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lundi, 15 décembre 2008

Géopolitique de la Route de la Soie

La route de la Soie :

Une histoire géopolitique (Broché)

de Pierre Biarnès (Auteur), François Thual (Préface) 
Présentation de l'éditeur
Comment ne pas rêver de la route de la Soie ? Depuis les pays du Levant méditerranéen, ou depuis Moscou, jusqu'à la mer de Chine, durant une cinquantaine d'années, Pierre Biarnès n'a eu de cesse de la parcourir. Kokand, Samarkand, Boukhara, Khiva, les cités les plus fabuleuses de la vallée de la Ferghana, au cœur de l'Asie centrale, mais aussi jusque dans le Haut-Altaï en longeant les arides déserts de Gobi et du Takla-Matan, les monts du Pamir et du Tian Shan. De ces contrées partirent de terribles conquérants, les Attila, Gengis Khan, Tamerlan... Mais s'y épanouirent aussi de brillantes civilisations. Tout au long de cette route interminable, qui fut pendant plus de trois millénaires l'axe géopolitique du monde, circulèrent les caravanes de la soie et s'affrontèrent de nombreux peuples. Durant tout ce temps, la route de la Soie ne fut pas empruntée seulement par marchands et guerriers. Elle fut aussi celle des dieux ; s'y succédèrent ou y cohabitèrent les chamanistes, les zoroastriens, les bouddhistes, les juifs, les chrétiens nestoriens, les musulmans. L'auteur de la somme Pour l'Empire du monde. Les Américains aux frontières de la Russie et de la Chine, nous livre ici une nouvelle leçon magistrale d'histoire globale remplie de cartes historiques et géopolitiques.


Détails sur le produit

  • Broché: 459 pages
  • Editeur : Ellipses Marketing (8 août 2008)
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2729837914
  • ISBN-13: 978-2729837914

La route de la Soie : Une histoire géopolitique

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mardi, 25 novembre 2008

R. Steuckers: entretien-éclair sur l'actualité

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SYNERGIES EUROPEENNES – Ecole des cadres – Bruxelles – novembre 2008

 

Entretien-éclair avec Robert Steuckers sur l’actualité

 

Propos recueillis par Dimitri Severens

 

Q.: Obama vient d’être élu président des Etats-Unis. Son mandat apportera-t-il le changement escompté par les électeurs américains et espéré par la majorité des Européens, lassés par l’unilatéralisme des “néo-cons” qui ont colonisé le Parti Républicain au pouvoir depuis huit ans?

 

RS: L’hebdomadaire “Marianne”, de Paris, a récemment publié une double page qui nous enseigne de manière très didactique ce qu’Obama a vraisemblablement l’intention de faire. Les Démocrates américains et les “think tanks” qui se profilent derrière eux semblent parier, et c’est inquiétant pour nous Européens, sur un rapprochement avec la Chine, un rapprochement que la crise financière rend quasi inéluctable. Il est plus que probable que nous affronterons bientôt un tandem sino-américain, expression d’un voeu très ancien qui remonte déjà à 1848, quand, après la défaite du Mexique, les Etats-Unis devenaient une puissance pleinement bio-océanique, avec une façade atlantique face à la Vieille Europe, et une façade pacifique, face à un Japon encore plongé dans son isolement et une Chine en plein déclin, après les guerres de l’opium que lui avaient livrées la France et l’Angleterre. L’espoir américain, en ce milieu du 19ème siècle, était de coloniser indirectement cet immense marché chinois comptant déjà des millions de consommateurs potentiels.

 

L’émergence de ce tandem sino-américain, nous pouvons le pronostiquer en repérant le retour au pouvoir des “Clinton Boys” et surtout, celui, en coulisses, de Zbigniew Brzezinski. N’oublions pas, tout de même, que sa politique, depuis plus d’une trentaine d’années, vise avant toute chose à endiguer la Russie (et hier l’Union Soviétique), jugée ennemi absolu, et que, pour parfaire cet endiguement, il faut immanquablement se concilier la Chine. C’était d’ailleurs la raison qui avait poussé Kissinger et Nixon, en 1971 et 1972,  à renouer avec Pékin, un épisode de l’histoire contemporaine dont on a oublié quelque peu les tenants et aboutissants. Un tandem sino-américain, renforcé par l’alliance complémentaire de tous les turcophones selon une autre stratégie suggérée par Brzezinski, impliquerait, par voie de conséquence, la satellisation escomptée, mais non pour autant garantie, du Kazakhstan. Cette stratégie générale, dont le pilier est justement le tandem sino-américain, permet d’occuper et de neutraliser au bénéfice de Washington, toute l’Asie centrale, tout le “coeur du monde”  (selon la terminologie de Sir Halford John Mackinder). Nous aboutirions ainsi à la concrétisation du fameux “mongolisme” géopolitique, cher à Brzezinski, permettant d’installer un gigantesque verrou territorial de l’Egée au Pacifique. L’Europe occidentale et centrale, son coeur germanique et danubien, serait bloquée au niveau des Balkans et de la Méditerranée orientale, comme le voulait la stratégie de l’équipe Clinton-Albright, lors de la guerre contre la Serbie. La Russie, elle, serait bloquée et endiguée du Caucase au fleuve Amour, comme l’a toujours voulu la stratégie d’endiguement mise au point par Mackinder et Homer Lea dans la première décennie du 20ème siècle, deux classiques qu’il est bon d’avoir pour livres de chevet, faute de parler dans le vide.

 

Ce verrou de l’Egée à l’Amour a bien entendu pour objectif de limiter au maximum le contact terrestre entre la Russie et l’Iran, soit à le limiter aux seules côtes de la Caspienne, gardées, s’il le faut par de tierces puissances turcophones comme l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan (qui n’ont pas répondu au chant des sirènes américaines jusqu’ici…). Autre objectif, déjà mis en oeuvre lors des guerres menées par l’Empire britannique en Afghanistan dans les années 40 du 19ème siècle: empêcher toute liaison terrestre entre l’Inde et la Russie, de façon à détacher, aujourd’hui, l’Inde de son hinterland continental et de l’inféoder, en tant que “rimland” et immense marché potentiel, à la thalassocratie américaine dominante. Cette stratégie risque évidemment de trouver sa pierre d’achoppement dans la rivalité sino-indienne pour le Tibet et dans la nécessité vitale, pour la Chine, de capter l’eau des réserves phréatiques tibétaines, le cas échéant en détournant les eaux des fleuves, notamment celles du Brahmapoutre. La diplomatie américaine devra déployer des trésors d’ingéniosité pour aplanir ce contentieux et pour aligner l’Inde sur sa politique. Déjà quelques signaux, en apparence anodins, annoncent que l’on va lâcher le Tibet: notamment, cette semaine, un article du “Time” déplore l’émiettement de l’opposition tibétaine qui, du coup, ne vaut plus qu’on la soutienne.

 

Comme les néo-cons de l’équipe Bush, les nouveaux conseillers d’Obama veulent, eux aussi, et avec une égale opiniâtreté, inclure l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN. L’adhésion de l’Ukraine correspond à la stratégie générale préconisée depuis toujours par Brzezinski et au pari de l’équipe Bush jr sur la “Nouvelle Europe”. En effet, l’inféodation définitive de l’Ukraine, avec ou sans la Crimée, avec ou sans ses provinces orientales russophones et russophiles, permet, de concert avec une réactivation du tandem turco-américain dans la région pontique, de concentrer tous les atouts de l’ancienne géopolitique ottomane dans la région et de conjuguer ceux-ci à une réactualisation du projet de ‘Cordon sanitaire” de Mackinder et Curzon. Les pays Baltes, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et, dans une moindre mesure, la Bulgarie, sans compter les micro-puissances musulmanes des Balkans, se verraient ajoutés à un bloc anatolien solide en Méditerranée orientale et surplombant la Mésopotamie. Ce bloc séparerait la “Vieille Europe” de la Russie et, joint à une alliance “turcophone” en Asie centrale, à la Mongolie et à la Chine permettrait de créer un espace correspondant plus ou moins à l’ensemble des conquêtes mongoles au moment de leur extension maximale.

 

La présence, sur la masse continentale eurasienne, d’un verrou d’une telle ampleur, empêcherait toute coopération entre les empires structurés, reposant sur la stabilité sédentaire (et non plus sur la non durabilité nomade), disséminés sur ce grand continent qu’est le “Vieux monde” ou “l’hémisphère oriental”.

 

Face à ce projet, qui a gardé toute sa cohérence de Mackinder à Brzezinski, donc sur un très long terme, l’Europe, expliquent de concert “The Economist”, “Time” et “Newsweek” n’a pas une politique qui tienne la route. On l’a bien vu lors de la “Guerre d’août” en Géorgie: Merkel avait émis au printemps de fortes réticences quant à l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN; après la victoire des troupes russes, elle déclare à Tbilissi qu’elle est en faveur de cette adhésion, pour répéter son “Nein” initial vers le milieu de l’automne. Nous l’avons toujours dit: le personnel politique européen aurait dû, depuis longtemps, depuis le rapprochement sino-américain de 1971-72 et depuis le retour en force de la pensée géopolitique avec Colin S. Gray aux Etats-Unis juste avant l’avènement de Reagan, apprendre à jongler avec les concepts de cette discipline à facettes multiples et surtout à redécouvrir les linéaments de la géopolitique européenne, théorisée par Haushofer et ses collaborateurs. Rien de cela n’a été fait donc l’Europe en est à cultiver des espoirs stupides et niais face à l’avènement d’une nouvelle équipe au pouvoir à Washington, qui serait parée de toutes les vertus, tout simplement parce qu’elle est “démocrate”.

