa” musulmán (4).

El PEF, que cuenta con oficinas en el centro de Londres, es hoy una organización activa que tiene una publicación académica, Palestine Exploration Quarterly. Por otra parte, el PEF da charlas públicas y financia proyectos de investigación en Cercano Oriente. Según su página web, “entre 1867 y 1870 el capitán Warren llevó a cabo exploraciones en Palestina que conforman la base de nuestro conocimiento de la topografía del Jerusalén antiguo y de la arqueología del Templo del Monte/Haram al-Sherif [sic]”. “Además de estas exploraciones en, bajo y alrededor del Templo del Monte/al-Haram al-Sherif, Warren analizó la Llanura de Philistia y llevó a cabo un muy importante reconocimiento de la parte central del [río] Jordán”. El capitán (después general Sir) Charles Warren, de los Ingenieros Reales y uno de los altos cargos clave del PEF ordenó trazar el mapa de la “topografía bíblica” de Jerusalén e investigar “el emplazamiento del templo”, y observó: “El cónsul [británico] del rey [James Finn] es la autoridad máxima, no de los nativos de la ciudad, sino de los extranjeros. No obstante, en su mayor parte estos extranjeros son los dueños legítimos y los nativos en su mayor parte son los usurpadores”. Al parecer Warren y Finn “cavaron literalmente” bajo los santuarios musulmanes de Jerusalén para trazar el mapa de las “dimensiones originales” del “Templo del Monte”. La arqueología bíblica, los mapas y los estudios de topografía y toponimia llevados a cabo por Warren y los Ingenieros Reales han seguido constituyendo los datos básicos de muchos arqueólogos, geógrafos y planificadores estratégicos oficiales israelíes actuales en su campaña por judaizar la Ciudad Vieja de Jerusalén.

Cuando los colonos judíos blancos se trasladaron a Palestina su actitud respecto a la población originaria fue la típica actitud colonial respecto a pueblos “inferiores” y “no civilizados”, aunque las colonias sionistas siguieron siendo muy pequeñas hasta que los británicos ocuparon Palestina en 1917. Después de la ocupación el proceso se aceleró rápidamente bajo la protección de la potencia colonial. Durante este periodo los sionistas insistieron en que se denominara oficialmente a Palestina la “Tierra bíblica de Israel”. Las autoridades del Mandato Británico concedieron el uso del acrónimo hebreo para “Eretz Yisrael” (la “Tierra de Israel”) tras el nombre de Palestina en todos los documentos oficiales, moneda, sellos, etc.

Durante este periodo (1918-1948) los colonos blancos asquenazíes no hicieron esfuerzo alguno por integrar sus luchas en las de los palestinos que luchaban contra el colonialismo británico. Por el contrario, los colonos actuaron desde la convicción de que la población originaria tendría que ser sometida o expulsada, con la ayuda de los británicos.

Para la década de 1930 la Declaración Balfour se asociaba estrechamente en el pensamiento sionista oficial a la colonización práctica de Palestina y a la limpieza étnica de los palestinos originarios. Desde principios de la década de 1930 en adelante los “comités de traslado” (un eufemismo de “comités de limpieza étnica”) y altos cargos del Yishuv elaboraron una serie de planes específicos que implicaban en general a Trasnjordania, Siria e Iraq. En 1930, sobre el fondo de los disturbios de 1929 en Palestina, Weizmann, entonces presidente tanto de la Organización Sionista Mundial como de la Ejecutiva de la Agencia Judía, empezó a promover activamente en discusiones privadas con altos cargos y ministros británicos la idea del “traslado” de árabes. Planteó al secretario colonial, Lord Passfield, una propuesta oficial aunque secreta de traslado de campesinos palestinos a Transjordania, para lo cual se obtendría un préstamo de un millón de libras palestinas de fuentes financieras judías para la operación de reasentamiento. Lord Passfield rechazó la propuesta. Sin embargo, la justificación que Weizmann había utilizado para defender su propuesta fue la base de los posteriores argumentos sionistas de traslado de población. Weizmann afirmaba que no había nada de inmoral en la limpieza étnica de la tierra, que la expulsión de poblaciones ortodoxas griegas y musulmanas (“turcas”), “intercambios de población”, a principios de la década de 1920 eran un precedente de una medida similar en relación con los palestinos.

Si la Declaración Balfour se convirtió en un elemento fundamental de la memoria colectiva, los mitos y la propaganda sionistas, la Declaración, conocida como “Wa’ad Balfour” o la “Promesa Balfour” en árabe, se convirtió en un elemento fundamental de la memoria colectiva palestina de resistencia. Durante toda la época del Mandato el aniversario de la Declaración (2 de noviembre) se conmemoró de manera generalizada por medio de protestas y huelgas nacionalistas. Los palestinos movilizaron el recuerdo del engaño y la traición británicos como una herramienta de resistencia pacífica a las políticas británica y sionista en Palestina.

La colonización blanca de asentamiento de Palestina culminó con el establecimiento del Estado de Israel en 1948 y la Nakba palestina, la catástrofe de la limpieza étnica y la destrucción de gran parte de la Palestina histórica. La guerra psicológica y la presión militar sionistas expulsaron, en muchos casos a punta de pistola, a aproximadamente el 90% de los palestinos del territorio ocupado por los israelíes en 1948, a menudo bajo la atenta mirada de los británicos que continuaron a cargo del país hasta mediados de 1948. La guerra simplemente proporcionó la oportunidad y el contexto necesarios para purgar la tierra y crear un Estado judío en gran parte libre de árabes. Concentró las mentes judío-sionistas y proporcionó tanto la seguridad como las explicaciones y justificaciones militares y estratégicas para purgar el Estado y desposeer al pueblo palestino. Actualmente, aproximadamente dos terceras partes de los palestinos son refugiados, millones de ellos viven en campos de refugiados miserables en Oriente Próximo y otros millones están repartidos por todo el mundo.

El sionismo militarista e Israel han utilizado la Biblia no solo como una herramienta para la limpieza étnica de Palestina y el “exilio” de millones de palestinos de su patria ancestral, sino también como una manera de borrar la historia palestina y de suprimir la memoria palestina. Actualmente la Nakba palestina está más o menos ausente de la memoria colectiva tanto británica como occidental.

Por otra parte, los palestinos no solo continúan sometidos a la actual limpieza étnica y a las políticas de cruzada en Jerusalén en pleno siglo XXI, sino que durante las seis últimas décadas los israelíes y el lobby proisraelí han desafiado y silenciado los intentos por parte de los palestinos de constituir un relato coherente de su propio pasado. Todavía hoy la Catástrofe de 1948 se excluye del discurso oficial en Gran Bretaña mientras que Israel goza de un apoyo extraordinario en el gobierno británico y la mayoría de los diputados conservadores son miembros de “Amigos Conservadores de Israel”.

La clase dirigente británica elige públicamente una “posición neutral” sobre Palestina que a menudo adopta la forma de silencio o de amnesia colectiva. Dada la responsabilidad histórica de Gran Bretaña en la catástrofe palestina, no puede existir esta neutralidad o indiferencia hacia la injusticia cometida en Palestina.

Se ha creado el proyecto Balfour Project para conmemorar el centenario de la Declaración Balfour y el simbolismo de la alianza británico-sionista y el catastrófico impacto sobre los palestinos. Este proyecto busca: a) honestidad en el debate público y un reconocimiento de las desastrosas consecuencias de las acciones británicas en la época de la Declaración Balfour y a lo largo de todo el Mandato Británico en Palestina, y particularmente el engaño respecto a las verdaderas intenciones británicas; b) disculpas por la mala actuación británica; c) disculpas oficiales británicas a los palestinos por haber ignorado intencionadamente sus legítimas aspiraciones políticas; y d) integridad en el futuro cuando Gran Bretaña aborde la cuestión palestina.

* El Prof. Nur Masalha es Director de Programa del Máster en Religión, Política y Resolución de Conflictos. Formó parte de un equipo de postgrado del Arts and Humanities Research Council (AHRC) y fue miembro del AHRC Peer Review College. Ha sido director el Proyecto de Investigación de Tierra Santa desde 2001 y del Centro para la Religión y la Historia desde 2007. El profesor Masalha también edita Holy Land Studies: A Multidisciplinary Journal (publicado por Edinburgh University Press).

Sus libros más recientes son: The Bible and Zionism: Invented Tradition, Archaeology and Post-Colonialism in Israel-Palestine (2007), La Biblia leída con los ojos de los Cananeos (Editorial Canaán, 2011) y The Palestine Makba: Decolonising History, Narrating the Subaltern, Reclaiming Memory (2012). Próximamente publicará The Politics of Reading the Bible in Israel (2013).

(Traducido del inglés para Rebelión por Beatriz Morales Bastos)

Notas de la traductora:

(1) Los judíos asquenazíes son los judíos oriundos de Europa central y del este.

(2) Moshav es una comunidad rural judío de carácter cooperativo

(3) La llamada rubia roja es una planta cuya raíz se utilizaba para fabricar tintes de color rojo destinados a la industria textil y a la farmacología.

(4) La expresión “hombre enfermo de Europa” se ha aplicado a lo largo de la historia a diferentes países europeos en referencia a la debilidad o decadencia de una economía aparentemente normal.

Fuente: Global Research

jeudi, 19 septembre 2013

Silvio Gesell: der “Marx” der Anarchisten

Robert STEUCKERS:

Silvio Gesell: der “Marx” der Anarchisten

Analyse: Klaus SCHMITT/Günter BARTSCH (Hrsg.), Silvio Gesell, “Marx” der Anarchisten. Texte zur Befreiung der Marktwirtschaft vom Kapitalismus und der Kinder und Mütter vom patriarchalischen Bodenunrecht, Karin Kramer Verlag, Berlin, 1989, 303 S., ISBN 3-87956-165-6.

silvio_gesell.jpgSilvio Gesell war ein nonkonformistischer Ökonom. Er nahm zusammen mit Figuren sowie Niekisch, Mühsam und Landauer an der Räteregierung Bayerns teil. Der gebürtige Sankt-Vikter entwickelte in seinem wichtigsten Buch “Die natürliche Ordnung” ein Projekt der Umverteilung des Bodens, damit ein Jeder selbständig-autonom in totaler Unabhängigkeit von abstrakten Strukturen leben konnte. Günter Bartsch nennt ihn ein “Akrat”, d.h. ein Mensch, der frei von jeder Bevormündung ist, sei diese politischer, religiöser oder verwaltungsartiger Natur. Für Klaus Schmitt, der Gesell für die deutsche nonkonforme Linke wiederentdeckt (aber nicht kritiklos), ist der räterepublikanische Akrat ein der schärfsten Kritiker der “Macht Mammons”. Diese Allmacht wollte Gesell mit der Einführung eines “Schwundgeldes” bzw. einer “Freigeld-Lehre” zerschmettern. Unter “Schwundgeld” verstand er ein Geld, das man nicht thesaurisieren konnte und für das keine Zinsen gezahlt wurden. Im Gegenteil war für Gesell die Hortung von Geldwerten die Hauptsünde. Geld, das nicht in Sachen (Maschinen, Geräte, Technik, Erziehung, Boden, Vieh, usw.) investiert wird, mußte durch moralischen und ökonomischen Zwang an Wert verlieren. Solche Ideen entwickelten auch der Vater des kanadischen und angelsächsichen Distributismus, C. H. Douglas, und der Dichter Ezra Pound, der in den amerikanischen Regierung ein Instrument des Teufels Mammon sah. Douglas entwickelte distributistische Bauern-Projekte in Kanada, die teilweise noch heute existieren. Pound drückte seinen Dichterhaß gegen Geld- und Bankwesen, indem er die italienischen “Saló-Republik” am Ende des Krieges unterstütze. Pound versuchte, seine amerikanische Landgenossen zu überzeugen, keinen Krieg gegen Mussolini und das spätfaschistischen Italien zu führen. Nach 1945, wurde er in den VSA zwölf Jahre lang in einer Irrenanstalt eingesperrt. Er kam trotzdem aus dieser Hölle ungebrochen zurück und ging bei seiner Dochter Mary de Rachewiltz in Südtirol wohnen, wo er 1972 starb.

silvio gesell,anarchisme,allemagne,histoire,nouvelle droite,théorie politique,sciences politiques,politologieNeben seiner ökonomischen Lehren über das Schwund- und Freigeld, theorisierte Gesell einen Anarchofeminismus, wobei er besonders die Kinder und die Frauen gegen männliche Ausbeutung schützen wollte. Diese Interpretation des matriarchalischen Archetyp implizierte eine ziemlich scharfe Kritik des Vaterrechts, der in seinen Augen die Position der Kinder in der Gesellschaft besonders labil machte. Insofern war Gesell ein Vorfechter der Kinderrechte. Praktish bedeutete dieser Anarchofeminismus die Einführung einer “Mutterrente”. «Gesell und sein Anhänger wollten den gesamten Boden den Müttern zueignen und ihnen bzw. ihren Kinder die Bodenrente bis zum 18. Lebensjahr der Kinder als “Mutter-” bzw. “Kinderrente” zukommen lassen. Ein “Bund der Mütter” soll den gesamten nationalen und in ferner Zukunft den gesamten Boden unseres Planeten verwalten und (...) an den oder die Meistbietenden verpachten. Nach diesem Verfahren hätte jeder einzelne Mensch und jede einzelne Gruppe (z. B. eine Genossenschaft) die gleichen Chancen wie alle anderen, Boden nutzen zu können, ohne von privaten oder staatlichen Parasiten ausgebeutet zu werden» (S. 124). Wissenschaftliche Benennung dieses Systems nach Gesell hieß “physiokratische Mutterschaft”.

Neben den langen Aufsätzen von Bartsch und Schmitt enthält das Buch auch Texte von Gustav Landauer (“Sehr wertvolle Vorschläge”) und Erich Mühsam (“Ein Wegbahner. Nachruf zum Tode Gesells 1930”).

Fazit: Das Buch hilft uns, die Komplexität und Verwicklung von Ideen zu verstehen, die in der Räterepublik anwesend waren. Ist Niekisch wiederentdeckt und breit kommentiert, so ist seine Nähe zu Personen wie Landauer, Mühsam und Gesell kaum erforscht. Auch interressant wäre es, die Beziehungspunkte zwischen Gesell, Douglas und Pound zu analysieren und zu vergleichen. Letztlich wäre es auch, die Lehren Gesells mit den national-revolutionären Theorien eines Henning Eichbergs in den Jahren 60 und 70 und mit dem Gedankengut, das eine Zeitschrift wie Wir Selbst verbreitet hat. Eichberg hat ja auch immer den Akzent auf das Mütterliche gelegt. Er sprach eher von einem mütterlich-schützende Mutterland statt von einem patriarchalisch-repressive Vaterland. Ähnlichkeiten, die der Ideen-Historiker nicht vernachlässigen kann (Robert STEUCKERS).

dimanche, 15 septembre 2013

Er formte Preußens Generalstab

Manuel RUOFF:
Er formte Preußens Generalstab

Karl von Grolmann unterstützte Scharnhorst in der Militär-Reorganisationskommission und Blücher bei Belle-Alliance

Ex: http://www.preussische-allgemeine.de

grolman.jpgDer preußische Militärreformer Karl von Grolman war von einer enormen Prinzipienfestigkeit, Konsequenz und Rigorosität, um nicht zu sagen Radikalität, im Denken und Handeln. Mit dem Generalstab schuf er Moltke das Instrument, um an der deutschen Einigung maßgeblich mitzuwirken, die ihm selber zu erleben nicht mehr vergönnt war. Er starb vor 170 Jahren im 67. Lebensjahr.

„Er huldigt nur dem Verstande und ehrt von den Gemütskräften nur die Willenskraft“, sagte August Neidhardt von Gneisenau, ein weiterer Großer der preußischen Reformbewegung, über ihn. Diese Willenskraft kommt schon darin zum Ausdruck, dass der am 30. Juli 1777 in Berlin geborene Preuße sich bereits als Kind gegen die Fortsetzung der Familientradition entschied. Im Gegensatz zu seinem Vater, der als Obertribunalpräsident und Mitautor des Allgemeinen Landrechts in der Justiz erfolgreich Karriere machte, und seinem Großvater mütterlicherseits, der Kriminalrat war, wurde Karl bereits als 14-Jähriger Soldat. Beim Militär fand er seine Berufung. Mit Enthusiasmus ging er in seinem Beruf auf und erfuhr entsprechende Resonanz.


Die für Preußen katastrophal endende Doppelschlacht bei Jena und Auerstedt machte er als Adjutant des Feldmarschalls Wichard von Möllendorf mit. Es folgte eine Verwendung als Adjutant des Befehlshabers des Feldheeres, Fried­rich Ludwig Fürst zu Hohenlohe-Ingelfingen. Dessen ruhmlose und auf die preußische Moral verheerend wirkende Kapitulation bei Prenzlau brauchte er nicht mitzuerleben, da er vorher als Kurier zu seinem König Friedrich Wilhelm III. entsandt worden war. Im weiteren Verteidigungskampf Preußens gegen das überlegene napoleonische Kaiserreich bildete Grolman mit seiner Entschlossenheit und Tapferkeit eine ruhmreiche Ausnahme. Für sein Verhalten in dem Gefecht bei Soldau vom 26. Dezember 1806, in dem er schwer verwundet wurde, erhielt er den Orden Pour le Mérite.


Nach dem Krieg, dessen Verlust auch er nicht hatte abwenden können, wurde er in Gerhard von Scharnhorsts Militär-Reorganisationskommission berufen. Er war nicht nur im vorausgegangenen Vierten Koalitionskrieg positiv aufgefallen, sondern kannte Scharnhorst auch von der „Militärischen Gesellschaft“ her. Als Mitglied der Reorganisationskommission und der Untersuchungskommission, die das Verhalten der Offiziere während des Krieges zu prüfen und zu beurteilen hatte, sowie als für Personal- und Disziplinarangelegenheiten zuständiger Abteilungsdirektor des 1808 geschaffenen Kriegsministeriums half er mit der Schärfe seines Verstandes bei der Suche nach den Ursachen für die Niederlage und mit seiner unerbittlicher Strenge wie „rück­sichtslosen Wahrheitsliebe“, um mit dem preußischen Reformer Hermann von Boyen zu sprechen, bei der Verfolgung der Schuldigen.
Diese Arbeit am Schreibtisch befriedigte ihn jedoch nicht. Er wollte mit der Waffe in der Hand gegen Napoleon kämpfen und das war nach dem Tilsiter Frieden von 1806 zumindest vorerst nicht mehr möglich. Als sich dann 1809 Österreich gegen Bonaparte erhob, nutzt er die Gelegenheit und wechselte von preußische in österreichische Dienste. Doch noch im selben Jahr endete auch dieser Fünfte Koalitionskrieg mit einem Sieg Napoleons.


Grolman gelang die Flucht in das mit dem Habsburgerreich verbündete England. In Spanien wurde immer noch beziehungsweise schon wieder mit britischer Unterstützung militärischer Widerstand gegen Bonaparte geleistet und so ging Grolman 1810 als Kämpfer der Legion extranjera, einer Art Fremdenlegion der dortigen Armee, nach Spanien. Dort kämpfte er als Bataillonskommandeur gegen Napoleon. 1812 gehörte er zu den Verteidigern Valencias gegen die französische Belagerer. Bei dessen Eroberung geriet er in französische Kriegsgefangenschaft. Er wurde nach Frankreich verbracht. Während seiner Zeit in Spanien wurde Grolman zum Anhänger der konstitutionellen Monarchie – was ihn in den Augen preußischer Reaktionäre zum Jakobiner und Demokraten werden ließ.


In Frankreich gelang ihm noch in eben jenem Jahre 1812 die Flucht in die benachbarte Schweiz. Von dort reiste er mit falscher Identität über Bayern nach Jena, wo er ein Geschichtsstudium aufnahm. Zeitgleich mit dem Seitenwechsel Preußens am Ende von Bonapartes Russlandfeldzug kehrte Grolman nach Preußen und in dessen Armee zurück. Wieder war Grolman mit Engagement bei der Sache. Sein Einsatz bei der Völkerschlacht bei Leipzig brachte ihm das Eichenlaub zum Pour le Mérite.
Im Gegensatz zu den Österreichern, die im metternichschen Geiste Frankreich als Großmacht erhalten sehen wollten, trat nun Grolman mit Gneisenau und Gebhard Leberecht von Blücher dafür ein, den bei Leipzig geschlagenen Franzosenkaiser bis in sein eigenes Land zu verfolgen und dort niederzukämpfen. Die Preußen setzten sich in diesem Punkte gegen die Österreicher durch und der Krieg wurde bis zu Napoleons Kapitulation fortgesetzt.


Als Bonaparte 1815 von Elba nach Frankreich zurückkehrte, gehörte Grolman zusammen mit Gneisenau und Blücher zu jenen, die Napoleons Karriere endgültig beendeten. Während Blücher das Kommando über die preußischen Truppen führte, war Gneisenau sein Generalstabschef und Grolman sein Generalquartiermeister. Es war nicht zuletzt die logistische Leistung des Generalquartiermeisters Grolman, welche die Preußen noch rechtzeitig genug auf dem Schlachtfeld von Belle-Alliance erscheinen ließ, um die Entscheidung zu bringen.


Nach den napoleonischen Kriegen leitete Grolman unter dem preußischen Reformer und Kriegsminister Boyen das 2. Departement des Kriegsministeriums. In dieser Funktion baute Grolman den preußischen Generalstab auf, widmete sich dessen Organisation und Ausbildung. Neben der Beteiligung an der preußischen Heeresreform unter Scharnhorst und der Niederringung Bonapartes nach dessen Rückkehr von Elba unter Blücher ist sein konstituierendes Wirken als erster preußischer Generalstabschef die dritte große Leistung Grolmans von historischer Bedeutung.


Wie sein Minister wurde auch Grolman ein Opfer der Reaktion, die nach den napoleonischen Kriegen wieder ihr Haupt erhob. Ganz im Sinne Scharnhorsts hatten sich die beiden preußischen Reformer für ein Volk in Waffen, den Bürger in Uniform und damit für die Landwehr eingesetzt, während die Reaktion diese Errungenschaft der Befreiungskriege zugunsten des traditionellen auf den König eingeschworenen und von Berufssoldaten geführten stehenden Heeres zurückdrängen wollte. Der König schlug sich auf die Seite der Reaktion und Grolman nahm mit seinem Minister Boyen deshalb im Jahre 1819 den Abschied.


Auf Betreiben des Prinzen August von Preußen wurde Grolman jedoch 1825 reaktiviert. Nachdem er die 9. Division in Glogau kommandiert hatte, wurde er schließlich Nachfolger des 1831 verstorbenen Gneisenau. 1832 erst interimistisch und 1835 dann offiziell und definitiv wurde ihm das Kommando über das V. Armeekorps in Posen übertragen. In Posen war es denn auch, wo Karl von Grolman am 15. September 1843 starb. 

