FAUT-IL SE GARDER D’UNE « RUSSOPHILIE » EXCESSIVE ?
Entretien avec Pascal LASSALLE
Pascal LASSALLE est historien, professeur et conférencier. Il a fait ses classes militantes au sein des réseaux de la « Nouvelle Culture » (G.R.E.C.E, Synergies Européennes, Terre et Peuple), et reste plus que jamais attaché à la promotion d’une Europe-puissance souchée sur ses patries charnelles.
Il s’intéresse depuis quelques années aux problématiques est-européennes, en particulier celles qui concernent la Russie et son « étranger proche ».
Il est déjà intervenu à plusieurs reprises dans le cadre du G.R.E.C.E , Terre et Peuple (Tables rondes de 1999 et 2006, bannières locales), du cercle Sainte Geneviève ainsi que sur les ondes de Radio Courtoisie et Radio Bandiera Nera.
Il a dirigé les adaptations françaises des ouvrages de Gabriele Adinolfi, Noi Terza Posizione (Nos belles années de plomb, l’Aencre, 2004) et Tortuga, l’isola che (non) c’è. (Pensées corsaires, abécédaire de lutte et de victoire, Editions du Lore, 2008) et collabore occasionnellement au mensuel le Choc du mois, à l’agence d’informations Novopress et au site d’analyses et de débats métapolitiques Europe maxima.
ID Mag: L’opposition grandissante de la Russie rénovée à la toute puissance américaine, associée à la personnalité « volontariste et patriote » de Vladimir Poutine, engendre un très vif engouement des milieux nationalistes et identitaires pour la patrie des Tsars et son actuel gouvernement. De votre côté, tout en soulignant les forces et les réalisations de la Russie nouvelle, vous mettez en garde contre un soutien systématique et sans nuance à toutes les prises de positions russes et une vision étroitement et uniquement « géopolitique » de nos relations avec « l’empire de l’Est ». Pouvez-vous préciser et expliciter votre position ?
PL : Je suis depuis plus d’une vingtaine d’années partisan pour des raisons géopolitiques et civilisationnelles d’une synergie continentale euro-russe qu’un Guillaume Faye a pu qualifier d’ eurosibérienne . Depuis la prise de pouvoir par Vladimir Vladimirovitch Poutine, j’observe l’œuvre de redressement et de restauration en cours avec beaucoup d’intérêt, dans un premier temps assez captivé par la figure de cet Octave/Auguste de l’Est ou plutôt ce nouveau Mikhaïl Romanov qui a mis fin aux « temps des troubles » eltsiniens.
Les événements ukrainiens de 2004 et une découverte approfondie de ce pays « fantôme de l’Europe » pour reprendre l’expression de l’historien Benoist-Méchin ont agi sur moi comme un puissant révélateur de tendances et de phénomènes à l’oeuvre en Russie qui peuvent aisément nous échapper, vu que la patrie de Pouchkine a constitué de tous temps une réalité qui ne se laisse pas facilement appréhender.
Depuis, je m’efforce d’être un observateur attentif, dépassionné et lucide des évolutions en cours dans la Fédération russe et son « étranger proche », car lire régulièrement la presse locale ou regarder quotidiennement le journal télévisé de RTR Planeta pour ne citer que ces exemples vous permet d’entrevoir d’autres réalités pas toujours perceptibles au premier abord.
Je le fais en ayant toujours à l’esprit l’impératif civilisationnel d’une fédération impériale grande-européenne respectueuse de ses patries constitutives, sans négliger les intérêts géopolitiques et stratégiques d’une AlterEurope à venir.
À partir de là, je crois que tout patriote identitaire européen conséquent devrait se faire plus critique sur plusieurs aspects de la politique russe mis en œuvre depuis quelques années.
Un tel engouement confinant parfois à une certaine « russolâtrie » ne m’étonne pas vraiment quand il émane de cénacles nationalistes et souverainistes communiant encore et toujours dans le culte d’un état-nation jacobin, l’illusion d’un renouveau républicain, la promotion d’une Europe des nations, voire une europhobie et un antifédéralisme primaires (alors qu’au contraire, le machin de Bruxelles est beaucoup plus jacobin qu’autre chose).
Pour autant, une adhésion inconditionnelle au régime de Poutine chez des représentants de la mouvance identitaire ou néo-droitiste, voire nationaliste-révolutionnaire, me surprend davantage.
Encore que, je suis bien conscient des motifs avancés pour cela.
On peut évoquer la nécessité de faire contrepoids à l’hégémonie américaine et de contribuer à l’émergence d’un monde multipolaire, des phénomènes de compensation psychologiques (« c’est un Poutine qu’il nous faudrait ») ou l’espoir d’un « salut » venu de l’Est (« les divisions russes vont nous sortir de notre décadence et assainir nos banlieues »).
On soulignera également l’impératif d’une construction continentale de Brest à Vladivostok et l’affirmation que la Russie est pleinement européenne d’un point de vue identitaire, avec le constat que certaines réalités déplaisantes ne peuvent être que des épiphénomènes pudiquement évacués, voire occultés au nom d’une realpolitik bien pensée et de la crainte de faire le jeu du camp atlantiste.