 

Q.: Et la crise financière dans tout cela? Ne va-t-elle pas freiner les appétits impérialistes de la grande thalassocratie d’Outre-Atlantique? Ne va-t-elle pas plonger le monde dans l’immobilisme, faute de moyens?

 

RS: La plus belle analyse de la situation a été posée Niall Ferguson, historien britannique et professeur à Harvard, dans l’entretien qu’il a accordé à l’hebdomadaire allemand “Der Spiegel” (n°46/2008) et que nous avons commenté lors d’une réunion récente de l’école des cadres de “Synergies Européennes” à Bruxelles et à Liège. La crise, dit-il, lors de ses prochaines retombées, va frapper plus durement l’Europe que les Etats-Unis. Quant aux pays contestataires et producteurs de pétrole, tels la Russie, l’Iran et le Venezuela, qui envisageaient de faire front à l’unilatéralisme américain de l’équipe Bush, ils risquent d’être les victimes de la chute des prix du pétrole. La crise permet donc de disloquer la cohésion de ce nouveau front. Ensuite, Ferguson démontre la communauté d’intérêt entre la Chine et les Etats-Unis: la Chine a des dollars, rappelle-t-il, dont les Américains ont besoin pour se renflouer, et les Etats-Unis sont un marché dont les Chinois ne peuvent plus se passer. L’équipe derrière Obama semble l’avoir compris. C’est la raison pour laquelle Ferguson estime que les Etats-Unis risquent bien de sortir vainqueurs de la crise, en perdant certes quelques plumes, mais beaucoup moins que leurs concurrents européens. Et le tour serait joué!

 

Le programme restera le même, sur le fond: encerclement de la Russie, endiguement (surtout économique) de l’Europe, mais sans plus heurter de front les musulmans et les Chinois. En effet, on reprochait à Bush d’avoir sérieusement abîmé la vieille alliance entre la Turquie et les Etats-Unis, d’avoir perdu énormément de crédit au Pakistan et d’avoir déplu aux masses arabes, tous pays confondus. La politique anti-chinoise générant, dans un tel contexte, une inimitié de trop, difficile à gérer. L’Europe entrera dans une phase d’affaiblissement et de ressac parce que l’équipe d’Obama, comme celle de Bush avant lui, excitera la “Nouvelle Europe” du nouveau “Cordon sanitaire” à la Curzon, contre la “Vieille Europe” plus favorable à un rapprochement avec la Russie, conflit interne à l’Europe qui ruinera les efforts d’intégration européenne entrepris depuis plusieurs décennies. Cette politique générale d’endiguement et d’affaiblissement téléguidé se fera par le biais d’une alliance Etats-Unis/Chine/monde musulman wahhabite-sunnite comme au temps de Clinton. Car la même équipe revient aux affaires, surtout Madeleine Albright et Brzezinski. Les Etats-Unis, avec la crise, ne peuvent plus se permettre d’entretenir la quadruple hostilité qu’avait soulevée contre l’Amérique l’équipe sortante de Bush: hostilité à l’islam en général (même si cette hostilité était plus “fabriquée” par les médias que réelle), à la Chine, à la Russie et à la “Vieille Europe”, à qui on interdisait toute diplomatie internationale indépendante et conforme à ses intérêts propres. La géostratégie néo-conservatrice avait trouvé ses limites: elle s’était fait trop d’ennemis et perdait de ce fait de la marge de manoeuvre. Les démocrates vont se choisir des alliés et tabler sur les atouts sentimentaux que fait naître un président métis pour séduire l’Afrique, que Washington veut arracher à l’influence européenne depuis la seconde guerre mondiale, et pour mieux faire accepter les politiques américaines dans le monde musulman, malgré les réticences déjà observables suite à la nomination de Rahm Emanuel comme secrétaire général de la Maison Blanche; en Turquie, on prépare, semble-t-il, la succession d’Erdogan, qui a branlé dans le manche, en poussant en avant un homme formé aux Etats-Unis, un islamiste dit “modéré”: Numan Kurtulmus. L’avenir nous dira si cet économiste prendra le relais de l’équipe de l’AKP ou non à Ankara. Au Pakistan, les tentatives de se concilier à nouveau le pouvoir à Islamabad heurtent les Indiens, surtout après la nomination d’Ahmed Rashid et de Shuja Nawaz, tous deux d’origine pakistanaise, dans l’équipe du Général Petraeus en Afghanistan. 

 

L’électorat démocrate est plus varié, sur les plans religieux et idéologique, que l’électorat républicain, où les sectes protestantes, presbytériennes et puritaines, donnent irrémédiablement le ton, mais dont les idées ne sont guère exportables, tant elles paraissent étranges au reste du monde et rebutent.

 

L’avenir pour l’Europe n’est pas plus rose avec Obama que sous Bush. Tout porte même à penser que ce sera pire: la cohésion intellectuelle de la géopolitique de Brzezinski est bien plus redoutable que l’affrontement tous azimuts préconisé par la géopolitique offensive et unilatéraliste des néo-conservateurs, dénoncée dans “Foreign Affairs” comme “entravant tout raisonnement stratégique solide”. Pour nous, le combat doit continuer, pour rétablir le bloc euro-russe et, ainsi, une cohésion qui doit rappeler celle de la “Pentarchie” européenne du début du 19ème siècle. 

 

samedi, 22 novembre 2008

Le monde après l'élection d'Obama selon Niall Ferguson

 

 

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Le monde après l’élection d’Obama, selon l’historien britannique Niall Ferguson


Niall Ferguson, célèbre pour ses thèses sur les origines de la première guerre mondiale, professeur à Harvard, a accordé, début novembre 2008, un long entretien à l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel » (n°46/2008), où il énonce ses hypothèses quant à l’avenir immédiat de la planète, après l’élection du premier président des Etats-Unis d’origine africaine.


En voici quelques extraits significatifs :


Q. : La foi en la capacité d’auto-guérison du marché est-elle morte ?


NF : Oui. Mais il a fallu un véritable Armageddon avant que les Républicains ne l’aient compris. Il a fallu une guerre mondiale sans combats, une situation d’urgence. Aujourd’hui, nous réagissons comme lors de la première guerre mondiale : avec des moratoires, avec la mise hors circuit des transactions boursières, avec du nouvel argent. C’est fascinant… (…). Mais nous sommes tous coupables : qui n’a pas, en Grande-Bretagne ou en Amérique, réclamé un crédit pour une maison, évaluée beaucoup trop chère, ou une auto ? …Toutes ces bulles se ressemblent mais, force est de le constater, le monde de la finance est comme immunisé contre les leçons de sa propre histoire.


Q. : Pourquoi ?


NF : La plupart des gestionnaires de haut niveau quittent les systèmes d’enseignement en étant bien trop peu armés pour prendre les décisions qu’il faudrait au moment voulu. Ils apprennent l’économie comme si elle était une discipline mathématique. Ils ne savent rien de ce qui s’est passé auparavant, même au début de leur carrière. Beaucoup de ceux qui travaillent aujourd’hui à Wall Street ne savent même pas ce qui s’est passé en l’an 2000, au moment du « boom » d’internet.


Q. : Le système éduque donc ses gestionnaires à être totalement irresponsables ?


NF : Et à être complètement naïfs. Les années 2001 à 2007, ces gens les ont considérées comme des années parfaites, des années-modèles que rien n’allait pouvoir ébranler ou contrarier. Il est évidemment séduisant de considérer sa propre expérience comme une composante inamovible de la théorie et de l’histoire de la finance.


Q. : Est-ce un hasard si l’effondrement a commencé aux Etats-Unis ?


NF : Il aurait pu commencer n’importe où. Le système était une pyramide reposant sur son sommet, une pyramide de garanties, de nantissements, de dérivés, de gages, de crédits, qui s’appuyait sur une pointe fragile constituée d’hypothèques. Si l’effondrement avait commencé ailleurs, les conséquences n’auraient pas été aussi dramatiques. Mais la pyramide devait se casser la figure : c’était une crise du monde occidental et c’est devenu une crise globale.


(…)


Q. : En Allemagne, on craint que le Président Obama nous réclamera plus de soldats pour l’Afghanistan. Mais, par ailleurs, on espère que sa politique reposera davantage sur le multilatéralisme…


NF : Cette crainte et cet espoir sont tous deux fondés. Obama se concentrera davantage sur l’Afghanistan et tentera, simultanément, de retirer des troupes américaines et d’obtenir, pour les remplacer, des soldats venus de partout (…).


Q. : Quelles pourraient être les conséquences de la crise ?


NF : New York pourrait devenir ce que Venise est devenue.