Manuel Ruoff

00:05 Publié dans Histoire, Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, prusse, allemagne, militaria | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 14 septembre 2013

Panarabismus statt Demokratie-​Export!

gaddafis.jpg

Panarabismus statt Demokratie-​Export!

von Gereon Breuer

Ex: http://www.blauenarzisse.de

Die USA prüfen einen Demokratie-​Export nach Syrien. Einst sollte der Panarabismus den Islamismus zurückdrängen und die zerspaltene Arabische Welt einen.

Als am 28. September 1970 Gamal Abdel Nasser in Kairo einem Herzinfarkt erlag, starb nicht nur ein ägyptischer Staatspräsident, sondern auch der letzte prominente Vorkämpfer des Panarabismus. Welche Zukunft hat der Panarabismus heute?

Identitätskrise der arabischen Staaten

Die unter dem euphemistischen Begriff des „Arabischen Frühlings“ bekannt gewordene Welle von Aufständen des Volkes gegen seine Herrscher in der islamischen Welt schafft eine Lücke im Ringen um die Identität der arabischen Staaten. Nach dem Zusammenbruch des Osmanischen Reiches und der de-​facto-​Besatzung des fruchtbaren Halbmondes durch die Kolonialtruppen des britischen Empire und der Grande Nation, stürzte die arabische Welt in eine Identitätskrise, die bis heute nicht bewältigt scheint. Die Staaten und ihre zum Teil auf Geheiß der Besatzer installierten Führer fanden unterschiedliche Strategien, dieser Krise zu begegnen.

Eine dieser Strategien war der Panarabismus. Die Ursprünge dieser Bewegung liegen noch vor dem Beginn des zweiten Dreißigjährigen Krieges, als das Osmanische Reich de jure noch bestand, sein Zerfall aber nicht mehr zu leugnen war. Während für das Osmanische Reich und seinen Sultan die Umma – die Gemeinschaft der Muslime – die entscheidende Bezugsgröße war, setzte der Panarabismus auf die Identität der Nation. Es handelte sich um eine durchaus als nationalistisch zu bezeichnende politische Strömung, die alle Araber vom Atlantik bis zum Persischen Golf in einem gemeinsamen Staat vereinen wollte – das zumindest war der Anspruch.

Die Einigung aller Araber – vom Atlantik bis zum Persischen Golf

Es gab in der jüngeren Geschichte der nach-​osmanischen Staatenwelt mehrere Versuche, diesen Anspruch in die Wirklichkeit umzusetzen. Einen davon, der zu den bekanntesten gehört, wurde von Gamal Abdel Nasser unternommen. Mit der so genannten „Vereinigten Arabischen Republik“, in der Nasser Ägypten mit Syrien von 1958 bis 1961 zu quasi einem Staat zusammenschloss, versuchte der ägyptische Präsident, den Grundstein für eine alle arabischen Staaten umfassende Union zu legen.

Dieser Versuch misslang mit der Aufkündigung des Zusammenschlusses durch Syrien, das die ägyptische Vormachtstellung nicht akzeptieren wollte. Es war der bisher letzte Versuch, den Panarabismus in Form eines gemeinsamen arabischen Staates zu verwirklichen.

Stabilität gegen den Islamismus

Abseits der nationalistischen Bestrebungen Nassers, der die arabischen Staaten und Völker unter seiner Führung einen wollte und angesichts der aktuellen Entwicklungen in der arabischen Welt stellt sich die Frage, welche Zukunft der Panarabismus heute haben könnte. Um sie hinreichend und im überschaubaren Rahmen zu beantworten, sind zwei Aspekte bedeutsam. Der eine Aspekt ist, dass der Panarabismus Stabilität schafft. Der zweite, dass der Panarabismus in Opposition zum Islamismus steht. Beide Aspekte hängen zusammen.

Stabilität entsteht in der Hinsicht, dass eine gemeinsame Identität geboten wird, die zu akzeptieren für verschiedene arabische Völker beziehungsweise Stämme möglich ist. Die Identität des Arabischen in Sprache und Kultur kann der kleinste gemeinsame Nenner sein, der die arabischen Staaten miteinander verbindet. Das Machtstreben von Einzelpersonen, die sich zur autokratischen Herrschaft berufen fühlen, kann diese verbindende Identität freilich nicht verhindern. Ob sie es befördert, ist nicht zweifelsfrei zu sagen.

Nation vor Religion

Weil der Panarabismus den ideologischen Schwerpunkt im Bereich der Nation setzt, duldet er jedoch nicht die Vorherrschaft und die Reglementierung durch die Religion und die Ideologie des Islam. Der Grund hierfür liegt in der Zeit des Osmanischen Reiches. Der Sultan in Istanbul war nicht nur formal das weltliche Oberhaupt über die in seinem Reich lebenden Völker, sondern er beanspruchte auch die religiöse Herrschaft. Das empfanden nicht nur die Ägypter als Einschränkung. Es erscheint auch angesichts der vielen Strömungen innerhalb des Islam als mindestens problematisch, ein religiöses Oberhaupt zu akzeptieren. Der Vorzug der Nation, also des nationalen Aspektes des Arabischen, löst dieses Problem in einer Degradierung der Religion.

In der Zusammenschau beider Aspekte ergibt sich hinsichtlich heutiger Chancen des Panarabismus zur Stabilisierung der arabischen Welt folgendes Bild: Eine gemeinsame Identität aller arabischen Nationen erscheint durchaus vorteilhaft. Sie setzt diesen Aspekt vor den Islam und kann so extremistische religiöse Bestrebungen wie die Muslimbruderschaft in Ägypten einhegen.

Ein Staatenbund aller arabischen Staaten kann dann zwar ein hehres Ziel sein; viel wichtiger aber ist, dass eine Priorisierung der Gemeinsamkeiten aller arabischen Staaten verhindert, was im Osmanischen Reich zuletzt auf der Tagesordnung stand: Ein Scheitern an der oktroyierten Moderne mit den blutigsten Begleiterscheinungen.

Das Scheitern einer oktroyierten Moderne verhindern

Der Panarabismus ist schließlich kein politisches Konzept, wie es sich Demokratie-​Fetischisten für die arabische Welt wünschen. Das ist es nicht, weil es ein politisches Konzept der arabischen Welt ist, das aus ihr hervorgegangen ist. Aus diesem Grund kann der Panarabismus durchaus als erfolgversprechendes Modell für eine Stabilisierung der Staatenwelt zwischen Atlantik und Persischem Golf angesehen werden. Dabei wäre es irrelevant, ob ein westlicher Außenminister das gut findet, oder nicht.

jeudi, 12 septembre 2013

L’histoire fabriquée

L’histoire fabriquée
 
Un livre salubre de Vincent Badré


Pierre LE VIGAN
Ex: http://metamag.fr
 
histoire-1.jpgPeut mieux faire. C’est le moins que l’on puisse dire à propos de beaucoup de manuels scolaires d’histoire dans le secondaire. Mais il est vrai qu’il faudrait aussi plus de temps pour enseigner l’histoire. Vincent Badré remet les pendules à l’heure. Reprenant le contenu des principaux manuels en circulation il expose les faits et idées enseignées, indique leur part de vérité, mais parfois aussi leur part de contre-vérité.
 
La méthode de Badré (« la fabrique d’une idée reçue, l’histoire à redécouvrir »…)  a une certaine rigueur même si elle est un peu lassante. L’ouvrage, sans doute écrit un peu vite, souffre aussi de quelques coquilles ( ‘’Annah’’ Arendt p. 153) et d’imprécisions dans certaines sources. 

Il est pourtant très utile par sa méthode : l’histoire est remise à l’endroit dans sa complexité. L’auteur ne remplace pas des erreurs de gauche par des erreurs de droite, mais par un nécessaire recul : la capacité de se placer de différents points de vue.
 
C’est flagrant à propos d’une question comme la naissance du christianisme. Jésus a bien existé même si on ne sait pas tout de lui, son enseignement n’est pas seulement celui du mépris des richesses (!), et le baptême de Clovis, pour n’être pas conforme aux images d’Epinal longtemps diffusées n’est pas non plus – excès inverse – totalement anodin.
 
La Guerre d’Espagne de 1936 donne aussi à l’auteur l’occasion de rappeler bien des faits oubliés, montrant que le camp « antifasciste » n’était guère plus démocrate que celui d’en face, soutenu par des fascistes certes, mais au demeurant jamais réellement fasciste. Bref, une passionnante mise au point qui revisite l’histoire avec le recul nécessaire par rapport aux préjugés contemporains, qui pèchent souvent par l’angélisme et la reconstitution historique rétroactive (Alexandre le Grand était quasiment, nous dit-on, un partisan de la société métissée sous prétexte qu’il cherchait à se rallier des élites non hellènes !).
 
Il ne faut pas voir autre chose dans le livre de Vincent Badré qu’un bon décrassage par rapport aux naïvetés et aux simplismes. Comme tel, son livre est tout à fait salubre.

Vincent Badré, L’histoire fabriquée, Ce qu’on ne vous a pas dit à l’école, éd. du Rocher, 292 p., 21 €.

mardi, 10 septembre 2013

Le roi Arthur était-il un cavalier sarmate?

arth.jpg

Le roi Arthur était-il un cavalier sarmate et les mythes arthuriens ont-ils une origine dans le Caucase ?

(source : agencebretagnepresse)

L’actualité récente en Géorgie a mis les projecteurs sur la République indépendante d’Ossétie (Indépendance proclamée en 1991). Les Ossètes comme les Bretons d’ailleurs, ont des origines ancrées dans la fin de l’Empire romain. Les Ossètes descendent des fameux Alains, ou plutôt de ceux qui sont restés et ne sont pas partis piller l’Empire au Ve siècle.

Les Sarmates en Bretagne insulaire

cataphracte.jpgCes peuplades qui parlent une langue iranienne apparaissent dans le bas-Empire romain sous le nom de Sarmates quand ils sont alliés ou federati et de Scythes quand ils sont ennemis. Envahisseurs, ils sont connus sous le nom d’Alains alliés des Vandales.

La cavalerie sarmate-alain très appréciée des Romains était quasiment invincible. Elle était appelée cavalerie [1], du nom de leur cuirasse d’écailles, la cataphracte.

Depuis 175, les Sarmates devaient fournir à Rome 5000 cavaliers, pour la plupart envoyés en Bretagne (insulaire) à la frontière nord. Les Sarmates de Bretagne auraient été commandés à la fin du IIe siècle par Lucius Artorius Castus qui serait le roi Arthur historique (1), du moins le premier, car il semblerait que le roi Arthur soit un personnage composé de plusieurs figures historiques. Lucius Artorius ayant vécu 200 ans plus tôt que le roi breton qui rallia les Brito-Romains contre les envahisseurs saxons.

D’après Léon Fleuriot, c’est Artorius Castus, préfet de la VIe légion, qui aurait aussi maté la révolte armoricaine de 184. Une intervention en Gaule que rapporte bien la légende dans la première version écrite, celle de Geoffroy de Monmouth.

C’est cette cavalerie sarmate-alain qui aurait apporté d’Asie le symbole du dragon en Grande-Bretagne. Rien de plus normal pour des cavaliers aux cuirasses écaillées de se battre derrière des enseignes d’un monstre écaillé. Le dragon rouge du roi Arthur, dit justement « Pendragon » comme le roi Uther. Le dragon rouge apparaît aussi dans les prophéties de Merlin. Un dragon que l’on retrouve aujourd’hui jusque sur le drapeau du Pays de Galles.

Les Alains en Armorique

Les Sarmates-Alains, révoltés contre Rome, ont pillé le nord de la Gaule de 407 à 409. Après avoir traversé la Loire en 408, le consul Aetius leur donnera l’Armorique pour qu’ils les laissent tranquilles. Un peu comme le roi de France cinq siècles plus tard donnera la Normandie aux Vikings de Rollon.

Avec à leur tête un chef du nom de Goar, les Alains se divisent en plusieurs bandent et pillent l’Armorique. C’est encore eux, redevenus des mercenaires au service de l’empire qui vont réprimer la dernière révolte armoricaine dite des Bagaudes (bagad = bande en gaulois et en breton moderne) en 445-448 à une époque où justement les Bretons commencent à arriver de Grande-Bretagne puisque les dernières légions la quittent en 441.

Certaines s’établiront juste de l’autre côté de la Manche puisque le mot Léon dérive justement de « légion » et Trégor de tri-cohortes. Voir à ce sujet le Guide des drapeaux bretons et celtes de Divi Kervella et Mikaël Bodloré-Penlaez, qui vient de sortir en librairie. Les symboles héraldiques du Haut-Léon et du Trégor semblent avoir justement hérité du dragon.

Certains linguistes pensaient que les patronymes Alain ou Alan seraient tout simplement des gens descendant d’Alains établis en Gaule mais le vieux breton a un terme alan pour le cerf et cette origine semble plus vraisemblable. Des Alains se sont surtout installes en Île-de-France, en Aquitaine, en Lusitanie (Portugal) autour de Carthagène en Vandalousie qui deviendra Andalousie. Le nom de Tiffauge, célèbre pour son Barbe Bleu viendrait du nom d’une des bandes de barbares alliés aux Alains, les Taïfales, établis dans cette région au Ve siècle. Le nom de l’Aunis viendrait aussi d’Alains.

Les mythes arthuriens d’origine alanique ?

Dans leur livre De la Scythie à Camelot, Covington Scott Littleton, professeur d’anthropologie à Los Angeles et Linda Ann Malcor, docteur en folklore et mythologie, ont remis en cause l’origine celtique du cycle arthurien.

Pour eux, le cour de cet ensemble fut apporté entre le IIe et le Ve siècle par des cavaliers alains-sarmates.

La culture des Ossètes, les cousins contemporains des Alains, possède des récits qui ressembleraient aux aventures d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde. On y raconte notamment la saga du héros Batraz et de sa bande, les Narts. Dans cette histoire il est, entre autres, question d’épée magique qui serait l’équivalent d’Excalibur et de coupe sacrée, le Graal donc, la coupe du Wasamonga que l’on retrouve sur l’emblème moderne de l’État d’Ossétie du Sud avec un triskell qui est par contre universel et pré-cetique puisque sur des monuments mégalithiques comme à Newgrange en Irlande. Il semblerait que les échanges de mythes aient eu lieu dans les deux sens.

(1) rapprochement fait pour la première fois par Zimmer, Heinrichen 1890, repris par Kemp Malone en 1925.

Sources : – C. Scott Littleton, Linda A. Malcor, From Scythia to Camelot, New-York ; Oxon, 1994 (rééd. 2000).

- X. Loriot, Un mythe historiographique : l’expédition d’Artorius Castus contre les Armoricains, Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1997.

- Guide des drapeaux bretons et celtes, D. Kervella et M. Bodloré-Penlaez. Éd. Yoran Embanner, 2008.

- Les Origines de la Bretagne, Léon Fleuriot. Payot, 1980 (nombr. rééd.).

Notes

[1] cataphractaire

00:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, sarmates, alains, bretagne, armorique, empire romain | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 08 septembre 2013

L’oeuvre politique d’Alcuin à la cour de Charlemagne

L’oeuvre politique d’Alcuin à la cour de Charlemagne

Alcuin.jpg« Une rencontre entre deux grands hommes eut d’heureuses conséquences » écrit l’historien Pierre Racine  en introduction de son article sur Alcuin, paru dans le magnifique ouvrage de Jacques Le Goff, Hommes et Femmes du Moyen-Age. Il est vrai que la rencontre entre le moine northumbrien Alcuin et le roi des Francs Charles à Parme, en Italie aux alentours de 780, bouleversa les rapports entre l’Église et la royauté pippinide, et inaugura ce que les historiens appellent la « première renaissance carolingienne ». Bien que l’oeuvre d’Alcuin à la cour de Charlemagne ait de nombreux aspects, nous verrons ici les évolutions politiques qu’a connues le règne de Charlemagne, attribuées en grande partie à Alcuin mais également dues à la volonté propre du souverain.

Origine et formation

Alcuin naît en Northumbrie – région de York, en Angleterre – aux environs de 730. Issu sans doute de famille noble, Alcuin fait ses études à l’école de la cathédrale d’York en tant qu’élève d’Aelbert. Devenu bibliothécaire de l’école en 766, il est nommé maître d’école en 780 où il enseigne la littérature classique, la grammaire antique et les mathématiques, base du comput — calcul destiné à fixer la date des fêtes mobiles du calendrier ecclésiastique —, tout en subordonnant les sciences profanes à la Bible dont l’exégèse est selon lui la base du savoir. Cette même année, Alcuin fait la rencontre qui va changer sa vie, Charles, roi des Francs, à Parme. Impressionné par les qualités intellectuelles et la vivacité d’esprit de l’ecclésiastique, le roi l’invite à le suivre à la cour en 781.

Rôle politique

Alcuin va jouer un rôle majeur dans la politique carolingienne de cette fin du VIIIe siècle. De 782 à 796, il dirige l’école palatine où sont formés les enfants des nobles de l’entourage du roi. Dès son arrivée au service du souverain franc, il va célébrer en ce roi sacré le Christ Roi et Prêtre.

Déjà à la mort du pape Hadrien Ier fin 795, Alcuin voyait en le roi franc un « nouveau David », à la fois roi et prophète : « Le Christ, de nos jours, a concédé à son peuple comme rector (souverain) et doctor (professeur) un roi David de même virtus (mérite, valeur) et de même foi. »

Dans une autre lettre datée du 26 décembre 796, jour de l’accession de Léon III au trône pontifical, Alcuin, sur ordre de son maître Charles, déclare à l’intention du souverain pontife :

«Voici quelle est notre tâche. À l’extérieur, protéger, les armes à la main, avec le secours de la grâce divine, la sainte Église du Christ de l’invasion des païens et de la dévastation des infidèles; et à l’intérieur, défendre le contenu de la foi catholique. La vôtre, très saint Père, par la prière de vos mains levées au ciel à l’instar de Moïse, est d’aider notre armée jusqu’à ce que, par votre intercession, sous la conduite et par le don de Dieu, le peuple chrétien ait toujours la victoire sur les ennemis de son saint nom et que Notre Seigneur Jésus-Christ soit glorifié dans le monde entier. »

Alcuin prés.jpgCette lettre montre bien à quel point le pape, jusqu’alors souverain des âmes des chrétiens, est relégué au rang de simple puissance sacerdotale, n’ayant plus qu’un rôle de prière. Charles, de par son sacre, reçoit directement ses ordres de Dieu, et n’a donc aucune autre autorité au-dessus de lui. Le roi possède ainsi à la fois le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, car il a en charge et la sauvegarde de son royaume et le salut des âmes des chrétiens, rôle qui appartenait auparavant au souverain pontife. Dans les faits, Charlemagne profite de la faiblesse politique du pape Léon III, qui est d’ailleurs chassé de son trône par une révolte romaine, et qui ne se rétablit sur le Saint-Siège qu’avec l’intervention du roi franc.

Alcuin, dans de nombreuses lettres à son maître, l’exhortait à ne pas obéir aux autorités ecclésiastiques. Dans l’une de ces lettres, il précise l’ordre hiérarchique du monde chrétien:

« Trois dignités ont été jusqu’ici les plus élevées au monde. La première est la dignité apostolique qui donne le droit de gouverner en qualité de vicaire le siège du bienheureux Pierre, prince des apôtres. Comment celui qui le détient a été traité, je le sais par vous-même – il est question ici de la révolte contre Léon III. La deuxième est la dignité impériale avec l’administration séculière de la seconde Rome – Constantinople est le siège de l’empire d’Orient. Par quel acte impie le maître de l’Empire a été dépossédé non par des étrangers, mais par ses propres concitoyens, tout le monde le sait – Irène, veuve de l’Empereur Léon IV prit le pouvoir à la mort de son mari. Mais lorsque son fils Constantin VI devint majeur en 790, elle lui fit crever les yeux et le détrôna. La troisième est la dignité royale que Notre Seigneur Jésus-Christ vous a donnée en partage pour faire de vous le chef du peuple chrétien, plus puissant que le Pape et l’Empereur, plus remarquable par votre sagesse, plus grand par la noblesse de votre gouvernement. »

Il est flagrant ici qu’Alcuin place Charlemagne au-dessus des deux grandes autorités de l’époque, le Pape et l’Empereur. En réalité, la chose est plutôt évidente : le pape est faible et dépend entièrement du bon vouloir de Charlemagne pour conserver son trône, et le siège impérial d’Orient est vacant. Alcuin appelle alors son maître à remplir seul les deux fonctions de pape et d’Empereur : c’est la théocratie impériale que met en place Alcuin en suggérant à Charlemagne d’accéder à l’Empire, ce qui sera fait à la Noël 800.

Conclusion

Alcuin meurt abbé de Saint Martin de Tours — poste qu’il occupait depuis 796 — en 804, soit dix ans avant Charlemagne. Il a été question ici de l’influence d’Alcuin dans le domaine politique à la cour de Charlemagne : comment s’est peu à peu développée l’idée de théocratie impériale, remise en question de la théorie gélasienne – du nom du pape Gélase au Ve siècle – qui voulait la dualité du pouvoir entre temporel et spirituel ainsi que la primauté de ce dernier sur le premier. Cependant, à la mort de Charlemagne en 814, Louis, seul héritier de l’Empereur, va peu à peu perdre de l’influence et de son autorité auprès des ecclésiastiques en réaffirmant la doctrine gélasienne. L’Empereur sera même évincé du pouvoir par son fils Lothaire en 833.

Nicolas Champion

Sources :

  • CHELINI Jean, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, Pluriel, 2010
  • GAUVARD Claude, Dictionnaire du Moyen Age, Paris, PUF, 2012
  • GUILLOT Olivier, RIGAUDIERE Albert, SASSIER Yves, Pouvoirs et institutions de la France médiévale, Paris, Armand Collin, 2011
  • LE GOFF Jacques, Hommes et Femmes du Moyen-Age, Paris, Flammarion, 2012

samedi, 07 septembre 2013

Vortrag Dr. Sunic / Conference Dr. Sunic


 
 


Prof. Dr. Tomislav Sunic

(http://www.tomsunic.com/?cat=35)

(USA, Kroatien)

(Schriftsteller, ehemaliger US Professor der Politwissenschaften)

Rede: „Ulrichsberg: Mahnort oder Wegweiser neuer Katastrophen“?

Im Andenken an die Zivilopfer des Kommunismus

 

Kranzniederlegung

Sonntag, den 15. September 2013, 10 Uhr,  Österreich (Kärnten), Ulrichsberg, Ort: 9063 Pörtschach am Berg bei der Stadt Klagenfurt

...................................................................................................

Dr. Tomislav Sunic

(USA, Croatia)

(Author, former US political science professor)

Commemorative speech in the German language:  “Ulrichsberg:  A Memorial Place or a Guidepost to new Catastrophes”?

In memory of civilian victims of communism

 

Laying of a wreath

Sunday, September 15, 2013, 10AM, Austria, Carinthia, 9063 Pörtschach am Berg, near the town of Klagenfurt

...........................................................

Prof. Dr. Tomislav Sunic

( autor,  bivši profesor političkih znanosti, SAD) 

Govor na njemačkom: „Ulrichsberg: memorijalni centar ili putokaz za nove katastrofe“?

U sjećanju na civilne žrtve komunizma

Polaganje vijenca i za hrvatske žrtve

Nedjelja, 15. rujna, 2013, 10h. Austrija, Koruška,  9063 Pörtschach am Berg kod Klagenfurta

.......................................