Un désenchantement et une déception à l’égard des pays frères d’Europe centrale et orientale est palpable chez beaucoup, indéniablement à la hauteur des espoirs soulevés en 1989-91.
L’auteur de ces lignes fut l’un d’entre eux, mais il s’efforce de faire la part des choses, ayant pris acte du fait que la plupart de ces pays ex-communistes ont embrassé la cause de l’atlantisme : ce positionnement plus que regrettable ne les transforme pas pour autant en états parias
On trouvera aussi la fascination de certains pour les constructions intellectuelles néo-eurasistes et le statut envié d’un Alexandre Douguine qui s’est propulsé d’une marginalité nationale-bolchevique jusqu’aux périphéries du pouvoir poutinien.
Le numéro 131 d’avril-juin 2009 de la revue Eléments intitulé « Demain les Russes ! », illustre bien ces positionnements et se révèle d’ailleurs bien décevant dans son conformisme convenu, son absence de point de vue propre (pas d’articles étoffés, seulement un éditorial et trois longs entretiens) et de débat constructif : le sujet méritait incontestablement mieux !
Qu’en est-il de ces réalités et équivoques que je m’efforce régulièrement de mettre en évidence ?
Tout d’abord le fait que la Russie du tandem Poutine/Medvedev entrevoit son avenir en regardant dans le rétroviseur d’une histoire mythifiée, voire falsifiée lorsqu’on se réfère aux « vérités » d’une historiographie soviétique dont la rigueur scientifique est devenue proverbiale. Entre amnésie sélective, raccourcis fulgurants, manipulations du réel et réhabilitations posthumes (le généralissime Staline), celle-ci a permis d’éviter à la Russie de connaître une culpabilisation collective à l’allemande, mais l’a fait tomber dans l’excès inverse, celui d’une « Histoire qui ne veut pas passer » et qui bégaye à nouveau, de manière durable semblerait-il.
Ces enjeux mémoriels et historiques ne doivent pas être négligés et considérés comme un épiphénomène somme toute secondaire.
Bien au contraire, ils apparaissent primordiaux dans l’esprit du pouvoir russe actuel avec l’écho démesuré qui leur est accordé. En témoignent par exemple l’ouvrage d’une Natalia Narotchnitskaia, qui, à l’exception de Dominique Venner, a souvent suscité des réactions plutôt complaisantes dans les mouvances précitées, l’importance donnée aux commémorations du 9 mai et de la « Grande guerre patriotique » ou la mise en place le 19 mai 2009 d’une commission chargée de lutter contre les falsifications de « l’histoire commune » contraires aux « intérêts » russes dans les pays baltes ou en Ukraine.
On peut également évoquer la guerre culturelle qui se déploie sur les écrans avec la promotion de superproductions historiques nationales-patriotiques souvent sponsorisées par le Kremlin.
Ces longs-métrages, souvent intéressants et bien réalisés, n’hésitent pas à dépeindre sous les traits les plus sombres un Occident éternellement hostile, que ce soient les Polonais (1612 de Vladimir Khotinenko, Taras Boulba de Vladimir Bortko) ou les Suédois (Alexandre,la bataille de la Neva de Igor Kalenov), alors que les cosaques zaporogues ukrainiens sont dépeints comme des combattants pour la « terre russe orthodoxe » ! (encore Taras Boulba). Attendons de voir le film de Fëdor Bondartchouk sur Stalingrad, en cours de production …
De fait, les Russes ont le grand mérite de cultiver une longue mémoire historique que nous avons ici reléguée aux oubliettes afin se reconstruire légitimement une identité post-soviétique.
Mais ils le font sur des bases problématiques et discutables, autant pour eux que pour nous.
On y perçoit l’extrême difficulté, voire l’incapacité qu’ils ont de se penser en dehors de l’empire, un empire originellement expansionniste (« tout territoire ayant un jour été russe est destiné à le rester ou le redevenir ») aux frontières toujours mal définies, centralisateur et russificateur. Cette tendance lourde, déclinée sur le mode d’un complexe post-impérial, n’a jamais disparu depuis la chute de l’URSS et me semble destinée à empoisonner durablement les relations de la Russie avec ses voisins.
Ce phénomène est renforcé par la quête obsessionnelle d’une puissance largement illusoire qui néglige des défis domestiques persistants, place ses priorités dans des enjeux symboliques et dans la reconstitution d’un espace, ou du moins, d’une aire d’influence exclusive recouvrant l’espace ex-soviétique, le fameux « étranger proche ».
Moscou devrait accepter de s’inscrire dans des frontières sécurisées et internationalement reconnues, prenant comme base solide celles de la Fédération actuelle.
Les dirigeants russes sont-ils bien conscients que dans leur situation particulière, celle d’un territoire immense au climat souvent hostile, l’espace est un considérable réducteur de puissance ?
Dès lors, je pense qu’il faut arrêter de victimiser systématiquement une Russie qui, pour être l’objet de réelles menées américaines dans sa périphérie, n’en porte pas moins une part de responsabilité dans le maintien de contentieux historiques régulièrement ravivés avec ses voisins, permettant de maintenir un levier commode et rêvé pour la Maison-Blanche.