Q. : Soit le musée de ce que la ville a été ?


NF : Peut-être mais il faudra attendre 100 ou 200 ans. De plus en plus de choses se passeront en Asie ; Londres sera, géographiquement parlant, dans une meilleure position. Et Shanghai prendra une importance cardinale. Ou Hong Kong.


Q. : La vie est tout de même injuste…


NF : L’argent n’a jamais été une chose juste.


Q. : L’Europe n’est-elle pas mieux armée pour les temps de crise ? Plus moderne ?


NF : Sans doute mais l’Europe sera cruellement touchée par la crise. En Grande-Bretagne, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, le secteur de la finance fait un pourcentage plus élevé du PIB qu’en Amérique, c’est pourquoi l’ampleur de la crise sera plus importante en Europe. Quant à la Russie, l’Iran et le Venezuela, ils vont être surpris par la chute des prix du pétrole.


Q. : Les Etats-Unis pourraient dès lors sortir vainqueurs de la crise actuelle, dont ils sont eux-mêmes l’origine ?


NF : Absolument. Prononcer des discours funéraires est prématuré. Tout dépendra des réactions chinoises. Par des interventions volontaires et techniques, les Chinois ont veillé à ce que la stabilité des cours de change demeure et ont ainsi protégé le dollar. Parce qu’ils possèdent d’énormes masses de dollars et exportent des produits finis, qui sont facturés en dollars, ils poursuivront cette politique. La Chine et les Etats-Unis sont liés, aussi liés que je le suis moi-même à mon épouse…


Q. : Et la femme…


NF : …dépense ce qu’économise et gagne le mari. C’est un sage équilibre. Cela restera ainsi.


Q. : Qui a-t-il de sage dans cette situation ?


NF : Il en a toujours été ainsi : l’une économie compensait les faiblesses de l’autre, et ce n’est pas une mauvaise chose. Les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de payer pour cette crise tant qu’ils peuvent obtenir de Pékin un argent favorable, qui ne leur revient pas plus cher que 4% d’intérêts. Quant à la Chine, elle a besoin d’exporter vers les Etats-Unis, pour pouvoir poursuivre sa croissance. Nous assistons à l’avènement de la Chinamérique…


Q. : …c’est le nom que vous donnez au tandem économique sino-américain dans votre dernier livre (Niall Ferguson, « The Ascent of Money – A Financial History of the World », Penguin Press, New York, 2008)…


NF : … en effet, et ce n’est pas une chimère, mais un tandem qui fonctionne. Des trois grands (Chine, Russie, Amérique), seuls deux peuvent former une coalition et ni la Chine ni les Etats-Unis n’ont de raisons de préférer la Russie comme partenaire.


Q. : Oui, mais en fin de compte, le déficit américain ne peut pas être considéré comme une bonne chose…


NF : Bah, les choses vont vite retrouver un certain équilibre. Cependant, si les Etats-Unis avaient un budget équilibré, ce serait un choc terrible pour le système global. Personne ne peut sérieusement vouloir un tel ébranlement. Si les Américains commençaient à épargner comme le font les Chinois, nous serions plongés dans une gigantesque dépression !


Q. : C’était l’un des principaux avertissements d’Obama : « Nous empruntons de l’argent aux Chinois et, avec cet argent, nous achetons du pétrole en Arabie Saoudite ». Il disait vouloir mettre fin à ce jeu lors de sa campagne électorale.


NF : Sans doute quelques conseillers en politique étrangère vont-ils bien vite lui expliquer de ne pas toucher aux rapports actuels entre la Chine et les Etats-Unis…


Q. : La phrase qu’il a prononcée contient tout de même un bon fond de vérité…


NF : Exact mais c’est une simplification. Les Américains veulent acheter à bas prix. Et les Chinois produisent à bas prix. Qui voudrait faire basculer un tel système ? Même dans une économie globale, il restera des déséquilibres : le rythme de développement n’est pas le même partout et le système existe pour transférer gains et épargnes d’un lieu à l’autre. Cela me paraît plus sensé que l’autarcie financière des années 50, où il n’y avait pas de transactions internationales.


Q. : Voilà qui paraît incroyable : finalement, vous estimez que tout va bien ?


NF : Non, mais le thème qui me préoccupe n’est pas le déficit américain ou la dépendance des Etats-Unis à l’endroit de la Chine. Simplement, la Chine a quelque peu pris conscience de ses atouts. Les Etats-Unis, eux, ont le caquet un peu rabaissé, mais la Chine est loin d’être un rival des Etats-Unis sur les plans militaire et économique. Mon thème central, c’est la dépendance par rapport au pétrole. C’est une thématique d’ordre technologique et non pas financière.


Q. : Alors, les hommes politiques responsables…


NF : ….emprunteraient de l’argent aux Chinois et l’investiraient dans les technologies propres, génératrices d’énergie éolienne, solaire, etc. ; ce serait là une stratégie rationnelle. Ce fut une folie d’avoir été emprunter de l’argent en Chine pour aller le brûler dans des spéculations immobilières.


Q. : Donc, pour vous, emprunter ne constitue aucun problème ?


NF : Ce ne fut jamais un problème. Les emprunts sont le fondement de l’économie. Le problème ne réside donc pas dans le fait d’emprunter, mais dans celui d’investir. Si vous n’investissez pas et que vous ne faites que consommer, alors vous vous ruinez.


Q. : Les relations euro-américaines vont-elles changer ?


NF : Oui, mais d’une façon autre que l’imaginent bon nombre d’Européens. Les Démocrates et les Républicains, sur le plan de la politique extérieure, ne se distinguent pas vraiment les uns des autres et, en cette matière, il existe une continuité bien réelle, qu’on n’imagine pas immédiatement. Obama sera-t-il le contraire diamétral de Bush ? Non. Car les intérêts nationaux des Etats-Unis resteront les mêmes.


(…)


Q. : Sur le plan économique, que pourra réellement faire le nouveau président des Etats-Unis ?


NF : Obama a répondu à un sentiment général qui veut le changement mais un changement qui n’en pas un véritablement, seul, ici, le sentiment du changement a révélé toute son importance. Cette crise est une crise de confiance et de conscience : les Américains ont le sentiment qu’il leur faut un président qui apporte de l’innovation.


Q. : Bon. Mais que peut faire Obama ?


NF : Il pourra prononcer un magnifique discours d’intronisation.


Q. : Et c’est tout ?


NF : Prononcer d’autres formidables discours.


Q. : Et rien de plus ?


NF : Non. Parce que de tous les présidents américains, il est celui qui, de mémoire d’homme, a la marge de manœuvre la plus réduite. Obama composera un gouvernement au-dessus des partis et nous allons bientôt vivre les premiers 100 jours les plus prudents qui aient jamais été, un peu comme au début de la carrière de Bill Clinton. Obama sera prudent jusqu’à devenir ennuyeux. Et c’est en cela que résidera sa grande force.


Q. : Et alors ? Où se trouve le problème ?


NF : Chez Hank Paulson.


Q. : Et ce ministre des finances de l’équipe Bush jr., qu’a-t-il à voir avec Obama ?


NF : Vu le grand plan « Bailout » qu’il a mis en oeuvre, Paulson a déjà dépensé tout l’argent qu’Obama entendait utiliser pour sa réforme du système de santé et pour son projet de diminuer les impôts. L’argent est parti, envolé !


(propos recueillis par le journaliste Klaus Brinkbäumer, adaptation française : Robert Steuckers).


 

mercredi, 08 octobre 2008

La Chine soutient l'action géopolitique de la Russie

LA CHINE SOUTIENT L’ACTION GÉOPOLITIQUE DE LA RUSSIE

Quotidien du Peuple, février 2008 :



« Il est impératif pour la Russie d’affirmer clairement son opposition à un monde unipolaire et de se positionner en tant qu’Etat cherchant à promouvoir la démocratisation des relations internationales. Tirant les leçons de l’Histoire, la Russie fait preuve d’une extrême fermeté, non pour s’engager dans une guerre froide, mais pour amener l’Occident à la respecter et à construire avec elle des relations de partenariat sur un pied d’égalité. »


Shen Jiru, professeur au Centre de recherches sur la politique et l’économie de l’Académie des sciences sociales de Chine

 

 


« Le développement des relations amicales [de la Russie] avec la Chine revêt une importance considérable. La Russie a besoin de l’aide de la Chine pour retrouver son statut de grande puissance et contrer les Etats-Unis dans leur stratégie d’hégémonie planétaire. Ces dernières années, la Russie a approfondi sa relation avec de nombreux pays d’Orient, dont la Chine. Elle cherche à surfer sur la vague de leur boom économique et à se servir de leur appui pour se poser en concurrente des nations occidentales et procéder à des "attaques mesurées" afin de percer la muraille dressée autour d’elle par les Etats-Unis et les pays européens. »


Wang Zhengquan, professeur à l’Institut des relations internationales de l’Université du Peuple de Pékin

 

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Het gele gevaar

Het Gele Gevaar

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mardi, 30 septembre 2008

Géopolitique pétrolière et gazière en Asie centrale

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Alexander GRIESBACH:

Géopolitique pétrolière et gazière de l’Asie centrale: télescopage d’intérêts divergents

 

L’Asie centrale est l’une des zones-clefs de la géopolitique mondiale, à cause des réserves énergétiques qu’elle recèle. La lutte engagée pour le contrôle de ces réserves va certainement porter le nom de “New Great Game” (= “Le nouveau Grand Jeu”), en référence à l’affrontement russo-britannique du 19ème siècle et parce que de nouveaux acteurs y interviendront, notamment la Chine et l’Inde. Il y a d’abord la question de savoir qui se taillera la part du lion dans ces réserves énergétiques; mais, avant d’y répondre, aujourd’hui, il s’agit principalement de savoir comment ces réserves parviendront aux Etats destinataires; nous soulevons là la politique des oléoducs et gazoducs. Par Asie centrale, nous entendons bien sûr des Etats comme le Kazakhstan ou le Turkménistan mais aussi le Tibet, l’Afghanistan, certaines régions d’Iran ou comme le Pendjab au Pakistan et en Inde.