Tomislav Sunic

(USA, Croatie)

(Écrivain, ancien professeur de Sciences Politiques)

Allocution en langue  allemande :

"Ulrichsberg,  un lieu de commémoration ou l'annonce de nouvelles catastrophes „ ?

A la mémoire des victimes  du communisme

 

Dépôt de gerbe

Dimanche,  le 15 Septembre 2013, 10h00,  Ulrichsberg, près de Klagenfurt, Autriche, 9063 Pörtschach am Berg

.............................................................................................................……………………………… 

............................................................................................................................................................


Anschließend legt Dr. Sunic mit dem Obmann des Bleiburger Ehrenzuges (PBV)  Ilija Abramovic einen Kranz für alle Kriegsopfer am kroatischen Ehrendenkmal der Opfer von Bleiburg am Ulrichsberg nieder.

Fahnen der Veteranen und Opferverbände ausdrücklich erwünscht.

Impressionen vom letzen Ulrichsbergtreffen

http://www.meinbezirk.at/klagenfurt/kultur/ulrichsberg-treffen-2012-friedens-u-voelkerverstaendigungsgedenkstaette-d348907.html

Kroatischer Kranz und Ehrendenkmal des Bleiburger Ehrenzuges am Ulrichsberg:

http://www.meinbezirk.at/klagenfurt/kultur/gedenktafeln-m3011086,348907.html

 
 
 

jeudi, 05 septembre 2013

Le Midi

Le Midi...

La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 68, septembre - octobre 2013).

Le dossier central est consacré au Midi des troubadours et des cathares. On peut y lire, notamment,  des articles de Sophie Cassar ("Le comté de Toulouse"), de Rémi Soulié ("La civilisation de Midi languedocien au XIIe siècle" ; "De Frédéric Mistral au Larzac"), de Bernard Fontaine ("L'implantation de l'hérésie en Languedoc" ; "Le siège de Montségur"), de Martin Aurell ("1213 : Muret, la bataille décisive"), de Pierre de Meuse ("L'inquisition, mythe et réalité" ; "Le catharisme au risque de l'histoire"), de François Fresnay ("Simon de Montfort ") et de Philippe Conrad ("L'hérésie cathare revisitée" ; "Le Midi languedocien, des origines au XXe siècle").

Hors dossier, on pourra lire, en particulier, un entretien avec le général Maurice Faivre ("Du Renseignement à l'Histoire") ainsi que des articles d'Emma Demeester ("Le Tsar Alexandre II ou la réforme impossible"), de Michel Lentigny ("La résurrection des Etrusques"), de Michel Ostenc ("Verdi et le Risorgimento") et de Philippe d'Hugues ("L'Europe médiatrice") et la chronique de Péroncel-Hugoz.

 

NRH 68.jpg

Intellectuels sous l'occupation

INTELLECTUELS SOUS L’OCCUPATION

 
Une réalité complexe

Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr
 
riding22.gifLe premier mérite de l’auteur, journaliste américain installé de longue date en France, c’est qu’il évite d’aborder une période compliquée avec des idées simples. Peu de périodes furent aussi compliquées que celle de l’Occupation. Alan Riding pose les bonnes questions : « Est-ce que le fait d’avoir travaillé sous l’Occupation était systématiquement une forme de collaboration ? » Des questions cruciales pour les intellectuels et artistes. 

Il y avait, montre-t-il, une infinité de nuances ente la résistance franche et la collaboration assumée, nuances passant notamment par la résistance passive – le fait de publier le minimum – le retrait de la vie littéraire, ou un mélange de collaboration et de services rendus à la Résistance. « Les Parisiens auraient été surpris d’apprendre que certains écrivains célèbres, des musiciens, des cinéastes, qui travaillaient avec l’accord des Allemands, étaient en même temps engagés dans la Résistance. » Si l’attitude des intellectuels et artistes français fut rien moins que monolithique, l’attitude des Allemands fut elle-même souvent complexe, entre répression, intimidation et tentative de séduction des intellectuels. C’est pourquoi la résistance littéraire fut bien souvent plutôt une dissidence de l’intérieur qui n’inquiétait pas outre mesure l’occupant allemand. « A partir de 1942, aucun de ceux qui étaient impliqués dans le Comité national des écrivains ou dans les groupes plus petits du cinéma, des arts, de la musique ou du théâtre ne fut arrêté. Une explication plausible est que, tout en étant décidé à lutter contre la résistance armée, les Allemands accordaient peu d’importance à ces groupes. » 

Une réalité complexe difficilement conciliable avec  les stéréotypes trompeurs d’une France toute entière résistante mais aussi avec la nouvelle vulgate dévalorisante présentant les Français comme massivement compromis dans la collaboration. Un écart entre le réel et le discours qui explique le persistant malaise français quant à l’histoire de la période 1940-1944. Comme le disait Jean-Galtier Boissière : veni, vidi, Vichy. Nous ne nous en sommes pas encore tout à fait remis.

Alan Riding, Intellectuels et artistes sous l’Occupation. Et la fête continue, Flammarion-Champs-histoire, 442 pages, 12 E.

jeudi, 29 août 2013

Emilio Gentile: Pour ou contre César?

Emilio Gentile: Pour ou contre César?


Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr

Pour-ou-contre-Cesar882.jpgEn 1938, le chanoine de Winchester écrivait que le totalitarisme, de droite ou de gauche, « c’est l’Antéchrist. C’est une révolution et une religion. » L’opposition entre le christianisme et le totalitarisme s’inscrit en fait à la suite d’une longue histoire. C’est le conflit entre religion et modernité. 

Première étape : la condamnation de l’esprit de libre examen au temps de Luther. Deuxième étape : la condamnation de la Révolution française comme volonté de déifier l’homme. Etape suivante : la condamnation de la volonté de déifier la nation, ou la race, ou la classe des prolétaires. Mais entretemps, il y a eu l’apocalypse de la modernité : la guerre de 1914. Elle a amené pour les églises un défi de type nouveau. Le nihilisme risquait de tout submerger. Et des religions de substitution apparaissent. 

Nicolas Berdiaev avait observé que le bolchévisme mobilisait des « énergies religieuses résiduelles ». Reinhold Niebhur parlait de son côté d’un « idéalisme politique aux implications religieuses ». Un constat parfaitement compatible avec la persécution des chrétiens affirmés par le bolchévisme. De ce point de vue, les choses étaient claires : en Russie, Lénine avait engagé une guerre sans merci contre la religion. Le plan quinquennal de 1927 se donnait 5 ans pour éradiquer ce qui restait de la religion. Explication : le communisme était une religion de la liquidation de toutes les religions, d’où l’anticommunisme réactionnel des églises chrétiennes dans les années 20 et 30.
 
Face aux autres totalitarismes, la situation était plus nuancée. « La confrontation entre le christianisme d’une part, et le fascisme et le national-socialisme d’autre part, fut d’un ordre différent et bien plus complexe. » note Emilio Gentile. D’un côté, fascisme et nazisme se voulaient un rempart contre le communisme, ennemi mortel des Eglises. D’un autre côté, ces totalitarismes anticommunistes tendaient à devenir des religions de substitution. En Italie, cette tendance s’affirma surtout à partir de 1937. A partir du moment où le Duce était présenté comme « la Providence vivante », les Catholiques ne pouvaient que constater l’impossibilité de « catholiser » le fascisme. « A considérer le principe totalitaire en lui-même en tant qu’énergie historique ayant sa loi propre, il apparait ainsi que ce principe enveloppe une aversion foncière des ordinations chrétiennes, aversion qui n’est rendue inefficace que dans la mesure où le totalitarisme est efficacement contrarié par l’opposition de la religion. » écrivait Jacques Maritain en 1936. Cet aspect n’a pas échappé à l’Eglise. Un rapport du Vatican de 1931 définissait et condamnait le nationalisme outrancier du régime de Mussolini comme une « religion civile ». Le fascisme est un « absolutisme païen » déclarait Francisco Luigi Ferrari. De son côté, don Sturzo résumait : « Communisme, fascisme et nazisme sont devenus une religion. » Une religion de l’anti-religion dans le cas du communisme, une contre-religion dans le cas du fascisme et du national-socialisme. « Il n’y a de différence vraiment marquante, écrivait don Sturzo, à savoir que le bolchévisme ou dictature communiste est le fascisme de gauche, tandis que le fascisme ou dictature conservatrice est le bolchévisme de droite. »
  
Le cas le plus manifeste de contre-religion fut le national-socialisme. Hitler exécrait l’universalisme du catholicisme mais admirait sa hiérarchie. D’un autre côté, il appréciait le caractère national du protestantisme allemand mais voulait l’unifier à son service. Quant à Jésus, il le définissait comme « notre grand chef aryen ». « En me défendant contre le Juif, je combats pour défendre l’œuvre du Seigneur. » disait-il encore. C’est dire qu’Hitler voulait plus nazifier le christianisme que l’éradiquer. Ainsi, il ne goûtait pas les rêves d’une religion antichrétienne d’Erich et Mathilde Ludendorff, de même qu’il ne soutint pas les idées d’Alfred Rosenberg, l’auteur du Mythe du XXe siècle et ne fut jamais convaincu que le mouvement dit de la « Foi Germanique » puisse avoir un grand avenir.
  
Face au totalitarisme nazi, les églises catholiques s’opposèrent tôt, avec la déclaration du curé de Kirschhausen (Hesse) en septembre 1930, déclarant qu’aucun catholique ne pouvait être membre du parti nazi. Il fut soutenu par sa hiérarchie et cette incompatibilité fut réaffirmée en première page de l’Osservatore romano le 11 octobre 1930. Le Concordat allemand de 1933 intervint avant tout comme une stratégie du gouvernement allemand pour liquider les restes de l’influence politique de l’Eglise. Le philosophe catholique Anton Hilckman dénonça radicalement le national-socialisme comme une « sacralisation du politique ». « Aucun doute ne peut subsister quant au caractère non seulement fondamentalement antichrétien, mais aussi fondamentalement antireligieux, au sens le plus large du terme, du mouvement hitlérien. » écrivait-il. 
 
Les relations entre le national-socialisme et le protestantisme furent plus complexes. Une partie des dirigeants des églises protestantes considéraient que préserver la « pureté de la race » faisait partie des devoirs envers Dieu. Les Chrétiens Allemands constituaient le fer de lance de cette tendance. Ils prônaient un « christianisme positif » purgé du judaïsme : un nouveau marcionisme, mais non pour opposer l’Amour à la Loi mais pour opposer la race au judaïsme.  A la pointe extrême de ces idées, on trouvait les thèses  du philosophe Ernst Bergmann sur « L’Eglise nationale germanique ». Mais pour le pasteur Richard Karwehl, le racisme est une divination de la race aryenne. Il est ainsi incompatible avec le christianisme. Un point de vue que l’on trouve aussi chez Paul Tillich et Karl Barth. Gerhard Leibholz parlait pour sa part de « confessionnalisation de la politique » à propos du nazisme. C’est qui donna lieu à la création de l’Eglise confessante, suite à la déclaration de Barmen, rassemblant les protestants rebelles à la mise au pas au sein de la nouvelle Eglise protestante du Reich. C’est George N. Shuster qui avait raison en voyant dans l’hitlérisme « la première expérience moderne de mahométisme appliqué ».L’hitlérisme se voulait une nouvelle religion, une « foi politique ». Une foi est toujours exclusive. Le conflit avec les religions instituées était alors inévitable. C’est ce que montre l’histoire des totalitarismes. Mais le missionnaire anglais Joseph H. Oldham n’avait pas tort de souligner qu’une certaine forme de totalitarisme pouvait aussi concerner les Etats démocratiques. La confrontation entre christianisme et modernité n’est donc pas terminée.

Emilio Gentile, Pour ou contre César ? Les religions chrétiennes face aux totalitarismes, Flammarion / Histoire, 482 pages, 28 Euros.

GERMANIA E RUSSIA NELLA GUERRA FREDDA

ostpol2.jpg

GERMANIA E RUSSIA NELLA GUERRA FREDDA

Marco ZENONI

Ex: http://www.eurasia-rivista.org

L’anteguerra

A riavvicinare Germania e Unione Sovietica, dopo l’allontanamento successivo all’ingresso della Germania nella Società delle Nazioni (SdN), fu soprattutto la questione polacca. Polonia e Germania, quest’ultima mai accontentatasi del riposizionamento geografico voluto a Versailles e – in particolare – della creazione ex tunc della città libera di Danzica, firmarono un patto di non aggressione nel 1934, garantendosi la reciproca neutralità nei 10 anni a venire. La Polonia, naturalmente, era conscia delle mire del terzo Reich e per questo tentò sempre l’avvicinamento a Francia e Inghilterra, in cerca di una strozzatura geopolitica nei confronti dei tedeschi. Peraltro, l’ostilità dei polacchi nei confronti del vicino sovietico, fece sì che nessun accordo militare venisse stretto con i sovietici e che, anzi, la Polonia si allontanasse allo stesso modo sia dal vicino orientale che da quello occidentale, rifiutando una modifica allo status quo e dunque ponendo le basi per l’imminente guerra, che poi diverrà mondiale. Tale posizione, dovuta sì ad alcune particolarità storiche e culturali ma, soprattutto, dall’influenza degli alleati anglosassoni e, in particolare, quella statunitense. Le potenze talassocratiche, infatti, non avevano che da trarre vantaggio da un’eventuale guerra che, chiaramente, non fosse mondiale nelle intenzioni iniziali, ma spingesse le frizioni fino ad uno scontro tra Germania e Unione Sovietica. L’intento primario era infatti quello di spingere le due potenze continentali ad affrontarsi. Per Stalin, tuttavia, questa rimaneva un’ipotesi da scacciare, o quanto meno ritardare il più possibile[1]. Furono queste le condizioni geopolitiche che portarono al patto Molotov-Ribbentrop. Una mutua assicurazione dunque, utile a Stalin per prendere tempo e alla Germania per assicurarsi da eventuali colpi di mano. Tale patto, seppur evidentemente siglato solo in funzione tattica, mise in allarme l’Inghilterra, la quale intervenne, interferendo in entrambi i trattati (polacco-tedesco e tedesco-sovietico), attraverso l’Accordo di reciproco aiuto, siglato con la Polonia – in palese infrazione di quello siglato fra Polonia e Germania, ma anche del Patto Molotov-Ribbentrop. L’intento dell’Inghilterra era quella di costruire una frattura geografica fra le due potenze eurasiatiche, in modo da impedirne l’avvicinamento e in particolar modo di impedire eventuali intese fra i polacchi e il terzo reich. Lo stesso Stalin, difatti, almeno inizialmente, attribuì le colpe della guerra completamente ad Inghilterra e Francia, e non alla Germania[2].


Oltre al noto patto, tuttavia, Germania e Unione Sovietica si legarono anche dal punto di vista commerciale, attraverso un accordo firmato l’11 febbraio 1940. Si arrivò tuttavia alla guerra, una guerra fratricida sulle terre eurasiatiche, che contrappose frontalmente le due potenze continentali. A seguito della guerra, che costò ai sovietici oltre 22 milioni di morti, la frattura fra i due paesi pareva insanabile. L’Armata Rossa marciò fino a Berlino, con spirito vendicativo. I tedeschi venivano visti come un invasore, da schiacciare senza pietà.

Il Dopoguerra

 

ostpolitik.jpgGli animi si placarono,  lasciando spazio al pragmatismo e al calcolo geopolitico. Nel 1945, a Jalta, avvenne la definitiva spartizione della Germania, contrapponendo di fatto da una parte gli alleati (Stati Uniti, Francia e Inghilterra) e dall’altra i sovietici. Il 1948 fu l’anno del piano Marshall, un piano economico presentato come l’inevitabile aiuto dall’oltreoceano per il risanamento delle economie europee, in realtà un mezzo economico indispensabile per il rafforzamento dell’economia statunitense ma, soprattutto, un importante collante per la formazione dell’alleanza occidentale, legata prima economicamente e poi militarmente (e politicamente) attraverso la struttura della NATO.


La divisione della Germania fu ultimata nel 1952, quando la frontiera fu definitivamente chiusa. Da quel momento l’avvicinamento della Germania dell’Ovest al sistema d’alleanze occidentale proseguì spedita. Eppure dei tentativi in funzione di una Germania unita furono mossi. Nel 1952 fu infatti Stalin stesso a proporre l’idea di una Germania unificata, a prezzo però di una sovranità limitata in politica estera: una neutralità imposta e irreversibile. Nei piani di Stalin questo avrebbe permesso la formazione di un cuscino neutrale nel cuore dell’Europa, il che avrebbe per altro sottratto la Germania dalle maglie dell’alleanza atlantica, che ne avrebbe fatto un bastione antisovietico nel cuore dell’Europa, a ridosso dell’oriente, cosa che infatti puntualmente si verificò. Il piano di Stalin fu rigettato, gli alleati occidentali dimostrarono ben presto di avere scarso interesse per una Germania unificata, non al prezzo di una neutralità che avrebbe sottratto un’importante pedina, difensiva, ma all’occorrenza anche offensiva, direttamente puntata ad Oriente, e situata nel cuore dell’Europa continentale. Per la Germania, vittima della frattura insanabile fra Est e Ovest, non poté che profilarsi la sola soluzione della divisione politica e geografica. Due Stati, dunque, per un’unica nazione. Nel 1961 tale divisione fu rimarcata attraverso la costruzione del muro, simbolo della contrapposizione frontale fra i due schieramenti.


Il primo cancelliere della Repubblica Federale Tedesca fu Konrad Adenauer, un fervente anticomunista, che tuttavia fu invitato già nel 1955 a Mosca, a seguito degli accordi di Parigi, che riconoscevano la sovranità della RFT e ufficializzavano il riconoscimento da parte Sovietica della Repubblica Federale. Adenauer fu un grande sostenitore dell’alleanza atlantica e tra gli animatori più vivaci (assieme all’omologo italiano, Alcide de Gasperi) della costituzione della Comunità Europea, tale di nome, ma meramente occidentale di fatto. Nel 1950 era infatti già stata pronunciata la cosiddetta “dichiarazione Schuman”, che prese nome dall’allora ministro degli esteri francese, Robert Schuman, e che proponeva di mettere da parte l’astio che correva fra i due vicini, ponendo le basi per una collaborazione che fosse prima economica, tramite la comune gestione delle risorse del carbone e dell’acciaio, e successivamente anche politica. Furono questi i primi passi che condussero la Germania nell’alleanza occidentale, senza alcun tipo di ripensamenti. Allo stesso Adenauer risale oltretutto la teoria dell’ “Alleinvertretungsanspruch” ovvero al diritto esclusivo della Repubblica Federale Tedesca di parlare a nome dei tedeschi. Per il cancelliere, infatti, la Germania Est altro non era che una zona d’occupazione sovietica e, in quanto tale, non meritava né il riconoscimento, né tanto meno di parlare a nome dei tedeschi. A tale posizione si aggiunse per altro la “dottrina Hallstein”, fatta propria dal cancelliere, la quale prevedeva che ogni apertura di paesi terzi alla Repubblica Democratica Tedesca, il che ne implicava il riconoscimento, era un torto alla Repubblica Federale e come tale non sarebbe stato tollerato. La parola fu mantenuta, tanto che ben presto furono tagliati i rapporti con la Jugoslavia e con Cuba.


L’aggressività occidentale, che non portò alcun risultato né al fine di attenuare gli animi, né a quello dell’unificazione tedesca, maturò in Willy Brandt, il lungimirante cancelliere che succedette ad Adenauer, la convinzione che il muro (metaforico, ma anche fisico) opposto dall’oriente fosse una reazione all’eccessiva aggressività occidentale. Con l’ascesa al cancellierato di Brandt i rapporti tra la Germania Federale e l’Unione Sovietica presero finalmente un’altra piega, giungendo ad una distensione che (escludendo naturalmente la DDR), non si aveva dall’anteguerra. “Il nostro interesse nazionale non ci consente di stare in mezzo fra est e ovest. Il nostro paese ha bisogno della collaborazione con l’occidente e dell’intesa con l’oriente”[3], da queste poche parole, pronunciate da Brandt stesso, si deducono quelli che poi furono i punti cardine dell’Ostpolitik. Non una vera e propria apertura verso l’oriente, ma una distensione, un’intesa al fine di raggiungere, per tappe, alcuni obbiettivi programmatici. Una politica sovranista che potrebbe in qualche modo essere paragonata (e forse ne fu influenzata) a quella gollista. La politica di apertura verso l’oriente, tuttavia, procedette solo dopo aver ribadito il pieno inserimento della repubblica federale all’interno del sistema occidentale, della NATO e della piena amicizia e intesa con la Francia, già consolidata da anni dalla struttura della CECA e, dopo gli accordi di Roma del ’57, dalla Comunità Economica Europea. Per quanto riguarda l’oriente, di fatto, quella che si avanzava era una proposta di dialogo: si chiese all’Unione Sovietica di rinunciare al diritto dell’intervento, in precedenza ribadito dai sovietici, e in cambio si riconosceva lo status quo venutosi a formare dopo la guerra oltre il muro. In particolare il riferimento era alla Polonia, con cui in quegli anni, sempre in linea con la ostpolitik, fu concordato un trattato bilaterale che assicurò l’accettazione da parte tedesca dei confini occidentali della Polonia. Vi fu inoltre, per la prima volta, il riconoscimento dell’esistenza di due Germanie. Il tutto venne siglato con l’accordo germano-sovietico del 1970, firmato a Mosca da Brandt e Kossyghin, indispettendo inevitabilmente gli Stati Uniti, nonostante le rassicurazioni più volte ribadite e dimostrate. Con l’intento della distensione, al fine di costituire un ordine pacifico europeo, si arrivò dunque al congresso di Helsinki (1973-75), un processo diplomatico multilaterale, che portò ad un notevole avvicinamento, al prezzo di alcune pragmatiche rinunce da una parte e dall’altra. Priorità dell’Unione Sovietica era il riconoscimento delle frontiere post-1945, intento degli alleati occidentali era invece indebolire il patto di Varsavia attraverso lo strumento della causa dei “diritti umani”, un punto che la coalizione sovietica aveva sino ad allora visto come un’intollerabile ingerenza[4]. E’ attraverso Mosca (1970) ed Helsinki (1975) che, infine, la repubblica federale tedesca riconobbe la frontiera dell’Oder-Neisse. La RFT per altro rinunciò alla “Alleinvertretung” e, di conseguenza, all’intento politico dell’unione tedesca. Pur rinunciando, almeno nel breve termine, alla riunificazione dello Stato tedesco, Brandt non volle rinunciare all’unificazione della nazione. Per far ciò necessitava del consenso e della collaborazione della repubblica democratica e, dunque, dell’Unione Sovietica. Per questo motivo si potrebbe dire che la ostpolitik fu de facto ed inevitabilmente una “Russlandpolitik”[5]. Condizione posta dall’Unione Sovietica per la collaborazione, e la distensione, fu l’adesione della Germania al trattato di non proliferazione nucleare. Successivamente, la dirigenza sovietica dichiarò, tramite Leonid Brezhnev, la propria approvazione per la nuova politica estera condotta dalla RFT, questo nonostante effettivamente la DDR non venisse riconosciuta (nel 1970 erano 26 gli Stati che la riconoscevano), il che provocò qualche malumore a Berlino Est.