Je ne suis pas loin de penser qu’un Zbignew Brzezinski à Washington s’accommode fort bien du renforcement des tendances chauvinistes, néo-impériales et néo-soviétiques en Russie, plutôt qu’être confronté à un pays régénéré sur des bases saines et solides, constituant un pôle attractif pour ses voisins (beaucoup de progrès à faire à Moscou dans le domaine du soft power), entretenant des relations normales avec eux et se rebâtissant un projet politique et identitaire connecté aux moments européens de son histoire.
ID Mag : Certains rêvent d’une Europe « de Brest à Vladivostok ». Selon vous, peut-on affirmer que la Russie est historiquement, culturellement et ethniquement « européenne » ?
PL : La Russie se révèle incontestablement européenne dans ses fondements originels.
L’ensemble grand-russien découle d’une ethnogénèse entre adstrats slaves orientaux et tribus finno-ougriennes sur la périphérie coloniale septentrionale d’un vaste empire patrimonial, communément et incorrectement qualifié de « Russie de Kiev » et qu’il vaudrait mieux nommer dans un souci d’objectivité historique, Rou’s (ou Ruthénie) de Kiev (Kyiv en ukrainien), un ensemble relié dynastiquement, économiquement et culturellement au reste de l’Europe du Haut Moyen Age.
L’invasion mongole constituera une rupture radicale dont les effets se feront sentir jusqu’à nos jours.
La Moscovie, noyau fondateur du futur empire russe (terme officialisé sous Pierre le Grand) se construira dès lors sur des ressorts politiques et culturels doublement asiatisés et orientalisés car relevant de l’influence tataro-mongole de la Horde d’Or et d’un modèle byzantin tardif, bien éloigné de ses racines helléno-européennes, introduit sous Ivan III.
Un modèle monarchique autocratique, patrimonial et prédateur, un fort messianisme politico-religieux (mythe de la « Troisième Rome », Orthodoxie figée) et certaines dispositions mentales en constituent les manifestations les plus patentes.
Ensuite, à partir des réformes de Pierre le Grand, la Russie « retardée » de plusieurs siècles par rapport aux évolutions civilisationnelles du reste de l’Europe, ne va cesser d’osciller dans un récurrent mouvement de balancier entre des relations passionnelles de fascination/répulsion avec l’Europe « romano-germanique », dilemme illustré par les débats entre occidentalistes, slavophiles, panslavistes et (néo)eurasistes.
Ce dernier n’a jamais été tranché jusqu’à aujourd’hui et une analyse rigoureuse du contexte russe le démontre régulièrement.
À mon sens, il serait de la responsabilité des mouvances identitaires de sensibiliser avec tact et franchise les interlocuteurs russes sincères et ouverts à la nécessité d’opérer un retour à l’Europe en activant dans leur héritage politique, culturel, ce qui ressort indiscutablement d’un héritage commun.
Commençant à connaître la mentalité russe, je ne me fais pas forcément beaucoup d’illusions. Aujourd’hui la tendance dominante, au sein des élites comme dans l’opinion, est de considérer la Russie comme une réalité singulière, une civilisation en soi, entre Europe et Asie.
Dans mes moments de doute, j’arriverais presque à me persuader que cette rupture est insurmontable et que la branche grande-russienne s’est radicalement coupée de l’arbre boréen.
Mais sachant qu’il n’y a pas de fatalité en Histoire, je me dis que nous devons œuvrer inlassablement pour favoriser une prise de conscience et un retour à notre Europe de frères prodigues souvent attachants, mais parfois bien distants et irritants…
ID Mag : Les « révolutions de couleurs » qui agitent certains pays de l’ex-bloc de l’Est sont généralement présentées comme de pures manipulations et orchestrations américaines. Ici encore, vous appelez à la mesure et à la nuance. Quelle est, selon vous, la réalité de la situation, notamment dans le cas ukrainien ?
PL : Le traitement de la fameuse question des « révolutions de velours » dans les mouvances (méta)politiques précitées renvoie souvent à un schéma réducteur, ou témoigne parfois d’une imprégnation pure et simple par les théories du complot, déclinées sur le mode du vieux complexe obsidional de la forteresse assiégée, très en vogue ces dernières années à Moscou.
Cette tendance très ancienne en Russie s’explique par une histoire troublée, mais en dernier lieu, cela me semble relever d’une infirmité politique et constituer sur un mode incapacitant une facilité empêchant les autorités russes de se remettre en cause et de se poser parfois les bonnes questions.
Dans le cas ukrainien, le postulat d’un mouvement mécaniquement téléguidé et prémédité de l’étranger ne tient pas et cette « révolution orange » n’aurait jamais eu lieu si de nombreuses conditions n’avaient pas été réunies avec l’espoir d’un profond changement, sans parler du lancinant contentieux historique avec le voisin russe.
Les ONG américaines, maintes fois évoquées, ont bien injecté des dollars et formé les militants de structures activistes comme Pora, mais l’ampleur du phénomène, répétition sur une plus grande échelle d’un mouvement de contestation semblable réprimé au printemps 2001, démontre que d’autres ressorts ont joué.
L’Ukraine, pivot géopolitique selon Zbigniew Brzezinski, a été à cette occasion l’objet d’ingérences répétées de la part des Américains, de l’UE, mais aussi de son « grand voisin du nord ».