 

Prendre le défi russe au sérieux

 

Après la fin de l’Union Soviétique, l’intérêt des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine n’a fait que croître au fur et à mesure que l’importance des réserves énergétiques croissait dans le système de la concurrence globale. Pour les Etats-Unis, la main-mise sur ces ressources constitue le motif principal de leur engagement dans la région. Cet engagement dans l’ancienne “arrière-cour” de l’Union Soviétique ne s’est pas déroulé sans ressacs. Malgré  cela, après les événements du 11 septembre 2001, les dirigeants russes, américains et centre-asiatiques ont serré les coudes dans la “lutte commune contre le terrorisme”. Cette unanimité s’est vite évaporée à cause de l’incompatibilité d’humeur entre Bush et Poutine et surtout d’événements comme, par exemple, l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, les révolutions sans effusion de sang d’Ukraine et de Géorgie et, enfin, la guerre en Irak. Poutine a réussi à repousser largement les Etats-Unis hors d’Asie centrale, notamment avec l’aide de la Chine: ce fut la réponse russe aux activités déployées par les Etats-Unis dans l’arrière-cour de Moscou. La tâche de Poutine fut sans doute facilitée parce que la rhétorique américaine des “droits de l’homme” avait sans nul doute énervé quelques autocrates de la région. Par ailleurs, le traitement réservé à l’autocrate Saddam Hussein a certainement eu un effet dissuasif.

 

Poutine à coup sûr s’est servi d’un instrument, que Medvedev reprendra certainement à son compte: l’Organisation de Coopération de Changhaï (OCC), laquelle, du point de vue occidental, constitue la réponse à la prétention américaine d’exercer un leadership mondial. Le septième sommet de l’OCC, qui s’est tenu à Bichkek en Kirghizie en août 2007, a clairement critiqué la “pax americana”. Moscou n’a pas mâché ses mots. Le rôle de “seule superpuissance” que Washington veut jouer, Poutine l’a relativisé: “Nous sommes convaincus que toutes les tentatives de vouloir résoudre seul tous les problèmes du monde sont vaines”. Alexander Rahr, expert ès-questions russes auprès de la DGAP (“Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik” / “Société allemande de politique étrangère”), a émis les commentaires suivants dès 2006: Moscou est déçu par l’Occident et s’en détourne pour se tourner vers l’espace asiatique et forger “de nouvelles alliances géostratégiques”. “Pour parvenir à cette fin, le Kremlin mobilise les immenses ressources énergétiques de la Russie, afin de récupérer sa position naguère perdue de puissance mondiale. L’Europe et l’Occident doivent prendre très au sérieux ce nouveau défi géopolitique”.

 

La Turquie: importante plaque tournante dans la politique énergétique

 

Ce “défi”, la revue “Geo”, de juin 2008, l’a mis en cartes et schémas, notamment sous la forme, plaisante, d’un table de joueurs de poker, qui symbolisent en l’occurrence les acteurs du “New Great Game”. A gauche, nous y voyons les Etats-Unis, qui sont les plus grands consommateurs de gaz et de pétrole et dont les intérêts consistent à se dégager d’une trop grande dépendance du Proche Orient. Les Etats-Unis, qui importent un quart de leur gaz naturel de Russie, investissent dans la construction de gazoducs et oléoducs qui évitent de passer par le territoire russe, comme le système “Nabucco” qui sera complètement opérationnel en 2013. Sur le tracé de ce système “Nabucco” se trouve la Turquie, qui acquiert de plus en plus d’importance car elle est, explique “Geo”, la principale “plaque tournante énergétique entre l’Est et l’Ouest”. De l’autre côté de la table des joueurs de poker, à droite, se trouve la Russie, qui tire des revenus des oléoducs et gazoducs et de la vente des pétroles et gaz de la région caspienne.

 

La Russie est bien entendu capable de faire de l’énergie une arme, en cas de “comportement fautif”, comme on vient de le voir. La Chine est la deuxième puissance assise à droite, à la table des joueurs: elle est devenue, entretemps, le deuxième consommateur de pétrole au monde et se présente comme concurrent de l’UE et des Etats-Unis. Le “gâteau”, qui forme l’enjeu, est au beau milieu de la table. Il comprend le Kazakhstan, dixième producteur de pétrole du monde; l’Azerbaïdjan, qui occupe un territoire géostratégiquement important entre l’Europe et l’Asie; le Turkménistan, l’un des pays les plus riches en gaz du monde, ainsi que l’Ouzbékistan, dont les gisements en pétrole et en gaz n’ont été que partiellement exploités jusqu’ici. Au réseau de distribution énergétique déjà existant entre les joueurs de poker, il faudra ajouter trois nouveaux grands “pipelines”, rien que pour l’approvisionnement en gaz  naturel:

 

* Le “North Stream”, venant de Russie pour passer sous la Mer Baltique et aboutir en Allemagne; il aura environ 1200 km; Gazprom en est le principal actionnaire avec 51% des parts. “Wintershall AG” et la société “E.ON Ruhrgas AG” possèdent chacune 20%. Le premier tronçon sera prêt en 2010.

 

* La ligne “Nabucco”, qui partira de Turquie pour aboutir en Autriche, sera longue de 3300 km. Les travaux commenceront en 2010. Cette ligne devra relier l’UE aux gisements gaziers de la région caspienne.

 

* Le “South Stream” reliera la Russie à l’Italie et à l’Autriche. Ce sera un gazoduc italo-russe dont une partie sera installée sur le fond de la Mer Noire et reliera ainsi le port russe de Novorossisk au port bulgare de Varna. Ce projet est en concurrence directe avec celui de “Nabucco”.

 

Deux importants systèmes de “pipelines” sont déjà en activité:

 

* Le “Blue Stream” qui part de Russie pour aboutir à Ankara. Il est en activité depuis 2005. Il est long d’environ 1200 km.

 

* Le “BTE” ou “Bakou – Tiflis – Erzouroum (en Turquie)” est en activité depuis 2006. sa longueur est d’environ 690 km. On l’appelle également “South Caucasus Pipeline”.

 

Auxquels il faut encore ajouter:

 

* Le “BTC” ou “Bakou – Tiflis – Ceyhan (en Turquie). Sa longueur est d’environ 1770 km.

 

* Le “Drouchba” dont le tronçon septentrional part d’Almetievsk au Tatarstan, traverse la Biélorussie et la Pologne pour aboutir à Schwedt sur l’Oder et dont le tronçon méridional, après une bifurcation près de Masyr en Biélorussie, amène les hydrocarbures en République Tchèque et ensuite, via la Slovaquie, en Hongrie.

 

* Le pipeline “Kazakhstan-Chine”, qui est en service depuis 2004 et est long de ± 970 km.

 

Si vous imaginez que, dans ce contexte, la Chine et la Russie, qui toutes deux ont des motifs divers de vouloir chasser les Etats-Unis de leurs sphères d’influence respectives, vont faire cause commune, dans tous les cas de figure, sous l’égide de l’OCC, alors vous ne comprenez pas la  dynamique du “New Great Game”, que l’on peut, à juste titre, qualifier de “champ de mines d’intérêts divergents”, pour paraphraser Keith Jones. Aigul Zharylgassova, de la  “Société germano-kazakh” a bien mis en exergue l’agencement des intérêts chinois dans le cadre de l’OCC: “Avec l’OCC, la Chine tente de tuer deux mouches d’un seul coup de savate: d’un côté, la République Populaire de Chine coopère avec des Etats centre-asiatiques sur le plan militaire et garantit ainsi la sécurité de ses frontières occidentales; de l’autre côté, la RPC utilise l’Organisation pour réaliser des projets de communication et d’infrastructure afin d’avoir un accès assuré aux ressources énergétiques”. Cette analyse nous permet de comprendre pourquoi la Chine, qui avait toujours eu l’habitude de se montrer réservée face à tout système d’alliance, s’est laissée embrigader dans l’OCC. L’adhésion à l’OCC permet à la Chine de pratiquer “une politique nationale d’ordre dans la région” et de réactiver “son image de marque sur le plan international” (Zharylgassova).