Fino a quel momento la dirigenza sovietica aveva preferito l’immobilismo nei confronti della Germania dell’Ovest, questo permetteva di tenere la Repubblica Federale Tedesca in uno stato di soggezione e d’inferiorità, attraverso una propaganda costante oltrecortina[6], distogliendo anche le attenzioni dai problemi e dalle contraddizioni interne. Tuttavia, alla Ostpolitik tedesca i sovietici fecero allora corrispondere una “Westpolitik”. Il cambiamento di rotta fu spinto dalla necessità che i paesi occidentali riconoscessero lo Status Quo ad oriente, in particolare il riconoscimento della nuova Polonia uscita dalla seconda guerra mondiale e modificata nei suoi confini occidentali. Essendo questi gli anni in cui la Cina andava rompendo con l’URSS, dopo aver elaborato la strumentale categoria di “socialimperialismo”, per avvicinarsi agli Stati Uniti, il riconoscimento delle frontiere occidentali era una pedina fondamentale per placare gli animi su tale fronte, potendosi concentrare con maggior equilibrio nelle questioni orientali. Moralmente inoltre il riconoscimento poteva essere sventolato come una vittoria, essendo state così imposte le conseguenze della guerra allo Stato che si era frontalmente contrapposto a quello sovietico.


Pur essendo il fine dell’Ostpolitik, da parte dei tedesco-occidentali, quello di distendere i due fronti, in modo da riequilibrare anche la situazione tedesca, e quello dei sovietici di indebolire geopoliticamente l’asse antisovietico, consci del peso politico ed economico della Germania (che nel frattempo andava crescendo in maniera sorprendente), Brandt mostrò un certo senso strategico nel suo riavvicinamento all’Unione Sovietica, come dimostrò parlando alla Radio, a Mosca, il 12 agosto del 1970: “La Russia è indissolubilmente legata alla storia europea, non solo come avversario o come pericolo, ma anche come partner, storicamente, politicamente, culturalmente ed economicamente”[7]. Si può dunque dire che dopo la dottrina Adenauer-Hallstein, venne a prevalere la “dottrina Brandt”: promuovere il cambiamento attraverso l’avvicinamento[8]. Bisogna tuttavia aggiungere che nella sua politica fu probabilmente anche condizionato da Günter Guillaume, quello che in breve divenne uno dei suoi uomini più fedeli, secondo alcuni il “braccio destro” , ma che presto si rivelò una spia della Stasi, inviato con non ben precisati compiti da Markus Johannes Wolf , il quale, tuttavia, dichiarò in un’intervista successiva che l’intento non era quello di gettare in disgrazia il cancelliere[9] (quest’ultimo dovette infatti dare le dimissioni, in seguito all’”affare Guillaume”. Una vicenda tutt’oggi poco chiara e su cui poca luce è stata fatta.

Conclusioni

L’ostpolitik fu una politica realista, fu un calcolo pragmatico che prese le mosse dall’accettazione dello status quo, condizione preliminare, conditio sine qua non per distendere i rapporti con l’Est. Questa politica guardava ai vertici, alle dirigenze, indipendentemente dalle possibilità sovversive di determinati movimenti filoccidentali. A testimoniarlo vi è il rifiuto della Repubblica Federale di aderire alle sanzioni mosse dagli Stati Uniti contro la Polonia, per la repressione dei movimenti “rivoluzionari”, i quali godevano in gran parte della simpatia e delle potenze occidentali. Tale fase politica inoltre, come ampiamente previsto dai suoi promotori, permise alla Germania di ritagliarsi un proprio spazio politico, restituendole il peso geopolitico ed economico adeguato, per la preoccupazione e il sospetto degli alleati occidentali.


A conti fatti, pur non ottenendo grandi cambiamenti in ambito geopolitico, l’ostpolitik fu il momento di massima distensione tra la Germania e l’Unione Sovietica, sin dalla rottura in seguito all’Operazione Barbarossa. Un avvicinamento che, seppur apparentemente sotto controllo, mise in allarme alcuni settori, in particolare delle due potenze talassocratiche. D’altronde queste interferirono nei rapporti tedesco-sovietici anche nel primo dopoguerra e nel 1939. A dimostrazione che un’alleanza fra le due potenze continentali, l’unione fra due forze economiche e politiche, non fu e tutt’ora non è ben vista dalle potenze egemoni.

Marco Zenoni è laureando in Relazioni Internazionali all’Università di Perugia


[1] http://www.eurasia-rivista.org/dietro-le-quinte-della-guerra-tra-la-germania-e-la-polonia/1015/ [1]
[2] http://www.eurasia-rivista.org/il-patto-di-non-aggressione-tedesco-sovietico/1645/ [2]
[3] cfr. “Affari esteri”, n. 5 – 1970. P. 130
[4] Cfr. Eurasia, n.2 – 2011
[5] Ibidem
[6] Ibidem.
[7] Cfr. “Affari esteri”, n.8 – 1970. P. 11
[8] Cfr. “Affari Esteri”, n.8 – 1970.
[9] http://www.telegraph.co.uk/news/obituaries/1533707/Markus-Wolf.html [3]

lundi, 26 août 2013

De l’étude des racines celtiques au projet politique pan-celtique de la République d’Irlande

 

Robert Steuckers:

De l’étude des racines celtiques au projet politique pan-celtique de la République d’Irlande

Conférence prononcée au Château Coloma, Sint-Pieters-Leeuw, le 2 mars 2013.

Prologue:

kahn1.gifQuelle surprise, la veille de notre rendez-vous annuel en ce château, de découvrir à l’étal des librairies un ouvrage sur le thème de notre colloque d’aujourd’hui, les Celtes et le celtisme. Il est de la plume du célèbre Jean-François Kahn, directeur de l’hebdomadaire “Marianne”, du moins de sa version française, puisqu’il existe désormais une version belge qui ne me semble pas avoir le tonus de sa consoeur parisienne, si bien que je ne parie guère sur sa survie. Jean-François Kahn ne semble pas homme, a priori, qui encombre ses réflexions d’un souci permanent des racines celtiques ou gauloises de la France actuelle: ses sujets de prédilection sont à l’évidence les problèmes sociaux, les dysfonctionnements politiques qui affectent son pays. Dans la littérature géopolitique et dans certains atlas historiques, cet “Hexagone” est désormais qualifié d’ “espace gallique”, recouvrant ainsi l’acception de “Francie occidentale” lors du partage de Verdun en 843. Le reste, soit la part de l’Hexagone qui n’est pas “gallique”, est inclu dans un “espace germanique et lotharingien” par les auteurs d’un précieux “Atlas des peuples d’Europe occidentale”, soit Jean et André Sellier (La Découverte, Paris, 1995-2006). L’espace “germanique et lotharingien” étant, pour J. et A. Sellier, l’addition des héritages de Lothaire et de Louis le Germanique (la “Francie orientale”) en 843. Dans son livre “L’invention des Français – Du temps de nos folies gauloises” (Fayard, Paris, 2013), Jean-François Kahn se penche sur ce qui s’est passé sur le territoire aujourd’hui “français” (y compris la part lotharingienne —et burgonde— absorbée et dénaturée) entre 600 av. J. C. (date présumée de l’arrivée massive de tribus celtiques) et 500 après J. C., quand les Francs, venus de nos régions, prennent le relais des Romains moribonds ou disparus. Ces onze siècles, pour Kahn, sont le véritable creuset où s’est formée la “nation française”, en dépit des apports romains et germaniques, campés comme des adstrats sans réelle importance. Ce creuset est celui d’un “invraisemblable capharnaüm de bandes et de hordes, de cités et de nations”, d’où sortira, en bout de course, “un étrange mille-pattes à mille têtes qu’on appellera les Français”. Kahn privilégie évidemment l’idée d’un creuset où se mêlent toutes sortes d’ingrédients hétérogènes au détriment de toutes les homogénéités qui se sont juxtaposées dans les espaces gallique, lotharingien et burgonde. Kahn tente de retracer les épisodes qualifiables d’anarchisants et de libertaires dans ces onze siècles quasi inconnus de nos contemporains, en manifestant sa sympathie pour ce magma tissé de turbulences, rétif à tout ordre politique.

Toujours privilégier les faits romains et francs

Ce qui est vrai dans sa démonstration, comme dans la démonstration de bon nombre de celtisants bretons ou autres, c’est que l’historiographie dominante a toujours privilégié les faits romain/latin et franc/germanique dans l’espace gallique, au détriment de ce que Kahn campe aujourd’hui comme “celtique” ou “gaulois”. Effectivement, le facteur celtique a été longtemps oublié dans l’historiographie dominante. Rome a évidemment apporté la langue latine dans l’espace gallique et, comme l’histoire repose sur l’étude des textes, nous n’avons jamais disposé que de textes latins. Il n’y a pratiquement pas de textes longs, sinon des épigraphies, en langues celtiques continentales. La démarche de l’historien repose sur des textes, sur des travaux sauvés de l’oubli comme ceux de Tacite et de Tite-Live. La Renaissance carolingienne privilégie, elle aussi, le latin, toutefois elle collationne en marge de ses activités des récits populaires germaniques, sous l’impulsion d’Alcuin (natif de York) et d’Eginhard (un Rhénan). Même sous l’égide de Dicuil, moine irlandais au service du pouvoir installé par Charlemagne, le latin triomphe comme langue officielle de l’Empire, pourtant germanisé. Les Germains ont pris le relais de Rome, surtout sur le plan militaire. Dans le bassin parisien, les Francs, venus de Taxandrie et de l’espace rhénan au Nord de Cologne, puis de Tournai et de Soissons, donnent leur nom à l’espace gallique: après eux, on ne parlera plus de “Gaule” mais de “Francie” ou de “France”, de “Franken-Reich”, de l’Empire des Francs. La loi salique, droit coutumier germanique rédigé vers l’an 600 dans une langue dont dérive directement les parlers néerlandais actuels (du moins les dialectes “bas-franciques”), s’impose à tous. La mémoire populaire —non celle des historiens spécialisés dans le haut moyen âge— oublie généralement un apport celtique très important (non linguistique et non démographique), celui des missions irlandaises de Colomban, Columcille, Vergile (Fergill), sauveurs des textes antiques qu’ils se mettront à recopier, parfois en s’opposant, comme Vergile dans l’espace alpin à cheval sur l’Italie et l’Autriche actuelles, à la papauté romaine.

Aujourd’hui encore, les instances officielles campent la Wallonie comme germanique de race et latine de culture

col1.pngEn tenant compte de ce contexte historique lointain, carolingien et bas-lotharingien —il existait une Basse-Lotharingie et une Haute-Lotharingie— la Wallonie actuelle, notamment sous l’impulsion d’un historien haut en couleurs aujourd’hui décédé, Léopold Génicot, et dans un ouvrage sur “Le français en Belgique”, publié par l’ex-Communauté française (devenue la “Fédération Wallonie-Bruxelles”), se pose comme héritière de Rome et du catholicisme, en tant que cadre forgé par un Empereur romain, Constantin. Les Wallons, officiellement, ne revendiquent donc aucune racine celtique, même si a existé un fond pré-romain et pré-germanique, aujourd’hui difficilement définissable. Pour Génicot, les Wallons descendent des Lètes germaniques de l’Empire romain, chargés de garder la frontière contre d’autres incursions germaniques. Rapidement latinisés, avec leurs officiers qui accèdent souvent à la citoyenneté romaine, ces Lètes ont précédé les Francs sur le territoire aujourd’hui wallon, surtout dans la vallée mosane: dans le chef de Génicot, le germanisme avait un droit d’aînesse en Wallonie dans le cadre belge et non la Flandre! Pour les héritiers de Génicot, qui ont confectionné cet excellent ouvrage, très précis, méticuleux et philologique, sur “Le français en Belgique”, les soldats germaniques de l’armée romaine installés en Wallonie actuelle auraient été recrutés, non pas en Rhénanie ou dans les tribus vivant sur la rive droite du Rhin, mais le long des côtes de la Mer du Nord en Hollande, en Frise, dans les régions de Brème et de Hambourg et en Scandinavie parmi les tribus classées sous le nom d’ “Ingwéoniens”. Ce n’est pas moi qui le dit, pour paraphraser Himmler et Degrelle: ce sont les historiens de la dite “Communauté française”... qui ne partagent apparemment pas les vues de Jean-François Kahn quand celui-ci déplore l’oubli des facteurs celtiques dans l’espace gallique et critique la surévaluation, à ses yeux, des facteurs romains et francs. Nous vivons une époque étonnante...

La “Gaule Françoise” de François Hotman

col2.jpgLe facteur celtique a effectivement été escamoté par toutes les renaissances intellectuelles qui ont jalonné l’histoire d’Europe occidentale jusqu’à la fin du 18ème siècle. Nous ne trouvons que quelques vagues évocations au 16ème siècle, où, une fois de plus, les facteurs classiques, gréco-latins, et germaniques sont seuls valorisés. Dans sa critique d’une monarchie française, qu’il considérait comme dévoyée après les massacres de la Saint-Barthélémy (1572), le juriste huguenot français d’origine allemande François Hotman, né à Paris, évoque une “Franco-Gallia” ou une “Gaule Françoise” (1573). Hotman souligne les origines franques-germaniques de la France médiévale. Ces tribus, qui ont franchi le “Rhein” (sic), avaient une notion innée de la liberté, comme le soulignait aussi Tacite: le principe germanique est donc un principe de liberté (et de liberté religieuse pour le protestant Hotman), idée que l’on véhiculera jusqu’à la première guerre mondiale. Il y a donc, d’un côté, cette idée de liberté, et, de l’autre, l’idée féroce de l’absolutisme, qui n’hésite pas à recourir à des massacres comme celui de la Saint-Barthélémy. Quand les principes libertaires germaniques régnaient sur tous les esprits, écrit Hotman, “Les rois n’avaient pas une puissance infinie ni absolue” (cf. André Devyver, “Le sang épuré – Les préjugés de race chez les gentilshommes français de l’Ancien régime (1560-1720)”, Ed. de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1973). Kahn inverse simplement le raisonnement ancien du Huguenot Hotman: le fonds pré-celtique, celtique et autre est réservoir de liberté, tandis que les systèmes mis en place par Rome et par les Francs sont tyranniques. Pour retrouver leurs libertés face à une droite et une gauche qui deviennent “mabouls”, les Français contemporains doivent, selon Kahn, recourir au fonds hétérogène pré-romain. Chez Hotman, le fonds pré-franc et pré-romain était réservoir de cruelle anarchie: le système libertaire germanique est venu l’humaniser (avant la lettre).

Vogue celtisante et “Sturm und Drang”

col3.jpgLes 16ème et 17ème siècles sont donc peu enclins à redécouvrir le fait celtique dans l’histoire des espaces gallique et lotharingien/germanique. Il faudra attendre la fin du 18ème siècle pour que naisse une véritable “vogue celtisante”, qui se poursuit encore aujourd’hui, notamment dans l’univers de la chanson, dans la bande dessinée et avec un festival comme le “Festival inter-celtique de Lorient”. Le “Sturm und Drang” littéraire allemand secoue les bonnes habitudes ancrées dans la culture européenne. Les protagonistes de ce mouvement littéraire en ont assez de la répétition des modèles classiques. Ils recherchent autre chose. Ils veulent un retour à des thèmes plus variés, comme chez Shakespeare, qui s’inspire certes de la culture classique, mais puise aussi dans les traditions de la très vieille Angleterre et de la Scandinavie du haut moyen âge. Ils espèrent aussi un retour à l’hellénité homérique, plus âpre que l’Athènes classique. Le philosophe Herder démontre dans la foulée du “Sturm und Drang” que l’excellence littéraire vient uniquement des racines, des sources les plus anciennes et non pas d’une répétition ad nauseam des mêmes thèmes classiques. Les frères Grimm, célébrés en 2012 outre-Rhin, seront ses héritiers en Allemagne. Les slavophiles russes le seront en Russie. En Ecosse, James McPherson, un écrivain pré-romantique, épigone du “Sturm und Drang” allemand, prétend avoir découvert les écrits d’un barde celtique ancien et de les avoir traduits. Ce barde se serait appelé “Ossian”. Il n’y a jamais eu d’Ossian: ces magnifiques poèmes, construits sur des canons non classiques, sortaient tout droit de l’imagination de McPherson. La vogue celtisante était lancée. Elle ne s’arrêtera plus.

Nous verrons que ce “Sturm und Drang” et ce “celtisme” britannique sont à replacer dans un contexte révolutionnaire dans la période 1780-1795 mais un révolutionnarisme qui tient compte des racines, tout en se montrant fort virulent dans ses critiques de l’absolutisme royal de l’Ancien Régime. Après Ossian, nous avons la renaissance du druidisme au Pays de Galles et l’émergence des Gorsedd, concours de poésie en langue galloise. Ailleurs en Europe, en dehors des régions où l’on a parlé des langues celtiques jusqu’à nos jours, l’archéologie tchèque (W. Kruta), hongroise (M. Szabo) et autrichienne s’est penchée sur les civilisations celtiques de la Tène et de Halstatt, découvrant un celtisme alpin et danubien, dont le 18ème siècle du “Sturm und Drang” et de l’“ossianisme” n’avait pas encore conscience

◊ ◊ ◊

Le Pan-celtisme actuel

Recension et source majeure de cet exposé: Peter Berresford Ellis, The Celtic Dawn – A History of Pan-Celticism, Constable, London, 1993.

col4.jpgAvant de parler de “pan-celtisme”, il convient préalablement de définir le terme, l’“ethnonyme” de “Celte”. Pour la plupart des celtisants ou des militants indépendantistes celtophones, est “Celte” seulement celui qui est locuteur d’une langue celtique, comme le gaëlique irlandais ou le gallois, le cornique ou le breton. A l’exclusion de tous les autres. Cette exclusivité celtophone a posé quelques problèmes, notamment quand les Galiciens et les Asturiens de la péninsule ibérique ont voulu adhérer au club des nations celtiques. Galiciens et Asturiens défendaient leurs positions en arguant qu’une émigration britannique (brythonique!), face à l’invasion des Angles, Jutes et Saxons, s’était installée dans le Nord-Ouest de l’Espagne, en même temps qu’en Bretagne. L’argument des adversaires de leur adhésion était de dire que les dialectes galiciens et asturiens (le “bable”) contenaient moins de mots d’origine celtique que le français ou l’anglais. De plus, le Nord-Ouest de la péninsule ibérique recèle encore d’autres ingrédients ethniques, suèves, wisigothiques, basques et alains. Sont cependant acceptés les locuteurs d’une des deux “linguae francae”, l’anglais et le français, si les postulants peuvent se dire d’origine gaëlique, cornique, bretonne ou galloise, parce que dans leurs régions des langues celtiques ont encore été parlées à l’époque médiévale ou post-médiévale.

Solidarités celtiques

On ne parlait pas de “celtisme” ou de “celtitude” avant la seconde partie du 18ème siècle. Cependant, pour l’historien du celtisme et écrivain Peter Berresford Ellis, Président de la “Celtic League” de 1988 à 1990, on peut repérer, tout au long de l’histoire médiévale des Iles Britanniques, des solidarités politiques inter-celtiques contre la prépondérance des éléments angles, saxons, jutes et normands, notamment quand il s’agit de porter secours à l’Ecossais Robert Bruce en 1314 ou d’aider les Tudor suite à la Guerre des Deux Roses au 15ème siècle. Richard III reçoit effectivement un appui de troupes corniques, galloises, écossaises et bretonnes. Quand les Tudor accèderont au trône d’Angleterre, ils oublieront leurs racines celtiques et se montreront plus anglais que les Anglais, tout simplement parce qu’il auront alors hérité du pouvoir central et que celui-ci, quel qu’il soit, s’oppose toujours à ses marges géographiques et ethniques.

Les pionniers de la redécouverte du fait celtique sont Edward Lhuyd, en Angleterre, dont les oeuvres paraissent en 1707. C’est lui qui réintroduit les termes “celte” et “celtique” dans le vocabulaire (d’abord philologique). Son travail est purement académique. En Bretagne, l’Abbé Pezron se penche pour la première fois sur la littérature celtique et amorce, encore timidement, la “vogue celtique”, qui prendra, comme on l’a vu, sa vitesse de croisière avec James McPherson (1736-1796). Tributaire de la mode lancée par le “Sturm und Drang” allemand, McPherson écrit des ballades et des poésies, attribuées à un barde du nom d’Ossian, qu’il aurait soi-disant traduites du gaëlique écossais. C’est un faux qui aura une postérité incroyable. L’engouement pour la poésie bardique atteint toutes les couches de la société: Napoléon était un lecteur fervent de McPherson. Bernadotte, le futur roi de Suède, figure au départ picaresque et époux d’une Irlandaise née à Marseille, nommera son fils héritier “Oscar”, du nom du fils d’Ossian. A la même époque, les Gallois celtisants organisent leur premier “Eistedfodd”, un festival de musique, de chants et de poésie celtique, ancêtre du fameux “festival inter-celtique de Lorient”.

Méchantes racines et bons nomades

Aujourd’hui, vu l’hostilité des idéologies dominantes aux racines, surtout dans l’espace linguistique francophone, on a tendance à dissocier complètement recours aux racines et volonté révolutionnaire: ne peut être “révolutionnaire” ou “progressiste” que celui qui s’arrache à ses racines, comme le réclame explicitement, sans la moindre nuance, un Bernard-Henri Lévy depuis son fameux “Testament de Dieu”, où, comme Moïse, il nous annonçait, sans rire, les nouvelles tables de la Loi, qu’un hypothétique Yahvé lui aurait confiées. Pour être acceptable, non condamnable, il faut être un “nomade”, un “vagabond” errant partout sur la planète: les “errants” sont les nouveaux Übermenschen pour ce fatras idéologique. Les braves enracinés, les nouveaux Untermenschen. Cette optique hostile à toutes racines est peut-être vraie pour la France, où le Club des Jacobins donnera le ton, et luttera contre les “patois” et les “pequenauds”: ce n’est pas vrai ailleurs et cela explique, notamment, le renversement unanime des révolutionnaires allemands les plus virulents (Fichte, Arndt, Jahn, etc.), qui prendront fait et cause contre la domination napoléonienne, quitte à s’allier aux rois. Cette optique franco-jacobine est fausse pour le monde celtique, où recours aux racines et volonté révolutionnaire ne faisaient qu’un. Dès 1789, Thomas Jones, un révolutionnaire anti-monarchiste, organise les premiers “Gorsedd”, les assemblées druidiques, dont on se gausse au départ. Cependant, tous s’y mettront rapidement avec enthousiasme, au Pays de Galles, en Cornouailles et en Bretagne. Iolo Morganwg lance, le 21 juin 1792, jour du solstice d’été, une assemblée annuelle des Bardes.