Vladimir Poutine a commis là-bas, de l’avis de nombreux observateurs politiques, la première erreur marquante de son « règne ». Il s’est cru chez lui et ses visites répétées en faveur d’une présidence Koutchma corrompue et complètement déconsidérée ont été très mal reçues, y compris dans l’Est et le Sud russophones du pays.
Ces empiètements russes furent principalement motivés par le fait que l’accession au pouvoir d’une présidence « orange » remettait en cause le processus d’intégration programmé de l’Ukraine au sein d’un Espace Economique Commun dominé par Moscou, en plus d’interrompre la mise en place d’un régime autoritaire à la bélarussienne.
Ils ont une fois de plus révélés que l’Ukraine n’avait depuis 1991 qu’une indépendance formelle et que, gouvernée par des oligarchies créoles post-communistes, elle oscillait, notamment sous Koutchma, entre Occident et Russie au gré des intérêts de la nomenklatura en place.
Rappelons aux amateurs de vérités simples que c’est sous le « pro-russe » Viktor Ianoukovytch, alors Premier ministre, que se sont déroulées les premières participations de l’Ukraine au Partenariat pour la Paix, antichambre de l’Otan et que c’est le président « pro-russe » Leonid Koutchma qui a envoyé un contingent ukrainien en Irak.
C’est également ce dernier qui a écrit le livre « L’Ukraine n’est pas la Russie », réalité que les Russes dans leur ensemble, opinion publique et classe politique confondues, des libéraux pro-occidentaux aux nostalgiques de Staline, se refusent toujours à admettre, considérant l’Ukraine comme « le berceau » de la Russie et comme partie intégrante de leur ethnos.
L’élection de Viktor Iouchtchenko a été à ce moment-là perçue par beaucoup d’Ukrainiens comme la promesse d’une véritable indépendance et d’un «retour à l’Europe » si longtemps différé. C’était bien sûr à tort, l’impéritie, les rivalités personnelles et les choix funestes de la présidence « orange » se chargeant de rattraper la bourde initiale de Poutine.
Mais le contentieux historique est plus que jamais vivace et Moscou n’a pas manqué une occasion pour faire jouer tous les leviers en sa possession (Gaz, Crimée, flotte russe de Sébastopol, question linguistique et controverses historiques) afin de faire pression sur un état dont elle n’a jamais admis l’existence.
Cette querelle de couple dans laquelle l’épouse ukrainienne a fini par divorcer d’un conjoint moscovite insupportable, n’en finit pas de se prolonger pour le plus grand bonheur du notaire américain : il faudra bien pourtant que monsieur finisse par se rendre à l’évidence.
Ce n’est pas l’élection récente de Viktor Ianoukovytch le 7 février dernier au poste de président qui devrait significativement changer la donne. Celui-ci, pour de multiples et récurrentes raisons, risque de s’en tenir à une politique multivectorielle de non-alignement. Les Russes restés prudents au cours de ce scrutin ne se font d’ailleurs pas beaucoup d’illusions ainsi qu’en témoignent par exemple les écrits de Douguine ou des journalistes de RIA Novosti à propos de l’homme de Donetsk.
Pour un patriote identitaire européen, s’opposer à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est une chose nécessaire et légitime, nier son identité propre et son droit à construire un état souverain en est une autre, à laquelle nous ne pouvons et ne devons nous résoudre.
Je souhaiterais que tous ceux qui, par méconnaissance ou calcul, proclament que « l’Ukraine et la Russie sont consubstantielles » fassent preuve d’un peu plus de rigueur, de discernement et de cohérence intellectuelle ou idéologique. Ils seraient bien avisés de cesser de répéter pieusement la version de l’Histoire made in Moscow, de se contenter d’un strict positionnement géopolitique et de relayer les scénarios russes, peu crédibles d’ailleurs, d’annexion ou d’éclatement du pays.
Des ouvrages relativement objectifs et impartiaux sont aujourd’hui disponibles pour qui veut se donner la peine d’y voir plus clair.
Jean Mabire fut l’une des rares figures de la mouvance identitaire à avoir défendu le droit des Ukrainiens à une existence propre.
Effectivement l’Ukraine a eu, comme la Russie, une histoire tourmentée. À l’inverse de sa puissante voisine, elle a vu sa construction étatique maintes fois contrariée, mais elle est restée arrimée au noyau européen et ses fractures internes actuelles résultent d’une domination plus ou moins longue, selon les régions, du grand voisin du nord.
Elle a mené au cours des siècles une lutte pour sa liberté contre les dominateurs russes et polonais avec une opiniâtreté qui force l’admiration et ne va pas sans évoquer le combat des fils de la verte Erin contre la domination britannique.
L’Ukraine, identité enracinée sur un territoire, appartient de plain-pied à l’ensemble géopolitique et civilisationnel européen. Il est de notre devoir de le faire savoir et de convaincre les Russes que des relations apaisées, étroites et véritablement fraternelles entre peuples apparentés ne peuvent se baser que sur une pleine reconnaissance de l’identité de chacun.