 

Les divergences entre Moscou et Beijing

 

On discute beaucoup, en Occident, pour savoir si la rivalité entre la Chine et la Russie, pour prendre dans l’avenir le leadership au sein de l’OCC, mettra en péril l’existence même de  cette organisation. Quelques analystes pensent que la Russie voudra, elle aussi, utiliser l’OCC pour au moins limiter “l’influence croissante de la Chine”, ce qu’elle cherche d’ailleurs déjà à faire en jouant “un rôle actif au sein de l’Organisation”.  Moscou voit un moyen dans l’OCC de bétonner sa souveraineté lucrative sur le transport du pétrole et du gaz naturel.

 

Il existe également des divergences entre Moscou et Beijing pour savoir lesquels des Etats, qui avaient jusqu’ici un simple statut d’observateur (actuellement: la Mongolie, l’Inde, l’Iran et le Pakistan), pourront accéder dans un avenir proche au statut de membre à part entière. Le souhait de la Russie, d’accepter l’Iran comme membre à part entière, est contesté par la Chine car celle-ci n’a aucun intérêt à ce que l’islam reçoive un quelconque encouragement sur le territoire chinois lui-même par un effet (secondaire) de l’adhésion pleine et entière de l’Iran. La Chine refuse également l’adhésion pleine et entière de l’Inde parce que les deux géants asiatiques ont toujours été des rivaux. Les Chinois émettent également des réserves contre l’adhésion du Pakistan, dont les liens avec l’islam radical (les talibans) suscitent l’inquiétude à Beijing. On constate également des tensions à l’égard des autres Etats musulmans de l’Organisation, le Kazakhstan, le Kirgizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, car aucun de ces Etats n’a évidemment intérêt à dépendre unilatéralement de Moscou ou de Beijing.

 

Les démarches énergiques et assertives de Poutine n’ont certainement rien fait pour dissiper les méfiances entre les Etats membres de l’OCC. Il faudra encore attendre quelque peu pour savoir si le Président Medvedev montrera plus de doigté diplomatique. Le sommet des chefs des Etats membres de l’OCC à Duchanbé au Tadjikistan n’apportera rien de bien substantiel, car la solidarité avec la Russie, après la crise de l’Ossétie du Sud, est restée limitée. Les Etats membres de l’OCC ont simplement demandé à ce que “le problème soit résolu pacifiquement par le dialogue”. Aucune prise de position commune n’a suivi la reconnaissance unilatérale de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Russie.

 

Vu les divergences entre les membres de l’OCC, le jugement qu’Alexander Rahr avait émis dans “Eurasisches Magazin” (28 février 2006) me semble caduc: il affirmait que “l’OCC pourrait rapidement devenir un nouvel acteur global sur la scène internationale, auquel, en cas de conflit avec l’Occident, même la superpuissance américaine n’aurait pas grand’ chose à opposer”. L’anti-occidentalisme ne suffira pas pour cimenter durablement la cohésion de l’OCC, vu les méfiances réciproques que cultivent les Etats membres de l’Organisation. Il est plus que probable que l’OCC entrera en crise en dépit de cet anti-occidentalisme qui sert de paravent à de profondes divergences d’intérêts.

 

L’intérêt des Européens, et donc des Allemands, c’est de ne pas attendre la crise passivement, mais de tenter de faire valoir leurs intérêts propres dans ce “champ de mines”.

 

Alexander GRIESBACH.

(Article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°38/2008; trad. franç.: Robert Steuckers). 

 

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lundi, 01 septembre 2008

Les Indo-Européens dans la Chine antique

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Reconstitution d'une des momies d'Urumtchi

 

Les Indo-Européens dans la Chine antique

Dans le livre troisième de son fameux Essai sur l'inégalité des races humaines, publié dans les années 50 du 19ième siècle, Arthur de Gobineau décrivait les flux migratoires des peuples indo-européens en Orient et relevait que «vers l'année 177 av. J. C., on rencontrait de nombreuses nations blanches à cheveux clairs ou roux et aux yeux bleus, in­stal­lées sur les frontières occidentales de la Chine. Les scribes du Céleste Empire, auxquels nous devons de connaître ce fait, citent cinq de ces nations… Les deux plus connues sont le Yüeh-chi et les Wu-suen. Ces deux peuples habitaient au nord du Hwang-ho, aux confins du désert de Gobi… De mê­me, le Céleste Empire avaient pour sujets, au sein de ses provinces du Sud, des nations aryennes-hindoues, immi­grées au début de son histoire» (1).

Arthur de Gobineau tirait ses informations des études de Ritter (Erdkunde, Asien) et de von Humboldt (Asie centra­le); tous deux se basaient sur les annales chinoises de la dynastie han, dont les premiers souverains ont commencé leur règne en 206 av. J. C. De fait, nous savons aujourd'hui que, dès le 4ième siècle avant J.C., les documents histo­riques du Céleste Empire évoquaient des peuples aux che­veux clairs, de mentalité guerrière, habitant sur les confins du territoire, dans ce que nous appelons aujourd'hui le Tur­kestan chinois ou le Xinjiang. Selon Gobineau, ces faits at­testaient de la puissance expansive et implicitement civi­lisatrice des populations "blanches". Mais, au-delà des in­ter­prétations unilatérales et, en tant que telles, inac­cepta­bles de l'écrivain français, presque personne n'a pris en con­sidération la signification que ces informations auraient pu revêtir pour retracer l'histoire de la culture et des in­fluences culturelles, sur un mode moins banal et linéaire que celui qui était en vogue au 19ième siècle.

On a plutôt eu tendance à rester incrédule quant à la fia­bilité des annales, parce qu'on était animé par un in­décrottable préjugé euro-centrique, selon lequel les peu­ples de couleurs étaient en somme des enfants un peu fan­tas­ques, incapables de saisir l'histoire dans sa concrétude. En outre, à l'époque, il était impossible de vérifier la pré­sence de ces populations "blanches" : même en admettant qu'elles aient existé, personne ne pouvait dire depuis com­bien de temps elles avaient disparu, noyées dans la mer mon­tante des populations asiatiques voisines. Cette zone géographique, jadis traversée par la légendaire "route de la soie" et devenue depuis longtemps en grande partie dé­sertique, était devenue inaccessible aux Européens, qui ne pouvaient évidemment pas y mener à bien des études ar­chéologiques sérieuses et approfondies.

Latin, irlandais ancien et tokharien

Comme l'a souligné Colin Renfrew, célèbre pour ses recher­ches sur les migrations indo-européennes, ce n'est qu'au dé­but du 20ième siècle que les premiers érudits ont pu s'a­ven­turer dans la région, en particulier dans la dépression du Ta­rim et dans diverses zones avoisinantes (2). Ils ont trou­vé de nombreux matériaux, bien conservés grâce à l'ex­trême aridité du climat désertique qui règne là-bas. Il s'agit essen­tiellement de textes en deux langues, écrits dans une lan­gue jusqu'alors inconnue, qui utilisait cependant un al­pha­bet du Nord de l'Inde; à côté du texte en cette langue, fi­gurait le même texte en sanskrit. Ce qui a permis de la com­prendre et de l'étudier assez rapidement. Cette langue a été appelée par la suite le "tokharien", dénomination que l'on peut juger aujourd'hui impropre. Elle se présentait sous deux formes légèrement différentes l'une de l'autre, qui ré­vélaient "diverses caractéristiques grammaticales les liant au groupe indo-européen" (3). Notons le fait que les res­sem­blances les plus frappantes liaient cette langue au cel­tique et au germanique, plutôt qu'aux groupes plus proches de l'iranien et des autres langues aryennes d'Asie. A titre d'exemple, nous comparerons quelques mots fondamentaux que l'on retrouve respectivement en latin, en irlandais an­cien et en tokharien. "Père" se dit "pater", "athir" et "pa­cer"; "Mère" se dit "mater", "mathir" et "macer"; ""Frère" se dit "frater", "brathir" et "procer"; "Sœur" se dit "soror", "siur" et "ser"; "Chien" se dit "canis", "cu" et "ku" (4). A titre de cu­riosité, signalons une autre correspondance: le nombre "trois" se dit "tres" en latin, "tri" en irlandais ancien et "tre" en tokharien.

Les affinités sont donc plus qu'évidentes. «Les documents remontent aux 7ième et 8ième siècles après J. C. et com­pren­nent des correspondances et des comptes rendus émanant de monastères… Des deux versions de la langue tokharien­ne, la première, nommée le "tokharien A" se retrouve éga­lement dans des textes découverts dans les cités de Ka­rashar et de Tourfan, ce qui a amené certains savants à l'ap­peler le "tourfanien". L'autre version, appelée "tokha­rien B", se retrouve dans de nombreux documents et textes trouvés à Koucha et donc baptisée "kouchéen" (5).

Processus endogène ou influence exogène? 