Idées républicaines et renaissance des langues

walter_scott_1302553800.jpgEn 1820, se crée en Ecosse la “Celtic Society”, sous l’impulsion, notamment, du célèbre romancier Walter Scott, dont les opinions politiques sont républicaines. Il utilise l’anglais pour son oeuvre mais n’aborde que des thèmes hostiles à la monarchie d’origine normande, en opposant les Saxons (Ivanhoe, Robin des Bois) aux Normands. En Flandre, cette manière de présenter les choses sera reprise par Hendrik Conscience, qui y ajoute, consciemment ou inconsciemment, la thématique du Huguenot François Hotman: l’élément germanique est vecteur de liberté populaire (ou de fougue révolutionnaire — ce qui n’est pas le cas de Conscience, qui a l’appui de Léopold I), l’élément normand (chez Scott) ou capétien (chez Conscience) est synonyme d’absolutisme et de tyrannie. La “Celtic Society” de Walter Scott est à l’origine de deux revues, qui paraîtront jusqu’à la fin du 19ème siècle, le “Celtic Magazine”, et le “Celtic Monthly”. Ces publications se fixent deux buts: 1) promouvoir les idées républicaines; 2) promouvoir la renaissance des langues celtiques. La notion de “république”, que l’on répète inlassablement aujourd’hui en France, sur un ton incantatoire qui nous agace profondément en dehors des frontières de l’Hexagone, ne correspond dont pas du tout à l’idée républicaine véhiculée dans les pays celtiques et en Ecosse à l’époque de la révolution française.

Ainsi, Thomas Muir, proclamé “Président d’Ecosse”, suite à une rébellion républicaine en 1797, fuit en Irlande où il est reçu au sein de la confrérie occulte des “United Irishmen”, opposés aux Anglais et à la monarchie (avec leurs collègues des “United Scotsmen” et des “United Englishmen”). Les “United Irishmen” se révolteront avec l’appui d’unités françaises débarquées en 1797 mais, contrairement aux clivages à l’oeuvre depuis le soulèvement catholique de gauche de Bernadette Devlin en 1972, les nationalistes-révolutionnaires des “United Irishmen” seront plutôt protestants que catholiques, ces derniers, inquiétés par les dérapages de la révolution française en Vendée et en Bretagne, seront plutôt loyalistes.

Des racines celtiques de l’idée républicaine en France

Autre indice, qui confirme la thèse de Peter Berresford Ellis: les députés républicains bretons de l’Assemblée Nationale française, Armand Kersaint et Lafayette (homme de paradoxes...!) réclament une intervention militaire ou navale pour sauver les républicains écossais de la défaite et de la répression. Ces députés bretons sont opposés au centralisme parisien et ne cessent de réclamer l’autonomie de la Bretagne, inaugurant ainsi un filon qui perdure jusque aujourd’hui dans le mouvement breton. Thomas Paine, Gaëlique écossais, rédige le premier manifeste des “Droits de l’Homme”: l’édition gaëlique connaîtra, à l’époque, un chiffre de vente et de diffusion plus important que sa version française, preuve que les Jacobins, les BHListes parisiens actuels et les chaisières du bazar droit-de-l’hommard, de Mitterrand à Hollande, se soucient comme d’une guigne des véritables droits de l’homme, qu’ils galvaudent au rang de pur slogan. Le premier manifeste des “Droits de l’Homme” a été rédigé par un militant, peut-être naïf, diront les conservateurs, mais dont les convictions républicaines ne peuvent être mises en doute ni la volonté d’émanciper ses contemporains, mais cette volonté n’est pas séparable d’un recours aux racines les plus profondes. Robert Price, autre militant celtique du Pays de Galles, écrit en 1776, suite à la révolution américaine, un manifeste “Civil Liberties” qui inspirera les rédacteurs de la première constitution républicaine française: il y a donc en celle-ci un élément républicain gallois. Price en a été l’inspirateur, ainsi que son propre maître Thomas Roberts. Les républicains celtisants insulaires sont donc, à un certain moment, en porte-à-faux par rapport aux Bretons, qui abandonnent l’idéal républicain vicié par les Jacobins et les centralistes parisiens qui refusent la reconstitution du Parlement de Bretagne, et adhèrent à la chouannerie royaliste.

L’oeuvre de Charles De Gaulle (1837-1880)

Au dix-neuvième siècle, le celtisme breton sera structuré par Charles De Gaulle (1837-1880), oncle du général de même nom et prénom. Natif de Valenciennes, dans le Hainaut annexé et toujours occupé, cet homme, malade et invalide, mourra dix ans avant la naissance de son neveu, que l’on prénommera Charles en son souvenir. Les De Gaulle, originaires du Hainaut mutilé et de la Flandre irrédente, ont des origines irlandaises, en la famille d’un certain Sean McCartan, Colonel d’une brigade irlandaise de l’armée royale française. Charles De Gaulle (numéro un) est un infirme: il est paralysé et habite au 282 de la Rue de Vaugirard à Paris. C’est dans ce logis, qu’il ne quittera pratiquement jamais, qu’il va tout imaginer, explique Peter Berresford Ellis. Il devient le secrétaire de “Breurez Breiz”, la société des poètes bretons de Paris, où il rencontre Théodor Hersart de la Villemarqué (1815-1895), qui a publié en 1836 le “Barzaz Breiz”, anthologie remarquée de chants populaires de la Bretagne. Les deux hommes sont également liés à l’Association Bretonne, fondée auparavant par Armand de la Rouerie en 1791. Elle avait pour objectif de restaurer l’autonomie de la Bretagne (comme avant 1532). De la Rouerie restera fidèle à la révolution française, en dépit de son départ pour l’Amérique, jusqu’à l’abolition du Parlement de Bretagne. Il meurt en 1793. Son Association est dissoute mais recréée en 1843, formulant les mêmes revendications. En 1858, elle est à nouveau dissoute par Napoléon III, bête noire des polémistes en Belgique à l’époque, sans doute pour cette hostilité à toute autonomie bretonne mais surtout pour son annexion, jugée totalement inacceptable à Bruxelles, de la Savoie et du Comté de Nice, encore deux fragments de l’ancienne Burgondie impériale détachés d’un Etat héritier de ce Saint-Empire: la crainte était grande de voir Napoléon III, comme auparavant Philippe le Bel ou Louis XIV, diriger ses efforts vers l’espace bas-lotharingien, après avoir grignoté l’espace burgonde ou haut-lotharingien. Charles De Coster, libertaire d’opinion, ne se lassera pas de fustiger ce “Napoléon-le-petit”, comme disait Victor Hugo en exil à Bruxelles, et le Philippe II de son “Tyl Uilenspiegel” est parfois une caricature de Napoléon III.

Charles De Gaulle le celtisant, est royaliste, catholique et conservateur, contrairement à bon nombre de celtisants des Iles Britanniques. Il fait basculer le mouvement breton, jusqu’aux années 60 du 20ème siècle, dans le camp conservateur, avec l’appui, il faut le dire, d’un roman à grand succès, celui d’Alexis-François Rio, intitulé “La petite Chouannerie” (1842). Ce roman donne le coup d’envoi à la volonté récurrente, en Bretagne, de suggérer une autre vision de l’histoire. La revue “Stur” d’Olier Mordrel, avant la seconde guerre mondiale, son livre “Le mythe de l’Hexagone”, les articles de la revue “Gwenn ha Du”, sont autant d’expressions de cette volonté. De Gaulle plaide pour la résurrection de la langue, comme les celtisants des Iles Britanniques s’efforcent de raviver le gallois ou le gaëlique irlandais. Les efforts de De Gaulle seront dès lors plus linguistiques que politiques. Autre petit fait intéressant à signaler: lorsque le Gallois Michael D. Jones fonde une colonie galloise en Patagonie, De Gaulle soutient le projet mais demande de respecter là-bas l’identité araucarienne: nous voyons là l’émergence d’un thème cher à Jean Raspail, la défense de toutes les racines, et au créateur de bandes dessinées Bilal, qui fait émigrer tout un village breton, hostile à des promoteurs immobiliers sans scrupules, vers la pampa argentine. De Gaulle veut une langue celtique unifiée, d’abord en Bretagne même, puis dans l’ensemble de l’espace celtophone. Sous son impulsion, les études celtiques sont enfin prises au sérieux en milieux académiques. Une véritable renaissance peut commencer, se consolider et être sûre de sa pérennité.

Les trois tendances du mouvement celtique

Trois tendances vont alors se juxtaposer dans le mouvement celtique, toutes nations particulières confondues:

1.     Une tendance littéraire avec l’émergence d’une littérature d’inspiration celtique mais rédigée en français ou en anglais. William Butler Yeats en sera l’exemple le plus connu mais son ésotérisme, assez éthéré, sera critiqué notamment par la revue “Stur” en Bretagne, cet ésotérisme oblitérant toute référence directe au réel concret, tout recours fécond au “vécu” (Mordrel).

2.     Une tendance purement philologique qui se focalisera sur la renaissance des langues et leur emploi dans la vie quotidienne et publique.

3.     Une tendance politique, qui englobera le travail littéraire et le travail philologique mais les doublera de revendications politiques et sociales, articulées dans les parlements et dans la vie politique du Royaume-Uni surtout, dont la dévolution sous Blair, avec l’émergence de parlements autonomes gallois et écossais et les tentatives actuelles de faire aboutir un référendum pour l’indépendance de l’Ecosse sont les dernières manifestations.

Cens décent, “fixity of tenure”, Home Rule

La dimension politique du combat celtique, voire pan-celtique, va s’arc-bouter dans un premier temps sur un problème très important et fort épineux: la question agraire, suite notamment aux famines qui ont frappé l’Irlande. La question agraire n’est pas résolue dans le Royaume-Uni au 19ème siècle, ni en Irlande ni en Ecosse. Au Pays de Galles, elle se greffe sur le problème du “tithe”, soit le paiement d’une dîme au propriétaire terrien (généralement protestant et anglais). Le but des “Panceltes” qui veulent résoudre la question agraire est d’imposer aux latifundistes qu’ils se satisfassent d’un cens décent et qu’il acceptent la “fixity of tenure”, soit le droit des exploitants ruraux à ne pas être chassés de leur lopin. Ce combat sera notamment mené par William O’Brien (1852-1928), dont l’inspiration politico-culturelle était panceltique, mais dont l’action était concrète: il fut, outre un combattant pour le droit des petits paysans irlandais contre les propriétaires absents (les “absentee lords”), un défenseur de l’idée de “Home Rule”. Lloyd George, avant de détenir les plus hautes fonctions dans le Royaume-Uni, était partisan d’une alliance parlementaire entre députés gallois et irlandais (la périphérie contre le centre) et d’un “self-government” gallois, équivalent du Home Rule irlandais réclamé à Dublin. Dans le sillage de ce combat pour la question agraire et pour le Home Rule naît l’association culturelle “Conradh na Gaeilge”, visant la renaissance des langues dans la vie quotidienne: elle militera pour le bilinguisme dans les écoles.

Douglas_Hyde_2.jpgA l’aube du 20ème siècle, les anciennes structures panceltiques sont remplacées par le “Celtic Congress” puis par la “Celtic League”. Ce sont des organisations faîtières qui chapeautent tout le mouvement panceltique. La figure principale, la plus notable, dans le cadre de ces organisations a été le Dr. Douglas Hyde (1860-1949), issu directement du “Conradh na Gaeilge”. Il sera le premier président de l’Irlande indépendante en 1937. Avant cela, il fut le premier professeur d’irlandais moderne (“Modern Irish”) à l’Université de Dublin. Des tiraillements existaient dans le mouvement irlandais avant la première guerre mondiale: fallait-il privilégier le combat linguistique, en visant l’ancrage de l’irlandais moderne dans les réseaux d’enseignement? Ou fallait-il privilégier l’union panceltique? La majorité a privilégié le combat linguistique; le combat panceltique était jugé difficile voire impossible sur le plan purement pragmatique à l’époque: de plus, il se heurtait à des clivages religieux qu’on ne saurait minimiser; les Irlandais étaient majoritairement catholiques et puisaient dans les ressources de leur catholicisme des énergies pour combattre l’Angleterre, tandis que les Ecossais étaient majoritairement presbytériens et les Gallois, méthodistes. Dans ces réseaux, issus du “Conradh na Gaeilge”, s’activait un futur martyr de la cause irlandaise, Padraig Pearse (1879-1916), l’un des seize fusillés suite à l’insurrection des Pâques 1916. Pearse mêlait dans son oeuvre des références au passé païen d’avant la conversion de l’Irlande par Patrick à un catholicisme celtique de l’époque mérovingienne, dont l’idéalisme de Columcille, l’un des sauveteurs de l’héritage antique. Il développait une éthique du sacrifice, à laquelle il a eu le courage de ne pas se soustraire.

Une ambiance révolutionnaire

Le “Celtic Congress” avait des dimensions essentiellement académiques. Il voulait celtiser l’enseignement et a donc axé son combat sur la question scolaire en Irlande. C’est à ce niveau que se rejoignent les dimensions culturelles et politiques parce que ce combat devait se gagner forcément dans les assemblées élues et légiférantes. La propagande anglaise soulignait alors l’“archaïsme” qu’il y avait à parler et écrire des langues celtiques: Pearse et ses compagnons rétorquèrent que les parler devenait de ce fait un acte politique contestataire de l’ordre établi. En 1914, avec l’éclatement de la Grande Guerre, le “Celtic Congress” a dû interrompre ses activités. Elles ne reprendront ni en 1915 ni en 1916. Elles reprennent toutefois en 1917, quand le souvenir cuisant de l’échec de l’insurrection d’avril 1916 se fait encore douloureusemet sentir. Ces activités se font à feu doux. Pearse est mort, d’autres sont encore emprisonnés. L’ambiance est révolutionnaire. Parmi les fusillés de 1916, il y avait le fougueux et très original leader socialiste irlandais, James Connolly, adepte et théoricien d’un marxisme virulent (appelé à résoudre la question agraire et les problèmes ouvriers), mais un marxisme “hibernisé”, avec des références à la mythologie celtique. Peter Berresford Ellis, également auteur d’une histoire du mouvement ouvrier irlandais (1), rappelle quelles ont été les grandes lignes de ce marxisme hibernisé. Il repose principalement sur l’idée d’un “communisme primitif” des tribus celtiques irlandaises, avant la conquête anglaise du 12ème siècle. Friedrich Engels apprendra même des rudiments de la langue celtique d’Irlande pour étudier ces structures tribales communautaires, avant d’ajouter un chapitre (jamais achevé) de son ouvrage essentiel sur les “Origines de la famille, de la propriété privée et de l’Etat”. L’appui de Marx et d’Engels à l’indépendantisme irlandais, comme expression de la lutte des classes et de l’émancipation des ruraux exploités par les latifundistes, ont suscité l’enthousiasme non seulement des pionniers du socialisme irlandais mais aussi des nationalistes, qui seront toujours reconnaissants à l’endroit et de Marx et d’Engels.

 

Connolly__68865.1361471053.1280.1280.jpg


James Connolly: alchimie marxiste et nationaliste

De cet enthousiasme du “Dr. Marx” qui prend fait et cause pour l’indépendance de l’Irlande, même face à l’hostilité des socialistes anglais, découle le mixte, étonnant ailleurs en Europe et dans le monde, de nationalisme et de marxisme. Pierre Joannon, dans son “Histoire de l’Irlande et des irlandais” (Perrin, Paris, 2006), nous explique très bien l’alchimie nationaliste et marxiste de la pensée de James Connolly, tout comme, en marquant une distance plus nette, l’historien anglais F. S. L. Lyons (2) nous avait démontré comment nationalisme, catholicisme et socialisme s’étaient combinés en une synthèse originale et difficilement transposable en d’autres contextes. Pour Connolly, le socialisme en place, devenu routinier et opportuniste, ne faisait plus que du “syndicalisme étroit aux objectifs limités” (Joannon, op. cit., p. 345). Le socialisme irlandais devait donc recevoir un apport d’énergie complémentaire que seul le nationalisme pouvait lui procurer, surtout le mixte de catholicisme sacrificiel et de nationalisme celtique mythologisé, chanté par Padraig Pearse (3). Ces réflexions sur le combat social, bien ancré dans le mouvement ouvrier et marxiste de son époque, et sur l’apport indispensable de la religion, de la mythologie et du nationalisme, conduisent Connolly à se joindre aux insurgés de Pâques 1916, à être capturé par les Anglais les armes à la main dans le “Grand Post Office” de Dublin et d’être condamné à mort et exécuté. Peter Berresford Ellis rappelle qu’en pleine guerre, les ouvrirers gallois envisagent de faire grève pour obtenir la grâce de Connolly. Ils volent même des explosifs qui seront expédiés en Irlande. Plus tard, des volontaires gallois et écossais (notamment la “Scottish Brigade” de Jim Reeder) se battront aux côtés des insurgés républicains entre 1919 et 1923.

Les événements qui secouent l’Irlande de 1916 à 1923 éveillent les esprits en Bretagne armoricaine. Les militants bretons sont fascinés par la création du premier Etat celtique moderne. Morvan Marchal est l’un de leurs chefs de file. Il appelle en 1925 les peuples celtiques à créer une organisation faîtière pour défendre leurs droits politiques et culturels, doublé d’un “Comité international pour les minorités nationales”. Forts de cette idée, les Bretons de “Breizh Atao” dépassent très vite les limites du seul “panceltisme”; ils appellent Corses, Flamands et Basques à se joindre à leur combat. Du “panceltisme”, on passe à l’idée d’un fédéralisme européen, celui que véhiculeront, chacun à leur manière et en dehors de tout contexte socialiste et marxiste, des figures comme Olier Mordrel, Marc Augier (dit “Saint-Loup”), Jean Mabire ou Yann-Ber Tillenon. “Breizh Atao” est ainsi la toute première organisation politique à énoncer l’idée d’un parlement européen, ne représentant pas des partis (corrompus) mais des populations réelles, concrètes, inscrites dans l’histoire.

De quelques nationalistes écossais

Le clivage gauche/droite, tel qu’il est manipulé par les idéologies dominantes et leurs médias actuellement, n’est nullement de mise quand on évoque les pages de l’histoire du panceltisme. Ainsi, le nationaliste écossais, le baron Ruraidh Erskine, est un aristocrate de vieille famille mais aussi un marxiste et un socialiste, qui va transmettre au nationalisme écossais, jusqu’à nos jours où il enregistre ses meilleurs succès, une idéologie de gauche. Erskine est en faveur d’une “république socialiste d’Ecosse”, tout comme son compatriote John Mclean (1879-1923), mort des suites des tortures qu’il a endurées après avoir protesté contre “la guerre impérialiste imposée aux Ecossais” en 1914. Dix mille personnes suivent son cercueil jusqu’au cimetière, à Glasgow lors de ses obsèques. Erskine, qui prend le relais de ce martyr, encourage, outre la lutte ouvrière comme Connolly en Irlande avant 1914, des aspects plus traditionnels, plus culturels et littéraires, selon les bonnes habitudes prises en pays celtiques. Lewis Spence (1874-1950) s’intéresse ainsi au druidisme, à l’art magique, aux traditions celtiques en général. Hugh MacDiarmid (1892-1978) lance le mouvement de la “Scottish Renaissance” qui ne se borne pas à ressusciter le gaëlique écossais des franges littorales occidentales de l’Ecosse mais aussi les dialectiques germanisés (influencés par l’anglais et le norvégien) des autres territoires écossais. MacDiarmid est également, comme Erskine, partisan d’une “république radicale-socialiste d’Ecosse”. Il est l’un des fondateurs du SNP (“Scottish National Party”) en 1928, ce qui nous ramène à l’actualité britannique, où, justement, ce SNP a le vent en poupe et s’apprête à demander que se tienne un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Les avatars du nationalisme écossais nous montrent clairement que les démarches panceltiques sont inséparables des questions sociales et du monde ouvrier traditionnel, teinté de marxisme mais d’un marxisme somme toute bien différent de ce que nous connaissons sur le continent.

L’itinéraire étonnant de Hugh MacDiarmid

Revenons à MacDiarmid: son marxisme, rappelle Peter Berresford Ellis, n’est ni celui d’un Marchais et du PCF ni celui de la RDA ou de l’URSS mais, bien évidemment, celui de Connolly. MacDiarmid a également eu sa (brève) période mussolinienne, ce qui étonnera plus d’un simplet qui gobe aujourd’hui les terribles simplismes des médias actuels. Mais Mussolini était un socialiste vigoureux, aimé de Lénine, et, surtout, apprécié de Jules Destrée chez nous, dont l’énorme statue de bronze se dresse sur une place à Charleroi, sans qu’on ne se rappelle qu’il fut un vibrant mussolinien! L’engouement passager de MacDiarmid pour Mussolini ne l’empêche pas de devenir communiste par la suite pour être exclu plus tard pour “déviationnisme national”. Cette exclusion ne l’empêche pas d’être réintégré, à un moment fort mal choisi, en 1956, immédiatement après l’intervention soviétique en Hongrie.

Exclusion des Bretons et discours de De Valera

La persistance d’une fidélité à Marx —qui avait réclamé l’indépendance de l’Irlande dès les années 60 du 19ème siècle et avait ébauché des plans précis pour concrétiser ce projet— fait qu’après la seconde guerre mondiale, les Bretons sont exclus de l’orbe panceltique, vu l’engagement de nombreux nationalistes dans une formation paramilitaire, la “Bezen Perrot”, mise sur pied et armée par l’occupant allemand, pour venger un prêtre philologue très populaire, le paisible Abbé Perrot, assassiné par des militants communistes pro-français. Le mouvement nationaliste breton, en porte-à-faux idéologique par rapport aux autres nationalismes celtiques des Iles Britanniques, subit la répression française de plein fouet à partir de la fin 1944. Dans les Iles, la situation est calme: l’Irlande est restée neutre et les Ecossais et les Gallois ont combattu dans le camp allié. En 1947 se crée la “Celtic Union”, avec l’appui du Président irlandais Eamon de Valera (1882-1975). Celui-ci adresse un message intéressant à relire à ses amis gallois. Peter Berresford Ellis nous en rappelle la teneur et la clarté: “En étant fidèles à leurs traditions et à leurs langues, même dans des circonstances qui peuvent être jugées très critiques, les Gallois ont prouvé qu’une nation peut préserver son individualité tant que sa langue, qui lui procure l’expression le plus parfaite de sa personnalité, demeure utilisée dans la vie quotidienne. Un lien fort relie le peuple du Pays de Galles à celui d’Irlande, non seulement parce tous deux procèdent de la même matrice celtique, mais aussi parce qu’ils marquent une dévotion aux choses de l’esprit; cette attitude a été prouvée au-delà de tout doute possible par le désir passionné de chacune de ces nations à préserver leur culture. Nos deux nations savent qu’en agissant ainsi, elles sauvegardent quelque chose qui enrichit l’humanité toute entière, et, en particulier, renforce les liens qui unissent les peuples celtiques entre eux”. On retiendra de ce discours la nécessité impérieuse de garder sa langue ou ses traditions dans la vie quotidienne. Aussi que toute politique sérieuse, acceptable, toute politique qui n’est pas inéluctablement vouée à sombrer dans la plus veule des trivialités, doit uniquement envisager les “choses de l’esprit”, comme le voulait aussi un précurseur fascinant du nationalisme irlandais au 19ème siècle, Thomas Davis. La primauté accordée au spirituel par De Valera en 1947 permet effectivement d’enrichir l’humanité entière: les idéologies et les pratiques politiques qui n’accordent pas cette primauté à la culture, à la mémoire, constituent donc, sous-entendu, autant de dangers pour tous les hommes, quelles que soient leurs origines, leur race, leur position sur la carte du globe.