Le pays des cosaques zaporogues a, de plus, toujours contribué à ancrer la Russie en Europe (Pierre le Grand a, par exemple, assis ses réformes à l’aide de cadres politiques et ecclésiastiques ukrainiens), d’où l’idée qu’une Ukraine réintégrée dans son cadre originel pourrait encourager la Russie à se déterminer significativement et à tourner une fois pour toutes son regard dans notre direction, loin de ses tentations eurasistes…
ID Mag: On parle de plus en plus d’une vague de « nostalgie », en Russie », pour la période soviétique et même de volonté de réhabilitation de celle-ci. Qu’en est-il exactement ?
PL : Comme je le signalais plus haut, une certaine nostalgie soviétique, l’idéologie communiste en moins, est à l’ordre du jour et ce processus s’est amplifié depuis le deuxième mandat de Poutine.
Nostalgie chez les petites gens qui, ayant subi les effets désastreux de l’ère Eltsine, ont tendance à idéaliser une période durant laquelle les besoins vitaux de la population, l’ordre public et d’autres choses comme l’accès généralisé à la culture étaient largement assurés.
Dans le domaine sportif, les piètres performances des athlètes russes aux jeux olympiques d’hiver de Vancouver ont ravivé cette sovietalgie.
La mémoire populaire se révèle généralement sélective et il est de plus propre à l’être humain de refouler les peurs et agressions qu’un système oppressif a générées chez cet homo sovieticus brossé en son temps par un Alexandre Zinoviev et qui est bien loin d’avoir disparu.
Dans la Korpokratoura (Jean-Robert Raviot) actuellement au pouvoir où sphères politiques et économiques sont étroitement imbriquées, outre que cette période, pour la majorité d’entre eux, continue de structurer une bonne partie de leur paysage mental, on retient surtout de l’ère soviétique la grandeur apparente d’une grande puissance redoutée et respectée, qui, sous Staline notamment, avait porté les frontières de l’empire à son zénith.
Mêlée à des éléments de l’ère tsariste (symboles nationaux notamment), cette composante soviétique doit servir à renforcer un patriotisme officiel assis sur l’idée étatique (derjavnost’) et celle d’Unité affirmée sur un mode mobilisateur.
Dans le contexte d’un système de représentations si ambivalent, on referme l’accès aux archives d’Etat et on réécrit l’Histoire en faisant la part belle aux mensonges et fables de l’ère soviétique tout en déniant aux voisins de l’ « étranger proche » le droit de créer (sur un mode, il est vrai, parfois passionnel et polémique) leurs historiographies nationales et d’honorer ceux qu’ils considèrent comme des héros de la lutte anti-communiste (souvent ravalés par Moscou aux rangs de simples collaborateurs des nazis, dans la plus pure langue de bois soviétique).
Encore une fois, on pourrait s’étonner du relatif silence de ceux qui ont en leur temps justement condamné la reductio ad hitlerum dans notre beau pays et évitent de faire de même lorsqu’il s’agit de la Russie. Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est de bonne guerre !
Moscou désire assurer une « continuité » dans son histoire récente sans risquer de fragiliser par l’évocation des « heures sombres » une identité problématique, encore convalescente après la chute de l’Union soviétique, « plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle » (Poutine).
Plusieurs déclarations du président Medvedev démontrent que remettre en cause le petit catéchisme officiel concernant la « Grande guerre patriotique » et « l’histoire commune » aurait pu devenir difficile, voire judiciairement risqué (projet de loi de la Douma daté du 6 mai 2009 réprimant le « révisionnisme historique », finalement rejeté par le gouvernement le 29 juillet de la même année), à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de la fédération.
Le drame pour le peuple russe est que la voie tracée par un Alexandre Soljenitsyne sur un traitement lucide et responsable de la période communiste n’ait pas été suivie et approfondie.
Le Kremlin se fait l’écho aujourd’hui de représentations majoritaires encore agissantes au sein de la population autour d’un passé récent qui continue à être mythifié par la nouvelle histoire officielle.
Poser ainsi les bases du futur me semble fâcheusement lourd d’impasses, d’équivoques et de contradictions qui ne manqueront de s’amplifier et de continuer à compromettre davantage l’image de la Nouvelle Russie.
ID Mag: Le redressement de la Russie est spectaculaire, il n’en est pas pour autant sans failles. Quelles sont selon vous les principales faiblesses qui le menacent ? La chasse aux oligarques a-t-elle été menée jusqu’au bout ? Où en sont- la démographie et la maîtrise de l’alcoolisme endémique ?
PL : Ce redressement spectaculaire, comme vous dites, a été freiné par les effets de la crise systémique mondiale qui a fini par toucher la Russie de plein fouet : Il semblerait que le pays commence timidement à s’en remettre, bien que des soubresauts sociaux transparaissent ça et là au travers du voile posé par les médias plus ou moins sous contrôle. L’avenir proche nous dira davantage ce qu’il en est dans ce domaine.
La Russie a le plus grand mal à faire le deuil de son empire et à se faire à l’idée que seule, elle est condamnée à rester une puissance régionale ayant hérité d’un arsenal nucléaire vieillissant, dont il est admis en haut lieu qu’il ne pourra être que partiellement modernisé (missiles stratégiques Topol-M et Boulava).
Sans l’Europe et une synergie bien pensée dont les contours ne peuvent encore être définis, elle me semble condamnée à rester une « puissance pauvre ».