Aujourd'hui, on tend à penser que ces langues ont été par­lées par les Yüeh-chi (ou "Yü-chi"), le peuple mentionné dans les annales antiques, peuple qui avait entretenu des contacts prolongés avec le monde chinois. C'est là un point fondamental, qui est resté longtemps sans solution. En fait, sur la naissance de la civilisation chinoise, deux opinions s'affrontent : l'une entend privilégier un processus entiè­rement endogène, sans aucune influence extérieure d'au­tres peuples; l'autre, au contraire, met en évidence des apports importants, fondamentaux même, venus d'aires cul­turelles très différentes. La première thèse est na­tu­rellement la thèse officielle des Chinois, mais aussi celle de tous ceux qui s'opposent à toute conception de l'histoire qui pourrait donner lieu à des hypothèses "proto-colonialistes" vo­yant en l'Occident la matrice de tout progrès. Les dé­fenseurs les plus convaincants de la thèse "exogène" —c'est-à-dire Gobineau, déjà cité, mais aussi Spengler, Kossina, Gün­ther, Jettmar, Romualdi, etc.—  sont ceux qui souli­gnent, de manières très différentes, le rôle civilisateur des peuples indo-européens au cours de leurs migrations, par­ties de leur patrie primordiale, pour aboutir dans les con­trées lointaines auxquelles ils ont donné une impulsion bien spécifique. Bien sûr, dans certains cas, ces auteurs ont con­staté que l'apport culturel n'a pas été suffisamment fort pour "donner forme" à une nouvelle nation, vu le nombre réduit des nouveaux venus face aux populations indigènes; néanmoins, la simple présence d'une influence indo-euro­péenne a suffit, pour ces auteurs, pour imprimer une im­pul­sion vivifiante et pour animer un développement chez ces peuples avec lesquels les migrants indo-européens en­traient en contact. Ce serait le cas de la Chine avec les Tokhariens.

Par exemple, Spengler (6) souligne l'importance capitale de l'introduction du char de guerre indo-européen dans l'évolution de la société chinoise au temps de la dynastie Chou (1111-268 av. J. C.). D'autres auteurs, comme Hans Gün­ther, plusieurs dizaines d'années plus tard, avait avancé plusieurs hypothèses bien articulées et étayées de faits importants, attribuant à cette pénétration de peuples indo-européens l'introduction de l'agriculture parmi les tributs nomades d'Asie centrale, vers la moitié du deuxième millé­naire; il démontrait en outre comment l'agriculture s'était répandue en Asie centrale, parallèlement à l'expansion de populations de souche nordique.

Bronze et chars de guerre

De même, l'introduction du bronze en Chine semble, elle aussi, remonter aux invasions indo-européennes; ensuite, on peut supposer qu'aux débuts de l'histoire chinoise, il y a eu l'invasion d'un peuple équipé de chars de guerre, venu du lointain Occident. Par ailleurs, on peut dire que les sinologues actuels reconnaissent tous l'extrême importance du travail et du commerce du bronze dans le dévelop­pe­ment de la société en Chine antique (7). La même impor­tance est attribuée aujourd'hui, par de plus nombreux sino­logues, à l'introduction de certaines techniques agricoles et du char hippo-tracté.

Les études de Günther sur le parallélisme entre la présence de peuples aux cheveux clairs et la diffusion de la culture indo-européenne en Asie ont d'abord été diabolisées et os­tracisées, mais, aujourd'hui, au regard des apports nou­veaux de l'archéologie, elles méritent une attention nou­velle, du moins pour les éléments de ces études qui de­meu­rent valables. Peu d'érudits se rappellent que, dans l'oasis de Tourfan, dans le Turkestan chinois, où vivaient les To­khariens, on peut encore voir des fresques sur lesquelles les ressortissants de ce peuple sont représentés avec des traits nettement nord-européens et des cheveux clairs (8). C'est une confirmation de la fiabilité des annales du Céleste Em­pire. On ne peut donc plus nier un certain enchaînement de faits, d'autant plus que l'on dispose depuis quelques années de preuves plus directes et convaincantes de cette in­stallation très ancienne d'éléments démographiques indo-européens dans la zone asiatique que nous venons d'évo­quer. Ces installations ont eu lieu à l'époque des grandes mi­grations aryennes vers l'Est (2ième millénaire avant J. C.), donc avant que ne se manifestent certains aspects de la ci­vilisation chinoise.

Ces preuves, disions-nous, nous n'en disposons que depuis quelques années…

Les traits europoïdes des momies d'Ürümtchi

En 1987, Victor Mair, sinologue auprès de l'Université de Pennsylvanie, visite le musée de la ville d'Ürümtchi, capita­le de la région autonome du Xinjiang. Il y voit des choses qui provoquent chez lui un choc mémorable. Il s'agit des corps momifiés par cause naturelle de toute une famille : un homme, une femme et un garçonnet de deux ou trois ans. Ils se trouvaient dans une vitrine. On les avait dé­couverts en 1978 dans la dépression du Tarim, au sud du Tian Shan (les Montagnes Célestes) et, plus particu­lière­ment, dans le désert du Taklamakan (un pays peu hos­pi­ta­lier à en juger par la signification de son nom : "on y entre et on sort plus!").

Plusieurs années plus tard, Mair déclare au rédacteur du men­­suel américain Discover : «Aujourd'hui encore, je res­sens un frisson en pensant à cette première rencontre. Les Chinois me disaient que ces corps avaient 3000 ans, mais ils semblaient avoir été enterrés hier» (9). Mais le véritable choc est venu quand le savant américain s'est mis à ob­ser­ver de plus près leurs traits. Ils contrastaient vraiment avec ceux des populations asiatiques de souche sino-mon­gole; ces corps momifiés présentaient des caractéristiques soma­tiques qui, à l'évidence, étaient de type européen et, plus précisément, nord-européen. En fait, Mair a noté que leurs cheveux étaient ondulés, blonds ou roux; leurs nez étaient longs et droits; ils n'avaient pas d'yeux bridés; leurs os é­taient longs (leur structure longiligne contrastait avec cel­le, trapue, des populations jaunes). La couleur de leur épi­derme —maintenu quasi intact pendant des millénaires, ce qui est à peine croyable—  était typique de celle des po­pu­lations blanches. L'homme avait une barbe épaisse et drue. Toutes ces caractéristiques sont absentes au sein des po­pulations jaunes d'Asie.

Les trois "momies" (il serait plus exact de dire les trois corps desséchés par le climat extrêmement sec de la région et conservés par le haut taux de salinité du terrain, qui a empêché la croissance des bactéries nécrophages) consti­tuaient les exemplaires les plus représentatifs d'une série de corps —à peu près une centaine— que les Chinois avaient déterrés dans les zones voisines. Sur base des datations au radiocarbone (10), effectuées au cours des années précé­den­tes par des chercheurs locaux, on peut dire que ces corps avaient un âge variant entre 4000 et 2300 ans. Ce qui nous amène à penser que la population, dont ils étaient des ressortissants, avait vécu et prospéré pendant assez long­temps dans cette région, dont la géologie et le climat de­vaient être plus hospitaliers dans ce passé fort lointain (on y a d'ailleurs retrouvé de nombreux troncs d'arbre dessé­chés).

Spirales et tartans

Le matériel funéraire et les vêtements de ces "momies", eux aussi, se sont révélés fort intéressants. Par exemple: la présence de symboles solaires, comme des spirales et des swastikas, représentés sur les harnais et la sellerie des che­vaux, relie une fois de plus ces personnes aux Aryens de l'antiquité, sur le plan culturel.

L'étoffe utilisée pour fabriquer leurs vêtements était la lai­ne, qui fut introduite en Orient par des peuples venus de l'Ouest. Le "peuple des momies" connaissait bien l'art du tis­sage: on peut l'affirmer non seulement parce que l'on a re­trouvé de nombreuses roues de métier à tisser dans la ré­gion mais aussi parce que les tissus découverts sont d'une excellente facture. Pour attester des relations avec le Cé­leste Empire, on peut évoquer une donnée supplémentaire: la présence d'une petite composante de soie dans les effets les plus récents (postérieurs au 6ième siècle av. J. C.), qui ont de toute évidence été achetés aux Chinois. Les autres éléments vestimentaires, dans la majeure partie des cas, dé­montrent qu'il y avait des rapports étroits avec les cul­tu­res indo-européennes occidentales; le lot comprend notam­ment des vestes ornées et doublées de fourrure et des pan­talons longs.

Plus révélateur encore: on a retrouvé dans une tombe un fragment de tissu quasi identique aux "tartans" celtes (11) dé­couverts au Danemark et dans l'aire culturelle de Hall­statt en Autriche, qui s'est développée après la moitié du 2ième millénaire avant J. C., donc à une époque contempo­rai­ne de celle de ces populations blanches du Xinjiang. Si l'on pose l'hypothèse que les Celtes d'Europe furent les an­cêtres directs de ces Tokhariens (ou étaient les Tokhariens tout simplement), cette preuve archéologique s'accorde bien avec ce que nous disions plus haut à propos des simi­litudes entre la langue celtique et celle des Indo-Européens du Turkestan chinois : les deux données, l'une linguistique, l'autre archéologique, se renforcent l'une l'autre.