En 1947, les Bretons sont toujours exclus des organisations faîtières panceltiques. Mais les Gallois et les Ecossais finissent par apprendre que la répression française ne frappe pas seulement les volontaires de la “Bezen Perrot”. D’autres Bretons, apolitiques et non collaborateurs, parfois fort hostiles à l’idéologie nationale-socialiste allemande, ont été assassinés par les Français, dont le poète Barz Ar Yeodet, l’historienne Madame de Gerny et les écrivains Louis Stephen et Yves de Cambourg. Ces dérapages, les Gallois ne peuvent les admettre. Ils envoient une délégation en Bretagne et en France qui mènera une enquête minutieuse du 22 avril au 14 mai 1947. Le rapport de cette délégation est accablant pour Paris. Il donne tort à la France sur toute la ligne. Les Gallois déclenchent alors une campagne de presse dans tout le monde anglo-saxon qui conduit notamment à la grâce du militant Geoffroy, condamné à mort. Les Bretons sont aussitôt réhabilités et à nouveau acceptés dans les organisations panceltiques: l’attitude de la France est si inacceptable aux yeux des nationalistes gallois marxisés que la collaboration avec l’Allemagne hitlérienne est considérée sans doute comme un pis-aller, de toutes les façons comme un dérapage inéluctable dans le contexte tragique de l’époque.

Sean MacBride

En 1948, les Unionistes pro-britanniques gagnent les élections en Ulster, créant de la sorte les conditions d’une partition définitive de l’Ile Verte. Cette victoire conduit à l’émergence du “mouvement anti-partition”, dont les objectifs se poursuivent encore de nos jours. De Valera: “Pour nous, c’est une simple question de justice. L’Irlande est une; c’est donc une injustice criante que nous soyons partagés entre deux Etats. La partition est un mal qui doit être rectifié”. Dans la suite de son discours, résumé par Peter Berresford Ellis, De Valera exprimait son espoir de voir les peuples celtiques apprendre davantage les uns des autres parce qu’une nouvelle société, partout dans le monde, ne pouvait se construire que sur base de rapports entre ethnies profondément enracinées et non sur base de rapports entre empires ou Etats multi-nationaux, dominés par une seule nation. Il n’y avait pas de meilleur plaidoyer pour un ethnopluralisme planétaire, l’année même où les blocs se formaient suite au “coup de Prague” et allaient enfermer les peuples jusqu’à la perestroïka dont les retombées n’apporteront pas l’émancipation mais un esclavage nouveau sous l’emprise du néo-libéralisme.

SEAN-MAC-BRIDE0002.jpg Le ministre irlandais des affaires étrangères, Sean MacBride, fils de John MacBride, fusillé en 1916, avait été le chef de l’état-major de l’IRA. Cet avocat, fondateur du “Clann na Poblachta”, petit parti nationaliste radical, deviendra aussi le président d’Amnesty International, puis obtiendra le Prix Nobel de la Paix en 1974 et le Prix Lénine de la Paix en 1977! L’homme était un nationaliste irlandais pan-celte. Interviewé par le journal “Le Peuple breton”, il déclare, rappelle Peter Berresford Ellis: “Ce qui manque au monde, c’est un idéal basé sur un système où la liberté et la dignité humaines sont reconnues parce que la liberté, l’indépendance et l’intégrité des peuples sont protégées... les peuples celtiques peuvent aider (le monde) à propager cet idéal, qui est absent aujourd’hui”.

De 1947 à 1954, l’idéal panceltique est porté, entre autres organisations, par la revue “An Aimsir Cheilteach”, soucieuse de l’avenir des langues sans exclure un souci profond et permanent pour les questions sociales, en bonne logique “connollyste”. Cet engagement social rapproche les militants panceltes du “Labour” britannique. Mais suscite aussi les moqueries acides de la presse anglaise. En France, la répression jacobine, portée par son habituelle bêtise à front de taureau, s’abat sur cette revue, qui est interdite. Car le recours aux “interdits”, en bonne logique orwellienne, est une pratique qui coïncide avec la devise de la “République”: liberté, égalité, fraternité... MacBride, avocat, estime, pour sa part, que c’est une violation des droits de l’homme et engage un procès contre l’Etat français, qu’il gagne bien évidemment. Comique: la patrie des “droits de l’homme”, qui se targue de cette qualité depuis les délires à l’emporte-pièce énoncés par le très médiatisé Bernard-Henri Lévy, a été condamnée pour violation des droits de l’homme, lors d’un procès mené par un ministre irlandais des affaires étrangères, Prix Nobel et Prix Lénine de la Paix et président d’Amnesty International... Un petit épisode à rappeler, un sourire narquois aux lèvres, quand on a devant soi un fort en gueule qui pontifie son pauvre catéchisme “droit-de-l’hommard” à la sauce BHL! L’hydre jacobine cède de mauvaise foi: la revue n’est plus interdite. On fait simplement pression pour qu’elle ne soit pas distribuée. Rien de nouveau sous le soleil!

Première session du “Conseil de l’Europe”

En 1949, se tient la première session du “Conseil de l’Europe”, présidé par Paul-Henri Spaak. Les délégués irlandais déclarent que “l’Europe a sombré dans un marécage” et que “la vision celtique (ethnopluraliste définie par De Valera et MacBride) peut la sauver”. John Legonna (1918-1978) abondait dans ce sens, lors de son discours: “par leur exemple et par l’action de leurs dirigeants, les peuples celtiques pourraient fournir à l’Europe une voie pour retrouver le salut et s’extraire du marais dans lequel s’enfonce progressivement la civilisation européenne. Nous, dans les pays celtiques, disposons de tous les éléments nécessaires pour mener à bien une tâche historique de la sorte. Nous, les Celtes, avons toujours une puissante contribution à offrir à la civilisation humaine”. Les délégués celtiques demandent la création d’une “Union Fédérale des Nationalités Européennes”, pour sauvegarder les droits des minorités ethniques. Ce sera en vain: la Grande-Bretagne bloque la résolution parce qu’elle ne veut pas que les Irlandais d’Eire ouvrent le dossier de la partition, qu’ils jugent inique. La France, elle, refuse la constitution d’une “Court européenne des Droits de l’Homme”! Encore un bon rappel pour les zélotes actuels... Les Irlandais, dépités, haussent les épaules: “encore une manifestation des ‘power politics’”, conclueront-ils.

Une autre figure, également mise en exergue par Peter Berresford Ellis, mérite d’être extraite de l’oubli, celle de la juriste galloise Noëlle Davies, auteur d’ouvrages sur le nationaliste romantique Danois Grundvigt et sur Connolly. Elle suggère, pour les peuples celtiques comme pour les peuples européens, un modèle “pan-nordique”, semblable à l’Union Scandinave. En 1961, la “Celtic League” élit comme Président le Breton Alan Heusaff, un ancien combattant de la “Bezen Perrot”, qui lance la revue “Cairn”, qui paraît toujours actuellement.

Le panceltisme, qui permet de penser le politique en dehors du clivage gauche/droite, tel que nous le subissons dans le prêt-à-penser dominant, ouvre des pistes non encore exploitées:

-          l’anti-impérialisme en des termes euro-centrés, centré sur des identités européennes visibles et concrètes et non sur des identités loitaines difficiles à comprendre, soit un anti-impérialisme qui ne soit pas uniquement à l’usage de peuples du dit “tiers monde”, quoique ces derniers ont évidemment bien le droit d’en développer des formes propres, à leur bon usage; l’impérialisme contemporain pratique la colonisation mentale et la dépendance économique en Europe aussi: ce que bon nombre de tiers-mondistes des années 60 et 70 avaient oublié.

-          Un socialisme réel, non détaché d’une certaine matrice marxiste, qui pourrait renouer aussi avec des filons fédéralistes-proudhoniens, comme l’avaient proposé les auteurs d’un groupe animé à Nice par Alexandre Marc ou certains théoriciens italiens; la solidarité populaire, génératrice de formes politiques socialistes, ne peut être optimale qu’au sein d’identité concrètes; les autres formes de socialismes s’accomodent trop aisément du système; on l’a vu avec le néo-libéralisme, la fausse “troisième voie” du travailliste Blair, le bellicisme de ce dernier, les timidités et les atermoiements des sociaux-démocrates qui fâchaient déjà James Connolly.

-          Un féminisme sainement conçu dans le sillage d’une autre héroïne irlandaise, dont il faudra un jour parler à cette tribune, la Comtesse Markiewicz (1869-1927), où la citoyenne d’une république socialiste, nationaliste et panceltique aurait été un “zoon politikon” au même titre que les mâles.

-          Une piste écologique intéressante, où la préservation de la nature est aussi un impératif dicté par le désir naturel de préserver les paysages exaltés par la poésie traditionnelle et les traditions populaires. Cette piste écologique est inséparable d’un recours au local, même de dimensions réduites, au nom du slogan “Small is beautiful” de Kohr et Schumacher, et surtout respectueuse des “lois de la variété requise”, selon l’idée qu’avait formulée le militant breton devenu citoyen irlandais, Yann Fouéré.

S’engager sur les pistes qu’ouvrent les études serrées du panceltisme ou du socialisme irlandais, comme celles réalisées par Peter Berresford Ellis, permet de s’insinuer profondément dans les dispositifs de nos adversaires, d’utiliser leur propre vocabulaire en lui donnant une épaisseur bien plus substantielle, en le ramenant de force à ses matrices historiques: en effet, la métapolitique d’en face procède par affirmations péremptoires, assénées par la répétition ad nauseam dans les “mainstream medias”, par une méthode Coué qui finit par saoûler. Toutes ses affirmations, aussi tonitruantes que boîteuses, qu’elles se réfèrent à une forme ou une autre de marxisme ou au corpus des “droits de l’homme”, sont posées comme détachées de tout contexte historique. Elles n’ont dès lors aucune consistance car leur donner consistance, en les plongeant dans un empirisme historique, serait les transformer en armes redoutables contre le système planétaire, aliénant et amnésique qui nous oppresse. Le nationalisme et le socialisme identitaires des Irlandais a bien fait fléchir l’Empire britannique au faîte de sa puissance. Le système ne veut pas de consistance car toute consistance est, en fin de compte, un matériau pour l’érection d’un môle de résistance à l’homogénéisation globale, à l’homocratie en marche (Jan Mahnert). Nous voulons redonner de la consistance à nos peuples pour qu’ils s’émancipent, tout comme BHL veut nous arracher à nos racines et à  nos mémoires pour que nous soyons d’éternels moutons de Panurge. Le modèle irlandais est une bonne source d’inspiration pour réapprendreà résister.Une source d’inspiration à laquelle nous allons sans cesse retourner, ainsi qu’à d’autres chantiers similaires. J’espère que le résultat de ce colloque sera de susciter de telles vocations.

Robert Steuckers.

(Forest-Flotzenberg, février 2013; version finale: août 2013).

Notes:

(1)   Peter Berresford Ellis, Historia de la clase obrera irlandesa, Ed. Hiru, Hundarribia (Guipuzcoa), 2013 (traduction espagnole d’un livre aujourd’hui épuisé et intitulé A History of the Irish Workig Class, 1985).

(2)   F. S. L. Lyons, Culture and Anarchy in Ireland 1890-1939, Oxford University Press, 1982.

(3)   F. S. L. Lyons, op. cit.; cf. également: Ruth Dudley Edwards, Patrick Pearse, The Triumph of Failure, Gollancz, London, 1977.

samedi, 20 juillet 2013

L’Iran, de la “révolution blanche” à la révolution tout court

L’Iran, de la “révolution blanche” à la révolution tout court

Ex: http://www.valeursactuelles.com

shah011.jpgJanvier 1978-janvier 1979. C’est au moment où elle se modernisait que la monarchie des Pahlavi s’est défaite dans la confusion. De là date l’essor de l’islamisme radical.

Une tasse de thé, un dernier regard, Mohammad Réza Pahlavi quitte son palais presque vide, le 16 janvier 1979. Dans les jardins, il retrouve la chahbanou, puis gagne l’aéroport international de Téhéran. Un petit groupe les attend, mais ni ambassadeur étranger ni ministre. Des militaires supplient le chah de rester. Le général Badreï, chef de l’armée de terre, s’agenouille selon un vieil usage tribal et lui baise les genoux. Le chah enlève ses lunettes, le relève. Il pleure en public. À Chapour Bakhtiar, nommé à la tête du gouvernement deux semaines plus tôt, le 31 décembre 1978, il dit : « Je vous confie l’Iran et vous remets entre les mains de Dieu. »

Le chah pilote lui-même son Boeing 707 jusqu’à la sortie de l’espace aérien iranien. Il craint une attaque surprise. Commence pour le souverain une longue errance. Rongé par un lymphome, repoussé par tous, il trouve asile en Égypte où il mourra le 27 juillet 1980. Il régnait depuis le 16 septembre 1941 et allait avoir 61 ans.

Moins de dix ans plus tôt, il avait célébré à Persépolis les 2 500 ans de l’Empire perse dont il se voulait le continuateur. En même temps, son régime exaltait la modernisation de l’Iran et la “révolution blanche”, ce plan ambitieux de réformes lancé en 1963. La “grande civilisation” à laquelle le chah avait rendu hommage semblait de retour.

Mais à quel prix ! Omniprésence de la Savak (la police politique), pouvoir autocratique, cassure entre la capitale et la province, fracture entre une élite occidentalisée et le peuple, autisme du chah qui ignore l’aspiration de la société à intervenir dans la vie politique, corruption, vénalité, et hausse des prix. À ceux qui évoquent les ravages sociaux et politiques de l’inflation, le chah répond : « Mon gouvernement m’assure du contraire. Vous ne répercutez que des bavardages de salon ! »

La “révolution blanche” a heurté les plus traditionalistes de la société iranienne, les chefs de tribus et une partie du clergé conduite par un mollah nommé Ruhollah Khomeiny. Né en 1902, celui-ci nie toute valeur au référendum qui doit approuver la “révolution blanche”. C’est surtout la proclamation de l’égalité entre homme et femme et la modernisation du système judiciaire qui le font réagir car il estime que ce sont deux atteintes aux préceptes de l’Islam et du Coran. Sans oublier que la réforme agraire est, dit-il, préparée par Israël pour transformer l’Iran en protectorat…

De Qom, ville sainte du chiisme, Khomeiny provoque le chah le 3 mai 1963. Il est arrêté. Suivent trois jours d’émeutes, les 15, 16 et 17 juin, 75 victimes, 400 arrestations et un constat : l’alliance “du rouge et du noir”, une minorité religieuse active et fanatisée avec les réseaux clandestins du Toudeh, le parti communiste iranien. Pour éviter la peine de mort à Khomeiny, des ayatollahs lui accordent le titre de docteur de la loi faisant de lui un ayatollah. Libéré, il récidive en 1964 et s’installe en Irak.

Ces oppositions, le chah les connaît. Elles le préoccupent. Il lance un appel aux intellectuels pour qu’ils en discutent en toute liberté. En avril 1973 se réunit le “Groupe d’études sur les problèmes iraniens”, composé de personnalités indépendantes. En juillet 1974, un rapport est remis au chah qui l’annote, puis le transmet à Amir Abbas Hoveida, son premier ministre. « Sire, lui répond-il, ces intellectuels n’ont rien trouvé de mieux pour gâcher vos vacances. N’y faites pas attention, ce sont des bavardages. » En fait, il s’agit d’un inventaire sans complaisance de l’état du pays complété de mesures correctives avec cet avertissement : si elles ne sont pas prises au plus vite, une crise très grave pourrait éclater. Cinq mois plus tard, le chef de l’état-major général des forces armées remet à son tour un rapport confidentiel et aussi alarmant que celui des intellectuels : l’armée résistera à une agression extérieure mais un grave malaise interne peut mettre en danger la sécurité nationale.

Ces deux avertissements venus du coeur même du régime restent lettre morte. Un nouveau parti officiel créé en 1975, un nouveau premier ministre nommé en août 1977 ne changent rien : les ministres valsent, les fonctionnaires cherchent un second emploi, le bazar de Téhéran gronde. Or dès l’année 1976, le chah sent que la maladie ronge son avenir. « Six à huit ans », lui a dit le professeur français Jean Bernard. C’est un homme fatigué qui affronte la montée de la violence révolutionnaire dans son pays.

D’Irak, Khomeiny redouble ses attaques. Le chah, dit-il, n’est qu’« un agent juif, un serpent américain dont la tête doit être écrasée avec une pierre ». Le 8 janvier 1978, un article paru dans un quotidien du soir de Téhéran fait l’effet d’une bombe. Il s’agit d’une réponse virulente à Khomeiny, qui a été visée au préalable par le ministre de l’Information. Or la polémique mêle vérités et mensonges. Le lendemain, à Qom, des manifestants envahissent la ville sainte : un mort, le premier de la révolution. Le 19 février, quarante jours après ce décès, le grand ayatollah Shariatmadari organise à Tabriz une réunion commémorative. À nouveau, du vandalisme, des morts, des blessés. L’engrenage manifestation-répression est engagé. Et à chaque quarantième jour, à Téhéran, à Tabriz, à Qom, se déroule une manifestation qui tourne à l’émeute. La police appréhende des jeunes gens rentrés récemment des États-Unis et connus pour leur appartenance à des groupes d’extrême gauche, ou des activistes sortis des camps palestiniens, des individus ne parlant que l’arabe. Les forces de l’ordre ne tentent quasi rien contre eux.

Le pouvoir s’affaiblit et s’enlise. Le chah nie la réalité, ignore le raidissement du clergé, continue à raisonner en termes de croissance de PIB. Et puis les Britanniques et les Américains ont leur propre vision de la situation ; ils conseillent de pratiquer une ouverture politique et de libéraliser le régime : le général Nassiri, cible de la presse internationale et qui dirigeait la Savak depuis 1965, est écarté en juin 1978. Loin de soutenir le chah, comme le faisait Richard Nixon, le président Carter envisage son départ et son remplacement. Au nom des droits de l’homme, les diplomates américains poussent aux dissidences les plus radicales. Une ceinture verte islamiste, pensent-ils, est plus apte à arrêter l’expansion du communisme soviétique.

Le 5 août 1978, le chah annonce des élections “libres à 100 %” pour juin 1979, une déclaration considérée comme un signe de faiblesse. Le 11, débute le ramadan. Des manifestations violentes éclatent à Ispahan : pour la première fois, des slogans visent directement le chah. Le 19, se produit un fait divers dramatique : un cinéma brûle, 417 morts. Un incendie criminel. L’auteur ? Des religieux radicaux ? La Savak ? Le soir même, la reine mère donne un dîner de gala. L’effet sur l’opinion est désastreux, alors que les indices orientent l’enquête vers l’entourage de Khomeiny.

Le nouveau premier ministre, Jafar Sharif- Emami, surnommé “Monsieur 5 %” tant il prélève de commissions, déclare sous le coup de l’émotion “la patrie en danger”. Le 7 septembre, 100 000 personnes manifestent à Téhéran avec des ayatollahs : des portraits de Khomeiny apparaissent. La loi martiale est décrétée pour le lendemain 8. Les manifestants prennent de vitesse police et armée. Ils veulent occuper la “maison de la Nation” et y proclamer une “République islamique”. Le service d’ordre tire en l’air, des tireurs embusqués ouvrent le feu sur la foule. C’est le “vendredi noir”, soigneusement « préparé et financé par l’étranger » affirment les auteurs. Au total, 191 victimes. La rupture entre le régime et les partisans de Khomeiny est totale.

Le chah est anéanti. « Jamais, confie-t-il, je ne ferai tirer sur mon peuple ! » Lui qui croyait être tant aimé se sent trahi : « Mais que leur ai-je donc fait ? ». Un seul souci l’habite : éviter la guerre civile, sa hantise. Le “vendredi noir” marque le début de son inexorable chute.

Le désordre et l’anarchie s’installent ; Khomeiny gagne la France, reçoit intellectuels et journalistes (mais pas ceux de Valeurs actuelles à qui les auteurs de l’ouvrage que nous citons en référence rendent hommage) qui raffolent de l’ermite de Neauphle-le-Château ; en Iran, les marches en sa faveur se multiplient et façonnent l’image d’une révolution romantique et démocratique ; les Américains organisent en secret la phase finale de leur plan : neutraliser l’armée iranienne et le haut état-major fidèles au chah. Les jeux sont faits.

« L’Iran des Pahlavi n’était certes pas parfait, mais il était en pleine modernisation, écrira Maurice Druon dans le Figaro du 12 novembre 2004. Fallait-il pousser à le remplacer par un régime arriéré, animé par un fanatisme aveugle ? L’essor de l’islamisme radical date de là. »

À lire Mohammad Réza Pahlavi. Le Dernier Shah/ 1919-1980, de Houchang Nahavandi et Yves Bomati, Perrin, 622 pages, 27 €.

vendredi, 19 juillet 2013

Il ritratto di Ungern Khan

pozner-barone.jpg

Foglie e pietre

Il ritratto di Ungern Khan 

da Pio Filippani-Ronconi
Ex: http://www.barbadillo.it 

Sessantasei (adesso sarebbero novantadue ndr) anni fa, all’alba del 17 settembre 1921, cadeva fucilato a Novonikolajevsk, secondo altri a Verkhne-Udinsk, presso il confine mongolo, il comandante della divisione asiatica di cavalleria, barone Román Fiodórovic von Ungern-Sternberg, ultimo difensore della Mongolia “esterna” indipendente e della Siberia “bianca”. Con la morte del “Barone pazzo” nulla piú si opponeva al dilagare dell’esercito bolscevico di Blücher nell’Estremo Oriente siberiano e la fase guerreggiata della Rivoluzione si concludeva.

L’effimera meteora del Barone e le disperate imprese della sua divisione non ebbero, in fondo, un effetto determinante su quest’ultimo scorcio della Guerra Civile, specialmente dopo il crollo dell’esercito bianco di Kolcak che, battuto il 14 novembre 1919 ad Omsk, aveva praticamente cessato di esistere. Invece, l’importanza del barone Ungern e del suo variopinto esercito, formato da Cosacchi della Trans-baikalia, da Buriati, Mongoli, volontari Tibetani e Guardie Bianche di ogni provenienza, era soprattutto di natura spirituale. Il Barone, religiosamente affiliato ad una corrente tantrica facente capo allo Hutuktu di Ta-Kuré e suo braccio militare durante l’anno in cui fu padrone della Mongolia esterna, aveva sin dal principio, cioè sin dalla conferenza panmongola di Cita del 25 febbraio 1919, dichiarato la sua intenzione di ristabilire la teocrazia lamaista nel cuore dell’Asia, «affinché da lí partisse la vasta liberazione del mondo».