Ce redressement pour avéré qu’il soit dans de nombreux domaines reste néanmoins fragile et peut même apparaître comme un phénomène « Potemkine » qui cache un envers du décor beaucoup moins reluisant.
Société civile embryonnaire en proie depuis des siècles aux prédations d’un pouvoir patrimonial, état faible contrairement aux idées reçues, phagocyté par une Korpokratoura, dont le mode d’exercice du pouvoir plébiscitaire et non compétitif préfigure peut-être les formes de régime post-démocratiques en voie de renforcement rapide en Occident.
Économie de rente dont les actifs sont plus ou moins affectés par une certaine baisse des cours du gaz et du pétrole, outil industriel dépassé (y compris la branche militaire, souvent incapable de satisfaire la demande étrangère et qui a perdu une grande partie de ses savoir-faire), infrastructures dignes d’un pays du Tiers-monde (une fois sorti de Moscou, Saint-Pétersbourg et de quelques îlots urbains « développés »).
La liberté d’expression est réelle sur des thématiques fondamentales qui nous sont chères, mais il ne vaut mieux pas s’aventurer à enquêter sur des affaires précises touchant des personnes bien identifiables...
La société est minée par une corruption structurelle qui n’est pas nouvelle (voir Les âmes mortes de Gogol par exemple) et dont on se demande si le pouvoir actuel s’en accommode ou montre son impuissance à la combattre efficacement, tellement le mal est profond, ceci en dépit de sanctions conjoncturelles et exemplaires, fortement médiatisées.
L’armée doit être rapidement réformée à la lumière des enseignements du conflit géorgien, avec une professionnalisation et un « dégraissage » pour lequel la haute hiérarchie militaire freine des quatre fers. Sans parler du remplacement de matériels largement obsolètes dont le faible rythme de renouvellement pourrait être mis à mal par une baisse annoncée des crédits militaires : beaucoup d’effets d’annonce en général à l’occasion par exemple du vol récent du prototype d’un chasseur de 5ème génération, le Sukhoi PAK-FA T-50 qui est loin d’être entré en service et ne le sera qu’au prix d’une coopération avec l’Inde.
Les négociations au sujet de l’achat de bâtiments de projection et commandement français type Mistral, outre leurs arrière-pensées géopolitiques, démontrent qu’un savoir faire technologique s’est perdu depuis l’éclatement de l’URSS (les chantiers navals de Mykolaiv qui avaient conçu les porte-avions de la classe Kuznetsov sont aujourd’hui situés dans l’Ukraine indépendante).
Concernant les oligarques, on a éliminé ceux qui ont été associés à l’ancien pouvoir eltsinien (Boris Berezovski) ou qui ont eu des velléités de s’opposer au Kremlin en s’associant à des intérêts politiques et économiques étrangers (Mikhail Khodorkovski). Les autres, comme Roman Abramovitch ou Oleg Deripaska sont toujours là, plus discrets, rentrés dans le rang ou étroitement associés au pouvoir. Ils servent parfois de boucs émissaires pour le bon peuple et c’est l’occasion de réprimandes de la part du père fouettard Poutine sous l’œil attentif des caméras.
Selon certaines sources récurrentes, le judoka préféré des Russes ne serait pas dépourvu d’une fortune personnelle conséquente.
La population reste préservée de flux migratoires massifs venus de l’étranger. Elle connaît cependant quelques problèmes de cohabitation avec des ethnies non-slaves. Le pouvoir oscille entre une définition ethnique et étatique de l’appartenance russe (deux termes différents existent dans la langue de Dostoïevski pour désigner l’une ou l’autre) avec une certaine préférence donnée officiellement à cette dernière. I’année dernière, les Nachii, jeunesses poutiniennes « antifascistes » se sont vues confier dans plusieurs villes du pays la tâche de vider la rue de ses groupes nationalistes.
Groupes qui, lorsqu’ils ne sont pas infiltrés, voire purement et simplement générés par le FSB, sont largement instrumentalisés et tolérés au gré des intérêts et de la conjoncture du moment.
Je ne parle même pas de « l’ultranationaliste » guébiste Vladimir Volfovitch Eidelstein alias Jirinovski qui, à la tête du LDPR (Parti Libéral-démocrate de Russie) constitue l’exemple même de ces partis «pro régime » qui captent à la fois un certain électorat et constituent une tribune pour des prises de positions provocatrices et extrémistes que le Kremlin ne peut pas toujours assumer au grand jour, lâchées comme ballons d’essai à destination de l’opinion intérieure et internationale .
Le pouvoir joue clairement la carte de la cohésion ethnique et religieuse de la population.
Cette dernière, qui bénéficie encore d’un haut niveau d’études et de qualification grâce à un système éducatif sélectif (malgré la corruption d’une partie du corps enseignant), connaît un collapsus démographique structurel malgré les mesures natalistes adoptées par le Kremlin et la très légère embellie de la dernière année (solde naturel à peine positif) : elle pourrait s’établir dans le pire des scénarios autour de 80-100 millions de personnes vers 2050 !
Son état sanitaire général reste préoccupant (je ne m’étendrai pas davantage sur les ravages de l’alcoolisme à tous points de vue) et son univers mental reste marqué par l’empreinte communiste dont les effets délétères seront longs à extirper.