Chapeau à pointe et coquillages

Autre élément intéressant : la découverte d'un couvre-chef à pointe, à larges bords, que l'on a défini, avec humour, comme un "chapeau de sorcière"; il était placé sur la tête de l'une des momies de sexe féminin, remontant à environ 4000 années. Ce chapeau ressemble très fort à certains cou­vre-chef utilisés par les Scythes, peuple guerrier de la step­pe, et qu'on retrouve également dans la culture ira­nien­ne (on pense aux chapeaux des Mages). Ces populations étaient des populations d'agriculteurs, comme le prouve la présence de semences dans les bourses. Elles avaient éga­lement des rapports avec des populations vivant en bord de mer, vu que l'on a retrouvé près des momies ou sur elles de nombreux coquillages de mollusques marins.

L'intérêt extrême de ces vestiges a conduit à procéder à quel­­ques études anthropologiques (principalement d'an­thro­­­po­métrie classique), sous la direction de Han Kangxin de l'Académie Chinoise des Sciences Sociales (Beijing). Ces études ont confirmé ce que le premier coup d'œil déjà per­mettait d'entrevoir : dans de nombreux cas, les proportions des corps, des crânes et de la structure générale du sque­lette, ne correspondent pas à celles des populations asia­tiques jaunes, tandis qu'elles correspondent parfaitement à celles que l'on attribue habituellement aux Européens, sur­tout aux Européens du Nord.

Par le truchement de l'archéologie génétique, on pourra obtenir des données encore plus précises, pour élucider ultérieurement les origines et la parenté de ce peuple my­stérieux. La technique, très récente, se base sur la com­pa­raison de l'ADN mitochondrial (12) des diverses populations, que l'on veut comparer, afin d'en évaluer la distance gé­nétique. L'un des avantages de cette technique réside dans le fait que l'on peut aussi analyser l'ADN des individus dé­cé­dés depuis longtemps, tout en restant bien sûr très at­ten­tif, pour éviter d'éventuelles contaminations venues de l'en­vironnement (par exemple, les contaminations dues aux bactéries) ou provoquées par la manipulation des échan­tillons. L'archéologie génétique s'avère utile, de ce fait, quand on veut établir un lien, en partant des molécules, entre l'anthropologie physique et la génétique des popu­la­tions.

Les premiers tests ont été effectués par un chercheur ita­lien, le Professeur Paolo Francalacci de l'Université de Sassari. Ils ont confirmé ultérieurement l'appartenance des in­dividus analysés aux populations de souche indo-euro­péenne, dans la mesure où l'ADN mitochondrial, qui a été extrait et déterminé, appartient à un aplotype fréquent en Europe (apl. H) et pratiquement inexistant au sein des po­pulations mongoloïdes (13). Les autorités de Beijing n'ont autorisé l'analyse que d'un nombre réduit d'échantillons; beaucoup restent à étudier, en admettant que les autorisa­tions soient encore accordées dans l'avenir.

Traits somatiques des Ouïghours

Enfin, il faut également signaler que les habitants actuels du Turkestan chinois, les Ouïghours, présentent des traits so­matiques mixtes, où les caractéristiques physiques euro­poï­des se mêlent aux asiatiques. On peut donc dire que nous nous trouvons face à une situation anthropologique où des ethnies de souches diverses se sont mélangées pour former, en ultime instance, un nouveau peuple. Ce n'est donc pas un hasard si les autorités de Beijing craignent que la démonstration scientifique de l'existence de tribus blan­ches parmi les ancêtres fondateurs de l'ethnie ouïghour con­tribue à renforcer leur identité culturelle et qu'au fil du temps débouche sur des aspirations indépendantistes, vio­lem­ment anti-chinoises, qui sont déjà présentes. Cette si­tua­tion explique pourquoi les Chinois boycottent quasi ou­ver­tement les recherches menées par Mair et ses colla­bo­ra­teurs.

En conclusion, l'ampleur, la solidité et la cohérence des don­nées obtenues contribuent à confirmer les intuitions de tous les auteurs, longtemps ignorés, qui ont avancé l'hy­po­thèse d'une contribution extérieure à la formation de la ci­vilisation chinoise. Cette contribution provient de tribus ar­yennes (ndlr: ou "proto-iraniennes", selon la terminologie de Colin McEvedy que nous préférons utiliser), comme sem­ble l'attester les découvertes effectuées sur les "momies", et permet d'émettre l'hypothèse que le bronze et d'autres acquisitions importantes ont été introduites directement, et non plus "médiatement", par ces tribus dans l'aire cul­turelle de la Chine antique.

Par exemple, Edward Pulleyblank a souligné récemment qu'il «existait des signes indubitables d'importations venues de l'Ouest : le blé et l'orge, donc tout ce qui relève de la cul­ture des céréales, et surtout le char hippo-tracté, …, sont plus que probablement des stimuli venus de l'Ouest, ayant eu une fonction importante dans la naissance de l'âge du bronze en Chine» (14).

Bien sûr, cette découverte ne conteste nullement la for­midable originalité de la grande culture du Céleste Empire, mais se borne à mettre en évidence quelques aspects fon­damentaux dans sa genèse et dans son évolution ultérieure, tout en reconnaissant à juste titre le rôle joué par les no­ma­des antiques venus d'Europe.

Giovanni MONASTRA.

(e mail: g_monastra@estovest.org ; texte paru dans Per­corsi, anno III, 1999, n°23; le texte original italien est sur:

http://www.estovest.org/identita/indocina.html... ; trad. franç.: Robert Steuckers).

Notes :

[1] Arthur de Gobineau, Saggio sulla disuguaglianza delle razze umane, Rizzoli, Milano 1997, p. 443.

[2] Colin Renfrew, Archeologia e linguaggio, Laterza, Bari 1989, p. 77.

[3] ibidem, p. 79.

[4] Les Chinois, pour désigner le chien, utilisent le terme "kuan", qui est quasiment le seul et unique mot de leur langue qui ressemble au latin "canis" ou à l'italien "cane", sans doute parce que le chien domestique à été introduit dans leur société par des populations indo-européennes, qui ont laissé une trace de cette transmission dans le nom de l'animal.

[5] Colin Renfrew, Archeologia ecc.cit., pp. 78-9.

[6] Oswald Spengler, Reden und Aufsätze, Monaco 1937, p. 151.

[7] Jacques Gernet, La Cina Antica, Luni, Milano 1994, pp. 33-4.

[8] Luigi Luca Cavalli-Sforza, Geni, Popoli e Lingue, Adelphi, Milano 1996, p. 156.

[9] Discover, 15, 4, 1994, p. 68.

[10] La méthode du radiocarbone (14C) se base sur le fait que dans tout organe vivant, outre l'atome de carbone normal (12C), on trouve aussi une certaine quantité de son isotope, le radiocarbone, qui se réduit de manière constante, pour devenir un isotope de l'azote. Tandis que le rapport entre 14C et 12C reste stable quand l'organisme est en vie, cet équilibre cesse d'exister à partir du moment où il meurt; à partir de cette mort, on observe un déclin constant qui implique la disparition du radiocarbone, qui diminue de moitié tous les 5730 ans. De ce fait, il suffit, dans un échan­tillon, de connaître le rapport entre deux isotopes pour pouvoir calculer les années écoulées depuis la mort de l'organisme. La mé­thode connaît cependant une limite : elle ne peut pas s'utiliser pour des objets d'investigation de plus de 70.000 ans. 

[11] Archaeology, Marzo 1995, pp. 28-35. Le "tartan" est une étoffe typique du plaid écossais. Pour se documenter plus précisément sur les divers éléments liés aux textiles et aux vêtements de ce peuple, nous recommandons la lecture d'un ouvrage excellent et exhaustif, comprenant de nombreuses comparaisons avec les équivalents en zone européenne : Elizabeth Wayland Barber, The Mummies of Ürümchi, W. W. Norton & Company, Inc., New York, 1999.

[12] Les mitochondries sont des organites présents dans les cellules des eucaryotes (tous les organismes vivants, des champignons aux mammifères) à des dizainesde milliers d'exemplaires. Seules ces structures, mis à part le noyau cellulaire, contiennent de l'ADN, molécule base de la transmission héréditaire, mais leur ADN est de dimensions beaucoup plus réduites que celui du noyau (200.000 fois plus court) : il sert uniquement pour la synthèse des protéines né­cessaires à ces organites. Il faut se rappeler qu'au moment de la fécondation, il semble que seule la mère transmet les mitochon­dries à sa progéniture.

[13] Journal of Indo-European Studies, 23, 3 & 4, 1995, pp. 385-398.

[14] International Rewiew of Chinese Linguistics, I, 1, 1998, p. 12. Voir aussi: Elizabeth Wayland Barber, The Mummies of Ürümchi, op. cit.