La controrivoluzione era per lui solo un pretesto per evocare sul piano terreno una gerarchia già attuata su quello invisibile. Questa gerarchia doveva proiettarsi su un mandala, un mesocosmo simbolico, il cui centro sarebbe stata la “Grande Mongolia”, comprendente, oltre alle sue due parti geografiche, l’immenso spazio che dal Baikal giunge allo Hsin-Kiang e al Tibet. Ivi, pensava, si sarebbe attuata la rigenerazione del mondo sotto il segno del Sovrano dell’agarttha (“inafferrabile”) Shambala, la “Terra degli Iniziati”, ove Zla-ba Bzan-po e i suoi 24 successivi eredi perpetuavano il segreto insegnamento del Kalacakra, la “Ruota del Tempo”, loro impartito dal Risvegliato 2500 anni fa.

2500 anni è esattamente la metà del ciclo di 5000 che, secondo la tradizione, separa l’apparizione dell’ultimo Buddha terrestre, Gautama Sakyamuni, dall’avvento del successivo Maitreya, figura probabilmente mutuata dallo zoroastriano Mithra Saosyant, “Mithra il Salvatore” (difatti l’iconografia buddhista lo rappresenta tradizionalmente come un principe “seduto al modo barbarico”, cioè assiso all’europea). Lo stesso Hutuktu di Urga, che Ungern, liberandolo dai Cinesi, aveva ristabilito sul trono, terza autorità nella gerarchia lamaista dopo il Dalai Lama di Lhasa e il Panc’en Lama di Tashi-lhumpo, era teologicamente considerato quale proiezione fisica (sprul-sku) di Maitreya, prefigurazione, quindi, del Buddha venturo. Ungern, consapevole nonostante questa vittoria della sua fine imminente, si rendeva conto di trovarsi in un istante “apicale” del divenire della storia, come se fosse nel cavo fra due onde, un attimo prima che rovinino in basso. Pertanto, nel suo breve periodo di governo ad Urga (dal 2 febbraio all’11 luglio 1921) cercò di tramutare questo istante in un “periodo senza tempo” che permettesse allo Hutuktu di compiere la sua opera spirituale, liberandolo dalla pressione esterna dei due poteri che incombevano: la Cina dei “Signori della Guerra” dal Sud, e la valanga bolscevica che muoveva inarrestabile dal Nord, dalla Siberia.

Erano tempi terribili in cui, piú che dal potere delle armi, gli eventi sembravano determinati da forze promananti da una sorta di magia infera. Coloro che furono testimoni degli sconvolgimenti determinati dalla Rivoluzione di Ottobre ricordano la spaventevole automaticità medianica con cui le “forze rivoluzionarie” demolivano le strutture della vita civile cosiddetta “borghese” e le vestigia dell’ordine antico. Le masse si coagulavano in quegli strati della società in cui maggiormente era assente il principio dell’“Io” autocosciente, fra i miseri, i vagabondi, gli allucinati sopravvissuti dai Laghi Masuri e dalle battaglie della Galizia, i fanatici, i tarati e tutti coloro per i quali la ferocia belluina era alimento quotidiano dell’anima. Ai rivoluzionari non si scampava: mossa come da un’ispirazione demoniaca, la “giustizia del popolo” colpiva infallantemente i nemici della Rivoluzione un momento prima che si muovessero. Il Terrore era guidato da una occulta saggezza che nulla aveva a che fare con la brillante intelligenza di coloro (Trockij, Kamenev, Zinoviev ecc.) che lo avevano scatenato e pensavano di dirigerlo: una saggezza che realmente promanava dall’elemento preindividuale della “massa”, come le forze fisico-chimiche che provocano un terremoto o la fuoriuscita della lava da un vulcano.

ust.jpgUngern chiaramente si rendeva conto di tutto ciò e, dalle sue conversazioni con l’ingegnere Ossendowski, già ministro delle Finanze nel governo di Kolcak, risulta evidente come egli cercasse di evocare misticamente il principio opposto, quello solare, che segnava il suo stendardo, riferendosi ad una cultura, quella tantrico-buddhista, che da due millenni lo coltivava. Soltanto che la sua ascesi personale non poteva diventare il mezzo strategico di vittoria per i suoi cinquemila cosacchi, russi sí, mistici forse, ma fatalmente appartenenti ad un mondo orientato verso un’esperienza dello Spirito volta al mondo sensibile esteriore. Nel suo Uomini, Bestie e Dèi, che è la narrazione della sua fuga dalla Siberia alla Mongolia, Ossendowski ci ha lasciato un’impressionante descrizione degli eventi, ma, molto di piú, dell’allucinata atmosfera che regnava sulla ufficialità che attorniava il Barone e fra le sue truppe, sottomesse da anni a spaventose fatiche e ad una disciplina rigidissima e, per giunta, consapevoli del disastro imminente. La narrazione dell’Ossendowski verrà in seguito aspramente criticata (fra gli altri dallo stesso Sven Hedin) per la parte riguardante i suoi viaggi fra gli Altai e la Zungaria. Resta, però, intatta la sua testimonianza sulla figura e sulle avventure del Barone e, soprattutto, sul senso “magico” del destino che ivi si compiva.

Ricordo perfettamente la straordinaria impressione che suscitò nell’Europa distratta e frenetica degli anni Venti, anche fra i lettori piú materialisti e intenti negli affari contingenti, la relazione sul collegamento mistico fra lo Hutuktu, il Bodhisattva incarnato, il Barone Ungern e il Re del Mondo, presenza invisibile ma concretamente percepibile che conferiva un significato trascendente al sacrificio a cui i Cosacchi, il fiore dei popoli russi, andavano incontro. Questo motivo del “Re del Mondo” dette fuoco alle polveri di innumerevoli discussioni, specialmente fra coloro che si accorgevano che non si trattava di una invenzione letteraria. Fra gli altri, lo stesso René Guénon lo sottopose ad una critica serrata nel suo Le Roi du Monde, dimostrandone la fondatezza, in un’epoca in cui la Scienza orientalistica praticamente nulla sapeva del mito di re Chandra-bhadra (tib. Zlâ-ba Bzan-po) depositario di una sentenza segreta comunicatagli dal Buddha, e soprattutto ignorava la saga del suo Regnum spirituale, una specie del Castello del Graal, che storici e geografi si sono in seguito affannati a ricercare in vari luoghi del Tibet e della valle del Tarim in Asia Centrale: regno visibile solo agli Eletti, che però si renderà manifesto a tutti sotto il ventiquattresimo erede di Chandra-bhadra, quando la sapienza del Kalacakra emergerà per illuminare gli uomini circa la coincidenza della loro interiorità purificata e l’Universo degli archetipi.

La leggenda di questo Barone baltico, di stirpe germanico-magiara che, rivestito della tunica gialla del lama sotto il mantello di ufficiale imperiale, e spiegando davanti agli squadroni lo stendardo mongolo, procede “nella direzione sbagliata”, verso Ovest anziché verso Est, ove chiaramente si sarebbe salvato, è tipicamente russa, ricollegandosi al motivo sacrificale della zértvjennost’ (“l’offrirsi come vittima”) per l’istaurazione del Figlio della Benedizione sulla Terra Madre, che in veste poetica era stata enunciata dallo stesso Solovjèv.

Nell’ultimo rapporto ufficiale, tenuto ai princípi di agosto 1921, quando la divisione asiatica di cavalleria si trovava sul fiume Selenga intenta ad interrompere la Transiberiana fra Cita e Kiakhta, egli impartí l’ordine apparentemente assurdo di compiere la conversione verso Ovest, indi verso Sud, avendo come meta gli Altai e la Zungaria. In quella occasione disse esplicitamente al generale Rjesusín che si proponeva di raggiungere, attraverso lo Hsin Kiang cinese, niente di meno che la “fortezza spirituale tibetana”, ove rigenerare se stesso e i laceri resti della sua divisione. Assassinato il suo amico Borís la sera stessa dagli ufficiali in rivolta e morti gli ultimi fedeli, egli mosse solitario verso una direzione che non aveva piú rapporto con la realtà geografica del luogo e militare della situazione, nel postremo tentativo, non di salvare la vita, bensí di ricollegarsi prima di morire con il proprio principio metafisico: il Re del Mondo.

La sua disperata migrazione verso il Sole che tramonta era in realtà un ultimo atto di culto verso la Luce che aveva sorretto le sue imprese. Trascorse la sua ultima notte di libertà nella yurta del calmucco Ja lama. Il Barone si avvide, forse, del significato del nome del suo ospite: Ja, abbreviazione in dialetto khalka del mongolo Jayagha, “fato”, “esistenza”, “destino”, karma. E il “fato” lo consegnerà la mattina seguente alle Guardie Rosse di Shentikín, il fiduciario di Blücher. Era il 21 agosto. Regolarmente processato nel sovjet di Novonikolayevsk, senza che gli venissero toccate le spalline e la croce di San Giorgio, viene accusato di “complotto anti-sovietico per portare al trono Mikhail Romanov, efferatezze ed assassinio di masse di lavoratori russi e cinesi”. Condannato, viene fucilato due giorni piú tardi.

Nello stesso tempo, in un angolo della lontanissima Europa, nella Germania sconquassata del primo dopoguerra, il mito del Re del Mondo giungeva per vie misteriose a gruppi di giovani intellettuali, corroborando con il suo simbolo solare i nuovi meditatori del “Vril” e le assisi della Thule-Gesellschaft.

*da “Un tempo, un destino”, in «Letteratura – Tradizione», II, 9

A cura di Pio Filippani-Ronconi

mercredi, 17 juillet 2013

A Brief Introduction to the Nordic Imperium School

Nordic-cross_Flags.png

A Brief Introduction to the Nordic Imperium School

Vibeke Østergaard


I hesitated writing this principally as a result of time constrains but to a lesser extent because only two other lansmen seem to be on this list and the material will likely seem remote to the Americans and Englishmen on the list. I have received a great number requests to compose such an introduction from members and others that follow this list and I do feel that the school deserves some attention from Eurocentric advocates in general which in the end caused me give the matter cursory attention. I have purposely avoided raising the matter of the esoteric/mystic writings many of the authors because I do not wish to offend the non Heathen majority on this list and I feel that ideological issues can be dealt with adequately without raising the matter. I also chose not to deal with the matter of proponents of the school being active in the Legionary Movement as others have covered the matter far better then I can.

This very brief introduction to the Nordic Imperium School of thought prior to ‘45 is meant to simply provide a bit of background on some of the key figures and concepts. I should state that due to my background I'm biased towards Føroyskt, Danish and Icelandic figures rather then Swedish and Norwegian ones. This is not say they are any less important to the school but that I am more familiar with the former and they do resonate a bit closer to my views which is why I emphasize them. Also, note that because I am covering a great deal of material spanning several nations and decades my treatment will have to be superficial do to both the format of this forum and time pressures which prevent the application of sufficient criticism, care to style and detail beyond a course degree. If anyone wishes clarification on any of the points I touched on just let me know.

I think that the best place to start is with the political writings of Venzel Hammershaimb who is best known as the father of modern Faroese. What became the basis of V.U. Hammershaimb's contribution to what latter became known as the Nordic Imperium stemmed from his Føroyskt Antologi which recounts various local mythology, folklore and songs but is best known as serving as the basis for our current grammar and spelling which was standardized here during the 1890's.

In substantive terms, the proposition advanced by Hammershaimb was that the spiritual essence of a people are best expressed by song and lore which in turn express itself in the folkways of a people. That which makes a people unique are commonalities in ascetics which reflect the environment in which they live and the self perceptions that results from belonging to a common stock lending continuity and hence, shared identity and purpose . This view holds that dilution and alienation in terms both folkish and individual come from two sources: external domination and co-mingling with other kindreds which are seen as detrimental because they end aesthetic commonality and inherited perceptions of folklore upon which domestic concord depends leading to what he called an "anti culture" which is similar to what is now in vogue in the states and the West as a whole.

This basic notion of ethno-cultural compatibility and continuance was presented as an argument against imperialism and the preservation of all of the unique expressions of Scandinavian folkishness entailed some form of transnational cooperation. Unfortunately, the consequences of this notion were never articulated by Hammershaimb. Instead, a more traditional form of nationalism was taken from his writing and speeches were adopted by the patriotic and Romantic poet Nólsoyar-Poul Poulson whose sense of organic folkishness was infused with resentments of colonial injustice. This oppressive history began with the clerical dictatorship of Bishop Erlendur during the early 1100s and grew worse the dispossession of the Alping ( People's Assembly) in 1380. This unfortunate pattern culminated with the savagely cruel reign of the Von Gabel dynasty which lasted from the mid 1600s till the early 1700s and finally the famines of the early 1800's which when combined with massive taxes to support the Danish crown nearly lead to our literal extinction.

In Iceland the politicized lyricism of the Fjölnismenn served to provide a similar substance to a traditional yet vibrant form of nationalism just as our most beloved poet and nationalist Heðin Brú (alias Hans Jacob Jacobsen) expounded an organic and romantic view of blood, soil and folkways defining both Faroese culture and the Nordic essence from which it springs. These expressions of poetic nationalism and Nordic essence were not important so much for their substance as they were for their literary style and the passions they evoked among lansmen. Other equally important sources for nationalist inspiration came from the very well known author . Mikkjal a Ryggi's ( 1901-1987) who authored the 1940 classic of local history "Midhvingas" and William Heinesen (1900-1991) whose most famous work is the folkish collection Soga Friðrik which is of as a great an importance as the Poetic Eddas.

During the 1920s and a 30s a great deal of progress happened in ideological terms thanks to the writing of Jón Ögmundarson who coined the term "Nordic Imperium" writing a book by the same name in 1925. Basically, the substance of his thought revolved around a critique of French and Italian Fascism and Corporatism of the era which was later supplemented with an expansive treatment of earlier themes and a critique of contemporary German National Socialism in his 1932 work arguably mistitled "Aphorisms".

Ögmundarson accepted the well established notion that both capitalism and traditionally conceived versions of socialism and syndicalism were two sides of the same coin so to speak because they both represented materialistic perspectives divorced from the what he called the "Nation Organic" or the traditional folkways and mores which reflected the temperament of a people free from foreign domination and materialistic influence. The concept of the Nation Organic simply means a continuum of values and perceptions derived from a society based upon shared ancestry providing a common sense of identity and purpose. The rationale for preserving such a society is that the sense of individual purpose and security it provides was viewed as best for preserving societal cohesion across generations in a world seen as largely hostile, unstable, despotic and prone to decadence and ultimately savagery.

Both capitalism and traditionally conceived versions of socialism and syndicalism resulted in the imposition of a particular class upon society causing personal and class based alienation resulting in materialist based interest groups becoming estranged from the state and the state from society. The end result of the dominance of materialism over spiritualism was seen in this view as leading to the death of civilization with nations becoming nothing more then sales/production districts in which the basest elements of a devolved society outbreed the vanguard leaving nothing but decadence combined with civil insecurity. Such a debased entity was seen as simply collapsing under internal strain or being over run by a more vigorous and sound alien stock.

As such, Ögmundarson found sympathy with the notion that socialism should be seen not in terms of class war but in terms of the ascension of the Nation Organic over the state. In doing so he shared he sentiments of National-Socialists like Valois, Berres and Sorrel whose expressions of National Revolutionary thought sought to transcend both democracy and the materialism which were viewed as being at the heart the heart of syndicalism, socialism, capitalism and the societal
decay they engender.

His dispute with such theorists stemmed from a rejection of corporatism/national syndicalism conceived in terms of vertical integration which he saw as an illusion to total statism. He considered the former preferable to Bolshevism in that it avoided class domination but undesirable because it did not resign the state to a position of serving what he considered the ultimate purpose of the state's existence: the progression of the Nation Organic. Instead, he saw the value of Sorel's take on socialism in that its intention was the moral regeneration of society as a whole rather then class based advocacy which he combined with his view that folkways represent a common spirit that is a manifest expression of the biologic. As such, this view holds that the degradation of one leads to a decline of the other and a corresponding rise in materialism which by nature is universalistic, destructive in societal terms and dysgenic to the point of eventual liquidation of the folk.

Like all proponents of the school, Ögmundarson was violently opposed to the welfare state which he saw as nothing more then statism used to encourage sloth and dependancy upon a materialistic state that destroys traditional institutions and communal relations. This view holds social democracy as simply an incremental form of Bolshevism resulting in spiritual and ultimately biologic decay.

On an institutional basis, the assertion of society over materialism resulted in a rejection of corporatist arrangements in favour of employee ownership as means for the distribution of productive economic assets. This conception has individual firms being organized on the basis of voluntary guilds like federations for the purpose of securing finance for capitol goods, capacity expansion and basic materials from usury free banks funded by withholdings taken from company sales receipts or publicly funded block grants, in the modern American style of term, in the case of capital intensive industries. Another aspect of these guild like organization were that they were envisioned as being responsible for providing primary and trade based education.

scan0001.jpg

Do to the long history of onerous taxes to support a distant potentate came the notion that taxes were to be set by a "Chamber of Producers" comprised of delegates selected by popular vote within their respective guilds every three years. Also according to this scheme, the electorate was tasked with determining the tax rates and basic budget for the public sector via periodic plebiscites. The actual composition of proposed budgets being open to anyone that could obtain support of 5% of the electorate for their scheme. Rival budgets meeting this criteria are submitted to the plebiscite with three rounds of voting reducing the options to the two most popular options in a manner similar to current French presidential elections. The electorate was viewed as consisting of the head of each tax paying house hold and all unmarried tax payers with gross recipients of welfare, felons, drunks and mentally incompetent/disturbed members of society
expressly forbidden from voting.

Less well defined was the nature of the autocrat, entitled the "Amtmaður", who was entrusted with what is commonly referred to as executive power. The principle political tasks of the Amtmaður is: appointing judges and ministers, enacting the public sector budget, providing for defense and representing the folk state abroad. The legitimacy of the Amtmaður is viewed as being derived solely from his ability to promote and maintain folkish renewal. As such he is tasked with enacting eugenic policies similar to those found else where in Scandinavia at the time, promoting both traditional and high arts as well preventing the influx of non Nordic influence in cultural, economic and political terms.

The selection of the Amtmaður is not covered in adequate detail. Instead, Ögmundarson simply states him to be a populist leader that heads a folkish uprising during a period of immense societal turmoil. The school terms such a struggle for folkish resurgence as "Insurgent Traditionalism" which basically expresses tradition as being under a constant state of siege from the forces of materialism/universalism which ultimately manifest themselves in terms of biologic decay which, if sufficiently advanced, destroys the possibility of folkish renewal and therefor is viewed as being ultimately destructive . The only method for the removal of the Amtmaður was briefly touched upon as the responsibility of an armed citizenry which seems to have been taken from the traditional American notion of a militia.

As to the matter of the Nordic Imperium, such is viewed principally in terms of racial Nordics expressing themselves in terms of the advancement of the Nation Organic throughout Scandinavia via the expression of traditional folkways and mores. Such an expression of Nordic traditionalism is portrayed as an anti-Imperialistic doctrine which calls for the Amtmaður of various nations to form a Nordic League for handling common issues of concern such as trade, ecological matters, responses to cultural threats posed by non Nordic media and such. The league was also to be tasked with the matter of raising an volunteer expeditionary legion along the lines of the war time Legionary Movement to help repulse any efforts by the Bolsheviks to expand in the West as well as supporting the development of indigenous, non imperialistic forms of folkish resurgence throughout Europa via propaganda.

In "Aphorisms" Ögmundarson condemned Mussolini as "promoting primitive state worship over organicism and the needs of the Italian people." He condemned the Faisceau of Valois as "Abandoning the transcendence of democracy, capitalism and Bolshevism in favour of a class free despotism opposed to materialism but offering nothing in it's place." contemporary Futurism was like wise portrayed as "Nothing more then an adolescent rejection of what one is by birth and the obligations entailed as a result in favour of a directionless and violent vitality imbued stylish inconsequentials"

As to Hitler the same text said: ‘ The heart of the current revolution is best expressed by Mr. Hitler's comment that ‘The [Nation-] State in itself, has nothing whatsoever to do with any definite economic concept or a definite economic development. It does not arise from a compact made between contracting parties, within a certain delimited territory, for the purpose of serving economic ends. The State is a community of living beings who have kindred physical and spiritual natures, organized for the purpose of assuring the conservation of their own kind and to help towards fulfilling those ends which Providence has assigned to that particular race or racial branch.' This notion despite having great merit, is unfortunately called into doubt by efforts to deny folkish restoration by creating a state that risks reflecting statist rather then the organic principles of Insurgent Traditionalism as a result of the centrality of the Leadership Principle to his doctrine."

Anders Rüsen was a Danish devotee of Ögmundarson who founded the so called "primal wing" of the school which placed a heavier emphasis upon the rhetorical style of the poets mentioned earlier infused with the mysticism of Von List and a historic view of folkish resurgence and decline was prominent detailed in a two volume 1929 monograph entitled "Permanent Tradition, Permanent Modernism". The former differed from most of his work which was not expressly political and instead focused upon antiquarian research and Heathen mysticism. A theme found in this and other works by Rüsen and his compatriots is that tradition and modernity should not be seen as contending elements in Nordic history but rather that Nordic folkways are always facing extinction do to the harshness of local environments, the vastly superior resource and demographic strength of other European nations and the dysgenic impact upon Nordicdom that resulted from migration and conquest during the Viking era.

The natural weaknesses mentioned above were overcome with native ingenuity of both technological and societal variants which in turn provided a stable, comfortable existence begetting high material expectations and a weakening of traditional social arrangements. These in turn beget materialism and relations based upon one's association with the means of production that ultimately lead to individual and class based alienation and finally societal breakdown.

As societal decay advances traditionalism responds based upon reaction (which is conceived in the classical French sense of the term) or what Rüsen referred to as a theoretically simple construct although complex in terms of application known as "a synthesis of reversal" which is nothing more then the adoption of thematic themes, policies or institutional theory that is a product of some form of universalism used as a means of lending the image of modernity to a traditional ideology as a tactical ploy. If such a ploy is successful and staves off societal collapse the inovation often becomes integrated into, and as result modifies, the broader national tradition.

The modification is seen as a "natural progression" if the if the append theory/ theme/institution is tempered with a Burke like notion of prudence preserving the broader integrity of tradition. Conversely, such appendages can also have long term consciences that fundamentally undermine tradition in ways that are not predictable and as a result, such progressions are fraught with danger. A large portion of the first volume and all of the second installment of "Permanent Tradition, Permanent Modernism" was dedicated to considering Christianity, in a relatively benign light, and parliamentarianism, in a highly negative fashion, from this perspective.

This view holds that imperialism and migration during the Viking era was a terrible mistake because it siphoned off the most vigorous stock of Nordic society to establish kingdoms in alien lands that could not possibly dominate the local populations and were instead biologically absorbed by the native populations. This dysgenic effect left the other great nations of Europa better able to threaten Nordic countries in addition to their shear size, imperial holdings and natural resources leaving Nordic nations continually under threat. As an aside, the primal wing held that imperial adventures undertaken by the great powers of Europa would destroy their economies and encourage the destruction of traditional societal relations leading first to social democracy then Bolshevism and the finally the end of what he termed "Europa Organic". His formative work on this mater was printed in late 1944 by Rüsen and entitled "Nationalism or Imperialism." Which was unfortunately, his last published work. The remainder of his life was spent fighting with a NS resistance group against allied occupation until his death in June of 1945.