Un nihilisme ambiant, empreint de matérialisme, de cynisme et d’une certaine dépolitisation prévaut dans une bonne partie de la jeunesse. Celle-ci subit un processus d’occidentalisation accéléré qui n’est pas efficacement contrebalancé par le « patriotiquement correct » au goût du jour et la mise en place d’organisations comme les Nachii.
Les fervents admirateurs du régime poutinien auront ainsi remarqué qu’il n’entreprend rien de significatif pour enrayer ce phénomène préoccupant et s’accommode fort bien de cette situation où la quête effrénée d’argent, le goût de l’informe, du strass et des paillettes n’a trop souvent rien à envier à celui de nos sociétés occidentales, décliné de plus au tamis de la démesure russe comme en témoigne par exemple le cinéaste Andreї Mikhalkov-Konchalovsky dans son film Gloss (Glyanets en vo).
La population russe semble trouver un puissant dérivatif à un quotidien souvent gris dans une fierté nationale entretenue par le pouvoir, vis-à-vis duquel elle ne nourrit aucune illusion (« eux » et « nous »). Fierté nationale non condamnable en soi bien entendu, mais déclinée sur un mode excessif avec une paranoïa obsidionale et toujours une phobie atavique de l’ennemi intérieur et extérieur.
Je suis toujours frappé par le fait que le système communiste aux mensonges duquel presque personne ne croyait a réussi à tuer chez beaucoup d’anciens ressortissants soviétiques toute forme d’engagement politique et social au service d’un idéal collectif qui les dépasse : je me suis souvent heurté à des réactions empreintes de scepticisme désabusé.
Je n’ai pas vraiment développé, conformément à votre question les points positifs dans le tableau partiel parfois sombre et pessimiste que j’ai donné de ce peuple jeune (Moeller van den Bruck), mais nous savons que rien n’est jamais joué et que là où il existe une volonté, il y a un chemin.
ID Mag : Dans le cadre du monde multipolaire auquel nous aspirons, comment envisagez-vous l’évolution des relations entre la Russie et la puissance chinoise ?
PL : La Chine et la Russie ont établi un partenariat stratégique au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai pour tenter de faire un tant soit peu contrepoids à la puissance hégémonique américaine.
Cette entente ne repose pas sur des fondements civilisationnels et stratégiques solides et n’est pas, selon moi, destinée à un grand avenir.
Pour l’instant, les deux pays font des manœuvres militaires communes fortement médiatisées. L’armée chinoise modernise son arsenal à grands renforts d’armes russes, bien que Moscou veille à limiter autant que possible les transferts de technologie.
Posture devenue récurrente, le Kremlin penche ostensiblement vers son voisin asiatique dès que des désaccords politiques ou économiques interviennent avec l’Union Européenne.
Cela n’empêche pas que l’avenir des relations sino-russes reste pavé de lourdes incertitudes.
Moscou ne peut que craindre le colossal différentiel démographique avec son voisin qui peut lorgner demain sur les immenses ressources minérales et stratégiques de l’hinterland sibérien.
Une immigration chinoise croissante pourrait poser un problème stratégique majeur dans un avenir très proche.
Bien que les contentieux territoriaux aient été récemment résolus, les Chinois n’ont pas oublié les « traités inégaux » du XIXème siècle et n’ont peut-être pas renoncé à récupérer un jour les territoires de la « Mandchourie du nord » avec Khabarovsk et Vladivostok.
Les Russes doivent comprendre qu’ils auront besoin de nous pour mettre en valeur ce « Grand Est » sibérien et que des contingents européens ne seront pas de trop pour assurer une veille vigilante sur le fleuve Amour, nouvelle frontière d’une Grande Europe à bâtir.
ID Mag : Un mot pour conclure et peut-être quelques conseils de lecture sur ce sujet ?
PL : Je suggèrerais à ceux qui sont intéressés par la question de faire l’effort de s’imprégner des réalités russes en essayant de franchir la barrière de la langue et en se plongeant dans ce monde passionnant (presse, littérature, cinéma, télévision), ce qui n’empêche pas de voyager et de faire des rencontres...
Je pense qu’un militant identitaire sérieux et sincère doit appréhender ces réalités de manière lucide et détachée en restant fidèle aux valeurs et principes qui sont les siens tout en faisant preuve d’intelligence (méta)politique.
Ce n’est pas en manifestant une adhésion aveugle et inconditionnelle aux évolutions en cours dans la Russie poutino-medvédienne que nous rendrons un grand service à notre cause et aux Russes eux-mêmes.
À nous de faire preuve d’une bienveillance critique qui n’empêche pas la ferme condamnation de phénomènes négatifs et contre-productifs et d’éviter l’écueil d’un pacte russo-européen qui abandonnerait à nouveau plusieurs peuples frères aux séculaires et incorrigibles convoitises de Moscou, car la tentation est réelle chez certains de lui reconnaître une sphère d’influence exclusive en terre européenne.
Une observation attentive de la politique internationale de Moscou montre qu’elle a le plus grand mal à s’accommoder de l’Union Européenne, perçue, malheureusement à juste titre, comme une structure bâtarde, acéphale et vassalisée par Washington.