 

 

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lundi, 14 juillet 2008

Un opuscule didactique sur le Tibet

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Robert Steuckers:

Sur un opuscule didactique sur le Tibet

 

Paru en avril 2008, le volume sur le Tibet de la célèbre collection “Que sais-je?” des Presses Universitaires de France (n°3808) est dû à la plume de Claude B. Levenson, qui est une spécialiste incontestée de la région himalayenne, comme l’attestent les très nombreux ouvrages qu’elle a déjà consacrés au Tibet depuis une bonne vingtaine d’années. Le Tibet, constate-t-elle, est lié spirituellement à l’Inde, patrie d’origine du bouddhisme. Sa “Grande Porte” est celle qui donne sur le sud, sa porte de service est celle qui donne sur l’est, soit sur la Chine. La conquête chinoise a contribué à fermer de force cette porte méridionale et à faire de la “porte de service” la seule porte autorisée pour le Tibet sinisé.

 

L’auteur rappelle le long isolement du Tibet, surtout avant l’arrivée de l’expédition britannique de Younghusband en 1904, sur fond de rivalité en Asie entre l’Empire des Tsars et l’Empire britannique, maître des Indes. A l’époque, la France , dominant l’Indochoine dont les grands  fleuves prennent leurs sources dans le massif tibétain, tentait timidement d’avancer au nord du Laos, avant d’abandonner toute initiative. Les Etats-Unis sont absents de la compétition: à l’époque, seule la Chine riveraine du Pacifique les intéresse, en tant que débouché potentiel, avec des dizaines de millions de consommateurs en perspective. C’est dans le cadre de la seconde guerre mondiale que le Tibet commence à susciter leurs intérêts stratégiques car la maîtrise des voies de communication dans l’Himalaya leur aurait permis d’apporter un soutien logistique sans faille aux nationalistes de Tchang Kai Tchek, aux prises avec les Japonais d’abord, avec les armées communistes de Mao ensuite.

 

Après l’indépendance de l’Inde en 1947 et l’éclatement de l’ancien Raj britannique en un Etat musulman (le Pakistan) et un Etat hindou (l’Inde), Mao, dès son accession au pouvoir en 1949, est le premier, et le seul finalement, à comprendre l’enjeu géopolitique primordial que représente le Tibet, “Toit du Monde”. Il mènera, dès  le début de son pouvoir sur la Chine , une politique d’expansion vers le Tibet, que poursuivront ses successeurs d’avant et d’après le passage de la Chine à l’économie globale de marché. Sa tâche a été aisée: il a bénéficié, dans les années 50, du soutien soviétique; l’Angleterre, épuisée par la seconde guerre mondiale, et les Etats-Unis se retranchent derrière l’avis de Nehru, qui, lui, préfère garder la neutralité face à la Chine. Nehru n’avait d’ailleurs pas les moyens de pratiquer une autre politique, l’Inde étant coincée entre deux entités musulmanes, les deux Pakistan, l’occidnetal et l’oriental (qui deviendra le Bengla Desh), avec un front coûteux pour une puissance en voie de développement, situé dans l’Himalaya, au Cachemire, jusqu’à 6000 m d’altitude. Dans ce contexte, nehru parie sur une hypothétique fraternité sino-indienne sous le signe de l’anti-impérialisme. Il faudra attendre la pénétration inattendue de troupes chinoises dans l’Aksaï Chin (au nord-ouest de l’Inde) en 1962 et le conflit sino-indien qui s’ensuivit aussitôt, pour modifier la position indienne et faire fondre comme neige au soleil l’idée d’un partenariat anti-impérialiste entre New Delhi et Pékin. Récemment, en cette première décennie du 21ième siècle, les revendicatios chinoises sur l’Arunachal Pradesh, jadis territoire tibétain, envenimment encore davantage les relations déjà tendues entre les deux nouveaux géants économiques de l’Asie.

 

L’Inde craint d’être prise en tenaille par une alliance sino-pakistanaise, où Karachi  autorise les Chinois à  construire un solide appui naval en Mer d’Arabie, à l’ouest de l’Inde. Ensuite, l’Inde a toutes les raisons de  craindre d’autres mouvements stratégiques chinois allant au détriments de ses intérêts géopolitiques: le passage de l’ancien royaume du Népal à une république d’inspiration plus ou moins néo-maoïste et l’appui de la  Chine à la junte birmane qui, elle, autorise la marine de Pékin à mouiller dans les bases des Iles Cocos dans le Golfe du Bengale (qu’on ne confondra pas avec les Iles Cocos administrées par l’Australie, plus  au sud  dans l’Océan Indien; les Cocos birmanes, où la Chine entretient des bases navales, se situent au nord de l’archipel indien des Andamanes).

 

La question du Tibet ressurgit à l’avant-plan de l’actualité dès la mise en oeuvre de la voie ferrée Pékin-Lhassa en 2006, 47 ans après l’annexion complète et définitive du Tibet à la Chine et la fuite du Dalaï-Lama en Inde. Grâce à ce système de communication classique  —les voies de chemin de fer et leur tracé demeurent encore et toujours des enjeux et des atouts stratégiques de premier ordre—  la Chine peut renforcer encore sa présence au Tibet, y  acheminer plus rapidement davantage de troupes ou d’ouvriers le long de la frontière tibéto-indienne et peser ainsi lourdement sur le Sud de l’Asie, de l’Indochine au Pakistan.

 

L’enjeu le plus important, selon Claude B. Levenson, reste toutefois la maîtrise du “Château d’eau de l’Asie” que représente le Tibet. La Chine a besoin d’eau potable en abondance pour alimenter ses villes tentaculaires, pour obtenir une autarcie alimentaire (seule garante de l’indépendance réelle d’une  puissance) en irriguant des zones semi-désertiques au nord et au nord-est du Tibet, pour pallier la pollution de ses fleuves suite à une industrialisation anarchique et trop rapide, peu soucieuse de critères écologiques. Par ailleurs, il y a les projets hydrauliques chinois, ceux des méga-barrages, réalisés, en voie de réalisation ou au stade de la planification. Ces travaux sont qualifiés de “pharaoniques” par notre auteur. Ces barrages gigantesques en amont des grands fleuves d’Asie, dont les rives hébergent 47% de la ppulation du globe, risquent bien de placer l’ensemble territorial indien, birman, thai et indochinois entièrement sous la coupe de la Chine , abstraction faite des catastrophes écologiques possibles. L’Inde et le Bengla Desh, par exemple, craignent principalement un  détournement des eaux du Brahmapoutre qui les mettrait tous deux à la merci des Chinois. Le Vietnam craint, pour sa part,un détournement des eaux du Mékong. En 2000, les régions indiennes de l’Himanchal Pradesh et de l’Arunachal Pradesh ont été brutalement inondées par des eaux venues du Tibet: il a fallu attendre 2006 pour que les Chinois avouent avoir construit des barrages, responsables de cette catastrophe. Les voisins de la Chine craignent essentiellement ce genre de politique du “fait accompli”.

 

Pour conclure, quelle attitude prendre face à la question tibétaine? A l’évidence, les Etats-Unis jouent aujourd’hui, avec leur cynisme habituel, la carte de la liberté tibétaine pour mettre des bâtons dans les roues d’une Chine qui, par ses investissements, prend trop d’importance dans la vie économique américaine ou se montre trop autarcique pour permettre la pénétration de son marché par les Etats-Unis et les multinationales. Face à cette problématique, nous sommes évidemment du côté chinois, toute puissance ou tout bloc de nations ayant le droit de se créer une autarcie alimentaire et industrielle. Cependant, une Chine qui tiendrait l’Inde entièrement sous sa coupe, en ne lui laissant plus aucune marge de manoeuvre, ne va pas dans le sens de nos intérêts: raisonnant en termes d’espace indo-européen, récapitulant dans notre synthèse géopolitique les raisonnements stratégiques du général tsariste puis bolchévique Senassarev et de l’indépendantiste indien Roy, la voie doit être libre du coeur germanique de l’Europe au sous-continent indien, en passant par les plaines scythes d’Ukraine et l’ancien espace indo-européen (sarmate, etc.) d’Asie centrale avant son occupation par les peuplades turco-mongoles; aucune intervention d’une géopolitique globale non indo-européenne ne peut briser la ligne Rotterdam-Calcutta, que cette intervention soit turco-mongole (partant d’Oulan Bator pour s’élancer jusqu’au Bosphore) ou arabo-sémitique (partant du coeur du désert arabique pour s’élancer vers le Maghreb et l’Espagne, d’un côté, et vers le Turkestan chinois, de l’autre). A fortiori, nous ne pourrons tolérer l’émergence d’une Chine sortant de son pré carré, où elle était toujours sagement restée, pour créer ex nihilo une nouvelle dynamique géo-spatiale partant du Tibet pour s’élancer vers le sud indien, vers le Turkestan ex-soviétique et atteindre ainsi l’Oural et les zones de peuplement kalmouk sur le cours inférieur de la Volga , empruntant le même chemin que les hordes turco-mongoles. Dans ce cas, il y aurait lieu de parler d’un réel “péril jaune”. Les rodomontades sinophobes du Kaiser Guillaume II, à l’époque du siège des légations par les Boxers en 1900, finiraient-elles par acquérir un sens, face à une Chine saisie par la démesure de l’industrialisation outrancière et de l’expansion économique néo-libérale et globaliste?

 

Robert STEUCKERS.

(Claude B. LEVENSON, “Le Tibet”, PUF (QSJ?, n°3808), Paris, avril 2008).