It should be noted that despite his military efforts, Rüsen he was not an uncritical supporter of the NSDAP variant of National Socialism. Instead, he held sympathy for the notion of "Permanent National Socialism" which was advanced by fellow mystic Jan Rystrup in his major political text entitled "The Evolution of Folk Essence" published in 1938. When grossly over simplified, this perspective held that any form of National Socialism based upon the "leadership principle" was doomed to be despotic by reflecting the societal interests of the selectorate that brought the leader to power rather then society as a whole. Rystrup maintained that the NSDAP state was not an ideal expression of National Socialism because it's centralized character and militarism necessitated it becoming an expression of the materialistic interests of factions within the state rather then the Nation Organic.

A further weakness of the NSDAP state according to this view was that it's desire for imperialistic conquest outside of ethnic German regions to the East compromised the organic foundations of National Socialism by draining the vitality and natural resources of Germany in endless wars of colonial subjugation which concentrates state power while diminishing the forces of tradition via interaction with foreigner land and mores.

By contrast, Permanent National Socialism provides interest articulation for all elements of traditional society while the state serves primarily as a force of cultural conservatism interfering in societal matters only to prevent the imposition of class based interests and degenerative trends from interfering with domestic harmony. Such a system is ultimately defined in terms of guildism, decentralization, folkish traditionalism and a limited state.

Despite the substantive objections to Hitler's regime both were active in the legionary movement and armed resistance to allied occupation. Both saw the allies as actively promoting miscegenation, materialism, cultural nillism and the destruction of Europa. That they ultimately served the Axis reflected not so much an indorsement but rather faint praise of an alternative which they felt would wither more quickly in the event of victory then would the allied forces of Bolshevism and capital.

Eyðun við Dennstad took a somewhat different approach by emphasizing the notion that common folk cultures should serve as the basis for regional cooperation throughout Europa by encouraging the creation of a pan European alliance against both the materialism of bourgeois parliamentarianism which he saw as doomed to fall to Bolshevism and the technocratic/ statist tendencies characteristic of French and Iberian corporatism and fascism of the pre war period. As such, he promoted the notion of national boarders based upon folkish commonality and supported the unification of German speaking peoples, the unification of Flanders with Holland (ie. Dietsland) and the creation of Baltic and Slavic Imperiums with alliances based upon the Nordic model to serve as bulwark against bolshevism. These notions were advanced in a series of essays collected into two volumes entitled: "The Folk Nations and Spirituality of Insurgent Traditionalism I & II".

He also rejected the anti Christian rhetoric common to some of his compatriots within the school by saying that Christianity had become part of the Nordic tradition and character regardless of it's alien origin and should be accepted as a unifying element within society rather then encouraging a return to the religious wars of the past. His pragmatic view of Christianity was, to my mind, unsuccessfully grafted onto the folkish perspectives of Manfred Wittich, Franz Diederich and Kurt Heilbutz.

In terms of contributions to policy and institutional thought he advocated the notion that adherence to a single state or economic structure was incorrect and that a centralized, corporative structure was best suited for the promotion of heavy industry along the lines promoted by Valois and Charles Spinasse while maintaining the basic institutional structure of Ögmundarson in other areas. He also was passionate in defense of agrarian policy heavily tilted towards small farmers as stated by the likes of Gilbert and the American Distributists of the 1920s .

He supported agrarian policies principally because he viewed it as a way of preventing the concentration of wealth which he believed encouraged social unrest while promoting economic self sufficiency and folkish culture. He also was a strong proponent of Listian trade policies and the formation of a Nordic Customs Union base upon the old German model.

lundi, 08 juillet 2013

El último José Antonio

El último José Antonio
 
 
El último José Antonio se enfrenta a los mitos y antimitos que han contribuido a distorsionar una figura que es necesario deconstruir, releyendo hacia atrás desde sus notas, escritos y palabras de la cárcel. Allí donde brota una originalidad que arranca con su discurso de la revolución española y que se cierra en su pugna dialéctica con las soluciones erróneas, incluyendo en ellas al fascismo. Una propuesta ideológica que le costó la vida.

Desde un impresionante acervo documental inexplicablemente inédito, revisando críticamente cuanto se ha publicado, es la historia de aquellos meses de prisión, juicio y ejecución seguidos con precisión. Y la respuesta del historiador a los grandes interrogantes: ¿Quiénes fueron los responsables? ¿Por qué fracasaron los intentos de liberación? ¿Qué sublevación apoyó y cómo afrontó la guerra civil? ¿Qué papel jugaron personajes como Prieto, Azaña, Largo Caballero o Franco? ¿Cómo fue realmente el juicio político de José Antonio?…

SOBRE EL AUTOR:

Francisco Torres García, catedrático de Instituto, historiador, profesor de Educación Secundaria. Cursó sus estudios en la Universidad de Murcia. Conferenciante habitual es autor de numerosos artículos de historia que se han incluido en revistas especializadas como Historia 16, Historia y Vida, Aportes… Además, es un prolífico columnista cuyos trabajos han sido reproducidos en Diario Ya, Alerta Digital, Tradición Digital, FN, Arbil, Blau División o La Nación. Formó parte del grupo de tertulianos del programa de radio “La Quinta Columna” presentado en Radio Intercontinental por Eduardo García Serrano y ha intervenido en programas de televisión como “España en la memoria”. En su blog, laestanteria.blogia.com, es posible encontrar su particular punto de vista sobre la evolución política española.

Ha publicado diversos libros como La División Azul 50 años después (1991), ¿Por qué Juan Carlos? Franco y la restauración de la Monarquía (1999), Franco o la venganza de la historia (2000), Esclavos de Stalin. El combate final de la División Azul (2002) en colaboración con Ángel Salamanca. En breve aparecerá también su trabajo Las Lágrimas Azules. La División Azul: del frente a la retaguardia.

http://elultimojoseantonio.com/

jeudi, 04 juillet 2013

Baltikum, Dominique Venner

Libros: Baltikum, Dominique Venner

20130627084613-portadabaltikum.jpg

Info|krisis.- La muerte sacrificial de Dominique Venner nos sorprendió cuando estábamos corriendo la traducción de una de las obras que escribió con más entusiasmo y que le reportó más fama como historiador: Baltikum, aparecida hace cuarenta años, es una obra que no solamente nos informa sobre un episodio histórico titánico sino que nos explica cómo fue posible el nacional-socialismo, las Secciones de Asalto y su enfrentamiento con las SS.

Nos cuenta cuál era la moral de los combatientes alemanes cuando se firmó el Tratado de Versalles, nos dice por qué experimentaron como una sensación extremadamente vivida el haber sido traicionados y apuñalados por la espalda, cómo se sintió Alemania, cuando después de más de cuatro años de privaciones, todo se desmoronó y el Estado, pura y simplemente, se volatilizó. En ese momento, quienes habían estado hasta ese momento en la retaguardia o agazapados, creyeron llegado su momento: fue el tiempo de los especuladores, de los usureros, pero también el tiempo de los bolcheviques. Solamente los Freikorps reaccionaron ante todo esto. Se organizaron en torno a sus jefes naturales, aquellos que habían destacado en la guerra, que habían dirigido unidades de asalto, jóvenes que debieron abandonar sus estudios para integrarse al frente y que tras cuatro años no conocían ni recordaban nada más que la guerra, con sus destrucciones y su camaradería, con su heroísmo y su abnegación. A ellos más que a nadie les era imposible soportar la República de los usureros y los cobardes, incapaz de afrontar a los bolcheviques y dar bienestar a la población. Sin embargo, Weimar tuvo que recurrir a ellos y lo hizo en nombre de la patria. Y aquellos combatientes no pudieron resistir el llamamiento realizado por Alemania, acudieron allí en donde eran requeridos: en las calles de Berlín y de Munich, para sofocar las revueltas espartaquistas y sus excesos, acudieron a las marcas del Este, a Curlandia y a Lituania, acudieron a liberar Alta silesia de la ocupación polaca. También operaron en el Rhur recién ocupado por los franceses. Allí fue capturado y fusilado uno de ellos, Alberto Leo Schlageter, miembro del NSDAP, cuyo núcleo inicial, precisamente, estaba formado por excombatientes. Ellos lo elevaron a la categoría de mito.


Apenas eran unos miles, todos ellos verdaderos “perros de la guerra”. En 1923, muchos de ellos, con apenas 25 años, habían vivido nueve años de guerra. Era normal que quisieran llevar la camaradería y los valores que constituían el núcleo de su existencia a la vida civil. Y fue así como protagonizaron episodios como el golpe de Kapp o el pustch de Munich. Querían construir un mundo nuevo provisto de los valores propios del soldado. Eran conscientes de que había que purificar la patria y que tal acto pasaba por el fuego. Cuando la república de Weimar les traicionó (y lo hizo en varias ocasiones), supieron que debían castigar a los traidores. Se organizaron clandestinamente, cometieron atentados inmisericordes y ejecutaron como la Santa Veheme medieval a quienes juzgaron culpables. Durante un tiempo se convirtieron en nihilistas: nada merecía ser salvado porque nada tenía la altura suficiente para sustituir a la patria perdida.

La formación del NSDAP, respondió a la exigencia de los Freikorps de disponer de un aparato político que reconstruyera el Reich. La existencia misma del NSDAP es impensable sin el recuerdo de los Freikorps y estos, a su vez, son incomprensibles sin aludir a las “tropas de asalto” creadas por la Wehrmacht en 1915 para afrontar la guerra de trincheras. Esas unidades nuevas estaban concebidas con criterios muy diferentes al resto del ejército regular. Sus oficiales no estaban seleccionados por su categoría social, sino por su valor. Estaban extremadamente próximos a sus tropas y formaron unidades extremadamente eficientes en los asaltos a trincheras y fortines. Pues bien, fue entre los supervivientes de estas tropas que se formaron los Freikorps y luego las Secciones de Asalto del NSDAP.
Muchos de ellos vieron en Hitler el hombre llamado a reconstruir la patria y lo siguieron en su aventura. Tras el golpe de Munich, tras su estancia en la prisión de Landsberg, Hitler cierra una etapa: ya no se tratará de conquistar el poder mediante una audaz maniobra de fuerza, sino de convertirse en un partido de masas capaz de hacerse con el control de la nación a través de las instituciones. En 1923, el fracaso del golpe de Munich es algo más que el fracaso de una estrategia, es el final de los Freikorps y el inicio de la conquista democrática del poder.

Este periplo de cuatro años, de 1919 a 1923, es lo que nos describe admirablemente Dominique Venner. Es indudable que su vida fue un ejemplo hasta el final de valor y de dignidad. Primero como militantes política, como hombre de acción y como doctrinario, como impulsor de organizaciones que renovaron en los años 50 y 60 el combate político en defensa de la patria, de la identidad y de la sociedad. De Jeune Nation a la OAS, de Europe Action a la Fédération des Étudiants Nationalistes, Dominique Venner destacó como activista, dirigente, y doctrinario. Muchos de los conceptos que hoy están suficientemente claros entre las fuerzas patrióticas e identitarias, lo están gracias a su opúsculo Pour une critique positive, redactado en prisión y considerado como el ¿Qué hacer? del nacionalismo. La propia Nouvelle Droite debe mucho, desde sus orígenes, a Dominique Venner.

En mayo de 2013 decidió que era necesario dar testimonio de la decadencia europea mediante una acción expeditiva. Ante el altar mayor de Notre Dame de París, asumió una muerte sacrificial, mucho más que un suicidio. Lo explicó en la carta que dejó sobre aquel lugar que, mucho más que templo cristiano, es crisol ancestral de tradiciones seculares. Por eso eligió Notre Dame como escenario: para reclamar de todos nosotros la defensa de la identidad europea, en este momento negro de nuestra historia.

No somos de los que lloramos a nuestros muertos, sino de los que recogemos su antorcha y aspiramos a que la luz de sus llamas ilumine a cada vez más de nuestros compatriotas. Es por esto que hemos decidido traducir y editar Baltikum: una de las obras más queridas por Dominique Venner. Lamentablemente, esta obra no se integrará en los circuitos de consumo cultural y no podrá ser un best-seller. De esta obra solamente podrá editarse un número limitado de ejemplares, distribuidos entre amigos y gentes que comparten los mismos o parecidos ideales que Dominique Venner, sin duda, el mejor de todos nosotros. El precio de venta cubra mínimamente los gastos de traducción y el coste de la edición y esperamos que así sea entendido. Baltikum es una obra que merece leerse porque aclara algunos enigmas de la historia y porque Venner es un autor cuya obra merece ser conocida. Y esto es lo que hacemos con la edición de este libro.
 
 
Características técnicas:
Tamaño: 15x23 cm
Páginas: 400
Portada en cuatricomía
Precio: 22,00 euros + 3,00 de gastos de envío
Pedidos: eminves@gmail.com

mercredi, 03 juillet 2013

Le baron von Ungern vénéré dans les temples mongols

Ungern.png

Le baron von Ungern vénéré dans les temples mongols

Autore:

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

Depuis peu, on ne cesse d’écrire sur une figure qui, malgré sa stature extraordinaire, était passée presque inaperçue dans le tumulte consécutif à la précédente guerre: celle du baron Ungern-Sternberg. Ossendovski avait été le premier à s’intéresser à lui, à grands renforts d’effets dramatiques, dans son célèbre et très controversé Bêtes, hommes et dieux. Il a été suivi par une vie «romancée» du baron von Ungern, publiée par Vladimir Pozner sous le titre de La Mort aux dents; puis, par une seconde vie romancée, de B. Krauthoff: Ich befehle: Kampf und Tragödie des Barons Ungern-Sternberg.

Ces livres semblent toutefois donner une image inadéquate du baron von Ungern, dont la figure, la vie et l’activité sont susceptibles de laisser une grande latitude à la fantaisie en raison de leurs aspects complexes et énigmatiques. René Guénon, le célèbre écrivain traditionaliste, contribua à mieux faire connaître le baron en publiant des passages de lettres écrites en 1924 par le major Alexandrovitch, qui avait commandé l’artillerie mongole en 1918 et en 1919 sous les ordres directs de von Ungern; et ces données, d’une authenticité incontestable, laissent à penser que les auteurs de ces vies romancées se sont souvent appuyés sur des informations inexactes, même en ce qui concerne la fin du baron.

Descendant d’une vieille famille balte, von Ungern peut être considéré comme le dernier adversaire acharné de la révolution bolchevique, qu’il combattit avec une haine implacable et inextinguible. Ses principaux faits d’armes se déroulèrent dans une atmosphère saturée de surnaturel et de magie, au cœur de l’Asie, sous le règne du dalaï-lama, le «Bouddha vivant». Ses ennemis l’appelaient «le baron sanguinaire»; ses disciples, le «petit père sévère» (c’est le tsar que l’on appelait «petit père»). Quant aux Mongols et aux Tibétains, ils le considéraient comme une manifestation de la force invincible du dieu de la guerre, de la même force surnaturelle que celle de laquelle, selon la légende, serait «né» Gengis Khan, le grand conquérant mongol. Ils ne croient pas à la mort de von Ungern – il semble que, dans divers temples, ils en conservent encore l’image, symbole de sa «présence».

Lorsqu’éclata la révolution bolchevique, von Ungern, fonctionnaire russe, leva en Orient une petite armée, la «Division asiatique de cavalerie», qui fut la dernière à tenir tête aux troupes russes après la défaite de Wrangel et de Kolchak et accomplit des exploits presque légendaires. Avec ces troupes, von Ungern libéra la Mongolie, occupée alors par des troupes chinoises soutenues par Moscou; après qu’il eut fait évader, par un coup de main extrêmement audacieux, le dalaï-lama, celui-ci le fit premier prince et régent de la Mongolie et lui donna le titre de prêtre. Von Ungern devait entrer en relation, non seulement avec le dalaï-lama, mais aussi avec des représentants asiatiques de l’islam et des personnalités de la Chine traditionnelle et du Japon. Il semble qu’il ait caressé l’idée de créer en grand empire asiatique fondé sur une idée transcendante et traditionnelle, pour lutter, non seulement contre le bolchevisme, mais aussi contre toute la civilisation matérialiste moderne, dont le bolchevisme, pour lui, était la conséquence extrême. Et tout laisse à penser que von Ungern, à cet égard, ne suivit pas une simple initiative individuelle, mais agit dans le sens voulu par quelqu’un qui était, pour ainsi dire, dans les coulisses.

Le mépris de von Ungern pour la mort dépassait toutes les limites et avait pour contrepartie une invulnérabilité légendaire. Chef, guerrier et stratège, le «baron sanguinaire» était doté en même temps d’une intelligence supérieure et d’une vaste culture et, de surcroît, d’une sorte de clairvoyance: par exemple, il avait la faculté de juger infailliblement tous ceux qu’il fixait du regard et de reconnaître en eux, au premier coup d’œil, l’espion, le traître ou l’homme le plus qualifié pour un poste donné ou une fonction donnée. Pour ce qui est de son caractère, voici ce qu’écrit son compagnon d’armes, Alexandrovitch: «Il était brutal et impitoyable comme seul un ascète peut l’être. Son insensibilité dépassait tout ce que l’on peut imaginer et semblait ne pouvoir se rencontrer que chez un être incorporel, à l’âme froide comme la glace, ne connaissant ni la douleur, ni la pitié, ni la joie, ni la tristesse». Il nous paraît ridicule d’essayer, comme l’a fait Krauthoff, d’attribuer ces qualités au contrecoup occasionné par la mort tragique d’une femme qu’aurait aimée von Ungern. C’est toujours la même histoire: les biographes et les romanciers modernes n’ont point de cesse qu’ils n’aient introduit partout le thème obligatoire de l’amour et de la femme, même là où il est le moins justifié. Même si l’on tient compte du fait que von Ungern était bouddhiste par tradition familiale (c’était la religion à laquelle s’était converti un de ces ancêtres, qui était allé faire la guerre en Orient), tout laisse à penser que les qualités indiquées par Alexandrovitch se rapportent au contraire à une supériorité réelle et qu’elles sont celles qui apparaissent dans tous ceux qui sont en contact avec un plan vraiment transcendant, supra-humain, auquel ne peuvent plus s’appliquer les normes ordinaires, les notions communes du bien et du mal et les limitations de la sentimentalité, mais où règne la loi de l’action absolue et inexorable. Le baron von Ungern aurait probablement pu devenir un «homme du destin», si les circonstances lui avaient été favorables. Il n’en fut rien et c’est ainsi que son existence fut semblable à la lueur fugace et tragique d’un météore.

Après avoir libéré la Mongolie, von Ungern marche sur la Sibérie, prenant tout seul l’initiative de l’attaque contre les troupes du «Napoléon rouge», le général bolchevique Blücher. Il devient la terreur des bolcheviques, qu’il combat impitoyablement, jusqu’au bout, même s’il comprend que son combat est sans espoir. Il obtient d’importants succès, occupe plusieurs villes. Finalement, à Verchnevdiusk, attaqué par des forces bolcheviques plus de dix fois supérieures aux siennes et décidées à en finir avec leur dernier antagoniste, il est contraint de se replier après un long et âpre combat.

À partir de ce moment, on ne sait plus rien de précis sur le sort de von Ungern. D’après les deux auteurs de sa biographie «romancée», Pozner et Krauthoff, il aurait été trahi par une partie de son armée, serait tombé dans un état de prostration et de démoralisation et, fait prisonnier, il aurait été fusillé par les rouges. Krauthoff imagine même une entrevue dramatique entre le «Napoléon rouge» et von Ungern, au cours de laquelle celui-ci aurait refusé la proposition que celui-là lui aurait fait de lui laisser la vie sauve s’il servait la cause des rouges comme général soviétique. Il semble toutefois que tout cela ne soit que pure invention: d’après les informations publiées par Guénon et auxquelles nous avons fait allusion plus haut, von Ungern n’aurait nullement été fait prisonnier, mais serait mort de mort naturelle près de la frontière tibétaine. *

Cependant, les diverses versions concordent singulièrement sur un détail, c’est-à-dire sur le fait que von Ungern aurait connu avec exactitude le jour de sa mort. D’ailleurs, un lama lui avait prédit qu’il aurait été blessé – au cours de l’attaque des troupes rouges à la station de Dauria. Et ce ne sont pas là les seuls éléments qui rendent suggestive l’étrange figure du «baron sanguinaire». Voici un curieux témoignage sur les effets que, à certains moments, son regard produisait sur ceux qu’il fixait: «Il éprouva une sensation inconnue, inexplicable, de terreur: une sorte de son emplit sa poitrine, semblable à celui d’un cercle d’acier qui se resserre de plus en plus». Le fait est que, pour ceux qui étaient proches de lui, son prestige et le caractère irrésistible de sa force de commandement revêtaient quelque chose de surnaturel et le distinguaient ainsi d’un simple chef militaire.

Encore un fait singulier: d’après ce que rapporte Guénon, des phénomènes énigmatiques, de nature «psychique», se sont produits ces derniers temps dans le château de von Ungern, comme si la force et la haine de celui qui fut considéré au Tibet comme une manifestation du «dieu de la guerre» brandie contre la subversion rouge avait survécu à sa mort, sous forme de résidus agités de cette figure tragique, qui a, sous plus d’un aspect, les traits d’un symbole.

* * *

* Les archives soviétiques indiquent que von Ungern fut effectivement trahi, capturé, jugé et fusillé sur les ordres de Lénine.

De La Stampa, 15.III.1943 – XXI E.F.

source: Evola As He Is

mardi, 02 juillet 2013

Rome, ville éternelle...

aigle-imperial-empire.png

Rome, ville éternelle...

La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 67, juillet - août 2013). Avec la mort de Dominique Venner, c'est Philippe Conrad qui reprend le flambeau et assure la direction de la revue.

Le numéro s'ouvre, bien évidemment, par l'hommage que rendent à Dominique Venner de nombreux écrivains, historiens et journalistes.

Le dossier central est consacré à Rome. On peut y lire, notamment,  des articles de Philippe Conrad ("Aux origines de l'Urbs, de la légende à l'histoire"), de Jean-Louis Voisin ("L'héritage de Rome"), de Dominique Venner ("Comment l'Empire est devenu chrétien"), de Bernard Fontaine ("La papauté romaine au Moyen Âge"), de Jean-Joël Brégeon ("La Rome de la Renaissance", "1527 : le sac de Rome"), de Martin Benoist ("La papauté face au défi de l'unité italienne"), de Michel Ostenc ("La Rome de Mussolini") et de Philippe d'Hugues ("De Rome à Cinecitta") ainsi que des entretiens avec Yann Le Bohec ("Le miracle romain") et Jean Delumeau ("La seconde gloire de Rome").

Hors dossier, on pourra lire, en particulier, un entretien avec la sinologue Anne Cheng ("La Chine d'hier et d'aujourd'hui") ainsi que des articles de Dominique Venner ("De la gauche au capitalisme absolu"), de Jean-Jacques Langendorf ("Jomini l'incompris") ou de Francis Bergeron ("Henri Béraud, l'épuré qui n'avait pas collaboré ") et la chronique de Péroncel-Hugoz.

 

NRH 67.jpg