De ce fait, prenant compte de l’existence d’une nouvelle Europe proaméricaine, elle privilégie les relations bilatérales avec les états du noyau carolingien comme l’Allemagne, la France ou l’Italie, perçus comme des entités solides ayant fait leur preuve sur la scène de l’Histoire, sans perdre de vue le classique adage divide et impera .
Je pense qu’une avant-garde européenne telle que prônée par le Forum Carolus et Alain de Benoist par exemple, vertébrée par le noyau dur carolingien, élargi à l’Autriche et à la Hongrie, ne doit être envisagée que dans la perspective d’une grande Europe-puissance qui n’exclue pas nos frères européens de l’ex Pacte de Varsovie pour l’instant encore sensibles aux sirènes étatsuniennes.
Hypothèse pro-vocante et devant nous pousser à la réflexion : une Russie qui résonne toujours en terme de sphère d’influence exclusive sur son ancien « espace historique » (Narotchnitskaia), englobant des pays incontestablement européens comme le Belarus et l’Ukraine serait-elle prête à admettre l’existence à ses frontières d’une Grande Europe-puissance unifiée, détachée de la vassalité américaine et amicale qui affirmerait ses intérêts légitimes sans complexe ? Serait-elle prête à jouer avec nous la carte d’une fédération impériale paneuropéenne, à terme intégrée, une véritable entité eurosibérienne et non celle d’un empire simplement russe ou eurasiatique ?
Poser la question en embrassant la longue durée historique, c’est déjà commencer à apporter quelques éléments de réponse…
Un tel édifice respectueux de ses entités nationales et ethniques, pensé selon un nouveau jus publicum europaeum et un sain principe de subsidiarité aurait, entre autres choses, l’avantage de réduire à néant la plupart des contentieux territoriaux persistants et pesants.
Quoi qu’il en soit, pour survivre dans un nomos planétaire en pleine recomposition et rester dans l’Histoire, Européens et Russes devront entamer, chacun à partir de prémisses et de situations différentes, un mouvement de régénération convergeant vers un héritage boréen plurimillénaire, base matricielle commune d’un renouveau et d’un destin envisagés ensemble. Favorisons donc l’émergence d’un véritable courant altereuropéen et eurosibérien en Russie.
Sinon, dans le cas où le Kremlin s’obstinerait dans une perspective vétéro-impériale autocentrée et obsidionale, je crains fort que la Troisième voie, position risquée et peu aisée à assumer, ne puisse redevenir tôt ou tard d’actualité.
Quelques conseils de lecture ?
Pour la Russie, Les ouvrages de Gustave Welter (Histoire de Russie), Gonzague de Reynold (Le monde russe) et Andreas Kappeler (La Russie, Empire Multiethnique) peuvent offrir un cadre de réflexion historique solide. On pourra y ajouter les « classiques » de Nicolas Riazanovsky (Histoire de la Russie), Michel Heller (Histoire de la Russie et de son empire) ou Jean-Pierre Arrignon (Culture Guide Russie). Pour mieux saisir les réalités politiques et sociologiques d’un univers à la fois si loin et si proche, on pourra se référer aux ouvrages de Iouri Afanassiev (De la Russie), Jean-Robert Raviot, Marlène Laruelle, Jean-Sylvestre Mongrenier (La Russie menace-t-elle l’Occident ?), Georges Nivat, André Ropert (La misère et la gloire, histoire culturelle du monde russe), Alla Sergueeva (Qui sont les Russes ?), Lorraine Millot (La Russie nouvelle) ou d’Igor Kliamkine et Lev Timofeev (La Russie de l’ombre).
Signalons également un curieux ouvrage anonyme intitulé Projet Russie. Je peux également citer les remarquables biographies d’Henri Troyat sur les tsars et écrivains russes, ainsi que naturellement les grands classiques de la littérature, de Pouchkine à Soljenitsyne.
Mention particulière pour les romans « au marteau » d’un enfant terrible de la nouvelle littérature russe, Vladimir Sorokine (notamment Journée d’un opritchnik, La glace ou la voie de Bro).
Les amateurs de polar pourront par exemple se plonger dans les œuvres de Thierry Marignac (Fuyards), Alexandra Marinina (Ne gênez pas le bourreau) ou Leif Davidsen (L’épouse inconnue)
Sur l’Ukraine, il serait indispensable de lire attentivement les travaux incontournables de Iaroslav Lebedynsky (Ukraine, une histoire en questions), Mykola Riabtchouk (De la « Petite-Russie » à l’Ukraine) et Andreas Kappeler (Petite histoire de l’Ukraine) sans oublier le mythique Benoist-Méchin (Ukraine, le fantôme de l’Europe). On pourra compléter par Léonid Pliouchtch (Ukraine : à nous l’Europe !), Annie Daubenton (Ukraine : les métamorphoses de l’indépendance), Alain Balalas (De l’Ukraine) ou Arkady Joukovsky (Histoire de l’Ukraine). Les amoureux du mythe cosaque pourront parcourir le maître-livre de Iaroslav Lebedynsky, Les cosaques, une société guerrière entre libertés et pouvoirs, Ukraine 1490-1790.
Version révisée en mars 2010 d’un entretien recueilli en juillet 2009 par Xavier Eman pour ID magazine n°16 (automne 2009)